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REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE
Directeur : M. Arthur GHUQUET
QUARANTE-SIXIEME ANNÉE
PREMIER SEMESTRE
Nouvelle Série. — Tome LXXIII
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PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28, VI*
I912
^^,-7
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
1 ,
Nouvelle série. — Tome LXXIII
QUARANTE-SIXIÈME ANNÉE
ANNEE 1912
TABLE DU PREMIER SEMESTRE
TABLE ALPHABETIQUE
pages
Académie Hongroise, Répertoire alphabétique des articles
contenus dans les revues quelle édite (L K.) 339
Albin, Les grands traités politiques (R. G.) 177
Alès (d'), Commodien et son temps (P. de LabrioUe) . . . . 370
Allain et Hausicr, La France (A. Biovcs) 43 1
Amade (d'i, En Chaïouia(A. Chuquet) 181
Américaine (Société philologique), Mémoires, XL (V. Cour-
nille) 8
Amérique du nord, Questions de politique étrangère
(A. Biovès) 274
Ammien Murcellin, I, p. Clark (J. D.) 12
Ancona id'), Etudes, H (Gh. Dejob) 336
Ancona (d"), Lettres à lui adressées (Gh. Dejob) 399
Angleten'e (le meuble et la décoration en). (H. de Gurzon). 56
Angot (L.), Mélanges d'histoire (E. W.). .......... 317
Antiquités grecques et romaines (Dictionnaire des), 45 . . . 116
Archambault, Renouvier (L, R.) 190
Aristote, Politique, p. Thalhiîim (My) 222
Arvanitopoullos, Fouilles en Thessalie (A. de Ridder). . . 167
Athènes (Université d'). Annuaire. — My 179
AiJDOUARD, Trois lettres de Mirabeau père.
— Généalogie delà maison de Bruny (P. Laborderie). . . . 392
Augustin (saint). Lettres, IV, p. Goldbacher (Pierre de
Labriolle) 10
Aymard, Les Touaregs (René Basset) 81
Bakhrf:ns, Panégyriques latins (Emile Thomas) 147
Bakounine, Œuvres, V (A. Mathiez) 276
Baldknspergf.r, Alfred de Vigny (Ernest Dupuy) 329
VI TAHLK DIS MAIII.UKS
page-f
BalJi-nspcif^cr I.liuc de M.) à propos du Chateaubriand
de M. Kvaiisic Michel 79
Bai.zkr, La loi (P. Allarici 17
lîariîoni (Angclo) (Ch. Dejob; 335
Baroque (l'archiicciure) en Italie (H. de Curzon) 56
H*RTH (B), Amour et mariage dans les nouvelles du moyen-
âge F. Piquet) 27
Harth (P.)t La nature dans Obermann (F. Baldensperger).. 35o
BARrHOLOMAF., Le dati t" si ugul icr en o ( H . P.) 21 3
Baski-rvii-le, Ce que doit Jonson à ses devanciers (Ch. B.). 359
Batk.s, Touristes de 1600 (Ch. Bastide) 496
Baudissin, Adonis et Eshmoun A. Loisy) i
Baikr iH.), Les temps en sémitique (C. Fossey) 481
Balmgartkn, Etat de détresse et état de défense (Th. Sch.). , 39
Bi:al'corps (C. de), Les intendants d'Orléans (C. E. R.). . . 334
BKAi:.MONr, Mes trois grandes courses (H. de C.) 58
Beal'quikr, Faune et flore populaire de la Franche-Comté
(Léon Pineau) i5
BivCCARi, Documents sur TEihiopie, X ^J.-B. Ch.) i65
Bb:ccari, Le Tigre ^J .-B. Ch.) 421
Bégulé, La chapelle de Kermarie (S.) 26
Behaghel, Histoire de la langue allemande (F, Piquet) . .. 346
Benedek, Victor Hugo (I. Kont) 272
Benni^tf, Le verbe dans Tancien latin (J. D.) 3o2
Benoit XIV, Correspondance, p. Em. de Heeckeren (Ch.
Dejob) 498
Bergstraesser, Le parti du centre (R. G.) 3o
Behneker, Dictionnaire étymologique slave (A. Meillet). . . 364
Bernhard (L.), La question polonaise (R. Guyot) 112
Biîrot-Berger (M""), Décalogue de la vie moderne (A. Bio-
vès) 43 2
Berr, La synthèse en histoire (Th. Sch.) ,. . . . 38
Berteval, Le théâtre d'Ibsen (L. Pineau) 376
Bill, Contre Marcion (P. de Labriolle) 371
Binet-Sanglé, Lettre à m. Loisy qj
Blum(A.), Mantegna(H. de Curzon) 56
Blumml, Le recueil de chansons d'Uhland (F. Piquet).. . . 428
Blùmner, Antiquités privées des Romains (E. T.) 102
lîocKHOKF, Henri de Neustadt (F. Piquet) 5o3
BoHL, Chananéens et Hébreux (Alfred Loisy) 204
Bonhokker, Epiciète et le Nouveau Testament (P. Alfaric). 19
BoNiN, Les royaumes des neiges (A. Biovès) 431
BôôK, Etudes critiques (Virgile Pinot) 458
Boppe, Les peintres du Bosphore (A. Chuquet) 5i
BoRELL, Spinoza (L. R.) loo
TABLK DKS MATIKRKS VU
pages
Bosr, Les prcdicaieurs protestants des Cévennes et du bas
Languedoc (Albert Waddington) i35
BoixHAUD (P. de), Les poésies de Michel Ange et de Vittorio
Colonna (Ch. Dejob) 3/3
BoL'CHOR, Contes (L. Pineau) 377
Boi'RELLY, La guerre de 1870 (A. Chuquct) 54
BouTOURAS, Les emprunts du grec et au grec (My) 424
BouTROux, James 1 Th. Sch.) 36
BovKT, Lyrisme, épopée, draine (F. Baldensperger) 232
BoYD, L'Octateuque J.-B. C.) 397
BoxALL, L'évolution de la science et de la religion (A. L.). .. 443
Braun (P.), Conrad de Merhourg et Steding (E.) i3i
Bréal (Michel), Gabriel Monod 358
Brewks, L'époque de Commodien (P. de Labriolle) 370
Brinkmann, Wustrau (R.) 160
Brissot, Correspondance et papiers, p. Perroud (E. Welvert). 76
Brock (Miss), Fronton (Emile Thomas) i5i
Brugmann, L'enseignement du grec et du latin (My) 170
Brunetii^re, Lettres de combat (L. R.) 195
Bryce, La Révolution américaine, I (A. Biovès) 235
Busse, Les grands philosophes modernes (Th. Sch.) 399
Byron, Lettres, trau. Delachaume (Ch. Bastide) 86
Cabeen. L'influence de Marino(L. Roustan) 384
Calvin, L'excuse de M. de Falais, p. Cartier iR.) 490
Cambridge (Université de), Histoire de la littérature
anglaise, VII (Ch. Bastide) 74
Canat, Morceaux choisis de Chateaubriand ( L. R.) 408
Candé (M"^ de), Souvenirs de l'armée vendéenne (H. Bague-
nier-Desormeaux) 41 3
Castella, Bûchez. (R. G.) 3o
Cavaignac, Esquisse d'une histoire de France (R. Guyot). .. 178
Cessi, La vie à Alexandrie (My). 333
Chateaubriand, Amours, p. G. Pierredon (F. Baldensperger). 414
Chauvigny (L. de). Le Hls de Laclos (A. Chuquet) 5 16
Chesterton, Charles Dickens, trad. A. Laurent et Martin-
Dupont (Ch. B.) '359
Christ, Histoire de la littérature grecque, p. W. Schmidt
(Myj .^ 6
Chuquet (Arthur), Gabriel Monod 358
— Monod et la Revue Critique 419
C1ACERI, Cultes et mythes en Sicile (Ed. Thanisy) . 72
Clergeac, Les évêques de Gascogne (L. -H. Labandei 5i i
Collas, Jean Chapelain (L. Roustan) 384
CoLLiNS, Voltaire, Montesquieu et Rousseau en Angleterre
(Ch. Bastide) 86
VIII TABLE DES MATIERES
pages
Conseil de Genève. Registres III et IV (R.) , i3 2, 492
CoNsoi.i, Notes latines;
— I, a première satire de Juvenal (E. T.) 199
CoRNELiirs, Introduction à la philosophie i^Tli . Sch.) 38
CoRNiLs. La théologie (P. Allaric) 22
CosQUiN, Le conte du chat et de la chandelle (M. G. D.). . 483
CosTER, Antiquaires d'autrefois (Ch. Dcjob) 336
CoTTiN, Souvenirs de Rousiam (A. Chuquet) 59
CotiRTHOPE, L'élément romanesque dans la littérature
(Ch. B) 340
Croze l'A. de), La chanson populaire de l'île de Corse
(L. Pineau) 377
Cruvplants et Aerts, Dumouriez dans les Pays-Bas autri-
chiens (A. Chuquet) 474
CsENGERi, Drames d'Euripide (I. K.) . 338
DiJHNHARDT, Légendes animales (Edouard Thanisy) 8
Damas (Roger de;, Mémoires, p. p. J, Rambaud (Ch. Dejob). 477
Danilowicz, Naoum Aronson (Léon Rosenthal) 55
Daudet (E.), L'ambassade du duc Decazes en Angleterre
(R. G.) 270
Dauzat, Pour qu'on voyage (L. R.) 194
Dklannov, La juridiction ecclésiastique en matière bénéfi-
ciale, I (A.) 73
Delattre, Les fairies dans la poésie anglaise (Ch. Bastide). 497
— Robert Herrick (Ch. Bastide) 5o5
Della Seta, Religion et an figuré (A. de Ridder) 212
Deloche, La maison du cardinal de Richelieu (R.) 493
Dfx Vecchio, Guerre et paix (Th. Sch.) 35
— De Burlamachi à Rousseau (Th. Sch.) , . . . . 38
Denikle, Luther et le luthéranisme, II (Th. Sch.) 36o
Denis (A.), Le Comité de surveillance révolutionnaire de
Toul (C. P.) 218
Dennett, Les noms bantous (A. Meillet). . . . • 63
Deonna, L'archéologie, sa valeur, ses méthodes, III
(F. Courby) 466
Descartes, Méditations, p. Guttler (Th. Sch.) 5i8
Despatvs, Fouché et Gaillard (A. Chuquet) iSi
DiBELius, La cène (A. Loisy) 242
Didier, Locke ( L. R. ) loo
DiEHL (E.), Inscriptions en latin vulgaire (J. D.) 25
DiERALER, Histoire de la confédération suisse, IV (R.). . . 495
DiEULAFov, Le mausolée d'Halicarnasse et le Trophée d'Au-
guste, A. de Ridder) . 381
DiEz, La presse (R. G.) 3o
DiMiER, Les primitifs français (H. de Curzon) 56
TABLE DES MATIERES IX
pages
DiOBOUNioTis et Harnack, Lesscolies d'Origènc sur I Apoca-
lypse (P. de Labrjolle) 344
DoKLGicR, L'exorcisme baptismal (M. D) 3oi
DouKL, Au pays de Salammbô (F. B.) i i i
DouTRKPONT, La littérature française à la cour des ducs de
Bourgogne (H. C.) 268
Driault, Austerlitz et la fin du Saint Empire (R. G.). ... 456
Duchaine, La franc-maçonnerie belge au xyiii® siècle (F. B.). 109
DuKMKYER, Lemonosov (Th. Sch.) 118
DuPLKSsix, Printemps sacré (L. R.) 196
Dupont (Etienne", Le Mont Saint-Michel inconnu (L.-H.
Labande) 514
DuPUY (Ernest), Alfred de Vigny (F. Baldensperger). ... 109
DuTiL, Lettre de M^^de Mondonville (L. R.) 400
Eglise (L'), Ce qu'on a fait d'elle (A. Loisy) 465
EiMER, Byron et Shelley (Ch. B.) 340
Endt, Scolies sur Lucain (J. D.) 68
Enéide, H, p. E. Diehl ^E. T.) 228
Enk, Commentaire de Properce (Emile Thomas) 307
Faguet, De la profession
— Delà patrie (L. R.) 196
Faguet, Rousseau contre Molière (Ch. Dejob) 390
Falisques (inscriptions) p. Herbig (J . D.) 23
Faure, La crise du français (L. Roustan) 193
Fedorowicz, Documents français sur la campagne de Polo-
gne en 1809 (A. Chuquet) 181
Feilberg (Recueil offert à) — Léon Pineau 345
Férarès, La durée de l'année biblique (A. L.) 437
Fetzer, Anatomie pour artistes (L. R.) 196
Feuillerat, L'Arcadie de Sidney (Ch. Bastide) 5o5
FiAux, Carrel et Girardin (Ch. Dejob). 259
FicK, La formation de l'Odyssée (My) 65
FiEBiG, Histoire et philosophie de la religion (A. L.). . . . 442
— Ethique (A. L.) • 442
— Les Prophètes (A. L.) 442
FiEBiG, Un écrit de Luther (F. P.) 119
FiNACzv, Helvétius (L K.) 337
Finlande (Société suédoise des belles-lettres de la). Publica-
tions (L. Pineau) 473
FiNzi, Histoire de la littérature italienne (Ch. Dejob). . . . 107
Fior di Virtu, [Formules du) — Ch . Dejob 335
Fleiner, Droit administratif allemand (Th. Sch.). .... 38
Fleischmann et Bovet, Lettres de Talma à Pauline (A. Chu-
quet) 181
Flickinger, Scaenica (My) 326
^ TAHI-K DKS MATIKRKS
paçes
locii.i.oN, BcnvcnutoCcllini H. de Curzoïi 56
ForrvHT.Lcs Aihciiiciis dans la Chersonèse de Tliracc i Myi. 224
KotiRNj:/.. l.undrecies (A. Cliuquci '^^'
France i»,hisioire ei géographie économiques H. de C.K 379
Franchkt, Céramique primitive (A. de Ridder). ...:.. 45
Frankkirtkr, Lcsamisdes humanités, 1 ^'"'^ bulletin ^L. H.;. 189
Frati et Skc.akizzi. Catalogue des manuscrits de Saint-
Marc Il Henri Hauvette' '^
Frkch, Le passé de la terre (Th. Sch.) ^1
Friedrichs, Brelan d'adversaires (R. G.) ^92
Frischeiskn-Kokhlkr, Science et réalité (Th. Sch.) 519
FROBKNiirs, La syntaxe d'Ennius (J. D.) -^<>3
Fromf.r, LeTalmud babylonien (M. Liber) '-^82
FucHS (E.), Révélation et évolution (P. Alfaric 447
FixHs(M.'i, Lexique du .lournal des Concourt (F. B.). . . 41")
Gabetti, Giovanni Prati (Ch. Dejob) -^7^
GAFFARELCt Dl'ranty, La pcstc de Marseille (A. Biovès). . . 4-9
Gafkir, La crise constitutionnelle anglaise A. Biovès). . . 237
Gagliardi, Hans Waldmann iR.) '56
Gagyhy, Les troubadours (I. K.) 337
Gailly DE Taurines, Les légions de Varus iR. Gagnât). ... 26
Gaix 'baron de Blaydel, Lettres du baron deCastelnau R.Gl 394
Ganzenmuller, Deux articles sur Ovide fE. T 200
Gardner, L'ancienne Athènes, trad. en hongrois (L K.). . . 338
Garstang, Le pays des Hittites C. Fossey) 121
Gayet, Le Journal de l'Université de Pont - à - Mousson
(Ch. Pfister) 294
Gerhart, De Panurge à Sancho Pança F. B. ). ...'... . 11 i
Gemoli,, Les Indo-Germains dans l'ancien Orient (Alfred
Loisy) 2«4
Genouilhac, Dréhen iC. Fossey) 201
Gercke et NoRDEN, Introduction à la science de l'antiquité
(E. Cavaignaci 221
Gercke et Norden, Introduction à la science de l'antiquité, I
\}A\) 122
Gertz, Vies des saints danois, II D. Sonnery) 83
Giercke (Hommage à Otto) - E i 58
Giesecke, La législation commerciale américaine avant 1789
H. Hr ) 91
GiLLouiN, La philosophie de Bergson fTh. Sch) 519
Giraud(V.), Nouvelles études sur Chateaubriand (F. Bal-
densperger) 35o
GoEAT, Le cauchemar de l'Europe (R. G.). . . , 3o
GoMPERz, L'Apologie de l'art de guérir (My) 425
GoLGAiD, Les chrétientés celtiques (G. Dottin^ 47
TABLE DES MATIERES XI
pa^es
GoYAT, Bismarck et l'Eglise [.. Roustan) 94
Gbaggkr, La Caution de Schiller (I. K. 3'38
Grikkith, Sir Perceval of Galles (Gcrtrude Schoeppele). . . 454
Gruenler, Ecquis ou etquis(E. T. 4^8
GuERLiN, La Touraine (H. de G.) 3/8
GuLYAS, La Grammaire hongroise de Fœldi (L K.) 3 18
GusTAFFSON, Les pronoms relatifs (E. T.) 197
Gyi.lai, Critique (L Kont) 272
Haase, Histoire des dogmes (P. Alfaric) 20
Haepke, Le négociant allemand aux Pays-Bas (R.) i 38
Handelsman, Napoléon et la Pologne (R. Guyot) 175
Hanoteaii, Instructions aux ambassadeurs de France à
Rome, Il (G. -G. Picavet) 4^5
Harder, Chrestomathie arabe (René Basset) 41
Hardy(G.) et Gandilhon, Bourges (H . de C.) 378
Harmand, Madame de Genlis (A. Chuquet) 5i
Harnack, Science et vie R.) 173
Harsangi, Les traductions de Pope par Bessenyei (I . K.). . 3 19
Haskins et LocKwooD, L'humanisme en Sicile au xii^ siècle
(My) 291
Hautzsch, L'Octateuque et le texte de Lucien (A. L.). . . . 437
Hauviller, Les pieux désirs d'un Alsacien (R.) 137
Havet (Louis), Manuel de critique verbale (P. de Labriolle) . 34 1
Hay, Elagabal (Maurice Besnier) 3 10
Hayers, Un emploi du datif (A. Meilleti 36r
Heeg, Catalogue des'manuscrits astrologiques grecs, V. 2(My) 5
Heidrich, Rutilius (E. T.) 404
Heigel, Courants politiques (R. G.) 3o
Heirel, Le Constantin d'Eusèbe (P. de Labriolle) 344
Hefmsoeth, Descartes et Leibniz. (Th. Sch.). . 36
Hein.tich (G.), Histoire universelle des littératures, IV (L
Kont) 262
Heitmuller, Le baptême et la Cène (A. Loisy) 242
Henneguy (P.), Histoire d'Italie (Ch. Dejob) 335
Hennequin, Zurich (A. Chuquet) iSt
Henri de Neustadt 5o3
Heraeus et NiEDERMANN, Textes en latin vulgaire, II et III
(JP). • 24
Herbert, L'enluminure (F. de Mély) 265
Héroli), Le Tristan de Munich (F. Piquet) 5o
Heymann (M'"^ a.), Lunettes et lorgnettes de jadis (Henri de
Curzon) 277
HiLL, La Calprenède en Angleterre (L. R.) 480
HiNDENLANG, La langue des (cuvres botaniques de Théo-
phraste (My) 324
.,, TABI.Iv DES MATIERES
pages
HiNKi, KuJurru balnlonicnncs (C. Fossey) 262
HoENN. Los Vies d'Hdiogabalcei d'Alexandre Sévère (E.T). io5
HoKKMANN (Max), MorccBUx choisis de Rankc R.) i?8
HoLDACK. La peine juridique ^rii.Sch.i 39
Hoi.Mis, Le Codex I.ovaniensis (E. T.) 197
HoLTZMANN, Les Origincs du Nouveau Testament (A. Loi-
sv! 461
Hoors, Lexique des antiquités i^ermaniques ( F. P.). • • • 100
HoRAri:, p. Barukra iJ. 1) -3
HiîBKRT (L. , L'effort allemand (L. Roustan] 97
HmiKRTiL.), Politique extérieure (A. Biovès) 274
HuBNKR, Le lion de Daniel, poème allemand (F. P.). . . . 374
HuLOT, La manœuvre de Laon (A. Chuquet 477
Hingi:r, L'armée assyrienne (C. Fossy) 483
HcNziNGKR. Le miracle (P. Alfaric) 447
HvMANS, Frère-Orban (R. G.) '77
Idiotikon suisse (F. P.) 120
Isidore de Séville, Étymologies, p. Lindsay (J. D.) 327
Jacobs, Lettres de Frédéric II à Thierioi iL. R.) 389
Jakob, L'illusion et la désillusion dans le roman réaliste
français (F. Baldensperger' 219
Jahr, Sources choisies du moyen âge allemand (F. T.). . 100
Jérôme (sainii, Lettres, I, p. Hilberg (D. S.) 326
Jespersen, L'Anglais (M. Bréal) 141
Jones (L.), Légende du roi Arthur (Ch. B.) 339
Jorga, L'ancienne civilisation roumaine (L. R.) 191
Jorga, Petite histoire de Roumanie (E.) 161
Jlsserand, Ce qu'il faut attendre de Shakspeare (Ch. B.). 5i
Kallos, Archiloque (I. K.) 337
Karsten, Donat (Emile Thomas) . 40
Kastil, La doctrine de Fries(Th. Sch.) 3g8
Kaukmann (E.), La banque française (H. Hauser) 89
Kal'fmann (G/, Histoire de r Université de Breslau (R.)-- i58
Kegi-, Khosrev(L K.) 337
Keller (O.), Les animaux dans Tantiquiié, ï (My) 124
Kelsbv, Grec et latin en Amérique L. R.), 188
Kelsey, Latin et grec dans l'cducaiion américaine (A. Bio-
vès) 235
Kern (P.), Documents sur les relations extérieures de l'Al-
lemagne, I 267-13 I 3 .
— Les débuts de la politique française d'expansion jusqu'en
i3o8 (R.) 129-130
Khatzis, Les Raoul grecs (My) 437
Kip, Etudes ihessaliennes (My) 423
Kisfaludy (Société), Annuaire, XLV (I. K.) 339
o
■7
TABLE DES MATIERES XIII
pages
KiTTKL, Histoire du peuple d'Israël, I (A. Loisy) 462
KiTTEi., La Science de l'Ancien Testament (A. Loisy) 241
Klemm, Histoire de la psychologie (Th. Sch.) 38
Klio, X (My) '..... 4'3
Klotzsch, Histoire de l'Empire (E. Cavaignac) 224
Kluge, Les éléments du gothique fA. Mcilletj 363
Knecht, Sujet et verbe dans l'anglais du temps de Shaks-
peare (Ch. Bastide) 258
Knorr, Les vases de Roiiweil (Maurice Resnier) 3ii
KoHLER et Ungnai), Textes juridiques babyloniens (C. Fos-
sey). . 261
KoTKAL, Excursions étymologiques (E. Bourciez) 254
Krauss, Archéologie talmudique (M, Liber) 285
Krebhiel, L'interdit (M. D.) 25
Krusch et Lkvison, Monumenta Germaniae historica(D.
Sonnery) 214
Kudrun, p. E. Schrœder (F. P.) 100
KuKULA, La poésie séculaire à Rome (E. T.). 198
KiiNSTLE, Vie de sainte Geneviève (P. de L.) 374
KuNTZEL, Bismarck et la Bavière (R. Guyot) 297
Laband, Droit politique de l'Empire, I (Ludovic Roustan). ii5
Laband, Le droit de l'Empire allemand (Th. Sch.) 34
Laberthonnière, Etudes (Th. Sch.) 36
Lachèvre, Un mémoire de Garassus (L. R.) 400
Lafontaine, Fourier (L. R.) 190
La Grasserik, Les principes sociologiques du droit public
(A. Biovès) 33
Lamm, Léon-Gabriel Oxensiierna (Virgile Pinot) .' 41 1
Lamy (Et.), Quelques oeuvres et quelques ouvriers (E.
d'Eichthal) 417
Landi, Lucrèce et Ovide (E. T.) 199
Landry, Le rythme du français (E. Bourciez) 25 1
Langdon, Dréhen (C. Fossey) 201
LANNOY(uE)et Van der Linden. Histoire de l'expansion co-
loniale des peuples européens, Néerlande et Danemark
(Albert Waddington) 356
Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, le Théâtre fran-
çais (A. Mz.) 297
Lapierre, La campagne des émigrés en 1792 (A. Chuquet). 475
Lasteyrie (R. de), L'architecture religieuse en France à
l'époque romane (H. de Curzon) 382
La Tour (J. de). Le maréchal Niel (A. Chuquet) 395
Lauer, Robert I et Raoul de Bourgogne (Ch. Pfister). . . .
— Le palais de Latran (Ch. Pfister) 292
Laurentie, L'affaire Naundorff (R. G.) 392
2
33
«lY rAiti.r OK.s MATii:nES
rages
UfVRtKRK, KJgar Poe Ch. Bastide) 5 12
L*z\i«. f,B.), Courbet Cl son inliuoncc à rctranf,'cr. (I. K.)- • 338
Lp.r.i.KRrQ (IJ. Voyage à l'ilc Majorque ( H. de C.) 378
Li:K(Sir Sidney;. Principes de biographie A. Riovès . . . . 435
Lf.gk.r. La Renaissance tchèque (L. R.) 192
1.f.i»mann-Haiim, Le culte juif sous les Perses, les Grecs et
les Romains (A. Loisy) 461
— La Sdmiramis historique et son époque (C. Fossey). . , 482
Li-UMANN (P.\ Jean Sichart (E. T.) io5
Li-.man-Galpin, Les sources de DiguUeville (A. J.) 100
Lkmonon, Naples et son golfe (H. de Curzon) ; 116
LknAtre (G.), Le vieux Paris (Henri de Curzon) 277
Lknz, Histoire de Bismarck (L. Roustan) 93
Lescœur, Les coffres forts et le fisc (A. Biovès) 432
Ltc Sknni:, M""' de Paiva (R. G.) 3o
Lkstraoe, Les Huguenots en Comminges (L.-H. l^a-
bandc 504
Levi, Le drame satirique (My) . 99
Lewin, Luther et les juifs (E.) 17
Lewinski, L'évolution industrielle de la Belgique (A. Bio-
vès)
LiPiNSKA ^A. de), Posen (A. Chuquet'i 181
Livi, Datini iW.) 73
Llovd, Histoire de Galles. (G. Doitin) 47
LoGOs, H, 2. (Th. Sch.) 35
LoGOs, H, 3. (Th. Sch.) 38o
LoNGNON (H.), Pierre de Ronsard) (Jean Plattard) 3 12
Longuemare, Bossuet et la société française sous Louis XIV
(L. R.) 388
Louis, Philon (L. R.,, '. 190
LuQL'iENs, L'original de la chanson de Roland (H. C). . . 269
Macé, La prononciation du latin (E. T.) 239
Mahler, Papyrus araméens (I. K.) 337
Maisonnier et Lecarpentier, L'Irlande et le home rule
(P. Laborderie) 43o
Maitlani), Essais, p. Fisher (A. Biovès) 14
Mali.evol'e (F. de), Actes de Sully passés au nom du roi
par devant notaire (Henri Hauser) i33
Mangin, La mission des troupes noires (A. Biovès) 274
Manilius, p. Garrod (E. T.) 149
Manitius, Histoire de la littérature latine du moyen âge, I.
(P. de LabrioUe) 216
Marçais, Textes arabes de Tanger (M. G. D.) 483
Marck, Les Idées de Platon. |E. Thouverez) 209
Margolis, Grammaire du Talmud babylonien (M. Liber). . 282
TABLE DES MATIERES ^V
pages
Marie, Lexique hébreu-français (A. L.) 4-^7
Marmorstein, Clirctiens et Gnostiques dans leTalmud et le
Midrasch (A. L.;^ 4^5
Marquiset, Ballanche et M'"--- d'Hauieleuille (F. Baldens-
sperger) 4'^
MARQUisiiT, Le colonel Clère 'A. Chuqueti i8i
Marsay (E. de), Les livres d'Esiher et de Judith (A. L.)- • • 44^
Marti, Grammaire araméenne (J.-B. Ch.) 422
Marti (M.), L'avenir de Dieu, de Henri de Neustadt
(F. Piquet) 5o3
Martin (H.), La syntaxe des inscriptions latines d'P^spagne
,J. B.) i53
Martin, (J.), Thomassin (A. L.) 465
Marvaud, Le Portugal et ses colonies (A. Biovès] 237
Masson (Fr.), Au jour le jour (A. Chuquet) 55
Meader, Idem et ipse (De L.) 397
Mehlhorn, Vérité et poésie dans la vie de Jésus (A. L.). . 206
Meinecke, Cosmopolitisme et Etat national (Ludovic Rous- i 14
tan) ; I 14
Meinhold, Le chapitre XI V de la Genèse (A. Loisy) 241
Metz, Frédérique Brion (Aug. Ehrhard). . 347
Meusel, Comptes rendus de César (E. T.) 333
MiiYER (P. -M.), Papyrus grecs de Giessen. I, 2(My). . . . 223
Meyer-Liibke, Etudes qui lui sont dédiées, II. (E. Bourciez) 255
Mevnadier, L'idée républicaine dansles pays monarchiques
d'Europe (JK. Biovès) 237
Michal't, Histoire de la comédie romaine. I, sur les tré-
teaux latins (René Pichon) 4^^
Mirbt, Sources de l'histoire de la papauté et du catholi-
cisme romain (E.) i55
Môller, Dictionnaire comparé indo-germanique-sémitique
(A. Meillet) 367
Mornet, Les sciences de la nature en France au xvin" siècle
(F. Baldensperger) 233
Mornet, Morceaux choisis de J.-J. Rousseau (L. R.) 408
MoRPURGo, L'inondation de Florence en i333(Ch. Dejob) . 335
Morris, Le jeune Goethe, VI (M. B.) 279
Morris (G.-D), Cooper et Poe d'après la critique française
(F. Baldensperger) 417
Mortet, Textes sur l'histoire de l'archiiecturc (Robert
Michel) 48
Mots et choses, IH (A. Meillet) 64
MovssEr, L'esprit public en Allemagne (L. Roustan) 96
MuENZER, Cacus. (E. T.) io3
Muller (E.), Les dieux dans la tragédie grecque (My). . . . 427
XVI TABLK DES MATIERES
pages
MusTARD, Deux articles 117
MiTMi sus, Gicihc et Charles-Alexandre (A. Chuquei). . . 5ii
Nassai-, Dcnys d'Halicarnasse et Ciecron (My) 45o
Nau, Nestorius (L. R.) iQ'
Navarrk, La chambre introuvable (L. R.) 19!
Navarrk et Valkntin, Les chefs d'œuvre de la littérature
grecque «My) 44^
Nkkser, La religion hors des limites de la raison (Th. Sch. 38
Nelson, Le problème de la connaissance (Th. Sch.) 118
Nicolas (A. -L. -M.), Cheikh Ahmed Lahcahi(M. G. D.). . . 78
Nicole, Catalogue des vases peints du Musée d'Athènes
(A. de Ridder) 82
Nicole, Le procès de Phidias (My) 289
Nitzsch-Stephan, Manuel de dogmatique évangeliquc
{A. Loisy) 4
Nohl, Manuel de Cicéron (E. T.) 333
NoLHAC (P. de), Madame Vigée Le Brun (Henri de Curzon). 277
Nonnos p. Ludwich. (My) 226
Nowicow, L'association humaine (A. Biovès) 432
Oberman, Les sarcophages chrétiens (S.) 84
Obser, Inventaire des archives de Bade, IV, 2 (R) i34
Oelmann, Les allégories homériques d'Heraclite (My). . . . 288
Olmstead, Charles et Wrench, Inscriptions hittites, i, 2,
(G. Fossey) 122
OwEN, Manuscrits de Perse et de Juvenal (E. T.) 333
Palmieri, Théologie dogmatique, I (A. Loisy) 4
Pannier, L'Église réformée de Paris sous Henri IV (Ch.
Plister) 28
Pareti, Interpolation des Helléniques (My) 290
Parizot (K.), Table des Annales de i'Est et du Nord (R.). . 489
PARizoT(Dom .lean), Lafamille Parizot de Plombières (G. P.) 218
Pascal, Epictète et les mystiques (M. D.) 24
Paul, Dennis (Ch. Bastide), , 88
Paulson, Index de Lucrèce (J. D.) 3o5
P. D. Derrière la façade allemande (A. Biovès). • 274
Pellissier, Le réalisme du romantisme (F. Baldensperger). 354
Pellisson, Les hommes de lettres au xvme siècle (F. Bal-
densperger) 407
Perdelwitz, La première Epitre de Pierre (A. Loisy) 242
Perkins, La France et la Révolution américaine (A. Biovès).. 235
Pernot, Anthologie populaire de la Grèce moderne;
Le siège de Malte en i565;
Bibliographie ionienne (My) 32i
Perrot (G.), Histoire de l'art dans l'antiquité, IX (Salomon
Reinach) 143
TABLE DES MATièRES XVII
pages
Petzoldt, Le problème du monde (Th. Sch.l 519
Philippi, Châtiments et criminels (Th. Sch.) 399
Philippson (M.), Histoire contemporaine du peuple juif, III
(Albert Waddington) 139
Photiauès, Meredith (Ch. P.) 36o
PiCHON (G.-E.), Leçons pratiques de français (L. R.) 195
PicHON (R.)' Hommes et choses de l'ancienne Rome (Mau-
rice Besnier) 3 10
— Les sources de Lucain (Emile Thomas) 229
Pindray(F. de), L'action en déclaration de paternité natu-
relle (P. Laborderie) 479
PiNON, L'Europe et la jeune Turquie (A. Biovès) 274
PiRRO, La Naples grecque (E. T.) 438
— Tacite et les chrétiens (E. T.) 198
Platner, Topographie de l'ancienne Rome (J. Toutain). . . 247
Platon, Apologie de Ménon, p. Burnet (My) 79
PoHL, La Cour internationale des prises (H. Hr.) 90
Poirot, Phonétique (A. Meillet) 365
Politien, p. G. Rossi (Ch. Dejob) 336
PoLTi, Les trente-six situations dramatiques (F. B.) 417
PoRTERFiELD, Immcrmanu (F. B.) iio
PoRTET, Histoire de Saint-Lazare (L. -H. Labande) 5i5
Poulet, Mallarmé (A. Chuquet) 181
Preuss, Philippe II, les Hollandais et le premier voyage
aux Indes (L.) i33
Price (W.-R.), Le symbolisme des contes de Voltaire
(F. Baldensperger). 349
Prônai, Histoire de la littérature hongroise (I. K.) 319
Properce, p. Hosius (Emile Thomas) 307
Proskauer, L's final des inscriptions latines (H. Plémy). . . 85
Provins et Friedrichs, Abrégé de l'histoire des infortunes
du Dauphin (R. G.) 392
Prutz, La fausse Pucelle d'Orléans (R.) 489
Quentin-Bauchart, Les musées municipaux (Henri de Cur-
zon) 277
Rapp, F.-T. Vischer et la politique (L. Roustan) 92
Rasi, Bibliographie de Virgile (E. T.) 200
Regnard, Histoire de l'Angleterre depuis 1875 (Ch. B.). . , 5 12
Reid, Lucretiana (E. T.) 200
Reinach (A.-J .], Bulletin annuel d'épigraphie grecque
— Les fouilles de Koptos (My) 78
Reimach (J.), Index de l'affaire Dreyfus (C.) 120
Reinach (Salomon), Eulalieou le grec sans larmes (M. Bréal). 141
Reinôhl, Uhland homme politique (L. Roustan) 91
Reisinger, Céramique créioise (A. de Ridder) 38i
XVIII TABLK I)F.S MATIKKICS
pages
Religion (lu) dans l'histoire ci le présent, III A. Loisy). . . 464
Hkl'ss. L'Kglisc J'Alsacc sous Louis XIV (Th. Sch.) 397
KicHTi.R (Élise). Comment nous parlons (A. Meillct) 363
HiNN(H.i, Morceaux choisis des dogmes chrétiens (A. Loisy). 4
KoBKRis, Le traité de Dcnys d'Halicarnassc sur la composi-
tion des mots (My) 1^9
H(»Bi:RrsoN (A. -T.), Grammaire du Nouveau Testament,
trad. MoNTKT (A. Meillet 63
UoiiiNsoN (J.-A), Westminster (Ch. B.) 339.
UouocANACHi, n.):"c au temps de .Iules II et de Léon X
(J. Toutain) 247
Rondkt-Saint, L'Afrique équaioriale française iH. de C). . 58
Roos, Excerpta de Virtutibus (My) 5o2
RoscHKU, Le nombre 40 (My) 101
Roscnthal (Catalogue), 141 (S.) 117
RosTOWzKW, Le Colonat romain (J. Toutain) 245
RorssEAU (Fr.), Mémoires du président Hénault (L. R.). . . 387
Rousseau (Société J.-J.), Annales, VII (L. R.) 408
Roux, Vesoul(R. G ) 3o
Roux (marquis di:), La Révolution à Poitiers et dans la
Vienne (E. Welvert) 395
RuwNTRF.R et Lasker, Lcs sans travail (A. Biovès) 432
RoY, Le 18 août 1870 (A. Chuquet) 181
Roz, Tennyson iCh. B.) 118
RuBENSOHN, Moulages antiques du Musée Pelizaeus (A. de
Ridder) 167
RtrsiNYï, Le cours de Rêvai à Pest (L K.j 319
RucKER, Les homélies de Cyrille d'Alexandrie sur le troi-
sième Evangile (J.-B. Ch.) 166
RusKiN, Le val d'Arno (H. de Curzon) 56
Russo-japonaise (guerre), III, i-3 (A. Chuquet) 181
RuviLLE (A. de), La Bavière et l'Empire allemand, trad.
Albin (R. Guyot) 297
Sagot, Les gardes d'honneur de la Marne (A. Chuquet). . . 181
Sainte-Beuve, Lettres à Labitte, p. Sangnier (F. Balden -
sperger) 353
Saint-Hilaire, Mémoires, IV, p. Lecestre (R.) 494
Saint-Léger et Sagnac, Appendices aux cahiers de la
Flandre maritime (A. Mz.) 179
Samter, Rites populaires (De L.) 397
Sandys, Un compagnon des études latines (V. Cournille). .. i5i
Sauvage, L'abbaye de Saint-Martin de Troarn ;
— Le fonds de l'abbaye de Saini-Éiienne de Caen (Paul Le-
cacheux) 126
Sauzey, De Munich à Vilna (A. Chuquet) 53
TAHLK DES MATIKRKS XIX
pages
Scandinaves (publications) (F. P.] 119
ScHKLL, Documenis sur le développement de Luther (E.j . . 171
SoHiKFF.R, Les Araméens (J.-B. Ch.) 422
ScHMiDT. (C.) et ScHGBART, Ancicus textes chrétiens (A. Qué-
rity) 69
ScHMiDT (F.), Importation de culte (My) 426
ScHMiDT (H.\ L'historiographie dans l'Ancien Testament
(A. Loisy) 461
ScH-MiDT (L.), Histoire des Germains, II, i (E.) 486
ScHMiTZ, La métrique de Fleming (F. Piquet) 429
ScHNABEL, La cordace (My) 168
ScHONACK, Sir Thomas Brovvne (Ch. B.) 339
ScHRADER, L'année cartographique (H. de C.) 58
ScHWARTz (Ed.), Portraits antiques, i et 2 (My) 67
Sembower, Charles Cotion (Ch. B.) 359
Setala, Kullervo-Hamlet (L. Pineau) 472
Sévigné (chevalier de), sa correspondance avec Christine de
France, p. Lemoine et Saulnier (R.) 494
Shaw, Artistes et dégénérés (A. Biovès) 435
Shorey, L'adverbe roman en grec (My) 333
SiDERSKv, L'origine astronomique de la chronologie juive
(A. Loisy) 241
Su. VA, L'industrie delà laine à Florence (Ch. Dejob) 336
SiMBECK, De Senectute (E. T.) 401
Simon (P. -F.), Thiers, chef du pouvoir exécutif (R. Guyoi). 379
SiMONYï, Eloge deMisieli(I.K.) 319
SipPEL, Dell et Luther (P. Alfaric) 17
Solidarité (la) sociale (H. Hauser) 90
Solvay (Inslitut), Bulletin, XV (Th. Sch.) 36
SoRLEV, Manuel de morale pratique (Ch. B.) 339
Spieth, La religion des Eve (A. Loisy) 207
Spurgeon (C), Chaucer (Ch. B.) 117
Stace, Silves, p. Klotz (E. T.) 3o5
Stengkl-Fleischmann, Dictionnaire du droit allemand, 12-
16 (Th. Sch.) 39, 398
SrERN (Alfred;, Histoire de l'Europe, 181 5-1848. II et III
(R. Guyot) ". 5i3
Stobée, IV, p. Hense (My) 7
SrouT, Les gouverneurs de Mésie (R. C.) 454
SiiSKiND, Schleiermacher (P. Alfaric) 17
SvBEL (L. de). L'art chrétien antiqne (S.) i 54
SziGETVARi, La théorie du comique (I. Kont) 264
SziLADY, Sermons du xv« siècle (I. Kont).. • 270
Tedeschi, Ossian en France (F. pKilJensperger) 108
Terzaghi, L'ombre d'Achille (My) 79
XX TABLE DES MATIERES
pages
Tciibncr iBibli(>ilict.]uc, Livres de droit (E. T.) 334
Thcophrastc, Rhétorique, p. A . Maykr (My) 5oi
Thomas A. -B.\ Moore en France (Ch. B.) 117
Thomas (E.), Pétrone, ?« éd. (C.) 334
Thi'Reau-Dangin, Le cardinal Vauglian fL. R.) 191
TixERONf, La (în de l'Age patristiquc (P. Alfaricl 445
ToHLKR (Clara), Mrs Inchbald (F. B.) 107
ToLDo, Sources et imitations des fables de La Fontaine
(C. Dejob) 455
ToMMASiNi, Machiavel, Il (E. Rodocanachi) 248
ToRO (de), Trésor de la langue espagnole (H. L.) 32
ToRTORi, Anthologie italienne (Ch. Dejob) 336
Toi'TAiN, Les cultes pa'icns dans FP^mpirc romain (Mau-
rice Besnier) 3o8
Trent, Littérature américaine (Ch. Bastide) 86
Troeltsch, La perfection du christianisme(P. Alfaric). . . . 447
Ullman, Manuscrits de Properce (E. T.) 197
Ui-BRicH, L'armée russe (A. Chuquet) 181
Ungnad, Grammaire hébreue
— Introduction à la lecture de l'Ancien Testament (A. L.). 441
Ussani, Josèphe et Pline l'Ancien (M. B.) 79
Vacandari), Etudes de critique et d'histoire religieuse (A. L.).. 443
Vaczv, Correspondance de Kazinczy (I. K.) 3 18
Vahlen, Œuvres complètes, I (E. T.) 104
Valensin, Jésus Christ et l'étude comparée des religions
(A. L.) \ . . 443
Van Gennep, Ethnographie algérienne (A. Biovès) 431
Van Laak, Harnack et le miracle (A. L.) 3
VanTieghem, Le mouvement romantique (F. Baldensperger). 354
Vauthier, (M.), Essais de philosophie sociale (E. d'Eichthal). 238
Vernay, Le Liber de excommunicacione (P. Laborderiey. . 374
Vialay, Les cahiers du Tiers Etat (A. Mz) 175
ViNDRY, Les parlementaires français au xvf siècle, II
(H. Hauser) .' . . . 86
Viollier, Les rites funéraires en Suisse (R. M.) 71
V01ZARD, Sainte-Beuve (F. Baldensperger) 235
VuLLiOD, M"^ Gottsched et Bougeant (A. Chuquet). ... 507
Wagner (G.), Monastères d'Alsace (E.) 487
Wahlund, Bibliographie des serments de Strasbourg (E.
Bourciez) 253
Walker, Essai d'isométrie (My) i25
Wëbb, Manuscrits de Térence (E. T.) 198
Wedderkop (M. de), La littérature française des xyii^ et
xviii^ siècles (L. Roustan) 386
Weil et Chi^.nin, Le français de nos enfants (L. Roustan). 193
TABLE DES MATIERES XXI
pages
Weinberg, La loi de Noikcr (F. Piquet) 5o3
Wendt, Syntaxe de l'ant^lais (Ch. Bastide) 258
Wernlk, L'étude de la théologie (Prosper Alfaric) 202
Wernle, Renaissance et Réforme (Th. Sch.) 399
Westcott, Nouvelles poésies de Jacques I (Ch. Bastide . . . 5o5
WiCKMAN, Madame de Staël et la Suède (Virgile Pinot). . . 459
WiET, Le Khitat de Maqrizi(M. G.D.) 61
WiLHELM (F.), Le Musée de Munich pour la philologie du
moyen âge et la Renaissance (F. P.) 119
WiLLMANN, Aristote (E. Thouverez) 208
Willrich, Livie E. T.) 239
WiNDELBAND, Préludes, 4= éd. (Th. Sch.) 39
WiTTiNG, Sur l'architecture de Tancienne France (S.). ... 70
Wyzewa et Sainte-Foix, Mozart (H. de Curzon) i63
WoBBERMiN, La croyance en Dieu (Prosper Alfaric) 202
Wright, Grammaire comparée du grec (A. Meillet) 369
WuNDT, Petits écrits, I (E. Thouverez) 211
WuNSCH (R.), Formules de malédiction (A. L.). 437
Xénophon, Scripta minora, p. Thalheim et Ruhl (My). ... 451
Y0VANOVITCH, La Guzla de Mérimée (F. Baldensperger). . 35i
Zagorski, Racky (R. G.) 3o
Zehnpklnd, La Babylonie et ses ruines les plus importantes
(G. Fossey) 201
Zettkrsteen, Études nubiennes (M. Cohen) 281
ZiEGLER, Le drame de la Révolution (A. Chuquet) 181
ZiEHKN, Herbart et la psychologie expérimentale fTh. Sch.). . 398
ZuRHELLEN, La religion des prophètes (A. L.) 442
Académie des Inscriptions et Belles-lettres, résumés des séances
par M. Léon Douez, du 22 décembre 191 i au 14 juin 191 2.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 1 — 6 janvier — 1912
Baudissin, Adonis et Eshmoun. — Van Laak, Harnack et le miracle. — H. Rinn,
Morceaux choisis des dogmes chrétiens. — Palmieri, Théologie dogmatique, I.
— Nitzch-Stkimian, Manuel de dogmatique évangélique. — Heeg, Catalogue des
manuscrits astrologiques grecs, V, 3. — Christ, Histoire de la littérature grec-
que, p. W. ScHMiDT. — Stobée, I\", p. Hense. — Mémoires de la Société philo-
logique américaine, XL. — DanNHARDx, Légendes animales. — Saint Augustin,
Lettres, iV, p. Goldbacher. — Ammien Marcellin, I, p. Clark. — Frati etSEGA-
Rizzi, Catalogue des manuscrits de Saint-Marc, IL — Maitland, Essais, p. Fisher.
— Beauquier, Faune et flore populaires de la Franche-Comte. — Académie des
inscriptions.
Adonis und Esmun, von W. W. Baudissin. Leipzig, Hinrichs, 191 i ; gr. in-8°^
xx-375 pages.
Travail considérable, d'une érudition abondante et d'une critique
circonspecte. Contribution à l'étude des dieux qui meurent et ressus-
citent, et des dieux guérisseurs, aussi à l'origine des idées de résurrec-
tion et de dieu vivant dans l'Ancien Testament.
Pour M. Baudissin, Adonis et Eshmoun sont des divinités appa-
rentées mais distinctes : Adonis n'est pas l'Eshmoun de Byblos.
Adonis est le dieu de la végétation printanière : de là son rapport avec
la déesse de la fécondité. Un sacrifice humain ne serait pas à supposer
à l'origine du culte et du mythe, oia l'idée d'expiation n'apparaît pas. —
Mais rien n'obligerait à admettre le caractère proprement expiatoire
d'un tel sacrifice; dans l'hypothèse, la victime aurait incarné
l'esprit de la végétation, qui aurait été censé mourir avec elle et en elle,
à seule fin d'assurer sa résurrection ultérieure; c'aurait été le mythe
joué au naturel. — Eshmoun est à l'égard d'Astarté dans le même
rapport qu'Adonis avec la dame de Byblos; c'est un dieu guérisseur,
qui a personnifié comme Adonis le renouveau de la nature; il
semble que le serpent lui ait été consacré ; peut-être l'histoire biblique
du serpent d'airain [Nombres, xxi, 49) et son culte sont-ils en rapport
avec le culte cananéen d'Eshmoim. Les anciens ont identifié Adonis
et Tammouz, l'amant de l'Ishtar babylonienne, dont la mort était
l'objet d'une commémoration annuelle. M. B. conjecture que le per-
sonnage de Tammouz est complexe, les Sémites mésopotamiens ayant
Nouvelle série LXXIII i
2 Rl.Vl V. ^. UITIQUK
idciiiilic au Jicii siimciicn 'l'ammouz une divinité scmiiiquc analo-
gue à l'Adonis plionicion. 'l'ammouz, Adonis, Osiiis, Aiiis, ont pu
se rencontrer au cours de l'histoire et leurs mythes s'inHuencer réci-
projuenieni, mais . h i>un Ac ces cultes a probablement une origine
indépendante.
C'est surtout la complexité de ce problème que M. B. réussit à
mettre en évidence. Sa tendance n'est point à exagérer la portée des
témoignages anciens. .Ainsi, bien qu'Ézéchiel (viii, 14) montre les
femmesde Jérusalem pleurant Tammouz dans le temple, M. B. estime
que saint Jérôme (Ep. L\\u,aJ Pauliniim), parlant du culte de « Tam-
mouz, c'est-à-dire Adonis » à Bethléem, ne mentionne Tammouz que
d'après Ézéchiel, mais qu'il s'agit d'Adonis et d'un culte inauguré
par Hadrien, comme les statues de Jupiter ei de N'cnus sur l'empla-
cement du Calvaire. 11 n'est pas impossible, en effet, que Jérôme ait
voulu étaler sa science en nommant Tammouz; mais cela n'est pas
certain ; en tout cas, Jérôme ne dit nullement ni ne donne même à
entendre que le culte de Tammouz-Adonis à Bethléem ait été institué
par Had'-ien, et ce culte ne se présente pas dans les mêmes conditions
que les statues de Jérusalem; il s'agit d'un bois sacré et d'une caverne,
de la caverne « ubi quondam Chrisius parvulus vagiit >>. Ce n'est
pas Hadrien qui a fait creuser la caverne; les Evangiles ne savent pas
encore que Jésus soit né dans une grotte; et comme il n'est même
pas né à Bethléem, tout porte à croire que la tradition légendaire a
voulu placer sa naissance dans un ancien lieu de culte, où Tammouz-
Adonis avait été honoré de temps immémorial, publiquement ou
clandestinement selon les époques. Au lieu qu'Adonis ait usurpé la
caverne consacrée par la naissance de Jésus, c'est bieri plutôt le Christ
qui s'est approprié la grotte d'Adonis.
La partie la plus neuve du travail de M. B. est peut-être celle qui
concerne le rapport d'Adonis-Eshmoun avec les croyances de l'An-
cien Testament. L'idée de vie est au centre des cultes d'Adonis et
d'Eshmoun; Adonis est un dieu qui se maintient dans la vie à travers
la mort ; Eshmoun est de plus un dieu guérisseur, c'est-à-dire qu'il
maintient les hommes dans la vie en leur rendant la santé, œuvre
bienfaisante qui est comprise comme une résurrection. Or, de Jahvé
aussi l'on dit qu'il guérit, qu'il sauve de la mort, qu'il ressuscite les
hommes. Osée (vi, i-3) parle métaphoriquement de la restauration
d'Israël comme d'une résurrection ; il parle même de résurrection
a après deux jours, le troisième jour », et M. B. se demande, non
sans raison, si la meilleure façon d'expliquer cette locution ne serait
pas de la supposer empruntée au culte d'Adonis. Il n'ose toutefois
l'affirmer. Le détail a son importance, parce que, si le rapport existe,
ce n'est pas tout-à-fait par un ariilice d'exégèse que ce passage aurait
été censé prédire la résurrection de Jésus; il aurait pu contribuer
réellement à en fixer la date. D'où viendrait la crovance juive à la
d'histoire et 1>K i.itikrature 3
1 csLirrcciion des niDins? D'un cuhc iiaiurisic, où le réveil de la végé-
liiiiiin éiait imerprété comme un reiour à la vie, une résurrection;
du culie cananéen d'Adonis, pluux que du culie égyptien d'Osiris;
pas de la religion de Bahvlone, où Mardouk était depuis longtemps
un dieu de la lumière; pas de la religion des Perses, où l'idée de résur-
rection ne paraît point associée à celle de guérison. — Disons plutôt
que la question demeure fort obscure, et que M. B. en a bien fait
ressortir les difficultés. — lahvé en personne est qualifié de
vivant; l'idée même devait être vulgaire, puisqu'on jure par la vie de
lahvé, que lahvé aussi jure par sa propre vie; et cette idée, originaire-
ment, n'implique pas que lahvé soit le seul dieu réel ; elle indique une
propriété de sa nature ; lahvé est dit « vivant » comme étant ou demeu-
rant en vie, s'affirmant dans la vie, par contraste avec la mort, l'état
de mort; il est immortel, non seulement comme durant toujours,
mais comme se maintenant en vie en dominant la mort. Cette notion
du dieu vivant est sans rapport avec la cosmogonie; du moins l'idée
de l'esprit qui donne la vie aux créatures vient d'ailleurs. Ce n'est pas
de l'ancienne religion d'Israël que provient l'idée du « dieu vivant »;
elle a été plutôt empruntée aux cultes phéniciens, en laissant tomber
la forme purement naturiste de l'idée, puisque lahvé n'est point sujet
à la mort. Tout cela est très finement analysé, finement déduit,
d'aucuns peut-être seront tentés de dire : trop finement. Mais il ne
s'agit que d'hypothèses.
Alfred Loisy.
Harnack et le miracle, par H. van Laak ; traduit de l'italien par C. Senoutzen.
Paris, l'ioud, i ij i i , in-12, 123 pages.
Le besoin n'était peut-être pas urgent de mettre en notre langue, —
en un français peut-être un peu lourd, — la dissertation théologique
du P. van Laak, S. J. Ce n'est pas que le Jésuite n'ait raison à beau-
coup d'égards contre le protestant libéral. M. Karnack a voulu
prouver par rÉpître de Clément Romain que le christianisme pri-
mitif n'a pas été surtout un mouvement d'enthousiasme religieux,
mais un mouvement moral qui procédait d'un sentiment sincère et
profond du monothéisme. On ne s'en douterait pas en lisant saint
Paul. Celte conclusion n'est pas suggérée non plus par l'Épître de
Clément. Sur la question du miracle en particulier, il n'est pas trop
difficile de montrer que les miracles ne sont pas quelque chose d'in-
différent ou d'accessoire à la foi de l'Église romaine vers la fin du
i*^"" siècle. Le bon Clément prouve la résurrection des morts par la
légende du phénix, et M H. a bien l'air d'en inférer que ces deux
miracles sont regardés par Clément comme des phénomènes naturels.
Le P. v. L. s'efforce de montrer que la résurrection est comprise
comme un miracle de la puissance divine. Rien n'est plus certain,
seulement il fallait dire que la distinction des phénomènes naturels et
i REWK CRiriQUE
des pliciiomcncs surnauircls n'est pas nette dans l'esprit de Clément,
et que le miracle est plutôt pour lui le régime ordinaire du monde,
ce qui n'autorise pas à dire que le miracle soit étranger ou extérieur
à sa religion,
A. L.
Dogmeageschichtliches Lesebuch, in V'crbindung injt .1. Jùngst herausgegcben
von 11. RtNN. Tiibinpcn, Mnhr, 1910 ; gr. iri-S°, x-3i i pages.
Theologia dogmatica orthodoxa ad lumen caiholicae doctrinae examinata et
discus.sa ab A. I'almucki. lOnius I. l'^lnrcncc, Libraria éditrice I''iorenlina, igii ;
gr. ln-80, xxv-8i.T pages.
Lehrbuch der evangelischen Dogmatik. von A. B. Nitzsch. Driite Auflage,
bcarbeiict von lloRsr S ii:imian. KrstcrTeil. Tûbingen, Mohr, 191 i; gr. in-8",
XV-291 pages.
La publication de MM. Rinn et Jiingst se présente comme une
introduction à l'histoire des dogmes chrétiens, et, à ce titre, elle est
tout à fait recommandable. C'est proprement une analyse des prin-
cipales sources, très objective et bien ordonnée, depuis les Pères
apostoliques jusqu'au concile du Vatican. Les auteurs procèdent par
extraits, qu'ils donnent en traduction. Ils n'ont pas la prétention de
remplacer les ouvrages où Ton expose l'histoire des dogmes en l'in-
terprétant et en la commentant. Leur compilation, de lecture facile,
est très propre à éveiller la curiosité de l'étudiant, à lui faire voir
nettement les doctrines, avec les problèmes qu'elles visent, et à
l'orienter vers des recherches personnelles.
C'est une entreprise assez originale que celle du P. Palmieri. Il
ne s'agit de rien moins que d'un exposé complet, développé, de la
théologie orthodoxe, c'est-à-dire de la théologie des Eglises grecque
et russe, pour la comparer à l'enseignement catholique romain.
L'auteur avait été engagé dans ce travail sous le pontificat de
Léon XIII, quand on parlait delà réunion des Églises. Bien que les
les temps soient changés, il persévère dans l'œuvre commencée. La
franchise de son langage l'ayant déjà fait accuser de modernisme, il
réprouve, comme il convient, cette damnable hérésie, et il remet aussi
fort lestement ses accusateurs à leur place. Ce qu'il dit de la façon
dont quelques publicistes, auparavant inconnus, se sont adjugé la
police intellectuelle de l'Eg-lise catholique depuis que Pie X a pres-
crit la chasse aux modernistes, ne laisse pas d'être assez curieux et
instructif. Son style est un peu diffus; la sincérité de sa manière le
rend sympathique; sa méthode n'est pas sans quelque défaut. Le
mélange de polémique à l'exposé des doctrines gréco-russes ne va pas
sans un peu de confusion. Mais l'adversaire est courtoisement traité.
Autant qu'il dépend de lui, le P. P. analyse exactement les théolo-
giens qu'il cite; il est au courant de leur littérature. Les autres théo-
logiens catholiques, s'ils le lisent, pourront s'instruire auprès de lui
de ce que l'on pense dans la maison d'à côté. Le présent volume con-
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE D
cerne les préliminaires de la théologie dogmatique : notions du dogme
et du progrès dogmatique, de la théologie et de ses sources, etc.
La nouvelle édition de la théologie dogmatique de Nitzsch, comme
l'ouvrage du P. Palmicri, échappe en grande partie à la compétence
de cette Revue. Traité de dogmatique luthérienne conçu dans un
esprit assez libéral. En ce qui regarde l'histoire de la théologie, l'édi-
teur tient compte des travaux publiés en ces dernières années. Le
tome Lt a pour objet la théologie générale : essence de la religion et
essence du christianisme. Conception psychologique et individualiste
de la religion; supernaturalisme mitigé.
Alfred Loisy.
Catalogus codicum astrologorum graecorum. Codicum Romanorum partem
tertiam descripsit J. Hkeg. Tomi V pars IH. Bruxelles, Lamertin, 1910; viii-
160 p.
Ce nouveau volume du catalogue des manuscrits astrologiques
grecs forme la troisième partie du tome V [Codices Romani), et con-
tient la description de dix manuscrits de la Vaticane, numérotés 16
à 25. M. Heeg, à qui a été confiée la publication, s'est bien acquitté
de sa tâche; suivant la méthode adoptée pour l'ensemble de l'ouvrage,
il a donné en appendice plusieurs morceaux intéressants, tirés, à l'ex-
ception de deux, du manuscrit n° 20, le Vatic. gr. io56. On y remar-
quera quelques fragments, paraphrases en prose des vers de Doro-
théos de Sidon, des extraits de Palchos, et plusieurs morceaux d'un
astrologue arabe du commencement du ix'' siècle, Zahel (Sahl ben
Bisr, -i/À u'-ô^ Toù nsTo), traduits en grec par quelque Byzantin. La
publication est faite avec soin '; je relève cependant quelques cor-
rections faites à tort. P. 91, 2Q les mots =.■.; -/.aoâXav xal -/.'jvTiY'.v (cod.
•/.■jv/yt,v) ne sont pas à changer en sU xaoaXÀ-.xs'ktv y.7.\ xuvr/csTv, d'autant que
ces textes ne disent Jamais à-f/OV; £'.;, v.zXôv zU qu'avec un substantif. De
même je respecterais les formules àvaOov to'j ô[jLtX£Tv,y,aÀôv toù pÀé-rretv (92,
I I et 93, i), sans écrire tô au lieu de xoO; ce sont des vulgarismes qui
ont le même sens que £■; avec l'accusatif. 95, 22 et 3o conserver /_p5^-
fJai, comme on l'a fait 96, 18. La correction 95, 3i o'.oôvat ùira^xi-x ht
o!y.Î7xt[j (cod. hio:v.'.v.t''j] est mauvaise; le sens est « donner des maisons à
loyer, <> et. 96, 9 hov/.ii'Çv.v octt/,-'.'/; il faut lire un mot comme èvor/v'.ov.
120, 3 SV. Y''"'WT/.£ OT'. 6 (IjooT/.ô— 0; /.al ô -/.joto; ajTO'j ■/.%<. r, ^iKt^'ir^ [/.a', ô •/.jO'.o^
a'j-roj] v/)>.o'jo-'. etc. Les quatre mots entre crochets sont considérés
comme une dittographie par Boll; c'est une erreur, cf. même page,
1. 12 r, i^£À///7, iJiîTà TCij /.'jpîo'j aÙTO'j ; 1 i 2, 20 et 32, l l 3, 5 et 170'; v.jp'.o'.
I. Quelques mots sont mal accentues ou sans accent : 95, !^5 <i^\)-/io:ou ; ii3, 2
;j.o(pav ; 116, 24 Çiôoiov ; 117, 5 5tT(.j;j.(.i ; 120, 9 àirêoysTai ; 129, i ppa/tôve; ; i35, g
àîTpovoaiiî. Lire 87, 1 i xaviOTro'.ôiv, 96, 2 àyopâtsiv. Certains nombres sont ine-
xacts : 127, ;î lire y.!!' et i32, 29 lire r, (;iu lieu de /') ; i32, 28 et 3i le groupe XOo
n'est pas un nombre.
,, RKVUK CRITIQUE
'.w> "ytnî.'A'yt \ M 4, Il Ct l6 -'':» :^-.lr,-jf,-i /.t' tôv /.Ôo'.ov aOxoj ; et surtout
118, <> ;*î"i '''J v.'jp-'>-' "''J ''>;o7/. iz-jj ■;', jjL-T."'. TvJ y.jjto'j t?;c; SiÀï/yr,;, et 121,
10 irô Toj X. wj loo. /.ï'. -ryj •/.. T?,; ïç'A/vr,;. La faute est ajToô (provenant
sans Joute de ce que la fonTiule est fréquente, ou eie ce que le scribe
pense à -t'Itto;), à corrii;er en xkr,;, correction que le scrihc lui-même a
faite 1 iS, 10. M. Hees:; a eu rexccllente idée de dresser un index des
mots nouveaux i)u rares.
My.
\V. von Christs Geschichte der griechischen Litteratur, P ûnftc Autiage, unter
.Mitwirkiins von (). Srani.iN bcarbciicit von \V. Schmid. Zweiter Teil, Elrste
Malt'ie. Munich. Bcck, 1909; p. 1 à 233. — Zweiier Teil, Erste Hâlfte,
Zwcitc Licferung. Munich, Bcck, lyn; p. 2'ib à 5oG, + viiip. comprenant le
laux-titre, ct la table de ce qui a paru de la seconde partie.
Le indme ouvrage, Krster Teil, Sechstc Auflage. Munich, Beck, 1912 ; xiv-771 p.
;Ccs volumes t'ont partie du Handbuch der klass. Altertinnsivisscuscha/t, public
par Iwan von Millier, t. VIP.
L'achèvement de la cinquième édition de VHistoire de la littérature
grecque de W. Christ, revue par W. Schmid, est retardé par des
empêchements imprévus. La seconde partie dut être publiée en deux
fascicules, dont le premier parut en 1909; le second, à son tour, fut
également scindé en deux livraisons, dont la première porte la date
de 191 I . La deuxième livraison ne sera donnée au public que dans le
courant de 1912 ; je ne puis donc, comme je l'aurais voulu, parler de
cette seconde partie dans son entier, et je ne veux pas tarder davan-
tage à la présenter au lecteur, d'autant plus que dès maintenant l'ou-
vrage a atteint une sixième édition, dont le premier volume vient de
paraître. On sait que ce premier volume contient la période classique
de la littérature grecque, et que M. Schmid en a conservé le plan pri-
mitif, au moins dans ses grandes lignes, {y oy. Revue du 5 août 1909)..
La seconde partie, Die nachklassische Période der griechischen Litte-
ratur, a subi au contraire des modifications plus profondes. Elle
débute par un chapitre spécial sur la comédie nouvelle, et suit le
développement des genres littéraires d'abord jusqu'en 146, date de la
réduction de la Grèce en province romaine, puis dans une seconde
section, jusqu'à la tin du premier siècle de l'ère chrétienne^pour cette
division en périodes, voy. maintenant la 6^ édition de la première
partie, p. 4). Cette disposition a permis à M. Sch . de donner plus
d'extension à certains chapitres traités plus brièvement, parfois même
très sommairement par Christ, qui, dans le principe, avait rejeté en
appendice tout ce qui concerne la littérature technique, ainsi que
IVnsemble de la littérature chrétienne. Ici tiennent leur juste place
non seulement la médecine, les sciences mathématiques et naturelles,
la philologie, mais aussi la littérature judéo-hellénistique, celle-ci dans
un chapitre dû à M. O. Stiihlin, et qui n'est pas le moins intéressant
de l'ouvrage. Un écrivain comme Philon, par exemple, y est étudié
d'histoire et de littérature 7
avec tout le détail que méritent son activité littéraire et l'influence
considérable qu'il a exercée. L'abondance des renseignements, la
richesse des informations de toute nature données soit dans les notes,
soit dans les paragraphes en plus petit texte ajoutés à chaque article
important, justilient auTplement le succès de cet ouvrage, qui va tou-
jours en se perfectionnant et est soigneusement tenu au courant des
travaux publiés sur chaque auteur.
La sixième é.diiion du premier volume prouve avec quel soin
M. Sch. a de nouveau revu l'ouvrage. Il n'a pas pu, dit-il, le rema-
nier comme il l'aurait voulu ; toutefois, les modifications, non seu-
lement dans les notes, mais aussi dans le texte, sont nombreuses.
C'est, le plus souvent, une brève addition qui fournit un renseigne-
ment nouveau; mais parfois aussi la rectification d'un titre d'ouvrage,
d'une date, d'un détail biographique (voy. par exemple § 292 ce qui a
trait au lieu et à la date de naissance de Lysias), et de temps en temps
un développement plus étendu donné à une appréciation littéraire.
On notera particulièrement ?; 164 une page nouvelle sur l'action chez
Eschyle, i-5 une explication (d'ailleurs discutable) de la manière
dont Sophocle a conçu le caractère d'Œdipe dans Œdipe à Colone^
236 toute une tin de chapitre sur les jugements divers portés sur Aris-
tophane dans l'antiquité, etc. Disons encore, au sujet de la disposi-
tion matérielle, que le ?î 23 i est devenu 232 et réciproquement, pour
observer la suite chronologique des comédies d'Aristophane, et que
^e § 284 a été dédoublé, de sorte qu'à partir de 286 [= 285, S' éd.) les
numéros ne concordent plus '.
My.
Joannis Stobaei Anthologiumrecensuerunt C.Wachsmuth et O. Hense. Vol. IV :
Anthologii lihri quarti partem priorem ab O. Hense editam continens. Berlin,
Weidmann, 190g; xiii-675 p.
Ily a longtemps que M.^Hense, absorbé par d'autres travaux, avait
remis à plus tard la continuation de sa belle édition de Stobée. Après
les deux premiers volumes publiés par Wachsmuth, il avait donné
dans un troisième les quarante-deux premiers titres du Florilegium
en 1894; l'ouvrage est resté interrompu pendant quinze ans, et les
amis des lettres grecques attendaient avec impatience le quatrième
volume, qui devait achever cette publication si utile et si méthodi-
quement préparée. Avec ce tome IV nous n'avons pas encore la fin ;
il ne contient que la première partie du livre IV de Stobée, Floril.
43-84. Il n'y a pas à faire l'éloge du volume, qui est digne du précé-
I. La nouvelle édition comprend 368 paragraphes au lieu de SGy, et 771 pages
au lieu de 716; le prix, l'i mk. 5o (16 fr. 85), n'a pas varié. — M. Schmid écrit
maintenant les noms anciens sous leur forme grecque ou latine, par exemple,
Hesiodos, Pindaros, Horatiiis, l.iicictiiis, au lieu tic Ilcsiod, Piiidar, Hoia:^,
Lucre^, etc.; il dit ccpemlant J/oinei- et non Ilomcros.
8 REVl'i; CRITIQUE
dent ; le regrette P. Couvreur avait dit ici même {Revue du 29 octobre
i8i)4K î» propos du tome III, comment le nouveau texte se détache de
la vulgatc, avec quelle solidité il est établi, quelles sont les qualités de
l'appareil critique, de quelle utilité enfin peut être, pour la recherche
des sources, le rapprochement avec les autres florilèges. Tout ceci
s'applique également au tome IV; il serait superflu de répéter en
d'autres termes ce qui a été dit par un juge si compétent, et il ne
reste qu'à souhaiter la prompte apparition du dernier volume, qui
malheureusement sera peut-être encore retardée; car M. Hense ne
peut promettre que son temps sera exclusivement consacré à Stobée
(P- ix)- ^^
My.
Transactions and proceedings of the American philological association,
1900. Volume XL, with indices to volumes XXXI-XL. Hoston, Ginn; Paris,
Weltcr. 201-CXI.1X-44 p. in-8".
Les mémoires publiés dans ce volume sont au nombre de onze :
W. A. HiciDKL, The 'i'JoLpixo: 'ôyAO'. of Heraclides and Asclepiades. —
Truman Michelson, The Etymology of sanskrit «. punya- ^. Remonte
kpnîa-. — B. O. Poster, On certain euphonie embellishments in the
verse 0/ Propertiiis : rime, répétition de voyelles, allitération, répéti-
tion de syllabes, répétition de mots et échos, échos à rhémisiiche,
onomatopée. Ce mémoire contient beaucoup d'exemples contestables .
— R. W. HusBANi), Race mixture in early Rome. Conclusions :
1° Il y avait une différence de race entre les patriciens et les plébéiens ;
2° Les patriciens étaient un mélange de Romains, de Sabins et
d'Étrusques; 3" Les plébéiens étaient en grand partie Ligures ; 4° Le
latin a été la langue des compagnons de Romulus, les Romani, avec
quelques modifications dues au contact d'étrangers ; 5" Il n'est pas
évident que le ligure était une langue indo-européenne. M. H. admet,
avec Hirt, que l'intensité initiale est l'acceat de populations soumises
et il suppose personnellement que l'accent réglé sur la quantité de la
pénultième a été introduit par les Italiotes conquis, au 11" siècle avant
notre ère. Il fait une étude particulière de la langue des inscriptions
ligures. — J. W. Hewitt, The major restrictions on accès to Greek
temples. On a beaucoup restreint les cas où l'accès des temples grecs
était interdit, plus ou moins complètement, et M. R. Smith y a vu
l'effet d'une influence sémitique. M. Hewitt a voulu tirer la question
au clair. Il dresse une liste assez longue d'où il résulte qu'il s'agit sur-
tout soit de divinités étrangères et. orientales, soit de divinités chtho-
niennes ou en relation avec les cultes chthoniens. — S. G. Oliphant,
An interprétation o/Ranae jSS-ygo. — Andrew R. Anderson, Some
questions of Plautine pronunciation. Sur -uo en syllabe finale et sur
uorro, uorto, uoster, uerber, etc. -- R. C. Flickinger, Scaenica. Exa-
men de quelques textes relatifs à la structure de la scène du théâtre
d'histoire et de littérature 9
grec. — G. G. Fiske, Luciliits and Pcrsiiis. Ariicle de 3o pages, qui
conclut à rintiucnce directe de Lucilius sur Perse. — W. P. Mustard,
On the eglogues of Daptista Mantuaniis. Notice sur un humaniste de
Mantoue, Baptista Spagnolo (1448-1 5 i6), appartenant à l'ordre des
Garmes et béatitié en i885. Son œuvre principale, dix eglogues, a été
célèbre dans toute l'Europe et, pendant deux siècles, a balancé, au
moins dans les écoles, la gloire de Virgile. — P. Shorky, 'Wji'.::., Miki-.r^,
'K-'.TTr;ijir,. M. Shorey réunit et compare un certain nombre de textes
grecs où ces notions sont opposées.
Parmi les résumés et les extraits publiés dans les procès-verbaux,'
nous remarquons : H. F. Allen, sur ôjt-î dans l'Ancien Testament et
les apocryphes (tableau statistique des divers emplois) ; L. G. Barret,
sur le participe présent formant périphrase avec esse et sur le carac-
tère que cette forme donne au style dans le drame latin ; .1. W. Ba-
sore, sur les renseignements de Quiutilien relatifs aux genres
comiques secondaires et à la survivance de \apalliata ; N. W. Dewit,
sur la manière dont le temps est distribué dans \'Enéïde\ F. S. Dunn,
sur les mesures qui préparaient la déification de Gésar; Th. Fitz-
Hugh, sur l'évolution du vers saturnien; W. D. D. Hadzits, sur la
théorie romaine de l'apothéose des empereurs; K. P. Harrington,
sur l'élément classique dans la lyrique latine du xvi" siècle ; G. D. Kel-
logg, sur une source poétique de Tacite, Agricola, 12, 4, comparable
à ÏOra marit. d'Aviénus; Knapp, sur la satura dramatique des
Romains; H. W. Magoun, sur l'analyse du logaédique ; A. W. Mil-
den, sur l'article grec accompagnant l'attribut; F. G. Moore, sur
Tacite, Hist., II, 40 ; M. B. Ogle, sur la porte et les croyances qui s'y
rattachent en Grèce et à Rome ; P. O. Place, les affiches électorales à
Pompéi (l'auteur ne paraît pas connaître l'étude de M. Thédenat sur
ce sujet); E. K. Rand, sur des commentaires médiévaux de Térence ;
J. G. Rolfe, sur sicca mors dans Juvénal, 10, 1 13 ; M. L. Rouse, sur
la prononciation de c, g, v en latin ; E. G. Sihler, sur Macrobe et la
fin du paganisme ; H. R. Fairelough, sur quelques formes de la ques-
tion dans Platon ; I. Richards, sur le témoignage des monuments
relatif au costume de la femme romaine; F. Winthei-, sur les imi-
tations de la pièce d'Otway, Venice preserved, par La Fosse et
Hoffmannsthal.
V. GOURNILLE.
Natursagen. Eine Sammlung naturdeutenJer Sagen, Marchcii, Fabcln, und
Legenden, herausgegebcn von Oskar Daf.iinhardt. Leipzig et Berlin, Tcubner,
1910. Band 111, Tiersagen, Erster Teil, xvi-558 p.,- in-8". Prix : i5 Mk.
M. Duhnhardt, avec le concours d'un certain nombre de collabora-
teurs, a entrepris un vaste recueil des légendes populaires qui pré-
tendent expliquer la nature, les êtres qui la composent, les phéno-
mènes qui s'y produisent. Ce volume est le premier de la série des
lO RKVHK CRITIQUE
aninintix. ce que le rcgrcuo lolk-lorisio frans-ais Rolland appelait la
launc p ipulairc. Un dciixiènic v(ylumc coniiendra les légendes des
peuples classiques et celles qui permeiicnt de supposer entre elles un
lien direct. Nous n'avons donc, dans ce volume, que des légendes et
des contes modernes. C'est une masse w'onsidérablo de textes, repro-
duits ou anaivsés, classés en dix-huit chapitres. Il est nécessaire d'en
reproduire les litres pour donner une idée de la richesse de ce recueil :
i" La l'orme et l'aspect extérieur du corps des animaux : rapetisse-
ment et allongement, origine et aspect de la robe, aiguillons, écailles,
coquilles, nudité, parties du corps; 2" Traces et couleurs, change-
ments de couleur, yeux colorés; 3° L'acquisition du feu et du soleil ;
4" L'échange des propriétés; 5" Les paris; 6° L'origine des bêtes nui-
sibles; 7" L'acquisition des particularités et des noms; 8" et 9° La
demeure et l'habitat; 10° La vie des animaux; 1 1" Les animaux qui
fuient la lumière; 12*^ Les chercheurs; i?" La nourriture des bêtes;
14° Désobéissance à l'ordre de fouir ou de construire; i 5° Amitié et
guerre entre les animaux; 16" Voix des animaux ; 17'^ Métamor-
phoses; 18" Ames ailé£s. On doit féliciter M. Ouhnhardt, non seule-
ment de nous donner une si riche collection, mais d'avoir su l'ordon-
ner de manière à rendre les recherches très faciles.
Edouard Thanisv.
Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum latinorum. Vol. LVII. S. Aurcli
Augustiiii Opcrum Sectio II. S. Aiigiisti)ii PJpistulae (Pars IV), ex recensione
AL. Goi.DBACHER, Vindobonac, F. Tempsky, Lipsiae, G. Freytag. Prix : broché
M. 21.
Cette quatrième partie comprend les lettres i85 à 270, autrement
dit la fin de la troisième classe et la quatrième classe en entier selon
le classement des Bénédictins, que suit M. Goldbachcr. L'édition'
de la correspondance de saint Augustin se trouve donc achevée. Je
rappelle que .\L G. avait publié les trois premiers volumes en 1895,
1898, 1904 '. Il promet avant deux ans une cinquième partie qui ren-
fermera les prolégomènes et six Indices.
Dans la présente série, M. G. donne un seul fragment inédit de
quatre lignes {Ep. clxxxv A, p. 44), qu'il a trouvé dans le Codex
Augiensis, xcv, s. X, entre le Liber de spiritu et littera et le Liber de
cura pro mortuis gerenda^ avec cette mention : Incipit eiusdem
epystola ad comitem bonifatium féliciter. — Il y a une autre lettre
[Ep. ccii«, p. 362), qu'on ne rencontrerait pas dans l'édition bénédic-
tine. Découverte au xvni" siècle, elle hgure déjà dans la Bibliotheca
de Gallandi et Migne l'a reproduite.
M. G. renvoie au dernier tome, encore à paraître, son exposé
d ensemble sur la tradition manuscrite des lettres d'Augustin. Dès
I. Corp. Script. Ecclcs. Icit., t. XXXIV, pars I, II; t. XLIV, pars III,
D HISTOIRK F,T OK LITTERATURE I I
maintenant on peut se rendre compic de l'ampleur de ses investiga-
tions. Si mon pointage est exact, il n'a pas consulté, pour celle
Pars W, moins de 137 manuscrits, dont 30 de Paiis. En tête de
chaque lettre, il dresse un appareil critique spécial. Il est telle pièce
pour laquelle 12 ou même i5 manuscrits ont été coUationnés (vg,
Ep. ce, p. 2()3; Ep. ccxiv, p. 38o). Ses corrections personnelles sont
en petit nombre, et modérément audacieuses, ce dont il convient de
le louer. Il en est d'excellentes (par exemple Ep. cclix, 3, p. 61 3, I. 7
te Jideli scd etiam ; ihid., 1. 18 quonam ; Ep. ccxlvi, 3, p. 585, 1. 8
dispiitet ; Ep. ccxxxi, 4, p. 5o6, 7 uelnt .^erpentis, eic). Quelques
autres seraient sujettes à contestation : ainsi Ep. ccxvi, 3 'p. 398,
1. Il), il parait inutile de marquer une lacune entre niintiasset et
fiirtiua. L'imparfait erat marque l'état de choses qui se serait établi,
sans le rapport de Florus à Valentin (cf. Riemann, Synt. lat., § iSg).
Ces lettres sont d'étendue variable. Quelques-unes se réduisent à
de courts billets. D'autres prennent l'allure de véritables traités qui
n'ont d'épistolaire que l'interpellation du début et de la fin au desti-
nataire : par exemple VEp. clxxxv au comte Boniface, que saint
Augustin lui-même intitule dans ses Rétractations « liber de correc-
tione Donatistarum », \'Ep. clxxvii, VEp. cxcix, etc. La pièce ccxiii
est un procès-verbal, ou plus exactement une sténographie, de la
séance tenue dans l'Eglise de la paix à Hippone,le 26 septembre 426,
où Augustin fit agréer à ses ouailles le prêtre Eraclius comme son
successeur éventuel sui- le siège épiscopal de cette ville. M. G. l'a
accueillie pour se conformer aux données des manuscrits et à l'usage
des précédents éditeurs.
Les lettres qui peuvent être datées s'échelonnent entre 417 et 43o,
date de la mort de l'évêque. Saint Augustin y apparaît en pleine
possession de son prestige : il est le papa vénéré vers qui se tournent
les yeux de la chrétienté d'Occident, et à qui les empereurs eux-
mêmes jugent indispensable d'adresser un double des lettres officielles
qu'ils expédient au primat de Carthage (cf. Ep. cci). De tous côtés,
on le consulte, et ces questions, même les plus saugrenues, pro-
voquent ses longanimes réponses : cf. VEp. ccv, où l'on voit que Con-
sentius s'était enquis auprès de lui « utrum nunc corpus Domini ossa
et sanguinem habeat, aut reliqua carnis lineamenta. »
Parmi les plus intéressantes des lettres incluses dans ce volume, je
signale VEp. clxxxv, qui est d'importance capitale pour la théorie
ecclésiastique sur la répression de l'hérésie et sur l'utilité de la timor
ou de la dolor en certains cas ; VEp. clxxxix au comte Boniface : le
^ IV beaucoup a contribué à fixer l'opinion chrétienne sur la légitimité
du métier des armes; VEp. cxcvn à Hésychius sur la date probable
de la fin du monde : aux affirmations de l'évoque de Salone, Augus-
tin oppose des conseils de prudence et il Tinviie à savoir ignorer;
VEp. ccxi, qui est un règlement de vie à l'usage d'une commu-
I 2 REVUE CRITIQUE
nautt; de religieuses : Augu.iin ne s'en tient pas aux préceptes géné-
raux, ii entre dans les détails les plus circonstanciés, sur l'art de
délendre les vêtements contre l.s mites, sur le bain mensuel et les
conditions où il doit être pris, eic. Les lettres ccxxv etccxxvi qui éma-
nent, l'une de IVosper, l'autre d'Hilaire, donnen' de précieuses indi-
cations sur l'état d'esprit du sud de la Gaule dans les controverses de
la grâce, qui préoccupent si vivement les dernières années du grand
docteur : on y apprend à connaître le milieu et l'atmosphère d'où devait
sortir, en 434, le iamcux Commoiiitoriiim de Vincent de Lérins.L'iTp.
ccxxxvii est capitale pour le problème de l'exégèse priscillianiste. On
mesurera enlin, dans r7:/7. cclxu, la sagesse des directions d'Augustin,
en un différend d'ordre conjugal et intime.
Personnellement l'évêque se trahit, s'épanche très rarement. Il ne
vise ni à l'esprit, ni au brillant. Parfois une légère malice (voy. le
début de ï'Ep. ccLxi), mais bien vite il se rassaisit, tout entier à son
objet et uniquement attentif à la démonstration qu"il conduit. La
curiosité psychologique du lecteur est donc un peu déçue. Mais en
revanche quelle ample moisson on peut faire dans ces lettres au point
de vue de l'histoire religieuse et de l'histoire de la civilisation ! Il y a
là une mine qui recèle encore bien des richesses inexploitées.
Pierre de Labriolle.
Am'uiani Marcellini rerum gestarum libri qui supersunt. Recensuit rhyt-
miccquc distinxit Carolus U. Ci.ark, adiuuantibus Ludouico Traube et Gui-
lelino Hcrai.0. \'ol. I, lihri xiv-xxv. Accedunt tabulae quinquc. Berolini, apud
Wcidmannos, .vdccccx. xi-387 p. in-S", Prix : lô Mk.
>.L Clark prépare depuis dix ans cette édition qui réalise sur les
précédentes (Eyssenhardt, 1871 ; Gardthausen, 1874-1875) trois pro-
grès notables. On a établi définitivement que le texte ne repose que
sur deux sources, le ms. de Fulda, conservé au Vatican (lat. 1873), et
le Memmianus aujourd'hui perdu et dont Ghelen (Gelenius) s'est
servi pour l'édition imprimée à Bàle en i533. Or le ms. du Vatican
était encore assez mal connu. M. G. nous permet ici de le reconsti-
tuer exactement. Premier gain. Le Memmianus, qui était à Hersfeld.
n'estpas entièrement perdu. On en a découvert six fragments à Mar-
bourg, depuis les éditions d'Eyssenhardi et de Gardthausen. De plus,
M. G. a collationné minutieusement les deux éditions de Ghelen et de
Castelli (Bologne, i5i7). L'édition de Castelli est dénuée de toute
espèce de valeur, étant fondée surl'édiiion princeps de Sabini(Rome,
'47-})i laquelle, comme la plupart des premières éditions, repose sur
un ms., du xv= s. qui est un sous-dérivé d'un dérivé récent du Vati-
canus-Fuldensis. Mais Ghelen a pris comme base, et probablement
comme texte confié directement à l'impression, l'édition de Castelli.
En déduisant Castelli de Ghelen, on a des chances de retrouver les
leçons du Memmianus, dont Ghelen s'est servi pour améliorer Cas-
D'HISTOI iC ET L)K LITTERATURE 1 3
telli. M. C. nous fait donc connaître exactement pour la première fois
IcMcmmianus. Deuxième t^ain . Le iioisième gain est annoncé dans
le titre. M. C. s'est servi des clausulcs pour ponctuer le texte. Sur
ce point, il n'innove. pas complètement; il nous apprend lui-rnème
que Henri Valois s'était servi du même indice. On est heureux de
voir qu'une méthode, si bruyamment moderne, a été pratiquée par
un de nos grands savants du xvii" siècle. Il est plaisant de voir les
Allemands redécouvrir pénibleinent ce que ces maîtres savaient avec
goût et discrétion. Le rythme d'Ammien est un rythme tonique, fonde
sur Taccent, non sur la quantité. Entre deux svllabcs portant l'accent,
on trouve deux ou quatre syllabes atones, on n'en trouve Jatiiais une
ou trois. Il n'y a pas d'élision. Les lettres ii et i sont comptées tantôt
comme voyelles, tantôt comme consonnes, ad libitum. Il résulte de là
divers types du cursus iielox.
L'apparat critique comporte deu'c étages. Le premier contient les
variantes du Vaticanus-Fuldensis et du Memmianus. Le second
donne les variantes d'autres mss. et des éditions, en outre de nom-
breuses conjectures. M. C. a pu connaître des notes de Mommsen. Il
a, de plus, très attentivement dépouillé la bibliographie et les
anciennes éditions. La comparaison des deux étages montrera aussi
comment le texte primitif, du ms. de Fulda, s'est altéré dans ses
copies. Il y a là un sujet d'étude intéressant pour un séminaire de
philologie.
Le deuxième volume contiendra une introduction développée et
les tables. Dès maintenant on peut féliciter M. Clark d'avoir donné
une édition aussi parfaite et l'Académie de Berlin de l'avoir encou-
ragée par ses subsides '.
J. D.
Catalogo dei Codici Marciani italiani a cura dclla Dirczione délia R. Biblio-
teca di S. Marco in Venezia ; volume II (classe IV e V) redatto tia C. F"rati e
A. Segarizzi. — Modène, Ferraguti, Jyii, t;r. in-S", XXI-423 pages.
Cette belle publication, dont la Revue a déjà signalé le premier
volume (5 mai 19 lo), se poursuit avec une régularité parfaite, digne
du soin exemplaire avec lequel elle a été préparée par ses deux auteurs.
Le plan adopté dans le premier volume n'ayant subi aucune modifi-
cation, bornons-nous à constater que les classes IV et V, décrites ici,
comprennent respectivement les ouvrages concernant les mathéma-
tiques et les arts du dessin d'une pair, de l'autre l'histoire ecclésias-
tique. Les manuscrits de musique, au nombre de 269dans la classe IV,
sont omis, parcequ'ils figurent déjà dr.ns un catalogue publié en 1888
I. Dans la liste des abréviations, je ne liou'/c pas l'explication de O, désignant
un manuscrit. — Les planches reproduisent un fragment du Memmianus, deux
pages du Fuldensis, une page d'un manuscrit de Saint-Pierre et une page d'un
autre ms. du \'atican.
, , i«i:vl;k lUi i iqlk
par les soins de M. I . Wicl; s(,ni donc décrits dans ce volume
434 niss. de la classe IV et i5o de la classe V, soit un total de
364 articles fet non 364, comme une erreur évidente le tait dire à
l'auteur de la préface .
Beaucoup de mss. de la classe IV ont un inicrét scientifique et
purement local (nombreux traités ou rapports sur lart militaire, sur
la lagune, sur la marine, etc.,) ; mais on peut y glaner bien des titres
d'œuvres qui intéressent riiisioire proprement dite ou l'histoire de
l'art; Vitruve traduit par D. Barbaro(IV, 3; et i52) et par G.B. da
San Gallo IV, iqi); le traité de D. Barbaro sur la perspective (IV,
3qet 40); B. Ceilini, traité d'orfèvrerie (IV, 44); Léonard de Vinci,
traité de peinture (IV, 43, 1 3o et 180) ; diverses lettres de Galilée (IV,
5g, 60, 487) et deux de ses traités (IV, 129); N. Melchiori, vies des
peintres vénitiens [IV, 167, daté 1790; l'ouvrage, en grande partie
inédit, fut achevé en 1728) ; G. Barutîaldi, vies des peintres et sculp-
teurs ferrarais(IV, 175); L. B. Alberti, traduction des traités d'archi-
tecture et de peinture (IV, 532). Dans la Classe V, l'attention est atti-
rée par des mss. de P^'o Belcari (V. 10, 45, 66), Paolo Sarpi, histoire
du Concile de Trente (V. 25, manuscrit original) ; G. Cecchi, histoire
de l'hôpital de Santa Maria Nuova à Florence (V. 36), et une quan-
tité de légendes hagiographiques.
Henri Halvf.tte.
The coUected papers of Frédéric William Maitland, éd. by H. -A. L. Fisher.
Cambridge, Univcrsity Press, 191 i, !•> vol.in-8°; ix et 497 p., 496, 566 p., 3o sh.
M. Fisher, auteur d'une excellente biographie de Maitland dont
nous avons rendu compte ici-même ', a tenu à compléter son œuvre
en réunissant, et en rééditant ce que le savant professeur a publié en
dehors de sa célèbre histoire du droit anglais. M. F. a écarté de son
recueil les neuf préfaces ou introductions écrites pour la Selden
Society ci pour des documents parlementaires historiques, parce qu'il
pensait qu'on les trouverait toujours aisément; il s'est contenté de
rechercher ce qui avait paru ça et là pendant le cours de trente
années. Sa moisson a été fructueuse, et il a récolté matière à trois
gros volumes dont l'exécution soignée lui fait honneur, ainsi qu'à
rUniversity Press. On ne peut analyser, ni rnême énumérer les
soixante neuf morceaux réunis; il y a un peu de tout, depuis une dis-
sertation écrite en 1875 pour un concours de l'Université, jusqu'à des
articles nécrologiques consacrés à lord Acton, sir Leslie Stephen,
Henry Sidgwick, en passant par des conférences, des leçons, des
articles bibliographiques. M. F. s'est borné à les placer dans l'ordre
chronologique de leur apparition sans même les annoter. Tous ces
I. Revue critique du 10 novembre ujio.
D'HlSrOlRK ET 1)K LirTKKATURE l5
morceaux de dimensions ei d'inicrèt lori inégaux seront cependant
lus avec profit, car la méthode et la science de Maiiland y sont tou-
jours présentes. L'éditeur recommande en particulier l'important
essai qui termine le deuxième volume, et dans lequel Maitland a tracé
une si magistrale esquisse de l'histoire du droit anglais de 56o à
1600. C'est en effet le joyau de celte collection, mais nous avons pris
presque autant de plaisir à la conférence dans laquelle le professeur
exposait, en 1888, les raisons qui s'étaient opposées jusque là à la
composition d'une histoire du droit anglais, et les dllFicultés que ren-
contrerait quiconque tenterait l'entreprise. On sait avec quel éclat il
s'est lui-même tiré de l'aventure, et cette conférence permet de mieux
apprécier le mérite de soti grand ouvrage.
A. BiovÈs.
Ch. Beauquier, Faune et Flore populaires de la Franche-Comté. 2 vol.de 4o3
pp. (T. XXXII-XXXIII de la Collection de Contes et chansons populaires). Paris,
E. Leroux, 1901 .
« Nous nous sommes proposé dans cet ouvrage, écrit l'auteur dans
son Introduction, de publier le recueil de toutes les notions tradition-
nelles, superstitions et préjugés, que les populations de Franche-
Comté ont eues ou ont encore sur les animaux et sur les plantes ».
C'est là une histoire naturelle d'un genre, certes, original et qu'il ne
manquerait point d'intérêt de comparer aux Belluaires et Volucraires
du Moyen-Age. On serait surpris de constater combien les connais-
sances que nos paysans possèdent des plantes qu'ils voient tous les
jours, sont enfantines encore, et les idées qu'ils ont de certains ani-
maux surprendraient évidemment .plus d'un intellectuel. Il est vrai
que beaucoup de ceux-ci, pour n'avoir pas les mêmes croyances
naïves, n'en sont pas moins tout aussi ignorants ! Que d'animaux fan-
tastiques continuent de hanter dans toute cette Franche-Comté 1 Basi-
lic, bouc noir, cheval blanc, cheval gauvain — - celui-là, peu de per-
sonnes l'ont vu ; aussi ne sait-on pas, au juste, comment il est !
dragon, drack, « quadrupède blanc, ressemblant à un cheval sans
tête, mais très léger et très rapide » — il y en avait un, dit-on, qui
gardait l'entrée du bois de Commenailles ! loup-garou, vampire,
vouivre, etc., etc. On comprend que les petits campagnards n'osent
guère sortir seuls le soir, à la nuit tombée. M. Beauquier donne
également des contes, des chansons, des dictons, se rapportant aux
divers animaux sauvages ou domestiques. Tout n'y est naturellement
pas particulier à sa province. Il indique tout ce qui se dit de chacun
des mammifères, des oiseaux, des reptiles, des poissons, des insectes,
crustacés et mollusques, avec leurs différents noms et surnoms en
patois. Il rapporte tous les usages auxquels ils donnent lieu. De même
pour les arbres, les herbes et les fleurs. C'est assurément une œuvre
I Ô RKVIJK CRiriQUK DHISTOlKK ICT I)K LITTERATURE
de j;randc patience i|u'iin tel recueil, mais cjuc celui qui connaît ainsi
à fond s.i province. Joii la trouver poéiiquc et Taimerl
Léon Pineau.
AcAftH-Miu DKS In.scrii'Thins kt I>i;i.i,i:s-1 .kttrios. — Séance du -^2 décembre n/ 1 1 .
— A propos du procès-verbal de la dernière séance, M. Antoine Thomas signale
rintcrcl <)iie présente, dans l'inscription de Délos communiquée par M. Holleaux,
in transcription par e de l'i latin dans les noms latins (propres et communs),
èvT2pxaX2pio'.;, xoiitTior/, TE^Éptoî. Ces exemples sont à ajouter à ceux que l'on
possède déjà, et en assez grand nombre, car les transcriptions analogues ne sont
pas très rares et elles s'échelonnent sans lacunes sensibles du commencement du
11» s. a. C. à la plus basse époque impériale. L'idée de Diez, qui admettait une
liliation entre la prononciation archaïque du latin et la prononciation romane (où
l'i est assimile à l'éj, reçoit, semble-t-il, de la constatation répétée de ce fait une
nouvelle confirmation. On ne saurait donc accepter la manière de voir qui tend
à prendre laveur aujourd'hui et qui est présentée sans réserve dans des tra\'aux
récents, et d'après laquelle le passage de l'i à ë serait un fait nouveau dans le
développement du latin vulgaire et daterait seulement du ii" ou ni<= s. p. C. 11 ne
faut pas i)ublier que les inscriptions de Pompéi offrent, non seulement beaucoup
de formes en -es, -et (pour-/5, -it), mais des exemples comme geuetrix, feliceter,
etc.
.M. Henri Cordier communique une lettre de M. dcGironcourt, datée deTombouc-
tou, M I novembre 191 i. M. de Gironcourt a passé dix jours à prendre les estam-
pages des pierres de Bentia et des inscriptions des cimetières. De plus, il a pu
recueillir deux Tariklis sur le contenu desquels toutes réserves doivent être faites
provisoirement; l'un est un récit composé récemment par un chefsourai entre
Gas et Bentia et concernant les gestes à&s Ouliminden ; l'autre traite des tribus de
l'Ouest et parle de Mohammed Askia.
M. Paul Foucart lit une étude sur la sixième lettre attribuée à Démosthènes.
Cette lettre se place dans les jours qui suivirent la levée du siège de Lamia et le
combat des Grecs alliés contre le Macédonien Léonnatas. M. Foucart prou\e son
authenticité parla précision des détails et leur concordance avec les témoignages
des écrivains anciens et des inscriptions.
L'Académie procède à l'élection d'un correspondant français. M. Déchelette,
conservateur du Musée de Roanne, est élu.
M. J. Toutain expose les résultats de la sixième campagne de fouilles effectuée
par la Société des sciences de Semur sur le Mont-Auxois. Le principal résultat de
cette campagne a été la découverte d'un atrium rectangulaire se rattachant par
son extrémité méridionale au monument à crypte découvert en igo8. Cet atrium '
a dij être construit dans la première moitié du iii« s. p. C. Dans le sous-sol de ce
monument ont été déblayés deux puits, trois caves gallo-romaines et diverses
excavations d'aspect gaulois. L'emplacement fouillé en 191 1 met en pleine lumière
la superposition de trois Ages (les excavations gauloises, les caves des premiers
siècles de l'Empire, l'atrium construit à l'époque des Sévères). Les travaux ont
été dirigés par M. V. Pernet. — M. Dieulafoy^ présente quelques observations.
M. Cagnat communique, de la part de M.Merlin, une inscription latine trouvée
en Tunisie par M. le lieutenant Haack, non loin de la station du chemin de fer de
Tunis à Sousse appelée Bir-bou-Rekba. C'est une dédicace à l'empereur Auguste
par les marchands romains établis dans une petite cité punique nommée Thi-
missut.
Léon Dorez.
L imprimeur- gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-cn-Vc'ny. — lmiirini.eric royrillor, Rouchon et Ganion.
K b V U h CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N 2 — 13 janvier. — 1912
SippEL, Dell et Luther. — SOskind, Schleiermacher. — Bai.zer, La foi. —
BoNiioi-i-KR, Epicicte et le Nouveau Testament. — Haask, L'histoire des dogmes.
— CoRNiLS, La théologie. — Horace, p. Barbera. — Inscriptions falisqucs, p.
Hkriug. — Textes en latin vulgaire, H et 111, p. Heraeus et Niedermann. —
Pascal, Epictète et les mystiques. — Krebhiel, L'interdit. — E. Dieiii., Ins-
criptions en latin vulgaire. — Bégulé, La chapelle de Kermaria. — Gaii.ly de
Tai'rines, Les légions de Varus. — Barth, Amour et mariage dans les nou\ elles
du mû\en âge. — Panniku, L"Eglise réformée de Paris sous Henri I\^ —
Zaguuski, Racky. — Castei.la, Bûchez. — Roux, Vesoul. — Le Senne, M""' de
Païva. — Bergstr.ksser, Le parti du centi'e. — HEioiiL, Courants politiques. —
Diez, La presse. — Gobât, Le cauchemar de l'Europe. — Dk Toro, Trésor de
la langue espagnole. — Lewinskt, L'évolution industrielle de la Belgique. —
R. DE la Grasserie, Les principes sociologiques du droit public. — Laband, Le
droit de l'Empire allemand. — Del Vecchio, Guerre et paix. — Logos, II, i. —
Hei.xîsoetu, Descartes et Leibniz. — Laberthonnière, Etudes. — Boutroux,
James. — i ?'■ Bulletin de l'Institut Solvay. — Frech, Le passé de la terre. —
Del Vecchio, De Burlamachi à Rousseau. — Klemm, Histoire de la psychologie.
— Fleinkr, Droit administratif allemand. — Cornélius, Introduction à la philo-
sophie. — Neeser, La religion hors des limites de la raison. — Berr, La syn-
thèse en histoire. — .\. Baumgarten, Etat de détresse et état de défense. —
Stengel-Fleischmann, Dictionnaire du droit allemand, i2-;3. — Holdack, La
peine juridique. — Wlndelband, Préludes, 4« cl. Académie des inscriptions.
1. Thcodor Sii'pEL : William Dell's Programm einer « lutherischen » Gemein-
schaftsbewagung, Tubingen, Mohr njir, in-8" 120 pages. Prix: 2 M. So.
2. Hcrmann Sûskind : Christentum und Geschichte bei Schleiermacher.
I Tcil : Die Absoiutheit des Christentums und die Religionsphilosophie.
Tubingen. Mohr, 191 1. in-S", xu-198 pages.
3. Otto Balzer : Giaubensfragen. Tubingen, Mohr, 191 r, in-8", iv-68 pages.
Prix : I M. 5o.
I . C'est une ligure curieuse et peu connue que celle deWilliam Dell,
d'abord secrétaire de l'évêque de Londres et de l'archevêque de Gan-
lorbéry, puis prédicateur dans l'armée de Crornwell, enfin chef de
collège à Cambridge, qui, avec tant d'autres de ses contemporains,
rêva de iransiornier rÉglise en une société de saints animés du plus
pur esprit de l'Évangile et qui exposa ses idées réformatrices dans des
sermons reieniissants et surtout dans de nombreux écrits très lus chez
les Quakers et chez les Méthodistes. Dans un fascicule supplément de
la Zcitschrift fur Théologie und Kirclie, M. Sippel, pasteur à
Schwcinsberg, expose sa doctrine en analysant ses principales œuvres
Nouvelle série LXXIII 2
,{^ RKVLE CRITIQIE
et la compare à celle de Biown ei surtout à celle de Luther, pour
montrer que Dell, qui s'est réclamé de l'un et de l'autre, se rattache de
fait à eux, mais s'en dillcrencie sur un certain nombre de points fort
importants. On aimerait à connaître d'une façon plus générale ce que
le même réformateur a de commun avec le milieu complexe dans
lequel il a vécu et ce qui constitue son originalité propre, comme
aussi la manière dont il s'est formé et les inHucnces qu'il a subies. De
telles questions se posent désormais inévitablement en ces sortes
d'études. On ne peut pourtant pas trop faire un grief à M. Sippel de
ne pas les avoir abordées, car il ne présente son travail que comme
un « premier essai ». Les renseignements qu'il nous donne, tout en
étant incomplets, sont très utiles, et aideront à mieux connaître le
mouvement un peu désordonné des idées religieuses qui s'est produit
en Angleterre à l'époque troublée dont il s'occupe.
2. L'histoire, aujourd'hui plus étudiée et mieux connue, des reli-
gions n'intirme-t-elle pas la prétention qu'a le christianisme de repré-
senter à lui seul la vérité absolue? Cette question préoccupe vivement
tous ceux des nouveaux historiens qui tiennent à la foi chrétienne.
Un des maîtres les plus autorisés du protestantisme libéral, M. G.
Troeltsch l'a discutée dans un ouvrage très remarqué : Die Absolut-
heit des Christentums und die Reli gions geschichte , où il s'attache à
établir que le christianisme l'emporte sur toutes les religions qui ont
existé, mais non pas nécessairement sur toutes celles qui pourraient
paraître, que sa perfection est relative et non point absolue. Un de
ses disciples, M. H. Suskind, de Tubingue, qui a traité, en un volume
récent, de « l'influence exercée par Schelling sur l'évolution de
Schleiermacher », examine maintenant, dans un nouveau travail,
l'idée que le même Schleiermacher s'est faite des rapports du christia-
nisme et de l'histoire des religions pour montrer qu'il a vu dans
l'étude philosophique de cette dernière science la preuve de la trans-
cendance du christianisme présupposée par toute dogmatique et que
si, en dogmatique, il fait simplement appel à l'expérience intime de
tout croyant, bornant le rôle de l'histoire à la définition de l'essence
de la vraie religion, c'est précisément parce qu'il y regarde la croyance
comme déjà formée, que si, d'autre part, il a accordé au christianisme
une valeur absolue, c'est en se plaçant aussi au point de vue de la
foi, non plus à celui de la science historique. La démonstration est
consciencieuse et suppose une étude approfondie du sujet, sans être,
sur tous les points, convaincante ; mais elle s'attarde trop sur des ques-
tions purement formelles et elle se présente sous un aspect assez
rébarbatif qu'on peut regretter même chez un théologien. Après
avoir fait de Schleiermacher un Père de l'Église, il ne faudrait pas
bâtir sur lui une nouvelle scolastique.
3. Dans une brochure qui fait partie d'une collection théologique
consacrée à la défense de la cause religieuse, M. Otto Baltzer, pasteur
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I9
à Guben, reproduit trois confcrcnces qu'il a données sur la foi et la
science, la foi et l'histoire, TÉglise et la vie moderne, pour montrer
que ces grandes rivales, bien loin de s'opposer fatalement, peuvent
fort bien s'entendre. Afin de les mettre d'accord, il morigère, à l'occa-
sion, chacune d'elles cl les cantonne dans des limites assez étroites,
dans lesquelles aucune ne s'est tenue jusqu'ici et aucune ne se tiendra
sans doute dans l'avenir. Il évite d'ailleurs prudemment de trop pré-
ciser les difficultés qui les mettent aux prises, et, pour obtenir plus
d'harmonie, il fait appel aux Muses et cite maints poètes. Son livre a
toutes les qualités du genre apologétique, et cela ne veut pas dire qu'il
soit sans défaut, mais les défauts n'en apparaîtront qu'à ceux qui ne le
liront pas en croyants et il convaincra tous ceux qui y chercheront
une justihcaiion de leur foi.
Prosper Alfaric.
Adolf BoNiiôFFER : Epilctst und das Neue Testament, Gicssen, Tôpelniann,
191 I, in-S», X11-412 pages. Prix : i5 M.
M. Bonhôffer, de Stuttgart, s'est spécialisé dans l'étude d'Epictète,
Après avoir publié, en iSgoeten 1894, deux travaux importants intitulés:
Epiktet und die Stoa et Die Ethik des Stoikers Epiktet, il vient d'en
donner un troisième qui étudie les rapports existants entre ce philo-
sophe et les auteurs du Nouveau Testament et qui, pour ce motif, a
paru dans la collection des Religionsgeschichtliche Versuche und
Vorarbeiten de Dieterich et Wiinsch.
Il s'y attaque d'abord à quelques thèses récentes. En 1894, dans un
discours rectoral prononcé à Erlangen, Th. Zahn, réagissant contre
la tendance qu'ont, d'après lui, les théologiens et les philologues de
nos jours à faire dériver le christianisme primitif du paganisme, sou-
tenait qu'Epictète a connu le Nouveau Testament et s'en est largement
inspiré. Un hollandais, K. Kuiper, dans une longue étude publiée
en 1 906, reprenait la même thèse, en y introduisant quelques réserves
et en s'attachant à montrer que, si l'auteur de VEnchiridion s'est
assimilé sur certains points la doctrine chrétienne, il l'a sur d'autres
assez clairement attaquée sans la nommer. M. B. soumet les argu-
ments de ces deux auteurs à une discussion serrée, pour conclure
qu'Epictète n'a ni exploité, ni seulement connu, d'une façon un tant
soit peu précise, l'enseignement du christianisme, et sa démonstration
parait tout à fait décisive.
D'autres critiques, prenant une position diamétralement opposée à
celle de Zahn et de Kuiper, out soutenu que c'est plutôt le Nouveau
Testament qui dépend du stoïcisme. Telle est en particulier la thèse
adoptée par P. Wendland et G. Heinrici, ainsi que par K. Clemen.
M. B. la combat également et s'attache à établir qu'on ne constate
aucune influence stoïcienne ni dans les Synoptiques, ni dans les
Epîtres de saint Paul, ni dans les autres écrits du Nouveau Testament.
20 RtVUt CRiriQDK
Son nrtirmntion rencontre dcjà quelques difficultés en ce qui concerne
les Synoptiques dont certaines semences, par exemple celles des
deux voies et des malades qui ont besoin du médecin, ont une ressem-
blance assez Irappanie avec divers apliorismcs stoïciens. Elle est plus
sujette àcaution au sujet de saint Paul dont plusieurs idées, celles par
exemple, de Tliomme spirituel qui juge tout, de liniérieur et de l'exté-
rieur, de la chair et de l'esprit, du déterminisme moral, se rapprochent
par fois singulièrement, jus.]ue dans leur forme, du stoïcisme. Elle est
enfin, croyons-nous, inadmissible en ce qui concerne les écrits johan-
niqucs, ou plus précisément le 4""^ Evangile, dont le Logos peut bien
Otre juif, mais est aussi sûrement hellénique, ou plus précisément,
stoïcien, en même temps que platonicien malgré les transformations
qu'il a subies avant dépasser dans TEvangile. M. B., il est vrai, ne le
voit que dans le prologue, mais, en cherchant plus attentivement, il
l'aurait trouvé à travers tout le livre. Cela ne veut pas dire que l'évan-
géliste s'est mis sur ce point à l'école du stoïcisme, mais il en a subi,
pour ainsi dire, l'inHuence dilfuse, parce que le milieu dans lequel il
a paru en était pénétré. La même remarque s'applique à tous les
auteurs du Nouveau Testament chez qui on pourra relever des ves-
tiges analogues de la philosophie des Grecs. M. B. semble un peu trop
porté à nier l'action d'une doctrine sur une autre quand la seconde
ne reproduit pas exactement la première et n'en provient pas
directement.
Dans la suite de son travail, il compare le christianisme, tel qu'il le
trouve exposé dans le Nouveau Testament et le stoïcisme formulé par
Epiciète, car, pour lui, ces deux doctrines, tout en étant mutuellement
indépendantes, se touchent de très près, et, tandis que certains se sont
efforcés de les identifier, d'autres au contraire de les mettre en désac-
cord, il s'applique à faire ressortir leurs traits communs en même
temps que leurs caractères distinctifs. II le fait avec une sûreté d'in-
formation et une pénétration très remarquables. On peut lui repro-
cher de rester ici trop souvent dans le vague, en ce qui concerne
la doctrine chrétienne, pour n'avoir pas distingué renseignement de
Jésus, celui de saint Paul et celui du 4'"^ Evangile. Cette dernière
partie de son travail n'en est pas moins solide et bien conduite. Le
livre, dans son ensemble, apporte une excellente contribution à
l'étude, si importante et encore si débattue, des rapports du chris-
tianisme et de l'hellénisme.
Prosper Alfaric.
Félix Haasi; : Begriff und Aufgabe der Dogmengeschichte. Breslau, Gœriich
et Coch, iiji I ; in-S., 9!^ pages. Prix : i mark 40.
L'histoire des dogmes est à Tordre du jour et, comme l'idée qu'on
s'en fait varie beaucoup avec la position dogmatique adoptée par les
historiens, plusieurs d'entre eux en ont donné, au cours de ces der-
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 21
nicrcs années, des dcfinitions passablement divergentes. M. Félix
Haase, de Breslau, qui a déjà à son aciil une étude sur Dioscore I,
patriarche d'Alexandrie, et une autre sur la gnose de Bardesane,
vient d'exposer à ce sujet sa manière de voir dans une brochure qui
porte l'iniprimatur du cardinal Kopp, et qui se place à un point de
vue nettement catholique. Son intention est de montrer qu'on peut
écrire une telle histoire de la façon la plus scientifique, tout en se
tenant au catholicisme le plus orthodoxe, et de préparer un travail de
ce genre, d'en écrire en quelque sorte la préface, pour provoquer des
critiques et des observations utiles.
Dans une première partie il explique donc ce qu'on doit entendre
par un dogme. Après avoir montré comment ce mot, qui désignait à
l'origine l'ensemble des croyances professées par un fidèle quel-
conque, ne s'applique dans le Concile du Vatican qu'à celles qui sont
imposées, conformément à l'Écriture et à la Tradition, par l'autorité
infaillible de l'Eglise, il concilie les Catholiques, qui s'en tiennent à
cette dernière acception, et les Protestants, revenus à la précédente,
en disant que les deux se distinguent sans s'exclure et que le dogme
peut être soit simplement chrétien, soit ecclésiastique, selon les cir-
constances ou les points de vue auxquels on l'envisage, qu'un histo-
rien par conséquent peut le prendre dans un sens comme dans l'autre
et étudier les croyances chrétiennes dans leur ensemble et à travers
toutes les sectes ou s'occuper simplement de celles dont son Eglise
fait profession. Rien n'est plus simple, ni plus incontestable.
Dans la seconde partie les choses se compliquent, car il s'agit de
préciser le concept non plus simplement du dogme, mais de l'histoire
qu'on peut en faire. M. Haase se refuse à définir la méthode histo-
rique, « supposée connue ». Il se contente d'expliquer, afin de préve-
nir l'objection signalée par lui en commençant, que, pour procéder
scientifiquement, on n'a pas à se débarrasser de toutes les idées pré-
conçues qu'on pourrait avoir, mais seulement de celles qui se rappor-
tent à l'objet précis de la science dont on s'occupe. Or l'Eglise,
ajoute-t-il, nous impose ce que nous devons croire, mais non la repré-
sentation du processus selon lequel la croyance s'est formée et c'est
sur ce dernier point uniquement que porte l'attention de l'historien
des dogmes. L'encyclique Pascendi et la formule du serment anti-
moderniste ne visent qu'à écarter de son étude tout préjugé irreli-
gieux emprunté à l'agnosticisme et à l'iinmanentisme.
Ces deux documents, objecterons-nous, vont en réalité beaucoup
plus loin, car ils interdisent à l'historien croyant de faire, dans son
œuvre historique, abstraction de sa croyance. D'autre part, la foi
catholique affirme avoir toujours été en substance ce qu'elle est
aujourd'hui et ne s'êtix' développée que dans le même sens et la même
formule. .M. llaase ne peut aller à l'encontre de ces dernières affirma-
tions. Il montre combien il en dépend jusque dans ce travail destiné
22 REVUE CRITIQUE
à établir son indépendance de savant, dès qu'il s'y applique à préciser
un tant soit peu son prngraninic, car il déclare que l'historien des
dogmes ne doit pas attacher une grande importance à l'étude compa-
rée des relij»ions anciennes dont rintlucnce sur le christianisme a été,
d'après lui, purement extérieure et très restreinte. Une telle remarque
est de nature à inspirer quelque inquiétude sur le caractère scienti-
fique de l'oeuvre qu'il annonce. La préface qu'il vient d'en écrire
dénote un esprit ouvert, qui, tout en restant très hdèle à l'Eglise et à
Pie X, flirte, à l'occasion, avec Harnack et compagnie, mais qui paraît
plus habitué à disséquer les idées d'autrui qu'à oi-ganiser les siennes
propres et dont l'idéal consiste, selon une remarque faite par lui, à
assembler de bons matériaux plutôt qu'à faire une belle construction.
T«)ut en donnant lieu à des espoirs sérieux, elle suggère aussi des
craintes trop fondées.
Prosper Alfaric.
Martin Cornils, Théologie. Einfiihrung in ihre Geschichte, ihre Ergebnisse
und Problème. Leipzig, Teubner. igir; in-12, iv-iyS pages. Prix: i mark-.'3.
Dans un petit et élégant volume de la collection Ans Natiir iind
Gcisteswelt, M. M. Cornils, pasteur à Kiel, s'applique à donner aux
laïques cultivés qui s'intéressent aux choses religieuses une idée som-
maire mais substantielle de la théologie et il le fait en s'inspirant des
maîtres du jour, notamment de Harnack et de Troehsch.
Une première partie de son travail expose à grands traits l'histoire
de la théologie. On en résumerait assez bien l'esprit en disant que la
pensée chrétienne, qui a été d'abord et très longtemps gréco-latine,
est devenue finalement, en vertu du progrès, anglo-saxonne. Mais on
pourrait, là-dessus, objecter à l'auteur qu'elle a été profondément
juive avant d'être hellénique. Nous trouvons déjà une théologie dans
les paroles de Jésus et surtout dans les écrits de saint Paul. Son
influence a même été plus considérable sur les Grecs que celle de leur
philosophie et saint Augustin s'est inspiré d'elle beaucoup plus que
des théologiens orientaux qu'il a, du reste, fort peu connus. D'autre
part l'esprit moderne ne vient pas en première origine d'Angleterre
mais d'Italie et il est passé par la France avant d'arriver en Alle-
magne. Galilée et Descartes méritent d'être nommés à côté de Kepler
et de Newton. A lire M. Cornils on ne soupçonnerait pas que les
questions ihéologiques sont étudiées depuis un siècle ailleurs qu'en
Allemagne. Peut-être gagnerait-il à élargir un peu son horizon.
Dans une seconde partie il s'applique à définir de façon plus pré-
cise l'objet de la théologie moderne. Celle-ci, explique-t-il, sera avant
tout historique et étudiera dans la Bible les manifestations progres-
sives de la révélation. Cependant elle devra aussi s'élaborer ensuite
systématiquement en une Dogmatique et en une Éthique qui étudie-
ront la psychologie et la morale du Christianisme. Malheureusement
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 23
cette théologie systématique risque fort de n'être plus une science du
moment où elle entrera dans le domaine de la métaphysique et
M. Cornils entend bien Tamener de bonne heure à le faire, (^uant à
la théologie historique, de quel droit la limite-t-il à Tétude de la
Bible, du moment où il ne reconnaît pas à celle-ci une valeur abso-
lue? Ne devrait-il pas Fétendre à l'histoire des religions en général et
surtout à toute celle du christianisme ? C'est ce que demanderait logi-
quement la conception de Troeltsch, qui se trouve chez lui, sans
qu'il semble s'en douter, en opposition continuelle avec celle, fort
différente et plus étroite de Harnack.
En somme, il reste influencé par son protestantisme comme par
son nationalisme plus qu'il ne le faudrait pour une œuvre vraiment
scientifique. Son livre n'en contient pas moins des vues excellentes,
exposées avec beaucoup de clarté et de méthode. Il mérite d'être lu.
Prosper Alfaric.
Q. Horatii Flacci opéra. Florentiae, apud G. Barbera, mcmxi, xii-265 p. in-i^a.
Prix relié : 3 I.
Ce petit volume est le premier d'un Corpus poetarum latinorum.
Elégamment relié, avec tranches rouges, il est vraiment un Horace
de poche; il mesure 8 centimètres sur 12. On nous annonce toute
une série de volumes semblables. Ils seront commodes. On paie cet
agrément par une impression un peu fine. Le problème des petits
volumes me paraît devoir être résolu par une autre voie, en
employant des papiers minces, comme VIndian paper de la Biblio-
theca Oxoniensis . Pour les personnes qui n'ont pas les yeux fatigués,
cet Horace sera un compagnon charmant. La préface est signée par
M. F. Ramorino. Le texte pris pour base est celui de Keller et Haus-
sner. Cependant Od., II, 20, 6, M. R. garde uocas ; Epod., 2, 65, il
Vil pnsitosque; Sut., I, 6, 126, il admet la leçon blandinienne '.fugio
campum lusumque trigonem. M. Ramorino n'a donc pas copié servi-
lement le texte de Keller et en a retouché quelques points. Nous
souhaitons bon succès à la nouvelle collection, qui ne pourra man-
quer de gagner de nouveaux amis aux poètes latins.
J. D.
Tituli Faleriorum ueterum linguis falisca et etrusca conscripti. Conlegit,
edidit, enarrauit... Gustauus Hërbig. Lipsiae, Barth, 1910, 59 p. in f".
M. Herbig a pris comme thèse d'habilitation à l'université de
Munich ce recueil des inscriptions falisques, qui est en même temps
un extrait du premier fascicule de la seconde section du t. II du Cor-
pus inscriptionum etruscarum (n"* 8ooi-833i). Ces inscriptions ont
toutes été trouvées à Civita Castellana, dans la capitale des Falisques.
Les textes provenant du reste du territoire paraîtront plus tard.
2.| RKVUE CRITIQUE
M. 11. commence par une description du site et l'indication des
icpuiuires touillées. Los textes sont très soigneusement publiés,
presijue tous avec le contrôle d'un autre savant, M. Thulin ou
M. N'oi^ara. M. Herbig les a entourés de commentaires et de biblio-
graphie. Quand nous aurons la suite, nous aurons toutes les données
positives que l'on peut réunir sur le ("alisque. Malheureusement, ces
inscriptions sont de misérables débris, le plus souvent. A la difficulté
linguistique s'ajoute la dilliculté archéologique. Comme on peut s'y
attendre, c'est surtout l'onomastique qui profite jusqu'ici de ces tra-
vau.x; on en a pour preuve le grand ouvrage de M, Schultze. Il faut
ajouter : la connaissance des chitlVes latins; voy. ici les inscriptions
8081-8162 ei les références.
J. D.
SammluDg vulgarlateinischer Texte hciausgegcben von W. Heraeus u.
H. M.-RK.
2. Petronii cena Trimalchionis, nehst ausgewâhlten Pompeianischcn Wandins-
chriften; hcrausg. von \V. Hkrakus, 1909, vi-47 p. Prix : i Mk. 20.
3. Proben aus der sogenannten Mulomedicina Chironis (Buch II und III) ;
herausg. von .\1. Niedkr.mann, 1910, x-GS p. l^rix : 1 Mk. 20.
ln-8", Hcidelbcig.Wintcr.
M. Heraeus publie le texte de la Cena d'après Bucheler. Mais il l'a
revisé et souvent il revient à la leçon des manuscrits quand elle pré-
sente des vulgarismes traduits (et trahis) par Bticheler; ainsi quia
pour (/Moi, inici- pour intra. Outre quelques inscriptions de Pompéi,
M. Heraeus reproduit à la tin de la brochure le Tcstamenlum
porcelli.
M. Niedermanna de nouveau coUationné le manuscrit de Munich
pour les deux livres qu'il publie. Il a surtout amélioré la lecture en
divisant plus correctement les mots que ne l'avait fait Oder Son
apparat présente des conjectures, des explications et des rapproche-
ments. Un court extrait de Végèce est destiné à montrer le rapport
des deux auteurs.
J. D.
Carlo Pascal, Epicurei e mistici. Catania, Fr. Battiato, igi r, viii-ôg p. in-8».
M. Pascal a réuni sous ce titre sept études. Les quatre premières
assez courtes sont consacrées à des sujets antiques. M. P. défend le
caractère moral de Mécène contre les jugements sévères de Scnèque.
Vingt-cinq pages caractérisent Pétrone et la société romaine telle
qu'il la dépeint. Douze pages résument ce que nous savons des mvs-
tères grecs. Nous voyons avec plaisir M. P. faire entrer dans cette
courte notice les réflexions suggérées par le bon livre français de
M. Diès, Le cycle mystique (Paris, Alcan, 1909). Ce sont encore
deux livres français, de M. Masqueray et de M. Dalmeyda sur Euri-
d'hISTOIRK KT DK LIITERATURE 25
pide, qui loin poser à M. P. la question Euripide misticu ? 11 croit
que le poète reste un rationaliste, même dans les Bacchantes, et que,
dans cette pièce, la religion y est jugée d'après les nécessités de la
politique. Les deux principales études du volume ont pour sujet Leo-
pardi dans son atiiiudc envers le christianisme et Amiel. A propos de
Leopardi, M. Pascal discute la question qui a soulevé un débat très
vif en Italie : Leopardi a-t-il reçu les derniers sacrements? 11 incline
vers la négative. Enrin, quelques pages sur Maurice de Guérin le rap-
prochent de Leopardi et d'Amiel : M. Pascal voit en ces trois écrivains
trois mystiques, bien que Leopardi ait abandonne le christianisme
tandis que les deux autres y réfugiaient leur doute.
M. D.
The interdict, its history and its opération, with especial attention to thc
time ot pope Innocent 111, 119S-1216. By Edw. B. Krehbiel. Washington, publi-
sheJ by the American historical association, 1909, 192 p. in-i8. Prix : i d. 5o.
Les canonistes définissent l'interdit : cessatio a divinis. M. Kreh-
biel étudie dans ce volume l'interdit local, par lequel TÉglise catho-
lique suspendait tout service religieux dans une région. Il montre
quelle est la nature de cette décision exceptionnelle, quels en sont les
conséquences, enfin comment Tinterdit est suspendu, corrigé ou
retiré. M. K. a donné une attention particulière au pontificat d'Inno-
cent m. Il a cependant tenu compte de tous les faits. Dans un très
loug appendice, il relève et explique les interdits portés de 1198 à
1216. Une bibliographie très abondante, qui comprend des sources
manuscrites, témoigne du soin avec lequel M. Krehbiel a composé
son ouvrage. Un index détaillé en rend l'usage facile. Ce livre, écrit
avec clarté et bien composé, rendra les plus grands services aux his-
toriens de l'Eglise.
M. D.
Vulgârlateinischen Inschriften. Herau&gegeben von Ernst Diehl. Bonn, Mar-
cus et Weber, 1910, 176 p. petit in-8». Prix : 4 Mk. 5o.
Cette brochure est le n^ 62 de -la collection Kleine Texte dirigée par
M. H. Lietzmann. Les inscriptions sont groupées dans un ordre
méthodique, d'après le détail qui a motivé le choix de M. Diehl. On
a ainsi huit chapitres: Vocalisme, Consonantisme, Tablettes magi-
ques, Inscriptions latines en lettres grecques, Morphologie, Syntaxe,
Sémantique, Documents officiels présentant des vulgarismes. Ces titres,
avec les sous-titres de paragraphes (a, ae, au, e bref, e long, i bref,
etc.), se lisent sur chaque page dans le titre courant. Ils ne sont pas
intercalés dans le texte, où un simple filet indique que l'on passe d'un
sujet à l'autre. Ils ne sont relevés dans aucune table des matières. En
revanche, nous avons cinq index : noms propres, présentant des
vulgarismes, mots intéressants, grammaire, abréviations, concordance
26 RKVUK CRITIQUK
avec le Corpus, les Civminn cpi{;raphica, Dessau. On pense bien que
les icxtes cites sous une ruhriquo ont des particularités qui tombent
sous une autre. 1/index i^rarnmaiical pare à l'inconvdnient de ne pas
les retrouver ailleurs
.1. 1).
Lucien Iîéodi.k, La chapelle de Kermaria Nisquit et la danse des morts.
Paris, Chnmpion. 4 pi. 1 pi. lioublc, ;^2 j^iav., .=>2 p. in 4". Prix,: 8 fr.
Cette belle publication est une description détaillée de la chapelle
de Kcrniaria-Nisquit, entre Saint-Bricuc et Guingamp, dans les Cotes
du Nord. Elle a été construite au xiii*^ siècle, avec trois nefs; au
xv^ siècle, on Ta allongée de trois travées, on ajoute un bras de
transept et un porche au midi. Entin au xvii"^ siècle, on a bâti une
abside. L.a charpente actuelle date du. xv^ siècle. Elle est apparente,
forme un berceau en tiers-point dans la grande nef, un demi-berceau
dans les bas côtés. Tous ces bois étaient richement peints: il en
subsiste des traces. Il semble, d'ailleurs, qu'il n'y a jamais eu d'autre
voûte qu'une charpente de bois. On conserve, à l'intérieur, cinq
panneaux sculptés en albâtre, représentant probablement saint Yves,
l'Annonciation, le Couronnement de la Vierge, l'Assomption et l'Ado-
ration des mages. Ils sont du commencement duxV siècle et provien-
nent d'Angleterre, comme quantité d'autres petits reliefs d'albâtre de
la même époque qui sont épars à travers TEuVope. Ce qu'il y a de
plus précieux à Kermaria, ce sont les peintures. Elles représentent
sur les murs de la nef, au dessous de la voûte, la danse des morts,
formant frise, avec des légendes ironiques en vers français; au-des-
sous, occupant les écoinçoné entre les arcs des travées au-dessus des
piliers de la nef, les prophètes ; dans le bas-côté nord, sur le lambris
de la voûte et le mur. vis-à-vis du transept, les Vertus et les Vices, et le
Dit des trois morts et des trois vifs; sur la voûte du porche, les anges ;
dans le transept, les donateurs. Les peintures de l'intérieur, principa-
lement la danse des morts, se trouvent datées par les armoiries des
donateurs vers 1470-1480.
Cette étude très consciencieuse de, M. Bégulé ramène rattention
sur un monument fort intéressant. Puisse-t-ellc le sauver de la ruine
dont il est menacé et qui l'a déjà sérieusement gâté !
Ch. Gaillv dk Tauiunes, Les légions de Varus. Latins et Germains au siècle
d'Auguste. Paris, 191 1, in-12. chez Hachette. Prix : 3 fr. 5o.
Le livre de M. Gaillv de Taurines est agréable à lire, plein d'en-
irain, prestement écrit; mais c'est moins un livre de science qu'une
oeuvre de vulgarisation et, comme tel, je crains d'en parler ici injuste-
ment. Je n'entends pas dire par là que l'auteur n'est pas bien informé
des faits; il a lu et suit pas à pas les historiens anciens, Tacite, Vel-
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 2-
leius, Dion; il ne l'ait pouiiani i|ue répctcr, sous une forme agréable,
ce qui figure dans toutes les histoires. Ce qui lui appartient, c'est
d'avoir coupé le récit en petits chapitres précédés d'un titre à effet
comme : Ara Pacis. Gaulois et Germains^ ou Le mariage germanique,
Arminn et Thusnelda ou Veillée d'armes, le Sommeil de Germanicus ;
et d'avoir transcrit avec des additions d'imagination ou de style les
textes dont il s'inspire. Voici un exemple qui montrera la méthode de
l'auteur. Tacite lyl/?»., II, i3i écrit ceci : Unus hostium latinae lin-
giiae sciens, acto ad vallum eqiio, voce magna, conjiiges Arminii
nomine pollicetiir. M. G. de T. rapporte ainsi le fait : A ce moment,
à Vextérieur du camp, dans les ténèbres, au galop de son cheval, un
Germain s'approche du fossé. Au nom d'Arminn, hurlait-il, en
langue latine dont il savait quelques mots, pour vous des femmes, etc.
De références à quelqu'un des nombreux travaux qu'on a consacrés,
surtout en Allemagne, aux campagnes germaniques de Varus, de Ger-
manicus, de Drusus, je n'en ai pas trouvé une, peut-être à dessein.
Autre remarque. L'auteur parlant de l'arc de Saintes et de son ins-
cription, remercie certaines personnes de lui avoir communiqué la
bibliographie relative à cet arc. Je croyais qu'il était aisé de la trou-
ver soi-même dans V Epigraphie de la Saintongc de M. Espérandieu
ou dans le XIII'' vol. du Corpus inscriptionum latinarum. S'il s'était
reporté à l'un de ces ouvrages, M. Gailly de Taurines aurait vu que le
père du dédicani se nommait Otuaneunus (et non Otiraneunus), son
grand-père Gedomon (et non Gedemon), et son bisaïeul Epotsorovi-
dus (et non Eposterovidus) .
Quant à l'illustration, elle est un peu déconcertante. A côté de
monuments antiques et d'une vue des fouilles d'Aliso, on trouve deux
gravures empruntées à la Germania antiqua de Gluver (Guerriers
germains et Un repas chez les Germains), qui ne peuvent guère pas-
ser pour des documents de quelque valeur. A quoi peuvent bien ser-
vir des reproductions aussi ridicules?
R. Gagnât.
Bruno Bartii, Liebe und Ehe im altfranzœsischen Fablel und in der mit-
telhochdeutschen Novelle (Palaesira, hgb. von A. Brandi, G. Roethe,
E. Schniidt, XCV'II). Berlin, Mayeret Mûller, lyoo. In-8", x-274 pp., 7,80 m.
On ouvre ce livre avec curiosité, on le ferme avec quelque décep-
tion. Et cependant l'auteur a fait preuve de zèle et de discerneinent.
C'est le sujet qui, seul, est en cause.
Le nombre des « nouvelles « de l'ancienne littérature allemande est
assez restreint — si l'on s'en tient aux nouvelles examinées par
M. Barth. Elles ne forment pas un genre tranché. Pour la plupart
elles ne sont pas originales. Aussi, les caractères des personnages,
leurs sentiments, leurs faits et gestes n'offrent-ils rien qui soit parti-
culier à la nouvelle, qui ne se rencontre dans le roman et ailleurs.
jj{^ REVUE CRITIQUE
Leur langafic est plus libre ci leur morale plus relâchée. Mais c'est là
un irait dcienniné par le {^enre lui-même ei bien connu. Pas plus
que l'histoire liiiéraire. l'histoire de la civilisation ne gagne beau-
coup aux recherches de M. Rarih. Les mœurs, dans les nouvelles,
n'otVrcnt rien qui soii spécialement' allemand ou particulièrement
révélateur.
La comparaison des nouvelles allemandes anciennes à nos fabliaux
français n'a pas donné de résultats très précieux ou inattendus. La
manière des nouvellistes allemands ne diffère pas de celle des roman-
ciers, et les traducteurs de fabliaux français montrent dans leurs adap-
tations les habitudes des traductions épiques : tendance au délayage,
adoucissement des hardiesses, intervention de la réflexion. Mais
M. Barih a-t-il songé qu'en enlevant aux fabliaux leur légèreté leste
et leur vivacité colorée, les nouvellistes allemands les ont privés de ce
qui fait leur caractère le plus distinctif?
Si la science ne doit pas retirer un grand bénéfice du travail accom-
pli par M. Barih, son étude est capable d'orienter les lecteurs novices.
A ce titre son livre est des plus recommandables.
F. Piquet.
.lacques Pannier, L'Église réformée de Paris sous Henri IV. Rapports de
Tcglise et de T'état. Vie publique et privée des protestants. Leur part dans l'his-
toire de la capitale, le mouvement des idées, les arts, la société, le commerce.
Paris, Champion, 191 1, i vol. in-S» de 671 pages.
M. le pasteur Pannier a rassemble dans ce très intéressant et vivant
ouvrage tout ce que nous pouvons savoir sur l'église réformée de
Paris pendant le règne d'Henri IV. Aussitôt après l'entrée du roi
dans sa capitale, les protestants y peuvent respirer; ils y célèbrent
même leur culte. Catherine de Bourbon, sœur du roi, ouvre à leurs
assemblées les salons de son hôtel, l'hôtel de la Reine (plus tard
hôtel de Soissons) ; elle fait prêcher même au Louvre lorsqu'elle
habite ce palais et les réunions se tiennent soit dans son appartement
soit au rez de chaussée, dans la salle des Cariatides. Ce culte cessa,
quand Catherine de Bourbon partit en iSgg pour la Lorraine
où elle allait épouser le duc Henri de Bar, et il n'y eut plus sous
Henri IV de service réformé à Paris que lors des brefs séjours que
la duchesse de Bar vint faire à la cour de France en 1601 ou à l'hô-
tel de l'ambassadeur d'Angleterre, en 1607 et 1608. C'est que l'édit
de Nantes défendit tout exercice de la religion réformée à Paris et à
cinq lieues de la ville. Les protestants, après l'enregistrement de l'édit
parle Parlement le 25 février logg, se réunirent d'abord à Grigny
dans la maison du seigneur du lieu, Josias Mercier, puis, vers la fin
de l'année, à Ablon où la haute justice appartenait au roi. Ablon était
bien à 5 lieues de Paris ; mais le voyage de la capitale jusqu'au
temple ne laissait pas que d'être pénible pendant la rude saison; des
d'histoire et de littérature 2g
enfants qu'on y portail pour le baptême moururent de froid en route.
Aussi, en août 1606, Henri IV déclara que la distance de Paris à Cha-
renton était réputée de cinq lieues et permit aux réformes de s'assem-
bler en cette dernière localité et d'y élever un temple. L'église chez
Madame et Grigny, Ablon, Charenton, ce sont les trois parties du
livre de M. Pannier. Il nous donne les détails les plus précis sur les
lieux où était célébré le culte réformé, sur l'état des bâtiments à
l'époque d'Henri I\^ sur les divers pasteurs, Lobéran, La Faye,
Couér, Pierre Du Moulin, Samuel Durant, dont il raconte avec minu-
tie la biographie ; sur les fidèles qui fréquentent le culte, sur l'organi-
sation de l'église (^anciens et diacres), sur les enterrements protes-
tants (à Paris ces enterrements ne peuvent avoir lieu qu'à neuf heures
du soir, dans les deux cimetières de la Trinité et des Saints-Pères),
etc. M. Pannier a eu le tort, à notre avis, de sectionner ces rensei-
gnements en trois ou deux parties, en un ordre chronologique qu'il
n'a pu rendre tout à fait rigoureux; mieux eût valu présenter un
tableau unique pour tout le règne d'Henri IV, et le reproche est
encore plus fondé, si nous lisons les chapitres sur la prédication
protestante, sur les controverses entre protestants et catholiques. Il
était déjà malaisé de séparer, pour ces questions générales, l'église de
Paris des autres églises de France. M. Pannier a augmenté la diffi-
culté en distinguant encore la période d'Ablon de celle de Charenton :
les sujets sont traités de la sorte de façon trop étriquée, trop fragmen-
taire, au lieu de l'être par touches larges. Puis tout le livre, du reste
très méritoire, a un caractère anecdotique; la topographie, la biogra-
^ phie, les menus incidents y tiennent une place trop grande. Nous
aurions aimé pénétrer davantage dans la vie de cette communauté
protestante, connaître l'influence très réelle qu'elle a exercée. M. Pan-
nier ne nous fait jamais assister à un service protestant. De quel livre
de cantiques se servaient les fidèles ? Quelles mélodies étaient chantées ?
Quelles prières étaient récitées et en quel ordre? Les protestants
disaient-ils déjà cette confession des péchés de Théodore de Bèze,
qui, en 1601 , était réimprimée dans un recueil de prières catholiques?
L'auteur ne nous renseigne pas '. Puis il faut signaler quelques petites
négligences et erreurs. Le Journal de l'Estoile est cité rarement dans
la nouvelle édition de Jouaust, le plus souvent d'après Michaud et
Poujoulatdont le texte est incorrect. La bibliographie de Palma-Cayer
et de Du Moulin est bien incomplète ; je renvoie M. Pannier au cata-
logue de la Bibliothèque nationale. Qu'on n'appelle point pasteurs « lor-
rains » des pasteurs de Badonviller ou de Metz; et surtout qu'on ne
prenne pas les Economies royales de Sully pour un document irrépro-
chable ; l'auteur croit encore aux secrétaires de Sully, au grand dessein
I. Il aurait dû au moins nous renvoyer à l'excellent livre de P. de Félice, Les
protestants d'autrefois, en adaptant à Tcglise de Paris les renseignements géné-
raux qui nons y sont donnes.
•<j, RKVl 1-: CRITIQUE
il'IlciHi IV; Cl il laii du i;iaiu1 iiKiiiio d'aiiillcrie un personnage dcsin-
icrossc, luui dévoue aux proicsianis. Malgré ces critiques, l'ouvrage
csi dos plus estimables : avec une thèse complémentaire sur Salomon
de Brosse ', il a valu à l'auteur en Sorbonne le liire de docteur avec
mention tics honorable '.
Cil. Pfister.
WlaJimir Zagouski. François Racky et la renaissance scientifique et poli-
tique de la Croatie, 1S2S-1.S0). l'aris, Hacheite, 1909. In-8». 239 p.
Castki.i.a. Bûchez. \\\r\>, lîl.uul. 191 i. In-if), 64 p. o fr. Go.
RogcrRoux, Notes historiques sur Vesoul. P>\ris, Champion, [911. In-H», io5 p.
Kiuilc Lk Sennk. M""^ de Païva. l^iris, Daragoii. 191 i. ln-8", 36 p.
!.. HKRr.sTR.KS.M;». Studien zur Vorgeschichte der Zentrumspartei. Tùbingcn,
.Mohr. In-S", 25'> p. 3 mark.
Heigii.. Politische Hauptstrômungen in Europa im XIX Jahrhundert. [.eip-
zig, Tcubiicr. In-io, ij3 j''.
H. Diiu, Das Zeitungswesen. Leipzig, Teubiicr. In-8°, 145 p.
Albert Gob.vt. Le cauchemar de l'Europe. Paris, Le Soudier. In-8°, 89 p.
François Raéky, chanoine de Zagreb et fondateur de l'Académie
croate, mort en 1894 à 65 ans, a été l'un des défenseurs les plus actifs
des Jougo-Slavcs contre la domination magyare que leur impose le
Compromis de 1867. A l'école des historiens tchèques et surtout des
archéologues allemands, il a appris tout ce que l'érudition historique
et philologique peut faire puur la renaissance d'un idiome et d'une
nationalité. Il a travaillé toute sa vie avec succès à ressusciter en
quelque sorte le peuple croate, à retrouver ses tities et à lui rendre la
conscience de son indépendance passée. Aux côtés de Strossmayer, il
a été l'apôtre de l'union des églises latine et orthodoxe rêvée par
Léon XIII. M. Wladimir Zagorski a consacré sa thèse de doctorat
d'Université à ce grand patriote qui fut aussi un travailleur infati-
gable et un utile précurseur, sinon un savant sans reproche. C'est un
travail très consciencieux, très clair et écrit dans une langue remar-
quablement correcte pour un étranger. Il sera fort utile aux lecteurs
1. tJn architecte français au commencement du xvni'^ siècle, Salomon de Brosse.
Paris, librairie centrale d'art et d'architecture, i vol. in-4° de 282 pages. La vie de
Salomon de Brosse est racontée avec soin; sa généalogie est bien établie. Peut-être
M. Pannicr lui attribuc-t-il trop facilement un certain nombre de constructions, le
premier temple de Gharenton et le château de Versailles. Le très important
ouvrage de Geymûllcr sur l'architecture de la France à l'époque de la Renais-
sance et où très souvent il est question de de Brosse, lui a échappé.
2. Signalons quelques menues négligences. P. 23 au milieu, lire rive gauche
de la Seine au lieu de rive i^roiYt^ ; l'interprétation de la gravure p. 24 est tout
à fait arbitraire : p. 47, le 24 août 1601 est un vendredi, non un dimanche, les
protestants se réunissent exprès en un service funèbre le jour de la Saint-Barthé-
lemy; p. 558, le duc d'Albe est mort en janvier i582 ; p. 436, Montbéliard
était jusqu'à la Révolution un comte appartenant au Wurtemberg, par suite hors
de France: p. 525, les Mémoires du duc de Bouillon viennent d'être réimprimés
par Baguenauh de Puchesse.
u'mSTOlRK KT 1)K LITPKRATURE 3l
français, généralement assez mal informés de riiisioirc des nations
slaves modernes.
Dans la petite collection « Science et religion », on a fait une place
à Bûchez, comme à l'un des précurseurs du socialisme chrétien. La
brochure que M. Castella consacre à l'auteur de VHistoire parlemen-
taire de la Révolution n'est cependant pas une étude des idées sociales
de Bûchez. 11 n'y est guère question que de sa biographie et de ses
doctrines sur l'idée de progrès et sur la méthode scientitîquc de l'his-
toire. C'est un exposé intelligent et clair, mêlé de discussions parfois
un peu trop « verbales ». Los épreuves n'ont pas toujours été revues
avec soin.
M. Roger Roux a, dans ses Notes historiques sur Vesoul, rassemblé,
avec soin, mais, un peu en désordre, des documenis narratifs de toute
origine, venant principalement d'un religieux du xvni'- siècle, Dom
Couderet. Ce qui nous parait le plus utile est un recueil de notices
biographiques exactes et assez complètes, allant de i5 5o à 1796, et un
tableau des principaux fonctionnaires de Vesoul au début du Consulat.
M. Emile Le Senne publie dans la Bibliothèque de l'histoire du
Vieux Paris une plaquette illustrée sur Madame de Païva. L'odyssée
de cette aventurière, qui huit par épouser le comte Henckel de Don-
nersmarck et joua lui rôle dans- les rapports franco-allemands
après 1870. est connue dans son ensemble. Mais les détails piquants
que l'auieui- rassemble se liront avec plaisir. Sans être, comme il le
dit un peu ambiiicuscment, une« étude de psychologie et d'histoire »,
sa brochure sera un fort utile aide-mémoire pour les curieux qui
souhaiteront visiter le fameux hôtel des Champs-Elysées.
M. Adalbert Wahl, professeur à l'Université de Tiibingen, a entre-
pris de publier une collection de monographies historiques sur l'his-
toire des partis politiques en Allemagne. Le premier fascicule, qui est
une Habilitalionsschri/t, CSX dû à M. L. Bergstriisser et consacré au
parti du Centre. C'est l'histoire desorigines du parti jusqu'en 1848, mais
limitée à certaines régions : Hesse, pays de Mayence, Bavière (celle-
ci jusqu'en i83o seulement). Les associations catholiques (Confédérés
bavarois, Piusvcrein de Mayence) et leur influence sur les élections
sont étudiées en détail cl avec soin. 11 est curieux de constater une
dualité de tendances politiques : à Mayence, on est en général gagné
aux doctrines nationales ; ailleurs, les catholiques sont franchement
conservateurs. On verra dans le chap. iv^ consacré aux journaux, que
Metternich essaye, non sans succès, d'employer au service de sa poli-
tique l'influence naissante de la presse catholique. L'ouvrage est écrit
sur le ton de la plus louable impartialité.
L'intéressante petite collection de vulgarisation scientifique que
publie la libiairie Teubner de Leipzig, sous le titre Ans Natur und
Geisteswelt, s'est enrichie de deux nouveaux fascicules. Celui de
M. Heigel sur l'Europe politique au xix' siècle est un résumé histo-
32 RKVUE CRIIIQl'K
riquc facile à lire, mais insullisammcm « objectif »; rautcur sacrifie
vraiment au désir d'amuser par le détail pittoresque, mais d'une exac-
titude contestable, ou de séduire le lecteur allemand par l'exaltation
des gloires nationales. La petite étude de M. II. Diez sur le journa-
lisme est au contraire excellente. L'auteur, qui a limité son travail au
journalisme allemand, donne des renseignements statistiques tout à
fait intéressants et neufs, et signale avec beaucoup de pénétration les
inconvénients du journalisme dit « moderne » ; concentration des
grands journaux aux mains de quelques capitalistes, recherche à tout
prix du gros tirage, abaissement de la valeur littéraire, développement
du scepticisme politique, etc. Le remède lui paraît être dans une sépa-
ration absolue entre deux espèces de feuilles quotidiennes : le bulle-
tin d'informations, et le journal proprement dit, de format et tirage
réduits, un peu plus coûteux, mais plus soigné, plus sérieux, plus
honnête aussi. Excellejit programme, mais sera-i-il jamais réalisé ?
M. Albert Gobât, conseiller national suisse, plaide en faveur de
l'autonomie alsacienne-lorraine dans une brochure chaleureuse. Il
estime que la paix armée est un fléau, qui procède uniquement du
traité de Francfort, et que, du moment où l'Alsace-Lorraine devien-
drait état confédéré allemand, tous les vœux de ses habitants seraient
comblés ; les F'rançai-s de leur côté abandonneraient tout ressenti-
ment et toute méfiance contre l'Allemagne. M. G. a les meilleures
intentions du monde ; il aime la France et l'Alsace ; il juge bien
l'Allemagne, avec sévérité quand il faut, mais sans animosité. Il a
raison de souhaiter un apaisement, une solution qui écarte le « cau-
chemar de l'Europe «. Mais comment peut-il croire et écrire que
l'Alsace état confédéré serait entre la France et l'Allemagne un état-
tampon comme la Belgique et le Luxembourg? Quelle analogie entre
deux pays neutres et indépendants et un état qui resterait allemand,
sans plus d'indépendance politique, militaire, économique envers
l'Empire que le Mecklembourg ou la Saxe? Cette erreur de fait affai-
blit beaucoup les conclusions de l'auteur. Sa brochure se lit du reste
avec agrément et sympathie.
R. G.
Chernoviz, 191 1, in-S", 392 p.
Le Tesoro de M. de Toro n'est pas une grammaire, mais même
pour des gens possédant celle-ci déjà très convenablement c'est un
livre à la fois intéressant et commode, et où se trouve la solution de
mille petites difficultés touchant la langue : liste de mots souvent mal
accentués ou sur l'accentuation desquels il existe des doutes presque
légitimes: listes de mots sur le genre ouïe nombre desquels le langage
courant se trompe fréquemment, etc. Une longue énumération de
gallicismes rassure un peu le Français étudiant l'espagnol en lui fai-
Miguel de Toro Y Gisbert, Tesoro de la lengua espanola. — Paris, Roger y ^
il
1 S
d'histoire et de littérature 33
sant voir qncl^ien souvent la casîillan niMjcrnc emploie des formes
calquées sur noire lani;ue, mais, il est vrai, répudiées par les puristes.
{)n aura souvent lien il'appréeier le chapitre oîi s'alit^ncnt les mots
exigeant un régime spécial sur lequel il n'est pas toujours aisé d'eelaiier
notre orthodoxie. Bref, par tous les renseignements qu'il contient, le
7"'c\vo/-o est un livre d'usage, et comme il s'appuie sur les meilleures
autorités, telles que le dictionnaire de l'Académie et les travaux de
Cuervo et autres philologues espagnols et hispano-américains, on est
en droit de se lier à ses indications.
H. L.
L'évolution industrielle ds la Belgique, par J. I.favinski. Bruxelles, Misch et
Thrnn, i o i i, iu-H", 44_|. p.
Les principes sociologiques du droit public par R. de la Grasserie. Pari.s,
Giard et Brière, 191 i, in-8", 430 p., 10 fr.
M. Lewinski publie, sous le patronage des Instituts Solvay, une
intéressante étude sur l'évolution industrielle de la Belgique au cours
du x\x^ siècle. Après avoir brièvement esquissé le tableau de la situa-
tion économique à la fin de la période précédente, il recherche les
causes de la révolution industrielle qui a si profondément bouleversé
sa patrie et le monde civilisé. C'est à la fois la partie la plus neuve, et,
ce nous semble, la plus discutable de son travail. Il s'efforce en effet
de ruiner la théorie généralement admise qui fait dépendre de la
technique l'évolution industrielle. Pour lui le facteur principal,
essentiel, c'est l'augmentation de la densité du marché intérieur, en
d'autres termes l'accroissement de la population. Il estime que « les
changements de milieu obligent l'humanité à chercher de nouvelles
voies d'adaptation », et que « l'augmentation de la population doit
nous expliquer la marche ascendante de l'humanité. » Il ne s'arrête
pas un instant à la corrélation existant entre cet accroissement de la
population d'une part, le développement de l'industrie, du commerce
et la prospérité générale, qui en est la conséquence, de l'autre. 11 ne
se demande pas comment, pourquoi, à un moment donné, la popula-
tion s'est accrue dans ces grandes proportions. Ne confond-il pas la
cause et l'effet? A la vérité, il adniet des facteurs secondaires et impor-
tants: surtout la Révolution française, qui, en incorporant la Bel-
gique à la France, aggrandit le marché commercial, entraîna une
hausse de prix, et, en transférant la richesse, représentée alors
presque exclusivement par la propriété foncière, à des classes dépour-
vues de traditions et de préjugés, facilita la formation du capita-
industriel .
La seconde partie de l'ouvrage traite de la transformation de l'in-
dustrie et du commerce; l'auteur y montre clairement pourquoi la
petite industrie et le petit commerce périclitent de plus en plus, et
sont destinés à disparaître. Pour conclure avec autant d'audace qu'il
34 REVUE CRITIQUE
a commence, il explique le phcnomèiie de la concentration indus-
trielle par l'éloignemcni du consommaicu:-. Il confesse que c'est là
une livpoiljcse qui aurait encore besoin de démonstration, et il en
renvoie la paternité à Bolim-Bawerk, M. Le\vinski n'a eu à sa dispo-
sition que des statistiques défectueuses, et dont la plus récente a déjà
quinze ans de date; mais sa bibliographie, qui occupe quatre-vingt-
cinq pages, prouve qu'il s'est largement documenté pour une étude
dont on appréciera tout au moins Toriginalité.
I.a sociologie du droit, dit M. de la Grasserie, est la recherche de
lois naturelles et persistantes que l'on doit déduire de faits juridiques,
contemporains ou successifs ; et il s'est proposé d'établir celles qui
constituent le droit public. Son ouvrage comprend à la fois ce qui
concerne le droit constitutionnel, le droit administratif, le droit inter-
national, et entinlesrapportsentre ledroit public et le droit individuel.
Il examine chaque question à trois points de vue différents ; statique,
c'est le droit dans son état actuel ; dynamique, le droit dans l'ensemble
du passé et du présent; scientifique, le droit dans le prolongement
logique des deux époques précédentes, dans l'avenir. Amené à parler
de toutes les questions politiques actuelles, il le fait sans hésitation,
avec une belle assurance qui ne laisse pas d'étonner un peu, et se pro-
nonce sur le référendum, la représentation proportionnelle, la lutte
des classes, le féminisme, le socialisme, le pacifisme. Il a sur beau-
coup de points des opinions personnelles et intéressantes; malheureu-
sement son style, souvent obscur, est rendu encore plus difficile à
comprendre par de nombreuses incorrections matérielles, imputables
en grande partie à l'imprimeur, mais regrettables néanmoins \
A. BiovÈs.
I.
— Das Staalsrec'nt des Deutschen Reiclws de M. Paul Laband paraît en 5<^ édi-
tion remaniée (Mohr, 4 vol. . Le t. II (1911. 3i8 p. 8 M.) comprend les cha-
pitres VI à IX : Législation de l'Empire, Traités d'Etats, Administration, La Terre
d'Empire cl les protectorats coloniaux. Ce dernier chapitre intéressera le plus
les lecteurs non juristes; il donne, dans sa partie relative à LAlsace-Lorraine,
l'histoire du développement constitutionnel de ce pays, la question juridique de
ses trois voix au Conseil fédéral (quoiqu'il ne soit pas reconnu un des Etats confé-
dérés; donc sa représentation au Conseil ne peut reposer que sur une fiction),
son organisation et sa législation d'après la loi constitutionelle du 3i mai iqii.
L'étude sur la situation légale des Protectorats allemands envisage successivement
l'état territorial et les acquisitions, les sphères d'intérêts, le pouvoir protectoral,
I. Par exemple (p. i34.) en exposant son système particulier de représentation
proportionnelle, il parle de 5ûo députés à élire, et dans ses calculs on en trouve
670. — On lit plusieurs fois 1889 pour 1789— p. 277 Castefranco pour Castel-
franco— p. 3o8 la conférence de Berlin en /tV55 pour en i8S3 — p. 370 viabilité
pour vitalité, etc.
d'histoirk et dk littérature 3 5
le domaine protégé, les protégés, l'exercice du pouvoir souverain, les détenteurs
de ce pouvoir </\'eioid)iungsyi'clit. les nutorités administratives, la constitution
juridique, l'organisation militaire, les finances, les fonciioiinaires coloniaux, les
compagnies coloniales, enfin la législation ecclésiastique. — Th. Scn.
— M. G. bEL Vecchio (Messine) donne une deuxième édition revue et augmentée
d'il fenomeno délia giierra e Videa délia pace (Bocca, Turin, 191 1, 99 p.), discours
de rentrée (1909) des cours de ITJniversité sarde de Sassari, extrait de la Revue
de droit international. Plan : caractère du problème, causes de la guerre, ses
conséquences — surtout bienfaisantes — , principales conceptions théoriques de
la paix (conception ascétique, impérialiste et absolutiste, empirico-politique, juri-
dique). Conclusion modérée : la paix est désirable, mais pas à tout prix, surtout
pas au prix de la justice. — Th. Scn.
— Le deuxième fascicule du t. Il du Logos (Mohr, igii, p. i3i à 264, 9 M.)
se compose des articles suivants : H. Rickert (Fribourg en B.), Lebenswerte und
Kultunverte. La philosophie biologistique à la mode — le biologisme et la biologie
comme science naturelle — la civilisation et la vie. Conclusion : La vie n'a pas
de valeur propre et indépendante des valeurs morales {Kiilturwerte) dont elle
n'est que le levier. En d'autres termes, la civilisation n'est pas au service de la
vie, mais c'est la vie qui est au service de la civilisation. Excellent article, de
philosophie vivante, sans jargon ni formalisme ni concession à la mode du jour.
— Ch. VossLER (Munich), Das Verhàltnis von Sprachgeschichte und Literaturge-
schidite. Complète un article précédent de l'auteur {Logos, I, p. 83; Grammatik
und Spradigeschichte), qui aboutit ici à cette thèse que l'histoire littéraire doit
être considérée comme une préparation optique et surtout synoptique à l'histoire
de la langue, et celle-ci comme un enrichissement analytique et explicatif des
sources de celle-là. — W. Iwanow (Pétersbourg), L. Tolstoj und die Kultur. Des
trois types d'attitude consciente vis-à-vis de la civilisation, seuls possibles au
point de vue religieux et moral, à savoir relativiste, ascétique et symbolistique,
Tolstoï représente le second qui conduit fatalement à la subordination de tout
instinct artistique à l'utilitarisme moral et suppose une méfiance absolue de la
nature. L'auteur estime que le troisième type seul est juste et sain, c'est celui de
Socrate. — J. Cohn (Fribourg en B.), Hans von Marées, remarques sur le problème
du style. Il s'agit du peintre allemand mort à Rome en 1887 à l'âge de 5o ans,
et dont la vie et l'œuvre ont été exposées en trois vol. par M. J. Meier-Graefe. —
G. Radbruch (Heidelberg), Ubcr den Begriff der Kultur. Notice destinée seule-
ment à attirer l'attention sur ce fait que la notion de « culture », qui semble
vouloir prendre en philosophie une place de plus en plus centrale, implique au
fond une triple notion qu'il importerait de distinguer plus qu'on n'a coutume de
le faire : notion historique, de philosophie de l'histoire, éthique. — W. Sesemann,
Das Rationalc und das Irrationalc im System der Philosophie. Histoire et critique
de ces deux notions contraires, renfermées déjà dans le -spa; et l'a-Etoov pytha-
goricien, contraires qu'il s'agit de concilier et d'unifier en une synthèse philoso-
phique. — G. Mehlis (Fribourg en B.), Formen der Mystik. Elle, dont l'essence
même est l'absence de forme, peut-elle prendre fortiie ? Oui, en tant que son
expérience devient doctrine, c'est-à-dire déborde au dehors comme émanation de
la surabondance intérieure. Les exemples probants sont surtout, comme il est
naturel, empruntés à la vie d'Eckhart, dont Windelband oppose l'intellectualisme
au volontarisme de Boehtne, opposition importante en ce qu'elle reflète, dans une
certaine mesure, celle qui sépare les civilisations antique et modepne, et même
3() REVl'E CRITIQUE
raiiiliiomic ao ncccssiié cl de liberic. - l.a nniico bibliugrnphi.|uc a la lîn Ju
\..lnmc traite lies «rijvrcs choisies de Ci. .Icllincck (2 v..l. Berlin, li.icrin^, 1911)
é.lm'.s |.ir .■> >n lils; »le Christinnscn, Pliilosopliie dcr A'»»f.v/ (Hannu, Claus, 1909),
et lies rroh'gomcit.i ^itr .Wiltirphilosopliie (Miinicli, Lchnianii, M|10i du cointc
II. Kivscrling, qui sont un reniaiiienienl cl un approfundissciiient de ses sept
discuiii.s de 1907 à rUnivcrsiié libre d'iiaiiibourg. — Th. Scii.
— I.e premier fascicule du i. 1\' des Pliilosofhisclie Arbeiten de Cohen et Natorp
donne la première partie d'une étude comparée sur Die Méthode der Etkenntnis
bei Descarles und Leibni^ (Gicsscn, Toepclniann, 1912, 192 p., 3 M. 3o) par
M. II. HiciMSijKTii. C'est, après une Introduction historique sur les précurseurs de
la pensée moderne (N'inci, Kepler, Galilée, Bacon), un exposé de la méthode
cartésienne de la connaissance. Tandis que ces précurseurs se contentèrent de
découvrir une nouvelle notion de la nature et de réduire les données sensibles à
l'exactitude de définitions mathéinatiques, sans s'informer de la rnéthode de la
connaissance et du procédé d'acquisition et de fixation de ces contenus, seule la
confrontation de la connaissance pure et empirique et le développement systé-
matique de la question de méthode par Descartes et Lcibnitz mènent à une carac-
téristique complète de la connaissance en général. — La deuxième partie, sur
Leibniz, doit paraître dès ce printemps. — Th. Scii.
— Les Etudes de Morale et de Sociologie (Bloud) donnent i vol. de M. L.
I.AnERTiioNNiÈRi-; : Positivisme et Catholicisme, à propos de « l'Action Française »
(1911, 4^0 p. in-i6, 3 fr. 5o), dirigé surtout contre la série d'articles que M. Pedro
Descoqs publia dans les Etudes, de juillet à décembre 1909, sous ce titre : ^l tra-
vers l'œuvre de M. Maiirras, essai critique et qui « était, sinon une apologie directe
de l'Action française, du moins une interprétation si bienveillante de ses doc-
trines et de son attitude que l'auteur aboutissait à conclure qu'une alliance des
catholiques avec ce nouveau politicismc était légitime et en principe devait être
féconde ». M. L. prétend dévoiler l'antichristianisme et l'immoralisme de l'Action
française et la pitoyable casuistique des catholiques qui s'allient à elle en imagi-
nant une orthodoxie sans foi et entreprenant l'œuvre vaine « de faire triompher
l'Eglise, sinon dans les âmes, du moins dans la société ». L'auteur donne à son
livre comme épigraphe caractéristique la réponse des Jésuites à l'offre d'alliance
faite par A. Comte en itSiy et reproduit en appendice (II) les curieux documents
relatifs à cette offre, documents publiés par M. P. Laffite dansla Revue occidentale
du v juillet 1886. — Th. Scn.
— M. E. BouTROux a consacré à la mémoire de son ami William James (Colin,
191 1 , 143 p. 3 fr.) un vol. in- 1 8 avec phototypie hors texte. Après une très intéres-
sante biographie de 17 p., il esquisse la philosophie du penseur américain en exa-
minant successivement sa psychologie, sa psychologie religieuse, son pragmatisme,
ses vues métaphysiques et sa pédagogie. M. B. attache, à très juste titre, une
grande importance à ce fait que le père de James fut un ardent disciple de Swe-
denborg et que son fils « semble avoir conservé toute sa vie une secrète prédilec-
tion pour les doctrines du grand mystique ». Cette influence, en etïet, explique
toute une partie essentielle de la mentalité de James, et juste la partie la plus
étrangère aux habitudes de la philosophie française. M. B. a fait une excellente
œuvic Je vulgarisation. —Th. Sch.
— Le i?' (mai 1911) Bulletin mensuel de l'Institut de Sociologie Solvay comprend.
comme les précédents, les contributions nouvelles aux Archives Sociologiques de
l'Institut, la Chronique mensuelle et les procès-verbaux des réunions des groupes
d'histoire et de littérature 37
(J'cludos. Les Coiiti-tbiitio)is nouvelles, qui remplissent, ici coinme d'ordinaire, la
plus grande partie du volume, consistent, on se le rappelle, en comptes rendus
d'ouvrages récents « contribuant » (de là le titre) aux progrès de la Sociologie
humaine ou à sOn Introduction. Sont considérés comme servant à cette Introduc-
tion les écrits répartissables sous les rubriques suivantes : i" Energétique et bio-
logie générale dans leurs rapports avec la Sociologie; 2" Eihologie des rapports
intcrindividuels chez les êtres vivants autres que les hommes ; 3" Physiologie et
psychologie humaines et comparées dans leurs rapports avec la Sociologie. Quant
aux travaux de Sociologie humaine eux-mêmes, ils sont classes dans ces trois
groupes ; Accommodation sociale, Organisation sociale. Doctrine et méthode. Parmi
les auteurs étudiés dans ce numéro, citons : (). Hertwig, Neiœ Gedankeii ^ur E>it-
wicklnngslehre (dans Die Umsclian du 8 avril 191 1) par A. Brachet ; Shaw Bolton,
A contribution to the localisation of cérébral functions, basedon clinico-patliological
study of menlal disease {Brain, XXXIII, 129) par G. Bouché; .1. Cohn et J. Dief-
Fenbacher, Untcrsuchungen ûber Gcschlcclits-Altcrs-und Dcgabungsuntcrscliiede bel
Scliitlcrn [Beilieflc ^ur Zeitschrift fur angeivandte Psychologie und psychologische
Samnielforscliung. Leipzig, Banh, 191 1) par P. Menzerath : A. Meillet, Différen-
ciation et unification dans les langues [Scioitia, 191 1) par P. de Reul; \. Chris-
tensen, Politikog Massemoral. Til Belysning af aktuelle Problème)- ((Copenhague,
G.xd, 1911) par D. Warnottc; J.-L. Puech, L'Inde et la u paix britainiique n {La
paix par le droit, mai 191 1) par le même; F. Deliizsch, Das Land ohne Heitn-
/tt'//r (Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 191 1) par R, Kreglinger; G. -G. Selig-
mann, Tlie \'eddas (Cambridge, University Press) parN. Ivanitzky ; P. Perdrizet,
La miracu'rnse histoire de Pandore et d'EcJiédore, suivie de reclierdics sur la mar-
que dans l'antiquité {.\rchiv. filr Religionswissenschaft, 191 i) par J. de Decker;
Georges Cahen, Les Fonctionnaires, Leur action corporative (,GoIin, igii)par
M. Bourquin : J. Fisher, The impatience theory of interest [Scientia, 1900) et
L. Maingic, La théorie de l'intérêt et ses applications (Bruxelles, Castaignc, 191 1)
par l-C.Waxwcik-r (Directeur de l'Institut Sociologique) ; J. Fishur, The purchasing
poiver of msney (New-York, Macmillon Company, 191 i) par M. Ansiaux; enfin, à
propos du quatrième Congrès international de philosophie à Bologne, M. E. Du-
préel recherche les points de contact actuels de la sociologie et de la philosophie.
La Chronique Mensuelle (p. 385-470], par M. D. Warnotte, complète les Contri-
butions en passant la revue de toutes les sciences pour y signaler, plus sommaire-
ment, tous les travaux récents susceptibles de faire avancer la Sociologie. Enfin
les Réunions des groupes d'études remplissent les dernières pages (473-498) de ce
très important fascicule, réparties en groupes sociologiques, groupe historique,
colonial, économique. — Th. Sini.
— La coquette et pratique collection Ans Natur und Geisteswelt (Leipzig, Teub-
ner) publie en 2" édition la belle série des six Etudes de F. Frkch, Aus der Vor-
^cit der Erde {n"' 207-211 et 61) comprenant : i» Vulkane eiiist u)id jetit \ 2»
(jcbirgsbau und Erdbeben ; 3° Die Arbeit des fliessenden Wassers; 4" Die Arbeit
des Océans; 5° Steinkohle, Wilsten und Klima der V'or^^/7 ; 6" Gletscher einst und
jet^t. Chacun de ces fascicules est illustré par une cinquantaine (le n" i en a même
80) d'excelleiites gravures qui éclairent et animent singulièrement le texte, eia ins-
pirant l'envie de l'étudier de plus près. — Cette même Collection a édité (n"' SqS
et 3i>2) une Aesthctik (viii-r2o p. lori) par M. Richard Hamann, et une Einfïih-
rung in die Biochcmie (83 p. 1911) par M. W'Ai.rnKR Lob ^avec 12 ligures dans le
texte). Chaque fascicule coûte i M 23. — Th. Scu.
KKVUfc. CRITIQUE
II.
— yV.i il lUnlamachi c il Rousseau (Oilona a Mare, iijio, 7 p.), par M. G. dcl
Vkiuiiio, professeur a l'univcrsitc ilc Messine, est une simple « note critique »,
extraite lic La Ciilluia coutcmporaiica (A. II, N. 4), et destinée à réduire à de
justes limites les allirmations de M. D. Rodari, qui. dans la Rivista Filosofica de
i.,oS, avait tait de Burlamachi (1(194-1748), professeur h Genève, le véritable
inspirateur du Discours sur l'origine et les fondements de l'incgalité, M. dcl \ .
montre que ilousseau ne fut nullement plagiaire. —Th. Sch.
— La jolie collection de Wissenschaft und Hypothèse (Teubner, Leipzig et Bcr-
linl donne comme t. VIII la Geschichte der Psychologie (x-388 p., 191 1) par
M. (). Ki.EMM, privatdocent à Leipzig, qui développe d'abord les tendances géné-
rales de la psychologie (métaphysique et empirique), puis ses notions fondamen-
tales (sa définition comme science, son objet qui est la conscience, la classifica-
tion des contenus de la conscience, les méthodes psychologiques, la mesure psy-
chique), enfin fait l'histoire des principales théories psychologiques. — Th. Son.
— M. Fritz I'lkiniîr a écrit les Instilutioucn des deiitschen Verwaltinigsrechts
(Mohr, 191 I, XI-35S p. 8 M.) dans une partie générale qui traite des notions fon-
damentales, des facteurs {IVàger) de l'administration publique et de ses rapports
originels avec les citoyens, enfin de la protection légale ; et dans une partie spé-
ciale qui comprend l'appareil administratif et ses eft'ets [Leistiingen), ainsi que les
devoirs des citoyens vis-à-vis du droit administratif. — Th. Son.
— VEinleitirig in die Philosophie de .M. Hans Cornélius a paru en deuxième
édition (Teubner, Leipzig et Berlin, 191 1, xv-SjG p. 5 M. 20) avec des additions
sur les idées métaphysiques, les valeurs sociales, l'obligation et la prétention
sociales, le droit et l'Éiat. — Th. Sch.
— La religion hors des limites de la raison (Sainl-Blaise, Foyer Solidariste,
191 1, 322 p. 5 fr.), par M. Maurice Neeser, veut tracer les traits principaux d'une
philosophie de la religion sur les hases du kantisme et donner non « point une
étude générale de la philosophie kantienne, mais l'exposé de certaines consé-
quences du système dans le domaine de la pensée religieuse », en cherchant dans
les principaux livres seulement de Kant « l'essentiel de sa pensée pour en déve-
lopper les corollaires » ; et « sans ignorer les travaux les plus excellents parus
dans ce domaine, on a voulu courir une piste originale — au risque de redire ce
que d'autres ont peut-être déjà dit ». 4 chapitres : Religion et certitude historique
(insuffisance philosophique essentielle de toute assise historique de la religion);
religion et psychologie (insuffisance philosophique essentielle de certaines bases
psychologiques de la religion) ; à la recherche de la religion dans les limites de
la raison (le domaine de la raison d'après Kant) ; la religion hors des limites de la
raison (en route vers l'au-delà). « Si les conclusions de Kant n'ont pas toujours
exposé les conséquences des prémisses, il a jalonné une route possible, peut-être
la seule, vers l'explication philosophique de la religion ». — Th. Sch.
— Le directeur de la Revue de Synthèse historique, M. Henri Berr, a donne à
la Bibliothèque de philosophie contemporaine son Essai critique et théorique sur
La Synthèse en Histoire (.\lcan, 191 i, xvi-272 p. 5 fr.), qui « était terminé en
1903 >> et contenait, dans un chapitre central, l'exposé et la discussion du mou-
d'histoire et de littérature 39
vement théorique allemand ». Mais « le tableau de ce mouvement considérable a
semblé rompre, par les proportions qu'il exigeait, l'unité du livre ». L'auteur a
préféré donc y « traiter les questions en elles-mêmes, examiner les théories de
toutes provenances, sans s'inquiéter de leur provenance, sans dissimuler toutefois
que des penseurs français ont fourni les principaux éléments pour la conception
de la synthèse »; et it a « remis à un deuxième volume l'exposé du mouvement
théorique allemand des quinze ou vingt dernières années ». Au reste, il s'est
« elîbrcé, non de créer une théorie neuve de l'histoire, mais de critiquer, d'utili-
ser, de faire aboutir les théories antérieures », tachant « en même temps de rap-
procher, autant que possible, la théorie de la matière historique » et tenant
« compte des diverses disciplines historiques ou auxiliaires de l'histoire, qui, jus-
qu'ici, se raccordent mal entre elles «. 11 a étudié, dans une première partie, les
deux degrés de la synthèse (érudite et scientifique) et les principes d'orientation
dans la synthèse scientifique; dans la deuxième partie, les articulations de celte
synthèse scientifique, à savoir : la contingence, la nécessité, la logique. La con-
clusion traite de l'avenir de l'histoire, de la survivance du subjectivisme histo-
rique et de la croyance en Viutuitioii, du fondement de cette croyance (intuition et
vie), des théories anti-intcllcctualistes (l'histoire-science est-elle inutile pour la
vie?}, enfin de l'intuition et de la synthèse et des modes divers de l'histoire. —
Th. ScH.
— Dans Notstaiid und Notwelir, Eine Stiidie im Hi)iblick au/ das kiiiiftige
Strafredit {Mohr, 191 i, viii-i 26 p. 3 M.), M. Arthur Baumgarten, professeur à
Genève, étudie un point juridique spécial en vue d'une réforme du droit criminel,
en examinant les cas où la défense personnelle doit être légitime. Notstaud est
l'état de détresse où se trouve celui qui peut user de cette défense personnelle, et
le droit de cet individu à se défendre dérive du principe de l'instinct de conserva-
tion et est limité par la théorie des collisions entre l'intérêt privé et l'intérêt
public. — Th. ScH.
— Le fascicule 12-1 3 (commencement du t. Il) du Wôrterbuch des deutschen
Staats = und Veywaltungsreclits de M. de Stenùul (réédité par M. Fleischmann)
va du mot Gebàudesteiiev à celui de Gemeinheitsteilungen et renferme les princi-
paux articles suivants : Gebiiliren, Gefàngniswesen, Geheimmitiel, Geistliclte,
Geistliclie, Gesellschaften, Geleil{freies), ci surtout Gemeinde, qui prend plus des
4/3 de la livraison (p. 39 à i56. en tout 160, prix 4 M.). — Th. Scii.
— L'étude de M. Félix Hom.dack (Leipzig), Von der Idealitdt des dualistischcn
Prin^ips in dcr Strafe (Breslau, Max Mûller, 191 1, viii-66 p. 2 M.) a été provoquée
surtout par le discours de M. Binding sur Die Entstehung der ôffentlichen Strafe
im germaniscli-deutschen Redit et soumet a un nouvel examen la valeur de la
peine juridique. Parmi ses autres autorités (ou adversaires) citons Merkel, Win-
delband, v. Amira, I.ipps, Œttker, v. Hippel, v. Liszt. — Th. Sch.
— Les Praelndien (Aitfsât^e und Reden ^/(r lunleitung in die Philosophie^ de
M. WiNDEi.BAND oiit paru en 4^ édition (la 3^ était de 1907), cette fois en 2 vol. de
xii-276 et iv-322 p. (5 M. chacun, Mohr, 191 1). Les sept morceaux nouveaux sont :
deux articles des Kantstudien, a savoir Nach hundert Jahren (centenaire de la
mort de Kant) et Schillcrs trans^endentaler Idcalisinus, puis le discours « acadé-
mique » (dans le sens allemand du mrjt) sur Die Emeuerung des Hegelianismiis
{Sit^ungsberichte der Heidelberger Akademie des W'issenschaften, 1910), celui de
!.. REVUK CKITICL't: o'HlSTUlht: Kl Ul LITTERATURk.
I. 1 / .; MM J'csstmismus iiiiJ W'i.tsciisclia/l Der Salim, 1^77), celui lic Vienne
r. ''Il- Wi-scn iindW'vrl Jer 7'taJiliun im Kultuilebcu et son ooniplcment Bildiaigs-
>len uuJ Kulliii ciiilu'tt (parus tous deux dniis Das liumanistische Gymna-
iiwm), CMlin l'article du Lo^'05(i9io) intitule Knllurpliilosopliie und trans^^enden-
t.ili'v IdCitlistnits, v|ui rcsuinc le discours de Munich iqoi)) sur Weltauschauung. —
II) S. 1,.
m-
AcADKMiu DKS INSCRIPTIONS KT Hi:lles-Lettres . — Sc'aucc dii 2 ij dcccDibre l () I I
— M. Uabclon dépose sur le bureau, de la part de r.\cadéniic do Mî'icon, un excin
plaire en or de la médaille du Millénaire de Cluny.
M. Jullinn donne lecture d'une nouvelle lettre de M. Moniméja relative aux
découvcnes laites à Sos (Lot-et-Garonne). On y a notamment trouvé des traces des
explorations iiiéialluii;iques auxquelles César fait allusion.
L'Académie procède à réleciion du bureau pourTaiinée 1912. — M. Louis Léger,
vice-président, est élu président. M. Noël \'alois est élu vice-président.
L'Académie procède ii l'éleciion des commissions suivantes :
'J'ravjiix littcraires : MM. l'réal, Scnart, Meyer, Héron de ViJlefosse, A. Croisct,
Clermoni-Ganneau, de Lasteyrie, (^ollignon.
Antiquités df la France: MM. Meyer, Héron de Villefbssc, Viollet, de Lasteyrie,
Thédenat, Omont, Jullian, Prou.
Jîcolcs françaises d'Athènes et de Rome: MM. Hcuzcy, Foucart, Meyer, Ilomoile,
CoUignon,Cai:nat, Châtelain, Haussoullier.
l'école française d'Extrême-Orient : M.VL Brcal, Senart, Barth, Chavanncs, Cor-
dier, le P.Scheil.
Foiidatiiin (îarnicr : NL\1. S^iiait, Barth, Cordier, le P. Scheii.
Fondation Piot : MM. Heuzey, Héron de Viilefosse, de Lasteyrie, Homolle, Col-
li^non, Babelon, l'otticr, Haussoullier, Durrieu.
Commission administrative : .MM. A Croiset et Cagiiat.
Prix ordinaire : .\1M. Senarr, Barth, Chavannes, (^urdicr.
Prix Diiclialais : M.M. de Vos;ûé, Schlumbcrger, Héron de Viilefosse, Babelon.
J'rix Gubert : MM. Meyer, Viollet, Thomas," Durrieu.
Prix Bordin : MM. Meyer, Schinmberger, Emile Picot, Prou.
/')(.v Fotild : MM. de Lasteyrie, Coliignon, Potiier, Durrieu; — plus MM. Bcrnicr
et Ciuill'rey membres de l'Académie des Beaux-.\rts.
Prix lîrunet : MM. de Lasteyrie, Emile Picot, Omont, Châtelain.
/';-;.v Stanislas Julien : M.M. Senart, Barth, Chavannes, Cordier.
Prix Dclalandc-Guérineaii : MM. A. Croiset, Bouché-Leclercq, Châtelain,
Haussoullier.
Léon Douez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rolxhon
Le Puy-cn-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 3 — 20 janvier — 1912
Harder, Chrestomathie arabe. — Klio, X. — Franchet, Céramique primilive. —
GouGAUD, Les chrétientés celtiques. — Lloyd, Histoire de Galles. — Mortet,
Textes sur l'histoire de l'architecture. — Herold, Le Tristan de Munich. —
BoppE, Les peintures du Bosphore. — Harmand, Madame de Genlis. — Sauzev,
De Munich à Vilna. — Bourelly, La guerre de 1870. — Fr. Masson, Au jour le
jour. — Danii.gwicz, Naoum Aronson. — Dimier, Les primitifs français. —
Focit.LON, Benvenuto Celiini. — A. Blum, Mantegna. — Ruskin, Le val d'Arno.
— L'architecture baroque en Italie. — Le meuble etia décoration en Angleterre.
— Rondet-Saint, L'Afrique équatoriale française. — Beaumont, Mes trois
grandes courses. — Schrader, L'année cartographique. — Cottin, Souvenirs de
Roustam. — Académie des inscriptions.
Harder, Chrestomathie arabe, édition française par R. Armez, Heidelberg.
J. Gross, iQii, viii-520 p. in-8°.
Une chrestomathie des prosateurs arabes est, à l'heure actuelle, un
des principaux desiderata de l'étude de cette langue. Il en est d'excel-
lentes, comme celles de Sacy et d'Arnold, même de Freytag, mais
elles sont épuisées depuis longtemps; celle de Brûnnow n'a pas
encore été réimprimée; celle de Wright a le défaut de ne pas être
accompagnée d'un glossaire indispensable ; elle remonte d'ailleurs à
plus de quarante ans; celle de Guirgas et Rosen a un dictionnaire,
mais il est en russe; celle du P. Cheikho, dans les Elementa gram-
maticce arabicœ de Durand et Cheïkho est suivie d'un glossaire, mais
latin; c'est trois dernières sont excellentes d'ailleurs pour le choix
des morceaux. Quant à celles auxquelles on a joint un dictionnaire
arabe-français, il vaut mieux n'en pas parler ; elles ne remplissent pas
le but proposé. La chrestomathie de M. Harder vient donc à propos.
Ce n'est pas que le choix des morceaux, pour l'arabe classique, ne
puisse soulever des objections. Consacrer 3g pages à Zamakhchari,
c'est beaucoup, alors que ni le Kitdb el Aghdni, ni le 'Iqd el Farid
d'Ibn 'Abd Rabbih, ni les Prairies d'or de Mas'oudi, ni les Séances
de Hamadani ou de Hariri ne figurent sur la liste des extraits. Il
aurait mieux valu, si le nombre des pages était limité (les textes en
occupent 363) leur sacrifier le supplément consacré à quelques
maigres extraits tirés du Delectus de Nœldeke. La poésie arabe
mérite mieux que cette portion congrue et un volume spécial, con-
Nouvelle série LXXIII 'i
^2 * REVUE CRITIQUE
sacré, non pas seulement à la poésie ancienne, ne serait pas de trop.
Ce qui donne de l'imporiancc à ce recueil, c'est la part faite à
l'arabe moderne : je ne parle pas des extraits du roman contemporain
de Djirdjis ZeidAn et de son compendium de la géographie de
i'Kgyptc ; ils pourraient être supprimés sans inconvénients et leur
place mieux occupée. Mais la langue moderne, et c'est utile, y est
largement représentée par des extraits d'articles politiques, de variétés,
de télégrammes, de chronique locale, de Bulletins de Bourse et
d'annonces de journaux. A ce titre, la- chrestomathie de M. Harden
prendra place à côté de l'ouvrage de Washington-Serruys [L'arabe
moJernc, Beyrouth, 1897). Remarquons toutefois que ni l'Algérie,
ni la Tunisie n'y sont représentées.
Le lexique m'a paru complet dans les passages que j'ai vérifiés ;
d'ailleurs, ce n'est qu'à l'usage qu'on peut juger d'un dictionnaire.
Cet ouvrage rendra donc de grands services et on ne peut que le
recommander '.
René Basset.
Klio, Beitraege zur alten Geschichte, t. X. Leipzig, Weicher (Dictcrich'i, 1910;
5 16 p.
Les articles contenus dans le tome X de Klio sont de sujets très
variés. Ceux qui se rapportent à l'histoire romaine sont assez nom-
breux : Varese {Ntiovi contributi alla crojiologia délia prima guerra
pnnica, fasc. i) discute, contre Leuze et Luterbacher, quelques dates
delà première guerre punique; Groebe [Zum Seeràiiberkriege des
Pompeius Magnus {6j v. Chr.), 3), après avoir examiné les disposi-
tions de la loi Gabinia, qui donnait à Pompée le haut commandement
dans la guerre des pirates, essaie de préciser la personnalité de ses
lieutenants [legati pro prœtore)^ ainsi que la mission qui fut confiée à
chacun d'eux dans le plan général de Pompée; K. Lehmann conti-
nue ses recherches sur l'histoire des Barcides par une étude très
fouillée sur le plan d'Hasdrubal dans la campagne du Métaure {Zur
Geschichte der Barkiden. II Hasdriibals Marsch\iel im Metaurus-
feld\uge^ 3) : le chef carthaginois s'avança jusqu'à l'embouchure du
fleuve pour tromper l'ennemi sur ses intentions et l'attirer dans l'est
des Apennins, dans le but de se dérober ensuite, de franchir rapide-
ment la chaîne, et de rejoindre ainsi son frère à proximité de Rome.
Ce plan ne réussit pas parce qu'Hannibal ne put en être informé, et
à cause du peu de discipline des auxiliaires gaulois, qui fut un obs-
tacle à l'exécution rapide de cette manoeuvre aussi difficile que hardie.
Eckhardt poursuit et termine son intéressante dissertation sur les
1. P. IV, lire Baidawi et non Bedawi; Maïdâni et non Midani; la Légende des
sept Dormants et non des sept Dormeurs. La forme Scliudscha' ne représente pas
le français Cliodja.
d'histoire et de littérature 43
campngncs de Luculliis en Arménie {Die armenischen Feld\ûge des
Lukiillus, II Cl III^ tasc. i et 2); il étudie les préparatifs de la guerre,
la marche en avant jusqu'au Tigre, "^t montre combien Tigrane était
peu préparé contre une attaque des Romains ; le blocus de Tigrano-
certe et la bataille qui s'ensuivit font l'objet d'un second chapitre, où
sont combattues les conclusions de plusieurs savants sur le champ de
bataille et sur la marche de l'action, notamment celles de Sachau.
Eckhardt expose très bien ensuite comment LucuUus, au moment où
Miihridate rassemblait une nouvelle armée, se trouva aux prises avec
de graves difficultés, tant à cause du mauvais vouloir de Rome que
par suite des mutineries qui se produisirent dans ses propres troupes.
Il termine par un historique des combats livrés, et par une étude
topographique sur les marches de Lucullus et les lieux des engage-
ments. Les deux articles de Leuze et de Bang sont, en tout ou en
partie, consacrés à des questions de sources : le premier [Die Kàmpfe
iim Sardinien iind Korsika im ersien punischen Krieg {25g iind 2^8
vor Clir.), 4) fait l'histoire des opérations en Sardaigne et en Corse
pendant la première guerre punique ; il dégage la suite chronolo-
gique des événements, examine en détail les renseignements fournis
par Polybe, et recherche de quelles sources aujourd'hui perdues
(Fabius, Philinus) découlent les récits des historiens grecs et latins ;
le second [Marins in Minturna% 2] distingue trois traditions diffé-
rentes de l'épisode de Marins à Minturnes, représentées l'une par
Cicéron, qui ne connaît pas l'anecdote du soldat cimbre, l'autre par
Appien (remontant probablement à Posidonios), où cette anecdote est
rapportée sèchement, la troisième par Tite-Live, qui a dramatisé le
fait et l'a enrichi de détails pathétiques; Plutarque représente une
fusion de ces deux dernières traditions. L'histoire grecque fait le
sujet de deux articles : le colonel Janke [Die Schlacht bei Issus, 2)
défend l'opinion qu'il a exposée sur la bataillé d'Issus dans son livre
Auf Alexanders des Grossen Pfaden (1904), rectifie quelques points
de détail, et discute à nouveau la question du fleuve Pinaros, qu'il
identifie avec le Dell Tchaï. Perdrizet [Scaptésylé^ i) retrace l'his-
toire des mines d'or de Skaptésylé et des conflits auxquels ce « pla-
cer » donna lieu, et montre qu'on s'est exagéré le nombre des placers
du district pangéen ainsi que la durée de leur exploitation ; article des
plus intéressants, où toutefois l'auteur interprète inexactement le
mot n-y/y% dans le texte d'Hérodote, VI, 46. Les Thasiens, dit l'histo-
rien, tiraient annuellement de Skaptésylé 80 talents, et des mines de
Thasos même ÈXaTuio [jt'sv to-jtwv, uuyvà Ss oO-w wa-e 10 ÈiiÎTrxv.., 7rooj//.î...
o'.r,/.Ô7'.7 x-jjri'i-.'j.. Il est impossible de traduire ici cruyvâ par « fréquem-
ment « ; la phrase grecque ne peut avoir, grammaticalement, d'autre
sens que celui-ci : « des revenus inférieurs, il est vrai, à 80 talents,
mais assez abondants pour que, tout compris, revenus de Skaptésylé,
de l'ile même et de ses comptoirs de la Péréc, le total atteigne 200 ta-
^^ REVUE CRITIQUE
lents. Au domaine cpii;rapliii]uc appariicnncni un article de Calder
.1 Journcy roiiiui Ihc Pro:;eilcmmctJC, 2) et deux de S'voboda {Stu-
Jiin -ur Vcrjassuug lioioticns, 3' ci Zttr Geschichte von Aliarnanien,
4) ; Calder publie lO inscriptions, la plupart inédites, qu'il a relevées
dans un vovage en Lycaonie pendant Télé de 1908 ; Swoboda, d'une
part, étudie rorganisation et les attributions du conseil fédéral des
Béotiens, et revient sur la question d'un changement dans les institu-
tions des villes béotiennes après 146; tout en admettant toujours que
ce changement eut lieu, il ne considère plus comme probants les
décrets d'Akr<Tphia sur lcs;.]ucls il s'appuyait dans son ouvrage Die
f^ricchischen Volksbeschliisse; d'autre part il commente l'inscription
de Thermon relative à un traité d'alliance entre les Etoliens et les
Acarnaniens, qu'il date des années qui suivirent la mort de Pyrrhus
• (272). L'organisation de l'Egypte sous les Ptolémées est l'objet d'un
travail deW. Schubart; il constate qu'à côté des lois et ordonnances
royales, vôfiot, o'.aYpâ,u|i.a-x, 7:po<T-âYîJi.axa, en existaient d'autres, -oÀ'.-u'.y.o;
vôjjLO'., àoTixo'. vôao; et ^r^'s'.'sii.Tzy., qui s'en différenciaient nettement. Ces
traces d'autonomie sont recherchées dans l'organisation de plusieurs
communautés politiques grecques ou étrangères ; mais cette autono-
mie s'affaiblit de plus en plus, et c'est surtout sous les premiers Pto-
lémées qu'il faut la chcrchev [Spiiren poîitischer Autonomie in Aegyp-
ten iinter den Ptolemàern, i). Avec l'article de Kahrstedt nous
sommes dans la numismatique [Fi'auen aiif antiken Miin^en, 3). Les
figures de femmes commencent à paraître sur les monnaies antiques
à la fin du iv^ siècle; K. en donne un catalogue : Ptolémées, Séleu-
cides, autres états grecs, Rome, où la première représentation est
celle de Fulvie, femme d'Antoine. La liste s'étend jusqu'à la fin du
v<: siècle après J.-C, et se termine avec Ariadne, femme de l'empe-
reur Zenon. Macchioro essaie d'attribuer leur place à un certain
nombre de fragments de Dion Cassius, à l'aide de comparaisons avec
des passages d'autres historiens, particulièrement de Tite-Live {Di
alciini frammenti di Cassio Dione, 3) et Lehmann-Haupt continue
ses recherches, commencées dans le tome VIII, sur la chronologie
des dynasties babyloniennes [Berossos' Chronologie und die keilin-
sclu iftlichen Neufunde IX, X, fasc. 4). Quelques études sont d'un
genre plus spécial. La cavalerie antique pouvait-elle, par exemple par
des attaques de flanc, arrêter la grosse infanterie? C'est ce que dis-
cute, pour prouver l'affirmative, H. Delbruck, à l'aide de considéra-
tions sur plusieurs combats, notamment la bataille de Sardes, en BgS,
entre les troupes d'Agésilas et l'armée perse [Antike Kavallerie, 3) ;
un article de Steinwender [Der Gefechtsabstand der Manipulare, 4)
contient des recherches techniques sur la distance des rangs et des
files dans la formation de combat des manipules; Dessau propose
une explication de la date choisie pour la célébration des fêtes sécu-
laires d'Auguste en 17 avant J.-G. [Der Mond und die Sakularfeier
d'histoire et de littérature 45
des Augiistiis, 3); c'est parce qu'à cette date (i, 2, 3 Juin) le ciel était
éclairé par la pleine lune ; Lehmann-Haupt présente quelques obser-
vations, à propos d'un ancien poids perse de Saint-Pétersbourg, sur le
rapport dé l'or h. l'argent {Zum Wcrtverhàltnis von Gold iind Silber,
2); et Johanna Nisiler [Vettius Agoriiis Prœtextatus, 4* reirace la
carrière d'un haut personnage romain, qui vivait sous l'empereur
Julien et ses successeurs, et qui reniplit d'importantes fonctions. On
remarquera, dans les Mitteilitngcn und Nachrichten (fasc. 4), d'inté-
ressantes observations de R. Adam sur l'ordre de bataille des Grecs à
Salamine [Die Aufstellung der griechischen Flotte l'or der Schlacht
bei Salamis'.
M Y.
L. Franchet, Céramique primitive; introduction à l'étude de la technologie. Un
vol. in-8", p. 1-160, tig. 1-26. Paris, Geuthner, 191 1.
F. est, comme l'on sait, à la fois spécialiste et chef de fabrique et
le présent volume résume les leçons qu'il a professées à l'Ecole
d'anthropologie en 191 1. Si Ton considère que, depuis le traité clas-
sique de Brongniart (1844), aucun technicien n'avait étudié le sujet,
on ne saurait trop être reconnaissant à l'auteur de nous mettre au
courant des progrès que la science a pu faire en trois quarts de siècle.
D'autant que F. écrit très simplement et d'une manière accessible aux
profanes. Les cinq chapitres de son livre traitent successivement des
argiles et des flammes (p. i-23), des pâtes céramiques (p. 24-48), du
tour (p. 49-82, des colorations et des glaçures (p. 83-ii6), enfin de
la cuisson et des classifications diverses (p. iij-iSô). Sur tous ces
points, F. apprendra bien des choses aux archéologues. P. 10, la
plasticité de l'argile et les lamelles micacées. P. 14, toutes les poteries
primitives auraient subi une cuisson plus ou moins prolongée, même
à l'époque néolithique. P. 20, pouvoirs oxydant et réducteur de la
flamme, qui expliquent la coloration de l'argile et les coups de feu.
P. 27, les Anciens employaient des matières imparfaites et ne mélan-
geaient pas à dessein des impuretés. P. 41-2, la pâte de silice chez les
Égyptiens : son avantage et ses inconvénients; si elle est difficile à
inodeler, en revanche elle est un support tout trouvé pour des glaçures
alcalines, d'un ton vif et très chaud [cï. p. 74). P. bj , la forme en
calice est la plus naturelle pour l'ouvrier tourneur. P. 76, les incrus-
tations diverses. P. 79-81, définition exacte des engobes, des glaçures,
des vernis, des émaux, des couvertes et des lustres, tous termes que
nous confondons trop souvent en archéologie. P, 86, les poteries
« charbonneuses ». P. 101, F. dit justement que la pâte vitrifiée des
Égyptiens est un véritable grès. P. 108, le noir grec serait à base de
magnétite ; la cuisson devait d'ailleurs être rapide dans les fours
helléniques et durer tout au plus de 4 à 6 heures (p. i 3o).
4f>
RKVirE CRITIQUE
Je crois savoir que l'aiik'iir prépare un grand ouvrage sur les. pro-
cédés des pr)tiers primitifs. Nous devons souhaiter que, lorsqu'il
l'écrira, F. veuille bien s'astreindre à une composition plus sévère
cl qu'il s'assure la collaboration d'un archéologue de métier, qui con-
naisse aussi bien la céramique néolithique que celle de l'âge du
bron/A- et de la période classique. Je doute, à dire vrai, qu'il en
existe un.
A. de RinDF.R.
Louis GoroAUD, Les chrétientés celtiques, l^aris, Lccoffrc, 191 1, in-12,
xxxv-4u> p. et 3 cartes.
Sur le christianisme dans les pays qui jusqu'à nos jours sont restés
celtiques, il n'y avait, jusqu'à l'apparition de ce livre, aucune autre
étude d'ensemble que celle qui fut publiée en 1901 par H. Zimmer
dans la Realencj-clopacdie fur protestantische Théologie iind Kirche
de Herzog et Plitt, t. X, p. 204-243, et qui a été traduite en anglais
en 1903 par M"*" Antonia Meyer. M. Louis Gougaud, connu déjà par
d'importants travaux de détail sur les institutions et la littérature
chrétiennes des Celtes, nous donne, au lieu d'un article de revue ou
d'encyclopédie nécessairement incomplet en sa concision, un excel-
lent manuel où il s'est efforcé de concilier la science et la vulgarisa-
tion scientifique.
La bibliographie est abondante et classée systématiquement. En
tête de l'ouvrage sont signalés les livres et les publications de textes
relatifs au sujet, répartis entre quatre périodes : le xv!*" et xvii« siècles,
lexviii* siècle, 1 800-1 853 (date de l'apparition delà Grammatica Cel-
tica), 1853-191 I ; en tête de chaque chapitre ou en notes au bas des
pages, d'après leur importance, sont mentionnés les articles de revues.
Cette bibliographie est critique et met en garde, à l'occasion, le lec-
teur contre les défauts de certains livres. Un index complet des
noms propres permet de trouver sans peine les détails.
L'utilité de ce livre se mesure aux services qu'il rendra à tous ceux
qui auront besoin de renseignements sur le christianisme dans les
pays celtiques. Après une rapide revue des croyances et de l'organi-
sation des Celtes païens, l'auteur expose successivement les origines
du christianisme dans les Iles-Britanniques, l'épanouissement du
christianisme et le monachisme, l'émigration en Armorique et les
expansions irlandaises; puis il étudie les controverses disciplinaires,
le clergé et les institutions ecclésiastiques, la culture intellectuelle et
les doctrines théologiques, la liturgie et la dévotion privée, les arts
chrétiens ; enfin il termine en montrant l'atténuation graduelle du par-
ticularisme celtique par les réformes ecclésiastiques des x'^-xii'"- siècles. •
De ce livre, qui touche à tant Me questions diverses, le critique ne
peut guère juger que la méthode. Dans les problèmes qui ne sont pas
d'histoire et de littérature 47
encore dcHniiivcment résolus, M. Gougaud expose le plus objeciive-
ment possible les opinions émises par les savants compétents; puis il
tâche de concilier ces opinions ou marque sa préférence pour l'une
d'elle. Il n'apparaît pas qu'il ait eu dans quelque cas une théorie pré-
conçue, et les idées nouvelles qu'il expose çà et là sont déduites sans
effort du fond même des choses. C'est un modèle achevé de manuel
scientifique où l'auteur ne se contente pas d'être un catalogueur, mais
où il est, quand il le faut, un guide.
Sur les questions que je connais plus particulièrement, je puis pré-
senter à l'auteur quelques menues remarques. Les mots irlandais sont
en général correctement transcrits ; quelques formes seraient à recti-
fier : le glossaire des Ancient laws of Ireland porte ail adartha et non
lia adrada (p. 12;. L'idole de Mag Slecht s'appelle, dans le Dinn Sen-
chus, Crom Cruaich et non Cronn Cruach (p. 17) ; dans la Vie tri-
partite : Cenn Ct^uaich. Le mot druidechta cité p, 24 est au génitif; il
en résulte que les guillemets devraient être ouverts avant « de drui-
disme ». Erdattre (p. 26) est une faute d'impression pour erdathe, de
même que Patrice (p. 40 pour Patrice. Pour Mac in Tsair^ l'ortho-
graphe usuelle est mac in t-Sair (p. "b). Les « trois cinquantaines »
sont en irlandais tri côecait (p. 97). P. i 14 il faut lire Kopvao'jîo-.. Au
chapitre VIII je n'ai pas trouvé cité VAi's Malsachani qu'a édité avec
tant de soin M. Roger en igoS. La note 4 de la page 9 se réfère à des
textes de Strabon et de S. Jérôme qui n'ont pas été cités. P. xx il faut
lire Whitley, et p. 24, 25, 26 : Marillier.
G. Dottin.
J. E. Lloyd, a history of Wales from the earliest times to the Edwardian
conquest. Longnaans,= Green and Co., 191 1, 2 vol. in-S" de xxiv-816 p.
L'histoire ancienne du Pays de Galles, fondée sur les documents
archéologiques, sur les témoignages des écrivains latins et grecs et
sur des ouvrages comme ceux de Gildas, de Bède, et les Annales
Cambriae et les lois galloises laisse à l'écrivain un vaste champ de
conjectures. M. John Edward Lloyd, professeur d'histoire au collège
de Bangor, a entrepris de distinguer ce qui est connu et établi de ce
qui reste encore à étudier et il nous expose en deux volumes l'his-
toire de la principauté jusqu'à la ruine de l'indépendance, en 1282. Il
utilise surtout les nombreux livres et articles de revues publiés en
Grande-Bretagne et fait de plus rares emprunts aux ouvrages des
savants du continent; une bibliographie générale en tête du premier
volume, des bibliographies particulières en tête de chaque chapitre et
de chaque section, des notes au bas des pages témoignent de la soi-
gneuse documentation de l'auteur. Les divisions sont en partie chro-
nologiques, en partie logiques ; les questions principales sont grou-
pées de manière à constituer des ensembles qui se détachent de la nar'
^8 RKVUE CRITIQUE
ration des faits historiques. La méthode historique est de tout point
louable. Peut-(?tre est-il permis de regretter que l'auteur ne fasse pas
une part sutlisante à l'histoire littéraire, si originale, des Gallois et
ne lire pas de celte liiiéraiure tous les renseignements qu'elle pourrait
fournir pour l'histoire des idées et des institutions. On regrette aussi
que la géographie physique n'occupe presque aucune place dans un
ouvrage dont un chapitre f VI H) est réservé à la géographie historique,
Cl que les questions relatives à la langue galloise ne soient pas traitées
spécialement. A peine trouve-t-on, p. i6, quelques remarques sur
roriginalité de la syntaxe celtique que l'auteur, non sans témérité,
d'après M. Morris Jones, explique par l'usage d'un dialecte berbère
en Galles avant l'arrivée des Celtes.
G. DOTTIN.
N'ictor MoBTET. Recueil de textes relatifs à l'histoire de l'architecture et à
la condition des architectes en France au moyen-âge. XI% XII* siècles.
[Collection de textes pour seri'ii- à l'étude et à renseignement de l'Histoi}-e, fasc.
44). Picard, 191 i, in-S", lxv-5i4 p.
En constituant un recueil de textes relatifs à l'histoire de Tarchi-
tecture française aux xi« et xii'' siècles, M. Victor Mortet a rendu
service aux historiens et aux archéologues. Non que les documents
qu'il nous donne soient inédits — ils le sont très rarement — mais
parce que plusieurs d'entre eux, mal publiés, méritaient une édition
critique, et surtout parce qu'ils étaient tous restés dispersés jusqu'à ce
jour. Or, c'est déjà les éclairer que les rapprocher les uns des autres.
Renonçant aux vastes entreprises de ses devanciers dont quelques-
uns prétendaient embrasser dans leurs publications tout l'art médié-
val d'Occident ', M. M. a limité chronologiquement et géographique-
mentses recherches. Plus précises et mieux cotiduites, celles-ci attei-
gnent entièrement leur but : des textes patiemment réunis de très inté-
ressantes conclusions se dégagent.
Ces conclusions on les trouve exposées à la fin d'une excellente
préface où l'auteur, après avoir défini l'objet et le plan de son recueil
analyse le caractère et la nature des sources qu'il a utilisées.
« Le témoignage des textes s'ajoute à celui des monuments et des
vestiges matériels du passé pour faire voir que le xi« siècle offrit en
France le spectacle d'un très grand mouvement de construction et de
reconstruction d'églises et de monastères, de donjons et de châ-
teaux ' ». Telle est une des conclusions de M. Mortet. Cette concor-
dance, dans les grandes lignes, du témoignage des textes avec celui des
monuments valait d'être signalée. Elle se retrouve à d'autres époques.
1. Tels le « Quellenbuch zur Kunstgeschichte des abendlandischen Mittela-
ters » de J. von Schlosser.
2. P. XXXI.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 49
Mais c'est aux textes seuls que l'on doit de pouvoir marquer, comme
Va fait M. M., la substitution pro£;ressive à cette époque de l'usage
de la pierre à celui du bois dans les constructions, substitution sur
laquelle l'auteur a insisté avec raison car c'est un des résultats les plus
neufs de son livre que d'avoir mis en lumière, combien furent tardifs
les débuts de ce « nouvel âge de la pierre ' ».
Précieux pour l'histoire de l'architecture monastique, publique " et
militaire, le recueil de M. M. l'est aussi en ce qui concerne la condi-
tion des architectes. Il nous donne des noms inconnus, il nous mon-
tre surtout l'état d'architecte, de maître d'œuvre se constituant peu à
peu ; il nous fait assister enfin au développement dans les villes pen-
dant la seconde moitié du xii'^ siècle de groupements d'artisans, maçons
ou charpentiers, qui commencent à s'affranchir. Nul doute qu'il ne
faille voir là l'origine de ces métiers corporatifs qui atteindront leur
plein épanouissement au siècle suivant.
On voit par ces seuls exemples, choisis entre plusieurs, le parti que
M. M. a su tirer des documents qu'il publiait. Et s'il a si bien su les
interpréter c'est qu'il les a analysés et étudiés un à un.
Ce soin apparaît dans tout le recueil. Le texte de chaque pièce,
très soigneusement établi, est précédé d'une substantielle analyse et
acconipagné de l'indication des éditions, parfois aussi de celle des
originaux ei des copies. Au bas des pages, les notes abondent : réfé-
rences bibliographiques, identifications de noms de lieux et de per-
sonnes, rapprochements et explications archéologiques.
Ces dernières sont toujours intéressantes, car M. M. se rend conipte
de la portée particulière de chaque texte comme de sa portée générale ;
il note avec une égale précision ce qu'il nous apprend sur l'histoire
de tel édifice et sur Thistoire de l'architecture en général.
L'auteur a adopté comme cadre de classement l'ordre chrono-
logique; c'était le seul qui convint à un recueil de ce genre. Mais il
offre des inconvénients. Une table alphabétique des noms de lieux et
de personnes, et un répertoire archéologique '' y remédient en per-
mettant la consultation méthodique de l'ouvrage. Ajoutons qu'un
glossaire explique et groupe à la fin du volume un grand nombre de
termes techniques '*.
1. P. xxxiir. — Dans l'architecture militaire les constructions de bois ^ont encore
employées au xiv'= siècle de manière beaucoup plus constante qu'on ne le croit
généralement.
2. Ici encore l'auteur a bien montré le parti que l'on peut tirer des textes. Ainsi
il nous a montré grâce à eux l'accroissement dans les villes de la surface bâtie
au xn'= siècle.
3. A signaler quelques renvois inutiles; tels celui-ci : « Mosaïque : voir Pave-
ijients »; et « Pavements. V. Mosaïque », etc.
4. Tous ceux qui figurent dans les textes ne s'y rencontrent malheureusement
pas.
5() REVUK CRITIQUE
On le voii hi iniblicaiioii de M. M. peut être donnée en exemple à
tDUS les éditeurs de textes archéologiques, (^est un excellent instru-
ment de travail mis à la disposition des étudiants et des érudiis ; c'est
aussi une source de premier ordre pour celui qui, le premier, tentera
d'écrire une histoire de notre architecture française au moyen âge.
Puisse-t-i! joindre, comme l'auteur du présent recueil, aux connais-
sances archéologiques vastes et précises, indispensables en la matière,
la pénétration et le sens historique qui permettent seuls d'interpréter
de façon vivante les textes et les monuments.
Robert Michel.
Der Miinchener Tristan. Ein Beitrag- zur Ueberlieferun^sgeschichte uud Kritik
des Tristan Gottfricds von D"" Kurt Herold (Quellen und Forschungcn, 114.
Hcft'». Strasbourg, Trûbner, 191 1. In-S», go pp. 3 m.
11 est rare qu'une étude de manuscrit conduise aux beaux résultats
que vient d'obtenir M. Herold, On savait que le manuscrit de
Munich (Afj du Tristan de Gottfried de Strasbourg était ancien et
révélait un caractère original. Massmànn, von der Hagen et le
regretté Marold avaient reconnu quele copiste-rédacteur de ce manus-
crit s'était attaché à énerver le texte de Gottfried. Mais pourquoi cet
effort si soutenu en vue d'atténuer la vigueur poétique du Tristan^
qui tire sa plus grande beauté précisément de l'éclat de son style?
A cette question M. H. répond : l'auteur de M, lecteur assidu de
Hartmann d'Aue, travaillant peut-être pour des admirateurs de l'auteur
(ïlwein, a « hartmannisé» son texte. A la diction neuve, chatoyante,
lyrique, parfois compliquée à l'excès du poète strasbourgeois il a
substitué la forme plus commune, plus simple, plus claire, plus
narrative du bon Hartmann. Il a été plus loin. Il a supprimé ou
résumé d'assez nombreux et longs passages où Gottfried — soit qu'il
suivît son modèle, soit de sa propre inspiration — a développé une
pensée morale, répété une idée en la variant, appuyé sur une situa- .
tion, fait un sort aux personnages secondaires, essayé des descriptions
des costumes. J'avoue que pour ce qui est du chapitre des suppressions,
je suis moins convaincu que M. H. Il peut se faire que ce ne soit pas ■
l'influence de Hartmann, mais un désir de sacrifier la psychologie et f
la description à la narration pure qui a déterminé les abréviations \
de M. Le moine qui traduisit le Tristan français en Scandinave a pris \
exactement les mêmes libertés avec son texte, comme j'ai essayé de le
faire voir. 11 peut s'agir ici simplement d'une méthode de traduc-
tion. En revanche, il semble impossible qu'on n'admette pas l'expli-
cation que propose M. H. à l'égard des altérations du texte. Tous les
faitsqui étayentsa thèse sont d'une évidence à laquelle nul scepticisme
ne peut résister. *
Non seulement M. H. a rendu raison d'un fait jusqu'ici incxpli-
d'histoire et de littérature 5i
que, mais il a réhabilité le ms. M. Il a montré, que, hors les cas
d'aliératioii volontaire et en quelque sorte méthodique, ce codex a
une grande valeur pour rétablissement du texte gottfriedien. Quelques
passages,' étudiés en appendice, rendent cette opinion probable.
Nous devons de la reconnaissance à M. H. pour ce travail si neuf
et solide ; nous en devons aussi à M. Schultz, qui l'a inspiré.
F. Piquet.
A. BoppE,Les peintres du Bosphore, Paris, Hachette, 191 1. In-S", vu et 23i p.
3 fr. 3o.
On n'ignore plus que nos peintres et dessinateurs du xviii'' siècle
eurent pour les hommes et les choses du Levant un goût très vif, que
Constantinople exerça sur eux sa séduction, et qu'ils s'attachaient à
reproduire et le Bosphore et ses personnages enturbannés. C'est aux
« turqueries » de ce temps-là que M. Boppe consacre son volume, et
il a singulièrement réussi à faire revivre les artistes d'alors dans la
société où ils travaillaient et dans la nature qu'ils aimaient. Il nous
présente Jean-Baptiste Van Mour, le véritable inspirateur, dit-il, des
artistes de France et d'Allemagne qui ont modelé tant de charmants
petits Turcs de porcelaine; le chevalier de Malte Antoine de Favray
qui sut rendre le riche et éclatant costume des belles Levantines ;
Hilaire, le plus fidèle observateur du geste et de l'attitude des Orien-
taux ; Melling, qui connut le mieux le Bosphore et ses eaux chan-
geantes et ses doux paysages, si doux et si calmes qu'on croirait en
regardant certains dessins de ce Melling, « entendre le clapotis si
familier à ceux qui ont vécu à Thérapia » (p. 176). Ce livre charmant,
plein de la lumière et de la couleur de là-bas, fait honneur et au goût
et au savoir de M. Boppe, et il se termine par un essai de catalogue
qui achève de faire du volume une précieuse contribution à l'histoire
de l'an du xviii" siècle.
A. Ch.
Jean Harmand, Madame de Genlis, sa vie intime et politique, 1746-1830, d'après
des documents inédits. Préface d'Emile Faguet. Paris, Perrin, 1912. In-8% xii
et 557 p. 5 fr.
Voilà un volume attachant et qui mérite d'être lu et consulté.
Certes, il offre des défauts. Il est un peu long et on ne peut arriver au
bout sans fatigue. La seconde partie, consacrée à l'Empire et à la Res-
tauration, traîne, languit. On dirait qu'à ce moment, l'auteur com-
mence à se lasser. C'est surtout dans cette Hn délivre qu'il aurait fallu
réduire et retrancher.
Autre défaut. Tout en reconnaissant que M. Harmand a, dans sa
conclusion, donné une très Judicieuse et utile « vue d'ensemble »,
5 2 REVUE CRITIQUE
non;, croyons qu'il n'analyse pas assez, au courant du récit, les
ouvrages do M"'" de Gcnlis. Lorsqu'il parle d'Adùlc et Théodore, il
n'entre pas sutHsamment dans le détail. De même, il passe trop rapi-
dement sur les Mémoires, sur ces réminiscences qui, comme disait
Sainte-Beuve, ne sont qu'une mystitication et qu'elle fausse presque
à son insu. Il v a dans ce livre, somme toute, trop de biographie et
pas assez de critique littéraire et historique, trop d'anecdotes et de
menus faits, et pas assez d'appréciation et de jugements.
En outre, il y a des erreurs. Elles étaient inévitables en un si gros
ouvrage et qui embrasse tant d'événements. Mais quelques-unes pou-
vaient être évitées. M. H. s'imagine que Dumouriez voulait établir sur
le tr(')ne le duc de Chartres (p. 3o6); que ses conférences avec Mack
à Ath durèrent quatre jours (idem); que Proli, Dubuisson et Pereira
(p. 3o7 et 3q8), envoyés au général par le club des jacobins, étaient
membres de la Convention et que ce furent eux que Dumouriez livra
aux Impériaux; que Bàle était depuis le 7 avril 179? réunie à la
France et incorporée au département du Mont-Terrible (p. 3i5);
qu'Altona, comme toute l'Europe, « révérait » Robespierre (p. 332);
que le roi de Prusse enfermait alors ses sujets dans la forteresse de
Landau, en Bavière (p. 36o) '.
Enfin, bien qu'il sache beaucoup, beaucoup de choses sur son
héroïne, certains témoignages importants lui ont échappé, et, par
exemple, il ignore une intéressante lettre de Napoléon disant à Laval-
lette qu'il a lu les notes de M°"= de Genlis sur les écoles primaires des
filles et désirant qu'elle fasse un plan général d'éducation pour les
petites filles du peuple, qu'elle lui développe en deux sections ce qu'on
fait à Paris pour l'éducation des femmes et ce que l'on pourrait faire.
Ce qui prouve que Napoléon profitait des avis et des idées de M"^^ (jg
Genlis.
Malgré ces taches, M. Harmand a fait un bon livre. Il apporte de
nouveaux détails sur les origines de M™*" de Genlis. Il étudie patiem-
ment sa vie, la suit à travers les méandres de son aventureuse car-
rière, trace les lignes essentielles de son histoire, et cela, personne ne
l'avait fait avant M. Harmand. Peut-être veut-il trop la réhabiliter, et
il la nomme à tort une Maintenon du xviii' siècle. Bien qu'elle ait été
un champion de morale et un « gouverneur» de princes, bien qu'elle
ait osé lutter contre les philosophes, nous ne pouvons oublier son
libertinage, nous ne pouvons oublier qu'elle mit, suivant une expres-
sion célèbre, les vices en actes et les vertus en préceptes, et d'ailleurs,
I. L'auteur ne sait-il pas que Landau était alors français? P. 220, « Barère et
Brissot. Celui-ci... celui-là »; c'est le contraire ; il fallait dire: « celui-là... celui-
ci... ». — Id., Mathieu de Montaxiron est sans doute Mathieu de Montmorency
et Alquié, Alquier. — P. 2.^5, lire dans la brochure citée « rétractez » et non
retardes;. — P. 3o8 et 3i?, Mack était alors colonel, et non général. — P. 333,
quel est ce Garât émigré à Altona?
d'histoire et de littérature 53
quel qu'ait été son talent, quelle que soit son élégance et sa facilité un
peu fade, il y a toujours en elle quelque chose de factice et, malgré le
tour romanesque et la curiosité de son esprit, malgré sa vive intelli-
gence et ses appels au sentiment, je ne sais quoi de froid et de sec.
Mais M. Harmand a très bien montré qu'elle fut une « femme de
gloire » ou plutôt de gloriole et qu'elle ne cessa pas, selon le mot de
Sainte-Beuve, de briguer avec fureur la célébrité ; sans la rendre plus
sympathique, il la fait mieux comprendre.
A. Chuquet.
Lieutenant-colonel Sauzev, De Munich à Vilna. A létat-major du corps bava-
rois de la grande armée en 1812, d'après les papiers du général d'Albignac
(9 gravures et 9 planches hors texte). Paris, Chapelot, igii. In-8°, xxiv et 237 p.
M. Sauzey a eu à sa disposition les papiers du général d'Albignac,
chef d'état-major de Gouvion Saint-Cyr qui commandait le corps
bavarois en 1 8 1 2, et il publie, en les commentant, les lettres adressées
alors à d'Albignac par les généraux et administrateurs de ce corps
bavarois. Il a bien fait. On voit dans ce volume tout bourré de pièces
fonctionner l'état-major et remuer les troupes. On suit, de Munich à
Vilna, le corps bavarois dans ses marches et cantonnements. On
rembarque la part importante que tient, comme toujours, la « question
de l'alimentation » : il ne s'agit le plus souvent dans cette correspon-
dance que de vivres et de ravitaillements. Aussi, que de réquisitions,
souvent brutales, et que de doléances, que de plaintes sur les « pro-
cédés déréglés » des Bavarois (p. 148) et quel découragement chez les
autorités civiles polonaises! Les ordonnateurs et commissaires des
guerres bavarois ' sont absolument au-dessous de leur tâche. La
maraude s'établit, et le pillage. On ne peut et on n'ose sévir. Pour-
tant, si les troupes vivent mal, elles ne meurent pas de faim, et leur
moral reste intact. Si les chevaux meurent — on les nourrit avec le
chaume des toits —, si chaque brigade n'a plus que l'effectif d'un
régiment, la cavalerie est si belle encore que Napoléon l'emmène, la
donne à Murât. M. Sauzey excusera quelques critiques. Comment
peut-il (p. xviii) regarder les Mémoires de ce gascon de Comeau comme
« les plus documentés, les plus philosophiques et les plus attachants
écrits » sur la Révolution et l'Empire ' ? Il a tort d'ailleurs de dire que
1. On envoya Pichot pour mettre l'ordre; mais sonj arrivée, comme dit spiri-
tuellement l'auteur, produisit l'etî'etd'un pavé au milieu d'une mare de grenouilles.
M. Sauzey écrit justement que Pichot était très intelligent et excellent. J'aurais
voulu qu'il nous dise un mot de ce Pichot : c'était le filS d'un notaire du Vaucluse,
il s'était distingué en 179g à l'armée d'Italie et il disparut pendant la retraite, entre
■Vilna et le Niémen.
2, 'Voir notre étude sur ces Mémoires de Comeau dans nos Episodes et Portraits,
2" série, p. 102-12.
5^ REVUE CRITIQUE
Saim-(-vr paiiicipa à la victoire do Hohenlinden p. xi et que Deroy
ciaii licutcnant-i^cncral dès i7')2. lia laissé passer une foule de fautes
d'impression (par exemple, p. 224 et 225 Jomcni et p. 216 qu'est-ce
qu'un i;énéral Gilaoumic': . Il reproduit, par deux fois, à huit pages
de distance, la mC'mc lettre, et une lettre très longue (p. 163-164 et
• 72-173): peut-être, a-t-il par instants, comme le corps bavarois, un
peu précipité sa marche.
Arthur Ghuquet.
(^.cnéral Bourkluy, La guerre de 1870-1871 et le traité de Francfort d'après
les derniers documents. Paris, Perrin, 1912, in-S" vu et 220 p. 2 tV. 5o.
Le récit du savant général est peut-être, en quelques endroits, par
trop sommaire. L'auteur a bien dit qu'il ne veut faire qu'un compen-
dium, et un compendium sérieux. Il a tort de raconter si brièvement
certains épisodes. Que dit-il de Froëschwiller ? : a Malgré l'admirable
ténacité de Mac-Mahon dans sa résistance aux assauts furieux d'un
ennemi trois fois plus nombreux, toutes ses positions furent empor-
tées » (p. II). Et c'est tout. De ci de là, de légères erreurs. Les débris
du !'■■■ corps ont rétrogradé sur Saverne non pas le lendemain, mais
le jour même {id). Le village pris par les Saxons le 18 août-est nommé
par deux fois Raiicoiirt au lieu de Roncourt (p. 27). Le personnage
équivoque dont on parle p. 87 se nommait réellement Régnier et ce
nom n'était pas un pseudonyme. N'y a-t-il pas trop de phrases inutiles
ou inexactes sur Bazaine? Le maréchal était-il si fin ? Peut-on dire
que « l'intrigue politique n'avait pour lui aucun ressort caché»?
(p. 43j. Peut-on dire qu'il est encore un sphinx pour nous et qu'il
faut faire dans ses actes la part de la trahison et celle de l'inconscience
et de l'incapacité? (p. 53). Le mot trahison n'est-il pas de trop? M. de
Freycinet a-t-il été nommé délégué à la guerre le 10 octobre et Gam-
betta est-il arrivé à Tours le 20 '? (p. 80). Bourbaki montrait-il dans
la campagne de l'Est une « bouillante ardeur » ? (p. i3o). Le livre
renferme d'ailleurs nombre d'appréciations justes, utiles, nettement
exprimées par un homme compétent. On remarquera surtout le chapi-
tre sur les causes de la défaite et la phrase mélancolique qui termine
ce chapitre : « L'armée française dispose aujourd'hui d'éléments
supérieurs à ceux qu'elle opposait à l'ennemi en 1870, même quand
elle ne comprenait que d'anciens soldats. L'immense labeur accompli
a fait germer des promesses d'avenir; mais hélas! la politique, à
chaque instant en conflit avec l'intérêt militaire, menace de les rendre
vaines! » Di omen avertant !
Arthur Ghuquet.
I. Comment Freycinet aurait-il été nommé avant l'arrivée de Gambetta r En réa-
lité, Gambetta part de Paris, en ballon, le 7, et il est le 9 à Tours; le 11, après
avoir voulu désigner d'abord soit Thoumas, soH Détroyat, il nomme Freycinet
son délégué à la Guerre.
d'histoire et de littérature 55
P'rédcric iMasson, Au jour le jour. Paris, Ollcndoriï, ifjri, in S", xxiii et l->6o p.
3 fr. 5o.
Nous n'avons pas à dire ici que M. Frédéric Masson, indépendant
et de caractère et de situation, témoigne dans celte nouvelle série d'ar-
ticles d'un grand talent de polémiste, d'une belle et sincère ardeur de
conviction, d'une entraînante vigueur, d'une mordante ironie (cf.
l'article Mon fils, fais toi bistro ! et les articles sur la fille Schuma-
cher), d'une généreuse indignation contre tout ce qui nuit à la patrie
— et n'a-t-il pas raison de nous dire qu'il faut à l'heure présente écou-
ter non les conseils d'une basse démagogie, mais la voix de l'histoire et
la conscience de nos propres ressources (p. 145) ? Nous ne devons citer
que les articles de ce recueil qui traitent de l'histoire du passé et,
encore, ne pouvons-nous les cnumérer tous. Mais nous nous permet-
tons de rappeler, outre l'article Napoléon marieur, les pages où
M. Masson nous montre Jean de Bry osant se rattacher aux Derby
d'Angleterre
car un lyran sommeille en tout tyrannicide,
celles où il évoque l'entrée de Napoléon 111 à Chambéry après le plé-
biscite, où il analyse les Mémoires du lieutenant Henckens, où il
décrit la misère des émigrés et les vengeances de leur retour, où il
retrace avec des détails inédits le rôle du colonel Camille dans la cons-
piration du retour de l'île d'Elbe, où il raconte de façon si neuve et
si attachante les Trois Glorieuses — et, de fait, ces trois derniers arti-
cles forment une ample étude sur les émigrés, comment ils sont rentrés
avec l'étranger, comment l'armée et le peuple les ont rejetés en 181 5,
comment ils ont vaincu de nouveau et comment Paris s'est en i83o
insurgé contre eux. Nous ferons toutefois une chicane à M. Masson.
Une comprend pas pourquoi Saint-Just, Robespierre, Carnot en vou-
laient à Hoche, et il semble dire que je n'ai pas compris davantage.
Qu'il lise notre volume Hoche et la lutte pour V Alsace où j'ai traité
ce point. Le Comité en voulait à Hoche 1° parce que Hoche s'était
laissé nommer par Lacoste et Baudot généralissime au détriment de
Pichcgru et en dépit de Saint-Just et de Le Bas, 2° parce que Hoche,
après la reconquête de l'Alsace, n'avait pas marché sur Trêves et pres-
suré le Palatinat '•
Arthur Chuquet.
C. de Danilowicz, Naoum Aronson sculpteur, i vol. grand in-4". Paris,
Fontemoing et C''-, 191 1.
Ce livre consacré à l'étude ou plutôt à la glorification d'un artiste
contemporain est bien le plus singulier exemple de la biographie à
ne pas imiter. Lorsque l'on a achevé de le lire, on connaît les doc-
trines esthétiques de l'auieur Cl l'on entrevoit mêmes quelques idées
•
I. Lire p. 262 Limon et non LivvoUy p. 3i2-]>'i3 Lessard et non Dclessart.
5(3 RKVUK CRITIQUE
iic rariisio, mais on n'a rencontre aucun lait positit", Je parle des plus
élémentaires. En e]uel pays, à quelle date Naoum Aronson est-il né,
dans quel milieu a-til j;randi, sa vocation a-t-elle été précoce, par
quoi a-t-elle été déterminée, de quels maîtres l'artiste a-t-il reçu des
leçons, a-t-il voyagé et en quels pays, autant de points sur lesquels
nous en sommes réduits aux conjectures. Ai-je besoin d'ajouter que
l'on nous laisse ignorer-toialement la chronologie des œuvres et que
l'ouvrage ne comporte ni un catalogue, ni une bibliographie, ni
même une simple table des matières ou des gravures?
Ainsi, à supposer que la notoriété de Naoum Aronson ne soit pas
éphémère, ceux qui, dans un demi-siècle d'ici, auront recours au
livre de M. D. n'y trouveront aucun des renseignements qu'il sera
devenu alors presque impossible de réunir et qu'il eût été facile à
l'auteur de recueillir en une conversation de deux heures.
Naoum Aronson, au surplus, méritait un hommage plus précis.
S'il est difficile de voir en lui, comme le fait M. D., un esprit excep-
tionnel et un novateur, il faut lui reconnaître des qualités de premier
ordre, une capacité extraordinaire de réception. Il s'est inspiré des
maîtres les plus divers, mais il a surtout une sympathie pour les
créateurs les plus hardis et c'est Rodin qu'il a surtout admiré; il est
vrai que parfois il semble songer à M. Puech.
Au point de vue de l'exécution matérielle, ce livre ne mérite que
des éloges, si l'on considère l'usage du papier couché co.mme une
nécessité inéluctable. Les photoiypies hors texte, les fac-similé de
dessins sont irréprochables.
Léon ROSENTHAL.
L. DiMiER, Les Primitifs français; H. Focillon, Benvenuto Cellini: A. BluxM,
Mantegna; 3 vol. in-S", coll. des •< Grands Artistes »: Paris, H. Laurens
(2 fr. 5o; . — RusKiN, Le Val d'Arno, trad. de E. Cammaeris, i vol. in-S», av.
planches: Paris, H. Laurens 6 fr.j, — L'Architecture baroque en Italie,
I vol. pet. in-4°, de 3i3 planches. Paris, Hachette (cartonné), 25 fr.). — Le
Meuble et la Décoration en Angleterre, de 1680 à 1800, i vol. pet. in-4», de
201 planches. Paris, Hachette (cart. 23 fr).
Peu d'expositions rétrospectives ont eu plus d'éclat et éveillé plus
de curiosités que celle des Pi'imitifs français, à Paris, en 1904.
Quelques articles l'avaient précédée, une foule d'autres, ei des livres
entiers la suivirent. Des théories s'échafaudèrent en s'abritant d'elle,
en se servant d'elle pour mieux dire, et en concluant à l'existence
d'une école française primitive, continue, autonome, comparable à
celles de France et d'Italie. Des esprits moins passionnés aperçurent
vite l'erreur, les contradictions, l'inconsistance des œuvres entre elles,
la nécessité de l'établissement d'un ordre chronologique, qui, à lui
seul, démontre l'irrégularité et l'absence de traditions de cette pro-
duction française, faite en partie d'influences flamandes puis ita-
d'histoire et de littérature 57
liennes. M. Louis Dimier s'était appliqué, dès 1904, à étudier sur
nouveaux frais et d'un œil moins prévenu la question : ce volume,
qu'accompagnent 24 planches, et qui débute au règne de Philippe le
Bel pour tinir à celui de Louis XII, résume d'une façon particulière-
ment claire toutes les recherches auxquelles il s'est livré.
— Les arts décoratifs n'étaient pas encore représentés dans la col-
lection des « Grands Artistes ». Benvenuto Cellini manquait. On sait
pourtant quelle vie attrayante ses propres mémoires permettent de
retracer. Il fallait en conserver toute la saveur, et même, par la cri-
tique des œuvres, en mettre en relief la fougueuse originalité.
M. Henri Focillon s'en est acquitté avec succès. Il a d'ailleurs fait
revivre autour du somptueux sculpteur-orfèvre tout ce milieu d'ar-
tistes évocateurs qui fleurit au xiv« siècle italien, puis au xv^ : Cara-
dosso notamment. Il a suivi Cellini à Rome, à Mantoue, en France
et dans la Florence des Médicis, il a interrogé l'œuvre pour caracté-
riser l'artiste, et su en montrer l'énergie et l'audace, encore si atta-
chantes aujourd'hui. Les reproductions du volume sont particulière-
ment réussies.
— Un volume sur Mantegna ne s'imposait pas moins. Nous man-
quons un peu d'ouvrages français sur le maître si important, au talent
si souple et si varié, d'une ardeur si personnelle, d'un besoin de vérité
si émouvant. 11 était surtout utile d'apporter à nos lecteurs les docu-
ments récemment découverts et mis en œuvre (les travaux de
M, Kristeller notamment). M. André Blum a étudié l'artiste et son
temps, son évolution, ses grandes œuvres, avec une passion mani-
feste, qui s'exprime avec d'autant plus d'éloquence et d'ailleurs beau-
coup de goût.
— Le même éditeur, poursuivant la publication des œuvres d'esthé-
tique de John Ruskin, a fait paraître, après « Les Matins à Flo-
rence », « les Pierres de Venise «, les « Conférences sur l'architecture
et la peinture » déjà signalées ici, le volume intitulé Le Val d'Arno.
iM. E. Cammaerts, une fois de plus, en a traduit le texte anglais et l'a
annoté. Une introduction chaleureuse et informée en explique l'es-
prit et en analyse les théories. Elles sont de l'époque où il luttait avec
le plus d'énergie contre des auditeurs hostiles qu'il prétendait conver-
tir. Nicolas de Pise, Jean de Pise, la vie à Florence au xiii^ siècle, le
monde des artisans et des marchands, les révolutions et l'architecture
et la maçonnerie, l'histoire et l'esprit. Ces dix conférences ont des
titres mystérieux, comme toujours; le titre aussi d'ailleurs; le texte
aussi a quelques images, mais il est de noble allure. Douze belles
photographies le décorent.
— On apprécie de plus en plus en ce moment, dans le domaine des
répertoires d'art, les albums de reproductions sans aucun texte, ou
avec le moins de texte possible. Il ne faudrait pourtant pas aller trop
loin. Ce parti est facile à comprendre et se défend tout seul quand il
58 RKVUE CRITIQUE
s'agit de IVcuvrc iriiii maître de Tait, dont le groupement, raisonné,
critique, complet d'ailleurs, est extrêmement utile ainsi pour Téiude.
11 Test moins lorsqu'il s'applique à l'évolution d'une forme d'art,
qu'on ne saurait suivre sans erreur ou tâtonnement en dehors d'un
commentaire perpétuel qui l'explique et l'annonce. Le répertoire n'en
est pas moins précieux pour cela et peut rendre les plus réels services.
Tel est le volume intitulé L'Architecture baroque en Italie, dont
M. Corrado Ricci a écrit la préface. Ces quelques pages ne donnent
que des jalons, un cadre, peu de vrais renseignements; mais les 3i3
reproductions photographiques sont d'une perfection et d'une variété
irréprochables et nous apportent des exemples de choix de toutes les
parties de cet art intéressant, qui fleurit de si merveilleuse façon aux
xvi° et xvn" siècles, plein de fougue, de richesse, de sincérité aussi,
quoi qu'on ait dit. et qui n'a rien du rococo, son successeur mala-
droit. Monuments complets, églises, palais, salles et galeries, cours et
escaliers, portes de ville, jardins, villas...., puis détails de sculpture,
d'ornementation, d'architecture..., tout y est, par groupes compara-
tifs autant que possible, avec, pour en faciliter la recherche, des
tables des lieux et des noms à la fin.
— Un autre album a été publié dans les mêmes conditions, avec des
tables et une préface également (mais celle-ci anonyme), pour inven-
torier et rapprocher les spécimens les plus frappants du Meuble et de
la Décoration en Angleterre, de 1680 à 1800. L'œuvre des Chippen-
dale et des Sheraton, des frères Adam et d'Happlewhite, créateurs du
meuble national anglais, défile ainsi sous nos yeux par groupes dans
le même genre et aussi à leur place dans la décoration générale des
intérieurs. C'est un répertoire un peu spécial, un peu froid, mais
très nouveau pour nous, à coup sûr, et qui sera précieux pour les
collectionneurs, car il est sans précédents. Les reproductions, au
nombre de 201, sont toujours la perfecinn i". "ir.c.
H. ui: CuuzoN.
M. Rondet-Saint, L'Afrique équatoriale française. Paris, Pion, in-12 (3 fr. 5o).
— A. Beaumo.nt Mes trois grandes courses. Paris, Hachette, in-8° (10 fr.)
— Fr. ScHRADER, L'Année cartographique, 1910. Paris, Hachette, in-folio.
(3 fr.).
Nous avons déjà eu l'occasion de parler des études de M. Rondet-
Saint au cours de ses longs voyages à travers le monde. Dernièrement,
il insistait sur « l'avenir de la France sur mer >>. Aujourd'hui, il
s attache ^V Afrique équatoriale française, pour nous en démontrer
1 importance, l'intérêt, les ressources. Son récit, ses observations ont
l'avantage précieux d'une absolue liberté de pensée et de parole. Ce
n est pas un fonctionnaire qui prend la parole ; c'est un touriste qui
examine, s instruit, et nous fait part de ses impressions. Impressions
d'histoire et de littérature 59
économiques et sociales surtout, bien entendu ; ce n'est pas un récit
de chasseur qu'il faut chercher ici. En trois mois, le voyageur
a parcouru massifs et bassins, sans incidents, et donne son cas
en exemple de la facilité qu'il y aurait, pour tenir de bonnes
volontés disponibles, à s'employer dans un pays où il y a tant à
faire. On regrettera cependant que le livre ne soit pas un peu plus
documenté; mais il est vrai que c'eût été en changer la portée et le but.
Il va falloir maintenant compter l'aviation comme un mode de
voyage, et les aviateurs au nombre des explorateurs ou des géo-
graphes. Des impressions neuves se fortifieront d'observations pré-
cieuses, capables, plus d'une fois, de rectifier des notions incom-
plètes. Nous n'en sommes pas encore là, et les récits d'exploits
sérieux sont surtout féconds en sensations personnelles, en détails
techniques. Telles Aies trois grandes courses, le volume que l'aviateur
André Beaumont (l'enseigne de vaisseau Conneau) vient de publier
dans un style simple et alerte, avec d'intéressantes photographies et
maint renseignement documentaire.
Voici la 21'' année de ï Année cartographique (igio) de M. F. Schra-
der, supplément annuel, en trois cartes documentées de commen-
taires, à toutes les publications géographiques courantes. Celle de
ÏAsie, rédigée par M. D. Aïtaff, contient les itinéraires du D"" Stein
en Turkestan chinois, de M. J. Bacot en Tibet oriental, de l'expédi-
tion Kozloff en Mongolie, du capitaine Leachman en Arabie. Celle
d'Afrique donne le relevé du Sahara central de M. Villatte, celui du
Kordofan d'après les travaux récents anglais, la zone Anglo-Alle-
mande de Nigeria-Cameroun, la frontière Germano-Belge, la fron-
tière Franco-Libérienne. Les commentaires ont M. Chesneau pour
auteur. L'Amérique offre des cartes détaillées du Paraguay, de la
Bolivie et du Matto Grosso, du rio Haupes, avec notices rédigées
par M. V. Huot.
H. DE C.
Souvenirs de Roustam, mamelouck de Napoléon I. Introduction et notes de
Paul CoTTiN. Préface de Frédéric Masson, Paris, Ollendorf, 191 i, in-8°, xxxvii
et 3o2 p. 3 fr. 5o.
Parmi les lectures napoléoniennes, il y en a peu d'aussi attrayantes
que celle de ces naïfs Souvenirs du mamelouck Roustam. M. Cottin
a réimprimé le manuscrit (tantôt dicté, tantôt écrit par Roustam) sans
supprimer ni ajouter un mot et en se bornant à rétablir l'orthographe '.
Il a mis quelques notes au bas des pages ". Dans son introduction, il
1 . Il faut, je crois, lire à la p. 2 « deux ans après sa naissance » et non « deux
ans après, son négoce ».
2. P. XXXVII, les deux fonctionnaires cités ne sont pas « conservateurs »; p. 80,
Duroc se prénomme Géraud et non Gérard; p. 166, l'anecdote, quoi que pense
M. Cottin, est authentique, voir nos Mém. de Griois (II. p. 294); lire p. 223
Erfurt et p. 240 Doubrovna, au lieu de Erfilrt et Dombrovna.
Ôo REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
retrace ce ^ue fui le corps des Mameloucks — dont il donne les noms
l\ l'nppendice — et ce que lut Roustam. 11 nous apprend que Rous-
lam habitait Dourdan ci y mourut en 1845. '. N'oublions pas une
préface de M. Frédéric Masson, pleine de verve autant que de savoir,
sur la Revue rétrospective qui publia les Souvenirs pour la première
fois en 1 888 et sur les usines de Mémoires au temps de la Restauration :
Heureusement, les réminiscences de Roustam, échappées à ces « usi-
niers >, ont conservé toute leur saveur.
Arthur Chuquet.
Ai: A0KMI1-: DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 5 janvier igi2.
— M.M. Omont, président sortant, et Léger, élu président pour 1912. prononcent
les allocutions d'usage.
M. Salomon Rcinach est désigné pour représenter l'Académie au Congrès d'an-
thropologie et d'archéologie préhistorique qui aura lieu à Genève au cours de
l'année.
M. Henri Cordicr communique une lettre du D' Legendre donnant les détails
les plus circonstanciés sur l'attentat dont il a été victime ei qui a entraîné la perle
des collections réunies par la mission.
L'.Académie procède à l'élection des commissions suivantes :
Prix de La Grange : MM. Paul Meyer, Emile Picot, Thomas, Morel-Fatio.
Nouvelle fondation de M. le duc de Loubat, MM. Heuzey, Senart, Meyer,
Schlumberger.
Prix Saintour^OTxtnl): .MM. Senart, Clcrmont-Ganneau, Philippe Berger, Barth.
Prix Estrade-Delcros : MM. Heuzey, Senart, Alfred Croiser, de Lasteyrie,
Babelon, Châtelain, Elie Berger, Prou.
Prix Auguste Prost : MM. CoUignon, Omont, Elie Berger, le P. Scheil.
Médaille Paul Blanchet : MM. Héron de Villefosse, Philippe Berger, Gagnât,
Bahelon.
M. le comte Paul Durrieu donne lecture des titres des ouvrages présentés au
prix Gobert.
M. Perrot, secrétaire perpétuel, donne lecture d'une note résumant la situation
des concours.
Le P. Scheil fait une communication sur les formules chronologiques dont se
servaient les Babyloniens pour dénommer les années sans les dénombrer. Au
moyen d'un texte inédit, il complète et classe la série des 43 formules du règne de
Hammurabi (2,000 a. C). — M. Cuq présente quelques observations.
M. Holleaux, directeur de l'Ecole française d'Athènes, commence à exposer les
résultats des travaux de l'Ecole pendant l'année qui vient de s'écouler.
Léon Dorez.
I. Voici sur Roustam un détail peu connu. En 181 2, à .Moscou, il visita souvent,
dit un témoin, ses compatriotes, « avec une discrétion ministérielle », et il s'occu-
pait d'appeler en France une partie de sa famille, sa mère et son frère j il comp-
tait sur sa connaissance personnelle avec l'empereur de Russie pour leur faciliter
le voyage en France. Cf. aussi nos Etudes d'histoire, IV, p. 178 (l'allemand Meyer
a vu Roustam « au visage large et insignifiant », eine breite unbedeutende Araber
Physionomie, et, en un autre passage que je n'ai pas cité, il nous dit : « l'humeur
joyeuse de Roustam et son attachement à son maître le rendent le favori de la
famille; j'ai vu son portrait parfaitement dessiné d'après nature par .M"' Beauhar-
nais »).
V imprimeur- gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 4 — 27 janvier. — 1912
WiET, Le Khitat de Maqrizi. — Dennett, Les noms banlous. — A. -T. Robert-
son, Grammaire du Nouveau Testament, trad. Montet. — Mots et choses, III, r.
— FicK, La formation de l'Odyssée. — Ed. Schwartz, Portraits antiques, i et 2.
— Endt, Scoiies sur Lucain. — G. Schmidt et Schubart, Anciens textes chré-
tiens. — WiTTiNG, Sur l'architecture de l'ancienne France. — Viollier, Les
rites funéraires en Suisse. — Giaceri, Gultes et mythes en Sicile. — Livi,
Datini. — Delannoy, La juridiction ecclésiastique en matière bénéficiale, I. —
Université de Gambridge, Histoire de la littérature anglaise, VII. — Brissot,
Gorrespondance et papiers, p. Pkrroud. — A.-L.-M. Nicolas, Cheikh Ahmed
Lahçahi. — A.-J. Reinach, Bulletin annuel d"épigraphie grecque. Les fouilles de
Koptos. — L'Apologie et le Ménon, p. Burnet. — Ussani, Josèphe et Pline l'An-
cien. — Terzaghi, L'ombre d'Achille. — Lettre de M. Baldensperger, —Acadé-
mie des inscriptions.
Maqrizi, El-maw^a'iz wal-i'tibar fi dhikr el Khitat wa'1-Athar, texte arabe
édité par M. Gaston Wiet, Le Caire, imp. Institut Français, 1911, 4° (Mém.
Instit. fr. Arch. Or., t. XXX : vol. I, fasc. I ; xvi-184 pp.).
Ce n'est point un mince travail que M. W. a entrepris en préparant
une édition critique du Khitat de Maqrizi : il absorbera, pendant
plusieurs années, le meilleur de son activité. Du moins, il ne fait que
suivre une voie bien française, où l'ont précédé Langlès et de Sacy,
et où Quatremère avait projeté de marcher à son tour. La description
de l'Egypte, écrite par l'érudit cairote du xv^ siècle, est un précieux
recueil de renseignements, puisés à toutes sources avec cette désin-
volture et cette absence de critique qui est l'une des marques et l'un
des charmes de la littérature historique arabe ; il a séduit tous ceux
qui se sont intéressés à l'histoire de la vallée du Nil, et il était naturel
qu'elle attirât particulièrement l'attention des savants, qui, à l'Institut
français du Caire, ont représenté récemment les études arabes. En
1895, M. Bouriant commençait donc la publication d'une traduction
qui devait mettre Maqrizi à la portée de tous les lecteurs ; mais la
mort est venu interrompre son travail, et M . Casanova ne l'a continué
que par un second fascicule. La traduction de M. B. a été jugée,
non sans raison, avec quelque sévérité; mais peut-être certains juges
Nouvelle série LXXIII 4
62 REVUE CRITIQUE
ont-ils négligé les circonstances atténuantes. Le texte arabe, publié à
Boulaq, a été édité avec la négligence et l'insouciance que les arabes
apportent à l'étude des livres qui ne sont ni théologiques, ni juri-
diques : il est souvent incompréhensible, et pour l'éclairer, il ne faut
pas seulement savoir l'arabe; il est nécessaire de se livrer à une étude
critique des manuscrits, qui, par bonheur, sont nombreux dans les
bibliothèques de l'Europe et de l'Orient, ainsi qu'à des recherches
méthodiques sur les parties obscures de ce grand ouvrage. Et c'est
un travail dont tout le monde n'est point capable.
Il apparaît que M. Wiet saura mener à bonne hn celui qu'il vient
d'entreprendre, et le premier fascicule, que l'on annonce ici, donne
pleine confiance dans la solidité de l'édition nouvelle. Le texte en
est établi sur le manuscrit 1739 de la Bibliothèque nationale, qui est
le plus ancien (1470), avec le contrôle de quarante-six manuscrits,
dont M. W. a, dans la mesure où c'était utile, reproduit les princi-
pales variantes. Il a indiqué, avec précision, et ses doutes, et les
raisons qui, parmi les variantes, imposaient son choix, tout en laissant
à la critique les matériaux utiles à une discussion. — Mais il a cru
pouvoir pousser plus loin son élude, et on le lui a reproché '. Editant
un texte, il s'est cru autorisé à reprendre quelques-uns des passages
incompris dans la traduction, et adonner sur certaines questions déli-
cates de véritables mémoires (par exemple, voir sur Muqauqis, p. i 19
et s.). J'avoue que, reconnaissant en principe la Justesse de Tobserva-
tion de M. Becker, je suis pourtant disposé a me réjouir de la juvénile
ardeur de M. W. Il faut, en effet, que nous renoncions à avoir une
traduction du Khitat \ léguons cet espoir à nos neveux; en attendant,
il sera vraiment agréable d'avoir en main des éléments d'appréciation
qui permettront d'éclairer un texte, bien fixé sans doute quant à la
forme, mais d'une interprétation souvent difficile.
Le premier fascicule, qui s'arrête au chapitre xii, renferme quelques
erreurs typographiques qui seront, je crois, signalées à la fin du
second. A la page i23, note 6, M. Wiet fait à la traduction, qui
n'offre pas un sens très net, une correction qui ne me paraît point
serrer encore assez exactement le texte; ne pourrait-on pas traduire
ainsi : « Tu as une religion que tu ne peux quitter que pour en suivre
« une meilleure, et celle-ci est l'Islam qu'Allah met définitivement en
« la place de toutes les religions abolies. Qu'avait fait Moïse en
« annonçant Jésus, sinon ce qu'a fait plus tard Jésus en annonçant
« Mohammed? En t'appelant au Coran, faisons-nous autre chose que
« répéter l'appel que tu adressais aux gens de la Tora pour les amener
« à l'Evangile? Nous ne t'interdisons donc point la religion du Messie :
« nous t'ordonnons de la suivre! »
L'exécution typographique est digne de l'imprimerie de l'Institut
1. M. Becker, in der Islam, 191 1, n» 3.
d'histoire et de littérature 63
français. C'est presque un trop beau livre, et Ton ne songe point
sans quelque effroi à la place que l'ouvrage complet tiendra dans les
bibliothèques, et un peu aussi au prix qu'il coûtera. C'est un à-côié
auquel devra penser, une autre fois, le directeur de l'Institut, dont il
faut d'ailleurs reconnaître l'heureuse influence sur la production de la
Mission Française du Caire durant les dernières années.
M. G. D.
R. E. Dënnett. Notes on West African Catégories. Londres (Macmillan), uji f,
in-8°, xi-68 p.
11 importerait beaucoup de savoir comment les classes des noms
bantous concordent avec les notions des populations de l'Afrique aus-
trale. Mais il faudrait pour cela faire une théorie complète de ces
classes, déterminer la forme et la valeur des préfixes en bantou com-
mun et reconnaître les rapports des préfixes avec les éléments compa-
rables qu'on rencontre dans d'autres langues africaines. M. Dennett
procède arbitrairement, sans jamais analyser les données linguisti-
ques, sans faire de dénombrements complets, sans rapprocher systéma-
tiquement les dialectes bantous les uns des autres. Sans examiner si
son exposé des classifications des populations du Congo qu'il con-
naît est correct — et il n'a guère de chances de l'être — on peut donc
dire hardiment que son essai linguistique demeure en l'air : c'est sur
le bantou commun, non sur le bavili, qu'une recherche de ce
genre doit reposer.
A. Meillet.
A. T. RoBERTsoN. Grammaire du Nouveau Testament, traduite par A. Montet.
Paris (Geuthner), 191 i, in-8°, xvi-298 p.
Il y a de bonnes grammaires de la langue du Nouveau Testament, et
il pourrait être utile d'en mettre une en français. Mais il ne fallait
pas traduire le livre de M. Robertson : sans rien savoir ni de la gram-
maire comparée, ni de la grammaire historique du grec, M. R. s'est
proposé de donner, à propos du Nouveau Testament, avec un bref
exposé de toute l'histoire de la langue grecque, une « philosophie du
langage grec », comme l'écrit naïvement le traducteur, et il a réussi
dans ce projet bizarre de la manière qu'on peut imaginer. Par
bonheur, la traduction de M. Montet, incorrecte et inintelligible,
empêchera le livre de faire aucun mal dans le public français. Une
citation suffira pour faire juger et de l'ouvrage et de la manière dont
il est traduit : p. 145 « Homère pouvait dire oXi^y, àvdtTza'jcrt; T:o)i[jLO'.o
« c'est un bref arrêt de la guerre ». Mais, de même qu'en latin l'abla-
tit disparaît de l'usage avec les substantifs, de même en grec, à moins
que cependant quelques exemples de prétendu génitif partitif ne
64 RKVUb CRITIQUK
puissent pas (sic) être proprement considérés comme des ablatifs, ex.
£v tokwv (Matt. VI, 29). Ceci est rendu plus probable par Temploi
fréquent de à::o ou ik avec l'ablaiil dans des exemples semblables, ex.
Ttva àrô xiôv o'So (Matt. XXVI I, 2 i), •:(; i; 'jjjiôjv (Luc XII, 25). Il est pos-
sible de considérer comme ablatif 8;/.xto7jvr, Ocoô (Rom. I, 17) « la jus-
tice de (qui vient de^ Dieu », mais c'est plus conforme au génitif,
« l'espèce de justice de Dieu ».
A. Meillet.
"Wôrter und Sachen, Kulturhistorische Zeitschritt fur Sprach-und Sachfor-
schung. Bd. m, Hett I, Heidelberg (C. Winter), 191 i, in-4", i36 p.
Il suffirait à peu près de signaler que le troisième volume de
Wôrter iind Sachen commence de paraître, de dire que décidément la
revue tient les promesses de son programme, et de noter en particu-
lier que, cette fois, le monde sémitique y apparaît, avec une étude de
M. Rhodokanakis sur le mihrab, si ce premier cahier ne renfermait
une réponse de M. Meringcr aux critiques qu'a provoquées la fonda-
tion du nouveau périodique. La revue a cinq directeurs; MM. Merin-
ger, Meyer-Liibke, Mikkola, Much et Murko. Mais le vrai fondateur
et le directeur effectif est M. Meringer, qui avait publié auparavant
dans les Indogermanische Forschungen une grande série d'articles
sous le titre même qui a été donné à la revue. La fondation n'a pas
été bien vivement critiquée ; on a seulement souhaité, et du côté des
ethnographes et des archéologues, et du côté des linguistes, une
limitation aussi stricte que possible à l'objet propre de la revue :
éclairer l'étude des mots parcelle des choses et l'étude des choses par
celle des mots. M. Meringer est bien près de taxer d'indiscrets et
taxe tout à fait d'incompétents ceux qui lui font cette modeste
demande. M. Meringer se plaint de n'avoir pas été assez loué, et en
particulier ici, par l'auteur du présent compte-rendu — dont l'incom-
pétence, qu'il proclame, aurait dû lui rendre indifférente la tiédeur
pour sa fondation. Et, ne recevant pas toutes les louanges qu'il atten-
dait, il me prête la pensée que je trouverais sa revue bonne s'il n'y
écrivait pas : je n'ai rien écrit de pareil naturellement, parceque je n'ai
jamais eu pareille pensée. Mais, même en écrivant d'autres réponses,
M. Meringer ne convaincra personne que le précepte d'éclairer l'étude
des mots par celle des choses ait rien d'original ; c'est une règle pra-
tique excellente, qu'on a trop négligée, mais qui ne vaudra que par
l'application qu'on en fera. M. Meringer a eu le mérite de la procla-
mer bien haut en 1904 et en 1906; mais elle était dans l'air à ce
moment; et, sans parler de M. Schuchardtà qui l'on ne peut imputer
un plagiat sans provoquer le sourire, M. Gilliéron a publié en 1905,
en collaboration avec Mongin, sa célèbre étude sur Scier dans la
Gaule romane où il fait dépendre de l'histoire d'un outil, la faucille
dentelée, toute l'histoire du mot scier en gallo-roman. On souhai-
d'histoire et de littérature 65
tera que M. Meringer et ses collaborateurs poursuivent leurs utiles
recherches, et que leur organe continue de prospérer.
A. Meillet.
August FicK, Die Entstehung der Odyssée und die Versabzîihlung in den
griechischen Epen, Gantinguc, \'andcnhoeck et Ruprecht, 1910 ; xii-2 14 p.
Prix 7 nik (8 fr. 73).
On n'ignore pas que M. Fick a une théorie, pour laquelle il lutte
inébranlablement depuis trente ans, sur l'origine des poèmes homé-
riques. Ces poèmes, dans leurs parties les plus anciennes, ont été
composés en éolien, et ce n'est que plus tard qu'ils furent transposes
en ionien, en même temps qu'ils subissaient des additions et des trans-
formations de toute nature. Il s'agit donc, pour retrouver l'Iliade et
l'Odyssée primitives, d'en reconstituer le texte éolien, la vraie forme
dans laquelle elles ont été composées; le seul but vraiment digne
d'être poursuivi par les recherches homériques ne peut et ne doit être,
nous répète-t-on dans le présent ouvrage, que cette reconstitution ; et
elle sera complète si l'on arrive à montrer que chacune des épopées est
construite d'après un système numérique qui en pénètre et en condi-
tionne à la fois l'ensemble et les parties. Admise par les uns, au
moins en ce qui concerne le dialecte primitif, combattue par les autres,
cette théorie est de nouveau mise à l'épreuve dans le volume que
M. F. vient d'écrire au sujet de l'Odyssée. L'Odyssée se compose
essentiellement de quatre poèmes d'origine et de date différentes
(Kirchhoffj ; l'antique chant du retour d'Ulysse, poursuivi par la
colère de Poséidon, le Nostos ; une continuation postérieure, la ven-
geance tirée des prétendants, la Tisis; la Télémachie; enfin un
remaniement du Nostos, où apparaît la colère d'Hélios, et que M. F.
appelle le Gegennostos. Ces quatre poèmes se laissent facilement
débarrasser de leurs ionismes et rétablir en éolien, preuve que leurs
éléments primitifs étaient bien écrits dans ce dialecte. Et en effet,
M. F. analyse ces quatre parties, selon un plan à peu près identique :
il en détermine d'abord l'étendue première, en élaguant tous les pas-
sages et tous les vers qui lui paraissent discordants; puis il transforme,
dans les parties conservées, les ionismes en éolismes, et il propose
enfin ses hypothèses sur le lieu et la date de composition. A la tin sont
deux chapitres complémentaires, l'un sur l'Homéride Kynœthos, àqui
M. F. attribue la soudure de la Télémachie avec la Tisis, ainsi que
la fin actuelle du poème, l'autre sur les systèmes de nombres qui
soi-disant président au développement des deux épopées. Ce sont là,
on ne peut le nier, d'intéressantes études et d'ingénieuses hypothèses,
mais combien fragiles! Que de combinaisons en l'air, que de subti-
lités, que de violences faites au texte, tant pour expulser des ionismes
récalcitrants que pour obtenir les nombres nécessaires au système !
Ces nombres n'ont pas, comme dans les études bien connues de
65 REVUE CRITIQUE
A. Ludwich sur les hymnes homériques, un caractère religieux et
mythique, en rapport avec les divinités et certains traits de leur
légende ; ce sont des nombres astronomiques, en relation avec l'année,
les mois, les jours, etc. C'est ainsi que le nombre 243 a une importance
toute particulière, d'abord parce que c'est le nombre de jours de deux-
saisons de l'année solaire, ensuite parce qu'il exprime la durée de
trois trimestres, 9 mois de l'année lunaire. C'est pourquoi M. F. a
moditié ses anciennes vues ; autrefois en effet Tlliade primitive,
Urmenis, se composait pour lui de deux parties égales, dont chacune
comprenait 4 chants et 968 vers, c'est-à-dire 1 1 x 1 1 X 8, dont le quart
pour chaque chant est 242 ; aujourd'hui chaque moitié a 972 vers, soit
243 X 4> le triple de 324, nombre de jours de l'année lunaire à 12
mois de 27 jours; de sorte que l'antique Iliade, après les athétèses
indispensables, est formée de 1944 vers, nombre égal au total des
jours de 6 années à 324 jours, 16 saisons à 121 1/2 jours, ou encore
8 doubles saisons à 243 jours de l'année solaire de 364 jours. Ce nom-
bre, conclut M. F., exclut toute addition, toute athétèse qui peuvent
le troubler (p. 200). Cette théorie astronomique est étendue, comme
on peut s'y attendre, à d'autres compositions anciennes, plus ou moins
voisines des épopées; je cite seulement, à titre d'exemple, l'hymne
homérique à Hermès, pour lequel M. F. procède de la manière
suivante : « L'hymne à Hermès comprend 578 vers (58o en réalité;
mais M. F. ne compte pas les deux derniers, formule de conclusion
commune à plusieurs hymnes); mais le nombre exigé 572 = 52 x 11
(52 est le nombre des semaines de l'année solaire) se laisse restituer
sans grande peine... Il s'agit seulement de supprimer 6 vers à peu près
généralement condamnés ', 36, 97-98, 100, 106, enfin 210 ou 21 1 au
choix ; et ce qui prouve la justesse de ces athétèses, c'est que les 572
vers ainsi obtenus se subdivisent très clairement en quatre groupes
de 1 10 vers précédés et suivis de 66 vers, soit de deux parties égales
de 286 vers ».
Le lecteur trouvera peut-être tout cela bien mystérieux, et se
demandera sans doute comment les auditeurs pouvaient comprendre
un symbolisme aussi compliqué ; il se dira peut-être, alors, que si les
audiieurs ne le comprenaient pas, ne pouvant se rendre compte de
relations aussi subtiles, il était bien inutile, pour ne pas dire impro-
bable, que les poètes eussent mis ainsi leurs œuvres en rapport avec
les nombres du calendrier; peut-être songera-t-il encore qu'on ne
retroave ces nombres que grâce à des suppressions plus ou moins
arbitraires, sur lesquelles d'ailleurs on est loin de s'entendre; peut-
être enfin, ces réflexions faites, et bien d'autres encore qu'il n'est pas
besoin de lui suggérer, restera-t-il dans une sage incrédulité, dont je
I. La comparaison avec la théorie de Ludwich^ qui n'admet dans l'hymne à
Hermès aucune interpolation, éclairera suffisamment le lecteur.
d'histoire et de littérature Çi'J
ne chercherai pas à le de'tourner. Quant à l'hypothèse d'un Homère
éolien, je reconnais volontiers qu'elle a quelque chose de brillant qui
peut séduire au premier abord ; mais il suffit qu'il reste actuellement,
dans les parties reconnues authentiques et primitives des épopées, des
éolismcs facilement transposables en ionien pour qu'on soit étonné de
les y trouver, et pour estimer, par conséquent, que le ou les rédacteurs
ioniens procédaient, comme nous disons, un peu à la bonne fran-
quette ; et alors toute discussion devient impossible. On voudra bien,
pour ce qui concerne les détails, se reporter à l'ouvrage de P. Cauer,
Grundfragen der Homerkritik. 2" éd. (1909), pp. i65 et suivantes.
My.
Ed. ScHWARTz, Charakterkôpfe au s der antiken Literatur. Erste Reihe, 3" éd.
Leipzig, Teubner, 1910, IV-i28p. — Zweite Reihe. Leipzig, Teubner, igio,
lV-i36 p. — Zweite Reihe, 20 éd. Leipzig, Teubner, 191 1, IV-142 p. Prix :
2 mk. 20 (2 fr. 75) le volume.
Le légitime succès qu'ont obtenu les Charakterkôpfe] de M. Ed.
Schwartz n'a fait que s'accentuer après la seconde édition, à propos
de laquelle nous avons parlé du livre [Revue du 3o Juillet 1906) ; une
troisième édition est devenue nécessaire, et M. Sch. l'a donnée sans y
faire autre chose que de légères retouches. En même temps paraissait
une nouvelle série, qui reçut, elle aussi, un accueil si favorable que
l'auteur dut en donner une seconde édition à peine dix-huit mois
après. Cette seconde série comprend, comme la première, cinq mor-
ceaux : Diogène et Cratès, Epicure, Théocrite, Eratosthène, Saint-
Paul. Il semble que les personnages choisis par M. Sch. pour former
un pendant à sa première série fussent en général plus difficiles à
représenter. Alors que des individualités comme Pindare, Thucydide,
Platon, Cicéron se laissent plus intimement pénétrer et plus fidèle-
ment dépeindre, parce que nous connaissons mieux leur vie et leurs
œuvres, des hommes tels que Diogène, Epicure, Eratosthène, quel-
que marquée qu'ait été leur personnalité à l'époque où ils vivaient,
nous sont moins saisissables dans leurs traits particuliers, soit parce
que les détails de leur carrière nous sont moins sûrement connus,
soit parce que, le temps n'ayant pas respecté leurs écrits, leur physio-
nomie se reflète avec moins de lumière dans le peu qui nous reste
d'eux. M. Schwartz a su, toutefois, en donner des portraits peut-être
moins fermes dans leurs contours, mais tout aussi vivants et non
moins propres à intéresser ses lecteurs; car on retrouvera dans cette
série toutes les qualités qui plaisaient dans la première : une connais-
sance approfondie des personnages, une juste appréciation de leur
valeur, un art tout personnel de les situer dans leur milieu histo-
rique et littéraire ; en même temps la forme est attrayante, le style
rapide et coulant, l'expression sobre et précise ; c'est à la fois de la vul-
garisation et de la vraie science. j^y
68 REVUE CRITIQUE
Adnotatlones super Lucanum. Primuin ad iietiistissimoruin codicum fidem
eJidit loanncs Endt {liibHotltcca tcitbneriana). Lipsiac, in acdibus Tcubncri)
MCMIX. xii-447 p. in-i2. Prix : 8 Mk.
Il existe deux séries de scolies sur l.ucain. L'une, connue sous le
nom de Commenliim, est conservée dans un manuscrit de Berne
(n" 370) et a é\é publiée en 1869 par Usener. L'autre, Adnotationes,
était connue par des extraits de l'édition d'Oudendorp (1728) et par
une publication intégrale dans le troisième volume de l'édition de
C. V. "W'eber ( i83i). Malheureusement Weber avait pris pour guide
un manuscrit de Berlin 35 (du xiii= s.), qui était un médiocre repré-
sentant d'un remaniement des Adnoîationes. Reitferscheid, en éditant
la biographie de Lucain par Vacca, avait reconnu comme plus exempts
d'interpolations un ms. de Berne 3-0, du yS siècle, un ms. de Wallers-
tein chez le prince d'Q^ttingen à Maihingen. M. Endt y joint un des
Vossiani de Lucain (XIX, f. 63), du x^ s. ; un ms. de Bruxelles (533o-
32), du x'' s. ; enfin un ms. de Prague (16271, du xii*^ s. Ces deux der-
niers forment une seconde famille. Les Adnotationes ont subi une
recension dans divers autres mss., comme celui de Berlin 3 5. Comme
M. E. indique chaque fois en marge ses manuscrits, toute incertitude
est écartée sur la tradition des scolies.
M. E. se fonde sur un ms. d'humaniste, écrit en i 355 (Prague 632),
pour attribuer à Vacca les Adnotationes. La biographie n'est pas
seulement donnée à Vacca par une scolie de II, 322. Un ms. utilisé
par Weber et négligé par M. E., Berlin 34 (du xni« s.), porte cette
attribution dans une scolie de III, 56. M. E. n'entre pas plus avant
dans la question des origines des Adnotationes et de leur rapport avec
le Commentum de Berne, ni dans celle de la date de la plus ancienne
couche du commentaire. M. E. aurait dû mentionner et, au besoin,
discuter les indications précises de M. Lejay dans l'introduction à
l'édition du premier livre, p. lxxvii suiv. (Paris, 1894). Mais M. E.
paraît avoir ignoré entièrement cette publication. Enfin quand on
compare le texte de M. E- avec la masse des notes compilées par
Weber, on a l'impression que M. E. est resté en-deçà du texte com-
plet et qu'il ne nous donne pas tout. Ainsi le scoliaste s'avise, I,
55 suiv., de voir des allusions aux particularités physiques de Néron :
strabus (obliquo sidère), pingiiis (sentiet axis) ; les mss. du xiu* s.
ajoutent : caliius (nullaeque obstent a Caesare nubes). Ce dernier
détail se trouve déjà dans le Commentum de Berne; il complète l'allé-
gorie saugrenue du grammairien. Il manque dans les mss. et le texte
de M. E. Je crois qu'il serait facile de poursuivre ce genre de compa-
raison.
En tout cas, M. Endt nous rend service par cette édition. Elle
n'annule pas le recueil de Weber. Mais elle permet de mieux s'y
orienter et d'en tirer plus sûrement parti.
J. D.
d'histoire et de littérature 69
Altchristliche Texte. Bcarbeitet von C. Schmidt und \V. Sciiubart. Mit 2 Licht-
drucktafeln. Berlin, Weidmann, 1910, viii-r4op. Petit in-4". Prix : 10 Mtc.
Les musées de Berlin publient leurs papyrus dans des recueils où
sont réunis les textes de même nature, inédits ou déjà publiés. Ce
fascicule est le sixième des Berliner KJassikertexte. Il comprend
sept numéros.
I. Ignace, Épître aux Smyrniens, m-xii, i. Ms. du V s. Ce frag-
ment est le seul qui nous atteste la lecture d'Ignace dans TEglise
d'Alexandrie. Il montre à quel point la tradition du texte dans nos
mss, est fautive.
II. Pasteur d'Hermas. 1° Sim. 11, 7-10 et iv, *2-*5. Ms. du 111= s.
Connu et publié depuis 1891. 2" Sim. viii, 1, *i-i2. Ms. du vi^ s. Ce
fragment montre combien est peu sûr le ms. du Mont-Athos, seul
subsistant pour cette partie, et combien est excellente, au contraire,
la vieille traduction latine.
III. Anthologie des lettres de saint Basile. Ms. du V s. Publié par
H. Landwehr, dans le Philologus en 1884.
IV. Anthologie de la Vita Mosis de Grégoire de Nysse. Ms.du v^ s.
Publié par H. Landwehr dans le Philologus en i885.
V. Lettre pascale d'Alexandre, patriarche d'Alexandrie. Original,
Cette pièce est un morceau capital. On connaît les lettres pascales de
saint Athanase. Cet usage de l'Eglise d'Alexandrie est très ancien;
Eusèbe cite des lettres pascales de Denys d'Alexandrie (247-264).
Celle-ci porte encore le protocole ou marque de la fabrique officielle
du papyrus, en grec et en arabe. La forme de ce protocole limite le
document entre 6g3 et 733. Com.me la lettre notifie la date de Pàque
pour le 16 avril, elle est d'une des années -13, 719, 724. A cette
époque était patriarche Alexandre II (702-729). D'après le dispositif,
« la sainte quarantaine des jeûnes », ce que nous appelons le Carême,
« est de huit semaines », c'est-à-dire commence au dimanche qui porte
chez nous le nom de Sexagésime. Le texte même contient d'éner-
giques affirmations de la doctrine monophysite, avec citations des
« arcnibergers» de la chaire apostolique de Rome, de saint Athanase,
de saint Cyrille et du Pseudo-Denys l'aréopagite.
VI. Morceaux liturgiques, i" Anciennes prières chrétiennes. Ms.
qui peut être encore du m" s. Recueil très intéressant. Après qu'il a
été publié, une pièce de cet euchologe a été reconnue comme emprun-
tée à Poimandres [Nachrichten de Gôttingue, 19 10, p. 326). 2° Frag-
ment de la liturgie de Noël. Ms. du vu'' s. environ. Pièce de chant,
assez endommagée. 3" Canon pascal de Jean de Dainas. Ms. du x^ s.
environ. Texte déjà connu. 4° Prière eucharistique. « Grosse écriture
de basse époque >>. Contient une formule monophysite : Christ s'est
laissé mettre à mort et ensevelir oj^ avOpwTiOi; loîtfj ôsXr^iJLatt. 5" Hymne
aux martyrs, x*' s. environ. Destinée à la fête des martyrs que l'Églis^
grecque célèbre le premier dimanche après la Pentecôte. 6° Prière,
jO REVUE CRITIQUE
Basse date. 7" Eloge du Créateur. Basse date. A pu servir d'amulette.
S" Hvmne acrostiche. iV s. environ. Ce fragment est la fin (T incom-
plet, V,'l», X, M', i>'i. L'hymne s'adressait au bon pasteur. 9" et 10°. Deux
iVagments très courts de signification douteuse et de basse date.
VII. Amulettes d'époque tardive, sans intérêt.
Ces textes sont édités avec un soin admirable. Pour ceux qui sont
déjà connus, on trouvera dans ce volume des leçons plus exactes.
D'excellentes tables alphabétiques le terminent. Les fac-similés don-
nent un spécimen de la lettre pascale.
A. QuÉRITY.
Vier Beitrâge zur Geschichte der Baukunst Frankreichs {Ztir Kunstges-
cliiclite des Aiislaudcs, Ilcft 79). \'on Fclix Witting. Strasbourg, Heitz, 1910.
44 p., 4 pi. et 4 grav.
Les quatre mémoires, très courts, de M. Witting sont les suivants :
jo La basilique élevée par l'évêque Perpetuus de Tours à saint
Martin. M. W. cherche à s'en faire une idée en se fondant exclu-
sivement sur les données des textes, éclairée par quelques rappro-
chements avec des monuments subsistants. 2° Le passage du plan à
plusieurs nefs au plan à un seul espace dans l'ouest de la France. Je
crois qu'il faudrait écrire : dans le sud-ouest (voy. Enlart, Manuel, I,
284 suiv.). M. W. le date de la seconde moitié du x'= siècle; mais la
substitution n'est accomplie que dans le cours du xf siècle. Les
églises avaient auparavant la forme de basiliques, avec plafond lam-
brissé. Le nouveau plan entraîne la construction de coupoles. M. W.
étudie particulièrement l'église de Brantôme, qui lui paraît garder des
traces de l'ordonnance primitive. 3° Guinamundus, moine de La
Chaise-Dieu, architecte. Les églises de Saint-Paul d'Issoire, de N.-D.
d'Orange, de Saint-Gilles d'Arles, et de Saint-Front de Périgueux
présentent des caractères communs. M. W. y voit les œuvres d'un
talent unique qui se développe graduellement. Il les attribue à Gui-
namundus, parce que le chroniqueur de Saint-Front note : « Guina-
mundus, monachus Casae Dei, sepulchrum S. Frontonis mirabiliter
sculpsit anno D. 1077 "• Mais il s'agit dans cette note d'un sculpteur,
et non pas d'un architecte. L'attribution reste donc douteuse. 4° Les
églises-salles de Provence. M. Witting choisit comme exemple de ce
type Maguelonne, et en rapproche nombre d'églises de Provence, en
remarquant la différence qu'elles présentent graduellement, à mesure
que l'on s'enfonce du rivage dans les terres. Ce dernier article sou-
lève la question de la voûte d'arêtes, des cancri et de l'influence
orientale. Nous ne pouvons qu'y renvoyer ceux que ces questions
intéressent.
Les quatre planches sont une vue extérieure de l'église abbatiale de
Brantôme, deux intérieurs, de Saint-Paul d'Issoire et de Saint-
Gabriel, enfin le portail de Saint-Restitut.
S.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 7I
Essai sur les rites funéraires en Suisse des origines à la conquête romaine,
par \'ii)i,i.iKR. Étude sur les mœurs et les croyances des populations préhistori-
ques (Bibliothèque de l'École des Hautes Études, Sciences religieuses, Vol. XXI\',
fasc. i). Paris. Leroux, 1911, 87 p. in-S».
Cette étude est la bienvenue. Elle coordonne les résultats éparpillés
des fouilles et des trouvailles. Elle substitue une synthèse accessible
à des menus faits dispersés dans les publications locales.
A l'époque paléolithique, les traces de l'homme sont rares. Le sol
est couvert de glaciers. Quelques bandes isolées ont erré dans le Jura
et le massif du Santis. Elles n'ont pas laissé de tombes.
L'époque néolithique présente trois types d'inhumation : les
tombes à corps étendus à plat, sur la rive droite du Rhin ou à proxi-
mité ; les tombes à corps accroupi, dans la Suisse occidentale ; les
ossuaires, où l'on recueillait les os préalablement décharnés, à Aesch
(Bàle) et à Auvernier (Neuchâtel). Les tombes du second type
contiennent souvent deux corps, de sexe différent. M. V. en conclut
qu'à cette époque on pratiquait en Suisse le mariage funéraire, étudié
par M. O. Schrœder. Les populations de cette période continuent
celles de l'époque paléolithique, telles qu'on les connaît en France.
Elles sont mélangées dans les tombes à corps accroupis avec des
populations dolicocéphales comme elles, mais d'origine septen-
trionale.
A l'époque du bronze, apparaît l'incinération à côté de l'inhuma-
tion, mais dans des régions distinctes; les incinérants habitaient la
Suisse orientale. Jusqu'à l'Aar; les inhumants, la Suisse occidentale,
c'est-à-dire le bassin du Léman et le plateau compris entre le Jura et
l'Aar. Les inhumants continuent à user des trois formes décrites de
l'âge précédent. Les incinérants élèvent des tumuli. Ils arrivent d'au-
delà du Rhin, par le nord, apportant le bronze. Déjà par la vallée du
Rhône s'était propagé l'usage du cuivre pur dans les stations lacustres
de la Suisse française.
Pendant le premier âge du fer ou période de Hallstadt, les tumuli
se rencontrent dans le Plateau, entre le Jura, le Rhin, le lac de Cons-
tance, les Alpes et le Léman. Ils sont extrêmement dispersés et
jalonnent les allées et venues des bandes qui les ont dressés. Elles
ont pénétré par le coude du Rhin, au nord du lac de Constance, ont
suivi les vallées larges et basses, évitant les endroits escarpés, restant à
portée des rivières, s'agglomérant près des lacs, population de pas-
teurs et de chasseurs, qui vivait entre l'eau et la forêt. Les tumuli
sont de deux espèces, à incinération et à inhumation ; parfois les
deux rites sont réunis. Les inhumants paraissent être venus de
l'ouest ; ils sont moins nombreux et se rencontrent surtout dans le
Jura. Les uns et les autres paraissent avoir immolé des victimes
humaines, surtout des femmes. Dans les tumuli mixtes, l'homme est
incinéré, la femme ou les femmes inhumées. On a trouvé des tumuli
72 REVUE CRITIQUE
h chnrs. I.c char fuit absolument défaut dans les lombes souterraines
en Suisse. Un certain nrimbre de particulariids s'expliquent par les
usages connus des Gaulois : sacrifices funéraires, dépôts de glands et
de feuilles de chêne, roues et rouelles dans les tombeaux. M. V.
admet que « les Gaulois sont les descendants des hommes des
tumuli » (p. 55j.
A l'époque de Hallstadt. où la population est nomade, succèdent
les deux époques de la Tène, où la population s'agglomère aux deux
points représentés aujourd'hui par Zurich ci Berne. Dès lors, les
sépultures souterraines, rares à l'époque de Hallstadt, deviennent la
règle.
L'ouvrage de M. Viollicr est utile et bien fait. On est un peu
étonné que, parlant de la religion gauloise dans son introduction, il
ne cite pas une fois les articles de M. .luUian dans la Revue des études
anciennes. Pourquoi dit-il « tombes souterraines •>-> dans les titres et
le texte des chapitres IV et V et « tombes plates » à la table ? Enfin,
on pourra lui reprocher quelques répétitions et un peu de diffusion
dans les considérations générales.
R. M.
Emanuelc Ciackri, Culti e miti nella storia dell' antica Sicilia. Catanc, F. Bat-
tiato, 191 I, xii-33o p. ia-B". Prix : 5 1.
Ce volume appartient à une Biblioteca dijilologia classica dirigée
par l'infatigable professeur Carlo Pascal. M. Ciaceri a réuni tous les
textes relatifs aux temples et aux cultes de la Sicile antique. Il y a
joint le témoignage des monuments, surtout des inscriptions et des
monnaies. La récolte est divisée en cinq chapitres : 1° Cultes indi-
gènes hellénisés (très intéressantes données sur Adranos, la dea
Hyblaia, Enjx, la sibylle de Lilibée, etc.) ; 2" Mythes et cultes d'ori-
gine probablement orientale (Zeus Atabyr-ios, Kronos, Aphrodite
Erycine, Héraclès-Melkarth, Aristée, Orion, etc.; le rôle du chien
dans les cultes de la Sicile); 3° Grandes divinités gréco-romaines ;
4° Divinités mineures (parmi lesquelles sont comprises les Meteres,
les Nj'mphes et les divinités égyptiennes) ; 5° Héros et personnages
mythiques (fondateurs et rois, Héraclès, lolaos, Aristée et Actéon,
Daphnis, etc.). Le but de M. C. était de recueillir des données posi-
tives, en se tenant éloigné des conceptions systématiques. On sait que
la Sicile a été, dans ces dernières années, le terrain de prédilection des
savants qui voient partout, derrière un saint ou un pèlerinage chrétien,
un dieu païen ou une fête antique. M. C. a voulu rester à l'écart de
ces exagérations, aussi bien que de la fâcheuse apologétique qui ne
veut rien entendre sur ce sujet. Il se réclame d'un savant religieux
sicilien, le P. Ottavio Gaetani, dont l'œuvre était, à l'époque, la
meilleure : Octavius Cajetanus, Isagoge adhistoriam sacram siculam,
Panormi, 1707. Le livre de M. Ciaceri rendra les plus grands ser-
d'histoire et de littérature 73
vices, en même temps qu'il permet de mieux comprendre le passé
religieux de la Sicile. Il est terminé par un bon index.
Ed. Thanisy.
Giovani Livi. Dell'archivio di Francesco Datini mercante Pratese. Celebran-
dosi in Prato addi xvi d'agosto mdcc.ccx, auspice la pia casa de' Ceppi il v cen-
tenario délia morte di Lui. Firenze, Lumachi, mdccccx, v-69 p. gr. 10-4° et
I pi.
Datini, mort en 1410, est un de ces marchands italiens à qui le
commerce étranger donnait le goût des affaires publiques et le moyen
de s'informer des nouvelles de tout pays. M. Livi, directeur des
archives d'État à Bologne, donne un aperçu de la richesse des
archives laissées par Datini à Prato. Il en tire des lettres intéressantes
ou des extraits qu'il convient de signaler aux historiens. Des fac-
similés et une planche reproduisant la statue moderne de Datini font
de cette brochure un précieux souvenir du centenaire du personnage.
W.
La Juridiction ecclésiastique en matière bénéficiale sous l'ancien régime
en France, tome I, La Juridiction contcntieuse, par P. DelaNxNoy (Université
de Louvain, Recueil de travaux, 27° fascicule). Paris, Picard, 19 10, xxxi-217 p.
in-8".
Cette étude comprend deux parties : les procès bénéticiaux, la
compétence en matière bénéficiale. Toute la première tourne autour
du dévolut, qu'il ne faut pas confondre avec la dévolution. La dévo-
lution supposait la vacance d'un bénéfice. Quand le collateur laissait
passer un certain temps sans le pourvoir, le droit de collation passait
au supérieur immédiat. C'était la dévolution, établie par le troisième
concile de Latran pour parer à la négligence des collateurs et à la
vacance prolongée des bénéfices. Le dévolu suppose, au contraire, le
bénéfice pourvu. Le collateur a usé de son droit en faveur d'un
individu, soit N. Mais N., à tort ou à raison, est indigne ou inca-
pable. Alors intervient le dévolutaire, qui dénonce l'incapacité ou
l'indignité, et réclame pour lui-même le bénéfice auprès du supérieur
immédiat. Durand de Maillane définit donc le dévolut « une impétra-
tion fondée sur l'incapacité de la personne du pourvu, ou sur quelque
défaut dans ses titres, soit que le pourvu fût incapable avant la colla-
tion, ou que l'incapacité ne soit survenue qu'après ses provisions ».
Dans la pratique, les dévolutaires s'adressaient à Rome. La curie
favorisait ces pratiques, y trouvant des gains abondants. Le pape
délivrait une provision au dévolutaire qui rentrait en France, prenait
la place de l'ancien bénéficier, avec la complicité des parlements, et
forçait l'évêque à lui accorder l'institution canonique. Sur ce thème,
on voit assez ce que la jurisprudence et les justices compliquées de
"4 REVUE CRITIQUE
l'ancien régime pouvaient broder. M. D. retrace l'histoire des varia-
tions et des règles suivies depuis la seconde moitié du xvi"= siècle, et
surtout au xviii« siècle. La deuxième partie relate les querelles
survenues en matière de compétence entre lés juges séculiers et les
ollicialités. M. D. explique en détail l'organisation et le fonction-
nement des ofHcialités.
Le livre de M. Delannoy est surtout fondé sur les archives du
clergé de p-rance, imprimées ou manuscrites, notamment la série G8*
des Archives, nationales. Pour les conflits avec le Parlement, il eût
été sans doute bon de consulter les archives du Parlement, en l'espèce
la série U, et de ne pas se contenter du Recueil (imprimé) des Actes,
Titres et Mémoires concernant les affaires du clergé de France. Le
mérite de l'auteur n'en est pas moins grand d'avoir pénétré dans ce
fourré qu'est la juridiction bénéficiale.
A.
A. W. Ward and a. R. Waller. — The Cambridge history of English Lite-
rature, vol. VII (Cavalier and Puritan). Cambridge, University Press. 191 i,
in-80,354 pp. 10 s. 6d.
On se rappelle que les volumes V et VI de la savante histoire de la
littérature anglaise publiée sous les auspices de l'université de Cam-
bridge par un groupe de professeurs, étaient consacrés au théâtre du
xvi"" siècle. Avec le volume VII on tombe brusquement des splendeurs
de la Renaissance aux ternes et interminables discussions de théolo-
giens anglicans et de docteurs puritains. A côté de Shakespeare et de
Webster, les pamphlétaires et les controversistes de la guerre civile
ne paraissent que des figures effacées. Ils appartiennent à l'histoire
plus qu'à la littérature. Mais, par un extraordinaire hasard, l'époque
qui produisit toute une bibliothèque d'ouvrages ennuyeux et illisibles,
a produit aussi les poèmes de Milton. Il semblait qu'un volume con-
sacré à la littérature puritaine dût donner la place d'honneur à son
plus illustre représentant. L'université de Cambridge paraissait indi-
quée pour veiller à la mémoire du plus glorieux de ses élèves. Or,
nous venons de lire le chapitre que M. G. Saintsbury a écrit sur l'au-
teur du Paradis perdu, et nous avouons notre surprise. M. G. S. a-
i-il cru qu'il serait déplacé de mentionner autrement qu'en passant
un chef-d'œuvre sublime dans un ouvrage qui s'étend avec beaucoup
de détails sur James Howell et qui discute l'influence des Atinales de
Baronius ? Même en analysant les ouvrages de Milton en prose et l'on
sait s'ils sont diffus et indigestes, il n'arrive à accorder au plus grand
poète épique de l'Angleterre qu'une quarantaine de pages. Dans une
histoire de la littérature anglaise qui doit comprendre quatorze tomes,
cinq pages ont donc suffi au Paradis perdu et deux au Paradis re-
conquis et à Samson Agonistesl Qu'on suppose une histoire de
la littérature française qui donnerait au père Garasse et au père Maim-
d'histoire et Dk LITTÉRATURE jS
bourg l'importance de Racine! Les traités du xyii® siècle sur la sor-
cellerie sont analyses, de façon très attachante d'ailleurs, dans un cha-
pitre guère moins étendu que le chapitre sur Milton : il faut se figurer
le procès d'Urbain Grandier étudié au même titre que Phèdre ou
Athalie. Passe encore si M. G. S. était équitable, mais il faut voir le
dédain avec lequel le poète aveugle est traité. « Rien ne peut lui
donner un caractère aimable » ; « son caractère peut à peine être très
attirant » ; « des personnes qui ont uni la culture à la sincérité ont
déclaré que Cornus est lourd »; < Milion a toujours été plus admiré
que lu »;« il n'est pas étonnant qu'il ait eu peu d'admirateurs hors
d'Angleterre et que ceux-ci (comme Schérerpar exemple) aient eu des
raisons très spéciales de l'admirer», etc. Ce qui est étonnant, c'est que
M. G. S. ignore la place que tient l'épopée de Milton dans l'œuvre
de Chateaubriand. Accordons au critique qu'il est « superflu, dans la
Cambridge History of English Literature, de faire de la rhétorique »
en parlant de Milton, mais au moins ne faudrait-il pas, si l'on tient
à cette qualité de précision qui donne à une étude une valeur « scienti-
fique », accuser un poète de « manquer de variété » sans en fournir la
preuve. Parmi ceux qui liront cet étrange jugement, plusieurs sans
doute songeront à la description du soir dans le paradis terrestre, au
lendemain d'orage dans le désert, et reverront Eve penchée sur le
miroir des eaux. On s'insurgera aussi contre l'arrêt extraordinaire
qui donne aux paysages miltoniens l'épithète de « vagues ». C'est la
condamnation de la sobriété classique. Les paysages de Milton rap-
pellent chez les maîtres de la peinture italienne les fonds de tableaux.
Évidem.ment il ne faut pas leur demander la minutie d'un Burne
Jones ou d'un Holman Hunt. « Le vague miltonien n ressemble singu-
lièrement au « vague » homérique et virgilien. Mais ce n'est pas le
moment de plaider la cause de Milton; il n'a d'ailleurs pas besoin de
défenseur '.
Hâtons-nous d'ajouter que parmi les professeurs qui ont collaboré
à ce septième tome, le détracteur de Milton fait exception. On aura
beaucoup à apprendre du D'' Moorman, auteur du chapitre sur les
poètes lyriques, ou du D'' John Brown qui fait autorité sur Bunyan
et son œuvre ; nul n'était plus qualifié que le D^" J.-E. Spingarn pour
écrire sur les critiques; enfin le D'" A. W. Ward s'est chargé des his-
toriens, M. J. B. Williams des journalistes et au professeur W. R.
Sorley est dévolue la Lourde tâche de parler comme il convenait de
I . Il arrive souvent aux critiques de Miltoii de tomber dans la vulgarité. Pareil
au docteur Masson dont les six volumes imposants sur la vie de Milton permirent
à Matthew Arnold d'exercer sa verve, M. G. S. risque des plaisanteries sur Milton
et les femmes. L'idéal de Milton, c'était, paraît-il, « une Aspasie-Hypatie-Lucrèce-
Griselidis », mais, ajoute M. G. S., «ce mélange {blend, terme appliqué par les
boutiquiers à leur thé et à leur tabac) n'est pas communément coté sur le marché
matrimonial «. De telles fadeurs déshonorent une œuvre sérieuse.
-ô RliVUlC CRITIQUE
Hobbcs. Nous nous pcrmeiions de signaler à M. J.-B. Williams
l'exemplaire des Nouvelles ordinaires de Londres que conserve la
Hibliotliùque nationale. Ce journal, rédigé en français et qui parut à
Londres de i()5o à 1657, n'a donc pas « presque entièrement dis-
paru ». (P. 36o) '.
Ch. Bastu)i:.
J.-P. Brissot. Correspondance et papiers, prcccdés d'un avertissement et d'une
notice sur sa vie, par Cl. rEinuiLD. Paris, Alpb. Picard et tils, s. d., in-8»,
402 pages (collection des Mémoires et documents relatifs aux xvin'- et xix*^ siècle).
Voici le troisième volume que M. Perroud consacre à Brissot; soit,
avec les deux précédents, un ensemble de 1290 pages in-8°. Ceux qui
considèrent que Brissot a donné son nom à l'un des deux grands
partis politiques qui divisèrent la France à un des monients les plus
émouvants de son histoire; ceux qui se rappellent les jugements abso-
lument contradictoires portés sur lui avant, pendant et depuis la
Révolution ; ceux enfin que passionne la vérité historique, ne pourront
que louer M. Perroud d'avoir entrepris de nous restituer ce person-
nage, d'avoir donné à cette œuvre de pareils développements et de
l'avoir si consciencieusement accomplie.
Quand à Brissot lui-même, gagnera-t-il ou perdra-t-il à cette magis-
trale étude? Je crois qu'il faut distinguer. Il en sortira lavé de beau-
coup de calomnies accumulées sur lui dès son vivant. Sans être d'une
moralité héroïque, Brissot possédait une vertu moyenne, il fut bon
citoyen : voilà ce qui paraît désormais acquis. Mais — et n'est-ce pas
la seule vraie question qui se pose quand il s'agit de Brissot? —
était-il à la hauteur du rcMe que ses amis lui tirent jouer?
En d'autres ternies, y avait-il en lui l'étoffe d'un grand politique,
d'un Cromwell, par exemple, démolisseur d'une royauté, et rebâtis-
seur d'un autre gouvernement? Je ne pense pas que cela ressorte avec
évidence des textes publiés par M. Perroud. Brissot fut un publiciste,
rien de moins, et sans doute rien de plus. Trop besogneux pendant
toute sa jeunesse pour avoir eu le temps de beaucoup penser, trop peu
intelligent ' pour avoir conçu un nouveau système politique, trop peu
énergique pour avoir osé payer d'audace, trop simple pour s'être
imposé par la ruse, il se borna à rnettre une plume facile et exercée
au service d'idées qui n'étaient pas proprement les siennes, mais celles
de tout le monde autour de lui.
1. P. 3o8, à côté de Primrose, le professeur Watson aurait dû citer Jean Came-
ron, né à Glasgow en iSyi, pasteur à Montauban en 1625 et plus tard professeur
à l'Académie de Saumur. — Comme d'habitude, la bibliographie est fort bien
faite.
2. Cependant le lieutenant de police Lenoir lui trouvait de l'esprit. Mais il parait
que c'était un prêté pour un rendu.
d'histoire et de littérature 77
Et ce ne serait pas une des moindres surprises de ces temps agités
que de voir Brissot, ce médiocre, en possession de sa renommée, si
l'on ne savait qu'en politique ce ne sont pas toujours les plus fortes
têtes d'un parti qui servent à celui-ci de porte drapeau. Au surplus,
ceux qu'on appelait alors les Brissotins, mais que nous connaissons
mieux aujourd'hui sous le nom beaucoup moins exact de Girondins,
parti peu homogène, plus brillant que solide, plus bruyant qu'agis-
sant, étaient d'avance voués à l'échec, car c'est encore un autre fait
d'expérience politique, que le pouvoir, même en France, est aux
hommes d'action et non aux hommes de plume ou de parole : un dis-
cours, on l'a dit, a pu faire changer une opinion, jamais un vote.
Cela est encore bien plus vrai d'un article de journal.
Aussi ne serais-je pas supris que M. Perroud fût de cet avis, je veux
dire qu'il ne s'exagérât pas le génie de Brissot, mais que Brissot lui
eût paru un prétexte avantageux pour continuer à verser sur nous les
inestimables trésors de son érudition. Par la place qu'il occupait à la
tête de son parti politique, comme par les entreprises de librairie, de
commerce, de banque et autres, auxquelles il fut mêlé en France, en
Angleterre et jusqu'en Amérique ; par les journaux et publications
variées qu'il dirigea ou inspira; enfin, par ses relations dans le monde
et un peu dans tous les mondes, Brissot pouvait être pris coinme le
centre d'une vaste étude sur la société française et cosmopolite aux
abords et dans les premières années de la Révolution. Le sujet a été
maintes fois traité ; mais, sous cet angle, il se renouvelait et prêtait à
à de riches développements. Fidèle à sa méthode, M. Perroud a
dédaigné d'en faire le thème d'une histoire narrative, et préféré éditer
et commenter des textes. On sait avec quelle sûreté de main il a, dans
ses deux premiers volumes, dépecé ce qu'on nous avait servi comme
les Mémoires de Brissot, pour n'en garder et ne nous offrir que les
morceaux authentiques. Aujourd'hui, sous le couvert de la Corres-
pondance et des Papiers du même Brissot (où tout n'est ni de premier
ordre, ni d'égale valeur, ni même de valeur), il fait défiler devant nos
yeux un immense cortège de personnages de toutes nations, de toutes
couleurs, français, anglais, américains, blancs et noirs, athées et
croyants, royalistes et révolutionnaires, escrocs et hommes sensibles,
gens de lettres et commerçants, magistrats et militaires... M. Perroud
les connaît tous, et, en nous les présentant l'un après l'autre, il nous
apprend (ou nous rappelle) d'où ils sont sortis, ce qu'ils ont fait dans
la vie et comment ils ont Hni. C'est à la fois une procession et une
encyclopédie. Je ne prétends pas, ni lui non plus du reste, que tout
cela soit extrêmement intéressant. Mais M. Perroud, nouveau Vatel,
se croirait déshonoré vis-à-vis du public, s'il laissait celui-ci attendre
un commentaire, une glose, une simple note. Il faut dire aussi que de
ce précieux cuisinier la sauce vaut souvent mieux que le poisson :
nous l'avions déjà constaté dans quelques-unes de ses dissertations
^g REVUE CRITIQUE
sur M'"" Roland ci ses amis; celles dont il vient d'honorer Brissot pcr-
niciicnt de ratrirmcr bien mieux encore '.
Eugène Welvert.
— Le petit volume de A. L. M. Nicolas, inùiu\é Cheikh Ahmed Lahçahi (Paris,
Gciuhner, 1910, pet. in-8", xix-72 pp.) est le premier d'une série qui a pour titre
};éacral : Essai sur le Cheikhisme. Le présent volume est une biographie, en
général traduite sur le» sources indigènes, du fondateur de cette secte dissidente
du chiismc, qui précédant le Babismc, parait en avoir préparé la venue. C'est un
document où il y aura à puiser pour l'histoire du chiismc moderne; mais il
semble que tout y soit bien oriental, c'est-à-dire peu clair et peu ordonné, et que
la préface ait subi l'influence du livre. — M. G. D.
— AL A. J.-Reixacu nous a envoyé, en tirage à part, le premier fascicule du
Bulletin épigraphiqne qu'il publie chaque année dans la Revue des Etudes grec-
ques [Bulletin annuel d'Épigraphie grecque publié par A. J.-Reinach. Première
année, 1907-1908; Paris, Leroux, 1909; 96 p. Extrait de REG, XXII, pp. 145-195
et 3o6-335). On sait que dans ce Bulletin sont signalées toutes les inscriptions
grecques publiées ou étudiées dans les recueils savants de toute l'Europe et des
États-Unis, et que, non content de les analyser et de mettre en relief les connais-
sances nouvelles qu'elles apportent, M.'R. donne place, en outre, à tous les ren-
seignements qui, tout en étant hors du domaine épigraphique proprement dit,
sont néanmoins de nature à rendre service à l'étude des inscriptions; ensuite à
un résumé succinct des ouvrages spéciaux dont les documents épigraphiques font
le sujet. Faire l'éloge d'un tel travail, on tout est clairement ordonné et rangé
méthodiquement, me semble superflu ; les tirages à part en sont dès maintenant
indispensables, d'autant plus que M. R. y ajoute des indices qui en rendent la
consultation bien plus facile. Ce premier fascicule nous donne les résultats du
dépouillement de 55 périodiques français et étrangers, la plupart de 1908. — Un
second fascicule (1910) nous conduit jusqu'au i"^'" décembre 1909; mais nous
l'avons reçu comme simple tirage à part [REG, XXIII, pp. 287-345), sans pagina-
tion spéciale, ce qui n'a pas un grand inconvénient, mais aussi sans indices; ceux
du premier fascicule sont si bien disposés et si commodes qu'on regrette de ne
les pas avoir pour le second.
— M. A. J.-Reinach nous a également envoyé ses rapports sur les fouilles qu'il
a dirigées pendant six semaines, avec la collaboration du capitaine Weill, à Kop-
tos dans la Haute-Egypte, sous les auspices de la Société française des fouilles
archéologiques {Rapports sur les fouilles de Koptos (janvier-février 1910) adressés
à la Société française des fouilles archéologiques et extraits de son Bulletin, aug-
mentés de huit planches et d'un plan (Paris, Leroux, 1910; 55 p.). Ces rapports,
au nombre de trois, sont des modèles de précision ; on suit pas à pas les explora-
I. Page 373, texte et note. En substituant au mot concierge, employé par M™^ Bris-
sot, celui de régisseur du château de Saint-Cloud, M. Perroud ne s'est sans doute
pas rappelé que les concierges des maisons royales en étaient en réalité les régis-
seurs. C'était une véritable charge qui s'achetait à beaux deniers et qui rappor-
tait, sinon de gros salaires, du moins beaucoup de revenus à côté. Bonnefoy Duplan,
par exemple, concierge du petit Tr.ianon, était un gros personnage, riche et influent,
dont les descendants sont aujourd'hui marquis, ^'oilà sans doute pourquoi la
corporation des portiers a fait place, dans le vocabulaire actuel, à celle des
concierges : les mots ont leur psychologie.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 79
teurs dans leurs découvertes, édifices royaux, temples, colonnades, stèles, reliefs,
etc., intéressants aussi bien pour l'histoire de l'art que pour l'histoire de l'Egypte
ancienne. .\ ces rapports M. R. a joint un résumé des principaux résultats d'une
expédition qu'il fit dans le désert, une fois les fouilles terminées, et qui avait
pour but d'explorer la route de Koptos à Kocéir (Leukos Limèn) sur la Mer
Rouge; c'est en quelque sorte une rapide histoire de la prospérité et de la déca-
dence de Koptos, et de son rôle comme entrepôt commercial entre l'Egypte et
l'Arabie. — My.
— La bibliothèque d'Oxford {Scriptorum classicorum bibliotheca Oxoniensis)
publie en un volume à part deux ouvrages de Platon, VApologic et le Ménon,
reproduits de l'édition complète de M. Burnet, t. I et t. III. Chacun des deux
morceaux est précédé des sigles des manuscrits. En un passage du Ménon, 70 b
on constatera une modification au texte : le mot ■Ko'kXta.i n'est plus entre cro-
chets; c'était là une conjecture personnelle de M. Burnet, qu'il a abandonnée
avec raison. Les signatures, dans le Ménon, sont erronées ; au lieu de 25, lire 23
et ainsi de suite. On sait que ces éditions n'ont ni pagination ni date. — My.
— Dans la Rivista di filologia de juillet igii,p. 390-408, M. Vincenzo Ussani
continue ses études critiques sur Flavius Josèphe [Qiœstioni Jlaviane , III, Le inter-
fola^ioni pliniane in Giuseppe). Du rapprochement d'un certain nombre de pas-
sages de Josèphe et de Pline l'Ancien, — ou de Tacite, qui s'inspire lui-même de
Pline, — il conclut que dans le texte du premier s'est introduite toute une série
de passages traduits du second; le sentiment antisémite qui s'y manifeste, la na-
ture des faits rapportés, les expressions employées trahissent leur véritable ori-
gine. Avant même qu'un interpolateur chrétien d'Alexandrie, vers la fin du se-
cond siècle, ait révisé l'œuvre de Flavius Josèphe, les interpolations tirées de
Pline avaient pris place dans les Antiquités judaïques et dans La guerre des Juifs.
— M. B.
— M. Terzaghi propose une ingénieuse interprétation d'un sujet représenté sur
une amphore archaïque à figures noires publiée par Gerhard Auserl. l^asenb.
198, un guerrier armé volant au-dessus d'un vaisseau {L'ombra di Achille, extr. de
Ausonia, IV (1909), fasc. i, pp. 26-3o). On y voit généralement l'ombre de
Patrocle protégeant les navires grecs; selon M. T., ce serait l'ombre d'Achille qui
vient réclamer le sacrifice de Polyxène. L'artiste se serait inspiré des poèmes
cycliques, probablement de la Petite Iliade, qui aurait également servi de source
à Euripide pour son He'cube, où il est plusieurs fois question de l'apparition
d'Achille. — Mv.
Paris, 5 janvier 19 12.
Monsieur le Directeur,
M. le D^ Evariste Michel me déclarant que la «prière d'insérer» jointe à son C/iâ-
teaubriand; interprétation médico-psychologique de son caractère a été rédigée sans
son aveu, je suis tout disposé à lui donner acte de cette observation. Elle n'enlève rien,
à mon sens, aux dangers d'une méthode qui consiste à extraire des seuls Mémoires
d'outre-tombe les preuves d'une disposition morbide; mais elle ne permet plus de
croire que l'auteur s'imaginait « combler une étrange lacune » et consacrer le
premier une étude de ce genre au tempérament du « dégénéré de génie ».
Agréez, etc.
F. Baldenspkrgkr.
8o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
Académie des Inscriptions et Bki.les-Lettres. — Séance du 1 2 janvier igi2.
— M. le comte Paul Durricu rappelle qu'il avait signalé à l'Académie la supériorité
avec laouellc le peintre milanais Michclino da lîesozzo, dans le premier tiers du
XV' siècle, savait traiter les ligures d'animaux. .M. Durrieu avait ajouté qu'il pos-
sédait depuis longtemps la preuve que Michelino avait travaillé pour le duc Kilippo
Maria N'isconti, et il citait un livre d'Heures conservé dans la famille du baron de
l.aiidau et qui pouvait contenir des pages de la main de Michelino. Les circons-
tances n'ont pas encore permis de laire exécuter des reproductions de ce manus-
crit, mais M. Durricu a récemment acquis un feuillet enluminé, provenant d'un
Missel, et où apparaissent les mêmes caractères typiques que dans les Heures du
duc Filippo Maria. On y remarque surtout, comme éléments décoratifs, placés
au bas de la page illustrée, deux tigures de cerfs accroupis, de la plus remarqua-
ble exécution, et qui annoncent déjà l'art de Pisanello.
M. Holleaux rend compte des fouilles exécutées, cette année, à Délos, par l'École
française d".\thènes, aux frais de M. le duc de Loubat. Les fouilles ont porté sur
cinq points principaux : 1° llléraion, où fut retrouvé le sanctuaire primitif, ren-
fermant une Collection de vases archaïques ; 2» la vallée de l'Inopos, dont les réser-
voirs, supérieur et inférieur,ont été presque complètement déblayés; 3" le Gymnase,
dont le plan a été exactement établi et qui a livré, outre de nombreux morceaux
d'architecture, d'importantes inscriptions; 4» la région située au S. et au S.-O. du
théâtre, exploration qui a amené la découverte de deux temples; 5° du sanctuaire,
provisoirement appelé Nouveau Sarapicion, dont la ruine a été découverte un peu
a rO. du réservoir inférieur de l'Inopos. — Les trouvailles archéologiques appar-
tiennent aux périodes les plus diverses de l'histoire de l'art antique ; outre les céra-
miques ^vases et masques) exhumées du sous-sol de l'Héraion, il faut signaler
deux statuettes représentant des personnages assis, largement drapés, d'un style
qui rappelle celui des figures de l'avenue des Branchides. — Parmi les monuments
épigraphiques, la première place est due au sénatus-consulte de l'an 166 a. G.
trouvé au Nouveau Sarapiéion; les ruines du gymnase ont livré une liste des
gymnasiarques de Délos, pendant 46 années à partir du rétablissement de la domi-
nation athénienne (166 a. G.); plusieurs textes apportent des renseignements
nouveaux sur les cultes égyptiens à Délos.
M. Gagnât fait une communication sur les castella de la Tripolitaine. A l'époque
romaine, la province de Tripolitaine, annexe de la province d'Afrique, était entourée
d'une ceinture de postes fortifiés qui ont été en partie retrouvés par les explorateurs
français et par les ofHciers des atïaires indigènes du Sud tunisien. La série des for-
tins qui joignait la pointe méridionale du massif des Matmatas à Tripoli et à Lebda,
l'ancienne Leptis Magna, est encore mal connue; quelques points seulement ont
pu être identifiés. Mais dans le massif lui-même on a découvert et même fouillé
un certain nombre de castella : Detubat, Remada, Tlalet près de Tatahouine, Benia
des Ouled-Mahdi, Ksar-Tarcine, Khaneti, Benia Geder, Henchir-Remtia, Telmin.
A cote de deux de ces ouvrages, les deux Benia, on a même relevé la trace d'un
mur de pierre précédé d'un fossé qui indiquait la limite du territoire romain de ce
côté. Dans ce mur était ouverte une porte par où les indigènes pouvaient le fran-
chir, sous la surveillance de postes militaires. En outre, le long des routes qui de
la frontière se dirigeaient vers l'intérieur du pays, étaient échelonnés des bord)S for-
tifiés : à Ghadamès, à Ghasia el Garbia, à Boudjem, à Siaoun, au S. du massif
des Matmatas, à Ksar Ghelane à l'O.; enfin, dans l'intérieur même du massif, on a
trouvé la trace soit de fortins qui gardaient les passages importants, soit de fermes
fortifiées.
M. Henri Omont signale une feuille de papier contenue dans le ms. 141 de la
Collection Baluze, à la Bibliothèque nationale, et renfermant des variantes des
Fables de Phèdre relevées pour Nicolas Rigault, par le P. Sirmond, sur le ms. de
Saint-Remi de Reims détruit par un incendie en 1774.
M. Clermont-Ganneau donne lecture d'une lettre de M. l'abbé Hyvernat sur
5o mss. coptes récemment acquis par M. J. Pierpont Morgan et provenant d'un
même monastère tombé en ruines vers la fin du x' siècle. Plusieurs de ces mss.
ont encore leur reliure originale, et une dizaine d'entre eux contiennent d'intéres-
santes miniatures. La plupart sont en dialecte sahidique ; deux sont en fayoumi-
que et un seul en bohaïrique.
L'Académie déclare vacante une place de membre libre, par suite du décès de
M. Edmond Saglio. L'exposition des titres des candidats est fixée au 16 février, et
l'élection au 23.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Yelay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 5 — 3 février — 1912
Aymard, Les Touaregs. — Nicole, Catalogue des vases peints du Musée d'Athè-
nes. — Gertz, Vies des saints danois, II. — Oberman, Les sarcophages chrétiens.
— C. Proskauer, L's final des inscriptions latines. — Vindry, Les parlementai-
res français au xvic siècle, II. — Collins, Voltaire, Montesquieu et Rousseau en
Angleterre. — Trent, Littérature américaine. — Lettres de lord Byron, trad.
Delaciiaume. — Paul, Dennis. — E. Kaufmann, La banque française. — La soli-
darité sociale. — Pohl, La cour internationale des prises. — Giesecke, La légis-
lation commerciale américaine avant 1789. — Reini'ihl, Uhland homme politique.
— Rapp, F. -T. Vischer et la politique. — Lenz, Histoire de Bismarck. — Goyau,
Bismarck et l'Eglise. — Moysset, L'esprit public en Allemagne. — L. Hubert,
L'effort allemand. — Lettre de M. Binet-Sanglé, Réponse à M. Alfred Loisy. —
Levi, Le drame satyrique. — Leman-Galpin, Les sources de DiguUeville. —
Hoors, Lexique des antiquités germaniques. — Kudrun, p. E. Schruder. —
Jahr, Sources choisies du moyen âge allemand. — Académie des inscriptions.
Capitaine AvMARD, Les Touaregs, Paris, Hachette, 191 1, 242 p. in- 16 avec une
carte et 44 gravures.
Sous ce litre général, l'auteur a décrit principalement les Touareg
du sud et son livre est intéressant à consulter même après ceux de
Barth et de Jean. L'organisation des tribus, la vie domestique du
Targui, peu flatté, mais supérieur aux Maures et aux Arabes, la vie
sociale, la géographie des contrées au Nord du Niger, la faune, sont
exposées d'une façon claire et utile. On peut s'associer sans restric-
tion aux conclusions tirées des conditions politiques et militaires sur
le pays. Malheureusement, le chapitre des Origines est rempli
d'erreurs : en dépit des autorités alléguées pour appuyer la vieille
fable des Touaregs issus, comme d'autres Berbères, des Himyarites,
leur nom ne vient ni de l'arabe taraka « abandonner », ni de l'arabe
taraqa c assaillir » : c'est un nom de tribu berbère déjà mentionné
par El Bekri : Targa, P., 5. Ibn Hauqal n'écrivit pas une Description
■de r Afrique, ce n'est qu'un chapitre de sa géographie générale, qu'a
traduit M. de Slane en 1842 et non en 1827, comme il est dit à tort
p. 5, note I. On ne doit pas citer la traduction fautive d'El Idrisi par
Joubert (et non Jaubert comme il est nommé p. 6, note i) quand on
Nouvelle série LXXIII 5
82 REVUE CRITIQUE
peut consulter celle de Dozy et de Goeje. Les citations d'auteurs
arabes sont incomplètes : croirait on qu'El Bekri, le plus important
de tous, El Ya'qoubi, Ibn Batoutah qui traversa le pays des Touaregs
en allant au Soudan et le décrivit, ont été oubliés? Faire des Hyksos
(et non Hycksos) les ancêtres des Touaregs (p. lo-i i) est de la pure
fantaisie: ils auraient été repoussés en Libye par l'invasion des Scythes
en 655 av. J.-C. ou par celle de Cambyse en 525 (!). Ou encore les
Numides, ancêtres des Touaregs sont « le résultat du croisement
des fils de Persée (Phorusiens ou Hycksos, peuple pasteur chassé de
l'Egypte), avec les Gétules, habitants primitifs du pays» (p. i3).
Cette amplification du ch. xviii du De bello Ju^urthino de Sallusie
est originale. L'aventure de Sidi 'Oqbah (p. i6) est sagement donnée
comme une légende; mais les noms de la Kahina et de Kosa'ilah
« héros touareg » montrent qu'il s'agit d'une légende fabriquée par
des tolba à demi lettrés. Ce premier chapitre aurait pu être supprimé
sans inconvénient.
La carte est sommaire; les 44 gravures sont des photographies bien
choisies et bien réussies '.
René Basset.
G. Nicole, Catalogue des vases peints du Musée national d'Athènes, Supplément.
Un vol. in-S", p. v-xi, i-?5i,Hg. 1-9 et un album in-f" avec XXI pi. Paris,
Champion, 191 1. Prix, 70 fr.
C'est en 1877 que M. CoUignon fit paraître le premier catalogue
des vases d'Athènes. L'ouvrage, refondu et complété par Couve, qui
ne put le terminer, parut sous sa seconde forme en 1 902, bientôt suivi
d'une double série de tables et d'un précieux Album. Le présent sup-
plément, qui compte plus de i35o numéros, contient les vases entrés
depuis 1897, auxquels s'ajoutent ceux que Schliemann avait décou-
verts dans les tombes de l'acropole mycénienne : les séries primi-
tives et minoennes, chypriotes, eubéennes et hellénistiques, enfin la
suite des divers vases à reliefs se sont enrichies de nombreux et d'im-
portants exemplaires. L'auteur, bien connu comme céramographe et
dûment présenté par M. Collignon, a suivi les grandes lignes du
classement adopté par ses prédécesseurs, tout en y introduisant des
subdivisions et des groupements nouveaux : de très courtes notices
suffisent à mettre le lecteur au courant des dernières découvertes ou
des plus récentes hypothèses; la description est toujours sobre et
précise et seules les indications techniques pourraient être plus nom-
breuses. L'album ne contient pas que des inédits, mais les monuments
qu'il donne sont bien choisis : Je les aurais voulu plus abondants,
mais il est probable que tel aurait été aussi le désir de l'auteur et il
I. De nombreuses fautes d'impression : p. 6, Zirir lire Ziri; p. 8, note, Ivbiennes
1. libyennes; p. 92, ham:;ad, lire am^ad; p. i5o, Tanairovt (2 fois ) I. Tane^roiift ;
p. 67, note 2, dikhr, lire dhikr; kouadrya, lire Khaouatyah, etc.
d'histoire et de littérature 83
faut ajouter que beaucoup de vases, qui sont simplement décrits, ont
été reproduits, dans divers recueils. Quelques-unes des planches sont
en couleurs, mais la polychromie en est parfois médiocre : si la
planche Vil donne une idée assez exacte de l'amphore d'Erétrie (888),
en revanche la cruche chypriote 5i3 (pi. II) n'offre aucunement la
teinte de l'original; la faute, cela va sans dire, n'en est nullement à
N. lui-même, mais aux procédés de reproduction qui restent encore
fort imparfaits, lorsqu'il s'agit de gravures en couleurs.
P. i3, dérinir le terme : établissement. P. 45, est-ce bien un banc
de sable? P. 71, N. rappelle avec raison le traitement barbare que
Schliemann a fait subir aux vases qu'il a découverts à Mycènes. P. gS
et suiv., comparer les spécimens que j'ai décrits dans le t. V du cata-
logue de Glercq. P. 124, l'anse de l'amphore 76g est étudiée et repro-
duite BCH, XXII, 1898, p. 5o8, fig. 17. P. i53, n» 854, l'oiseau
parait une chouette, cemmc sur le n» 872 (p. i5g). P. i58 (870), les
serpents ne sont pas enlacés. P. 167, est-ce bien un carquois et non
un fourreau d'épée que porte Héraclès? P. i83, N. est-il sûr du
« héron »? P. 196, l' « instrument de la palestre » est un javelot.
P. 2o3, nouveaux lécythes avec le nom de Diphilos, Hls de Melanopos.
P. 227, n° io55, le deinos apode en métal est connu dans la Grèce
propre comme vase funéraire et « agonistique ». P. 249, je doute
beaucoup que l'athlète nu trempe une bandelette dans le pseudo-
aryballe. Pourquoi écrire p 270 HomoUe-Perdrizet et p. 145 le nom
seul de Perdrizet? P. 244 et 265, je trouve la graphie strigile et
p. 25 5 et 343 strigyle : la première orthographe est la bonne. — On
ne peut, en fermant le bon et l'utile catalogue de N., s'empêcher de
penser que le musée d'Athènes est privilégié parmi les galeries d'Eu-
rope : non seulement les inventaires en sont publiés avec le plus grand
soin, mais ils sont constamment tenus à jour par des rééditions et
des additions successives. Sans doute la richesse des séries qu'il ren-
ferme justifie l'émulation féconde des archéologues, mais le jour
viendra-t-il jamais où les Italiens voudront imiter l'exemple qui leur
est donné ailleurs et verrons-nous quelque jour le catalogue illustré
et complet du Musée du Papa Giulio, du Musée de Naples et du
Musée étrusque de Florence ?
A. DE RiDDER.
Vitae sanctorum Danorum. Udgivne ved M. Cl. Gertz, af Selska'oet for Udgt-
velse af Kilder lil Dansk Historié, Andet Haette, pp. 167-390. Copenhague, en
coinmissioa chez G. E. G. Gad, 1910. Gr. in-80.
Ge deuxième fascicule des Vitae sanctorum Danorum comprend
des pièces relatives à saint Ganut, duc de Schleswig, à saint Ketil ou
Ketillus, confesseur, à saint Guillaume, abbé d'.'Ebelholt, à sainte
Marguerite de Roskilde. La plupart de ces pièces proviennent de livres
de culte, bréviaires, antiphonaires, missels. Un certain nombre sont
84 REVUE CRITIQUE
déjà connues. On retrouve ainsi les pièces de la liibliothcca hagiogra-
phica Litifui, i554, i535, 4651, 4652, 8908, 5324. Mais M. Gertz
donne un meilleur texte, distingue les récits parallèles (pour la vie
de Ketil), donne les abrégés des bréviaires en moniiani leur parenté
mutuelle, ajoute les pièces de vers des offices et fait connaître des
récits tout à fait nouveaux comme le recueil des miracles de saint
Canut. Des introductions soignées font connaître les manuscrits de
ces textes et contiennent de précieuses indications historiques. L'en-
semble est excellent et a un caractère tout à fait scientifique. Guil-
laume d'^î-lbelholt intéresse la France. Il était Parisien et chanoine
de Saint-Victor. Une partie de sa biographie, d'ailleurs conservée dans
des mss. delà bibliothèque nationale, a de l'importance pour l'histoire
religieuse de Paris. Nous devons regretter que les introductions soient
rédigées en danois. La langue arrêtera plus d'un de nos étudiants et
tous les hagiographes ne savent pas le danois. Pour cette publication,
le latin paraissait indiqué.
D. SONNERY,
De Oud-Cristelijke Sarkophagen en hun godsdienstige beteekenis. Door
H. T. Oberman. 's-Gravenhage, M. Nijhotf, 191 1. viii-i 58 p. et 39 fig. sur 12 pi.
grand in-4°. Prix : 12 florins.
L'étude de M. Oberman est une analyse méthodique des représen-
tations que Ton voit sur les sarcophages chrétiens et des croyances ou
des sentiments qui les ont inspirées. Le premier chapitre est une intro-
duction. L'auteur énumère les sarcophages et les publications qui
leur ont été consacrées. 11 en établit la chronologie. Le chapitre sui-
vant est une classification des motifs figurés d'après leur prove-
nance : motifs empruntés à l'art païen, motifs empruntés à l'art des
catacombes, motifs nouveaux et originaux. La représentation de
l'orante méritait un chapitre particulier où M. 0.1e définit, détermine
la nature de son acte, décrit le milieu dans lequel les artistes le font
paraître (arbres, oiseaux, saints, brebis, etc.). LIne autre série symbo-
lyse l'idée du salut ou du triomphe sur la mort par la rédemption : le
Bon Pasteur, Jonas, Noë, Daniel, Suzanne, le passage de la mer
Rouge, le sacrifice d'Abraham, etc. Un cycle spécial est l'histoire du
Christ considéré comme Sauveur. Souvent il préside au centre de la
composition. M. O. décrit et classe les divers aspects de cette figure.
Un long chapitre traite des images du paradis ou qui l'annoncent.
Elles montrent l'homme apaisant enfin sa soif (noces de Cana, Sama-
ritaine, Moïse frappant le rocher) ou sa faim (multiplication des pains,
cène), ou bien encore arraché au danger (Jonas, Adam et Eve dans le
paradis). Dans d'autres scènes, nous assistons aux occupations du
paradis, prière, lecture, jeux, au milieu des oiseaux, des fleurs et des
arbres, au son de la musique (Orphée). Alors toute pudeur sera dé-
placée ; les personnages placés au paradis sont représentés nus. Pour
d'histoire et de littérature 85
donner une idée de la manière dont les saints participent aux scènes de
sarcophages, M. O. a choisi saint Pierre et le considère dans ses trois
situations habituelles, recevant ses pouvoirs du Christ (tradition des
clés), médiateur de salut, enfin, portant la croix de son martyre ou
emprisonné. Un chapitre sert de conclusion.
L'ouvrage est accompagné de belles héliogravures des principaux
sarcophages chrétiens. Une notice donne les sujets d'une manière très
commode. On peut recommander le livre comme la meilleure étude
d'ensemble. Il est vraiment fâcheux qu'il soit écrit dans une langue
peu répandue. M. Oberman n'aura pas, à cause de cela, tout le succès
qu'il mérite.
S.
Das auslautende -s auf den lateinischen Inschriften. Von Carola Proskauer.
Strasbourg, Trùbner, 1910, vin-2oS, p. in-8". Prix : 6 M.
L'auteur de ce travail croit que 1'^ final était encore complètement
conservé vers 600 av. J.-C. Entre cette date et l'époque historique,
il est instable après o bref ouvert. Vers 200, il se consolide, par suite
de la substitution de u plus fermé à o. Cette consolidation est défini-
tive et de telle nature que l'^^ final passe en roman. La chute de s en
roumain et en italien n'a aucun rapport avec l'ancien latin.
Ces derniers points étaient connus. La consolidation de ïs, vers
200, est, au contraire contredite par l'usage des poètes. On a la res-
source de dire que les poètes ont prolongé arbitrairement un état de
choses ancien et changé. Il y a, à cela, deux difficultés. D'abord
M. Havet a prouvé que la fluctuation chez les poètes n'est pas arbi-
traire ni également étendue. Il y a restriction graduelle de Plante à
Cicéron. De plus, le texte de Cicéron, Orator, 161, atteste formelle-
ment que certaines gens prononcent encore de son temps sans faire
entendre ïs : qiiod iam subrusticum iiidettir. II ne faut pas considérer
ce texte comme posant la question ; il la résoud. Ce n'est pas l'énoncé
d'un problème, c'est un témoignage. M. Havet était au contraire par-
faitement fondé à regarder les inscriptions comme soulevant plus de
difficultés qu'elles n'en dissipent sur ce point. Il aurait fallu tenir
compte du supplément que M. Havet a apporté à son premier article
dans les Alélanges Boissier^ p. 263 et suiv. Enfin 1'^ final n'est pas
seulement caduc après o final, mais après i bref.
Malgré ces réserves, cette brochure, en réunissant tous les exemples
épigraphiques et en faisant une large enquête, rendra service. Une
table détaillée eût été utile. Comment saura-t-on, par exemple, que
nous avons là un recueil des cas où 1'^ est omise dans l'indication de
l'âge, dans annos et annis} Une quantité de détails intéressants et bien
classés, utiles aux épigraphistes ou aux linguistes, passeront forcé-
ment inaperçus.
H. Ple;my.
g^ • RliVUh CBlTiQLE
rieury Vindhv, Les Parlementaires français au XVP siècle, t. Il (i" fasc),
Parlement de HorJeaux. Taris, H. Champion, igro, in-8", i32 + xxxv p.
Suiie de celte imércssaïuc cl uiile piiblicaiion, due à un prodigieux
labeur. Sur ces Sgb notices, quelques-unes sont pariiculièrcment
importantes : les Dallîs. les Ncsmond, les de Mullet, les de Cruseau
(M. FI. V. apprécie particulièrement le chroniqueur Etienne de Cru-
seaui, les Eyquem parmi eux Montaigne), la Boéiie, les GautiVcteaa
(ici un chroniqueur que M. FI. V. n'aime guère), Arnoul le Ferron,
les de Baulon, Mctivier, Florimond de Racmond, Geoffroy de Mal-
vin, etc. Je n'ai pas besoin de dire avec quelle minutieuse probité
sont établies ces notices, désormais indispensables.
Au risque d'attirer la foudre sur M. FI. V., je révélerai ce mystère
que \c Contr'un esi pour lui une « pâteuse élucubraiion scolaire», qui
jouit d'une <> prodigieuse ei inexplicable renommée ». Il juge comme
nous l'avons fait nous même les allusions à l'œuvre de Ronsard, les-
quelles sont au futur. El il traite irrévérencieusement de « réjouis-
sante découverte )) la thèse qui attribue à Montaigne sinon la pater-
nité, du moins le décrassage de la Servitude volontaire. Où l'on sera
peut-être moins facilement d'accord avec M. FI. V., c'est quand il
dénie aux réformés du xvi*^ siècle, même après iSja, toute tendance
républicaine. Le loyalisme de Condé, de Coligny, de Henri de
Navarre (le loyalisme de ce dernier était quelque peu intéressé) ne
font rien à l'atîaire. Les pamphlets de 1 573-1 679 n'en tirent pas
moins les conséquences politiques de l'esprit d'examen. « Ceux de la
R. P. R. n'étaient pas contre Un ». Ils semblent bien qu'ils le fussent
devenus après la Saint-Barthélémy, puisqu'ils contisquèrent le Contr
Un à leur profit.
L'appendice comprend des notes prises à l'éiat-civil de Bordeaux,
pour la période i56o-i6io. P. i 3o, errata et addenda au t. i".
H. Hacser.
J. Churton Collins. — Voltaire, Montesquieu et Rousseau en Angleterre,
traduit de l'anglais par Pierre Deseilie. Paris, Hachette, 191 1, in-12, 252 pp.
3 fr. 3o.
William P. Trent. — Littérature américaine, traduction de Henry D. Davray,
Paris, Colin, igi i, in-i 2, 42G pp., 5 francs.
Lettres de Lord Byron, traduites par Jean Delachaume, avec une préface de
G. Clemenceau. Paris, Calmann-Lévy, 191 1, in-8% 440 pp., 7 fr. 5o.
Rien ne prouve mieux l'intérêt qu'on prend en France à la littéra-
ture d'outre-Manche et d'outre-Atlantique que ces trois traductions.
Le livre de M. Churton Collins est bien connu de ceux qui se sont
occupés du séjour de Voltaire en Angleterre. On en lit la traduction
avec plaisir. Félicitons M. Ch. C. de sa préface où, sans employer le
mot de littérature comparée dont on fait si souvent abus, il donne de
la science qu'elle devrait être une excellente définition, en l'appelant
d'histoire et de littérature 87
a l'étude des relations étroites qui existent entre la culture d'un pays
et celle des pays étrangers et de l'inBuence mutuelle des principales
littératures européennes sur leur évolution et leur progrès récipro-
ques ». Ce que l'auteur dit de < l'entente cordiale », est beaucoup plus
contestable : on ne peut, semble-t-il, établir aucune corrélation entre
l'expansion politique d'un peuple et la diffusion de sa littérature ; il est
possible que nos idées pénètrent « pacitiquement » en Angleterre à
l'heure présente, mais elles y pénétraient bien au xviii" siècle en dépit
des guerres coloniales, et de bons juges assurent que les Allemands
ont attendu, pour s'éprendre de notre culture, la guerre de 1870 '.
La collection d'histoires des littératures publiée par la librairie
Armand Colin s'est enrichie d'une littérature américaine que les lec-
teurs français devront au souple et élégant traducteur qu'est M. Henry
D. Davray. L'auteur de ce manuel, le professeur Trent, de l'Univer-
sité Columbia, malgré la réputation solide dont il Jouit en Amérique,
n'est pas connu en France autant que tel de ses collègues, par exemple,
le professeur Barrett-Wendell, le professeur Baker ou M. Wood-
berry. On ne s'étonnera pas de trouver chez lui comme chez eux la
même absence de préjugés et la même indépendance d'idées. A la
différence de M. Barrett-Wendell, le professeur Trent fait bon marché
de toute la littérature coloniale américaine, fatras de sermons, de
livres de controverse religieuse, d'annales et de récits de voyages ; tout
son effort se porte sur l'étude du xix« siècle. Tandis que les chapitres
sur la période coloniale et la période révolutionnaire ne demandent
qu'une centaine de pages, les chapitres sur la « période de formation »
(1789-1829) et la « période locale » (i83o-r865), en prennent plus de
trois cents. Par un scrupule d'historien dont les jugements exigent
pour plus de sûreté le recul du temps, le professeur T. s'arrête à la
date de i865. C'est dommage, car si nous connaissons bien les « clas-
siques » américains, Irving, Hawthorne et même Poe et Whitman,
nous avons moins de renseignements sur les contemporains. Dans
quel sens s'oriente la pensée américaine ? Poe et Whitman ont-ils fait
école? Quelle est la dette actuelle de l'Amérique envers l'Angleterre?
Quelle action exerçons-nous là-bas et quelle action y exercent les
Allemands? Autant de question auxquelles nous voudrions voir
répondre avec quelque précision. En fermant le livre on est pris d'un
soupçon : y aurait-il chez cet Américain un peu de timidité acadé-
mique? Inutile d'ajouter que le volume est admirablement imprimé.
On n'y relève aucune de ces fautes d'impression qui ont la gravité
de contresens.
Les lettres de Lord Byron sont bien oubliées aujourd'hui en Angle-
terre. D'ailleurs toute son œuvre y est dépréciée, injustement cela va
r. Quelques fautes d'impression regrettables : par exemple, concennittg, p. 47 ;
Sloiine pour Sloane. p. 78: Beuchot pour Rcuchot. p. 86; Aban^it pour Abauzit,
Pi 184, etc.
gg REVUE CRITIQUE
sans dire, car, avec Shakespeare et Milton, il est à peu près le seul auteur
anglais qui ait acquis une renommée européenne. Le titre que M. De-
lacliaume a donné à sa traduction n'est pas tout à fait exact ; c'est
choix de lettres qu'il aurait fallu dire, car des 635 lettres de Tédition
anglaise il n'a retenu pour les traduire que i65 et, par un lâcheux
oubli, il n'a pas prévenu le lecteur de cette mutilation. La traduction
est tîdèle et rend scjuvent la vivacité de l'original, mais le commentaire
manque quelquefois de siireté et les fautes d'impression abondent '.
On lira avec plaisir la vigoureuse préface de M. G. Clemenceau.
Cil. Bastide.
H. G. Paul, John Dennis, His Life and Criticism, Ncvv-York, Columbia Uni-
■ versity Press, 191 i, in-8°, 229 pp. i dollar 25.
C'est une tâche délicate que de tenter la réhabilitation d'un auteur
condamné par un poète satirique de génie. Les adversaires de Boileau
ne se sont pas relevés des coups qu'il leur a portés ; ceux de Pope évo-
quent dans notre mémoire les vers qui les ont rendus ridicules. Nul
ne paraît plus grotesque que Dennis, « le petit critique replet, aux
sourcils froncés, aux gros yeux myopes », si prompt à s'emporter que
Pope pouvait, à la grande joie des lecteurs, le représenter comme sujet
à des attaques de tièvre chaude. Ce fut un écrivain infatigable.
Comme la plupart des médiocres, il s'essayait successivement dans
tous les genres, sans réussir dans aucun. La longue liste de ses publi-
cations que M. H. G. P. a établie avec un zèle louable, contient pêle-
mêle poésies, traductions, tragédies, pamphlets politiques, essais cri-
tiques. De ce fatras, le docteur Spingarn avait tiré il y a deux ans
pour ses Morceaux choisis des critiques du xvii^ siècle, le Critique
impartial, une réponse à un traité de Rymer sur la tragédie. M. H.
G. P. a voulu faire mieux : il a tout lu et rend compte de tout. Sans
aller jusqu'à confirmer le jugement de Swinburne pour qui ^ Dennis
est supérieur à Addison », M. H. G. P, pense que le critique a été
injustement déprécié. « Son importance n'est pas dans les doctrines
qu'il a soutenues, mais dans le fait qu'il fut l'un des premiers de sa
race à consacrer la meilleure partie de sa vie à la critique ». Accep-
tons qu'on tresse une couronne à ce père grincheux de la critique
moderne, « au Timon de Grub Street », comme l'appelle si bien
Thackeray. Peut-être sera-t-on désormais moins sévère pour Dennis,
mais je doute qu'on lise beaucoup Les remarques sur le roi Arthur,
poème héroïque, L'utilité du théâtre au bonheur de l humanité, au gou-
vernement et à la religion. Le progrès et la réforme de la poésie
moderne, etc. — Quelques fautes à signaler : Benchot pour Beuchot,
I. P. 7 : Lisez non Vliomme de sentiment mais Vliomme sensible; p. S : il s'agit
non de Jonson l'auteur comique, mais de Samuel .lohnson le critique; p. 18 : la
lettre viii ne vient pas à sa place ; ibid., n., torie est une orthographe vieillie ; p. 58,
lisez Montagne; p. 341, lisez : Rorvcroft, etc.
d'histoire et de littérature 89
p. 4; lire : William, p. 6; le renvoi manque p. 33 n. ; lire p, 119:
« le bon sens » ; et pp. 121,221 : Desmarets. Dans l'exemplaire que j'ai
entre les mains, je n'ai pas irouvé de table des matières. L'index des
noms propres ne comble pas cette lacune. L'orthographe Terrence,
p. 83, répétée p. 228 et ailleurs, paraît bizarre. — L'auteur a eu raison
de mettre en évidence ce que les idées de Dennis avaient de révolu-
tionnaire à son époque. Ce fut, sans qu'il s'en doutât, une sorte d'ancê-
tre des romantiques. L'un des premiers à reconnaître le génie de
Milton, il proposait aux poètes de renoncer à l'imitation des chefs-
d'œuvre de l'antiquité païenne pour puiser leur inspiration dans la
Bible. La source de la poésie, disait-il encore, c'est l'émotion. Il se
faisait contre Pope et l'école classique le défenseur du vers blanc, le
vers de Shakespeare et de Milton. EnHn, et ce dernier trait est tout à
fait digne de remarque, il eut, surtout dans sa jeunesse, un culte très
sincère pour la nature. « J'aime, dit-il dans son récit d'un voyage en
Italie, les collines et les vallées, les prairies ornées de fleurs, et les
ruisseaux murmurants. Mais c'est avec transport que j'ai contemplé
les Alpes, transport mélangé d'un sentiment d'horreur et quelquefois
presque de désespoir ». Nous nous rangeons à l'avis de M . H. G. P.
quand il s'écrie que le malheur de Dennis fui de vivre trop vieux et de
s'attirer dans sa vieillesse les sarcasmes de Pope. Il ne sera pas facile
de chasser de notre mémoire l'image d'un Dennis misérable, aigri,
extravagant.
Gh. Bastide.
Dr. Eugen. Kaufmann, Das franzôsische Bankwesen, mit besonderer
Berûcksichtigung der drei Depositengrossbanken (Ergânzungsheft I de
VArcliiv f. Socialwissenschaft und So:iijlpolitik). Tubingen, J. C. B. Mohr, 191 1.
In-8°, xii-3y2 p.
G'est une chose curieuse que nous devions à un étranger le seul
exposé scientifique d'ensemble de la question des banques. L'auteur
explique lui-même ce phénomène : ceux des Français à qui ne fait
pas défaut la compétence sont au service ou dans la dépendance des
établissements qu'il s'agit d'étudier. L'exposé de M. K. est remarqua-
blement clair. Mais là n'est pas son principal mérite. On sent que
M. K. ne s'est pas contenté d'étudier son sujet, germanicomore, dans
les textes et dans les bilans. 11 a vécu dans nos banques, il en a étudié
le fonctionnement concret, les habitudes, lepersonnel. Son historique
est d'une lecture particulièrement savoureuse, parce qu'on y voit des
hommes, les premiers Rothschild, les grands banquiers orléanistes,
les Péreire. Sur nos grands établissements de crédit, M. K. ne par-
tage ni les indignations de Lysis ni les enthousiasmes de Testis. A
chaque peuple les institutions de crédit qu'il mérite. Les nôtres chan-
geront, quand changera notre mentalité.
Henri Hauseb.
go REVUE CRITIQUE
La solidarité sociale, ses formes, son principe, ses limiics. Travaux et paroles
de Kcnc Woriiis, A. D. Xéimpol, cic, etc. 't. III des AidkiIcs dv l'Intitiit iiitC)--
fijtional de xociolof^ic), Paris, (liard et Bricre. 191 i, ln->S". 32G p.
l.u Solidarité de M. Léon Bourgeois devait avoir son congres. Il
s'est tenu à Berne en 1909. Il nous est iiiip(jssible de résumer ou
même d'enumérer ici les communications, parfois brillantes, de
MM. Novicow, Ludwig Stcin, Grimanclli, Gobai, F. Buisson,
Ostwald, James M. Baldwin et de tant d'autres. Notons seulement la
place que le Congrès a donnée, d'une façon plutôt inattendue, à la
notion des limites de la solidarité. En particulier la lecture de
M. G. Papillaut sur les limites biologiques de la solidarité est singu-
lièrement riche d'observations précises.
Sur la solidarité nationale, la communication la plus importante
est celle de M. Xénopol. On voit qu'elle émane d'un citoyen d'un de
ces pays où la langue est presque le seul support de la nationalité.
Aussi M. X. n'admet-il qu'une cause à la coexistence de plusieurs
idiomes dans le sein d'un même peuple, à savoir la contrainte, et est-il
disposé à identifier les limites linguistiquesetleslimites nationales. Ces
théories ne trouvent que très imparfaitement leur application dans
l'Europe occidentale. Où M. X. est plus solide, c'est quand il dit :
« Ce n'est pas en sanctionnant des injustices présentes que l'on assu-
rera la solidarité humaine ». Ce qu'on appelle la paix par le droit ne
saurait sortir de la paix contre le droit.
Contre la thèse de M. Novicow, qui veut voir dans la solidarité
internationale le seul facteur, non seulement futur mais passé, du
progrès humain, des objections ont été formulées, notamment, par
cet esprit si libre et si original qu'est M. Fournière. Il est fâcheux que
M. Novicow n'en ait pas présenté, à son tour, contre les propositions
de M. Couturat en faveur d'une langue internationale artihcielle.
Henri Hauser.
D' Heinrich Pohl Deutsche Prisengerichtsbarkeit. Ihre Reform durch das Haa-
ger Abkommen vom. 18. Okt 1907. Tûbingcn, G. G. B. Mohr, 191 1. In-S», 233 p.
Que deviendra la convention de 1907? Sera-t-clle jamais la loi des
nations? Que sera la cour internationale des prises? Dès maintenant
il est intéressant de rechercher, dans le droit spécial des diverses
nations maritimes, les antécédents de cette institution. M. P. le fait
dans un esprit trèspositif, sans cacher sa méfiance à l'égard de certaines
formules, creuses, par exemple « la communauté juridique inter-
nationale » (ce que nos pacifistes les plus notoires appellent la société
des nations) considérée comme source de droit. Le droit international
allemand lui apparaît comme la somme des principes juridiques que
l'Etat allemand reconnaît comme obligatoires pour soi dans ses
rapports de fait avec les autres États C'est seulement de la ressem-
blance entre les règles de droit spéciales à chaque État que peut sortir
d'histoire et de littérature 91
un droit international positif. « La convention des prises n'est pour le
moment rien déplus qu'un projet non obligatoire... On esta l'œuvre,
pour appeler à la vie un devoir-ôire ». Bref la Société des nations n'est
pas un commencement, mais, dans tous le sens du mot, une fin. En
appendice (en français) les propositions allemandes et anglaises à la
conférence, et la convention.
H. Hr.
Albert Anthony Giesecke. American commercial législation before 1789.
University of Pcnnsylvania, D. Applctoii and Go. New-York. 1910. In-8%
IV-167 p. Index.
Nous savons, en Europe, le rôle joué par les questions de législa-
tion commerciale dans la révolte des colonies d'Amérique. Mais nous
oublions facilement que l'Angleterre pratiquait, tout comme les autres
puissances, la théorie du pacte colonial. Ce n'est qu'à la longue, et à
mesure que leurs intérêts devenaient plus considérables, que les colo-
nies songèrent à dénier au gouvernement métropolitain le droit de
s'occuper de leurs affaires, à faire appel à la grande charte et à la
déclaration de 1689.
M. A. A. G. montre en outre quel savant système de droits d'en-
trée et de sortie, de primes, etc., isolaient les colonies les unes des
autres.
La révolution coupe les relations commerciales avec l'Angleterre.
Mais elle n a pas pour effet de constituer la fédération en une unité
douanière. La législation commerciale est du ressort des États, et
chaque Etat a ses tarifs spéciaux, parfois dirigés contre les États
voisins. En I78i-i782le Congrès échoue encore dans sa tentative
d'établissement d'un droit de douane fédéral de 5 0/0 sur certains
produits étrangers; de même en 1786. 11 fallait cependant constituer
des ressources à la Confédération, ne fût-ce que pour le service de la
dette. Mais l'opposition d'un seul État suffisait à tout empêcher. Il
fallut la convention d'Annapolis et celle de Philadelphie (1787) pour
conférer au Congrès un droit de contrôle sur le commerce extérieur
et le commerce entre États, pour donner au pouvoir fédéral le droit
exclusif de conclure des traités. On peut dire que cette convention a
autant contribué que le vote même de la Constitution à faire des États-
Unis une nation.
H. Hr.
Walther Reinôhl, Uhland aïs Politiker, Tiibingen, Mohr, 191 1, 8", p. 267
Mk. 5 (Beitrâge zur Parteigeschichte, hersg. v. Ad. Wahl. 2, Bd).
Adolf Rapp, Friedrich Thcodor Vischer und die Politik, Ibid. 191 r, 8°. p. 166,
Mk. 3,40 (Ibid., 3, Bd).
I. Un exposé méthodique de la carrière politique d'Uhland, bien
qu'il ne pût nous apporter aucune révélation sur une vie si franche et
si droite, méritait de nous être présenté et il complétera le portrait si
92 REVUE CRITIQUE
souvent iracc du savant et du poète. M. Reinôhl a recherché dans la
correspondance d'Uhland et de ses amis, dans ses manuscrits con-
servés au Schiller Miiscum, dans les comptes rendus et les archives
du Lnndtag wui tenibergeois et ailleurs encore les documents néces-
saires pour suivre le rôle de l'avocat et du professeur devenu, malgré
lui, par conscience, homme politique. Vers i8i5, les démocrates du
Wurtemberg étaient d'irréductibles conservateurs, et Uhland qui, sa
vie durant, fut boudé par les monarchies, débute dans la politique par
la lutte pour le maintien de l'ancienne constitution avec les Altrechtler,
il réclame la suppression de la noblesse, il écrit ses fameuses poésies
politiques (M. R. eût pu s'y arrêter davantage) et gagne ce renom de
défenseur intransigeant des droits du peuple qui par deux fois le
désigna aux sutîVages de ses concitoyens. Son activité parlementaire
dans les sessions de 1819a 1826 et de i833 à i838 est suivie en détail;
chacune de ses motions, chacun de ses amendements et de ses votes
sont commentés, souvent avec ses propres paroles. 11 eût été à
souhaiter que l'auteur, au lieu de se borner à suivre l'ordre chrono-
logique, eût groupé les différents points de cette activité, qu'il nous
eût donné une idée plus complète et de la chambre wurtembergeoise
et de la vie politique du pays. Uhland est trop isolé dans cette étude ;
c'est un portrait sans cadre. Pour le dernier chapitre de la vie poli-
tique d'Uhland. au Parlement de Francfort, cette lacune est moins
sensible : l'histoire de l'Assemblée nationale est une page souvent
retracée de l'histoire d'Allemagne et en outre l'activité du député, du
fait de son caractère, y fut moins dispersée et plus restreinte aussi.
Elle reste intéressante à suivre et la voix obstinée et éloquente de ce
modeste qui ne recherchait pas la tribune, qui fuyait les clubs, qui
repoussait toutes les avances, emprunte de cette réserve une énergie
qui force le respect. Mais nous aurions aimé rencontrer dans ces
pages un porfait d'Uhland orateur, quelques mots sur son humour,
car il n'en manquait pas; M. R. n'eût pas été embarrassé pour
recueillir des souvenirs auprès de l'ancienne génération. Nous aurions
enfin voulu aussi connaître l'origine des idées politiques de ce doc-
trinaire qui ne voulait l'unité que par la liberté, nous aurions voulu
voir analyser l'influence des idées de la Révolution sur son esprit
(elle est évidente, mais jusqu'à quel degré l'a-t-il subie?), le résultat
du séjour de Paris, celui de ses relations avec un petit pays alors en
pleine fermentation, Bade. M. R. s'est bien acquitté de sa tâche pro-
prement dite, mais il a eu le tort de négliger les entours du sujet,
II. La monographie de M. Rapp appartient comme la précédente à
une collection dont M. Wahl, professeur à Tubingue, vient d'entre-
prendre la publication et qui se propose de grouper les documents et
les études intéressant l'histoire des partis politiques, sans restreindre
celle-ci à l'Allemagne. D'ailleurs en dehors même des travaux abor-
d'histoire et de littérature 93
dant directement notre propre histoire ou celle de l'Angleterre, il est
évident que les conceptions politiques au-delà du Rhin présentent
de fréquentes attaches avec celles des pays voisins. C'était vrai pour
Uhland, qui peut passer pour un tils intellectuel de ncjtre Révolution,
c'est vrai également pour Vischer, si gallophobc qu'il ait été. A la
différence d'Uhland, Vischer a fait passionnément de h\ politique, il
l'a recherchée et il l'a maudite, il l'a infatigablement servie par la
plume et par la parole; mais comme Uhland, il n'a eu aucune ambi-
tion personnelle et autant que son froid compatriote, démocrate et
grossdeutscher comme lui, il n'obéissait partout qu'à un patriotisme
sincère, seulement plus bouillonnant et plus inquiet. Toute l'activité
politique de Vischer est concentrée autour du problème de l'unité
allemande. M. R. a suivi en détail son rôle au Parlement de Franc-
fort, dans les séances et dans les clubs, puis après la dissolution de
l'assemblée, la campagne que, de i855à 1866, retiré à Zurich, il mène
en faveur de la cause nationale, les solutions successives qu'il cherche
à la question, car cet esprit souple sait en voir les multiples aspects
si souvent modifiés par les événements. Nous le voyons toujours
garder ses méfiances à l'égard de la Prusse, ses sympathies pour
l'Autriche, ses inquiétudes d'une intervention française et son ardent
désir d'une grande guerre nationale dont l'élan lui semblait devoir
fondre toutes les résistances, et c'est plaisir de retrouver de ces divers
seniiinents dans le livre de M. R. l'expression pittoresque, souvent
bizarre, toujours savoureuse. Lorsqu'enfin en 1866 le nceud qui ne
pouvait se délier fut tranché par la diplomatie de Berlin, Vischer
resta profondément blessé du succès de la Prusse, mais il jugea avec
la plupart. des grossdeutsche que les succès de 1871 avaient racheté la
faute de 1866 et il devint un des admirateurs sincères de la politique
de Bismarck. M. R. a retracé d'une manière très attachante et très
fidèle cette longue part prise par Vischer à la politique; il a analysé ou
cité beaucoup de ses discours, de ses feuilles volantes, de ses articles,
dont certains ne furent pas imprimés; il a tiré parti des lettres échan-
gées avec Strauss, Màrklin, le pasteur Rapp, Giinthert, etc., ei dans
l'ensemble des renseignements qu'il a ainsi amassés la part du nou-
veau reste assez grande. Son étude, comine celle de M. Reinôhl, fait
bien augurer de l'entreprise due à l'initiative de M Wahl, ^ R
Max Lenz. Geschichte Bismarcks. 3, verhesserte und ergânzte Auflagc. Leipzig,
Duncker et Humblot. 191 i, in 8° p. 497. mk. 8.
Georges Goyau. Bismarck et l'Église. Le Culturkampf. (1870-1878). Paris,
Perrin, 191 1, in- 16, 2 voL pp. .14, 487 et 435. Fr. 8.
Henri Moysset. L'Esprit public en Allemagne. Vingt ans après Bismarck.
Paris, Alcan, 191 i, in-8° pp. 2g, 304. Fr. 5.
Lucien Hlbert. L'Effort allemand. L'Allemagne et la France au point de vue
économique. Paris, Alcan, 191 i, in-i6. p. 236. Fr. 3.5o.
I. La première édition de l'ouvrage de M. Lenz a paru en 1902 ;
() 1 REVUE CRITIQUE
j'en ai rendu compte dans la Revue du 5 février io()3. Il n'est pas
besoin de refaire l'éloge de celte ///iYo//f de liismarck qui reproduit
presque exactement l'articie dont M. L. a cié chargé pour VAll^em.
deiitsche liio^rciphie vol. 4(1 . Il suflira d'appeler l'attention sur les
parties nouvelles du livre. A part de légères retouches de style et
quelques précisions de plus çà et là, comme sur le refus du roi de
Prusse de prendre part au Congrès des princes de Francfort, sur les
négociations avec l'Autriche avant le conflit de 1866 et sur l'attitude
de Napoléon après Sadowa, il n'y a de vraiment neuf que le chapitre
consacré au Norddeutscher Bund. Mais celui-ci constitue une addi-
tion importante : il était réduit à 9 pages dans la première édition, il
en a 54 dans la nouvelle; les papiers de Bennigsen et les Mémoires
de Hohenlohe semblent en avoir fourni les principaux éléments.
M. L. nous y renseigne mieux sur la préparation laborieuse de la
nouvelle constitution, sur le partage du pouvoir entre le Bundesrat
et le Reichstag, sur l'attitude des partis et plus spécialement sur le
rôle des nationaux-libéraux et de leur ancien chef Bennigsen. La
question de Luxembourg dont Bismarck sut user si habilement pour
chauffer le nationalisme allemand et les efforts déployés afin de gagner
à la cause de l'unité la Bavière, dont il n'aurait pas hésité à briser la
résistance parla force, s'il l'eût fallu, toute cette période intéressante
entre les deux grandes guerres a reçu le développement qu'elle com-
portait et une lacune de l'excellent ouvrage est ainsi comblée,
II. Existe-t-il une histoire impartiale du Culturkampf cl en général
de tous les conflits nés de la rivalité de l'Église et de l'État ? Il paraît
difficile de l'admettre ; on ne s'étonnera pas en tout cas de recevoir de
M. Goyau un récit catholique delà lutte qui mit aux prises Bismarck
et l'ultramontanisme. Il a fouillé ce long épisode de la politique inté-
rieure du chancelier, il a dépouillé une énorme littérature imprimée,
mémoires et correspondances des principaux acteurs de la querelle,
écrits de polémique et controverses théologiques, procès-verbaux
des débats parlementaires; il n'a rien négligé et a su recueillir aussi
nombre de documents inédits que lui ont livrés les archives des évê-
chés et des cures. Son livre est puissamment documenté, mais, il faut
le dire, en vue d'une apologie, et on ne pourra le consulter que pour
y trouver la thèse d'un parti.
Pour M. G. le Culturkampf fui une erreur de Bismarck, une cam-
pagne malheureuse où il s'est lourdement mépris et a donné des
preuves d'une nervosité trop fréquente. Bismarck était d'une piété
sincère et le premier chapitre nous définit cette religiosité particu-
lière, réelle, mais fermée au sens d'une organisation religieuse. Sans
aucun parti-pris contre l'Église et nullement avec les convictions d'un
sectaire, Bismarck a laissé agir'les nationaux-libéraux dont il avait
besoin depuis que les conservateurs l'avaient abandonné. Il s'est servi
DHISTOlRfc; ET UK LITTÉRATURE ^5
d'eux pour écraser le Centre qu'il accusait de compromettre l'unité
du Jeune Empire et il s'est fait du Culturkampf une arme contre les
tendances antinationales d'une coalition redoutable. Malgré les pro-
testations des catholiques et la plaidoierie habile de leur historien,
il faut bien reconnaître que la résistance des Polonais comme l'hosti-
lité du parti guelfe ne laissaient pas de donner quelque fondement à
ces griefs du chancelier. Windthorst ne combattait pas seulement
pour l'indépendance de la vie religieuse en Allemagne. Que dans cette
défense de son œuvre, Bismarck se soit laissé entraîner trop loin, on
peut l'accorder à M. G. ; il a su d'ailleurs abandonner à ses collabo-
rateurs, à Falk surtout, la responsabilité de la forme irritante que prit
le conflit; mais on ne saurait prétendre qu'homme d'Etat il eût à se
désintéresser du péril que suscitait à l'État une intervention étrangère
sous le masque de la religion.
L'auieur est remonté aux origines du Ciilliirkampf en étudiant
l'attitude de Bismarck dans la question romaine, la constitution des
deux grands partis adverses, nationaux-libéraux et Centre, et la
formation de la secte des Vieux Catholiques à la suite des dissentiments
provoqués dans l'Eglise d'Allemagne par la proclamation du dogme
de l'infaillibilité. Dans tout le cours de l'ouvrage les destinées de ces
schismatiques sont fidèlement suivies avec une abondance de détails
qui ne répond peut-être pas à l'importance de leur rôle, mais donne à
M. G. le malin plaisir de nous signaler les déceptions et les échecs
de ces fourvoyés. La suppression de la division catholique au minis-
tère prussien, la loi sur l'inspection scolaire et la loi contre les Jésuites
furent les premiers engagements de la lutte que Virchow devait baptiser
du nom de Ciiltiirkampf, qx l'auteur nous en présente très habilement
les principaux protagonistes, Windthorst, Mallinkrodt, les deux
Reichensperger, Schorlemer-Alst, etc. Puis vinrent les attaques de
biais contre l'épiscopat et enfin le vote des lois de mai. Toutes les
péripéties de la guerre qu'entraîna leur application sont exposées
avec beaucoup d'intérêt : les passes d'armes avec le pape et la résis-
tance opposée en Prusse par les prélats ou les simples clercs. Que
d'incidents dans le récit anecdotique de ces querelles où il suffirait de
changer les noms pour que cette histoire vieille de près de quarante
ans nous reporte à celle qui s'est déroulée chez nous il y a quelques
années seulement ! On verra avec curiosité quels appuis inattendus
les catholiques trouvèrent en dehors de leur confession, jusque dans
l'entourage même du roi Guillaume. Les tenants du Cultiirkampfoni
au contraire, en dehors de Falk, un rôle plus effacé, mais les diverses
tentatives de Bismarck pour donner à la lutte en Allemagne et hors
d'Allemagne, l'aniplcur d'un conflit international sont signalées à
leur place. Le combat finit par la lassitude, mais seulement chez les
persécuteurs, de l'autre côté il n'y a qu'héroïsme et inépuisable esprit
de sacrifice; le désarroi et les déconvenues, la mauvaise humeur et les
q(\ RKVIIE CRITIQUE
vellcitcs mal déguisées d'obtenir la paix ne se rencontrent que chez
ceux i]ui ont dccliainé la guerre.
Un troisième volume nous exposera les phases de Tapaisement.
Souhaitons qu'il paraisse bientôt, et nous remercierons M. G. d'avoir
traité avec tant d'érudition ei de dévouement à la cause catholique
u\} épisode historique qu'il nous fait mieux connaître, même s'il n'a
voulu projeter la lumière que sur l'un de ses aspects.
III. M. Moy.'set n'a pas prétendu à n^us donner une étude com-
plète de l'esprit public en Allemagne; ce titre n'est qu'un lien entre
divers articles publiés de 1908 à 191 i et où il étudiait des questions
qui par leur portée peuvent passer en effet pour être assez représen-
tatives de l'opinion allemande. La première est celle delà germanisa-
tion des provinces polonaises; elle occupe un tiers du livre et offre
une étude très nourrie, pleine de chiffres et de statistiques, exposant
les efforts tentés par la Commission de colonisation d'une part, et de
l'autre toute l'organisation de la résistance souvent victorieuse que
lui a opposée le Polonisme. On se souvient comment le ministère
prussien dut recourir à une arme étrange, l'expropriation ; les débats
enaaaés autour du vote de la loi sont suivis en détail par M. M. Un
second problème, dont la solution intéresse toute l'Allemagne, quoi-
qu'il ne soit lui aussi qu'exclusivement prussien, est la réforme du
droit électoral du Landtag de Prusse. Ici encore l'auteur a puisé
abondamment dans les statistiques pour nous faire saisir les compli-
cations et les bizarreries du régime censitaire auquel le gouverne-
ment veut rester attaché; il a avec une précision non moins minu-
tieuse expliqué les profondes transformations économiques qui
rendent la réforme de plus en plus pressante. C'est d'ailleurs le mérite
de son livre de nous signaler tous les germes de révolution politique
que la substitution d'une Allemagne industrielle à l'ancien Etat agra- .
rien a apportés dans l'œuvre de Bismarck. Le dernier article, la cam-
pagne contre Guillaume II, a le tort de grossir un peu trop l'incident
né de l'article du Daily Telegraph d'octobre 1908; il n'y avait pas à
faire si grand état de discours ou de brochures qui eurent en effet un
moment de bruyant retentissement, mais qui ne sauraient cependant
nous faire croire à la tin de toute tradition loyaliste dans l'Empire.
Le problème qu'aborde l'auteur dans ses dernières pages de l'absorp-
tion éventuelle de la Prusse dans l'Allemagne est trop complexe pour
être suffisamment indiqué dans les étroites limites d'un article de
revue. En faisant la part de quelques généralisations hâtives, de con-
clusions parfois risquées, d'affirmations et de rapprochements surpre-
nants,mais qui ne sont peut-être que des effets de style, le lecteur trou-
vera profit aux informations que l'auteur a recueillies chez nos voisins
comme aux observations directes qu'il a pu faire en vivant près d'eux '.
I. Je relève en note quelques légères inexactitudes : p. xii, on ne peut pas dire
que les Landtage des États confédérés sortent d'un suffrage censitaire et restreint;
d'histoire et de littérature 97
IV. Comme M. Moysset, M. Hubert a consulté les statitisques offi-
cielles de nos voisins, non pas pour leur demander l'explication de
tel problème politique, mais pour nous donner un aperçu de l'in-
tense activité qu'ils déploient dans le domaine économique. Il nous
offre surtout des tableaux de chiffres et des graphiques, accompagnés
d'un bref commentaire, et en regard de la situation de l'Allemagne il
a mis la nôtre. Nous faisons ainsi une perpétuelle comparaison entre
les deux pays d'abord pour les armes dont ils disposent dans cet effort
vers le bien être, population, richesses minérales, voies de communi-
cations, etc., puis pour le rendement des diverses industries, la pro-
duction agricole, le mouvement commercial et entin la situation
financière. Ce ne sont sans doute que les grandes lignes d'un vaste
sujet, mais malgré quelques lacunes (un chapitre sur les impôts était
indispensable, comme un autre sur les forces maritimes et navales et
un autre encore sur l'activité coloniale) et des indications volontaire-
ment sommaires, le public français trouvera dans les notes de ce
voyageur avisé les faits et les chiffres les plus caractéristiques pour
l'expansion économique de l'Empire pendant les vingt dernières
années, en même temps qu'un tableau réconfortant, s'il n'est pas trop
optimiste, de nos propres efforts dans la même période '.
L. Roustan.
Réponse a M. Alfred Loisy.
Monsieur,
Dans la Revue critique dliistoire et de littérature du 3o décembre
dernier, vous vous efforcez de réfuter les conclusions du tome I" de
*< La folie de Jésus », paru en igo8, sans faire allusion au tome II qui
contient les plus solides arguments de ma thèse. Vous ne serez pas
surpris, en raison des circonstances, que j'aie à cœur de vous répondre.
« Pour acquérir le sens historique, écrivez-vous, il ne suffit pas de
lire sur le tard quelques livres d'histoire ». Ce n'est pas tout à fait sur
le tard, mais seulement après avoir étudié l'anatomie, la physiologie,
p. io8, le mot de Treitschke est mal interprété : das leidenschaftlichste Volk n'est
pas le plus haineux des peuples; ibid., le quartier de Moabit est loin d'être au
cœur de Berlin; p. ii5, en 1826, Krupp n'a pas de boutique à Essen, mais une
fonderie; p. 117, « le forgeron de Thuringc » est l'arrière-grand-père, non le
grand-père de Goethe; p. 171, les Hohenzollern, souverains d'un pays luthérien,
sont eux-mêmes calvinistes; p. 176, que représentent les académiciens dans le
Mittelstand de la Prusse ?'p. 214, Hegel mort en i832 n'a pas pu enseigner la
génération de Bismarck ; p. 25 i, écrire kùhl bis ans Herz hinan et non an Her:^
liinem ; p. 293, le leader socialiste Paul Singer n'était pas un député ouvrier,
mais le chef d'une florissante maison de confection.
I. Ecrire p. 19, von der Goltz, p. 170 et 180, Rheinbaben, p. 170, Milwaukee,
p. 179, wurtembergeois au lieu de : von der Gol^, Rheinhaben, Mihvankee, wur-
tembourgeois; la p. 128 donne par erreur la vigne comme représentant chez
nous un quart de la surface de terre cultivée.
98 REVUE CRITIQUE
la psychologie et la paihologie des hommes que j'ai cru pouvoir abor-
der Tetudc de leur passé. 11 m'a paru que c'était là une méthode pru-
dente et le meilleur moyen d'acquérir ce que vous appelez « le sens
historique ». Le sens historique n'est, en effet, qu'une des applica-
tions du bon sens et, en ce qui concerne les hommes, le bon sens est
d'autant plus aiguisé qu'on les connaît mieux.
o Dans quelles circonstances spéciales, écrivez-vous encore, Jésus
avait-il été amené à prêcher le règne de Dieu? Nul n'en sait rien...
Selon M. Binet-Sanglé, tous les gens de Nazareth, y compris les parents
de Jésus, auraient été alcooliques : on n'en sait rien. Jésus aurait
été petit, de taille et de poids, délicat de constitution : on ne sait pas...
On ne sait pas vraiment s'il y a eu chez le Christ ce que M. Binet-
Sanglé, appelle un « arrêt de développement de l'appareil génital ».
Mais, à ce compte, Monsieur, on ne sait rien de rien dans ce bas
monde.
Si de ce que les mégalothéomanes ne font qu'obéir à un orgueil
morbide, lorsqu'ils s'en vont prêcher la transformation de l'univers,
Je n'ai pas le droit de conclure qu'il en fut de même chez le mégalo-
théomane de Nazareth ;
Si de ce que l'alcoolisme est fréquent dans les pays viticoles, je n'ai
pas le droit de conclure qu'il était fréquent (non pas général, ne me
faites pas dire ce que je n'ai pas dit) dans la viticole Palestine, ainsi
que l'attestent les imprécations des prophètes :
Si de ce que Jésus présentait, comme beaucoup de fous mystiques,
les symptômes physiques et mentaux de rhérédo-alcoo!!sme,je n'ai pas
le droit de conclure qu'un de ses parents au moins était alcoolique;
Si de ce que Jésus présentait, comme la plupart des fous mystiques,
certaines anomalies sentimentales, je n'ai pas le droit de conclure
qu'il y avait, chez lui, un vice de conformation d'une partie du sys-
tème nerveux ;
S'il me faut toujours et à chaque instant négliger la preuve incluse
dans la loi, à quoi sert la science, je vous le demande, et qu'était-il
besoin de l'immense effort de comparaison et de généralisation
accompli au cours des âges?
Votre méthode, qui prétend ignorer les lois de la vie, ne peut abou-
tir qu'à l'incertitude et au scepticisme. Les lois biologiques sont les
seuls flambeaux qui nous permettent de nous diriger dans le dédale
de l'histoire. Si vous les supprimez, tout retombe dans ta nuit et il ne
reste plus, sur les ruines des siècles, que des ombres d'hommes
errant dans le vague de récits plus ou moins légendaires.
Je vous mets au défi de démontrer l'historicité d'un fait quelconque
si, le comparant à ceux que vous pouvez observer vous-même, vous
ne le réduisez au commun dénominateur des lois. Lorsque vous aflfir-
mei, par exemple, que Jésus « ne jeûnait pas au cours de son minis-
tère », ne suis-je pas en droit de vous dire, à mon tour, que vous n'en
d'histoire et de littérature 99
savez absolument rien, en ajoutant que le jeûne est d'observation cou-
rante chez les mégalothéomancs durant leurs périodes hallucinatoires
et que, précisément, les évangiles nous signalent un jeûne de longue
durée chez le fils du charpentier de Nazareth dans le temps môme
où il vovait le diable et s'entretenait avec lui.
Serait-elle possible, qu'une pareille démonstration serait tout à fait
vaine, qu'elle n'aurait que la valeur du déchiffrement d'un logogriphe
ou d'un rébus, et que l'histoire, comprise de cette manière, ne serait
rien d'autre que ce qu'elle est pour beaucoup d'hommes, une série
d'anecdotes plus ou moins tragiques, plus ou moins comiques, plus
ou moins grotesques, sur lesquelles s'exerce librement le sentiment
instable des historiens. Une pareille histoire fait partie des belles-,
lettres, elle n'a rien à voir avec la science; elle peut satisfaire votre
sens historique, elle ne peut satisfaire mon esprit scientifique ou, si
vous voulez, mon esprit.
Vous écrivez encore que « mysticisme n'est pas synonyme de détra-
quement d'esprit » . Mysticisme n'est pas non plus, soyez-en persuadé,
synonyme de santé cérébrale, pas plus que santé cérébrale n'est syno-
nyme de paranoïa religieuse.
" Il n'est pas autrement certain, ajoutez-vous, que Jésus ait été
visionnaire », et vous discutez l'hallucination du baptême et l'attaque
d'extase sur la montagne. Mais il me semble, monsieur, que vous
oubliez l'hallucination de « Satan tombant du ciel », l'hallucination de
Gethsémani et les quatre hallucinations du désert, ce magnifique accès
de démonomanie externe qu'on retrouve chez presque tous les aliénés
de la classe nosologique à laquelle appartenait Jésus de Nazareth.
Vous voulez bien admettre que « dans son cas, il y eut quelque
influence de nervosité maladive » et c'est là, sous votre plume, un
aveu prccieu.x. Mais ici, permettez-moi de vous le dire, vous vous
engagez imprudemment sur le terrain des aliénistes, lesquels vous
répondront qu'un homme qui se croit le Messie, le Fils de Dieu, Dieu
lui-même et qui s'entretient avec le diable n'est pas un névrosé, un
hystérique ou psychasthénique, mais incontestablement un fou.
Dr. Binet-Sanglé.
— M. Levi a jugé à propos d'écrire quelques pages {Ancora su le origini del
drama satirico, Venise, Ferrari, 1910, 20 p. Extr. des Atti del R. Instit. Veneto
di Se, Lett. ed Arti, t. 69, 2« partie) pour réfuter l'opinion récemment soutenue
par Dieterich sur le drame satyrique dans un article posthume intitulé Die Ent-
stehiing der Tragôdie {Arch. f. Reîigionswiss. XI, 1908). Il discute plusieurs points :
la nature originelle des satyres, la valeur de l'expression èÇap/stv -uôv 5tOûpa[jL6ov, le
passage d'Hérodote relatif aux chœurs tragiques de Sicyone en l'honneur
d'Adraste, et maintient les conclusions qu'il a posées dans un opuscule antérieur
(V Revue du 22 juillet 1909), à savoir qu'il faut chercher l'origine du drame
satyrique primitif uniquement et exclusivement dans le dithyrambe et le culte de
Dionysos. — My. '
lOO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
— l.'articlc de M. Si. I.kman CiAi.i'iN, On the Sources of (htillaume de Digiille-
ville's i< Pclerinage de l'Ame « (extrait des Publications of the Modem I.anguage
Association of America, XXV, 2; 1910) complète heureusement un travail de
J. K. Hulinian sur le mCmc sujet. M. G. montre que Diguiicville ne s'est inspiré
ni de Hante ni des œuvres françaises des xiii" et xiv" siècles, mais qu'il a puisé
presque exclusivement dans les « Visions » latines, des plus anciennes aux plus
récentes. Ce résultat, qui n'a rien de surprenant, est assuré par des rapproche-
ments nombreux et précis. Les quelques emprunts au Roman de la Rose, admis
par M. G., me paraissent beaucoup plus douteux. — A. J.
— M. .lohannes Hoops a conçu le projet de publier un dictionnaire des antiqui-
tés germaniques, et vient d'en commencer la réalisation en éditant le premier fas-
cicule du Reallexikon der Germanischen Altevtumskunde (Strasbourg, Trûbner,
5 m.). Ou doit reconnaître que ce livre faisait défaut. Il faut aussi proclamer que
les collaborateurs que M. Hoops a gagnés à son entreprise sont d'une compétence
très assurée. Ainsi qu'il convient, c'est aux choses concrètes de la vie matérielle,
aux institutions et aux mœurs que ce livre fait la part la plus large. On y trou-
vera par exemple des articles très nourris sur l'agriculture, la constituiion agraire,
la superstition des Germains. Peut-être le lecteur sera-t-il surpris de l'extension
de certains articles. Il se demandera sans doute pourquoi Alcuin dispose d'une
place plus importante qu'Attila. Mais ce sont là des défectuosités légères et inhé-
rentes à toute entreprise de ce genre. — V. P,
— Outre sa grande édition annotée de Kudnin, M. FZrnst Martin avait publié à
l'usage des étudiants une édition ne contenant que le texte et les variantes. Cette
édition étant épuisée, M. Edward Schrôdkr, à qui M. Martin a demandé ce ser-
vice sur son lit de mort, vient d'en donner une réimpression (Halle a. S., Wai-
senhaus, 3 m.). M. Schrôder a amendé le texte en quelques endroits; il a ajouté
à l'œuvre un glossaire des mots que ne connaît pas le Nibelungenlied ou aux-
quels ce poème attribue un sens différent. Ouvrage très sûr. — F. P.
— M. W. Jahr publie un Quellenlcsebiicli fur Kidturgeschichte des fn'ilierén
deutschen Alittelalters (2 vol., Berlin, Weidmann, 191 i, 7 m.) destiné aux exer-
cices des 0 séminaires » d'histoire, des classes supérieures de l'enseignement secon-
daire et aussi aux études personnelles. Le premier volume renferme un choix de
textes empruntés aux auteurs du moyen âge, chroniqueurs, annalistes, et poètes,
textes latins et presque tous d'ordre historique. Le second volume offre la traduc-
tion de ces morceaux et des notes explicatives. Il semble que les étudiants d'his-
toire puissent tirer grand profit de cette publication. .\ux germanistes elle rendra
siîrement des services. — F. P.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du ig janvier 1Q12.
— M. Perrot, secrétaire perpétuel, communique les lettres par lesquelles MM. Char-
les Bayet, le D"" Capitan et le chanoine Ulysse Chevalier posent leur candidature
à la place de membre libre vacante par suite du décès de M. Edmond Saglio.
M. Gagnât continue la lecture de son mémoire sur les castclla de la Tripoli-
taine.
M. Maurice Prou lit un mémoire sur des dalles de marbre provenant d'une clôture
dechœurde l'église de Schœnnis (canton de Saint-Gall) et ornées d'entrelacs. Par
comparaison avec une série de monuments du même genre conservés en Italie ou
en France, il en fixe la date au ix» siècle.
Léon Dorez.
L'imprimeur -gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — ïraprimene Peyriller, Rouchon et Gamon,
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 6 — 10 février. — 1912
RoscHER, Le nombre 40. — Blûmner, Antiquités privées des Romains. — Muen-
ZER, Cacus. — \'ahlen, (Euvrcs complètes, 1. — Hoenn, Les vies d'Héliogubale
et d'Alexandre Sévère. — P. Leumann, Jean Sichart. — Finzi, Histoire de la
littérature italienne. — Clara Tobler, Mrs Inchbald. — Tedeschi, Ossian en
France. — Duchaine, La franc-maçonnerie belge au xvîu" siècle. — E. Dupuv,
Alfred de Vigny. — Porterfield, Immermann. — Douel, Au pays de Salambo.
— Gebhart, De Panurge à Sancho Pança. — L. Bernhard, La question polo-
naise. — Meinecke, Cosmopolitisme et Etat national. — • Laband, Droit politique
de l'Empire, I. — Lémonon, Naples et son golfe. — Dictionnaire des antiquités
grecques et romaines, 45. — Mustard, Deux articles. — Catalogue Rosenthal
141. — C. Spurgeon, Chaucer. — A.-B. Thomas, Moore en France. — Roz, Ten-
nyson. — Dukmever, Lomonosov. — L. Nelson, Le problème de la connais-
sance. — Publications Scandinaves. — Fiebig, Un écrit de Luther. — F.Wilhelm,
Le Musée de Munich pour la philologie du moyen âge et la Renaissance. —
Idiotikon Suisse. — J. Reinach, Index de l'affaire Dreyfus. — Académie des ins-
criptions.
W. H. RoscHER. Die Tessarakontaden und Tessarakontadenlehren der
Griechen und anderen Vôlker. Ein Beitrag zur vergleichenden Rcligionswis-
- senschaft, Volkskunde und Zahlenmystik sowie zur Geschichte der Medizin.
Leipzig, Tcubner, 1909 (Extr. des Berichte ûbev die Verhandl. d. kon. Sachs.
Gesellsdi. d. Wiss. :[u Leip:^ig. t. 61, fasc. 2, p. 21-206).
Ce travail est la seconde partie d'un ouvrage d'ensemble sur le
nombre 40 et sur son importance dans la religion, la médecine et en
général dans les croyances des peuples sémitique et aryens. La pre-
mière partie, qui portait sur les Sémites, a déjà été analysée dans la
Revue (i3-20 octobre 19(0); ici il s'agit plus spécialement des Grecs,
avec un dernier chapitre où est étudié sommairement le rôle du nom-
bre 40 chez d'autres peuples, Perses, Arméniens, Hindous, Slaves,
Germains, Egyptiens, Romains, etc. On ne sera pas surpris de cons-
tater, dans les faits nombreux rassemblés par M. Roscher, une con-
cordance entre les Grecs et les Sémites relativement à la tessarakon-
tade, même pour de minimes détails; ou aurait tort toutefois de
penser que les Grecs ont subi une influence étrangère, babylonienne
par exemple; leur idées à ce sujet reposent essentiellement sur des
observations communes à toutes les races humaines; tous les peuples
ont pu remarquer, entre autres faits, que la durée de la grossesse est
de 280 jours — ■ 7 X 40, que les Pléiades sont invisibles pendant
Nouvelle série LXXIII 6
102 REVUE CRITIQUE
40 jours, etc. et ces remarques furent également faites chez des peu-
ples qui n'ont jamais été directement ni indirectement en rapport
avec les Babyloniens. Les conclusions de M. R. résultent de considé-
rations sur les délais et intervalles de 40 jours non seulement dans la
vie religieuse des Grecs et dans leur mythologie (ch. I), mais aussi
dans de nombreuses croyances populaires relatives aux travaux des
champs et à la navigation (ch. III) ; Homère et Hésiode sont aussi
interrogés par M. R. (ch. II), de même que les anciens législateurs
(ch. IV}, les philosophes (ch. VII), et les médecins, en particulier
Hippocrate (ch. V et VH. Le chapitre V surtout est important; M. R.
V établit que l'attention de la médecine grecque a été appelée sur les
périodes de 40 jours à la suite de renseignements fournis par des
femmes enceintes ou des accouchées, et qu'alors ces périodes se sont
introduites dans la théorie des jours critiques ; les exemples accumu-
lés et les tables dressées d'après ces exemples montrent en outre que
la quarantaine (40, ses multiples et ses facteurs) tient une large place
dans les écrits purement hippocratiques, tandis qu'elle manque pres-
que totalement dans les traités cnidiens. On notera que M. Roscher
avait cru pouvoir (p. 88) d'après un passage du Trep'. ÈTtTaixT^voj, supposer
un traité hippocraiique perdu Tiepl ':îaTapaxovTàôa)v (ou un titre analo-
gue); les observations que lui communiqua M. Ilberg lui firent aban-
donner cette hypothèse (p. i85 note).
My.
Handbuch herausg. von Iwan von Mùller. Die rœmischen Privataltertumer
von Hugo Blûmner, professer an der Univ. Zurich mit 86 Abbildungen. Mûn-
chen, 191 r, Oskar Beck. gr. in-8°, 677 p. 12 m.
■ Rien n'était plus naturel que de confier ces Privataltertumer à l'au-
teur de la Geii^erbliche Thàtigkeit (1869) et surtout de la classique
Technologie und Terminologie der Gexverhe und Kïinste (1874-87).
M. Bl. a conçu le sujet autrement que ne l'avait fait M. Moritz
Voigt (en 1887 et 1898) dans la première forme du volume; il rappelle
beaucoup plus le livre de Marquardt. Afin qu'on juge mieux par où
se rapprochent et par où diffèrent ces formes diverses de la même par-
tie du Manuel, je donne ci-dessous à la suite l'une de l'autre les deux
tables des matières'. Dans sa préface M. Bl. reconnaît de la manière
I. Première édition de 1887. Moritz Voigt : p. 747-931 : Einleitung. i. Phy-
sisch-geographische Verhâltnisse Roms und des ager Romanus ( — p. 753). 2.
Erste Période bis zu Mitte des 6 Jahr. d. St. : Das altromische Volkstum
(— p. 808). 3. Zweite Période bis zum Ausgang der Republik : Eindringen
des Hellenismus (— p. 881). 4. Dritte Période bis zu Diokletian : Eindringen
provinzieller kulturelemente. — Rlûmner. Einleitung ( — 7). Erste Abteilung. Die
ailgemeinen Grundlagen des Lebens (— 299). i. Das stâdtische Wohnhaus. 2. Vil-
len und Gârten. 3. Die inncre Ausstattung des Hauses. 4. Der Hausrat. 5. Die
Nahrung. 6. Die Tracht. 7. Die Sklaven. — Zweite Abteilung. Das Leben
(— 5i2). I. Geburt und Kindheit. 2. Erziehung und Unterricht der Knaben. 3.
Die Frauen und die Ehe. 4. Zeitrechnung und Tageseinteilung. 5. Mahlzeiten und
d'histoirk et de littérature . io3
la plus explicite les mérites du livre de Marquardt; il a raison de faire
remarquer qu'à part les études forcément communes aux deux livres,
on trouvera ici, en dehors de ce qu'ont fourni les nouveautés épigra-
phiques et archéologiques, des sujets que Marquardt n'a pas traités.
Le présent livre vise à compléter Marquart bien plutôt qu'à le rem-
placer. On ne s'étonnera donc pas de rencontrer ici maint renvoi au
Manuel de Marquardt. surtout en ce qui concerne la bibliographie.
Aussi renvois fréquents à Friedlander, au Pauly-Wissowa et à notre
Saglio. Même soin dans la rédaction et dans l'impression '.
É. T.
Friedrich Muenzer, prof, der Klass. phil. Cacus, der Rinderdieb. Programni zur
Rektoratsfeier der Univ. Basel. Basel, Reinhardt, 191 i, i36 p. gr. in-S".
M. Munzer, professeur à T Université de Bàle, a publié des articles
dans bien des revues et dans les grandes collections savantes (Wis-
sowa etc.); il est surtout connu par son étude sur les sources de Pline
l'ancien ".
Après l'introduction, quatre chapitres : technique et disposition du
récit dans Virgile, Properce, Ovide ; analyse du récit dans Virgile,
Properce, Ovide; Tite-Live et Denys ; la critique ancienne et ses
matériaux. Appendice. Représentation de Cacus dans l'art; monnaies
et monuments divers par Paul Wolters, prof, d'archéologie à l'Uni-
versité de Munich .
Avec le nom dont elle est signée, il est bien inutile d'assurer que
l'étude est très soignée, parfaiiernent au courant, appuyée sur une
bibliographie des plus riches et très précise, et qu'elle vise avant tout
à nous faire gagner quelque chose sur le point qui est traité.
Aurons-nous gagné beaucoup, c'est une autre affaire. Pour com-
mencer par la fiii, l'étude archéologique de M. Wolters est des mieux
fondée; M. W. suit Cacus dans les monuments ; d'abord d'après des
moulages gracieusement envoyés ; il décrit ensuite des médaillons de
Paris et de Vienne. Mais le résultat est négatif : les artistes sont influen-
cés par Virgile; d'autre part bien des pièces sont fausses : d'oij
nécessité de se rabattre sur l'étude littéraire.
Ici sans doute la matière est plus riche et M. M. se retrouvait sur
un terrain bien connu de lui ; dans un article du Rhein. Mus. (LUI,
1898), M. M. avait exposé jadis, avec ses objections, la légende étrusque
qu'on croit reconnaître dans une peinture murale de Vulci et l'expli-
cation qu'avait tenté d'en donner G. Kôrte.
gciellige Unterhaltungen. 6. Bàder und Kôrperpflege. 7. Der Verkehr. 8. Aerzie,
Toj, Bestattung und Grabmaler. — Dritte Abteilung. Die Berufsarten (— db-j). i.
Jagd, VogelFang und Fischerei. 2. Die Landwirlschaft. 3. Handwerk, geiehrte
und andere Berufe. 4. Handel-and Geidgeschâfte. Nachtrâge und Berichtigungen.
Verzeichniss der Abbildungen. Alphabetisches Register.
1. P. 277, à la fin de la Bibliographie, écrire Beauchct.
2. Weidmann, 1897; voir \^ Revue critique de 1898, 3 janvier.
I04 RKVUE CiUTlQUE
il prend soin aussi do dobairasscr le sujet des parties trop épi-
neuses en avertissant nettement qu'il ne s'agit pas ici de religion
comparée, mais qu'il cherche à suivre seulement le développement
d'une tradition littéraire. Le but est bien déterminé; en rapprochant
Virgile des autres poètes, puis des historiens qui exposent la même
légende, séparer ce qu'a trouvé l'auicur de l'Enéide de ce qu'il a
inventé. Départ assez malaisé sur plus d'un point. Après la lecture on
entrevoit bien plus qu'on ne voit ce que M. M. voulait prouver.
Peut-être était-ce un des côtés fâcheux du sujet où l'on a peine à sortir
des vues purement subjectives; peut-être aussi M. M. se sera-t-il
perdu dans les détails ' ?
J'ai indiqué le scrupule qui m'est resté, ce qui ne m'empêche nulle-
ment de reconnaître le mérite de ce « Cacus « et l'intérêt qu'il aura
pour tous ceux qui lisent ou qui ont lu Virgile.
É. T.
Gesammelte philologische Schriften, von Johanncs Vaulen, MitglieJ der
Akademien dcr Wissenschaftcn zu Wien und Berlin. Erster Teil. Schriften der
Wiener Zeit. 1858-1874. Teubner, lyii, 14 m.
Les amis ou élèves de Vahlen ont publié en 1907 et 1908, sous
forme d'Opusciila Academica ses mémoires, prograin mes ou bro-
chures en latin. Ici commence un nouveau recueil contenant les
travaux rédigés en allemand. Le premier volume qui vient de paraître,
réunit les publications du temps où M. V. enseignait à Vienne. Les
articles avaient paru antérieurement dans le Rheinisches Muséum,
dans les Mémoires de l'Acadéniie de Vienne, dans la Zeitschrift f. d.
Oesterr. Gymn..; dans VHermes; dans les Jahrb. fur Phil. ; dans
VIenaische Literatur\eitung ; enfin dans le Philologus. Il sera plus
commode de les avoir tous sous la main.
Les auteurs grecs traités sont les suivants : Aristote particulière-
ment, puis Platon, Alcidamas, le sophiste Lycophron, Gorgias, le
rhéteur Polycrate. On me pardonnera d'avoir limité mes lectures
aux articles sur les auteurs latins qui occupent la petite moitié du
livre.
Aux yeux sautent d'ahord des noms d'ouvrages édités dans la suite
par M. V. et sur lesquels il a acquis ultérieurement une compétence
spéciale : Enniiis et le De Legibus ; mais on ne sera pas moins
curieux de voir comment il a touché à d'autres auteurs : Horace,
Varron, Tite-Live, Plante (Ménechmes), Valère Maxime; Sénèque
le rhéteur, et TOctavius. Les résultats peuvent paraître plus ou moins
heureux ; mais dans tous les travaux se reconnaît déjà la conscience,
la pénétration, la tinesse qui ont fait plus tard la réputation de
M. Vahlen. Çà et là, une note se réfère à des publications ultérieures.
I. La distinction subtile des deux preniiers chapitres (technique, analyse),
n'est pas faite pour rassurer le lecteur.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 105
Même aux étrangers et à tous ceux qui n'ayant pas reçu les leçons
du maître, ne peuvent lire ces pages avec la même clairvoyance, la
publication paraîtra très intéressante et à l'occasion fort utile '.
É. T.
Quollen Untcrsuchungcn zu dcii \'itcn des Heliogabalus und des SeverL'S Ale-
xander des Corpus der Sciipiores historiae Augustae herausg. von Karl Hoenk.
Teubner, 252 p. in-8°, igii.8 m.
La thèse de M. Hônn est dédiée à Alfred von Domaszewski . C'est
sur ses conseils et en fait sous sa direction que le présent travail a été
entrepris. De même deux ans auparavant sous la direction de Hirsch-
feld, M. Walther Tbiele avait, en 1909, publié à Berlin un travail sur
la vie d'Alexandre Sévère '. H y relevait des parties entières où il
voyait les additions d'un faussaire. M. Hônn, reprenant le même
sujet, reproche à M. Thiele d'avoir été trop modéré et de n'avoir
abouti qu'à un compromis.
Voici le plan suivi : I. D'abord en un chapitre préliminaire, analyse
de la vie de iMacrin et de celle du Diadumène. II. Analyse des sources
de la Vie de Sévère. III. Notices de la biographie qui s'appuient sur
des passages du Code Théodosien. IV. Passages parallèles à des par-
ties d'autres Vies du Corpus. V. Rapport de la Vita avec les auteurs
anciens. VI. La personnalité de Lampride. VIL Notices parallèles à
la première partie du corps des biographies dans les Vies de Gor-
diçn, Aurélien, Tacite et Probus.
Je pense que l'auteur est très fier de son chapitre V; de tous c'est
justement à mes yeux le plus faible. Voir des réminiscences de Lam-
pride dans des rapprochements lointains, accidentels, dans la reprise
d'expressions quasi nécessaires, isolées et banales, suivant moi, c'est
pleinement se fourvoyer. De même au chapitre VI où M. H. juge avec
une extrême sévérité le style de Lampride et sa valeur ou plutôt son
peu de valeur comme historien.
Les autres rapprochements, quoiqu'ils soient tendancieux et qu'on
doive les vérifier, méritent davantage de retenir l'attention du lecteur.
É. T.
Quclien und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Miueialters begrûn-
det von Ludwig Traube. Vierter Rand, ersles Heft : Johannes Sichardus, und
die von ihm benutzten Biblioihcken und Hanschriften von Paul Lehmann, privat-
dozent fur iateinische Philologie des Mittelalters an der Univ. Mûnchen, Osk.
Beck. Mùnchen, 191 i, 237 p. gr. in-8°, 10 m.
Le présent volume fait partie de la collection dont un volume Vor-
Icsungen und Abhandlungen de L. Traube a été précédemment signalé '.
1. J'avoue que le chapitre sur Sénèque le rhéteur, avec ses références à Bursian
(i858), nous rejette bien loin, dans une sorte de passé préhistorique.
2. Voir l'article de M. Gagnât, 1909, I, p. 347.
'i. Revue du 23 décembre dernier, p. 482.
I06 REVUE CRITIQUI-:
Voici brièvement le sujet du nouveau tome. Jean Sichart est un
crudit allemand du xvi^' siècle (1499-1 552) qui a publié en 1340, à
Bùle, chez Henri Pétri des éditions de Quintilicn, de Justin et de
Prudence. En laissant de côté ses travaux juridiques, il a été, surtout
de i32t") à i5'3o, l'auxiliaire savant et actif des grands éditeurs de
Bâle : Jean Bebel, Adam Cratander, Adam et Henri Pétri. M. L. a
pu retrouver 7.4 publications qu'on peut sûrement regarder comme
l'œuvre propre de Sichart.
Le livre de M. Lehmann est dédié à deux amis de Traube, Franz
Boll et Bruno Giiterbock à Eigen.
Deux parties : I . Vie de Jean Sichart ; en appendice : Vie de Sichart
par Konrad Humbracht (un patricien de Francfort) et lettres de
Sichart; H. Sichart comme chercheur de mss. A la fin index déve-
loppés.
II était naturel que mon attention se portât de préférence sur le cha-
pitre H et sur la liste des Bibliothèques fouillées par Sichart '. Très
heureusement il n'y est pas question de Sichart seulement. Nous y
apprenons quels savants ou quelles personnes, avant et après la
Réforme, voulurent, pour des éditions ou pour des recherches per-
sonnelles, fouiller dans les riches fonds des abbayes. Pour beaucoup
de mss., M. L. retrouve leurs voyages d'un pays à un autre; il les
suit comme à la trace, ce qui a son importance. Notons ce fait qu'au
moment des conciles les abbés de grandes fondations (comme Fulda)
envoyaient à la ville où siégeait le concile : lectissima vohimma. Ils
ne revenaient pas tous ', tant s'en faut. Aussi ceci que à cette époque
on savait déjà piquer l'attention du public en glissant habilement
dans les œuvres authentiques des parties fabriquées de toutes pièces,
et que même dans de vieilles chroniques, la tromperie avait souvent
du succès (ici, p. 108]. Le faussaire signalé serait là un jésuite.
Partout et sur tous les points, bibliographie très soignée et des plus
précises '.
E. T.
1. En voici la liste : Augsbourg; Bâle; Fulda; Hersfeld ; Ladenburg (près de
Heidelberg); Lorsch ; Mayence ; Murbach; Schœnau ; Spanheim; Strasbourg et
Trêves. C'est à Fulda et à Lorsch qu'est faite, cotnine il convient, la grosse part
(21 et 25 p. sur i 18 p.)
2. P. 93.
3. Je n'ai relevé que quelques lapsus d'impression dans la citation française de
S. Berger, p. i3i en haut. — Passim d'utiles compléments même à telle de nos
meilleures publications contemporaines : il faudra ajouter à la préface de l'Apulée
de M. P. Thomas la mention de la publication d'une partie du itîpl spjjiTiVîia;,
qu'avait faite Sichart, sous le titre de : de syllogismis catégoriels, en se fondant
sur un ms. de Hersfeld. — A signaler, p. 146^ ce qui concerne la part prise par
Sichart dans l'édition des lettres de Cicéron de Cratander. A relever aussi, p. 143
au bas, le passage sur la laus Pisonis : Baehrens y est pris en flagrant délit
d'inexactitude et de négligence en un sujet où justement il faisait de tels repro-
ches à Sichart. — P. 75, avant-dernière ligne de la note 5, lire exemplum.
D HISTOIRE ET DE I.ITIERATURE lOj
FiN^i (G.), Histoire de la littérature italienne, traduite par M'"" Thiérard-Bau-
drillart. Paris, Pcrrin, 1912. In-8" de xi-3G() p. 3 fr. 5o.
M. F", sait tour à tour écrire un livre entier sur un maître écrivain
et saisir Tensemble d'un siècle, d'une littérature. Une même traduc-
trice, qui sort de bon lieu, l'aura successivement fait connaître sous
ces deux faces au grand public français et elle a bien exécuté sa
double tâche puisque deux de nos meilleurs italianisants, MM. de
Nolhac et H. Cochin, se sont chargés l'un après l'autre d'écrire la
préface de ses traductions.
M. Cochin a très bien caractérisé le présent livre en disant qu'il
s'adresse surtout aux gens du monde désireux d'aborder les chefs-
d'œuvre de Ja littérature italienne et de réfléchir sur les vicissitudes
qu'elle a traversées. M. F. eût pu appliquer encore plus hardiment sa
méthode, en supprimant beaucoup de noms et de titres auxquels le
grand public ne s'intéressera pas; mais il a fait une place large aux
chefs-d'œuvre; il en a discuté avec ampleur le mérite; il a même
traité avec précision et clarté les problèmes d'érudition dès qu'ils
offraient de l'intérêt pour d'autres que les spécialistes (v. p. ex. les
pages relatives à l'origine de l'italien, à l'authenticité de la chronique
de D. Compagni) ; mais il n'oublie pas que le sens critique doit sur-
veiller l'érudition (v. le passage oia il définit l'influence des récits de
visions sur la Divine Comédie). Il a eu, en outre, l'heureuse idée de
mêler à ses jugements des aperçus touchant les arts du dessin (p. 162,
intéressante remarque sur l'architecture civile au xrii^ s.). En somme,
le livre était diflicile à faire et il est bien fait. M. F. en a dédié la tra-
duction aux deux écrivains précités et à l'auteur du présent article,
honneur dont, pour ma part, je le remercie vivement. Une des
récompenses des italianisants de France sera d'avoir préparé des
lecteurs à M. F. Il commence à sortir de nos lycées quantité de jeunes
gens de toute destination qui parlent et écrivent l'italien; mais l'ère
des traductions n'est pas pour cela fermée; car, à mesure que les
choses d'Italie intéresseront plus de personnes, celles qui auront pré-
féré l'étude des langues du Nord voudront du moins qu'on leur pré-
sente des copies d'œuvres qu'elles ne peuvent directement étudier
dans l'original.
Charles Dejob.
Clara Tobi.er. Mrs. Elizabeth Inchbald, eine vergessene englische Buhnen-
dichterin und Romanschriftstellerin des 18. Jahrhunderts. Berlin, Mayer
und Mûller, igto; in-8" de 119 pages.
Actrice et auteur, amie de Kemble et de Mrs Siddons, de Godwin
et de Holcroft, Mrs Inchbald est assez représentative de cette littéra-
ture anglaise du second ordre qui, plus sociable que vraiment expres-
sive ou profonde, suffisait au public de la fin du xviii' siècle et n'a
guère laissé d'œuvres durables. Son roman le plus connu, A simple
,(j8 rkvue critique
story, lui acepcndani valu d'ctre citée, par Mme de Siael, à côté des
femmes de lettres les plus renommées de son pays. M"« Tobler lui
consacre une étude soigneuse, dont la partie biographique se fonde
principalement sur le livre de Boaden, dont la partie critique vaut
surtout par des analyses et quelques rappels d'œuvres dont l'influence
s'est exercée sur cette aimable femme. Sa dépendance à l'égard du
roman français pourrait être sans doute marquée davantage. Mais
c'est, en somme, le genre d'étude qui convient à une personnalité de
second plan, dont la notoriété n'a guère franchi qu'un instant les
limites de son époque et de son milieu.
F. B
A. Ti.DKsi.iii. Ossian, «l'Homère du Nord », en France, Milano, Tipografia
Sociale, 191 i ; in-8" de 124 pages.
En attendant que cette vaste question de l'ossianisme européen se
trouve étudiée dans les travaux que réclame un sujet de cette ampleur,
il ne faut pas faire fi des esquisses et des « cartons » qui rendent
possible un relevé préalable de cet ample terrain. M"'-* Tedeschi ne
va très loin, dans sa recherche, ni en surface ni en profondeur : je
veux dire que l'on ne trouvera pas chez elle une documentation bien
nouvelle ' et moins encore une détermination originale des senti-
ments et des idées intéressés par la vogue d'Ossian dans la littérature
française. Mais elle marque assez bien les diverses périodes., et
l'importance relative de cette influence, en mettant « l'apogée du règne
ossianique » à l'époque du Consulat et de l'Empire : encore fallait-il
indiquer au moins une raison plus ou moins secrète de cette conso-
nance, l'évocation mélancolique de la « fugacité » des empires, venant
faire écho chez nous à des regrets ou à des craintes du même ordre.
Le romantisme avant la lettre qui se manifestait dans ces formes litté-
raires est bien indiqué, mais il n'y a pas toujours que cela. Regrettons
enfin que la correction typographique soit bien loin d'être à l'avenant
d'un style qui fait en général honneur aune étrangère".
F. Baldensperger.
1. Le caractère d' « idylle de la société primitive» (p. 8) semble avoir moins
séduit le public que !'« énergie » et le « sombre » d'Ossian; et l'on ne saurait dire
(que Macpherson et Letourneur aient tout à fait supprime ces caractères, il fau-
drait citer (p. 26 et 27) le titre complet de la Galette littéraire de l'Europe. Il con-
viendrait de mentionner, avant la traduction coinplète de Letourneur, son Choix
de contes et de poésies erses, traduits de l'anglais (Amsterdam-Paris, 1771). Un
excellent « témoin », pour l'entre-deux du pseudo-classicisme et du romantisme,
est E. Giraud en son journal; de i8i5 à 1826, il est visible à qui dépouille
VAlmanack des Muses, qu'Ossian fait encore l'intérim • cf. Ch. Loyson, E. Mer-
cœur, etc. Et l'on pourrait donner un rappel à Aug. Barbier à côté de Lacaussade.
2. Des contresens, cependant, comme « on enrage de les posséder les premiers »
Pi 21 ; « pénétré » p. 24, ete*
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I OQ
Paui. Duciiaine. La franc-maçonnerie belge au XVIir siècle, avec préface
par le comte Goblet d'Alviella. Bruxelles, Van Mctercn, 191 i ; in-8" de 523 pages.
L'histoire des loges maçonniques belges est d'autant plus liée à
l'histoire générale que leurs démêlés avec l'autorité autrichienne en
constituent une partie importante. M. Duchaine tâche de reconsti-
tuer d'une façon aussi complète que possible les destinées de l'ordre
dans les Pays-Bas autrichiens, depuis ses incertaines origines au
début du xYiii* siècle jusqu'à l'autorisation donnée en l'an VII, par
le ministre français de la Police, de ne pas inquiéter les réunions de
Francs-Maçons. L'espèce de malentendu foncier qui sépara Joseph II
et ces groupes éclairés des populations belges offre le plus d'intérêt à
qui ne se place pas au point de vue de l'histoire locale; mais le livre
entier, documenté aux fonds d'archives, muni de soigneux index,
apporte une contribution solide à une question qui ne semble pas
près d'être élucidée partout avec la même conscience.
F. B.
Ernest Dupuv. Alfred de Vigny; ses amitiés, son rôle littéraire, II. Le rôle
littéraire. Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, 1912; in-i6 de
448 pages.
Suivant à quelques mois de distance le tome premier, le second
volume du Vigny de M. Dupuy n'a pas laissé trop longtemps impa-
tients les vœux de ses lecteurs : surtout, l'unité d'impression de l'ou-
vrage n'a pas été mise en péril, ainsi qu'il arrive, par une publication
trop espacée. Les mêmes qualités de patiente recherche ', d'ingé-
nieuse interprétation et de goût délicat se retrouvent dans ce copieux
volume; le même Vigny serviable, attendri et profondément humain
qui revivait dans << les amitiés » se retrouve à propos du « rôle litté-
raire » : tant la vie et la pensée, l'art et les réalités se trouvaient liés
d'une même étreinte par une personnalité qui n'a guère connu les
fâcheux dédoublements du métier, du rôle public, de l'attitude à
prendre. Et si l'intérêt est souvent moindre des documents utilisés
par M. D. dans ce tome II, à cause de la signification plus effacée
des personnages auxquels se rapportent certains d'entre eux, le com-
mentaire implicite qui s'en dégage pour la vie et pour l'œuvre de
Vigny n'est pas moins précieux, — ni moins utiles à suivre, pour l'his-
toire littéraire du milieu du xix" siècle, les mille sentiers incidents
que le hasard d'une lettre, d'une rencontre, d'une lecture, nous engage
à prendre chemin faisant à la suite du plus informé des guides.
Est-il permis de risquer, à propos de Vigny et des nouveautés d'in-
terprétation que M. D. semble préparer et autoriser par son livre, de
ces « synthèses « dans lesquelles le poète lui-même voyait de « magni-
i.Lire 55^ p. 97 et 266 ; Aimé de Loy, p. 1 14 ; Thaïes Bernard, p. 209; Zum
Elephanten, p. 23i;on aimerait connaître les quantièmes des journaux cites
p. I 26 et p. I 39, notCi
1 lo REVUE CRITIQUE
fiqucs soties »? Le premier volume, par le détail môme des relations
mises en lumière, écartait assez nettement Vigny, écrivain, du second
Cénacle, l'isolait du groupe qui a fini par donner au romantisme
français son principal signalement : et ce démenti donné par les
laits à Sainte-Beuve était bien conforme au sentiment manifesté par le
principal intéressé {Journal, p. y 5). Le second volume ruine absolu-
ment la légende de la « tour d'ivoire », fort compromise déjà par cer-
tains chapitres du premier, et l'on comprend assez que l'auteur s'ins-
crive en faux (p. :i43) contre une notion aussi singulière. La clientèle
littéraire qui se trouve passée en revue dans ces pages, les disciples
avoués et les écrivains déférents, de Brizeux, Barbier et Laprade à
Marmier, Pommier et Baudelaire, constituerait assez bien, parallèle
à la série des poètes plus artistes ou plus éloquents dont le succès a
été enregistré par l'opinion générale et par la mémoire simplifica-
trice de la postérité, un groupe plus « intérieur », plus curieux de
musique et de rêve : il est conforme à l'ordre des choses et aux affi-
nités profondes que ces poètes plus poètes peut-être se groupent
d'eux-mêmes autour de celui qui regretta souvent notre indifférence
nationale à l'égard de cette variété de littérature '.
F'. Baldknsperger.
Allen Wii.son Porterfield. Karl Lebrecht Immermann ; a Study in Ger-
man romanticism. New York, The Colunibia Uiii\ersity Press, hj i r ; in-8° de
i53 pages.
Etant lui-même au premier chef un « épigone », Immermann se
prête parfaitement à une étude comme celle-ci, qui abandonne le
point de vue de la personnalité, de l'évolution du caractère et du
talent, des œuvres expliquées par la vie, pour s'en tenir à un objet
déterminé : dans quelle mesure et sous quelles formes le Romantisme
allemand se reflète-t-il ici ? Quelle résistance trouve-t-il dans desdis-
I. P. 21. Une rédaction un peu diflerente du dizain de Brizeux sur Florence,
que je me trouve posséder, sera publiée par M. Dorchain dans son édition du
poète breton. Il est amusant de noter, p. 45, 49 et dans les éditions de Vigny, les
variantes au sujet des « vaisseaux de ligne » qui peuvent manœuvrer dans la rade
de Brest au gré du capitaine de la Sérieuse. Barbier aurait bien pu (p. 88) repro-
duire fidèlement la citation d'Othello (III, 3) par Vigny : elle se retrouve au cha-
pitre XV de Stello. Il y a dans le David d'Angers et ses relations littéraires, de
Jouin, p. ib-j, un billet de Vigny auquel répond la lettre mentionnée p. 236. Il
pourrait avoir lieu pour Marmier (p. 171, note et 23q) de faire des recherches à la
Bibliothèque municipale de Pontarlier. C'est exactement au 24 octobre iS54 qu'il
faut rapporter, avec M. H. Dupin, la Réponse à un acte d'accusation (p. 196, note).
Les conférences de Ph. Boyer (p. 206) seraient-elles sa série shakespearienne de
1859? Le début des Amours des Anges avait, plutôt que Lucrèce, inspiré celui du
Déluge ;p. 384). Vigny n'a fait que suivre, dans la l'eillàe de Vincemies, une
donnée réelle (p. 422) et la singularité de la mort de l'adjudant n'est pas de son
invention. Les vers de Vigny cités par Coupy, Marie Dorval, Paris, 1868, auraient
pu être rappelés, p. 362.
D HISTOIRE ET DE I.ITTICRATURE I i r
positions qui lui sont contraires? La difficulté et l'insécuriié des-
conclusions proviennent, en pareil cas, du vague et de la variété de
sens que ce concept du « romantique » n'a pas cessé d'avoir; mais les^
confrontations de détail opérées chemin faisant sont souvent fort
avantageuses à notre connaissance d'immcrmann et de ses alentours'..
Romantique au second degré, sans orthodoxie ni conviction absoluê-
à cet égard, Immermann subit des influences plutôt qu'il n'écrit selon
les nécessités profondes de sa nature : c'est déjà une détérioration de
l'idéal romantique qui s'opère dans une œuvre qui, sur tant de points,
paraît lui donner des gages.
F. B.
Martial Douel. Au pays de Salammbô. Préface de M. René Gagnât. Paris,
Fontemoing, igri; in-i6 de 270 pages.
De vives impressions de voyage, colorées et lumineuses et qui ne
s'arrêtent pas à la simple apparence des choses; des évocations du
passé au milieu des ruines ou des transformations aperçues par le
voyageur actuel; Tunis, Timgad, Kàirouan et Biskra vues par un
Européen lettré : la tentation était grande de placer sous l'égide de
Flaubert et de son héroïne ce livre africain. Ici, M. Douël esc peut-
être disposé à s'exagérer ce qu'il appelle « le génie scrupuleux et
détiant du solitaire de Croisset w en matière de reconstitution cartha-
ginoise. Ou plutôt il attribue exagérément, semble-t-il, à l'intensité
réaliste de Flaubert ce qui provient plutôt de ses merveilleuses sug-
gestions rythmiques, du prestige de sa phrase, d'un ensemble de
vertus littéraires, en un mot, qui valait surtout par le lyrisme et le
romantisme latent.
F. B.
Emile Gebhart, De Panurge à Sancho Pança ; mélanges de littérature euro-
péenne. Paris, Bloud, 191 i ; in- 16 de 32 i pages.
Ce sont, en réalité, vingt-un comptes-rendus d'ouvrages de littéra-
ture française ou étrangère : il y aurait avantage, pour la commodité
du discours, à réserver l'expression de « littérature européenne » aux
cas où sont en cause des phénomènes ou des œuvres concernant à la
fois plusieurs littératures, à défaut du groupe européen tout entier.
Le délié feuilletonniste des Débats, de la République française ou du
Gaulois accommode, pour l'agrément et l'instruction de ses lecteurs,
l'essentiel d'un livre d'érudition, d'histoire, de critique, ou d'une tra-
duction ' : on ne saurait dire que la question elle-même s'en trouve
avancée ou déplacée en rien, mais quelques pages savoureuses ou
I. L'incendie de Hambourg est de 1842 (p. 21); les références données dans la
note de la p. 26 pourraient aujourd'hui être rafraîchies et complétées.
2 11 eût été plus logique de placer la critique de la première série des Contes de
Cantevbury (2.'' avril 1907) avant la seconde (11 mars 1908). '
I I 2 REVUE CRITIQUE
narquoises mciiciit au couraiu un public scmi-piofane qui s'intéresse
aux iciires. C'nsi d'une besogne excellente de Journaliste, sans qu'une
reprise en volume s'impose vraiment pour un genre de production
t'ait pour le quotidien et qui doit se résigner, en somme, à « passer »
avec lui. Mais il va sans dire que la plume humoristique et diserte
d'Emile Gebliart se joue à l'aise autour de Villon, de Rabelais,
d'Erasme, et surtout de son cher Don Quichotte.
F. B.
Ludwig Bern'iiard, Die Polenfrage. 2" édition augmentée. Leipzig, Dunckicr
et Humblot, 1910, in-S", f)2o p., 6 mk. (2 cartes).
Il s'agit ici seulement de la question polonaise en Allemagne.
M. Bernhard, qui est professeur de sciences politiques à l'Université
de Berlin, a essayé de la traiter en dehors de toute préoccupation
politique ou nationale, en examinant les faits et en contrcMant les
témoignages allemands par les témoignages polonais. La sincérité de
son eti'ort à ce point de vue serait prouvée, s'il en était besoin, par les
difficultés d'information qu'il a rencontrées auprès de la plupart des
fonctionnaires prussiens. Les agents officiels de germanisation se
sont méfiés — sauf quelques honorables exceptions — de cet homme
singulier qui pesait le pour et le contre. Il faut dire cependant que
M. B., s'il juge sans arrière pensée, et sévèrement parfois, la politique
allemande en Posnanie, a cependant en vue le succès de la germa-
nisation ; ce qu'il blâme principalement dans les lois anciennes ©u
récentes destinées à favoriser la « colonisation » des provinces de
l'Est, ce n'est pas leur injustice, mais leur inefficacité. Sa manière de
voir est purement réaliste.
Le livre débute par un exposé historique. De i83i à i863, selon
M. B., la Pologne prussienne a été moralement dirigée par les émigrés
réfugiés à Paris. L'espoir des Polonais se limitait à une révolution
violente, qui serait préparée à l'étranger. Après i863, et jusqu'en
1893, les paysans paraissent à peu près ralliés, le gouvernement prus-
sien se fie à leur loyalisme, à cause de leur conduite dans les guerres
de 1866 et de 1870 ; la classe moyenne, le clergé et la noblesse restent
hostiles au fond, mais espèrent pendant longtemps arriver à une
quasi-autonomie par la voie parlementaire. La politique de coloni-
sation prussienne, inaugurée en 1886, commence à marquer le début
d'une nouvelle crise, qui devient grave à partir de 1893, quand le
gouvernement en interdisant la langue polonaise dans les écoles,
réveille chez les paysans le sentiment national assoupi. Toute cette
première partie est assez rapide, mais l'exposé en est remarquablement
clair, vivant, coloré, amusant parfois, avec de vraies trouvailles
d'expression.
M. B. étudie ensuite l'état actuel de ce qu'il appelle la commu-
nauté polonaise et spécialement la « république rurale ». Il examine
d'histoire et de littérature ii3
de près l'origine et l'cvolution des sociétés de crédit agricole, qui,
réorganisées et dirigées par la banque générale (Verbandsbank) de
Posen, sont devenues l'élément principal de la résistance en Pologne
prussienne. Cette partie du livre, plus complète et plus nouvelle que
l'étude des partis politiques proprement dits, est de beaucoup la plus
intéressante. On y verra dans une suite de curieux chapitres (2'' livre,
1^% 11^ et IV'' parties) comment la banque est parvenue non seulement
à défendre les positions des Polonais contre la germanisation, mais
même à les améliorer beaucoup, malgré une crise financière grave
survenue en 1900. Le plus piquant est que pour surmonter cette
crise, étendre ses opérations et soutenir victorieusement contre le
gouvernement prussien et les propriétaires allemands la « lutte pour
la terre », la banque polonaise de Posen a trouvé un appui empressé
et des ressources étendues dans les grandes banques de Berlin,
alléchées par un taux élevé d'intérêt, et fort peu soucieuses de Deut-
schtiim. M. B. donne des exemples bien amusants de l'accord sou-
vent réalisé entre le spéculateur polonais et le propriétaire rural
allemand pour extorquer au trésor prussien, sous prétexte de <( sau-
ver » un domaine près d'être acquis par des Polonais, une forte
somme que les deux compères partagent à l'amiable (p. 53o et suiv.).
La politique de colonisation {Ansiedlungspolitik) a échoué complè-
tement, comme on sait, de même que la lutte scolaire (peu étudiée
par M. B.). L'expropriation d'office, autorisée par la loi de 1908,
produira-t-elle des résultats plus décisifs? Les Polonais dirent que
non, et M. B., quoiqu'il n'ait pas les mêmes raisons de le penser,
est de leur avis. Il montre avec beaucoup de netteté et de clairvoyance
que la loi, votée avec bien des restrictions par la majorité conserva-
trice du Landtag, n'est appliquée qu'incomplètement, et de moins en
moins. Les agrariens, hostiles au principe même de l'expropriation,
qui leur paraît une concession dangereuse au socialisme, refusent
aussi de se prêter au morcellement des domaines expropriés, par
crainte de constituer en Pologne un quasi-prolétariat rural qui devien-
drait dangereux au cas d'une réforme électorale profonde. L'avenir
de la germanisation, si elle a un avenir, ne peut être assuré, selon
M. B., que par une politique résolument favorable à la démocratie
rurale. Les Polonais, dit-il, ne craignent qu'une chose : le dévelop-
pement d'une classe puissante de petits propriétaires allemands. Mais
le gouvernement actuel de la Prusse voudra-t-il s'engager dans cette
voie, et quand il le voudrait, le pourra-t-il ? Cela paraît douteux.
Il faut remercier M. B. de nous avoir donné ce résumé parfaitement
clair et pénétrant d'une question difficile et obscurcie par les polé-
miques. Quoique précis et nourri de chiffres, son livre se lit avec
plaisir, et réserve faite des questions de droit, auxquelles il ne touche
pas, on peut en louer la réelle « objectivité ».
R. Guyot.
I 1^ RKVDE CRITlQUfc.
l'ricdrich Mf.im;i;ki:. Weltblirgertmu and Nationalstaat. Siudicn ziirGencsis des
dciitschcnNationalstnatcs. 2. durchpcschiic Aullngc. Munich et Berlin. Olden-
bourg, lyii, in-S", p. 5i5i. nik. 11.
Paul l.AnvMi, Das Staatsrecht des deutschen Reiches 5. ncubearbeiiete Aut"-
lagc in 4 Bândcii. 1. Ikind. Tubinguc, Mohr, 191 i, gr. in-8", p. 332. mk. 12.
I. La première édition du livre de M. Meinecke est de 1907; l'auteur
l'a corrigée et augmentée à l'aide de documents récemment mis au jour.
Des deux parties qui composent l'ouvrage, la première, la plus considé-
rable, étudie l'évolution en Allemagne de l'idée de l'Etat national, elle
fait voir comment a l'idéal d'une Allemagne préoccupée d'un rôle uni-
versel, se considérant comme chargée d'une mission supérieure et lar-
gement humaine, s'est lentement substituée la conception moderne
de l'État autonome, trouvant dans le développement de son indivi-
dualité les raisons légitimes et suffisantes de son expansion. M. Mei-
necke suit dans les principaux écrivains politiques depuis la tin du
xvmc siècle l'idée qu'ils se sont faite du rôle de TEiat, en insistant
sur tout ce qu'ils ont mêlé d'étranger à sa véritable nature, même
pour ceux qui sont justement considérés comme les ouvriers les plus
puissants de l'unité nationale. Tour à tour il passe en revue G. de
Humboldt, Novalis, F. Schlegel, Fichte, Adam Mtiller, Stein et
Gneisenau. Tous restent profondément individualistes et tous sont
plus ou moins pénétrés de l'ancien cosmopolitisme de la génération
des classiques; ils sentent à des degrés divers les éléments constitu-
tifs du véritable État national, ils sont d'accord pour réagir contre la
conception rationaliste issue de la Révolution française et sauvegar-
der les droits de la tradition ; ils conçoivent de plus en plus l'État
comme une personnalité vivante nouant la chaîne des générations
passées et à venir; mais aucun ne peut renoncer au rôle moral dont
ils veulent charger l'État ou se le figurer affranchi d'une tutelle étran-
gère. Jusque dans les Discours au peuple allemand Fichte voit le
devoir suprême d'un patriote dans la nécessité de travailler au déve-
loppement de l'humanité, et Stein comme Gneisenau acceptent déli-
bérément un contrôle de l'Angleterre dans la réorganisation qu'ils
préparent de leur pays. Avec la période de la Restauration l'idée de
l'Etat seul arbitre de ses destinées gagne plus de force, mais avec une
tendance conservatrice marquée et au détriment de l'unité politique
de la nation. Il faut aller, par delà Niebuhr et Hegel, jusqu'à Ranke et
à Bismarck pour arriver à la conception de l'État à qui des mobiles
d'ordre universel sont étrangers et qui ne connaît plus que des
mobiles égoïstes. Gomment alors se conciliera l'autonomie de l'État
prussien avec sa place actuelle dans l'Empire allemand?
L'examen de ce problème constitue la seconde partie de l'ouvrage
de M. M. L'étude en est peut-être plus attachante encore que l'en-
quête précédente, car on peut dire que le problème n'a encore reçu
qu'une solution d'attente. La juxtaposition d'un organisme conserva-
teur, tel qu'est restée la Prusse, avec un organisme relativement libé-
D HISTOIRE ET DE LlTTERATUfE IID
rai, tel que le créateur de l'unité nationale a voulu l'Empire, ne sau-
rait donner l'impression d'une solution définitive, quelque efficace
que ce provisoire se soit jusqu'à présent montré. On suivra avec inté-
rêt dans l'exposé de M. M. les combinaisons que les politiques en
Prusse et hors de Prusse imaginèrent pour réaliser l'unité allemande
sous la direction du plus grand des États allemands. P. Pfizer,
F. et H. de Gagern, Droysen, Dahlmann réclament une absorption
de la Prusse dans l'Allemagne ; ils ont peur d'une Prusse trop libé-
rale qui eût alors absorbé l'Allemagne et M. M. a montré avec un
heureux détail toutes les manoeuvres qui entourèrent l'octroi de la
constitution du 5 décembre 1848. Les unitaires du Parlement de
Francfort étaient au fond de tenaces particularistes; quand le pro-
blème se posa de nouveau en 1866 et en 1870, Bismarck sut faire
l'habile synthèse réaliste de ces intérêts divergents par l'institution du
Conseil fédéral.
Le peu que j'ai dit du livre suffira à indiquer quel intérêt d'actua-
lité offre ce coup d'oeil rétrospectif sur l'histoire au xix^ siècle de
ridée nationale en Allemagne. Il faudrait ajouter que l'étude particu-
lière des conceptions politiques des hommes d'État ou des penseurs
sur lesquels s'est arrêté le savant directeur de VHistorische Zeit-
schrift est remplie d'aperçus neufs et partout soumise à une discus-
sion délicate et serrée.
IL Le traité qu'a écrit M. Laband du Droit politique de iEinpire
est classique en Allemagne. La première édition en avait été publiée
en 1876, la dernière en 1901. La nouvelle a dû naturellement tenir
compte des transformations incessantes que la vie politique apporte
dans la législation et le régime administratif d'un grand État. Non
moins abondants ont été dans cette période de trente-cinq ans les dis-
cussions et les commentaires sur une foule de points du domaine
juridique. L'auteur leur a fait une large place dans ses notes et toutes
les opinions des juristes les plus compétents, chaque fois qu'elles
s'écartent de la sienne, sont relevées et brièvement jugées.
Ce premier volume (l'ouvrage complet en comprend quatre) traite
d'abord de l'origine de l'Empire allemand. M. L. en établit comme
la généalogie juridique depuis la dissolution de la Confédération ger-
manique; il s'attache à montrer comment le nouvel Empire n'a été
que la continuation du norddeutscher Biind et comment il s'est inces-
samment développé dans le sens de l'unité. La nature juridique par-
ticulière de l'Etat allemand et ses rapports avec les États formant la
confédération sont analysés en détail et avec une insistance qui frap-
pera en faveur du concept de Bimdesstaat; l'auteur est partout dis-
posé à souligner la souveraineté du Reich et la subordination des
Etats qui le constituent. Non moins intéressants sont les développe-
ments touchant l'organisation des dirierents pouvoirs dans l'Empire,
ii6
RICVUK CRITIQUE
en pariicLiIicr loui lo conimcniairc des droits de rempereur et du
Conseil lédérai, car il s'agit ici encore d'organes complexes dont la
dualité exige une précision et une discussion des plus étroites. Les
pages consacrées au Reichstag, aux autorités et aux fonctionnaires
sont davantage d'un caractère descriptif et elles donnent du détail
des rouages administratifs de l'Empire comme des rapports des fonc-
tionnaires avec l'Etat une analyse minutieuse. La doctrine éiatisie est
partout défendue dans ces chapitres avec une rigueur, presque une
âpreté, qui surprendrait les défenseurs de thèses contraires, telles que
les derniers événements de notre histoire en ont vu éclore. L'ouvrage
de M..L. sera un guide stir pour tous ceux qui voudront se familia-
riser avec le mécanisme constitutionnel de l'État allemand.
Ludovic ROL'STAN.
E. LÉ.MONON, Naples et son golfe (Les \'illes d'art) in-S" carré, av. 121 phot.
Paris, H. Laurens (4 fr.).
Naples, une ville d'art? Ce n'est pas pour ses monuments que Ton
y court d'habitude, et même que son extraordinaire réputation s'est
fondée en Italie comme à l'étranger. M. Lémonon a prévu l'objection
et s'applique tout de suite à la détruire. Les églises et les palais sont
nombreux, les styles d'art reflètent une grande variété d'écoles, s'ils
n'en constituent aucune, du moins jusqu'à celle qui, au xvii° siècle
eut tant d'influence sous le nom de baroque ; de toute façon on y
constate une véritable évolution artistique, qui a bien son intérêt.
D'ailleurs le sujet a de la nouveauté. On a souvent parlé de Naples
incidernment, on ne l'a guère décrite d'une façon spéciale, surtout en
français. Le livre est donc le bienvenu. Depuis les souvenirs de l'épo-
que antique, attestés par tant de chefs-d'œuvre dans les Musées, jus-
qu'à la ville moderne, à ses rnonuments, à son pittoresque populaire,
à ses environs aussi (jusqu'à Caprij, M. Lcmonon nous fait tout voir,
et en connaisseur passionné. Des missions, de longs séjours, de véri-
tables fouilles à la découverte, l'ont rendu maître en cette partie.
H. DE CURZON.
— Le 45*' fascicule An Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, fondé
par Daremberg et rédigé sous la direction de M. Saglio avec le concours de M.
PoTTiER termine la deuxième partie du tome IV (p. 1457-1601 ; fig. 6566 à 6710)
et contient les articles suivants : stamnus, staphilololeion (Postier) ; stannus (Bes-
nier) ; stater (F. Lenormant) ; stater (Babelon) ; statio, stationarius, statu liber,
status quaestio, stigma, stuprum, sumptuariae leges, superficies, superindictio,
supplicium (Lécrivain) ; stator, stillatura, stipendium, strator (Gagnât); statua
(Ch. Picard); statuaria ars (Deonna) ; status, subscribendarius (Humbert) ; Stella
(Esperandieu); stellionaïus, substitutio, successio, synallagma, syngraphé, syn-
thekon, parabaseos graphe (Beauchet); stemma, Stéphane, stibadium, stolar-
chus, storea, strophium, structor, struppus, subalare, subarmalc, subligaculum,
subula, lubuncior, suffibulum, sulîimcnta, sufFragium, suouetaurilia, supparum.
I
D HISTOIRE KT DE LITTERATURE II7
supposilio partus, susccptorcs, suspcnsurn, synthcsis, syssitia (Saglio); Ste-
phancphoria, studiis (a), subsellium, suggcstus, sutor, syndicus (Chapot) ; Sthé-
nia, syrmaia (Cahen); stilus, stloppus, streptiiida, stuppator (Lafaye) : stimu-
lus, strigilis, striglis, sutïlamen (Sorlin-Dorigny) ; stips, supplicatio (Toutain) ;
stipulatio, suus (Cuq) ; stlata (Gauckler); stola, stylohates (Leroux); stra-
gulutn (V. Mortel); synodos, stratèges (Colin); strenae (Maynial) ; structura
(Jardé) ; stylis, sybéné, symphonia (A.-J. Reinach) ; Suada (Baudrillart) ; Sum-
manus (Hild); supellex (Alberiini); sykophanta, symposion, Syrrna (Navarre) ;
syllogeis, synoikia (Ch. Michel); symmachia, synedros (Alb. Martin); synegoros
(l'errot) ; sytiaiioubiastai (l'oucart) ; symphoniacus (C. de la Berge) ; syntrophoi
(Jalabert); Syria dea (Guinont) ; syrinx (Th. Reinach).
— M. W. P. MusTARD, qui depuis a publié une savante édition des églogues
latines de Mantuanus, nous a envoyé deux tirages à part de l'American Journal
of Pliilology qui se rattachent au même ordre de recherches : 1° Latereclioes oj
the Greek bticolic pocts, A. J. Ph., XXX (1909), n° 3, 245-283 ; pour chaque idylle,
vers par vers, M. M. reproduit les passages similaires ou imités dans la poésie
latine de la Renaissance et chez les poètes modernes, anglais, français, italiens;
2" Vi)-gil's Georgics and the British poets, ib., XXIX, n", i-32. Dans ces deux
articles, M. Mustard t'ait preuve de beaucoup de lecture et d'érudition.
— La librairie Ludwig Rosenthal nous envoie son catalogue 141 : Katholische
Théologie in deutscher Sprache, 22 3 pp. in-S", 3698 numéros. On y trouve des
manuscrits, beaucoup d'incunables rares, une riche collection de Bibles alle-
mandes du xv^ au xixe siècle, des livres à gravures sur bois, des impressions
rares, et aussi beaucoup de livres modernes importants dus à la plume des catho-
liques. — S.
— Le monument que Mlle Caroline F. E. Spurgeon a voulu élever à la mémoire
de Chaucer est le résultat d'un labeur prodigieux {Chancer devant la critique en
Angleterre et en Fi-ance depuis son temps jusqu'à )ios jours, Paris, Hachette, igti,
in-8", 422 pp. 7 fr. 5o). Voici les divers chapitres de celte thèse : aperçu général
de l'histoire de la critique chaucériennc en Angleterre ; Examen et classification
des différents types d'allusions à Chaucer; Caractéristiques attribuées à Chaucer ;
Evolution de la biographie de Chaucer ; Les Chaucériens ; Chaucer en France.
Suivent trois appendices fort longs ; bibliographie des œuvres de Chaucer, cita-
tions illustrant le développement de la critique anglaise, textes français où il est
parlé de Chaucer. Ce dernier appendice nous intéresse plus particulièrement, car
on y verra la preuve de la popularité constante du poète anglais en France. Depuis
Eustache Deschamps jusqu'à M. Drurnont, les allusions, les citations, les hom-
mages sont innombrables. Les Contes de Canterbury ont été traduits trois tois.
Des notices biographiques se trouvent dans la plupart des dictionnaires depuis
Moreri jusqu'à Larousse. Bien entendu, un pareil appendice n'a pas la prétention
d'être complet. 11 a fallu faire un choix môme dans les comptes rendus de la
Revue critique. — Cu. B.
— A signaler une étude intéressante sur Moore en France [Moore en France,
contribution à l'histoire de la fortune des œuvres de Thomas Moore dans la litté-
rature française, 1819-1830, par A. B. Thomas, Paris, Champion, 191 i, in-8»,
170 pp. 3 fr. 5o). Trois chapitres principaux : Moore à Paris, Moore et la presse
littéraire en France, influence de Moore dans la littérature française. Ce troisième
chapitre cherche à établir quels emprunts \'igny, Lamartine et Victor Hugo
ont faits à Moore. « C'est dans la tonalité du poème {d'Eloa) que l'influence de
, I g KKVLK CRITIQUE
Moorc se fait sentir... l.'iiitlucnce de Mooro sur Lamartine a été peu considéra-
ble ». Pour \'ictor Hugo, « il a pris de Moore le titre d'une de ses Orientales, mais
rien que le titre ». Conclusion : « L'influence de Moore n'a pas été proportionnce
à sa popularité ». Cette étude qui rcsoud ainsi négativement un petit problème
de littérature comparée, fait grand honneur à son auteur, un étranger pour qui
notre langue n'a plus de secrets. Elle fait honneur aussi à l'université de Lyon,
dont le docteur A. B. Thomas a été l'élève; elle est dédiée à notre collaborateur,
M. F. haldenspergcr. — Cn. B.
— Le 're>i)iyso}i Ac M. l'inniii Roz (Paris, BlouJ, njii, in-iG, 2'.-îopp.) qui
parait dans la collection des « Ecrivains étrangers » dont nous avons déjà parlé,
contient tout l'essentiel sur le poète-lauréat si populaire en Angleterre. Pcui-étre
pourrait-on faire des réserves sur les attaques fort vives auxquelles l'auteur se
livre contre celui qui a le plus contribué à nous faire connaître Tennyson, contre
M. Taine. Pour qui n'a pas la mentalité anglaise, Tennyson évoque l'apologue de
Hogarth : l'assiduité au travail, du bon apprenti et sa conduite irréprochable lui
gagnent la confiance du patron, celui-ci lui donne sa fille, l'apprenti devient patron
à son tour et tandis que son camarade d'autrefois, le mauvais apprenti, reste pauvre
et inconnu, il finit par être élu lord-maire. Inutile d'ajouter que le mauvais
apprenti est Browning. A signaler quelques fautes d'impression. (P. 14, 84, 146.
P. i5, traduire ainsi la citation : « Tu surmonteras » P. 107, pourquoi rabais-
ser Byron au profit de Tennyson ? Le génie de Byron est méconnu en ce moment
en Angleterre, mais un revirement doit se produire. — Cii. B.
— L'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, ayant fêté, le 8 novembre der-
nier (v. st.), le bicentenaire de la naissance ds Lomoitosov, chargea, à cette occa-
sion, M. Fr. DuKMEVKR, de rédiger un article biographique et bibliographique sur
le « père de la grammaire et de la littérature russes ». Cet article a paru dans les
Pretissische Jahrbilclier (T. 146, n" 2, p. 247-264. Berlin, Stilke, 191 1). Rappe-
lons seulement ici que Lomonosov succéda en 176 1 à l'Alsacien Schumacher
comme directeur de la chancellerie de l'Académie, et mourut en 1765. La f^ édi-
tion de ses œuvres parut trois ans après, la dernière est en voie de publication
depuis i8gi par les soins de M. Suchomlinov. Ses 4 meilleures odes ont été tra-
duites en allemand dans Die schônwissenscJiaftliche Literatur der Russen (I^eipzig,
1843) par Wolfsohn. D'autre part, M. Menschutkin a consacré à ses mérites comme
physico-chimiste un ouvrage russe qu'il a résumé dans Jes Annalen der Natur-
philosopliie [T. 4, igob) d'Osiwald. Il l'y présente comme l'auteur du principe de
la conservation de la matière, principe formulé par l'académicien russe dès le
5 juillet 1748 dans une lettre à Euler tandis que Lavoisicr n'exprima ce principe
qu'en 1789. Il en serait de môme de l'interprétation des phénomènes de combus-
tion. — Th; Sch.
• — Au Congrès international de Bologne, M. L. Nelson a résumé, le 11 avril
191 1, son grand travail Ueber das sogenanntc Erkenntnisproblcm paru dans les
Abhandlungen der Fiies'schen Schu(e{T. II, n° 4, 1908), dont la direction vient de
publier ce résumé sous le titre : Die Umnôglichkeit der Erkenntnistlieorie (Gœttin-
gen, Vandenpœck et Ruprccht, 191 1, 35 p.); en faisant cela, elle ne pense pas se
répéter, puisque un problème de cette importance capitale ne peut que gagner en
clarté à être présenté sous une forme nouvelle; elle s'est même hâtée de le faire,
à cause des jugements inexacts ou superficiels dont le rapport de M. Nelson a été
l'objet de la part de la Gazette de Francfort, du Tag (28 avril;, de la Zeitschrift
d'histoire et de littérature 119
filr Philosophie und phiLosophischc k'ritik T. 14.2, n" i ', et miirne du Logox (T. 2,
n» 1). — Tu. Scii.
Publications Scandinaves. De la société de littérature suédoise de Finlande
les tomes XCII et XCV consacrés aux Studier i Nordisk Filologi I et II (Helsing-
fors igioet 1911) éditées par Hugo Pipping et contenant, entre autres, des études
de Lidén sur les anciens surnoms en norois : de Pipping sur la langue judiciaire en
vieux suédois: de Ralf Saxén sur les noms des cours d'eau en finlandais (I); de
Karsten sur la culture germanique dans la Finlande primitive; de Pipping sur les
noms suédois du Onjeper, et de Lindroth une intéressante Contribution à l'inter-
prétation de l'inscription unique de la pierre de Rôk.— Le tome XCVI de la même
collection comprend un certain nombre de Fôrhaedlingar och Uppsatser 'Helslng-
fors. 191 1). A signaler, outre les procès-verbaux des réunions de la société en 1910,
un fragment de poème épique de Runeberg sur La fête du Solstice d'été et un
très curieux recueil de Pratiques magiques che^ les Suédois de la Bothnie'prientale
par Eric Holmberg. — Dans les fascicules I, II et III de Sprdk och Stil (Uppsala,
191 i) j'ai particulièrement remarqué les articles de : Louis Elmquist sur Le Sué-
dois en Amérique; de Sven Rothman sur Les Danismes dans la langue d'Oscar
Levertin ; le Bengt Hesselman des Etudes de Morphologie suédoise, etc. — L. P.
— Dans le premier fascicule des Aktstykker til de norske stœndermœters histo-
rié publiés au nom de la Commission des sources de l'Histoire de la Norvège
par M. le Dr Oscar Alb. JoHNSEN (Kristiania, Grœndahl, 19 10) on trouvera les actes
et documents relatifs à la prestation du serment à Frédéric II, i-HS, aux assem-
blées des Etats provinciaux à Bergen, i56i et i565, aux négociations avec les
Etats, ib-ji et 1572, à l'Assemblée de la noblesse à Oslo, en i582, à la prestation
du serment â Kristian IV à Oslo, en 1.^91, et au prince Kristian VI en 1610. — Au
nom de la même Commission, M. A. Kjaer publie les deux premiers fasc. (I et H,
in-S" de 480 pp. Kristiania, 1910 et 191 1) du manuscrit 81 a Fol. de la Collection
arnamagnéenne contenant les importantes sagas de Sverrir, du roi Hâkon et de
ses fils. Publication sans aucun commentaire, au moins jusqu'à présent; de sim-
ples corrections de texte au bas des pages. — Le quatrième vol. d'islandica (Cor-
nell University Library, New- York, 191 1) contient par Holldor Hermannsson des
anciennes lois de la Norvège et de l'Islande : collections et diplojnatique, textes
isolés, histoire et critique, bibliographie et biographie avec un index des matières.
— Sprdk och Stil, IV (Uppsala, 191 1). Entre autres articles, celui de R. G. Berc
sur les « Danismes dans Levertin ». — L. P.
— La librairie J.-C.-B. Mohr (Paul Siebeck) de Tûbingen met en vente une
réimpression de l'opuscule de Luther : Von der Freilieit eines Christenmenschen,
faite par les soins de M. Paul Fiebig, qui s'est appliqué à rendre accessible à des
lecteurs modernes le texte luthérien. — F. P.
— La maison Cahvey de Munich nous envoie le premier fascicule d'un périodique
édité par M. Friedrich Wilhel.m sous le titre Miinchener Muséum filr Philologie
des Mittelalters und der Renaissance. Cette publication a pour but de donner des
articles originaux où seront étudiées les langues et littératures de l'Europe à
l'époque du moyen âge et de la Renaissance. Une place très large y sera réservée
au latin moyen et moderne. Si la revue ne donne pas de comptes rendus régu-
liers d'ouvrages récents, elle présentera de temps à autre des vues d'ensemble
et une mise au point de qu£stions étudiées dans des livres nouveaux. L'esprit
du .Vlûnchener Muséum sera, promet-on, strictement historique, c'est-à-dire
I-ZO REVUE CRITIQUE D HISTOIRE ET DE LITTERATURE
conscient des incertitudes qui accompagnent toute recherche et soucieux de ne
pas dissimuler les contingences qui diminuent la sûreté des résultats. Ceux qui
connaissent les travaux de M. Wilhclm ne douteront pas qu'il ne s'ctVorce de réa-
liser le beau programme qu'il s'est tracé. Le premier fascicule du MCinchcner
Muséum otî're surtout des publications de texte. — F. 1^.
— Le Schweijeriscltes Idiotikon, ce « trésor » si abondant cl si sûr de la langue
parlée et écrite en Suisse s'est accru de deux fascicules (68 et 69) au cours de ces
deux dernières années. Sont étudiés ici les mots compris entre sclien (fin de l'ar-
ticle) et Salj (traité en grande partie). — F. P.
— Le septième et dernier volume de VHistoire de l'affaire Dreyfus, de
M. Joseph Reinach, a paru à la librairie Fasquelle. Il comprend l'index général
des noms. C'est l'indispensable supplément de cet important ouvrage, de ce récit
dont il faut louer la puissance et limpartialité, de cette véritable oeuvre d'histo-
rien. — C.
Académie DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du jô janvier igi2.
— M. Perrot, secrétaire perpétuel, donne lecture de lettres où MM. Adrien Blan-
chet et G. Radet posent leur candidature à la place de membre libre vacante par
suite du décès de M. Saglio.
M. Jullian communique, de la part de M. le D'' Gaston Lalanne, une figure en
relief, en pierre, trouvée dans ses fouilles de Laussel. près des Eyzies fDordogne).
Cette figure remonte aux temps aurigiiaciens et représente une femme stéatipy-
gique, nue, tenant à la main une corne de bison. La sculpture, vigoureuse, est
sans doute antérieure aux peintures et sculptures zoomorphiques des temps mag-
daléniens.
M. J. Loth fait une communication intitulée : Le Cornwall et le roman de Tris-
tan. Le roman de Tristan, tel qu'on le connaît par le poète français du xii^ siècle,
trahît les collaborations de gens de langue anglaise, française et celtique. Le ber-
ceau idéal du roman serait un pays uù les trois langues eussent été parlées cou-
ramment et concurremment. Ce pays existe. M. Loth montre que c'est le Corn-
wall.
M. le D'' Capitan fait une communication sur les caractéristiques de l'architec-
ture maya ancienne (Sud du Mexique). Tous les grands monuments mayas,
temples ou palais, sont placés sur des élévations artificielles plus ou moins hautes;
l'étude des façades de divers monuments montre une reproduction très nette de
prototypes en bois. On trouve les origines de ces particularités dans l'étude du
texie et des figures où l'on voit que d'après la tradition les Mexicains primitifs
ont construit, pour y mettre leurs idoles, de petits temples en bois (et non en
pierre, à cause de la pénurie de cette matière). D'autre part, ces temples, dès
l'origine, étaient placés sur des élévations artificielles de terrain, en général pour
les protéger contre les inondations, ensuite pour les rendre visibles de loin et en
même teinps les rapprocher de la divinité.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-VeJay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 7 — 17 février — 1912
Garstang, Le pays des Hittites. — Olmstkad, Charles et Wrench, i, 2, Inscrip-
tions hittites. — Gkrcke et Norden, Introduction à la science de l'antiquité, I. —
O. Keller", Les animaux dans l'antiquité, I. — Walker, Essai d'isométrie. —
Sauvage, L'abbaye de Saint-Martin de Troarn; Le fonds de l'abbaye de Saint-
Etienne de Caen. — F. Kern, Documents sur les relations extérieures de l'Alle-
magne 1 267-1 3 I 3 ; Les débuts de la politique française d'expansion jusqu'en i3o8.
— P. Braun, Conrad de Mnrbourg et Sieding. — Registre du Conseil de Genève,
111. — F. de Mallevoue, Actes de Sully passés au nom du roi par devant notaire.
— Preuss, Philippe II, les Hollandais et le premier voyage aux Indes. — Obser,
Inventaire des archives de Bade. IV, 2. — Bost, Les prédicants protestants des
Cévennes et du Bas-Languedoc. — Hauviller, Les pieux désirs d'un Alsacien.
— Haepke, Le négociant allemand aux Pays-Bas. — Max Hoffmann, Morceaux
choisis de Ranke. — M. Philippson, Histoire contemporaine du peuple juif, III.
— Académie des inscriptions.
J. Garstang, The land of the Hittites; an account of récent explorations and
discoveries in Asia minor, with Descriptions of the Hittite Monuments, with
Maps and Plans, ninety-nine Photographs and a Bibliography. London, Cons-
table and C°. igio, i vol, 413 p. in-S% 12 sh. 6.
L'importance du rôle joué par les Hittites apparaît chaque jour-
plus grande à mesure que les découvertes se succèdent en Asie Mi-
neure et les trouvailles faites par l'expédition allemande à Boghaz-
Keui ont rappelé l'attention sur les ruines trop négligées de la Cap-
padoce et de la Syrie du Nord. Nous savons aujourd'hui que la pre-
mière dynastie de Babylone, celle de Hammurabi, fut renversée par
les Hittites; que les Hittites résistèrent souvent victorieusement en
Syrie aux Egyptiens et aux Assyriens, qu'ils fondèrent la dynastie
des Héraclides en Lydie ; qu'ils transmirent à l'Asie Antérieure l'art
babylonien qui leur avait emprunté le système de construction
appelé bit hildni; enfin que, maîtres des mines de Taurus, ils furent
les grands métallurgistes qui fournirent à une bonne partie du monde
ancien l'argent, le cuivre, le plomb et peut-être même l'étain. Le
livre de M. Garstang vient donc fort à propos nous donner un état
actuel des connaissances sur un peuple longtemps ignoré ou négligé
et justement remis aux premiers plans de l'histoire. Il débute par
une description du pays proprement hittite, entre Césarée et Boghaz-
Keui, et des régions plus ou moins pénétrées d'influences hittites,
Syrie du nord, Phrygie et Cilicie. Une cinquantaine de pages résu-
ment ensuite l'histoire de ces régions depuis l'époque hittite jusqu'à
la conquête seldjoukide. Les monuments hittites actuellement con-
Nouvelle série LXXIH 7
122 REVUE CRITIQLK
nus, rt^partiscn cinq groupes suivant les régions où ils ont été décou-
verts, sont soigneusement décrits dans un tioisième chapitre. Pouf
le cas où il publierait une seconde édition de son livre, M. Garstang
me permettra de lui signaler deux bas reliefs que j'ai autrefois photo-
graphies dans la Syrie du Nord, l'un à Kara-Maghara (liulletin de
Corr. hell. 1897. pi- IV), l'autre à Tchatal-Tépé (Maspero, Hist. anc.
des peuples de l'or, class., III, p. 36) et un buste trouvé dans les envi-
rons d'Antioche [Bulletin de Corr. hell., ib.). Les deux chapitres sui-
vants sont consacrés à la ville de Boghaz-Keui et aux sculptures do
lasili-Kaya, au palais et aux sculptures d'Eyuk. étudiés en 1907 par
l'expédition anglaise de Liverpool puis par Macridi-Bey, à la ville de
Sindjerli. fouillée de 1888 à 1892 par l'Orieni-Comité allemand, aux
ruines de Sakjegeuzi fouillées par M. Garstang lui-même. Enfin l'his-
toire des Hittites, telle du moins qu'on peut l'esquisser d'après des tex-
tes encore bien insuffisants, est retracée depuis les origines jusqu'à la
chute de Carchemis. Quatre tables terminent le volume et en facilitent
l'usage. L'illustration est abondante et très réussie. J'aurais voulu
que l'auteur nous dit un mot des différentes tentatives, assez nom-
breuses déjà, faites pour déchiffrer les inscriptions hittites.
C. F"0SSEV.
A. T. Oi.MSTEAD, B. B. Charles, J. E. Wrench, Travels and Studies in the
nearer East, vol. I, part. II. Hititte inscriptions; the Cornell Expédition to
Asia Minor and the Assyro-Babylonian Orient, Iihaca, (New-York), 191 1, 49 p.
gr. in-80.
Les découvertes en pays hittite se multiplient avec une telle rapi-
dité que le livre de M. Garstang, à peine paru, se trouve déjà
incomplet. Une expédition américaine qui a parcouru l'Asie Mineure
publie en effet vingt-sept planches reproduisant des inscriptions hit-
tites dont plus d'une douzaine étaient complètement inédites. Ces
planches ont été dessinées avec un soin minutieux d'après des pho-
tographies prises sur les pierres recouvertes d'un estampage. Ce pro-
cédé a permis de reconnaître ou de rectifier plus d'un signe que des
photographies prises directement sur des pierres très frustes ne fai-
saient pas apparaître. La publication de MM. Olmsiead, Charles et
Wrench sera donc indispensable à tous ceux qu'intéresse l'épigraphie
hittite et elle inaugure très heureusement la publication des résultats
de l'expédition Cornell.
C. FOSSEY.
Einleitung in die Altertumswissenschaft, herausgegeben von A. Gercke und
E. NoRDEN. Tome I : Methodik, Sprache, Metrik, Griechische und rômische
Literatur. Leipzig-Berlin, Teubner, 1910; xii-588 p.
Enlisant, sur le titre de l'ouvrage publié par MM. Gercke et Nor-
den, les noms de leurs collaborateurs, on ne peut que prendre une
d'histoire et de littérature I2'3
•
idée fort avantageuse de la manière dont seront traitées les matières
dont il se compose. Dans ce tome premier (l'ensemble, primitivement
conçu pour deux volumes, doit en comprendre trois) est exposé aussi
complètement que possible, et sans développements superflus, le
résumé des connaissances actuelles sur les langues et littératures grec-
ques et latines. L'ouvrage est destiné aux étudiants, et plus spéciale-
ment à ceux qui' doivent faire leur carrière dans le professorat; et l'on
remarquera que dans la pensée des éditeurs il s'agit moins de traitera
fond chaque sujet que d'orienter le lecteur et de le guider dans ses tra-
vaux futurs et dans son enseignement ; chacun doit y trouver, en
même temps qu'une base solide pour progresser selon ses aptitudes,
l'ensemble des notions indispensables sur les autres disciplines, sans
lesquelles aucune branche des études sur l'antiquité ne peut être
abordée avec fruit. Car tout se tient; et malgré les spécialisations
nécessaires, un savant trop renfermé dans un cercle de recherches
restreintes court risque de n'être qu'un demi-savant. Le volume débute
par un chapitre sur la méthode, dû à A . Gercke, et je n'hésite pas à
dire que c'est celui dont on retirera le plus de profit. Alors que les
chapitres suivants, sur l'histoire et la grammaire des langues classi-
ques (P. Kretschmer), sur leur métrique (E. Bickel), sur les littéra-
tures grecque et latine (E. Bethe, P. Wendland, E.Norden), exposent
et condensent les résultats acquis dans chacune de ces parties, cette
première section est destinée en quelque sorte à l'apprentissage du
futur savant, en lui indiquant les sources de la science de l'antiquité,
et en le familiarisant, pour ainsi dire, avec les instruments et les
méthodes dont il aura à se servir, quel que soit le domaine vers lequel
il sera attiré, philologie pure, histoire, linguistique ou archéologie.
Les autres parties ne sont pas moins solidement traitées, et dans leur
brièveté relative ne perdent pas de vue le but principal de l'ouvrage.
Il faudrait un article spécial pour juger chacune d'elles ; nous ne pou-
vons ici que signaler ce qu'il y a de plus nouveau et de plus saillant
dans un manuel de ce genre. Dans le chapitre intitulé Sprache,
M. Kretschmer, après avoir esquissé le développement historique du
grec et du latin depuis leurs origines, s'occupe des principes fonda-
mentaux de la grammaire; on remarquera, sous la rubrique Syntaxe,
une définition psychologique de la proposition qui ne sera pas, je
crois, sans soulever des controverses. On notera aussi, dans le cha-
pitre Métrique^ le dernier paragraphe, en plus petits caractères, sur le
rythme de la prose. Les littératures ne sont pas traitées selon un même
plan; la littérature grecque est subdivisée en deux sections, poésie et
prose, tandis que la littérature latine est étudiée suivant les périodes.
Les deux dispositions ont leurs avantages, l'une faisant mieux ressortir
Tcvuluiion des genres, l'autre caractérisant avec plus de précision la
vie littéraire et le goût des époques successives ; elles ont également
leurs imperfections — qui d'ailleurs peuvent être atténuées dans une
,2 1 REVUE CRITIQUE
lar'c mesure — l'une risquaiii do subordonner l'écrivain à ses
œuvres, l'autre conduisant plutôt à mettre au premier plan les person-
nalités. Quoi qu'il en soit, les auteurs ont su justement apprécier
l'histoire des deux lijitératures, et donner en même temps le relief
nécessaire aux grands noms qui les ont illustrées; ils ont en outre,
MM. Bethc et Wendland d'une part, M. Norden de l'autre, écrit un
chapitre additionnel, abondamment fourni de renseignements, sur les
matériaux, sources anciennes, manuscrits, éditions, ouvrages moder-
nes, que doivent utiliser les historiens de chaque littérature; cet
appendice donne également un aperçu des questions encore pendantes,
ainsi que de précieuses indications sur ce qui reste à faire. Ainsi ce
tome premier est pleinement approprié au but que se sont proposé les
éditeurs'.
My.
Ouo Kei.leu. Die antike Tierwelt. Erster Band. Sâugetieve. Leipzig, Engelmann,
1909; xii-434 p.
Il y a environ vingt-cinq ans, M. O. Kellcr publiait à Innsbruck,
sous le titre Tliiere des classischen Alterlhiimsin culturgeschichtlicher
Be-{iehung, une série de monographies dans lesquelles il avait réuni la
plupart des renseignements fournis par l'antiquité sur certains ani-
maux tels que le loup, le cerf, Tours, l'aigle, le rossignol, etc., avec de
de nonibreuses illustrations et citations de textes. Je ne connais pas ce
volume, qui ne doit pas manquer d'intérêt; et peut-être est-il à
regretter que M. K. n'ait pu donner suite à son projet de publier de
nouvelles séries d'articles qui auraient finalement englobé tout le règne
animal. L'ouvrage que nous analysons ici est conçu, nous dit-on,
suivant un plan différent; il sera complet en deux volumes, illustrés
de plus nombreuses figures, et laissant de côté les citations; le tome
premier, qui forme un tout en lui-même, comprend les n^iammitères.
Les articles relatifs à chaque animal ne sont pas également déve-
loppés ; une quinzaine sont traités sonimairement, parce que le sujet
en est déjà expose avec détails dans l'ouvrage cité plus haut, et auquel
M. K. renvoie ses lecteurs. Les plus importants de ces articles sont,
naturellement, ceux qui sont consacrés aux mammifères les mieux
connus des anciens, en particulier aux animaux domestiques. Mais ce
n'est pas un ouvrage d'histoire naturelle qu'a voulu composer M. K.;
la zoologie tient, dans son livre, une place assez mince ; il s'est proposé
tout spécialement de rechercher ce que nous font connaître, sur les
animaux, les monuments plastiques et les œuvres littéraires des
anciens. Un exemple permettra de comprendre la disposition générale
I. Dans la liste des abréviations, pp. ix-xi, l'impression n'a pas été surveillée
d'assez près; on regrette d'y \o\r c'xiQx: \q Dictionnaire des Antiquités Aq Ch. Dareni-
berg, Daglio, F. Pottier, et d y lire Mon. Tiot = Monuments et mémoires fonda-
tion Tiot (sic].
d'histoire et 0e littérature 125
de chaque article. Le chien tait le sujet du plus long chapitre du
volume, qui se développe ainsi : Les différentes races de chiens con-
nues de l'antiquité, d'après les textes et les monuments hgufés, chiens
loups, chiens parias, lévriers, dogues et molosses, chiens de berger,
chiens de chasse; les chiens à la guerre; noms de chiens; le chien
dans la religion, le culte et la mythologie; superstitions populaires;
représentations artistiques; observations sur les mots qui désignent
le chien et son aboiement. Tout cela est entremêlé d'anecdotes où le
chien joue un rôle, tirées des auteurs grecs et latins, souvent sans
autre référence que le nom de l'écrivain. Pris en soi, chaque chapitre
est d'une composition assez lâche, et donne plutôt l'impression d'une
série de fiches reliées ensemble d'une manière assez superficielle. Le
.livre est évidemment destiné au grand public, dont l'intérêt sera
encore excité par les figures (145) insérées dans le texte, et par les
trois planches de gemmes et de médailles à la fin du volume '.
My.
R. J. Walkkr. 'AvtI M'.â;, an essay in isometry. Londres, Macinillan, 1910. Deux
volumes de viii-Soy et vi-3g4 p.
Les œuvres lyriques grecques nous ont été transmises avec de nom-
breuses fautes, plus peut-être que les autres textes; mais ces fautes, la
sagacité des critiques (j'entends les critiques méthodiques, et non les
fantaisistes de la critique verbale) les avait découvertes en bonne partie,
et elle y avait remédié parfois avec certitude, parfois avec une grande
vraisemblance, si bien que le nombre des passages défectueux s'était
sensiblement réduit. M. Walker, dans un gros traité qui n'a pas moins
de 900 pages, nous révèle un genre de fautes auquel on n'avait pas pensé,
et qui est, selon lui, un signe certain d'interpolation ou de remanie-
ment. Ce sont des fautes reconnaissables à la métrique, et voici com-
ment M. W. les découvre. Dans la lyrique grecque, pense-t-il, toutes
les fois qu'il y a correspondance strophique, cette correspondance
s'étend à chaque syllabe; à une longue répond une longue, à une
brève une brève; mais jamais le poète n'a substitué deux syllabes
brèves à une syllabe longue, àvTl [u-j.;. Partant delà, M. W. estime que
dans tous les cas où nous rencontrons deux brèves correspondant à
une longue, au moins dans le domaine de la lyrique dorienne, et par
conséquent dans les chœurs dramatiques, le texte est corrompu. Une
correction est donc nécessaire pour remettre tout en ordre, et Pindare,
I. Parmi les noms de chiens, M. K. cite Hormé, chienne de Xénophon, avec la
référence Arrien, Cynég. V, 6 ; il s'agit de la chienne d'Arrien lui-même, qui se
désigne sous le nom de Xénophon, comme chacun sait; cf. 1, 4, où il se dit ôaw-
v'jjxo? Tô û)v aÙTw (Xénophon, 7.7.I -ôXvjk t'ô ^t'-JT?.;. H serait facile de relever dans
l'ouvrage de légère inexactitudes du même genre, par exemple sur l'origine du
nom de Bucéphale (p. 227), etc. On est surpris de ne pas voir mentionné le
fameux cheval de Caligula, Incitatus.
126 REVUE CRITIQUE
Bacchylidc, les tragiques, Aristophane passent tour à tour sous la
critique de M. W., qui ne perd pas une occasion (ses observations
sont en ctfet très complètes) de rétablir, par des émendations parfois
extraordinaires, la correspondance qui seule, selon lui, est conforme
aux lois de la composition lyrique. Il se flatte ainsi parfois, tout en
avouant que certaines de ses corrections peuvent bien ne pas entraîner
la conviction (t. 1, p. VI), d'avoir retrouvé très probablement ce
qu'avaient écrit les poètes (V. par exemple t. I, p. 173). Son ouvrage
est donc essentiellement un ouvrage de détail, qui dès lors ne peut
être analyse. Mais il repose tout entier sur une hypothèse, et c'est
cette hypothèse que l'on voudrait voir déniontrcr. Les passages exa-
minés, dans lesquels se trouve la correspondance condamnée, ne soin
pas tous corrompus; M. W. les déclare tels, et corrige, en s'appuyant.
précisément sur ce fait, que la correspondance de deux brèves à
une longue est illégitime; cela s'appelle une pétition de principe.
D'autre part, que cette correspondance apparaisse seulement à l'état
d'exception, c'est une chose qui sans doute doit attirer l'attention;
mais ces exceptions, en fin de compte, forment encore un total assez
respectable pour que l'on ne conclue pas sans appel à des fautes de
copiste ou à des retouches plus ou moins sensées de quelque scribe
byzantin. Mon système, dit quelque part M. W., ne dépend pas de
mes émendations. Évidemment non; c'est l'inverse; ses émendations
dépendent de son système ; et ce système restera caduc, tant que
M. Walker n'aura pas démontré que le côlon, dans la composition
chorique, repose sur une succession régulière de syllabes et non sur
une succession régulière de pieds. Ces deux volumes, d'ailleurs, sont
loin d'être dépourvus d'intérêt; et l'auteur aura sûrement, pour me
servir de ses propres termes, la consolation de savoir qu'il a réuni des
matériaux — j'ajoute nouveaux et importants — pour les recherches
d'autres savants. C'est par là surtout que l'ouvrage sera utile.
My.
R. N. Sauvage. L'Abbaye de Saint-Martin de Troarn, au diocèse de Bayeux,
des origines au xvi« siècle. (Histoire et développement économique d'un monas-
tère normand au Moyen Age), Caen, Henri Dclesqucs et Louis Jouan, in-4'',
Lii-524p., 191 1. — Le fonds de l'abbaye de Saint-Étienne de Caen aux
Archives du Calvados (thèse complémentaire pour le doctorat présentée à la
. Faculté des Lettres de l'Université de Caen). Caen, Henri Delesques, in-4'',
xxiii-58 p. 1911).
I. La thèse de M. S. n'est pas seulement la meilleure monographie
d'abbaye normande qui ait été publiée jusqu'à ce jour. L'auteur s'est
préoccupé de nous faire comprendre le rôle social d'un monastère
au Moyen Age, et il nous offre un tableau achevé de l'exploitation et
de la mise en valeur d'un grand domaine ecclésiastique, qui résuma ,
longtemps toute la vie rurale de la Vallée d'Auge. La nouveauté du
plan, l'étendue et la sûreté de la documentation, l'originalité des
d'histoire et de littérature 127
aperçus, et surtout l'heureux développement donné à Thistoire écono-
mique placent cet ouvrage hors de pair et l'imposent à l'attention . En
l'accueillant au nombre de ses publications, et en l'éditant somptueu-
sement, la Société des Antiquaires de Normandie s'est acquis un
nouveau titre à la reconnaissance des érudits.
Cet ouvrage ne se présente point comme une monographie com-
plète de l'abbaye deTroarn. L'auteur s'est proposé d'étudier l'histoire
et le développement économique d'un monastère normand au Moyen
Age, et il a volontairement limité le champ de ses recherches à la
période qui s'étend des origines aux dernières années du xvi'' siècle.
Mais à Troarn, comme en tant d'autres abbayes françaises, les guerres
de religion marquent la fin de l'activité religieuse et sociale, et assu-
rent la décadence. Le rôle du monastère ne fut efficace qu'au Moyen
Age. C'est alors seulement qu'il répandit la vie dans le pays environ-
nant, et qu'en lui se concentrèrent le commerce et l'industrie de la
Vallée d'Auge. Quelques pages suffisent à résumer son action sous les
derniers abbés commendataires. Cette période de cinq siècles et demi,
M. S. l'a étudiée minutieusement, avec le souci de donner leur véri-
table sens aux aspects connus de l'histoire politique, religieuse et éco-
nomique de l'abbaye en les plaçant dans l'évolution générale, et d'at-
teindre, sur les problèmes que cette histoire soulève, des précisions
nouvelles. Son examen critique des sources est excellent. Ce qu'il
nous apprend des origines et du développement extérieur de l'abbaye,
de ses rapports avec les puissances laïques et les autorités spirituelles,
du régime intérieur de la maison était moins inattendu. Mais le plan
adopté par l'auteur lui a permis de ne laisser de côté aucun fait sail-
lant, et son tableau historique des événements paraît achevé. Il faut
signaler les pages dans lesquelles il définit la nature de Yexemption
iroarnienne, et celles où il explique le caractère social des troubles de
I 562 : elles ouvrent des perspectives nouvelles et peuvent servir de
point de départ à des travaux plus étendus.
Après avoir résumé l'histoire de Saint-Martin de Troarn, M. S.
nous fait connaître son développement économique. Cette seconde
partie du livre est de beaucoup la plus originale et la plus curieuse :
nous n'avons son équivalent pour aucune autre abbaye normande.
L'auteur y traite successivement et en détail de la formation du tem-
porel, de son exploitation, de la façon dont les moines, devenus
riches, ont géré leurs capitaux, des résultats économiques. Il y a là des
pages sobrement écrites et fort intéressantes sur l'administration du
domaine, la condition des tenanciers, les rapports de l'abbaye avec
les communautés d'habitants et les curés, la perception des dîmes,
etc. Le rôle du monastère comme établissement de crédit est étudié
soigneusement et apprécié avec mesure. Il arrive, en effet, un moment
où les revenus réalisés dépassent les charges. Quel emploi les reli-
gieux faisaient-ils de l'excédent ? MM. Génestal et Allix, professeurs
,28 REVUE CRITIQUE
h la Faoïiltd de droit de Caen, se sont efforcés de nous l'apprendre
dans leur excellente étude sur les opérations financières de l'abbaye
de Troarn. Sans combattre absolument leur théorie, M. S. montre
bien qu'elle ne cadre pas toujours avec les faits. Le rôle de Saint-
Mariin de Troarn comme banque, comme maison de crédit, fut réel
sans doute, mais subsidiaire. Le sentiment religieux se mêle à toutes
les entreprises financières des moines et leur donne un caractère spé-
cial : les actes mêmes les plus pénétrés de Kesprit utilitaire décèlent
chez eux et chez leurs clients d'autres préoccupations que les seules
préoccupations du siècle. C'est un point de vue qu'il ne faut pas
oublier. Un chapitre final, consacré aux résultats économiques,
résume, sans l'exagérer, l'œuvre accomplie par les religieux dans la
Vallée d'Auge : l'estuaire de la Dive, les marais de Troarn, les bois,
les cultures, les chemins sont successivement passés en revue, et cet
examen constitue une excellente étude de géographie historique.
M. S. a rejeté en appendice la liste des abbés, une dissertation cri-
tique sur les plus anciens actes originaux de l'abbaye, un exposé de
la liturgie troarniennc, et l'étude archéologique des bâtiments. Qua-
rante pièces justificatives, publiées avec une méthode qui satisfera les
plus dithciles, et des tables alphabétiques, assez soigneusement
dressées pour rendre tous les services qu'on peut leur demander, ter-
minent ce volume, dont l'exécution typographique est irréprochable,
et que la Société des Antiquaires de Normandie a fait illustrer de plu-
sieurs cartes et de sept planches très artistiques,
II. M. S. avait choisi comme thèse complémentaire une étude sur
le fonds de l'abbaye de Saint-Etienne de Caen aux Archives du Cal-
vados. C'est le Répertoire numérique d'une partie importante de la
série H, précédé d'une préface qui donne l'historique du fonds et
expose la rtnéthode de classement. La monographie d'Hippeau sur
l'abbaye de Saint-Etienne ne laissait pas soupçonner la richesse de
ces archives. Les érudits normands sauront gré à M. S. d'avoir porté
ses efforts sur ce point, et les archivistes trouveront dans ce travail
professionnel, qui touche de bien près à la perfection, un modèle
d'instrument de recherches plus maniable et plus rapidement exécuté
que l'inventaire sommaire. Une publication de ce genre est très utile,
mais présente évidemment peu d'attrait. M. S. en a corrigé la séche-
resse par une savante préface, qui donne à son répertoire numérique
le caractère marqué d'une œuvre d'érudition, et qui doit servir de
base, dans l'avenir, à toute étude sérieuse sur l'abbaye de Saint-
Etienne '. Cette thèse complémentaire est digne de la principale, et
I. Je signalerai à M. S. une petite coquille typographique sans importance:
Laulne (Manche, canton de Lessay' est constamment écrit Laulnc. Page 175 de la
thèse principale, je ne vois pas comment Bebec (Seine-Inférieure, cant. deCaude-
bec) peut être maintenu dans le diocèse de Coutances.
^1.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I 29
l'une et l'autre sont en progrès sensible sur les travaux du même
genre parus précédemment.
Paul Lecacheux
Acta Imperii Angliae et Franciae ab anno 1267 ad annum i3i3. Dokumente
vornehmlich zur Geschichte der ausw acrtiijen Beziehungcn Deutschlaiids, in
auslaendischen Archiven gcsainmelt und hcrausgegebcn von Fritz Kern. Tùbin-
gen, Mohr (Siebeck), 191 1, XXX, 3^b p. gr. in-S». Prix : 25 tV.
M. Fritz Kern a visité en 1908 et 1909 les dépôts d'archives et les
bibliothèques publiques de France, d'Angleterre et d'Italie, pour
tâcher d'y découvrir des documents nouveaux sur la politique exté-
rieure de l'Allemagne pendant le règne de Rodolphe de Habsbourg,
Adolphe de Nassau, Albert I et Henri VH. Il a exploité, à Paris, les
Archives Nationales et la Bibliothèque Nationale, et visité en outre,
chez nous, les archives de Dijon, Bar-le-Duc, Besançon, Grenoble et
Verdun. A Londres c'est surtout le dépôt de la Tour qui lui a fourni
des pièces curieuses sur les relations anglo-allemandes durant le règne
d'Edouard I ; en Italie, ceux de Rome, Florence et Turin. Ce qui
nous intéresse le plus dans le recueil de M. Kehr, ce sont tout natu-
rellement les documents relatifs à l'influence plus ou moins considé-
rable exercée par la politique française sur les destinées de l'Empire ',
et à l'extension matérielle du royaume aux dépens de l'Allemagne,
du côté de la Lorraine et de l'évêché de Toul, ou du côté de Lyon. Le
volume débute par le répertoire chronologique de toutes les pièces
citées. Puis viennent 244 chartes (p. i-i65)qui constituent la pre-
mière partie; 5i pièces, groupées sous le titre d'Actes et régestes
constituent la seconde partie (p. 165-248) ''. La troisième partie, inti-
tulée Zur Reichsgeschichte ans italianischen Chroniken^ renferme
des extraits de chroniques inédites de Pise, de Lucques, de Sienne et
surtout d'un Chronicon Parmerise, dont le manuscrit, conservé à
Vigevano, est dénommé De Riibeis (de Rossi) par l'éditeur, parce que
le copiste a Joint au texte des notices sur la famille de ce nom et qu'il
peut être ainsi distingué d'autres chroniques parmesanes déjà
publiées. Ces fragments se rapportent aux règnes de Rodolphe de
Habsbourg et de Henri VII et à leur ingérence dans les affaires de la
péninsule.
Un supplément de seize pièces, presque toutes relatives au duché
de Lorraine, termine ce recueil, auquel est joint un répertoire des
noms de personnes et de lieux (p. 293-332) et une table « des expres-
1. Citons comme pièce curieuse, à la p. 221, le mémorandum adressé à Phi-
lippe le Bel, en décembre 1299, contenant la liste de tous les princes ecclésias-
tiques et laïques du Saint-Empire subventionnés parla couronne de France.
2. Dans ce groupe, citons le n» 278, qui renferme l'enquête officielle faite en
septembre 129g pour fixer les frontières des deux pays, lors de l'entrevue de Phi-
lippe IV avec Albert I; le document fut dressé par les soins de Guillaume Bas-
tart de Poitiers, bailli de Chaumont (p. 207-220).
I 30 REVUE CRITIQUE
sions les plus importantes » (p. 333-345), table dont on ne comprend
pas bien l'uiiliic, puisque ces mots, latins ou français, sont simple-
ment Ciitiilo^iics mais nullement interprétés ni expliqués par Tcdi-
icur '.
R.
Die Anfaenge der franzoesischen Ausdehnungspolitik bis zum Jahre
1308, \<iii l'ritz Kern. Tubingen, Mohr (Siebeck), 191 i, XXXII, '^-j? p. 8»,
carie. Prix : i 3 fr. 73.
M. Fritz Kern est le même dont nous venons d'annoncer un recueil
de documents [Acta Imper ii Angliae et Franciue) sur Jes rapports du
Saint Empire avec l'Angleterre et la France dans les trente dernières
années du xiii'^et les quinze premières du xiv" siècle. Les pièces inédites
réunies à cette occasion lui ont paru suffisamment intéressantes pour
les utiliser dans un récit suivi ei il en est résulté celte élude sur les
débuts de la politique d'expansion de la couronne de F'rance Jusqu'en
l'année i3o8. C'est un premier chapitre de l'histoire de celle poussée
systématique de la royauté française durant six siècles, pour élargir
ses frontières orientales aux dépens de ses voisins, ei des résultats
obtenus par les successeurs de Hugues Capei. L'auieur est un esprit
suffisamment libre pour ne pas meure en doute la sincérité des
hommes paliiiques qui représentaient alors ces tendances nationales
et réclamaient le Rhin comme frontière à la fois naturelle et néces-
saire. Un seiTiiment d'orgueil national devait amener l'expansion de
la France, tout comme l'orgueil national germanique devait amener,
de nos jours, des contre-efforts, destructeurs de l'ancienne frontière
française occupée par Louis XIV. Etudier ce mouvement d'expansion
est, selon M. Kern, une des « tâches les plus attrayantes de l'histoire
politique (p. vii, mais en dépouillant la subjectivité française ». Il
s'agit de montrer comment la Francie occidentale est devenue la
France et surtout d'étudier ce qu'a fait, dans cette direction Philippe
le Bel, dont le règne réalisa les premiers succès importants dans la
direction de l'est. M. Kern connaît bien les travaux consacrés chez
nous, à cette question, les ouvrages de M. Alfred Leroux {Recherches
critiques sur les relations politiques de la France et de l'Allemagne
de I2g2 à i3j8 (1882). Les conflits entre la France et l'Empire
pendant le moyen âge (1902); celui de M. L. Jacob {Le royaume
de Bourgogne sous les empereurs franconiens, 1906); celui de
M. Ch. Aymond, Les relations de la France et du Verdiinois de 12-0
à /552, 1910); il apporte aux sources, déjà connues un apport très
appréciable de documents nouveaux, et son travail, rédigé d'une
façon très lucide, et d"une plume alerte, se lit avec plaisir. Il est
divisé en trois livres. Dans \q premier, l'auteur, après avoir défini la
I. P. 207, au commencement de la pièce il faut lire bornes pour bonnes. —
P, 228, note I, lire Lugdiinensis pour Lugdiinenses,
d'histoire et de littérature
i3i
royauté française, et la pensée dominante des rois qui, forcément,
devaient tourner leurs regards vers la Lotharingie, nous parle des
débuts du « chauvinisme >> français, explique les procédés employés
pour faciliter l'expansion désirée, le procédé judiciaire surtout, éta-
blissant la suzeraineté royale sur de nouveaux vassaux ; le procédé
plus doux, plus insinuant, plus irrésistible peut-être, de^l'extension et
de la prédominance de la civilisation française en Europe ; le>rocédé
le plus fréquent enfin, au moyen-âge comme dans les temps m.odernes,
celui de la guerre, guerres de défense, guerres de magnificence, ten-
dant toutes au déplacement des frontières. Dans le second livre, nous
assistons aux premiers succès plus importants de cette politique
d'expansion sous Philippe III, vers la Lorraine, malgré les protes-
tations de Rodolphe de Hasbourg. Ce sont les débuts de la lutte
franco-allemande. Puis viennent les commencements de l'annexion
de Lyon, les débuts de Philippe IV, ses conquêtes en Flandres, en
Lorraine, en Bourgogne, pendant les sept premières années de son
règne. Le troisième livre nous raconte les temps de la prépondérance
française, les luttes contre l'Angleterre et sur les frontières bourgui-
gnonnes, néerlandaises et lorraines, le traité de Quatrevaux avec
Albert de Habsbourg (décembre 129g), les annexions tentées sur le
duché de Bar, sur Toul et Verdun les essais d'une Confédération du
Rhin, l'annexion définitive de Lyon, la candidature à la couronne
impériale, de Charles de Valois, posée par Philippe IV à la mort
d'Albert I^''(i3o8). Cette candidature préfigure déjà la politique de
la couronne de France du xvi*^ et du xvii'^ siècles, de François l" à
Henri IV et à Louis XIV.
Parmi les appendices {excursus) nous signalerons le premier Les
approches de la France vers le Rhin et le troisième, Alliances de
Philippe IV avec les princes allemands.
En somme le travail de M. F. Kern, bien écrit et bien documenté,
se recommande à l'attention des historiens et plus particulièrement
des historiens de notre pays ' ; sans doute certaines de sesj'données
seront discutées, certaines conclusions combattues, mais c'est un
ouvrage dont on devra tenir grand compte et que consulteront, sur-
tout avec fruit tous ceux qui s'occupent chez nous de Philippe le Bel,
dont la figure, toujours un peu vague encore, malgré tant d'études
récentes, ressort avec un relief singulier du livre de M. Kern.
R.
Die angebliche Schuld Konrads von Marburg an dem Kreuzzug gegen die
Stedinger vom Jahre 1234, von D'- Paul Braun. Hannover, Geibel, loii,
6 p. 8».
Tirage à part du Jahresbericht der Maenner vom Morgenstern,
I. Voy. ce qu'il est dit du livre de M. Kern dans la Revue historique, vol. CVIII,
p. i38,'
l32 REVUE CRITIQUE
Xlll . I. amour expose dans celle irès courte notice les moiifs pour
lesquels il n'est point admissible, selon lui, que l'inquisiteur Conrad
de Marbourg, le confesseur de Sainte-Elisabeth de Thuringe, ait
poussé le pape Grégoire IX à faire prêcher une croisade contre les
habitants du pays de Sicdingen. Cette croisade, désirée par la haine
et la cupidité des seigneurs voisins, stimulés par les colères pontifi-
cales, aboutit au massacre à peu près complet de la population mâle
de ce district, situé sur les bords de la Hunte et du Weser, à la
journée d'Altenesch, le 27 mai i2?4. A plus forte raison M. Braun
ne veut pas, comme on le répète encore quelquefois, que Conrad de
Marbourg ait prêché cette croisade lui-même. Ce qui est certain, c'est
qu'il mourut avant le desastre final des paysans de Steding.
E.
Registres du Conseil de Genève publiés par la Société d'histoire et d'archéolo-
gie de Genève, tome III. Genève, KOndig, 191 1, X, 637 p. gr. in-S°. Prix : 20 fr.
Cinq ans se sont passés de nouveau depuis que nous avons entre-
tenu nos lecteurs de cette importante collection des Registres du Con-
seil de Genève ' et l'un des éditeurs du présent volume, M. Léopold
Micheli, a disparu avant sa mise au jour, laissant à ses collabora-
teurs, MM. F. Barbey et Victor van Berchem, la tâche de le mettre
au point, avec le concours de M. Emile Rivoire. Ce tome III nous
donne la reproduction des procès-verbaux du Conseil de février 1477
à février 1487., moins ceux de l'année 1479, qui sont perdus et une
partie de ceux de 1478, également disparus ^. Cette période décen-
nale n'est pas précisément une époque de prospérité pour Genève,
dont le commerce décroît et dont la situation politique est menacée
par l'autoritaire évêque, Jean-Louis de Savoie, puis, après sa mort
en juillet 1482, par un successeur, également issu de la maison ducale
et qui semble très enclin à inquiéter les partisans des libertés com-
munales au nom de l'autorité épiscopale. Les secrétaires qui se sont
succédés durant cette période, Hugonin Conseil, Guillaume de la
Crosse, Antoine Lyonard, etc. ont rédigé leurs protocoles dans un
latin si macaronique que les bons bourgeois de Genève ont dû le
comprendre sans peine '' ; mais en les parcourant à plus de quatre
siècles de distance, on ne peut s'empêcher de formuler une réflexion
d'ordre générale que je me permets de soumettre aux très méritants
éditeurs des Registres du Conseil. Nous ne songeons pas à nier l'in-
térêt sérieux que présentent beaucoup de ces textes, sinon pour l'his-
1. V. Revue critique du 11 février 1907.
2. C'est le contenu des volumes VIll, IX et X des registres originaux conservés
aux Archives de la Ville.
3. Je n'en citerai qu'un exemple, pris au hasard, à la date du 12 décembre
1484, où le Conseil vote un cadeau à l'envoyé de Lucerne : Dentuv dicto ambas-
siatori unam cymesiam malvatici et totidem ypocratis, iina boyta confiture honesta
et totidem mnsqiteti (p. Byô).
d'histoire et de littérature i33
toire générale, du moins pour l'histoire de la civilisation genevoise.
Mais pourtant, il nous semble qu'on nous en donne un peu trop, et
que, maintenant qu'on est rixé sur la prose et les procédés des scribes
du xve siècle, il serait licite d'élaguer de leurs comptes rendus tout ce
qui n'est que la répétition indéfinie des affaires journalières et cou-
rantes. Tout au moins il suffirait de donner les régestes de ces par-
ties, rédigés en français moderne; les curieux des moindres détails
de Texistence de la Genève médiévale iraient consulter les originaux
et les dévoués éditeurs, que nous ne voudrions pas contrister, mais
encourager plutôt, par nos propos, avanceraient infiniment plus vite
dans leur tâche ardue et réussiraient peut-être à gagner, dans leur
prochain volume, les abords de la Genève du xvi" siècle, alors que
commence seulement le rôle mondial de la vieille cité.
R.
Les Actes de Sully passés au nom du roi de 1600 à 1610 par devant M'^ Si-
mon Fournyer, notaire au Châtelet de Paris... recueillis, publiés et annotés
par M. de Mallevouc. Paris, Irnpr, nat. (Doc. inéd.), 191!. ^1-4°, lx.\u-5i6 p.
Un plan. Index.
Dès qu'il fut grand-maître de l'artillerie, Sully établit « en règle
générale ce qui n'était qu'un usage irrégulièrement suivi Jusqu'alors,
que tous les marchés intéressant les finances de l'Etat fussent passés
en forme authentique par devant notaire ». A cette sage pratique nous
devons la conservation des 278 actes que M. de M. a découverts dans
le minutier de M« Henri Motel. L'éditeur a classé ces Actes de la
façon suivante : Inventaire de Catherine, du'chesse de Bar; — Con-
seil d'État (série extrêmement riche, documents sur les galères, les
manufactures introduites en France, toiles de Hollande, matières
colorantes, etc.; fournitures de vivres pour l'armée au moment de la
guerre de Clèves; domaine royal, documents particulièrement inté-
ressants pour la topographie parisienne. Place Royale, Arsenal; canal
de Briare, Antibes) ; — Sully grand-voyer de France ; Sully surinten-
dant des bâtiments (travaux du Louvre et des Tuileries, du Pont-
Neuf, des Gobelins, de Saint-Germain, de Villers-Cotterets ; Jardins,
cérémonies publiques); Sully grand-maître de l'artillerie (inutile d'in-
sister sur l'importance de ces pièces). Un répertoire chronologique
permet de replacer tous ces actes dans leur ordre. — Il est à remar-
quer que, sur ce certain spécial de l'histoire financière, la confronta-
tion des actes notariés avec le texte des (Economies n'est pas défavo-
rable au surintendant. C'est là, pour les futurs critiques de Sully, un
point qui a sa valeur.
Henri Hauser.
Philipp II, die Niederlaender und ihrc crste Indienfahrt von D"" G. F. Preuss,
ord. Protessor an der Universitaet Breslau. Bresslau, Marcus, 191 1, 34 p., 8°.
L'auteur veut réagir, nous dit-il, contre une opinion, généralement
l34 REVUE CRITIQUE
répandue en Allemagne, comme en Néerlande, d'après laquelle Phi-
lippe II, en fermant aux Hollandais le port de Lisbonne, aurait/orce
ceux-ci à chercher une communicaiion directe avec les contrées pro-
ductrices des épices, et aurait de la sorte amené lui-même le dévelop-
pement inoui du commerce de ses anciens sujets rebelles. En réalité,
le fameux Edit royal du 29 mai i 585 idoni le but était moins de ruiner
le commerce étranger, que de se constituer rapidement une grande
flotte de navires de transport, en arrêtant dans tous les ports de
l'Espagne les vaisseaux des autres nations) ne fut pas du tout mis à
exécution d'une façon rigoureuse; les Hollandais ne furent nullement
boycottés, au contraire (p. 11). Sans doute le roi ordonna de nou-
velles saisies en iSgS; mais à cette date la première grande expédition
aux Indes orientales avait déjà été organisée; d'ailleurs les ports
espagnols furent encore une fois ouverts aux Néerlandais. On ne peut
donc pas dire que ce fut Philippe II qui les a poussés vers les Indes.
Ce ne fut pas non plus un acte de désespoir, qui les fit se jeter sur ces
régions lointaines. Ces voyages n'avaient rien de si terribles pour un
peuple de marins hardis et de commerçants avides de richesses. Pour
fixer leur trafic, il leur fallait des colonies; ils allèrent occuper celles
du Portugal, conquises par l'Espagne en même temps que la métro-
pole. II semble que ce sont là des truïsmes historiques tellement
évidents par eux-mêmes qu'il était assez inutile de les démontrer
autant en détail.
R.
Inventare des Grossherzoglich Badischen General Landes Archivs, heraus-
gegeben voii der Grosshcrzoglichen Archivdirektion. Bd IV, zweite Haeiftc,
Karlsruhc, C. F. Mùller, 191 1, V, p. 209-499, 8°.
Nous avons ici la seconde moitié du volume dont la première a été
annoncée dans la Revue du 19 août 191 1. Elle contient la suite des
répertoires sommaires des archives de la série des abbayes et congré-
gations religieuses, qui s'arrêtait au couvent de Giinterstal. Notons
avant celui de la grande abbaye de Saint-BIaise, ceux de Tennenbach,
Wonnental, Waldkirch, Schuttern, Ettenheimmunster, Allerheiligen,
Lichtental, Herrenalb, Frauenalb; ceux des comtés et seigneuries de
Lahr, Mahlbcrg, Geroldseck, Hanau-Lichtenberg (parcelles badoises);
ceux des petites villes impériales Gengenbach, Offembourg, Zell-am-
Harmersbach ; des terres transrhénanes de l'évêché de Strasbourg; du
bailliage de Bruchsal, appartenant au Chapitre de Spire ; des parties
du Palatinat incorporées au grand-duché de Bade ; de ceux de la
Noblesse immédiate de l'Ortenau et du Kraichgau, de tous les dos-
siers du Lehens-iind Adelsarchiv rangés par ordre alphabétique des
familles. Nous avons déjà fait remarquer la dernière fois que ces
inventaires locaux, tels qu'ils sont donnés ici, sont excessivement
sommaires; mais M. le D'' Obser, di.recteur-général des Archives
D HISTOIRE El DE LITTERATURE
i35
grand-ducales, explique dans la préface, jointe à ce second fascicule,
qu'il n'aurait guère été possible d'entrer dans plus de détails en ana-
lysant tous ces fascicules. Les moindres développements une fois
admis pour chacun d'eux auraient infiniment grossi le nombre des
volumes de l'inventaire général, sans satisfaire pourtant à tous les
desiderata. Il faut laisser quelque besogne à l'initiative des travail-
leurs qui seuls s'aviseront de fouiller cette division du grand dépôt
de Carlsrouhe, en vue de monographies d'histoire locale ou de
recherches sur les familles nobles du pays.
R.
Charles Bost, Les prédicants protestants des Cévennes et du Bas-Lan-
guedoc (1684-1700), 2 vol. in-8», xx-478 et 663 p., Paris, Champion, 1912.
M. Charles Bost a vécu des années, comme pasteur, dans une
petite ville des Cévennes, au milieu des montagnes couvertes de
châtaigniers, des plateaux rocheux et des vallées profondes où ont
lutté et souffert jadis ses coreligionnaires. Il s'est « recueilli », comme
il le dit dans son avant-propos, en face de cette nature plutôt rude,
à laquelle le soleil en été prête, avec sa lumière. éclatante, un charme
mélancolique, près de ces pauvres hameaux et de ces « mas » où
s'abrite une population pieuse, austère, énergique, marquée encore
du sceau des vieilles mœurs, « fortes et saines «, du protestantisme
d'antan. II était tout préparée écrire l'histoire du drame qui s'est
déroulé là au temps de Louis XIV, drame poignant où l'àme des
anciens huguenots a été soumise à si rude épreuve, ballottée entre sa
foi et son loyalisme, forcée de sacrifier l'une ou de trahir l'autre; et,
à côté de ces angoisses morales, que de souffrances matérielles, à une
époque où l'esprit public ne répugnait pas aux pires violences contre
les hérétiques, pour faire soi-disant leur salut! M. B. a mis quinze
ans à étudier ce triste martyrologe, fouillant les Archives de Mont-
pellier et de plusieurs autres petites localités du Languedoc, aussi
bien que les manuscrits de la Société de l'histoire du protestantisme
français à Paris, délimitant peu à peu son sujet afin de le mieux
renouveler, vivant en communion pour ainsi dire avec les humbles
prédicants, dont il a entrepris de taire revivre la figure et com-
prendre les idées. A l'émotion du protestant, sympathisant avec ces
hommes du passé et partageant leurs tourments, il a uni la solide éru-
dition et le jugement impartial de l'historien, accomplissant ainsi
une œuvre digne de fixer l'attention des savants. Sans doute, on
pourra lui reprocher une entrée en matières un peu brusque, on
pourra critiquer le choix de ses dates extrêmes (1684 et 1700), on
pourra trouver parfois rebutant le détail minutieux de certains évé-
nements, d'importance médiocre ; malgré tout, il aura eu le mérite
d'apporter une contribution de haute valeur à l'histoire religieuse
sous Louis XIV, et de faire bien connaître, pour la première fois, les
l3ô RKVUK CRITIQUK
prcdicanis des Ccvcnncsct du Bas Languedoc, auxquels rcvicm incon-
testablemeiu rhunneur d'avoir relevé une cause qui se mourait, gal-
vanisé des caractères qui s'abandonnaient, rendu à la R. P. R.,
abattue par les persécutions, la force de se redresser en face du plus
puissant monarque du monde!
Le tome I raconte les débuts de cette histoire. C'est d'abord, de
i683 à 1687, le temps où Claude Brousson, avocat cà Toulouse,
conseille une manifestation collective de tous les protestants, pour
prouver au roi leur nombre et leur union, et où les premiers « pré-
dicanis », successeurs improvisés des pasteurs fugitifs, les Teissier,
les Fulcran Rcv, les Rocher, bravent la torture et la mort pour sti-
muler la résistance aux édiis, jusqu'au moment où les survivants de
cette phalange héroïque, traqués de tous côtés par l'implacable
Bàville, se résignent à sortir du royaume (août 1687). Ensuite, de
1687 à i()92, c'est une époque de guerre civile. Le système de répres-
sion efl'royable de Bàville n'a réussi qu'en apparence : aux prédicants
émigrés, d'autres succèdent sur place, et d'ailleurs les premiers, parmi
lesquels se distingue François Vivent, ne tardent pas à rentrer en
France (juillet i68g), décidés à lutter par les armes, et même à
s'allier, s'il le faut, aux ennemis du roi. M. B. a prouvé, textes en
main, et ce n'est pas une de ses moindres découvertes, les relations
étroites des prédicants et de la coalition, dont Guillaume d'Orange
était le chef; il a exposé en détail les projets, formés surtout en
1689-90, et soutenus par Brousson comme par Vivent, pour amener
une armée sous Schomberg au secours des protestants du Languedoc.
Puissent l'ardeur et le désespoir de ces croyants exaltés excuser en
une certaine mesure ces démarches impies ! De 1689 à 1692, François
Vivent, le farouche sectaire au visage osseux et aux jambes cagneuses,
est l'instigateur d'une révolte ouverte ; il prêche et combat dans toute
la région, impitovable à ses ennemis dont il n'attend pas de pitié; il
finit en luttant, comme il a vécu, tué à coups de fusil dans une
grotte où il vend chèrement sa vie(ig février 1692).
Le tome II va de 1692 à 1700, et met surtout en lumière le rôle de
Claude Brousson qui, devenu prédicant en 1689 et animé jadis des
mêmes haines que Vivent, adopte soudain une nouvelle attitude, plus
noble et plus profitable à sa cause, celle du prêtre qui ne connaît
que les armes spirituelles, et, « sans épée ni aucunes autres armes »,
marche au martyre librement accepîd- Cette évolution du principal
prédicant, dont l'exemple est suivi par ses collègues, ouvre une nou-
velle période dans l'histoire religieuse des Cévennes. Plus de révolte
désormais ', plus de compromis avec l'étranger, mais une œuvre paci-
fique de réveil des consciences, poussée jusqu'au sacrifice de la vie,
voire jusqu'à l'extase au milieu des tortures. Quand Schomberg et le
I. Du moins jusqu'à la guerre des Camisards.
d'histoire et de littérature i37
duc de Savoie envahissent le Dauphiné (août 1692), personne ne se
lève pour les seconder. Louis XIV écrit à Catinat sa satisfaction, mais
hélas! il ne change pas de politique, et le féroce Bàville continue, sans
être blâmé, à poursuivre les prédicants, dont plusieurs subissent le
supplice de la roue ^Paul Colognac notamment, le i3 octobre 1693,
et Pierre Papus, le 8 mars 1695). Brousson, après deux séjours au
dehors, surtout en Hollande où il recommande les intérêts religieux
aux négociateurs de Rijswijk, ne rentre en France en octobre 1697
que pour assister à de nouvelles dragonnades ; au cours d'une tournée
dans les Pyrénées, il est pris enfin en Béarn (septembre 1698), con-
duit à Montpellier et exécuté après avoir subi la question ordinaire et
extraordinaire (4 novembre 1698). Ce coup, qui réjouit Bàville, met à
peu près fin au rôle des prédicants. En 1700-01, les derniers émigrent,
laissant la place au « prophétisme », qui fait son apparition dans le
Vivarais. La guerre des Camisards en sortira.
Le volume s'achève par quelques chapitres sur l'église du Désert
à cette époque, sur sa discipline et ses règlements, sur les prédications
et la dialectique de ses ministres extraordinaires. Un appendice con-
tenant des poésies du Désert (hymnes spirituels ou couplets popu-
laires), de nombreuses pièces justificatives (déclarations et ordon-
nances, plans de campagne, sermons, interrogatoires, listes de con-
damnés], enfin deux tables alphabétiques pour les noms de personnes
et les noms de lieux, complètent avantageusement un ouvrage qui
est vraiment, grâce à l'étendue des recherches et à la conscience scru-
puleuse de l'auteur, un des plus imposants monuments qu'on ait
élevés à la mémoire des huguenots persécutés.
Albert Waddington.
Elsaessische Verfassungs-und Verwaltungswûnsche im 18. Jahrhundert :
« Les pieux désirs d'un Alsacien », herausgegeben und eingeleitct von Ernst
Hauviller. Metz, Scriba, 191 i, 71 p. 8". (Tirage à part du Jalvbitch fiir
Lothringische Geschichte iind Altertiimskniide, tome XXII).
M. le D"^ Hauviller, archiviste départemental à Metz, a trouvé à
Paris, aux Archives Nationales (M. 750, n^ 4, fol. 27), un manuscrit
intitulé (( Les pieux désirs d'un Alsacien » qu'il a publié, d'abord
dans ÏAnmiaire de la Société d'histoire et cf archéologie lorraine, et
puis en tirage à part. Le mémoire a été certainement rédigé pendant
que M. de Lucé était intendant d'Alsace, c'est-à-dire entre 1753 et
1764. L'auteur se pose en gentilhomme d'Alsace, bon catholique et
passablement féodal ; mais on pourrait peut-être mettre en doute son
origine alsacienne quand on le voit dédier son « ouvrage » à u M. l'ar-
chevêque de Strasbourg », nul n'ignorant à Strasbourg ni à Paris que
les princes-évêques de Strasbourg n'ont jamais porté ce titre là.
Quoi qu'il en soit de cette question de provenance, le mémoire qui
revendique pour la province une certaine autonomie, et la constitu-
I 3S RKVUK CRITIQUE
lion d'Kiats provinciaux, tels qu'ils lurent octroyés à l'Alsace en
1787, est intéressant en ce qu'il accentue constamment le cachet
français cic l'Alsace d'alors ', tout en réservant au roi le moyen de
gouverner ces Etats par lettres de cachet et d'en écarter tous ceux
qui ne seraient pas régnicoles '. On ne peut que remercier M. Hau-
Viller d'avoir mis au jour ce témoignage authentique des dispositions
des classes privilégiées de ces régions dans les dernières années du
règne de Louis XV '. ^
Der deutsche Kaufmann in den Niederlanden, von Rudoli Haepkk. Leipzig,
Dunckor u. Humblot, 191 1. 66 p. in-8°. Prix : i f'r. 25.
Tableau vivant et suffisamment documenté, l'opuscule de
M. Haepke fait partie de la série des « Feuilles de la Pentecôte »
publiées annuellement par le Hansischer Geschichtsverein. L'auteur
nous y décrit les grands centres commerciaux de la Néerlande,
Bruges si morte aujourd'hui et jadis la Venise du nord, Anvers,
Amsterdam, se relayant l'un l'autre, à mesure que les temps sont
révolus. Il nous dépeint d'une façon pittoresque la vie quotidienne
des négociants allemands ' qui viennent y trafiquer, échangeant les
fourrures, les vins du Rhin, les bières de Hambourg, les bois et les
goudrons de la Baltique contre les toiles et les draps de Flandres; il
nous raconte toutes les querelles de la maison de la Hanse à Bruges
avec les villes et les autorités voisines, les boycottages des uns, l'émi-
gration des autres, l'ensablement graduel du port de Bruges et la
décadence de son industrie. Le centre du commerce allemand se
déplace vers l'Escaut et c'est à Anvers que s'élève, de \ 564 à i 568, la
splendide Domus Hansae teutonicae, changée plus tard en caserne et
en hôpital. Mais les guerres civiles mettent fin brusquement à cette
prospérité et, après le sac d'Anvers, en 1576, les Allemands con-
centrent leur activité dans les ports de Hollande, surtout à Amsterdam.
Mais négociants et marins n'y forment plus des guildes fermées
comme au moyen-âge et y figurent surtout, au xviii= siècle, comme
commis et capitaines de bateaux de commerce au service des riches
armateurs et négociants hollandais, devenus trop riches et trop pares-
seux pour travailler eux-mêmes. j^
Geschichtsbilder aus Leopold von Ranke's "Werken zusammengestellt von
D'' Max Hoffmann, Gymnasialprotessor a. D. 2'' Auflage, Leipzig, Duncker u.
Humblot, 191 1, portrait, viii, Sgg p. in-8". Prix : 7 fr. 5o c.
C'est une anthologie historique, contenant une soixantaine de mor-
1. « En général, qui dit Alsacien, dit Français au superlatif » (p. 66).
2. Le Tiers-Etat est à peu près ignoré au point de vue politique par l'auteur
anonyme.
3. P. 24 et 64 lire Paulmy pour Paiilny ef Gonvcniet pour Gouverné.
4. Aux Pays-Bas l'expression de Detitscher Kauf)nann désigne toujours les
habitants de l'.Mlemagne du nord.
d'histoire et de littérature 1 39
ceaux choisis dans l'œuvre du célèbre historien berlinois. Elle ne ren-
ferme presque rien sur les siècles de l'antiquité ni du moyen âge-; un
seul fragment est emprunté à la Weltgeschichte. L'ensemble embrasse
l'histoire moderne, depuis la Hn du xv^ siècle jusqu'à Bismarck, et
peut donner en effet au lecteur une idée du style de Ranke et de sa
façon de penser, en même temps qu'on pourra utiliser le volume dans
les classes supérieures des gymnases et des écoles réelles pour l'ensei-
gnement de l'histoire. Selon ses goûts personnels, tel critique regret-
tera de ne pas rencontrer dans ce recueil tel portrait de souverain, de
ministre ou d'homme de guerre, reste gravé dans sa mémoire ou d'y
trouver tel autre morceau qu'il jugera moins digne d'y figurer. Après
avoir tout récemment parlé ici plus longuement de l'œuvre de Ranke',
il me semble inutile d'insister ici davantage sur les mérites de son
style et le profit que l'on peut retirer sous ce rapport aussi, de la fré-
quentation de son œuvre. M. Hoffmann a joint à son livre une courte
biographie du grand historien; il n'a plus pu soigner cette nouvelle
édition lui-même, étant mort peu après la publication de la première
édition, parue en igoS \ r.
M. Philippson, Neueste Geschichte des jûdischen Volkes, Tome III, in-S»,
VI, 338 p.. Leipzig, G. Fock, 191 1.
M. Philippson vient d'achever le troisième et dernier volume de sa
grande histoire contemporaine du peuple juif. Comme il l'avait
annoncé dans son premier volume, il n'a eu pour objet de faire ni un
ouvrage d'érudition, ni un ouvrage complet : il a écrit pour le grand
public, écartant résolument un appareil scientifique de notes et de
références qui aurait pu rebuter, se bornant d'autre part aux événe-
ments saillants et aux développements essentiels. Il a su, comme
dans ses œuvres précédentes, se rendre maître d'une « littérature »
considérable, et, dominant ses matériaux, en tirer un récit clair, bien
ordonné, éminemment propre à intéresser et à instruire. Résultat
j d'autant plus méritoire qu'il avait à parler cette fois de pays peu
1 connus de lui, régis par un système de lois, de règlements ou de
coutumes difficiles à expliquer, parfois même à comprendre, et que
sa documentation devait reposer presque exclusivement sur des
recueils et des livres en langue russe ou polonaise. Il a su, en outre,
rester impartial, et c'est peut-être le plus bel éloge qu'on puisse lui
décerner, étant donné qu'il avait à retracer une longue série de faits
lamentables, indéfiniment répétés.
Il s'agit, en effet, de l'histoire des Israélites en Russie et en Pologne
de 1825 à 1910, histoire particulièrement triste et qui, depuis la
1, Revue critique du 24 juin 191 1.
2. Cela explique certaines négligences; ainsi p. 35o, 1. 26, à propos de la paix
de Bâle^iygD) il faudrait lire keine Allian^ pour seine Allian^, et plus loin Beis-
timmung pour Bestimmung (voy. Gesammelte Werke, vol. 46, p. 210).
140 REVUli CRlTIQUli: 1) HISTOIRE lîT DE LITTÉRATURE
tyrannie haineuse de Nicolas I"" jusqu'aux « pogroms » du xx= siècle,
n'a guère cessé d'ctrc un mariyrologc. Sous Nicolas I'^'', souverain
borné, épris uniquement d'ordre, de discipline et d'uniformité, le sort
des Juifs fui déplorable ; je n'en veux pour preuve que la loi fonda-
mentale du i3 mai i835, qui les parquait en Pologne et dans quelques
gouvernements de l'ouest, en leur fermant les trois quarts de l'Em-
pire, ou les autorisant à y séjourner pour peu de temps, avec une
permission spéciale. Sous Alexandre II, l'horizon parut s'éclaircir
à deux reprises, au début, avant la révolution polonaise de i863 qui
rendit pour quelques années la haute main au parti de la réaction, et
à la fin du règne, grâce à l'influence libérale du comte Loris-Mélikow.
L'attentat nihiliste du i3 mars 1881 Ht disparaître le tsar réformateur
et avec lui les espérances de ses sujets juifs. Alexandre lîl se livra
aux vieux russes, adoptant les idées rétrogrades des Ignatiew et des
Pobjedonoszew, et traquant partout les cléments non russes ou non
orthodoxes ; l'émigration devint la grande ressource des Israélites.
Enfin, sous Nicolas II, depuis novembre 1894, après une accalmie
pleine de promesses, la guerre russo-japonaise a provoqué une ter-
rible crise intérieure ; une sorte de révolution s'est produite, et, si
certaines réformes politiques ont pu être réalisées, la réaction s'est
rattrapée aux dépens des Juifs; ceux-ci, assommés ou fusillés dans de
sanglants « pogroms », ont subi les plus cruelles épreuves ; ils sont
encore aujourd'hui, même en Pologne, traités véritablement en parias.
Et pourtant, comme le dit l'auteur, avec sa volonté tenace et son
invincible attachement à l'idéalisme, que ne pourrait pas, pour le
bien de la Russie, si l'on brisait ses chaînes, cette malheureuse race
qui compte près de huit millions d'àmes !
Albert Waddington.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 2 février irji'j. —
M. Perrot, secrétaire perpétuel, donne lecture des lettres par lesquelles MM. le
comte Alexandre de Laborde et le commandant Espcrandieu se portent candidats
à la place de membre libre vacante par suite du décès de M. Saglio.
M. J. Loth achève sa communication sur leCornwall et le roman de Tristan.
M. Jules Martha expose le résultat de ses recherches sur la langue étrusque. Il
a reconnu que cette langue, jusqu'ici restée inintelligible, a des affinités d'origine
avee le hongrois, le finnois et les idiomes congénères. En se servant de ces
langues, il a réussi à traduire les textes. — M. Havet présente quelques observa-
tions
M. Gagnât donne une seconde lecture de son mémoire sur la frontière romaine
de la Tripolitaine.
Léon Dorez.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
■f'
II
Le Pu)'-en-Velay. — Imprimerie Pcyriller, Rouclion et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 8 — 24 février. — 1912
Jespersen, L'anglais. — Salomon RinNAcii, Eulalie ou le grec sans larmes. —
G. Perrot, Histoire de l'art dans l'antiquité, IX. — G. Baehrens, Panégyriques
latins. — Manilius, p. Garrod. — JVliss Brock, Fronton. — Sandys, Un compa-
gnon des études latines. — H. Martin, La syntaxe des inscriptions latines d'Es-
pagne. — L. de SvBEL, L'art chrétien antique. — Mirbt, Sources de l'histoire
de la papauté et du catholicisme romain. — Gagliardi, Hans Waldmann. —
Hommage à Otto Giercke. — G. Kaufmann, Histoire de l'Université de Breslau.
— Brinkmann, Wustrau. — Jorga, Petite histoire de Roumanie. — Wyzewa et
Sai.nte-Foix, Mozart. — Académie des inscriptions.
O. Jespersen, Gro-wth and Structure of the english language. Tcubner, 1912.
Deuxième édition.
La première édition de cet ouvrage a été épuisée en six ans : ce qui
n'étonnera personne de ceux qui l'ont pratiqué. Il y a peu de livres
mieux faits pour inspirer le goût de la linguistique et donner une
première idée des problèmes qu'elle soulève. Il serait à souhaiter
qu'un de nos étudiants en langues modernes nous donnât une traduc-
tion française de cet excellent livre.
La seconde édition ne diffère de la première que par un petit
nombre d'additions et par quelques modifications dans le choix des
exemples.
Michel Bréal.
Salomon Reinach, Eulalie ou le grec sans larmes. Paris, 191 1, Hachette.
Les temps qu'on nous a quelquefois prédits sont-ils venus'? Voici le
grec qui va retrouver les grâces de la nouveauté ! Ceux qui voudraient
rééditer les plaisanteries de Molière se montreraient en retard et prou-
veraient qu'ils sont peu au courant des tendances et des idées de leur
temps. Le grec est vu avec faveur par beaucoup d'esprits nullement
arriérés, qui voudraient non pas restreindre mais élargir la part qu'il a
dans notre éducation.
Les causes de ce changement méritent, Je crois, d'être envisagées
d'un peu plus près.
Avant de parler du petit livre de M. Salomon Reinach, qui est une
grammaire grecque adaptée à des temps nouveaux, s'adressant à des
lecteurs qu'on ne prévoyait point jadis, je voudrais dire un mot des
causes qui peuvent expliquer cette curieuse modification de l'opinion.
Nouvelle série LXXIII 8
142 REVUE CRITIQUE
Klles sont assez nombreuses :
i" Le changement survenu dans notre corps enseignant. En premier
lieu (soyons justes!) l'Ecole d'Athènes. Le professeur de grec n'est
plus ce qu'il était. Autrefois (il y a vingt, trente et quarante ans) le pro-
fesseur de grec était un personnage grave, qui représentait avant tout
le savoir des bibliothèques ; si on avait voulu le peindre, il eût été figuré
sous les traits de quelque docte érudit, mettons, je suppose, le savant et
proverbial M. Hase. Mais l'École d'Athènes a apporté un changement
complet. C'est la partie la plus jeune, la plus vivante, la plus désireuse
de nouveauté qui, d'un jour à l'autre, s'est chargée de l'enseignement
du grec. Grande et heureuse transformation dont les premiers effets
se sont fait sentir vers i85o, et depuis lors n'ont pas cessé de gagner
en force,
2° En second lieu, il est juste de faire la part, une grande part, aux
arts plastiques, dont l'influence a été considérable. Non seulement
par leurs œuvres, ils ont fait voir et sentir de plus près l'antiquité, mais
les artistes eux-mêmes ont donné l'exemple : les plus empressés, les
plus sincères peut-être des adorateurs de la Grèce se sont trouvés
parmi ces élèves de l'École des Beaux-Arts allant recueillir sur les
lieux ce qui restait de la vie antique, et d'une façon touchante se cha-
grinant de ne pas lire dans le texte Homère, Eschyle, Pindare...
3' Pourquoi ne pas le dire ? Le progrès des études philologiques.
On s'est avisé du lien qui unit le grec avec les langues vivantes, le
grec ancien avec le grec moderne. Ceux qui se sont montrés le moins
facilement ouverts à cet esprit nouveau, ce sont les humanistes, ou
plutôt les prédicateurs de l'humanisme, qui, hors du grec classique et
du latin, ne voulaient rien connaître, pensaient en dedans d'eux-
mêmes que rien ne valait ce qu'ils avaient appris à leur collège en
rhétorique et ce qu'ils enseignaient eux-mêmes. Cette forme de l'es-
prit classique paraît quelque peu vieillie.
4.° Le goût des voyages qui, pouvant se satisfaire plus facilement,
s'est beaucoup étendu. Il n'est pas aujourd'hui rare de rencontrer des
adolescents, des jeunes filles, qui connaissent pour les avoir vus et
visités, les pays dont parlent Homère et Virgile, Le professeur d'autre-
fois en dissertait d'après les textes connus et rebattus des poètes.
Le désir de savoir plus ou moins la langue ne pouvait manquer de
se produire à la suite de ces impressions de voyage.
5° Je pourrais continuer d'énumérer les causes de ce changement
dans l'esprit public. Mais ce qu'on vient de lire est suffisant. On sait
que le même fait s'est produit en Angleterre, en Allemagne, en Italie.
Ceux qui voudraient y rester étrangers se mettraient en dehors d'un
mouvement général et destiné à augmenter d'année en année.
Dans son livre intitulé Eulalie [la bien disante) M. S. Reinach fait
quelquefois appel aux comparaisons du présent avec le passé, mais
il a su se modérer, et son livre est avant tout une grammaire du grec
d'histoire et de littérature 143
ancien. On sent qu'il a pris la résolution d'e'loigner tout ce qui est
fait pour encombrer, non pour éclairer. Ainsi il a pris ce grand parti
de supprimer dans l'écriture les accents des mots grecs, en quoi nous
l'approuvons. Marquer dans l'écriture les accents, si on ne les fait pas
entendre dans la prononciation, c'est le fait d'un professeurde musique
qui donne ses leçons sur un piano muet.
M. R., comme nous venons de le dire, s'applique à retrancher tout
le savoir inutile, ou pour parler exactement, tout le savoir qui ne sert
qu'au savant. A notre avis, il n'est pas encore allé assez loin dans cette
voie. Mais peut-être a-t-il pensé que certaines pages de son livre étaient
pour être consultées, non pour être apprises par cœur. Ce qu'il eût
pu retrancher sans dommage, ce sont certaines formules mnémoni-
ques : l'intention est bonne, mais les formules mnémoniques ne ser-
vent en général qu'à celui qui les a composées lui-même.
Pensant avec raison que l'apprenti helléniste ne saurait être mis trop
tôt à la lecture des textes, M. R. intercale fréquemment des phrases,
des citations, des tours consacrés, et même quelques passages
célèbres des poètes ou des orateurs grecs. Bref, on voyage avec un
guide instruit et empressé, nullement avare de son expérience. Les
endroits où l'auteur converse avec la studieuse Eulalie, lui prodigue
conseils et encouragement, ne sont pas les parties les moins agréables
du volume.
Ce volume est exécuté avec un parfait bon goût. Entête, on trouve
la reproduction d'un buste grec de jeune fille du Musée de Naples.
L'impression typographique m'a paru d'une entière correction.
J'allais faire compliment à la typographie française de ce beau spé-
cimen de ses presses, quand arrivé à la dernière ligne de la dernière
page, j'ai eu la surprise de trouver le nom d'une imprimerie anglaise.
Félicitons donc M. Richard Clay (Brunswick Street), et souhaitons
que les nombreuses suggestions de toute sorte contenues dans ce
petit et charmant livre produisent en temps et lieu tous leurs heureux
résultats.
Michel Bréal.
Georges Perrot, Histoire de l'art dans l'antiquité. Tome IX. La Grèce
archaïque : la glyptique, la numismatique, la peinture, la céramique. Gr. in-S";
7o3 p., avec 22 planches hors texte et 367 gravures. Paris, Hachette, 191 1.
Le précédent volume de ce grand ouvrage, publié en igoS, traitait
de la sculpture grecque archaïque (cf. Rev. crit., 1903, II, p. 482).
Celui-ci concerne surtout les arts mineurs de la même époque; un
chapitre est consacré à la peinture non céramique, aux tablettes
peintes et aux sarcophages de Clazomènes.
Pour la glyptique postérieure à l'époque mycénienne, M Perrot a
trouvé un excellent guide en Furtwaengler, dont les Gemmen sont
peut-être le chef-d'œuvre et celui de ses livres qu'on consultera le
1^.^. RliVUE CIUTIQLK
plus longtemps. Mais Furiwacnglcr avait peu puisé aux riches séries
de notreCabinet des Médailles; M. P., dirigé par M.Babelon, en a fait
grand usage et a pu ainsi accroitrc notablement, par les belles repro-
ductions qu'il a publiées, le trésor de gravures archaïques dont nous
disposons. Je regrette qu'il n'ait donné aucune place, en résumant les
théories de Furtwacngler, au.x objections qu'y a faites M. Rossbach ;
ce savant vient de les formuler à nouveau dans son long article Gem-
men de la Real- Eucyclopaedie de Wissowa. La provenance mélienne
des intailles dites de Mélos n'est pas démontrée, bien que je la croie
vraisemblable. — Dans ce chapitre, comme dans les suivants, M. P.
s'est appliqué à mettre en lumière l'initiative féconde des artistes
ioniens qui, héritiers des traditions de l'époque achéenne, portèrent
vers l'Occident, depuis le viii'' siècle, ce qui leur en restait et ce que
leur génie propre y ajouta. Cette thèse de l'Ionie continuant la Grèce
achéenne ou minoenne et contribuant à la renaissance de l'art après
l'invasion des Doriens, n'est plus, tant s'en faut, une nouveauté; mais
il ne suffisait pas de l'énoncer comme une vue générale; il fallait en
établir la vérité historique par une louie d'observations de détail.
C'est là une tâche dont M. P. s'est parfaitement acquitté; tout le
volume est à la gloire de l'Ionie et nul n'a mieux marqué que l'au-
teur, dans le domaine des arts industriels, l'influence souveraine de
ceux qu'il appelle justement des précurseurs et des initiateurs (p. 43.]
Les chapitres sur la numismatique sont fondés principalement sur
les deux traités de MM. Lenormant et Babelon, les plus complets qui
aient paru dans aucune langue. Tout en s'occupant surtout de l'art
dans les monnaies, M. P. n'a pas voulu négliger les côtés historiques
et archéologiques de son sujet ; on peut même penser qu'il aurait pu
être plus bref et sacrifier une partie de ses notes. — P. 85, il est ques-
tion des monnaies d'Argos où Apollon lycien est figuré par un loup.
C'est, dit M . P., que les Grecs avaient perdu de vue le vrai sens dune
épithète désignant le dieu de la lumière, lux, et avaient fait un rappro-
chement arbitraire entre les mots Xj/.io; et X>/.o;. Cette explication date
de Max Millier, dont M. P. a autrefois traduit les œuvres; mais elle
a fait son temps. L'Apollon lycien est un loup, comme l'Apollon
delphinien est un dauphin, comme l'Apollon sminthien est une sou-
ris; les Argiens n'ont pas fait de calembour, ni commis de confu-
sion, mais leurs graveurs ont représenté le dieu sous une des formes
animales plus anciennes qu'avaient remplacées et comme absorbées
l'Apollon anthropomorphe des Doriens.
Avant d'aborder l'étude de la peinture, M. P. s'occupe de la poterie
noire et des vases monochromes à reliefs, c'est-à-dire du bucchero
grec, modèle du beau bucchero italien, et des débuts de la céramique
dite de Mégare. Une idée très juste, bien développée à la p. ijS, c'est
que la poterie à reliefs, devenue prédominante à partir du 11' siècle
av. J.-C, n'est que la suite d'une technique plus ancienne qui, pen-
d'histoire et de littérature 145
dant deux ou trois cents ans, fut non pas remplace'c, mais reléguée au
second rang par la mode des vases peints. M. P. a eu raison de traiter
cette question après la glyptique et la numismatique; bien qu'il
s'agisse de vases, c'est un chapitre de la sculpture, non delà peinture.
La peinture grecque, du v)ii'^ au v" siècle, a laissé peu de documents,
en dehors des vases; mais les questions relatives à la technique
(fresque, détrempe, encaustique), aux rapports de la peinture monu-
mentale avec la peinture de vases et la sculpture, la critique des textes
anciens sur les peintres des écoles grecques primitives, méritaient
d'être traitées avec le développement que M. P. leur a donné. Voici
quelques observations. P. 200, j'aurais fait des réserves au sujet de la
publication de M. Benjamin Fillon, Description de la villa et du tom-
beau d'une femme artiste gallo-romaine découvert Saint-Me'dart-des-
Pre's (1849). B. Fillon était un savant assez suspect et les renseigne-
ments que l'on tient de lui seul ne doivent être acceptés qu'avec
mcrtance '. — P. 21g, parlant du peindre Boularchos, M. P. a oublié
que nous avons une raison sérieuse de le considérer comme natif de
Clazomènes; c'est une scholie d'Acron sur Horace, qui qualifie le
sculpteur Boupalos de peintre cla^oménien; il n'est guère douteux
que Boupalos a été confondu avec Boularchos. J'avais noté cela
dans la Revue des Etudes grecques (1895, p. 179) et je crois encore
cette observation fondée. — Dans le môme article (que M . P. a cité,
mais paraît avoir lu trop vite), j'ai démontré, par des arguments tirés
de l'histoirede Clazomènes, que les sarcophages peints de cette prove-
nance sont antérieurs à 546 [ibid., p. 169) ; M. P. admet qu' « ils ne
sont guère postérieurs à 5 5o >i (p. 177), mais néglige la preuve que
j'en ai donnée.
Que la peinture polychrome des Ioniens soit un legs de la civilisa-
tion achéenne (p. 285), c'est ce qu'avait déjà dit très nettement, en
1892, M. P. Girard [La peinture grecque, p. 134) et ce qu'il n'était
pas alors le premier à dire. M. P. a très judicieusement développé cette
manière de voir et l'a appuyée de considérations d'un grand prix; sur
ce point, comme sur tant d'autres, la science contemporaine a jeté un
pont entre « les créateurs de la civilisation mycénienne et les Hellènes
de l'histoire » (p. 284). Signaler les hiatus et puis les combler, c'est
une bonne part du travail qui incombe aux archéologues et aux his-
toriens.
Tout le reste du volume (p. 291-683) concerne les vases peints.
Comme les ouvrages d'ensemble les plus détaillés et les plus récents
sur la céramique grecque ont déjà vieilli et que l'activité des fouilles,
I. Comme on m'a souvent questionné sur le sort des objets découverts par
B. Fillon, je profite de l'occasion pour dire qu'ils sont restés aux mains de sa
belle-sœur, M'"° Charier-Fillon, à Fontenay-le-Comte (Vendée). M. Clouzot les a
vus en juillet iqoi et a eu l'impression que le prétendu attirai! de peintre se com-
posait simplement d'objets de toilette.
146 REVDE CRITIQUE
taiii en pays grecs qu'en Italie, a singulièrement accru nos connais-
sances depuis dix ans, l'exposé de M. P. se trouve être aujourd'hui le
plus complet et le mieux informé auquel on puisse recourir. J'avoue
n'avoir pas lu sans admiration ces chapitres. Je n'exprime pas celle
qui rend hommage à la verte vieillesse de l'auteur; comme on sent
partout la verdeur et jamais la vieillesse, il est inutile de parler de
celle-là. Mais en présence d'une masse énorme de documents encore
imparfaitement triés, dont l'étude est parfois plus compliquée que faci-
litée par une nuée de monographies et d'hypothèses, M. P. a su soule-
ver et porter son fardeau avec gaîté, avec bonne grâce, sans apparence
d'etîort, et nous a donné non pas un résumé, mais un traité appro-
fondi où rien d'essentiel n'est négligé, où l'on ne trouve rien qui soit
superflu. De loin en loin, il fait mention d'opinions discréditées,
mais il ne s'arrête pas à d'inutiles historiques; un des grands mérites
de son œuvre, c'est d'avoir beaucoup élagué pour éclaircir. En revan-
che, formes des vases, technique de la peinture, condition des céra-
mistes, variétés des céramiques ioniennes et corinthiennes, toutes ces
questions ont été mises au point avec autant d'abondance que de clarté.
M. P. n'est pas de ceux qui adoptent d'emblée l'opinion la plus
récente d'un spécialiste; son sens critique, qui ne sommeille pas,
réclame des preuves et regimbe quand elles font défaut. C'est ainsi
qu'il ne s'est pas laissé séduire par les théories de Boehlau sur la
céramique de Samos, ni par celles qui, à la suite des fouilles anglaises
à. Sparte, attribuent une origine laconienne aux poteries dites de
Cyrène. L'idée dominante est toujours la même, celle de la force
créatrice de l'Ionie. Même en pays dorien, ce furent d'abord les
produits ioniens qui s'accréditèrent et suscitèrent des imitations
locales.
M. Glotz a déjà remarqué {Revue des Etudes grecques^ 191 1.
p. 493) que l'information si sûre et si vaste de M. P. est en défaut sur
un point important : il a laissé de côté les découvertes abondantes de
tessons, très probablement milésiens, qui ont été faites depuis igoS
dans la Russie méridionale, dans cette région de steppes fertiles qu'un
savant anglais appelait « le Canada milésien. » Peut-être aussi M. P.
aurait-il pu parler des trouvailles céramiques de Delphes, comme il a
si bien parlé de celles de Délos et même de celles de Rhénée, encore
inédites par la faute d'un Grec indolent. Mais ces quelques oublis sont
plus que véniels dans un sujet si complexe et que personne n'avait
encore embrassé d'une vue d'ensemble. Ce dernier volume suffirait à
établir la réputation d'un jeune archéologue; il apporte un lustre nou-
veau à celle du vétéran qui a montré là toutes ses qualités sous leur
meilleur jour, à la fois artiste, érudit, critique et lettré. Si M. P. n'a
jamais pris pour modèle la brièveté de Tacite, si l'on peut regretter
parfois qu'il n'ajoute pas à la netteté de la pensée la concision qui la
fait valoir, il écrit toujours une langue irréprochable, élégante et pure,
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE I47
une langue bien française dont le secret tend malheureusement à se
perdre sous l'influence des jargons professionnels.
De tous les volumes de V Histoire de l'art, aucun n'est mieux illustré
que celui-ci. Les planches hors texte sont excellentes et les vignettes
d'une parfaite clarté. La correction typographique est également digne
d'éloges '; l'index lui-même m'a paru plus complet que ceux des
volumes précédents \
Salomon Reinach.
XII. Panegyrici iatini post ^milium Baehrensium iterum recensuit Guilielmus
Baehrens. Teubner, 191 1, xxx-327 p., in-12. 5 M.
J'ai rendu compte' de la thèse-préface par laquelle M. G. Baehrens
a préludé à l'édition qu'il publie aujourd'hui. Je n'ai rien à ajouter à
ce que j'ai dit du jeune auteur et des travaux par lesquels il s'est pré-
paré à son œuvre présente.
Je trouve le nouveau livre sérieux ; il constitue un durable progrès;
aussi indiquerai-je librement ce qui en est, suivant moi, le côté faible
et les parties fâcheuses. Je n'entends pas les exagérer; mais il n'y a
pas non plus lieu de les taire.
La première impression est très satisfaisante, tant saute aux yeux,
de l'édition de 1874, à celle-ci, la différence d'ampleur des deux appa-
rats. On goûte la manière brève dont le nouveléditeur condamne des
conjectures inutiles par de simples rapprochements avec d'autres pas-
sages des Panégyriques. Certaines finesses du texte sont bien saisies
et suffisamment indiquées. On est heureux de trouver dans l'apparat
des remarques sur diverses confusions habituelles à tel copiste; aussi
sur les particularités de ce latin \ Rentrent ici dans le texte des
formes orthographiques que les mss. du xv* siècle et les éditeurs cor-
rigeaient par purisme ^.
Pas de source nouvelle pour l'apparat. Malgré les complications où
nous engage la préface, le texte des Panégyriques reposera en somme
sur M (le ms. de Mayence), les mss. d'Upsal (A), de Londres (H),
l'archétype d'Aurispa, source des détériores (X), et un Vaticanus ou
surtout son correcteur fw). Bien plus par une opinion qui lui est
particulière et qu'il défend ici contre M. Klotz, M. B. écarte un ms.
1 . Je n"ai noté que deux fautes graves (p. 3oi, n. i et p. 486, !. 3.)
2. Ilya pourtant quelques inconséquences; ainsi les prénoms des archéolo-
gues cités (ils ne le sont pas tous) sont tantôt indiqués, tantôt omis. Les Bacchiades
ne sont pas seulement mentionnés à la p. 56 (renvoi de l'index), mais, plus lon-
guement, à la p. 569 ; si le collectionneur Macmillan figure à l'index, on y cherche
en vain le nom de Tyskievicz et celui du graveur de génie, Epiménès, qui a signé
la belle intaille autrefois dans cette collection (p. 18). Qui pourrait me dire où elle
est aujourd'hui ? Ni M. Perrot, ni M. Rossbach ne paraissent le savoir.
3. Revue de 1910, II, p. 288.
4. Iste = ipse ; quidem = sed ; ctim et l'indicatif, etc.
5. Commemoraôoj-, inaugurjjre, die (= diei), etc.
1^.8 REVUE CRITIQWE
auquel on donnait autrefois de la valeur, le Bcrtincnsis, qu'il regarde
comme une copie de A '.
La nouveauté du livre consiste en ceci, que la tradition du texte
est sans cesse contrôlée par les règles des clausules. C'est une vue
juste, quoiqu'ici mc'me je ne sois pas entièrement d'accord avec M. B.
On voit revenir coup sur coup dans l'apparat la formule : clausula
obstat, clausula rejicit ou au contraire : ego clans, causa. Cette mé-
thode a servi h nous débarrasser d'un coup des conjectures dont on
encombrait ces textes, y compris naturellement bon nombre de
leçons de E. Baehrens; car on mettrait ici volontiers comme titre au
nouveau livre : E. Baehrens sévèrement jugé par son fils. Les ^/;ie
necessitate ou clausula nbslat tombent sur lui comme grêle. Il suffit
d'ailleurs de telle petite leçon ', comparée aux essais antérieurs, pour
mesurer combien le texte a gagné, grâce à ce contrôle des clausules.
Voilà des avantages sérieux que je reconnais ; quelles seraient mes
réserves ?
D'abord pour les rapprochements d'une page à l'autre, ils sont
bien souvent vagues, lointains et ne prouvent rien ; le résultat imman-
quable sera que le lecteur fatigué ne s'y reportera plus.
Critique plus grave qui touche à ce qui fait la nouveauté et le prix
du livre; je veux parler de l'application des règles des clausules.
Tout d'abord on objectera que la formule de condamnation {clau-
sula obstat) est souvent obscure et confuse '. Surtout il y avait lieu de
distinguer entre les clausules, suivant qu'elles sont à la fin de la
phrase ou à la fin d'une proposition, devant un repos fort, ou un
repos faible ; on devait les attendre, chez les anciens, avec une proba-
bilité qui, très forte dans le premiercas, diminuait certainement dans
les autres. M . B. ne distingue pas ; par là toute sa démonstration perd
en force et en clarté.
D'autre part M. B. ne sent pas ce que sa méthode a de dangereux
ou tout au moins de délicat ; les clausules sont inégalement riches ;
quel droit avons-nous d'en rejeter une médiocre pour y substituer une
fin plus élégante? Aucun, et cependant n'est-ce pas le fond de la pra-
tique nouvelle ?
Pour toutes ces questions, M. B. renvoie à sa thèse : est-ce suffi-
sant? Dans la thèse, M. B. admettait que Pline avait employé les
clausules dans les diverses propositions comme à la fin des phrases.
Il s'est ravisé depuis et convient maintenant qu'il ne faut chercher les
1. M. B. corrige Suster et propose dans la préface un nouveau classement des
détériores : cela regarde surtout le Panégyrique de Pline et n"a au fond, pour les
autres, qu'un intérêt médiocre.
2. Comme p. 202, i3, es nattis.
3. Par ex., p. 263, 3, je ne vois pas que constitui.vse, conjecture de Baehrens
contredise les habitudes métriques de ces auteurs. De mâme en une infinité de
cas.
d'histoire kt de littérature 149
clausules dans Pline qu'à la tin des phrases. S'il s'est trompé de
même pour les autres discours, voilà tout l'apparat en déroute.
Mon objection la plus forte portera sur l'insuffisance de la biblio-
graphie et de la table des sigles. Voilà des discours qui n'ont guère
qu'un intérêt historique, qui, certes, fatiguent par la faiblesse de la
pensée, le vide du fonds, l'humble attitude de celui qui parle : est-il
besoin d'en rendre, par des maladresses, la lecture plus pénible?
Veut-on en défendre l'accès? La table des sigles est ici donnée sans
ordre : pourquoi ne pas les avoir indiquées dans l'ordre alphabétique?
Elle est très incomplète; on y cherchera vainement le sens d'abrévia-
tions qui reviennent à toutes les pages ' ; de plus ces signes sont choi-
sis, ce semble, tout exprès, pour provoquer des confusions ^ Pas
d'index bibliographique ; celui de la thèse est ailleurs et ne serait ni
complet, ni au courant.
Surtout en un tel sujet, une édition devrait se suffire ; elle ne peut
certainement tout donner; mais elle doit donner clairement surtout
l'essentiel; M. B. n'en a cure; on dirait qu'il s'est plu à semer dans
son apparat les renvois qui pouvaient le mieux fatiguer ou agacer ses
lecteurs \
Si j'ajoute que le latin de M. B. est obscur, enchevêtré et bizarre,
ne vais-je pas écarter du livre les lecteurs ^ ? Comme ce n'est pas du
tout mon dessein, j'aime mieux m'arrêter court etsupprimer les autres
vétilles que j'avais notées.
Emile Thomas.
Manili Astronomicon liber II edidit H. W. Garrod colleg. Mertonensis socius.
Oxford, e typographeo Academico. 191 1, xcix-i65 p. in-8". 10 sh. 6 d.
Si je ne me trompe, c'est ici le premier ouvrage qu'ait publié
M. Garrod, lecteur à Oxford. L'édition est dédiée à Ellis.
Dans l'introduction trois chapitres ; I : lesmss. de Manilius et leurs
rapports ; les trois mss. principaux ; 11 : autres mss . ; essais de classi-
fications ; 111 : Manilius et ses éditeurs (41 p.). A côté du texte, tra-
duction ; au-dessous apparat critique ; commentaire. Puis choix de
1. Ainsi M; Cu<spinianus>; Gr(onov) ; Ac(idalius); Eyss(enhardt), etc.; rien
sur le sens des crochets < > ; M. B. s'est embrouillé lui-même sur leur emploi :
voir l'Errata (incomplet).
2. Après M, M', etc.; la même sigle {Add.) pour un ms., et aussi pour un
article annoncé.
3. On y trouvera coup sur coup : Vid. Diss. (renvois souvent bien inutiles,
comme je l'ai vcritié); vid. ou cf. Mnem. (un article que M. B. n'a pas indiqué
et que tout le monde n'a pas sous la main) ; vid. Add. : il s'agit d'un article qui
doit paraître dans les suppléments du Philologus : nous voilà certes bien lotis !
4. P. XVII, 1. i5 : sique ; p. xvin, 1. 11 et p. xxix, 1. 8, atitem dans l'apodose;
p. XX, 1. 16 : et C et W.. om\ttet ; p. xvii, 1. i3 : casti Bertinensis alteram ex duobus
conjecturam recte elegit. — P. 107, n. 5 : Citation bi/.arre : Sen. Dial. Lit. VI,
22, I. — P. i3 I, 22 : il y a deux cum à la ligne : lequel est visé ?
l 3u REVUt CKlTlQUl!.
leçons d'éditions anciennes ; conjectures des savants depuis Scaliger ;
index.
M. G. est plein de son auteur; il l'admire presque sans réserve; si
on ne lit guère Manilius, c'est que personne ne s'intéresse plus à l'as-
trologie (mais à cela, quel remède?); ce poète, à demi ignoré, est
pourtant par endroits « l'égal de Lucrèce » ; là il atteint à la plus
haute poésie ; ailleurs il a « riiabileté, la grâce d'Ovide >> ; les défauts
qu'on lui trouve, doivent cire rejetés sur la médiocrité de la tradition
(j'analvse là simplement les idées de M. G. ; au lecteur d'y introduire
les restrictions nécessaires). C'est après tout, pour un éditeur, un beau
défaut que d'abonder ainsi dans le sens de son auteur.
M. G. a songé à donner le second livre justement à cause de ses
difficultés particulières. Le travail a été très sérieusement préparé.
Dans la traduction, dans le commentaire et partout, on sent un effort
souvent heureux pour triompher, à force de précision, des difficultés
particulières du sujet '.
Les collations de Manilius sont difficiles et le malheur veut qu'elles
aient été faites souvent avec négligence. Dans ces derniers temps, on
ne savait comment concilier les divergences de deux collations du ms.
de Madrid, publiées par Ellis et par Loeve. M. G. a fait vérifier le
ms., à ces passages, par un de ses amis; plusieurs savants lui ont com-
muniqué d'avance leurs notes et il s'efforce partout de renseigner
exactement le lecteur.
On gagne aussi d'un autre côté. Les savants ont tâché de reconsti-
tuer l'archétype des deux principaux mss. (22 lignes à la page', en se
fondant sur les transpositions de vers. M. G. croit avoir fait avancer
« de quelques pas » cette étude. Il se fonde sur ce calcul de pagination
et de l'archétype pour appuyer l'obel dont on marque plusieurs vers,
et aussi par contre pour admettre telle lacune, que l'on comble en
suppléant tout au moins la pensée d'un vers '.
Donc sur cet auteur difficile, édition partielle qui me paraît des
meilleures.
E. T.
1. Ainsi pour la définition de tertia, sexta : astres séparés l'un de l'autre par un
ou par quatre autres astres. — Pour diflerentes parties de sa démonstration, M. G.
renvoie à des articles de la Classical Quatterly, de igo8 et 1909 que j'ai le regret
de ne pas connaître.
2. Le calcul devient des plus compliqués quand on arrive aux vers 645 et s. où
les déplacements se croisent dans une trentaine de vers. A cet endroit, comme
aussi aux vers que M. G. ajoute, 5q3' et 394» et à ceux qu'il retranche, 585 et 586,
j'avoue que j'hésiterais beaucoup à le suivre. —P. xix, 1. 5, au lieu de six pages lire
eight. — .Malgré l'explication de M. G., je trouve indéfendable la forme tradition-
nelle du V. 768.
d'histoire et de littérature i5i
Girton Collège Stiuiies cditcd by Lilian Knowlcs, Litt. D., rcader in Economie His-
tory in the Univcrsity of London. N» 3 '. Studics in Fronto and his agc with an
Appcndix on African Latinity illustraicd by Sélections from the Correspondence
of Fronto by M. Dorothy Brock, B. A. Someiime PfeitTer Student of Girton
Collège, Cambridge. Cambridge at the Univ. Press, igi i, 348 p. in-i 2. 4 sh.
Heureux les débutants, ils ne douteni de rien. Miss Brock n'avait
rien publié encore que Je sache. Elle a trouvé bon de commencer par
Fronton. Elle voulait en faire une édition; les dieux l'en ont gardée;
elle a tenu à se rabattre tout au moins sur une « étude «qu'elle a traitée
plutôt en élève qui se souvient trop de ses lectures. On trouvera ici du
français, de l'allemand, mêlé à l'anglais et aux citations de toutes sortes
de livres anglais (surtout Cruttwell, History ofthe Roman Literature);
bref force extraits divers des œuvres des savants qui ont touché à
son auteur (mss. Br. excelle à jouer des ciseaux); il est vrai que les dis-
tinctions nécessaires entre les extraits, très différents de valeur, ne sont
pas faites; il arrive aussi que les extraits se contredisent et qu'il sur-
vient des accidents sur les noms \
Sans doute tout n'est pas mauvais dans le livre. Je pense que le
chapitre sur le latin d'Afrique pourra rendre service, et j'ai lu avec
plaisir les lettres accompagnées d'une traduction et de notes. Miss Br.
détache habilement et fait valoir les jolis traits de Fronton sur sa
famille et sur les enfants de Marc-Aurèle. On conçoit de reste qu'elle
refuse de croire à tout le mal qu'on a dit de Faustine. Malheureuse-
ment l'inexpérience ne manque pas de se trahir ça et là par plus d'un
trait '.
Je crains fort que Miss Brock ne se soit brûlée à Fronton : elle aurait
dû se défier de lui, ou ceux dont elle prend conseil (j'imagine qu'elle
ne se croit pas au dessus de tout conseil) auraient dû, suivant moi, l'en
détourner. Le résultat est sans conteste médiocre \
Emile Thomas.
A companion to Latin Studies, edited for the syndic of univcrsity press, by
.1. E. Sandvs. Cambridge, at the univcrsity press, C. F. Clay, igco, xxxv-8gi p.
in-80. Prix : 18 sh.
En 1905, les savants de Cambridge sous la direction de M. Whi-
bley ont publié A Companion to Greek stiuiies. L'ouvrage a eu du
1. Les quatre premiers volumes de la collection traitent de l'histoire d'Angleterre,
et de philosophie.
2. Par ex. l'éditeur des inscriptions chrétiennes, Edm. Le Blantqui n'est pas un
inconnu, devient fâcheusement ici avec constance Le Blaut (p. igt et 194).
3. Ainsi il est question p. yS, 1. 7 de « the long letter to Quintus de petitione
consulatiis ».
4. II s'en faut que l'impression soit irréprochable je note en quelques pages .\
p. i39 à la fin de la note 3, est tombée l'indication de la date. — P. 142, vers le.
milieu, lire vincerent. — La note 5 de la p. 141 se rapporte à la première ligne de
la page suivante etc. •
l52 REVUE CRITIQUE
succès et a reçu une seconde édition en 1910. Il était naturel de son-
ger à lui donner un pendant latin. C'est M. Sandys, l'auteur connu
d'une histoire de la philologie, qui en a pris la direction. Le but de
l'ouvrage est de réunir toutes les notions usuelles dont peut avoir
besoin un étudiant de philologie latine, à la réserve de la grammaire
et de l'histoire. On trouvera dans ce volume les rubriques suivantes :
géographie de l'Italie (J. E. Sandys), ethnographie (W. Ridgeway),
topographie de Rome (Th. Ashby), fauve (Otto Keller), flore
(W. T. Thiselton-Dyer), chronologie et table chronologique de l'his-
toire romaine iJ. S. Reid), religion et mythologie (W. Warde Fow-
1er), antiquités privées (P. H. Marshall), éducation et enseignement
(W. Murison), livre et écriture (M. R. James), institutions politiques
(J. S. Reid), droit et justice (J. S. Reid), finances G. H. Stevenson ,
population et organisation sociale (F. H. Marshall;, administration
des villes, des colonies et des provinces (B. W. Henderson), industrie
et commerce (R. G. Bosanquetj, poids, mesures et mnnnaies
("W. Ridgeway), armée de terre (E. H. Alton), marine (W. W. Tarn),
speciacles et fêtes (J. H. Gray), architecture (Cl. Gutch;, sculpture
(A. J. B. Wace), terres cuites (A. H. Smith), pierres gravées
(W. Ridgeway), peinture et mosaïque (F. R. Earp), poésie jusqu'à la
fin de Tàge d'Auguste (A, W. Verrall), poésie après Auguste
ÇW. C. Summer), prose de Caton à Cassiodore avec une bibliogra-
phie générale (J. E. Sandys , philosophie romaine [R. D. Hicks),
sciences (J. F. Payne), épigraphie (J. E. Sandys), paléographie
(E.M. Thomson), critique des textes (J. P. Postgate), langues de
l'Italie (P. Giles), métrique (A. W. Verrall), histoire de la philologie
latine (J. E. Sandys). Cette énumération sèche montre que toutes les
parties de ce vaste domaine figurent dans le livre et qu'on s'est efforcé
de confier chacune d'elles à un homme compétent. La rédaction a un
développement suffisant pour rendre service. Même les spécialistes
seront heureux d'avoir certains ensembles, une ethnographie de l'Ita-
lie par M. Ridgeway, une religion romaine de M. W. Fowler ; ce
sont des savants dont il faut connaître les vues générales. 141 fig. et
2 planches illustrent le volume. Une typographie admirable y fait
tenir en une impression parfaitement lisible une masse considérable
de renseignements.
Sans doute, il faut s'attendre à des lacunes. L'histoire de la littéra-
ture latine, surtout dans la partie traitée par M. Verrall, est conçue
d'une manière un peu personnelle : M. V. n'a voulu parler que des
grands poètes, ceux dont il nous reste des morceaux étendus. Aussi
le mime n'est-il même pas mentionné, je crois, et l'on chercherait en
vain les noms de Novius, de Pomponius de Bologne et de Labérius,
tandis que M. Summers ne nous fait grâce, dans sa partie, ni de
VAetna^ ni de Calpurnius Siculus, ni de Nemesianus. Peut-être eût-il
mieux valu supprimer ce chapitre et profiter de la place ainsi gagnée
d'histoire et de littp:rature i53
pour développer la table chronologique, en s'inspirant, dans la mesure
du possible, du modèle donné par les Zeiltajeln de Peter. M. Reid,
qui a rédigé la table chronologique, doit être loué d'avoir en partie
évité la faute de Peter, qui a omis entièrement la littérature grecque
contemporaine ; comme les tables de l'histoire grecque s'arrêtent à la
réduction de la Grèce en province romaine, il suit de là que Polybe
est le dernier écrivain grec mentionné par Peter et qu'il ne nomme
ni Lucien ni Plutarque. Ici au contraire, des événements comme les
apologies d'Aristide, de Quadratus et de saint Justin sont au moins
indiqués à leur date. Chaque partie est accompagnée d'une biblio-
graphie sommaire. On pourra trouver quelques inégalités choquantes
dans le choix de ces références. L'introduction de M. Lejay à Lucain
méritait de prendre place à côté de celle de Heitland, publiée sept
ans plus tôt. On renvoie à ï Etude sur la Thébaïde de M. Legras ;
mais on omet celles de M. Lafaye sur Catulle et sur les Métamor-
phoses d'Ovide, de M. Cartault sur les Bucoliques, de M. Puech sur
Prudence. M. Verrall ne cite que \e De re metrica de L. Miiller. Cela
est d'autant plus regrettable qu'il se fait du vers saturnien et de la
métrique des poètes dramatiques une idée très particulière, difficile-
ment acceptable, où l'accent joue le rôle le plus inutile. Les ouvrages
de MM. Léo, Havet, Klotz révéleraient au lecteur au moins l'exis-
tence d'autres théories, si on s'y trouvait renvoyé. Enfin, puisque la
table chronologique de M. Reid tient lieu d'un abrégé d'histoire, une
courte bibliographie de l'histoire romaine eût pu y être jointe.
Ce sont là des lacunes qui ne peuvent guère être évitées dans un
manuel. Mais elles ne sauraient arrêter ceux qui ont besoin d'avoir à
portée de la main un recueil de renseignements précis. Le livre,
publié sous la direction de M. Sandys, rendra les plus grands services
aux étudiants et aux professeurs. Nous pouvons le recommander à
ceux des nôtres qui savent assez l'anglais pour le consulter. Il les dis-
pensera de recherches longues dans des ouvrages compliqués et mul-
tiples. Il peut tenir dans leur bibliothèque la place de manuels coû-
teux et développés.
V. COURNILLE.
Notes on the Syntax of the Latin inscriptions found in Spain. By Henry
Martin. Baltimore, J. H. Furst company. 1909. 5i p. in-S".
Cette thèse a été entreprise avant l'achèvement du travail de
M. Carnoy sur les inscriptions d'Espagne. Elle lecomplète. M. Martin
s'est surtout inspiré de l'excellent livre de M. Pirson sur la langue des
inscriptions latines de Gaule. Il y a d'ailleurs beaucoup moins de
traits caractéristiques en Espagne qu'en Gaule. La plupart des cons-
tructions notées par M. M. sont conformes à l'usage de l'âge d'argent
ou ne sont que des extensions naturelles des libertés antérieures. Dans
les inscriptions chrétiennes, on saisit l'influence de la Vulgate. Enfin
I 54 REVUE CRITIQUE
dans les inscripiions mciriqucs, païennes ou chrétiennes, la syntaxe
des poètes classiques et du premier siècle se retrouvent avec leurs
formules.
Voici deux ou trois observations. P. 14, M. M. constate avec
M. Pirson Textension du génitif de qualité. Cela est naturel et ne tient
ni à l'époque ni au milieu social ni à la région. Les qualités dont on
fait l'honneur aux défunts sont des qualités permanentes, essentielles,
immuables : Vxori rarissimi exempli, Feminae incomparabilis pietatis
{CIL. II, 4146, 2436). — P. i5, les génitifs relevés ici sont, ainsi que
le dit M. M. des extensions du génitif possessif. M. M. cite, comme
une exception, un seul exemple d'ablatif de l'àge : Herennia mortiia
est aetate XV an. (ib., 3471). Il ne l'explique pas. C'est une de ces
exceptions qui confirment la règle. Au lieu du simple chiffre des
années au génitif, nous avons un mot général aetas. L'ablatif aetate
est employé dans cette expression comme spatio, interuallo, dans les
expressions biJui spatio, septem miliiim interuallo (voy. Rikmann-
Lejav, Syntaxe latine, i^ 71, 1° et 2°). — Dans chrismatis uncta, epis-
copus de Sce Marie (Hiibner, Inscr. Hisp. chr., 464 et 472 ; M., p. 16
et I 3), est-on sûr que l'auteur a eu conscience de ce qu'il disait ? —
P. 21, M. M. s'embarque dans une phrase interminable pour expli-
quer une figure de rhétorique qui n'a rien à voir avec la grammaire
scolaire : Nec morte periit sed uibit (= iiiiiit) sede perhenni [Inscr.
i/z'5/7. c/îr., 218). On ne peut traduire plus énergiquement les espé-
rances chrétiennes. — P. 22. Les inscripiions païennes marquent un
progrès de l'ablatif aux dépens de l'accusatif, en Espagne comme par-
tout, dans l'indication de l'àge; au contraire les inscripiions chré-
tiennes témoignent d'un retour offensif de l'accusatif. Contraste
curieux, dont M. M. ne donne pas l'explication. — P. j^i: Inscr.
Hisp. chr.^^ji : « Hic sunt reliquiae reconditae, id s(un)t de cruore
d(omi)ni » etc., aurait dû être cité à propos de l'accord.
J. D.
Christliche Antike. Einfùhrung in die altchristliche Kunst. Von Ludwig von
Sybel. Zweiter Band. Plastik, Architektur und Malerei. MitTitelbild, drei Farb-
tafeln u. 99. Textbildern. Marburg. Elwert, 1909. viii-34i p.
L'introduction est un expose du problème ; Orient et Grèce;
Grèce; Rome et Orient. Les idées de Riegl, de Wickhoff, de Kraus
et de Strzygowski sont surtout discutées. Dans la première partie,
la plastisque, M. von Sybel étudie longuement les sarcophages. Il les
analyse, les classe par régions et par époque, et conclut : l'art de
l'Asie Mineure, de l'Italie y compris les sarcophages à colonnes de
Ravenne, de la Gaule du Sud-Est et du Nord de l'Afrique représen-
tent un art ancien, dans l'essentiel le style du Haut et du Moyen
Empire romain. L'art syrien et copte, l'art tardif de Ravenne et
celui de la Gaule du Sud-Ouest forment une période postérieure, où
d'hISTOIRK Kl DE LITTÉRATURE l55
le style est celui de la décadence. La chronologie doit dominer l'his-
toire et détruit les généalogies de types, compliquées et à première
vue invraisemblables de M. Strzygowski. A cette première partie
s'ajoutent des chapitres secondaires sur les objets en porphyre, en
ivoire ou os, en bois, en pierres précieuses, en métal et en terre cuite.
Certaines de ces classes d'objets sont traitées sommairement, ainsi les
gemmes. C'est une spécialité bien fermée. M. von S. demande
qu'un savant expert s'occupe des pierres gravées chrétiennes. Dans
sa bibliographie, il aurait pu citer le livre de M. Rabelon, La gra-
vure en pierres fines, (:\m donne, p. ijB-igi, une esquisse du sujet. Au
contraire, les ouvrages en ivoire ont la part du lion ; M. von S. cata-
logue et décrit les diptyques et les pyxides. Au problème de la
basilique, il applique, son principe : l'art chrétien n'est pas
fils de l'art antique, il est de l'art antique. La basilique est la halle
construite à côté du marché en plein air, et dérive, par des intermé-
diaires grecs encore inconnus, du temple égyptien hypostyle. L'autel
était, à l'origine, une table, essentiellement mobile. Le chapitre sur la
peinture est assez court.
Le volume se termine par les gravures réunies sur une série de
planches à part. Elle sont excellentes. L'ouvrage, qui est muni d'un
bon index, peut-être recommandé comme un manuel d'ancien art
chrétien. On n'en acceptera peut-être pas toutes les idées; mais il
renouvelle les conceptions sur lesquelles on vivait et il met en garde
contre des hypothèses aventureuses ou prématurées.
S.
Quellen zur Geschichte des Papsttums und des Roemischen Katholizismus
von D. Cari Mirut, Professer cicr Kirchengeschichte an dcr Universitaet
Marburg, Dritte Auflage, Tubingen, Mohr (Siebeck), igii, XXIV, 5i4 p.,
gr. 8°. Prix : lo f.
Tous ceux qui se sont occupés de l'histoire de l'Eglise, sachant
l'allemand, connaissent sans doute et ont utilisé déjà, comme un
instrument de travail commode, le recueil de Sources pour servir à
Vhistoire de la papauté et du catholicisme romain publié par M. Mirbt,
professeur à Marbourg. C'est un compendium portatif et pourtant
assez complet des textes les plus importants pour l'histoire des doc-
trines et des faits, compilé surtout à l'usage des étudiants en théologie,
mais qui rend aussi d'utiles services aux historiens et aux jurisconsultes,
quand ils ont à citer certains dicta probantia et qu'ils n'ont pas de
bibliothèque plus considérable sous la main. Dans cette troisième édi-
tion, Tauicur a ajouté un assez grand nombre de textes pour l'époque
contemporaine, tout en ne grossissant pas de beaucoup le volume,
ayant élagué quelques pièces moins importantes et choisi des types
d'impression plus menus. On sait qu'il débute par les passages de
Suétone, de Tacite et de Dion Cassius sur les persécutions des Juifs
l56 RKVIJE CRITIQUE
à Rome sous Claude et sur celle des chrétiens par Néron et qu'il
embrasse tout le passé de l'Eglise. Dans cette édition nouvelle, il va
jusqu'à l'Encyclique de S. Charles Borromée (1910) et jusqu'au ser-
ment anti-moderniste imposé aux professeurs des facultés catholiques
(191 1). En tout, la collection de M. M. comprend 5j5 textes, géné-
ralement bien choisis. Il y a joint une quarantaine d'appendices (avec
des textes également topiques), une liste chronologique des papes et
un index [Sachregister] très détaillé. Chaque texte est reproduit dans
sa langue originale (grec, latin, allemand, français, etc.), avec renvois
sommaires aux sources auxquelles a puisé le compilateur. Le recueil
de M. M. n'est évidemment pas un livre de lecture courante mais il
permet à tout lecteur intelligent de s'orienter facilement sur les
vicissitudes doctrinales de l'Eglise et sur les principes promulgués
et soutenus successivement par le Saint-Siège, à travers les siècles.
E.
Quellen zur Schweizergeschichte. Neue Folge. II. Abteilung : Akten Bd 1.
Dokumente zur Geschichte des Bûrgermeisters Hans Waldmann, gesammelt
und herausgegeben von Ernst Gagliardi. Basel, Adolf Geering, 191 1, ccii,
445 p. gr. in-S». Prix : 17 fr.
Parmi les personnages restés vivants dans les souvenirs des popu-
lations suisses, l'un des plus connus, sinon des plus sympathiques,
c'est le bourgmestre de Zurich, Jean Waldmann ; il a marqué à la fois
dans les luttes du dehors et les intrigues politiques du dedans, com-
bat à Morat et à Nancy contre Charles le Téméraire, négocie avec
Louis XI, avec les Habsbourgs, avec les Visconti de Milan, dirige
pendant quelques années la république zurichoise en maître presque
absolu et finit par succomber, d'une façon vraiment tragique, sous les
efforts combinés des paysans, sujets de la ville, opprimés et des patri-
ciens comprimés à l'intérieur de la cité. M. le professeur Ernest
Gagliardi nous donne dans le plus récent volume du grand recueil
des Sources pour ïhistoire suisse une espèce de Cartulaire biogra-
phique, si je puis dire, de Hans Waldmann, ou du moins de la
majeure partie de son existence, en y joignant une introduction de
plus de deux cents pages, qui, dépassant les textes, nous la raconte
déjà toute entière, jusqu'au moment de son supplice (6 avril 1489.)
On ne peut pas dire que le personnage, dans l'intimité duquel nous
pénétrons ici pour la première fois, soit entièrement sympathique.
Né vers 1435 dans un village du canton de Zug, artisan corroyeur, il
eut une jeunesse tumultueuse et brutale ', s'engagea comme merce-
I. Ce n'est pas comme tout jeune homme qu'il se livre à l'inconduite la plus
grossière; on n'a qu'à parcourir le dossier réuni par M. Gagliardi pour constater
qu'il court les cabarets et les bordels et échange des coups d'épée nocturnes avec
les premiers vauriens venus, alors qu'il jouait déjà un rôle politique et qu'il viole
les règlements officiels quand il est déjà membre du Magistrat.
d'histoire et de littérature i5j
naire, épousa plus tard une veuve riche mais mal famée, marqua
pour la première fois, comme capitaine, dans la guerre de Mulhouse
(1468), entra cinq ans plus tard au Conseil, et devient très populaire
par son énergie patriotique durant les campagnes contre le duc de
Bourgogne, ses ambassades à la cour de France et h celle des Vis-
conti, qu'on lui reprochera plus tard. Devenu bourguemestre de
Zurich, il gouverne avec une clique des représentants des corpora-
tions d'arts et métiers, commet des illégalités qui restent d'abord
impunies ' mais dont on se souviendra plus tard, se voit accusé de
trahison pour avoir négocié avec les Habsbourgs l'accord du 14 sep-
tembre 1487, pour avoir sacrifié les Valaisans aux Visconti, pour
avoir accepté des pensions de princes étrangers, etc. Il semble bien
que Waldmann se soit senti au-dessus des lois, un surhomme
(p. cxLiii) en un mot, comme l'appelle l'éditeur, ne craignant aucun
danger, au moment même où le sort va le frapper. Une simple
mesure de police, assez légitime en elle-même, amena la catastrophe.
L'ordre de massacrer tous les chiens de paysans (qui détruisaient le
gibier) ameuta contre lui les populations rurales des bords du lac de
Zurich, qui avaient encore d'autres griefs à faire valoir. Des commis-
saires des Eidgenossen s'interposèrent et négocièrent un accord avec
les révoltés; Waldmann eut l'audace de le modifier, par un faux, au
détriment des paysans. Ceux-ci, furieux, reviennent assiéger la ville ;
les nombreux adversaires intra-muros du bourguemestre profitent de
l'occasion, un tumulte devant l'Hôtel-de-Ville (i avril 1489) se
change en révolution; Waldmann est arrêté, torturé sans pitié, et
finalement décapité devant les murs de Zurich, en présence de quinze
mille paysans accourus pour assister à ce spectacle, et de la popula-
tion urbaine, après avoir confessé ses fautes et demandé les prières
des assistants, mais sans se reconnaître coupable des crimes poli-
tiques qu'on lui reprochait. M. G. donnera dans un prochain volume
les mêmes pièces, relatives à l'année 1489 et à la révolution zuri-
choise, dont il n'a fait qu'analyser brièvement le contenu dans sa
très précise et très consciencieuse notice biographique, qui rend inu-
tile désormais toute la littérature antérieure, depuis la biographie de
Waldmann par Fuessli (1780I jusqu'aux études plus récentes de
Daendliker (1878-1880). En dehors des renseignements infiniment
plus abondants sur la vie même de Waldmann qu'offre le travail de
M. Gagliardi, il a le grand mérite de nous retracer cette existence en
contact intime et permanent avec l'histoire générale des cantons
suisses à cette époque.
R.
I. Avant tout la scandaleuse affaire de l'exécution du Lucernois Frischhans
Theiling en septembre 1487. — L'influence politique de Waldmann ne semble pas
d'ailleurs s'âtre appliquée à modifier les lois, mais plutôt à en suspendre les effets ;
après sa chute, il n'y eut pas de grandes réformes constitutionnelles .
I 58 REVUE CRITIQUE
Festgabe der Berliner juristischea Fakultaet fur Otto Giercke, zum Doktor-
Jubilaciim, 21. August 1910. Breslau, Marcus, 1910, 379, 5ii, 363 p., 8°.
Prix : 43 f.
Comme le titre môme l'indique, ces trois volumes représentent
l'hommage collectif des professeurs de la faculté de droit de Berlin
à leur collègue, M. Otto Giercke, qui célébrait le 21 août 19 10 le
cinquantième anniversaire de son doctorat. Des vingt-deux disser-
tations, plus ou moins étendues, que renferme l'ouvrage, la grande
majorité ne rentre pas dans le cadre de la Revue critique et nous
serions d'ailleurs absolument incompétent pour en rendre compte;
c'est aux jurisconsultes à les juger. Le tome premier est consacré à
des questions de droit public, droit administratif, droit canon; le
second à des mémoires sur le droit privé et la procédure civile ; le
troisième au droit international et aux principes dirigeants de la
législation comparée.
Nous mentionnerons seulement une étude très intéressante de
M. Henri Brunner sur l'émancipation résultant pour le serf de son
séjour dans une commune libre, tant en Allemagne, qu'en France et
en Angleterre (I, p. 1-45); une très volumineuse dissertation de
M. E. Seckel sur certaines sources du droit féodal lombard (I, p. 47-
168) ; une étude, un peu confuse, de M. Ed. de Moeller sur le passage
du Faust où Mephistophélès parle à l'étudiant, « du droit qui est né
en même temps que nous » (I, p. 355-377). Citons encore les extraits
faits par M. Ad. Stoelzel d'un registre de justice de Hanau, 147 1-
1472 (II, p. 3o3-34i); une étude de M. K. Dickel sur le développement
historique du droit de chasse et sur les obligations de ceux qui
l'exercent (II, p. 359-5 1 1) ; un mémoire de M. R. Krauel, La Prusse
et la liberté des marchandises neutres sur navires ennemis (III,
p. 1-18), etc.
E.
Festschrift zur Feier^ des hundertjaehrigen Bestehens der Universitaet
Breslau. [Erster Theil : Geschichte der Universitaet Breslâu, iSii-igir, von
Georg Kaufmann. Breslau, Ferdinand Hirt, 191 1, XII, 255 p. in-4'', planches.
L'Université de Breslau célébrait l'année dernière le centenaire de
sa création, ou plutôt de la translation de l'Université de Francfort-
sur-l'Oder, en Silésie. Après la création de celle de Berlin, en 1810,
on avait jugé avec raison que l'antique Viadrina, fondée dès i 5o8, était
trop rapprochée de^la capitale prussienne pour rester prospère et on
l'avait transplantée à Breslau. Pour célébrer ce transfert, le Sénat uni-
versitaire avait chargé l'un de ses membres, M. Georges Kaufmann,
professeur d'histoire, de rédiger un aperçu sommaire de ce récent
passé. Nul mieux que M. Kaufmann n'était à môme de remplir cette
mission ; on sait qu'il est occupé depuis de longues années à écrire
une Histoire des Universités allemandes dont deux volumes ont déjà
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I D9
paru '. D'après les dossiers administratifs, les procès-verbaux du
Sénat académique et des différentes facultés, il nous donne un tableau
vivant de cette émigration d'une vieille École et de sa réorganisation
dans une des plus grandes villes du royaume; de l'esprit éclairé qui y
présida; de l'appel adressé aux savants sans égard à leur situation
confessionnelle \ Il expose en détail tout ce qui se rapporte à la créa-
tion des chaires, aux traitements des professeurs, aux prérogatives
universitaires; il nous fait faire connaissance avec les personnages les
plus marquants de la première génération du corps enseignant, Cari
von Raumer, le pédagogue, Frédéric von Raumer, l'historien, Hen-
drilc Sterfens, le philosophe romantique, le philologue classique Pas-
sow, le professeur de théologie catholique Dereser, qui, jadis avait
figuré à Strasbourg dans le clergé constitutionnel du Bas-Rhin. Les
débuts de l'Université furent modestes au point de vue de la fréquen-
tation ; elle comptait environ 3oo auditeurs en i8i i ; le mouvement
patriotique de i8i3 faillit la supprimer; plusieurs professeurs et les
trois quarts de leurs élèves s'enrôlèrent, et dans les années de la Res-
tauration qui suivirent, la prospérité de l'École ne se marqua que fai-
blement, par suite des tendances réactionnaires du gouvernement et
même parfois, du corps professoral. Les associations d'étudiants
étaient interdites, comme celles des gymnastes, quand elles manifes-
taient des tendances libérales, en somme bien inoffensives, en vertu
des décisions de la conférence de Carlsbad, les mœurs brutales des
associations conservatrices et rétrogrades [Corps] étaient tolérées; les
professeurs de la faculté de philosophie (lettres et sciences) déci-
daient en 1817 de ne jamais créer un juif docteur en philosophie, ce
grade académique étant une dignité essentiellement chrétienne 1
(p. 85). Cet esprit conservateur persista jusqu'à la Révolution de
1848, durant toute la première partie du règne de Frédéric-Guil-
laume IV, le roi piétiste, qui avait en horreur les libéraux et les hégé-
liens. Pendant longtemps l'Université et la population de la grande
ville industrielle et commerçante avaient vécu assez à l'écart l'une de
l'autre; peu à peu le corps enseignant eut quelque emprise sur l'es-
1. Voy. Revue critique du 14 juin 1897.
2. On créa une double faculté de théologie, l'une protestante, l'autre catholique.
Pourtant le nombre des professeurs protestants fut toujours plus considérable; de
professeurs israélites on n'en vit qu'après 1848. — Pour les étudiants, les ^statis-
tiques démontrent que, de 181 1 à 1861, tout au moins, il y eut à peu près équi-
valence entre les deux cultes chrétiens (sur 14,062 immatriculés, on en compte
6712 protestants, 643? catholiques et — ce qui est bien curieux, puisqu'ils ne
trouvent aucune carrière ouverte pour eux dans l'État prussien! —967 israélites.
Encore qu'ils soient exclus de l'administration, de l'armée, de la magistrature, de
renseignement, qu'il ne leur reste guère, en fait de carrières libérales, que la pra-
tique de la médecine, ils n'en viennent pas moins aux Universités, se rendant
compte qu'il faut s'instruire d'abord pour s'émanciper ensuite, et qu'il y a toujours
profit à savoir, car Wissen ist Maclit.
IhO REVUE CRITIQUE
prit public et nous le vfjvous s'associer aux agitations politiques de la
Prusse moderne, mais dans un esprit modérément constitutionnel et
point du tout radical. L'dniversitc s'est toujours efforcée de rallier
l'Allemagne autour de la Prusse, même à une époque ou l'opinion
publique d'outre-Rhin ne semblait guère favorable aux tendances
absolutistes des Hohenzollern. On le voit parce que M. K. nous
raconte du jubilé du cinquantenaire en aotit 1861, et de l'adresse pré-
sentée au roi Guillaume au moment où éclatait la guerre contre l'Au-
triche, en 1866. Dans la seconde période du xix« siècle, Breslau ne
compta pas moins de professeurs célèbres que durant la première ; je
nommerai seulement le chimiste Bunsen, le physicien KirchhofT, le
médecin Frerichs, les historiens de l'Eglise Hermann Reutcr et
Koestlin, les jurisconsultes Gaupp et Wilda, le philologue Riischl,
l'historien Rœppell et, le plus illustre de tous, Théodore Mommscn ;
la plupart de ces savants ont, il est vrai, quitté leur chaire à Breslau
pour aller professer dans d'autres Universités. En 1910, il y avait
i'ibg étudiants immatriculés dans les différentes facultés et le budget
universitaire se montait à 2,343,000 marks, alors qu'il n'avait été que
de 3o2,ooo marks en 181 2.
L'ouvrage de M. Kaufmann se termine par un chapitre intitulé
Problèmes de Vheure présente, où l'on trouvera plus d'une pensée
. ingénieuse et hardie sur le rôle des Universités dans l'avenir et, sur la
nécessité de les défendre contre l'hypertrophie croissante de Berlin.
Un second volume, que nous n'avons pas reçu, contient une série de
monographies sur les différents organismes académiques (chaires des
facultés, instituts, séminaires, etc.) rédigées par les représentants
actuels de ces groupes ou corporations '.
R.
Wustrau, Wirtschafis = und Verfassungsgeschichte eines brandenburgischen Rit-
tcrgutes von Cari Brinkmann. Leipzig, Duncker u. Humblotj igii,II, i63p.,8°.
La présente dissertation forme le cent-cinquante-cinquième fasci-
cule de la collection des Staats ■=■ und sociahvissenschaftliche For-
sehungen, publiées par MM. Gustave Schmoller et Max Sering.
Wustrau (dont le nom slave signifie, à ce qu'il paraît, île) est un
domaine équestre, situé dans le cercle de Ruppin, province de Bran-
debourg, et appartenant à la famille de Schwerin. C'est à la demande
du propriétaire actuel, président de gouvernement à Francfort sur-
l'Oder, que l'auteur a reconstitué l'histoire économique et juridique
de ce coin de terre, d'après les documents des dépôts publics et des
archives familiales. On peut remonter dans le passé de 'Wustrau
Jtisque vers le milieu du xv^ siècle; à cette époque le « pays » appar-
tenait à trois familles seigneuriales, dont les Zieten étaient déjà, Au
I. P. 164, il faut lire inconnu pour unconnii. P. 184, lire 1844 pour 1884.
h
d'histoiric f,t de littérature i6i
cours des guerres du xvi'' et surtout du \vu' siècle, il fut terriblement
maltraité par des incendies et des pillages répétés; fermiers et seigneurs
firent banqueroute et les champs restèrent longtemps en friche '. Ce
n'est qu'avec le xviii* siècle que commencent des « améliorations »
encores timides; en 1720 Jean-Joachim de Zieten, le futur général de
Cavalerie de Frédéric II entrait en possession de ces terres; peu à peu,
grâce à ses soins, grâce aux « douceurs » du roi, la machine agricole
est remontée, le domaine s'arrondit par l'achat des parts des deux
voisins. L'auteur étudie plus en détail l'etfet (plutôt nuisible en défi-
nitive) des ordonnances du 21 octobre 1769 sur la réglementation des
parcelles, et du 14 septembre 1 807 sur la régularisation des domaines.
Ces échanges obligatoires entre les communes et les propriétaires
féodaux ne furent terminés, pour Wustrau, qu'en 1840. Et dix ans
plus tard le nouveau Regulirungsgeset\ du 2 mars i85o obligeait à
recommencer des arrangements qui ne furent complétés qu'en 1903.
Mais aussi, grâce à ces échanges et à ces « régularisations », le domaine
de Wastrau, sur lequel tant de générations avaient végété pénible-
ment, quand elles ne s'y étaient pas ruinées, était devenu rémuné-
rateur, grâce à l'exploitation surtout de ses vastes tourbières % et c'est
un beau cadeau que le dernier comte de Zieten fit en i853, à sa nièce
Caroline de Schwerin, en lui léguant Wustrau comme fideïcommis.
D'après les données de M. Brinkmann, il n'a cessé de prospérer
depuis. Lee économistes trouveront dans son mémoire une foule
d'indications pratiques dont ils feront leur profit.
R.
N. JoRGA, Brève Storia dei Rumeni con spéciale considerazione délie
relazioni coll' Italia. Bucarest, lypografia Neamul-Roinaaesc, 191 1, 17G p.,
8", illustrations.
Cet opuscule du savant professeur à l'Université de Bucharest,
destiné au grand public, a été demandé à l'auteur par la « Ligue de
la civilisation » roumaine, à l'occasion des fêtes du cinquantenaire de
la création du royaume d'Italie, « comme hommage d'un peuple
frère et ami » et pour amener ces deux rameaux du tronc latin à faire
plus ample connaissance '. C'est un résume, forcément sommaire,
des destinées des régions du Bas-Danube qui constituent aujourd'hui
1. Encore en 1687, sur les vingt-deux fernries du domaine de Wustrau, quatorze
restaient désertes.
2. RicMi que pour la vente de tourbe, le Rittergiit réalisa, de i856 à 1884, une
somme totale de 779,406 thalers (p. iSg).
3. En cli'ct, jusqu'ici les rapports directs entre Italiens et Roumains ont été
plutôt assez rares, puisqu'entre eux s'interpose le corps massif de l'Autriche-
Hongric. Mais comme ils ont tous deux leur Iiredenta et que Roumains de Hon-
grie et Italiens de Triestc et du Trentin ont à se plaindre également du régime des
Habsbourgs, cela créera peut être entre les deux peuples des relations plus
i ntimes par la suite.
102 REVUE CRITIQUE
le royaume de Roumanie, depuis les temps de la Dacie romaine
jusqu'à la quarante-cinquième année du règne de Carol I. On n'y
trouvera ni notes érudiies, ni renvois aux sources, comme il convient
pour un écrit de vulgarisation de ce genre. Les reproductions des
monuments, vues ou portraits, ne donnent pas précisément une bien
favorable idée de la technique des ateliers roumains.
E.
TcuJor DU WvzKWA et Gcori^os r>K Saint-Foix : "W. A. Mozart, Sa vie musicale
et son œuvre, de l'enfance à la pleine maturité (1756-1777). Paris, Pcrrin,
2 vol. in-8° de xvi-522, et 452 p. av. 8 portr. et 3 f. sim. Prix : 25 fr.
Ce livre est sans précédent en France, et peut-être même en aucune
langue. On n'en sera pas médiocrement surpris, car on croit volon-
tiers Mozart très connu. Il ne l'est pas : peu de maîtres le sont même
moins que lui. On se figure trop facilement qu'il suffit, d'une part, de
le suivre dans sa vie extérieure, où fleurit l'anecdote, de l'autre, d'étu-
dier ses principales œuvres et d'y admirer son génie. Ce sont là deux
domaines distincts, qui ne s'expliquent pas du tout l'un par l'autre,
et qui ne nous révèlent nullement la seule vraie vie de Mozart : sa
vie musicale. C'est parce qu'elle a été devinée, cherchée, reconstituée
ici, cette vie musicale ; c'est parce que désormais l'histoire de Mozart
et de son activité artistique, au moins jusqu'à sa 22'' année, et pen-
dant toute la période de formation de son génie, se trouve complète-
ment renouvelée, que l'ouvrage que nous annonçons est si considé-
rable et si original à tous points de vue. De fait, on chercherait vai-
nement une étude d'histoire et d'analyse musicales, où la critique, la
critique de première main, comparative et technique, soit plus ser-
rée, plus approfondie, plus féconde, nourrie d'une connaissance plus
abondante et plus étendue de toute l'ambiance de toute l'œuvre d'une
époque, éclairée d'ailleurs par un goût plus sûr et plus fin,... et qui
ait des résultats plus neufs.
Il y a de longues années que M. de Wyzewa s'occupe de Mozart.
On se souvient des articles parus en 1904 et 1905, dans la Revue des
Deux-Mondes, sur la jeunesse de l'enfant génial. On fut surpris de
tout ce qu'ils apportaient de nouveau : c'est que l'éloquent critique
avait revécu jour après jour ces premières années d'existence ; il avait
voulu aller aux mêmes lieux, évoquer les mêmes impressions... Et en
agissant ainsi, combien n'avait-il pas été récompensé de sa peine ! Posi-
tivement, l'âme de Mozart s'était ouverte à lui; il y avait lu... et il
s'était rendu compte qu'on la connaissait mal, et que personne n'avait
su en dire l'évolution continuelle, l'épanouissement progressif, la for-
mation même.
Il s'était aperçu qu'un homme de génie est un être d'exception,
pour lequel les procédés habituels ne sont plus de mise, et qu'il es^
des cas « où l'examen trop minutieux des événements extérieurs de
d'histoire et de littérature i63
la vie d'un artiste, non seulement ne contribue en aucune manière à
nous faciliter l'intelligence de son œuvre, mais au contraire risque
de l'entraver, ou parfois de la fausser tout à fait. >> C'est que « les
hommes de génie ont le pouvoir de vivre une existence pour ainsi
dire étrangère ou supérieure aux accidents fortuits de leur vie privée,
une existence où leurs rêves, les libres créations de leur cœur ou de
leur cerveau, dépassent infiniment en iniportanee les menus hasards
des événements que nous les voyons obligés de subir. »
Or justement, qu'apprend-on, lorsqu'on pénètre très avant dans
l'intimité de Mozart, lorsqu'on étudie son esprit à la lueur de ses
œuvres? Que les questions d'atavisme, de race, d'éducation, de vie
quotidienne, ne sont plus d'aucune valeur, ne peuvent rien révéler
de la source secrète de son inspiration, et que pour lui, — comme
pour d'autres, quand c'est un Rembrandt ou un Beethoven, — la
vraie existence, la claire réalité des choses, c'était sa vie intérieure, le
domaine de ses visions. De son « drame intime » les péripéties sont
innombrables et passionnantes, et elles se sont toutes produites sous
des impulsions musicales extérieures. Son avidité d'apprendre était
sans bornes, mais sa nature « féminine » avait besoin de recevoir
d'ailleurs l'élan nécessaire pour engager son art dans des voies nou-
velles, sauf à transfigurer chaque fois, d'une beauté bien autrement
haute et originale, les idées ou les procédés qui s'étaient présentés à
lui. Mozart ne vit que d'impressions musicales, ne perçoit des choses
que leur expression musicale. A chaque impression ou expression
nouvelle, il est frappé, il exulte, il s'assimile, il développe, il pousse
à l'extrême les moindres ressources découvertes; et toutes ses œuvres
pendant cette période sont marquées des mêmes traits,... qui dispa-
raissent pour faire place à d'autres dès qu'une nouvelle influence
s'est imposée, dès qu'un nouvel enthousiasme a ouvert à ce génie
transformateur une voie nouvelle. Les conséquences de ce point de
vue (que l'expérience affirme rigoureux), pour l'étude de l'œuvre de
Mozart, sont considérables, on le comprend. Les fantaisies de son
inspiration, comme les procédés surpris de ses compositions, se
groupent ainsi, s'éclairent l'un l'autre, et chantent la joie féconde de
cette âme enchanteresse, qui, de tout ce qu'elle touche, entreprend ou
imite, fait jaillir un flot original d'idées neuves.
A analyser, à conter une pareille « vie musicale », l'érudition, on
le voit, ne suffit plus. Elle suffit d'autant moins que la simple chro-
nologie des œuvres, qu'elle avait établie jusqu'à présent, comme elle
avait pu, bien souvent sur de vagues traditions, s'est révélée pleine de
méprises. En somme, tout était à faire, lorsque M. de Wyzewa, au
moment d'entreprendre ce travail, le seul utile : l'étude directe et
approfondie des œuvres mêmes, a eu le bonheur de rencontrer l'ap-
pui fidèle et précieux d'un autre amateur passionné du maître de
Salzbourg, M. de Saint-Foix. Mais peu d'investigations devaient être
1 t)4 REVUE CRITIQUE d'hISTuIhIO t T uh LITTÉRATURE
aussi fccoiidcs, devaioni apporter au chercheur autant d'clcmcnts atta-
chants et nculs. Ce n'était pas assez d'établir enfin et pour la pre-
mière fois une chronologie certaine de ces œuvres, il convenait encore
d'étudier les sources où avait puisé Mozart, d'interroger les œuvres
qu'il avait pu lire et qui avaient pris influence sur lui. Ainsi com-
prise, l'histoire de l'œuvre de Mozart est devenue celle d'une bonne
partie de l'activité musicale de cette époque. A chaque pas, on y
trouve une étude critique sur tel maître mal connu, un Schobert, un
Chrétien Bach, un Michel Haydn,.., dont l'exemple fut essentiel pour
Mozart; ou bien la monographie du genre dont son activité s'est
emparée à son tour, sonate, symphonie, variation, sérénade...
Cette histoire, qui est un monde, s'arrête pourtant à la 22^ année
de la vie de Mozart... On imagine à peine ce que pourrait être la
suite, ainsi conçue. 11 ne faut pas oublier toutefois que la méthode
nouvelle qui a présidé à ces investigations était surtout utile pour la
période de « formation » du jeune artiste. Une fois « les véritables
éléments intimes de son génie « ainsi établis, on peut marcher de
confiance avec la suite, désormais très sûre, des œuvres, et les tra-
vaux auxquels elles ont donné lieu. Jusqu'à cette date de 1777, les
deux volumes sont partagés en 24 périodes; chacune d'elles est étu-
diée d'ensemble, puis suivie de l'analyse critique des œuvres l'une
après l'autre. C'est donc un nouveau catalogue thématique, histo-
rique et critique, qui est le cadre de l'ouvrage; celui-ci n'en pouvait
admettre d'autre. A la fin, il se poursuit, mais pour les seuls titres, en
10 périodes encore, jusqu'en 1791. Après quoi, une table de concor-
dance rapproche le nouveau numérotage de celui du catalogue de
Kôchel, qu'il convient désormais de laisser de côté. Enfin des notes
spéciales expliquent l'absence, au cours du livre, d'un certain nombre
d'œ^uvres inscrites à tort comme composées par Mozart.
8 portraits, dont 4 de Mozart, et 3 fac similés de manuscrits, ajou-
tent leur attrait à l'excellente typographie de ces 2 gros volumes.
Henri DE CuRzoN.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du g février JQjp- —
M. Gagnât analyse un rapport qui lui a été transmis par M. le général Momier et
qui a pour auteurs MM. le commandant Michelange'li et le capitaine Venet, du
6^ bataillon colonial. Ces officiers ont reconnu sur^l'Oued-Sebou la présence de
ruines romaines à l'endroit appelé Sidi Ali hou Djenoun. 11 y avait là une colonie
romaine Batmsa. Des fouilles vont être entreprises sur ce point par les soins du
corps expéditionnaire.
M. Jules Martha termine sa lecture sur l'interprétation de la langue étrusque. Il
montre, par des exemples tirés du texte de la momie d'Agram, comment on peut
analyser les divers éléments d'un texte étrusque. 11 termine en donnant la traduc-
tion des passages les mieux conservés de la momie d'Agram. Ces passages sont
les fragments d'un rituel mêlé de conseils pratiques à l'usage des navigateurs.
LAcadémie procède à l'élection de deux membres de la Commission des
chartes et diplômes, en remplacement de MM. Léopold Delisle et Auguste Lon-
gnon, décèdes. Sont élus MM. Henri Omont et Noël Valois. _
Léon Dorez.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Yelay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 9 — 2 mars — 1912
Beccari, Documents sur l'Ethiopie, X. — Rûcker, Les homélies de Cyrille d'Ale-
xandrie sur le troisième Evangile. — Arvanitopoullos, Fouilles en Thessalie.
— RuBENsoHN, Moulages antiques du Musée Pelizaeus. — Schnabel, La cor-
dace. — RoBERTs, Le traité de Denys d'Halicarnasse sur la composition des
mots. — Brugmann, L'enseignement du grec et du latin. — Scheel, Documents
sur le développement de Luther. — Lewin, Luther et les juifs. — Harnack,
Science et vie. — Vialay, Les cahiers du Tiers Etat. — Handelsman, Napoléon
et la Pologne. — Hymans, Frère-Orban. — Albin, Les grands traités politiques.
— Cavaignac, Esquisse d'une histoire de France. — Saint-Léger et Sagnac,
Appendices aux Cahiers de la Flandre maritime. — Annuaire de l'Université
d'Athènes. — Académie des inscriptions.
C. Beccari, Rerum Aethiopicarum Scriptores occidentales inediti a saec. XVI
ad XIX, Rome, C. de Luigi. Vol. X, igio; pp. xvii-5o2, avec 3 pi.; vol. XI,
igi I ; pp. ix-562, avec 3 pi. (Prix du vol. : 25 fr.)
Avec le dixième volume de sa collection le P, Beccari aborde,
I sous le titre de Relationes et Epistolae variorum, la publication des
nombreux documents qu'il a recueillis dans les dépôts d'archives,
principalement en Portugal, et surtout dans les archives de la Com-
pagnie de Jésus. C'est le comple'ment naturel des grands traités his-
toriques édités dans les huit volumes précédents. Fidèle à son titre,
l'auteur ne publie que des pièces inédites. Il n'a pas reproduit certains
documents découverts par lui, mais qui ont été publiés depuis, on
ne sait trop pourquoi, en appendice au t. VIII des Moniimejita Igna-
tiana; il se borne à en donner la liste : on regrettera qu'il n'y ait pas
ajouté un petit sommaire. Pour mettre un peu d'ordre dans cette
longue suite de lettres, de notes, de rapports, l'éditeur* les a partagés
en deux séries ; la première comprendra les documents qui concernent
l'époque de la mission des Jésuites, la seconde ceux qui se rapportent
à la mission plus récente des Frères Mineurs. Les tomes X et XI,
que nous avons sous les yeux, contiennent, classés par ordre chrono-
logique, les documents relatifs aux années 1 53g- 1623. Des deux
volumes, le premier est de beaucoup le plus intéressant ; il renferme
iSj pièces relatives au temps de la première mission en Abyssinie
(i 539-1 5g8), sous la direction du patriarche Oviedo. On y trouve,
tant sur l'histoire de la mission elle-même que sur les affaires inté-
rieures de l'Ethiopie, beaucoup de renseignements qui complètent,
Nouvelle série LXXIII 9
j(36 REVUE CRITlQLi;
et qucUiucfois rcciititiii, ce que les hisioriens postérieurs ont rapporté
do cette période; surtout, on perçoit plus nettement les causes qui
entravèrent le succès de cette tentative : inexpérience des mission-
naires, inintelligence de la vraie situaiion du pays, défaut de secours
de la part du vice-roi des Indes. Ix: second volume ne contient que
67 documents; quelques-uns sont très longs; les plus nombreux et
les plus étendus émanent du P. Paez ; en général ils ajoutent fort peu
de chose à ce qu'il a consigné dans son histoire d'Ethiopie. Les
autres pièces sont utiles à consulter pour la confirmation de certains
points qui demandaient à être précisés. L'éditeur a relevé avec beau-
coup de sagacité, soit dans les notes, soit dans l'introduction critique
qui précède chaque volume, les données nouvelles qui méritaient
d'être signalées aux futurs écrivains de l'Histoire d'Ethiopie. Parmi
les notes, brèves et substantielles, on appréciera celles qui four-
nissent des notices biographiques sur les auteurs ou destinataires des
documents; la plupart de ces renseignements sont tirés de sources
inédites, et même inaccessibles au public. Un sommaire, en tête de
chaque pièce, une table alphabétique à la fin de chaque volume faci-
litent grandement les recherches.
J.-B. Ch.
Die Lukas-Homilien des Hl. Cyrill von Alexandrien. Ein Beitrag von
Ad. RùcKER, Domvicar in Breslau ; Breslau, njii; Gôrlich et Coch, in-8°,
pp. 102.
On sait que les i56 Homélies de S. Cyrille d'Alexandrie sur le
troisième Évangile ne nous sont parvenues dans le texte original qu'à
l'état fragmentaire, tandis qu'elles sont conservées presque intégra-
lement dans une ancienne version syriaque. Celle-ci a été éditée, puis
traduite en anglais, par Payne Smith, dès i858. Une nouvelle édition,
accompagnée d'une traduction latine que Th. Lamy avait préparée
il y a une quarantaine d'années pour la Patrologie grecque de Migne,
était sous presse dans le Corpus Script. Clirist. Orient. ; la mort de
l'auteur en a retardé jusqu'ici l'apparition". Entre temps, M. Rucker
nous donne sur ces homélies une étude qui peut être regardée comme
une bonne introduction aux éditions qui en sont dépourvues. On y
trouve, avec la littérature du sujet, un tableau de concordance très
complet entre les fragments originaux conservés et la version syriaque.
L'examen des passages caractéristiques qui peuvent servir à déterminer
l'état du texte biblique dont se servait S. Cyrille n'est qu'une légère
contribution à une étude plus vaste, qui devrait être basée sur l'en-
semble des textes, fort nombreux, renfermés dans les écrits du docteur
alexandrin. Ces Homélies ayant surtout un but moral otïrent moins
de ressources que ses autres ouvrages pour préciser la pensée si
I. La première partie paraîtra dans quelques semaines.
d'hisioike et de litteratuke 167
flottante et si obscure de l'auteur en matière de christologie. Comme
appendice (p. 87-94) M. RCicker publie (d'après un manuscrit syriaque
de Berlin) et traduit quelques fragments inédits des Homélies '.
J.-B. Ch.
Arvamtopouli.os, Fouilles et Rscherches en Thessalie pendant l'année 1910.
F'Zxtr. des Piaklika. In-8", p. iGS-2(34, fig 1-24. Athènes, SaUellarios, 1911.
Les recherches en Thessalie pendant Tannée 19 10 n'ont pas porté
sur moins de quatorze localités ou chantiers différents. Sur tous ces
points, de menues découvertes ont été faites et A. les expose avec un
louable souci d'exactitude. A Larissa, p. 173, le musée a été invento-
rié et réorganisé. A Eurymenai, p. 192, intéressantes inscriptions
néo-grecques ; d'autres à Makryniisa, p. 204 et suiv. A Pagasai,
p. 235, la seconde tour, qui a été entièrement dégagée, renfermait
comme la première des sièles peintes. La recherche d'un fixatif appro-
prié a retardé la publication de la trouvaille, qui est capitale pour l'his-
toire de la peinture grecque, mais le zèle d'A. nous est garant que
nous ne l'attendrons plus longtemps désormais.
A. DE RiDDER.
O. RuBENSoiiN, Hellenistisches Silbergeraet in antiken Gipsabgûssen. Publ. du
Musée Pelizaeus à Hildeshcini. In-S", p. 1-89, pi. I-XXI, fig. 1-22. Curtius,
Berlin, 191 1. Prix 25 m.
L'année aura été bonne pour la toreutique hellénistique. En même
temps que le catalogue de Perdrizet, consacré aux bronzes de la col-
lection Fouquet, paraît l'ouvrage où R. étudie les moulages antiques
du Musée Pelizaeus, inauguré à Hildesheim le 29 juillet dernier. Ces
[plâtres, trouvés à Mit Rahineh, sur l'emplacement de l'antique Mem-
phis, sortaient du quartier des orfèvres, où ils avaient vraisemblable-
ment été suspendus comme modèles, dans un ou plusieurs ateliers.
Les moules d'où ils avaient été tirés avaient été sommairement établis,
au moyen de terre ou de cire simplement pressée, mais, ce qui est
l'important, avaient été pris directement sur les pièces d'armure ou
d'argenterie qui passaient sur le marché de Memphis. Ces chefs-
d'œuvre dont on voulait conserver l'image étaient, pour la plupart,
déjà montés, comme l'indiquent les rivets dont les moulages ont
gardé l'empreinte. Quelques-uns sont archaïques et remontent au
vi* siècle, d'autres peuvent être d'époque romaine, mais la plupart
I. M. R. n'a pas reconnu le rapport qui existe entre son texte (p. 90, 1. 21) et
l'homélie XXIX de Payne Smith (p. 5, 1. 16). En réalité, les nouveaux fragments
contiennent la fin de l'hom. XXVll, le début de l'hom. XXVIII et la fin de
l'hom. XXIX ([>uc, VI, 24-25). Corriger d'après cette remarque le tableau de concor-
dance p. Sj-jîS ; ajouter que l'homélie XXXIII (Iaic, vi, 41-45) existe entière dans
le manuscrit syr. de Londres (quelques feuillets ont été retrouvés postérieurement
à l'édition), et que le texte édité par Payne Smith, p. 5, 19-6, 17, appartient à
l'hom. XXXII.
l68 REVUE CRITIQUE
appartiennent à la période liellénistique et, d'après Tévaluation vrai-
semblable de R., vont de 35o environ à 220 avant notre ère, d'où
leur intérêt tout spécial pour l'histoire de l'orfèvrerie et de la toreu-
tique. A ce noyau viennent d'ailleurs s'ajouter un certain nombre
de moules, une pièce modelée directement et quelques épreuves
d'après des essais d'artistes.
Le commentaire, très sobre et pour lequel M. Zahn a fait profiter R.
de son expérience, fait bien ressortir, pour chaque pièce, l'orginalité
du monument et les liens qui le rattachent tant au présent qu'au passé.
L'ensemble confirme les résultats qu'avait déjà établis l'étude de la
numismatique et de la glyptique : on y voit bien la supériorité de
l'art hellénistique, encore large, souple et vivant, sur les copies
sèches et sur l'élégance froide delà période augustéenne. — P. i3,
singulier médaillon composite, avec une guirlande ionisante, une frise
d'animaux égypitsante et un petit bouclier ridicule auprès de la tête
d'Athèna. P. 17, moulage d'une œuvre d'Epimachos, lequel, comme
le dit très bien R., n'est pas nécessairement un artiste indigène.
P. 23, tête de Ménade, qui ressemble à un Gorgoneion. P. 32, le
« vase »• sur lequel s'appuie le bras gauche du Satyre paraît une
outre. P. 37, scène champêtre où R. reconnaît des rennes : s'il a rai-
son, la constatation ne serait pas sans importance pour l'histoire de
l'« exotisme » hellénistique. P. 46, tête de cheval cornu, invention des
Séleucides, ce qui prouve qu'il y a des centres d'art hors de l'Egypte.
P. 37, modèle de poids?? P. 49, la Nikè se retrouve sur une am-
phore d'Hildesheim, qui peut provenir de Crète ou d"Egypte. P. 55,
rinceaux ajoutés et cloués. P. 59, la main de femme paraît étrange,
mais je ne vois pas d'explication préférable. P. 6 1 , les têtes de lynx sont
communes dans l'orfèvrerie antique. P. 63, la femme assise rappelle
des figures pareilles sur les pyxis d'ivoire. P. 68, Eros au thyrse.
P. 69, l'objet ne semble pas un miroir : les cabochons de verre
étaient d'un fréquent emploi décoratif, comme le prouve, entre
autres monuments, le coffret de la collection Peytel. P. 75, certaine-
ment romain. P. 89, écrire Berthouville au lieu de Bernay.
A. DE RiDDER.
H. ScHNABEr,. Kordax, archâologische Studien zur Geschichte eiiies antiken
Tanzes und zum Ursprung der griechischen Komôdie. Munich, Beck, 19 10; iv-
66 p. et 2 planches.
Cette dissertation se compose de deux parties. Dans Tune, M.Schna-
bel recherche, d'après les données littéraires, quels étaient les princi-
paiTx mouvements de la danse lascive appelée xopoa;, et les retrouve sur
une amphore du Musée de Corneto; dans la seconde, il discute et
interprète les représentations de ces sortes de danses sur les vases
peints, notamment sur un cratère corinthien du Louvre et sur une
d'histoire et de littérature 169
amphore d'Athènes. La cordace fnous devrions dire le cordace, ô y.ôp-
oa;) serait, selon lui, une danse d'orit^ine péloponnésienne, intimement
liée, dans les temps antiques, au culte d'Artémis, divinité de la nature,
ayant pour but d'obtenir la fécondité du sol. Quand plus tard le carac-
tère d'Artémis se modifia, le sens religieux de ces gestes lascifs disparut,
et l'on ne vit plus que leur caractère grossier. Mais la cordace eut alors,
en tant que danse religieuse, un prolongement important ; elle se dé-
veloppa, dit M.Sch., en un drame comique, dont la signification reli-
gieuse se perdit peu à peu, comme celle de la danse elle-même, de
sorte que l'élément profane finit par prédominer, et que les mouve-
ments qui caractérisaient cette danse, ainsi que les attitudes et l'exté-
rieur de ceux qui les exécutaient, cessèrent d'être un symbole; ils
n'eurent plus d'autre valeur que celle d'actes nécessaires dans ce genre
dramatique, destinés à provoquer le rire. Ainsi la cordace, passant du
Péloponnèse à Mégare, puis à Athènes, pénétra dans les scènes bur-
lesques de la comédie attique, jusqu'à ce qu'Aristophane en restreignit
l'usage (cf. Nuées, 540). Toutefois, elle ne disparut pas complètement,
car on la trouve encore mentionnée par des écrivains postérieurs grecs,
comme Julien, et latins, comme Pétrone. La thèse de M. Schnabel ne
tendrait donc, comme on le voit, à rien moins qu'à faire de la comédie
grecque un prolongement de la cordace, danse et mimique rituelles;
elle est ingénieuse, et l'on jugera que l'auteur possède un remar-
quable talent de combinaison. Mais son hypothèse manque de
preuves ; il s'appuie, il est vrai, sur des faits et des textes précis, mais
son argumentation repose essentiellement non sur ces faits eux-mêmes,
mais sur l'interprétation qu'il en propose.
My.
Dionysius of Halicarnassus On literary composition, being the greek text of
\.hc De compositione verbovnm, cdi\.td wiih introduction, translation, notes, glos-
sary and appendices by W. Rhys Roberts. Londres, Macmillan, 1910; xiv-358 p.
Le traité de Denys d'Halicarnasse, de Compositione verboj'um,
est l'un des ouvrages de critique littéraire, dus à des Grecs, dont la
publication fait le sujet des travaux de M. Roberts. Ce savant a donné
en effet de remarquables éditions du Traité du Sublime, des trois
lettres littéraires de Denys, et du de Elocutione de Démétrius. Nous
avions du de Compositione un texte excellent, celui qui parut récem-
ment dans les Opuscula de Denys publiés par Usener et Rader-
macher; M. R., toutefois, n'a pas jugé hors de propos de donner son
édition, qui était en préparation depuis plusieurs années, et qui d'ail-
leurs répond à d'autres besoins. Ce travail n'est pas, à proprement
parler, une révision du texte, bien que M. R. ait à nouveau colla-
I. .le note en passant que M. Schnabel est moins bon helléniste que bon archéo-
logue : ayant l'occasion de citer le caractère de Théophraste intitulé 'A-iiovoia, il
parle, à deux reprises dirtéreiitcs, du type de Và.-ô'to:ù^\ (p. i5 et 65),
I-fQ REVUE CRITIQUE
lionne le Parisiniis 1741 'P\ et que ses vues diffèrent légèrement de
celles d'Usencr relativement à la valeur de ce manuscrit et du manus-
crit de Florence F, Laurentianus LIX, i 5) ; plus importantes sont la
traduction en anglais ', les notes critiques et explicatives (il en est
de fort intéressantes), et une introduction dans laquelle M. R.. après
avoir résumé le de Compositione, étudie avec beaucoup de finesse les
qualités du style qui dépendent de l'ordre des mots en grec, et insiste
avec raison sur les lumières que nous apporte, à nous modernes,
pour apprécier Justement les anciens auteurs, l'ouvrage du technicien
d'Halicarnasse. Non moins utile sera le glossaire, qui comprend une
cinquantaine de pages ; la terminologie de Denys est très variée, et il
est difficile de trouver dans les dictionnaires usuels une traduction
précise d'un grand nombre de ces termes de rhétorique; c'était là un
complément nécessaire de l'édition, et l'on remerciera M. R. d'avoir
fait, pour ce traité, ce qu'il a fait dans ses publications précédentes.
Je signale les principaux passages où M. Roberts s'écarte du texte
de Usener. Chap. m, p. 78, 1. 7 'fiJo—v.: -oÀ/.a! --.vs; avec les manus-
crits. U. lit raXatx-; M. R. remarque justement que vXwTTai sont ordi-
nairement raXa'.aî et que la locution rroXXo! -;v£; se rencontre ailleurs
chez Denys ; la conjecture est donc inutile. IV, 94, i3 -pojoaîr.v codd.
Une conjecture (comme celle de U. -pooSaTîv) est inutile lorsque la
tradition est claire, correcte et satisfaisante quant au sens. IV, 94, 16
TTo-joi^e-v P et autres, U. lit T-oooâÇsaOat avec F ; c'est ici un des cas où
M. R. estime que U. a trop de propension à suivre le Laurentianus
quand il est seul iV. p. 57 et cf. p. i 5 i note i i i. V,98, 20 -îva codd. ;
U. conjecture oTa tiva. XII, i32, 22 M. R. défend avec raison s'; -ôoe
^pôvoo contre U. £■; tôos -/-• XXV, 268, 26 à-Txijrw; codd. ; U.
àTrralTTfo. La phrase est^'.oXiov à-TaÎT-w; oupyôuEOa icz: -.i y.x'. -.iyz<. àiri^T'o;
à première vue, l'adjectif semble préférable, en accord avec 'il-.: ; M. R.
se borne à dire que l'adverbe va mieux avec oi£pyjaî6:< que l'adjectif
n'irait avec 'i\i'. zi xa' -zi/}:, ce qui est une bien faible raison, la cri-
tique des textes n'étant pas une affaire de goût personnel ; il voit juste,
toutefois, car à la réflexion, on s'aperçoit que -.-. s'oppose à la correc-
tion d'Usener.
My.
K. Brugmann, Der Gymnasialunterricht in den beiden klassischen Sprachen
und die Sprachvvissenschaft. Strasbourg, Trûbncr, 1910; 32 p.
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il y a un conflit, en Allemagne, entre
la linguistique et la philologie. Les linguistes estiment que les
langues grecque et latine sont mal enseignées, et trouvent qu'ils
n'exercent pas toute l'influence désirable sur l'enseignement gramma-
tical dans les gymnases; les philologues soutiennent que la gram-
I. Les passages des poètes cités par Denys sont traduits en vers par M. Way.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE I71
maire des langues anciennes n'esi qu'un moyen pour étudier les textes
littéraires, et que IcséiuJcs linguistiques prennent beaucoup de temps
et sont à peu près inutiles dans les classes. Dans une brochure d'une
trentaine de pages, M. Brugmann intervient pour défendre l'étude
scientifique du latin et du grec dans leur évolution et leur histoire.
Il est étrange, dit-il 'p. 7), que Ton exige des candidats au professorat
des langues vivantes, allemand, français, anglais, une connaissance
sérieuse du développement historique de ces langues, et qu'on ne
demande rien de tel quand il s'agit des langues anciennes; la connais-
sance de la grammaire suffit. Il en est ainsi, nous dit-on, en Saxe, en
Prusse et en Bavière (cf. la note page 7). Et ce que désire M. B., c'est
que le maître ait une solide préparation linguistique, dont il se ser-
vira à l'occasion pour soutenir, vivifier et rendre plus fructueux son
enseignement (p. 10). Or on conçut une sorte de défiance contre la
linguistique, lorsque la nouvelle école, comme on l'appelait alors,
soumit à une critique sévère la méthode en cours et les résultats
acquis antérieurement ; M, B. le déplore, tout en espérant que le fossé
qui sépare encore la philologie classique de la linguistique se com-
blera avec le temps; autrement, dit-il (p. i5), ce serait à désespérer
d'un développement sensé de la première. 11 examine alors les griefs
des philologues et les principales objections qui sont faites à l'intro-
duction de la linguistique dans l'enseignement des gymnases. Il n'a
pas de peine à les réfuter : il n'est pas indispensable d'avoir recours
au sanskrit pour comprendre l'évolution du grec ou du latin; c'est
une erreur de dire que la linguistique opère sur des hypothèses
incertaines; erreur encore de croire que les linguistes ne sont pas
d'accord; il est inexact que les linguistes ne s'occupent pas de la
syntaxe, etc. (p. 17 svv.). Je crois qu'au fond il s'agit plutôt d'un
malentendu que d'une réelle discordance de vues. Il fut un temps,
qui n'est pas encore bien loin de nous, où la linguistique, rénovée
par de remarquables esprits, prétendit être seule en possession d'une
méthode scientifique pour l'étude des langues anciennes ; la réaction
ne tarda pas à se faire sentir. Elle alla trop loin, comme toutes les
réactions, bien que Je ne pense pas que la linguistique soit encore
actuellement, comme le dit M. Brugmann, la plus impopulaire de
toutes les disciplines (p. 3 i) ; mais l'équilibre doit se rétablir. Cette
brochure y contribuera, car tout y est généralement, à part quelques
personnalités, bien pensé et bien dit.
My.
Dokumente zu Luther's EntAvicklung (bis) i3ig) herausgegeben von D. Otto
SciiEKi.. Tubingen, Mohr (Sicbcck), 191 i, XI, 14G p. iu-S". Prix : 3 fr. -jS.
Ce volume fait partie d'une Collection de sources pour Ihistoire
de l'Eglise et des dogmes qui paraît sous la direction de M. le pro-
fesseur G. Kriiger, et qui vise surtout les études de textes entreprises
I -2 REVUE CRITIQUE
dans les séminaires ou conférences des facultés de théologie alle-
mande. Il forme le neuvième fascicule de cette collection et renferme,
en cent cinquante pages seulement, 326 pièces, soit in-extenso, soit
par extraits, relatives au développement des idées théologiques de
Luther jusqu'en i5iq. On voit qu'aucun de ces documents ne
saurait être d'une étendue bien considérable. L'éditeur, après
une introduction explicative et une bibliographie sommaire, nous
les présente disposés en deux séries : la première (p. 1-54) com-
prend Les sources du deuxième et du troisième degré; le deuxième
(p. 53-146) les sources du premier degré, les plus importantes.
Pourquoi cette interversion singulière? Comment un texte (pour ne
citer qu'un exemple) écrit par le D' Paul Luther, le lils du réforma-
teur, en I 582, peut-il être sérieusement cité comme preuve des dispo-
sitions morales et intellectuelles du moine augustin, se rendant à
Rome, en i5io (p. 2)? '. L'idée même de cette compilation de témoi-
gnages est louable et le volume rendra des services ; mais il est néces-
saire de faire remarquer qu'il n'est pas complet, tout ce qui a trait à
la querelle des indulgences en i 5 1 7 étant éliminé, puisque M. Kœhler
avait, dès 1902, fourni là dessus un premier fascicule à la collec-
tion. Et si, à côté des gloses sur Saint-Augustin et Saint-Thomas
M. Scheel n'a pas utilisé non plus les notes sur les soutenances acadé-
miques de Wittemberg avant 1 5 17, c'est que M. Stange avait égale-
ment publié déjà, en 1904, les <( Disputationes ethicaeo. Les textes
ont été reproduits, partout où cela a été possible, d'après celui de
l'édition de Weimar, en cours de publication. — On regrettera
l'absence d'une table des matières.
E.
Luthers Stelluag zu den Juden. Ein Beitrag zur Geschichte der .luden in
Deutschland waehrend des Reformationszeitalters von D"' Reinhold Lewin
Berlin. Trowitzsch u. Sohn, 191 r, XVI, iio p. 8°. Prix : 5 fr. 5o.
La question de l'attitude du réformateur de Wittemberg vis à vis
des Israélites de son temps a déjà été traitée bien des fois depuis que
J. G. Walch l'a discutée au tome XX de son édition des œuvres de
Luther, en 1747. Pour la traiter, l'auteur a consciencieusement
dépouillé la littérature afférente, les écrits polémiques et la corres-
pondance de Luther qui ne renferment que trop de passages dans
lesquels il s'exprime sans aucun esprit de charité à l'égard des Juifs.
Dès i5i3, à l'occasion des querelles de Reuchlin avec Pfeffercorn,
il formule des observations peu sympathiques et doute de leur apti-
tude à se convert-ir. Sa connaissance directe des Israélites, ses rela-
tions personnelles avec les représentants de la Synagogue ne
semblent dater cependant que de i52i, où il reçut la visite de deux
I. On trouvera singulier aussi que l'éditeur affirme (p. iv) la nécessité de, donner
parfois des sources de valeur douteuse, afin de former le jugement des élèves.
d'histoire et de littérature 173
rabbins qui voulaient évidemmcni, comme on dit vulgairement, lui
tàter le pouls. Il paraîtrait avoir cru, à ce moment-là, à la possibilité
de les amener à l'Evangile: c'est alors qu'il écrivit (en i523) sa bro-
chure : Dass lesus Cliristiis ein geborcner lude sey qui, en cette seule
année, eut neuf éditions allemandes et fut traduite plusieurs fois en
latin. Mais ces dispositions plus favorables ne durèrent pas; dès
i525, Luther en était à croire que les Juifs voulaient l'empoisonner,
et jusqu'en i536 il parle des expériences malencontreuses faites sur
leur compte. Dans ses Propos de table mainte anecdote, mainte
parole amère stigmatise leur ignorance ou leur fausseté. En i537
nous le voyons engagé dans une polémique violente contre le rabbin
Josel de Rosheim, en Alsace ' ; l'année d'après il publie sa Lettre
contre les Sabbatariens ; en iSSg, il écrit à un prédicateur de Bres-
lau, de se garer des Juifs ; « ce sont les dents les plus aiguës du
Serpent lui-même »... « Je ne puis convertir les Juifs, N. S. Jésus-
Christ ne l'a pas pu davantage, mais je puis leur boucher la gueule! »
En 1543, nouvelle brochure : Des Juifs et de leurs mensonges (men-
teurs sont-ils car ils ne cessent d'attirer à eux les chrétiens!) ; on y
lit « qu'il faut brûler leurs synagogues et leurs livres, les forcer à un
travail manuel, ou mieux encore, comme en France, en Espagne, en
Bohème, les e"xpulser tous! » S'il s'exprime ainsi, c'est qu'il est
poussé par la foi et le souci de l'honneur de Dieu, car les Juifs sont
un amalgame de bandits {eine Grundsuppe aller losen Bubenj, pires
que Tartares ou Tsiganes, qui volent les enfants, empoisonnent les
puits, font de l'usure, etc. Je m'arrête; M. Lewin poursuit encore
longtemps ses extraits, riches en déclarations absurdes et en indignes
brutalités. Il faut dire pourtant que tout le monde n'approuvait pas
ce langage et que Bullinger, par exemple, le théologien zurichois,
déclarait, à ce propos que Luther écrivait impurissime et qu'en lui
renaissaient Pfeffercorn et Hochstraten. Cette antipathie du réfor-
mateur ne cessa qu'avec sa vie ; encore quelques semaines avant sa
fin, il se prononçait contre les Juifs d'Eisleben et longtemps après sa
mort il restait, pour ses adversaires comme pour ses coreligionnaires,
un des témoins classiques de l'antisémitisme général à cette époque.
E.
Adolf Harnack Aus Wissenschaft und Leben. Giessen, A. Toepelmann,
191 1, VIII, 356, VI, 348 p. in-8». Prix : 12 fr. 5o.
Personne n'ignore parmi nous que M. Ad. Harnack, professeur à
la faculté de théologie de Berlin et conservateur de la Bibliothèque
royale, est un des plus éminents représentants de la science dans la
I. C'est sans doute en opposition contre le chef de l'hérésie luthérienne que
Charles-Quint accorda en i543 de nouveaux privilèges aux Israélites de l'Em-
pire, à la demande de Rabbi losel de Rosheim, ce qui n'empêcha pas de les
poursuivre en Saxe et en Hesse.
1^4 REVUE CRITIQUE
capiialo Je rEmpirc, mais beaucoup ignorent sans doute que ce
savant, loin de se renfermer dans la fameuse « tour d'ivoire » de la
science, aime à dire sa façon de voir sur les hommes et les choses du
jour et, qu'en dehors de ses travaux d'érudition, il fournit volontiers
de la copie aux revue? et même aux journaux politiques du dedans et
du dehors. Le même éditeur a déjà fait paraître de lui un premier
recueil de ces pages détachées, sous le titre : Redcn und Aufsaet\e.
Les deux nouveaux volumes que nous devons annoncer ici sont
intitulés Science et Vie et comprennent une cinquantaine d'articles
de longueur diverse, mémoires, rapports, discours académiques,
articles de journaux, composés dans les dix dernières années, et con-
sacrés à des sujets très variés '. On y trouvera des études très inté-
ressantes sur l'organisation des grands laboratoires à l'Université de
Berlin, sur la réorganisation de l'enseignement des jeunes filles, sur
le développement de la Bibliothèque royale '; des articles d'économie
sociale et de politique ^ ; des articles plus nombreux sur le passé et le
présent de l'église catholique {Protestants et catholiques en Alle-
magne, Foi et liberté scientifique, Origine de la papauté^ LEncy-
clique sur S. Charles Borromée, etc.) On y trouvera aussi des articles
relatifs aux controverses dans l'Eglise évangélique de Prusse (sur la
Lettre de l'empereur Guillaume d l'amiral Hollmann, concernant la
divinité de Jésus-Christ et l'autorité de la Bible, ou sur le nouveau
Spruchcollegium ou tribunal delà foi qui vient de destituer le pasteur
latho, de Cologne), et l'on désirerait lui voir un peu plus d'énergie
libérale, vis-à-vis des puissances du jour ^
M. Harnack traite en outre une foule de sujets divers. On trou-
vera dans ses volumes des choses très sensées sur la surproduction
scientifique en Allemagne, qui dépasse encore de beaucoup la nôtre,
des manières de voir assez naïves sur la simplification de l'existence
actuelle \ des opinions qu'on peut même qualifier de singulières
comme cette page où il exprime quasiment le regret que les laïques
s'intéressent aux questions ecclésiastiques, ce qui ne lui semble nul-
lement désirable (II, p. i5i). L'auteur se trouve sur un terrain plus
1. Ils ont paru dans les Preussische Jalirbûcher, le Tag, la Taegliche Rundschau,
la Neuefreie Presse, la Deutsche Revue, la Frankfurter Zeitung, la Nation, la
Christliche W'elt, etc., etc.
2. On nous y apprend, entre autres, qu'elle reçoit, régulièrement, 8200 pério-
diques.
3. L'impôt sur les successions, sur Bismarck, sur l' Allemagne et l'Angleterre,
sur Carnegie, etc.
4. On a peine à comprendre comment, pour lui. des paroles impériales,
découle le droit absolu de la pensée libre (H, 67) et la façon dont il s'exprime
sur le Spruchcollegium (11, 102, 108, 126) montre combien peu ce théologien,
qu'on traite volontiers de radical, est peu avance sur le terrain pratique.
5. 11 engage par exemple tous les jeunes mariés, riches ou pauvres, à entrer en
ménage sans aucune bonne (I, p. i25). Je ne sais pas si pareille innovation ne
mettrait pas fin, très brusquement, à bien des lunes de miel.
d'histoire et de LITTÉRATURt I7D
solide et plus familier dans ses études sur le chrisiianisme primitif
(Jésus a-t-il vécu ? le Socialisme de Jésus, La critique des Evangiles,
etc.) Une série d'homélies laïques [Festbetrachtungen] sur Noël,
Pentecôte, etc. permettent d'apprécier M. H. comme orateur reli-
gieux, l.e recueil est clos par une série de notices nécrologiques, sur
l'impératrice Victoria, Théodore Mommsen, O. de Gebhart, le phi-
losophe Paulssen et autres personnages moins connus. On quitte la
lecture de ces pages variées, qui poussent à réfléchir, même quand
on ne les approuve pas, avec un redoublement d'estime pour le savant
qui se repose en de pareilles causeries de ses recherches érudites et
de ses labeurs professionnels.
R.
Amcdéc ViAi.Av, Les cahiers de doléances du Tiers Etat aux Etats Généraux
de 1789. Etude historique, économiqueet sociale. Préface deM. René Stourm.
Paris, Perrin. 191 r, in-i6 de ^62 p. 3 fr. 5o.
J'ai le regret de le dire, cet ouvrage m'a profondément déçu. Je
comptais y trouver une analyse méthodique et complète des vœux
des cahiers Jusqu'ici connus, une nouvelle édition revue, corrigée et
augmentée des ouvrages de MM. Edme Champion et Roger Picard.
Or, l'analyse des cahiers ne tient dans le volume de M. Vialay qu'une
place infime. Les citations qu'il leur emprunte ne sont là qu'à titre
d'e.xemples ou d'arguments à l'appui d'une thèse, la thèse du libéra-
lisme économique. Le fond du livre est un tableau à vol d'oiseau,
d'après les ouvrages de seconde ou de troisième main, des principales
institutions de la France monarchique : impôts, dîmes, droits féo-
daux, etc. Une dissertation aussi générale et aussi tendancieuse
n'apprend rien à l'historien.
A. xMz.
M. Handelsman, Napoléon et la Pologne (1806-1807). Paris, Alcan, 1909, iii-S"
280 p., 5 fr.
Ce livre semble un fragment détaché d'une étude plus importante.
Il commence, sans introduction, par un chapitre intitulé : à Berlin
qui nous met tout de suite in médias res, et s'achève, sans conclusion,
par ces mots : « Le premier acte des rapports directs entre Napoléon
et la Pologne était terminé ». L'auteur semble avoir eu tout ce qu'il
fallait pour bien traiter ce sujet intéressant entre tous ; il sait les
langues russe et polonaise, il a fait des recherches dans nos archives
— en négligeant, à tort, celles de la Guerre, — il dispose des docu-
ments prussiens ou polonais publiés par ses devanciers, il s'est
informé aussi à Varsovie, à Rapperswyl, etc. Mais il ne s'élève pas
assez au-dessous des docuiTienis dont il se sert; il s'égare dans les
I. P. 219, note, lire Bridrey et non Bri«drcy ; p. 3oo, lire Boiteau et non
Boi/cau.
I-Ô REVUE CRITIQUE
démils; la composition de son livre est souvent lâche et incertaine; il
n'arrive pas à faire vivre ses personnages, fauic de les présenter au
lecteur, de dégager des textes où elles s'expriment leurs passions et
leurs idées. Après avoir lu ce livre sur Napoléon ci la Pologne, on
ne garde pas une impression nette des vues, même changeantes, de
Napoléon envers les Polonais. Le travail de M. H. est consciencieux,
impartial, sa recherche acte attentive, heureuse souvent ; son livre
n'est pas lohncnd, il ne récompense pas le lecteur de l'effort qu'il doit
faire pour suivre le récit. A la fin, on trouve en appendice des docu-
ments : mémoires sur la Pologne, rapports diplomatiques, etc. Aux
premières lignes de ces écrits on découvre un plan précis, une char-
pente du développement. Ces documents annexes paraissent plus
clairs, plus démonstratifs, plus vivants que le texte qui les précède.
Ce devrait être l'inverse. L'ouvrage sera utile cependant, par ses
analyses de correspondances et de mémoires, par le résumé de la
Constitution du grand duché de Varsovie qui s'y trouve, par l'abon-
dante bibliographie qui le termine. Un index alphabétique soigneu-
sement fait facilitera les recherches.
R. GUYOT.
Paul Hymans Frère-Orban, i. II. Bruxelles, Lebègue, s. d. in- 8°. xi-?6o p.
(portr.).
Dans ce second volume, auquel il a donné comme sous-titre : La
Belgique et le secojîd Empire, M. H. ne donne qu'un assez bref
résumé, d'après des sources connues, des événements antérieurs à
1868. Frère-Orban fut membre du cabinet belge dès i858, mais c'est
seulement après 1866 que son rôle devint prépondérant dans les
affaires extérieures. Il resta entièrement ignorant des négociations
franco-prussiennes où le sort de la Belgique fut un moment agité, à
Biarritz, à Nikolsbourg et à Berlin. Il ne paraît pas avoir su grand'-
chose de l'affaire du Luxembourg, et ce que les documents utilisés
par M. H. contiennent à ce sujet a déjà été indiqué par Discailles
dans son livre sur Charles Rogier : on sait que les Belges avaient
trouvé au différend franco-prussien relatif au Luxembourg une solu-
tion toute simple : annexer le grand duché à la Belgique, après y avoir
en secret provoqué un mouvement populaire. La partie nouvelle et
importante du livre se rapporte à l'affaire du chemin de fer de Liège
à Luxembourg, que la compagnie française de l'Est voulut acheter
en 1869 et qu'elle dut renoncer à acquérir sur l'opposition formelle
de l'Angleterre, qui, appuyée discrètement par la Prusse, poussait la
Belgique à la résistance. Frère-Orban, après avoir fait voter une loi
de circonstance, et quelque peu rétroactive, pour empêcher la vente
du chemin de fer, vint à Paris négocier l'affaire avec les ministres
français et avec Napoléon III. Il ht preuve d'une fermeté et d'un
savoir-faire que mettent bien en valeur les nombreuses correspon-
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE I 77
dances inédites publiées par M. H. Il montra aussi beaucoup de
fierté— et son biographe le fait après lui — d'une victoire diploma-
tique dont le mérite revient surtout à l'Angleterre, si vraiment il s'est
agi en cette atiaire d'habileté diplomatique, et non pas seulement
d'une question de force et d'une menace de guerre. En tout cas, on
ne pourra négliger le récit fait par M. H. ni les documents qu'il
publie.
Le livre est bien composé et écrit agréablement. Il est inspiré par
un patriotisme très vif et assez soupçonneux, du moins envers les
voisins français de la Belgique. Il se termine par un passage où
l'auteur semble souhaiter pour l'avenir, comme moyen de sécurité et
de prospérité, une entente économique et militaire hoUando-belge.
M. H. en est venu apparemment à penser, lui aussi, que si la Belgique
possédait encore un homme d'Etat digne d'être surnommé Barre-de-
fer, comme Frère-Orban, elle devrait l'envoyer ailleurs qu'à Paris
faire montre de ses talents.
R. G.
Pierre Albin. Les grands traités politiques. Paris, Alcan, 1911, in-S", 670 p.,
10 fr.
Le recueil de M. Albin n'est pas destiné aux historiens, mais plutôt
aux juristes, aux diplomates, aux hommes politiques. Les traités
qu'il reproduit sont ceux qui sont encore en vigueur actuellement, en
tout ou en partie, et il suit de là que la partie tout à fait contempo-
raine du volume est la plus complète. Si le lecteur trouve quelques
lacunes, c'est surtout dans la période 18 I 5-1870 : par exemple on ne
trouve pas le traité d'Andrinople de 1829, ni la convention d'Akker-
man. M. A., qui reproduit avec raison ie texte des capitulations
franco-turques, aurait pu rappeler d'un mot les fameux articles de
Kaïnardji. C'est aussi dans la première partie qu'on peut relever quel-
ques erreurs de détail. Par exemple, Landau appartenait à la France
avant 1792 et ne peut être compté au nombre des «extensions»
garanties par le traité du 3o mai 18 14, p. 2). Il n'est pas exact non
plus que les traités de "Vienne aient « partagé les territoires du Luxem-
bourg entre les Pays-Bas et la Confédération germanique», ni que
l'union du grand duché avec le royaume soit devenue personnelle en
1867 (p. 20). Le traité des 24 articles sur la Belgique est du 19 avril
et non ^oz/M839; etc.
Ce ne sont là que taches légères, à peu près inévitables dans un
recueil étendu. Elles n'enlèvent rien au mérite ni à l'utilité du travail
de M. A. On pourra trouver les notices préliminaires quelquefois un
peu sèches, on pourra regretter que certains traités ne soient précédés
d'aucune notice (p. ex la convention du i 3 mars 1S71, p. i83), on sera
particulièrement surpris que les traités franco-siamois, si importants
au point de vue territorial, ne soient pas reproduits ni même indi-
1-8 RKVL'E ClUriQUE
/
quL's'. Mais si l'on s'en lient à ce que M. A. nous donne, on lui recon-
naîtra le mérite d'avoir réuni, classé avec soin et reproduit exactement
près de cent textes contractuels qu'il est très souvent nécessaire de
consulter et très difficile de retrouver sans de longues recherches.
Trois tables, analytique, alphabétique et chronologique rendent très
aisé le maniement du recueil. M. Herbctte, chef de bureau au minis-
tère des affaires étrangères, a ajouté au travail de M. A. une prélace
amicale ci des notes sur les traités de la Triple-Alliance.
R. G.
E. (^WAicNAC. Esquisse d'une histoire de France. Paris, nouvelle librairie
nationale, 1910, in-8°, 612 p., 7 tV. 5o.
Il est assez difficile de démêler ce qu'a voulu faire M. G. Lui-même
ne l'indique qu'en conclusion, sommairement, et par métaphore : il a
essayé de déterminer la courbe géométrique du développement his-
torique de la France. Surtout il semble avoir voulu comparer entre
elles les diverses époques de notre histoire, pour établir « les hauts et
les bas» de la courbe. G'est dire à quel point ce travail est subjectif,
pour employer le langage volontiers philosophique de l'auteur. Selon
son appréciation, c'est le règne de Louis XIV qui représente le maxi-
mum par où la courbe a passé, parce que c'est le moment où la
(• collectivité française » fut le plus nationale; depuis lors, l'influence
anglaise, le développement du libéralisme, le succès de la Révolution,
plus récemment la prépondérance allemande ont « accentué la courbe
descendante ». On pouvait tirer de là des conclusions analogues à
celles que formulent les publicistes néo-monarchistes. M. G., bien
qu'au fond il soit sans doute de leur avis, ne le dit pas, mais on peut
l'induire de quelques formules qui lui échappent, de sarcasmes fré-
quents contre la démocratie, d'un chapitre inattendu et d'ailleurs
vague, sur la franc-maçonnerie, etc.
Il y a donc, au fond, une thèse, bien connue du reste, mais elle n'est
pas exposée, elle n'apparaît que par endroits, et timidement. II y a un
chapitre intitulé V Affaire, et on y va naturellement, supposant que
si l'auteur donne ce développement à un fait isolé, c'est qu'il y attache
— sans doute avec raison — une grande importance : on ne trouve
que quelques allusions, ni résumé des faits, ni exposé de doctrine. A
côté de cela, des chapitres de pure idéologie (Livre IV, chap. vin)
Et cette incertitude d'objet, cette quasi-timidité surprennent, décon-
certent.
Même indécision dans la façon de traiter le« récit, de choisir et de
raconter les faits. Est-ce un manuel qui s'adresse aux enfants? On le
croirait, puisqu'il y a des cartes (rares, d'ailleurs, et pas toujours
utiles, car elles ne correspondent guère aux parties développées du
I. Rien non plus sur la sentence arbitrale relative au contesté tVanco-brésilien.
D lllblOlKE LT DE LITTEKATURE 1/9
récit), puisqu'un prend la peine de dire ce qu'étaient des personnages
très connus ^Mirabeau, Dumouriez, Colbcri) puisque des pages
entières sont un sommaire de faits, parfois coupé des citations qu'on
trouve dans tous les précis scolaires. Et pourtant ce manuel, si c'en
est un, est incomplet, presque vide d'histoire de la civilisation (le
siècle de Louis XIV mis à part), sans un mot d'histoire économique
avant ou après la période 1 660-1 -63, très développé sur certains points,
muet ou à peu près sur d'autres, inexact parfois (Constiiuiion de
l'an 111, décrets anglais en réponse au décret de Berlin), surtout beau-
coup trop abstrait et philosophique, sans effort pour faire vivre les
hommes et voir les événements. Si ce n'est pas un manuel, mais un
essai d'interprétation, pour les gens cultivés, déjà au courant des faits
principaux, pourquoi tant de détails, de chiffres, de citations parfois
si longues, pourquoi des listes d'artistes qui ne sont que des palmarès,
pourquoi surtout six cents pages ? Si M. C. s'adresse à cette « élite », à
cette « minorité cultivée » dont il parle si souvent avec mélancolie,
que ne lui épargne-t-il ce fardeau ?
• Et si son livre n'est rien de ce que je suppose, je ne vois pas ce
qu'il peut être; l'auteur n'a pas éclairé sa lanterne, et il a dépensé du
temps, de l'application, du talent aussi, — car il écrit d'une plume
alerte et son langage est clair, simple, élégant parfois, sauf les néolo-
gismes philosophiques — pour laisser le lecteur indécis sur l'objet de
son travail, et sur le profit qu'on en peut tirer.
R. GUYOT.
MM. de Saixt-Léger et Sagnac qui publièrent en igoo les Cahiers de la Flandre
maritime en 1 y S') donneiit aujourd'hui à leurs deux volumes un très utile supplé-
ment qui comprend des appendices (cahiers découverts postérieurement), un
glossaire et une table des matières. Le glossaire n'a rien de linguistique ni de
philologique, c'est un recueil de dissertations historiques et juridiques rangées
par ordre alphabétique sur des expressions locales ou techniques : abonnement^
dime, droit d'issnc, droits domaniaux, magistrat, droit des quatre membres, etc.
La table des matières est très complète et bien conçue. — A. Mz.
— Nous avons reçu quatre volumes de l' A nnua ire TU ni vcrsité d'Athènes, les tomes IV,
1907-08; V. 1908-09; VI, 1909-10; VII, 1910-11 ('EOvixàv navcitt7XT,[j.tov, 'E7ricjT-ri[j.o-
vixr, 'E-sTT.pt;, Athènes, impr. Sakellarios, 1909, 1910, 1911^ >9ii; resp. 486, Sig,
612 et 320 pages). Ces volumes contiennent d'assez nombreux articles scientifiques
(mathématiques, physique, chimie, médecine; deux sont en allemand et un en
français); quelques-uns sont relatifs au droit canon, et d'autres sont du domaine
de la philologie classique, se rapportant les uns aux langues anciennes, les autres
au grec moderne^ Ces derniers, à l'exception d'un article (t. VII) où Skias croit
retrouver le digamma à l'initiale du mot jiciAy.ô;, sorte de filet de pêche, sont dus k
la plume fertile de Hatzidakis. Dans le t. IV, il étudie l'usage des verbes moyens
et des vcrbjs employés transitivement et iutransitivemcnt dans le néogrec; dans
I. Les Cahiers de la Flandre maritime en ijSij, t. IL 2" partie, 1910. Paris,
Alph. Picard. 201 pages in-S".
l80 REVUIC CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
le t. V, il expose en un essai intéressant la continuité de la langue grecque à tra-
vers les siècles, à Taitie d'exemples pris dans Homère, dans le Nouveau Testament
et dans rErolokritos; dans le t. VI, il public des leçons faites à l'Université sur la
langue écrite, ses origines, sa nature et son développement, ainsi qu'une étude sur
rErotokritos; ce poème aurait pour auteur un Cretois, et aurait été composé en
Crète au xvi' siècle; enfin, dans le t. \"1I, on trouvera des considérations sur les
mots modernes en ffii^o; (adjectifs) et j'.|j.ov (substantifs), une comparaison entre les
formes grammaticales de la langue ancienne et celles du grec parlé actuellement,
et toute une série d'observations pleines d'intérêt sur les quatre volumes de pro-
verbes populaires publiés jusqu'ici par Politis. Hatzidakis a donné en outre une
note sur Thucydide V, 102 (t. VI; il préfère xaivoxspaî à Y.of.w:ép3.i), et une défense
contre Kazarow (REG., lOio, p. 243 svv.) de la thèse d'Hoftmann sur l'hellénisme
des anciens Macédoniens (t. Vil); mais il exagère en disant que les observations
de K. n'ont aucune valeur scientifique. — Les articles relatifs aux langues an-
ciennes sont du ressort de la critique verbale ou de la grammaire; Kontos pro-
pose, avec sai maîtrise ordinaire, mais aussi avec une érudition par trop touffue,
diverses corrections à Procope, Alexandre de Tralles, Galien, etc. (t. IV et V).
Vasis rectifie, parfois heureusement, le texte du De Magistratibus de Lydus, publié
par Wûnsch (t. IV), publie, en latin, plusieurs émendations au texte des Questions
naturelles de Sénèque (IV), du Digeste (V), d'Horace et de Quintilien (VII), et
montre par des exemples (VII, en latin) que la troisième personne de l'impératif
latin en to se rapporte au présent; c'est l'opinion de Diomède. Gardik.\s étudie, à
l'aide de nombreuses citations, un genre de fautes très connu, les mots mal réunis
ou mal séparés dans les manuscrits (VII); il donne une liste des doublets en lov
et eiov, et pour chaque couple distingue les significations (V); et dans le même
volume il essaie de déterminer le sens du verbe \j.î'k%y/o'KCi, qu'il explique dans
tous les cas par « être saisi d'une sorte de démence », tandis que Kakridis (VII) le
traduit, dans Lucien, Timon, 8, par « être rempli d'indignation ». — Un article est
en allemand (t. V) : Nadrowski explique le nom d'Athènes par « sources de la
montagne », en divisant 'A6-T|va'. ; le nom-d'AO-rjvâ est postérieur, et désigne une divi-
nité des sources montagneuses, comme le prouvent ses épithètes ; yXauxwTLç, par
exemple, signifie « aux eaux claires », d'une racine ap = eau. Je laisse au lecteur
le soin d'apprécier. — On notera enfin la continuation du catalogue des ouvrages
publiés en Grèce et à l'étranger par des Grecs depuis 1907, par Politis (seconde
partie, comprenant les publications de 1909 et 1910 [t. \l] ; la première a paru
dans le t. 111), et un travail précieux pour la lexicographie et l'histoire de la langue
moderne (t. IV) : l'auteur, Miliarakis, met en ordre, complète et publie un cata-
logue des noms vulgaires des plantes, suivant la classification botanique, dresse
par feu Heldreich, mais laissé imparfait. Une première partie contient, rangés par
familles, les noms scientifiques en latin, avec les noms vulgaires correspondants,
et une seconde les noms vulgaires par ordre alphabétique, accompagnés des noms
latins. En appendice, une liste alphabétique des noms de plantes usités à Cépha-
lonie, par Tzitzélis. — My.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Séance du J 0 février i g 1 1 . —_
Après quelques présentations d'ouvrages récents, l'Académie se forme en comité
secret pour entendre l'exposé des litres des candidats à la place de membre libre
vacante par suite du décès de M. Edniond Saglio.
Léon Dorez.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Ronchon cl Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 10 - 9 mars. — 1912
ZiEGLER, Le drame de la Révolution. — Poulet, Mallarmé. — Hennequin, Zurich.
— Fedorowicz, Documents français sur la campagne de Pologne en 1809. —
Fleischmann et Bart, Lettres de Talma à Pauline. — Sagot, Les gardes d'hon-
neur de la Marne. — Despatys, Fouché et Gaillard. — A. de Lipinska, Posen. —
Marquiset, Le colonel Clère. — Fournez, Landrecies. — Roy, Le 18 août 1870.
— Guerre russo-japonaise. III, i-3. — Ullrich, L'armée russe. — D'A.made, En
Chaouïa. — Kelsev, Grec et latin en Amérique. — Frankfurter, Les amis des
humanités, la^ bulletin. — Petites collections Bioud (Louis, Philon ; Borell,
Spinoza; Didier, Locke; Lefontaine, Fouricr; Archambault, Renouvier ; Nau,
Nestorius; Navarre, La chambre introuvable; Thureau-Dangin, Le cardinal
Vauahani. — Jorga, L'ancienne civilisation roumaine. — Léger, La Renaissance
îchèe-]ue. — Weii. et Chénin, Le français de nos enfants. — Faure, La crise du
français. — Dauzat, Pour qu'on voyage. — Brunetière, Lettres de combat. —
G.-E. PicHON, Leçons pratiques de français. — Faguet, De la profession; De la
patrie. — Fetzer, Anatomie pour artistes. — Duplessix, Printemps sacré. —
GusTAFSsoN, Les pronoms relatifs. — Holmes, Le Codex Lovaniensis. — Ullman,
Manuscrits de Properce. — Webb, Manuscrits de Térence. — Kukula, La poésie
séculaire à Rome. — Pirro, Tacite et les chrétiens. — Consoi.i, Notes latines;
La première satire de Juvénal. — Landi, Lucrèce et Ovide. — Reid, Lucretiana.
— Rasi, Bibliographie de Virgile. — Ganzenmùller, Deux articles sur Ovide. —
Académie des inscriptions.
Kugen ZiEGLER, Das Drama der Révolution. Berlin, Weigandt et Grieben, In-8°,
97 P-
Henry Poulet, La vie de F.-R.-A. Mallarmé. Nancy, 29, rue des Carmes, igii.
In-So, 62 p.
Louis Hennequin, Zurich, Masséna en Suisse. Paris, Berger-Lcvrault. 1911.
In-S», xxii et 599 p. 12 fr.
Wladislaw de Fedorowicz, 1809. Campagne de Pologne. I. Documents et maté-
riaux français. Paris, Pion. igii.In-8", iv et 447 p. 8 fr.
Hector Fleischmann et Pierre Bart, Lettres d'amour inédites de Talma à Pau-
line Bonaparte. Paris, Charpentier et Fasquelle. 191 1. In-S», xxii et 342 p,
3 fr. 5o.
François Sagot, Les gardes d'honneur de la Marne. Paris, Champion. 191 1.
In-8'', 167 p. 2 fr. 5o.
Baron Despatys, Un ami de Fouché. D'après les mémoires de Gaillard. Paris,
Pion. 1911. In-8°, XV et 480 p. 7 fr. 3o.
A. de Lipinska, Le grand-duché de Posen de 1815 à 1830. Paris, Rousseau.
191 1 . In-8°, 319 p.
Alfred Marquiset, Un cavalier léger, le colonel Clère. Paris, Champion. 19 m.
In-80, 63 p.
Philippe Fournez, Histoire d'une forteresse, Landrecies, d'après des documents
inédits, publiée avec une introduction par H.-R. de Planterose. Paris, Perrin.
191 1 . In-80, IX et 341 p. 5 fr.
Nouvelle série LXXIII lo
l82 REVUE CRITIQUE
Capitaine Rnv, Études sur le 18 août 1870. Paris, Bcrger-Lcvrault. 191 1. In-8",
XVI et 23s p. G fr.
Guerre russo japonaise. Historique rédige à l'ctat-major général de Tarméc
russe, 'l'otnc III, r, 2, 3. Paris, Chapciot. 1911. In-8", g32 et 555 p. (avec allas).
Richard Ui.i.uicii, L'armée russe au feu (1904-1905), trad. de Raoul Marsol-
i.ET. Paris, Chapciot. lyi 1. ln-8«, 3if) p. G fr.
Rapport du général d'Amade sur la campagne de 1908-1909 en Chaouïa.
Paris, Chapciot. ln-8", 393 p. avec 44 cartes et croquis et 20 photos.
Le travail de M. Eugène Ziegler, Le drame de la Révolution, es{
facile et agréable à lire, dénué d'ailleurs de prétention. L'auteur veut
simplement analyser les œuvres dramatiques les plus marquantes de
celte époque et par le théâtre, faire connaître et comprendre la Révo-
lution. Il analyse donc le Charles IX de Joseph Chénier, les Victimes
cloîtrées de Monvel, VAmi des lois de Laya, — qu'il nomme « le
chant du cygne de l'idéalisme » — la Journée du Vatican et le Juge-
ment dernier des rois de Sylvain Maréchal, Vlntérieur des comités
révolutionnaires de Ducancel et Madame Angot de Maillot... et c'est
tout.
La biographie du conventionnel Mallarmé qu'a publiée M. Henry
Poulet, n'est, sans doute, pas complète; mais elle suffit. Peut-être
M. Poulet est-il trop indulgent pour le personnage. « Qu'on ne vienne
pas, dit-il, reprocher à Mallarmé la cruauté de ses arrêts ; il faut en
faire tomber la réprobation, non sur lui, mais sur son époque ». Or,
Mallarmé a déclaré, contre toute vérité, que Landremont était inca-
pable et aristocrate ; Mallarmé a envoyé à la mort les administrateurs
de la Moselle; Mallarmé a fait condamner Délayant et proclamé sa
joie d'avoir vu « rouler cette tête infâme »; Mallarmé s'est vanté d'avoir
« établi le règne de la justice et de la vertu » dans la Meuse et la
Moselle; Mallarmé a crié après thermidor : « point de clémence, ni
d'humanité envers les ennemis du peuple », etc., et M. Poulet recon-
naît qu'il avait le caractère brutal, aigri. Ne fallut-il pas, lorsqu'il
était commissaire du Directoire près l'administration de la Dyle, le
renvoyer sur les plaintes répétées des députés de la Dyle et de Lam-
brechts? On sait qu'il fut en 181 5 sous-préfet d'Avesnes et, le i3 juin,
l'Empereur s'entretint avec lui sans soupçonner qu'il avait devant lui
un ancien président de la Convention. L'étude de M. Poulet, faite
d'après les sources, témoigne, comme tous ses travaux, d'un très
grand soin et de recherches patientes et étendues '.
On sait, en gros, ce que fit Masséna en Suisse du mois de juillet au
mois d'octobre 1799, et on le saura désormais dans le détail, après
avoir lu le livre si documenté, si studieusement travaillé, si nettement
rédigé, de M. Louis Hennequin. Le général en chef de l'armée du
I. M. Poulet trouve que Blaux a de'noncé Mallarmé, après prairial, avec un
acharnement étrange; mais Mallarmé n'avait-il pas écrit en mai 1794 que Blaux
était un modéré, un royaliste, un représentant pervers qui soufflait à Sarrcgucmines
un mauvais génie ?
d'histoire et de littérature i83
Danube, établi derrière la Limmat, semble inactif; mais il attend son
heure, et il ne veut combattre qu'après avoir affermi sa position. Il
approvisionne son arme'e, il complète ses cadres, il envoie Lecourbe
rcoccuper le Saint-Gothard, et, enfin, une fois solidement accroché
au « bastion suisse », profitant du départ de Tarchiduc Charles, il
tombe avec le gros de ses forces sur Korsakov qu'il bat devant Zurich,
puis, se retournant contre Souvorov qui vient de franchir le Gothard,
il lui interdit toutes les voies d'accès vers Lucerne et Zurich et l'oblige
à opérer une désastreuse retraite. M. Hennequin a réussi à dérouler
devant nous, non seulement d'une façon complète, mais d'une façon
claire et intéressante, les opérations de 1799 qui délivrèrent la France
d'une invasion et décidèrent la Russie à se retirer de la coalition. Il
nous montre les qualités déployées par Masséna, par Soult, par
Lecourbe, leur habileté, leur vigueur, et à côté des généraux, il fait
voir les soldats de ces demi-brigades qui, selon le mot de Clausewitz,
étaient en acier trempé et qui firent reculer les grenadiers russes, ces
rudes hommes qu'il fallait, a-t-on dit, non seulement tuer, mais faire
tomber. Ajoutons que l'auteur ne s'est pas contenté d'utiliser tous ou
presque tous les documents imprimés et manuscrits ; il a visité la
région et on louera ses descriptions, et notamment celle de la basse
Linth. Mais tout est à louer dans ce volume, et la réoccupation du
Saint-Gothard, et la prise de Zurich, et le passage de la Linth — où
Soult, toujours un peu circonspect, n'a pas, à vrai dire, été assez éner-
g_ique dans la poursuite — '■ et les opérations de la brigade Molitor dans
la vallée de Claris, et l'échec de Souvorov qui, malgré le courage
« quasi-surhumain » de ses troupes, se voit cerné dans le Muotathal,
contraint de se faire jour sur Claris, et, après avoir vainement tenté
d'emporter le pont de Nafels, de battre en retraite sur les Grisons par
le Panixerpass. Cet ouvrage fait à M. L. Hennequin le plus grand
honneur, et c'est une joie pour le critique de lire et d'annoncer cette
œuvre d'un modeste et loyal et consciencieux travailleur.
M. Wladyslaw de Fedorowicz a fait une œuvre très utile en publiant
les « documents et matériaux français » qu'il a recueillis sur la cam-
pagne de 1809. Il donne aujourd'hui le premier volume qui com-
mence au 3o juillet 1808 pour finir au 28 août 1809. M. de Fedo-
rowicz s'occupe du VI t° corps autrichien, que l'archiduc Ferdinand
d'Esté commandait et qui marcha sur Varsovie et Thorn pendant que
le sort de l'Autriche se décidait sur les bords du Danube II étudie
celte campagne de Pologne au point de vue politique et il l'explique
en faisant paraître ces 25o documents français tirés de toutes parts.
Un deuxième volume contiendra les documents allemands. Un troi-
sième comprendra les documents en autres langues que le français et
l'allemand ainsi qu'un résumé historique, rédigé en français, qui
montrera pourquoi ce corps de 33, 000 hommes fut détaché de l'ar-
mée autrichienne, envoyé à Varsovie où il perdit le temps en revues
184 REVUE CRITIQUE
Cl en parades, ci rappclc avani d'aiicindrc le Lnit qui lui était marque
— lequel but était Je rejoindre les Anglais qui débarquèrent à Wal-
cheren ci de renforcer une insurreciion allemande '.
Pauline Bonaparte a compté Talma parmi ses amants — la liaison
csi de 1812 — et MM. Fleischmann et Bart publient les lettres de
Talma à la princesse. Comme disent les éditeurs dans leur introduc-
tion, cette correspondance « brûlante, trépidante, laisse percer une
pointe de vanité et d'orgueil satisfait ». Il y a vingt-neuf leiires et les
éditeurs ont dû corser le volume; ils ont donc ajouté aux Lettres
(.Vamour médites qu'annonce le titre : une étude sur Talma pendant
sa jeunesse; une autre étude intitulée « Les petits secrets de la
citoyenne Talma »; les Mémoires de Louette, jardinier de Talma;
le Journal de la maladie et de la mort de Talma écrit par son neveu;
le catalogue de la vente des costumes, tableaux et objets d'art com-
posant le cabinet de Talma; une bibliographie, due à M. L. -Henry
Lecomte, des publications dont Talma a été l'objet et la reproduction
d'une « lurlupinade », Talma au paradis, composée à propos de sa
mort. Le livre est indispensable à qui veut connaître la vie et l'œuvre
de Talma.
M. Sagot a fait sur les gardes d'honneur de la Marne un solide
travail plein de détails et de pièces de toute sorte, et qui ne sera pas
recommencé. Il a bien vu que dans une étude de cette sorte, le docu-
ment est tout, que l'histoire de ces gardes d'honneur est toute
entière dans les circulaires officielles, dans les lettres des autorités et
des intéressés, dans les états, dans les comptes, et il montre l'accueil
que la Marne fit à cette mesure des gardes d'honneur, comment les
instructions du ministre y furent interprétées et appliquées, comment
eut lieu la levée des taxes^ comment se fit le recrutement, quelle fut
la composition définitive du contingent, à quelles difficultés se heurta
le préfet. Ce préfet, c'était le fameux Bourgeois de Jessaint. 11 mena
l'opération avec habileté, zélé, fidèle à ses instructions sans les outre-
passer, ménageant ses administrés, choisissant ses gardes avec tact,
et ne choisissant que des volontaires. On peut dire que dans la
Marne la levée se fit avec célérité, et grâce à ladresse et à la modéra-
tion du préfet les gardes de la Marne montrèrent tous ou presque
tous, sinon de l'enthousiasme, du moins une grande confiance dans
le régime impérial. Les deux premiers détachements qui rejcugnirent
leur régiment, le 2'' commandé par le général Lepic, n'obtinrent que
des éloges pour leur tenue et leur bon esprit. C'est que la Marne
voyait venir l'invasion; elle avait ce patriotisme qui a toujours animé
les populations de l'Est; tout ce qu'elle possédait de ressources, elle
I. Pourquoi garder l'orthographe fautive des documents? Que nous importent
les lapsus de tel ou tel ? A quoi sert-il de savoir que Rozniecki écrit Holien^^olern ?
deffendre, Providance, etc.? P. 60, la lettre de Woyczynski ne peut être adressée
au maréchal Davout, puisqu'elle commence par ces mots « Monsieur le général ».
d'histoire et dk littérature i85
le recueillit pour repondre, sans chaleur, à vrai dire, au désir de
l'Empereur.
Que dire du second volunie du baron Despatys, sinon ce que nous
avons dit du premier? On nous annonce les Mémoires de Gaillard,
de l'intime ami de Fouché, du conHdent de Fouchc, d'un homme
pour qui Fouché n'a pas eu de secret. Et que nous donne-t-on? Le
volume de M. Despatys. Je sais bien que, dans sa préface, M. Des-
patys assure que le récit de Gaillard a le ton familier et la forme par-
fois négligée, qu'il n'y a pas d'ordre chronologique dans le manus-
crit, qu'il y a des longueurs, que Gaillard n'a pas eu la force ou le
temps de faire œuvre d'historien. M. Despatys, lui, fait œuvre d'his-
torien; c'est son devoir, dit-il ; et il publie ce volume en restituant
aux événements leur ordre chronologique, en supprimant les con-
clusions morales, en reproduisant le manuscrit de Gaillard, sans
modification, si ce n'est de pure forme. Cela me suffit, et je ne vais
pas plus loin. Je veux lire Gaillard, et non Despatys. Pour un histo-
rien exact et sincère, ce volume n'existe pas. Inutile de dépasser l'aver-
tissement. M. Madelin à qui l'on a demandé une préface, dit dans
cette préface que « mieux ne vaut publier qu'avec un commentaire
les Mémoires de Pylade sur Oreste ». Non. Mieux vaut publier les
Mémoires de Pylade. Or, M. Despatys ne publie pas les Mémoires
de Pylade; il publie le commentaire, un commentaire qui délaie et
noie les Mémoires, et nous ne voulons pas d'un pareil commentaire.
Avec un chaud patriotisme, et aussi avec un zèle très louable et un
sérieux esprit historique, d'après des sources de seconde main (on
ne lui a pas permis l'accès des archives d'État), M"^« A. de Lipinska
étudie les efforts que fit le gouvernement prussien de i8i5 à i83o
pour germaniser le pays de Posen et la résistance que les Slaves oppo-
sèrent à l'étranger, au Niemets. Elle nous montre que les Polonais
ont, dans cette lutte, déployé une énergie qui surprit, déconcerta
leurs oppresseurs; comme elle dit, « les Polonais n'ont jamais prouvé
plus clairement leur droit à l'existence nationale que depuis le moment
où, par un coup de force criminel, ils ont été rayés du nombre des
peuples indépendants. » Elle a eu le mérite de tracer pour la- pre-
mière fois ce tableau d'ensemble. On suit dans son livre l'exécution
continue du plan d'envahissement conçu parla Prusse et cette « sorte
de travail d'érosion qui use peu à peu les clauses protectrices du
traité de i8i5 ». Mais vainement se multiplient les mesures de ger-
manisation; vainement les représentations les plus anodines sont
interdites sur la scène polonaise; vainement tous les emplois appar-
tiennent désormais à des bureaucrates hargneux à habitudes sordides
et de manières déplaisantes; vainement chaque année de nouveaux
immigrés éliminent partout l'élément indigène. Les Polonais ont pu
renoncer à leur indépendance politique; ils ne se résignent pas à
sacrifier leur langue, leurs traditions, leur nationalité, et voilà pour-
l86 REVDK CRITIQUE
quoi, conckii l'auiour — qui manie notre langue avec aisance et
fcimeié — ils ont, depuis plus d'un siècle, supporté sans faiblir
l'assaut de la Germanie victorieuse.
On lit avec plaisir la jolie plaquette que M. Alfred Marquiset a
consacrée à un cavalier léger, le colonel Glère, un de ses aieux, évi-
demment, et dont il a quelques papiers. Nous voyons Glère servir en
Espagne où il a des aventures intéressantes de guerre et d'amour;
nous le voyons servir en i8i3 dans la campagne de Saxe où il sauve
la vie au général Klicki, et combat à Leipzig et à Hanau; nous le
voyons servir en 1814 et mériter toujours ce surnom d' « intrépide »
que Klicki lui avait donné. Malheureusement, Glère n'a pas note ce
qu'il vit à Waterloo. Il rtt la guerre d'Espagne en 1823. Très lie avec
de Brack, il apparaît, dit très bien M. Marquiset, et ainsi que de
Brack, comme le vrai type du cavalier léger, grand, mince, montant
parfaitement à cheval ^ aimant les belles, ne craignant pas un coup
de sabre, toujours prêt à tendre la main ou à fermer le poing, à
laisser tomber un énergique commandement du gosier ou s'échapper
une i:hanson des lèvres. »
L'histoire de Landrecies que M . Philippe F'ournez était près d'ache-
ver et que M. de Planterose a terminée et mise au point, n'est pas à
dédaigner, bien qu'elle ne soit pas satisfaisante sur tous les points. 11
y a de ci de là quelques fautes et si sèches et techniques que soient
les relations des sièges, on aurait pu en citer certains passages. Un
des meilleurs chapitres est consacré à Landrecies au milieu et à la fin
du xviii« siècle. Pauvre ville qui n'a plus aujourd'hui ni remparts ni
fossés et qui n'offre plus aucune trace de l'œuvre de Vauban ! N'im-
porte, elle a un glorieux passé \
M. Roy a fait pour Saint-Privat ce que M. Maistre a fait pour
Spicheren. Il a étudié la bataille du 18 août avec une . attention
extrême, sans rien négliger ni oublier. Cinq chapitres sont consacrés à
la journée. Et quelle est la conclusion de M. Roy? Les Français ont
un fusil supérieur, ils occupent de fortes positions, mais ils restent
immobiles et ils se battent sans but, sans plan d'ensemble, se conten-
tant d'agir par leur feu. Les Allemands ont un fusil inférieur et une
artillerie supérieure, mais d'une supériorité relative et qui, ce jour-là,
à cause du terrain, fait souvent plus de bruit que de mal ; ils ont une
méthode désuète de combat d'infanterie; mais ils ont l'esprit doften-
sive, ils veulent à tout prix joindre l'ennemi et envelopper sa droite.
Le choc se produit à midi. Les Allemands commettent fautes sur
fautes; mais ils ne désespèrent pas ; ils ne cessent pas d'attaquer, et
1. Lire sans doute p. 26 Couin au lieu de Cohen.
2. P. 181 et 182 le général ci:é se nomme Ihler et non Hillcrs. P. 225, FerranJ
s'appelle Becaysct non Bi;gays.\l n'a pas défendu Valenciennescontre i5o, 000 Au-
trichiens et ce n'est pas lui qui reprit I^andrccies : c'est un autre Ferrand. P. 338,
lire Hamm au lieu de Hanau ; etc.
d'histoire et de littérature 187
grâce à l'inertie de l'adversaire, ils le délogent de ses positions. Saint-
Privat est « l'apothéose de l'offensive » ; Saint-Privat prouve qu'un
offensive, fut-elle mal conduite, a toujours raison d'une défense obstiné-
ment passive. Le général Langlois, dans sa préface, aboutit aux mêmes
conclusions : ce qui a donné la victoire aux Allemands, c'est l'activité,
l'initiative, la passion guerrière de leurs chefs, l'unité de doctrine qui
les animait tous ; « erreurs, fausses directions, attaques décousues,
tout cela s'efface par l'unanimité avec laquelle tout le monde chez les
Allemands pousse l'attaque à fond, et aussi par l'unanimité avec
laquelle chacun, du côté français, reste figé dans ses positions. »
Nous ne ferons qu'annoncer le tome III de la traduction, entreprise
par le 2' bureau de l'état-major de l'armée, de la Guerre russo-
japotiaise. Ce tome III comprend trois parties : la première et la
deuxième traitant des opérations dans la région de Liaoyang ; la
troisième partie consacrée à la bataille (avec annexes et atlas). Il a
été traduit sous la direction du colonel Cheminon par vingt-trois de
nos officiers. Le récit est, comme toujours, très détaillé et minutieux ;
il reproduit les rapports des généraux, et notamment ceux du vice-
roi et de Kouropatkine; l'état-major russe n'a rien changé à ces
rapports, et il donne intégralement les passages les moins flatteurs,
comme celui qui concerne la déroute du détachement Orlov au 2 sep-
tembre (i, p. 400) où l'on vit « un grand nombre de fuyards au
nombre desquels se trouvaient malheureusement beaucoup d'officiers
et même les commandants de deux régiments. » Les opérations
sont d'ailleurs exposées avec clarté, et, par exemple, on comprend
très bien pourquoi Kouropatkine a reculé sur Moukden : il craint de
manquer de munitions d'artillerie; il apprend que Stackelberg, jugeant
sa situation grave à cause des pertes importantes qu'il a éprouvées
durant cinq jours, recule de son chef sur Lilienkeou; il apprend, en
outre, que les troupes de Bilderling ont lâché Sseukwangtouen et les
hauteurs qui formaient le pivot du mouvement offensif; enfin, il
croit les Japonais de Kuroki beaucoup plus nombreux qu'ils l'étaient,
et c'est ainsi qu'il abandonne Liaoyang.
Le livre de Richard Ullrich diffère singulièrement des relations
officielles. L'auteur a pris part à la campagne de 1 904-1905 ; il a vu
la bataille de Sandepu, celle de Moukden et la retraite sur les hauteurs
de Sypingai ; il a tenu un journal des opérations auxquelles il assistait
et il décrit quotidiennement ses impressions. On ne saurait croire ce
qu'il a dit des Russes, des soldats et des officiers : jalousie et mésin-
telligence entre les généraux, manque de camaraderie dans le combat,
absence totale de direction à tous les degrés de la hiérarchie, insou-
ciance de l'administration et finalement une déroute honteuse. Un
seul homme, Rennenkampf, trouve grâce aux yeux de l'auteur. On
sent que M. Ullrich est Allemand; il voit dans les Russes des ennemis,
et il ne serait pas fâché, ce semble, de leur « faire goûter le rude
l88 REVUE CRITIQUE
glaive allemand >- ; il assure que l'armée allemande ferait ce qu'a fait
l'armée japonaise, et avec plus d'initiative, plus de spontanéité et un
succès plus grand encore.
Le rapport du général d'Amade sur la ("ampagnc de igoS'-irjog
en Chaouïa comprend trois parties. Dans la première partie qui a
trait à la période de répression et de pacification, on expose les
opérations jusqu'à la prise d'Azemmour, et le récit détaillé du combat
livré le 2 février 1908 à Dar-Kseibat et de la seconde marche sur
Settat (combat de Zaouiet el Mekki, 6 févrieri donne une idée exacte
de ce que furent les rencontres entre Français et Marocains. La
deuxième partie concerne la période d'organisation, du mois de juil-
let 1908 à la rentrée du général en France : précautions prises en
Chaouia pendant l'expédition d'Ab-el-Aziz, vers Marrakech ; disposi-
tions arrêtées pour assurer la pacification du territoire occupé; éta-
blissement et fonctionnement des postes régionaux, travaux entrepris
à Casablanca; répartition et emploi des troupes; organisation des
goums et d'un système d'impôts; mesures pour développer les intérêts
français. La troisième partie offre des considérations d'ensemble sur
la conduite des opérations, l'emploi des armes et le fonctionnement
des services. Ce rapport a été rédigé à l'état-major du corps de débar-
quement par le capitaine Broussaud. C'est un ample et très intéressant
document pour l'histoire de la pénétration française en pays marocain,
Arthur Chuquet.
Latin and Greek in American Education with Symposia on the value ol
humanistic Studies. Edited by Francis W. Kelsey. New York, the Macmiilan
Company, 191 1, 8°, p. Sgû (University of Michigan Publications, [iumanistic
Papers;.
Mitteilungen des Vereins der Freunde des humanistischen Gymnasiums
hrsg.vom Vercinsvorstand, redigiert vom Schriftfùhrer S. Frankflrter. 12. Heft.,
Vienne et Leipzig, Cari Fromme, 8, p. 120. K. 1.20.
I. Les défenseurs des études classiques en France seront peut-être
surpris d'apprendre que leur cause a trouvé de vaillants champ'ions
en Amérique. Une réaction dont il n'est pas aisé de mesurer l'étendue,
s'y est manifestée contre l'utilitarisme et la spécialisation prématurée
qui ont passé pour inspirer jusqu'ici la pédagogie américaine, et juste
au moment oia ils commencent à transformer la nôtre. Des confé-
rences, des symposies^ organisées en 1906 à l'Université Ann Arbor
sur diverses questions touchant à l'enseignement des humanités,
reproduites ensuite dans des revues et par des tirages à part, ont été
suivies avec tant d'intérêt, que M. Kelsey, professeur à l'Université
du Michigan, qui en avait été l'actif organisateur, les publie aujour-
d'hui réunies en un volume très soigneusement édité. Elles sont pré-
cédées de trois articles de l'éditeur lui-même et d'un autre d'un de ses
collègues, M.Wenley, sur l'état actuel des éludes classiques aux États-
d'histoire p:t de littérature 189
Unis, sur les avantages qu'elles présentent comme moyen de culture
et sur le détail des modifications qu'il faudrait apporter à leur ensei-
gnement. Les mêmes idées reviennent dans les conférences propre-
ment dites, souvent avec les mC'mes arguments ; nous les avons en
France entendus cent fois et ils nous paraissent usés, mais ici ils
donnent l'impression d'avoir été fraîchement découverts; de plus ils
sont renouvelés par l'humour américain et illustrés d'exemples précis
empruntés à un milieu social si différent qu'on les relira avec plaisir.
D'ailleurs le congrès des études classiques qui avait fixé le programme
de ces conférences, s'était piqué au jeu et avait tenu à démontrer par
la bouche de ses orateurs, qui ne sont pas des professeurs de rhéto-
rique, mais des médecins, des chirurgiens, des avocats, des électri-
ciens, des marins, que la culture antique est une source d'inappré-
ciables bienfaits pour le futur médecin, pour l'ingénieur, pour
l'homme de loi, le pasteur et l'homme d'affaires. Les cinq premières
symposies sont consacrées au développement d'une même thèse dans
ces cinq domaines différents et chacun des quatre ou cinq orateurs
intervenant, on ne peut pas dire dans le débat, il y manque même
l'avocat du diable, mettons dans le panégyrique, aboutit aux mêmes
conclusions. Habitudes de précision pour l'esprit, acquisition de la
terminologie scientifique, possession plus complète de l'anglais, péné-
tration d'une civilisation essentielle dans l'histoire de l'humanité :
tels sont les principaux avantages que les conférenciers prétendent
retirer de l'étude du latin et de celle du grec auquel vont leurs secrètes
préférences. Jusqu'à quel point cet idéal pédagogique qui, comme
le prouve ce recueil, a d'éloquents défenseurs, est-il partagé en
Amérique, nous aimerions à le savoir. A s'en référer à la conférence
de M. Wiley qui avait adressé à une centaine de savants faisant auto-
rité un questionnaire sur l'utilité de la culture classique, il semblerait
que les adversaires soient au moins aussi nombreux que les partisans,
mais il faudrait pour porter un jugement une enquête plus étendue.
De toute façon ce recueil d'articles et de conférences dont le nombre
et la variété interdisent toute analyse, sur un sujet qui n'a pas cessé
de garder son intérêt d'actualité, mérite d'attirer l'attention des leC'
teurs français et de tous les amis de l'humanisme.
IL Le i2« Bulletin de ceux qui se sont formés en association à
Vienne pour le défendre nous apporte les renseignements ordinaires
sur l'activité de la société pendant l'année 191 1 avec les comptes
rendus de ses réunions et la reproduction des conférences dont elles
sont l'occasion. Le conservateur de la collection des Antiques de
Vienne, M. Hans Schrader, a pris pour sujet de la sienne Phidias, et
il faut signaler aux archéologues l'examen détaillé d'une tête de bronze
assez peu connue du musée viennois et dans laquelle M. Sch. est
disposé à voir une copie fidèle du Zeus d'Olympie. Le conférencier
igo REVUE CRITIQUE
de la seconde réunion a été M. Otto Seeck, professeur à l'Université
de Munster, qui a développé devant ses auditeurs le sujet suivant :
die Gcschiclïtc des Altcrliims ah Lchrmeislcrin unserer Zeit. Quant
au rôle même de la Société, elle semble sortie à présent de la période
de lutte et son dernier Bulletin s'est occupé plutôt de la destinée des
études classiques dans d'autres pays où les intérêts qu'elle défend ont
provoqué des discussions et des revendications qu'elle suit avec
sympathie pour y appeler l'attention de ses lecteurs : ainsi en France,
en Prusse, en Amérique. Deux des articles les plus attachants du
volume dont il vient d'être rendu compte plus haut y sont donnés en
traduction, comme d'autres avaient déjà paru dans les Bulletins
antérieurs '.
L. R.
Petites collections Bloud.
La librairie Bloud nous a adressé cinq numéros de sa collection
Philosophes et Penseurs (191 i, in-i6, fr. 0,60 par vol.). Ce sont des
essais louables de vulgarisation, mais où l'on sent parfois que le
cadre à peu près uniforme de la soixantaine de pages s'est révélé trop
étroit. Il faut se borner à signaler brièvement ces courtes esquisses.
M. M. Louis a essayé de nous résumer la philosophie abstruse et
diffuse de Philon le Juif qi de montrer comment s'est fondue chez lui
l'étude des penseurs grecs, de Platon surtout, avec l'interprétation de
l'Écriture.
Le Spino\a de M. Philippe Borell, qui a tenu à souligner le carac-
tère pratique et la valeur durable du spinozisme pour les modernes,
ne m'a pas paru donner une idée assez complète et suffisamment
coordonnée de la métaphysique spinoziste (P. 6, le cléricalisme luthé-
rien en Hollande est un lapsus; il n'y avait guère, comme on sait^
que des réformés).
M. Jean Didier nous présente une bonne synthèse de la philoso-
phie de Locke. Il ne s'est pas d'ailleurs interdit dans son exposé une
petite part de critique, de même qu'il a eu soin de ne pas isoler Locke
de l'ensemble de la spéculation philosophique et de rapprocher ses
conclusions de celles des autres penseurs anglais. Il estime qu'il ne
faut pas voir dans sa philosophie un pur empirisme et Juge Locke
surtout d'après son dernier historien, Riehl.
Le Fourier de M. Albert Lafontaine serait la plus satisfaisante de
ces petites monographies. En ne retenant de l'œuvre fumeuse du
« Père du socialisme » que la partie originale et féconde, l'auteur en a
très nettement présenté les principales lignes et fait apparaître le lien
logique des idées de Fourier.
Enfin M. Paul Archambault, se plaçant surtout au point de vue his-
I, Corriger p. 94 Beimier en Bonnier.
d'histoire et de littérature 191
torique, a suivi révolution de la philosophie de Renoiivier, en insis-
tant sur la façon dont le maître du néo-criticisme a renouvelé les
problèmes de la substance et de la liberté. Quelques-uns des auteurs
de ces brochures ont eu l'idée de terminer par une courte note biblio-
graphique ; on peut regretter qu'elle n'ait pas été pour toutes unifor-
mément adoptée.
Nous avons encore à signaler du même éditeur, mais appartenant à
la série des Questions historiques ou des Biographies trois autres
brochures.
L'une, de M. F. Nau sur Nestorius d'après les sources orientales,
s'arrête sur un point mal connu d'histoire ecclésiastique; M. N. y
présente un plaidoyer de Nestorius, en faisant de fréquents emprunts
au Livre d'Héraclide.
L'autre, de M, Marcel Navarre, retrace de façon assez terne et peu
neuve, d'après de Barante, Vaulabelle et le Moniteur ou le Mercure
de France, l'élection et le rôle de la Chambre introuvable .
Le dernier de ces petits livres que nous avons à mentionner offre
plus d'intérêt. C'est une esquisse très vivante et de dimensions moins
réduites (p. 120. Fr. 1,20) du Cardinal Vaughan. M. Paul Thureau-
Dangin l'a tracée en suivant de près l'ample ouvrage consacré au car-
dinal par son ami et collaborateur Snead Cox. Avec ce guide sûr, il
nous a donné du dernier archevêque de Westminster si entier et si
intransigeant un portrait Juste, qui seulement accable un peu trop le
cardinal par la comparaison avec ses grands prédécesseurs Wiseman,
Newman et Manning. M. Th. D. ne lui pardonne pas d'avoir par ses
méfiances et sa rude franchise fait échouer le projet de réunion des
églises d'Angleterre caressé en i8g5 par Léon XIIL En tout cas, l'au-
teur de la Renaissance catholique en Angleterre au xix'= siècle était
plus que personne qualifié pour présenter au grand public la figure
malgré tout originale du cardinal Vaughan.
L. R.
N. JciRGA. Éléments originaux de l'ancienne civilisation roumaine. Jassy. Ste-
t'anic, 191 I, in-S", p. 29.
Cette conférence, faite devant les délégués étrangers aux fêtes du
centenaire de l'Université de Jassy, retrace les origines complexes de
l'État roumain et avec plus de détail son évolution artistique qui a
subi et fondu en une synthèse originale des influences latines et byzan-
tines. Du XV' au xvii^ siècle, les princes moldaves et valaques tinrent à
honneur d'illustrer leur règne par l'érection d'églises et de monastères
plus ou moins riches, et l'architecture religieuse occupe ainsi la pre-
mière place dans cette brève esquisse.
L. R.
iq2 REVUE CRITIQUE
Louis Le(.kr. La Renaissance tchèque au dix-neuvième siècle. Paris, Alcan,
11)1 I, in-if), p. 271 . ;■; Ir. 5o.
Depuis presque un demi-siècle M. Léger travaille avec une persé-
vérance inlassable à éveiller dans le grand public français la curiosité
de la Bohème et du slavisme. Ce nouveau volume lui offrira un rac-
courci de rctl'ort national des Tchèques au xis." siècle, il le familiari-
sera avec quelques-unes des principales figures qui l'incarnent, et,
comme il touche à bien des questions soulevées dans les précédentes
études de l'auteur, ses anciens lecteurs y trouveront un utile complé-
ment pour leur information. Après une rapide esquisse du dévelop-
pement littéraire de la Bohème, M. L. nous présente les érudrits qui
en ont préparé le réveil contemporain et dont les recherches ont frayé
la voie en Bohême et en Russie à l'ethnographie et à la philologie
slaves. Puis vient une série d'études biographiques : sur un dilettante,
Hanka, éditeur de poèmes apocryphes et faussaire par patriotisme ;
sur un historien, Tomek; sur un véritable savant, Safarik, probe,
vaillant, actif, le grand initiateur de la slavistique moderne; sur un
poète, Czech; enfin sur un homme politique, Rieger, qui fut l'ami et
l'hôte de l'auteur. Rieger, après 1866, cherchait à intéresser Napoléon
à la cause des revendications de ses compatriotes ; ce fut M. Léger qui
indirectement ménagea l'entrevue et il nous renseigne sur le mémo-
randum inédit que l'empereur avait demandé à Rieger. C'est ainsi que
ces études historiques ou littéraires prennent parfois le caractère de
souvenirs personnels, tant l'auteur s'est mêlé de loin et aussi par de
fréquents voyages à la vie intellectuelle de la Bohême. Il faut encore
citer, pour être complet, le chapitre sur l'histoire des dernières mani-
festations de la vie nationale en Bohême et des relations entre Paris et
Prague. M. L. a bien fait d'y Joindre le compte rendu détaillé de
l'inauguration du monument élevé en igoS à Jean de Bohême à Crécy,
et qui symbolise heureusement un rapprochement plus étroit entre
les deux nations, d'autant plus précieux à l'auteur qu'il en avait été
un des premiers ouvriers. Il faut se borner à signaler ces brèves études
qui ne sont elles-mêmes que des résumés, mais dans leur ensemble
et venant d'une plume si autorisée, elles offriront au lecteur une juste
image du risorgimento tchèque et des aspirations communes de la
Slavie '.
L. R.
I. Je relève quelques lapsus. Lire p. 8, Herborn et non Herbon ; p. 22, Léo-
pold H et non Joseph II, mort en 1790; p. 83 et ailleurs, Kôniggratz, non Konig-
grat^; p. lôo, 1818, non j8o8; p. 175, Gleichberechtigung, non Gleicliberichti-
giing ; p. 201, Reichsrat, non Reichstadt ; p. 2i3 l'ouverture du théâtre national
est datée de jSS3 et p. 178 de i8S~ (en fait, elle est de i88i)-, p. 214, la fonda-
tion de l'université tchèque serait de 1SS2 et p. 2o3 de i88j,
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I9:)
Armand Weil. Emile Giiknin, Le Français de nos enfants. Toulouse, Privât et
Paris, Didier, 191 1, iii-i6, p. 292, avec 34 illustrations, Fr. 3,5o (Bibliothèque
des Parents et des Maîtres, \'lir .
Abel Faure, La Crise du Français et la Réforme universitaire. Paris, Stock,
191 1, in-iG, p. 76. Fr. i.
I. MM. Weil et Chénin plaident en faveur d'une méthode nouvelle
de renseignement du français qu'ils ont expérimentée et dont ils nous
communiquent quelques résultats. Il ne s'agit d'ailleurs que des
modestes débuts de cette discipline dans les classes de sixième et cin-
quième. Aux exercices traditionnels, aux « matières à développer »
prises uniquement dans la fiction et l'abstraction en dehors de toute
réalité, ils veulent substituer des sujets d'observation directe où l'en-
fant au lieu de parler à vide note ses menues expériences personnelles,
s'habitue à voir Juste et à exprimer des sentiments sincères. Tout le
petit domaine qui relève de cette observation commençante a fourni
aux deux auteurs une série de sujets méthodiquement groupés pour
lesquels nous avons les copies des meilleurs élèves et sans retouches ;
celles des médiocres et des mauvais nous seraient plus utiles encore
pour une juste appréciation. La méthode se complète en faisant
appel à la composition d'après l'image : des tableaux, non pas artifi-
ciellement exécutés, mais empruntés à l'œuvre des meilleurs artistes,
apprendront aux jeunes enfants l'art de regarder la réalité, d'en grou-
per les éléments et d'en rendre l'impression. Des œuvres de nos
musées les plus utilisables à cet égard les auteurs ont signalé un choix
et joint des reproductions à leur texte à titre d'indication. Cet auxi-
liaire de la méthode d'observation pourra sembler assez suspect ;
dans la pratique il aboutit le plus souvent à une notation sèche et
maladroite. Mais quant au procédé renversé, l'illustration d'une page
littéraire, confiée au pinceau d'enfants de dix à onze ans, elle est un
franc contre-sens, et en tout cas l'expérience, si elle doit être tentée
ou continuée, ne regarde que le professeur de dessin. Ce n'est pas ici
le lieu d'aborder une discussion de méthodes, mais d'une façon géné-
rale le souci de ne pas sortir de l'observation rigoureuse m'a paru
excessif pour cet âge et il a fait souvent confondre la banalité avec la
réalité. Pourquoi tant se défier de l'imagination ? la folle du logis a
si tôt fait de le déserter. Malgré toutes ces réserves, il y a dans cet
effort pour renouveler l'enseignement élémentaire du français une
tentative louable dont l'initiative des maîtres saura tirer parti. Mais
transformer la nouvelle méthode en un système absolu mènerait à
d'aussi fâcheux errements que celle qu'elle prétend remplacer. Je
signale en tout cas à tous ceux qu'intéresse la psychologie de l'enfant
les nombreux petits documents que les auteurs nous ont offerts, bien
que dans un autre but.
II. Malgré son titre, la brochure de M. Faure n'est pas un cri
d'alarme de plus sur ratïaiblisscment d'une des disciplines de notre
ip4 REVUE CRITIQUE
enseignement. L'auteur entend protester contre une prétendue déca-
dence de notre langue qu'il plait à certains d'appeler crise et qui
n'est qu'une des multiples transformations auxquelles est lice l'his-
toire de tout langage. Cependant en ce moment l'évolution de notre
françaises! compromise par notre système d'éducation, par des erreurs
pédagogiques dont la Sorbonne doit porter toute la responsabilité.
C'est pour dénoncer les méfaits de la Sorbonne que l'auteur a pris
prétexte de la « crise du français », et il se donne le plaisir facile de
railler les errements de la Faculté des Lettres de Paris, « sur laquelle
sont calquées toutes les facultés de province », avec ses méthodes
tour à tour délaissées ou prônées, critique dogmatique d'hier ou phi-
lologie envahissante d'aujourd'hui. Cette polémique n'est pas nou-
velle, nous l'avons souvent rencontrée ailleurs, quoique avec moins
d'incohérence et d'injustice.
L. ROUSTAN.
>t' ■
Albert Dauzat, Pour qu'on voyage. Essai sur fart de bien voyager. Toulouse,
Privât et Paris, Didier, 191 r, in-i6, p. 363, avec 20 illustrations. Fr. 3,5o
(Bibliothèque des Parents et des Maîtres, VII).
M. Dauzat souhaite que le goût des voyages, dont on ne peut pas
dire qu'il soit étranger aux Français d'aujourd'hui, se répande encore
davantage parmi eux, et il a résumé sous une forme agréable d'utiles
conseils pour rendre le voyage aussi fructueux que possible. Grand
voyageur lui-même — la Suisse, l'Italie et même la France lui sont
familières. — il a recueilli beaucoup d'observations et d'expériences.
Sur la préparation d'un itinéraire, sur l'information nécessaire à
toute sortie longue ou brève, sur le meilleur parti à tirer d'une villé-
giature ou d'une excursion, sur l'art de visiter un pays, ses villes et
ses œuvres artistiques, sur la façon de pénétrer les mœurs de ses
habitants et de prendre une idée de leur activité agricole, commerciale
et industrielle, il nous prodigue les avis et les avertissements, sans
oublier les critiques, car à côté du goût il y a aussi la manie des
voyages ; tout ce qu'il remarque sur la fièvre et l'exclusivisme de cer-
tains voyageurs est rempli de bon sens et présenté non sans humour.
M. D. ne s'est pas non plus interdit les digressions : les longues pages
consacrées au sentiment de la nature sont plutôt une incursion dans
le domaine littéraire qu'un chapitre de tourisme ; elles sont du reste
pleines d'intérêt. Sans doute dans cette variété de questions effleu-
rées par l'auteur les truismes et les lieux communs ne manquent
pas, mais il ne faut pas oublier que le livre est écrit surtout pour la
jeunesse et d'ailleurs il renferme aussi nombre d'aperçus neufs et de
sages réflexions dont d'autres lecteurs encore pourront faire leur pro-
fit '.
L. R.
- I. P. 195, les croc6' de l'auroch (un herbivore!)
I
d'histoire et de littérature 195
Ferdinand Brunetière. Lettres de combat. Paris, Perrin, 1912. In-i6, p. 262.
3 fr. 5o.
Après les Discours de combat de Brunetière nous avons ses Lettres
de combat, et la mémoire du savant et de Thistorien est ainsi presque
effacée par celle du polémiste. Il faudrait le regretter, si l'on ne savait
que le temps remettra vite dans leur ordre véritable les mérites du
controversiste et du critique. Ce volume d'ailleurs offre le môme inté-
rêt que ceux dont il a emprunté à demi le titre et il était naturel d'offrir
aux lecteurs de B. après les trois volumes de discours les lettres
ouvertes où il défend les mêmes idées avec la même logique serrée et
pressante. M. A. Chérel, l'éditeur de ce recueil de polémiques, nous
avertit qu'il ne contient rien d'inédit, il nous signale le Journal ou la
revue où elles parurent d'abord, mais il a eu soin aussi d'en rappeler
brièvement l'occasion et de résumer en quelques mots la thèse de l'ad-
versaire. Il serait vain d'entrer dans le détail de discussions oubliées
et plus encore d'essayer d'apprécier la valeur des arguments de l'au-
teur; il suffira d'indiquer l'économie du volume. En dehors d'une
réponse à Sarcey, provoquée par un débat littéraire et remontant à
1875, toutes les lettres se rapportent à des questions politiques, sociales
ou surtout religieuses et s'échelonnent entre les années iSgS et 1906.
Ce sont d'abore douze lettres échangées avec le directeur du Siècle à
propos de « l'affaire » ; trois autres adressées à M. F. Buisson sur la
liberté de l'enseignement; l'article nécrologique sur Léon XIII ; une
controverse avec G. Renard sur l'idéal social et l'idéal chrétien, et
quelques autres déclarations moins étendues à propos du pacifisme ou
de la loi de séparation. Un dernier groupe, sous le titre d'Apologé-
tique, se rapporte à la thèse ordinaire de l'auteur sur le réveil du
sentiment religieux et l'adaptation du catholicisme aux besoins de la
société moderne.
L. R.
G. -E. PicHON. Leçons pratiques de français. Freiburg i. B., Bielefeld, 191 1.
In-i6, 272 p.
M.G.-E. Pichon, chargé de cours à l'Université tchèque de Prague,
a composé ce volume de Leçons pratiques pour les étrangers désireux
d'acquérir le maniement du français courant. Il a disposé le voca-
bulaire le plus usuel dans une série de morceaux méthodiquement
groupés, les uns artificiellement composés, les autres empruntés à des
auteurs surtout modernes. De brèves explications des termes nou-
veaux accompagnent ces derniers morceaux; celles-ci ont le tort de
manquer trop souvent de précision et de laisser échapper quelques
contre-sens. Des exercices oraux de vocabulaire, de grammaire et des
sujets de devoirs sont joints aux leçons; un long appendice sur la
conjugaison complète le recueil de M. P. dont le caractère pratique
iq6 revue critique
rendra service aux étrangers déjà entraînés par son premier cours de
niétliode directe que j'ai signalé aussi en son temps.
L. R.
Km. Faguet Les dix commandements.
De la profession. io3 p.
De la patrie, 182 p. Paris, Sansot, 191 i. ln-12, i franc le volume.
On lira avec plaisir ces réflexions d'une forme si piquante, d'un
tour si alerte sur des sujets qui ne cessent pas d'être d'actualité et que
d'ailleurs l'observation aiguisée du moraliste a su rajeunir. L'auteur ne
résiste pas sans doute à l'attrait du paradoxe, des conclusions impré-
vues et des rapprochements trop ingénieux ; mais il n'est paradoxal
que par boutades, sans danger, et on lui passe ses pirouettes, tant
elles sont jolies; au fond de la discussion il y a toujours un solide
bon sens et une compréhension juste des réalités. Des deux bro-
chures la première avec ses considérations sur les etïets de la pré-
sence ou du manque de vocation, sur les rapports delà moralité et de
la profession, sur l'importance et le choix du « second métier « nous
a semblé plus neuve et plus suggestive que les réflexions inspirées par
le second sujet.
L. R.
H. Fetzer. Einleitung in die plastische Anatomie fUr KUnstler. lùbingen,
Laupp, 191 1. In-S", p. b- (illustré).
Dans ce petit ouvrage, M. H. Fetzer, professeur d'anatomie plas-
tique à la Kûnstlerakademie de Stuttgart, présente en abrégé et sous
forme de tableaux commodément disposés une étude des diflférents
muscles du corps humain, en indiquant l'origine, l'insertion, la forme
et la fonction de chacun d'eux. Le livre s'adresse aux élèves des-
écoles des beaux-arts et devra leur servir de référence pour mieux
suivre l'enseignement oral qu'ils reçoivent du maître. A leur inten-
tion l'auteur n'a voulu se servir que d'une terminologie allemande au
lieu des désignations scientifiques des spécialistes. Les planches
indispensables à cet exposé accompagnent le volume au nombre de 56
et sont d'une bonne exécution.
L. R,
Jacques DuPLESSix. Printemps sacré. Paris, Champion, iii-iG", 32i p. 3 fr.
Nous ne pouvons parler en détail (car il sort trop du cadre ordi-
naire de cette Revue) du premier — et dernier — volume de Jacques
Duplessix. Le père de l'écrivain, avec un soin pieux, a recueilli les
fragments les mieux venus dans des essais de roman, quelques vers,
quelques pages de critique, des notes de journal et un bref choix de
lettres. Le volume n'est pas sans agrément ; mais la mort n'a pas
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE ig7
laissé le temps à ce jeune homme de vingt-sept ans, d'une activité
inquiète et trop dispersée, de fondre seulement d'une manière à demi
satisfaisante ses premières ébauches. Rennais d'origine, sollicité tour
à tour par la peinture, la musique et la littérature, il avait eu enfin
Tambition de devenir le poète de la Bretagne des hautes terres et d'en
illustrer le génie dans un grand roman symbolique, en suivant, mais
librement, la voie de Le Braz. Ces quelques pages laisseront à leurs
lecteurs le regret que les lettres aient été frustrées des promesses d'un
talent qui s'annonçait comme original.
L. R.
— Le nouveau programme académique de M. F. Gustafsson, professeur bien
connu d'Helsingfors [Paratactica latina, III, gS p. in-4'') traite des pronoms relatifs;
quelle est leur origine? ne viennent-ils pas des interrogatifs plutôt que des indé-
finis? Différentes formes de l'interrogation. Elle est surtout fréquente sous cette
forme que celui qui parle, s'interroge ou paraît s'interroger lui-même ; est-elle
placée avant ou après la proposition principale ? Le tout est clairement présenté,
bien déduit et fort bien rédigé; la plupart des exemples sont empruntes à Plante;
un très petit nombre vient de Térence et de Pétrone. — É. T.
— Je réunis en un seul groupe diverses études de manuscrits. — L Le Codex
Lovanicnsis (a), xi" s., est le meilleur ms. de César du British Muséum. Il a été
collationné pour la première fois partiellement par Holder (B. Civ.), par Du Pontet
(B. Al. et B. Afr.). On n'en avait pas le B. Gall. M. Holmes, auteur d'excellents
livres sur César (Conquest of Gaul, etc.), en a fait une collation qu'il a envoyée
à M. Meusel. Elle permet de juger plus sûrement du caractère de la famille 9 et
modifie la caractéristique que Meusel avait donnée du manuscrit en tête de la
guerre civile. Car L n'est plus ici, comme dans le B. C, un jumeau de l'Ashbur-
nhamianus (S). Pour gagner de la place, dans la publication qui est faite ici par la
Classical Quarterly (juillet 191 i) (25 p.), M. H. a omis des indications de peu d'im-
portance. Mais en somme nous lui devons un bon complément de notic apparat
critique de César.— II. J'ai déjà eu occasion de citer divers travaux de M. Ui.lman,
maintenant professeur à l'Université de Pitisburg (sur les citations de Catulle, 1910,
II, p. 397; sur l'identification des manuscrits deCatulle cités par Statius ; sur la
division des livres de Propercc, 1909, I, p. 397). Présentement, dans un article de
la Classical Philology, de juillet dernier (19 p.), ce savant aborde la question des
manuscrits de Properce. Voici les points qu'il traite : histoire du plus ancien ma-
nuscrit ; rapport de A et de F ; vues présentées dans deux articles récents sur les
manuscrits de Properce. M. U. indique sur quelles bases est fondé son travail :
photographies de.NAF, une collation de 1" (manuscrit difficile à coUationner, à
cause de ses nombreuses corrections), collation faite sur le manuscrit lui-même ; des
leçons diverses venant de nombreux manuscrits (une centaine). Au lieu d'étudier
les manuscrits en eux-mêmes, au moins provisoirement, M. U. tâche d'éclairer
leur histoire : de quelle date sont-ils, de quel pays, écrits par combien de mains
et, s'il est possible de le savoir, de quelles m.ains : enquête qui n'est pas peu
utile pour la relation des manuscrits entre eux. Par des rapprochements de
photographies de Rome avec le manuscrit de Florence, M. U. est arrivé à quelques
identifications curieuses des mains qui ont laissé leur trace dans F : copiste prin-
cipal, celui qu'employait Lombardo; correcteur; Lombardo. La 3" main est celle
ig8 REVUE CRITIQUE
de Coluccio. Ce sont la trois mains qu'il importerait de tiistingucr dans l'apparat
(F"' F' P) au lieu de les confdndrc comme a fait Ikichrcns (F';. M. U. s'attache à
rectifier les erreurs commises, sur la date des manuscrits ou de leurs correcteurs
(surtout pour F), par Bachrcns et à sa suite par Plcssis. Il emprunte beaucoup k
un article de James dans la (llassical Review, 1903, p. 462 et s. Après Catulle et
Properce, M. U. étend son travail à TibuUe dont il voudrait préparer une édition.
— III. On sait que les manuscrits de Tcrencc de la recension de Calliopius se
divisent en deux groupes : d'après Schanz 5 comprendrait principalement D et
C; Y comprendrait de mûme CFP. En dehors de ces groupes il existe des
manuscrits mélangés que, pour simplifier, je laisse de enté. Dans un article des
Harvard Studies de 191 1 (p. 55-iio : An attempt to restore the y archétype of
Tercncc manuscripts^, M. Robert Hcnning Webd passe en revue d'autres manus-
crits de ce groupe étudiés récemment. Il appelle surtout l'attention sur un Pari-
sinus 7900 (Y), illustré, dont on a jusqu'ici négligé à tort le texte. 11 en a étudié,
cet été, particulièrement l'Andrienne, VHaiit. et le Phormion. De plus il apporte
des indications complémentaires pour P C et le Dunelmensis (O) signalé par un
Américain, M. Ch. Hoeing, dans VAmev. Jown. of Archaeology de 1900. 11 a eu
sur ces manuscrits des indications particulières précieuses, et il a noté nombre
de corrections à faire à l'apparat de Umpfenbach. Donc très bonne contribution
sur le sujet. — E. T.
— Le professeur de l'Université de Graz, dont nous avons déjà signalé bien
des publications, et tout récemment une édition de Pline le jeune, M. R. C.
KuKULA étudie la poésie séculaire à Rome dans une brochure de 97 pages. La
division était tout indiquée; après une introduction sur les fêtes séculaires (5 p.),
un chapitre sur 1 epode d'Horace (36 p.); un autre sur Téglogue de Virgile (5o p.);
enfin chapitre final (5 p.) sur le rapport de l'églogue à l'épode. — Suivant M. K.,
l'épode est antérieure, l'églogue postérieure à la paix de Brindes; cette différence
de date expliquerait à elle seule les différences de ton qu'on peut trouver de l'une
à l'autre; il n'y a pas à songer à une véritable imitation ni à une sorte de rectifi-
cation. Si l'on eût renversé la situation des poètes, il est clair que chacun d'eux
se serait exprimé autrement qu'il ne l'a fait. — En dehors des lieux communs
tirés d'oracles sibyllins et des thèmes analogues, les deux poètes suivent chacun
leur modèle et se conforment aux habitudes d'un genre déterminé : Horace suit
Archiloque dans ses iambes; Virgile se souvient de trois idylles deThéocrite (XVI,
XVII et XXIV), des hymnes et des dithyrambes grecs en l'honneur de tel person-
nage. — Je crois bien que je n'adopterais pas toutes les vues de M. K.; mais par
ce qui précède on peut se faire une idée de l'intérêt de son élégante plaquette. -^
É. T.
— Nous avons reçu de M. Alberto Pirro, professeur d'histoire ancienne à l'Uni-
versité de Naples, une plaquette de 22 p. in-8° : Tacito e la persecii^ione neroniana
dei christiani. M. P. est un élève de l'Ecole normale de Pise. Ses publications
précédentes que j'ai le regret de ne pas connaître, portent sur Hérodote, sur Thu-
cydide, sur divers points de l'histoire romaine, enfin sur l'histoire de Naples.
Dans le sujet épineux qu'il traite cette fois, sujet où nous venons de subir, presque
en pure perte, un déluge de brochures et de déductions, voici en résumé les vues
de l'auteur : Suivant M. P., il y a contradiction, dans Tacite, entre \e forte an
dolo principis qui exclut la culpabilité des chrétiens, et les mots utilitatc ptiblica
qui la supposent. La contradiction est inexplicable si on lie la « faute >> des chré-
tiens à l'incendie de Rome. Mais on a tort de réunir les deux choses : si Tacite
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 1 99
jupe scvcrement les chrétiens, il le fait indépendamment du malheur public qui
a fourni contre eux un prétexte. M, P. note le silence curieux qu'ont garde, après
Tacite, sur cette accusation spéciale dirigée contre les chrétiens, tous les auteurs
indistinctement, payens et apologistes, tous jusqu'à Septime Sévère. Sans suivre
Hochart, M. P. admettrait que la phrase ; Ergo abolendo — appellabat, est une
interpolation d'une main chrétienne (hypothèse suivant moi bien risquée; ce n'est
sûrement pas en tirant ou en comparant des déductions, qu'on peut justifier des
interpolations de ce genre;. Il y aurait eu de même addition ou quelque remanie-
ment semblable dans la phrase ; igiiur primiim — conjintcti smit. L'interpolation
aurait eu lieu un peu avant l'époque où écrivait Sévère, donc dans la seconde
moitié du iV^ siècle. Les passages que M. P. croit avoir trouvés dans des œuvres
chrétiennes (Epitre de Clément de Rome aux Corinthiens, etc.) et dont il pense
reconnaître une imitation dans le passage interpolé, à mes yeux, ne prouvent
rien. — E. T.
— Le professeur de Catane, M. Santi Consoli, poursuit la série de ses Note
critichc e bibliograjîce di Letteratura latiua. Il en donne un nouveau fascicule
(Puatala IV, 191 1)- l'^s textes traités sont empruntés à Juvénal; les comptes
rendus concernent le choix de Pline le jeune de Maur. Schuster, les éditions de
Pline de Kukula, les notes de Morris Morgan sur Vitruve, la Cité de Dieu de
Dombart, le Salluste d'Opitz et diverses publications. — Comme Perse mène à
Juvénal, le même savant, après avoir donné un Perse qui a reçu bon accueil,
prélude aujourd'hui à un Juvénal en donnant la première satire (Loescher, 264
p. gr. in-8°). Mais cette fois, au lieu d'une édition critique, nous avons ici, sans
l'apparat habituel, un commentaire développé. Comme M. S. C. est infatigable,
il annonce déjà un autre ouvrage : Giovenale, nella tradi^ione letteraria e nelle
biblioteche del medio evo; après le poète, les imitations de l'œuvre ancienne. Je
n'ai parlé que de l'extérieur du livre et j'ai peur d'en avoir trop dit. M. S. C.
court quelque risque en nous étant le grand soutien de l'homme dans la vie :
spex finis. On le voit aligner les fautes des mss., de longues citations, des légendes
avec tous les détails; où sera le terme? Surtout le lecteur comptera : un volume
pour une courte satire; donc pour l'œuvre entière, plus d'un rayon. Pour être sûr
d'arriver au port, tel refusera de s'embarquer. C'était l'écueil. En France on ne
verra pas sans étonnement la traduction en vers de Duboys-Lamolignière, Paris,
1801, et celle de Jules Lacroix, Paris, 1847, citées comme des autorités pour le
texte latin. — E. T.
— Sous le titre de Qiiaestiones doxographicae et paradoxographicae ad Liicre-
tium et Ovidiiim praecipue spectantes (5o p. in-S", Padoue, Randi, 1910 et 191 1),
le professeur Car. Landi, de Padoue, a publié deux lectures faites par lui à l'Aca-
démie de Padoue et qui traitent successivement de l'opinion qu'avaient les anciens
des causes de l'inondation du Nil, (surtout d'après Lucrèce, VI, 7o3, etc.), des
causes aussi des sources merveilleuses de divers pays (Métamorphoses, XV, Soy et
suiv.). De part et d'autre M. L. s'applique à réfuter la thèse de Rusch (thèse de
Greifswald, 1882) qui voit dans Posidonius la source unique des deux poètes. ,^Les
savants trouveront ici un exposé clair et consciencieux de ces deux questions dont
la première a été déjà bien des fois étudiée. La documentation de M. L. est aussi
étendue qu'il est possible ; il connaît, outre les grands recueils, les moindres publi-
cations, thèses et programmes. De ce coté je ne vois pas ce qu'on pourrait ajouter
sur le sujet. M. L. a consulté dans les bibliothèques italiennes de Florence et
de Padoue des mss, latins d'Aristote que n'avait pas vus Rose ; son examen n'a
200 rkvi:f. critique d histoihi: et de littérature
fait c]UC contirincr les conjectures de Rose. A regretter seulement plus d'une
phrase embrouillée dans la rédaction latine et trop de fautes d'impression. A
rci-rettcr aussi, dans le plan f^énéral et dans la composition, une obscurité qui rend
inutilement pénible la lecture d'un travail certainement méritoire. — É. T.
l^e professeur de Cambridge, M. .1. S. Rkiu, a sur Cicéron (traités philosophi-
ques, lettres etc.) une compétence reconnue de tous. Voici qu'il étend à d'autres
auteurs les services qu'il nous a rendus et il passe celte fois de la prose aux vers.
Les Harvard Studies de 191 1 contiennent sous le titre de Lucretiana (53 p.) une
suite de conjectures et de notes des plus intéressantes sur les livres ! et II. Aucun
lecteur de Lucrèce ne négligera de connaître ou ne regrettera d'avoir lu, sur ce
sujet, les vues de l'excellent commentateur des anciens philosophes latins. — E. T.
— Le professeur italien bien connu, M. Pietro Rasi, qui a passé récemment de
l'Université de Pavie à celle de Padoue, vient de publier (191 1) cette année encore
dans les Attic Memorie délia Academia Vii-giliana de Manloue une bibliographie
de Virgile en 1909 (5o p. gr. in-8"). 59 publications sont examinées; sur chacune
d'elles est donnée une analyse et une appréciation. Celles-ci sont toutes modérées
et dans l'ensemble je ne vois pas de lacune importante. — E. T.
— Viennent de paraître, dans le Pliilologus, les articles que M. Ganzenmui.i.er
avait annoncés dans son travail sur la Nux dont j'ai rendu compte précédemment
(Revue de 191 1, I, p. 347). Titre : Ans Ovids Wcrkstalt ; deux articles de Sy à 40
pages. Sur les imitations d'Ovide, la matière est si abondante qu'il est impossible
de tout citer. Quoique M. G., à mes yeux, ait donné dans l'excès (maint rapproche-
ment ici manque d'intérêt), il lui faut se contenter souvent d'aligner des numéros
de vers, ce qui double, pour le lecteur, le risque de se perdre. Conclusion: presque
partout, Ovide imite d'autres poètes, grecs ou latins, ou il se répète; mais sans
cesse il varie et modifie si habilement et d'une manière si gracieuse ce qu'il reprend,
qu'il donne à la pensée ou à l'expression un air original : vue qui me parait
très juste et que M. G. justifie par des exemples bien choisis. Cette remarque
a aussi son intérêt pratique pour la critique du texte; elle permet d'écarter cer-
tains doutes que les savants voulaient élever contre l'authenticité de passages
célèbres, soit dans Ovide, soit dans d'autres poètes .■ l'imitation d'Ovide est ici une
garantie sérieuse. — E. T.
Académie DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 2 3 février i gi 2.
— M. Gagnât appelle l'attention de l'Académie sur les découvertes faites au
Maroc par MM. Biarnay et Pératié. Ils ont déblayé sur. le plateau de Marchan, à
l'O. de Tanger, une nécropole du iv siècle p. C, et à 20 kiiom. au S.-O. de la
même ville, un établissement thermal romain. Leur rapport vient de paraître
dans les Archives marocaines de M. Alfred Le Chatclier.
Le P. Scheil communique en seconde lecture son mémoire sur la chronologie
rectifiée du règne de Hammourabi.
M. Cuq examine au point de vue juridique un passage du sénatus-consulte
trouvé à Délos et récemment produit devant l'Académie par M. HoUeaux.
M. Prou donne une seconde lecture de son mémoire sur les entrelacs carolin-
giens de Schœnnis (canton de Saint-Gall).
Léon Dorez.
IS imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HIST01F(,E ET DE LITTÉRATURE
N» 11 — 16 mars — 1912
Zehnpfund, La Babylonie et ses ruines les plus importantes. — Genouilhac,
Dréhen. — Langdon, Dréhen. — WoiîrsKRMiN, La croyance en Dieu. — Wkrnle,
L'étude de la théologie. — Gemoli,, Les Indo-germains dans l'ancien Orient. —
BoHL, Chananéens et Hébreux. — Meulhorn, Vérité et poésie dans la vie de
Jésus. — Spietii, La religion des Eve. — Wii.lmann, Aristotc. — Marck, Les
Idées de Platon. — Wundt, Petits écrits, l. — Della Seta, Religion et art
tiguré. — Bartuolomae, La datif singulier en o. — Kuuscii et Levison, Monu-
menta Germaniae historica. — Manitius, Histoire de la littérature latine du
moyen âge, I. — Dom Jean Parizot, La famille Parisot de Plombières. —
A. Denis, Le Gomité de surveillance révolutionnaire de Toul. — Jakob, L'illu-
sion et 'la désillusion dans le roman réaliste français. — Académie des inscrip-
tions.
R. Zehnpfund, Babylonien in seinen wichtigsten Ruinenstsetten. Leipzig,
Hinrichs, igio, i vol. in-8°, 72 p.
La brochure de M. Zehnpfund donne un exact résumé des recher-
ches archéologiques — explorations et fouilles — en Babylonie.
Toutes les ruines de quelque importance — celles de Babylone excep-
tées — qui ont été étudiées, sont décrites, et les résultats de l'enquête
exposés avec clarté et agrément. L'impression la plus nette que lais-
sera la lecture de ce travail, c'est que excepté sur deux po'inis, Telloh et
Nuffar, tout est à faire en Babylonie. Il reste encore beaucoup de tells
à identifier : sauf en trois endroits on n'a pas fait autre chose que des
sondages et les fouilles mêmes de Telloh, de Nuffar et de Babylone
sont encore loin d'être complètes. L'information de M. Zehnpfund est
sûre : pourtant, p. '3o, en bas, noter que la véritable prononciation
de l'idéogramme lu d'abord gis-ban, puis gis-hu, a été établie par
M. Hrozny, Zeitschri/tfiir Assyriologie, XX, 421 .
C. FOSSEY.
H. DE GENouiLLAC.La trouvalUe de Dréhem. Etude sur un choix de textes de
Constantinople et de Bruxelles. 20 p., 20 pi. in-40. Paris, Geuthner, 191 1.
H. DE Genouillac, Tablettes de Dréhem, publiées avec inventaire et tables.
I vol., 21 p., 5i pi. in-4\ Paris, Geuthner, 191 i.
S. Langdon, Tablets from the archives of Dréhem, with a complète account
of the origin of the Sumerian calendar, translation, commenlary and 23 plates.
I vol. 25 p. in-4''. Paris, Geuthner, 191 1.
Des fouilles clandestines pratiquées par les Arabes à Dréhem, une
demi-heure au sud de Nuff'ar, ont amené la découverte d'un grand
Nouvelle série LXXIII 11
202 REVUE CRITIQUE
nombre de tablettes de comptabilité constituant les archives du parc
à bciaii attaché au temple lVJùiUI. Ces tablettes ont été, pour une
faible part, déposées au Musée impérial ottoman (21 i\ pour une part
plus grande vendues à des collectionneurs et à des musées d'Europe,
environ 400 au musée du cinquantenaire à Bruxelles, 176 au Musée
du Louvre, 68 en Angleterre (Bodléienne et Ashmolean Muséum).
M. de Genouillac a publié un choix de 67 tablettes de Bruxelles et de
Constantinople et les 176 tablettes du Musée du Louvre; ses copies
sont d'une élégance remarquable et rendent fort bien la calligraphie
exceptionnelle des originaux. M. Langdon a publié en même temps
les 68 tablettes conservées à Oxford.
M. de Genouillac a joint à ses copies de la collection du Louvre un
inventaire des tablettes et un index des noms propres (noms de per-
sonnes, noms de dieux, rois divinisés et objets sacrés, noms de
villes, de pays et de lieux. Son introduction aux séries de Bruxelles
et de Constantinople est un peu plus développée; il ne s'est pas con-
tenté de donner un index des noms de personnes, mais a fait remar-
quer la fréquence des noms sémitiques, qui indique que Dreliem est
à la frontière du pays d'Accad (à Telloh au contraire les noms sémi-
tiques sont rares) ; il a dressé la liste des fonctionnaires connus par
les différentes collections, depuis les dernières années du règne de
Dungi jusqu'au début du règne dCIbi-Sin, la liste des mois et des for-
mules employées pour dénommer les années auxquelles appartiennent
les documents, enfin la liste des dieux; il a en outre donné la tra-
duction d'un « hymne » aux Anunnaki, égaré dans ces pièces comp-
tables, et qui me paraîtrait plus justement qualifié d'incantation.
Dans son introduction aux séries d'Oxford, M. Langdon fait
remarquer que les offrandes au temple d'Enlil viennent de toutes les
partiesdu pays soumis aux rois d'Ur, depuis Asnunak jusqu'à Eridu;
il discute les noms et Tordre des mois à l'époque sumérienne et donne
une analyse des 68 textes copiés par lui.
C. FOSSEV.
Georg. WoBBERMiN : Der Christliche Gottesglaube in seinem Verhaltnis zur
heutigen Philosophie und Naturvissenschaft Drittes Tausend. Leipzig,
Hinrich, 191 i, in-8% lyS pages. Prix : 2 M. 5o.
Paul WiRNLE : Einfuhrnng in das theologische Studium, Zweite, verbesserte
Auflage. Tûhingen, Mohr, 191 i, in-8, xv-324 pages. Prix : 7 M.
L D'après M. G. Wobbermin, qui s'est déjà fait connaître, dans
deux publications antérieures, par sa critique très vive du monisme,
si une science superficielle éloigne de Dieu, une autre plus pro-
fonde y amène. Nous devons tourner le dos à Hœckel et revenir
à Kant, non pour nous y tenir mais pour le dépasser. Son agnos-
ticisme porte sur la connaissance intellectuelle, non sur le senti-
ment, qui va bien plus loin et dont il n'a pas vu toute l'importance en
d'histoire et de littérature 2o3
matière religieuse. Après lui les preuves tradiiionnelles de l'exisicnce
de Dieu ne peuvent pas être soutenues en leur formé ancienne, mais le
fond en demeure toujours. L'argument cosmologique ne démontre pas
une cause première, mais il montre l'unité des phénomènes, laquelle
se conçoit mieux dans l'hypothèse d'un être transcendant qui gou-
verne le monde. L'argument télcologique ne démontre pas davantage
une intelligence ordonnatrice, mais il montre dans les êtres vivants
une finalité qui s'e.xplique mieux avec une conscience immanente
dirigeant leur évolution continue. L'argument ontologique ne
démontre pas que l'existence soit esssentielle à Dieu, mais il nous
montre en lui l'être parfait que postule notre nature propre. Par ail-
leurs le christianisme seul sait allier dans l'idée qu'il s'en fait son
immanence avec sa transcendance et sa perfection morale. Il est la
meilleure religion existante ou possible, et en son genre l'absolu.
Pas une de ces affirmations ne résisterait peut-être à une critique
minutieuse. La dernière surtout est philosophiquement exorbitante
et, dans le protestantisme libéral, auquel M. Wobbermin appartient,
beaucoup d'esprits éminents la rejettent. La conclusion peut être
retournée d'ailleurs contre tout le système. Si le christianisme est la
religion parfaite, du jour oii l'on s'apercevra que l'enseignement
authentique du Christ est erroné dans son principe même, ne sera-t-
on pas amené à condamner avec lui toute idée religieuse ?
IL M. P. Wernle, publiait, en 1908, une Introduction à V étude
de la théologie dont il a été rendu compte ici même. L'ouvrage a
trouvé le meilleur accueil, car il paraît maintenant à nouveau.
Cette seconde édition diffère, dans sa forme, de la première. Cer
taines parties d'intérêt secondaire ont disparu. D'autres, plus
importantes, ont été au contraire développées. Celles qui concernent
l'essence de la religion et du christianisme, la dogmatique et la
morale chrétiennes, ont subi de multiples remaniements. Toutes ont
plus ou moins bénéficié du travail théologique de ces dernières
années, et la bibliographie y a été tenue soigneusement à jour. Mais
l'esprit du livre n'a point changé. On lui a reproché ses tendances
libérales. M. Wernle répond qu'il a voulu faire simplement œuvre
libre, et que, s'il a eu à tenir compte des libéraux plus que des repré-
sentants de l'école rivale, ceux-ci ne doivent s'en prendre qu'à eux-
mêmes. En fait son <euvre constitue, surtout après les améliorations
qu'il vient d'y introduire, une excellente introduction à l'étude de la
théologie allemande, et elle sera très utile non seulement aux théolo-
giens de profession mais à tous les esprits cultivés qui s'intéressent au
mouvement actuel des idées religieuses.
Prosper Alk.\ric.
2 04 REVUE CRITIQUE
Die ladogermanen im alten Orient, von M. Gkmoll. Leipzig. Hinrichs. rgii ;
iii-H", s 111- I 24 pages.
Kananlier und Hebriier, \<jii l". lîuiii.. Leipzig, Hinriciis, uji i ; in-S", viii-i 18 p.
Dans un précédent ouvrage [Grundsteine Jiir Geschichte Israels^
Leipzig, Hinrichs, 191 1), M. Gemoll a entrepris de montrer que les
Israélites avaient emprunté toute leur religion aux anciens habitants
de Canaan, lesquels étaient d'origine indogermanique. Là M. G. a
cru établir qu'Abraham et Aaron sont identiques à Ahura Mazda, et
lahvé à ^'ama. Poursuivant le cours de ses découvertes, il a trouvé que
le roi Arthur est aussi Ahura, même que Lot et le roi Lear sont un
seul et même personnage. N'est-il pas clair après cela que les mythes
de la Bible sont d'origine indogermanique? C'est que les peuples de
Hatti et de Mitanni étaient indoiraniens. Le nouveau livre de M. G.
est consacré principalement à la démonstration de ce dernier point.
L'argumentation ne se fonde guère que sur des rapprochements de
noms propres (Ahura-Arthur-Abram ; Gédéon-Gwydion ; etc.), qui
sont vraiment peu concluants et que sans doute, avec quelque bonne
volonté, on pourrait emprunter à toutes les langues du monde. Dans
son ensemble, la thèse est faite de conjectures. Ce que M. G. devrait
établir d'abord, c'est que l'ancienne langue d'Élam, celle des Hittites,
celle de Mitanni, langues jusqu'à présent peu ou point connues,
appartiennent à la famille indogermanique. Pour cela il ne suffit pas
de rapprocher Karduniash de Calédonie, Kaldi de Celtes, etc.
Plus prudente est la méthode de M. Bôhl, et plus nuancées sont
ses conclusions sur les origines du peuple cananéen et de sa civilisa-
tion. Pour ce qui est des choses de l'Asie occidentale, il opère avec
les mêmes données que M. G., mais il en dispose moins souveraine-
ment. Son étude comprend quatre chapitres tout positifs concernant
Canaan, les Hittites, les Amorites, les Hébreux, et un chapitre inti-
tulé syncrétisme et mosaïsme, vue d'ensemble sur l'évolution de la
religion Israélite, où l'hypothèse avait nécessairement sa part, et où la
théologie a pris aussi la sienne. Canaan serait une désignation
ethnique, non géographique, se rapportant à un peuple qui s'est rendu
maître de la côte et du bas pays palestiniens, où il serait arrivé après
les Amorites. Pour plus de clarté, M. B. veut distinguer entre Hétites
et Hittites; les documents cunéiformes d'El-Amarna ont fait connaître
deux langues non sémitiques, celle de Mitanni et celle d'Arzawa;
dans la langue d'Arzawa sont rédigés les textes non babyloniens de
Boghaz-Kœi, et conséquemment cette langue est celle des Hittites
proprements dits; appartiennent d'autre part à la langue de Mitanni
les plus anciens noms de princes d'Assyrie, Aushpia et Kikia, des
noms babyloniens au temps de la première dynastie et surtout de la .
dynastie cassite, des noms de chefs palestiniens dans les documents
d'El-Amarna; d'autres noms palestiniens se rattachent à la langue
d'Arsawa ; brochant sur le tout, viennent les noms de divinités
d'histoirk et de littérature 2o5
aryennes, Mithra, Varouna, Indra, les Nasatya, dans les documents
de Bût^haz-Kœi, et plusieurs noms aryens dans les textes d'El-Amarna ;
il faudrait donc distinguer dans ce groupe non sémitique trois élé-
ments, Mitanni, arrivé le premier en Asie occidentale, Arzawa-hittite,
apparenté à Mitanni, et un élément aryen qui aurait pénétré les deux
précédents, fournissant en beaucoup d'endroits les dynasties royales.
Selon M. B., Canaan pourrait être une branche de Mitanni, et Ton
s'expliquerait ainsi que la Bible fasse de Het (Hitiitesj le fils de
Canaan. Une invasion hittite, vers 1760, aurait mis fin à la première
dynastie de Babylone et fait place libre à la dynastie cassite. Les Amo-
rites étaient des Sémites, et ce sont eux probablement qui fondèrent
la première dynastie de Babylone; c'est d'après eux que la Palestine
était appelée en Chaldée pays d'Amurri, comme les Assyriens l'ont
plus tard appelée pays de Hatti; et rien n'oblige à rejeter la tradition
biblique touchant le royaume amorite de Sihon, au delà du Jourdain.
Après les Amorites, après les Hittites, arrivent les Hébreux ; ce der-
nier nom a une signification plus large que celle d'Israël ; il ne paraît
pas douteux que les Habiri d'El-Amarna sont les Hébreux ; parmi ces
Habiri étaient les anciennes tribus Israélites; l'exode d'Israël (si exode
il y eut) devrait être renvoyé au xv® siècle. Toutes ces conclusions et
d'autres moins importantes sont fondées sur qn examen attentif et
une discussion pénétrante de toutes les sources, inscriptions hiéro-
glyphiques et cunéiformes, données bibliques. La construction ne
peut manquer d'être, à beaucoup d'égards, provisoire, mais les pierres
d'attente sont bien posées.
M. B. n'écarte par l'hypothèse d'un exode partiel qui pourrait avoir
eu lieu au xin'^ siècle ou même plus tard. Ce à quoi il tient essentiel-
lement, c'est qu'on ne mette pas l'œuvre de Moïse en rapport avec
celle du pharaon hérétique Aménophis IV, et qu'on laisse au fonda-
teur de la religion Israélite son originalité. PourThistorien cette origi-
nalité n'est pas discernable à travers la nuit des temps. C'est par des
conjectures purement artificielles que la légende mosaïque peut se^
rattacher maintenant à l'histoire connue de l'Egypte et de l'Asie occi-
dentale. Certes le iahvisme Israélite ne procède pas de la réforme reli-
gieuse d'Aménophis IV; mais de quoi procède le iahvisme israélite ?
Non sans raison M. B. compare le iahvisme naissant à une époque
de syncrétisme, mais un peu à l'écart de la mêlée des peuples et des
influences syncrétistes, par l'initiative de Moïse, au christianisme
naissant à une autre époque de syncrétisme, en dehors du courant
syncrétiste, sur le fonds traditionnel du judaïsme, par l'éminente per-
sonnalité de Jésus. Deux grands hommes (de type un peu trop protes-
tant, il faut bien l'avouer ) auraient, à quinze siècles de distance, fondé,
l'un la religion d'Israël, l'autre la religion chrétienne, et l'œuvre de'
l'un et de l'autre aurait eu ensuite à se défendre tant bien que mal,
plutôt mal que bien, contre le syncrétisme ambiant. Mais autant la
2,,(t RKVDE CRITIQUE
position générale de cette comparaison est acceptable, autant l'idée
qu!on se lait du rôle des fondateurs aj^pelle de sérieuses réserves. Jésus
a été le point de dcpari, ou, si l'on veut, le premier initiateur du
mouvement chrétien; il n'est pas précisément le fondateur du chris-
tianisme en tant que religion, et religion distincte du judaïsme. Le
christianisme historique est cet alliage de judaïsme et de syncrétisme
païen que représente, en somme, la littérature du Nouveau Testament,
et dont l'artisan principal, à notre connaissance, est Paul de Tarse.
De même la religion d'Israël représente l'alliage d'un ancien culte
sémitique avec le syncrétisme cananéen. Cet ancien culte sémitique,
le iahvisme, aurait-il été institué, à un moment donné, par l'action
prépondérante d'un prophète appelé Moïse? A en croire M. B., on
devrait l'admettre comme un postulat nécessaire : ce serait le cas de
toutes les religions historiques d'être inaugurées ainsi par un pro-
phète. Malheureusement le iahvisme précananéen est aussi le iahvisme
préhistorique. En l'état des témoignages, il reste probable que les
ancêtres d'Israël, encore nomades, à une époque et dans des circons-
tances qui nous échappent en grande partie, s'associèrent dans le
culte de lahvé par l'initiative d'un personnage appelé Moïse. On ne
peut d'ailleurs soutenir que la nécessité absolue d'une telle initiative
supplée à l'insuffisance de l'attestation. Ceux qui énoncent de tels
arguments supposent toujours que la religion n'est qu'une expérience
psychologique, renouvelée dame en âme après qu'elle s'est produite
dans celle d'un prophète. Il y a quelque chose de cela dans la religion,
mais tant s'en faut que ce soit la religion, toute la religion. La part
des individus dans l'évolution des religions est en coordination essen-
tielle avec la tradition, de nature sociale, qui les porte, et avec un
mouvement collectif qu'ils représentent et qu'ils aident à se détermi-
ner. Faire abstraction de cette base sociale dans l'histoire des reli-
gions, pour en appeler uniquement à la psychologie individuelle, au
sentiment mystique, est se jeter en dehors du réel et reconstruire
l'histoire au gré de sa foi. L'existence de Moïse, celle de Jésus, le
caractère de leur action propre ne sont pas à préjuger au nom de
certaine loi mystérieuse qui les rendrait indispensables; ils sont à
présumer ou bien à constater, selon la valeur et la portée des témoi-
gnages qui les concernent.
Alfred LoisY.
Wahrheit und Dichtung im Leben Jesu, von P. Mkhlhorn. Zweite AuHage.
Leipzig, Teubner, 191 1 ; in-12, 140 pages.
Le titre de ce livre indique suffisamment que l'auteur en retient et
en laisse dans les documents de la tradition évangélique. M. Mehl-
horn prend nettement position contre ceux qui ont nié l'existence de
Jésus, et il leur objecte surtout la consistance relative des témoi-
gnages directs, chose que les adversaires n'ont pas accoutumé de
d'histoire et de littérature 207
remarquer, éblouis qu'ils sont par l'atiirail des analogies mytholo-
giques. Par ailleurs, l'attitude et la méthode de M. M. sont celles
d'un protestant rationaliste et libéral qui fait assez large la part de la
critique, est quelque peu embarrassé par la prétention messianique
de Jésus, se rabat sur la loi au Dieu qui pardonne, etc. 11 serait inu-
tile d'entrer dans une discussion de détail, par exemple sur l'histori-
cité du baptême de Jésus par Jean, admise à condition que le Christ
y soit venu en juif pieux, et qu'il n'y ait pas trouvé le sentiment de
sa vocation messianique, mais celui d'une vocation supérieure à celle
du commun : « ollicier, pas encore général », dit M. M. Cependant le
récit évangéliquc n'a de sens que par rapport à la vocation niessia-
nique : ou bien il atteste la réalité de cette vocation, ou bien il est
fictif et ne peut servir à prouver une vocation quelconque.
A. L.
Die Religion der Eweer in Siid-Togo, von .1. Spieth. Leipzig, Dieterich, 191 i ;
in-8, xvi-3 16 pages.
Recueil de documents, renseignements pris sur place par un mis-
sionnaire et reproduits tels qu'ils ont été donnés par les indigènes.
Le procédé a un grand avantage, puisqu'il fournit sur le sujet dont il
s'agit des pièces aussi authentiques que possible. Il a aussi quelque
inconvénient, l'importance relative des idées, des institutions et des
rites dans la religion vivante n'apparaissant pas nettement et ne pou-
vant même pas toujours se déduire sûrement des textes. Les quel-
ques pages d'introduction ne remédient pas complètement à ce défaut
de l'exposé. Le premier chapitre : « la croyance en Dieu chez les
Ewe », se serait intitulé plus exactement : la croyance aux dieux ».
On ne voit pas, d'ailleurs, qu'il y ait une différence bien essentielle
entre ces dieux et les tràji'o, esprits ou génies, qui sont l'objet du
second chapitre, le plus développé, très curieux en beaucoup de par-
ties. Les autres chapitres concernent respectivement les confréries
secrètes, les âmes des morts et leur culte, la magie, Vaka, espèce d'or-
dalie, les sorcières.
On signale quelques tràiuo qui pourraient être la personnification
du chimpanzé, de l'hyène, de la scie de mer, du boa. Un supplément
d'informations sur ce culte des animaux ne serait pas inutile. Le toté-
misme existe ou a existé chez les Ewe, bien que M. S. n'en parle pas,
et certains traits indiqués par lui comme cultuels ne tiennent pas pré-
cisément de la religion ; par exemple, les soins rendus par les chas-
seurs aux os des bêtes fauves, et qui sont pour ménager l'espèce en vue
de chasses ultérieures; les cérémonies qui ont lieu quand un chasseur
a tué un buftte ; même celles, beaucoup plus compliquées, qui se pra-
tiquent lorsqu'on a tué un léopard.. Ici toutefois des prêtres inter-
viennent et crient : « Le chasseur a tué notre père! » M. S. ne dit
pas que le léopard soit l'objet d'un culte au Togo, comme il l'est au
2o8 REVUE CRITIQUE
Daliomcy, ni si les prêtres en question appartiennent à ce culte, II
mentionne des prêtres de riiyène, du boa, animaux qui sont traités
en divinités. On voudrait savoir dans quel rapport ces pratiques et
CCS cultes peuvent être avec le totémisme,
La même curiosité s'éveille à propos de la confrérie religieuse de
lewe, ordre puissant qui vient du Dahomey, et qui a ses dieux, ses
règles, même des espèces de monastères. Chaque initié peut se trans-
former en léopard ; le miracle se produit quand un frère ou une sceur
entrent en querelle avec un non initié ; l'initié devient « sauvage »; les
autres frères et scuurs prennent fait et cause pour lui, aidant à la comé-
die de métamorphose, et l'adversaire ne s'en tire pas à moins d'une
forte amende. La métamorphose en léopard est un trait d'origine ;
au fond, c'est l'initiation qui introduit les hommes dans la commu-
nion du léopard et qui fait d'eux des léopards. Le dieu léopard n'est
plus un totem; la question serait de savoir si c'est un totem divinisé.
Dans ce pays qui doit beaucoup à la tradition religieuse du Daho-
mey, les sacrifices humains ne sont pas ou du moins n'étaient pas
ignorés. Ils ont dû être jadis assez fréquents, quoique M, S. ne les
mentionne guère qu'à propos de ïafa, esprit, don, sacrement de
divination, qui réside essentiellement en trente-deux noix de palmiers
soigneusement grattées, et par lequel se perpétue la confrérie des
devins. Uafa peut réclamer des victimes humaines; s'il s'agit de cri-
minels (selon le droit ewe), on les tue, dit simplement M. S.; s'il
s'agit d'autres personnes, elles deviennent propriété du devin; les
pauvres gens, qui n'ont pas d'hommes à sacrifier, offrent dans ce cas
une poupée d'argile où l'on a mis un fragment d'os d'un individu qui
a péri de mort violente. On fait ce qu'on peut pour se conformer, sans
y trop perdre, à la tradition. Mais ces divers procédés ont leur inté-
rêt pour la comparaison avec les religions de l'antiquité.
Assez grand développement des croyances d'outre tombe et des pra-^
tiques relatives au culte des morts. Tout cela est plus ou moins cohé-
rent parce qu'il y entre des éléments qui ne sont pas tous également
anciens ou de même provenance. Ainsi l'on croit à un enfer, qui est
coinme une grande cité, avec des quartiers distincts pour les diverses
catégories de défunts; on donne aux morts des provisions pour le
dernier voyage, et même quelque monnaie, parce qu'il v a un fleuve
à passer, et que le nautonnier se fait payer; cela n'empêche pas,
toutes les fois qu'on mange, de jeter une bouchée par terre à l'inten-
tion des morts, la coutume traditionnelle étant d'enterrer sous le sol
des maisons les gens qui ne sont pas « morts dans le sang ».
Alfred LoisY,
Aristoteles, von O. WiLLMANN. Die grossen Erzieher. Reuther et Reichard; Berlin,
. rgog; VJU-2.16 p., p. in-8°.
• Certains penseurs appartiennent à l'histoire de l'éducation parce
d'histoire et de littérature 209
qu'ils ont, comme Comenius et Pestalozzi, ouvert des écoles, manié
des élèves, institué des disciplines de classes; d'autres, comme
Bacon et Descartes, parce qu'ils ont renouvelé la culture scientifique
et morale de laquelle dérivent après coup les applications scolaires.
Aristote, précepteur d'Alexandre, chef du Lycée, auteur représentatif
d'un système philosophique qui résume l'antiquité, domine le moyen
âge et pose encore aujourd'hui les problèmes les plus actuels, est l'un
des plus grands pédagogues de l'humanité. Mais en fait, son II. Ilxt-
oïîa; est perdu ; et, sauf quelques chapitres de la Politique, le problème
de l'éducation des enfants tient peu de place dans ce que nous savons
de son œuvre. Le livre de Willmann est un résumé détaillé qui fait
rîèche de tout bois — même du Traité du Monde — pour découvrir,
dans Aristote philosophe, Aristote éducateur. On y trouve exposé
l'ensemble du Péripatétisme, analyse et synthèse, expérience et spé-
culation, philosophie et théologie, matière d'enseignement et méthode,
culture intellectuelle, psychologique et logique ; culture morale,
sociale, esthétique, tout ce qui peut en un mot intéresser par ses appli-
cations ultérieures le problème général de l'éducation. On n'y trouve
pas un tableau de ce qu'est l'éducation athénienne des enfants et des
jeunes gens dans le gymnase et la palestre, avec ses programmes, ses
moyens d'action, ses résultats acquis à l'époque d'Aristote et sous
son influence. C'est Aristote et la culture de l'esprit humain beau-
coup plus qu'Aristote et la conduite des enfants qu'il faut chercher
dans ce livre ; et cependant, ce livre est le tome II d'une collection
dont le tome I est consacré à Jean-Paul, et le tome III à Pestalozzi,
auteurs pédagogiques, au sens strict de ce terme.
E. Trouverez.
Die Platonische Ideenlehre in ihren Motiven, von Siegfried Marck. Oskar
Beck, Mûnchen, 191 2; i vol. pet. in-H», 180 pp.
Ce mémoire, couronné par l'Académie de Breslau et transformé, a
pour objet la théorie des idées reconstruites d'après les motifs qui
l'ont inspirée ou dû inspirer. Il est dédié à Kuhnemann, auteur de
précédentes études sur les pré-socratiques, Socrate et Platon (1S99)
qu'Uberweg qualifie « recherches riches d'idées et de substances sur
le H'o et le Ji'ie des doctrines, et le pourquoi de leurs solutions ».
Marck s'inspire de son maître et en outre des travaux de l'école de
Marbourg, c'est-à-dire de Natorp et de N. Hartmann ' : interprétation
idéaliste et quasi hégélienne de Platon, ancêtre de Kant, du Kant de
Marbourg. On croyait autrefois que la théorie des idées de Platon for-
mait un tout achevé et statique; et Schleiermacher découvrait le,
plan, conçu par Platon dès sa jeunesse, et suivant lequel il avait con-
tinûment déroulé les œuvres de toute sa vie. Marck croit aujourd'hui
i. CÂ. Revue Critique, 1910, p. i58 et i6i..
ïlO REVUE CRITIQUE
que la pensée de Platon csi un perpétuel devenir; que chez elle
chaque solution d'un problème proposé pose un problème à résoudre,
toujours de Tavant. C'est qu'en etîet la doctrine des idées remplit un
double rôle. L'idée est Têtre en soi aj-:à /.aO' akô principe métaphy-
sique de toute réalite véritable; mais elle est aussi et surtout ètt'.txtjixy,;
Evexa, Hl conducteur et principe d'action de toute pensée en marche.
Cette polarisation de l'idée fait osciller Platon d'un point de vue à un
autre. Parti de la philosophie dogmatique de Socrate, d'Heraclite et
de Parménide, il aboutit à l'idéalisme critique. Le premier point de
vue prédomine dans ses dialogues de jeunesse. Marck suit à peu près
l'ordre des dialogues de Lutoslawski, sauf que le Théétète est analysé
à la suite du Ménon, avant le Phèdre, le l^hédon et la République, ce
dont l'auteur s'explique ou s'excuse; mais au fond la difficulté du
classement aujourd'hui reçu n'est-elle pas d'admettre une solution de
continuité chronologique entre les dialogues logiques du premier
genre : Protagoras, Ménon, Cratyle, et ceux du second : Parménide
et Sophiste, séparés par les dialogues orphiques? et cette difficulté
n'est-elle pas cruciale? — Le point de vue idéaliste et critique prédo-
mine à partir de Parménide dans lequel Platon « éveillé du sommeil
dogmatique », se critique lui-même et s'accouche d'une science nou-
velle. Le Sophiste est le point culminant du système et manifeste le
mieux le passage de Platon au point de vue mobiliste et dynamique.
Le Phélèbe, genèse de Vessence, prépare la métaphysique de « grand
style » qui remplit le Timée. Les idées ne sont pas transcendantes au
monde, mais immanentes; le monde est une tendance à l'être de plus
en plus riche, de plus en plus immanent à soi-même, de plus en plus
parfait, sans que cette perfection soit jamais un état de repos qui serait
la mort. La matière est la matrice du monde, la mère et le lieu du
devenir éternel. La critique d'Aristote contre Platon, aujourd'hui
aussi actuelle que jamais, exprime le point de vue des métaphysiques
d'expérience ou de la raison, mais toujours statiques, contre le point
de vue dynamique des pures idées. Ce qui subsiste encore chez Pla-
ton de métaphysique positive a caché aux yeux d'Aristote et de ses
successeurs à travers les siècles — jusqu'à l'école de Marbourg excep-
tée — ce qu'il y a en lui de critique et de vivant. La culture de l'huma-
nité ne s'arrête jamais parce que tout progrès accompli est pour elle
l'origine d'un pro'grès à accomplir ; et la philosophie de Platon est
partie intégrante de la culture parce qu'elle est la vie de l'idée, sans
limite, sans arrêt, sans terme. On voit comment cette thèse, intéres-
sante et suggestive, s'insère dans les travaux allemands du même
ordre. Mais pourquoi Marck ignore-i-il les représentants français du
Platonisme? Aucun nom français ne figure dans sa bibliographie.
E. Thouverez.
d'histoire et de littérature 211
Kleine Schriften, von \V. Windt. I; I.eip/.ii;, lùigclmann, kjio, vnir)4o p.,
p. in-8".
Wilhelm Wundt, le patriarche de Leipzig, a choisi, parmi ses
« œuvres mineures » parues à longs intervalles, celles qui lui parais-
saient les plus propres à servir de commentaire actuel à ses grands
ouvrages ; et il les représente remaniées dans leur forme et mises au
courant de l'état actuel des questions : i" Problème cosmologique dans
les sciences naturelles (187b); exposé des deux hypothèses tinitiste
(Kant, Laplace, Clausius) et inHnitiste (évolutionisme) que Wundt
concilie par la distinction de deux concepts d'univers : concept uni-
versel du possible, inHni dans le temps et dans l'espace, concept du
contenu de Texpérience, étroit et fini; 2° Problème cosmologique en
philosophie, les antinomies de Kant et le problème de l'infini (i885-
1909); étude de détail des antinomies Kantiennes, terminée par Top-
position de deux infinis : le monde extérieur (infini externe) et la
conscience (infini interne), laquelle contient la dualité interagissante
du sentiment moral : l'infini en devenir agissant sur le monde externe,
et du sentiment religieux : l'infini réalisé ou réalisation idéale de la
totalité absolue; 3° Qu'est-ce que Kant ne doit pas être pour nous?
(1892- 19 10); réponse à Paulsen « ce que Kant doit être pour nous » ;
Kant a vécu et nous devons vivre à notre tour dans notre temps et
non dans le sien ; Kant ne doit pas être pour nous l'objet d'un culte
scolasiique, un arrêt définitif dans la pensée humaine ; nous devons
au contraire l'honorer le mieux et féconder le mieux ses doctrines par
l'étude personnelle et la solution indépendante des problèmes d'au-
jourd'hui; que Kant soit pour nous un exemple et non un fétiche;
4° Histoire et théorie des concepts abstraits (i885), d'être et de deve-
nir, de matière et de forme, de cause et de substance, auxquels corres-
pondent les attributs corrélatifs d'un et de inultiple, de quantité et de
qualité, de fini et d'infini; les concepts engendrent les sciences de la
cause ,'physique) ; les prédicats engendrent la science du divers (ma-
thématique) : laquelle a pour support logique le pensable (das Denk-
môgliche) : lequel à son tour engendre à tort l'illusion que la méta-
physique peut se construire comme la mathématique par simple jeu
dialectique; 5° Du réalisme naïf et du réalisme critique^ 1896 ; A Phi-
losophie de l'immanence de Schuppe, caractérisée par cette formule
que toute réalité est sujet ou représentation du sujets et que tout ce
qui est hors du domaine de la conscience n'est pas; B empirio-criti-
cisme, exposition et critique particulièrement intéressante de la doc-
trine d'Avenarius, encore mal connue en France ; doctrine de Vintro-
jection, suivant laquelle la croyance à mon moi est un choc en retour
de la croyance préalable que j'ai eue du moi des autres hommes; doc-
trine biologique dans laquelle les divers sujets apparaissent comme
des systèmes organiques plus ou moins différenciés par un système
nerveux plus ou moins parfait, de telle sorte que les individus ou pré'
2 12 REVUE CRITIQUE
tendus tels ne sont pas autre chose que des systèmes centraux qui
apparaissent dans une niasse diffuse de périphéries et de centres inter-
dépendants les uns des autres ; doctrine la plus radicale pour sup-
primer avec l'iddc du moi tout ce qu'elle renferme encore, suivant
Comte, d'illusion métaphysique ; 6° P.sychnlogisme et logicisme
(iqio), revue générale des deux tendances qui aujourd'hui s'engen-
drent réciproquement, s'opposent et s'enchevêtrent dans la pensée
allemande; les doctrines de Lipps, de Sigwart, de Brentano, de Hus-
serl, de B. Erdmann, de Dilthey, de Rickert, etc., sont tour à tour
analysées et discutées dans leurs rapports logiques et historiques ; et
l'on comprend sans peine l'intérêt d'une telle rcccnsion par un tel
auteur.
E . Thouveri^z.
Alessandro DELLA Seta, Religione 6 arte figurata. Un vol. in-S», p. i-viii, 1-287,
avec 210 fig. hors texte. Rome, Danesi, 191 2.
Destiné au grand public, le livre de S. cherche moins à découvrir,
des faits nouveaux qu'à résumer et à coordonner des observations
déjà bien connues. La thèse est que l'art, à ses débuts, n'a guère eu
qu'un rôle et qu'une fonction magique ; les Grecs, puis le boud-
dhisme et le christianisme l'auraient peu à peu spiritualisé et rendu
capable de donner une forme matérielle aux plus hautes vérités reli-
gieuses. La proposition, dans sa généralité, ne prête guère à la cri-
tique, mais il est souvent malaisé d'en montrer l'application dans le
détail. S., qui s'y est essayé, ne réussit pas toujours à trouver le lien
qui devrait rattacher les unes aux autres les diverses manifestations
religieuses de l'art et presque chaque page appellerait des corrections
ou des réserves, objections d'autant plus sérieuses et plus inquié-
tantes que la nature même de l'ouvrage empêche l'écrivain de donner
ses raisons ou ses preuves. Aussi, malgré mainte vue ingénieuse ou
profonde, les spécialistes trouveront, je le crains, peu de profit aie
lire et je doute que les gens du monde puissent le suivre dans son
style grandiloquent et dans''sa marche lente et embarrassée. C'est un
de ces ouvrages demi-savants et demi-populaires qui coûtent plus de
peine à leur auteur que le public ne retire d'avantage à les pratiquer.
P. 34, Hérodote, qui est allé en Egypte, est un témoin borné, mais
digne de foi; en revanche Juvénal, qui a connu, tout au plus, les
Egyptiens de Rome, n'a rien à faire ici. P. 5q, bonne distinction
du Ka et du Ba. P. 60, Seth n'a pas une tête d'àne. P. 70, les nom-
breuses statues ou figurines courotrophes montrent que la Grèce a
connu l'expression de l'amour maternel. P. io3, les animaux fantas-
tiques de l'art « minoen » seraient surtout décoratifs. P. 118, justes
réserves à propos du Télamon-pilier de P. Girard. P. 149, le portrait
hellénistique est bien différent du portrait romain. P. i53, le Dio-
nysos de Naples est probablement une figure éleusinienne. P. 174,
d'histoire et DK littérature 21 3
l'art « orientalisant » des tombes Bcrnardini de Preneste et Re-^olini-
Galassi de Caere. P. i()5, S. parait douter que la frise marine de
Munich appartienne, ainsi que la scène de sacrifice du Louvre, à l'au
tel de Domitius Abenobarbus.
Il manque au livre une table : elle serait d'autant plus indispen-
sable que l'auteur touche à plus de sujets divers et dans un ordre qui,
par la force même des choses, ne peut être ni méthodique, ni continu.
A. DE RiDDER.
Der Dat.-Sing.-Ausgang der o-Deklination im Lateinischen. Von Chr.
Bartholomae. Ileidelberg, Winter, 19 lo [Sit:{ungsbericJite der Heidelbergcr
Akademie, 1910, n" 5), 14 p. in-S".
Le datif singulier de la seconde déclinaison latine des grammaires
scolaires est en -o : equo. Cette forme est expliquée ordinairement de
la manière suivante. On avait à l'origine eqiioi, la diphtongue oi ayant
l'o long. Cet eqiioi aboutit à equo à la fin de la phrase, par un phé-
nomène de phonétique syntactique. Cette explication offre plusieurs
difficultés. D'abord en sanskrit, on a des formes en -âya. Puis le
parallélisme entre la déclinaison féminine et la déclinaison masculine
est détruit : terrae, equo. Or ce parallélisme a introduit plus d'une
innovation dans les langues italiques : à l'instrumental-datif pluriel,
osq. feïhuis a entraîné diumpaïs; à l'ablatif singulier, meritod a
entrainé sententiad ; au génitif pluriel, ^/frtrz/m a entraîné^/for?/m;
au nominatif pluriel, osq. pas entraîne pus, lat, quoi [quel, qui)
entraîne quai (quae), poploe ipopuli) entraîne tabelai {tabulae). Il est
étonnant que le datif féminin en -a, qui a existé, ait été supplanté
par le datif en -ai, et que ce phénomène, qui a eu lieu en sens
inverse pour le datif en -oi -o, ne se soit pas produit au locatif :
Romai Romae. En fait les quatre formes -ai, -a, -oi, -0 se ren-
contrent dans les langues italiques et spécialement dans le domaine
falisco-latin (cf. numasioi, ^extoi, titoi, duenoi, populoi romanoi \ for-
tuna, fileia primogenia, locina, menerua, etc.). Les formes en -a sont
analogiques d'après les formes en -0, et ont toujours été assez rares.
Les formes en -oi et les formes en -o se balançaient à peu près. Or
dans ce que nous appelons la troisième déclinaison latine ei était
passé à e long avec une prononciation bien fermée. Au cours du
vie siècle, e long a passe à i fermé. L'z bref du nominatif était très
ouvert et tendait vers \'e. A l'accusatif singulier, Ve était fermé et
tendait vers i. On avait en conséquence hostis hostem hosti, qui fai-
sait une série parallèle à equos, equom, equo (l'o de equo, étant long,
était fermé) ; hostis hostem était à hosti comme equos [munis)' equom
à equo. C'est ce qui explique le triomphe de equo sur equoi. Ce qui a
facilité ce résultat, c'est l'emploi de l'épithète, par exemple ceiue
romano.
2(4 RtVUE CaniQUfe.
L'Iiypoihcse de M. Rartlioldmac est assez compliquée ;elle implique
bien des hypothèses secondaires. Mais clic n'a pas les inconvénients
de l'explication généralement admise.
H. P.
Monumenta Germaniao historica, Scriptorum rerum merovingicarum,
tomus V, Passiones vitaeque sanctorum aevi merovingici. lùlidciuiu
B. Kri'scii et \V. l.EvisoN. Hannoverac et Lipsiac, impensis bibliopolii Hahiiiaiii,
NDCcccx, vin- 8^4 p. et 22 pi. in-4". Prix : 40 Mk.
Ce volume contient vingt-six parties, concernant chacune un per-
sonnage et composée souvent de plusieurs pièces. Nous mention-
nerons d'abord les docuitients les plus intéressants par leur sûreté
historique ou leur caractère. 1° Vie de saint Wandrille, abbc de
Fontenelle, par un contemporain de ses derniers jours. Il mêle peu
de faits importants à beaucoup d'inutilités, dit M. Krusch. Ces inu-
tilités ne sont pas sans valeur pour l'histoire des mœurs. Ainsi le
biographe croit bon de remarquer que le saint se lavait souvent les
mains, qu'il avait fort longues. Parmi les nombreuses incorrections
de son langage, la confusion des occlusives sourdes et sonores est à
noter comme indice d'origine germanique : conclutinet, demigatur
(dimic-) lidigantis, mimtanecus (mundanicos), splcndeta, opetiim [obi-
tiim). M. K. signale de nombreux emplois du féminin pour le mas-
culin (p. 4) ; mais la plupart sont des exemples de la confusion de
quam, giiem, qiiod '. Ce texte a été conservé par le célèbre ms. B. N.
lat. i8--îi5, du commencement du vni'' siècle, très voisin de l'époque
de l'auteur, qui parait avoir écrit vers 700. 2° Vie de saint Germain
fondateur de Moutier près Grand Val, dans le Jura bernois, par le
prêtre Bobolenus. Cette biographie montre comment l'institut monas-
tique de Columban a rayonné de Luxeuil dans les confins de l'Alsace,
de la Suisse et de la Bourgogne, et apporte des renseignements pré-
cieux pour l'histoire de ces régions^ dans le troisième quart du
vue s. L'auteur s'est mis à l'oeuvre aussitôt après la mort de saint Ger-
main. 3° Passion de saint Préjet [Praeiectiis), évêque d'Auvergne
(Clermont) et martyr. C'est le récit d'un contemporain, qui, sur la
mort de l'évêque, par exemple, s'appuie sur des témoins oculaires.
Ce document nous renseigne sur la cour et l'histoire de Childéric,
roi d'Austrasie (662-675) et sur les institutions mérovingiennes. Dans
son introduction, p. 21 3, M. K. reproduit l'épitaphe de saint Genès
(Genesius), un des éducateurs et des prédécesseurs de saint Préjet.
Cette épitaphe, déjà publiée, a été omise cependant par Le Blant.
4.° Passion de saïm Léger (Leudegarius), évêque d'Autun et martyr.
Il est inutile d'insister sur ce que nous apprend la biographie de ce
martyr de la politique. Elle est aussi l'œuvre d'un contemporain.
M. K. édite, à la suite, une seconde passion, par Ursinus, et les
I. Cf. M. Bonnet, Le latin de Grégoire de Tours, p. 499.
d'histoire kt de littérature 21 5
extraits d'une troisième par Frulaiulus. 5° Vie de saint Oucn, évéque
de Rouen. M. Levison publie le poème de saint Ansberi et la vie
ancienne. Il s'appuie, d'ailleurs, pour les expliquer sur les travaux
de M. N'acandard. 11 nous donne une édition critique définitive de
ces textes. 6° Vision de Barontus, moine de Saint-Pierre de Longo-
rctus, aujourd'hui Saint-Cyran en Brenne (Indre). C'est une vision
du ciel et de l'enfer, qu'il est intéressant de comparer avec d'autres
morceaux analogues, notamment la légende de saint Fursy [Furseiis).
I.a pièce e%x d^xéQ : Acta sunt haec omnia VIII kal. April. in sexto
anno régnante de Theoderico regem Francoriim . M. Levison donne
la date : 25 mars 678 ou <d~^j. Il n'a pas remarqué l'intérêt du quan-
tième, 2 5 mars. C'est la date de la fête tixe de la Passion du Christ,
célébrée en Gaule indépendamment de la Pàque mobile '. Nous
avons d'autres indices qu'à cette époque ce jour était encore consacré
par l'Eglise mérovingienne. La coïncidence peut avoir aussi son
importance pour l'interprétation de la vision. 7° Histoire du roi
Wamba, par Julien de Tolède. Ce récit des commencements du règne
et de la sédition du duc Paul a été rédigé peu après les événements,
c'est-à-dire peu après 673, certainement avant 680.
Les autres documents de ce volume concernent les personnages
suivants : Sadalberga, abbesse de Laon ; Frodobertus, abbé de Saint-
Pierre la Celle (Montier la Celle, dans l'Aube); Remacle, abbé et
évêque de Stavelot ; Viance (Vincentianus) d'Avolca (le lieu a reçu
maintenant le nom du saint, dans la Corrèze) ; Meneleus, abbé de
Menât, dans le Puy-de-Dôme; Nivard, évêque de Reims; Faron,
évêque de Meaux (sa biographie contient le fameux poème de la
guerre de Saxe) ; Rambert (Ragnebertus), martyr à Saint-Rambert-
en-Bugey (anciennement Bebrona); Memmie, évêque de Châlons;
Amand, le célèbre évêque-abbé ; Philibert, abbé de J umièges et de
Noirmoutier; Lambert, abbé de Fontenelle et évêque de Lyon;
Ansbert, évêque de Rouen; Condedus, anachorète dans une île de la
Seine, près de Caudebec; Erembert, évêque de Toulouse; Wulfram,
évêque de Sens ; Ermenlandus, abbé dans l'île d'Indre ou Basse-
Indre (Loire Inférieure); Kilian, martyr à 'W'^ûrzbourg; Orner, Ber-
lin et Winnoc.
Tous ces textes sont établis avec le plus grand soin et reposent sur
une masse considérable de collations de manuscrits.
Les planches reproduisent : i" quatre miniatures de la vision de
Barontus, d'après un ms. du ix''-x'= s. qui est à Saint-Pétersbourg et
provient de Saint-Rémy de Reims (voy. de plus, p. 387, les figures
des clés de saint Pierre) ; 2° une série de peintures illustrant la vie de
saint Amand dans le ms. de Valenciennes 607, du xii'^ siècle; 3° les
miniatures du testament de saint Amand dans le ms. de Valenciennes
I. DucHESNE, Origines du culte chrétien, ch. viii, § b, i".
21Ô REVUE CRITIQUE
606 du nicme temps. Ces pciniurcs oflicni de rinicrèi pour l'archéo-
logie et l'histoire de l'art.
Deux tables alphabétiques terminent le volume. Elles sont ['(cuvre
de M. Levison et sont très étendues.
Ce volume fait le plus grand honneur aux deux collaborateurs.
M. Krusch annonce comme prochain un dernier volume qui termi-
nera cette série des écrivains de l'époque mérovingienne.
D. SONNERY.
Maiidbuch der Klassischen Altertumswisseuschaft hsg. von Dr Iwan von Mùllcr,
ncunter Hd, 2 Abt., 1 Theil. Geschichte der lateinischen Literatur des
Mittelalters, von Max Manitius. Erstcr Theil : Von Justinian bis zur Mitte des
zchnten Jahrhunderts, mit Index. C. H. Beck'schc Verlagsbuchhandlung, Mûn-
chen, 191 I. Prix : i5 M.
Quand le dernier tome delà. Romi.scheLitteraturgescliichte de M.Mar-
tin Schanz aura paru, le présent ouvrage en formera la suite immédiate.
Dans ce premier volume, qui, d'après l'intention de l'auteur, sera suivi
d'un autre dès l'été de igiS, M. Max Manitius étudie la littérature
écrite en latin depuis le vf siècle de notre ère jusqu'au milieu du x^.
Le livre est divisé en deux parties : i^la littérature latine de Justinien
à Charlemagne fp. 1-242); 2° l'humanisme carolingien, son apogée et
sa décadence (p. 243-248). M. Manitius parait avoir hésité sur le classe-
ment qu'il devait préférer à l'intérieur de ces deux grandes sections. Il
reconnaît qu'il eût été préférable de distribuer sa matière par ordre
chronologique, ou mieux encore par écoles ou centres intellectuels.
Mais ce mode de disposition eût requis une connaissance exacte de la
date d'apparition des œuvres ou de la formation première des écri-
vains. A défaut de ces données précises, qui auraient manqué en nom-
bre de cas, M. Manitius s'est résigné à une division par « genres » ou
par « disciplines». 11 traite successivement des « écrivains universels »
(tels que Boèce, Cassiodore, Isidore de Séville, dans la première
période, Paulus Diaconus, Alcuin, etc., dans la seconde) de la théo-
logie, de la philosophie et sciences naturelles, de la philologie et
grammaire, de la poésie, de l'histoire et géographie. Contrairement à
la pratique de Schanz, il a cru devoir éliminer de son plan les œuvres
juridiques : ne voulant pas y incorporer toute la littérature canonique
ecclésiastique. Il en a exclu également, au nom de la notion même
de « littérature » — et cette notion, on eût souhaité qu'il précisât par
quelques définitions le concept qu'il s'en est formé — les traductions
de la littérature technique grecque, ainsi que bon nombre de récits
historiques, de légendes hagiographiques, d'hymnes et de séquences,
Jugés en bloc « insignifiants ».
L'inventaire descriptif dressé par M. Manitius n'est donc pas tout
à fait complet. Tel qu'il est, il résume et classe à notre usage le labeur
de toute une vie de savant, et cela avec une variété d'informations,
d'histoire et de littérature 217
une minutie critique, qui laisse bien loin derrière soi lAllg-. Geschichte
der Litcr. des Mittelalters, d'Adolf Ebert . M. Maniiius connaît, non
pas seulement les œuvres imprimées, mais aussi les œuvres manus-
crites. En dépit des lacunes, des inexactitudes de détails qui ont été
signalées dans son travail, ou qui le seront', ce répertoire est de beau-
coup le plus complet et plus sûr dont on dispose présentement.
Il otïre plusieurs sortes d'intérêts. Certes, la plupart des écrivains
dont s'occupe Manitius sont de mince envergure. Cette littérature
perpétuellement didactique, moralisante, allégorisante, vit de gloses
et d'excerpla. Elle exploite un patrimoine qu'elle n'enrichit guère et
dont souvent elle méconnaît l'esprit. Mais en l'utilisant, du moins le
sauve-t-elle de la ruine. Cette survie de la culture gréco-latine au
moven âge, nous en pouvons suivre les étapes à travers le livre, sur-
tout dans les introductions que l'auteur a mises en tête de chacune des
parties principales. Si l'on y joint la lecture des deux études parallèles,
l'une plus générale, l'autre plus technique, que M. Norden a rédigées
pour la Kultiir der Gegenwart [Die Griech. u. lat. Liter. u. Spr.,
3« éd. [191 1], Teubner, p. 483-520) et pour YEinleitung in die Alter-
tumswiss. de Gercke-Norden, t. I (191 1), p. 552 et s. % on se formera
une idée distincte des immenses services que les influences conserva-
trices du moyen âge, et en première ligne, l'Eglise et les monastères,
ont rendus à la civilisation.
Ceux-là même qui bornent de préférence leur horizon à la littérature
romaine classique, aimeront à s'aider de l'ample Index qui clôt l'ou-
vrage pour se rendre compte de l'action que leurs auteurs favoris ont
exercée sur les écrivains du moyen âge, des allusions que ceux ci y
ont faites dans leur prose ou dans leurs vers. C'est là une question
qui, depuis plus de vingt ans, sollicitait la curiosité de M. Manitius :
on n'aurait, pour s'en convaincre, qu'à feuilleter la collection du
Rhein. Muséum, du Philologus, deVArchiv der Ges.f. altère deutsche
Geschichtskunde, où il dispersa Jadis tant de notes et d'articles, qu'il
ramasse ici dans leur cadre naturel. Il est loisible ainsi de mesurer
le prestiged'un Virgile, d'un Ovide, d'un Pline l'Ancien, et, par contre,
l'oubli où fut ensevelie la mémoire de Tacite, de Properce, etc., etc..
Pareille enquête devient également facile à propos des « Pères ». La
moisson est aussi riche que féconde en enseignements.
Je voudrais en terminant adresser une ou deux critiques à l'auteur.
Pourquoi a-t-il rendu son livre si dense, si massif, j'allais dire si
accablant ? Une composition typographique plus intelligente eût par-
tiellement corrigé cette impression désagréable. Il aurait fallu diffé-
1. En voici une, p. 33, 1. 26 ; lire : Journal des Savants, 1889, 44g.
2. Il serait préjudiciable d'oublier la belle étude de Roger, L'Enseign. des lettres
classiques d'Aiisone à Alciiin, Paris, i(jo5, et le résumé substantiel de M. Louis
Havet, dans les premières pages de son Manuel de critique verbale, Paris,
191 1 .
2 l8 REVUE CRITIQUE
rencicr plus clairement le nom des auteurs du titre des groupes d'ou-
vrages (v. g. p. 23 Boetliius, p. 26 Schriften zum Quadriuium). Pour-
qu(M les titres en caractères gras disparaissent-ils subitement à partir
de la p. 3 I ? Pourquoi, parmi tant d'indications bibliographiques, plu-
sieurs sont-elles sanslieu ni daie?Le lecteur est-il tenu, par exemple, de
savoir que VAnecdoton Holderi, d'Usener (p. 24) a été publié à Bonn,
en 1877, ou l'étude de Franz sur Cassiodore (p. Sq) à Breslau, en
1872? L'ouvrage manque d'air. On y ctoutTe.
Il manque un peu d'art aussi. On aurait aimé qu'après avoir énu-
méré les œuvres, accumulé les données positives, Manitius s'essayât
à recomposer la phvsionomie morale et intellectuelle des écrivains
dont il s'occupe; non pas de tous, sans doute, mais de ceux qui
méritaient un tel traitement, Cassiodore, par exemple, ou Boèce,
ou Béda, ou Colomban, etc. Les vues générales des introductions ne
suppléent pas à ce déficit. M. Schanz excelle dans le Riickblick final,
où, après la dissection critique, l'auteur étudié ressuscite et se dresse
avec ses traits particuliers. L'immense matériel réuni par M. Manitius
ressemble trop, par endroits, à une riidis indigestaqiie moles : avec
plus de goût, plus de sens philosophique et littéraire, l'auteur lui
aurait soufflé la vie.
Pierre de Labriolle.
Dom Jean Parisot, Étude de généalogie lorraine. La famille Parisot de Plom-
bières. Nancy, imprimerie Crépin-Lehlond, 247 pages, tables et planches.
Nulle famille n'est plus populaire à Plombières et aux environs que
celle des Parisot. Elle a fourni des banquiers, des notaires, des admi-
nistrateurs des thermes, des maires, des prêtres. L'un des membres de
cette famille, dom Jean Parisot, a dressé l'arbre généalogique et réuni
tous les renseignements qu'il a trouvés sur elle. Il a pu remonter jus-
qu'au milieu du xv!*" siècle, à Hanneso Parisot, « mayeur ». L'étude
est faite avec grand soin, à l'aide des archives de Plombières, de Val
d'Ajol, de Remiremont, des archives départementales de Meurthe et
Moselle, de la collection lorraine à la bibliothèque nationale. Les his-
toriens de la Lorraine auront souvent à la consulter. L'ouvrage a été
tiré à 170 exemplaires numérotés.
C. P.
Albert Denis. Le Comité de surveillance révolutionnaire de Toul (1793-
1795). Toul, impr. G. Laurent, 160 pages, in-S».
M. Albert Denis, aujourd'hui député de Toul, a publié en 1892 un
premier volume sur l'hisioire de Toul pendant la Révolution ; il y
racontait la suite des faits depuis la convocation des états-généraux
jusqu'à la proclamation de la République (21 septembre 1792). La
seconde partie de cette étude jusqu'au 18 brumaire an VIII est en
cours de publication dans VÉcho toulois. De cette histoire gêné-
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 219
raie il a distrait un chapitre important concernant les comite's de sur-
veillance qui se sont succédé dans la ville de 1793 à 1795. Le premier
Comité fut créé le 12 avril 1793 et composé de sept membres, le juge
de paix du canton, deux membres du district, du Conseil de la com-
mune et de la société des amis de ta Liberté et de l'Égalité. Le 2 juin,
deux Comités de surveillance, correspondant aux deux sections de la
ville, Saint-Etienne et Saint-Gengoult, turent élus, chacun composé
de douze membres, conformément au décret du 21 mars. Le i^"" no-
vembre, autre changement : Toul a un seul Comité dont les douze
membres sont désignés par la société populaire ; puis les membres du
Comité sont nommés par les représentants du peuple en mission. Bar
le 20 février 1794 et Michaud le 6 octobre 1794. Sur les attributions
de ces divers comités, M. Albert Denis fournit les renseignements les
plus précis. Il donne la liste exacte des personnes qu'ils firent arrê-
ter ; il publie les renseignements qu'ils envoyèrent sur elles au
Comité de sûreté générale; il indique la part prise par eux à la levée
de 1793. Signalons quelques petites erreurs de détail. Ce n'est pas
Levasseur (René) de la Sarthe, mais Levasseur (Antoine-Louis) de
Sarrebourg qui fut envoyé comme représentant du peuple dans les
départements de la Meurthe et de la Moselle, le 9 mars 1793 (cf. l'ar-
rêté du 28 avril 1793, p. 14); p. 35, lire Harlaut (Nicolas-Jacques),
au lieu de Harlaiix; p. i33 note, lire Altkirch au lieu de Altkirche.
C. P.
Gustave Jakob. L'illusion et la désillusion dans le Roman réaliste français
(1851 à 1890). Paris, Jouve, i9ii;in-8° de 143 pages (thèse de l'université de
Paris).
Une idée ingénieuse, et juste dans l'ensemble : le roman « réaliste »
de Flaubert, des Concourt, de Zola, est surtout le roman des désillu-
sions romantiques : c'est moins l'étude immédiate de la vie que le
contre-coup des réalités vitales sur des esprits gonflés d'irréalité qui
préoccupe, au fond, ces écrivains (et il aurait été juste d'ajouter à
ceux-ci le Feydeau de Fanny, le Fromentin de Dominique et la
G. Sand de quelques œuvres tardives, où le rappel au vrai s'accom-
pagne de plus d'optimisme). L' « illusionnaire « heurté par les choses
que n'apercevait pas son romantisme inné ou acquis, c'est en effet un
type d'humanité que toute la littérature post-romantique européenne
devait connaître et goûter, et que M, Jakob retrouve au fond de la
figuration « réaliste », Des analyses assez exactes, mais trop poussées
souvent dans le sens de cette thèse initiale, illustrent cette idée inté-
ressante '.
La même insistance, plus périlleuse ici, fait souhaiter à M. J. que
I. La correction typographique laisse beaucoup à désirer. Certaines notes (p. 94,
n. 4, p. 9-, n. I , p. I 1 2) ont une bizarrerie catégorique qui ne laisse pas de com-
promettre une idée juste.
220 REVUE CRITIQUE D HISTOIRE ET DE LITTERATURE
la psychologie tire parti des documenis fournis par la littérature; et
c'est tout un système de l'acquisition des idées qu'il engagerait volon-
tiers dans son hypoilièse : mieux encore que la théorie de Taine sur
rhallucination vraie, une remarque de Bersoi à Renan, 22 janvier
i852 {ap . Hémon, p. io5) servirait de devise à celle proposition, « il
semble. .. que la première connaissance ne soit jamais qu'une appa-
rence trompeuse, et que la science consiste uniquement à user cette-
illusion. Notre monde n'est pas d'obscurités, mais de fantômes ».
Mais la philosophie sera en droit de récuser le témoignage de l'artiste
1° à cause de la déformation esthétique; 2" à cause de l'origine souvent
étrangère des éléments employés par la création d'art.
F. Baldensperger.
Académie DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance dit i" mars J () 1 2 . —
M. Cordier communique deux lettres de M. Gironcourt, 17 et 20 jan\ier. Les pié-
tendus saints « Echabas » enterres dans la région de Djenne n'ont été que des
marabouts indigènes d'époque postérieure et étrangers à cette première intiltraiion
musulmane en Afrique occidentale dont M. de Gironcourt a rapporté la tradition.
M. de Gironcourt a recueilli quelques traditions de cette ville de Dia qui serait
vieille de mille années et garde quelques témoins de cet art de sculpture sur bois
encore en honneur dans les pays sarakollés. Les échantillons de Dia tirent leur
valeur de leur âge, car depuis l'époque reculée à laquelle les reporte la tradition
locale (xi'= s.), ces objets ne semblent plus avoir été fabriqués dans la ville. P'nfin
M. de Gironcourt envoie les copies de 73 mss. recueillis à Djcnné et dans le Macina
qui éclaireront sans doute l'histoire de ces régions. iM. de Gironcourt devait quit-
ter Tombouctou le 21 janvier pour se rendre à Gao, Kidal, Es-Souk, Taiaya, pour
remplir le principal objet de sa mission, l'étude des nécropoles, qui le retiendra
surtout entre Bamba et Bentia, et sans doute aussi entre Kidal et Taiaya.
L'Académie procède à l'élection d'un membre libre en remplacement de
M. Edmond Saglio, décédé. II. y a 44, puis 45 votants; majorité 23.
i"""" tour 2<' tour 3« tour 4<^ tour.
MM. Bayet i5 16 18 19
Blanchet 9721
Capitan ■ 3 400
Ulysse Chevalier 9 14 22 25
Espérandieu. . . . • 4 22 o
Alex, de Laborde 4 2 i o
M. le chanoine Ulysse Chevalier, qui a obtenu la majorité des voix, est proclamé
élu par M. Léger, président. Son élection sera soumise à l'approbation de M. le
Président de la République.
L'Académie décerne le prix Estrade-Delcros à Madame Vve Auguste Longnon.
L'Académie désigne, pour la direction de l'Ecole française d'.^thènes, en première
ligne M. Homolle, en seconde ligne M. Pierre Paris.
Léon Dorez.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-eu-Vclay. — Imprimerie Pej rillcr, Rouclion cl Gamoii.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 12 - 23 mars. — 1912
Gerckk et NoRDEN, Introduclidii à la science de l'antiquité. — Aristote, Politique,
p. Thaliieim. — Papyrus grecs de Giessen, 1, 2, p. P. M. Meyer. — Foucart,
Les Athéniens dans la Chersonèse de Thrace. — Klotzsch, Histoire de l'Epire.
— Nonnos, p. Ludwich. — Enéide, II, p. Diehl. — R. Pichon, Les sources de
Lucain. — Bovet, Lyrisme, épopée, drame. — Mornet, Les sciences de la
nature en France au xviii« siècle. — Voizard, Sainte-Beuve. — Perkins, La
France et la révolution américaine. — Bryce, La république américaine, I. —
Kelsey, Latin et grec dans l'éducation américaine. — Meynadier, L'idée répu-
blicaine dans les pays monarchiques d'Europe. — Marvaud, Le Portugal et ses
colonies. — Gaffié, La crise constitutionnelle anglaise. — M. Vauthier, Essais
de philosophie sociale. — Wii.lricii, Livie. — Macé, La prononciation du latin.
— Académie des inscriptions.
Einleitung in die Alterturaswissenschaft, par A. Gergke et E. Norden, î. III,
Leipzig et Berlin, Teubncr, 1912, in-8°, 428 p. 9 mks.
Ceci est le troisième volume d'une collection dont le tome II a été
présenté dans cette Revue l'an dernier. Celui-ci comprend l'histoire
grecque et l'histoire romaine, les antiquités publiques de la Grèce et
de Rome.
L'histoire grecque Jusqu'en 338 est traitée par M. Lehmann-Haupt
(p. i-i 20), l'histoire grecque depuis Alexandre par M. Beloch(p. 120-
154), les antiquités publiques grecques par M. Br. Keil (p. 297-388),
l'histoire romaine sous la République par M. Beloch (p. 155-204),
l'histoire de l'Empire romain par M. Kornemann (p. 2o5-2g6), les
antiquités publiques de Rome par M. Neumann (p. 387-428). L'in-
convénient des ouvrages collectifs est sensible ici, les auteurs ne sont
pas toujours d'accord sur les mêmes questions, par exemple sur la
question de la conquête étrusque à Rome (p. 160, p. 393).
La disposition adoptée dans cette collection, pour chacune des
parties, nous paraît particulièrement heureuse : d'abord un exposé
didactique, puis la bibliographie, puis une troisième rubrique com-
prenant les problèmes qui sont à l'ordre du jour de l'érudition.
Dans l'histoire grecque, je signalerai les observations de M. Leh-
mann-Haupt sur les mesures ' et sur la reprise de Babylone par
I. Je n'ai pas besoin de dire que l'explication des mesures censitaires de Solon
(p. iio), très ingénieuse, l'est trop à mon avis; j'ai dit ailleurs que je ne pouvais
admettre rien de tel au vi*^ siècle.
Nouvelle série LXXIII u
222 REVUE CRITIQUE
Xcrxès après 480. Il tend à identifier l'historien d'Oxyrhinchos avec
Cratippe plutôt qu'avec Théopompe.
Au chapitre sur les antiquités publiques de la Grèce, M. B. Keil
a joint une bibliographie importante à consulter pour l'étude du droit
grès. A lire aussi, dans l'histoire de l'Empire de M. Kornemann, sous
la rubrique Problèmes, le passage relatif à Byzance et à la Perse,
riran étant à l'ordre du jour.
M. Neumann est l'auteur de travaux sur l'histoire romaine primitive
qui ont bénéficié de l'entraînement de la science allemande et sont
pleins de bonnes intentions. Dans le chapitre qu'il consacre ici aux
antiquités publiques de Rome, il apporte à ces travaux quelques
compléments intéressants (p. 424, etc.). On attend avec curiosité le
travail qu'il annonce sur les assemblées romaines '.
L'index est pour les tomes I, II, III, mais je n'ai pas bien discerné"
les principes suivant lesquels il a été compose. Il y a un utile index
des textes cités et corrigés.
E. Cavaignac.
Aristotelis HoTvtTsîa 'AÔT.vaiwv, post Fridericum Blass edidit Th. Thalheim. Leipzig,
Teubner, 1909; xvi-128 p. {Bibl. script, greec. et rom. Teubneriana).
Le titre nous indique que c'est le texte de Blass que M. Thalheim
a pris pour base de cette nouvelle édition de la \Wk'.-i[% 'AOT.vaâov; et en
effet on y lit une bonne partie des corrections proposées soit par Blass
lui-même, soit par d'autres savants, et que Biass a admises dans sa
quatrième édition (ipoSj.Il s'en faut, toutefois, que M. Th. observe
les mêmes principes que son prédécesseur. Sa méthode est d'abord
plus conservatrice; non seulement les leçons du papyrus (L) sont
retenues, lorsque ni le sens ni la grammaire ne s'y opposent, par
exemple p. 6, 1. 19 ■^'.^loixbtr^Q (Blass Y'Y-'''^iI^-"*''^i^); 7i ^ y.a-cappjTiatvs'.v (B
p'JTc.); 54, 5 (Tuvea-ro'joajav (B -^ov) ; 66, 24 xa^rayvoùaa (B xaTaYvôvto;), etc.,
mais elles sont encore respectées, ce que Blass ne faisait pas toujours,
dans les cas où il s'agit seulement de la forme extérieure des mots,
comme dans l'addition ou l'omission du v dit euphonique, dans
l'emploi delauToùet auToù, de èâv et av, etc. M.Th; écrit cependant îooj-
Xô[jLT,v, iouvâjxTjv (Blass suit L rjg., 7)8.) seules formes en usage avant 3oo,
et (TTpa-£Îa au sens de « expédition », au lieu de i-otz'.% 32, i3 ; 38, i,
que Blass conservait, comme orthographe attestée par les inscriptions
de l'époque. En second lieu, M. Th. repousse certaines corrections,
suppressions ou transpositions, que Blass croyait justifiées par sa
théorie des rythmes; 18, 14 y.aî y^vaty-a [jley^Xt.v /.a'. /.aXv/, Blass Y'jvaT/.a
■/.%: ]x. /.a; /.. « ob numeros » ; 3o, 18 xt,v h Mapafitov'. [xiyr^^', Blass sup-
primait âv pour la même raison, d'ailleurs à tort; 88, 10 èXaîav [xoptav,
1. Je ne puis souscrire à l'explication des chiffres primitifs pour les centuries
(p. 39g) : j'ai dit pourquoi en rendant compte du livre de M. Botsford {Jotini,
des Savants, 1911).
d'histoire Et DE LITTERATURE 22^
Blass supprimait j^op'a/ : « dubiam rem disceptent numeri ». Enfin,
M. Th. accorde moins d'importance, partant moins de confiance aux
corrections faites de seconde main dans le manuscrit, dont Blass ad-
mettait un certain nombre dans son texte; il lit avec L 29, 8 rpôç; 33, 4
xaTâ; 42, 22 r, rîVTa/.'.a^'.Xîo'.;; 45, 4 Tito', opy.o'j; 5o, l3 sT^ov (e/^ov L) ; 5 7,
12 'EXs'jtTv'., au lieu de /.'x-i, itiot, TCîv-ax'.Ty.Xfiov, Tztpl xoù opvco'j, sîa/ov, ev
'EXs'jaTvt (L 2<= main et Blass). En somme, M. Thalheim, à juger
d'ensemble son édition, est plus circonspect que Blass, qui du reste
confessait lui-même être assez audacieux : « quod ad emendationem
attinet. . . ego paullo audentior (factus sum), magis etiam postquani
numerorum auxilio rectius uti didici » (4^ édition, p. XXVI).
My.
Griechische Papyri im Muséum des oberhessischen Geschichtsvereins zu
Giessen, im Verein mit O. Eger hgg. und erki. von E. Kornemann und
P. M Meyer; t. I, fasc. 2 par P. M. Meyer. Urkunden Sô-Sy mit 3 Lichtdruck-
tafeln. Leipzig et Berlin, Tcubner, 1910; 104 p. in-4».
La publication des papyrus grecs du Musée de Giessen, entreprise
par MM. Eger, Kornemann et Paul M. Meyer, a commencé par le
second fascicule du premier volume, qui contient 22 documents,
n°s 36-57. Ils ont été répartis par l'éditeur, M. Meyer, en trois
groupes : I. Transcriptions grecques de papyrus démotiques (36-3g);
II. Papyrus des trois premiers siècles (40-51); III. Papyrus du iv" au
VI'' siècle (52-57). Il y a dans ce fascicule divers morceaux particu-
lièrement intéressants. Le n» 39 est la traduction en grec d'une
Tjv/o.pT.çrt?, acte ayant pour but de mettre fin à un litige, contrat
intervenant entre les parties pour terminer une affaire, accommode-
ment et non jugement. Il s'agit de quatre sœurs qui sont en procès
au sujet d'un terrain de 35 aroures, et qui s'engagent, par une décla-
ration remise à l'épistratège de la Thébaïde, Boéthos, à s'abstenir
dorénavant de toute attaque en justice; selon M. M., cela doit s'expli-
quer par la constitution d'un droit de propriété commun aux deux
parties. Le n° 37 contient plusieurs actes probablement relatifs à un
même procès; l'un, qui est intact, est un contrat de fermage concer-
nant un terrain situé dans les dépendances du temple d'Hathor à
Gebelên. N" 41 : le stratège d'Heptakomia, ApoUonios, demande au
préfet d'Egypte un congé de 60 jours pour aller mettre de l'ordre
dans ses propriétés, qui ont souffert de véritables dommages -rcapà ttjV
twv àvoTtwv 'lo'joattov l'cçooov (il 5-1 17). N° 43 : feuille de recensement,
y.'x-.' o'./.fav à-7ûOYpa(f7j, du locataire d'une maison au village jusqu'ici
inconnu de Tanyâthis. N° 47 : un agent envoie au stratège ApoUo-
nios des renseignements au sujet d'achats dont il a été chargé (achat
d'armes, entre autres), et qu'il a faits dans de bonnes conditions; mais
à Koptos, où il se trouve, les prix, dit-il, changent tous les jours.
N" 5o : offre de prendre à bail deux vestiaires aux thermes d'Oxyryn-
224 REVUE CRITIQUE
chos; ce xa'j/ipto; dc'sirc succéder à son père décédé. N" 64 : texte qui
fournit d'importants renseignements sur l'administration de Vannoua
militaris. N" 55 : lettre d'un évéque à un autre évcque en faveur d'un
prêtre qui a laisse son diocèse on ne sait pour quelle cause, pour lui
faire conférer les fonctions de diacre dans son nouveau domicile.
N" 56 : pièce très intéressante; contrat de fermage d'un vignoble
dépendant d'un monastère, avec un état des machines et la détermi-
nation des obligations du fermier relativement à la culture. Le mor-
ceau capital du recueil est le n» 40, qui est longuement et soigneu-
sement commenté par M. Meyer. Il comprend trois édits de Caracalla,
ou plutôt deux édits et une instruction adressée au préfet d'Egypte.
Le premier nous fait connaître le texte de la constitutio Antoniniaua,
qui conférait le droit de cité aux peregrini de l'empire (212), et le
second complète le décret d'amnistie générale qui fut rendu en 212,
lorsque Caracalla fut seul empereur après le meurtre de son frère
Géta; quant à la troisième pièce, elle date de 21 5, époque où Cara-
calla ciait à Alexandrie, après la répression du soulèvement de cette
ville, et renferme des instructions relatives à l'expulsion d'Alexandrie
de tous les Égyptiens venus du dehors, à l'exception de certaines
catégories de marchands. Je signale en terminant quelques mots
nouveaux fournis par les textes publiés dans ce fascicule : yjvt, tpo-
<j»Tti<; (36 et 37), dont le sens n'est pas très clair, et que M. Meyer
explique par « femme mariée sous un certain régime (alimentation ?) » ;
TavjâOiî(43), nom de village; ax|j.a£ipa(47), objet inconnu; ■/jjpiT.y.fiyf, (48),
domaine royal (?) ; SEXc/axti; (49), jeune truie, mot dont a déjà un exem-
ple; xà Ttpôi'^iopa (5l) = r, xxp-î!a; y.aXaij.oo":aî'.a (56), plantation de
roseaux.
My.
P. FoucART, Les Athéniens dans la Chersonèse de Thrace au iv' siècle.
Paris, linpr. nationale, 1909, 40 p. (Extrait des Mém. de l'Acad. des Inscr. et
Belles-Lettres, t. XXXVIII, 2'^ partie, p. 81-120).
Les Athéniens, ayant perdu leur puissance maritime après la guerre
du Péloponnèse, s'efforcèrent de la reconquérir; une de leurs pre-
mières entreprises fut de s'emparer de la Chersonèse de Thrace.
Plusieurs inscriptions nous éclairent sur la politique suivie alors par
Athènes, depuis la paix d'Antalcidas jusqu'au moment où Philippe
lui enleva ses dernières possessions en Thrace, c'est-à-dire pendant
une période d'une cinquantaine d'années. Ces inscriptions font l'objet
du présent travail de M. Foucart ; elles y sont analysées, commentées,
restituées en partie, avec la science la plus sûre, et de cette série
d'études se dégage un chapitre de l'histoire d'Athènes, sobre et
lumineux, où rien n'est obtenu par des combinaisons hasardeuses, où
tout, au contraire, est dû à une méthode impeccable et à une discus-
sion rigoureuse des textes. Dans l'inscription CIA, IV, 14 c, la rcsti-
d'histoire et De littérature 22 5
tution l. I I 'Jy> -/cifjosajTTlv est des plus heureuses ; le général honoré de
réloge était le gendre ou le beau-frère d'Ebruzclmis,'"roi des Odryses,
qui doit se placer entre Seuthès et Kotys. Ce même texte contient un
détail très important pour la détermination de la] date des décrets
athéniens ; M. F. observe en effet que l'inscription, postérieure à la
paix d'Antalcidas, doit être exposée èv à-Apo-nôlzi, que les documents
antérieurs portent constamment h irôÀEt, et que par conséquent l'emploi
de l'une ou de l'autre formule détermine la date par rapport à l'année
386. D'une autre inscription (CIA, IV, 2, 65 b) il déduit l'interpréta-
tion d'un passage assez obscur du discours de Démosthène contre
Aristocrate, 170, slvat xt,v àoy-r^^i y.otvT,v Tr,;0po(xr,ç eÎ; -rpsTs otrjp-riiJtÉvTjV ; les
trois rois Bérisadès, Amadokos et Kersobleptès régnent en commun,
mais les tributs des villes thraces ne sont payés qu'à l'un d'eux, sui-
vant les régions. Le texte CIA, II, 961 fournit à M. F. l'occasion
d'une de ses restitutions les plus sagaces, et d'une grande vraisem-
blance, sinon absolument certaine ; les noms propres sont ceux des
triérarques qui tirent sous les ordres de Charès une expédition sur les
côtes de Thrace et dans l'Hellespont en 357, expédition qui se ter-
mina parle traité mentionné dans le discours contre Aristocrate, 173.
Les Athéniens ne poursuivirent pas immédiatement l'exécution de ce
traité; ce fut seulement en 353 qu'ils envoyèrent des clérouques en
Ghersonèse ; un second envoi eut lieu dix ans plus tard, en vertu
d'un décret aujourd'hui perdu, mais dont M. F. retrouve les dispo-
sitions générales dans une inscription postérieure de quelques années,
relative à la ville d'Eléonte. Enfin M. F., à l'aide de quelques inscrip-
tions et du commentaire de Didyme, expose la suite chronologique
des événements qui eurent lieu après l'intervention de Philippe :
sièges de Périnthe et de Byzance, capture des vaisseaux de commerce
athéniens à Hiéron, envoi d'une flotte sous les ordres de Charès, puis
d'une seconde, conduite par Phocion et Képhisophon, levée du siège
de Byzance en 339, après quoi les Athéniens, défaits à Chéronée,
perdirent la Chersonèse. C'est ainsi qu'une fois de plus M. P, Foucart
nous enseigne magistralement à commenter les documents] épigra-
phiques et à les faire servir à l'intelligence du texte des auteurs '.
• M Y.
Epirotische Geschichte, von C. Klotzsch, Berlin, 191 1, 240 p. in-S", 6 marks.
L'auteur a divisé en sept chapitres l'histoire de l'Epire jusqu'en
280 av. J.-C.
Dans le premier, il la conduit jusque vers l'année 429. Il fait très
grande la part de l'élément illyrien (p. 2, n. i, je suis plutôt porté à
interpréter comme M. Beloch le à^vw^xotaxot de Thuc. III 94). Il
insiste sur le rôle dominant des Chaoniens en 429.
I. P, 9, lire w Ssvo'fwv ; 14 note, Kotuoç; 17 Koumanoudis,
220 REVUE CRITIQUE
Dans le 2' chapitre, il traite du début de la prépondérance des Mo-
losses. Il parle d'Admète, de Tharyps, et de la constitution de ce peu-
ple. C'est en lisant ce chapitre qu'on fera bien de se reporter à l'ap-
pendice sur l'histoire mythique de l'Epirc, où l'auteur donne p. 221)
quelques vues suggestives sur la tragédie Andromaquc, dTiuripide
-voir aussi p. 226, l'étude de la légende de Lanassa, que M. K. attri-
bue à l'historien Proxène^.
Dans le 3% l'auteur attire l'attention sur le contre-coup de la vic-
toire de Sparte en Epire, ce qui, je crois, n'avait pas été fait avant
lui. Il parle du rétablissement d'Alkétas, de ses relations avec Jason,
et de l'organisation de la confédération épirote.
Dans le 4'", il est question de Néoptolème Ii et d'Arybbas. L'auteur
parle p. 62) de la première intervention de Philippe; il date la
seconde ip. jS) du début de 342, et place vers ce temps ip. 80) l'acqui-
sition de la Paravéa par les Macédoniens. Enfin on trouvera ip. 85)
des vues intéressantes sur la part prise par Alexandre le Grand à
l'entreprise d'Alexandre d'Epire en Italie.
Dans le 5% il parle du gouvernement d'Olympias, et, dans les
guerres civiles qui suivent, met bien en relief la lutte des deux
branches royales p. 95 : se reporter, ici, à la note de la page 229;
p. 108). Chemin faisant, il donne son opinion sur certains faits de
l'histoire des Diadoques (p. 126, p. 139, n., où il réduit à la Cilicie le
domaine de Pleistarchos).
Dans les 6^ et 7^ chapitres, il est question de Pyrrhus depuis 297
jusqu'en 280. A propos du meurtre de Néoptolème (p. iSg), l'auteur
donne d'intéressants détails sur l'état économique du pays. A lire
aussi fp. 173 sqq.) les observations sur la situation de l'Acarnanie et
de l'Etolie, et (p. 211) la chronologie des rois de Macédoine de 323 à
280. L'auteur s'arrête à l'expédition d'Italie : il jette un regard de
regret sur les expéditions de Pyrrhus en Illyrie, qui auraient pu être
le commencement d'une évolution intéressante de ce côté. Peut-être
faut-il tenir compte ici, comme pour l'avortement de la monarchie
thraco-macédonienne, de l'intervention des Celtes.
L'index des noms propres est soigné.
Le livre sort de l'école de M. Ed. Meyer : c'est di^e qu'il est alerte,
« pragmatique », la narration nourrie, la discussion serrée. Malheu-
reusement, la forme n'est pas sans être parfois empreinte de négli-
gence.
E. Cavaignac.
Nonni Panopolitani Dionysiaca recensuit A. Lldwh.h. Vol. prius libres I-XXIV
continens. \o\. alterum libros XXV-XLVIII continens. Leipzig, Teubner,
1909-1911. Deux vol. de xxvi-5oi et 536 pp. [Bibl . script, grœc. et rom.
Teubneviana).
Il serait difficile de présenter les Dionysiaques comme un poème
d'histoire et de littérature 227
plein d'intérêt. Certes, Nonnos a des qualités qu'il serait injuste de
lui refuser : il fait facilement le vers, trop facilement, malgré les
règles compliquées qu'il s'astreint à suivre ; il a de l'imagination,
parfois de la grâce, et on trouve chez lui, çà et là, des petits tableaux
qui ne sont pas sans charme. Mais ces qualités sont tellement étouf-
fées sous des défauts choquants, dont les plus saillants sont la pro-
lixité et la monotonie, qu'il a fallu quelque courage à M. Ludwich
pour se décider à publier de nouveau les 21000 vers de ces 48 chants.
Mais M. L. s'occupe depuis fort longtemps de la critique de Nonnos
et de ses manuscrits; les éditions antérieures (la dernière, celle de
Kœchly, remonte à un demi-siècle) n'ont pas suffisamment apprécié
la valeur intrinsèque des manuscrits ; le texte, qui a donné lieu à
d'assez nombreux travaux sur la versification de l'auteur, a été peu
étudié pour lui-même ; enfin les fragments publiés dans les Berliner
Klassikertexte, V, i (1907) sont venus confirmer l'importance du
Laurentianus, XXXII, 16; et M. L. a donné son édition. La préface
nous éclaire d'abord sur la personnalité de Nonnos, ensuite sur les
manuscrits et leurs deux familles, dont les représentants actuels sont
pour la première le papyrus de Berlin (n), et pour la seconde le
Laurentianus (L) et son apographe le manuscrit d'Heidelberg, ce
dernier source directe ou indirecte de tous les manuscrits existants.
Dans l'appareil critique, M. L. donne toutes les leçons de n et de L,
avec un choix abondant de variantes des autres manuscrits; on pourra
ainsi se faire une idéejuste du caractère et de l'origine des nombreuses
corruptions qui altéraient le texte de Nonnos, auxquelles les éditeurs
des Dionysiaques ont remédié en partie, et que M. L. lui-même a
parfois heureusement corrigées ", mais qu'il ne se flatte pas, nous
dit-il, d'avoir éliminées complètement. C'est qu'en effet la tradition
de L laisse beaucoup de place à la critique conjecturale, et ne per-
met pas toujours de retrouver le texte original avec sûreté. M. L.
donne en outre dans son annotation, pour que l'on puisse suivre
l'histoire du texte, la plupart des lectures et des conjectures des
éditeurs précédents et des savants qui se sont occupés de Nonnos soit
dans des articles spéciaux, soit incidemment à l'occasion d'autres
études. Il ne néglige pas, enfin, de citer les passages d'autres poètes
que Nonnos a pu imiter de près ou de loin. J'aurais préféré cepen-
dant que ce dernier genre de notes fût mis à part en une série spé-
ciale, en dehors des conjectures proposées et des leçons des manus-
crits; la réunion de toutes ces notes en une seule série ne va pas sans
quelque confusion. Un index très complet des noms propres termine
le second volume. Nous avons donc là une bonne édition, métho-
I. Les corrections personnelles de M. Ludwich, introduites par lui dans le
texte, dépassent le nombre de i5o; elles sont motivées, pour la majeure partie,
par la comparaison avec d'autres passages de Nonnos, et méritent d'être prises en
considération,
228 REVUE CRITIQUE
diquc et consciencieuse, et très pratique par l'abondance des rensei-
gnements qu'elle fournit sur le texte ; on saura gré à M. Ludwich de
l'avoir entreprise et menée à bonne fin.
My.
Kleine Texte fuer Vorlcsungen und Uebungen herausg. von Hans Lietzmann,
80. Vergil Aeneis II mit dem commentar des Servius herausg. von D' Ernst
DiEUL a. o. prof, in lena. Bonn, Marcus und Weber, 191 1, i3i p., in-12, 2 m.
J'ai déjà eu occasion de signaler la collection des Kleine Texte ' de
Lietzmann. Je n'y reviens pas. Je voudrais seulement noter avec
plaisir ce retour à des habitudes saines, quittées chez nous depuis
le xviii« siècle, celles de placer, sous le texte ou à côté, les commen-
taires anciens qui l'expliquent ; nous avons vu déjà combien cette
juxtaposition est commode pour le Cicéron de la même collection
éclairé par Asconius et les autres scolies ; pour le Perse et le Juvénal,
depuis Jahn, cela nous paraît indispensable; nous y arrivons enfin
pour Virgile. A gauche est le Virgile, au-dessous et à droite, le Ser-
vius. Sigles et signes conventionnels sont empruntés à Ribbeck et à
Thilo. L'apparat de Ribbeck, comme celui de Thilo, sont remis au
courant et complétés par les indications ou les conjectures nouvelles
des savants. Ce travail a été bien fait et à lui seul ce n'était pas déjà
une si petite affaire. Dans les deux apparats, renvois utiles au Thé-
saurus et à nos recueils nouveaux (Funaioli, etc.).
Pour le texte de Virgile, peu de changements; M. D. se fonde en
gros sur Ribbeck et se réfère à ses prolégomènes. Il ajoute dans
l'apparat ce qui était absolument nécessaire; on s'attend bien à
retrouver là les noms des savants qui ont écrit sur le sujet : Weidner,
Kloucek, Kvicala, Baehrens, Schoell, Gebhardi, Heinze, Bethe, etc.
Pour les scolies les différences, avec Thilo, sont peut-être plus
sensibles et constituent dans l'ensemble un progrès. Les scolies de la
renaissance représentées par le manuscrit de Dresde, que Thilo rejetait
au bas de la page, sont ici à droite, entre le Servius et l'apparat des
scolies. C'a été aussi une bonne idée que de distinguer, d'une manière
commode, dans les scolies du FuUensis, la recension intégrale de
celle qui est abrégée. M. D. a employé pour cela les demi crochets
(ri). Ce qu'ils enferment forme le texte du manuscrit de Cassel qui
donne seul beaucoup de scolies. On s'étonnera peut-être, non sans
raison, de cette mise à part; car la recension du Cassellanus est la
recension relativement normale, tandis que celle du manuscrit de
Paris n'est qu'un abrégé souvent étranglé et négligé. Mais comme il
ne s'agit après tout que de signes conventionnels, on en prend vite
son parti. ^
Je m'accommoderais beaucoup moins de la manière dont est rédigé
en quelques endroits l'apparat, par ex. la note sur la leçon du Fuhiensis,
}. Voir la Rçvite du 18 décembre 191 1, p. 468,
»>^
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 229
p. 127 sur le V. 768), 1. 26 à Tapparat : Fiild. teste Scioppio, Steph,
Fabr. Dan. M. D. met justement à la fin le nom qui aurait dû venir
en tête, puisque c'est Daniel qui a découvert et publié les scolies du
Fuldensis ; le témoignage de R. Etienne et celui de Fabricius sont là,
pour le Fuldensis, sans valeur; car R. Etienne n'a pas connu directe-
ment le ms.; son édition a quelques petites scolies communes avec
le Fuldensis ; elles sont toutes sans importance. Etienne avait dû les
trouver dans quelque Parisinus; de même pour Fabricius qui n'a fait
que copier l'édition de Daniel après 1600. Quant à Scioppius il me
semble qu'on est d'accord pour mettre en doute ses données et pour
admettre qu'il glîsse volontiers ses conjectures sous le couvert demss.
réputés. Ni comme homme, ni comme éditeur, à aucune époque de
sa vie, il n'a mérité ni estime ni confiance. A lire l'apparat de la
p. io3, on est amené à croire que Gaspar Schopp {Scioppius : pourquoi
l'inconséquence de Sciop/7/0 à la 1. 21) a eu pour ce passage une
source particulière et que le Cassellaniis n'est pas \e Fuldensis : autant
d'erreurs. Je ne comprends pas pourquoi M. D. recueille telles de ses
conjectures insignifiantes et des moins probables (p. 55,4, jam pour ^n;
p. 57,16, quod pour ^in',etc.). Il en est, il est vrai^ de meilleures; il eût
fallu se borner à celles-là, en n'y voyant que des conjectures et non
des témoignages.
Pour se reconnaître sans doute dans ces lettres de petit caractère,
dans ces apparats multiples (Virgile, Servius, scolies de Daniel), il
faut quelque entraînement ; mais la préparation a été très conscien-
cieuse et il me semble qu'on est payé de sa peine. Comme texte
d'étude dans un séminaire, celui-ci paraît excellent '.
É. T.
Les Sources de Lucain par René Pichon, docteur ès-lettres, professeur de
première supérieure au lycée Henri IV, maître de conférences à l'École Nor-
male Supérieure de Sèvres. Ouvrage couronné par l'Académie des Inscriptions
(Prix du Budget), Leroux, 1912, gr. in-S", 279 p.
Il est parfaitement inutile de présenter aux lecteurs un savant connu
par d'excellents livres ; on s'attend à trouver dans ce nouvel ouvrage
le travail d'un parfait humaniste, bien informé, très prudent, plein de
goût et qui sait écrire. Aucun lecteur n'aura de déception et tout le
monde approuvera ce qu'a décidé l'Académie. Que ceci soit dit bien
nettement, afin que je puisse de mon côté faire mon métier, en cher-
chant à découvrir les inégalités, les faiblesses ou les lacunes du nou-
veau livre.
I. P. io3, dans l'apparat, à la fin de l'addition de M (1. 19), au lieu de ab abla-
tii'o, faute qui est restée aussi dans Thilo, lire ab appellativo; cf. ici le texte de
Servius, p. io5, 40). — P. 25, note à l'apparat, 12 et 26 : comprendre que P, pour
commenter un mot, répète auparavant, comme repère, le premier mot du vers ;
de là : Demisere et ConsiUia,
23o REVUE CRITIQUE
Ne seraient-elles pas dans la mcihodc même de travail de M. Pichon?
Sur quoi son livre csi-il fondé en somme? Sur une lecture très atten-
tive du poème, avec la discussion des travaux modernes qui ont traité
de Lucain et de ses sources, notamment ceux de Baier, de Wester-
burg, de Ussani, de Vitelli, de Hosius et des éditions nouvelles du
poète. Tel est bien le fonds sur lequel M. P. s appuie ; je n'en con-
teste pas la valeur ; mais pourquoi n'est-il question ici presque nulle
part d'une autre source à laquelle chacun, ce semble, aurait d'abord
pensé, celle des scolies de Lucain?
Sur elles, la bibliographie est muette, ce qui est d'abord un indice.
Je ne suppose pas que M. P. les ait écartées simplement parce qu'elles
sont anciennes, ce qui serait un cas d'exclusion bien étrange. Sans
doute il faut faire dans leur masse un triage, et savoir en tirer ce
qu'elles contiennent d'utile. M. P. semble les avoir rejetées d'un
bloc ; je n'ai trouvé dans le livre qu'un jugement dédaigneux et
partial sur le recueil de Weber, des politesses du bout des lèvres sur
le Commcntiim Berncnse^ \ mal lui en a pris; non seulement il a perdu
par là un point d'appui solidequi lui eût permis de démontrer, sans tant
de mots, l'emploi par Lucain de Tite-Live ; mais, si je ne me trompe,
il n'a même pas distingué du reste les Adnotationes super Liicanum
qu'avait déjà signalées Usener dans la préface du Commentum\ elles
étaient alors inédites, je le veux; mais on n'a plus d'excuse depuis
que M. Endt en a donné, en 1909, dans la bibliothèque de Teubner
une édition commode accompagnée d'une comparaison continue avec
les scolies du Commentum. Les Adnotationes, Q(\yo\ç{Vie, plus éloignées
de l'antiquité, complètent le Commentum sur plus d'un point d'une
manière importante. M. P., pour tout le reste si bien informé, a
négligé ou ignoré le livre. Par là son travail prête le flanc ; cela n'est
pas contestable \
Suivons M. P. dans les limites où il s'est fâcheusement enfermé,
celles d'une pure discussion de critique littéraire. Même ici je trouve-
rais bien à redire, tout en convenant que le livre se lit bien et que par
sa clarté, par l'élégance de la forme, il saurait au besoin se faire beau-
coup pardonner. A mon sens, il y a dans ce livre trop d'hypothèses
fondées sur des raisons a priori, xxo^ de conjectures, de combinaisons
pour établir des rapports dont presque aucun ne peut être prouvé ^
1. M. P. ne paraît connaître qu'indirectement les scolies de Lucain dont il
oppose l'étude à celle du poète (;')■, je crains fort qu'il ne juge du Commentum
que par Ussani et par les discussions des savants.
2. Dans Vlndicuhis de Usener et à l'Index de Endt, M. P. eût trouvé avec des
citations formelles des livres de Tite-Live sur la guerre civile, des quasi-extraits
de Tite-Live (Florus, Orose, Valère-Maxime, etc.), donc toute une série de témoi-
gnages directs qui ont leur prix et qui certes valent mieux que toutes les hypothèses.
3. Remarquer, p. 104, une petite phrase qu'on pourrait répéter, dirai-je? de page
en page ; « toutefois ce n'est là qu'une probabilité » ; mieux encore la phrase
ingénue de la p. 238 en haut : « ce n'est qu'une hypothèse; mais elle est fort
d'histoire et de littérature 23 I
Voici le plan, trois chapitres intitulés Sources historiques, ayant
comme sous-titres : Les faits accessoires; Le récit de la guerre civile;
Les altérations de l'histoire (subdivision qui me paraît assez peu
naturelle) ; ch. IV : Les Sources philosophiques ; ch. V : Les Sources
littéraires; appendice : La composition de la Pharsale.
L'épigraphe : Tantus amor veri (X, 189), que M. P. a choisie, me
paraît discutable, même après les pages (i5g-i65) où M. P., s'efforce
de la défendre ; que Lucain prétende à cette qualité, d'accord ; mais
qui penserait d'abord à la lui reconnaître ; qui même s'attendrait à ce
que l'amour de la vérité dominât chez lui tout le reste ?
Singulière alternative par laquelle aura passé la réputation de Lucain
avec la même injustice dans les deux cas. De son temps, ceux qui l'ont
combattu affectaient de l'exclure du nombre des poètes pour le rejeter
parmi les historiens. Voici que plus d'un savant de nos jours, à cause
des erreurs et de la partialité de l'auteur, refuse presque toute valeur
historique à la Pharsale. Forclos de la poésie ; on veut que Lucain le
soit encore de l'histoire. Qu'importe après tout? En resterait-il moins
l'auteur d'un beau carmen togatum}
Il me semble que je n'ai pas besoin de développer ce que j'ai indiqué
comme mon objection principale : M. P. affirme trop. C'était peut-
être une fâcheuse nécessité du sujet; mais qui croira qu'on puisse
déterminer avec cette précision de quels livres (perdus pour nous) se
servait Lucain, comment il les a employés ; à quelle doctrine morale
il s'est rallié, etc.? Tout cela n'est-il pas en somme étranger, extérieur
à son œuvre, et de ce que nous l'ignorerons, où sera pour nous un
risque véritable ? Les arguments ex silentio abon-dent dans la discus-
sion de M. P., et l'on sait à quels mécomptes ils conduisent. Mais
jusque dans la forme d'exposition, se cachaient des pièges dont M. P.
certainement ne s'est pas gardé.
Je conçois un Lucain tout autre que celui que décrit M. Pichon,
n'ayant qu'un souci médiocre de suivre exactement l'histoire ; par
contre très préoccupé de ses formules, de ses coupes, de ses effets ; se
corrigeant peu ou pas, plein d'inconséquences et d'inexactitudes :
qu'importait si l'idée était neuve, le vers bien frappé ! Le Cicéron qu'il
fait parler n'est qu'un fantoche : il s'agissait bien pour lui de repré-
senter au vrai l'ancien orateur ! Que répondrait M. P. à cela?
M. P. fait grand état, dans ses hypothèses, de la « vraisemblance
psychologique » qui permet d'atteindre un « haut de degré de probabi-
lité » : on lui répliquera par : « le moindre grain de mil. . . »
M. P. voit avec tant de netteté les difficultés de son entreprise, il
les formule, si bien qu'on n'aurait pour en souligner la témérité, qu'à
l'opposer à lui-même. Qu'on lise les quelques lignes du haut de la
plausible ». Et passim que de fois : « il est probable.... il est naturel (3 lois p. 266
au bas)! Formules jadis chères à nos maitres ; si on les leur laissait?
232 REVDE CRITIQUE
p. 252 « Le texte de Tite Live nous est inconnu.... il est impossible
de préciser dans quelle mesure... il a été une des sources littéraires
de Lucain » : n'est-ce pas une sorte de condamnation formelle de la
tentative à laquelle s'est livré l'auteur dans son étude ?
Je suis embarrasse d'avoir malgré moi tant repris; qu'on me per-
mette donc de signaler une partie que tout latiniste lira certainement
avec intérêt : celle où M. P. traite des rapports entre la Pharsale et
les tragédies de Sénèquc ', et de ce qu'on en peut conclure sur l'au-
thenticité et sur la date des tragédies. Cela me paraît excellent et
neuf.
J'aurais encore peut-être des querelles de détail à faire à l'auteur ; je
les rejette en note '.
Bref on devine ce que contient le livre de M . Pichon ; pas de décou-
vertes, pas ou peu de vues nouvelles proprement dites ; mais une étude
consciencieuse, bien conduite, très prudente, avec des parties faibles
et contestables, mais dont l'ensemble tient; c'est là tout un groupe de
qualités dont il convient d'apprécier la valeur surtout par le temps qui
court, où, même isolées, elles se rencontrent si peu.
Emile Thomas.
Ernest Bovet. Lyrisme, Épopée, Drame : une loi de l'histoire littéraire expli-
quée par révolution générale. Paris, Colin, igii ; in-i8 de ix-Sog pages.
On étonnerait beaucoup, sans doute, l'auteur de ce livre tout plein
d'une belle^ardeur « futuriste », si l'on insistait sur l'origine probable
de la théorie qui forme l'ossature de son système : Victor Hugo, à qui
il l'emprunte en l'adaptant à la littérature universelle, mettait en œuvre
des thèses, chères à Nodier et à Bonald derrière lui, sur le lyrisme
primitif et l'épopée antique. Si bien que « les idées, qui naissent les
unes des autres aussi bien que les hommes » (p. 17), ont passé des
aperçus de l'école théocratique à cette curieuse tentative d'imposer à
1. P. 242 et s.
2. Le sujet était assez épineux sans que, par des maladresses, on ajoutât à ses
difficultés. Voici une confusion qui me paraît surtout fâcheuse. Il y avait dans
l'antiquité un résumé de Tite Live que nous n'avons plus; on s'accorde à l'appeler
Epitome; M. P. en parle longuement lui-même (p. 88 et s. Voir surtout à cette
page la n. 5) en lui donnant ce nom. Mais alors pourquoi employer, pour tout
autre chose (les petits sommaires), le même terme, p. 24 au milieu et à la note,
au lieu de Perioclia, terme que M. P. lui-même emploie ailleurs et qui empêche-
rait toute équivoque." — Un exposé comme celui des p. 2o5 et 206, sur l'idée que
Sénèque se fait de la Providence, laisserait croire que là-dessus Sénèque n'a
jamais changé ; est-ce vraisemblable ? On tourne quelques feuillets et l'on voit
(p. 214 au bas) que, d'après M. P., le même Sénèque, sur la participation du
sage à la vie politique, soutenait des opinions différentes selon les dates, selon les
circonstances, et aussi selon les personnes. Comment concilier tout cela ? — Les
restes du De Superstitione de Sénèque occupent dans Haase près de quatre pages,
et contiennent 14 fragments. Un renvoi comme celui de la p. 199, n. 3 devait viser
un fragment indiqué avec précision.
d'histoire et de littérature 233
la diversité des faits littéraires une « loi » nouvelle. Cette loi attribue
(en multipliant par elle-même la fameuse proposition avancée par la
Préface de Cromwell) à chacune des ères principales de la littérature
(> les débuts lyriques,' la création épique, la désagrégation drama-
tique ». En d'autres termes, chacune des grandes tendances humaines
qui trouvent leur expression littéraire s'offrent d'abord sous des
formes spontanées et subjectives, s'organisent ensuite pour l'action
équilibrée, se heurtent enfin, en des conflits intimes ou extérieurs, à
d'autres dispositions. Si elle s'en tenait à proposer, sur des points où
la transmission et la dépendance des idées sont assurées, la vérifica-
tion de ces vicissitudes, la thèse de M. Bovet n'inquiéterait qu'à demi,
satisferait même ceux qui croient à la possibilité de constituer une
« histoire des idées ». Mais elle prétend faire entrer de vastes périodes
dans ses cadres : et dès lors, elle est obligée de se contenter de « tables
de présence » incomplètes et des données fournies par des ouvrages de
seconde main, d'affirmer son indifférence aux « documents » (p. i5o),
acceptés « comme explication et contrôle », et de faire quelque presti-
digitation avec les termes employés, lyrisme exceptionnel de Racine
et dispositions épiques dominantes de son siècle, inspiration drama-
tique essentielle du xv!!!*" siècle français, « chaînes ininterrompues »
qui lient d'une manière contestable des manifestations similaires (cf.
p. I I 5 les historiens du xix'' siècle), phénomènes littéraires antidatés
ou postdatés (Rousseau, p. 1 16, le Rastignac de Balzac, p. 121, etc.)
Et cette perspective cavalière de l'histoire de la littérature française et
de la littérature italienne aboutit à une proposition audacieuse : « La
loi, qui doit être universelle... » Rien ne serait plus facile, en réalité,
que de reconstruire sur un plan différent les mêmes ensembles : à
quoi bon, vraiment ? Et n'est-ce pas introduire dans ces recherches
une nouvelle variété de^^wa/i^me, alors que M. B. conteste si juste-
ment les catégories surannées de l'ancienne esthétique?
Car il va de soi qu'une thèse irrecevable comme celle-ci, impossible
à démontrer et à vérifier dans l'état de nos connaissances, n'empêche
pas d'intéressantes observations de détail. De justes remarques sur la
recherche des « sources » littéraires, plus d'un paradoxe incident,
une appréciation équitable de l'élément individuel et « intuitif » en
art, des idées analogues à celles que défend si énergiqucment M. Be-
nedetto Croce, témoignent de l'indépendance d'esprit et de la curio-
sité multiple d'un homme que sa familiarité avec plusieurs mentalités
nationales, sonpropice observatoire zuricois mettent à même d'échap-
per à de trop commodes truismes . p, Baldensperger.
D. MoRNET. Les sciences de la nature en France au XVIII' siècle; un cha-
pitre de l'histoire des idées. Paris, Colin, 191 i ; ini8 de 290 pages.
La connaissance approfondie que M. Mornet possède du xviii'^ siècle
écrivant, lisant, réagissant à ses lectures, n'a plus à faire ses preuves :
2?4 REVUE CRITIQUE
les mérites dï-rudiiion ci d'habile groupement qui distinguaient son
livre sur le Sentiment de la nature se retrouvent dans ce volume-ci,
consacre à un sujet auquel le conduisaient de plain pied ses premières
études. Dans quelle mesure, avec quelle extension et à travers quels
combats s'est imposée, au xviii'" siècle, la curiosité sociale pour les
sciences naturelles, succédant, avec tous les corollaires qui décou-
laient de cette accession, aux sciences physiques et mathématiques?
Une telle enquête (qui n'a rien de commun avec une histoire des
découvertes et des théories scientifiques) ne pouvait être tentée qu'à
l'aide de procédés qui tiennent de la statistique ', qui valent par le
nombre et la coïncidence des témoignages, mais qu'une synthèse
devait discipliner et organiser : et c'est une importante contribution
à l'histoire morale collective que nous apporte M. M., en ses trois
parties de trois chapitres chacune, Buffon au centre, la lutte contre
le merveilleux et la théologie comme premier panneau du triptyque,
le triomphe et la diffusion formant l'autre panneau.
L' « histoire des idées », à proprement parler, y est peut-être moins
engagée qu'il ne pourrait sembler. Ou plutôt, je crains que M. M.,
parfaitement avisé des bénéfices qu'un esprit réfléchi tire aujourd'hui
de la pratique des méthodes scientifiques, ait attribué par provision
une part trop généreuse de ces bénéfices au public du xvm'' siècle qui
avait dans sa bibliothèque Y Histoire naturelle ou le Spectacle de la
Nature. Que la théologie et la curiosité du bizarre et de l'anormal se
soient vues évincer par la diffusion de la zoologie et de la botanique,
rien de mieux constaté ni de plus normal, puisque ce sont en effet des
sciences qui ne laissent jamais tout à fait les croyances humaines,
comme les mathématiques, « au point où elles les prenaient. » Mais
est-il bien certain que l'habitude de l'induction, l'abandon de tout
anthropocentrisme, aient été le résultat général de cette familiarité?
L'intempérance des « causefinaliers », l'aventure des occultistes et des
théosophes qui ne tiennent ici que deux pages (23 1-232) semblent bien
impliquées dans l'ardeur naturaliste du xviii" siècle. ISInsectologie de
Bonnet ne saurait faire oublier sa Palingénésie, ni le Cours d'histoire
naturelle de Beaurieu son Elève de la nature ; et j'ai grand peur que,
de même, le grand public ait cédé à une intoxication à forme scientifi-
que contre laquelle devait s'armer à nouveau la vraie science, autant
que jadis contre l'exégèse ou la tératologie. La fort belle conclusion,
si élevée et si grave, qui termine le livre de M . M., pourrait bien être
moins adaptée à Tétat réel des choses, à l'issue du xviu'' siècle, et aux
« conséquences du triomphe », qu'à la dignité théorique des recher-
ches scientifiques désintéressées. p_ Baldensperger.
I. Ajouter, pour l'élaboration des systèmes d'éducation, le projet rapporté par
M. Deberre dans sa 17e littéraire à Dijon au xviir siècle. La bibliothèque du
comte d'Espinchal contient, elle aussi, un Buffon in-4° (cf. Journal d'émigration,
p. 528). Ecv'wQ Mesmer, p. 232, et <itie la vie pratique, p. 238.
d'histoire et de littérature 235
D'' Francis Voizaro. Sainte-Beuve; l'homme et l'œuvre; étude médico-psy-
chologique. Avec une préface de Jules Troubat. Paris et Lyon, Maloine, 191 1,
in-80 de xi-io3 pages.
Plus prudente et attentive que ne sont parfois les enquêtes « scien-
tifiques » de ce genre, la thèse de M. Voizard ne prétend pas faire
sortir tout Sainte-Beuve de prémisses de physiologie et de psychia-
trie : l'étude du tempérament, ici, s'efface le plus souvent devant
d'autres problèmes, les curiosités dominantes, la méthode et les idées
générales d'un critique qu'on n'a pas sans raison rangé parmi les
« évadés de la médecine ». Pour être satisfaisante et convaincante à
plein, une telle recherche devrait être parfaitement renseignée sur la
nature et la diffusion des idées auxquelles est soumise la vie céré-
brale de l'écrivain : or, rien n'est plus approximatif, en réalité, que
les pages 18 à 20, où est caractérisée sans précision ' la série des
«expériences » intellectuelles traversées par le imur auteur des Lundis.
M. V. est plus à l'aise dans les intéressantes observations qui, à propos
de l'dPwvre, rapprochent de conceptions médicales, et en particulier de
la « diathèse dans un organisme », les procédés sainte-beuviens et la
« qualité décidément dominante » : encore faudrait-il rappeler des
hypothèses biologiques autant que cliniques, la théorie de l'unité de
composition en première ligne, issues de régions assez différentes et
qui frappent visiblement Sainte-Beuve. L'éternel problème, en ces
matières, reste le triage authentique de l'original et de l'acquis, celui-
ci choisi et assimilé en raison des dispositions de celui-là, servant
cependant à donner sa forme à l'élément primordial : retenons donc,
dans le cas particulier, 1' « arthritisme inquiet » de Sainte-Beuve, 'mais
sans oublier « la contagion du siècle », en multipliant même, s'il est
possible, les indices de cette influence surtout intellectuelle, qui est à
vrai dire de tous les instants.
F. Baldensperger.
France in the american révolution, par James Breck Perkins, Londres, Cons-
table, igi I, in-i 2, XVI et 544 p.
La république américaine par James Bryce, t. l. Le gouvernement national,
Paris, Giard et Brière, 191 1, in-S», xv et 656 p.
Latin and Greek in american éducation, par Francis VV. Kelsey, New- York,
Macmillan, 191 1, in-8", x et 396 p.
J. B. Perkins n'a pas été seulement un historien de talent; ce fut
aussi un homme politique distingué qui a laissé un nom comme pré-
sident du comité des affaires étrangères du Congrès américain. A ce
double titre le livre qu'il préparait sur la collaboration de la France
dans la guerre de l'Indépendance excitera l'intérêt. L'œuvre était
presque achevée quand la mort lui a arraché la plume des mains;
I. L' «épicurien Guttinguer «est en réalité, de bonne heure, un catholique
inquiet (p. 18); Vinet, Mmes de Boigne et d'Agcult, etc. sont bien insuffisamment
ou inexactement caractérisés (p. 19).
236 REVUE CRITIQUE
mais Mrs Perkins. aidée par quelques amis, a pu en as:i".r^.r la publi-
cation. L'ouvrage inspire une grande estime pour l'impartialité de
l'auteur. Pas un seul instant M. P. n'a cherché à diminuer les ser-
vices rendus par la France aux Insurgents, et même il insiste avec une
certaine coquetterie sur le manque de zèle de la majorité des colons.
Il établit clairement que Washington n'obtint jamais des Etats les res-
sources en hommes et en numéraire qui lui étaient indispensables;
que jusque dans l'expédition décisive contre Cornwallis l'efl'ectif des
troupes nationales ne dépassa guère celui des alliés; que sans l'ar-
gent avancé généreusement par le trésor obéré de Louis XVI les
États-Unis n'auraient pu alors conquérir leur indépendance. En
racontant les transactions pécuniaires il n'hésite pas à flétrir la mau-
vaise foi des congrès successifs, surtout vis-à-vis de Beaumarchais et
de ses héritiers. Dans la préface, M. Jusserand reproche à M. P. d'at-
tribuer principalement l'intervention française au désir d'effacer les
hontes de la guerre de Sept ans et d'abaisser l'ennemi séculaire ; M. P.
aurait en conséquence amoindri le rôle joué par l'opinion publique
qui, dans sa sympathie pour un peuple revendiquant sa liberté, a
imposé la guerre au cabinet de Versailles. Cette critique n'est pas jus-
tifiée, et l'auteur a fait leur part aux deux facteurs de la politique fran-
çaise. Il s'est limité étroitement au sujet choisi, et ne s'est permis que
de brèves allusions aux campagnes des Français dans les Antilles et
aux Indes. Plutôt sévère pour ses compatriotes, sauf pour Washing-
ton et Franklin, il a tracé des portraits assez poussés au noir des
champions de l'indépendance. En revanche, indulgent pour les Fran-
çais, il a peint en beau non seulement La Fayette et Rochambeau,
mais Vergennes, voire Beaumarchais, d'Estaing, de Grasse. Il se
complaît à rappeler dans le détail les nobles origines de ses héros, et
justifie une fois de plus le goût reproché aux démocrates américains
pour les vieux parchemins. On peut expliquer la bienveillance de
M. P. par les sources auxquelles il a puisé : il paraît n'avoir consulté
aucun document inédit, et s'en être tenu aux ouvrages déjà parus en
France, en particulier à celui de Doniol. Gela ôte du prix à son tra-
vail; mais ses jugements, bien personnels, le feront lire avec plaisir et
profit.
L'ouvrage de M. J. Bryce, ambassadeur d'Angleterre à Washington,
sur la république des Etats-Unis a acquis une réputation universelle
et est devenu classique pour l'étude des institutions américaines. La
traduction française a obtenu un légitime succès, et la nouvelle édi-
tion que publie la maison Giard et Brière sera d'autant mieux accueil-
lie que, coïncidant avec l'apparition d'une nouvelle édition anglaise,
elle profite de l'analyse des derniers événements que l'auteur a poussée
jusqu'à la fin de 1910. Il est regrettable, cependant, que le texte fran-
çais n'ait pas été plus soigné.
Les études classiques sont aussi attaquées en Amérique qu*en
d'histoire et de littérature 237
France, mais là-bas comme ici elles trouvent d'ardents et d'habiles
défenseurs. Depuis cinq ans de savants professeurs combattent pour
•ce que nous appelons les humanités dans la School Review et dans
V Educational Rcvicw. Pour mettre à la portée de tous ces articles dis-
persés, M. F. W. Kelsey les groupe en un beau volume. On y
découvre d'abord un tableau clair et complet de la situation actuelle,
puis un exposé des mérites du latin et du grec pour l'éducation géné-
rale . Plus loin des spécialistes s'appliquent à prouver la valeur de ces
langues mortes pour les futurs médecins, ingénieurs, légistes, théolo-
giens et même hommes d'affaires. Adversaires et défenseurs des
humanités gagneront à méditer ces pages.
A.J^BiovÈs.
Robert Meynadier. L'idée républicaine dans les pays monarchiques d'Eu-
rope, Paris, Alcan, 191 1, in-iG, IX et 288 p., 3 fr. 5o.
Angel Marvaud. Le Portugal et ses colonies, Paris, Alcan, 19 12, in-8°, in-S",
335 'p., 5 francs.
Lewis Gaffié. La crise constitutionnelle anglaise, Paris, Falque, i9r2, in-i6,
164 p., 2 fr. 5o.
M. Meynadier s'est proposé d'étudier l'évolution de la conception
gouvernementale en différents pays monarchiques européens ; prenant
successivement l'Espagne, l'Italie, la Hongrie, la Belgique, la Hol-
lande, il recherche les précédents républicains dans le passé, les causes
qui ont empêché le régime d'aboutir ou de durer, les variations
subies par l'idée républicaine, enfin ses chances de succès dans
l'avenir. Dans chacun de ces pays, la Hollande exceptée, la monar-
chie a largement contribué à la formation de l'unité nationale, et elle
demeure encore le principal ciment de cette précieuse unité. D'un
autre côté l'idée républicaine tend de plus en plus à se confondre
partout avec l'anticléricalisme, et la question religieuse constitue
pour les rois le terrain le plus brûlant et le plus dangereux. Mais les
peuples, commençant à comprendre l'inanité de ces luttes, s'attachent
presque uniquement désormais à la solution des questions sociales
qui seules influent sur leur bien-être. Ils négligent la forme du régime
pourvu qu'ils en obtiennent les satisfactions réclamées, et les souve-
rains, conscients de la force de ces aspirations, leur font des conces-
sions égales, sinon supérieures, à celles accordées par les gouverne-
ments républicains voisins. Cette politique paraît réussir pour l'ins-
tant, et M. M. constate que dans ces divers pays l'idée républicaine
est plutôt en régression. M. Hanoiaux, qui a écrit une substantielle
préface, émet des doutes sur la durée du succès de cette tactique parce
que « le peuple pensera toujours qu'il est plus apte que personne à
connaître ses intérêts et à défendre ses propres revendications. »
La république portugaise est si récente qu'on eût pu étudier avec
profit comment et pourquoi la dynastie de Bragance a perdu le
trône. L'excellent ouvrage de M. Marvaud eut fourni pour cela tous
238 REVUE CRITIQUE
les renseignements nécessaires. Il est difficile de mieux connaître ce
pavs, de le juger avec plus de sympathie et d'impartialité que cet
auteur, et il n'en fait pas un tableau Hatté. Tout en signalant les
fautes des monarques, il insiste justement sur les abus imputables aux
classes dirigeantes, abus qui avaient rendu une réforme indispensable.
Il expose les etiorts inutiles de M. Franco et les dernières erreurs de
la monarchie, ou plutôt de ses ministres, puis raconte comment la
république triompha grâce à une poignée d'intellectuels soutenue par
la tiotte et favorisée par l'inertie du jeune roi. Le nouveau régime a
une véritable reconstruction à opérer; tâche bien lourde mais pos-
sible s'il sait tirer parti de toutes les ressources, M. M. passe en
revue l'agriculture, l'industrie, le commerce, et apporte sur ces diffé-
rents points des renseignements précis et peu encourageants. Mais il
reste au Portugal les débris de son superbe empire colonial, et s'il
peut les soustraires aux convoitises de l'Allemagne et de l'Angleterre,
si surtout il les exploite d'une façon rationnelle, M. M. estime qu'il y
trouvera les moyens du développement économique qui doit précéder
son relèvement. Mais le Portugal est avant tout dans l'obligation de
reformer les mœurs publiques et privées du peuple, de triompher de
l'indifférence, de la fatigue morale qui sont, d'après M. Marvaud, les
traits caractéristiques de l'élite lusitanienne.
M. Lewis Gaflfié a réuni en volume ses articles parus dans le
Courrier du Parlement pendant la crise constitutionnelle anglaise.
Il ne saurait être question des progrès de l'idée républicaine en
Grande Bretagne, et le loyalisme de ses habitants est notoire; mais
eux, jusqu'ici si attachés à leur ancienne constitution, viennent de la
bouleverser de fond en comble. Ces pages, rédigées au jour le jour et
sous la pression des événements, font revivre les étapes de la lutte
dans laquelle la Chambre des Lords a perdu presque toute impor-
tance politique. On y recueillera maints détails intéressants, et elles
rendront service aux historiens de l'avenir; mais M. G. n'a pas pénétré
au fond même de la question, et comme il s'est abstenu de rechercher
quel avait été le rôle des lords dans la tfiachine politique anglaise,
quelle sera désormais cette constitution dépourvue de contrepoids, ce
qui pourra un jour remplacer la Chambre haute, sa brochure ne
retiendra pas longtemps le lecteur.
A. BiovÈs.
Essais de philosophie sociale par Maurice Vauthier, professeur à l'Université
de Bruxelles, i vol. gr. in-S» i à 41 3 p. Alcan, éd. 191 2.
Plusieurs des études réunies sous ce titre par M. Vauthier ont
un grave défaut : celui de dater de dix à quinze ans, ce qui, en
matières politiques, est déjà long. Que de points de vue se modifient
pendant ce laps de temps! Que de faits démentis par les faits suivants!
La lecture des pages de M. V. est souvent une curieuse confirmation
I
d'histoire et de littérature 289
de cette vérité. Elles conservent néanmoins sur bien des points un
réel intérêt. L'auteur est un libéral et un démocrate modéré qui
cherche impartialement dans l'analyse des idées et des institutions ou
des événements une justification de sa doctrine. Je ne suis pas sûr
qu'il n'ait gardé quelques illusions sur la volonté du peuple ' et le
fonctionnement de la représentation dans les démocraties de suffrage
universel, mais l'avenir seul achèvera la démonstration de ce qui est
possible, et de ce qui est condamné h périr dans le mécanisme com-
plexe du gouvernement démocratique des Etats : et le plus clairvoyant
observateur ne peut guère aboutir qu'à des hypothèses. M. V. pré-
sente les siennes avec une modération dans la forme et une connais-
sance approfondie de son sujet qui recommande son ouvrage aux
étudiants de la science politique.
Eugène d'Eichthal.
— Voici une plaquette élégante (7g p., Teubner) de M. Hugo Willrich, privat-
docent à Gntlingue : Livia. Elle est dédiée à un professeur honoraire de la même
Université, M. Anton Viertel. En tète reproduction de deux portraits de Livie
(buste et monnaie). La brochure reproduit une conférence faite à Brunswick
devant une réunion d'historiens allemands. L'auteur a \'oulu montrer comment
s'est développée dans la Rome républicaine la place d'une impératrice et quelles
idées, quels facteurs y ont aidé. Très significatif, suivant l'esprit romain, est le
silence gardé sur elle par les poètes contemporains : sauf un mot en passant d'Ho-
race et les flatteries intéressées d'Ovide, on chercherait vainement le nom de
Livie dans les poèmes du grand siècle ; Virgile, Tibulie, ou Properce ne
l'ont pas nommée. Introduction intitulée : les sources. Puis 3 chapitres :
Livie dans la famille; Livie impératrice; administration et politique de Livie.
M. W. s'est proposé surtout de réagir contre le jugement de Gardthausen particu-
lièrement défavorable à Livie. La tradition qui nous est parvenue à son sujet, sur-
tout par Tacite, est faite en grande partie des attaques de ses ennemis, à savoir
d'emprunts aux Mémoires de la première Agrippine et aussi à ceux de la seconde
qui avait recueilli soigneusement de tous côtés l'expression des mêmes haines.
M. "Willrich tire beaucoup des monnaies et des médailles. L'attention du lecteur
s'arrêtera sur les notes suggestives qui résumentdes études de détail : les femmes
sur les monnaies antiques, démarches publiques de diverses cités en l'honneur de
Livie, etc. M. W. a su aussi trouver chez le vaniteux Josèphe des indications pré-
cieuses sur les relations de l'impératrice avec le roi Hérode, sa sœur Salomé, et
et les autres dynastes d'Orient; aussi sur les statues qu'ils lui érigent, toutes
choses que passe sous silence la tradition romaine. Donc plaquette très intéres-
sante. — É. T.
— M . .Macé vient de publier dans la collection de Klincksieck un petit livre, dédié
à M. Châtelain, sur la Prononciation du latin (148 p.) L'ouvrage ne me parait ni
I. M. V. rappelle sans la contredire l'aflirmation de Rousseau que « jamais on
ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe et c'est seulement alors qu'il
parait vouloir ce qui est mal » {Contr. Soc, liv. II, ch. 3). Quel extraordinaire
optimisme !
240 REVUi: CRITIQUE D HISTOIKK ET Dt LITTERATURE
meilleur, ni pire que bien d'autres. Jai remarque dans l'index bibliographique,
les articles qui concernent M. Macé (17 lignes) et M. Sécheresse (10 lignes) ; voilà
qui compte ; personne ne les égale, et alors mCme qu'on n'aurait pas obtenu
d'autre résultat, on a tout au moins l'avantage de bien connaître sur le sujet
l'opinion de ces deux savants. Cela prime le reste sans aucun doute. — E. T.
AcvDicMiE DES Inscriptions et Bellus-Licttres. — Séance du S mars JQ12. —
M. Salomon Reinach annonce qu'au mois de décembre dernier, M. Henri Viollct
a relevé, à Bagdad, tous les détails d'une construction arabe du xiii" siècle,
ancienne école fondée par le khalife abasside Mustansir vers i232 et servant
actuellement de douane. Malgré l'état d'cxtrénie dégradation de l'édifice, M. \'iollct
a pu photographier ou dessmer les riches décorations qui subsistent en partie
sous les plâtrages et dont le caractère essentiel est leur harmonie, leur liaison
intime avec les grandes lignes de la construction. Le style rappelle, d'autre part,
celui des portes sculptées en bois que l'on trouve en Egypte ; ces boiseries se
divisent, comme les compositions en briques de Bagdad, en carrés, en polygones,
en étoiles, en figures à côtés multiples. Le même art se manifeste dans toute la
Mésopotamie depuis le début du xiii" siècle ; la couleur n'y joue aucun rôle,
l'architecte n'ayant cherché d'effets décoratifs que dans les jeux de l'ombre et de
la lumière.
M. Edmond Pottier montre les aquarelles de quatre vases à fond blanc et à
décor polychroinc appartenant au Musée du Bardo de Tunis et au Musée Saint-
Louis de Garthage. Ces aquarelles sont l'œuvre de M. Pierre Paris qui les com-
munique avec lîne courte note décrivant ces poteries et indiquant leur prove-
nance. Elles ont été trouvées dans des tombeaux puniques de Garthage. M. Pottier
ajoute quelques observations sur cette catégorie encore peu nombreuse, qui
mériterait une étude spéciale. Les exemplaires en sont dispersés en Italie, en
Grèce, en Asie-Mineure, en Grimée et même en Gaule. On a indiqué Canosa
comme centre de fabrication, mais il y a eu sans doute plus d'un atelier pour les
faire. Ces vases sont comme une renaissance de l'ancienne et célèbre fabrication
des lécythes attiques à fond blanc et à décor polychrome. Comme eux, ils s'ins-
pirent de la technique à fresque contemporaine et contiennent en général le décor
que l'on appelle pompéien, mais dont les origines remontent au w" siècle et
qui s'est développé pendant toute la période hellénistique. Les maisons de Délos
récemment découvertes et étudiées par l'Ecole française d'Athènes offrent un
système analogue de technique et d'ornementation. Par les fouilles d'Antinoé, en
Egypte, on constate que cette céramique existait encore au ii« s. p. G. Par
conséquent, on a continué à faire des vases peints beaucoup plus longtemps
qu'on ne le pensait. — M.M. Perrot, Salomon Reinach et Clermont-Ganneau
présentent quelques observations.
M. Léon Heuzey communique des détails sur les fouilles exécutées, au nom du
Musée de Constantinople, par M. Macridy, dans le tumulus de Langaza, près de
Salonique. On y a dégagé une construction voûtée, avec vestibule et chambre
funéraire, tout à fait du même type macédonien que les sépultures fouillées
autrefois à Pydna et à Palatitza par MM. Heuzey et Daumet. Les portes, l'une en
bois, l'autre en marbre, étaient décorées d'ornements en bronze doré, masques de
Méduse, gueules de lion tenant des anneaux mobiles et doubles palmettes
servant à tirer les vantaux, d'une exécution remarquable. On les conserve
aujourd'hui au Musée de Constantinople.
M. Jean Psichari fait une communication intitulée : Lamed et lambda. —
MM. Théodore Reinach et Clermont-Ganneau présentent quelques observations.
Léon Dorez.
L imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 13 — 30 mars — 1912
KiTTEL, La science de l'Ancien Testament. — Meinhold, Le chapitre xiv de la
Genèse. — Siderskv, L'origine astronomique de la chronologie juive, — Per-
DELWiTZ, La première épître de Pierre. — Heitmùller, Le baptême et la cène.
— RosTOwzEW, Le colonat romain. — Platner, Topographie de l'ancienne
Rome. — RonocANACHi, Rome au temps de Jules II et de Léon X. — Tommasini,
Machiavel, II. — Landry, Le rythme du français. — Wahlund, Bibliographie
des serments de Strasbourg. — Koukal. Excursions étymologiques. — Etudes
dédiées à Meyer-Lûbke, II. — Wendt, Syntaxe de l'anglais. — Knecut, Sujet
verbe dans l'anglais du temps d'Elisabeth. — Fiaux, Carrel et Girardin. —
Académie des inscriptions.
Die alttestamentiche Wissenschaft, von R. Kittel. Zweite Autlage. Leipzig,
Quelle, i9i2;in-8°, 255 pages.
I Mose 14. Eine historich-kritische Untersuchung, von J. Meinhold. Giessen,
Tiipclmann, 191 1 ; gr. in-8", 5o pages.
Étude sur l'origine astronomique de la chronologie juive, par D. Siderskv,
Paris, Klincksieck, 191 i ; in-4°, 96 pages.
L'ouvrage de M. Kittel a été accueilli très favorablement en Alle-
magne: la première édition est de 1910. Conclusions d'une critique
très modérée, interprétées au point de vue d'une théologie également
conservatrice. Traité de pédagogie religieuse, méthode d'enseignement
chrétien par l'Ancien Testament, avec égard aux principales et aux plus
certaines conclusions de la critique.
M. Meinhold revient sur le ch. xiv de la Genèse et l'histoire de
Codorlaomor. Étude très consciencieuse et minutieuse dans toutes ses
parties, on pourrait presque dire dans tous ses mots. Pas de résul-
tats bien nouveaux. La forme archaïque de la légende paraît inten-
tionnelle. Après cela, on ne saurait dire au juste, et M. M. ne semble
pas avoir expliqué comment le rédacteur ou les rédacteurs, très récents,
de ce morceau, ont pu en avoir l'idée, ni à quelles sources ils auront
puisé certaines données anciennes plus ou moins vagues sur lesquelles
a été construite artificiellement la légende d'un Abraham guerrier et
vainqueur des rois d'Orient. L'épisode de Melchisédek {Gen. xiv, 18-
20) paraît surajouté, conçu pour la plus grande gloire, même pour le
profit de Jérusalem et du temple. Selon M. M., le nom même de Mel-
chisédek serait fictif, conçu d'après l'Adonisédek de Jos. x, i. Mais
il est possible aussi que le nom soit emprunté à une ancienne tradi-
Nouvelle série LXXIII i3
242 REVUE CRITIQUE
lion : la donnée biblique n'en serait pas plus solide. Juifs et chrétiens
ont spéculé sur le rapport de Melchisédek avec Abraham. Toutefois
rien ne prouve i]ue la légende de Melchisédek ne soit pas antérieure
à la rédaction dernière de Gen. xiv. Melchisédek n'a sans doute jamais
été prêtre du Dieu Haut ; mais qui sait s'il ne serait pas le fondateur
mythique de Jérusalem ?
Des connaissances spéciales en astronomie et en littérature rabbini-
que seraient nécessaires pour discuter les conclusions de M. Sidersky
touchant l'origine de la chronologie juive. Il ne s'agit pas, en effet, de
rendre compte de la chronologie biblique, mais d'expliquer d'où vient
l'économie de l'année Israélite. Le point de départ est la fixation de la
pàque à la première pleine lune du printemps. Comment s'y prenait-
on dans les temps bibliques pour ajuster le calendrier lunaire des fêtes
au cours de l'année solaire ? On ne sait trop. Beaucoup de gens hésite-
raient plus que M. S. à parler de l'année lunisolaire instituée par Moïse,
des connaissances astronomiques de Salomon, attestées par le livre
delà Sagesse (vu, 17-19), de la science des temps que la Chronique
(I, XII, 33) attribue aux hommes d'Issacar, sous le règne de David, etc.
etc. M. S, a cru pouvoir reconstituer le calendrier juif pour les quatre-
vingts premières années de notre ère, et fixer la date précise de la mort
du Christ : vendredi 14 nisan, 3 avril, de l'an 33. Ce pourrait être
peine perdue que de tenter la conciliation de deux données qui parais-
sent l'une et l'autre assez incertaines, le jour de la mort de Jésus dans
la tradition apostolique, et le jour de la pàque juive en l'année où cette
mort eut lieu. M. S. dit aussi que le concile de Nicée, en fixant la
date de la pàque chrétienne, empêcha les Juifs de célébrer la leur le
même jour : selon les témoignages ecclésiastiques, le concile décida
que la pàque chrétienne n'aurait pas lieu le même jour que celle des
Juifs; ce n'est pas précisément la même chose. La valeur du travail de
M. S. paraît consister en ce qu'il dit, d'après les sources rabbiniques,
sur la Hxation du calendrier juif depuis la fin du premier siècle de
notre ère.
Alfred Loisy.
Die Mysterienreligion und das Problem des I. Petrusbriefes, von R. Per-
DELwiTZ. Giessen, Tôpelmann, 191 1; in-S. loS pages.
Taufe und Abendmahl im Urchristentum, vonW. Heitmûller {Religionsges-
chichtlichc Volksbiidier, 1, 22-23). Tùbingen, Mohr, 191 1 ; in-12, 82 pages.
Das Abendmahl. Eine Untersuchung ùber die Antânge der christlichen Religion.
von F. DiBELius. Leipzig, Hinrichs, igii ; in-8, vin-129 pages.
Il y a dans la dissertation de M. Perdelwitz une interprétation de la
première Epitre de Pierre d'après les conceptions et la terminologie
des mystères païens qui, pour le principal, est digne de tout éloge, et
une hypothèse touchant l'origine du document en question qui paraît
fort contestable.
M. P. montre péremptoirement que la majeure partie de l'Épître
d'histoirk et dk littérature 243
(i, 3-iv, 1 1) forme une instruciion sur rcxcellcnce et les devoirs de la
vocation chrétienne, comme on imaginerait une homélie adressée à
des néophytes qui viennent de recevoir le baptême. Les passages
essentiels, expliqués de ce point de vue, avec rapprochements tirés des
mystères, gagnent en signification et en clarté : le prédicateur, pénétré
des idées de Paul, traite le baptême en véritable rite d'initiation, prin-
cipe de régénération mystique et morale. Peut-être était-il superflu
de chercher dans les mystères un équivalent complet de ce que dit
1 Pier. m, 19-2?., touchant la prédication du Christ aux morts. L'in-
fluence des mythes païens n'est pas douteuse, mais la forme qu'affecte
le mythe chrétien témoigne d'une adaptation originale. Jésus est allé
porter l'Évangile aux morts du déluge, et M. P. reconnaît avec raison
dans cette préoccupation du déluge un élément de spéculation juive.
J^'idée d'assurer aux morts le bénéfice du salut pouvait naître sponta-
nément dans le christianisme; d'autre part, les mythes de dieux des-
cendus aux enfers se sont naturellement appliqués au Christ ; mais
que pouvait faire le Christ aux enfers sinon annoncer le salut aux
morts? On n'est pas obligé d'admettre que cette évangélisation serait
imitée directement d'une prédication, d'ailleurs assez mal attestée,
d'Orphée aux enfers.
Selon M. P., l'homélie primitive aurait été englobée dans une
lettre (i, 1-2 ; iv, 12-vi du même auteur, adressée à une communauté
de fidèles venus des provinces qu'énumère la suscription ; l'auteur de
la lettre s'appelait Pierre, mais n'était pas l'ancien apôtre galiléen;
Marc et Silvanus, qui sont nommés à la tin, n'appartenaient pas
davantage à la génération apostolique; ces gens vivaient vers la fin du
1^' siècle chrétien; la tradition s'est trompée sur leur identité. Il
semble plutôt que la tradition a été trompée. L'auteur de la seconde
Épître (ni, 1), qui se donne expressément pour le compagnon du
Christ, a cru pouvoir se référer à sa première lettre. Ce qui a fait la
fortune de celle-ci est qu'on la présentait comme l'œuvre du prince
des apôtres. C'est faire violence au texte que de concevoir les des-
tinataires de la lettre, les élus dispersés du Pont, de la Galatie, etc.,
comme appartenant à une seule et même communauté. On a voulu
que Pierre eût écrit aux Églises. La suscription veut donner à la
pièce le caractère d'une lettre encyclique, écrite par un « apôtre de
Jésus-Christ » ; le nom de Pierre y vient pour authentiquer ce que
l'apôtre n'a pas réellement écrit. Marc et Silvanus sont mentionnés
pour le même motif dans la souscription, et la désignation énigma-
tique de Rome sous le nom de Babylone tend à la même fin ; il
s'agissait d'aflfirmcr, et aussi d'affermir, dans des circonstances parti-
culières qui nous échappent, la communauté de tradition et de foi
entre l'Église romaine et les Églises d'Asie mineure.
Ce que M. HeitmuUer nous dit du baptême est entièrement satis-
faisant. Dans la première communauté, ce fut un emprunt au
244 REVUE CRITIQUE
judaïsme, spécialement à la secte de Jean-Baptiste; conféré au nom
de Jésus, c'était dcjà un rite efficace, non un pur symbole ; dans la
conception de Paul, c'est un véritable sacrement, et sur ce point l'in-
fluence des mystères n'est pas niable. La question de la cène est plus
compliquée; du moins les théologiens libéraux la compliquent davan-
tage. M. H. ne réussit pas à débrouiller la confusion des témoi-
gnages touchant le dernier repas du Christ. Il voit bien que la parole :
« Je ne boirai plus désormais de vin que dans le royaume de Dieu ->
{Luc, XXII, i8), est ce que la tradition offre de plus clair et de plus
consistant. Mais, le troisième Evangile énonçant ensuite la présenta-
tion du pain avec ces mots : « Ceci est mon corps », il se persuade
que cette formule est aussi bien garantie que l'autre; il incline à
penser que Jésus a dit pareillement du vin : « Ceci est mon sang » ;
et comme il ne pense pas que le Christ ait enseigné la théologie de
Paul, il prête à Jésus l'idée de faire valoir, entérines métaphoriques,
sa personne, au sens moral, comme le lien qui unira ses disciples
après sa disparition. Autant vaudrait dire que le Christ était un doc-
teur allemand, protestant libéral, qui eut le tort de naître dix-neuf
cents ans avant qu'on pût le comprendre, et qui même aurait parlé de
façon à n'être pas compris. Les mots : « Ceci est mon corps », dans
le récit de Luc, sont pour rejoindre la tradition de Paul, qui, dans
Marc et dans Matthieu, s'est introduite à côté de la tradition primi-
tive, représentée par les paroles : « Je ne boirai plus », etc. Quant à
la tradition de Paul, M. H. l'a bien caractérisée. En ce point aussi,
Paul a subi l'influence des mystères. Avant lui, chez les judéochré-
tiens, le repas de communauté avait déjà un caractère religieux ; il se
célébrait avec le souvenir de Jésus et dans l'espérance du prochain
royaume ; il est devenu dans les communautés de Paul un rite d'union
mystique au Christ immortel, et une commémoration expresse de sa
mort salutaire. M. H. pense trouver une certaine incohérence entre
la théorie de la justification par la foi et ce que Paul enseigne des
sacrements chrétiens. Un élément de religion pure aurait été conta-
miné. Jésus n'aurait connu que la religion pure, morale et person-
nelle. Hélas ! il est bien à craindre que la doctrine de la justification
par la foi au Christ mort et ressuscité ne doive aussi quelque chose,
et même beaucoup, aux mystères païens. Et Jésus, qui a dit : « Je ne
boirai plus de vin que dans le royaume de Dieu », se représentait ce
royaume comme un festin. En vérité, cela n'est ni purement moral ni
purement individualiste. Quand l'histoire des origines chrétiennes
sera-t-elle dégagée de toute fiction théologique ?
Chez M. Dibelius, la théologie n'entend pas se réserver un petit
coin à l'abri de la critique; elle fait le procès de celle-ci. Les cri-
tiques libéraux veulent qu'il y ait un abîme entre Jésus et la commu-
nauté apostolique, et un autre abîme entre la communauté aposto-
lique et saint Paul : pure illusion. On dit que Marc est plus ancien
d'histoire et dk littérature 245
que Matthieu : chimùre. Et l'hypothèse des deux sources, Marc et
Logia, pour Matthieu et pour Luc, est une hallucination de l'exégèse.
Les récits de la cène dans les Évangiles et dans Paul se complètent et
ils ne se contredisent pas. Toutes les difficultés s'évanouissent dès
qu'on entend bien le mot ôtaO/,xr,, qui signifie « testament », rien que
« testament », et qu'on s'obstine à traduire par « alliance ». Jésus
savait qu'il devait mourir pour sauver les hommes ; au lieu d'écrire
son testament en cette forme : « Je donne ma vie pour le salut du
monde », il a dit à ses disciples : « Ceci est mon corps pour votre
bien », « Ceci est mon sang de testament, répandu pour plusieurs »,
et il entendait signifier : « Je donne ma vie pour vous procurer le
royaume de Dieu ». Paul ne viserait Jamais que ce droit au salut,
fondé sur le testament du Christ; baptême et cène seraient de vrais
sacrements en tant qu'ils expriment et réalisent pour chacun le droit
en question. Paul, il est vrai, a bien l'air de rattacher l'effet aux sacre-
ments mêmes; Jean aussi; et Ignace d'Antioche encore plus claire-
ment. M. D. trouve que la nuance est secondaire. . .
Vues systématiques de théologie abstraite que ne rendent pas plus
solides certaines critiques, parfaitement fondées, touchant les libé-
raux qui font de Jésus un apôtre de la religion parfaite selon l'idéal
de Kant. La tradition évangélique est à discuter un peu plus sévère-
ment que ne fait M. D. Pour l'histoire impartiale, Jésus n'a pas for-
mulé de testament, et la plus ancienne définition du sacrement
eucharistique est dans saint Paul. Le Christ n'a point légué sa vie à
ses disciples ; il ne leur a même pas légué le royaume des cieux, puis-
qu'il se promet d'y être avec eux. L'idée de testament n'est qu'acces-
soire, si tant est qu'elle existe dans les récits de la cène. Le mot oiaÔ/iXTj,
dans le langage biblique, signifie, comme son correspondant hébreu,
la disposition, l'économie divine du salut, instituée par volonté spé-
ciale, révélation et promesse de Dieu ; l'économie chrétienne fait pen-
dant à l'économie mosaïque, laquelle n'a jamais pu être considérée
comme le testament de lahvé ; ni le mot « testament » ni le mot
« alliance » ne rendent exactement l'idée dont il s'agit. On s'explique
aisément que Paul soit le premier qui oppose en termes exprès la
nouvelle économie à l'ancienne. M. D. n'a pas vu que le « testament »
de Jésus consiste dans les paroles : « Maintenant je ne boirai plus de
vin que dans le royaume de Dieu. »
Alfred Loisv.
M. RosTowzKw, Studien zur Geschichte der rômischen Kolonates, Leipzig et
Berlin, Teubner, 1910. In-8".
Ces Éludes pour Vhistoire du colonat romain, de M. Rostowzew,
constituent moins un traité général sur la question si complexe et si
controversée du colonat qu'un groupe de contributions à l'histoire
économique de plusieurs provinces de l'empire. L'auteur s'est, en
2<5 RFVI'F. ORITIQIK
effet, occupé sLicccssivemcni de rKgyptc, d'abord piolcmaique, puis
romaine; de la Sicile; de l'Asie-Mineure; de l'Afrique romaine. A
vrai dire, ce sont là presque les seules parties du monde romain pour
lesquelles les documents permettent d'entrevoir ce qu'a été l'organi-
sation de la propriété et de l'exploitation foncière, et par conséquent
de retrouver ou au moins de rechercher l'origine, ainsi que le carac-
tère du colonat. En outre, le grand avantage de cette méthode, c'est
qu'elle n'incite pas à généraliser trop vite. M. Rostowzew observe
en Egypte l'organisation de la propriété foncière et les conditions
auxquelles s'est trouvée soumise, d'abord sous les Ptolémées, puis
sous la domination romaine, l'exploitation agricole du pays; il
s'efforce d'en fixer les caractères principaux; il reconnaît la continuité
des faits historiques et économiques, tout en constatant que ces faits
ont évolué au cours des siècles; mais il se tient strictement dans les
limites du cadre géographique qu'il a adopté et il n'est point tenté
d'étendre à tout l'empire romain les conclusions qu'il croit devoir
tirer des faits observés dans la vallée du Nil. Et de même, quand il
aborde l'étude des documents si intéressants découverts dans l'Afrique
du Nord depuis une trentaine d'années, il évite de généraliser trop
rapidement.
Ces Études de M. Rostowzew sont fondées sur une connaissance
en général complète et exacte des documents, surtout des inscriptions
crre'cques et latines, de certains textes capitaux comme les Verrines
de Cicéron, des papvrus égyptiens, des ostraka et des Codes romains.
Il nous est impossible, dans un bref compte-rendu, d'examiner en
détail toutes les interprétations que M. Rostowzew propose des docu-
ments, parfois incomplets ou obscurs, qu'il étudie. Son livre est de
ceux qui appellent la discussion ; et ce n'est pas là, dans notre pensée,
une critique. Les textes y sont expliqués et commentés minutieuse-
ment, saisis corps à corps, pour ainsi dire. Qu'on adopte ou non les
solutions de détail proposées par M. Rostowzew, il sera impossible
de n'en pas tenir compte à l'avenir. On rendra ainsi à ses recherches
et à ses efforts pour résoudre un des problèmes les plus difficiles de
l'histoire romaine, une justice et un hommage que lui-même n'a pas
toujours rendus à ses prédécesseurs, même les plus éminents : c'est à
peine, par exemple, si le nom de Fustel de Coulanges est cité une
seule fois en note, sans même que soit mentionné le titre de sa magis-
tr.ale étude sur le Colonat romain. Sans doute il est bien de connaître
les moindres articles d*es érudits d'aujourd'hui ; mais aucun de ces arti-
cles n'a encore remplacé et ne doit faire oublier l'importante contri-
bution apportée à l'étude du colonat par le maître éminent qu'a été
Fustel de Coulanges.
J . TOUTAIN.
d'histoire et de littérature 247
s. Bail Platner, The topography and Monuments of ancient Rome, 2c édi-
tion revue et augmentée, 13osioii, i()i 1, in-S".
La première édition du livre de M. Platner swr \si. Topographie et
les monuments de la Rome antique a été publiée en 1904. « Bien que
les fouilles opérées à Rome depuis cette date, écrit l'auteur dans la
préface de cette seconde édition, n'aient pas été aussi importantes que
celles de la période antérieure, néanmoins leurs résultats m'ont ins-
piré ridée de publier une nouvelle édition de mon ouvrage. » Il n'y a
pas lieu d'insister longuement sur cette seconde édition d'une œuvre
parue il y a peu d'années et dont l'auteur a voulu surtout mettre à la
portée des érudits, des étudiants et des hommes de goût qui s'inté-
ressent aux antiquités de Rome les résultats acquis grâce aux
recherches les plus récentes. Le volume de M. Platner se recom-
mande par la clarté de l'ensemble, par la netteté et la précision des
détails^ par l'exactitude de l'information. Plusieurs plans et de nom-
breuses illustrations en rendent la lecture à la fois plus facile, plus
attrayante et plus profitable. Moins détaillé et moins abondant, en ce
qui concerne le Forum, que le volume de M. l'abbé Thédenat, il le
complète heureusement pour le reste de la ville. C'est un instrument
de travail que voudront avoir, à portée de leur main, tous ceux qui
étudient l'histoire monumentale et la topographie de la Rome antique.
J. Toutain.
E. RoDOCANACHi, RomB au temps de Jules II et de Léon X, Paris, Hachette
et G'o, 191 2. In-8°, p.
Voici un nouveau volume consacré par M. E. Rodocanachi à cette
ville de Rome, dont il a déjà décrit d'importants édifices, comme le
Capitole et le château Saint-Ange, et dont l'histoire au Moyen âge et
sous la Renaissance lui doit déjà maintes études d'un haut intérêt.
Rome au temps de Jules II et de Léon X ne le cède en rien aux
ouvrages antérieurs. Le sujet d'ailleurs présente une riche matière.
« On voit rarement en histoire, écrit M. Rodocanachi dans son Intro-
duction, s'accomplir une transformation aussi rapide et aussi com-
plète que celle qui changea la face de Rome au lendemain de la mort
du pape Alexandre VI (Borgia). C'est « une ville nouvelle », comme
on le dit alors, c'est un monde nouveau qui surgissent. La Rome des
premières années du xvi'' siècle, la Rome, telle que la formèrent
Jules II et Léon X, et celle de la fin du siècle précédent, sont deux
cités entièrement dissemblables. Le Moyen âge prend fin bien nette-
ment. Il y eut alors vingt années sans pareilles. Rome devint le centre
de la vie intellectuelle, artistique et politique de l'Italie ; elle fut com-
merçante et lettrée comme Florence, riche et puissante comme Milan
et Venise; gaie et policée comme Ferrare, féconde en plaisirs comme
Naples On s'est proposé de décrire cette société et son milieu.
Par une singulière rencontre, elle prit fin brusquement, comme elle
248 REVUE CRITIQUE
avait commencé. En quelques jours de destructions, de violences, de
massacres et de rapines, les soldais de Charles-Quint anéantirent
presque l'oeuvre de Jules II et de Léon X. »
Le plan ainsi annoncé a été exécuté par M. Rodocanachi avec
science et talent. Son livre est divisé en six parties dont les titres
indiqueront tout l'intérêt: i" La Cour pontificale \ 2" Artistes, gens
de lettres; 3° La ville et le peuple; 4" Administration de la ville;
5° Les fêtes et les réjouissances; 6° Le sac de Rome (i 527). La lecture
de l'ouvrage est aussi agréable et piquante qu'instructive. Les détails
que l'auteur accumule, d'après de nombreux contemporains, sur la
vie privée, le luxe, les richesses, les divertissements plus ou moins
profanes des cardinaux et de leur entourage ; les tableaux qu'il trace
des réunions littéraires qu'ils aimaient à tenir, de la vie universitaire,
des spectacles; les renseignements puisés aux meilleures sources,
qu'il fournit sur les transformations matérielles de Rome, sur l'œuvre
monumentale de Jules II et de Léon X, sur le caractère et les diverses
classes de la population romaine; les récits émaillés d'anecdotes, et
les descriptions colorées qu'il donne des cérémonies, des fêtes, des
réjouissances populaires : tous ces éléments divers de l'œuvre se
fondent en une vaste fresque, bien ordonnée dans l'ensemble, animée
de nombreux personnages adroitement groupés, composée de mille
épisodes, où les physionomies, les costumes, les gestes, tous les
détails enfin sont d'une scrupuleuse vérité historique. Quant à la
dernière partie, à ce sac de Rome, qui marque la fin tragique et
sinistre du quart de siècle le plus brillant que Rome ait alors connu,
le récit qu'en donne M. Rodocanachi se recommande surtout par la
précision des (aits, par le réalisme tantôt grossier tantôt effrayant des
violences et des rapines qui furent alors commises. Parmi les docu-
ments publiés en Appendice, il n'en est point de plus curieux que la
série des Actes Notariés rédigés à l'occasion de l'occupation de Rome
par les troupes impériales.
Une illustration, abondante et soignée, ajoute au texte un vrai
trésor de documents artistiques et historiques, dont le groupement
dans le volume est d'un très haut prix. Tous ceux qui aiment l'Italie
de la Renaissance sauront gré à M. Rodocanachi d'avoir consacré à
la gloire de la Rome de Jules II et de Léon X cette œuvre nouvelle,
à la fois scientifique et artistique, érudite et pittoresque, évocatrice
et vivante,
J. TOUTAIN.
La vie et les écrits de Nicolas Machiavel, par Oreste Tommasini (Rome, 191 0-
La seconde partie de l'ouvrage de M. O. Tommasini sur Machia-
vel et le Machiavélisme qui vient d'être publiée, se compose de
1000 pages de texte et de 5oo pages de pièces justificatives. On pou-
vait penser qu'après la belle biographie de Villari, l'analyse de
d'histoire et de littérature 249
Symonds, l'étude malheureusement interrompue de M. Ch. Benoist,
sans oublier la première partie de la biographie de M. O. Tomma-
sini qui formait déjà un volume de 800 pages, le sujet devait être
épuisé. Il n'en est rien, à ce qu'on voit. Étant très complexe et un
peu contradictoire, représentant un moment de l'histoire de l'huma-
nité qui est comme le point d'interférence de plusieurs courants
d'idées, le personnage de Machiavel peut être considéré sous des
aspects extrêmement variés. M. Tommasini l'envisage comme
patriote, il va même jusqu'à voir presque uniquement en lui l'un des
précurseurs du Risorgimcnto; à l'en croire, son œuvre n'a d'autre
cause que son amour ardent pour l'Italie et d'autre objet que de faire
connaître à ses concitoyens ce qu'il leur convient de méditer et d'exé-
cuter pour lui rendre sa liberté, voire sa puissance. Même dans ses
comédies il tend à ce but, dit M. Tommasini, et en ceci il semble
dépasser quelque peu ce qui est acceptable. Ainsi dans le Mandra-
gore, si Machiavel établit que les plus belles femmes et peut-être les
plus vertueuses sont de Florence, c'est à l'effet de rehausser les Flo-
rentines et partant les Florentins dans leur propre estime. Son œuvre
historique est inspirée du même esprit. L'opuscule de Lucien sur la
façon d'écrire l'histoire venait d'être traduit en italien par Pirckhei-
mer (i 5i 5) et Machiavel, qui n'avait pu le lire en langue grecque, car il
en savait tout juste l'alphabet, s'en inspira sans doute tout en négli-
geant ce qu'il dit touchant Timpartialité que doivent s'imposer les
historiens. Accommoder l'histoire aux fins qu'on poursuivait parais-
sait louable alors, en tout cas tout à fait légitime. Lucrezia Salviati à
qui on avait offert une vie d'Alexandre le Grand, l'envoie à Machia-
vel « pour y ajouter des ornements ». Machiavel usa sans scrupule de
la latitude qui lui était donnée par l'opinion publique ; il prêta tant
de bons mots à Castruccio dans la biographie fantaisiste qu'il fit de
lui, que son ami Zanobi trouva lui-même qu'il avait vraiment dépassé
la mesure et lui en fit un doux reproche, mais combien d'autres lec-
teurs durent l'en louer! 11 fait mourir Castruccio à 43 ans pour pou-
voir dire qu'il vécut autant d'années que Philippe de Macédoine et
Scipion alors qu'il lui était difficile d'ignorer que cela était faux. Cas-
truccio l'avait séduit; il composa sa biographie à Lucques encore
toute imprégnée de son souvenir et où l'on continuait à l'appeler le
Grand Lombard (i52o); sa vie aventureuse et surtout ses succès lui
parurent un excellent exemple à donnera ses contemporains et, s'ins-
pirant bien évidemment de Plutarque et de la Cyropédic de Xéno-
phon, il transforma son héros pour lui donner toutes les qualités
qu'il jugeait propres à faire un citoyen parfait et bonnes à inculquer
à ses concitoyens.
Quand il entreprit la composition de ses Histoires florentines, il
en voulut faire aussi un enseignement ; sa vie antérieure l'avait pré-
paré au métier d'historien; il avaii, comme chancelier, compulsé les
25o REVUE CRITIQUE
anciens diplômes, rédigé des procès-verbaux ; l'accès des Archives lui
éiaii facile et il savait ce qu'on en peut tirer; ttjutefcMs son objet n'est
pas tant de raconter que d'éclairer, non ad scribcndum sed ad proban-
dum, le passe ne l'intéresse qu'en la mesure où il se rattache au pré-
sent. Son idée première, au moment de composer ses Histoires, avait
été de ne les faire commencer qu'à partir de l'année 1434, c'est à-
dire à partir du moment où les Médicis eurent dcHnitivemcnt la
haute main dans les affaires publiques ; ce qui le décida à remonter
plus haut, aux origines, mais en s'occupant surtout des événements
intérieurs : « c'est que, écrit-il, aucun exemple ne prouve mieux la
puissance de notre cité que celui de nos discussions qui auraient suffi
à anéantir un État plus grand et plus puissant. » Et il écrit en langue
vulgaire afin que chacun puisse profiter de ses enseignements.
Dans son poème si curieux intitulé l'Ane mort qui est, du moins à
son début, comme une parodie de la Divine Comédie, il insère un
chapitre où sont résumées ses vues sur la conduite des Etats ; il
reproche particulièrement à sa patrie, comme à toutes les cités ita-
liennes, leur ambition de s'étendre les unes aux dépens des autres.
« Ce qui renverse les royaumes, c'est que les puissants ne sont jamais
assez rassasiés de puissance. — De nos jours chacune des villes d'Al-
lemagne vit dans la sécurité parce qu'aucune n'a un territoire de six
milles d'étendue. — Henri et toutes les forces de l'Empire ne purent
effrayer notre cité quand ses limites étaient bornées pour ainsi dire à
nos murailles. »
A la différence de Dame, de Rienzo, de Pétrarque, Machiavel ne
veut pas que l'étranger intervienne dans les affaires italiennes, même
pour y réaliser son rêve. L'Empire et la Papauté lui sont également
haïssables ; il est respectueux des dogmes, assurément, et des rites et
ne se mêle nullement de querelles liturgiques, mais il estime que le
Saint-Siège est trop faible pour assurer l'union de l'Italie et trop
agissant pour n'être pas une cause de discords. Il le dit au pape
Léon X ou peu s'en faut. Sa haine des Français n'a pas d'autre cause
que son amour de l'Italie; dans le tableau si intéressant qu'il fit après
l'une de ses ambassades, de l'état de la France et du caractère des
Français, il lui arrive de dire : « Ils sont ennemis de la langue des
Romains et de leur renommée » et il ajoute : « Les Français sont
naturellement avides du bien d'autrui, mais ils en sont prodigues
comme du leur. — Au moyen de la force, ils tissent bien ce qu'ils
avaient mal ourdi. — Les premiers accords que l'on fait avec eux
sont toujours les meilleurs, etc. »
Ses traités que l'on pourrait appeler didactiques, le Prince et l'Art
de la Guerre, sont plus vivement encore inspirés du même sentiment
d'ardent patriotisme. S'il parle de Tite-Live, c'est pour pouvoir, à
l'abri des anciens, attaquer et morigéner plus librement les
modernes.
d'histoire et de littérature 25 I
Ainsi dans toutes ses œuvres, excepté dans les poésies légères, les
Canti Carnascialeschi, l'hisioirc merveilleuse de l'archidiable Bel-
phegor, directement ou indirectement, Machiavel se propose soit de
réveiller, soit d'éclairer et de diriger le patriotisme de ses contem-
porains. M. Tommasini multiplie les preuves à l'appui de son dire
et, sous certaines réserves, sa théorie ne semble pas injustifiée.
E. RODOCANACHI.
E. Landry, La théorie du Rythme et le Rythme du français déclamé. —
Paris, H. Champion, 191 1 ; un vol. in-S», de 427 pages.
Ce livre, qui est une thèse présentée en Sorbonne, aborde un sujet
singulièrement ardu et s'efforce de démêler des relations bien com-
plexes. Pour l'entreprendre, il était nécessaire de posséder avant tout
une oreille fine et une forte éducation musicale ; pour l'écrire, il a
fallu s'aider des secours de la phonétique expérimentale, procéder
aux mensurations de toutes sortes qu'elle entraîne. Et cela naturelle-
ment ne peut se faire qu'avec bien des tâtonnements, par une série
d'approximations successives dans lesquelles il y a beaucoup de
déchet. M. Landry qui a dépensé cinq ou six ans à ces études préli-
minaires, ne s'est pas dissimulé du reste la difficulté du sujet, et il ne
cherche pas non plus à la dissimuler au lecteur. « L'interprétation de
ces faits et de ces chiffres, dit-il dans sa préface, est plus hérissée
encore de difficultés. Tout semble ici se liguer contre nous, la
nouveauté des recherches, et la complexité de l'objet. La psycho-
logie, dont nous avons surtout besoin, est une science encore
embryonnaire... C'est pourquoi il ne saurait être question pour le
moment, dans une pareille matière, et si l'on veut procéder par
ordre, ni d'expériences, comme nous avons dit, ni même d'inférences
tirées des statistiques, et encore moins de lois véritables et de véri-
tables explications. « Ces aveux, il faut bien le reconnaître, ne sont
pas de nature à encourager le lecteur, ni même à lui donner une
grande confiance dans la solidité des théories qui vont être exposées.
On se sent dès l'abord sur un terrain bien mouvant, et dans son désir
de ne pas provoquer de déception en donnant moins qu'il n'aurait
promis, M. L. a peut-être ici un peu dépassé la mesure. En soinme,
le plan de son livre est simple et tout à fait acceptable. Dans une pre-
mière partie (p. 33-145), il s'occupe de la théorie du rythme consi-
déré en lui-même; il en cherche l'origine dans les mouvements
volontaires du corps humain, puis insiste sur la façon dont il peut
être perçu et s'introduire dans l'art pour y faire éprouver un plaisir
esthétique. La seconde partie est le cœur même de l'ouvrage (p. 149-
3o8j : c'est là qu'il est question du rythme dans la déclamation fran-
çaise contemporaine, et qu'est examiné tout ce qui a trait à l'énergie,
à la durée, aux accents d'où naissent les divisions rythmiques. Le
nombre et le mètre y forment une division spéciale, où est discutée
252 RKVUE CRITIQUE
la Structure du vers français. Dans la troisième partie nous n'avons
qu'un recueil des exemples sur lesquels s'ctayait précédemment la
discussion : l'auteur a choisi naturellement les meilleures déclama-
tions qu'il avait à sa disposition, les plus nettes, celles qu'ont bien
voulu lui fournir certains amateurs et quelques professionnels (Mou-
net-Sully, M""" Bartet, etc.) en se prêtant à des expériences de labora-
toire. Je ne dis rien d'un court appendice, d'ailleurs fort intéressant,
sur le rythme du vers italien comparé à celui du vers français.
L'économie de l'ouvrage me paraît donc bonne dans son ensemble.
Mais il y a quelques questions, pour ainsi dire préjudicielles, dont
l'auteur n'a peut-être pas assez tenu compte. Et d'abord il admet —
sans même examiner la question — que depuis deux siècles et demi
la déclamation française n'a pas varié, qu'elle s'est établie vers
l'époque de Molière et de Racine, et est restée depuis ce qu'elle était
alors. Mais l'affirmation est bien un peu gratuite; on se demande si la
continuité d'une telle tradition est vraiment établie, et le Conserva-
toire après tout (ou ce qui en a d'abord tenu lieu) n'est antérieur que
de quatre ou cinq ans à la Révolution. D'ailleurs le fût-elle, il ne
s'ensuit pas qu'une telle tradition dût rester forcément immuable, et
qu'avec les changements survenus dans la prononciation du français,
de nouvelles possibilités rythmiques ne s'ouvrent pas un jour devant
nos poètes. D'une part, en fait de poésie, M. L. a, il faut bien
l'avouer, une esthétique un peu fermée, un peu archaisante; il n'en-
visage guère jamais que l'alexandrin classique à deux hémistiches et
à quatre accents, tout au plus le vers romantique coupé en 4 -j- 4 -|-
4. Que vont dire les vers-libristes? D'autre part, dans la déclamation
de la prose, il n'admet aussi qu'un seul dessin possible pour une
période donnée. J'avoue que le rythme d'une période de prose, si elle
a quelque étendue, m'a toujours paru quelque chose d'un peu flot-
tant, et d'assez subjectif en somme : les schémas qu'on a parfois
essayé d'en tracer (par exemple M. Lanson dans son Art de la prose)
me semblent bien plus interversibles qu'on ne le dit, et du reste ils
aboutissent à nous donner une sensation rythmique si vague qu'elle
est à peu près variable à l'infini, et que je ne vois pas enfin quelles
règles un peu précises on pourrait déduire de tout cela. Mais, en ce
qui concerne la période poétique elle-même, n'y a-t-il pas assez sou-
vent plusieurs interprétations possibles, et entre lesquelles nous
avons le droit d'hésiter? L'artiste, quelque grand qu'il soit, est-il sûr
de retrouver toujours le rythme intérieur par lequel s'était laissé
guider le poète, et d'autres ne viendront-ils pas demain qui le com-
prendront et l'exprimeront d'une façon différente? En fait, après
avoir résumé en quarante-neuf propositions ce qu'il considère
comme étant le résultat de ses recherches, l'auteur de ce volume est
forcé d'avouer — et l'aveu a dû lui coûter — que « ce qu'il nous
importerait le plus de savoir, les lois de l'équilibre syllabique d'un
d'histoire et de littérature 253
vers et surtout d'une période nous échappe presque complètemenr. »
Alors en guise de conclusion, et pour se bien prouver que son travail
n'a pas été inutile, il prend ce qu'il appelle un « exemple didac-
tique », et le tire du reste du fameux quatrain de Joad : Celui qui met
un frein. . . (dont par parenthèse il a un peu abusé dans tout le cours
du livre). Mais que fait-il en somme? D'après les six tracés qu'il a à
sa disposition et les chiffres qui en résultent, il écarte d'abord ce qu'il
considère comme des « anomalies manifestes », puis « s'il s'est
trouvé chez quelqu'un une idée heureuse » il la lui prend ; et c'est
ainsi qu'il emprunte à Mounet-Sully une conception particulièrement
affirmative du dernier vers, d'autres traits à d'autres. Bref il trie, il
choisit, il compose une sorte de mosaïque, qui sera le type ryth-
mique idéal du quatrain : il n'était guère possible de mieux faire res-
sortir que les diseurs ne l'ont pas tous récité de la même façon.
Voilà quelques-unes des objections qu'on peut faire à cet ouvrage,
où je me plais d'ailleurs à reconnaître une grande somme de travail,
une certaine originalité même, et l'horreur des sentiers battus. Main-
tenant je me demande si M. L. a vraiment déblayé le terrain, autant
qu'il le croit, et ouvert des voies où forcément on devra s'engager
après lui? Qu'il songe lui-même combien il a fait bon marché de cer-
tains ouvrages de ses devanciers, par exemple de celui de Pierson,
qui n'avait pas eu, à vrai dire, la phonétique expérimentale à sa dis-
position, mais qui avait l'oreille bien fine. — Je me permettrai, en
terminant, une petite observation d'un tout autre genre. Cet ouvrage
étant déjà forcément hérissé de termes techniques assez nombreux, je
crois qu'il eût été bon de ne pas en rendre le style plus pénible
encore au lecteur par une affectation de certains tours archaïques,
ainsi la place donnée au pronom {je le vais dire), l'emploi de comme
interrogatif pour comment, la substitution constante de quoi à lequel
derrière une préposition, et quelques autres. Tout cela, c'est pour
l'écolier limousin.
E. BoURCIEZ.
C. W. Wahi,und, Bibliographie der franzoesischen Strassburger Eide vom
Jahre 843. — Paris, H. Champion, igii; un vol. in-S», de 54 pages.
M. Wahlund, qui avait déjà donné dans divers recueils une biblio-
graphie des Serments de 842 pour le xvi*' et le xvu" siècle, achève en
quelque sorte son travail dans cette publication faite à propos de l'an-
niversaire du professeur Geijer. Il est presque inutile d'ajouter qu'il
a traité la période concernant le xviii^ siècle avec non moins de soin
et de patience que les précédentes : si bien que rien ne semble lui
avoir échappé qui ait quelque importance ou quelque valeur histo-
rique. De 1702 à 17H7, M. W. a retenu 43 commentaires faits soit en
France, soit en Allemagne, en Angleterre ou ailleurs sur le célèbre
texte, ce qui donne très exactement la moyenne d'un tous les deux
2 54 REVUE CRITIQUE
ans. [.'intérêt consiste ici à voir quelle idée on se faisait à ce moment-
là des origines de la langue fransaise, et c'est ce qui se dégage en
effet des analyses et des exiraits qui nous sont mis sous les yeux. Il
est fort curieux de voir combien ces idées ont été encore incertaines
Cl flottantes, avec des lueurs et des reculs brusques, pendant tout le
xviii' siècle. Tandis que Bonamy en i-So émettait des théories rai-
sonnables dans leur ensemble et correctes, à peu de chose près, sur
la façon dont le latin s'est transformé, certains autres cherchaient à
démontrer que leurs patois contemporains n'étaient pas encore très
distants de la langue des Serments, et c'est ce que faisait par exemple
Astruc en 1737 pour le languedocien, ce qu'insinuait Oberlin en 1775
pour le lorrain. Mais que dire surtout des rêveries des celtomanes,
celles qui s'étalent en 1754 dans l'ouvrage de Bullet, et que Le Bri-
gant reprit avec plus de fougue en i 787, à la veille de la Révolution '.
En somme M, Wahlund a réuni là des documents fort intéressants
pour l'histoire des études romanes, à une époque où elles n'étaient
point encore entrées dans leur phase scientifique.
E. BOURCIEZ.
G. Koukal, Etymoi.ogiscue Streikzûge (Bcitrage zur franzosischen Wortgeschi-
chte". Vienne, igri, in-8° de 24 pages.
Dans cet opuscule (qui est un tirage à part du LW\. Jahres-Beri-
chte der K. K. Staats-Oberrealschule) M. Koukal a donné une petite
contribution à l'étymologie française. Il cherche à démontrer par
exemple quejalco est un mot d'origine germanique (donc ne se ratta-
che pas a. faix commQ Baist l'avait proposé), et cela semble assez bien
établi par une dissertation très documentée, reposant sur des considé-
rations de géographie et de culture historique. D'autre part, en Italie
et en France, le mot autour ne vient point d'Espagne, et ne repré-
sente pas astur (Meyer-Liibke indique acceptor] ; il continuerait tout
simplement une expression composée avis-iurris : ceci est plus hardi,
et demanderait qu'on y réfléchît encore un peu. En outre on trouvera
ici, données plus brièvement mais de façon intéressante, des probabi-
lités sinon des certitudes sur l'étymologie des mots français gaule,
guinclie, malot, écrou. — Une seule de ces notes, la première, se rap-
porte à ce que j'appelle volontiers pour ma part un <( mot grammati-
cal », et c'est de notre préposition avec qu'il s'agit. L'auteur y résume
bien les idées qui depuis quelques années se sont fait jour, et préci-
sées peu à peu : point de doute que avec ne représente ab-hoc (peut-
être serait-il plus exact de dire ab-hoque). Seulement qu'est le ab
premier terme de cette composition? C'est v\n apud atone qui, au sud
de la Gaule, est devenu apu, puis ab{u , aussi am par assimilation
(d'où une forme contaminée amb, etc.i. Au Nord, cet apud accentué
passe par avud à aud, d'où l'a. fr. od, ot, o. Voilà qui va bien : mais si
la forme «6 n'appartient pas au Nord, où s'est constitué le composé ab-
d'histoire r:T or. littérature 253
/loc qui précisément n'est pas provençal? M. Koukal ne le dit pas.
Faut-il lui assigner comme lieu d'origine un point intermédiaire entre
la zone du Midi et la zone française proprement dite? Cela n'aurait
après tout rien d'impossible. g Bourciez
Beihefte ziir Zeitschritt fur roinanische Philoloi;ie : XXN'II. Prinzipienfragen
der romanischen Sprachwissenschaft. Tcilll . Halle, M. Niemeyer, loii;
un vol. 10-80,(^0 201 pages.
Ce second volume des études dédiées à M. Meyer-Liibke ne le cède
point en intérêt au premier, celui qui a déjà été signalé et analysé ici
ivoir Revue Critique du 25 mars 191 1). Il renferme, comme l'autre,
quatre études distinctes. La première est due à M. P. Skok, et traite
de la. Composition verbale dans la toponomastique romane (p. i-56).
Les mots en question sont essentiellement formés, comme on le sait,
d'un impératif et d'un nom qui est ordinairement régime, parfois
aussi au vocatif. Dans ce sujet l'auteur essaie d'introduire des divi-
sions et des subdivisions qui sont admissibles sans doute, mais dont
quelques-unes ne laissent pas d'être un peu fragiles : car de ce que
certaines de ces dénominations apparaissent aussi par exemple comme
noms de familles je ne vois pas trop ce qu'on en peut tirer pour éta-
blir une division, et il est assez naturel que l'appellation donnée
d'abord au sol se soit attachée ensuite à ceux qui l'habitaient. M. S.
nous a donné une liste fort intéressante de 1 5o verbes qui se retrouvent
communément dans ces composés, et dont les plus productifs ont été
cantare, guardare, mirare, taleare, tornare^ etc. En somme c'est sur-
tout l'Italie et la Gaule qui sont riches en formations de ce genre, et
l'Espagne, à ce qu'il semble, l'est beaucoup moins. — Dans la troi-
sième étude, M"* A. Sperber a fourni une contribution étymologique
relative à la Formation des noms d'enfants en roman (p. 144-161).
D'après elle, l'esp. muchacho serait un dérivé de mucho, lequel repré-
senterait à son tour le lat. musculus « petit rat ", et phonétiquement
cela est très correct, mais il est un peu surprenant que ce mucho n'ait
laissé aucune trace. Le gascon goujat, gouge se rattacherait à gobius,
gobionem, et par conséquent signifierait à l'origine « petit poisson » :
voilà qui est encore possible, ingénieux même, mais il y aurait
encore des recherches à faire sur ces mots qui n'apparaissent pas dans
les plus anciens textes de la Gascogne, et qui devaient cependant y
être usuels à l'époque de la guerre de Cent ans, puisqu'ils ont remonté
à ce moment-là vers le nord. Dans Tital. raga^a il faudrait voir une
racine plus ou moins onomatopeique rac^ rag et un suffixe -^^^a,
l'ensemble désignant du reste à l'origine la « pic grièche ». L'ital.
monèlla représenterait le lat. moncdula « geai », qui est déjà chez
Plautc un terme de caresse, et il ne semble pas en effet que la qualité
de la voyelle soit un obstacle à cette façon de voir, ayant subi l'in-
fluence du suffixe -è//a. J'ai plus de peine à croire que Vital, piccola
256 REVUE CRITIQUE
provienne Je pica, et que Tital. piccino soit en relation directe avec
\e prow piclwiin fpipioncm): l'existence d'une racine pic indiquant la
petitesse, et probablement celtique, me paraît toujours probable, et de
ce que piciiliis aboutit à picchio « pivert >■, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait
pu se former plus tardivement un Auire picculiis où le suffixe se soit
conservé intact. A propos de l'ital. toso, prov. tos, qui sont évidem-
ment le lat. ionsits, M"'" S. a donné des détails précis sur la façon
dont on coupait les cheveux pendant le haut moyen âge.— Le der-
nier travail du volume est de M. E. Gamillscheg, qui a donné Sur la
substitution des sons {p. 162-191 j une contribution fort intéressante.
L'étude est relative surtout aux consonnes, et porte en particulier sur
les faits qui se sont produits lors du mélange des Romans et des Ger-
mains. Elle montre par exemple comnient, en ladin,d'un croisement
entre tch, dj et l'italien ts, ds ont résulté des consonnes interdentalcs.
L'auteur a insisté également sur la différence acoustique qu'il y avait
entre un phonème sourd et un sonore dans certaines circonstances; il
en a déduit une explication du passage de v hf, defapf, etc.
Il me reste à parler du second de ces mémoires, le plus développé
puisqu'il occupe à lui seul la moitié du volume, le plus important
aussi par l'intérêt général des questions qu'il soulève. Il est dû à
M"" E. Richter et est intitulé : Des connexités internes dans le dévelop-
pement des langues Romanes (p. 57-143). Répond-il exactement à ce
titre, d'ailleurs un peu vague et vraiment trop compréhensif ? Je ne
sais. Mais en tout cas il semble bien avoir été inspiré à l'auteur par
une critique adressée à l'ouvrage connu sur le Wortstellung qu'elle a
publié il y a huit ou neuf ans. On lui avait reproché de ne pas
montrer assez le rapport qui existe entre l'ordre des mots et le rythme
de la phrase : elle a donc cru bon d'y insister ici. M"* R. débute du
reste par des considérations toutes générales sur la continuité des
diverses évolutions linguistiques, et s'élève avec vivacité contre la
conception d'un développement mécanique du langage. Pour elle,
les faits phonétiques sont de même nature que ceux de la sémantique,
procédant les uns et les autres d'une seule force qui est l'esprit.
Dès lors, et s'il est dûment établi que le langage n'est en rien quelque
chose de physico-mécanique, il deviendra déplacé, sinon dangereux,
d'appliquer à l'observation des phénomènes linguistiques cette
exactitude mathématique, avec laquelle nous pouvons par exemple
observer et prévoir les phénomènes du monde physique. Je résume
les idées, sans entrer dans une discussion qui nous entraînerait un
peu loin : ces idées, j'y souscris d'ailleurs pour ma part sinon com-
plètement, du moins dans une large mesure. Et j'aurais mauvaise
grâce à ne pas admettre aussi la définition du latin vulgaire qui est
donnée ici à la p. 80, car c'est à peu près celle que je défends moi-
même depuis longtemps, et qui se trouve notamment au ^i 43 de mes
Eléments de linguistique romane : c'est bien à une distinction entre
d'histoire et de littérature 23'
'/
la langue écrite et la langue parlée que doit se ramener en somme
celle du latin classique et du latin vulgaire. Sur le point de départ
initial des langues romanes, sur la date du fameux punctiim salions,
j'aurais plus de réserves à faire : mais passons.
Après ces préliminaires très intéressants en eux mêmes, M"*^ R. est
entrée dans le vif du sujet qu'elle entendait traiter, et l'a réparti en
quatre chapitres qui sont tous assez étendus. S'appuyant sur les
textes que nous ont laissés les anciens, et les interprétant une fois de
plus, elle a cherché à établir d'abord quel était le rythme de la
phrase latine, puis le rapport qu'il y avait entre ce rythme et l'ordre
des mots. Elle a montré ensuite que le rythme de la phrase et du
mot latins est de descendant devenu ascendant, et qu'il en est résulté
certains changements dans l'articulation. Enfin dans un dernier
chapitre, et très dense, qui cherche à embrasser presque toute l'évo-
lution phonétique, il est question de l'influence qu'a eue la « poussée
expiratoire » sur le développement de l'articulation des langues
romanes. Et M"^ R. constate en terminant que le français (auquel il
faut joindre cependant les dialectes de l'Emilie et de la Rhétie) est la
seule des grandes langues littéraires qui ait abouti sans réserve à
l'ordre ascendant; les autres en sont restées à un stade intermédiaire.
Je crois cette conclusion exacte : mais dans cette démonstration
touffue, et au détail de laquelle je ne puis que renvoyer le lecteur,
il y a cependant quelque chose qui m'inquiète. Je trouve que, par
un artifice d'exposition, l'auteur dans tous ces chapitres' a constam-
ment étendu à la phrase ce qu'elle disait du mot, mais sans le prouver
pour la phrase elle-même. Il y a là une sorte de confusion volontaire
entre deux choses qui sont en somme assez distinctes, et ce qui est
valable pour la prononciation du mot ne l'est pas forcément pour
celle d'un groupe, tant que ce groupe n'est pas unifié. De même,
lorsqu'au début de son opuscule, M"« R. pose en principe que
relativement au latin l'ordre des mots moderne se distingue de
l'ancien en ce qu'il tient compte davantage de l'auditeur — qu'il a
donc été non pas précisément un progrès logique, mais plutôt un
progrès dans le développement de la civilisation — elle émet une
idée assez neuve et même profonde. Mais cette idée est-elle juste de
tous points? Sufïit-il de distinguer comme ici un ordre des mots
habituel, et un autre occasionnel, l'habituel étant celui qui consiste à
passer de l'élément connu au nouveau (donc inconnu de l'auditeur),
tandis que par l'ordre occasionnel le sujet parlant procède d'une
façon inverse et n'a plus égard à son auditeur, mais à des préférences
subjectives ? Les données du problème ainsi posé ne sont pas com-
plètes, il me semble, ni suffisantes pour qu'on arrive à une solution.
Il faut encore tenir compte du principe de l'enchaînement des idées,
et de la façon dont il entre en conflit avec ce qu'on appelle l'ordre
habituel ou grammatical : je ne crois pas qu'aucune considération sur
2 58 hkvuk .".ritiqiif
les changements d'ai liciilation puisse en dispenser. C'est ce qu'avait
bien vu et établi jadis Henri Weil dans ce lumineux petit opuscule,
auquel les gros livres écrits depuis un demi siècle n'ont rien ajouté
de vraiment essentiel. Pourquoi M""-" Richter y fait-elle à peine
allusion dans une courte note? Elle était en veine pourtant de rendre
justice aux devanciers, car elle a précisément insisté elle-mtîme sur
le mérite des Lectures de H. Blair publicec en 1783, et inspirées du
reste de l'esprit de Gondillac. Mais elle exagère un peu en disant que
ces Lectures sont aujourd'hui profondément inconnues de tous les
spécialistes : du moins pour ma part, je n'accepte pas le reproche.
E. BOURCIEZ.
G. Wendt, Syntax des heutigen Englisch, /. Teil. Die Wortlelire. Heidel-
berg, Winter, in-8, Ji28 pp. 1911.
.1. KN-rruT. Die Kongruenz z'wischen Subjectund Pradikat imElisabethanis-
chen Englisch. Heidclbcrg, Winter, iii-S, i 5o pp. 1911.
Nous ne croyons pas qu'il existe de grammaire anglaise conçue
sur le même modèle que celle du docteur G. Wendt. Examinant les
règles classiques de la syntaxe, il s'est demandé si elles sont encore
observées aujourd'hui. Il s'est donc préoccupé de recueillir un grand
nombre d'exemples, choisis de préférence dans la littérature pério-
dique et chez les romanciers. Bien entendu, les journaux mal rédigés
et les auteurs excentriques ont été écartés. On se rend compte de ce
qu'il a fallu de temps et de patience pour mener pareille tâche à bonne
fin, et quel précieux instrument de travail les anglicisants pourront
trouver dans cet ouvrage, quand il sera complet. En appliquant à
l'étude de la grammaire les procédés de la méthode directe, on doit
aboutir aux mêmes constatations que le docteur G.-W., et reconnaître
le peu de fondement des interdictions édictées par les grammairiens
au nom de ;< la correction classique ». Rien de moins fixe que le
« bon usage » du cas possessif, du pluriel des noms composés, des
comparatifs. On lit dans les grammaires que l'adjectif précède le subs-
tantif à moins d'être suivi d'un régime, mais les périodiques multi-
plient les exceptions de telle façon qu'on en vient à se demander si ce
n'est pas surtout l'euphonie qui détermine la place de l'adjectif. Com-
parez celte citation d'un journaliste : (c This is an unfailingly and novs'
and then poignantly interesting work » et celte phrase de Washington
Irving : « The English is a characier not to be hasiily studied » ; lequel
des deux se révèle véritable écrivain, celui qui prend son oreille pour
guide ou ceiui qui défère aux oukases des compilateurs de syntaxes?
Grâce au docteur G.-W., l'on apprend que le relaiU which est encore
employé avec un antécédent masculin ou féminin, qu'un même
régime peut se construire dans la même phrase avec deux verbes exi-
geant des prépositions différentes, qu'un verbe peut avoir un sens
actif et un sens intransitif (ïo^zg/zf a boat s\§i^n\ûe combattre et faire
combattre), et que ces accrocs à la correction traditionnelle, ce sont
d'histoire et de littérature 259
les plus estimables écrivains qui s'en rendent coupables. Il n'est pas
étonnant, en rin de compte, que la syntaxe se soit si peu fixée : la
langue anglaise n'a jamais eu de vraie tradition littéraire; jamais les
grands prosateurs anglais n'ont consenti à observer des règles uni-
formes '. Aussi la langue est-elle restée souple, pittoresque et variée
comme au xvi'" siècle; mais si elle n'a rien perdu de ses qualités
natives, elle n'a guère gagné depuis trois siècles.
Le docteur J. Knecht étudie chez les auteurs du temps d'Elisabeth
quelques particularités syntactiques. On trouve chez Shakespeare et
ses contemporains un sujet pluriel avec un verbe en -s ou en -th, c'est-
à-dire au singulier. Partant de là, l'auteur étudie l'accord du sujet et
du verbe au xvi" siècle. Il aurait été intéressant de rechercher si quel-
ques-unes des anomalies relevées par M. K. se retrouvent encore de
"OS jours. Ch. Bastide.
FiAux (Louis) Armand Carrel et Emile de Girardin. Paris, Rivière, s. d. In-8"
xvii-355 p. 3 fr. 5o (avec le portrait de Carrel par H. Scheffer, en héliogravure).
Cette étude soignée et neuve intéressera même ceux qui trouveront
le principal argument de l'auteur moins solide que sa thèse ne paraît
d'abord vraisemblable. M. F. veut prouver que Carrel s'est battu avec
Girardin surtout pour empêcher qu'on ne divulguât une liaison irré-
gulière qu'il avait contractée depuis longtemps. Sa plus forte preuve
est ce propos qu'Am. Pichot dit avoir recueilli, au National, de la
bouche de Carrel : u Mon adversaire m'a menacé de faire ma biogra-
phie et d'y faire figurer une personne dont je ne souffrirai pas que le
moindre souffle touche le voile. Je le tuerai ou il me tuera. » Or le
21 juillet i8?6, jusqu'à i i heures du soir, Carrel n'était pas sûr que le
duel eût lieu et le 22, à 7 heures du matin, il attendait ses témoins au
boulevard de l'Opéra pour se battre à S. Mandé ; on n'imagine donc
pas bien comment Pichot a pu être informé et accourir au National.
Puis, cette sombre intention de Carrel s'accorde mal avec l'autorisa-
tion qu'il avait donnée à ses témoins et qu'il renouvela sur le terrain
même, d'accepter un arrangement qui serait honorable; elle s'accorde
mal avec la question pleine de confiance qu'il posa à Girardin avant
d'aller prendre son poste de combat, avec la déclaration spontanée
dont il accueillit la réponse de Girardin, avec l'intérêt qu'il témoigna
pour la blessure de son adversaire. Mais le volume de M. F. n'en est
pas moins attachant. Fruit de lectures considérables, il nous apporte
d'abondants détails sur tous les acteurs du drame, en particulier sur
la maîtresse de Carrel que M. F. a le bon gotit de ne pas nommer
(c'est probablement aussi par délicatesse qu'il ne dit pas d'où il tire
I. Comme le constate M. Bernard Shaw, à propos des « split infinitives » qui
résistent aux efforts des grammairiens, « the natural healthy-minded Englishman
always splits his infinitives, so following the genius of the language, which is to
split everything. »
200 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
ses documents sur elle) et sur les tcmoins des deux adversaires. Il
connaît très bien la presse du temps et non pas seulement pour la
semaine du drame. 11 voit surtout Carrel par ses beaux côtés, mais ce
qui serait un tort dans une biographie complète du pcrsonnnagc est
presque une qualité dans le cadre où M. F. s'est renferme. Certaines
pages ont une réelle portée : la prompte réconciliation de Capo de
Fcuillide, celui qui avait embarqué Carrel dans l'affaire, avec Girar-
din et avec le Gouvernement de juillet suggère de tristes conjectures
que d'ailleurs, et avec raison, M. F. ne donne pas pour des certitudes.
Charles Dejob.
AcADÉMiK DES In.soriptions ET Helles-Lettkes. — SéaHcc du j .^ mars jgi2.
— M. Cordicr annonce qu'il a reçu du D"' Legcndrc une lettre datée de Hung-
Kong, 1 1> février. I.e D'' Legcndrc confirme les détails de l'agression dont il a été
l'obrct ; il allait gagner le Tông-King, et de là le Yun-nan, si la situation permet-
tait d'y travailler.
M. Babelon annonce que la commission du prix Duchalais a partagé ce prix en
deux parties égales entre M. Jules Sambon, pour son ouvrage intitulé : Rcpertorio
générale délie moncte coniate in Italia, et M. Antoine Sabaticr, pour sa Sigillogra-
phie historique des administrations fiscales, communautés ouvrières et institutions
diverses. Plombs historiés de la Saône et de la Seine.
M. Prou annonce que la commission du prix Bordin a décerné : i» un prix de
i,5oo francs à M. F. Chalandon, pour son histoire de Jean II Comnène et Manuel
Comnène; — 2" trois récompenses de 5oo fr. chacune : au F. Fredegand Callaey,
pour son livre intitulé : L'idéalisme franciscain spirituel au xw" siècle: étude sur
Ubertin de Casalc ; à M. Jean Longnon, pour son édition de la Chronique de
Marée ; à dom Antonio Staerke, pour son livre : Les mss. latins du v« au \}u^ siècle
conservés à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg.
M. Héron de Villefosse informe l'Académie que M. le chanoine Feynaud, cure
de Sousse, grâce à une subvention de la Société française des fouilles archéolo-
giques, est en mesure de reprendre l'exploration des grandes catacombes d'Hadru-
mète. De son côté, M. le duc de Loubat à fait parvenir à M. Leynaud une géné-
reuse contribution personnelle. — M. Leynaud vient d'ailleurs de découvrir une
plaque de marbre blanc portant l'épitaphe d'un centurion de la 11« légion Par-
thique. Le tombeau de ce centurion a été ouvert le 2 mars. Au fond d'une auge
était déposé le corps du défunt, recouvert d'une couche de plâtre très blanc;
aucun objet près du corps. Le squelette, bien conservé, mesure i m. 72 de lon-
gueur. L'épitaphe, gravée avec soin, est ainsi conçue : Q. Papio Q. F. Satur-
nino. I Iuliano centurioni. \ leg. II. Part. vix. ann. LX | Papia Victoria soror |
piissima fratri suo \fecit. On remarquera l'absence de la formule Dis manibus
sacrum. Cette inscription^ ne peut être antérieure au règne de Septime Sévère
auquel on doit la création des trois légions Parthiques. Elle fournit donc une
date importante à retenir pour l'histoire de ces catacombes. Comme on ne pos-
sède aucun témoignage sur un séjour des légions Parthiques en Afrique, il
parait probable que ce Q. Papius Saturninus était venu finir ses jours dans sa
patrie, auprès de sa sœur, Papia Victoria, qui prit soin de sa sépulture. On a
relevé à Lambèse les épitaphes de deux centurions de la II1« légion Parthique,
morts l'un à 70 ans, l'autre à 54 ans, dont la présence dans le cimetière de Lam-
bèse ne peut s'expliquer que par des motifs analogues.
M. le comte Durrieu signale une série d'importants documents historiques dont
M. Delaville Le Roulx, récemment décédé, avait réuni des copies. Parmi ces
documents se trouvent : une correspondance en langue grecque échangée, vers la
tin du xvc siècle, entre le sultan et le grand-maitre de l'Ordre des Hospitaliers
alors installé à Rhodes ; une lettre en français écrite de Rome par Djem, frère du
sultan Bajazet ; enfin d'autres lettres relatives à l'expédition de Charles Mil en
Italie, où il est nettement indiqué qu'en partant pour l'Italie le roi de France se
proposait en réalité d'aller conquérir Constantinople.
M. le Dr Lalanne fait une communication sur trois bas-reliefs à figuration
humaine de l'abri sous roche de Laussel (Dordognc). — M.\l. Dieulafoy, Salomon
Reinach, Heuzey et Prou présentent quelques observations.
M. Psichari continue sa communication sur lamed et lambda.
M. Cuq communique en seconde lecture son mémoire sur certaines particula-
rités juridiques du sénatus-consulte de Délos relatif au culte de Sarapis.
Léon Dorez.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
REVUt CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N« 14 - 6 avril. — 1912
HiNKii, Kudurru babyloniennes. — Kohler et Ungnau, Textes juridiques babylo-
niens. — G. 1Ieiniuc;ii, Histoire universelle des littératures, IV. — Szujetvari,
La théorie du comique. — Hkrrkrt, L'enluminure. — Doutrepont, La littéra-
ture française à la cour des ducs de Bourgogne. — Luquiens, L'original de la
chanson de Roland. — Sermons du xv^ siècle, p. Szilady. — E. Daudet, L'am-
bassade du duc Decazes en Angleterre. — Gvuj.ai, Critiques. — BENEDEK,\'ictor
Hugo. — Questions de politique étrangère dans TAmérique du Nord. — Pinom,
L'Europe et la jeune Turquie. — L. Hubert, Politique extérieure. — P. D. Der-
rière la façade allemande. — Mangin, La mission des troupes noires. — Bakou-
nine, Œuvres, V. — P. de Noi.iiac, M"" Vigée I^e Brun. — Quentin-Bauchart,
Les musées municipaux. — G. Lenôtre, Le vieux Paris. — M™" A. Heymann,
Lunettes et lorgnettes de jadis. — Morris, Le jeune Gœthe, VL — Académie
des inscriptions.
W. J. Hinke. Selected babylonian kudurru inscriptions. Semitic study séries,
n° XIV. Leiden, Brili, igii. i vol. xi-90 p,, in-8". 6 M.
M. Hinke a donné en autographie le texte cunéiforme de huit
kudurru ou chartes de donation. Ces documents sont datés des
règnes de Naii-Marruttas, Meli-Sipak, Marduk-apal-iddina, Nabû-
kudurri-iisur /, Ellil-nddin-aplu, un roi de la dynastie de Pase, et
Marduk-nddin-alîé. Le kudurru de Nabû-kudurri-unir I est celui
dont M. Hinke a donné autrefois la transcription et la traduction
dans un travail d'ensemble sur les kudurru (Cf. Rev. Crit. du
23 juillet igo8), mais dont le texte original était demeuré jusqu'à pré-
sent inédit. M. Hinke a rendu un réel service aux études assyriennes
en réunissant dans un livre facile à manier des textes dispersés dans
des publications épuisées ou chères et d'un format mal commode. Il
serait fort à souhaiter qu'un second fascicule nous donnât les autres
kudurru. L'autographie est soignée et d'un bel aspect. J'ai pourtant
relevé quelques erreurs : p. 9, 1. 58, un signe la omis; p. 11, 1. 39,
un signe nu omis; p. 17, 1. 8, il aurait fallu indiquer que l'original
porte ba au lieu de \u.
C. FOSSEY.
J. KoHLER et .\. Ungnad. Hundert ausgewàhlte Rechtsurkunden aus der Spât-
zeit des babylonischen Schrifttums von Xcrxes bis Mithridates II (483-93 v.
Chr.i. Leipzig, Pfeifter, 1911, 89 p., in-H".
Les cent textes traduits par M. Ungnad sont extraits des tomes VHI,
Nouvelle série LXXIII 14
202 REVUE CRITIQUE
IX Cl X de The Bahylonian Expédition of the University of Pennsyl-
ViViia, du fascicule IV des Cunei/orm Texts in the British
Muséum, des fascicules III et IV des Vorderasiatische Scrifldenkmd-
ler de Berlin, des Arsaciden-Inschriften de Stiassmaier et des Ins-
criptions of the reigns of Evil-AIerodach, etc. d'Evctts. L'interpréta-
tion est celle que les travaux antérieurs de M. Ungnad nous donnaient
le droit d'attendre ; c'est dire qu'elle est strictement philologique ei
que les historiens du droit étrangers aux études babyloniennes peuvent
l'utiliser en toute sécurité. Le seul regret que l'on puisse exprimer,
c'est que M. Ungnad se soit borné à un choix si restreint. Le com-
mentaire juridique que M. Kohler a donné à la suite de cette traduc-
tion résume les principaux faits qui en ressortent. J'y relève la pré-
sence en Babylonie de nombreux étrangers égyptiens, grecs, perses,
araméens, indiens — un index des noms propres non babyloniens
permet de s'en rendre compte rapidement; — ■ le développement du
contrat en forme de dialogue, d'où est sorti le chirographe dans lequel
la personne qui s'engage parle seule ; la disparition des prêtresses qui
interviennent si fréquemment dans les transactions de l'époque an-
cienne ; la capacité de contracter accordée aux esclaves, qui traitent
non seulement pour leur maître mais pour eux-mêmes, La terre féo-
dale peut être hypothéquée et le service militaire peut être remplacé
par une somme d'argent ; le taux de l'intérêt monte sous Darius II
jusqu'à 40 0/0 ; le cheptel du droit français et allemand existe déjà en
Babylonie ; la commandite et la société en commandite également ; le
droit babylonien s'est maintenu jusqu'à la fin de l'époque perse,
notamment en ce qui concerne les biens. On peut dès à présent établir
des parallèles intéressants, entre le droit babylonien du i" siècle avant
notre ère et le droit égypto-grec révélé par les papyrus. M. Kohler en
donne quelques exemples et fait justement remarquer qu'il ne faut
pas voir forcément dans ces ressemblances le résultat d'emprunts.
C. FOSSEY.
Egyetemes irodalomtœrténet (Histoire universelle des littératures). Tome IV.
Peuples ouralo-altaïques et slaves. Budapest, Franklin, 191 1, xi-746 p. gr. in-8°,
avec de nombreuses illustrations.
Le grand ouvrage de vulgarisation publié sous la direction de
M. Gustave Heinrich, est arrivé à son IV^ volume. Les trois premiers,
consacrés à l'ancien Orient, à la Grèce, à Rome, aux littératures
romanes et germaniques, sont plutôt destinés à répandre le goût des
littératures étrangères dans le public magyar. Les savants les plus
renommés de la Hongrie y ont collaboré. Le volume que nous
annonçons aujourd'hui mérite d'être connu, même en dehors du
pays auquel il est destiné. La première partie contient, en effet,
l'exposé de l'état actuel de nos connaissances sur les langues et
d'histoirk KT DK LITTF.RATURE 263
les liitéraiurcs ouralo-altaïques. Puisque la plupart des idiomes qui
consiituent cette famille, sont presque inconnus et que le public
même lettré, n'a que des notions très vat^ues sur le groupe ougro-
finnois, il serait à souhaiter que ce premier essai, dû à MM. Bernard
Munkâcsi et Aladdr Ban fût traduit dans une langue plus accessible
aux savants que le hongrois.
M. Munkâcsi retrace à grands traits les caractères principaux de la
grande famille ouralo-altaique qui se divise en deux branches : la
branche orientale le turc, le mongol, le toungouze-mandchou) et
la branche occidentale itoutes les langues ou^ro-finnoises et le
samoyède.) Il nous montre Tétai primitif de ces peuples qui occu-
paient jadis tout le territoire qui s'étend de la mer Caspienne jusqu'à
la Corée et qui tirent souvent trembler l'Europe par leurs invasions
(Huns, Magyars, Mongols). Les études linguistiques et ethnogra-
phiques sur ces peuples se poursuivent aujourd'hui surtout en Russie,
en Finlande, en Suède et en Hongrie; elles ont permis à M. Mun-
kâcsi qui lui-même a voyagé longtemps en Sibérie et a fait des
travaux remarquables sur les Vogouls, d'établir la parenté de ces
races, de chercher l'influence que les Aryens ont pu exercer sur ces
peuples que l'Avesta mentionne déjà, que les Grecs dénommaient
Scythes, les Byzantins Turcs et qu'on a longtemps appelés des Tou-
raniens. La vie sociale et intellectuelle de ces peuples ne peut être
élucidée que par les rares dociiments littéraires que nous possédons.
M. Munkâcsi explique les inscriptions que le génie de Thomsen a
rendu intelligibles aux savants, il dit un mot de la parenté du japo-
nais avec ce groupe, parenté qui n'est pas encore bien prouvée, mais
il rejette l'hypothèse des savants qui voudraient faire entrer le sum-
mérien dans la famille ouralo-altaique. La parenté de l'étrusque avec
ce groupe dont M. Martha vient d'entretenir l'Académie des Inscrip-
tions, n'est pas mentionnée.
M. Bân nous initie, grâce à son talent poétique, à la littérature des
Finnois et des Esthoniens, à la poésie populaire des Lapons, des
Mordves, des Tcherémisses, des Vogouls, des Ostiaks et des
Samoyèdes, Après un court exposé sur les efforts de certains de ces
peuples pour créer une vie littéraire, il nous donne dans des traduc-
tions en vers fort réussies toute une Anthologie de la poésie Hnno-
ougrienne.
Le groupe oriental de la famille ouralo-altaique de même que les
littératures des peuples slaves nous sont présentés, en grande partie,
par des savants non-hongrois. La direction a eu recours à eux pour
avoir pour chaque peuple la plume la plus autorisée. Leurs travaux
furent traduits en magyar et mis au point. On connaît les inconvé-
nients de ce procédé, mais quel est le savant qui voudrait se charger
aujourd'hui de présenter l'ensemble des littératures slaves? On nous
otiVe donc ici des pages nourries de MM. Prôhle (Turcs), Laufer
204 REVUE CRITIQUE
(Mongols Cl Mandchous), Bruckncr (Russes et Polonais), Franko
(Ruihcnes), Cerny (Vendes), Novak (Tchèques), Skultéty (Slovaques),
Brijatelj (Slovènes), Popovic (Serbes et Croates), Atanasov (Bulgares).
Les noms de ces savants sont suffisamment connus en France; il
est donc inutile d'insister sur leur collaboration à cette œuvre inter-
nationale. Nous voulions surtout attirer ratteniion des savants sur la
partie vraiment neuve de ce volume : les exposés de MM. Munkdcsi
et Bân.
I. KONT.
A komikum elmélete (La théorie du comique) par Ivan Szigetvari. Budapest,
Académie, 191 1, 432 p. in-i6.
Ce Mémoire couronné par l'Académie hongroise se divise en deux
parties. Dans la première (p. 6-174) M. Szigetvari nous donne l'his-
toire des théories du comique depuis l'antiquité jusqu'à nos jours.
L'antiquité est représentée par Platon, Aristote, Cicéron et Quinti-
lien; la moisson pour les temps modernes est beaucoup plus riche.
Ainsi pour la France, nous trouvons trente-quatre théoriciens, depuis
Laurent Joubert {Traité du ris, iS/q) jusqu'aux travaux de
MM. Bergson, Mélinand et Dugas. Pour l'Allemagne, Fauteur
remonte jusqu'à Gottsched, pour l'Angleterre jusqu'à Hobbes et
pour la Hongrie jusqu'à Georges Szerdahely qui occupa, vers la fin
du xviii'= siècle, la chaire d'esthétique à l'Université de Pest. On se
rendra facilement compte des vastes lectures de M. Szigetvari en par-
courant les différentes opinions de ces théoriciens.
Après cet exposé un peu aride, le livre nous dédommage en nous
montrant par des centaines d'exemples les différents genres du
comique et les sources d'où il jaillit. En dehors des auteurs comiques
(Aristophane, Plante, Molière, etc.) nous trouvons là la quintessence
des feuilles amusantes (Fliegende Blatter, le journal hongrois Kakas
Mdrton) et même quelques calembours que l'auteur a entendus sur
les scènes parisiennes. Toutefois M. Szigetvari avoue que pour la
théorie, c'est toujours celle d'Aristote qui contient le plus de vérité et
c'est à celle-là qu'il se rallie.
Jusqu'ici les auteurs ont écrit des Préfaces pour expliquer la genèse
de leurs œuvres. M. Szigetvari intervertit l'ordre établi et met son
avertissement à la fin ; il y constate que les exemples recueillis par lui
sont beaucoup plus nombreux que ceux de ses prédécesseurs. Nous
lui donnons volontiers acte de ses recherches minutieuses et nous
considérons son livre, surtout la seconde partie, comme une lecture
très amusante.
I. KONT.
d'histoire et de littérature 205
Herbert (J.-A.), lUuminated manuscripts. l.oiulres, Methuen, 191 i, in-4*, xm-
35(5 p., 3 I planches.
Les miniaturistes qui furent, dit-on, des humbles, des naifs, des
méprisés, seraient alors vraiment bien surpris s'ils revenaient sur
terre ; depuis quelques années, ils sont en effet royalement traités.
Non seulement, une société des plus savantes s'est constituée pour les
magnifier, mais partout en Europe, on exalte leur talent, on leur
élève des monuments, en essayant de reconstituer leur histoire. L'in-
lérèt de ces publications qui, comme elles se répètent forcément les
unes les autres, pourrait au premier abord paraître faire double em-
ploi, lient à ce que les savants de tous les pays, mettent dans un cadre
à peu près identique les monuments qui les entourent, qui leur sont
familiers. De telle sorte que bientôt peut-être les bibliothèques d'Alle-
magne, d'Italie, d'Angleterre, de Belgique, n'auront plus de secrets
pour nous.
Parmi les excellents volumes qui ont ainsi été consacrés depuis
quelques mois à ces primitifs, l'ouvrage du savant M. J.-A. Herbert,
l'éminent conservateur du British Muséum, est fort important. Il faut
l'histoire de Tenluminure, et suit, à l'aide des plus précieux manuscrits
d'Angleterre qu'il reproduit, le développement de cet art exquis que
le temps a un peu épargné et qui demeure ainsi une des branches les
plus complètes de l'art du Moyen Age. Naguère, VExposilion de Bur-
lington Club k Londres en 1908, nous avait fait connaître les plus
beaux manuscrits enluminés des collections privées d'Angleterre :
aujourd'hui, les cinquante et une planches qui accompagnent le tra-
vail de M. H., en grande partie tirées du British Muséum, forment
un ensemble nouveau des plus riches.
Le volume se divise en XVIII chapitres; les huit premiers traitent
de l'art classique encore tout imprégné des souvenirs de l'Antiquité,
comme le Virgile du Vatican. Je le trouve cependant moins intéres-
sant que VIliadç de l'Ambrosienne de Milan : dans ce dernier les
illustrations sont en effet de véritables tableaux aussi magistralement
traités que savamment composés.
Le British Muséum fournit avec l'Egerton 11 39, le Psautier de
Mélissende, reine de Jérusalem (i i3i-i 134), une bien belle page byzan-
tine ; nulle part, on ne trouvera d'enluminure celtique plus fine que
celle de VÉvangiliaire de Lindesfarne (c. 700 Brit. Mus. Nero D IV);
la Bible d'Alcuin (ix« s., Brit. Mus. add. 10546) n'est peut être pas par
exemple aussi précieuse que notre Evangéliaire de Saint-Médard de
Soissons (Biblioth. Nat. lat. 885o) encore tout imprégnée du charme
de la Renaissance Carolingienne. Mais leur rapprochement est parti-
culièrement intéressant parce qu'il montre la brusque décadence qui
succède au passage lumineux du Grand Empereur à la barbe fleurie.
Pourtant tel Psautier anglais de xi-^ siècle (Brit. xMus., Tib. C VI)
présente une envolée artistique que l'Angleterre saura peut-être
266 RKVDE CRITIQIJI'.
mieux défendre que le Coniinein ei que nous retrouvons dans l'.4;7o-
cah'psc iic Costredy (Biblioili. Nat. Ms. Ir. 4(j3, édiicc par la Société
des Anciens 7\'xtes, iQOi), qui pourrait lort bien, elle aussi, être d'o-
rigine anglaise.
Au xiM« siècle la technique anglaise n'est pas très ditiVrentc de celle
de la France. Sans être aussi merveilleux, le Psautier anglais i Roy.
I D X, pi. XXI) pourrait être rapprocké de l'incomparable feuillet de
la Bible Moraïisée d2 saint Louis, signée Fortin, qui est aujourd'hui
la propriété de M. Pierpont-Morgan.
Un volume de la fin du xiii'' siècle pi. XXVI), un Evan^^éliaire
parisien iBrit. Mus., add. i7'34r) doit particulièrement nous arrêter.
On voit en effet, en bas de page, le petit oisea,u d'Honoré; il peut donc
soulever une discussion intéressante. Car s'il porte bien ainsi la mar-
que du célèbre miniaturiste, que nous connaissons par l'inscription
tracée à la fin d'un de ses ouvrages d'une technique si personnelle, il
ne présente aucun des caractères de facture du Gralien de Tours, mais
se rapproche beaucoup du Bréviaire de Pliilippe le Bel i Bibl. Nat.
ms. lat. I023), que L. Delisle attribuait, d'après un compte, précisé-
ment à Honoré. La marque de V Evangéliaire du British Muséum
viendrait ainsi confirmer cette attribution, et prouver que le petit
oiseau est la marque de son atelier, bien plutôt que la signature per-
sonnelle de l'artiste lui-même.
Le chapitre XIII consacré à l'enluminure anglaise postérieure à
i3oo, est illustré de quelques planches qui font regretter qu'elles ne
soient pas plus nombreuses; on y découvre en effet une série d'in-
fluences très diverses. Les artistes anglais se déplaçaient facilement,
nous le savons : maison trouve là des impressions françaises, flaman-
des, italiennes tout à fait extraordinaires que les pages suivantes font
d'ailleurs toucher du doigt ; par exemple dans VQ\':\ms Pontifical de
Met\ de i3o2, dans les Heures de Jeanne de Navarre, vers i33o, à la
bordure tricolore (peut-être la marque d'une boutique dont l'enseigne
était A Varc en ciel), dans le manuscrit de Nicolo di ser Sozzo de
1334, à Sienne, qu'il faut rapprocher d'un bien curieux ms., à peu
près ignoré, de la Bibliothèque d'Angers (ms. 378), les Grégorien-
nes, enluminées en i333 par un certain Jean de Piciano, qui y ap-
pose sa signature.
Attribuer encore les Très riches Heures du duc de Berry, de Chan-
tilly, aux frères Limbourg, n'est peut-être pas sans danger. Qu'on ait
accepté en )884, l'opinion, même très hypothétique, d'un savant émi-
nent, rien de plus naturel. Mais depuis on a fait le silence autour de
travaux infiniment poussés, qui montraient cependant dans cette œuvre
extraordinaire plus qu'une influence italienne. On n'a jamais voulu
paraître attacher d'attention aux articles du fin critique d'art qu'était •
Eug. Muntz (i885 , il n'était pas d'accord avec L. Delisle; les remar-
ques de H. Bouchot n'ont semblé d'aucune importance, il n'admet-
d'histoire et de littérature 267
tait pas les Limbourg aveuglément. Aujourd'hui, la Vue de Sienne
dans la miniature de V Adoralion des Mages signée de Filippus, si
probablemeni Filippus di Francesco di Piero di Heriuccio — artiste
de Sienne — . publiée dans les Monuments Piot, l'origine Siennoise
du Zodiaque, un des problèmes les plus impressionnants de cette
suite incomparable, les lettres qui annoncent au duc de Rerry l'envoi
d'artistes de Sienne en 140g, doivent singulièrement donner à
réfléchir.
Il en est de même des Heures d'Anne de Bretagne, attribuées à
liourdichon. Là encore, on suit sans discuter L. Delisle, parce qu'il
affirmait qu'il n'y avait qu'z//z mandat, pour une oeuvre unique.
Aujourd'hui nous avons deux mandats de payement à Bourdichon
pour deux oeuvres similaires : un de i 5o8, un de i5i8, et de plus,
le volume de la Bibliothèque nationale porte la date de i5oi;enfln
depuis deux ans, cinq répétitions presque identiques sont venues à la
lumière. Alors, il en résulte que Bourdichon était simplement un
grand éditeur, car ce qu'il livrait ne pouvait être de sa main, sa vie
n'y aurait pas sufti. Et nous ne savons dès lors rien de lui, sinon
qu'il dirigeait un atelier célèbre, d'où sortirent des œuvres superbes,
acquises par les rois et les reines. Et c'est tout.
C'est sur ce terrain que je me sépare de M. H., pourtant toujours
si averti. 11 n'a en effet tenu aucun compte ni des inscriptions ni des
signatures qui modifient forcément ce qu'on sait et ne permettent
plus d'écrire l'histoire de l'art comme on le faisait autrefois. Depuis
1866, alors que L. Delisle imprimait officiellement, pour la pre-
mière fois je crois, que les artistes du moyen âge n'étaient pas
autorisés à signer leur nom, sans aucune preuve d'ailleurs, nom-
breuses cependant ont été les études qui publiaient des signatures ;
mais personne n'a songé à en faire la synthèse, à les utiliser. Quoti-
diennement aujourd'hui paraissent de nouveaux travaux apportant de
précieuses découvertes, déchiffrant des inscriptions, qui identifient si
bien les œuvres d'art, qu'hier, M. L. Cust, l'éminent conservateur
du musée de Windsor, constatait dans le Burlington Magaiine
(février 1912) l'importance de cette méthode qui nous fait pénétrer
dans l'inconnu. Elle détruit la Tradition, c'est possible, mais elle
permet de ne plus piétiner sur place.
Le livre de M. H. n'en demeure pas moins un de eeux qu'il faudra
toujours consulter pour les renseignements précieux qu'on y ren-
contre à chaque page.
N'oublions pas de signaler, en finissant, l'excellente bibliographie
qui termine le volume, et ses index fort copieux, qui permettront aux
travailleurs d'utiliser tous les documents contenus dans les pages
qui les précèdent.
F. DF, Mélv.
2Ô8 REVUE CRITIQUE
La littérature française à la cour des ducs de Bourgogne, par G. Doutre-
i>osr [Bihliotlii-quc du xv siàclc, t. VIII\ l'aris, Champion, in-S», Lxviii-344 p.,
1909.
Œuvres composées pour la famille de Bourgogne, œuvres anciennes,
simplement achetées, recopiées, ou modernisées à la demande des
quatre ducs, Philippe le Hardi, Jean sans Peur, Philippe le Bon et
Charles le Téméraire, dans les divers genres (Epopées et romans
d'inspiration médiévale, L'Antiquité, Littérature religieuse et didac-
tique, Fabliaux et Nouvelles, Théâtre, Poésie lyrique, Histoires et
Chroniques), tel est l'ensemble énorme — la Bibliothèque de Bour-
gogne était « la mieux garnie de la chrétienté » — dont l'auteur a fait
l'histoire, l'inventaire et l'analyse en sept chapitres (les quatre cin-
quièmes du livre); le but de ce travail était de « marquer les relations
qui existent entre les manuscrits qui ont été recueillis en l'espace de
plus d'un siècle et les goûts, les soucis et les tendances du milieu où
ils ont été confectionnés et rassemblés ». Ces relations, en ce qui
concerne les princes, leur psychologie et leurs tendances politiques,
on les trouvera, partie dans {Introduction (l'éducation et les goûts
intellectuels des quatre ducs), partie dans le chapitre ix (Coup d'œil
rétrospectif), et dans les Conclusions (p. 558 et s.). Quant aux écri-
vains, voici au point de vue de l'histoire littéraire et sociale, les princi-
pales questions que s'est posées et auxquelles a répondu l'auteur :
leur situation (chap. viii), le ton de leurs œuvres (passim, chap. vn,
et Conclusions, p. 5o2-3, l'éloge passe la remontrance, étouffe l'ex-
pression des besoins et des revendications des peuples), ce qu'ils
doivent à la cour au point de vue littéraire (les Eustache Deschamps,
Christine de Pisan, Martin Le Franc, Antoine de La Salle n'ont reçu
de ce milieu aucune formation ou empreinte littéraire, mais les Oli-
vier de la Marche et les Georges Chastellain, sans l'aide de la cour
n'eussent pas produit leurs œuvres ; les écrits des rhétoriqueurs, hor-
mis ceux de ces deux auteurs, avec deux chroniques et trois poèmes
de Molinet, n'ont paru qu'après que la cour avait cessé d'exister), ce
qu'ils doivent à l'esprit général du siècle (style « pâteux et diffus »,
allusions et réminiscences pédantesques), l'importance respective qu'ils
accordent à la prose et à la poésie (refontes romanesques des épopées,
traductions, bref, prédominance de la prose). En résumé, à la Cour
de Bourgogne comme sous le règne de Charles V, la grande majorité
des auteurs sont de mince talent, impossibles à « réhabiliter » (les
Jean Wauquelin, David Aubert, Miélot, F. Mastre, Mansel, etc.),
mais ils préparent le terrain où sera cultivée la littérature de la Renais-
sance ; sur la diversité des tendances de cette littérature (prédication
morale, piété, mais aussi gaillardise et indulgences de toutes sortes),
M. Doutrepont rejoint les conclusions qu'avaient formulées Gaston
Paris et de M . A. Piaget sur une des œuvres de ce siècle, le Cham-
pion des Dames.
d'histoire et de littérature 269
Des monographies parues depuis le livre de M. Doutrepont, et le
premier volume de VHistoire de la poésie en France au xvi^ siècle,
nous font connaître de plus près la valeur littéraire de nos rhétori-
queurs, de Georges Chastellain à Gringore ; mais Ton voit que cette
histoire de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne n'est pas une his-
toire exclusivement extérieure des productions du xv" siècle. Elle
rassemble une masse considérable de faits, dont une bonne partie
sont nouveaux; elle fait honneur à l'érudition, à la persévérance
méthodique et inlassable, au talent d'exposition du professeur de
l'Université de Louvain '.
H. G.
The Reconstruction of the original Chanson de Roland, par Frederick
Bliss LuQUiENs (Yale University), in-8°, 26 p. (reprinted from the Transactions
of the Connecticut Academy of Arts and Sciences, vol. XV, July 1909.
M. Luquiens se propose d'établir que l'original de la Chanson de
Roland était au point de vue littéraire d"une « excellence constante et
achevée », que le manuscrit d'O.xford présente les qualités suivantes :
unité, cohérence et « emphasis » (c'est-à-dire proportion des parties,
gradation d'intérêt, symétrie artistique et variée, — d'après les défini-
tions données par le professeur G. S. Baldwin dans son traité /l Col-
lège Maniial of Rhetoric), et que les quelques imperfections qu'on
y rencontre peuvent être attribuées à des copistes négligents ou
novices présomptueux; l'auteur poursuit cet examen de l'ensemble
aux détails, « chapitres » (en particulier les deux premiers), strophes,
vers; dans l'ensemble, il ne trouve que huit mauvais vers authenti-
ques sur 2927.
Une si parfaite ordonnance, ajoute en note l'auteur, doit-elle sur-
prendre en ce onzième siècle français qui a donné au monde « les
principes de l'architecture ogivale » ?..
.Jusqu'ici, M. Luquiens développe et corrobore les appréciations
élogicuses de Petit de Julleville, de Ten Brink [Geschichte der englis-
chen Litteratiir, Strassburg, 1899), et du professeur W. M. Hart. Dans
la seconde partie de son étude, il essaie de prouver que la thèse qu'il
soutient assure à la théorie de Théodore Millier, sur le classement des
manuscrits, une supériorité incontestable sur le texte et le classement
des manuscrits proposés par le professeur Stengel, et que le principe
adopté par Muller (mal appliqué en deux endroits de son édition,
ajoute M. Luquiens) : ne jamais corriger le manuscrit d'Oxford
d'après les autres rédactions, excepté les cas où une raison impérieuse
s'impose, doit être complété par celui-ci : exclure du manuscrit
d'Oxford tout ce qui peut être prouvé comme provenant des copistes.
Mais les copistes, d'où vient tout le mal, ont peine à se défendre et à
1. Ajouter à VErrata, une erreur typographique, p. 482, avant-dernière ligne.
270 REVUE CRITIQUE
emptîchcr rintclligoni ci dili^^cnt commentateur d'accorder à une
hypoilicsc séduisante, que soutiennent des concordances, des obser-
vations de détail, la valeur d'une certitude.
H. C.
Sermones dominicales. Ediles par Aron Szilûdv. lîudapest, Académie, 1910,
2 vol. xx-663 et 7G4 pages, iii-8".
M. Szilâdy auquel on doit de nombreux travaux sur la littérature
hongroise des xv ei xvi<^ siècles, vient de publier deux volumes de
semions latins du xv'' siècle. Le texte de ces Sermons nous est con-
servé dans deux manuscrits dont lun se trouve à la Bibliothèque de
l'Université de Budapest (Cod. Lat. Saec. XV, n° 98; et l'autre à la
Bibliothèque du Couvent des Franciscains à Német-Ujvâr. Tous les
deux furent signalés dès i883 par M. Fejérpataky comme contenant
des gloses hongroises. Etant donné le petit nombre de textes magyars
conservés du xV siècle, l'intérêt de ces manuscrits est assez grand
pour les linguistes. L'auteur de ces Sermons est un nommé Frère
Dionyse, chanoine de Pécs (Cinq-Eglises) qui, en guise d'explication,
a ajouté souvent le terme magyar à des expressions peu familières à
son auditoire; par exemple praesumpiiiose vakmerœ, magnae nondi-
nae vulgo sokadalom, merces, dru, etc. Le lexique de ces vocables et
tournures n'occupe pas moins de 171 pages (tome I, p. 493-663) et
sera fréquemment consulté par les linguistes à côté des quinze
volumes du Nyelvemléktdr et des fragments de dictionnaires de
Besztercze, de Gyôngyôs et de Murmelius découverts et édités dans
ces dernières années.
Nous ne savons pas grand chose de l'auteur de ces Sermons ; d'après
les manuscrits il s'appelait Dionyse et d'après les vocables hongrois,
M. Szilâdy croit qu'il était du district d'au-delà du Danube et l'iden-
tifie avec ce Dionyse de Mohâcs qui hgure dans la liste des Maîtres
et élèves hongrois à V Université de Vienne aux xiv* et xv^ siècles que
Mgr Fraknoi a dressée en 1874. M. Szilâdy démontre également que
l'auteur des Sermons en a emprunté un bon nombre à Jacques de
Voragine.
Le texte est établi avec cette érudition de bon aloi qui caractérise
les travaux du savant rapporteur de la Commission d'histoire litté-
raire de l'Académie hongroise.
I. KONT.
Ernest Daudet. Lambassade du duc Decazes en Angleterre (i82o-i83t).
Paris, Pion, 1910, iii-8°, 375 p.
Ce volume est la suite d'une sorte de biographie politique du duc
Decazes, entreprise il y a déjà longtemps par M. Daudet, et dont le
tome premier a paru en 1899 sous le titre Louis XVIII et le duc
d'histoire et de littérature 271
Deccir^es. Ce ne peut guère être une élude complète de la carrière du
personnage, ni surtout une étude critique, puisque c'est aux héritiers
mêmes de Decazes que Tauteur est redevable de presque tous les
documents qu'il utilise. iMais ces documents sont de premier ordre :
lettres de Louis XVI 11 à Decazes, réponses à ces lettres, correspon-
dances avec le duc Pasquier, journal de la duchesse Decazes pendant
son séjour à Londres, bulletin du cabinet noir, rapports de police,
correspondances diplomatiques sur la mort du duc de Berry et les
derniers jours du ministère de iSkj, etc. 11 y aura dans tout cela
beaucoup à prendre pour Miisioire du règne de Louis XVIII, sinon
pour l'histoire de nos relations avec l'Angleterre sous la Restauration.
On y verra le déclin de cette faveur extraordinaire dont avait joui
Decazes auprès du roi, et qui s'exprimait parfois dans un langage si
étrange. Eloigné de Paris pour des raisons de politique, le duc y
revint sans congé régulier pour soigner sa jeune femme, gravement
atteinte dans sa santé ; il encourut de ce fait les colères des ultras, et
le mécontentement de Louis XVIII. Ce vieux souverain, toujours
rempli pour son « cher fils » Decazes d'une tendresse apparente, alla
pourtant jusqu'à refuser de lui donner audience, sous prétexte de
scrupules constitutionnels. En réalité la disgrâce de l'ambassadeur,
de plus en plus accentuée, coïncide avec la faveur croissante de la
célèbre Zoé du Cayla. M. D. trace de cette ancienne amie du duc de
Rovigo, devenue le truchement fidèle de l'extrême droite, un portrait
piquant, peu flatté, mais qui paraît ressemblant. L'histoire de la Res-
tauration est à refaire presque en entier. Celui qui l'entreprendra ne
saurait négliger l'importance de ce nouveau volume. La méthode de
l'auteur est toujours la même : il ne cite ses sources que très rare-
ment, et d'une manière très vague. Cet inconvénient, qui est toujours
très grand et peut enlever toute valeur aux conclusions d'un livre, a
cependant moins d'importance pour celui-ci, qui est fondé presque
tout entier sur une collection particulière. Mais ce n'est pas une rai-
son pour qu'on puisse approuver ce système, qui au demeurant n'a
presque plus de défenseurs '.
R. G.
I. Quelques noms propres mal écrits. 11 faut lire, par exemple, BathiDst,
Ancillon, etc. P. 236, M'"" dli Cayla écrit : « Je secourrai le petit Villèle » ;
c'est secouerai qu'il faut lire sans doute, cl de môme p. 227, n.. où la duchesse
de Berry a dû dire : « rien sur la terre ne pourra me forcer (et non m'empécher)
de rester dans la même pièce que l'assassin de mon mari; » Un lapsus amusant:
« Bie>i qu'elle eût été administrée, la petite duchesse ne devait pas mourir », ce
n est sûrement pas cela que M. D. a voulu écrire (p. 22d). A noter que Charles X,
après la retraite de Mariignnc, otlVit le pouvoir à Decazes, à la condition que
Polignac aurait le portefeuille de la maison du roi, ce qui fit échouer la combi-
naison.
272 REVUE CRITIQUE
Biràlatok Critiques) par Paul Gyulai, i86i-igo;<. Budapest, Académie, igii,
viii-434 p. 11116.
Depuis la mort du grand critique hongrois, ses disciples devenus à
leur tour des maîtres, ont publié des éloges et des études qui tous
constatent que Paul Gyulai (1826-1909) fut le critique le plus repré-
sentatit de la période qui s'étend de i8ôo à 1880. Cette période a vu
le triomphe de la poésie issue du peuple, mais ennoblie par les efforts
d'esprits disciplinés, fort au courant du mouvement littéraire de
l'étranger, n'admettant que ce qui se distingue par la noblesse des
sentiments et la be'auté de la forme, loin de tout chauvinisme litté-
raire et de tout excès. MM. Ricdl, Angyal et Haraszii dans leurs
études sur le maitre disparu ont mis dernièrement en évidence la
noblesse de ce caractère ferme et de celte haute intelligence. Le
volume que l'Académie vient de publier, contient trente-neuf études
ou analyses plus ou moins longues qui se rapportent toutes à des
sujets littéraires, excepté les pages sur Kossuth et la pragmatique
sanction ^i88ii. On relira avec profit les études sur certains romans
de Jôkai que Gyulai n'aimait guère, tout en reconnaissant que Jôkai
était le maitre du style narratif et que son art de conter fut très grand.
Il trouvait cependant ses récits peu profonds, manquant d'analyse
psychologique et leur préférait les romans de Sigismond Kemény. Il
ne goûtait pas beaucoup non plus les premiers travaux historiques de
Coloman Thaly, trouvant qu'il y étalait trop de matériaux et de
documents mais qu'il n'était pas capable de les dominer. Quelques
attaques à la Société-Petôfi et aux détracteurs de l'Académie ne
manquent pas non plus dans ce recueil.
On reprochait à Gyulai que dans la revue Budapesti S^emle qu'il a
dirigée de iSjS jusqu'à sa mort, il ignorait systématiquement les
Jeunes. Il est vrai qu'il ne les gâtait pas et que leur cosmopolitisme
littéraire n'était pas de son goût. Il ne manquait cependant pas de
signaler les œuvres de Kozma, de Dôczi, de Herczeg, de Mikszâth,
de Kiss et d'Ignotus dans des critiques que l'on est content de
trouver ici réunies. Si le volume ne reflète pas tout le mouvement
littéraire des quarante dernières années de Gyulai, il est néanmoins
une contribution très importante pour connaître l'état des lettres à
cette époque. Et sous ce rapport il, sera le bienvenu.
I. KONT.
Victor Hugo, par iMarcel Benedek. Budapest, Franklin, 1912. — 448 pages,
in-i6.
Dans le préambule de la dernière partie de ce livre, l'auteur nous
explique la genèse de son œuvre. Il a vu au Musée Victor Hugo la
Proclamation aux Allemands. L'impression qu'il en a ressentie fut
tellement grande, qu'il se proposa de lire chaque ligne de cet auteur,
de connaître sa vie jusque dans ses moindres détails et d'essayer l'ana-
I
d'histoire et de LITTERATURE 2/3
lyse de cette àme compliquée. Et M. Benedek a tenu sa promesse. Il
a lu consciencieusement, la plume à la main, les œuvres complètes de
Victor Hugo, il a dépouillé ses commentateurs surtout les plus
récents. Possédant un certain talent pour la synthèse, un style très
agréable, il a donné la première grande biographie hongroise du
poète. Nous n'avons pas affaire ici à un ouvrage d'érudition ; certains
chapitres montrent plutôt le journaliste avisé qui égayé le lecteur par
des anecdotes, par le récit de la vie intime. Déjà la division du livre
diflère de ce qu'on trouve habituellement dans une biographie. Les
cinq parties dont il se compose s'intitulent : Le lyrisme de Vadoles-
cent et de l'homme; Le drame ; Le lyrisme de l'exil; Roman et épo-
pée; L'art d^étre grand-père. Dans ces cinq chapitres nous trouvons
condensée toute la vie du poète, l'analyse de ses œuvres, même de ses
discours dans les assemblées politiques, une appréciation très péné-
trante de ses poésies lyriques que M. Benedek admire pardessus
tout, et de ses romans. Quelquefois ses sources françaises l'entraînent
un peu trop loin, ainsi il y a trop de noms à propos du Cénacle de
la Muse française (p. -8 et jq) et cela grâce à la publication récente
de M. Séché; l'introduction sur le drame romantique est égalemenr
trop longue. Par contre on aurait souhaité plus qu'une note (p. 442-
446) sur « Victor Hugo en Hongrie ». M. Benedek avoue que son
professeur à l'Université de Budapest, M. Riedl, lui a conseillé de
faire ce chapitre, mais il faudrait, dit-il en guise d'excuse, tout un
volume pour traiter ce sujet à fond. C'est vrai, car depuis les études
du baron Eôtvôs sur Victor Hugo qui datent de i836 et les premières
représentations de ses pièces au Théâtre National de Pest, jusqu'à
nos jours, on n'a pas seulement traduit et joué Victor Hugo, mais
il a exercé une grande influence sur Vôrôsmarty, Eôtvôs et Jôkai et
sur de nombreux poètes lyriques. Malgré cela, M. Bene(iek aurait pu
indiquer dans un chapitre les grandes lignes de cette influence. Mais
cette lacune ne nous empêche pas de reconnaître la valeur de cette
étude qui plaira au public lettré auquel elle est principalement des-
tinée '.
I. KONT.
I. En vue d'une seconde édition, nous soumettons à M. Benedek les remarques
suivantes : Page 3o, la citation de H. von Hofmannsthal aurait dû être traduite en
hongrois; p. 38, écrire : .] eux floraux ; p. 127, Bai^f ac ; p. i 34 et ailleurs : il n'est
guère admissible de mettre les initiales d'un nom propre ou d'un titre dans le
texte même d'un ouvrage de ce genre : ainsi S. B. pour Sainte-Beuve (il ne faut
pas écrire non plus Ste-Beuve) S. M. Girardin pour Saint-Marc Girardîn; D.j.
dun condamné (p. 35o), Tr. de la mer [p. 372). — P. 140, l'adjectif hatalmas
(puissant, immense) ne s'applique guère à la Coupole de l'Institut; p. 274, Victor
Hugo n'a jamais éxé secrétaire [pcrpéincVj de l'Académie; il y a là une confusion
entre chancelier et secrétaire . En général, les écrivains hongrois ne connaissent
pas bien l'organisation de l'Institut de France ; les journaux croient que l'officier
2-^. REVUE CRITIQUE
Les questions actuelles de politique étrangère dans l'Amérique du Nord,
contcrcnccs orgaiiisccs par la Socicic des anciens élèves el des elè\es de IKctjlc
libre des sciences politiques, Paris, Alcan. 1911, in-iG. xviii et 242 p., cartes,
1^ fr. 3o
L'Europe et la Jeune Turquie, par René 1'in..n, Paris, Penin. kjii, in-8»,
x\i el S"> p.. caries, ? tr.
Politique extérieure, par Lucien IIiukut, Paris. Alcan, njii, in-it), 23:^ p.,
;^ tV. 3(1.
Derrière la façade allemande, par P. H., Paris, Chapclot, 1912, in-iG. 107 p.,
I fr. 23.
La mission des troupes noires, par le lieutenant colonel Mangin, Paris, Comité
de l'At'riqne française, 191 i, in-iC). 44 p.
La société des anciens élèves et élèves de TEcole libre des sciences
politiques, poursuivant les conférences qui ont obtenu depuis 1907
un succès si mérité, a tourné l'année dernière son attention vers
l'Amérique du Nord. M. A. Siegfried a parlé du Canada et de Timpé-
rialisme britannique ; M. P. de Rousiers, du canal de Panama;
M. de Pérignv, du Mexique; M. Firmin Roz de la crise des partis
aux Etats-Unis; M. A. Tardicu, de la «doctrine de Monroe » et du
panaméricanisme. Dans chacune de ces leçons on peut louer les
mêmes qualités, mais les auteurs sont exposés par la nature même de
leurs études au danger de spéculer sur les événements futurs, et
l'avenir est parfois prompt à déjouer leurs prévisions. C'est ainsi, par
exemple, que M. de Périgny se refusait à croire au succès possible de
Madero, et les feuillets n'étaient peut-être pas sortis de la presse, que
le président Porfirio Diaz arrivait en fugitif sur les côtes européennes.
On ne saurait reprocher sévèrement ces erreurs inévitables aux
conférenciers; tout ce qu'on est en droit d'exiger d'eux, ce sont les
données exactes et complètes des problèmes posés, et par la clarté,
la méthode, le savoir, ceux de cette année se sont montrés les dignes
émules de leurs prédécesseurs.
Un de ceux-ci, et non des moins distingués, M. R. Pinon publie
sous le titre : l'Europe et la jeune Turquie, une suite à son excellent
ouvrage sur V Europe et V Empire ottoman. Il a réuni des articles
parus dans la Revue des Deux Mondes, et y a ajouté des post-
scriptum qui analysent brièvement les changements survenus jusqu'au
l'f juillet 191 I. Il prend naturellement pour point de départ la
révolution ottomane de 1908, et, sans s'attacher à raconter des évé-
nements encore présents à toutes les mémoires, il s'efforce de les
expliquer, de les grouper, d'établir les liens existant entre eux. Le
mouvement des Jeunes Turcs l'occupe particulièrement; c'est avec
une impartialité méritoire qu'il expose Toeuvre accomplie, signale les
périls du chemin. M. P. ne cache pas ses craintes de voir les réfor-
mateurs s'enliser en une politique musulmane et nationaliste de
d'Académie est nommé par l'Académie française. — P. 43 1, il est peut-être exa-
géré de dire que la statue de Victor Hugo par Rodin explique mieux que tous les
commentateurs ei critiques le génie du poète,
d'histoire KT [IV. LITTÉRATURK 275
naiure à aliéner les cléments chiéiiens de l'empire. Il est ensuite
amené à traiter l'annexifjn de la Bosnie-Herzégovine, le boycottage
ami-autrichien et ami-grec, la question albanaise et monténégrine,
la Roumanie et son entente militaire avec la Turquie. Ayant passé
les Balkans en revue, M. P. aborde l'examen d'une des solutions les
plus vantées de réternelle question d'Orient : la constitution d'une
confédération balkanique; il ne lui est que trop aisé de démontrer
que cette combinaison, éminemment souhaitable, ne sera pas réalisée
de longtemps, et que, longtemps encore, le gâchis oriental restera un
grave danger pour la paix européenne que menace si sérieusement-
d'autre part la rivalité de l'Allemagne et de l'xAnglcterre. Celle-ci,
qui domine la politique contemporaine, se mêle à tout pour tout
empirer, tout fausser; la question d'Orient ne lui échappe pas, et
M. P. a pu justement écrire sur ce point particulier un chapitre qui
est peut-être le plus passionnant de ce livre si intéressant toujours.
Avec M. L. Hubert nous revoyons quelques-uns des sujets traités
par M. Pinon, et si les deux auteurs ne se placent pas forcément au
même point de vue, leurs conclusions se concilient en général assez
bien ; c'est ainsi que pour la Jeune Turquie, M. H. discerne nette-
ment aussi les périls que lui fera courir « le chauvinisme musul-
man », le panislamisme. La partie la plus considérable de l'œuvre de
M. H. est consacrée au Maroc. L'éminent député a été le rapporteur
de l'acte d'Algésiras et de tous les projets concernant l'empire chéri-
fien depuis 1904. Les discours reproduits établissent que si la
Chambre et le Gouvernement eussent plus souvent écouté ses sages
avis, on eût sans doute évite quelques écueils. Dès 1904, il dénonçait
les progrès du commerce allemand et les appétits de l'Allemagne.
Plus tard, il s'efiorcait de mettre le gouvernement en garde contre le
triomphe possible de Moulay Halid dans la guerre civile. Les der-
nières pages du livre se rapportent à la politique coloniale. D'après
M. H. la France, ne saurait songer à utiliser ses possessions loin-
taines comme colonies de peuplement ; il serait contraire à ses prin-
cipes humanitaires de les exploiter ; il lui reste donc à pratiquer la
politique d'assimilation qui consiste à faire évoluer l'indigène dans
sa propre civilisation. C'est la tâche qui s'impose.
M. P. D. du journal « la Dépêche » ne s'applique pas aux ques-
tions de politique étrangère ou coloniale qui ont amené la France et
l'Allemagne à la veille d'un conflit; mais, acceptant cette situation,
il s'efforce de démontrer que la puissance, qui est depuis si long-
temps notre adversaire et qui sera peut-être notre ennemie demain,
n'est pas aussi redoutable que sa façade porterait à le croire. En d'au-
tres termes il entreprend de rendre aux Français confiance en leurs
forces en leur révélant les défauts de la cuirasse germaine. Il voit sur-
tout ces défauts dans le régime aristocratique et autoritaire de l'Alle-
magne et de son armée, et il néglige de parti-pris les avantages indé-
276 REVUK CRITIQUE
niables do ce régime au point de vue militaire. Ses raisonnements sur
les ditiérences d'effectifs ci leurs conséquences dans une guerre,
paraissent plus logiques.
Cependant, malgré l'optimisme préconisé par M. 1)., il importe
toujours de se préoccuper de ces différences d'effectifs entre les deux
armées, et c'est pour suppléer à nr)tre laible natalité qu'on a envisagé
la possibilité d'utiliser les ressources en soldats de notre empire afri-
cain. Le lieutenant-colonel Mangin, promoteur de cette idée peut-être
féconde, revient de reconnaître sur place l'importance des contin-
gents qu'il serait aisé de recruter dans ces régions. Le comité de
l'Afrique française, auquel il a communiqué les renseignements
recueillis par ses collaborateurs et par lui, les transmet au public dans
une brochure instructive qui promet la réalisation des espoirs conçus.
A. BiovÈs.
Michel Bakounine, Œuvres, t. V, avec une préface, des avant-propos et des noies
par .lames Guillaume. Paris, l^.-V. Stock, 191 1, vu et 362 p., in-i6.
Le tome V des Œuvres de Bakounine, que son disciple M. J. Guil-
laume collige avec patience, renferme : i" une série d'articles que le
révolutionnaire russe écrivit en 1868 et 1869 dans le journal VEga-
lité de Genève, organe des sections suisses de l'Internationale ; 2" une
longue lettre inédite adressée par Bakounine au journal Le Réveil de
Delécluze pour protester contre les attaques du juif allemand Moritz
Hess qui l'avait représenté comme un agent masqué du tzarisme ; 3°
trois conférences de philosophie historique faites aux ouvriers du
Val de Saint-Imier en mai 1871 . Dans ses articles de V Egalité, Bakou-
nine oppose sa conception révolutionnaire du socialisme à celle du
docteur Coullery qui représentait à La Chaux de Fonds les idées
socialistes réformistes. Dans sa lettre au Réveil, il marque une anti-
pathie très vive contre les publicistes juifs qui introduisent dans le
socialisme le mercantilisme de leur race. Dans ses conférences du
Val de Sainl-Imier, il caractérise l'importance de la Réforme et de la
Révolution française dans l'évolution de l'humanité vers la cité future
de ses rêves.
Les notes et commentaires de M. Guillaume sont d'un homme
d'action qui n'a pas renoncé à la lutte et qui entend que sa publication
serve ses idées. Leur caractère subjectif et même polémique ne doit
pas cependant faire méconnaître leur utilité. Elles sont abondantes
et précises,
A, Mathiez.
Histoire de l'Art, publ. sous la direction d'André Michel, tome IV, 2^ partie.
Paris, A. Colin, gr. in-S^de 5oo p. Prix : i5 fr— M"" Vigée-Le-Brun, peintre
de Marie-Antoinette, par Pierre de Nolhac. Paris, Goupil, Manzi et Joyant,in-8<',
D HISTOlRi: ET DE LITTERATURE 277
de 275 p. Prix : 20 fr. — Les musées municipaux, par M. <^iii:ntis-Bauciiart
(Les richesses d'art de la ville de Paris), Paris, 11. l.aurcns, in-80 carré de
193 p. Prix : 8 fr. — Le Vieux Paris; Souvenirs et vieilles demeures, publ.
sous la direction de (). Lemitre. i "■ série. Paris, Ei^gimann, in-4" de 80 p. —
Lunettes et lorgnettes de jadis, par M'"« Alfred Heymann, Paris, J. Leroy,
in-4° de i25 gr. avec nonihr. pi.
L'Histoire de VArt, si diligemment dirigée par M. André Michel,
poursuit, dans la seconde partie de son lome IV, dernier volume
paru, l'étude de la Renaissance. Apres l'art Italien de cette période,
qui avait occupé tout le précédent volume, celui-ci nous renseigne sur
l'art français, et l'art espagnol et portugais. Le suivant sera consacré
aux pays du Nord, et c'est à la tin de celui-ci seulement que paraîtra
la conclusion générale habituelle sur toute la période étudiée ici. On
ne songera pas à juger trop développée l'histoire en trois volumes de
cette seule période : elle est tellement riche et grosse de conséquences
qu'à peine ces proportions-là sont suffisantes à un aperçu de la ques-
tion. On doute même comment un seul volume suffit à terminer l'en-
semble de celte étude, même en se bornant à tracer la voie, à planter
des jalons pour des monographies plus complètes. En attendant, le
présent tome est des plus intéressants, et distribué dans d'heureuses
proportions. L'architecture en France a été l'objet de six chapitres par
M. Paul Vitrv, qui a bien tracé l'évolution de noire style dit gothique
par la vogue des artistes et des monuments italiens, et étudié à
part les principaux architectes de la période néo-classique. La scul-
pture, depuis Louis X 1 jusqu'à la Hn des Valois, entre Michel Colombe
et Germain Pilon, a été naturellement décrite et commenté par
M. André Michel lui-même. M. Jean de Foville s'est attaché ensuite
à la médaille et à l'art monétaire, de Charles VII à Henri IV ; M. Paul
Durrieu, à la peinture, depuis Charles VII jusqu'à la fin des Valois,
des miniaturistes et de Jean Fouquet, aux Clouet et à l'école de
Fontainebleau; M. Emile Mâle, enfin, au vitrail, pendant les xv^ et
xvF siècles. Pour l'art en Espagne et en Portugal, c'est M. Emile Ber-
taux qui s'en est chargé tout en remontant d'abord avant la Renais-
sance, au roi Manuel le Fortuné, aux influences flamandes, si sensi-
bles, puis en étudiant la part des artistes français et italiens dans ta
rénovation de cet art. Cette monographie, distribuée ainsi en lo cha-
pitres très substantiels, est sans doute, pour le lecteur, la partie la
plus neuve de l'ouvrage. Une bonne bibliographie achève, comme de
coutume, chacune des parties du volume, qu'éclaire une profusion
d'excellentes reproductions photographiques (325), souvent très peu
connues.
M. Pierre de Nolhac se plait le plus souvent, dans ses monogra-
phies d'art, à de somptueuses éditions fort peu accessibles à k masse
des lecteurs. Mais quelques-unes sont par lui réduites à un format et
un prix plus populaire, du moins quant à la documentation, et de
même que nous avons pu signaler ici une édition relativement popu-
■ZyS RKVUK CRITIQUE
lairc de son NiUtici\ voici i]lic ikhis en devons noicr ici une sem-
blable pour M"'° Vigée-Le-liniu. Cette histoire, nettement suivie
dans l'ordre chronologique, n'est qu'en partie une étude d'art, elle
s'attache surtout à la biographie de cette artiste qui fut mêlée à tant
d'événements, et la conte avec entrain, avec vie, non sans documents
inédits et papiers de (amilleà la base. Les deux listes des oeuvres expo-
sées aux Salons par M"'" Vigée-Le-Brun, et de celles qui ont été vues
dans des collections particulières, complètent utilement l'ouvrage,
sans oublier une bonne table alphabétique générale. 28 reproductions
des plus beaux portraits de l'ariisie donnent un prix particulier à cette
agréable étude.
Le très regretté conseiller municipal, pariiculicrcmcnt attaché aux
Beaux- Arts, Quentin- Bauchari, avait achevé, avant sa mort préma-
turée, pour la collection des « Richesses d'art de la ville de Paris »
fondée par l'éditeur H. Laurcns, un volume sur Les Musées munici-
paux : palais des Beaux-Arts, musées Carnavalet, Victor Hugo,
Galliera et Cernuschi. Son Hls, qui lui a succédé, l'a présenté comme
en son nom. 11 est très documenté, très historique, et écrit avec une
véritable verve. 64 planches hors texte apportent la plus utile contri-
bution à ces monographies, qu'achève une bonne table des noms.
Rapprochons de ce catalogue raisonné de nos richesses d'art pari-
siennes une intéressante publication sur Le Vieux Paris, qui ne fait
que débuter mais dans des conditions auxquelles on peut accorder
tout crédit. Avec le sous-titre de souvenirs et vieilles demeures, qui
permettra bien des voyages originaux et des documents décisifs sur
mainte chose de l'ancien et artistique Paris, cette première série fait
augurer le mieux du monde de la suite du travail, que M. G. Lenôtre
dirige. Les petites monographies contenues dans ce fascicule in-q",
d'une vraie coquetterie comme disposition, sont consacrées : à l'église
Saint-Séverin, par M. L. Lanibeau, à l'Abbaye-au-bois (aujourd'hui
disparue), par M. Georges Cain, au boulevard du Palais, par
M. E. Beaurepaire, à l'hôtel Biron, par M. André Hallavs, enhn,
plus brièvement, à l'hôtel Hérouët (de la rue Vieille du Temple), au
Pont au double, à l'hôtel du Prévôt, au quai Bourbon, à l'auberge du
Compas d'or (rue Montorgueil), au collège de Fortet. Ces pages sont
d'ailleurs imprimées dans un format et sur un papier qui permettent
de les illustrer de remarquables photogravures inédites hors texte et
dans le texte. Ce sera une très attrayante galerie pour tous les
Parisiens.
On avait remarqué, à la récente exposition d'Art Théâtral abritée
par notre musée des Artsdécoracifs, deux vitrines remplies de lunettes
et lorgnettes de théâtre : c'était la collection formée par M ™'= Alfred
Heymann. Depuis l'éparpillemeni des œuvres exposées à travers les
collections des amateurs qui les avaient prêtées, celle-ci est restée :
on peut la voir encore. Mais, comme pour suppléer à son absence de
d'histoire et de littérature 279
chez elle, M™= Heymann s'est mise à en faire l'histoire, à décrire, à
conter sa collection, enfin à publier luxueusement ce commentaire
pittoresque, en le documentant encore de nombreuses reproductions
photographiques des principaux objets. Ce parti lui fait le plus grand
honneur. Une collection n'est vraiment éloquente que lorsqu'elle est
historiquement et artistiquement présentée au public par celui qui l'a
peu à peu formée. Aussi bien n'est-ce pas seulement d'une certaine
collection et de certains objets qu'il est question ici.
L'ouvrage comporte deux parties. Les lunettes, les besicles, les
loupes forment la première. L'auteur y prend soin de remonter à
travers les âges et de recueillir, comme document, les tableaux, les
portraits où il en figure des spécimens divers. C'est ici comme une
étude d'art et de mœurs. Le texte contient des citations littéraires,
des extraits de comptes, l'illustration de beaux portraits, des scènes,
de curieux objets de musées. Des indications sur les lunettiers com-
plètent ces pages. La seconde partie est consacrée aux lorgnettes,
depuis la lunette d'approche jusqu'à la jumelle (dont le premier
exemple est de 1825). C'est la lorgnette à la mode sous Louis XIV et
Louis XV, souvent symbole d'effronterie, d'insulte tolérée... C'est la
lorgnette avec miroir oblique, ou dans un éventail, ou sur un
pommeau de canne... C'est la lorgnette à plusieurs tirages, la lor-
gnette en breloque... Pour finir, une table des livres et productions
littéraires ayant trait à l'optique, avec une liste des lunettiers et opti-
ciens, puis des brevets obtenus, terminent utilement l'ouvrage.
Henri de Curzon.
Der Junge Gôthe. Neue Ausgabe, von Max Morris. T. VI.
Dans ce sixième volume, qui complète la collection déjà bien con-
nue et universellement appréciée de M. Max Morris, on trouve des
additions et rectifications aux cinq premiers tomes, se rapportant à la
période de Francfort, Leipzig, Strasbourg et Wetzlar. Le lecteur
curieux y trouvera de nombreux passages venant de Goethe, en fran-
çais. 11 est inutile de vanter le soin et l'entente de l'éditeur : le nom de
M. Max Morris n'a pas besoin de recommandation auprès des lecteurs
de Gœthe.
M. B.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 22 mars r g i 2 . —
M. Jullian affirme l'authenticité des monuments préhistoriques prescrites à la
dernière séance par M. le D^ Lalanne. — M. Salomon Reinach présente quelques
observations.
Le P. Scheil annonce qu'en soulevant l'endroit qui avait servi à une fausse
restauration de la tablette royale récemment signalée par lui, il a pu lire distinc-
tement les deux premiers signes du nom du cinquième roi d'Agaclé; Sar-g[a]....
La restitution Sargani sarri s'impose comme étant le nom bien connu, par les
28o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRK KT DE LITTÉRATURE
fouilles de Tclloh, d'un rui d'A^adé. Dès lois, plus de confusion ^lussible entre
Sarnikni, premier roi de la dvnaslic, cl Saigaui sarii. el les ruis d'Agadô se doi-
vent sérier ainsi, comme le P. Schcil l'a proposé dés 1908: Saiiakiii..., .Wirâni
5iM, Sjiffani sarn, ei non pas. comme on l'a voulu sans raison sutîisante : Sarru-
kin...., SarfiAiti sani, .Xardin siii. Narâm sin peut donc bien élre descendant
direct de Sarrukin, ainsi que le disaient les scribes babyl(jnicns, — nullement de
Sari^ani sarri qui a répnc après lui. C'est gratuitement qu'ciU a attribue à ces
serines une confusion entre deux noms à consonnance légèrement analogue.
M. Collignon communique une note de MM. Charles Picard et A.-J. Reinach,
membres de l'école française dWthènes exposant les résultats des fouilles qu'ils
ont entreprises à Thasos en 191 1. Ils ont porté leurs recherches sur des points
dirtércnts. M. Picard, secondé par. M. Avezou, membre de l'Kcole, s'est attaché à
étudier une partie de l'enceinte hellénique et le temple voisin de l'Acropole. Des
fouilles très fructueuses lui ont permis d'abord de dégager complètement deux
Î>orlcs déjà signalées par ses de\ancicrs et olï'ranl celte particularité curieuse que
es montants étaient déchrés de bas-reliefs dont plusieurs ont été trou\és. D'après
les sujets de ces bas-relief.->, M. Picard les désigne sons les noms de Porte de /eus
et de Porte d' Héraclès et de Dionysos. 11 a de plus découvert une autre porte per-
cée obliquement dans le mur d'enceinte; c'est la Porte oblique ou du Silène au
canthare. Un des côtés était formé par un monolithe de marbre où est sculpté en
relief une remarquable figure de Silène tenant un canthare, œuvre de style ionien
du VI" siècle. Son rôle est celui qu'une inscription attribue à riiéraclès et au
Dionysos représentés sur les bas-reliefs de la partie voisine; il est le « gardien de
la ville ». La découverte est d'autant plus précieuse que les portes de ville ornées
de reliefs sont fort rares en Grèce. — Les recherches de .\1. Picard ont entièrement
renouvelé l'étude du temple de l'Acropole qui est aujourd hui identifié. 11 était
consacré à .\pollon Pythios. C'est un temple de style archaïque, dépourvu de
colonnade extérieure. Il est de très grandes dimensions. Les fouilles ont mis au
jour, de ce côté, plusieurs sculptures, notamment un bas-relief ionien rappelant
celui qu'à rapporté Miller et qui est conservé au Louvre. Enhn M. Picard a
dégage une porte trioinphale romaine, érigée sous le règne de Caracalla, et que
tianquaient des statues dont les bases ont été letrouvécs. — M. A.-J. Reinach
s'était proposé d'explorer le téménos d'Artémis Polos, dans le voisinage duquel oiit
découvertes des statues dont l'une porte la signature de Philiskos de Rhodes. Si
ces fouilles n'ont pas donné de résultats décisifs, elles ont permis à M. Reinach
d'étudier de près la terrasse du téménos et la fontaine qui avait sans doute désigné
cet emplacement pour un lieu de culte. Des sondages ont fait découvrir les vestiges
d'un monastère byzantin.
M. Mayer-Laraoert fait une communication sur les noms de nombre sémitiques
masculins de genre et féminins de forme.
Léon Dorez.
IJ'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouclion ei Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 15 — 13 avril — 1912
Zettkrsteen, Ktudcs nubiennes. — Fromer, Le Talmud babylonien. — Margolis,
Grammaire du Talmud babylonien. — Krauss, Archéologie talmudique. —
Oei.ma.nn, Les allégories homériques d'Heraclite. — Nicole, Le procès de Phi-
dias. — Pareti, Interpolations des Helléniques. — Haskins et Lockwood, L'hu-
manisme en Sicile au xii<^ siècle. — Laukr. Robert I-' et Raoul de Bourgogne ;
Le palais de Latran. — Gavet, Le Journal de l'Université de Ponl-à-Mousson.
— Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, Le théâtre français. — A. de Ruville,
La Bavière et l'Empire allemand, trad. Albin. — Kûntzel, Bismarck et la
Bavière. — Académie des inscriptions.
Nubische Studien im Sudan 1877-78, aus dem Nachlass Prof. Herman Alm-
ki'ist's, herausgegeben von K. V. Zetterstéen. Uppsala, igii (3o Mk.],
XXXVllL 280 pages.
C'est dans une collection publiée grâce à une donation que paraît
ce livre : il est d'une exécution luxueuse, d'une impression très claire.
M. Z., à qui nous devons son apparition, a droit à la reconnaissance
des savants qui s'occupent des langues de l'Afrique pour le travail très
soigneux qu'il a fait et en particulier pour la peine qu'il a prise de
rédiger ce livre en allemand, car les notes d'Almkuist étaient en
suédois.
Ce sont des note? en effet qui sont publiées ici : l'auteur les avait
prises dans le Soudan, mais avait renoncé à les publier, parce qu'il
avait été devancé par deux autres savants, auteurs de grammaires et
lexiques du nubien, Reinisch et Lepsius. Il les avait donc laissées
telles qu'il les avait prises; c'étaient des paradigmes étendus, avec des
conjugaisons complètes pour certains verbes, plus fragmentaires pour
d'autres, des phrases nombreuses, précieuses pour l'étude de la syn-
taxe, quelques textes suivis, un lexique.
M. Z. a ajouté à ces notes, qu'il a consciencieusement mises en ordre,
un vocabulaire allemand-nubien, et une introduction : dans celle-ci
il supplée brièvement au manque d'une partie phonétique dans le
cours de l'ouvrage, compare sur certains points les données de Alm-
KuiST à celles de Reinisch et Lepsius, et met en relief différentes par-
ticularités que Ai.MKUiST avait négligé de spécifier; mais au total il se
garde autant que possible, bien qu'ayant étudié lui-même avec des
nubiens, de rien ajouter qui vienne de lui; il a voulu se borner étroi-
tement au rôle d'éditeur, et ne pas composer un ouvrage nouveau.
Nouvelle série LXXIII i3
282 REVUE CRITIQUE
Certes il est heureux que le public rec,'oive ainsi connaissance de
documents sur le nubien, recueillis par un bon enquêteur linguis-
tique, et sur certains points plus complets que ceux qui ont été publiés
antérieurement. On sait en effet que le nubien est intéressant tant par
sa situation géographique et son caractère intermédiaire possible entre
les langues chamitiques de l'Afrique orientale et les langues du Sou-
dan occidental, que par le rôle qu'a dû jouer l'ancien nubien dans les
états situés au sud de TEgypte.
Cependant on ne saurait s'empêcher de penser que la peine de
M. Z., sans parler de l'argent dépensé à limpression du livre, auraient
été plus utilement consacrés à quelque ouvrage nouveau : dictionnaire
complet d'un des dialectes du nubien lui-même, ou étude sur une quel-
conque des langues de l'Est africain qui ont été jusqu'ici insuffisam-
ment étudiées ; il n'en manque pas, quand ce ne serait que le galla de
l'Abyssinie méridionale, langue répandue, utile pour la colonisation,
aisément accessible et facile à apprendre, dont on n'a encore que des
lexiques absolument insuffisants.
Souhaitons donc pour un temps prochain quelque ouvrage de
M. Zetterstéen qui ne soit pas rétrospectif.
M. Cohen.
Jakob Fromer, Der babylonische Talmud. Textkritische Ausgabe (Mit einer
Reaikonkordanz) vokalisiert, iiberselzt und erkiart. Teil I (Ordnung 4, Trak.-
tat i) : Baba Kamma. Berlin-Charlottenburg, Verlag fur die Wissenschat't des
Judentums, 1910; xx et 38 p. in-S".
M. Fromer projette de publier du Talmud, une édition critique,
une traduction, un commentaire philologique et de fond, une ency-
clopédie méthodique, le tout réuni. Dans l'état actuel des études
talmudiques, une telle entreprise est peut-être irréalisable et dans tous
les cas M. Fr. ne parait pas qualifié pour la mener à bonne fin,
autant qu'on peut en juger par le présent spécimen. Il y a là quelques
bonnes choses, par exemple la manière de découper les textes; mais
il y en a beaucoup de mauvaises (fautes de vocalisation aussi bien
que de traduction) et d'autres manquent totalement, comme la discus-
sion des variantes. L'ouvrage a été conçu sur une trop vaste échelle ;
le commentaire doit à la fois expliquer les mots difficiles et élucider
les discussions juridiques : imaginez une édition du Corpus juris
civilis avec les éléments de la grammaire latine. Et les hébraïsants
feront bien de se méfier aussi bien que les juristes. Il serait
excessif de dire que M. Fr. ne sait pas le Talmud, mais sa science
est mal digérée. Prétendre établir un texte critique avec le secours
des manuscrits et prendre pour base l'édition de... Wilna; vou-
loir vocaliser ce texte et opposer la vocalisation « scientifique « à
la vocalisation... « polonaise » ; se piquer d'être grammairien quand
on considère heb'er comme un infinitif hof'al (p. 2) et qu'on corrige
d'hISTOIRK El DE LITTÉRATURE 283
partout guemirè en guemira (p. 2()), d'èire historien quand on prend
Eliézer tout court pour Eliczcr b. Scliammona fp. 7) ei qu'on cite les
Tossafot de Schanz [ibidcuu pour Sens en P^nirgognc), c'est donner
tout à la fois la mesure de son ambition et celle de son incompétence.
M. Liber.
Max !.. MvRcuit.is. Lehrbuch der arainâischen Sprache des Babylonischen
Talniuds. Grammatik, Chrestomathie und Wôrterbuch (Clavis linguarum
sciniticaruin, edidit H. L. Strack, pars III). Munich, Oscar Bcck, iqio'; XVM,
00 et 184* p. in-8", 10 Marck.
Nous possédions déjà, outre quelques monographies, deux gram-
maires de la langue duTalmiid de Babylone, Tune de S. D. Luzzatto
(i865), l'autre de C. Levias ( 1900). Le traité de M. Margolis ne comble
donc pas une lacune, mais il représente un progrès considérable et
par la méthode suivie et par les matériaux utilisés. L'auteur a exa-
miné notamment plusieurs manuscrits, qui lui ont fourni des formes
grammaticales plus auiheniiques ou plus correctes ; il a étudié l'or-
thographe et la grammaire des textes avec le plus rigoureux esprit
scientihque, sans se laisser guider — ou égarer — par la tradition, qui
(i peut, lorsqu'elle est maniée sans critique, conduire aux pires aber-
rations ))^p. 7-8).
L'ouvrage de M. Margolis est plus complet, . sinon plus développé,
que celui de ses devanciers; il comprend non seulement une gram-
maire, riiais encore une chrestomathie et un vocabulaire. La partie
grammaticale, la plus importante sans contredit, en a un peu souffert;
elle est trop sobre et par endroits comme étriquée. Cette concision
entraîne l'obscurité (voir p. ex. § 4 c, d) et engendre le doute (les mots
cités .>:( 4 h sont-ils tous des exemples de dissimilation ? comment may
est-il une contraction de nid-dén, ^ 6 b'q. Au §4 on n'a pas noté la
chute de la gutturale dans les mots tels que hadddê, andn (signalé en
passant § 5 o) et tattdd. Les règles formulées sont rarement expliquées;
que faut-il entendre par prononciation « allegro » et « lento » i^ 5 j?) ?
Par concision encore, les exemples sont généralement dépourvus de
références, ce qui empêche de vériHcr soit la forme, soit le sens ; par
exemple on se demande poui^quoi rabbdnan est traduit par « disciples »
(§ 66 a). L'auteur aurait pu gagner de la place pour l'exposé gramma-
tical en réduisant les tables de paradigmes, qui rendront d'autant
moins de services aux étudiants qu'elles ne sont pas vocalisées et qui,
en dépit de leur disposition synoptique, sont difficiles à embrasser
parce que toutes les formes ne sont pas illustrées par la même
racine.
La partie relative à la syntaxe est pres(.}u'entièrement neuve; elle est
tiaiiée avec les développements nécessaires. Il faudrait une plus
grande pratique de l'ouvrage pour s'assurer qu'elle est complète ; une
284 REVUE CRITIQUE
lecture courame montre qu'elle est exacte. L'omission de la conjonc-
tion et proposition ilmalé, qui s'emploie en araméen aussi bien qu'en
hébreu, ne nous a frappé que parce que la syntaxe de cette particule a
été étudiée par M. Lambert [Revue des Etudes juives, IX, 290 et s.).
La locution talmudique Kol ki, » tout comme «, est peut-être rappro-
chée à tort (|5 4b b) de l'araméen biblique Kol-gobél, car nous avons
artairc dans le premier cas au pronom indéfini employé adverbiale-
ment, dans le second cas à un composé des deux particules Ke -j- l^
(Lambert, même revue, XXXI, 47 et s.). Au § 49 a, il aurait suffi de
remplacer « mysteriose » jiar « ominose » pour rendre compte de la
tournure « cet homme, etc. » remplaçant la if^'ou la 2"= personne :
dans tous les exemples cités il s'agit d'un malheur qu'on veut dé-
tourner de soi ou de son interlocuteur. Au § 68 />, il aurait fallu
indiquer que l'interrogation est marquée, quand c'est possible, par
l'inversion. La préposition ml dans mi-qamê, etc. (54 d) n'est pas un
pur pléonasme, pas plus que dans l'hébreu mi-maal.
La chrestomathie comprend : 1° des mots et des phrases qui illus-
trent les paragraphes correspondants de la grammaire, formes
archaïques d'abord, puis formes modernes; 2° des textes suivis,
en commençant également par les plus anciens, qui sont beaucoup
moins nombreux (6 numéros contre 43). Les textes halachiqties,
c'est-à-dire législatifs, ne forment qu'un numéro, le dernier, qui occupe
9 pages (sur 5oJ ; non seulement cette inégalité risque de tromper sur
l'étendue proportionnelle de la halacha et de Vaggada dans le
Talmud de Babvlone, mais encore les quatre passages halachiques
reproduits ne permettent pas à l'étudiant de s'initier à l'intelligence de
cette partie du Talmud, qui est pourtant essentielle. Il aurait fallu
d'abord augmenter ces textes, fût-ce aux dépens de Vaggada, QnsmXQ
donner en note les explications nécessaires à la compréhension
du fond (un profane ne comprendra rien au texte b, où l'abréviation
qui lait l'objet du premier alinéa n'est même pas résolue) et notam-
ment faire connaître la terminologie exégétique et dialectique du Tal-
mud. Au surplus, nous n'avons pas examiné ces textes dans le détail;
nous pouvons dire seulement qu'ils ont été choisis avec goût, qu'ils
sont édités d'après des manuscrits, avec indication des principales
variantes, qu'ils sont ponctués et que les mots difficiles sont vocalises.
Cette chrestomathie montre ce que peut et ce que doit être une édition
critique du Talmud.
Le glossaire paraît se rapporter à la grammaire aussi bien qu'à la
chrestomathie. Il appelle un grand nombre de remarques, mais, faute
de pouvoir employer des caractères hébreux, nous nous bornerons à
en présenter quelques-unes, qui se rapportent en même temps à la
grammaire. On s'étonne que les pronoms dili et didi n'aient pas la
même origine (p. 119 *Z? et 127*^; cf. § 10 b\ et l'étymologie de la
particule aton (pour laquelle des exemples manquent § 68 è), dérivée
d'histoirf. et de littérature 285
de la racine ta'aii (118 'd), est suspecte après qu'on a lu le ^ 25 a.
L'adverbe hjJar{p. io5 *b) n'esi-il pas plutôt un ancien participe qu'un
impératif (i^ 24 èj et ne faut-il pas lire (p. 100 *b) :{arii au lieu de
-ct/:^ (^ 14e)} Des erreurs se sont glissées dans la confection du glos-
saire : aJd et 'iicic ne devaient pas être réunis (p. 146 *a) et le mot
'iddnd qui les sépare vient plutôt, d'ailleurs, de la racine 'a^tf ; au mot
êdén fp, 86 *b\ on renvoie à dén^ où on ne trouve rien ; au mot biyà
(p. ()3*) on renvoie à \ar'a, qui manque (cette étyniologie a, du reste,
été contestée par M. Sorges, Revue citée, XXX, i 52).
Dans la bibliographie (p. 97-99), M Margolis aurait pu citer, pour
la grammaire, les études de Riilf, Zur Lautlehre der aramàisch-
taïmudischen Dialekte et de I. Lévi, Notes de grammaire judéo -baby-
lonienne {Revue des Etudes juives, I, 2 i 2 et s.), et pour la lexicogra-
phie, celles de Geizer, Zur Sp) aehe des Talmuds (Jiidisehe Zeitschrift,
VI 11, 177 et s.) et de M. Jastrow, Transposed stems in Talmudie
Hebrejp and Chaldaie {\Sgi); p. xv, dernière ligne, titre inexact. —
L'exécuti(jn typographique est bonne; des points-voyelles ont sauté
de ci de là (p. 86 *b, 1. 2, etc.).
M. Liber.
P
Samuel Kralss. Talmudische Archaeologie. Band I. Leipzig, G. Fock, 1910;
XIII et 720 p., in-S", 2g tig., 20 Mark. (Schriften herausgegeben von der Gesell-
schaft zur Fôrderung der Wisseiischaft des Judentuilis. Grundriss der Gesamt-
wissenschaft deo Judentums).
La Société pour l'avancement de la science du judaïsme a mis siir
le chantier une Encyclopédie méthodique de toutes les disciplines
ressortissant à la science juive ; parmi ces disciplines figure, sur le
modèle des Archéologies bibliques, une Archéologie talmudique —
c'est-à-dire une Archéologie juive à l'époque talmudique et d'après
la littérature de cette époque — dont la composition a été confiée à
M. Samuel Krauss. M. Krauss, connu par de nombreux travaux de
philologie et d'histoire, est ici sur son véritable terrain. Il a pu
dépouiller toute la littérature talmudique et midraschique, qui cons-
titue la seule source d'information ; car, tandis que les découvertes
ont considérablement enrichi l'archéologie classique, l'archéologie
juive ne dispose guère que d'une documentation littéraire. Et quels
documents! Les antiquités grecques et romaines sont exposées, en
dehors des mentions fortuites, dans des ouvrages techniques; les
rabbins n'ont janiais fait d'archéologie ex professo et tout notre savoir
doit être dégagé d'indications et d'allusions plus ou moins claires.
M. Krauss a su tirer le meilleur parti de ces informations éparses
grâce à son érudition et à sa faculté combinatrice, soit en interprétant
et rapprochant les textes, soit en consultant les commentateurs auto-
risés ou encore en demandant des lumières à l'archéologie des peuples
voisins. Enfin, il possède l'art d'exposer avec clarté et de décrire avec
28Ô RKVIIK CRITIQDK
vie; les spccialisics consiilicroiii loui Toiivragc avec profit, une
crande partie sera lue avec agréineiu «.ie^ profanes. Ces derniers sont
môme plus favorisés; à leur intention les iu)tes, qui contiennent
toutes les rélérences et qui sont deux lois plus étendues que le texte,
ont été rejetécs à la fin du volume, ce qui rend sini^ulièremeni dilR-
ciles la vérification et le contrôle.
Le premier volume de cette Arcliéoloi;ie, qui doit en comprendre
trois, a pour objet : lliabitation et le mobilier, la nouiriture et sa
préparation, le vêtement et la parure, les soins du corps. I/étude est
fort détaillée c-t sans doute complète ; mais il nous semble que fauteur
décrit plutôt les matériaux de la vie, si l'on peut s'exprimer ainsi, que
la vie elle-même, il énumère les différentes sortes d'habitations, les
matériaux de constructions, etc., mais il ne présente pas une maison
toute bâtie (le .^ 28 est insullisant à cet égard), ni, ce qui nous aurait
particulièrement intéressés, une synagogue, pour la restitution de
laquelle il aurait pu utiliser plus qu'il ne fa fait les ruines décou-
vertes en Galilée et en Syrie. Il énumère tous les plats qui pouvaient
être servis sur une table juive, mais il ne fait pas le tableau d'un repas
tel qu'il était pris chez les Juifs de cette époque, notamment du repas
pascal. De même pour la toilette, de même pour le bain. Le chapitre
sur la constitution du corps humain, l'idéal de la beauté et l'hygiène
est une heureuse exception (p. 244-252). — M. Krauss distingue
autant que possible lesnraits palestiniens de ceux qui sont propres à
la Babylonie, les cas théoriques de ceux qui sont empruntés à la vie
réelle ; il note les ressemblances et les différences avec les peuples
voisins; c'est à ceux-ci qu'il emprunte la plupart des objets repro-
duits, l'archéologie juive étant, nous l'avons dit, très pauvre; il aurait
pu reproduire cependant des lampes juives, par exemple quelques-unes
de celles de Hammam-Lif, qu'il ne paraît pas connaître. Certains
détails étaient trop évidents pour avoir besoin d'être appuyés de
textes (p. ex. que la lainpe fume!) et plus d'une fois des cas isolés
auront été érigés en règles. Les notes sont généralement longues et
copieuses; les additions de M. Immanuel Lôw sont trop rares, mais
précieuses dans leur sobriété. Beaucoup de références inutiles ou
insuffisantes ou inexactes. Un exemple pour illustrer le tout en
même temps. P. 5 l'auteur parlant de la manière dont on élevait des
cabanes à la fête de Souccot, ajoute : « il en était ainsi sans doute à
l'époque des Maccabées ». Voilà qui est fort intéressant : voyons la
note justificative. Elle est exceptionnellement concise : « // Makk.
I, (j <Txï]voTT7; Y î a, ib. 18 direkte Berufiing auf Nehemias. Vgl.
REJ 2g, 28 ». Or 1" ces deux passages du 2« livre des Maccabées ne
nous apprennent rie-n sur la manière d'élever des cabanes; 2" ils ne
se rapportent pas à la féie de Souccot, mais à celle de Hanoucca ;
3° il aurait mieux valu citer II Macc, x, 6; 4" il est douteux que ces
textes soient authentiques, qu'ils appartiennent à la Palestine et à
d'histoire et de littérature 287
répoque maccabéenne; 3° l'allusion à Néhcmie ne vise pas la fête des
tentes, mais celle du feu; (VMire Revue des Etudes juives, XXX, 28,
article de M. Krauss, où Ton ne retrouvera du reste aucun renseigne-
ment sur ce sujet; il aurait mieux valu renvoyer à celui de M. Buchler
dans la même Revue, XXXVII, 188 et s. — P. 431, note 274, lire
REJ, XXIX, 95; ajouter LIX, 37-38, ici cl p. 469, n. 409, où sur le
terme généalogique 'issa, il fallait renvoyer à l'étude de Rosenthal
dans la MGWJ^ XXX. — La bibliographie est abondante mais forcé-
ment incomplète; sur la couleur bleue (p. 564, n. 23i), voir Kroner,
der Talmud und die Farben, dans la Israelitische Monatsschrift,
I, n<^ 3. Parmi les ouvrages récents, citons celui de Brandi, Die
jûdischen Baptismen {Giessan, iq 10) sur les ablutions rituelles, celui
de Blanï'uss, Rômische Feste und Feiertage nach den Traktaten...
(Nuremberg, 1909) sur la depositio barbae, etc. Les mots français
de Raschi ne sont pas toujours correctement transcrits et ne
le sont quelquefois pas du tout. Dans une œuvre considérable, si
difficile et en somme si neuve — il n'existait aucun travail d'ensemble
jusqu'ici et les monographies ont dû être reprises et contrôlées —
les erreurs et les lacunes étaient inévitables ; mais si plus d'un détail
est à reprendre, l'ensemble inspire confiance.
Appuyer sur la critique serait de l'ingratitude, quand on pense aux
services signalés que cet ouvrage est appelé à rendre. D'abord il offre
une reconstitution fidèle de la vie juive aux environs de l'ère chré-
tienne et dans les six premiers siècles de cette ère. A l'exégète il ouvre
l'intelligence de nombreux textes tamuldiques et midraschiques. Au
philologue il fournit une foule de termes techniques, dont beaucoup
foncièi'emcnt hébreux, beaucoup plus qu'on n'en attendrait dans une
langue prétendue morte ; il est vrai que les mots empruntés au grec
et au latin sont également en nombre. M. Krauss a retiré plus d'une
explication hasardée dans ses Lehnxudrter. Il a toujours son don pour
les conjectures ingénieuses, mais il a perdu son goût pour les étymo-
logies aventureuses. L'historien notera au passage de nombreux
usages et traits de mœurs, mais il fera bien de se métier des « allusions
historiques » (p. 582, n. 382; p. 632, n. 743; p. 648, n. 852, etc.).
L'archéologie biblique (p. 480, n. 490; p. 499, n. 658; p. 5 14,
n. 773; p. 65 I, n. 874, etc.) et même celle des peuples classiques
(p. 472, n. 435, etc.), trouveront à glaner ici. Car la vie juive, telle
qu'elle apparaît dans la littérature talmudique, est des plus complexes
et ses éléments se distribuent entre les rudiments des cultures primi-
tives et les raffinements de la civilisation hellénistique, entre les
créations les plus authentiques du génie national et les emprunts les
plus avérés aux autres peuples. Ce sont les sources elles-mêmes qui
distinguent le plus souvent ce qui est propre aux Juifs de ce qui est
en usage chez les païens. M . Krauss, dans sa Préface au moins, a
tendance à accuser le caractère indigène et oi'iginal de la culture
288 REVUE CRITIQUE
juive à travers les âges. 11 est cenain quelle a beaucoup conservé du
passt-; mais là où elle s'est développée et affinée, une inHuence grecque
ou romaine, égyptienne ou perse, devient sensible. Dïine manière
générale on observe la persistance de la culture indigène dans la vie
ordinaire et l'importation étrangère dans la vie de luxe.
M. LlliER.
Heracliti Quœstiones Homericae cdiderunt Societaiis philologae Bonnensis
Sodalcs. Piolci;oiucna scripsit Fr. Oei.mann. Leipzig, Tcubner, 1910; xi.viii-
140 p. {Bibl. script, pr. et rorn. Teuhneriaua).
La dernière édition de l'opuscule d'Heraclite connu jusqu'ici sous
le titre de Allégories homériques date de i85i ; elle est imparfaite,
l'éditeur, Mehler, ayant fait un usage peu méthodique des manuscrits
qu'il avait à sa disposition. Les nouveaux éditeurs, les membres du
séminaire philologique de Bonn, nous donnent une recension nou-
velle, qui repose sur une étude plus approfondie des manuscrits, et la
préface, écrite par l'un d'eux, M. Oelmann, expose le plan suivi et la
méthode adoptée. Les manuscrits, en petit nombre, sont tous plus ou
moins complets; à part deux qui représentent des traditions diffé-
rentes, ils dérivent d'une source qui remonte au xiii« siècle (M, Ambro-
sianus B 99 sup.), mais qui aujourd'hui n"a plus que les quinze der-
nières lignes de l'édition actuelle; l'un d'entre eux, le Vaticanus
gr. 871 (A), est celui que les éditeurs ont reconnu comme le principal
fondement du texte. L'Aldine (i5o5l, faite sur un exemplaire actuel-
lement perdu, également dérivé de M, est l'équivalent d'un manus-
crit. En outre, les scholies homériques contiennent un grand nombre
de passages du commentaire d'Heraclite, et les éditeurs n'ont eu
garde de négliger les manuscrits d'Homère qui en sont pourvus. Une
observation qui n'est pas sans importance pour la constitution du
texte, c'est qu'Heraclite évitait soigneusement l'hiatus; les éditeurs
consacrent quelques pages à ce sujet, pour justifier l'exactitude de
cette opinion, et pour montrer que beaucoup de corrections, de Meh-
ler entre autres, ne sont pas admissibles. L'édition a donc été faite
avec soin et prudence; elle donne, immédiatement sous le texte, les
références aux passages cités, à ceux auxquels il est fait allusion, et
aux scholies qui ont conservé des passages d'Heraclite ; plus bas, l'an-
notation critique, variantes des manuscrits et conjectures des savants.
Les éditeurs eux-mêmes ont peu conjecturé ; quelques-unes de leurs
corrections méritent d'être citées : 8, 8 «Tiôypr) <^Yâp>> ; 3i, 14 \i-'-[J-'->-
Oî'jy.s <^y.£v^(Os; 40, 6 del. oj ; 40, 8 [jl'j6î'jÔ|jl£vov (codd. [X'jSo'jfXîvovj ; 5o,
9 àuô (uuô) ; yi, 11 del. V' ; mais 1. 10 la correction Y'wpvtôv pour 7^^'^?-
^ôv semble inutile; 95, 18 lî^- '^wv?,; tt,v ypetav (xt,v ocovr,v -r^c, ypcîa;);
96, 16 Œ'jpoacpîj; ; 104, 1 2 oîpstXofxivfj xt[JHopta (-[Jiivr,v -pîav codd.). Trois
bons index, des auteurs cités, des noms propres, des mots, terminent
le volume. On notera enfin ce point intéressant : le titre donné jus-
d'histoire et de littérature 289
qu'ici à l'ouvrage 'AXA-/;Yop!a'. '(>;j.r,p'./.--(!, est inexact; le vrai titre est
fourni par une souscription ancienne à la lin du manuscrit M, 'Oir/j-
p'./.à rioooÀ/ri.Qt-ca sU 5t TCîoî Osôjv "Ojxrjpoî tjXXtiY^^^'-''- L ouvrage est en eflet
un commentaire des passages qui pouvaient provoquer une explica-
tion, et dont l'interpréiation était douteuse.
Mv.
Le procès de Phidias dans les Chroniques d'ApoUodore, d'après un papyrus
inédit de la collection de Genève déchiffré et commente par J. Nicolk. Avec un
fac-similé. Genève, Kùndig, igio; 5o p.
On trouvera, dit M. Nicole, que dans le traitement du texte nou-
veau Je me suis montré trop prodigue de restitutions (p. 6). Pas préci-
sément; il fallait bien conjecturer, pour arriver à tirer quelque chose
des deux fragments si mutilés qu'il publie et commente ingénieuse-
ment. Ce que l'on trouvera, c'est que ces restitutions n'ont, pour la
plupart, d'autre fondement que l'imagination deM.N. Comment, du
reste, n'aurait-il pas été tenté? Il déchitîre un texte tellement décousu
qu'il semble au premier abord n'en devoir rien sortir ; mais il recon-
naît des fragments de vers iambiques, où il est question de Phidias,
de Ménon, de dénonciation, de chouette, des Éléens et d'isoiélie, etc.,
et conclut qu'il s'agit d'un passage des Chroniques d'Apollodore, où
était raconté le procès de Phidias. Jusque-là tout le monde suivra
M. N., en admettant même avec lui que le copiste s'est à peine aperçu
qu'il transcrivait des vers, et qu'il y a transposé indûment plusieurs
mots. Rien ensuite de plus naturel, pour le savant aux prises avec un
pareil texte, que d'y chercher, en combinant habilement, avec les faits
déjà connus par les auteurs, les mots et fragments de mots qui sub-
sistent, les éléments d'un récit conforme à ce qu'il s'imagine. Il y a
là une action réciproque du texte sur l'esprit et de l'esprit sur le texte ;
quelques mots suggèrent l'idée générale, puis, l'ensemble du récit une
fois imaginé, on y introduit les détails par d'intelligentes supposi-
tions. Mais quelle est leur valeur? Le document nous fournit une
date, celle de la dédicace de la chouette sculptée par Phidias, sous
l'archontat de Morychidès (440-439) ; mais l'expédition à Adoulé sur
la mer Rouge pour y chercher l'ivoire, le vote des Athéniens relatif à
un nouvel achat, parce qu' « ils attachaient le plus grand prix à la
beauté de la statue », la « réprobation d'une partie du public » soule-
vée par l'emprisonnement de Phidias, la caution déposée par les
Éléens pour la mise en liberté de l'artiste, la reprise du procès et la
condamnation « par défaut » de Phidias « probablement à la peine
capitale », d'autres détails encore, comme « les places d'honneur (aux
jeux olympiques) refusées ou marchandées à la théorie des Athé-
niens », et l'épilogue de l'histoire, la Hn de Ménon « conforme à ses
antécédents », tout cela est bâti sur le sable. La trouvaille n'en a pas
moins son importance; M. Nicole combine avec une réelle dextérité
2()0 BEVUE CRITIQUE
desdonnées imparfaites ci obscures, et d'autres peut-être, séduits par
sa virtuosité, penseront que tout devient clair dans la question du
procès de Phidias p. 3;) ; iv<'> ''i -■'■; '•'■> ■zx/y-vM/,;. j^^.
L. Parkti, Note suUe iuterpolazioni cionologiche nci priini duc libri dcllc
.. Hllcnichc » lii Sciiuronlc. Turin, I>œschcr, kjio lExir. de la Rivista di l-'ilo-
logia, XXX\111, 1, p. if)7-i2i)-
11 y a, dans la première partie des Helléniques de Xénophon, où
est racontée la tin de la guerre du Péloponnèse, deux sortes d'inter-
polations, les unes chronologiques, les autres historiques, que l'on
s'accorde à considérer comme étrangères au texte. Les unes compren-
nent i) les mentions du nombre d'années écoulées depuis le commen-
cement de la guerre: elles sont généralement inexactes; 2) les réfé-
rences aux archontes athéniens et aux épbores Spartiates ; par deux
fois cette référence est erronée, et elle est omise une fois ; 3) l'indica-
tion de l'olympiade, qui se rencontre deux fois; à chaque fois le
nombre est inexact. Les autres sont les mentions de faits sans rapport
avec la guerre, comme les événements de Sicile, de Perse, de Thessa-
lie, ou les incendies de temples et les éclipses; ces synchronismes
sont ajoutés vraisemblablement pour rappeler la manière de Thucy-
dide. Il faut ajouter la liste des éphores éponymes (II, 3, 9-10), qui
se tient avec la durée indûment attribuée à la guerre, 28 ans 1/2.
Dans un article d'une quinzaine de pages, M. Pareti étudie le carac-
tère général de ces passages, et montre clairement l'origine des erreurs
commises par l'interpolateur, ainsi que la manière dont il a procédé
pour intercaler ses notices chronologiques inexactes : au lieu de
compter à partir du commencement de la guerre, il est remonté en
arrière en partant de la date certaine de la prise d'Athènes, en 404, et
a oublié le commencement de 407. M. P. refait le raisonnement avec
grande vraisemblance. Il reste un groupe de notes chronologiques
que M. P. considère également comme interpolées ; ce sont les chan-
gements d'années, signalés par la formule tw os aXXw îzi'., toO 0' î-'.ôvto;
t-.o-j;, -Ci» ^' Èr-.ôvT'. ÈTEi ; ces mots sont en effet suspects, parce qu'ils sont
liés à des interpolations certaines, et qu'en outre le changement d'an-
née est noté six fois seulement au lieu de sept. On pourrait donc
croire avec M. Pareti que l'interpolateur a intercalé ces formules aux
endroits où il trouvait dans le texte des indications qui lui taisaient
supposer une nouvelle année ; mais il est également possible que ces
expressions fussent dans le texte original, car il est peut-être plus
vraisemblable que ce sont précisément ces brèves mentions du chan-
gement d'année qui ont été l'origine des additions étrangères au texte.
C'est là, si je ne me trompe, l'opinion de la majorité des critiques ;
exception, toutefois, doit être faite pour I, 3, 1, où -roù ètt'.ôvtoç ètou;
n'est guère supportable, à cause de l~i'. o' 0 yf.ixôyj ïlr,-;t qui suit immé-
diatement. jvIy.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 29 1
Charles H. Haskins et Dean P. Lockwood. The Sicilian translators of the
twelflh ccntury and ihc iirsi laiin version ot l'iokmy's Ahnagesl. (llxlr. de
Harvard Studics in classical Pliilology^ vol. XXI, 1910, p. 75-102).
Article très intéressant sur riiumanisme en Sicile au xii'' siècle. Les
auteurs nous révèlent une traduction latine de VAlmageste, ante'rieure
à la première connue. L'ouvrage de Ptolémée, traduit en arabe dès le
ix" siècle, fut traduit en latin sur Tarabe en i \-jb par Gérard de Cré-
mone; la première traduction latine faite directement sur le grec,
celle de Georges de Trébizonde, ne parut que trois siècles plus tard,
en 1451. MM. Haskins et Lockwood ont découvert à la Vaticane
(Vat. lat. 2o56) un manuscrit du xiv^ ou peut-être de la fin du xiii^ siè-
cle, dont ils donnent une brève description, contenant une traduction
latine de VAlmageste accompagnée d'une préface dont certains détails
permettent de fixer la date. Il est dit en effet dans cette préface, qui
est publiée à la fin de l'article, qu'un manuscrit de la S'jvTaçi; [jLaOT,[xa-
T'.x-/; fut envoyé en présent par l'empereur de Constantinople au roi de
Sicile, à Palcrme, par l'entremise d'un ambassadeur du roi nommé
Arisiippe ; et le traducteur ajoute qu'il s'empressa, dès qu'il connut
l'existence de ce manuscrit, d'aller trouver Aristippe dans la région
de l'Etna où celui-ci se trouvait alors, et qu'il fit sa traduction après
quelques études préparatoires. Or cet Aristippe est connu comme un
personnage important de la cour de Guillaume I de Sicile ; après
avoir perdu la faveur du roi, il fut jeté en prison en 1 162, et il y mou-
rut peu de temps après. La traduction est donc antérieure à cette der-
nière date ; elle est, par conséquent, la première faite sur le grec, et
elle peut avoir, de ce fait, une certaine valeur pour l'étude du texte ;
selon MM. H. et L., elle a une grande affinité avec le manuscrit A de
Heibcrg (Paris, gr. 2389) ; un spécimen en est donné p. 83, note 3
(=^ Heiberg, I, p. 4, 7-5, 7). L'auteur néglige de donner son nom ; on
apprend seulement qu'il étudiait alors la médecine à Salerne, et l'on
peut conclure d'un passage de la préface qu'il avait déjà traduit plu-
sieurs traités d'Euclide et de Proclus. MM. H. et L. ajoutent quel-
ques renseignements sur deux traducteurs siciliens du xii'^ siècle,
Aristippe, celui-là même dont il vient d'être question, dont on a une
traduction du Ménon et du Phédon, conservée dans plusieurs manus-
crits ', et l'amiral Eugène de Palerme, vir tam grœcœ quam arabicœ
Unguœ peritissimus, comme l'appelle le traducteur anonyme de VAl-
mageste ; on lui doit la traduction en latin, faite sur l'arabe, de VOp-
tique de Ptolémée, dont le texte grec, ainsi d'ailleurs que la traduction
arabe, est aujourd'hui perdu.
My.
I. Les prologues en ont été publiés par V. Rose. Les premières et les dernières
lignes de la traduction du Ménon sont données ici en note, p. 88, d'après le ma-
nuscrit 243 de Corpus Christi Collège. Les incipit et cxplicit de la traduction ano-
nyme de VAlmageste, pour chacun des treize livres, sont également donnés en
note, p. 78-79.
2Q2 REVl'E CRITIQUE
Ph. Lauur. Robert I" et Raoul de Bourgogne, rois de France '923-936).
1 vol. iii-S" Je I lO pages iii-S' (J.ms la liihlioihc |uc do fl^colc des Hautcs-
F.tudcs]. Paris, llrinoré Champion, kjio.
— II. Le palais de Latran. Ktude historique et archéologique, i vol. de 643 p.
in-4" avec -X.XXV planches hors texte et 142 gravures. Paris, Krncst Leroux, 191 i.
I. — Le premier ouvrage fait partie de la série des Annales de ihis-
toire de France à Vcpoquc carolingienne entreprises jadis sur l'iniiia-
live d'Arthur Giry. Il comble la lacune qui existait entre le travail de
M. Eckel sur le règne de Charles le Simple et celui de M. Lauer lui-
même sur le règne de Louis d'Outre-Mer. La série est maintenant
complète de 888 à 98;, et il est à souhaiter que bientôt soit terminé
le règne de Charles le Chauve, dont des fragments importants, dus à
MM. Ferd. Lot et Halphen, ont déjà paru. La France pourra mettre
en parallèle cette belle suite de travaux avec les Jahrbiicher \ur deut-
schen Gescliichte, traitant de la même période. Déjà un savant alle-
mand, W. Lippert, avait consacré en i885 sa thèse au règne de
Raoul; mais l'ouvrage, fort estimable d'ailleurs, demandait à être
refait au point de vue français. M. Lauer en a corrigé un assez grand
nombre d'assertions; il a proposé des identifications différentes de
noms de lieux, déterminé de façon plus précise certaines dates. Il
avait été fort bien préparé à cette tâche par l'excellente édition qu'il a
donnée autrefois des Annales de Flodoard,
II. — M. Lauer, alors qu'il était membre de l'École française de
Rome, a obtenu, après de multiples démarches, l'autorisation de faire
des fouilles sous la Scala santa et dans les soubassements du Sancta
Sanctoriim, et il y a découvert des fresques fort curieuses du xi"^ ou
xii« siècle. 11 a pu aussi examiner de près les curieuses reliques dépo-
sées dans le coffre de cyprès, remontant au pape Léon III, placé sous
l'autel du Sancta Sanctorumex protégé par une grille de fer. Puis il a
réussi à pénétrer dans les archives de Saint-Jean-de~Latran où très
peu d'érudits ont eu accès et à prendre copie de certaines pièces
curieuses. Divers mémoires publiés dans les Mélanges d'archéologie
et d'histoire de l'École de Rome, une étude élégante sur le trésor du
Sancta Sanctoriim parue en 1906 dans les Monuments Piot nous
avaient fait part de ses trouvailles. Il était tout naturel qu'il songeât à
nous présenter un travail d'ensemble sur le Latran, et ce travail est un
fort beau volume, superbement imprimé et enrichi de nombreuses et
magnifiques planches. L'ouvrage se divise en deux parties à peu près
d'égale longueur, le texte et les documents. Parmi ces documents,
quelques-uns ne se rapportent pas directement à son sujet. Au cours
du volume, M. Lauer nous a parlé de façon tout à fait incidente du
chapitre de chanoines qui fut attaché à la basilique, tantôt chanoines
séculiers et tantôt chanoines réguliers; il n<.)us donne en appendice
des inventaires des biens de ce chapitre d'où relevait un certain
nombre de maisons religieuses dans toutes les parties du monde. Le
roi de France Henri IV dont la statue se dresse à l'une des entrées de
d'histoire et de littérature 293
la basilique donna au chapitre en \5q6 l'abbaye de Clairac (aujour-
d'hui Lot-et-Garonnei; M. l.auer, ^jui a trouvé un inventaire des
archives de cette abbaye dressé en 1762 par dom Cîalctti, bénédictin
du mont Cassin, le publie tout au long; nous lui sommes reconnais-
sants de nous avoir donné ces pièces ; mais il faut être prévenu pour
les chercher à la fin de son volume et l'on aimerait que ces documents
fussent accompagnés de quelques notes très sobres, identifiant les
noms de lieux et donnant les renseignements indispensables. D'autres
documents sont au contraire bien ici cà leur place ; M. Lauer a maintes
fois raison de nous donner la description du l.atran qui est précédée
d'une dédicace du chanoine Jean Diacre à un pape Alexandre, et celle
qui fut faite dans la seconde moitié du xvi= siècle par Onuphre Panvi-
nio; maison aurait souhaité une courte préface nous faisant connaître
la valeur de ces récits. .lean Diacre est-il l'auteur de la première des-
cription ou n'a-t-il fait que reprendre un ouvrage plus ancien, puis-
qu'aussi bien cette dédicace ne se trouve pas en un certain nombre de
manuscrits? Nous aurions voulu être fixés d'autant plus qu'au cours
de l'ouvrage M. Lauer varie sur la date du document, l'attribuant
tantôt au xi= siècle (p. 35, i33), tantôt au xu'' (p. 5r, 176,217). En
tout cas, la dédicace de Jean Diacre est adressée à Alexandre III et se
place par suite dans les années 11 59 à 1181. La question mériterait
d'être reprise et serrée de plus près.
M. Lauer nous expose dans sa préface quel fut son dessein : « Nous
nous sommes borné à présenter l'histoire du monument en suivant
autant que possible la succession des temps.... Nous avons négligé de
pani-pris de décrire méthodiquement la basilique ou le palais, préfé-
rant à des restitutions hypothétiques les témoignages même des con-
temporains que nous avons réunis », et le sous-titre de son volume
est : Etude historique et archéologique. On peut regretter que l'archéo-
logie ait cédé le pas à l'histoire. M. Lauer ne nous montre pas vérita-
blement le Latran pas plus que ne nous montrerait le Louvre un écri-
vain qui décrirait les entrées dans ce palais des souverains, en enumé-
rerait les hôtes, relèverait les ordonnances ou les diplômes datés de
cette demeure. Les diverses parties des bâtiments ne nous apparaissent
que lorsqu'elles sont citées pour la première fois par un chroniqueur,
sans que soit hasardée quelque conjecture sur leur origine ; puis
jamais nous ne voyons d'ensemble l'ancien palais du Latran avant sa
destruction par Sixte-Quint. M. Lauer s'abstient aussi en général de
toute considération artistique, et c'est trop de modestie. Sans doute
il lui est arrivé parfois de se tromper sur la date d'une mosaïque ou
d'une peinture; mais certaines dissertations que, malgré tout, il intro-
duit de temps en temps dans son exposé chronologique, prouvent
qu'il a le sens critique très fin. Arrivé au pontificat de Nicolas IV
(1288- 1292), il étudie la mosaïque qui ornait autrefois l'abside de la
basilique et qui a été fort mal refaite en 1876 ; il détermine la date
204 RliVUK CRITIQUE
des divers morceaux dont i.]ucLiLics-uns étaient fort anciens, dont
d'autres remontaient à Nicolas IV' uiOme; et cette étude faite en bloc
(pp. 214-228) est remarquable.
D'ordinaire M. Lauer se borne à mettre bout à bout les textes des
écrivains qui ont parle du Latran ; il nous donne un régeste du
Latran, pour prendre un mot qui est à la mode. Les faits les plus
divers, incendies, élections de papes, entrées des souverains, banquets
servis dans l'un des triclinia, se succèdent ainsi pêle-mêle, au hasard
de la chronologie. Or tous ces faits embrassent près de treize siècles,
de l'époque de Constantin au début du ive à la destruction du palais à
la fin du xvi«. Il n'est pas étonnant que M. Lauer, ayant eu à compul-
ser les chroniqueurs et les documents d'une si longue période, ait
laissé échapper quelques erreurs ; il les signale lui-même dans ses
Errata. Nous préférons ici insister sur la masse des faits qu'il relève;
il ne s'est pas borné aux documents romains; il a vu les chroniques
françaises ou allemandes où il est question du Latran; il cite par
exemple les vers de Jean Baudoin, de Rosiôres-aux-Salines, mention-
nant la sépulture de Martin V (f 1431) dans la basilique et publiés
par Paul Meyer au t. XXXV de la Romania. Jusqu'au début du xiv^
siècle il cite à peu près tous les passages des écrivains où il est ques-
tion du Latran ; à partir de i 3oo, il est bien obligé de faire un choix ;
peut-être ce choix est-il un peu arbitraire. Il insiste par exemple sur la
visite que fit l'empereur Frédéric III au Latran le 3i décembre 1468;.
il ne mentionne pas les processions qui menèrent Sigismond de Saint-
Pierre à Saint-Jean le 3i mai 1433, Frédéric III lui-même le 19 mars
1452, après leur couronnement, les derniers couronnements d'empe-
reur qui aient eu lieu à Rome. L'exposé s'arrête avec Sixte-Quint;
les dernières transformations de la basilique, notamment l'agrandis-
sement du chœur en 1876, ne sont relatées que de façon sommaire,
en manière de conclusion.
Nous avons signalé quelques-uns des défauts de ce beau livre ; mais
il nous faut insister à la fin, pour être entièrement juste, sur ses qua-
lités. M. Lauer a fait un vigoureux effort pour raconter toute l'his-
toire du Latran depuis les origines ; il a ramassé de très nombreux do-
cuments, quelques-uns inconnus avant lui (voir p. 245 le poème latin
décrivant l'incendie de mai i3o8); il a réuni une collection de plan-
ches qui sont, elles aussi, un véritable répertoire de documents — des
documents iconographiques ; — personne ne parlera plus du Latran,
sans recourir à son livre, et c'est là le meilleur éloge qu'on puisse
faire des monographies de ce genre.
Ch. Pfister.
Diarium Universitatis Mussipontanae (1572-1764\ publié sous les auspices et
aux frais de la Société des amis de TUniversité de Nancy pnr G. Gavet, i vol.
grand in-4» de xxviii-747 pages. Paris et Nancy, Bergei-Levrault, 191 1.
Le manuscrit que M. G. Gavet a retrouvé et qu'il édite est un
d'hISTOTRK !■• r HK I.ITTFRATt'RR 296
registre qui servait de mémento au recteur de F Université de Pont-à-
Mousson. Le recteur lui-incme ou divers employés y inscrivaient un
peu pèle-mèle les documents ou les faits auxquels il pouvait être
besoin de se référer : ordonnances sur la Constitution de l'Uni-
vcrsito, attributions des divers officiers, manière dont les examens
doivent être passés, formulaires pour la réception des bacheliers,
licencies ou docteurs, actes de la vie universitaire. Le registre n'est
pas écrit au jour le jour ; le terme de Diarium n'est pas exact ; mais
il est, à des intervalles plus ou moins éloignés, tenu à jour ; pourtant,
quand sont reçus des officiers ou des employés de l'Université,
notaires, imprimeurs, bedeaux, ils signent, à la date de leur réception,
le serment de garder inviolablement ce qui appartient à la charge et
d'obéir au recteur. Comme le recteur était placé à la tète du collège
et que son autorité s'étendait surtout sur la Faculté de théologie, c'est
des collégiens et des théologiens dont il est particulièrement question
dans le Diarium; on y trouvera peu de renseignements sur la vie inté-
rieure des deux facultés séculières, droit et médecine; pourtant ces
t'acultés sont mentionnées à propos de la vie universitaire en général ;
puis les étudiants en droit, avant de passer la licence in iitroque jure,
prêtaient serment de foi catholique entre les mains du recteur et ces
prestations sont souvent consignées au registre. Il faut aussi avouer que
le registre n'est pas toujours bien tenu ; très détaillé pour certai-
nes années, il est sobre de renseignements sur d'autres : pour l'époque
de Stanislas, il ne contient presque plus que les serments des protes-
seurs et des officiers; le registre s'arrête brusquement en 1764, c'est-
à-dire quatre années avant la translation de l'Université de Pont-à-
Mousson à Nancy.
Si l'on ne trouve pas dans le Diarium tous les renseignements qu'on
serait tenté d'y chercher, on en trouve un très grand nombre, et la
vie de l'Université lorraine revit pour ainsi dire sous nos yeux : voilà
pourquoi il faut être reconnaissant h M. Gavet et à la Société des
amis de l'Université de Nancy d'avoir publié ce document.
L'Université fut créée par une bulle du pape Grégoire XIII du
5 décembre 1572, pour lutter contre l'hérésie ; elle fut placée dans une
petite cité qui était divisée entre les deux diocèses de Metz et de Toul
et d"où il était facile d'agir sur celui de Verdun. Les premières classes
du collège et les premiers cours de théologie purent s'ouvrir en
octobre i 575 sous la direction des Jésuites; le P. Edmond Hay, d'ori-
rigine écossaise, fut nommé recteur par la compagnie. En i582, fut
créée la faculté de droit qui eut pour premier doyen le célèbre
Pierre Grégoire de Toulouse, en i5g8, la faculté de médecine où
enseigna Charles Lepois; et ce furent aussitôt entre les théologiens et
les facultés séculières une série de luttes sur le rectorat, sur la nomi-
nation du chancelier, sur l'ordonnance des processions, sur le nom
à donner à l'Université (faut-il l'appeler mussipontana ou ponti-
21)6 REVIJK GRITIQri".
mtissjna : ) cxc. On trouve rcclin de ces querelles dans le Diarium:
on V lit par exemple l'ordre qui l'oîi être suivi en la procession {siip-
vlicatio] du recteur, tel qu'il l'ut arrêté le lo juillet i6(j4en'la maison
du seigneur de Maillanc; mais le document préfère insister sur la
prospérité du collège. Après l'expulsion de France des Jésuites en
i5q5, de nombreux Français y adluent; beaucoup de jeunes nobles,
accompagnés de leur domesticité, y sont accourus dès Toriginc. Henri
de Gondi, le premier cardinal de Retz (-|- 1622!, fut élève de Pont-à-
Mousson en i3So. V.c Diarium nous signale aussi le nom de tous
ceux qui passent leurs examens au collège ou à la théologie et nous
dit le sujet de leurs thèses; il fait connaître les ci^o/zof/zè/t'^, c'est-
à-dire les noms des grands seigneurs qui font les frais des prix
et dont les armoiries sont reproduites au plat des reliures des volu-
mes; il indique les représentations théâtrales données par les éco-
liers : la liste des pièces dressée jadis par M. l'abbé Eug. Martin dans
son excellente thèse sur V Université de Pont-à-Mousson peut être ainsi
allongée; en 1607, les écoliei's représentent la tragédie Cartalo, en
1608 la wa^'i-comédie DatJtascenus, en 1610 la tragi-comédie ^ef/zro-
viis, en 161 I Vhilarotragœdia Gottofredus\ en 161 2 la comédie
Polidoxonmnes, en 161 3 la tva^éd'iQ Wenceslaus, en 16 14 Arcadius
pœnitens en 1616, une tragédie en français, Diogène Romain, empe-
reur d'Orient, et pendant un certain temps les sujets sont empruntés
à l'histoire byzantine.
A cette période de prospérité succéda, à partir de 1 633, avec les
malheurs de la Lorraine une période de longue et profonde déca-
dence. Les élèves n'osent venir dans un pays occupé par les F'rançais
et où sévit la guerre. Combien sont tristes des mentions de ce genre,
i636 : « Apertae scholae sine oratione publica proptcr paiicitatem
scholasticorum qui vix ad i5o numerabantiir propter miserias tempo -
rum »! et une pareille formule revient souvent les années suivantes.
L'Université se releva quand, en 1697, ^^ Lorraine fut rendue à l'an-
cienne dynastie ducale. Mais à ce moment et surtout sous Stanislas
la vie intellectuelle se retirait de Pont-à-Mousson ; elle se concentrait
à Nancy, et l'Université ne jeta plus quelque éclat qu'après son trans-
fert en 1768 en cette ville ; et encore elle souffrit du mal général qui
anémiait toutes les Universités au xviu^ siècle : elle faisait des prati-
ciens et se souciait médiocrement de science.
Nous avons dit tout ce que le Diarium ajoute à nos connaissances;
il importe de dire aussi qu'il a été édité avec le plus grand soin.
M. Gavet a poussé le souci de l'exactitude jusqu'au scrupule, relevant
toutes les fautes du manuscrit, s'appliquant à donner des noms d'étu-
diants l'orthographe véritable ; en cas de doute, il indique par centi-
mètres et même par millimètres la place que le nom propre occupe
dans le manuscrit. Mais ce volume imprimé avec beaucoup de luxe
est incomplet. On ne pourra véritablement s'en servir que lorsqu'il
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 297
sera accompat:;nô de tables. De telles tables donnent un prix tout spé-
cial aux matricules de l'Université de Strasbourg publiées par
G. Knod. Que la Société des amis de TUniversité de Nancy consente
encore à un sacrifice ; qu'elle vote les crédits nécessaires pour Tim-
pression de cette table qui est prête, et elle aura mis en toute sa
valeur un document de premier ordre pour l'histoire de l'Université
nanccienne.
Ch. Pfister.
L. de Lanzac de Laborie Paris sous Napoléon, Le théâtre français. l'Ion,
191 I, 3.1 1 p. in-i6.
Dans ce nouveau volume de son grand ouvrage qui deviendra clas-
sique, M. de Lanzac de Laborie donne une fois de plus la preuve de
son talent si souple et si varié. Il y passe en revue, avec un luxe d'in-
formation étonnant, toute l'histoire architecturale, administration,
dramatique, littéraire, morale, etc., du premier et du second théâtre
français sous le premier empire. On voit défiler les étoiles tragiques
cl comiques, Talma, Monvel, Mlles Raucourt, Contât, George,
Duchesnois, etc., on connaît le répertoire et les pièces nouvelles, les
censeurs et les critiques, le public et ses goiits, sans oublier la Cour
et l'Empereur ; on n'ignore rien de ce qui peut intéresser les curiosités
les plus exigeantes ou les plus indiscrètes et tout cela forme un tableau
plein de vie, de justesse et d'agrément.
• A. Mz.
A. DE RuviLLE. La Restauration de l'Empire Allemand, le Rôle de la
Bavière. Traduit de rallemand par Pierre Albin. Paris, Alcan, 191 1, in-S",
xxx-327 p. , 7 fr.
G. KûNTZEL. Bismarck und Bayern in der Zeit der Reichsgrundung. Franc-
fort s. le M., Baer, 19 10, in- 8", 1 14 p., 4 m k.
M. de Ruville, professeur à l'Université de Halle, a publié en 1909
^ un livre sur la Restauration de l'Empire Allematid qui a rencontré en
Allemagne et à l'étranger un succès de curiosité et provoqué de nom-
breux commentaires. Il a été remarqué en France, et presque dès sa
publication M. Joseph Reinach en signalait l'importance aux lecteurs
du Temps. M. Albin a jugé bon de traduire l'ouvrage en français et
d'y joindre l'article de M. Reinach comme préface. Son entreprise
sera sans doute bien accueillie, car le livre de Ruville ne s'est pas
beaucoup répandu chez nous dans le texte original, et il touche trop
directement à notre histoire contemporaine la plus passionnante pour
ne pas intéresser beaucoup de lecteurs.
M. de R. avait été frappé de deux faits en apparence difficiles à
concilier : La Bavière, d'une part, était avant 1870 à peu près domi-
née politiquement par un parti peu nombreux, mais très actif, le
parti « patriote », conservateur, catholique, ami de l'Autriche et
2()X UKVUK CRITIQUE
lioslile ù la Piiissc ; le niinisirc vcjii iMoidicn rcppcscniait ce parti à la
tC'tc t-ios atlairos lors du conllii ausiro-prussicn de 1866, le coniie de
Biav-Sieinbuig au moment de» la guerre de 1870. D'autre part, la
Bavière est entrée sans résistance apparente dans Talliance prus-
sienne après Sadowa d'abord, puis dans la confédération allemande
après Sedan, l^lle n'a fait aucune opposition sérieuse à la dcjmination
prussienne, quoique ses ministres aient certainement souhaité, et
selon toute apparence préparé une autre solution au problème natio-
nal de l'Allemagne. Comment résoudre celle contradiction? Les
textes, diplomatiques et autres, qui le permettraient ne sont pas acces-
sibles. Pour longtemps encore les archives allemandes de cette
période sont fermées. La publication entreprise en France sur les
origines diplomatiques de la guerre de 1870 n'a pas dépassé l'année
1864, et elle ne contiendra pas, cela est dès à présent certain, les
pièces confidentielles les plus importantes. Les éléments même de la
recherche font défaut.
C'est ici qu'intervient un procédé d'investigation particulier à
M. de R., ou que du moins il a fait sien. « Ma méthode, écrit-il, est
semblable à celle des archéologues qui cherchent à reconstituer les
fragments d'une monnaie brisée... Si l'on possède un des morceaux,
il ne sera jamais difficile de découvrir, parmi un certain nombre de
moitiés de pièces de monnaie, celle qui en représente le complément.
Si même on avait à choisir parmi des centaines et des milliers de
fragments pareils, aucun ne s'adapterait exactement, sauf précisément
celui qui était auparavant raitaché à celui que l'on possède ». Pour
expliquer des faits fragmentaires, mais certains et inconciliables en
apparence, M. de R. recherche l'hypothèse qui les explique tous, les
explique seule et n'explique que ceux-là. C'est-à-dire qu'en somme il
emploie, pour découvrir la cause, même particulière, de faits particu-
liers, et au besoin pour reconstituer des faits ignorés ou imparfaite-
ment connus, le même procédé que les sciences naturelles emploient,
non pour découvrir un lien de cause à effet, mais pour coordonner,
par une explication générale, tous les faits particuliers précédemment
constatés par l'observation et susceptibles d'être reproduits par l'ex-
périence. On voit que la similitude des deux méthodes est peut-être
plus apparente que réelle, aussi bien du reste que l'analogie préten-
due entre la technique de Thist-oire et celle des sciences de la nature.
L' « hypothèse » de M. de R. est celle-ci. Tandis que les pouvoirs
parlementaires ont été, en Bavière, presque sans cesse aux mains des
« patriotes » anti-prussiens, le roi Louis II n'a cessé, au contraire, de
poursuivre une politique favorable à la Prusse. C'est lui qui a, en
1866, décidé la signature du traité d'alliance avec la confédération du
Nord, Ce traité est vague, il lie à peine la Bavière, il n'a pas de terme
fixé, il prête à mille chicanes sur le casus J'œJeris . Tout cela, qui a
justement permis à Pfordten et à Bray de signer la convention, avec
d'histoire et de littérature 299
l'arrière-pensée de s'y soustraire, la Prusse s'en est contentée, et en
pratique cela lui a suffi. Pourquoi ? Parce que, dit M. de R., le roi
Louis II avait donné sa parole au roi de Prusse de maintenir l'al-
liance et de secourir la Prusse. Cette parole, engagée à l'insu de ses
ministres, il Ta tenue. Voilà l'hypothèse. Elle seule, selon l'auteur,
explique l'attitude générale de la Bavière, et aussi certaines notes
parues dans les journaux, où l'on signalait, en termes bien vagues
cependant, le rôle personnel du souverain dans les pourparlers.
En 1870, après les victoires de la Prusse, quand les négociations
s'engagèrent à Versailles pour la formation, ou plutôt — M. de R,
tient à ce terme — la Restauration (Wiederaiifrichtiing) de l'Empire
allemand, c'est encore le roi de Bavière qui joua le rôle principal, et
entraîna par son exemple le suffrage de la Hesse et du Wurtemberg.
Son ministre Bray fut cette fois au courant de ses intentions, les
contraria d'abord, puis — à partir du 5 novembre 1870 environ —
s'y associa entièrement. Pourtant Bray était, il avait toujours été
adversaire d'un empire prussien. Il était, dès longtemps, grossdeiits-
cher et il le demeurait même après 1867; ami, condisciple de Beust
qu'il tutoyait, il avait certainement médité, négocié sans doute avec
lui et le duc de Gramont, à Vienne où ils vivaient tous trois, des
combinaisons politiques fort hostiles aux projets de Bismarck. Si
donc il change d'attitude en 1870, presque soudainement, et sans
retour, c'est pour une raison grave. M . de R. l'indique par une nou-
velle hypothèse. Tout s'expliquerait par une sorte de « chantage »
exercé, envers les ministres des états du Sud, par le chancelier de la
confédération du Nord.
Le 10 octobre 1870, des soldats mecklembourgeois avaient saisi à
Cerçay, en Seine-et-Marne, dans un château appartenant à Rouher,
une masse considérable de papiers, contenant à peu près sûrement
des preuves d'une entente secrète des ministres bavarois, wurtember-
geois et hessois avec la France et l'Autriche après 1867. Bismarck
tit transporter ces pièces à Versailles, et ses secrétaires en eurent
bientôt tiré de quoi rendre accommodants les ministres des états du
Sud, venus auprès du roi de Prusse pour négocier le futur pacte
fédéral. Rapprochant des témoignages isolés, de petits faits, des nou-
velles de journaux plus ou moins démenties, M. de R. en arrive à
affirmer que le chancelier, dans un entretien du 5 novembre, gagna
Bray à ses vues, comme il avait fait pour le hessois Dahvigk et pour
les Wurtembergeois, en les menaçant de rendre publiques les preuves
de leur collusion récente avec les ennemis de la patrie allemande.
Cette explication avait déjà été pressentie par Rothan, indiquée par
Sorel ; mais on n'y avait jamais donné un pareil développement. Ni
Sybel, ni Lorenz, ni Matter n'en avaient soufflé mot. Au premier
moment, elle est apparue comme un trait de lumière. Quand on y
réfléchit, on la trouve quelque peu aventurée. M . de R. a l'art de cons-
3oO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE KT DE LITTÉRATURE
iruire sur très peu de chose un ddilicc d'apparence solide. Il passe
avec un art des nuances et des iraiisiiions un peu inquiétant du possi-
ble au probable, puis à la certitude. 11 faut voir comment (p. 260 et
suivantes), sur le seul témoignage de Bray, dans une phrase d'une
lettre à Eisenhart, sans même qu'on puisse être sûr de l'existence d'un
entretien particulier, seul à seul, du ministre bavarois avec Bismarck,
M. de R. linil par nous raconter — par hypothèse — toute leur con-
versation et préciser « quels doivent avoir été i\ peu près les arguments
de Bismarck » !
Il n'est pas étonnant qu'une méthode semblable ait été critiquée.
Dans une brochure publiée par la collection des Frankfurter historis-
che Forschungen, M. Georges Kiintzel, serrant de près l'argumenta-
tion de M. de R., n'a pas eu de peine à prouver combien elle est
fragile, à quelles objections de fait elle se heurte et combien il est
dangereux de bâtir sur un texte unique, de source inconnue parfois et
de valeur suspecte, des explications aussi générales et à si longue
portée. Il semble qu'en France on se soit un peu trop pressé de sous-
crire aux conclusions du livre de M. R. Son ingéniosité, sa perspi-
cacité sont évidentes. Sa bonne foi n'est nullement en cause. Mais sa
méthode de la « médaille brisée » est bien imprudente. Il arrive aux
plus grands archéologues, il est arrivé à Mommsen de se tromper
lourdement dans la reconstitution d'un texte peu étendu, simple et
pas très mutilé. Que ne risque-t-on pas lorsque les c fragments de
médaille » qu'on recherche, au lieu d'être égarés parmi des débris où
l'on peut fouiller, sont enfermés sous triple serrure, loin des regards
profanes, aux archives secrètes de Berlin ?
R. GUYOT.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 2g mars igi2.
M. Léger, président, rappelle la perte que l'Académie a faite, il y a quelques
jours, en M. Philippe Berger, membre ordinaire.
_M. Chavannes annonce que la commission du prix ordinaire a décidé de ne pas
décerner le prix, dont le sujet, proposé par l'Académie, était une étude sur le
Turkestan oriental. Elle a accordé une récompense de i5oo francs à M. Gauihiot
pour ses travaux sur le dialecte iranien connu sous le nom de langue soghdienne.
M. Chavannes annonce ensuite que la commission du prix Stanislas Julien a
décerné un prix de 1000 francs, à M. Savina pour son Dictionnaire Tay-annamite-
francais, et deux récompenses de 5oo francs chacune, Tune à M. doré pour ses
Recherches sur les superstitions en Chine, et l'autre à M. Raphaël Petrucci pour sa
Philosophie de la nature dans l'art d'Extrême-Orient.
M. Auguste AudoUent fait une communication sur les sépultures découvertes aux
Martres-de-Veyre fPuy-de-Dôme).
M. Joseph Déchelette, correspondant de l'Académie, donne lecture d'un mémoire
relatif au vase dit «des Moissonneurs y de Haghia-Triada, l'un des principaux
ouvrages de l'art crétois minoen. Il montre que le bas-relief ornantce vase, objet de
diverses interprétations, représente, en réalité, une procession solennelle de sacri-
ficateurs se rendant à l'autel sous la conduite d'un prêtre. C'est une des plus
anciennes figurations des cérémonies rituelles qui précédaient l'hécatombe homé-
rique. — MM. Salomon Rcinach, Perrot, Pottier, Foucart, Dieulafoy, Pcrrot et
Heuzey présentent quelques observations.
Léon Dorez.
L'imprimeur- gérant : Ulysse Rouchon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTERATURE
N' 16 - 20 avril. — 1912
Dcia.cjER, L'exorcisme baptismni. — BiiNNiiTT, Le \crbe dans l'ancien latin. —
1'"robenii's, La syntaxe d'Ennius. — Pai?i.son, Index de Lucrèce. — Stacc, Silves,
p. Klotz. — Properce, p. Hiisius. — Knk, (commentaire de Properce. — Tou-
TAiN, Les cultes païens tlims l'Empire romain. — H.w, Eliagabal. — R. Piciion,
Hommes et choses de l'ancienne Rome. — Knorr, Les vases de Rottweil. —
IL LoNGNON, Pierre de Ronsard. — L. .Xngot, Mélanges d'histoire. — Vaczy,
C(jrrespondance de Kazinczy. — Gui. vas, La Grammaire hongroise de Fœldi.
— RuBiNvi, Le cours de Rcsai à Pest. — Harsanyi, Les traductions de Pope par
Bessenyci. — Prônai, Histoire de la littérature hongroise. — Simonyi, Eloge de
Misteli. — .Xcadémie des inscriptions.
F. J. DoLGKR, Der Exorzismus itn altchristlichen TaufrituaL Paderborn, Schô-
ningh, n^oq, x-i-j5 p. Pris : 3 .\lk.
Ce volume fait partie d'une collection publiée sous le patronage de
la Gœrresgesellschaft ei sous la direction de MM. Drerup, Grimme
et Kirsch, Stiidien :{iir Geschichie iind Kiilter des Altertums (t. III,
n" 1-2,. Il est revêtu de Vimprimatur de l'évèque de Paderborn.
L'exorcisme baptismal, comme tous les exorcismes, est une céré-
monie des plus intéressantes, parce qu'elle se rattache directement à la
magie antique. Dans sa courte introduction, M. Dôlger défend la
thèse suivante : La provenance ou la nature d'un rit n'a aucune valeur
démonstrative en soi ; ce qui donne au rit sa signification, c'est la
doctrine à laquelle il se rattache. On pourrait peut-être ménager des
surprises à M. D., si on lesuivait en partant de telles prémisses; car on
aurait à discuter la démonologie des pa'iens et des chrétiens. Mais
nous laisserons cela. Voyons seulement ce que nous donne le livre de
M. D. Il est divisé en trois chapitres.
M. D. recherche d'abord les origines ci les motifs de l'exorcisme
baptismal . Il étudie le baptême en tant qu'exorcisme et explique pour-
quoi un acte spécial d'exorcisme v a été joint. Les chrétiens considé-
raient les pa'iens et les hérétiques comme des possédés. Pour eux, le
péché était aussi une sorte de possession M. D. n'a pas de données
bien précises sur la situation des Juifs à l'époque la plus ancienne. II
est encore plus embarrassé par les peiis enfants. H cite un passage des
homélies pseudo-clemeniines qui refuse aux non-baptisés la posses-
sion du royaume de Dieu ; c'est s'appuyer sur un texte de date et de
Nouvelle série LXXIII i6
3o2 REVUE CRITIQUE
sincérité également douteuses. Il raisonne par analogie. Le baptême
est assimilé à la circoncision ; or on donnait la circoncision aux petits
enfants; donc... Une analogie ne prouve rien, surtout en ce cas; car
la circoncision est une opération qui est facilitée par la jeunesse du
sujet. Cette question du baptême des enfants est liée à celle du péché
originel et à l'appréciation de la moralité de l'acte conjugal. Le pro-
blème n'est pas de ceux que Ton résoud en trois pages et demie. M. D.
cite seulement quelques textes et ne laisse pas soupçonner la pro-
fondeur et rétendue de la difficulté. Au moins, M. Turmel, dans son
livre sur Le Péché originel, avait-il réuni honnêtement les très nom-
breux textes divergents. M. D., s'il ne voulait pas entrer dans le fond
de la discussion, aurait dû renvoyer soit à ce livre soit à l'Histoire de
la théologie positive. Les deux chapitres suivants sont une histoire et
une description du rit de l'exorcisme. M . D. y fait preuve d'une éru-
dition très étendue. Il ne néglige pas les parallèles non-chrétiens. On
regrettera parfois que les textes ne soient pas régulièrement cités et
mis en œuvre dans l'ordre chronologique. Si fragmentaires que soient
nos renseignements, leur date est un facteur capital. Il vaut mieux
donner l'impression d'une série de faits, coupée souvent par des lacu-
nes, que d'ordonner une synthèse qui n'est qu'un trompe-l'œil. Un
appendice de huit pages traite de l'exorcisme pratiqué sur l'eau qui
doit servir au baptême.
M. D.
Syntax of early Latin, Vol. I, The Verb. By Charles E. Bennett. Boston,
Allyn and Bacon; Leipsic, Th. Stauffer; igio, xi-5o6 p. in-S".
M. Bennek entreprend de refaire l'ouvrage bien connu de Holtze,
Syntaxis priscorum scriptorum latinorum {2 vol., Leipzig, 1861-1862).
Holtze remonte à soixante ans, est antérieur à l'achèvement de
l'édition de Plaute, a précédé de dix ans l'édition critique deTérence
donnée par Umpfenbach. C'est dire qu'un nouvel ouvrage valait la
peine d"être publié. De plus, Holtze avait dû donner des suppléments
à son travail pour y comprendre Lucrèce (1868) et les fragments des
poètes scéniques postérieurs à Térence (1882). Ici nous aurons tout
au moins la syntaxe des fragments unie à celle des pièces complètes;
mais Lucrèce est exclu.
M. Bennett arrête son travail à l'an 100 av. J.-C. « Si j'avais placé
le terme de mon ouvrage un quart de siècle plus tard, les additions
auraient été insignifiantes, un petit nombre de citations des anna-
listes du temps de Sulla et des inscriptions ». On ne voit pas alors
pourquoi M. B. ne l'a pas fait. Cette restriction exclut Claudius
QuadrigariuSj'un auteur dont Wôlfflin nous a montré l'importance
pour le développement de la syntaxe latine.
Le plan suivi est fondé sur la forme verbale. M. B. étudie l'accord,
les voies, l'usage impersonnel, l'ellipse du verbe, les temps, les modes
d'histoiri: kt dk lutkrature ?o3
(^indicaiif, subjonciif, impcratit", intiiutif, etc.), enfin les interroga-
tions. Ce plan demanderait à être complété. Il faudrait au moins un
chapitre sur les conjonciions et les particules avec renvoi aux cha-
pitres des modes. Il faudiait avoir quelque part un tableau de tous
les emplois de qiiam, qintd, quia, etc. C'est là que Ton chercherait
les détails relatifs aux particules elles-mêmes, origine de etsi, praeter-
qiiam et praeter quam ^z/Oi./ (manquent à l'index; p. ii8, au para-
graphe des propositions dépendant de quam, mêlés à d'autres
exemples), emploi et statistique de quasi si i\ cô\é de quasi, de quod
si à côté de si, etc. Peut-être M. B. doit-il traiter ces questions dans
son second volume.
M. B. ne vise pas à donner tous les exemples, sauf quand ils sont
rares ou intéressants. En tenant compte de cette méthode. Je signale
deux ou trois lacunes. P. 85, ajouter un second exemple de quom
interea dans Tércnce : Hec, ?q. P. ii8, à l'unique exemple de
praeter quam quod {Caion, 8, 17 Jordan), ajouter : Ti:r., Ht., 399.
P. i65, sur w^ introduisant un ordre: les notes de Lindsay, Capt.,
1 I 5 et 794, permettent d'ajouter Plaute, Amph., 2 14 et 983 ; C /. L.,
1,818 (date incertaine) ; mais M. Lindsay a tort de citer Cat., Agr..,
i3q, precor ut. P. 33o, M. B. mentionne a^ ^wointerrogatif; mais je
ne trouve pas ad quo, « dans la mesure où », de Afranhis, 248 R. :
« Ni tantum amarem talem tam merito patrem, iratus essem ad quo
liceret » .
Ce dernier exemple est emprunté à Lindsay, Syntax of Plautus
(Oxford, 1907). Ce livre n'est cité nulle part, non plus que les Kri-
tische Beitràge de H. Jordan. La bibliographie comprend surtout
des travaux récents et n'est pas exhaustive.
Dans le traitement des questions, on retrouvera les classifications
chères à M. B. : « Subjunctive of purpose, stipulative subjunctive,
clauses of proviso, descriptive clauses ». Les faits sont groupés et
subdivisés en menues parties. Il est très facile de se retrouver dans'
cette multitude de détails. Le livre de M. Bennett est un précieux
répertoire, qui permettra de faire de nouvelles recherches. Souhaitons
que le second volume ne tarde pas trop.
J. D.
R. Frobenius, Die Syntax des Ennius. Thèse de Tuhingne. Nôrdlingen, Beck,
1910, x-i 5 I p. in-8".
Une étude de la syntaxe d'Ennius était nécessaire. On n'avait que
les indications dispersées de Holtze et des remarques utiles, mais
peu étendues, de Lucien Millier dans son édition et son Quintus
Ennius, M. Frobenius a exécuté son travail d'après la dernière
édition de M. Vahlen (1903). Il est fait avec soin et paraît n'avoir
rien négligé d'essentiel. Çà et là on voudrait des listes plus détaillées
C'était le cas de compléter, par exemple, pour et, que, aique, l'index
3o4 REVUE CRITIQUE
de M. V^ihlcn; au lieu de dire >.]ue atijuc unit 29 fois des substantifs,
il cui été possible de dresser la liste des passages. P. 91, nec, au sens
de non y n'est pas seulement dans le latin juridique ; cf. l'expression
de Plaute nec recte dicere, synonyme de maledicere. M. F. n"a pas
borné son étude à la syntaxe. Il l'étend au style, à quelques figures,
à la construction des phrases, à Tordre des mots, à Tallitération et à
la rime.
Sous ce dernier titre, M. F. a réuni des faits sans portée et des faits
qui prouvent autre chose que la recherche de la rime. Je note comme
sans portée des groupes tels que qiiisquam sopiam, inuicti uiri,
etc. Les autres expressions recueillies par M. F. ne sont pas
des exemples de rime, ainsi sospitent superstitentque. Mais elles
témoignent chez Ennius d'un goût marqué pour le jeu de mots
et on pourrait presque dire le calembour. Ce n'est pas la finale
seulement, c'est tout le mot qui est répété avec un à peu près plus ou
moins fort. Ainsi : doctis dictis, haiidqiiaquam quemqiiam, si nox
si mox, iieluti uenti, stolidi soliti, bellipotentes sapientipotentes.
M. F. répondra que, pour certains de ces groupes, il y a combinaison
de l'allitération et de la rime. C'est que, précisément, cette combi-
naison est autre chose que l'allitération et la rime, c'est une aequiiio-
catio parfaitement distincte. Egaré par son faux principe, M. F.
classe parmi les rimes monosyllabiques, celles des deux vers :
Plèbes in hoc régi antistat loco : licet
Lacrumare plebi, regi honeste non licet;
parmi les rimes quadrisyllabiques :
Plus negoti habet quam cum est negotiiim in negotio
Nam quoi quod agat institatumst, is nulle negotio
là agit...
Pourquoi? parce que la rime étant, par définition, une fin de mot,
la première syllabe ne peut être comptée. Tout le monde voit, au
contraire, que ce que le poète a cherché n'est pas la répétition de cet
ou de gotio, mais celle du mot entier. Nous expliquerons de même :
Quo uobis mentes, rectae quae stare solebani
Aniehac, démentes sese flcxare uiai.
Enfin il faut classer parmi les rencontres de hasard des groupes
comme frangitque quatitqne ; pone petunt, rem referiint; ?'em repctiint
regnumque petiini jeu de mots), iiadunt solida ni. Ces incises sont
ainsi à cause de la structure habituelle de la phrase chez ces vieux
écrivains, où les membres se succèdent et s'ajoutent, soit sans liaison,
soit avec la plus simple des liaisons et la plus ancienne, qite répété.
La conclusion de l'étude de M. Frobenius est que la langue
d'histoire kt de i.iTrF.RATURR 3o5
d'Ennius est franchemcni ci purciiiciii laiiiie. Les scnivcnirs de
l'osque et du grec n'interviennent pas pour fausser la syntaxe. On
peut adhérer au jugement rapporté par Cicéron {Or., 36) : « Non
discedit a communi more uerborum ».
J. 1).
Index Lucretianus confecit Johannes Paih.son. Ut manu scriptus prclo datus.
Typ. Wald. Zachrisson, Gotoburgi, i()i i. vi-179 p. gr. gr. in-8°. Prix : 7 Mk.
Nous e'tions fort mal montés en fait d'index pour Lucrèce. Nous
n'avions guère que celui de Wakefield, mal commode, peu sûr, fondé
sur un texte arriéré. Quand M. Paulson était étudiant, il fit des
recherches métriques sur Lucrèce et se convainquit bientôt de
l'impossibilité de les poursuivre sans un bon index. N'en ayant pas,
il l'entreprit et mit sur fiches le texte de Bernays, alors « régnant ».
Puis d'autres études et la maladie lui firent perdre de vue ce travail
de jeunesse. Il nous le donne aujourd'hui, revu, complété et mis en
ordre par sa nièce, M"'' Esther Nilsson. Les éditions de Lachmann,
Munro, Brieger et Giussani ont été dépouillées et leurs divergences
avec Beruays sont maintenant comprises dans cet index. Chaque mot
est représenté par ses diverses formes suivies de références, .le ne
crois pas qu'il y ait d'articles abrégés par un etc., sauf les articles et
Ql que [mdiXS, a c et i7?^z<e sont complets). Pour eteiqiie, M. P. donne
des chiffres totaux par livres, et la liste des passages du livre V. Cela
suffit, en effet, si l'article ne devait comprendre que des renvois. Il
eût été utile de disposer ces articles autrement, en relevant les
diverses espèces de liaisons, et vépcté, que répété, et. .. que..,.i et ou
que entre deux substantifs, deux adjectifs, etc. Du moment qu'on
n'entrait pas dans ce détail, les références devenaient assez peu utiles.
Les chiffres totaux montrent une balance presque exacte entre Jes deux
particules, 1274 et, 12H8 que. Cela est notable, comme trait de l'ar-
chaisme du style de Lucrèce, alors que dans Plante, dans Térence,
dans Caton, et l'emporte beaucoup sur que. M. Paulson s'excuse de
donner cet index dans la forme où il est. Tel quel, il rendra les plus
grands services. Nous devons en être reconnaissants et à l'auteur et à
M"'' Nilsson qui en a rendu la publication possible.
.T. D.
P. Papini Stati Silvae. Krohni copiis usus iterum edidii Alfredus KLOTZ.Teubncr,
MCMXI, 2 m. 40, xcvi-220 p.in-i2.
On est tombé, d'accord dans le monde savant, que la première édi-
tion de Klotz (1900) a fait date dans la critique de l'auteur ; les idées
que l'on se faisait de la constitution du texte, ont changé aussitôt; on
a compris que le temps était passé de la méthode éclectique; dès lors
qu'il est établi que tous nosmss. sont dérivés de la copie qu'avait fait
faire Pogge, du ms, de Saint-Gall, et qu'on retrouve cette copie dans
3oti m vuF. citi I ivi'i'
le nis. de Madrid, tout rclVnri de la ciiiivjiu; doit porter sur ce ms., en
distinguant avec soin de la première main les corrections successives.
Là -dessus aucun doute.
Dans une seconde édition, il n"e>i plus et il ne peut plus être ques-
tion de pareil changement. Comparée à l'édition de igocj, le nouveau
livre de M. Klotz contient 220 p. au lieu de 204) ; la préface en a
xcvi au lieu de lxxxvhi.
Les changements, d'après l'éditeur lui-même, sont les suivants:
sont ajoutés un appendice sur Vexemplar Corsinianiim des notes de
Politien, où Ton croit trouver des traces d'une tradition indépendante
de M ; emprunts aux éditions parues dans l'intervalle fPostgate-
Davies, Phillimore et Saenger) et additions à l'apparat critique (con-
jectures nouvelles et, sur quelques passages difficiles, brèves explica-
tions et renvois à des passages parallèles). La préface de la nouvelle
édition [9 p.) indique les publications intéressant les Silves qui ont
paru depuis 1900; M. K. revient sur les questions discutées : rap-
ports de certains mss. (F, G ou autres) avec M ; origine de M, rapport
de M avec a, méthode suivie par Politien dans ses corrections, etc.
Entre les préfaces et le texte un bon index bibliographique (6 p.).
On pourra y voir, ainsi qu'à l'apparat, les noms de savants français :
Lafaye, Cartault. A côté d'eux liste des savants étrangers qui se sont
occupés de Stace : surtout Housman. Bien des conjectures récentes
sont écartées d'un simple mot : maliim, non bonum, ou maie. Au con-
traire pour appuver une leçon : probuni. Dès que les critiques ima-
ginent sans fin de nouvelles conjectures souvent des plus baroques
(Saenger, Phillimore, Stange, etc.), je me demande si les éditeurs ne
devraient pas faire un triage plus sévère et, plutôt que d'encombrer
le bas des pages, s'ils ne devraient pas laisser tomber les conjectures
qui sont dépourvues de toute vraisemblance. Dans l'apparat tel qu'il
nous est donné ici, il s'en trouve certainement un bon nombre qui sont
bien inutiles; en les recueillant M. Kl. fait par là le jeu trop beau aux
virtuoses de la critique; ou est-ce une concession voulue, par contraste
avec l'extrême sobriété de l'édition précédente? Il y a d'autre part dans
ces poèmes tant d'obscurité que les petites notes explicatives, jointes
utilement à la leçon traditionnelle ou à des conjectures, auraient
gagné à être plus nombreuses.
Dans les préfaces de Stace, les règles des clausulcs servent à con-
trôler les leçons sujettes à discussion '.
É. T.
I. Pourquoi à la p. 100, à la I. 8 de la préface du livre 1V^ M. Kl. insère-t-il,
sans obscr\ation, et, ce semble, comme s'il l'approuvait, d'après le Manuel de
M. Havet, une cnnjeciure que celui-ci ne proposait qu'en hésitant : inccpisse au
lieu de coepisse [propter }!inneros);']C ne vois p;is en quoi la conjecture améliore la
clausuîe : reste toujours une brève suivie de quatre hmgues. — Je doute fort qu'on
puisse, comme le veut M. Kl. p. i5, sur III, i, 12 3, faire dépendre loci de Hic. —
Les fautes d'impression sont très rares; il y en a cependant quelques-unes : p. 23,
d'histoire et dk littérature 3o7
Scx. Propertii Elegiaruni libii 1\' rec. Carnlus Ildsius. Tcubncr, MCMXI, i m. 60,
XIV- 1 911 p.
Ad Propertii carrnina ccMiiinciitaiius ciilicus. Thèse de I.cydc de 191 i t!e Pctrus
Johanncs Enk. 364 p. gr. iii-4", 17 m.
Sur un auteur qu'on sent doué des plus hautes c|ualiiés, mais mal
transmis et, de par son génie même, trop souvent obscur et difficile,
deux études de t'ormc et de mérite différent qui sont certainement les
bien venues '. Ils ont tâché de nous renseigner; mais il suffit de les
rapprocher l'un de l'autre pour constater qu'aucun d'eux n'est com-
plet et que, chez nous deux, la bibliographie est trop souvent vague
et insuffisante.
Voyons d'abord le premier de ces livres. Par son Lucain, par ses
études, ses articles sur les poètes latins, M. Hosius s'est conquis
depuis longtemps la faveur des savants; avec la modération et la pru-
dence qu'on lui connaît, on sera très heureux de le prendre pour guide
dans ces élégies attirantes et décevantes. Le livre arrive à propos; il
y a longtemps que Baehrens n'est plus au point; les petits Vahlen
n'ont pas une note, ce qui, moins que jamais, n'est de mise ici ;
Rothstein commente copieusement un texte qui n'est pas établi;
enfin les Anglais, fervents de Properce, ont multiplié leurs travaux;
mais qui ne sait qu'ils ont trop d'audace, et qu'en compagnie de
Housman, Postgate, même Phillimore,on se sent embarqué pour les
pays du rêve, vers un Properce de fantaisie? Nous espérons, avec
M. Hosius, rester sur la terre ferme, aussi près que possible du
Properce de la tradition.
La préface est consacrée tout entière à l'exposé de la méthode que
suit M. Hosius : secours dont il disposait; comment il conçoit la cri-
tique de Properce ; tout cela posé, prudent, tel qu'on pouvait l'at-
tendre de M. H. et le souhaiter en un tel sujet.
D'abord liste de déceptions auxquelles il faut se résigner. M. H.
rappelle les recherches qu'il a faites, il y a vingt ans, dans les biblio- •
thèques d'Italie, toutes sans résultat. Un ms. de Mons, signalé par
Vollmer, n'a pas été plus utile. M. H. ne croit pas aux éloges donnés
en ces derniers temps par Birt et par d'autres à un ms. des archives
de la Haute Lusace {codex Lusaticus, XV s.), simple ms. de mélange ;
bref pour M. H., comme véritables témoins, représentant les trois
classes, il n'y a que N ; AFL et DV.
M. H. s'est servi des collations publiées et de reproductions photo-
graphiques du Neapolitanus; il a de plus revu de plus près le Liber
Cohicii de Florence (F. de Baehrens). L'espérance qu'il avait eue un
104, Maenalia auvah dû être en caractères droits. P. 21, sur le v. 64, je ne com-
prends pas : alter»os... mcnses : ne serait-ce pas simplement une double faute
d'impression ? P. 68, sur le v. io5 au bas : fata M (et non N).
I. A côté de ces nouvelles études de Properce, le lecteur, qui désire être au
courant, fera bien de se reporter à un article de M. Ullman sur les mss. de Pro-
perce (Classical Quatterly, juillet, 191 1, analysé ici au Bulletin, 1912, 1, p. 197).
3o8 REVUE CRITIQUE
moilunt de trouver de nouveaux secours, pour la première classe des
dctcriores, dans un ms. de Naples et da;is unms. de la Laurentienne,
n'a pu se réaliser.
Très peu de conjectures propres au nouvel éditeur, ce qui n'est pas,
à mon gré, un défaut, en un texte déjà si encombré. Dans l'apparat,
utiles renvois aux imitations relevées dans les Carmina epigraphica
(surtout 9(0 et 966). l'nc seule réserve : le conservatisme n'arrive-til
pas ici à l'excès quand il maintieni(par ex. IV, 5, 52, Caelati) des leçons
pour lesquelles on v\c peut donner aucune explication raisonnable?
A la Hn du volume r.n Index metricus et prosodiacus et un Index
grammaticiis qui rendront service.
Je passe au second ouvrage, celui de M. Enk. Comme œuvre de
début, choisir une étude critique de l'auteur qui peut-être est de tous
le plus difficile, quand de plus la tradition en est des plus médiocres,
poursuivre ce travail d'un bout à l'autre, paraîtrait chez nous une
étrange gageure. Il faut croire qu'il en est autrement à Leyde. Quand
même il y aurait, dans le livre de M. E., des parties qui ne sont pas
négligeables, c'est bien ma pensée, le succès partiel et relatif ne nous
réconcilierait, je crois, nullement avec l'entreprise.
Seconde objection qui ne me paraît pas moins forte. Nous n'avons
ici qu'une série de notes; mais supposez un texte du poète établi
comme le veut M. E.; il serait, je crois bien, plus éloigné de la tradi-
tion manuscrite qu'aucun de ceux que nous avons lu, et partout semé
de conjectures reçues de toute main ; n'est-il pas vrai que cela seul le
juge?
On reconnaîtra la patrie de M. E. et l'on sera pour lui plus indul-
gent en le voyant suivre en toute contîance les plus fortes hardiesses
de ses maîtres, transpositions, suppressions, etc.), de Boot, mais sur-
tout de M. Hartman. Il est clair que sur ce point, il nous est impossi-
ble d'appuyer. Mais nous louerons très volontiers chez M. E., j'aime à
finir là-dessus, et ceci est certainement une qualité qui lui vient de
ses maîtres, le souci de défendre, souvent de justifier très heureuse-
ment, par des exemples topiques, telle leçon contestée delà tradition.
On en verra ici des preuves en bien des pages '.
Emile Thom.\s.
J. TouTAiN, Les cultes païens dans l'Empire romain, i'" partie : les provinces
latines; tome II : les cultes orienlaux. Paris, E. Leroux (Bibliothèque Je TEcole
des Hautes-Études, Sciences religieuses, 2b' volume), 191 1, in-8, 270 p.
Le deuxième tome du grand ouvrage de M. Toutain traite à peu
près du même sujet que le très remarquable livre de M. Franz Gumont
I. Je ne cite qu à titre de spécimen une obscurité de rédaction : p. 14. sur I, 11,
6 ; la conjecture de Rossberg : amare loco ne peut se comprendre quand on n'ajoute
pas qu'il lit Ecquid. — Les fautes d'impression ne manquent pas dans ce livre de
prix élevé et à forme luxueuse.
d'histoire f.t de littérature 3o9
sur Les religions orientales dans le paganisme romain. Dès ses pre-
mières lignes M. Toutain le reconnaît; il a soin, en même temps, de
préciser la différence des domaines considérés, des points de vue et
des méthodes. M. Cumont s'occupait de Rome et de l'Italie autant
que des provinces; il s'est laissé particulièrement séduire par l'intérêt
moral, philosophique et ihéologique de la question; il voulait avant
tout donner une idée d'ensemble de l'influence exercée sur la cons-
cience religieuse des Romains par les apports orientaux. M. Toutain
se limite aux provinces d'Occident, abstraction faite de Rome et de
l'Italie; il examine uniquement en historien, dans leur développement
concret, les destinées des cultes exotiques; il tâche, par des relevés aussi
complets et minutieux que possible, en utilisant les textes littéraires,
les monuments archéologiques, et surtout les documents épigra-
phiques, de doser l'importance relative de chaque religion ; en somme,
sur un terrain nettement circonscrit et en distinguant avec soin les
éléments divers du problème, il met au point les généralisations
de M. Cumont. On ne sera pas surpris qu'il s'écarte quelque
peu de son devancier. Il passe en revue tour à tour les cultes
égyptiens, syriens, d'Asie-Mineure^ iraniens, l'astrologie et la magie
orientales, le syncrétisme. Contrairement à ce qu'on pourrait croire,
le culte d'Isis et d'Osiris, celui des Jupiters d'Héliopolis et de Doliché,
et même celui de Mithra, auxquels les empereurs des ii« ç.t m" siècles
étaient personnellement si favorables n'ont été très répandus qu'au;x,
frontières et sur le parcours des grandes voies commerciales ; c'étaient
les religions des soldats, .des fonctionnaires, des commerçants, des
esclaves, des affranchis, venus les uns d'Orient, les autres de Rome,
centre secondaire d'expansion orientale; il en était de même pour les
cultes syncrétiques, tels que celui du Soleil au temps d'Elagabal et
d'Aurélien ; la magie était pratiquée surtout dans les ports de Carthage
et d'Hadrumète. En revanche le culte de la Grande Déesse, originaire
d'Asie-Mineure, avait des fidèles nombreux dans les contrées pacifiées
de l'intérieur, parmi les habitants romanisés des villes ou des cam-
pagnes de Gaule et d'Espagne ; bien que les empereurs ne lui aient
jamais témoigné beaucoup de sympathie, il était populaire; l'astro-
logie avait, elle aussi, des adeptes un peu partout. On aurait tort,
par conséquent, de croire que toutes ces religions ont rencontré un
égal succès : « ce n'est pas dans les mêmes régions qu'elles se sont
implantées, ce n'est pas par les mêmes éléments sociaux qu'elles ont
été accueillies «. L'intiuence de l'Orient est incontestable, mais il ne
faut pas l'exagérer : « elle a moditié beaucoup moins profondément la
vie et la dévotion quotidienne des provinces latines que la théologie,
la philosophie et les religions officielles de la haute société romaine ».
— Toute cette démonstration est conduite avec autant de rigueur que
d'élégance. On ne peut que louer l'étendue de l'information, la clarté
de l'exposé, la modération nuancée des conclusions. Il faut savoir
3lO RKVLK CRITIQIK
beaucoup de j;ré à M. Touuiin de la cDiisciencc avec laquelle il pour-
suit son enquête méthodique et de sou heureuse habileté à mettre en
œuvre les résultats très neufs et très sûrs de ses patientes recherches.
Maurice Besnip:r.
J. Stuart IIay, The amazing einperor Heliogabalus, Londres, Macmillan, 191 i,
in-8, 3o8 p., 8 planches hors texte.
M. Hay, séduit par l'étrange figure d'Elagabal, a voulu étudier
aussi complètement, aussi impartialement que possible le règne très
court de ce prince au renom équivoque. Une intéressante préface de
M. Bary fait bien ressortir l'originalité d'Elagabal dans la série des
empereurs romains : quels que soient ses vices, il a eu le mérite de
s'élever à la conception d'une religion universelle fondée sur le culte
syncrétique du Soleil; cela suffit à justifier la tentative de M. Hay
pour bien le connaître et le faire comprendre. Le livre se divise en
deux parties inégales. Dans la première, l'auteur, après avoir exposé
très rapidement l'état des sources et montré combien il faut se méfier
de Lampride, expose tour à tour les origines et les débuts d'Elagabal,
son avènement, les différents épisodes de son gouvernement par
ordre chronologique. La seconde, la plus personnelle et la plus
importante, ne comprend que trois chapitres : la psychologie de
l'empereur, ses extravagances, sa religion; peut-être M. Hay insiste-
t-il un peu longuement sur les anomalies morbides de son person-
nage; peut-être, en revanche, passe-t-il trop vite sur la tentative
d'organisation du syncrétisme solaire. Les illustrations, assez nom-
breuses, sont faites d'après les monnaies. La bibliographie, où les
ouvrages de psychopothia sexiialis tiennent une bien grande place,
est abondante, mais confuse et parfois fautive. On est surpris de lire
cette indication : Audollent (A.), i) Carthage romaine, 1901, Ecole
française à Athènes; 2) Mission épigraphique en Algérie, 1890,
École française à Rome. A quoi peut servir ce renvoi global : Biblio-
thèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome, Paris, 1877?
Pourquoi signaler dans la même page d'une part les Inscr. Africae
Proc. Lat. Eds. R. Cagnat et J. Schmidt. Soc. Reg. Sci. Berlin,
iSgi, et d'autre part le Corpus Inscriptionum Latinarum, vol. VIIL
alors qu'il ne s'agit que d'un seul et même ouvrage? M. Hay prend
plaisir à émailler son texte de locutions françaises, en italiques, qui
font un plaisant effet; nous n'en citerons qu'un seul exemple, à la
p. 201 : « The world of Suetonius was the world où on s'en fichait;
our 'vorld is the world oii on s'ennuie ».
Maurice Biîsnier.
René Pichon, Hommes et choses de l'ancienne Roma, Paris, Fontemoing,
iQi I, in-iô, Vii-3.T5 p.
M. René Pichon a réuni dans ce volume deux conférences faites
D HISTOIRE KT DE LIT TF.RA I URE .'^11
au musée Guimei (le mariage religieux à Rome; la légende d'Hercule
à Rome), trois articles parus dans la Revue des Deiix-AIondes oi\ le
Journal des Savants à propos de rcceiiics ihcscs de doctorat (Thistoire
sociale d'une montagne romaine, — mais le mot montagne est un peu
trop fort pour qualifier la colline aventine; un philosophe ministre
sous l'Empire, — si l'on peut appeler ministère l'inHuence ofiicieuseet
souvent difficile à saisir que Sénèque a exercée ; les polémiques de
saint Jérôme), enHn une notice biographique sur « un historien de
Rome au xix" siècle : Gaston Boissier ». En dépit de la diversité des
sujets traités, le livre présente une réelle unité de méthode et d'inspi-
ration, la seule qu'on puisse raisonnablernent exiger d'un recueil
d'essais de ce genre, « faits par les gens du métier pour les honnêtes
gens, comme l'on disait jadis ». M. Pichon se montre partout préoc-
cupé d'expliquer historiquement les hommes et les choses dont il
parle ; ce qui l'intéresse, ce sont les modifications subies à travers les
siècles par l'institution du mariage ou le mythe d'Hercule, c'est le
rôle joué dans la vie de Rome à toutes les époques par l'Aventin et
ses habitants, ce sont les origines et l'application des idées politiques
de Sénèque, c'est la signification et la portée des controverses ardentes
auxquelles se mêlait saint Jérôme, c'est la formation et l'épanouis-
sement des rares qualités de ce connaisseur émërite de l'ancienne
Rome que fut Gaston Boissier. Ajoutons que l'on sent aussi, dans
chacune de ces études, l'accent d'un homme qui aime la littérature
latine, qui la possède à fond et qui sait évoquer heureusement, à
l'appui de ses assertions, les témoignages vivants et décisifs des
anciens eux-mêmes. Le livre, écrit avec aisance et très agréablement
présenté, se lit avec plaisir et profit; il contribuera utilement à
maintenir et à répandre dans le public lettré le goiit des antiquités
romaines '.
Maurice Bksnier.
Robert Knorr, Sûdgallische Terra-sigillata-gefâsse von Rottweil, Stuttgart,
W. Kohlhammer, 1912, in-S°, 5o p. et 3o planches hors texte.
M. Knorr, qui s'est voué à l'étude des fragments de céramique
romaine ornée et sigillée recueillis dans le Wurtemberg (voir la Revue
du 6 octobre 19 lo, p. 252), nous donne un très précieux complément
à son livre sur les vases de Rottweil. paru en 1907. 11 reproduit inté-
gralement, en trente planches de dessins au trait, les poteries origi-
I. Quelques fautes d'impression : p. i3, le dextranim iunctio, pour : la ; p. 16,
cultes lolémiques, pour : totémiques; inofïensiF, pour : inotïensive; p. io3, à
tous, pour : à tout; p. 128, il ne touche pas pomeriiim, pour : au pomerium ;
p. i63, mon Sacré, pour : mont. — P. 71, Semo, Sancus et Dius Fidius ne sont
pas trois noms distincts; il y a d"unc part Sjino Sancus, de l'autre Dius Fidius.
— P. 2?G, eu note : à propos d'un texte d'Athanasc, gratte et surchargé, était-il
nécessaire de rappeler le « petit bleu » ?
?I2 REVriC CRITIQUli
naircs de la Gaule méridionale i.|iie Ton a reiiouvées dans ceiie loca-
lité ; un texte explicatif signale tous les points de comparaison utilesà
connaître pour compléter les sujets ou les signatures mutilés et sur-
tout pour assigner à chaque morceau, dans la mesure du possible, sa
date précise : il importe à l'histoire de l'art industriel et du commerce
romain que l'on puisse distinguer les fragments de l'époque de Claude
de ceux qui datent du temps de Néron et de Vespasien ou du temps
de Domitien et de Trajan. Le sol de Roitweil a été particulièrement
fertile en découvertes de vases gallo-romains; c'est ainsi, par exemple,
qu'on n'y relève pas moins de seize signatures du potier Germanus,
alors que M. Déchelette n'en compte que vingt-cinq dans la France
entière. Grâce au zèle avec lequel il s'emploie à rechercher et publier
ces documents archéologiques, M. Knorr peut se féliciter à juste
titre d'avoir beaucoup ajouté à ce que nous apprennent sur leur
compte le volume du Corpus Inscriptionum Latinarum rédigé par
M. Zangemeisier et le grand ouvrage de M. Déchelette. Au même
ordre d'études se rattachent les articles, avec planches, qu'il a donnés,
en 1909 et en 19 10, aux Fundberichte ans Schwaben, le premier sur
un vase de Sabinus à Cannstatt comparé avec un vase de Sasmonos
à Rottweil; le second sur divers fragments de Geislingen, de Rott-
weil et de Heidenheim.
Maurice Bicsnier.
Henri I,iin(;n(in, Pierre de Ronsard. Essai de biographie. Les Ancêtres. La
jeunesse. — Paris, H. Champion, 1912, i vol. in-S» de xii + 5i2 pages.
Prix : 8 francs.
La gloire de Ronsard a passé par trois étapes depuis le jour où
Sainte Beuve réhabilita le chef de la Pléiade dans son Tableau de la
poésie française au xvi^ siècle. Les Romantiques, satisfaits de l'avoir
adopté comme ancêtre, l'admirèrent sans le lire. Les Parnassiens lui
vouèrent un culte, comme au plus artiste et au plus « antique » des
poètes français. Présentement il intéresse surtout la critique érudite,
qui Tétudie avec un zèle et une patience que rien ne rebute. Après
l'édition critique des Amours publiée par M. Vaganay (1909), après le
chapitre consacré par M. Vianey, dans son ouvrage suv \e Pétrar-
quisme en France {iqog) aux sources des Amours., après le Ronsard
poète lyrique, la Vie de P. de Ronsard de Binct et le Tableau chrono-
logique des œuvres de Ronsard [iqio] ' de M. Paul Laumonier, voici
un volume de M. Henri Longnon, riche de documents et d'aperçus
nouveaux sur la vie et l'œuvre du gentilhomme vendômois.
La première partie de cette biographie est une étude sur les ancêtres
de Pierre de Ronsard. On sait de quelles origines, étrangères et loin-
taines, le poète s'enorgueillissait. Il prétendait descendre d'un mar-
quis roumain, dont un fils puîné serait venu, avec une bande d'aven-
1. 2« édition, La première avait paru en igoS dans les Annales Fléchoises.
d'histoirk KT DK I.ITTÉRATURE 3l3
turiers, offrir son aide au roi de France IMiilippc VI de Valois. En
récompense de services rendus dans la guerre contre les Anglais, il
aurait reçu des terres sises sur les bords du L<jir.
Or quant a mon ancestre, il a tiré sa race
D'où le glacé Danube est voisin de la Thrace.
Plus bas que la Hongrie en une froide part
lîst un seigneur noinnié le niarquis de Ronsart, etc.
Ed. rilanchcmaiii, t. IV, p. 296-297.
Binet dans sa Vie de Ronsard nous donne le nom de ce cadet :
Bauldouin et il remarque que « le pais de Thrace devait aussi bien
qu'à la Grèce donner à la France le surjon d'un second Orphée. »
Cette origine roumaine ou hongroise de Ronsard a trouvé crédit non
seulement auprès des disciples enthousiastes de l'Orphée de la Renais-
sance française, mais encore auprès d'esprits critiques comme Sainte
Beuve. A vrai dire, depuis Bayle, il s'était rencontré maints érudits et
maints critiques pour contester l'authenticité de cette ascendance de
Ronsard. On en trouvera la liste dans le cornmentaire historique et
critique de la Vie de Ronsard de Binet pav M. P. Laumonier, p. 53-
56. iMais nul n'avait encore fciïirni contre cette légende les arguments
décisifs que produit M. Longnon. « Comment Philippe de Valois
eût-il récompensé ces auxiliaires étrangers en les possessionnant en
Vendômois, c'est-à-dire dans une contrée qui ne faisait nullement
partie du domaine royal et dont le roi ne pouvait par conséquent pas
disposer? De plus, s'ils étaient réellement les descendants d'un Bau-
douin de Ronsard établi en Vendômois seulement après i328 et doté
richement parle roi, comment expliquer que dès la première moitié
du xiv<^ siècle, c'est-à-dire dès leur arrivée, les nouveaux venus aient
déjà essaimé en Italie et que ceux d'entre eux qui restèrent sur les
bords du Loir aient été d'aussi petits vassaux que nous voyons Tèire,
à la fin du même siècle, les seigneurs de la Poissonnière (i)? » p. 11-
12.
La vérité que M. H. Longnon substitue à cette légende, pour être
moins brillante, n'est pas moins intéressante. Les Ronsard sont des
autochtones des bords du Loir. Dès l'an 1000, une charte nous
atteste que des Ronsard étaient possesseurs de terres, près de Ven-
dôme. Au xiV siècle, ils réapparaissent dans des documents d'ar-
chives comme domestiques de l'hôtel des comtes de Vendômois. Le
premier ancêtre certain du poète est André de Ronsard, qui est, au
xive siècle, un des quatre sergents fieffés de la forêt de Gastine. Cette
charge, pour laquelle il rend hommage en i3g7 au comte de Ven-
dôme, était un office subalterne. Le sergent fieffé exerçait les fonc-
tions de garde chasse et de garde forestier. Son devoir était de frapper
I. Ou plutôt de la Possonnièrc, car M. Longnon n'allègue aucune raison pour
rejeter cette Jcrnièie orthographe, attestée par Amadis Janiyn, qui fut secrétaire
de Ronsard.
3 14 RKVUE CRITIQUK
d'aniciuic ceux qui coiipaicni le bois mon ou vil i;t ceux qui laissaient
errer leurs animaux domosiiqucs dans la forêt. Par contre, il avait le
droit de chasser le lièvre, la fouine, le chat sauvage, le goupil et même
de capturer les bctes de chasse noble, cerfs, chevreuils et sangliers
lorsqu'il les trouvait « navrées ou cntemmées ». Ses revenus étaient
les droits de pacage et de lignage et le si.xième des amendes infligées.
Cette charge de sergent se transmettait comme un fief ordinaire de
père en fils. Et voilà les origines ataviques de l'amour de Ronsard
pour sa foret natale.
A partir d'André, la famille des Ronsard ne cesse de s'élever. Oli-
vier, le grand-père du poète, entre au service de Louis XI et figure
dans la compagnie des cent gentilshommes de l'hoiel du roi. Son
père, Louis, fut le plus aventureux des Ronsard. Il prit part à toutes
les guerres d'Italie, passa vingt-deux fois les Alpes, gagna l'ordre de
Saint-Michel, fut nommé maître d'hôtel du Dauphin et l'accompagna
pendant sa captivité en Espagne. Il fut l'un des seigneurs les plus
cultivés de la cour. Il fit reconstruire dans le goût italien le manoir
de la Possonnière, pratiqua les poètes latins et rima des vers fran-
çais '. Sur tous ces ascendants du poète, sur son père, sa mère, ses
oncles et ses frères, M. H. Longnon a rédigé de substantielles
notices, ici corrigeant ou corroborant les études de ses devanciers, là
utilisant de petits faits restés inaperçus, le plus souvent apportant une
moisson de documents inédits. C'est la partie la plus neuve et la plus
solide de son livre.
Certes, il a conduit avec la même conscience ses recherches sur
la jeunesse de Ronsard. Mais, après les travaux de M. Chamard,
de M. Augé-Chiquet et de M. Laumonier, il était à prévoir que
sur le collège de Coqueret, sur l'initiation des poètes de la Pléiade
aux humanités, sur la formation du génie poétique de Ronsard,
il ne restait guère qu'à glaner dans les textes du xvi' siècle quel-
ques notes complémentaires. M. Longnon rend à ses prédécesseurs
l'hommage qui convient vraiment à des travaux de critique his-
torique et érudite : il les utilise, il les discute, il les cite. Cependant
on se demande parfois s'il a été amené à apprécier à leur valeur les
grands services qu'ils ont rendus à notre connaissance de la Renais-
sance française. Cette « étude d'ensemble des sources de la Pléiade »
qu'il appelle de ses vœux dans une note ^, elle existe ; elle occupe
même dans leurs ouvrages une place prépondérante; elle est d'une
richesse et d'une précision fort appréciées de quiconque se préoccupe
d'examiner dans les poèmes de Ronsard l'originalité artistique.
M. Longnon aurait eu le plaisir de le constater si, comme il nous en
1. Pourquoi M. Longnon n'a-t-il transcrit, p. 490, qu'une des deux lettres de ce
personnage conservées à Chantilly .^ On les trouvera touies deux publiées par
M. Laumonier dans les Annales Fléchoises de 191 r.
2. P. 178, note I.
d'histoiri: I r dk i.i itf,rati:re ?i5
avertir, « l'étude des quesiio;is liuciaiies que soulève la biographie de
Ronsard » ne s'était pas trouvée en dehors de son plan.
Une enquête sur les amours de jeunesse de Ronsard rentrait natu-
rellement dans le cadre de cet essai de biographie. La question n'est
point de celles qui n'intéressent qu'une curiosité grivoise. Elle
importe à la connaissance du génie artistique de Ronsard. Où sont
dans ses poésies amoureuses les souvenirs de sensations éprouvées
par l'homme et où sont les fantaisies de l'imagination du poète? Où
s'arrête la réalité et où commence le rêve? Comment les réminis-
cences livresques se combinent-elles avec les expériences person-
nelles? Dans quels cas la poésie est-elle l'idéalisation d'une sensualité
grossière? Dans quels cas, au contraire, achève-t-elle ce qui n'avait
été qu'ébauché dans la vie réelle? Autant de problèmes qui trouve-
raient leur solution dans une connaissance précise des amours de
Ronsard.
Or, sur cette question, ce que nous savons de certain se réduit à
peu de choses. i° La Cassandre qui a inspiré la plupart des sonnets
du r'' livre des Amours est Cassandre Salviati, fille de Bernard Sal-
viaii, banquier et propriétaire du château de Talcy, âgée de 14 ans
lorsque Ronsard la rencontra à Blois, le 21 avril iSqS. Cette identifi-
cation nous est garantie par une phrase d'Agrippa d'Aubigné : « J'ay
cogneu Ronsard privément... Nostre cognoissance redoubla sur ce
ce que mes premiers amours s'attachèrent à Diane de Talsi, nièce de
M""' de Pré qui étoit sa Cassandre. •> En effet, le 23 novembre 1546,
Cassandre épousait Jean de Peigné, seigneur de Pré. (Contrat de
mariage découvert par M. Martellière dans les Archives du Loir-et-
Cher, en igoq.)
2"^ Ronsard a surtout aimé Cassandre en liitérateui' et en artiste.
« Il prit son aventure pour une matièie à développements plastiques,
erotiques, psvchologiques... Il voulut, dans la plupart des nom-
breuses pièces qu'il lui adressa, « contenter son esprit », c'est-à-dire
satisfaire son imagination, se donner par écrit l'illusion de la réalité
rêvée et feindre à propos de sa douce ennemie tous les tourments et
toutes les joies de l'amour. » Laumonier, Ronsard, poète lyrique,
p. 42-43. « En lisant le Canzoniere de Pétrarque, ardente et pieuse
offrande à la seule Laure de Noves, il pensait à Cassandre Salviati et
son imagination lui peignait Laure sous les traits de Cassandre... Il
fit mieux que d'imiter Pétrarque, il entra dans ses intentions, y con-
forma ses sentiments, épousa le plan général de son œuvre, en adopta
les principaux motifs... » H Longnon, Pierre de Ronsard, p. 324 et
35o-35 I .
3° A ce can:{oniere d'amour courtois qui constitue le fond principal
du premier livre des Amoiu's sont mêlées des pièces libertines ou sen-
suelles qui n'ont pas été inspirées par Cassandre, mais par d'autres
maîtresses, Rose, Macé, Marguerite, Madeleine, Jeanne, etc. « Il est
3l6 RKVUK CniTIQlIE
ccriain que K(MisarJ aimait aillciiis tout en protestant de sa passion
pour Cassandre... Launioiiier, p. 45. « Les sensuelles infidélités qu'il
ne comptait pas, Konsard les avait donc chantées en même temps
que Cassandre. » Longnon, p. 33 i.
Comment faire le départ entre les pièces inspirées par Cassandre
et celles qui se rapportent à d'autres amours? C'est ici que com-
mencent les difficultés et le désaccord entre les deux derniers bio-
graphes de Ronsard. Avec la circonspection que comporte une matière
si délicate, M. Laumonier s'était contenté d'indiquer que Macé, Mar-
guerite et Rose avaient peut-être précédé Cassandre, tandis que la
liaison avec Jeanne dura de i55oà i555. Les pièces qui sont adres-
sées aux premières >< rappellent les chansons de Marot ou même
celles du moyen âge, avec une touinure un peu plus littéraire, mais
sans ombre de mythologie ; par conséquent, elles pourraient bien
remonter aux débuts de Ronsard », p. 46. M. H. Longnon, avec une
juvénile témérité, affirme que la liaison avec Marguerite précéda la
rencontre de Cassandre et n'hésite point à grouper autour de cette
Marguerite un certain nombre de sonnets, pour reconstituer toute
une aventure assez piquante : indiscrétion d'une amie de Marguerite
qui trahit le secret des amants, arrivée du mari à cheval qui surprend
sa femme et l'emporte en croupe, etc. — En réalité, rien, sauf les
indices d'ordre littéraire signalés par M. Launionier, ne prouve que
cette liaison ait été antérieure à la rencontre de Cassandre. Rien non
plus ne nous garantit que les sonnets dont s'est servi M. Longnon
pour imaginer les épisodes de l'aventure se rapportent à Marguerite
plutôt qu'à Rose, à Jeanne ou à Macé. On ne peut faire état pour la
reconstitution de ce roman que des seules pièces dans lesquelles se
rencontre le nom de Marguerite. Encore n'est-on pas assuré qu'il
n'ait pas été pris par Ronsard au sens métaphorique : rien n'est plus
"commun dans la poésie du xvi^ siècle que les jeux de mot sur Mar-
guerite (marguerita, perle) '.
C'est avec beaucoup plus de prudence que M. Longnon tente une
reconstitution des épisodes de l'amour de Ronsard pour Cassandre.
« Synthèse interprétative, que peut seule contrôler une intime fami-
liarité avec ce can\oniere charmant, mais si confus. » 11 ne peut, en
effet, qu'interpréter le texte de Ronsard et parfois le commentaire de
Muret, en l'absence de tout document sur les rapports vrais du poète
avec sa dame. Ses conjectures sont séduisantes. Elles paraissent aussi
parfois bien fragiles. L'écueil pour un commentateur de Ronsard,
c'est de prendre pour une allusion à quelque événement réel ce qui
n'est que réminiscence livresque'. Qui nous garantit, par exemple,
1. C'était l'hypothèse de M. Lauinonier qui assimilait la Marguerite louée dans
quatre textes de i55o et i532 à Cassandre. 11 a depuis abandonné cetie conjec-
ture. Cf. Ronsard puète lyrique, p. 42-47.
2. Ainsi il est bon de rappeler que la pièce dans laquelle Ronsard « défie OU-
d'histoire Kl DE LITTÉRATURE ?> l J
que l'audacieuse caresse du Soniici de hi p. 389 du t. I de l'éd. Blan-
chemain, n'est pas une simple iicùon: cl peui-on en déduire que
Cassandre s'irriia ei bouda son poète?
En somme, il semble bien que présentement il est impossible de
connaître avec précision les épisodes et les phases des amours de
Ronsard, tout d'abord parce que la chronologie des Amours et de
quelques autres de ses pièces critiques a été brouillée dans la publica-
tion de ses œuvres; ensuite parce que les réminiscences livresques
sont sans cesse intervenues pour altérer les éléments pris dans la réa-
lité. L'image de Laure s'est substituée dans l'esprit de Ronsard
pétrarquisant à l'image réelle de Cassandre. Si celle-ci nous est
décrite blonde avec des yeux noirs, c'est sans doute parce que telle
Pétrarque dépeignit Laure. Et comment expliquer certaines variantes
qui, en 1 578, transforment en « beau poil brunissant )i, en tresses
noires, une chevelure qui dans l'édition de i5 52 était représentée
comme dorée ou blondissante? — Dans les études de M. Laumonier
sur les sources de Ronsard, les éléments de réalité, émotions, expé-
riences sentimentales, incidents de la vie amoureuse du poète ne tien-
nent qu'une place restreinte en regard des imitations et réminiscences
livresques. Aujourd'hui voici que dans l'ouvrage d'un esprit singuliè-
rement sagace et assidu dans ses enquêtes, nous ne pouvons pas ne pas
être frappé de la même pénurie de détails concrets, d'une authenticité
indiscutable, qui étayent les interprétations des vers d'amour du poète,
surtout si nous rapprochons cette indigence de l'abondance des notions
précises et certaines qu'ont données les recherches sur les ancêtres de
Ronsard. Qu'en conclure? Sinon qu'il faut sans doute nous résigner
à ignorer ce que fut la réalité que les Amours et autres pièces amou-
jp reuses du poète nous présentent déguisée, ou déformée, ou embellie.
Jean Plattard.
L. Angot, Mélanges d'histoire, Paris, Emile-Paul, 191 1, in-12, 3 16 pages.
Si jamais livre d'histoire mérita le titre de Mélanges, c'est bien
celui-ci. On y trouve en effet quatre études juxtaposées, dont les deux
plus anciennes ont pour cadre le xiii® siècle et les deux plus récentes
la fin du xviii^ et le début du xix« siècle.
Après nous avoir introduits dans la prison du Temple et avoir
rouvert devant nous le procès du cordonnier Simon, geôlier de
Louis XVII, l'auteur nous transporte en Prusse après la bataille
d'Iéna, et nous fait lire des lettres de divers membres de la famille
royale de Prusse qui, soit dit en passant, ne sont pas toutes aussi
intéressantes que leur éditeur paraît le croire. Faisant alors et brus-
quement machine en arrière, il nous ramène sous la bannière de
►
vier de Magny de compter le nombre de ses amours » p. 3i3, n'est qu'une tra-
duction libre d'Anacréon, Ode xxxii : « V.'. -JAAa -âvxa 5f^opwv... »
'3 i8 ni'.vt^E CRITIQUE
Baudouin, comte de I-'landrc, empereur Iranc de Consianiinople, et
nous raconie les luttes épiques de ce héros contre l'illustre Joannis,
souverain des Bulgares et des Valaques. De là nous revenons en
Provence, à la cour plus polit du comte Flaymond-Bérangcr, pour
entendre l'histoire de ses quatre filles qui épousèrent la première,
saint Louis, roi de France; la deuxième, Henri 111, roi d'Angleterre;
la troisième, Richard de Cornouailles, qui devint roi des Romains, et
la quatrième, Charles, comte d'Anjou et du Maine. Ces deux dernières
études prêtent à de belles descriptions de batailles, de cortèges et de
tètes à la Froissard. C'est un genre où l'auteur se complaît et excelle,
pour le plus grand agrément du lecteur.
E. W.
— M. .lean Vaczv vient de mener à bonne fin la tache à laquelle il s'était attelé
il V a vingt ans : l'édition de la Correspondance de François Ka^inc^y . Le
tome XXI et dernier vient de paraître. {Ka^inc^y Ferenc^ levelezése. Budape.st,
Académie, iqii, XLiv-787 p. 8°). Les nombreuses notes, l'index très détaillé qui
accompagne chaque volume font de cette publication une source inestimable pour
le mouvement littéraire des trente premières années du xix" siècle où Kazinczy
remplaça seul toute une Académie. Dans les 5393 lettres dont se compose cette
Correspondance, nous voyons un caractère éminemment énergique, doué unique-
ment d'un grand sens critique, diriger la renaissance de la littérature hongroise.
Ce dernier volume contient les lettres du i*' janvier 1829 au 20 août i83i, au
noinbre de 434 dont 297 de Kazinczy. Nous le voyons luttant contre la misère,
mais toujours occupé de ses projets littéraires; il entretient ses correspondants de
ses traductions dont plusieurs étaient encore inédites, de ses récits de voyage; il
stimule les jeunes revues, prend part aux premiers travaux de l'Académie nou-
vellement fondée, essuie les attaques des Jeunes qui s'étaient formés à l'école de
Charles Kisfaludy, fait encore un dernier vo)'age de Pest à Gyôr (Raab) et de là
à Gômôr, revient à Széphalom et meurt du choléra le 23 août i83i. Sa der-
nière lettre décrit la révolte des paysans qui avaient accusé les nobles d'avoir
ernpoisonné les puits. — M. \'âczy croit que, malgré ses recherches^- il reste
encore dans les archives des familles de nombreuses lettres inédites de Kazinczy;
il prie de les adresser au secrétariat de l'Académie. Elles seront éditées dans un
supplément avec une table générale des 21 volumes. — I. K.
— \J Ancienne Bibliothèque hongroise dirigée par M. Gustave Heinrich, vient de
s'enrichir de trois nouveaux fascicules. N° 28 donne la Grammaire hongroise de
Jean Fôldi. (Fôldi Jânos Magyar Grammatikdja, Budapest, Académie, 191 2,
3o3 p. S". Avec une préface de Coloman Szily). Cette grammaire date de 1790
et est restée inédite. Elle avait obtenu au Concours institué par Gorôg et Kerekes
en 1789, le premier prix, mais ce prix de 26 ducats était probablement trop
minime pour éditer l'ouvrage. Après la mort de Fôldi (1800) le manuscrit est
entré à la bibliothèque de Gabriel Nagy, collectionneur de Debreczen; celui-ci
l'avait prêté à plusieurs savants. Le manuscrit fut divisé ensuite en deux parties,
dont une se trouve actuellement à la Bibliothèque du Musée National de
Budapest, l'autre à la bibliothèque des Comtes Teleki à Maros-Vâsârhely. Le
conservateur de cette dernière, M. Charles Gllvas vient de l'éditer et a fourni
ainsi une contribution précieuse à l'histoire de l'enseignement grammatical en
d'histoire et de LITTERATURE SlQ
Hongrie. — N° 29 contient le résumé du Cours sur la langue et l'ancienne litté-
rature hongroises que Nicolas Rêvai, avait professé à l'Université de Pest au
début du xi.\« siècle (Rêvai Mikiôs magyar nyelvi es irodalmi ké:{iknnyve, édité
par M. RuBiNYi. Ibid. 1912, 1 ig p. S"), Rêvai le fondateur de la grammaire his-
torique hongroise, avait donne dans ses ouvrages latins : Antiqiiitates littevatiirae
hitngaricae (i8o3) Klaboratior grammatica hungarica (i8o3-i8o6) le fruit de ses
longues recherches. Nommé professeur à l'Université, il rédigea en langue
magyare une partie de son cours. M. Rubinyi considère ce petit livre comme le
premier manuel de linguistique hongroise. E)tienne Horvât en avait publié une
partie en i83.î dans le Magasin scientifique; grâce à M. Rubinyi nous avons
maintenant le texte tout entier. Nous y trouvons des considérations sur l'origine
et la parenté de la langue hongroise, puis des chapitres sur les Huns — d'après
les .A.nnales de Pray qui lui-même les avait empruntés à de Guignes — sur les
Sicules et les plus anciens monuments de la langue hongroise que Rêvai avait
commentés avec tant de sagacité dans ses Antiquitates. — N° 3o nous apporte
les deux traductions ou plutôt adaptations de ['Essai sur l'homme de Pope par le
chef de l'Ecole française, Georges Bessenyei [Besscnyei Gyôrgy, A:^embernek
prôbdja, édité par Etienne Harsanyi. Ibid., 1912, 196 p. 8"). La première version
fut publiée par Bessenyei lui-même, à Vienne, en 1772; la seconde, qui est plus
coulante et montre des progrès au point de vue de la versification, date de i8o3
et resta inédite. Au moment du renouveau littéraire, les écrivains hongrois firent
passer de nombreux ouvrages français, allemands et anglais dans leur langue,
mais tel était l'ascendant de la littérature française que les ouvrages anglais
furent adaptés et traduits d'après les traductions françaises. Bessenyei le dit lui-
même et M. Harsanyi croit que le texte qn'il avait sous les yeux était celui des
Œuvres diverses de Pope, traduites de l'anglais (Vienne, 1761). Bessenyei écri-
vant pour un puDlic peu lettré a souvent amplifié et expliqué la pensée de Pope.
M. Harsanyi a fait réimprimer l'édition de 1772 en corrigeant les fautes d'im-
pression et a établi le texte de la version de i8o3 d'après les trois manuscrits qui
nous sont conservés. — I. K.
— M. Antoine Prônai, de l'Ordre des Piaristes, vient de publier une Histoire de
la littérature hongroise accompagnée de morceaux choisis. [A magyar irodalom
tôrténete, Budapest, Société Saint-Etienne, 1910-1911, 2 vol. 418 et 448 p., 8°).
Nous signalons cet ouvrage comme un des plus complets et des mieux rédigés
qu'on ait publiés dans ces dernières années en Hongrie. Le précis de la littérature
est très exact — excepté quand l'auteur parle des Jésuites (1, 58), — il est écrit
dans une langue claire et coulante. Les Morceaux choisis qui occupent plus de la
moitié de l'ouvrage, introduisent l'élève dans îa connaissance intime des écrivains;
la bibliographie succincte lui indique les ouvrages qu'il doit consulter sur chaque
écrivain. Un des grands mérites de l'ouvrage est d'avoir rompu avec cette habitude
des historiens de la littérature qui consiste à arrêter l'exposé avec l'année du
Compromis (18G7). Nous trouvons ici une appréciation — il est vrai très sommaire
— mais assez juste de ces écrivains de la Jeune Hongrie qui, depuis quarante
ans, enrichissent la littérature, mais que l'on exclut systématiquement des
Manuels. — L K.
— François Misteli (1841-1903) fut un des rares linguistes qui se soit occupé des
langues ougro-finnoises. Il était en rapports suivis avec les savants magyars et
l'Académie hongroise l'avait élu membre étranger. M. S. Simonyi a prononcé
dernièrement son éloge qui vient de paraître également en allemand {Fran:^ Mis-
320 REVUE CRITIQOE d'hISTOIHE tT U1-. LITTERATURt
tcii, Dciikrcvic, F.cip/ig, Ilairnssowitz, 11)1:2, i('> p., (S". Avec un portrait). Ne à
Solcure, Misieli fit ses cHudes i^ Zurich, Honii, (îencvc et Paris et s'adoimu de
bonne heure à l'étude de la pliil(il<ji;ie comparée. Il était de ces lint;iiistes qui,
comme Slcinihal, voulaient cn)l->rasser toutes les langues. Ses principaux travaux
parurent dans \ii Zeitscini/t filr \'ollcerpsj'cliok)f;ie et son ouvrage capital C.liarah-
tcristik dcr hauptsaclilichstvn 7'ypi'ii des Spiaclibciiics, n'est au tond <]uc la lieu-
xièmc édition, complètement remaniée du livre de son maitre, Steinthal. Dans
cet ouvrage il a utilise ses connaissances du hongrois et du finnois. L'MIoge fait
ressortir l'importance des travaux de Misieli ; nous)- trouvons également plusieurs
lettres inédites où le savant suisse se plaint i.iu peu d'intcièt i]uc les linguistes
allemands atiîtchcm ii la philologie ougro-finnoise. --- I. K.
Ac.ADÉMiK DKS Inscriptions kt Bhllks-Lkttrus. — Séance du ."^ avril i()i2. —
M. Paul Girard revient sur le vase de llaghia-Triada dont M. Déchelettc a entre-
tenu l'Acadéinie dans sa dernière séance et présente quelques observations sur
les interprétations proposées.
M. Salomon Reinach fait une ci.tninunication sur le nom de Monaco, qui a été
expliqué soit par le grec soii par le phénicien. On a parlé, dès l'aïuiquité, d'un
Hercule dit monoikos] c'est-à-iliie « habitant seul » son temple, où nul autre dieu
n'était admis; ou d'un dieu phénicien ilit Mciioiiakii, c'est-à-dire « donnant repos
07/ asile », épithète de la divinité tuiélaire du port. M. Reinach rejette ces deux
étymologies. On connaît, au Nord de Marseille, une tribu ligure des Albioeci; il
devait y avoir à Monaco une tribu ligure des Monoeci, d'où les Grecs ont fait
Monoikos. en essayant de donner un sens à ce mot. Les noms des Albioeci et
des Monoeci de Ligurie se retrouvent à l'extrémité septentrionale de l'ancien
domaine ligure, dans ceux des îles Britanniques Albion et Mona.
M. le comte Henry de Castries fait une communication sur le protocole en usage
dans les nombreuses lettres missives émanant deschérifs marocains de la dynastie
saadienne (i53o-i3Go) qu'il a pu réunir.
M. Babelon fait une communication sur une importante trouvaille de monnaies
grecques archaïques qui a été faite à Tareiue. en juin iqii. Ce trésor compre-
nait environ (3oo monnaies du vi'^ s. a. C; elles se répartissent entre les ditlcrents
centres commerciaux des côtes de la Méditerranée depuis Phocée, Chios, des villes
de la Thrace et de la Macédoine, Athènes, Egine, les Cyclades, Corinthe, Corcyre
et Cyrène, jusqu'aux villes de la Sicile et de l'Italie méridionale. Un certain
nombre de monnaies de la trouvaille sont nouvelles. L'enfouissement paraît avoir
été eflèctué à peu près au temps de la destruction de Sybaris par les Croto-
niates en 3 10 a. C.
Léon Dorez.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouclion et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE. ET DE LITTÉRATURE
N» 17 — 27 avril - 1912
Pernot, Anthologie populaire de la Ciicce moderne; Le siège de Malte en i565 ;
Bibliographie ionienne. — Hindenlang, La langue des œuvres botaniques de
Théophraste. — Flickinger, Scacnica. — Lettres de saint Jérôme. I, p. Hil-
BERG. — Isidore de Séville, Etymologies, p. Lindsay. — Baldensperger, Alfred
de Vigny. — Cessi, La vie à Alexandrie. — Shorey, L'adverbe roman en grec.
— Nom., Manuel de Cicéron. — Meusee, Comptes-rendus de César. — Owen,
Manuscrits de Perse et de .luvenal. — Livres de droit de la Bibliothèque Teub-
ner. — E. Thomas, Pétrone, 3' éd. — C. de Beaucorps, Les intendants d'Orléans.
— MoRPiRGO, L'inondation tie Florence en ilî33. — Formules du Fior di Virtu. —
— Angelo Bargoni. — F. Henneguv, Histoire d'Italie. — Politien, p. G. Rossi. —
ToRTORi, Anthologie italienne. — Su. va, L'industrie de la laine à Florence. —
CosTER, Antiquaires d'autrefois. — D'Ancona. Etudes, II. — Kali.os, Archilo-
que. — Mahler, Papyrus araméens. — Kegl, Khosrev. — Gagyhv, Les trouba-
dours. — P'inaczv, Helvétius. — B. Lazar, Courbet et son influence à l'étranger.
— Gragger, La Caution de Schiller. -~ Csengeri, Drames d'Euripide. — Gardner,
L'ancienne .\thènes, Irad. en hongrois. — Répertoire alphabétique des articles
contenus dans les revues éditées par l'Académie hongroise. — Annuaire de la
Société KisFALUDY, XLV. — J. A. Robinson, Westminster. — L. Jones, Légende
du roi Arthur. — R. Sorlev, Manuel pratique. — D'' Schonack, Sir Thomas
Brovvne. — M. Ej.mer, Biron et Shelley. — J. Courthope, L'élément romanes-
que dans la littérature. — Académie des inscriptions.
I
Hubert Pernot, Anthologie populaire de la Grèce moderne. Paris, Mercure
de France, igio; 276 p.
P. Gentil de Vendosme et Antoine Achélis, Le siège de Malte par les Turcs
en i565, publié en français et en grec d'après les éditions de 1567 et de 1371,
avec 20 reproductions, par II. Pernot. Paris, Champion, 1910; xvi-200 p.
(Collection de Monuments pour servir à l'étude de la langue et de la littérature
néo-helléniques, 3"= série, n° 2].
Bibliographie Ionienne, description raisonnée des ouvrages publiés par les
Grecs des Sept-Iles ou concernant ces îles, du xv siècle à l'année 1900, par
Emile Legrand, œuvre posthume complétée et publiée par H. Pernot. Paris,
Leroux, 1910; 2 vol. grand in-8 de x -f 861 pages; t. 1, p. x 4- i-4^i, t- H '■
p. 43 1-86 1 (Publ. de l'Ecole des langues orientales vivantes, V" série, vol. VI
et VII ; Em. Legrand, (Euvres posthumes, n"' 3 et 4).
I. Après Fauriel, de Marcellus et Legrand, M. Pernot publie un
choix de chants populaires de la Grèce moderne, en traduction fran-
çaise, mais sans le texte. Ces morceaux ont été pris dans les recueils
publiés en Grèce et en Occident, principalement dans les Popiilaria
carmina de Passow, les Chants populaires épirotes d'Aravantinos,
les Kretas Volkslieder de .leannarakis et le volume publié en 1891,
sous le titre de ZojYp^'yET'j; àY^jv, t. I, par le Syllogue philologique grec
de Constantinople. Quelques-uns sont empruntés à Legrand, et une
Nouvelle série LXXIII 17
322 REVUE CRITIQUE
dizaine ont été recueillis à Chio par M. P. lui-mcnie. M. P. a voulu
nous montrer, dans un volume accessible à tous, l'extrême variété
des sujets qui ont inspiré la muse populaire grecque, et pour cela il
a établi les divisions suivantes : Chants berniques, qui se rattachent
au cycle de Digénis; chants historiques et kleftiques; chants légen-
daires; chants d'amour; chansons de coutumes; berceuses; chants
nuptiaux; l'exil; Charon ; mirologues; enfin distiques; chaque
groupe est précédé de quelques mots d'introduction. J'avoue ne pas
saisir clairement le lien qui unit les morceaux réunis sous le titre
Chants légendaires; les uns, en effet, se présentent avec une forme
très précise de légende, comme la Chevauchée funèbre et le Pont
d'Arta; mais d'autres, tels que la Reconnaissance ou la Fille bulgare,
sont loin d'avoir le même caractère. On regrettera que M. P. n'ait
pas mentionne l'origine de ces morceaux; à la hn, il est vrai, il
donne une table des sources, et quelques-uns des titres des ouvrages
où il a puisé indiquent la provenance; mais pour beaucoup, par
exemple pour ceux qui sont pris dans Passow, on voudrait savoir à
quelle partie de la Grèce ils appartiennent; les lecteurs à qui est
destiné le volume n'ont pas ces recueils sous la main. Enfin, Je ne
sais s'il n'eût pas été préférable d'avoir le texte en regard de la tra-
duction; celle-ci est bien faite, suit le grec d'aussi près que possible,
et en garde généralement le ton et la couleur; cependant il y a mille
détails dans ces poésies populaires, diminutifs, mots composés,
expressions idiomatiques, etc., que le français ne peut rendre ou ne
rend qu'imparfaitement, et dont la délicatesse et la grâce sont néces-
sairement perdues, quel que soit le talent du traducteur. Mais ceci
était probablement affaire de librairie. Il y a près d'un siècle que le
recueil de Fauriel a paru, et l'on sait avec quelle faveur il fut accueilli ;
bien que les circonstances ne soient plus les mêmes, nous souhaitons
le même succès au livre de M. P.; il le mérite.
II. Tout en préparant son Anthologie, M. Pernot donnait ses soins
à une autre publication. Immédiatement après le siège de Malte par
le sultan Soliman, en i565, une relation en parut, d'abord en italien,
puis en français, tantôt sous le nom de Gentil de Vendôme, tantôt
sous celui de Marino Fracasso ; M. P. en signale trois éditions ita-
liennes et une française. Celle-ci parut en 1567; quatre ans après,
un Grec de Réthymno, totalement inconnu d'ailleurs, nommé
Antoine Achélis, en donna une adaptation en vers politiques, dont il
n'existe aujourd'hui que deux exemplaires. L'extrême rareté de cet
ouvrage détermina M. P. à le réimprimer; et pour permettre au lec-
teur de comparer le grec avec son modèle, il a également réimprimé
le texte français. Les deux textes étant reproduits sans changements,
sauf, pour le grec, la rectification des erreurs orthographiques, je
pourrais me borner à signaler le volume ; mais la lecture suggère
d'histoirk et de littérature 323
quelques remarques au sujet de la versirication. M. P. rétablit régu-
lièrement la rime dans les vers d'Achélis; par exemple, les vers 4o5-
406 se terminent par /.apoiav, Or,pîa ; M. P. écrit /.apoîa. De même 424,
b^b, I 154, 2195 et ailleurs; mais la correction n'a pas été faite aux
vers IQ23, 2328, 2423, où il taui lire [j.'.o, l/.y.lr^i'.'x, TtooSô-rri. L'accen-
tuation est scrupuleusement conforme à la métrique; c'est ainsi qu'on
rencontre otav et ôtiv, -rreptffaô; et TTEptaiio;, àXViOîia et âXr|0£(a, etc. Mais
M. p. a parfois trop respecté l'édition ancienne. Un commencement
de vers comme 585 uoÀ'j cràXat-po est fautif; il faut lire aaXfjtîxpo, comme
1610 <y-io'., aaX|j.(Tpo, OÙ l'accent est régulier. Le début du vers 3i2 ^wa
TrâvTx là pâOoaa est de même genre ; la place de l'article y est d'ailleurs
insolite, et il est probable qu'on doit lire rA-n-x xà ^ô)'x. Dans un cas
comme 504 -:/,■/ '^pov7,crtv /.-/■, e'j-^s'H'.i-i l'accentuation est indécise, car les
mots en îia paroxytons et proparoxytons ont confondu leur accentua-
tion, de sorte qu'un mot, par exemple, comme uuvxiXsta, a pu devenir
ff'jvTïX^îa (1472), puis TJvxfAsià (1464); il me paraît toutefois plus pro-
bable qu'il faut lire ici /.' Ejyéve'.av (quatre syllabes, cf. le vers précédent),
car il n'y a aucune raison pour ne pas conserver au mot son accent
normal. Les détails de celte sorte sont assez nombreux; mais il serait
inutile de s'y arrêter plus longuement, et je ne veux plus dire qu'un
mot au sujet de l'index qui se trouve à la fin du volume. Il eût été
facile de dresser un index complet de ces 2541 vers ' ; on regrettera
que M. P. n'ait pas jugé à propos de le faire, car nous n'avons qu'un
index trtjnqué. On y lit, par exemple, xaOapôxT;, mais non Xafjmrpôxv)
(1337), "H?^'=î''5î, mais non 'EXt/.côv (55), [Ji^oùva, mais non YaXiôxa (2249) ;
et tandis qu'on y trouve des mots courants comme ay^EXoc; et iiî,aTCto,
des mots comme Traviaopoo; ( 1 385) ou 7rx;A7rt7a-io[j.£vo; (1778) sont laissés
de côté. L'index est incomplet, même compris seulement comme
« verborum memorabilium », et il perd d'autant plus de son utilité,
que le sens des mots, un petit nombre exceptés, n'y est pas donné \
IIL M. Pernot terminait en même temps un travail de plus longue
haleine, l'impression de sa Bibliographie Ionienne. Emile Legrand,
après avoir composé sa Bibliographie hellénique, avait entrepris un
catalogue des ouvrages relatifs aux Sepi-IIes ou publiés par des
1. En réalité 2542; à partir du chapitre 5, les numéros des vers sont une ligne
trop bas.
2. On cite ;j.-o'j/i;j.Ti£Xi i534, sens inconnu ; mais le texte porte [j.ou-/i'.|nîsXi ; quelle
est la forme exacte ? — Notant zziyyr/i7.c,, M. P. se demande quel en est le sens.
Le mot n'est pas inconnu et signifie gosier, gueule. — Je ne comprends pas ^dans
l'index) la note « -Trepta-jîv pour le mètre » ; s'il s'agit d'accentuation, c'est à i:£piT(jo;
ainsi accentue que se rapporte robscrvalion. — Ti irxjûâ 451 ne signitic certaine-
ment pas « les volatiles ». — Pourquoi M. P., qui donne le mot turc repondant au
grec àvavtaoà;, ne donnc-t-il pas le mot français ujicaire? — A ajouter aux errata :
5oi Aoirôv au lieu de Aot-ôv; 1292 [xt.i^-vao'J; au lieu de ;j.zi jxnroûî ; 2064 "At:6a).u-
va; au lieu de "A-OA>,ojva;.
3^4 REVUE CRITIQUE
Ioniens, et il avait réuni des niaiériaiix déjà abondants, descriptions
d'ouvrages des xv, xvi" et xvii'^ siècles extraites de la liibliographie
hellénique, auxquelles s'adjoignirent les publications des siècles sui-
vants qui vinrent à sa connaissance. M. P. reprit l'idée ; il fil de nou-
velles recherches, catalogua de nombreux volumes nouveaux, sur-
loilt du xviii' siècle, et compléta ainsi cet important répertoire, dont
le numéro i porte la date de 1494, et qui se termine par le
numéro 4043, daté de 1900. La méthode de publication est la sui-
vante : titre in extenso, lieu et date; nom de l'imprimeur et de l'édi-
teur; viennent ensuite le format, la pagination, et les particularités
telles que feuillets blancs, dédicaces, illustrations, et autres détails ; la
rareté d'un ouvrage est toujours notée, et souvent aussi, dans le
tome I, les possesseurs, bibliothèques publiques ou privées. Un index
de tous les noms propres cités facilite les recherches; les noms des
auteurs sont en capitales, m'ais j'avoue ne pas découvrir la raison qui
a fait emplover les grandes capitales pour quelques-uns, les petites
pour les autres; une note aurait dû informer le lecteur. 11 serait
superflu d'insister sur l'utilité d'un pareil travail ; M. P. a bien mérité
de la Grèce et de tous ceux qu'intéresse,nt ses destinées '. Pour ma
part, je lui donnerai une preuve de l'importance que j'attache à son
ouvrage en lui signalant, pour le supplément qu'il promet, deux bro-
chures dues au Céphaloniote Epaminondas Anninos, de qui je les
tiens. Ont-elles été répandues ? Assez peu, sans doute; autrement il
est à penser qu'elles n'auraient pas échappé aux investigations du
savant professeur de l'École des Langues orientales. En voici la des-
cription : 1° IIspl ôavaxiXTiç n:otV7;ç, {.tto 'ETrajJLtvwvoou 'Avvîvou. 'Ev K£tçaXX-r;v(c!f,
TUTtOYpatpeTov 'H KecpaXÀiQvîa, 1868. En épigraphe sur le titre : Tov iraXatôv
dc-o6£ijL£70t avOpioTTov, TOV vlov Èv8'jw[j.£6a . Brochure in-8° de 16 pages; à la
fin de la dernière 'Ev 'ApYoaToXûo tri 3o 'Oy.xwêp(o'j 1868. 'ETrap.'.va)voa;"Avvt-
voç. 2° "^H 'EcDS'jpscriç to'j atôspîou TirjSaXto'j r^zoï ô vios jîaacXs'j? "ucov TrxT|V(ï)v (Ilpay-
[xaxeîa 'ETTiaxTjaovtxr;). Brochure in-8° de 16 pages, sans faux-titre et sans
nom d'imprimeur ; à la fin de la page i 3 : 'Ev K£coaXXT,v!oc (IlauXiaTç) xr^
22 SETTxejjLêpfou l8j'4. 'ETia[x£ivu)v8aç "Avvtvo^ ; page 14 en titre : Aiaaaçpcdii;;
à la fin de la dernière page 'Ev 'ApyouToXito, x^ 9 NoEfxSpi'o'j 1874. 'Eiraijiet-
vwvSa; "Avvwo;;. Cette dernière brochure est très curieuse. On remar-
quera la double orthographe du prénom Epaminondas; l'auteur
signait lui-même avec un seul iota, quand je l'ai connu en 1877.
My.
L. HiNDENLANG, SprachUche Untersuchungen zu Theophrasts botanischen
Schriften. Strasbourg, Trûbner, 1910; 200 p. (Dissert, philol. Argentorat.
selectas, XIV, 2).
Cette dissertation contient des recherches de différente nature sur
I. Tome II, p. 600, on lit : 284S. 0'. Sûo x>>sT:xai, comédie en deux actes. C'est
dit M. P., la traduction d'une pièce de Molière. Laquelle ?
d'histoire et de littérature 32 5
la laiif^Lie des œuvres botaniques de Théophraste, les Historiœ ei les
Causa' planlarum. On y distinguera trois parties : une étude assez
prétentieusement intitulée Vom rhythmischen Wohlklang^ où il est
question uniquement deThiatus; une série d'observations sur la syn-
taxe ; un lexique, à Taide duquel M. Hindenlang a voulu répondre à
ces deux questions : A quels écrivains Théophraste se rattache-t-il par
son vocabulaire? Quels mots Théophraste a-t-il introduits dans la
langue? La première étude épuise le sujet ; M. H. distingue avec rai-
son les hiatus apparents, qui devaient disparaître dans la prononcia-
tion, par élision, crase ou aphérèse, et ceux qui ne sont pas de véri-
tables hiatus, les deux mots étant séparés par une pause; il conclut
que, ces pseudo-hiatus mis à part, Théophraste évite la rencontre de
deux voyelles. Il y a là peut-être quelque exagération; car M. H., si
je ne me trompe, raisonne de la manière suivante : Théophraste évi-
tait l'hiatus, comme on peut le voir par la construction de certaines
phrases, où cela est évident; on devra donc supposer que là où l'on
constate la rencontre de deux voyelles, l'hiatus n'est qu'apparent et
disparaissait à l'oreille. C'est possible, et même vraisemblable ; cepen-
dant M. H. ne peut pas toujours être très affirmatif; il y a, dans le
très grand nombre d'exemples qu'il cite, des cas fréquents où Une
sorte de fusion des deux vovelles est bien difficile à admettre. La
seconde partie est formée d'un certain nombre de remarques relatives
à la construction des parties du discours; on y demanderait plus de
netteté et dec distinctions plus précises ; l'usage de Théophraste, toute-
fois, en ressort assez clairement, et l'on notera une bonne étude sUr
l'ellipse, qui se rencontre dans Théophraste sous des formes assez
curieuses '. La troisième partie confirme l'opinion que le vocabulaire
de Théophraste est très voisin de ceux d'Hippocrate et d'Aristote, et
montre, en même temps que l'originalité de l'auteur, l'admirable sou-
plesse de la langue grecque : dans l'œuvre botanique de Théophraste
il n'y a pas moins de i333 mots nouveaux, dérivés ou composés, dont
65 1 ne se trouvent que chez lui. La dissertation de M. Hindenlang
intéressera les hellénistes et sera utile pour un futur éditeur de Théo-
phraste; mais elle donne l'impression d'un travail fait vite, et les
épreuves ont été corrigées avec une déplorable négligence \
My.
1. Pour la syntaxe des prépositions, M. H. renvoie à un programme de W. Mùl-
ler (Arnstadt, 1878) que je ne connais pas, et revient seulement, dit-il, sur les
faits les plus dignes de remarque. Il n'eût pas été inutile, alors, de dire quelques
mots sur l'usage de à'aa avec le datif, si varié dans Théophraste et si caractéris-
tique de son style.
2. M. H. ne trouve à corriger, dans l'erratum, que sept fautes d'impression. 11
y en a bien d'autres. P. 17, 1. 3 d'en bas èvtapyoO (1. èviayo j) ; 22, 5 d'en bas àsTpa-
•f.'jVZ'. (ixpaxx'jA.;; 2?, 3 ■(.or'j-/.rjUi (y.pûx'j)) ; 26, 21 3vtoTi(-tc); 27, 2 àêpox'jvov (-tovov) ;
3i, 7 d'en bas ffX(jj>>'.ÔT£pa (-xoAiwir.); 32, 3 s'Jau;oi (s'?,); 4g, 12 ôiotjxiffiv (ôisaT.) ; id.,
i5 -/.oACioasva (xoXouôjji.) ; 58, 6 |j.a)v3(xoTépo); (-xwt.) faute répétée gS, 6 d'en bas;
320 BEVlIli CRITIQIF.
Klickinger : Scœnica (^lixtr. des 'J'i\iiisactioiis of the Amt-rican Pliilulugical As-
sociation, vol. XI., KJIO, p. I()<J-I2<>).
Cet article de M. Flickinger se compose de six paragraphes dis-
tincts, dans chacun desquels est discuté un texte grec relatif au théâ-
tre, i" Eschyle, Ag^ani., argument : loU»; ok .XîsyjÀo; tov 'A-caiiÉiAvoia IrA
(TXT,v7,<; àva'.o£.'30oti tto'.ci etc. 'Ktii T/.f,\>r,^ signirie « dans le cours de Tac-
lion. » autrement dit « pendant la représentation » ; ces mots sont
interprétés, comme on le voit, et comme le dit M. F. lui-même,
M with considérable freedom, » mais que ce soit là leur sens, il n'y a
pas à en douter; « sur la scène » est évidemment inexact, car nous
entendons par là « sous les yeux des spectateurs »; nous dirions
« dans la pièce ». 2° Lucien, Gall. 26: iv ,ai7ï, -i, r/,f,-iï, est rendu
par « au milieu de la représentation »; cependant il me semble dif-
ficile, dans le passage, de ne pas entendre n/.f,-rf] dans le sens matériel.
3" Plutarque, Marcell. 20. Dans une assemblée au théâtre, Nicias
à'if.xev £'.; -v' '{V' "^ô crtoiJLa. L'interprétation, <• probably the correct
one », est que Nicias tombe sur le plancher de la scène, et non qu'il
tombe étant dans l'orchestra, ni qu'il tombe de la scène dans l'orches-
tra ; on sera d'accord avec M. F. 4" Lucien, Icarom 21 : -J,v îr; r/.r,-
vf,; ExâTToo fJîov; l'expression est traduite par le mot français « vie de
parade ». 5° Marc-Aurèle, XI, 6 : l-^\ -r,; t/.y,/?,;;... i-î -•?,; as-^ovo; t/.t,v?;;.
La traduction n'offre aucune difficulté; mais M. F. cite à cette occa-
sion un pacage de Stobée, Flor. xcviii, 70, où se trouve la même
expression avec le même sens, mise dans la bouche de l'acteur Néop-
tolème, longtemps avant Marc-Aurèle ; le rapprochement, dit M. F.,
semble n'avoir pas été fait jusqu'ici, b'^ Ps. Lucien, Nero, g : êtt' ôxoi-
êâvTtov. M. F. hésite entre deux explications, o/.p!gav-£; = scène ou
cothurne; il se décide cependant pour ce dernier sens. Le texte est
dans l'ensemble assez peu précis, etlaisse place au doute. Quant à l'ar-
gument invoqué par M. Flickinger pour l'attribution du Néron à l'un
des Philostrate, à savoir que le mot oxptêaç ne se trouve pas dans Lu-
cien, tandis qu'on le rencontre dans la Vie d'Apollonius et dans les
Vies des Sophistes, il est par lui-même de peu de poids.
M Y.
Sancti Eusebii Hieronymi Epistulae Pars I : Epistulne i-lxx. Recensuit Isidorus
HiLBERG. Vindobonae, Tempsky; Lip.siae, Freytag, mdccccx. vi-708 p. in-S".
Prix : 22 Mk. 5o.
Cette édition des lettres de saint Jérôme comprendra trois volumes.
Le premier est le t. LIV du Corpus scriptorum ecclesiasticorum lati-
norz^m de Vienne. M. Hilberg réserve pour le troisième volume des
60, 7 d'en bas iîppT,vi f-p£vi); 75, 18 <iTpoyyu>>ÔTcpov (-tôx.) ; 79. 11 £^avQT,xô; (£çt,vO.) ;
88, I I d'en bas 0'j7t,v, eic. Et je ne parle pas des erreurs d'accentuation comme 12,
18 vsoTtîav, 65, I I d'en bas Q-zo6-^yj\o:„ 74, 16 /tovo;, 88, 5 -zùx/zz:, 89, 3 d'en bas et
91, 10 'fXs'Çcov, etc., etc.
D'HlSTOmK ET DE LITTÉRATURE 327
indications détaillées sur les nianuscrits et l'e'tablissement du texte.
Aussi se contente-i-il ici d'un avant propos d'une page et demie. Il n'y
a pas de manuscrit de la collection complète, mais une quantité de
recueils partiels, et parfois un manuscrit ne comprend qu'un très
petit nombre de lettres. Sur la façon dont les variantes ont été publiées,
nous n'avons que cette phrase un peu ambiguë: « Integram lectionum
farraginem a me enotatam ut nimis proli.\am salubribus lituris macres-
cere iussit Auguslus Engelbrecht, cuius prudenti iudicio debetur quod
hoc uolumen non in maiorem eiiam ambitum creuit ». Il faut espérer
que pour chaque lettre nous avons les variantes des meilleurs mss.
Les lettres de saint Jérôme ont plus d'importance générale et psycho-
logique que celles de saint Augustin. Jérôme était passionné, emporté,
personnel. Tous ses écrits le révèlent un homiîic, et sa correspon-
dance plus que les autres. Citons au hasard dans ce volume sa célèbre
lettre à Eustochium sur la virginité (x.xii, p. 143), pleine de confi-
dences et de peintures de mœurs; ses éloges de saintes femmes, Léa
(xxiii, p. 211), et Asella (xxiv, p. 214); la lettre à Paula, où il
dresse la catalogue des œuvres de Varron et d'Origène (xxxiii, p. 253).
Cette lettre, d'une importance capitale pour les philologues, figure
pour la première fois intégralement dans une édition de saint Jérôme.
Il faudrait aussi mentionner les lettres à Pammachium (xlviii
et xLix), véritables apologies ; les lettres à Népotianus (i.ii), sur la
vie des clercs, et à Furia (mv), sur le veuvage, où abondent les traits
intéressants; enfin les lettres où Jérôme pleure la mort de ses amis
ou les console de quelque deuil, lettres sur la mort de Blésilla, sur
celle de Népotianus. Nous somines heureux de pouvoir enfin lire ces
lettres dans l'édition de M. Hilberg, qui pertnei le contrôle de la leçon
du texte.
D. S.
Isidori Hispalensis episcopi Etymologiarum siue Originum libri XX. Rcco-
gnouit breuique adnotatione critica instruxit W. M. Lindsay. 2 vol in- 18,
(livres l-X, XI-XX). Oxonii,e tyfiograpiieo Clarcndoniano ; Londini et Noui Ebo-
raci, apud Henricum Frowde. xvi pp. et caiiiers signés A-Z, Aa-Ee ; A-Z, Aa-
Gg. S. d. (1912).— Prix : 18 sh.
M. Lindsay vient de rendre un nouveau service aux études
anciennes. Les Origines d'Isidore de Séville n'avaient pas été com-
prises dans la collection des grammairiens latins dirigée par Keil. On
était obligé de recourir à la très médiocre édition d'Otto, dans le
recueil de Lindemann, ou à l'édition d'Arevalo (Rome, réimprimée
dans Migne). L'édition d'Arevalo elle-même dépend de l'édition espa-
gnole donnée par Grial en 1 778. Elle reste indispensable, même après
celle de M . Lindsay, par la compilation de ses notes, où l'on trouve
indiquées les sources d'Isidore. Un savant anglais devrait bien main-
tenant reprendre le travail d'Arevalo, le corriger, le compléter d'après
328 REVUE CRITIQUE
toutes les recherches entreprises depuis cent ans. Voilà un travail
intéressant et utile pour un séminaire d'université.
M. L. se défend de nous donner une édition critique exécutée
suivant toutes les règles. 11 a été amené peu à peu, par des recherches
sur les grammairiens latins, à collationner le témoignage d'Isidore
dans ses manuscrits les plus anciens. Mis en possession de la collation
du ms. de Wolfenbùttel par Klein, des collations de Kiibler, de la
reproduction du ms. de Tolède, M. L. a fini par classer ses notes et
établir trois familles de manuscrits. La plus exempte d'interpolations
est appelée française par M. L. Elle comprend un très grand nombre
de manuscrits. Les plus importants sont le ms.de Berne loi (ix'^-x'' s.)
et le ms. de Leyde Voss. Fol. 74 (même époque). La deuxième
famille, dite italienne ou abrégée, se distingue par ses omissions et ses
résumés. M. L. la fait représenter surtout par le ms. de 'Volfenbuttel
(Weissénburg 64) du commencement du viii<: siècle. Enfin la troi-
sième famille, dite espagnole ou interpolée, a pour principal témoin
le ms. de Tolède que la maison Sijthoff de Leyde vient de reproduire.
M. L. donne la collation complète des quatre manuscrits ci-dessus
indiqués et les variantes d'autres manuscrits pour les passages les
plus incertains. En somme, le travail de M. L. est un premier sen-
tier à travers la forêt des manuscrits d'Isidore. Quelque autre y tra-
cera des routes. Jusqu'ici nous ne savions rien de certain ni sur le
contenu exact de tel manuscrit donné ni sur le rapport des manus-
crits entre eux. On a au moins avec la présente édition des points de
repère.
Dès maintenant on peut mieux juger de telle assertion. Ainsi la
citation de Fronton, XV, 11, 46, paraît ne pas provenir d'Isidore; car
elle n'est donnée que par les manuscrits de la troisième famille. Ce
sont aussi seulement les manuscrits de cette famille qui ont les deux
premières lettres liminaires : Diim a mihi litteras, et Quia non ualeo
te perfruere;\\, xxvii,7, Haec omnia...iitilitas. D'autresinterpolations
sont d'origine plus complexe : III, vi, 5 Minor....^ suis; li, 2 Cui
ideo... derelinqiiit lùré d'IsiD., Nat., xvii, 3); lui, 2 Sol... sit ; VII,
VI, 3o Complexui,.. Saram. Ces passages se trouvent dans le Leiden
sis, ce qui prouve qu'il n'est pas exempt d'altérations venant de la troi-
sième famille. Il semble que M, L. se détermine par l'accord de
manuscrits de la première et de la seconde famille contre celui de la
première et de la troisième. Ainsi IX, iv, 5 Plebs... ciuitatis est donné
par des manuscrits de la première, notamment le Bernensis, et par
le ms. de Tolède; omis par le Leidensis et le ms. de Wolfenbùttel.
En conséquence, M. L. met la phrase entre crochets. Cette règle
paraît exacte, d'après ce que dit M. L. des rapports des manuscrits
dans l'introduction. Il faudrait voir s'il est possible toujours de l'ob-
server. La grande difficulté d'un texte comme celui-là, ce sont les
interpolations d'usagers, ainsi que les appelle M, Havet. Un recueil
d'histoire et de littérature 329
de ce genre court le risque d'être abrégé ; il risque aussi de s'étendre
par les additions de lecteurs savants.
M. L. croit nous faire connaître le texte tel qu'il courait à la fin du
VII' siècle. Isidore est mort en 636. Ce résultat est déjà beau. Il ne
faut pas oublier que le manuscrit même de l'auteur n'était pas « revu
et corrigé ». Il y avait des fautes, des lacunes, des ébauches, des cita-
tions inexactes. Dans la forme où nous l'avons ici, il suffit aux
recherches ordinaires. Nous devons remercier M. Lindsay de la peine
qu'il a prise et de n'avoir pas oublié que le mieux est l'ennemi du
bien '.
J. D,
F. Baldensperger, Alfred de Vigny. Contribution à sa biographie intellectuelle.
Hachette, 1912.
En écrivant un livre sur Alfred de Vigny, M. Fernand Baldens-
perger, professeur de littératures modernes comparées à la Faculté
des lettres de Paris, n'a pas abandonné l'objet habituel de ses recher-
ches. C'est, en effet, sous cet aspect particulier des influences étran-
gères qu'il a surtout examiné le poète d'Eloa et des Destinées, le
prosateur de Stello et de Servitude et Grandeur militaires. S'il n'est
pas le seul ni le premier qui ait eu l'idée de cette enquête, per-
sonne, avant lui, ne l'avait poursuivie en des sens si divers, n'y avait
consacré une attention à ce point scrupuleuse, et n'avait déployé,
à cette occasion, des qualités plus rares de méthode, de savoir, de
perspicacité.
♦ »
Sur les dix chapitres que comprend l'ouvrage, deux, le premier et
le dernier, n'offrent pas le même caractère que les autres. Ils forment
une sorte de cadre de généralisations autour de huit études de détail.
Cadre imposant, un peu artificiel, habilement exécuté. C'est par ces
pages d'introduction et de conclusion que je crois à propos de com-
mencer l'analyse du livre; il est de ceux qui méritent mieux que
l'éloge : la discussion.
Le premier chapitre a pour titre : Les deux tristesses de Vigny.
Selon l'ingénieux critique, Vigny aurait été en proie à deux inquié-
tudes. L'une est causée par « l'émouvante question de la souffrance
de l'innocent » ; elle reste liée au problème du mal, à la morale reli-
gieuse. L'autre, de nature « sociale », et, si l'on peut dire, « pratique »,
se confondait, chez le poète, avec un profond et amer sentiment de
« la faillite des aristocraties ». Tout le pessimisme du penseur ne
tiendrait qu'à ces deux causes.
1. Il y avait des figures dans l'encyclopédie de l'évéque de Séville. M. Lindsay
en donne quelques-unes (in,xiv: c'est un chapitre interpolé de la troisième famille;
IX, II 28 suiv.) ; ailleurs il les omet (III, liv).
330 REVUE CRITIQUE
Me scra-i-il permis de faire à la piemièrc au moins des deux idces
une objection? M. Baldcnspcr{;er piêie tout d'abord à Vigny une
philosophie systématique, et ce système, il l'édirie, en prenant, à
travers l'œuvre eniièrc, les matériaux de sa construction : il met, à
côté l'une de l'autre, des pièces comme Moïse et le Mont des Oliviers,
toutes les deux d'inspiration biblique, mais éloignées l'une de l'autre
et par la date et par l'esprit. Faisant, en quelque manière, flèche de
tout bois, il appelle à l'appui, tour à tour ou presque à la fois, le
Déluge, la Flûte, Dolorida, la Prison, la Sauvage, la Femme adultère,
la Colère de Samson, Quitte pour la peur. N'est-ce pas supposer
comme évident que les idées de Vigny à vingt-cinq ans étaient déjà
celles qu'il doit avoir à quarante-cinq? Il serait nécessaire et, je n'en
doute pas, difficile de le démontrer. A la date du Déluge, Vigny n'est
que byronien ; son argumentation contre le mal moral, ses reproches
à la divinité, viennent, en droite ligne, de Cain ou de Manfred ; son
athéisme frondeur n'est qu'un reflet de ses lectures. Vingt ans plus
tard, son pessimisme est devenu personnel et profond : non seule-
ment il rend un autre son, mais il traduit des sentiments nouveaux,
il met en œuvre des idées que l'on peut dire ditîerentes. Ce n'est donc
pas en prenant les Poèmes et les Destinées comme un corps de doc-
trine constitué qu'on peut espérer de serrer, de surprendre, de rendre
en formules exactes la pensée philosophique d'Alfred de Vigny, c'est
plutôt en suivant Tordre chronologique, et en notant, pièce par pièce,
presque page par page, le progrès et l'évolution de ce nihilisme hautain.
Cette réserve faite, je me hâte de dire que la thèse proposée par
M. B. est soutenue avec beaucoup de ressources et que, chemin
faisant, il rencontre, pour déterminer les attitudes de Vigny devant
le problème de la destinée, l'expression la plus heureuse : « La gran-
deur de Vigny n"a pas été de dire oui, à toute force, à la vie; elle est
plutôt dans ce demi-silence qu'il glorifiait comme le vrai stoïcisme
d'une âme endolorie et d'un esprit averti, qui ne veulent cependant
pas s'abandonner et fondre en vains gémissements. On sait avec
quelle fermeté il resta fidèle à cette religion d'honneur et de vaillance ».
Dans son chapitre, V Actualité de Vigny, qui est le dernier du livre
et qui lui sert de conclusion, le critique recherche les causes de la
faveur qui, depuis bientôt trente années, s'est attachée au poète d'Floa
et des Destinées et qui a fini par grossir, peut-être plus qu'il n'eût fallu,
le groupe des <« amis fidèles ». Il nous donne ces trois raisons. Dans
le discrédit croissant du romantisme, Vigny bénéficie de la tendance
qu'on a, de nos jours, à reconnaître dans cet ancien écrivain du
Cénacle un classique : cette étiquette de classique suffit à l'absoudre
du byronisme et du satanisme de ses débuts. — Dans la « démission
de la morale », caractéristique de l'époque actuelle, l'honneur,
cette religion proclamée par Vigny, attirerait et ne saurait manquer
de retenir autour du prophète des temps nouveaux toute une église
d'histoire et de littérature 33 I
de croyants. — Enfin, k le svmbolismc du poète, si paradoxal que
cela puisse paraître » — j-.- cite ici le texte même de M. Baldenspcrger
— « est une autre raison de durée et même un motif imprévu d'actua-
lité pour sa gloire ». Je crois sentir l'intérêt ou même la force des
deux premières raisons ; je ne vois pas aussi bien, je l'avoue, le carac-
tère irréfutable de la troisième. Le symbolisme n'a eu tant d'impor-
tance, dans les dernières années, que pour un petit nombre de lettrés
qui se flattaient de le représenter : il est déjà passé de mode. Ce n'est
pas par la vertu du symbole, c'est par des qualités poétiques plus
profondes et plus réelles, que des maures, comme Henri de Régnier,
s'imposent à d'autres admirations que celle de la chapelle primitive,
et il en est de même pour V^ignv, à plus forte raison.
Quelque agrément ou quelque utilité qu'offrent ces deux chapitres
extrêmes, ce n'est pas en eux que Je crois découvrir la véritable ori-
ginalité de cet ouvrage et son accent tout personnel. Par contre, dans
chacune des huit autres études, le critique aborde, et d'ordinaire
épuise un sujet spécial, très limité, mais très approfondi. C'est la
méthode rigoureuse — et fertile — du laboratoire.
Que doit Alfred de Vigny à l'influence des conseils ou des modèles
mis sous ses yeux d'écrivain débutant par son parent Bruguière de
Sorsum? Que fur, au juste, ce Bruguière mystérieux? Qu'avait-il
rêvé d'être? M. Baldensperger s'est posé ces questions et il y répond
avec une précision qui ne nous laisse rien désirer.
Que doit Alfred de Vigny à Joseph de Maistre, l'ancien ambassa-
deur sarde émigré en Russie, le grand prosateur religieux, qui, dans
plusieurs de ses écrits, s'est efforcé d'anéantir les objections tirées du
mal moral contre la Providence, et qui a proclamé, à cet effet, des
maximes comme : L'innocence satisfait pour le crime; le sacrifice
par le sang rachète une autre vie; la douleur remédie au désordre?
M. Baldensperger est le premier qui se soit avisé de découvrir chez
Alfred de Vigny certains mouvements de révolte causés par l'effroi
d'une telle doctrine ; il nous le montre plusieurs fois préoccupé ou de
la réfuter, ou du moins de la qualifier avec une rigueur, peut-être un
peu déclamatoire : « O Pieux Impie! qu'avez-vous fait?... Entendez-
vous le cri de la bête carnassière, sous la voix de l'homme? » L'apo-
logie de la guerre par Joseph de Maistre n'avait pas moins attiré
l'attention d'Alfred de Vigny que sa théorie de « la réversibilité des
douleurs de l'innocence au profit des coupables ». C'est aux paradoxes
des Soirées de Saint-Pétersbourg que répondent directement certains
passages expressifs de Servitude et Grandeur militaires. Ces rappro-
chements, personne, que je sache, ne les avait faits avant M. Baldens-
perger : ils sont une des nouveautés précieuses de son ouvrage.
A force de regarder de près le texte d'Alfred de Vigny, M. Baldens-
332 REVUE CRITIQUE
perger donne peut-âtre à lello ou telle indication plus d'importance
qu'il ne paraît nécessaire. « Eloa, nous dit-il, fut composée en plu-
sieurs fois, ébauchée ici et là, terminée à Bordeaux : qu'importe !
Son vrai lien génétique, au sentiment de Tauteur, le rattache aux
belles vallées silencieuses et aux ciels mouvants de la montagne vos-
giennc, et, par une inexactitude plus vraie que la stricte vérité, Vigny
localise son poème, rétrospectivement : Ecrit en j 823 dans les Fo.v-
ges. y> Scrupuleux comme il Test, M. Baldenspergcr ruine lui-même
la tradition qui place à Saint Dié un séjour de Vigny en i82'3, et
d'après laquelle le poème d'Eloa aurait été écrit dans cet endroit, au
cours d'une « villégiature '> . H ne dissimule pas davantage que la plus
fameuse description du poème d'Eloa nous peint une scène du ciel
pyrénéen, la mort de l'aigle des Asturies. Que reste-t-il donc à Vigny
pour avoir pu s'initier aux beautés de la région des Vosges? Deux
mois de garnison à Strasbourg et, au départ de Strasbourg, vers le
milieu de mai, la traversée des régions de l'Esi par un des deux iti-
néraires qu'a dû suivre le 55" de ligne pour se rendre par étapes Jus-
qu'à la Rochelle. M. B. trace ces deux itinéraires. Quoi qu'il fasse,
il reste un peu embarrassé pour nous montrer dans Eloa des descrip-
tions d'un caractère tellement déterminé qu'on puisse sûrement les
qualifier du nom de paysages vosgiens.
Mais quel moyen de résister aux raisons apportées par M. B. pour
réfuter l'opinion de ceux qui « sont d'accord pour réduire au mini-
mum rinfluence qu'a pu exercer Moore sur Vigny »? Il rapproche,
d'un assez grand nombre de passages de la traduction que M"^" Belloc
avait donnée, en 1823, des Amours des Anges, les passages d'£'/oiZ
qui, selon lui, en sont le calque ou la réminiscence. La démonstra-
tion est minutieuse, et, je dois le dire, probante.
Plein d'intérêt encore et d'une savoureuse nouveauté est le chapitre
qui a pour titre : La Mer et les Marins dans l'Œuvre de Vigny. Le
cœur de cette étude spéciale est la comparaison des mémoires de
l'amiral Collingwod avec les pages de Servitude et Grandeur mili-
taire où Alfred de Vigny a idéalisé l'image de ce marin, traité actuel-
lement avec plus de rigueur par la critique anglaise.
Je dois me borner à citer, par leur titre, les deux chapitres, le Sym-
bolisme de Vigny et Hugo et Vigny : quelques divergences. Mais aux
lecteurs qui ont la curiosité — et c'est le grand nombre aujourd'hui
— de rechercher les sources de la pensée d'un poète, je proposerais
comme modèle l'excellente et tout à fait originale étude intitulée « Le
Songe de Jean Paul dans le Romantisme français ».
Je voudrais, dans ce compte-rendu, beaucoup trop borné malgré son
étendue, avoir donné au moins une idée de l'érudition, de la finesse,
ei de la nouveauté qui caractérisent la critique de M. Baldenspergcr,
toutes les fois qu'il touche à un des points de son large domaine.
Ernest Dupuy.
d'histoire et de littérature 333
— Sous le titre \'ita ed arte ellenistica (Catanc, Muglia, iqio; 39 p.), M. Cessi
publie une lecture qu'il a iaitc a rUnivcrsitc de Catane, où il essaie de dépeindre
la vie à Alexandrie et les tendances et goûts des lettrés à l'époque des Ptolémées,
en môme temps qu'il expose les raisons du changement survenu dans les mœurs
individuelles et sociales. Vie fiévreuse, tourmentée, avide de plaisir; développement
de rindividualisme et du cosmopolitisme; pénétration de l'esprit critique et de
l'érudition, du rationalisme et de la virtuosité dans l'art et dans la littérature,
tel est le tableau que M. C. a présenté à ses auditeurs, puis à ses lecteurs, en un
style parfois emphatique, il est vrai, mais plein de vivacité et de couleur. La
scène des Tlialysies de Théocrite est par erreur placée au printemps. — Mv.
— Les quelques pages publiées par M. Shorkv dans la Classical Philology, V,
I, p. 83-96 (Chicago, Univ. Press, 1910), sous le titre A Greek analogue of the
Romance adverb, attirent l'attention sur une manière de s'exprimer très fréquente
en grec, et qui semble n'avoir pas été suffisamment étudiée. 11 s'agit de l'expres-
sion d'une circonstance de manière à l'aide d'un adjectif et d'un substantif, au
datif, combinaison qui a la valeur d'un adverbe, et est analogue aux adverbes
romans formés avec l'ablatif de mens. Le substantif ainsi employé («pevt, 6u|i.w,
ToÔTti), /Epî, TroSi, tû/T), etc.) perd son sens propre, et n'a d'autre effet que (^e
donner une valeur adverbiale à l'adjectif, quoique en d'autres cas nombreux il
conserve sa signification, plus ou moins atténuée, et qu'alors la périphrase con-
tienne une nuance très sensible qui n'est pas dans l'adverbe. M. Shorey n'a voulu
que signaler le fait. Il ne faudrait pas, toutefois, exagérer la portée de son obser-
vation, car l'analogie de cette construction en grec ancien avec les adverbes romans
de manière est plus superficielle qu'elle ne le parait au premier abord. — Mv.
— Un de nos meilleurs Cicéroniens, le D'' Hcrmann Nohl, a eu l'heureuse idée de
publier, chez Tempsky-Freytag, un petit manuel [Hilfslieft) destiné à initier rapi-
dement les écoliers à la lecture du grand orateur (94 p. i ""). Neuf courts chapitres :
Vie de Cicéron; le droit civique romain; la politique et les partis; le sénat et
l'assemblée du peuple; le Cursus Iwnorum; les procès politiques à Rome; le /orwm
romain; aperçu sur le développement de la plastique grecque; table chronolo-
gique. 26 gravures choisies avec goût; mais où l'on s'étonnera que, dans une
série où ne manquent ni les statues, ni les monnaies, etc., il n'y ait aucune image
de Cicéron. C'est trop de discrétion vraiment. Souhaitons pour nos élèves quelque
pendant français à ce petit livre. — É. T.
— J'ai indiqué l'an dernier (II, p. 3i5) que M. Meusel avait repris dans les
Jahresbericlite les comptes rendus réguliers des publications qui concernent César.
Il vient de donner en 34 p. la recension des publications de 191 1 (en tout i5 ;
noms principaux : MM. Holmes, Klotz, Menge, Fûgner et Lange). On retrouvera
dans ces pages les qualités qui s'ajoutent à la compétence particulière de M. M.
et qui recommandent au lecteur tout ce qu'il veut bien nous donner, une pleine
impartialité sans opinion préconçue, une conscience scrupuleuse et un soin
extrême jusque dans les moindres détails, dans les livres de classe comme dans
les ouvrages proprement scientifiques. Cette nouvelle contribution lui donne droit
à tous nos remerciements. — E. T.
— Dans The Classical Quavterly de janvier 1912, le professeur S. G. Owen
d'Oxford étudie les manuscrits de Perse et de Juvénal à Vaienciennes. Il les
décrit méthodiquement et les caractérise ensuite de la façon suivante : le manus-
crit de Juvénal, quoique appartenant à la classe w. cependant, s'accorde en maint
3?4 REVUE CRITIQUE
passngc avec P contre <o et comiciu Jes leçons particulières qui méritent d'ctrc
notées. Pour Perse, le manuscrit iJc X'alcncicnncs a une importance considérable
parce qu'il s'accorde en plusieurs passages avec P; parce qu'il offre en général la
leçon correcte; entni parce qu'en certains cas, il est le seul à suggérer de nou-
velles leçons qui pourraient bien i}trc la leçon véritable. Les collations partielles
sont faites sur la 2' édition d'Oxford de M. Owcn, le Perse étant pourvu des nou-
veaux secours que fournissent les éditions nouvelles de Ramorino (igoS), de
Léo (1910) et de Consoii (1911). Après ces listes, remarques sur un certain
nombre de passages. — E. T.
— Nous avons reçu des lirresdedroit dont voici brièvement le contenu : i.dans la
Bibliothèque de Teubncr un nouveau fascicule des Jurispnidentiae antcjustinia-
nae rcliquiae de l'éd. \'I de E. Seckf.i- et B. Kueblkr, vol. 11, i, 188 p., 191 1,
2 m. 20. On y trouvera de Paul, les Scnteiitiae et les fragments; de Herennius
Modcstinus, les Regulae et les Diffeventiae; entin des fragments que les récents
éditeurs ajoutent à leur recueil {Dejtirefisci, de gradibus cognationis, etc.) tout
ce que j'ai lu m'a paru très soigné et digne du recueil dont le petit livre fait
partie. — 2, D"" juris Gerhard Beski.kr privatdozenten in Kiel. Zweites Heft,
181 p. in-S" à Tubinguc, chez Mohr : Beitrdge pir Kritik der rômischen Reclits-
quellnt. N'ayant pas le premier tome, je ne pourrais guère comprendre ce qu'a
voulu l'auteur; voici tout au moins le contenu du volume. D'abord en 19 pages,
discussion d'un passage des Institutions de Gaius et de divers textes du Digeste ;
puis remarques sur les termes suivants: Abalienave, Adiiltevare, Amave (adv.),
Ambigere, Bencvolentia, Benignitas, Citra, Cogère ad aliqiiid, ColUgere {— conclu-
dere); Coiidicionales, condicionaliter, Condictius, Consonaus, consonare, Consti-
tuere actionem (judicium), Consulere = prospicere, Culpae (doli) reus ; Cur, Date
= permittere, concedere; Deciirrere ad aliquid, Dcscendere, Dissonare, dissonus,
Hodie (= heutzutage) Hujuscemodi, Indemnis, indemnitas, Necesse liabere, Reme-
diiim, Rite (116 p.); enfin 43 p. sur quelques questions de droit. — 3. De
M. Fridolin Eisele, professeur à Fribourg en Brisgau, à qui on doit plusieurs
études de droit romain, une plaquette intitulée : Studien zur rômischen Rechts-
geschichte, 106 p. in-8, 3 m., chez Mohr à Tubingue. Deux chapitres : Ziim Streit
nm das Nexum (5i p.); Nochmals ^iir Zivilitât des Cognitor. Pour la première
partie, voici dans la polémique de Mitteis et de Huschke le point de vue de
M. Eisele. Il constate d'abord que la partie critique et négative de la thèse de
Mitteis a rencontré plus de faveur que son essai de restitution qui a échoué ; en
reprenant les objections de Mitteis contre Huschke, M. Eisele soutient et cherche
à démontrer qu'elles n'étaient pas convaincantes. La seconde partie est encore une
polémique contre Mitteis qui a soutenu que le rôle du Cognitor est d'origine pré-
torienne. M. E. croit trouver dans certains textes la preuve indirecte qu'il existait
déjà dans le droit civil. — E. T.
— M. E. Thomas, professeur à l'Université de Lille, publie chez Fontemoing, une
troisième édition de son Pétrone. Le livre a été remis au courant et l'auteur y a
ajouté un chapitre d'une vingtaine de pages sur les Sources de. Pétrone et les Nou-
velles dans le Satiricon. — C.
— La Société archéologique et historique de l'Orléanais, l'une de nos plus impor-
tantes sociétés savantes départementales, vient de publier le tome XXXIll de ses
Mémoires. Nous signalerons, comme présentant une sérieuse contribution à l'his-
toire économique, un volumineux travail de l'archiviste Ch. de Be.\ucorps (463 p.),
ayant pour titre : Une province sous Louis XIV, L'Administration des Intendants
d'histoire et ue littérature 335
dOrlcaiis, de C.reil, Jiibcrt de lioiivillc, et de /cT linnrdoiiiiaye (1G86-1713;. —
C. E. R.
— M. S. MoRPURGO, directeur Je la Bibliothèque Nationale de l''lorence,a imaginé
un moyen original Je secourir nos inondés de 19 mv. il publie et traduit avec l'aide
de M. J. I.uchaire, au profit des bouquinistes des bords de la Seine, un sirventois
inédit d'Ant. Pucci, un chapitre du Centiluqtiiu du même et quelques sonnets, le
tout relatif au débordement qui, en i 333, désola Florence. On trouvera dans l'élé-
gant opuscule (chez H. Champion; i fr. 5o) une description touchante du cata-
clysme; nombre d'habitants n'ont pas le temps de s'enfuir, d'autant qu'à chaque
instant un pont s'écroule et qu'on n'ose y laisser passer les fuyards qu'un à un ; ils
montent sur le toit de leurs maisons d'où leur pied peut toucher l'eau ; certains
pauvres se réjouissent des dommages essuyés par les riches; certains Grands
tâchent de tirer parti de la catastrophe contre le peuple; pourtant, au lendemain
du désastre, ce qui prévaut, c'est le repentir, la reconnaissance envers Dieu qui n'a
pas poussé le châtiment jusqu'au bout, la charité : le malheur a pour un moment
purifié Florence. — Ch. Dejob.
— Sous le titre de Dicerie volgari de! secolo XIV aggiinite in fine del '< Fior di
virtii » di Carlo Frati, on nous envoie lô rubriques de rhétorique diplomatique
et judiciaire. Le ms. du Fior di Virtii qui les contient et qui se trouve à la Biblio-
thèque Bertoliana de Vicence est un des plus anciens et des plus estimables de
l'ouvrage; de ces formules dont l'origine est évidemment bolonaise, on nous donne
ici une édition critique. — Ch. Dejob.
— 11 y a beaucoup de documents, mais qui n'ont guère qu'une valeur de cir-
constance, dans le volume que M. Att. Bargoni vient de. consacrer à la mémoire
de son père Angolo Bargoni, homme politique italien mort en 1902 (Milan,
Hoepli, igii); v. pourtant p. 24-5 le moyen pris par des prisonniers politiques
pour avertir leurs amis encore libres; p. i63-4, la façon vraiment paternelle dont
Garibaldi empêche un duel entre deux de ses admirateurs ; et l'on ne lira pas
sans profit, p. 1 3o sqq., l'exposition des motifs qui amenèrent le dictateur à
rembarquer pour le Piémont La Farina, l'agent de Cavour auprès des Mille,
ainsi que les p. 140 sqq. sur les difficultés de gouvernement que Garibaldi vain-
queur rencontrait en Sicile. A défaut d'originalité, la figure de Bargoni ne manque
pas d'intérêt : il y a de la vigueur dans ses discours politiques (v. p. ex. contre
des députés qui donnent leur démission parce que la Chambre donne tort à leur
parti, p. 207-213, et en faveur de la marche sur Rome en 1870, p. 3i3 sqq.). Un
procès calomnieux lui a valu un triomphe (p. 284-7), ^^ dans les 7 mois qu'il a
été ministre de l'Instruction Publique, il a pris quelques bonnes mesures
(p. 277-80). On s'étonne seulement qu'un homme qui n'avait pas fait baptiser ses
enfants par respect pour leur liberté, ait exigé à son lit de mort que son fils aîné
lui promît de mourir sans prêtre (p. 379). — Charles Dejob.
— L'Histoire de l'Italie depuis i 8 1 5 jusqu'au einquantenaire de l'unité italienne
(191 1), par M. Félix Henneguy, est tout à fait à sa place dans la Bibliothèque
utile de M. F. Alcan. L'auteur l'a écrite dans un esprit peut-être un peu optimiste,
mais avec une précision qui unit l'abondance et la sobriété. On n'adoptera pas
tous ses jugements. Ce n'est pas pour défendre le Tyrol et Trieste que la Prusse
arma en 1859, puisque Napoléon lll avait promis l'afiranchissement de l'Italie
jusqu'à l'Adriatique et non jusqu à l'Isonzo et au Quarnero. Mais la narration est
rapide, intéressante et embrasse les faits économiques comme les faits politiques.
Nous recommandons cet excellent manuel. — Ch. Dejob.
336 REVUE CRITIQUE
— M. li. Kiissi donne en appendice à la 2* cdit. des Poésies d'Ange Politien
(Bologne, Zanichelli), les sonnets attribués au poète de Montcpulciano, dont un
seul parait authentique ; il les a collationnés sur les éditions antérieures et sur
les manuscrits et les fait précéder d'une liste des critiques qui les ont jusqu'ici
étudiés. — Gh. Dejob.
— La maison Teubner de Leipzig nous envoie une anthologie scolaire de
poésies italiennes qui ne trouvera guère son emploi chez nous, vu que les notes
explicatives y sont rédigées en allemand et en anglais. L'auteur, M. Alf. Tortori,
l'a composée pour ses élèves de Munich. — Ch. Dejob.
— M. P. Sii-VA, dont nous annoncions récemment l'intéressant livre sur Pietro
Gambacorta, vient de faire tirer à part un article qu'il a consacré à une autre
question de l'histoire de Pise, les vicissitudes de l'industrie et du commerce de
-la laine (extr. des Studi storici de M. Crivellucci, vol. XXX). IJArte délia Laiia,
qui, en 1277, s'était élevé au niveau des deux Mercan^ie pour former avec elles
le conseil supérieur de la cité, et qui seul provoquait de grands mouvements de
capitaux, déchut assez rapidement pour qu'en 1420 les Parisiens lui fissent
grâce, vu sa pauvreté, du paiement des taxes. C'est la rivalité de Florence qui
l'avait tué ; il a bien essayé de se défendre par des mesures de douane ; mais il y a
rencontré une vive opposition de la part des métiers qui vivaient du transit des
marchandises florentines. M. S. parait incliner à croire que ces rivalités expliquent
toutes les péripéties sanglantes de Pise à cette époque; elles les expliquent du
moins en partie ; et M. S. en aurait pu tirer une leçon pour les philanthropes naïfs
qui croient que le commerce garantit nécessairement la paix. — Charles Dejob.
— M. Ad. CosTER qui, dans ses courts loisirs de professeur à Chartres, a trouvé
moyen de devenir un de nos plus laborieux hispanisants, vient de tirer à part le
curieux article qu'il avait donné à la Revue des Pyrénées : Antiquaires d'autrefois
(Toulouse, Privât, 191 1, i fr.). 11 a découvert à la Nationale de Madrid des lettres
qui ressuscitent un brave ecclésiastique toulousain du xvii" s.Fr. Fiihol, dont les
collections en livres, médailles, curiosités naturelles et artistiques, excitèrent
l'admiration du riche amateur espagnol Don Vincenzio Juan de Lastanosa, de
Baltasar Gracian et de quelques autres savants de la péninsule. M. C. donne un
aperçu des raretés que ces antiquaires étaient parvenus à réunir. On trouvera
dans les lettres qu'il publie d'utiles détails sur le prix des livres, des reliures et
sur la difficulté des transports au xvii^ s., et l'on souhaitera à M. C. des fonctions
qui, en récompensant son zèle, lui donnent les moyens de nous en faire encore
davantage profiter. — Charles Dejob.
— M. A. D'Ancona nous donne sous le titre de Studi di storia e di critica
letteraria (Bologne, Zanichelli, 1912, 2 vol.: 7 fr.), une 2*^, on pourrait dire
une 3« édition de cinq études, très étendues, très importantes et très soignées ;
Vidée de limité politique che:{ les poètes italiens ; la littérature politique au
temps de Charles Emmanuel /*■•■ (de Savoie), Cecco Angelieri, poète humoriste du
xiiic siècle: les sources du Novellino; la légende de Mahomet en Occident.
Publiées d'abord séparément puis réunies en 1880, elles reparaissent aujourd'hui
avec des corrections, des additions et quelques autres changements que l'auteur
indique dans sa préface. C'en serait assez pour occuper les loisirs d'un autre
savant; pour M. D'Ancona, ce n'est qu'un délassement parmi les productions
nouvelles qu'il prépare. — Charles Dejob.
— Dans les Mémoires de l'Académie hongroise ont paru : 1° E, Kallôs, Notes
d'histoire et dk littérature 337
et remarques sur Arcliiloque. I. Triincires, Tctrainùtrcs, l'",légies ^Biuhipest, 191 i,
102 p., S"). Sous ce li;ie modeste, M. Kallos nous donne une édition critique des
fragments d'Archiloque avec un commentaire historique, littéraire et philologique
où toutes les questions soulevées par les fragments sont discutées et élucidées.
Depuis l'édition de Licbel (V'ienne, 1812) aucun commentaire de ce genre n'a paru
sur Archiloque. Le mérite de M. Kallôs est d'avoir soumis à un examen minutieux
les nombreuses dissertations qui ont paru depuis un siècle et les corrections dont
le texte fut l'objet depuis la quatrième édition des Poetac lyrici graeci de Bergk.
Un second fascicule complétera ce travail méritoire qui constituera le commen-
taire le plus copieux que nour ayons sur Archiloque. — 2° E. Maui-kr, L'impor-
tance historique des papyrus aramcens d'Assouan et d'Elephantine. (Ibid., 29 p.,
iS**). Après avoir jeté un coup d'œil sur les découvertes faites en Orient dans ces
dernières années, M. Mahler déinontre la valeur historique des documents trouvés
à Assouan et à Eléphantine et les examine surtout au point de vue chronolo-
gique. Les dates qu'on trouve dans ces papyrus sont, d'après lui, tout à fait con-
formes au calendrier babylonien. Il résulte de cette constatation que la colonie
juive dont on connaît l'existence grâce à ces documents, n'a pu s'y établir qu'après
58-, date de la destruction du premier temple de Jérusalem, car avant l'exil, les
Juifs ne connaissaient pas encore le calendrier babylonien. Ceci nous aide à com-
prendre les données relatives aux contrats de mariage et à la juridiction. Cette
colonie juive formait une unité religieuse, mais elle n'avait pas de caractère poli-
tique, car elle fut gouvernée par des prêtres d'Elephantine. Coïncidence bizarre :
la destruction de leur temple eut lieu au même mois de Tamous que celle du
Ternpie de Jérusalem. — 3" Alexandre Kégl, Emir Khosrev (Ibid., 44 p., 8°).
Étude sur le célèbre poète persan qui a écrit en quatre langues. Une partie de ses
œuvres fut éditée à Lucknon en 1874 en lithographie, le reste se trouve en manus-
crit au British Muséum et à Oxford. M. Kégl s'attache surtout à démontrer la
beauté et la variété de ses poésies amoureuses et en donne de nombreuses traduc-
tions. Le texte original se trouve transcrit dans les notes. M. Kégl a complété ce
mémoire par une étude sur le même poète insérée dans Biidapesti Si^emle, octobre
191 1 . — 1. K.
— Le travail de M. D. Gagyhv sur les Troubadours {A troubadourok. Budapest,
Lampel, s. d. (1912) 96p. in-8°) est im essai de vulgarisation. Il n'y a là ni notes,
ni références. L'auteur remonte très haut, à l'origine même de la poésie lyrique
en France et retrace, d'après les manuels, le rôle des troubadours, raconte la \ie
de plusieurs d'entre eux et esquisse, dans un dernier chapitre, la renaissance de
la poésie provençale au xix« siècle. Aubanel et Roumanille sont caractérisés briève-
ment. Mistral est traité assez longuement. La parenté avec Gœthe et Petôti que
M. Gagyhy mentionne, aurait dû être démontrée par quelques exemples. En
somme, lecture attachante pour ceux qui veulent s'initier à la poésie provençale.
— I. K.
— M. Ernest FiNâczv vient de publier une brochure sur la Pédagogie d'Helvé-
tius (Budapest, 191 1, 34 p. in-S") qui repose sur une lecture att^entive des Œuvres
complètes du philosophe, sur la biographie récente de Keim et sur les apprécia-
tions de quelques critiques français. M. Finâczy insiste sur l'elTet produit par son
ouvrage De l'Esprit et fait voir que les raisons alléguées par Helvétius contre l'en-
seignement des langues classiques sont, au fond, les mêmes dont on se sert
aujourd'hui dans les attaques contre le latin. M. Finâczy combat Helvétius qu'il
trouve dépourvu d'idéal, mais qui a tout de même sa place marquée dans l'his-
338 REVUE CRITIQUE
toirc Je la pciilapogie piircc que, le premier, il ;i ciciiioiilrc riiiriuence de la vie qui
nous cutourc, sur l'cJucation. — I. K.
— M. Héla l.âzâR auquel nous devons une belle biographie — en français — du
peintre hongrois Ladislas de Paal et une élude sur («auguiii, \ieiit de publier un
essai sur Courbet et son influence à l'ctrangev (Paris, Floury, 1911, 9G p., in-40,
111.) où il démontre l'intlucnce du maître français sur les trois grands peintres
hongrois. Munkâcsy, l.cibl et Szinyei-Merse. Selon M. Lâzâr, c'est l'Exposition
universelle de 1867, puis celle de Munich de 1869 qui ont agi puissamment sur ces
trois artistes dont le premier a déployé son activité à Paris, le deuxième en
Bavière et le troisième en Hongrie. Tous les trois reçoivent l'impulsion de Cour-
bet et ils la reçoivent dans leur jeunesse et la gardent toute leur vie. Le grand
enseignement que le jeune Munkâcsy retire de l'observation des œuvres de Cour-
bet, ce l'ut la théorie de l'unité de couleur ; il demeura toujours fidèle à la recher-
che des effets plastiques et ainsi l'influence de Courbet fut décisive pour toute sa
vie. Son Dernier jour d'un Condamne qui obtint la médaille d'or au Salon de 1870
montre le mieux cette influence, l.eibi que M. Arsène Alexandre déclare le
premier peintre allemand, fut également le disciple de Courbet ; Szinyei-Merse,
l'initiateur du plein-air en Hongrie, longtemps méconnu, aujourd'hui classé parmi
les premiers, a subi son influence indirectement. Le livre de M. Lâzâr est orné de
plusieurs reproductions; on y remarquera surtout celles des tableaux de Courbet
qui se trouvent à Budapest et qui peuveiit intéresser les historiens de fart français.
— I. K.
— M. R. Gragger nous envoie une brochure sur les Sources et la parente de la
ballade de Scliiller : La Caution (Budapest, 1911, 20 p., in-S"). C'est une bonne
contribution à l'étude comparée de cette légende dont on trouve deux types, l'un
en Orient, l'autre en Occident, et qui se sont développés chacun à sa façon.
M. Gragger énumère les différentes rédactions et prouve que Schiller a connu les
deux types, le type occidental par les écrivains latins, le type oriental soit par le
récit de Cardonne (Mélanges de littérature orientale, 1770) soit par les Palmblut-
^É")- de Herder et Liebeskind (1786). — L K.
— M. Jean Csengeri qui excelle dans les traductions d'auteurs grecs et latins, vient
de publier la suite de son Euripide hongrois en vers [Euripides dràmdi. Budapest,
Académie, 191 i, qSb p., in-i6). Ce volume contient ; Alkestis, Ion, les deux Iphi-
génies et les Bacchantes. L'Introduction est un abrégé de celle que nous trouvons
en tète de l'édition de l'Hippolyte parue dans la Collection des Classiques grecs
et romains, avec le texte grec. Ici nous n'avons que la traduction; chaque pièce
est précédée d'une courte notice et accompagnée de quelques notes à l'usage du
grand public. M. Csengery a pris pour base le texte de Wecklein, mais les travaux
de Weil, Bruhn, Dalmeyda et d'autres lui ont fourni quelques corrections. La tra-
duction, dans le rythme de l'original, est réussie sous tous les rapports. — I. K. ..
— L'Académie hongroise a fait traduire, pour sa collection destinée au public
lettré, l'ouvrage de A. E. Gardner : Ancient A\.\\ç.n% [A régi Atlie'n. I. Budapest,
Académie, 191 i, x-264 P-; in-i6, 111.). L'ouvrage de Gardner, qui fut directeur de
l'Ecole anglaise d'Athènes de 1887 à 1895, est classique en Angleterre. La traduc-
tion hongroise très coulante, est due à M. Martin Schmidt; elle fut revue par l'af-
chéologue M. Lâng qui l'a fait précéder d'une courte préface. Le volume contient
80 illustrations empruntées, en partie seulement, à l'original; les autres provien-
nent de photographies plus récentes. — I. K.
d'histoire et de littérature 339
— Tous ceux qui s'occupent d'études magyares savent quels services impor-
tants l'Académie hongroise rend aux savants par la publication de travaux qui,
s'adressant à un public restreint, ne trouveraient pas d'éditeur. C'est encore elle
qui édite la plupart des revues savantes du pays, de sorte qu'elle est une des
principales maisons d'édition, pour la propagation de la science en langue
magyare. La plus grande partie de ses ressources est absorbée par cette noble
tache. Pour montrer son activité dans les 22 dernières années, elle vient de
publier un Répertoire alphabétique non seulement de toutes ses publications
(livres et mémoires), mais aussi de tous les articles contenus dans les revues édi-
tées par elle. Cet inventaire dressé avec le plus grand soin constitue une source
précieuse de renseignements bibliographiques et n'a pas moins de 1,188 pages.
(Budapest, Académie, 191 1). — I. K.
— Le tome XLV de V Annuaire de la Société Kisfahidy {A Kisfaludy-Tdrsasdg
évlapjai, Budapest, Franklin, 191 1, 263 pages in-8°) contient le compte-rendu de la
séance solennelle du 5 février 1911, des poésies de Jakab, Bârd, Kozma, Szâvay
et Hegedûs et les études littéraires suivantes : Frédéric Riedl : Les influences
ambiantes dans les poésies de Petôfi (ce sont le réveil du sentiment national vers
1840 et les idées démocratiques de l'époque); B. Alexander : La Tragédie de
l'homme (à propos du cinquantenaire du poème dramatique deMadâch); Le jubilé
Mikszâth Discours de Beôthy) ; Inauguration du monumicnt de Jean Arany à
Nagy-Kôrôs (par le môme) Sigismond Nagy : Le Lucifer de Vondel ; A. Bân : Lé
poème esthonien Kalivipoëg (traduction en vers). Nécrologies de Szùry, de Miks-
zâth, de Giuseppe Cassone (traducteur italien de Petôfi), de Kalona, et Bigault de
Casanove (traducteur de Madâch, de Katona et de Rakosi). Bibliographie des ouvra-
ges publiés par la Société Kisfaludy de i83i à igio. — I. K.
— Le docteur J. Armitage Robinson, doyen de Wells, a entrepris sous le titre
modeste de Notes et documents une étude archéologique sur l'abbaye de West^
minster, dont le quatrième fascicule vient de paraitre {The Abbot's Hoiise at
Westminster, Cambridge, University Press, in-8'', 84 pp.). On y voit, grâce aux
très intéressantes pièces que M. J. A. R. a pu réunir, comment la demeure de
l'abbé a été bâtie et s'est transformée au cours des siècles. Des plans et des gra-
vures accompagnent le texte et l'illustrent. — Ch. B.
— La collection des Cambridge Manuals of Science und Literature s'est enrichie
de deux nouveaux livres. M. W. L. Jones étudie la légende du roi Arthur et des
chevaliers de la table ronde {King Arthur in History and Legend, Cambridge,
University Press, 191 1, 145 pp., in-i8) et le professeur W. R. Sorlev a essayé
d'écrire un manuel de morale \>x-a.ù(\ue{T lie Moral Life and Moral Worth, 146 pp.).
Ces deux petits ouvrages, qui sont destinés au grand public, pourront rendre des
services. Il est regrettable pour les lecteurs français que M. W. L. J. n'ait pas jugé
à propos d'insister davantage sur le roi Arthur dans notre littérature du moyen
âge. Le dernier chapitre intitulé « Arthur dans la littérature anglaise », parait
bien maigre. Quant k M. Sorley, il faut le féliciter d'avoir pu, suivant le mot de
La Bruyère qu'il a choisi pour devise de son travail, « dire simplement de grandes
choses », en d'autres termes donner un résumé très clair et très impartial des
principales questions d'éthique. Son robuste optimisme est réconfortant. — Ch. B.
— A signaler l'étude très consciencieuse du D"" William Schonack sur Religio
Medici, le journal intime, pourrait-on dire, de Sir Thomas Browne, médecin à
Harwich au xvu» siècle. Le titre seul de l'étude Sir Thomas Brownes Religio
300 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
.\fcdici. ein verschoUeucs Dcnkinal des lùiglischett Deismtis CTûbingen, Mohr, 191 i,
.S7 pp., in-12' cil indique la tenJnnce. Trois chnpitres : biographie de Sir Thomas
Brownc, analyse de son ouvrage, jugements des critiques. — Ch. B.
— M. Manfred Eimer a étudié avec beaucoup de soin les rapports de Byron et de
Sheliev {Die persônlichen Beifiehungett ^wisclien Byron inid den Shelleys, Eine
Kritische Studie, Heidelberg, 191 1, Winter, in-8», i 5o pp., 4 M. 20). Entre autres
documents il utilise les lettres de Jane Clairmont publiées il y a quelques années.
Le livre comprend six chapitres, qui nous promènent dans les ditTcrentes villes
où les deux poètes ont pu se rencontrer aux bords du lac Léman, à Venise, à
Ravcnne, à Pisc. L'auteur ne paraît pas connaître la thèse de M. Koszul. —
Ch. B.
— M. W. J. CoL'RTHopE, chargé par « l'Académie britannique » de prononcer
le discours annuel sur la poésie anglaise (Warton Lecture on English Poetry) a
choisi pour sujet l'élément romanesque dans la littérature {Tlie Connexion between
Ancient and Modem Romance, London, Fiowde, in-8°, 16 pp., 1 s.). A signaler la
définition précise du mot <■ 1 omantic », qui prête souvent à des erreurs d'interpré-
tation. — Ch. B.
Académie des Inscriptions et Bei.les-Lettks. — Séance du 12 avfil igi2. —
M. Henri Cordier annonce qu'il a reçu deux lettres de M. de Gironcourt, l'une de
Bamba, 3o janvier, et l'autre de Gao, 10 février. A la première sont jointes les
copies de sept manuscrits arabes et une nouvelle pièce relative aux origines peules.
Dans la seconde, M. de Gironcourt annonce qu'il a pris 3ii estampages d'inscrip-
tions localisées dans un certain nombre de nécropoles, surtout entre Bourem et
Gao. Ce sont là, pour la plupart, non des stèles de grande taille, comme à Bentia^
mais des objets fort anciens de pierre polie (polissoirs, mortiers, pilons) qiii
portent, gravées, des écritures souvent tînes et témoignant d'un art assez pré-
cieux. Ces objets ont été pour la plupart détournés de leur destination et de
leur emplacement et employés dans les temps modernes à la parure des sépul-
tures des tributs maraboutiques touareg Kel es Souk et CherifFen nomadisant
dans ces régions. Il doit vraisemblablement s'agir de monuments venus de l'Adrar.
— Outre les estampages, la seconde lettre de M. de Gironcourt contient la copie
de sept autres manuscrits.
M. Paul Girard signale une découverte, faite par M. ArvanitopouUos, éphore des
antiquités de Thessalie et de Phthiotide, dans les ruines de Pagasae, près de Volo.
Il s'agit de deux nouveaux dépôts de stèles peintes; vingt de ces monuments ont
déjà été exhumés et vont augmenter la collection de monuments analogues du
Musée de Volo, qui compte déjà plus de 200 stèles funéraires du même genre.
M. Perrot, secrétaire perpétuel, donne lecture d'un mémoire de M. R. Vallois,
intitulé : Attiques détiens; étude sur Varchitectuye de l'âge lielténistique à Délos.
M. Jérôme Garcopino fait une communication sur Oslie dans l'Enéide. —
iMM. Perrot et Salomon Reinach présentent quelques observations.
Léon Dorez.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Pny, imp. Marchesson. — Peyriller, Rouchon et Gamon, S'''.
REVUE C l< 1 T I Q U E
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 18 - 4 mai. - 1912
Louis Havet, Manuel de critique verbale. — Diobouniotis èl Harnack, LesscolieS
d'(3rigène sur l'Apocalypse. — Heikel, Le Constantin d'Eusèbe. — Recueil
otl'ert à l-'eilberg. — Beiiaghel, Histoire de la langue allemande, S" éd. — Metz,
Frédérique Brion. — Price, Le symbolisme des nouvelles de Voltaire. — P.
Bartii, La nature dans l'Obermann de Senancour. — \'. Giraud, Nouvelles
études sur Chateaubriand. — Yovanovitch, La Guzia de Mérimée. — Sangnier,
Lettres de Sainte-Beuve à Labilte. —G. Peli.issier, Le réalisme du rortiari-
tisme. — H. -P. Van Tiegmem, Le mouvement romantique. — De Lannôy et
Van der Linden, L'expansion coloniale de la Néerlande et du Danemark. —
Arthur Cmuquet et Michel Bréai,, Gabriel Monod. — Baskerville, Les éléments
anglais dans la comédie de Ben Jonson. — Sembower, Charles Cottoh. — A.
Laurent et Martin-Dupont, Le Dickens de Chesterton. — pHOTiAbÊs, Mere-
dith. — DicK, Meredith. — Denitie, Luther et le luthéranisme, II, p. Paquier et
Bayol.
Manuel de Critique Verbale appliquée aux textes latins, par Louis Havet,
membre de l'Institut, professeur au Collège de France. Paris, Hachette, 191 1.
Prix ; 5o t'r.
Ce Manuel est sorti d'un cours de critique verbale professé au Col-
lège de France, et que l'auteur a refondu en se servant des notes
recueillies par M"'^ Renée Lafont pendant trois années consécutives.
M. Havet s'est proposé de donner une théorie aussi complète que
possible de la « faute » dans les textes latins, sans s'astreindre à cor-
riger chaque fois les bévues dont il dresse le recensement. Son livre,
ainsi qu'il en fait lui-même la remarque, ressemble à une Pathologie
plutôt qu'à une Thérapeutique : « La maladie seule est intéressante,
ajoute-t-il spirituellement, là où le malade ne court aucun risque. »
A travers la série de transcriptions par où nous sont parvenues les
œuvres antiques depuis la rédaction des originaux, il n'est aucun
texte qui ne se soit émaillé de lapsus. Constater ces erreurs est chose
utile; mais en reconstituer la genèse, et, grâce à la confrontation
d'un grand nombre de cas similaires, déterminer les conditions où
elles ont dû se produire, voilà une enquête de haute portée scienti-
fique, et c'est justement celle dont M. H. établit à notre usage les
résultats.
Le plan de l'ouvrage est le suivant. M . H . commence par indiquer
les principales étapes de la transmission des textes latins, les alterna-
Nouvelle série LXXIII 18
342 REVUE CRITIQUE
tives d'incuriosité littéraire et de « renaissances » à travers lesquelles
ils nous ont clé partiellement conservés; puis il aborde son objet
propre. Il étudie \cs présomptions de faute, et il en analyse en une
longue suite de paragraphes les causes multiples [influence du con-
texte : influence du modèle, personnalité du copiste; fautes princeps:
fautes issues d'une annotation, etc.). Un dernier chapitre traite la
question de l'autorité des manuscrits, de la méthode par laquelle on
les classe, et des pièges qu'il faut éviter en établissant ce genre de
généalogie.
On est stupéfait, quand on réfléchit au nombre d'opérations intel-
lectuelles — non point spontanées et de premier jet, mais patientes,
minutieuses, subtiles — qu'il a fallu pour aménager un ouvrage aussi
dru, où presque chaque ligne implique manipulation de textes et
méditation approfondie sur les textes. Combien de philologues,
même parmi les mieux accoutumés au labeur spécial de leur disci-
pline, auraient osé pareille entreprise ? Les Aduersaria critica de
Madvig résument à coup sûr d'immenses lectures. Mais y faisons-
nous autre chose, en la compagnie de l'illustre critique, qu'une pro-
menade instructive et divertissante à travers les méprises des scribes,
vite réparées par la merveilleuse ingéniosité de notre guide ? Ici les
retouches de détail, les innombrables indications de fautes, sont envi-
sagées du point de vue d'une psychologie qui ne se satisfait pas
d'améliorations verbales plus ou moins chanceuses, mais qui veut
s'expliquer à soi-même et démonter pour autrui le mécanisme mental
d'où l'erreur est sortie.
Hérissé de références, de sigles et d'abréviations, l'ouvrage est d'as-
pect sévère, et même un peu déconcertant au premier regard. Il sup-
porte cependant une lecture continue, et l'intérêt qu'on y prend ne
cesse de croître. Le spectacle de cette virtuosité qui se joue si allègre-
ment dans l'univers des lettres, des syllabes et des mots est à soi seul
un plaisir. Puis on se rend compte très vite qu'il n'y a point là fan-
tasmagorie, combinaisons arbitraires; que l'auteur connaît admira-
blement, et a sans cesse présentes à l'esprit, les conditions réelles où
ont été rédigées, copiées, transmises à la postérité les œuvres sur les-
quelles il opère. Voyez par ex. p. 35 comment il explique pourquoi
les anciens citaient volontiers de mémoire; notez aussi tant de
remarques judicieuses — et indispensables pour la claire intelligence
des phénomènes — sur les variations des causes d'erreurs selon les
écritures en usage à chaque époque, selon l'état d'esprit des scribes,
leurs préoccupations particulières, etc. Des rapprochements intéres-
sants avec certains faits constatés chez les écrivains modernes, des
réflexions d'ordre philosophique (par ex. sur le rôle de la « conjec-
ture » dans les sciences relatives au passé humain [p. 23], sur la ten-
dance des copistes à substituer aux mots concrets des mots abstraits
[p. 207], etc.) achèvent de diversifier l'exposé.
d'histoire et de littérature 343
Un peu d'inquiétude naît çà et là dans l'esprit du lecteur : c'est
quand M. H. compare les procédés de la critique conjecturale à ceux
des mathématiques, de l'algèbre ou de la physique (p. loi, 117, i23).
Mais lui-même ne signale les analogies que pour marquer aussitôt
les différences, et pour avouer les désavantages de la science dont il
définit les principes. — Ailleurs ce commencement de résistance se
fait plus obstiné. Je ne puis, pour ma part, me résigner à soupçon-
ner une faute, de par les « lois » de la prose métrique, là où, dans
telle clausule de Cicéron, le sens est en somme parfaitement accep-
table (V. g. p. 27, § 12 5). C'est qu'hélas! comme l'observe un peu
plus loin M. H., « il y aura toujours des gens prêts à tolérer dans
Cicéron la Hn de phrase redderem si possem » .'
L'ouvrage sera précieux pour les éditeurs à venir, pour ceux, sur-
tout qui entreprendront de publier à nouveau les œuvres des comiques
latins, celles de Cicéron, d'Horace, de Virgile, de Phèdre, de Juvénal,
de Symmaque, chez qui M. Havet a choisi de préférence les passages
dont il illustre ses démonstrations. Ils y trouveront, rangées à leur
place, incorporées à leur série, une foule d'exégèses de détail, dont
le prix est d'autant plus grand que chacune d'elles est coniigué à beau-
coup d'autres de la même espèce, et reçoit de ce voisinage un sur-
croît d'intérêt et d'autorité. Cet ample répertoire ne vaut pas seule-
ment par la méthode rigoureuse qui en a tracé les lignes et organisé
la structure ; mais il vaut aussi par ces innombrables explications
partielles où M. Havet a déversé, outre les exemples empruntés à
Madvig et à Lindsay et à bien d'autres critiques, ses notes person-
nelles, déjà publiées dans la Revue de Philologie et ailleurs, ou même
entièrement inédites.
Ce Manuel combat implicitement d'un bout à l'autre l'erreur cou-
tumière aux débutants en philologie (et dont beaucoup de ceux qui
s'y croient avancés déjà ont quelque peine à se défendre ou à s'atîran-
chir) : celle qui consiste à imaginer la critique textuelle comme l'art
de raccommoder au petit bonheur les textes endommagés. On se
convainc, à le lire, qu'elle n'est point un jeu frivole où triomphe le
plus adroit, mais un métier difficile où il faut beaucoup de science,
de scrupule et d'observation.
Je ne sais malheureusement si les débutants compulseront un livre
dont les dehors sont austères, et qui coûte 5o francs. En tous cas
grammairiens, métriciens, paléographes, historiens de la littérature
latine y feront un ample butin ; et, pour la nouveauté de sa méthode,
l'originalité de certains de ses aperçus (par ex. sur la métrique dra-
matique) et la richesse de sa documentation, il sera accueilli avec le
le plus grand honneur par la philologie internationale.
Pierre de Labriolle.
344 REVUK CIUTIQIIE
Texte iinJ ('>ilcn!iicliii>i^'cii, XX.W'III, ?> . — Der Scholien-Kommentar des
Origenos zur Apokalypse Johannis iiclist ciiiein Siiick aus Irenaeus, lib. V,
("ir.iccc, ciittlccUl iiiul licraiist^L^cbcn von Constantin DrotiouNioTis unJ AdolF
Harnack, l.cip/.iiî, J.-C. Iliniichs, lyii. Prix : M. 3.
Texte und Uutcrsiicliuiif:^e)i, XXXVI, 4. - Kritische Beitrasge zu den Cons-
tantiû-Schriften des Eussbius, von lv;>i A. IIi.ikki., 1911. l'rix : M. 3,.So.
I. M. Diobouniotis, privai-doccni à l'Université d'Athènes, a ren-
contré dans le manuscrit du couvent « Météoron », en Thessalie, qui
déjà lui avait livré l'ouvrage d'Hippolyte sur les h Bénédictions de
Jacob ' » un texte de VApocalypse — jusqu'au chapitre xiv, 5 — qui
se trouve partagé en sections et accompagné entre chaque section de
scolies plus ou moins longues. Ayant communiqué sa trouvaille à
M. A. Harnack, celui-ci a reconnu que, mis à part les deux derniers
morceaux qui sont empruntés (avec bon nombre d'omissions) au
grand ouvrage de saint Irénée ', ces scolies doivent être restituées à
Origène. Hypothèse assez hardie, M. Harnack en fait l'aveu; car si
Origène exprime dans son Commentaire sur Matthieu (^ XLIX) l'in-
tention d'écrire une explication de VApocalypsc, nul témoignage n'at-
teste qu'il ait effectivement réalisé ce projet. Pourtant le contenu de
ces paraphrases paraît imposer cette attribution, M. Harnack le
démontre en prenant les scolies l'une après l'autre et en les analysant
au point de vue de l'idée et des particularités du vocabulaire, avec sa
maîtrise accoutumée. La contexture des scolies l'induit à penser
qu'Origène n'avait rédigé de notes spéciales que pour les cinq pre-
miers chapitres de VApocalypse, et que celles qui se réfèrent aux pas-
sages suivants ont été extraites de ses œuvres par un rédacteur plus
tardif", lequel n'y trouvant rien pour les chapitres xic et xm s'est tiré
d'affaire en comblant cette lacune à l'aide de saint Irénée.
MM. Diobouniotis et Harnack publient séparément le texte de
VApocalypse, d'après le ms. du Météore, et les scolies. Un certain
nombre d'observations critiques sur ce texte font suite à l'exposé de
Harnack.
II. M. Heikel,qui a fait paraître en 1902 dans le Corpus de Berlin
[Eusebius Wcrke, Bd I), la Vie de Constantin et le Panéf^yi^iqtie
[Arj^rj- Tp'.axovcasTTjp'.xôç) du même empereur par Eusèbe de Césarée,
ainsi que le Discours de Constantin à V Assemblée des Saints, a voulu
parachever cette édition en y ajoutant les corrections, remarques,
améliorations de détail que lui ont suggérées depuis lors ses propres
réflexions ou les comptes rendus dont son travail a été l'objet. C'est
ainsi qu'il complète les indications critiques qu'il avait fournies sur
1. Publié par DiOBou:<roTis et Bonwetsch dans les Texte u. Uiiters., xxxviir, i
(1911).
2. V, xxviii, 2 jusqu'à xxx, 2 {Pair . grecque, vu, 1198 et s.). Nous ne possé-
dions jusqu'à présent ce passage d'Irénée que dans la version latine, sauf pour
quelques fragments.
d'histoire et de littérature 343
le Marcianus 340 et démontre le peu de confiance que ce manuscrit
mérite. 11 donne aussi les résultats d'une nouvelle collation du Vati-
canits 149, cl il étudie le rapport des deux parties qu'il est aisé de
discerner dans le Aôyo-; -o'.a-/.ovTaî-:T|p'.y.ô;. — Les pages les plus intéres-
santes de ce fascicule sont celles que M. H. consacre à la question de
lauthcniicité du Discours à V Assemblée des Saints fp. 2-49). M. H.
nie cette authenticité. Les contradictions que sa thèse (qui n'était
point nouvelle) a suscitées n'ont pas réussi à l'en dissuader, et il
cherche à la fortifier par une analyse détaillée du Discours, où il ne
veut reconnaître ni le style de Constantin ni le tour habituel de sa
pensée. Pour lui le Discours est « einc rhetorische Schularbeit », et
rien de plus.
La démonstration de Heikel ne me parait pas absolument convain-
cante. 11 y a dans la Vie de Constantin IV, 29) ' un curieux passage
oi^i Eusèbe, toujours cpjrdu d'admiration à l'égard de son empereur,
nous dépeint le goût de celui-ci poui- l'éloquence : « 11 passait beau-
coup de temps, écrit-il, à confectionner ses discours et il en pronon-
çait un grand nombre en public... Quelquefois il convoquait lui-
même l'assemblée et une innombrable multitude se pressait pour
entendre un roi faire métier de philosophe. Si dans le cours de son
allocution quelqu'occasion s'offrait à lui de toucher à la théologie, il
se levait, et, composant son attitude, modérant sa voix, il semblait
initier ses auditeurs aux mvsières de la doctrine divine. Les acclama-
tions éclataient-elles? alors il leur faisait signe de lever les yeux vers
le ciel et de réserver leur admiration et leurs louanges au Maître de
toutes choses... » Il faut lire aussi la suite. Quand on s'est bien péné-
tré de cette description, tracée par un maladroit ami, on trouve un
peu moins surprenant qu'un comédien de cette envergure ait donné
dans la mauvaise rhétorique du Discours à rassemblée des Saints.
Pierre dp: L.\briollf..
Festskrift til H. F. Feilberg. Graïui in-8" de 817 pp. Copenhague, G3'l<.lendal
1911.
Le 6 août 1911 le pasteur D' H. F. Feilberg fêtait à Askor son
80" anniversaire. A cette occasion les trois sociétés de folk-lore
Scandinaves: « Svenska Landsmaalen » d'Upsal, « Maal-og-Minne »
de Krisiiania, « Universitetsjubileets danske Samfund » de Copen-
hague, se sont entendues pour publier en l'honneur du vénérable
savant un important ouvrage auquel ont collaboré, on peut dire, tous
les folk-loristes du Danemark, de la Norvège, de la Suède et aussi de
la Finlande. .le ne saurais, cela se comprend, donner un aperçu des
cinquante-cinq articles qui composent ce recueil. C'est, après un
I. ]]vAKEi.y Euscbiiis W'erkc, \, p. 128.
346 REVUE CRITIQUE
0 essai d'orieniaiion sur rcthnographic de la Scandinavie » par le
prof. Lundell d'LJpsal, comme un vaste panorama du folk-lore du
Nord : toute la vie du peuple, ses dialectes, ses coutumes et ses
mœurs, de la naissance à la mort: ses légendes, ses chants et ses con-
tes, ses danses, etc., etc. Parmi ces études je signalerai pourtant, à
cause de leur particulière importance, celles de !.. Fr. Lcirtler sur
« l'arbre toujours vert devant le temple d'Upsal », d'Ax. Olrik sur
« les Mythes de Loki », de R. Stetien sur « Blaakulla, la déesse de la
mort y\ de Kaarle Krokn sur « la main droite deTyr », d'Edv. Leh-
man sur le « Totémisme », de Chr. Blinkenberg sur « l'arme de
foudre et sa place dans l'archéologie danoise », de N. E. Hammer-
stedt sur les « restes d'un mythe de Frey dans une cérémonie du ma-
riage en Suède ", de Kr. Bugge sur les « Usages de moisson en Nor-
vège »... J'en passe et d'excellents. Un résumé en français, à la tin
du livre, permet au lecteur étranger qui ignore les langues Scandina-
ves d'en connaître au moins les idées et les faits essentiels. M. Feil-
berg peut être fier de cette magnifique manifestation de sympathie. Il
sait bien, d'autre part, que de nombreux étrangers eussent été hono-
rés de s'y associer. Personnellement, je suis heureux d'avoir au moins
cette occasion de lui renouveler l'assurance de mon affectueuse admi-
ration.
Léon Pineau.
Geschichte der deutschen Sprache von Otto Behaghel (Grundriss der germa-
nischen Philologie hgb, v. II. Ptiul). 3. Aufl., Strasbourg, Trùbncr, 191 1. lii-S",
x-334 pp., 6 m.
C'est le premier volume de la troisième édition du Grundriss édité
par M. Paul. Mais ce volume est plus qu'une nouvelle édition, c'est,
comme le dit l'auteur, un livre nouveau. Si le plan est resté intact, de
nombreuses additions et quelques corrections ont modifié l'aspect de
l'ouvrage.
Les germanistes connaissent le caractère de ce livre. Ils savent que
ce qui en fait l'originalité, c'est l'étude non seulement de la formation
de l'allemand littéraire (Schriftsprache), mais de l'évolution des faits
linguistiques dans les principaux dialectes. Que ce but ne puisse être
tout à lait atteint, on s'en rend aisément compte. Les dialectes cons-
tituent une masse énorme et insuffisamment connue encore. M. B.
s'est attaché à présenter les faits les plus importants et les plus caracté-
ristiques. C'est vraiment une vue générale de l'évolution de la langue
allemande depuis Ylirdeutsch jusqu'à nos jours que nous trouvons
dans ce livre si plein, si sûr et qui était si diflficile à faire.
Certes, il est permis d'estimer que des progrès peuvent être réalisés
encore; M. B. lui-même le croit sans doute et se propose de le faire
dans la prochaine édition qu'il donnera de son ouvrage. Celui qui
tiendra à cœur à quelques-uns de ses lecteurs, c'est l'explication phy-
d'histoire et de littérature 347
siologique des phénomènes phonétiques. Un exemple fera comprendre
la portée de cette observation. Nous lisons au .^ 292 que la spirante ch
a, dans l'alemanniquc actuel, le son de Vach- Laut après toute voyelle
et après / et r, ce qui n'est pas le cas pour le reste du haut-allemand, où
après les voyelles palatales, comme après / et r, le ch a la valeur de
r/c7z-Laut. Il aurait vraiment peu coûté à M. B. de formuler ici une
loi qui aurait satisfait la curiosité de maint lecteur. 11 lui suffisait d'ex-
pliquer la naissance de T/c/î-Laut, son récent, par la palatalisation de
l'ancien tzc/i-Laut après un son palatal. Du coup était apparente la
raison d'un fait qui n'est pas sans intriguer les esprits réfléchis, je
veux dire la coexistence en allemand littéraire moderne de deux sons
différents représentés par la graphie unique ch. En même temps l'au-
teur aurait fait comprendre pourquoi, dans quelques dialectes, ch est
devenu palatal lorsqu'il suit un a issu d'un ai ancien {wàch, blàch =
ji'eich, bleichi : c'est le vod de la diphtongue ancienne qui survit dans
r/f/z-Laut contemporain '.
F. Piquet.
Adolf Metz, Friederike Brion, Eine neue Darstellung der « Geschichte in
Sesenheim ». Munich. Bcck, igii. Prix :4 m.
L'aspect élégant du livre de Metz pourrait tromper le lecteur en
semblant annoncer un récit romanesque, à l'usage des gens du
monde, des amours de Gœthe et de Frédérique Brion. Tel n'est pas
le but de l'auteur. Il discute des textes, vérifie' les faits et les dates,
détruit les légendes. Ceux qui espéraient une poétique histoire seront
déçus; ceux qui veulent tout simplement de l'histoire seront au
moins en partie satisfaits.
Une première légende attaquée par Metz est celle que créa Gœthe
lui-même, lorsque, dans Fiction et Vérité, cédant au double désir
d'idéaliser le réel et de justifier sa propre conduite, il arrangea le
récit de son idylle avec la fille du pasteur de Sesenheim. A cette fic-
tion aussi ingénieuse et gracieuse qu'intéressée, Metz oppose la vérité
telle qu'on peut l'établir avec des documents authentiques de l'époque
même, c'est-à-dire avant tout avec la correspondance de Goethe des
années 1770 et 1771 et celles de ses poésies qu'il est permis de croire
inspirées par Frédérique. Cette confrontation est faite avec une pré-
cision extrême, avec une attention à laquelle rien n'échappe et en
même temps avec une finesse d'analyse qui explore non sans bonheur
les recoins de l'àme de Gœthe. Tout en approuvant, dans cette partie
du travail, la méthode de l'auteur et en se ralliant à ses conclusions,
l'on peut cependant ne pas accepter tous ses arguments. Lorsque,
I. Le Dntck/ehlerteit/el, ce malin démon qui hante les imprimeries et qu'aucun
exorcisme ne peut bannir, a joué quelques mauvais tours à M. Behaghel. Voici
trois de ses méfaits: p. 222, 1. 27 urdeucfsch pour urdeufsch; p. 228, !. 28 Aus-
prache pour Aussprache; p. 22r), 1. 18 lauigesetslich pour lautgeïet^lich.
348 REVUE CRITIQUE
pour ciablir la date cl rauthcniicitc de la poésie Nun sit:{t der Ritter
an lieni Ort, où il est question d'un repas composé d'jEufs à la coque
et de friture, Metz se livre a des considérations sur l'époque où
pondent les poules et sur le poisson cuit que les paysans d'Alsace
conserveraient froid, sa démonstration nous parait aussi fragile que
la coque des icufs. Nous n'oserions pas davantage faire état d'une
poésie, Erwachc. Friederikc, que xMetz attribue à Gœihe, mais qui
nous semble fortement « tripatouillée » par Lenz. N'est-ce pas aussi
aller trop loin que de nier tout simplement, à lenconire de Fiction et
Vérité, le voyage à Strasbourg de M"'° Brion avec Frédérique et une
autre de ses tilles? Metz raisonne ainsi ; En examinant l'emploi du
temps de Gœthe en 1771, nous ne trouvons que le mois de juillet
pour y placer le séjour de M"i= Brion à Strasbourg; or en juillet
M""' Brion devait être retenue à Sescnhcim par les travaux de la mois-
son ; donc son voyage est une pure invention de Gœthe. Admettons
(ce qui ne nous paraît pas certain) qu'il faille placer ce voyage au
mois de juillet. La moisson aurait été un empêchement? Mais ne
peut-on pas supposer que M'"^ Brion ait eu un motif urgent de se
rendre à Strasbourg? Ce motif n'aurait-il pas pu être le désir d'obtenir
une explication décisive de la part de Gœthe que la famille sentait lui
échapper et qui s'apprêtait à retourner à Francfort en rompant de
véritables Hançailles? La sollicitude pour Frédérique, que l'abandon
menaçait de tuer, ne devait-elle pas l'emporter sur le souci de pré-
sider en personne à la rentrée du blé?
Dans les parties suivantes du livre Met/, contrôle avec sagacité les
lettres et les poésies où Lenz se montre marchant, au presbvtère de
Sesenheim, sur les brisées de Gœthe; il réunit ce qu'il est possible de
savoir de la suite de l'existence de Frédérique, puis il s'attaque à
une seconde légende, à celle qui a menacé de souiller -la mémoire de
la gracieuse Alsacienne. Ses efforts sont dirigés surtout contre
Froitzheim qui a prétendu dévoiler en Frédérique une héroïne de
scandales, mère de plusieurs enfants. Cette défense d'une femme
contre ses accusateurs posthumes est méritoire à notre avis, non seu-
lement parce qu'elle est chevaleresque, mais aussi parce qu'elle est
un acte de justice. Les nombreux témoignages qui proclament la
dignité de la vie de Frédérique ne sont pas ébranlés par de vagues
racontars, ni même par les documents administratifs sur lesquels on
a laborieusement échafaudé une fable de maternités répétées. Malheu-
reusement, si le généreux champion de Frédérique déploie pour elle
toutes les ressources d'une dialectique que rien ne déconcerte, il gâte
une cause excellente par l'intempérance de son zèle. Ce n'est plus un
historien pondéré qui parle, c'est un polémiste en courroux qui
refuse à ses adversaires la bonne foi et la probité. Nous ne saurions
tolérer qu'il soupçonne des honimes au nom vénéré, Emile Kuss, l'an-
cien maire de Strasbourg, Edmond Scherer, Auguste Neti'tzer, d'avoir
d'histoire et de littérature 349
calomnié Frédériquc pour le plaisir d'exhaler contre ses glorificateurs
allemands leur bile d'Alsaciens hâbleurs ci renégats (deutschfcind-
liclies Rcnegatengcjhinkcr . Que Meiz réserve ses colères pour les pre-
miers semeurs d'un grain luneste, pour les mauvaises langues comme
le pasicur Schweppenhauser qui, sans doute afin d'accabler un col-
lègue catholique, l'accuse d'avoir été l'amant de F'rédérique, pour des
inconscients comme le pasieur Jacques Brion, le propre neveu de
l'héroïne, qui prétend avoir de ses yeux vu le bâtard de sa tante, pour
Gœihe lui-même qui, informé des propos de Scheweppenhauser,
parla de cet homme avec une étonnante mansuétude. Mais qu'il traite
avec un peu plus d'indulgence des gens qui sans parti pris se sont
imaginé qu'il n'y avait point de fumée sans feu et des chercheurs
qu'ont égarés des indices inquiétants. Quant aux sycophantes avérés,
la meilleure manière de les confondre est de mettre la vertu et la
vérité en si belle posture qu'elles-mêmes
Versent des torrents de lumière
Sur ces obscurs blasphémateurs.
Auguste Ehrhard.
William Ralkigh Piuci;. The Symbolism of Voltaire's novels, with spécial
référence to Zadig. New-York, The Columbia University Press, 191 1; in-12
de 269 pages.
Est-ce bien « symbolisme » qu'il faut dire? Et n'est-ce pas plutôt
les allusions^ ou même, si l'on veut, les chiffres des contes orientaux
de Voltaire, que M . Price s'efforce de dégager? Recherche intéres-
sante et opportune, entreprise ici avec une connaissance sérieuse de
la biographie littéraire du grand écrivain, un peu systématique par-
fois et encline à oublier l'élément de jeu, de badinage, qui ne laisse
pas d'intervenir même dans un récit secrètement agressif ou railleur.
Le point de départ véritable de M. P., et son recours presque perma-
nent, c'est la manie voltairicnne de faire des calembours sur les
noms propres ; et l'on verrait assez bien lé développement de la
p. 148 placé à la p. 24. Il s'y ajoute le dédain de Voltaire pour le
roman pur et simple, qu'une intention secrète lui semble seule capable
de relever. Ses démêlés avec les hommes, les pouvoirs, les idées, font
le reste, et rien n'est plus légitime que d'arracher quelques masques
ou de mettre d'autres noms sur les visages grimés. « Un ouvrage qui
dit plus qu'il ne semble dire » : cette définition préalable de Zadig
par son auteur s'applique peu ou prou à tous ses récits, mais c'est dans
celte histoire que se rassemblent le plus de souvenirs et d'allusions,
et son héros mérite bien de s'appeler « le véridique ».
'i'rop d'insistance et un excès d'ingéniosité, à l'occasion, compro-
mettent sur quelques points les résultats curieux auxquels arrive M.
P., retrouvant toute une série de faiis privés et publics, de rancunes
350 REVUE CRITIQUE
Cl de personnalités dans ces libres ci souples tlciions, auxquelles il
seraii iniéressani d'ajouier de même les auires romans de Voltaire qui
n'oni pu éire examinés ici '.
F. Baldenspergkr.
Paul Barth, Die Naturschilderungen in Senancours Obermann. Halle, Nie-
incycr, 1911 ; in-8" de viii-86 pages.
Ce travail d'un débutant manifeste quelque gaucherie dès qu'il
s'agit de faire de la synthèse historique (cf. les pages i ci 2, où Ton
nous dit tour à tour qu'il n'y a pas de révélations brusques en litté-
rature, et que Rousseau, le premier, ou lout d'un coup, donna à
l'Europe un « monde nouveau «). Mais il témoigne de beaucoup de
conscience, et d'une certaine finesse d'analyse, dans le classement et
l'interprétaiion des paysages de Senancour. Le sens aigu de la o per-
manence » naturelle opposée au phénoménisme, le symbolisme des
choses (avec moins de panthéisme que n'en suggère M. Barth et que
n'en comporte le rappel trop fréquent de Maurice de Guérin) et les
correspondances qui incitent Obermann, avant Amiel, à ne trouver
que des u états de l'àme », dans les plus saisissants paysages, la
marque laissée cependant, en mainte page, par des sites définis qui
font entrer dans la littérature, en particulier, de hautes régions alpes-
tres : tout cela est inventorié et catalogué, avec des remarques sou-
vent ingénieuses qui rapprochent de ce paysagiste particulier les
Rousseau, les Bernardin et les Chateaubriand.
F. Baldensperger.
Victor Giraud. Nouvelles Etudes sur Chateaubriand; essais d'histoire morale
et littéraire. Paris, Hachette. h)I2; in-16 de IX-335 pages.
« Peut-être, sur certains points de détail, mes recherches contribue-
ront-elles à diminuer un peu la part d'inconnu que comporte toujours
l'étude approfondie d'une haute personnalité littéraire. C'est là toute
mon ambition, et c'est aussi tout l'objet de ce livre ». Si l'on excepte
la dernière de ces études, le sillage de Chateaubriand, qui ne laisse pas
d'être «construite » surtout en surface', le nouveau recueil de M. Giraud
justifie bien cette conclusion de son avant-propos. Il est certain que
1. Gulo suggère-t-il de lui-même la gloutonnerie (p. 56)? Les sectes anglaises
se faisant équilibre peuvent être, autant que la Hollande, impliquées dans la
« grande famille » de Bassora (p. 71). J'avoue que l'attribution de Pangloss aux
« deux Rousseau » me semble peu satisfaisante (p. 227). Ecrire Barbier de Mey-
nard, p. 80 et rectifier les citations des p. 107 et 238.
2. il serait aisé de faire une sorte de relevé contraire, où entreraient autant de
noms importants, et parfois les mêmes noms, à d'autres moments qui engagent au
moins autant une vie intellectuelle. L'exemple de 'Vigny, en particulier, à propos
de la Maison du berger et de la. Sauvage, confond un apparentement tout superli-
. ciel avec une inspiration qui vient d'ailleurs.
d'histoire et de littérature 35 I
ces pages, qui vont de la publication d'inédits et de la critique de
textes à la vue d'ensemble sur une région donnée, mettent en forme,
pour le plus grand bénéfice de lecteurs attentifs, les résultats de
patientes et multiples recherches. La Genèse du '< Génie du Christia-
nisme » rassemble méthodiquement tous les éléments que devait cris-
talliser ce livre fameux, hérédité et contingences, dispositions congé-
nitales et résultats de lectures et de voyages : c'est, à vrai dire,
l'esquisse du livre que nous sommes endroit d'attendre de M. G., et
je n'y vois à ajouter que des compléments assez accessoires, la résis-
tance probable et le « provincialisme » de Chateaubriand en face du
Paris de 1788, sa défiance de gentilhomme breton à l'égard de la
royauté française (c'est là, plus que l'influence des Encyclopédistes, ce
qui le rendra si tiède en 91 ou 92). Sur quelques points encore, le
témoignage des Mémoires d'outre-tombe devr ah être contrôlé', ou du
moins transposé de la fiction à la réalité. Les pages inédites tiennent
la plus grande place du volume; on sait quel profit un commentaire
ingénieux et averti en sait tirer pour une meilleure connaissance d'un
homme, d'une œuvre, d'une influence : M. G. excelle à ce genre d'exé-
gèse à la fois érudite et subtile. Mais comme, en pareille matière, la
précision résulte souvent de la collaboration de fait de tous ceux qui
détiennent un lambeau de vérité, je proposerai quelques addenda
supplémentaires ^.
F. Baldensperger.
VoYSLAv M. YovANoviTCH. « La Guzla » de Prosper Mérimée; étude d'histoire
romantique. Préface de M. Augustin Filon. Paris, Hachette, 191 1; in-S" de
xvi-566 pages.
Au centre de cet important travail — thèse de l'université de Gre-
1. Les états de service militaire du chevalier de Combourg; l'itinéraire de
Bruxelles à Trêves en 1792 (comment se fait-il que dans ÏEssai (I, lvu) il parle
d'un cabaret où il est entré «sur la route de Mayence à Francfort » ?); la nature
et le degré de son ralliement de 1798 aux efforts des Princes exilés, etc.
2. Appendice I, le « Génie du christianisme » primitif. Noter p. 114 que les
Tablettes romantiques de 1823, sans doute par l'entremise d'E. Géraud, donnèrent
à leur tour le morceau- intitulé les Rois athées (p. 3o) en regrettant qu'il n'ait pu
« trouver place dans les ditiérentes éditions publiées depuis cette époque ».
Appendice II. On attendait p. i23, à la note i, la lettre de Boissonade, 26 juillet
i83o, publiée par l'Autographe de i863, p- 239, où il se plaint des auteurs « vains'
enHés, glorieux «, à propos de sa révision de Vltinéraire.
Appendice III. L'abbé Guillon avait-il déjà publié ses Entretiens sur le suicide,
qui sont, eux aussi, de 1802, et qui opposaient le « courage philosophique » au
« courage religieux d d'une manière qui pouvait intéresser le père spirituel de^^René ?
Appendice IV. L'édition originale d'Atala est-elle si rare ? Je puis, en tout cas,
être ajoute au particulier qui en possède un exemplaire.
A propos de la note de Rivarol citée p. i 16, il faut remarquer qui si c'est à Ham-
bourg (donc avant septembre r8oo) qu'il a connu le titre de Génie du christianisme,
nul doute que Fontanes ne se soit servi de cette formule pour désigner un livre
qui devait tarder à recevoir sa désignation détinitive. Lire Loth p. i3, note 2;
Oresiie p. 325. Est-il biensûr (p.i4)que le Tristan de Wagner verse « l'apaisement »?
3 52 RKVLE CRITIQUE
noble — il y a, comme le titre ramionce, une élude sur la fameuse
supercherie de Mérimée, les conditions dans lesquelles elle a été
exécutée, la nature de la documentation du mvstitieateur ; mais il y a,
autour de cette recherche centiale, un tableau fragmentaire des rela-
tions de la France, et parfois de l'Occident européen, avec le folk-lore
serbo-croate. Mince sujet de littérature comparée, pourrait-on croire:
mais la conscience et le zèle de M. Yovanovitch ont su en faire quel-
que chose de fort utile à Thisioire du Romantisme, avec des rattache-
ments essentiels à l'oeuvre de dethe, de Nodier, de Rvron, pour ne
citer que ceux-ci.
Comment certains détails d'ethnographie illvrienne passent çà et là
dans le champ de Taitention occidentale; comment la conception
d'un an populaire plus énergique et caractéristique s'impose peu à
peu à la littérature : tel est l'objet des premiers chapitres. Le second
ne saurait épuiser la question : il n'est même pas sûr qu'il en marque
d'une façon assurée les principaux <> paliers » en s'en tenant à l'influence
d'Ossian et de Percv, et la persistance de curiosités comme celle qui,
chez nous, aboutiront au « genre troubadour » montre bien qu'il est
périlleux de simplifier à l'excès l'histoire des modes et des goûts.
Quant au premier de ces chapitres d'introduction, il fait naturellement
la plus grande place au FoKrt^''t-^ de l'abbé Fortis, donne de curieux ren-
seignements sur la comtesse de Rosenberg et s'arrête à l'Illyrie tran-
çaisede Napoléon: nul doute que, des côtés autrichien et italien, il n'y
eût encore à glaner quelques indices épars au xviii^ siècle. Le « vam-
pirisme » que des nécessités de construction obligent M. Y. à indiquer
seulement p. 25 et à examiner plus tard en détail ', a passé en particu-
culier par l'intermédiaire d'observateurs autrichiens. Les « improvi-
sateurs dalmates » dont parle M"^ Staël dans Corinne pourraient bien,
de leur côté, lui avoirété révélés par quelqu'une de ces émules italien-
nes de son héroïne qu'elle rencontra dans la Péninsule.
Les « sources» de la Gu\la permettent à M. Y. d'exercer une ingé-
niosité passionnée et une érudition très avisée, qui dissocie chacune
des pseudo-ballades et en examine tous les éléments. Chose curieuse :
il ne semble admettre nulle part que Mérimée ait pu devoir des indi-
cations ou des encouragements à des informateurs en chair et en os,
semblables aux Coraï, Piccolos. Mustoxidi dont s'aidait Fauriel. On
voit mal, cependant, des traits aussi essentiels et particuliers de folk-
lore slave que « le cheval parlant » % épingles par Mérimée sur la
i. Le Mercure galant de mai lôgj» risque le mot de Vpier^ pour les « siryges de
Russie ». Et c'est le Mercure de France de mai 1732 qui lance celui de ^WDnpirs
avant de donner le rapport des chirurgiens impériaux. Cf. sur ce sujet le JoiDiial
étranger de juillet 1/38, le Discours du médecin Rev sur les vampires de Hon-
grie (Ms de l'Académie de Lyon, n» i36), une Lettre de L. M. au Bulletin de
Lyon, 12 août 1807, "^'^ article de Nodier dans \e Drapeau blanc du 2 juillet 1819.
2. Cf. K. Dieterich. Die osteuropàischcn Litcraturcn in iliren Hauptstromungen
vergleiclieud dargestellt. Tùbingen, 1911, p. 49.
d'histoirk et de littérature 355
seule suggestion des Chanls f;rccs : M. '\'. ne simplilic-l-il pas quel-
que peu la quesiion en allliniani (p. 263) qu'« en tous pa\s la poésie
populaire se ressemble » ? I,a hiérarchie des seniinienis qui lient
l'homme à son entourage suhii au contraire Jes variations essentielles
qui laissent au moins un accent particulier à tel moli/dans telle pro-
vince du folk-lorc : la restitution de cet accent ne laisse pasde suppo-
ser autre chose qu'une documeniation uniquement livresque, et il est
permis de croire que le Meiimée de 1827 dut, lui aussi, quelque chose
à l'un de ces réfugiés orientaux que les hellénistes surent mettre à
contribution. La Ballade de l'épouse d'Asan-Agta est l'objet d'un
chapitre spécial, par lequel l'Allemagne et l'Angleterre sont intéres-
sées à une curieuse étude des traductions et des adaptations: Gœthe
y vient en bon rang, avant de reparaître dans la dernière partie — con-
sacrée à la fortune de la Gu\la en Occident et dans les pays slaves —
à propos de la dédicace de. Mérimée et de la facile clairvovance du
maître de Weimar. Et ce travail, dont la <orme fait grand honneur à
son auteur, témoigne d'une information européenne, en matière de
ballade romantique, bien digne de l'âge héroïque de l'exotisme litté-
raire '.
F. Baldenspergkr.
Lettres inédites de Sainte-Beuve à Charles Labitte (1834-1845), publiées,
avec une introduction et des notes, par Georges Sangnier (Extrait de la Corres-
pondance historique et arclicologique, année 1911). Paris, Champion, 191 1 ; in-S"
de 79 pages.
Ces lettres, adressées par le grand critique à un jeune ami qui mou-
rut avant d'avoir pu donner toute sa mesure d'érudit et d'historien lit-
téraire, sont de précieux documents pour la biographie de Sainte-
Beuve. Non que la chronique sentimentale de sa vie s'y trouve
intéressée; M. Sangnier n'a pas hésité à supprimer de la série le seul
numéro vraiment confidentiel, à cet égard, de cette correspondance,
et c'est le travail, l'œuvre et les soucis de l'écrivain ou du professeur
qui restent seuls en jeu. Sur l'élaboration de Port-Royal, sur le
détail des engagements et des démarches à la Revue des Deux-Mondes
et ailleurs, sur l'organisaiion du cours de Lausanne, surtout, toutes
sortes d'utiles indications nous sont fournies par ces lettres, dont on
aimerait avoir les contre-parties en plus d'un endroit. Mais quel dom-
mage que la publication en soit déparée par des erreurs de lecture évi-
dentes et faciles à éviter, Jehan de Saintis pour Saintré p. 25, Ren-
ducl pour Rœderer p. 5o, Bluie pour Bla^e [de Bury] p. 54, Lalu
I. Est-il bien sûr que les initiales M. D. V. cachent Marceline Desbordes-Val-
niore dans les Annales de la littérature et des arts de 182 i (p. 108)? Et que
l'intlucnce de Percy soit particulièrement sensible « chez. les poètes elles peintres
du noble et beau mouvement prcraphaéiisie •> (p. 123).-' Ecrire Zschokke p. 86,
note ■•>. Barlcvcorii p. 2o3, Hebbel p. 355, Fritz Stapfer (cousin d'Albert) p. 464»
Scbuchardi p. 468.
354 REVDK CRITIQUE
pour Fabre p. 62, ou par dos commentaires parfois trop discrets,
comme p. ?7 où la pauvre Marceline est simplement traitée de
(( femme du réi^isseur de r(.)déon »! Sans doute faut-il aussi déplacer
le billet n" LV, puisque l'article Thiers, dans la Revue, est du i5 jan-
vier I 843.
F. Baldensperger.
I. Georges Pellissikr, Le Réalisme du Romantisme. Paris, Hachette, igi 2 ; in-i6
de 3 I 3 pages.
II. P. Van Tieoiii:.n:, Le mouvement romantique Collection L'Histoire par les
contemporains). Paris, Hachette^ KJ12; in-iG de viii-116 pages.
I. Nous avions le Romantisme des classiques d'E. Deschanel, et des
articles de Brunetière sur leur réalisme ; on s'est souvent préoccupé
du romantisme des réalistes, et de ce qui subsiste de dispositions
classiques chez les romantiques. Pour que ces chasses-croisés soient
complets, il ne manque plus que le classicisme des réalistes, mainte-
nant que M. Pellissier a examiné, sous l'angle des revendications du
naturel et du vrai, la réforme et l'œuvre des principaux romantiques.
N'est-ce pas à dire que de telles constructions sont un peu vaines, et
qu'il y a dans toute œuvre d'art des éléments qui peuvent se polariser
autour de concepts esthétiques fort divers? L'essentiel reste de déter-
miner en quoi consiste le changement dans les idées et les goûts,
pourquoi les « valeurs » sont soumises à de successives dépréciations,
ce que signifient au plus juste les programmes et les écoles. C'est
l'analyse, plutôt que des synthèses trop rapides, qui peut y aider.
Surtout, il faut se garder de donner aux mots, à la fois, un sens d'his-
toire et un sens de théorie esthétique : comme le dit fort justement
M. Pellissier, « on méconnaît le romantisme quand on n'y voit que
les extravagances d'une imagination déréglée : on fausse de même le
sens du mot réaliste quand on applique ce mot aux seules œuvres où
sont exclusivement représentées les laideurs et les misères de l'exis-
tence humaine. »
C'est, en somme, pour s'être conformé assez mollement à ces justes
exigences que M. P. ne satisfait qu'en partie ceux de ses lecteurs
qu'intéresse le développement du romantisme. Il suffirait de placer, à
côté de certains de ses aperçus, le Style poétique de M. Barat, la
Presse littéraire dQ M. Des Granges, pour faire apparaître tout ce qu'il
y a de « construit » dans un livre qui vise surtout à prendre le contre-
pied de Brunetière, qui abonde en remarques suggestives et en rap-
prochements ingénieux, mais qui fait trop bon marché de la significa-
tion des idées à leur date., et qui affecte d'abandonner aux « érudits »
tout ce qui touche aux « observations » et aux « collections » préco-
. nisées par Sainte-Beuve. « Montrer comment le romantisme transforma
la conception de l'art en vertu d'un principe éminemment naturaliste,
et renouvela d'après ce principe tous les genres littéraires sans excep-
d'histoirk tr ut littérature 355
ter le genre lyrique » : la démonstratioa est laite, si l'on se contente
d'opposer, aux pauvretés du pseudo-classicisme, le pittoresque et la
couleur romantiques; elle ne Test pas, si l'on songe aux sens divers
qu'a pris le romantisme frani;ais, à la signiHcation toute partielle du
Globe dans le conflit des idées, au « grotesque » de V. Hugo qui
n'était pas exactement « le laid » (p. 6g), à tous les romantiques qui,
au dehors de Sainte-Beuve et Baudelaire (p. 169) cherchèrent à mani-
fester un moi exceptionnel. M. P. voit surtout, semble-t-il, la campa-
gne romantique à travers les revendications de ces « partisans peu
avancés » avec lesquels rompait la Préface de Cromwell, et qu'il ne
détermine qu'à demi aux pages 71-75 : son livre juxtapose, à vrai
dire, le programme stendhalien de la soumission à l'objet et les mer-
veilleux etîets, couleur et pittoresque, du métaphorisme et de la des-
cription romantiques ; il rassemble ainsi en un faisceau illusoire des
indices indéniables de « réalisme » qui tiennent, si je puis dire, à des
^c séries » peu homogènes. Cela n'enlève pas leur prix, d'ailleurs, à de
fines remarques incidentes et à des jugements de goût qui décèlent
un critique avisé dont la réputation n'est pas à faire '.
II. Le recueil de textes offerts par le livre de M. Van Tieghem a un
double avantage : rassembler des pages de doctrine romantique immé-
diate qu'on ne trouvait qu'isolées et éparses ; présenter, par l'assem-
blage même de ces fragments théoriques, un tableau implicite du phé-
nomène européen que fut le Romantisme, avec les différences et les
analogies qu'on peut relever de nation à nation. Je persiste à croire
qu'il eût. été possible de répartir ces témoignages d'une manière plus
synthétique — sans préjudice des « nationalités » littéraires — en les
groupant sous leurs rubriques logiques d'abord (hostilité au rationa-
lisme, retour au moyen âge, etc.), en laissant ensuite s'opérer la diffé-
renciation des temps, des lieux, des écoles : et ainsi, le plus ou le
moins^ accusé dans chaque pays par les diverses thèses romantiques
eût indiqué les affinités particulières d'une nation ou d'un groiàpe.
La disposition actuelle augmente le morcellement. Cette collection de
textes précis, dont plusieurs sont traduits pour la première fois en
français, rendra d'ailleurs les plus grands services. L'Angleterre,
I. Ecrire ^/feVé de l'oubli p. \6o,)nanusc)-it cfe Jacques i'e/orme, p. 262. L'idéal
de « l'honnête homme », tel qu'il est esquissé p. i63, exagère la part de la con-
vention. « Compter pour peu de chose l'autorité de qui que ce soit, quand on voit
qu'elle impose », dit le chevalier de Mérc dans le Discours de Vesprit. L'abbé Pré-
vost manque, de façon fort imprévue, p. 180. C'est assurément trahir la philoso-
phie de Balzac que de lui attribu-er (p. 196) « une assimilation complète de l'homme
et de l'animal ». L'histoire considérée comme « une géographie qui marche » :
c'est une idée qu'on trouve avant Michelet, dans Herder par exemple p. 240^ La
veine de romantisme d'avant 89 n'est pas mise en valeur par la p. 257. Froehner
(p. 27S; n'est un « savant d'outre-Rhin « que par sa naissance, non par ses fonctions
d'administrateur français à ce moment-là.
336 RKVHK CR'lIQl'U
rAlIcmagiH'. riialic et la France y sont seules miiircssdes directement,
mais il va de soi que les lormules maîtresses du Romantisme ne lais-
sent pas d'être impliquées dans une revue limitée même à ces quatre
pavs. L'Angleterre était moins riche en exposés théoriques qu'en
œuvres - et l'on regrettera que la littérature o/jj'o/7t/er and horror ne
soit qu'indiquée à propos de Walpolc, et que le recueil de Percy appa-
raisse si tard. L'Allemagne surabondait en textes doctrinaux et le rat-
tachement cà la philosophie de Fichte et de Schelling aurait pu être
illustré chemin faisant. Dans l'extrême variété de tendances qui s'auto-
risaient du romantisme français, l'absence de Stendhal n'est qu'à
demi excusée par son « extériorité », une bonne partie de la campa-
gne dramatique, avant i(S28, s'expliquant par les desiderata Aq son
groupe '; le retour aux antiquités nationales avait été le plus systéma-
tiquement préconisé par Villers iMag. encyclop. , sept. 1810); la }iro-
fonde modification du stvle poétique devait être jalonnée au moins
par un texte (par exemple la préface de Delécluze au Romeo de Da
Porto, ou l'article de P. Leroux dans le Globe du 8 avril 1829), aussi
bien que l'assouplissement du vers (qui sépare sans grande raison
Sainte-Beuve p. io5 d'Hugo p. ii5]. Certains articles des bibliogra-
phies n'ont pas d'opportunité bien directe, mais peuvent aider à gui-
der des curiosités que ce petit livre servira certainement à aiguiser et
à informer.
F. Baldensperger.
C. DE Lannoy et H. van der Linden : Histoire de 1 expansion coloniale des
peuples européens. Néerlande et Danemark, i vol. in-.S", V1-4.S7 p. Bru-
xelles, Laincrtin et Paris, Alcan, 191 r.
Après avoir étudié, dans un précédent volume, l'expansion colo-
niale des Portugais et des Espagnols, les auteurs, que recommande
leur titre de professeurs aux Universités de Gand et de Liège, ont
abgrdé Ihistoire des entreprises néerlandaises et danoises. Ils l'ont
fait avec un plan et une méthode identiques pour les deux catégories
d'entreprises, qui ont été, il est vrai, calquées les unes sur les autres,
conime elles se sont inspirées du même esprit, et leur ouvrage, plein
de faits et d'idées, est fort intéressant. C'est le résumé le plus solide
et le plus complet que nous possédions de la question, fondé sur la
connaissance d'une littérature, aussi abondante que négligée, le hol-
landais et le danois n'étant pas accessibles à tout le monde, voire à
tous les historiens.
L'étonnant essor colonial des Provinces-Unies, au xvu" et au
I. Cf. mémo l'Histoire du romantisme en France de Torein.x (Paris, 1^29,
p. 164) : (c Romantisme, c'est tout ce qui est mjuveau, d'institution nouvelle, dans
la vie pri\-ée comme en liuérature, en médecine et en politique ; je dirais presque
toute mode nouvelle... » Le Tea-table Miscetlany est de 1724 (p. 3, note i).
Ecrire Complaint (p. 3, note 2), Radclillc p. 12, Saiut-Aldobrandp. 94, note 2.
d'histoirk et I)i: i. i ttkratlire 357
xviii^ siècle, s'explique à la lois par leur situation, par le caractère de
leurs habitants, par la forme de leur gouvernement, par les conditions
de leur vie historique. M. de Lannoy Ta bien montré avant de racon-
ter l'expansion néerlandaise outre-mer ; il a ensuite distingue quatre
grandes phases, celle qu'il détinit heureusement le conHit de la
liberté et des monopoles, avant l'organisation dérinitive des deux
Compagnies de commerce privilégiées des Indes Orientales et Occi-
dentales, la période des luttes pour la conquête des Indes de 1621 à
1667, celle de l'extension territoriale et du déclin des Compagnies
(1667-1 781), enfin celle de la faillite des Compagnies et de la sup-
pression des monopoles f I 78 i-i -qSj ; il s'est arrêté au moment où les
armées de la France révolutionnaire renversent l'antique gouverne-
ment des Provinces-Unies, ce qui amène la dislocation de leur
empire colonial. Malgré l'étendue et en général l'exactitude de cet
exposé, il ne constitue pourtant pas la partie principale du livre, et
les chapitres suivants sont de beaucoup les plus nouveaux : l'admi-
nistration des colonies, soit dans la métiopole, soit sur place, ses
avantages et ses inconvénients, surtout les regrettables abus auxquels
donnèrent lieu la maladresse, la rapacité, et parfois l'incroyable
inconscience des fonctionnaires et colons, sont mis en lumière d'une
façon remarquable; le régime économique, conçu partout presque
uniquement en vue de l'exploitation commerciale des pavs conquis,
est soumis à une sévère et juste critique; on constate avec surprise à
quel point a été faible le rayonnement moral de la civilisation néer-
landaise aux colonies : même la langue hollandaise ne fut pas tou-
jours la plus employée et le portugais restait encore à la tin du
xviu- siècle aussi usité à Batavia; enfin les résultats de la colonisa-
tion pour la mère-patrie sont appréciés avec perspicacité, l'auteur ne
se laissant pas éblouir par le mirage des immenses conquêtes d'un
petit peuple et prouvant, pièces en main, que, tout en formant un des
organismes économiques essentiels de la République, l'empire colo-
nial néerlandais n'a pas autant fait pour sa grandeur politique et
morale qu'il l'aurait pu, constitué sur des bases moins étroites, en
dehors de Compagnies à monopole; ce qui d'ailleurs ne mérite guère
d'être discute, puisqu'aucune autre organisation n'était alors possible!
L'expansion coloniale du Danemark est moins célèbre que celle de
la Néerlande ; elle a pourtant son importance, et le travail de M. van
der Linden est d'autant plus utile qu'on connaît d'ordinaire fort mal
les circonstances dans lesquelles le pavillon danois, le Danebrog, s'est
déployé à Tranquebar aux Indes Orientales, à Saint-Thomas, Saint-
Jean et Sainte-Croix, aux Antilles, ou sur les rives glacées du Fin-
marken, de l'Islande et du Groenland. Les détails donnés, soit sur
l'activité des diverses compagnies des Indes Orientales ou d'Asie, des
In ijs Occidentales et du Groenland, au xvii'' et au xviii'' siècle, soit
sur l'administration des établissements danois et leur régime écono.
338 REVUE CRITIQUE
miquc, soit sur les rcsuliais de cet essor colonial, précieux pour la
métropole malgré leur médiocrité, sont judicieusement choisis ; ils
rendront grand service à tous ceux qu'intéresse l'histoire du Dane-
mark.
Albert W'addington.
Gabriel Monod
I
Gabriel Monod, qui dirigea cette Reyue, et qui lui donna jadis tant
et de si bons articles, est mort prématurément le lo avril. D'autres
ont dit et diront qu'il fut et comment il fut un grand historien et un
grand directeur d'esprits. Nous, nous devons rappeler ici qu'il imprima
à la Revue critique, lorsqu'il y entra, comme il disait, avec l'audace
desintéressée de la jeunesse, une nouvelle vigueur et un nouvel élan.
Avant d'aller fonder la Revue historique, il soutint la. Revue critique de
tout son dévouement, de toute son expérience et de son savoir. Depuis,
il ne cessa de nous être fidèle; il suivait notre marche, il s'inté-
ressait à nos progrès, il nous amenait des collaborateurs. La Revue
critique gardera toujours le souvenir de cet homme de talent et de
cœur auquel elle doit, ainsi qu'à Gaston Paris, à Pau! Meyer et à
Michel Bréal, ses traditions de conscience et d'indépendance. « Ce
n'est, disait-il en 1874, qu'une étude attentive et patiente qui peut
permettre à un historien de comprendre assez bien une époque pour
en parler d'une manière juste, originale et intéressante; une étude
superficielle ne peut engendrer que des idées banales ou fausses » '.
Arthur Chlquet.
Il
La différence des études, non moins que la différence de Tàge, me
tenait assez loin de Gabriel Monod. Ce fut la Revue critique qui nous
rapprocha.
Quand, après la guerre, nous vovions par terre ou en danger de
disparaître bien des choses auxquelles nous avions commencé de tra-
vailler, et sur lesquelles nous fondions les plus belles espérances
d'avenir, quelques amis se réunirent pour se demander ce qui pouvait
être conservé, ce qui devait être sauvé. Je me permis alors de dire
qu'avant tout il fallait maintenir la Revue critique^ qu'il importait de
sauver d'abord le franc parler, la libre recherche dans notre ordre
d'études. Gabriel Monod fut de cet avis et sur notre demande, à Gaston
Paris et à moi, il se déclara prêt à se charger de la direction. Mais il
le faisait à la condition de nous avoir pour associés et collaborateurs
I. ^'oi^ aussi notre article de la Semaine littéraire de Genève (n° du 27 avril) et
celui de Rodolphe Reuss dans le Journal d'Alsace-Lorraine du i3 avril.
d'histoire et de littérature 3 5g
réguliers. C'est ainsi que j'entrai à la Revue critique et que j'appris à
connaître, par des communications hebdomadaires, celui à qui j'ai
la tristesse de survivre et qui laisse un si grand vide dans la science.
Je pus alors apprécier les rares qualités qui faisaient de lui un maître
des études historiques : une incomparable sûreté de mémoire, des
connaissances aussi étendues que variées, hors de sa spécialité aussi
bien que sur son domaine spécial, la justesse et l'a propos des rappro-
chements. Mais ce qui n'est pas moins admirable, et ce qui redouble
nos regrets, la parfaite impartialité de l'esprit, l'indépendance du
jugement, non pas seulement vis à vis des adversaires, ce qui est
facile, mais vis à vis des amis, des confrères : en ceci on aura de la
peine à le remplacer...
Dans les circonstances difficiles que depuis quarante ans nous avons
traversées ensemble, j'avais pris l'habitude de me régler sur lui. Je
ne le consultais pas, mais je le regardais agir, car chez lui, et c'est
un trait de son caractère, l'acte ne se faisait pas attendre aprèsjla parole.
Il était donc pour moi comme un livre ouvert, comme un guide pour
ma conscience. J'ai idée qu'en ceci je n'ai pas été seul et que beaucoup
d'autres faisaient comme moi. Pour les partis à prendre, pour les
jugements à émettre, ils auront à se demander : Qu'aurait pensé,
qu'aurait dit, qu'aurait fait Gabriel Monod?
Michel Bréial.
— Ben Jonson, le comique du xvi" siècle, est en passe de devenir le type du
plagiaire. On se rappelle comment M. J. E. Spingarn d'abord et ensuite M. Cas-
telain ont démontré que les Discoverics ne sont qu'un pot-pourri de citations et
de traductions des anciens et de quelques critiques étrangers contemporains.
M. Ch. R. Baskerville a voulu rechercher quelle part revenait dans les premières
comédies de Jonson à ses devanciers [English Eléments in Jonson's Early Comedy,
University of Texas, in-8°, 328 pp.). Pour lui, Jonson n"a fait aux classiques et
aux auteurs étrangers que des emprunts de forme, « son théâtre, la façon de con-
cevoir les personnages, et son art littéraire » sont anglais d'inspiration. Cette
affirmation sappuie sur de nombreux rapprochements. — Ch. B.
— La figure de Charles Cotton, poète lyrique du xvii^ siècle, est bien oubliée
maintenant. Le professeur Charles Jacob Sembower, de l'université d'Indiana, a
essayé de lui rendre un semblant de vie (Z'/zc Life and the Poetry of Charles Cot-
ton, University of Pennsylvania, Appleton, New-York^ 191') in-12, i25 pp.). On
trouvera dans son opuscule une biographie fort bien faite, et une analyse des
œuvres poétiques, avec une étude sur leurs sources. Cotton semble avoir beau-
coup admiré nos auteurs. 11 s'inspire de Desportes et de Malherbe, il a traduit les
Commentaires de Monluc et une tragédie de Corneille. Chose intéressante, il
paraît avoir connu en manuscrit plusieurs petits poèmes de Voiture. — Ch. B.
— MM. Achille Laurent et L. Martin-Dupont ont rendu service à ceux qui
aiment l'immortel auteur de" Pickwick en traduisant l'étude enthousiaste que
M. G. K. Chesterton lui a consacrée (Charles Dickens, Paris, Delagrave, 1912,
in-!2, 210 pp., 3 fr. 5o). La conclusion indique le ton du livre : « Dickens domi-
36o REVUE CRITIQUE d'hiSTOIRE tT lit LITTÉRATURE
nera notre époque comme la figure gigantesque de Rabelais domina la Renais-
sance ». On sent que le critique s'est laissé gagner par le charme singulier du
romancier, et h son tour il sait nous tenir snus le charme. -- Cii. H.
— En attendant de lire la cot-respondance de Meredith, les adriiiràteurs du
romancier consulteront avec Fruit le volume que M. Constantin Photladf.s lui a
consacré (George Meredith, sa rie, son imagination, son ait, sa doctrine, l'dris,
Colin, in- 12, !>oo pp., 3 fr. 3o). De mOme qu'on place à la tCte d'une biographie
un portrait, ainsi M. C. P. raconte dans le premier chapitre sa visite à l'Iint Cot-
tage en 1908. Vient ensuite le récit de la vie de Meredith, forcément maigre,
puisque, soit réserve britannique, soit Hcrté de grand incompris, l'écrivain s'est
rarement laissé aller aux confidences. Les trois autres chapitres sont consacrés à
l'étude de l'œuvre. On y verra, probablement pour la première fois en France, des
analyses exactes des principales œuvres. A propos du st} le capricieux, tourmenté,
parfois obscur de Meredith; M. C. P. parle beaucoup d'influences allemandes; il y
a cependant un éct-Jvain français à qui ori pourrait compdrer Meredith sans trop
de désavantage, c'est Marivaux. — Le D"" Ernst Dick consacre un petit livre au
rtlôttie écrivain (George Meredith, Drei Versiiche. Berlin, Wiegandt et Grieberi,
in-H", iqi pp., 4 M. 5o) ; les essais portent sur la vie cl les œuvres du romancier et
sur l'élément comique dans ses œuvres et sont suivis d'une traduction de V Essai
sitr la Comédie. Les quelques pages consacrées à la biographie ne dépassent pas les
dimensions d'un article d'encyclopédie. On n'y trouvera rien de nouveau. — Ch. B.
— Le tome 11 de Luther et le Luthéranisme (Picard, 191 i ; in-12 de 472 p.,
3 fr. 5o) du P. Denifle a été traduit « en parties à peu près égales » par MM. Pa-
quier et Bayol, et donne la fin de la première partie (ch. xi et xii sur le Baptême,
xiii sur le Mariage et xiv sur l'Etat religieux) et les 3 premiers chapitres de la
seconde partie (i, des pénitences immodérées de Luther avant sa conversion; n,
doctrine des Pères de l'Eglise sur la miséricorde de Dieu et sur sa grâce en
regard de notre impuissance; m, le moment précis de la crise morale et doctrinale
de Luthei- : il faut la placer en i5i5, « ce n'est donc pas par hasard qu'il n'entre
qu'alors en lutte avec les scolastiques »). Il forme le n» 7 de la Bibliothèque d'his-
toire religieuse, dont le tohie I avait le n" 5 ; les tomes 111 et IV vont paraître, et
leur traduction, « déjà fort avancée, sera le fruit de la même étroite collaboration »
des deux traducteurs; qui préviennent que, « dans ce volurrie plus encore que daiis
le précédent », Ils ont « rectifie et complété certains passages de l'original » et
« utilisé notamment le tome I du Luther du P. Grisar », qui apporte « le calme
après la tempête ») de Denifle. Comme caractéristique générale de l'ouvrage, rap-
pelons que, bien qu'étant le produit d'un parti-pris aveugle et même, en partie,
d'une haine furieuse, il peut être utilisé prudemment pour redresser certaines don-
nées trop subjectives ou trop optimistes des historiens protestants et faire entendre
le son de cloche contraire. Ici, comme d'ordinaire : in medio veritas. — Th. Scn.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamoa.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 19 — 11 mai — 1912
Havers, Un emploi du datif. — E. Richter, Comment nous parlons. — Kluge,
Les éléments du gotique. — Beknekkr, Dictionnaire étymologique slave. —
PoiROT, Phonétique. — Mollkr, Lexique indo-germanique comparé. — Wright,
Gratnmaire comparée du grec. — Brkwkr, L'époque où vécut Clommodien. —
D'Alks, Commodien et son temps. — Pmi.i., Tcrtullicn et Marcion. — Vie de
sainte Geneviève,. p. Kunstle. — Le livre de Daniel, p. Huhner. — Vernay, Le
livre de l'Excommunication, de Bérenger Frédtjl. — P. de Bouchaud, Les poé-
sies de Michel Ange et de Vittoria Colonna. — Gabetti, Jean Prati. — Berte-
VAL, Le théâtre d'Ibsen. — Bouchor, Contes. — A. de Croze, La chanson popu-
laire de l'ile de Corse. — Guéri. in, La Touraine. — Hardy et Gandiehon,
Bourges. — Leci.erco, Voyage à Majorque. — La France. — Simon, .V. Thiers.
— Logos, II,
W. Havers. Untersuchungen zur Kasussyntax der indogermanischen Spra-
chen; Strasbourg (chez K. Trùbner), 1911, in-8° xix-335 p. (Untersuchungen
zur indogermanischen Sprach-und Kulturwissenschaft, herausgegebcn von
K. Brugmann und A. Thumb, 3).
Le sujet est heureusement beaucoup plus délimite' que le titre trop
large ne le fait prévoir; M. Havers ne traite en réalité que d'un emploi
particulier du datif, celui qu'on trouve dans les phrases latines telles
quepectus mih: percutit, hicmihi corriimpit/îlium, etc.; l'auteur donne
à cet emploi le nom, inélégant, de dativus sympatheticus.
Ce livre a un premier et rare mérite : il est Toeuvre d'un véritable
comparatiste. M. H. passe en revue les usages du datif qu'il étudie
dans toutes les langues indo-européennes, d'après un examen person-
nel de textes de chacune, et non seulement des plus anciens textes,
mais de textes empruntés à toutes les périodes jusqu'à la période
moderne. Si l'arménais et l'albanais, que M. H, n'a pas étudiés lui-
môme, sont négligés, c'est qu'ils n'apporteraient rien à la solution du
problème posé. — Cette virtuosité, remarquable chez un savant
encore tout près de ses débuts, n'a pas empêché M. H. d'aboutir à des
conclusions précises : partout, et même là où, comme dans le latin
des comiques, le ^ dativus sympatheticus » est le plus vivant, l'adjec-
tif possessif fait concurrence au datif, et l'on trouve des types tels
que : dorsum dispoliet meum ou meum corriimpit Jïliiim . C'est que
cet emploi du datif était au fond propre aux pronoms personnels
proprement dits, c'est-à-dire aux pronoms de i""" et de 2® personnes;
c'est un emploi fortement expressif, et qui subsiste surtout là où l'on
cherche une manière expressive de parler. M. H. est amené à con-
Nouvelle série LXXIII 19
302 REVUE CRITIQUE
clurc que les pronoms atones *moi et *toi de l'indo-européen, qu'on
considère d'ordinaire comme des génitifs-datifs étaient à l'origine de
purs datifs et doivent à l'emploi étudié dans ce livre le développe-
ment de sens qui les a conduits à être traités comme des génitifs.
Incidemment, l'auteur indique quantité de vues de détail ingénieuses
et intéressantes; il s'efforce détenir compte des tendances littéraires,
des influences de langues les unes sur les autres. Ce premier grand
ouvrage de M. H. lui fait honneur et promet pour l'avenir.
L'inexpérience de l'auteur se traduit par la raideur et la gaucherie
du plan : M. H. distingue six catégories dans les emplois du datif
qu'il examine — il y aurait à dire sur sa division : le cas de optundit
os mihi est exactement pareil à celui de jnihi cor sauciat, et l'on ne
voit pas que le caractère physique du sens dans le premier cas et
le caractère moral du sens dans le second aient aucune conséquence
ici pour la grammaire — ; ces six catégories, très artificielles, une
fois posées, M. H. en reprend l'étude non seulement pour chacune des
langues indo-européennes, mais pour chacun des textes qu'il passe
en revue !
M. H. est un peu accablé sous la masse des faits qu'il apporte; il
croit un peu trop aux faits matériels, trop peu à l'interprétation et à
l'agencement des données. Quand il s'efforce d'établir que les formes
atones *woz, *toi étaientà l'origine des datifs et ont reçu d'une manière
tardive la valeur de génitifs, il s'appuie trop sur le fait que, en
védique, me et te sont presque toujours de purs datifs : les formes
atones, très faibles, simples mots accessoires, se prêtaient mal à servir de
génitifs partitifs près des verbes. En revanche, le principe posé par
M. Wackernagel que près des noms on employait des adjectifs dérivés
plutôt que des génitifs fait prévoir que dans une phrase du type
védique de sapatnîm me sahdvahai, la forme i.-e. *moi était un datif;
si l'on avait pensé à un complément de nom, on aurait mis un adjec-
tif possessif. Ce n'est que plus tard, quand s'est répandu l'emploi du
génitif complément de nom, que véd. me, gr. [xoi ont fait l'effet
de génitifs. M. H. n'a pas tiré des vues de M. Wackernagel le parti
qu'il aurait pu.
Quand il parle de maiy, taiy, etc. en vieux perse, M. H. omet de
rappeler que le vieux perse ne distingue pas entre le génitif et le
datif, et l'on éprouve quelque malaise à lui voir discuter la valeur
de datif ou de génitif de ces formes, et ne pas rappeler que le pluriel
shâm de shaiy a la forme d'un génitif, tout en ayant exactement le
même emploi.
Les hypothèses de M. H. sont parfois bien hardies, ainsi quand,
p. 255, il attribue l'importance prise en celtique par la préposition à
l'influence d'une population préceltique (sans doute ibère, dit-il) sur
le celtique. Mais à la date où sont attestées les langues celtiques et au
degré d'évolution où elles étaient parvenues, l'emploi des prépositions
d'histoire et de littérature 363
n'a rien que de normal, et les langues romanes ne le cèdent guère
au celtique. M. H. semble oublier ici que le celtique est connu à
un degré très avancé de son évolution et ne saurait être comparé direc-
tement au védique, au grec ancien ni même au latin.
A. Mi'.illkt.
IClise RiciiTKR. Wie wir sprechen, Sechs volkstûmliche Vortrâge, Leipzig
(Teubner) 191 2, in-S" xii-107 p. (vol. JÎ34 de la collection Ans Natitr-und
Geistesivelt).
Ce petit ouvrage de vulgarisation est écrit clairement et avec compé-
tence par une excellente élève de M. Meyer-Liibke et peut être recom-
mandé à tous ceux qui veulent prendre une première idée des principes
de la linguistique générale. On peut regretter quelques erreurs de
détail, on peut trouver trop mince la part faite à la théorie de l'em-
prunt, on peut estimer que trop d'importance est attribuée à une
psychologie quelque peu abstraite et verbale et trop peu à des faits
réels, historiques et sociaux. Mais dans l'ensemble l'ouvrage donne
des idées justes, il est bien équilibré, et il rendra de grands services.
A. Meillet.
1\ Kluce, Die Elemente des Gotischen. Eine erste Einfûhrung in die
deuische Sprachwisscnschaft. Strasbourg (chez Trùbnerj, igri, in-S», viii-i33 p.
[Grundriss der germanischen Philologie de H. Paul, 3* édition).
M. Kluge a profité de ce que la 3« édition du Grundriss de M. Paul
paraît dans des conditions nouvelles, en fascicules séparés publiés et
vendus à part, indépendamment les uns des autres, pour donner à son
exposé du gotique un aspect nouveau qu'annonce le titre reproduit
ci-dessus. Jugeant sans doute que la grammaire de M. Streitberg
fournit à l'étudiant toute la description utile et toute la bibliographie,
l'illustre germaniste s'est proposé de présenter le gotique comrne
l'outil élémentaire de l'explication historique de l'allemand et de la
comparaison du latin et du grec avec le germanique. Et c'est bien
ainsi en effet que la plupart des étudiants envisagent le gotique ; le
manuel ainsi fait sera très commode et ne manquera pas d'avoir du
succès auprès de tous ceux qui veulent s'initier à la grammaire com-
parée du germanique. On regrettera néanmoins que l'auteur n'ait pas
donné quelques indications bibliographiques, qu'il n'ait pas dit au
moins où Ton peut les trouver. On regrettera aussi que la théorie de
la phrase et de l'emploi des formes soit entièrement omise.
Dans le détail, le souci qu'a eu xM. K. de demeurer élémentaire l'a
conduit à présenter certains faits d'une manière un peu trop sim-
pliste; ainsi p. 10, la question de la répartition de e et / dans les dia-
lectes germaniques autres que le gotique n'est pas aussi simple qu'on
le croirait à lire M. K. ; et le fait que le gotique confond entièrement
e et /, disposant des deux voyelles suivant les phonèmes qui suivent,
364 REVUE CRITIQI E
n'est peut-Ctre pas aussi propre au goiiquc qu'il semble d'abord. On
ne voit pas assez nettement p. 7, que le traitement des préverbes
devant un verbe est un traitement de mot indépendant tandis que le
traitement des mêmes préverbes devant un nom est un traitement de
premier terme de composé. P. 32. l'emploi de /; dans Haibraiiis et
l'absence de // dans lairusaulyma rappellent de trop près l'usage laiin
pour que la coïncidence soit fortuite, d'autant plus que l'on a h en hia-
tus dans le type Abraham comme en latin. Et le k de Akaia ne prouve
pas que le y grec était encore occlusif au temps de WulHla ; mais le h
gotique ne se prêtait plus à rendre le / spirant; et l'on a recouru à k
d'après la prononciation latine des mots correspondants, ou reproduit
le signe grec du /, qui ne figure pas dans les mots indigènes. — M. K.
enseigne, p. 26, que le tt de got. atta serait une forme altérée d'une
ancienne spirante; mais le tt se retrouve également en allemand pour
ce mot; et le mot vieux frison àththa que signale M. K. signifie
« juré, juge » ; c'est un dérivé de êth « serment w ; en fait la géminée
indo-européenne tt a purement et simplement échappé à la mutation
consonantique ; le A* géminé échappe de même à la mutation dans
v. angl. ticcen, v. h. a. ^icki, en regard de v. h. a. :{iga « chèvre ».
A. Meillet.
E. Berneker, Slavisches etymologisches "Wôrterbuch. Lief. If-MIl, Hei-
delberg (chez Winter), in-8°, p. 81-640 (prix de souscription : i m. 5o la livrai-
son).
Le beau dictionnaire étymologique du slave de M. Berneker, dont
la première livraison a été annoncée dans cette revue, en 1908, II,
p. 264 et suiv., progresse régulièrement; il est maintenant parvenu à
la fin de la lettre k environ, et huit des vingt-cinq livraisons annoncées
ont paru. La suite a tenu les promesses du début ; la méthode est
demeurée aussi ferme, l'information aussi large et variée. M. B.
fournit aux slavistes un instrument de travail excellent que chacun
aura toujours sous la main et qui rendra, qui rend déjà des services
constants.
Il va sans dire qu'un livre qui renferme autant de faits et d'aussi
variés et où l'auteur a été obligé de prendre parti sur tant de ques-
tions délicates, de trancher tant de problèmes non résolus et en partie
insolubles prête à beaucoup de critiques de détail; ces critiques, qu'il
est trop aisé de multiplier, n'enlèvent rien à la valeur d'un ouvrage
dont tous les slavistes doivent savoir à M. B. le plus grand gré. Voici
quelques observations qui pourront peut-être servir à l'auteur.
P. 273 et suiv., M. B. a eu certainement tort de suivre l'idée de
M. Brugmann que l'e- initial de *éd- « manger » en slave et en
lituanien serait un préverbe; on trouve fréquemment des e longs de
cette sorte dans la flexion athématique, et la racine *sed- [Vn.sédmi] lui
en fournira un brillant exemple quand il sera parvenu à la lettre .s ;
»
d'histoire et de littérature 365
à propos de cette même racine, Tidée de poser un primitif *ésli, alors
que toutes les langues slaves, sans aucune exception, connaissent seu-
lement^a^/z, est malheureuse; quant au traitement deé- initial en slave
commun, M. B. s'en tient à l'idée ancienne que le traitement slave
commun serait ja- ; le seul exemple clair est celui du verbe ésti
« manger » qui garde é partout, sauf en bulgare, et il semble naturel de
poser le traitement d'après cet exemple, comme l'a fait M. Fortunatov.
— P. 458, on ne voit pas pourquoi M. B. part de *y()usd, avec d,
pour expliquer jî/A\7 ,- si l'on partait d'une diphtongue ou, avec d, on
aurait 11 intoné rude, et le mot slave ne serait pas oxyton, cornme il
l'est à en juger par l'accord des divers dialectes. La racine de skr.'
yauti, à laquelle recourt M. B., à tort ou à raison, pour expliquer le
groupe de si. juxa, lat. iiis, n'est pas dissyllabique, comme le croit
M. B., et l'adjectif en *-to- par exemple est de la forme skr. yiita-^
avec u bref, et c'est aussi 11 bref que suppose la forme brittonique de
bret. iod « bouillie », etc. ; le présent sanskrit j'az^f/, cité ici, est l'un
de ceux, assez nombreux, où un présent athématique radical présente
le vocalisme des trois personnes du singulier actif au degré long.
L'accentuation du Ux.jaujti, que cite M. B. est-elle bien établie? —
P. 582, ce n'est pas de gr. ■/.■xi-AVk'. , mais directement du latin castellum
que peuvent procéder la plupart des formes slaves telles que le tchèque
lîostel ; il n'y a pas de raison de croire que le slave ait dû emprunter
au grec plutôt qu'au latin; M. B. sacrifie ici à un préjugé courant
chez les Russes. — P. 618, la lecture krivy que M. B. attribue au
Psalterium sinaïticiim d'après l'édition si défectueuse de Geitler n'est
pas bonne ; M. B. aurait trouvé dans l'édition du psautier de Bologne
par M . Jagic la bonne leçon kriv i en deux mots ; et il aurait vu dans
le même texte de Bologne que l'altération du texte cité d'après le Psal-
terium sinaïticum se retrouve dans le psautier de Bologne, mais non
pas dans les autres manuscrits du psautier. En ce qui concerne l'ad-
jectif/rr/v, il aurait été bon de citer Pedersen, K. Z., XXXVIII, SyS,
qui rapproche le cas, assez pareil, de griva; et ceci aurait donné
occasion de citer, sous griva, l'article de M. Pedersen dans les Mate-
rialy i prace, 1,171. — P. 633, il ne faudrait plus citer gr. 7rp(a[jia'.,
mais seulement èirp'.à;jLr,v; dans skr. krlndti, il ne faudrait pas oublier
ïn cérébrale, et un renvoi à Sreznevskij n'aurait pas été superflu
pour Ta-a; iikrijenû.
A. Meillet.
J. PoiROT, Phonetik. Leipzig (chez Hirzel), 191 1, in-S", 276 [Handbiich der phy-
siologisclien Methodik de K. Tigerstedt, III, 6).
M. Poirot, qui s'est fait connaître par des recherches très solides
et précises de phonétique expérimentale, notamment sur le lapon,
publie maintenant, dans un grand recueil consacré aux méthodes de
la physiologie, un exposé minutieux des méthodes de la phonétique
3tlt") rtKVl i: CRU IQUK
expérimentale. L'exposé est en allemand parce que l'ouvrage dont il
fait partie est tout entier en allemand; mais on sait que M. Poiroi est
frans'ais. Dans ces 276 grandes pages, très denses, on trouvera beau-
coup de descriptions d'appareils et beaucoup de formules mathéma-
tiques; on n'y devra chercher aucune théorie sur un point quelconque
de la phonétique proprement dite, l.e livre arrive à son heure. Après
une période de grands espoirs, on n'a pas eu de la phonétique expé-
rimentale toutes les réalisations attendues. Les travaux ont été peu
nombreux; ils n'ont porté que sur peu de questions, et en partie sur
des questions d'intérêt assez mince; ils ont été discutés souvent avec
raison, et les méthodes employées ont paru souvent mal assurées.
Il est bon qu'un savant d'une compétence certaine vienne décrire tous
les procédés employés et en fasse une critique impartiale. Travaillant
à Helsingfors, loin des divers groupes qui sont en lutte les uns avec
les autres, M. P. a toute l'impartialité désirable. Et, d'autre part, son
livre, œuvre d'un phonéticien de profession, se présente avec les
meilleures garanties; ses collègues d'Helsingfors, M. Pipping, dont
on connaît les excellents travaux faits en partie sous la direction de
M. Hermann, et surtout le physiologiste directeur de la collection,
M. Tigerstedt, et un mathématicien, M. Lindelof ont aidé et conseillé
M. P. Dans ces conditions, on peut faire confiance. à l'auteur, qui
discute les diverses expériences d'une manière sobre, précise et
rigoureuse.
Le manuel de M. P. est bien fait pour donner aux recherches de
phonétique expérimentale l'impulsion nouvelle dont elles ont besoin.
Mais il montre que les laboratoires devront être pourvus de res-
sources supérieures à celles dont ils disposent pour la plupart; les
recherches sont délicates; elles exigent des appareils multiples et
divers; on a trop multiplié les laboratoires en France, mais en ne
donnant à chacun que des ressources minimes et par suite lin outil-
lage insuffisant pour une quantité de recherches. Beaucoup des appa-
reils décrits ne représentent évidemment que des essais, et, si M. P.
s'y est arrêté, s'il donne des détails sur des appareils auxquels on
a renoncé ou qui même n'ont jamais été vraiment en usage, comm^
certains enregistreurs des vibrations du larynx ou des mouvements
du voile du palais, c'est qu'il estime sans doute que l'on y pourra
trouver l'idée de procédés nouveaux. D'autre part, si les linguistes
peuvent, sans s'être donné une préparation physiologique et physique
bien approfondie, faire certaines sortes d'enregistrements, en parti-
culier étudier les mouvements des organes de la parole — mais on
ne peut les enregistrer que d'une manière assez grossière et imprécise
— et la hauteur ou la durée des sons, on ne peut aborder certaines
autres questions, et en particulier celle du timbre des voyelles sans
être un physicien averti et sans avoir quelque préparation mathéma-
tique. En ce qui concerne l'étude de l'intensité, dont l'importance
d'histoire et de littérature 367
en linguistique est capitale, M. P. indique qu'on n'est pas sorti do la
période des premiers essais.
M. P. a montré, par ce livre, qu'il est éminemment qualifié pour
poursuivre ces recherches, son exposé est bien disposé, net, impartial
et prouve d'un bout à l'autre la compétence et le bon jugement de
l'auteur.
A. Meillet.
H. Moi.LKK, Vergleichendes indogermanisch-semitisches Wôrterbuch. Got-
tini^cn (V'andcnhocck u. Riiprcchti. l'iii, in-8°,, xxxvi-^iiô p.
M. Môller est profondément convaincu que le groupe indo-euro-
péen et le groupe sémitique remontent à un original commun, et il
s'efforce de dresser le vocabulaire commun de la langue sémitico-indo-
européenne dont il suppose l'existence. Il a rencontré Jusqu'ici beau-
coup de contradicteurs, mais aussi quelques partisans éminents,
notamment son compatriote M . Pedersen. On a quelque scrupule à
ne pas partager une conviction si forte, qui née chez un linguiste con-
naissant et pratiquant les bonnes méthodes, ne peut manquer de faire
impression. Mais les procédés de M. M. sont peu rassurants. Pour
démontrer que l'indo-européen et le sémitique remontent à un origi-
nal commun, il faudrait, à ce qu'il semble, établir que certains élé-
ments morphologiques essentiels des deux langues sont les mêmes ;
or, M. M. insiste très peu sur les formes grammaticales — seules
probantes en l'espèce — et il ne s'assure nullement que les formes
sémitiques dont il use se retrouvent dans le groupe hamitique ; étant
donné que le sémitique est sûrement apparenté au hamitique et no-
tamment à l'égyptien, ce n'est pas du sémitique seul qu'il faut rappro-
cher l'indo-européen; c'est du hamitico-sémitique ; mais ceci est
impossible en l'état actuel de la grammaire comparée du hamitique et
du sémitique. Le travail de M. M. est donc prématuré. Quoiqu'il en
soit de cette réserve fondamentale, les concordances grammaticales
que note M . M. entre le sémitique et l'indo-européen sont peu claires,
peu importantes, dénuées de force probante.
Restent les combinaisons étymologiques. Mais ici M. M. se con-
tente à trop peu de frais. On est plus exigeant que cela maintenant
en matière de preuve étymologique. 11 n'hésite pas à prendre dans le
vocabulaire de chaque langue indo-européenne isolément un mot
qu'il rapproche d'un mot de sens plus ou moins voisin d'une langue
sémitique également isolée, ou même quelquefois si, par un singulier
hasard, le vocabulaire riche et varié des divers idiomes sémitiques ne
fournit pas un mot qu'on puisse rapprocher d'un mot des vocabulaires
indo-européens non moins riches et variés, il recourt à l'égyptien ;
par exemple il prend, p. 73, en grec le mot ■^(s'.iori « voisin », qui n'a
de correspondant en aucune autre langue indo-européenne, et il le rap-
proche d'une racine arabe ^)\ï « accroître », pour laquelle il ne four-
368 REVUE CRITIQUE
nit de correspondants en aucune autre langue sémitique. L'étymologic
suivante n'est pas plus probante : le groupe de skr. jyotayali « il
éclaire « (qu'on a expliqué avec assez de vraisemblance sur un prâ-
kriiisme, et où l'on a vu une altération d'une forme dyotayati) est
rapproche d'une racine arabe ^/n;' « briller ». Il y a des choses plus
inquiétantes encore, ainsi la racine, sûrement indo-européenne celle-
là, de lat. fari, fama est rapprochée, p. 23, de la racine aussi sûrement
sémitique de nb" «. annoncer, prophétiser»; le n initial des mots sémi-
tiques n'arrête pas M. M. : c'est un préfixe, dit-il simplement. A la
page 12, M. M. va jusqu'à grouper lat. sol et lux sous un même
chef "aw-l-, et il rapproche l'ensemble ainsi formé d'un groupe de
mots sémitiques signifiant « jour, briller ». P. 24, il rapproche skr.
bhayate « il craint » (et le vieux haut-allemand bibên, qu'il continue
d'en rapprocher malgré les observations de M. Wackernagel qui a
définitivement ruiné cette étymologie) d'une racine hébraïque biil
« être épouvanté « : il n'y a que la labiale initiale de commune aux
deux mots.
Sans doute, il importe, comme le dit avec raison M. M., de faire
éclater les murailles qui enserrent la grammaire comparée des lan-
gues indo-européennes. Mais pour faire sauter la muraille, il faut la
force irrésistible de rapprochements évidents. Si l'on compare les
rapprochements apportés par M. M. à ceux qui ont permis d'établir
la parenté des langues indo-européennes entre elles ou des langues
sémitiques entre elles, ou même du sémitique avec l'égyptien, on
verra tout;e la différence qui sépare une preuve en règle d'avec une
hypothèse qui reste à démontrer. Ce n'est pas à dire que l'on puisse
affirmer que le sémitique et l'indo-européen ne soient pas apparen-
tés. On peut fournir la preuve que deux langues sont parentes; on
ne peut jamais prouver que deux langues ne soient pas parentes ; car,
après une période de communauté, ces langues peuvent avoir divergé
assez pour que les concordances qui seraient probantes aient disparu.
Tout ce que Ton peut dire maintenant, c'est que les preuves fournies
par M. M. n'emportent pas la conviction et que la plupart de ses
rapprochements ne semblent pas évidents. Si jamais on peut établir
la parenté du sémitique, ou plutôt du hamitico-sémitique avec l'indo-
européen, ce ne sera sans doute qu'à l'aide de langues intermédiaires,
et cette parenté, dont la preuve n'est pas fournie encore, à ce qu'il
semble, expliquera les quelques ressemblances qui peuvent sembler
séduisantes parmi celles que signale M. M. Mais que l'auteur prenne
un autre groupe de langues, le bantou par exemple, et qu'il y cherche
des ressemblances avec l'indo-européen, il n'en trouvera sans doute
pas moins.
A. Meillet.
d'histoire et de littérature 369
Joseph Wright, Comparative grammar of the Greek language. Oxford
(H. l'rowde), 19 12, iii-8", xx-3(S4 p.
Si, pour faire un précis de grammaire comparée du grec, il suffisait
d'avoir une idée des principes de la grammaire comparée et d'avoir
soigneusement emprunté aux manuels de M. Brugmann une quantité
d'explications de détail en omettant le plus possible les idées géné-
rales, M. Wright aurait écrit un bon précis, et la collection dont ce
volume fait partie promettrait une série utile. Mais il est peut-être
permis d'être plus exigeant.
Tout d'abord, M. W. ne semble pas avoir des diverses langues
qu'il cite une connaissance assez précise et assez personnelle. Il est
brouillé plus que de raison avec les cérébrales sanskrites, notamment
p. III, 285 et 289; p. i6'3 il décline en sankrit svddîm, svddyds,
svddyai avec une regrettable obstination, après avoir écrit correcte-
ment svddvî p. 162, et le skr. bhrû- devint brû- p. 28. Tout germa-
niste qu'il soit, il enseigne, p. 335, que l'infinitif est limité à la forme
de l'accusaiif en ancien germanique. P. 171, on a en lituanien naktes
au lieu de naktës^ alors que c'est sur ë que porte en ce passage tout
l'iniérêt de la forme. Et même, p. 217, un latiniste lira dexterus avec
surprise. Il n'est pas jusqu'aux exemples cités qui ne présentent des
traces de distraction, ainsi quand avsjjio;, en regard du skr. aniti, est
donné p. 2 5 comme exemple du traitement a de d en grec.
M. W. ne semble suivre que d'assez loin les publications relatives
à la grammaire comparée. Quoique spécialiste du gotique, il continue
à rapprocher de yfi'jc le gotique siitis, suti\o que M. Streitberg en a si
heureusement séparé. L'idée que -va- dans ojvaixa-. serait un élément
suffixal est choquante au point de vue grec, pour qui songe à ouvv
To;i.at, ojvx[j.'.;, etc.; M. Frœnkel, Nomina agentis^ I, p. 208 et suiv., a
bien montré, après Frôhde et Solmsen, qu'il s'agit d'une racine ouva-.
— P. 288, M. W. enseigne encore que le futur grec serait un sub-
jonctif aoriste, théorie périmée, contre laquelle protestent toutes les
formes grecques et que M. Ribezzo a remplacée par son rapproche-
ment du futur grec avec le désidératif sanskrit.
En un temps où les questions relatives à l'emploi des formes et à
la syntaxe attirent particulièrement l'attention, M. W. s'en tient à la
phonétique et aux formes grammaticales, comme on l'aurait fait il y
a trente ans. Après la publication des manuels de M. Thumb et de
M. Buck qui ont rendu si facile l'étude des dialectes grecs, M. W.
s'en tient aux dialectes littéraires et laisse de côté presque tous les
enseignements qu'on peut tirer des faits dialectaux connus par les
inscriptions. Enfin les faits semblent parfois assez inexactement pré-
sentés; on ne voit pas pourquoi M. "W. conteste l'antiquité des formes
de parfait à désinences secondaires, c'est-à-dire du plus-que-parfait;
les deux seules langues qui présentent sous une forme claire le par-
fait indo-européen, à savoir le grec et l'indo-iranien en offrent des
3^0 REVUE CRITIQUE
formes concordantes, et i! n'est pas jusqu'au type éolien (et par suite
homérique) cl cypriote £[x£;iY,y/j7 du singulier qui ne trouve dans les
vëdas son correspondant exact ; on voit mal ce que veut dire
M. W. quand il parle d'expliquer hom. i;ji£;i.ï;/.ov par l'analogie de
l'imparfait.
Dans l'ensemble, renseignement donné par M. W. est correct;
mais l'auteur se borne à des faits énumérés le plus sèchement pos-
sible, et il est permis de se demander si, réduit à cet amas de petits
faits sans lien, l'enseignement de la grammaire comparée n'est pas
plus rebutant qu'utile.
A. Mkillkt.
H. Bhihvkr, s. .). Die Frage um das Zeitalter Kommodians [Forschungen zur
christl. Litcratur. u. Dogiiiengcschichic, von l^hiliard u. Kirsch, X, :] Pader-
born, Schôningh, 1910 (ix, 71 p. in -8». M. 2.t'>o
A. d'Alks, Commodien et son temps, exirait des Recherches de Science reli-
gieuse. 191 1, n" 3 et G.
Le P. Brewer doit être flatté de l'intérêt que son étude sur Kom-
modian von Ga^a [Forschungen A. Ehrhard et J. P. Kirsch, VI, 1-2,
Paderborn, 1906) a éveillé parmi les critiques. On connaît l'essentiel
de la thèse qu'il y soutient. Selon lui Commodien n'a écrit ni au
milieu du iii^ siècle (Ebert, Boissier), ni au début du iv<: (F. X. Kraus),
ni de 260 à 35o (Harnack), ni dans la seconde moitié du iv* siècle
(Maasl : mais bien entre 458 et 466, dans le sud de Gaule. Telle est
la conclusion à laquelle il arrive par des considérations d'ordre lin-
guistique et par l'examen des allusions historiques qu'il pense aper-
cevoir, soit dans les Instrucliones, soit surtout dans le Carmen apolo-
geticum {v. S05-822).
Peu de temps après l'apparition de ce docte travail, M. J. Driiseke
écrivait dans la Theol. Literatiirieitung (1907, n° 3, p. 80, etc.).
« ..Eine Kommodian-Frage gibt es nun nicht mehr, Brewer hat
sic endgultiggelôst. » C'était aller un peu vite en besogne. M. Driiseke,
de qui la conviction est demeurée entière (voy. Theol. Literatur\ci-
tung, 191 1, p. 364 et s.), a dû s'apercevoir qu'elle ne s'imposait pas à
tous les esprits avec la même évidence qu'au sien. Particulièrement
vive fut l'attaque menée contre les combinaisons de Brewer par
M. Paul Lejay dans la Revue critique (t. LXIV [1907], p. 199-209;
cf. ibid., t. XLIIl [1909], p. i25). M. Cari Weyman opina dans
le même sens que M. Lejay [Theol. Revue, t. VII [1908] p. 523 et s.\
M. F. Zeller publia à son tour dans la Theol. Quarîalschrift (t. XCl
[1909], p. 161-211; 252-406) une dissertation nettement défavorable
à la thèse du Père Brewer, et Bardenhewer a cru prudent de ne pas
accueillir cette thèse dans la troisième édition (1910) de sa classique
Patrologie (p, 197).
C'est pour répondre aux objections de Lejay, de Weyman et de
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE ?"!
Zcller que le P. Brewer défend à nouveau quelques uns des points
les plus coniesiés de sa dénionsiraiion, dans un récent fascicule
des Forschungen. Les indices qu'il estime décisifs en faveur de
sa thèse sont : i" l'emploi du mot index au sens de « gouver-
neur [Carmen ApoL, Sj'} et s.); 2" l'allusion à la lourdeur des
tributa [Carmen Apol. 890); 3» le petit nombre et la inisère des
prêtres pa'iens [Instr., i, 8; 17; 18; 19); 4" l'allusion à la rechute
volontaire dans le paganisme et aux pénalités qu'elle entraîne [Inst.,
II,i'3): 5" l'utilisation par Commodien des Constitutions apostoliques '^
6'^ l'hostilité de G. au Sémi-pélagianisme et son adhésion à la doctrine
augustinienne de la grâce; 7» enfin l'interprétation du Carmen, 8o5 et s.
(qui implique selon B., que le poète a connu la prise de Rome par
Alaric, et l'irruption des barbares sur le Danube en 466) et le rapport
des Instr., II, lo à une décision prise en 458 par le pape Léon L'' au
sujet du baptême des enfants.
La discussion de B. est habilement aménagée. 11 a eu la satisfaction
de voir M . A. Bigelmair se ranger à ses côtés {Deutsche Literatur-
:[eitung, n" 23 [191 i], col. i4i3et s.) et M. Rauschen, Çd'abord hos
tile, se déclarer également en sa faveur (voy. la Liter. Beilage de la
Kôln. Volks\eitung, n°* 3, 10 et i5). J'avoue pourtant que la
nouvelle discussion instituée récemment par iVI. Cari Weyman,
avec son ordinaire acribie, dans la Theolog. Revue (19 12, n° i),
m'a paru ébranler fortement ou même ruiner la plupart des preuves
dont B. fait état; et de tous ces débats je recueille finalement une
impression conforme à celle de A. d'Alès dans l'intéressante étude
analytique qu'il vient d'écrire sur Commodien et son temps à propos
des travaux de Brewer : « La trace des temps de persécution, remarque
d'Alès, y apparaît trop évidente et trop profonde pour qu'on en
puisse abaisser la date jusqu'après l'édit de Milan. Je crois que le
savant philologue a majoré quelques indices douteux et négligé une
somme bien plus forte d'indices décisifs. »
Pierre de Labriolle.
Zur Erklgerung und Textkritik des I Bûches Tertulliens « aduersus Mar-
cionem », von !)'■ August Bu.u. Texte und Untersuchungen, XXW'III, 2.
Leipzig, .1. C. Hinrichs, igii. Prix ; 3 M. 5o.
Depuis deux ou trois ans, TertuUien attire particulièrement l'atten-
tion des philologues. M. J.-P. Waltzing a donné en 1910 une traduc-
tion de V Apologétique avec un ample commentaire, en même temps
qu'un de ses élèves, M. Paul Henen, publiait un Index uerborum
quae Tertulliani Apologetico continentur. En 19 10 encore, M. Richard
Heinze a consacré à ce traité tout un fascicule des Verhandlungen
de \a. Sachs. Ges. der Wiss. Une année auparavant, M . J . Gcffcken,
dans ses Kynika und Vervandtes [ip. 58-i38) traduisait et paraphrasait
le de Pallia, dont les énigmes quasi indéchiffrables méritaient -de
3j-2 REVUK CRITIQUE
solliciter sa subiile érudition. M. August Bill, enfin, vient de faire
paraître dans les Texte und Untersuchungen de A. Harnack et Cari
Schniidt une analvse critique trt-s minutieuse du premier livre de
Vadiicr.sus Marcioncm.
.le rappelle en quelques mots l'essentiel de la thèse marcioniste. —
Marcion avait été vivement frappé par les divergences entre l'idée de
Dieu, telle que la révèle l'Ancien Testament, et celle qui apparaît dans
l'Évangile. D'un côté un Dieu sévère et même cruel, en qui certaines
des passions humaines vivent et bouillonnent, qui aime, hait, se
venge, qui est sujet à l'incertitude et au repentir; de l'autre côté, un
Dieu de clémer^ce et de bonté, père céleste de toute créature. Marcion
partait de cette opposition pour accommoder à son gré les données de
la Révélation chrétienne. Selon lui, le Dieu véritable, le Dieu suprême
s'était véritablement et pour la première fois manifesté dans le Christ ;
quant au Dieu de l'Ancien Testament, il n'était à ses yeux qu'un
simple démiurge, un Dieu subalterne, responsable de la création de
la jXr,, de la « matière » mauvaise en soi. — Telle est la théorie que
ce Marcion, ancien commerçant, autodidacte, ignorant des disciplines
de la rhétorique et de la philosophie, avait cherché à propager à
Rome vers 1 38-140. La rupture avec l'autorité ecclésiastique était
inévitable. Quand elle fut définitive, Marcion, se mit à propager sa
doctrine, avec un réel succès.
TertuUien a consacré à la réfutation du marcionisme le plus ample
de ses ouvrages [VAdii. Marcionem ne comprend pas moins de cinq
livres), et l'un des plus retors, des plus caustiques, des plus procé-
duriers.
Le premier livre, dont s'occupe uniquement M. Bill, est consacré
à. la discussion de l'idée que Marcion s'était formée du Dieu suprême
et à la défense du Dieu chrétien méconnu. M. Bill, s'est assigné pour
tâche de suivre pas à pas, nuance à nuance, la pensée de TertuUien,
qui, par son allure nerveuse, ses raccourcis brusques, l'imprévu de
ses sautes, déconcerte si souvent le lecteur. Certaines préoccupations
dominent l'exégèse de M. Bill. Il veut : 1° étudier, dans ce premier
livre, la théorie rationnelle de Dieu la plus complète que les premiers
siècles chrétiens nous aient léguée, et, le cas échéant, en indiquer les
sources; 2° extraire toutes les indications propres à mieux faire con-
naître Marcion, sa doctrine, et ses ouvrages ; 3" examiner de près la
théorie de Kroymann (l'éditeur du tome III de TertuUien dans le
Corpus de Vienne) sur la double recension de VAdu. Marcionem.
Ce dernier point est fort intéressant, et c'est le seul que je retiendrai.
Pour faire comprendre de quoi il s'agit, je traduis les premières
lignes du traité ' : « De ce que nous avons pu faire précédemment
contre Marcion (déclare TertuUien) il n'y a plus à tenir compte désor-
I. Ed. Kroymann [Corp. Vindob., t. XXXXVII), p. 290.
d'histoire et de littérature 373
mais. C'est une matière nouvelle que nous entreprenons, d'après
l'ancienne. — Trouvant bàclc un premier opuscule, je l'avais sup-
prime en y substituant ensuite un travail plus complet, lequel n'était
pas encore remis pour qu'on en tirât copie, quand le larcin (d'un
individu) qui était alors un de nos frères, et qui est devenu apos-
tat depuis lors, m'en dépouilla. Il en transcrivit au petit bonheur
plusieurs parties, en y laissant quantité de fautes, et il les livra au
public. Une révision s'imposait '. A l'occasion de ce remaniement, je
me suis décidé à faire des additions. Et c'est ainsi que ce texte, qui
est le troisième puisqu'il vient après le second, et qui, étant le troi-
sième est désormais le premier [= celui qui doit faire autorité] rend
indispensable une préface, au moment où je publie l'opuscule où il
tigure. Il sera ainsi coupé court aux perplexités de ceux qui en trou-
veraient ici et là des rédactions divergentes ».
Le passage est curieux pour l'histoire du livre dans l'antiquité.
L'Adu. Ma7-cionem eut donc trois éditions, dont la dernière, dans l'in-
tention de l'auteur, devait annuler les deux autres. M. Kroymann
est parti de là pour expliquer dans ce traité certaines répétitions
d'idées, qui lui semblaient superflues : d'après lui des morceaux de la
seconde édition auraient été insérés dans la troisième, et il note en
marge ces prétendus doublets par un signe spécial.
Cette hypothèse (qui ne repose sur aucune attestation antique)
parait fort compromise après l'examen attentif auquel M. Bill vient de
la soumettre. En réalité, si TeriuUien semble quelquefois se répéter
à l'excès, c'est que, dialecticien inexorable, il frappe à coups redoublés
sur son idée pour la faire entrer de force dans l'esprit du lecteur.
Quelquefois aussi, ce n'est qu'une altération de texte, aisée à rectifier,
qui brise ou complique ses raisonnements. N'étant pas indispensable
à l'interprétation de VAdu. Marc, la conjecture de Kroymann devient
superflue.
Outre cette démonstration, M. Bill fournit bon nombre d'utiles
observations de détail. J'estime pourtant qu'il faut défendre contre
lui (p. 14) le texte de Kroymann au § II (p. 292, 1. 27 et s.) : le bonos
fructus est mis là pour la symétrie, ce qui facilite l'ellipse un peu
dure de condentis. Quant au quasi de la phrase suivante, il signifle
<i s' imaginant trouver ». La correction de Bill n'améliore aucune-
ment ce passage, et est à rejeter sans hésii-ation. J'en dirai autant de
celle qu'il propose (p. 16) pour Kroymann, p. 2r)3, I. Il : à quoi bon
modiher la leçon des mss., là où elle est intelligible? Enfln la con-
tradiction que B. (p. 34) croit trouver entre le chap. i et le chap. xxi,
au sujet de l'argument de prescription, est imaginaire. Tertullien a
déclaré au i; 1 qu'il ne veut pas couper court à toute discussion en se
I. Je reviens, avec Bii.l, à l'ancienne ponctuation, modifiée à tort par Kroymann :
« Einendationis nécessitas facta est. Innonationis eius, etc. ».
?-4 REVUE CRITIQUE
contcntani d'invoquer cet argument; mais cela n'implique nullement
qu'il s'interdise d'alléguer, le cas échéant, toute preuve tirée de la
« tradition ».
Pierre dk L.\nHi0Li-P:.
Vita sanctae Genouefae uirgiuis Parisiorum patronae, l'r()lct;omcna cons-
cripsit, icxluiu cdiiiil Carolus KiiNSTi.i;. Lipsiac, MCMX. Prix : M. 1.20; car-
tonné, M. 1 ,0o.
M. C. Kiinsile a donné dans la collection 'l\'ubner une nouvelle
édition de la vie de sainte Geneviève. On se rappelle les polémiques
qui se sont entrecroisées à propos de cette Vie entre des champions
tels que M. Bruno Krusch et Mgr Duchesne. M. Krusch se prononçait
nettement contre l'authenticité de la Vita Genouefae où il ne voulait
reconnaître qu'une falsification du viii^ siècle. Il résulte des conscien-
cieuses recherches de M. C. Kiinstle que l'original de la Vie remonte
bien au vi= siècle. K. en publie une recension nouvelle qui procède
d'un exemplaire du vii« siècle et qui se trouve dans le Cod. Augiensis^
XXXII (ix'^ s.), et dans le Cod. Palat. Vindob., n° 420 (fin viii-^s.).
Il conclue (contre Krusch) qu'en dépit des éléments légendaires que
la fantaisie populaire a incorporés à la Vie de sainte Geneviève, « il
faut tenir ferme à la vérité du fond historique sur lequel tranche
l'image de Geneviève ».
P. DE C.
Die poetische Bearbeitung des Bûches Daniel aus der Stuttgarter Handschrift
herausgegeben von Arthur IIui!NRr (Deutsche Texte des Mitielalters hgb. von
der k Preuss. Akad. der Wiss. Band XIX). Berlin, Wcidmann, 1911. In-S",
XXIV- 162 pp., 6,60 m.
L'Ordre Teutonique s'est appliqué à mettre en vers quelques
épisodes bibliques. Un poète anonyme, qui fut en relations avec cet
Ordre chevaleresque, a écrit une version poétique du Livre de Daniel^
conservée en deux manuscrits, dont l'un se trouve à Stuttgart.
M. Hiibner, qui s'est déjà livré à l'étude de ce poème dans une thèse
de doctorat, le publie dans la collection, si utile aux germanistes, des
Textes allemands du moyen àgc. A l'égard de la poésie et aussi de
la langue cette édition est la bienvenue. Les 8348 vers du poème
célèbrent l'histoire de Daniel, mais aussi glosent le texte biblique, et
s'étendent en allégories et exhortations. La langue du poème est un
peu sèche, mais ferme et variée. Les notes dont M. Hubner a enrichi
sa publication sont abondantes et élucident vraiment un texte qui
n'est pas toujours aisé.
F. P.
Eugène Vernay. Le Liber de Excommunicacione du cardinal Bérenger Frédol,
précédé d'une introduction historique sur l'excommunication et l'interdit en
droit canonique à la tin du xiiif siècle. Paris, Rousseau, 1912, i65 pp.
Cette édition complète l'étude que M. Paul VioUet publie sur
d'histoire et de littérature 375
Bércngcr Frédol dans l'Histoire littéraire de la France (t. XXXÎV).
Aussi M. Vernay se bornc-i-il à faire prcccdcr d'une introduction
historique !e Liber de exeommunieacione . Mais celte large introduc-
tion forme à elle seule une (Xiuvre neuve et vigoureusement pense'e.
lille était nécessaire. L'histoire de l'excommunication en effet,
reste encore, en grande partie, mystérieuse, peu de sujets se ramifiant
autant. Considérant l'excommunication comme un corrélatif de la
pénitence, M. Vernay trace une esquisse de l'évolution pénitentielle
dans son ensemble, et cette esquisse sera d'autant inieux accueillie
que les théories classiques du droit canonique ont été élaborées par la
conciliation de textes d'époques très dilférentcs.
L'œuvre, jusqu'ici inédite, de Bérenger Frédol, révèle un change-
ment accentué dans le caractère de la sentence d'excommunication.
Celte dernière perd l'allure qu'elle revêtait dans le haut moyen âge,
pour devenir plus interne. Certes elle appartient encore à la juridic-
tion extérieure de l'Eglise et s'appuie toujours sur le bras séculier ;
mais elle cherche déjà à se fonder avant tout sur le scrupule de
conscience, le for interne et la discipline confessionnelle, avec le
développement des excommunications latœ sententiœ. Le succès du
Liber de Bérenger Frédol fait de lui un témoin notable dans ce
mouvement des conceptions pénitentielles.
L'auteur examine successivement : l'excommunication dans l'his-
toire générale de la discipline pénitentielle, la sentence d'excommu-
nication, les excommunications latœ sententiœ, l'interdit, l'absolution.
Il décrit avec soin les manuscrits du Liber de exeommunieacione et
dressse le tableau de leur filiation. Une série de fac-similé termine
l'ouvrage.
P. Laborderie-Bouloo.
BoucHAUD (Pierre de), Les poésies de Michel Ange Buonarroti et de Vittoria
Colonna : £"55.3/ sur la lyrique italienne du xvi" 5;cV/£>. Paris, Grasset, 1912.
In-8, 2G8 p. 3 fr. 5o. " - . .
On trouvera peui-ctre que M. de B. exagère un peu l'originalité des
poésies de Michel Ange et de V. Colonna; à part quelques pièces
touchantes ou éloquentes comme les sonnets du premier sur Dante,
le style ni les pensées n'en sortent guères du cercle où les lyriques
italiens s'étaient enfermés à plaisir. De meine, l'amour de la liberté,
le ressentiment contre ses oppresseurs ne tenaient pas une aussi
grande place qu'il le croit dans l'àme de Michel Ange. Ajoutons, pour
en finir avec les chicanes, qu'il jugerait moins sévèrement la poésie
amoureuse des Latins s'il l'avait étudiée dans Catulle et dans Virgile
aussi bien que dans Ovide, Tibulle et Properce, et qu'il y a (p. 102) quel-
ques lapsus touchant la métrique italienne. Mais à s'éprendre passion-
nément d'âmes nobles comme celles de la marquise de Pescairc et du
.l-O . RKVUE CRITIQUE
grand sculpteur Horcmin. il n'y a pas grand mal, surtout aujourd'hui.
En outre, il faut songer que M. de R. rend depuis de longues années
à la science un service rare: c'est lui certainement qui a contribué
davantage à donner le goût de la littérature italienne aux personnes
du grand monde. Depuis quinze ans, infatigable comme s'il avait sa
vie à gagner, il prête son aide à toutes les sociétés savantes qui la
réclament ; par ses conférences, dont d'innombrables projections
doublent l'attrait et où sa qualité de poète et ses relations sociales
attirent quantité d'auditeurs qui ne se dérangeraient pas pour un érudit
de profession, par une douzaine de volumes d'une lecture agréable
consacrés à nos voisins, il a, à sa manière, autant fait que personne
pour l'italianisme. Ajoutons que, s'il ne fouille pas les sujets qu'il
traite avec la patience d'un bénédictin, il connaît et met à profit tous
les grands travaux de la critique. C'est un des plus distingués de nos
amateurs, et il faut souhaiter qu'il poursuive encore longtemps la
tâche qu'il s'est donnée.
Charles Drjob.
Gabetti (Giuseppe), Giovanni Prati, Milan, Cogliati, 19 12. In-8 de viii-466 p.
5 i. 5o.
Ce n'est pas la patience qui a manqué à M. G. : il a retrouvé jus-
qu'aux moindres articles de journaux relatifs à Prati. Ce n'est pas
non plus le sens critique; car il ne surfait jamais son auteur; ce n'est
pas même la finesse, car il démêle très bien dans Prati ce qui est
d'emprunt et ce qui vient du fonds même du poète, alors qu'un obser-
vateur superficiel s'y tromperait. Ce qui lui a manqué, c'est la conci-
sion. Quatre cent soixante-six pages sur un poète dont le nom ne
périra pas mais dont quelques vers ou quelques pièces survivront
seuls, c'est vraiment excessif. Sans doute Prati a traversé des époques
dramatiques ; il a eu ses opinions en littérature et en politique ; il a été
incarcéré par les Autrichiens à Padoue, éloigné de Venise par Manin,
de Florence par-Guerrazzi ; il fut un moment fort lu, fort goûté. Mais
autant il aurait été légitime de rassembler ses titres à l'estime en citant,
en analysant les morceaux où se marquent le mieux sa grâce, son
imagination rêveuse et brillante, autant il fallait courir sur sa vie qui
n'offre au total rien de saillant et ne pas ébaucher la discussion de
nombre de théories littéraires qui appelleraient une meilleure occa-
sion. Mais, somme toute, il y a dans l'ouvrage de M. G. les éléments
d'un bon travail.
Charles Dejob.
M. Berteval, Le théâtre d'Ibsen. Préface du comte Prozor. Paris, Perrin, 1912.
Pr. 3 fr. ?o.
L'auteur de ce nouvel ouvrage sur Ibsen cite en épigraphe ces paroles
d'histoirr kt de littérature 3-7
du poète rapportées par le comte Prozor : » Pour bien comprendre
mon œuvre, il faut en lire les parties dans leur ordre chronologique ».
C'est incontestable. Et, chronologiquement, il résume et commente
toutes les pièces depuis « Catilina» jusqu'à « Quand nous nous réveil-
lerons d'entre les morts ». Il n'en est pas moins certain qu'après cela,
nous n'avons d'Ibsen qu'une idée encore assez vague. Son théâtre
est-il ou non un théâtre d'idées ? Si oui, quelles sont ces idées ? Nulle
part nous no trouvons la synthèse qui nous présente le penseur en sa
puissante massivité. El ces idées, comment le poète s'y est-il pris
pour les exposer? De nouveau, les aperçus ingénieux ne manquent
point. Mais nous n'avons même pas en fin de livre une conclusion qui
nous dise clairement ce que fut le théâtre d'Ibsen, en quoi consiste
son originalité, ni quelle place il tient dans l'histoire du théâtre à la
fin du xix^ siècle.
Léon Pineau.
Maurice Bouchor, Contes. Paris, A. Colin, igii. Pr. i fr. 25.
L'idée que M. M. Bouchor a eue de transcrire un certain nombre
de contes populaires, « les plus belles histoires à lire ou à faire lire
aux enfants », je l'ai moi-même longtemps caressée, et si le métier
m'eût laissé le loisir de la mettre à exécution, mon édition, certes,
différerait beaucoup de la sienne. Lui, il a transcrit en poète : cela
n'est point donné à tout le monde. Moi, je l'eusse fait en paysan : je
m'en serais tenu ou presque au récit populaire même tel que je l'ai
entendu si souvent avec ses expressions pittoresques et ses tournures
hardies, où l'on retrouve, en même temps que toute la clarté et la viva-
cité de l'esprit français, toute la verve un peu rude et libre du véritable
esprit gaulois. Eût-ce été un crime d'être fidèle à ce point ? ou même
une faute de goût? .Te ne peux pas le croire. Mais, parce que j'aurais
procédé autrement, cela ne signifie point que je n'aie eu grand plaisir
à relire en la transcription de M. M. Bouchor les aventures de Peau
d'Ane et du Petit Poucet et du Chat botte' et du Chaperon rouge... Et,
comme M. Bouchor, je pense qu'un tel recueil devait être « le premier
livre classique » de nos enfants.
Léon Pineau.
Austin DE Gro/:i:, La ctianson populaire de l'île de Corse. Paris, H. Champion,
191 1.
Ce petit livre est tout d'enthousiasme. L'auteur ne s'en cache point
et il a raison. En le publiant, dit-il, c'est aussi une dette de reconnais-
sance qu'il acquitte pour les joies que lui a procurées son séjour de
trois ans dans l'ile méconnue. Cette Corse qu'il aime tant après l'avoir
redoutée comme une terre d'exil, c'en est l'âme qu'il a essayé de fixer
telle qu'elle s'exprime en ses naïves chansons. Après quelques pages
378 Rr.VlIF. CRlTIQtlF,
sur les Corses, leur histoire, leurs légendes, leur dialecte et leur
génie pratique et musical, il nous donne, en les expliquant et com-
meniani, de vieux airs populaires, des cliansons pcjlitiqucs à l'ironie
niordanie, des « nannc » ou berceuses, des sérénades, des chants nup-
tiaux, des chansons de travail, des « lanienti » et des «-voceri » sur-
tout, ces prodigieuses explosions de douleur, d'une douleur qui ignore
la résignation passive et qui « mérite d'être interprétée comme un signe
de l'énergie et de la vitalité de la <« race ». D'autres avant M. Ausiin
de Croze avaient publié de semblables recueils, même de plus com-
plets. Nul ne l'a fait avec plus de sympathie. Les Corses lui en sau-
ront gré, et tous ceux qui s'intéressent à la littérature populaire.
Léon PiNKAU.
La Touraine, par H. Guerlin (Antholosjies illustrées des Provinces françaises).
Paris, H. I.aurcns, in-8". Prix : 3 fr. — Bourges, par G. Hardv et A. Gax-
Dii.iKJN (Les \'illcs d'art célèbres). Paris, 11. Laurcns, in-H». Prix : 4 fr. —
Voyage à l'ile Majorque, par .Iules Leclkrcq. l^aris, Pion, in-12. Prix : 3 fr. 3o.
— La France, histoire ci géographie économiques, t. I, gr. in-8". Paris,
46, rue de Londres.
M. H. Laurens, l'éditeur d'art, entreprend une nouvelle collection,
parmi tant d'autres : celle des Provinces françaises, sous forme
d' «anthologies illustrées ». Expliquons-nous. Voici La Touraine,
pour commencer, la Touraine, creur de la France, « jardin de la
France » comme disaient les Mérovingiens, féconde en monuments,
merveilleuse en points de vue provinciaux. Le livre s'ouvre sur une
étude générale due à la plume de M. Henri Guerlin, où sont exa-
minées en cent pages la nature avec ses aspects pittoresques, avec les
questions de race et de sol, et les beautés créés par l'homme, et la vie,
c'est-à-dire l'histoire de la région, son art et son industrie. Cette
partie, écrite avec adresse et qui donne une vue d'ensemble caracté-
ristique, est suivie d'une seconde, de proportions un peu supérieuies,
composée de pages choisies dans les livres les plus célèbres des
écrivains qui ont connu, conté et décrit la Touraine : de Ronsard à
Balzac, de M™* de Sévigné à Théophile Gautier, d'Agrippa d'Aubigné
à Victor Hugo, de La Fontaine à Flaubert. Ajoutez une carte
d'ensemble et loq photographies. La collection est dirigée par
M. Henry Marcel, et annonce déjà de futurs volumes pour la Bour-
gogne, l'Auvergne et la Bretagne.
La série des « Villes d'Art », elle, en est à son L' lome. Voici, cette
fois, Bourges et le Berry (l'abbaye de Noirlac, les châteaux de Mcil-
lant et de Valençay.). MM. G. Hardy et A. Gandilhon ont uni
leurs compétences et leurs recherches nouvelles pour écrire cette
histoire descriptive et apprécier ce foyer d'art. Il est peu de villes plus
homogènes que Bourges comme évolution et développement monu-
mental ancien, qui aient conservé plus de vieilles maisons, d'aspects
d'histoire et de littérature 379
pittoresques et éloquents. Il en est peu de moins connues, parce
qu'elle est en dehors des grandes voies des touristes et d'ailleurs un
peu morte à la vie moderne. Elle n'en est que plus attachante à
étudier, et ce livre sera un guide précieux pour ceux qui auront cette
curiosité de l'aller visiter tout exprès : il est plein de choses, et
décrites avec goût ; il est aussi riche en photographies excellentes (i 24)
et heureusement choisies.
M. Jules Leclercq, qui a été au Spitzberg et au Caucase, à Java
et au Japon, en Islande et au Mexique, s'est contenté cette fois de
rilc Majorque. Le pays est moins inconnu, mais croyez bien qu'il a
su en parler d'une façon qui n'est pas celle que vous connaissez par
ailleurs. Ce voyageur a l'œil neuf et l'observation fraîche, cet écrivain
formule en style vivant des pensées originales. L'histoire, la nature
et les mœurs sont évoquées ici avec autant de relief que de charme,
16 vues photographiques achèvent le côté descriptif du livre.
Citons encore le premier tome d'une série d'études d'histoire et de
géographie économiques sur la France, rédigées sous la direction
de M. Maurice Vitrac, et envisagées surtout au point vue du ren-
seignement rapide, des derniers chiffres, des investigations sociales
ou industrielles les plus récentes, mais d'ailleurs avec documents
rétrospectifs, bibliographie et dates pour le passé, enfin avec une
véritable profusion de photographies. Le défaut du livre, c'est l'iné-
galité des développements (les « rives provençales » sont de beau-
coup les plus étudiées; les « rives languedociennes » le sont déjà
moins, les Pyrénées, le pays Basque, le Massif central, autant n'en
pas parler); c'est aussi la réclame qui forcément prend place un peu
partout à travers le document.
H. de C.
Pierre F. Simon, A. Thiers, chef du pouvoir exécutif et président de la Répu-
blique française (17 février 1871-24 mai iSyS). Paris, Cornély, 191 1, in-8°,
358 p., 10 fr.
Le 17 février 1871, l'Assemblée nationale avait délégué à Thiers
l'exercice des fonctions executives. Elle ne l'avait fait qu'en prenant
les plus grandes précautions, en réservant, dans les termes les plus
exprès, sa propre « souveraineté » et en spécifiant que les pouvoirs de
Thiers s'exerceraient sous son contrôle permanent. La situation du
chef du pouvoir exécutif paraissait donc inférieure et précaire. En
fait, cependant, Thiers imposa ses volontés à l'assemblée, et selon
l'expression souvent employée par M. S. — non sans exagération — ^
« loin d'être esclave, il fut dictateur ».
C'est pour essayer de découvrir les raisons de ce désaccord entre la
théorie et la pratique, d'expliquer comment, en si peu de temps, la
toute puissance de l'assemblée élue fit place à une espèce de gouver-
nement personnel, que M. S. a écrit son livre. Il l'a composé et rédigé
38o REVUK CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
on juriste, ctudiant directement les textes législatifs qui ont fondé et
moditié successivement — en général pour les restreindre — les pou-
voirs du président de la République. L'origine, l'élaboration, le vote,
enfin l'application de chaque loi font l'objet d'un paragraphe spécial,
que suit un commentaire détaillé au point de vue de la doctrine et un
examen des conséquences théoriques et pratiques. L'auteur s'est efforcé
aussi de faire la part des hommes et des circonstances, et il y a en
somme assez bien réussi. Le don de faire vivre les personnages lui
manque pourtant un peu, et la physionomie de Thiers^ qui tient
tant de place dans l'histoire parlementaire de cette époque, demeure
un peu terne et incolore, malgré les louables efforts de M. S. pour la
mettre en valeur.
L'ouvrage, naturellement fondé sur des documents publics, puisque
les pièces d'archives postérieures à 1870 ne sont pas accessibles,
rendra de bons services aux études de droit constitutionnel et à l'his-
toire du régime parlementaire. Il est bien composé, bien écrit sauf
quelques négligences. C'est un bon travail, que la faculté de droit de
Paris a justement récompensé parle prix Rossi en 1909.
R. GUYOT.
— Le troisième et dernier fascicule du tome I! du Logos (Mohr, 19 12, 4M.,
p. 263-38o) renferme les articles suivants : Eug. KûhnemaniN (Breslau), Herder,
Kant, Gœthe. Ein Kapitel ^iir Kulturphilosophie des deiitschen Idealismits. His-
toire des rapports d'Hcrder avec Kant et Gœthe; on y trouvera tout le détail de la
vive polémique entre les deux premiers de ces écrivains à propos des Idées: puis,
à partir de la p. 290, une belle analyse du génie de Gœthe. Tout cet article n'est
d'ailleurs qu'un chapitre de la deuxième édition remaniée d'une Vie de Herder
parue depuis chez Beck à Munich. — Broder Christiansen, Das àsthetische Urphe-
nomen. De même que Gœthe voyait toute la plante contenue virtuellement dans la
feuille, de même l'auteur trouve dans la tension [Spannung) le phénomène pri-
mordial de toute activité esthétique. — Léop. Ziegler, Ueber einige Begriffe der
« Philosopliie der reinen Erfahriing ». Critique du système d'Avenarius, et, ce qui
nous intéresse le plus, sa comparaison, à un moment donné ^p. 346) avec celui de
Bergson, dont le grand mérite, comme M. Z. le remarque avec justesse, est d'avoir
découvert et mis en relief la valeur philosophique de la durée. — Herm. Nohl
(lena). Die deutsche Bewegung iind die idealistischcn Système. Ce fragment était
destiné à être un paragraphe du tome 1\' d'une nouvelle édition du Griindriss der
Geschichte der Philosophie d'Ueberweg-Heinze; mais ce projet de publication
n'aboutit pas. 11 s'agit d'une caractéristique du mouvement philosophique inau-
guré par Schiller et Fichte, et qui se condensa en une nouvelle forme de pan-
théisme. — Arnold RuGE, System imd Geschichte der Philosophie . C'est un cours
de l'Université d'Heidelberg qui esquisse un essai de philosophie de l'histoire de la
philosophie et appuie surtout sur ce fait qu'il faut désormais bien distinguer la
philosophie de l'histoire et la logique de la science historique. L'auteur touche
aussi à la question, si vivement débattue depuis quelque temp^, des limites de
l'histoire.— Th. Sch.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 20 - 18 mai, — 1912
l)ii£LU,.\i-ov, Le Mausolée dTIalicarnasse cl le trophée d'Auguste . — Rkisinger,
Céramique Cretoise. — R. de Lastkvrie, L'architecture religieuse en l'rance, à
l'époque romane. — Cabeen, Marino en France. — Collas, Chapelain. — Wed-
DERKOP, La littérature française des xvii<^ et xvui<= siècles. — F. Rousseau,
Mémoires du président Ilénault. — Longuemare, Bossuet et la société française.
— Jacobs, Lettres de Frédéric à Thieriot. — Faguet, Rousseau contre Molière.
— AuDOUARD, Trois lettres du marquis de Mirabeau ; La maison de Bruny. —
Provins et Friedricus, Infortunes du Dauphin; Brelan d'adversaires. — Lau-
RENTiE, L'aflaire Naundorft". — Blay de Gaix, Lettres du baron de Castelnau. —
Marquis de Roux, La Révolution à l'uitiers et dans la Vienne. — De La Tour,
Le maréchal Niel. — Boyd, Octalcuque, 2. — Samter, Rites populaires. —
Meader, Idem et ipsc. — Reuss, L'église d'Alsace sous Louis XIV. — Stengel-
Fleiscuman'n, Dictionnaire de l'administration allemande, 14-16. — Kastil, La
doctrine de Fries. — Zieiien, Herbart et la psychologie expérimentale. — Busse,
Les grands philosophes modernes. — Wernle, Renaissance et Réforme. —
Philippi. Châtiment et criminels. — Lettres à D'Aiicona. — Lachèvre, Un
mémoire de Garassus. — Dura., Lettres de M'"" de Mondonville.
M. D1EULAF0V, Lo Mausolée d'Halicarnasse et le trophée d'Auguste. Extr. des
Mémoires de l'.Vcadémie des Inscriptions. Paris, Klincksieck, 191 1. In-4», p. i-
5 1 , fi g . I - 1 5 .
D'après D., ie rythme « septénaire » et le rapport de 6 à 7 ou de 7 à
6 joueraient un grand rôle dans les cotés des deux édifices. Le trophée
d'Auguste dériverait ainsi du Mausolée d'Halicarnasse, dont il serait
une transformation lointaine. I^es spécialistes sauront gré à l'auteur
des efforts qu'il a faits pour élucider ces difficiles questions de propor-
tions et de mesures, auxquelles les Anciens attachaient tant de prix,
mais que nous avons quelque peine à bien comprendre aujourd'hui.
Les archéologues noteront avec plaisir que D. ne croit pas à l'exis-
tence d'une colonne médiane sur les faces du Mausolée.
A. DE RiDDER,
E. Reisinger, Kretische Vasenmalerei vom Kamares-bis zum Palaststil. In-S",
p. i-5i,pl. i-iv. Berlin, Teubner, 1912. Prix. 3 rn.
Cet essai de R. sur la céramique Cretoise est clairement ordonné,
non sans esprit de système et se lit aisément, qualité méritoire dans
un sujet difficile et encore mal accessible. L'auteur malheureusement
ne paraît pas avoir connu par lui-même et manié de près la plupart
Nouvelle série LXXIII 20
382 REVUE CRITIQUE
des monuments dont il traite ; de là, sans doute, des simplifications
excessives et des partis pris dont la hardiesse ne laisse pas d'être inquié-
tante. La triple triade d'Evans n'est assurément rien de plus qu'une
hypothèse commode et R. a raison de relever bien des contradictions
dans cette classification : peut-être cependant aurait-il mieux fait de la
conserver provisoirement. De même la chronologie de Fimmen n'est
pas infaillible et R. le convainc à bon droit d'erreur sur bien des
points, mais il ne propose rien qui vaille mieux et, faute d'une vue
d'ensemble, ses positions sont quelque peu en l'air. Du moins a-t-il
raison de repousser la singulière idée qu'E. Meyer se fait du rôle joué
par Milo et relève-t-il à juste titre l'unité des tombes découvertes par
Schliemann dans 1' « agora » de l'acropole mycénienne : du fait que
les vases découverts dans ces sépultures sont contemporains, il résulte
que les « teintes mates », si fréquentes hors de l'Argolide, sont appro-
ximativement datées. Enfin R. montre, à tous les stades de son évolu-
tion, la diffusion de la céramique crétoise au dehors de l'île et s'efforce
de reconnaître les fabriques d'imitation. A tous ces titres, son mémoire
mérite d'être lu et ne peut manquer de rendre service aux archéolo-
gues.
A. DE RiDDER.
R. DE Lasteyrie, L'Architecture religieuse en France à l'époque romane :
ses origines, son développement. Paris, A. Picard, i v. gr. in-S°, de 7?o p. et
73 1 fig. Prix : 3o fr.
Nous attendions depuis quelque vingt ans ce précieux traité.
Nous le savions conçu, arrêté, en genèse, dans l'esprit de l'erudit
successeur de Jules Quicherat à cette chaire d'archéologie française
de l'Ecole des Chartes qui fut longtemps la seule au monde. Nous
escomptions d'avance la sûreté de sa doctrine, l'ampleur de ses
informations, le goût artistique de ses appréciations... Et nous
trouvions qu'il tardait beaucoup à paraître. C'est que, ne se jugeant
jamais suflBsamment informé, suivant avec un intérêt passionné les
recherches nouvelles écloses un peu partout, soit en émulation de
son enseignement, soit par la curiosité universelle qui depuis
quelque temps s'est reprise à nos vieux monuments si longtemps
dédaignés, il attendait toujours avant de conclure, avant d'établir,
dans des termes aussi définitifs que peut les comporter un pareil
sujet, les théories, les observations, les décisions que nous lui deman-
dions. C'est aussi, chose facile à comprendre, qu'il préférait attendre
l'heure où, débarrassé de l'enseignement immédiat, il pourrait voir de
plus haut l'œuvre de sa vie et s'adresser tout d'un coup, en une
magnifique leçon dernière, à ses trente générations délèves.
C'est à elles, dit-il, mais d'ailleurs à la mémoire de Quicherat,
qu'il dédierait son livre « s'il était digne de faire l'objet d'une dédi-
cace ». Mais il a beau nous en parler comme d'un ouvrage modeste
d'histoire kt de littérature
383
et spécial, substance de ses simples le^-ons, nous savons que nous
possédons là enfin une monographie complète, étendue, et plus
capable que tout autre essai ou manuel déjà paru, de défendre la
gloire de notre architecture nationale, d'en évoquer l'éloquence,
d'en propager l'étude.
Il l'a, du reste, traitée dans des proportions qui ne laissent rien à
désirer. M était juste, il était essentiel de consacrer tout un premier
volume de jbo p. à la seule époque romane, trop facilement négligée,
trop instinctivement saciiliée à la gothique, dont les spécimens, natu-
rellement, frappent davantage la foule et sont plus nombreux. Le
XII'-" siècle en particulier, qui vit le plus magnifique épanouissement de
ce style, mérite à lui seul une monographie. Mais, pour cire complète
et vraiment signiticative, cette monographie doit comprendre l'his-
toii-e des origines de l'an roman, et au besoin, car tant de monuments
précurseurs ont disparu, celle des édifices similaires éclos en Italie,
en Orient, en Afrique...; elle doit également en suivre l'influence
hors de nos frontières. Elle doit d'ailleurs et enfin recueillir par la
photographie le plus d'exemples topiques possible à l'appui de ses
descriptions, de ses démonstrations, de ses discussions critiques.
Je ne crois pas qu'il soit aisé de trouver encore quelque chose
à désirer dans l'ouvrage de M. de Lasteyrie. D'autant qu'il est
complet en un autre sens encore, celui de la bibliographie et de la
critique générale du sujet. Je veux dire que son enseignement, et son
mode particulier de traiter les mille questions soulevées à chaque pas,
n'a rien de la sécheresse dogmatique de tant de manuels. 11 dit son
avis, son opinion, son jugement, mais après avoir admis à la discus-
sion et soigneusement indiqué les théories, les recherches, les juge-
ments des autres. Il ne s'appuie d'ailleurs pas au hasard sur les textes :
il les examine et les commente. El sans -doute on dira que ceci est
d'une méthode normale, élémentaire, et le moins qu'il pût faire...
Croyez qu'elle n'est pas si couramment appliquée que cela.
Voici les divisions essentielles du livre : il ne peut être question ici
de l'examiner de plus près. Tout au plus insisterai-je sur les pages
où sont exposées les questions des voûtes et celles de la classification
des écoles romanes (tout en faisant remarquer l'insuttisance du clas-
sement imaginé par Quichcrat, je suis bien aise de constater qu'il en
adopte un fort peu éloigné, du moins des conclusions auxquelles cet
esprit si vigoureux et si clair était arrivé dans les dernières années de
sa vie). Donc M. de Lasteyrie commence son étude aux origines du
christianisme et à ses premières églises en Gaule. Il suit l'architecture
chrétienne à travers les basiliques italiennes, orientales et africaines.
11 en montre d'ailleurs la formation en remontant aux basiliques
civiles et privées des Romains et en étudiant de très près leur intéres-
sante complexité. Les édifices en rotonde et à coupole sont l'objet
d'un chapitre spécial. Puis voici les ^églises encore existantes, ou dont
■384 RKVIIE CRITIQUE
nous avons des docunienis j^raphiques, de répoque carolingienne,
avec leurs éléments consiituiifs et ornementaux; voici la renaissance
de l'art avec l'époque romane, et alors l'examen minutieux des plans,
des formes, des éléments constitutifs de la construction; voici, après
cette enquête technique, la revue des moiiumenis laissés par le temps
à notre admiration, à travers les écoles régionales les plus caractéris-
liquement délimitées : Provence, Bourgogne, Auvergne, Poitou,
Aquitaine (c'est-à-dire surtout les églises à coupoles), Normandie,
Pays du Rhin, Ile de France.
Enfin, cinq chapitres, non des moins ariisiiques, sont consacres à
la décoration des églises romanes, à la sculpture d'ornement qu'on y
étudie, à la statuaire parmi les différentes écoles, aux accessoires des
églises : autels, piscines, tombeaux... L'illustration la plus abon-
dante (731 reproductions), parfois inédite, et une bien utile table
alphabétique, complètent cet ouvrage dont il est à peine suffisant de
dire qu'il fait le plus grand honneur à son auteur.
Henri de Curzon.
Charles W. Cabeen, L'influence de Giambattista Marino sur la littérature fran-
çaise dans la première moitié du xvii* siècle. Paris, Hachette, 1904, 8", p. iG3.
Georges Collas. Un poète protecteur des lettres au xvir siècle, Jean Chapelain,
1595- 1674. Etude historique et littéraire d'après des documents inédits. Paris,
Perrin, 1912, 8°, p. 525. Fr. 7,5o.
M. V. Wedderkop. Neue Wege zur franzôsischen Literatur. XVII. und XVIII.
Jahrhundert. Ein Fûhrer fur moderne Léser Berlin, Curtius, 19 12. 8", p. 359.
Mk. 3,5o.
Il est un peu tard pour parler de l'étude de M. Cabeen, mais elle ne
nous a pas été adressée plus tôt. L'auteur n'admet pas la thèse ordi-
naire des historiens de la littérature attribuant au cavalier Marin une
influence réelle sur la préciosité du xvii« siècle commençant. Pour
lui, l'évolution de la poésie française a obéi à ce moment à de tout
autres lois que la littérature italienne du secentismo, dernier rayon
tremblant et afi'aibli de la Renaissance. Les poètes ou prosateurs
français qu'il passe en revue, Balzac, Voiture, Théophile, Saint-
Amant offrent tous, et dans leur tempérament et dans leurs œuvres,
des divergences si profondes avec la poésie sensuelle et le talent tout
formel de Marino qu'ils devaient échapper à l'action de cet étranger.
On ne saurait pourtant oublier qu'il passa huit ans à Paris, dans une
cour alors toute italienne. Le raisonnement de M. C. pourra paraître
contestable : car toutes les différences d'humeur et de goût qu'il
signale dans nos écrivains n'empêcheront pas qu'ils n'aient été sen-
sibles aux séductions de style de l'Italien et cherché à les reproduire.
Une comparaison poussée dans le détail eût autorisé des conclusions
peut-être opposées, en tout cas plus précises; M. C. s'est borné trop
souvent à des généralités, à de lointaines analogies ; sauf pour le
d'histoire kt de littérature 385
Pyrame et Thisbé de Théophile, il n'a guère essayé ce rapprochement
qui s'imposait. Il s'est contenté de nous donner d'assez nombreuses
citations des poésies de Marino, de VAdone en particulier, nous lais-
sant le soin de véririer nous-mêmes si nos auteurs s'en sont véritable-
ment inspirés. Il n'a donc réuni que des matériaux, et encore bien
insutlisants, pour une étude de l'influence de Marino, plus qu'il n'a
effectivement étudié cette influence. M. C. est étranger (le style de sa
dissertation le révèle déjà); il était difficile de lui demander de ne
nous apporter que des documents nouveaux, mais il eût pu, semble-
t-il, après avoir pratiqué l'œuvre de Marino et étudié l'auteur d'après
les recherches de l'érudition italienne, nous donner une enquête plus
approfondie.
II. Malgré le gros volume qu'il lui a consacré, M, Collas se défend
d'avoir voulu réhabiliter Chapelain; il a estimé seulement que la
place qu'il avait tenue dans notre littérature méritait une étude appro-
fondie, et comme la matière était touffue, les documents abondants, le
biographe scrupuleux, son travail a pris des proportions qui pourront
ne pas sembler à chacun en rapport avec l'importance du personnage.
M. C. en a suivi la biographie, en faisant de fréquents emprunts à la
correspondance publiée par Tamizey de Larroque et y ajoutant lui-
même des renseignements inédits. Pour lui Chapelain est avant tout
un esprit curieux, toujours avide d'apprendre,, et non seulement en
littérature, mais aussi dans le domaine de la science et de la politique;
sa vaste érudition le met en correspondance avec les savants euro-
péens les plus autorisés, et il se fait volontiers le nouvellier de ses
amis et de ses protecteurs. M. C. l'a bien situé au milieu de ses con-
temporains et signalé les influences qu'il a subies jusqu'au moment
où il devint lui-môme une autorité ; on lira au second chapitre du
livre un joli portrait du critique et une vivante description de son
cabinet, de sa bibliothèque, de son entourage. M. C, s'il se défend
de tenter une réhabilitation de Chapelain, lui est du moins très sym-
pathique ; il s'est attaché à le laver des reproches d'avarice et de
négligence dans la tenue que les contemporains lui adressèrent, et il
met justement en lumière son patriotisme et son dévouement à ses
amis; ce qu'il ne lui pardonne pas, c'est une lâche indulgence pour
les talents médiocres. La faveur de Richelieu, son rôle essentiel dans
l'Académie naissante, sa réputation croissante de critique bien
informé désignèrent Chapelain à l'attention de Colbert comme le
conseiller naturel dans la dispensation des faveurs royales aux gens
de lettres et aux savants. Cette partie de l'étude de M. C. est d'un
grand intérêt et méritait le soin qu'il y a apporté. Il a bien fait voir
quelle fut la part exacte de Chapelain dans cette collaboration et
comment Colbert se libéra assez vite de son consultant pour les gra-
tilîcations accordées aux nationaux ; pour les étrangers au contraire
386 RKVDE CRITIQUE
le rôle de Chapelain tut plus durable et il resta longtemps l'intermé-
diaire nécessaire entre les savants d'Europe et le ministre qui ne
cherchait d'ailleurs à faire de ses largesses qu'un instiument poli-
tique. M. C. a écrit là un utile chapitre qui complète et parfois rec-
tirie le tableau tracé par les historiens de Louis XIV. (^uant à r(euvre
critique ou poétique de Chapelain, qui est analysée à sa place au cours
de la biographie, il faut bien reconnaître qu'elle est fastidieuse,
même éclairée par le commentaire pénétrant et alerte de son bio-
graphe. Malgré l'excellente excuse qu'il peut nous donner de ses
investigations minutieuses, qu'après tout Chapelain est un des pre-
miers ouvriers du classicisme, ses dissertations sur VAdone, sur le
Cid, ses préfaces sur le poème épique, toutes ces élucubraiions, sauf
le Dialogue sur la lecture des vieux romans, sont d'un parfait pédan-
tisme; mais M. C. était trop consciencieux pour passer rapidement
sur ce fatras. Avec le même scrupule il a disserté sur les défauts de
la Pucelle et s'il était bien forcé d'accabler Chapelain, il l'a fait sans
trop de cruauté, mais non sans quelque longueur. Le copieux appen-
dice bibliographique ' témoignera de la patience avec laquelle l'auteur
a étudié une figure justement oubliée, mais qui joua du moins pen-
dant quelque temps un rôle de premier plan. Dans un volume con-
sacré à un auteur dont les relations furent si variées, un index eût été
fort utile.
III. De quel intérêt peut être encore pour le grand public allemand
la littérature de notie xvii<^ et \\\\\^ siècle? M. v. Wedderkop qui s'est
posé cette question a cru rendre service à ses compatriotes en leur
signalant les œuvres qui méritent de retenir leur attention. Il a estimé
avec raison que le choix devait être restreint à celles qui sont le plus
représentatives de l'esprit français. Mais parce que toutes les œuvres
où on a voulu voir la réalisation la plus complète de l'idéal classique
lui paraissent en contradiction avec cet esprit français, il rejette
dédaigneusement les plus grands noms, Corneille et Racine, Rossuet
et Molière (car Molière lui-même n'est pas français, il est lourd et
sans verve) ; il ne veut s'adresser qu'aux représentants des genres
secondaires. Il ne retient ainsi que quelques romans, quelques comé-
dies, deux poètes, deux auteurs de maximes, s'arrête plus longuement
aux mémorialistes et termine par l'examen de l'œuvre de Lafontaine
et de Voltaire. Il était juste de signaler à des lecteurs allemands des
œuvres originales de second plan et qui certainement ne leur sont pas
familières, telles que la Princesse de Clèves ou même le Roman boiir-
I. Il y a une édition plus complète des Mémoires de Ch. Perrault, c'est celle de
M. Bonnefon (Paris, Laurent, 1909) d'après le ms. autographe qui avait échappé
à P. Lacroix. .le me permets aussi de signaler à M. G. l'étude de M. A. Bernhard
die Parodie « Chapelain décoiffé n (Leipzig, 1910). — P. 88, écrire plutôt Banér
que Banier, et lire Beuthen, au lieu de Beiithen.
d'histoirk kt de littérature 38-
f^eois de Furetière, de leur faire mieux connaître Diderot, Duclos,
l'abbé Voisenon, ou encore Regnard et Marivaux, de les renseigner,
ne fût-ce que hâtivement, sur Tallemant, Hamilion, le président de
Brosses, Marmoniel ; mais des Français liront avec stupéfaction que
la Métromanic est le chef-d'œuvre de notre art comique, que Piron
doit être mis au-dessus de Molière, qu'il faut voir dans Benserade un
modèle d'élégance, dans Parny un poète éclipsant André Chénier ; ils
trouveront aussi outrés les éloges décernés au Thémidore de Godard
d'Aucourt, aux Mémoires de Lauzun, et surtout ils protesteront au
nom du bon goût contre la prétention d'exhumer pour des lecteurs
modernes la Pucelle de Voltaire. M. v. W. dit quelque part qu'une
race reste toujours par quelque côté impénétrable à l'autre; son livre
ne le prouve que trop, et à côté de justes appréciations il est plein
d'hérésies et d'injustices, sans parler des sévérités ordinaires où un
Germain se croit tenu en parlant des Latins. Le désir de quitter les
sentiers battus, de rompre avec les classifications des histoires litté-
raires ou les traditions de l'enseignement de l'école lui a fait trop sou-
vent outrer sa pensée pour relever ici toutes ses exagérations ; mais
malgré ce qu'il y a d'exact dans ses articles, il est bon d'avertir les
lecteurs qui le prendront pour guide que l'esprit français n'est pas
complètement représenté par les œuvres qu'il lui a plu d'en donner
comme la quintessence. Pour notre propre public le livre ne peut
avoir qu'un intérêt secondaire; néanmoins il pourra faire son profit
çà et là de telle remarque sur le degré d'estime que nos auteurs ont
conservée en Allemagne ou de tel rapprochement qu'ils ont suggéré
au critique; j'en cite quelques-uns: Diderot et Hoffmann, le prési-
dent de Brosses et Gœthe en Italie, et un autre au moins inattendu,
le Voltaire des contes en vers et Wilhelm Busch '.
L. ROUSTAN.
François Rousseau^ Mémoires du Président Hénault. Nouvelle édition complé-
tée, corrigée et annotée. Paris, Hachette, 191 1, in-8% p. 457. Fr. 10.
L'édition des Mémoires du Président Hénault donnée en i855 par
le baron de Vigan présentait d'assez, importantes lacunes que M. Rous-
seau vient de combler. Nous avons seulement à parler ici de ces addi-
tions tirées des archives de la Ferté-Macé et comparées avec d'autres
manuscrits. Elles comprennent d'abord des morceaux détachés, insé-
rés dans le texte des Mémoires, tels que le récit des derniers moments
du cardinal Dubois, celui de la disgrâce du duc de Bourbon, de l'af-
I. P. 25, V Art poétique de Boileau a quatre et non pas trois chants; p. Sy,
d'Urfé doit être appelé marquis, non baron; p. 71, le Roman bourgeois est anté-
rieur de doH^e ans a la Princesse de (Uàves; p. (j'.î, le Neveu de Rameau parut
en allemand en icSo5, non en 1S04. et la première édition française est de 1821,
non i823\ p. 162, écrire C.haulicu, La Fare, au lieu de Chaulien, La Fnrre;
p. 25o, lire tant, non tout; enfin dansics citations lesvcis faux sont trop fréquents.
388 REVUE CRITIQUE
faire du duc delà Force; puis des passages plus considérables publiés
en appendice. Sauf quelques pages sur le renvoi de Villeroy, gouver-
neur de Louis XV, ils se rapporient tous à la vie professionnelle du
Président ei retracent les difficultés survenues entre le Parlement hos-
tile à Law et le Régent qui lit transférer les chambres à Pontoise en
1720. Les aflaires d'église augmentèrent encore le désaccord entre les
deux pouvoirs, et Hénault nous a fidèlement présenté, en le suivant
jour par jour, de démarche en démarche, le rôle de sa compagnie
dans ces négociations laborieuses ; il a raconté avec non moins de
minutie la suite du conflit qui sépara le Parlement et le roi de iy?>\ à
1732, toujours à propos de la constitution Unigenitus. M. M. ne s'est
pas contenté de nous donner un texte plus complet, il a corrigé aussi
celui de l'ancienne édition et l'a éclairé par de très utiles notes bio-
graphiques qu'appelait la foule des noms propres remplissant chaque
page des Mémoires ; l'index qui termine le volume sera égalenient le
bienvenu .
L. R.
E. LoNGUEMARE, Bossuet et la Société française sous- le règne de Louis XIV.
Paris, Bloud, igio, in-i6, p. 284. Kr. 3,5o.
La critique moderne nous a depuis longtemps habitués à voir dans
les oeuvres classiques, en dépit de leur profond caractère de généra-
lité et d'impersonnalité, un reflet du milieu social contemporain,
mais elle ne l'avait pas encore tenté pour l'œuvre oratoire de Bos-
suet. M. Longuemare a voulu préciser à son tour l'actualité du grand
sermonnaire et chez celui qui fut avant tout un théologien et un dog-
matiste découvrir un observateur attentif de son siècle, un moraliste
qui, malgré la haute portée de ses leçons, est toujours préoccupé des
vices et des travers de son temps, des injustices et des dangers de
l'état social du monde où il vit. L'auteur a donc commenté sa
parole avec l'aide des abondants témoignages que les correspondances,
les mémoires, les peintures des moralistes purs et la foule des docu-
ments de tout genre nous livrent sur le xv!!*" siècle. Bossuet fut pen-
dant dix ans le prédicateur de la cour, pendant dix ans précepteur du
dauphin : c'est naturellement la cour, le roi, les courtisans, la famille
royale, les maîtresses et les favorites que M. L. devait étudier. Il a
écrit des pages solides et pénétrantes pour interpréter les grands mor-
ceaux d'apparat que furent les oraisons funèbres et aussi les sermons
plus familiers. Des huit chapitres qui constituent dans son livre cette
analyse historique de l'œuvre de l'orateur sacré, quatre sont ainsi
consacrés au monde de Versailles ; il faudrait y joindre encore celui
dont les jeunes filles font l'objet et où M. L. a habilenient groupé
tout ce qu'ont suggéré à Bossuet la question du mariage dans la
noblesse et le régime des couvents, si souvent l'asile des filles de
grandes familles. A la vie brillante des courtisans s'oppose la misère
d'histoire et de littérature 389
des humbles, et la grandeur du péril social qu'avaient engendré un
luxe excessif et un régime de privilèges a été saisie par le prédicateur
avec un véritable don de prophétie. Les deux derniers chapitres du
volume traitent des libertins et des beaux esprits; l'un examine l'atti-
tude de Bossuet à l'égard de l'incrédulité de son temps que le critique
nous semble s'exagérer, l'autre passe en revue ses jugements sur la
littérature, la philosophie et surtout le théâtre. Si M. L. fait une
place aux incrédules, il semble qu'il en devait une aussi aux héré-
tiques et ne pouvait négliger les prote^^tants ; sans aborder une discus-
sion théologique, il y avait nécessité de ne pas les isoler du milieu
social que l'auteur a voulu retracer et de nous montrer le rôle de
Bossuet à leur égard.
Il suffira d'avoir indiqué le dessin du livre de M. L. pour permettre
de juger de l'intérêt et de la nouveauté du point de vue de l'auteur. La
thèse est juste en principe : il est certain que les développements de
Bossuet reposent sur un fond d'observation réelle qui devant les
auditeurs leur donnait toute leur portée. Mais jusqu'à quel degré y
a-t-il eu chez lui la préoccupation tacite, mais précise, d'un cas con-
cret? a-t-il, chaque fois que le prétend M. L., visé telles mœurs ou
tel personnage? c'est souvent délicat de l'affirmer, et bien qu'il ait
fait beaucoup de réserves, l'auteur n'échappera pas toujours au
reproche d'avoir sollicité les textes. La critique de Bossuet nous appa-
raît souvent trop générale, trop commandée par les habitudes de la
chaire pour justifier tous les rapprochements découverts par M. L.,
si intéressants qu'ils soient. En tout cas, il eût été utile de mieux
indiquer les références, il n'y a pas dans tout le livre une seule note
qui nous reporte au texte même de Bossuet et permette le contrôle '.
L. R.
Émil Jacobs, Briefe Friedrichs des Grossen an Thieriot. Berlin, Weidmann,
1912 (Mitteilungen aus dcr Koniglichen Bibliothek). In-40, p. 44, mk. 3.
On sait que Thieriot, l'ami de jeunesse de Voltaire, fut depuis lySô
jusqu'à sa mort (1772), avec dix-huit ans d'interruption, il est vrai,
l'agent qu'avait choisi Frédéric II pour le tenir au courant des pro-
ductions littéraires de la France et pourvoir aux achats de livres des-
tinés à sa bibliothèque. Le roi d'ailleurs le chargeait de toutes sortes
de commissions, visites aux gens de lettres, démarches auprès de Vol-
I. P. 104, M. G. Michaut {la Bérénice de Racine, 1907) a fait justice de la
légende du choix de Bérénice suggéré par Madame à Corneille et à Racine; p. 107,
Elisabeth-Charlotte de Bavière : on sait qu'elle était fille de l'électeur palatin, il
y a eu confusion avec la Dauphine, .\nnc-Marie, princesse de Bavière; p. iio,
nous la vimes desséchée, il faut lire : séchée ; p. i54, il y a d'autres preuves
(M. Griselle l'a récemment démontré) que " la doctrine et le style », pour rendre
à Fénelon le sermon destiné aux religieuses de Saint-Cyr ; p. 219, Théophile,
mort en 1626, n'est pas des libertins que pouvait poursuivre Bossuet; p. 272,
écrire Bausset, non Beausset.
3qo REVUE CRITIQUE
laiic, et môme envois de fromages frais. Les lettres de Frédéric à son
factotum, conservées dans un manuscrit de la Bibliothèque royale et
(jui étaient, à l'exception dune seule, restées inédites jusqu'à ce jour,
ont été publiées par M. Jacobs. 11 y en avait 33; toutes sont très
courtes, simples billets plutôt que véritables lettres; pour la plupart
elles ont été écrites pnr Jordan, mais augmentées de post-scriptums
de la main du roi, souvent d"unc forme savoureuse. Elles nous ren-
seignent précieusement sur l'intérêt si vif que portait Frédéric à nos
écrivains, à Rollin. à Fontenelle, Gresset, Bernard, et surtout à Vol-
taire. L'éditeur les a pourvues de notes identifiant la plupart des
ouvrages nommés dans la correspondance et restés en grande partie
dans les bibliothèques des divers palais et châteaux de Potsdam ; son
introduction nous donne aussi rcssentiel sur la personne de Thieriot
et ses relations avec P'rédéric IL Les lettres de Thieriot au roi sem-
blent perdues ; quelques-unes sont conservées dans les archives de la
maison rovale. M. .1. en a reproduit deux se rapportant à l'objet de
son édition. 11 faut se féliciter d'autant plus de ce complément d'in-
formation sur les rapports de Frédéric II avec notre histoire littéraire
que cette publication dont le bi-centenaire du grand roi a été l'occa-
sion, ne doit pas rester la dernière; la direction de la Bibliothèque
royale a promis de rendre accessibles au public d'autres intéressants
documents qu'elle renferme.
L. R.
Faguet (Emile), Rousseau contre Molière. Paris, Soc. franc, d'impr. et de
librairie, s. d. [Le livre a été achevé en novembre 19 lo]. In-i?S de 343 p.
Naturellement, dans un sujet aussi connu, M. F. est obligé de
répéter bien des arguments déjà produits; mais les aperçus originaux
y abondent (v. sur l'abnégation de Philinte, p. 43--; la brillante
analyse du Philinte de Fabre d'Églantine, p. 51-79; le parallèle entre
Rousseau et Alceste en qui Jean-Jacques reconnaît avec colère ses
propres défauts, p. 82-4) ; d'ailleurs, ce qui piquera bien autrement
la curiosité du lecteur, une sorte d'animosité contre Molière anime
tout le livre. M. F., qui sent profondément le mal que la rupture avec
nos traditions morales a fait à la France en veut plus qu'il ne con-
vient à Molière de n'avoir pas été de tout point pénétré de ces tradi-
tions.
A certain égard, il a raison : Molière n'a pas compris la sainteté du
mariage, mais c'est seulement l'effet de sa vie de comédien et c'est
uniquement à ce propos qu'on peut dire (p. 178) que son esprit était
plus délicat que sa conscience. M. F. dit qu'il n'attaquait que les tra-
vers, les ridicules, ou du moins que les vices chez lui ne sont punis
que par l'intervention surnaturelle de Dieu ou invraisemblable du roi;
mais Argan, Philaminte, Jourdain se tirent aussi fort bien d'affaire;
Molière sait qu'ici-bas trop souvent le seul châtiment du vice est
D HISTOIRE ET DK LITTKRATURE -^Qt
dans sa propre corruption ; en revanche jamais personne n'avait
nioniré avec la même profondeur TclTrayant chemin qu'un simple
travers fait faire à Thonnèie homme qui ne l'a pas combattu : Oronte,
un galant homme, appuie lâchement une calomnie semée contre
Alceste ; Jourdain, le plus rangé des maris, veut séduire une mar-
quise ; Don Juan brave encore les coups d'épéc, mais il en est déjà à
mettre de force ses habits sur le dos de Sganarelle quand il y a un
coup d'arquebuse à recevoir. M. F. assure que Molière n'admet la
piété que chez ceux qui ont tellement la pudeur de Vetaler qu'ils ne la
montrent même pas, de peur de faire un reproehe secret mais visible
à ceux qui ne pratiquent point : car enfin confesser, cest professer et
professer c'est censurer ceux qui ne professent pas (p. 226); mais
Cléante dit tout dilféremment des vrais dévots : « C'est par leurs
actions qu'ils reprennent les nôtres;, on les voit, pour tous soins, se
mêler de bien vivre. » Donc Molière autorise le reproche muet mais
visible. M. F. fait spirituellement remarquer que les réflexions reli-
gieuses ne se rencontrent pas chez Molière là où le sujet les appelle-
rait (p. 2i()); il oublie ce qu'il a dit ailleurs, que le xvn*" siècle ne les
trouvait point à leur place dans la comédie et qu'il obligea Corneille
à faire parler Polveucte encore plus en spiritualiste qu'en chrétien.
Quant au patriotisme, qui sait si l'indulgence de Molière pour les
fredaines de Jupiter ne tient pas en partie à l'idolâtrie pour le roi qui
faisait trembler l'Europe ?
M. F. va jusqu'à dire que Molière a « incontestablement détourné
les hommes de tout effort vers la vertu et de tout goût pour elle, très
convaincu du reste à ce qu'il semble que les hommes n'en ont nul
besoin » (p. 235) et que « la recherche du sublime est toujours ridi-
cule » fp. 237). « N'ayez aucun idéal et n'ayez aucune qualité supé-
rieure, c'est la maxime même qui ressort de son théâtre tout entier.
Une société qui se réglerait sur Molière serait d'assez bon sens,
mais serait la plus plate des sociétés qu'on eût jamais vues » (p. 237).
Voilà un Jugement qui eût surpris, non pas seulement A. de Mus-
set, mais le janséniste Boileau 1 II se couronne d'une boutade : en
regard du bohème romanesque que fut Rousseau, Molière est un
épicier de génie (p. 338) ; car il ne s'inspire que de la façon moyenne
de penser et de sentir des Français de son temps (p. 336). La preuve
du contraire est dans l'énergie avec laquelle Molière attaqua la
débauche systématique et l'hypocrisie à une époque où. le commun
des hommes ne prévoyait point qu'elles minaient la monarchie ; ce
n'est pas sous la dictée du siècle qu'il a écrit Don Juan et Tartuffe;
c'est sous la dictée d'une inspii-ation prophétique.
Quelques paroles d'amer scepticisme expliquent, excusent la sévé-
rité de M. F. Il croit que c'est par les parties les plus médiocres,
sinon les plus misérables, de leur intellect, que les grands écrivains se
font une clientèle posthume (p. 236j ; que la littérature est peut-être
392 REVUE CRITIQUE
impuissante à moraliser et que le fond de la comédie est la cruauté
des hommes civilisés; qu'elle perd son prétexte honnête quand elle
déverse son mépris sur les scélérats sans les corriger. Cette amertume
trahit de nobles souffrances; et c'est une bonne fortune pour une
nation qu'un homme comme M. F. soufi're à ce point de ses maux;
mais il ne faut pas venger les principes sur ceux qui les ont au total
servis dans la mesure où leur an le comportait alors; mieux vaudrait
attaquer les défaillances de l'heure présente et ce n'est pas le courage
qui manquerait à l'homme qui déclare ne pas douter qu'actuellement
la plupart des professeurs français vantent Corneille pour avoir dans
sa Camille glorifié l'anii-pairiotisme (p. 184). Sans aller jusqu'à cette
hyperbole, on trouverait de nos jours des détracteurs de l'idéal beau-
coup moins hypothétiques que Molière.
Charles Dejob.
Jean AuDouARD. Trois lettres inédites de l'Ami des hommes. Paris, Picard,
191 2; iii-S" raisin, 17 pages.
— Généalogie de la maison de Bruny, in-B», raisin, 191 2, 52 pages.
Les trois lettres sont adressées par le marquis de Mirabeau aux
procureurs du pays de Provence. Leur mérite est de dépeindre sous
un jour exact et bien vivant le tempérament, le caractère, de cette
individualité puissante, si goûtée à partir de I/Dj, connue seulement
des érudits aujourd'hui. — Quiconque s'intéresse à l'Ecole physio-
cratique puisera dans cet opuscule quelques détails de première main.
Dans la seconde plaquette, l'auteur qui entreprend de nous faire
connaître les anciennes familles de Provence, débute par cette mai-
son de Bruny d'Enirecasteaux qui fournit au Parlement d'Aix plu-
sieurs magistrats et à notre fîotte l'illustre marin de ce nom. Nous
n'insistons pas sur les précieux détails que l'historien du droit peut
glaner dans ces monographies familiales.
Pierre Laborderie.
Abrégé de l'histoire des infortunes du Dauphin, Introduction et notes expli-
catives par Henri Provins et Otto Frif.drichs. Paris, Daragon, 191 1, in-8°,
xxxvni-417 p. (illustré), i5 fr.
Otto Friedrichs, Brelan d'Adversaires. Paris, Daragon, 191 i, 407 p., in-S", 3 fr.
L'affaire Naundorff. Le Rapport de M. Boissy dAnglas, Sénateur, com-
mente et réfuté par François Laurentie. Paris, Emile Paul, 191 i, in-H", vii-
189 p.
On connaît l'extraordinaire roman publié en i836 par Naundorff et
qui a été déjà reproduit récemment par MM. Viirac et Galopin.
MM. Friedrichs et Provins le réimpriment avec soin, en y ajoutant
toutes sortes de « documents » dont beaucoup proviennent de la
fameuse agence Bourbon-Leblanc. Bien entendu, aucun de ces textes
n'est l'objet d'un examen critique. Les éditeurs emploient le procédé
des apologistes et des hagiographes ; ils parient d'un récit considéré
d'histoire et de littérature ?q3
par eux, a priori, comme l'expression de la vciiic et tout leur effort
consiste à y apporter des conrirmaiions, prises de toutes mains. Cela
n'a rien de commun avec la recherche historique proprement dite.
Le « brelan d'adversaires » de M. Friedrichs est un poker. A propos
d'une pièce de théâtre (car les dramaturges n'ont pas manqué d'ex-
ploiter l'engouement du grand public pourla « question >> Louis XVII),
quatre écrivains, MM. Georges Montorgueil, Henri Rochefort,
Ernest Daudet et Paul Gauiot ont traité des descendants de Naun-
dorff et leurs partisans avec une irrévérence plus ou moins accentuée,
qui a choque M. F., défenseur officieux du « prétendant ». Il a
répondu aux articles parus. Les journaux intéressés ont refusé d'insé-
rer, et l'ont réduit à publier lui-même ses réponses. Elles font un
assez gros volume, parfois assez divertissant par le ton de la polé-
mique iM. E. Daudet est fort mal accommodé, frappé d'arguments
ad hominem et traité d' « apôtre orléàne »!), mais bien mal construit
et fort peu démonstratif. Ce sont une fois de plus, les racontars de
Gruau (de la Barre), de Morel (de Saint-Didier) et autres « histo-
riens ». A noter, entre autres « témoignages » 1' « aveu » de Barras qui
aurait dit : « Louis XVII vit », en i8o3, à Bruxelles, devant une mar-
quise (?) de Broglio Solari, femme du ministre de Venise (!) dans
cette ville, laquelle atteste ce propos quarante-deux ans après. Et tout
est à l'avenant !
Les descendants de Naundorff ont voulu, il y a quelques temps,
réclamer la qualité de Français par la voie, un peu inattendue, d'une
pétition adressée au Sénat. La Commission compétente a chargé du
rapport M. Boissy d'Anglas, qui paraît d'ailleurs avoir connu
d'avance, sinon inspiré la démarche des « princes », et qui a conclu à
l'admission de leur requête. Son rapport est un plaidoyer pour la sur-
vivance de Louis XVII et l'identité de Naundortf avec le fils de
Louis XVI. Il est si rempli d'erreurs (le texte même des lois sur
l'état civil en vigueur en 1795 est inexactement reproduit) et porte la
marque d'une crédulité si peu avertie que le Sénat, après en avoir
entendu la lecture, a passé à l'ordre du jour à la presque unanimité.
M. F. Laurentie n'a pas eu de peine à signaler par son commentaire,
qui suit le texte pas à pas, toutes les faiblesses, les incertitudes, les
contradictions de ce rapport où les Naundorfistes avaient essayé de
réunir en faisceau leurs meilleures « preuves ». On trouverait même
cette démonstration un peu trop appuyée, si l'on ne songeait à la foi
robuste des adversaires de M. Laurentie. Bien qu'il y ait eu, depuis,
des révélations accablantes pour Naundorff, aujourd'hui reconnu
comme un déserteur westphalien nommé Werg, les ayants-droit du
pseudo-Louis XVII n'en poursuivent pas moins leurs revendications,
par la voie judiciaire, dit-on. Sera-ce la fin de toute cette littérature ?
On le souhaiterait, sans oser l'espérer.
R. G.
3o4 RKVLIi CRITIQUE
Lettres du baron de Castelnau, olVicicr de carabiniers (i72H-i7(j;'>), publiées par
le barDii de lii.AV de I'iaix, prélace de M. A. ('ihkjukt. Paris, Chainpioii (iiibl.
de la Kévolutioii et de rKmpirc, t. \'), iii-tS". uji i, 372 p., 3 fr. 5o.
Ces k'iircs sont intcrcssamcs. L'auteur les a écrites pendant la
guerre de Sept ans, où il a lait, dans un icuinient de carabiniers, les
canipa:;nes de l'armée du Khin, puis dans les diverses garnisons où
il a passé jusqu'à sa retraite en ij^[)- (^e n'est pas un mécontent ni un
pessimiste, mais il ouvre les yeux, et comme il dit, sa tète reste froide
même devant l'ennemi; il voit donc la mauvaise conduite de la guerre,
la sottise des généraux, et il l'indique, sans appuyer. Il dépeint bien
en quelques traits, la vie.de camp et de garnison, où Ton s'ennuie
souvent, quoique avec bonne humeur. Il nous raconte tout au long
rhistoire, très romanesque et traversée à souhait, de ses amours et de
son mariage; sans déclamation du reste ni grands sentiments. Ce
cadet de Languedoc n'a sCu-emeni pas lu la Nouvelle Héloïse ; c'est
incroyable à quel degré il est peu de son siècle, bien qu'il se dise
<i philosophe ». Visiblement, sa tête est fermée aux idées nouvelles,
encore qu'il se soit marié après sommations judiciaires à son beau-
père futur, un avocat angevin de la vieille roche. Cet état d'esprit de
gentilhomme de province est peut-être ce qu'il y a de plus frappant
dans les lettres du baron de Castelnau. Cela seul valait une publica-
tion. L'éditeur, qui s'est fort bien acquitté de sa tâche, a joint aux
lettres une sorte de testament moral du baron de Gaix, frère aîné de
Castelnau ; c'est un recueil de préceptes destiné à ses enfants, fort
élevé de ton, et curieux aussi par certaines nuances, notamment le
soin pris de justifier assez longuement aux yeux des cadets le droit
d'aînesse suivant la coutume du Languedoc. Le baron de Castelnau
suivit les Vendéens lors de l'insurrection de 1793, tandis que son fils
servait dans l'armée du Rhin. Il fut arrêté et exécuté à Angers. Sa
fille mourut aussi sur l'échafaud. C'est à ce titre qu'on a pu faire
figurer ses lettres dans une collection relative à la Révolution et à
l'Empire. Malheureusement sa correspondance ne se rapporte pas à
cette période. Il est fâcheux que M. de Blay de Gaïx n'ait pas fait de
recherches sur cette partie de la vie de son héros. Tel quel, son
recueil se lit avec plaisir et avec profit.
R. G.
M" DE Roux, La Révolution à Poitiers et dans la Vienne, 6 portraits. Paris,
Librnirie nationale, s. d., in-S", 5<S() pages.
Pour apprécier ce livre à sa valeur, il ne faut pas avoir relu immé-
diatement avant lui celui de Tocqueville. Ici nous trouvons, condensé
en 320 petites pages, tout ce qu'il convient de retenir de l'histoire de
l'ancien régime et de la Révolution dans la France entière. Là,
l'auteur a bien de la peine à contenir dans un gros in-octavo de près
de 600 pages tout ce qu'il s'est cru obligé de nous donner à lire sur
d'histoire et de littèratlre 3g5
rhistoire de la Révolution dans un lies petit coin de la France, la
ville de Poitiers et ses envirc^ns. Encore s'arrête- t-il au loaoùt 1792.
On parle de la crise du livre. Que MM. les auteurs prennent en
pitié les pauvres lecteurs. Et que surtout MM. les historiens de la
Révolution trançaise aient le courai;e de se borner : on reprendra
goût aux livres, et ils iront à la posiériié.
C'est le vceu que l'on peut former pour l'ouvrage de M. le marquis
de Roux, car, s'il mérite le reproche d'être beaucoup trop long, il
témoigne d'une préparation consciencieuse, d'une mise en œuvre
habile, d'une grande probité d'historien. M. le marquis de Roux
a tout lu. Il a dépouillé de tout ce qui se rapporte à son sujet, tous les
ouvrages imprimés, toutes les archives publiques et privées (voir
p. 533, la longue énumération de ses sourcesi.
Sa matière ainsi assemblée, il l'a divisée et distribuée en trois
grandes parties : la rin de l'ancien régime en haut Poitou, 1789 et
l'application des décrets de la Constituante, passant successivement
en revue l'état social, religieux et politique de la province; les assem-
blées préparatoires à la convocation des Etats généraux ; le 14 juillet,
la disette et la grande peur ; la formation du département de la
Vienne : la vente des biens ecclésiastiques et la constitution civile du
clergé; la coalition et l'émigration poitevine ; enfin l'état du dépar-
tement de la Vienne depuis la l'uiie du rc^i jusqu'à la chute de la
royauté.
Mais si c'est déjà quelque chose de montrer avec quelle entente du
sujet a été tracé le plan de cet ouvrage, il faudrait encore indiquer
comment l'auteur a rempli son programme. D'une lecture trop
rapide il résulte l'impression que M. le marquis de Roux s'est efforcé
de juger les hommes et les œuvres de la Révolution en Poitou avec
discernement et modération. .le ne dis pas sans émotion, car quelle
est la plume qui ne tremble pas peu ou prou en écrivant une page de
l'histoire politique de ces temps si passionnants? Ce livre n'est
l'œuvre ni d'un sectaire ni d'un dénigreur systématique, mais d'un
auteur de bonne foi. A ce titre il mérite confiance et attention.
Eugène Welvert.
Commandant .f. DK La Tour. Le maréchal Niel 1802-1869. Paris, Chapclot
iyi2, in-80, vil et 293 p. 3 fr. 5<).
Le livre de M. de La Tour sur le maréchal Niel est un bon livre
qu'on lit avec profit.
Né à Brioudes, près de Muret, dans la Haute-Garonne en 1802 et
issu d'une famille militaire, élève à l'Ecole polytechnique en 1821 et
à l'Ecole d'application en 1823, capitaine du génie en 1829 au régi-
ment dont Vaillant, le futur maréchal, était colonel, chef de batail-
lon en 1837 ap'"cs l'assaut de Constantine, colonel en 1846, chef
396 lUCVUE CRITIQIE
d'ctat-major tic Vailhini en 1840 pcndani rexpcdiiion de Rome, direc-
teur du génie au iiiinisière de la guerre, commandani en chef du
génie devant Boniarsund en 1854, aide-de-camp de l'Empereur en
janvier i835, Niel joua dans la guerre de Crimée un rôle considé-
rable.
11 icçui de Napoléon 111 la mission de surveiller Canrobcrt ci le
14 lévrier il adressait à IKmpereur un rapport remarquable, très clair,
comme dit l'auteur, très précis, et qui désignait MalakoU comme le
véritable point d'attaque. Mais il avait une situation fausse et il excita
naturellement la incliance. Aussi fut-il nommé, après la mort de
Bizot, commandant du génie de l'armée d'Orient. 11 eut toutefois
quelque démêlés avec Pélissier. Lorsque Niel défendait son opinion
et disait que son plan était celui de l'Empereur, « je ne partage pas
vos idées, lui répondait Pélissier avec son ordinaire rudesse, je passe
outre, c'est mon devoir de général en chef. Il n'y a pas ici d'aide-de-
camp de l'Empereur; il n'y a qu'un général en chef, et vous êtes son
subordonné; vous n'avez qu'à obéir. Au besoin, je vous ferai embar-
quer de force, et rappelez-vous que vous n'avez pas à communiquer
avec l'Empereur sans passer par mon intermédiaire. » Pélissier,
remarque l'auteur, avait évidemment raison de revendiquer sa liberté
d'action et d'assumer ainsi sans nulle hésitation toutes les responsa-
bilités du commandement; mais il aurait dû y mettre quelques
formes.
A son retour en France, Niel reprit ses fonctions d'aide-de-camp de
l'Empereur. En 1857 il devint sénateur. En i858, il alla négociera
Turin le mariage de la princesse Clotilde avec le prince Jérôme et
préparer l'alliance de la France et du Piémont. Dans la campagne de
1859 il commanda le 4" corps, et sur la bataille de Magenta où inter-
vint la division Vinoy, une des divisions de Niel, ainsi que sur la
bataille de Solferino, l'auteur communique des document précieux.
Solferino valut à Niel le bâton de maréchal et il commandait à
Toulouse depuis le mois d'août 1859 lorsqu'il reçut, le 18 janvier 1867,
le portefeuille de la guerre.
Le ministère de Niel est le chapitre le plus important du livre.
L'auteur examine, avec beaucoup de détail et sans ménager les cita-
tions, les réformes projetées ou exécutées par Niel, son attitude dans
l'affaire du Luxembourg, son rôle dans la discussion et la défense de
la loi sur l'armée, de la loi Niel.
Certainement Niel prévoyait la guerre, mais il ne la désirait pas ; il
ne voulait pas d'une lutte dans laquelle la France n'aurait pas d'alliés.
Il savait que la loi qui porte son nom, cette loi tant amendée, mutilée,
défigurée par la Chambre, n'était qu'illusoire, et, s'il comptait qu'en
cas d'hostilités, sous la pression des circonstances, il emporterait de
haute main une nouvelle Ipi qui permettrait le versement de la garde
mobile dans l'armée active, il n'ignorait pas la supériorité del'organi-
d'histoire et de littératuke 397
saiion allemande, « Vous verrez, dit-il un jour à un ami, les Prussiens
feront sur nous le bond de la panthère. »
La lutte acharnée et inutile qu'il avait dû soutenir contre la Cham-
bre, le découragea, Tépuisa. 11 mourut le i3 août i86y, et il fit bien
de mourir. L'auteur de ce livre croit que, si Niel avait vécu, il aurait
obtenu en 1870 « la coopération des mouvements » et « l'obéissance à
une volonté unique ». Nous croyons qu'il n'eut pas empêché le
désastre.
En tout cas, M. de La Tour a, dans ce volume consciencieux et
méritoire dont les documents sont puisés aux meilleures sources, fait
revivre l'œuvre et la personne de Niel. Ce grand soldat nous apparaît
sous tous ses aspects : fort intelligent, instruit, aussi brave que savant,
ferme, énergique, éloquent, pénétré du sentiment de ses devoirs.
Il est très regrettable que Napoléon III ne l'ait pas, comme il en
eut l'idée, nommé ministre dès i858. Qui sait si en dix ans Niel n'eût
pas réorganisé l'armée, amélioré ses services, refait son matériel et
par tous les moyens préparé la victoire ?'
A. Chuquet,
— La publication de VOctaleiiqne éthiopien, dont il a été question dans la Revue
du 18 août 1910, se poursuit par les soins du D"^ J. Oscar Boyd. La seconde par-
tie, comprenant l'Exode et le Lévitique, vient de paraître (Leyde, I5rill ; in-S",
p. 240. — Forme le fasc. IV de la Bibliotheca Abessinica éditée sous la direction
de M. Littmann). — J. B. C.
— M. Ernst Samter, dans un ouvrage intitulé Gebiivt, Hocli^eit uiid Tod, Beitr.
^iir vergleidienden Volkskiinde (mit 7 Abbildungen im Text und auf 3 Tafeln, vi-
222 p., in-8", 191 1. Prix : broché, M. 6; relié, M. 7,60) décrit certains rites popu-
laires relatifs à la naissance, au mariage et à la mort. L'étude des religions
antiques peut tirer de l'ample « matériel » réuni par M. Samter d'utiles points de
comparaison. Il sera utile d'y confronter Gi:rcke-Norden, Einl. iii d. Altevtiinuviss.,
H, 48 et s. — De L.
— M. Clarence L. Meauer a donné une suite à son ouvrage intitule Tlie Uitin
PionoiDis h, Hic, Istc, Ipse, a Semasiological Stiidy (New-York, 190 1) dans une
importante brochure de 1 1 1 pages, The Usage of Idem, ^pse, and Wovds of rela-
ted Meaning (New-York et London, Macmillan et C'«, 1910) qui fait partie des
Sttidies de l'Université de Michigan. L'auteur élargit son enquête jusqu'aux autres
langues indo-européennes. — De L.
— Le 5'' et dernier fascicule du t. VIII (donc n" 40) des Beitràge ^iir Landes-
tind Volkeskiinde von Elsass-Lothringen nnd den angren^enden Gebieten (Hcitz,
191 1, 32 p. I M. 5o) est un Beitrag de M. R. Reuss, Zur elsàssisdien Kirchen-
geschiclite tinter der Regierung Ludwigs XI \\ à savoir un Historisclier Beridit
von der Religions- Verdndei-u>ig in DiUtlenheim 1686 par le Mag. Johann Rein-
I . Lire p. 1 7 et i S Clauzel, p. 19 Comte, p. 56 et ailleurs Baraguey (et non Claxt-
sel, Combes et Baragiiay). Remarquer p. 9 que Christin avait été otllcicr d'ordon-
nance de Napoléon. Pourquoi p. -jb réfuter un jugement de Henri Martin sur
Niel ?
3q8 RtVUE CRITIQUE
luvJ liicclil. DiiitlcnliL'iin est un villnj^c liii canton de Geispolsheim, aujourd'hui
cniicrcincnl caihuliijuc (sauf i]uclques familles juives), mais qui, jusqu'en 1686,
fut pn^tcstant et eut comme liernicr pasteur, pendant trois ans seulement, ledit
Brecht, né en i036, heau-frèrc du préteur royal converti Ulrich Obrecht, et
devenu, après son expulsion, d'ahurd professeur au Gymnase, puis successeur de
Zenti^raffà la Faculté de théologie, mort enfin en 1722. Sa parenté avec "Obrecht
et su prompte nomination à un autre poste sont une garantie complète de sa
véracité et même de sa grande modération. I.a moindre \ivacitc de langage l'au-
rait fait incarcérer ou expulser, comme il arriv:i à tant d autres; car la prétendue
tolérance envers les protestants d'Alsace n'est qu'une fable, quelque persistante
qu'elle soit, f.e pasteur du village voisin de Dorlisheim, .lean Gùntzlin cite p. 18),
fut destitué bientôt après (<S février lôSy'i, à la demande de La Grange, et dut
attendre cinq ans un autre poste, qui fut aussi une chaire du Gymnase. I.e pré-
sent document a déjà été largement utilisé dans les Mitteiliaigcii de Rœhrich et
résumé par M. Reuss lui-même dans L'Alsace au xvu« siècle, mais n'avait pas
encore été publié entièrement. Il n'en est pas de même du Mémoire pour la con-
version des protestants de la ville de Strasboiiig qui se trouve, à sa suite, dans le
même majiuscrit, copié en 1784, sur l'original lie Brecht, par un pasteur en
retraite inconnu; M. Reuss a hésité d'autant moins à laisser ce .Mémoire de coté,
qu'il l'avait déjà inséré dans son l.oiiis A'/T et l'Eglise protestante de Strasbourg.
— Th. Scn.
— Les nos 14-16 (Bd 11, Bg ii-25, p. 161-400) du W'ijrterbuch des Deiitschen
Staats = und \'envaltiingsreclits (Mohr, igii-12. 2 M. le n') fondé par Stengel
et réédité par Flhiscumann ont, comme article principal celui sur Gewerbe
(p. 238-6i) par Nelkkn (sauf le dernier paragraphe sur le Gewerbereclit in den
Schul-{gebieten, qui est d'EnrKR v. Hoffmann); après cela, les articles les plus
importants traitent de la Gemeinlieitsteiliing (diflérents auteurs selon les pays
étudiés), Gendarmciie Fleischmann), Gerichtskosten (Pfatîeroth), Gericlitsver/as-
suug (v. Stengel), Geset^ (Anschûtz), Gcsnndheitswesen (Rapmund:, Gcwcrbliches
Unterrichtswesen (O. Simon) d'intérêt très actuel en ce moment où paraissent
dans nos revues tant d'études sur les écoles industrielles et commerciales et sur
l'enseignement postscolaire en général; on trouvera ici à se documenter à fond;
Grnndsteiier (v. Heckcij, Haftung Dritter (Beling), Hamburg (Seeligl, Handel et
Handelsvertrâge i|Lusensky), Ilandclskammern (Behrend), Hcei- (Laband), Helgo-
land (Bahrfeldt , etc. — Th. Scn.
— M. Alf. Kastil (Innsbruck) a fait une critique approfondie de Jakob Fried-
rich Fries' Lelire von der iinmittelbaren Erkenntnis, eine Nachpriifung seincr
Reform der theoretischen Philosophie Kants (Gœttingue, \'andenhœck et Ruprecht,
191 2, 342 p. 8 M. Tirage à part des Abhandlitngcn der Fries'schen Sclnile N. F.
IV, i) à la suite de M. Léonard Nelson (dans les mêmes Abhandlungen II, 4), qui
avait conclu que Fries seul avait donné une réponse vraie à la question de Kant :
Comment la connaissance à priori synthétique et métaphysique est-elle possible :
M. K. au contraire veut prouver que de tels jugements à priori prétendus syn-
thétiques et métaphysiques sont impossibles en tant que connaissance. — Th.ScH.
— La 2" édition de Das Verliàltnis der Hcrhartschoi Psjxhologie :;ur physiolo-
gif,ch-e.\perimentellen Psychologie (Berlin, Reuther ci Reichard, 1912, iv-88 p.
I M. 80) par M. Th. Ziehen (Berlin) trouve une situation modiliée en ce sens que
la défaite de la psychologie hcrbartienne, qui était encore puissante lors de la
d'histoire et de littérature 39g
I" édition (1900), ne lui laisse plus qu'une valeur historique. Aussi sa rivale vic-
torieuse, la psychologie expcrinieiUalc, prenJ-elle une phicc plus considérable
dans cette nouvelle édition, qui \cui scr\ir île trait d'union entre les deux sys-
tèmes hostiles. — Th. Son.
— La 5' édition de Die '\\\'lt,.Jiiscliaiiit)ii^c)i lïcr grossoi Philosoplien dev Neu-
^eit (Tcubner, Leipzig, i()i2, vin-160 p. 1 M. 25. N» 56 de la collection Aus
Natur iDid Geistcswelt) de feu Louis Busse, a été publiée par les soins de M. Fal-
CKENBERG (Erlangcu), qui s'était déjà occupe de la 4'^ édition et qui a eu l'heu-
reuse idée de consacrer son nouvel avant-propos à la biographie de Busse (1862-
1907). Le Manuel comprend deux parties : de Descartes à Kant, et de Fichte à
Spencer ; et chaque partie a quatre chapitres : I. Rationalisme, empirisme de
Leibniz à WoltT", Kant. H. Idéalisme, réalisme, néokantisme, positivisme. —
Th. ScH.
— M. Paul Wernle (Bâle) ayant fait en octobre un cours de vacances à Zurich
sur l'importance de la Renaissance et de la Réforme dans l'histoire universelle, a
publié ces six conférences [Renaissance iind Reformations Mohr, 1912, viii-i 70 p.,
3, M.) en cinq chapitres qui envisagent successivement i. Ce que la Renaissance
nous a apporté de nouveau, 2. Les bornes de la « culture » Renaissance, 3. Ce
qui rattache la Réforme au passé, 4. Ce qu'elle a produit de nouveau, 5. La nou-
velle « culture » protestante. Cette division semble claire et logique et l'on s'at-
tend à trouver les mêmes qualités dans le développement. On est un peu déçu :
point d'idées neu\'es et saillantes, rien d'empoignant; consciencieux, mais terne.
Le livre aurait besoin d'être traduit en français et allégé de son pédantisme, de
façon à faire mieux ressortir les différents points de vue et à égayer un peu la
lourdeur monotone du style. — Th. Sch.
— Stra/voll^ug iind Verbrecher (Mohr, 191 2, 84 p. i M. N° 25 des Lebensfragcn
de Weinel), par M. Fritz Philippi, est un titre tout à fait trompeur. On s'attend à
une froide et objective étude juridique, et l'on tombe dans un réquisitoire véhé-
ment et sentimental contre le code pénal et surtout contre la manière routinière
et inhumaine dont il est généralement appliqué, et aussi contre l'indifférence
publique sur ce point et contre les préjugés qui régnent partout à l'égard des cri-
minels. Au milieu de beaucoup d'illusions, on trouve des réflexions, non point
neuves sans doiate, mais qui ne sauraient être trop répétées, tant elles sont vite
oubliées, tout en étant — ou justement parce qu'elles sont presque banales : par
exemple, p. 37, la proclamation de la solidarité humaine devant le crime, la con-
viction profonde que chaque délit implique une part de responsabilité sociale, que,
à la place du criminel et avec ses antécédents, la plupart d'entre nous auraient
agi de môme; idée féconde et généreuse qui suffirait à transformer la société, si
elle était mise partout en pratique. Et le corollaire de la p. 37 est la p. 57 qui
montre le délinquant devenu accusateur de l'indolence et de l'égoïsme myope de
l'Etat, de l'Eglise et de la Société. L'auteur a déjà publié trois romans qui défen-
dent la même thèse. — Th. Sch.
— Parmi les 43 lettres à lui adressées que M. Al. d'AwcoNA publie à petit nombre
d'exemplaires non mis dans le commerce (Pise, Mariotti), quelques-unes touchent
la politique : Guerrazzi, suivant la fine remarque de M, D'A., se montre si plein
de lui-même que toute critique lui paraît émanée d'un meurt-de-faim ; Nigra
proteste éloquemment contre une stérile manifestation. La plupart des lettres
roulent naturellement sur la littérature. On y voit Wesselovsky abandonner
^OO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRK ET UK LITTÉRATURE
pour S. Piiicrsbourg Moscou trop slavophilc et trop germanophobe à son gré ;
Karl Hillcbrand protester en i.Silr) que si l.i guerre éclate entre les Français et les
Allemands, il se retirera chez les Anglais par égard pour la France, (que pourtant
il allait si peu ménager); A. Ranicri donner à entendre comment l'argent
plissait entre les doigts deLeopardi. Surtout on admirera l'alVectueuse courtoisie
des rapports d'A. Bartoli et de Carducci avec M. IVA. : le premier lui fournit des
armes contre liii-incmo dans la fameuse question sur la personne de Béatrix ; le
second qui, dans ses œuvres imprimées rebute souvent le lecteur français par son
alVcctation d'orgueil et de rudesse, se montre ici simple, amical, consciencieux,
spirituel. — (".h. HiMon.
— Au volumineux dossier qu'il avait réuni pour nous cxp<iser le Procès de
Théophile Vian, M. F. Lachèvre a ajouté une nouvelle pièce : un Mémoire i}iédit
de Français Garassus adressé à Mathieu Mole poidjjtt le Procès de lliéopliile,
6 nov. iû-23 (Paris, Colin, 1912, 8", p. 40. N'est pas mis en vente. Extrait de la
Revue d'Histoire littéraire de la France, oct.-déc, 191 1). C'est une longue justifica-
tion, verbeuse et diffuse, du rôle du Père Jésuite dans fe procès fait aux libertins
de son livre de la Doctrine curici/sc dont les violentes attaques avaient froissé
beaucoup d'esprits modérés. Quoique encombrée dune érudition parfois ridicule,
la défense du H. Garassus ne manque pas d'à-propos quand il prend à partie
Théophile lui-même, ni d'habileté quand il cherche à confondre sa cause avec celle
de sa compagnie. L'introduction de l'éditeur nous renseigne utilement sur la polé-
mique engagée par Garassus avant et après la publication de la Doctrine curieuse
en particulier entre l'auteur et les fils d'I'^tiennc Pasquier. (Corriger p. ^4 Fus-
chius en Fuchsius). — L. R.
— M. Léon Di'TiL a publié des Lettres de SP de Mondonville (Paris, Hachette,
191 r, 8° p. i35) qui serviront à l'étude du mouvement religieux, en particulier du
jansénisme dans le Midi. M" de Mondonvilio avait fondé à Toulouse en 1662 avec
l'aide d'un prêtre austère M', de Ciron une sorte de congrégation laïque, Flnstitut
de la Sainte Enfance, que la jalousie des ordres rivaux, des Jésuites surtout, ne
laissa subsister que jusqu'en 1686. Le procès fait à ce Port-Royal du Midi, comme
on l'a appelé, a été toujours très partialement exposé; c'est pour permettre un
jugement plus sûr que M. D. à réuni les documents intéressant la fondatrice. A
vrai dire, ils ne se composent pour la plus grande partie que de lettres de spiri-
tualité écrites avant la création de l'institut par M' de Mondonville à son directeur;
ces examens de conscience presque toujours pareils, ces scrupules sans cesse
renaissants d'une dévotion alarmée ne se lisent pas sans quelque lassitude et la
reproduction intégrale n en était peut-être pas indispensable. Les dernières pages
seules, exhortations de M' de Mondonville à ses filles, adressées de Coutances où
le roi l'avait fait exiler, et de courts fragments de Mémoires se rapportent à
l'œuvre inséparable de son nom. En tout cas la publication de M. D. éclaire mieux
la nature de ses relations avec M. de Ciron. — L R.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 31 — 25 mai — 1912
SiMBECK, Le De Senectute. — Karsten, Donat. — Heidrich, Rutilius. — J. Hano-
TEAU, Instructions aux ambassadeurs de France à Rome, II. — Pellisson, Les
hommes de lettres au xviii« siècle. — Annales de la Société J.-J. Rousseau, VII ;
MoRNET, Morceaux choisis de Rousseau ; Canat, Morceaux choisis de Chateau-
briand. — Lamm, Oxenstiern. — A. de Courson, Souvenirs de M""* de Candé. —
Chateaubriand, Amours, p. Pikrredon. — Marquiset, Ballanche et M"" d'Haute-
f'euille. — FucHS, Lexique du Journal des Goncourt. — Morris, Cooper et Poe.
— PoLTi, Les trente-six situations dramatiques. — Lamy, Quelques oeuvres et
ouvriers. — A. Chuquet, Monod et la Revue Critique. — Académie des inscrip-
tions.
M. Tulli Ciceronis Cato major de Senectute liber rec. Carolus Simbeck. Teubner,
1912, 60 p., in-8°. 2 m. 40.
Le livre dédié à Vollmer a été entrepris, sous sa direction, par un
de ses élèves. Introduction (De codicibus) en 12 pages, puis le texte.
Au début de l'Introduction, historique soigné et très clair de la tradi-
tion du texte. A la fin un stemma des manuscrits, qui me paraît très
vraisemblable. Il me semble que M. S. est tout à fait au courant des
travaux sur le Cato; il a travaillé sur des photographies des manus-
crits principaux PL b ; il annonce pour plus tard une recherche sur
la valeur des gloses du manuscrit de Leyde (V). Dans l'exposé des
rapports des manuscrits M. S. revient sur plusieurs hypothèses de
ses prédécesseurs (Dahl, Clark) qu'il rectifie. — De l'historique il
résulte que maintenant nous arrivons sûrement à mieux juger des
rapports des meilleurs manuscrits, PLV ayant été corrigés de seconde
main, l'un d'après l'autre.
La conclusion de M. S. est que, si les manuscrits inférieurs ne
doivent pas être négligés, cependant le groupe des cinq manuscrits
qui, d'après lui, forment la première classe (PV b LA, du ix-x'' s.)
suffit pour la constitution du texte.
M. S. donne beaucoup de détails précis sur récriture du manuscrit
d'Ashburnham (A). Surtout il s'efforce de reconstituer l'archétype
avec les habitudes du copiste, son orthographe, les abréviations qu'il
emploie, les dittographies, etc.
Sur le conseil de Vollmer, M. S. a adopté, pour le texte, l'ortho-
graphe archaïque, ce qui se justifie d'autant mieux qu'ici l'ortho-
graphe est très soignée.
Nouvelle série LXXIII 21
^^02 REVUE CRITIQTK
En somme irès bonne édition, avec des parties nouvelles et dont
le fond me parait très solide '.
É. T.
Commenti Douatiani aJ Tcrcnii fabulas scholia gcnuina et spiiria probabiliicr
scpararc conatus est H. T. Karsten, Vol. 1, Leydc, Sijthoff, 191 2, xxiii-
28 p., 4 m.
Jai rendu compte autrefois ' d'un livre intéressant par lequel le pro-
fesseur d'Amsterdam préludait à ses études sur le Commentaire de
Donat. Nous sommes très heureux de voir qu'il les poursuit. Il nous
donne, pour deux pièces (Andrienne, Eunuque^, le texte avec la dis-
tinction faite entre les vraies scolies de Donat et celles qui, suivant
lui, n'ont pas d'authenticité; suivent des notes (Adnotationes] sur ces
scolies (43 p.); en tête une préface de 23 pages. — Les scolies sur les
Adelphes, sur l'Hécyre et le Phormion, classées d'après la même
méthode, doivent paraître en un autre volume. — La différence avec
Wessner est tout indiquée : plus d'apparat; le texte est supposé établi;
il s'agit avant tout de distinguer ici le vrai et le faux Donat.
M. K. m"a fait l'honneur d'emprunter à mon ancien article le plan
qu'il a ici suivi. Je ne crois pas pouvoir mieux reconnaître cet hon-
neur qu'en indiquant, en toute sincérité, ce que je pense de sa
tentative; et pourquoi, malgré l'avance obtenue, je ne crois pas encore
le but atteint.
Pour la disposition matérielle, j'aurais d'abord des réserves à expri-
mer. Le rejet des notes à la tin est incommode; elles sont remplies de
redites, et surtout de renvois aux articles de la Mnemosyne. Je n"ai
pas ces articles sous la main et bien des lecteurs seront dans mon
cas. 11 n'y aurait que demi-mal si leur sens était indiqué et si le fonds
nous était communiqué en résumé. Mais là-dessus M. K. nous a laissés
presque entièrement dans la nuit.
De plus, les épreuves ont été médiocrement corrigées. L'errata de
la rin en 7 lignes, qui contient lui-même de faux numéros, paraît iro-
nique à côté des fautes qui se trouvent partout, même dans les lem-
mag ; elles obligeront tout lecteur scrupuleux à mainte vérification :
pourquoi nous avoir imposé cette corvée?
Je laisse ces vétilles et j'aime mieux reconnaître de moi-même que
le principal défaut de l'essai de M. K. vient du sujet lui-même. Il suf-
fit d'avoir lu quelques pages de ces scolies pour sentir, par contraste,
l'avantage des scolies de Virgile où les points d'appui extérieurs,
solides et multiples, permettent de faire un premier départ entre les
notes. Ici il faut tirer presque tout des notes elles-mêmes. Le nombre
1. La leçon, 8, 25, eumpse (corrigée par Fleckeisen de eiim ipsum esse), leçon que
les manuscrits de Nonius nous ont seuls conservée, prouve que notre tradition n'est
pas tellement exacte. — P. 3i, 5 (après bonarum) ajouter avtium ; 6, lire afquç.
2. Revue de 1907, II, p. 414.
d'histoire et de littérature 403
des scolies que les divergences de la tradition autorisent à séparer, est
insignifiant '. Les répétitions, les contradictions nous aideront sans
doute à en écarter un certain nombre, mais ce ne sera pas, plus d'une
fois, sans hésitation; et nos doutes augmenteront bien davantage
quand il s'agit, et cela est fréquent, de pressentir quelque lacune.
Nous nous débattons d'ordinaire comme ici à démêler du vrai com-
mentaire les additions successives. Mais il ne faut pas oublier que la
déformation s'est faite aussi dans l'autre sens ; des scolies importantes
ont dû disparaître sans laisser aucune trace ; jamais on ne pourra les
deviner toutes. — D'autre part, la faiblesse de nos diagnostics est
évidente. Il est bien vrai qu'en gros, pour la pureté de la langue, pour
la solidité du fonds, la simplicité de l'interprétation, le vrai Donat se
distingue de l'autre. Mais la démarcation est-elle toujours nettement
marquée? Pour telle scolie interpolée, M. K. note : flosculus magistri.
Mais combien d'autres, qui sont autheniiquement de Donat, et qui
ont le même caractère ou n'en diffèrent que très peu ! On peut bien
écrire sur telle appréciation : (p. 269, 261) observatio et exem-
pliim insipida : est-il si sûr qu'ils fussent jugés ainsi au troisième
siècle ? Certaines remarques nous paraissent bien étranges (par ex.
Andr. 33o : sententiae, qiiae pronominibus incipiunt, séria semper et
vera promittunt); cependant, il faut provisoirement les conserver. —
Le danger de notre méthode est qu'elle finirait par être trop favorable
à Donat puisqu'elle le dégagerait de tous ses défauts : inconséquences,
négligences, inexactitudes, etc. Nous devons certes croire à priori
qu'il était loin d'être parfait.
Ajoutons que les degrés de notre suspicion, traduits simplement par
des mots, restent vagues et jurent avec le besoin de précision que
nous sentons à chaque note nouvelle \
Malgré ces défauts, il y a cependant dans ce premier essai de clas-
sement un progrès marqué qui fait grand honneur à M. K.; grâce à
lui un jet de lumière est tombé enfin sur le fouillis du commentaire
traditionnel, tel que le présentent les manuscrits. On nous opposera
sans doute le désaccord qui existe en bien des points, pour les deux
premiers actes de l'Eunuque, entre M. K. et son prédécesseur M. Sab-
badini. Mais alors que les critériums dont on dispose, et il n'y en a
pas d'autres, sont aussi subjectifs qu'on Ta vu, les repères aussi peu
fixes, de telles contradictions ne pouvaient être évitées. Qu'importent
d'ailleurs quelques tâtonnements, pourvu que nous sentions que nous
avançons et pourvu que nous apercevions le but ? Je crois bien que
là-dessus tout au moins les lecteurs n'auront aucun doute. — Enfin,
notre livre a l'avantage indéniable qu'au lieu de rester dans la pure
1. C'est presque en totalité celles que Wessner met en italiques.
2. Souvent M. K. a, sur l'origine de la scolie reçue au texte, des doutes qu'il
indique dans VAdnotatio, p. 24t, 26, etc. Il a des repentirs {Andr, 352,2) ou c'est
le cas contraire.
404 REVUE CRITIQUE
et facile thcorie, l'auteur a passe à la mise en oeuvre, à la pratique qui
est tout autre chose.
Voici encore quelques remarques : les notes sur l'Andrienne con-
tiennent 23 pages; les notes sur l'Eunuque 19 pages; elles sont d'une
rédaction très concise, pour quelques personnes trop concise, je crois;
car c'est là que, de fait, se trouve concentrée toute la discussion. —
Au lieu des répétitions fastidieuses des Adnotationes, j'aurais voulu
trouver groupés dans la préface ou quelque part, les signes extérieurs
de l'interpolation '. — A la séparation nette que M. K. veut faire des
« scolies de rhétorique »,on objectera tout le commentaire sur Virgile
de Tibérius Donat qui certainement l'a écrit en grammairien.
En somme la proportion des scolies écartées, ou si l'on veut, du
déchet au reste, pour ces deux premières pièces, serait environ d'un
iiiffeùers.
Louons surtout M. K. d'avoir renoncé cette fois à toutes les compli-
cations que faisait attendre sa précédente étude; il ne met à part ici,
avec les scolies suspectes, que celles qu'avait déjà séparées M. Sabba-
dini (ici : 5. a.) et les notes (marquées d'un astérisque) d'un auteur de
rentiae, presque toutes niaises et prétentieuses.
Quoi que nous réserve l'avenir, il faudra retenir qu'après l'établis-
sement d'un texte sûr par M. Wessner, c'est à M. K. que revient le
mérite d'avoir tenté par une étude générale un premier triage des
scolies, et ensuite de l'avoir poursuivi dans une édition complète et
un classement méthodique et pratique. Ce n'est pas un mince mérite
que d'y avoir réussi.
Emile Thomas.
Claudius Rutilius Namatianus. Mit Einleitung und kritischem Apparat herausg,
von G. D'' Georg Heidrich, Wien und Leipzig, 19 12, 56 p. gr. in-So.
Le présent travail prélude à une grande édition de Rutilius avec
commentaire. L'auteur ayant trouvé des choses qui ne sont ni dans
Vessereau ni dans les éditions de Keene, s'est résolu à publier dès
maintenant, comme spécimen, avec le texte qu'il propose, une intro-
duction critique très développée (ici 3o p.). Vient à la suite son texte
de Rutilius en 21 pages.
M. H. a coUationné soigneusement et non sans profit, le Vindo-
bonensis et l'édition princeps qui, avec le Romaniis, forment les prin-
cipales sources du texte. Il a soin de distinguer, dans la collation du
manuscrit de Vienne les différentes mains des correcteurs, et avant
tout celle de Sannazar. Il s'efforce surtout de séparer les passages
où Sannazar paraît avoir reproduit les corrections, doubles leçons, etc.,
I. Additions amenées par )ît7/?i, par enim, par a>i, pav quasi, par dcest, par
aittem, par hoc est ou ici est, pavjam, par cigo ou igitm-, par non... sed, par aut
ou aut quia, par unde, par ut diximus (ou notavimus), par semper, par et siinul,
par quia... quia, par vel... vel, par ef ideo, par consequens,pav quasi dicat etc.
d'histoire et de littérature 403
de son original, etc., de ceux où il a corrigé et rectifié de lui-même le
texte qu'il jugeait fautif.
Après avoir étudié avec le plus grand soin la valeur des corrections
et des additions du manuscrit de Vienne, M. H. indique leur rapport
avec les autres sources du texte, d'une part le manuscrit découvert à
Rome (1891, par Elter) et étudié surtout par Hosius (Rhein. Mus.
1896), et d'autre part l'édition princeps de Pius en i520. A la fin
courte revue des éditions et des travaux récents.
M. H. s'appuie beaucoup, pour ce qui concerne le passé, sur la
thèse de M. Vessereau à laquelle il renvoie très souvent, ce qui prouve
indirectement le mérite de ce travail français. Il lui reproche cepen-
dant d'avoir accepté trop volontiers maintes variantes du Romanus
et d'avoir entassé dans les deux parties de son apparat bien des leçons
inutiles et qui obscurcissent le reste.
Donc très bon résumé de l'histoire du texte de Rutilius et prélude
excellent à l'édition qui nous est promise.
É. T.
Jean Hanoteau. Recueil des instructions données aux ambassadeurs et
ministres de France, XVll. Rome, t. II (1688-1723^, Paris, F. Alcan, in-S»
s. d. 616 p.
La publication des instructions données aux ambassadeurs et
ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu'à la Révo-
lution française se poursuit avec une lenteur que d'aucuns jugeront
excessive. Le premier volume relatif à Rome fut l'œuvre de M. Gabriel
Hanotaux. Le tome second, pourvu également d'une introduction
et de notes abondantes nous est présenté par M. Jean Hanoteau,
qui l'a préparé avec beaucoup de conscience érudite. Il contient des
documents essentiels pour l'étude de la politique religieuse de
Louis XIV et du Régent. L'histoire des rapports de la France et du
Saint-Siège de 1688 à 1723 est une série de graves problèmes, posés
dans les années précédentes, ou nouvellement apparus, affaire de la
régale, affaire du quiétisme, renaissance du jansénisme, controverses
sur la bulle Unigeniius jusqu'à l'accommodement « plâtré » de 1720.
Dans les quelques pages de sa préface, M. Hanoteau s'est efforcé
« d'exposer le sens et les conséquences des interventions du gouver-
nementt royal auprès de la cour de Rome » : il a donné les indica-
tions essentielles pour la compréhension des instructions qu'il s'est
chargé de publier. A toutes ces négociations, comme aux conclaves
qui furent nombreux en cette période de l'histoire de la papauté,
furent mêlés d'importants personnages, ecclésiastiques et laïques, le
duc de Chaulnes, le cardinal de Bouillon, le cardinal de la Tré-
moille, le cardinal de Rohan. l'abbé Dubois, etc. L'intérêt de ce
second tome est donc considérable et ne le cède en rien à celui du
premier.
406 REVUE CRITIQUK
Au lendemain de la mission du marquis de Lavardin, les rela-
tions entre Versailles et le Saint-Siège étaient assez tendues. M. de
Chamlav, sur lequel M. Hanoteau nous donne d'abondants rensei-
gnements biographiques et bibliographiques, fut pourvu d'instruc-
tions conciliatrices. Pour le commentaire des textes par lui publics,
M. Hanoteau fait grand usage des archives des affaires étrangères.
Peut-être eut-il été utile de lescompléter par l'utilisation des archives
vaticanes, et surtout de la correspondance des nonces accrédités à la
cour de France. En 1689 le duc de Chaulnes fut envoyé pour l'élec-
tion du pape Alexandre VIII. Son instruction contient surtout des
indications sur le collège des cardinaux : il lui est recommandé,
comme il le fut aussi à ses successeurs dans les conclaves postérieurs,
de ne point faire d'exclusion formelle <■ étant encore moins désavan-
tageux à la France d'avoir un pape mal intentionné que d'être forcé
de ne pas reconnaître celui qui aurait été élu malgré l'exclusion
de Sa Majesté ». A propos de la mission du cardinal de Forbin de
Janson, M. Hanoteau remarque avec raison que Louis XIV ne
voulut jamais donner le titre d'ambassadeur auprès du Saint-Siège à
un ecclésiastique, mais seulement celui de chargé d'affaires. Forbin
de J an son eut cette appellation de 1690 à 1692, puis de 1701 à 1 706.
Entre temps, le cardinal de Bouillon fut chargé de solliciter pour
la condamnation de V Explication des maximes des saints. En 1699,
le poste d'ambassadeur à Rome, vacant depuis le rappel du duc de
Chaulnes, fut donné au prince de Monaco, qui se fit « l'exécuteur peu
modéré des ordres du roi contre le cardinal de Bouillon ». Lors du
conclave de 1700 des lettres et des mémoires furent adressés par
Louis XIV aux cardinaux français, pour leur indiquer l'attitude à
adopter : elles sont publiées par M. Hanoteau comme de véritables
instructions. Monaco ne put agir, brouillé avec le Sacré Collège et
la noblesse romaine pour des questions d'étiquette. En 1706, une
longue instruction politique fut donnée au cardinal Gualterio, ancien
nonce à Versailles, qui avait su gagner la confiance de Louis XIV :
cette tentative curieuse ne donna point les résultats qu'en espérait
le roi : Gualterio perdit à Rome toute influence. De 1706 à 1720 le
cardinal de la Trémoille fut chargé d'affaires : il fut donc le repré-
sentant de deux politiques différentes à l'égard de la Bulle Unigeni-
tus, celle de Louis XIV et celle du régent; il ne reçut pas à cette
occasion d'instructions à proprement parler, mais des dépêches.
Entre temps échoua complètement une mission du maréchal de
Tessé pour faire entrer le pape dans une ligue contre l'empereur.
En I7r5, une autre mission également temporaire fut confiée à
Amelot, qui devait obtenir du pape des mesures de répression contre le
cardinal de Noailles et la convocation en France d'un concile natio-
nal. Louis XIV mort, ce fut le même cardinal de Noailles qui rédigea
pour l'abbé Chevalier, envoyé à Rome, une instruction sur la Bulle
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 4O7
Unigenitus. En 1720 mourut la Trémoille. Le chargé d'affaires
provisoire tut le P. Latitau, qui dirigeait depuis longtemps les
intrigues qui devaient aboutir à la promotion de Dubois au cardinalat.
En 1721, le cardinal de Rohan fut chargé d'affaires pour le con-
clave qui nomma pape Innocent XIII. Il fut remplacé par Tabbé
de Tencin. « Si les basses intrigues furent la principale occupation
de l'abbé de Tencin durant cette première mission, il serait injuste
de ne pas lui reconnaître le mérite, au point de vue de la paix inté-
rieure, d'avoir maintenu Innocent XIII dans la résolution de ne rien
faire au sujet de la constitution Unigenitus, qui pût créer de nou-
velles difficultés ». L'abbé de Tencin resta en fonction jusqu'en 1724.
Telles sont les principales instructions contenues dans ce second
tome. D'innombrables questions de détail, relatives aux évêchés, aux
bénéfices y sont traitées : leur lecture n'est point inutile pour l'his-
toire politique de l'Italie ; elle nous renseigne sur l'état de la cour de
Rome, elle nous donne des indications complémentaires sur de
notoires personnages ecclésiastiques comme les cardinaux de Noailles,
et de Bouillon. Les notes de M. Hanoteau se consulteront avec
profit ; elles contiennent tous les détails nécessaires pour la com-
préhension des textes, et d'abondants extraits des Mémoires de
l'époque, de Saint-Simon en particulier. Enfin ces instructions,
précieuses à plus d'un titre, le sont encore pour nous aider à nous
représenter ce que fut la diplomatie française au xvii^ siècle, ses
procédés et ses moyens d'action.
C.-G. PiCAVET.
iMaurice Pellisson, Les hommes de lettres au XVIII" siècle. Paris, Colin,
191 I ; in-i8 de 3io pages.
Les hommes de lettres et la loi; les hommes de lettres et le pouvoir ;
les hommes de lettres et les libraires ; les hommes de lettres et les
comédiens; la vie privée des hommes de lettres, etc., etc. Ce sous-titre
à multiple détente, s'il ne résume pas absolument le contenu du
volume, en fait comprendre le dessein essentiel : il s'agit de la con-
dition matérielle et sociale des écrivains français, parisiens surtout, au
cours du XVIII* siècle ; non pas de leur action ou de leur succès, qui
ont été si souvent étudiés, mais de leur situation financière et morale
dans la vie et dans la société. Il va de soi qu'un tel tableau, pour être
complet et vérifié dans ses moindres détails, exigerait une série d'en-
quêtes économiques dont le résultat serait peut-être assez mince.
M. Pellisson s'en tient au témoignage des mémoires, factums, cor-
respondances et biographies, que viennent corroborer, sur divers
points, des actes et documents manuscrits. La contrepartie qui aide-
rait à faire comprendre complètement le phénoniène, gros de consé-
quences, qui, selon le mot de "Walpole, <' guinda les gens de lettres à
une situation indépendante », ce serait l'étude de la diffusion de l'esprit
408 REVUE CRITIQUE
d'examen ', des alliances ei des désaccords entre le pouvoir et la
pensée, de la sécularisation de certaines activités inicllectuellcs. On
pourra trouver aussi que les initiatives et les exemples qui se rat-
tachent à certains noms du xviii= siècle devraient être mis en relief,
Beaumarchais à propos des comédiens, Voltaire à propos des
libraires '. Mais l'acheminement à une dignité plus assurée, l'affran-
chissement progressif et la lente promotion de Thomme de plume
ressortent bien de l'étude de M. P. : le sens de l'association et de la
solidarité s'est développé du même coup, et l'on comprend mieux
Burke ou l'abbé Barruel, groupant rétrospectivement en « secte » ou
en « cabale » ces gens de lettres que le début du xyiii*-' siècle avait
connus encore isolés, domestiques des grands ou clients faméliques
des entrepreneurs de librairie.
F. Baldenspergér.
Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, lomc \II, igii. Genève, Jul-
lien. 8° p. 23 1 . Vr. lo.
Daniel MoRNET, Jean-Jacques Rousseau. Morceaux choisis. Avec une intro-
duction et des notes. Paris, Didier et Toulouse, Privât, s. d. (1912), in-i6,
p. 375. Fr. 2. 5o (Collection de La Littérature française illustrée).
René Canat. Chateaubriand. Morceaux choisis. Avec une Introduction et des
notes. Ibid., 191 1, in-i6, p. 349. Fr. 5 (même collection).
I. Au contraire du tome précédent, qui n'était constitué que par une
seule étude, le beau travail de M. Courtois sur le séjour de Rousseau
en Angleterre \ le nouveau volume des Annales ne nous présente que
des documents de provenance variée et d'importance inégale. Je me
bornerai à les énumérer brièvement. Ce sont d'abord onze lettres
échangées entre Rousseau et le médecin suisse Tissot de 1 762 à 1 769 ;
cette correspondonce avait été déjà publiée en 1839, mais imparfaite-
1. Un indice intéressant est fourni par les listes d'abonnés publiées par le Mer-
cure de France en décembre 1763, par le Journal étranger en avril 1753.
2. Rappeler sa lettre du 20 juin 1733 « à un premier commis » : « Les pensées
des hommes sont devenues un objet important de commerce. Les libraires hol-
landais'gagnent un million par an, parce que les Franvais ont eu de l'esprit... »
Il est imprudent de dire (p. 66) qu'avant 1750 « il ne se publiait pas encore beau-
coup de livres », et (p. 79) que vers la fin du xvn" siècle le nombre des auteurs
« amateurs » tend sensiblement à décroître. 11 eût été intéressant de préciser cette
forme transitoire de l'ouvrage publié par souscription, si caractéristique du
xviii" siècle. Lire les Nouvellistes p. 261 et 263, 1791 p. 39, 176^ et 1767 p. ii3,
le Pour et Contre passitn, Béclard p. i36, Rulhière p. 247.
3. Je profite de ce rappel pour donner acte à M. Courtois d'une rectification tou-
chant sa publication des lettres de Rousseau à Davenport au tome précédent des
Annales. J'avais cru dans mon compte rendu que celle qu'en avait déjà faite
M. Dufour et la sienne provenaient d'un fonds commun du British Muséum ; en
fait, l'origine des deux publications remonte à une copie des lettres acquise en 1903
par la Société J. J. Rousseau et que M. Courtois avait été chargé de collationner
sur les originaux. D'après lui, les trois lettres en plus dans la brochure de
M. Dufourjmanquent à Londres. En tout cas, il demeure entendu que l'édition de
M. Dufour, comme celle de M. Courtois, ont été faites dans une entière indépen-
dance l'une de l'autre >
d'histoire et de littérature 40g
ment; M. Al. Frani;ois nous en donne un texte plus fidèle et plus
complet. Nous lui devons aussi, en collaboration avec M'' Pauline
Long, quatre lettres de Rousseau au libraire d'Amsterdam Néaulme et
cinq au libraire Duchesne, les unes et les autres relatives à l'impres-
sion de l'Emile; ces intéressantes pièces étaient à peu près complète-
ment inédites. La Direction des Annales a tiré de ses propres archives
et d'autres fonds diverses lettres inédites ei dispersées de Rousseau;
il v en a dix-sept qui, pour les plus intéressantes, étaient déjà connues,
mais avaient paru dans des périodiques difficilement accessibles, et les
érudits seront très heureux de les retrouver dans ce volume.
M. Olszewicz nous communique des documents polonais sur Rous-
seau et Thérèse Levasseur; ce sont deux billets, l'un au comte Michel
George Mnizech, l'autre au comte Wielhorski, celui-ci d'après une
traduction polonaise de l'original qui semble perdu; viennent ensuite
deux lettres au même, déjà connues, mais très importantes. Le docu-
ment émanant de Thérèse Levasseur est sa lettre à Doubrov^'sky sur
les derniers moments de Rousseau; elle était connue elle aussi et le
nouveau texte n'offre que d'insignifiantes variantes, mais la pièce est
accompagnée du certificat inédit du curé d'Ermenonville. Il faut enfin
signaler quelques documents se rapportant à l'entourage de Rousseau
et tirés des archives du marquis de Girardin : deux lettres de du Peyrou
à René de Girardin et une autre à Thérèse Levasseur; deux curieuses
lettres de l'horloger Argand, auteur d'un monument élevé àlamémoire
de Rousseau et dont les destinées nous sont contées par l'éditeur de
ces pièces, M. Al. François. En dehors de ces publications de corres-
pondances, le volume ne contient qu'un court article de M. Buffenoir
sur « les cendres de Rousseau au jardin des Tuileries » ; l'auteur nous
y renseigne, d'après le rapport de Ginguené, sur le transfert de la
dépouille du philosophe d'Ermenonville au Panthéon et il reproduit
le petit monument dressé aux Tuileries pour recevoir le corps pendant
la nuit du 10 au 11 octobre 1794. M. E. Ritter a fourni pour sa part
de collaboration des notes et notules sur des sujets variés; les plus
importantes ont trait aux parents de Rousseau fixés à Londres et au
séjour de Rousseau à Paris (déc. 1765-janv. 1766), sur lequel le
ministre de Genève Grommelin avait adressé au Conseil de curieux
rapports que M. Ritter a eu raison de reproduire. « Sur J.-J. Rousseau
dans la littérature hongroise » M. L. Racz n'a donné qu'une note biblio-
graphique. La seule étude du volume est empruntée à un critique nor-
végien, M. G. Gran, et traite de « la Crise de Vincennes »; elle n'apporte
rien de nouveau et commente simplement avec la terminologie de la
psychologie moderne et des images ingénieuses des faits depuis long-
temps connus. La bibliographie et la chronique qui terminent le
volume sont faites avec le soin ordinaire '.
I. P. 170, la pièce de Gœthe, die natiirliche Toclite)-, n'est pas une comédie: p. 147
et i56, écrire Baudelaire, Haeckel, et non Beaudelaire, Hcekel.
^10 REVUE CRITIQDE
II. M. Mornet ctaii tout désigne pour ctablir un volume de Mor-
ccnux choisis de Rousseau. P'amiliarisé avec les documents originaux,
très informé de la littérature rousseauistc (il a lui-même publié
naguère dans les Annales J.-J . Rousseau un excellent travail sur les
éditions de la Nouvelle Héloise , il était de ceux qui pouvaient le
mieux extraire pour nos élèves l'essentiel de l'œuvre du philosophe et
le leur présenter comme il convient. Son choix, sans négliger les
œuvres secondaires, a porté de préférence sur la Nouvelle Héloïse,
V Emile et les Confessions, en reliant par des analyses précises les par-
ties sacrifiées. Une introduction sobre et juste sur la vie, le caractère
et l'influence de Rousseau ' ouvre le recueil, et partout le texte est
accompagné de notes linguistiques ou historiques. Les particularités
de la langue de Rousseau y sont soigneusement relevées, ses procédés
de composition sont expliqués, ses idées discutées, confrontées avec
elles-mêmes dans les différents ouvrages et rapprochées de celles des
penseurs contemporains; les véritables nouveautés dans son œuvre
sont signalées, et pour toutes celles qui ne sont qu'apparentes l'érudi-
tion de M. M. a su rappeler les nombreux prédécesseurs qu'a eus
Rousseau; l'histoire des mœurs, celle des modes même et des engoue-
ments du xviii« siècle a trouvé sa place dans ces notes substantielles.
Enrin des sujets d'études variés que présente en foule dans Rousseau
l'examen des idées et des sentiments sont suggérés à l'élève. Il ne faut
pas non plus oublier d'appeler l'attention sur une nouveauté de la
collection à laquelle appartient ce Rousseau : les nombreuses gravures
du temps et quelques fac-similés faciliteront encore l'intelligence de
l'œuvre. A tous égards, le recueil de M. M. est un livre à recomman-
der pour nos classes \
III. Le Chateaubriand de M. Canat appartient à la même collection.
L"œuvre du romantique est plus copieusement encore que celle de
Rousseau représentée dans ces extraits ; néanmoins elle laisse une
impression de morcellement dont l'éditeur n'est pas seul responsable :
Chateaubriand avait écrit d'avance pour les assembleurs de Pages
choisies. L'emprunt aux morceaux descriptifs est surtout abondant,
presque lassant, si prestigieux que soit le talent du peintre. Mais on
approuvera pleinement la place faite aux œuvres ou aux articles de
politique, d'histoire, de critique littéraire, de polémique qui sont
moins connus. Les Mémoires d' Outre-tombe ont été largement mis à
contribution à titre d'information biographique ; ils encadrent la
série des œuvres chronologiquement présentées et en expliquent la
1. Ni dans ce chapitre, ni à propos de la Nouvelle Héloïse, Werther et le wer-
thérisme ne sont rappelés, c'est un oubli impardonnable.
2. P. 37, écrire Grandison; p. 5y, ButaFuoco; p. 2S8, Sautersheim, au lieu de
Grandisson, Butta-Foco, Sautterlheim; p. 145, c'est Juan Fernande^ qui est l'île
deRobinson, et les aventures de Selkirk ont certainement inspiré Defoe.
d'histoire et de littérature 41 1
genèse. L'introduction est réduite à une courte notice de cinq pages;
on l'eût voulue plus ample. Les notes foisonnent : elles seront pré-
cieuses dans ces morceaux encombrés de noms propres, mais toutes
ne sont pas aussi substantielles que celles du précédent volume ; il y
a trop d'épithètes laudatives et trop de remarques souvent identiques
sur le caractère ou le style de Chateaubriand. L'appendice formera
pour les élèves curieux un heureux complément d'une étude du grand
romantique; M. C. a voulu les faire profiter des recherches de M. Gi-
raud et de M. Bédier sur la rédaction des Mémoires et celle du Voyage
en Amérique \ il y a joint ou signalé d'intéressants rapprochements
entre Chateaubriand et les nombreux visiteurs de l'Italie, de la Grèce
ou de l'Orient depuis Montaigne jusqu'à M. Barrés. Comme le
volume de Rousseau, celui-ci est orné de 40 illustrations suffisam-
ment bien venues; on regrette l'absence de quelque fac-similé de
manuscrit. L R.
Martin I.amm : Johan Gabriel Oxenstierna. En Gustaviansk naturvârmares lit"
och dikt. Stockoim, Hugo Gebers fôrlag, grand in-8° viii-lîg8 pp.
M. Lamm a retracé la vie publique du poète Oxenstiern, le des-
cendant du grand chancelier, d'après les archives de Wiirnberg qui
appartiennent au comte Erik Oxenstierna. Mais les pages qu'il con-
sacre au poète officiel, à l'intendant des menus plaisirs de Gus-
tave III, au grand maréchal de la Cour, ne sont ni les plus nom-
breuses ni les plus intéressantes. L'essentiel de ce livre, c'est la bio-
graphie intellectuelle et sentimentale d'Oxenstiern, faite d'après des
lettres authentiques encore inédites et d'après le Journal déjà publié
(1881). Si M. Lamm n'a pas la prétention d'avoir trouvé toutes les
lettres du poète — et cela est presque impossible pour un homme qui
écrivait huit à dix lettres par Jour — il en a du moins trouvé un bon
nombre et il s'est servi en outre, pour démêler la pensée d'Oxens-
tiern aux différentes époques de sa vie, des brouillons de poésies qui
pouvaient se trouver dans les mêmes archives. Il a fallu les dater avec
soin, car Oxenstiern se corrigeait sans cesse et n'a publié que tar-
divement. M. Lamm a donc suivi au jour le jour l'évolution intellec-
tuelle et morale d'Oxenstiern, ei il a pu noter à chaque instant les
influences qu'il a subies. Si l'on ajoute que les deux premiers cha-
pitres du livre (L'amour de la nature au xviii^ siècle et La descrip-
tion de la nature suédoise avant O.) expliquent les influences anté-
rieures à O., on peut dire que l'on trouve dans ce livre l'histoire du
sentiment de la nature en Suède au xviii'' siècle.
Histoire intéressante non seulement pour la littérature suédoise
mais aussi pour le rayonnement des idées françaises. 0. écrit et parle
le français ; il lit tous les livres français qui lui tombent sous la main.
Il est disciple de Rousseau, d'une manière un peu puérile quelquefois,
sinon dans son œuvre, du moins dans sa vie intime et dans ses aven-
412 REVUE CRITIQUE
turcs amoureuses. Mais ses poèmes ne sont pas des pastiches. 11 con-
naît la nature suédoise pour y avoir vécu toute sa jeunesse ; son pay-
sage familier est lié à toutes ses impressions d'enfance, et Linné, par
ses descriptions de voyages, a remis en honneur la nature suédoise.
La sensibilité d'O. est antérieure à la lecture des oeuvres de Rous-
seau : mais Rousseau lui plaît parce qu'il s'y retrouve : c'est le grand
exemple qui lui permet d'être sentimental sans fausse pudeur.
Les deux premiers chapitres qui traitent de la formation de la
sensibilité en Suède au xviii'^ siècle sont évidemment nécessaires.
Malgré leur longueur, on ne peut même s'empêcher de les trouver
un peu brefs ; et quelquefois ils manquent de précision. La grande
faveur des jardins anglais en Suède est une preuve de la senti-
mentalité. Mais à quel moment se sont-ils introduits en Suède?
M . Lamm, pour Justifier cette faveur, ne nous donne qu'une citation,
et encore c'est une citation d'Oxenstiern, mal à sa place ici puisqu'elle
ne peut servir à expliquer ce qui précisément a besoin d'explication.
Cette mode a-t-elle précédé la Nouvelle Héloïse ou en est-elle la
conséquence ? Nous pouvons d'autant moins le savoir que la citation
est faite d'après les œuvres imprimées d'O. sans qne l'on puisse
déterminer la date à laquelle ce passage a été écrit; on peut regretter
que M. Lamm se soit contenté d'esquisser à grands traits les influences
principales, en s'en tenant aux œuvres littéraires, sans essayer de
faire pour la Suède ce que M. Daniel Mornet a fait pour la France
dans la première partie de son livre '. L'influence des physiocrates
fut grande sans doute en Suède sur les esprits, car le comte Schiffer et
Gustave III lui-même étaient des physiocrates. Cette influence est
parallèle à l'influence de Rousseau et la renforce, mais elle n'est
pas identique, car Rousseau, sympathique d'abord au mouvement
physiocratique, se sépara de Quesnay et de ses disciples. 11 aurait
fallu marquer cette distinction.
Lorsque O. dans une lettre du i8 décembre 1770 écrit : « le ciel,
les forêts, les torrents et les vieilles ruines de forteresses et de villages
abandonnés, tout cela est peint dans l'Emile comme je viens de le
voir » (p. 22, n. i), il confond l'Emile et la Nouvelle Héloïse comme
le remarque M. Lamm, peut-être parce qu'il le lisait alors et qu'il en
avait l'esprit obsédé, mais certainement au moins parce qu'il le
connaissait déjà. Je crois donc qu'il vaut mieux ne pas rapporter aux
années du séjour à Vienne la lecture de ce livre.
Malgré ces quelques critiques de détail, il n'en reste pas moins que
M. Lamm a écrit un très bon livre, qui sera utile non seulement
aux Suédois, mais aussi aux Français \
Virgile Pinot.
— ■
1. Le sentiment de la nature de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre.
Paris. 1907.
2. L'exécutiou typographique est soignée môme pour les passages qui sont
d'histoire et de littérature 41 3
Une jeune fille à l'armée vendéenne, 1793. Soin'otirs inédits de la Baronne
de Candé [née Guntard des Chevalleries), publiés et annotés par le vicomte
Aurélien de Courson. — Paris, Librairie des Saints-Pères, s. d. (1912). In-i8,
11-236 p. portr.
L'exhumation de ces Souvenirs, surtout comme elle est faite,
n'apportera pas, ce me semble, une contribution bien grande à l'his-
toire des guerres civiles de l'Ouest pendant la Révolution. L'auteur,
alors à peine âgée de 17 ans, a fait partie, avec sa mère et sa sœur, de
la cohue déplorable de femmes, d'enfants et de vieillards qui suivit
l'armée vendéenne et entrava constamment sa marche sur la rive
droite de la Loire, depuis l'exode de Saint-Florent jusqu'aux tueries
du Mans et dé Savenay. Elle n'a pas vu grand chose, en dehors du
petit noyau de parentes et d'amis avec lesquels elle cheminait.
J'ajouterai qu'il n'en pouvait guère être autrement. Mais cela ne
l'empêche pas de trancher de tout, de fournir sur tout des apprécia-
tions pour le moins singulières et souvent controuvées. L'éditeur
pense qu' « on ne saurait en vouloir à une toute jeune fille de juger
les hommes et les choses avec l'audace de l'inexpérience et d'être
souvent injuste dans ses critiques, ni de se lancer parfois dans un
fatras humanitaire où l'on retrouve la trace des tirades qu'elle enten-
tait débiter « (Avant-propos), en 1795 dans sa famille, alors qu'ayant
repris une existence plus calme elle écrivit ces Souvenirs.
Je ne voudrais pas chicaner M. de C. sur cette opinion qui lui est
personnelle. Mais il m'apparaît qu'il aurait pu, sans doute, concilier
son respect absolu pour le texte d'une parente avec son rôle d'éditeur
de Souvenirs historiques. Sans s'embarquer dans une abondance trop
copieuse d'annotations, comme certain chercheur de ma très-intime
connaissance, il eût pu être moins chiche de renseignements, par
exemple sur les personnes dont l'auteur écorche les noms avec une
belle inconscience assez commune, d'ailleurs, à son époque. Si j'ai
bien compté, il y a environ cinquante-cinq notes, en tout, au bas des
236 pages du volume. Un bon tiers en est employé à discuter les
opinions humanitaires et les « exagérations juvéniles » de l'auteur;
une douzaine, tout au plus, est consacrée à essayer de rétablir ou
d'identifier six ou sept des noms cités. Encore plusieurs sont-elles un
simple aveu d'impuissance.
Il en est ainsi, par exemple, pour M. de la R... (25, 28, 29) membre
du conseil supérieur royaliste de Chatillon, dont tous les historiens
de la Vendée donnent le nom : Bourasseau de La Renollière, auditeur
de la Chambre des comptes de Nantes, puis membre du Directoire
de Maine-et-Loire, homme intègre, brave, et ayant toujours payé de
sa personne, et que l'éditeur accuse, bien injustement, de pusillani-
cités en français. A noter seulement ce passage du journal d'O. « Fortunée soli-
tude qui cacha l'instant de mon bonheur, l'instant hideux oii j'appris que j'étais
aimé » (p. 127), qui ne se comprend pas, mais dont sont responsables les premiers
éditeurs d-u journal.
414 REVUE CRITfQUE
mité, parce qu'il hc se fait pas, comme le jeune Henri de La Roche-
jaquelcin, d'illusions sur l'issue de la lutte engagée, dans laquelle il
Ht d'ailleurs tout son devoir. De même pour la famille Saillant
d'Epinat\ (i 10), etc. Aucun autre éclaircissement n'est fourni, et je le
regrette; car la précision de ces Souvenirs y aurait beaucoup gagné. Je
relève très rapidement quelques noms pour appuver ce que j'avance :
le comte de la P'ieuricre (20) est en réalité Jacques de Fleuriot de la
Freulière; M. de Marcombre (78), appelé plus loin de la Marcombe
(187), est un angevin notable nommé Marcombe, Lésigny (ii5,
142) s'appelle Blondin d'Esigny, royaliste qui, dès le i3 mars 1793,
s'emparait d'Ancenis ; l'ami du général Wimpffen (i23), est Bougon
des Longrais, procureur-général-syndic du département du Calva-
dos; Le Maignan (222, 223) s'appelle Le Maignan de la Verrie, il
avait fait partie du Conseil supérieur de Chàtillon et eut un bras
emporté par un boulet républicain, à l'attaque de Granville. Les
noms du plus grand nombre des femmes qui formaient groupe avec
la famille Gontard sont à peu près aussi maltraités, jamais identifiés.
Telles mesdames de Clesne (70), de Buor de Cuissard (82), née
Le Normand et les deux filles de celle-ci : M'"^ de Faye (84) et made-
moiselle Céleste (187), mademoiselle d'Armaillé de la Menantière
(187), M'"<= de la Guerivière (90)... elles ont toutes péri, massacrées au
Mans, ou noyées à Nantes. Il n'est que d'ouvrir l'édition des
Mémoires originaux de la marquise de La Rochejaquelein pour s'en
rendre compte.
M"<= Gontard n'abime pas seulement les noms humains, elle trans-
forme totalement ceux de certaines choses. Sous sa plume, les deux
canons chers aux Vendéens, Marie-Jeanne et le Missionnaire^ sont
devenus Marie-Antoinette (14) et le Cardinal (i3)! Une petite note
rectificative n'eût certes pas été de trop. Ces deux derniers noms n'ont
jamais été portés par aucune pièce de l'artillerie vendéenne.
Au demeurant, en en usant avec beaucoup de circonspection et en
s'aidant d'une, quelconque, des nombreuses histoires de la guerre de
Vendée, on pourra retirer de ces Souvenirs quelques indications sur
les agissements du prince de Talmond et sur l'état des esprits de la
foule lamentable dont l'auteur fit partie. On y trouvera une multitude
de cancans faux et diffamatoires sur un grand nombre des meilleurs
officiers royalistes, qui sacrifièrent leur propre vie en s'efforçant de
sauver celle de Mademoiselle Gontard et des siens.
H. Baguenier Desormeaux.
Chateaubriand, Amours, Avec une introduction et des parenthèses par Georges
Pierredon. Paris, Sansol, 1912 ; in- 12 de 193 pages.
Entre ies Virilités de Napoléon et la Chasse au Bonheur de Sten-
dhal, la Nouvelle Bibliothèque de Variétés littéraires attribue à Cha-
d'histoire' ET DÉ LITTÉRATURE 4I 5
teaubriand la mission de servir de porte-paroles à l'amour, — ou aux
amours. Le choix n'est qu'à demi justifié, mais c'est par ces simplifi-
cations, ces délimitations synthétiques, que s'affermissent les très
grandes renommées. Reconnaissons que si l'abandon de soi fait en
général défaut aux « amours » de René, il a su parer de beautés émou-
vantes ses pages sentimentales : M. Pierredon n'avait qu'à choisir, et
son choix est habile ; il va de la « Sylphide » à la « jeune Occiia-
nienne », en attribuant à Charlotte Yves, M^^ de Beaumont et
^me Récamier le plus grand nombre de pages (Hortense Allart ne
figure que dans la préface). L'interprétation donnée au poème de
Clarisse me semble contestable, mais la découverte du « poète écos-
sais » dont cette pièce serait imitée pourrait seule donner des certi-
tudes. Quant à la façon dont se créent les légendes, rien ne la montre
mieux que la déformation que subit une anecdote bien connue :
Chamisso, Voyage
autour du monde,
l, 4 juillet 1816 :
Nous dinàmes chez
M. Clark, un Amé-
ricain [à Saint-Pierre
et Saint-Paul, Kam-
tschatka]. Je vis chez
lui pour la première
fois une image que
j'ai retrouvée sou-
vent sur des navires
américains, et, par
l'entremise de leur
négoce, dans les îles
et sur les côtes de
l'Océan Pacifique :
le portrait de M'^e
Récamier, délicate-
ment peint sur verre
par un artiste chi-
nois.
Chateaubriand, Mé-
moires d'outre -
tombent. \W, p. }g4 :
Chamisso donna
son nom à l'une des
îles d'où Cook avait
entrevu la côte de
l'Amérique. Il re-
trouva au Kamtcha-
tka le portrait de
Mme Récamier sur
porcelaine...
Amours, p. i i, cita-
tion de M. André
Beaunier :
L'île était habitée
d'une peuplade aux
mœurs très douces
et qui adorait une
idole. Adalbert de
Chamisso put voir
l'idole. C'était une
gravure encadrée, un
merveilleux visage
qui souriait. EtAdal-
bert de Chamisso
reconnut les traits
charmants de Ju-
liette Récamier, tels
qu'Isabey les avait
peints. L'on ne sut
pas comment cette
image était arrivée
en cette île perdue...
F. Baldenspf.rger.
Alfred Marquiset, Ballanche et M"'" d'Hautefeuille. Lettres inédites de Bal-
lanche, Chateaubriand, Sainte-Beuve, M™" Récamier, M""" Swetchine, etc. Paris,
Champion, 1912; in-i6 de 269 pages.
En dépit du sous-titre, il s'agit presque uniquement de lettres de
Ballanche, empruntées aux archives de M. de Vanssay, qui en con-
41 6 REVUK CRITIQUE
tiennent près de deux cent cinquante. Correspondance en partie
simple dont on eût souiiaité, çà et là au moins, la contrepartie, et
qui, répartie sur les treize années qui vont de 1884 à 1847, nous fait
mieux connaître maint incident de l'Acadcmic ou de TAbbaye-aux-
Bois ; sans compter que Ballanchc, le « parfait ami », y dévoile
quelques-uns des aspects curieux de son âme pacifique et visionnaire.
Après le théosophe lyonnais, M""^ Swetchine est la correspondante la
plus abondante de iM""" d'Hautefeuille : elles appartiennent toutes
d'eux, vers 1840, à ce groupe des c mères de TEglise » que raillait
doucement Sainte-Beuve et qui entretenait, à l'écart des grands succès
de presse, une littérature spiritualisie persistante. Documents intéres-
sants, quoique un peu « ésotériques », pourrait-on dire, auxquels le
commentaire de M. Marquiset se contente d'ajouter un fil biogra-
phique et de brèves annotations'.
F. Baldenspf.rger.
Max FucHs, Lexique du « Journal des Goncourt ». Contribution à l'histoire
de la langue française pendant la seconde moitié du xix" siècle. Paris, Cornély,
1912 ; in-S" de xxxn-i52 pages.
Dépouillement, par ordre alphabétique, de ces neuf volumes où les
deux frères ont tenté de faire donner, au vocabulaire français, son
maximum d'efficacité expressive : M. Fuchs n'a voulu que « cons-
tater des faits », et sa liste viendra utilement se joindre à d'autres
tableaux partiels de la vie du langage au xix*" siècle. Cependant, même
en attendant l'heure des conclusions, il n'était pas impossible de
définir le processus mental qui détermina ce qu'on pourrait appeler
« la lexicographie de l'écriture artiste » ^ M. F. a la prudence de s'en
tenir à une hypothèse — fort acceptable — sur la collaboration
d'Edmond aux trois premiers volumes. Quelques-uns des vocables
voudraient un rudiment d'explication (boscote, burgauté, qiiiqui...).
D'autres appellent une remarque : amiteux, cf. Marmontel, Mémoires,
1. IV, à propos du chanteur toulousain Géliote, « doux, riant, amis-
toux, pour me servir d'un mot de son pays... » ; congénial ne veut
pas dire congénital^ mais rend l'anglais congénial, sympathique, et
figure souvent, par exemple, dans les lettres de M™* de Duras ; enso-
leillé a été pris par Th. Gautier au poète fribourgeois Et. Eggis ;
1. Sans doute faut-il lire Quinet p. 22 (cf. p. 3o,, où il est question d'Ahasvérus)
écrire [Guido] Goerres p. 149, i5i, i52, Herriot p. 77, 79, 81, Prague par M. de
Pastoret, p. 210. Ne s'agirait-il pas simplement, p. 77 et suiv., de VAme exilée
préparée d'abord sous le titre de Vie brisée?
2. Les dérivations qui témoignent du besoin d'un substantif verbal (avalement
tout cru, aventurement, barbotage dans l'eau, etc.) La préférence donnée aux for
mations directes, au lieu dun retour à un radical savant 'a/îg'/a/ié plutôt qu"t7«-
glicisé) : même phénomène, au fond, dans bonne enfance (= cordialité ^o>j enfant).
Extension superficielle plutôt qu'organique.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 4I7
stepper est peut-être en relation avec le mot [stepper] dont Targot an-
glais désigne la roue du hard labour \
F. B.
George D. Morris. Fenimore Cooper et Edgar Poe d'après la critique fran-
çaise du dix- neuvième siècle. Paris, Larose, 1912; in-S" de 210 pages.
En dehors d'une liste à peu près complète (les traductions en
volume des romans ei des contes de ces deux e'crivains américains),
ce volume n'apporte rien d'assuré ni d'essentiel à l'histoire littéraire :
les dépouillements sont incomplets, les dates souvent erronées, les
identifications d'anonymes négligées. Surtout, le sens relatif des
jugements français, leur rattachement à des épisodes intellectuels
déterminés ne sont même pas indiqués : c'est un paquet de fiches
transformé vaille que vaille en un livre — et, ce qui est plus grave,
en une thèse de doctorat de l'université de Paris.
F. Baldensperger.
Georges Polti, Les trente-six situations dramatiques. Nouvelle édition mise
au courant et augmentée de deux index bibliographiques. Paris, Mercure de
France, 1912; in-i6 de 3o2 pages.
Avec un humour souvent très savoureux, et non sans l'intention
expresse de révéler aux dramaturges l'efficacité insoupçonnée de tant
de sujets possibles qu'ils sont tentés de négliger, M. Polti a réparti en
groupes et en sous groupes essentiels toutes les « situations » drama-
tiques. C'est la boutade de Gozzi, alléguée par Goethe dans ses
Entretiens et médiocrement utilisée jusqu'à présent, qui lui fournit
ce chiffre fatidique de trente-six : encore n'est-il pas sûr que sa clas-
sification, ingénieuse en ce qu'elle va du simple au complexe, ne
renferme pas de doubles emplois. Par exemple, la première et la
douzième situations, « implorer » et « obtenir » sont de même
essence et ne différent que par le stade plus avancé de la seconde ;
la troisième et la quatrième, surtout, « la vengeance poursuivant le
crime » et « venger proche sur proche » sont réductibles à un com-
mun élément. Il va de soi qu'une érudition théâtrale étendue ali-
mente l'alchimie de M . P. : encore ne peut-on manquer d'être frappé
de voir les contemporains représentés avec abondance dans ses
tableaux, alors que le xviii*^ siècle n'a guère que Voltaire pour four-
nisseur français de situations dramatiques.
F. B.
Etienne Lamy de l'Académie française. Quelques œuvres et quelques ouvriers,
vol. in-i8, I 287 p. Bloud et C", 191 i .
« Je n'ai pas réussi à servir utilement les causes que ma raison et
I. \^' Introduction devait donner une mention au Labeur des de Concourt de
G. Abel {Mélanges 'Wilmotte^ I, 1910). Lire -Votes lexicologiques, p. xxxii.
41 8 REVUE CRITIQUE
mon cœur voulaient détendre, et mon effort contre des lois injustes
n'a mis fin qu'à ma vie publique. « C'est en ces termes plutôt mélan-
coliques que M. E. Lamy apprécie le résultat de son action pendant
les années auxquelles appartiennent la plupart des allocutions qu'il a
réunies dans ce volume et qui vont de i885 à 1906. L'auteur se traite
lui-même de « vaincu » ; et ce qui donne à sa défaite une certaine
amertume, c'est qu'il la doit autant à ses amis qui, en grand nombre
n'ont pas voulu le suivre dans son ralliement à la république, qu'à
ses adversaires politiques. Et cependant la « défaite » ne l'a pas aigri.
Il a continué à penser qu'il fallait aimer et servir son temps. « Nous
n'avons pas, dit-il aux élèves de Sorèze, l'âge fut-il de fer, à deman-
der l'âge d'or, à verser de stériles regrets sur les grandeurs, les beau-
tés, les forces détruites. Nous ne sommes pas créés pour habiter les
tombeaux des morts mais pour élever des demeures nouvelles sur la
terre des vivants. Aimez votre temps ». Aimer son temps veut dire
pour M. L. « acquérir l'intelligence, l'habitude ... le goût des influen-
ces qui sont efficaces sur lui, et employer ces influences à le rendre
meilleur ».
L'intention est excellente, mais la tâche était vraisemblablement
ingrate dans les conditions où la posait l'orateur. Car lui-même recon-
naît qu'il a, sinon prêché dans le désert, du moins réussi à entraîner
et à convaincre un trop petit nombre de ses concitoyens. Il faut un
louable courage pour marquer, dans un recueil rétrospectif comme
celui-ci, les étapes d'un échec avoué. C'est livrer à l'histoire des ren-
seignements et des enseignements utiles : les historiens profiteront
certainement des premiers. Je suis moins sûr que les politiques tirent
aussi bon parti des seconds. Ils ressemblent trop à ceux que le passé
du parti auquel appartient M. L. avait légués à nos contemporains et
qu'ils n'ont cependant pas suffisamment compris pour ne pas retom-
ber dans les mêmes fautes que leurs prédécesseurs. Même M. L.
extrait des événements des leçons qui nous paraissent déjà, après
quelques années, en retard sur le mouvement général des choses et
notoirement trop étroites dans leurs visées. Il attend trop de la
décentralisation, trop de l'alliance de la religion et de la liberté, cha-
cune restant dans son domaine, trop de la charité individuelle à qui il
assigne un rôle d'universelle et suffisante réparatrice des injustices
sociales '. Il y a dans tout cela de l'arriéré, si j'ose dire, et les réalités,
I . « Le prélèvement volontaire accompli par le riche sur sa richesse pour rele-
ver la condition du pauvre voilà la solution noble et efficace du problème social »
p. 171. M. L. semble en être encore à croire qu'en enlevant aux riches ce qu'ils
.ont de superflu on satisferait aux besoins de la masse! Comment être étonné des
progrès du socialisme en face de pareilles idées émises par des esprits de la valeur
de M. L? Il croit encore que « les placements » faits par les riches n'ont pas d'autre
utilité que « d'être productifs pour des revenus sans cesse accrus. » La mise à la
disposition du travail de capitaux moyennant intérêt toujours plus bas à mesure
que « les placements » sont plus considérables, lui échappe complètement.
d'histoire et de littérature 419
à lori ou à raison, ont dépassé ce libéralisme centre droit ou gauche,
qu'on peut regretter, mais dont l'observateur social actuel sent ins-
tinctivement qu'il a fait son temps. Le recueil de M, L. n'en reste pas
moins un tableau intéressant pour l'histoire contemporaine.
E. d'Eichthal.
MoNon ET LA « Revue Critique ».
L'histoire de la Revue critique est, croyons-nous, intéressante et
tout ce qui concerne ses destins doit être exactement indiqué. On
nous permettra donc de retracer avec plus de précision que nous ne
l'avons fait, comment Monod devint directeur de notre recueil.
Les directeurs de 1870, Gaston Paris, Paul Meyer et Zotenberg,
n'eurent pas, en cette fatale année, l'intention de supprimer la Revue.
Le i3 août, ils suspendirent la publication, mais avec l'idée de la
reprendre plus tard et de faire paraître la suite, après la guerre, en un
seul fascicule.
C'est ce qui eut lieu. Quatre fascicules de la Revue — et non un
seul — parurent sous la date de 1 870 en 1871 et en 1 872 . Ces quatre
fascicules renferment de véritables mémoires, dus à Thurot, à Pan-
nier, à Brachet, à Paul Meyer, et l'on y remarque une fort belle
lettre de Rodolphe Reuss sur l'incendie de la bibliothèque de Stras-
bourg. Ainsi fut complété le volume de 1870.
Mais les numéros de l'année 1872 furent régulièrement publiés.
Les directeurs de la Revue étaient alors, outre Paris et Meyer, Morel
— qui plus tard dirigea le Journal de Genève — et Michel Bréal qui
remplaçait Zotenberg.
Or, Paris et Meyer, en cette même année 1872, fondèrent la Roma-
nia. Meyer quitta la Revue critique : il avait, disait-il, moins de temps
à lui, et il jugeait, non sans raison, que, deux des directeurs étant
romanistes, il serait utile d'avoir un directeur qui s'occuperait spé-
cialement d'histoire. Voilà comment Monod prit, à la Revue critique,
la place de Meyer. Il entra à la Revue non comme directeur, mais
comme co-directeur. Tout cela, du reste, est bien établi dans
l'Avant-propos du premier numéro de 1873, intitulent nos lecteurs
et rédigé par Paris.
Arthur Chuquet.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du i <) avril J(ji2. —
M. Gagnât donne lecture d'une note de M. Alfred Merlin, relative à une base
honorifique découverte par le capitaine VanbourdoUe et le lieutenant Haack à
Souk El-Abiod (anc. Puppiit]. Les personnages qui y sont nommés, Flavius Ma-
crobius et Flavius Synesius, n'étaient ni l'un ni l'autre respectivement connus
comme vicaire d'Afrique et .consiilaris de Byzacène sous Arcadius. Cette inscrip-
tion enrichit donc les fastes de l'Afrique romaine de deux noms sous le règne de
cet empereur, et c'est la première fois qu'en Afrique on rencontre une dédicace à
Arcadius seul qui, depuis SgS, avait le gouvernement de l'Orient, tandis qu'Hpno-
rius avait celui de l'Occident et de l'Afrique. Au point de vue géographique, on
4Î0 REVUE CRITIQUE D HtSTOIRE ET DE LITTERATURE
voit ici que Piipvut, vers l'an ^lo, était en Byzacènc, tandis qu'en 484 elle était en
Proconsulairc. Enfin l'inscription de Pupviit permet de préciser, par comparaison,
le sens de certaines sii^les sur un texte de la localité peu éloignée de Vnia.
M. René Pichon fait une communication sur l'épisode d'Amata dans l'Enéide.
.Vprès avoir relevé, dans le récit de Virgile, quelques anomalies et obscurités, il
essaie de les expliquer en recherchant les traditions religieuses auxquelles le
poète a fait des emprunts. 11 pense que \'irpile a voulu représenter dans la fuite
extatique d'.Vmata le rite des fûtes de Liber, le Bacchus latin ; que, d'autre pari,
Amata est le prototype des \'cstales ; mais qu'il a dû y avoir à l'origine une asso-
ciation entre le culte de Liber et celui de Vesta.
L'Académie procède à la désignation de deux candidats pour la chaire d'histoire
de l'Afrique du Nord créée au Collège de France. M. Gsell est désigné en première
ligne; M. Besnier en seconde ligne.
M. Louis Havct présente une correction pour un vers de Catulle (68, Sg). Au
lieu de valde, il propose d'y WvQalpc, une alpc, une prairie de montagne. Ce pas-
sage serait le seul de toute la littérature latine où se lirait alpis employé comme
nom commun. Il est d'ailleurs tout naturel que ce mot, essentiellement local, ait
été essayé en poésie par un auteur natif de Vérone et par conséquent voisin des
Alpes qui ont imposé leur nom à une grande chaîne de montagnes.
Kl. Lejay étudie l'origine de la proposition latine absque. Elle se rencontre à
partir du milieu du u" siècle p. C. Mais dans Plante et dans Térence on a huit fois
une expression absque, dans une phrase telle que la suivante : Nam absque ted
esset, hodie numquam ad solem occasum viverem (Plante, Ménechmes, 1022). La
proposition absque ted essed est, selon M. Lejay, une explication introduite comme
entre parenthèses ; absque s'y décompose en abs, et que, conjonction : k Et loin de
toi fsans toi), cela serait arrivé ». Certains passages ont pu suggérer à Fronton
l'idée d'une préposition absque, par exemple Capt.. ^02; quod, précédant absque,
paraissait y avoir le sens conditionnel qu'il a quelquefois dans l'ancienne langue.
L'innovation de Fronton est remarquable, parce qu'elle est due à une mode litté-
raire^ l'imitation de la langue archaïque par les auteurs du n" siècle, et que,
néanmoins, elle a eu assez de succès pour pénétrer dans la langue populaire
(lombard asca).
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 26 avril JgJ'~- —
M. Prou communique une lettre de M. Lucien Lambeau .secrétaire de la Commis-
sion du Vieux Paris, contenant la transcription de l'epitaphe d'un ancien « secré-
taire commis » de l'Académie des inscriptions, Esprit Louis Rousset, décédé le
23 novembre 1809 dans sa So'' année. Cette inscription est appuyée contre le mur
du cimetière de Vaugirard (rue Lecourbe, n» 3io .
Le P. Scheil donne une première lecture d'un mémoire intitulé : Visite che^ un
armurier susien de l'an .'^oon avant notre ère. — MM. Heuzey et Pottier présentent
quelques observations et signalent deux monuments qui représentent les objets
mentionnés par la tablette.
M. Châtelain, au nom de la Commission du prix Brunet, fait le rapport sui-
vant : « La Commission du prix Brunet, vu le grand nombre des concurrents, n'a
pas décerné le prix de 3. 000 francs, mais elle a attribué, sur les revenus de la
fondation, les récompenses suivantes : i.5oo francs à M. Vicaire, Manuel de l'ama-
teur des livres du xix' siècle. 7 vol. in-8° ; — i.ooo francs à M. Georges Lépreux,
Gallia typographica. 4 vol. in-S" ; — i.ooo francs à M. Hubert Pernot, Bibliogra-
phie ionienne. 2 vol. in-8'' (œuvre d'Emile Legrand complétée par M. Pernot); —
5oo francs à M. Etienne Deville, Index du Mercure de France, i vol. in-4'' ; —
3oo francs à M. Charles Beaulieux, Catalogue des livres de la Réserve {x\i^ siècle)
de la Bibliothèque de i Université de Paris, i vol. in-8" ; — 5oo francs à M. Albert
Maire, L'œuvre scientifique de Pascal. Bibliographie critique et analyse de tous
les travaux qui s'y rapportent, i vol. in-S". — Elle décerne en outre deux men-
tions très honorables : à M. Pierre Bliard. Bibliographie de la Compagnie de
Jésus. T. X. Tables, i vol. in-40; et à M. J. Baudrier, Bibliographie lyonnaise.
9 vol. in-80. »
M. Paul Foucart commence la lecture du mémoire qu'il a rédigé en collabora-
tion avec M. Georges Foucart, professeur à la Faculté des lettres d'Aix-Marseille,
sur les cérémonies qu'on appelle les drames mystiques d'Eleusis.
L'Académie procède à la désignation de son délégué au Conseil supérieiar de
l'instruction publique. Par 25 voix sur 27 votants, M. R. de Lasteyrie est réélu.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puycn-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamoii.
REVUE CRIllQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 22 - 1" juin. — 1912
Bkccari, Le Tigré. — Sciuffkr, Les Araméens. — Marti, Grammaire araméenne,
oc éd. — Kip, Etudes thessalienncs. — Boutouras, Les emprunts du grec et au
grec. — GoMPERZ, L'Apologie de l'art de guérir. — E. Schmidt, Importations de
culte. — E. MûLLER, Les dieux dans la tragédie grecque. — Blûmml, Le recueil
de chansons d'Uhland. — Schmitz, La métrique de Fleming. — Gaffarel et
DuRANTY, La peste de Marseille. — Maisonnier et Lecarpentier, L'Irlande et le
home rule. — Bonin, Les royaumes des neiges. — Van Gennep, Ethnographie
ali;criennc. — Allain et Hauser, La France.— Novicow, L'association humaine.
— RowNTREE et Lasker, Les sans-travail. — Lescceur, Les coffre-forts et le fisc.
— M°>" Bérot-Berger, Décalogue de la vie moderne. — B. Siiaw, Artistes et
dégénérés. — Sir Sidney Lee, Principes de biographie. — R. VVûnsch, Formules
de malédiction. — Férarès, La durée de l'année biblique. — Marie, Lexique
hébreu-français. — Hautsch, L'Octateuque et le texte de Lucien, — Kiiatzis, Les
Raoul grecs. — Gruenler, Ecquis ou etquis. — Pirro, La Naples grecque. —
Académie des inscriptions.
G. Beccari. Il Tigré descritto da un missionario gesuila dcl secolo XVII, Rome,
igi2, Loescher et G'% in-S», pp. xiv-i8o. (Prix : 6 fr.)
Le jésuite en question est le P. Emmanuel Barradas, religieux por-
tugais, qui séjourna en Ethiopie, et surtout dans la province du
Tigré, de 1624 à i633. Passionné pour l'étude des sciences naturelles
et servi par un bon talent d'observateur, il a rédigé, dans sa langue
maternelle, trois traités historico-géographiques dont le plus intéres-
sant a pour titre Do reino di Tigré \ L'aspect du pays, sa flore, sa
faune, les mœurs et usages des habitants y sont décrits avec une pré-
cision qui ne le cède en rien aux relations de nos explorateurs contem-
porains. Cependant, la méthode laisse à désirer. Aussi le P. Beccari
a-t-il jugé avec raison qu'une adaptation serait plus utile qu'une simple
traduction du texte original. C'est toujours Barradas qui parle, mais
ses observations sont groupées et classées méthodiquement ; aux noms
vulgaires des plantes et des animaux, ont été ajoutés des noms scienti-
fiques; quelques notes expliquent, complètent ou rectifient les pas-
sages obscurs. Sous cette forme rajeunie le livre s'adresse surtout aux
Italiens, dont la colonie Erythrée occupe une partie du pays décrit
par l'auteur; mais il intéressera aussi tous ceux qui s'adonnent à
f . Le texte original de ces trois traités a été publié dans le tome IV des Rerttm
Aethiopicarum Scriptores occidentales, dont la Revue a parlé à diverses reprises.
Nouvelle se'rie LXXIII 22
J.22 REVDE CRITIQUE
l'étude des sciences géographiques. Il est illustré d'une soixantaine de
gravures hors texte, d'une exécution, à la vcritc. un peu trop som-
maire.
J.-B. Ch.
Die Arameeer. Historisch-geographische Untcrsuchungcn von Dr. Sina Schiffer,
JLin. Leipzig, 1911; llinrichs, in-8», pp. xii-207. (Prix : 7 m. 5o).
Ouvrage qui témoigne d'une bonne érudition, et fruit de patientes
recherches. L'auteur y résume tout ce que nous savons actuellement
sur les Araméens d'après les inscriptions cunéiformes, la Bible, et, les
monuments épigraphiques ou littéraires de date postérieure. On pour-
rait discuter quelque détail, signaler quelque omission dans la biblio-
graphie, critiquer certaines répétitions inutiles : ce sont de petits lap-
sus. Plus grave est le manque d'un plan méthodique : en réalité le
livre est une série de notes, sans doute fort érudiics, mais dont l'ari-
dité est rendue encore plus fatigante par la multiplicité des références
très souvent insérées dans le texte sans la moindre distinction typo-
graphique entre celui-ci, les noms des auteurs cités, ou le titre de
leurs ouvrages. Heureusement, une bonne table alphabétique permet
d'utiliser l'ouvrage et de le considérer comme une sorte de diction-
naire topographique. Une carte sommaire y est jointe. Après avoir
parcouru ce travail, on a le sentiment que l'histoire des Araméens
nous est encore bien mal connue et que le rôle de ces tribus dans
l'histoire des peuples sémitiques est mal défini ; mais il apparaît assez
nettement que leur développement ethnographique n'a pas été pro-
portionné à leur influence sociale, et on est de plus en plus surpris de
la prodigieuse extension prise par leur idiome et par leur écriture qui
se propagèrent au point de supplanter progressivement toutes les
langues de l'Asie occidentale depuis la Méditerranée jusqu'au-delà
du Tigre, et du Tau rus au centre de l'Arabie.
J.-B. Ch.
Kurzgefasste Grammatik der Biblisch-Aramaeischen Sprache, von D. Karl
Marti. 2«éd., Berlin, 191 1, Reuther und Rcichard, pp. 117 + 98. (Porta iingua-
rum orient., pars XVIII).
L'éloge que notre ami R. Duval avait fait ici-môme de la Gram-
maire de M. Marti, est à répéter pour cette seconde édition. Même
clarté d'exposition, même sobriété de détails, sans rien omettre d'es-
sentiel. Quelques améliorations ont été fournies par l'étude des papy-
rus araméens, trouvés en ces dernières années à Éléphantine, dont la
langue, comme on sait, est apparentée de très près à l'araméen
biblique, ou pour mieux dire, n'en est que la forme un peu plus
archaïque. L'un de ces papyrus est reproduit dans la Chrestomathie
qui renferme, selon l'usage, une édition critique de tous les passages
d'histoire et de littérature 423
bibliques rédiges en araméen. A la « Literaïur » il faudra ajouter
maintcniim l'important recueil de Papyrus et d'Ostraca édité par
M. Sacliau (Berlin, 191 i).
J.-B. Ch.
G. Kip. Thessalische Studien. Reitragc zur politisclien Géographie, Gcschichte
und Vcrfassung der thcssalischcn Land.schaften. Neuenhaus (Hanovre), H. Kip,
1910; 143 p. (Diss. inaug. Halle).
C'est un bon travail que cette dissertation inaugurale de M. Kip. Elle
n'apprend pas beaucoup de nouveau; certaines questions pourraient
être présentées avec plus de précision, et plusieurs des conclusions de
l'auteur sur des points de détail n'ont pas toute la sûreté désirable;
mais elle méthodique, exactement documentée, et elle a le mérite de
condenser en peu de pages tout ce que nous fournit l'antiquité sur la
géographie politique et les institutions des villes thessaliennes. M. K.
a interrogé les textes, étudié les inscriptions, consulté les monnaies,
se proposant un triple but : Déterminer, pour chacun des peuples des
régions comprises sous le nom général de Thessalie, son domaine géo-
graphique ; préciser, autant qu'on peutles connaître, les traits saillants
de son histoire ; exposer et discuter ce que nous révèlent les docu-
ments sur son administration intérieure. M. K. a commencé — le sujet
l'exigeait — par distinguer ces peuples divers : Thessaliens proprement
dits; périèques (Perrhèbes, Magnètes, Achéens Phthiotes) plus ou
moins dépendants des Thessaliens ; peuples de la vallée du Sperchios
(Maliens, Œiéens, ^Enianes) ; puis, reprenant en ordre inverse, il
s'est occupé de chaque peuple en particulier, en intercalant quelques
pages sur les Dolopes, suivant une disposition à peu près uniforme :
le territoire et les villes, leur organisation générale et particulière,
leurs magistratures, jusqu'à l'époque où ils perdirent leur indépen-
dance. Tous ces peuples en effet, à l'exception des Magnètes, ren-
trèrent dans le /.owôv zôr/ ©exTaXwv, les uns dès le commencement du
11° siècle, comme les Achéens Phthiotes et les Maliens, les autres
sous Auguste, à la reconstitution de l'amphictionie delphique. Le
•/.o'.vôv des Magnètes, au contraire, resta longtemps indépendant de la.
Thessalie, et ce fut seulement à l'époque de Dioclétien que la Thes-
salie et la Magnésie furent confondues administrativement. M. K.
s'appuie parfois sur des inscriptions dont la lecture est purement
hypothétique. Dans l'inscription de Drymœa, par exemple (/G, IX'),
il considère comme démontré « mit iiberzeugenden Grunden « par
Vollgraft", qu'il faut, lire ligne 6 toVç O'iTafotç xaî 'AyatoT; {BCH, XXV,
1901, p. 226 svv.); il n'a pas suffisamment médité les notes ajoutées
par Homolle, où il est prouvé au contraire que, quelle que soit la
valeur de la conjecture de Beaudouin al Xotiix; oîxovo[jiLa'., on ne peut
chercher un nom de peuple dans les lettres qui suivent Olxatoto;;.
Mais en revanche on notera d'excellentes discussions ; celle, par
A2± REVUE CRITIQUE
exemple, d'où il rc'sulie que Pharsalc csi une ville de la Thcssalie
et non de l'Achaïe Phihioiide, et qu'elle appanenait à la Phthiotide
et non à la Thessaliotide ; ou encore les pages où M. K. étudie la
sviiarchie, collège de magistrats de la ville de Démétrias, et non du
y.otvôv des Magnètes ; bien qu'il reste encore quelque obscurité dans la
question, et que M. Kip n'aii pus réussi à déterminer le nombre des
nomophvlaques, son argumentation, bien conduite, me semble pro-
bante. Deux cartes sont jointes à la dissertation : la plaine du Sper-
chios, et l'ensemble de la région thessalienne ; ce sont seulement des
esquisses.
My.
BiTLRAS. Ein Kapitel der historischen Grammatik dér griechischen
Sprache. l'cbcr die gcgenscitii;cn Bcziehungcii der ij;ricchischen und dcr frem-
dcn Sprachen, besonders ûber die frcniden Einflûsse aut' das Griechische seit
der nachklassischcn Période bis zur Gegenwart. Leipzig, Weicher (Dietcrich),
igio; 112 p. + 8 pages nuniérotces de a à h.
M. Boutouras a raison de dire, dans ses préliminaires, que son
travail sur les emprunts faits par le grec aux autres langues et
réciproquement par les autres langues au grec, « porte le carac-
tère d'une dissertation sur les résultats obtenus par les recherches
faites jusqu'à présent dans ce domaine >■>. C'est à cela en effet que
se réduit ce « chapitre de grammaire historique de la langue
grecque. » Six sections sur les rapports du grec avec i) les langues
sémitiques ; 2) les autres langues orientales et les langues ancienne-
ment parlées dans les pays au nord de la Grèce ; 3) le latin ; 4) les
langues romanes et germaniques ; 5) les langues balkaniques ; 6) le
turc, sont disposées uniformément de la manière suivante : InHuence
sur le grec ; influence du grec; bibliographie. La bibliographie sera
utile ; dans les autres paragraphes, M. B. expose comment ont pu se
produire ces influences, par suite de relations politiques, commer-
ciales, religieuses, plus ou moins profondes et durables, et comment
ainsi le grec a pu recevoir et prêter des termes plus ou moins nom-
breux ; considérations généralement exactes, mais peu nouvelles. Le
tout estencadréentre un premier chapitre, le meilleur de l'ouvrage, où
M. B. fait ressortir justement l'intérêt que présente, pour la grammaire
historique du grec, cette question des influences réciproques du grec et
des autres langues, et une conclusion dans un ordre d'idées tout diffé-
rent. M. B. y exprime son opinion sur le problème de la langue mo-
derne, faisant l'éloge de Hatzidakis, ne faisant pas celui de Psychari
{ainsi orthographié), et déclarant, comme plusieurs, du reste, de ses
compatriotes, que les savants étrangers sont incompétents en cette
matière, parce qu'un occidental ne peut pas prétendre, fùt-il un Krum-
bacher, se pénétrer des affaires des Grecs et sentir comme un Grec, ni
par conséquent juger comme un Grec dans une question qui, d'une
D'HISTOir.F. KT Di: LITTÉRATURE 42 5
part, n'est pas seulement d'ordre linguistique, mais qui est aussi his-
torique, et d'autre pan n'est pas purement scieniitique, mais est
presque exclusivement pratique (p. io3). Ge n'est pas la première
fois que sont émises des idées de ce genre, et les savants occiden-
taux amis des Grecs n'v aiiachcnt guère d'importance; mais quel
rapport ces pages, où se rencontrent en outre quelques phrases à
allure politique, peuvent-elles bien avoir avec le sujet du livre ' ?
My.
Die Apologie der Heilkuust. llinc griechische Sophistenrcdc des fûnften vor-
christlichen Jahrhiuidcrts, bearbeitet, ûbersetzt, eiiauicri uiid eingeleitet voii
Th. GoMPERZ. Zwcitc durchgesehene Autlage Leipzig, \'eit, 1910; viii-182 p.
l'rix : 10 fr. 60.
Après vingt ans, M. Gomperz donne une nouvelle édition du traité
lUp; Té/vr,;, l'un des opuscules du Gorpus Hippocraticum. On sait
que M. G. l'attribue à Protagoras, ou tout au moins qu'il considère
comme hautement vraisemblable que le philosophe d'Abdère en est
l'auteur. Gette seconde édition, re\ue avec beaucoup de soin, n'a pas
subi de modifications essentielles ; je l'ai lue. attentivement, et je ne
puis que renvoyer à l'article où j'ai exposé mon opinion sur la pre-
mière [Revue du 8 juin i 89 i). Il me suffira de signaler les changements
peu nombreux apportés au texte, et justifiés dans le commentaire ou
dans l'appareil critique. P. 40, i ;= 44, 20 1™ éd.) y.x\ to'j; àTroosjYovTa;
suivant M, Marcianus 26911'' éd. om. /.aï avec A, l^arisinus 2253) ;
il semble en effet plus rationnel d'admettre l'omission de -/.xt par le
copiste de A que son intrusion dans M. P. 40, 23 (= 46, 18) ri -zi^Ji. . .
Tapa/ï, d'après A, qui porte r, z\ (i''- éd. -r) -ïi M), cï. p. i i3. P. 44, 6
(= 5o, 2) ày.py.rsvf^v avec M; M. G. lisait d'abord ài{>uy(rjv, corr. de
k-^y/'yr;-! A; une note, parue dans les Beitràge :{ur Kritik iind Erklà-
7-iing der griech. Schriftsteller, VIII (1905), et reproduite dans la
nouvelle édition p. 1 19, explique les motifs qui ont ramené M. G. à
la leçon de M. Mais la variante de A ne laisse pas que d'être embarras-
sante. P. 44, 18 (= 5o, i3) ôî omis avec M P. 46, 19 (= 52, 16) ircoç
o'j -.'yj-Ai)'/ -y. tojtw jXT, â/.'.T/, !jj.£'>x (i''« éd. Tw; o'j ^à TO'j-Ltov [JL7| à)i. avec A);
c'est une combinaison, assez peu sure du reste, de A avec M là to'jtio,
cf. p. 124. P. 52, [9 (= 58, 17) aaor^vï'.av (7a-.prjV'.av A) au lieu de jatpT,-
vE'TjV M. p. 52, 23 (= 58, 21) oiî^aoKÉ-rr, (A -tîi) ; c'est avec raison que
M. G. conserve ce texte; la correction ry\ i^ap/iar, était vraiment peu
heureuse. P. 56. 1 i (=== 6)2, i 2) ttwjjixtiov et 58, 2 (= 64, 3) 7:m[xxx%, au
lieu de Tjj[j.., avec les meilleurs manuscrits.
My.
I. Les pages ab, intiiulccs .1 propos ! ;à propos de quoi ?) comicnncnt des vues
intéressantes sur le projet d'un dictionnaire historique de la langue grecque, mis
en avant par Hatzidakis.
426 REVUE CRITIQUE
Ernst SciiMiDT, Kultubertragungen, (nesseii, Tôpelmann, 1910; viii-124 p.
Prix : 5 fr. 5o (Kcligioiisgcsch. \'cis. iiiiil V'orarb. \'1!I, 2).
Nous sommes prévenus par l'auteur que son ouvrage n'est pas un
travail d'ensemble sur la translation des cultes d'un pays dans un
autre. M. Schmidt s'est propose d'étudier seulement quelques exem-
ples caractéristiques, pour lesquels les traits de la Jégende sont à peu
près identiques, et de montrer que ces légendes sont en rapport très
étroit, d'ensemble et de détails, avec les récits qui concernent l'épi-
phanie d'un dieu, sa première manifestation parmi les hommes. Il a
choisi pour cela Timportation du culte de la Magna Mater et de celui
d'Asclépios à Rome, et l'introduction du culte de Sarapi.-; à Alexandrie.
Ce sont trois chapitres dans chacun desquels, suivant un même plan,
M. S. réunit d'abord tous les documents relatifs à l'événement, puis
en fait la critique et en tire une conclusion. L'introduction officielle
de la Grande Mère et d'Asclépios dans le panthéon romain, la cons-
truction et la dédicace d'un temple à ces divinités, furent des actes de
politique, extérieure ou intérieure; dans le premier cas, Rome voulait
justifier son immixtion dans les affaires d'Asie, et alors on inventa la
légende de la translation, ordonnée par un oracle, de la plus grande di-
vinité du pays dans sa nouvelle patrie ; dans le second cas, il s'agissait,
dit M. S., de calmer l'effroi de la population lors d'une épidémie très
meurtrière, et de lui inspirer confiance dans l'art des médecins grecs;
la légende de l'arrivée du dieu, que les Romains allèrent chercher
eux-mêmes, fut alors imaginée. Ces résultats sont obtenus par un
examen minutieux des textes ; pour chaque légende, le fond reste le
même; mais les détails fournis par les sources sont tellements diffé-
rents, tellement inconciliables entre eux qu'ils deviennent suspects et
donnent toute raison de révoquer en doute leur historicité. Quant au
culte introduit à Alexandrie par Ptolémée Soier, la critique des docu-
ments conduit à une conclusion analogue ; le but politique n'est pas
moins visible; Sarapis, quelle que soit l'origine du nom, fut pour le
nouveau souverain de l'Egypte une divinité dont le sanctuaire devait
réunir dans une même idée religieuse Égyptiens et Grecs, et la
légende se forma, avec des traits non moins variés et non moins
contradictoires. Alors, dans un quatrième chapitre, M. S. compare
et juge les traits distinctifs des épiphanies et ceux des translations
précédemment étudiées; il passe en revue un grand nombre de
légendes, surtout des légendes de saints, qui portent manifestement
des caractères de libre invention. Ces rapprochements sont destinés,
dans la pensée de M. S., à corroborer les résultats qu'il a obtenus par
l'examen et la critique de chaque légende en particulier; et dans le
fait, les analogies sont tellement frappantes qu'on peut se demander
avec l'auteur s'il n'y a pas, dans ces histoires de translations de divi-
nités, et plus tard de reliques, autant et peut-être plus de fiction
consciente que d'imagination populaire. On pourra reprocher à
d'histoire et de littérature 427
M. Schmidt d'interpréter certains détails pour les besoins de sa cause;
mais ce qui importe ici, c'est bien plutôt l'appréciation générale des
faits, et je la crois juste.
My.
E. MuELLER, De Graecorum deoruin partibus tragicis (Relig. Vers, und Vorarb.,
VIII, 3). Giessen, Topelinaiin, 19 10; viii-146 p. Prix : 6 fr. 5o.
Le sujet traité par M. Millier est le suivant : Quel est le rôle des
dieux dans la trat^édie grecque, et comment les poètes tragiques ont-
ils mis en scène les personnages divins? Pour répondre à cette ques-
tion, M. M. a divisé son travail en trois parties, et il étudie le rôle des
dieux dans Eschyle, dans Sophocle, dans Euripide. Il examine suc-
cessivement toutes les tragédies de chaque poète, y compris les tra-
gédies perdues dans lesquelles intervient une divinité, et cherche à se
rendre compte des motifs qui ont déterminé le choix d'un dieu comme
personnage. La tragédie, dit M. M., faisait partie du culte public;
rien ne s'opposait donc à ce que les dieux fussent mis sur la scène, et
fussent les acteurs principaux, même parfois les seuls acteurs, de tout
un drame (p. 2-3- ; c'est ce qu'on voit chez Eschyle, par exemple dans
les Euménides et dans Prométhée. Ces pièces nous font comprendre
le rôle des dieux : ils donnent, d'abord, à la tragédie un caractère plus
splendide et plus religieux ; ensuite, ils viennent instituer des cultes
et des rites, et exposer, avec l'autorité que leur donne la majesté
divine, les sentiments du poète sur les affaires publiques; enfin ils
ont un rôle étiologique, en ce sens que souvent leurs paroles expli-
quent la raison et l'origine (ta aî'-'.a) des usages et des institutions reli-
gieuses (p. 8). Mais la tragédie devint bientôt plus humaine; la repré-
sentation cessa d'être exclusivement religieuse, et les dieux y appa-
rurent tels qu'on les voit dans la poésie épique, partiaux, intéressés,
se souciant peu de la religion ou du bien moral de l'humanité, parlant
et agissant, en un mot, comme s'ils étaient des hommes, doués toute-
fois de la puissance divine (p. 36). Cependant, cette tragédie « héroï-
que » conserve encore son caractère sacré ; et lorsque avec le temps le
rôle des dieux perdit de son importance, lorsqu'ils ne furent plus des
acteurs directs du drame, et qu'ils intervinrent seulement, comme
dans la plupart des pièces d'Euripide, à la fin ou au début de l'action,
même alors ils retinrent quelque chose de leur rôle primitif. Le deus
ex machina n'apparaît pas, comme on a pu le croire, pour terminer
une pièce difficile à dénouer autrement, car l'intervention d'un dieu
n"a rien de nécessaire dans la plupart des cas. Il vient pour expliquer,
comme dans la tragédie primitive, les a'.'-'.a des cultes, pour sanction-
ner de son autorité les institutions humaines, pour terminer la tragé-
die sur une impression religieuse, et surtout pour purger de tout
reproche les desseins des dieux, réfuter, en quelque sorte, les critiques
adressées aux dieux dans le cours de la pièce, et satisfaire ainsi le
428 REVUE CRITIQUE
seniimcnt religieux du public, en cloignani Je son csprii ce qui pou-
vait avoir e'ié dit de contraire aux dieux et d'antipathique à la religion
populaire (p. i23). Ainsi la tragédie conservait, tout au moins à la
Hn, un certain caractère de représentation religieuse (p. 137). Telle
est, dans ses grandes lignes, la théorie de M. M. Le livre se lit avec
intérêt, quoique le plan adopté oblige Fauteur à se répéter souvent.
J'avoue toutefois que la manière dont il interprète le rôle du dciis ex
machina ne me satisfait pas. Certes, ce n'est pas parce que le poète
est embarrassé qu'il use de ce moyen pour terminer ses pièces, et il
est possible qu'il ait voulu ainsi donner plus de solennité à la fin de
la représentation, disons même satisfaire à un goût du public; mais
je ne vois guère Euripide, qui ne se gène pas pour dire ce qu'il pense
de la religion populaire, qui, sansèire un athée, n'a qu'une estime et
une sympathie très modérées pour l'Olympe de la foule, je ne le vois
guère faisant au vulgaire la concession que suppose M. M., chantant,
comme il dit, la palinodie (p. 121), et donnant à en-tendre aux specta-
teurs, par les discours qu'il prête au dieu de la hn, quelque chose
comme ceci : Si j'ai mal parlé des dieux dans ma pièce, n'y attachez
pas d'importance; vous voyez bien que, par la manière dont je Hnis,
tout ce que j'ai dit est racheté et réduit à néant [finis, quo, quœ antea
dicta siint, irrita redduntur ; cette expression, ainsi que d'autres ana-
logues, comme purgare dcos, revient fréquemment sous la plume de
M. M.). Je ne vois pas Euripide préoccupé de ne pas choquer la reli-
gion populaire au point d'avoir recours à une sorte de rétractation
destinée à atténuer, sinon à annuler l'effet de ses critiques. Sans doute,
Euripide, comme tout poète dramatique, cherchait la faveur du
public; mais s'il l'a jamais flatté, ce qui n'est pas sûr, ce n'est certes
pas en lui sacrifiant ses opinions religieuses, et encore moins en expo-
sant, à la fin de ses pièces, des idées diamétralement opposées à celles
qu'il exprime dans le cours de l'action. Que l'intervention divine,
chez lui, soit un prolongement du caractère religieux de la tragédie
antérieure, nul n'y contredira; et l'explication des al'-'.a, la prédiction
des choses futures conviennent encore au rôle, même réduit, que
donne aux dieux le poète; mais il serait étrange qu'après avoir cri-
tiqué, parfois violemment, les actes de ces dieux anthropomorphes,
il déclartît à la fin, dans une réhabilitation inattendue, que tout est
fait par eux avec la suprême justice et la suprême sagesse; et cela,
pour ne pas offenser la religion populaire. Ce n'est pas ainsi, du
moins, que je me représente Euripide et sa conception de la tragédie,
en ce qui concerne les divinités de l'Olvmpe.
My.
Ludwig Uhlands Saminelband fliegender Blâtter aus der z\sreiten Hâlfte
des 16. Jahrhunderts (Drucke des Samuel und Siegfried Apiarius, Thiebolt
Berger, Wilhclni Bergi<, Hans Burger, Johannes Frisch, Johann Ulhart und Be-
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 439
ncdikt Ulman). ySTitelfaksimiles in Originalgiossc mit 68 Abbildungcn. Mit Ein-
Icitung, Reschreibungcn und Nachwcisen hgb. von Emil Karl Bi.ûmmi,. Strass -
burg, .1. H. F.. Hcitz, nji i. (îr, iii-S" carré, 140 et 80 pp., 20 ni.
Uhland, l'auicur d'un recueil encore classique de chansons popu-
laires, avaii en sa possession un volume composé de feuilles volantes
réunies par un amateur. Chacune de ces feuilles volantes contient
une chanson populaire — ou plusieurs — dont l'impression date
de la seconde moitié du xvi'^ siècle. De ce volume, qui est aujour-
d'hui à la Bibliothèque de l'Université de Tubingue, Uhland s'est
servi pour son édition ; mais il n'a pas réimprimé tous les textes
qu'il contenait. M. Blumml, dont on sait la compétence en matière
de chanson populaire, vient de mettre au jour les textes dédaignés
par Uhland et qui n'ont pas été édités par d'autres. Non content
de ce labeur, il passe en revue ces feuilles volantes dont il indique les
« caractéristiques » et les réimpressions, signalant à l'occasion les
variantes. Enfin on trouvera dans la seconde partie du volume les fac-
similés des titres, des feuilles volantes avec les gravures les accompa-
gnant. Nous avons ici une œuvre de grande précision, capable de
mieu.N. éclairer l'histoire, encore bien embrumée, de la chanson
populaire. p_ Piquet.
Metrische Untersuchungen zu Paul Flemings deutschen Gedichten, von
Friedrich Wilhclm Schmitz ((^ucUcn und Forsçhungcn, hgb. von A. Brandi,
E. Schmidt, F. Schuitz, iii). Strabourg, Trubner, igio. in-8», 106 pp., 3 m.
Ces études de prosodie portent sur trois points : l'accentuation, la
quantité, la césure. Leur résultat essentiel est de mettre en évidence
l'influence qu'exercèrent les théories d'Opitzsur le jeune poète saxon.
Si P'ieming ne comprit pas le sens profond des préceptes d'Opitz, s'il
se permit dans le déplacement d'accent des libertés qui sont en désac-
cord avec la doctrine opitzienne, s'il alla plus loin que ne voulait le
réformateur silésien dans l'abrègement des mots par syncope, apo-
cope, élision, etc., si, enfin, il usa de la césure — aussi bien à l'hé-
mistiche qu'en tout autre position — plus librement qu'Opitz, il s'est
efforcé de rester fidèle aux règles matérielles que formule le législateur,
et s'est montré disciple plus strict que les autres poètes contemporains.
Son art est d'ailleurs plus souple et plus aisé que celui de son maître
et de ses rivaux
Ou aurait souhaité plus de clarté dans le travail de M. Schmitz.
Mais on y trouve une exactitude dans la recherche, une intelligence
du sujet et une connaissance de la prosodie du xviT siècle qui en font
un livre très méritoire et dont l'étude s'impose.
V. Piquet,
Paul G.Mi-AREL et marquis dk Durantv, La peste de 1720 à Marseille et en
France, Paris, Perrin, 191 1, in-8'', viii et ()!<o p., grav. 7 tr. 3o.
Le fléau qui a laissé un souvenir encore si douloureux à nos popu-
43o REVUE CRITIQUE
laiions mcridionaleS, n'avait pas jusqu'ici tenté d'historien capable
d'exploiter selon les règles de la science moderne les nombreux docu-
ments des archives départementales et municipales de la Provence et
du Languedoc. MM. Gartarel et de Durantv ont risqué l'aventure, et
leurs recherches ont été si fructueuses qu'ils ont composé un gros
volume, bourré de citations, de statistiques et de chiffres. Ils n'ont
pas écrit l'histoire d'ensemble de la peste, mais ont exposé le cours
de la maladie dans chacun des centres atteints. Us ont pu ainsi être
plus complets sur chaque point, mais on a quelque peine à saisir les
rapports des événements entre eux, et on relève quelques répétitions. La
plus grosse partie de leur ouvrage est consacrée à Marseille, qui ne fut
pas proportionnellement plus éprouvée que Toulon et certains villages,
mais qui fut la première localité infestée, et celle où la lutte contre
l'épidémie fut rendue plus particulièrement dilhcile par la densité de
la population. Après un historique assez bref des pestes antérieures,
les auteurs racontent comment le navire, le Grand Saint- Antoine,
apporta la maladie d'Orient. Le tableau qu'ils font de ses ravages est
saisissant, et de nombreuses citations empruntées à des contempo-
rains, le rendent poignant. Le personnage de Belzunce^ réduit à ses
vraies dimensions, reste encore fort beau; mais MM. G. ei de D. ont
cru pouvoir mettre sur le même plan les échevins, le viguier, le che-
valier Roze et le bailli de Langeron. Ils jugent avec rigueur la con-
duite de l'intendant Le Bret qui se tint toujours Loin des localités
contaminées, mais confessent de bonne grâce les précieux services
rendus à la province par cet administrateur distingué. Ils poursuivent
l'histoire de Marseille jusqu'au jour où le fléau ayant complètement
disparu, le blocus qui séparait la ville du reste de la France, fut enfin
levé. Ils suivent alors la peste à travers les villes et villages de Pro-
vence, du Languedoc, enfin dans le Comtat Venaissin. Sur ces diffé-
rents points les archives se sont trouvées moins riches, mais elles
l'ont encore été suffisamment pour permettre aux auteurs un récit
détaillé.
A. BiovÈs,
L. Maisonn'ier et G. Lecarpentier, L'Irlande et le home rule, Paris, Rivière,
I912, 320 p.
Le rêve d'une autonomie nationale hante depuis des siècles l'île cel-
tique qui fut au moyen âge la patrie des w saints et des docteurs ». Ces
aspirations se résument dans la restauration du Parlement de Dublin.
Posé dès longtemps devant le peuple anglais et les assemblées de
Westminster, le débat parait à la veille de recevoir un heureux dénoue-
ment. Ce sera justice.
L'Irlande, en effet, a connu des heures cruelles. Sans insister sur
les souffrances des catholiques, il suffira de rappeler les lois de coer-
cition, la dureté des landlords, les évictions de tenanciers, les crimes
d'histoire et de littérature 43 I
agraires. Aussi « l'île sœur » est-elle devenue la terre classie]ue des
ligues et des meetings. Issue de cette agitation méthodique, la dcpu-
lation irlandaise a )Oué un rnle de premier plan dans le Parlement
britannique : des séances épiques se sont déroulées à Westminster.
Cette action parlementaire est dominée par les grandes ombres
d'O'Connell, Isaac Rutt, Parnell, Gladstone, tous pionniers de
l'autonomie.
L'aurore du xx.--' siècle a marqué des succès pour le home ritlc, qui
conquiert graduellement les milieux politiques et intellectuels d'Outre-
Manche. L'administration locale de l'Irlande a été réformée par une
loi du 12 août 1898 substituant aux grands jurys — rendus si impopu-
laires par la prédominance des Lords — des Conseils de comté et de
district élus au sutlVage populaire. Le Land Act de igoS est venu
calmer l'effervescence paysanne. Hier enfin, le Parliament Act de
iQi I a partiellement découronné la Chambre des Lords, de tout temps
si hostile aux prétentions irlandaises.
L'Angleterre va s'honorer en s'inclinant devant la liberté de « l'île
sœur ». Sur un tel espoir se clôt cet historique limpide du droit public
irlandais. Il intéressera les amis de l'Irlande — qui sont légion, car
cette amitié fait traditionnellement partie de l'àme française.
Pierre Laborderie.
Les royaumes des neiges, par C.liaries Eudes BoiNin. Paris, Colin, 1911, in-i8,
X et 3o6 p., cartes et illustr., 4 [r.
Études d'ethnographie algérienne, par A. Van Gennep. Paris, Leroux, 191 1,
in-4'', io3 p. figures et planches.
Les principaux aspects du globe. La France, par M. Ai.lain et H. Hauser.
Paris, Alcan, 1912, in-i6, iv et 407 p. 2 fr. 25.
Sous un titre énigmatique M. Bonin décrit les régions qui s'abri-
tent aux pieds de l'Himalaya, entre l'Afghanistan, leThibet, la Chine
d'une part, et le grand empire indien de l'autre. L'auteur qui a par-
couru à plusieurs reprises ces contrées presque inconnues, n'a pas
voulu raconter ses voyages, mais plutôt présenter tous les renseigne-
ments historiques, géographiques, ethnographiques recueillis dans
ses courses. Laissant de côté le Népal, objet de travaux nombreux, il
a suivi de l'Ouest à l'Est les confins de l'Himalaya, dépeignant la
situation sur la frontière indienne du côté de l'Afghanistan et du
Pamir, puis au Ladakh, récemment conquis par le Maharadja de
Kashmir. Le Bhoutan l'a retenu plus longtemps, et il en a esquissé
l'histoire, qui n'avait jamais été dite avant lui. Parvenu aux
frontières du Haut Assam, il donne sur les sauvages tribus contre
lesquelles se heurte la pénétration anglaise, de précieux détails. Ses
deux derniers récits transportent le lecteur au Thibet : c'est d'abord
une visite à une prêtresse influente que M. B. appelle la papesse du
lamaïsme ; puis un bref aperçu des campagnes des Chinois au Thi-
^32 RKVUE CRITIQUE
bct jusqu'à la fuite du Dalai-Lama, au commencement de 191 1. Dans
les appendices on trouve une description des routes de l'Asie cen-
trale, un examen de la question des sources du Gange, et enfin une
ctude sur la tribu des Mossos établie aux contins du Yunnan. L'ou-
vrage de M. Bonin a le grand mérite de nous introduire dans des
régions nouvelles, mais l'absence d'une carte d'ensemble qui permet-
trait de le suivre plus aisément, se fait d'autant plus sentir.
M. Van Gennep a rapporté une ample moisson de son court séjour
en Algérie. Six semaines lui ont suffi pour amasser de nombreux
documents sur les soufflets dont se servent les bijoutiers indigènes,
les poteries kabyles, le tissage au carton, enfin l'art de la décoration.
Le point de vue esthétique a été relégué au second plan par l'auteur
qui s'est avant tout préoccupé de déterminer le rôle joué par les dif-
férentes industries dans l'existence économique, et le mécanisme des
divers métiers. La brochure de M. V. G., accompagnée de belles
planches, fournira donc des matériaux intéressants à l'œuvre à peine
entamée de l'ethnographie algérienne.
Dans le cours de géographie que MM. Allain et Hauser ont écrit à
l'usage des écoles primaires supérieures, ils ont pensé pouvoir sortir
un peu du programme, et insister au début sur les matières générales
que les élèves sont censés posséder dès les classes précédentes. Ces
notions sont aussi importantes que délicates, il n'est jamais mauvais
de les revoir et de les approfondir. Le livre est divisé en courtes
leçons dans lesquelles les points principaux, bien mis en évidence,
frapperont l'esprit des écoliers. L'ouvrage contient de nombreuses
illustrations choisies avec goût, et en général bien réussies. Il con-
viendra parfaitement au public auquel il a été destiné.
A. BiovÈs.
Mécanisme et limites de l'association humaine par J. Novicow. Paris. Giard et
Brière, 1912, in-iS, ii5 p., 2 t'r.
Unemployment, a social study, par B. Sef.bohm Rowntree et Bruno Lasker,
Londres, Macmillan, 191 1, in-H», xx et 3 17 p., 5 sh.
Les Coffres-forts et le fisc par Ch. Lescœur, Paris, Bloud. 191 1, in-i6, 425 p.,
3 l'r. 5o.
Décalogue de la vie moderne par M""* Bérot-Berger, Paris, Giard et Brière,
19 12, in- 18, 43 p., I fr. bo.
Persuadé que la misère disparaîtra de la terre le jour où l'on
comprendra parfaitement le mécanisme de l'association humaine,
M. Novicow voit dans l'échange le lien social, et, estimant que sans
l'échange la vie sociale serait impossible, il en déduit que société et
échange sont synonymes à un certain point de vue. Il ne s'arrête pas
là, et représente l'échange comme créateur du droit, de l'Etat, de la
nationalité. Il démontre aisément que « pour entrer dans le domaine
du droit, il faut un échange entre deux ou plusieurs hommes. » Il a
plus de peine avec la création de l'État : il veut que l'organisation
d'histoire et de littérature 433
sociale vienne de l'échange, ci pour combaiiie ropinion courante e-jui
admet la nécessité de Tintervcniion de la force, de la coercition, il
allègue qu'on peut se figurer la vie humaine sans le banditisme et la
-conquête, mais non sans la production économique. Quant à la
nationalité, il en discerne le principal élément dans Tuniié de langue,
et réchange, ayant seul opéré la diHusion des grandes langues sur des
régions considérables, a encore été Tagent principal de la constitution
de la nationalité. M. N. traite un peu superficiellement ces graves
questions qui auraient exigé de plus longs développements, et il con-
clut que le commerce est le facteur principal de l'association
humaine, de l'intensité vitale, donc, en définitive, de la vie. La doc-
trine opposée, celle qui rejette tout sur la lutte pour la vie, repose,
d'après notre auteur, sur l'illusion spoliatrice qui persuade aux
hommes qu'il est plus simple et plus rapide de vivre aux dépens du
prochain que de produire selon ses besoins et ses moyens. La spolia-
tion totale est impossible : la production cesserait bientôt, et Thuma-
nilé dépérirait ; même limitée, elle nuit au spoliateur lui-même qui
gaspille dans la préparation et l'exécution de la conquête son temps
et ses efforts, tandis que le futur spolié délaisse pour se défendre les
travaux productifs, et tout le monde souffre. Si l'association, qui per-
met d'atteindre le maximum d'intensité vitale, est la vie, en revanche
la spoliation, qui empêche d'atteindre ce maximum, est la mort.
Cette vérité s'imposera inévitablement, et de son triomphe découle-
ront les plus heureuses conséquences, notamment : la disparition de
l'anarchie internationale, qui pousse les nations les unes contre les
autres; l'abandon du protectionnisme, néfaste au commerce; la ruine
des idées collectivistes, fondées sur l'illusion spoliatrice et sur le
sophisme que les ressources des riches suflftraient à faire vivre tous
les citoyens dans l'aisance. Ce rapide résumé montre la part d'utopie
existant dans la sociologie de M. Novicow qui s'appuie principale-
ment sur la conviction que l'homme est un être raisonnable et
logique; or, cette conception n'est qu'une hypothèse que l'expérience
démolit chaque jour.
MM. Rowntree et Lasker ont écrit un savant volume s.ur la ques-
tion des sans-travail. La Grande-Bretagne entière souffre de ce mal,
mais les auteurs, ayant résolu de restreindre leur champ d'observa-
tion pour mieux le connaître, ont choisi la ville d'York qui compte
environ 82,000 habitants, et qui rentre par conséquent dans la
moyenne des cités anglaises. Ils v ont relevé aussi exactement que
possible le nombre des chômeurs, le 7 juin 19 10. La ville ne traver-
sait pas alors une période de prospérité; elle ne souffrait pas non plus
de dépression économique; il n'y avait donc aucune cause particu-
lière de chômage, et York doit avoir journellement un nombre sen-
siblement égal de sans-travail, emiron 1200, ce qui est une propor-
tion alarmante. MM. R. et L. ont procédé à une enquête détaillée, et
4?4 REVUF. CRITIQUE
leurs tableaux renseignent complètement sur les antécédents, le
caractère, le tempérament, la capacité de chacun. Les ayant classés
dans un ordre logique : adolescents, travailleurs réguliers, journa-
liers, ouvriers du bâtiment, paresseux invétérés, femmes et jeunes
filles, ils recherchent les causes de chômage et les remèdes à y appor-
ter. Ils conseillent la création de cours post-scolaires et profession-
nels pour les adolescents de moins de 19 ans; l'extension des bourses
de travail pour une meilleure répartition des otîres et demandes; une
réorganisation des travaux publics, en particulier du reboisement,
qui ouvrirait de nouveaux chantiers; et enfin, à l'imitation de la
Belgique, un retour vers les campagnes où les ouvriers trouveraient
dans la culture de petits jardins des ressources précieuses, tandis que
des communications rapides et bon marché les tiendraient toujours à
portée des usines. Malgré leur bonne volonté, les auteurs n'ont donc
rien découvert de bien nouveau, ni peut-être rien de bien efficace;
mais ce qui frappe dans leurs projets, c'est le recours constant à l'in-
tervention de l'Etat, tendance caractéristique chez un peuple qui a
passé longtemps pour le plus individualiste du monde.
Après une esquisse amusante de l'histoire des coffres-forts depuis
l'antiquité la plus reculée, M, C. Lescœur étudie très à fond les droits
des tiers sur la fortune mobilière cachée dans notre domicile, dépo-
sée chez les banquiers, ou enfermée dans des caisses louées par des
maisons spéciales. Parmi les tiers, il range le fisc qui, depuis
quelques années, poursuit avec une àpreté grandissante l'argent et les
titres, pour leur faire payer les droits de succession, et aussi dans
la prévision de la perception future de l'impôt progressif sur le
revenu. Les contribuables, exaspérés par l'augmentation des charges,
s'ingénient à dérober leurs héritages aux inquisitions des agents du
trésor. De leur côté, les législateurs, poussés par la surenchère élec-
torale à trouver sans cesse de nouvelles ressources, méditent les
mesures les plus sévères. M. L. examine un projet de loi déposé par
M. Ch. Dumont, qui, supprimant la saisine héréditaire, prescrirait
dans tous les cas l'apposition des scellés, les fouilles, l'inventaire obli-
gatoire, la déclaration sous serment. Cette fiscalité insensée, vexatoire,
choquerait tellement nos sentiments intimes, nos habitudes, que, croit
l'auteur, elle serait d'une application impossible. D'ailleurs, si les
législateurs réussissaient à l'intérieur du territoire, ils n'aboutiraient
qu'à précipiter l'exode des capitaux à l'étranger, et là ils se heurte-
raient à l'intérêt des nations qui tirent un si grand avantage de l'ar-
gent français déposé chez elles. En vérité, M. Dumont et ses amis
veulent subordonner à un envoi en possession spécial la remise à
l'héritier des valeurs déposées à l'étranger. Mais l'action du gouver-
nement français au-delà des frontières est forcément impuissante;
les dépôts sont soumis à la règle : locits régit actiim; et les banquiers
suisses, belges ou allemands accepteront toutes sortes de combinai-
d'histoire et de littérature 435
sons dans le genre du dépôt en compte-joint ou du mandat post-mor-
tem, pour attirer l'argent français. Les nombreuses circulaires de
banques étrangères reproduites dans Tappendice prouvent clairement
cette tendance. Le seul résultat obtenu par les réformateurs serait
donc une émigration totale des titres au porteur et de l'argent liquide,
émigration qu'ils redoutent et cherchent à prévenir en dénonçant
« l'hervéisme des capitau.\ ». Mais cette expression n'est pasjustihée,
car, selon M. Lescœur, lorsque la loi positive est contraire à la loi
naturelle, elle cesse d'être exécutoire, et les capitaux, menacés dans
leur existence même, seraient aussi excusables que les émigrés forcés
à fuir leur patrie pour sauver leur vie.
M'"" Bérot-Berger a réuni en brochure quelques conseils qu'elle
appelle modestement le dicalogue de la vie moderne! Il faut rendre
hommage aux intentions toujours généreuses de cette ardente fémi-
niste, mais regretter qu'elle les ait exprimées dans une langue souvent
obscure et emphatique, où l'on rencontre trop de phrases dans le
genre de celle-ci : « Dès la minute où l'épouse devient mère, comme
si l'éclair irradiant le nouveau-né sanctifiait la femme en l'auréolant,
l'amour maternel se révèle supérieur à tous. »
A. BiovÈs.
The sanity of art : An exposure of the current Nonsense about Artists
being degenerate, by Bernard Shaw, Consiable, London, igii,in-i8, 104 p.,
I sh.
Principles of biography by sir Sidney Lee, Cambridge, University Press, 191 1,
in- 1 2, 54 p., I sh . G d.
En 1893 le docteur Max Nordau publia un gros volume pour prou-
ver que les grands artistes du xix*" siècle avaient tous été des dégéné-
rés. M. B. Sha'.v en fit la critique deux ans plus tard dans un pério-
dique américain, et il réédite aujourd'hui cet article en développant
certains passages, et en retranchant ce qui lui a semblé trop violent
contre l'auteur allemand. Mais le fer émoulu de M. S. est très acéré,
et il malmène encore vivement son adversaire, « un de ces remar-
quables juifs contemporains qui partent en guerre contre la civilisa-
tion moderne comme David contre les Philistins, ou Charles Martel
contre les Sarrasins. » M. Nordau s'est fait l'avocat du diable contre
les grandes réputations artistiques du dernier siècle, et ses conclu-
sions peuvent se résumer ainsi : « tous les ouvrages modernes
révèlent des symptômes de maladie chez les artistes, et ces artistes
malades sont eux-mêmes des symptômes de l'épuisement nerveux de
la race causé par le surmenage. » Ce n-'est pas là, dit M. S., une thèse
nouvelle, il est trop aisé de trouver des arguments pour la soutenir,
et il passe en revue l'impressionisme en peinture, le wagnérisme en
musique, l'ibsénisme en littérature, pour établir que ces mouvements,
glorieux et utiles avec les chefs d'école, donnent lieu avec certains de
leurs disciples mal doués à des exagérations ridicules qui n'auraient
^.36 Ri:\'HE CRITIQUE
pas vu le ]ouv si les vieilles rèi;les avaient conserve leur empire.
Amené à considérer ces règles mêmes, il se demande d'abord « si elles
sont utiles? » Les lois, les religions, les croyances, les systèmes
d'éthique ne sont jamais à point. Ils sont nécessaires, bien que nous
les délestions secrètement, parce que le nombre de gens capables de
se tracer à eu.K-mêmes une ligne de conduite est très petit, et plus
petit encore celui des hommes qui peuvent s'en assurer le loisir.
Les lois ne sont supportables qu'à condition de se niodlHer avec les
conditions de l'existence. La véritable force agissante n'est pas la
raison, mais la volonté, et la volonté au service de la passion. De là
le mouvement moderne parfaitement bienfaisant et favorable au pro-
grès, tout en présentant parfois une apparence hideuse de corruption
morale et de décadence, mais qui n'est réellement néfaste que chez
les pitoyables imitateurs. Le rôle de l'art est d'affiner notre sentiment
de la justice et nos facultés de svmpathie, de perfectionner la con-
naissance et la possession de nous même, de nous rendre insuppor-
tables la bassesse, la cruauté, la supei hcialité intellectuelle et la vul-
garité. Le grand artiste est celui qui, allant plus loin encore, crée des
œuvres d'une beauté et d"un intérêt plus élevés que celles de ses pré-
décesseurs, et réussit, après une courte iuite contre la nouveauté, « à
ajouter une extension de sentiment à l'héritage de la race. » On sent
que M. Shaw range dans cette catégorie tous ceux dont il a entrepris
la défense contre M. Nordau.
Sir Sidney Lee, directeur Au Dictionary of National Biography,
était particulièrement compétent pour énumérer, codifier en quelque
sorte, les règles qui s'imposent à ceux qui se risquent à écrire des
biographies. Il insiste avant tout sur le choix du sujet, et écarte jus-
tement les vivants puisque la mort n'est que la conclusion de la vie,
et que les derniers instants d'une carrière peuvent modifier l'aspect
sous lequel un homme se présentera devant la postérité, arbitre
suprême. Il faut encore que le personnage choisi ait marqué par
son caractère ou par ses actes. Passant à l'exécution de l'œuvre, il
explique que la biographie a son terrain à part et bien délimité,
que ce n'est pas de l'histoire ; celle-ci offre une certaine analogie
avec la mécanique, la biographie tiendrait plutôt de la chimie ;
et il compare l'historien à un homme qui regarderait de loin
une foule avec une lunette, et le biographe à un observateur qui exa-
minerait à la loupe un seul individu. La biographie ne doit rien sacri-
fier à la morale ; mais elle n'est pas, comme le voudraient nombre de
modernes, l'humble servante de la biologie et de l'anthropologie. Les
deux principaux écueils sont la longueur et l'idolâtrie. M. L. entend
évidemment parler de cette fiiror biographicus., qui, selon Macaulay,
menace aussi sûrement les biographes que le goitre, les bergers des
Alpes. En résumé M. Lee conseille d'ecrjre « avec une exactitude
scrupuleuse, une parfaite franchise, une sympathie sagace, une con-
d'histoirk f.t de littérature 437
cision résolue », Voulani indiquer quelques modèles, il loue Plu-
tarque, mais accorde la palme à la Life 0/ Johnson de Boswell qu'il
tient pojr la meilleure de toutes les biographies.
A. BiovKS.
— Dans l'utile collection, Klciiie Texte fitr Vorlcsun^en iiini Ucbungcn, publiée
sous la direction tic M. H. Lietzmannn, M. R. Wunsch a édité, avec introduction
et commentaire critiques et liistoriques, un choix de formules de malédiction et
un morceau important du Papyrus de la Bibliothèque nationale, Suppl. gr. 574
Antike Fhichtafebt, et Ans einem gricdiischen Zaïiberpapyriis ; Bonn, Marcus,
ic)ii et 1912; deux in-12 de 3i pages). Texte des premiers siècles de notre ère.
Les formules de malédiction ont cié choisies parmi celles qui attestent connais-
sance du judaïsme ou du christianisme. La plus curieuse, si l'on en pouvait
exactement fixer la lecture et la date, serait la tablette de Mégare où M. W. a cru
pouvoir restituer le nom de Jésus comme nom « hébreu » d'incantation, à côte
d'Althée, Coré, Hécate. — A. L.
— M. S^ l'%;RARks {La durée de Vannée biblique; Paris, Durlacher, 1912: in-8°j
24 pages) pense que Tannée hébraïque au temps d'Abraham était de sept lunai-
sons; pareillement au temps de l'exode; qu'on ne sait à quelle époque, antérieure
à Esdras, l'année luiii-solaire fut adoptée. La thèse a l'avantage de réduire les
vies trop longues des patriarches, mais il est très malaisé de voir sur quoi elle se
fonde. — A. L.
— Le Petit lexique hébreu-français de M. J. Marie (Paris, Lecoffre, 191 2 ; in-S»,
44 pages) est un recueil de huit cents mots hébreux environ, les plus usuels, qui
sont groupés d'abord d'après le sens, puis par ordre alphabétique. L'ouvrage,
coordonné à 1 excellente Grammaire hébraïque abrégée de M. J. Touzard, est des-
tiné aux commençants, et il leur sera vraiment utile. — A. L.
— On admet qu'entre autres manuscrits des Septante, ceux qui sont désignés
par 19 (ou b) et 108 contiennent, pour les livres historiques de l'Ancien Testa-
ment, le texte de Lucien. M. Hautsch ne considère pas cette opinion comme
démontrée en ce qui concerne l'Octatcuque, et dans un article intitulé Der
Lukiantext des Oktateiich, Berlin, Weidmann, 1910, 28 p. (AJitteil. des Septua-
ginta-Vnternehmens, Heft i; extr. des jSachrichten d. K. Gesellscli. d. Wiss. pi
Gôttingeii, philol.-hist. Klasse, 1909, p. 5i8-543), il compare les leçons de ces
manuscrits (ainsi que du manuscrit w, qui en est très voisin) avec les citations des
Pères de l'école d'Aniioche, Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste, et princi-
palement Chrysostome et Théodoret, qui représentent la recénsion de Lucien. Il
résulte de cet examen que les variantes de ces citations, pour la Genèse et les
autres livres du Pentateuque, sont beaucoup plus souvent en désaccord qu'en con-
cordance avec ces manuscrits, et il en est de même pour le livre de Josué. Pour
les Juges et Ruth, M. Hautsch observe en outre que Théodoret ne fournit pas de
variantes qui soient particulières aux manuscrits considérés. La conclusion,
semble-t-il, se dégage d'elle-même, à savoir que ces manuscrits ne représentent
pas le texte de Lucien pour les huit premiers livres de l'Ancien Testament. — My.
— Un élève de M. Sp. Lainbros, M. Kuatzis, a publié il y a quelque temps un
ouvrage qu il n'est pas inutile de signaler. Le titre en est Oî 'PaoûÀ, 'Pi\, 'PiXat,
àz^ TT,; è;j.'.pavtaîù)î aùxwv [Jî/p- ~où 'ïi)>0Jî toO it,' alwvo; (1080- 1800 [j.. X.). C'est un
volume de 80 pages (Kirchham, impr. Schmcrsow, 1909) qui porte comme sous-
titre 'l3-0Qty.r, aovoypa-f îa ; l'auteur y a rangé chronologiquement tous les Grecs
^38 REVUE CRITIQIK
qu'il a pu dccdiivrir poriant le imm Je Raoul ou Rhalis (il réclame pour le nom
l'onhographc avec une seule /}, ci sur lesquels il a réuni tous les renseignements
possibles puises soit dans les textes publiés, soit dans des sources manuscrites.
IMusieurs étaient déjà connus, les uns par leurs alliances avec les familles impé-
riales byzantines, d'autres par leur nMc politique ou militaire, quelques autres
encore par leurs goûts littéraires; mais il serait imprudent de vouloir les faire
remonter i\ une souche unique, ci la plupart n'ont entre eux de commun que le
nom, leurs liens de famille étant inconnus ou indiscernables. Ce n'est pas là, à
proprement parler, une monographie; cependant le livre a sa valeur comme con-
tribution à ia prosopographie byzantine et néogrccquc. — Mv.
— Dans le dernier des \olumes de VArcliiv de Wœlfliin (XV, 1909, p. 79),
M. Birt avait défendu la forme etqitis comrc ecqtiis. 11 a suggéré ce sujet de thèse
à l'un de ses élèves de Marbourg (Franc. Guuenler : De Ecquis sive etquis pro-
nominc quaestiones orthographicae, 108 p. in-S"). M. Gr. croit à la force de
démonstration des listes; il en fournit ici de très précises : pour chaque passage,
statistique des leçons des mss. et des éditions; à la fin, table générale et relevé des
données des mss. classés suivant leur âge et leur valeur; appareil sans doute très
savant; la question comportait-elle ce déploiement d'érudition : Le passage est si
facile de ecquis à etquis ou réciproquement, et il est constaté tant de fois, aussi
bien dans les mauvais mss. que dans les bons, qu'on est assuré de n'aboutir qu'à
peu de chose. Les raisons, tirées de la métrique, surtout ce qui concerne le vers de
Lucrèce (V, i2i3, p. 98 en haut) me parait sans valeur, les mots ecquae sit n'y
formant qu'un seul groupe. — Conclusion : Etquis est la forme primitive et nor--
maie; elle a vieilli assez vite, et par assimilation est devenue ecquis. Dans l'écri-
ture la décomposition {et quis) et les fautes [liaec quis) se sont multipliées. L'au-
teur de la thèse est d'avis qu'il convient de conserver ecquis quand la tradition le
donne, mais d'écrire etquis quand telle est la forme donnée par les mss. et que « le
mot conserve un sens à la fois indéfini et interrogatif ». J"ai bien peur, qu'avec
cette réserve, nous ne soyons embarqués dans des embarras sans tin. — Pourquoi
à propos du'Donat cité, p. 5i, avoir fait la confusion, ou tout au moins laisser le
lecteur confondre Tibérius Donat avec Ailius? — E'. T.
— En dehors de ses articles dans les Studi storici de E. Pais, le professeur
Alberto Pirro, de l'Université de Naples, avait déjà donné, sur l'histoire de Naples
ancienne, deux plaquettes (Jovane, Salerne, igoS et 1907) Falero e Napoli, et
Palepoli e Napoli. Il revient sur le sujet : Nuovo Contributo alla Storia e Topogvafia
di Napoli Greca [chez le même éditeur, 42 p. in-S", 1912). Les travaux de salu-
brité entrepris dans la ville nouvelle ont indirectement servi à nous faire con-
naître plus clairement le plan de la ville ancienne. Il s'agissait surtout de retrou-
ver la direction des longs murs montant de la mer à une porte et aux murailles de
l'ancienne ville; disposition par laquelle on expliquait le nom de Phalères qu'a
donné Lycophron à l'ancienne Naples. Comme il arrive toujours en pareil cas, il
s'agit d'accorder tant bien que mal, avec le résultat des fouilles, les hypothèses
antérieures des savants. M. P. croit que les siennes ont été confirmées et c'est pour
le soutenir qu'il a publié sa brochure. — E'. T.
AcADÉ.MiE DES l-NSCRiPTiONs ET BiiLLEs- LETTRES . — Séauce du 3 mai iqii. —
L'Académie déclare la vacance de la place de membre ordinaire naguère "occupée
par M. Philippe Berger, décédé. — L'élection est remise après Tété, et la date eii
sera tixée uhérieurement.
M. Franz Cumont, correspondant étranger, commente une épiiaphe métrique
découverte à Madaure en Afrique. Le dernier vers, resté inexpliqué, souhaite au
d'histoire et de littérature 439
mort de gagner le « séjour des âmes pieuses » où les défunts festoient [dcciim-
bunt). Il exprime les croyances sur la vie d'outre-tombe répandues par les mys-
tères de Bacchus : les bienheureux participaient à un festin éternel, largement
arrosé de vin. — MM. Salomon et Théodore Reinach présentent quelques
observations.
Le P. Scheil annonce que, grâce aux indications de M. Gustave bchlumberger,
il a pu retrouver la tablette inédite qui contient le plan descriptif du grand
temple Esagii de Babylone. Cette tablette avait passé un instant sous les yeux de
G. Smith, iors de son dernier voyage en Orient. Après ST) ans d'éclipsé, elle repa-
raît. En argile brun clair, de o m. 18 de haut sur o m. 08 de large, avec 36 lignes
de face et ib de revers, neuf de ses paragraphes sur onze contiennent la superficie
-des cours et sanctuaire, le nombre, les noms, l'orientation des portes et chapelles,
et enfin les trois dimensions de chacun des sept étages de la Tour à degrés (sauf
pour le 6', et cette lacune, signalée aussi par G. Smith dans sa relation sommaire,
prouve que c'est bien la même tablette qu'il a examinée). On a all'aire à une copie
exécutée à Ourouk par le scribe Kâ bdsunu d'après un exemplaire de Borsippa.
On sait par Pline et par Strabon que les derniers foyers d'études en Chaldée
furent précisément Babylone, Sippar, Ourouk et Borsippa. Le temple d'Esa^il,
achevé par Nabuchodonosor, menaçait ruine depuis Xerxès. Un scribe archéo-
logue voulut posséder le relevé des mesures et la description complète du monu-
ment; ses confrères de Borsippa lui en fournirent le moyen, en l'année 83 du roi
Séleucus. Mieux qu'aucune fouille, cette tablette permettra enfin une restitution
scientifique du plan d'un des édifices les plus célèbres du monde.
M. Jullian annonce que la commission du concours des Antiquités nationales, a
décerné les médailles et mentions suivantes :
!'•<" médaille : MM. Jadart, Demaison et Givelet, Répertoire archéologique de
l'arrondissement de Reims; — 2^ médaille : M. V. Mortet, Recueil de textes relatifs
à l'histoire de l'architecture ; — 3'' médaille : M. Sauvage, L'abbaye de Saint-Mar-
tin de Troarn\ — 4" médaille : M. Vidal, Benoit XII; lettres communes.
!■■« mention : MM. Chappée et Denis, Archives du Cogner; — 2° mention,
^L Gadare, Documents sur l'histoire de T Université de Toulouse; — 3" mention :
M. Artonne, Le mouvement de i3i4 et les chartes provinciales de i3i 5;^ ^^ men-
tion : M. \'erlagnet, Cartulaire de Silvanès ; — 3^ mention : M. Legras, Le bour-
gage de Caen.
M. CoUignon donne lecture du rapport de |a commission du prix Prost, qui a
décerné les récompenses suivantes :
I» 5oo fr. à M. Gavet, pour le Diarium Universitatis Mussipontanae (1572-
,-(3^^): _ 2^ 5oo fr. à la Bibliographie lorraine publiée par les Annales de l'Est de
Nancy, sous la direction de M. Robert Parisot; — 3° 200 fr. à la revue Le Pays
lorrain et à la revue La Lorraine illustrée, publiées sous la direction de
M. Charles Sadoul.
M. Antoine Thomas, d'après une communication de M. le D'' R. L.-G. Ritchie,
maître de conférences à l'Université d'Edimbourg, annonce la découverte, dans la
Bibliothèque universitaire de cette ville, de deux feuillets de parchemin retirés
d'une reliure, qui sont le seul débris conservé d'un poème en langue d'oïl sur Phi-
lippe Auguste, inconnu jusqu'ici des historiens. Les feuillets ne se suivent pas :
le premier contient 128 vers (octosyllabes accouplés deux à deux) relatifs aux
suites immédiates de la bataille de Bouvines; le second, qui a un vers de plus,
raconte les événements qui amenèrent Louis, fils de Philippe-Auguste, à renoncer
définitivement à la couronne d'Angleterre. M. Ritchie a établi que, pour la plus
grande partie, ces deux fragments n'étaient qu'une versification servile de la chro-
nique CM prose de Guillaume le Breton, mais M. Thomas fait remarquer que les
conclusions de M. Ritchie ne s'appliquent pas à la fin du deuxième fragment, où
le poète parle des relations personnelles de Philippe-Auguste avec le régent d'An-
gleterre, Guillaume le Maréchal, d'une manière tout à fait indépendante de sa
source ordinaire et de toutes les sources connues. Cette constatation, qui aug-
mente l'intérêt de la trouvaille faite à Edimbourg, ne peut qu'aviver les regrets
que cause la disparition du poème entier.
M. Paul Foucart achève la lecture d'un mé-moire qu'il a rédigé, en collaboration
avec M. Georges Foucart, professeur à la Faculté des lettres d'Aix-Marseille, sur
les drames mythiques d'Eleusis. Lors des Grands Mystères, on représentait dans
l'enceinte du temple, où les initiés seuls avaient accès, deux épisodes de la_ vie de
Déméter : le rapt et le retour de Coré et le mariage sacré de Zeus et de Déméter.
Ces représentations n'avaient rien de commun avec l'art scéniquc ; les rôles
n'étaient pas joués par des acteurs, mais par les prêtres portant le costume des
dieux et les identifiant. C'était moins un spectacle qu'un acte liturgique. Les expli-
cations proposées jusqu'ici ne sont pas satisfaisantes. On comprendra mieux la
portée de ces cérémonies en les rapprochant des drames liturgiques qui tenaient
une très grande place dans la religion des Egyptiens. Dans leurs croyances, les
dieux bons, protecteurs de l'Egypte, qui vivaient dans le ciel, y étaient en lutte
avec les esprits mauvais. Ils triomphaient de leurs ennemis, et alors l'abondance
4^.0 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
et l'ordre rcpnaicni dans la vallée du Nil. Mais les elTets de leur victoire allaient
s'alVaiblissaiir, et il était nécessaire de les renouveler, l-cs prêtres crurent qu'en
reproduisant dans certaines cmiditions ce qui s'était passé aux temps mytholo-
giques, ce qui se passait sur terre devait, grâce aux influences magiques, se réper-
cuter dans le ciel et entraîner le succès des dieux bons, qui assurait la prospé-
rité de ri'"gyptc. S'inspirani de cet exemple, les fondateurs des mystères prescri-
virent de repéter à MIeusis les deux actes accf)mplis par i)cmétcr : sa venue à
ICIeusis et son union avec /.eus. Si les rites avaient été soia-ncusement observés,
l'effet infaillible était de renouveler pour un nouveau cycle les deux bienfaits accor-
dés par la déesse : l'abondance et l'initiation. — MM. Salomon Reinach, Maurice
Croisct et Mouché-Lcclercq présentent quelques observations.
ACADKMIF. DES iNSCRtPTIONS ET BkI.I.KS-I .KTTRIvS. — SéaUCC dit 10 mai If)I2. — '
M. Henri (2ordier communique une lettre de M. de Gironcourt, datée de Kidal,
2 mars 191 2. .\1. de Gironcourt annonce qu'il a procédé à l'exploration du Tilemsi
et de son rebord occidental pour tenter de reconnaître l'aire d'extension des ins-
criptions dont il a récemment signalé l'existence à l'Académie. Dans cette vallée,
il a relevé trois nécropoles possédant quelques-unes des pierres qu'il étudie, ana-
logues comme matière et gravure à celles du Niger, mais où la forme des carac-
tères est moins parfaite et'dont l'usure superficielle est plus prononcée. A l'Ouest,
il a encore trouvé quelques pierres gravées, mais plus grossières. Plus au N., il a
rencontré, sur des sépultures à enceinte ovalaire, quelques stèles inscrites ; là aussi,
il a trouvé de nombreux dessins et écritures tifinar. Il est actuellement auprès des
entassements de granit répandus sur l'Adrar (au point de vue épigraphique, des-
sins d'animaux et légendes tifinar sans grand intérêt), et il espère découvrir
quelques nécropoles. Une première journée a. Adrar lui a déjà permis de relever
une douzaine de stèles assez mal gravées.
Le P. Scheil annonce que M.'Stcphen Langdon, professeur d'assyriologic _à
Oxford, a découvert, parmi les documents de NilTer qu'il vient d'étudier au Musée
impérial de Gonstantinople, une belle tablette contenant toute la section des lois
sur la famille du Code de Hammurabi. I>a suscription est ainsi conçue : Quatrième
grande tablette du texte biu Anu Sirum (c'est la f'' ligne du Code et son titre),
transcrit et révisé par le scribe Bêlibni, époque de Samstc iluna fils de Hammurabi.
Au lieu que les fragments de duplicata connus jusqu'ici sont dûs à Assurbanipal et
à son dilettantisme archéologique, cette nouvelle copie est contemporaine de Ham-
murabi m-^me et constitue une preuve palpable de la diffusion du Code par l'ar-
gile, afin que tout Babylonien pût être censé connaître la loi.
M. Louis Havet traite du muv putus, « petit garçon », qui est connu par des glos-
saires et que Scaliger a restitué dans un vers du Catalcpton virgilien. Il restitue
lui-môme ce mot dans le prologue des Mùncchmes de Plante, vers 40 [puto au lieu
de huic), et son diminutif dans un vers des Silves de Stace [putulos au lieu de
fumilos).
M. François Thureau-Dangin lit la traduciion d'une inscription cunéiforme qui
relate l'expulsion des Gouti," peuple qui, d'après un texte étudié par le P. Scheil,
avait envahi la Babylonie vers le milieu du troisième millénaire. Le libérateur de
la Babylonie a noin Outou-Khegal; il capture le roi des Gouti, Tirigam, et fonde,
une dynastie dont le siège est Érech. Cette nouvelle dynastie prend rang avant la
dynastie d'Our et comble une lacune dans la série des dynasties babyloniennes.
M. Adrien Blanchet expose les événements qui amenèrent la proclamation de
Postume, fondateur en 238 p. C. d'un empire gaulois qui eut 16 années d'exis-
tence. Postume avait été salué empereur par ses soldats à la suite d'une victoire
sur les Francs qui venaient de piller plusieurs villes romaines des bords du Rhin.
Cette révolte militaire se produisit lorsque Postume harangua ses troupes au sujet
du butin, qui était réclamé par Silvanus, gouverneur de Cologne, au nom de l'em-
pereur Gallien. Des médaillons de bronze de Postume, inexpliqués jusqu'ici,
représentent la scène !de l'allocution; ils peuvent être considérés conime les
premiers monuments relatifs aux Francs, qui venaient de faire leur apparition
dans l'histoire.
M. Pottier lit une note de M. Albertini, membre de l'Ecole française d'Espa-
gne, sur un lion ibérique conservé au 'Musée de Madrid et trou\'é dans la province
de Cordoue. Cette note fait ressortir le caractère héraldique et oriental de cette
sculpture qui s'ajoute à la série déjà connue des monuments de l'Espagne préro-
maine étudiés par M. Pierre Paris dans son ouvrage sur V Espagne primitive.
M. Morel-I''atio annonce que la commission du prix de Lagrange a décidé de ne
pas décerner le prix cette année.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 23 — 8 juin — 1912
Ununad, Grammaire hébreue et Introduction à la lecture de l'Ancien Testament.
— E. de Marsay, Les livres d'ICsthcr et de Judith. — Fiebig, Histoire de la reli-
gion et philosophie de la rciii;iL)n; Ethique; Les prophètes. — Zurhellen, La
religion des prophètes. — Boxai.:., L'évolution de la science et de la religion. —
\'ai.knsin, .lésiijS-Christ et l'étude comparée des religions. — Vacandard, Etudes
de critic]ue et d'histoire religieuse, 111. — Tixeront, Histcjirc des dogmes dans
l'antiquité chrétienne, 111. — Fucns, Révélation et évolution. — Hunzinoer, Le
miracle. — Troelisch, La perfection du christianisme. —Navarre et Vai.entin,
Les chefs-d'œuvre de la littérature grecque. — Nassal, Denys d'Halicarnasse et
Cicéron. — Xénophon, Scripla minora, p. Thalheim et Rûhl. — G. Michaut.,
Histoire de la comédie romaine, 1. — Stout, Les gouverneurs de Mésie. —
Grikfith, Sir Perceval. — Toldo, Les sources et imitations des Fables de la
Fontaine. — Driault, .\usterlit7. et la fin du Saint-Empire. — Book, Etudes
critiques. — Wickman, M'"" de Staël et la Suède. — Académie des Inscriptions.
Hebraische Grammatik, von A. Ungnad. Tûbingen, Mohr, 1912; in-8, xii-
201 pages.
Praktiscne Einfûhrung in die hebraische Lekture des Alten Testaments,
von A. Ungnad. Tûbingen, Mohr, 1012; in-8, iv-63 pages.
Ces deux ouvrages se complètent l'un l'autre. Tous les deux
attestent, avec la science de leur auteur, son expérience de l'enseigne-
ment. Tous les deux sont exempts de prétentions. Il s'agit de livres
qui veulent enseigner l'hébreu à des étudiants qui l'ignorent. Pas de
grammaire comparée des langues sémitiques; pas d'hypothèse sur les
origines lointaines et les rapports de ces langues. Exposé clair, bien
ordonné, de la phonétique et de la morphologie hébraïques. La gram-
maire est aussi complète qu'elle pouvait l'être étant donnée sa desti-
nation. Le livre d'exercices lui est coordonné; il sera surtout utile à
ceux qui voudraient apprendre l'hébreu sans maître, parce qu'il leur
permettra d'aborder tout de suite le texte biblique, de s'initier au
vocabulaire tout en taisant de la grammaire appliquée, de trouver
intérêt dès le début à une étude dont l'aridité se trouve ainsi atténuée
très heureusement.
A. L.
De l'authenticité des livres d'Esther et de Judith, par E. de Marsay. Paris,
Geuthncr, 191 i ; in-8, 41 pages.
Peut-être est-il un peu tard pour venir au secours d'Esther et de
Judith, M. de Marsay y apporte son érudition et sa bonne volonté.
Nouvelle série LXXIJI «3
442 REVUE CRITIQUE
Le point de dopait do s(in plaidoyer en faveur d'Esther est un peu
inquiétant : « Si ce livre est faux, comment expliquez-vous et son
existence et la fête » de Pourcim? — Ce qu'il y a de clair ici est pré-
cisément que le récit a été conçu en explication de la fête; les légendes
de ce genre-là pullulent dans Thisioire des religions. La fêle de
Pourcim a existé avant la légende; fête païenne adoptée par les Juifs;
légende païenne aussi probablement, adaptée à la fête devenue juive.
Le seul embarras, dans rinsuHisancc de notre information, est de
déterminer l'origine et le sens de la fête et du mythe païens, d'où
procèdent la fête et la légende juives. Pour sauver Esther, M. de M.
la mutile : Elsther n'aurait été qu'une concubine d'Assuérus. Le texte
dit qu'elle était « reine ». A quoi bon estropier ce conte pour en tirer
une histoire qui ne sera jamais vraisemblable? — L'histoire de Judith
se serait passée au temps des Juges, quand les Israélites obéissaient à
« un grand prêtre ». Inutile d'insister.
A. L.
Religionsgeschichte und Religionsphilosophie, von P. Fiebig. Tûbingcn,
Mohr, 19 12; in- 12, 44 pages.
Ethik, von P. Fiebig. Tiibingen, Mohr, 1912; in- 12, 36 pages.
Die Propheten, von P. Firhig. Tûhingen, Mohr, 191 i ; in-12, 20 pages.
Die Religion der Propheten, von O. Zurhei.len. Tûbingcn, Mohr, 191 1 ; in-12,
104 pages.
Les petits volumes de M. Fiebig ressemblent quelque peu à des
catéchismes; ils sont destinés au grand public ei aux élèves des écoles
supérieures. Celui qui concerne l'histoire et la philosophie générale
des religions est substantiel et clair. L'exposé historique est très
sommaire, généralement exact. On peut contester cependant que le
totémisme soit un trait commun des cultes primitifs; il est vrai que
M. P. confond le totémisme avec le culte des animaux; mais cette
circonstance ne fait qu'aggraver son erreur. Dans le paragraphe con-
cernant « la religion des Grecs ei des Romains », il n'y a pas une ligne
pour l'ancienne religion de Rome. M. F. a une conception toute
psychologique de la religion, qu'il se représente à peu près comme
la catégorie de l'idéal, mais un idéal gros de réalité. Il montre ou
du moins il affirme la supériorité du christianisme sur toutes les
autres religions, et celle du protestantisme libéral sur toutes les
autres formes du christianisme. Mais le protestantisme libéral est
jusqu'à présent quelque chose d'assez mal défini. Cette philosophie
de la religion est une profession de foi.
M. F. n'hésite pas à esquisser l'histoire de la moralité humaine
depuis les origines; mais il s'en tient aux lignes extérieures et n'arrive
pas toujours à être clair. Il renvoie en note une observation qui
aurait dû être le point de départ de son exposé : religion et morale
sont étroitement liés chez les primitifs, et les tabous ont la même
d'histoire Et DE LITTÉRATURE . 44^
autoritc que les préceptes moraux. Peut-être faudrait-il dire que les
uns et les autres no se distinguent pas et que la morale primitive se
définit surtout dans les tabous. La morale de Jésus est présentée avec
les atténuations et interprétations coutumières du protestantisme
libéral. Après l'histoire vient la critique sommaire des divers systèmes
d'éthique, puis l'exposé très logiquement déduit d'un système d'idéa-
lisme moral qui est d'une haute inspiration, la partie essentielle et
la meilleure de ce petit traité.
Ce que M. F. dit des prophètes israélites est moins bien ordonné.
Série de notes où l'auteur s'est attaché à taiie ressortir les principaux
enseignements et le caractère des prophètes. Les notices commencent
avec Samuel sans qu'il ^oii rien dit des origines plus ou moins pro-
bable de l'institution prophétique en Israël.
M. Zurhellen apporte une série d'homélies sur les prophètes, qui se
résument dans cette idée : le règne de Dieu est le sens plus profond de
toute l'évolution terrestre et de toutes les luttes humaines. Là est bien
l'idée fondamentale du prophétisme Israélite, et M. Z. en fait valoir
avec beaucoup d'éloquence les différents aspects. Par ailleurs, son
livre échappe à notre compétence.
A. L.
L'évolution de la science et de la religion, par G. E. Boxall. Paris, Fisch-
bacher, kjii ; in-12, xiii-3(jo pages.
Jésus-Christ et l'étude comparée des religions, par A. Valensin. Paris,
LecotîVe. 1912; 229 pages.
Etudes de critique et d'histoire religieuse, par E.Vacandard. Troisième série.
Paris, Lecortre, 1912 ; in-12, 878 pages.
Peut-être n'était-il pas urgent de traduire en français l'ouvrage de
M. Boxall. L'auteur a des clartés, clartés un peu troubles, sur toutes
sortes de choses, et il les produit en une série de chapitres qui ne sont
guère mieux coordonnés entre eux qu'ils ne sont en eux-mêmes régu-
lièrement construits : les origines du roi et du prêtre, le développe-
ment du cerveau, premières notions religieuses, origines de la civili-
sation, la race blonde et la race brune, les théories de la création,
genèse du christianisme, etc. Une critique de détail ne conduirait à
rien moins qu'à écrire une encyclopédie. Pour donner une idée de ce
livre un peu incohérent, citons-en quelques petits morceaux. « Si la
science est vraie, la religion de nos pères doit disparaître, car elle
est en contradiction avec les lois naturelles qui doivent servir de base
à la religion nouvelle » (préface, p. xm). « Jésus était très avancé sur
son siècle et avait une connaissance profonde de la nature humaine »
(p. 289). « Une des nécessités les plus urgentes est la transformation
des lois du mariage et de celles qui concernent la propriété, ainsi que
de celles qui règlent les rapports des sexes. De nouvelles lois devraient
être projetées par d'habiles physiciens, physiologistes, sociologues et
444 REVUE CRITIQUE
les savants qui étudient la nature humaine » (p. 294). A quand ce con-
cile qui fondera « la religion nouvelle »?
Les conférences de M. Valensin sont une œuvre dogmatique et apo-
logétique dont il serait inutile de discuter les conclusions. Le ton de
l'auteur est très modéré ; la critique doit donc lui être indulgente. Sa
thèse générale est que l'échec du syncrétisme païen et le triomphe du
christianisme prouvent la transcendance absolue et la vérité de celui-
ci, la fausseté radicale de celui-là. Question mal posée. Le christia-
nisme aussi est à sa manière un syncrétisme, mélange d'éléments juifs
et d'éléments païens, avec une certaine prédominance des premiers
dans l'économie interne de la foi et dans l'organisation sociale des
croyants. La puissante originalité de ce syncrétisme et son esprit
exclusif lui ont permis de vaincre le syncrétisme bâtard, tiottant, inor-
ganique, des cultes païens. M. V. est assez bien informé. Son horizon
a la largeur que sa théologie lui permet d'avoir.
Toujours bien documentées, les « études » de M. Vacandard sont
d'une critique éveillée, généralement sûre, tant qu'un dogme de
l'Eglise ne vient pas à la traverse. Des quatre morceaux qui consti-
tuent la « troisième série », le dernier, sur la question du meurtre
rituel chez les Juifs, est peut-être le meilleur. Le sujet n'est pas neuf, et
M. V. ne se flatte pas d'avoir eu grand mérite à découvrir que cette
accusation du meurtre rituel n'a aucun fondement; mais la question
est bien posée, bien déduite, et la psychologie des accusateurs est bien
saisie. La première dissertation a pour objet l'origine des fêtes de
Noël et de l'Epiphanie. Il ne semble pas que M. V. oppose des rai-
sons très solides à l'opinion de M. Duchesne touchant la manière
dont on aura déduit la date du 25 décembre, pour la nativité, de celle
du 25 mars, admise pour la passion du Christ. La date de la passion
était la plus facile à fixer d'abord en partant de la donnée de Luc, m,
I, et des indications évangéliques concernant les derniers jours de
Jésus; le 25 mars aurait été choisi à cause de sa co'incidence avec
l'équinoxe officiel du printempset parce quec'étair, croyait-on, l'anni-
versaire de la création du monde. Peut-être convient-il d'ajouter que
c'était le terme du deuil d'Attis et l'anniversaire de sa résurrection.
Dans sa seconde dissertation, sur le culte des saints, M. "V. polémise
contre M. P. Sainiyyes {Les saints successeurs des dieux; Paris, 1907),
et l'on peut dire qu'il a raison, dans une certaine mesure et en géné-
ral, non tout à fait contre la thèse de M. S., mais contre la fausse per-
pective où celui l'a placée, semblant oublier que la plupart des per-
sonnages honorés par l'Église ont existé et que leur culte n'est pas un
simple transfert de rites païens à des noms chrétiens ou christianisés.
Mais si la thèse de M. S. prête à certaines critiques, celle de M . V.
pourrait bien être contestable aussi, et même en son principe. Le culte
des martyrs, des reliques, des images, n'a pas été, généralement par-
lant, un emprunt direct, brutal, systématique, aux cultes païens; mais
IC
c
m
d'hisioirk i-:t dl littkraturk 445
il procède d'une mentalité analogue à celle qui soutenait ces cultes,
— il n'y a pas plus lieu d'en faire grief au christianisme que de nier
ce qui est évident; — et celle mentalité est aussi ancienne que la pré-
dication de l'Évangile dans le monde païen; c'est elle qui a fait le
chrisiianisme en créant d'abord le culte et la divinité de Jésus. Les
textesque M. V. ciie avec le plus de contiance sont décisifs contre lui.
Il allègue, par exemple (p. 182), Jean Damascène : « Les saints étaient
remplis de l'Esprit divin. Après leur mort, cette grâce demeure atta-
chée non seulement à leur âme, mais à leur corps enseveli dans le tom-
beau, à leurs saintes images. » Cette vertu divine inhérente aux reli-
ques, aux noms, aux images, est-elle chose si différente du paganisme
c plus vulgaire? Il serait enfantin de se représenter le christianisme
omme un énorme et heureux plagiat des cultes qu'il a supplantés;
ais c'est se faire aussi une très fausse idée de son caractère que de
se le figurer comme ne devant rien à ce qui l'a précédé, ne ressem-
blant à rien, transcendentalement supérieur à tout. Quelque équivoque
se remarque aussi dans la troisième étude, sur Timmaculée conception
de Marie. On a d'abord fêté la conception comme telle, sans penser
plus loin, en tant qu'événement heureux pour l'humanité; les Grecs,
qui célébrèrent cette fête les premiers, s'inquiétant fort peu du péché
originel, trouvaient tout naturel d'honorer la conception de la mère
de Dieu. En Occident, la théorie augustinienne du péché originel
ne pouvait manquer de faire objection, objection théologique à
laquelle les théologiens trouvèrent moyen de répondre. M. V. a l'air
de raisonner comme si la croyance à l'immaculée conception avait été
clairement impliquée dans la fête. Visiblement, la fêle de la conception
a existé d'abord, et c'est la fête qui suscita, qui nécessita en quelque
manière la croyance à la conception immaculée; la théologie dut
suivre et servir la dévotion.
Alfred Loisy.
J. TixERONT, Histoire des Dogmes dans l'antiquité chrétienne. 111. La fhi
de l'dge patiistiqiie (430-480), in-12, 583 pp. Paris, Gabalda, 1912. Prix 3 fr. 5o
(Bibliothèque de renseignement de l'histoire ecclésiastique).
Le dernier volume de l'histoire des dogmes de M. Tixeront res-
semble à ses deux aînés. L'auteur se reconnaît et s'oriente fort bien
dans le dédale parfois très compliqué du nestorianisme, du mono-
physisme et du monothélisme, du semipélagianisme et de l'adoptia-
nisme, qu'il a particulièrement étudiés, ainsi que dans celui des diffé-
rents dogmes ecclésiatiques qu'il passe également en revue. Il vise à
éire exact et objectif dans la mesure du possible et il fait ainsi mainte
observation qu'une orthodoxiemoins attachée aux textes eût évitée. Il
constate par exemple que Nestorius « proclame sincèrement l'unité
personnelle de J.-C. »; qu'on comprendrait imparfaitement les attaques
dirigées contre lui « si l'on ne tenait compte, en même temps que des
^.^ô REVUE CRITIQtJE
divergences doctrinales, de l'antipathie violente qui divisait les deux
partis en présence »; que la C(jncepiion ci le langage de Cyrille
« n'étaient pas sans défauts »; tjue chez Ini riuinianiic du Christ
paraît « effacée et comme sacrifiée »; qu'à s'en tenir aux « mots » il
est monophysite; que la doctrine christologique de Sévère d'Antioche,
le principal représentant du monophysisme, se borne à " reproduire
en en précisant certains traits w celle de l'évêque d'Alexandrie; que la
question des Trois chapitres fut une « malheureuse affaire », où la
théologie des Antiochicns, reçue à Chalcédoine, « paya les frais du
rapprochement »; que certaines des théories de saint Augustin, « celle
de la distribution de la grâce, par exemple, et celle de- la prédestina-
tion, étaient bien trop violentes, au moins dans leur expression, pour
ne pas soulever de légitimes répugnances »; que l'évêque d'Hippone
« avait admis la prédestination absolue, ante praevisa mérita vel démé-
rita, soit pour les élus soit pour les réprouvés »; qu'encore dans la
dernière période de l'âge patristique la liste des sacrements comprend
simplement le baptême, la confirmation et l'eucharistie; que l'organi-
sation de la pénitence privée, dont on rencontre en Occident les
« premiers vestiges » chez saint Augustin, fut « ébauchée çà et là »
dans le courant des v^ et vi^ siècles et vient en très grande partie de
pratiques monacales; qu'à cette époque rextrême-onction se présente
simplement comme un « usage reçu »; que l'ordre est en beaucoup
d'endroits réitéré à ceux qui l'ont reçu des hérétiques; que le mariage
est « ordinairement bénit par l'Eglise » sans qu'il y ait sur ce point de
loi absolue et formelle », Malgré tout le théologien se montre cons-
tamment à côté de l'historien et l'amène à prendre parti pour les
doctrines qui ont prévalu contre celles qui ont été condamnées, à
forcer pour cela le sens de certains textes et à affaiblir celui de cer-
tains autres. M. Tixeront déploie en ce genre d'apologétique une
habileté d-iscrète qui atténue la portée des constatations les plus
gênantes. Nestnrius « proclame >> bien l'unité personnelle du Christ,
mais « il n'en a pas l'intelligence vraie et profonde »; Cyrille einploie
bien le langage des Monophysites, mais s'il ne s'accorde pas « verba-
lement » avec le concile de Chalcédoine, « on ne peut du moins lui
reprocher d'être avec lui en désaccord de pensée «; les Monophysites
sévériens restaient fidèles à son enseignement, mais « l'histoire, en
admettant qu'ils pensaient juste, est bien obligée de regretter leur
entêtement et leur rébellion »; Augustin a soutenu des doctrines trop
violentes « au moins dans leur expression », et en particulier la pré-
destination absolue, mais il sauvegarde « l'essentiel des droits de la
nature » et son enseignement a un « caractère largement humain »;
saint Grégoire fait preuve dans ses Dialogues d'une crédulité extrême,
mais il ne faut voir là que « l'honnête délassement d'un esprit fatigué
des affaires »; le pape Gélase dit en propres termes de l'eucharistie :
« Esse non desinit substantia vel natura panis et vini », mais ces
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 447
paroles « peuvent s'excuser», si l'on remarque qu'il « transcrit sim-
plement dans un ouvrage de polémique et sans y prendre garde (!)des
considérations qui ne sont pas siennes». Avec de pareils procédés
d'interprétation il n'est pas de théologien qu'on ne puisse à son gré
tirer à l'orthodoxie ou faire verser dans l'hérésie; seulement il n'y a
plus alors d'histoire véritable. Le livre de M. Tixerontest plutôt une
apologie historique du dogme, et n'échappe point, malgré la science
de l'auteur et sa sincérité, aux défauts de ce genre d'ouvrages. 11 n'en
est pas moins, par l'étendue et la précision de ses renseignements, un
instrument de travail très précieux pour tous ceux qui étudient l'évo-
lution de la pensée chrétienne, et on ne peut que regretter qu'une
œuvre analogue n'existe pas pour le Moyen Age et pour les temps
modernes.
Prosper Alfaric.
E. l'uciis, Offenbarung und Entwickelung, .S" \111-37 pp. Tûbingen, Mohr,
191 2. Prix : I M.
M. HuNziNGiiR, Das Wunder, 8" i65 pp., Leipzig, Quelle und Mayer, iqiî.
Prix : ^ M.
E. Troeltsch, Die Absolutheit des Christenturas und die Religionsges-
chichte. Zweite Auflage, 8° xxvii-i3o pp., Tûbingen, Mohr, 1912. Prix 3 M.
1. L'évolution qui se montre dans la nature et dans l'histoire ne
ruine-t-elle pas les enseignements de la révélation qui veut tout
expliquer par Dieu et se présente comme absolue? Non, répond
M. E. Fuchs, car un idéalisme bien compris nous amène à attribuer
une âme commune aux phénomènes naturels afin de les comprendre,
et à considérer les idées successives que les hommes ont eues de la
divinité comme de simples formes sous lesquelles se manifeste de
mieux en mieux la même vérité. Tout cela aurait besoin de preuves et
ne va pas sans de graves difficultés. M. Fuchs promet de l'établir
d'une façon plus solide dans un gros ouvrage qu'il prépare depuis de
longues années et où il fera ressortir le rôle joué dans son idéalisme
par l'imagination. Ce dernier détail n'est pas de nature à bien nous
rassurer.
II. Jusqu'ici philosophes et théologiens considéraient le miracle
comme un fait qui déroge aux lois de la nature. Mais, dit M. Hun-
zinger, professeur à Erlangen, si on le considère de ce point de vue
purement rationnel, on ne pourra le défendre contre le rationalisme
qui soutient qu'une telle dérogation n'est jamais démontrable ni même
concevable. Voyons plutôt en lui un phénomène religieux par lequel
Dieu, qui agit en tout être et en toute occasion, se révèle directement
à nous pour nous amener à croire en lui, et nous le soustrairons
ainsi à toutes les attaques des savants, puisqu'il sera dès lors pure-
ment individuel et transcendant. Nous devrons seulement pour en
sauvegarder la possibilité maintenir fermement les données essen-
448 REVUE CRITIQUE
liellcs de la tradition évangéli>.]Lic, la passion du Christ et sa résur-
rection, qui sont la condition indispensable et Tobjet essentiel de
notre foi chrétienne. On voit, remarque à ce propos M. Hunzingei,
qui volontiers se met en scène, « quelle large place je laisse à la cri-
tique )'. Hélas! la critique est tellement exigeante qu'elle ne s'en
contente point, et qu'elle conteste résolument la résurrection de Jésus,
quand elle ne va pas Jusqu'à mettre en doute sa. passion. Avec un
optimisme déconcertant, le professeur d'Erlangcn estime au con-
traire qu'elle n'a réussi qu'à mettre mieux en relief l'absolue trans-
cendance du Christ et de son ccuvre. Il admet sans aucune difficulté,
non seulement les récits les plus extraordinaires de l'Évangile, mais
celui du buisson ardent et tous ceux en général qui dans la Bible ont
un caractère religieux. Les concessions qu'il fait au rationalisme n'en
sont que plus significatives. Pour qu'il rejette si catégoriquement la
conception traditionnelle du miracle, celle-ci d(jit être bien peu
tenable. Celle qu'il propose de lui substituer ne l'est pas davantage.
D'abord elle se condamne par sa nouveauté même, car on n'a plus à
parler de miracle si on n'admet plus ce qui a toujours été désigné par
ce nom, mais seulement une sorte de grâce illuminante qui est
donnée en vue de la foi. De plus elle se heurte à toutes les difficultés
que soulève la doctrine générale de la grâce et de la providence.
M. Hunzinger en a effleuré une : Si Dieu agit en nous et hors de
nous, comment s'expliquent l'existence du mal et celle du péché? Un
tel problème, avoue-t-il, est impossible à résoudre. On ne saurait
mieux dire.
III. M. Troeltsch, professeur de théologie à Heidelberg, publiait
en iqoi une conférence très remarquée, où il s'attachait à montrer
que le christianisme est la plus parfaite des religions mais non la reli-
gion absolument parfaite Sa publication, dont la Revue a alors rendu
compte, a provoqué de nombreux commentaires et. de longues
répliques. Elle paraît maintenant en seconde édition, sans modifi-
cations notables. Les problèmes ont beaucoup changé au cours des
dernières années. Elle n'a donc plus la même aciualiié, mais elle reste
un document de premier ordre pour tous ceux qui s'intéressent à
l'évolution actuelle du protestantisme libéral.
Prosper Alfaric.
N.4VARRE et Valentin, Los chefs-d'œuvie de la littérature grecque. Paris,
Hachette, 191 1, viii-834 p. Prix : 5 fr,
On ne lit plus guère le grec aujourd'hui ; il n'est môme pas bien sûr
qu'on le lise beaucoup dans des traductions, et l'on ne se tromperait
peut-être pas beaucoup en affirmant que pour un grand nombre de
personnes la littérature grecque se réduit à une liste de noms. Il serait
désirable qu'on en stjt davantage, et que tout esprit cultivé connût
d'histoire et de littérature 449
au moins ce que les écrivains grecs nous ont laissé de plus remar-
quable. C'est ce qu'ont Judicieusement pensé M. Navarre, professeur
au lycée Charlemagne à Paris, et M. Valeniin, professeur au lycée
de Grenoble ; ils ont cru, avec raison, (aire œuvre utile en réunissant
en un même volume la traduction des meilleurs passages choisis
dans les ouvrages des anciens Grecs ' ; et lorsque c'est nécessaire,
des analyses succinctes des parties omises relient ces morceaux les
uns aux autres, permettant de la sorte au lecteur de se faire une idée
de l'ouvrage dans son entier. C'est ainsi que nous avons dans ce
volume des morceaux d'Homère, d'Hésiode, des poètes lyriques et
dramatiques, des historiens, des philosophes et des orateurs, que
suivent, pour compléter le tableau d'ensemble, quelques extraits des
principaux alexandrins, de Plutarque et de Lucien. On ne peut
qu'applaudir à l'idée qui a inspiré les jeunes professeurs; leur
« ouvrage de large vulgarisation » (p. vi) pourra certainement servir
à faire connaître les plus belles pages de la littérature grecque, et en
même temps à la présenter dans la continuité de son développement.
Je dois cependant leur adresser quelques critiques; c'est mon rôle. Je
ne m'explique pas, d'abord, pourquoi ils n'ont retenu, de la longue
période qui suit l'époque alexandrine, que Plutarque et Lucien, et
pourquoi ils n'ont pas compris, dans leurs extraits, quelques passages
d'autres auteurs qui sont loin d'être méprisables. Ne pensent-ils pas
qu'ils auraient mieux atteint leur but, qui était, nous disent-ils (p. vi),
de présenter du génie grec « un tableau aussi complet que possible »,
en donnant au lecteur quelques pages de Strabon, d'Arrien et de
Dion Chrysostome, pour ne citer que ceux-là? Leur livre, déjà gros,
eût-il été trop volumineux? Il était facile d'élaguer ailleurs. Mais je
ne sais pourquoi, en dehors de Lucien et de Plutarque, il semble
qu'il n'y ait plus rien dans la littérature grecque après l'alexandri-
nisme. On peut toutefois, à la rigueur, justifier cette manière de faire ;
mais j'ai à exprimçr un autre desideratum plus grave. MM. N. et V.
semblent ignorer totalement les récentes découvertes qui ont rendu à
la lumière tant de choses intéressantes pour l'histoire des lettres
grecques. Dans l'introduction à la poésie lyrique (p. 164 sv.), le nom
de Timothée n'est même pas prononcé; nous avons de Bacchylide, ce
qui ne laisse pas de surprendre, seulement la traduction d'un frag-
ment ancien d'une quinzaine de lignes, et de Ménandre, chose plus
étonnante, rien du tout \ Enfin les jeunes professeurs se sont quel-
quefois insuffisamment documentés pour la rédaction des brèves noti-
ces qui accompagnent le nom de chaque auteur. Je ne parle pas de
1. Les auteurs de ces traductions sont indiqués au fur et à mesure.
2. Voici ce qui est dit de Bacchylide p. 182 : « Par les fragments de ses odes, on
peut juger qu'il traitait les mêmes genres que Simonide et de la même manière ».
Quant à Ménandre, « il ne reste de lui que des fragments trop dispersés et trop
courts » (p. 402}.
^5o REVl'K CRITIQUE
phrases comme celle-ci, p. iSi : « Simonide vécut successivement à
Athènes, à Larisse et en Thessalie », qui est sans doute un lapsus
pour '< et à Larisse en Thessalie » ; mais Pindare n'est pas mort
en 456; Lvsias n'est pas né en 432, et ce n'est pas en Sicile qu'il
suivit les leçons de Tisias; Isocrate n'est pas mort en 334. Il ne faut
pas dire, p. 565 : « les sophistes, cette espèce de rhéteurs étrangers, la
plupart du \cmps asiatiques, Proiagoras, Gorgias, Prodicos, Hippias »;
et surtout il serait à désirer qu'on se débarrassât une bonne fois de ce
perpétuel Er VArménien, qui a vraiment la vie tenace '.
My.
Franz Nass.m,, ^stetisch-rhetorische Beziehungen z-wischen Dionysius von
Halicarnass und Cicero (Diss. inaug. Tubiiigue)..Tubinguc, Heckenhauer,
1910 ; X-169 p.
Cette dissertation inaugurale a une portée plus étendue que son
titre ne le donne à entendre. Le sujet par lui-même ne manque pas
d'intérêt, quoique les théories de Denys et de Cicéron sur l'art ora-
toire aient été étudiées, analysées, discutées déjà bien souvent; mais
une étude comparative des systèmes du rhéteur grec et de l'orateur
latin n'avait pas encore été poussée si loin dans le détail ; le travail de
M. Nassal sera, à ce point de vue, très utile. Il est divisé en deux
parties : dans l'une, qui se tient dans le domaine de la technique,
M. N. compare les principes de Denys et ceux de Cicéron : définiiion
de la rhétorique ; invention et ordonnance générale ; choix et dispo-
sition des mots ; le rythme ; les trois genres de style. Dans la seconde,
l'objet de la comparaison sont les jugements portés par l'un et par
l'autre sur les écrivains grecs antérieurs, poètes, historiens, orateurs,
philosophes. Au cours de ce parallèle, dans lequel sont signalées de
très nombreuses concordances entre la technique et l'esthétique litté-
raire de Denys et de Cicéron, M . N. a été amené, à diverses occasions,
à se demander si les deux auteurs n'avaient pas usé d'une source
commune ; et cette hypothèse se précisa pour lui grâce à une remarque
qui peut être fertile en conséquences. On sait que Cicéron, dans ses
écrits postérieurs, et particulièrement dans VOrator, a souvent com-
plété, modifié ou rectifié les vues qu'il avait exposées dans le de
Oratorc. Or c'est précisément dans ÏOrator que se constate d'une
manière frappante l'accord de Cicéron avec les jugements énoncés
par Denys. Une influence de l'un sur l'autre étant nécessairement
exclue, l'explication de ce fait serait, suivant M. N., que Cicéron
aurait utilisé un traité sur la composition et le stvle ', paru dans
1. Lire pp. 2, 200, 201, 402, 5o5, 576, Zeiixis, Pratinaft, Néophroii, Susarion,
Halimonte, Nausikydès, pour Lenxis, Gratinas, Néophion, Sii^arioii, Halinunte,
Natisidycès. Le fils d'Eschyle se nommait Bion et non Dion (p. 201).
2. Conjecture, nous dit M. Nassal, déjà mise en avant par J. Mûller, Dcfigiiris
qucBStiones criticœ, Diss. Greifswald, 1880.
d'histoire et de littérature 45 I
rintervalle de neuf ans qui sépare VOfator du de Oratore, écrit
d'actualité compose par un Grec au fort de la lutte entre l'atticismc et
l'asianisme; et l'auteur en serait Cécilius de Calacté. Quant à Denys,
rien ne s'opposerait à ce qu'il en eût eu connaissance. L'hypothèse est
séduisante; mais elle n'est peut-être pas indispensable, et M. N. en
sent lui-même la fragilité. Ce que nous savons de la vie de Cécilius
se réduit à peu de chose; le premier auteur qui parle de lui est
Denys, son contemporain, et il serait téméraire d'affirmer que vers 5o
un de ses écrits ait pu e.xercer une influence sérieuse sur Cicéron.
Avant d'aller plus loin, il faudrait établir la chronologie ; et jusqu'ici,
malgré d'assez nombreuîies recherches, on n'est arrivé sur ce point à
aucune certitude. M. Nassal, il est vrai, considère comme plus vrai-
semblable que Cécilius est plus ancien que Denys. Quoi qu'il en soit,
sa dissertation est faite avec beaucoup de soin et d'une documentation
très précise ; elle révèle de nombreux détails intéressants à la fois
pour l'histoire de la rhétorique et pour celle de la littérature.
Mv.
Xenophontis Scripta minora. Fasc. prior ; post Ludovicum Dindorf éd.
Th. Thalheim. Leipzig, Teuhner, iqio, xvr-234 P- Fasc. posterior, post
L. Dindorf éd. Fr. Ruehl ; accedunt Simonis de Rc equestri quae supersuiit.
r.eipzig, Teubner, 1912; xxiv-200 p. {Bibl. script, gr. et rom. Teiibneriana).
Les Scripta minora de Xénophon, publiés en un volume par
L. Dindorf dans la bibliothèque teubnérienne, sont remplacés main-
tenant par deux volumes. Le premier, contenant VEconomiqiie, le
Banquet, Hiéron, Agésilasci V Apologie, est publié par M. Thalheim ;
le second contient la République des Lacédémoniens, la République
des Athéniens, \es Revenus, VHipparchikos, VEquitation et le Cr"^'-
gétique, auxquels l'éditeur, M. Rtihl, a ajouté ce qui reste du Hep-
'[•nTztx^^de l'Athénien Simon. Les deux éditeurs ont eu à leur disposi-
tion, outre leur propre collation des principaux manuscrits, celles de
K. Schenkl, qui leur furent libéralement communiquées par son fils.
Les préfaces de chaque volume analvsent brièvement les manuscrits
de chaque opuscule et leurs rapports mutuels, et indiquent quels sont
les meilleurs fondements du texte. M. Th. est amené ainsi à dire
quelques mots sur un point intéressant. Il n'y a pas de difficulté pour
VEconomique et le Banquet; mais la question est plus compliquée
pour les autres écrits du premier volume. Kalinka a cru pouvoir
démontrer que le Muiinensis 143, qui contient entre autres œuvres
de Xénophon le Hiéron et V Apologie, mérite une grande confiance,
parce qu'il dérive, selon lui, d'un manuscrit ancien où il a puisé
d'excellentes leçons. M. Th., qui fonde le texte sur le Vaticanus i3?3,
estime au contraire que ces bf)nnes leçons ne sont que des corrections
dues au copiste, et il donne un exemple frappant de la manière dont
celui-ci procédait, ce qui autorise à supposer que le Mutinensis,
452 RKVUt CR1T1QUI-.
comme les autres manuscrits, est un (.icrivé direct ou indirect du
Vaticanus. M. Riihl, lui aussi, a louche ceiic question, à propos de la
République iies Athéniens, et se prononce dans le même sens. Pour
les traités contenus dans le second volume, on sait dans quel état de
corruption ils nous sont parvenus; mais des découvertes heureuses
ont rendu plus facile la lâche de l'éditeur, en ce qui concerne les
écrits relatifs à la chasse et à l'art équestre. M. R. a retrouvé le
manuscrit de VHipparchikos (contenant aussi V Equitation et le Cyné-
gétique) dont s'est servi Courier (V, 'Vaticanus 989), notablement
supérieur, et la science italienne a mis en juste lumière la haute
valeur d'une nouvelle source pour le lUp'. 'Ir-iy.?;; et le Cynégétique^
un manuscrit de Vienne (W). M. l^., il est vrai, montre par des
exemples précis, et d'une façon inaiiaquable, que W ne doit pas être
suivi sans prudence lorsqu'il est seul à fournir une leçon; mais ce
manuscrit, malgré ses fautes parfois étranges, a vraiment renouvelé
le texte, au point que l'édition donnée par Tommasini du de Re
equestri a pu être appelée, comme le note M. Ruhl, presque une
seconde édition princeps. Dans les deux volumes, l'appareil critique
est sobre, ne donnant, parmi les lectures des manuscrits, que celles
qui peuvent servir à l'étude et à l'histoire du texte, et parmi les
conjectures modernes, que celles qui ont quelque valeur et ne sont
pas dues à une trop fertile imagination. En somme, cette nouvelle
édition rendra d'utiles services et sera appréciée de tous; on regrettera
toutefois que le second volume ne soit pas pourvu d'un index autre
que celui des noms propres.
My.
G. MicH.\uT, Histoire de la comédie romaine. — I. Sur les tréteaux latins.
Paris, Fontemoing, vi -|- 435 pages in-16, 1912
M. Gustave Michaut, dont les beaux travaux sur la littérature
française sont bien connus, vient de donner le premier volume d'une
Histoire Je la comédie romaine. C'est, pour lui, moins une innovation
qu'un retour en arrière : il a, pendant dix ans, enseigné la littérature
latine à Fribourg, et n'a pas cessé de s'y intéresser. Ramené, par ses
recherches sur les origines de la comédie française, à l'histoire du
théâtre latin, il a repris et publié ce qu'il avait autrefois préparé. S'il
semble craindre que les latinistes ne trouvent qu'il est « devenu un
profane », c'est par excès de modestie, caria lecture de ce premier
volume le montre au contraire très solidement et très précisément
documenté sur tous les travaux, anciens ou récents, français ou
étrangers, qui sont relatifs aux choses dramatiques romaines. Une
connaissance sûre des textes et des commentaires modernes, une
logique claire et ferme dans la discussion, une modération pleine de
bon sens dans les questions difficiles, telles sont les qualités qui feront
de Sur les tréteaux latins un ouvrage extrêmement utile à consulter,
D HISTOIRE Er DK LirrF.RATURE • 453
autant qu'agréable à lire, pour tous ceux qu'intéresse riiistoire du
théâtre à Rome.
En voici un bref résumé. Dans l'introduction, sur les Romains et
la comédie, M. Michaut entreprend de prouver que la comédie a eu à
Rome une vie florissante, et il le démontre assez heureusement,
encorequ'il fasse un peu trop fl de l'autorité de Quiniilien.
Il examine ensuite les origines indigènes de la comédie romaine,
les vers fescennins et la sature; il reprend, après Jahn, l.eo, Hen-
drickson, la critique du célèbre récit de Tite-Live, sans lui dénier du
reste toute valeur, et en admettant que, s'il n'y a pas eu de sature
dramatique à proprement parler, il a pu v avoir au moins des sortes
de divertissements à demi théâtraux.
Puis, il passe en revue la comédie romaine et ses différentes
formes : palliata. atellane, mime. .le signalerai, comme particulière-
ment bien conduites, les discussions sur l'acteur spécial Prologus
(dont M. Michaut arrive à nier l'existence), — sur la question des
cantica (pour lui, les lettres DV et MMC désigneraient, non des
scènes tout entières en deverbia ou en cantica, mais des scènes où il
va des deverbia ou des cantica); — sur la question de savoir si
l'atellane était Jouée à Rome en osque ou en latin (c'est à cette
dernière hypothèse qu'il se range avec raison).
Vient en^n un chapitre, on ne peut plus complet, sur Vorganisa-
tion légale et matérielle du théâtre. La partie la plus curieuse est
celle où M. Michaut reprend le problème, tant de fois débattu, des
adjudications de 179 et 174 avant J .-C. D'après lui, ces adjudications
ne visaient que des baraquements en bois, non des édifices de
pierre; les mots scaenam aedilibns praetoribiisqite praebendam ne
concernent pas une installation définitive, mais une fourniture renou-
velée pour chaque célébration de jeux. Cette interprétation, contraire
à celle de Ritschl et de M. Fabia, me paraît d'autant plus séduisante
que le pluriel praetoribiis s'explique ainsi beaucoup mieux.
Le livre est d'une impression nette et agréable ', et joliment orné
d'illustrations à la fois documentaires et amusantes; il fait le plus
grand honneur à la maison qui l'a édité.
Un dernier mérite vaut la peine d'être signalé : on sent maintes
fois, au cours des discussions, que les opinions de M. Michaut
s'appuient sur des comparaisons utilement et discrètement établies
entre le théâtre romain et le nôtre. Déjà, par conséquent, dans ce
premier volume, sa science de latiniste bénéficie de sa compétence en
littérature française. On ne peut douter que cet avantage n'apparaisse
encore mieux dans les volumes ultérieurs, où il sera traité du théâtre
I. J"ai cependant relevé quelques huucs : p. 24, Œlins Stilo; p. 14S, chefs-
dœuvres; p. 202, Niebhur; p. 3gb, cité au lieu de cités-, p. 398, centre central
au lieu de centre initial ; p. 449. acteur au lieu de acteurs.
4S4 RF.VUI CRITIQUE
hiiin, non plus sous son aspect icchniiiue, mais dans son développe-
ment liitcraire. Il csi à souhaiici que M. Micliaut ne nous les fasse
pas trop aiicndic.
René Pichon.
Sclatic lùlgar Stoi 1, The Governors of Moesia. Princeton, 1911, in-H* xii et
^)7 P •
Dissertation présentée à 1" Université de Princeton en igiopourTob-
tention du titre de docteur en philosophie, cet opuscule est conçu
suivant le plan habituel : une introduction mentionnant en peu de
mots l'histoire administrative de la province, la série chronologique
de tous les gouverneurs, les textes à l'appui étant transcrits en entier
à la suite de chaque nom ; enfin un index alphabétique de ces person-
nages. Le travail est soigné et sera utile comme répertoire.
R. C.
Rcpinald II. (îriffuh, Sir Perceval of Galles, A study of the sources of the
legend. The University of Chicago Press, U. S. A. (.Ih. Staufler, Leipzig).
in-8° de 1 3 1 pp.
L'étude de M. Griffiih renferme une comparaison minuiieusedu
poème anglais Sir Perceval {SP} et des passages de Chrestien (C) de
Wolfram [W], de Peredur {Pd) et du pseudo-Ghresticn, qui racontent
les mêmes aventures. La méthode par laquelle M. G. combat l'hypo-
thèse que SP dérive du poème de C consiste à montrer qu'il y a des
correspondances entre SP et l'une et l'autre des versions du moyen
âge qui ne se laissent pas expliquer par cette hypothèse '. M. G. lui-
même considère que SP et des parties de W et de Pd dé'rivent d'une
source secondaire indépendante de la source de C. Il fait remonter
cette source secondaire et le poème de C à une source commune.
En étudiant les épisodes dont se compose SP, M. G. rapporte des
traits analogues de conies recueillis dans la tradition populaire gaé-
lique par Gambell eic. Il s'en sert pour appuyer sa thèse de la façon
suivante : le fond de ces contes et du poème de C repose sur la
même série d'éléments narratifs. Des poèmes de la même époque que
C {SP, Pd, W) révèlent une série analogue; aucun des textes médié-
vaux ne peut avoir été la source de cette série. SP en contient plus
que l'ensemble des textes français. Il est donc impossible que SP soit
dérivé de ceux-ci. Les incidents constitutifs de l'histoire de Perceval
appartiennent à un fonds de tradition primitive dont les versions
orales sont les survivances populaires, et dont SP garde plus de
traits primitifs que C .
Pour donner une valeur solide à ces séries d'éléments dont se com-
I. Miss M. Rh. Willianns, Essai sur la composition du roman gallois de Père dur
(Paris, 1909). termine son étude de W et de Pd par une conclusion semblable
(p. 81-93).
d*histoirb: kt de littératukk 45 5
posent, d'après l'analyse de M. G., les fonds piimiiils des épisodes,
il aurait lallu avoir à sa disposition plus de versions populaires. De
celles dont il se sert pour sa comparaison, on ne peut tirer de con-
clusions sûres. Son e.xposé soutient bien, du reste, la t-lièse depuis
longtemps avancée par beaucoup de critiques arthuriens, à savoir
que C n'est pas la source de SP '.
Gertrude Schoepperle.
ToLDo (Pietro , Fonti e propaggini italiane délie Favole del La Fontaine.
Extr. du Gioni. stor. délia lelt. ttjl. \\>\. LIX, iyi2, in-8 de kkj p.
Si un jour notre littérature classique est aussi étudiée dans les
Universités italiennes que la littérature classique italienne l'est dans
les Universités françaises, on le devra pour une bonne part à M. P. T.
qui s'y est consacré et qui nous donne, non pas seulement des esquisses,
mais des livres. L'Académie Française a récemment couronné son
ouvrage sur la fortune de Molière en Italie. C'est par manière de
délassement qu'il nous offre aujourd'hui un simple article, d'ailleurs
étendu et neuf. D'une part il énumère les inspirateurs italiens de
La Fontaine, moins encore pour en refaire le compte que pour mettre
en garde contre le penchant à voir une imitation dès qu'il y a ren-
contre ; d'autre part, il donne le catalogue, plus malaisé, des Italiens
qui ont imité La Fontaine (il relève jusqu'aux imitateurs en dialectes),
ou qui ont résisté à la tentation; il termine par la liste des traductions
complètes ou partielles des fables de La Fontaine en italien. Il ne se
borne pas à composer de simples tableaux; il cite, il discute, il
indique même des vues fines; par exemple, il avance que l'esprit
gaulois n'aurait pas sans l'étude des modèles italiens donné à La Fon-
taine la grâce, le scepticisme tempéré qui forment un des charmes de
son oeuvre. Il appartenait à M. T. de justifier cette assertion en
montrant que l'élégance de Marot n'aurait peut-être pas suflfi à former
La Fontaine si Arioste ne s'en fût mêlé. Dans la deuxième partie du tra-
vail, il aurait été intéressant de faire voir que la plupart des imita-
teurs italiens de La Fontaine n'ont au contraire cherché à lui prendre
que des détails; qu'ils ne se sont pas souciés d'apprendre de lui à
fonder leurs récits sur l'observation de la vie ; il faut arriver à Gasp.
Gozzi pour retrouver un conteur philosophe. M. T. a été formé par
des méthodes sévères : il aime par dessus tout les faits positifs; mais
un homme aussi modeste et aussi judicieux peut sans témérité
s'espacer sur la critique littéraire proprement dite. Toutefois, n'ou-
blions pas qu'il ne voulait aujourd'hui que nous donner un article
destiné à une Revue d'érudition et rcmercions-Ie de nous avoir
montré quel long souvenir le bonhomme a laissé aux Italiens.
Charles Dejob.
I. Il entraine trop souvent le lecteur dans des discussions dont il aurait pu
savoir d'avance qu'on ne pouvait rien eu tirer.
436 REVUK CRITIQUE
KJmiaiJ Dhiaiit, Austerljtz et la fin du Saint-Empire (1804-180G). Paris,
ALjin. 11J12, iii S", 4<)2 p., 7 tr.
Ce volunic est la suite des travaux Je M. Dr. sur Napoléon et
riîurope. Après la p.>litiquc orientale et la politique italienne de
l'Empereur, l'auteur étudie sa politique allemande depuis son avène-
ment au irtHie jusqu'à la veille diéna. Le livre est divisé en trois
parties : Le sacre, i<So4, c'est-à-dire les conditions européennes de
la fondation de l'Empire, l'attitude des puissances, le couronnement,
rinrtuence de la dii;nité nouvelle piise par Napoléon sur sa politique
italienne. Aiislc'rlil:^, /cS'oi, c'est la tormaiion du royaume d'Italie,
les préliminaires de la troisième coalition, la mission de Novosiltsof,
la rupture avec l'Autriche, les traités de Schônbrunn et de Presbourg,
l'alliance imposée à la Prusse par le traité. de Pans. Llié>-itage du
Saint-Empire, iSoO, c'est la substitution par Napoléon, à l'ancien
empire germanique qu'il a détruit, du nouveau grand empire qu'il
veut fonder, non en France seulement, mais en Italie ei en Allemagne,
voire au delà. L'étude des négociations franco-anglaise et franco-
russe de 1806, de l'affaire du Hanovre et de la rupture avec la Prusse
termine l'ouvrage.
Dans ce volume comme dans les précédents. M. D. s'est propose
d'abord de donner un récit suivi des opérations diplomatiques, en insis-
tant surtout sur la politique française, et ensuite, de préciser, autant
que possible, la pensée directrice de Napoléon, ses vues d'avenir, le
plan définitif qu'il entreprenait de. réaliser par la négociation et par la
guerre. Comme dans les autres volumes aussi, son récit est appuvé
presque en totalité sur les documents des archives des Affaires étran-
gères. Ces pièces sont très abondantes, pleines d'intérêt, et il n'en a
encore été fait que peu d'usage. M. D. les a lues de très près, il en a
tiré un exposé très suivi, très intéressant, nourri de textes démons-
tratifs et illustré parfois d'anecdotes plaisantes. Cependant, l'infor-
mation reste, pour ainsi dire, unilatérale. Nous n'avons ici qu'un
côté des négociations. Dès qu'une circonstance heureuse fournit à
M. D. la contre partie, les documents prussiens par exemple, soit
qu'ils aient été interceptés par Napoléon et se trouvent dans nos
archives, soit qu'un recueil imprimé en rende l'accès facile, le
récit devient plus complet, plus animé, les figures des souverains et
des diplomates plus nettes, plus vivantes. Heureusement, les publi-
cations de textes sont déjà nombreuses, et M. Dr. en a profilé partiel-
lement. Les mémoires de Hardenberg, ceux de Czartoryski, les
volumes de Tratchevsky dans la collection d'histoire de Russie, le
Preussen iind Frankreich de Bailleu lui ont fourni beaucoup de
textes importants. Mais d'autres lui ont échappé, notamment : pour
la Prusse, la correspondance de Frédéric-Guillaume 111 avec Alexan-
dre, publiée aussi par Bailleu; pour la Russie, les archives Voronzof,
les lettres de Sirogonof et de Razoumovski utilisées par le grand-
d'histoire Kl UF, LITTERATURE ^5 J
duc Nicolas ei par Vassilchikof ; pour l'Anj^leterre, la correspondance
de Fox, le dernier volume paru des papiers de Grenville, les leiires
de Yarmouth et de Lauderdale publiées dans la Parlementary his-
tory ; pour rAllemagne, les mémoires de Monigelas, les souvenirs
de François de Bray, surtout le lome V du recueil de Obser conte-
nant toute la correspondance de Charles-Frédéric de Bade et de ses
ministres, sans compter les ouvrages historiques, en particulier la
récente Histoire de la Confédération du Rhin de Bitterauf. En 1910
a paru à Berlin, sur la crise diplomatique de 1806, une excellente
brochure de deux cents pages, dont l'auteur, M. Heymann, avait
utilisé les sources imprimées que nous venons de signaler, et visité
en outre les dépôts d'archives de Berlin et de Paris. Elle aurait
sûrement fourni à M. D. un moyen de compléter utilement son récit
du rapprochement franco-anglais et des rapports de Napoléon avec
la Prusse. A la vérité, le travail des écrivains qui en France s'occupent
de l'histoire diplomatique du premier Empire, est rendu singulière-
ment difficile par l'absence de tout recueil de documents d'archives.
Il faut passer tant d'heures à parcourir et à analyser les pièces les
plus importantes, qu'on est entraîné naturellement à y voir le prin-
cipal élément d'information, et à faire moins de cas des sources d'une
autre origine.
La partie générale du livre de M. D ne prête à aucune réserve de
ce genre. On se rappelle que dans ses précédentes études, il avait
essayé d'expliquer par des projets de grand empire italien et méditer-
ranéen l'extension des conquêtes et la politique dominatrice que
d'autres ont expliquées soit par la rivalité franco-anglaise, soit par
une contradiction, posée dès 1795, entre les vcjlontés de l'Europe
et le dogme français des frontières naturelles. Ici, nous sommes au
nœud de la question, car c'est après Austerlitz que la puissance de
Napoléon lui permit pour la première fois, soit de faire la paix géné-
rale s'il en avait envie, soit de prétendre ressusciter l'empire de
Charlemagne et même l'Empire romain. M. D. prouve clairement,
semble-t-il, que l'ambition impériale seule empêcha la paix, comme
déjà seule elle avait consolidé la troisième coalition, si lente à se
former et si mal assurée. Sa thèse s'oppose ici à celle d'Arthur Lévy
et de Sorel, et les textes dont elle est appuyée paraissent trancher le
débat. Il faut louer M. D. de ne pas avoir poussé trop loin son
raisonnement, et de n'avoir pas prétendu retrouver tout entière,
arrêtée en termes précis, la grande pensée de Napoléon. Les conclu-
sions de ses ouvrages antérieurs étaient plus nettes sur ce point. En
étudiant le sujet de plus près, l'auteur s'est aperçu qu'il faut être très
prudent dans ces essais de reconstruction; l'Empereur n'était rien
moins qu'un homme à systèmes; il a, suivant son tempérament et les
circonstances, beaucoup varié sur les objets de son ambition.
M. Driault a donc cru devoir, non appuyer le trait, mais au contraire
458 RKVUi: CRITIQUE
ailcMnicr ses hypoihosos, y ajouicr des réserves expresses. Ce scrupule
est assez rare, luJiiie chez les meilleurs historiens, pour être signalé
avec réloge quil mérite.
R. G.
FrcJrik Bôôk, Studier och Strœtïâg i Dikten och historiea. Siockhulin,
1'. A. Noistcdi et Suiicr, r<jii.
Ce livre est un recueil d'articles qui ont paru dans le journal de
Stockholm Svenska Dagblad, dont M. B. est le critique littéraire atti-
tré. Comme ce journal est un de ceu.x qui ont en Suède le plus fort
tirage, du moins parmi ceux qui s'occupent de littérature, nous
pouvons juger en raccourci, par ce recueil d'articles, des goûts du
public suédois.
La littérature française est assez bien représentée dans ce livre, à
côté des littératures du Nord. Mettons à part l'article sur Charlotte
Corday ; l'histoire de la Révolution intéresse toujours et Charlotte
Corday semble au.x Scandinaves une des figures les plus représenta-
tives de cette époque, s'il faut en croire aussi G. Brandes. Si nous
trouvons un article sur Manon Lescaut, à propos du livre de Pierre
Heinrich : Prévost de la Louisiane, c'est que M. B. dans son Histoire
du rofuan suédois qui date de quelques années déjà, a eu l'occasion
d'étudier la destinée du livre de Prévost en Suède et les imitations
qu'il a suscitées : tout ce qui touche Prévost l'intéresse donc particu-
lièrement. Mais le chaptitre essentiel du livre, celui qui en est le centre
aussi bien par l'importance que par la disposition à l'.intérieur du
livre, est l'étude sur Maurice Barrés.
Si M. B. constate une évolution dans la pensée de Barrés, de l'in-
dividualisme au nationalisme, il note avec soin comment ceci résulte
de cela et il est heureu.x de constater que ce nationalisme littéraire et
politique s'appuie sur une doctrine philosophique. Ce choi.x de Bar-
rés n'est pas fortuit : nous y retrouvons la trace des préoccupations
habituelles de M. B. qui rompt des lances presque journellement en
Suède en faveur du nationalisme littéraire de Heidenstam ou de
Selma Lagerlôf, contre le naturalisme de Strindberg qui n'est pas
évidemment purement Scandinave.
M. B. exagère l'influence de M. Barres lorsqu'il assure qu'on peut
la retrouver chez tous les jeunes de notre époque. Elle a été grande
sans doute, mais sur la génération qui était à l'Université entre 1890
et 1895 : ce sont les hommes mûrs de maintenant. Quant aux jeunes,
ceux qui ont aujourd'hui entre vingt-cinq et trente ans, ils ont subi
d'autres influences plus fortes que celles de M. Barrés. Et cela ne
veut pas dire qu'ils ne lisent pas, qu'ils n'estiment pas Barrés, mais
bien souvent plutôt pour son style que pour ses idées.
Virgile Pinot.
d'histoirk et de littp:rature 459
Johannes WicKMAN, M™'' de Staël och Sverige (l'idragtill M'"* de StafUs biogra-
phi, hufvudsa kligen efter hittills iiir\ckta origmalhaiidskriftcr). Lund, Glcerup,
191 1 , in-S".
Cette thèse de l'Université de Lund manque d'unité. La première
partie : M. et M'"'' de Staël, traite de questions bien connues déjà. A
part quelques détails nous n'y trouvons rien d'essentiel que nous ne
sachions. Remarquons néanmoins que M. W. sait être juste : il n'ac-
cable pas M. de Staél, il ne défend pas de parti pris M'"^ de Staël. Les
deux autres parties sont plus intéressantes, mais se rattachent mal à
la première. La troisième, M"^* de Staël à Stockholm, ne nous apporte
pas encore les clartés désirables sur la mission politique de M"* de
Staël; cependant M. W. a fait usage des dépêches de Baudissin,
secrétaire de la légation danoise à Stockholm, et elles nous révèlent
quelque peu les idées de M""" de Staël relativement à la politique de
181 1'.
Tout l'intérêt du livre se concentre sur la deuxième partie : « M""® de
Staël et Brinckman » parce qu'elle est fondée sur une correspondance
inédite de M™" de Staël à Brinkman, conservée aux archives privées
de Trolle-Lungby (80 lettres environ).
Brinkman eut l'occasion de connaître M"' de Staël lorsqu'il fut
nommé secrétaire de l'ambassade de Suède à Paris. Leurs relations
furent d'abord loin d'être amicales, mais ils apprirent vite à se con-
naître et à s'estimer; leur correspondance va de 1798, car même à
Paris, ils échangèrent quelques billets, jusqu'à 181 3. D'après un billet
de M'"^ de Staël, M. W. a cru pouvoir affirmer que les connaissances
littéraires de Brinkman auraient été mises à profit par M™^ de Staël
pour son livre De la Littérature. Malheureusement cette indication
reste trop vague. Peut-être M. W. pourra-t-il trouver quelque préci-
sion à ce sujet lorsqu'il aura les lettres de Brinkman à M™" de Staël et
qu'il nous donnera l'édition complète de cette correspondance.
La bibliographie est quelquefois un peu courte. M. W. n'a pas
connu les deux ouvrages de M. Edouard Herriot : M'"^ Récamier et
ses amis et Un ouvrage inédit de M""" de Staël : les fragments d'écrits
politiques. L'article de M. Charles Joret, Madame de Staël et r hellé-
niste d'Ansse de Villoison [Rev. Iiist. littér. de la Fr., oct.-déc. 1908)
lui aurait aussi fourni une utile indication '.
Virgile Pinot.
Académie des Inscriptions et Bellles-Lettres. —Séance du i j mai 1Ç12. —
M. le comte Paul Durrieu annonce que la commission du prix Fould a décidé de
partager ce prix de la manière suivante : 3, 000 fr. à M. Georges Durand, L'église
abbatiale de Saint-Ricquier ; — 1,000 fr. à M. Lauer, Le ratais du Latran ; —
800 fr. à M. Paul Denis, pour son ouvrage sur Ligier Ridiier; — 800 fr. à M. Morin
Jean, pour son livre intitulé : I.e dessin des animaux en Grèce; — 5oo fr. à
M. Hourticq, pour son Histoire de l'art en France.
I. Lorsqu'il s'agit de caractériser le Directoire, il vaut mieux invoquer une autre
autorité que Gaston Boissier : La conjuration de Catilina.
460 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
M. (lharics Jorct moiiirc la siiigulicrc nicthodc sui\ic par Pline dans la compo-
sition lie son Histoire naturelle et les dilVicultcs qu'il a ainsi préparées aux com-
mentateurs, en particulier à ceux des livres qui traitent de la botanique. Puisant
à loulcb les sources connues ou inconnues, passant quelquefois sans transition de
la description inachevée d'une plante toute dilVérentc, sauf à revenir plus loin à
la première alors désignée sous un autre nom, il semble avoir pris plaisir à
dérouter ses interprètes. Deux exemples mettent le fait en évidence. Au ch. 64
du 1. XXI. il donne il'après Thécjphrasle la desciiption abrégée de la lapfia, la
bardane, description si obscure que plusieurs botanistes ont cru qu'il s'agissait
(.lu grallcron. l.itlrc lui-même s'y est trompé. .\u ch. 116 du I. XXIV, Pline
indique d'abord une propriété médicinale curieuse d une plante qu'il appelle
philautliropos, puis il s'interrompt brusquement pour exposer d'après une source
inconnue l'ctnplui dans le traitement du cancer et dans les maladies des porcs de
la lappa canaria. plante qui n'est autre sans doute que la bardane, mais que les
commentateurs ont pris les uns pour une espèce de galiet, les autres pour une
ombellifère, d'autres même pour le chiendent. Revenant ensuite, au I. X.W'll,
ch. i5, h la plante phiLtntliropos qu'il appelle maintcuiuit apariue, il en fait cette
fois, d'après Dioscoride. une description détaillée assez claire qui montre que
s
cette plante au double nom n'est autre que le gratteron. On voit par ces exemple
au'il faut lire Pline avec déhance et ne se prononcer sur l'identité des plantes
ont il parle qu'après avoir comparé les descripli<.)ns trop stiuvent fragmentaires
qu'il en donne et les noms parfois si divers qu'il leur attribue.
M. Maxime Collignon donne lecture d'une étude sur l'ancien Parthénon. Les
fouilles poursuivies sur l'.Xcropole. de i8<S5 â 18.S8, les travaux de .M. iJoerpfeld
et, plus récemment, les recherches de_M. Hill ont résolu une question longtemps
discutée et permettent de prendre une idée plus exacte du temple dont les pre-
mières assises ont occupé, entre les deux guerres médiques, l'emplacement du Par-
thénon actuel. C'est celui qu'on peut appeler le second Parthénon primitif et sur
l'histoire duquel insiste M. Collignon.
Ac.\DÉ.MiE DES l.NscRiPTioNs ET Bei.les-Lettres. — Scauce dit 24 mai I g l 'j . —
M. le comte Paul Durrieu présente, de la part de M. Louis Karl, professeur à
Budapest, des photographies de miniatures représentant sainte Elisabeth et prises
dans des mss. des xv* et xvi'' siècles conservés au .Musée Britannique lAdd. Mss.
18. 857, 19. 416 et 24. i53).
Le P. Scheil annonce, au nom de la commission du prix Saintour. que ce prix
a été distribué de la manière suivante : i .000 fr. à M. l'abbé Nau, pour ses publi-
cations sur Jean dWntioclic et Nestorius ; — 5oo fr. à M. Clément Huarl pour ses
Textes persans relatifs à la secte des Horoufis ; — 5oo fr. à M. Emile Amar pour
sa traduction du Fak'ri; — 5oo fr. à M. Joseph Halévy, pour son Précis d'allogra-
phie assyro-habylonienne ; — 5oo fr. à .M. Ed. Huber pour l'ensemble de ses travaux
d'archéologie et philologie indo-chinoises.
M. Morel-Faiio entretient l'Académie d'une lettre inédite de Marguerite d'York,
tante des enfants d'Edouard IV clandestinemcni mis à mort sur l'ordre de leur
oncle le duc de Gloucester, le futur Richard 111. Cette lettre recommande à la
reine Isabelle de Castille l'imposteur f^erkin Warbeck, qui s'était fait passer
pour le second fils d'Edouard et qui tint ce rôle jusqu'en l'année 1499 où il fut
condamné et pendu. La lettre en question prouve que Marguerite eut une part pré-,
pondérante dans cette mystification qui occupa toute l'Europe et que la complicité
de divers souverains, tels que l'empereur Maximilien et le roi Jacques d'Ecosse,
contribua à faire durer pendant dix ans environ.
L'Académie procède à l'élection d'un membre de la commission des Ecoles
françaises de Rome et d'Athènes. — M. Maurice Prou est élu.
M. Glotz appelle l'attention sur l'indice chronologique que peuvent fournir dans
l'histoire grecque les prix de certaines denrées, particulièrement des métaux. Il
prend pour exemple le plomb. Le cours ordinaire de ce métal est de 2 drachmes
par talent (5 fr. 40 les 100 kil.). Cependant, à deux reprises, on constate une
hausse de 100 à i5o 0/0 dans les comptes de l'Erechtheioa à Athènes '5 drachmes)
et dans ceux de la Tholos à Epidaure (4 drachmes 2 oboles). Un prix anormal
s'explique facilement l'année de TErechtheion (409-408) : depuis l'occupation de
Décélie par les Spartiates et la fuite des esclaves, les mines du Laurion étaient
fermées; le plomb se fait rare, comme l'argent, et la hausse du plomb [annonce
ainsi le monnayage exceptionnel de l'or en 407 et du bronze en 406. La hausse
que signalent les comptes de la Tholos tient également à une catastrophe poli-
tique d'Athènes et s'accompagne aussi d'une frappe d'or. La seule date qui puisse
convenir, c'est l'année de Chéronée (338-337). Or la hausse du plomb s'est pro-
duite la 21'= année des travaux de la Tholos. Comme ces travaux ont duré 3o ans,
ils se placent entre 338-357 ^^ 329-328. — M. Théodore Reinach présente quel-
ques observations.
Léon Dorez.
L' imprimeiir-géranx : Ulysse Rouchon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N« 24 — 15 juin. — 1912
SciiMiDT, L'historiographie dans l'Ancien Testament. — Leumann-Haupt, Le culte
juif sous les Perses, les Grecs et les Romains. — Holtzmann, Les origines du
Nouveau Testament. — Kittel, Histoire du peuple d'Israël, L — La religion'
dans l'histoire et le présent, III. — Marmoustein, Chrétiens et gnostiques dans
le Talmud et le Midrasch. — ,1. Martin, Thomassin. — Ce qu'on a fait de
l'Kglise. — Deonna, L'archéologie, sa valeur, ses méthodes, 111. — SETâLà, Kul-
lervo-Hamlct. — Publications de la Société suédoise des belles-lettres de Fin-
lande. ~ Cruyplants et Aerts, Dumouricz dans les Pays-Bas autrichiens. —
Laimerre, La campagne des émigrés en 1792. — G. Hulot, La manœuvre de
Laon. — Roger de Damas, Mémoires, par .1. Ra.mbaud. — P. de Pindray, L'action
en déclaration de paternité naturelle. — Hill, La Calprenède en Angleterre. —
Académie des inscriptions.
Die Geschichtsschreibung im Alten Testament, von H. Sciimidt, Tùbingen,
Mohr, igii; in-12, 56 pages.
Der jûdische Kirchenstaat in persischer, griechischer und rômischer Zeit,
von C. F. Lehmann-Haupt. Tiibingcn, Mohr, igii ; în-12,48 pages.
Die Entstehung des Neuen Testaments, von H. Holtzmann. Tùbingen, Mohr,
191 1; in-12, 44 pages. Zweite AuHage.
Trois petits volumes de la collection des Religionsgeschichtliche
Volksbiicher.
Le premier est excellent. M. Schmidt s'est inspiré des idées de
M. Gunkel sur les origines et l'évolution de la littérature hébraïque,
mais il domine parfaitement son sujet et il sait le traiter de la façon
la plus vivante. On peut en apprendre plus, dans cette brochure de
vulgarisation, sur l'historiographie hébraïque, ses débuts, son carac-
tère et ses transformations, que dans beaucoup de gros manuels
bibliques. On est un peu étonné cependant de voir citer Gen. xiv, la
victoire d'Abraham sur Codorlaomor, comine un morceau très ancien •
il y a dans ce récit des éléments qui remontent très haut, mais qui ont
chance de n'appartenir pas à la tradition Israélite, et le rapport avec
Abraham semble avoir été imaginé tardivement. En tout cas, ce récit
ne se présente pas du tout dans les mêmes conditions que l'histoire
de Gédéon et d'Abimelech, ou bien la mort de Saiil à Gelboé, avec
lesquelles M. S. a cru pouvoir le comparer.
Plus sèche, moins originale est la brochure de M. Lehmann-Haupt.
C'est, du reste, un bon exposé des faits. Est-ce à raison de l'affinité
qui existait entre la religion de Zoroastre et le mosaisme qu'Arta-
Nouvelle série LXXIII 24
462 RKVLE CRITIQUE.
xerxès I favorisa les réformes d'Esdras et de Néhémie? Tout le monde
le dit, mais personne n'en sait rien. Il paraît certain que le règne de
la Loi s'introduisit par l'autorité des rois de Perse : cela peut résulter
simplement du crédit dont jouissaient les chefs de la colonie juive de
Babylone, qui présentaient la Loi d'Esdras comme la forme légitime
et traditionnelle du culte juif. Du moins, M. L -H. aurait dû, semble-
t-il, n'affirmer pas sans quelque réserve que la doctrine de Zoroastre,
tout récemment élaborée, était devenue sous Darius religion de l'État.
Le regretté H. Holtzmann avait pu revoir avant sa mort cette
seconde édition des pages très suggestives qu'il a écrites sur les ori-
gines du Nouveau Testament. Il explique fort bien comment le chris-
tianisme primitif, déjà en possession de livres sacrés qu'il tenait du
judaïsme, se trouva pourvu d'écrits à lui propres qui acquirent peu à
peu la même considération que les Ecritures anciennes et formèrent
un recueil parallèle, aussi autorisé. A la tin, H. explique sommaire-
ment l'attitude du protestantisme à l'égard du canon traditionnel.
Alfred LoiSY.
Geschichte des Volkes Israël, von R. Kittel. I Band, zweite Auflage, Gotha,
Perthes, 1912; in-S", xii-bôj pages.
Œuvre de première importance, entièrement renouvelée dans cette
seconde édition, grâce aux découvertes archéologiques des dernières
années. L'analyse des sources bibliques n'a pu faire de grands pro-
grès, mais leur commentaire et l'histoire ancienne de la Palestine en
ont réalisé de considérables.
La première partie du volume, où il n'est pas question de la Bible
ni d'Israël, est un remarquable exposé de l'histoire de la Palestine, ou
plutôt de ce qu'on en sait, depuis l'âge de pierre jusqu'au xiii' siècle
avant Jésus-Christ. Selon M. Kittel, vers 25oo, la migration amorite
envahit la Palestine par le nord; mais d'autres Sémites longtemps
auparavant Savaient précédée, ce premier tiot sémitique ayant diî
être dans le même rapport avec l'ancien empire d'Accad, fondé par le
vieux Sargoii, que la migration amorite avec le premier empire baby-
lonien ; à la première couche de population sémitique se rattache-
raient les Cananéens. Les Habiri d'El-Amarna doivent être les
Hébreux, c'est-à-dire le groupe sémitique auquel se rattache Israël.
L'usage des sacrifices humains pour les fondations de villes ou de
maisons ne peut plus être contesté. Il est probable que les cada-
vres de nouveau-nés enfouis dans des jarres sur les lieux de culte
sont aussi des débris de sacrifices humains, l'offrande des premiers-
nés, que la Bible dit avoir existé dans l'antiquité cananéenne et qu'elle
accuse les Israélites d'avoir imités.
On ne peut pas se dissimuler que la tradition biblique s'adapte
assez mal au cadre que lui fournit maintenant l'histoire mieux con-
d'histoiri: et de littérature 463
nue de lOrient. L'on ne sait plus trop que faire des patriarches, et
Moise lui-même est d'un placement difficile. On avait mis naguère
quelque confiance en Codorlaomor, qui a un si beau nom élamite
(Kudur-L-agamar) : M. K. nous avertit que, si Codorlaomor a existé,
ce fut au XXI'' ou xx« siècle avant notre ère, et que, si Abraham a
existé, ce fut au xvi^ou au xV siècle. Mais c'est pour sauver Abraham
que M. K. le rapproche de Moïse; Melchiscdech lui serait un meil-
leur garant que Codorlaomor. Tout cela est bien conjectural. L'anec-
dote de Melchiscdech est fort tendancieuse, et le rapport de ce person-
nage avec Abraham est sujet à caution. En ce qui regarde l'exode,
Moïse et Josué, M. K. retient le plus qu'il peut de la tradition
biblique. Il déclare nettement que le séjour d'Israël en Egypte et
l'exode ne sont attestés que par cette tradition, mais il admet que
celle-ci était déjà toute formée au temps des Juges et qu'elle doit être
substantiellement exacte. Des tribus Israélites seraient venues s'éta-
blir en Egypte vers le temps d'Aménophis IV; Ramsès II serait le
pharaon de l'oppression, et Mernephtah celui de l'exode; si Merne-
phtah connaît alors un Israël en Palestine, c'est qu'une partie seule-
ment des tribus avait émigré; les Égyptiens qui poursuivaient Israël
furent noyés dans un flot de marée montante; Moïse conduisit sa
troupe à Cadès, et le Sinaï de l'alliance n'était pas loin de là; Moïse
fut le prophète d'une nouvelle religion qu'on peut qualifier d'héno-
théisme moral ; il promulgua le décalogue comme loi du pacte entre
lahvé et Israël; il a pu recueillir en Egypte quelque écho des idées
du pharaon réformateur Aménophis IV, et se trouver ainsi orienté
vers une plus haute idée de la divinité; du reste l'action d'un génie
religieux tel que Moïse n'est explicable que par une iinmittelbare
Beruhrung Gottes; le personnage de Josué est historique, et pareille-
ment le fond des récits relatifs aux débuts de la conquête de Canaan.
Construction faite avec des possibilités : on ne peut pas démontrer
péremptoirement qu'elle soit fausse; bien moins encore peut-on
prouver qu'elle soit vraie. M. K. concède le caractère légendaire de la
tradition biblique sous ses formes les plus anciennes; il en prend et
il en laisse; mais il l'altère gravement en la corrigeant, et d'abord en
supprimant le vague de la perspective, élément essentiel, puisqu'il
atteste le défaut de souvenirs précis. Parmi les conclusions ci-dessus
énoncées, il n'en est guère qui ne prête à objection sérieuse. Le par-
tage d'Israël en deux groupes, dont l'un demeure en Palestine pen-
dant que l'autre va en Egypte, est arbitraire et artificiel, eu égard
à la tradition biblique, et sans le moindre appui en dehors de la
Bible. Si Abraham, Moïse, les Juges se touchaient de si près, la tradi-
tion biblique devrait avoir plus de consistance et de continuité ; les
légendes patriarcales n'auraient pas l'air de doubler mythiquement
Moïse et la conquête de Canaan; Moïse lui-même devrait se ratta-
cher mieux à ce qui le précède et à ce qui le suit. Les Israélites ont
/J.64 RKVUE CRITIQUE
quelque temps séjourné aux environs de Cadès, et c'est là sans doute
que se sera formée l'association des tribus dans le culte de lahvé;
mais en quoi consistait alors le culte de lahvé? Moïse Taura-t-il fondé
sur des principes conçus par lui-même? La tradition ne fait aucune-
ment de lui un génie religieux; elle fait intervenir lalivé, qui prend
Moïse pour organe de sa révélation et de ses volontés. Moïse n'a pas
dû inventer ni le nom ni le dieu; mais nul ne peut dire ce qu'était
lahvé avant d'être adopté et quand il lui adopté par Moïse et par
Israél. L'attribution du décalogue à Moïse est bien incertaine, cl l'es-
prit du iahvisme ancien n'y répond guère. Ce que Moïse a dû insti-
tuer est une tradition de culte plutôt qu'un enseignement moral et un
système de préceptes. Par exemple, la coutume de ne pas représenter
lahvé peut remonter aux origines de son culte, sans qu'on ait besoin
de supposer un commandement formel ; le commandement sera venu
plus tard, en aide à la coutume violée. Quant à l'influence d'Améno-
phis IV sur la pensée Israélite, il faut bien avouer qu'elle n'a pas
laissé la moindre trace dans la tradition biblique, l'ancien lahvé ne
ressemblant pas du tout à un soleil panthée. lahvé paraît ne rien
devoir à la spéculation théologique; c'est un dieu sauvage, peu
sociable, actif, fort, Jaloux, juste à sa manière. Que la foi en un tel
dieu n'ait pu être que le produit d'une révélation, rien n'est moins
évident. Et qu'il ait fallu un génie religieux pour la concevoir, cela
non plus ne crève pas les yeux. L'existence d'une forte personnalité
pour créer le lien des tribus dans le culte de lahvé n'a rien que de
vraisemblable; mais un grand penseur n'était pas nécessaire pour
cela ; un homme de toi ardente, ayant le tempérament de son dieu, y
suffisait.
Alfred Loisy,
Die Religion in Geschichte und Gegeavvrart. Dritter Band ; von Hesshus bis
Lytton. Tûbingcn, Mohr, 1912; in-4, xu-2448 pages.
Les précédents volumes de celte encyclopédie religieuse ont été
signalés dans cette Revue. Nos lecteurs en connaissent la valeur et
l'esprit. De telles publications défient l'analyse. Disons que les articles
continuent d'être rédigés avec le même soin. Signalons les remar-
quables articles bibliques de M. H. Gunkel : Hiobbuch (pour des
raisons d'ordre surtout littéraire, M. G. fait remonter ce livre au
temps de Jérémie, sauf les discours d'Elihu et d'autres additions
moins considérables), falive (étymologie incertaine, la réplique d'Ex,
m, 14 : « Je suis qui je suis », n'étant qu'un jeu d'esprit populaire),
-Jacob und Esau, Immanuel, eic; de M. Gressmann, Hohcslied (le
Cantique n'est pas un recueil de chansons nuptiales, mais de chan-
sons d'amour et d'un amour peu idéaliste; ces chansons sont écrites
dans la langue du iir siècle avant notre ère, mais certains morceaux
peuvent être très anciens); de M. W. Boussex, Johannesevangelium
d'histoire et de littérature 465
(aucune valeur historique; tout se résume dans la formule : « Le Verbe
s'est fait chair » ; la question de composition est secondaire, le même
esprit dominant tout le travail rédactionnel); de MM. Heitmuller
et Baumganen, Jésus Christiis, qui acte aussi publié à part. Articles
importants sur divers sujets : Katholi^ismus et Kirchengeschich-
tsschreibung (Kôhler); Kirchenbaii (en Allemagne; Rauch), Kirchen-
reclii (^Meydenbauer), eic, etc. Nombreuses notices biographiques de
contemporains. Il v a tant de demeures dans le purgatoire du « moder-
nisme » que ce serait justice de n'y point jeter pêle-mêle des hommes
tels que M. L. Laberthonnière, qui n'est pas du tout hérétique, avec
des gens qui ont fait bon marché de l'orthodoxie. Moi aussi je suis
qualirié « moderniste français «, et je n'en suis pas plus fier. On eût
bien mieux fait de dire que je suis rédacteur à la Revue critique
depuis vingt-trois ans.
Alfred Loisv.
Die Bezeichnungen fur Christen und Gnostiker im Talmud und Midrash,
von A. Marmorstein. Chez l'auteur, Skotschau (Silésie , 19 10 ; in-S", 83 pages.
Recueil et discussion de textes rabbiniques qui se rapportent ou
peuvent se rapporter aux chrétiens et aux gnostiques. Les textes ne
sont ni très nombreux ni très significatifs; on peut même se
demander quelquefois si le rapport indiqué par M. Marmorstein est
bien réel. La contribution apportée à l'histoire des polémiques
anciennes entre juifs et chrétiens n'en est pas moins appréciable. Il
est assez curieux de voir, par exemple, comment les docteurs juifs
répondaient à la prétention qu'affirmaient les chrétiens d'être le véri-
table Israël. Dieu a fait écrire la Loi, qu'on a traduite en grec et que
les païens peuvent lire, mais la tradition non écrite est restée depuis
Moïse en ia possession des seuls Juifs, qui par conséquent sont le
vrai Israël.
A. L.
Thomassin, par J. Martin, Paris, Bloud, 191 1 ; in-12, 127 pages.
L'oratorien Thomassin (ibig-ibgS) a été dans une certaine mesure
historien des dogmes chrétiens; du moins a-i-il touché, rassemblé,
analysé les documents de leur histoire. Il mérite bien la petite étude
que M. Martin lui a consacrée : notice sobre, érudite, avec résumé de
ses principaux ouvrages et de ses doctrines. Il va sans dire que
M. M., qui a Vimprimatur ecclésiastique, se contente d'exposer som-
mairement les conclusions de son auteur et n'entre pas dans la dis-
cussion des problèmes délicats que soulève l'histoire des dogmes.
A. L.
Ce qu'on a fait de l'Eglise, Paris, Alcan, 191 2 ; in- 16, xxin-554 pages.
Livre anonyme, écrit par un groupe de prêtres et de laïcs qui
466 REVUE CRITIQUK
souffrent profondcmcni de la situaiion que rKglisc caiholique s'est
laite à elle-niCMiie cl qui leur paraît dangereuse surtout pour elle.
Leur langage est très digne, mais si triste, si triste, qu'on les croirait
par avance désabusés sur le résultat que peut avoir leur criort de sin-
cérité. Ce n'est pas, en effet, quand l'épiscopat français n'est plus
qu'un grain de poussière sous le pied du pape, quand la moindre
velléité d'indépendance intellectuelle devient une hérésie, quand, par-
tout, dans l'ordre politique aussi bien que dans l'ordre religieux, les
catholiques n'ont plus à pratiquer qu'une seule vertu, l'obéissance,
que l'on peut parler utilement de réforme et de liberté. Aussi bien
nos auteurs ne font-ils guère que déplorer les maux grandissants.
Modernes Jérémies, assis parmi les ruines de leurs espérances et de
leur idéal, ils nous redisent, un peu longuement peut-être, des choses
déjà connues. Ils sont très documentés. Ils le sont presque trop; car
l'exposé qu'ils font des questions est un peu touffu pour l'objet qu'ils
ont en vue. Ils trouvent néanmoins beaucoup de lecteurs, puisque
l'ouvrage en est à sa cinquième édition. Il aurait eu encore plus de
succès si sa forme était moins pesante. La logique du plan n'est pas
très apparente : on l'aura conçu tel qu'il fallait pour dire tout ce
qu'on avait sur le cœur, .^près une « humble supplique à S. S. Pie X »,
que S. S. sans doute ne lira pas, et qui ne lui plairait guère, on nous
parle de la conquête romaine (développement du pouvoir pontifical),
de la vie intellectuelle et de la vie morale, des instrumenta regni
(congrégations romaines, ordres religieux, presse cléricalei, du moder-
nisme et de la séparation. Tout ce qu'on nous dit là est vrai histori-
quement (pas toujours cependant : par exemple, quoi qu'en disent
nos auteurs, la conduite de Pie VI dans l'affaire de la constitution
civile du clergé fut à peu près la même que celle de Pie X dans l'af-
faire de la séparation; il n'y avait pas lieu d'opposer un pape à l'autre;
tous les deux avaient droit au même jugement, la politique ayant joué
le même rôle dans leurs décisions, et l'avis de l'épiscopat, inspiré par
l'intérêt de la religion, ayant été pareillement négligé); c'est sagement
pensé; les bonnes intentions sautent aux yeux du lecteur, qui com-
patit au martyre qu'on lui laisse entrevoir. Mais il y a au moins une
vérité qui semble avoir échappé à ces derniers militants d'un catholi-
cisme libéral : c'est que l'essentiel de ce qu'ils déplorent se justifie par
les principes d'une théologie qu'ils n'ont pas cessé d'admettre.
Alfred Loisv.
W. Deonna, L'archéologie, sa valeur, ses méthodes. Tome III : Les Rythmes
artistiques. Paris, Rcnouard, H. Laiircns. éd. !9i2).
M. Deonna s'est proposé, dans ce livre, de démontrer que « l'évo-
lution artistique se déroule partout suivant un rythme semblable »,
que « ces éternels recommencements de l'art sont nécessités par la
d'histoire et de LITTERATURE 467
forme même de l'esprit humain et par les circonstances sociales dans
lesquelles il vit » (p. 25j. Sans doute, reconnaît M. D., cette opinion
n'est point nouvelle, mais comme, jusqu'ici, on ne l'a émise d'ordi-
naire qu'en passant, soit pour élargir, en manière de conclusion, l'ho-
rizon d'une étude particulière, soit pour donner plus de piquant à une
critique, il est bon de l'ériger enfin en vérité indiscutable, en l'ap-
puyant, comme le veut M. Poitier, sur « des analyses de détails, bien
conduites et consciencieusement faites ».
M. D. bornera son enquête à la civilisation européenne. Dans cha-
cune des « quatre périodes » de celte civilisation (quaternaire paléo^
lithique, égéenne, grecque et romaine, chrétienne), l'art poursuit
« une évolution complète avec progrès, grandeur et décadence »
(p. 45); et dans chaque période et progrès, celte grandeur, celte déca-
dence se reproduisent avec des caractères analogues. Si on laisse de
coté l'âge quaternaire, où cciie marche se laisse moins prouver que
prévoir, on peut établir les correspondances suivantes :
néolithique =■ géométrique = début du moven âge.
vie s. av. J.-C. = xii^ s. après J.-C.
V*" s. = XIII'' s.
iv"" s. ;= xiv'' s.
apogée de l'art minoen = art hellénistique = xv^ s. = xviii'' s.
Entre l'art minoen et l'art hellénistique. MM. Riegl [Wien. Jahres-
hefte, IX, 1906, p. 19) et S. Reinach [Rev. Et. Gr., 1908, p. 18-20)
avaient déjà relevé des ressemblances que M. D complète et précise.
Si frappantes qu'en soient au premier abord les ditïérences, leurs
« tendances spirituelles sont semblables >■> (p. io5) : l'artiste crétois et
l'artiste « alexandrin » sont unis sinon par l'identité des procédés, du
moins par la communauté des goûis. Ce qui plaît à l'un et à l'autre,
c'est le réalisme de la vie journalière; animaux dans leurs attitudes
les plus « instantanées », — foules grouillantes, — scènes de genre (ou
qui nous semblent telles), — paysages, — corps virils aux muscula-
tures sèches et nerveuses, — corps féminins délicats et souples, d'une
grâce maniérée et quelque peu sensuelle. C'est à ce goût pour l'ob-
servation directe que l'art minoen doit d'avoir échappé à la loi de
« fronuiliic » qui pèse sur tous les arts à leurs débuts; et s'il y a
échappé, c'est qu'il n'est plus un art de primitifs. Mais on peut aller
plus loin et se demander si les ressemblances entre « Minoens » et
Hellénistiques sont dues au seul fait que les deux périodes en sont
« arrivées au môme degré de leur évolution respective » ou s'il ne
s'agit pas de « survivances à travers les siècles de qualités propres » à
l'art minoen (p. io5)? C'est à cette dernière opinion que M. D. se
range; car la plupart des traits qui caractérisent l'art hellénistique
remontent à l'art ionien, et l'art ionien, « la démonstration n'est plus
à faire », est « l'héritier direct de l'art égéen » (p. 120).
M. D. passe ensuite à la comparaison de l'art grec et de l'art chré-
468 REVUE CRITIQIK
tien. 11 va sans dire que ce sera la partie essentielle de son livre.
Qu'on examine ces deux ans au berceau, l'art grec jusqu'au v^ s., l'art
chrétien jusqu'au xiii" s. Leur analogie apparaît si forte, dans l'en-
semble et dans les détails, que l'on pourrait, pour les caractériser l'un
et l'autre, s'exprimer dans les mêmes termes : matière rebelle, outil
maladroit, asservissement instinctif et fatal à de nombreuses conven-
tions. Toute celte partie du livre de M. 1). est excellente. L'auteur
des « Apollons archaïques » analyse avec non moins de justesse et de
pénétration les « saints primitifs » ; et il établit jusque dans les moin-
dres détails leur parenté fraternelle.
« Au sortir de ces deux périodes initiales, l'artiste s'est forgé non
seulement une technique semblable, mais encore un idéal tout pareil
qui sort logiquement des essais antérieurs » ip. iq3). Au reste, « c'est
devenu un lieu commun que de rapprocher l'art gothique de celui du
x" s. grec ». L'une et l'autre époque se caractérisent de même : pro-
grès dans la correction et dans le goût, rejet des conventions archaï-
ques, rupture avec la rigidité frontale, et surtout tendance à un idéal
de gravité, de sérénité, de simplicité noble et austère. Tout en pui-
sant sa substance dans la réalité^ l'art ne s'abaisse pas jusqu'au réa-
lisme ; l'artiste s'élève au-dessus des contingences; il néglige le por-
trait, il est malhabile à rendre la laideur, la vieillesse, les formes
enfantines ou féminines. C'est l'homme seul, dans la plénitude de sa
force adulte, qui l'intéresse, au point que, inconsciemment, il virilise
tout être humain. 11 a recours au symbole, quand il pourrait s'inspi-
rer de l'actualité et de l'histoire. Par là, les êtres que sa pensée crée
pour illustrer et exaller la foi collective, participent de l'éternelle jeu-
nesse de cette foi. L'art grec du v^ s. et l'art chrétien du xiii% soumis
à la double tradition de la religion et de l'art, sont « rationalistes,
spéculatifs, idéologues » (p. 256).
M. D. poursuit sa minutieuse et attentive enquête sur les arts pos-
térieurs : le iv° s. grec et le xiv^ s. chrétien sont surtout caractéiisés
par la renaissance du réalisme, par la recherche de l'expression, par
l'humanisation des types divins; l'art hellénistique et celui des xv%
XYi"^ et xviii^s. par l'exagération de ces mêmes tendances.
Et voici les conclusions d'une étude qui embrasse quelque trente
siècles d'art.
« L'homme, a dit Renan, conquiert ses résultats par oscillations ».
C'est une loi qui, dans l'art, se vérifie sans conteste. Au sortir de ses
premiers tâtonnements, l'art est idéaliste ; puis il devient réaliste;
puis idéaliste de nouveau; et ainsi de suite dans un perpétuel va-et-
vient, sans qu'on puisse dire à quel moment il est supérieur, sans
qu'il soit juste de considérer le réalisme comme une dégénérescence,
l'idéalisme comme un apogée.
Il ne reste plus à M. D. qu'à répondre à la question qu'il s'était
posée au début de V Archéologie, sa valeur^ ses méthodes : « Qu'est-ce
d'histoire et de littérature 469
que Tarchéologie ? Quel est son bui ? » [.'archéologie doit perdre son
caractère mesquin d'étude poiniillcusc ci inutile, fermée aux pro-
fanes; comme l'histoire dont elle est une des faces, elle doit avoir un
but actuel, une fonction sociale : nous « faire mieux comprendre le
présent », ce présent si plein de passé. Inversement, l'étude des phé-
nomènes artistiques modernes éclairera d'un jour singulier ceux du
passé, et du plus lointain passé. Cette liaison entre le passé et le pré-
sent, l'archéologie, dans son domaine, l'établit d'une façon péremp-
toire : l'art, comme la civilisation tout entière, se balance au gré d'un
Bux et d'un reflux, et évolue dans des cycles fermés. En archéologie,
comme en histoire, il faut abandonner la théorie du progrès, « aujour-
d'hui bien morte ». L'art « n'est pas produit au hasard des volontés
individuelles », mais il est « toujours assujetti à un déterminisme
constant, amenant les mêmes résultats, à des siècles d'intervalle, sui-
vant un rythme que nous avons pu fixer » (p. 535).
Tel est, en résumé, le contenu des Rythmes artistiques, si tant est
qu'on puisse, en quelques pages, en résumer 535 si pleines de subs-
tance, si nourries de faits et d'idées.
Il est dommage qu'un livre si intéressant (je dirai tout à l'heure
tout le bien qu'il en faut penser) donne parfois l'impression d'une hâte
fébrile, qui se trahit par des négligences d'expression, par des répéti-
tions inutiles (c'est ainsi que l'art hellénistique est étudié à trois
reprises, pour aboutir chaque fois aux mêmes conclusions). .le crois
que la thèse de M. D. n'aurait perdu de sa solidité apparente que pour
gagner en souplesse, si elle avait été plus mûrie et plus méditée par
endroits.
Certaines de ses opinions ne sont pas suffisamment motivées.
P. 21 : « Michel-Ange retrouve même inconsciemment l'ancien
canon du v s. » (Cf. aussi p. 265). Ceci, à coup sûr, n'est point vérifié
par des œuvres comme la Nuit, ou le Moïse, dont les têtes frappent par
leur petitesse plus que «lysippéenne ». — P. 507 : pour Michel-Ange,
« comme pour un Grec du v^ siècle, l'homme... calme comme un
dieu... ». Calmes, les œuvres de Michel-Ange ? Ces œuvres, tourmen-
tées de passion auxquelles l'artiste n'a parfois donné des attitudes
tranquilles, que pour faire éclater par contraste toute la flamme de
leur vie intérieure? Malgré le dédain de Michel-Ange pour les traits
individuels, malgré son culte exclusif de la beauté virile, n'est-il pas
en opposition d'esprit intime avec les sculpteurs grecs du V s. ? Et,
même pour ce qui est du résultat plastique, ne conviendrait-il pas
mieux d'évoquer, à son propos, l'art pergaménien, si cet art eût été
plus sincère et profond? — P. i33 : « Dans les reliefs et les pein-
tures, c'est aussi le règne de la figure campée de face, position qui
précède celle de la figure vue de profil et qui se voit dans l'archaïsme
grec, comme à toutes les époques d'incapacité technique ». Ce juge-
ment est trop absolu puisque dans des arts comme ceux de l'Egypte,
4-0 RF.Vl'K CRITIQUE
de l'Assyrie ou de la Chaldée, et dans l'art grec archaïque' même la
figure de profil règne presque uniquement dès l'origine. — P. 307 :
« Vers les xi'-xiii'^ s., l'art byzantin s'élève à la même hauteur idéale
que l'art grec du v"^ s. » Franchement, cette imagerie maladroite,
gauche, guindée mérite-t-elle l'honneur de voisiner en si noble com-
pagnie ? Et n'est-ce pas confondre la rigidité avec la noblesse, le
manque de vie avec la sérénité, le hiératisme avec la grandeur? Etc.,
etc.
Minuties que toutes ces critiques? — Mais c'est que l'ouvrage de
M. D. est empli de menues, très menues observations. Cette méthode,
en l'espèce, était nécessaire. Nous n'avons qu'à regretter qu'il ne l'ait
pas poussée plus loin encore, pour en tirer toutes les conséquences.
Car nous n'aurions ))as à lui reprocher d'avoir parfois donné à sa
thèse une allure schématique et dogmatique, d'avoir poussé à l'ex-
trême certains balancements symétriques, généralisé témérairement,
dans certains cas, et sacrifié la variété des phénomènes artistiques à
la rigueur un peu artificielle de ses classifications.
Par exemple, dire que le xiii" s. est un siècle d'idéalisme, cela est
vrai d'une manière générale ; mais fallait-il négliger ce filet de réalisme
qui s'infiltre alors dans les plus nobles oeuvres ? Des statues comme le
saint Joseph et la sainte Anne de Reims, comme la Vierge de la Porte
dorée d'Amiens, comme saint Martin, saint .lérôme, saint Grégoire,
saintThéodore de Chartres, comme le vieillard chauve blotti sous une
archivolte de la cathédrale de Reims, etc.. sont plus ou moins des
oeuvres réalistes. Le même réalisme éclate aussi dans les scènes fami-
lières ou bibliques auxquelles prennent part des personnages en cos-
tumes contemporains, dans le décor végétal et floral, vraie « nature-
morte » de pierre, dans certaines figures de gargouilles, grimaçantes et
caricaturales comme des statuettes hellénistiques. — Inversement, on
constate qu'à l'aube du xvi« s. qui est, d'après M. D., letriomphedu réa-
lisme, les tendances idéalistes ne sont pas mortes : à preuve les effigies
tombales des Poncher, de Roberte Legendre qui sont si peu des por-
traits(voirau contraire ce que dit M.D. de la statuaire funéraire, p. 370
et suiv.). Et M. D. (p. 5o6) n'y a pas suffisamment insisté. — Dans l'art
des xv^-xv^ s., dit M. D. « le réalisme triomphe » (p. 324). Mais,
pour grouper sous cette formule la plupart des artistes du Quattro-
cento et de la Renaissance italienne et française, il faut élargir le sens
du mot réalisme, au point qu'il se confonde en partie avec idéalisme.
— Le partage de l'histoire de l'art en tranches séculaires a cet incon-
vénient que telle période comme la civilisation byzantine (dont M. D.
ne parle qu'incidemment) n'entre pas dans ces cadres trop étroits, ou
que certaines définitions d'une époque s'appliquent non moins à
d'autres (en un sens, les arts du vi* s. grec et du xii^ s. chrétien sont
non moins <f rationalistes, spéculatifs et idéologues » que ceux du
v= et du xni=).
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 47 I
La thèse de M. D. eût été irréprochable, à mon avis, s'il eût noté
autre chose que ce balancement monotone et automatique du réa-
lisme et de l'idéalisme. Ce sont en réalité deux courants éternels du
flot artistique, qui coulent bord à bord, se mêlent parfois, s'étendent
alternativement aux dépens l'un de l'autre, sans que l'un d'eux dis-
paraisse entièrement. « La vie se moque de la logique », a dit M. D.
lui-même (Revue Ethn. et Soc. 191 i, p. 41)- J'ai peur qu'ici la
logique de M. D. n'ait pas tenu suffisamment compte de la vie.
11 aurait été bon aussi de chercher à savoir si certaines ressem-
blances ne sont pas dues à des survivances ou à des imitations.
Sans doute M . D. a fait cette enquête pour l'art hellénistique, qu'il
rattache aux vieilles traditions « minoennes » par l'intermédiaire de
rionisme ; mieux encore, il a consacré à cette question tout un cha-
pitre du tome II [Les lois de l'Art). Mais par les corrections qu'elle
peut apporter à la théorie des « recommencements », la théorie des
« survivances » et des « imitations » était non moins à sa place dans
le tome 111.
Le même esprit systématique, je le retrouve enfin dans cette opi-
nion que l'art « n'est pas produit au hasard des volontés indivi-
duelles ». Cela revient à dire que l'artiste ji'est qu'une quantité négli-
geable, que le milieu social et le courant artistique sont tout. Sans
doute, nul ne conteste que l'artiste ne soit pour une part, — mettons,
si l'on veut, pour une part très grande, — modelé par des forces tra-
ditionnelles ou collectives. Mais il reste son. caractère et son génie, et
dans l'ceuvre qu'il produit, il y a bien la marque de quelque
« hasard », du hasard qui lui a donné ce caractère et ce génie. Les
grands artistes sont plus que de simples noms, plus que de simples
spécimens d'une époque, plus que de simples jalons d'une évolution.
Je voudrais qu'on ne se méprît pas sur la portée des critiques qui
précèdent, et qu'on ne mesurât pas leur importance à l'étendue que je
leur ai donnée. Replacées en marge de ce gros livre, elles se
réduisent en somme à peu de chose et je n'ai désiré rien dire de plus
que ceci : un complément correctif — quelque chose comme des
Exceptions à la règle des oscillations, serait le bienvenu. A cette
réserve près, il ne faut pas ménager les éloges à M. D., d'abord pour
le plaisir qu'on a éprouvé à lire bien des pages excellentes où, 'dans un
style alerte et clair, se manifeste une intelligence très vive et très
lucide, ensuite et surtout pour le profit que chacun peut en tirer.
Trop souvent les archéologues, même quand ils passent d'études
particulières à une généralisation doctrinale, pèchent par myopie et
par timidité. Trop souvent le public qui s'intéresse à leurs études
emporte de la lecture d'une Histoire de l'art l'impression que l'art,
éternellement changeant, ne repasse jamais par les mêmes routes.
M. D. a opéré la réaction. A coups répétés d'observations, d'analyses,
de comparaisons, presque toujours exactes, souvent neuves, en pui-
472 RKVDE CRITIQl E
sani dans sa vaste et sûre érudition les exemples les plus variés, il
impose à notre esprit cette idée qu'il est dangereux de s'attacher aux
fluctuations et aux différences et que la tâche de l'archéologue doit
être au contraire de ramener à l'unité la complexité des phénomènes
artistiques. Un tel livre était nécessaire; et il faut féliciter M. D. de
l'avoir écrit.
F. CoiîRBV.
E. N. SETâLâ : Kullervo-Hamlet. Ein sagenvergleichender Versuch. Hclsingfors
et Leipzig. Separatabdruck aus dcn « Fiunisch-Ugrischen Forschungen », III,
VII, X. ini I. VI- 197 pp.
Les origines de la légende d'Hamlet. Quelles qu'elles puissent être,
M. Setiila établit qu'elle offre une singulière ressemblance avec la
légende de KuUervo dans le Kalevala. Dans les deux c'est le même
motif du fratricide vengé par le fils de la victime, lequel, ne songeant
qu'aux moyens d'arriver à son but, semblait, dans la vie ordinaire, par-
faitement dépourvu de tout esprit, et que son oncle, cependant, avait
cherché à faire disparaître, afin de s'assurer l'impunité de son crime :
tentatives que le prétendu idiot a toujours su rendre vaines. Com-
ment s'expliquer cette ressemblance? On sait que Shakespeare s'est
inspiré pour sa tragédie d'un drame composé par l'un de ses prédé-
cesseurs d'après un récit des « Histoires tragiques « de Belleforest
[ibjo), lequel aurait été lui-même tiré de la « Geste des Danois » de
Saxo Grammaticus. D'où le chroniqueur danois, lui, tenait-il ce récit,
qu'il amplifie d'ailleurs d'éléments nouveaux? D'une source danoise,
sans doute, inconnue et, vaisemblablement, d'un conte islandais de
Brjdm l'idiot, qui a donné naissance, plus tard, à la saga d'Amlodha
ou Ambalessaga. Or, Detter a, d'autre part, essayé de démontrer que
ce nom d'Amlodhi n'est qu'une traduction du latin Brutus. Effective-
ment, il y a entre la légende d'Hamlet et l'histoire de Brutus de trou-
blantes coïncidences. Saxo a dû connaître celle-ci. Que lui a-t-il
emprunté? Mais le motif d'Hamlet se retrouve aussi dans l'Iran, et
les Celles, d'après Fr. York Powell, ne l'auraient pas davantage
ignoré. Le « Lai d'Aveloc le Danois », selon Gollancz, nous en four-
nirait une preuve suffisante. Les Finnois, de leur côté, ont fait de cet
Hamlet un des héros de leur Kalevala. En effet, les aventures de
KuUervo sont très sensiblement les mêmes. Les mêines aussi celles
du Kalevipveg des Esthoniens. En outre, M. Setalâ démontre que les
noms mêmes des personnages correspondent. Ne s'ensuit-il pas que
ces chants épiques des Esthoniens ont dû venir de la Finlende pro-
prement dite, où le thème en aurait été importé par les Scandinaves?
Cela semble fort vraisemblable. M. Seiiila a donné là un curieux cha-
pitre de la vie d'une des plus célèbres légendes qu'il y ait. Mais la
naissance même de cette légende demeure dans la nuit.
Léon Pineau.
d'histoire et de littérature 47?
Skrifter utgivna av svensha Litteratursallskapet i Finland, Hclsingfors.
La Société suédoise des Belles-Lettres de Finlande a publié en ces
dernières années plusieurs ouvrages particulièrement susceptibles
d'intéresser des lecteurs étrangers. Par exemple, la très complète bio-
graphie par M. G. Schybergson de Henrik Gabriel Porthan (I, xni-
281 pp., 1908, II, 575, pp. 191 1), à l'occasion du centième anniver-
saire, le 16 mars 1906, de la mort de ce professeur à l'existence aussi
calme qu'occupée et qui tint une place prépondérante dans la vie
intellectuelle de son pays pendant le dernier tiers du xviii= siècle. Ses
travaux sur l'ethnologie, l'archéologie, la mythologie, le folk-lore, la
langue demeurent l'une des principales sources à consulter pour qui
veut étudier les origines et la mentalité du peuple finlandais. Cette
biographie, très riche, très documentée, précieuse surtout pour les
résumés qu'elle donne d'ouvrages difficiles à se procurer, se trouve
heureusement complétée par un recueil de Lettres de Porthan [Brev
fran H. G. Porthan till samtida) dont je n'ai eu que le 1" vol. entre
les mains [Del 2 : Supplementband, 19 12, viii-iSg pp.) — Et, à ce
propos, pourquoi toutes les publications de la Société ne sont-elles
donc pas dans le même format? — En deux volumes aussi et aussi
pour un centenaire Jenny af Forselles a donné le recueil des œuvres
suédoises d'Elias Lônnrot {Elias Lonnrots svensha Skrifter^ I,
355 pp., II, xxx-58o pp., 1908-1911) comprenant ses remarquables
études sur le folk-lore finnois : médecine magique, ballades-rimes,
proverbes, devinettes et sur l'origine et la composition du Kalevala,
cette antique épopée née en plein xix^ siècle. Le deuxième volume
contient surtout des lettres, notes de Journal, descriptions de voyages :
autant d'inappréciables documents pour l'histoire de la Finlande pen-
dant la première moitié du siècle dernier. Des index des noms
propres en facilitent le maniement. N'empêche qu'un index général
analytique alphabétique y serait encore le bienvenu. Dans le genre
du catalogue que Alex. Boldt a établi des travaux de la Société elle-
même [Generalregister till svenska Litteratursàllskapets i Finland
Forhandlingar i885-igog. Helsingfors, igii, 727 pp). Catalogue
bien utile aussi et pratique celui de la littérature suédoise en Finlande
et des études écrites en langues étrangères par des auteurs finlandais
ou éditées en Finlande, {Katalog ojver den sv. Litteraturen i Finland
sami arbeten pa fràmmande Sprak, igoG-igo i . Helsingfors, igi2,
368 pp.) Catalogues d'après lesquels on peut juger de l'activité vrai-
ment étonnante de cette Société. Aussi est-on heureux de pouvoir
faire un peu plus ample connaissance avec l'Académie d'Abo, qui en
est le siège : ce dont nous donne l'occasion un volume de G. Heinri-
cius au moins pour les années de 1808 à 1828 {Skildringar fran Abo
Akademi 1808-1828. Helsingfors, 191 i, xii-2i3 pp.) Je signalerai
enfin dans le dernier volume paru \Studier i nordisk Filologi utgivna
genom Hugo Pipping, ///, Helsingfors, 191 i) un très intéressant tra-
474 RKVUE CRITIQUE
vail de L. Fr. Liifflor sur une chanson qui se trouve dans la Aus saga
bogsvcigis et qu'il appelle, à juste litre, une des plus belles perles de la
vieille poésie lyrique islandaise, ainsi qu'un nouvel essai d'interpré-
tation de la mystérieuse inscription runique de Rok par Hugo Pip-
ping, cette inscripti'on si importante pour l'histoire des caractères
runiques, dont Rolf Nordenstreng se demande ce qu'elle peut bien
signifier.
Léon Pineau.
La Belgique sous la domination française {[-q2-\Hib). Dumouriez dans les ci-
devant Pays-Bas autrichiens par le major Eugène Cruyplants, ouvrage
écrit en collaboration a\cc M. Winiiiid Akrts d'après les Mémoires du général
Dumouriez, les études de M. Arthur C^huquct, de Tlnslitut, les documents
inédits tirés des archives du ministère de la guerre de la République fran-
çaise, etc.. etc. Bruxelles, .\lbert de Bocck, 191 2. Deux vol. in-8", 872 p., i3 fr.
(avec cartes et portraits).
Nous avons quelques embarras à parler de cette vaste publication.
Notre nom y revient si souvent, dès la couverture, et il est si fré-
quemment cité, non sans éloge, que c'est presque faire une réclame
pour nous même que de l'annoncer ici. Notre devoir est pourtant d'en
dire impartialement tout le mai — peu de mal — et tout le bien, beau-
coup de bien — que nous en pensons. Les deux auteurs (l'ouvrage a
été composé, comme l'indique le titre, par le major Cruyplants, mort
depuis, en collaboration avec M. Winand Aerts), les deux auteurs
ont consacré le premier volume à l'année 1792 et le second à l'année
1793. Le sujet est ainsi nettement divisé. Mais l'ouvrage, par ce qu'il
a d'un peu décousu et flottant, a plutôt l'air d'un recueil de documents
que d'un livre d'histoire. Le récit, qui foisonne de citations, indiquées
ou non (presque tout notre travail y a passé), n'est souvent qu'une
marquetterie, et il faudrait des guillemets dans toutes les pages et des
références au bas de chacune. Il v a quelques répétitions, et il n'est
pas rare qu'on trouve deux fois la même citation (p. 102 et 2o5, 208
et 210. Il y a des digressions et des épisodes étrangers au sujet. A
quoi bon raconter le 10 août et le siège de Lille? A quoi bon insister
tellement sur le club des jacobins? A quoi bon reproduire l'inexacte
tirade que Kugo prête à Danton dans son ijqJ} '. Il y a entîn des
I. Ce tableau tracé par Hugo est curieux, saisissant; mais il fourmille' d'erreurs :
Servan entrebaille la porte de la France au rui d'Espagne. Servan ne fut pas
traître. Wurmser presse Kléber. Non, puisque Wurmser est sur la frontière
d'Alsace et que, comme dit Hugo plus loin, Kléber est à Mavence. Chancel défend
Valenciennes et Ferrand défend Condé. C'est le contraire : Chancel défend
Condé, et Ferrand, Valenciennes. Meunier défend Mayence. Meusnier (et non
Meunier) défendait Mayence en second, sous les ordres de D'Oyré. DHarville trahit
à Aix-la-Chapelle, Moreton trahit a Bruxelles. Ni d'Harville ni Moreton n'ont
trahi, et d'Harville était à Namur, non à Aix-la-Chapelle. Valence trahit à Bréda.
Oncques Valence ne fui à Bréda. Neinlly trahit à Limboiirg. Neuilly n'a pas
trahi à Limbourg. Meusnier est mort, voilà Kléber seul. Kléber, comme Meusnier,
d'histoire et de littérature 475
contradictions, et, par exemple, en deux endroits, à propos du même
événement, les auteurs écrivent que Dumouriez dit faux (p. 255) et
qu'il dit vrai (p. 359). Mais ces deux volumes sont pleins de ren-
seignements précieux. MM. Cruyplanis et Aeris ont consacré de
bonnes et utiles pages à l'armée autrichienne et à ses généraux, aux
régiments nationaux des Pays-Bas, à l'armée brabançonne de i 790 et
à ses chefs, aux forces militaires dont disposaient les Liégeois et à
leurs otliciers (il y a là, sur le personnel, nombre de détails tirés de
nos archives). Ils ont essayé de reconstituer l'histoire des corps belges
et liégeois qui combattaient sous nos drapeaux et, comme ils
s'expriment, fait quelques amplifications, — nous ajouterons même
de très notables et considérables amplifications — à notre aperçu. Ils
ont retracé « l'odyssée des soldats belges de l'an II » et on trouvera
p. 734-7Q4 une liste avec exposé de services, qui montre quel large
appoint les Belges ont apporté aux armées françaises. Ils donnent
une notice biographique de la plupart des généraux français qui
figurent dans leur récit et l'on remarquera ce qu'ils disent de la
« queue » de Dumouriez et des complices et amis du général traduits
au tribunal révolutionnaire. Du reste, ils traitent Dumouriez avec
une juste indulgence et les pages qui terminent leur ouvrage et qui
plairont aux lecteurs français, prouvent que beaucoup de Belges et
de Hollandais luttaient avec nous à Waterloo '.
A. Chuquet.
Docteur A. Lapierre. Campagne des émigrés dans l'Argonne en 1792.
Sedan, Geniii, 191 1. In-S», 141 p.
L'histoire des corps d'émigrés en 1 792 a été racontée dans ses grandes
est sous les ordres de D'Oyré (et, en outre, d'Aubert-Dubayet). Brunswick arbore
le drapeau allemand sur toutes les places qu'il prend. En 1793, il ne prit aucune
place, etc.
I. P. 2, lire 1866 et non jSôy — p. 24 les auteurs ne citent qu'un appel à la
désertion; on en connaît au moins deux autres — p. 214 lire La Rozière et non
La Ri:^ièi-e et rectifier la date de la nomination de colonel (24 mars 1772) — p. 237
Arthur Dillon était cousin, et non frère de Théobald — p. 260 Lanoue ne vint
pas de Flandre dans l'Argonne — p. 262 le prince de Ligne, colonel, n'était pas le
« général » de l'ennemi — p. 263 ce n'est pas Hohenhohe, c'est Massenbach, son
chef d'état-major, qui se présenta au.x avants-postes — p. 264 Mirarida n'était
pas Péruvien — id., lire Yvron et non Hyron — p. 266 les colonnes ne « s'élan-
cèrent » pas sur les Prussiens — p. 288 cette affaire des bataillons se nomme
art'aire de Reihel, et non affaire de Sedan — p. 33 i Valenciennes ne fut pas investi
par i5o,ooo coalisés — p. 36i dans la trop longue notice sur Bertèche il fallait
citer notre Ecole de Mars- et notre travail sur Bertèche (Etudes d'histoire, II) —
p. 379 le conventionnel Duquesnoy n'était pas à Lille lorsque Macdoaald livra
De Vaux — P- 4'9 Malus avait été remplacé par Ronsin, mais non par Pick,
Mosselman, Cerfberr, Salambier qui n'appartenaient pas à l'administration de la
guerre — p. 453 Hesse se prénommait Constantin et non Constant — p. 666 Quan-
tin n'a pas péri sur l'échafaud; il devint général — p. 801 Dumouriez est mort à
Turville Park et non à Turkville Park en 1823, et non en 1824.
476 REVLE CRITIQUE
lignes. M. Lapicrre vient de la narrer dans le détail, et, grâce à de
vastes lectures et à des recherches patientes dans les archives publiques
de Paris cl de Champagne, il a réuni, qu peu s'en faut, tous les docu-
ments qui concernent cet épisode. Son récit est d'ailleurs aussi atta-
chant que complet. Les sources ne sont pas toujours exactement indi-
quées i^notamment au chapitre vu, p. 61-67) et on s'étonne de trouver
si peu sur les mesures prises par Breteuil en pays conquis : Breteuil
n'a pas seulement rétabli les corps administratifs, emprisonné les
patriotes, supplié le roi de châtier V^arennes et tenté de négocier avec
Dumouriez; il a fait réinstaller à Verdun l'évèque, les chanoines et
les curés réfraciaires, chasser à Verdun et à Longwy les prêtres dits
intrus, et défendre, par l'organe de Lucchesini, le 14 septembre, à la
population de tenir des clubs et de se permettre des, propos séditieux.
Il y a aussi, çâ et là, dans le livre de M. Lapierrc, quelques exagéra-
tions de patriotisme local. Il nomme l'affaire de la Croix-aux-Bois
une bataille. 11 dit — à la date du i3 septembre — que « les femmes
se jetaient avec leurs faucilles sur les envahisseurs », que « la grande
forêt retentissait des hymnes de guerre et cachait un paysan armé der-
rière chaque chêne » (p. 42) et plus loin, d'après Carlyle, il écrit
encore que c dans la grande forêt où gémissait l'éternelle averse, les
chants de guerre retentissaient ' ». Mais le récit se tient; il a été com-
posé avec soin et avec amour; il renferme une foule de petites parti-
cularités inédites, de menus faits intéressants, et M. Lapierre, dont il
faut louer la studieuse ardeur et le profond savoir, a ainsi, comme il
s'exprime, greffé son rameau sur le vieux tronc de l'histoire, réuni
aussi impartialement que possible en un faisceau tous les éléments de
la question ''.
A. Chuquet.
1 . Quelques audaces de style et phrases de roman : « Verdun se livrait à
Tétranger comme une fille » (p. 3o);((reau hypocrite des marécages » (p. 33); « sa
voix résonne comme une ardente claironnée » (p. 37); « La nouvelle entre en eux
comme une lame de poignard... Tout sombrait sous le vent furieux du destin.
Cette atroce pensée noyait leur raison... Leur marche avait été une splendide ran-
donnée » (p. go).
2. Lire p. 22, 23, 76, 98, Deprez et non Despre^, p. 26 (et bj) Wallis et non
Willis, p. 53 Légat et non Lecat, p. 65-66 Kœhler et non Keelher, et Massenbach
au lieu de Massembach, p. 86, 89 et 93 Manstein et non Mansteti. — P. 10 lire
l'empereur d'Allemagne et non l'empereur d'Autriche — p. 14 lire le 20 avril et
non le 10. — P. 3o Marceau n'a pas « remis les clefs de la citadelle » au roi de
Prusse, — p. 35 Dumouriez prévoyait, mais ignorait la capitulation de Verdun
lorsqu'il alla occuper l'Argonne, — p. 36 Miranda n'était pas le 4 septembre au
Morthomme; il n'arriva que le i i au camp français, — p. 63 ce n'est pas Goethe
qui a dit, et Goethe n'aurait jamais dit, qu'au lendemain de l'orage, les Prussiens
étaient » sales comme des truies sortant de leur bauge »; ce mot est de Laukhard,
— p. 86 il n'y eut pas d'entrevues entre Dumouriez et le roi de Prusse, et Frédéric
Guillaume reçut du général, non pas du Champagne et des fruits, mais du pain
blanc, du café et du sucre, — P- 91 est-il exact de dire que Dumouriez, dans la
dernière semaine de septembre, « erre d'un poste à l'autre, combine de faux mou-
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 477
Capitaine G. Hui-or. La manœuvre de Laon. i^aiis, Chapelet, iyi2. In-S»,
207 p. (avec cartes).
M. Hulot a voulu étudier ce que pensa Napoléon pendant dix-huit
jours de 1814, du 23 février au 12 mars, ce qu'il sut de ses adversaires
et les décisions qu'il prit. On voit donc Napoléon se jeter sur les
derrières de Bliiclier et jusqu'au 4 mars, c'est la logique qui dicte ses
mouvements; la v< manœuvre » repose sur une hase certaine. Mais
ensuite, à dater du 4 mars, l'Empereur méprise ses ennemis; il croit
qu'ils le laisseront passer l'Aisne en deux points distants d'une journée
de marche et qu'ils ne l'empêcheront pas de concentrer ses colonnes à
Laon. Il méconnaît la situation réelle; son jugement est faussé, dit
l'auteur qui prononce même à ce sujet les mots de « présomption » et
d' « entêtement » — il voit les choses telles qu'il les désire et il croit
en déroute un adversaire deux fois plus fort que lui et qu'aucune
défaite n'a encore entamé. Par suite, il échoue. Toutefois, le second
jour de la bataille de Laon, malgré la déroute d'Athies, il tient en
échec les alliés victorieux par son attitude menaçante et par ses atta-
ques répétées; c'est Condé à Nôrdlingen. Ce simple exposé montre
ce que vaut ce travail, et nous pouvons dire que l'étude de M. Hulot
sur ce fragment de campagne dont il discute toutes les phases jour par
jour et heure par heure, est très bien faite et fort instructive '.
A. Chuquet.
Damas (Le comte Roger de), Mémoires (1787-1808) publiés et annotés parJacq.
Rambaud. Introd. par Léonce Pingaud. Paris, Pion, 1912. In-S" de xxvin-487 p.
Une jeunesse brillante, éblouissante, étourdie, qui mûrit tout d'un
vements pour tromper ses troupes même » ? ^ P. 93 « Aux conditions du mani-
feste (du 28 septembre) Dumouriez répondit par d'autres exigences : la reconnais-
sance de la République, l'abolition de la royauté et la suppression de la noblesse».
Il n'y a rien de tout cela dans la réponse de Dumouriez ; il dit simplement que
la trêve est rompue, qu'on ne traite pas ainsi un peuple souverain et que son armée
accueillera le manifeste avec indignation. — P. gb « aucune retraite historique ne
fut plus pitoyable » Et 1812 ? — Id. On nous dit que l'aller a été « une splendide
randonnée» et, p. 97, nous lisons que « recommencèrent les longues chevauchées,
monotones et fatigantes ». — Id. « D'autres gagnèrent Verdun » : phrase obscure;
tous devaient gagner Verdun pour échapper; il fallait dire : « d'autres, prenant
les devants, gagnèrent Verdun ». — P. gG, le mot du roi de Prusse à Monsieur
n'est pas authentique pas plus que celui de Clerfayt p. g?. — P. io3, peut-on dire
qu'après le mouvement de retraite des alliés, la situation de Dumouriez était « in-
certaine »? — P. 104 « Carra, commissaire à Sainte-Menehould, fait paraître... »;
il fallait dire : « Carra, commissaire de la Convention, fait paraître à Sainte-
Menehould... » — P. 121 « Les oiseaux de proie les plus redoutables étaient les
vivandières et les filles de joie ». Celte phrase qui, hélas ! est de moi, bien qu'elle
ne soit pas entre guillemets, détone k cet endroit ; elle s'applique aux femmes qui
accompagnaient l'armée prussienne et qui pillèrent nos paysans ; mais on ne pou-
vait la citer à propos des émigrés. — Que l'auteur nous pardonne ces chicanes qui
prouvent avec quelle attention et quel intérêt nous l'avons lu.
I. P. loS Bussy était capitaine et non lieutenant; cf. nos Etudes d'Iiistoire, III,
p. 193.
478 RFUE CRITIQUE
coup, puis se replie sur clle-môme, pi)ur ne pas dire s'étiole : telle est
la vie de R. de Damas, dont les présents Mémoires^ intelligemment
résumés par M. L. Pingaud, savamment annotés par M. J. Rambaud,
contiennent la partie la plus intéressante.
Kn 1787, à 22 ans, la conversation en France devenant trop grave
pour lui, il va otîrir ses services à Catherine 11 contre les Turcs,
enlève un vaisseau amiral, montre un coup d'œil égal à sa valeur et à
son endurance, revient un instant chez nous en 1789, sert un peu
partout dans les rangs des émigrés, se réservant toujours des saisons
de repos, de plaisirs, comblé de titres, de décorations, de pensions,
tendrement attache à ses parents, mais peu empressé de venir partager
leurs périls ou combattre la Révolution là où il croyait qu'on l'au-
rait le plus efficacement combatiue, c'est-à-dire en France même. Il
lui faut des emplois en vue, une cour entre deux campagnes mili-
taires et plusieurs maîtresses de qualité à la fois.
Subitement, il devient sérieux : il s'attache de cœur à la reine Caro-
line de Naples et à son mari. Il entreprend de toute son àme la réor-
ganisation de leur armée; il soutfre pour eux de l'égoïste ambition
d"A.cton, de l'insolence de Nelson, de la perHdie des Russes et des
Anglais. Rien ne le rebute, ni l'injustice du ministre, ni l'incapacité
de ses auxiliaires, ni la mollesse de ses subordonnés. Il est patient,
adroit, souple, prévoyant. Rien ne lui coûte pour essayer de sauver
l'honneur de la couronne ; il y travaille jusque dans ses disgrâces
momentanées.
A ce moment où il a joint aux qualités d'un général celles d'un
ministre, on croirait qu'à défaut des Bourbons de Naples une autre
puissance (car tous les cabinets le connaissent) va se l'approprier : il
s'éclipse pourtant de la scène à 41 ans, La coalition ne fait plus rien
de lui et la Restauration guère davantage. Ses 17 dernières années
s'écoulent dans le repos.
Il tranche néanmoins parmi les émigrés autant par sa foi intacte en
l'institution monarchique que par ses talents. Il ne déclame pas
contre les révolutionnaires non seulement parce qu'il est homme
d'action plus que de paroles, mais parce que les idées des novateurs
ne lui paraissent même pas offrir matière à la discussion. Jamais il
ne prononce les noms des philosophes du xvme siècle qu'il tient sans
doute pour plus ennuyeux encore que dangereux. Il ne distingue pas
entre les modérés et les jacobins. La Fayette ne lui paraît qu'un ambi-
tieux. Il se complaît à montrer l'abnégation de l'armée de Condé
(p. 241 sqq., 25o sqq,, 258); il sait que le comte de Provence est
gourmand, que le comte d'Artois se plie inal aux circonstances, mais
glisse sur leurs faiblesses et admire la dignité qu'ils gardent dans fin-
fortune. Cette foi pleine dans l'ancien régime s'explique : quand on
est comme lui un bon colonel à 22 ans, lorsqu'à cet âge on sait péné-
trer le caractère d'un Potemkin ou d'une Catherine II, lorsque
D HISTOIRE F,T DE LITTERATURE 479
d'autre part on voit une tsarine offrir sans inconvénient pour son
empire l'exemple d'une prodigieuse immoralité (p. 108-9), employer
impunément des hommes médiocres jusque dans des emplois supé-
rieurs, limiter l'intrigue aux sphères subalternes, suffire à tout par
son intelligence et par sa volonté, on s'accommode aisément de l'aris-
tocratie et du pouvoir absolu.
Seulement Damas a trop peu causé dans les salons français pour
savoir bien écrire. Du moins, il note des détails saisissants (p. 86, les
morts déposés sur la glace d'un fleuve ; p. i i5-6, les commodités que
se donnent les officiers russes ; p. iiti-j, les chevaux russes mis au
pâturage à quatre pas de l'ennemi); il caractérise spirituellement la
fatuité de Galonné (p. 170), les artifices d'Acton (p. 367-9^, de Bruns-
wick (p. 189-190) ; il démêle que le Russe est plus porté à imiter qu'à
créer (p. 112 ; il discerne le point faible des généraux autrichiens
(p. 134-9). Peut-être sa plus belle page est-elle celle où il dépeint l'ad-
mirable instruction militaire de l'armée prussienne (p. 192), ces qua-
lités qu'on retrouvera dans les soldats de Molike et qui ne peuvent
être surpassées que par l'élan et l'esprit d'initiative du troupier fran-
çais des bonnes époques.
Et dire que la vie d'un homme si bien doué n'a presque servi à rien !
Charles Dejob.
P. de PiNDRAv, De l'action en déclaration de paternité naturelle sous l'An-
cien Régime. Rennes, 1909, 88 pages, in-S raisin.
Cette action fut une création originale de notre ancienne jurispru-
dence. Les Parlements l'élaborèrent dans le silence de la loi, en fai-
sant largement état des circonstances concrètes. A la fin du xvi* siècle,
les grandes lignes de cette construction se dessinent avec netteté.
Une présomption sert de fondement à cette procédure. On consi-
dère qu'entre les auteurs de l'enfant existait un pacte légitime d'union
ultérieure, pour inexécution duquel la mère demande réparation. La
justice accordera des aliments pour l'enfant, des dommages-intérêts
pour la mère.
L'intérêt scientifique de l'ouvrage paraît résider dans les précisions
qu'il pose sur la condamnation provisionnelle. On sait, en effet, qu'à
cette matière se rattache la maxime Creditur virgini praegiianti, dans
laquelle les civilistes voulaient voir l'expression lapidaire de notre
ancienne jurisprudence. A les en croire, l'affirmation même invrai-
semblable de la mère eût suffi pour entraîner une condamnation de
l'homme ainsi visé.
Mais nos vieux Parlements, si pratiques, n'ont jamais émis une
doctrine aussi dangereuse pour l'ordre public et l'honneur des parti-
culiers. La déclaration de la fille-mère entraînera seulement unecon-
480 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRK KT UK LITTÉRATDRE
damnation provisionnelle quant aux aliments. Toutefois cette mesure
urgente ne pr<?iugera en rien la décision à intervenir sur le fonds.
Pierre Labordp:rie.
— M. 11. W. Hill a publié dans les Ihiiversity- of Nevada Sttidies (vol. II, ? et
III, 2, ioi(i-;9iii une étude sur les emprunts faits par la tragédie héroïque de la
Restauration en Angleterre aux romans de La Calprenède {La Calpreuàde's
Romances and tite Restoration Draina). Nous regrettons de ne pouvoir parler
utilement de ce travail dont la deuxième partie seule nous est parvenue ; lauteur
y relève de très étroites analogies dans les situations, les caractères et mdme le
style chez le romancier et les dramaturges anglais Dryden, Pordage, Lee, Cooke,
M' Bchn et Filmer. — L. R.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettrks. — Séance du 3i Mai 79/-. —
M. Babelon communique une lettre de M. Toutain annonvant de nouvelles
découvertes archéologiques faites sur le plateau d'Alise-Sainte-Reine par la
Société des sciences de Semur. On a mis au jour un hypocaustc dont tous les
appareils sont conserves, une habitation gallo-romaine avec des débris de toute
sorte, et surtout des substructions gauloises sur lesquelles s'est élevée la ville
gallo-romaine. Ces substructions achèvent de démontrer qu'un oppidum gaulois
existait sur le plateau d'Alésia avant la conquête de .Iules César.
M. Henri Omont fait une communication sur un résumé politique de l'histoire
des rois de France rédigé au temps de Louis XII. 11 s'agit d'un petit ms.
qui vient d'être ofl'ert à la Bibliothèque nationale par M. le baron 'de Faviers, et
qui a sans doute été exécuté au lendemain de l'avènement de Louis Xll et pour
justifier son accession à la couronne.
M, Bernard HaussouUier annonce, au nom de la commission du prix Delalande-
Guérineau, que ce prix a été partagé de la manière suivante : 800 fr. à M. Mau-
rice Brillant, pour son ouvrage intitulé : Les secrétaires athéniens; — 400 fr.
à M. François Sagot, auteur de La Bretagne romaine.
M. le comte Paul Durrieu entretient l'Académie d'un livre d'Heures de la
Bibliothèque nationale (ms. lat. 11 56 A) qui a appartenu au bon roi René. Le
ct)rps de ce volume est orné de miniatures remarquables. M. Durrieu établit que
celles-ci ont dû être exécutées entre 14^4 et 1488. Il indique d'autre part que ces
miniatures sortent du même atelier que les peintures de plusieurs autres très
beaux mss. tels que les Grandes Heures de Rolian (ms. lat. 9471 de la même
Bibliothèque) et les Heures à l'usage d'Angers de l'ancienne collection Hamilton,
aujourd'hui chez M. Martin Le R.oy. Entin, M. Durrieu expose que l'atelier en
question a dû avoir son principal siège d'activité à Angers, mais travaillait pour
Troyes en Champagne, et qu'il est vraisemblable que parmi ses chefs se trotJ-
vaient des peintres-enlumineurs du nom de Lescuier, peut-être d'origine pari-
sienne, que l'on sait avoir opéré simultanément à Angers et à Troyes, et dont le
plus brillant représentant fut Adenot Lescuier, enlumineur en titre de la reine
Jeanne de Laval, seconde femme du roi René. — M. Perrot présente quelques
observations.
M. Maurice Prou donne lecture d'une notice de M. Joseph Poux, archiviste du
département de l'Aude, sur une vue de Carcassonne faussement attribuée à l'an
1467 et qui a servi de fondement à la restauration récente des couvertures des
tours de l'enceinte delà cité. M. Poux établit que ce dessin, conservé au Dépar-
tement des Estampes de la Bibliothèque nationale, ne paraît pas être antérieur au
xvii* siècle, et qu'en tout cas la légende, d'une formule singulière et qui ne se réfère
pas au dessin, a été découpée d'un document de 1462(61 non 1467) et collée sur
ce dessin.
L'Académie procède à l'élection de la commission des Comptes. — MM. Héron
de \'illefosse et Omont sont élus.
M. F'ottier fait une communication sur les Thcriclea pocula. — MM. Perrot et
Théodore Reinach présentent quelques obserxations.
Léon Dorez.
[.'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie t*eyriller, Rouchon ei Gamon
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 25 — 2Z juin — 1912
H. BAUiiR, Les temps en scniitiquc. — Hunger, L'urmée assyrienne. — Cosquin,
Le conte du chat et de la chandelle. — Marçais, Textes arabes de Tanger. —
L. ScHMiDT, Histoire des Germains, II. i. — -G. Wagner, Monastères d'Alsace.
— Parisot, Tables des Annales de l'Est et des Annales de l'Est et du Nord. —
Prutz, La fausse Pucclle d'Orléans. — Calvin, L'Excuse de M. de Palais, p.
Cartikr. — Registres du Conseil de Genève, IV. — La maison du cardinal de
Richelieu, p. Delociik. — Correspondance du chevalier de Sévigné et de Chris-
tine de France, p. Lemoink et Saulnier. — Saint-Hilaire, Mémoires, IV, p.
Lecestre. — Dierauer, Histoire de la conFédcralion suisse, I\'. — Bates, Tou-
ristes de 1600. — Delattre, Les fairies dans la poésie anglaise. — Correspon-
dance de Benoit XIV, p. E. de Heeckeren. — Académie des Insci'iptions.
H. Bauer, Die Tempora im Semistischen, ihre Entstehung und ihre
Ausgestaltung ia der Einzelsprachen ; Bcitrâgc zur Assyriologie, VIII, 1,
?3 p. in-S". Leipzig, Hinrichs, i()io, 3 m. 5o.
M. Bauer estime que rimparfait séniiiique est une forme plus
ancienne que le parfait : i" parce qu'il est plus voisin de l'impératif
qui est une des formes les plus anciennes et les plus tenaces; 2° parce
qu'il présente une plus grande vaiiéié de vocalisation. 11 en résulte
qu'il n'exprimait primitivement aucune idée de temps subjective
(passé, présent, futur) ni objective faction accomplie ou en train de
s'accomplir). La forme apocopée jaqhil est antérieure à la forme
jaqtiilu. Le parfait qatala a été formé d'abord par Taddition d'un
pronom personnel au nom d'agent; mais on l'a tiré ensuite directe-
ment de l'imparfait, sans l'intermédiaire du nom d'agent. Les formes
qatila et qatula sont tirées d'adjectifs ; la nuance attachée à la forme
qatula (état durable) appartenait sans doute primitivement à quelques
adjectifs de forme qatul et c'est par analogie qu'elle a été étendue à
toutes les formes qatula. La forme qatila est dérivée d'adjectifs de la
forme qatil ou de noms d'agents de verbes comme bala\ sama' et il
n'y a pas lieu de chercher une distinction logique entre cette forme
et la forme qatala.
Le nom d'agent peut se référer soit à une action faite une fois et
parfaite, soit à [\nc action durable ou répétée. Dans la forme verbale
tirée de ce nom d'agent, l'une ou l'autre de ces signiHcations devait
prévaloir exclusivement ; en sémitique occidental c'est le sens du
Nouvelle série LXXIII 23
,82 REVUE CRITIQIK
parfait qui a fini par l'emporter ((/j/a/t?;; on sémitique oriental, c'est
le sens du présent (ass. ikasad). La forme jaktiil qui, primitivement,
n'exprimait aucune idée de temps, a pris la fonction laissée disponible
par la forme qatal : elle a exprimé le présent en scmiiiquc occidental,
le parfait en sémitique oriental (ass. ilisitd). Comme le participe
présent, le nom verbal conjugué qatala exprime non seulement le
présent réel, mais aussi l'imparfait (Romulo régnante) et le futur
(I am going lo morrow). M. Bauer repousse donc la théorie de Driver
suivant laquelle l'hébreu ne connaît que deux aspects de l'action
(parfaite et imparfaite). Il arrive ainsi à expliquer le rcMe du vav
conversif et certains emplois des temps en hébreu d'une manière bien
plus satisfaisante que ses devanciers. Sa théorie est également vérifiée
en assyro-babylonicn, en arabe et en araméen. L'auteur en conclut
qu'au point de vue de l'emploi des temps, il n'y a pas de différence
fondamentale entre les langues sémitiques et les langues indo-
germaniques.
G. FOSSKY.
C. F. Lehmann- Haupt, Die historische Semiramis und ihre Zeit, mit 3o
Abbildungen. Tûbingen. Mohr, 1910. i vol. 76 p. in-iS''.
Plusieurs statues de Nabii découvertes à Nimriid par Rassam
étaient consacrées au dieu pour la vie d'Adad-iiirdri (819-783) et de
la « dame du palais » Sammuramat^ que l'on a de bonne heure iden-
tifiée avec la Semiramis des auteurs grecs. Une stèle, découverte par
l'expédition allemande à KaVat-Sirgdt, porte une inscription de
Sammin-amat « dame du palais ^) de Samsi-Adad, roi d'Assyrie,
mère de Adad-nirdri, roi d'Assyrie, belle-fille (?) de Sulmanu-asarid.
Cette reine parait donc avoir joué un rôle politique jusque sous le
règne de son fils. M. Lehmann croit en trouver le souvenir dans la
tradition rapportée par Ctésias, suivant laquelle Ninyas, fils de
Semiramis, aurait attenté aux jours de sa mère qui, prévenue, lui
aurait pardonné et aurait renoncé au pouvoir. Les Mèdes et les habi-
tants de l'Arménie, qui jouent un rôle important dans le récit de
Ctésias sont les adversaires les plus redoutables des rois d'Assyrie à
l'époque de Samsuramat ; c'est à cette époque que les populations
ourartiennes ou chaldiques font leur apparition en Arménie. M. Leh-
mann, qui a parcouru le pays chaldique en 1898/99 et recueilli un
grand nombre de documents encore ignorés, a réuni sous une forme
populaire les principaux traits de la légende de Semiramis pour les
comparer à ce que l'archéologie et l'histoire nous apprennent des
luttes de l'Assyrie contre le pays de Van où une tradition encore
vivante a attaché le nom de Semiramis à maint monument. Si la
légende fait du mari de Semiramis le premier roi d'Assyrie, alors
que, à l'époque du Samsi-Adad, le royaume d'Assyrie avait plus de
huit siècles d'existence, c'est que la légende est née dans un pays qui
d'histoiru kt de littérature 483
est entré pour la première lois en comaci avec l'Assyrie sous le règne
de Samsi-Adad ou de son tils. El en effet le premier choc sérieux
entre Ls Mèdcs et les Assyriens eut lieu sous Adad-Nirdri et nous
savons que c'est au folU-lore mèdo-perse que Ctésias a emprunté les
principaux traits de sa légende de SJ'miramis. Les Arméniens, qui,
venus de l'Ouest, remplacèrent les Ourariiens, apportèrent en Armé-
nie la légende de Sémiramis.
C. FOSSKY.
J. Hu\(;i:n, Heerwesen uncl Kriegfiihrung der Assyrer auf der Hôhe ihrer
Macht, mit 9 Abbildunge i. Der ultc Oiioiu, xii, 4 : Leipzig, Hinrichs, 191 1,
40 p. in-8°.
M. Hunger a résume en quelques pages nos connaissances sur
l'armée du dernier empire assyrien II étudie successivement l'origine
de l'armée, la charrerie et les enseignes, la cavalerie, l'infanterie
composée principalement d'archers, les armes des différents corps,
les troupes spéciales correspondant au génie et au train modernes, le
campement, la fortification et le siège, les troupes de la garde, les
divisions et subdivisions de l'armée, le rôle du roi en campagne, les
officiers des différents grades, la tactique sur laquelle nous sommes
fort mal renseignés, le pillage, le traitement des prisonniers et la
cruauté des Assyriens, qui est justement célèbre, mais qui fut pour-
tant dépassée par celle de Ménahem, roi d'Israël (II Rois, xv, 16). Le
sujet est un des plus importants de l'histoire assyrienne et M. Hunger
l'a fort convenablement présenté au grand public auquel est destinée
la série des publications de VAlte Orient.
C. FoSSEY.
Emmanuel Cosquin, Le Conte du Chat et de la Chandelle, Paris, Champion,
iii-8", 191 2, Ml pp.
Ce travail est une importante contribution à l'étude des sources
orientales des contes européens médiévaux. Avec l'élégante précision
dont il est coutumier, E. C. montre cominent cet épisode de Salo-
mon et Marcolfe a pour origine un conte hindou. 1! étudie incidem-
ment d'autres thèmes, notamment l'amusant conte de l'honnête
femnij et des galants, qui a franchi le seuil de la Comédie Française,
avec Barberine; le texte arabe, cité p. 70, est à la p. 264 de l'édition
Van Vloten.
M. G. D.
W. Mauç.o.s, Textes arabes de Tanger : transcription, traduction annotée,
glossaire. Paris, Leroux, 1911, xvii-5o4 pp. in-S^ écu (Bililioth. Ecole Lang.
Or. \'iv. t. IV;.
Un livre, tel que celui-là, est un signe des temps nouveaux, une
espérance pour l'avenir. Et cela n'est point inutile, car si l'on regarde
484 REVUE CRITIQUK
en nrricre, on n'a pas lieu d'eue fier de ce qu'a fait jusqu'ici l'érudi-
tion française sur le terrain de la linguistique arabe maghrébine. Pen-
dant longtemps, c'est vers l'hisioire, la géographie et le droit que
s'étaient portés tous les efforts intelligents ; l'étude de l'arabe parlé en
Afrique du Nord, comme celle de la vie locale, était restée à l'écart
des idées et des méthodes qui renouvelaient l'érudition européenne.
La sociologie maghrébine a tout à coup regagné le terrain perdu avec
Douité. Bel, Desiaing, Biarnay, d'autres encore. René Basset et ses
élèves ont fait de la dialectologie berbère une science bien française.
Mais, à part quelques publications honorables, les travaux relatifs à
la dialectologie arabe maghrébine étaient restés d'une lamentable
médiocrité. Dans certains milieux, il est toujours convenu qu'il existe
un dialecte arabe maghrébin unique, parlé de Gabès à Mogador,
arabe classique corrompu, qu'il faut étudier, faute de mieux, pour
pouvoir entrer en relations avec les indigènes. On fait des grammaires
selon la méthode de Lhomond, métissée des théories mal comprises
de l'arabe classique : et ce sont elles qui, répandues à travers l'Afrique
française, ont rendu « les plus grands services », en enseignant aux
apprentis arabisants des notions inexactes et incompréhensibles. —
Cette langue commune qu'exposent les manuels d'arabe parlé, elle
existe sans doute, mais malheureusement elle n'est parlée par aucun
indigène dans la vie quotidienne : c'est une sorte de sabir arabe qui
s'est largement développé, semble-t-il, pour servir de truchement
entre les indigènes demi-lettrés et les Européens. Et les manuels si
répandus en Algérie et en Tunisie ont contribué à fixer cette pauvre
langue de bureaux arabes et de communes mixtes : c'est ce qui
explique son imprécision et sa banalité.
Ce n'est point là la véritable langue populaire : celle où l'on doit
retrouver toute la couleur et toute la souplesse d'un idiome de beaux
parleurs, de faiseurs de bons mots, de poètes : celle qui ne saurait
avoir rien perdu de la richesse des vieux dialectes dont l'amalgame fît
l'arabe dit classique. Or, cette langue populaire n'est pas unique :
comme en Arabie à l'époque de Mahomet, elle se diversifie selon les
conditions locales imposées par la géographie, par l'histoire, par l'état
social, tout en gardant, sur toute l'étendue du territoire maghrébin
des traits communs et une certaine unité.
C'est à déterminer ce qui fait cette unité et ce qui conditionne
d'autre part cette diversité, que doit s'appliquer la linguistique, et
Marçais est, en Erance, le premier qui en ait appliqué les méthodes
à l'étude des parlers maghrébins. Il a, dans cette branche de l'ara-
bisme, conquis, en quelques années, une autorité européenne : mais
si je suis, pour ma part, heureux de trouver si souvent son nom dans
le Grundriss de Brockelmann, on peut tout de même regretter qu'il
soit à peu près seul à y représenter l'érudition française. Admirable-
ment préparé par une forte culture générale et spécialisé par de
d'histoire et de littérature 485
solides études d'arabe classique, Marçais a commencé par s'iniiier à
fond à la connaissance d'un dialecte citadin, celui de Tlemcen, qu'il a
décrit dans un livre qui, pour être un début, garde aujourd'hui toute
sa valeur '. 11 s'est attaqué ensuite à l'étude d'un dialecte campagnard
oranais, celui des Oulàd Brahim '\ auquel il a consacré un ouvrage
où se précisait sa méthode et où s'atlirmait sa connaissance chaque
jour accrue de la linguistique arabe classique et dialectale. Enfin,
son aiiention s'est portée sur un dialecte citadin très altéré, celui de
Tanger.
L'ouvrage, que publie aujourd'hui l'École des Langues Orientales,
comprend tout d'abord un recueil de récits familiers en dialecte tan-
gérois : le four, la fête de 'Ancra, le jeu de toupie, la vie des tolbas,
et des chansons enfantines. D'une façon générale, il est impossible de
reconstituer la prononciation exacte d'un texte dialectal écrit en carac-
tères arabes : en face de ce texte, M. a donc donné une transcription
dans l'alphabet conventionnel, légèrement modihé, qu'il avait em-
plovée pour ses travaux précédents ; les linguistiques ne sont point
parvenus, en etîet, à se mettre complètement d'accord sur un système
de transcription, et il parait peu probable que les tentatives faites en
ce sens aient, dans l'avenir, meilleur succès que dans le passé. La
transcription de M., surtout celle qu'il a adoptée pour les voyelles,
est poussée jusqu'à un raffinement qui ne va point sans quelque
cruauté pour le lecteur qui n'a point, tout proche de lui, un sujet
parlant.
Ces textes ne sont point seulement intéressants par la langue ; la
traduction, alerte et précise, qu'en donne M. et qu'il éclaire de notes
abondantes, est une contribution importante à l'étude de la vie maro-
caine : ils intéresseront donc tous ceux qui s'occupent de la sociologie
maghrébine.
L'auteur y a joint un « lexique », qui s'étend sur trois cents pages
de petit texte, et qui est la partie principale de l'ouvrage. Comme
il l'avait déjà fait dans son « supplément au dictionnaire de Beaus-
sier » (Alger, ipoS : Recueil de l'Ecole des Lettres d'Alger) et dans
son article sur les « euphémismes » du Recueil Nôldeke, M. verse là
une partie des documents dialectaux qu'il réunit sans cesse sur les
parlers maghrébins, et il les éclaire par ce que nous savons de l'his-
toire de la langue classique, et par la comparaison avec les dialectes
orientaux qui commencent à être méthodiquement étudiés. Les
« articles » de ce lexique sont, pour une bonne part, de petits « mé-
moires », pleins de documents nouveaux et d'ingénieuses et solides
observations.
1. Le dialecte arabe parlé à Tlemcen, Paris, 1902, Leroux, 325 pp. in-8" (Publ. Ec.
Lettres Alger, t. XXVl).
2. Le dialecte arabe des Ulâd Brahim de Saida. Paris, 1908. Champion, 210 pp.
iii-8° (Mém. Soc. Linguistique de Paris).
4.86 RKVtri.. CRITIQUK
Visité par les Arabes de Ui premièit.- inv;\sion, Tanger était un vieux
port punique hasaidé en pays berbère; étape préférée du passage
d'Afrique en l^spagne, elle vit passer les Arabes et les Berbères allant
à la conquête des pays du Nord; c'est par son port, ou non loin de
lui, qu'Almoravides, Alni'jliadcs et Mérinides traversèrent le détroit
pour défendre et con^jucrir la iciie musulmane menacée; c'est par
elle que vinrent, ou rc\inreni au Maroc, les Maures d Andalousie
après la défaite et la persécution; les Portugais et les Anglais y cam-
pèrent, avant que les hasards de la politique internationale ne lui aient
préparé un superbe avenir de cité cosmopolite, où le dialecte, amou-
reusement étudié par Marçais, tendra peu à pou vers le joyeux jar-
gon de Cagayous. Si Ton se souvient de ces grandes lignes de l'his-
toire de Tanger, on prévoit sans peine un dialecte citadin, très
influencé par l'andalou, très pénétré aussi par le berbère et par
respagnol, très altéré par la vie multiple et ouverte de la cité.
L'étude des dialectes marocains, qui, avant le travail de Marçais,
n'avaient été touché que par quelques mains germaniques assez
légères, et dont depuis douze ans, la « Mission scientifique du Maroc»
n'a pas encore trouvé le temps de s'occuper, précisera la place que le
■parler langérois occupe dans la géographie linguistique du Maghreb :
dès à présent on aperçoit que Tanger forme groupe avec Fez et Tiem-
cen et que les caractères généraux des trois dialectes sont semblables;
il est facile de l'expliquer par la coexistence en ces trois villes d'élé-
ments arabes et berbères analogues, mêlés sous une condition sociale
identique : TIemcen seulement est plus isolée de l'élément andalou,
sur lequel d'ailleurs les documents faisaient un peu défaut. M. les a
fort accrus en dépouillant Maqqari et ce charmant Ibn Guzman
dont l'accès est malheureusement si diflicile.
Mais, ces vagues indications, Marçais évite de les donner, et ce n'est
que sur le terrain solide des détails qu'il étend et élargit ses conclu-
sions. On sent qu'il attend avec patience que l'exploration linguistique
du Maghreb soit plus avancée. L'ouverture définitive du Maroc à
l'expansion française et les heureux changements survenus dans le
personnel tunisien permettent d'espérer qu'elle se poursuivra désor-
mais légulièremenî et que l'enquête sociologique niarcheia du même
pas. Marçais est seul capable de diriger les efforts des jeunes linguistes
et d'en coordonner les résultats.
M. G. D.
Prof. !)'■ Ludwig Schmidt, Geschichte der deutschen Staemme bis zum
Ausgang der Voelker-wanderung. II, i. Berlin, WeiJmann, 1911, 93 p.. S".
Prix : 3 tV. -jb.
C'est le cinquième fascicule de l'ouvrage de M. L. Schmidt, dont
nous avons parlé déjà à plusieurs reprises, et qui paraît dans les
Qiiellen und Forschungen ~jir alten Geschichte iiiui Géographie, diri-
d'histoire et de littérature 487
gces par M. W. Sic'!;liii, prolesscur de geugraphic liisiorique à l'Uni-
versité de Berlin '. l.a nouvelle livraison comprend quatre chapitres
du prciiiicr livio du tome deuxième: l'auteur v a i^roupé ce qu'on sait
des peuplades se rattachant à la branche in^évonne ilngwaeonen,
comme il écrit lui-même). Dans le premier, il nous raconte l'histoire
des Cimbres. des Teutons et des Ambrons, ainsi que leurs courses
lointaines depuis le .lutland jusqu'en Espagne et en Italie. Dans le.
second il s'occupe des Angles et des Warnes, originaires tous deux
du Schleswig actuel, et qui ont dirigé leurs pas vers la Néerlande,
la Bretagne et la Germanie centrale. Le troisième chapitre est consacré
aux Chauqucs, logés entre l'Iims et l'Elbe, et siunoui aux Saxons,
occupant d'abord le Holsiein, mais qui essaiment au loin, les uns
descendant, à travers la Normandie, jusqu'à l'embouchure de la Loire,
et les autres s'établissant en Westphalie et en Thuringe. M. S. a joint
à ces Germains, dans un dernier chapitre, les Frisons et les Ampsiva-
riens, habitant entre TEms et les régions que couvrit plus tard le
Zuvdersée, mais qu'il estime être plutôt d'origine Scandinave.
L'auteur nous décrit avant tout, naturellement, les courses vaga-
bondes de toutes ces peuplades, a travers l'Europe occidentale ou
centrale, durant les premiers siècles de l'ère chrétienne, courses
volontaires vers la conquête ou le butin, fuites obligées devant un
adversaire plus puissant. Mais il a réuni en même temps tout ce que
l'on sait de leur état social, de leurs coutumes et de leurs lois; il
continue à nous retracer, autant que le permet la pauvreté des témoi-
gnages venus juqu'à nous, un tableau de cette Germanie belliqueuse
toujours en mouvement qui devait hanter, comme un cauchemar, les
gouvernants de Rome, jusqu'au jour où, toutes les barrières étant
rompues, ils furent submergés par le Hot des envahisseurs.
Il est douteux que iM . Schmidt rencontre sur tous les points de son
exposé minutieux l'assentiment absolu des nombreux érudits qui se
sont occupés déjà et s'occupent encore des origines germaniques; il y
a la bien des détails sur lesquels une nouvelle discussion reste néces-
saire; mais l'auteur a le mérite d'avoii' remis la plupart de ces petits
problèmes au point et ceux-là même qui ne seraient pas disposés à
accepter toujours sa solution personnelle lui seront reconnaissants
de ses efforts ci-itiques.
E.
Untersuchungen liber die Standesverhaeltnisse Elsaessischer Kloester von
Geors \Va(;nhr. Strassburg, Heitz u. Mundel, 191 i, vu, 87 p. in-S". Prix :
4 f. 40.
Dans ce mémoire qui est probablenuiit un travail de « Séminaire
historique », M. (î. Wagner s'est proposé d'exaiiiiner la question de
I. Cf. Revue Critique, 2 février 191 p.
^^88 REVUE CRITIQUE
la provenance sociale, si je puis dire, des différentes individualités
que nous rencontrons dans les monastères d'Alsace au moyen-âge,
abbcs, moines, fonctionnaires, tenanciers et serviteurs, et de s'enqué-
rir de leur condition légale comme nobles, hommes libres ou serfs '.
Comme exemples et types de sa démonstration, il a choisi un couvent
d'hommes, l'abbave bénédictine de Murbach, et un couvent de femmes,
l'abbaye de Hohenbourg ou de Sainte-Odile '. I.c sujet en lui-même
ne manquait pas d'intérêt, mais il exigeait une netteté de vues ci une
fermeté de pensée qui ne sauraient être le partage d'un débutant dans
la science et, pour le dire franchement, nous avons trop peu d'élé-
ments pour qu'on puisse le traiter avec succès. L'auteur a certaine-
ment mis beaucoup de zèle à réunir les matériaux, très éparset forcé-
ment incomplets, de son étude, mais on doit regretter qu'il n'ai pas su
rendre son exposé un peu plus lucide. On se perd dans ses innombra-
bles remarques de détail ' et pourtant ses données restent si frag-
mentaires qu'on ne peut asseoir là dessus un système quelque peu
solide *. Je me bornerai donc à dire que, d'après M. W., les véritables
serviteurs, les Haiisbeamten de Murbach auraient été des serfs dirigés
par un moine; qu'à côté d'eux, on voit apparaître des serviteurs supé-
rieurs, soit comme sculteti administrateurs] soit comme milites
(défenseurs militaires) de l'abbaye, et former au xii^ siècle la classe
des ministeriales qui, s'émancipani peu à peu, finissent par se faufiler
dans les rangs de la vraie noblesse, portent comme elle le nom de
chevaliers et la remplacent peu à peu \ Telle fut assurément la marche
générale des choses dans la constitution de cette aristocratie de
second choix, mais il n'y a là aucune révélation nouvelle.
I. Il s'appuie surtout sur l'ouvrage de M. A. Schulte, Der Adel iind die deuts-
che Kirche im Mittelalter, igio.
1. M. W. était évidemment libre de choisir les types qu'il préférait; mais il
faut bien faire observer qu'il a pris deux couvents tout à fait exceptionnels, d'un
exclusivisme aristocratique si tranché qu'on n'en peutlrien conclure pour les autres
monastères d'Alsace.
3. Il faut ajouter que la confusion s'augmente, pour le lecteur, de ce que toutes
les notes et renvois sont rejetés à la fin du travail.
4. Ainsi l'auteur croiï que jusqu'au xivf siècle il fallait être de sang noble pour
parvenir à la dignité abbatiale à Murbach, et nous sommes assez tenté de lui don-
ner raison, au moins pour les trois derniers siècles du moyen-âge. Mais, en fait,
nous n'en pouvons rien savoir, M. W., avouant lui-même qu'on ignore parfaite-
ment d'où venaient la plupart des abbés de Murbach qui ont succédé à Sainl-Pir-
min. Le premier abbé de sang ministériel aurait été octroré par le pape à l'abbaye
en I 354.
5. Cette confusion très volontaire entre le edelfreies et le iinfreies Rittevtiim fut
bientôt si générale qu'on voit au xviie et au xviii« siècle beaucoup de familles se
targuant de leur vieille noblesse alors qu'elles ne furent jamais de vraie noblesse
libre.
d'histoire et de LITTÉRATllRE 489
Tables alphabétiques et nicthoJiqiies des Annales de l'Est (1897-1904) cl des
Annales de l'Est et du Nord (1903-1909) par Robert Parisot, professeur
d'histoire de l'Est à la faculté des lettres. Paris et Nancy, Berger-l-evrault,
i()ii, -5 p. iu-S". Prix : 'î fr.
Nous voudrions appeler raiieniion de ceux de nos lecteurs qui
s'occupent de l'histoire des départements du nord et de l'est, sur un
très utile instrument de travail que leur fournit M. Robert Parisot,
professeur d'histoire à l'Université de Nancy. Ce sont les Tables
alphabétiques et méthodiques des Annales de VEst (1897- 1904) et des
Annales de VEst et du Nord (1905-1909). Elles font suite à un pre-
mier répertoire, consacré en 1896 au dix premiers volumes des
Annales par « l'un de leurs plus dévoués collaborateurs », comme
l'appelle M. Parisot, M. Théodore Schœll, professeur au lycée de
Chartres, dont les initiales sont bien connues des lecteurs de \dL Revue
Critique. Il est regrettable que, « pour des considérations d'ordre
budgétaire », on n'ait pu refondre en un seul ces deux répertoires, ni
conserver les rubriques plus multipliées par M. Schœll. Mais du
moins on retrouvera facilement, grâce à ces tables alphabétiques et
méthodiques les renseignements désirés sur les nombreuses études
originales et les articles plus nombreux encore de bibliographie lor-
raine et flamande donnés dans ces deux recueils aujourd'hui défunts,
du moins dans leur forme ancienne, par les professeurs de Nancy et
de Lille et leurs collaborateurs. M. P. mérite toute notre reconnais-
sance pour avoir consacré son temps et son savoir à rétablissement
de ces tables, qui représentent une petite bibliographie lorraine et
flamande pour les douze dernières années.
R.
Die falsche Jungfrau von Orléans, 1436-1457, von Hans Prutz, Mûnchcn,
G. Frantz, iqi i, 48 p. 8°.
Ce mémoire a été lu par M. Hans Prutz à l'Académie royale de
Bavière, dans sa séance du i"" juin 191 1 . Il résume d'après les sources
contemporaines ' et d'après les travaux de J. Quicherat [Procès de
Jeanne d'Arc, tome Vi et Lecoy de la Marche (le Roi René) l'histoire
de cette jeune fille qui apparaît en mai 1436 à La-Grange-aux-
Ormes, près de Metz, affirmant être la Pucelle échappée au bûcher
de Rouen. Reconnue comme telle par les frères même de Jeanne et de
nombreux seigneurs lorrains, elle accompagne le comte Ulric de
Wurtemberg dans une campagne contre Cologne, est excommuniée,
mais épouse bieniùt après, sous la protection de la duchesse Elisabeth
de Luxembourg, le chevalier Robert des Armoises, dont elle a plu-
sieurs enfants. Devenue veuve, elle se rend a Orléans, oi^i elle est
d'abord fort bien reçue "", puis soupçonnée d'imposture, figure en
1. Surtout la chronique du doyen de Saint-Thiébaut, à Metz.
2. Il y avait évidemment une ressemblance physique étonnante entre la future
Mme des Armoises et la jeune paysanne de Domré.my, sans quoi elle n'aurait
^qO REVUE CRITIQUE
Anjou comme capitaine d'une companuic au service du maréchal
Cjilles de Rais et guerroie plus lard. scmble-t-il, en Italie. On retrouve
sa trace, beaucoup plus tr.rJ, dans une Iciirc de pardon du roi René,
datée de i4?7; a ce moment Mme des Armoises résidait à nouveau
dans l'Anjou, avant renoncé depuis longtemps, sans doute, à person-
nitier la libératrice d'Orléans. M. Pruiz nous donne dans son étude
l'exposé simple et lucide de ce fait divers de notre histoire, que la lit-
térature historique allemande n'avait encore jamais examiné en
détail; il donne une explication plausible du succès initial de cette
aventurière hardie, mais sans répondre absolument à toutes les ques-
tions de motifs ou de complicité ' que suscite l'apparition de cette
fausse Pucelle. Les travailleurs au courant des dernières recherches
faites en PVance n'y trouveront rien de bien nouveau.
R.
L'Excuse de Noble Seigneur Jacques de Bourgogne, seigneur de Falais et
de BréJam par Jean Calvin, réimprimée sur l'unique exemplaire de l'édition
de Genève 1548 avec une introduction par Alfred Cartier, 2'' édition, revue et
augmentée. Genève, A. JuUien, uji i, LXXl, 49, iv pages gr. iii-8".
Parmi les opuscules du réformateur de Genève dont les exemplaires
ont été détruits par les persécutions et le temps, il n'en est pas de plus
rare que cette Excuse ou apologie pour M. de Falais que M. Alfred
Cartier vient de rendre déliniiivemenr à l'histoire religieuse et à l'iiis-
toire littéraire dans une élégante et savante édition. Les éditeurs stras-
bourgeois des Opéra Calvini avaient cherché en vain ce texte dans
toutes les bibliothèques de l'Europe et avaient diî se résigner finale-
ment à donner la traduction latine de l'opuscule, laquelle n'est pas de
Calvin et qui ne subsiste aussi qu'en très peu d'exemplaires. M. Car-
tier a découvert l'exemplaire unique de ['Excuse dans un recueil de
pièces du xvi^ siècle qui fait partie de la bibliothèque plus célèbre
que connue (parce que à peu près inaccessible) de la famille Tronchin,
à Bessinges, près Genève. Il l'avait fait paraître déjà en 1896 dans
la Bibliothèque d'un curieux, créée par M. x\lphonse Lemerre à Paris,
mais il avait dû se résigner à la suf^pression d'un assez grand nombre
de notes et de citations pour ne pas dépasser les limites qu'on lui
avait assignées. Dans cette nouvelle édition, Vapparatus criticus est
complet et nous y trouvons non seulement une page de prose calvi-
nienne digne de figurer à côté de l'Epitre dédicatoire h François !«•■
pas osé \-ivie si longtemps et si familièrement dans ces milieux bourgeois d'Or-
léans où tout le monde avait connu et approché la Pucelle.
I. On reste en suspens entre rh\pollièsc d'une aventurière hardie trompant les
naïfs chevaliers de l.urrainc, el celle ti'uii truquage organise par ces mêmes sei-
gneurs très peu naïfs, \oulant exploiter les sentiments d'enthousiasme populaire
éveillés dans les populations par les hauts faits de Jeanne, au profit d'une action
militaire plus efficace contre les princes rhénans.
d'histoirp: et de littérature 49'
dans Vfnstitution chrcslicnnc (p. x:cxv), mais encore une notice, aussi
complète qu'elle peut l'être dans l'état actuel de ces recherches spé-
ciales, sur le personnage au nom duquel Calvin rédigea cette apo-
logie présentée à l'empereur Charles-Quint. Cet arrière peiit-fils de
Philippc-le-Bon, était le desccnJant légitime d'un des nombreux
bâtards du grand duc d"(Jccidcnt, un seigneur brabançon, admis dans
l'intimité de la famille royale (p. mi) et qu'on appelait généralement
M. de Falais d'après l'une de ses terres aux Pays-Bas. Il avait fait ses
études cà Louvain, y était entré en contact avec les idées de la
Réforme, et après avoir épousé Yolande de Brederode déjà gagnée à
la foi nouvelle, il était entré en relations avec Calvin ; puis, dénoncé
comme anabaptiste, il avait quitté la terre natale à la tin de i54'3 ou
au début de 1544, s'était retire d'abord auprès de l'archevêque de
Cologne, Hermann de Wied, suspect déjà d'hérésie, et ensuite à
Strasbourg, où il rencontra le réformateur, en 1545. 11 y résidait
quand Charles-Quint le fit sommer d'expliquer sa conduite et de
revenir aux Pays-Bas, et sur scju lefus, le déclara coupable de rébel-
lion et prononça la conhscaiion de ses biens. Après la défaite de la
ligne de Smalkalde, Strasbourg n'était plus un asile sûr; M. de Falais
se transporta d'abord à Bàle, puis, afin d'être plus près de Calvin,
s'établi'. à Veigy, terre bernoise du Chablais, mais acheta en mèrne
temps une maison à Genève, où ce grand seigneur, maladif, séjour-
nait parfois sans entrer en contact avec la démocratie de la cité. L'ar-
rivée de Tex-moine parisien Jérôme Bolsec que Falais installa comme
médecin à Veigy même, mit iin aux bons rapports entre lui et le
réformateur. Bolsec s'étant mêlé à des polémiques sur la prédesti-
nation, fut arrêté et son patron se heurta à un refus quand il inter-
vient en faveur du prisonnier, d'ailleurs fort peu recominandable.
Jacques de Bourgogne eut encore maille à partir avec Calvin à propos
d'une autre bête noire du réformateur, le savant et pieux Sébastien
Castellion, auquel il marqua ses légitimes sympathies, ce qui amena
la rupture. Dans une lettre hautaine et cassante, Calvin écrivait à
M. de Falais : « Je vous laisse à vos délices ». Et il efface de ses
Commentaires à VEpitre aux Corinthiens, la dédicace au seigneur
fîamand. Il fut dorénavant pour le réformateur et ses amis un adver-
saire et le bouillant Farel qui avait appelé jadis Falais « une œuvre
admirable du Seigneur >; déclare maintenant qu'il forme avec Servet
et Bolsec une « trinité digne de régner aux enfers ». On comprend
que M. de Falais se soit dégoûté du séjour en Suisse; il résidait
encore à N'eigv, en i554, un an après le supplice de Servet, mais il
disparait ensuite; on a découvert récemment qu'il avait épousé en
secondes noces une Zcelandoise, l^lisabeih de Rvmerswaal. et
M. Cartier suppose, avec vraisemblance, qu'il sera retourné aux
Pays-Bas après l'abdication de Charles-Quint et qu'il y est mort
avant la venue du duc d'Albc, sans qu'on puisse préciser la date de
402 REVUE CRITlQUfc.
sa lin '. Il est mort en t(jui cas <■ lidclc aux croyances pour lesquelles
il avait sacrifié sa fortune, sa position et le repos de sa vie »
(p. Lxxi) '. On ne peut que remercier vivement réditeur d'avoir si
bien commenté, si abondamment annoté ce document de haute
valeur, en même temps qu'il faisait connaître au i^rand public un per-
sonna£;e qui méritait certes qu'on le connût.
R.
Registres du Conseil de Genève, publiés par la Société d'histoire et d'archéo-
logie de GenLVj. Tome 1\'. Genèse, Kûndig, 191 i, IX, Syo p., gr. in-8». Prix :
20 f"r.
Cela nous fut une agréable surprise de recevoir ce nouveau volume
des Registres du Conseil de Genève au moment où nous venions à
peine d'annoncer ici le tome III \ Nous serions encore plus satisfaits
si l'on pouvait espérer dorénavant recevoir chaque année un cadeau
pareil et voir ainsi cette entreprise si utile avancer enfin d'une allure
un peu plus rapide ; la préface nous annonce que le cinquième volume
est en préparation ; qu'il vienne rejoindre bientôt ses aines sur les
ravons de nos bibliothèques ! C'est M. Emile Rivoire qui a soigné la
publication de ce tome IV, qui représente les volumes 1 i et 12 des
registres originaux, et embrasse en ses 5 5o pages une période de cinq
années seuleinent (du 6 février 1487 au 5 février 1492), durant les-
quelles Amédée Favier (1487-1491) et Guillaume de la Crose (1491-
1492) furent les secrétaires-rédacteurs du Conseil. Outre de nom-
breuses affaires particulières, questions économiques, etc., deux
affaires surtout occupent le Conseil durant cette période, une querelle
avec le duc de Savoie pour des subsides que Genève lui refuse, et la
double élection de Claude de Seyssel et d'Antoine Champion comme
évêque de la cité, le pape Innocent VIII se prononçant en faveur de
ce dernier. Inutile d'entrer dans plus de détails *; nous avons dit à
plusieurs reprises déjà le soin avec lequel ces textes sont édités et
annotés par les érudits genevois auxquels la Société d'histoire a conûé
le soin de mettre au jour ces témoins authentiques du passé ; il n'y a
qu'à leur souhaiter de continuer ainsi.
R.
1. C'est en Hollande qu'on avait retrouvé, dès le xviii<= siècle, les originaux des
lettres de Calvin à M. de Falais, qui furent publiées à Amsterdam, en 1744.
(Vo)-. les Prolégomènes du tome X des Opéra Calviiu).
2. Si Bayle le fait revenir au catholicisme c'est uniquement, comme le montre
M. Cartier (p. lxx), par suite de la fausse interprétation d'un passage de la \'ie
de Calvin de Colladon.
3. Voy. R. Cf., 19 février iqi2.
4. On pourra cueillir dans ce nouveau volume de nombreux et curieux détails de
mœurs : on n'a qu'à se reporter à l'index pour les rubriques mulieres Uibricae,
poenae, vinum, etc.
d'histoire et de littérature 493
Maximin Dklociie, La Maison du Cardinal de Richelieu, document incdit.
Paris, Honoré Champion, 10 '2, 5.*^6 p., gr. in-S°. Prix : ?o f'r.
L'éditeur a trouve ' ce <( Compte de Tannée i63g de la despence de
Monscii^neur le Cardinal duc de Richelieu » registre in-folio, incom-
plet de plusieurs feuillets, qui n'est pas le registre original, mais une
copie authentique, paraphée par Le Maslc, Tun des secrétaires de
Richelieu, le 18 mars 1640, « pour estre mis dans le trésor des
archives de Monseigneur ». Autour de ce document, qui n'occupe
dans le beau volume de M. Dcloche que les pages 495-556, celui-ci a
groupé, non pas en notes et commentaires au bas des pages, mais dans
une série de chapitres narratifs, tous les détails que ses recherches
érudites lui ont permis de réunir sur ce qu'il appelle « la Maison du
Cardinal » et ce qu'on pourrait appeler, d'un terme plus large, la vie
privée du ministre de Louis XIII \ Après tout ce qu'on a déjà écrit
sur le grand cardinal comme politique, administrateur ou théologien,
M. D. a su réunir encore bien des traits inconnus, bien des détails
curieux, pour mieux caractériser le personnage peu sympathique,
mais singulièrement puissant que lut Richelieu. Nous étudions avec
lui le luxe et le faste dont il entoure sa personne, les membres de sa
famille et de sa « domesticité », comme on disait alors, ses confesseurs,
ses secrétaires, ses pamphlétistes à gages. L'auteur nous fait participer
à ses charités, à ses aumônes, énumère ses pensionnaires, ses méde-
cins et ses apothicaires, ses maîtres d'hôtelet ses pages, passe en
revue ses gardes à cheval, ses mousquetaires, ses écuries. Il nous le
montre grand amateur de bâtisses à Rueil et ailleurs, nous fait con-
naître ses jardiniers, ses fournisseurs de linge de table et de vaisselle
plate, ses banquiers et ses notaires; nous le voyons dans son intérieur
quotidien, nous l'accompagnons dans ses voyages ; bref après avoir
étudié le livre de M. D. nous sommes admirablement documentés sur
le cadre extérieur dans lequel s'est déroulée l'existence brillante et
agitée du cardinal; nous le sommes si bien que nous n'avons plus
besoin d'étudier le texte même de ces comptes qui ont fourni les pre-
miers matériaux, j'allais dire le prétexte de cette minutieuse étude. Si
Ton n'est pas toujours absolument d'accord avec certaines apprécia-
tions de l'auteur, nul ne lui marchandera les éloges mérités pour un
travail aussi consciencieux et complet '.
R.
1. Nous avons en vain cherché dans le volume de M. D. l'endroit où se trouve
actuellement ce registre. Est-il dans un dépôt public ou entre les mains d'un
particulier ?
2. Sauf pourtant le chapitre des amours du cardinal, sur lesquelles la chro-
nique scandaleuse du temps n'a pas eu autant de réticences que l'auteur, qui
refuse d'aborder ce chapitre.
i. Quelques petites observations de détail. P. 102, Henri de Cîondi n'était pas
archevêque mais évêque de Paris. — P. 04, lire Séguiran pour Seguirait. —
P. i35, sur Fancan je ne vois pas citée la dernière étude de M. G. Fagniez dans la
4P4 REVUE critiqi;e
Correspondance du chevalior do Sévigaé et do Christine de France,
duchesse de Savoie, publiée pour la Sociélé de l'histoire de l'rnnce par Jean
I.KMoiNi; et I''ix'doric S.xi'i.NiEn. Paris, RciiouarJ (i.aurciis) 1911, lA'll, S.to p..
in-.S". Prix : y IV.
licnaud do Sévignc, l'oncle Je la marquise, n'était t^ucre connu jus-
qu'ici que comme un bravo scddai qui se battit en Allemagne, on
Franche-Comté, on iialie, quitta le service en 1646 avec le grade de
maréchal de camp, se jota dans les troubles de la Fronde, h la suite
de son allié, le coadjuteur de Retz, et passa les dernières années de sa
vie dans la société des pieux solitaires de Pf)rt-Royal-des-Ghamps où
il est mort dans sa soixante-dixième année, on 1676.
Grâce à MiM. .1. Lcmoino et Saulnier nous apprenons à le con-
naître ici, comme nuitvellisle. Il avait épousé on ii)3i une veuve,
M"" do La Vergue idont la tille devint comtesse do La Fayette et l'au-
teur do la Princesse de Clèves) qui était on relations avec Madame
Royale, la duchesse douairière (Christine do Savoie et pondant
quelques années 1 165 i-ir)35), le chevalior fut un des correspondants
attitrés do la tille de Henri IV. Les lettres [(.)~ ou tout qui sont repro-
duites ici, d'après les originaux aux archives do Turin, ne présentent
pas, à viai dire, un grand intérêt politique; ce n'était pas un officier
en disgrâce qui pouvait raconter des secrets d'Eiat ; mais les événe-
ments du jour V sont racontés non sans agrément et l'histoire y gla-
nera quelques traits caractéristiques. Les éditeurs ont mis en tète de
leur volume une notice très détaillée sur le personnage lui-même, qui
nous le montre comme le type de a l'honnéie homme n de son temps
et le rend très sympathique, encore que sa spirituelle nièce semble
s'être assez peu intéressé au vieillard retiré du monde. Ils ont suffi-
samment annoté le texte de la correspondance et y ont joint une quin-
zaine de pièces justificatives, relatives principalement à la biographie
du chevalier.
R.
Mémoires de Saint-Hilaire, publies pour lu Société de l'hisioirc de France par
Léon Lecestru. Tome quatrième. Paris, Rcnouaid (Laurcns'l, 191 1,404 p.,
in-80. Prix : 0 fr.
Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises ' de la publication de
M. Lecestre, ce qui nous permettra d'être bref. Ce quatrième volume
des Mémoires de Saint-Hilaire embrasse les années 1704-1706, la
campagne d'Allemagne (1704), avec les mémorables défaites du Schel-
lenberg et de Hœchstaedt, la campagne de Vendôme en Piémont, celle
Revue historique (igi i). — P. 249, il est permis de croire que Pair de la chanson
O beau soleil n'a pas été « composé entiùremenl « par Louis XIIL — On x'oiidrait
aussi voir citer moins souvent des sources aussi peu sûres que les Mémoires de
Pontis.
I. Voy. pour le tome I, R. Cr. i? juin 1904 ; tome II, R. Cr. 21 septembre 1907;
'ome 111, R. Cr. i3 janvier igio.
D'HlSTOIRli KT l>K LIT TÎ^R A TURE 495
de Villerov en Flandre ; celle de Villars en Alsocc et dans le mar-
graviat de Bade (i joS), etc. I. 'éditeur s'est eflorcé d'ajouter partout
au texte du général d'artillerie les notes explicatives nécessaires; mais
pour bien des localités, le bon Saint-Hilaire en a tellement maltraité
les noms qu'il est impossible de les identifier ' ; pour d'autres loca-
lités, qui turent pendant deux siècles françaises et qui l'étaient au
moment de la guerre de la succession d'Espagne, on ne voit pas pour-
quoi l'éditeur adopte la giaphie allemande, substituée depuis 1870 à
l'orthographe française ~. On trouve, en appendice, une série de
L'tires a'dressées par Saint-Hilaire au ministre, soit pour affaires de
service, soit pour solliciter le cordon rouge, etc., relatives aux années
I 705-1706 '.
R.
Geschichte der Schweizerischen Eidgenossenschaft von Johannes Dierauer.
N'iertcr BanJ. Golha, F. A. I^erthes, 1912, X\'II, 55i p. in-8°. Prix i5 fr.
Ce quatrième volume de VHisloire de la Suisse de M. J. Dierauer '
raconte l'histoire générale des cantons helvétiques depuis le moment
des insurrections rurales de i653 contre les oligarchies urbaines,
jusqu'à la destruction de l'antique confédération des Treize Can-
tons, amenée par l'intervention des armées de la république française
en 1798. L'auteur expose de la façon sobre, que nous avons caracté-
risée déjà, les péripéties les plus importantes de l'histoire extérieure
et de l'histoire interne des Eidgenossen durant ce siècle et demi,
sans se perdre dans les détails de i'hisioire particulière des cantons.
Nous appelons l'attention sur les chapitres où sont racontés les rap-
ports de la Suisse avec Louis XIV, avant et après la révocation de
l'Édit de Nantes et les querelles confessionnelles si vives des cantons
protestants et catholiques jusqu'à la proclamation dQ parité, en 1712.
Signalons aussi le tableau nullenient trop sévère des agissements des
oligarchies patriciennes de Berne, Bàle, Fribourg, etc., au xviii'= siècle
et des abus trop nombreux que leur système de gouvernement
1. P. 10 |., il faut lire Stahlingen pour StuUengeii; p. 127 Beiiihcim, p. Benheim ;
p. 128 « l'ilc de Dalonde » est le village de Dalhundcn, sur la rive gauche du Rhin,
autrefois sur une ile, dont les terrains ont été remblayés depuis. P. i3i, 1. Rin-
gendorf Cl Dauendorf pour Ringeldorf qx. Datvciidorf; p. 134, Mundolsheim, p.
Mandelsheim. — P. 65, la localité non identifiée par M. L. serait-elle le château
de Sandsee près de Raiisbonne?
2. Pourquoi écrire Siil:{, Ingweilev, Bischivciler pour Soult::^, Ligwiller, Bisclnvil-
lev ?
3. Comment un oflîcier en activité de service en 1704, avait-il pu « passer au
service de France avec les troupes weimariennes, c'est-à-dire au plus tard en
iG3q? C'est du père sans doute que M. 1.. veut parler, l^. 337. Les Erffa étaient
de vieille noblesse thuringienne et la famille existait encore au milieu du xviir siè-
cle. L'un d'eux était Kriegsrai et inourui en 1660; c'est probablement son (ils.
4. \'oy. sur le tome III la R. Ci: du G mai 1907.
49^» RKVUK CRITIQUE
« pairinical » autorisait au déuiincni des couches populaires, ainsi que
celui des premières tentatives faites au nom de ces dernières, pour
se soustraire à ce joug humiliant '. Le réveil des esprits, dès le milieu
du siècle ', prépara rèmancipaiion politique à laquelle devaient for-
cément aspirer les « sujets » de Berne, une fois que la Révolution eut
éclaté. Depuis i 7-'^<), et surtout depuis \-j[)i, les regards sont tournés
vers la France, avec l'espoir d'un secours, pour les uns, avec crainte
d'une attaque, pour les autres. Le Club helvétique à Paris devient un
fover d'agitation révolutionnaire, des mouvements se produisent dans
le Valais, le 'r>';;genbourg, le pays de Vaud, sur les bords du lac de
Zurich; ils sont réprimés plus ou moins facilement, plus ou moins
brutalement par les gouvernants. Mais après le i8 fructidor, quand
le Directoire se décideàa exploiter» la Suisse, comme il dépouille
l'Italie, il favorise de nouveaux soulèvements en se mettant d'accord
avec les chefs démocratiques, Ochs, de Bàle et Laharpe, du pays de
Vaud. La république du Léman est proclamée en janvier 1798,
Brune et Schauenbourg, marchent contre Fribourg et Soleure, qui
se soumettent, tandis que Berne seule essaie de lutter et voit ses
efforts brisés par les rencontres de Frauenbrunnen et de Grauholz.
Le 5 mars Brune entre à Berne; le 12 avril, la République helvé-
tique une et indivisible est proclamée; un Directoire est nommé, dont
la liberté d'allures est singulièrement paralysée d'ailleurs par les exi-
gences des généraux et des agents diplomatiques français, et la rapa-
cité de quelques-uns d'entre eux. M. Dierauer, en racontant la catas-
trophe de la vieille Constitution suisse, fait preuve partout d'un désir
d'impartialité complète. Sans approuver naturellement l'intervention
de la France. dans les affaires intérieures de son pavs, il accorde qu'il
y avait dans l'état bien des choses pourries, que la Révolution laissa,
malgré tout, intacts les germes d'où sortit plus tard un état politique
plus équitable et plus parlait. Nous espérons que l'auteur nous don-
nera encore un dernier volume, dans lequel il racontera le passé le
plus récent de son pays, de 1798 à nos jours, passé si riche en
exemples et en leçons pour les démocraties contemporaines.
R.
E.-S. Bâtes. ~ Touring in 1600, a Study in the Development of Travel as a
Means of Education, London, Constable, hjii, in-S", 417 pp. 12 s. 6 d.
Les Anglais ont toujours passé pour grands voyageurs : au début
du xvii<= siècle, ils avaient l'audace de pousser jusqu'à Constantinople
1. On ne s'explique pas qu'en parlant de Samuel. Henzi, de Berne (174g), du
pasteur Henri Waser de Zurich (1780), du major Abraham Davei, de Cully (1723),
l'auteur n'ait pas suivi l'ordre chronologique, en parlant de ces trois victimes,
inëgalem.ent intéressantes, des oligarchies cantonales.
2. La création de la Société helvétique en 1762, est un lait d'inipoitance dans l'his-
toire de ce réveil de la conscience nationale et de la liberté de penser en Suisse.
D HISTOIRE r.T DE LITTHRATURE 497
et en Moscovie, de plus hardis encore visitaicni l'Irlande. Ceux de
ces touristes héroïques qui avaient le bonheur de revenir dans la
mère-patrie, écrivaient généralement une <( relation » de leurs
voyages. C'est à l'aide de ces récits que M. E. S. Raies a pu écrire un
livre ton iniéressani. l{n i3qi, a vingt-cinq ans, Fynes Moryson
quille l'Angleterre, erre à travers l'Allemagne, les ]\tys-Bas, le Dane-
mark, la Pologne, l'Auirichc, la Suisse cl Tlialie; revenant quatre
ans après, il est dépouillé par des voleurs et rentre dans le pays natal
en si piètre accoutrement qu'on le prend pcjur un jésuite et qu'on
l'emprisonne. Ses aventures remplissent un imposant in folio. Inutile
d'ajouter qu'il trouva de nombreux imitateurs. Les grands seigneurs
débutaient dans la vie par un « tour » en lùirope. Les voyageurs
étaient si nombreux qu'il fallut écrire des guides à leur intention.
M. B. aualvse ceux que lisaient les contemporains de Shakespeare.
Venaient ensuite les manuels de conversation, car, en 1600, à part
l'Allemagne ei l'Irlande, où presque tout le monde comprenait le
latin, le touriste était tenu de parler la langue du pays qu'il visitait.
L'auteur fournit ensuite des détails abondants sur les moyens de
communication et de transport, les auberges, les lettres de crédit et
ne manque pas de nous renseigner sur les voyages chez le grand
Turc et le pèlerinage de Jérusalem.
Le livre représente une somme de travail considérable comme en
témoigne l'imposante bibliographie. On regrette seulement que l'au-
teur n'ait pas toujours su se borner. Ayant à sa disposition quantité
de matériaux ', il a voulu tout utiliser, d'où un entassement de
menus faits qui produit quelque confusion dans l'esprit du lecteur.
M. B. cède aussi à la tentation du style « pittoresque », et tombe
dans la vulgarité. Tout le développement sur le « congrès des hôte-
liers )> avec des réminiscences inattendues de Flaubert et la traduc-
tion en latin de cuisine ' de phrases d'argot anglais contemporain, est
dans un goût détestable. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la com-
position du livre.
Les illustrations — au nombre d'une trentaine — sont fort bien
choisies. On voit avec plaisir un reçu de la main de Rabelais, une
lettre de sir Henry Woiton dont l'histoire est curieuse, et des
estampes de Callot.
Ch. Bastide.
Floris DicLATTRE, Euglish Fairy Paetry from the Origins to the seventeenth
Century, London, Frowde, 1912, in-8°, 234 p.
La reine des fées, Mab, est bien connue, grâce au Songe d'une
1. Outre les récits des voyageurs anglais, il a consulté les relations des voya-
geurs tlainands, italiens, espagnols, français; il a lu les manuscrits du Musée bri-
tannique, de la Bodléienne, de la Bibliothèque de Tournai.
2. Ista capit biscottum, « She takes the cake », p. 273.
498 REVLE CKHIQUK
tuiil if été. On a jui ^c dcinnnJer poir quoi elle ressemble si peu aux
fccs de nos légendes. (Quelle est cette population lilliputienne d'elfs
ou do i;nonies sur laquelle elle rèyne, qui hantent les prés et les bois
et interviennent avec tant de malice dans la vie des hommes? Grâce
à M. Delatire, nous ue confondrous plus les elfs, goblins et kobolds
du nord avec Puck qui est d'origine celtique et Morgane la Française
et nous saurons que las/airies de Shakespeare perpétuent le souvenir
de la race naine qui occupait THurope avant la venue des Aryens.
Mais en mêlant les fées à ses fantaisies dramatiques, Shakespeare n'a
fait que reprendre un thème littéraire déjà traité par les poètes du
moyen âge et par quelques dramaturges du xvi'= siècle. Il peut donc
être intéressaiu d'en rechercher le développement et c'est ce que
M. D. a fait avec une précision d'information à laquelle il n'y a rien
à redire. Son étude contient six chapitres : définition des elfs eijairies,
le rôle des fairics dans la poésie du moyen âge, les fairies au temps
d'Elisabeth, le Songe d'une nuit i.T été, les fairies dans la littérature
postérieure à Shakespeare, enrin dans la poésie anglaise de Drayton
à Herrick. On trouvera en appendice le très curieux poème intitulé
Description du roi et de la reine des fairies, i in primé à Londres
en i635.
C'est l'analyse littéraire qui tient naturellement la plus grande
place dans le travail; mais l'auteur s'est demandé jusqu'à quel point
Shakespeare et ses contemporains crovaient à l'existence des fairies.
Puisque Palissy et Ambroise Paré se figuraient qu'il existait des
génies qui hantaient les grottes et les forêts, un simple homme de
lettres pouvait bien montrer quelque crédulité à l'endroit des little
people, dont les bonnes gens de Stratford-on-Avon devaient souvent
parler. Il semble que Tauteur dramatique ait partagé la foi des
plus illustres savants de son temps, d'un Bacon et d'un Burton.
Quelques années plus tard, cette foi n'était plus aussi vivace et le
thème littéraire dégénérait en artifice ; aussi bien M. D. s'arrête au
seuil du xviii'^ siècle, sans vouloir pousser son étude jusqu'à Pope et
les fées de la Boucle de cheveux enlevée, ^a conclusion mentionne
bien Thomas Hood et quelques autres, mais elle omet Kipling, donr
le Puck of Pook's /////reprend, sans succès d'ailleurs, le vieux thème
de Layamon. C'est avec raison que M. D. rend le puritanisme respon-
sable de la mort des fairies. Comme le christianisme avait tué le
Grand Pan, ainsi l'esprit de la Réforme fit disparaître Obéron, la
reine Mab et toute leur aimable suite.
Ch. Bastide.
Correspondance de Benoit XIV avec introduction, notes et table par Emile
de Heeckeren. Paris, Pion, 1912, 2 vol. in-8 de c-36j et 582 p. 20 francs.
Le titre de cette publication est trop général : elle renferme seule-
ment les lettres au card. de Tencin, archevêque de Lyon et ne com-
D HISTOIRE ET DK LITTÉRATURE 499
prend pas les lettres de Tcncin qui ont disparu; elle fait néanmoins
grand honneur à Benoit XIV. On savait bien qu'il fut un pape éclairé,
de mœurs pures malgré les propos salés qu'il ne se permettait
qu'entre Italiens et qui ne tirent pas à conséquence, mais on verra de
plus ici que son esprit et son cœur étaient exclusivement occupés de
ses devoirs. Dans cette volumineuse correspondance de 14 ans (1742-
56) où il s'épanche tous les 8 jours en pleine liberté, il badine quelque-
fois, mais on ne surprend pas chez lui une seule préoccupation qui
ne soit chrétienne. Il embrasse tous les besoins de l'Eglise, de l'Italie,
de son Etat, les besoins temporels comme les autres, et souffre, sans
jamais désespérer, quand il n'y peut pourvoir. Etranger aux intérêts
de famille, de parti, il fait face à tout dans la mesure du possible. II
n'aperçoit pas très bien le progrès de l'incrédulité, mais il veille aux
mœurs du clergé autant qu'à l'autorité et à l'orthodoxie de l'Eglise;
il contient les jansénistes, surveille les Jésuites, les missionnaires,
le zèle excessif, les jalousies; il défend de son mieux ses sujets contre
le prétendant Charles Edouard qui le récompense de son appui par
d'étranges indélicatesses, contre les Autrichiens et les Espagnols qui
se font la guerre à ses dépens, enfin contre les souverains et les
ambassadeurs qui en prennent à leur aise avec un souverain sans
armée.
Au reste, l'éditeur, dans une introduction étendue, a fort bien carac-
térisé la tolérance non dépourvue de fermeté de Benoît XIV ; il a très
bien jugé cette vaste correspondance extraite par lui partie des Ar-
chives des Affaires Étrangères de France, partie des Archives du Va-
tican. Il a dit avec raison qu'elle est moins instructive encore sur les
grandes questions du temps que sur mille détails relatifs à l'État
ecclésiastique. Peut-être n'en résultait-il pas la nécessité d'une publi-
cation à peu près intégrale de ces lettres; mais, à y pratiquer des sup-
pressions considérables, on eût privé les érudits d'une foule de parti-
cularités curieuses et utiles. Seulement deux omissions graves dimi-
nuent les services qu'on pouvait attendre de ces lettres. D'abord
M. H. les a beaucoup trop sobrement commentées et à peu près uni-
quement avec des documents français, ce qui peut suffire quand il
s'agit des luttes du pape avec nos gallicans, mais non dans la plura-
lité des cas, puisque d'ordinaire il s'agit d'événements qui se passent
en Italie et où des Italiens aujourd'hui oubliés mais alors assez en vue
sont en scène. M. H. n'est pas italianisant; c'est bien son droit et
Benoît XIV le remerciera même peut-être de la faute d'impression qui
dissimule une de ses gaillardises ; il n'y a pas non plus grand mal à
ce que M. H. croie, en dépit de Segneri, que la prédication en était
encore en Italie à la gesticulation ridicule, aux mots grossiers et aux
images indécentes de nos moines de la Ligue. Mais il n'en reste pas
moins que le cominentaire de plus de la moitié des lettres de Be-
noît XIV est encore à faire et que probablement la tâche ne sera
5oO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
jamais achevée, précisément [larce que la moitié en est faite. Secon-
dement, M. H. nous donne un index onomastique; mais la très juste
conception qu'il s'est faite de l'intérêt de cette correspondance appe-
lait, en outre, un index analytique auquel les intelligents sommaires
de sa table des matières ne sauraient en aucune façon suppléer. Les let-
tres de Benoit XIV fournissent quantité de détails ressortissant à des
catégories très diverses dont chacune peut intéresser spécialement tel
érudit. Sans doute le noinbre de ces catégories est arbitraire, mais il
eût fallu signaler les principales pour éviter à qui ne s'intéresse qu'à
l'une ou à l'autre une course hasardeuse à travers onze cents pages. .le
citerai les rivalités de communautés religieuses, les élections de
généraux d'Ordres, les questions d'étiquette, les théâtres, les mas-
ques, la médecine avec mention spéciale pour la vaccine, l'adminis-
tration du Comtat-Venaissin. C'est redire, en même temps, tout ce
qu'enseignent ces deux gros volumes.
Charles Dejou.
.VcADKMiK DES INSCRIPTIONS ET Belles-Lettres. — Séauce du 7 juin igi2. —
L'Académie procède au vote pour l'auribution du prix Gobert. Le premier prix
est décerné à M. F. Brunot, pour son Histoire de la Litiguc française \ le second
à M. P. de V'aissière, pour son livre intitule : Récits du temps des troubles
au A' TV" siècle. De quelques assassins.
M. F. de Mély étudie, dans les Très riches Heures du duc de Berry conservées
au Musée Condé de Chantilly, la page représentant les signes du zoviiaquc dessi-
nés sur deux corps féminins qu'Eugène Miintz jugeait inspirés de statues antiques,
mais dont il n'avait pu découvrir le modèle. i\l. de .Mély rapproche ces ligures du
célèbre groupe des Grâces de la Librairie du Dôme de Sienne. Deux des Grâces
sur trois ont encore leurs lètes. Découpant leurs corps dans la photographie et
les superposant comme ils le sont dans la peinture de Chantilly, il inontre que
celle-ci est une copie exacte de la partie la mieux conservée du groupe, qui était
déjà connu au commencement du xv» siècle. Ce serait Ui une nouvelle preuve de
la présence d'artistes italiens à la cour du duc de Berry, car la technique des
corps des deux femmes est complètement différente de f'idéal flamand de celte
époque.— AL le comte Paul Durricu et M. Salomon Rcinach présentent quelques
observations.
M. Eugène Cavaignac fait une communication sur l'organisation de l'aimée
Spartiate d'après Xénophon. — MM. Théodore Reinach, Dieulafov et Alfred Croi-
set présentent quelques observations.
Léon Dore/C.
L' imprimeur-gérani : Ulysse Rouchon.
LE PUY-EN-VELAV . — IMPRIMERIE PEYRILLER, ROUCHON ET GA.MON.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 26 — 29 juin. — 1912
Théophraste, Ilepl Xsçswî, p. A. Mayer. — Excerpta de Virtutibus, II, p. Roos. —
Weinberg, La loi de Notker. — Bockhoff et Singer, L'Apollonius de Henri de
Neustadt. — M. Marti, L'Avenir de Dieu, de Henri de Neustadt. — Lestrade,
Les Huguenots en Comminges. — Westcott, Nouvelles poésies de Jacques I.
— Feuillerat, L'Arcadie de Sidney. — Delattre, Robert Herrick. — Vulliod,
M""" Gottsched et Bougeant. — Clergeac, Les évèques de Gascogne. — Muthe-
sius, Gœthe et Charles-Alexandre. — Lauvrière, Edgar Poe. — Regnard, His-
toire d'Angleterre 1875-1910. — Jusserand, Ce qu'il faut attendre de Shakspeare.
— A. Stern, Histoire de l'Europe 1830-1848, II à 111. — E. Dupont, Le Mont Saint-
Michel inconnu. — Pottet, Histoire de Saint-Lazare. — L.de Chauvigny, Le fils
de Laclos. — Descartes, fvléditations, p. Gûttler. — Gillouin, La philosophie
de Bergson. — Frischeisen-Kœhler, Science et réalité. — Petzoldt, Le pro-
blème du monde. — Académie des inscriptions.
Theophrasti n£pt As^ew; libri fragmenta col legit, disposuit, prolegomenis instruxit
A. Mayer. Leipzig, Teubner, 1910; Lii-229 p. [Bibl. script, gr. et rom. Teub-
neriana).
Ce que M. Mayer s'est proposé, ce n'est pas seulement de recueillir
et de mettre en ordre les fragments du Dspl Aéçstoc; de Théophraste ;
ces fragments sont peu nombreux et en eux-mêmes assez peu impor-
tants. Il a voulu encore retrouver l'ensemble de la doctrine exposée
dans l'ouvrage, et il l'a cherchée dans les écrits des rhéteurs grecs et
latins, Cicéron, Denys d'Halicarnasse, Quintilien, Démétrius, qui ont
eu entre les mains le traité original ou tout au moins des extraits. Il a
donc réuni les passages qui lui ont semblé reproduire la doctrine de
Théophraste, et les a disposés méthodiquement, en insérant à leur
place, cela allait de soi, les fragments qui nous ont été transmis avec
le nom de l'auteur. Il était nécessaire que M, M., avec cette concep-
tion de son travail, justifiât l'origine théophrastéenne des théories
exposées dans les extraits qu'il a recueillis ; c'est ce qu'il a fait d'une
part dans la préface, où il détermine ce qui appartient à Théophraste
dans la technique de chacun des auteurs qui ont pu utiliser son livre,
et d'autre part dans l'annotation, où les détails sont plus amplement
commentés. En outre, pour atteindre à une plus grande précision,
M. M. a étendu ses recherches jusqu'aux oeuvres de rhétorique anté-
rieures à Théophraste, où celui-ci peut avoir puisé, à savoir celles
d'Aristote et d'Anaximène de Lampsaque. Quant à la disposition des
morceaux, elle devait observer l'ordre même du traité de Théophraste ;
Nouvelle série LXXIII 26
502 REVUE CRITIQUE
or cet ordre, comme le démontre brièvement M. M., ne peut taire
l'objet d'un doute ; le llipl Ai;£i.j; traitait successivement de quatre
sujets : ~z.z\ Ti'.tov ÀÔyoi» yapT/,T/',p»-jv, T.zp\ Èy.XoYT,; «ivofjLdtTOJv, T.tp\ 7jM6i(TEa>;
ôvoiJiâTtov, r.îol '.oewv. C'est donc sous ces quatre titres que les extraits
sont ranges. On voit que l'ouvrage de M. Mayer donne plus que son
titre ne promet; c'est plus que les fragments du Ikpî Aiçcox;; en réalité,
c'est la substance même du traité que ces extraits, dans leur disposition
régulière et leur suite probable, reconstituent pour le lecteur.
Mv.
Excerpta historica )ussu imp. Constantini Porphyrogeniti confccta edideruni
l," . IMi. Boisscvaiii, C. de Boor, Th. Buitncr-Wobst, vol. Il pars II. Excerpta de
^'i>■tl(tibus et I'jïjis, pars II, recensuit et praefatus est A. G. Roos, usus collationc
codicis Peiresciaiii a Th. Bùttner-Wobst confecta. Berlin, Weidmann, 1910;
XVI-416 p.
On n'ignore pas que Th. Biittner-Wobst n'a pu mettre la dernière
main à l'édition des Excerpta de Virtutibus., dont la première partie
seulement parut sous son nom (1906), après sa mort. M. Roos, qui
avait alors assumé la tâche d'éditeur (V. Revue du 27 février 1908),
termina, -quatre ans plus tard, le travail commencé, en publiant la
seconde partie, qui contient les extraits des auteurs suivants : Héro-
dote, Marcellinus (Vie de Thucydide), Thucydide, Xénophon, Denys
d'Halicarnasse, Polybe, Appien et Dion Cassius. Le manuscrit de
Peiresc, dont la collation faite par Biittner-Wobst a été à la disposi-
tion de M. R., n'est pas le seul qui serve à établir le texte ; B.-W.
avait déjà, dans la première partie (préf. p. xxix svv.), reconnu que
Suidas devait être considéré comme l'équivalent d'un manuscrit; les
observations de M. R. et son appareil critique renseignent pleine-
ment sur ce sujet. Cet appareil est disposé suivant une méthode diffé-
rente de celle du premier volume, et analogue à celle que suivit
M. Boissevain dans la publication du de Sententiis. Il est divisé en
plusieurs parties : une première donne les variantes des sources, le
Peirescianus et Suidas ; une seconde, les leçons des principaux manus-
crits, lorsque les œuvres nous sont parvenues ; en troisième lieu on
trouve les conjectures modernes les plus importantes ; enfin dans
une quatrième série de notes sont signalés, le cas échéant, les chan-
gements introduits par l'excerpteur dans le texte original. La collec-
tion est maintenant complète, conformément au plan indiqué dans la
préface du tome premier des Excerpta de Legatiotiibiis (p. viii), et
tout en rendant hommage au travail et à la science de chacun des édi-
teurs, Boissevain, de Boor, Biittner-Wobst, ce dernier suppléé par
Roos, il n'est que juste de remercier tout spécialement M. de Boor,
qui a pris l'initiative de cette importante publication, et qui y a con-
tribué pour sa large part.
d'histoire et de LITTERATURE 5o3
Sprache und Dichtung, Forschungen zur Linguistik und Literaturwissenschaft
hgb. von Dr. Harry Maync und Dr. S. Singer. Tiibingen, J. C. B. Mohr :
3. Heft : Zu Notkers Anlautsgesetz. von Dr. Isracl Wkinrrrg. 191 i, 2 m.
6. Hett : Heinrichs von Neustadt Apollonius von Tyriand und seine Quel-
len. Ein Reitrag zur mittelhochdeutschen und byzantinischen Literaturge-
schichte, von A. BoGKnoFF und S. Singer. 191 i, 2,40 m.
7. Heft : « Gottes Zukunft » von Heinrich von Neustadt. Quellenforschungen
von Martiia .M.\rti. 1911,4 m,
La loi de Notker pourrait, si nous arrivions à en pénétrer le sens, nous
éclairer sur un problème essentiel de l'ancien-haut-allemand, à savoir
la valeur phonétique des sons transcrits alternativement, b, d, g Qip, t,
k. M. Weinberg essaye, après bien d'autres, d'interpréter cette loi. Il
a pris le temps et la patience de faire des statistiques complètes, qui
donnent à ses essais d'explication un solide point d'appui. Le résul-
tat nouveau et important de ces statistiques est la preuve que, au
début de la phrase, on trouve en certains écrits de Notker, — au lieu
des j», ^ A- réguliers dans la plupart des œuvres — b, d, g après une
sonore. Cette constatation a fourni à M. Weinberg un moyen de déter-
miner la chronologie des œuvres de Notker, celles où paraissent ces
b, d, g étant les dernières dans l'ordre de date. Puis, elle donne de la
vraisemblance à la thèse d'après laquelle la différence des p, t, k et
des b, d^ g serait une plus grande intensité articulatoire des premiers
sons. M. W. fortifie aussi l'opinion qui veut que les jc, t, k du début
de la phrase représentent des mi-fories, sortes de moyen terme entre
les 6, d, g e: les p, t, k en toute autre position. La discussion n'est pas
close par ces recherches ; il y a aussi de l'arbitraire dans les hypo-
thèses de M. Weinberg. Pourtant le problème est mieux posé et il
semble qu'on approche de la solution.
M. Singer a publié en 1906 la première édition complète des
œuvres du poète viennois Henri de Neustadt. Au cours de son travail
ont surgi des questions et des difficultés dont il n'a pu donner alors la
solution définitive. Avec M. Bockhoff il vient de compléter son
enquête. Le but de l'étude des deux savants a été de mettre en lumière
l'originalité de Henri dans son Apollonius de Tyr. Pour cela, il a
fallu déterminer d'abord laquelle des versions de ce roman si répandu
au moyen âge a servi de modèle au poète allemand, puis en quelle
mesure il s'est écarté de son texte. Enfin, comme le poème de Henri
contient des passages assez importants inconnus à V Apollonius latin,
il a été nécessaire de chercher à quels auteurs s'est adressé ici notre
poète. Toutes ces études ont été faites avec attention ; toutes ont
donné des résultats appréciables, même lorsque l'identification des
noms géographiques ou historiques n'aboutit pas : la négative est
alors une affirmation, puisqu'elle démontre que Henri en a pris à son
aise avec la géographie et l'histoire.
C'est encore de Henri de Neustadt qu'il est question dans le livre
de M"« Marti. Élève peut-être, collaboratrice certainement, de
504 REVUE CRITIQUE
M. Singer, M"" M. a fait également sur la Gottes Zukiinft de Henri
une étude de sources, et a mesuré Tindépendance de ce poète vis-à-vis
de SCS originaux. Le poème religieux et philosophique de Henri dépend
surtout de VAnticlaudien d'Alain de Lille, de la Légende dorée, de la
Vita bcatae Mariae rhythmica, du sermon (faussement attribué à
saint Bernard) De Vita et Passione Domini, de Thomilie De Maria
Magdaïena d'Origène, et du Compendium theologicae veritatis d'Al-
bert le Grand. Mais M"'' M. fait voir que le poète allemand s'est sou-
vent livré à sa fantaisie et qu'il a marqué de sa personnalité l'œuvre
mise en vers par lui.
Après ces deux livres consacrés à interpréter l'œuvre de Henri de
Neustadt, il semble qu'il ne reste plus grand chose à apprendre sur
les sources de l'un des minores poetae de l'Allemagne médiévale.
F. PiQLET.
Les Huguenots en Comminges (nouvelle série). Documents inédits publiés...
par l'abbé Jean Lestrade. Paris, H. Champion; Auch, L. Gocharaux, 1910-191 1,
2 fasc. in-8° de xii-356 pages. (.Vrchives historiques de la Gascogne... "2^ série,
fasc. 14 et i5)
En procédant au dépouillement et à l'inventaire des Archives des
États de Comminges à Muret, M. l'abbé Jean Lestrade a retrouvé
toute une série de documents sur les guerres religieuses du xvi*" siècle,
qui complètent avec avantage le recueil déjà publié il y a quelques
années. Il se borne à présenter les lettres, délibérations, procès-ver-
baux, etc. tels qu'ils sont, en les accompagnant d'une sommaire
explication qui aide à les comprendre. Pour ce nouveau volume, il
a eu la bonne fortune de découvrir toute une collection de pièces iné-
dites sur Biaise de Monluc, notamment une lettre de Charles IX qui
dut faire l'orgueil de ce vaillant serviteur de la monarchie. 11 publie
encore des correspondances des lieutenants-généraux de Guyenne
Jean de la Valette, le maréchal de Matignon et le marquis de Vil-
lars. A ce propos, il remarque que ces derniers personnages sont-
peut-être trop relégués dans l'ombre et il souhaite de voir former
un recueil de leurs ordonnances qui serait précieux pour l'histoire
locale. Je suis heureux de pouvoir lui annoncer que la correspon-
dance du maréchal de Matignon ne tardera pas à être mise au jour,
autant que possible intégralement. Sans doute le fonds d'archives
qui la conserve souffre de grandes lacunes ; mais les ouvrages tels
que ceux de M. l'abbé Lestrade, s'ajoutant à ceux de MM. Cabié,
Gébelin et autres, aideront à les combler. Il est donc très satisfaisant
de voir les historiens locaux, grâce au concours que leur apportent
les Sociétés savantes et les associations comme celle des Archives his-
toriques de la Gascogne, consacrer leur temps et leur science à de tels
travaux. Ils font une œuvre extrêiTiement utile et on doit leur en être
fort reconnaissant. Les fascicules de M. l'abbé Lestrade se présentent
d'histoire kt de littérature 5o5
d'ailleurs dans les meilleures conditions ; les documents sont très
correctement publiés, ils sont accompagnés de notes précieuses: des
tables chronologiques et analytiques permettent enfin de les utiliser
le plus facilement du monde.
L.-H. Labande.
New Poems by James I of England, éd. A. -F. Westcott New York, Columbia
University l'ress, uj i i , iii-So, 121 pp. i d. 5o.
The Arcadia, premier volume des Œuvres de Sir Philip Sidney (éd. Albert
Feuillerat) Cambridge, University Press, 1912, in-i2,56g pp. 4 s. 6 d.
Ces deux éditions critiques sont excellentes. La première contient
les poésies inédites de Jacques I'^'' conservées au Musée britannique et
la seconde réimprime d'après l'édition de 090 le roman pastoral de
Sidney intitulé VArcadie. On lira avec intérêt les vers suivants de
Jacques l^"" adressés à son ami :
O divin du Bartas, disciple d'Uranie
L'honneur de nostre temps, poète du grand Dieu
Tes saincts vers doux-coulants pleins de douce manie
Distillés des hauts cieux volent de lieu en lieu
Comme esclairs foudroyants du grand esprit tonnant
Postillonent tonnants du levant au ponant.
Il est dommage que M. Westcott n'ait pas imprimé en appendice les
lettres du roi écrites en français qui se trouvent dans le même manus-
crit. Nous connaissons l'invitation qu'il adressa à du Bartas en 158-;
il aurait été bon de publier les lettres à du Plessis-Mornay et à du
Moulin. Sans doute les œuvres de Jacques I" ont eu moins d'in-
fluence que celle de sir Philip Sidney. M. Feuillerat, le distingué
professeur de l'université de Rennes, qui est connu par une étude sur
Lyly, a eu la patience, pour préparer une édition définitive de VAr-
cadie^ de coUationner les quatorze éditions in-folio publiées de i SgS à
1674, Grâce à la munificence de l'Université de Cambridge, les étu-
diants auront à leur disposition pour une somme modique le résultat
de ce travail de Bénédictin. Et l'on sait que l'on retrouve des rémi-
niscences de V A7-cadie dans toute la littérature anglaise du xvn" siècle
et jusque dans les pamphlets politiques de Milton.
Ch. Bastide.
Floris Delattre, Robert Herrick, contribution à l'étude de la poésie
lyrique en Angleterre au dix-septième siècle. Paris, Alcan, 19 12, in-8»,
570 pp, 12 fr.
Robert Herrick est un poète attardé du siècle d'Elisabeth qui.
méconnu de son temps, oublié pendant tout le xvii° siècle, fut décou-
vert et mis en honneur par les romantiques. Il est l'auteur d'un
recueil de vers publié en 1648 sous le titre de Les Hespérides . On y
5o6 REVUE CRITIQUE
trouve, comme chez la plupart des poètes de la Renaissance anglaise,
mêlées à beaucoup de tatras, quelques pièces absolument exquises.
Nul n'a chantd avec plus d'art et de grâce le printemps, la jeunesse,
l'amour. Détail piquant : cet épicurien était prêtre de l'Eglise angli-
cane. On connaissait fort peu de chose de sa vie, car ses contempo-
rain n'ayant su discerner son mérite, ne s'étaient guère occupés de
lui. Grâce à de longues et patientes recherches dans les archives,
M. Delaiire a réussi à mettre de la clarté dans ces ténèbres. Après
une jeunesse qu'on devine orageuse, Herrick se réfugia dans les
ordres. Il fut aumônier de Buckingham, ce qui n'était pas fait pour le
rendre sérieux, et alla ensuite se terrer dans une cure de campagne,
où il né cessa de regretter la capitale. Son exil se termina au bout de
dix-huit ans, d'une façon inattendue : il fut chassé de son église par
les puritains. Il est probable que le retour à Londres lui causa une
profonde déception ; le règne des puritains succédant à la brillante
époque des Stuarts, était peu propice aux poètes et, quand Charles II
revint enfin en 1660, làge empêchait Herrick de goûter pleinement
aux fêtes de la Restauration. Il retourna donc parmi ses paysans, se
remit à les baptiser, les marier et les enterrer, et mourut très vieux,
clergyman respectable et, nous voulons le croire, bien dévot.
M. D. Ta comparé à La Fontaine. Les deux épicuriens ont en effet
quelques traits communs. Mais c'est plutôt aux meilleurs de nos
petits poètes du xviii^ siècle que Herrick fait penser. Son œuvre
évoque souvent l'abbé poudré et élégant, disciple d'Anacréon, et dont
les vers, gaillards à Toccasion, divertissent les belles. Le sentiment de
la nature est chez Herrick, M. D. l'a démontré, assez artificiel, et
nos petits poètes, on commence à s'en apercevoir, savent être exquis
quelquefois.
La thèse de M. D. comprend trois parties : l'homme, le poète,
l'écrivain. On appréciera particulièrement dans la deuxième partie les
chapitres sur les femmes et l'amour et le pittoresque féminin. C'est
en chantant Julia, Anthéa, Lucia, Corinna et d'autres encore, et non
pas en rimant les actions de grâces des Noble Numbers, pieux appen-
dice d'un recueil peu chaste, que Herrick est vraiment original. Il
excelle à peindre une chevelure trempée de rosée, une gorge que cache
à peine la mousseline, une robe volant à la brise. Il ne faut pas lui
demander de brosser un tableau, il ne réussit que la miniature. Inu-
tile de chercher chez lui des éclats de passion ; païen et voluptueux;
il voit dans Julie uniquement la beauté physique et les roses dont il
couronne sa maîtresse, ont plus d'âme qu'elle.
Comme tous les disciples des Alexandrins, et comme les Alexan-
drins eux-mêmes, Herrick est qn imitateur. Profondément pénétré
d'Anacréon et de Théocrite, lecteur assidu d'Horace et des poètes
erotiques latins, Herrick traduit, paraphrase, ou adapte ses modèles.
Les poètes latins modernes ne lui sont pas moins familiers. C'est dans
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE :>0J
leurs œuvres oubliées que le commentateur d^s Hespérides ira donc
chercher l'une des « sources » du poète anglais. Cette partie de sa
tâche, M. D. s'en est acquitte' avec beaucoup de conscience. Il n'a pas
moins bien étudié le style et la versification de son auteur. Le livre
se complète par des appendices — pièces inédites et bibliographie —
un index analytique et la reproduction en photogravure de l'unique
portrait de Herrick. Les nombreuses pièces de Herrick qui ont été
citées, sont traduites en une prose rythmée d'un effet très heureux.
En résumé, la thèse de M. Delattre est un excellent travail où
l'auteur a su se monter érudit sagace autant qu'artiste délicat. Aussi
la Sorbonne lui a-t-elle accordé sa plus haute récompense '.
Ch. Bastide.
A. VuLLioD, La Femme Docteur. M">'= Gottsched et son modèle français
Bougeant ou Jansénisme et Piétisme. Paris, Fontemoing, 19 12. In-8", 323 p.
M. Vulliod a consacré sa petite ou seconde thèse de doctorat à la
traduction [Die Pietisterei im Fischbeinrocke oder die doctormàssige
Frau) que fit M'"* Gottsched d'une pièce du Père Bougeant, La femme
docteur ou la théologie tombée en quenouille.
Il donne le texte français et la traduction allemande sur deux pages,
en regard l'une de l'autre, et il annote texte et traduction. Les notes
de la traduction sont justes, instructives, et prouvent, non seulement
une profonde connaissance de la langue et de l'époque, mais une
grande finesse d'esprit et de goût \ M. V. ne manque pas de relever
les platitudes et les pauvretés de cette traduction.
I. Peu de remarques de détail : P. loi, l' " homme de Mr. Dell », plutôt le
« domestique » (man); p. iSy, la citation de Selden n'est pas une épigramme, c'est
une simple allusion à la théorie du contrat; p. 35G, n'y a-t-il pas une faute d'im-
pression dans la phrase : « l'élan enthousiaste plutôt », dont la construction paraît
bizarre ? — Ajouter à la bibliographie R. T. Kerlin, Tlieocritus in English Litera-
(în-e (thèse de Yale, 1910); s'il ne fournit que de maigres renseignements sur
Herrick imitateur de Théocrite, il cite en revanche l'ode à Herrick publiée en 1884
par le poète américain Clinton Scollard. — Le livre était probablement déjà sous
presse quand a paru le petit volume de Ch. J. Sembower sur Charles Cotton,
l'ami de Herrick. — P. 54g, ajouter English Extracts, Paris (Laisney), 1892 :
Blossoms; Lugné-Philipon, New English Reciter, 1907 : Fair Daftbdils.
2. P. io3 Mucker, pour signifier " sournois » puis « faux dévot », a passé d'abord,
non par le sens de « grondeur, bourru », mais par le sens de « grondeur,
boudeur » — p. 108 « la Constitution », c'est ici qu'il fallait mettre la note
de la p. iio et dire que ce mot désigne partout la Bulle Unigenitus — p. ii8
il fallait remarquer que les barbiers, les « fraters » se tenaient pour un peu méde-
cins — p. 129 icii verstehe mich wohl n'est pas un « évident gallicisme » — p. i3i
on oublie de noter que M™- Gottsched traduit « curateur » par Gevollmàchtigter
(elle entend évidemment « qui a une procuration », cf. p. 2 i3 et 291) et qu'elle
eût mieux fait de traduire par Curator, PJleger ou Reclitsbeistand — p. i33 et
3i5 M™" Gottsched traduit <• brouillons » pav Schmieralieii, qui signiherait ici,
d'après M. V,, des mauvais écrits, des bousillages ennuyeux et pédantesques; il
fallait dire qu'elle a pris le mot « brouillon » au sens de Concept, et, par suite, de
5o8 RKVOl. CRITIQLF.
On lui reprochera toutefois de n'avoir pas ramassé, condensé toutes
ces notes et de n'avoir pas, dans son introduction, résumé et précisé
en quelques lignes les défauts qu'il reproche à M"'" Gottsched dans
son commentaire : par exemple, qu'elle ne rend pas la vivacité pitto-
resque et l'agrément de certaines expressions; qu'elle efface des méta-
phores et atténue des locutions (ne traduit-elle pas « j'ai de furieux
soupçons » par « il est très vraisemblable? »; qu'elle outre maintes
choses et prête une singulière violence aux exclamations et aux
apostrophes des personnages; qu'elle fait, par instants, des additions
maladroites; qu'à d'autres instants, elle abrège et supprime — et il me
semble, ce que M. V. n'a pas noté, que la fin de la pièce offre des
traces très visibles de fatigue et de laisser aller : évidemment M""" Gott-
sched est lasse, elle brusque et écourte.
L'introduction se lit avec profit. M. V. nous trace le portrait de
M"" Gottsched d'après les lettres d'Adelgonde Kulmus à M'»^ de
Runkel; il apprécie très bien son caractère, son esprit avisé, ingé-
nieux, pénétrant ; il montre qu'elle était mesurée et sage et que, par
suite, elle détesta les piétistes comme elle détestait les athées; il con-
jecture avec raison qu'elle avait de secrets griefs contre les faux dévots
et les tartufes.
Geschmiere, tandis qu'il signifie, comme plus loin, M^irrkopf ou Stôrefried (cf.
p. 142 « prêtres brouillons » rendu au reste par Pietisten et p. 314) — p. iSy une
note n'était peut-être pas inutile au mot eifrig qui traduit « emporté », et il fallait
dire que M"'' Gottsched a traduit inexactement « méditer et savourer » par genies-
sen — p. i55 noter que « faisant quelques pas avec action » n'est pas rendu
par gan:^ ersclirocke» (de même p. 161 « assez bien apparenté », liât gan^ liiibsche
Frcunde) — p. 211, M"" Gottsched traduit « malin » par /e/c/;//er//g-, qui, ici, a
le sens de « prompt, vif, alerte », et non, comme dit M. V. d' « espiègle » — p. 2i3
Scluift n'est pas du tout » imprécis »; le mot signifiait alors convention, acte,
et il était synonyme de Contract — id. Meinung avait alors le sens d' <■ inten-
tion » — p. 2i5 il y a peut-être « faux sens d'expression » lorsque M""' Gottsched
traduit « charitable» par gewissenhaft, mais le mot n'est pas mal, et il veut
dire que Dorise à qui sa sœur a détendu de penser à Eraste, observe cette défense
avec scrupule et bonne foi. — P. 217, note 4, cette note sur le mot Gottseligkeit
aurait dû figurer plus haut p. 211 où le mot est déjà employé — p. 218-219
M'"" Gottsched n'a pas traduit le mot expressif « dédommagez-vous » (non plus
p. 224 que la phrase « éclaircir vos frivoles soupçons ») — p. 227 noter que
« incessamment » est mal traduit par noch heute et donner un bon point à
M"" Gottsched pour avoir rendu « mis en poudre » par iinter die Banck dispiitirt
— p. 277 M. V. trouve que arm iind von schlechten Leuten qui traduit « sans
bien et sans famille » est une outrance d'expression; cette traduction nous semble,
au contraire, exacte (littéralement 0 pauvre et issu de petites gens » et c'est ainsi
que M"'^ Gottsched traduit plus loin, p. 296 « a de la naissance et du bien » par
ist reicli und von giitem Hanse) — p. 279 pourquoi ne pas noter <• mérite » rendu
inexactement par Gottesfiircht (et cependant traduit plus loin p. 287 par Ver-
dienste)': — p. 287 noter dans cette page que la traductrice a oublié la fin de la
phrase, non seulement dans la deuxième tirade de Gléante, mais dans la première
(« 'Vous l'obstinerez, etc.) » — p. 3i3 peut-être fallait-il blâmer Einsicht au sens
de « Rùcksicht », considération.
d'histoirk et de littérature 5o9
On comprend donc qu'elle ait traduit la comédie satirique du
Père Bougeant parue à Lyon en 1730. M. V. fait voir que la Femme
docteur réunissait aux yeux de Gottschcd et de sa femme, de celle que
le professeur appelait son adroite amie, die geschickte Freundin, les
conditions qu'exigeait, selon les deux époux, la comédie allemande,
cette comédie qu'ils voulaient acclimater à Leipzig.
La pièce leur otîrait, en outre, un intérêt spécial. Gottsched avait
pris nettement parti pour Wolf contre le piétisme. Au lieu de peindre,
comme Bougeant, le milieu janséniste, le traducteur allemand ne
pouvait-il représenter les Collegia pietatis, les confréries des piétistes
allemands, des disciples de Spener et de Francke? Ces Sonderlinge,
ces étranges, ces singuliers personnages (et non, comme traduit
M. V., ces fantasques) ne se ressemblaient-ils pas, qu'ils fussent à
Paris ou en Allemagne?
M™® Gottsched traduisit donc en 1735 et, sans se nommer, publia
en 1736, à Leipzig — non à Rostock, comme porte le titre de l'ou-
vrage — la pièce du P. Bougeant. La traduction était, ainsi que le
prouve M, V., destinée à être lue, non à être jouée, et M. V. insiste
avec beaucoup de compétence sur les procédés de M™" Gottsched
et de son mari. Gottsched recommandait dans la traduction le
Zurichten. — M. V. dit « l'assaisonnement », mais je crois qu'il
vaut mieux dire « l'apprêt, la préparation, l'accommodement ». Il
fallait, selon Gottsched, préparer, apprêter, accommoder à l'allemande
les pièces étrangères, substituer des noms propres nationaux aux
noms propres exotiques, mettre la scène en Allemagne au lieu de la
laisser en France ou en Angleterre, transposer ainsi l'œuvre et lui
donner Tair et l'allure d'un produit indigène, original, né sur le sol
germanique.
Aussi M'"'^ Gottsched dit-elle qu'elle veut appliquer à la situation
de l'Allemagne l'affabulation de l'auteur français. Elle transporte la
scène de Paris à Kônigsberg. Elle germanise les noms de personnes
et les noms d'endroits; elle trouve des équivalents allemands aux titres
des ouvrages français et aux termes qui font allusion à des cabales et
à des points de doctrine. Géronte et sa femme Lucrèce deviennent
M. Glaubeleicht et M"'" Glaubeleichtin; Dorimène, Bélise et
M"« Baudichon la quêteuse, Frau Zankenheim, Frau Seufzer et
Frau Bettelsack. L'ofïicier Cléante devient le colonel Wackermann";
Bertaudin, le magister Scheinfromm ; La Bertaudinière, M. de
Muckersdorff ; Eraste, Liebmann '; Gilotin le colporteur, Jacob; la
mère Sainte-Sibille, Frau Plappegern ; l'abbé Brutal, Herr Unge-
stum, etc.
Ces transpositions sont toutefois l'unique mérite de M""^ Gottsched.
On a fait grand fracas de l'épisode de M™e Ehrlich ou, comme dit
I. Liebmann manque à la table des acteurs.
5lO REVUE CRITIQUE
M. V., de M"'' Loyal ' que M™'' Gotisched a substituée à M»"' d'Har-
pignac la plaideuse, de M""^ Loyal, cette femme du peuple qui s'ex-
prime en dialecte populaire. Voilà, a-t-on dit avec admiration, la
langue qu'on parle encore à Kônigsberg sur le Pont-aux-Poissons et
à Dan/.ig sur le marché aux choux ! Le morceau a été jugé savoureux
et la rigure de M'"'^ Loyal regardée presque comme un chef-d'œuvre.
Nous sommes d'avis, avec M. V., que M'"' d'Harpignac avait son
importance dans la pièce et qu'elle précisait le rôle de Frondebulle
et de Braillardin. Mais M™« Loyal est grossière, triviale; elle parle
trop longuement, et la querelle qu'elle fait à Scheinfromm nous dis-
trait et nous éloigne de l'action.
Au reste cette appropriation, si piquante et curieuse qu'elle soit
parfois, est, ainsi que s'exprime très bien M. V., un travestissement,
une déviation. M"^« Gottsched amalgame le jansénisme et le piétisme
et tient l'un et l'autre pour des « nouveautés », des « rêveries », des
« fantaisies mystiques ». Elle croit que les jansénistes sont des faux
dévots comme le Bertaudin du Père Bougeant et que les piétistes
sont ou des fourbes ou des dupes. Elle n'a pas su dépeindre le pié-
tisme comme Bougeant a su dépeindre le jansénisme, avec finesse,
en usant de nuances et de réserves. Elle n'a pas vu que le jansé-
nisme pouvait s'allier à des mœurs frivoles et que le piétisme est,
en revanche, tout rigorisme.
Bref, M""*" Gottsched n'a pas donné dans sa traduction, comme
a dit Schlenther, une « preuve de talent ». Elle n'a pas, selon
une autre expression de Schlenther, « innové avec bonheur » ni
« utilisé une forme étrangère pour y verser un contenu national » ni
« établi, par delà Bougeant, un plus étroit contact avec Molière ».
Elle n'a pas, comme prétend Waniek, tracé « une image de la vie
humaine •> et déployé « une force d'intuition et de création vraiment
poétique ». Elle n'a pas, comme écrivait récemment Buchwald, « en
se rattachant par un faible lien à une satire française, dirigé une
attaque aussi spirituelle que courageuse contre la fausse dévotion des
sectaires de Halle ». Quelles exagérations !
Elle aurait dû traduire Bougeant et non pas tenter de l'adapter.
Comment rendre l'original par d'exactes et authentiques équivalences ?
Comment « accommoder » Kônigsberg à Paris, et la vie de la Prusse
royale à celle de la Régence ? Comment dérouler un tableau des
mœurs allemandes en le calquant sur un tableau des mœurs pari-
siennes ? M°»' Gottsched, comme dit M. Vulliod à la fin de son
introduction si sagace, si soignée et si solide. M"' Gottsched voulut
garder l'édifice dont elle ne connaissait qu'imparfaitement et le plan
I. Je dis M"»» Loyal et non, comme M. V., M""' Loyale; il s'agit de traduire
Frau Ehrlichin ; or, cette dame est la femme de M. Ehrlich, et, comme nous tra-
duirons Ehrlich par Loyal, la femme de M. Loyal s'appellera Loyal et non
Loyale,
d'histoire et de littérature 5 I I
et le détail ; elle se contenta d'appliquer à cette construction une
façade hétéroclite et elle crut, la pauvre I nous donner le change par
un placage superficiel de corniches et de trumeaux '.
A. Chuquet.
Chronologie des archevêques, évéques et abbés de l'ancienne province
ecclésiastique d'Auch et des diocèses de Condom et de Lombez
(1300-1801), publiée... par l'abbé A. CLt:Rc,E.\c,... Paris, II. Champion; Auch,
L. Cocharaux, igi2. In-8° de xix-2r4 pages. (Archives ihistoriques de la Gas-
cogne... 2« série, fascicule i6.)
Voici un des ouvrages qui rendront certainement le plus de services
aux historiens ayant à s'occuper de la Gascogne ou de prélats de cette
région. On sait, pour peu que l'on ait consulté la Gallia christiana,
combien sont défectueuses les anciennes chronologies et combien il
est parfois difficile d'arriver à la vérité. Toute une recherche fasti-
dieuse est maintenant épargnée par M. l'abbé Clergeac. Il a fait
commencer ses listes au début du xiv^ siècle, car c'est à partir de
cette époque que le pape se réserve de plus en plus la nomination
des évéques et des abbés. C'est par conséquent dans les archives du
Vatican, les recueils de bulles, les livres des obligations et paiements,
les registres des actes consistoriaux, les livres de comptes et de quit-
tances, qu'il a fallu principalement puiser les éléments de la chrono-
logie nouvelle. M. l'abbé Clergeac n'y a pas manqué; il a complété
son information avec les archives locales, les documents conservés à
la Bibliothèque nationale et les publications des divers érudits. On
peut dire que maintenant les listes de prélats pour les évêchés et
abbayes de la Gascogne sont établies d'une façon définitive.
Une bonne table alphabétique complète le volume et permet de
retrouver facilement non seulement les noms des personnages cités,
mais encore les localités dont il a été question. L'ordre est bien établi,
mais pourquoi, puisque, avec toute raison, l'auteur a classé dans la
lettre L les noms composés avec Le, La, Les, a-t-il mis dans le G
le nom de La Garde, dans le 7" ceux de La Tour, etc.? Pourquoi
n'a-t-il pas appliqué la même règle pour les mots composés avec Du ?
L.-H. Labande.
Karl MuTiiEsius, Gœthe und Karl Alexander, Weimar, Bfihlau, igio. In-H",
VI et 1 16 p. 2 fr. 3o.
Ce livre de M. Muthesius sur Gœthe et Charles-Alexandre, grand-
duc de Weimar, est plein de détails intéressants et il offre une lecture
agréable. On voit d'abord Charles-Alexandre « salué par le génie »,
élevé par Soret « sous les yeux du poète », avec les petits-fils de
I. A noter encore, dans cette introduction, reloge des qualités du P. Bougeant;
sa pièce offre des traits tout à fait dignes- de Marivaux, et notamment le portrait de
cette Angélique si fine et qui mêle si joliment l'ironie à l'émotion.
5 1 2 REVUE CRITIQUE
Gociho. Wolfgang et Walther, et, à l'âge de quatorze ans, s'inclinant
avec respect devant le grand écrivain à son lit de mort. Puis, Charles-
Alexandre répand autour de lui le culte de Gœthe, et sa vie est,
comme dit M. Muthesius, une vie dans l'esprit de Goethe, in Gœthes
Geiste. Il veut organiser une fondation Goethe, une Gœthe-Stiftimg,
et c'est Liszt qui recommande et prône l'entreprise dans une brochure
en français : De la fondation Gœthe à Weimar : la fondation aura à
Wcimar un édifice magnifique; elle couronnera des œuvres qui seront
sa propriété, des œuvres de littérature, de peinture, de sculpture et de
musique^ chaque art à son tour, et ce sera, comme au temps
des jeux olympiques, pour les écrivains et les artistes, une brillante
occasion de se faire connaître. La fondation, comme on sait, ne devait
se réaliser que de nos jours. Ce fut encore Charles-Alexandre qui fit
élever le monument Gœthe-Schiller. L'inauguration eut lieu le 3 sep-
tembre 1857, le jour anniversaire de la naissancede Charles-Auguste.
La maison princière de Weimar avait souscrit pour 6.700 thalers;
Napoléon III et deux princes français donnèrent 2.600 francs; et on
recueillit à Milan 44 thalers, et à Berlin... un thaler.
A. Chuquet.
Lauvrière, Edgar Poe, Paris, Bloud, 1912. In-S», 25o p. 2 fr. 5o.
La collection « Ecrivains étrangers » publiée par la maison Bloud,
s'enrichit rapidement. Le dernier volume paru est une biographie
d'Edgar Poe. M. Lauvrière, déjà connu par une thèse sur le même
auteur, était tout désigné pour se charger de ce travail. Malgré ses
dimensions réduites, ce petit livre contient une biographie très com-
plète. Inutile d'ajouter que c'est une biographie écrite au point de vue
pathologique. M. Lauvrière n'a point jugé à propos de modifier les
conclusions de sa thèse, mais il a très consciencieusement ajouté à la
vie du poète certains détails que les critiques américains ont récem-
ment révélés. On retrouvera d'autre part les qualités de style et de
composition qu'on a pu apprécier en lisant le volume de M. Lau-
vrière sur Alfred de Vigny. - q^^ q
A. Regnard, Histoire de l'Angleterre depuis 1875 jusqu'à l'avènement de
Georges V. Paris, Alcan. (Bibliothèque utile). In-i8, 192 p. o fr, 60.
Ce manuel d'histoire contemporaine de l'Angleterre, et dont nous
avons sous les yeux la deuxième édition, rendra beaucoup de services.
C'est un exposé clair, succinct et impartial. Peu de remarques à faire :
p. 145, la vaccine n'est plus obligatoire en Angleterre; p. 147, le
paragraphe sur le bill d'éducation de 1870 est rédigé de façon à faire
croire que la loi est encore en vigueur, d'ailleurs la loi de 1902 n'est
pas mentionnée; p. i58, le rôle du « grand jury » est mal défini, rien
n'est dit des « jurys spéciaux ». Ce ne sont là que des vétilles.
Ch. B.
d'histoire et de littérature 5i3
J.J. JcssERAND, What to expect of Shakespeare, London, Frowde. In-S", 24 pp.
Rien de plus intéressant que cette conférence faite par M. Jusserand
devant la British Academy. C'est une vigoureuse synthèse de ce que
nous savons de la vie de Shakespeare, de ses idées, de ses ambi-
tions. Ce qu'on retire de son œuvre à laquelle il a si peu pensé lui-
même, c'est le profit que procure la fréquentation des plus grands
artistes. Dans son expression la plus haute, l'art se confond avec la
morale. Un drame shakespearien ne remue pas seulement les specta-
teurs, il doit les rendre meilleurs, car il est un effort vers un idéal.
M. Jusserand inaugure de la façon la plus heureuse la série des con-
férences sur Shakespeare que la British Academy se propose de
demander chaque année aux critiques les plus éminents.
Ch. B.
Alfred Stern. Geschichte Europas von 1830 bis 1848. T. II et 111, Stuttgart et
Berlin, Cotta, 191 1, in-S", 456 et 640 p., 9 mk. et 12 mk. 5o.
Ces deux volumes complètent la seconde partie de la Grande His-
toire de l'Europe de i8i5 à xS-ji entreprise par M. Stern, (le t. P"" a
paru en igoS). La valeur de cet important travail tient surtout aux
recherches étendues de l'auteur; M. St. ne s'est pas contenté de
résumer les travaux historiques parus, ni même de mettre en œuvre
les documents publiés ; il a visité de nombreux dépôts d'archives ; à
Berlin, Vienne, Francfort, Cassel, Copenhague, Berne, Florence,
etc., il a parcouru les correspondances diplomatiques et il en a fait
usage, non seulement pour le récit des négociations, mais pour l'his-
toire politique intérieure et même, à l'occasion, pour l'histoire éco-
nomique des divers états. On regrettera qu'il n'ait rien cherché, ou
rien pu voir à Londres ni à Pétersbourg, notamment pour l'étude de
r c( entente cordiale » et des relations anglo-russes en 1839-40. Il
n'est pas moins vrai que les textes très nombreux cités par M. St.,
apportent une assez grande quantité de détails nouveaux (p. ex. sur
le mouvement carliste et la révolution de la Granja) et beaucoup de
témoignages décisifs sur des points controverses (p. ex. l'histoire du
mariage du duc d'Orléans avec la princesse Hélène de Mecklem-
bourg, le rapprochement franco-autrichien de 1847 à propos de la
Suisse, etc. .
Tout en laissant la première place au récit des événements poli-
tiques et militaires, comme il est naturel dans une histoire de
l'Europe — qui n'est pas l'histoire des états européens — M. St. n'a
négligé ni l'histoire économique, ni l'histoire sociale, ni même l'his-
toire littéraire, dans la mesure où les écrivains ont agi sur le dévelop-
pement des doctrines politiques et la conduite des gouvernements,
Ainsi la Jeune Allemagne de 1830-1840, le mouvement néo-catho-
lique, le chartisme anglais, la renaissance de la Hongrie et des.
5 r4 RKVUE CRITIQUE
peuples slaves, le « régime Nicolas » en lUissie sont étudiés dans
leurs traits essentiels et parfois dans leurs détails les plus caractéris-
tiques. L'ouvrage de M. St. représente des lectures immenses et un
travail souvent très délicat de critique et de mise au point. Il y a, for-
cément, quelques lacunes d'information, quelques détails contes-
tables ip. ex. sur la Révolution de février), mais on n'en trouve pas
qui fassent tache.
D'une façon géné)-ale, ces volumes sont très supérieurs à tous les
récits généraux qui ont paru jusqu'ici; pour le règne de Louis-Phi-
lippe en particulier, M. St. a plus d'une fois l'occasion de compléter
ou de corriger Hillebrand et M. Thureau-Dangin, bien qu'il renvoie
souvent, avec raison, à leurs ouvrages.
Le lecteur français s'intéressera spécialement aux témoignages de la
politique personnelle du roi Louis-Philippe ; on y voit à merveille
combien, dès 1834, il évolue rapidement du libéralisme apparent des
premières années au système conservateur et répressif de Metternich,
sans gagner pour cela les bonnes grâces du chancelier autrichien, ni
surtout celles du tsar, qui parla toujours du roi des Français en termes
méprisants, et même grossiers (II, 273, le mariage du duc d'Orléans
est qualifié de « cochonnerie » par Nicolas 1er). Qn a cependant l'im-
pression que dans ces conversations avec les diplomates étrangers,
où il se montrait singulièrement rétrograde, Louis-Philippe était
peut-être plus soucieux de désarmer des méfiances persistantes que
d'exprimer ses préférences secrètes. C'est le seul point où la critique,
par ailleurs très avertie de l'auteur, semble quelquefois en défaut.
Le plus souvent, M. St., fidèle à la méthode de Ranke, dont il est
l'élève, s'abstient de juger, et laisse parler les faits. Si ses pré-
férences apparaissent parfois, c'est lorsque le patriotisme allemand
est en jeu, par exemple à propos du mouvement francophobe de
1840, et ce n'est jamais qu'en termes très modérés, avec des arguments
à l'appui (II, 413-414).
L'ouvrage contient, en appendice, des documents justificatifs,
notamment des rapports de diplomates français, Bois-le-Comte et
Bombelles, un intéressant témoignage du rôle joué, dans les événe-
ments de Naples en 1848, par un ancien fonctionnaire français,
Dupont, et plusieurs mémoires ou lettres de Metternich non publiés
dans le recueil imprimé par son fils, et relatifs surtout aux affaires
d'Orient en 1846-47 et aux vues de la Russie sur Constantinople.
R. G.
Etienne Dupont. Le Mont Saint-Michel inconnu, d'après des documents inédits.
Paris, Perrin et C'", iqi2. ln-80 de 320 pages.
Est-il bien si inconnu que l'auteur veut bien le dire, le Mont Saint-
Michel dont parle M. Etienne Dupont ? Certes, celui-ci a étudié, à pro-
d'histoire et de littérature 5i5
pos de la célèbre abbaye, les questions les plus diverses, depuis les œu-
vres liitéraires composées au Mont, depuis les manuscrits copiés par
les moines, jusqu'aux hôtelleries accueillant les visiteurs et pèlerins ; il
nous a parlé des miracles opérés dans l'abbaye et des cloches, des
guerres contre les Anglais et des prisonniers qui vécurent dans les
célèbres cachots du Mont, des donations consenties aux religieux en
Angleterre par Guillaume le Conquérant et de leurs relations désa-
gréables avec Madame de Chartière, femme d'un gouverneur au
xvii<= siècle, etc. Le récit se lit fort agréablement, mais combien en
est mince la trame! Comme les recherches vraiment originales de
l'auteur ont été peu étendues! On pourrait presque avancer qu'il n'a
prétendu qu'écrire un recueil d'anecdotes historiques présenté sous
une forme aimable. Un petit fait révélé par un chroniqueur, comme
par exemple le séjour au Mont Saint-Michel de Tiphaine Raguenet,
femme de Bertrand du Guesclin, lui donne l'occasion d'écrire un
chapitre sur l'astrologie pratiquée par les religieux. Il ne peut se
baser que sur la présence de quelques rares manuscrits dans la biblio-
thèque du Mont, et encore cela ne signifie pas grand'chose, puisque de
tels livres se trouvaient partout au moyen âge. N'importe, M. Etienne
Dupont a bâti son chapitre tant bien que mal. Il n'a du reste fait que
répéter ce que l'on avait déjà dit, avec plus ou moins de vérité, sur
la première femme de du Guesclin, et l'on peut se demander où
furent ici ses documents inédits. On pourrait en dire autant pour
d'autres pages, et l'auteur lui-même s'en est bien rendu compte,
puisque dans une note de sa préface il annonce que son livre n'ap-
prendra rien, sans doute, « à une douzaine de michéliens très érudits » ;
mais, ajoute-t-il, « ce n'est pas à eux que ce volume s'adresse ». A la
bonne heure, nous voici avertis. Ne cherchons donc pas ici un recueil
de documents et une étude historique approfondie, contentons-nous
de respirer avec plaisir le parfum de ce « bouquet de fleurettes », que
M. E. Dupont a « déposé en hommage filial au pied de la célèbre
montagne ».
L.-H. Labande.
Eugène Pottet. Histoire de Saint-Lazare (1122-1912). Paris, Société française
d'imprimerie et de librairie, 1912. In-i6 de xi-340 pages.
M. Eugène Pottet a étudié la maison de Saint-Lazare de Paris
beaucoup moins en historien qu'en fonctionnaire dé la Préfecture de
police. Ce n'est pas tant le passé qui l'intéresse que le présent; de
toutes les personnes qui ont vécu depuis le xii'- siècle dans les bâti-
ments de Saint-Lazare, c'est la population actuelle qu'il connaît le
mieux. Il aurait d'ailleurs pu fort bien supprimer de son livre
la partie historique et se contenter de considérer Saint-Lazare comme
maison d'arrêt et de correction ou infirmerie spéciale. Les pages qui
concernent les lépreux et les missionnaires à Saint-Lazare ne sont
5 l6 REVUE CRITIQUE
pas seulement exirômement réduites; bien qu'elles aient été inspi-
rées par quelques monographies particulières, désignées d'une façon
insuffisante (il est évident que M. Poitet n'était pas préparé à
écrire des livres historiques), elles sont encore mal composées et
présentées sans ordre. L'auteur a deux chapitres sur Saint-Lazare
pendant la Révolution et la Commune de Paris, mais comme son
livre ne suit pas un plan régulier, il les a intercalés, le premier
entre le chapitre sur le régime pénitentiaire et les reformes projetées
et celui qui est relatif aux détenues de droit commun, le second entre
ceux qui concernent la réglementation de la prostitution et les cri-
tiques adressées par la presse au Saint-Lazare de nos jours. On
voit combien tout cela est défectueux. M. Eugène Pottet a égale-
ment consacré quelques pages à la biographie des prisonniers les plus
célèbres de Saint-Lazare sous la Révolution, mais elles paraissent
plutôt empruntées à des dictionnaires comme le Larousse que rédi-
gées d'après des recherches personnelles. Il faut faire exception pour
les documents sur Fouquier-Tinville, extraits des Archives natio-
nales qui sont intercalés en hors d'oeuvre. Si le côté historique
est faible, la partie que j'appellerai administrative du livre de
M. Pottet est plus sérieusement documentée et rendra plus de ser-
vices, mais quel dommage qu'elle ne soit pas présentée avec un plus
grand souci de la composition !
L.-H. Labande.
Le fils de Laclos, carnets de marche du commandant Choderlos de Laclos
(an XIV-1814), publiés avec une préface et des notes par Louis de Ghauvigny.
Paris, Fontemoing, 1912. In-S», 264 p., 5 francs.
Ces carnets de marche méritaient d'être publiés, et le volume qui
les reproduit est très joliment exécuté, orné de douze gravures hors
texte en noir et en couleur — à signaler et à louer le pastel de Laclos,
les deux pastels de M"»^ de Laclos (Soulange Duperré) et la miniature
de M"« Pourrat.
Etienne de Laclos, l'auteur de ces Carnets, fils du célèbre Laclos et
de Soulange Duperré, a fait les campagnes de 1 8o5 et de 1 806 en Alle-
magne et celles de 1809 ^ 18 12 en Espagne et en Portugal et il était
chef de bataillon adjoint à l'état-major général du 6*^ corps d'armée
lorsqu'il mourut, frappé d'une balle à la tête, le 18 mars 1814, à
Berry-au-Bac. Il y a de tout dans ses carnets : une prière très belle et
vraiment admirable composée par la femme du général Beaumont
pour ses fils qui sont à l'armée, une chanson de cavaliers assez leste,
des visites aux filles — que j'aurais supprimées « sans vergogne » tout
comme Etienne de Laclos les raconte — des listes de mots allemands
et polonais que le jeune Laclos apprenait par cœur, etc. Ce sont, en
somme, de simples notes destinées à servir plus tard de mémento.
Quelquefois pourtant l'otîicier entre dans le détail. Il dépeint Napo-
d'histoire et de littérature 5 17
léon et décrit Berlin, Postdam, Danzig. Il consacre quelques pages à
l'entrevue de Tilsit, et on conçoit qu'il n'aurait pas donné à ce moment
sa place pour dix louis, car il voit la garde russe qui fait « la céré-
monie la plus extraordinaire » pour relever les postes; il voit le camp
des Kalmouks, « farouches, barbares, hideux » ; il voit Alexandre,
grand et bel homme à la figure distinguée qui « doit faire le bonheur
de ses sujets », le grand-duc Constantin qui paraît vif et emporté, le
roi de Prusse qui a l'air contrit. Et quel cri touchant échappe à
Laclos le 28 juin 1807 (cp. p. 118) : « O bienfaisante paix! Viens,
terminer les maux de ces innocents et paisibles habitants que la guerre
a affreusement lésés. Moi, jeune militaire, j'ai longtemps désiré que
la guerre se prolongeât pour obtenir de l'avancement dans ma car-
rière; mais hélas! je ne puis plus longtemps désirer ce qui fait le
malheur de millions d'âmes. »
L'éditeur, M. L. de Chauvigny, a joint à ces carnets une corres-
pondance qui renferme, entre autres pièces intéressantes, trois lettres
de Marmont et plusieurs lettres de M"^« Pourrat à M™« de Laclos.
Il annote parfois les carnets et il donne sur nombre de personnages
des notices complètes qu'il a tirées des archives. Toutefois, il aurait
dû identifier avec plus de soin les noms de lieux; quelques-uns ont
été restitués; beaucoup sont estropiés'.
Sa préface, d'un style vif et alerte, pittoresque et imagé, se lit avec
agrément et profit. On y remarquera ce que M. de Ch. nous raconte
des débuts d'Etienne de Laclos qui fut protégé par Alquier et par
Marmont. Quel roman y a-t-il sous certaines lettres d'Alquier? Evi-
demment, Alquier a aimé M™" de Laclos. Il invite Soulange Duperré,
après la mort de son mari, à venir le rejoindre en Italie : « Ah! Sou-
lange, si je pouvais passer ma vie avec vous! », et M. de Ch. ajoute
qu'il y eut sans doute en Italie, entre Alquier et Laclos, « un drame
intime. »
Nous ne sommes pas d'accord avec M. de Ch. lorsqu'il qualifie le
général Beaumont de « fameux maître » — Beaumont ne fut pas un
I . L'erratum de ces noms serait trop long et nous le tenons à la disposition de
l'éditeur Voici seulement quelques observations sur d'autres points. P. 39-40 il
fallait écrire Wintzingerode et non Vinsingorod et ajouter que ce personnage n'était
pas « commandant en chef ». — P. 52 lire Baraguey et non Baragiiay. — P. 64
Belliard n'était pas « chef d'état-major de Dumouriez ». — P. gb lire (dans la note
sur Marulaz) Zeiskam et nonZieskamm. — P. cSy l'expression» diligence d'eau «qui
semble étonner l'éditeur, était alors usitée. — P. i5i il fallait mettre en note que
Laclos se trompe en écrivant » le général Wallenstein-Tilly », puisqu'il y a un général
Wallenstein et un général Tilly, et, par suite, imprimer à la table (où il faut lire
p. i5i et non pas p. i63), non pas Wallenstein-Tilly, mais Wallenstein, quitte
à mentionner plus haut Tilly, entre Thévenot et Tinel. — P. 187 (et table), lire
Canuel et non Cannel). — P. 193 (et table) lire Monnier et non Mounier et ajouter,
pour plus de clarté, que cela se passait à Ancône. — P. 21g, 221 et table, lire,
non pas Ramon, mais Ramond. — Table, lire, non Xaxier, p. 23o, mais Xavier,
p. 23l .
5 I 8 REVUE CRITIQBE
grand cavalier, un « magister cquiium » et son rôle an 1796 ne lui fait
pas honneur. Nous croyons aussi que M. de Ch. exagère un peu
quand il dit que Laclos fîls connut Oudinot et Murât, qu'une cer-
taine faveur s'attachait à ce nom, que tous ces hommes qu'il approcha
« apercevaient derrière lui comme une ombre plus grande qu'eux »,
ou bien quand il retrouve dans les notes du (ils « une certaine parenté
desprit avec le père », ou bien quand il juge que Marmont n'eut jamais
plus de talent qu'en 1814 '.
Mais nous approuvons M. de Ch. lorsqu'il s'élève contre la réputa-
tion d'immoralité faite à Laclos. Le livre de cet homme qui ne fut
peut-être pas aussi « Valmont » qu'on l'a dit, est, selon M. de Ch., à
peine plus perrtde que les Mensonges de Bourget,et Laclos n'a pas été
« l'homme noir » que représente Michelet, ni aussi diabolique qu'on
se le figure d'ordinaire. M. de Chauvigny nous le montre éducateur,
stimulant son fils moins par des sévérités que par « une lettre de change
tirée sur son cœur », cherchant avant tout à lui donner « santé, pro-
bité et quelque instruction », lui proposant Franklin pour modèle et
regrettant que, sous la Révolution et à cause de la Révolution, son
enfant n'ait pas « assis ses connaissances premières sur des bases suf-
fisantes », grondant Etienne qui fait des dettes et les payant sur le
champ parce qu'il y a là une question de principe « avec laquelle il
est impossible à un honnête homme de transiger ».
Terminons par ce mot de Laclos que cite M . de Chauvigny. « Mon
fils, dit un jour Laclos, désire souvent m'avoir écrit; mais il préfère
toujours aller courir ou s'amuser à l'action de m'écrire. C'est le sujet
des reproches qu'on peut faire à tant de gens : tous désirent savoir et
très peu désirent apprendre ».
A. Chuquet.
— M. GùTTLER a publié une deuxième édition des Méditations métaphysiques
de Descartes [Meditationes de piima philosophia. Avec une Introduction histo-
rique, des notes et un portrait. Beck, Munich, igi2, xii-269 p. 5 M.), d'après la
deuxième impression d'Amsterdam et la première traduction française. Le texte
de la deuxième édition, parue chez Henry Le Gras en 1661, figure en regard de
l'original latin, avec ses préfaces, son appendice et la confrontation des 4 traduc-
tions de la l'e Méditation et de l'appendice. Rappelons que la première édition
I. Que l'éditeur me pardonne l'observation suivante. 11 dit p. 3o : « Tels étaient
les aînés qui, suivant l'expression un peu emphatique du colonel Boudin, du 144%
mandaient à Laclos qu'il était de leur choix ». Il s'agit d'une lettre que Boudin
écrit à Laclos fils en avril i8i3. Or, les « aînés » que cite l'éditeur, Marulaz. Mau-
petit, Ludot, Clément, alors tous généraux, ne mandent rien à Laclos, et pour
cause, puisqu'ils n'appartiennent pas au 144° de ligne. C'est le colonel du 144^,
Boudin, qui regrette que Laclos soit nommé dans son régiment chef de bataillon
à la suite, et non pas chef de bataillon en pied, et l'expression dont Boudin se
sert, n'est pas « un peu emphatique « ; il « désirait » Laclos; donc Laclos, comme
il dit, était « de son choix », et il n'y a pas dans ces derniers mots la moindre
emphase.
d'histoire et de littérature Sig
de M. Gûttler date de 1901 et est par conséquent postérieure à celle de M. Thou-
venez (1898). — Th. Sch.
— M. René Gillouin a réuni en volume ses articles de la Revue de Paris sur
La philosophie de M. Henri Bergson {Grasset, igiijVi-iSy p. In-i8, 3 fr. 5o), qui
lui apparaît, à lui aussi, comme « la matrice de toute philosophie future », et
dont " la suprême originalité » est de « donner à la notion d'intuition un contenu
positif et rigoureusement déterminé » (p. 32. Cp. dans la Revue du Mois de mai
i'ne méprise sur l'Intuition bergsonienne par Julien Benda) et de mettre en pleine
lumière la valeur métaphysique de l'instinct (p. 41), tandis que la « thèse capi-
tale » (p. 76) du nouvel Evangile est d'établir « une différence radicale entre le
temps, milieu homogène vide, et la durée, substance même de notre vie inté-
rieure ». D'autre part, « l'idée de tension » lui permet « de lever l'opposition de la
quantité à la qualité, comme celle d'extension l'opposition de l'étendu à l'iné-
tendu I) (p. 108). Le fait de rattacher la vie à l'ordre de l'esprit et non pas seule-
ment à celui de l'intelligence, <■ qui n'est que la partie de l'esprit appropriée à la
matière et moulée sur elle » (p. 124), permet à M. Bergson « de dépasser à la fois
les deux théories de la vie entre lesquelles jusqu'à lui se partageaient les philo-
sophes, le mécanisme et le finalisme ». Bien plus, son explication de la vie,
« synthèse des principales doctrines occidentales, rejoint encore et sait intégrer,
en ce qu'elle a de meilleur, la pensée de l'Orient » (p. 177). Bref, « depuis Platon,
nul philosophe n'a écrit cette langue si claire et si pure, où la vigueur de la rai-
son s'orne de toutes les grâces de la poésie » (p. 4). C'est donc en disciple enthou-
siaste et convaincu que M. G. nous introduit dans cette « métaphysique positive »,
à laquelle il n'ose faire qu'en terminant un seul et timide reproche, celui de
11 n'accorder pas l'importance qui revient au problème du mal » et de n'avoir
« pas le son tragique de ces doctrines » qui, bouleversant et transformant
l'homme, « vont le plus avant dans les profondeurs de l'être » (p. i83). Ne serait-
ce pas là précisément une des raisons du succès mondain de cette doctrine qui
riatte si discrètement notre orgueil en restaurant la distinction surannée entre
l'àme et le corps et en nous séparant « du reste de l'animalité » (p. 171), nous qui
seuls avons « sauté l'obstacle » opposé par la matière à l'élan de la vie ? — ,Th. Sch.
— Un disciple de Dilthc}', M. Max Frischeisen-Kœhler, étudie et veut prouver,
à son tour, dans la collection de Wissenschaft und Hypothèse (XV), le caractère
objectif de la réalité : Wissenschaft und Wirklichkeit (Teubner, Leipzig et Berlin,
191 2, vm-478 p. 8 M.). En scrutant les assises philosophiques des sciences, il
entend donner au Réalisme critique une nouvelle base. Son chapitre essentiel est
le deuxième de la deuxième partie : Le Moi et le monde extérieur ; il y démolit le
solipsisme et critique le monisme expérimental en maintenant l'unité de l'expé-
rience, mais en postulant la variété des modes de conscience, dans lesquels le rap-
port [Erlebnisbe:{ieliung) du Moi au monde extérieur prend une place éminenie,
rapport qui, loin d'être une simple relation dans le connexus de la connaissance,
lui procure seul son objet et sa valeur et crée ainsi une dualité rebelle à toute exi-
gence d'unité de la science. Le chapitre suivant et dernier développe la notion de
la réalité empirique, discute l'agnosticisme et la conception exergétique de la
nature et précise le degré de réalité des phénomènes sensibles. Ce livre n'est pas
d'une lecture aisée, mais on y trouvera une appréciation motivée des principales
opinions émises sur le sujet par les voix les plus autorisées. — Th. Sch.
— Tandis que la i'^ édition (1900) du Weltproblem de M. J. Pktzoldt avait
paru dans la collection AusNatur und Geisteswelt, la 2« (Teubner, 1912, xii-210 p.
3 M,) figure sous le n" 14 de celle de Wissenschaft und Hypothèse, qui a été
520 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
introduite par les deux principaux ouvrages de M. H. Poincaré. Le sous-titre du
W'eltfroblem, a savoir : vom Staudptinikte des relativistischen Positivismus ans
historisch kristisch dargestellt et le fait qu'il est dédié à M. Mach, en proclament
assez haut la tendance, qui est de défendre, sans réserve, le point de vue positi-
viste de MM. Schuppc, Mach et Avenarius, et de considérer toute l'histoire de la
philosophie comme une suite d'égarements provoqués par la notion, toute imagi-
naire, de substance et interrompus seulement par les tentatives relativistes incom-
plètes et incomprises de Protagoras et de Hume. Cette 2* édition est enrichie
surtout des !?§ 85-87, "l^i veulent éclairer la valeur actuelle des mathématiques et
de la physique pour la théorie de la connaissance. Au reste, on coimaît les grandes
qualités du style de l'auteur de VEinfûlinoig m die Philosophie der reinen Erfah-
riing: il écrit avec beau»t)up de verve et n'est jamais pédant ni ennuyeux ni
obscur. On pourra trouver son point de vue outré ou trop absolu et suivre tout
de même avec fruit et intérêt ses brillants et vivants développements. Son allure
entraînante et convaincue nous rappelle celle d'André Lefèvrc dans sa Philoso-
phie de la Bibliothèque des sciences contemporaines (1879), avec plus de profon-
deur peut-âtre et aussi une imagination plus variée. — Th. Son.
Académie DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 14 juin igi2. —
M. Henri Cordier est délégué pour représenter l'Académie à l'inauguration du
monument élevé à Boulogne-sur-Mer à la mémoire du D' Hamy.
M. Héron de Villefosse présente, au nom du R. P. Jalabert, professeur à l'Uni-
versité de Beyrouth, une note sur une inscription latine récemment découverte
dans cette ville. Ce texte concerne un tribun de la légion VII Claudia, C. Valerius
Rufus, originaire de Beyrouth, qui fut envoyé à Chypre avec un détachement de
cette légion pour participer à la répression d'une révolte des Juifs si nombreux
dans cette île. Cette révolte était la conséquence de soulèvements analogues qui
venaient de se produire en Cyrénaïque et en Egypte. En 116-117, les Juifs de
Chypre sous la conduite d'Artémion avaient mis tout le pays à feu et à sang. La
ville de Salamine fut entièrement saccagée par les insurgés. La nouvelle inscrip-
tion apporte un renseignement précieux pour l'histoire de cette insurrection en
faisant connaître le nom et la carrière d'un des officiers qui contribuèrent à l'étouf-
fer.
M. Jullian donne lecture de son rapport sur le Concours des Antiquités natio-
nales.
M, Bernard-Haussoullier communique une inscription de Delphes. C'est un traité
d'assistance judiciaire conclu au iii^ s. a. C. entre Delphes et Pellana, ville
d'Achaie. M. Haussoullier restitue deux fragments relatifs à la formation des tri-
bunaux. — MM. Perrot et Théodore Reinach présentent quelques observations.
Léon Dorez.
IS imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon
»
4
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
II
Nouvelle série. — Tome LXXIV
QUARANTE-SIXIÈME ANNÉE
»
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE
Directeur : M. Arthur GHUQUET
QUARANTE-SIXIEME ANNEE
DEUXIEME SEMESTRE
Nouvelle Série. — Tome LXXIV
's^/^^ijp'^^t^&^te^^
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28, VI«
191 2
ANNEE 1912
TABLE DU DEUXIEME SEMESTRE
TABLE ALPHABETIQUE
pages
Abboti, Le peuple de Rome (R. C.) 247
Abercius (Vie d'), p. Nissen (P. de L.) 128
Abousir el Meleq (Textes grecs d') — Jean Maspero 387
Abry, Atjdic et Crouzet, Histoire illustrée de la littérature
française (L. Roustan) 453
Adher, Le Comité des subsistances de Toulouse (A. Mathiez). 174
Adorjan, Destinées et carrières (L K.) i38
Albin, Le coup d'Agadir [A. Biovès) 56
Alfonsi (Pierre), Disciplina clericalis, p. Hilka et Sœderhjelm
(E.) 282
Ancona (d'), Articles sur Dante (Ch. Dejob) 358
André (l'apôtre), Actes apocryphes, p. Flamion (A. Dufourcq) 367
— (A. Loisy) 367
Andrews, Littérature anglaise, 2'' éd. (Ch. Bastide) 410
Apelt, Pries et Hegel (Th. Sch.) jj
Arbois (d'j de Jubainville, Traduction du Tâin bô Cûalngé,
ni (G. Dottin) 489
Archimède, p. Heiberg, I (My) 246
Archivio Glottologico, XVir(E. B.) î8o
Arnaudin, Chants populaires de la Grande Lande, I (L. Pi-
neau) 378
Arnauné, Le commerce extérieur et les tarifs de douane
(H. Hr) 236
Arnheim, La cour de Frédéric (L. Roustan) 171
Arnold (M. L.), Les SoliloquesdeShakspeare (Ch. Bastide). 91
Arréat, Génie individuel et contrainte sociale (Th. Sch.). . 36o
Arvanitopol'los, Un trésor ihessalien (A. de Ridder) .... 41
Aster, Grands penseurs (L. R.) 3i5
VI TABLE DICS MATIERES
Al'hert, Scnlis (H. de Curzon) 355
AuERHACH, InsiiLictions des Ambassadeurs de PVancc près
la Diète (R.) 254
Augé-Laribk, L'évolution de la France agricole (Henri
Hauser) 5 18
Aus DKH Fi'ente(H.), L'esthctiquc_de Humboldi (Th. Sch.). 359
Aynard, Londres (H. de Curzon) ly-
Beaumker, L'Alsace au moyen âge (R.) 287
Baier, Les provisions papales (L. -H. Labande) 89
Balthasar, La querelle des Franciscains (L.-H. Labande). 89
Barcza, Le droit de suffrage en Hongrie (I . K.) 139
Bartscherer (M"'), Le jeune Gœthe (L. R.) 1 1
Bastide, Anglais et Français du xvii" siècle (A. Biovès) . . 47
Baudrillart, Histoire de France (E.) 257
Baumgarten, Sermons (A. L.) 499
Bavaroises (Archives) de la Guerre, XXI (A. Chuquet) ... 413
Beaumont et Fleicher, p. Waller, X (Ch . Bastide) 411
Bellangé, Spinoza et la philosophie moderne (Th . Sch.).. 79
Bellissima, Corpusculum inscripiionum latinarum (C.)\ . . 336
Bentron, Textes kanouris (R. Basset) 402
Berlière (dom), Suppliquesd'Innocent IV (L -H. Labande). 6
Berzeviczy (A. de), Béatrix d'Aragon (l. Kont) i3o
Biasotti, Diaconies romaines
— Sainte-Marie-Majeure (L.-H. L.) 336
Bibliographie lorraine (L. R.) 173
BissiNG, Le Kaî des anciens Egyptiens (G. Maspero) 326
BissiNG, Vases préhistoriques (G. Maspero] 341
Bloch et A. Tuetey, Le Comité de mendicité (A. Mathiez). 174
Blondel, Les embarras de l'Allemagne (A. Waddington). . 394
Boeser, Les tombeaux memphites du Musée de Leyde
(G. Maspero) i85
B01GEY, Le massif des Béni Snassen (A. Biovès) 35 r
Bonn, La tâche coloniale de l'Allemagne (B. A.) 100
Borchardt, Le portrait de la reine Teje (G. Maspero) 161
Bouard (de), Les actes des notaires du Châielet de Paris
(L.-H. Labande) 284
BouRGiN (G. et H . ). Le socialisme français (A. Biovès) .... 279
BoYssoN (de), La loi et la foi (A. L.) i52
Brackman. La province de Salzbourg et l'évéché de Trente
(L.-H. Labande) 5
Brakman, Miscella (E. T.) 439
Bramis, Histoire de Waldens, p. Imelmann (Ch. B.) 459
Brandstetter, Le verbe (A. Meillet) 247
Bratli, Philippe II (R.) 23 i
Bréhier, L'Auvergne (H, de Curzon) 37
TABLE DES MATIERES VII
pages
Bresslau, Le millénaire de rindépciidance allemande (E.) . 262
Bresslau, Manuel de diplomatique, j." éd. (H. Pirenne) . . , 332
Brillant, Le charme de Florence (A. Biovès) 356
Brouilhet, Précis d'économie politique (E. d'Eichthal) . . . 296
Brummer, Vitae Virgilianae (Em. Thomas) 390
Brunhes, La géographie humaine, 2'' éd. (B. A.) 481
Bruston, L'eschatologie de Jésus (A. L.) i52
Brutails, Les vieilles églises de la Gironde (L.-H. Labande). 292
Bûchner (W.), Le Faust de Gœthe (L. R.) 11
BrcK, Les dialectes grecs (My) 21
BuDGE, Textes bibliques en dialecte thébain (G. Maspero). . 143
Buisson (F.l, La foi laïque (L. Roustan) 218
Buland (M.), La notion du temps dans le drame clisabéthain
(Ch. Bastide) 91
Burgersdijk (librairie), son Catalogue (H. P.) 357
Byzantines (Chroniques), XV (My) 199
Caddan, La Cathédrale de Tarbes (L.-H. Labande) 64
Gagnât (R.), La frontière militaire de la Tripolitaine à
l'époque romaine (M. Besnier) 281
Galonné Beaufaict (A. de), Études Bakango (B. A.) .... 479
Capart, Abydos (G. Maspero) 244
Carnarvon Carter, Cinq ans de fouilles à Thèbes (G. Mas-
pero) . 204
Casper (P.), Lettres de Golbéry (A. Chuquet) 3 12
Caussy, Voltaire seigneur de village (L. R.) 1 10
Cavaignac [Eugène), Histoire de l'antiquité. H, Athènes,
480-330 (Gustave Glotz) 5o2
Cézard, Métrique sacrée des Grecs et des Romains (My) . . 446
Chambolle, Retours sur la vie (Ch. Dejob) 76
— (Ch.-H. Pouthas) 373
Chéradame, La Crise française (Ch. Dejob) 98
Chevreux et Vernier, Les archives de Normandie et la
Seine-Inférieure (L.-H. Labande) 26
Chiappelli, Figures modernes (Ch. Dejob) 200
Chiappelli, Lexique des abréviations latines et italiennes
(V. Cournille) 191
Chinard, L'exotisme américain dans la littérature française
du xvi'= siècle (J. Plattard) 406
Choses et mots, HI et IV (A. M.). 5oo
Christensen, La politique et la morale des masses (Th. Sch.). 20
Cicéron, Philippiques, p. Sternkopf (E. Thomas) io5
Claretie (Léo), Feuilles de route en Roumanie, la Rouma-
nie intellectuelle contemporaine (E. Bourciez) 478
Clédat, Dictionnaire étymologique de la langue française
(E. Bourciez) , . . • 47^
Vril TABLK mes MATIKRES
pages
CocHiN (H.l, Lamartine ci la Flandre (Ch. II. Pouihas) . . . 372
Cœdès, Tcxics grecs ci latins sur rcxirOmc Orient 1 My) ... 25
Collas, Valcntinede Milan (L. IL Labande) 287
CoLsoN, Organisme économique et desordre social ( Henri
Hauser) 375
CoMMAiLLK, Guide aux ruines d'Angkor (H. de Curzon) ... 37
Comte, Pages choisies (Th. Sch.) 79
Congrès (12*) des historiens allemands (L. R.) 219
Coulomb, Les Borders sous le règne d'Elisabeth (A. Biovès). 29
CouLON, Inventaire des sceaux de la Bourgogne (Paul Le
Cacheux 5 16
CouNsoN, La pensée romane (F. Baldensperger) 117
CouNSON, Lettre 220
Crawkoot et GRiFKiTH,Méroë (G. Maspero) 144
Cristiani, Du luthéranisme au protestantisme (Th. Sch.). . 38
Croiset (M.), Observations sur la légende d'Ulysse (My) . . loi
Crum et Steindorkf, Documents coptes du vin« siècle
(G. Maspero) 383
CsEREP, Pelages et Étrusques [E. T.) 119
CuRY et BoERNER, Histoirc de la littérature française (L.
Roustan) 4^3
Curzon (H. de), Un théâtre d'idées en Espagne (A. Chu-
quet) 59
Dalmate (Bulletin d'archéologie), XXXIII — M. B 120
Dauzat, La philosophie du langage (E. Bourciez) 121
Dehérain (H.), Dans l'Atlantique (A. Biovès) 347
Deimel, Chronologie assyro-babylonienne (C. Fossey). . . . 364
Delafarge, La vie et l'œuvre de Palissot.
— L'affaire de l'abbé Morellet en i79o(L. Roustan) 433
Delaporte, Catalogue des cylindres et cachets orientaux de
la Bibliothèque Nationale (C Fossey) 201
Delaunay, Vieux médecins sarthois (L. R.) ii3
Delbruck, Monuments grecs du Latium (A. de Ridder) . . 389
Deloncle, Statut international du Maroc (Ch. H. Pouthas). 374
Dembinski, Le génie politique de Catherine II (A. Chuquet). i5
Denis (L.-G.j, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Sauveur de
Villeloin (L.-H. Labande) 8
Depitre, La toile peinte en France au xviii^ siècle (Henri
Hauser) 43o
Dibelius, LesEpitres de Paul (A. Loisy) 148
Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, 46 .... 260
Diehl (Ch.), Manuel d'art byzantin (My) io3
Diehl(E.), Inscriptions latines (V. C.) 192
DiMiER, La Basse Normandie (H. Hz.) 237
OiOBOUNiOTis, Deux écrits d'Hippolyte (A. L.) i 5o
I
TABLE DES MATIERES IX
pages
Diplomate (Un), France et Suisse (A. Riovès) 233
DoBiACHE-RojDKSTVENSKY I A.), Lu vie paioissialc en France
au xni<= siècle (L.-H. Labande) 283
DoDGSON, Les formes verbales du Nouveau Testament bas-
que (J. Vinson) 490
Drissmann, Paul (A- Loisy) 82
Drouet, L'abbé de Saint-Pierre (C.-G. Picavet) 449
DuBREuiL, La vente des biens nationaux dans les Côtes-du-
Nord (A. Mathiez) , 846
— Le régime révolutionnaire dans le district de Dinan (A.
Mathiez) 347
DiicHESNE (E.), Le Domostroï (J. Legras) 397
— Lermontov (J, Legras) 397
DucHESNE (H. G.) et H. de Grandsaigne, Le château de
Madrid (Eugène Welvert) 495
DuFF, Imprimeurs anglais (Ch. B.) 66
DuFOURCQ, Le christianisme et l'organisation féodale, 3« éd.
(Th. Sch.) 38
DuiNE, La Mennais(Marc Citoleux) 435
Dukmeyer, Le Diarium de Moscovie (J. L.) 396
Durand (A.), Les diocèses de Nîmes, d'Uzès et d'Alais à la
hn de l'ancien régime (L.-H. Labande) 94
Durrieu, Michelino da Besozzo (L.-H . L.).. 357
DuTiL, L'état économique du Languedoc à la fin de l'ancien
régime (A. Mz) 196
Ebeling, Le verbe dans les lettres d'El Amarna (G. Fossey). 2
Encyclopédie des sciences philosophiques, Logique, I (Th.
Sch.) -j-^
Endle, Les Kacharis (Jules Bloch) 124
EsQUER, L'administration civile à Alger en i83o (A. Ghu-
quei) 4i5
EucKEN, Les problèmes de la philosophie (Th. Sch.) 78
Eusèbe, Chronique, p. Karst (F. Macler) 190
Faguet, Initiation philosophique (L. R.) 3i5
Faguet, Les amies de Rousseau (Ch. Dejob) 66
Fagiet, Rousseau penseur (Ch. Dejob) 43 i
Fankhauser, Le patois de Val d'Hier (E. Bourciez) 178
Faucigny-Lucinge (Prince de), Le mariage de Thomas P"*
de Savoie (L.-H. Labande) 91
Febvre (L.), Philippe II et la Franche-Comté (R.) 264
Febvre (L.), Réforme et Inquisition en Franche-Comté (R.). 289
Fedeles. Alison (Th. Sch.) 79
Ferrari, Les documents grecs de droit privé de l'Italie mé-
ridionale (My) 102
FiDAo-JusTiNiANi, Pierre Leroux (R. G.) 58
X TABLE DES MATIERES
pages
FiEBiG, Les paraboles de Jésus (A. Loisy).
— Les miracles du Nouveau Testament (A. Loisy) 148
FiEDi.KR, Anthologie allemande (L. Roustan) 35
Finlande (Sur la lutte de la) et de la Russie (J. Legras). . . . 897
P'isHER, Capital et revenu (E. d'Eichthal) 295
Flake, Le roman français et la nouvelle (L. Roustan). . . . 453
Flamini, Anthologie italienne (Ch. Dejob) 335
Fleischmann, Le quartier général de Napoléon à Waterloo. . 59
Fleischmann, Lettres d'exil de Joseph Bonaparte (A. Chu-
quet) 73
Forbes, Les parlers slaves (J. L.) 418
Forbes, Tolstoï (J. Legras) 438
FoRMicHi, Le Buddhacarita (Sylvain Lévi) 482
Fossey ;G.) et G. Longnon, La Haute Normandie (H. Hr) . 3/8
Fougères, Athènes (H. de Curzon) 354
Frank (C), Etudes sur le sacerdoce babylonien, I (G. Fossey). 322
Frankenberg, Les odes de Salomon (A. Loisy) 343
Frischlin, Julius redivivus, p. Janell (L. Roustan) 154
Frommel, Le sentiment religieux dans la lyrique moderne
(L. R.) • ^ 34
FucHs, Théodore de Banville (F. Baldensperger) i i5
Funck-Brentano, L'ancienne France, le Roi (L.-H. La-
bande) 62
Gardonyi, La troisième puissance (L K.) i39
Garin, Histoirede Chevron, II (L. -H. Labande) 28
Gautherot, L'Assemblée Constituante (A. Mathiez) 14
Gauthier (H .), Le livre des rois d'Egypte (G. Maspero) . . . 162
Gay (Jules), Le mouvement démocratique et les catholiques
français (R. G.) 58
Gebhart, Petits Mémoires.
— Contes et fantaisies (L. R. ) 1 1 3
Genethliakon, voir Robert 444
Gertz, Vitae sanctorum danorum (J. D.) 399
G1RODIE, Martin Schongauer (L.-H. Labande) 289
Goblet d'Alviella, L'évolution du dogme catholique (A.
Loisy) 368
Godard, Le procès du neuf thermidor (A. Mathiez) 67
Goeters, Le poétisme aux Pays-Bas (L. R.) 3o8
Gœthe, Œuvres complètes p. Von der Hellen, Table (A.
Chuquet) 54
Gombos, La frontière orientale d'Autriche (I. K.) 139
GoMPERz, Les penseurs delà Grèce (My) 237
G00DSPEED, Index apologeticus (P. de L.) i38
Gradenwitz, Preisigke, Spiegelberg, Une affaire égyptienne
d'héritage (G. Maspero) 324
TABLE DES MATIERES XI
pages
Grapow, Textes égyptiens (G. Maspero) i68
Grasset, A travers laChaouiafA. Biovès) 56
Grierson, Le Kaçmiri (Jules Bloch) 122
Griffith, Karanôg (G. Maspero) 144
Grober, Les tares des races (Th. Sch.) 80
GuERLiN, Chambord (H. de Curzon) 197
Gl'illou et Rkbillon, Les biens nationaux en Ille-et-Vilaine
A. Mathiez) 174
Guyot, Le Directoire et la paix de l'Europe (A. Biovès). . . 212
Habkrmann, Le projet Stolypine (J. Legras) 897
Hall, Les idylles de pêcheurs (Ch . Bastide) i 33
Hamilton, Lepays de Somalis (René Basset) 401
Harnack, Le texte païen transcrit par Macarius Magnés
(A. L ) i52
Harnack, L'usage privé des livres saints dans l'ancienne
Église (A. Loisy) 346
Haumant, Pouchkine (J . L.) 399
Hauvette, Le Sodoma (H. de Curzon) 36
Hayem (J.), Mémoires et documents pour servir à l'histoire
du commerce et de l'industrie en France (H. Hauser). . . 519
Hellmann, Comment étudie-t-on l'histoire ? (L.-R.) 219
Henderson, La ballade (F.-B.) 118
Heraeus, Pétrone (E. Thomas) , 108
Herczeg, Byzance (L-K.) ? 139
Hermelinck, La Réforme et la Contre-Réforme (E.) 248
Hoffmann (H.), Le rationalisme du xviii^ siècle (L.-R.). . . 319
Hogarth, Les fouilles de Carchemisch (C. Fossey) 36 1
Holbein (H. de Curzon) 197
HoLBRooK, Portraits de Dante (Henri Hauvette) 169
Holtzmann, Théologie du Nouveau Testament, 2* éd. p.
Julicher et Bauer (A. Loisy) 364
HoLZHAusEN, Lcs Allemands en Russie en 181 2 (A. Chu-
quet) 52
HoLZHAUsEN, Mémoires du hussard ThéodoreGoethe(A. Chu-
quet) 414
HoussAYE, léna et la campagne de i8oô (A. Biovès) 70
Hume, La cour de Philippe IV et la décadence de l'Espagne
(R.) 270
Humphrey, Les ouvriers au Parlement (H. Hr.) 236
Hunt (M.-L.), Thomas Dekker (Ch. Bastide) 91
Huon le Roi. Le Vair Palefroi, p. Langfors (A. Jeanroy). . 491
Jackson, Waterloo et Sainte-Hélène (A. Chuquet) 73
Jacobsthal, Vases de Gœitingue (A. de Ridder) 488
Jacquier, Décoration égyptienne (G. Maspero) 382
Janet (C), La forme des icebergs 499
Xn TABLE DES MATIERES
Jantzen, La peinture du xvn' siècle aux Pays-Bas(H.de Cur-
zon:
Jastrow, La religion de l'Assyro-Babylonie (C. Fossey). . .
Jelinek, La littérature tchèque contemporaine (J. Legras). .
JÉQUiER, Les monuments égyptiens de Spaiato (G. Maspero).
Jespersen, Éléments de phonétique (A. Meillet)
JiRECEK, Histoire des Serbes, I (J . Lcgras)
Joglkkar, Açvaghosa (Sylvain Lévi)
JoHNS, L'ancienne Assyrie (C. Fossey)
JovY, Six lettres de Bossuet (L.-R)
JuNKER (Henri), Le Frahany i pahiavîk (R. Gauthiot)
JiiNKER (Hermann), Les fouilles de Tourah (G. Maspero). .
Karl, Etudes sur la littérature française (L-K.)
Karlgren, Le génitif pluriel en serbe (A. Meillet)
Kaposi, Dante en Hongrie (I. K.)
Kers, La danse du roi égyptien devant la divinité (G. Mas-
pero)
Kehr, Actes des pontifes romains, V, l'Emilie ou'province
de Ravenne (L.H. Labande)
Keki, Michel Trompa (L-K.)
Kerr, Ben Jonson et la comédie anglaise (Ch. Bastide). . .
Kettner, La Fille naturelle (L.-R.)
Klauber, L'administration assyrienne (C. Fossey)
Klio, Contributions à l'histoire de l'antiquité, XI (My) . .
KôRVER, Stendhal et son expression des mouvements de
l'àme (F. Baldensperger)
Koffka, Analyses psychologiques (Th. Sch.)
KoFiNK, Les idées de Lessing sur l'immortalité (L.-R.). . .
Kranz, Index des Présocratiques de Diels (F. Bidez)
Kraus (C. de). Exercices en moyen-haut-allemand (F. -P.). ,
Krauss, Archéologie talmudique, III (A.-L.)
KuGENER et CuMONT, Recherchcs sur le manichéisme (A.-L.).
Kulczyski, Histoire de la révolution russe (J. Legras)
KuRTH, La cité de Liège au moyen-àge (L.-H. Labande). . .
Labourt et Batiffol, Les odes de Salomon (A. Loisy). . . .
Lachèvre, Une seconde revision des œuvres de Théophile
de Viau (L.-R )
— Unepremière attaque inconnue de Charles Garnier (L.-R.).
Laferrière, Jean Duvergier de Hauranne (A. Gazier)
Laguérenne (H. de), Le couvent des Ursulines de Mont-
luçon fL.-H.-L.)
Lampakis, Les trois premiers chapitres de l'Apocalypse (My).
La Perkièrk, La loi de dévolution du trône dans la maison
de France (L.-H. Labande)
Latouche, Mélanges d'histoire de Cornouaille( L.-H. Labande)
pages
356
242
3q8
181
461
396
482
244
499
342
226
i39
462
i58
3oi
5
i55
9'
1 1
I
3
ii5
359
10
88
459
421
366
399
285
343
i35
422
46
22'
93
62
TABLE DES MATIERES XUI
pages
Laurent, Doléances de 1789. Marne, III (A. Mathiez). ... 175
Lavvson, Folklore moderne et religion ancienne en Grèce
(My) 22
Lecussan (Jean de), Notre droit historique au Maroc (A. Bio-
vès) 56
Legrain, Catalogue des cylindres orientaux de la Collection
Cugnin (C. Fossey) 2o3
Lehautcourt, La cavalerie allemande et l'armée de Châ-
lons (A. Chuquet) , . 55
Lehmann (Edv.), Le bouddhisme (Svlvain Lévi) 482
Lehr, La Réforme et les églises réformées dans le départe-
ment actuel d'Eure-et-Loir (Th, Sch.j 40
-(R.) 275
Lemm (O. de), Mélanges coptes (G. Maspero) 246
Lemonnier, L'art français au temps de Louis XIV (L.-M. La-
bande)
— Procès-verbaux de l'Académie royale d'architecture, I
(L.-H. Labande) 291
Lénel, Etudes istro-vénitiennes (M.-D.) 192
Lépreux, Gallia typographica, II. Champagne et Barrois
(L.-H. Labande) 48
Leroux-Cesbron, Aux portes de Paris (H. Baguenier Desor-
meaux 496
Le Roy, Unephilosophie nouvelle, Henri Bergson (Th. Sch.). 38o
Lespinasse, (R. de). Le Nivernais et les comtes de Nevers
(L.-H. Labande) 45
Lesprand, Les derniers jours du parlement de Metz;
— La suppression des Récollets de Sierck;
— La fin de l'abbaye de Wadgasse (E. W.) 3 10
Lesquier, Les institutions militaires de l'Egypte sous les
Lagides (Jean Maspero) 385
— Papyrus de Magdola (Jean Maspero) 387
Leumann, L'iranien oriental (A. Meillet) 211
Leuze, La censure romaine (E. T.) 438
Levasseur, Histoire du commerce extérieur de la France,
2' partie, p. A. Deschamps (E. d'Eichthal) 492
Lévy (L.), Le Qoheleth (A.-L.) 441
LiEBMANN, Kantet les Epigones (Th. Sch.) 78
Lippert, Cartulaire de Lubben, I (R.) 229
Logos III, I (Th. Sch.) 358
LuKACs, Le drame moderne (I, Kont) i55
Maccari, Dionysus minor (My) 200
— Raphaël et l'antiquité (My) 200
— Stichomythie (My) 199
Maciver-Woolley, Buhen (G. Maspero) 146
XIV TABLE DES MATIERES
pages
Madelin, La Révolution (R. Giiyot) Bi
Mancini, Bolivar (A. BiovcN; 348
Mansi;y, Le mon. le slave et les classiques français aux xvic
et xvii* siècles (L. Roustan) 464
Marchand (R.), La politique intérieure russe(A. Biovès). . . 233
Margoliouth, Dictionnaire de Yaqoût, IV (M.-G. D.). . . . 38i
Markowski, Libanius et l'apologie de Socrate (My) 21
Martinowitch, Karagueuze (J. L.) 397
Masson (Fred.), Napoléon à Sainte-Hélène (A. Chuquet). . 17
Mathesil's, Etudes sur le parler individuel A. Me.j 260
Mathieu (Cardinal!, Œuvres diverses (L. R.) 317
Maugras, Delphine de Sabran, marquise de Custine (A. Chu-
quet) 465
Maugain, Boileau et l'Italie (Ch. Dejobt 3 19
Maury (F.), Nos hommes d'Etat et l'œuvre de réforme
(A. Biovès) 280
Maxudianz, Le parler arménien d'Akn F. Macler) 189
May, La lutte pour le français en Lorraine avant 1870
(Ch. Pfisteri i 36
— (L. R.) 457
Meillet, Introduction à l'étude comparative des langues
indo-européennes (R. Gauthioti 341
Merck, Œuvres et lettres choisies, p. Wolfk.
— Lettres à Charles-Auguste, p. GnaF lA. Chuquet) 412
Merlin, Les installations hydrauliques en Tunisie;
— Forum et église de Sufetula ' M. B.) 119
Meusel, Publications sur César lE. T.) 119
Meyer (E.), Histoire de l'antiquité iC. Fossey) 221
Meyer (E.), Les trouvailles d'Eléphantine (C. Fossey). . . . 241
Michel (Ch.), Recueil d'inscriptions grecques, supplément,
I (André Flamand) 61
Michel et Migeon, Le' Musée du Louvre H. de Curzon). . 354
Michels, Eléments de moyen-haut allemand (F. P.) 439
MiMS, La politique coloniale de Colbert (Henri Hauser). . . 428
Miraben, La fumée divine ou opium (Th. Sch.) 358
MoLLAT, Les papes d'Avignon ( L.-H. Labande) 43
Môller, Paléographie hiératique (G. Maspero) i65
Monceaux, Le donatisme i^P. de Labriolle) 329
Monluc, Commentaires, I, p. Courteault (R.) 23o
More, Nietzsche 1 L. R.i 333
Morel-Fatio, Une histoire inédite de Charles-Quint par
un fourier de sa cour (L.-H. L.; 357
Morgan (Ch.), Les origines du roman anglais (Ch. Bastide). i32
Mosher, L'exemplum dans la poésie anglaise (Ch. Bastide). 409
Mots et choses, III (A. Me) 260
TABLE DES MATIERES XV
pages
Moulin, Les biens nationaux dans les Ronches-du-Rhône,
IV I A. Mathiez) i74
MuLLEU I A.-V.!, Les sources théologiques de Luther, sa
défense contre Denifle et Grisar (Th. Sch.) 379
MuLLER (N.i, La catacombe juive de Monteverde (A. L.). .. 499
MuNCH, Essais sur ]a vie allemande (L. Roustan) 277
Narasu, L'essence du bouddhisme (Sylvain Lévi) 482
Naville, La poterie primitive en Egypte (G. Maspero). . . . BSg
Naville, Les papyrus de Kamara et deNesikhonsou (G. Mgs-
pero) 14Ï
Needon, Le recteur Theill (L.-R.) 262
Nilsson, Le culte d'Ichtar (G. Fossey) 243
Nitzsch-Stephan, Théologie évangélique (A. L.) 499
NoHL, Catilinaires, 7® éd. (E. T.) 119
NoRTHUP, Etat de la philologie moderne (E. B.) 180
Nye (Irène), La suite des idées chez Tite-Live (E. T.) 439
Nyrop, Quelques métonymies (E. Bourciez) 42
Octavius, p. Waltzing (P. de Labriolle) 127
Origines diplomatiques de la guerre de 1870-187 1, IV
(R. G.) 392
OuLMONT, Gringore (F. Plaitard) 193
Padovani, Littérature française (L. Roustan) 453
Palmieri, Réponse au clergé polonais (J. L.) 418
Panzer, Sigfrid (F". Piquet) 370
Pascal, Les croyances d'outre-tombe dans l'antiquité clas-
sique (A. L.) 402
Patelei, Nouvelles (I. K.) i56
Patterson, Lyrique religieuse du moyen-anglais (Ch. Bas-
tide) 409
Pereire, Autour de Saint-Simon (L. R.) 3i3
Perrod, Bibliographie franc-comtoise (R.) 256
Perroud, Le lyonnais Gonchon (A. Chuquet) 16
Persson, Contributions à l'étude des langues indo-euro-
péennes (A. Meillet) 486
Peters, Saint François d'Assise (L. R.) 3i8
Pétrie, Portraits romains et Memphis (G. Maspero) 166
Pfister (O.), Zinzendorf (L. R.) 3o8
Pfli£iderer, Le christianisme dans la philosophie grecque
2^ éd. (A. L.) 498
Philipon, Dictionnaire topographique du département de
l'Ain (L.-H. Labande) 52
PiCHON (A.), Fra Angelico (A. de Curzon) 197
Pilsudski, L'aino (A. Meillet) 484
PiNÈs, Histoire de la littérature judéo-allemande (J. Legras). 400
PiRENNE, Histoire de la Belgique, IV (R.l 267
XVI TABLE DES MATIERES
pages
PiscHi-L, Vie du Bouddha (Sylvain Lcvij 482
PoiRii-.K, L'olîîcicr, le haut commandement et ses aides en
Allemagne [A. Biovèsi 35 i
PoLTHAS, L'instruction publique à Caen pendant la Révo-
lution (A. Cliuquei). 3o
Preusschen et Krugf.r, Manuel d'histoire ecclésiastique
(M. D.) 129
QuiBELL, Fouilles à Saqqara (Jean Masperoi 208
Quintilien, X, p. Rôhl (E. Thomasi io5
Rakoczday, Egressy et son temps I. Kontj iby
Rasi, Un poème latin sur Rome (E. T.) 438
Rattay, Le manuscrit d'Ostrach (F. Piquet) 422
Ravasi, Leopardi et M™' de Staël (F. B.l 114
Reclus (Maurice), Ernest Picard (R. G.) 493
Regnault de Bealcaron, Souvenirs de famille A. Biovès]. 35o
Reinecke (Ch.), Les Nouvelles de Halm (L. R.) 33
Reissinger, Les écoles du Palaiinat (L. R.) 25 i
Reuss (R.), Histoire d'Alsace (A. Chuquet) 469
Reutter, L'embaumement (G. Masperoi 384
Revue de l'histoire de l'enseignement en Allemagne (L. R.). 25 1
Reymond, Le Brunelleschi (H. de Curzon) 3j
RiCHARDsoN (E. -G.), Bibliothécaires égyptiens (G. Maspero). 326
Robert ^C.j, Travaux offerts par ses élèves et atnis (My). . . 444
R0BERTSON (J.-G.), Goethe et le xix'' siècle (F. B.) 118
Robertson i^J.-G.), Nathan le Sage (L. R.) 10
RocHETTE, L'alexandrin chez Victor Hugo (L. R.) 1 1 1
Rolland, Vie de Tolstoï (J. Legras) 417
Root, La Pensylvanie et le gouvernement anglais (A. Bio-
vès) 29
Rose, Herford, Gonner, Sadler, L'Allemagne au xix^ siècle
(L. R.) ^ 69
RosENBERG, Lcs Ccnturics (E. Cavaignac! i25
Rota, L'Autriche en Lombardie R. G.) 372
RoTT, La représentation diplomatique de la France auprès
des cantons suisses IV, 2, 3 (R.) 23 i
RûCKER, Homélies de Cyrille sur Luc (A. L.) i3o
RusiLLON, Le Tromba (A. L.) 443
Sabatier (P.), L'orientation religieuse de la France actuelle
(A. L.) ^ 369
Sahr, Extraits du xvi*^ siècle allemand (F. P.) 499
Saint-Léger et Lennel, Histoires de Flandre et d'Artois
(A. Chuquet) 74
Saintvves, La simulation du merveilleux (Th. Sch.) 78
Saintyves, Les reliques et les images légendaires (A. L,). . . 442
Sandwall, Noms propres athéniens (My^ ip
TABLE DES MATIERES XVII
pages
Sanson, Répertoire bibliographique pour la période révolu-
tionnaire en Seine-Inférieure, I (L.-H. Labande; 49
Sarrou, La jeune Turquie et la révolution (A. Biovès). . . . 233
Saulnier, Le cardinal de Bourbon (H. Hauser) 307
Scandinaves (Publications). — Léon Pineau 459
Scheil, La chronologie rectifiée de Hanmourabi (C. Fos-
sey) 363
Schilling, Sources de l'histoire moderne (L. Roustan), ... 34
ScuLESiNGER, Histoirc du symbole (Z.) 4o3
Schneider (H.), Jésus philosophe (A. -L.) i52
ScHROEDER, La légende de don Juan (L. R.) i 33
ScHucHARDT, Choscs ct mots (E. Bourciez) 42
— Nubien et basque (A. Meillet) 5oi
Schulze (G.), Enesidème, p. Liebert (L. R.) 319
ScHURÉ, L'évolution divine (A. L.) 406
ScHWARTZ (E.), Le catéchuménat (P. de L.) i53
ScHWARTz (P.), Les écoles secondaires de Prusse (L. R.).. 249
ScRiBAN, Orthographe roumaine (E. Bourciez) j5
See et Lesort, Doléances de Rennes. III (A. Mathiez). ... 175
Seillière, Schopenhauer (L. R.) ..'... 333
Séminaire historique de Louvain, Travaux (L. R.) 219
Sethe, La légende égyptienne de Toeildu Soleil (G. Maspero). 182
Sforza et Gallavresi, Correspondance de Manzoni
(Ch. Dejob) 97
Siciliani (M™^). (Ch. Dejob) 319
SiMONS, Travaux théologiques (A. L.) 499
SiMONSFELD, Chartcs de Barberousse en Italie (E.) 228
Smîth (H. E), Pierre Bayle (Ch. B.) 412
SoRB, La doctrine de la défense nationale (A. Biovès). . . . 35i
SouBiES, Almanach des Spectacles, 191 1 (A. C.) 3i8
SoLiBiES et H . de Curzon, Le Faust de Gounod (G.) 238
Soulier, Le Tintoret (H. de Curzon) 36
SoiJZA (de), Du rhythme en français (E. Bourciez) 81
Spiegelberg, Textes démotiques sur tessons (G. Maspero). 33/
Stein (A.), Les fonctionnaires sous Alexandre Sévère (C.) . 370
Stein (H .), Le palais de justice et la Sainte-Chapelle à Paris
(H. de Curzon) 36
Stein (H.), Pajou (H. de Curzon) 173
Steinmetzfr, Le Kudurru de Melisipak (C. Fossey) 2
Stengf.l, L'immunité en Allemagne (E.) 261
Sternberg, Carducci et la poésie allemande (Paul Hazard). 139
Strich, Liselotie et Louis XIV (R.) 273
Strothmann, Les Zaïdites(A. L.) 498
Struck, Mistra (My) 448
Taylor, La prophétie politique en Angleterre (Ch. Bastide). 409
XVIII TABLE DES MATIERES
pages
Terzaghi, Synesius (Th. Sch.) jg
ToBLKR, Mélanges de grammaire française, V (E. Bour-
ciez) 498
THiiTER, Souvenirs de campagne (A. Chuquei) 480
TôNNiEs, Hobbes (Ch. Bastidei 411
TuKTEY (L.), Procès-verbaux de la Commission temporaire
des arts (H. de Curzon) 355
Uhlenbkck, Les Indiens Blackfoot, II (A. Meillci) 485
Ungnad, Papyri araméens d'Eléphantine (C. Fossey) 241
Uzureau, Liste des personnes décédées dans les prisons
d'Angers ;
— Les Elections et le cahier du tiers-état d'Angers (A. Mz.). 96
Vaissière(P. de), Quelques assassins fA. Biovès) 263
Van WiJK (N.), Dictionnaire étymologique du néerlandais
(A. Meillet) 463
Varadi, Le monde de l'ancien théâtre hongrois I. Kont). .. idj
Vari, Les Halieutiques d'Oppien (I. K.) 140
Vaujany, L'école primaire en France sous la troisième
République (Ch. Dejob) 335
Veith, César (E. T.) 438
Vernier, Doléances de l'Aube, III (A. Mathiez) 175
Vey, Le dialecte de Saint-Etienne au xviiie siècle.
— Le Ballet forésien de i6o5 en dialecte de Saint-Etienne
(E. Bourciez) 474
ViALLATTE et Caudel, Lh vic politique dans les Deux
Mondes (A. Biovès) 233
Vietor, La prononciation allemande (F. P.) 459
ViGLiONE, Ugo Foscolo en Angleterre (Paul Hazard. 97
ViGNAUD, Histoire critique de la grande entreprise de Chris-
tophe Colomb (B. A.) 99
ViNDRY, Les parlementaires français au xvi^ siècle, 2 (H.Hr.) . 3o8
Viollet (H.), Fouilles à Samara (C. Fossey) 2o3
Virgile, Enéide, 1-6, p. Jahn (E. Thomas) io5
VoLLMER, Epitome thesauri latini, I (J. D.) 299
Vollmer, L'inscription d'Etting (M. B.) 119
Vondrak, Grammaire du vieux slave, 2" éd. (A. Meillet). ... 210
VoRETzscH, Introduction à Tétude du vieux français,
1" éd. (A. J.) 238
Waddington (a.), Histoire de Prusse, I (R.) 253
Walzel, Etudes sur le xwu" et le xix^ siècle (A. Chuquet). ., 4x5
Ward et Waller, Histoire de la littérature anglaise, VIII.
L'époque de Drvden Ch. Bastide) 64
Wedkiewicz, La formation des périodes hypothétiques en
italien (E. Bourciez) 1
/ /
Weidner, De l'astronomie babylonienne iC. Fossey). .... 323
TABLE DES MATIERES XIX
page»
Weill(R.), Les décrois royaux de l'ancien Empire égypticMi
(G. Maspero) 222
Weissbach, Les inscriptions des Achéménides (G. Fossey'/ . 32 i
Welschinger, Bisnnarck (R. G.) 43/
Wendland, Paganisme et chrisiianisme (A. Loisy) 86
Wessely, Textes grecs et coptes, III (G. Maspero) 164
Weulersse, Le mouvement physiocratique en France ;
— Les manuscrits de Quesnay et du marquis de Mirabeau
(A. Mathiez) '• 19^
White, Le Nouveau Testament hiéronymien (A. L.) i5o
Wieland, Œuvres, I, 3, 7 ; II, 3, p. Mauermann et Stadler
iL. R.J 9
Wilhelm et DvROFF, Actes de saint Psotius (Jean Maspero). 5 16
W1SSOWA, Religion et culte des Romains (R. G.) 281
WiTTE, La guerre avec le Japon (A. Biovèsj 35 1
WoRMs (R.), La sexualité dans les naissances françaises
(Th. Sch.'i 36o
Wright (G. -H. G.), Histoire de la littérature française
(L. Roustan) 453
Ylvisaker, La grammaire des Lettres des Sargonides
(G. Fossey) 362
Yrondelle, Le collège d'Orange (L.-H. Labande) gS
YvoN, Français et Anglais au xviii<^ siècle (Gh. B.) 40
Zéliqzon et Thirion, Textes patois recueillis en Lorraine
(Eugène Welvert) 3o5
ZiELiNSKi, Gicéron dans le cours des siècles (E. T.) 391
ZiMMERN (H.), Hymnes et prières babyloniennes, II
(G. Fossey) , 32i
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Bulletin des Séances
du 21 juin au 23 décembre 19 12 (Léon Dorez).
PERIODIQUES
ANALYSES SUR LA COUVERTURE DES N- DU 2' SEMESTRE DE 19 12
FRANÇAIS
>
Bulletin hispanique.
Bulletin italien.
Correspondance historique et archéologique.
Feuilles d'histoire.
Revue Bleue.
Revue celtique.
Revue de l'enseignement des langues vivantes.
Revue de philologie française et de littérature.
Revue des études grecques.
Revue des sciences politiques.
Revue d'histoire littéraire de la France.
Revue germanique .
Revue historique.
ALLEMANDS
Deutsche Literatun^eitung.
Literarisches Zentralblatt.
Zeitschrift fur katholische Théologie.
BELGES
Revue de l'instruction publique (supérieure et moyenne) en Belgique.
XXII TABLE DES MATIERES
HOLLANDAIS
Muscutn.
HONGROIS
Idoralomtœrti^net.
Ungarische Rundschau.
POLONAIS
Bulletin international de l'Académie des sciences de Cracovie.
Le Pay^çh-Velay. — Ii1iprim«rifl Peyrlllef, RoUchoti et Ôamort.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 27 — 6 juillet — 1912
Klauber, L'administration assyrienne. — Steinmetzer, Le l<udurru de Melisipak.
— Hbeling, Le verbe dans les lettres d"El-.\marna. — Klio, Contributions à
l'histoire de l'antiquité,^ Xi . — Actes des pontifes romains, V, l'Emilie ou pro-
vince de Ravenne, p. Kkur: La province de Sakbourg et l'évèchc de Trente,
p. Brackmann. — D. Berlikre, Suppliques d'Innocent IV. — L.-J. Denis, Car
tulaire de l'abbaye de Villeloin. — Wieland, (Euvres, I, 3, 7; II, 3, p. Mauer-
MANN et STAni.ER. — KoKiNK, Les idécs de Lessing sur l'immortalité. — J.-G.
RoBERTSON, Nathan le Sage. — M"" Bartscherer, Le jeune Goethe. — W. Bûch-
.NTiR, Le Faust de Gœthe. — Kettner, La Fille naturelle. — Gautherot, L'As-
.semblëe constituante. — Dembinski, Le génie politique de Catherine IL —
Perhoud, Le lyonnais Gonchon. — F. Masson, Napoléon à Sainte-Hélène. ^-
Sandwall, Noms propres athéniens. — Christensen, La politique et la morale
des masses. — Académie des Inscriptions.
E. Klauber. Assyrisches Beamtentum nach Briefen aus der Sargonidenzeit :
Leipziger seniitistische StuJien, \'. 3. Leipzig, Hinrichs, 1910, i vol. 128 p. in-8,
4 m. 20.
Nous savoiiS encore fort peu de chose sur l'administration baby-
lonienne et assyrienne. De beaucoup de fonctionnaires, nous ne con-
naissons guère que le nom et il en est fort peu dont nous puissions
définir exactement les attributions. M. Klauber n'a pas entrepris de
nous donner un traité complet sur une série de questions encore
pleines d'obscurités. Il s'est borné à étudier une douzaine de fonc-
tions ' au sujet desquelles il a réuni les renseignements que nous
fournissent les lettres de l'époque des Sargonides, sans s'interdire
d'ailleurs d'utiliser les données que nous possédons pour des époques
antérieures, chaque fois que cela était utile pour éclairer son sujet.
Les lettres écrites à des fonctionnaires ou par des fonctionnaires ne
nous fournissent pas tous les renseignements que nous pourrions en
attendre, soit en raison de leur laconisme, soit en raison de l'obscu-
rité des passages qui seraient les plus instructifs. Mais M. Klauber
paraît en avoir tiré tout ce qu'on en peut tirer dans l'état actuel de nos
connaissances en assyrien, et son livre forme une très utile contribu-
tion non seulement à l'étude des institutions mais aussi à l'étude de
lalittérature épistolaire. Ceux qui aiment à saisir la persistance des lois
historiques remarqueront que le sukallu, simple « messager » à l'ori-
I. Siikallu, tiirtânit, ndgirit, raè-Bi-LUB, rab-i\G, vab-^iv, ri^è-sE-oAR, abarakkti
amêl SAG, bel pahàti, mutir pïiti, saléu.
Nouvelle sc'rie LXXIV 27
2 REVUE CRlTlQUIi
gine est devenu « inspecteur », « procureur », comme le « minister »
s'est élevé aux plus hautes fonctions de l'Etat, ci que les attributions
très limitées du rab-m-\.\}B ou < grand cchanson » ne se sont guère
moins élargies que celles du maréchal des cours européennes. Les
premiers chapitres, consacrés au roi et à la cour et à des vues d'en-
semble sur la nomination, le serment, le payement, la récompense et
le châtiment des fonctionnaires, sont particulièrement intéressants.
C. F'OSSKY.
F. Steinmetzer. Eine Schenkungsurkunde der Kœnigs Melisichu. — E. Ebe-
LiNG. Das Verbum der El-Amarna-Briefe : Beitrage zur Ass) riologic, \11I,
2 ; 79 p. in-8». Leipzig, Hinrichs, njio, 5 M.
M, Steinmetzer corrige sur quelques points la transcription du
kiidurru de Melisihu (= Melisipak] donnée dans le deuxième volume
des Mémoires de la Délégation en Perse. Sa traduction marque éga-
lement un progrès et son commentaire est une contribution intéres-
sante à Téclaircissement de quelques difficultés : il est fort possible,
par exemple, que le mot niibattu, qui n'a pas encore trouvé son expli-
cation définitive, signifie, comme le propose M. S., « veille » (de fête).
Un travail analogue portant sur tous les kiidurru serait des plus
utiles. A. propos des symboles divins gravés sur ce kudurru, M. S. a
repris le problème de Fidentification magistralement traité par Zim-
mern, et appuvé les conclusions de son prédécesseur par des argu-
ments qui ne manquent pas de force. Peut-être trouvera-t-on cepen-
dant que M. S. pousse la subtilité un peu loin quand il affirme que
dans le kiidurru de Mardiik- apal-iddiu l'inscription n'énumère pas
plus de divinités qu'il n'y a de symboles gravés : le texte énumère en
effet 45 noms et le monument présente seulement 18 symboles. La
répartition des 45 divinités en i3 groupes, imaginée par M. S., ne me
paraît pas résoudre la difficulté.
L'étude de M. Ebeling sur le verbe dans les lettres d'El-Amarna
fait très bien ressortir le caractère composite de ce verbe. A côté de
formes purement assyriennes, iksiid, ikasad,kasid, etc., on trouve un
préiérh jiksud ei jaksiid, un présent jikasad, un parfait luitala, kaîila
et katula, qui attestent Tinfluence chananéenne. Chose plus singu-
lière, on trouve des formes masculines tiksud et tikasad, tiksudû et
tikasadû. Ces formes ne se rencontrent que dans les lettres écrites
par des Chananéens, mais ni l'hébreu ni le phénicien ne présentent
rien d'analogue et le fait reste inexpliqué. Les listes des différentes
formes, dressées par M. E., paraissent fort complètes. En appendice,
iM. E. a proposé une traduction nouvelle pour quelques passages dif-
ficiles et expliqué par des rapprochements avec l'égyptien quelques
mots ou noms propres de sens obscur.
C. FOSSEY.
D HISTOIRE ET DK LITTERATURE 5
Klio, Beitrage zur alten Geschichte, t. XI ; Leipzig, Dicteri^li (Weichcr;, igii ;
32 2 p . ' .
La muiiic des articles conicnus dans le tome XI de Klio, onze sur
vingt-deux, concernent Thistoire et les antiquités romaines; cinq sont
consacrés à Thistoire et à l'archéologie grecques; quatre traitent plus
particulièrement de géographie et de toponymie anciennes; deux enfin
rentrent dans un domaine plus spécial. De ces deux derniers l'un est
dû à Kugler {Der Urspriing der babylonischen Zahlensymbole i5 =
imnu a redits y) iind i5o = sumélu a links n in pythagoreischer
Beleuchtiing, fasc. 4), qui propose une curieuse interprétation de
l'usage, chez les Assyriens, des symboles qui signifient quinze et cent
cinquante pour exprimer respectivement à droite et à gauche; et
l'autre à Sundwall [Zii den karischen Inschri/ten iind den darin
vorkommenden Namen, 4); l'auteur y étudie les noms propres cariens
fournis par les inscriptions écrites dans l'alphabet épichorique, et en
déduit une parenté du carien avec le lycien; mais l'étude du carien
n'est pas encore sortie de la période de tâtonnement, la valeur phoné-
tique de plusieurs signes étant encore très problématique. — Dans un
article intitulé Ae^dische, besonders kretische Namen bei den Etrus-
kern (fasc. 1), Kannengiesser étudie la toponymie crétoise par
comparaison avec les noms étrusques et conclut à l'identité de nom-
breux noms de lieux dans les deux pays ; c'est une raison de plus
pour donner aux Etrusques une origine créto-carienne, ou, selon
Fick, hattide. Sôlch s'occupe de topographie dans deux articles;
dans le premier [Ueber die Lage von Kaisareia in Bithynien, 3) les
témoignages combinés des monnaies et des textes l'amènent à situer
Césarée Germaniké de Bithynie, distincte de Césarée Germanicia en
Commagène, dans le voisinage de Pruse, sur la rive orientale du lac
Daskylitis; dans le second {Modrene, Modroi und Galliis, ^) il dis-
cute un point très controversé, l'identification des noms de lieux
Modroi et Modréné et du fleuve Gallus, en s'appuyant sur Strabon et
surtout sur Ammien, car Strabon a commis des erreurs sur l'étendue
de la Phrygie Epictète; les listes d'évéchés byzantins concordent avec
les textes anciens pour autoriser la conclusion que Modroi-Modréné
est une seule et même ville (auj. Moudournou) et que le Gallus est le
Moudournou-Tchaï. Beloch [Znr Karte von Griechenland, 4) publie
une série d'observations de détail sur la topographie de la Grèce
ancienne; il défend son hypothèse de Psyttalie = Hagios Georgios,
place le mont Dicté de Crète à l'extrémité orientale de l'île, à l'est de
Praesos, ne voit pas Eleuthères à Gyphtokastro, mais là où les cartes
marquent Œnoé, qui serait dans la plaine d'Eleusis ou sur les hau-
teurs voisines, etc. ; notons encore que selon lui Démétrias de Magné-
sie ne serait autre que Pagasœ, ce qui est fondé sur de sérieux argu-
I. Dans le courant de l'année 191 1, M. Lehmann-Haupt, l'un des directeurs de
Klio, a été appelé à professera l'université de Liverpool.
4 UKVUK CKIIIQ;!!';
monts. — Passons aux choses romaines : Heinen a dressé une lisic
chronologique des cvénemenis, à Rome ci dans les provinces, qui se
rapportent au culte des empereurs et des membres de la lamille impé-
riale, depuis la bataille de l'*harsale jusqu'à la mon d'Auguste {Ztir
Bcgrûndiing des rihnischcn Kaiscrknltcs. Chronologische Uebersicht
von 4S V. bis 14 11. Clir., 2), et Grafi'under [Dcis Aller der servianis-
chen Mauer in Rom, i^ distingue dans les ruines du mur de Scrvius
deux sortes de constructions, faites l'une d'après le pied romain,
l'autre d'après le pied osque; ce fait, ainsi que d'autres indices, par
exemple les marques des tailleurs de pierre, lui fait conclure qu'il y
eut deux époques principales de construction, l'une antérieure aux
décemvirs, l'autre postérieure à l'invasion gauloise en 2>~g. Kornc-
mann, par des considérations qui fortifient les arguments de Enmann,
démontre qu'il y eut à Rome, antérieurement aux Annales maxinii
de Mucius Sciievola, une rédaction de la chronique des pontifes [Die
àlteste Form der Pontijikalannalen, 2), et dans un second article [Die
Alliaschlacht iind die àltesten Pontijikalannalen, 3j il retrouve une
tradition qui remonte à cette antique source; c'est la tradition relative
à la bataille de l'Allia et à la prise de Rome, seulement trois jours
après, par les Gaulois. Tenney Franck [On Rome's conquest of
Sabiniim, Picenum and Etruria, 3) étudie la situation des pays
italioies après la conquête romaine; on remarquera son argumentation
relativement à la Sabine; il y montre que, contrairement à l'opinion
reçue, les Romains n'ont pas expulsé la majeure partie des habitants,
mais qu'ils se sont bornés à prendre une partie du territoire comme
indemnité de guerre; du reste, Rome semble, au moins jusqu'après la
guerre de Pyrrhus, n'avoir ni annexé à son domaine public, ni attribué
àses proprescitoyens les territoires conquis. Philipp décrit l'opération
par laquelle Annibal fit franchir le Rhône à ses éléphants [Wie liât
Hannibal die Elefanten iïber die Rhône gesetit? 3); essai plutôt sub-
jectif, où certains détails sont insuffisamment soutenus par les textes.
Kahrstedt recherche à quelles sources a puisé Tite-Live pour l'histoire
de la guerre des Romains contre Persée [Ziim Ausbruch des dritten
romisch-makedonischen Krieges, 4); von Premerstein commence
une série d'articles isolés se rapportant à divers événements du règne
de Marc-Aurèle [Untersuchungen r^ur Geschichte des Kaisers Marciis,
/., 3j; etHohl, dans deux longs articles, nous communique le résultat
de ses recherches sur l'un des auteurs de l'Histoire Auguste [Vopiscus
und die Biographie des Kaisers Tacitus, I. 11.^ 2-3); l'un est relatif
aux sources de Vopiscus; l'autre donne une analyse suivie de la vie
de l'empereur Tacite, et se termine par cette conclusion, que toutes
les biographies de l'Histoire Auguste seraient, conformément à l'opi-
nion de Dessau, l'œuvre d'un faussaire du temps de Théodose; ce
faussaire ne serait autre que Vopiscus lui-même. Enfin, dans un
remarquable article \Ueber die jjnrtschaftlichen und politischen
O HlSlUlKb; KT DE LITTERATURE 0
VerJiàîtnisse bei den Germanen \ur Zcit des C. Julius Caesar, i),
O. Schalz éiiidic, dans les Commentaires de César, les passages qui
ont trait aux mœurs des Germains et principalement à leur manière
de vivre; on remarquera tout spécialement, outre la finesse de Tana-
Ivse et la juste interprétation des détails, le vit' intérêt que prend
l'auteur à son sujet, et qu'il sait communiquer au lecteur. — (.es
articles d'histoire et d'antiquités grecques sont les suivants : Delphi-
nios. Beitràge ^ur Stadtgeschichte von Milet iind Athen, fasc. i, par
W. Aly; l'auteur étudie à propos du Delphinion de Milet, la topogra-
phie ancienne de Milet et d'Athènes; ruinées par les Perses, les deux
villes se reconstruisirent en se déplaçant, l'une vers l'ouest et le nord,
l'autre, Milet, dans la direction du port. Quant au dieu Delphinios,
il n'a rien avoir avec le dauphin ; a Milet comme à Athènes, c'est le
dieu de la source de la ville (cf. Tilphosa). Stiidien ■{u den griechis-
clien Biinden, fasc. 4, par S'voboda; c'est le commencement d'une
suite d'études sur les ligues grecques; dans l'une est confirmée l'opi-
nion que les assemblées ordinaires et extraordinaires de la ligue éto-
lienne avaient le droit de décider la guerre; on notera la discussion
d'un passage de Tite-Live (XXXV, 25, 3 svv.) au sujet du rôle du
stratège étolien à l'assemblée. The Lmps of Denietrius of Phalerum
and their Guardians, fasc. 3, par Ferguson; considérations sur les
rapports entre les lois de Démétrius et le nzpl vôixwv de Théophraste,
et sur les nomophylaques, qui jouirent alors d'une influence compa-
rable à celle des éphores à Sparte. // dominio egi^iano nelle Cicladi
sotto Tolomeo Filopatore, fasc. 3, par Costanzi, qui se propose de
démontrer que les Cyclades étaient encore sous la domination de
l'Egypte pendant le règne de Ptolémée Philopator. Die ScKlacht am
Granikos, fasc. 2, parLehmann; c'est un article qui appelle la dis-
cussion ; le récit d'Arrien, dit l'auteur, donne une idée très inexacte
de la bataille du Granique; ce n'est pas une description fidèle de l'en-
gagement, mais essentiellement un éloge des actions personnelles
d'Alexandre pendant le combat; Diodore est bien plus digne de foi.
My.
Regesta Pontificum Romanorum. Jubente regia Societate Gottingcnsi congessit
Paulus Fridolinus Kehr :
Italia pontificia. Vol. \'. Aemilia sive provincia Ravennas. Bcrolini, apud
W'eidinar.nos, i()ti. In-S" de liv-534 pnges.
Germania pontificia. Vol. I, pars II. Provincia Salisburgensis II et episcopatus
Tridentinus, auctore Alberto Brackmann. Bcrolini, apud Weidmannos, 191 1.
In-S", paginé i-xxxiv, 267-412.
Dans des comptes rendus précédents, j'ai déjà expliqué le plan suivi
par M. Kehr et ses collaborateurs pour la publication des Regesta
pontificum Romanorum. Je n'y reviendrai que pour en louer les dis-
positions. Car, pour chaque province, chaque évêché, chaque établis-
sement religieux conservant des bulles ou lettrespontificalesantérieures
6 REVUE CRITIQUE
au xiii" siècle, on possède avec leurs ouvrages une bibliographie com-
plète, une notice succincte sur son histoire, des indications très pré-
cises sur ses archives. Chaque document analysé est suivi à son tour
de sa bibliographie (original, copies, éditions), puis de notes critiques
ou historiques. La seule objection qu'on pourrait élever, c'est dans le
mélange des pièces fausses avec les authentiques, alors qu'il aurait
peut-être été préférable de rejeter les premières après les secondes.
Le volume qui contient les actes des pontifes romains et de leurs
légats concernant l'Emilie ou province ecclésiastique de Ravenne,
est particulièrement important. Les archevêques de Ravenne ont
exercé dans le haut moyen âge une telle action, les papes eurent si
fréquemment à intervenir dans leurs atiaires qu'il n'est pas surprenant
de recueillir à leur sujet une collection abondante de lettres et de
bulles. Les évèchés de Ferrare, Bologne, Modène, Reggio, Parme,
Plaisance furent également fort riches. Les archives de tous ces
anciens évèchés ont subi dans le cours des âges de très grosses pertes ;
mais on a conservé assez de documents pour que M. Kehr ait retrouvé
pour la province le texte intégral de 939 bulles ou lettres, dont 341
sont représentées par des originaux. La plus ancienne, authentique,
est une lettre du pape Zosime à Févêque de Ravenne (3 octobre 418);
mais il faut attendre jusqu'au pontificat de Pascal I, pour rencontrer
dans les mêmes archives de Ravenne le premier original sur papyrus
(i I juillet 819). En plus de ses 939 bulles, l'éditeur a retrouvé men-
tion de 536 documents aujourd'hui perdus.
Moins importante historiquement et moins riche fut la province de
Salzbourg, pour laquelle M. Brackman'n achève le recueil des docu-
ments pontificaux. On n'y a relevé que 634 pièces émanées des
papes ou de leurs légats, y compris les bulles signalées seulement par
des chroniqueurs et historiens ou par les rédacteurs des documents
de date postérieure. J'ai déjà dit, à propos du premier fascicule, que
la plus ancienne lettre authentique était de 599 et qu'on n'avait pas
d'original avant 1070. Ce deuxième fascicule est consacré aux évêchés
de Ratisbonne, de Freising et de Neubourg. Deux appendices pré-
sentent les actes relatifs au duché de Bavière, c'est-à-dire adressés aux
évêques, comtes ou fonctionnaires du pays, puis ceux qui ont trait à
l'évêché de Trente ; on sait que celui-ci, qui faisait partie jadis de la
province d'Aquilée, est aujourd'hui rattaché à la métropole de Salz-
bourg.
L.-H. Labande.
Suppliques d'Innocent IV (1352-1362). Textes et analyses publiés par
D. Ursmer Berlière... Rome, M. Bretschneider; Bruxelles, A. Dewit; Paris,
H. Champion, 1911. In-8° de xxx-ggS pages. (Analecta Vaticano-belgica. . .
Vol. V.)
L'Institut historique belge de Rome enrichit chaque année le monde
d'histoire et de littérature 7
savant d'un volume, qui, de première importance pour les anciens
diocèses de Cambrai, Liège, Thérouanne et Tournai, offre encore de
multiples documents pour les autres pays, surtout pour la France. Son
directeur honoraire, Dom l^ . Berlière, après nous avoir donné les
suppliques de Clément VI concernant des bénéfices situés en Belgique
ou intéressant des Belges, nous offre maintenant la suite des mêmes
pièces pour le pontificat d'Innocent VI. Il publie le texte des sup-
pliques à peu près en entier, il ajoute de précieuses notes sur les per-
sonnages dont il est question, fait d'utiles renvois à d'autres documents.
Il ne s'est donc pas contenté dètre un éditeur ; c'est presque le rôle
d'un historien qu'il a rempli en même temps.
Le volume qui nous fournit le texte complet ou abrégé de 1,859
suppliques, est complété par une très copieuse table alphabétique des
noms, avec identification des localités citées, toutes les fois que cela a
été possible. Peut-être l'auteur aurait-il pu abréger, en remplaçant par
les numéros des suppliques les renvois à d'autres noms. Je m'explique.
On désire connaître les renseignements qui se trouvent, par exemple,
sur les bénéfices d'Albi. Au mot Albi, D. Berlière renvoie à tous les
clercs ou prélats qui les ont possédés, sans indiquer un seul chiffre, de
telle façon que l'on est obligé de recourir au nom de chacun de ces
personnages.
Il y aurait un certain nombre d'observations à présenter sur les
identifications. En général, les noms de famille sont conservés sous
leur forme laane, mais pourquoi en avoir traduit d'autres : exemple
Aigrefeuille et Ailliaco [De]^ dans la même colonne. Ne valait-il pas
mieux adopter une règle uniforme? J'ai remarqué aussi des lacunes
(les noms qui sont dans les notes ne sont pas toujours dans la table) ',
des renvois à des articles où il n'y a rien (exemple : à Bois, renvoi à
Ville-au-Bois; à Ville-au-Bois, il n'y a qu'un renvoi à Boscum ; à Bos-
ciim, renvoi à Bois-les-Pargny et à Ville-au-Bois; ailleurs, Karinthia,
par exemple, renvoi à Aiistria où il n'y a rien sur la Carinthie, etc.).
On relève encore des hésitations sur le classement des noms composés
avec l'article, exemple : Granges (Lesi, Le Barbier, Le Crest, Le Sage,
Leu (Le), Palud (La) ; mieux que cela, l'auteur imprime seulement
Mans pour Le Mans, Puy pour Le Puy, etc. Enfin des identifications
et des noms de localités sont à reviser. Voici quelques rectifications :
le nom latin de Velleron est Avellero et non Avelleron ; à Beauvais,
corriger en Mello et Mouy les noms écrits Melly, Moy; le mot Cor-
colesis [De], du diocèse de Carpentras, doit être mal lu ; à Cavaillon,
remplacer par Velorgues le mot Vellonge; Castro novo [Johannes
I. Au chef-lieu du diocèse, D. Berlière indique les localités ou églises du même
diocèse pour lesquelles existent des documents; le relevé n'en est pas toujours
complet. Ainsi, pour Avignon, manque l'indication des églises de Saint-Remy,
Sorgues et Tarascon; pour Valence, l'indication de Saint-Ruf, etc. Au diocèse
d'Aix-en-Provence est mentionné Sevelliectim, qui était du diocèse de Dax, etc.
g REVim CRITIQUE
lie) dc»it ùivc change en Castro bono; Combonaria, Combonario et
Combornio, c'est le même nom iComborn); pourquoi renvoyer pour
les premiers à Tiirre? Curtodone est à remplacer par Curtcdonc .
Klincouri-Sainic-Margueriic (Oiseï traduit Sancla Margareta in Cam-
pania. du diocèse de Troyes, ce qui est impossible; il faut Margcric.
de la commune de Margerie-Hancourt, Marne ici". Longnon, Pouillcs
de la province de Sens). Lezouz est du département du Puy-de-Dôme
et non de la Haute- Loire; le nom latin est-il Landosum ou l.audo-
siim? Les deux formes sont données. Majaniim est à corriger en Ma-
sanum ou Ma^anum. La Motte, diocèse de Ximes, fait partie de la
commune de Saint-Gilles. Moy, indiqué dans la table comme
faisant partie du département de l'Aisne et du diocèse de Beauvais,
c'est Mouy, dans l'Oise. Oratorio [De], est aussi bien Oroer que
Orrouy. Pertuis est du département de Vaucluse. Pont-de-Sorgues
est aujourd'hui Sorgues, même département. Roquemaure est du
département du Gard, 5. Remigiiis est Saint-Remy, chef-lieu de can-
ton des Bouchcs-du-Rhône. Des églises du diocèse de Soissons, sup-
primer Mello. Talayrand, Tallayrand, c'est Talleyrand. Le nom latin
deTarascon est Tharasco et non Tharascon. Teyssode est du dépar-
tement du Tarn et non du Gard. Ulno à corriger en Ulmo. Valesium,
c'est le Valois, non \c\a.\a\s,.\Valleyranica, et i-\^n\WaUeyrauica, ào'n
être identifié avec Valérargues, dans le Gard, et non avec Valleraugue
dans le Gers, etc.
Avant de terminer cet article, je noterai trois suppliques où inter-
viennent Arnaud de Cervole, Froissart et Pétrarque. Le premier en a
présenté une pendant le temps qu'il passa dans la ville d'Avignon après
sa fameuse campagne de Provence (i 358;; Jean Froissart demandait
à échanger sa chapellenie de Valenciennes contre un canonicat à
Paris (i36o); enfin Pétrarque sollicitait la collation d'une église
rurale dans le diocèse de Teano, qu'avait résignée en sa faveur Louis
Sanctus de Beeringen,
L.-H. Labande.
.\rchives du Cogner (J. Chappée. le Mans), série H, ^rt. 97. Cartulaire de
l'abbaye de Saint-Sauveur de Villeloin, publiée par l'abbé L.-J. Denis. Paris,
H. Champion; Le Mans, A. de Saint-Denis, 1911. In-S" de xv-227 pages.
La belle collection de documents d'archives que M. J. Chappee a
réunie au Mans s'est enrichie dernièrement d'un cartulaire de la fin
du xiii'' siècle contenant les actes relatifs à l'abbaye de Villeloin.
M. l'abbé Denis s'est chargé de les publier. Il l'a fait avec attention ;
cependant ayant eu le moyen, par la planche phototypique qu'il donne,
de contrôler quelques passages de son texte, je me suis aperçu de
l'omission de deux mots avant sententialiter condempnamus, à la fin
de la charte n° XI . J'ai constaté aussi, là et ailleurs, qu'il traduit sous
la forme adjective l'abréviation du nom substantif de Villeloin. De
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 9
Viîlalup. devient toujours Villalupensi (au n' i, voyez abbatem et
conventuin ViUeîiipensis). Je voudrais bien savoir s'il y a une raison
pour cela. Le nom de la localité semble avoir toujours été Villalupae,
pourquoi ne pas le conserver dans les textes du xiii" siècle ?
L'éditeur a écrit en tète de sa publication une courte préface pour
décrire le manuscrit, exposer son plan et donner une notice précise
sur la généalogie des familles qui furent en relations permanentes
avec les moines de Saint-Sauveur. Comme il a eu la chance de
retrouver quelques originaux de ses chartes aux archives de l'Indre et
de rindre-et-Loire, il a eu rexcellcnte pensée de les coUationner et de
relever en lête de chaque document ainsi vérifié (on pourrait critiquer
cette place) les variantes qui lui ont été fournies. J'aime moins les
variantes que M. l'abbé Denis s'est cru obligé de présenter d'après des
copies, alors qu'il avait déjà collationné l'original. Chaque pièce est
précédée d'une analyse suffisante et accompagnée de quelques notes
pour les identiticaiions de noms de lieu.
En tête du Canulaire, un prieur du wii^ siècle, Pierre Brunet,
avait composé une notice sur les origines de l'abbaye. Quoiqu'elle fût
sans valeur, M. l'abbé Denis n'a pas cru devoir la supprimer; il l'a
donc publiée au début de son livre, mais en avertissant du peu de
confiance dont elle est digne. 11 reconnaît comme faux un diplôme
d'un empereur Louis, confirmant la fondation du monastère. Il aurait
pu discuter aussi le diplôme de Charles le Chauve, qui porte la date
du 27 mai 85o, car ce document me paraît assez suspect.
L'éditeur a terminé par deux bonnes tables : une table chronolo-
gique de ses documents et une table alphabétique des noms. Les
quelques petites réserves que j'ai cru devoir faire ne m'empêchent pas
de déclarer que son œuvre est tout à fait méritoire.
L.-H. Labande.
Wielands Gesammelte Schriften. Erste Abteilung : 3. Band, hergg. von Fritz
HoMEYER. Berlin, Weidinann, igto, 8", p. 5 18, mk. 10. — 7. Band, hergg. von
Siegfried Mauermann, ibid., 191 1, p. 484, mk. g. — Zweite Abteilung : 3. Band,
hergg. von Ernst Stadler, ibid., 191 1, p. 625, mk. 12.
L'Académie des sciences de Berlin continue activement la publi-
cation des œuvres complètes de Wieland qui a été déjà annoncée ici.
Nous avons depuis reçu le troisième volume donnant la suite des
œuvres de jeunesse et le septième qui contient des contes en vers, des
poésies et différentes œuvres en prose. Dans la seconde section, celle
des traductions, un troisième volume est venu s'ajouter aux deux
précédents pour compléter le Shakespeare allemand que Wieland fit
paraître de 1762 à 1766. Ce dernier volume reproduit la biographie
de Rowe que l'auteur avait jointe à sa traduction et la défense de son
(Buvre contre la critique contemporaine ; il nous donne aussi l'intro-
duction de M. Stadler au Shakespeare de Wieland. C'est le résumé
I O REVUE CRITIQUE
d'une étude très fouillée qu'il a publiée à part et dont il a été rendu
compte dans la Revue en S(in temps. Dans les dernières pages ont
trouvé place les variantes de la première édition et des notes très
utiles pour juger de la valeur de la version de Wieland ; elles
signalent les fautes les plus graves, ainsi que les omissions ou les
additions du traducteur.
L. R.
Heinrich Kofink, Lessings Anschauungen iiber die Unsterblichkeit und
Seelen^vanderung. Strasbourg, Trûbner, 1912,8°, p. 223, mk. 6.
.1. G. RoHERTsoN, Lessing Nathan der Weise. Cambridge, University Press,
1912, in-i6, pp. 32 et 27S. Sh. 3.0o.
I. La monographie de M. Kofink sur la conception que s'était faite
Lessing de l'immortalité et la forme originale qu'il a donnée à l'an-
tique théorie de la métempsychose est une importante contribution
à l'étude du critique philosophe et elle éclaire particulièrement un de
ses ouvrages les plus commentés, die Eriiehwigdes Menschengesch-
lechts. La première partie du travail de M. K. est un relevé des œuvres,
opuscules ou passages intéressant les idées de Lessing sur la vie de
l'au-delà; l'auteur les a soumis tous à un examen critique des plus
scrupuleux, discutant la date de la composition, l'origine et l'évolution
des pensées qu'ils renferment, les côtés par où Lessing s'inspire des
philosophes contemporains, de Leibniz, de Bonnet, de Sulzer, etc.,
et ceux par où il s'en éloigne. Cette recherche attentive de la pensée
de Lessing a même amené M. K. à proposer pour un passage du
commentaire des Philosophische Aiifsdt^e de Jérusalem une lecture
nouvelle qui offre, en effet, un sens plus satisfaisant. Il n'est pas
possible de suivre M. K. dans toutes les menues déductions de son
exposé très méthodiquement présenté et de l'enchaînement le plus
rigoureux; il suffira d'indiquer que Lessing a voulu résoudre le pro-
blème du déterminisme par l'idée d'une transformation des âmes
préexistant de toute éternité et réservées à une série de réincarnations ;
la conception du retour est ainsi mise au service d'une théodicée par-
ticulière plus généreuse que celle de l'église orthodoxe. Le système
de Lessing, bien qu'il n'ait jamais réduit ses idées en système, lui
sert à expliquer la lenteur des progrès de l'humanité, chaque être
devant traverser tous les degrés d'un état inférieur avant de parvenir
à la perfection suprême à laquelle d'ailleurs tous sont appelés à s'éle-
ver. Dans la seconde partie de son étude, M. K. recherche les motifs
qui ont amené Lessing à se passionner pour ces conceptions. Il s'est
déjà familiarisé avec elles par la pratique des philosophes qui les
avaient embrassées avant lui, comme G. Bruno, van Helmont; il
doit beaucoup à Leibniz, quoiqu'il se sépare de lui sur la question des
peines éternelles ; il a emprunté aussi à Reimarus, au suisse Bonnet,
à son ami Mvlius, à d'autres encore. Mais la raison principale doit
d'histoire et de littérature I f
être cherchée dans la profonde conviction où était Lessing de la
haute valeur de la personnalité, de la nécessité d'une évolution ascen-
dante pour le genre humain ; enfin son activité inlassable l'avait natu-
rellement conduit cà adopter et à développer d'une façon personnelle
une conception qui prolongeait dans une perspective indéfinie l'effort
de l'individu et de l'humanité. La savante enquête de M. K. par la
sagacité et la prudence de sa discussion aura précisé un des aspects
les plus curieux du rôle de Lessing dans la spéculation du dernier
tiers du xviii" siècle.
IL Dans la collection anglaise des Pitt Press Séries M. Robertson
a publié une bonne édition du Nathan de Lessing. L'introduction très
complète oriente le lecteur sur la genèse de l'œuvre déjà connue,
insiste avec raison sur les sources de Lessing qui a puisé non seulement
dans Boccace mais encore dans les Gesta Romanorum la parabole des
trois anneaux ; elle découvre de multiples analogies entre la pièce alle-
mande et les tragédies philosophiques de Voltaire, Zaïre et les Giiè-
bres, signale d'intéressants rapprochements entre Nathan et le drame
bourgeois de Diderot, et pour tout ce qui touche à l'orientalisme de
la pièce relève les emprunts faits par Lessing aux ouvrages de Marin,
de Marigny, d'Herbelot, de Dopper, etc. Cette double enquête sur
les influences littéraires subies par le drame et l'information histo-
rique du poète représente l'apport nouveau des recherches person-
nelles du critique. Les notes sont rejetées à la fin du volume (p. i83-
240); celles d'ordres historique sont très développées, les notes lin-
guistiques sont plus brèves, mais substantielles. Partout M. R. s'est
appliqué à montrer la relation de la pièce définitive avec l'esquisse
développée qui s'en est conservée et qu'il a eu raison de reproduire
en entier à l'appendice. Trois index terminent l'édition qu'on ne peut
que recommander même à nos étudiants.
L. R.
Agnes Bartscherer, Zur Kenntnis des jungen Goethe. Dortmund, Fr. Wilh.
Ruhfus, 1912, 80, p. 192, mk. 4.30.
Wilhelm Bùchner, Goethes Faust. Eine Analyse der Dichtung. Leipzig-Berlin,
Teubner, 191 1, 8», p. 128, mk. 2.
Gustav Kettnkr, Goethes Drama, die naturliche Tochter. Berlin, Weid-
mann, 1912, 8«, p. 172, mk. 3.40.
L Des trois études qui constituent le volume de M"'' Bartscherer,
la première, la plus importante, est un complément, et en partie une
rectification de la thèse qu'elle avait soutenue pour démontrer l'in-
fluence capitale de Paracelse et des Paracelsistes sur le Faust (V. Revue
du 24 décembre 191 1). Elle a de nouveau accumulé les témoignages
qui doivent à ses yeux déterminer notre conviction] pour faire
remonter jusqu'à l'année 1769 la conception première du Faust. I^
1 2
REVUE CRITIQUE
ne faui pas attendre jusqu'à la période de Strasbourg et expliquer les
sentiments du jeune Stiirmer par l'action qu'exercèrent sur lui
Herder, Hamann, ou la philosophie de Spinoza, ou le mysticisme
de Swedenborg. Seulement l'auteur ne revendique pas aussi exclusi-
vement le personnage de Paracelse comme le type unique dont pro-
céderait Faust. Dans Morhof dont le Polyhistor était familier à
Goethe, dans G. Agrippa qu'il connut directement ou par les poly-
graphes Brucker, Gottfrid Arnold, Bayle, etc., dans van Helmont et
dans Welling il a trouvé les traits principaux de son magicien, et en
particulier pour l'attitude hostile que prend Faust à l'égard de la
philosophie traditionaliste, de la théologie, de la médecine, de la
science juridique de son temps, l'auteur a relevé de nombreux pas-
sages qui transparaissent dans le poème. Il a aussi signalé de
curieuses réminiscences de la Tempête de Shakespeare, autre lecture
de jeunesse. Gomme pour son précédent travail, il faut concéder à
M"'' B., qui semble beaucoup tenir à faire de Gœthe, et non seule-
ment du jeune Gœthe, un fervent de l'occultisme, qu'elle a réuni dans
ce nouvçau chapitre des explications plausibles et beaucoup de con-
jectures hasardeuses; la fin de sa démonstration ne va pas d'ailleurs
sans quelque confusion. Je ne peux que me borner à mentionner la
seconde dissertation du livre qui porte sur un point plus restreint :
l'utilisation dans la nuit classique de Walpurgis, et aussi dans le
poème demeuré fragment des Geheimnisse d'un chapitre du Polyhis-
tor de Morhof intitulé de collegiis secretis.
La troisième de ces études, si elle est étrangère au Faust, ne nous
fait pas du moins sortir de la jeunesse de Gœthe. Quand il était
encore étudiant à Leipzig, Lessing y vint aussi, en mai 1768. Pour-
quoi Gœthe s'est-il tenu à l'écart? C'est ce problème que M"' B. a
voulu éclaircir, et en examinant les raisons de l'éloignement volon-
taire du jeune poète, elle a résumé avec intérêt les rapports de Gœthe.
et du grand critique. Gœthe alors, encore incertain de sa voie, était
plus tourné vers l'art que vers la poésie, il redoutait de plus la sévé-
rité des arrêts de Lessing, il le regardait comme le chef de l'école
rationaliste, tandis qu'il sentait en lui le romantique s'éveiller déjà,
enfin Lessing lui apparaissait comme l'adversaire de Winckelmann,
le plus fidèle disciple d'Œser qu'il vénérait comme un maître. L'âge
modifia, et profondément, ces premières impressions et M"*^ B. a
montré comment les jugements de l'auto-biographie du Gœthe sexa-
génaire doivent être rapprochés des sentiments spontanés et complexes
du jeune homme pour recevoir une juste interprétation.
IL La critique qui s'applique depuis si longtemps au commentaire
du Faust de Gœthe est en train d'évoluer : après avoir porté son
effort sur les contradictions du poènie pour les expliquer par des dif-
férences de dates correspondant à des transformations intellectuelles,
d'histoire et de littérature i3
elle voudiaii à présent démontrer au eontraire l'harmonie de l'œuvre,
l'unité du plan, la concordance des parties. Le besoin de réagir
contre certains excès et aussi le parti nouveau qu'on pouvait tirer des
esquisses, des scènes ébauchées, des vers abandonnés, de tout ce
qu'a ramassé de paralipomcna la patience des derniers éditeurs, l'ont
poussée dans cette voie. C'est dans celle-là aussi que marche M. Buch-
ner et s'il parle dans le sous-titre de son étude d'une analyse du
poème, ce n'est que pour en établir plus sûrement la synthèse.
Comnie pour tous les commentateurs préoccupés de prouver l'unité
de composition, le plan primordial lui est fourni par le Prologue
dans le ciel; l'action du diable et l'évolution de Faust qu'il essaie
d'entraver sont successivement étudiées ; finalement, par l'amour que
symbolise l'épisode de Marguerite, par l'attachement aux pensées
élevées et durables, figuré par l'union de F"aust avec Hélène, c'est-
à-dire avec la beauté et avec l'art, et par la généreuse activité de la fin
de sa vie, Faust triomphe de ses faiblesses et de ses erreurs, il s'est
lentement haussé d'une agitation confuse et trouble à la sérénité et à
la lumière. Il n'est pas possible de faire tenir dans un résumé l'ana-
lyse de M. B., il faut reconnaître qu'il a fait un effort louable pour
expliquer les contradictions où le vieux thème mettait Gœthe en
lui imposant certains éléments de la légende indispensables au dérou-
lement de l'action, mais si opposés à ses propres habitudes de pensée.
Les rapprochements qua faits aussi l'auteur avec tels passages
d'autres œuvres et la discussion fréquemment instituée par lui sur le
sens exact des mots importants (par ex. der Schalk, die Miitter) sont
intéressants à lire et en dehors de toute thèse, son commentaire res-
tera utile, pour une interprétation du second Faust surtout. Mais ces
essais de conciliation déguisent souvent les diflficultés plus qu'ils ne
les résolvent; l'ancienne explication fondée sur le parallélisme de
l'évolution de l'œuvre accompagnant celle du poète nous semblait
aboutir à des conclusions plus satisfaisantes.
III. Les commentateurs de Gœthe n'ont pas souvent porté leur
attention sur la Fille naturelle^ et M. Kettner en consacrant une
étude approfondie à cette œuvre si froidement accueillie par les con-
temporains et depuis jugée non sans prévention, a comblé une lacune
et réparé une injustice. La Révolution française avait préoccupé
Gœthe vivement, mais il avait plutôt déguisé sa véritable pensée dans
des œuvres légères ; la Fille naturelle nous livre au contraire son
jugement sincère sur le grand événement politique qui méritait mieux
que quelques parodies sans grande portée. M. K., profitant des
recherches de M. Brcal, a analysé avec soin le document qui fut la
source principale du poète, les Mémoires historiques de la princesse
Stéphanie-Louise de Jiourbon-Conti, en indiquant le parti que Gccthe
en avait tiré, et comment il avait transformé une matière assez vul-
14 REVUE CRITIQUE
gaire, plaidoyer personnel trop évident, pour n'en retenir que ce qui
lui SL'mblaii figurer les lois les plus génifrales d'un bouleversement
social si profond, de même qu'il idéalisa les personnages, en les
dépouillant de tout caractère concret et historique, pour en faire les
types les plus abstraits de forces ou de sentiments en conflit. M. K.
s'est arrêté successivement sur chacun d'eux, en les rattachant habi-
lement à ce monde réel dont le poète a voulu de parti-pris et pour
des raisons différentes les abstraire. L'étude de la Fille naturelle
comporte de plus un problème délicat : celui de la continuation de
l'œuvre. Le sujet avait été à l'origine projeté comme trilogie ; Gœthe
modifia après la publication de la pièce son plan primitif et n'envi-
sagea plus qu'une suite dans un second drame. Nous en avons le scé-
nario et quelques esquisses de scènes, mais la façon dont se sont
entrecroisés et heurtés les divers projets de distribuer et de conduire
le développement de l'action ne permet pas toujours de se représenter
nettement ce que furent les véritables intentions de Gœthe. M. K. qui
a suivi très attentivement la genèse de la composition du premier
drame, s'est appliqué à démêler cette substitution d'un plan nouveau
à l'ancien plan et il a tenté d'après les indications dont nous disposons
une reconstitution satisfaisante de ce que devait être la seconde
partie de la pièce. Si toutes les obscurités ne sont pas levées (notam-
ment pour le cinquième acte), ses conjectures paraissent fort judi-
cieuses.
L. R.
Gustave Gautherot, L'Assemblée Constituante. Le Philosophisme rdvohttion-
naire en action. Paris, Beauchesne, igi i, xv et 540 p. in-i6.
On connaît l'ardeur militante de M. Gautherot. Il s'est voué avec
passion à la cause de la Contre-Révolution. Sa chaire de l'Institut
catholique est une tribune au pied de laquelle se pressent les derniers
tenants du trône et de l'autel. L'histoire pour lui n'est qu'un thème,
qu'un cadre pour exposer ses idées politiques et religieuses. Le livre
qu'il nous donne aujourd'hui est le recueil de ses principales confé-
rences. N'y cherchons pas ce qu'il n'a pas voulu y mettre, une his-
toire de l'Assemblée constituante. Considérons-le comme une satire
violente de l'œuvre de la grande assemblée, une apologie, plus fou-
gueuse et plus théâtrale, qu'émue de la reine et des aristocrates, une
réfutation parles faits de ce que M. Gautherot appelle, après l'abbé
Barruel son maître, le « philosophisme ». N'y cherchons pas de faits
nouveaux, des révélations inédites. M. G. se borne la plupart du
temps à résumer les derniers ouvrages parus. C'est ainsi que pour son
chapitre sur les origines du parti républicain il m'a fait l'honneur de
puiser 0 largement », dit-il, dans mon récent recueil sur le club des
Cordeliers, si largement qu'il m'a emprunté toutes ses citations et
toutes ses références. Son chapitre sur le féminisme révolutionnaire
d'histoire et de littérature i5
est de même un résumé du livre du baron de Villiers sur les clubs de
femmes, son chapitre sur la dissolution de l'armée royale un résumé
du livre du colonel Hartmann sur les officiers de l'armée royale et la
Révolution, etc.
M. Gautherot n'apprend donc rien à l'historien. Il l'étonné en
revanche par ses partis pris passionnés qui lui masquent souvent la
physionomie réelle des hommes et des choses '.
Albert Mathiez.
Bronislas Demuinski, professeur à rUnivcrsitc de Leiiiberg, Le Génie politique
de Catherine II, Mémoire contemporain. Paris, Champion, 1912. In-80, 4g p.
On remerciera M. Dembinski d'avoir publié ce mémoire intéressant
de ritalien Piattoli et de nous avoir donné sur l'auteur du mémoire
d'amples renseignements. Ce Piattoli vivait depuis longtemps en
Pologne; il était l'intime ami d'un ministre de l'Electeur de Saxe, le
comte Marcolini ; il avait fréquenté Ignace Potocki et le roi Stanislas-
Auguste dont il fut quelque temps le confident et il écrit que son
séjour à la cour royale était le roman de sa vie. Môme lorsqu'il eut
quitté le pays, la question polonaise le préoccupa vivement et il disait
que tous les membres épars de la grande et vieille famille slave devaient
se joindre à la Russie, devaient s'allier à Alexandre contre Napoléon.
Il assistait à la proclamation solennelle de la constitution du 3 mai et
il avait cru que de ce jour datait la renaissance de la Pologne, qu'en
ce jour commençait une nouvelle époque : magnus ab integro saeclo-
riim ^ nascitur ordo. Lorsqu'il vit, un an plus tard, ce « grand ordre »
renversé par la confédération de Targowica, qui n'était que l'instru-
ment de la Russie, il jeta un cri de désespoir. De là, ce « mémoire »,
commencé en 1792 et terminé en i7n4. Il présente un moment cri-
tique de la politique européenne; surtout, il analyse la politique de
Catherine à l'égard de la Pologne et de la France révolutionnaire.
Piattoli oppose l'empereur Léopold à la « Sémiramis du Nord »,
oppose le « grand système fédéraiif '> de Léopold à la politique russe
« digne d'une âme atroce » ; il assure que, si Léopold « pacifique par
sentiment et par principe », avait vécu, la guerre n'aurait pas éclaté,
que Louis XVI régnerait encore, que Catherine ne serait que l'impuis-
sante protectrice de quelques rebelles ; il montre la tsarine soutenant à
la fois les émigrés français qui veulent rétablir la monarchie et détruire
l'anarchie en France et les émigrés polonais (les chefs de la confédé-
1. P. 37, n. i,«M. Aulard appartient, comme on sait, à la Franc-maçonnerie»,
M. Gautherot sait mal. M. Aulard n'a jamais appartenu à la Franc-maçonnerie ;
— p. 114 où M. Gautherot a-t-il emprunté cette histoire de brigands : Rotondo
essayant de poignarder la reine en juillet 1790? — p. 169. M. G. entend
Barnave acclame par 20,000 individus qui assiégeaient T Assemblée ! — p. 171. La
Terreur fit 200,000 victimes ! — p. 417, au lieu de Haïti, lire Taiti, etc.
2. Et non saeculorum.
10 RKVUE CRITIQTK
ration du Targouica; qLii veulent dciruiie la monarchie et rétablir
l'anarchie en l^ologne ; il croit que, si Catherine avait eu un véritable
génie, si elle avait reconnu la constitution du !> mai, si elle avait traité
avec la Pologne, elle eût d'un même coup sauvé la vie et le trône de
Louis XVI, rendu la Silésie à l' Autriche, « réduit la Prusse aux sables
du Brandebourg'); il reproche à Catherine d'avoir rompu les liens
de la parenté slave en livrant la Pologne à la Prusse. Catherine, dit
Piattoli, aurait dû « annoncer à tous les peuples esclavons qui forment
la nation polonaise, que, puisqu'ils voulaient enfin renoncer à cette
funeste oligarchie qui, sous le nom de liberté, les avait avilis depuis
plusieurs siècles, elle se hâterait de seconder leurs efforts généreux,
et qu'elle leur offrirait le prince Constantin, afin de réunir ainsi des
nations que leur origine, leur langue, leurs mœurs, et en grande partie
leur religion appelaient à se rapprocher. N'était-ce pas préparer à la
Russie le plus vaste et le plus puissant des Empires, et en même temps
le plus glorieux et le plus durable ? »
A. Chuquet.
Ch. ^sic) Perroud. Le Lyonnais Gonchon. lu-So, 20 p. (Extrait de la « Revue
d'histoire de Lyon », fabC. 111. 191 2).
M. Claude Perroud complète sur plusieurs points la notice de
Fournel qu'il juge bien superficielle, bien incomplète, et, à notre grand
regret, lui-même, « pressé par l'espace, » ne fait, de son propre aveu,
qu'esquisser le personnage et son rôle, à l'aide de quelques docu-
ments qu'il a trouvés. Nous signalerons surtout dans cette étude une
curieuse facture des livres fournis à Gonchon lorsqu'il alla comme
colporteur dans les départements envahis, une lettre à Roland, du
12 décembre 1792, qui prouve que notre « patriote » était plus lettré
qu'on ne l'avait cru jusqu'ici, et les détails qui concernent ses missions
de 1795 à Lyon et de 1796 dans la Haute-Loire. M. Perroud nomme
justement Gonchon le girondin du faubourg Saint-Antoine et il le
juge sincèrement épris de la Révolution, naïf, enthousiaste, hâbleur,
avisé au besoin, et toujours humain. P. 12 ce fut Sibuet, et non Gon-
chon, qui se rendit avec Gadolle à Ostende et dans la Flandre litto-
rale ; Gonchon n'est venu que plus tard. Le 25 février 1793, lorsque
les Bruxellois s'assemblèrent à Sainte-Gudule pour émettre leur vœu
sur la forme de gouvernement, Gonchon prononça « un discours
patriotique dont le but était de les éclairer sur leurs vrais intérêts »,
Le 8 mars suivant, à Tournai, lorsque le peuple révolté tira des coups
de fusil par les fenêtres sur les volontaires et dépava les rues et les
cours, Gonchon, qu'on prenait pour un commissaire de la Conven-
tion, fut assailli et houspillé; on lui arracha sa cocarde; il dut, le
pistolet au poing, se frayer un chemin à travers la foule, ei il se hàia
de dénoncer ce mouvement contre-révolutionnaire, excité, disait-il,
par les prêtres et les moines.
A. Chuquet.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 17
l'rcJcric .Masson, de rAcadéiiiie tiiuiv'aisc. Napoléon à Sainte-Hélène, 1815-
1821. Paris, OllendorlV, 19 12. I;i-8", 5oo p. 7 tr. 5o.
M. Masson détermine d'abord, dans ce nouvel ouvrage, pourquoi
Napoléon a cherché un asile sur le Bellérophon et comment les
Anglais ravaicm. attiré. Le 2 août 181 5, les alliés, constatant qu'il est
en leur pouvoir, ont confié sa garde à TAnglcierre. Mais il était venu
libre à bord du Bellérophon; le capitaine Maitland et 4'amiral Hotham
ravaicni accueilli et traité comme un hôte ; il ne se considérait donc •
pas comme prisonnier, et voilà le fait capital. Les Anglais ont, abusé
de leur force et Napoléon résiste à cet abus. Hôte de l'Angleteric, il
eût admis l'incognito ; prisonnier et convaincu que sa captivité est une
iniquité, il revendique son titre, et jusqu'au bout il veut être l'Empe-
reur. De là, sa conduite à Sainte-Hélène ; il ne sort pas de chez lui;
(( en restant chez lui, dit un de ses compagnons, — que M. Masson
ne cite pas — il conserve sa dignité; il est toujours Empereur et ne
saurait vivre autrement ».
Puis, M. Masson fait défiler devant nous les personnages qui sui-
vent l'Empereur sans en excepter un seul, sans laisser dans l'ombre
le moindre des figurants; l'honnête Bertrand, toujours mécontent de
lui-même parce qu'il est toujours partagé entre scmi dévouement à
l'Empereur et son amour pour sa femme qui s'ennuie à Sainte-
Hélène plus encore qu'à l'ile d'Elbe ; Moniholon qui, dans la détresse
où il est, avait tout à gagner s'il suivait l'Empereur, et M™^ de Mon-
tholon, coquette, intrigante, prête à tout; Go'urgaud, orgueilleux,
ombrageux, violent, brutal ; Las Cases qui ne venait que pour com-
poser son Mémorial et associer son nom à celui de l'Empereur; le
mystérieux Piontowski qui n'était qu'un chevalier d'industrie; les
deux prêtres si « ternes », Buonavita et Vignali ; le inédecin Antom-
marchi, présomptueux, faiiiilier, inexact, négligent, aussi dépourvu
de scrupules que de science; Cipriani qui constitua, pour ainsi dire,
le service des renseignements; Marchand qui entoura l'Empereur
des soins les plus attentifs et les plus délicats; Saint-Denis, Pier-
ron, etc.
M. Masson passe ensuite au geôlier, à celui que Napoléon a
nommé le sbire, i'argousin et même le bourreau, et, à l'aide de notes
fournies par des Anglais et des articles que des officiers du temps
consacrèrent à leur camarade Lowe, il retrace la carrière et fait le por-
trait du gouverneur de l'île. Le lieutenant-général Lowe, ancien
colonel des Corsican Rangers, était l'homme de l'emploi : strict
observateur des règlements, intègre, austère, mais ignorant tout du
monde — le mot est de Wellington, raide, manquant de formes,
dénué de tact. Du reste, aux yeux de M. Masson, Lowe n'est qu'un
agent d'exécution, et M. Masson vise plus haut; il montre derrière
Lowe le ministère anglais et surtout lord Bathurst, le secrétaire
d'Etat à la guerre et aux colonie?. Sir Hudson Lowe fut quelquefois
l8 REVUE CRITIQUE
rcprimaiidc par son gouverncniciu, non paice qu\\ ciail fidèle à la
consigne, mais parce qu'il s'en relàchaii.
A cette sorte d'exposition succède le drame. M. Masson raconie
dans tous ses incidents la lutte entre Napoléon ei Lowc, et alors
reparaissent les personnages qui lorment les entours de l'Empereur.
Ces personnages, on les voit livrés à l'oisiveté, dévorés par l'ennui et
se jalousant les uns les autres. Bertrand vit un peu à l'écart, entre sa
lemme et ses enfants. Mais Las Cases, humilié et offensé par Gour-
gaud et Montholon qui le traitent de jésuite, Las Cases qui a terminé
son journal et qui compte sur un immense succès de librairie, Las
Cases qui entrevoit la possibilité de s'ériger devant l'Europe en avo-
cat du prisonnier, saisit, provoque peut-être l'occasion de se faire
renvoyer. Après Las Cases, Gourgaud, brouillé avec Montholon à
qui il envoie un cartel, quitte Sainte-Hélène et, pour être réintégré
dans l'armée royale avec son grade de maréchal-de-camp, il assure au
gouvernement de Londres que Napoléon n'est pas malade : Las Cases
vient justement de déclarer tout haut que le séjour de l'Empereur à
Sainte-Hélène compromet sa santé; après le témoignage de Gour-
gaud, le congrès d'Aix-la-Chapelle adopte des résolutions destinées à
légitimer et à resserrer la captivité '.
Une étude de la maladie de Napoléon et de ses progrès termine le
volume. En mars 1817 s'est produit un dérangement d'estomac, puis
une enflure aux jambes accompagnée d'éruption, et en août, cette
enflure s'est aggravée. Le chirurgien de la marine O'Meara diagnos-
tique une hépatite chronique. Mais O'Meara excite la défiance de
Lowe — et, en effet, il a reçu de l'Empereur un bon de cent mille
francs — Aussi est-il rappelé par le ministère, renvoyé de la marine
lorsqu'il a déclaré que la vie de Napoléon est en danger, et au mois
de janvier 18 19 il publie un factum contre Lowe. Les successeurs
d'O'Meara sont Verling que Napoléon refuse de recevoir; Siokoe qui
voit l'Empereur, qui, lui aussi, diagnostique une hépatite et qui est,
lui aussi, rayé des cadres de la marine; puis l'ignorant Antommarchi.
L'Empereur se décourage. M™^ Bertrand désire partir et il ne veut
plus la voir. M™'= de Montholon part sous prétexte d'une maladie de
foie, mais Montholon, qui guette des millions, n'a garde d'accompa-
gner sa femme, et l'Empereur hnit par le nommer 7non fils. Pour-
tant, Napoléon jardine et essaie de prendre de l'exercice. Mais en
I. Quels qu'aient été les torts de Gourgaud (et, dit M. Masson, « peut-être
ctait-il sous l'empire de ceitaines excitations momentanément délirantes et émit-
il alors des allégations qui dépassaient sa pensée »j il avait, ce semble, raison de
dire que Napoléon n'était pas malade. M. Masson reconnaît (p. 4.19) que dans les
premiers mois du séjour de Napoléon à Sainte-Hélène l'affection du t'oie a été
« relativement bénigne », qu'elle eût » cédé à une cure d'eaux » et que, même
aggravée par l'absence d'exercice et par une hygiène détestable, elle n'inspirait de
craintes sérieuses ni à Bertrand ni à Montholon,
d'histoire et de littérature 19
septembre 1820 ses forces diminuent et il tombe bientôt dans un tel
état d'atonie que M'"' Bertrand suspend son départ. Le chirurgien
anglais Arnolt est appelé le 2 avril 1821 et constate une inliammation
d'estomac. Le 5 mai, Napoléon meurt. L'autopsie révèle qu'il avait
un squirre à l'estomac et que sa vie même a été prolongée par le gon-
flement du foie qui obturait la perforation.
Voilà, en raccourci, le livre de M. Masson, et il faudrait citer
encore la description de l'île, du « décor » où l'historien situe son
héros et qu'il a fait revivre d'après les documents iconographiques et
autres qu'il s'est procurés, citer aussi les pages consacrées aux der-
niers Jours de Napoléon et au testament — ce testament dont l'exécu-
tion fut accompagnée d'étranges péripéties, de péripéties que M. Mas-
son rapportera peut-être un jour « sans aucune complaisance, quelque
graves que soient les faits qui seront ainsi mis au jour. »
Ce livre se tient et il est sincère, véridique, plein de détails et pour-
tant clair, bien ordonné, courant au but; pas d'emphase, pas de di-
gressions, parfois de l'émotion, et l'auteur convient que plus d'une
fois sa plume a tremblé dans sa main; mais il s'efforce de ne donner
que des faits, les faits que les pièces imprimées et manuscrites lui
fournissent '.
A. Chuquet.
J. SuNDWALL. Nachtrâge zur Prosopographia attica (Extr. des Finska Vetens-
kaps-Societetens Fôrhandlingar, LU, igog-igio). Helsingfors, libr. académique,
1910; 177 p.
Il y a près de dix ans que la Prosopographia attica de Kirchner est
terminée, et dans cet intervalle un nombre considérable de nouveaux
noms propres athéniens ont été connus. Deux articles du BCH ont
singulièrement enrichi ces listes, l'un de Colin, la Théorie athé-
nienne à Delphes (1906), l'autre de Roussel, les Athéniens mentionnés
dans les inscriptions de Délos (1908), ce dernier contenant un cata-
logue par ordre alphabétique. A son tour, M. Sundwall a dressé et
publie dans le présent volume une liste aussi complète que possible
de tous les noms propres athéniens qui se rencontrent dans les ins-
criptions publiées depuis le travail de Kirchner, et même dans des
inscriptions inédites qu'il a vues au musée national d'Athènes. L'ou-
vrage forme ainsi un complément à la Prosopographia attica, dont les
indications sont parfois rectifiées, et ne peut manquer d'être bien
accueilli par les historiens et les archéologues. M. S. nous informe
que cette nouvelle prosopographie est le résultat de recherches prépa-
ratoires à un ouvrage qu'il projette sur le nombre des enfants^et l'âge
I. P. S. Il se pourrait que la commission provisoire eût nommé Beker parce
qu'elle croyait qu'il avait été disgracié en i8og. — P. 90, Dillon n^a pas « sauvé la
France de l'invasion ». — P. g5, il est certain que Napoléon pensait à faire de
Flahaut son grand maréchal, parce qu' « il lui fallait un homme aimable pour
cela i>. — P. 134, lire Yvan et non Imn.
JO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
du mariage, ainsi que sur le choix du ncjm et sa transmission héré-
ditaire dans les familles chez les anciens Athéniens. On peut juger de
retendue et de l'importance de sa documentation : ces Nachtrage
comprennent au-delà de 25oo noms.
M Y.
— La Politik und Massenmoral (Teubncr, 191 2, vi-211 p., 'i M. de M. Arthur
CiiRisTKNSEN vcut absorbcT et prolonger les études de MM. G. Le Bon et G. Tarde
.sur la p.svchologic dos foules et ébaucher une sorte de philosophie de la poli-
tique, C|ui peut fournir eu incine temps d'excellentes contributions à la psycho-
logie sociale. Le passage où il expose le modo de suggestionabilitc et la mentalité
des masses et spécialement de la masse souveraine, ainsi la psychologie parlemen-
taire, est très curieux et ne manque pas de piquante actualité. Il étudie encore
successivement, avec beaucoup de bonne humeur, les théories politiques idéales
et réalistes, la morale d'Etat et l'opinion publique, le sentiment national, la pai.x
universelle, la tyrannie des majorités, la corruption parlementaire, le terrorisme
électoral, le syndicalisme, le système corporatif, etc. pour finir par un essai de
morale sociale. Il a l'air d'être très au courant des vicissitudes de notre politique
intérieure et lui emprunte quantité d'exemples qui animent et même égayent
singulièrement son récit; c'est ainsi qu'une série de pages (149-155) s'occupe de
M. Raymond Poincaré, d'autres discutent et apprécient les avis de nos principaux
journaux, de M. M. Paul et Anatole Leroy-Beaulieu, Marcel Prévost, voire de Vol-
taire, Rivarol et La Rochefoucaud. Bref, l'auteur est un homme averti, qui ne se
paye pas de mots, n'a pas d'illusions sur la nature humaine, connait toutes les
misères de la situation politique et sociale actuelle et sait conserver tout de même
et communiquer sa foi en un progrès relatif et son honnêteté native. — Th. Scii.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 21 juin igi2. —
M. Théodore Reinach communique, au nom de M. Arthur Hunt, !a moitié d'un
drame satyrique de Sophocle, les Dépisteurs [icliueiitai), retrouvée récemment dans
un papyrus d'Oxyrhynchus Egypte). Le sujet est tiré du mythe de l'enfanee
d'Hermès : le vol des vaches d'Apollon et l'invention de la lyre en fournissent les
principaux épisodes. A côté des deux divinités, on voit apparaître la nymphe Kyl-
léné, nourrice d'Hermès, les Satyres, qui forment le chœur, lancés à la poursuite
du voleur divin, enfin leur père, le vieux Silène. Les 400 vers conservés offrent,
en même temps que bien des énigmes, des beautés de premier ordre ; par
exemple les scènes comiques où s'ébattent les Satyres « limiers », puis leur dia-
logue, en vers alternés, avec la nymphe, où la lyre est décrite sous la forme d'une
devinette dont s'est inspiré Euripide. Le texte complet doit paraître prochaine-
ment à Oxford. — M. Pottier présente quelques observations.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gêranx ; Ulysse Rouchon.
LE PUy-EN-VELAY. — IMPRIMERIE PEYRILLER, ROUCHON ET GAMON.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N' 28 — 13 juillet. — 1912
. , ,
Bl'ck, Les dialectes grecs. — Markowski, Libanius et l'apologie de Socrate. —
Lawson, Folklore moderne et religion ancienne en Grèce. — Cœdès, Textes
grecs et latins sur l'Extrême-Orient. — Chevreux et Vernier, Les archives de
Normandie et de la Seine-Inférieure. — Garin, Histoire de Chevron, II. — Root,
La Pensylvanie et l'Angleterre. — Coulomb, Les Borders sous Elisabeth. —
G.-L. PouTHAS, L'instruction publique à Caen pendant la Révolution, I. —
Madelin, La Révolution. — C. Reinecke, Les nouvelles de Halm. — Frommel, Le
sentiment religieux dans la lyrique moderne. — Schilllng, Sources de l'histoire
moderne. — Fiedler, Anthologie allemande. — Stein, Le Palais de justice et
la Sainte-Chapelle. — Hauvette, Le Sodoma. — Soulier, Le Tintoret. — Rev-
.MOND, Brunelleschi. — Bréhier, L'Auvergne. — Commaille, Angkor. — Dufourcq,
Le christianisme et l'organisation féodale, 3" éd. — Cristiani, Du luthéranisme
au protestantisme. — Leur, La réforme et les Eglises réformées en Eure-et-Loir.
— Académie des inscriptions.
C. D. BucK. Introduction to tbe study of the Greek dialects. Grammar, selec-
ted inscriptions, glossary. Boston, New York, Chicago, London, Ginn and Com-
pany, igio;xvi-32o p.
L'ouvrage de M. Buck est divisé en deux parties, après une intro-
duction où les dialectes grecs sont brièvement classés d'abord en
groupes principaux, puis en subdivisions. La première partie, Gram-
maire des dialectes, étudie successivement les phénomènes dialectaux
qui nous sont connus par les monuments épigraphiques ; il va de soi
que les textes littéraires ne sont pas laissés de côté. Ici chaque dia-
lecte n'est pas considéré à part; les faits sont groupés suivant leur
nature grammaticale, selon qu'ils rentrent dans l'ordre de la phoné-
tique, de la flexion, de la composition et de la dérivation, de la syn-
taxe, ce qui permet de suivre, dans l'ensemble des dialectes, les modi-
fications d'un même son et d'une même forme, ainsi que les différen-
ces syntaxiques. M. B. a complété d'heureuse manière cette première
partie, en reprenant à part chaque groupe et chaque dialecte, pour en
résumer les traits caractéristiques; c'est, pour ainsi dire, la synthèse
après l'analyse. L'ouvrage se terminerait ici qu'il serait déjà très utile;
mais M. B. ne s'est pas arrêté à la théorie, et il a ajouté une seconde
partie, Choix d'inscriptions, partie pratique contenant i i3 numéros,
où chaque dialecte est représenté par quelques-uns de ses textes les
plus importants ; ils sont accompagnés de notes explicative^, et sui-
vis d'un glossaire, ce qu'ont négligé, en général, les auteurs de
Nouvelle série LXXIV 28
22 RKVCK CRITIQUE
recueils analogues ; un glossaire est en cffci indispensable. Pour cha-
cune des inscriptions, M. B. indique le lieu d'origine, la date, et les
ouvrages, grandes collections et recueils spéciaux, où elles sont
publiées; mais il n'a pas jugé à propos de mentionner leur première
publication ; c'est une lacune que l'on regrettera, car il est souvent
bon, et quelquefois nécessaire, pour l'étude d'un texte épigraphique,
de se reporter à sa première édition, qui est généralement accompa-
gnées de notes et de commentaires utiles à consulter. Enfin des
tableaux synoptiques permettent de saisir rapidement la distribution
des phénomènes dialectaux les plus importants, ainsi que les rela-
tions des dialectes entre eux, et une carte en couleurs en représente
la répartition géographique '. Après ce qui vient d'éire dit, il n'est
pas besoin de longues phrases pour apprécier l'ouvrage de M. Buck ;
il est simple, bien disposé, sans développements superflus, et d'une
doctrine sûre et correcte; c'est un livre qui devrait être entre les
mains de tous les étudiants en langues classiques. .le crains toutefois
que son prix relativement élevé (i5 fr. 60) ne le rende peu accessible à
leur bourse, souvent légère.
Mv.
Markowski, De Libanio Socratis defensore. Breslau, M. et H. Marcus, 1910,
VIII- 196 p. (lÎTCsl. philol. Abhandl., fasc. 40).
11 s'agit principalement, dans cette dissertation, des sources aux-
quelles a puisé LJbanius pour composer son Apologie de Socrate.
Le travail est consciencieux, et on ne peut que louer M. Markowski
du soin qu'il a apporté dans son analyse. Il a voulu d'abord reconsti-
tuer l'accusation, et rechercher si Libanius s'était servi, pour la réfuter,
des Mémorables de Xénophon, ou de V Apologie de Platon, ou encore
du discours composé par Lysias en réponse au libelle de Polycrate.
Or c'est précisément l'accusation de Polycrate que Libanius s'est
attaché à combattre, et c'est aux griefs articulés dans ce discours que
répond le défenseur de Socrate qu'il met en scène. La démonstration
est probante; et bien que l'opinion soutenue par M. M. ne soit pas
nouvelle (cf. Foerster, Libanii opéra, V, p. i svv.), il n'était pas inutile
qu'elle fût confirmée par de sérieuses raisons. A la fin de cette partie,
M. M. relève un certain nombre de passages de Platon, dans le
Gorgias, le Méuon, le Banquet, où l'on peut voir des allusions à
l'accusation de Polycrate. M. M. n'en est pas resté là; il a voulu
savoir encore où Libanius avait pris les détails qu'il donne sur
Socrate et ses contemporains, sur la mythologie et l'histoire d'Athènes,
ainsi que les passages moraux et philosophiques qui se trouvent çà et
là dans sa déclamation ; il établit donc une longue série de parallèles
I. M. Buck, qui donne les références à la seconde édition du recueil de Solm-
sen, a néglige de noter que son inscription n° 38 s'y trouve sous le n» 11.
d'histoire et de littérature 23
instruciit's entre Libanius et les écrivains antérieurs, d'où il conclut
que Libanius doit ses renseignements, suivant les cas, h l'un ou à
l'autre de ces auteurs. Il ne faudrait pas toutefois conclure trop hâti-
vement à l'imitation directe ; si elle est évidente en certains passages,
dans d'autres, au contraire, rien n'empêche de penser que Libanius
suit des traditions littéraires ci historiques familières à tous les érudits
de son temps, et qu'il n'a donc pas empruntées à un auteuj- déter-
miné ; je dois dire que M. M. en fait quelquefois lui-môme l'observa-
tion. Ici en réalité, la dissertation est terminée, et ce qui suit a plutôt
le caractère de notes : i) énumération des passages de V Apologie où
se rencontrent des expressions de Platon, de Démosthène, d'Isocrate,
de Thucvdide, de Xénophon ; 2) citations de l'Apologie et des traités
de technique oratoire, pour montrer que Libanius s'est conformé aux
principes de la rhétorique; 3) date de la déclamation (362) ; 4) dessein
de Libanius en composant l'ouvrage; ce fut, dit M. M., pour appuyer
Julien dans sa lutte contre le christianisme; hypothèse qui n'est pas
démontrée ; 5) quelques citations de V Apologie où l'on peut découvrir
de vagues allusions à la vie et aux opinions du rhéteur. Les dernières
pages (172-178), relatives à la déclamation connue sous le titre De
Socratis silentio, ne sont autre chose qu'un commentaire de cette
note de Foerster [Libb. opp., V, p. i23j : « Quamquam in dictione
imprimisque verborum coUocatione nonnulla sunt insolita quœ dubi-
tationes de authentia declamationis moveant, tamen eam a Libanio
praesertim adulescente scribi potuisse negare nolo. »
My.
John Cuthberg Lawson. Modem greek folklore and ancient greek religion.
A study in survivais. Cambridge, University Press, 19 10; X11-G20 p.
On a tenté souvent de rattacher les croyances et les superstitions
des populations grecques modernes aux rites et aux usages religieux
de la Grèce ancienne, et M. Lawson n'est pas le premier qui ait cher-
ché dans le folklore moderne des survivances d'antiques traditions. Il
le fait cependant, dans le présent volume, d'une façon plus complète;
il ne se borne pas, en effet, à constater des analogies ; il suit pas à pas
l'évolution d'une même croyance, en étudie les transformations à tra-
vers les siècles, et s'efforce d'en distraire les éléments étrangers dus
au contact avec d'autres races, de telle sorte qu'il ne reste plus qu'une
chaîne ininterrompue d'anneaux essentiellement grecs; d'où s'impose
la conclusion, à ses yeux, que telle ou telle tradition, dont l'existence
est nettement attestée dans la Grèce d'aujourd'hui, doit être considé-
rée comme un vestige, plus ou moins populairement déformé, d'une
tradition antique. Et s'il en est ainsi, comme M. L. essaie de le
démontrer, les croyances populaires des diverses régions de la Grèce,
conséquences d'un atavisme certain, héritage transmis à travers une
longue suite de générations, ne peuvent manquer de jeter quelque
24 RICVUIC CKIllQUK
luniicre, au-delà mcnic des textes que nous possédons, sur les con-
ceptions religieuses des temps anciens, car elles en sont la suite
nécessaire et le prolongement indéniable. M. L. a fait son enquête
avec la plus entière bonne toi, suivant le plus rigoureux objccti-
visnic ; il a voyagé dans la plus grande partie de la Grèce continen-
tale et insulaire, notant les coutumes, recueillant les légendes, écou-
tant, et provoquant au besoin, les récits des paysans; et pour que sa
documentation fût plus riche, il a eu soin de ne négliger aucune
source écrite, depuis les auteurs anciens jusqu'aux chercheurs con-
temporains qui, comme B. Schmidt et Poliiis, Vallindas et Th. Bent,
ont étudié la vie du peuple grec, jusqu'aux recueils de chants popu-
laires, Fauriel et Passovv ; il a utilisé les témoignages d'écrivains du
moyen âge comme Pscllus et Léon Allatius; il a compulsé les rela-
tions des voyageurs, et les monuments figurés eux-mêmes ne sont pas
restés en dehors de ses investigations. Servi par cette vaste érudition,
M. L. a composé un ouvrage du plus haut intérêt. Après une intro-
duction dans laquelle il insiste sur la valeur spéciale du folklore
moderne pour l'étude des idées religieuses anciennes, et où il passe
rapidement en revue les traits qui lui paraissent être des survivances
des traditions helléniques et païennes, il consacre un long chapitre à
rechercher, dans les usages et dans les superstitions des paysans, ce
qui se rattache à la religion antique, et comment plusieurs dieux de
l'Olympe, de même que certains êtres mythologiques, Charon, les
nvmphes, les lamies, les gorgones, les centaures et en général les
divinités inférieures qui peuplaient les montagnes, les forêts et les
fleuves, se sont transformés, par une lente évolution qui n'est pas
sortie du sol grec, en différentes espèces de génies, d'esprits, de lutins
et de farfadets, bienfaisants ou malfaisants, désirés ou redoutés, ayant
leurs noms et leurs attributions propres, et dans lesquels l'observa-
teur peut retrouver assez facilement leurs prototypes anciens. On
notera tout particulièrement dans ce chapitre la discussion de M. L.
sur le nom et la nature des Kallikant:{ari, dans lesquels il reconnaît
les descendants des Centaures. Jusqu'ici, tout en reconnaissant Tin-
lérêt qui s'attache à cette première moitié du volume, où l'on
trouvera de nombreuses traditions populaires recueillies par M. L.
lui-même, le lecteur familiarisé avec les choses grecques pourra
remarquer que M. L. n'est sorti qu'en de rares occasions d'un
domaine déjà exploré par d'autres ; aussi bien ne sont-ce là, pour
ainsi dire, que les approches d'un sujet plus grave. M. L. va mainte-
nant s'élever à des considérations plus hautes, en recherchant dans
les coutumes et les croyances du peuple grec comment l'homme et la
divinité entrent en relations par le moyen de la divination, des
songes, des présages, des oracles et des sacrifices; en analysant les
superstitions relatives à l'état de l'àme et du corps après la cessation
de la vie terrestre, dans un remarquable chapitre sur les vrykolakes,
OHISTOllU KT DK LITIKKAÏURE 25
vampires ei revcnanis ; en étudiant les divers modes d'obtenir la dis-
solution du corps, la crémation et l'inhumation, et le résultat de cette
dissolution, représentée non comme une séparation complète et déti-
niiive du corps cl de l'àmc, mais au contraire comme le seul moyen
ellicace d'amener leur nouvelle réunion dans un autre monde ; en
s'ert'oroant enlin, dans un dernier chapitre qui n'est pas le moins
curieux de l'ouvrage, de ninnircr que la mort, aussi bien d'après la
littérature ancienne que d'après les chants populaires médiévaux et
modernes, a été conçue par la race hellénique comme une sorte de
mariage avec le divin; que les rites du mariage et les rites des funé-
railles ont de tout temps affirmé une analogie entre la mort et le
mariage; et que la plupart des légendes relatives aux mystères ren-
ferment un motif commun, l'idée que la mort est pour l'homme l'en-
trée dans un état bienheureux d'union ctïective avec ses divinités. Je
n'ai pu que signaler brièvement le développement général de l'ou-
vrage de M. L.; à chaque instant apparaît l'idée qui l'a inspiré, à
savoir que les usages, les croyances, les superstitions populaires de
la Grèce moderne se rattachent plus ou moins visiblement à d'an-
tiques traditions ; remontant même à la préhistoire, et que la religion
des anciens Hellènes a laissé de nombreuses traces, malgré d'inévi-
tables modifications dues surtout au christianisme, dans l'esprit de
leurs descendants. Je ne dirai pas que l'on sera toujours d'accord avec
M. !..; les rapprochements qu'il fait entre les usages anciens et les
coutumes modernes sont parfois forcés et reposent sur une interpré-
tation des textes qui n'est pas toujours satisfaisante ; nombre de
superstitions populaires, qui appartiennent au patrimoine commun
de l'humanité, sont peut-être trop facilement présentées comme des
survivances du vieux fond hellénique; les derniers chapitres, malgré
leur grande portée philosophique et religieuse, font une laige part à
l'interprétation hypothétique, et l'on y sent que l'auteur est dominé
par son système plutôt qu'il ne le domine lui-même. Mais ce n'est
pas ici le lieu de discuter; l'ouvrage est extrêmement suggestif; tout
y est d'une lecture attachante, et ceux même qui connaissent peu le
peuple grec y trouveront à la fois plaisir et profit; à plus forte raison
ceux qui ont parcouru la Grèce, qui ont vécu au milieu du peuple des
campagnes, et qui ont pu constater par eux-mêmes ce que M. Lawson
a si bien observé.
Mv.
Textes d'auteurs grecs et latins relatifs à l'Extrême-Orient depuis le iv siècle
a\ ant .l.-C. jusqu'au xiV siècle, recueillis par G. Cœdès. Paris, Leroux, 1910;
XXXII- icSy p.
Ce volume est le premier d'une collection intitulée Documents his-
toriques et géographiques relatifs à V Indochine publiés sous la direc-
tion de MM. H. Cordier et L. Finot. Il contient les textes grecs et
20 REVUE CRITIQl K
latins, anciens et médiévaux, qui concernent l'orient transgangétiquc
et particulièrement le pays des Sères, où l'on s'accorde aujourd'hui à
voir la Chine ou tout au moins les régions voisines. On approuvera
sans doute M. Cœdès de les avoir réunis; les orientalistes lui en
sauront gré. Ce n'est pas qu'ils soient tous d'un grand intérêt; il en
est au contraire beaucoup qui n'ont aucune valeur historique ou géo-
graphique, tels les passages des poètes latins où le nom des Sères est
seulement prononcé. Quelques-uns cependant fournissent des ren-
seignements j>lus précis, et ce sont eux qui nous éclairent, quoique
d'une façon le plus souvent assez vague, sur les premières relations
entre l'occident et des nations jusqu'alors inconnues ou réputées fabu-
leuses; par exemple les extraits de Pline, de Ptolémée, d'Ammien
Marcellin, de Procope, de Cosmas et de Théophylacte. M. C. a
disposé ces textes par ordre chronologique, et bien que bon nombre
de ces auteurs ne fassent que répéter sans contrôle ce qu'ils ont lu
dans leurs prédécesseurs, on peut voir ainsi comment les connais-
sances sur ces pays lointains, leur situation géographique et leurs
habitants, se sont développées et coordonnées jusqu'à atteindre un
certain degré de précision. Du reste, M. C. a épargné à ses lecteurs
la peine d'extraire de ces documents ce qu'ils renferment d'intéressant;
il a fait lui-même ce travail, et dans une introduction instructive il
résume les renseignements fournis, en signalant les notions nouvelles
ajoutées successivement par chaque texte aux faits antérieurement
connus. Ces morceaux sont traduits en français; mais je dois dire que
M. Cœdès ne semble pas s'être piqué d'une rigoureuse exactitude; il eût
mieux fait, à mon avis, de reproduire le texte seul de certains mor-
ceaux, car il est impossible, même à la critique la plus bienveillante,
de ne pas relever des erreurs comme celles qu'on lira en note '.
My.
Les Archives de Normandie et de la Seine-Inférieure. Etat général des fonds.
Recueil de t'ac-siinilés d'écritures du xi'^ au xviii" siècle accompagnés de trans-
criptions, par Paul Chevreux,... Jules Vernier,... Rouen, imp. Lecerf fils, igti.
ln-4°, de xvi-48 pages et de 60 planches avec transcriptions et table non pagi-
nées.
A l'occasion des fêtes du Millénaire normand, M. Paul Chevreux,
I. P. 160 TaûxT|V 5î Xpurry (il s'agit de l'ile de Chrysé) /sotôvt.tov q nTo)vîij.aT6;
<sTi<y. « Ptolémée parle de cette Chersonèse d'or. » P. i5i Beselehel docta quœ
(vêla) neverat arte peritus « que la docte B., habile en cet art, avait tisses. » On
notera surtout la traduction d'un passage d'Héliodore, p. 114: Ta -r:ç/0-:cTay;j.iva
TOÔ; TO'j 'l'oia-o'j è'-repaTTOv xal to-j»; Î^T.oa; wT-sp -rpoxiôX'j]xa stvai y.al Trpoajziî^î'.v twv
iXîfâvTiov y.axaTv'.'SùvTî;. . . M. C. néglige la phrase qui précède, szîî... ot BAsixausî
xi-cifiaBov, prend Hydaspe, le roi des Ethiopiens, pour un fleuve, et traduit « tous
ceux qui avaient été rangés du côté de l'Hydaspe tirent en sorte de servir de rem-
part et de bouclier aux Sères qui avaient abandonné leurs éléphants ». — L'erratum
corrige seulement une quinzaine de fautes, ce qui n'est qu'une bien faible partie
des corrections à faire, surtout dans les textes grecs.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 2/
ancien archiviste de la Seine-1 nterieure, actuellement inspecteur géné-
ral des Bibliothèques et Archives, et M. Jules Vernier, son succes-
seur aux Archives de la Seine-Interieure, ont pris Theureuse initiative
de mettre en lumière le dépôt qui avait été et reste confié à leurs
soins. Après une courte introduction k sur l'origine et le développe-
ment des Archives départementales », ils ont imprimé <> l'état géné-
ral de tous les fonds qui les composent », avec « la table des réper-
toires et inventaires imprimés ou manuscrits >). Inutile d'insis-
icr sur l'intérêt déjà bien connu et fort apprécié de ces pagesi Mais
ce qui rend le volume particulièrement précieux, ce sont les repro-
ductions, en planches phototypiques, de 60 documents originaux ou
pages de documents, qui constituent la gloire de leurs Archives. Ce
sont naturellement les chartes les plus anciennes qu'ils ont eu d'abord
la pensée de présenter ainsi : 37 de leurs planches sont consacrées aux
pièces antérieures au xiii'^ siècle, 9 à celles du xiii'=, 2 seulement à
celles du xiv*', etc. Les deux dernières montrent la fin (avec les signa-
tures) du procès-verbal sur les limites, divisions et subdivisions du
département de la Seine-Inférieure, rédigé le i^'' mai 1790; puis les
signatures des membres du Conseil général du département qui ont
assisté à la séance du 14 décembre 1791. Mais nous avions la bonne
fortune de lire sur les planches précédentes une longue lettre de
Pierre Corneille à Jacques Goujon du i'"" juillet 1641, une procura-
tion donnée et signée, le 3 novembre 1643, par les comédiens et comé
diennes de TlUustre Théâtre (Molière, Madeleine, Geneviève, Cathe-
rine et Joseph Béjart, etc.), enfin le début d'un compte présenté par
Pierre Corneille en qualité de trésorier de la fabrique de Saint-Sau-
veur de Rouen pour l'année it)5i-i652. Je signalerai encore parmi
les documents postérieurs au moyen âge le testament du cardinal
Georges d'Amboise (3i octobre 1509), et la première page illustrée
de miniature du Chartrier écrit au xvi" siècle pour l'église Saint-Ma-
clou de Rouen. Que dire maintenant des chartes plus anciennes, si
ce n'est qu'elles ont toutes la plus grande importance au point de vue
historique et qu'elles oftVent une variété non moins précieuse, depuis
les donations du comte Richard aux abbayes de Saint-Ouen et de
Saint-Wandrille, depuis le diplôme du roi Robert II en faveur de
Jumièges (1027), jusqu'aux pièces émanées de la chancellerie de
saint Louis? Une part relativement forte a été faite aux diplômes
d'Henri II d'Angleterre, dont le regretté M. L. Delisle avait entrepris
la publication.
Un pareil recueil offre d'autre part de très beaux spécimens d'écri-
ture pour la région normande depuis le début du xi^ siècle. A plus
d'un titre par conséquent, il mérite d'être signalé à l'attention des
érudits.
L.-H. Labande.
28 REVLli CRIIIQUE
Joseph CiARiN. En Savoie. Une paroisse et une communauté rurales avant la
Révolution. Histoire Je <;iic\i<iii, lomc II... l';iri>, il. (".haiiipidii, ii)i2.
lu- it) de \-bbf) pa^cs.
M. Joseph Gariii nous prcscnic lmi un cpais volume la suiic de
rHistoire de Chevron, doni nous avons eu Toccasion de signaler le
commencement. Ce lomc 11 esi consacré à la paroisse et à la com-
mune. L'auteur remonte bien pour son récit aux époques les plus
lointaines du moyen âge, mais ce n'est vraiment qu'à partir du
xvn« siècle qu'il possède une suite copieuse de documents. Pour la
période antérieure, il procède plutôt par induction et comparaison ;
il a par conséquent recours à des hypothèses qui ne sont peut-être
pas toutes très solides, principalement quand il recourt à des autorités
comme Beaumanoir, qui sont bien lointaines pour la Savoie.
H s'est attaché avec raison à reconstituer le milieu social dans
lequel ont évolué les habitants de Gemilly et de Mercury avant la
Révolution; comme il a écrit plus pour les gens du pays que pour les
érudits, il n'a pas craint de s'arrêter à des détails d'institutions, dont
il emprunte le résumé à des ouvrages d'intérêt général. Je citerai
dans cet ordre d'idées le chapitre du régime féodal du xi'' au
xiv*" siècle, où se trouvent donnés des renseignements sur la condi-
tion des terres et des personnes, les redevances et obligations féo-
dales, le gouvernement seigneurial et la vie des paysans. Pour ce cha-
pitre, les archives locales ne fournissaient que de rares docunients.
La partie relative à la paroisse paraîtra peut-être un peu longue,
mais on ne se plaindra pas d'y trouver plus de 40 pages sur l'in-
struction publique et' les écoles du pavs, principalement depuis le
xv!"" siècle. Dans la seconde partie qui concerne la communauté des
habitants, on notera d'une façon spéciale les chapitres sur rétablisse-
ment du cadastre au xww^ siècle, les affranchissements de serfs opé-
rés à la veille de la Révolution, la vie de famille et la situation éco-
nomique des habitants. Ce sont là des sujets du plus haut intérêt et
il faut féliciter M. Joseph Garin de les avoir abordés. Si de pareilles
études pouvaient être multipliées sur différents villages de chacune de
nos anciennes provinces françaises, on en serait fortement aidé pour
la connaissance intime du passé.
Dans ce deuxième volume, il n'est rien dit de l'assistance aux
pauvres, de l'organisation des secours aux malades et infirmes. Est-
ce quïl n'était pas possible de trouver quelques documents à cet
égard? Est-ce que les registres de délibérations municipales ne four-
nissent pas d'indications? D'habitude, dans le Sud-Est de la France,
les communautés s'occupaient de leurs pauvres, elles payaient un
médecin et un chirurgien. En était-il de même en Savoie?
L.-H. Labande.
D HlSTOIRi: KT DE LITTKRATURK 29
The Relations of Pennsylvania with the British Government, 1 696-1 jG.t, by
W'infVcJ TexlL-r Rour, l' iii\ LTsii y ot' l'emisylvaiiia, i()i2. in-12, iv 01422 p.
The Administration of the English Borders during the reign of Elizabeth,
by (Charles .\. Coulomb, U 11 i vc rsity of Pennsylvania, k) i 1, in-i 2, i 36 p., 7 f""- 5o.
En exposant les relations de l'Angleterre et de la Pensylvannie de
1696 à 1765, M. Root a fait ressortir les causes éloii^nées de l'insurrec-
tion américaine. Sans doute l'histoire de la I"'cnsylvanie présente cer-
tains caractères propres qu'elle tient de William Penn et des quakers,
mais à cela près elle offre la plus grande analogie avec celle des autres
colonies : ce n'est qu'une longue querelle entre la métropole, qui pré-
tend exploiter les établissements lointains dans son seul intérêt, et les
colonies qui luttent contre ses prétentions égoïstes, et qui se refusent
d'autre part à assumer une part équitable dans les charges d'intérêt
général. M. R. commence son étude non à la concession de la charte
accordée à William Penn en 1681, mais au premier essai de réforme
colonial tenté pour augmenter l'autorité du gouvernement central.
L'année 1696 fut marquée par la création du Board of Trade, qui,
sans avoir tous les pouvoirs d'un véritable ministère, resta chargé des
affaires coloniales pendant presque tout le xviu^ siècle. Sa principale
mission fut d'assurer à la métropole le monopole du commerce dans
les établissements d'outre mer. On sait que toutes les nations euro-
péennes appliquaient le même régime aux colonies et qu'en France on
le désignait sous le nom de « l'Exclusif». Les Américains ne s'y sou-
mirent jamais complètement, et le Board of Trade fut incapable d'em-
pêcher leur négoce avec les colonies étrangères voisines, même en
temps de guerre. D'autres confîits naquirent des pouvoir législatifs
reconnus aux Assemblées coloniales parles chartes : les lois votées au
delà de l'Atlantique devaient être approuvées à Londres, mais les
colons très attachés aux principes du gouvernement autonome, regim-
bèrent toujours contre l'intervention du Conseil Privé, et bien des
lois cassées par lui furent votées derechef, et appliquées pendant des
années. L'élément quaker qui, sans l'emporter numériquement dans
la province, conservait néanmoins une influence dominante dans
l'Assemblée, contribua à augmenter le nombre de ces heurts : il rejeta
les mesures favorables à l'Eglise anglicane proposées par la minorité
à l'instigation des fonctionnaires royaux; comme il répugnait à la
prestation du serment que la législation anglaise imposait aux juges,
aux jurés, aux témoins, il engagea à ce sujet de longues disputes qui
suspendirent par instant le cours de la justice. Enfin comme les qua-
kers condamnaient toute guerre, offensive ou défensive, ils refusèrent
obstinément les subsides en hommes et en argent que les ministres
réclamaient pour soutenir les luttes répétées contre la France. La plu-
part des autres colonies rivalisèrent de mauvais vouloir avec la Pensyl-
vanie dans cette cause nationale, même lorsqu'il s'agit de la conquête
du Canada. L'expérience de la guerre de Sept ans convainquit le gou-
3o RE^UE CRITIQUE
vcrncment britannique de la nécessite d'établir une union entre les
diverses provinces pour les arracher à leurs vues étroites et égoïstes,
et obtenir leur concours pécuniaire et militaire dans la défense de
l'empire. L'application maladroite de ces principes équitables entraina
le soulèvement contre la métropole. On aurait pu aisément prévoir
cette scission en observant l'attitude des colons, toujours impatients
du joug, jaloux de leurs prérogatives, assoiffés d'indépendance. La
narration savante et documentée de M. Root n'est d'un bout à l'autre
que l'histoire de « la lutte des forces de la démocratie contre la cen-
tralisation et l'impérialisme ».
M. Coulomb a écrit une bonne thèse sur l'administration des
Borders anglais sous le règne d'Elizabeth. Ces marches, mal déter-
minées puisque des districts entiers étaient contestés entre les deux
rovaumes, parcourues sans cesse par des pillards, habitées en partie
par des clans qui se déclaraient à leur guise sujets des Stuarts ou des
Tudors, jouissaient pourtant d'une administration plus perfectionnée
qu'on ne l'a cru jusqu'ici. M. C établit en effet que la reine ei ses
ministres s'en occupèrent fréquemment, et il rapporte d'intéressants
détails sur les pouvoire des Warden^ gardiens ou gouverneurs, sur
les conférences périodiques que ces personnages tenaient avec les
représentants du roi d'Ecosse pour régler les différends de frontières,
sur la distribution de la justice et le fonctionnement des tribunaux
spéciaux, sur les mesures prises contre les incursions des brigands
écossais, enfin sur les finances. L'avènement de Jacques Stuart sur
le trône d'Angleterre mit fin à un régime désastreux pour les habi-
tants, mais ils avaient trouvé déjà quelques soulagements grâce au
zèle des conseillers d'Elizabeth.
A. BiovÈs.
C. PouTHAs, proviseur honoraire au Lycée Malherhes, L'instruction publique
à Caen pendant la Révolution. Première partie. De la destruction de l'Uni-
versité à lEcole Centrale du Calvados 1791-1797. Caen, Jouan,i9i2. In-8o,i i3 p.
Dans ce travail qui, nous l'espérons, sera continué, M. Pouthas
retrace les destinées de l'instruction publique à Caen, de 1791 à 1797.
L'Université est détruite : ses professeurs, prêtres pour la plupart, ont
refusé de prêter le serment constitutionnel. Mais elle n'est pas légale-
ment détruite; elle s'éteint, elle s'évanouit, et une ombre d'enseigne-
ment existe encore. C'est ainsi, nous dit M. P., qu'il y a encore une
chaire de droit, qu'il y a encore un Collège de médecine, et le Collège
constitutionnel, le Collège du Mont, dit plus tard Collège de la Mon-
tagne, est provisoirement maintenu. M. P. nous présente les protes-
seurs de ce Collège et nous donne sur eux d'intéressants détails ; il
nous décrit leur éiat d'esprit, nous raconte quelles furent les exagé-
rations de leur zèle républicain, nous expose comment le Collège finit
par dépérir. \'ient alors l'Ecole Centrale du Calvados. L'auteur nous
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE
3l
renseigne aussi complètement que possible sur l'organisation du Jury
central qui, dans le choix des maîtres, montra et des lumières et de
l'indépendance ; de nouveau, il fait défiler devant nous les professeurs,
rappelle leurcarrière, apprécie leur compétence. On trouve dans cette
partie du récit nombre de détails curieux sur les inévitables discussions
et rivalités entre les professeurs ainsi qu'entre le Jury et l'Administra-
tion centrale; M. P. fait voir, en passant, combien la passion politique
envenimait ces luttes. Le travail que nous annonçons, est donc plein
de faits ; il a été composé avec le plus grand soin et nous ne ppuvons
que louer ici les patientes et ingénieuses recherches de M. Pouthas.
Son étude est une des meilleures études que nous ayons et sur l'ins-
truction publique dans une ville de province pendant la Révolution et
sur la formation de ces Ecoles Centrales auxquelles s'attache le nom
de Lakanal — dont les mérites, dit justement l'auteur, ont été quel-
que peu exagérés — et auxquelles Stendhal-Beyle, leur disciple, a
voué un si reconnaissant souvenir.
A. Chuquet.
L. Madelin, La Révolution. Paris, Hachette, 191 1, in-S", 578 p., 5 fr.
Ce livre fait partie de la collection a l'histoire de France racontée à
tous » publiée sous la direction de M. Fr. Funck-Brentano. Il ne
s'agit cependant pas d'un manuel élémentaire. « Tous », en la cir-
constance, c'est le grand public, qui demande aux récits historiques
de le distraire autant et plus que de l'instruire, et il semble que le
« cadre » du volume ait été établi en vue de cela. L'avant propos
indique bien que M. M. a entendu faire une place à l'histoire des
négociations, de la guerre, du commerce, de la société etc., mais à
lire le livre, on s'aperçoit qu'il n'y a guère là qu'une promesse. En fait,
c'est avant tout d'histoire politique qu'il s'agit, et le même avant-
propos nous révèle qu' « on « avait engagé l'auteur à s'y tenir stricte-
ment. Il semble aussi que 1' « on » soit intervenu pour restreindre ou
pour supprimer tels développements que l'auteur jugeait utiles, et
qu'il nous dit, à plusieurs reprises, être aux regrets de ne pouvoir faire
(p. ex. sur les assignats). De crainte de rebuter, sans doute, un lecteur
probablement moins frivole qu'on ne pense, on a réduit à très peu de
chose l'histoire militaire (sauf Valmy et la campagne de Bonaparte en
Italie) l'histoire économique et sociale ; on a supprimé l'histoire mari-
time et coloniale, et renvoyé, sous un prétexte, au volume suivant
toute l'histoire de la législation et des institutions de la Constituante
aussi bien que de la Convention et du Corps législatif. Même l'histoire
politique est ramenée surtout à l'histoire des assemblées et des chefs
de parti, avec péripéties dramatiques, tandis que l'histoire de l'opi-
nion (hors de Paris spécialement) l'histoire de la presse, etc., sont
négligées. Il fallait signaler ces lacunes; je ne crois pas qu'il soit juste
32 RKVL'K CKMlyl'iï.
d'y insister, car ce n'est probablcincni pas M. M. qui en est respon-
sable.
Une histoire de la Révolution, même un<: histoire poliiique, n'avait
pas besoin pour être utile d'être un travail original. M. M. n'y prétend
pas. 11 nous avertit franchement que son livre est fait uniquement
d'après les sources imprimées et les travaux des historiens. Toutes les
sources et tous les travaux ? On ne sait trop. L'ouvrage, sans doute
pour demeurer o lisible », n'a pas une note, de sorte que l'auteur,
qui veut rendre à chacun le sien, très loyalement, doit citer, louer ou
critiquer ses devanciers dans le texte même. Nous ne sommes avertis
desdocumenis et ouvrages emplovés que par de très succinctes biblio-
graphies, limitées — par principe évidemment — aux ouvrages fran-
i^ais. C'est une réaction préméditée contre l'abus des méthodes dites
« scientifiques ». Elle paraîtra sans doute excessive, comnic beaucoup
de réactions.
Certainement, M. M. a préparé son travail de la façon la plus
sérieuse. On le sent. à le lire, pour peu qu'on ait la pratique des textes
contemporains. Il n'a dû apporter dans son étude aucune idée pré-
conçue, qualité méritoire de la part d'un auteur qui, croyons-nous,
n'est pas étranger à la politique militante. II y apporte seulement,
comme tout le monde, des tendances; les siennes sont celles d'un
libéral quelque peu conservateur, et sympathique au catholicisme,
quoiqu'il dise ne pas croire aux miracles (p. 3 17), mais elles ne font
jamais tort à l'équité de son jugement, et il rend justice aux hommes
dontla conduite politique lui est le plus odieuse, ce qui est, en somme,
une rare impartialité (v. p. ex. les pages sur le Comité de Salut public).
Il a le souci d'être exact et de mettre au point les légendes ; il y insiste
au besoin (v. le chapitre sur le 14 juillet), quelquefois avec un peu
d'excès, mais il est visible que c'est seulement par intérêt pour ce qu'il
croit être la vérité. Je lui reprocherais pourtant d'être trop volontiers
afÎTirmatif, par exemple sur la pychologie des Conventionnels en géné-
ral. Pour savoir vraiment l'opinion qu'ils représentaient, il faudrait
savoir combien de votants primaires ont nommé les électeurs qui les
élurent, et quelle était l'opinion de ces votants. Là est probablement
la clé de bien des actes imputés — en bien ou en mal — aux Conven-
tionnels. Etaient-ils les représentants d'une majorité, ou d'un quart,
ou d'un dixième de la nation? On n'en sait rien encore. Et tant de
choses, aussi nécessaires à savoir, sont ignorées dans l'histoire de la
Révolution, qu'on aimerait à rencontrer par endroits, sous la plume
de M. M , quelques réserves et quelques témoignages de doute. Je n'en
ai guère relevé qu'un; c'est à propos de Louis XVII.
On a reproché souvent aux historiens d'à présent de mal écrire.
M. M. s'est toujours efforcé de ne pas mériter ce reproche. Il soigne
le style, et on ne saurait trop l'en louer. La vérité ne gagne rien à être
exprimée en charabia. Mais il me semble qu'on pourrait bien écrire
d'histoirk et i)I-; i.ittératl'RE 3?
avec plus de simplicité. Les litres de chapitres sentent parfois un peu
le roman ou la chronique de jourmil [Les « ventres creux » contre les
« ventres pourris »); certaines pages sont écrites avec un souci de l'effet
littéraire qui fait tort au fond du récit, et qui entraîne l'auteur à citer
des détails inutiles ou à ne voir que la surface des choses (v. le cha-
pitre sur la société sous le Directoire). La recherche de l'originalité
se traduit par des néologismes (une place en délabre; la salle hoii-
lait; l'Europe se préparait à nous assauter), des archaïsmes inutiles,
des trivialités voulues, des tours de phrase singuliers (Danton : «cette
àme de lave jetait des flammes pures par dessus d'horribles écumes »)
ou d'une solennité un peu théâtrale : (i3 vendémiaire : « les députés
entendirent le bruit d'une violente canonnade : c'était Bonaparte qui
entrait dans l'histoire »).
Si je relève tout cela, c'est parce qu'on pouvait l'éviter facilement.
11 serait fâcheux et injuste de juger sur ces petites imperfections un
ouvrage qui témoigne à la fois des meilleures qualités d'esprit et d'un
travail aussi honnête qu'étendu et approfondi. S'il en faut encore une
preuve, j'ajouterai volontiers qu'ayant cherché avec soin, pour faire
mon métier, les erreurs matérielles, j'en ai trouvé fort peu, et moins
encore de vraiment notables '.
R. G
Charlotte Reineckk, Studien zu Halms Erzâhlungen und ihrer Technik.
Tûbingen, Mohr, 1912. In-cS», p. 62, nik. 2,5o.
Cette étude sur les nouvelles de Halm est un sujet d'assez mince
importance. L'œuvre dramatique du poète est aujourd'hui justement
oubliée; Mlle R. estime que celle du romancier a plus de valeur et
qu'il n'était pas inutile d'en analyser les origines et la technique. Elle
a trouvé dans Cervantes, dans la Mandragola de Machiavel et surtout
chez les romantiques Kleist, Arnim, Hoffrnann divers motifs emprun-
tés par Halm et combinés avec beaucoup de liberté et parfois un cer-
tain bonheur. Pour les trois nouvelles que l'auteur analyse, die Mar-
\ipan-Lise, die Freundinnen et das Haus an der Veronabriicke^ les
I. Pérignon n'a )amais servi à la Grande Armée, et parmi les généraux sortis
des volontaires, il ne faut pas oublier Jourdan (p. 25i); le traité de Campoformio
ne nous a pas donné la rive gauche du Rhin; il prévoit même la restitution des
territoires prussiens (p. 5o2) ; Brune n'a pas trouvé 22 millions à Berne ; ce chiflre
est le total de ce qu'on a tire du pays en deux ans, contributions comprises
(p. 307); il n'y a pas de traité franco-batave en l'an VI (ibid).; Frédéric-Guil-
laume II est mort quelques jours avant le Congrès de Rastatt (p. 5i6); Treilhard
ne tut pas exclus du Directoire parce que l'Assemblée qui l'avait élu était caduque
(p. 522), mais parce qu'il était inéligible aux term.es de l'art. i36 de la Constitu-
tion de l'an 111. Il n'est pas du tout certain, il est même tout à fait invraisemblable,
le tirage au sort étant public, qu'on ait « arrangé » l'exclusion de tel ou tel Direc-
teur, ['"rançois ou Reubell(pp. 497 et 32 i).
l.es fautes d'orthographe des noms propres sont assez nombreuses. La plus
étonnante est TheruvTgne île Marcuurt (p 242.)
34 REVUE CRITIQUE
procédés de composition et le style assez peu original de rauteur ont
été soii^neusement mis en lumière. La monographie de Mlle R.
pourra du moins compléter ce que nous savons de l'inHuence des
romantiques dont le prolongement jusque dans la seconde moitié du
xix* siècle (les nouvelles étudiées ont été composées de 1 856 à 1 864) ne
laisse pas de surprendre.
L. R.
Ouij Frommel, Das Religiôse in der modernen Lyrik. (Tùbingen, Mohr, lyi i,
in-8", p. 71, Mk. 1.20).
Après une courte revue de la place que tient le sentiment religieux
dans Gœthe et chez divers romantiques, M. Otto Frommel s'arrête
avec plus de détail sur les principaux représentants de la lyrique con-
temporaine, R. Dehmel, Momhert, Hoffmannsthal, Rilke, Stefan
George. Ils ont tous subi l'influence de Nietzsche, aspirent à une reli-
gion dont Dieu est absent, mais leur tendance commune à vouloir
réaliser par l'art un idéal de vie plus noble et plus pur, ne diffère pas
tellement, à travers tout leur mysticisme, de la plupart des sollicita-
tions que l'àme reçoit directement de la foi chrétienne. A côté de ces
lyriques qui ne parviennent à la religion que par le détour de l'art,
M. F. a caractérisé quelques autres représentants modernes de la pure
tradition chrétienne, G. Schuler, Knodt et Philippi; ceux-ci, d'un
talent d'ailleurs inférieur, n'offrent pas à Tanalyse le même intérêt et
ils n'ont pas non plus pour la renaissance du romantisme dans l'Alle-
magne moderne la même importance. C'est en effet le mérite du bref
examen de M . Frommel d'éclairer un des aspects de l'orientation nou-
velle de la pensée allemande.
L. R.
Max Schilling, Quellenbucli zur Geschichte der Neuzeit. 4. Verbesserte und
erweiterte Auriage. Berlin, Weidmann, i()i2, in-'^o, p. ô'b, mk. 6,80.
H. -G. FiEDLER, Das Oxforder Buch deutscher Dichtung. vom 12. bis zuin 20.
Jahrhundert. O.xford, Universitâts-Verlag, 191 i, in-i6, p. 525. Fr. 7,5o.
I. Le Qiiellenbuch de M. Schilling a prouvé par le succès de quatre
éditions (la première remonte à 1884) qu'il était un auxiliaire utile de
l'enseignement historique dans les écoles secondaires d'Allemagne.
L'auteur y a réuni une foule de documents que les élèves n'auraient
ni le loisir, ni la sagacité, ni peut-être le dcsir de découvrir eux-
mêmes : ce sont des textes de lois, de constitutions, d'édits, de traités
les plus importants, puis des relations contemporaines sur les grands
événements, des lettres des principaux acteurs, et même des poésies
populaires reflétant quelque fait saillant; en un mot un choix de témoi-
gnages directs illustrant l'évolution historique de l'Allemagne depuis
la Réforme jusqu'à nos Jours et rangés dans un ordre strictement
chronologique. Sur le choix même de ces pièces on pourra différer
d'histoire et de littérature 35
d'avis avec l'auteur et juger que l'histoire politique et surtout militaire
de l'Allemagne a pris dans son recueil une place trop exclusive, que
dans un livre qui prétend embrasser tout le passé national la part de
la Prusse s'est élargie au point de faire presque oublier tous les autres
États de l'Empire. On regrettera encore que la variété qui règne dans
le premier chapitre consacré à la Réforme, où l'histoire économique
et celle des mœurs sont représentées à côté de l'histoire religieuse,
ne se rencontre pas aussi ou bien faiblement dans les chapitres sui-
vants; elle n'eût cependant pas nui à l'action que le livre s'est visible-
ment proposé d'exercer sur les jeunes consciences en exaltant le sen-
timent patriotique et l'amour-propre national. Enfin il semblera que
M. Sch. eût pu s'adresser parfois à des ouvrages moins vieillis : ainsi
les lettres de Frédéric à Voltaire ne sont pas citées d'après la dernière
édition Koser-Droysen ; ainsi les documents intéressant la Révolution
et le premier Empire sont encore puisés dans Thiers. Malgré ces
réserves, le livre reste un bon instrument de travail. Il serait à souhai-
ter qu'un de nos professeurs d'histoire établit pour nos propres élèves
un recueil analogue ; celui ci mérite en tout cas d'être signalé à l'at-
tention des maîtres chargés chez nous de l'enseignement de l'alle-
mand '.
II. C'est pour les étudiants anglais que M. Fiedler a publié son
anthologie formée à peu près exclusivement de poésies lyriques et de
ballades, en faisant à l'occasion une petite place au genre didactique.
Quelques morceaux des Minnesànger sont entrés dans le recueil,
mais en traduction (pourquoi ne pas donner les originaux avec
quelques notes?); une part assez large a été faite avec raison aux
Volkslieder; les classiques et les lyriques de la première moitié du
xix" siècle sont le plus abondamment représentés, mais les tout mo-
dernes ont été aussi accueillis. C'est donc un recueil aussi complet
que l'espace limité dont disposait l'auteur pouvait le permettre.
Cependant l'absence de quelques noms surprendra : j'y ai vainement
cherche les deux Schlegel, Tieck, Kleist, Arndt, Schenkendorf, Hoff-
mann von Fallersleben et chez les contemporains Cari Busse et Chris-
tian Wagner. La liste s'allongerait beaucoup s'il fallait à ces noms en
ajouter de moindres, mais qui n'étaient pas sans titres. M. F. répon-
drait avec raison qu'il devait choisir et nous ne le chicanerons pas
davantage. Quelques notes très sobres terminent le volume ; elles se
bornent à de brefs détails sur l'origine du morceau cité, à des rappro-
I. P. i68, il fallait indiquer que Compigni est Compiègne ; p. 218, Bossuet fut
cv(}que, et non archevêque de Meaux ; p. 295, un vers omis rend le début de la
tirade inintelligible; p. 352, Cassel est mis pour Castel; p. 410-412, on devait
avertir que les pages citées des Mémoires de Metternich sont une traduction du
français; p. 32 r, lire I.admirault, et non AdHiivault. Enfin il ne manque pas dans
les textes français de nombreuses fautes légères.
36 RKVUb CRITIQUK
chciiiciiLs avec ^.k•^ iiiiiiaiions anglaises et à Texplicaiion de quelques
pariicularitcs d'expression. M. G. Hauptmann a mis une courte pré-
face soulignani le caractère populaire, au bon sens du mot, de ce
recueil, et c'est un éloge qu'il mérite en effet.
L. ROUSTAN.
Henri Stein : Le Palais de justice et la Sainte-Chapelle de Paris, Notice his-
torique Cl nrchcolugiquc, l'aris. Longuet, in-12, prix : 3 fv. — Henri Hac-
VETTE : Le Sodoma. — Gustave Souiier : Le Tintoret ; Marcel Reymoni) :
Brunelleschi, r.\rciiitecture de la Renaissance Italienne, Paris, Laurens (l-es
Grands artiste^ .' v"l. in-^S" à 2 tr. 5o. — L. Bu i';ni i£ u : L'Auvergne, Paris,
Laurens (Anthologies illustrées ; Les Provinces françaises), in-(S<'. Piix : 3 iV. —
J. CoMMAii.i.E : Guide aux ruines d'Angkor, Paris, Hachei;c, in-i,S. Prix rei.
Ce n'est certes pas la première lois que le Palais de Justice et sur-
tout la Sainte Chapelle font l'objet d'une élude historique, mais jamais
cette étude n'avait été basée sur autant de recherches aux sources
originales, étendue par des explorations aussi judicieuses et intéres-
santes dans tous les alentours de la question, élucidée d'ailleurs avec
plus de goût artistique. Cette « notice », ce « guide » est une mono-
graphie tout à tait remarquable, très complète, très vivante, actuelle
et pratique tout en évoquant surtout les générations, l'histoire et l'art
du passé. On ne renseigne à fond sur un édifice qui est aussi une
institution (car c'est bien le cas ici) qu'en faisant surgir l'histoire à
travers l'actualité, en expliquant le moderne par l'ancien. La vie
s'éveille ainsi pas à pas devant le visiteur... ou le lecteur qui se
souvient. De toutes façons, ce beau travail rendra donc beaucoup de
services. M. H. Stein a d'ailleurs tout fait pour en faciliter le con-
trôle ou le développement. La bibliographie, l'indication des sources,
la documentation abondent; il n'y a pas moins de 26 photogra-
phies et une dizaine de vignettes, avec trois planches de plans; enrin
une table alphabétique termine l'ouvrage. II nous faudrait beaucoup
de monographies de ce genre, et celle-ci fait le plus grand honneur ,
à celui qui l'a écrite.
— C'est un maitre des plus attachants que le Sodoma, et l'on com-
prend, à pénétrer un peu avant dans son œuvre, qu'il puisse être
l'objet d'une étude aussi chaude et éloquente que celle de M. Hau-
vette. On ne voit guère, parmi les peintres de la grande époque ita-
lienne, d'artistes mieux doués que ce maître de Sienne du côté delà
beauté humaine, de la grâce et du charme dans l'expression des
formes. Mais il est trop certain qu'il faut le chercher, et que cette
recherche est grosse de déceptions : tant d'œuvres ont été détruites et
si peu sont visibles, sans parler de toutes celles qu'on lui attribue à
ton... C'est assez dire l'utilité et la nouveauté d'études comme celle-
ci, que complètent, à l'ordinaire, 24 bonnes reproductions photo-
graphiques.
— Le Tintoret n'a pas été beaucoup plus étudié. Bien que moins
D'hISTOIRK Ef DK LITTr.BATURE 3/
c'icvées dans le sens de la beauté ariisiique, son teuvre ci sa personna-
liié sont encoie Ju plus vif et même du plus neuf intérêt. Car, à part
les modèles qu'il s'était choisis et dont il procède, il y a chez lui un
novateur des plus importants, et il est indispensable de le bien mettre
en lumière. On ne s'y était qu'assez mal appliqué jusqu'ici. M. G.
Soulier, qui occupe une chaire d'histoire de l'art à l'Institut français
de Florence, a étudié depuis de longues années, sur place, le maître
dont il résume ici le caractère, et l'e.xamen de ses dessins, en particu-
lier, lui a permis de reconstituer de la façon la plus ingénieuse son
originalité d'artiste, sa méthode de travail et la haute portée de son
influence sur l'avenir.
— A propos et autour de Ih-unellcschi, c'est toute la Renaissance
architecturale italienne qu'a passée en revue M. M. Reymond, entre
1420 et i486, avec un art d'évocation très vivant et qui sait caracté-
riser en peu de mots. Le mélange de formes antiques renouvelées
et de formes chrétiennes conservées mais tournées vers la grâce et le
charme, est évidemment une chose tout à fait remarquable dans cette
éclosion de beauté, et des plus intéressantes à mettre en relief. De
bonnes photographies et plusieurs tableaux par ordre chronologique
et par noms de lieux aident singulièrement ici le lecteur à se recon-
naître au milieu de ces quelque i uo monuments, œuvres de 3o artistes
(architectes ou sculpteurs, car l'un ne va guère sans l'autre; et les
chapelles, les chaires, les tombeaux font partie intégrante des églises).
Parmi eux Brunelleschi, Michelozzo, Alberii rayonnent entre tous,
et c'est à ces artistes magnifiques, gloire de Florence, de Rome, de
Venise..., que le fin critique a consacré ses pages les plus éloquentes.
— J'ai déjà signalé le début de cette nouvelle collection, publiée sous
la direction de M. Henry Marcel, qui se propose de faire connaître
les provinces françaises, non seulement par une évocation actuelle de
leurs caractèies typiques et spéciaux, ou par leur histoire dans-l'en-
semble de nos chroniques, mais encore par le jugement, l'impression,
le goût personnel des écrivains qui en ont parlé. Après la Touraine,
voici le tour de V Auvergne, i^'étude de M. L. Bréhier, professeur à la
Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand est fort étendue et intéres-
sera beaucoup : le sol, les habitants, l'activité sociale dans l'histoire
et dans sa pérennité, tout est niis en relief avec compétence et couleur,
sans compter une profusion d'excellentes petites photographies. Pour
l'anthologie qui suit et dont les éléments sont distribués selon le
même plan, elle est curieuse, caractéristique, avec des textes de pro-
verbes, de chansons..., mais tout de même bien peu de pages d'écri-
vains, trop d'extraits de revues ou de journaux modernes : il faudra
veiller à cela, ce n'est plus le sens vrai de ce genre d'anthologie.
— Voici enfin un petit guide qui sans doute piquera bien des curio-
sités, excitera bien des envies, mais sera surtout fcuilleié par les ama-
teurs de voyage dans un fauteuil. Un guide aux Ruines d'Angkor, il
38 REVOE CRITIQDE
n'est pas donne à tout le monde de le consulter sur place. Aussi
M. Commaille l'a-t-il-conçu et développé de fa^'on à en faire un vrai
récit descriptif, un inventaire complet, historique, archéologique,
artistique, élucidé de 154 gravures et de 3 plans, auquel vraiment ne
manque rien de ce qui peut faire connaître ces palais, ces temples, ces
maisons, ces bas-reliefs, toute une extraordinaire floraison d'art cam-
bodgien, à la fois à ceux qui ont la chance de s'y promener et à ceux
qui ne la concevront jamais qu'en imagination. Bien entendu, un bon
résumé historique précède l'itinéraire proprement dit.
Henri de Curzon.
— Le t. VI Ju Passé ■chrétien de M. Dufourcq et t. I^' de VHistoire de l'Eglise
du XI" au xvm' siècle, à savoir Le Christianisme et l'organisation féodale, a paru
en 3' édition (Bloud, 191 1; in-i6» de 438 p. 3 fr. 5o), refondu, si nous en croyons
le titre (mais nous avons cherché en vain l'indication des parties spécialement
refondues) et embrasse, en 3 chap., la période de 104g à i 3oo ; 1° La résurrec-
tion du christianisme, Grégoire VII et S. Bernard; 2° L'organisation de la chré-
tienté, Innocent III et S. François; 3» Progrès et problèmes, S. Louis, S.Thomas,
Olivi. On connaît la tendance et la manière de \L D. : dans le fond, parti pris
apologétique; dans la forme, style pompeux et mise en scène de tout l'appareil
scientifique; beaucoup d'érudition et vue claire de tous les détails partout où
l'intérêt de l'Eglise n'est point en jeu. L'avertissement qui introduit ce volume
nous rappelle que ce dernier « et les 2 suivants forment le livre IV et dernier
d'une histoire générale de la religion judéo-chrétienne » qui comprend les époques
orientale (histoire comparée des religions païennes et de la religion juive jusqu'à
Alexandre le Grand), syncrétiste (fondation de l'Eglise jusqu'aux Sévères), médi-
terranéenne et occidentale. Durant les 7 siècles de cette dernière époque, « l'Oc-
cident ravit à l'Orient le rôle de i'"" collaborateur de Dieu dans l'apothéose
humaine.... La pensée chrétienne parvient mieux qu'Aristote à pénétrer les éni-
gmes de la nature, à mesurer la force de la raison, à entrevoir quelque chose des
mystères de Dieu ». Le présent volume en particulier veut montrer « comment
toutes les résurrections qui constituent la trame de l'histoire chrétienne féodale
préludent à cette grande époque.... comment la Science est fille de la Théologie,
et de la Théologie la plus intransigeante, à savoir l'Augustinisme ». Ces lignes
suffisent à révéler la mentalité historique de l'auteur, qui entend tout simplement
accaparer l'histoire entière au profit et à la gloire de l'Eglise. — Th. Sch.
— M. Léon Cristiani, l'interprète français du P. Denifle, étudie l'évolution de
Luther de ib\-j à 1328 (Du Luthéranisme au Protestantisme, Bloud, 191 1, gr.
in-S" de xxi-403 p. 7 fr. 5o) pour confirmer le mot fameux de Harnack : « La
Réforme se conclut dans une contradiction », et montrer Luther passant de l'Eglise
invisible et du sacenloce universel à une Eglise d'Etat et à une nouvelle auto-
rité doctrinale. Son >< point de départ, le centre de son activité... fut la préoccu-
pation du salut ». Cette « idée fixe qui domine sa vie toute entière et fit de lui
l'un des hommes les plus passionnes qu'on ait jamais vus » lui fit découvrir la
justification par la toi seule. <i doctrine de son invention » qu'il prêcha « en la
donnant comme de S. Paul et du Christ lui-même ». Ainsi il « devenait consciem-
ment ou non, le prisonnier de son rôle... C'est le sort de tous les inventeurs...
Les conséquences imprévisibles de leur découverte sont pour eux des chaînes ».
d'histoirk et de littérature 39
La très intéressante introduction, ii lai^uclie nous empruntons ces lignes, porte
aussi les curieuses traces d'une prot'omle inHuence bergsonienne, comme le prouve
ce passage : " La durée n'est pas une forme vide où se déroulent les existences.
Elle fait partie des événements et contribue essentiellement à les faire ce qu'ils
sont. Un raccourci historique est nécessairement inexact. Il ne reproduit pas ce
progrès lentement et sourdement réalisé dans une âme qiii est en marche sans le
savoir et qui change insensiblement d'heure en heure... Un incident sans impor-
tance provoque parfois les manifestations les plus décisives. Il 3' a là comme une
sorte de sommation psychologique <>. C'est nous qui soulignons cette oppression,
tant elle nous parait heureuse cl frappante. Ces petites citations suffisent à
révéler la valeur du livre, qui n'est un travail ni de manœuvre ni de parti pris,
malgré VImpvimatui- inévitable et toujours un peu agaçant ; il aboutit à cette
conclusion ; Luther a réellement fondé une nouvelle religion, en modifiant la
conception traditionnelle des rapports entre l'homme et Dieu. Comme « Erasme
l'a fort bien vu, la grande nouveauté du Luthéranisme, c'est la négation de la
liberté humaine... L'accord de cette liberté avec l'immutabilité divine est le grand
mystère de la doctrine catholique... Luther n'y vit qu'une contradiction. Au lieu
de tenir les deux bouts de la chaîne, il sacrifia résolument la liberté ». Et ici M. C.
fait encore une remarque psychologique qui nous semble mériter d'être retenue
plus peut-être pour sa portée générale que particulière :
« Chez Luther plus que chez d'autres, l'intelligence n'était guère qu'un avocat
fertile en ressources et capable de revêtir d'une armature d'arguments une doc-
trine qui était le fruit de ses expériences intimes ». (C'est d'ailleurs là encore une
réflexion inspirée par Bergson). L'auteur voit « le point faible de la théorie nou-
velle dans le déterminisme universel » qui efface la distinction du bien et du
mal et qui d'ailleurs, pour être logique, « aurait dû, comme Spinoza, laisser de
côté la Bible, suivre une méthode rigoureusement mathématique et professer le
panthéisme. Mais Luther n'était pas un logicien... c'était un tempérament tour-
menté », altéré de paix et de sécurité », guidé « par les exigences de cette
logique du sentiment qui n'a rien à voir avec la logique intellectuelle ». Ces con-
sidérations fort justes n'empêchent cependant pas M. C. d'accorder « qu'il y
avait quelque chose de grand à dire : la seule manière de servir Dieu, c'est
d'avoir en lui une confiance illimitée, ou en d'autres termes de le laisser être
Dieu ». Mais, comme c'était à prévoir, « la pensée de Luther fut interprétée dans
son plus mauvais sens », et l'auteur reconnaît de bonne grâce que le réforma-
ieur " fut le premier à en souffrir ».
Bref, cet ouvrage a de la valeur et est d'autant plus recommandable que cette
valeur est, pour ainsi dire, rendue très accessible et utilisable par un Index chro-
nologique des ouvrages de Luther (avec indication des pages où ils sont cités),
une table alphabétique des matières et noms propres et une liste d'errata si cons-
ciencieusement dressée que nous n'en trouvons qu'un seul à y ajouter : p. xviii,
dern. 1., lire : de roccamisme. N'oublions pas de mentionner aussi l'excellente
notice bibliographique, ses appréciations motivées sur Bœhmer, Denifle, Grisar et
ses indications sur les éditions générales, les principales collections de sources et
les dernières biographies ; cependant sa note finale (p. xxi) nous réservait une sur-
prise : elle renvoie à une liste rectificative de documents et de dates à la fin du
volume où nous l'avons cherchée en vain. Ce lapsus doit tenir à des circons-
tances indépendantes de la volonté de l'auteur qui montre partout ailleurs la plus
scrupuleuse exaciitudc. — Th. Scii.
^.O REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE El DE LITTÉRATURE
— M. Henry Leur, déjà connu par ses travaux sur les armées et la marine
huguenotes, vient d'érirc sur La Reforme et les Kf;liscs réformées dans le dépar-
tement actuel d'Eure-et-Loir [i 5 23-1 qi i) un fort beau volume ;Fischbachcr,
iyi2, vi-SgS p.) illustré de 24 gravures, d'une grande carte indiquant toutes les
églises anciennes, lieux d'exercice ou d assemblée et centres secondaires d'autre-
fois, plus de pièces annexes donnant les noms de i32 chefs de famille protestants
domicilica à Chartres entre i3G2 et 1 390, de ceux de Dangeau en iGSq avec leurs
contributions, de ceux de l'arrondissement de Hrcux en 1812, des régiments (en
grande partie protestants) qui ont travaille à l'aqueduc de Maintenon, des per-
sonnes ayant abjure à S. Pierre de Dreux en ii").S5, de tous les pasteurs ayant
fonctionne en Eure-et-Loir, enfin le recensement de la population protestante de
l'arrondissement de Chartres en 181 5 et de celle de tout le département en 1820.
Les points saillants du récit sont, surtout le siège de i568, puis celui de iSgi,
l'histoire de l'église de Dangeau, les « travaux du Roy à Maintenon, la Révocation
et les dragonnades (il y eut 600 à 1,200 départs et 2,5oo à 3, 000 concessions
durables, soit la proportion moyenne sur l'ensemble du territoire), enfin la guerre
de 1870, d'après le journal de M"»" Bost, la femme du pasteur. Aujourd'hui le
département renferme à peine 900 protestants, soit i/3oo de la population totale,
un peu moins qu'il y a un siècle ; mais c'est surtoul leur habitat qui a changé, la
diminution se faisant sentir particulièrement à la campagne, où certains groupes
anciens ont tout à fait disparu après avoir survécu à toutes les persécutions ; en
ceci encore, l'Eure-et-Loir représente bien la moyenne du pays. En 1820, Char-
tres, Châteaudun et Nogent-le-Rotrou ne renfermaient pas un seul protestant ;
aujourd'hui, elles contiennent, avec Dreux, un bon quart du total. Remercions
M. L. de cette utile monographie, dont l'équivalent devrait se trouver dans cha-
cun de nos départements pour préparer les matériaux de l'histoire future et
épargner aux historiens la recherche des menus faits, si nécessaires pourtant à
la généralisation finale. — Th. Sch.
— A signaler les deux articles de M. Paul Yvon sur Les Français et la Société
anglaise au xviii" siècle, Les Anglais et la Société française au xviu'' siècle (Paris,
Didier, i5 pp., 19 pp.). Ce sont de très utiles contributions à l'histoire des rap-
ports des deux peuples à une époque où une foule de goûts communs tendaient
à annuler les effets de leur rivalité politique. — Ch. B.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 28 juin igi 2 —
M. Homo, chargé de cours à la Faculté des lettres de l'Université de Lyon, fait
une communication sur la topographie urbaine et l'indication du domicile dans
la Rome ancienne. L'indication précise du domicile était une nécessité absolue
pour les grandes villes de l'antiquité, comme elle l'est pour les grandes villes
modernes. Divers documents permettent de comprendre comment le problème
avait été résolu dans la ville d'un million d'habitants qu'était la Rome impériale.
Ce sont en particulier les colliers d'esclaves fugitifs, dont les indications les plus
constantes sont la mention de la région, qui correspondait à Rome aux arrondis-
sements des grandes villes modernes, ei surtout celle du quartier (viens). Les rues
ne portaient pas de plaques indicatrices ; les maisons n'étaient pas numérotées; on
y suppléait par divers expédients : calcul du nombre des maisons, indication d'un
signe caractéristique quelconque on du nom du propriétaire. — MM. Maurice
Croiset, Cagnat, Haussoullier, Perrot et Cuq présentent quelques observations.
M. le baron de Grûneisen lit une note sur le prétendu nimbe rectangulaire et le
portrait d'Apa Jérémic.
Léon Dorez.
IJ" imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. - Imprimerie Peyriller ,Rouclion et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 29 — 20 juillet — 1912
Arvanitopoulos, Un trésor thessalien. — Nyrop, Quelques métonymies. —
SciiuciiARDT, Choses et mots. — Mollat, Les papes d'Avignon. — R. de Les-
piNASSE, Le Nivernais et les comtes de Nevers, H. — Bastide, Anglais et Fran-
çais du xvii° siècle. — Lépreux, Gallia typographica, II. — Sanson, Répertoire
bibliographique pour la période révolutionnaire en Seine-Inférieure. — Pnii.i-
poN, Dictionnaire topographique de l'Ain. — Holzhausen, Les Allemands en
Russie. — Gœt[ie, Edition du .lubilé, Table, p. Von der Hei.len. — Leiiaut-
couRT, La cavalerie allemande et l'armée de Chàlons. — Grasset, A travers la
Chaouïa. — Albin, Le coup d'Agadir. — J. de Lécussan, Notre droit historique
au Maroc. — Fidao-Justiniani, Pierre Leroux. — J. Gay, Le mouvement démo-
cratique et les catholiques français. — H. de Curzon, Un théâtre d'idées en
Espagne. — Fleischmann, Le quartier général de Napoléon à Waterloo. —
Académie des Inscriptions.
Arvanitopoulos, Un trésor thessalien. Extr. des Athenische Alitteilungen,
XXXVIl, 1912, p. 73-118, pi. II-VII, fig. 1-14.
A. a eu la bonne fortune de découvrir à Karditsa (Metropolis) un
petit trésor d'orfèvrerie dont l'importance ne le cède qu'à peine aux
stèles peintes de Pagasai. La tombe, dont il forniaii le mobilier funé-
raire, avait é^é violée, mais, quoique des objets aient disparu,
l'ensemble a le grand intérêt d'être antérieur aux trésors de Bosco
Reale, d'Hildesheim et de Berthouville : A. le date approximative-
ment du II" siècle, d'après la manière dont Athèna Itonia est repro-
duite sur un bouton de vêtement et l'on peut accepter sa thèse, que
d'autres remarques tendraient à contirmei". A. essaie de déterminer la
part qui, dans la trouvaille, est d'importation et celle qu'il faut attri-
buer à l'orfèvrerie locale. A la première appartiendraient à coup sûr
les deux pièces capitales de la découverte, une pyxis et un alabastron,
tous deux décorés de reliefs. La boîte à parfums est coiffée d'un
couvercle conique, en éteignoir, que décorent des guirlandes et des
masques et que surmonte une tête de pavot; sur la paroi, des Ménades
s'opposent par paires : deux viennent de déchirer les chairs d'une
biche, les deux autres, pleines de l'ivresse dionysique, renversent en
arrière leurs têtes extasiées. Le bas du vase est malheureusement
brisé, tandis que l'alabastron est presque intact. Des Eros musiciens
y volent en frise au-dessus du sujet principal, qui montre Dionysos
enfant, debout sur les genoux d'une nymphe assise : une deuxième
nymphe, placée derrière le dieu, le soutient de ses mains et, de l'autre
côté, un Silène, nu et barbu, regarde la scène et s'appuie au tronc
d'un arbre. Les draperies seules sont dorées, tandis que le champ
Nouvelle série LXXIV Su
42 ' REVUK CRITIQUE
Cl les chairs conservent le ton mat de l'argent : le fond, par contre, est
dore' dans la frise d'Eros et les deux guirlandes qui, haut et bas,
bordent le champ sont l'une dorée, l'autre sans couverte. Ces
nuances subtiles, qui devaient mettre en valeur les parties essentielles,
font honneur au goût raflRné de l'orfèvre.
A. de RiDDER,
Kr. Nyrop, Études sur quelques métonymies (Extrait du Bulletin de l'Académie
royale des sciences et des lettres de Danemark, 1911, 3) in-8 de 26 pages.
U. ScHucHARDT, Coso 6 parolc (Extrait de la Rassegna Contemporanea, I\', i i).
Rome, 191 1 ; in-8 de lo pages.
Dans cette brochure M. Nyrop nous donne vraisemblablement par
avance un chapitre détaché du tome IV de sa Grammaire historique
de la Laiigue française^ qu'il est en train de préparer. Ce chapitre est
fort intéressant. Il y est question des phénomènes de contiguïté et du
glissement qui peut s'opérer dans le sens des mots, en tant qu'ils s'at-
tachent à des représentations simultanées ou du moins successives.
Comment faut-il classer ces changements compris en général sous le
nom de métonymie? L'auteur avoue que c'est fort difficile. A tout
prendre, c'est la loi même d£ ce glissement qu'il faudrait arriver à
pouvoir formuler, au moins pour une langue et une époque donnée.
Mais nous n'en sommes pas là encore. Au lieu de cela, ce que nous
retrouvons en somme ici, ce sont toujours des subdivisions logiques
assez semblables à celles que Darmesteter proposait déjà il y a
quelque vingt-cinq ans, et qui venaient du reste en droite ligne du
Traité des tropes de Du Marsais. Je trouve même qu'en se servant de
têtes de paragraphes comme Pars pro toto, Continens pro contento,
etc., M. N. a donné à son étude un parl'um décidément un peu sco-
lastique. Mais où il se relève, c'est par le choix des exemples : ces
exemples sont nombreux, très variés, nouveaux en partie, et ils
prouvent avec quelle diligence, avec quelle pénétration bien informée
l'histoire de la langue a été fouillée dans tous les sens. Çà et là seu-
lement on voudrait des précisions de dates plus grandes. Voici deux
ou trois des observations que j'ai faites au cours de ma lecture. Au
§ 20 l'histoire du mot bureau et de son développement sémantique
est vraiment trop incomplète. De plus le terme de grisette y est cité
au sens d' « étoffe grise » avec un exemple de Dancourt à l'appui, et
il y est question d'un « développement ultérieur » : mais il ne faut
pas oublier que dès la fin du wu^ siècle le mot pouvait désigner une
« jeune fille du peuple », et qu'on le trouve avec ce sens notamment
chez Regnard en 1694. Au § 3i, comme sobriquets appliqués aux
gens d'après les paroles qu'ils répètent souvent, sont cités Vous
n'ave\ rien pour les douaniers, et // ny en a pas pour les gérants de
magasins : comme expression de ce genre, bien plus répandue même
que les autres, il serait bon d'ajouter ici le M'as-tu vu devenu si
d'histoire et de littérature 43
célèbre au Café des Variétés, et qui depuis longtemps s'applique aux
acteurs et concurrence cabotin. Entin au § 38 et dernier, il est dit que
le verbe embrasser n'a plus de nos jours « que le sens de donner un
baiser » : cela dépend, car, au figuré du moins, l'ancienne valeur du
mot qui était celle du lat. amplecti^ s'est au contraire très bien con-
servée dans des expressions comme embrasser une carrière, embras-
ser rhori\on du regard., etc. Ce sont là de très petites lacunes, et que
fera disparaître une révision attentive.
A la sémantique également se rattache le bref opuscule' de M.
Schuchardt intitulé Cose e parole : c'est une communication qui a été
lue au premier Congrès d'Ethnographie italienne. Là, en quelques
pages lumineuses, l'éminent linguiste de Gratz a posé le problème de
l'appellation des choses, démêlé à larges traits les liens étroits et sub-
tils qui s'établissent entre les mots d'une part et les objets qu'ils ser-
vent à dénommer tant bien que mal. Il y donne quelques exemples
curieux, insiste sur la nécessité d'avoir une figuration exacte des objets
pour suivre les transformations de sens subies par les mots; il ajoute
enfin quelques conseils sur la mise en œuvre des richesses séman-
tiques que présentent en abondance les dialectes, spécialement ceux
d'Italie. On aura plaisir et profit à méditer un peu des pages si for-
tement pensées.
E. BOURCIEZ.
Les Papes d'Avignon (1305-1378), par G. Mollat. Paris, J. Gabalda et C'S
1912. In-i8 de 423 pages. (Bibliothèque de l'Enseignement de l'histoire ecclé-
siastique.)
Le savant éditeur des Lettres communes de Jean XXII et de tant
d'autres publications sur la papauté au xiv'^ siècle, était parfaitement
désigné par sa compétence pour écrire ce volume sur les papes d'Avi-
gnon. Les limites qui lui étaient imposées l'ont contraint à ne s'ar-
rêter qu'aux principaux faits et bien souvent à ne donner que des
aperçus généraux. Il aurait été donc fort admissible qu'il se soit con-
tenté d'utiliser les fort nombreux ouvrages qui depuis le xvii^ siècle,
mais surtout depuis une vingtaine d'années, ont été écrits sur le sujet.
Il a fait mieux que cela : on sent presque partout qu'il a été aux
sources, on constate qu'il a vérifié les textes, qu'il en a apporté de
nouveaux, enfin qu'il a fait une œuvre originale, et non pas seule-
ment de simple vulgarisation. C'est la principale et très grande qua-
lité de son livre.
Son volume est divisé en trois parties. Dans la première, il con-
sacre un chapitre à présenter chacun des sept papes qui siégèrent à
Avignon, à noter les circonstances de leur élection, à dépeindre leur
caractère et leurs habitudes, à caractériser leur gouvernement, leur
conduite vis-à-vis des membres de l'Eglise, surtout du clergé séculier
et régulier; pour les derniers, à raconter leur retour en Italie. La
44 REVUE CRITIQUE
seconde partie permet dVtudicr les relations des papes avec les puis-
sances L^rangùres. C'est d'abord avec les villes et « tyrans » de l'Italie,
ei l'on sait combien les rapports furent dilliciles, avec quelle obstina-
TJon les anciens Etats pontificaux entretenaient des sentiments hos-
tiles, quelle énergie il fallut aux Icgats poniiticaux comme du Pouget
et Albornoz pour triompher des intrigues et des violences des Vis-
conti, des Florentins et des préfets de Rome. C'est ensuite le rôle
joué par les papes dans les ariaires du royaume de Naples, surtout
pendant le règne si tourmenté de la reine Jeanne. Le chapitre con-
cernant la papauté et l'Empire n'est pas moins rempli de faits; on
connaît la lutte interminable qui poussa Louis de Bavière contre les
papes, lutte qui s'entretint par la protection donnée par l'Empereur
aux fraticelles et par la création d'un schisme. Il n'est donc pas éton-
nant que le récit en soit très mouvementé. Avec les rois de France,
les papes éprouvèrent moins de difficultés, mais ils eurent à débattre
avec eux ces terribles questions du procès de Boniface N'III et de la
suppression des Templiers iM. l'abbé Mollat, ouvrant de nouveau
le dossier de cette fameuse affaire, conclut à l'innocence de l'Ordre);
ils eurent à satisfaire leurs exigences d'argent, à intervenir dans la
guerre avec Edouard III pour essayer de rétablir la paix, à résister
enfin à leurs sollicitations trop grandes et trop intéressées. Et c'est en
général ce qu'ils ont fait; M. l'abbé Mollat montre qu'ils gardèrent
beaucoup mieux leur indépendance que ce qu'on avait cru jusqu'ici.
Avec l'Angleterre, les papes et leurs légats éprouvèrent aussi pas mal
de soucis, mais cela provenait de l'abus de l'attribution des béné-
fices à des non résidents, de la multiplicité des impôts qui faisaient
franchir le détroit à l'argent anglais ; M. l'abbé Mollat note très judi-
cieusement le sentiment de la population, qui tend à s'affranchir de
la papauté et qui fait prévoir la facilité avec laquelle s'opérera la
scission au xvi" siècle. Quelques pages sont enfin consacrées aux rela-
tions des papes avec les rois d'Aragon, de Majorque et de Castille.
Pour être complet, il aurait fallu examiner leur conduite non seule-
ment vis-à-vis des peuples Scandinaves, mais encore dans les affaires
d'Orient ; je suis surpris de constater que M. l'abbé Mollat n'ait rien
dit du concours apporté par eux aux chréiiens qui combattaient
contre les musulmans, notamment au roi de Chypre.
La dernière partie donne un petit mais vivant tableau de la vie à
Avignon pendant le séjour des papes, elle expose ce qu'était la cour
pontificale, énumère les fonctionnaires et officiers qui en faisaient
partie, fait apercevoir le luxe qui y régnait, le train de maison des
cardinaux Mais la partie la plus importante est consacrée aux grands
organismes : chambre apostolique, chancellerie (avec indication de
tous les bureaux), tribunaux (consistoire, tribunaux cardinalices,
audience des causes du palais, audience des lettres contredites) ; puis
au système de fiscalité perfectionné par les papes d'Avignon pour
d'histoire et de littérature 45
remplir un trésor qui se vidait trop facilement. Enfin un dernier
chapitre est relatif à la centralisation de l'Eglise romaine sous les
papes du xiV siècle.
Ainsi qu'on le voit, les sujets abordés sont nombreux et tous de
première importance. Ils ont été traités avec clarté et surtout, je le
répète, avec une sûreté d'infcM-mations tout à fait remarquable,
M. Tabbé Mollat a volontairement laissé de côté les questions d'art,
il n'a môme pas parlé de la construction du palais apostolique d'Avi-
gnon : c'était là le domaine réservé à un autre auteur. J,'aurais
souhaité qu'il ait indiqué comment les papes étaient venus à Avi-
gnon, dit quelles raisons leur avaient fait choisir cette ville, marqué
l'installation toute provisoire de Clément V, noté le changement qui
s'opéra à l'avènement de .lean XXII, Il n'y a pas un mot là-dessus;
il me paraît pourtant que le lecteur y aurait trouvé quelque intérêt.
Mais je ne veux pas finir sur celte légère critique ' ; car je tiens encore
à féliciter M. l'abbé Mollat d'avoir mené à bien une œuvre difficile,
pour laquelle il était submergé de documents et dont il fallait savoir
dégager rapidement des conclusions précises. Je tiens encore à
signaler son excellente bibliographie, qui est appelée à rendre de
véritables services.
L.-H. Labande.
Le Nivernais et les comtes de Nevers. !I. Maisons de Donzy, de Bourbon, de
Flandre (1200-1384J, par René de Luspinasse,... Paris, H. Champion, 1911.
!n-S" de 548 et vi pages.
Cette histoire du Nivernais et des comtes de Nevers, dont la Revue
critique n'a reçu que le deuxième volume, cause à la lecture une
désillusion : on s'attendait à mieux, étant donné l'auteur. Elle n'est
que le développement d'une collection de fiches classées chronolo-
giquement; si l'on veut obtenir des renseignements sur une institu-
tion, un monastère, les monnaies en cours, les devoirs féodaux, on
est obligé de parcourir tout le livre. Il y a là un défaut de compo-
sition qui saute aux yeux. Sans doute, le volume de M. R. de Les-
pinasse restera comme ouvrage de consultation, car on y trouve mis
en œuvre une grande quantité de documents, mais il aurait été bon
qu'il suivit un ordre et qu'il devint ainsi d'une lecture agréable.
La documentation est abondante, ai-je dit, encore faut-il faire des
réserves, car l'auteur semble s'être trop borné aux archives locales,
auxquelles il a ajouté des pièces prises soit aux Archives, soit à la
I. Quelques peiitcs remarques encore : que l'auteur relise la fin de la page 44,
il ne dit pas dans quelle ville se trouve la chapelle du palais archiépiscopal où
eut lieu le baptême des statuettes de cire. — P. 25i, est-ce bien au xiv« siècle
qu'il taut parler de maréchaussée? — P. 3o8, la salle de théologie au Palais des
papes se trouvait sous et non dans la dernière travée orientale de la salle de
l'Audience.
46 REVUi: CRITIQUE
Bibliothèque nationale. Je crains même, d'après certaines citations,
que plusieurs de ces dernières n'aient pas clé prises directement à la
source. D'autre part, il ne semble pas connaître les éditions de textes
qui ont été faites ces dernières années, ni les principaux ouvrages
historiques récents d'intérêt général qui fournissent d'amples détails
sur le Nivernais et les comtes. Il y a même un recueil qu'il est extraor-
dinaire qu'il ignore, étant donné qu'à partir de 1290 les comtes de
Nevers ont été aussi comtes de Rethel : c'est le Trésor des chartes du
comté de Rethel, dom les deu.x premiers volumes parus en i()02 et
1904 lui auraient présenté des textes de premier ordre. Il utilise gran-
dement VInventaire des titres de Nevers, dressé au xvii* siècle par
l'abbé de Marolles, mais dans l'édition du comte de Soultrait. II n'est
certainement pas sans s'être rendu compte des erreurs de noms ou de
dates qui pullulent dans cette œuvre. S'il avait tenu aussi en mains les
manuscrits de l'abbé de Marolles, il aurait puisé sur les comtes du xiv^
siècle d'autres renseignements que ceu.x qui sont publiés par le comte
de Soultrait. Je pourrais parler aussi des chroniques, auxquelles M. R.
de L. n'a fait que des emprunts trop discrets. Le résultat de tout ceci,
c'est que le récit des faits accomplis pendant le xiii' siècle remplit
400 pages, tandis celui des événements du xiV est contenu dans 140.
Les 40 années qui ont précédé la mort du comte Louis III sont par-
ticulièrement écourtées.
L'histoire du Nivernais et des comtes a de telles ramifications avec
la grande histoire et celle des provinces voisines qu'on regrettera
qu'elle n'ait pas été envisagée avec une hauteur de vues suffisante. Je
le répète, c'est une succession de faits grands ou petits que ne relie pas
un ordre logique '.
L.-H. Labande.
Henry de Laguérenne... Notes et souvenirs relatifs à l'ancien couvent des
Ursulines de Montluçon (1643-1909). Paris, H. Champion; Montluçon^
A. Herbin, 191 1. In-8° de 142 pages.
Grâce à une ancienne chronique des religieuses de ce monastère,
M. H. de Laguérenne a pu écrire une étude très documentée et pleine
I. On pourrait faire tout ie long du livre un certain nombre d'observations de
détail ; ainsi, par exemple, p. 327, pourquoi écrire le « comte de Grandprest »,
quand l'auteur sait que le nom s'écrit Grandpré ? Grandpré aurait pu être mieux
identifié, c'est un chef-lieu de canton de l'arrondissement de Vouziers. Pour le
comte, au lieu de renvoyer à VArt de vérifier les dates, pourquoi pas au P. An-
selme, ou mieux à la Notice Iiistoriqiie sur la maison de Grandpré, publiée par
Anatole de Barthélémy dans la Revue de Champagne et de Brie, t. IX, p. 214
et 224 ; t. X, p. 33 à 38 ? Pourquoi le pape Honorius III est-il devenu Honoré III
(p. 546) ? Pourquoi l'auteur, qui connaît bien son métier, laisse-t-il des dates
comme celle-ci : avril 1342, vendredi a'Ç'vks Judica me (p. 38i)? Voici mieux comme
inadvertance : « Jean XXII fut pape à Avignon de iSiy à 1329 » et M. R. de L.
cite de lui une bulle d'octobre i3t6 (p. 429); il était facile de corriger les
années de pontificat en i3i6-i334; etc.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 47
de traits amusants sur les Ursulines de Montluçon. Leur histoire
n'est pourtant pas tellement mouvementée, qu'elle mérite un long
récit. Mais l'auteur, qui semble connaître parfaitement toutes les
anciennes familles du pays, a profité de la rencontre des différentes
religieuses qui firent profession dans le couvent, pour donner des
notices succinctes sur leur parenté. De telle façon que son livre sera
utile à plus d'un égard à ceux qui s'intéressent à l'histoire locale. Il
aurait pu cependant donner une description plus détaillée des bâti-
ments, qui depuis la Révolution jusqu'en 1909, ont été affectés à
divers usages publics et ont servi notamment de mairie : cela aurait été
facile et avantageux puisqu'ils sont maintenant rasés. On aurait sou-
haité aussi que les citations de sources, surtout au début, fussent plus
précises.
L.-H. L.
Charles Bastide. Anglais et Français du XVII" siècle, Paris, Alcan, 1912, in-
16, XII et 302 p., 4 fr.
M. Bastide s'est proposé de recueillir des renseignements sur la vie
des Français qui se risquaient, au xvii« siècle, à traverser la Manche;
mais il est trop modeste, et la série de ses études constitue une pré-
cieuse contribution à l'histoire des rapports des deux peuples. Il
traite les sujets les plus divers en variant très habilement ses effets et
sa façon selon le cas. C'est avec humour qu'il nous entraîne à la suite
des voyageurs qui, sous Louis XIV, s'aventuraient jusqu'à Londres,
et qu'il conte les périls du chemin. Il raille plaisamment leur incapa-
cité, ou plutôt leur paresse à apprendre l'idiome. Nos voisins étaient
plus avancés, et M. B. reproduit quelques morceaux écrits en fran-
çais par des insulaires; entre autres une scène de Shakespeare qui
montre le poète assez à son aise avec notre langue. De découvertes
récentes, M. B. conclut que le grand dramaturge dut très probable-
ment cette connaissance à des réfugiés chez qui il logea pendant
quelques années. D'ailleurs les Londoniens du xvii'' siècle enten-
daient assez couramment le français, puisque M. B. a retrouvé un
journal hebdomadaire, les Nouvelles ordinaires de Londres, rédigé
tout entier dans cette langue, et qui parut au moins de i65o à 1657.
Après en avoir donné quelques extraits intéressants : la bataille de
Dunbar, celle de Worcester, la fuite du roi Charles II, il écrit une
biographie instructive de l'éditeur de cette feuille, Guillaume du
Gard, un ami de Milton, et sans doute encore un réfugié. La partie
principale du livre est assurément celle où l'auteur étudie l'influence
politique des Huguenots en Angleterre. M. B. connaît admirable-
ment son sujet; il a vécu, on peut dire dans la familiarité des exilés,
surtout dans celle de Bayle et de Jurieu, dont il admire le caractère
et le talent tout en avouant qu'il leur a manqué le passeport que la
postérité exige : les grâces du style. Ils ont importé en Grande-Bre-
^g REVUK CRITIQUE
tagne Tosprit critique, le principe du libre examen qui conduisit à la
liberté civile, celui du sacerdoce universel, germe de l'égalité. Jusqu'à
la révocation de TKdit de Nantes, les réformés français professaient
la doctrine d'obéissance absolue aux rois; persécutés, chassés de
leur pays, ils dévoilèrent promptemeni ^< le révolutionnaire qui se
cache en toiii calviniste ». Bayle, champion des modérés, chercha en
vain à contenir le tloi ; .Uiricu, au contraire, alla si loin qu'il serait
peut-être devenu républicain s'il n'avait été aumônier du prince
d'Orange. Le trait caractéristique chez les uns et les autres fut tou-
jours l'amour de la liberté intellectuelle, et ce penchant ne resta pas
étranger à Téclosion en Angleterre du rationalisme. Des deux études
qui terminent, Tune est consacrée au traducteur de Locke, Pierre
Geste, dont M. B. cite une curieuse correspondance avec une réfu-
giée d'Amsterdam ; l'autre au traducteur de Daniel de Foe, Themi-
seul de Saint Hyacinthe, assez pauvre hère à qui ses querelles avec
Voltaire ont valu une faible notoriété. Mais en suivant les péripéties
de l'existence de ces deux réfugiés, on acquiert une idée assez nette
de ce que fut celle de leurs pareils. C'est d'ailleurs l'impression géné-
rale que laisse la lecture de cet excellent ouvrage : M. Bastide, par
quelques exemples bien choisis et bien traités, fait parfaitement con-
cevoir ce que furent les relations entre Français et Anglais au
xvii* siècle.
A. BiovÈs.
Gallia typographica ou répertoire biographique et chronologique de tous
les imprimeurs de France depuis les origines de l'imprimerie jusqu'à la
Révolution, par Georges Lépreux. Série départementale, tome 11. Provinces
de Champagne et de Barrois. Paris, H. Champion, 191 1. In-8" de Sgi et
132 pages.
J'ai déjà eu l'occasion, à deux reprises différentes, de dire tout le
bien qu'il fallait penser de l'entreprise de M. Georges Lépreux, dont
l'activité ne craint pas la perspective d'une vingtaine de. volumes sur
une même matière. J'ai indiqué aussi le plan adopté pour la rédaction
des notices individuelles d'imprimeurs et pour la présentation des
documents sur les typographes d'une région; je n'y reviendrai donc pas.
Le volume actuel concerne les provinces de Champagne et de Bar-
rois, ou plus exactement les départements des Ardennes, de l'Aube, de
la Marne, de la Haute-Marne et de la Meuse. Dans cette vaste région,
il n'y a guère que les villes de Troyes et de Chàlons-sur-Marne qui
puissent présenter une presse en exercice avant l'achèvement du
xv^ siècle; c'est aussi Troyes qui compta le plus grand nombre d'im-
primeurs jusqu'à la Révolution. La petite localité de Longeville-
devant-Bar s'inscrit en troisième lieu, avec un atelier typographique
installé dès i5o2; Reims n'a d'imprimeurs qu'à partir de i55i ; Sedan
en eut bientôt après (1 565) et se fit une spécialité d'éditions des ou-
vrages protestants.
d'histoire et de littérature 49
M. Georges Lépreux, dans les quelques pages d'introduction à
chaque département, expose à grands traits l'histoire de l'imprimerie
dans les ditférentes villes et critique les ouvrages précédemment écrits
sur le sujet. Les meilleurs, auxquels il sait rendre justice, gagnent
par son travail, car il n'en est pas auxquels il n'ajoute soit des docu-
ments précieux, puisés principalement aux Archives nationales, soit
l'indication de diverses impressions, que ses recherches dans les fonds
de la Bibliothèque nationale lui ont permis de découvrir. Les histo-
riens et bibliographes apprécieront donc grandement l'etîort qu'il
donne et applaudiront aux résultats qu'il obtient. Il est inutile' de lui
souhaiter la bonne continuation de son œuvre : il y met une telle
ardeur qu'on ne peut que l'admirer.
L.-H. Labande.
Victor Sanson,. . . Répertoire bibliographique pour la période dite « Révolu-
tionnaire », 1789-1801, en Seine-Inférieure. Tome 1 : le département;
tome II : Rouen, le Havre; tome 111 : les communes [première partie]. Paris,
H. Champion, s. d., 3 vol. in-8°, paginés i à 796.
Le Répertoire bibliographique entrepris par M. l'abbé Victor
Sanson pour la Seine-Inférieure de 1789 à 1801, doit être accueilli
avec faveur par tous ceux qui veulent posséder des moyens d'investi-
gation sûrs et précis. Il représente beaucoup de recherches, il
donne lieu de supposer que son auteur y a passé beaucoup de temps
et n'a pas plaint sa peine. Il n'est pas terminé : le tome IV compren-
dra la fin des communes du département et le tome V la bibliographie
concernant les personnes..
Peut-être devra-t-on reprocher à M. l'abbé V. Sanson un défaut de
plan. Il s'est trouvé fort embarrassé pour débuter. Avait-il à com-
prendre dans son Répertoire les fonds d'Archives et les recueils de
documents manuscrits qui peuvent être conservés dans les Biblio-
thèques publiques? Il ne Ta pas trop su, car tantôt il a fait des renvois
à de tels fonds ou à de tels manuscrits, tantôt non; il faut recon-
naître qu'en général il ne s'en préoccupe pas. Mais il fallait s'arrêter à
la résolution ferme de n'indiquer que les imprimés.
Les imprimés se divisent pour chaque matière en deux grandes
catégories: les ouvrages, factums, arrêtés, etc., publiés de 1789 a
1801, puis les ouvrages (ce que M. l'abbé Sanson appelle travaux)
édités depuis cette époque. N'aurait-il pas fallu indiquer d'abord les
premiers, puis les seconds? Le contraire a été fait dans le Répertoire.
Il y avait à se demander si ceux de la seconde catégorie qui sont
d'un intérêt général, soit parce qu'ils concernent la France tout
entière, soit parce qu'ils racontent l'histoire d'un pays, d'une institu-
tion depuis les origines jusqu'après la Révolution, devaient être men-
tionnés. Là encore l'auteur s'est trouvé perplexe. Il s'est borné à
mentionner les principaux ouvrages concernant la France ou la Nor-
5o REVDF CRITIQUE
mandie aux temps révolutionnaires; mais il semble d'autre part avoir
recueilli tous ceux qui, iraiiani d'un sujet local déterminé, ont eu
l'occasion de dire au moins i]uclqucs mots sur Tépoque révolution-
naire, comme par exemple l'Histoire du Parlement de Rouen, les
Histoires de l'archevcché de Rouen, les récits de voyages, etc. Il y a
là certainement une exagération : le « Guide du chemin de fer de
Paris au Havre », malgré la description qu'il donne des pays tra-
versés, n'a rien à faire ici. Pourquoi aussi le livre de Célestin Hip-
peau : Le Gouvernement de Normandie... d'après la correspondance
des marquis de Beuvron et des ducs d^Harcourt} La mesure aurait
dû être radicale : tous les ouvrages de ce genre, qui n'ont pas de cha-
pitres spéciaux consacrés à la Révolution, devaient être écartés.
Devaient aussi être laissés de côté les voyages et descriptions anté-
rieurs à la Révolution, les cartes et plans publiés avant 1789 ou après
1801 (il y en a de marqués dans les 3 volumes). Je n'insisterai pas
davantage sur ce point.
M. l'abbé Sanson cite pour le Conseil général et le Directoire du
département, l'administration des districts, l'administration munici-
pale de Rouen (tome II) tous les actes, décrets, arrêtés, proclama-
tions, etc., qui en sont émanés ; mais comme les titres ne disent rien,
il explique succinctement l'objet de ces arrêtés, décrets, etc. Puis, dans
les différents chapitres qui sont intéressés par de pareils documents
(affaires militaires, subsistances, etc.) il donne à nouveau l'indication
de ces mêmes actes. Il est ainsi amené à transcrire une seconde fois
des pages entières. C'aurait été beaucoup plus simple pour lui de ne
pas porter ces articles aux administrations d'où ils émanaient ; mieux
que cela, il aurait dii numéroter tous les articles de sa bibliographie
et au chapitre Conseil général indiquer seulement : Arrêtés du Con-
seil général de la Seine-Inférieure : Affaires militaires, voir n°s tant et
tant; Assistance publique, voir n°s,.. ; Commerce, voir no^..., etc. En
une page il condensait la matière de 3o des actuelles.
Continuerai-je mes observations? Je les abrège. L'auteur réserve
pour le tome V les monographies sur les différents personnages ;
pourquoi en a-t-il marqué dans les trois qui nous sont aujourd'hui
présentés? Exemple, t. I, p. 129, les articles sur l'abbé d'Anfernet de
Bures et sur l'abbé Baston ; t. II, p. 377, ceux sur Boïeldicu ; p. 384,
sur Collot d'Herbois, etc.
Il a groupé dans le tome I la bibliographie relative au clergé du
département; mais pourquoi n'a-t-il pas réservé pour le volume de
Rouen doté d'un chapitre sur l'Histoire religieuse, tout ce qui con-
cerne les établissements eccJésiastiques de cette ville ? Pourquoi a-t-il
imprimé dans le tome I et répété dans le tome III les articles parti-
culiers à l'abbaye de Fécamp ? Etc. Un plan bien réglé aurait empêché
les redites et mieux coordonné les renseignements.
L'auteur n'est pas bien fixé non plus sur la disposition des noms
d'histoire et de littérature 5i
qui se composent avec un ariicle ; il écrit tantôt La Querière (De) et
Querière (De la). La première forme est seule à conserver. Pourquoi
substitue-t-il au mot Idem le barbarisme Dito, qui n'appartient à
aucune langue? T. I, p. 5i, et t. II, p. 286, quelle est celte Revue à
laquelle il est fait des renvois?
Il est temps maintenant d'indiquer très rapidement les subdivi-
sions du Répertoire. Le tome I''" débute par l'indication des princi-
pales sources générales ; elle aurait pu être supprimée sans grand
inconvénient, notamment la liste des périodiques et revues, pluisque
leurs articles intéressant la période révolutionnaire sont mentionnés
ailleurs à leur place. Vient ensuite la bibliographie relative au dépar-
tement tout entier : 1° renseignements généraux ; 2° histoire politique
(Etats généraux, élections, cahiers, Conseil général, représentants du
peuple, etc.); 3" histoire religieuse diocésaine; 4" histoire militaire;
5° histoire judiciaire ; 6" histoire financière ; 7° histoire économique
et sociale; B° instruction publique, sciences; 9° imprimerie, jour-
naux, almanachs (beaucoup d'articles auraient pu être distribués
encore aux localités).
Le tome II est consacré aux villes de Rouen et du Havre. Voici
les séries de Rouen (à beaucoup près les plus importantes) : 1° his-
toire politique et administrative ; 2° histoire religieuse (ou plutôt
histoire des monuments et des paroisses ; des articles du tome I
auraient dû venir enrichir cette partie); histoire militaire (garde natio-
nale, conscription, etc.) ; 4° histoire économique et sociale (subsis-
tances, commerce, foires et marchés, etc.) ; 5° vie intellectuelle et
artistique (sociétés savantes, bibliothèques] ; 6° vie publique (théâtres,
fêtes, etc.); y^ topographie et monuments (pourquoi n'avoir pas fait
passer cette série en tête?).
Pour les autres communes du département, classées alphabétique-
ment, le tome IV du répertoire donne la première moitié des notices
qui les concernent (de A à J). Ici la méthode est modifiée. L'auteur
mentionne tout d'abord la bibliographie révolutionnaire, en y ajou-
tant l'indication des fonds d'archives (ce qu'il n'avait pas fait précé-
demment), puis il ajoute, en plus petits caractères, la bibliographie
des autres époques. Ce complément est infiniment plus important
que la partie qui aurait dû être la principale ; c'est ainsi que pour
Fécamp, le Répertoire contient 4 pages et demie à peine de notices
révolutionnaires, composées en gros caractères, tandis que la biblio-
graphie autre rempJit plus de 8 pages en petit texte.
Malgré tout, l'œuvre de M. Victor Sanson aura une grande utilité.
C'est le fruit d'un labeur aride, il ne faut donc pas se montrer ingrat;
il y a lieu de savoir beaucoup de gré à ceux qui ont le courage d'en
entreprendre de semblables.
L.-H. Labande.
5i REVUE CRITIQUK
Dictionnaire topographique du département de l'Ain, comprenant les noms
lie lici: jincicns cl inoJcriics, rcvlii;c (\ir M. lUoiiuici Piiii.ri'os,. .. P. iris, imp.
nat., njii. ln-8" de cxxxhi-.SîS pages.
Le Dictionnaire topographique que nous présente M. Edouard Phi-
lipon, comptera certainement, avec celui que le regretté M. Longnon
a rédigé pour la Marne, comme un des meilleurs de la collection
publiée sous la direction du Comité des travaux historiques. L'auteur,
déjà bien connu par ses études philologiques, a utilisé pour ses
ouvrages non seulement les textes historiques, mais encore les
données de l'archéologie. Il a donc réuni en sa personne des compé-
tences diverses qu'on trouve rarement ensemble. Aussi son volume
revêt-il une importance particulière.
On sait le plan des Dictionnaires topographiques, l'introduction
qui est imposée aux auteurs pour faire connaître la géographie
ancienne du département, ses subdivisions, son état physique. M. Phi-
lipon s'est moins appliqué à k description du pays et à sa formation;
par contre, il a recherché avec une méthode très siire ce que les noms
du département de IWin dénoncent comme souvenirs des peuplades
pré-celtiques, ibères ou ligures, des Celtes, etc. C'est une partie abso-
lument neuve.
Dans le cours de son Dictionnaire, il a multiplié les renseigne-
ments sur l'histoire des localités, indiqué par quelles mains ont passé
les tiefs, mentionné les découvertes archéologiques, signalé les monu-
ments qui en valent la peine.
Si l'on reconnaît d'autre part que les documents utilisés par lui
ont été extrêmement nombreux, qu'il a eu soin de n'omettre aucune
source d'information, il faudra avouer que l'éloge donné ci-dessus à
son œuvre est tout à fait mérité.
L.-H. Larande.
Paul HoLznAUSEN, Die Deutschen in Russland 1812. Leben und Leiden auf
der Moskauer Heerfahrt, Berlin, Morawe und ScheiTelt, 1912. In-8", xxxiii et
i55 p. + 264 p.
Nous devons déjà à M. Holzhausen nombre de publications utiles
sur la Révolution et l'Empire, et tout récemment une excellente édi-
tion des Mémoires de Henri de Roos.
Voici qu'il nous donne un gros et instructif livre en deux tomes,
un des meilleurs livres et des mieux faits qu'ait suscités la fête du cen-
tenaire russe, un livre sur les Allemands en Russie dans Vannée
1812.
L'entreprise était délicate, difficile. Nul encore ne Tavait tentée, nul
n'avait essayé de faire un récit d'ensemble sur les contingents alle-
mands qui combattirent en 181 2 dans l'armée de Napoléon. Il y avait
beaucoup d'études spéciales, beaucoup de travaux de détail ; mais il
fallait les condenser, les résumer, et c'est à quoi M. H. a réussi.
d'histoire et de MTrÉRATURE 53
Ses matériaux étaient abondants, et plus abondants qu'on ne croi-
rait, car il ne s'est pas contenté de l'imprimé pourtant si considérable,
des articles perdus dans de vieilles revues, des brochures et brochu-
rettes qui d'ordinaire échappent à l'attention du chercheur; il a
trouvé de l'inédit, des journaux, des lettres, de petits mémoires,
grâce à ses patientes recherches dans les archives d'Allemagne, et
particulièrement cà Munich. Et tous ces matériaux, il a su les mettre
en (vuvre d'une fai^on très remarquable dans une narration continue.
Sa publication comprend deux volumes réunis en un seul de quatre
cents pages.
Le premier volume, intitulé Sous les drapeaux de Napoléon vers
Moscou, contient les chapitres suivants : introduction sur les sources
et les contingents allemands — les débuts de l'invasion — Smolensk
— les ailes de la Grande Armée (les Bavarois sur le Dvina, les
Prussiens en Courlande, les Saxons en Volliynie) — La Moskova —
Moscou — Taroutino — Macdonald, Victor et Schwarzenberg.
Le second volume, intitulé Le chemin de la Passion de la Grande
Armée, est ainsi divisé : De Moscou à Smolensk — de Smolensk à
la Bérésina — le passage de la Bérésina — de la Bérésina à Vilna
— Vilna — de Vilna à Kovno — Yorck et les Saxons.
J'ai abrégé ces titres de chapitres qui parfois sont un peu longs et
emphatiques — c'est le seul reproche que je ferai à l'auteur.
Tout cela se suit, se tient, s'enchaîne, et chaque chapitre est très
bien ordonné et composé ; chaque chapitre forme un tout à la fois
solide et attachant. Les témoignages des Allemands qui ont fait et
raconté la campagne y sont réunis, et, autant que possible, M. H.
laisse la parole à ces braves soldats. Mais ces témoignages n^ s'accu-
mulent pas, ne s'étendent pas outre mesure; ils ne se pressent pas
pêle-mêle et confusément; ils se présentent à nous clairement et avec
ordre.
Beaucoup de ces témoignages sont fort intéressants, saisissants
même et poignants, aussi poignants, aussi saisissants, aussi intéres-
sants qu'ils sont véridiques, et, dans son introduction, M. H. les a
passés rapidement en revue.
Il n'est pourtant pas complet, et il ne pouvait l'être. Et qui le
serait? La littérature de l'année 1812, comme la littérature de maint
autre sujet, est infinie et « sans bords » ; il est impossible de la maî-
triser. Mais M. H. est du petit nombre de ceux qui, dans les matières
dont ils traitent, parviennent à être aussi complets que le permet l'in-
firmité humaine et qui, ainsi que Gœthe s'exprime à peu près, sans
tout apporter, apportent néanmoins assez de choses pour nous satis-
faire et nous satisfaire amplement.
M. Holzhausen est d'ailleurs comme son maître, le regretté HCiffer,
impartial. Il aime, il admire Napoléon, mais il ne dissimule pas ses
fautes. Il met en relief les généraux et officiers allemands qui se
54 REVUE CRITIQUE
signalèrent par leur dévouemcni et leur esprit de sacrifice, et il est
d'avis que les soldats de cette nation ont eu dura;it la retraite plus
d'égards pour leurs chefs que les soldats français, car rAllemand a le
sentiment de l'autorité, a dans le sang la crainte respectueuse des
supérieurs; mais il reconnaît que les Français eurent plus d'initia-
tive et plus d'ardeur, qu'en eux l'esprit de la Grande Armée et son
enthousiasme pour l'Empereur brillaient d'un plus pur éclat (II,
p. 41-42). Il loue l'énergie des Russes et l'acharnement de leur
résistance ; mais les atrocités que les Cosaques, les paysans et les
juifs ont commises envers les prisonniers, révoltent son âme. Il n'a
pu s'empêcher d'intituler un de ses chapitres les horreurs de Vilna et
de dire que les Russes infligèrent aux Russes et aux Allemands
tombés dans leurs mains un traitement cruel, affreux, effroyable,
abominable — et il a raison.
Ces pages sur « le sort des prisonniers » servent de conclusion, et,
comme le reste, elles sont pleines de détails. Mais il ne faut pas
oublier deux appendices qui seront fort profitables, la liste des
sources et l'index des noms cités.
Souhaitons à ce bel et grand et précieux ouvrage tout le succès qu'il
mérite.
A. Chuqi'et.
Gœthes sâmtliche Werke. Jubilâumsausgabe in vierzig Bânden. Register, von
Eduard vox der Hellen. Stuttgart und Berlin, Cotta, 1912, in-8°, vni et 423 p.
Nos lecteurs se souviennent peut-être de l'article que nous avons
consacré jadis à la grande édition de Goethe en quarante volumes,
l'édition du jubilé, entreprise par la maison Cotta.
Le directeur, le matiager de l'entreprise, M. Edouard von der
Hellen, vient de publier la table des matières, le « Register » de cette
édition : 423 pages serrées en deux colonnes !
Cette table mérite d'être annoncée à part. C'est un grand travail,
aussi neuf et original que vaste, et qui sera fort utile.
L'auteur v indique tous les personnages, tous les lieux mentionnés
par Gœihe, et même les personnages, les lieux auxquels Gœthe a
pensé, sans les nommer!
Il y indique toutes les assertions de Gœthe sur de grands et impor-
tants sujets. C'est ainsi qu'à Mensch il nous apprend où se trouve le
mot de Gœthe, que l'homme est l'étude proprement dite de l'huma-
nité; qu'à Recht il nous apprend où se trouve le mot u le droit qui est
né avec nous ».
II n'a pas ménagé les renvois. Gœthe a dit : « On ment en allemand
quand on est poli » ; M. von der Hellen cite le mot en trois endroits
de son « Register », à Langue allemande, à Mentir et à Politesse.
Il cite même dans le « Register » les introductions et les notes de
d'histoire et de littérature 5 5
l'édition du jubilé, et il a bien fait, car elles renferment souvent des
éclaircissements précieux.
On ne peut que féliciter et remercier M. von der Hellen de ce
labeur prodigieux. Sa peine a été grande. Mais combien ce « Regis-
ter » rehausse la valeur de l'édition du jubilé et combien de Gœthéens
— ils sont aujourd'hui légion — le consulteront « pour voir ce qu'un
sage avant eux a pensé », :;^u schauen nuis vor uns ein %peiser Mann
gedacht\ Gœthe n'est-il pas universel et n'a-t-il pas touché à toutes
les questions?
A. Chuquet.
Pierre Lehautcourt, La cavalerie allemande et l'armée de Châlons, 19-
26 août 1870. Paris, Berger-Levrault, igi2. In-8% 71 p., 2 fr.
En s'aidant du livre de Cardinal de Widdern sur l'emploi et la
conduite de la cavalerie, le général Palat (Pierre Lehautcourt), a,
dans les pages que nous annonçons, étudié dans le plus grand détail
ce que firent au mois d'août 1870 les divisions de cavalerie allemande
chargées de découvrir l'armée de Châlons. Si incompétent que Ton
soit en ces matières, on suit avec intérêt l'exposé de Lehautcourt. On
y voit que la cavalerie allemande dont les hommes, comme les che-
vaux, étaient excellents, fut mal employée. Les chefs manquaient
d'initiative, d'allant, et ils eurent rarement la hardiesse, la décision
dont leurs subalternes donnèrent fréquemment des preuves. Ce ne fut
pas la cavalerie allemande qui fit la lumière, du 23 au 26 août, sur
les effectifs et les mouvements des Français ; ce fut la presse française,
et les escadrons prussiens furent moins utiles que les gazettes de
Paris; l'indiscrétion de nos journaux suppléa aux défaillances du
service d'exploration. Non pas que, si les journaux avaient gardé le
silence, le succès de la marche aventureuse de Mac-Mahon eût été
assuré. Mais l'armée de Châlons aurait été talonnée de moins près;
elle aurait pu se dégager plus aisément, elle aurait gagné du temps,
peut-être vingt-quatre heures. De tous ces faits il résulte que la
direction des divisions de cavalerie doit revenir au commandant
d'armée et même au généralissime, car les instructions que la cava-
lerie allemande reçut alors, furent données par les deux princes qui
commandaient la IIP et la 1V'= armée; c'est Moltke qui aurait dû les
donner, puisqu'il possédait seul l'ensemble des renseignements,
puisqu'il connaissait seul le but qu'il fallait atteindre et les dispo-
sitions qu'il fallait prendre ; aussi, « dès la tension extrême de la
situation, prit-il en mains la conduite directe de certains corps d'armée
et de la cavalerie, et il aurait dû agir de la sorte beaucoup plus tôt;
il se serait évité la période d'incertitude et de doute angoissant qu'il
traversa du 24 au 26 août ». Cette étude de M. Lehautcourt est donc
digne d'attention, comme tout ce que publie le laborieux et savant
36 REVUE CRITIQUE
auteur des quinze volumes de V Histoire de la guerre itS'jo-i,S'ji qui,
à lui seul, a lait, et bien mieux, ce que n'a pu faire toute une
section.
A. Chuquet.
Capitaine Grasset, A travers la Chaouïa, Paris, Ilachcite, lyii, in-i(j, 232 p.,
ill. et cartes, 4 fr.
Pierre Albin, Le coup d'Agadir, Paris, Alcan, 1912, in-iT), III et 39G p., 3 fr. .^o.
.Ican DF Lkcussan, Notre droit historique au Maroc, Paris, Daragon, 1912, in-18,
64 p., I franc.
M. Grasset raconte la campagne de la Chaouïa depuis le massacre
du 3o juillet 1907 jusqu'à l'expédition contre Azcmmour qui acheva
la pacification de la région. Son récit est détaillé et vivant; les mili-
taires y relèveront des réflexions instructives; le reste du public, tout
en acquérant une connaissance plus approfondie de ces contrées dont
il a tant entendu parler, sentira croître sa confiance en nos troupes.
Mais ce livre est-il, comme dit l'auteur, un journal de route? Cette
dénomination ne semble pas justifiée. Si l'on sent bien que M. G. a
été témoin oculaire, on ne se douterait guère qu'il a été aussi acteur :
impossible de deviner le point où il se battit tel jour, et le corps où
il servait, et les opérations auxquelles il a pris part. N'en déplaise à
sa modestie, s'il avait donné quelques indications permettant de le
suivre, il aurait augmenté l'intérêt et même la valeur documentaire
de sa narration, d'ailleurs consciencieuse et loyale. Trop discipliné
pour blâmer ses chefs, M. G. signale pourtant les fautes commises. Il
est, en somme, sévère pour le général Drude, trop attaché aux vieilles
traditions de l'armée d'Afrique, trop timide, et il admire le général
d'Amade sans réserve. La partie de l'ouvrage qui retiendra particuliè-
rement l'attention des camarades de M. G. est celle où il étudie la
façon de combattre des Chaouïas, la tactique à adopter contre eux, les
résultats obtenus par nos armes nouvelles, les conséquences de l'ap-
plication du nouveau règlement sur le service en campagne. Dans les
appendices il retrace rapidement l'histoire du pays avant l'occupation
française, et fournit des notions sur l'orographie, l'hydrographie, la
géologie, le -climat, les productions, le commerce. Les cartes rendront
des services; par malheur les noms qui y figurent ne sont presque
jamais conformes à ceux imprimés dans le texte '. L'auteur qui a
écrit l'un et dessiné les autres, aurait dû adopter une orthographe et
s'y tenir.
Le sujet choisi par M. Albin piquera la curiosité, car l'émotion
soulevée l'année dernière par l'envoi d'un navire allemand à Agadir,
I. Ex.: Oued el Meliah, Oued Neffifik, Sidi Djebli, Ouin er Rbea, Fedala. Sidi
Ahmed el Madjoub, Souk el Tnin, Rfakha dans le texte; et Ouled Meliah, Ouled
Nefifik, Sidi Jcbli, Oum er Rbia, Fedhala, Sidi Mohamed el Madjoub, Souk el
Tnine, Rafkra, sur la carte.
d'histoirk et de littérature 5j
n'est pas encore oubliée. M. A., dcbutant comme un romancier, nous
peint d'abord de pied en cap un diplomate germain que Ton considère
aussitôt comme le deiis ex machina. Ce n'est qu'un comparse. Ainsi
dès les premières pages on a un avant goût d'un procédé cher à l'au-
teur qui se complaît particulièrement aux portraits politiques. S'il ne
réussit pas toujours dans cet art difficile, il y rencontre du moins l'oc-
casion de fournir des renseignements précis sur maints personnages.
Après avoir exposé comment éclata l'affaire d'Agadir, il jette un coup-
d'œil sur le passé, et résume l'histoire des relations de la France et
de l'Allemagne depuis 1870. II se borne à en tracer les grandes lignes,
mais comment peut-il passer sous silence la politique astucieuse de
Bismarck pendant les événements de 1882 et la crise égyptienne? A
partir de la conférence d'Algésiras, il entre dans les détails. Il n'ap-
porte pas de révélations sensationnelles, mais explique clairement ce
que furent l'accord du 8 février 1909 et les différentes combinaisons
financières imaginées pour adoucir l'Allemagne en associant ses
nationaux à l'exploitation économique du Maroc, du Congo, et même
des gisements miniers de l'Ouenza en Algérie. Selon M. A. la mau-
vaise humeur teutonne fut excitée par l'échec de ces différentes com-
binaisons, échec en grande partie imputable au cabinet Monis qui
s'appliqua constamment à prendre le contre-pied de la politique du
cabinet Briand. Pourtant MM. Caillaux et Messimy, qui paraissent
avoir usurpé la direction principale des affaires étrangères, cherchèrent
à leur tour des combinaisons de nature à satisfaire Berlin; et c'est ici
que M. A. place la première intervention dans la coulisse du fameux
M. Pondère, négociateur secret de M. Caillaux. Dans le commentaire
d'événements aussi récents, il n'est pas toujours aisé d'échapper aux
passions des partis, et il faut louer M. A. de ses efîoris manifestes pour
rester impartial ; il tente de ne pas se montrer trop dur pour M. Cail-
laux, et cependant il ne peut s'empêcher de rendre justice à M. de
Selves, ce qui revient à condamner la conduite du président du con-
seil. Quant à la convention du 4 novembre 191 1, M . A. n'ose la con-
sidérer comme le prélude de la liquidation de la querelle franco-
allemande, et l'expérience acquise dans ces dernières années légitime
sa prudence. A la tin de l'ouvrage l'auteur insère cette convention
avec les pièces annexes ; il y joint les passages de la convention franco-
anglaise du 8 avril 1904 relatifs au Maroc, le traité secret et l'accord
secret franco-espagnols des 3 octobre 1904 et i" septembre 1905. Il
faut le remercier de réunir ainsi des pièces capitales difhciles à décou-
vrir dans le fatras des journaux et publications ofhcielles.
Maintenant quelle est la valeur de l'ouvrage de M. A.? Il cite ses
sources : ce ne sont en résumé que les discours et les rapports pro-
noncés devant les différents parlements, les articles et nouvelles
publiés dans les feuilles officieuses. Çà et là, il laisse entendre que
tel fait, telle tendance lui ont été signalés par des personnages bien
58 REVUE CRITIQUE
renseignés, mais il ne les nomme pas. 11 n'a cvidcmmcni pas eu
communication des noies, dépêches, lettres destinées à demeurer
longtemps encore enfouies dans les archives secrètes. Son livre n'a
donc pas de valeur documentaire; mais ne serait-il pas vain de lui en
tenir rigueur? M. Albin nous donne tout ce que nous étions en
droit d'exiger de lui : un précis clair et intéressant de cette troublante
artaire, autant qu'on peut la connaître pour le moment.
M. de Lécussan est un adversaire convaincu et ardent de toute notre
politique marocaine. Il y voit une déchéance de la France. Pour
démontrer que notre pays a été le premier au Maroc, il glane chez
les vieux chroniqueurs et aussi dans les vieilles chartes toute une
série de faits épars dans notre histoire nationale de Charlemagne à
M. Thiers. 11 conte tout cela dans un style imagé et truculent qui ne
messied pas à certaines de ces aventures dignes des chansons de geste.
Mais quand il aborde les événements contemporains, on est surpris,
choqué par ses violences, ses intempérances de langage. Il confesse
que « l'amertume bouillonne dans l'écritoire », et son raisonnement,
pour être excessif, n'en contient pas moins une part de vérité.
L'Angleterre nous a cédé le Maroc, qui ne lui appartenait pas, contre
des concessions très réelles en Egypte, à Terre-Neuve et ailleurs.
L'Allemagne, alléchée, a réussi un marché analogue, et les morceaux
qu'elle nous a arrachés seront peut-être les premières assises de l'em-
pire africain qu'elle rêve de construire à nos dépens. L'Espagne se
refuse à partager les frais de l'entente franco-allemande, et pourtant si
nous avions évacué Fez, Casablanca, Oudjda, elle aurait dû, elle, aban-
donner El-Kçar, Larache, le Rif. « 1902, 1904, iqoS, 1906, 1907, 1909,
191 1. Duperie à sextuple détente »! Telle est la conclusion de l'au-
teur. Nous avons payé très cher pour un Maroc internationalisé où
nous n'aurons qu'un rôle, « celui du bon gendarme, peu ou point
payé, mais comblé de considérations internationales ». Au fond M. de
Lécussan n'a pas si grand tort.
A. BiovÈs.
FiDAO-JusTiNiANi. Pierre Leroux. 1912, iii-i6,63 p. o fr. 60.
Jules Gay, Le mouvement démocratique et les catholiques français de 1830
à 1880. 19 12. In-8", 64 p. o t'r. 60.
Dans la petite collection Science et Religion que publie la librairie
Bloud, la série intitulée « Philosophes et penseurs » s'est augmen-
tée récemment d'un fascicule consacré à Pierre Leroux, et dû à
M. Fidao-Justiniani. C'était d'abord un article demandé à l'auteur
par Brunetière pour la Revue des Deux-Mondes, où il a paru en 1906.
Bien que « remaniée et mise au point », l'étude de M. F. ne paraît
pas pouvoir rendre beaucoup de services comme ouvrage de vulgari-
sation ; la partie biographique est presque absente, la partie historique
réduit l'œuvre de Leroux à trois idées (réfutation de l'éclectisme,
d'histoire et de littérature 5q
nécessité d'une synthèse religieuse et religion de la solidarité) qui
pourraient être exposées plus clairement, et la conclusion est plus
polémique que critique.
Dans la série « Questions historiques >>, M. Jules Gay a réuni sous
le titre ; Le Mouvement démocratique et les catholiques français de
i8So à iiSSo quatre conférences populaires faites par lui en 1910 et
qui pouj-raient être un modèle du genre. Elles ne visent ni à l'origi-
nalité, ni à la profondeur; mais l'information est suffisante, }e plan et
le style parfaitement nets et intelligibles pour le lecteur le moins cul-
tivé, et les appréciations paraîtront pleines de modération et d'équité
à tous les lecteurs de bonne foi, même à ceux qui ne partagent pas les
convictions de l'auteur.
R. G.
Henri de Curzon. Un théâtre d'idées en Espagne. Le théâtre de José Echega-
ray. Elude analytique. Paris, Fischbacher, 1912, In-8", 144 p.
De même que Guthner dans son travail sur Calderon, de même
M. Henri de Curzon, dans cet utile travail sur José Echegaray, a
voulu faire simplement une « étude analytique ». Il laisse à d'autres
les fioritures de l'essai littéraire et critique, d'un essai qui, en somme,
— sur un écrivain que nous ignorons tous — ne nous apprendrait
rien. Il nous fait connaître l'œuvre d'Echegaray; il analyse ses
soixante drames ou comédies selon l'ordre chronologique ; il accom-
pagne chaque analyse d'une courte appréciation et d'une brève notice
sur le succès obtenu par la pièce... et à nous de conclure. Et nous
conclurons avec M. H. de Curzon, que ce théâtre, surtout documen-
taire, mérite d'être étudié comme document ; qu'Echegaray — homme
de science et homme politique — est, avant tout, un observateur;
qu'il fait mouvoir trop souvent de pures abstractions ; qu'il a toutefois
beaucoup d'imagination et d'audace '.
A. Chuquet.
Hector Fleischmann, Le quartier général de Napoléon à Waterloo. Paris, Les
amis de Waterloo, 56, rue Michel-Ange. 1912. In-8°, Sg p.
Le soir du 17 juin 181 5, Napoléon établit son quartier général à la
ferme du Caillou. C'est sur cette ferme que M. Fleischmann nous
donne tous les renseignements qu'il a pu recueillir (notamment d'après
une brochure rarissime de Boucqueau, fils du propriétaire d'alors). Il
réfute en passant une légende qui place ailleurs, dans la chaumière du
jardinier Aubry, le séjour de l'Empereur, et il publie quelques docu-
ments : l'état estimatif des pertes que Boucqueau prétendit avoir
I. La pièce El Gladiator di Ravena, composée en trois jours, est évidemment
insignifiante ; elle ne nous otiVe qu'une imitation de l'allemand ; soit dit en pas-
sant, l'auteur allemand s'appelle Halm et non Hahn, et il faut lire sans doute
(p. 20), non pas le grand Teutobiirg, mais le vainqueur de Teutoburg.
6o REVUK CRITIQUE d'hISTOIRK ET DE LITTÉRATURE
cssuvces (Boucqueau évaluait ces pertes à 38,ooo francs), Fannonce
de la vente du CaiIKtu à la lin de i8i(j, l'acte de vente de la ferme, ce
que devinrent les meubles du logis, l'hisKjire de la voiture de Napo-
léon perdue à Waterloo. On lit avec intérêt le récit des destins du
Caillou : détruit en i8i5, vendu par Boucqueau au sieur Aubry qui
le rétablit tel qu'il était auparavant et en lit un estaminet, passé aux
mains du garde particulier Désiré François, il fut acquis en 1869 par
l'architecte Coulon qui le suréleva d'un étage et en iqoS par la com-
tesse de Villegas qui a transformé la chambre où coucha Napoléon en
un « émouvant musée », en « un vaste et silencigux reliquaire que gar-
nissent des armes, des estampes anciennes et où, dans un cercueil de
verre, un grognard dort le suprême sommeil. Il est là qui dort nu, le
soldat de l'ancienne guerre, parmi les sabres retrouvés, les boulets
déterres, les obus perdus. Attend-il son heure pour se réveiller au
grand coup de clairon triomphal des résurrections, empoigner le tron-
çon de l'épée et courir au rendez- vous des fantômes de la plaine? »
A. Chuquet.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance dit 5 juillet ig.12. —
M. Antoine Thomas donne des indications sur cjuelques gloses relevées par
M. J. Loth dans un ms. de Sedulius conservé à la Bibliothèque d'Orléans sous le
n» 3o2 et que M. Lindsay avait signalé à M. Loth. 11 y a là neuf gloses bretonnes
inédites et quelques autres gloses dont l'apparentement linguistique reste à
déterminer. Le mot critx se trouve sous la forme crox, ce qui concorde avec les
formes diverses des idiomes celtiques qui remontent toutes à un o et non à un 11.
M. Cordier rend compte de l'inauguration du monument éle\'c à la mémoire
du D"" Hamy, à Boulogne-sur-Mer.
M. Heuzey fait une communication sur Pline et les'astrologues chaidéens. Pline
l'ancien donne les noms de trois collèges ou sectes astrologiques de l'ancienne
Ghaldée. Ces noms, d'apparence grecque, sont de l'époque des Séleucides; mais
leur forme hétéroclite, due en partie au mauvais état des manuscrits, les rend
difficilement explicables. M. Heuzey propose, sous toutes réserves, plusieurs cor-
rections, qui tendraient à les rattacher à divers systèmes d'orientation adoptés
par les astrologues chalde'ens, certaines sectes se tournant vers le midi et obtenant
ainsi l'Orient moyen, d'autres vers le soleil levant qui leur donnait un Orient
moyen, d'autres enfin établissant leur orientation par des calculs et des traces
graphiques. — MM. Dieulafoy et Bouché-Leclercq présentent quelques observations.
M. Joulin lit un mémoire sur les âges protohistoriques dans l'Europe barbare. .
Selon lui, aux vi« et v"' siècles, la civilisation du Haiistatt s'est répandue dans toutes
les contrées de l'Europe centrale et occidentale avec des types industriels com-
niuns, d'autres qui varient suivant les contrées et des emprunts de diverse nature
faits aux civilisations supérieures. La distribution géographique de nombreux
établissements de toute sorte créés à cette époque appuie la thèse de D'.\rbois de
Jubainville sur l'étendue de l'empire celtique. Au commencement du iv« siècle, la
civilisation de la Tène s'est substituée à celle du Haiistatt dans toutes les contrées
halstattiennes. Elle est caractérisée par de nouveaux types industriels communs,
par d'autres qui varient d'un pays à l'autre et par des emprunts de diverse
nature faits à la civilisation hellénique. C'est dans la péninsule hispanique et
dans le Sud de la Gaule que l'influence hellénique a été la plus grande. —
MM. Salomon Rcinach, .Pottier, Perrot et Dieulafoy présentent quelques
observations.
Léon Dorez.
L'imprimeiir-gérani : Ulysse Rouchon.
LE PUY-EN-VELAY. — IMPRIMERIE PEYRILLER, ROUCHON ET GAMON.
REVUE C K lï ! Q U E
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 30 — 27 juillet. — , 1912
Ch. MiciiKi,, Recueil d'inscriptions grecques, Supplément, I. — Latouche, Mélan-
ges d'histoire de Cornouaille. — Funck-Rrentano, Le Roi. — Caddat, La cathé-
drale de Tarbes. — Ward et Wallkr, Histoire de la littérature anglaise, VIII,
L'époque de Dryden. — Duff, Imprimeurs anglais. — Faguet, Les amies de
Rousseau. — Godard, Le procès du neuf thermidor. • — Gonner et Sadler, L'Al-
lemagne au XIX' siècle. — Houssave, léna. — Joseph Bonaparte, Lettres d'exil,
p. Fi.EiscHMANN. — Jackson, Watcrloo et Sainte-Hélène, trad. Brouwet. —
Saint-Léger et Lennel, Histoires de I-'landre et d'Artois. — Scriban, Orthogra-
phe roumaine. — Chambolle, Retours sur la vie. — Apelt, Fries et Hegel. —
Encyclopédie des sciences philosophiques, Logique, I. — Saintyves, La simu-
lation du merveilleux. — Liebmann, Kant et les Epigones. — Euckkn, Les pro-
blèmes de la philosophie. — Fedeles, Alison. — Terzaghi, Synesius. — Pages
choisies de Comte. — Bellangé, Spinoza et la philosophie moderne. — Grober,
Les tares des races. — Académie des inscriptions.
Recueil d'inscriptions grecques, pan Charles Michel. Supplément. Fascicule I.
Paris, Leroux, 1912, viii-i2i-3 p. in-S".
En 1896, M. Charles Michel a publié un Recueil d'inscriptions
grecques. Plus maniable et moins coûteux que la Sylloge de Ditten-
berger, le « Michel » est devenu le livre de travail dans tous les sémi-
naires d'épigraphie. Mais le choix avait été un peii trop limité.
Depuis 1896, bien des textes utiles ont été mis au jour. M. Michel
entreprend de compléter son volume par un second. Dans le premier,
il suivait un ordre logique. Dans le second, il suivra un ordre géo-
graphique. Nous avons dans ce premier fascicule les inscriptions de
l'Attique. Elles sont classées d'après les rubriques du premier
volume. On y remarquera deux textes inédits, un fragment du décret
déjà connu pour le poète comique Amphis (n° 1468 C) et un décret
des Paraliens, de la seconde moitié du iv^ siècle, dont la stèle a été
rendue par les fouilles sous-marines de Mahdia (n" i5i7) ; les publi-
cations antérieures ont été dépouillées avec un soin admirable. Aussi
ce fascicule supplée heureusement le Corpus. On y trouvera des
textes tout récemment publiés [n"'' 1459, 1479, 1483, 1497, i5i4,
etc.). Le commentaire se borne le plus souvent à discuter la lecture;
cependant il contient aussi des renseignements sur des points très
particuliers et paraît un peu plus fréquent que dans le Recueil. Beau-
coup de restitutions sont dues à des amis de l'auteur, surtout à
M. A. Wilhelm, de Vienne. Quand la restitution est de M. Michel,
Nouvelle série LXXIV 3o
62 REVUE CRITIQUE
aucune indication n'est faite, ce qui peut tromper à première vue ; car
il faut savoir l'histoire de chaque inscription pour reconnaître la part
de M. Michel. Cette part est considérable. On pourra s'en convaincre
en examinant les n°'' 1446, 1447, 1458, i528, i56i, i562, etc. Le
supplément est tout à fait digne du Recueil, dont l'éloge n'est plus à
faire.
André Flamand.
Mélanges d'histoire de Cornouaille (v-xi' siècle), par Robert Latouche...
Paris, H. Champion, 191 1. In-8» de 12.S pages. (Bibliothèque de l'École des
Hautes-Études, 192» fascicule.)
L'étude critique très serrée que M. Robert Latouche a rédigée sur
quelques-uns des plus anciens textes de l'histoire de Cornouaille,
présentés par le Cartulaire de Landevenec, a eu pour résultat de
reconnaître les quelques documents qui doivent être tenus pour
authentiques et de bien marquer les faits très rares accomplis avant
le xi" siècle dont l'existence est certaine. A vrai dire, il ne reste pas
lourd : la vie de saint Guénolé, dont les récents historiens de la
Bretagne s'étaient inspirés pour leurs récits, est dépourvue, après
l'examen qui en est fait, de trop de valeur pour fournir des renseigne-
ments sur le saint lui-même et sur la fondation de l'abbaye de Lande-
venec. La vie de saint Idunet, écrite vers la fin du ix« siècle, ne vaut
pas mieux : ce personnage légendaire avait été identifié faussement
avec Ethbin, compagnon de Guénolé. Sera-t-on plus heureux avec les
chartes et notices que contient encore le Cartulaire de Landevenec,
écrit pour la partie principale dans la seconde moitié du xi« siècle?
M. Latouche, après avoir démontré l'authenticité, récemment con-
testée, de la donation de différentes églises et divers revenus par Alain
Barbe-Torte aux moines de l'abbaye (qSb-pSa), puis de la concession
aux mêmes par un certain Moïse d'un lieu appelé « Tref-Neuved » en
Broerec, expose comment ces deux actes ont servi à fabriquer les
faux, au nombre de trente-six, dont se compose à peu près le reste
du Cartulaire. Les vingt-trois actes où intervient le fabuleux roi
Grallon sont à rejeter entièrement. M. R. Latouche indique avec
précision par quels procédés le faussaire les a composés. En résumé,
après cette critique sévère, il faut se résigner à ne plus savoir grand'-
chose sur l'émigration accomplie de Grande-Bretagne en Cornouaille
et sur les premiers siècles qui suivirent cet exode : trois pages suf-
fisent à l'auteur de ce volume pour noter tout ce qu'il faut considérer
comme certain.
L.-H. Labande.
L'Ancienne France. Le Roi, par Frantz Funck-Brentano. Paris. Hachelte et C',
1912. In-8° de 400 pages.
M. Funck-Brentano a mis comme épigraphe à son livre les paroles
d'histoire et de littérature 63
de M" F. Labori sur la monarchie française, qui avait reçu en dépôt
« la grandeur, la gloire, la puissance et la majesté nationales » et sur
la joie « noble et salutaire » qu'on éprouve à saluer cette institution
morte, qui a « si longtemps gardé le patrimoine commun de la gran-
deur française ». C'est celte joie que veut susciter en nous l'auteur du
livre sur le Roi. Il y a réussi, car son ouvrage est du plus haut inté-
rêt, on prend un goût très vif à le lire et on y retrouve le charme qui
caractérise les autres publications de M. Funck-Brentano.
Il développe cette idée qu'au milieu de l'anarchie des x'' et xi* siè-
cles, la nation française s'est créée avec la royauté ; le roi, représen-
tant l'ordre, la paix, la justice, attirait à lui tous ceux qui souffraient
et qui avaient besoin de protection. Mais, d'autre part, il vivait au
milieu de sa famille naturelle, avec ses clients ou nourris, ses fidèles,
ses serviteurs, il exerçait une autorité paternelle absolue sur cet entou-
rage. Quand son pouvoir s'agrandit, quand ses domaines s'accrurent,
il ne perdit jamais ce caractère de père de famille, il garda ses attri-
butions du premier jour, le rôle de ses serviieurs et de ses conseil-
lers intimes s'éleva jusqu'à devenir une institution d'Etat. Jusqu'aux
derniers temps de la monarchie on retrouve cette conception primi-
tive que les sujets du roi sont sa grande famille, qu'ils ont à toute
heure le droit de le voir et de recourir à lui. Lui-môme peut dispo-
ser de leurs personnes et de leurs biens ; de lui seul découle la jus-
tice, les intendants des provinces sont les régisseurs de ses propriétés,
etc. Il a un pouvoir absolu sur tout et sur tous, il ne dépend de per-
sonne, il est aussi le représentant de Dieu sur la terre. Cependant,
même le plus mauvais a une haute conception de ses devoirs, il sait
qu'il ne sera pas damné s'il ne forfait pas à la justice et s'il a pitié du
pauvre peuple. En fait, son absolutisme est tempéré, soit par la tra-
dition et la coutume, soit par les libertés et franchises locales, soit
par l'indépendance que gardent ses représentants, même les procu-
reurs nommés par lui auprès des iribunau.'c, soit par l'initiative que
prennent ses conseillers, secrétaires d'Etat, ministres, dont les charges
sont héréditaires; même cet absolutisme est tellement limité, que la
royauté arrive à n'être plus qu'un pouvoir représentatif, le roi qu'une
solennelle image vénérée et contemplée par la foule.
Il est impossible d'indiquer ici en quelques lignes les idées que
développe M. F"unck-Brentano, dans une série de chapitres, plus
séduisants les uns que les autres. Son livre commence par l'exposé
des violences de toute sorte qui troublaient la société à l'avènement
des Capétiens, il se clôt par le récit de la grande peur qui saisit pres-
que toute la population française quelques jours après la prise de
la Bastille, présage de la chute prochaine de la royauté. Le roi venant
à manquer, la France tremble sur ses bases. De même les régences
avaient été marquées par des agitations pénibles.
Je ferai peut-être la remarque que parfois le tableau est trop beau,
64 REVUE CRITIQUE
par exemple quand lauieur déclare que les gens du xvii« et du
xvMi" siècle payaient beaucoup moins d'impôts que nous. Ce serait à
vérifier, mais en admettant que ce soit vrai, combien ils pesaient plus
lourdement, que de misères entraînait le système adopté pour leur
perception 1 A cet égard, il me paraît que notre condition actuelle est
bien préférable.
L.-H. Labandk.
Monographie de la cathédrale de Tarbes, par Louis Caddau.... Paris, H. Cliam-
pion ; Tarbes, J. l.csbordes, 1911. In-8" de 224 pages.
Dans sa monographie sur la cathédrale de Tarbes, M. Caddau a
présenté des renseignements techniques très précieux sur les rema-
niements opérés depuis la fin du xiT siècle dans les différentes parties
de ce monument. Malheureusement, son livre pêche par la compo-
sition et n'est pas d'une consultation aussi facile que Ton souhaiterait.
La partie historique ne paraît pas suffisamment étudiée; je sais bien
qu'il n'existe plus guère de documents sur la cathédrale, mais il me
semble que ceux qui ont subsisté auraient pu être examinés d'un peu
plus près et surtout mieux coordonnés. M. Caddau, en sa qualité
d'architecte des monuments historiques, était tout à fait qualifié pour
donner une description archéologique parfaite; mais, je ne sais com-
ment, on n'arrive pas, en le lisant, à avoir rapidement une idée nette
des principales époques qui ont marqué leur empreinte sur l'édifice.
Il emploie aussi des termes qui ne sont plus de mise, par exemple il
continue à appeler ogive l'arc en tiers point des fenêtres. Il a aug-
menté les pages de son volume par des hors d'oeuvre qui auraient pu
être laissés de côté, comme tout le chapitre sur les chanoines et les
évêques concordataires.
Malgré cela, je reconnais sans peine que son livre restera pour les
constatations techniques qu'il a été à même de faire et pour l'indi-
cation des travaux de restauration qu'il a conduits en grande partie.
Assurément, la cathédrale de Tarbes n'est pas un monument bien
merveilleux; elle méritait pourtant qu'on s'en occupât : plusieurs des
remarques faites par M. Caddau (notamment au sujet de ia construc-
tion des piles de la coupole) avaient besoin d'être consignées. C'est
maintenant fait.
L.-H. Labande.
The Cambridge History of English Literature, edited by A.-W. Ward and
A.-R. Waller, vol. VIII (The Age of Dryden), Cambridge, University Press,
1912, in-8", 5 I 5 pp., 9 s.
Le huitième volume de la monumentale histoire littéraire qu'édite
l'Université de Cambridge comprend seize chapitres sur une époque
où trois ou quatre noms seulement se détachent, ceux de Dryden, de
Butler, de Locke, peut-être de Congreve. C'est dire que les auteurs
d'histoire et de littérature 65
secondaires sont étudiés avec une aitcntion minutieuse. On a profité
aussi de ce que Tcpoquc manquait un peu de grandeur pour revenir
en arrière et combler les lacunes des volumes précédents, d'où un
chapitre sur les quakers qui aurait dû se trouver au septième tome et
une étude sur les légistes dont l'auteur remonte aux lois d'Ethelbert,
Deux grands faits dominent l'époque de la Restauration : l'influence
de la littérature française et l'avènement de l'esprit scientifique. Ils
sont tous deux exposés de façon fragmentaire ou insuffisante. .Ainsi
le professeur Schelling analyse au chapitre V la part de Molière dans
le théâtre de la Restauration, à M. Bartholomew est échue la tâche de
parler au chapitre VII de Corneille en Angleterre, enfin M. Tilley,
dans le dernier chapitre, parle de Boileau et des critiques. Ce que
le docteur Shipley dit du progrès des sciences est sans doute intéres-
sant et exact, mais ce n'est pas tout à fait ce qu'on attendait. Le tra-
vail curieux qui s'accomplissait dans les esprits sous l'empire de ces
nouvelles préoccupations, il n'en parle pas. Il agit à la façon d'un
historien de la littérature au xix'^ siècle, qui, se bornant à raconter la
vie de Darwin, ne songerait pas à déterminer l'action des théories
darwiniennes sur la pensée contemporaine. Pas un mot non plus sur
les rapports entre l'esprit scientifique et le latitudinarisme ; des allu-
sions seulement au problème de l'autorité ; rien sur l'exégèse biblique.
On sent l'inconvénient de la méthode suivie par les auteurs de
cette compilation Les éditeurs ont fait appel surtout à des spécia-
listes qui se sont consacrés à l'étude de telle période, de tel genre,
de tel auteur. Les volumes d'essais composés dans ces conditions
ont les qualités d'excellentes analyses, on n'y cherchera pas la moindre
tentative de synthèse. — Ajoutons quelques remarques de détail faites
au cours de la lecture : p. i8o, la traduction du Cid par Rutter est
représentée devant Charles L'' et la reine Henriette « avant lôSy »;
p. 371, la date donnée est i638, « un peu plus d'une année après la
publication en France ». Or la la version de Rutter est du 26 jan-
vier i63j (vieux style), lire par conséquent 16 38, et corriger la date
de la représentation donnée p. i8o-, p. 262, lire « the chevalier de
Gramont » ; p. 354, le chimiste en question s'appelait Le Febure ;
p. 385, pourquoi Pierre Antonius Motteux? il fallait dire Antoine;
p. 445, ajouter qu'un manuscrit de la pièce de Rochester est à la
Bibliothèque nationale, la pièce aurait été imprimée à Anvers en
1684; p. 5o6, ajouter à l'index, Motteux P. A. 433; on consul-
tera avec fruit la bibliographie des œuvres de Dryden due à M. H.-B.
Wheatley, elle comble une lacune ; en revanche la bibliographie du
chapitre XIV est indigente, le catalogue des œuvres imprimées de
Locke s'arrête aux Lettres publiées par T. Forster en i83o, les deux
volumes de Lord King ne figurent qu'à litre de biographie, aucune
mention n'est faite de la publication, récente celle-là, des Lettres à
Tliqynard, des Lettres à Grcevius, les fragments publiés par H. Fox
66 REVUE CRITIQUE
Bournc et par A.-C. 1^' raser sont passes sous silence, il manque enfin
une indication sur les lettres, etc., encore manuscrites qui sont nom-
breuses; la bibliographie des ouvrages critiques, commentaires, etc.,
est volontairement incomplète, nous n'y insisterons donc pas; à la
bibliographie du chapitre XV il manque le livre de Lecky ; p. 454, il
fallait rappeler le thèse de M. F. Grenslet sur Glanvill ; si l'on songe
que les éditeurs ont ajoute au volume une page de corrections, on se
persuadera qu'il faut une deuxième édition pour mettre au point cet
ouvrage. — En terminant, félicitons M. Whibley d'avoir tenté une
réhabilitation de Rochester : il v avait là de quoi amuser un ironiste.
Ch. Bastide.
E. Gordon Diff, The English Provincial Printers, Stationers and Bookbin-
ders to 1557. Cambridge, Universiiy Press, iiji2, iii-18, i31i pp. 4 s.
Ancien professeur de bibliographie à l'université de Cambridge,
M. Gordon Duff connaît admirablement l'histoire de l'imprimerie en
Angleterre. Aussi a-t-il étudié dans une série de conférences (San-
dars Lectures) faites en 191 i, les premiers imprimeurs établis dans
les provinces. La première conférence est consacrée aux imprimeurs
d'Oxford, la seconde à ceux de Saint-Albans, York, Hereford, la troi-
sième à ceux d'Oxford ideuxième époque) et Cambridge, la quatrième
à ceux d'Ipswich, Canterbury, Exeter, etc. Les renseignements qu'il
apporte, inédits pour la plupart, sont du plus haut intérêt. On se
persuadera à parcourir ce petit livre si plein de faits, que les presses
anglaises sont restées longtemps tributaires de nos presses de Paris
et de Rouen. Remercions M. G. D. d'avoir apporté sa pierre au
monument qu'on doit élever à la mémoire de François Regriault, de
Goupil et de leurs moins illustres confrères. Quatre illustrations —
documents bibliographiques précieux — accompagnent le texte et le
complètent. On consultera avec fruit les appendices.
Ch. B.
Faguet (Emile). Les amies de Rousseau. Paris, Sié fr. d'imp. et de libr. [1912].
In-80 de 425 p.
M. F. étudie MM''* de Warens, de Larnage, d'Épinay, d'Houdetot,
de Verdelin, de Luxembourg, de Créqui, de Boufflers, de la Tour,
et quelques autres, note les caractères divers de ces liaisons, l'in-
fluence qu'elles ont eue sur la formation de son caractère. C'est
d'elles, dit-il par exemple, qu'il avait appris que toute personne qui
s'intéressait à lui était tenue de le défrayer; je crois que Rousseau
était prédisposé à le penser, vu qu'il avait en lui le germe de la servi-
lité comme celui de la fierté; Saint-Marc Girardin disait spirituelle-
ment à propos de lui qu'un homme de cœur peut devenir l'esclave de
celle qu'il aime, mais non son domestique ; Jean Jacques était orgueil-
d'histoire et de littérature 67
leux faute de dignité. On remarquera en levanche la hardiesse péné-
trante avec laquelle M. F. discute son témoignage sur la complexiou
de M""" de Warens, la manière dont il explique pourquoi il fut aimé
des femmes, et surtout depuis la Nouvelle Héloïse. Les lecteurs les
plus superficiels seront cette fois obligés de reconnaître à la précision
du détail qu'il serre les faits comme un érudit et que les personnes
même obscures l'attachent, à l'occasion, autant que les idées; on
verra d'ailleurs par la préface que les découvertes des fureteurs ne lui
échappent pas et qu'il sait les provoquer. Les gens qui savent le
mieux leur xvm'' siècle trouveront à ses citations l'attrait de la nou-
veauté.
Rousseau, il est vrai, ne sort pas grandi de son enquête; sans
doute, à certains égards, on l'y voit meilleur que ses contemporains;
sa gourmandise, comme le dit M. F., n'est pas la goinfrerie de Dide-
rot; il est moins intrigant que Voltaire (que M. F. a le tort d'appe-
ler un scéléi'at) ; mais J. J. n'a rien gagné à vivre avec ces femmes
plus généralement encore dissolues que spirituelles ; quelques-unes
ont eu pour lui une affection sincère, point sensuelle ni calculatrice,
car ces grandes dames soignaient les auteurs plus qu'elles ne les
courtisaient et, dans ce cas, M. F. le fait valoir avec une charmante
délicatesse ; mais au total c'était un vilain monde, si vilain que quand
M. F. v rencontre une femme qui n'a eu qu'un amant, il est tout près
de la tenir pour honnête, oubliant la noble et victorieuse défense
qu'il a prise ailleurs de la vraie morale contre la morale des conces-
sions à la pluralité.
Pourquoi ne nous peindrait-il pas dans leur iniiniité ceux de nos
grands écrivains qui ont eu un foyer respectable, dont les faiblesses ne
furent que des folies de jeunesse ou, si l'on veut, des manteaux de
cour qu'ils laissaient à la porte de leur maison? Il n'y a pas pour lui
de sujets rebattus; ce livre en est une nouvelle preuve. Sa critique
demeurerait, on peut en être sûr, libre et perspicace, et cette fois
viendrait en aide à sa philosophie politique.
Charles Dejob.
André Godard, Le procès du neuf thermidor. Paris, Bloud, 191 2, xxxii et
?26 pages in- iG.
Jamais encore depuis Louis Blanc et Ernest Hamel, Robespierre et
son groupe n'ont été jugés avec plus d'intelligente sympathie que par
l'auteur de ce livre qui est un démocrate chrétien. M. Godard a été
séduit par ce qui fut l'essentiel dans la vie de Robespierre, l'apostolat
moral et social, la poursuite du bien public. Il a été non moins vive-
ment frappé par la laideur de ses adversaires, le crime de ses vain-
queurs. Et il s'est dit que le mot de Cambacérès à Napoléon : « Sire,
c'est un procès jugé mais non plaidé » était profondément vrai. Il
nous donne aujourd'hui ses premières conclusions qui seront suivies
6g REVDE CRITIQUE
d'auires : Robespierre n'a pas ctô Tauieur de la continuation de la
Terreur, la loi de prairial n'a fonctionné qu'aux mains de ses enne-
mis, c'est pour avoir voulu arrêter les boucheries qu'il a été renversé;
loin d'être un fauteur d'anarchie, il voulait organiser la république
pour la faire durer, etc. Sur tous ces points, je suis d'accord avec
M. Godard, j'ajoute qu'il a écrit des pages d'une haute inspiration
comme celles où il montre que les violences de l'époque révolution-
naire ne doivent pas en bonne justice retomber sur des individus iso-
lés, mais sur les groupes et les ambiances.
Mais M. Godard, écrivain nerveux et élégant, penseur probe, n'est
pas un historien de profession. Son livre n'est qu'une réunion d'ar-
ticles détachés où les répétitions abondent. Il ne soucie pas de la
chronologie et nulle part il ne nous donne un tableau d'ensemble de
la politique robespierriste. Ses références sont incomplètes, son infor-
mation parfois vieillie, d'où des jugements contestables.
Je crains que M. Godard se laisse emporter à son insu par ses par-
tis pris confessionnels quand il croit à l'influence prépondérante que
la franc-maconnerie aurait exercée sur les hommes et sur les choses
de la Révolution. S'il est certain que Robespierre se fît beaucoup
d'ennemis en s'opposant à la déchristianisation violente, si ce fut une
des raisons de sa chute, c'est une supposition toute gratuite d'imagi-
ner que la franc-maçonnerie a comploté sa perte. Lui-même était
probablement franc-maçon, mais M. Godard distingue les bons et les
mauvais francs-maçons 1 J'ai montré ailleurs ' que la politique reli-
gieuse de Robespierre n'eut rien de réactionnaire. Le philosophe chez
lui condamnait toutes les religions positives, le législateur consentait
à les laisser vivre provisoirement par opportunité et par nécessité
sociale.
M. Godard croit encore à l'ascendance britannique de Robespierre
(p. 189). Il attribue à Hébert un jugement que Robespierre a porté
sur Léonard Bourdon (p. gS), il admet la légende d'un Robespierre
qui excite la risée du barreau et se fait siffler à la Constituante pour
ses méchants discours (p. 192), il s'imagine faussement qu'il ne prit
aucune part à l'insurrection du 10 août dont il fut l'inspirateur et le
guide (p. 189), il situe en juin 1793 le célèbre discours de Danton sur
l'audace qui est du 2 septembre 1792, il se trompe quand il doute du
suicide de Le Bas et de celui de Robespierre % etc.
J'ai peine à admettre que Saint-Just et Payan aient été les mauvais
génies de Robespierre (p. 71), que Saint-Just notamment l'ait poussé
au terrorisme (p. i36). Enfin M. Godard n'a pas vu les véritables
1. Robespierre et la déchristianisation dans les Annales re'vohttionnaires, t. II
(1909), pp. 32i-5i3 ; Robespierre et le Culte de l'Etre suprême, ibid., t. III (1910),
pp. 209-238.
2. Voir à ce sujet Tétude de M. Aulard, Robespierre et le gendarme Méda, dans
Études et leçons sur la Révolution française, 1^" série.
d'histoire et de littérature 69
raisons de la brouille entre Robespierre et Danton. Les dessous
financiers de la Terreur lui échappent.
Quoi qu'il en soit, en dépit de ses lacunes, de ses erreurs, de ses
exagérations, ce livre, je le répète, est un ouvrage consciencieux et
sincère qui mérite de retenir l'attention. Souhaitons qu'il ait bientôt
une suite.
Albert Mathiez.
Germany in the Nineteenth Century. Five Lectures by J. H. Rose, C. H. Her
FORD, E. C. K. GoNNER and M. E. Sadler. Manchester, University Press, 191 2,
In-8°, pp. 21 et 142. Sh. 2,60.
Il ne manque pas en Angleterre et en Allemagne de bonnes volontés
désireuses d'atténuer les malentendus qui s'élèvent entre les deux
pays. La publication du présent volume est due à une de ces louables
intentions et le nom de lord Haldane qui en a écrit la préface, symbo-
lise heureusement ce désir de conciliation. Les auteurs des cinq con-
férences dont le livre se compose se sont donc donné pour tâche
d'éclairer impartialement le grand public, après leurs auditeurs uni-
versitaires, sur le développement de l'Allemagne au dernier siècle.
M. Rose a présenté un aperçu fidèle et naturellement très bienveil-
lant de l'histoire politique et de la formation de l'Empire, et appelé
résolument l'œuvre de Bismarck « un gain pour l'Angleterre ». L'évo-
lution intellectuelle et littéraire a été traitée avec plus d'ampleur (deux
conférences ont été consacrées au sujet) et plus d'originalité par
M. Herford. Cette esquisse dans sa brièveté est intéressante et la
meilleure de toutes celles du recueil. Au lieu de se borner à une
sèche revue en suivant l'ordre chronologique, l'auteur a voulu déga-
ger les principes nouveaux qui lui ont paru avoir commandé au
xix*" siècle le développement de l'Allemagne en orientant ses poètes,
ses historiens, ses savants, ses philosophes dans des voies nouvelles :
l'amour de la science, le respect du fait, le sens du primitif et la
compréhension des origines, la notion d'évolution, le culte de l'idée,
telles ont été à ses yeux les sources génératrices des conquêtes de
l'Allemagne moderne. L'histoire de son développement économique
ne devait pas manquer dans ce livre ; c'est la question brûlante entre
les deux pays. M. Gonner l'a traitée sans parti-pris, en suivant surtout
Sombart, et il a bien caractérisé le passage d'une Allemagne agricole
à l'Allemagne industrielle de nos jours. Enfin la dernière conférence,
celle de M. Sadler, a été réservée à l'histoire de l'éducation ; il a fait
surtout un parallèle du développement pédagogique de l'Allemagne
et de l'Angleterre, avec de grandes louanges à l'adresse de la politique
scolaire de la Prusse et des regrets voilés pour la timidité que son
propre pays a mise à emprunter les bienfaits d'institutions modèles.
Ces courts aperçus auront le mérite de familiariser les lecteurs anglais
avec les titres de supériorité de leurs concurrents. Le but poursuivi
-O REVUE CRITIQUE
par les auteurs et le cadre étroit d'une oeuvre de vulgarisation leur
interdisaient les critiques ; ils auraient pu néanmoins, sans que l'éloge
perdit de sa valeur, indiquer quelques réserves '•
L. R.
H. HoussAYE, léna et la campagne de 1806. Introduction par L. Madelin.
Paris, Pcrrin. 1912, in-8-, i.xiir et 274 p., cartes, 7 fr. 5o.
I. L'historien de /cV/7 ci iS'i5 a voulu, avant de mourir, se don-
ner la consolation de raconter une des campagnes glorieuses de l'épo-
pée impériale. M. Madelin nous apprend comment Houssaye fut
amené à choisir celle de 1 806 qu'il considérait comme la page la plus
étonnante de nos annales militaires. Ce n'était pas un terrain vierge :
de nombreux écrivains français et allemands l'avaient déjà détriché ;
et après les savants travaux de Von Hôpfner, Lettow-Vorbeck, Von
der Goltz, Foucart et Bonnal, Houssaye ne pouvait songer qu'à com-
pléter, condenser ses prédécesseurs, et il se résigna à ne faire qu'une
œuvre de vulgarisation destinée au grand public.
Il a écarté de son récit à peu près tout ce qui n'appartient pas à
l'histoire militaire. Mais, s'il a consacré son premier chapitre aux pré-
liminaires de la guerre franco-prussienne, il a trop brièvement men-
tionné les causes de la rupture, et a passé complètement sous silence
la tentative de rapprochement entre la France et l'Angleterre. C'est la
perspective d'une paix possible avec Londres qui amena Napoléon à
vouloir reprendre le Hanovre aux Prussiens. Frédéric Guillaume III
n'avait accepté l'électorat qu'avec la plus mauvaise grâce et presque
par contrainte, mais il lui en coûtait maintenant de s'en dessaisir.
Houssaye aurait donc dû renoncer à exposer les causes de la guerre,
ou s'efforcer de les indiquer toutes en quelques pages.
Après nous avoir amenés à la veille des hostilités, Houssaye
esquisse le tableau de l'Etat major prussien, et insiste justement sur
la confusion qui régnait à Erfurt et à Weimar, et sur les discordes
intestines qui frappaient de stérilité toutes les combinaisons des
généraux ennemis. On regrettera qu'il nait pas connu directement la
relation de Gentz : elle lui aurait fourni des détails précieux sur ces
instants où le sort de la Prusse se préparait.
Houssaye est plutôt indulgent pour Brunswick, et, tout en blâmant
son indécision, il semble l'approuver d'avoir résolu un mouvement en
avant au lieu de chercher une position d'attente jusqu'à l'arrivée des
Russes. Pourtant, le jugement de Napoléon est tout opposé : « Le duc
de Brunswick est un sot général à mes yeux; il croyait que je serais
sur la défensive, et il prit l'offensive, «
I. Deux légers lapsus: p. xvii, Heine est mort en i856, non en /<*^.^/ : écrire
p. 21, iSgb, non i~g5.
d'histoire et de littérature 71
Les combats de Schleiiz et do Saalfcld, !a bataille d'Iéna sont pré-
sentés avec toute la concision élégante, la clarté et l'entrain qui firent
lesuccès de l'auteur. 11 laisse entendre que le 14 octobre, h 10 heures
du malin, si le prince de Hohenlohe, au lieu d'attendre Ruchel, avait
marché avec décision sur Vierzehnheiligen, il aurait eu une chance de
rendre la victoire douteuse. La faute commise par le général prussien
est manifeste ; mais qu'aurait-il pu contre les sages dispositions de
Napoléon? « Si Lannes avait été battu, explique l'Empereur, lu garde
aurait tenu assez pour donner à Soult et à Augcreau le temps de
déboucher <■>, et ainsi eut été réalisée de toute façon la manœuvre
conçue.
L'exposition de la bataille d'Auerstiidt est moins soignée. Hous-
saye s'est contenté trop souvent de consulter les travaux antérieurs,
sans remonter aux sources mêmes. De là quelques inexactitudes : par
exemple, il attribue la conduite coupable de Bernadotte à la haine et
à la jalousie qu'il nourrissait contre Davout ; c'est bien conforme au
caractère du prince de Ponte Corvo, mais Napoléon lui attribue un
grief particulier dans l'occasion : « Bernadotte voulait avoir la tête de
colonne sur Davout. » De plus, l'Empereur, à Sainte-Hélène, ne s'est
pas contenté de dire qu'il songea un instant à envoyer Bernadotte
devant un conseil de guerre, et il fallait citer ces mots vraiment
curieux : « J'aurais dû faire fusiller Bernadotte ; je me repens de ne
pas l'avoir fait, mais il est venu pleurer chez Berthier. »
L'auteur commet, en outre, quelques confusions gênantes : il place
(p. 127; le village de Hassenhausen à i5 kilomètres de Dornburg;
c'est de Naumburg évidemment. — Dans la longue note (p. 127-129)
où il discute la question de savoir si, comme Thiers l'afhrme, Davout
connaissait la présence de l'armée du roi et de Brunswick devant lui,
il y a des erreurs plus graves. Davout était le i3 à Naumburg, com-
ment aurait-il écrit à Berthier qu' « une reconnaissance faite à
10 heures du matin prouverait que l'ennemi occupe toujours léna et
qu'il rallie ses forces à Eckartsberga »? Berthier seul aurait pu ren-
seigner le chef du 3'' corps sur ce qui se passait à léna. — Plus loin,
dans la même note, Houssaye dit que Bernadotte, en agissant comme
il l'a fait, aurait commis un crime, s'il avait été averti de l'approche
vers Dornburg' de la principale armée prussienne. C'est encore vers
Naumburg qu'il faut lire.
Là s'arrête Houssaye, la mort ne lui a pas laissé le temps de racon-
ter la poursuite, de terminer ce qu'il appelait une bataille de trente-
neuf jours. Répétons-le, il voulait écrire un ouvrage de vulgarisa-
tion, et il s'est borné à résumer les auteurs militaires; il n'a, en somme,
rien apporté de nouveau. Si ce récit n'est pas indigne de son noble
talent etde son ardent patriotisme, il n'en restera pas moins toujours
l'auteur de iSi^ex de 18 15, et l'œuvre nouvelle n'ajoutera pas grand
chose à sa réputation.
72 REVUE CRITIQUE
II. Sur le désir de la famille et des amis du maître, M. Madelin
s'est chargé de pousser l'histoire de la campagne de Prusse jusqu'aux
capitulations de Blucher et de Kleist que Houssaye avait marquées
comme les bornes de son livre C'est une lâche ardue que de reprendre
la plume tiède encore d'un mort si regrette et si éminent. Comme
pour mieux montrer la difficulté, M. M. s'est appliqué à évoquer dans
son introduction la vie et l'œuvre de Houssaye. Dans sa chaude
amitié, dans sa vive reconnaissance, il a peint un beau portrait de
l'écrivain, de l'homme, du patriote.
Après les éloges mérités qu'il prodigue à son maître, il s'étonnerait
justement que l'on tente une comparaison entre eux, et si l'on ne peut
s'empêcher de regretter légèrement la forme claire, précise, concise
des premiers chapitres, on rendra néanmoins justice aux qualités du
continuateur. Le récit que fait M. M. de la poursuite, de la rafle de
l'armée vaincue, selon une expression qu'il affectionne, est vif à
souhait.
Il ne conçoit peut-être pas toute l'importance stratégique de cer-
tains mouvements, et il ne parle qu'incidemment du passage de l'Elbe
par les corps français. Napoléon tenait cette opération pour capitale :
« Si Davout ne s'était pas emparé du pont de "Wittenberg, les suites
d'Iéna n'auraient pas été aussi grandes. »
Il s'étend sur l'occupation de Berlin et sur les sentiments de la po-
pulation prussienne ; ne s'esl-il pas ainsi écarté du cadre tracé par
Houssaye?
Dans l'histoire même de la fuite éperdue on relève quelque flotte-
ment. Il écrit (p. 217) que Blucher se dirige vers le nord-ouest, igno-
rant la catastrophe de Prenzlow et comptant sans doute gagner Stet-
tin. C'est vers le nord-est que marche Blucher ; un simple coup d'œil
sur la carte le prouve.
Enfin, il y a dans l'orthographe des noms, des fautes, des varia-
tions qui trahissent beaucoup de négligence dans la revision des
épreuves '.
A. BiovÈs.
I. Lire au lieu de C^ar,Scharnhost, Warnliagen, Genty, Riichel, Blucher, Treil-
liard, Cotiroiix, Bia-ke, Mollendorf, Huffeland, Schiilembowg, Hœtickel, Meitiner,
Villiers, Koller, des Taillis,Tsar, Scharnhorst,Varnhagen, Gentz, Rûchel, Blucher,
Treillard, Conroux, Bourke, Mollendorf, Hufeland, Schulenbourg, Henckel, Môr-
ner, Villers, Kôhler, Dutaillis. Lire au lieu de Neufchdtel, Cospedaer, Ekavs-
berg, Wissensee, Holle, Wittinberg et Wittemberg, Tangermunde, Travemuiide,
Neuchatel, Cospeda, Eckarisberg, Weissensee, Halle, Wittenberg, Tangermunde,
Travemiinde. — P. 88 il n'y avait pas de corps Suchet. — p. 11 5, ne faut-il pas
lire plutôt : jet:^t ^u Kapellendorf ? — p. 1 18, pourquoi dire le Colimaçon au lieu
de la Schnecke ? — p. t35, il n'y avait pas de division Grange, mais une division
d'Orange. — p. i85, pourquoi accoler le nom de Hardenberg, même entre paren-
thèses, 2i\i.\ Mémoires diin homme d'état dont chacun connaît les auteurs? —
p. 204, peut-on dire assauter une ville ?
d'histoire et de littérature 73
Le roi Joseph Bonaparte. Lettres d'exil inédites, publiées par Hector Fleisch-
MANN, d'après les documents originaux appartenant à M. le baron de Mencval.
Paris, Charpentier et Fasquclle. 1912. ln-8», 317 p. 3 fr. 5o.
L'introduction du livre, très fouillée et faite avec soin, est consacrée
à « M. de Meneval et les Napoléon « ; M. Fleischmann retrace la
carrière de Joseph (j'aurais voulu qu'il cite ici le mot d'aménité qui
revient toujours dans les récits des contemporains lorsqu'ils nous
parient du caractère de Joseph) ainsi que celle de Meneval, puis, il
publie, en l'accompagnant de sommaires et de notes, la correspon-
dance des deux personnages de 1825 à 1844. Dirons-nous avec lui
qu'elle est « pareille aux conques marines où retentit le sanglot des
mers captives » et que « résonne ici le fracas lointain de l'Empire,
l'éclat de ses fanfares de gloire et comme l'écho même des grandes
vagues qui battirent le rocher d'où la légende napoléonienne, les
mains pleines de lauriers et de cyprès, s'élança vers l'immortalité des
mers humaines » ? En tout cas, ces lettres, d'ailleurs commentées avec
diligence et exactitude, nous renseignent sur le napoléonisme de
Joseph ; on le voit toujours désireux de servir la cause des idées napo-
léoniennes, écrire au duc de Reichstadt, suivre d'un œil attentif la
marche de l'esprit public en France, rassembler toutes les publications
qui traitent de l'Empire et de l'Empereur, protester contre Norvins
qui l'appelle le « faible Joseph », collaborer au recueil intitulé Bour-
vienne et ses erreurs, quitter les États-Unis pour s'établir à Londres
et, de là, non seulement défendre la mémoire de son frère, et répandre
la légende d'un Napoléon pacifique et libéral ', mais s'occuper de ses
neveux, du comte Léon (dont le beau-père de Meneval avait la
tutelle^) et de Louis-Napoléon dont il blâma les tentatives téméraires,
régler des différends de famille (notamment avec Caroline), etc. \
A. Ghuquet.
Lieutenant-colonel Basil Jackson. Waterloo et Sainte-Hélène, notes et souve-
nirs d'un officier d'état-major, édités par R.-C. Seaton. Traduit de l'anglais par
Em. Brouwet. Paris, Pion, 1912. In-8°, xxi et 280 p. 3 fr. 5o.
Ce livre méritait d'être traduit, et le traducteur nous semble s'être
fort bien acquitté de sa tâche; son Introduction est faite avec savoir,
avec goût, et il apprécie justement Jackson, l'auteur de ces Mémoires
1. K Vous savez, écrit-il à Meneval (p. 209), combien le culte de Napoléon doit
être fervent dans la postérité »; cette lettre est une des plus remarquables du
volume.
2. Voir la lettre 'p. 25i) où il rompt tous rapports avec Léon.
3. P. 42, l'éditeur est bien sévère envers Taine (« ces journaux anglais écri-
vaient l'histoire à peu près à la manière de feu M. Hippolyte Taine »); p. 11 3,
lire sans doute Mounier et non Monnier; p. 126 et r33, Maingarnaud et non Main-
gernaud; p. 137, ce Chambure doit être le Chambure du siège de Danzig ; p. 171,
Pozzo di Borgo est né à Alata et non à Alatre.
74 REVUE CRITIQl'E
republics on i()o3 par M. Scaton Ce Jackson ajoute à ce que nous
connaissons de Waicrloo nonibrc Je détails curieux ; il a porté, le
I 5 juin au soir, l'ordre de concentration ; il a vu, le 16, la (in du com-
bat ; il a, le 17, à Genappe, mis un peu d'ordre dans la retraite; il a,
le 18, accompagné Wellinj^ton ; il a, le 19, porté de nouveau un ordre,
celui de marcher en avant. Entre temps il s'est rendu deux fois à
Bruxelles et il dépeint les scènes de panique que provoqua la fausse
nouvelle du triomphe des Français. Il a fait un assez long séjour à
Paris et il assista, sur la place du Carrousel, à. Penlèvement des che-
vaux de Saint-Marc. Le passage le plus notable peut-être, dans cette
première partie de son récit, c'est le passage sur Wellington, suivant
de sa lorgnette les mouvements de l'ennemi, allant partout, et partout
rétablissant le combat, plein de confiance dans l'issue de la lutte et
montrant une grande assurance, mais avouant plus tard qu'il crut,
par quatre fois, la bataille perdue. A côté de Wellington se dessinent
quelques vaillants hommes, Barnes, Ellis, Lloyd, Picton, Torrens,
Uxbridge. Les Anglais ont, sans doute, toujours le beau rôle ; mais
Jackson n'a pas une grande sympathie pour les Prussiens qu'il nous
représente comme des pillards' et des voleurs. De Waterloo il nous
mène à Saint-Hélène où il suivit Lowe. Il parlait couramment le
français et il fut admis dans l'intimité des Bertrand, des Montholon et
même de Gourgaud ; mais Napoléon (dont il a dessiné un remarquable
portrait qui hgure en tête de ce volume) ne le reçut qu'une fois. Tout
ce qu'il dit de l'Empereur et de ses compagnons mérite d'être lu. C'est
ainsi qu'il juge Gourgaud « vaniteux et un peu fou « ; selon Jackson,
le général, après s'être tourné contre Napoléon, comprit qu'il ne
serait quelqu'un que s'il était avec éclat l'homme de l'Empereur et il
revint alors sur ses dires (p. igi et 196-197). Plus tard, en France,
Jackson a vécu chez Montholon, et ce dernier lui expliqua la politique
de Longwood, l'assura que même un ange descendu du ciel n'aurait
pu plaire comme gouverneur à Napoléon et à sa suite (p. 199)- Jack-
son fait naturellement un grand éloge de Hudson Lowe qu'il tient
pour un homme « sortant de l'ordinaire » (p, 249) et qui lui semble
avoir été la victime des gens de Longwood (p. 214). On remarquera
dans l'appendice l'adresse de félicitations et de remerciements votée
par la municipalité de Marseille à Fîudson Lowe quand les troupes
anglaises s'éloignèrent de la ville en 1 8 1 5 et le rapport de Jackson au
gouverneur lorsque Gourgaud quitta Sainte-Hélène '.
A. Chuquet.
Notre pays à travers les âges, Histoires de Flandre et d'Artois, recueillies
pai- MM. A. DE Saint-Léger et F. Lennel, préface de M. Peltier. Lille, Robbe,
191 2. In-S". 260 p. (avec gravures).
MM. de Saint-Léger et Lennel ont fait là un excellent recueil d'his-
I . P. 129 et i3o, lire Marchant et non Marchand.
d'histoire kt de littérature 75
loirc locale et les écoliers de Flandre et d'Artois qui le liront, sui-
vront ainsi les destins de leur pavs natal à travers les àg<îs. Les mor-
ceaux, courts, bien choisis, rangés selon Tordre chronologique ',
offrent une lecture facile et intéressante. Tous les aspects de la contrée
se présentent à nous. M. Demangeon inaugure le volume par un
tableau géographique et le termine par un tableau économique.
Chaque époque a sa part, et son caractère essentiel se dégage. Nombre
d'auteurs, les plus divers et les plus connus, ont eié mis à contribu-
tion : Giry (l'abbaye de Saint-Bertin, la Gilde de Saint-Omer), Van-
derUindere (la loi de Prisches), Henri Malo (le comté de Boulogne,
Jean-Bart), Luchaire (la bataille de Bouvines), Guy (Arras au
xin'' siècle), Richard (La comtesse Mahaut), Pirenne (la bataille de
Cassel, les iconoclastes), Lennel (Calais et Edouard III, Calais et le
duc de Guise), Saint-Léger (le vœu du faisan, les Hurlus), duc d'Au-
male (Lens, les Dunes), Sagnac (les classes sociales, les cahiers de
1789), L. Legrand (Senac de Meilhan), J.-A. Paris (Robespierre),
Chuquet (Wattignies), Lecesne (Arras sous la Terreur), Faidherbe
(Bapaume), etc., etc. Nous félicitons les éditeurs de ces Morceaux
choisis et nous souhaitons qu'il y ait partout en France de pareils
tableaux de la petite patrie et de semblables recueils où enfants et
hommes mûrs trouveront une suite de récits et de réflexions sur l'es-
prit de leur région, sur ses institutions, sur le rôle qu'elle a joué dans
les grands événements de l'histoire générale '. .
A. Chuquet.
A. ScRiBAN, Ortografia romîneasca. Jassy, I. V. lonescu, 191 2 ; in- 16 de 40 pages.
Dans cet opuscule où il expose comment on peut rendre d'une
façon simple et rationnelle les divers sons de la langue roumaine lit-
téraire, M. Scriban cherche à réagir contre les règles orthographiques
assez compliquées, et d'ailleurs pleines de contradictions, qui ont été
données en 1904 par l'Académie de Bucarest. Je crois qu'il a grande-
ment raison. Tout ce qui pourra faciliter l'accès de cette langue si
intéressante en soi, mais parfois un peu déconcertante, sera le bien-
venu. Ainsi, par exemple, pourquoi écrire tantôt i tantôt d {Romin ou
Roman) un son qui est identique dans tous les cas? L'adoption uni-
forme du signe /' est tout indiquée, et finira bien par s'imposer tôt ou
tard. D'autre part l'Académie n'a-t-clle pas commis un véritable abus
de pouvoir et même une sorte de falsification en recommandant d'or-
1 . Il ne faudrait pas abuser des points de suspension, ni même en user, et mieux
vaut donner à la jeunesse scolaire l'impression d'un récit continu et suivi.
2. Lire p. 272, d'Aoust et non d'Ai'oust. Dire p. 269, que Christine ne vint pas
« jouir des horreurs commandées par son frère » (François 11) ni « en\-oyer de sa
main quelques boulets rouges <> ; ajouter que son mai i était duc de SaKe-7'csclieii ;
une note était indispensable en ce passage ou bien il fallait, pour parer à l'erreur,
le supprimer.
76 REVUE CRITIQUE
ihographier dormiam une forme d'imparfait qui se prononce en réa-
lité lYormt'am? Ou encore d'écrire l'/o/z/ un adjectif qui se fait entendre
vioï? Sur tous ces points et sur bien d'autres, M. S. est absolument
dans le vrai : je le reconnais d'autant plus volontiers que les prin-
cipes ici préconisés sont en gros ceux que j'ai suivis moi-même, il y a
quelques années, lorsque j'ai eu à faire intervenir le roumain dans
mes Eléments de linguistique romane. Il y a pourtant un cas d'une
importance assez grande, à propos duquel l'auteur se montre plus
radical qu'on ne l'avait été jusqu'ici, et que je n'avais osé l'être moi-
même : c'est le cas des substantifs masculins en ii pourvus de l'article.
Puisque une ancienne forme omiilu a perdu successivement à la finale
d'abord u, ensuite /, pourquoi par une sorte de demi-mesure l'écrire
omul, et non pas omu qui s'opposerait suffisamment au substantif om
sans article? Et cette règle, M. S. a commencé par l'appliquer dans
son opuscule (sauf quelques exceptions, comme poporul au bas de la
p. 14, qui doivent être des coquilles typographiques) : il a pour lui la
logique, et sa façon de voir finira sans doute par l'emporter, mais non
sans quelques résistances sans doute, car on lui objectera peut-être
bien qu'après une telle réforme, si omu s'oppose encore suffisamment
à om, en revanche les mots du type socru n'auront plus rien qui dis-
tingue même à l'œil la forme articulée de l'autre. Je ne vois pas trop
pourquoi, se posant résolument en réformiste, l'auteur a conservé
dans son texte la graphie traditionnelle de pentru, puisque cette pré-
position, comme il le dit lui-même à la p. 27, se prononce soh pintru
en Moldavie, soii pintru dans une partie de la Valachie. 11 est vrai
que ceci nous amènerait à une question plus générale encore et plus
grave que les autres, la plus grave de toutes à vrai dire, et qui explique
dans une certaine mesure les hésitations orthographiques. Cette ques-
tion mettrait en jeu l'unité même de la langue roumaine littéraire,
parce qu'il y a en réalité pour la prononciation deux usages encore
parfois assez distincts, celui de la Valachie et celui de la Moldavie.
Lequel doit faire autorité? celui de Bucarest évidemment, et M. Scri-
ban, précisément parce qu'il réside à Jassy, n'a pas trop soulevé la
question : il m'appartient encore moins d'y intervenir. Quoi qu'il en
soit, il est à souhaiter que cette petite brochure, suggestive et nette, se
répande largement dans son pays d'origine, et qu'elle y attire l'atten-
tion sur des réformes qui sont devenues utiles — je dirais presque
nécessaires.
E. BOURCIEZ.
Chambole (A.), Retours sur la vie. Paris, Plon-Nourrit, 19 12, in-8" de iv-344p.
M. C. avait surtout écrit ces Mémoires posthumes pour lui-même
et pour sa famille, mais il a joué un certain rôle dans les affaires, il a
signé la protestation des journalistes en i83o, collaboré au National, I
d'histoire et de littérature ']']
dirigé le Courrier Français, le Siècle, l'Ordre ; il a longtemps siégé à
la Chambre; il comptait sous Louis-Philippe parmi les chefs de
l'opposition constitutionnelle et Louis Napoléon lui a fait l'honneur
de Tarrêter, puis de l'exiler, lors du Coup d"Etat. Il a donc su et vu
bien des choses. On le consultera utilement sur l'organisation du
National, sur le caractère de Carrel (p. 67-8, 91 -5), sur les suites du
trioniphe de la Coalition en 1839 (p. i 56-162), la jeunesse d'Auguste
Blanqui (p. 169-170), sur les variations de Lamartine, sur Balzac
(p. 188-190), Villemain (p. 206-7), Cousin (p. 207 sqq.), sur l'obsti-
nation de Louis- Philippe à refuser toute concession (p. 218-228).
Chambolle écrit sans éclat, mais avec une simplicité peu fréquente
chez les journalistes. Surtout, il règne dans tout le volume un air
de probité, de gravité qui concorde avec l'estime témoignée à l'auteur
par ses adversaires mêmes. Suivent un certain nombre de lettres
émanées des principaux personnages du temps, de Thiers en particu-
lier dont C. fut l'ami fidèle. L'éditeur, qui est son fils, a malheureu-
sement négligé de donner un index qui eût été indispensable ; il eût
pu consulter à la Bibliothèque nationale un exemplaire du Courrier
Français oii les articles sont suivis de la mention manuscrite du nom
des auteurs, et, à la Bibliothèque V. Cousin, des lettres touchantes de
son père au fondateur de l'éclectisme.
Charles Dejob.
— Die Beliandhing der Geschichte der Philosophie bei Fries iind bei Hegel (Gœt-
tingue, X'andenhoeck et Ruprecht, igr i, 27 p. i M.). Extrait des Abhandliingen der
Fries" sclien Scinde N. F. IV, i) est un discours prononcé à Gœttingue le 7 juin 191 1
par M. Otto Apelt, qui y poursuit l'œuvre de réhabilitation ou de résurrection de
Fries méconnu et y tâche spécialement de remettre en plein jour la valeur de
Tradition, Mysti^ismus und gesiinde Logik oder ilber die Geschichte der Philoso-
phie, livre qui va être réédité et dans lequel Fries développa, dès 1810, mais avec
beaucoup plus de modestie, de mesure et de prudence la pensée (v. p. i5) que
Hegel lancera dans le monde avec grand fracas 23 ans plus tard par son Cours sur
l'histoire de la philosophie. L'auteur termine par un très curieux parallèle entre
les tempéraments et les méthodes contraires des deux philosophes et y puise cette
réflexion générale fort juste que toute l'histoire de la philosophie semble se réduire
à une lutte entre deux tendances contraires : celle qui, oublieuse des limites de
l'esprit humain, les franchit dans une folle présomption, et celle qui, les recon-
naissant humblement et s'y arrêtant prudemment, ne demande que le possible;
inutile de dire que c'est la première de ces tendances qui jouit toujours des faveurs
publiques et qui semble, à première vue, l'emporter sur l'autre, surtout aux yeux
d'une jeunesse étourdie et trop sûre d'elle. Or, dans notre cas, c'est Hegel qui la
représente, tandis que Fries est le positiviste raisonnable. — Th. Sch.
— \J Encyclopaedie der pJiilosophiscJien Wissenschaften publiée par M. Arnold
RuGE sous les auspices de M. Windciband, a commet. [\inQ Logik (Mohr, igi2.
vni- 275 p., 7 M.) qui se compose des travaux suivants : P. 1, Windklband : Die
Prin^ipien der Logik ; p. 61, Josiah Royce (Cambridge) : Prin:{ipien der Logik (tra.
jS RliVUK CRITIQUK
iJuit parF.din. Schwcilzcr) ; p. il^y, L. Couiukat : J)ic J'riu^ipicn der Logik (irad.
par Violet Plinkc); p. 20.2, Bcnccl. Crocb : Die Aufgabc dcr Lugik [tr-dd. Ach.
Malavnsi) ; p. juj, 1"cJ. liNuiyuKs (Bologne, : Die Problème der Logi k l^trad. Karl
Hiichlcr); p. 24^, Nik. Losskij (l'ctcrsbourg) ; Die Umgestaltung des Bewusstseins-
begrijfs in der moderueu Erkentitnlstlieovie iind Une Bedeiittiiig fUr die Logik
(trad. par l'auteur). La Logique s'y trouve ainsi envisagée sous toutes ses faces,
par M. Windelband dcsoncuté formel (Phénoménologie du savoir, méthodologie,
théorie de la connaissance), par M. Royce comme Ordninigswissetischa/t {les types
d'ordre et leur genèse logique), par M. Couturat, on le devine, au point de vue
linguistique et grammatical, par M. Enriques dans ses rapports avec la pensée et
la réalité, etc. Cela donne un ensemble imposant, varié dans ses parties où chaque
collaborateur a pu choisir sa spécialité, doubler sa compétence et compléter son
voisin, et pourtant très cohérent dans son unité. (J'cst une œuvre aussi belle dans
sa conception que dans sa réalisation. — Tu. Scii.
— M. P. Saintvves continue ses études de psychologie religieuse dans La simula-
tion du »ien'^///t'».v (Flammarion, 1912, X111-J87 p., 3 fr. 5o. Préface du D'' Pierre
Janet), « sujet oîi l'on contemple sans cesse une humanité laide ou misérable » et
qui " n'est point fait pour réjouir ». Qu'on en juge par l'indication des matières :
Mobiles et fréquence des maladies simulées. Exploitation de la pitié et du mer-
veilleux. Névrosés et hystériques. Mythomanie spiritc et occultiste. Pseudo-mé-
diums et faux démoniaques Impostures mystiques. Maladies de la personnalité.
Simulation des guérisons miraculeuses et leur diagnostic rétrospectif. Rôle de la
fraude dans la formation des croyances, etc. Cela sufBt pour juger du monde ou
M. S. veut bien nous introduire, et qui n'est pas aussi différent de l'autre qu'on
voudrait bien se l'imaginer; nous le côtoyons à chaque instant et que de fois,
hélas, nous en faisons partie sans nous en douter! Parmi les cas étranges que
M. S. fait défiler sous nos \-eux surpris, un des plus surprenants, et d'ailleurs le
plus détaillé, est celui du Belge P. de Rudder, dont « c'est bien la jambe gauche
qui a été fracturée, mais la jambe droite qui a été guérie miraculeusement »
(p. 34g). M. S. rappelle aussi, fort à propos, qu' « il est de bon ton aujourd'hui de
traiter avec dédain, sinon a\ec pitié, ceux qui pensent qu'il y a lieu de reprendre
l'étude du rôle de la supercherie et du mensonge dans la formation des croyances »
(p. 'iy'i) et que » depuis que les convenances se sont mêlées de surveiller la pensée
philosophique et scientifique, on a inventé ou restauré nombre de miracles »,
bref qu' « il faut être très hardi aujourd'hui pour rire de ce qui est ridicule »
(p. 376). — Tn. ScH.
— Otto LiEBMANN, mort le 14 janvier dernier, avait autorisé une réédition de son
étude critique de jeunesse Kant iind die Epigonen parue en iS65, et qui mainte-
nant a revu le jour par les soins de M. Bruno Baucu (Berlin, Reuther et Reichard,
19 12. ,xiii-24o p. 4 M.), enrichie d'un Avant-propos et d'un Appendice nécrolo-
gique. Les Epigones dont il s'agit ici sont les idéalistes Fichte, Schelling et Hegel,
le réaliste Herbart, " l'empirique » Fries et le « transcendant » Schopenhauer. L'au-
teur avait 25 ans et était « privat-dozent » à Tubingue, quand il écrivit ce livre,
qui fut assez remarqué dans le monde philosophique par la hardiesse juvénile de
ses critiques ; celle qu'il adressait à Kant portait sur la " chose en soi ». Scho-
penhauer, qui était alors dans toute sa gloire, y est aussi assez malmené. —
Th. Sch.
— La 4" (et en même temps 5^ (édition des Haiiplprotleme der Religionsphilo-
sophie der Gegemvart (Berlin, Reuther et Reichard. 191 2, 182 p. 3 M.) de
d'histoire et de littérature 79
M. EucKEN est augmentée d'un appendice sur la philosophie et la psychologie
religieuses, sur l'importance et la fécondité de cette dernière, mais aussi sur ses
bornes et notamment sur son impuissance à fonder la conviction religieuse ; ce
n'est que si elle se contente de la deuxième place qu'elle pourra être d'un grand
secours pour résoudre le problème de la vérité religieuse. C'est une réponse aux
prétentions pragmatistes. — Rappelons que la 3^ édition n'est que de 1909, qu'il
en a paru des traductions anglaise, française, italienne et russe, enfin que d'autres
traductions encore vont paraître. — Th. Se».
— C'est une « Inauguraldissertation » de la faculté de philosophie de Munich
que le Versttch tibev Alison's Aestlietik, Darstellung iind Kritik (Munich, Heller,
191 1, 79 p.) par M. C.Fedeles, de Jassy, qui essaie de dégager et d'apprécier les
théories esthétiques renfermées dans les Essays on tlie nature and principles of
taste (Edinbourg, 1790) d'AHson et complétées par Francis Jeffrey [Eddnbttrg
Review de mai 181 1). C'est l'esthétique associationniste, opposée à celle d'imita-
tion du classicisme franco-anglais des xyii» et xvm'' siècles, et prélude de celle du
xix" siècle, que M. F. appelle Einfiihlungsàsthetik . Ajoutons que le livre d'AHson
fut traduit dès 1792 en allemand, puis en français, atteignit une 6« édition (Edinb.
1825) et influença fort Reid, Dugald Stewart et sir W. Hamilton. Alison (1757-
1839) était le hls du bourgmestre d'Edimbourg, fut pasteur épiscopal et père de
l'auteur de l'Histoire de l'Europe depuis la Révolution française. — Th. Son.
— M. Nicolas Terzaghi (.Milan) a inséré au premier n° du Didaskaleion (Turin,
Librairie internationale, 19 12) consacré à l'étude philologique de l'ancienne littéra-
ture chrétienne, un petit article (p. 11-29) préparatoire à une nouvelle édition des
œuvres de Synésius de Cyrène, qui mourut évêque de Ptolémaïs (le Tolometa
actuel^ vers 43 1 et chercha à concilier le platonisme et le christianisme. —
Th. ScH.
— La librairie positiviste de la place de la Sorbonne a édité des Pages choisies
d'Auguste Comte (191 2 ; 387 p.) avec une Notice sur la vie et la doctrine de Comte
cl des Commentaires reliant les divers morceaux, qui forment quatre groupes :
Philosophie des sciences (leur classification, objet, méthode, position encyclopé-
dique et valeur éducative). Sociologie dogmatique (méthode, position encyclopé-
dique, décadence des anciens systèmes politiques, crise sociale, nouvelle politique,
statique sociale ou théorie de l'ordre et dynamique sociale ou théorie du progrès)
et historique (les 3 états). — Morale et éducation. — Positivisme religieux (mis-
sion de la sociologie, théorie générale de la religion, culte et dogme positivistes,
organisation du régime positif). Ce recueil forme donc un ensemble qui présente,
en raccourci, un exposé continu du positivisme. — Th. Sch.
— Quoique les travaux récents sur Spinoza « aient contribué à lui restituer sa
vraie physionomie », M. Ch. Bellangé a estimé qu' « il reste à nous en faire une
plus complète idée d'ensemble et, dans le détail, à dissiper plus d'une obscurité;
peut-être même, en ce qui concerne sa conception de l'infini, par exemple, qui
continue et dépasse celle de Nicolas de Cuse et de Bruno, et sa théorie des phi-
rimae ideae (p. 70) qui précède la théorie des petites perceptions leibnizienne, ne
lui a-t-on pas attribué tout ce qui lui appartient ». Son 5pf«0f^ et la philosophie
moderne (Didier, 191 2, 400 p.) comprend une théorie de la connaissance et une
théorie de la substance (cosmologie); la i'"« partant de la psychologie comme
science dépendante pour marquer les rapports du système spinoziste avec les
autres systèmes, étudier la connaissance au point de vue cosmique, l'activité men-
tale et l'automatisme, l'idée, la connaissance imaginative, rationnelle et intuitive;
8o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET OK LITTÉRATURE
la 2" partant de la physique ancienne et moderne pour suivre révolution de l'idée
de Dieu et du concept de sul-istancc, examiner les modes nature naturante et
nature naturéC;, le devenir et le déterminisme, l'univers (physique ci comme
pensée) et aboutir au tableau général de la p. 388, qui n'est pas donné comme
définitif, puisque l'on pourrait en imaginer d autres, <■ plus probants et qui résu-
meraient mieux encore le présent ouvrage, en montrant, question par question, le
chemin fait par la philosophie jusqu'à Spinoza et depuis lui ». — Th. Sch.
— C'est une contribution médicale à lotude de la dégénérescence que fournit
le D"" Grober (léna) dans Die Beliandinng àer Rasscnschàden (Teubner, 191 2,
I M. ; extrait du t. IX de VArchivfilr Rassen-und Gesellscliaftsbiologie, p. 49-86)». Il
expose plusieurs cas, suivis pendant une dizaine d'années, croit à la possibilité
d'enrayer, dans une certaine mesure, la fatalité héréditaire et termine par des
conseils pratiques de prophylaxie et de thérapeutique. Son titre est un peu équi-
voque : il semble annoncer une étude sur les tares communes à une race et ne
s'occupe que de transmission familiale. Mais le régime qu'il recommande est fort
sensé et conforme à la nature; il nous rappelle, entre autres choses, que la mode
et l'habitude jouent un rôle néfaste dans notre mode d'alimentation et préconise
en tout un retour à la vie simple. Il a déjà traite ce sujet à un point de vue ditTé-
rent dans le mc-me Archiv (I, 1904^ en étudiant la Bedeutung der Ahnenta/el filr
die biologische Erblichkeitsforschung . — Th. Sch.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance dti 1 2 juillet 1 1()2. —
M. Dieulafoy lit une communication du R. P. de Jerphanion rendant compté de la
mission accomplie en Cappadoce pendant l'été et l'automne de igii. Après avoir
visité une première fois les chapelles souterraines en 1907, il a -préparé la publi-
cation intégrale des peintures qu'il y a photographiées. Il a découvert, en outre,
un grand nombre de monuments nouveaux, entre autres une chapelle très ancienne
qui peut remonter au vin' siècle. Il a surtout trouvé des inscriptions qui per-
mettent de dater du règne de Nicéphore Phocas x' s.) les plus importantes d'entre
ces peintures et d'établir pour l'ensemble une chronologie plus rigoureuse.
M. Millet indique l'importance scientifique des résultats obtenus par le P. de Jer-
phanion. Il montre, par l'étude de quelques thèmes iconographiques, comment
ces peintures permettent de mieux distinguer dans l'art byzantin deux traditions.
L'une, s'inspirant de l'idéal antique, fut suivie de préférence par Constantinople ;
l'autre, réaliste, appartient à la Syrie et à la Mésopotamie. En Cappadoce, les
peintures les plus anciennes, vers le ix" siècle, dépendent de la tradition orientale.
Mais vers la fin du x*", au moment où la puissance byzantine s'étend jusqu'à
l'Euphrate et à l'Arménie, la tradition de Constantinople l'emporte en Cappadoce.
M. Cagnat lit une note de M. René Basset, correspondant de l'Académie, sur
une mission accomplie dans la Grande Kabylie par M. Boulifa, répétiteur de ber-
bère a la Faculté des lettres d'Alger. M. Boulifa, qui est lui-même un Berbère, a
pu pénétrer dans des endroits peu fréquentés et y a trouvé des inscriptions latines
et libyques, notamment la tombe d'un vétéran et celle d'un médecin.
M. Chavannes étudie divers documents historiques que M. Jacques Bacot a rap-
portés de ses deux missions de 1907 et de 1909 aux confins de la Chine et du
Tibet. Une chronique manuscrite des chefs indigènes de Li-Kiang, à l'extrême
Ouest du Yun-nan, permet de reconstituer l'histoire de cette ligne de princes
locaux depuis le xiii<= siècle p. C. jusqu'à la fin du xviii". Deux inscriptions chi-
noises, l'une de 1548, l'autre de i56i, qui ont été photographiées par M. Bacot à
Che-Kou, au pied occidental de la boucle que le Kin cha Kiang forme au Nord
de Li-Kiang, célèbrent les victoires des chefs indigènes de Li-Kiang sur les Tibé-
tains. En analysant ces documents, M. Chavannes montre comment les Chinois
s'y sont pris pour mener à bien leur politique d'assimilation à l'égard des popula-
tions non-chinoises du Yun-nan.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-eii-Velay . — Imprimerie Peyriller ,Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 31 — 3 août — 1912
R. de SouzA, Du rythme en français. — Drissmann, Paul. — Wendland, Paga-
nisme et christianisme. — Kranz, Index des Présocratiques de Diels. — " Bal-
TtrASAR, La querelle des l'ranciscains. — Baier, Les provisions papales. — Fau-
ciGNY-LuciNGE, Le mariage de Thomas de Savoie. — M.-L. Hunt, Dckker. —
Abnoi.d, Les soliloques de Shakspeare. — Buland, La notion du temps dans le
drame clisabcthain. — M. Kerr, Ben Jonson et la comédie anglaise. — La Per-
riJ';re, La loi de dévolution du trône dans la maison de France. — A. Durand,
Les diocèses de Nimes, d'Uzès et d'Alais à la fin de l'ancien régime. — Yron-
DELLE, Le collège d'Orange. — Uzureau, Liste des personnes décédées dans les
prisons d'Angers; Les Elections et le cahier du tiers-état d'Angers. — Vjglione,
Ugo Foscolo en Angleterre. — Sforza et Gallavresi, Correspondance de Man-
zoni. — Chéradame, La crise française. — Vignaud, Histoire critique de la
grande entreprise de Christophe Colomb. — Bonn, La tâche coloniale de l'Alle-
magne. — Académie des Inscriptions.
Robert de Souza, Du Rythme en français. Paris, H. Welter, 1912 ; un vol. in-8,
de io3 pages.
Ce petit livre est un opuscule de combat, et qui ne laisse pas d'être
assez intéressant malgré le style souvent un peu tendu dans lequel il
est écrit. Je ne dis pas que les idées maîtresses en soient toujours
faciles à saisir, ni surtout qu'on puisse y acquiescer sans réserve.
M. Robert de Souza esta la fois un poète, mais aussi un technicien
très averti, très épris de son art, et qui veut créer de la beauté ryth-
mique à l'aide d^une poétrie nouvelle — car il rejette comme amphi-
bologique et banal le terme de « poétique », et préfère emprunter
celui dont usaient déjà les Rhétoriqueurs du xv^ siècle. Le fondement
de cette poétrie, ou, si l'on préfère, son point de départ, c'est que « le
mouvement verbal est d'abord une succession de longues et de
brèves ; et les preuves expérimentales sont faites qu'en français comme
en latin deux brèves équivalent à peu près à une longue » (p. 11).
Gomme d'autre part la quantité et l'intensité sont inséparables, il s'en-
suit que Vaccent de durée est V accent fondamental du français. Je
n'aime pas beaucoup cette expression âi'accent de durée, mais il y a
du vrai d'ailleurs dans ces considérations. Seulement ce qui distingue
la quantité en français, c'est qu'elle est moins inhérente qu'elle ne
l'était en latin à des syllabes fixes, et peut se déplacer suivant le mou-
vement de la phrase : c'est là précisément ce qui crée le rythme. Mais
n'y a-t-il pas dans cette mobilité de l'accent un peu ce qu'avait
entrevu déjà, il y a quelque vingt-cinq ans, Pierson, guidé par la
seule finesse de son oreille? Quoi qu'il en soit, pour M. de S., il y a
Nouvelle se'rie LXXIV 3i
8-2 REVUE CRITIQUE
eu Jans la poésie française moderne seulement six vrais créateurs de
rvthme, et qui sont Ronsard, La Fontaine, Racine, André Ciiénieri
Victor Hu^o, Verlaine. Quant à la formule de l'art nouveau, c'est
bien entendu le vers libre, libre jusqu'à un certain point, puisqu'il
doit se plier au contraire à des mouvements rythmiques assez com-
plexes. On en trouvera des exemples analysés ici, et je ne veux pas
entrer dans le détail, quoique la notation des syllabes en longues ou
brèves m'y paraisse dans quelques cas sujette à contestation. D'ail"
leurs dans ce système il ne semble pas y avoir de différence foncière
entre le vers et la prose : cette dernière, pour être artistique, doit obéir
à des impulsions rythmiques qui la rapprochent du vers, et inverse-
ment. L'opuscule se termine par plusieurs appendices qui montrent
que M. de S. s'est tenu très au courant des progrès de la phonétique,
et spécialement de la phonétique expérimentale : il en parle non point
en simple amateur, mais en habitué de laboratoire. Comme d'autre
part il n'a aucune attache officielle, il juge les choses très librement,
et non sans vivacité parfois. 11 critique sévèrement le bruit qu'on a
fait autour d'une prétendue découverte de la photographie de la
parole, les confusions oii certains sont récemment tombés en attri-
buant à des appareils de synthèse les qualités d'un appareil d'analyse.
En revanche, il proclame bien haut la sûreté des méthodes employées
par l'abbé Rousselot, les progrès qu'elles ont réalisés, et il trouve
qu'en France on n'y a pas toujours suflisamment rendu justice. C'est
assez mon avis.
E. BoURCIEZ.
Pauius. Eine kultur-und religionsgeschichtlichc Skizze, von A. Deissmann,
Tubingen, Mohr, 191 1 ; in-S", x-202 pages.
Ce livre est écrit d'enthousiasme. Il provient de conférences que
l'auteur a données à Upsal en 19 10, et l'on s'en aperçoit : c'est une
prédication ardente et brillante, même un peu éclatante. Mais si la
forme est plus qu'oratoire, presque lyrique, le fond ne laisse pas
d'être solide. Il est fâcheux seulement que le simple critique soit
exposé à perdre patience dans le travail qui s'impose à lui pour rame-
ner à de justes proportions les personnes et les choses.
Passons sur une assertion à laquelle on se heurte dès le début et
qui n'a guère de sens pour l'historien : Jésus et Paul ne seraient pas
premier et second; Jésus serait incomparable dans l'histoire humaine,
et Paul serait le premier dans cet Unique. — Vue de foi ; mirage qu'a
laissé dans l'esprit des protestants libéraux le dogme de la divinité du
Christ.
M. D. développe avec une certaine complaisance une idée plus
juste, à savoir, que Paul, qui est devenu le père de la théologie chré-
tienne, n'est pas précisément un théologien. Mais il s'avance peut-
être beaucoup en faisant de lui un héros de la piété, pour qui le
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE
83
Christ a plus de signirication que la christologie, et Dieu même que
la doctrine sur Dieu. Sans doute le mystique chez Paul domine le
théologien ; mais on doit avouer aussi que son esprit a été terrible-
ment actif au service de la foi qui le possédait. Quantité de mystiques
ont été plus calmes de pensée, plus vraiment contemplatifs et n'ont
pas transformé h ce point l'objet de leur croyance. L'intelligence de
Paul fourmille d'idées qui ne servent pas seulement à lui fournir un
thème d'adoration ; elles lui servent d'abord à constituer son Evan-
gile, c'est-à-dire la foi qu'il prêche aux païens et qu'il a bien l'air
d'opposer plus ou moins à l'enseignement des premiers apôtres, c'est-
à-dire, au lond, à l'Évangile de Jésus, comme une vérité plus parfaite.
Voilà l'homme : non seulement mystique, mais visionnaire; non
seulement croyant, mais missionnaire ; moins purement, moins sim-
plement enthousiaste que ne le fut Jésus; certainement agitateur reli-
gieux de plus grande envergure, esprit plus fiévreux, plus ouvert
aussi à tous les courants de la pensée religieuse en dehors des cercles
juifs palestiniens ; attaché à son Christ, oui, plus qu'à sa christologie,
mais à un Christ que, par cette christologie, lui-même s'était fait.
M. D. a raison de dire que Paul, homme du peuple, était un puissant
esprit. Mais il faudrait ajouter que l'équilibre de cet esprit n'était
point parfait; que l'ardeur du sentiment et de l'imagination mystiques
dominait l'intelligence et qu'elle l'a influencée dans le principal de
son activité intérieure et extérieure, dans sa conversion d'abord, puis
dans l'enseignement qu'il a donné au nom du Christ. Les faits sont
là : Paul a été converti par une vision ; il se glorifie de celle-là et
d'autres encore ; c'est à cette source, on l'oublie trop souvent, qu'il
rattache et sa foi et son enseignement ; il lui arrivait même de « parler
en langues », c'est-à-dire que, dans le transport de son enthousiasme,
il en venait parfois à ne plus savoir ce qu'il disait. Le génie religieux
de Paul n'est pas indépendant de ces accidents, qui l'ont fait et gardé
chrétien. On ne devrait point parler de sa faiblesse corporelle comme
de son unique infirmité; mais surtout, quand il s'agit d'expliquer sa
conversion et son rôle historique, on devrait tenir compte de cette
mentalité qui est bien plutôt celle des cultes païens de mystères que
celle du judaïsme authentique de ce temps-là.
Pour M. D., la vie religieuse de Paul serait une série d'expériences
profondément réelles, à commencer par sa conversion. Ces sortes
d'expériences où la vision se mêle sont bien sujettes à caution. Les
premiers croyants de Jésus l'ont vu ressuscité parce que leur foi a
réclamé la résurrection du Christ. Le cas de Paul est différent : sa
vision lui a donné la foi. Sauf que l'appel se fait dans un songe,
Apulée, au xr- livre de ses Métainorphoses, décv'ii un cas analogue:
Isis se révélant à un de ses élus pour le convier au bienfait de l'ini-
tiation ; et la déesse avertit de même le prêtre qui recevra le candidat,
comme le Christ, dans. les Actes, prévient Ananie de ce qu'il devra
84 RKVUE CRITIQUIC
faire pour l'aul. Que les rcciis des Actes ci celui d'Apulée aient été
arrangés sur un type convenu, le parallélisme des situations n'en est
pas moins frappant. Paul a été appelé à la foi du Christ comme on
était appelé à l'initiation dans certains mystères païens. Certes, sa
conversion a été préparée, mais tout autrement peut-être qu'on ne
l'imagine d'ordinaire. Bien peu satisfaisante est la préparation qu'in-
dique M. D. : expérience d'une âme affamée de la justice qu'elle ne
trouvait pas sous la Loi, — thème cher aux théologiens protestants,
mais dont ils abusent passablement, l'expérience dont il s'agit étant
pour une grande part une argumentation de Paul chrétien contre les
juifs et les judaisants, non un sentiment net, une conviction for-
mée qu'aurait eus Paul avant sa conversion; — l'influence du
prophétisme ancien, qui l'aidait à comprendre l'Evangile, — que
pourtant il ne comprenait pas avant sa conversion, et que selon beau-
coup de théologiens libéraux, il n'aurait pas même compris après; —
enfin le contact spirituel avec Jésus et la tradition de son Évangile
dans les disciples que Paul a d'abord persécutés, — c'est-à-dire les
relations avec des personnes dont Paul déclare positivement qu'il ne
leur doit rien de l'Evangile qu'il prêche. — Ces trois raisons n'ex-
pliquent évidemment pas la conversio'n de Paul à un Sauveur
divin qui lui donne pour mission de prêcher aux païens le salut
par la foi en ce Christ, sans les œuvres de la Loi. Si l'on admet
qu~e le Christ s'est manifesté lui-même à son apôtre, il n'y a pas de
difficulté, ou plutôt il n'y a pas d'explication. Et M. D. n'en donne
pas quand il dit que Paul a eu l'expérience du Christ-esprit. Car
la question revient : qu'est-ce que cette expérience, et comment
Paul y a-t-il été conduit? On nous a souvent présenté un Paul plus
ou moins moderne, habile théologien, qui aurait construit peu à peu
sa christologie et toute sa doctrine sous la pression des événements,
après qu'il se fut converti. Paul dit expressém'ent le contraire, et, bien
que lui-même ne se rende pas compte du mouvement de sa pensée
depuis sa conversion jusqu'au temps où il écrivait ses Epîtres, il n'a
pas dû se tromper radicalement sur les origines de sa foi. Le grand
mérite de M. D. est de montrer Paul tel qu'il se donne; ainsi le
comprend-il mieux que ceux qui altèrent son témoignage. Mais le
problème reste : d'où vient la foi de Paul?
A cette question les effusions pathétiques de M. D. n'apportent pas
de réponse. 11 lui arrive bien de dire que l'ouvrage de M. Reitzcns-
tein. Die hellenistischen Mysterienreligionen (Leipzig, 19 10), fournit
des termes de comparaison pour expliquer certaines locutions et
même certaines idées pauliniennes. Mais il ne va pas plus loin. 11 se
contente de prouver longuement — ce qui n'a rien d'inutile pour les
théologiens, — que les idées de Paul ne sont pas coordonnées en
système, que ce sont des formes ou des aspects de sa foi, des impres-
sions vivantes avec lesquelles on a construit plus tard des théories.
d'histoiri". et de littérature 85
Ccuc thèse renferme une grande part de vérité; mais elle comporte
aussi une grande lacune. M. D. soutient que le langage de Paul était
intelligible pour les simples gens à qui il s'adressait. Ce langage et
les idées qu'il traduit ne sont donc pas l'expression rigoureusement
personnelle d'expériences qui auraient été particulières à Paul, ou
même aux seuls chrétiens, aux païens convertis à la foi de Paul. Or,
si Paul réussit à se faire entendre des païens, n'est-ce point parce que
d'abord il a conçu lui-même en païen le salut qu'il leur prêche? En
fait, la religion qu'il leur annonce ressemble en ses lignes essentielles
aux cultes de mystères qui commençaient alors la conquête du monde
romain. Premièrement c'est une sorte d'assurance pour l'immortalité
bienheureuse, ce que n'étaient pas les anciens cultes nationaux, ce que
n'était pas même le judaïsme officiel, mais ce qu'étaient les religions
de mystères. De plus, comme dans la plupart de ces mystères, la
garantie d'immortalité se fonde sur l'union, l'on peut dire même
ridentitication mystique à un être divin en forme humaine, souffrant,
mourant et ressuscitant; par le rite d'initiation, le baptême, et aussi
dans le repas de communauté, qui est devenu pour Paul, en même
temps qu'un acte de communion au Christ immortel, une représen-
tation commémorative de sa mort, on participe à son épreuve, on
s'unit à son trépas, pour lui être associé dans son immortalité (se
rappeler comment Paul prouve aux Corinthiens la résurrection future
des chrétiens par le fait accompli de la résurrection de Jésus). Enfin
dans la religion de Paul comme dans les cultes -de mystère, on est
sauvé par la grâce divine, et en même temps par la foi, par la foi au
dieu qui sauve, qui sauve par la mort. Toutes ces idées que Paul
rabbinise quelque peu, tout en accentuant leur portée morale, cons-
tiiucni son Évangile, la matière de ses révélations, de ses visions. A
qui la dùii-il ? Pas au rabbinisme, car cela ne vient pas du judaïsme,
et c'est même tout autre chose que l'Évangile de Jésus. Paul n'aurait-
il pas connu certains cultes de mystères, de façon à se pénétrer de
leur esprit dès avant sa conversion, à concevoir le Messie sur le
tvpe des dieux de mystère, et cette circonstance môme, n'explique-
rait-elle pas, en quelque manière, sa conversion, aussi sa vocation?
Car ces cultes de mystères offraient le salut à tout venant, tandis que
rÉvangile de Jésus ne s'adressait qu'aux Juifs. En tout cas, ce n'est
pas assez, pour expliquer la carrière de Paul et sa mentalité, de le
présenter, comme fait M. D., en juif nourri de la version de Sep-
tante et imbu de son esprit. Tout bien considéré, le miracle qui a
fait de Paul un fidèle et un apôtre de Jésus, ce n'est pas l'éblouisse-
ment qui l'a renversé sur le chemin de Damas, c'est l'éclair, jaillissant
en son cerveau, qui lui a fait voir dans le crucifié du Golgotha, dans
le Christ des apôtres galiléens, l'être divin qui était venu sauver le
monde par sa mort. Et l'on peut trouver que cette idée-là porte sa
marque d'origine. Alfred Loisy.
86 RKVUK CRITIQI E
Die hellenistisch-rœmische Kultp.r in ihren Be/.iehlingen zum Judentum
und Christentuin. Die urchristlichen Literaturformen. von 1^. Wkndi and
(llandhitch ^"'" '^'t'"'"" 'J'csta))ic>il, Baïui I, 2-'S,. Zwcitc Autlage. 'rùbingcn,
Mohr, i(ji2-, gr. in-H, X-44S pages.
Ce livre esi tout autre chose qu'une simple récdition. La partie déjà
publiée, celle qui correspond au prciuicr liire, a ctc refondue, notam-
ment en ce qui regarde les rapports du christianisme avec les mystères
païens, et une partie nouvelle très importanic, une histoire de la
composition des livres du Nouveau Testament et de ses apocryphes, a
ctc ajoutée.
Sur les rapports du christianisme avec les religions de mystère
M. W. n'est pas très explicite, ou plutôt il demeure très circonspect.
Son idée d'une gnose païenne, représentée par la théologie des mys-
tères, les oracles chaldaïques et hermétiques, les écrits de Plutarque
et ceux des néoplatoniciens, est parfaitement juste; mais peut-être
n'ena-t-il pas tiré tout le parti possible ; car il ne détermine pas aussi
bien la relation, très réelle pourtant, du christianisme avec cette
gnose, que celle des gnostiques plus ou moins chrétiens avec ces cou-
rants de paganisme mystique. Il nous dit bien que Paul a connu le
vocabulaire et les idées des religions syncrétistes, des cultes orientaux
hellénisés, et il définit fort heureusement le moyen de cette influence
sur l'esprit de Paul : pas d'emprunt mécanique, accidentel, réfléchi,
mais transformation spontanée de tout un ensemble de sentiments et
d'idées dans une conscience pénétrée de l'atmosphère des religions
dont il s'agit. Rien n'est plus vrai. Mais ce n'est pas toute la vérité.
On nous parle toujours de conscience religieuse comme si Paul
n'avait été qu'une conscience, et même une conscience moderne, voire
protestante. On néglige trop l'intelligence mobile et pénétrable, l'ima-
gination sensible et surexcitée, le cerveau inquiet et en travail, capa-
bles d'opérer parfois très vite (témoin le fait de la conversion) les plus
déconcertantes évolutions. Dans ce qu'on appelle expérience religieuse
de Paul part est à faire très grande à ce mouvement d'une pensée
fébrile, prompte à s'assimiler même — on pourrait presque dire :
d'abord — ce qu'elle combat. Cette extrême mobilité d'un esprit
visionnaire, qui doit servir à expliquer le fait capital de la vie de
Paul, à savoir sa conversion, pourrait également expliquer certains
éléments de sa doctrine et même de sa conscience religieuse, par
exemple sa conception de l'universalité du salut et le sentiment de
sa propre vocation auprès des païens.
Ni de l'une ni de l'autre il ne semble qu'on ait donné jusqu'à pré-
sent d'explication satisfaisante. M. W., qui accentue peut-être plus
que de raison l'universalisme de l'Evangile, reconnaît pourtant que
la prédication de Jésus avait un double aspect et qu'elle pouvait
aboutir à une rechute dans le judaïsme aussi bien qu'à la victoire de
la tendance universaliste qu'elle portait en soi ; Paul aurait déterminé
d'histoire et de littérature 87
la direction de l'avenir. Mais comment Paul a-t-il été amené à prendre
cette direction? Ce n'est ceriainemcnt pas pour avoir perçu dans
l'Évangile de Jésus l'élément universel qu'y discerne M. W. Chacun
sait que l'Apôtre ne prétend pas le moins du monde fournir une inter-
prétation correcte de ce que le Christ a pu enseigner. Selon lui, c'est
le Christ immortel qui lui a révélé l'économie de salut qu'il prêche,
et c'est au même Christ qu'il rapporte sa vocation. Osera t-on le con-
tredire sur ce point essentiel? On est si bien habitué à le contredire
discrètement qu'on a fini par ne plus s'en apercevoir. Or c'est là que
gît le mystère de la conversion : ce fut, — qu'on me pardonne le jeu
de mots, — la conversion à un mystère, à cette religion même du
salut acquis à tous par la mort du Christ et par la foi à ce Christ
mort et ressuscité. C'est cette idée-là que Paul prétend avoir eue dès
le commencement et ne devoir pas aux premiers fidèles de Jésus.
Comme il ne la doit pas davantage au judaïsme, ne la devrait-il pas
aux mvstères païens, et sa conversion n'aurait-elle pas consisté dans
l'application qu'il a faite au Christ des principes qui caractérisaient
les cultes de mystères, salut proposé aux croyants de toute nation qui
participeraient par la foi et les rites de l'initiation aux aventures mys-
tiques, parfois à la mort et à la résurrection d'un être divin ? Il est
bien difficile de ne point l'admettre, et conséquemment de ne point
placer l'influence des mystères à l'origine même du christianisme,
dans la conversion de l'homme qui a contribué plus que personne à
faire de l'Évangile une religion, et une religion universelle, au lieu
d'une petite secte sans avenir dans le judaïsme où elle était née. La
pression des événements ne rend pas suffisamment compte de l'évolu-
tion du christianisme primitif; car la prédication aux païens ne fut
pas une nécessité du christianisme naissant, et Paul lui-même a com-
pris la chose tout autrement. Il serait au moins risqué de soutenir
qu'il a imaginé sa théorie de l'universalité du salut pour justifier les
missions déjà faites par lui et les conversions accomplies chez les
païens, quand lui-même dit clairement le contraire. On n'a pas lieu
d'alléguer contre ce témoignage formel celui des Actes, où il semble
toujours que Paul ne prêche aux païens qu'après avoir été chassé par
les Juifs. M. W. nous apprend à suspecter ici le point de vue systé-
matique des Actes.
Dans la seconde partie de son livre, partie qui est de tout point
excellente, et originale en beaucoup d'endroits, M. W. discute en
eff'et la valeur historique des Actes et réagit avec beaucoup de netteté
contre les apologies naguère publiées par M. Harnack. Il relève très
finement les lacunes des Actes, les doubles récits, les partis pris de
l'auteur, le caractère fictif du ch. xv, concernant l'assemblée de Jéru-
salem, qui fait double emploi avec xi, ig-So, et contredit l'Épître aux
Galates, le caractère de convenu qui domine tout et qui ne permet pas
d'attribuer à l'œuvre un but de conciliation entre des tendances diver-
88 REVUE CRITIQUE
gcntes qui nuraieni alors existe dan's l'Église, mais qui provient de
ce que les anciens disscniinionis avaicni perdu lout intérêt et l'on
pourrait dire toute signillcation. L'idée do faire composer les Actes
avant la mort de Paul est qualifiée tout bonnement de « monstrueuse »
par M. W., et le terme ne paraît pas trop fort. La combinaison des
sources a dû être aussi mécanique, arbitraire, superficielle, dans les
Actes que dans le troisième Évangile, et elle ne donne pas de meil-
leurs résultats. Que l'auteur des Actes ne soit pas le même que celui
du journal de voyage (Wirbericht), c'est ce qui résulte des interpola-
tions rédactionnelles pratiquées dans ce document et qui ne s'accor-
dent pas avec leur contexte. M. W. cite en particulier les interpola-
tions qui se trouvent dans le récit de la tempête (xxvii, 9-11,2 1-26), et
aussi XX, 17-38, morceau rapporté par le rédacteur soucieux de loger
en cet endroit un beau discours de Paul aux anciens de l'Eglise
d'Éphèse. La source disait que Paul, pour ne pas perdre de temps,
avait passé Éphèse ; il perd beaucoup plus de temps en s'arréiant à
Milet et en y faisant venir les Hdèles éphésiens. Le rédacteur des
Actes n'est pas un disciple de Paul, et le livre est bien postérieur à la
mort des apôtres.
Alfred LoisY.
Die Fragmente der Vorsokratiker, von H. Dif.ls ; 2'« Aufl. II 2 : Wortindex
verfasst von W. Kranz, nebst cincm Nachtrâg zum ganzen Werk von H. Diels.
Berlin, Weidinann, 1910, xiv et 684 p., in-8°, 10 mk.
Dans la série des lexiques spéciaux qui préparent lentement le Thé-
saurus graecus de l'avenir, on remarquait surtout jusqu'ici, pour ce
qui concerne la philosophie, l'admirable Index aristotelicus d'Her-
mann Bonitz. Les Vorsokratiker nous valent un « Wortindex » qui
dépasse le monument laissé par l'éditeur d'Aristote, tant à cause des
multiples ressources créées parce répertoire nouveau, qu'à raison des
difficultés surmontées pour le construire.
Ici, en effet, tout se complique singulièrement. Ce n'est pas d'un
seul auteur qu'il faut inventorier le vocabulaire, et les textes si divers,
d'Heraclite ou d'Empédocle, d'Archytas ou de Démocrite, qu'il faut
mettre sous forme d'articles de dictionnaire, se présentent souvent
dans un état d'indécision et de flottement où les ciseaux du lexico-
graphe se manient avec peine. Jusqu'où va, dans l'extrait d'un préso-
cratique, la reproduction littérale ? Où commence le remaniement et
la paraphrase? Il est souvent bien difficile de le déterminer, et il faut
cependant prendre un parti, fût-il très provisoire, car, vu l'impor-
tance des fragments pour l'histoire de la langue, il ne suffit pas ici de
faire une table alphabétique des sujets traités. Il faut dresser en même
temps un index de la grécité de chacun des auteurs.
Toutes les difficultés ont été résolues de façon pratique et simple.
La grécité des présocratiques est analysée, et celle de leurs doxo-
d'histoire et de littérature 89
graphes est écartée : en effet, elle figure déjà dans les tables des Doxo-
graphi graeci de Diels. Dans les renvois, si le chiffre de la ligne est
imprimé en caractères gras, il indique une citation, donc une donnée
sûre. L'astérisque marque les mots reconstitués par conjecture. Des
signes variés font voir où est Tauthentique, où est le douteux, le faux,
et ce qui n'appartient qu'à une imitation littéraire d'un auteur. Quand,
pour un des mots repris à l'index, le relevé des emplois se borne à un
choix de passages, l'article est précédé d'une croix de S. André, etc.
Pour prendre un exemple parmi les articles qui étaient les plus dif-
ficiles à compose!-, on trouve, au mot àfjo, d'abord les particularités
grammaticales, puis les rubriques suivantes : « Elément — Gott —
Kosmos, Meteora — Mensch, Secle — Verschiedenes ». Il faut admi-
rer vraiment l'ingénieuse et savante ordonnance d'article comme ôsoi;,
(fûai;, etc.
Ce lexique peut rendre des services aux chercheurs dans les
domaines les plus divers. Que l'on étudie l'apologie du paganisme
chez ses derniers défenseurs par exemple, on retrouvera aisément ici
le point de départ des explications philosophiques du polythéisme et
de la mythologie. Que l'on s'attache à refaire l'histoire des rapports
de l'Hellénisme avec l'Orient, cet index aidera à découvrir les pre-
mières traces de l'astrolâtrie chez les Grecs. Chaque article est d'ail-
leurs fait de main de maître. J'y vois notés jusqu'aux emprunts dûs
par un philosophe à un autre : par exemple, au mot àXXÔTpto;, le lec-
teur est averti qu'Empédocle B 45 imite Parmén'ide B 14.
Deux ans ont suffi, à peu près, à M. W. Kranz pour nous donner
cet inappréciable instrument de travail. C'est une belle preuve d'intel-
ligence et d'endurance, et c'est peu, si l'on songea la valeur du résul-
tat obtenu. Quant à l'auteur des « Vorsokratiker » qui a dirigé la
composition de cette dernière partie de son œuvre, on savait (jepuis
longtemps quelle est sa puissance de travail et sa maîtrise '.
J. BlDEZ,
Geschichte des Armutstreites im Franziskânerorden bis zum Kouzil von.
Vienne, von D' P. Karl Balthasar. — Papstliche Provisionen fur niedere
Pfriinden bis zum Jahre 1304, von D'' Hermann Baier. — Mûnster-i-W.,
AschendortTschc Verlagsbuchhandlung, 191 1. 2 vol. in-S" de 284 et ^42 pages.
(Vorreformationsgeschichtliche Forschungen, Bd vi et vu.)
La collection des Vorreformationsgeschichtliche Forschungen pu-
bliée par M. Heinrich Finke vient de s'enrichir des deux volumes
dont le titre est transcrit ci-dessus. Tous les deux traitent des pré-
liminaires des grandes questions qui allaient agiter le xiv^ siècle et
créer les plus vives préoccupations aux papes français. D'abord la
querelle des Franciscains : faut-il, suivant à la lettre les prescriptions
I. Il y a eu, dans l'impression da volume, bien peu d'inadvertances. Au mot
a'.pio), col. 25, 1. 23, il faut lire sans doute : Hcrakl. B 2g.
go REVUE CRITIQUE
du fondateur de l'ordre, que les religieux délaissent toute espèce de
biens, ne vivent que du produit de leur travail manuel et des aumônes
rctj'ues de la charité publique? Ou bien les moines ayant fait profes-
sion de pauvreté peuvent-ils habiter des couvents, qui. par leur dota-
tion, assurent leur existence? On conçoit l'importance du sujet, étant
donné que Tordre des Frères Mineurs s'étendait déjà, à la monde saint
François, sur la catholicité tout entière. La politique des papes a été de
le discipliner, de contenir ses excès de zèle et d'avoir autorité sur lui :
le moyen d'y parvenir était de favoriser le relâchement de la règle
primitive et de permettre aux religieux de posséder en communauté.
Mais un vif mouvement, secondé par des écrivains de talent, s'oppo-
sait à cette modirtcation de la règle primitive; les Spirituels s'agitèrent
contre l'action des papes; leur parti, renforcé par l'élection à la dignité
de général du provençal Raimond Gaufridi, eut le tort, pour résister
à la papauté, de faire cause commune avec des hérésiarques; il ne
manqua pas d'attirer par là les foudres de l'Eglise. Le procès en cour
de Rome allait commencer lorsque Raimond Gaufridi mourut (i3 lo).
Il était réservé à Jean XXII de mener une lutte vigoureuse contre les
Spirituels.
C'était aussi Jean XXII, qui, par nécessité, allait donner une plus
grande extension aux réserves apostoliques et aux collations par le
souverain pontife des bénéfices jusque-là attribués par d'autres per-
sonnes. Ce n'est pas lui, pas plus que son prédécesseur Clément V,
qui inaugura ce système d'augmenter les ressources du trésor ponti-
fical. Le D' H. Baier, au moyen des registres du xiii^ siècle, a pu
suivre les origines et l'évolution du système qui devait plus tard sou-
lever tant de protestations. Il commence son étude au pontificat
d'Honorius III et il expose comment petit à petit les papes trouvèrent
le moyen de pourvoir de revenus bénéticiaux leurs parents, les fonc-
tionnaires de leur chancellerie, leurs familiers, leurs chapelains, les
clercs au service de leurs cardinaux, enfin ceux qu'ils avaient des
raisons particulières de favoriser de tels avantages. Les légats qui les
représentaient agirent selon les mômes inspirations; ils prirent l'habi-
tude de concéder des provisions dans l'étendue des provinces sou-
mises à leur autorité ; ils n'eurent que trop la tendance à profiter des
pouvoirs à eux attribués et il fallut de bonne heure limiter le nombre
des bénéfices dont ils pouvaient disposer. Les appendices placés par
le D'" Baier à la fin de son ouvrage permettent de suivre le dévelop-
pement des réserves : ils donnent la liste des bénéfices concédés par
les papes du xiii« siècle et de toutes les personnes qui se les firent
attribuer.
Les publications des D''* Karl Baithasar et Hermann Baier sont
donc toutes les deux intéressantes pour l'histoire générale ; elles
méritent l'estime des érudits.
L.-H. Labandk.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 9I
Le prince de Faucigny-Lucinge. Un point d'histoire controversé. 1177-1233.
Le mariage de Thomas I''', comte de S;uoic a\'cc iVlai-t;ucriic de l''aucigny. . . —
Paris, H. Daragon, 191 i. in-8" de i63 pages.
L'auteur du présent volume veut arriver à démontrer que Margue-
rite de Faucigny est bien la femme qui donna à Thomas I", comte
de Savoie, tous ses enfants et qui devint ainsi l'aïeule de la plupart des
rois de l'Europe occidentale : Béatrix de Savoie, sa fille, eut, en effet,
de son mariage avec Raimond Bérenger V, comte de Provence, celles
qui épousèrent les rois de France, d'Angleterre et de Naplei,. Tho-
mas II, son Hls, fut de son coté l'ascendant de la maison actuellement
régnante en Italie. Les raisons des historiens qu'il combat, en parti-
culier de 'Wurstemberger, auteur d'un volumineux ouvrage sur Tho-
mas II, ne sont vraiment pas solides. Mais lui-même ne sait pas
défendre sa thèse avec assez d'autorité. 11 se perd dans de longues
explications inutiles; en pareil sujet, il suffit de citer une série de
documents bien clairs et bien authentiques : cela réfute tout, sans
qu'il soit besoin de revenir constamment sur les mêmes choses.
D'ailleurs, son instruction historique est fort arriérée ; on a besoin
de vérifier la date de la publication de son livre pour s'assurer qu'il
ne l'a pas écrit il y a cinquante ans. Il ne connaît rien ou presque rien
des ouvrages modernes; veut-il étudier la chronique d'Aubry de
Trois-Foniaines, il non connaît que le texte publié par Leibnitz ;
veut-il apprécier sa valeur, il ne s'appuie que sur l'autorité du P. Le
Long. Un coup d'œil Jeté sur la Bibliographie du chanoine U. Che-
valier aurait tôt fait de le renseigner. Quant aux textes qu'il donne
en pièces justiticatives, ils sont farcis de fautes, que je veux bien croire
typographiques; on lit par exemple : semper de beol inviolabilitiis
permanere . . . filii mei Amedum et Aimo laudevarunt . . . (p. i5i),
cartem pour cartam, Kalandar pour Kalendas (p. i52J, etc. C'est
donc un ouvrage à reprendre.
L.-H . Labande.
Mary Leland Hunt, Thomas Dekker, New-York, Columbia.University Press,
igi2, in-8°, 212 pp. i d. 25.
Morris Le Roy Arnold, The Soliloquies of Shakespeare, New-Yortc, Colum-
bia University Press, 1911, in-8°, 178 pp. i d. 23.
Mable Buland, The Présentation of Time in the Elizabethan drama , Yale
Studies in Englishj, New-York, Holt, 1912, in-8'', 354 PP-i ' '■1- 5o.
Mina Kerr, Influence of Ben Jonson on English Comedy (i 598-1642), New-
York, Appieton (University of Pennsylvania), 1912, in-16, i3i pp.
Ces quatre mémoires, portant tous sur la même époque de la litté-
rature anglaise, prouvent combien le xvi" siècle attire encore l'atten-
tion. Le meilleur contient une biographie complète de Dekker. L'au-
teur de la Vierge Martyre est une figure attachante; tendre plutôt
que fort, Dekker fut le peintre des situations pathétiques; ses œuvres
de prose, moins connues que son théâtre, sont intéressantes comme
g2 REVUE CRITIQUE
études de mœurs et iDiit pressentir Defoc. Il valait la peine de réu-
nir les rcnseit^ncments épars dans les livres sur cet auteur de second
plan, dij^ne cependant d'C'ire remis en honneur. On pourrait soutenir,
sans risquer l'accusaiion du paradoxe que Dekker lui le plus puriiain
des contemporains de Shakespeare. Il est piquant de constater que
ses scrupules religieux ne l'cmpiîchèreni pas d'écrire de nombreuses
comédies.
La monographie de M. Arnold est divisée en six chapitres : origine
et caractères du soliloque; les soliloques de Shakespeare : leurs
sources; le soliloque servant à l'exposition; le soliloque accompa-
gnant l'action ; le monologue cf)mique; la révélation des pensées et
des sentiments. On apprendra, non sans surprise, que Cymbeline
l'emporte par le nombre des soliloques (24 au total, 430 vers) et que
Coriolan vient au bas de la liste (4 au total, 3t) vers ').
Les contemporains de Shakespeare connaissaient la théorie des
unités. Si le grand poète dramatique a négligé de s'y conformer, ce
n'est certainement pas par ignorance. Le D"" Buland a voulu recher-
cher comment Shakespeare et les élisabéthains, tout en refusant de
condenser l'action en une journée de vingt-quatre heures, compre-
naient la notion du temps. On a signalé depuis longtemps la contra-
diction qui règne à ce sujet dans certaines pièces de Shakespeare. A
une première série de citations d'Othello qui permet de croire à une
action dont la durée ne dépasse pas trente-six heures, on peut oppo-
ser des allusions à un intervalle de temps beaucoup plus prolongé,
s'étendant à plusieurs mois. Cette contradiction est-elle due à la
négligence de l'auteur ou à son désir de créer une double illusion,
celle d'une intrigue rapide, mais non ramassée au point d'être invrai-
semblable? Après une enquête minutieuse, qui porte non seulement
sur le théâtre de Shakespeare mais sur un grand nombre de pièces de
ses prédécesseurs et de ses successeurs, le docteur B. incline à croire
à l'absence de calcul chez l'auteur dramatique. Les chiffres donnés
dans les appendices sont à signaler : on y apprend que, si l'action
dans le Gorbodiic de Sackville (i56i) dure environ sit semaines et
vingt-quatre ans dans le Faust de Marlowe (i588) ; elle ne dure que
sept jours dans The White Devil de Webster (1611) et de trente-six
heures à une semaine dans les pièces de Beaumont et Fletcher (1608-
16 17). Chez ces derniers on sent l'influence de Jonson.
On sait que .lonson prenait volontiers des allures de chef d'école.
Il présidait un cénacle de poètes qu'il appelait ses « Hls ». lia exercé
I. Quelques fautes à relever : p. 46, due to Shakespeare {to omis); p. 16,
Comtesse d'Escarbagnncs; p. 96 raissonant; p. 170, rAmour médicin; p. 171,
Le biirgeois gentilhomme. 11 est regrettable que l'auteur n'ait pas ajouté à sa
thèse une bibliographie. Le sujet a été traité à difTérents points de vue dans des
Mémoires ou des articles de revue. A la rigueur il aurait suffi de transcrire les
notes au bas des pages pour aVoir une liste très suffisante d'autorités.
d'histoire et de littérature 93
une influence certaine sur le ihcàtre et en particulier la comédie. Il
inspira en quelque sorte à ses successeurs la règle des unités ; il
prêcha le souci du style et de Ja composition; sa théorie des
u humeurs » l'ut généralement adoptée. M"" Mina Kcrr donne des
éclaircissements sur ces différents points. Son mémoire a le mérite
d'être clair et bref. Après une introduction qui précise le caractère de
la comédie jonsonienne, trois chapitres (action de Jonson sur ses
contemporains; Naihaniel Field et Richard Burnc ; les « fils de Jon-
son ») épuisent à peu près le sujet.
Les travau.\ de « séminaire » que nous venons d'analyser sont une
nouvelle preuve de l'activité des universités américaines et particu-
lièrement de Yale et de Columbia. Les étudiants n'y préparent pas
seulement des examens, ils écrivent.
Ch, Bastide.
Henri de i.a Perrière. Le Roi légitime. La loi de dévolution du trône dans la
Maison de France. Parus, H. Daragon, 19 10. In-S" de 167 pages.
Quelles sont les lois fondainentales qui, sous l'ancien régime,
réglaient la succession au trône, tel est l'objet "du livre de M. Henri de
la Perrière. La royauté était héréditaire, elle n'appartenait qu'au fils
aîné ou à ses descendants mâles, les femmes et leurs enfants étaient
exclus, le roi devait être catholique, il ne pouvait enlever ses droits à
celui qui devait lui succéder, car il existait une substitution immémo-
riale, entin l'héritier du trône devait être français, né en légitime
mariage comme tous ses ascendants. Mais la qualité de prince de
sang ne se perdait pas, si un membre de la famille souveraine rece-
vait un trône à l'étranger; il conservait donc, malgré sa nouvelle
nationalité, tous ses droits éventuels à la couronne de France, car il
n'appartenait à personne de les lui enlever. Lui-môme pouvait y
renoncer, mais il n'avait pas qualité pour priver ses descendants de
leurs droits.
Cette dernière question a été fort agitée à la fin du règne de
Louis XIV, lorsque le duc d'Anjou fut nommé roi d'Espagne. C'est
sous la pression de l'Angleterre que Louis XIV spécifia, au traité
d'Utrecht, que son petit-fils et ses descendants seraient exclus de la
succession. Cette promesse était contraire aux lois fondamentales du
royaume, inême au sentiment du roi et de son entourage ; les événe-
ments montrèrent aussi que Philippe V ne se considéra pas lié par
elle. Le testament de Charles II avait spécifié que les couronnes
de France et d'Espagne ne pouvaient être portées par la même
personne : si le cas s'était présenté que Philippe V fût appelé au
trône de France, il aurait dû ou abdiquer en Espagne ou renoncer
formellenient, mais seulement pour lui-même, à ses droits qui pas-
saient à son fils aîné. L'intérêt que voit M. de la Perrière à expliquer
celte thèse, c'est de démontrer que le représentant actuel de la monar-
04 REVUE CRITIQUE
chic légitime française n'est pas le duc d'Orlcans, mais don Jaime.
Toute la question est de savoir si la clause du traité d'Utrccht, plu-
sieurs fois confirmée solenncllcinciii dans le cours du xviu"^ siècle, est
valable. Cela peut se discuter.
L'ouvrage est solidement établi ; il est à regretter cependant que
les références soientsi pauvrementindiquces.il y a bien une biblio-
graphie à la fin du volume, mais on y trouve des articles comme
« Monumenta Germaniae historica. Hanovre, puis Berlin, in-4° »,
ou bien « Patrologiae cursus completus, par Migne. Paris, i856,
in-4° », ou encore « Bibliothèque de l'École des chartes. Mercure
français » etc. Cela est tout à fait insuffisant. On peut relever aussi
quelques petites erreurs historiques; ainsi l'assemblée qui élut Hugues
Capet ne se tint pas à Senlis au '3 juillet 987 (plus loin, l'auteur se
contredit en rapportant l'élection au i'''juin); la réunion de Senlis
doit se placer à la Hn de mai ; l'élection eut lieu à Noyon le i"'' juin et
le sacre à Reims le 3 juillet. M. de la Perrière aurait trouvé ces dates
dans Les derniers Capétiens de F. Lot, ouvrage qu'il a cependant uti-
lisé, quelquefois sans le dire.
L.-H. Labandk.
Chanoine Albert Durand. État religieux des trois diocèses de Nimes, d'Uzès
et d'Alais à la fin de l'ancien régime. Nimes, imp. générale, 191 1. In-8' de
36o pages.
Dans cet ouvrage, admirablement documenté, composé avec soin
et présenté d'une façon des plus intéressantes, l'auteur s'est proposé
de montrer quelle fut, pendant les années qui précédèrent la Révolu-
tion, la situation des autorités religieuses et des établissements ecclé-
siastiques dans les pays qui ont formé le département du Gard (h peu
près l'ancienne sénéchaussée de Nimes). Ainsi par exemple, après
avoir donné quelques notes biographiques sur les derniers évéques de
Nimes, Uzès et Alais, il a exposé quelle était l'étendue de leurs
domaines, la somme de leurs revenus, l'organisation de leurs tribu-
naux pour la justice criminelle et pour les matières ecclésiastiques;
il a montré comment ils administraient leur diocèse, quels rapports
ils avaient avec les représentants du pouvoir central, quel était leur
rôle administratif dans leur diocèse, etc. Il a énuméré les chapitres et
collèges de chapelains, compté leurs revenus, déterminé la mission
qu'ils s'étaient imposée, caractérisé leurs relations avec les évoques.
Il a pénétré les secrets de l'administration paroissiale, mis en reliet
les pratiques et habitudes religieuses de la population, dont la fer-
veur était entretenue par des missions ou par l'émulation des confré-
ries ; il a considéré la condition des curés et vicaires, indiqué les
sources de leurs revenus, marqué de traits accentués les sympathies
ou les antipathies qu'ils récoltaient dans leur ministère. Il a porté le
même regard sur les couvents et abbayes, soupesé leurs ressources,
d'histoire iil UE LITTÉRATURE " 9 5
montré la difficulté du recrutement des religieux, le relâchement de
leur discipline, la défense qu'ils ont eue à opposer aux conclusions de
la Commission des réguliers. M. le chanoine Durand, en véritable
historien, ne prétend pas dissimuler les tares ; il fait bien remarquer
la décadence des ordres monastiques, la déviation du but que s'étaient
proposé les fondateurs, etc. Il n'est donc pas un laudator temporis
acti. Cela ne lui donne que plus de force et d'autorité pour signaler
le rôle éminemment bienfaisant assumé par l'Église dans les domaines
de l'éducation et de la charité. Les œuvres d'assistance émanaient
toutes d'un sentiment religieux ; elles étaient particulièrement nom-
breuses et efficaces. L'instruction des classes rurales était aussi orga-
nisée beaucoup mieux qu'on ne le suppose d'habitude. Il y avait des
écoles partout, sauf peut-être dans quelques hameaux ; elles étaient
obligatoirement fréquentées par des enfants qui n'avaient aucune rede-
vance à payer.
Le livre de M. le chanoine Durand est un modèle à proposer pour
sa documentation et pour le ton simple, précis et impartial, dont il
expose les résultats de son enquête. L'auteur se propose, nous dit-il,
de continuer ses études et de s'occuper de l'histoire religieuse du
département du Gard sous la Révolution. On peut être persuadé qu'il
fera preuve des mêmes qualités d'historien.
L.-H, Larande.
Histoire du collège d'Orange depuis sa fondation jusqu'à nos jours (1573-
1909 , par Anioine Yrondei.le,... Paris, H. Champion, 1912. Jn-8" de xv-?52 p.
La plus grande partie de ce livre est consacrée aux événements (si
ce mot n'est pas trop gros) accomplis au collège d'Orange au xix« siè-
cle et pendant les premières années du xx^. Pour la période anté-
rieure, deux chapitres : le premier raconte l'histoire du collège depuis
sa fondation en i SjS par le comte Louis de Nassau, prince d'Orange,
jusqu'en 1703, époque où la principauté fut définitivement annexée à
la France ; le deuxième a trait au xvin'' siècle. Il est incontestable que
l'auteur, M. Yrondelle, s'est appliqué à connaître, jusque dans les plus
petits détails, les fastes du collège où il a professé pendant une dou-
zaine d'années, il a exploré très attentivement les archives locales, il a
été admis à compulser les dossiers modernes de l'Université ; je ne
crois pas qu'on puisse être plus complet. Je me permettrai cependant
une observation : un historien doit garder plus de justice dans l'appré-
ciation des faits et montrer moins de partialité. Tant que le collège
d'Orange est sous la direction des maîtres imposés par les Princes,
avec une prédominance très marquée de l'élément pro^testant, l'auteur
estime à peu près parfaits la direction qu'il reçoit et l'enseignement
qui y est donné. Dès qu'il se trouve sous l'influence du catholicisme,
la louange devient plutôt difficile et s'atténue très vivement devant
les critiques. C'est un procédé un peu simplet qui peut être admis
()() 1<I.\ I I CRITIQUE
en poliiic|uc, mais i]ui plait moins dans un livre d'histoire. Sans
doute, il est intéressant de voir, dans un pays sr)umis à des autorités
protestantes, des enfants huguenots ci catholiques s'asseoir sur les
mômes bancs et écouter les leç(jns de professeurs des deux religions;
assurément les persécutés sont aussi toujours sympathiques. Mais
est-ce qu'en France, au ww^ siècle, on ne trouvait pas non plus orga-
nisé cet enseignement mixte? Même pour Orange, après la réunion à
la France et le triomphe du catholicisme, l'auteur de V Histoire du
Collège ne cite-t-il pas celte phrase typique, extraite d'une pièce olli-
cielle : « Orange est un pays où il y a beaucoup de protestants qui
envoient leurs enfants aux écoles... » Or, il ne pouvait v avoir que
des écoles catholiques. Mais leur religion y était si bien respectée
qu'on souhaite de nouvelles fondations pour en ramener « beaucoup
à la foi ». A la rin de son volume, M. Yrondelle n'aurait-il pas pu
proposer aux jeunes élèves du collège d'Orange, qui sont des Fran-
çais, d'autre stimulant à leur zèle que le désir de plaire à S. M. l'Em-
pereur et Roi Guillaume II ? Il semble que cela est un peu déplacé. Il
y a ainsi quelques fautes de goût et de mesure. C'est regrettable. Car
en général VHistoire du collège d'Orange est un très bon livre.
L.-H. La BANDE.
UzuREAu, Listes des personnes décédées dans les prisons d'Angers. Angers,
Grassin, i(ji2. 55 p. in-8'.
— Les Élections et le cahier du tiers-état de la ville d'Angers (1789).
Angers, Grassin, Sc) p. t;r. in-S".
M. l'abbé Uzureau a dressé, d'après les registres de l'état civil, les
listes des personnes dccédées dans les prisons d'Angers pendant la
Terreur. Il a fait précéder ces listes dune brève étude sur chaque pri-
son. La plupart étaient mal tenues et l'hygiène y laissait fort à désirer.
Le total des décès est de 1,020 dont 71 1 femmes et 2>oq hommes.
Il publie en même temps le très intéressant cahier du Tiers-Etal de
la ville d'Angers en 1789 en le faisant précéder d'une introduction sur
les élections. Quiconque douterait du degré de maturité politique où
était arrivée la bourgeoisie au xv!!!"" siècle n'a qu'à lire ce document.
Le Tiers demandait d'abord et avant tout une Constitution, une
« Chartre » qui donnerait à la nation toute la puissance législative,
établirait des États-Généraux réunis de droit tous les deux ans, votant
seuls l'impôt, pouvant faire le procès des ministres sans que le roi
put en aucun cas leur faire grâce. Défense était faite aux députés de
voter aucun impôt avant que la Constitution ait été arrêtée. Les biens
des abbayes, prieurés, chapitres, collégiales, bénéfices simples, etc.
seraient vendus pour payer les dettes de l'Etat. Une nouvelle circons-
cription des paroisses permettrait d'égaliser les revenus des cures. On
rétablirait le pragmatique de Charles VIL On supprimerait les ordres
D HISTOIRE IVr OK LITfKRATUBK 97
mendiants, on interdirait de prononcer des vccux de religion avant
'3o ans pour les hommes, 25 pour les femmes, etc., etc. Il faut lire ce
cahier d'Angers. C'est un des plus instructifs que je connaisse.
A. Mz.
Franccsco Vk.iionk. Ugo Foscolo in Inghilterra (Saggi). (latanin, 1910, 332 pp.,
in-80.
M. Viglione, connu par d'autres études sur Foscolo, nous a\^porte
une foule de documents nouveaux. 11 a étudié de près les papiers con-
servés à la bibliothèque Labronica, de Livourne; et cette étude lui a
permis de jeter une vive lumière sur la vie du poète exilé après 1814.
La troisième partie de son travail (Scriiii politici) et surtout la seconde
(Scritii liiterari) montrent que Tédiiion I.emonnier est à refaire entiè-
rement, pour ce qui concerne les écrits publiés ou esquissés en Angle-
terre. La première partie enrichit singulièrement la biographie du
poète. Le séjour à Londres, les démêlés avec les libraires, les colères,
les querelles, les injures, les jugements des tribunaux; les folles
dépenses, quand la lortune semble sourire, puis les dettes, et la pri-
son : tout cela forme un drame passionnant. La psychologie de Fos-
colo, qui tient de la pathologie, donne matière à un roman qui est un
roman vrai.
La mise en ceuvre est inégale. De trop longues citations en anglais
et en français donnent au texte italien un aspect bariolé, qui suffirait
à indiquer le manque de fusion. L/accessoire et l'essentiel sont déve-
loppés avec la même complaisance; un parti-pris très marqué en
faveur de Foscolo transforme parfois le récit en plaidoyer. Ce qui
manque le plus, c'est une connaissance précise des milieux et de
répoquc : la vieille Angleterre, peinte comme fond du tableau, ferait
mieux ressortir la physionomie du poète. Il faudrait un peu plus de
maturité, en somme, pour faire de ce livre déjà si intéressant et si
curieux un livre excellent.
Paul Hazard.
Sforza (Giov.) et Gallavresi (Gius.). Carteggio di Alessandro Manzoni, l'^vol.
(i8o3-i8'2 1), Hoepli, 18 12. In-S" et ix, 610 p. 6 fr. 5o.
Ce l'^i'vol. contient 285 lettres y compris celles qu'échangèrent
des parents ou amis de Manzoni. Au riche fond précédemment
recueilli par M. S., les deux associés ont ajoute tout ce qu'ils ont reçu
des héritiers de P'auriel, d'Eust. Degola, de Pietro Bambilla, de
l'amateur Ern. Gnecchi et de plusieurs autres donateurs, tout ce
qu'ils ont trouvé à notre Institut. Cette correspondance n'offre pas
pourtant partout, il s'en faut, un égal intérêt : Manzoni a mené une vie
strictement privée; par prudence, par goût, il s'est aussi peu mêlé
que possible aux événements, même littéraires; il vivait pour l'amitié
et la méditation. Ses lettres et celles qu'on lui adresse ne sont donc le
98 REVUE CRITIQUK
plus souvent que des épancliemenis imimes qui nous apprennent très
peu de choses. Cepcnlaiu on trouvera dans les pages inédites des dé-
tails nouveaux sur le mariage qu'on veut lui faire contracter dans la
famille de Tracy, sur la conversion de sa femme. D'ailleurs, Manzoni
est un écrivain plein de grâce ci de malicieuse finesse, même lorsqu'il
parle notre langue; le genre épistolaire lui réussit mieux qu'à la
plupart de ses compatriotes : il y porte trop d'abondance et, dans ses
années de jeunesse, un peu de gaucherie, maison écoute avec plaisir
ce spirituel causeur. Puis, M. G. éclaire la biographie des correspon-
dants de Manzoiii ; pour ceux d'entre eux qui furent nos compatriotes, ,
je doute qu'un Français de France eût pu annoter plus richement le
volume. De nombreux portraits se mêlent au texte iManzoni jeune et
vieux. Franc. Melzi, 'Sophie de Condorcet, Fauriel, Carlo Botta,
Vinc. Monti, etc.) ; un copieux index le termine.
Charles Dkjob.
CiiÉRADAME (André), La crise française, faits, cause, solution. Paris, Pion,
1912. In-8<> et VIII, 702 p.
La première panie de ce livre était naturellement la moins malaisée
à traiter, mais M. G. l'a traitée avec une variété d'aperçus, une préci-
sion, une sobriété des plus remarquables. Il ne donne que des faits
établis par des enquêtes contradictoires, par des personnes bien pla-
cées pourvoir le secret des choses et intéressées à notre prospérité.
Ainsi c'est par la plume de M. R. Poincaré qu'il explique comment
les faveurs à distribuer font oublier aux ministres la discussion des
affaires générales et abandonner à chacun d'eux la décision des plus
importantes affaires; ce sont nos amis d'Angleterre qui s'offrent à
désabuser ceux qui croient notre flotte réparée par le seul fait qu'on
l'a passée solennellement en revue. Les conséquences du rachat de
l'Ouest, la fabrication des poudres, la propagande pour l'anarchie et
contre l'armée, les scandales de finance sont exposés avec lucidité. Il
y aurait plus à discuter sur les causes et les remèdes. L'auteur accuse
avec raison les intrigues, les coteries, 1 intolérance du niDnde poli-
tique, les placements anti-patriotiques de capitaux français, l'impru-
dence des diplomates improvisés; mais il ne va pas jusqu'au fond des
choses; il ne voit pas les torts du grand public. Ce ne sont pas les
politiciens qui font l'opinion, ils l'exploitent ; les écrivains et leurs
lecteurs y ont plus de part. Or ce que peignent chez nous les premiers
encouragés par les seconds, c'est la vie de plaisir, la révolte contre le
devoir, les défaillances de la volonté. Le bourgeois honnête qui veut
qu'on renforce l'autorité dans la société, l'énervé sur les bancs du
jury et veut qu'on l'énervé sur les bancs de l'école et dans les conseils '
de guerre ; il professe naïvement que la vie privée des hommes publics j
ne regarde personne, sans s'apercevoir de quoi naissent les prévari- j
cations ; l'armée serait plus respectée si les ofïiciers montraient davan- i
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 99
tage leur uniforme et s'ils n'avaient pas obtenu la stabilité des garni-
sons. M. C. répcic. avec plus de précision, les doléances du public
contre les politiciens, mais les Parlements valent ce que valent les
nations.
Beaucoup des remèdes qu'il propose sont excellents. Il voit
l'imminence d'une lutte pour laquelle l'Allemagne multiplie chaque
jours ses moyens de provocation et ses chances de victoire ; il montre
que nous serons peut-être seuls, du moins au début, à soutenir le
choc, que les premières hostilités pourront nous être défavoraMes,
mais ne s'en effraie pas et indique toutes les chances assurées à notre
sang-froid. Les changements qu'il souhaite dans notre Constitution
l'amélioreraient, mais pour cela il faudrait refaire l'esprit public tout
entier, le foyer. M. C. compte trop sur les dispositions nouvelles qui
semblent poindre dans la jeunesse. La pluralité des électeurs com-
prend les hommes au-dessus de trente ans; c'est à ceux-ci qu'il fau-
drait demander de se refaire eux-mêmes. — Un index facilite l'usage
de ce livre vraiment utile et opportun.
Charles Dejob.
Henry Vignaud, Etudes sur la vie de Christophe Colomb. Deuxième série. Histoire
critique de la grande entreprise de Christophe Colomb. Tome I, 1476- 1490.
xxxiu + 7o3 p. Totne 11, 1491 1493. xix + 703, p. Paris, Welter, 191 1, 3o fr.
Il semble que le grand et passionnant procès historique qui s'est
déroulé autour de Christophe Colomb puisse être désormais, sinon
jugé en dernière instance, mais examiné sur pièces, grâce au dossier
constitué par M. Henry Vignaud dans ses Etudes sur la vie
de Christophe Colomb. Cette Histoire critique justifie à mer-
veille l'épithète. Tous les éléments, tous les documents, tous les
témoignages qui éclairent ce que M. V. appelle la légende colom-
bienne sont interrogés avec une rare maîtrise du sujet. Sans doute,
M. V. nie que le Nouveau Monde ait été découvert en vertu d'une
conception théorique dont le manifeste aurait été la lettre de Tosca-
nelli. Mais si Colomb s'est prévalu d'un è/z^_^ scientifique (le mot est
américain), M. V. professe qu'il a eu l'intuition ou la notion de terres
nouvelles, signalées par un « pilote sans nom », mystérieux initiateur
auquel M V. accorde toute créance. Ces terres inconnues, Colomb
ne les a jamais identifiées avec l'Inde. Mais il les a cherchées par pré-
méditation : il n'a pas été un aventurier, un découvreur de hasard.
Voilà son titre d'honneur. On ne saurait analyser l'œuvre de M. V.
trop puissante et trop riche ! une table des matières bien ordonnée per-
met de s'orienter. On n'osera dans l'enseignement faire état des con-
clusions de M . V. tant que la controverse ne sera pas close.
B. A.
100 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
M.-J. Bonn, Die Neugestaltung unserer kolonialen Aufgaben. Tubingen,
Muhr. iiji I, 4H y>.
M. J. Bonn, professeur à ['Université et directeur de l'Ecole supé-
rieure de commerce de Munich, a exposé dans une harangue acadé-
mique, à l'occasion du oo» anniversaire du Prince Régent, les ten-
daiTCcs et nécessités de la politique coloniale de rAllemagne. Le
domaine colonial n'apparaît jusqu'ici dans l'économie et la fortune
de l'Empire que comme un facteur insigniliant ; en attendant la mise
en valeur par les chemins de fer, les capitaux, l'exploitation des mines
d'or et de diamant, que l'Allemagne place les produits de son indus-
trie dans les centres de consommation sur les marchés capables de les
payer, par voie pacilique autant que possible, autrement s'il le faut-
Mais que l'Allemand du Sud, le Bavarois reste tranquille à l'ombre de
son drapeau blanc-bleu et sous l'œil paterne de ses dynastes!
B. A. ■
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du iC) juillet igi2 . —
M. Héron de Villefosse annonce une intéressante découverte épigraphiqué récem-
ment faite sur le territoire de Bourbon-Lancy et qui lui a été signalée par M. Max
Boirot. Dans une tranchée ouverte près du chevet de l'église Saint-Martin, on a
trouvé une plaque votive en marbre blanc consacrée à Borvo et à Damona, les
dieux de lu source bienfaisante. On sait tout l'intérci du noni divin Borvo, d'ori-
gine gauloise ; ce dieu préside aux sources thermales en Gaule. Cet ex-voto est
malheureusement imcomplet; il a pour auteur un Gaulois appelé Suadorix.
M. Henri Gordier comnience la lecture d'un mémoire sur les dernières recher-
ches relatives à l'Amérique.
M. RenéPichon discute et commente quelques textes latins de Tite Live, de
Suétone et de Juvénal, relatifs à l'histoire de l'atellane. — MM. Salomon Reinach
et Maurice Croiset préseritent quelques observations.
M. Anziani, membre de l'Ecole française de Rome, présente les photographies
d'une amphore corinthienne sortie de la nécropole de Bord-Djedid à Garthage.
Il rappelle que c'est le seul vase de ce genre qu'aient livré les tombeaux carthagi-
nois, et montre par un examen détaillé que c'est un produit de second ordre, qui
devait plaire aux Africains par son ornementation surchargée. — M. Perrot pré-
sente quelques observations.
Léon Dorez.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-eii-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
R EVUE CRlTiQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
^ ^ . — . U . ... — ^
N» 32 — 10 août. — :1912
M. Croiset, Observations sur la légende d'Ulysse. — Ferrari, Les documents
grecs de droit privé de l'Italie méridionale. — Diehl, Manuel d'art byzantin. —
Cicéron, Philippiques, p. Sternkopf. — Enéide, i-6, p. Jahn. — Quintilien, X,
p. RôHL. — Heraeus, Pétrone. — Caussy, Voltaire seigneur de village. —
RocHETTE, L'alexandrin chez Victor Hugo. — Delaunav, Vieux médecins sar-
thois, 2. — Gebhart, Petits mémoires; Contes et fantaisies. — S. Ravasi, Leo-
pardi et M™* de Staël. — Kôrver, Stendhal et son expression des mouvements
de l'àme. — M. Fuchs, Théodore de Banville. — Counson, La pensée romane.
— J.-G. RoBERTsoN, Gœthe et le XX' siècle. — Henderson, La ballade. —
Cserep, Pelasges et Etrusques. — Meusel, Publications sur César. — Nohl, Cati-
linaires, y éd. — Merlin, Les installations hydrauliques en Tunisie; Forum et
églises de Sufelula. — Vollmer, L'inscription d'Etting. — Bulletin d'archéo-
logie dalmate, XXXIII. — Académie des inscriptions.
Maurice Croiset, Observations sur la légende primitive d'Ulysse. Paris, Impr.
Nationale, 1910; 46 p. (Extr. des Mém. de FAcad. des Iiiscr. et Belles-Lettres,
t. XXXVIIL 2= partie, p. 171-214).
Les quelques pages dans lesquelles M. Maurice Croiset étudie le
personnage d'Ulysse ne peuvent manquer d'attirer l'attention des hel-
lénistes et de ceux en particulier qui s'occupent de l'histoire des
poèmes homériques. Simples observations, si l'on s'en rapporte au
titre ; mais le lecteur s'aperçoit vite qu'elles ont une portée considéra-
ble. Il ne s'agit de rien moins, en effet, que de l'origine de la légende
d'Ulysse et par suite de la manière dont se sont formés les éléments
principaux de l'Odyssée. Ce n'est pas qu'en pareille matière on puisse
se flatter d'arriver à la certitude ; mais ceci du moins est certain
qu'entre plusieurs hypothèses également vraisemblables c'est celle qui
explique le plus de faits et qui les explique de la façon la plus objec-
tive qui doit être préférée. Or dans la clarté des développements de
M. C; ce qu'on ne peut méconnaître est précisément l'objectivité de
l'argumentation. 11 n'est pas une de ses conclusions qui ne repose sur
des faits attestés par les textes, et la part de l'interprétation person-
nelle y est réduite au minimum. C'est là, en somme, la vraie méthode
critique, meilleure et plus sûre, pour le dire en passant, que les athé-
tèses arbitraires, les combinaisons transcendantes et les fantaisies
quiniessenciées dont les poèmes homériques ont trop souvent été
victimes. Je ne dis pas pour cela que les résultats de l'étude de M. C.
Nouvelle série LXXIV 33
I02 REVUE CRITIQUE
ont lous le môme degré de vraisemblance; cependant il me paraît cer-
tain, plus encore qu'auparavant, qu'il est vain de vouloir chercher
l'Ithaque d'Homère ailleurs que dans l'Ithaque actuelle; il est égale-
ment vraisemblable, sinon vrai, qu'Ulysse n'est point un ancien dieu
mythique, mais que c'est un héros de l'histoire primitive, et que la
légende des prétendants « n'a été incorporée à celle d'Ulysse qu'assez
tardivemexit ». Il me semble plus discutable, d'autre part, que le rôle
d'Ulysse comme inventeur de stratagèmes et comme favori d'Athéné
se soit dessiné seulement « dans la période immédiatement antérieure
à rOdyssée ». Cette amitié entre le héros et la déesse, dit M. C. ',
« ne s'était guère manifestée dans l'Iliade elle-même. Elle avait donc
pris son développement dans les chants postérieurs ». Cette conclu-
sion n'est pas inattaquable. Si cette protection spéciale d'Athéné, qui
se montre si fréquemment dans l'Odyssée, est peu visible dans l'Iliade,
c'est d'abord qu'Ulysse n'a pas dans ce poème un rôle extrêmement
saillant (je ne parle pas, bien entendu, des parties certainement posté-
rieures, comme la Dolonie et les 'AOXa), ensuite et surtout qu'il y a
peu d'occasions où Aihéné puisse intervenir en sa faveur. Cependant
il arrive une fois qu'il se trouve dans une circonstance critique ; au
chant XI, 435 svv. , il est blessé par Sôkos, et le poète ne manque pas
d'ajouter « mais Athéné empêcha la blessure d'être mortelle », On
peut faire une remarque analogue au sujet de la ruse et des stratagèmes
d'Ulysse. Dans le même épisode de l'Iliade, Sôkos lui adresse la
parole en ces termes, v. 430 : w 'Oo'jjîj TCoXjaive, rA^wi iz 'rfiï -novoio. Or
on est d'accord, je pense, pour considérer le chant XI dans son
ensemble, et ce passage en particulier, comme appartenant à l'Iliade
primitive. Cela ne prouve pas, sans doute, que la légende d'Ulysse
fut très développée au temps où naquit l'Iliade ; mais cela prouve tout
au moins qu'à cette époque même le héros était déjà nettement carac-
térisé comme fertile en ruses et comme protégé d'Athéné. Ces deux
traits du personnage, si largement accusés dans l'Odyssée, remonte-
raient donc encore plus haut que ne le pense M. Croiset,
My.
Giannino Ferrari, I documenti greci medioevali di diritto privato dellltalia
méridionale, e loro attinenze cou quelli byzantin! d'Orienté e coi papiri greco-
egizii. Leipzig, Teubner, 1910; vii-148 p. (S>". Arcliiv, fasc. 4).
Le litre indique très nettement quel est le sujet de ce travail, et l'in-
troduction le détermine encore avec plus de précision. M. Ferrari, se
limitant strictement au droit privé médiéval, s'est placé plus particu-
lièrement au point de vue de la rédaction formelle des documents qu'il j
I . M. Croiset cite à ce propos les vers Od. Xlil, 3 14-3 1 5, où cette amitié est rap-
pelée par Ulysse lui-même ; on ajoutera qu'elle l'est d'une manière encore plus
formelle au chant IH, 221-222, où Nestor dit à Tclëmaque où yoép irw ïôov tooe Ôeoù;
àva'favSà '.pt>>EÛvTaî, w? xsJvw (Ulysse), dtva»avôà Traplaxa-ro na>>Xà<; 'A6tivT|.
d'histoirk et Di: littérature io3
cludie, ei qui sont de irois sortes : les documents de Tltalie méridio-
nale, antérieurs aux constitutions de MelH ; les documents byzantins
orientaux; les papyrus gréco-cgyptiens. Les actes qui reninnt dans le
cadre de ce travail sont les actes d'adoption, les testaments, les contrats
de mariage, et principalement les actes d'aliénation de biens immeu-
bles, ventes, donations, échanges, partages, qui sont de beaucoup les
plus nombreux. Avec la plus scrupuleuse minutie, M. F. en décrit la
forme, en analyse le contenu, et compare entre eux, au point de vue
de leur structure, les documents des trois groupes qu'il a établivs, fai-
sant ainsi, pour les documents grecs de l'Italie méridionale, des recher-
ches analogues à celles qui ont été faites pour les documents latins. Le
formulaire des actes grecs de l'Italie méridionale, ainsi que cela résulte
des analyses de M. Ferrari, est identique à celui des actes byzantins
d'Orient de même époque, et procède du /E-.pÔYpaçov, qui, en Egypte,
à partir de la Hn du iv" siècle, a été la forme prépondérante des con-
trats privés. Ces études seront appréciées des juristes, car elles font
pénétrer dans la pratique, et mettent en lumière des rapports et des
usages juridiques que la législation ne fait pas connaître, et qui ne
sont pas pour c^la moins intéressants pour l'histoire générale du
droit.
Mv.
Ch. DiEHi., Manuel d'art byzantin. Paris, Picard, 1910; xii-837 p.
Il ne manque pas d'ouvrages sur Byzance; déjà avant la fin du
siècle dernier des articles et des livres remarquables avaient prouvé
que, si pendant longtemps on avait presque délaissé les études byzan-
tines, on commençait néanmoins à comprendre que cette longue
période qui suivit l'avènement de Justinien était loin d'être négli-
geable, et qu'il s'y était développé une civilisation florissante, où
toutes les branches de la littérature et de l'art étaient brillamment
représentées. L'art surtout, dans ces dernières années, a attiré les
regards; l'architecture, la peinture, l'orfèvrerie, le travail de l'ivoire
et des émaux ont été l'objet d'excellentes monographies, dont le but
était non seulement d'étudier la technique des artistes et l'évolution
des styles, mais encore de rechercher les origines et les sources de
l'art byzantin, d'en découvrir les prolongements, et de préciser l'in-
fluence qu'il a exercée sur la culture occidentale. Mais tous ces tra-
vaux, à part un petit nombre, étaient à peine connus du public lettré;
les uns étaient trop spéciaux pour susciter son intérêt; d'autres,
écrits en des langues étrangères, lui étaient difficilement accessibles ;
d'autres encore étaient disséminés dans des revues où ils n'attiraient
pas suffisamment son attention. Il était réservé à M. Diehl de remé-
dier à cet état de choses; qui d'ailleurs pouvait mieux que lui entre-
prendre cette tâche, puisqu'il est un de ceux qui, en France, ont le
plus contribué au relèvement de ces études, et dont les travaux anté-
104 REVUE CRITIQUE
rieurs nous ont le mieux initiés à la vie byzantine? Il a donc composé
ce MiViuel d'art byzantin. Le titre est modeste, ce qui le rend inexact.
C'est un manuel sans doute, en ce sens qu'on y trouve des renseigne-
ments sur toutes les manifestations de l'art à Byzancc et dans l'empire
pendant dix siècles, et que c'est une synthèse de tout ce qui a été
écrit sur ce sujet. Mais c'est tout autre chose qu'un simple répertoire
des connaissances acquises; M. 1). ajoute sa note personnelle. Il
puise aux bonnes sources et sait en extraire ce qu'elles ont de substan-
tiel; mais son rôle ne se borne pas là : il analyse, il compare, il juge.
Il décrit les monuments les plus importants et qui sont comme les
tvpes des genres; mais aussi il expose les résultats de ses propres
réflexions et les conclusions que lui ont suggérées ses propres recher-
ches. Il a préféré nous présenter l'ensemble de Tart byzantin dans ses
périodes successives, plutôt que d'étudier en chapitres séparés l'évo-
lution de chaque genre; le caractère historique de son ouvrage n'en
est que mieux accentué. Qu'il s'agissede constructions grandioses ou
d'ivoires délicatement sculptés, de fresques monumentales ou d'enlu-
minures de manuscrits, de compositions en mosaïque ou de travaux
d'orfèvrerie et d'émaillerie, M. D. considère les monuments à leur
époque et dans leur ambiance, rapproche les unes des autres les
diverses productions de l'art, en explique les caractères par les goûts
des différents âges de la civilisation byzantine; il en suit l'évolution,
progrès ou décadence, au cours des circonstances politiques, sociales
et religieuses qui leur ont imprimé ces caractères; si bien que son
oeuvre, dépassant ce qui en fut peut-être l'inspiration première, je
veux dire une simple idée de vulgarisation, a pris un aspect plus
scientifique et est devenue une véritable Histoire de Part byzantin '.
Et cet heureux résultat n'était pas possible sans une abondante variété
et une richesse spéciale d'information, jointes à un goût très sûr et à
une connaissance approfondie de l'histoire et des mœurs.
Suivant donc chronologiquement les destinées historiques de
l'empire, M. D., après un premier livre où il expose les origines de
l'art byzantin, ce qu'il doit aux influences syriennes, égyptiennes,
anatoliennes, et comment Constantinople est devenue le centre d'où
rayonna toute la culture artistique, aborde l'étude des monuments de
l'époque de Justinien, dans un livre intitulé Le premier âge d'or,
qu'il prolonge jusqu'à la querelle des images; cette période s'étend
du vi" au ix= siècle. Dans le troisième livre [Le second âge d'or) nous
assistons à la renaissance artistique qui eut lieu sous les empereurs
macédoniens, et M. D. nous conduit jusqu'à la fin du xii'' siècle,
I. Il est fort possible qu'en m'exprimant ainsi j'apprécie inexactement l'idée
d'où est sorti ce bel ouvrage; mais aucun lecteur ne se méprendra sur le titre,
surtout s'il a lu la préface, où M. Diehl nous dit lui-même que « le présent livre
est moins un manuel qu'une histoire de l'art byzantin »; et l'on sait qu'une préface,
le plus souvent, est écrite en dernier lieu.
I
1
d'histoire kt de littérature io5
jusqu'au moment critique où la conquête latine « semblait devoir
ruiner pour toujours la civilisation et l'art byzantins ». Enfin dans
un quatrième livre sont étudiés les caractères d'une nouvelle renais-
sance, qui se produit surtout dans les provinces, au xiv« siècle; c'est la
dernière évolution, que M. D. suit jusqu'aux dernières manifestations
de la décoration et de la peinture, au milieu du xvi'' siècle, dans les
couvents de la Montagne Sainte. Chaque livre a son unité propre, et
fqrme comme un tableau de toutes les branches de l'art à la période
qu'il embrasse, architecture, peinture et mosaïque, industrie des tissus,
sculpture, orfèvrerie et émailleric; tableau vivant et coloré, rehaussé
encore par de nombreuses illustrations (il n'y a pas moins de
420 figures) qui mettent sous les yeux mêmes du lecteur les monu-
ments les plus suggestifs; et chaque livre, en même temps, s'ouvre
par quelques considérations qui dépeignent l'époque dont il s'agit et
indiquent ses rapports avec les autres époques, tandis que dans le
cours de l'ouvrage, à chaque fois que cela est nécessaire, une ou deux
phrases brièvement caractérisques résument l'impression qui se dégage
de la lecture. L'unité de l'ensemble n'est donc pas moins visible que
celle de chaque partie ; et ce qui la rend saillante, ce qui oblige le
lecteur, pour ainsi dire, à ne pas s'attarder sur les détails de technique
et de style qui lui sont prodigués, c'est que M. D. le rappelle toujours
à une idée fondamentale qui domine tout l'ouvrage. Il a voulu mon-
trer, en effet, que l'art byzantin n'était pas enfermé dans des formules
étroites et dans des conceptions rigides, et que c'est une grave erreur
de le considérer comme dépourvu de souplesse et figé dans une sorte
d'immobilité hiératique. Il n'en dissimule pas les défauts, son attache-
ment servile au passé, son insuffisance d'effort créateur, son goût
stérile pour la répétition et la copie; mais il explique ces défauts et
en dévoile les causes, et montre, par de nombreux exemples, que cet
art a été trop accusé de manquer d'originalité et d'invention, qu'il a
su se renouveler, qu'il a évolué vers un idéal auquel il a parfois atteint,
et qu'il est une chose, après tout, qu'il ne faut jamais perdre de vue :
c'est que sous ses empereurs Byzance a été le foyer de la culture
artistique, et qu'elle « a exercé une action considérable sur tout l'art
du moyen âge, en Orient aussi bien qu'en Occident ».
My.
I. Ciceros Ausgewâhlte Reden, Forsctzung der Halmschen Sammlung. Achter
Band. Die dritte, vierte, tûnfte und scchste Philippische Rede. Erklârt von
Wilhelm Sternkopf, 120 p. 1912. i m. 20 pf.
II. Vergils Gedichte. Erklârt von Th. Ladewig, G. Schaper und P. Deuticke.
Zweiles Bândchen : Buch I-VI der jEncis. Dreizehnie AuHage bearbeitet von
Paul Jaiin, 340 p. igi2. 3 m. 20.
m. M. F"abii Quintiliani Institutionis oratoriae liber decimus. Erklârt von E. Bon-
nell. Sechstc AuHage von D^ H. Rôhl, Geh. Regierungsrat, Kgl. Gymnasialdi-
rektor a. D. 98 p. 1912. i m. 20.
Trois nouveaux Weidmann intéressants : un fascicule nouveau
lo6 RKVOh. CRinyï i:
destine à compléter la série do Ciccron de Halm ; deL'.x anciens fasci-
cules repris par de nouveaux éditeurs et profondément modifiés.
I. .le commence par lun de ces derniers, l.es quatre premières
éditions du livre X de Quiniilien avaient été publiées dans la collec-
tion par Bonnell ji85i et suiv.); la cinquième par Meister en 1882;
voici la sixième confiée à M. Rôhl. Qu'on me permette de rappeler
que M. R. a donné récemment chez Freytag le dialogue de Tacite '/
M. R.est un ancien directeur de gymnase; on sent ici partout, dans les
notes, qu'il a l'habitude de renseignement et ne perd jamais de vue les
nécessités pratiques. Sans doute, pour le texte, il manquera forcément
ici les sources nouvelles que M. Radermacher nous a fait connaître
pour les six premiers livres; il faudra attendre, pour le livre X, qu'il
ait publié son second volume dans la bibliothèque de Teubner. M. R.
se réfère plusieurs fois, pour des changements au texte, à deux Mit-
theilungen qu'il a publiées l'an dernier dans la Wochenschrift, n'^ ^\
6146; à des articles de Kiderlin, dans les Bliitter fCir das Gymn. de
1887 et de 88, et de M. Bonnet dans la Revue de philologie de 1887 ^^
dans les Neue Jahrbiicher de 1 889.
A la fin un appendice qui n'a guère plus de deux pages. Je com-
prends mal qu'on s'y reporte à la cinquième édition, ce qui est incom-
mode et peu scientifique. Je ne sais pas non plus pourquoi M. R. a
conservé les titres de chapitres dont l'authenticité est si douteuse.
II. Le nouvel éditeur du Virgile, M. Paul Jahn, est connu par des
programmes sur l'imitation de Théocrite dans Virgile (Berlin, 1897- '
99); par une recension des travaux sur Virgile (1901-1904) dans le ;
Bursian de 1906, enfin par de nombreux articles de revues. Sa com-
pétence sur tout ce qui touche à Virgile est indiscutable.
Ceux qui ont pratiqué l'ancien Ladewig le reconnaîtront à peine '.
sous sa nouvelle forme; le nombre des pages (en gros 70 de plus) a '
augmenté surtout à l'Anhang; il me semble aussi que la méthode et la i
doctrine s'est modifiée, malgré le désir qu'on avait de garder le carac- '■
tère traditionnel du livre. Pour les leçons et pour la ponctuation, pres-
que aucun changement. L'effort a porté cette (ois sur les rapproche- ;
ments de Virgile avec ses originaux, avec ses autres ouvrages ou autres '
parties du poème, et aussi avec ses contemporains. Comme les ,
travaux et les vues de P. Jahn ont de l'originalité surtout en ce qui
concerne les Bucoliques et les Géorgiques, c'est dans la refonte du
tome I que l'on sentira plus fortement sa marque. Il est fait sans :
doute telle allusion rapide '' aux changements que le poète a apportés j
!
1 . Voir la Revue au Bulletin de 191 i , II, p. 1^ 16.
2. Par ex. App. aux v. i et 59 du livre V : ce sont là d'ailleurs des notes des •
éditeurs précédents. ' i
I
d'histoire et de littérature 107
au plan de son œuvre; mais ce n'est pas là le vrai but du commen-
taire; celui-ci vise plutôt à comparer entre eux les vers ou parties de
vers que nous avons, vers qui se répondent comme les notes ou les
échos d'un concert. J'avoue que ce plan ne me paraît pas irrépro-
chable, et je trouve que M. J. a subi à l'excès l'influence du P. Roiron
dont il fait grand éloge. Que Virgile se répète beaucoup, voilà long-
temps qu'on l'a vu. Mais dans une édition classique, à quoi bon ces
rapprochements continuels qui ne servent pas toujours, il s'en faut,
à dégager sûrement le sens?
Servius est nommé dans quelques notes ; mais je ne vois nulle part
d'indication générale sur les scolies ni sur les travaux récents dont
elles ont été l'objet. Que cela soit inutile dans le détail, pour des
élèves, je l'admets; mais ici il s'agit d'étudiants initiés à des études
qu'ils pourront poursuivre : comment laisser à la base une telle
lacune ?
J'aurais voulu une liste complète et exacte des abréviations; celle
qui était autrefois à la fin du tome I ne suffit plus et je ne trouve pas
tout dans celle qui est en tête de l'Appendice '.
III. Pour le troisième fascicule, noter la modification du titre; il
s'agit ici d'une addition à l'œuvre de Halm, autrement d'un volume
VIII qui va suivre les autres. J'en admettrais volontiers le principe,
sauf à voir ce que donnera l'expérience qui n'est pas sans m'inspirer
quelque crainte.
Sur les événements de la période des Philippiques, l'éditeur, un de
nos meilleurs Cicéroniens, est des plus compétents ; il a publié sur le
sujet des études auxquelles ici il se réfère ^.
Les troisième et quatrième philippique servent à proposer et à
défendre les premiers actes d'hostilité déclarée de Cicéron contre
Antoine et les mesures qu'il fait prendre en ce sens par le sénat. La
cinquièm.e et la sixième nous placent au début du consulat d'Hir-
tius et de Pansa : Cicéron critique le projet d'une ambassade et
appuie la proposition d'honneurs et de récompenses particulières à
décerner à Octave et à ses troupes. Nous sommes engagés dans le
drame qui va terminer la carrière de l'orateur.
La base du texte est prise, comme il était naturel, dans l'édition de
1. Pourquoi aucune remarque sur les formes de déclinaison : I, 1 i3, Oronten,
et surtout : I, i 20, Oron^j 'gén.i ? — P. i i, au début du dernier vers, lire Inierea.
— Sur IV, 127, 1. 6, lire Hyme«aeus; toute la note et aussi celle de l'appendice
(du Ladewig remanié, me parait entortillée et obscure. Pour Texplication du
vers difficile IV, 244 : liimina morte résignât (note et appendice), heureux les
étudiants s'ils y voient clair. — En haut de la p. 202, lire at/oUitur!
2. Philologus de 1 90 i : Ciceros Briefwechsel mit D. Brutus und die Senatssitzung
von 20 Dezember44; Hermès, igoS : Zu Cicero ad fam. XI, 6; Hermès, 1912 :
Die lex Antonia agraria ; enhn il annonce un prochain article de la même revue :
Die Vtrteilung der rœmischen Provinzen vor dem Mutineniischen Kriege).
I08 REVUE CRITIQUE
Clark. L'iniroduction a été rédigée avec soin. Tout y est cohérent et j
précis ; la distinction est taite nettement entre ce qui est sûr et ce que
nous ignorons. Il ne pouvait y avoir pour ces discours, qui s'y réfèrent
constamment, une meilleure base.
Mais je dois avouer que la lecture n'a pas diminué mes doutes.
Comme thèmes d'enseignement, ces textes valent-ils la deuxième
Philippique et ceux qui sont consacrés par la tradition et notamment
les Caiilinaires? La revue ininterrompue des ruses, des violences,
des crimes d'Antoine, après la mort de César, n'est-elle pas un sujet
peu agréable, monotone et qui n'est guère profitable à aucun égard ?
L'argumentation se perd le plus souvent en minuties; utiles je le
veux sur le moment, de telles lectures n'ont pour nous qu'un intérêt
médiocre. Pour le ton, on se croirait, hélas ! transporté dans nos polé-
miques quotidiennes. Nous verrons ce qui résultera de celte expérience
qu'après tout il était bon de tenter.
Emile Thomas.
Petronii Saturae et liber Priapeorum rec. Franciscus Buecheler ediiionem quin-
tam curavit Guilelmus Heraeus. Adjectae sunt Varronis et Senecae Saturae
similesque reliquiae. Berlin, Weidmann, MDCCCCXII, 3 m. 40.
La mort de Buecheler (le 3 mai 1908) a contraint les Weid-
mann de chercher à qui confier la réimpression du Pétrone ^
auquel Buecheler avait su donner une forme presque parfaite. Le {
choix de M. W. Heraus était tout indiqué par ses travaux et ses
publications sur la langue de Pétrone (1899), sur la langue familière |
et sur les gloses latines. C'est à la compétence particulière du nouvel
éditeur que le livre doit de s'être enrichi de maintes petites notes 1
qu'on sera heureux de lire au bas des pages.
Une difficulté se présentait d'abord à M. H. sur la méthode à .
suivre. Dans quelle mesure convçnait-il de renouveler l'ancien livre? |
Très sagement M. H. a compris qu'il eût été inopportun de trans-
porter ici les modifications profondes que Léo a faites au Perse et au
Juvénal. En ce qui concerne Pétrone, nous n'avons eu jusqu'ici rien
qui rappelle même de loin la découverte du fragment d'Oxford. Nous
restons pour le texte au même point de vue, avec la même base cri-
tique. M. H. a donc conservé pieusement le cadre de l'ancien livre;
Buecheler va continuer encore à exposer ses vues à la première per-
sonne, les notes de M. H. se distinguant des autres par l'addition de
son nom '.
Le nouveau livre a près de 3o pages de plus que le précédent, l'aug-
mentation portant surtout sur les Index. Les additions très clair-
semées de M. H., consistent en références à des publications récentes
I. L'inconvénient est cependant que dans telle note où il n'y a ni pronom, ni
nom propre (par ex. p. 21. 24, sur permittitis), il faut utie recherche pour
apprendre que la remarque n'est pas de Buecheler, mais du nouvel éditeur.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I OQ
(Léo, Audollent, etc.), en renvois à d'autres parties du Satiricon, en
réminiscences évidentes ou probables, auxquelles s'est laissé aller le
romancier (elles sont signalées ici avec beaucoup plus de précision
qu'on ne l'avait fait : ainsi pour Virgile, Horace, l'Anthologie, etc.);
enfin en textes divers qui peuvent justifier la leçon traditionnelle.
Nombreux renvois au Cotyus des Gloses, à celui des Inscriptions
latines; à l'Anthologie, aux Carmina Epigfaphica,à Isidore; aussi à
des publications récentes : Lôfstedt, Wackernagel.etc. qui ont modifié
nos idées sur la langue familière et sur celle de la dernière période.
Quelques conjectures de Siewert sont insérées passim. A noter aussi
le relevé d'orthographes singulières. Pas ou peu de changements dans
les Fragmenta, dans le Conspectus Satiirarum; quelques additions ou
corrections dans les Carmina Priapea. Dans l'apparat de ces poèmes,
Nonius est donné plus complètement avec les explications du com-
pilateur. Dans les Ménippées, conjectures assez nombreuses de
M. H. ; renvois au Lucilius de Marx, à W. Schulze, lat. Eigennamen,
etc. Dans VApocolocyntosis, peu de changements ; renvois à des
articles de revues, et mention de quelques conjectures. L'index des
Proverbia Glossemaia a deux pages de plus. Celui des Priapea est
de même un peu augmenté. En tête des Ménippées est ajouté un
Conspectus Saturarum particulier à ce recueil (2 p.).
Partout M. H. garde son indépendance et il arrive que dans les
remarques même de Buecheler, il glisse des restrictions. M. Novâk a
communiqué ses conjectures (environ une douzaine) au nouvel éditeur
qui en a inséré plusieurs dans le texte.
Bref, le nouveau livre reste dans la ligne de ceux de Buecheler; il
les continue avec d'utiles compléments '.
Emile Thomas.
I. P. 202, i8g, renvoi utile à Ribheck, mais il n'eiit pas fallu supprimer l'aver-
tissement : Ennium ont. libri. — Je n'ai jamais bien compris pourquoi, dans les
petites éditions (mais non en 1862), Buecheler, au chapitre V, a supprimé la vir-
gule après meatii, ce qui ajoute encore à la lourdeur et à l'obscurité du passage.
— Je ne comprends pas pourquoi M. H., comme auparavant Buecheler, i33, au
V. 6 maintient la leçon semperjlaviits qui pour le mètre est impossible. — Je suis
d'accord avec M. H. sur l'emploi des formes modernes pour les noms des savants;
mais dans le passage du système de Buecheler, qui les mettait tous en latin, au
système nouveau, se sont glissées des inconséquences : pourquoi p. io3, 12, Pal-
me)n<5 r pourquoi ne pas écrire partout Pithou, Turnèbe, H. Etienne, Juste-
Lipse etc.? — Le reqtiire de Biicheler, p. 62 sur le v. 10 est bien peu clair, et je
m'étonne que M. H. l'ait repris plusieurs fois à son compte (p. i53, p. 196, p. 2i5,
p. 23 i). — P. 2 1,23 : je trouve que la note sur morae vobis, entortillée et obscure,
aurait dû être remaniée. — Très heureuse conjecture d'après laquelle, à la fin du
chapitre 26, les mots : itsque hoc seraient une indication du copiste pour marquer
le bout de sa tâche. — A noter que la mesure de la ligne dans l'archétype de L
est établie par des fautes dont l'origine est très nette : mots du début de la ligne
placés ou répétés à faux (p. :6, i ; p. 18, i3; p. bj, 10; p. 73, ij p. 73, 26); je
trouve comme nombres de lettres à la ligne : 40, 42, 43, 47 et 49. Je ne vois rien
d'analogue dans H. — Outre la réminiscence de Sénèque que j'ai signalée p. 58,
I 10 REVUE CRITIQUE
Fcriiniul (^\^Issv, Voltaire Seigneur de village. Ouvr.ii^c illustré de trois por-
traits lie Voltaire et de quatre caries. Paris, Hachette, 1912, in-16. F'r. 3.5o.
Parmi les éludes qui nous iiionircnt Jans Voltaire l'homme d'af-
faires et le financier, celle que vient de lui consacrer M. Caussy sera
des plus remarquées ', Elle est piquante à souhait, comme le sont
loutcs les recherches de cet ordre pour Voltaire ; mais surtout elle a
réuni une foule de documents intéressants et fourni sur le petit pays
de Gex une monographie fouillée et précise qui forme le cadre indis-
pensable à la dernière période de l'existence du patriarche de Ferney.
C'est de l'acquisition des terres de Ferney et de Tourncy dont
nous entretient d'abord M. C, des négociations laborieuses et des
démarches infatigables que Voltaire multiplie auprès de Choiseul et
de son entourage pour obtenir le maintien des privilèges attachés à
sa nouvelle propriété ; il ne réussit pourtant qu'à se faire donner un
brevet personnel. La terre de Tourney réclama de sa fertile ingénio-
sité plus de ressources encore, et le récit de ses démêlés et de ses
procès avec son âpre bailleur, le président de Brosses, est des plus
instructifs. La question des dîmes inféodées au domaine de Ferney
entraîna Voltaire dans de non moins épineuses querelles avec le curé
de Moëns qui en réclamait la restitution, et comme avec de Brosses
la lutte finit par une transaction. C'est à toutes ces chicanes que nous
devons les abondants documents dont M. C. a parfois presque exclu-
sivement composé ses chapitres. Mais il nous a montré aussi l'activité
de Voltaire dans son village, les transformations qu'il y apporta, les
émigrants qu'il y appela, les tnodestes monuments dont il l'embellit,
avec la fameuse église et la comédie qu'y donna le philosophe, ce
qu'il fit pour la culture et l'élevage, puis encore ses œuvres de bien-
note, je crois reconnaître dans plus d'un trait du Satiricon la parodie de
remarques graves de Sénèque; ainsi, au sujet du prix du temps, Sénèque
(Ep. I, 2) dira : quem mihi dabis qui .... intellegal se cotidie mori ; de même,
Trimalcion aura chez lui une horloge et un sonneur de trompette en livrée (ch.26) :
ut subinde sciât quantum de vita perdiderii. Sénèque (Ep. V, ô) veut que le sage
ne dépende pas du luxe, qu'on sache user de vaisselle d'argent comme si elle
était d'argile : Trimalcion (^4, 3) tait l'application pratique du précepte quand il
commande de rejeter aux ordures la paropsis tombée que l'esclave avait ramassée.
— Noter chez les deux auteurs l'emploi répété de mimus, celui de manum inicio,
àeexcutere {= dispicere); l'emploi emphatique de wjg-fniSi'Pétrone. 83, nescio quid
magnum promittens |;Eumolpius] ; Sénèque, Q N., VII, 3i : Xztàq magna prove-
niunt; Ep. 29, 2 fin : magnus vir...) etc.— Le dénoûment du festin chez Trimalcion
(ch. 78, 4 : putate vos ad parentalia mea in\ itatos esse) est tout à fait semblable
à l'anecdote de Pacuvius (Ep. XII, 8 : cum... illis funebribus epulis sibi parenta-
verat). Et encore la pensée qui suit dans Sénèque revient, eu d'autres termes,
dans un fragment isolé : ch. 99,1.
I. M. C. qui cite les travaux de ses devanciers, aurait dû mentionner celui de
M. Rossel, \'o!taire créancier du Wurtemberg (Paris, 1909). 11 contient quelques
détails sur Ferney, en particulier sur le chiffre des maisons bâties par Voltaire;
il y en avait, d'après une lettre de Rosé, 83 d'achevées et 18 en construction, à la
date de 1776.
D HISTOIRE KT DE LITTERATURE I I I
faisance, où le capitaliste avisé ne se sépare Jamais du philanihrope,
enfin toutes les formes pittoresques de sa popularité au milieu des
habitants.
Dans la seconde moitié du volume Voltaire tient moins de place.
L'auteur a voulu nous donner une idée nette de l'organisation admi-
nistrative et financière et de la vie économique du pays de Gex ; ces
renseignements puisés surtout dans les archives de TAin, étaient
indispensables pour se rendre un compte exact de la conduite de
Voltaire, de ses intentions et de ses elîorts. Grâce à cette étude nous
connaissons les personnages officiels qui furent ou les tenants ou les
adversaires du patriarche, en première ligne le subdélégué Fabry.
L'histoire de la province de Gex est aussi celle de nos rapports avec
Genève, rapports d'ordre surtout économique.
Le projet d'établir à Versoix un port rival de Genève échoua, mais
Voltaire s'y était intéressé avec ardeur et il fut indirectement pour
Ferney l'origine de la manufacture de montres qui prépara l'avène-
ment de Besançon ; tout cet épisode a été longuement conté par M. G.
Il nous a donné aussi beaucoup de détails sur une tentative plus
curieuse encore et où Voltaire joua un rôle plus actif : la séparation
du pays de Gex du régime fiscal du royaume. En 1775 Turgoty sup-
prima les fermes en leur substituant une contribution générale de
'3o,ooo livres; les difficultés soulevées par l'impôt de remplacement
donnèrent beaucoup de mal au patriarche octogénaire et lui firent
rechercher l'alliance inattendue des curés. On saura gré à M. C. de
nous avoir présenté de son Seigneur de village un portrait si vivant
et si spirituel et de nous avoir expliqué avec tant de clarté le jeu
souvent complexe de la vie administrative et économique d'un petit
pays qui par ses origines et le voisinage de la frontière suisse formait
une province assez différente de celles de l'ancienne France '.
L. R.
Auguste RocHETTE, L'Alexandrin chez Victor Hugo. Paris, Hachette, 191 1,
in-S", p. 6o5. Fr. i 2.
Consacrer un compacte volume de six cents pages à l'étude de
l'alexandrin chez V. Hugo pourra sembler excessif. Il faut se hâter
d'ajouter que les copieuses listes d'exemples indispensables aux
démonstrations de l'auteur ont enflé singulièrement l'ouvrage. Mais
si l'on songe sur quelle masse énorme de vers devait porter son
enquête et quelle infinie variété de procédés elle devait embrasser, on
sera moins surpris de ses vastes proportions. M. Rochette a commencé
par établir la nature de la période rythmique dans Hugo, le batte-
I. P. 24, le traité d'Aarau est daté par erreur de i654; p. i 58, une fabrique
déversa soie! p. 200, l'expulsion des Jésuites est datée de /j^J au lieu de 1764;
p. 217, la dernière ligne doit être reportée au bas de la p. 2r6. '
I 12 REVUE CRITIQUE
ment intérieur inconsciemment suivi par le poète en pensant ses
vers, et il conclut qu'il n'a jamais connu qu'une mesure binaire de
six temps avec un point de repère plus ou moins marqué à l'hémis-
tiche. M. R. n'admet pas, à l'encontre de certains critiques, l'exis-
tence de vers ternaires dans Hugo, et sur cette question délicate sa
discussion ne va pas sans quelque subtilité. La partie peut-être la
plus substantielle de son travail est celle où sont étudiés les rapports
do la syntaxe et du rythme, la façon dont la pensée se modèle sur le
schéma rythmique, ou plus souvent encore s'en écarte et varie, en
vue d'effets artistiques différents, la mesure métrique fondamentale.
Ces rapports de symétrie, et plus encore les rapports d'asymétrie par
prolepse, rejet et syllepse, sont nombreux et complexes, et on ne sau-
rait entrer ici dans le détail de l'exposé de M. R. Après les avoir
étudiés en eux-mêmes, l'auteur les reprend encore comme moyens
d'expression et signale avec une abondance extrême d'exemples les
intentions évidentes du poète et celles plus cachées où l'on n'a voulu
voir que des licences. Deux autres parties sont consacrées au rôle des
éléments acoustiques du vers, à l'accent, puis aux voyelles et aux
consonnes, une dernière enfin à la rime. C'est de toutes ces minu-
tieuses analyses celle qui donne le plus l'impression de virtuosité que
laisse l'œuvre de Hugo, ainsi disséquée par un métricien. M. R. nous
parle souvent du travail spontané de l'inspiration chez son poète, il
a même essayé de le surprendre, il a écrit sur la première élaboration
mystérieuse de l'œuvre poétique de pénétrantes remarques, il nous a
souvent fait entrer par l'étude des manuscrits dans ce domaine obscur
où l'on touche aux limites du subconscient; et pourtant de toutes
les recherches du critique, de ses classements, de ses schémas, de
ses statistiques, on garde comme l'obsession que Hugo fut plutôt un
prodigieux virtuose qu'un poète.
Mais quelque appréciation qu'on porte sur son œuvre, la partie
que vient d'en étudier M. R., le plus considérable de beaucoup, bien
qu'envisagée à un point de vue très spécial, gagnera certainement
d'être mieux connue par ce commentaire fait avec autant de science
que de goût, et tous ceux qui entreprendront de saisir un nouvel
aspect du poète auront à tenir compte de son étude. Lhistoire même
de notre versification en recevra une heureuse contribution ; à propos
de chaque innovation qu'il signale dans Hugo, M. R. a eu soin de le
rattacher à ses devanciers, aux classiques dont il relève plus qu'on
ne pense, comme aussi il a suivi chez Hugo lui-même l'évolution de
telle tendance ou de tel procédé. Son livre a plus que l'importance
d'une étude de métrique isolée, il intéresse aussi l'histoire de notre
poésie.
L. R.
i
d'histoire et de littérature 1 I 3
Df Paul Delaunay, Vieux médecins sarthois, 2" série. Le Mans, de Saint-Denis,
191 2, 8", p. 204 (Extrait Je la Revue liisto)-iqiie et archéologique du Maine,
igoô-K)! 2).
Oïl doit au D' Delaunay plusieurs monographies sur l'histoire de
la médecine en France. Il ouvre la nouvelle série de ses Vieux méde-
cins sarthois avec Patrice Vauguion (1674- 1748), médecin au Mans
dès 1706 et doyen de sa compagnie depuis 1733 II a tenu à nous le
faire connaître directement par ses Mémoires; mais ceux-ci n'inté-
ressent guère que la vie professionnelle et sont surtout remplis de
détails sur les démêlés ordinaires qui mettaient aux prises docteurs,
chirurgiens et apothicaires. Le second de ces médecins appartient à
l'histoire littéraire ; c'est le poète et humaniste Jacques Peletier. 11 a
déjà fait l'objet de nombreux travaux qu'a suivis en partie M. D.,
mais en insistant davantage sur le médecin et le Manceau ; c'est
aussi à ce double titre qu'il revendique pour Peletier la paternité de
la plupart des contes attribués d'ordinaire à Bonaventure des Périers.
La part principale du volume a été réservée à Jean Verdier (1735-
1820), figure curieuse de médecin pédagogue, à la fois juriste, philo-
logue, journaliste, qui dirigea de 1776 à i8p3, au milieu de beaucoup
de traverses, d'orages et d'interruptions, une institution étrange, à
demi Académie, à demi maison de santé, où les innovations heureuses
voisinaient avec les paradoxes et les lubies ; un long procès embrouillé
avec Butîon et ses héritiers amena la ruine de l'institution. D'Alem-
bert et Diderot honorèrent Jean Verdier de leur appui et il eut des
élèves illustres, tels que Desgenettes et Talma. Par sa tentative il
mérite une place dans l'histoire du mouvement pédagogique de son
temps et il appartient encore au siècle philosophique par sa coUabo-
l'ation à l'Encyclopédie pour la seconde édition. Verdier devait aussi
jouer un rôle dans la Révolution et approcher la famille royale à
titre de comptable du Temple. M. D. en puisant abondamment
dans les documents d'archives, a fait revivre pour nous avec beaucoup
d'intérêt une des physionomies les plus originales de sa province.
Les dernières pages consacrées à ses deux autres confrères, Verdier-
Heurtin, le tils, et Verdier du Clos, le frère cadet de Jean Verdier, ne
nous présentent au contraire que des figures effacées, qui ne peuvent
compter que pour l'histoire locale.
L. R.
Emile Gebhart, Petits Mémoires, Paris, Bloud, 1912, in-i6, p. 289. Fr. 3,5o.
Emile Gebhart, Contes et Fantaisies. Ibid,, p. 3o8. Fr. 3,5o.
I. Ce ne sont pas des Mémoires, même Petits^ que nous offrent les
éditeurs du regretté Emile Gebhart, mais simplement une série de
courts articles publiés de 1892 à 191 1 dans les Débats, dans le Gati'
lois, ailleurs encore, et dans lesquels les souvenirs personnels tiennent
juste assez de place pour prétendre à ce titre. On y trouvera une évo-
l 14 REVUE CRITIQUE
cation cmue ou plaisante du Nancy de l'étudiant, d'amusants croquis
du séjour à l'Ecole d'Athènes et du monde grec dans la note
moqueuse d'About, et surtout les impressions que laissèrent au jeune
voyageur et plus tard à l'érudit fidèle des pèlerinages assidus dans
cette Italie qui devint son champ d'études; un des derniers, il en a
pénétré le charme intime avant le bouleversement des transforma-
tions modernes. Pise, P'iorence, l'Ombrie, la Toscane et avant elles
toutes Rome, où Gebhart fut l'hôte de la villa Médicis, forment le
cadre ordinaire de ces souvenirs, dont le récit se mêle d'anecdotes
savoureuses et de traits piquants d'observation. Sur les routes étran-
gères, Gebhart fit parfois d'intéressantes rencontres, !e cardinal Lavi-
gerie à Rome, Renan à Athènes, et il lui arriva d'être le témoin de
petites révolutions politiques, comme la chute du roi Othon et la
vaine tentative de Garibaldi dans l'automne de 1867. Ses anciens
lecteurs reliront avec plaisir ces pages remplies d'humour et de fine
malice et les nouveau.x remercieront les éditeurs de les leur avoir si
commodément présentées.
II. Le second volume que les éditeurs ont établi d'une manière
analogue est aussi un aimable recueil, encore plus varié, bien que
parfois on eût pu éviter de tirer du même sac double mouture. De
nouveau la plupart de ces Fantaisies, et même les Contes, nous
transportent dans l'Italie familière à l'auteur, surtout dans l'Italie
mystique du moyen âge ou l'Italie ardente de la Renaissance. Les
détails pittoresques et curieux qui se sont offerts par surcroît à l'érudit
au milieu de ses graves recherches et aussi les traits de mœurs notés
au cours de fréquents voyages et de séjours répétés ont fourni la
matière de ces pages spirituelles, souvent ironiques, mais sans
cruauté. A feuilleter les trente morceaux qui composent cet autre
recueil, comme les fragments autobiographiques du précédent, on
goûtera une fois de plus le talent si souple et si varié de l'historien
de la Renaissance italienne.
L. R.
Sofia Ravasi, Leopardi et Madame de Staël. Milano, Tipografia sociale (Paris,
Champion), 1910; in-S" de 11? pages.
Le premier point de contact visible entre la pensée de M™^ de Staël
et celle de Leopardi, c'est le fameux article De l'esprit des traductions
qui ouvrait, comme un manifeste, la Biblioteca italiana du i*"" jan-
vier 1 8 1 6, et la réponse — non insérée et publiée il y a quelques années
— que fit à ce manifeste le jeune poète de Recanati. Mais sa propre
évolution, démentant son attitude défiante, le rapprochera en 1819-
21 de plusieurs des idées de son adversaire : Corinne a une grande
part dans cette modification, que précisent d'autres œuvres de M™' de
Staël, et que M"' Ravasi éclaire de comparaisons en général pro-
d'histoirk kt de littérature I I b
bantes sur l'isolement du génie, le eontraste entre le passé et le pré-
sent, la relativité du goût littéraire. Ailleurs — la vieillesse, la mort,
les ruines — il est bien difficile d'isoler, parmi des informateurs
nombreux, l'auteur de V Allemagne; il y faudrait tout au moins une
précision qui apporte révidence. Mais c'est, en tout état de cause, une
étude intéressante, qui sait chercher dans l'intime des personnalités
la raison suprême des manifestations poétiques et qui tire ainsi un
parti utile de la recherche des dépendances
^ F. B. ^
Cari KûRVER, Stendhal und der Ausdruck der Gemiitsbewegungen in sei-
nen Werken (Beihefte zur Zeitschrift fur romanische Philologie, 35). Halle,
Niemeyer, 1912; in-8° de 146 pages.
C'est une sorte de répertoire systématique des mouvements de l'âme
et de leur expression dans l'œuvre de Stendhal ; l'étude de l'auteur,
autant que celle de ses ouvrages, peut assurément tirer parti de ces
groupements nouveaux, éclairés principalement à la lumière de la
psychologie de Wundt. Mais je comprends difficilement pourquoi
l'amour n'occupe, dans ce tableau, qu'une place timide et comme
incidente, à la fin du chapitre de l'orgueil : n'est-ce pas à propos de
ce mouvement de l'àme — ou du corps — que le « beylisme » se lais-
sait le plus nettement surprendre et définir? D'autre part, la philoso-
phie implicite de Stendhal, autant que son art de romancier, se trouve
en cause dans un grand nombre de ces cas où joie et douleur, orgueil,
colère, sont mis en mouvement par lui, et c'etit été, semble t-il, un
sérieux appoint que de rappeler quels sont ses maîtres en ces
théories '. De bonnes remarques sur l'importance du rire dans ces
livres qui ne sont point du genre comique, sur la psychologie
ethnique, si l'on peut dire, à laquelle Stendhal ne cesse pas de se
référer, des rattachements intéressants de l'œuvre à l'homme contri-
buent à dégager l'intérêt surtout documentaire — et presque scienti-
fique — des recueil^ d'observations et de confessions déguisées
publiés par ce médiocre artiste.
F. Baldensperger.
Max Fucus, Théodore de Banville; contributions à l'histoire de la poésie
française pendant la seconde moitié du xix" siècle. Paris, Ed. Cornely,
191 2; iu-8" de X11-52S pages.
Travail d'analyse et qui veut l'être ; « déterminer le sens des œuvres
essentielles, découvrir les intentions cachées du poète » paraissant à
I. On s'attendrait, par exemple, à trouver un commentaire de la fameuse
« cristallisation », un rappel de l'importance de Lavater au début du xix" siècle,
sans parler des survivances condillacieniies. En dehors de nombreuses coquilles,
voici les errata les plus fâcheux : p. 32, écrire s'il ne lui donne pas de l'argent,
p. 57 // vit s'éteindre; p. S ■\ c'est me commander...; p. 94 ou se tuer d'ici là.
1 l6 REVUK CRITIQUE
l'auteur, à bon droit, le service le plus urgent t]ue l'histoire littéraire
puisse rendre à la mémoire de Banville, M. Fuchs s'est à peu près
interdit tout ce qui ressemblerait trop à un essai de groupement, de
coordination, de synthèse et d'apparentement. Sachons lui gré de sa
discrétion, puisqu'elle nous vaut les choses excellentes qui la com-
pensent, un soigneux dépouillement des pages innombrables publiées
en feuilletons par le poète des Exilés, une étude prolongée de la
métrique de Banville ', et, tout au long du volume, 1' « explication »
attentive et sympathique des pièces et des piécettes échappées à ce
charmant esprit.
Regrettons pourtant que ni par la biographie, ni par l'indication
des influences, cette activité explicative ne se trouve point en général
facilitée ou renforcée : on dirait qu'à part sa naissance, son hérédité
et le fait qu'il était jeune en 1840, il ne s'est rien passé dans la vie de
Banville qui ne soit de la stricte littérature. Et quant aux encou-
ragements que son propre génie pouvait recevoir de certains modèles,
quant aux incitations qui orientaient sa manière dans des directions
nouvelles, j'ai peur que M. F., très au fait quand il s'agit de Ronsard
ou de poésie grecque et latine, ne soit tenté de passer trop vite sur
Shakespeare et Heine, sur Louis Ménard et A. Maury : du moins
nous donne-t-il, en ces matières, des suggestions plutôt que des
résultais, sans la netteté dans la conjecture qui détermine l'évidence.
Le fantaisiste amer de ïlntej^me^io, en particulier, en dépit des
pages 84, 188, 220, 409, n'apparaît pas dans sa pleine valeur de poète
dont Banville « entendait en lui les vers, rythmés par les battements
même de son cœur ». La façon très plausible dont M. F. entend les
Idylles prussiennes (Prussien voulant dire, au gré de Banville, tout
autre chose qu'Allemand) aurait même trouvé un supplément de
justirication dans cette influence du « Prussien libéré » que Banville
mettait si haut, immédiatement après Victor Hugo. Et ainsi —
comme pour la question de l'hellénisme où le livre de M. Canat
répond à point d'interrogation de M. F. — l'analyse se passe diffi-
cilement d'un peu de synthèse, puisqu'il est possible que le point à
analyser soit précisément l'intersection de quelques données synthé-
tiques qu'il ne faudrait pas négliger ".
L'essentiel restait assurément de présenter sous son jour le plus
1. P. 81, le rythme à'Ibo n'y est pas encore, à cause du second vers. Il y a, à
propos de la rime funambulesque, des remarques bien justes ; il eût été assez
indiqué d'y ajouter l'étude des conditions faites à la pensée par la nécessité de
rimer richement, puisque déjà 'W. Tenint écrivait en son chapitre iv que « la rime
riche favorise la pensée, loin de lui nuire. » Un rappel de la rime inspiratrice des
Espagnols ne nuirait pas, cf. Le Genùï, ^Januel BietO)i de Los flerreros, p. 21 5.
2. Ecrire Pellissier p. vu, note 2, Beecher-Stowe p. i 55, AssoUant, p. 2o3, Creu-
zer p. 400. Le signalement de la brochure de Grein ne signifie rien à moins
d'ajouter ;'p. 3i i, note i) Realgymnasium :{u Xeiinkirchen. Ajouter surtout E. Mon-
tégut, En Bourbonnais, à la bibliographie succincte de la page 4.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE II7
équitable une (vuvre papillotante pour laquelle on est aisément injuste :
en insistant sur le divorce social cl moral qui séparait la poésie et la vie
courante, sur les raisons qu'avait une liiie nature d'artiste de s'irriter
de cette discordance et d'en laisser le contrecoup diriger son inspi-
ration, M. F", remet au point bien des jugements cruels ou dédaigneux.
F. Baldensperger.
Albert Counson, La Pensée romane; essai sur l'esprit des littératures dans
les nations latines. Livre I (Bibliothèque de la Société d'Etudes morales et
juridiques, t. II). Louvain, Uystpruyst-DIeudonné, Paris, Beauchesne, 1911;
in-i 2 de 3/1 pages.
C'est une idée généreuse que M. Counson veut réaliser dans ce
livre, et l'épigraphe ciiique siuim, avec son air de devise intrépide, en
symbolise sans doute la secrète intention : définir, dans l'apport col-
lectif des civilisations occidentales, ce qui revient aux Romans, et
extraire du legs intellectuel que notre âge tient de multiples donateurs
la part spécifique de ces peuples « d'origines disparates, de race inex-
tricable, unis par la communauté de langage ». Car M. Counson
fonde nettement sur les affinités linguistiques l'afiparentement des
groupes qu'il range sous 1' « unité romane », et dont il veut déter-
miner le génie et l'influence intellectuelle. C'est même, à vrai dire, du
postulat avancé dès la page 7, que s'autorise une synthèse qu'on
acceptera ou qu'on rejettera, selon qu'on admettra ou non cette pro-
position : « On peut parler d'une pensée romane dont les productions
se propagent de province en province, à travers les Alpes, la Médi-
terranée, les Pyrénées et la Loire ». J'avoue que, pour mon compte,
j'hésiterais à conclure aussi vite, de la diffusion de l'idiome cà l'iden-
tité de la pensée ; une langue n'est pas une forme si rigide qu'elle ne
s'accommode de variétés d'esprits sufiisanies pour créer d'amples dis-
parates : jamais Rodenbach et Verhaeren ne paraîtront tout à fait les
I compatriotes cérébraux de Mtstral ou de Carducci. Mais, comme
toutes les très vastes synthèses, celle-ci ne saurait ni se vérifier, ni se
j réfuter pleinement. Acceptons-la, sans trop y croire, comme le
! cadre ingénieux où un « romaniste » fait entrer la multiple expérience
qu'il a retirée de ses explorations, et sachons-lui gré d'avoir retenu
au passage tous les traits de civilisation (de civilisation fixée par la
littérature, tout au moins) qui lui ont semblé communs à toutes les
familles de la grande tribu romane.
La conception même du livre amenait son auteur à s'inquiéter
spécialement des persistances, des survivances qui prolongent, bien
I au-delà de la Renaissance, des phénomènes « romans » : recherche
I intéressante, souvent trop poussée quand des manifestations du génie
] celtique ou germanique sont annexées et divulguées par les monu-
i ments romans (p. 109, 256, 261) ou que des identités un peu fati-
I diques [p. i5o, i58, etc.) doivent marquer une sorte de mouvement
I l8 REVUE CRITIQUE
cyclique dans rimérieu-r de ccitc Romanic immanenic; recherche
utile, si M. Counson s'asircini, dans la suite de son œuvre, à saisir,
au moment où ils s'inscrivent dans les langues et les littératures, des
instants décisifs de ce qu'il appelle la « pensée romane ». Ce volume-
ci, avec SCS chapitres consacrés au substraium juridique, pédago-
gique, religieux de la Romanie, à la chevalerie française, à la cour-
toisie, à Tesprii franciscain et à la littérature du principal, accueille
en réalité, pourvu qu'elles aient été fixées dans des œuvres de langue
romane, des manifestations assez variées du moyen âge occidental. 11
est neuf, comme le dit justement son auteur, « en ce que la pensée
romane est envisagée successivement dans ses préoccupations essen-
tielles et dans ses manifestations internationales » : mais est-il aussi
assuré dans ses résultats qu'il est original dans sa disposition ' ?
F. Baldensperger.
J.-G. RoBERTsoN. Gœthe and the twentieth century. Cambridge University
Press. In-8", 191 2.
Henderson. The ballad in literature. Id.
Signalons, dans la collection des Cambridge Maniials of Science
and Literature (University Press) deux volumes de vulgarisation qui
intéressent la littérature générale.
M. J.-G. Robertson consacre à Gœthe une étude qui n"est pas stric-
tement fidèle à son titre {Gœthe and the tiuentieth century) puisqu'elle
consiste surtout en une biographie succincte et un examen des œu-
vres : les quatre derniers chapitres cependant, et la conclusion, con-
sidèrent les parties vivantes et les éléments caducs du << message
gœthéen », non pas à la façon des livres similaires de Bôlsche ou de
Huch, mais à la lumière du développement de la pensée et de la
société modernes après Gœthe, et avec toutes les réserves et les limi-
tations qu'entraîne ce point de vue.
M. Henderson résume [The Ballad in Literature) l'état actuel
des questions qui touchent à ce genre de poésie, prend parti contre
les derniers partisans de la création « anonyme et collective » des
anciennes ballades, et signale en passant les prolongements qu'ont
eus des recueils comme celui de Percy sur le développement de la
littérature. La partie polémique et critique peut sembler trop impor-
tante, s'il s'agit vraiment de « manuels » destinés au grand public.
F. B.
I. 11 ne faut pas attendre jusqu'en 1825 (p. 2) pour trouver un emploi systéma-
tique, en français, de l'adjectif rowa» ; le sens de classique reste lié, en dépit de
l'utilisation scolaire, à la signification latine de « meilleur dans sa classe »
(p. 56); le juron est-il vraiment (p. 129) une sorte de reviviscence ancestrale ? On
sait que Waldseemûlier (p. 192) rétablit lui-même — mais trop tard — le nom
de Colomb sur les cartes de i5i3. Lire Cosmographiae à cette page, trovatori
p. 246, note.
d'histoire et de littérature I I 9
— Nous avons reçu de M. J. Cserkp, professeur d'histoire de la littérature
romaine à Budapest, une brochure intitule'e : de Pelas^is Etruscisque quid fabu-
lis heroicis ac priscis nominibus doceamur (^o p. gr. in-8" Lainpel, Budapest, i kr.
20). C'est l'histoire de ces anciens peuples reconstituée presque uniquement par
les noms des anciens héros et par leurs généalogies; autant dire le mythe des
mythes. Dans le sommaire final, M. Cs. s'attend au reproche de « témérité »;
j'avoue que, dans la critique de sa méthode et de sa brochure, j'irais certes beau-
coup plus loin, ou même comprendrais-je beaucoup mieux s'il ne s'agissait que
d'un jeu ou de quelque gageure. Encore aurais-je souhaité que le jeu fî\l plus
amusant. — E. T.
— Depuis que j'ai signalé le compte rendu des publications sur César par
M. Meusei. (Bulletin du 27 avril dernier, p. 333), l'auteur a poursuivi son travail
et il vient de le terminer en une cinquantaine de pages; en dehors des traduc-
tions des commentaires en allemand (HornefFer) et en anglais (Holmes et Long), je
relève une analyse du livre de Bloch, dans l'histoire de Lavisse ; des articles sur
Martin Bang (Die Germanen im rômischen Dienst bis zum Regierungsantritt Cqns-
tantins); sur la seconde édition de la conquête de Holmes; sur Sihler, sur Sahée ;
sur les auteurs qui ont étudié la campagne des Helvètes et celle d'Arioviste
(Frôhiich, Stolle) et ceux qui ont traité de la bataille de Paris en 52 (Sieglerschmidt),
de celles d'Alesia (Lange) et de Pharsale (Kromayer, Holmes) etc. — r E. T.
— Le professeur bien connu de Berlin, D' Herm. Nohl à qui la librairie Teub-
ner a confié le soin de revoir les Cicérons annotés de Richter, repris après lui
par Eberhard, arrive au tour des Catilinaires. Les voici en 7' édition; la 6* d'Eber-
hard était de 1897. Le texte est remis au courant d'après Clark; le commentaire
a été très remanié et surtout allégé. Beaucoup de soin et une très grande correc-
tion dans tout ce que j'ai lu. De très bons repères pour suivre le plan des discours.
— É.T.
X
— M. A. Merlin, directeur des Antiquités et Arts de Tunisie, publie le IV» et
dernier fascicule du tome 11 de VEnquête sur les installations hydrauliques en
T'uMisie (Tunis, Imprimerie Rapide, 1912). Il contient: une note de M. Hégly,
ingénieur des ponts et chaussées, surSbeitla; une note de MM. Collet et de Smet
sur l'émissaire d'El-Alia; quelques indications sur la culture de Majen-en-Drej, et
une série d'annotations à la carte au So.ooo", par les officiers des brigades topo-
graphiques. De nombreux croquis éclairent le texte. A l'index des notices du
tome II, par noms d'auteurs, est joint un très utile index lopographique, par
ordre alphabétique des noms de localités. — M. B.
— Le 5« fascicule des Notes et documents publiés par la Direction des Anti-
quités et Arts de Tunisie est intitulé : Forum et églises de Sufetuld, par A. Merlin
Paris, Leroux, 1912, in-4", 48 p. 5 pi. et 11 fig.). Le directeur du Service y expose,
avec son habituelle précision, les résultats des travaux entrepris depuis. 1906 à
Sbeitia: déblaiement du Forum, avec son entrée monumentale, ses portiques et
ses piédestaux de calcaire chargés d'inscriptions; déblaiement de l'église du prê-
tre Severus, de l'église de l'évcque Bellator et de la chapelle de l'évoque Jucun-
dus; restauration de l'arc de triomphe. L'une des planches donne le plan général
deSbcitla et l'état des ruinesàla fin de igii. —M. B.
— M. F. VoLLMER, dans les Bulletins de l'Académie des sciences de Bavière
I20 REVUE CRITIQUE DHISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
(1910, n* 14), avait signalé sous ce titre, Die Umdeiitung dites Rômersteitis, l'exis-
tence à Etting, près d'Ingolstadt, au temps de la contre-rcformation, d'une épita-
phe latine païenne prise pour l'inscription funéraire d'un saint. De nouveaux docu-
ments lui permettent de donner une suite à sa première étude (mdme recueil,
191 i.n" i3\ de préciser les origines du culte des Sancti Exules à Etting et de
reconstituer le texte \éritablc de l'épitaphe; elle concernait un <i«f/icariKS appelé
Herennius Secundus. — M. B.
— Le XXXiIl« volume du Bullettino d'archeologia e storia dalmata, année 1910,
contient, comme toujours, une série d'intéressants articles, qui témoignent de
l'activité inlassable et heureuse de Mgr Bulic. Citons en particulier : le compte-
rendu de fouilles ertectuées en 190901 1910 dans une nécropole païenne de Salona,
au lieu A'\X Hortus Metrodori; la publication de nombreuses inscriptions inédites;
des études sur le voyage de Dioclétien, de Ravenne à Nicomédie, en 3o4, sur la
légende de Dioclétien en Dalmatie et dans le Monténégro, sur un sphinx du palais
de Dioclétien à Spalato ; des notices sur les estampilles sigillées, lampes de terre
cuite, pierres gravées, etc., récemment entrées au musée de Spalato; un article de
G. Alacevic sur le gouvernement de Marco Betnbo, de Venise, comte de Spalato,
en i352- 1354. V'^ingt-quatrc planches hors texte illustrent le volume. — M. B.
Académie DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 26 juillet igi2. —
M. Alfred Merlin, directeur des antiquités de la Tunisie, expose des découvertes
récemment survenues à Thuburbo Majus. Dans les ruines de cette ancienne ville,
on a reconnu les restes de deux temples dédiés, sous la domination romaine, à des
divinités puniques demeurées en honneur avec des noms latins : l'un est consacré
à Baal-Saturne; l'autre, qui a fourni de curieux ex-voto, à Tanit-Cérès. A l'époque
chrétienne, celui-ci fut converti en église; dans un des tombeaux aménagés autour
de cette église, on a recueilli de beaux bijoux en or.
M. Charles Diehl lit une notice sur une princesse de Trébizonde qui vivait au
xv« siècle. On la désigne en général sous le prénom de Catherine, et sans doute
ce nom lui est venu du titre, mal compris, sous lequel les contemporains la
mentionnent : Despina Katoun (la princesse). En réalité, elle se nommait, d'une
manière beaucoup plus byzantine, Théodora Comnène. Ceci montre combien dans
l'histoire byzantine, pour les grandes comme pour les petites choses, bien des
points demeurent encore obscurs.
Léon Dorez.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
LE PUY-KN-VELAV. — IMPRIMERIE PBYRILLPR, ROUCHON BT GAMON.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N^ 33 — 17 août — 1912
Dauzat. La philosophie du langage. — Grierson, Le Kaçmiri. — Endle, Les
Kacharis. — Rosenberg, Les centuries. — Octavius, p. Waltzing. — Vie
d'Abercius, p. Nisse.n. — Preusschen et Kruger, Manuel d'histoire ecclésiasti-
que, I. — A. de Berzeviczy, Béatrice d'Aragon. — Gh. Morgan, Les origines du
roman anglais. — Hall, Les idylles de pécheurs. — Schrœder, La légende de
don Juan. — May, La lutte pour le français en Lorraine avant 1870. — Ed.-J.
G00DSPEED, Index apolûgeticus. — Adorjan, Destinées et carrières. — Kari,,
Etudes sur la littérature française. — Gardonyi, La troisième puissance. —
Herczeg, Byzance. — Gombos, La frontière orientale d'Autriche. — Barcza,
Le droit de suffrage en Hongrie. — Vari, Les Halieutiques d'Oppien. —
Académie des Inscriptions.
A. Dauzat, La Philosophie du Langage. Paris, E. Flammarion, 1912; un vol.
in- 18 de 3 3 i pages.
Publié dans la Bibliothèque de Philosophie scientifique dirigée par
le D'" G. Le Bon, ce livre, ainsi que le dit l'auteur, dans sa courte
Introduction, s'est proposé de « dégager, pour le grand public, les
résultats acquis et les principes directeurs qui dominent aujourd'hui
la science du langage ». Il est évident que, pour remplirce programme
d'une façon complète, il eût été bon de ne pas trop rester confiné
dans le domaine des langues romanes, et même de pouvoir par moment
s'élever au-dessus de l'horizon indo-européen : M. Dauzat l'a assez
rarement fait, et si l'on peut le regretter, il serait injuste aussi de le
lui reprocher. En sommeil n'a voulu parler que de ce qu'il connaît
bien; de là une parenté assez étroite entre ce livre et la Vie du langage
publiée par lui en 1910, ou même la Langue française d'aujourd^hui
qui date de 1908. Cependant — disons-le bien vite — l'auteur a eu le
talent de ne point se répéter, tout en exposant des idées sensiblement
identiques ; il a même acquis dans le maniement des faits et des
exemples allégués une incontestable virtuosité, et si c'est là de la vul-
garisation, elle- est en tout cas d'ordre assez distingué. Le public
pourra donc lire ces chapitres écrits dans un style aisé et d'une façon
courante, sans que rien peut-être y réveille beaucoup son attention,
mais sans que rien non plus vienne le choquer ou le heurter. C'est à
peine si çà et là quelques formules, échappées sans doute à une rédac-
tion un peu rapide, pourraient prêter à discussion — car si on les
prenait au pied de la lettre, elles seraient susceptibles d'induire en
erreur des lecteurs inexpérimentés. Etait-il bien utile par exemple, à
la p. 121, de dire : La France, dès Clovis, a acquis son unité' poli-
Nouvelle série LXXIV 33
122 REVUE CRITIQUE
tique, et qu'est-ce qu'une unité de ce genre, à propos de laquelle il faut
immédiatement faire toutes sortes de réserves? Des faits exposés
p. 257 on pourrait inférer que le provençal était la langue courante
en Poitou au xii^ siècle : il est plus probable qu'il n'y a jamais été
usité que comme idiome littéraire, et encore dans une certaine classe
de la société.
Le livre est divisé en quatre parties : I. Les caractères généraux du
langage. — II. [.es évolutions du langage. — III. L'histoire des idées.
— IV. Les Méthodes, et cette dernière partie est assez développée,
soulevant d'ailleurs des questions annexes de pédagogie grammati-
cale qui sont de nature à intéresser le public. Voilà un plan parfaite-
ment acceptable, quoiqu'on pût évidemment en concevoir pas mal
d'autres, et distribuer peut-être les matières d'une façon moins lâche.
Les idées exposées sont elles aussi parfaitement orthodoxes: j'entends
orthodoxes du point de vue des néo-grammairiens, car la théorie du
progrès dans le langage est combattue ici, battue en brèche à maintes
reprises et avec beaucoup de vivacité. Mais il faudrait s'entendre un
peu à ce sujet. Car enfin un des arguments que M. D. emploie contre
elle, consiste à dire : « On ne voit pas qu'on ait progressé depuis le
grec de Sophocle et de Platon » (p. 168). Je suis tout à fait de cet
avis : seulement la question serait aussi de savoir si le grec dont a pu
se servir Solon était déjà aussi parfait que celui qu'a écrit plus tard
Platon. J'estime pour ma part que chaque langue a des périodes
de décadence, et que chacune d'elles probablement n'atteint que pour
un court espace de temps le point de perfection où elle était capable
d'arriver. Il y a quelque chose après tout qu'on peut appeler le génie
de la langue grecque, ou le génie de la langue française. Et si cette
expression paraît un peu trop mystique, je dirai que toute grande
langue évolue en fonction d'un groupe social, qu'elle reflète en somme
les caractères psychiques et la fortune politique du peuple qui la
parle. C'est pour cela que, au risque d'être taxé de rétrograde, je ne
puis pas convenir que le français, par exemple, ait eu à tous les
moments de sa durée la même valeur intrinsèque, ni le même degré
d'intelligibilité ou de beauté. Le français qu'on parlait sous Charles VI
valait-il celui qu'on parlait sous Louis XIV ? Ce sont des questions
qui entraîneraient loin, mais de la solution desquelles il ne faudrait
pas non plus, sous prétexte de science, bannir tout élément esthé-
tique. Car si l'on prend au pied de la lettre la théorie qui nie tout
progrès possible, on en arriverait sans doute à quelque conclusion
platement utilitaire, et à déclarer, je suppose, qu'un sabir quelconque
ou encore l'anglais-pigeon doit être placé sur le même rang que nos
grandes langues littéraires. Pour ma part je n'y consens pas.
E. BOURCIEZ.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 123
CiRiERSoN (George A.). A manual of the Kashmiri language ; vol.I : grammar
and phrase-book, i5g p.; vol. 11 Kashmiri-english vocabulary, 211 p.; 2 vol.
in-i6, Oxford, Clarendon Press, 191 i, 12 sh.
Le kaçmiri est parlé par un million d'hommes dans la vallée du
Cachemire ei les montagnes qui l'environnent. C'est une langue
indienne, mais fort différente d'aspect des langues plus connues de
l'Inde gangétique. Cinq siècles de domination musulmane y ont
rendu l'apport persan et arabe particulièrement important dans le
vocabulaire; surtout, l'isolement du parler au milieu des montagnes,
l'absence de littérature écrite, le voisinage de dialectes encore moins
civilisés sont autant de causes qui ont contribué à maintenir au kaç-
miri un aspect original et à en rendre l'étude difficile. Ce n'était pas
une mince tâche que d'en faire tenir une bonne grammaire, de nom-
breux textes et un riche vocabulaire en deux volumes élégants et prêts
à tenir sans difficulté dans les poches du voyageur.
Car c'est avant tout au touriste que l'auteur prétend avoir pensé en
écrivant ce manuel. Il admet cependant que des « étudiants plus
sérieux » pourront aussi y trouver quelque profit. Et en effet les philo-
logues, quoique l'auteur ne semble réclamer leur suffrage qu'en
second, seront pleinements satisfaits du livre. Ce n'est pas en vain
que M. Grierson applique depuis de nombreuses années la méthode
linguistique à l'étude des langues indo-aryennes, dont il donne dans
le monumental « recensement linguistique de l'Inde » ' une descrip-
tion si complète, si précise et souvent si neuve; et qu'il a en même
temps concentré son effort sur certaines d'entre elles, comme celles
du Behar et précisément le kaçmiri. Car la lente et minutieuse prépa-
ration du présent manuel a été précédée de l'édition d'une grammaire
indigène du kaçmiri ; elle est allée de pair avec la publication de plu-
sieurs travaux consacrés à l'étude comparative des dialectes monta-
gnards avoisinants, avec l'édition du premier texte littéraire hindou
en kaçmiri qui sera imprimé (le Çivaparinaya de Ràzdàn) et la prépa-
ration d'un dictionnaire kaçmiri complet. On ne saurait donc s'éton-
ner de voir dans le Manuel les exigences plus raffinées du philologue
satisfaites autant que les besoins momentanés du touriste.
Les phrases rangées en forme de dictionnaire qui forment les textes
ont été recueillies par M. Grierson lui-même de la bouche d'indigènes,
et contrôlées depuis par plusieurs témoignages; la transcription en
est pour la première fois donnée dans un système uniforme. C'est
d'après ces textes, c'est-à-dire d'après la langue réelle et vivante, qu'est
composé le vocabulaire qui occupe tout le second volume.
La grammaire proprement dite, fondée elle aussi sur les textes, porte
la trace du même esprit critique et systématique. La plupart des soi-
disant irrégularités qui encombraient l'étude Jusqu'ici se sont évanouies
I. Linguistic Siirrey of India; onze volumes ont paru. Cf. Rev. crit., igoS,
p. 184.
I 24 REVUE CRITIQUE
du jour OÙ M. Giierson définissait avec précision les lois de raltéiation
des phonèmes sous l'inHuence des phonèmes voisins. Celles-ci étaient
d'autant plus difficiles à déterminer qu'elles dépendent très souvent de
la présence de voyelles brèves, tellement brèves qu'il leur arrive d'échap-
per à l'audition ; par exemple le a initial de andar « dedans » s'assour-
dit sous l'influence de Va ultra-bref intérieur de andara « hors de »; et
c'est la seule présence de il ultra-bref final qui détermine le change-
ment d'aspect du mot rat « nuit » au pluriel riitsii. Ainsi sous l'article
intitulé modestement « alphabet», non seulement l'auteur définit sa
transcription avec une exactitude minutieuse et nouvelle, mais il est
amené à donner une phonétique systématique dont l'intelligence
éclaire et simplifie la morphologie tout entière. Autre simplification
dite à la même méthode : on a coutume dans les grammaires des
langues indiennes de dénombrer sous le nom de cas des juxtaposés
de noms et de posipositions; en rcaYné bagas andar nesx pas plus un
locatif que le frafiçais dans le jardin auquel il correspond; M. Grier-
son a rompu avec cette habitude empirique et a du coup considéra-
blement allégé l'exposé de la déclinaison. On ne peut dire que son
succès soit aussi évident pour le verbe; mais d'un système compliqué
on ne peut faire un exposé simple; et ici c'est la grammaire histo-
rique seule qui aurait sans doute pu porter un secours efficace à la
grammaire descriptive. Telle quelle, la grammaire de M. Grierson
dépasse à peine cinquante pages; et il peut se vanter à juste litre de
l'avoir faite à la fois plus complète et plus courte — ajoutons plus
exacte — que tous ses prédécesseurs.
Nous en avons assez dit pour marquer l'importance de l'ouvrage
et la reconnaissance due à l'auteur. S'il est vrai que l'éditeur, même
en combinant la clientèle des touristes et des philologues, ne peut
compter sur des bénéfices sérieux, nous devons, avec l'auteur, remer-
cier aussi et féliciter la maison qui a assumé la charge de la publica-
tion.
Jules Bloch.
Endle (Rev. Sidney). The Kacharis, With an introduction by J.-D. Anderson, Lon-
don, Macmillan et C°, 191 1; in-8, XIX-12S p., index, i pi. carte, 12 pi. phol.,
4 pi., chromos, 8 sh. 6 d.
Les Kacharis appartiennent à ces peuplades Boro qui semblent
avoir jadisoccupé tout l'Assam et furent refoulées dans les montagnes.
Tandis que les Goros étaient encore récemment des chasseurs de
têtes, et que les Chutiyas restaient fameux par leurs sacrifices
humains, leurs congénères Kacharis sont de paisibles cultivateurs qui
mènent une vie douce et décente, tout à fait selon le cœur d'un mis-
sionnaire. Le Rev. Endle, qui évangélisa cette région pendant près de
quarante ans, a décrit avec complaisance leur existence laborieuse,
leur système d'irrigation où se manifeste leur esprit de solidarité,
d'histoire et de littérature 125
leurs tissages de soie, leurs procédés de pèche et de chasse; mais la
plus grande partie du livre est consacrée à l'étude de leur organisa-
tion sociale et religieuse, de leur langue et de leur folk-lore : sur ce
point de notables enrichissements sont dûs à l'adjonction de contes
fournis par l'éditeur, M. Anderson,
Parmi les clans que l'auteur énumère, plusieurs, sinon la plupart,
comme le veut l'auteur, sont d'origine totémique. Mais ce qui est par-
ticulièrement instructif c'est la coexistence des groupes sociaux d'ori-
gine diverse. A côté de clans où la parenté des membres avec le" tigre
ou la sangsue se constate à des rites caractéristiques, on en trouve
d'autres d'origine professionnelle comme ceux du sésame ou du
fleuve (pêcheurs), et enfin d'autres portant des noms sanskrits [svarga,
basumati, brahma), dont les membres naturellement vivent plus ou
moins de la religion. L'hindouisme a d'ailleurs introduit outre les
brahmanes ou quasi-brahmanes, un certain nombre de divinités,
notamment des divinités de village. Il est permis de soupçonner que
là ne s'arrête pas l'apport de l'Inde; pour l'époque ancienne, la ques-
tion est provisoirement insoluble, et l'on ne saurait se plaindre qu'elle
n'ait pas été soulevée. Mais sur les transformations sociales actuelles
peut-être aurait-on pu souhaiter davantage que n'en dit l'auteur, et
il vaudrait mieux analyser les résultats de l'influence bengalie et de
l'influence anglaise que de se borner à regretter la corruption grandis-
sante du <( bon sauvage » par la civilisation. En tout cas le livre du
Rev. Endle aie mérite de décrire la vie traditionnelle de la peuplade
qu'il étudie sans idées préconçues, sinon celles naturelles à un mis-
sionnaire, et souvent avec des détails pittoresques et bien observés.
Jules Bloch.
A. RosENBERG, Untersuchungeo. zur rômischen Zenturienverfassung, Ber-
lin, 191 1 (93 p., in-S").
Cet ouvrage semble être sorti de l'école de M. Ed. Meyer. Il est
intéressant comme méthode. L'auteur ne s'attarde pas sur le terrain
juridique, où Mommsen n'a laissé qu'à glaner. En revanche, il insiste
sur les questions de statistique, avance dans la voie indiquée par
M. Beloch, et y rencontre chemin faisant la matière de maintes obser-
vations importantes.
Dans le premier chapitre, M. R. s'attache à démontrer que la
première organisation centuriate remonte à la première moitié du
iv« siècle (p. 21). Il est difficile, malgré tout, d'admettre que le mot
centurie n'ait pas, à un moment quelconque, désigné un groupe
d'une centaine d'hommes, et que le chiffre des 85 centuries de
juniores (sinon celui des 40 centuries de juniores de la i" classe)
n'ait pas répondu, au v^ siècle, à l'effectif normal de l'armée romaine.
Dans le second chapitre, M. R., après avoir établi que le cens
I2Ô RF.VUE CRITIQUE
n'avait jamais pu être déiini par un capital foncier, montre, à l'aide
d'analogies modernes, qu'il faut supposer le cens de la r* et celui
de la 5' classe beaucoup plus élevé qu'on ne le faisait au temps de
Mommscn '. Dans un Exkurs (p, 02), il fait remarquer que la
1" classe correspondait beaucoup plutôt aux \-t.i'.:, qu'aux reugitcs
athéniens. 11 traite ensuite des accensi velati, des prolétaires et capite
censi : je ne puis croire (p. 43) qu'Aulu-Gelle ait inventé le chiffre de
375 as pour déhnir cette dernière catégorie.
Chapitre sur les sex suffragia : je préfère l'opinion admise dans les
derniers ouvrages, d'après laquelle le chiffre de 1800 chevaliers n'au-
rait été atteint qu'au temps des guerres samnites.
Le chapitre sur les curies et centuries met bien en relief le tardif
développement de l'influence réelle des assemblées populaires.
Le chapitre sur la réforme de l'organisation centuriate est plein
d'observations intéressantes. J'ai dit ailleurs (Journal des Savants
191 i) pourquoi et comment la réforme me paraissait avoir été certai-
nement étendue aux classes inférieures (contre la p. 82). M. R. me
paraît, sur ce point, résister très faiblement au témoignage de
Polybe VL 14 (p- 841, à celui de Cicéron, de lege agr. H, 2, 4 (p. 86).
Sur les centuries du Corpus IV, 200, et les « tribus » du 1" siècle,
il a peut'être raison .
E. Cavaignac.
M. Minucii Felicis Octauius recognouit et commentario critico intruxit Joh.
P. WaltzinGj Lipsiae in aedibus B. G. Teubneri MGMXII. Prix : broché i M. :
relié 1 M, 40.
En moins de trente années, la librairie Teubner a confié à trois
éditeurs différents le soin de publier V Octauius ; à M. Baehrens en
1886, à M. Hermann Bœnig en 1903, à M. J. P. Waltzing en 1912.
A travers ces trois éditions, on peut suivre utilement le travail de la
critique autour de ce libellus aureus.
On sait que VOctauius ne nous est parvenu que par un seul ms. le
Parisinus, n" 1661, celui-là même qui contient Vadu. Nationes d'Av-
nobe. Le ms. de Bruxelles n'est qu'une copie du Parisinus. Or le
texte de Parisinus, transcrit par un copiste évidemment très ignorant,
foijrmiUe de fautes.
Avec une intrépidité surprenante, Baehrens corrigeait de son cru
non seulement les passages certainement altérés, mais ceux-là même
dont le sens général n'avait pas l'heur de lui plaire. Ainsi au ch. 11,
Minucius Félix écrit : « Au point du jour, nous nous dirigions vers la
mer en suivant le rivage : la brise qui soufflait doucement regaillar-
dissait nos membres et nous éprouvions un extrême plaisir à sentir le
s^ble céder mollement sous nos pas [ut et aura adspirans leniter mem-
I. Il « risque » (p. 3o) la supposition que les chevaliers et la i^" classe étaient
identiques. Il y a longtemps que Belot l'a démontré.
d'histoire et de littérature 127
bra uegetaret et ctim eximia iiolitptatc molli uesttgio cedens harena
subsideret . Baehrens corrige ainsi : « ... uegetaret cum eximia uolup-
tate et molli, etc.. « vu que, déclare cet homme grave, « de sentir le
sable céder sous ses pas peut bien faire plaisir à des enfants, mais
nullement à des gens sérieux » (p. xvi). Que parmi ses i 5o ou 160 con-
jectures, il y en ait d'amusantes ou d'ingénieuses, la chose n'a rieri
pour surprendre. Mais était-ce là de la critique sérieuse ? — J'ajoute
que Baehrens fournissait trop libéralement dans sa préface la preuve
d'une étrange lourdeur d'esprit. Sous prétexte que Minucius Félix a
minimisé \e dogme dans son opuscule, et qu'il s'est tenu dans l'ordre
des affirmations philosophiques les plus générales, Baehrens voyait
en lui un hérétique tout édulcoré et prudent; il l'appelait « un pré-
curseur des Strauss et des Renan ». Paradoxe trop criant poiir qu'il
soit utile de le réfuter.
L'édition de Bœnig avait une autre allure. Point d'élucubrationS
morales et littéraires, mais, dans l'introduction, un classement
méthodique des fautes du manuscrit; dans le texte, une discrétion
relative en matière de conjectures personnelles, un choix attentif des
corrections les plus judicieuses parmi celles qui avaient été déjà pro-
posées; des indications précieuses sur les sources de Minucius Félix;
enfin un Index grammatical soigneusement rédigé. Le progrès était
sensible.
M. E. Norden, tout en rendant pleine justice au travail de Bœnig,
formula une double critique dans un article des Gott. Gel. An\. dô
1904, p. 293 et s. Il reprocha à Bœnig de n'avoir tenu presque nul
compte de la question des « clausules », et il lui démontra que beau-
coup des corrections qu'il avait acceptées étaient inutiles, qu'en maint
endroit le texte du manuscrit pouvait et devait être maintenu.
L'article de M. Norden a exercé une influence manifeste sur l'es-
prit de M. Waltzing. Ayant revu de ses propres yeux le manuscrit
de Paris et la copie de Bruxelles, M. W. a achevé de se convaincre
que, si on élimine les fautes d'orthographe et les bévues certaines du
copiste, le texte traditionnel est ordinairement acceptable, pour peu que
l'éditeur se soit familiarisé avec la latinité du second siècle. C'est
ainsi que sa toute récente édition est infiniment plus respectueuse de
ce texte que celle de Baehrens — cela va de soi —, mais aussi que
celle de Bœnig. L'évolution de la critique sur l'Octauius s'est donc
faite depuis trente ans dans un sens déplus en plus conservateur.
M. W. était mieux préparé que nul autre à s'acquitter digne-
ment de la tâche que la librairie Teubner lui a confiée. Dès 1903 il
publiait une édition de l'Octauius où il condensait dans les notes
tout le travail critique antérieur. Depuis lors il a constamment suivi
les nombreux travaux dont Minucius Félix a été l'objet; il y a per-
sonnellement coopéré par ses propres recherches, il a orienté de ce
côté ses élèves. C'est à son texte — dont il est permis de louer l'im-
128 REVUE CRITIQUE
pression typographique si agréable et si nette — qu'il faudra se référer
désormais. M. W. a cité avec plus d'ampleur encore que Bcenig les
sources où a probablement puisé Minucius Félix et les imitations
qui ont été faites de VOctaiiius par les auteurs chrétiens postérieurs.
Il n'a pas osé ranger Tertullicn parmi les sources de Minucius. Il
faut bien pourtant accepter cette filiation comme acquise, maintenant
que la thèse si remarquablement soutenue jadis par notre Massebieau
et reprise par M. Monceaux nous revient d'Outre-Rhin avec la docte
estampille de M. Richard Hcinzc!
M. W. ayant publié récemment une petite grammaire et aussi un
lexique de Minucius Félix dans la Collection belge des Classiques
latins comparés n'a pas cru devoir recommencer ce travail pour la
Collection Teubner. En un certain sens, c'est dommage, et cette
omission fera que beaucoup de gens continueront à se servir de
Bœnig, pour l'ample Index grammatical qu'il a joint à son édition '.
Pierre de Labriolle.
Th. NisSEN. S. Abercii Vita, Leipzig, 1912; prix : 3 M. 20.
Tout ce qui touche Abercius intéresse les archéologues et les his-
toriens de l'antiquité, depuis environ trente ans que l'attention a été
ramenée sur ce personnage par les brillantes découvertes de W. Ram-
say en Phrygie. M. Th. Nissen, qui a déjà publié dans \a Bibliotheca
Teubneriana, il y a deux ans, l'inscription d'Abercius, en collabora-
tion avec M. Willy Ludtke {Die Grabschrijt des Aberkios, 1910),
vient de donner à la même collection une édition nouvelle de la Vie
de saint Abercius. Cette Vie nous est parvenue en trois recensions.
La première a été conservée dans le Cod. Parisinus n° 1540, du x'' ou
xi^s,, dans le Cod. Mosquensis 379, s. xi, dans le Cod. Hierosolymi-
tanus de la biblioth. patriarchale, n° 27, s. xi ou xii, enfin dans une
traduction russe dont M. Nissen s'est attaché précédemment à mon-
trer la grande importance {Die Grabschrift, p. 22 et s.). La seconde
figure dans le ms. n" i 10 du fond Coislin : elle avait déjà été publiée
en i833 par Boissonnade dans ses Anecd. Graeca, V, .462 et s. La
troisième, due à Siméon Metaphraste, a paru dans les BoUandistes
[Acta SS., Oct. tom. IX [i858], p. 485 et s,) et dans la Patrol.
grecque, t. CXV, 121 2 et s., d'après le ms, 1484 de la Bibl. nat. De
I. g II, I, citer parmi les imitations Saint Jérôme, Ep. lxxix, 6 ad Salumam(P.l..
xxu, 728) à propos de la jeune sœur de Nebridius : « Garrulaatque balbutiens, lin-
guae offensionc fit dulcior ». Pour xiv, i homo Plautinae prosapiae, renvoyer à
Harnack, Mission iind Ausbr. des ChristenUtms, z"" éd. 1, SSg et à d'Aiès, Etudes,
numéro du 5 avril 19 10, p. 85. On notera qu'à partir du § xxi, 4. W. a modifié
l'ordre de quelques chapitres conformément aux vues qu'il avait exposées dans
le Musée belge de 1906, p. 83-io8. C'est là, ce me semble, une transposition bien
audacieuse. Il eût mieux valu garder' la disposition habituelle, et signaler en note
ou en appendice celle à laquelle M. W. accorde ses préférences.
d'histoire et de littérature I 29
CCS trois recensions, c'est la première, les travaux d'Ehrhard l'ont
prouve, qui reproduit le plus tidèlement la forme originelle des Actes
d'Abercius. M. Nissen les donne toutes trois avec un apparat critique
très soigné et un excellent index. Cet opuscule rendra de grands ser-
vices à la science hagiographique. Il fournit une base nouvelle aux
recherches relatives à Abercius et à la fameuse inscription reproduite,
comme on sait, dans la Vie, et qui a certainement fourni au bio-
graphe plusieurs des épisodes romanesques qu'il met au compte de
révèque d'Hiéropolis. Notons p. xxi-xxiv un utile supplément biblio-
graphique aux répertoires d'Ul. Chevalier, de Dom Leclercq, etc.
P. de L.
Handbuch der Kircbengeschichte tûr Studierende in Verbindung mit G. Fic-
ker, H. Hermelink, E. Preuschen, H. Stephan, herausgegeben von Gustav Kru-
GER, Erster Tcil. Das Altcrtum, bcarbeitet von E. Preuschen u. G. Krûger,
Tûbingcn, Mohr, 191 1. xiv-295 p. in-S». Prix : 5 Mk.
Voici entin un manuel d'histoire ecclésiastique qui n'est ni protes-
tant ni catholique ni anti quelque chose, qui est simplement une
œuvre scieniitique. J'en juge du moins par ce premier volume. Les
noms des auteurs étaient déjà une garantie. La pratique du livre fait
la preuve.
Le plan est original et ne pouvait être conçu que par des hommes
du métier. Après une introduction, deux parties : i" Christianisme et
-Eglise dans l'Empire romain jusqu'à la fin du m'' siècle, par M. Preus-
chen ; 2'' L'Eglise d'Empire fde la fin du iii'^ siècle au commencement
du vii''j,par M. Kriiger. La première partie a trois sections : 1° L'Em-
pire romain et ses religions (la civilisation de l'hellénisme, le
judaïsme, Jésus et le christianisme primitif) ; 2'' L'origine de l'Eglise
le christianisme dans les communautés : documents, situation et
extension, foi et mœurs, constitution, culte, rapports avec l'Etat et
avec le monde, littérature de polémique; le christianisme hors des
communautés; judéo-christianisme, gnose, montanisme; l'Eglise
catholique : les « normes » et leur exposé, les débuts de la primauté
romaine) ; 3" le catholicisme primitif (l'Eglise et le monde, la vie inté-
rieure). La deuxième partie se subdivise d'après les deux phases de
l'histoire de l'Eglise d'Empire : Apogée (Empire et Eglise, constitu-
tion de l'Eglise, maîtres et enseignement, vie ecclésiastique, expan-
sion hors du domaine gréco-romain); Décadence, en Orient (Byzance,
l'Eglise byzantine, les luttes dogmatiques, les Eglises séparées), en
Occident (la papauté et la séparation de Byzance, la vie ecclésiastique.
Eglise et Etat dans les monarchies ariennes, l'Eglise franque, l'Eglise
dans les îles britanniques). Si l'on compare ce plan, si clair et si com-
préhensible, à celui d'autres livres, on verra déjà qu'il réalise un pro-
grès. Les grandes divisions s'imposaient ; mais dans les subdivisions
et dans la distribution de la matière se révèle surtout sa supériorité.
1 ?0 REVUE CRITIQUE
Chaque paragraphe comprend trois parties : d'abord la bibliogra-
phie générale du sujet; puis, un exposé, assez court, en gros texte;
enlin, tout le détail, en petit texte, avec des subdivisions numérotées.
Les chitlVes se retrouvent dans le résumé qui fait la seconde partie.
Ce détail est admirable de sobriété, de précision et de plénitude.
Chaque numéro est suivi de sa bibliographie particulière. Prenons au
hasard le i; m», Happons de l'iîglisc avec l'Etat romain païen et avec
la société contemporaine. Après la bibliographie et le résumé, nous
trouvons en petits caractères les points suivants, chacun suivi de sa
bibliographie : i" situation sociale notamment accusations contre les
chréiicnsi ; 2" situation légale des chrétiens i fondement juridique des
persécutions), 3° Néron, 4" Domiiien, 3° Trajan, 6° Hadrien, 7" les
Antonins, 8° Actes des martyrs, 9° Commode.
La bibliographie est tout à fait complète. Une lacune sensible était
jusqu'ici le manque d'une bibliographie de l'histoire ecclésiastique.
Le manuel de M. Krùger comble cette lacune. M. K. est un des rares
savants allemands qui est au courant de tout ce qui paraît hors d'Alle-
magne. Travaux français, anglais, hollandais ont ici leur place, aussi
bien que les allemands. On verra dans ce volume paru en 191 1 l'in-
dication d'articles français publiés la même année. Peut-être de temps
en temps, y a-t-il excès. Etait-il utile de citer les fantaisies d'un
Hochart (p. 64)? Les références sont très exactes et les litres français
correctement reproduits. J'y ai prêté une attention particulière et
voici tout ce que j'ai trouvé : l'article de M. Hem mer sur la Didachè
a paru dans la Revue d'histoire et de littérature religieuses, et non pas
dans la Revue d'histoire des religions (p. 48,*^ 5, i3);le nom de
M. Vessereau, auteur d'une thèse sur Ruiilius Namatianus, est estro-
pié (p. 145; § 25, 7).
Le livre est au courant, parfois presque trop. Car il accueille une
hypothèse que le temps n'a pas laissé mûrir, comme celle du jésuite
Brewer sur la date de Commodien (p. 137).
L'impression est très nette, quoique très serrée ; mais elle est en
caractères gothiques, même pour les citations latines! Dans un livre
savant, ce retour à un système fâcheux est peu louable. L'index ne
contient que les noms de personnes ; cela n'est pas toujours sufïisant.
Ces critiques ne sont pas bien graves. L'ouvrage est de première
valeur, et dans un temps où nos universités s'ouvrent à l'histoire
impartiale du christianisme, il peut rendre en France les plus grands
services.
M. D.
Albert dk Berzeviczv, Béatrice d'Aragon, reine de Hongrie (1457'1508).
Tome 11. Paris, Champion, igi2. 2Ç)b p. in-i(") (Tome IV de la Bibliothèque
hongroise).
Avec ce volume là biographie de la reine Béatrice est terminée. Le
d'histoire et de littérature i?i
premier volume (V. Revue critique, 191 1, n° 46) a retracé son éduca-
tion et les neuf premières années de son mariage avec Mathiâs Coi*-
vin. Ce mariage étant resté sans enfant, le roi voulut assurer le trône
à son bâtard, Jean Corvjn. C'est alors qu'on vit les premiers symp-
tômes de cet « antagonisme latent » que l'auteur nous décrit, d'après
dés documents inédits et avec des détails inconnus jusqu'ici des his-
toriens hongrois. Mathias, pour donner à son fils un peu de lustre,
le fiança avec Bianca-Maria, de la maison des Sforza, mais les intri-
gues de la reine firent échouer ce projet. Le roi pensa alors à un autre
établissement pour son fils, mais la mort l'en empêcha. Dans les cinq
dernières années de sa vie, l'influence italienne devint tout à fait domi-
nante en Hongrie. La reine, malgré l'opposition momentanée du
pape, put faire agréer son neveu Hippolyte d'Esté qui n'avait que
sept ans, comme archevêque-primat de Strigonie (Esztergom), la plus
haute dignité ecclésiastique du royaume. Avec Hippolyte d'Este
arriva toute une cour de lettrés et de courtisans. L'élément hongrois,
mécontent du luxe déployé par les Italiens à la Cour de Bude, s'ir-
rita encore davantage et toute sa haine s'amassa contre la reine. Le
grand prédicateur de l'époque, Pelbart de Temesvdr, dofit les 5er-
mons étaient répandus dans toute l'Europe, tonne contre ce luxe
effréné, ces mœurs relâchées. Bonfini, l'historien des Magyars, qUi
vint alors en Hongrie, et d'autres humanistes italiens voient les
choses différemment. Bonfini dit que depuis l'arrivée de Béatrice
« Mathias a introduit des éléments italiens dans les mœurs scythiquès
de son peuple, qu'il a purgé la Hongrie des coutumes rustiques,
qu'il s'efforçait même d'en faire une seconde Italie ». Naldus Nal-
dius espérait que lorsque Mathias aurait un fils (de Béatrice) il ferait
de son royaume une autre Italie. Cœlius Calcagnini loue Béatrice
d'avoir « adouci les mœurs sauvages d'un roi qui avait été élevé
parmi des barbares ». Quelques humanistes hongrois exceptés, la
grande majorité des seigneurs ne pouvait se rendre compte de l'action
bienfaisante que la Culture de la Renaissance exerçait sur leur pays.
Ils ne voyaient que les intrigues de lâ reine et ces « barbares >» lui
firent sentir qu'à l'occasion ils pouvaient être aussi fihs et aussi rusés
que les Italiens. Après la moft du roi (6 avril 1490), la reine commit
l'imprudence de faire trop vite des avances au prétendant Wladislas,
déjà roi de Bohême, que les États de Hongrie voulaient élire roi.
Voyant que les partisans de Béatrice étaient encore assez nombreu'x
et qu'ils pourraient retarder l'élection, les seigneurs imaginèrent Une
ruse peu digne de gentilshommes. Avec la connivence du pleutre
Wladislas, ils promirent à la reine de faciliter son mariage, si elle
renonçait au trône en faveur de son futur mari. La reine le promit et
la cérémonie eut lieu dans une pièce retirée du château de Budê.
L'évêque Bakôcz, celui-là même qui devait succéder à Hippolyte
d'Esté comme archevêque-primat de Strigonie et devenir le concur-
1 32 RIilVUE CRITIQUE
rem de Léon X au conclave, bcnii le mariage, mais après la cérémonie
W'iadislas disparut et ne voulut plus voir la reine. Un document très
curieux acquis tout récemment par le Musée national hongrois,
raconte en détail ce mariage. C'est un acte notarié que la reine fit
dresser deux ans après cette cérémonie pour prouver à la Diète hon-
groise que son mariage fut conclu selon les rites et devait être consi-
déré comme valable. On voit par ce document ' que Wladislas
emprunta même des sommes assez importantes à Béatrice, sommes
qu'il ne lui a jamais rendues.
Pendant tout le reste de sa vie, la malheureuse reine s'efforça de
faire reconnaître la validité de son mariage. Elle envoie requête sur
requête à Rome et aux différentes cours italiennes, le procès traîne
jusqu'en i 5oi lorsque le pape Alexandre VI, écoutant les conseils de
la Cour de France et ceux de Venise, annula le mariage, ce qui per-
mit au roi de Hongrie d'épouser Anne de Foix, nièce de Louis XI '.
Béatrice se retira alors à Naples ; sa famille était en partie exilée, en
partie dans la misère. La France et les Aragon d'Espagne avaient
conquis Naples et les princesses vivaient de modestes apanages. Les
derniers efforts de la reine tendirent à obtenir sa dot du roi de Hon-
grie, mais ni elle, ni ses héritiers n'ont rien reçu. Elle mourut en
I 5o8 et fut enterrée dans l'Église de Saint-Pierre-le-Martyr, où l'on
voit encore son tombeau.
Toutes les péripéties de cette vie mouvementée sont racontées par
M. de Berzeviczy d'une façon très attrayante. Il nous a tracé un
tableau très vivant de la Renaissance en Hongrie, tableau dont chaque
trait s'appuie sur des documents jusqu'ici inconnus. Il serait à sou-
haiter que son exemple fût suivi par d'autres historiens hongrois dont
les beaux travaux restent inconnus à cause de l'ignorance où l'on est
de la langue magyare.
I. KONT.
Charlotte E. Morgan, The Rise of the Novel of Manners, A Study of English
■ Prose Fiction between 1600 and 1740, New-York. Columbia University
Press, 191 1, in-S", 271 pp., i d. bo.
Excellente étude sur les origines du roman en Angleterre. Le livre
est divisé en quatre parties : romans d'aventures et romans pica-
resques, le roman de 1 600 à 1 700, le roman de i 700 à 1 740, le roman
populaire : Bimyan et Defoe. Pendant tout le xvii^ siècle, l'Angleterre
subit l'influence continentale pour s'en émanciper dans la première
moitié du xviir. De 1700 à 1740, tout annonce Richardson : on
trouve de nombreux romans écrits sous forme de lettres, traitant un
1. M. Berzeviczy en a donné l'analyse et le commentaire dans la Budapesti
S^emle, 1912, févr.
2. Le récit du voyage de la princesse française et de sa réception à Bude nous
est conservé dans un manuscrit de la Bibl. nat. fonds français 90, et fut publie
par Le Roux de Lincy dans la Bibl. de FÉcolc des Chartes, t. XXII (1861).
d'histoire et de littérature i33
thème que Paméla rendra célcbre, rinnoccncc et la vertu aux prises
avec le vice élégant. A la thèse proprement dite développée en une
centaine de pages succèdent des appendices précieux, c'est une ana-
lyse de la Parthenissa de Roger Boyle, une bibliographie chronolo-
gique des romans et collections de romans parus de i(3oo à 1740, une
liste des réimpressions. — J'ajoute quelques remarques que M"" Ch.-
E. M. pardonnera : p. 48 et ailleurs, l'auteur écrit tantôt Portugese
et tantôt Portugtiese; p. j3 n., lisez : Si je lui faisois...; p. 86, corri-
gez : lÔyS; p. 149, Le Socialisme; p. i5i, mariage; p. 201, deux
brochures parues en 1689 : Amours of Messalina et Love Letters
between Polydorus and Messalina sont à peine des contes, mais de
véritables pamphlets politiques; p. 23o, lisez : V Entretien et p. 232 :
Le paysan jjaryenw. — Sans rien apporter de vraiment nouveau sur
un sujet déjà souvent traité, l'auteur a su faire œuvre utile à force de
conscience et de précision.
Ch. Bastide.
Henry Marion Hall, Idylls of Fishermên, a History of the Literary Species,
New-York, Columbia University Press, 1912, in-i6, 216 pp., i d. 3o.
A côté des bergers, le poète bucolique place quelquefois des
pêcheurs. On se rappelle la vingt-unième idylle de Théocrite où la
condition du travailleur de la mer est décrite de façon à en faire sen-
tir la tristesse et le cHarme. Partant de Théocrite, M. H. M. Hall a eu
l'idée d'étudier ce thème littéraire à travers les siècles. Traité assez
souvent dans l'antiquité, il fut repris à la Renaissance par Sannazar.
Imité en Espagne et en France, Sannazar finit par trouver des conti-
nuateurs en Angleterre : c'est Spenser, c'est Fletcher, c'est Donne,
c'est Drayton. Shakespeare et Milton, génies universels, n'ont pas
omis de parler de la mer et des pêcheurs. Ni dans Pericles, ni dans le
Paradis reconquis on ne trouvera cependant de trace d'influence ita-
lienne. L'auteur passe ensuite rapidement sur lexviii<= siècle et signale
au xix*" V Antiquaire de Sir Walter Scott et Gra\iella de Lamartine.
— P. 43, je ne sais pourquoi M. H. M. H. s'obstine à traduire Mosella
par Meuse; p. 93', corrigez : Hardy, la Pastorale; pp. 94 et 95, les
noms de Delille et de Brizeux n'ont pas trouvé grâce devant les impri-
meurs américains; p. 195, lisez : iS'id et non / 6"/ 6'; l'erreur est répé-
tée, p. 210; p. 202, lisez : Lemerre et plus loin : quelques autres;
p. 2o3, corrigez encore ; Brizeux; p. 210, l'éditeur de Saint-Amant
est Livet.
Ch, Bastide.
Theodor Schrœder, Die dramatischen Bearbeitungen der don Juan-Sage in
Spaniei), Italien und Frankreich bis auf Molière einschliessiicii. Halle a. S.,
Niemeycr, 1912, in-S», p. 225. Mk. 8.
Le sujet de M. Schrœder a été déjà traité, et avec une grande abon-
1^4 REVUK CRITIQUE
dancc d'information, par M. Gendarme de Bévotte en 1906. Si M. Sch.
a cru devoir le reprendre après lui, c'est que, tout en rendant le plus
i^rand hommage à la science de son prédécesseur, il diffère sur plu-
sieurs points de ses conclusions ; ce sont ces divergences que je vou-
drais ici surtout signaler. Le travail de M. Sch. est très méthodi-
quement divisé : il passe successivement en revue les œuvres drama-
tiques suscitées par la légende de don Juan en Espagne, en Italie, en
France, en s'arrctant après Molière. Chacune de ces trois parties est
consacrée aux éditions des pièces, à leur analyse détaillée, aux auteurs
et enfin aux sources. Des problèmes souvent compliqués se posent
fréquemment au cours de son enquête. Dès le début il s'est demandé
à qui appartient le Burlador. La critique l'a jusqu'ici attribué à
Tirso, quoique avec des hésitations; M. Sch. penche pour Calderon,
et s'il n'apporte pas de preuves décisives, il a rendu moins probable
encore la paternité de Tirso. Dans les chapitres des sources, les plus
importants du livre, il s'est appliqué avec le plus grand soin à démê-
ler ces fils embrouillés. Je passe sur la série des origines reconnues
au don Juan espagnol. Une des principales nouveautés de la démons-
tration de M. Sch. est qu'il revendique la pièce italienne de VAteista
fitlminato comme une des sources du Burlador \ il lui serait anté-
rieur et serait né entre 1600 et 1620 d'une importation de la légende
espagnole en Italie. Cette question de priorité est capitale dans la dis-
cussion des autres problèmes qui se posent dans la suite pour établir
les relations des diverses versions dramatiques de la légende.
Dans la seconde partie il est question dé l'Italie. M. Sch. adopte
aussi une date différente pour Cicognini; il le fait mourir en i65o, au
lieu de 1660, ce qui permet de reculer la date de sa propre adapta-
tion. Il insiste sur l'étroite dépendance où se trouve Cicognini à
l'égard du Burlador, ou de sa forme plus ancienne le Tan largo me
lo fiâiSy ou encore de VAteista, et restreint ainsi plus encore que
M. de Bévotte sa part d'originalité. Pour le scénario de la comédie
italienne qui nous a été conservé, il adopte à quelques détails près
les conclusions de son prédécesseur.
Les versions françaises de la légende avant Molière sont représen-
tées par la pièce de Dorimon et celle de Villiers portant le même titré
de Festin de Pierre. Pour M. Sch. celui de Villiers est une traduction
libre de la pièce perdue de Giliberto, tandis que Dôrimon s'est ins-
piré aussi du Burlador et de la commëdia delV arte. M. Sch. a étudié
à cette place les rapports du Convitato de Giliberto avec les formes
italiennes ou espagnoles de la légende. Le dernier chapitre de l'étude
est consacré au don Juan de Molière. L'auteur établit de plus grandes
concordances avec Dorimon qu'avec de Villiers.; Molière a encore
utilisé le scénario des comédiens italiens. Mais a-t-il connu aussi le
Burlador ? M. Sch. le pense et il a réuni des arguments en faveur de
la possibilité d'une représentation de la pièce par les comédiens espa-
d'histoire et de littérature i35
gnols venus en France en 1660. Au contraire, Molière n'aurait pas
connu la pièce de Cicognini, mais il a pu s'inspirer de VAteista.
Toute cette longue discussion sur les origines et les transforma-
tions du thème de don Juan est sans doute épineuse; l'enchevêtre-
ment des sources est si complexe qu'il peut prêter à dçs conjectures
fragiles. On trouvera du moins chex M. Sch,, même si on ne devait
pas adopter toutes ses conclusions, un exposé très complet de toutes
les données du problème avec les différentes interprétations qu'il a
reçues.
L. R.
Frédéric Lachèvrr, Une seconde révision des Œuvres du poète Théophile
de Viau, publiée en i633 par Esprit Aubert, chanoine d'Avignon. Paris, Cham-
pion, 191 1. In-8', p, 147.
— Une première attaque inconnue de Claude Garnier, le dernier tenant de
Ronsard, contre Théophile de Viau. Paris, Leclerc, 191 i, in-8', p. 2g.
I. M. F. Lachèvre, qui nous a si abondamment renseignés sur le
procès de Théophile, vient de nous apporter un curieux document sur
la popularité du poète dont les œuvres ont eu au xvir siècle au
moins 88 éditions contre 16 qu'on relève pour Malherbe. Cette
preuve nouvelle et assez inattendue est tirée d'une publication que
fit en i633 un chanoine d'Avignon, Esprit Aubert. A l'exemple de
l'évêque de Belley, Pierre Camus, qui avait introduit dans son Alexis,
en les remaniant dans un sens édifiant, de nombreux passages de
Théophile, Aubert, qui s'était abrité derrière toute sorte de privilèges
et de recommandations, fit paraître les œuvres du poète libertin,
diversement groupées et modifiées non sans beaucoup de candeur et
de gaucherie. C'est cette édition d'un auteur condamné pour impiété,
entreprise par un homme d'église pour la plus grande gloire de la
religion que M. L. a soumise au plus scrupuleux examen. Il a com-
mencé par nous renseigner sur l'éditeur et établir sur quelles éditions
le chanoine avignonnais avait travaillé; ce sont celles de 1621 et de
1623. Puis il a relevé tous les passages et toutes les expressions modi-
fiés par le nouvel éditeur, signalé les morceaux non corrigés et qui
furent incriminés au procès, noté enfin tous les fragments ou les
pièces entières supprimés par Aubert, ainsi que tout ce qui se trouve
de nouveau dans son édition et qui manque dans l'édition Alleaume
de i855 ; parmi ces inédits tout n'est pas d'ailleurs de Théophile et
M. L. a restitué ces morceaux à leurs auteurs respectifs, de même
qu'il a ajouté dans un supplément les pièces ignorées d'Aubert et
d'Alleaume. Cette publication d'une édition fort rare (on n'en con-
naît que trois exemplaires) faite avec tout le soin dont M. L est cou-
tumier, sera une précieuse contribution à notre connaissance de Théo-
phile et à l'histoire du libertinage au xvii'= siècle.
II. Parmi les adversaires de Théophile M. L. avait été amené dans
l36 REVUE CRITIQUE
son expose du procès à s'occuper de Claude Garnier, l'admirateur et
l'éditeur de Ronsard que le pocte liberiin n'avait guère ménagé. Il
n'avait rencontre qu'une riposte de Garnier contre le prisonnier de la
Conciergerie à la date de mars 1624. Mais un autre factum s'est
retrouvé, plus ancien, de juillet 1623 : c'est le Satj'rique français \ une
erreur d'attribution et de date dans le Dictionnaire de Barbier avait
empêché M. L. de le remarquer plus tôt et de l'insérer à sa place dans
sa vaste enquête. Il nous en donne aujourd'hui de copieux extraits et
cite en entier les deux pièces dirigées contre Théophile. Cette petite
communication complétera heureusement le chapitre consacré dans
le second volume du Procès aux rapports de Théophile avec Claude
Garnier.
L. R.
Gaston May. La lutte pour le français en Lorraine avant 1870, Paris et
Nancy, Berger Levrault, 191 2. In-S», 214 pages avec une carte (forme le fasci-
cule i", 26" année des Annales deVEst).
Une partie du duché de Lorraine qui fut cédé en ijSj à Stanislas
Leszczinski et réuni à la France en 1766, était connue sous le nom
de Lorraine allemande, parce que les habitants parlaient exclusi-
vement un dialecte germanique, intermédiaire entre celui d'Alsace
et celui de Luxembourg. Quelles mesures prit le gouvernement fran-
çais de 1737 à 1870 pour répandre dans ce pays la connaissance de la
langue française? C'est ce que M. May nous expose. L'ancien
Régime ne fit rien ; il ne s'occupait pas des écoles et l'édit de Stanis-
las, du 27 septembre 1748, ordonnant de rédiger les actes et contrats
en langue française, devint bientôt lettre morte. La Convention, à la
suite de la mission de Le Bas et Saint-Just dans l'Est, décida qu'un
instituteur de langue française serait établi dans chaque commune
allemande ; mais ce ne fut qu'une manifestation de parade, et le
décret ne fut jamais exécuté. Avant de se séparer, la Convention vota
la loi du 25 octobre 1795, établissant dans chaque canton une ou
plusieurs écoles primaires ', mais elle laissa aux administrateurs
départementaux le soin d'en déterminer les circonscriptions et de faire
les règlements intérieurs. Ces écoles fonctionnèrent mal; les admi-
nistrateurs de la Meurthe et de la Moselle ne trouvèrent pas pour la
Lorraine allemande d'instituteurs capables d'enseigner le français. Mais
du moins au xix'' siècle des efforts sérieux furent faits pour propager la
connaissance de notre langue. Les préfets et sous-préfets, sous les di-
vers régimes qui se sont succédé, ont montré la nécessité de substituer
le français au patois germanique à l'école et comme langue courante,
et fort remarquables sont les rapports que présenta à ce sujet le sous-
préfet de Sarrebourg Chambeauen 1 853 et 1854. Les conseils généraux
1. Les écoles de Saint-Just devaient se juxtaposer aux écoles allemandes sub-
sistantes : les écoles primaires organisées à la fin de 1795 se substituaient à elles.
d'histoire et de littérature i37
et les conseils d'arrondissement ont exprimé de nombreux vœux en
faveur de l'enseignement du français; mais ces vœux sont demeurés
trop souvent platoniques. L'administration universitaire a toujours
déployé un zèle très grand, surtout à partir de iHbo, et il faut rendre
Justice à certains fonctionnaires modestes qui ont lutté avec énergie-
pour le français, ainsi Creutzer, inspecteur primaire à Sarrebourg
de 1857 a i8b6, Maggiolo, inspecteur d'Académie à Nancy de 1866
à 1869, puis recteur de Nancy, Hanriot, inspecteur d'Académie à
Metz de i863 à 1870. Peut-être eussions-nous préféré à cette divisiori
par administration ou par corps que suit M. May des divisions chro-
nologiques, nous permettant de mesurer les progrès faits sous chaque
régime, premier Empire, Restauration, Gouvernement de juillet,
second Empire. En tout cas, contrairement à ce que l'on dit en géné-
rai, le gouvernement français n'a pas montré, au xix" siècle, une indif-
férence coupable ; il a cherché à propager en Lorraine allemande
comme en Alsace la langue française. Mais il s'est heurté des deux
côtés des Vosges à l'opposition du clergé des campagnes, chez les
protestants comme chez les catholiques. L'allemand était la langue
du catéchisme et du prêche ; le français celle d'écrits contraires à la
religion et corrupteurs; les curés et, en certains endroits, les pasteurs
ont lutté pour le maintien de la première, combattu la propagation
de la seconde. Pourtant, en 1870, des résultats très satisfaisants
avaient été atteints dans la Meurthe, grâce au concours apporté à
l'administration académique par des évéques intelligents de Nancy,
Mgr. Darboy et Mgr. Lavigerie. La plupart des garçons de l'école
comprennent et parlent le français; les filles elles-mêmes, dont
l'instruction a été livrée trop longtemps aux sœurs de Saint-Jean-de-
Bassel, se piquent d'honneur à imiter les garçons; les élèves de l'école
parlent entre eux français dans la rue. M. May a pu intituler un de
ses chapitres : le triomphe du français dans la Meurthe; et si un
historien faisait une pareille enquête sur l'Alsace, il constaterait
les mêmes progrès. Le signataire de ces lignes a appris à l'école
primaire du village des notions de français assez poussées et a été
condamné parfois à payer une amende de cinq centimes, quand
il était surpris dans la rue parlant patois allemand avec un petit
camarade. Au département de la Meunhe M. May oppose le départe-
ment de la Moselle où, au contraire, le français aurait « échoué »,
Mgr Dupont des Loges, évêque de Metz depuis 1843, ne seconde
point l'autorité académique; il laisse ses vicaires généraux protester
contre la prééminence attribuée au français dans les écoles des pays
allemands ; en avril 1869, les habitants du département envoient une
pétition à l'Empereur en faveur de la langue allemande, tout en
protestant de leur loyalisme ; ils terminent par ces mots : « Jamais,
non jamais la Prusse ne régnera sur les provinces allemandes (.sic) du
nord-Est de la France ». Le gouvernement recula et rapporta en
1?8 REVUE CRITIQUE
juillet i86u le programme en taveur du Iranv'ais que le conseil dépar-
temental de la Moselle avait élaboré le 29 mars i865 '.
Tout ces faits n'avaient été exposés jusqu'à présent dans aucun
ouvrage, même dans les écrits d'histoire locale : M. Gaston May a tiré
toute la matière de son livre de documents d'archives inédits : quel-
ques rapports imprimés des inspecteurs n'avaient, croyons-nous bien,
jamais été consultés avant lui. Pourtant combien ce sujet est attachant
et quelles rcHcxions il t'ait naître! Et M. May l'a traité de la façon la
plus attachante.
Ch. Pfister.
Edgard J. Goobspeed, Index apologeticas siue clauis lustini martyris ope-
rum allorumque apologetarum pristinorum. Leipzig, Hinrichs, 1912. 7 mark.
M. Edgard .1. Goodspeed, à qui l'on doit déjà un Index patristieus,
aine clauis patriim apostolicorum operum (Lips. 1907) a fait entrer
dans cet Index apologeticus tous les mots employés par saint Justin,
Quadratus, Aristide, Tatien, Méliton, Athenagoras, d'après les meil-
leures éditions, et en indiquant, à l'occasion, les leçons des princi-
paux mss. Grâce aux lexiques de Preuschen, de Cremer, de Zorell,
grâce aussi aux diligents travaux de M. J. Goodspeed, le vocabulaire
des écrivains ecclésiastiques grecs des deux premiers siècles est désor-
mais aisé à connaître. On remarquera toutefois que le classement de
M, G. est purement grammatical : il classe les formes, non pas les
acceptions. C'est un gros effort qu'il s'est épargné. Soyons lui du
moins reconnaissants de celui qu'il a réalisé : le bienfait en est indis-
cutable.
P. DE L.
M. Andor Adorjan vient 4e réunir sous le titre : Destinées et Carrières [Sorsok
es pâlydk. Budapest, Franklin, 1912, 189 p. in-i6), une vingtaine d'études litté-
raires qui se rapportent presque toutes à l'histoire, à la vie sociale ou littéraire
de la France. Écrites à propos de récentes publications, ces études témoignent
d'une grande sympathie pour les hommes et les choses de notre pays. Nous y
trouvons des portraits intéressants de Zola, du jeune Renan, du peintre Cézanne,
I. M, May imprime p. igS « 29 mars i865 », p. 2o3 « 19 mars ». — Nous avons
le soupçon que M. May a un peu exagéré la différence entre les deux départements
de laMeurthe et de la Moselle. M. Maggiolo dont les rapports lui ont servi pour la
Meurthe était de nature très enthousiaste, très optimiste, et c'est un facteur dont
il faut tenir compte; n'a-t-il pas vanté dans ses écrits l'excellence des écoles lor-
raines sous l'ancien Régime ? Hanriot, dans la Moselle, était, ce semble, plus froid,
plus pondéré, voyait mieux les difficultés réelles. En tout cas, combien il est
regrettable que, par suite de l'organisation administrative de la France, l'on n'ait
point groupé toutes les écoles de la Lorraine dite allemande, qu'on n'y ait point
pl^cé des inspecteurs primaires comme Creutzer, sachant bien le français et
connaissant la langue locale, et qu'on n'ait point engagé la lutte pour le français
par des mesures identiques !
d'histoire et de littérature i3g
de Scarron, du Marquis de Sade, de M'i" George, d'Alfred de Musset, de George
Sand, de maître Laukhard qui a combattu en 1792 dans Farmée de Brunswick),
de Lamarck, d'Henriette Stieglitz (d'après l'ouvrage d'Ernest Seillière), puis des
pages sur les causes de la mort de Rousseau, sur le comte d'Orsay, des notes sur
Balzac, sur M"">Firmiani, sur \'erlaine et sur Catulle Mendès. On voit que M. Ador-
jân suit attentivement le mouvement littéraire en France et qu'il est très habile à
présenter au grand public la quintessence des recherches françaises. — I. K.
— M. Louis Karl a réuni également ses Etudes sur la littérature française
{Fraucia irodalmi tanulmdnyok. Budapest, Benkô, s. d. [1912], 95 p. in-S»), mais
ce sont des essais qui intéresseront plutôt ceux qui s'occupent du moyen âge et
du folklore. Ces études ne brillent pas par le charme du style comme celles de
M. Adorjân. Les recherches de M. Bédier ont inspiré les pages sur les « Routes
des pèlerins et les légendes » avec le sous-titre : « Le manuscrit du Pseudo-
Calixte » et une remarque malveillante à l'adresse de Gaston Paris; « Ipomedon »
et « Un épisode de la légende de Marie-Madeleine » rentrent dans le domaine du
folklore ; « la figuration de sainte Elisabeth dans quelques manuscrits du British
Muséum », « Jeanne d'Arc et la poésie » (à propos de l'ouvrage de M. Hanotaux,
dont M. Karl, en bibliographe consciencieux, nous donne l'année de naissance),
une étude d'ensemble sur Rabelais, sont les principaux essais, bourrés de notes,
de cette brochure dans laquelle nous trouvons encore trois notices sur Helvétius,
Holbach et Auguste Comte destinées probablement à l'Encyclopédie philosophique
que l'on prépare en ce moment en Hongrie. — I. K.
— La Bibliothèque hongroise vient de s'enrichir de deux nouveaux volumes. Le
tome VI nous donne la traduction d'un roman de Géza Gardonyi : La troisième
puissance (Paris, Champion, 1912, xiv-143 p. in- 16). On n'a traduit jusqu'ici que
quelques nouvelles de cet écrivain, considéré comme un des chefs de la Jeune
Hongrie. Le public français pourra maintenant juger le romancier qui nous expose
ici ua cas de conscience très intéressant. L'Introduction donne un aperçu des œu-
vres du fécond écrivain qui a remporté aussi des succès au théâtre. Le tome VH
nous apporte une pièce de François Herczeg : By.:^ance (ibid., xxi-143 p.; que la
critique hongroise considère comme un des chefs-d'œuvre du théâtre. L'auteur
nous y montre la Cour de Byzance à la veille de la prise de la ville par les Turcs
en 1453. C'est un tableau puissant de la décadence byzantine. Cette traduction
est également précédée d'une notice sur les autres pièces et romans de M. Herczeg.
-LK.
— M. F. Albin Gombos établit dans une dissertation très savante {Es^revételek,
etc. Budapest. Athenaeum, 191 1, 34 p. in-S"), la frontière orientale de la province
d'Autriche — Ostarrichi — telle quelle existait en 976. Cette province était alors
une dépendance de la Bavière; Othon II l'avait donnée, en 976, à Léopold I de la
maison des Babenberg. Puis, M. Gombos discute, à l'aide de tous les documents
publiés jusqu'aujourd'hui, les causes du conflit entre le royaume de Hongrie et
son voisin allemand, en io3o, et qui a fini par la défaite des Germains. Finale-
ment, il tente une réhabilitation du roi Pierre, dit le Vénitien, successeur de saint
Etienne. Cette partie de son étude ayant paru également en allemand dans la
Ungarische Rundschau (1912, fasc. 2), il suffira de renvoyer les historiens à cette
revue. — I. K.
— La réforme électorale occupe beaucoup, en ce moment, les esprits en Hon-
140 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
gric. Une grande quantité de brochures et d'études a paru ces dernières années sur
cette question. M. tmeric Barcza qui, depuis quelques années, fait la bibliogra-
phie des grands problèmes sociaux — cniigration, banques et douanes — a con-
sacre une brochure à la Bibliographie du droit de suffrage en Hongrie {Biblio-
graphia juris electionis Itungaricae . Budapest, Franklin, 191 2, 5i p. in-8"). Les
48 premières pages donnent un résume très exact des principales études parues
dans les dix dernières années; les brochures et les articles publiés en français, en
allemand et en anglais sont simplement énumérés.
— M. R. \'ari vient de publier dans les Mémoires de l'Académie hongroise le
2« fascicule de ses Etudes sur les Halieutiques d'Oppien (Budapest, 1912,70 p.,
in-8°). Après avoir donné la description de tous les manuscrits et son opinion sur
les différentes éditions et traductions, il aborde dans ce fascicule la question de
l'établissement du texte et donne d'abord (p. 4-3o~, les gloses du Vindobonensis
philol. Gr. i33et traite, ensuite, des gloses qui se sont glissées dans le texte même
des Halieutiques. Cette seconde partie s'étend à tous les manuscrits d'Oppien et
propose plusieurs corrections à ce texte si difficile. — I. K.
Académie dhs Inscriptions kt Bellks-Lettres. — Séance du 2 aox'it igi2. — La
séance publique annuelle de l'Académie est fixée au i3 novembre.
M. Bernard Haussoullier montre, dans une seconde lecture, l'originalité et la
nouveauté du traité inédit entre Delphes et Pellana qu'il a précédemment com-
muniqué à l'Académie. 11 insiste sur un certain nombre de termes de droit
nouveaux.
M. Gagnât lit une note de M. Constans, élève de l'Ecole normale supérieure,
sur les puissances tribuniciennes de l'empereur P^ron. Cet empereur, en l'an 60
p. C, ajouta une unité au nombre réglementaire de ses années de règne. M. Cons-
tans attribue ce changement à l'apparition d'une Comète, phénomène qui, selon
la croyance populaire, annonçait un changement de règne. En ajoutant une unité à
ses puissances tribunices, l'empereur commençait un nouveau principat et détour-
nait ainsi la menace céleste.
M. Edouard Cuq lit une note sur un nouveau vice-préfet du prétoire d'après une
inscription de Souk-el-Abiod.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 34 — 24 août. — 1912
Naville, Les papyrus de Kamara et de Nesikhonsou. — Budoe, Textes bibliques
en dialecte thébain. — Griifitii, Karanôg. — Crawfoot et Grifi-itii, Mëroe. —
Maciver-Wooi.i.ky, Buhen. — DinEMus, Les Epitres de Paul. — Fieiîig, Les
paraboles de Jésus; Les miracles du Nouveau Testament. — White, Le Nou-
veau Testament hiéronymien. — Diobouniotis, Deux écrits d'Hippolyte. —
Rlicker, Homélies de Cyrille sur Luc. — Harnack, Le texte païen transcrit par
Macarius Magnés. — De Boysson, La loi et la foi. — Bruston, L'eschatologie de
Jésus. — H. ScHNEmER, Jésus philosophe. — E. Schwartz, Le catéchuménat. —
Frischlin, Julius redivivus, p. Janell. — Lukacs, Le drame moderne. — Keki,
Michel Tompa. — Patelei, Nouvelles. — Varadi, Le monde de l'ancien théâtre
hongrois. — Rakodczay, Egressy et son temps. — Kaposi, Dante en Hongrie.
— Sti-rmuerg, Carducci et la poésie allemande. — Académie des inscriptions.
E. Naville, Papyrus funéraires de la XXP Dynastie. 1. Le Papyrus hiéro-
glyphique de Kamara, et le Papyrus hiératique de Nesikhonsou au
Musée du Caire, précédés d'une Introduction, Paris, E. l^croux, 1912, in-S",
ii-!-î8 p. et XXX pi. en phototypie.
C'est le commencement d'un recueil qui contiendra, en facsimilés,
les principaux manuscrits du Livre des Morts que nous possédons de
la XXP Dynastie. Comme Naville le dit dans la preTace, ils présentent
un grand intérêt « parce qu'ils sont d'une époque de transition ». Ils
marquent, en effet, le moment où, renonçant à l'emploi de l'écriture
hiéroglyphique pour ce genre d'ouvrages, les scribes commencèrent à
les copier en hiératique. Naville pense que celte petite révolution
dans la routine religieuse de l'Egypte tint à ce que l'hiératique était
compris par plus de gens que l'autre : les scribes savaient mieux ce
qu'ils écrivaient ainsi, et les personnes qui avaient reçu de l'instruc-
tion étaient mieux à même de tout lire et de tout comprendre. Il a
raison en partie, mais je crois que d'autres motifs entrèrent en jeu,
dont le plus puissant fut l'économie. Les manuscrits hiéroglyphiques,
disposés en colonnes, renfermaient à surface égale beaucoup moins
de matière que les hiératiques : les caractères y étaient plus larges,
plus clairsemés, et par suite les textes y couvraient plus d'espace.
C'étaient des exemplaires de luxe, qui formaient des rouleaux énormes
lorsqu'on y transcrivait par aventure l'ensemble des chapitres. L'hié-
ratique au contraire, permettait de serrer les lettres, les lignes contre
les lignes, et une seule de ses pages tient souvent plus de substance
que deux ou trois pages d'hiéroglyphes. Les dévots pouvaient se pro-
Nouvelle série LXXIV 34
142 REVUE CRITIQUE
curer la toialiic do l'ouvrage pour un prix fort inférieur à celui que
coulaient les exemplaires à la mode ancienne, et ce qui était un
avantage pour leur bourse en était un également pour le bien-être de
leur vie future. Ajoutons que l'hiératique adopté par les libraires des
morts n'était ni la cursivc très rapide des documents de la vie privée,
ni l'onciale des livres de bibliothèque : il est entre les deux, et s'il
atteint rarement à l'élégance de la seconde, il ne tombe jamais dans
l'incorrection de la première.
Les deux Livres des Morts par lesquels la collection débute sont
conservés au Musée du Caire, et ils proviennent de la trouvaille de
Dëîr-el-Baharî : celui de Kamarà, la reine de Panotmou I"'", est en
hiéroglyphes, et celui de Nesikhonsou est en hiératique. Ils sont l'un
et l'autre des spécimens excellents de leur espèce, et l'examen des
facsimilés montre combien le choix a été heureux. Ils ont été réduits
assez sensiblement, mais ils sont si nets et si soignés que la réduction
n'enlève rien à la clarté ni à la légibilité des textes : les planches,
exécutées d'après d'excellentes photographies d'Emile Brugsch,
rendent pleine justice aux originaux. Je regrette seulement que l'édi-
teur n'ait pas songé à publier en couleurs deux des vignettes les plus
intéressantes : c'eût été une joie pour les amateurs de belles minia-
tures. La scène des funérailles, au livre de Kamara, et celle du juge-
ment de l'art sont des merveilles. Nulle part la ligne n'est plus pure,
ni l'alliance des tons plus délicate ; ce sont des compositions d'un sen-
timent et d'une harmonie exquise. Et qu'on se garde de voir dans
cette appréciation l'indulgence d'un égyptologue pour le peuple
auquel il a consacré sa vie. Chaque fois que, montrant le Musée du
Caire à un peintre ou à un sculpteur, je l'ai mis face à face avec ces
deux petits tableaux, il est demeuré frappé d'admiration, et les der-
nières résistances qu'il opposait encore à la séduction de l'art égyp-
tien, après avoir vu le Chéphrên et le Chéîkh-el-Beled, se sont éva-
nouies. Les vignettes de Nesikhonsou, sans l'approcher à celles de
Kamarâ, ont pourtant fort bonne tournure. Ce sont là, il est vrai, des
volumes destinés à des femmes de très haut rang, à une reine en titre
et à la parente d'un grand prêtre d'Amon : ils ont dû être exécutés par
les meilleurs peintres du temps. Il y a toutefois dans nos musées assez
de papyrus illustrés d'un bon dessin et d'une couleur assez savante,
mais provenant de simples particuliers, pour prouver que les ateliers
secondaires de Thèbes conservaient intactes les traditions de l'école.
Les notices que Naville a jointes aux planches donnent l'indication
des chapitres et des observations très brèves, mais toujours topiques,
sur les variantes et sur les fautes qu'on y trouve. Le plan général
qu'il s'est tracé pour sa publication excluait les longues dissertations
sur les points de détail, mais Naville possède à fond son Livre des
Morts : la connaissance complète qu'il en a se manifeste à chaque ligne.
G. Maspero.
d'histoire et de littérature 143
E. A. Wai.lis BiDGE, Coptic Biblical Texts in the Dialect of Upper Egypt,
Londres, Britisli Muséum, nji2, in-8", i.xxxv-349 p. et 10 pi. phototypie.
Les trois textes bibliques en dialecte ihébain que le D"" Budge publie,
sont ceux du Deutéronome, de Jonas et des Actes des Apôtres. Seul
Jonas est à peu près complet : il ne lui manque que deux ou trois
mots et quelques lettres par ci, par là. Les deux autres renferment
des lacunes assez considérables :
Pour le Deutéronome, ch. 1, i-38; ch. 11, 20-iv, 38; ch. viii, 3-
ix-i ; ch. XIII, 18-XIV, 17; ch. xvm, 1 i-xix, i ; chap. xx, 6-xxii, 2;
ch. XXVI, 1 i-xxvii, 26, plus quelques versets aux folios 36 et 45 ;
Pour les Actes, ch. xxiv, ij-xxvi, 32; ch. xxvit, 7-9, 17-21, 27-29,
et des fragments de versets dans les endroits mangés par les vers du
f° 87 à la tin du manuscrit.
Le manuscrit est sur papyrus. Il est dans l'onciale ferme et bien
dessinée du premier âge copte, et rien qu'à le voir on est porté à lui
attribuer une haute antiquité. Cette impression est précisée par deux
observations précieuses de MM. Kenyon et Bell. Une prière en lan-
gue et en caractères coptes, mais tracée en un type grec cursif, a été
attribuée paléographiquement par M. Kenyon au iv" siècle après J.-C.
et vers le milieu de ce siècle. D'autre part la reliure du volume ren-
fermait des fragments dont seize d'actes notariés en grec : Bell les
ayant examinés de près déclare qu'ils datent de la première moitié du
iV ou de la deuxième moitié du 111*= siècle. Cette seconde remarque
n'a qu'une valeur relative, car les vieux papiers de cette nature peuvent
avoir été employés par les relieurs un siècle ou plus après le moment
où ils ont été écrits. La première est plus convaincante : si, comme
la grande expérience de Kenyon en ces matières nous convie à
l'admettre, la prière finale ne peut avoir été ajoutée au texte que vers
35o, il est évident que celui-ci doit avoir été copié au moins quelques
années plus tôt. On voit quelles conséquences la découverte de notre
papyrus entraîne pour l'histoire des versions coptes de la Bible et de
j la diffusion du Christianisme en Egypte. Budge, rassemblant les
données que nous possédons jusqu'à ce jour, montre que la traduc-
tion des Livres saints fut commencée aux environs de Tan 200 et que,
dès la fin du iii^ siècle, les solitaires de la Thébaide faisaient un
usage journalier de certains des écrits ainsi traduits. Le manuscrit du
Musée Britannique, tout en étant le plus ancien des volumes de
l'Ecriture thébaine dont on puisse fixer la date, n'était certainement
que la copie d'un manuscrit antérieur : le choix étrange des morceaux
prouve qu'il avait été écrit non pour une église, mais pour ou par un
particulier en vue de son utilité personnelle.
Le texte a été transcrit par Budge avec un soin scrupuleux. On y
distingue certaines habitudes graphiques et grammaticales qui en
recommanderont l'étude aux coptologues. Ajoutons que l'exécu-
tion matérielle est excellente et que le volume ne coûte pas un
11^. Rr.VUK CRITIQt'K
prix trop élevé , ce dont tout le monde sera reconnaissant à
rédiieur.
G Maspi!;uo.
1'. 1.1. Uriiiit», Karanôg Iniine le t. \'l tic \'I:'cklcv Ji. Coxe Junior Expédition
(0 ,\'m6m, entreprise sous les auspices de rrnivcrsité de Pensylvanie), Philadel-
phie, University Muséum, i<)m. in-.|" x-iSi p. XXX planches en phototypic.
J. \V. Crawi ooT, the Island of Meroë, cl 1'. 1.1. Ciriikith, Meroitic Inscrip-
tions, r.iri 1. — Soba to Dangcl (forme le XlXi'i Mémoire de VArcliœologicai
Siirvey of I''gypt), Londres, Kct^an Paul, Quariich, Asher, Frowde, 191 i, iu-4",
viii-94 p. et XXXV planches en phototypie.
Bien que ces deux volumes appartiennent à deux séries différentes,
je les ai réunis dans un même article : ils formciu en etfet les deux
parties d'un même sujet, le déchitîrement des inscriptions méroi-
tiques. Dans Karanôg, les fouilles de l'Expédition Coxe ont fourni les
matériaux, dans the Island ofMcroë ce sont celles du Gouvernement
soudanais. J'ai rendu compte l'an dernier de ce que Maciver avait fait
à Karanôg, et je n'y reviendrai pas; il suffit de rappeler qu'il est sorti
de cette localité nombre de tables d'otiVandes avec des textes en démo-
tique de Méroé. Dans le second ouvrage, M. Crawfoot décrit les sites
explorés et il en résume l'histoire, puis M. Griffith s'attaque aux ins-
criptions surtout hiéroglyphiques nouvellement et anciennement con-
nues qui y ont été copiées
M. Griffith a mis en tête de son mémoire sur Méroé un tableau où
sont indiquées les formes principales des deux alphabets avec les
valeurs qu'il leur attribue. Ses premiers essais sur la matière sont
épars dans plusieurs ouvrages et articles antérieurs, notamment dans
Meroûy the City of the Ethiopians, 1909-1910, qui contient les résul-
tat des fouilles de Garstang et de Sayce ; c'est toutefois dans Karanôg
que sont accumulées les observations les plus a.honàs.niQs,. YJ Introduc-
tion., dans ses vingt-six pages, montre, au premier chapitre, les équi-
valences entre les signes hiéroglyphiques et les démotiques, ainsi que
leur son ; au second, l'âge et les différents styles de l'écriture; au troi-
sième, les particularités de la langue, phonologie, vocabulaire, infle-
xion, genres, nombre. « Sans être décisives, ses analogies avec le
« Nubien tant dans la structure de la phrase que dans le le.\ique sont
« suffisamment frappantes pour qu'il vaille la peine de les mentionner.
« Elle semble être agglutinative, sans genre, avec un mécanisme de
« postpo&iiions et de suffixes pour suppléer au manque de flexion ....
« Il paraît certain que les voyelles propres aux idiomes sémitiques font
« défaut et que le système vocalique est fort simple... Jusqu'à présent
« on ne peut apporter la preuve indiscutable que les sons o et ou exis-
« tassent. L'écriture indique que les mots consistaient surtout en syl-
« labes ouvertes commençant par une consonne. Qu'il y eût aussi des
« syllabes fermées, cela résulte des transcriptions grecques, Ergamé-
« nés, Kandaké, mais il n'est pas démontre que deux sons voyelles se
d'histoire et de littérature 145
« suivissent directement, sans interposition de consonne... On dis-
« tingue parmi les postpositions : i>' z, //, pour le Vocatif, 2" -/, -//
« pour un mot ou une phrase suivis d'un autre mot qu'il qualiHc...
« Pluriel, Icb; 3" -k\ -léwi ; comme copule (?) ou pour donner un sens
M emphatique (?) Pluriel, lebaku'i; 4" -.v pour le génitif suivant le nom
« duquel il dépend... ; 5" -te pour le locatif... » Ces postpositions
peuvent se combiner entre elles. « Il ne semble y avoir aucune dis-
« tinction de genre sur les documents où il est question d'hommes ou
« de femmes pris individuellement. Les formes du pluriel, telles qu'on
« les observe dans les phrases descriptives des stèles funéraires, sont "
pour les postposiiions ci-dessus énoncées -leb^ leb[a)k{a)ivi, -teb et
-teb\a)k[a)wi, dont la partie commune eb doit marquer le nombre.
« -Eb ou -b est l'indice le plus essentiel du pluriel. II se pourrait que
« la finale -ab qu'on rencontre dans les patronymiques ou dans les
« noms de tribus par toute la Nubie, de la première cataracte au Nil-
« Bleu, fut apparentée à ce -b, -eb » .
Ces points établis, M. Griffith passe à l'étude des inscriptions funé-
raires, et il examine successivement les éléments dont elles se com-
posent, l'invocation initiale, le nom et la détinition des personnes
auxquelles le monument est consacré, les phrases qui servent à noter
la filiation paternelle et maternelle, les mentions accessoires, les
titres, enfin la formule terminale de bénédiction, après quoi il dresse
le catalogue des inscriptions et il les traduit autant que possible,
c'est-à-dire, il transcrit les noms et la généalogie, sans aborder le
reste des formules. Quelques exemples feront comprendre ce que
sont ces iraduciions. D'après le déchiffrement la stèle n° 1 2 de Kara-
nog aurait appartenu à « l'honorable (?) Wèshakhasheye, vraiment
« né de Meiewishiye, vraiment engendré du shalkhash Azikhali, appa-
« rente à shashérs, apparenté à shalkhashs, appartenant au grand
« mete de Shimai ». Sur la stèle n° 17, il serait question de « Tapé-
« khizat, né de Mali-Takhize, engendré du shalkhash d'Amanap
« Qè<\è\\ ymareperi dans Shimalê, apparenté au /^ag^ar et chef du clan (?),
« apparenté au second du clan (?), apparenté à Shétanakar, appa-
« rente h. pestes^ second (?) appartenant aux femmes du roi (?), malé-
« mar.ç dans Naléte, shatama\e\ du pesté ^ a.\)\)a,\'en\.é à belêbêkes ».
Cela rappelle, comme intérêt, les traductions des épitaphes étrusques,
et l'on hésite à se prononcer sur la valeur de données aussi incom-
plètes. J'ai tâché d'exposer dans les termes employés par M. Griffith
ce que sa longue étude lui a enseigné du langage, et je souhaite que
cette notice trop courte incite quelques-uns de nos lecteurs à ouvrir
Karanàg et à étudier les originaux. Je ne sais ce qu'en penseront ceux,
qui auront le courage de l'entreprendre, mais je suis certain qu'ils
rendront plciue justice au soin avec lequel Griffith a copié les inscrip-
tions, à la patience avec laquelle il les a disséquées, à la persévérance
qui a présidé à ses recherches. q M.\spero.
140 REVUE CRITIQUE
Ma. i\ I u-\\ •.cl 1.1 V. Buhen forme les tomes VII et \lll île l'Eckley B. Coxe
Junior Expédition to Nubia, entreprise sous les auspices de 1 Université de
Pcnsylvanie), Philadelphie, Univcrsity Muséum, uji i, in-4", t. I, Text, x-243 p.
T. II, Plates, IX p. <)6 planches et 7 plans.
Ces deux volumes coniicnncnt les résultats des dernières fouilles
exécutées par Randal Maciver et par Léonard WooUey, aux frais de
M. Eckley B. Coxe junior, pour le compte du Musée Égyptien de
l'Université de Pensylvanie. Elles ont duré deux années, de 1909 à
191 I, sur le site d'une ancienne ville égyptienne, Bouhanou, la Boôn
des géographes gréco-romains, près d'Ouady-Halfali . Lorsque les
Egyptiens arrivèrent en conquérants à la seconde cataracte, vers le
temps de la X« ou de la XI^ dynastie, ils trouvèrent là un village
nubien qu'ils colonisèrent et dans lequel ils bâtirent un temple. Le
dieu du pays, et en général de la Nubie méridionale depuis Mahar-
raka ou Derr, était un dieu faucon, de nature analogue à l'Horus
égyptien, s'il n'était pas l'original de cet Horus que la légende d'Ed-
fou amenait du Sud avec sa garde de forgerons : ils l'adorèrent
comme Horus de Bouhanou, comme ceux d'Ibsamboul et d'Ibrim
sous le nom de leur localité. Il ne reste plus rien aujourd'hui des édi-
fices de la XIl^ dynastie, mais ceux que les souverains de la XVIII'^
construisirent sur leurs arases sont en assez bon état, et, depuis Cham-
pollion, ils ont attiré l'attention des savants; toutefois ils ne furent
déblayés vraiment que depuis 1905, l'un d'eux par les ordres du Gou-
verneur Général du Soudan, Sir Reginaid Wingate, l'autre par l'ex-
pédition américaine.
Le temple du Nord est le plus vieux. 11 est en partie l'œuvre pro-
bable d'un des premiers vice-rois de la seconde époque thébaine,
Touraî, qui débuta assez modestement sous Ahmôsis. Les débris en
furent employés plus tard comme matériaux dans le dallage d'une
cour et ils portent les cartouches d'Ahmôsis et de sa mère Ahhat-
pou pe. Il fut détruit en effet trois générations plus tard et remplacée
sous Aménôthès II par un des bâtiments plus grands où les Pharaons
desXVIII«, XIX' et XX= dynasties inscrivirent leurs cartouches. Ils
le cèdent pourtant en intérêt à ceux du Sud, qu'élevèrent Thoutmô-
sis II et sa sœur Hatchopsouîtou, puis que Thoutmôsis 111 rema-
nia pour diminuer le rôle historique de celle-ci. La sculpture y est
d'une bonne facture, s'il faut en juger d'après les photographies
reproduites sur les planches, toutetois sans originalité : c'est l'œuvre
consciencieuse d'un praticien habile plutôt que d'un artiste. Les ins-
criptions ne diffèrent que par le titre du dieu de celles qu'on lit dans
les sanctuaires de TÉgvpte, mais les graffiti tracés sur les murs à
diverses époques forment un ensemble précieux pour l'histoire du
deuxième empire thébain. Ils avaient déjà été copiés en partie et
publiés par Sayce, il y a quinze ans, mais d'autres sont sortis de terre :
avec des stèles, qui ont été traduites et commentées abondamment :
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I47
par Blackmann pour Maciver. I.es rois et surtout les grands fonction-
naires que leurs fonctions amenaient à Bouhanou, après avoir fait
leurs dévotions à l'Horus local, gravaient leur image et une formule
de prières sur une portion de surface non décorée, pilier ou mur :
nous y voyons détiler tour à tour Sataou, Harouî, Sétouî, Piaîyi et
d'autres, avec les dates et le nom des Pharaons qu'ils servaient, Ram-
sès P'' et Ramsès II, Ménéphtah, Ramsès III, Ramsès IV. Si Ton
veut se rendre compte du prix que ces mentions accidentelles
peuvent avoir pour l'histoire, il me suffira de rappeler qu'on y a ren-
contré pour la première fois le nom de Ramsès-si-phtah que porta,
quelques mois durant, au début de son règne, le prince que nous con-
, naissions uniquement sous le noni de Siphtah-Ménéphtah.
Les fouilles du village n'ont rendu que peu d'objets de l'époque
1 méroitique ; celles des nécropoles ont fourni des matériaux nom-
breux pour la connaissance de la vie civile et des usages funéraires.
j Les tombes les plus anciennes remontent à la XIP dynastie, mais il y
1 avait aussi deux grands cimetières de la XVIII" et quelques sépul-
! tures des âges postérieurs. Aucune des tombes ne saurait être compa-
I rée pour l'étendue à celles de l'Egypte : les chambres sont taillées
i rudement dans le roc, sans décor de bas-reliefs ni de tableaux, et le
mobilier est pauvre. Toutefois, comme les voleurs d'antiquités ont
i exploité les cantons de la seconde cataracte moins complètement que
; ceux de l'Egypte propre, beaucoup d'entre elles étaient intactes.
j M. Maciver, qui était imbu des idées en cours depuis une quinzaine
j d'années sur la classification de la poterie égyptienne, a été surpris de
j voir combien peu la théorie s'y accorde avec la réalité. J'ai protesté
dès les premiers jours contre l'attribution aux époques archaïques des
vases mi-noir et rouge, et l'on en a trouvé récemment dans des tom-
beaux postérieurs à la XIP dynastie. M. Maciver a dû reconnaître
que les œnochoés noirs à décor ponctué qu'on réputait caractéris-
tique de la domination des Hyksôs n'étaient pas rares en Nubie, dans
I la seconde moitié de la XVIII« dynastie, dans la XIX^ et dans la XX.
I J'ai pensé toujours qu'il y avait quelque imprudence à déduire des
règles générales, applicables à l'Egypte entière, d'observations faites
après six mois de fouilles sur tel ou tel point particulier, et je n'ai
jamais accepté comme authentiques les tables de chronologie rigou-
reuse où sont notées l'apparition et la disparition des types céra-
miques. Les fouilles de Maciver et d'autres prouvent combien j'ai eu
raison de me montrer réservé.
La Nubie n'est pas épuisée tant s'en faut, et, si on l'explore conve-
nablement, je suis certain qu'elle donnera beaucoup encore. Je vou-
jdrais qu'il se trouvât un homme ou une institution assez riche pour
i continuer l'œuvre de M. Eckley B. Coxe junior, et pour charger
I Maciver d'une expédition nouvelle : la connaissance qu'il a des
hommes et des lieux rendrait le succès certain. q Maspero.
148 REVUE CRITIQUE
Die Briefe des Apostels Paulus an die Kolosser, Epheser. an Philemon
crkiari von M. Dibki.hs, llandbiidi ^inii .\einii '/csljnwnl. III, 2. 'l'ubingcn
Mohr, 1912; gr. in-S" 78 p;)!;es.
Die Gleichnisreden Jesu iin l.iclitc Jor rabbiiiischcn Gleichnissc des neutcsta-
incnilichcn Zcitaltcrs, von P. I'ii'.uk.. Tubingcn. Mnbr, 1012 ; iii-H xii-284 P^S^S-
JUdische Wundergeschichten der neutestamentlichen Zeitalters umcr bcson-
dere Beriicksichtigung ihres Vcrhâltnisses zum Neucn Testament, bearbciict
von P. FiEBiG, Tûbingen, Mohr, 191 i, in-S», viii-108 pages.
Le commentaire de M. Dibelius est une œuvre érudite, remarqua-
ble surtout par un choix de citations d'anciens écrits surtout religieux,
tant païens que chrétiens, intéressante pour la comparaison du lan-
gage des Épîires avec celui des mystères païens. Certains rapports de
détail sont très curieux, là même où naguère Ton n'aurait pas songé à
en chercher, par exemple dans l'Épitre à Philemon, à l'endroit où Paul
parle de son <> fils » Onésime, dont il est devenu « père >^ dans sa pri-
son. L'ordre supérieur des initiés au mystère de Mithra était celui
des pères, observe fort à propos M. D. ; et Apulée, dans ses Métamor-
phoses ;xi, 25), appelle son père le prêtre qui l'a initié aux mystères
d'Isis. M. D. ne semble pas regarder comme décisives les objections
qui ont été faites contre l'authenticité de l'Epître aux Colossiens; il
abandonne l'Epître aux Éphésiens, à raison du rapport particulier de
dépendance où elle se trouve à l'égard de celle aux Colossiens.
M. P. Fiebig a mêlé, dans son étude sur les paraboles, des per-
sonnes et des questions qu'il aurait sans doute mieux fait de ne point
associer de si près. Il réfute, ou il a l'intention de réfuter les conclu-
sions générales de M . Jùlicher sur le caractère des paraboles, aussi
certaines de ses interprétations particulières, et il réfute pareillement
M. A. Drews qui a pensé démontrer que les paraboles de Jésus étaient
toutes apocryphes et imitées des paraboles rabbiniques. Ces deux
auteurs et leurs thèses sont très différents, bien que le même sujet ait j
été solidement traité par l'un et qu'il ait été exploité par l'autre. Et
pour ce qui est des questions, M. F. se propose d'établir, contre :
M. Jùlicher, qu'il y a de l'allégorie dans plusieurs paraboles authenti- '
ques, comme il veut prouver contre M. Drews l'authenticité de ces
paraboles; mais il entend prouver, parla même occasion, et toujours
à la lumière des paraboles rabbiniques, que les rédactions synopti-
ques des paraboles sont fondées sur une tradition orale qu'elles expri-
ment immédiatement. M. Jùlicher omet toujours, et pour cause, de
signaler ce rapport immédiat. Mais M. F. ne se lasse pas de répéter
que Jùlicher a négligé d'expliquer telle ou telle divergence des évan-
gélistes par l'évolution de la tradition orale. Jùlicher se comporte
ainsi parce qu'il lui paraît évident que, si la traduction orale, en der-
nière analyse, supporte nos Évangiles, la rédaction de ceux-ci procède
de sources écrites et que les divergences s'expliquent le plus souvent
par les préoccupations et intentions diverses ou le style des rédac-
teurs. Le commentateur est en face de combinaisons rédactionnelles,
d'histoire et de littérature 149
et toute la science rabbinique de M. P. ne suffit pas à remettre sur
ses pieds l'hypothèse de ht iradiiion orale, qu'il n'admet du reste
qu'en partie.
Car c'est au nom de sa science rabbinique, dont il a donné d'excel-
lentes preuves, que M. F. morigène les exégètes de son pays. Il aurait
pu, sans nul inconvénient pour la part de vérité contenue dans sa
thèse, le prendre d'un peu moins haut avec M. Julicher, un maître
dont l'exégèse allemande a d'autant plus lieu d'être Hère que ceux de
son mérite semblent se faire moins nombreux. M. F. pense que la
connaissance de l'ancienne littérature rabbinique est utile à l'intelli-
gence des Evangiles synoptiques et du Nouveau Testament en géné-
ral, et il a raison de le penser; mais il argumente à peu près comme
si cette intelligence dépendait entièrement de cette connaissance, et il
a ton, attendu que, si l'Evangile de Jésus est en affinité étroite avec le
judaïsine de son temps, aucun livre du Nouveau Testament ne nous
a gardé cet Evangile en sa forme native, tous les écrits du Nouveau
Testament, sans aucune exception, et d'abord les écrits évangéliques,
représentant cet Évangile en forme plus ou moins hellénisée.
Le principal mérite du travail de M F. est d'avoir montré, contrai-
rement à ce qu'avait cru pouvoir avancer M. Julicher, que les para-
boles de Jésus sont apparentées aux paraboles rabbiniques, et qu'un
même fonds traditionnel pourrait en plus d'une occasion avoir
fourni la matière des unes et des autres. Jésus n'a pas inventé la para-
bole ni tous les thèmes paraboliques dont il s'est servi; il a adapté le
genre et plus d'un thème déjà existant à l'objet de son enseignement.
Ici M. F. complète utilement les belles études de M. Julicher. Mais il
lui cherche de mauvaises chicanes quand, à propos de presque toutes
ses paraboles rabbiniques, il essaie de prouver que les paraboles peu-
vent comporter une part plus ou moins considérable d'allégorie. Ce
qui apparaît véritablement, en certains endroits, et ce qui peut servir
à expliquer certaines paraboles évangéliques comme le Semeur, c'est
que la parabole, sansdevenir pour cela un récit symbolique, peut être
développée d'une façon un peu artiticielle, en vue de son application.
La fable est moins bien venue: c'est tout ce qu'on en peut dire.
L'authenticité de dévelo[)pements allégoriques comme on en trouve
dans la parabole du Festin, ou de paraboles allégoriques comme celle
des Vignerons meurtriers, n'est aucuneinent garantie par là. Bien
moins encore est garantie l'authenticité de la parole (Ma/'c, iv, 11-12)
sur le mystère du règne de Dieu qui est présenté aux Juifs en paraboles
pour qu'ils n'y comprennent rien.
M. Drews est beaucoup mieux traité par M. F. que les exégètes;
lui, du moins, a reconnu l'importance des paraboles rabbiniques, puis-
qu'il les allègue contre l'authenticité des paraboles évangéliques et
l'existence de Jésus. Cependant il n'a pas fait assez attention aux
dates, les paraboles des rabbins étant moins anciennes que celles de
( 50 REVOE CRITIQUE
l'Évangile, ni à l'objet des paraboles, celles des rabbins concernant
surtout l'explication de textes scriptuaircs, tandis que celles de Jésus
sont en rapport avec sa prédication. H n'y a pas à nier l'originalité
relative des paraboles évangéliques. Elles ont été conservées d'abord
par la tradition orale, mais celles des rabbins aussi, et, à ne considé-
rer que l'attestation, Fauihenticité des paraboles rabbiniques ne
serait pas plus sûre que celle des paraboles évangéliques. En ce qui
regarde la forme, les paraboles de Jésus ont un naturel et une fraî-
cheur que n'ont pas les paraboles rabbiniques, qui sentent l'école.
M. F. conclut que les paraboles évangéliques n'ont pu être inventées :
conclusion légitime pour l'ensemble, mais discutable pour telle ou
telle que M. F. entend sauver avec le bloc.
C'est contre M. Drews qu'est dirigé l'autre écrit de M. F.; mais il con-
tient surtout une intéressante collection de miracles pris dans la tradi-
tion rabbinique et dans Josèphe, pour la comparaison avec les miracles
du Nouveau Testament. Les analogies ne manquent pas, mais elle ne
sont pas très frappantes. 11 est évident que les Juifs des premierssiè-
cles de notre ère étaient familiarisés avec les miracles. M. F. observe
avec beaucoup de raison que les miracles attribués aux rabbins ne
prouvent pas que ceux-ci n'aient point existé; il en va de même pour
Jésus. Parmi ces miracles, les uns et les autres attestent le prestige
dont leurs auteurs prétendus ont Joui auprès de leurs contemporains.
Jésus lui-même a cru à ses miracles de guérison; il a pratiqué l'exor-
cisme sans employer l'incantation. Ce trait n'a rien que de naturel en
son temps et prouve plutôt contre que pour l'hypothèse mythique.
Alfred Loisy.
Novum Te stamentum Latine secunJum eJitionem sancti Hieronymi ad codicum
manuscriptorum hdem recensueiunt 7 J. Wordswokth et H. .1. White. Editio
minor, curante H."^ J. White. Oxford, Clarendon Press, 1911; in-i6, xx-
620 pages.
Hippolyts Schrift ûber die Segnungen Jacobs. von C. Diobolniotis und
N. Beïs. — Hippolyts Danielcommentar in Handschrift n° b-j3 des Meteo-
ronklosters, von C. Diobonioutis, mit \'or\\ort von G. N. Bonwetsch, Leipzig,
Hinrichs, iqii ; in-<*^", iv-6o pages.
Die Lukas Homilien des hl. Cyrillus von Alexandrien, von A. Rcicker, Bres-
lau, Goerlich, 191 i ; in-8°, 102 pages.
L'on saura gré à M. White d'avoir publié une « petite édition » du
Nouveau Testament hiéronymien. Le texte, jusqu'à l'Épitre aux
Romains inclusivement, est celui delà grande édition qu'ont donnée
les mêmes savants. Pour les autres livres, le texte a été déterminé
d'après les principaux manuscrits. L'apparat critique fournit l'indica-
tion des variantes notables tant des manuscrits que des éditions sex-
tine et clémentine. Les endroits parallèles de l'Ecriture ont été indi-
qués en marge. Excellent instrument de travail. Prix modéré : 2 sh.,
sur papier ordinaire.
d'histoire et de littérature i5i
M. Diobouniotis publie un écrit d'Hippolyte dont on connaissait
une version arménienne et une version géorgienne. Dans le ms. grec
de Meteoraoù M. Beis l'a découvert, il est attribué à Irénée. C'est
l'ouvrage que Jérôme cite comme une explication des « bénédictions
d'Isaac », et Procope de Gaza comme une explication des « bénédic-
tions de Jacob ». L'ouvrage contient en effet le commentaire des
bénédictions d'Isaac et de celles de Jacob. Nul doute sur l'authenticité
de cet écrit.
Le même manuscrit contient des morceaux notables du commen-
taire d'Hippolyie sur Daniel. La découverte a son importance, quel-
ques-uns de ces morceaux n'étant connus jusqu'à présent que dans la
version slave; aussi à raison de l'ordre dans lequel sont rapportés les
visions, et des variantes que présente le texte nouveau pour les par-
ties déjà connues. M. D. publie le texte des fragments qu'on ne possé-
dait pas jusqu'à présent en grec, indique la disposition générale de
l'écrit et les variantes qu'il présente par rapport à l'édition de
Berlin. L'explication de Suzanne vient entre les chapitre i et ii de
Daniel.
Les écrits exégétiques de Cyrille d'Alexandrie ont eu moins de crédit
queses écrits théologiques. Les homélies sur Luc, à l'exception de trois,
ne se sont conservées en grecque dans les extraits des Chaînes; mais
elles subsistent en syriaque, Payne Smith les a publiées en i858,
d'après deux mss. du musée britannique où il y avait des lacunes. Un
supplément a été donné en 1874, par W. Wright, d'après un ms. de
Nitrie. M. RCicker édite quelque nouveaux fragments d'après un ms.
de Berlin (cod. Sachau 220). Il semble que la version syriaque ait été
faite, au vi^ ou au vir siècle, en vue de lectures liturgiques. M. R.
étudie la tradition des Homélies dans la littérature byzantine et
indique la marche à suivre pour tirer parti des Chaînes, en utilisant
la version syriaque pour le contrôle des citations. Il dresse le tableau
de contrôle pour les fragments publiés dans Migne (t. 72). Dans ces
homélies, Cyrille polémise souvent contre Nestorius; M. R. en con-
clut qu'elles ont dû être écrites vers 43oou plus tard. Il expose l'inté-
rêt que peuvent présenter à divers titres ces instructions pastorales. Il
cite, par exemple, un passage où Cyrille tonne contre les gens de
médiocre foi qui recourent à la magie et invoquent dans leurs incan-
tations le dieu Sabaoth : il n'est pas permis, s'écrie-t-il, de donner
ainsi au démon un nom qui n'appartient qu'à Dieu. Sans doute
n'avait-il pas une connaissance directe de ce fonnulaire plus que sus-
pect. Pour les citations bibliques, le traducteur syrien ne s'est pas
servi, du moins intentionnellement, des versions qui avaientcours dans
sa langue; il les traduit lui-même comme le texte de Cyrille, en sorte
que son témoignage peut-être, à l'occasion, plus sûr que celui des
Chaînes. Il va sans dire que le texte biblique de Cyrille est alexandrin
et apparenté de très près à celui du ms. Sinaïiique. Pour finir, M. R.
I 52 REVUK CRITIQUE
étudie la mcihode exégétiqiio de Cviillo. — Travail solide, où aucun
aspect du sujet n'a été iiéj^lii^é.
A. L.
Kritik des Neuen Testaments von einem griechischen Philosophen des 3
Jahrhunderts, von A. Haunxck. Lcip/.i}^, I linrichs, 1911: in-8,iv-i3o pages.
Il s'agit de l'ouvrage polémique contenu dansV A pocriticus de Maca-
rius Magnes. M. Harnack consacre à cet ouvrage, fort curieux à
beaucoup d'égards, une pénétrante étude. Notice sur l'œuvre de Ma-
carius Magnes. Reproduction du texte des questions ou objections du
païen, avec traduction allemande. M. H. établit que l'œuvre de Ma-
carius n'a que l'apparence d'un dialogue, et que les objections du
païen sont prises d'un livre contre les chrétiens dont il est facile de
reconstruire le plan, bien que Macarius, en le transcrivant textuelle-
ment, y ait fait des coupures. Ce Macarius écrivait dans la dernière
"moitié du iv" siècle, vers ^(jo; l'auteur qu'il réfute vivait après la per-
sécution de Dèce et avant Constantin, dans la seconde moitié du
iti" siècle. Après d'autres, M. H. pense que cet auteur est Porphyre,
et ses raisons semblent concluantes. Toutefois le livre que Macarius
avait en mains ne portait pas le nom de Porphyre, et ce n'est pas le
grand ouvrage de Porphyre contre les chrétiens. C'en serait un
extrait, compilé durant les dernières luttes du paganisme contre le
christianisme, avant l'avènement de Constantin. Le commentaire
donné par M. H. aux objections du « philosophe païen », l'analyse
qu'il fait de ses idées religieuses sont du plus haut intérêt. Il lui sait
presque gré d'être plus favorable au Christ qu'aux apôtres et aux
évangélistes, qui sont parfois supposés avoir altéré l'enseignement de
Jésus et cousu de légendes sa biographie. Cette attitude prouve peut-
être moins le sens critique de Porphyre que le crédit acquis malgré
tout au fondateur présumé du christianisme par le progrès de sa reli-
gion. Les citations néotestamentaires méritent attention : elles repré-
sentent un texte occidental, et ce doit être aussi pour avoir connu le
Nouveau Testament en sa forme romaine que le païen cite l'Apoca-
lypse de Pierre et paraît ignorer l'Épître aux Hébreux.
______ A. L.
La Loi et la Foi, Etude sur saint Paul et les judaïsants, par A. de Boysson. Paris,
Bioud, I9i2;in-i2, viii-?;i9 pages.
L'eschatologie de Jésus-Christ, parC. Bruston. Paris, Fischhachcr, 191 1, in-8",
3i pages.
Jésus als Philosoph, von H. Sciineidkr. Leipzig, llinrichs, njri ; in-8°, 48 pages.
Les questions concernant saint Paul et ses rapports soit avec le
christianisme primitif et judiiïsant, soit avec les religions païennes,
spécialement les cultes de mystères, sont à l'ordre du jour, et sans
doute elles ne sont pas près d'être toutes résolues. Elles sont bien loin
d'histoire et de littérature i53
d'être seulement posées dans l'ouvrage de M. de Boysson. L'auteur
suit les méthodes d'exégèse les plus conseivairices ; il admet la pleine
authenticité de toutes les Epitres attribuées à saint Paul, y compris
l'Épitre aux Hébreux; il admet la parfaite historicité des Actes des
Apôtres, et il concilie ce livre avec l'Epitre aux Galates par des pro-
cèdes qui n'ont rien de neuf même au point de vue de l'exégèse catho-
lique. Il concilie tout, même la théologie de Paul avec l'Evangile de
Jésus : le Christ et Paul auraient prêché et demandé la même foi.
M. de B. ne tenant aucun compte des travaux critiques dont les con-
clusions dérangeraient le cadre fixé par l'orthodoxie à son exégèse, il
est inutile de les résumer ici pour les lui opposer.
M. Bruston est tout à fait mécontent des exégètes qui prennent à
la lettre ce que Jésus a dit ou ce que les évangélistes lui font dire tou-
chant le prochain avènement du règne tie Dieu, le grand Jugement, la
fin du monde, la résurrection des morts. Jésus ne croyait pas à la fin
prochaine du monde, rnais à la durée indéfinie du ciel et de la terre;
il enseignait que chaque homme est jugé à sa mort et ressuscite à ce
moment-là pour l'éternité. Ceux qui disent le contraire sont de parti-
pris. M. B. proteste.
« Jésus de Nazareth, écrit M. Schneider, est un des plus grands pen-
seurs de l'humanité. Comme Confucius, Bouddha, Socrate, Kant, il
apparaît au sommet d'une civilisation » etc., etc. Pour se faire une
telle idée du Christ, il faut (évidemment) écarter de ce qui nous est
donné coi^me son enseignement tous les éléments pétriniens, pau-
liniens, mythologiques; qui y ont été introduits. Sans se dissimuler
que sa thèse ne recueillera pas l'assentiment de tous, M. S. s'applique
à dégager la pensée qui fait de Jésus un grand philosophe. Il spiritua-
lise encore plus que M. Bruston le règne de Dieu, il le fait tout inté-
rieur, si intérieur qu'il supprime, je crois, la vie future. La demande du
pain quotidien dans l'Oraison dominicale est une concession aux
disciples, etc., etc. Grandes ou non, ce sont ses pensées que M. S.
prête au Christ.
A. L.
E. ScHWARTz, Bussstufen und Katechumenatsklassen (Schriftcn der Wiss.
Ges. in Strassburg, 7 Heft, Strassburg, Tiùbner, 1911 .
M. Schwartz esquisse d'abord une courte histoire de la pénitence
post-baptismale depuis Hermas. Le sujet demanderait, pour être
traité avec les nuances requises, des discussions fort délicates aux-
quelles M. S. n'a pas le temps de s'arrêter : aussi cette première partie
laisse-t-elle une impression plutôt défavorable. Mieux vaut ne rien
dire que de dire trop peu. La seconde partie, qui constitue l'objet
propre du travail, est beaucoup plus attachante. iM . S. y caractérise
les quatre classes de pénitents dans l'Eglise grecque et il montre que
I 54 REVUE CRITIQUE
l'idée qui a présidé à ceitc organisation est la même que celle qui
déterminait les modalités du caiéchuménat : d'où le parallélisme
des deux institutions en leurs diverses étapes.
P. DE L.
N. Frisciimni's. Julius redivivus hcrggcb. von Walther Jancll. Mit Einleitungen
von W. Haull, Cl. Rœthc. W. Jancll. Berlin, Wcidmann, igi2, in-i6, pp. 91, i53.
Mk. .S.
La collection des Lateinischc Litteratur-Denkmiiler publiée sous la
direction de M. Max Herrmann a réimprimé d'après l'édition de 1589
le Julius redivivus de N. Frischlin. Cette comédie de l'humaniste
souabe qui eut dès son apparition un vif succès, comme d'ailleurs
l'ensemble de son œuvre dramatique, méritait d'être rendue accessible
aux érudits, et il faut remercier M. Jancll de l'avoir fait avec tout le
soin désirable. Une bonne introduction pour laquelle il s'est adjoint
deux collaborateurs, renseigne suflisamment le lecteur sur la carrière
si mouvementée de Frischlin (c'est la part de M. Hauff); sur le carac-
tère et la valeur de son théâtre, un excellent chapitre approfondi,
précis et juste dont s'est acquitté M. Rœihe avec beaucoup de bonheur;
enHn, sur les mérites de Frischlin comme philologue, que l'éditeur
s'est réservé lui-même de nous présenter. Il est difficile après le vaste,
érudit et consciencieux travail de Strauss de dire du nouveau sur
Frischlin. Cependant les auteurs de la présente édition se sont de
nouveau référés aux copieux documents des archives de Stuttgart; ils
ont découvert ailleurs quelques pièces originales et mis en meilleure
lumière certains détails, surtout pour tout ce qui intéresse les sources
de Frischlin. Une liste de variantes et des notes brèves sont jointes au
texte. (Je ne sais pas pourquoi la préface au lecteur que donnent les
éditions ordinaires n'a pas été conservée).
L. ROUSTAN.
A modem dràma fejlôdésénck tôrténete (Histoire du développement du
drame moderne) par Georges Luk.^cs. Budapest, Franklin, 191 1. 2 vol. xvi-496,
548 p. in-i6.
Dans ces deux volumes couronnés et édités par la Société Kis/aludy,
nous avons l'effort très louable d'un jeune amateur du théâtre qui a
suivi avec beaucoup d'attention le mouvement dramatique contem-
porain en Europe, qui a lu énormément de traités d'esthétique, sur-
tout des traités allemands de la jeune école. Son ouvrage renferme
des observations très justes, quelquefois très hardies, des jugements
de jeune esthète qui connaît aussi bien le Théâtre libre que la Frète
Buhne. M. Lukâcs s'est fait un idéal du drame moderne; cet idéal est
le drame bourgeois, non pas celui de Diderot, mais celui qui reflète
les aspirations de notre société et dans lequel la langue est en har-
d'histoire et de littérature i55
monie parfaite avec le fond. Selon lui, l'Allennagne serait beaucoup
plus près de cet ide'al que la France.
Le premier livre est purement dogmatique et, par endroits, assez
obscur; les livres suivants, sur lesquels nous n'insistons pas, traitent
du drame classique allemand depuis Lessing jusqu'à Gœthe et Kleist,
du drame à tendance sociale des Français, de Hebbel et d'Ibsen, du
naturalisme au théâtre, du drame paysan (Anzengruber), des écrivains
du « Théâtre libre » et de la u Freie Buhne » ; de l'impressionisme
et du naturalisme lyrique [Maeterlinck, d'Annunzio) de Hauptmann,
et Hofmannsthal et de la jeune école allemande. Le dernier chapitre
(II, p. 494-53ij résume les tendances du théâtre hongrois. Il ne faut
pas y chercher des appréciations basées sur une étude approfondie.
Ce sont plutôt les observations d'un journaliste qui juge de l'activité
d'un Grégoire Csiky en deux pages et qui jongle avec des paradoxes.
Ces pages ne nous apprennent rien sur le théâtre de la Jeune Hongrie
où tant de beaux talents se sont manifestés, talents qui n'ont pas
encore trouvé un juge impartial (excepté Janovics pour Csiky). Ce
qui a plu, sans doute, dans l'ouvrage de M. Lukâcs, au jury de la
Société Kisfaliidy, c'est l'étude d'ensemble sur le théâtre étranger
depuis Lessing jusqu'à nos jours, tant en Allemagne qu'en France et
en Norvège; les opinions d'un homme qui a vu et lu énormément et
qui reste intéressant malgré les pages paradoxales où il établit sa
théorie '.
L KONT.
Tompa Mihâly (Michel Tompa) par Louis Kéki. Budapest, Franklin, 191 2.
192 p. in-i6.
Cette étude a obtenu le prix Széher au concours de la Société
Kisfahidy . Dans un cadre assez restreint, elle nous donne une image
assez fidèle du poète (1817-1868) qu'on a considéré longtemps, avec
Petôfi et Arany, comme l'initiateur d'une poésie nouvelle qui prend
son inspiration dans l'àme populaire. La critique de nos jours ne peut
placer Tompa au même niveau que ses deux grands contemporains,
mais elle reconnaît en lui le poète qui, pendant la triste époque de la
réaction autrichienne (1849-1867), a su le mieux exprimer, dans ses
poésies, les angoisses, puis les espoirs de tout un pays. Tompa n'est
pas un poète dont l'horizon intellectuel soit bien large; il a passé
presque toute sa vie dans d'humbles presbytères de village. La vie
intense et communicative d'un centre littéraire lui a manqué. Sa
mélancolie et sa tristesse, causées par la perte de ses enfants, influent
sur ses allégories et sur ses contes. L'auteur nous donne les ren-
I. L'exclusion de Rostand, parce que épigone de Victor Hugo, nous semble
arbitraire; les citations allemandes, françaises et anglaises auraient dû être tra-
duites; L 192 écrire : sentimentale, p. Soy Meilhac, p. 1^47, il y a deux fautes
dans la citation française ; IL p. 285, écrire Vare?jnes.
I 50 RKVl !•: CKITIQDF.
scigncmcnts les plus sûrs sur son cducaiion au collège des réformés
de Sàrospaïak, sur ses années de préceptorat, et il appuie surtout sur
la genèse de ses poésies, sur leur ordre chronologique ce qui est très
important chez Tompa, car dans sa jeunesse il était encore sous Tin-
Huencc de ce lyrisme sentimental et fade qui, avant Petôfi, était la
marque de Técolc de Bajza, Ce n'est que peu avant la Révolution de
1848 qu'il s'émancipa de cette inHuence et créa les œuvres qui lui
assurent une place éminente dans la littérature. M. Kéki le carac-
térise également comme orateur de la chaire; il retrouve dans ses
sermons des vues sur l'homme et sur la nature qui expliquent cer-
taines de ses poésies. Les chapitres où il trace le portrait de l'homme
et de l'écrivain, son commerce épistolaire avec Arany, sont d'excel-
lents résumés,
I . KONT,
Elbeszélések i Nouvelles) par Etienne Peti^l.ei, avec une biographie de l'auteur
par F. GvALui. Kolozsvar et Budapest, 1912 (Singer et VVolfner). 2 vol. li et
284, 274 p., in-8".
Parmi les écrivains de la Jeune Hongrie, Etienne Petelei (i852-
1910) occupe une place à part. Né et élevé dans cette marche de l'Est,
la Transylvanie, qui a donné naissance h tant de poètes et de roman-
ciers illustres, la capitale de la Hongrie ne l'a jamais attiré. Il y a fait
ses études universitaires, puis il est rentré aussitôt en Transylvanie.
Il V resta toute sa vie, consacrant le meilleur de son temps à un journal
de Kolozsvar et fondant la Société littéraire transylvaine (1888) qui
publie aujourd'hui ces deux volumes. Dans ses romans et dans ses
nouvelles [Les d'oix, Pour une femme, Jetti, Des Nuages, Hommes
de la campagne, La vie, Ma rue) il se fait le peintre de la vie rustique,
des petits propriétaires et des humbles de sa contrée. C'est le peuple
des campagnes et des petites villes qui l'attire. Ses peintures sont
empreintes d'une grande tristesse, car il se plaît surtout à évoquer le
côté sombre de l'existence. L'étude de M. Gyalui qui a travaillé sous
sa direction comme journaliste et qui est actuellement bibliothécaire à
l'Université de Kolozsvar, met très bien en relief ses qualités. Cette
étude est la plus complète que l'on ait consacrée jusqu'à aujourd'hui à
Petelei et aucune Histoire de la littérature hongroise ne pourra la
négliger. Elle est puisée aux meilleures sources et donne un aperçu de
toutes les oeuvres de l'écrivain et le caractérise comme styliste.
M. Gvalui fait ressortir la ressemblance entre certaines nouvelles de
Petelei et de Gorki. C'est que la vie rustique en Transylvanie offre
beaucoup de traits communs avec celle de la Russie. Petelei a d'ail-
leurs écrit la plupart de ses nouvelles dix ans avant l'apparition de
Gorki.
L KONT.
I
o'HISrOIRK KT DE LITTÉRATURE I Sj
Régi magyar szinészvilàg I ,c inoiuie lic riincicn théâtre hongrois) par Auioine
\'\RAt>i. — l'.u.lnpest, l'ranklin, i() i i . 484 p., in-16.
Egressy Gâbor es kora (Gabriel Egrcssy et son temps) par Paul Rakodczav. —
Biuiapcst, Singer et Wolfner, igt i, 65o et ôi 1 p., gr. in-S».
M. Vâradi est surtout connu comme pocte et dramaturge, mais en
qualité d'ancien directeur du Conservatoire de Budapest, il s'intéresse
toujours à l'histoire du théâtre hongrois. Il ne faut pas chercher dans
le volume, que la Société Kisfahidy a édité, une étude systématique
sur ce sujet. Ces trente essais sont des causeries charmantes à propos
de l'ancien théâtre d'après les mémoires, les journaux et les imprimés
delà fin du xvmT et du début du xix^ siècles. Toute l'époque héroïque
du théâtre naissant est peinte sur le vif, cette époque de luttes et de
misères de 1700, année de la première représentation en magyar^ jus-
qu'à l'ouverture du Théâtre national à Pest en 1837. Quelles batail-
les contre les comédiens allemands, maîtres de la place, mieux ins-
tallés, plus soutenus par la bourgeoisie que les pauvres acteurs
hongrois! Et pourtant c'est c\ cette époque que se formèrent les plus'
grands artistes dont le souvenir vit toujours dans l'histoire du théâtre.
— Une bonne partie des essais de M, Vâradi se rapporte au théâtre de
Bude que Joseph II ht aménager pour les fonctionnaires allemands
qu'il avait transférés de Vienne et de Presbourg à Bude. C'est le
célèbre Kempelen, l'inventeur du joueur aux échecs mécanique, qui
avait transforiDé l'église des Carmélites en théâtre — Ubi missae
nitnc cu'issae — théâtre qui fut abandonné plus tard à la troupe hon-
groise. Nous pouvons suivre avec M. Vâradi les débuts de cette
troupe puis, à partir de 1790, ses pérégrinations à travers le pays, car
le premier essai d'un théâtre stable ayant échoué, « les prêtres de
Thalie » furent forcés de parcourir la province où quelques muni-
cipalités se montrèrent plus hospitalières que la capitale, alors fon-
cièrement allemande. Ce n'est qu'après i83o qu'une troupe perma-
nente put s'établir à Bude. Dans cette troupe jouait leTalma hongrois,
Gabriel Egressy (1808-1866).
C'est à lui et à son temps qu'un professeur d'école primaire supé-
rieure, M. Rakodczay vient de consacrer deux volumes compacts
dont nous avons transcrit le titre. Ce qu'il faut louer ici, c'est le soin
méticuleux avec lequel l'auteur a fait des recherches dans les archives
du théâtre où Egressy a passé, pour ainsi dire toute sa vie. Grâce à
ces recherches, il a pu nous donner de nombreux détails inédits sur
les pièces dans lesquelles il a joué et nous raconter sa vie au jour le
jour. Le dépouillement des organes de la presse contemporaine est
tait également avec beaucoup de minutie; nous y voyons des polé-
miques très ardentes entre Egressy et les critiques. Ce qu'il faut, par
contre, blâmer dans cet ouvrage ce sont les hors-d' œuvre. M. Rakod-
czay se croit obligé de donner la biographie de presque tous les per-
sonnages avec lesquels Egressy était en contact ou qui ont exercé une
l58 REVUE CRITIQUE
influence sur lui. Exemple : Egressy va, en i836, à Vienne pour voir
le jeu d'ensemble au liurgthcater. Longues biographies des acteurs
allemands! En 1843, il vient pour quelques mois à Paris où il assiste
surtout aux représentations du théâtre frani;ais. Longue biographie
de Rachel. Egressy a formé un bon acteur, aujourd'hui oublié :
Bolnai. Vie détaillée de ce Bolnai, et ainsi de suite. Toutes ces
digressions ont enfle l'ouvrage outre mesure. La colère et l'in-
dignation de l'auteur contre ceux qui ont osé critiquer Egressy
nous semblent aussi inutiles. Pourquoi cette longue diatribe
contre Paul Gyulai et toute sa carrière de critique dramatique et
littéraire? Même Jean Arany n'échappe pas au blàme ni parmi les
écrivains contemporains, M. Joseph Bayer, l'historien du théâtre
hongrois, M. Rado, le traducteur en vers. D'autres digressions —
comme celles contre l'opérette — seraient encore à relever, mais nous
aimons mieux terminer par un éloge pour le travail très considérable
que cette biographie a dû coûter à l'auteur. Il a très bien mis en relief
ce que le culte de Shakespeare en Hongrie doit à Egressv, ce que de
nombreux écrivains dramatiques doivent à sa collaboration intelli-
gente, ce que son poème didactique sur l'Art théâtral qui a précédé
de dix ans celui de Samson, a d'original. Cet acteur a créé 358 rôles
et fut l'ami de presque tous les grands écrivains : Petôfi et Arany
lui ont adressé des poésies grâce auxquelles il vivra toujours et cette
énorme biographie sera un monument digne de sa brillante carrière.
Ce n'est pas d'Egressy que l'on pourra dire que la postérité ne tresse
pas de couronnes au comédien.
L'ouvrage est dédié au fils d'Egressy, également acteur, qui a
fourni de nombreux renseignements à l'auteur '.
I . KONT .
Dante Magyarorszâgon Dante en Hongrie) par Joseph Kaposi. Budapest, 191 1,
37? p. g r. in -8°.
Le livre de M. Kaposi est une contribution savante à ce que les
Italiens appellent « la fortuna di Dante », c'est-à-dire à l'histoire du
culte de Dante en Hongrie. A vrai dire ce culte ne commence guère
que dans la seconde moitié du xix^ siècle. C'est alors que François
Csâszâr inaugure cette série d'études et de traductions dont la biblio-
graphie complète nous est donnée dans ce volume (p. 345-36oj, mais
dans les siècles précédents on n'ignorait pas, en Hongrie, le poète de
I. Nous comprenons dans un ouvrage de ce genre les abréviations des titres de
journaux et de revues, mais un simplet pour Egressy, Sh pour Shakespeare sont
un peu gênants pour le lecteur. I, p. 297. On attendrait, au lieu de Casimir
Delavigne, plutôt Ponsard (réaction contre le romantisme); p. 3o7, il est exagéré
de dire que Corneille et Racine sont oubliés depuis Rachel ; p. 409, Czakô ne
s'est pas tué au domicile de Csengery, mais au bureau de rédaction du Pesti
Hirlap .
d'histoire et de littérature i59
la Divine Comédie. Nous savons que Dante, très attaché à Ciiarles
Martel, fils de Ciiarles II (le Boiteux) de la maison d'Anjou et de
Marie, issue de la maison des Arpad, mentionne dans deux endroits
de son poème la Hongrie (Par. VIll, 64 et suiv., XIX, 142 et suiv.).
C'est avec le commentaire très copieux de ces deux passages que
M. Kaposi ouvre la série de ces études. Les commentateurs de Dante
pourront y trouver leur profit. Le chapitre sur les trois manuscrits de
Dante conservés en Hongrie, n'est pas moins intéressant. Ces trois
manuscrits sont : 1° la traduction latine de la Divine Comédie que
Giovanni da Serravalle a faite pendant le concile de Constance et
dont i! dédia un exemplaire à l'empereur Sigismond, roi de Hongrie.
Ce manuscrit est conservé à la bibliothèque de l'archevêché d'Eger
{Agria en latin, Erlau en allemand) ' ; 2° le manuscrit de la Divine
Comédie qui appartenait au xv= siècle à la Corvina ; il fut transporté
avec d'autres trésors du palais de Mathias Corvin à Constantinople
et restitué par le sultan Abdul-Azziz à la Hongrie en 1877. C'est
une copie assez mauvaise, mais le manuscrit est remarquable par ses
miniatures; 3° le manuscrit de l'ouvrage De Monarchia. Les biblio-
graphes apprécieront les descriptions minutieuses de ces manuscrits,
la dédicace inédite jusqu'ici de Serravalle (p. 5 5-58) qui ne se trouve
ni dans le manuscrit du Vatican, ni dans celui du British Muséum,
ainsi que la description des incunables de Dante qui se trouvent à
Budapest.
M. Kaposi a réuni également les rares données que nous avons sur
Dante dans la Hongrie des xvi", xvii^ et xviii« siècles et apprécie à leur
juste valeur les études et les traductions de Csàszâr, de Bâlinth, de
Angyal, de Csicsâky, de Szasz et de Papp. Un commerce de vingt-cinq
ans avec son auteur lui a permis de se tenir au courant des moindres
publications et on peut dire que l'ouvrage ne laisse rien à désirer sous
ce rapport. Un index très détaillé facilite les recherches \
L KONT.
Dott. Federico Sternberg, La poesia neo-classica tedesca e le Odi barbare di
G. Carducci. Trieste, Mosettig, 1910, 182 pp. in-8.
L'auteur déclare que Carducci reflète en lui toute l'àme de la litté-
rature au xix^ siècle : et à ce propos, il nous fait en dix pages l'histoire
des lettres européennes. Pour montrer l'influence de la poésie néo-
1. Et non pas « en Bohême, dans la bibliothèque du lycée d'Eger » comme le
dit M. Jean Guiraud.
2. En vue d'une seconde édition, nous signalons à M. Kaposi les fautes suivantes
dans la transcription des titres français. P. 10, écrire Hauvctte; p. i58. Comédie
infernale; p. iSg, Comédie Française; p. 186, Sainte Elisabeth; p. 226, Nouve/
essai; p. 248, le doute; p. 25 1, Revue internationale (dans lu citation de cette
page, il y a encore d'autres fautes); p. 326, Noha«t.
l6o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
classique allemande sur les Odi barbare, il établit en principe que les
poètes allemands lisent les vers anciens suivant l'arsis et la thésis,
tandis que les Italiens ne sont sensibles qu'à l'accent. Rien d'éton-
nant, dès lors, h ce qu'il aboutisse (après un cours de poésie italienne
et un autre de poésie allemande) à cette conclusion, que l'influence
de la poésie allemande sur Carducci n'est « ni profonde, ni complète,
et permet seulement de rapprocher çà et là les mètres barbares du
schème métrique des anciens ». Dans une seconde partie, l'auteur
disserte sur Klopstock, Goethe, Schiller, Holderlin, et Platen, pour
montrer entre ces écrivains et Carducci quelques analogies de pensée
ou de forme. L'étude de M. Azzolini sur un sujet du même genre
(G. Carducci iind die deutsche Literatur, Tiibingen, 19 lo) n'était
point parfaite : elle était, en tout cas, nettement supérieure à ce livre
creux.
Paul Hazard.
Académie dks Inscriptions et Bklles-I.ettrks. — Séance du g août igi2. —
M. Léger, président, annonce la mort de M. Albert Martin, correspondant de
l'Académie depuis igoo, professeur de littérature grecque à la Faculté des lettres
de rUnivcrsité de Nancy.
M. Léon Dorez lit une note sur un manuscrit de la Bibliothèque de l'institut
contenant des poésies et un beau portrait, sans doute exécuté à Rome en 1472, de
l'humaniste véronais Leonardo Montagna.
M. Mispoulet signale deux diplômes militaires découverts en Thrace, en 1911.
L'un de 2?7, de Maximin le Thrace, est relatif aux cavaliers de la garde person-
nelle de l'empereur, et l'autre, de 71, à la flotte de Misène. Le dispositif de ce der-
nier n'est pas le même que celui de la plupart des diplômes connus; il y a une
mention, avant la date, qu'on ne retrouve pas ailleurs; enfin, ce qui est aussi sans
exemple, le nom du commandant de la flotte est omis. L'addition parait être une
interprétation personnelle du copiste, tandis que l'omission doit être attribuée à
sa négligence. Il n'y a. en effet, aucun motif de ne pas rétablir dans le texte le nom
de Lucilius Bassus, commandant, en 69, des deux flottes de Misène et de Ravenne
et qui se trouve dans deux autres diplômes du 3 avril 71. Le nombre exceptionnel
des diplômes accordés aux flottes italiennes, qui ont joué un rôle important dans
la lutte de 69 entre \'itellius et Vcspasien, montre que les empereurs usaient de
ce moyen pour récompenser non seulement les services militaires, mais encore
les services politiques de l'armée.
Léon Dorez.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 35 — 31 août — 1912
RoRciiARDT, Le portrait de la reine Teje. — H. Gautiiikr, Le livre des rois
d'Lgypte. — WiissELv, Textes grecs et coptes, ilL — Moller, Paléographie
hiératique. — Pétrie, Portraits romains et Memphis. — Grapow, Textes égyp-
tiens. — Hoi.BRooK, Portraits de Dante. — Arniieim, La cour de Frédéric. —
Bibliographie lorraine. — Stein, Pajou. — Adher, Le Comité des subsistances
de Toulouse. — Guillou et Rebili.on, Les biens nationaux en Ille-ct-Vilaine. —
Moulin. Les biens nationaux dans les Bouches-du-Rhône, IV. — Bi.och et
TuETEY, Le Comité de mendicité. — Laurent, Doléances de 1789, Marne, IIL —
Vernier, Doléances de l'.Aubc, IIL — See et Lesoht, Doléances de Rennes, IIL
— Wedkiewicz, La formation des périodes hypothétiques en italien. — P'ank-
• UAUSER, Le patois de Val d'IUiez. — Archivio Glottologico, XVII. — Northup,
Etat de la philologie moderne.
L. lioRcuAUDT, der Portratkopf der Kônigin Teje, im Bcsitz von D^ James Simon
(18 Wisscnschaftliche Ver(;iliéntlichung der Deutschen Orientgcselischaft), mit 4
Hcliogravùren, i Doppellichtdruck und 42 Abbildungen im Text, Leipzig,
J. C. Iliarichs'sche Buchhandlung, 191 i, in-4°, 3o p.
La très remarquable tête de femme qui fait l'objet de ce mémoire
fut acquise, en 1905, au Caire, par Borchardt lui-même. Des
recherches minutieuses lui fournirent la preuve qu'elle provenait de
Médinét-Ghoràb, qui est à l'entrée de la gorge du Fayoum. Il y avait
eu là, dans les derniers temps de la XVIII^ dynastie, un groupe de
gens riches attachés de près à la personne d'Aménôthès III puis
d'Aménôthès IV, et partisans, au moins pendant un temps, de la
réforme religieuse et politique tentée par ce dernier : c'est en effet
dans cette même localité qu'avait été découvert en 1900, par les fouil-
leurs illicites; le tombeau dit de Touti, dont Chassinat publia
naguères les pièces principales '. La tête James Simon appartenait à
une statuette qui fut détruite dès l'antiquité, employée probablement
comme bois à brûler par les habitants du village. Je n'entreprendrai
pas de la décrire : ceux des lecteurs de la Revue qui ne pourraient se
procurer le présent volume pourront, en se reportant à la petite pho-
tographie que j'en ai communiquée à la Revue de l'Art ancien et
moderne ' constater que Borchardt n'exagérait pas beaucoup lorsqu'il
la proclamait l'œuvre capitale de la sculpture égyptienne sur bois,
au moins sous le second empire thébain. Ce n'est pas que la femme
1 . Une tombe inviolée de la X VIII' Dynastie découverte aux environs de Médi-
nét-el-Glioràb dans le Fayoum dans le Bulletin de l'Institut français d'Archéologie
Orientale, lyoi, t. 1, p. 223-234 et pi. 1-111.
2. Revue de l'Art Ancien et Moderne, t. XXVIII, p. 241 sqq.
Nouvelle série LXXIV 35
102 REVUE CRITIQUE
qu'elle représente fût belle : mais rarement un artiste de n'importe
quel pavs a su donner plus complète qu'ici l'impression de la vérité
Cl de la vie.
La base, qui portait une inscription, ayant disparu, nous ne savons
plus directement qui était la personne représentée. Les traits nous
engageaient suffisammcni à reconnaître en elle une femme de la
parenté d'Aménôthès IV, mais était-ce la mère, l'épouse, une des
filles ou quelque cousine à un degré éloigné ? Borchardt pense que
c'est la mère, la reine Tiyi de romantique mémoire, et il le démontre
par la comparaison avec les portraits authentiques que nous possé-
dons de la reine ou de son tils Aménothès IV et des autres membres
de la famille. L'argumentation est très forte et je ne serais pas étonné
qu'il en fût ainsi : je me demande pourtant si l'hypothèse que j'avais
émise, et d'après laquelle nous aurions ici l'image de quelque petite-
fille ou petite nièce de Tîyi, n'offre pas une solution possible égale-
ment de la question. La tête du Musée du Caire, qui est si singulière,
offre des caractères que je ne trouve qu'affaiblis sur la tête James
Simon : ce peut être parti-pris de l'artiste, qui voulut idéaliser légè-
rement son modèle, mais ce peut être aussi, comme pour les phy-
sionomies de Sétouî I", de Ramsès II et de Ménephtah, le résultat de
l'usure que les types familiaux subissent en se transmettant de géné-
ration en génération. Je laisserai donc la question indécise pour le
moment tout en confessant que la solution de Borchardt a grand
chance d'être la bonne.
J'ai vu avec plaisir qu'il se refuse à croire que Tîyi fût une Sémite
et qu'il la tient pour nubienne. Il y a longtemps que j'ai protesté
contre l'identitîcation qu'on' faisait d'elle avec une fille d'un prince
syrien, et contre les conclusions politiques et religieuses qu'on pré-
tendait tirer de sa prétendue origine. Ses portraits authentiques m'ont
toujours paru présenter les signes des races qui peuplent le désert
entre le Nil et la Mer Rouge, et la momie de sa mère Touîyou, à
laquelle elle ressemble beaucoup, a les formes et la physionomie
d'une Ababdéh ou d'une Maazéh. Borchardt, pour mieux placer son
héroïne, a été obligé de rassembler ce que nous savons de positif sur
elle, et, comme moi naguères, il est contraint de dire que c'est peu de
choses : son mémoire, qui sera précieux pour tous ceux qui s'inté-
ressent à l'histoire de l'art, aura contribué ainsi à débarrasser l'histoire
de l'Egypte d'un des romans qui l'encombrent.
G. Maspero.
Henri Gauthier, Le Livre des Rois d'Egypte. Recueil de titres et de proto-
coles royaux, suivi d'un index alphabétique, t. 11, fasc. 2% de la tin de la
Xllle à la fin de la XV^III» Dynastie. Le Caire, Institut français d'Archéologie,
1912, in-4», 173-428 p.
L'œuvre a marché vite, aussi vite que le permettent les difficultés
d'histoire et de littérature i63
de l'exécuiion maicricllc. Ce n'a pas été petite affaire que composer
cette masse d'hiéroglyphes, arrangée de vingt façons diverses selon
la forme des documents : la façon dont s'en sont lires les ouvriers de
rinstiiut français est tout à leur honneur ainsi qu'à celui du directeur
qui les a dressés. Il y a çà et là des fautes d'impression, mais peu et
aucune qui soit grave. M. Gauthier apporte à corriger ses épreuves le
même soin qu'à accumuler et à classer ses matériaux.
L'époque dont il traite ici nous est mieux connue que la précé-
dente et nous y rencontrons moins d'incertitudes ; les documents y
sont beaucoup plus nombreux et ils se contrôlent souvent l'un par
l'autre. Cela ne veut pas dire que toutes les généalogies des branches
de la famille royale soient reconstituées ne varietiir . On n'a qu'à par-
courir les notes fort détaillées qui s'étagent vers le bas de chaque page
pour comprendre combien il nous y reste d'obscurité à dissiper.
Même la série des Pharaons n'est pas assurée, et tel savant, non des
moindres, se refuse à croire que Thoutmôsis I^'' soit le fils de son
prédécesseur Aménôthès I<^^ Je ne doute pas qu'il le soit, et Gauthier
partage cette opinion, mais nous différons sur d'autres points. Il
rejette, par exemple, l'avis des premiers Egyptologues qui tenaient
le second successeur d'Aménôthès ïV, Touatànkhamânou, pour un
fils d'Aménôthès III. Il lui semble que, dans l'inscription du lion
conservé au Musée Britannique, le terme l'ère, par lequel celui-ci
est désigné, n'implique pas la filiation directe, mais qu'il signifie
ancêtre de façon vague : il n'admet pas d'ailleurs que le pharaon
ait épousé la tille de son frère, sa propre nièce. Cette dernière obser-
vation ne me touche pas, car je ne vois guère pourquoi les Egyptiens
qui épousaient leur sœur n'auraient pas épousé leur nièce, même
quand elle était beaucoup plus jeune qu'eux : il s'agissait, dans le cas
présent, de légaliser une accession au trône, et la raison d'Etat
recommandait ce mariage. Le premier argument est meilleur et il
repose sur des faits réels, mais à lui seul il n'entraîne pas la convic-
tion : si les Pharaons appelaient /7ère un ancêtre lointain, ils don-
naient le même nom à leur père réel, et comme ici rien ne prouve
qu'il faille adopter la signification la plus vague, il est au moins pru-
dent de ne pas écarter absolument la signification la plus précise. La
sculpture contemporaine aurait fourni à Gauthier un renseignement
précieux, s'il avait songé à en consulter les œuvres. Tous ceux qui
les ont étudiées, et, en dernier lieu, Borchardt dans son mémoire sur
le portrait de la reine Tîyi, ont été frappés de la ressemblance qui
existe entre le buste en granit de Touatànkhamânou au Caire et la
statuette d'Aménôthès IV au Louvre. Il y a entre les deux'plus qu'une
affinité d'atelier; elles ont le même menton, les mêmes lèvres, le
même nez, les mêmes yeux, avec moins d'exagération ou, si l'on
veut, de dégénérescence, chez Touatànkhamânou que chez Amé-
nôthès. Lorsqu'on a vu l'air de parenté charnelle des deux monu-
164 RF.VIJE CRITIQUE
menis, on ne s'avisera pas d'aliînncr, comme Gauthier le fait, que
Touatûnkhamilnou n'était pas issu de sang royal, et l'on se prend à
penser que ceux-là pourraient bien avoir raison qui, interprétant lit-
léralement l'inscription du lion, l'acceptent pour lîls d'Aménô-
thès 111 et frère d'Aménothès IV.
Je relèverai encore deux assertions qui sont plus qu'aventurées.
J'avais classé parmi les fils de Thoutmôsis 1^'' un certain Amanma-
sou, dont le nom est inentionné dans un cartouche, sur un monument
de l'an IV de ce Pharaon : Pétrie avait contesté cette interprétation
comme contradictoire à l'ensemble des calculs de nature particulière
sur lesquels il établit sa chronoloi^ie, et il avait conjecturé que cet
Amanmasou était frère de Thoutmôsis. Ici encore, le sens vague
du mot père a influé beaucoup sur l'opinion de Gauthier, et il a
négligé le fait qui s'oppose à ce que Pétrie ait raison. Amanmasou
s'xmhnXe fils aine et général des troupes de son père. Gauthier conçoit-
il un frère du Pharaon déclarant qu'il esi fils aîné, et s'attribuant ainsi
des droits à la succession au détriment des enfants de ce frère? Pen-
dant le règne d'un roi, il n'y avait prince possédant le rang de fils
aîné que le fils aîné de ce roi : c'est pour cela qu'Amanmasou se disant
fils aîné et général des troupes de son père en l'an IV de Thoutmôsis I""",
je l'ai cru et je le crois encore le fils — non le frère — de Thoutmôsis.
Ici, il n'y a que demi-mal ; ce qui est grave, c'est d'identifier une
reine Makerîya ou Kamarîya de la XXI*" dynastie avec Hatchapsouî-
tou I^'' qui portait ce prénom. L'erreur est aussi forte que celle
qui confondrait le roi-prêtre Manakhpirrîya avec Thoutmôsis III parce
qu'il avait pour nom le prénom de ce dernier. Gauthier s'est laissé
tromper par la ressemblance des noms et les monuments condamnent
son hypothèse; non-seulement les cercueils et le papyrus funéraire
de Makerîya sont dans le style la plus pur de la XXI% mais sa momie
et celle de l'enfant qui l'accompagne présentent la technique de cette
époque. C'est un passage à corriger dans la prochaine édition.
On ne rendra jamais assez justice à ceux d'entre nous qui se
dévouent à des tâches aussi longues et aussi fastidieuses que celle de
ce Livre des Rois. C'est, par les noms propres, le squelette de l'his-
toire d'Egypte : rien qu'en utilisant les renvois bibliographiques
répandus à profusion dans l'ouvrage, le premier venu pourra pendant
quelques années établir cette histoire sous sa forme vivante, presque
sans recherches personnelles.
G. Maspero.
Cari Wesselv, Griechische und Koptische Texte theologischen Inhalts III
(forme le tome XII des Stiidien r;ni- Pciluaographic itiid Papj'ritskinide), Leipzig,
E. Avenarius, 19 12, in-4'', 247 p.
M. Wessely annonce en une seule ligne, au bas de la page qui sert j
de Table des Matières à ce volume, que son manuscrit était achevé
d'hISIOIRK et DK LITTKRATURE l65
avant l'apparition de Tcdiiion anglaise du Nouveau Testament en dia-
lecte thébain. Il n'a pas cru que la publication d'un texte suivi nous
rendît inutile celle des pages isolées provenant d'autres exemplaires,
et il a eu raison. Sans m'occupcr des fragments grecs, où je n'ai rien
à voir, ni des questions théologiques, auxquelles je suis étranger, il
m'est agréable, comme à tous ceux qui étudient la grammaire et le
lexique du copte, de noter les variantes des divers manuscrits sur un
même texte : ce sont, en ce qui concerne le côié purement philologi-
que, des éléments précieux pour une édition critique. M. Wessely a
employé ici le système qui lui a si bien réussi pour les volumes anté-
rieurs, copie cursive avec reproduction rapide des lettres ornées et des
fleurons marginaux, et, pour chaque manuscrit, quelques lignes de
fac-similé en caractères évidés, dessinés très soigneusement. Le tout
est très clair et se lit sans fatigue pour l'œil, malgré la finesse de l'au-
tographie.
G. Maspero.
G. MoLLER, Hieratische Palaeographie. Die /Egyptischc Buchschrift in ihrer
Entwicklung von der V'ten Dynastie bis zur Romischen Kaiserzeit.T. III; Von der
XXIten Dynastie his zum lïlten Jahrhundert nach Chr., Leipzig, Hinrichs'sche
Buchhandlung, 1912, petit in-fo, 15-72 p. et XI pi. en phototypie.
Le troisième volume de la paléographie de MôUer a suivi de près
les deux piemiers et il est plus intéressant encore qu'ils ne l'étaient,
s'il est possible. Cette dernière saison de l'écriture cursive égyptienne
est moins connue que les précédentes, car peu d'Egyptologuesont eu la
patience d'étudier les manuscrits de l'époque grecque et romaine, funé-
raires pour la plupart et dont le contenu est des plus ennuyeux. J'ai
indiqué, il y a longtemps, la cause principale des changements qu'on
remarque dans les types graphiques de l'Egypte mourante, la substi-
tution au calame à grosse pointe de calâmes à pointe de plus en plus
fine, et la tendance à des tracés de plus en plus rapides que produisit
cette modification du calame. On en suit fort exactement les effets d'une
j époque à l'autre, dans les exemples que Môller a recueillis de
chaque signe. Le plan est d'ailleurs le même que celui des volumes
qui l'ont précédé, des observations générales sur la technique des
époques étudiées, la description des papyrus choisis comme docu-
ments, des tableaux contenant des formes de chaque caractère, enfin
des fac-similés oi^i sont reproduites une ou deux pages des papyrus.
Comme toujours l'exécution matérielle est excellente : les signes
sont dessinés avec une netteté et une fermeté que les scribes égyptiens
auraient admirée. Je ne reprocherai pas à Môller de ne pas avoir uti-
lisé les collections de Paris, de Turin ou du Caire : il était naturel
que, voulant ne donner que des modèles scrupuleusement fidèles, il
les tirât par préférence des Musées qu'il avait le plus fréquentés et
qui lui étaient de l'accès le plus facile. Je me bornerai à regretter qu'il
l66 REVUE CRITIQUE
ail nci;ligc voloniaircmeiit cciiains niaïuiscriis du temps des Antonins,
où l'hiciaiiquc offre un aspect linéaire des plus étranges, ainsi quel-
ques-uns de ceux du Livre que Lieblein appelait : Que mon âme fleu-
risse. J'aurais aimé également qu'il eût introduit, comme dernier
terme, les formes hiératiques d'une maladresse insigne qu'on rencon-
tre éparses dans les papyrus démoiiques, dits gnostiques. Ce sont là
des omissions sans gravite, et je n'insisterai pas non plus sur plusieurs
questions d'âge, qui demanderaient une analyse technique impossible ^
dans celte Revue : je dirai seulement qu'à mes yeux les Maximes d'Ani
sont de la XXVh' dynastie plutôt que de la XXI«, et que, d'une manière
générale MiUler se laisse aller à vieillir un peu trop divers manuscrits.
Peut-être rectifiera-t-il quelques-uns de ses jugements d'ici à la pro-
chaine édition : il ne le ferait pas, que son ouvrage n'en demeurerait
pas moins l'un des plus utiles qu'on ait publiés dans ces dernières
années.
G. Maspero.
Flinders Pétrie, Roman Portraits and Memphis (IV) (British School of Archaeo-
logy in Fvgypt and Egyptian Research Account, XVIIth Year, 191 1), Londres, j
B. Quaritch 191 1, in-4'', 26 p. et XXXV pi. dont quatre en couleurs. '
Le site de Memphis n'a pas rendu cette année ce que Pétrie en
espérait; par contre Hawara lui a fourni une fois de plus la matière
d'un gros volume. Le site, étant des plus riches, est aussi de ceux
que les marchands d'antiquités ont exploité le plus sauvagenient : on
ne saura jamais combien de monuments et d'objets précieux les hon-
nêtes gens de Gizéh y ont détruits, pour exécuter les commandes que
leur font les amateurs d'antiquités égyptiennes. Il est donc de ceux
que, ne pouvant les défendre efficacement, je désire voir s'épuiser le
plus promptement possible, et quand Pétrie nous le demanda après
Steindorff, j'eus grand plaisir à le lui concéder. L'Egypte pharao-
nique n'a pas tiré beaucoup d'avantage de ses fouilles, l'Egypte ro-
maine en a presque exclusivement profité.
L'une des habitudes propres aux gens du Fayoum, dans le i" et le
II* siècles de notre ère, consistait à plaquer sur leurs momies, au lieu
du masque en bois sculpté et peint des autres localités, un panneau
sur lequel leur portrait était peint à la cire. Quelques-uns de ces
petits tableaux sont excellents, et nous en possédons un, entre
autres, au Musée du Caire, celui d'un jeune homme au teint frais et
à la chevelure vigoureuse, qui rappelle la manière de certain Florentin
du XV' siècle. Ceux de 191 1 ne valent pas en général ceux que Pétrie
avait recueillis en 1888, et d'ailleurs ils n'éiaient pas dans les mêmes
conditions. Les momies auxquelles les premiers appartenaient étaient
déposées chacune dans son caveau, celles-ci, au contraire, étaient
enterrées par tas, en plein sol, sans que la moindre superstructure,
chapelle, monument, même une simple stèle, marquât leur place. On
d'histoire et de littérature 167
constate, en les examinant minutieusement, qu'une bonne part du
dommage qu'elles uni subi ne provicni pas de ce mode de sépulture :
elles avaient été gâtées avant qu'on les enfouît, leurs ornements
avaient été brisés, leurs dorures enlevées, salies, ternies par les mou-
ches, les couleurs écaillées ou les panneaux entamés à coups d'ins-
trument tranchant ; enfin, des enfants avaient dessiné de grossières
caricatures sur le linge qui enveloppait les pieds de l'une d'elles.
Pétrie en conclut qu'avant d'aboutir au cimetière, on les avait gar-
dées dans les familles, probablement dans l'atrium, où les enfants
jouaient, où la poussière tombait sur elles, et où les domestiques les
heurtaient en faisant le ménage, autant de causes qui justifieraient
l'état de dégradation dans lequel elles nous sont parvenues. Elles y
demeuraient tant qu'elles inspiraient delà piété ou qu'elles éveillaient
un souvenir chez les survivants, l'espace d'une ou deux générations
peut-être, après quoi on les reléguait à la nécropole par demi-dou-
zaine à la fois, on les mettait en terre, et, comme personne ne se sou-
ciait plus d'elles, on ne plaçait sur la fosse aucun signe de reconnais-
sance. C'est là une des solutions du problème : il y en a une autre
non moins vraisemblable à mon gré. Les Égyptiens pauvres ou de
demi- fortune, à qui les moyens manquaient d'acquérir pour eux ou
pour les leurs une tombe personnelle, confiaient leurs momies à des
choachytes, qui s'engageaient à les entretenir décemment et à célé-
brer les offices des morts en leur honneur aux jours de fête régle-
mentaires, moyennant une redevance annuelle. Lorsque les descen-
dants disparaissaient à leur tour ou qu'ils cessaient de payer, ces
entrepreneurs se débarrassaient des non-valeurs qui restaient à leur
compte en les ensevelissant quelque part. C'est ainsi qu'en 1884 et
i885, je découvris dans la montagne d'Akhmîm plusieurs milliers de
momies du temps des Antonins et des Sévères, que les choachytes de
Panopolis avaient entassées, comme des rebuts, dans de vieilles
tombes, dans des puits, dans les failles du rocher, dans le sable.
J'incline à croire que les momies d'Hawara, celles de cette année du
I moins, ont eu pareille fortune : le séjour chez les choachytes expli-
querait les dégâts qu'elles ont subi plus naturellement encore que le
séjour dans la maison familiale.
Flinders Pétrie a saisi l'occasion qui s'offrait de discuter les ques-
tions que soulève la découverte de ces portraits, les moyens de les
restaurer, la technique de l'exécution, l'époque à laquelle ils remon-
tent et la manière dont on les encastrait dans le maillot. Il essaie
d'évaluer leur âge d'après les détails de la toilette, et, à ne considérer
i que la coiffure, il estime que les plus anciens nous amèneraient au
I temps des premiers Flaviens, le plus moderne au règne de Commode,
{avec cette réserve toutefois que, la mode se propageant lentement du
j centre à ce coin perdu de l'empire, la coiffure flavienne a pu n'être
î adoptée au Fayoum qu'un certain temps après qu'elle avait cessé
l68 REVUE CRITIQUE
d'd'tre ponde h Rome. C'est robservnti'>n que j'avais faite il y a trente
ans, sur les momies d'Akhmim, mais Pétrie me paraît aller trop loin
lorsqu'il admet que la mode d'Mawara était en retard sur celle de la
cour impériale d'une di/ainc d'années pour les hommes et d'une géné-
ration environ pour les femmes. L'annone faisait de l'Egypte, malgré
l'éloignemeni, une des provinces qui avaient ks rapports les plus
rapides avec la capitale, ci, quand on sait avec quelle- prestesse les
fellahs d'aujourd'hui, descendants directs des fellahs antiques, cir-
culent d'un bout de la vallée à l'autre, on ne trouvera pas de difficulté
à supposer que la mode romaine n'employait pas autant d'années que
Pétrie le suppose à pénétrer dans tous les cantons. Les dates qu'il ■
obtient par sa méthode, de loo à i 5o A. D. pour les portraits les
meilleurs, de i 5o à 200 pour les médiocres, de 280 à 25o pour les !
mauvais ne sont donc pas nécessairement exactes, et je suis assez dis-
posé à les diminuer de dix à vingt ans ou plus selon les cas. Cette
question se relie d'ailleurs à la question d'origine : les portraits
étaient-ils exécutés pendant la vie de la personne qu'ils représentent,
ou après sa mort et pour décorer sa momie? Pétrie, étudiant avec sa
minutie ordinaire l'aspect matériel et l'état de sa trouvaille, conclut
qu'ils étaient peints durant la vie, qu'on les encadrait et qu'on les
pendait au mur de la maison, puis qu'on les prenait au moment des
funérailles pour les lacer dans le maillot de la momie. Qu'il en ail
été ainsi pour plusieurs, je le crois voloniieis, puisqu'aussi bien on
en connaît qui ont un cadre, mais j'imagine que ce devait être l'ex-
ception. J'ai de la peine à admettre que celui des deux époux qui sur-
vivait, ou à son défaut les enfants, consentissent régulièrement à se
séparer de l'image qui maintenait leur mort présent auprès d'eux et à
la cacher dans un tombeau. Il leur était aisé d'en obtenir des copies,
soit de l'artiste même à qui ils la devaient, soit d'un autre peintre du
crû : c'est, à mon avis, ce qui eut lieu le plus souvent. Les cas oîi
un panneau carré a été retaillé et ses angles abattus pour l'ajuster au i
maillot s'expliqueraient alors si l'on' songe que les momies de la •
seconde trouvaille, soit qu'elles eussent séjourné dans l'atrium
domestique ainsi que Pétrie le veut, soit qu'elles eussent été entrepo-
sées chez un choachyte, avaient souffert pendant leurs années de
transition entre l'embaumement et l'enfouissement final : on réparait
les plus endommagées ei, comme la rcfeciion était assez sommaire,
nous n'avons pas lieu de nous étiDnner si les peintures ou les masques
sculptés ont été maltraités par les ouvriers qu'on chargeait de l'exé-
cuter,
G. Maspi'.ro.
Hermann Grai>o\v, >^gyptische Texte, in-H», 34 p.
C'est un tirage à part, sans indication d'éditeur ni de provenance, i
mais il contient un choix de textes égyptiens généralement bien tra-
d'histoire kt de littérature 169
duits, et j'ai tenu à aiiiicr sur lui l'atieniion de nos lecteurs. La
source principale et Tendroii où le texte se trouve sont indiqués en
têie de chaque morceau. Il y a peu de notes, mais elles sont aux bons
endroits et claires dans leur brièveté. Je ferai à l'auteur le reproche
d'être timide, et de laisser trop de lacunes dans son interprétation.
Cela a le double inconvénient de rendre le développement de la pen-
sée égyptienne diHicile à saisir pour le lecteur qui n'est pas du mé-
tier, et de laisser croire que le sens des autres passages est assuré, ce
qui n'est pas toujours le cas. Il y a dans la littérature égyptienne bien
des endroits dont la signification est douteuse encore : il y en a peu
qui soient si incompréhensibles qu'on ne puisse se livrer sur eux à
quelque conjecture. Les Egyptologues de la seconde génération,
Rougé, Chabas, Devéria, Brugsch, Birch, Goodwin ne craignaient
pas de risquer l'hypothèse, sans s'abuser toujours sur sa valeur, mais
ils savaient qu'une tentative de l'un d'eux, même malheureuse, aidait
souvent l'autre à dégager le sens véritable. Je voudrais que les Egyp-
tologues de la génération présente eussent la même audace : avec les
moyens dont ils disposent et que nous n'avions pas, ils réussiraient,
l'un poussant l'autre, à résoudre la plupart des difficultés qui les arrê-
tent. Si j'en puis juger par la brochure présente, M. Grapow est de
ceu.K qui seraient le mieux armés pour agir de la sorte.
G. Maspero.
Richard T. Hulbrook. Portraits of Dante, from Giotto to Raffael : a critical
study with a concise iconography. — Londoii (Ph. Lee Warner) et Boston-New-
York (Houghton Mifflin), 1911; in-4'', xix-263 pages ; nonnbreuses illustrations
(21 sh . .
Ce beau volume est un éloquent témoignage du très grand amour et
de la consciencieuse étude dont l'œuvre et la personne de Dante sont
l'objet en Amérique. Le problème abordé par M. R. T. Holbrook est
des plus délicats; car si la physionomie traditionnelle de Dante, telle
que l'a détinie l'art de la Renaissance, est bien connue, c'est une
entreprise presque désespérée de vouloir retrouver sur quoi elle repose
et quelles garanties de ressemblance elle présente. Le savant profes-
seur américain, qui s'est déjà fait connaître par un travail sur « Dante
et le règne animal » (1902), apporte au service de cette enquête toute
la rigueur de méthode que comportent le contrôle des témoignages,
la discussion des théories formulées par les divers historiens et aussi
la comparaison des « textes » qui sont ici des représentations plas-
tiques. M. H. a fait de son mieux pour que cette rigueur fût aussi
grande que possible ; on trouvera dans son livre un exposé complet
de l'état de la question; on aura aussi le grand plaisir et le profit très
réel d'y pouvoir examiner une riche série de belles reproductions; par
une heureuse disposition, iM. H. a constamment rapproché sur une
même planche deux ou trois portraits de Dante, ce qui facilite grande-
IJO REVUE CRITIQUE
rncni les comparaisons; nous voyons ainsi quatre fois le célèbre buste
de Naples, cinq fois le « masque Torrigiani » conservé aux Offices,
tous deux sous des angles ditiérenis, et jusqu'à onze fois le prétendu
portrait par Giotto, sous chacune des formes où il nous a été conservé,
y compris la criminelle restauration qui l'a détruit à tout jamais. Par
cela seul le livre de M. H. présente un grand intérêt et une incontes-
table utilité. Ce n'est pas sa faute si la matière qu'il traite ne permet
pas d'espérer qu'il en ressorte une conclusion positive. La malheu-
reuse fresque du Bargello est-elle réellement de Giotto? est-ce bien là
que se voyait le portrait de Dante dont nous parlent A. Pucci et
F. Villani? M. T. H., très consciencieux, nous offre tous les moyens
d'en douter une fois de plus. Cependant concédons-lui provisoirement
qu'il a raison, et que Giotto a peint à cette place le portrait du poète,
entre i334 et i336, soit plus de trente ans après l'exil de Dante; il
n'en reste pas moins que ce portrait représenterait un Dante jeune,
qui nous reporte à l'époque de la Vita Niiova. Est-il très naturel que
vers i335 on pensât à ce Dante-là plutôt qu'à celui de VEnferl Et si
Giotto a eu cette fantaisie, s'il a peint vers i 335 le Dante de i 290, son
œuvre n'a donc pu être qu'une idéalisation, charmante et précieuse
assurément, mais dépourvue de toute valeur documentaire. — En
présence d'un aussi mince profit historique, je retire à M. Holbrook
ma concession provisoire, et je retiens surtout du témoignage for-
mel de Filippo Villani (dans le texte latin, qui seul lui appartient) que
le Dante de Giotto était sur bois.
C'est ce portrait cependant que M. H. voudrait nous donner pour
la source de tous les autres. Ici je ne puis que partager le scepticisme
déjà exprimé par un distingué critique d'art américain, M. F. Jewett
Mather, dans la Romanic Revieip (vol. III, n. i, p. 118 et suiv.) : la
ressemblance avec des portraits postérieurs est trop lointaine; les
détails du costume (la coiffure) diffèrent essentiellement, et enfin ce
personnage mêlé à beaucoup d'autres, dans une fresque d'une chapelle
peu accessible au public, n'était guère en état de s'imposer à l'atten-
tion des admirateurs du poète. M. xMather attache plus d'importance
au dessin à la plume du cod. Palat. 320, et se montre dispose à y voir
une copie tardive du portrait exécuté vers 1 332 par Taddeo Gaddi à
Santa Croce, et depuis longtemps détruit. Il m'est diflficile de com-
prendre l'enthousiasme et les illusions qu'a pu soulever le dessin du
cod. Palat. 32o; la dernière hypothèse dont il vient d'être l'objet est
un pur acte de foi, qui se prête mal à la discussion.
En réalité, il existe des œuvres remarquables ou caractéristiques de
la seconde moitié du xv'' siècle, qui attestent dès ce moment la forma-
tion définitive du type classique de Dante : ce sont l'admirable buste
en bronze du Musée de Naples, la miniature du cod. Riccard. 1040,
et divers moulages connus sous le nom de « masques ». Il va sans dire
que ces masques n'ont pas été moulés sur le visage du poète mort;
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE I7I
mais ils offrent le très grand intérêt de dériver de quelque œuvre
perdue, dont le bronze de Naples lui-même pourrait bien n'ôtre
qu'une réplique. Pour le dire en passant, il est surprenant que M. H.
ait seulement reproduit et étudié, parmi ces masques, celui que le
marquis Torrigiani a offert au musée des Offices : ce plâtre peint
a été retouché, et en tout cas empâté par la couleur ; c'est donc un
reflet estompé de ce buste primitif que nous voudrions tant connaître.
Le moulage ancien, jadis en possession de Kirkup, et passé depuis
entre les mains de M. Alessandro D'Ancona, qui vient d'en faire don
à la ville de Florence {La Maschera di Dante donata al Comune di
Firenze dal Sen. A. D'Ancona; Florence, in-S", 3 photogr.), paraît
à cet égard plus intéressant : certains traits de la physionomie, fron-
cement des sourcils, poches des paupières, plis de la joue à la hauteur
des narines et au coin des lèvres, y sont d'un réalisme plus accentué.
Ce sont bien les mêmes traits que le bronze de Naples, mais celui-ci
imprime à la physionomie une plus grande expression de volonté, qui
parachève la création artistique.
Je n'ajouterai pas mon hypothèse à tant d'autres, sur le modèle sup-
posé dont paraissent dépendre bronze, moulages et miniature ; notre
grand désir de le faire remonter à quelque artiste contemporain du
poète ne doit pas nous faire perdre de vue que nous ne savons positi-
vement rien à ce sujet.
Henri Hauvette.
Fritz Arnheim, Der Hof Friedrichs des Grossen. Erster Teil : der Hof des Kron-
prinzen. (Geschichte des Preussischen Hofes, herausgegeben von Georg Schus-
ter. 2. Band). Berlin, Voss, 1912, in-S», p. 285.
Depuis le livre de Vehse (i85i-58), encore populaire malgré son
information suspecte, on ne possédait aucun ouvrage sur la cour de
Prusse. M. Schuster, archiviste du Preussisches Hausarchiv, a voulu.
combler cette lacune, en publiant une histoire plus sérieuse, sans com-
mérages ni anecdotes controuvées, et en raison de la commémoration
! de la date de 1712, il a inauguré sa publication, qui comprendra trois
volumes et ira de 1688 à 1888 par un volume sur la cour de Frédé-
ric II confié à M. Arnheim. L'auteur ne nous donne encore que la
première partie, jusqu'à l'avènement de Frédéric. Sur la jeunesse du
prince héritier les travaux abondent : Preuss, et plus près de nous,
MM. Koser, Droysen, Bratuscheck, Bêcher etc., chez no'us, M. La-
visse, de nombreuses publications de correspondances et de mémoi-
res, les études du Hohen:(ollern-Jahrbuch lui offraient une mine
inépuisable de renseignements ; il s'est aussi fréquemment adressé
aux contemporains bien en situation pour tout voir et entendre : Lehn-
dorff, Fassmann, Seckendorff, Bicifed, etc. Il a voulu néanmoins
ajouter à toutes ces sources une petite part d'inédit : les lettres de la
margrave, de Bayreuth, plus sincères que ses fameux Mémoires, celles
IJ2 REVUE CRITIQUE
de la Juchcssc Charloiic Je Brunswick, une auire sœur du roi, les
archives de Diisseldortf, celles de Siockholni et dilTérents documents
de famille lui ont permis d'apporter quelques détails inponnus. L'in-
formation du livre est donc abondante ci a été soumise à un contrôle
sérieux ; M, A. avait à faire justice de tant de fables et il a rejeté tous
les récits suspects. Sur la mise en oeuvre de ces matériaux il y aurait
des réserves à faire. M. A. nous donne plutôt un répertoire de notices
biographiques qu'une véritable histoire delà cour de Prusse; seul
Tordre alphabétique est remplacé par Tordre chronologique. Les
parents du roi, ses six sœurs et ses trois frères, tous les personnages,
gentilshommes, officiers, artistes ou beaux-esprits, qui l'ont tour à tour
approché à Berlin, à Ktistrin, à Neuruppin ou à Rhcinsberg, défilent
devant nous, et l'auteur suit leurs destinées jusqu'à leur mort, nous
faisant repasser ainsi vingt fois les trois guerres de Silésie ; souvent
même il ajoute une notice complémentaire pour les proches ou les
descendants de Tun et de l'autre, et chacun d'eux reçoit comme un
petit éloge académique où toutes les faveurs royales, les avancements,
les grades, les distinctions sont soigneusement mentionnés. Quant à
la vie même de cette cour, elle est traitée plus rapidement et avec des
traits trop généraux, ou bien l'auteur s'attarde à des détails insigni-
fiants, oiseux, quelquefois puérils; elle nous apparaît trop à distance,
elle manque de relief. Nous n'en vovons pas non plus assez les dessous;
les espionnages du roi Frédéric-Guillaume sont qualifiés de sollicitude
paternelle, les galanteries du Kronprini de jeux d'esprit ou d'atîec-
tions platoniques. Dieu sait pourtant si les brouilles sont fréquentes
dans les amitiés du prince et plus tard du roi ; son caractère autori-
taire et son humeur satirique les expliquent en gros, mais nous aurions
aimé pénétrer davantage sa vie intime avec ses familiers, bref, rece-
voir une histoire moins officielle et voir l'auteur déployer dans ce
sujet les qualités de souplesse et de profondeur qu'il exigeait. J'adres-
serai encore à M . A. un autre léger reproche. ^La langue de cette cour
était presque exclusivement le français, même l'allemand qu'on y
parlait est habillé en français; pourquoi ne pas laisser aux fréquentes
citations qui coupent le récit leur forme originale? La traduction en
allemand des vers de Frédéric, de Voltaire ou d'autres est du plus
déplorable effet ; des citations fidèles n'auraient arrêté aucun lecteur
et elles n'auraient pu qu'ajouter au tableau un peu plus de couleur
locale. Malgré son intérêt si dispersé et son défaut de composition, le
livre plaira au grand public auquel il s'adresse, et en raison même de
ce défaut, il sera d'un maniement commode pour nous renseigner sur
l'entourage de Frédéric avant l'avènement au trône. Un appendice
donne l'indication des sources principales et signale les emprunts iaits
aux documents inédits. L'ouvrage est en outre orné d'une agréable
reproduction de quelques portraits et d'une vue de Rheinsberg dûs a
des artistes contemporains. j^_ Roustan.
d'histoire et de littérature 173
Bibliographie Lorraine 1910-1911. Revue du Mmivcineut intellectuel, nrtisti-
que et économique Ac lu Région {Annales de l'Hst, 25'' année, fasc. 3). l'aris-
Nanc\', Beiger-Levrault, 191 r, in-S°, p. i35.
Le 3= fascicule des Annales de l'Est a été consacré à une bibliogra-
phie lorraine pour les années 1910-191 i, en remontant parfois un peu
au-delà de ces dates. C'est le second répertoire que publie la Revue
depuis sa transformation. Comme le précédent, il donne un compte
rendu lidclc de tous les ouvrages, recueils de documents, éludes,
monographies et articles intéressant non seulement la Lorraine fran-
çaise, mais aussi la Lorraine annexée et l'Alsace. Pour celle-ci d'ail-
leurs une heureuse innovation lui a fait réserver un chapitre spécial,
et un des plus Hdèles collaborateurs des Annales, M. Keuss, s'est
chargé de la rédaction du Bulletin alsatique qu\ ne pouvait être confié
à une plume plus qualifiée. C'est, je pense, cette contribution qui l'a
empêché d'accepter d'annoncer ici la seconde Bibliographie Lorraine,
comme il avait fait la première. M. Reuss, ayant dû embrasser dans
son compte rendu les années 1908 cà 1910, lui a donné un'=' forme plus
resserrée, mais il a su rester complet et substantiel malgré ce cadre
étroit. Les autres collaborateurs de la première Bibliographie Lor-
raine ont conservé leurs attributions : la géographie à M. Auerbach,
l'archéologie à M. Grenier, l'histoire à M. Parisot qui a laissé à M. le
capitaine Tournés le province de l'histoire militaire; le mouvement
économique a été présenté par M. Brocard, le mouvement littéraire
contemporain par MM. Collignon et Estève. Cette bibliographie avec
son fidèle dépouillement des périodiques, son classement systéinati-
que des rnatières, son copieux index sera un commode instrument de
travail pour les chercheurs, à la condition de maintenir intacts les
droits de la critique, ce qui n'est pas toujours aisé à un organe régio-
nal chargé de juger les travaux de l'érudition locale. Les collabora-
teurs de la Bibliographie lorraine nous ont paru concilier leur indé-
pendance de critiques avec les obligations de la confraternité
littéraire.
L. R.
Henri Stein, Les Grands Sculpteurs français du XVIIP siècle, Augustin
Pajou. Paris, E. Lévy, gr. in-S" de 450 p. avec 166 reproductions.
On n'avait encore rien écrit sur Pajou 1 N'est-ce pas de quoi sur-
prendre, à une époque surtout où les œuvres de ce grand artiste sont
plus recherchées que jamais par les collectionneurs? C'est que,
d'abord, toute la curiosité des biographes et des critiques s'est con-
centrée sur quelques-uns des plus fameux, parmi nos maîtres de la
sculpture française du xviii'^ siècle, et qu'il en reste beaucoup, et plus
qu'on ne croit, dont la vie ci le^ (jcuvres aiiendeni un historien. Et
puis Augustin Pajou a vraiment été méconnu; on ne s'est pas rendu
compte de l'importance de son génie dans l'évolution de l'art, on n'a
174 REVUE CRITIQUE
pas cherché à reconstituer sa carrière de production pour en dégager
le caractère de ce génie original; on s'est borné à le juger sur deux
ou trois (ouvres connues et l'on a passé rapidement devant lui comme
devant tant d'autres. Or il n'est pas comme tant d'autres et méritait
qu'on le dit. C'est à quoi M. Henri Stein s'est appliqué.
La tâche n'était pas aisée, on s'en apercevra tout de suite. C'est
même un peu l'excuse des historiens de l'art et des critiques d'occa-
sion : l'œuvre de Pajou est extrêmement disséminée, et pour en parler
en connaissance de cause, pour le reconstituer même sur le papier,
entin pour la révéler à nos yeux, dans sa suite éloquente par de fidèles
et nombreuses reproductions, il fallait une patience, une ingéniosité
et une critique peu communes. Sa biographie, d'autre part, devait cire
entièrement dressée sur pièces originales. Aussi bien M. Stein, ne se
posant nullement en critique d'art, ne voulant pas profiter de l'occa-
sion pour se livrer à un plaidoyer en règle, étayé de considérations
vagues, a surtout tenu à exposer les faits, à fixer les dates, à déter-
miner les (X'uvres, à mettre en lumière les textes utiles et intéressants.
Son livre comporte i66 reproductions de statues, bustes, bas-reliefs
de Pajou ; mais à quelles recherches, et combien variées et lointaines,
n'a-t-il pas fallu se livrer pour les trouver d'abord, les faire photo-
graphier ensuite ! Son livre renferme encore 72 pièces justificatives,
lettres de Pajou, ou à lui adressées, mémoires de travaux exécutés,
brevets..., toutes inédites, puisées dans les Archives publiques ou
particulières. Enfin, bien entendu, un catalogue de l'œuvre a été
dressé, mais combien n'était-il pas délicat à établir, tant de pièces
ayant été manifestement pastichées !
Enfin M. Stein tenait à faire œuvre d'historien, et pensait qu'il ne
pouvait mieux servir la cause de Pajou mal connu qu'en l'évoquant
dans son milieu, dans son temps, parmi ceux qu'il fréquenta et qui
l'estimèrent. C'est ce qui donne de la vie et de l'homogénéité à son
beau travail, où l'on sent comme une longue familiarité avec celui
qui en est l'objet. Nous ne saurions trop l'en féliciter. — Le volume
est d'ailleurs fort bien présenté et les reproductions sont excellentes.
Henri de Curzon.
Collection de documents inédits sur l'histoire économique de la Révolution fran-
çaise, publiée par le Ministère de l'Instruction publique (en vente à la librairie
Ernest Leroux).
1. — J. AunER, Le Comité des subsistances de Toulouse, 12 août 1 793-3 mars
J795, correspondance et délibérations, 1912, xi.iii-411 p. £^r. in-8.
2. — Adolphe Glullou et Armand Rebii.i.on. Département d'Ille-et- Vilaine.
Documents relatifs à la vente des biens nationaux, Districts de Rennes
et Bain, 191 i, Lxxixet774p. gr. in-8.
3. —Paul Moulin, Département des Bouches-du-Rhône. Documents relatifs
à la vente des biens nationaux, t. IV, 191 1. 58i p. gr. in-8.
4. — Camille Bloch et Alexandre Tuetey, Procès-verbaux et rapports du
d'histoire et de littérature 175
Comité de mendicité de la Constituante, 1790-1791, 191 i, i-x ci S47 p. gr
in-8.
5. _ Gustave Lai rknt, Département de la Marne. Cahiers de doléances
pour les États généraux de 1789, 1. 111, Bailliages de Sézanne et Châtillon-
sur-Marne réunis, 2' partie, Chàtillon-sur-Marne. 1911, ccxxiii et 504 p. gr.
in-«.
6. — .1. J. \'f.rnier, Département de l'Aube, Cahiers de doléances du bailliage
de Troyes et du bailliage de Bar-sur-Seine pour les États généraux de
1789, t. 111, igi I, LXix et 61 7 p. gr. in-8.
7. —Henri Ske et André Lesort, Département d'IUe-et-Vilaine, Cahiers de doléan-
ces de la sénéchaussée de Rennes pour les Etats généraux de 1789. t. III,
Evêcliés de Saint-Malo et de Saint-Bvieiic, 191 1, 835 p. gr. in-8.
I . Une publication du genre de celle qui a été confiée à M. Adher
manifeste d'une façon significative le manque de direction dont souffre
le comité de l'histoire économique de la Révolution. Certes, le pro-
blème de l'alimentation d'une grande ville pendant la Terreur est un
sujet intéressant mais qui demandait à être traité dans toute son
ampleur. La commission ici avait un modèle à suivre, l'excellente
monographie que M. Charles Porée a consacrée aux subsistances
dans l'Yonne pendant la Révolution. Mais, pour écrire des études
sérieuses, complètes, critiques, il faut des compétences d'abord, des
recherches longues et désintéressées ensuite. Il est beaucoup plus
simple de choisir quelques dossiers ou quelques registres dans les
archives et de les reproduire plus ou moins textuellement en les
reliant par des commentaires décousus et incohérents qui ne peuvent
tenir lieu d'une étude critique, mais qui font de l'effet quand ils sont
pourvus de nombreuses références.
M. Adher, .ayant trouvé aux archives de Toulouse deux registres
l'un de correspondance, l'autre des délibérations du comité puis du
bureau qui furent chargés de veiller à l'approvisionnement de la
ville pendant la Terreur, en a proposé la publication à la com-
mission qui l'a acceptée. Il faut bien que la commission dépense les
crédits qui lui sont alloués.
Pour que la publication de M. Adher fût vraiment utile, il aurait
fallu qu'elle embrassât non seulement la ville de Toulouse, le centre
de consommation, mais les communes rurales, les centres de produc-
tion. L'éditeur n'a fait aucune recherche dans les archives des cam-
pagnes. Il ne connaît les archives nationales que par procuration,
n'ayant pas fait lui-même le voyage de Paris.
Chose plus grave, la publication n'est conçue qu'au point de vue
administratif. L'éditeur croit avoir assez fait quand il nous a décrit
le fonctionnement du comité et qu'il a analysé ses principales délibé-
rations. Mais comment ses mesures ont-elles été accueillies par les
populations, par celles de villes et celles des campagnes? Ont-elles
discrédité ou fortifié la République? C'est ce dont il ne se soucie pas.
Le négociant Groussac, qui dirigea le bureau des subsistances, périt
quelques années plus tard assassiné par des ennemis politiques. Cet
1^-6 REVITR CRITIQUE
assassinai eut-il pour cause sa gestion administrative? M. A. ne la pas
recherché. L'iiistoiie économique ne devient intéressante que si elle
explique rhisioire sociale cl l'histoire politique. On glanera dans ce
recueil des renseignements, il est impossible d'en tirer des con-
clusions.
2. La commission a enfin reconnu que l'analyse de tous les procès-
verbaux des ventes de biens nationaux rempliiait d'innombrables
volumes. Les deux premiers recueils de la série, ceux de MM. Char-
létN et Moulin embrassaient le cadre du département. Les plus récents,
ceux de MM. Schwab, Marion, Caudrillier et Benzacar, Guillou et
Rebillon, se meuvent dans le cadre du district. MM. Guillou et lle-
billon ont choisi dans l'I Ile-et-Vilaine deux districts-types, un dis-
trict urbain, Rennes, un district rural, Bain.
Leur publication est très soignée. Ils ont disposé leurs analyses
commune par commune, mais en distinguant les ventes des biens de
première origine (clergé) et celles des biens de seconde origine (émi-
grés).
Les décomptes de l'époque impériale et les dossiers de l'indemnité
du milliard ont été judicieusement utilisés. Des tableaux bien com-
pris donnent la liste des propriétaires dépossédés et la liste des acqué-
reurs et soumissionnaires. L'introduction m'a paru claire, précise, un
peu sèche. Les conclusions confirment sur plus d'un point les travaux
de MM . Marion et Dubreuil.
3. Le recueil de M. Paul Moulin est terminé avec ce quatrième
volume qui contient de nombreuses pièces jusiiHcatives en annexes.
Certaines sont très intéressantes. L'index alphabétique est commun
aux quatre volumes.
4. MM. Camille Bloch et Tuetey ne se bornent pas à transcrire les
registres des procès-verbaux du comité de mendicité de la Consti-
tuante, ils réimpriment aussi ses rapports déjà reproduits à leur date
dans les Archives parlementaires^ dont du nioins ils s'abstiennent
de médire. Les annotations sont nombreuses, l'introduction assez
longue contient un historique du Comité, des notes biographiques
sur ses membres, un aperçu de son fonctionnement et de son œuvre,
une description des archives qu'il a laissées. La publication est
pourvue d'un bon index.
5. Les cahiers du bailliage de Chàtillon-sur-Marne, qui forment le
tome III des cahiers de la Marne publiés par M. Gustave Laurent,
sont précédés d'une importante préface qui n'occupe pas moins de
228 pages et qui est consacrée d'une part à l'histoire administrative et
économique des deux bailliages de Chàtillon et de Sézanne et de
l'autre au récit des opérations électorales. On y trouve des données
précises sur les impôts, droits, redevances seigneuriales perçus en
Champagne, sur les cultures, notamment celle de la vigne, sur les
industries, notamment celles de la bonneterie, de la filature, de la
D HISTOIRE KT I)K LITTKRATURK I77
tannerie. M. Laurent a bien montre que le fait capital du xvni'' siècle
fut l'élévation de la classe des parlementaires qui succéda partout à la
classe des anciens seigneurs. Les annotations sont toujours aussi
abondantes et aussi critiques.
6. Le tome troisième et dernier des cahiers des bailliages de
Troyes et de Bar-sur-Seine publiés par M. J.-.T. Vernier est précédé
d'une copieuse introduction qui renferme un récit de la campagne
électorale et une analyse des principaux vœux des cahiers. La table
des matières qui termine la publication est une table analytique qui
m'a paru bien faite.
7. Le tome 1 1 1 des cahiers de Rennes, publiés par MM. Henri Sée et
André Lesort, est conçu sur le mC-me plan que les précédents et annoté
avec le même soin.
Albert Mathikz.
St. Wedkikwicz, Materialien zu eiuer Syntax der italienischen Bedingungs-
saetze (Bcihcfte zur Zeitschrit't Fur romanische Philologie. XXXI). Halle,
M. Niemeyer, igi i : in-H" de x-i 12 pages.
Voici, sous un titre vraiment bien modeste, une excellente contri-
bution aux études de syntaxe italienne, ou pour mieux dire romane.
Ce sont des matériaux, si l'on veut, qui sont ici fournis, mais des
matériaux de choix, et disposés avec un soin sufïisant. L'auteur n'a
pas seulement dépoiv-illé attentivement les anciens textes italiens, il a
tenu compte aussi de nombreux faits dialectaux, introduit des compa-
raisons constantes avec les autres langues romanes, parfois même avec
des usages slaves ou germaniques. Il en résulte un livre oii la forma-
tion des périodes hypothétiques en Italie est mise en bonne lumière.
Après quelques remarques préliminaires d'un caractère général, M. W.
a passé en revue les conjonctions les plus usitées dans la protase de la
période conditionndle, et puisque aussi bien se est par excellence la
particule dont on se sert en ce cas, il n'y avait pas grand chose à en
dire. Mais on lira au contraire avec intérêt ce qui est exposé ici (p. 25-
29) à propos de l'emploi de ove en italien, et des particules locales
similaires ailleurs ; en somme ubi pouvait déjà en latin servir dans ce
cas, comme il ressort d'une phrase telle que celle de Salluste : Ubi
socordiae te tradiJeris, nequidquam deos implores^ et c'est là une
construction qui s'est continuée ensuite, qui est d'une certaine fré-
quence notamment en ancien français. On pourrait se demander si,
venant après cela, l'étude des périodes hypothétiques où il n'y a pas de
conjonction est vraiment à sa place : la vérité c'est que c'est par là sans
doute qu'il eût fallu commencer, si l'on voulait suivre un ordre chro-
nologique rigoureux ; c'est par un emploi temporel et modal que la
pensée s'est d'abord fait jour, et l'emploi des particules n'a été qu'un
procédé postérieur et accessoire pour lui donner plus de clarté ou
d'intensité. Quoi qu'il en soit, M. W. a très bien délimité les trois
I 78 REVUE CRITIQDE
constructions essentielles qui sont possibles lorsqu'on se passe de con-
jonction ; de plus il a bien fait ressortir la rareté en italien moderne du
type qui correspond à notre phrase tu me le dirais, je ne le croirais
pas : c'est là un type qui en Italie a été déclinant, tandis qu'il occupe
une place importante dans la stylistique du rrani;ais contemporain.
Le chapitre le plus développé de l'ouvrage est naturellement celui
qui a trait à l'emploi des temps et des modes du verbe (p. 46-1 12). A
propos do l'hypothèse réelle, M. W. a eu à faire remarquer que le
futur après se déjà répandu en ancien italien reste encore très possible
aujourd'hui. Mais c'est surtout dans la structure de la période irréelle
que la complexité s'accroît, et que l'auteur a pu faire ses constatations
les plus intéressantes : je ne puis ici ni les discuter, ni même les signa-
ler toutes dans l'ordre où elles se présentent. Vers la Hn du mémoire,
par exemple, il a été indiqué avec raison qu'un type se avevo-davo
(donc avec l'imparfait de l'indicatif dans les deux membres) s'est
constitué vers l'époque de Boccace, et est encore très florissant de nos
jours. D'autre part, l'ancien type du latin impérial si habuissem-dedis-
sem semble avoir été plus vivace en Italie qu'on ne le croyait généra-
lement, et cette remarque a bien son prix : c'est surtout dialectalement
au Nord qu'il s'est conservé, on le trouve dans les textes de la Lom-
bardie, et il y a là par conséquent un usage qui rejoint celui des idiomes
rhétiques. Mais ce n'est pas tout, car une autre question est liée à
celle-là. Que le remplacement de dedissem par dare-habui dans l'apo-
dosc ait donné naissance au type italien par excellence, voilà qui va
de soi et ne saurait faire difficulté. Seulement on doit se demander
de plus si dare-habuissem y a existé concurremment à un moment
donné, comme certains l'ont admis, et si c'est de la sorte que s'expli-
quent quelques formes de conditionnel telles que cantaress qu'on (
relève en Milanais et ailleurs. La question reste obscure, même après
les bonnes remarques qu'a faites ici M. "Wedkie.wicz ; il n'arrive, je
crois, qu'à des probabilités, et admet pour sa part des actions analo-
giques en effet possibles. On lira avec fruit cette discussion, ou plutôt
le livre tout entier, comme je l'ai déjà dit.
E. BOURCIEZ.
Fr. Fankhauser, Das Patois von Val d'Illiez (Unterwallis). Halle, Ehrhard Kar-
ras, 191 1; in-8» de 223 pages.
Celte étude qui est une dissertation de l'Université de Berne, a déjà
paru dans les tomes II et III de la Revue de dialectologie romane :
elle méritait d'y figurer par le soin avec lequel elle a été faite, je dirai î
même par la nouveauté de quelques-uns de ses résultats. La région
explorée est la vallée de la Vièze, la dernière vallée importante qui se
trouve sur la rive gauche du Rhône avant que le fleuve pénètre dans
le lac Léman. Il y a là trois centres qui otîrent quelque intérêt,
d'abord Val d'Illiez, puis Champéry et Troistorrents : or c'est essen-
d'histoire et de littérature 179
tiellement sur ces deux derniers que nous avaient été donnés quelques
détails linguistiques précis, dans le Glossaire de Bridel qui est déjà
ancien, puis surtout dans le Petit Atlas phonétique du Valais de Gil-
liéron. M. Fankhauser a donc bien fait de reprendre la question, et
de l'cxami^ier dans son ensemble. Il a commencé par exposer les
conditions topographiques et historiques de la vallée de la Vièze :
peut-être l'a-t-il fait un peu longuement (p.. 4-18) et avec un certain
luxe de détails, étant donné qu'il n'avait qu'à puiser dans un livre
connu de A. de Claparède, paru à Genève et qui en est à sa 3* édi-
tion. Lorsqu'il arrive à l'étude linguistique proprement dite, on pour-
rait sans doute aussi lui reprocher de n'avoir eu recours de parti-pris
qu'au témoignage de gens âgés d'au moins soixante ans : le désir
d'atteindre de la sorte un patois « plus pur » est vraiment quelque
chose de chimérique, et ce dont on se prive en procédant ainsi c'est
de surprendre l'idiome dans son évolution actuelle. Mais à cela près,
et en tant qu'elle représente l'état du patois de Val d'Illiez vers 1860
l'étude est intéressante et assez bien conduite, prouve aussi que l'au-
teur a des connaissances étendues sur les parlers de la région franco-
provençale. C'est la phonétique surtout, et dans la phonétique le
traitement des voyelles qui présentent les traits saillants. Rien déplus
spécifique notamment que la diphtongaison de Vi accentué libre qui
aboutit à oy (dans amoj^, partoy = amicum, partire) à Val d'Illiez
tandis qu'il reste intact dans les localités voisines : on a aussi du
reste ay^ ou ey dans certaines conditions {nerœy, ferey= nutrire,
ferire). L'importance toute particulière du fait n'a point échappé à
M. F., il y est revenu (p. 5 i suiv.) pour indiquer les autres points du
domaine roman où on en a signalé d'analogues, et fixer à celui-ci une
date approximative (entre 1820 et 1866). Mais je ne vois pas qu'il ait
cherché à déterminer nettement le processus : on a dû avoir une série
iy^ ey, œy, oy, avec certains arrêts conditionnés par la nature des
consonnes précédentes. Quoique offrant çà et là quelques détails spé-
ciaux, le traitement des autres voyelles et celui des consonnes est en
somme d'accord avec l'allure ordinaire des parlers franco-proven-
çaux. On remarquera dans les paragraphes consacrés à Vu, les diver-
gences que peut amener la finale du mot, et comment par exemple à
un participe masculin ^er<i« correspond ici un féminin perdiva (avec
l'accent sur a). J'ai quelque peine à me figurer la prononciation d'un
mot comme fome (fumât), où l'o étant déjà nasalisé, le m serait en
outre redoublé : M. F. a représenté ces consonnes allongées m, n, r,
en les surmontant d'une petite barre horizontale, mais il a négligé de
l'indiquer dans son tableau des signes à la p. 26. La morphologie du
patois de Val d'Illiez est beaucoup moins développée que ne l'était la
phonétique, car elle tient en quinze ou vingt pages : il semble cepen-
dant que l'essentiel y ait été dit, mais comme ces formes, de l'aveu
même de l'auteur (p. 148, note i), reposent uniquement sur le témoi-
l8o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRK ET DE LITTÉRATURE
gnage d'un seul sujet, on peut se demander si Tcnsemble en est tout
à l'ait silr, Malj^ro cela cotte étude, complétée par un petit recueil de
Textes, par divers appendices comparatifs et un double index, a évi-
demment coulé de la [leine et du temps à M. i^'anidiauser : elle lui
lait honneur en somme par les résultats déjà obtenus, et permet d'au-
gurer favorablement de ses travaux ultérieurs.
K. BOURCMCZ. !
Archivio Glottologico Italiano. Wll, puniafa 2. pp. i47-2<SS. Torino,
E. Lœschcr, 10 i 1 .
L' Archivio fondé en 1873 par Ascoli, et où l'illusire linguiste a
donné la plupart de ses travaux relatifs aux idiomes romans, pour-
suit sa publication intermittente; sous l'habile direction de M. Goi-
dànich il n'a point dégénéré, et se consacre de plus en plus au défri-
chement en tous sens des dialectes italiens. Le cahier que j'ai sous les
yeux renferme deux études importantes : l'une due à M. G. Malagoli,
est la continuation d'une Phonologie du dialecte de Novellara (Heg-
gio) ; l'autre qui commence, sous la signature de M. B. Terracini, est
relative au Parler d'Usseglio (Piémont). Ce fascicule est complété
par diverses variétés, notamment par des étymologies souvent inté-
ressantes de M. Angelico Prati, et une note sur le vocalisme de buono,
bello ei bene en proclise dans le toscan — note curieuse, où M. Goi-
dànich a fait preuve de sa sagacité habituelle.
^ "^ E. B.
Clark S. Ncjktiiup, The présent bibliographical status of Modem Philology.
The University of Chicago Press, iqi i ; in-8" de 42 pages.
Cette brochure, imprimée pour le compte de Bibliographical So-
ciety of America, cherche à montrer comment on pourrait coordon-
ner d'une façon systématique les divers travaux de bibliographie exé-
cutés depuis le milieu du xix<^ siècle en Allemagne, en Angleterre, en
France; il en résulterait évidemment que beaucoup de peine et de
tâtonnements seraient épargnés aux travailleurs. L'opuscule de
M. Clark S. Northup est précédé d'un Plan de Bibliographie pério-
dique dû à M. Christian Bay, et suivi d'analyses de lettres écrites par
les Professeurs qui représentent dans les Universités des Etats-Unis
les études relatives aux diverses langues modernes. On ne saurait nier
qu'il n'y ait dans ces desiderata de la justesse et une entente du côté
pratique ou utilitaire des choses : mais que leur réalisation — si elle
était possible — fût un gage certain pour les futurs progrès de la lin-
guistique et de la littérature, c'est une autre question.
E. B.
IJ" imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon
Le l'uy-eu-Velay. — Imprimerie Pcyriller, Roucliou et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 36 — 7 septembre. — 1912
Jéquier, L,es monuments égyptiens de Spalato. — Seteie, La légende égyptienne
■ de Toeil du Soleil. — Boeser, Les tombeaux memphites du Musée de Leyde. —
Maxudianz, Le^' parler arménien d'Akn. — La Chronique d'Eusèbe, p. p. Karst.
— Cappelli, Lexique des abréviations latines et italiennes. — E. Diehl, Inscrip-
tions latines. — Lénel, Etudes istro-vénitiennes. — Oulmont, Gringore. —
Weulersse, Le mouvement physiocratique en France; Les manuscrits de Ques-
nay et du marquis de Mirabeau. — Dutil, L'état économique du Languedoc à
la fin de Fancien régime. — Aynard, Londres. — Guerlin, Chambord. —
A. PicHON, Fra Angclico. — Holbein. — Chroniques Byzantines, XV. — Mac-
cari, Stichomythie; Dionysus minor ; Raphaël et l'antiquité. — Chiapelli,
Figures modernes.
G. JÉQLiER, Les Monuments Egyptiens de Spalato (Dalmatie), Extrait de Spa-
lato, le palais de Dioclétien par E. Hébrard et Jacques Zeiller, Paris, Ch. Massin,
igi 2, in-f», 10 p. et i pi.
1d., La Sfinge nel Peristilio del Palazzo di Diocleziano a Spalato (Estratto
dalBulletino di Archeologia e^toria Dalmata, igio, p. 174-179), Spljet, Narodna
Tiskara, 1912,' in-S», 7 p. et 3 pi.
Les deux' brochures sont les deux rédactions différentes d'un même
mémoire :|ritalienne ne comporte point de scènes hiéroglyphiques et
les mots'égyptiens y^sont transcrits en caractères latins ; la française
donne les textes originaux, et elle est plus développée.
Les monuments égyptiens décrits sont au nombre de trois, le grand
sphinx, placé dans le péristyle du palais de Dioclétien, le petit sphinx
sans tête et une tête de sphinx du Musée. La tête est anonyme, et le
petit sphinx date d'Amènôthès III, mais les inscriptions tracées sur la
base ne contiennent que des formules sans intérêt : le grand Sphinx
a perdu'Ies cartouches du roi qu'il représentait, et il porte sur la base
" une liste géographique endommagée, qui est un extrait assez long de
celles de Thoutmôsis III. La portion relative aux pays du midi est
■ détruite, à trois noms près, et il ne reste que vingt-six noms de la
portion relative aux pays du Nord. Jéquier les lit et il les identifie, un
peu d'après les travaux de Mariette et de Max Muller, un peu d'après
les miens. Quelques-unes de ses identifications ne me paraissent pas
' correspondre suffisamment aux formes que lés noms prennent lors-
qu'on les remet en caractères sémitiques. Ainsi le n° g, Aqidoiia, ne
peut être laqdeâm de Juda, le second terme àm manquant dans l'Egyp-
tien. Le n° 37, Ashoushkhen^ n'a de commun qu'une seule lettre avec
Nouvelle série LXXIV 36
l82 REVUE CRITIQUE
î
la Shakhatzîm d'Issakhar, ce qui ne suffit pas à Justifier le rapproche-
ment. Le n° 38, Ranama, ne saurait être comparé à la Nimrah de
Juda que si l'on intervertit l'ordre des lettres, ce qui est inadmissible, j
Nous savons aujourd'hui que les scribes thébains pratiquaient eux- '
mêmes l'écriture cunéiforme usitée en Syrie, ou qu'ils avaient des col-
lègues syriens qui la connaissaient d'enfance. Ils pouvaient donc tra-
duire ou se faire traduire signe à signe les noms asiatiques, et il n'est
guère probable qu'ils se soient permis, au cours de ce travail, les
fantaisies d'inexactitude qu'on leur prête en proposant des identifica-
tions du genre de celles que je viens d'indiquer. Je me hâte d'ajouter
que ce sont les seules, et que pour le reste Jéquier s'est montré fort
prudent. Ses deux mémoires, sans nous révéler un document capital
pour la géographie, nous fournissent un bon élément d'étude en plus
de ceux que nous possédions déjà : ils sont les bienvenus.
G. Maspero.
KuRT Sethe, Zur Alteegyptischen Sage vom Sonnenauge da* in der Fremde
•war (forme le troisième fascicule du t. V des Untersuchiingen :[ur Gescliichte
und Alterthumskitnde jEgyptens). Leipzig, J. C. Hinrichs'sche Buchhandlung,
19 lo, in-4"', x-40 p.
Le mémoire de Sethe lui a été suggéré par la lecture de celui que
Junker publia, l'an dernier, sur VExode d' Hathor-Tefnut hors de la.
Nubie. Ainsi qu'il a été dit, Junker avait reconstitué, par le moyen de
textes dispersés dans les temples gréco-romains, cette merveilleuse
histoire de la déesse rentrant victorieuse dans son pays d'origine :
c'était pour lui une œuvre d'une seule venue, dont le fond ne s'était
altéré que très peu dans les diverses localités. Le dieu Râ avait une
fille Tefênît, une lionne féroce qu'il avait reléguée dans le désert ara- ,
bique, entre El-Kab et la Mer Rouge. Sur ses vieux jours, pressé par i
ses ennemis, il l'appela à son aide, et comme elle ne connaissait pas
l'Egypte, il l'envoya chercher par son fils Shou que Thot accompa-
gnait. Ils se déguisèrent en singes, et parvenus à son gîte, Thot lui j
persuada par de beaux discours qu'elle devait les suivre dans la lutte '
contre Typhon. Ils la ramenèrent donc à Philae avec une escorte de
cynocéphales, ils y célébrèrent des fêtes en son honneur, puis ils l'em-
barquèrent sur le Nil : elle rejoignit le Soleil au milieu de la joie uni-
verselle. Sethe pense qu'il y a là non pas un morceau homogène, mais
un assemblage de traits empruntés à d'autres mythes, et il essaie d'en
retrouver les origines.
Ils se seraient assemblés autour d'un concept très ancien, celui des
yeux d'Horus le ciel, l'œil droit qui est le Soleil et l'œil gauche qui
est la Lune. Par une confusion assez naturelle entre le ciel et le Soleil,
l'astre, qui d'abord était l'œil du ciel, serait devenu l'œil du Soleil, .
l'Œil de Râ, et comme le mot œil est du féminin en égyptien, l'Œil 1
de Râ se serait incarné dans le corps d'une déesse qui est en même
d'histoire et de littérature i83
temps la déesse du feu, puis d'une uroeus qui, enroulée autour du dis-
que solaire, crachait la flamme contre ses ennemis. Rà l'aurait dépê-
chée en Nubie pour y combattre les rebelles qui menaçaient sa royauté,
et il l'aurait accueillie triomphalement lorsqu'elle revint après les
avoir anéantis. C'est autour de ce thème antique de l'Œil du Soleil
séparé de son maître pour aller à l'étranger, que se seraient groupés
des épisodes empruntés à des concepts similaires, et le tout mêlé aurait
prêté aux mythologues des basses époques égyptiennes la matière
d'une ou de plusieurs de ces chroniques fabuleuses auxquelles ils se
complaisaient. L'addition la plus importante est celle qui assimila
l'œil du Soleil à la fille du Soleil, Tefênît-Tafnout, et qui métamor-
phosa l'urasus en une lionne. En effet, grâce à cette identification les
déesses-lionnes se fondirent dans les déesses-uraeus, et ce que l'on
croyait des unes fut attribué également aux autres, à Philae, à Bou-
gam,à Esnèh, à Thèbes, à Dendérah, à Thinis, à Béni-Hassan. La
plus populaire de ces associations et la plus riche en conséquences fut
celle qui alla Tefênît à Hathor de Dendérah. Hathor y gagna de deve-
nir l'œil du Soleil, mais elle donna à celui-ci et par conséquent à
Tefênît son cycle de légendes, y compris celles qui la faisaient origi-
naire du Pouânît ou qui la mettaient en rapport avec Byblos de Phé-
nicie. Ces éléments ne se pénétrèrent jamais assez complètement pour
constituer l'ensemble homogène que Junker avait cru retrouver.
Telle est la thèse de Sethe dans sa généralité : j'aurais trop à faire
d'en détailler les points secondaires. Jusqu'à présent, il pense avoir
déterminé cinq formes du mythe : chacune d'elles représenterait un
moment particulier dans le développement. i° D'abord, à Héliopolis,
aux temps anté-historiques. l'Œil du Soleil est l'astre proprement dit,
l'œil du dieu solaire : on dit que cet Œil part à l'étranger, peut-être
en Nubie, quand le ciel se couvre de nuages et qu'il revient après
que ses rayons ont dissipé l'obscurité. 2° Un peu plus tard, mais tou-
jours dans les temps anté-historiques, à Bouto, l'Œil est considéré
comme étant l'uraeus enflammée qui protège le soleil, et, par suite le
roi et son pays de Basse-Egypte. Le mythe se répandit à Bégéh, à
Kom-Ombo, à Dendérah : la déesse y est censée revenir de la Nubie
vers Rà, d'elle-même, après avoir abattu les ennemis, et elle est
accueillie en fête par Thot dans la localité où elle s'établit. 3° L'Œil
est une flamme qui veille sur le roi de la Haute-Egypte, peut-être par
opposition à l'uraeus de Bouto ; elle sort de Séhel, elle s'empare de
l'Egypte entière, puis elle escalade le ciel afin de s'y réunir au Soleil.
La légende est postérieure à la réunion des deux royaumes par
Menés : née à Éléphantine, elle a gagné Dendérah, Thèbes et El-
Kab, probablement en se contaminant avec celle des déesses de ces
deux cités. 4° L'Œil est Tefênît, la lionne fille de Râ, la patronne de
Léontopolis près d'Héliopolis : Shou va la prendre en Nubie, pour
qu'elle le débarrasse de ses ennemis. On relève les traces de cette ver-
184 REVUE CRITIQUE - ^
sion dès la première dynastie, mais elle est certainement antérieure, j
Elle a gagne Bcgèh, Kom-Ombo, El-Kab, Esnèh, Thèbes, Dendérah, j
Thinis, Spéos Artémidos et Memphis. 5. L'Œil est Hathor, mais |
cette version n'apparaît qu'assez tard dans les âges historiques. Elle a j
Dendérah ou Kousie pour lieu d'origine, et elle a eu grand succès en !
Egypte et en Nubie. La déesse y vient soit de Ryblos, soit surtout du '
Pouanit et du désert Arabique, avec une armée de singes chantants et '
dansants, qu'on prétendit plus tard avoir été commandée par Shou et \
par Thot transformés en cynocéphales. Voilà en gros les cinq posi-
tions que M. Sethe assigne au mythe, contre l'opinion de Junker.
Il a fort ingénieusement trié les documents, et l'analyse à laquelle
il les a soumis a prouvé qu'il avait raison de ne pas en admettre
l'homogénéité. Il est certain qu'il y a eu là des lais successifs d'idées,
dont beaucoup peuvent être ramenées à leur première origine et
qu'ils se sont déposés sur le concept d'une déesse protectrice du
soleil; mais cette déesse est-elle uniquement l'Œil de Rà? Sethe a été
influencé par les théories qui représentent les dieux comme les forces
de la nature et leurs actions comme l'interprétation du jeu de ces
forces. L'exil de la déesse et son retour victorieux symboliseraient
pour lui la lutte du soleil contre les nuages et son triomphe sur eux.
Quand on a vécu langtemps en Egypte, on n'est guère disposé à se
contenter de cette explication : les nuages y sont trop rares et trop
fugitifs pour que les Égyptiens aient jamais pu s'imaginer qu'ils
mettaient sérieusement en danger la domination du Soleil. Il me
semble qu'à tenir compte simplement des textes allégués, deux
déesses au moins ont contribué pour une part égale à former la
légende, une déesse-serpent dans le Nord, une déesse-flamme dans le
Sud. Le soleil est à la fois vivifiant et meurtrier : sa lumière tue, lors-
qu'on s'expose à elle imprudemment pendant les heures mauvaises
du jour. Toutefois, il est trop loin de nous pour abattre ses victimes
directement, de sa propre main : il les atteint soit par un trait de flamme
qui alors devient un être indépendant, soit par le jet du serpent qui
personnifie la mort, l'uraeus, d'où la déesse flamme de Bégéh, et la
déesse Uraeus de Bouto. L'énergie malfaisante du Soleil créa donc ta
légende des déesses, exécutrices de ses volontés, qui frappent ses
ennemis. Plus tard seulement, on songea à faire d'elles les yeux du
dieu et à les assimiler à l'œil d'Horus, Horus [Harou], le ciel, est
par calembourg une face {harou) divine, dont le Soleil et la Lune
sont les deux yeux. D'autre part le Soleil, en tant qu'être à forme
humaine, a ses deux yeux qui tuent : d'où, l'identification des déesses
.qui tuent pour le soleil avec l'œil du Soleil, et comme le Soleil est I
lui-même l'œil d'Horus, avec l'Œil d'Horus. Gomment cette légende
de l'Œil d'Horus, propre d'abord à Horus l'aîné, Haroêris, s'ap-
pliqua par la suite à Horus fils d'Isis, Harsiêsi, et se combina avec la
jradition qui amenait celui-ci d'Ethiopie avec ses, forgerons, on lima-
d'histoire et de littérature i85
ginera aisément si on lit à Edfou le récit des guerres d'Horus contre
Typhon; l'œil d'Horus qui sortit de Nubie pour défendre Râ me
paraît être un doublet féminin de l'Horus qui, parti d'Ethiopie, con-
quit l'Egypte à son père Rà-Harmakhis sur les armées de Set.
Le mémoire de Sethe est suggestif. Non seulement il nous fournit
un bon exemple de la manière dont on peut désariiculer un mythe
égyptien et ramener chacun des membres à son origine, mais il nous
force à méditer sur d'autres mythes et à nous demander s'il ne serait
pas bon de leur infliger le même traitement. Il sera utile et par les
résultats qu'il produit déjà, et par ceux qu'il ne manquera pas de faire
produire à bref délai.
G. Maspero.
Beschreibung der .^Egyptischeri Sammlung des Niederlândischen Reichs-
museums der Altertûmer in Leidea. — Die Denkmàler des Neiien Reiclies,
/s'e Abteilung, Grdber, von D' P. A. A. Boeser, [.a Haye, Martin NijhofF, 1912,
petit in-f», 11 p., XXXVIII pi. en phototypie et 10 vignettes intercalées dans le
texte.
Ce volume est de beaucoup le plus intéressant de ceux qui com-
posent la Description des collections égyptiennes entreprise par les
autorités du Musée de Leyde : il contient les notices et la reproduc-
I tion en phototypie d'une demi-douzaine de tombeaux Memphites,
remontant au second âge thébain. La planche XXXVIII nous montre
j l'aspect que présente l'un d'eux, celui de Patonoumhabi, qui a été
' reconstruit partiellement au moyen des fragments qui en furent ache-
tés par la Hollande, pendant la première moitié du xix^ siècle : les
autres planches portent le fac-similé des fragments séparés, et le tout
forme un ensemble des plus précieux par la conservation des monu-
ments et par leur nature. Ces tombes memphites, bâties pour la plu-
part sur les sables qui avaient recouvert les mastabas des anciennes
dynasties, étaient visibles encore en partie aux temps romains, mais
elles furent dépecées et employées comme matériaux par les derniers
païens, puis par les moines : nous en avons retrouvé des débris consi-
dérables dans les ruines du Couvent de Saint-Jérémie à Sakkarah.
Celles qui ne disparurent pas alors furent exploitées, après l'expédi-
tion de Bonaparte, par les marchands d'antiquités, et elles achevèrent
de périr : c'est à peine s'il nous en reste une demi-douzaine sur le
front de la nécropole, encore sont-elles mutilées de façon lamentable.
L'art funéraire memphite de l'âge auquel elles appartiennent nous
est donc assez peu connu : autant nous sommes familiers avec l'art
des cimetières thébains, autant nous ignorons celui-ci, faute de docu-
ments en nombre. C'est une fortune pour le Musée de Leydc d'en
posséder tant de pièces, et M. Boeser s'est acquis des droits à notre
reconnaissance en les mettant à notre disposition.
Deux d'entre elles offrent pour l'histoire proprement dite un intérêt
l86 REVUE CRITIQUE
spécial, celle de Paionoumhabi et celle d'Harmhabi. Le nom seul de
Paionoumhabi nous en enseigne la date : il n'a pu être donné qu'à un
individu qui mourut sous le règne de Khouniaionou, ou peut-être, vers
la fin du règne d'Aménôthès III. Rien n'v a été retouché lorsque la
réaction se produisit contre les doctrines hérétiques, et de fait on ne
voit pas ce que l'orthodoxie la plus scrupuleuse aurait pu y effacer, si
ce n'est le nom du maître composé avec celui du dieu suspect Atonou.
La réforme, qui fut surtout politique, n'avait pas modifié les croyances
relatives à l'autre monde : les dieux qui présidaient aux destinées des
morts, Osiris, Isis, Nephthys, Horus et ses quatre enfants, Anubis
n'avaient pas souffert dans leur culte. Le tableau de la planche XI I nous
montre le paradis osiriaque dessiné de la même manière qu'il l'est
dans les exemplaires thébains du Livre des Morts, et le rituel de l'en-
terrement ne comporte aucune cérémonie originale : Khouniatonou
n'avait pas les mêmes raisons d'en vouloir aux divinités mcmphites
qu'aux thébaines, et Atonou ne sévit pas dans le Nord de l'Egypte
avec la même violence que dans le Sud. Ce qui subsiste ici du tom-
beau d'Harmhabi (pi. XXI-XXV) nous en est une preuve nouvelle.
On pense aujourd'hui que celui-ci est identique au Pharaon Harm-
habi, l'Harmaïs des listes grecques : gouverneur de Memphis, il
s'y prépara son hypogée, mais ce qui aurait été suffisant pour le parti-
culieiMie fut plus digne du souverain, et il alla reposer àThèbes dans la
syringe splendide que Th. Davis découvrit il y a trois ans. Les dieux
mentionnés dans ces inscriptions memphites sont les dieux ordinaires,
et le nom d'Amon s'y rencontre sans qu'on ait songé à le marteler. Je
suis convaincu que, si l'on notait tous les indices de ce genre qui
subsistent, on serait vite amené à croire 'que la révolution religieuse
toucha à peine la plupart des cités égyptiennes.
Considérés comme œuvres d'art les fragments publiés dans ce fas-
cicule sont d'une homogénéité remarquable. Ils appartiennent tous
au même siècle, d'Aménôthès III à Ramsès II au plus tard, et l'inter-
valle de temps qui sépare les plus anciens des plus récents n'est pas
assez long pour que le faire de l'école ait pu changer beaucoup. En
les étudiant de près, on ne tarde pas à se convaincre que, par la com-
position et l'exécution, ils se rattachent directement aux œuvres ana-
logues de l'âge des Pyramides. Sans doute le relief y est un peu plus
haut que celui des mastabas soignés de la V^ et de la VI« dynastie, et
l'infiuence thébaine s'y trahit par une certaine sécheresse des contours,
mais si l'on prend les scènes isolément et qu'on en superpose le détail à
celui des scènes plus anciennes, on y distingue les caractères essentiels
de l'école, et surtout la tendance à arrondir les formes et à idéaliser
les traits du visage. Qu'on examine, par exemple, le tableau (pi. XIII)
où Mariri reçoit l'hommage de l'orfèvre Ouïs et les présents des
siens : hommes, femmes, animaux, accessoires du culte, tout y rap-
pelle l'art plus ancien. Il y a des différences réelles et on les sent,
d'histoire et de littérature 187
mais l'air de famille est indiscutable. Et d'autre part, tous ceux qui
ont admiré les superbes bas-reliefs saites du Caire et d'Alexandrie ne
pourront s'empêcher de remarquer combien ils ressemblent à ces
memphites du second âge thébain. Il est évident pour moi que ce
qu'on a voulu appeler la renaissance saite ne fut pas un retour prémé-'
dite vers le passé lointain. Les traditions de Pccole antique s'étaient
maintenues assez vivantes dans les ateliers Ramessides pour que les
sculpteurs du temps des Psammétique n'aient eu qu'à s'inspirer d'elles
directement : on le comprend de reste, quand on regarde les monu-
ments de M. Boeser. Les Saites ajoutèrent des éléments nouveaux,
l'étude plus précise des modelés du crâne, le rendu plus conscient des
effets de l'âge ou de la maladie : pour le gros, leur style est le
résultat nécessaire du style antique, développé et légèrement altéré à
travers les siècles par le contact avec les autres écoles égyptiennes, sur-
tout avec l'école thébaine.
Les scènes de vie paradisiaque procèdent de celles des mastabas.
C'est (pi. XVIII) la culture du lin, la récolte du blé et son chargement
à dos d'àne, le labour, les semailles, que le mort surveille à la
façon d'autrefois. Les discours des ouvriers sont pourtant un peu
plus variés et plus nombreux. Un convoyeur, qui pousse devant lui
l'ànesse du tombeau de Ti et son ânon, dit en se moquant à un
camarade : « J"ai transporté deux cent deux sacs de millet, tandis que
« tu étais assis » à ne rien faire, à quoi l'autre lui répond : « J'étais
« occupé à apporter de la bière » pour les ouvriers. En revanche la
représentation des funérailles, qui ne commença à se détailler que
sous la VP Dynastie, atteint le même développement que dans les
hypogées thébains. On y voit (pi. XVI) la momie arrosée de l'eau
lustrale par le prêtre et saisie par Anubis, le deuil de la famille
(pi. XV), les pleureuses, le mort conduit à sa demeure dernière
par les hommes, et les discours des assistants, leurs exclamations,
leurs dialogues convenus sont gravés au-dessus de leurs têtes.
Chez Patonoumhali, la scène du repas (pi. VI-VII) est rendue
avec une rare habileté : la figure du maître est à peu près détruite,
mais le groupe de musiciens qui jouent devant lui est entièrement
conservé. Le harpiste est aveugle, et l'air qu'il chante n'est autre
que la vieille Lamentation du roi Antou/, un des morceaux les
mieux connus de la littérature égyptienne. Ici encore l'influence thé-
baine domine : c'est à Thèbes que furent composés et ordonnés les
poncifs des scènes nouvelles, et c'est de Thèbes que vient le chant
d'Antouf. Grâce aux tombeaux de Leyde et à d'autres qui sont inédits
pour la plupart, l'histoire du décor de la chapelle et les idées qui s'y
rattachent se précise et- se complète. Ce grand Livre Je formules et
d'images a été rédigé pour la première fois autour d'Héliopolis : les
Memphites de l'ancien Empire l'ont recueilli, diversitié, élargi, fixédans
les mastabas contemporains de Téti et de Pioupi à Sakkarah. Importé
l88 REVUE CRITIQUE
à Thèbes, il s'y est développé selon les concepts que les progrès de la
pensée religieuse avaient introduits dans l'esprit du peuple et des
théologiens thébains, puis il est revenu à Memphis et il y a produit
cette sorte d'édition nouvelle du Livre dont M. Boeser nous donne
des lambeaux : on peut imaginer, d'après ce que nous en possédons
au Musée du Caire, ce qu'il devint à l'époque saite dans l'Egypte du
Nord. Une fois de plus l'examen des monuments figurés nous prouve
combien est fausse l'idée qu'on se faisait naguères encore de l'immo-
bile Égyptienne, et il nous permet de déterminer par les variations
de la forme plastique l'évolution des croyances relatives à la vie
d'outre-tombe.
Je regrette de ne pas pouvoir aller plus loin, faute d'espace. J'aurais
aimé, analysant les tableaux où Harmhabi amène à Pharaon des pri-
sonniers ou des transfuges étrangers (pi. XXI-XXII, XXIV) attirer
l'attention sur la rare perfection avec laquelle le sculpteur memphite
a saisi, non sans ironie, les types étrangers. II y a là de gros Sémites
massifs, pansus, barbus, chevelus, busqués, que les soldats trament
devant le maître avec une joie moqueuse : on y sent déjà la haine et
le mépris que l'Egyptien moderne a pour le Syrien notre contempo-
rain. L'intention caricaturale est plus accentuée et plus lourde qu'elle
ne l'est dans les tableaux similaires à Thèbes. Il est fâcheux qu'au
moment où ces tombeaux furent démolis pour les Consuls Généraux
qui amassaient des collections, les entrepreneurs chargés de l'opé-
ration ne se soient pas entendus pour les répartir entre eux, de telle
façon que tous les morceaux de chacun d'eux fussent maintenus dans
un même lot, mais qu'ils aient été distribués au hasard, si bien qu'à
présent il y en a dans trois ou quatre endroits différents, à Londres,
à Florence, à Vienne, comme à Leyden. Beaucoup furent oubliés sur
place et n'ont été recueillis que près d'un demi-siècle ou d'un siècle
plus tard par Mariette ou par moi. Espérons qu'un jour il se trouvera
quelqu'un pour les rassembler dans une même publication, et pour
les reconstituer autant qu'il est possible maintenant. Tout y sera pré-
cieux pour nous. M. Boeser a reproduit (pi. XXXVII) d'assez grande
taille une simple colonne d'inscription. Chacun des signes qu'elle
contient est gravé avec un soin et une maîtrise merveilleuse : il y a
là une image d'âme, un faucon à tête humaine, et des hommes ou
des femmes, qui sont de véritables merveilles de gravure. On conçoit
quel service il nous rendra, celui qui réunira ce qui subsiste encore
de monuments où même les lettres et les syllabes de l'écriture sont
de vrais objets d'art.
Les planches sont très nettes, d'une encre un peu terne parfois mais
qui est venue légère au tirage, et d'une tonalité fine. Elles n'ont subi
aucune de ces retouches indiscrètes qui déparent tant d'ouvrages de
plus haute prétention, et quand on les observe de près, on y sent la
main de l'ouvrier ancien et on n'y sent qu'elle : malgré la réduction,
d'histoire et de littérature 189
on y peut étudier la facture presque aussi sûrement que si on avait
l'original sous les yeux. Le texte de M. Boeser est très sobre, mais il
comprend tout ce qui est indispensable à l'intelligence de chaque
sujet, et, ce qui n'est pas fréquent aujourd'hui, une bibliographie
abondante, où les premiers égyptologues ne sont pas oubliés au profit
des plus récents de telle ou telle école. 11 n'y a qu'à le féliciter lui, et
le musée qui, sans être des plus riches qu'il y ait en Europe, n'a
jamais hésité à dépenser largement toutes les fois qu'il s'est agi
d'œuvres utiles à notre science.
G. Maspero.
Le parler arménien d'Akn (quartier bas), par M. Maxudianz, vardapet (archi-
mandrite) d'Etchmiadzin. Docteur de l'Université de Paris. Paris, P. Geuthner,
1912. In-S", X1-146 pages.
C'est un honneur pour la jeune école linguistique de Paris, et pour
M. Meillet en particulier (le livre lui est dédié) d'attirer chez nous les
jeunes savants étrangers en quête de méthodes scientifiques.
Après le travail de M. Adjarian sur la Classification des dialectes
arméniens (Paris, 1909), en voici un, plus spécial, mais qui n'en a pas
moins sa réelle valeur. M. Maxudianz étudie le parler d'Akn, sa ville
natale; il le fait en parfaite connaissance de cause, et en appuyant ses
résultats sur des observations qu'il put faire à Paris même, auprès
de personnes également originaires d'Akn. Ce dialecte se range parmi
les vingt et un dialectes occidentaux que M. Adjarian classifie sous la
branche de ge.
Après une introduction, que nous regrettons de voir si brève, par-
tant incomplète, l'auteur étudie successivement la phonétique, la
morphologie et les mots empruntés, dans le dialecte en question. Un
appendice relatif au parler du quartier haut d'Akn termine le volume.
L'auteur donne, d'une façon générale, des renseignements précis,
mais un peu secs ; s'il a fait des découvertes intéressantes, voire
importantes, il ne sait pas ou ne veut pas les mettre en valeur ; et
c'est regrettable, autant pour son ouvrage lui-même que pour ses
lecteurs.
Akn (en turc Eguine) est en dehors des grands chemins et a con-
servé fidèlement le vieux parler; les détails intéressants ne font pas
défaut, mais ils sont épars dans l'ouvrage et on aura quelque peine à
les retrouver; l'auteur semble aussi ne pas s'être soucié de mettre en
lumière ce que son étude apporte de nouveau dans la question.
Enfin, si le parler d'Akn s'est conservé pur, il possède peut-être des
formes qui sont plus anciennes que l'arménien classique ; c'eût été un
chapitre intéressant à écrire dans un livre de ce genre.
Si, dans un travail de pure science, de linguistique en particulier,
on doit avant tout priser la sobriété, il n'en reste pas moins que
quelques considérations d'ordre plus général, quelques développe-
IQO REVUE CRITIQUE
mcnts étendus et comparatifs sur le parler étudié ne seraient pas de
purs hors-d'œuvre. J'avoue, pour ma part, que j'aurais aimé rencon-
trer dans le livre de M. Maxudianz une étude, si brève fut-elle, qui
situât le parler d'Akn par rapport à l'arménien classique d'une part,
par rapport aux autres dialectes arméniens d'autre part. 11 semble
qu'il n'eût pas été impossible à l'auteur de terminer par une conclu-
sion, très sobre cela va de soi, renfermant quelques considérations
d'un ordre à la fois comparatif et historique. C'eût été très précieux
pour ceux qui, n'étant pas linguistes de profession, s'intéressent
néanmoins à la philologie et à l'histoire du peuple arménien.
Cette étude nous sera peut-être donnée plus tard par M. Maxu-
dianz lui-même, qui entend bien ne pas s'arrêter là dans ses
recherches scientifiques sur les dialectes arméniens.
F. Macler.
4
EusEBius Werke fûnfter Band. Die Chronik aus dem armenischen ûbersetzt,
mit textkritischem Commentar herausgegeben im Auftrage der Kirchenvâter-
Commission der Kônigl. Preussischen Akademie der Wissenschaftén, von
D' Josef Karst... Leipzig, J.-C. Hinrichs, 191 i. In-8°, lvi-3 19 pages.
Il a fallu près de cent ans pour avoir enfin une édition maniable de
la célèbre Chronique d'Eusèbe, qui va du commencement du monde
à la 20* année du règne de Constantin. Et c'est à M. Karst, Privat-
dozent à l'université de Strasbourg, que nous sommes redevables de
cette utile publication.
En 1818, l'édition arméno-latine de cet ouvrage provoqua parmi
les Mekhitharistes de Venise de graves et pénibles dissentiments, à
la suite desquels le savant Zohrab sortit de la congrégation. Il se
retira à Milan où, avec la collaboration d'A. Mai, bibliothécaire à
l'Ambrosienne, il faisait paraître une traduction latine de la Chro-
nique d'Eusèbe.
La même année, paraissait à Venise une autre édition du même
ouvrage, comprenant le texte arménien et une nouvelle traduction
latine, avec de nombreuses notes, par les soins du P. Aucher.
Mais ces éditions n'étaient pas suffisantes et une nouvelle traduc-
tion fut jugée nécessaire; elle fut donnée à Berlin, en 1866 et 1875,
par les soins de H. Petermann et A. Schône.
A son tour, M. Karst complète et parfait l'œuvre de ses devanciers
en basant sa traduction et l'ensemble de son travail, non .plus sur un
seul texte, mais sur deux, le manuscrit G, de Jérusalem, datant du
xiii^-xiv^ siècle, et le manuscrit E, d'Etchmiadzin, qui est de la même
époque que G. Ces deux manuscrits sont généralement d'accord ;
mais E semble meilleur que G, et c'est précisément ce dernier
qu'avaient surtout utilisé les premiers éditeurs. Ces manuscrits sont
indépendants l'un de l'autre et dérivent tous deux d'un original
commun, écrit en majuscules, et qui est actuellement perdu.
d'histoire et de littérature 191
Dans une savante introduction, M. Karst passe successivement en
revue les manuscrits, les vieilles éditions; il étudie très attentive-
ment la question d'un prototype grec ou syriaque ayant servi de
base à la version arménienne. Puis il donne la traduction allemande
de la Chronique, où l'auteur traite successivement des Assyriens, des
Hébreux, des Egyptiens, des Grecs et des Romains. L'ouvrage se
termine par un appendice critique très important et un index des
noms propres qui rendra de grands services.
Il y a tout lieu de féliciter M. Karst d'avoir mené à bonne fin une
entreprise aussi difficile, et la Commission des Pères de V Eglise de
l'Académie royale de Berlin d'avoir facilité la publication de ce
volume en l'introduisant dans sa collection des Griechischen Christ^
lichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte.
F. Macler.
Lexicon abbreviaturarum, Dizionario di abbreviature latine ed italiane,
usate nelle carte e codici specialmente de medio evo riprodotte con oitre 14000
segni incisi, con l'aggiunta di une studio suUa brachigrafia medioevale, un
prontuario di sigie epigrafiche, l'antica numerazione romana ed arabica ed i segni
indicanti monete, pesi, misure, etc. Per cura di Adriano Cappelli, 20 éd. Hoe-
pli (Manuali Hoepli), à Milan, 1912, lxviii, 5i3 p., in-12. Prix : 8 1. 5o.
Le titre du manuel de M. Cappelli est un peu long. Je l'ai transcrit
d'un bout à l'autre parce qu'il annonce exactement le contenu du
volume. Quiconque l'a lu sait exactement ce qu'il peut trouver dans
ce lexique. On voit qu'il remplacera, et avec avantage, le volume, bien
connu autrefois en France, de Alphonse Chassant. Il peut aussi dis-
penser de recourir au Cours d'épigraphie latine de M. Cagnat, pour
les sigles des inscriptions. En fait, il comprend trois parties : l'intro-
duction, le lexique d'abréviations des mss., le lexique d'abréviations
épigraphiques. L'introduction est un traité pratique, exposant les
divers systèmes employés. Elle est suivie de six planches, cinq actes
ou chartes, et une page d'un ms. du xv» s. Les abréviations des mss.
sont reproduites en gravure excellente; les sigles épigraphiques, en
caractères d'imprimerie. L'exécution matérielle du volume est tout à
fait digne de la maison Hoepli. Une bibliographie assez étendue ter-
mine le volume, qui sera surtout apprécié par l'utilité de tous ces ren-
seignements pratiques. C'est un livre qui suggérera les lectures à ceux
qui savent. Ceux qui ne savent pas prendront, à le parcourir, l'habi-
tude de s'en passer. Une grande supériorité sur Chassant est l'indica-
tion de la date de l'abréviation et, s'il y a lieu, du genre d'écriture
(wisigothique, lombarde) ou du caractère du document (abréviations
juridiques). Parla, M. Cappelli apportée la paléographie une contri-
bution vraiment scientifique.
V. COURNILLE.
t^3 REVDE CRITIQUE
Inscrlptiones latinae. Collcgii l>nestus Diehl. lionnae, Marcus et Weber,
MCMXll. xxxix p. cl .^n pi. ill-4^ Prix : G Mk. cartonne.
Parallèlement à la coUeciion Kleine Texte, M. Lietzmann publie
une série d'atlas, Tabulae in usiim scholarum, dont le présent recueil
est le n" 4. M. Diehl a réuni en 5o planches le fac-similé d'environ
800 inscriptions latines, depuis la vieille inscription du forum jusqu'à
l'épitaphe de Nicolas V(-{- 1455). Sauf quelques inscriptions anciennes
provenant de Délos et de Delphes, tous ces monuments appartiennent
à l'Italie, spécialement à Rome et au Latium. On y peut suivre dans
cette région l'histoire de l'écriture lapidaire. Les textes, que certaines
raisons excluaient des planches, sont donnés dans la notice (inscrip-
tion de la fibule et de « Duenos », textes en cursive). Les notices sont
très sobres, renvoient aux grandes collections, indiquent la nature et
la provenance des documents, les datent. Les textes les plus difficiles
sont transcrits, excepté ceux que M. Di^hl a publiés ailleurs dans un
de ses recueils. Pour quelques-unes des inscriptions du moyen âge,
des renvois au commentaire de Duchesne sur le Liber Pontiji.calis
n'eussent pas été inutiles. Les planches sont bonnes et généralement
bien lisibles. Parfois, quand tout un panneau de musée nous est
donné, la loupe est indispensable (pi. 24 . En somme, bon recueil, fort
utile, et « dont le prix défie toute concurrence ». Sa limitation topo-
graphique fait désirer d'autres atlas, pour les provinces, l'Afrique
surtout.
V.C.
Walter Lenel, Venezianisch-Istrische Studien (Schriften der wissenschaftlichen
Gesellschaft in Strassburg, Heft 9). Strasbourg, Trûbner, igi i, xiv-igy p. et
3 pi. in-4°. Prix : 10 Mk. 5o.-
En 568, les Lombards envahirent le nord de l'Italie. L'évêque
d'Aquilée, Paulin, s'enfuit sur le territoire appartenant encore à l'Em-
pire, à Grado. La querelle des trois chapitres détermina un schisme.
Quand l'évêque Sévère mourut à Grado en 607, ce fut un tenant zélé
du cinquième concile, Candidianus, qui lui succéda. Les évéques de
l'obédiance lombarde s'émurent et nommèrent un patriarche
d'Aquilée, Jean, La lutte était ouverte entre les deux sièges, et com-
pliquée par le schisme. Le schisme fut bientôt écarté, sous l'influence
des Lombards et par l'intermédiaire du pape Serge. Aquilée fut de
nouveau en communion avec Rome, par suite sous sa dépendance.
Cependant les deux archevêques subsistaient en face l'un de l'autre.
Leur rivalité dura pendant le moyen âge. Elle s'appuya de titres.
Chaque siège eut un dossier, où les pièces fausses n'étaient pas rares.
La lutte, plus ou moins vive, des Allemands et des Italiens, les inter-
ventions des empereurs, les querelles du sacerdoce et de l'Empire enve-
nimèrent ou compliquèrent le débat. M. Lenel a voulu l'examiner de
près. Il étudie d'abord la question de droit et le fond du litige entre
d'histoire et de littérature 193
Grado et Aquilée, puis l'opposition de l'élément allemand et de l'élé-
ment italien dans l'histoire de l'Istrie au moyen âge. Dans la pre-
mière partie de son mémoire, il examine surtout la valeur des pièces
et des traditions; il rétablit l'ancien catalogue des évéques de Grado.
Un des documents les plus importants est le texte appelé Chronicon
Gradense contenu dans le ms. Vat. Urb. 440. C'est ce texte que
reproduisent en partie les planches du volume. L'ouvrage de
M. Lenel, très approfondi, est indispensable pour l'histoire des ori-
gines de l'Etat de Venise.
M. D.
Charles OuLMONT. Pierre Gringore. Paris, H. Champion, 191 1, in-S», xxxii-383
pages. Prix : 7 fr. 5o.
Gringore est de nos jours Jugé bien diversement par la critique
érudite. M. Henri Guy, qui lui a consacré un des chapitres les plus
brillants de son Histoire de la poésie française au xvi' siècle, voit en
lui non le poète, l'esthète ou le philosophe qu'ont dépeint sous le
nom de Gringoire Victor Hugo et Théodore de Banville, mais un
a Joseph Prudhomme cuirassé de proverbes, un fonctionnaire qui
reflète l'opinion de ses chefs, un modèle de circonspection, un débi-
tant de denrées poétiques rivé à son comptoir ' ». M. Oulmont, qui a
pris Gringore comme sujet de thèse de doctorat ès-lettres, n'est pas
éloigné de préférer le Gringore réel <( type du poète français de la
bourgeoisie à la veille de la Renaissance » au Gringoire légendaire des
Romantiques. « C'est un classique à qui l'art a manqué « dit-il, en
concluant son ouvrage. Malheureusement cette formule ne s'ap-
plique point à la physionomie du personnage telle qu'elle appa-
raît dans l'étude de M. Oulmont. Sans doute, Gringore a pris pour
devise Raison par tout et il aime « la sagesse », l'ordre clair et simple \
Mais les idées morales et religieuses qu'il emprunte à cette Raison
sont « banales, traditionnelles » ; c'est la « morale du passé, très rétré-
cie par la pensée bourgeoise ' ». D'observation psychologique, il n'en
a pas, quelque complaisance que M. Oulmont apporte à en découvrir
jusque dans la sentence de Balletreti, approuvant la fringante Dou-
blette de tromper son mari vieillard '. Singulier « classique », que ce
versificateur à qui font défaut et le sens de l'art et le réalisme psycho-
logique et l'originalité dans l'observation des mœurs, bref, presque
tous les éléments que l'on a coutume de comprendre dans la défini-
tion du « classicisme »! — A vrai dire, les qualités de Gringore sont
surtout absence de vices. Il se distingue des Rhétoriqueurs par la clarté
et l'ordre de ses compositions. Mais il n'est simple et clair que parce
1. P. 279.
2. Pierre Gringore, p. 33o.
3. Op. cit., p. 202.
4. Op. cit., p. 296. .
194 REVUE CRITIQUE
qu'il a peu d'idées, peu d'observations personnelles et moins de vir-
tuosité verbale que les poètes de son temps. Quant à sa raison, elle
n'est véritablement, suivant le mot de M. Guy, qu'une « épaisse pru-
dence plébéienne ».
L'ouvrage de M. Oulmont se recommande par l'intérêt de certaines
enquêtes sur la vie et l'œuvre deGringore. Il sera établi désormais
que Gringore est d'origine normande et non lorraine, comme on l'a
cru longtemps. Sa vie a été reconstituée par M. Oulmont à l'aide de
documents dont beaucoup étaient inédits, ou étaient restés inaperçus
jusqu'à présent. Le chap. vi : L'opinion publique de i5oo à i5i5
d'après la littérature du temps est un excellent commentaire des
œuvres de circonstance de Gringore. Le chap. iv : Les sources directes
de Gringore présente une enquête très minutieuse sur les œuvres que
le poète a traduites, paraphrasées ou imitées.
On regrettera seulement que M. Oulmont ait volontiers cédé à la
tentation de limiter trop étroitement le domaine de ses recherches,
et de s'arrêter trop vite dans ces recherches mêmes. Ainsi, p. 68, il nous
dit qu'il « ne lui appartient pas de définir l'instruction » d'un bour-
geois du premier quart du xvi<" siècle, qui était celle de Gringore. De
qui attendrait-on cette déhnition, sinon d'un érudit qui étudie la lit-
térature française de 1450 à i55o? — De même, p. 214, est-il vrai que
les faits de l'histoire de France entre i 5oo et 1 5 1 5 soient si complexes
qu'il ne fût pas « loisible » de les détailler dans une étude sur les poé-
sies de circonstance de Gringore? — P. 29, était-il impossible de
déterminer à quelle année se rapporte ce quantième du « 22 octobre »
de la première édition du Chasteau de Labour ? etc.
Avec des efforts soutenus plus patiemment et avec une attention plus
diligente dans la rédaction, M. Oulmont n'eût pas manqué non seule-
ment de combler ces lacunes, mais encore de purger son livre d'inexac-
titudes, d'imprécisions et même de contradictions qui en diminuent
l'autorité. Ainsi, p. 29 et suiv., M. Oulmont nous donne une biblio-^
graphie chronologique des œuvres de Gringore, mais il omet de nous
dire s'il suit l'ordre chronologique de publication ou l'ordre chrono-
logique de composition. En constatant, p. 38, que le n° X, VEspoir
de paix est donné après la Chasse du cerf des cerfs, no IX « qu'il pré-
pare et annonce », nous supposons que l'ordre suivi est celui de la
publication. Or, voici que s'insère, entre deux poèmes publiés en i 5 1 2
et I 5 14, la Vie de Mgr Sainct Loys qui a été publiée pour la première
fois en 1877 par Montaiglon et Rothschild. Grave défaut de méthode.
— P. 37-38, VEspoir de paix nous est présenté comme « plus modéré
dans le ton » que la Chasse du cerf des cerfs : par une criante contra-
diction, p. 264,1a Chasse devient « une sorte d'escarmouche, timide,
embarrassée, confuse et VEspoir de paix, un ultimatum. »
P. 25, la question de la condamnation des Heures de NostreDame.
traduites en français par Gringore, est exposée d'une manière à peine
d'histoire et de littérature 195
intelligible. Par qui maître Guillaume du Chesne a-t-il été mandé ?
Devant qui « a-t-il déclaré que la faculté aborre tout essai » de traduc-
tion et euHn quel est cet « on » qui a délibéré sur le cas ? M. Oulmont ne
nous le dit pas. Il s'est contente de résumer une dissertation de M. E.
Picot sur Pierre Gringore et les Comédiens italiens. Il ne s'est pas
reporté aux textes et aux documents. Il ignore par exemple la relation
queDuplessis d'Argentré donne de cette même affaire [Collectio jiidi-
cioriim de novis erroribiis, t. II, p. 6) et il confond les attributions de la
Sorbonne avec celles du Parlement sur le fait des prohibitions de livres.
P. 87-93, dans son étude sur la traduction des Heures, M. Oulmont
a eu le tort d'oublier les déclarations de Gringore sur l'esprit de cette
traduction. Ce n'est pas une traduction que le poète a voulu faire :
c'est une paraphrase destinée à mettre en évidence le « sens spirituel »
du texte original, conformément à l'opinion des « gens lectrez ». Il
n'est aucune des additions ou interprétations que M. Oulmont
reproche àGringore dont on ne puisse trouver l'origine dans les gloses
des Psautiers du xvi* siècle. Gringore a donc voulu se mettre en règle
avec l'orthodoxie, et, à ce propos, il est intéressant de constater, ce que
M. Oulmont ne remarque nulle part, qu'il n'y a pas dans toute l'œuvre
de Gringore, si riche en critiques contre les prêtres et les moines, une
seule satire des théologiens, de la scolastique ou de la Sorbonne '.
II serait aisé de relever d'autres lacunes et d'autres erreurs dans le
travail de M. Oulmont. La rédaction et les incorrections typogra-
phiques accusent un laisser-aller désobligeant pour le lecteur. Trop
souvent aussi on a l'impression que l'auteur s'est contenté de tra-
vailler sur des ouvrages de seconde main au lieu de recourir aux
documents originaux. Ces défauts dans la méthode d'investigation et
ces négligences dans l'exposition expliquent la sévérité de l'accueil
que trouva cette thèse de doctorat auprès du jury de Sorbonne. Con-
sultée avec circonspection, elle ne laissera pas de fournir d'utiles
renseignements sur l'œuvre de Gringore et M. Oulmont rendrait un
service appréciable aux lettrés et aux érudits, s'il donnait suite au
projet qu'il annonce à deux reprises (p. 60 et 63, note), de publier une
édition critique des œuvres de Mère Sotte.
Jean Plattard.
Georges Weulersse, Le mouvement physiooratique en France de 1756 à
1770, 2 vol. gr. in-8° de xxxiv-Giy p. et 768 p. Paris, F. Alcan, 1910.
Le même, Les manuscrits économiques de François Quesnay et du marquis
de Mirabeau aux archives nationales, Inventaire, Extraits et notes. Paris, Paul
Geuthner, 1910, i5o p. in-8.
M. Weulersse aurait pu comme beaucoup d'autres se borner à étu-
I. A signaler, p. 3o3, une erreur de M. Oulmont sur le sens du mot magister,
qu'il traduit par maître d'école. Magister noster, en abrégé M. N. est le titre que
l'on donnait alors aux docteurs de la Faculté de théologie. Cf. Rabelais, Gargan-
tua, ch. XVII et suivants : « Nostre Maistre Janotus de Bragmardo. »
196 REVUE CRITIQUE
dier à nouveau les doctrines des physiocrates et essayer de les réduire
en un sysiùnie plus ou moins bien agencé. La simple lecture de leurs
écrits lui aurait permis d'écrire une thèse courte et charpentée qui
aurait été d'autant plus louée qu'elle aurait été plus légère de nou-
veautés. Mais M. W. est un historien. Il a considéré le mouvement
physiocratique comme une résultante à la fois et comme un point de
départ. Une résultante. Il était amené par là à rechercher ses antécé-
dents. Il est remonté jusqu'à Law et à Colbert. Il a reconstitué
ensuite le milieu où l'école a pris naissance et s'est développée. Il en
a retracé l'histoire avec minutie, année par année, livre par livre,
homme par homme. Celte chronique annalistique lui a demandé de
nombreuses pages. C'est seulement après ce préambule historique
qu'il a défini le programme des physiocrates, leur programme écono-
mique d'abord. Il l'a décomposé en ses principales thèses : producti-
vité exclusive de l'agriculture, supériorité de la grande agriculture,
bon prix des grains, bon marché des produits de l'industrie. Cette
analyse précise a demandé encore beaucoup d'espace. Un second
volume a été nécessaire pour l'exposé de l'autre partie du programme
des physiocrates, la partie politique et philosophique, pour l'étude de
leur influence et des critiques qui leur ont été faites de leur vivant
même. Ayant ainsi conçu son sujet en historien, M. W. n'a laissé
dans l'ombre aucun problème important, il a visé à les épuiser tous et
en somme il y a réussi. Sa conclusion générale qui n'occupe pas
moins de cinquante pages, est un morceau remarquable, aussi forte-
ment pensé que bien écrit.
Dans sa thèse complémentaire M. W. a dressé l'inventaire des car-
tons M 778 à M. 785 des archives nationales. Ces cartons renferment
des papiers de Quesnay et de son disciple Mirabeau, l'Ami des hom-
mes, brouillons, lettres, articles, notes. Dans une seconde partie,
M. W. a publié ceux de ces papiers qui lui ont paru les plus impor-
tants. J'aurais voulu qu'il nous apprît dans sa préface comment ces
documents, dont l'authenticité n'est pas douteuse, sont parvenus aux
archives nationales.
Albert Mathiez.
Léon DuTiL, L'état économique du Languedoc à la fin de l'ancien régime,
1750-1789. Paris, Hachette, 191 1. xxiv et 962 p. gr. in-8°.
Ce gros volume intéresse autant l'économie politique et la statis-
tique que l'histoire proprement dite. C'est un inventaire détaillé de
l'agriculture, de l'industrie et du commerce dans une de nos grandes
provinces, à la fin du xviii" siècle. Avec la régularité d'un statisticien,
l'auteur passe successivement en revue la culture des terres, les
grains, la vigne, les cultures fruitières et industrielles, les pâturages
et les fourrages, les animaux, — puis le travail industriel, les draps,
la soie, la bonneterie, les toiles, les cotonnades, les tanneries, les
d'histoire rt de littérature '1$7
mines, les verreries, les salines, — puis encore les transports par eau
et par terre, les ports, les foires et marchés, le commerce des céréales,
des vins, des tissus, etc. La documentation semble abondante et il est
certain que M. D. a fourni une somme de travail considérable pour
réunir les éléments de cette statistique.
La mode est aujourd'hui à l'histoire économique et à l'histoire
locale. Des livres comme celui-ci sont de nature à guérir de cet
engouement. Qu'apportent-ils de nouveau à l'histoire générale? Rien
ou presque rien. M. Dutil constate qu'en Languedoc les intendants
propagent les nouvelles méthodes agricoles, conseillent les prairies
ariirtcielles, comme ailleurs, on le savait ; qu'on pousse aux défriche-
ments, comme ailleurs; qu'en Languedoc comme partout en France
on retrouve à la fin du xv!!!*^ s. le travail en jurande à côté du travail
libre et du travail privilégié ip. 274); que « les jurandes languedo-
ciennes ne paraissent avoir aucune originalité » (p. 283); que l'organi-
sation industrielle en Languedoc « ne présentait aucun caractère par-
ticulier » (p. 870); qu'on y trouvait « des spécimens de beaucoup
d'industries pour la plupart sans grande importance », ainsi qu'en
bien des régions (p. 896], etc. Était-il nécessaire d'écrire 900 pages
bourrées de références pour mettre en lumière des vérités de cet
ordre ? L'histoire locale n'est qu'un exercice de dilettante, que matière
à curiosité pure, si elle ne doit rien apporter de nouveau à l'histoire
générale, j'entends à l'explication du mouvement politique et social.
L'histoire économique, si elle n'aboutit pas à des conclusions sociales,
si elle n'élargit pas ou n'approfondit pas les explications historiques
habituelles, n'est, elle aussi, qu'un jeu assez vain. C'est une enquête
sans but, un rapport sans conclusion. J'aurais compris que M. Dutil
recherchât dans quelle mesure l'état économique du Languedoc a
influé sur le mécontentement des classes qui feront la Révolution, il
aurait ainsi écrit une thèse, c'est-à-dire qu'il aurait cherché à démon-
trer, à expliquer quelque chose, il aurait fait œuvre d'historien. Mais
il s'est défendu de vouloir toucher à l'histoire sociale! Ainsi, il a étu-
dié les choses et non les hommes, il s'est arrêté aux conditions de
l'histoire, sans aborder l'histoire. Son livre, si estimable soit-il, n'est
qu'un cadre, un cadre d'où les passions humaines sont absentes, un
cadre vide.
A. Mz.
J. Aynard : Londres (Les Villes d'Art célèbres). Paris, H. Laurens, in-S"; prix 4 fr.
— H. GuERLiN : Le Château de Chambord (Petites monographies des grands
édifices de la France), Paris, H. Laurens, in-12; prix 2 fr. —A. Pichon ; Fra
Angelico (Les Maîtres de l'Art), Paris, Pion, in-S"; prix 3 fr. 5o. — Holbein,
L'Œuvre du Maître en 252 reproductions (Nouvelles collections des Classiques
de l'Arty, Paris, Hachette, in-80 rel. ; prix 12 fr.
La collection des Villes d'Art s'est enrichie d'un volume sur
198 REVUE CRITIQUE
Londres, œuvre de M. Joseph Ainard. Même en y joignant Hamp-
ton-Court et Windsor, il serait un peu difficile à la capitale de l'An-
gleterre de justifier ce beau titre de ville d'art si ses seuls monuments
devaient entrer en ligne de compte. Mais Londres est aussi un foyer
d'art pour les collections qu'elle abrite, et il est à peine besoin de
prévenir que l'auteur de celte très attrayante étude a tout particuliè-
rement insisté sur elles, depuis les plus anciens restes de l'antiquité
jusqu'aux joyaux de la peinture moderne. Il a rendu service ainsi,
car, en dehors des Guides, on ne possédait guère de renseignements
sur les richesses de ces galeries d'art de Londres. Il les a d'ailleurs
situées dans l'histoire plus qu'il n'en a fait une étude critique en
règle. La ville, au surplus, renferme quelques monuments qui ont
leur prix et jalonnent ses annales d'une façon très intéressante; il
était utile de les évoquer eux aussi dans leur milieu moderne, surtout
avec la personnalité d'idées qui distingue l'auteur du livre. — 164
reproductions photographiques excellentes en sont l'indispensable
complément.
Le Château de Chambord forme le texte du 17= volume de la série
des « Petites monographies des grands Édifices de la France » qui
déjà nous a promené dans ceux de Couci, de Rambouillet et d'Anet.
Celui de Chambord est sans rival en son genre, d'une ampleur de
conception et d'une perfection d'exécution qui rendent on ne peut
plus intéressante la minutieuse visite que M. Henri Guerlin nous fait
faire. Celui-ci ne s'est pas seulement piqué de décrire, avec goût, mais
de conter, avec documents d'archives à l'appui ; c'est du reste le plan
communément adopté pour ces utiles et agréables monographies.
Aussi discute-t-il, à l'occasion et fait-il vraiment œuvre de critique.
41 reproductions appuient heureusement son dire.
Le Fra Angelico de M. Alfred Pichon est une très belle étude d'âme
en même temps que d'art. On sent que le critique, après s'être entouré
d'une documentation très neuve, après avoir fait la place de ce travail
sans précédents en France, s'est vraiment épris de son sujet. Il en
parle avec chaleur et avec harmonie. La personne du saint artiste,
comme son œuvre, dégage une lumineuse beauté, et l'intérêt était
grand, le résultat neuf, de les monter pénétrées l'une par l'autre.
Cette monographie, pensée avec un goût très artistique, est d'ailleurs
basée sur de nombreux documents, et, pour admirer avec éloquence,
la critique ne perd pas ses droits. C'est une étude vivante et souve-
rainement attachante que, celle-ci. 24 reproductions et de bonnes
tables des œuvres la complètent utilement.
Holbein devait prendre, et sans tarder, la place qui lui est due
parmi les « Classiques de l'art », je veux dire dans cette précieuse col-
lection d'albums de planches qui racontent toute l'œuvre de l'artiste
simplement en la reproduisant. On ne saurait rendre plus de services
avec plus de discrétion dans le commentaire. Une introduction bio-
d'histoire et de littérature 199
graphique et critique de quelque 25 pages (toujours anonyme; pour-
quoi ?) donne sur la vie de Tartistc et son génie les renseignements
indispensables, et quelques reproductions de dessins font une sorte
de spécimen des œuvres non comprises dans le volume. Des éclaircis-
sements, plus de 20 pages, terminent celui-ci et fournissent tous les
renseignements désirables sur chacune des pièces reproduites par la
photographie, état, date, histoire... On ne peut vraiment demander
plus et le soin avec lequel les divers éléments sont constitués ici
mérite de sérieux éloges. Les planches cette fois sont au nombre de
252. Des tables chronologiques, et selon les sujets des oeuvres, et leur
situation actuelle, terminent judicieusement le volume.
H. de Curzon.
— Le fascicule 4 du tome XV (1908) des Chroniques Byzantines {Vii^antijskij
Vremennik) contient la partie bibliographique et la table des nnatières. — Le
tome XVII (rgio) contient la première partie d'un mémoire de M. Loparev (en
russe), où sont examinées de nombreuses Vies de saints de Constantinople, des
viii« et IX* siècles; une longue introduction expose les caractères propres aux Vies
et aux Martyres, fait la théorie de la composition des Vies, et traite de divers
points de critique hagiographique. M. Krasnojen étudie l'histoire de la Sûvo^''-;
xavovojv d'Etienne d'Éphèse, et M. Touraiev publie des observations critiques lais-
sées par Bolotov sur une chronique d'Ethiopie, dont il donne ensuite le texte et la
traduction (en russe). M. Kurtz publie, avec une introduction (en russe), le texte
grec de deux discours funèbres composés l'un par Eustathe, métropolite de Thes-
salonique, l'autre par Constantin Manassès, à l'occasion de la mort de Nicéphore
Comnène, petit-fils de Nicéphore Bryenne. Ce sont deux intéressants spécimens
de l'éloquence byzantine au xii« siècle, remplis de réminiscences des auteurs
anciens. Dans la seconde monodie, dont le texte est très mutilé, M. K. lit p. Sog,
1. I tô xatà xoù<; v6upoff-rca5=t; dcTpâxTOuç a-coi/dv et annote « atoi/ôv quid sit nescio »;
il faut lire eijïtoxov, ainsi que l'indique le contexte, et pour les mots qui précèdent
comparer Sophocle, Pliil. 290. On notera dans la partie Communications la des-
cription d'une partie des manuscrits de la bibliothèque du patriarcat à Constanti-
nople, par Papadopoulos-Kéramefs, et la suite du travail de Khaviaras sur les anti-
quités et inscriptions chrétiennes de l'île de Symé. Ce tome XVII est accompagné
d'un supplément (191 1 ; iv-368 p.) qui contient les actes grecs du couvent de Chi-
landari au Mont-Athos, publiés par le P. Louis Petit. Ces actes, dont la plupart
sont du XIV» siècle, ont une grande valeur, cela se conçoit, pour l'histoire du
monastère; mais ils ont une autre importance. Ce sont des chrysobulles impé-
riaux, des jugements, des actes d'achat et de vente, etc., très instructifs pour
l'étude de l'administration byzantine et pour l'histoire du droit grec au moyen-
âge. L'historien et le jurisconsulte y trouveront du profit, et ceux qui s'occupent
de l'histoire de la langue pourront y faire d'intéressantes observations. — Nous ne
pouvons parler du tome XVI (1909), qui ne nous est pas parvenu. — Mv.
— Nous avons reçu les trois brochures suivantes de M. L. Maccari. Stichomy-
thica (Urbin, typ. Arduini, 191 i ; 14 p.); à propos de la scène de reconnaissance
de la Périkeiroménè, qui est stichomythique, M. M. recherche si cette forme de
^06 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRF, UT DE LITTÉRATURE
dialogue, qui semble propre à la tragédie, n'a pas été employée par la comédie
grecque, en dehors d'Aristophane; il conclut que la stichomythie subit certaines
modifications, mais qu'elle subsista plus longtemps que nous ne le croyons. —
Dionysus minor, Prccfatio (Pisauri, ex typ. Federici, 1912, xu p.); observations
toutes générales sur le Daos de Legrand et sur le premier chapitre des Studies in
Menauder de Wright, relativement à la manière dont la comédie nouvelle se com-
porte à l'égard des dieux, surtout quand ils sont pris à témoin. — L'Antichità
classica neW opéra di Raffaello (Extr. de la Rassegna Na3[iouale, fasc. 16 janvier
1912; 16 p.); lecture faite au palais ducal d'Urbin le 28 mars « dell' anno cor-
rente », dit un« note; entendons 191 i (Le 28 mars est la date, selon Vasari, de la
mort de Raphaël; mais d'autres le font naître le 6 avril, et l'on sait qu'il mourut le
jour anniversaire de sa naissance); M. M. y montre que Rapha£l, avant de venir à
Rome, était assez indifférent à l'égard de l'antiquité classique, mais que cependant
plus tard le contact perpétuel avec les monuments antiques n'a pas été sans
influence sur son œuvre. — My.
— Sous le titre de Figure moderne (Àncône, Puccini. 1912; 3 fr.) M. Alessan-
dro Chiappelli a réuni une douzaine de courts morceaux qu'il avait publiés dans
divers périodiques et qui roulent sur Rugg. Bonghi, G. Bovio, Emm. Gianturco,
Felice Tocco, Ed. Zeller, E. Hartmann, Herbert Spencer, Tolstoï et quelques
autres. M. Henri Bergson y représente la France et il y est étudié avec plus de
sérieux que le titre de l'article (// filosofo di moda) ne le ferait croire. Plusieurs de
ces morceaux ont été presque improvisés pour une circonstance; mais les impro-
visations d'un des philosophes les plus en vue de l'Italie contemporaine ont leur
prix, d'autant que M. G. a connu intimement quelques-uns des personnages (V.
p. ex., p. 34-5 sur le désintéressement de Bovio), et il en est même où l'auteur
embrasse tout le système du penseur qu'il étudie. — Charles Dejob.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 37 — 14 septembre — 1912
Delaporte, Catalogue des cylindres et cachets orientaux de la Bibliothèque natio-
nale. — Legrain, Catalogue des cylindres orientaux de la collection Cugnin. —
H. VioLLET, Fouilles à Samara. — Carnarvon et Carter, Cinq ans de fouilles
à Thèbes. — Quibell, Fouilles à Saqqara. — Vondrak, Grammaire du vieux
slave, 2° éd. — Leumann, L'iranien oriental. — Guyot, Le Directoire et la paix
de l'Europe. — 12" Congrès des historiens allemands. — Travaux du Séminaire
historique de Louvain. — Hellmann, Comment étudie-t-on l'histoire? — Let-
tre de M. Counson.
L. Delaporte, Catalogue des cylindres orientaux et des cachets assyro-
babyloniens, perses et syro-cappadociens de la Bibliothèque nationale ;
ouvrage accompagné d'un album de 40 planches. Paris, Leroux, 1910. i vol.
384 p. in-8".
La collection de cylindres et de cachets orientaux conservée à la
Bibliothèque nationale est une des plus importantes qui existe : elle
ne comprend pas moins de 65o numéros. En outre, formée, pour la
plus grande partie, à une époque oîi les faussaires n'exerçaient pas
leur habileté fur ce genre d'objets, elle offre des garanties excep-
tionnelles d'authenticité. M. Delaporte a donc rendu un véritable
service à l'histoire de la glyptique orientale en classant et en décrivant
cette collection. Ses descriptions sont exactes et les tables dont il les
a fait suivre facilitent les recherches et les rapprochements; l'illus-
tration, très nette, remplit vraiment son office : elle dispense les tra-
vailleurs de l'examen des originaux. La classification est ce qui me
■ paraît le plus contestable dans le travail de M. Delaporte et c'en était
d'ailleurs la partie la plus difficile. Dans les cylindres assyro-babylo-
niens, M. Delaporte distingue trois grandes classes : cylindres de
Sumer et d'Akkad, cylindres assyriens et cylindres néo-babyloniens.
Dans la première classe, qui comprend tous les cylindres babyloniens
depuis les origines jusqu'à la fondation du second empire babylo-
nien (625 av. J.-C), c'est-à-dire 3o3 numéros, il n'établit qu'une
seule subdivision fondée sur l'origine et la date, celle des intailles de
style cassite (i5 numéros); tout le reste est réparti entre vingt-neuf
groupes, d'après les sujets représentés. Le premier inconvénient d'un
pareil principe de classement est de rapprocher des œuvres de style
aussi différent que le sont par exemple les numéros i et 2, Cet incon-
vénient n'est pas compensé, comme on pourrait le croire, et comme
l'a sans doute espéré M. Delaporte, par la suppression de l'arbitraire
Nouvelle série LXXIV 3?
202 RKVUE CRITIQUE
ei du subjectif que l'on peut redouter dans un classement fondé sur la
chronologie ou une répartition par fabriques ou écoles. Je suis au
contraire frappé de voir avec quelle facilité on pourrait faire passer
un même cylindre dans plusieurs des classes imaginées par M. Dela-
porte. Ainsi le n" 21 3, rangé dans la XXI V<= section, celle du « Per-
sonnage à la masse d'armes », pourrait, au même titre que les n°' i2'3
et 140, être rangé parmi les « Présentations >>. Le n" 210, classé lui
aussi parmi les « Personnages à la masse d'armes », aurait tout aussi
légitimement trouvé sa place dans la section réservée à « Giigames et
Eabani ». Enfin, pour ne pas multiplier les exemples, les numé-
ros 225 à 228, placés sous la rubrique <i Déesses guerrières », auraient
pu être considérés comme des variantes du « Personnage à la masse
d'armes ». Et la difficulté d'un classement par sujets ne vient pas seu-
lement du fait que souvent plusieurs sujets sont représentés sur un
même cylindre, comme c'est le cas pour le numéro .2 10, mais aussi de
ce que, très souvent, nous pouvons hésiter sur l'interprétation du
sujet représenté. Et cela m'amène à formuler le second regret que
m'inspire le travail de M. Delaporte ; c'est qu'il ait été si réservé, je
pourrais même dire si timide, dans l'interprétation, ou plutôt qu'il
l'ait presque complètement négligée, pour se borner à une pure des-
cription. De tant de problèmes que posent ces représentations presque
toujours énigmatiques, il n'en a abordé aucun. Ainsi trouvant dans
les numéros 74 et -jb « un être fantastique formé d'un buste humain
uni à un corps d'oiseau », il ne s'est pas demandé s'il n'y aurait pas là
un souvenir de la légende du dieu Zu. Je ne lui reprocherai pas
d'avoir accepté, sans la discuter, l'appellation de Giigames et d'Ea-
bani pour deux figures à propos desquelles j'ai fait des objections
qu'il n'ignore pas (p. vi); car en l'employant il me donne l'occasion
de formuler une nouvelle objection : il est en effet obligé (n° 242) de
reconnahrenEvx Eabani, ce qui est absolument contraire à la légende
et prouve bien que le prétendu Eabani est un génie sans rapport
aucun avec le texte où l'on a voulu retrouver son nom. M. Delaporte
accepte encore, pour désigner un objet d'ailleurs diflScile à définir, le
nom de « bâton de mesure »; je souhaite que ce nom soit plus clair
pour lui que pour moi. Assurément s'il avait essayé un classement
chronologique ou une interprétation de scènes encore obscures ou
des symboles qui les accompagnent, M. Delaporte se serait exposé à .
de nombreuses erreurs; mais nul, sauf peut-être M. Ward, n'était
mieux que lui préparé par ses travaux antérieurs à vaincre la difficulté ,
et c'est parfois une façon fort utile de servir la science que d'avoir le 1
courage de se tromper. !
C. FOSSEY. i
I. P. XII, au lieu de Sirpula, lire Sirpurla ou mieux Lagas ; ib., n. 4, au lieu de l
Grotenfeld, Grotefend; p. xvi, une vente n'est pas un acte unilatéral; p. 11, Tin- j
terprétation du texte du n" 10 aurait pu être donnée comme douteuse; p. 29, i
t
d'histoire et de littérature 2o3
L. Lkorain, Catalogue des cylindres orientaux de la collection Louis Cu-
gnin, ouvrage accompagné de six planches hors texte, i vol. 11-54 p. in-4". Paris,
Champion, k) 1 1 .
Des 71 cylindres catalogués par M. Legrain, aucun n'apporte d'élé-
ment nouveau, mais M. Legrain a essaye de les classer chronologi-
quement, sans toutefois justilier d'une manière assez explicite ses
attributions. P. S, n. 2, M. L. dit que le nom de kaiuiakès « nous
aurait été conservé par la tradition grecque »; je ne vois pas la rai-
son de cette forme dubitative. P. 12 il écrit : « tous trois regardent
dans le même sens, qui serait « vers l'est », d'après l'empreinte », il
ne doit pourtant pas ignorer que les Babyloniens ne s'orientaient pas
en se tournant vers le nord ; l'empreinte du numéro i 5 est d'ailleurs
mal coupée : le dieu devrait apparaître entre les deux divinités qui
lui ouvrent les portes. P. i5, n" 20, au lieu de « diadème», il faut sans
doute lire « emblème ». P. 41, n° 64, je ne comprends pas comment un
cylindre assyrien peut être d'époque présargonique. Les remarques
que M. Legrain a jointes à ses descriptions auraient gagné à être réu-
nies dans la préface.
C. FOSSEY.
H. N'ioLLET, Fouilles à Samara en Mésopotamie. Un palais musulman du
ix" siècle. Extrait des Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres; tome XII, 2° partie. Paris, Klincksieck, 1911,
I vol. 35 p. in-4'' et XXIII pi.
M. Viollet a pu pratiquer quelques fouilles dans les ruines d'un
château construit au début du ix« siècle, par Al-Miitasim, fils de
Harun-ar-Rasid , à Samara. Ces travaux qui n'étaient guère plus
qu'une reconnaissance, lui ont cependant permis de faire quelques
constatations intéressantes. Ainsi « les vantaux des portes devaient
pivoter autour de leurs gonds encastrés dans une sorte de crapaudine
placée à la base », comme chez les Babyloniens. On retrouve à Samara
des fragments de décoration identiques à ceux de la mosquée à'Ibn-
Tunlu et des églises coptes, ce qui est très important pour l'histoire
des origines de l'art arabe. Les mosaïques, qui comportent l'emploi
de verre et de nacre, ont dû être exécutées par des artistes grecs. .La
présence de briques émaillées permet de supposer que les ateliers de
n" 55, l'ornement n'est pas formé de huit lentilles^ p. 7^, 75 et io3, lire protome
au lieu de prodrome et prodome ; p. 78, n" i36, noter la forme conique de l'ex-
trémité inférieure du personnage central ; p. 1 13, n" 195 et passiin, il n'y a aucune
raison pour transcrire Un IM (il faudrait au moins MUR ou une autre des lectures
données dans CT xxiv) et lire Ibni-Ramman, à côté de Ibiq-Adad (p. 1 14) ; p. 118,
en bas, au lieu de uiiii lire mu. Les reproductions des numéros i , 1 1 , et 40 auraient
pu être coupées d'une manière plus heureuse. M. Delaporte a eu l'excellente idée
dedonner une liste des cylindres royaux et empreintes datées; on s'étonne de ne
pas y voir figurer les numéros 196, i38 et 225 de son Catalogue. La publication
de l'ensemble de ces cylindres et empreintes datées est fort désirable; ce serait la
meilleure base d'un essai de classement chronologique.
204 RKVL'K CRITIQUE
la Perse musulmane du ni'' siècle ont simplcnicnl continue une tradi-
tion babylonienne ijui ne s'était jamais perdue. M. Viollet a noté judi-
cieusement l'artiHcc ingénieux employé dans la fabrication de ces bri-
ques pour que le mortier n'apparaisse pas en façade. Les six semaines
passées à Samara par M. VioIlct ont été bien employées.
C. FossicY.
Carnakvhn et r.AitTiH. Five years Exploration at Thebes, a Record of work
done 1907-1911 by thc Maki, m- Caunarvon aiid IIowauu Cartir, with
Chapters by !•'. 11. GrilVith, George Lcgraiii, Georg Môllcr, Percy E. Ncwberry
and W. Spiegelberg, Oxford, Im-o\vJc, i<ji'.2, petit in-H», xii-200 p. avec 79 pi. et
lin frontispice.
La recherche a été longue, mais elle a enlin abouti et les résultats en
ont été satisfaisants. Autant que je puis le voir, les ruines que le comte
de Carnavon a déblayées ne sont autres que celles des propylées qui
annonçaient les monuments funéraires de Déîr el Baharî. Les Pharaons
de l'âge memphite avaient l'habitude de construire à la lisière des
terres cultivées, vers Textréniité Ouest de leur ville royale, une cha-
pelle ou plutôt un portail monumental, d'où partait une chaussée,
elle menait à la chapelle funéraire proprement dite et à la pyramide
où leur momie devait reposer. Lorsque le thébain Mantouhatpou
bâtit son mastaba-pyramide au fond du vallon, il suivit leur exemple,
et il installa, en face de Karnak sa ville royale^ une sorte de reposoir
en briques qui tint lieu des propylées memphites. La reine Hatchap-
souîtou, venant plusieurs siècles après lui et s'installant dans le repli
nord de son vallon, édiHa sur le reposoir un bâtiment en beau cal-
caire, qui annonça l'entrée de l'avenue par laquelle on montait au
temple. Lord Carnarvon a retrouvé les dépôts de fondation qui
établissent les droits de la reine sur le monument, et çà et là, les
restes des niurailles de briques antérieures apparaissent à travers sa
fouille. Les bâtiments, placés dans un creux, sombrèrent peu à peu
sous les remblais à partir de la XXI^ dynastie. A l'époque gréco-
romaine, un village assez misérable, le prototype du village d'aujour-
d'hui, s'élevait sur le tas : il s'appelait Thi-nab-ounoun, l'ezbéh de
Nab-ounoun, en transcription grecque eivaSoùvov. On devait s'attendre
à rencontrer là un peu de tout, et de fait lord Carnarvon en a tiré
des objets de la XIL dynastie comme de la XVII L, de la XX<^ et du
temps des Ptolémées.
Ce sont naturellement les tombeaux qui lui ont le plus rendu. Le
plus intéressant est celui d'un certain Téti-kaî prince royal et chef du
pays du midi, qui était en relation, de parenté peut-être, avec la reine
Ahmasi-Naftéra, feinme d'Ahmôsis. Il n'est pas inutile de remarquer
ici combien ce nom dcTéti, que nous tenons pour caractéristique des
siècles memphites, est répandu à ce moment : l'arrière-grand-mère
d'Ahmôsis était uneTéti-shara, un prince révolté contre Ahniôsis s'ap-
d'histoirk et de littérature 2o5
pelaitTéti-ànou, unTcii, baron de Nafroiisi,rii de l'opposition à Kamô-
sis, le prédécesseur d'Ahmôsis, et la plupart des personnages alliés à
notre individu sont des Téti-ànkhou, Téti-me-rîya, Teii-sanbi et ainsi
de suite. Les Pharaons de la XVI II' dynastie prétendaient-ils des-
cendre de la VI*"? Je crois en avoir relevé divers indices. En tout cas,
notre Téii-kaî jouit de quelque influence au début du second empire
thébain. Son tombeau, peint mais non sculpté, est d'un modèle
connu, intcimédiaire entre le type des hypogées de la XII<= dynas-
tie et celui des hypogées de laXVIII^ Les photographies d'après
lesquelles les planches ont été établies sont petites et parfois peu
lisibles. Elles nous permettent pourtant de reconnaître que la partie
principale du dccor représentait en raccourci la pompe des funé-
railles, avec les danseurs, les baladins à coiffure bizarre, le transport
du •tikanuu, les comparses sans bras enfermés dans une manière de
caisse haute, les jardins mortuaires, les barques, les coffres, les deux
obélisques, bref le cérémonial usité dans le Sud et dont on voit les
images à El-Kab aussi bien qu'à Thèbes. Une inscription tracée en
hiéiaiique dans le champ rappelle le passage d'un scribe Paganoun,
peut-être celui qui surveilla les travaux. Le dessin est rapide, mais
juste, et plusieurs des sujets sont traités plus librement qu'ils ne le
furent par la suite : il y a (pi. V, D) un âne d'une allure assez gauche
maisqui n'a rien de conventionnel. En résumé, voilà un spécimen à
peu près intact d'architecture et de décoration funéraire à cet âge de
transition, où les traditions du premier empire thébain se sont déjà
modiriées sans que celles du second empire soient déjà formées com-
plètement. Je souhaite que lord Carnarvon en découvre d'autres de
ce genre aussi bien ou mieux conservés.
Beaucoup des hypogées mis au jour en 1909, 1910 et iqm avaient
été creusés pour des gens de la XI*^, XII" ou XIII'' dynasties; pillés,
selon l'usage, lorsque la famille à laquelle ils avaient appartenu s'étei-
gnit ou cessa de les surveiller, «ils avaient été réemployés sous la
XVIi'^ et la XVIII'' dynasties, et dans bien des cas violés encore sous
les Bubastites ou sous les Perses. On y avait entassé à diverses
reprises des cercueils en assez grand nombre, cercueils rectangulaires
à couvercle plat ou arrondi, cercueils anthropoides, et parmi eux
sept cercueils de l'espèce appelée par Mariette richi, les « emplu-
més ». La facture en est grossière, les eaux d'infiltration les ont
pourris, les fourmis blanches les ont rongés : ce sont d'assez piètres
pièces de musée, mais qui n'en ont pas moins leur valeur documen-
taire. Une fois déplus, les partisans de ce qu'on appelle la chronolo-
gie longue et la chronologie courte en sont venus aux mains dans
ces dernières années, et l'un des arguments invoqués par les seconds
contre les premiers est tire Je la ressemblance que Mariette observa
naguère, entre l'appareil funèbre de la XL dynastie et celui de la
XVII'\ 11 a perdu beaucoup de sa valeur, depuis que Steindorff a
200 REVUK CRITIQUE
ddmontrc que plusieurs des Pharaons Aniouf classes primitivement
dans la XI' dynastie doivent êiie reportés à la Xllh' : l'intervalle de
temps entre les cercueils diminue ainsi de plus de deux siècles et
demi ou même de trois siècles. Cela dit, il faudrait encore, avant de
se prononcer, savoir combien de temps pouvait durer les modes
funéraires. Les deux trouvailles de Déir-el Baharî nous ont prouvé
que les cercueils anthropoïdes à fond jaune, avec ligures et hiéro-
glyphes polychromes, ont été en faveur depuis le milieu de la XX*
jusque vers le milieu de la XXII«^dynastie, pendant près de deux siècles.
Les cercueils à fond blanc et à bandes bleues ou noires ont été en
usage pendant toute la XVI II'" dynastie. Pourquoi la mode des
cercueils ricliis n'aurait-elle pas duré autant? S'agissant d'un sys-
tème tel que celui de la chronologie courte, qui se fîatte d'établir des
dates Icrmcs à quatre ans près, l'argument tiré d'eux se retourneYait
contre ceux qui l'invoquent : les deux cents années environ qui
s'écoulèrent entre l'avènement de la XVI 11= dynastie vers i58o et les
Aniouf de la XI ll'^ nous mènerait jusque vers 1780, ce qui est
pour eux la date finale de la XII*' dynastie, et reléguerait hors temps
une bonne moitié de la XIII«. Notons donc la ressemblance, mais
n'en tirons pas de conséquence rigoureuse : s'il y a un sujet sur lequel
il convient de se montrer prudemment sceptique, c'est la chronolo-
gie des temps qui précédèrent le second empire thébain, courte ou
longue.
Quelques objets de prix, une statuette en électrum, un collier de
perles émaillées avec figure de ka en émail bleu, un cotîret en ivoire,
des répondants, tranchent sur la masse des outils, meubles, débris
de toute espèce. J'y joindrai volontiers les rares papyrus démotiques
et les ostraca, surtout les tablettes d'écolier, chargées de textes en
écriture hiératique. L'une d'elles, qui à elle seule représente les diver-
tissements d'un mort, portait sur une de ses faces un damier dessiné
à l'encre, et au-dessus les premières lignes des Enseignements de
Phtahhotpoii . Le texte du vieux livre Memphite était déjà altéré en
plus d'un endroit : les scribes y avaient remplacé quelques mots
tombés en désuétude par des termes nouveaux, et ils en avaient
modifié les tournures vieillies. La comparaison de cette version
moderniste avec le texte le plus ancien du Papyrus Prisse est pour
nous donner une leçon excellente de critique verbale. C'était d'ailleurs,
même au gré d'un Osiris revenu des futilités de ce monde, une lecture
un peu attristante; aussi le même écrivain a-t-il copié au verso le
commencement d'un récit plus passionnant. On y raconte les événe-
ments qui se seraient passés sous le règne de Kamôsis, et qui auraient
'amené la soumission à ce Pharaon des petits princes égyptiens qui se
partageaient la vallée ainsi que la défaite des Hyksôs d'Avaris. Gri-
ffith a sommairement analysé et traduit ce document, lui attribuant
un caractère historique. J'avoue que, l'étudiant au moment de la
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 20/
découverte, j'avais été frappe de l'analogie qu'il offre avec l'histoire
de Saknounriya, dont le Papyrus Sallicr l a gardé le début, et que je
l'ai dès lors considéré comme un roman iiistorique. Je viens de le
relire, et cette seconde étude m'a coniiimé dans mon impression
première. Avons-nous ici un conte populaire ou seulement un exercice
de narration fleurie tel qu'on en faisait dans les écoles? Je penche
vers cette dernière hypothèse, et je pense que, la rédaction n'étant
pas très postérieure aux éléments eux mêmes, elle pourra être employée
par les historiens, discrètement. Les autres lahleiies ou sont trop
endommagées pour qu'il soit facile d'en tirer un sens suivi, ou ne sont
que des notes rapidement jetées. J'en excepterai un curieux petit
texte de cinq lignes dont Môller a signalé l'originalité. Il me semble
que c'est un enfant qui parle et qui proteste contre sa mère nourrice.
« S'il n'y avait pas de nourrice, dit-il, mon cœur serait bien heureux
« avec moi. Si un enfant sort au village et qu'il rentre pleurant, vois,
« la nourrice est contente disant : « Tu pleures [parce que tu as été
« mauvais] très certainement. Celui dont tout le monde chante la
« louange [rien n'est facile] comme de le savoir, car son cœur est
«joyeux! » Les lacunes m'empêchent naturellement de garantir le
sens, mais l'interprétation que je propose s'adapte assez convenable-
ment aux bouts de phrase intacts. L'enfant ne peut pas aller traîner
dans les rues et rentrer pleurant, que la nourrice ne tire de ses larmes
la preuve qu'il a été méchant : celui qui a été sage au dehors, cela se
voit tout de suite à sa gaieté lorsqu'il revient à la maison. 'Vraiment
ces nourrices sont bien fatigantes avec leur morale perpétuelle, et
comme l'on conçoit que l'enfant voudrait qu'il n'y en eût plus.
Je ne sais pas pourquoi tant des nôtres s'imaginent qu'un livre bien
soigné d'exécution matérielle ne peut pas être un livre savant : un
papier fort et qui durera, une composition élégante, un tirage égal et
net les mettent de mauvaise humeur et les font crier au luxe inutile. En
voici un pourtant à qui sa belle tournure ne retirera rien de la valeur
scientifique. Les coUaborate-urs y ont été nombreux, mais peut-être les
Egyptologues de métier n'ont-ils pas tiré autant de parti qu'ils auraient
pu des matériaux qui leur avaient été confiés : on souhaiterait que
leurs notices fussent plus longues et plus complètes. En revanche, le
récit des fouilles et la description des fonds divers, qui sont dus à
lord Carnarvon et à M. Carter, sont bien ce qu'ils devaient être. Tout
ce qu'il est nécessaire de connaître pour bien apprécier la position,
l'âge et l'importance des monuments y est dit sans longueur et sans
trop de brièveté. Les planches sont bonnes. Toutefois j'ai marqué
plus haut que celles sur lesquelles les peintures du tombeau de Téti-
kaî sont reproduites me paraissaient trop molles. Les autres sont
d'une netteté heureuse pour les yeux de qui les consultera, et l'hélio-
gravure qui sert de frontispice au volume fait sortir par le contraste
entre la noirceur du fond et la clarté de la figure l'effet lumineux de
2o8 REVUE CRITIQUE
Toriginal, sa pose raidc, son niodclc un peu sommaire et la longueur
de ses formes.
G. Maspero.
J.-E. Qi'iiiKi.i,, Excavations at Saqqara 1908-9, 1909-10 (Service des anti-
quités lie ri".gypte}, Le Caire i'j\2; vii-i3i pages. iii-4", N(j planches.
Ce quatrième volume des Fouilles de Saqqara nous donne les der-
niers documents, inscriptions, peintures, et ruines architecturales, mis
au jour par M. Quibcll sur le site de l'ancien couvent d'Apa Jéré-
mie. Grâce au plan patiemment dressé par l'auteur, et aux renseigne-
ments qui guident le lecteur à travers ce fouillis de petites salles en
brique crue ou en pierre, on peut croire à présent que le vieux monas-
tère a livré presque tout ce qu'il avait à livrer. Son histoire pourra se
reconstituer, au moins dans ses grandes lignes, et nous obtiendrons
ainsi quelques jalons pour servir à la classification chronologique
des oeuvres de l'art copte.
La dernière inscription datée est de l'an 844. La fondation aurait eu
lieu, pense M. Quibell, aux environs de l'an 5oo. Je crois pourtant
que certains morceaux de sculpture et même de peinture attestent une
époque antérieure. Le monastère de Saint-Jérémie dont parle Jean de
Nikious, et qui aurait été fondé par un contemporain de l'empereur
Anastase, n'est probablement pas celui de Saqqara, si on examine le
texte de près. D'une part la ville de « Menouf », qui en était voisine,
ne désigne pas Memphis, en général, dans la Chronique éthiopienne :
c'est plutôt Onoupliis. D'autre part ce couvent était situé « dans la
province d'Alexandrie », c'est-à-dire dans l'éparchie d'Egypte !'«,
tandis que Saqqara ou Memphis est en Arcadie. Rien n'empêche donc
de penser .que le monastère fouillé par M. Quibell remonte beaucoup
plus haut dans le v= siècle : et de fait il y a ramassé une notable quan-
tité de petites monnaies de bronze de cette époque, malheureusement
illisibles. L'époque la plus brillante de la communauté pourrait avoir
été la première moitié du vu" siècle avec la fin du vi^ : du seul règne
d'Héraclius il a été trouvé 127 monnaies, sur 21 3 d'époque byzantine.
Une partie de la décoration sculpturale semble bien, en effet, dater
de ce même temps. Le pilier n° i de la planche XXXVII porte en bas-
relief un buste du Christ entouré de deux anges, lequel est curieuse-
ment analogue aux effigies monétaires des empereurs Phocas ou
Héraclius.
Les peintures publiées ici ne sont pas aussi importantes que celles
dont le tome III nous avait présenté les reproductions. Il en est une
toutefois qui mérite de retenir l'attention : dans le sacrifice d'Abraham
(pi. V et XII), le bélier destiné à la substition est représenté attaché à
l'arbre. La même particularité s'observe dans une fresque de la nécro-
pole de Khargch (Grande Oasis). Elle répond à une tradition littéraire
répandue chez les Coptes (O. von Lcmm, Kleine Kopt. Stud., n'^ 53
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 209
(1908), p. 22), et peut-èirc à une idée ihéologique. Le plan architec-
tural, l'usage des principales salles et des dispositions parfois énigma-
tiques qu'on y rencontre^ a cié élucidé fort heureusement par l'auteur,
qui était seul à pouvoir le faire, puisque les morceaux les plus remar-
quables, trop exposés à la rapacité des marchands d'antiquités, ont dû
être transportés au Musée du Caire. Les planches nombreuses
annexées à cette publication en sont d'autant plus précieuses.
Comme dans la livraison précédente, les inscriptions grecques et
coptes put été éditées par sir H. Thompson. Elles forment un
ensemble de 400 textes (en comptant les ostraca], dont l'étude histori-
que serait sans doute féconde en résultats intéressants. Naturellement,
celles qui portent date sont rares, mais la comparaison des noms
propres entre eux en augmenterait sans doute le nombre. Il en est
deux qui offrent un intérêt spécial : le n" 226, qui nous donne l'énu-
mération des fêtes observées par les moines, avec le tableau des
rations de vin qu'on distribuait lors de chacune en signe de réjouis-
sance ; — et le n° 265, nouvelle liste de patriarches d'Alexandrie,
avec l'indication de leurs années de pontificat. Ce fragment contient
notamment les noms des patriarches du vi*^ et du vn^ siècle, dont la
chronologie est si douteuse. Il serait donc d'une importance histo-
rique capitale, si malheureusement il n'était évident que le scribe son
auteur était fort ignorant. Ainsi, il assigne 41 ans d'archiépiscopat à
Théodose, ce qui placerait son élection en 525, sous Justin I^'' : l'er-
reur n'est guère que d'une douzaine d'années. Cette liste est sans
doute une copie maladroite faite sur un document meilleur, comme
le prouve la faute AHMinPIOC pour AHMHTPIOC- H sera peut-être
utile de noter ici quelques remarques intéressant le texte ou le sens
des inscriptions publiées ;
No 169. L'expression TTIGOT NTAIÀKONIA est traduite par « the
father of the service », ce qui n'est pas bien net. Ce titre est peut-être
l'équivalent du grec otaxovrj-:-/;;, et signifierait « le père qui s'occupe des
pauvres ». Le mot oiax.ovfa, au vi" siècle, signifie aussi « l'ensemble
des biens d'un monastère ». Nous pourrions donc encore avoir
affaire à l'économe, ou à une sorte d'intendant.
N" 220. La véritable forme du nom, en grec, est 'A^évioç, qui se ren-
contre dans les papyrus byzantins du Caire (n° 67139, III, recto, 21),
et dans ceux de Londres (tome IV, n" 141 2, 1. 277).
N° 3i5. Peut-être rECOPn's : c<i. n^ 339, c) eniC(-''-^J^os).
N" 33 I. Lire ;i,ovdc!^ov et non aovayôv. C'est ce mot (pour [i.ovxCwv) qui
a sans doute causé la faute -.vj pour ô. Lire aussi Memfeos et non
Membeos \ le/ latin affecte une forme assez analogue dans les papy-
rus du VI'- siècle. Ces deux corrections expliquent les anomalies paléO'
graphiques relevées par l'éditeur.
N° 344, b : lire YnONOT(>^?'-^^0- — ^ : AIGMOY--- n'est pas une
incorrection pour TIMO 0GOC] : c'est le grec St' £|-toO. La pierre ne
2 10 REVUE CRITIQUE
porte pas trace de lacune. Après GA(^/.'-"Os), on distingue un petit 7.
— ^^ : MAPIO : 'ii*-' MAPKO C) '• c'est en réalité un graffito distinct.
Toutes ces inscriptions sont donc éci ites en langue grecque, et doivent
s'ajouter à celles que signale l'éditeur dans son avant-propos.
N° 359,^1: au lieu de « Caius Pliilopator », lire à la (in Tïapà toO ■/.■jp':o<j
(pour Tfi) xup£t[j), formule ordinaire des proscynèmes. Le milieu cache
peut-être la formule -/.x'. to'j,- o!X(o'j;), pour xôjv oîàojv, mais je n'ai pas vu
l'original.
N" 359, b : Aphrodite est le nom de la dcdicante.
N° 366, recto. Les mots KAIGICG NAN KYPION doivent se couper
ainsi : -Aa; eU 'ivav x'jp'.ov; c'est un Iragment de profession de foi ortho-
doxe (qu'on retrouve textuellement dans le svmbole du V<= concile
œcuménique).
N° 394. Stvtyvl est sans doute mis pour a'.À'.vvl . — Enfin, dans le
curieux graffito arabe daté de 349 (pi. 68), le nom du pèlerin n'est pas
Hassan Abou Mohammed, mais Abou Mohammed tout court. Le
premier mot est le verbe hadliara, « est venu ici », correspondant au
T.XOov des graffiti grecs.
Jean Maspero.
W. VoNDRAK, Altkirchenslavische Grammatik, 2° édit. Berlin (Weidmann),
igi2, in-8", xviii-656 p.
Cette seconde édition est en grande partie un livre nouveau, et un
livre très supérieur à l'édition précédente. Ayant publié une chresto-
mathie du vieux slave, M. Vondrâk s'est dispensé d'ajouter des spéci-
mens de textes à sa grammaire;il a d'autre part beaucoup accru les
dimensions du volume qui a entièrement perdu son caractère primitif
de manuel élémentaire. Telle question qui, comme celle des jers, était
résumée en quelques pages, en occupe maintenant plus de cent. Et le
profit qu'on en retirera est grand; car personne n'a plus étudié les
anciens textes slaves que M. Vondrâk, il les connaît dans le détail, et,
c'est précisément grâce à ses statistiques et à ses observations minu-
tieuses qu'il a fait œuvre utile.
M. V. s'est intéressé de manière très inégale aux divers problèmes.
La phonétique et la graphie ont retenu la meilleure part de son atten-
tion ; M. V. y consacre plus de 3oo pages, et c'est là qu'on trouvera
le plus le résultat de recherches personnelles. La morphologie occupe
moins de 200 pages, et la syntaxe une soixantaine. La question de
l'aspect qui domine tout le verbe slave est résumée en trois pages, et
l'emploi du génitif-accusatif, qui est l'un des traits les plus originaux
du slave, est indiqué en quinze lignes, sans un seul renvoi aux travaux
publiés, pas même aux plus récents, comme ceux de M. Tomson. On
se demande même si M. V. a lu certains travaux publiés sur la ques-
tions; ainsi, il enseigne que les génitifs mené, tebe,sebe servent d'accu-
satifs accentués, sans rappeler la remarque, sur laquelle M. Berneker
d'histoire et de littérature 211
a spécialement insisté, que cet usage est d'une extrême rareté en vieux
slave.
Les indications sur la préhistoire des formes citées sont peu person-
nelles. La parenthèse de la p. -]-] où sont cités stada et ryba demeu-
rera inintelligible à presque tous les lecteurs. L'affirmation de la
p. i85 que la préposition [■{ a perdu un jer final est gratuite; ce jer
n'est pas écrit dans les textes, et l'étymologic montre qu'il n'a jamais
existé: le lituanien a [$■{ et le latin ex\ il n'y a trace d'une voyelle
finale nulle part.
L'un des mérites et Tune des originalités de la nouvelle édition de
la grammaire de M. Vondrdk, c'est que les plus anciens textes n'y
sont pas seuls considérés; surtout dans la partie relative à la phoné-
tique et à la graphie, il est tenu compte des textes slavons postérieurs
de Bulgarie, de Serbie et de Russie. Et ceci est excellent. Mais cet
élargissement devrait avoir pour contre-partie nécessaire une rigou-
reuse précision dans la définition du vieux slave. D'après ce qu'en-
seigne M. V. lui-même, le Suprasliensis représente un type — ou
pkuot des types — de langue postérieurs et aberrants par rapport aux
manuscrits glagolitiques de l'Évangile et du Psautier; il n'est donc
pas légitime de poser, p. 429, kamy comme forme du nominatif du
thème kamen-\ cette forme n'apparaît, en effet, que dans le Supras-
liensis, et les manuscrits glagolitiques recourent, pour le nominatif, à
l'ancienne forme d'accusatif. Du reste, même dans le Suprasliensis,
il n'y a pas ici de distinction entre nominatif et accusatif; kamy y est
accusatif aussi et plus souvent que nominatif. Le principe général
de la confusion du nominatif et de l'accusatif au singulier de tous
les substantifs masculins est absolu en vieux slave; et il aurait été bon
de le mettre en évidence.
On ne devra donc pas demander à l'ouvrage de M. V. des pro-
portions exactes, des doctrines générales fermes : mais on y admirera
en revanche l'extrême abondance de faits précis, puisés dans les textes,
une grande connaissance du sujet et une appréciation judicieuse des
données philologiques. Qui voudra s'initier au vieux slave et en pren-
dre une idée d'ensemble continuera de se servir du Handbiich de
M. Leskien, mais, si l'on veut pousser les recherches plus avant, il
sera indispensable d'y joindre la grande grammaire de M. V.
A. Meillet.
E. Lrumaxn, Zur nordarischen Sprache und Literatur. Voibemerkungen und
vicr Aufsatze mit Glossar. Strasbourg ' K. Trûbner', 1912, iii-S", viii-147 p.
[Schriften der Wissenschaftlichen Gesellschaft in Strassburg, Heft x).
Depuis que M. E. Leumann a établi, dans le Journal de la Société
asiatique allemande^ l'existence parmi les textes rapportés d'Asie cen-
trale d'un groupe de textes en une langue indo-iranienne, aucune étude
2 12 REVUE CRITIQUE
n'avait paru sur la question. Seul, le brillant déchitîreur des alphabets
hindous d'Asie centrale, M. Hôrnle avait publié quelques textes de cette
langue avec leurs correspondants sanskrits, dans le Journal de la
Société asiatique anglaise, mais sans entrer dans le détail et sans fixer
exactement la valeur des signes. M. l.eumann publie maintenant, à
défaut d'un exposé d'ensemble qui serait prématuré, un travail étendu
où il examine toutes les questions qui se posent, en l'état actuel de l'in-
terprétation. 11 discute avec soin et indique avec une grande vraisem-
blance la valeur des signes. Il fournil le sens d'un assez grand nombre
de mots, d'une manière qui semble définitive pour beaucoup. ^En
somme, il fournit une base aux recherches ultérieures. Sur un point,
M. Leumann a été trop prudent : la langue en question n'est pas de
r « aryen du Nord », c'est proprement de l'iranien, et il Ta vu lui-
même; les emprunts au sanskrit dont les textes fourmillent n'y chan-
gent rien ; on peut donc appeler cette langue <> iranien oriental »,
avec M. Pelliot et M. Gauthiot. En revanche, pour les étymologies,
M. Leumann a été trop aventureux, et aussi sans doute pour le rap-
prochement imprévu entre la métrique de textes en iranien du type
le plus altéré, où le nom du pied, est réduit à pd par exemple, et la
métrique homérique. L'étymologie de quantité de mots est évidente :
j'sama- « terre » (prononcer :[ama), ysdnua « genou » (prononcer
\dnua),ysâra (c'est-à-dire \àra) « mille » et tant d'autres sont des mots
iraniens bien connus; mais il est hardi de couper /rj'z/.y/î- « entendre »,
py-ush-. Sous dasta « main », il aurait été bon de dire que tous les
parlers iraniens ont emprunté, on ne sait pourquoi, cette forme au
perse; l'Avesta presque seul a gardé la forme \asta- qui devrait être
celle de tous les parlers autres que celui du Sud-Ouest ; il est remar-
quable que r « iranien oriental » ait un emprunt au perse aussi carac-
térisé,
A. Meîllet.
Raymond Guyot, Le Directoire et la paix de l'Europe des traités de Bâle à
la deuxième coalition (1795-1799). Paris, Aican, 191 1, 956 p., i5 fr.
En 1903, après l'apparition du tome V de Sorel, M. Guyot rendit
justice aux mérites de cet ouvrage, mais s'appliquant à en signaler
les lacunes, les erreurs imputables à une documentation insuffisante,
il conclut que l'on pourrait encore étudier utilement la politique exté-
rieure du Directoire. Le livre qu'il publie aujourd'hui, et qu'il médi-
tait dès lors sans doute, Justifie cette assertion. Disons tout de suite
le soin et le zèle avec lesquels il a préparé son ouvrage : non seule-
ment il a dépouillé les nombreux recueils imprimés récemment à
l'étranger, utilisé les richesses de nos dépôts d'archives, mais encore
il a fouillé ceux des pays étrangers dont la politique fut étroitement
mêlée à la nôtre pendant cette période. Il n'a pu parcourir l'Europe
entière, mais il a été bien aidé dans sa tâche, et le butin rapporté est
d'histoire et de littérature 2i3
magnifique, considérable, trop considérable peut-être, car, dans le
désir louable de ne rien négliger, il a produit un volume compacte,
d'une lecture parfois un peu difficile, et dont la masse imposante
découragera bien des gens. De sa longue et méticuleuse étude M. G.
a tiré des conclusions nouvelles, importantes, qui renverseraient pas
mal d'idées établies si elles se trouvaient complètement justifiées.
D'abord il a conçu de l'estime, de l'admiration même, pour ce
Directoire généralement décrié et méprisé. Ne dit-il pas (p. 55) que
ce régime « eut tôt fait d'introduire dans le gouvernement central les
habitudes de méthode, d'ordre et de régularité que le Consulat n'eut
qu'à suivre et dont on a continué de lui attribuer le mérite? » Ce
jugement paraît risqué; sans rappeler ici la situation intérieure au
moment du i8 brumaire, nous emprunterons à M. G. un argument
sérieux tiré du tableau peint par lui de l'état de la France au commen-
cement de 1 797 (p. 325) : les finances ruinées, le budget refusé par les
Conseils, le gouvernement acculé aux pires expédients, obligé de
vendre à bas prix les forets domaniales, les biens nationaux de la
Belgique, les diamants de la couronne, les cloches des églises,
jusqu'au papier monnaie nouvellement émis ; l'insécurité croissante,
les chauffeurs maîtres sur les routes, le pouvoir exécutif discrédité! A
cette époque au moins, l'œuvre du Directoire ne s'honorait pas des
méthodes qu'il lui prête.
M. G. a résolu de se limiter uniquement à l'histoire diplomatique,
et il glisse si rapidement sur l'histoire intérieure qu'il n'insiste jamais
sur les secousses périodiques qui ébranlèrent le Directoire, et eurent
de graves repercussions sur sa politique extérieure. Cette politique,
d'après l'auteur, fut personnifiée par Reubell, dont il trace un por-
trait très soigné, et pour qui il ne dissimule pas ses préférences. Il
donne une preuve de partialité pour son héros quand, allant chercher
dans un rapport secret à lord Grenville des détails sur les Directeurs,
il omet le passage oi^i Reubell est représenté « sans talents, très opi-
niâtre ». Reubell fut un honnête homme, il vit juste souvent, mais
malgré l'obstination qui est comme le trait distinctifde son caractère
— il est têiu comme un Alsacien — il s'écarta assez souvent des
principes politiques que M. G. lui attribue.
Selon M. G., les premiers Directeurs ne furent pas choisis pour
leurs opinions sur la politique extérieure. Partisans des liinites natu-
relles, aucun n'en aurait pourtant fait la condition sine qua non de la
paix. Pour amener l'Autriche à renoncer aux Pays-Bas, ils recher-
cheront l'alliance prussienne; sous l'impulsion de Reubell, anglo-
phobe (p. 3o5) qui ne croit pas à la sincérité de l'Angleterre, ils
réclameront outre mer le slalu quo ante belliiin, enfin ils renonceront
aux entreprises de propagande en Allemagne et en Italie. « C'est là
toute la politique du Directoire jusqu'à l'ouveriure de la campagne
d'Italie » (p. i23). Comment M. G. concilic-t-il ce qu'il dit de la pro-
!
2 14 REVUE CRITIQUE
pa^andc avec Tcnvoi de Salvador au delà des Alpes (p. 140)? Avec le
plan d'insurrection expédié à lionaparie fp. i65)? Avec la mission
que rt\()it Cacault « de suivre les opérations à concerter avec les
patriotes piémontais »? Sans doute le Directoire abandonna le projet
de révolutionner Turin et Milan quand il eut découvert la complicité
des meneurs italiens dans la conspiration de Babeuf, mais la propa-
gande était si bien dans ses idées que, vers floréal an IV, Poterat fut
invité à former dans l'Allemagne du Sud une véritable république,
à y organiser des gardes nationales et des assemblées représenta-
tives (p. 209). i
M. G. rejette sur Bonaparte la responsabilité de la reprise de la
propagande révolutionnaire qui contribua si puissamment à empêcher
la paix en excitant les alarmes des monarchies européennes. Cette
conclusion nous paraît exagérée. La propagande était dans la nature
même de la Révolution, et un gouvernement qui comptait La Revel-
lière parmi ses membres, ne devait jamais renoncer à porter le nouvel
évangile aux nations étrangères. D'ailleurs, M. G. incrimine la poli-
tique imposée par Bonaparte au Directoire. La clef de la paix géné-
rale, assure-i-il, était en Lombardie : pour désarmer l'Autriche, il
fallait lui rendre le Milanais; pour obtenir sa renonciation aux Pays-
Bas, il fallait lui accorder des compensations dans la vallée du Pô;
on aurait encore trouvé dans l'Italie conquise les éléments d'une
transaction avec l'Espagne qui, en échange d'un agrandissement au
duc de Parme, aurait cédé la Louisiane destinée à satisfaire l'appétit
de l'Angleterre. Bonaparte ruina ces projets en fondant, malgré le
Directoire, des républiques en Italie. Tous les malheurs de la France
découlent de « l'erreur initiale qui a fait créer au delà des Alpes, sous
la protection française, une république turbulente et envahissante
avant que la paix du continent fût assurée, et la République française,
maîtresse de ses nouvelles limites » (p. 784). Certes, il faut blâmer le
mépris de Bonaparte pour ses instructions, ainsi que ses perpétuelles,
désobéissances. Mais — répondrons-nous à M . G. — Bonaparte n'avait-
il pas d'excuses? Les moyens qu'on lui fournissait pour'continuer sa
triomphante campagne étaient si médiocres qu'il fut obligé d'utiliser
les ressources des provinces conquises, et il pensa qu'en tondant un
état à sa dévotion, contraint par son origine et ses aspirations à
associer toutes ses forces à celles de son défenseur, il en tirerait plus
de services. En formant une république en Lombardie, il suivit, en
somme, l'exemple que ses prédécesseurs lui avaient fourni dans le nord
puisque la république batave constituait déjà un état protégé situé
au-delà des limites naturelles. Au surplus, le Directoire n'était pas
si opposé en principe à l'émancipation de l'Italie : Carnot favorisa
longtemps les plans de Bonaparte l'p. 207) et ne changea d'attitude
que sous la pression de l'opinion publique; La Revellière et Barras
étaient acquis à la cause italienne, et Reubell lui-même s'y rallia pour
d'histoire et de littérature 21 5
s'assurer l'appui de La Revellière dans la crise prévue entre le Direc-
toire et les Conseils (p. 33 1). Quant aux mobiles de Bonaparte à
Léoben, M. G. v discerne la volonté de signer seul la paix pour s'en
réserver le mérite et la gloire, et le désir de garder Milan pour s'y
exercer au pouvoir et s'y révéler législateur et homme d'état (p 36o).
Il suppose que son esprit conçut dès lors « le plan du futur empire
méditerranéen et italien dont l'établissement définitif deviendra en
peu d'années l'objectif suprême de ses ambitions » (p. 498). M. G.,
qui prend toujours vivement parti pour le pouvoir civil dans ses
conflits avec le militaire, qui est si uniformément sévère pour les
généraux, en particulier pour Napoléon, qu'on pourrait le soup-
çonner, sinon d'antimilitarisme, du moins d'antibonapartisme, va
dans sa haine pour le futur empereur j usqu'à le traiter (p. 492) de
« chef italien qui se ménage dans la P'rance une alliée et garde les
voies pour être défendu par elle». L'envie qui le tient de démontrer que
l'inHuence néfaste de Bonaparte empêcha la réalisation de la politique
« égoïste, mais nationale de l'an IV », l'entraîne donc un peu loin.
Le point capital de la thèse de M. G. porte sur la possibilité d'une
paix générale entre 1795 et 1799 sur la base de la conservation des
conquêtes par la France et du maintien de son régime républicain.
M. G. admet que le Directoire désirait la fin de la guerre, et il n'exa-
mine pas si un gouvernement, qui ne se maintenait que par une succes-
sion de coups d'état pour lesquels l'aide de l'armée lui était indis-
pensable, pouvait se risquer à mécontenter les chefs et les soldats en
interrompant leur carrière. Comment le Directoire eût-il trouvé le
moven de nourrir, de rendre à la vie civile ces centaines de milliers
de citoyens? Depuis longtemps cette difficulté avait été pressentie :
« Dès la fin de décembre 1792, le gouvernement regarde la guerre
comme une nécessité; Dumouriez dit que c'est épuiser la France que
de rester chez soi ; Clavière, qu'on doit s'entretenir dans l'état de guerre
et que le retour des soldats perdrait tout; Roland, qu'il faut faire
marcher les armées aussi loin que les porteront leurs jambes, ou sinon
qu'elles reviendront couper la gorge aux ministres '. » Les Directeurs
conçurent assurément des craintes analogues, mais l'auteur n'y songe
pas.
En revanche, notre principal adversaire, l'Angleterre, désirait-elle
sérieusement la paix? Sorel s'était prononcé pour la négative; M. G.
a entendu reviser cette sentence. Il a étudié à fond les documents des
archives de Londres et de Paris en les comparant aux pièces contenues
dans les recueils imprimés, et il est arrivé à la conclusion que la
Grande Bretagne se serait un instant résignée à concéder à la France
ses frontières naturelles. Il faut louer le talent, la conscience avec les-
quels il a examiné ces nombreux papiers.
I. Arthur Chuquet, Jemappes, p. 68.
2l6 REVUE CRITIQUE
On ne relève dans sa documentation que de légères inexactituds :
d'après lui (p. qS) en août 1795, Wickham aurait averti lord Grenville
et l'ambassadeur anglais à Vienne que Thugui cherchait à s'entendre
avec la France pour un échange entre la Belgique et la Bavière ; or,
dans les lettres citées ', WicUiiam dit seulement au « Foreign Secre-
tary » que les Autrichiens n'ont passcricuseniciu l'intention d'attaquer
les Français sur le Rhin, et à sir Morton Edcn que le changement
d'attitude de Barthélémy semble révéler un rapprochement entre Paris
et Vienne. En outre, M. G. se met en contradiction (p. 288) avec les
Diaries de Malmesbury en spécifiant que ce plénipotentiaire partit le
16 octobre 1796 ; en réalité lord Malmesbury quitta Londres le i5, et
Douvres le 18; de même (p. 3o2). Malmesbury sortit de Paris non le
20, mais le 21 décembre '. Pour la deuxième mission de ce lord,
M . G. affirme que sa désignation rencontra une vive opposition chez
certains collègues de Piit, et pourtant, le 11 juin 1797, Malmesbury
lui-même écrivait à sir Gilbert Eliiott : « le Conseil a décidé à l'una-
nimité que ce serait moi » •'*. On voit par ces quelques exemples que
M. G. ne se trompe jamais gravement, et que ses erreurs sont vénielles.
Pour en revenir au fond de sa thèse, il convient que la pierre
d'achoppement rencontrée par la première mission de Malmes-
bury fut la question des Pays-Bas que l'Angleterre ne consen-
tait à aucun prix à laisser à la France. Mais il pense que l'année
suivante, lors des conférences de Lille, Pitt se serait résigné à
nous abandonner la côte jusqu'à Anvers. Il insiste longuement sur
les divisions que les résolutions du ministre dirigeant suscitèrent
dans le cabinet de Saint-.Iames. L'opposition restait très forte,
ayant à sa tète le ministre des affaires étrangères et le roi lui-même.
Néanmoins la crise que traversait la Grande Bretagne sans allies sur
le continent, avec des finances très ébranlées, menacée du soulèvement
de l'Irlande, privée de ses flottes par l'insurrection de ses rnarins,
était telle que la résignation de Pitt se comprend. Pourquoi, alors,
l'insuccès des conférences de Lille? M. G. l'attribue uniquement aux
intrigues coupables des modérés, de Maret et de Talleyrand en parti-
culier, et à celles de Barras, qui inspirèrent aux Anglais l'espoir d'ob-
tenir une paix beaucoup plus avantageuse, et lircnt rebrousser chemin
à Pitt. M. G. a raison de condamner sévèrement les intrigues de
Talleyrand et de ses amis, de les qualitierde véritable trahison; mais,
selon sa tendresse habituelle, il innocente trop Reubell et les futurs
fructidoriens. Le ministère britannique, pour faire accepter un traité
à l'opinion publique, voulait conserver quelques-unes de ses conquê-
tes d'outre mer, et la France, ayant signé la paix avec l'Autriche, et
gardant toutes ses acquisitions sur le continent, prétendait cependant
1. Correspondence of Wickham, I, i52-i55.
2. Diaries, III, 267, 366.
3. Malmesbury, ouv. cité, III, 37t.
d'histoire et de littérature 217
exiger de rAngleterrc la restitution de ses colonies et même de celles
de ses alliées. M. G. insinue que Reubell et ses ainis auraient fini par
accorder des concessions aux dépens de la Hollande et de l'Espagne;
ils travaillèrent en effet ces puissances ; mais ils n'arrivc'rent à rien
avant le 18 fructidor; et alors ils se montrèrent plus intransigeants que
jamais. Une part considérable leur revient donc dans la rupture des
conférences de Lille.
D'ailleurs la paix signée eùt-cllc été durable, définitive? Il est per-
mis d'en douter. « Piit, a dit Sorcl, négociait pour être populaire, et il
ne finissait rien parce qu'il était homme d'état. » L'Angleterre a tou-
jours redouté par dessus tout la réunion de la Belgique à la France;
elle n'eilt supporté ce malheur que provisoirement, pour respirer et
se procurer le loisir de former une nouvelle coalition. Canning se
signalait parmi les plus ardents partisans de la paix, mais il écrivait à
Ellis le i3 juillet 1797 : « Pour moi, j'ajourne mes espoirs d'honneur
et de bonheur pour mon pays au-delà de la tombe de notre puissance
politique et militaire que vous êtes en train de creuser à Lille. Je
crois en notre résurrection, et c'est mon seul réconfort '. » La résur-
rection,voilà ce que l'Angleterre eiit attendu pour reprendre toutes ses
prétentions, et la paix de Lille n'etàt été qu'une trêve comme le fut la
paix d'Amiens 1 M. G. se contente de prouver que la paix avec l'An-
gleterre fut possible un instant ; il n'examine pas ce qu'elle aurait
valu, ce qu'elle aurait duré. Nous lui opposerons quelques lignes
adressées au Directoire vers cette époque par un patriote prussien :
« Les victoires que vous avez l'emportées sur terre ne compensent pas
les pertes que vous avez faites sur mer ; votre liberté n'est qu'une
chimère tant que vous n'aurez pas dompté le lion britannique, et ce
combat à outrance ne finira que sur les ruines de l'un ou l'autre
état '. »
Après l'échec des pourparlers de Lille, M. G. estime que tout
n'était pas encore perdu : que l'on conclût la paix à Rastatt, que l'on
triomphât de la répugnance de la Prusse à démembrer publiquement
le Saint Empire, qu'on lui fît garantir les acquisitions de la France,
et Ton consolidait l'œuvre extérieure de toute la Révolution, on
empêchait une coalition nouvelle. « Il n'y avait rien là qu'on ne pût
essayer avec quelque chance de succès à condition de rassurer la
Prusse et l'Europe sur les dangers de la propagande » (p. 715) ; mais
jamais le roi de Prusse ne se résigna à l'alliance de la France révo-
lutionnaire, et le Directoire lui niême s'abandonna au torrent. On le
voit clairement dans les affaires de Suisse et de Rome que M. G.
nous conte en détail. Il réhabilite Rapinat, beau-frère de Reubell, et
fait éclater l'innocence de ce commissaire calomnié. Il blàmc (p. 609)
1. Malmcsbury, ouv. cit., 111, 19S.
2. Sclireiben eines reisenden pretissisclioi Patiioten an das ftaiiy. Diicctoritim,
0 messidor, VI, p. 5o.
2l8 REVUIC CRITIQUE
la conduite à Rome du Directoire, qui « voulait faire lui-même, par
rinternicdiaire de trois hommes de conriance, ce qu'il regrettait
apparemment d'avoirlaissé faire à Bonaparte en i>ombardie ». 11 établit
la grave responsabilité de l'armée dans les troubles, les désordres et
les dilapidations dont Rome fut la victime. p]nfin, quand il parle de
l'expédition de Championnci à Naplcs, il se prononce avec sa rigueur
accoutumée dans le conHit entre le général et les commissaires civils.
Son réquisitoire est serré, probant, mais dépourvu d'indulgence.
Au début de mars 1799, il juge l'histoire diplomatique du Direc-
toire finie, et il s'nrréte au début de la deuxième coalition. Sans doute
fatigué lui-même de la longueur de son effort, effrayé de la masse
de son ouvrage, il abrège cette dernière partie, évoquant souvent d'un
seul mot des événements importants comme le massacre de Rastatt
et la sortie de Reubell du Directoire, et cette hâte donne malheu-
reusement à certains passages des allures de manuel.
Nous avons signalé les points sur lesquels M. Guyot ne nous con-
vainc pas En particulier, nous croyons qu'il n'a pas réussi à démolir
le majestueux édifice de Sorel en en sapant la principale assise. Néan-
moins nous ne saurions diminuer le prix de cet ouvrage si conscien-
cieux, dont la documentation admirable fera désormais une source
très précieuse '.
A. BiovÈs.
I. Quelques petites erreurs : p. 7, M. G. ne cite pas parmi les auteurs présumés
des Mémoires tirés des papiers d'un homme d^état, Michaud qui les avait composés
pour une bonne part. — P. 80, il ne dit pas que Cacault avait fait en Allemagne
un long séjour pendant lequel il s'était lie avec Lessing. — P. i25, Dumouriez n'a
livré aux Autrichiens que quatre députés et non cinq. — P. 143, Sieyès n'a pu
demander à la République de Gênes le territoire de Menton qui dépendait de
la principauté de Monaco. — P. 38i, peut-on avoir confiance en Moreau de Jonnès
dont les Aventures ont été jusqu'ici surtout utilisées par des romanciers comme
Capendu? — P. 4?4, Mme Grand était Française cl non Anglaise. — P. 443, M. G.
ne donne aucun renseignement sur Potter, candidat malheureux à Cambridge et à
Colchester, propriétaire de la manufacture de porcelaine de Chantilly et d'autres
usines à Montereau et à Forges, mort en Angleterre en 18 17. — P. 396, l'entrepre-
neur des vivres que cite M. G., se nomme Collot et non Gaillard. — P. 604, le
général Duphot ne suivit pas Joseph Bonaparte ; le sabre au clair, il se mit à la
tête des révolutionnaires romains et fut tué, non par le poste du Pont Saint-Sixfe
mais par celui de la Porte Settimiana que commandait le caporal Marinelli. —
P. 81 3, Brémond était non seulement ministre de la guerre, mais en même temps
ministre de la marine et ministre des affaires étrangères de la République romaine.
— P. 826, Lacombe Saint Michel ne s'est pas engagé dans l'artillerie, il y entra
comme lieutenant en 1772 et devint capitaine en 1779. — Quelques fautes dans
l'orthographe des noms: p. i32, 212 Bischofswerder, p. i83 Borgheto, p. 221
Canstatt, p. 539 Léger, p. 540 et 68g Lichtenstein, p. 362 Bentliein, p. 627 Godo-
gno, p. 644 Hentsi, p. 690 Malascliowski, p. 696 Baragiiay^ p. 742 à'Ivernoy,
p. 85o Kohler, p. 934 Luc d'Havre pour Bischoffswerder, Borghetto, Cannstatt,
Léger, Liechtenstein, Bentheim, Codogno, Henzi, Malachowski, Baraguey, Diver-
nois, Kohler, duc d'Havre. — Des références inexactes : au Dropmore, p. 106 :
ni, p. /2'~, non 127. P. 211 : III, 14S, non 16S. Aux Diaries de Malmesbury,
d'histoire et de littérature 219
— Le 12' congrès des historiens allemands qui s'est tenu à Brunswick en
191 1, a publié un compte rendu de ses séances : Bcricht ilber die 1 2 . Versammlung
deutsclier Historiker ,« BraiDischweig. iLeipzig, Dunckeret Humbiot, 191 1, in-80,
pp. 55, mk. 1.40). On y trouvera un résumé succinct des neuf conférences faites
par divers membres et de la discussion dont elles ont été suivies. Les délégués
des instituts pour les publications d'histoire locale ont également tenu à Brunswick
deux séances consacrées à étudier les questions de la reproduction photographique
des documents et d'éditions scientifiques de plans des villes de la Basse-Saxe.
Une double liste des membres du congrès et de ceux de l'association des histo-
riens allemands dans l'année 191 1 est jointe à ce compte rendu. — L. R.
— Le Rapport sur les travaux du séminaire' historique de l'Université catho-
lique de Louvain pendant l'année igio-1911 (Louvain, van Linthout, 1912, in-8°,
p. 89) contient le compte rendu de diverses études, les unes trop brièvement
caractérisées pour être mentionnées ici, les autres présentées avec plus de détails.
Parmi ces dernières il faut signaler les recherches du P. Vykoukal sur les sacra-
mentaires, avec une copieuse bibliographie fp. 35-5o), celles de M. Smolders sur
les statuts des prémonlrés; de plus la continuation d'un travail du P. Lechat
sur les catholiques anglais réfugiés aux Pays-Bas pendant le règne d'Elisabeth,
et d'un autre de M. Gits sur la politique religieuse de Joseph II dans les Pays-
Bas autrichiens. — L. R.
— La conférence de M. Siegmund Hellmann, Wie studiert man Gescliichte ?
(Leipzig, Duncker et Humblot, 191 1, in-8°, p. 70, mk. i.5o)sera la bienvenue de
tous les étudiants, sans distinction d'origine, qui se sont tournés vers les sciences
historiques. Pour les relations de l'histoire politique avec les disciplines connexes,
histoire du droit, de l'économie politique, liée elle-même à celle de la technique,
sociologie, philologie, littérature, histoire de la civilisation, M. H. les a nettement
esquissées et illustrées par quelques exemples. Il a ensuite abordé la question
de la spécialisation inévitable dans le vaste champdes études historiques, mais en
soulignant le non moins indispensable contact que l'apprenti historien doit garder
avec une portion assez complète du domaine de l'histoire où le portent ses préfé-
rences. Sur la méthode de travail de l'historien, critique des documents, lecture
des textes, utilisation des différentes ressources, bibliothèques, archives, musées, et
même sur l'enseignement que lui offre la réalité contemporaine dont il a le devoir
de suivre la vie politique en spectateur attentif, M. H. a donné de sages conseils
souvent recueillis chez les plus grands maîtres et que l'étudiant aura profit à
méditer. De précieuses notes sont jointes à la conférence ; elles se rapportent aux
questions touchées par l'auteur au cours de sa rapide esquisse et qui ont fait
l'objet de discussions approfondies dans des ouvrages de longue haleine; il les
cite, les apprécie d'un mot bref, en signalant leurs mérites, leurs défauts ou leurs
lacunes. Un autre complément, plus important encore, est l'appendice bibliogra-
phique qui constitue la seconde partie de la brochure (p. 37-68). Ce répertoire
est forcément incomplet, mais son mérite est justement d'être un choix et d'appe-
ler l'attention de l'étudiant sur les livres essentiels, qu'il s'ag-isse de recueils de
sources, d'exposés généraux ou d'ouvrages spéciaux appartenant soit au domaine
p. 207 : III, 2g6, non 276 ; p. 41 5, 111, 367-368, le journal du 7 juillet ne se trouve
pasà la place indiquée, ni ailleurs, M. G. aurait pu renvoyer aux p. 382 et sui-
vantes. — P. 391, la phrase citée liberavi anhnam meam n'est pas dans la lettre
d'acceptation de Malmesbury, mais on la lit (111, p. 372) dans une lettre privée à sir
Gilbert Elliott.
220 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
de l'histoire proprement dite, soit à celui des sciences historiques auxiliaires, ou
encore de ces vastes travaux dus à la collaboration de plusieurs savants. On est
heureux de constater que de cette sélection M. H. n'a pas exclu les ouvrages écrits
par d'autres que par ses compatriotes. Pour le débutant que l'abondance des
outils mis à sa disposition risque de jeter dans l'embarras, il importe de marquer
les plus sûrs et les plus maniables. A ce titre le répertoire dressé par M. H.
mérite d'ôtre recommandé à nos propres étudiants. — L. R.
Lettre de M. Counson.
A l'intéressant article que M. Baldensperger a bien voulu consacrer à la Pensée
Romane (lo août 191 2, p. 117-118), la courtoisie de la Revue Critique me permet-
tra d'ajouter les observations et détails que voici :
1° L'épigraphe cuique suum est la devise de toute la collection : " Bibliothèque
d'études morales et juridiques », dans laquelle a paru La Pensée Romane. Ce n'est
pas que je n'aie rappelé [Pensée Romane, p. io5) et que je n'apprécie la formule
d'Ulpien et des Institutes : suum cuique tvibuere. Mais la meilleure manière de
l'appliquer est d'en reporter le mérite à la collection qui l'arbore.
2° [Rev. Cv., p. 118, n. i). Le passage relatif au mot voman est une citation de
M. Salomon Reinach, qui a écrit : « c'est en 1825 qu'Arcisse de Caumont a dési-
gné sous le nom de roman l'art qui domina dans l'occident de l'Europe après
Chariemagne ». — Le mot roman, lui-même, est aussi vieux que la littérature
française; seulement, sa spécialisation philologique n'est généralement reçue que
depuis le xix" siècle ; et jusqu'en 191 2, un excellent et docte écrivain français,
M. Baldensperger lui-même, met encore le mot lomaniste entre guillemets.
3° Le mot d'Ulpien restitué à la « Bibliothèque d'études morales et juridiques »,
et le romanisme d'Arcisse de Caumont à M. S. Reinach {Apollo, 5^ éd., p. io5),
que reste-t-il du titre de « pensée romane » ? Une généralisation d'une témérité
grande si on la considère en elle-même, fort commune si on la compare à celles
dont nous usons tous les jours. Nous parlons couramment de « littérature fran-
çaise », et nous y comprenons la Chanson de Roland et les Lettres persanes, Mira-
beau et Maeterlinck. Quel élément commun permet de grouper de telles dispara-
tes ? La langue écrite et parlée. La synthèse ainsi construite, la corrélation du
langage et de la pensée, est-elle légitime, ou, pour mieux parler, est-elle commode ?
Oui sans doute, puisqu'il y a des dictionnaires français, qu'ils rendent des services,
et qu'ils ne seraient pas ce qu'ils sont s'il n'y avait pas eu de « littérature fran-
çaise ».
40 [R C, p. 118, n. i). Le juron n'est pas, en etfet, une reviviscence ancestrale
— les influences ancestrales relèvent de la biologie, et M. Le Dantec en a traité.
— Mais le jureur, dans son émoi, profère les mots que lui suggère non le raison-
nement, mais Vliabitude ; il a la simplicité d'âme des enfants et des sauvages —
sans que les enfants ni les sauvages soient ses ancêtres.
5° Toutes ces questions de mots (dont vous excuserez la longueur) ne sont point
vétilles, puisque (comme l'a dit le plus grand penseur de France), « tous les mots
dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pen-
sées ».
A. Counson.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Piiy-en-Velay. - Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 38 — 21 septembre. — 1912
E. MiiVKR, Histoire de l'antiquité. — R. Weill, Les décrets royaux de l'ancien
F^inpire égyptien. — H. Junker, Les fouilles de Tourah. — Lampakis, Les trois
premiers chapitres de l'Apocalypse. — Simonsfei.d, Chartes de Barberousse en
Italie. — Lii'PERT, Cartulaire de Lûbben, I. — Monluc, Commentaires, I, p.
CouRTEAULT. — Bratli, Philippe II. — Rott. La représentation diplomatique
de la France auprès des cantons suisses, IV, 2, ?. — R. Marchand, La politique
intérieure russe. — Uxv Diplomate, France et Suisse. — Sa-rron, La Jeune-Tur-
quie et la Révolution. — \'iallate et Caudel, La vie politique dans les Deux
Mondes. — Arnauné, Le commerce extérieur et les tarifs de douane. — Hum-
piirey. Les ouvriers au Parlement. — Dimier, La Basse Normandie. — Gomperz,
Les penseurs de la Grèce. — Soubies et H. de Curzon, Le F'aust de Gounod. —
Voretzsch, Introduction à l'étude du vieux français, 2" éd. — Académie des
Inscriptions.
E. Mever. Histoire de l'antiquité. Tome premier. Introduction à l'étude des
sociétés anciennes (évolution des groupements humains) traduit par M. David.
Paris. Geuthner, 19 12, i vol. vin-284 p., in-S».
Il est superflu de présenter longuement au public lettré V Histoire
de r Antiquité de M. Eduard Meyer. Le succès de l'œuvre est attesté
par trois éditions parues en moins de trente ans et tous les orienta-
listes en reconnaissent la légitimité. Une érudition à laquelle aucun
texte important n'a échappé, une connaissance toujours à jour de
tous les travaux publiés dans les domaines si étendus de l'Orient et
de l'antiquité classiques, et, par dessus tout, une pensée puissante qui
ne se laisse jamais étouffer par l'accumulation des faits mais sait les
dominer, les grouper, en montrer renchaînement, et garder à son
service un véritable talent d'exposition, telles sont les qualités par
lesquelles M. E. Meyer s'est assuré une place de tout premier rang
parmi les historiens de l'antiquité orientale. Il n'est spécialement ni
égyptologue, ni assyriologue, ni' hébraisant et pourtant il a publié
sur la Chronologie égyptienne, sur les Sémites et les Sumériens, sur
l'origine du Judaïsme des travaux qui feraient honneur à tous les
spécialistes. C'est dire que, à la différence de tant d'autres, son His-
toire n'est pas du tout une compilation. Il faut donc remercier
l'éditeur Geuthner qui a entrepris de nous donner une traduction
française de la troisième édition, en cours de publication, et s'est
assuré, pour chaque volume, la collaboration d'un traducteur com-
pétent.
Le premier volume, qui vient de paraître, est une introduction à
Nouvelle série LXXIV 38
222 REVUE CRITIQUE
l'étude des sociétés anciennes divisée en trois parties : révolution
politique et sociale, l'évolution intellectuelle, Thistoire et la science
historique. L'esprit philosophique et critique de l'auteur s'y montre
par une foule d'idées intéressantes qu'il est impossible de relever ici.
Notons seulement que M. E. Meyer se méfie également des excès
du totémisme (p. 1 19), des fantasques imaginations de la mythologie
astrale (p. 126), et de l'opinion qui fait dériver du culte des morts
la croyance aux dieux vivants (p. i3i) et signalons à ceux qui croient
que la civilisation, la morale et l'Etat reposent sur la religion et la
croyance aux dieux, les pages 146-152 où il a fortement réfuté cette
erreur.
La traduction de M, David est fidèle : je dirai volontiers qu'elle
l'est trop. La phrase de M. Meyer est périodique, souvent chargée de
parenthèses qui l'alourdissent et il est impossible de l'habiller à la
française sans en modifier un peu la conformation. Je souhaite que
les traducteurs des volumes suivants se pénètrent de cette idée et ne se
croient pas obligés de calquer la phrase allemande '.
C. FOSSEY.
Raymond Weilu, Les Décrets Royaux de l'Ancien Empire Egyptien. Etude
sur les décrets royaux trouvés à Koptos au cours des travaux de la Société
française des Fouilles archéologiques (campagnes de 1910 et 191 0 et sur les
documents similaires d'autres provenances, Paris, P. Geuthner, 1912, 11 i p. et
12 pi. dont 4 en phototypie.
M. Weill publie, traduit et commente les décrets qu'il avait trouvés
à Coptos en 19 10, pendant les fouilles entreprises en commun avec
A.-J. Reinach. Il en donne les textes en transcription linéaire, en pho-
tographie, en impression hiéroglyphique, et les rapprochant des
documents du même genre que l'on connaissait déjà, il les élucide
de façon très satisfaisante. La découverte marche si vite que d'autres
monuments sont sortis de terre depuis lors, très mutilés malheureu-
sement, d'abord des morceaux de décrets provenant de Coptos même
et qui, volés au cours ou à la suite des travaux, sont apparus brus-
quement sur le marché de Louxor, décrets de Pioupi II et d'un
autre Pharaon, qui, si je lis bien ce qui reste de son nom d'Horus,
est Nafarkaouhorou de la VIII^ dynastie, ensuite des débris qui
semblent avoir appartenu à un décret de la V« dynastie. Il est ques-
tion dans l'inscription de Nafarkaouhorou d'une princesse Nabit,
dont je ne saurais dire encore si elle était contemporaine du souve-
I. P. 2, 1. 5 du petit texte : « Tout langage que nous puissions reconstruire ». —
P. 25, 1. 7-8 : Trogodytes. — P. 85, 1. 20, lire : de mainte coutume. — P. 86, 1. 7 :
<i ridée de nationalité {Nationalitdt) », parenthèse inutile. — P. 177, 1. 26 et 27 :
leur, leurs. — P. 182, 1. 7, lire : la forme où ils se réalisent. — P. 240, 1. i : « dès
aussitôt après son apparition » est sans doute un mot à mot de Toriginal allemand
que je n'ai pas sous les yeux; « dès son apparition » aurait suffi.
d'histoire et de littérature 223
rain ou antérieure. Je regrette que M. Weill n'ait rien eu de tout
cela : il y aurait rencontré plusieurs de ses formules, et son recueil en
aurait été plus complet. Disons bien vite qu'il n'y aurait rien appris
de nouveau ; les renseignements qu'il en aurait tirés auraient unique-
ment contirmé ce que ses propres monuments lui avaient appris.
Comme beaucoup des actes juridiques que nous possédons de
l'empire memphite, la plupart de ceux-ci se rapportent à l'entretien
ou à la constitution de tpakfs, fondés près d'un temple, ici le sanc-
tuaire du dieu Mînou de Coptos, au bénéfice d'un Pharaon et pour
assurer la perpétuité de son culte. Les wakfs formaient une vraie
personne civile, à laquelle le donateur assignait, avec un nom, des
domaines que leur affectation spéciale exonérait des charges affé-
rentes à la propriété ordinaire. Ils étaient exempts d'impôts et de
charges, ou plutôt les impôts et les revenus en étaient appliqués exclu-
sivement aux besoins du dieu et du mort auxquels ils avaient été attri-
bués. Ils ne devaient au fisc pharaonique ni la capitation, ni les corvées
pour la réfection des canaux et des digues, ni les réquisitions pour
les travaux de l'agriculture, pour la rentrée des contributions, pour le
transport des pierres, ni les prestations dues aux messagers et aux
employés royaux qui les traversaient. Les gens qui les peuplaient ne
pouvaient en être retirés que dans le cas où un individu, les récla-
■ mant comme sa chose, établissait légalement par écrit la validité de
ses droits : ils étaient les serfs du yvakf, et, en cette qualité, nul, ni
Pharaon lui-même, n'était autorisé à les distraire de leurs occupa-
tions normales aux champs ou à la ville. Leurs enfants recevaient en
échange de leurs services une part du revenu, nous dirions un salaire
proportionné à celui de leurs parents. Il était d'ailleurs défendu au
na\ir du w^aAy d'appeler des gens du dehors pour faire la moisson, ou
de les admettre au bénéfice des répartitions qui avaient lieu aux fêtes
célébrées en l'honneur du dieu patron et du fondateur : les serfs,
supportant les charges, devaient seuls bénéficier des privilèges qui les
compensaient. Toutes les conditions ne sont pas énoncées dans nos
chartes : il y en avait de droit courant qui n'avaient pas besoin d'être
indiquées expressément, au moins sur les stèles de surface néces-
sairement restreinte par lesquelles on commémorait la fondation des
luakfs. Aussi les documents ne sont-ils pas aussi longuement déve-
loppés l'un que l'autre : assez souvent, on n'y déchiflVe que les clauses
qui stipulaient les points. principaux des intentions exprimées par le
donateur. Il ne faut pas nous dissimuler d'ailleurs que, telles pré-
cautions qu'on prît pour assurer la durée de ces contrats, la plupart
d'entre eux devenaient caducs au bout de peu de temps. Si un Pha-
raon ou un seigneur sans scrupule ne dépouillait pas du même coup
le fondateur et le dieu, le dieu lui-même oubliait le fondateur et il
accaparait pour ses propres besoins la part de celui-ci. Les souve-
rains dévots essayaient par intervalles de remédier à ces abus : ils
•>24 REVUE CRITIQUE
icnouvclaicni le rescrii anicricur, ils cii confirmaient ou ils en ampli-
fiaient les données, et ils le remettaient en vigueur. Une des pièces
de M. W'eill contient une sorte de satisfecit décerné par Nafar-
kaouliorou à un otiicier qui avait bien administré son wakj de
(2optos. Une autre me parait contenir un rescrit d'Ouazkariya (IX*
ou X'' dynastie), à l'etlet de continuer le walif de l'un de ses prédé-
cesseurs, Pioupi 11.
M. Weill a eu du mérite à traduire ces pièces comme il l'a fait. Il
n'avait guères pour l'y aider que les essais préliminaires de Moret et
de Borchardt sur quelques documents analogues, et bien que ceux-ci
fussent déjà très louables, toutes les difficultés n'y étaient pas résolues.
J'ai noté i,-à et là de ces méprises singulières qu'on rencontre dans ses
ouvrages précédents, comme d'avoir méconnu le titre sacerdotal iat-
natar, mari-natar « le père du dieu, ami du dieu » et de l'avoir tra-
duit <c l'aimé de la divinité » et « l'aimé de la déesse et du dieu ' »,
mais le cas est rare heureusement. Un reproche plus sérieux serait de
n'avoir pas toujours serré d'assez près la phrase égyptienne et de
s'être contenté de iradactions un peu vagues dont le rapport avec l'ex-
pression de l'original n'est pas évident du premier coup d'œil ; tou-
tefois comme le plus souvent, elles sont exactes dans le gros, l'in-
convénient n'est réel que pour TEgypiologue qui désirerait savoir
minutieusement par quelle analyse de grammaire elles ont été obte-
nues. En somme, la valeur de chacune des pièces a été déterminée de
la façon la plus claire, et les conséquences qu'on peut déduire d'elles
pour la connaissance du droit religieux et civil ont été exposées avec
soin. Les formules ont été décomposées heureusement, et le lien par
lequel chacun des membres se rattache aux autres pour former la
longue période du style juridique a été mis en évidence avec beaucoup
de clarté. Ce qui frappe quand on les lit, c'est le long passé de légis-
lation raisonnée que ce formulaire suppose. J'ai pensé toujours,
depuis la découverte du Code (iei/a;72;«oz<;-tTZ'/,que les Egyptiens avaient
possédé une jurisprudence aussi savante que celle des Babyloniens,
mais tandis que les Babyloniens employant la pierre ou la brique
avaient assuré une presque indestructibiliié à leurs lois, les Codes
Egyptiens, tracés sur cette matière fragile qu'est le papyrus, avaient
péri très probablement sans retour : nous n'arriverions qu'à en réta-
blir des parties par le moyen des actes officiels gravés sur pierre. Cette
hypothèse se justifie de jour en jour, et la bonne fortune qu'ont eue
MM. Weill et Reinach à Copios nous confirme dans l'idée que l'Egypte
n'était pas moins docte en jurisprudence que la Babylonie, dès l'âge
memphite. Il a fallu des hommes d'affaires ou des légistes instruits
par une longue tradition des finesses du métier pour rédiger aussi
habilement, pour enchaîner avec tant de précision les clauses de ces
I. P. 59, 82-83-84.
d'histoire et dk littérature 225
chartes consiiiuiives. Aujourd'hui encore, le tellah et le bourgeois
égyptien ont l'esprit juridique, même poussé jusqu'à la chicane, et
nul ne s'entend mieux qu'eux à composer une n'akjïéh qui lie solide-
ment les personnes ou les établissements en faveur de qui elle est
écrite : c'est une qualité, — et souvent aussi un défaut, — qu'ils ont
hérité de leurs ancêtres pharaoniques.
Et ceci m'amène à dire par quels endroits je suis tenié de ne pas m'ac-
corder avec M. Weill, et avec la plupart des Egyptologues dans la
conception qu'ils se font des personnes mentionnées et des matières
abordées dans ces décrets. Depuis quarante-cinq ans à peu près que
le Code Civil a été promulgué en Egypte, son application n'a pas été
sans modifier l'esprit du peuple, et l'on commence à prévoir l'instant
où rien ne subsistera de ce qui fut le statut personnel des Egyp-
tiens et la constitution de la société aux siècles passés : on n'aura plus
pour les étudier que les volumes de la Description de VEgypte, et les
ouvrages qui l'ont complétée. Les Egyptologues n'ont pas vécu assez
dans les provinces pour s'y être familiarisés avec le peuple et ses
manières de penser ou de vivre : ils se figurent presque invinciblement
un état social semblable au nôtre, et, machinalement, ils interprètent
les textes antiques selon les conceptions européennes. Voici, pour
l'exemple, deux mots, maroii et sarou, qui y reviennent fréquemment.
J'avais traduit saroii par notables et Moret avait adopté cette traduc-
tion, mais par la suite Edouard Meyer, s'appuyant sur une inscrip-
tion de Déîr-Gebraouî, dans laquelle un personnage se vante d'avoir
attiré chez lui les marou d'autres nomes, si bien qu'ils devinrent des
sarou, avait déclaré que les sarou étaient la classe des propriétaires
libres. M. Weill se range à cet avis, et commentant d'autres passages
qui complètent celui-ci, il en vient à considérer les sarou comme les
juges de l'homme libre en général et constituant « une sorte d'arbi-
« trage communal, fonctionnant en permanence dans la localité avec
u l'assentiment et sans doute avec le concours des autorités supé-
« rieures : cela est tout à fait analogue à ce qui a existé en Egypte à
« toute époque ». Par contre, les marou « forment la classe sociale
« immédiatement inférieure », et « ne peuvent être que les tenan-
a ciers, ceux qui vivent sur les terres prises à ferme et qu'ils font
« valoir ». C'est à peu près cela, et pourtant, qui entendra les asser-
tions de M. Weill dans le même esprit qu'il les a entendues lui-même,
n'aura pas la vision précise de ce qui se passait dans l'Egypte des
Pharaons. Sans entreprendre ici une démonstration qui serait trop
longue, je dirai, que dans ce pays féodal où le sol entier appartenait
au maître, roi, dieu, baron, cette distinction entre propriétaires et
fermiers n'était pas ce que nous imaginons : les particuliers tenaient
leur droit du maître qui pouvait les dépouiller à tout moment. Qui-
conque n'était pas maitre à un titre quelconque, sacerdotal, militaire,
'■ ! princier, royal était un marou, mais entre les marou, certains par
2'20 RKVUK CRITIQUE
leur naissance, par leurs alliances, par leur fortune, par leur sagesse
par leur âge, avaient acquis une autorité sur les gens parmi lesquels
ils vivaient : c'était ceux-là qu'on appelait les savon, les méchéikh de
l'Egypte présente. Qqs saroii étaient les vieillards et les notables qui
s'assemblaient aux portes du village les Jours de marché, et devant
lesquels on plaidait les affaires privées de la communauté. Ils étaient
par leur position les intermédiaires entre leurs concitoyens moindres
et les pouvoirs établis, mais sans que cela eût rien d'officiel : quand
ils faisaient défaut, d'autres les remplaçaient e/2 saroii [niti me-saroii).
Il n'y a là .ni la rigueur hiérarchique, ni l'organisation officielle
qu'Edouard Meyer et après lui M. Weill ont supposé avoir existé.
Lisons donc le mémoire de M. Weill avec cette restriction, et ne
marchandons pas l'éloge aux bonnes choses dont il est plein. M. Weill,
qui s'est formé presque seul, éprouve quelquefois de ces défaillances
que des savants moins bien doués mais dressés par leurs maîtres aux
finesses du métier ne ressentent que rarement. Il y en a moins dans
ce volume qu'il n'y en avait dans les précédents : encore un effort
et dans le prochain mémoire, il n'y en aura plus du tout.
G. Maspero.
Hermann Jlnker, Bericht iiber die Grabuugen der K. Akademie der Wis-
senschaften in Wien, auf dem Friedliof in Turah, Winter 1909-1910,
(forme le premier fascicule du t. LVI des Denksckviften der K. A. der Wissens.
in Wien, Pliilosophisch-Historische Klasse). Vienne, A. Holder, 191 2, in-4°, vii-
99 p. 5i planches, i plan et 88 vignettes dans le texte.
C'a été un début des fouilles autrichiennes en Egypte et un début
particulièrement heureux. Les cimetières explorés par le D"" Junker
appartiennent à cet âge archaïque dont nous soupçonnions l'existence
il y a vingt ans, sans la connaître encore par des monuments certains.
Le nom royal découvert dans les plus anciens est celui du Pharaon
Scorpion, qui serait le prédécesseur immédiat de Menés et le dernier
des souverains qui régnèrent sur la Haute-Egypte seule. Je ne m'y
oppose pas, et il est fort possible qu'il en ait été ainsi, mais l'assu-
rance avec laquelle Pétrie, Sethe et d'autres ont classé ces personnages,
selon les indices très instables que l'étude des nécropoles nous fournit,
m'a toujours surpris, et sans repousser les conclusions auxquelles ils
arrivent, J'ai préféré attendre pour les accepter fermement que d'autres 1
documents vinssent les confirmer. La découverte de Junker me laisse '
aussi perplexe que devant, et je me borne à constater d'une manière
générale qu'elle nous reporte aux premiers siècles de la monarchie,
soit que le prince Scorpion ait précédé Menés, soit qu'il l'ait suivi : l'ave- |
nir nous fournira peut-être les moyens d'introduire plus de préci-
sion dans la chronologie de ces temps lointains.
L'ouvrage de Junker n'est pas de ceux dont on rend compte en
quelques lignes : il est tout de détails minutieusement observés. La
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 227
description des tombeaux y est d'une exactitude irréprochable, et des
vignettes semées dans le texte ou des planches remédient à ce qu'elle
pourrait avoir de moins bien défini sur certains points. On y voit les
morts couchés dans leur trou ou dans leur caveau de briques, entourés
de leur propriété funéraire, pots en terre dans les plus anciens, pots
en albâtre chez les plus récents, ceux qu'on peut attribuer à la pre-
mière, à la seconde ou à la troisième dynastie. Les cinq cent quatre-
vingt-deux tombes qui furent ouvertes l'une après l'autre sont énu-
mérées et le contenu indiqué sommairement : à lire le mémoire avec
attention, on se trouvera aussi bien renseigné que si Ton avait assisté
à la fouille. Une assez longue étude a été consacrée aux squelettes
par le D"" Derry, et elle a confirmé les données archéologiques par
l'anthropologie. Junker, frappé par l'identité des formes qu'il a décou-
vertes et de celles que Morgan, Pétrie, Rcisner ont observées dans les
tombes du Saîd, en tire cette conclusion que, de la première cataracte
aux carrières de Tourah, la population de la vallée et sa civilisation
était une : j'y souscris d'autant plus volontiers que je l'ai toujours
pensé. J'irai même plus loin, et j'ajouterai qu'elle n'était pas une dans
le royaume du Sud seulement mais dans la plus grande partie du
royaume du Nord. Bien que nous ne possédions pas encore de cime-
licre héliopolitain vraiment antérieur à l'époque historique, la diffu-
sion des doctrines religieuses d'Héliopolis sur la vallée entière, dès
avant Menés, prouve assez l'homogénéité de la population civilisée
du Delta et de celle du Saîd. Il ne peut y avoir de doute qu'au sujet
des tribus réfugiées dans les marais de la côte : peut-être celles-là con-
tenaient-elles encore des éléments non assimilés à la masse de la
nation.
G. Maspero.
G. LampakIs. 0'. Értà àaTs'pô; rr,? 'Azo'/.a>>'j'}£(o;, t'iTOi '.jTopta, ipv.TZ'.x, |i.vïitx£ra, xai vûv
xa-:â7Txa''.î tûv i-icxà £X7c7*T|atwv tt,? 'Acia;, 'E9ÉTOU, SjiûpvTi^, nspyâfjiou, ©uaxsipuv, Sxp-
Sîwv, <l>i)>a5£>v'f ïîa; y.aî Aaoo'.y.cîa;, ~ap' fi Ko).07Jxl vtal Upi-o'}.'.^. Athènes, Tzavcllas,
1909; r'.^yG p.
Ce livre se présente comme une interprétation historique des trois
premiers chapitres de l'Apocalypse. Selon l'auteur, tout ce que saint
Jean a prédit aux sept églises d'Asie (les sept astres) s'est accompli à
la lettre : Smyrnc et Philadelphie vivent et fleurissent sur leur empla-
cement antique; Pergame et Thyatire subsistent encore, mais sont à
quelque distance de leur ancienne situation; Ephèse ruinée se relève
à peine; Sardes et Laodicée sont entièrement détruites; ce sont deux
astres éteints. Parti de Paimos, M. Lampakis a visité successivement
les sept villes ; il dit bien quelques mots sur les ruines et sur les
monuments antiques; mais ce qui l'intéresse surtout, ce sont les
monuments chrétiens, les souvenirs des premiers temps du christia-
nisme, et le développement des communautés orthodoxes. Chaque
228 REVUE CRITIQUE
chapitre, consacre à l'une des sept villes, porte en épigraphe les ver-
sets de l'Apocalypse qui la concernent, et s'ouvre par un résumé his-
torique où M. L. cite brièvement les impressions des explorateurs
modernes, suivi de la description, bien imparfaite, de quelques ruines
antiques; il se termine par de longs développements sur les églises et
les chapelles, ruinées ou non, agrémentés de réflexions pieuses,
d'élans de dévotion et d'anecdotes personnelles dont la naïveté fait
quelquefois sourire même ceux qui savent combien les Grecs sont
attachés à leurs croyances religieuses. Un exemple montrera, mieux
que tout ce que je pourrais dire, quel est le ton général de l'ouvrage :
« Au moment où je photographiais ces ruines (le temple de Zeus à
Pergamc\ un prêtre se trouvait là ; à ma prière, il monta au sommet,
symbolisant en quelque sorte le trophée victorieux du Sauveur, et
ainsi j'ai photographié le représentant de Jésus, foulant aux pieds
l'erreur de la religion ancienne (p. 276) ». M. L. ne nous fait grâce
d'aucune des allocutions qui furent prononcées par lui ou par d'autres
à son arrivée et à son départ, d'aucune des cérémonies religieuses aux-
quelles il assista, d'aucune des réflexions qu'il écrivit et même que sa
main écrivit pour ainsi dire toute seule, obéissant à je ne sais quelle
mystique influence (p. 11 3). Le volume est illustré de nombreuses
figures, esquisses et photographies, médiocres pour la plupart. En
somme, l'ouvrage a été composé à un point de vue beaucoup plus
religieux que scientifique ' ; le lecteur y trouvera quelques détails
intéressants sur les communautés grecques d'Asie-Mineure ; il verra
combien l'idée grecque est demeurée vivace dans ces populations,
dans celles, cela s'entend, qui pratiquent l'orthodoxie ; mais l'archéo-
logue glanera peu d'observations utiles dans ce récit confus et
dépourvu de critique. Remarquons toutefois que M. Lampakis a pris
soin de relever toutes les inscriptions modernes, même en langue
turque, qui se trouvent dans les églises, et qu'il rapporte quelques
traditions populaires dont le folkloristc pourra faire son profit.
My.
Urkunden Friedrich Rotbarts in Italien, sechste Folge, von Henry Simonsfeld.
Mûnchen, Akademic der Wissenschaficn yFrantz) igri, 43 p. 8".
Dans ce mémoire extrait des Sit\iingsberichte de l'Académie royale
de Munich, M. Simonsfeld rend compte d'une série nouvelle de cin-
quante-sept nouveaux diplômes et chartes, relatives à l'histoire de
Frédéric I Barberousse, qu'il a découverts ou retrouvés au cours
d'un récent voyage scientifique en Italie, dans les archives de Ber-
I. Cf. les aciions de grâces (Eù/apistiat T.atôv sU xôv Kûpiov) rendues au Seigneur
vers l;i fin du volume (p. 437-439), où M. Lampakis remercie Dieu d'avoir permis
qu'il visitât les sept villes, et affirme de nouveau l'exactitude des prédictions de
l'Apocalypse.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 229
game, Bologne, Brescia, Lodi, Milan, Modène, Parme, Pavie, Plai-
sance, Turin, Verceili et Vérone. Cette série fait suite à cinq fasci-
cules analogues que le savant éditeur a publiés sous le même titre, de
1905 à 1909. Il a publié en leur entier les textes inédits et relevé les
variantes dans les documents qui avaient été mis au jour précédem-
ment.
E.
Urkundenbuch der Stadt Liibben. I r^)and : Die Lubbener Stadtbt'icher i382-
i526, herausgegeben von Wai.di-mau Lippert. Dresden, von Baenschstiftung,
191 1, LUI, 233 p. 4".
Liibben est une petite ville prussienne d'environ 7000 âmes, située
dans la régence de Francfort-sur-l'Oder, et a fait partie jadis du
margraviat de la Basse-Lusace. Les Etats provinciaux ont voté, il y
a quelques années, la publication d'un Cariulaire général des localités
de la région et un premier volume, renfermant le Cartulaire du cou-
vent de Neu\elle, a été publié en 1897. Le second volume de la collec-
tion inaugure le Cartulaire de la ville de Liibben et renferme les
recueils officiels des Actes (contrats, comptes communaux, règle-
ments, etc.) de la municipalité, tels qu'ils ont été compilés au cours
des siècles. De ces Stadtbiiclier, le premier embrasse les années i382-
1473, le second, les années 1473- 1 526, avec des additions qui le pro-
longent, chronologiquement, jusqu'en i588; inais les Etats provin-
ciaux, dans le programme tracé pour ces publications, ont fixé comme
date terminale officielle l'année i526. L'éditeur, M. Waldemar Lip-
pert, a fait précéder ces textes ' d'une introduction d'une quarantaine
de pages, qui traite des Stadtbilcher de la Basse-Lusace en général et
de ceux de Lùbben en particulier ; il analyse et décrit les différents
manuscrits, en apprécie l'importance au point de vue juridique et la
valeur scientifique, avec une compétence bien connue de ceux qui
s'occupent de l'histoire de la région saxonne et de celle de la maison
de Wettin. On ne trouvera presque rien dans ce volume pour l'his-
toire politique générale de TAllcmagne à cette époque et peu de
chose même pour l'histoire provinciale, l'importance de la cité étant
trop mince pour fournir grands matériaux aux narrateurs modernes;
mais on y peut étudier de près les conditions économiques de la vie
privée d'une petite localité vers la fin du moyen-âge; on y suit faci-
lement les intérêts particuliers des bourgeois, leurs affaires indus-
trielles et commerciales ; on est mis au courant de leurs emprunts
et de leurs rentes, de leurs testaments et de leurs héritages et l'on
pourra recueillir dans le volume de M. L. plus d'un détail intéres-
I. Ces textes ne sont pas d'ailleurs eniiércinent inédits; ils ont été utilisés déjà
par les historiens locaux, par exemple par .1. W. Neumann, Aan?, ?,on Histoire de
Liibben (184O-1857).
23o REVDE CRITIQUE
sani pour l'histoire du droit local et de la civilisation saxonne de la
fin du xiV au conimencemeni du xvi" siècle '.
A la Hn de ce volume se trouvent un appendice géographique sur
les lieux dits des environs de Lubben (p. 189-208) et à Liibben même,
ainsi qu'une table des matières et des noms de personnes.
R.
Commentaires de Biaise de Monluc, marcclial tic France, édition critique
publiée et annotée par Paul Courtiîault, professeur à l'Université de Bordeaux.
T. I, Paris, A. Picard et fils, 191 1, XIX, 423 p. 8°, carte. Prix : 10 fr.
Souvent réimprimés depuis que Florimond de Raemond les mit au
jour en \b()2,\QsCommentaires de Biaise de Monluc ont été, de notre
temps, étudiés surtout dans l'édition qu'en a donné M. Alphonse de
Ruble, de 1864 ^ 1867, d'après deux transcriptions, Tune complète,
l'autre fragmentaire, d'un manuscrit de la Bibliothèque Nationale
(fonds français 5oii), provenant de la bibliothèque du président
J.-J. de Mesmes. En comparant ces textes avec Timprimé original,
M. de Ruble a constaté que Florimond de Raemond avait fait cer-
taines coupures et changements au manuscrit ; ces changements s'ex-
pliquent aisément par le fait que Monluc, au moment de sa mort
(1577) ne pouvait prévoir que l'hérétique roi de Navarre deviendrait
un jour roi de France et qu'il a donc parlé de lui en termes qui sem-
blèrent risqués au premier éditeur. D'ailleurs ces deux manuscrits
représentent une rédaction antérieure à celle de l'édition originale.
De 1571 à 1576, Monluc a beaucoup ajouté à ses dictées primitives.
On constate aussi beaucoup de retouches de style dans le texte de
Florimond de Raemond, dont on ne sait au juste si elles proviennent
du parlementaire bordelais ou s'il faut les attribuer au maréchal lui-
même. En tout cas, M. de Ruble a constitué un singulier textiis
receptus avec les éditions précédentes (dont celle de Buchon) et les
textes de la Nationale, « amalgame perpétuel, impossible à contrôler,
du texte de la vulgate et des manuscrits » (p. xiv). M. Courteault,
dont la thèse de doctorat [Monluc historien, étude critique sur le
texte et la valeur des Commentaires, Paris, 1907), a été si justement
remarquée, était appelé, plus que tout autre, à nous donner de ce
récit si souvent cité, si souvent lu même encore aujourd'hui, grâce à
la vivacité gasconne du narrateur, une édition vraiment critique avec
les variantes des différents manuscrits.
Le premier volume de l'édition de M. Courteault vient de paraître
dans la Collection de textes pour servir à Vétude et à renseignement
de Vhistoire. Il comprend, outre le « Préambule à Monseigneur »,
les deux premiers livres des Commentaires, consacrés aux campagnes
I. Je citerai, comme exemple (p. 174 et suiv.) les pièces relatives au procès fait
à un nommé Eisenfûrer, sa femme et sa fille Anna, pour actes de sorcellerie et
fabrication de philtres bien malpropres.
d'histoire et de littérature 23 I
d'Italie (i52i-i553; et s'arrête en septembre i553, au retour de
Monluc en France. L'éditeur a joint au texte des notes substantielles
et abondantes et nous souhaitons qu'il mène rapidement son utile
travail à bonne fin.
R.
Charles Bratli, Philippe II d'Espagne, Etude sur sa vie et son caractère,
préface de M. Baguenault de Puchesse, correspondant de l'Institut Paris,
Honoré Champion, 19 12, 3oo pages in-8% portraits.
Nous avons rendu compte* de l'original danois de M. Bratli dans
la Revue critique du 3o juin 19 10 et signalé les recherches conscien-
cieuses de l'auteur dans les dépôts d'archives et parmi les sources
imprimées, peu connues ou très oubliées de l'Espagne d'alors. Nous
avons caractérisé également l'apologie hardie qu'il y fait de Philippe II,
d'après les procédés à la mode, employés par tant de « réhabilita-
tions » contemporaines. Il est donc inutile d'y revenir plus longue-
ment ici. Peu de personnes en France étant capables de lire un
ouvrage écrit en danois, on comprend que le livre du savant de
Copenhague ait été traduit dans notre langue. M. Baguenault de
Puchesse a mis à cette traduction anonyme quelques pages d'intro-
duction, 011 il fait la part très large aux circonstances atténuantes
pour certains actes du monarque ', sans oser pourtant approuver
jusqu'au bout l'apologie du savant danois et son admiration quasi-
ment aveugle pour Philippe II \
R.
Edouard Rott, Histoire de la représentation diplomatique de la France auprès
des cantons Suisses, de leurs alliés et de leurs confédérés. Totne IV
(1626-1635), deuxième partie : L'affaire de la Valteline, III« partie (i633-i635).
Paris, Félix Alcan, 191 1, 432 p. in--4". Prix : 8 fr.
Ce nouveau demi-volume de l'ouvrage de M. Edouard Rott sur
l'histoire de la diplomatie française en Suisse, termine le qua-
trième tome de cette importante publication qui n'intéresse pas seu-
ment la politique de la France et celle des cantons helvétiques, mais
encore, et très directement, l'histoire des Etats de la péninsule ita-
lienne, celle de l'Espagne et celle du Saint-Empire. Nous avons, à
plusieurs reprises déjà, signalé les mérites du grand ouvrage de
M. Rott \ l'abondance extraordinaire de matériaux nouveaux, réunis
par lui dans tous les dépôts d'archives de l'Europe, la lucidité d'une
1. C'est ainsi qu'il déclare « admissible » la prime offerte et donnée pour
l'assassinat du prince d'Orange, et admet que la mort « peu naturelle » de don
Carlos fut une « mesure de précaution » jugée nécessaire par les contemporains.
2. Tandis que M. Bratli célèbre en Philippe l'excellent père de famille et l'homme
d'intérieur, l'auteur de l'introduction accorde qu'il avait « nombre de maîtresses »,
etc.
3. Voy. R. Cl-, du 22 avril 1907 et du 22 décembre 191Ô.
232 REVUE CRITIQUE
exposition qui ne s'embrouille jamais dans le labyrinthe de ces
contestations qui renaissent sans cesse, la sérénité calme avec laquelle
il juge les conflits politiques et religieux du temps, la connaissance
parfaite qu'il a des plus petits détails de son sujet. Ce sujet (du moins
celui des derniers tomes) est en apparence restreint ; mais en réalité,
depuis, qu'à la (in du xvr siècle, s'est posée la question de la Valte-
line et des Grisons, il embrasse l'une des questions les plus brûlantes
de la politique du jour et devient d'un intérêt majeur pour l'Europe
occidentale tout entière.
Le présent demi volume n'embrasse que les deux années écoulées
depuis le printemps i633 jusqu'à l'entrée des troupes françaises, aux
ordres de Rohan, dans la vallée de l'Adda, en avril i635. C'est à ce
moment que commencent les hostilités directes entre la France et la
maison d'Autriche. La politique, si souvent tortueuse, de Richelieu,
se montre, dans les affaires des Grisons et de la Valteline, par moments
plus maladroite qu'on n'est disposé d'ordinaire à l'admettre de la part
d'un génie politique de premier ordre. C'est contrairement aux sages
avis de Rohan (qu'au fond du cœur il ne cesse de considérer comme
suspect) qu'il laisse pénétrer les Espagnols du cardinai-infant à
travers la Valteline et c'est donc le cardinal en personne qui est res-
ponsable, en définitive, de la défaite des armes protestantes à Noerd-
lingen (sept. 1634), défaite si nuisible tout d'abord à la France.
Quand on suit les alternatives de disgrâce et de rappel au service par
lesquelles passe le duc de Rohan, les avanies indiscrètes, les manque-
ments de parole que lui infligent les diplomates de Louis XIII accré-
dités en Suisse et près des Ligues, on s'étonne vraiment que le
dernier chef des huguenots ait consacré jusqu'au bout son zèle et ses
talents à la cause royale, alors qu'on faisait si peu pour encourager
un sujet désormais si fidèle.
Il est vrai de dire que la situation intérieure des cantons helvé-
tiques rendait malaisée l'observation d'une ligne de conduite détermi-
née, toujours la même. Les dissensions confessionnelles entre les
confédérés étaient continuelles et le plus souvent aiguës ; les instruc-
tions des envoyés de la couronne parfois vagues, parfois même contra-
dictoires. On devait à la fois lutter contre l'influence espagnole,
prépondérante à Lucerne ', mais on se défiait également des cantons
protestants, et nombre des personnages accrédités, passagèrement ou
à poste fixe, à Soleure et à Coire, étaient plutôt favorables à une
politique franchement catholique '.
1. Le comte Carlo-Emmanuele Casati, qui y fut représentant de Philippe IV
d'Espagne, de 162g à 164?, était un adversaire aussi habile que peu scrupuleux.
2. Quelques-uns de ces diplomates ont d'ailleurs pris, à certains moments, une
attitude plutôt indépendante des ordres de leur cour, à moins qu'on ne veuille
admettre qu'ils agissaient en vertu d'injonctions secrètes et qu'on se réservait de
les désavouer ensuite, les circonstances étant changées.
d'histoire et de littérature 233
Le volume se termine par une triple table, très détaillée, table des
matières (p. 241-293), tabie ^e.*f }wms de lieux (p. 294-326;, des noms
de personnes (p. 327-432), qui facilite énormément les recherches
dans cet amas de faits si touffu.
R.
Les grands problèmes de la politique intérieure russe, par René Marchand,
Paris, Alcan, 191 2, in-i6, xxxi et 265 p., plans, 'î fr. 5o.
Deux Républiques (France et Suisse), par un I^iplom atk, Paris, Berger-
Le\rault, i()i2, in-12, xf et ?i2 p., !^ fr. 5o.
La Jeune-Turquie et la Révolution, par A. Sarron, Paris, Berger-Lcvrault,
i()i2, in- 1(3, vil et ^hS p., !^ fr. 3o.
La vie politique dans les Deux Mondes, 5' année (l'^f octobre igio-So sep-
tembre iQ!')' publiée SOUS la direction de A. Viai.late et M. Caudei., Paris,
Alcan, 19 12, in-8°, 652 p., 10 fr.
En France on suit avec intérêt la transformation de l'autocratie
russe en monarchie constitutionnelle : mais en général on y connaît
assez mal la véritable situation de l'empire, et on accueillera avec
faveur le livre de M. Marchand, correspondant du Figaro à Saint-
Pétersbourg. Celui-ci, familiarisé avec le pays par un séjour déjà long,
a tenté non d'écrire un ouvrage d'ensemble sur la Russie, mais d'étu-
dier quelques problèmes importants de politique intérieure. Le pre-
mier est la question agraire : comme le dit M. M., le cas de la Russie
est particulièrement intéressant et instructif. puisque c'est un exemple
saisissant de la faillite du collectivisme dans une société moderne et
du danger des utopies sociales. I^a responsabilité de la création de la
propriété collective en Russie incombe aux réformateurs de 1861,
imbus de théories philosophiques, et désireux de prévenir avant tout la
formation d'un prolétariat rural. Donc, lors de l'émancipation des
serfs, les terres qui leur étaient destinées, furent remises aux com-
munes et morcelées à l'infini afin que chaque paysan possédât un
échantillon égal de toutes les bonnes et les mauvaises, et l'on arriva par-
fois à diviser des champs en bandes d'un mètre de largeur sur plusieurs
kilomètres de longueur. Les cultivateurs, possesseurs précaires du
sol, reculèrent devant les travaux d'amélioration parce qu'ils n'avaient
pas la perspective de recueillir eux-mêmes les fruits de leur labeur.
L'agriculture souffrit cruellement et la misère devint générale. Un des
premiers soins du nouveau gouvernement fut d'offrir aux paysans la
faculté de transformer leur possession en propriété et de combattre le
morcellement exagéré. Les lois du 9 novembre 1906 et du 14 juin 1910
y pourvurent. M. M. en explique le fonctionnement et en commente
les heureux résultats. Il expose ensuite la réforme des tribunaux
locaux, l'organisation du village, du canton ou voloste, et enfin du
district administré par un zemstvo. La principale critique à faire à
cette belle organisation provinciale, c'est d'être fondée sur la distinc-
tion des classes; mais déjà le Parlement étudie les moyens de donner
2 34 REVUE CRITIQUE
pour bases au recrutement des assemblées locales la propriété immo-
bilière. Des zemsivos, M. M. est amené à traiter la question polonaise,
et, malgré son admiration pour le grand ministre Stolypine, il con-
damne sa politique nationaliste, injuste et rétrograde. Il démontre
qu'au contraire dans la question finlandaise tous les torts sont du
côté des habitants du grand duché qui se refusent égoïstemcnt à traiter
leurs compatriotes russes sur le pied de l'égalité . Il résume et loue la
reconstitution de l'armée et de la marine opérée de concert avec la
Douma parle général SoukhomlinotT et Tamiral Grigorovitch. Enfin
il passe en revue l'œuvre de la troisième Douma, et constate que cette
assemblée a rempli sa tâche et réalisé un progrès décisif. Pendant
que ces pages s'imprimaient l'assassinat de Stolypine a fourni à
M. Marchand l'occasion de rappeler la carrière et l'œuvre de ce grand
homme d'état, dont le successeur, M. Kokovtsoff, suivra les traces.
Un diplomate en activité et qui conserve l'anonymat, publie une
étude comparative sur la France et la Suisse; en réalité il s'occupe
presque uniquement de la seconde pour laquelle il ne dissimule pas
sa sympathie. Il explique ses préférences en disant que la Suisse a
des mœurs républicaines que la France n'a pas encore. Il admire la
constitution démocratique des cantons qui se gouvernent par le
Landsgemeinde, assemblée du peuple en laquelle réside tous les pou-
voirs, et qui offre la plus grande analogie avec celle des républiques
antiques. Il reconnaît d'ailleurs que cet organisme ne saurait fonc-
tionner d'une manière satisfaisante que dans de toutes petites com-
munautés. Il se déclare partisan convaincu du référendum et met en
évidence les avantages de ce recours au peuple sans en atténuer les
inconvénients. Il porte aux nues la simplicité, la tolérance, les mœurs
des Suisses; mais cette simplicité n'est trop souvent que de la gros-
sièreté; le conseil que l'auteur donne à ses compatriotes (p. 127), non
de supprimer la liberté d'enseignement, mais de la suspendre Jusqu'au
jour où la nation française sera unie dans quelque forme de gouver-
nement, inspire quelque méfiance sur sa façon de concevoir la tolé-
rance ; quant aux mœurs enfin, il confesse que le vice existe en Suisse
sous toutes ses formes, mais qu'il est discret, qu'il a la pudeur de se
cacher. Le diplomate convient aussi que la liberté individuelle décroît
tous les jours en Helvétie; que les gouvernements peuvent user et
abuser du droit d'inquisition chez le particulier ; que celui-ci n'a
souvent d'autre ressource pour corriger le caractère vexatoire de
l'impôt que de frauder, licence qu'il s'accorde sans scrupules d'ailleurs.
Qu'avons-iious donc tant à envier a nos voisins? Peut-être de ne pas
connaître les divisions, les luttes de classes. La population suisse
semble se composer uniquement d'une bourgeoisie. C'est assurément
un grand avantage, mais non dépourvu de péril : les Suisses, réfrac-
taires aux travaux grossiers ou pénibles, manquent de gens de bras
et recourent aux ouvriers étrangers qui, un jour ou l'autre, consti-
1
d'histoirk et de littérature 23 5
tueront un prolétariat singulièrement dangereux pour l'existence
nationale. D'autre pan l'industrialisme a tue 4e rèvc, presque la
pensée de l'Helvétie (p. 269) ; la Suisse recherche le succès et non la
gloire, la fortune et non les hautes conceptions. Taine a comparé la
société à une forêt qui ne vaut que par ses arbres de hautes futaies,
il y en a très peu dans la Suisse contemporaine.
Les fonctions que remplit depuis plusieurs années le capitaine Sar-
ron, commandant dans la gendarmerie ottomane, lui ont facilité la
connaissance de la Turquie ; sa situation lui a permis de suivre de
très près l'es prodromes et le développement de la révolution ; son
témoignage semble donc précieux. Servant en Macédoine, il a pu fré-
quenter le 3"' corps d'armée, celui qui constitua la principale force
des Jeunes-Turcs, celui qui fut le véritable destructeur de l'ancien
régime. On était donc en droit d'attendre de lui des renseignements
intéressants sur les origines et les tendances du fameux Comité
Union et Progrès ; mais, ni en exposant les préparatifs de la révolu-
tion, ni en racontant la proclamation de la constitution, il n'apporte
du nouveau ou de l'inédit. En vérité, l'histoire de la réaction et des
combats qui entraînèrent la chute définitive d'Abdul Hamid est un
peu plus substantielle. Il termine par un résumé rapide et un peu
lâché des débuts de l'ère constitutionnelle et des lois votées durant
les trois premières sessions du Parlement turc. Il ne tarit pas d'éloges
sur le compte du mouvement jeune-turc, et son admiration pour le
comité Union et Progrès lui cache tous les défauts d'un régime qui a
substitué à la tyrannie d'un seul celle d'un parti et d'une société plus
ou moins occulte. Les événements actuels : l'élection de la Chambre
sous la pression éhontée du comité, l'indignation qu'elle a suscitée
partout, la rébellion des Albanais, la naissance de la ligue militaire,
l'arrivée au pouvoir d'un cabinet hostile aux jacobins turcs, lui don-
nent de cruels démentis. On ne lui reprochera pas seulement son
défaut de perspicacité, la picveniion de ses jugements, mais encore
l'absence de détails nouveaux. Les témoins oculaires ne sont pas tou-
jours et nécessairement des observateurs profonds et utiles,
MM. Viallate et Caudel publient pour la cinquième fois leur fasci-
cule annuel sur la vie politique dans les deux mondes. Pour celui-ci
comme pour les précédents ils ont groupé les collaborateurs les
mieux qualifiés, et le résultat obtenu fait le plus grand honneur à
tous. L'événement qui a dominé la vie de l'Europe pendant les douze
mois qu'embrasse ce livre, fut le conflit franco-allemand relatif au
Maroc. Les auteurs lui ont accordée la place exigée par son impor-
tance, mais auaun n'a parlé des négociations secrètes de M. Caillaux.
Cela montre assez que, quelle que soit la confiance que mérite en
général cet ouvrage, on n'y trouve pas tout, et qu'il ne faut y chercher
qu'un icsumé impartial des principaux faits de l'année.
A. BiovÈs.
236 RKVUE CRITIQUE
Aug. Abnaum;. Le Commerce extérieur et les tarifs de douane. Puris, !•'. Alcan,
191 1 . ln-8°, iii-33("' \\
11 est fâcheux que les économistes soient si dédaigneux de l'histoire
antérieure au xviir siècle. Ecrire que le « système protecteur a été
fondé en France par Colbert » est déjà assez hardi, même avec les
correctifs dont on accompagne cette affirmation. Mettre Montchré-
tien (le Traité esi de 161 5) après Sully (les Economies parurent plus
de 20 ans plus tard), oublier la personnalité si curieuse et l'œuvre de
Laffemas est plus grave. Il ne semble pas non plus qu'il soit aujour-
d'hui permis de parler de Colbert en ignorant les travaux de M. Mas-
son, ni du système mercantile anglais sans connaître ceux de
M. Cunningham.
Dans l'étude sur la réfutation du mercantilisme par les écono-
mistes du xviiie siècle, si un chapitre est consacré à Quesnay, Gour-
nay, beaucoup plus important à cet égard, n'est pas nommé, et au-
cune allusion n'est faite à son rôle si important au Conseil de
commerce. Turgot, mentionné comme minisire, ne l'est pas comme
théoricien. Suivant la tradition de l'école, tout l'honneur de la cam-
pagne est reporté à Hume et à Adam Smiih.
A partir du traité de 1786, l'ouvrage prend un caractère histo-
rique plus marqué. Cependant, le système continental est bien super-
hciellement étudié (aucune allusion à des travaux comme ceux de
M. Schmidt ; la seule source citée est Thiers), et l'on ne parle pas, sans
doute parce que cela serait gênant pour la théorie, des résultats indus-
triels du blocus.
On lira avec beaucoup plus d'intérêt l'histoire, plus récente, des
tarifs de 1881 , de 1892 et de 191 o. Ici, M. A. se trouve sur un terrain
qu'il connaît à fond. II y a là un exposé de la législation de la marine
marchande qui montre fort bien comment une protection mal enten-
due se retourne contre le protégé. Encore l'auteur n'a-t-il fait
qu'effleurer la question du monopole du pavillon.
H. Hr,
i
A. \V. HuMPHREv. A history of labour représentation. Londres, Constable, 191 2.
In-8", XX1-199 p.
Faire représenter au Parlement les ouvriers par des ouvriers, c'est
une idée qui a eu pour initiateur Stuart Mill, pour protagoniste
George Holyoake, et qui commence à se réaliser lors de l'élection de
1868. Elle aboutit successivement à la création d'un Labour group
dans le sein du parti libéral après la troisième réforme électorale, puis
à la création d'un Labour party. M. A. W. H., qui écrit cette histoire
avec l'ardeur d'un néophyte, prévoit comme terme prochain de ce
mouvement le triomphe d'un parti spécifiquement socialiste.
H. Hr
d'histoire ht de littérature 237
Guides artistiques et pittoresques des Pays de France, publiés sous la direc-
tion de L. l)iMii:i<. 1. i.:i Basse Normandie par !.. Dimier el R. Gobillot. Paris,
Delagravc, s. d. In-i8, 5o9 p. Une carte et des plans. Index.
Ces guides ne ressemblent à aucun de nos Joanne et de nos Baedeker.
Ce sont vraiment les compagnons des curieux de sites, d'histoire et
d'art, qui s'en vont sur les routes comme il faut y aller, à pied, et qui
veulent comprendre les pays qu'ils traversent. On trouvera dans ce
premier volume de la collection une description de Caen, une descrip-
tion de la tapisserie de Bayeux, un Mont-Saint-Michel, un Saint-
Helier, et surtout le sentiment de ce que sont encore aujourd'hui ces
petites unités, campagne de Caen, Bessin, Bocage, pays d'Auge,
Houlme, Merlerault, etc. Le style, un peu traînant, d'une préciosité
archaïque, est un charme de plus pour le flâneur que n'emporte pas
le tourbillon du tourisme ultra-moderne. Ne demandons pas, au
reste, aux auteurs, de la sérénité dans leurs jugements.
H. Hr.
Th. Go.MPERZ, Les Penseurs de la Grèce, Histoire de la philosophie antique. III.
L'ancienne Académie ; Aristote et ses successeurs : Théophraste et Straton de
Lampsaque. Traduction de Aug. Reymond. Première et deuxième édition. Lau-
sanne, Payot; Paris, Alcan, 19 10 ; vi-Sqo p.
Voici le troisième et dernier volume des Griechische Denker, tra-
duit en français par M. Reymond. Il s'ouvre par un chapitre sur l'an-
cienne Académie, et est ensuite consacré à Aristote et à ses succes-
seurs, Théophraste et Straton. L'œuvre du Stagirite est envisagée
sous toutes ses faces, et il n'est pas une de ses théories qui ne soit
exposée avec une ampleur de vues et une sûreté de critique auxquelles
peu de savants ont atteint. Pour M. Gomperz, Aristote est « le clas-
sificateur, le penseur qui passe en revue et qui ordonne le monde des
phénomènes » ; c'est en ne perdant jamais ce point de vue qu'il expose
les doctrines aristotéliciennes, et cette conception générale de l'acti-
vité du grand philosophe est particulièrement sensible dans les trois
chapitres où est étudiée la Rhétorique. Ce n'est pas toutefois, pour
dire mon goût personnel, cette pénétrante analyse des théories psy-
chologiques, morales, scientifiques et littéraires d'Aristoie qui m'a
paru le plus attachante ; ce qui m'a le plus séduit, ce sont les cha-
pitres consacrés à Théophraste, où l'originalité de ses conceptions sur
le monde végétal est mise en pleine lumière, et où la personnalité
même de « cet homme aimable et digne de vénération » est si finement
caractérisée. La traduction de M . Reymond est faite avec la même
maîtrise que celle des volumes précédents ; lucide et coulante, serrant
de près le texte allemand, elle est avec cela d'une forme et d'une
allure si françaises qu'elle donne souvent l'illusion d'un écrit original.
Mv.
238 REVUE CRlTIQrK
— MM. Albert Soudies et Henri uk Curzun ont publié, sur le Faust de Gounod,
un travail plein de documents nouveaux et parfois assez inattendus : soit qu'ils
établissent la première fortune du célèbre opéra, dont on a souvent dit, à tort,
qu'il ne lut apprécié que sur le lard ; soit qu'ils analysent, avec citations, le
livret original, lequel fut considérablement modifie avant la première représen-
tation et dont on ne soupçonnait même plus l'existence ; soit enfin qu'ils suivent
d'année en année son exécution par un tableau chronologique de tous les inter-
prètes. De cuiieuses reproductions ajoutent au prix du volume (Paris, Fischbachcr,
éd. gr. in-8". Prix : '^ fr.). — G.
— M. G.VoRETZscH nous envoie la 4'' édition de son Einfilhning in das Studium
der altfran-^œsiscliot Spraclie pim Selbstuiiterriclit filr den Anfaengcr, Halle,
191 1, in-S", xvi-336 p. La Revue critique a rendu compte dès son apparition i 1902,
1, 329) de cet excellent manuel, dont le succès a été vraiment prodigieux, et tenu
les lecteurs au courant des perfectionnements qui y ont été apportés dans les édi-
tions successives (1904, I, 453; 1907, 11, 238). La nouveauté de celle-ci, accrue
d'une trentaine de pages, consiste dans un Index méthodique (p. 333-6), rendu
vraiment nécessaire par le plan même de l'ouvrage, et dans l'adjonction d'une
cinquième partie (p. 279-97), comprenant des extraits, avec notices et notes, des
plus anciens monuments de la langue. Cette partie a été détachée de VEinftihrung
in das Studium der altfr. Literatur du même auteur, où elle était en effet moins
à sa place qu'ici (les serments et le fragment àQ Jonas paraissent ici pour la pre-
mière fois). Dans la partie bibliographique, on appréciera surtout la mise à jour
(p. 308-14) de la « littérature » grammaticale, de plus en plus abondante et dis-
persée. On s'étonne que M. V. ait oublié d'y mentionner la dernière édition de la
Phonétique de M. Bourciez (1907) et d'y faire figurer les Eléments de linguistique
romane du même auteur, qui peut rendre de grands services même aux étudiants,
s'il en est, qui s'intéressent exclusivement à l'ancien français. — A. .1.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 16 août Jgi2. —
M. Henri Cordier donne lecture de lettres qu'il a reçues de M. de Gironcôurt, en
mission dans la Boucle du Niger. Dans une lettre du 18 mars (puits d'Aghellou,
Adrar des Iforas), M. de Gironcôurt raconte son entrevue avec Baye, le «" saint »
réputé érudit de l'Adrar avec lequel aucun Européen n'avait encore pu prendre
contact. Ce personnage lui a fourni d'assez nombreux renseignements sur l'his-
toire de ces régions et lui a permis de dresser l'inventaire de ses anciens mss.
Dans une lettre du 17 avril (Gao), l'explorateur rapporte qu'il a pu obtenir du
même marabout 28 écrits (i38 pages), dont une très belle copie d'un tarikh dit
« Fatachokar », et acquérir grâce à lui un gros nis. qui serait le « Tarikh Taraif »
du cheik Sidi Mohammed. Aux alentours de la ville ruinée d'Es-Souk, il a
recueilli environ 200 inscriptions réparties sur huit emplacements de nécropoles
et, entre l'Adrar et le Niger, une centaine d'autres, éparses en sept nécropoles.
Une troisième lettre, datée de la mare de P^ombalgo, annonce que M. de Giron-
court a obtenu de Mohammed Ouguinatt, chef des Kel es-Souk, deux notes assez
longues sur l'histoire des Touareg et des Sourais ; de Gao à Ansango, il a estampé
60 stèles. Enfin, d'après une quatrième lettre, du i"' juin i,Labzenga), il a recueilli
chez les Kel es-Souk une vingtaine de généalogies et, de retour au tleuve, il a
abordé l'étude des i65 stèles gravées qu'il a mises au jour dans les nécropoles de
Bentia ; il a étendu ses recherches aux vestiges de l'ancienne ville de Koukya, où
il a pu recueillir d'intéressants objets.
M. Gagnât donne lecture d'une note de M. Philippe Fabia sur l'exploration
archéologique de Fourvière et sur les premiers résultats de la campagne d'été
19 12, dans l'ancien clos des Minimes. La première tranchée, ouverte dans la par-
tie la plus_ élevée du clos, a remis au jour les vestiges d'un édifice romain. Les
sondages faits ensuite ont prouvé qu'il n'était pas' isolé : les vestiges retrouvés
jusqu'ici ne sont que ceux de maisons privées. Le remblai donne surtout des mor-
ceaux de peintures murales aux couleurs admirablement variées, vives et fraîches,
avec des tessons de poterie, particulièrement de poterie rouge sigillée. Parmi les
d'histoire et de LITTERATURE 239
vestiges du premier édifice explore, il faut signaler le sol de deux salles conti-
giiôs, dont l'une la plus grande avait un pavé en mosaïque, l'autre un pave en
marbre de diverses couleurs. i,a salle pavée en mosaïque mesurait plus de
5o mètres carrés. Son pavement, conserve en très grande partie, se composait
d'une large bordure blanche en très gros cubes et d'une mosaïque proprement
dite, d'environ 2D mètres carrés. Sur cette mosaïque, artistiquement inférieure à
celle de Bacchus et des Saisons découverte l'été dernier, on voit rangés huit
animaux. Dans le rectangle central, un personnage dillorme, un croc dans la
main droite, chevauche tjn éléphant nain; il est accompagné d'une inscription
qui pourrait se lire SYG LIBYS ou LIBYCVS), Syg étant le nom barbare du
personnage et Lybis ou Lvbiciis la désignation de sa patrie. On a sans doute là le
portrait ou la caricature d'un bestiaire contemporain, d'une célébrité de l'arnphi-
théàtre, comme on voit souvent, sur les médaillons des poteries gallo-romaines,
les figures et les noms des gladiateurs et des auriges en vogue.
.\cadi';mie df.s Inscriptions et Bki.i.es-Lkttres. — Séance du 23 août /g 12. —
M. Perrot, secrétaire perpétuel, signale dans la correspondance une note de M. le
comte Bcgouen sur une grotte ornée de gravures et de peintures préhistoriques
découverte par lui à Mohtesquieu-Avantès (.\riège). — Cette note est renvoyée à
M. Salomon Reinach.
M. Rlie Berger entretient l'Académie d'un document relatif à des affranchisse-
ments de serfs par la régente Blanche de Castille, vers i23o ou 1202. C'est dans
ses domaines particuliers, dans la chàtellcnie de Pierrefonds, que Blanche a pro-
.oguc„ r r „. -
rot, Viollet et Babelon présentent quelques observations.
M. Pognon, consul général de France, rappelle que, d'après une tablette assy-
roi était non pas Cliouqarkib, mais ('hoiidourkib. Cependant, selon lui, Uioiidour-
kip ne peut pas plus être un nom d'homme que Choitkarkip \ il pense que les
trois caractères clinu^ doiir, kip doivent être lus idéopraphiquement, et il juge
impossible d'indiquer comment se prononçait en réalite le nom du dernier roi de
la dynastie de Sargon l'ancien.
m'. Gagnât lit une note de M. Alfred Merlin sur les fouilles exécutées à Althi-
buros (Medeina). en Tunisie. Commencées en igo8 et interrompues depuis quatre
ans, ces fouilles ont été reprises au printemps dernier. Le déblaiement du forum,
qui avait été réalisé en bonne partie, a été poursuivi ; on a dégagé le côté N.-O.
de la place, qui était bordé d'une série d'édicules rectangulaires ouvrant sur le
portique; la plupart sont assez dégradés; cependant trois sont facilement recon-
naissables au Nord. Le plus grand était un sanctuaire de Minerve. En saillie
contre le mur du fond, au milieu, s'élevait une base au pied de laquelle on a
trouvé une statue en marbre blanc de la déesse. Sur l'attique de la porte triom-
phale se trouvait une inscription, dédiée à l'empereur Commode entre i85 et
igi, et dont trois fragments, se rattachant à une autre déjà insérée dans le Cor-
pus (\'ni, 1825) ont été recueillis dans le voisinage. Tout près de l'escalier qui
mène à un édifice non encore dégagé contigu au Capitole, on a déterré la partie
supérieure d'un piédestal qui avait été dédié à Caracalla en 197 et qui provient
sans doute du forum. Près de l'angle sud du forum, on a recueilli une cpitaphe
chrétienne. A 3o mètres environ du même angle, on a rencontré un grand monu-
ment que l'on est en train d'exhumer; il se pourrait que ce fût un château d'eau.
.\c.\ijÉ.mie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 3o août igi2. —
M. Henri Cordier donne lecture d'une lettre de M. de Gironcourt (Sinder, 22 juin),
où l'explorateur annonce qu'il a mis la main sur une importante collection de mss.
appartenant au marabout songhoy Isufi Alilou (livre des Askias, histoires du Sou-
dan, des pays haoussas, histoire des Peuls). Il procède à la copie de ces mss.,
avec Isufi et quatre scribes.
M. Joseph Déchelette, correspondant de rAcadémie, communique une note sur
les fouilles de M. le marquis de Cerralbo à Torralba (province de Soria), en Cas-
tille. Ces fouilles ont amené d'importantes découvertes, encore inédites, sur l'âge
du fer. Elles ont porté principalement sur trois nécropoles celtibériques et sur une
ville fortifiée que l'inventeur identifie avec Arcobriga fPtolémée, II, 6, 57).
M. Déchejette insiste particulièrement sur les sépultures d'Aguilar de Anguita,
située à .îo kil. environ de Bilbilis la patrie de Martial, et rappelle que le poète,
célébrant les ressources de sa ville natale, la dit renommée par ses chevaux et
par ses eaux : les fers et les mors trouvés dans la nécropole d'Aguilar prou-
240 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
vent combien cette réputation était justifiée. Martial vante aussi, à plu-
sieurs reprises, rexcellence du ter de liilL-iiiis et la qualité des eaux du Salon
(Jalon) |M3ur la trempe des armes; Pline et Justin corroborent ce témnignage, qui
est pleinement contirmé par les trouvailles faites dans les régions immédiatement
voismcs. Apres avoir exposé les résultats principaux de ces fouilles, M. Déchcletle
conclut que. sans mécomiaitrc l'originalité de la culture ibérique, il croit que
dans sa formation l'on doit attribuer aux intlucnces helléniques une part considé-
rable, surtout h partir du vi" siècle, c'est-à-dire immédiatement après le grand
mouvement de la colonisation grecque.
M. Salomon Reinach entre dans quelques détails sur la nouvelle grotte ornée
de gravures et de pciiilures préhistoriques qui a été découverte par M. le comte
hcgouen à Montesqnieu-Avaniès (Ariègc). Les animaux tigurés sont le bison, le
cheval, le mammouth, peut-être un carnassier; il y a des images de petits che-
vaux avec des flèches, gravées sur leurs lianes, procédé magique dont on connaît
déjà des exemples et qui avait pour objet d'assurer une chasse heureuse. Les des-
sins de la nouvelle grotte présentent des particularités de style qui ne s'étaient pas
encore rencontrées. — M. Reinach annonce ensuite qu'il vient de terminer un
recueil de gravures au trait d'après toutes les œuvres d'art connues de l'àgc du
renne.
M. Emile Châtelain, au nom de la commission du prix Brunet, donne lecture du
rapport sur le concours de cette année.
M. le V>' Capitan communique, en son propre nom et en celui de M. Peyrony,
une note sur les trois squelettes humains fossiles récemment découverts à la
Ferrassie et au Cap Blanc (Dordognej.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettrks. — Séance du 6 septembre if)i^.
— y,. Noël Valois, vice-président, annonce la mort de Théodore M. Gotnperz, corres-
pondant étranger de l'Académie depuis 1893.
M. Héron de Villefosse communique, au nom du R. P. Delattre, un rapport sur
l'exploration des dépendances de la grande basilique de Damous-el-Karita. Ces
dépendances comprenaient deux chapelles et plusieurs chambres occupées par des
sépultures. Le P. Delattre y a découvert des sarcophages, plusieurs inscriptions
chrétiennes, des mosaïques et divers objets. Dans une tranchée, creusée à l'opposé
du chemin de Sidi-bou-Saïd, il a trouvé un édifice circulaire de 9 à i .t mètres de
diamètre dans lequel il put pénétrer par la partie supérieure. La suite des fouilles
lui montra bientôt la disposition d'une salle exactement ronde, entourée de 16 co-
lonnes de granit. Entre les colonnes se trouvaient de hautes niches descendant
jusqu'à la mosaïque. Cet important monuinent paraît avoir été d'abord un baptis-
• i ,; .,1.,.- .„..l ..., .-U„„.^ll.> « ^ ,,„.. ,J.,f t ; .-..1 fJ/^ii ^ ; lï/âf/Jn fr.
un savant russe au roi d'Italie. M. de Ricci, à l'aide de catalogues anglais, retrace
l'histoire des d feuillets manquants dont il a retrouvé plusieurs chez des collec-
tionneurs anglais. — MM. Salomon Reinach, Henri Omont et Paul Meyer pré-
sentent quelques observations.
Léon Dorez.
L'imprimeur -gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprirnerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 39 — 28 septembre — 1912
Unginad, Papyri araméens d'Eléphantine. — E. Mevkr, Les trouvailles d'Eléphan-
tinc. — Jastrow, La religion de rAssyro-Babyloiiic. — Nilsson, Le culte d'Ich-
tar. — JoHNS, L'ancienne Assyrie. — Capart, Abydos. — O. de Lemm, Mélanges
coptes. — Archimèdc, p. Heiberg, l. — Abbott, Le peuple de Rotne. — Brands-
TETTER, Le verbe. — Hermelinck, La Réforme et la Contre-réforme. —
ScHWARTZ, Les écoles secondaires de Prusse. — Reis^ingkr, Les écoles du l'ala-
tinat. — Revue de l'enseignement. — Needon, Le recteur Theill. — A. Wadding-
TON, Histoire de Prusse, I. — Auerbaci?, Instructions des ambassadeurs de
France près la Diète. — Perrod, Bibliographie franc-comtoise. — Baudrii.i.art,
Histoire de France. — Mots et choses, III. — Matiiesius, Etude sur le parler
individuel. — Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, 46. — Académie
des inscriptions.
A. Ungnad, Aramâiscbe Papyrus aus Elephantine, kleine Ausgabe unter Zu-
grundelegung von Eduard Sachau Ërstausgabc : Hilfshiichcr zur Kunde des
Alten Orients, 4 Baiid. Leipzig, Hinrichs, 191 1, vn-119 p. iii-8".
E. MEVER,Der Papyrusfund von Elephantine. Dokumente eincr jùdischen Ge-
mcinde aus der Perserzeit und das iilteste erhaltene Buch der Weltlitefatur.
Leipzig, Hinrichs, 1912, i vol., 128 p. in-8°, 2 M. ■
La collection de papyri et d'ostraka araméens découverte à Ele-
phantine au cours des années 1906-1908 a été publiée par M. Sachau
avec tout l'appareil que comporte l'importance de ces documents. A
côté de cette édition, d'un prix peu accessible au.x bibliothèques pri-
vées, la librairie Hinrichs en publie une autre, d'aspect beaucoup
plus modeste, mais qui suffira aux besoins de la plupart des savants.
Les textes sont donnés en caractères hébreux ; M. Ungnad a soigneu-
sement distingué les restitutions certaines de celles qui laissent place
à quelque doute, et marqué l'importance et la nature des lacunes. Il
a Joint à son édition quelques fragments découverts avant 1906 et
qui ne se trouvent pas dans l'édition de Sachau. Son commentaire,
sohre et précis, résume bien les éclaircissements que l'on peut actuel-
lement fournir pour l'intelligence de ces textes. Un glossaire alpha-
bétique réunit les mots araméens inconnus à l'araméen biblique.
M. E. Meyer a exposé avec une grande maîtrise les faits révélés par
les documents d'Eléphantine, les conclusions qui en ressortent et les
problèmes nouveaux qu'ils posent. Il y trouve, en les rapprochant
de ce que les Chroniques nous ont conservé des mémoires d'Esdras
et de Néhémie, les matériaux avec lesquels on peut essayer de recons-
truire l'histoire des origines du judaïsme. Le judaïsme est une créa-
tion de l'empire perse. C'est seulement parce que les Juifs de Baby-
Nouvelle série LXXIV 3g
242 REVUE CRITIQUE
lonie, Esdras et Néhémie, ont réussi à obtenir l'appui du roi des Perses
qu'ils ont pu imposer aux Juifs de Jérusalem et de Judée leur réforme
religieuse. La critique moderne avait à tort suspecté rautlicnticité
des textes relatifs à Esdras et à Néhémie. Cette authenticité est con-
firmée d'une manière éclatante par les textes découverts à Eléphan-
tinc. On y trouve entre autres copie d'un édit de Darius II contenant
les prescriptions relatives à la fête des azymes. Il n'y est pas fait men-
tion de l'agneau pascal qui, conformément aux prescriptions du Deu-
téronome, ne pouvait plus être immolé qu'au temple de Jérusalem.
Rien n'avait paru plus suspect aux critiques que l'étendue des pou-
voirs donnés à Esdras par le firman d'Artaxerxès I et la connaissance
exacte du culte juif qu'on n'était guère disposé à attribuer à un roi
Perse. Le texte d'Éléphantine nous fait voir ce roi entrant dans des
détails tout aussi minutieux et légiférant pour toute la diaspora con-
formément à l'esprit du code sacerdotal.
Le fait que la colonie militaire juive d'Éléphantine avait élevé un
temple à Jahvé atteste qu'elle est antérieure à l'année 621, date de la
promulgation du Deutéronome qui supprima tous les lieux de culte
autres que le temple de Jérusalem. 11 ne servirait à rien d'objecter
qu'Éléphantine était bien loin de Jérusalem (Ungnad), car la même
observation vaudrait pour beaucoup de communautés juives qui, pas
plus en orient qu'en occident, n'ont songé à se construire un sanc-
tuaire moins éloigné que celui de Jérusalem. On trouve d'ailleurs à
Eléphantine plus d'un trait qui nous révèle la persistance d'un état
de la religion antérieure la réforme de 621. Jahvé est le dieu par
excellence, mais non le seul : h côté de lui trônent Asim-Bet'el et
Anat-Bet'el.
Je ne puis pas résumer ici toutes les idées que M. Meyer a déve-
loppées à propos d'autres questions, comme par exemple la destruc-
tion du temple d'Éléphantine, sa reconstruction et l'interdiction des
sacrifices sanglants, l'origine du roman d'Achîqar et ses rapports avec
la sagesse de Salomon et les fables d'Ésope et de Babrius. Le livre de ,
M. E. Meyer est de ceux qu'il faut avoir lus.
C. FOSSEY,
M. Jastrow. Aspects of religious belief and practice in Babylonia and As-
syria. American lectures on the history of religions; ninlh séries with
54 illustrations and a map and chronological lists of the rulers of Babylonia
and Assyria. New-York, Putnam, 191 1, i vol. xxv-471 p. in-8°.
Une rapide esquisse de l'histoire de l'Assyro-Babylonie, ou plus
exactement des grandes migrations qui l'ont peuplée et de leurs
apports successifs, sert d'introduction au livre de M. Jastrow. Ensuite
viennent des chapitres sur le panthéon, les deux systèmes de divina-
tion les plus importants (hépatoscopie et astrologie), les temples, la
magie et le culte, les idées sur la vie future, la morale et le code de
d'histoire et ok littérature 243
Haniiiuiiabi. M. Jastrow reconnaît aujourd'hui rcxistence d'un
peuple sumérien et de dieux sumériens, au sujet de laquelle il se
montrait iort sceptique dans la première édition de sa Religion 0/
Bab]-loniiJ and .liwj'r/a ( 1898) ; il admet une langue sumérienne et
objecte seulement que le svHabairc cunéiforme contient des élé-
ments sémitiques et que certains textes religieux écrits en sumérien
ont pu être composés par des Sémites, deux points que les suméri-
sanis ont accordé depuis longtemps. Toutefois M. Jastrow n'est peut-
être pas arrivé à la vérité par la meilleure voie. Car il part de l'exis-
tence d'un peuple sumérien, attestée suivant lui par les monuments
figurés (thèse de M. E. Meyer ') pour aflirmer l'existence d'une langue
sumérienne en Babylonie. La thèse de M. Meyer est discutée et la
conclusion qu'en tire M. Jastrow (p. 8) des moins assurées : il y a en
Bulgarie un peuple tartare mais point de langue tartare. — A noter
encore que les taureaux à face humaine du palais d'Assyrie n'ont rien
à faire avec Enlil (p. 75) : ce sont des représentations des bons génies
[sédii ou lamassii) ; que l'extispicine babylonienne n'était pas fondée
uniquement sur l'examen du foie (p. i55); que la forme Zu-En (pour
En-zu) ne se rencontre pas et que, étymologiquement, Sin n'a rien à
faire avec En-zu (p. 211); que les symboles des kudurru ne sont pas
les signes du zodiaque (p. 219-230J. P. 375, M. Jastrow aurait pu
rappeler que le rapprochement entre Gilgames et Ecclésiaste, IX,
7-9, a été fait avant lui par M . H. Grimme : 0L2, VIII, 432-438. Au
reste le livre de M. Jastrow marque un progrès sensible, surtout au
point de vue de l'ordonnance et de la concision et, de ses trois
ouvrages sur la religion babylonienne, c'est celui que je recomman-
derais le plus volontiers.
G. FOSSEY.
Archives d'études orientales, publiées pai J. A. Lundell. Vol. 2. Etudes sur
le culte d'Ichtar par Nils Nilsson. — Upsala, Appelberg, et Paris, Leroux,
I vol. 20 p., in-S".
M. Lundell, professeur de langues slaves à Upsala, a accepté la
direction d'une publication nouvelle, les Archives d'études orientales,
où doivent paraître des travaux sur les langues de l'Europe orientale,
de l'Asie et de l'Afrique, sur les religions et les traditions populaires.
La langue de la rédaction est le français. On admettra aussi l'anglais
et l'allemand : les ouvrages en langues Scandinave, italienne et russe
seront accompagnés d'un résumé en français. Est-ce le prélude d'un
retour à l'ancien usage qui ne reconnaissait que deux ou trois langues
scientifiques? Il faudrait s'en féliciter, car la recherche scientifique
étant pratiquée sur tous les points du globe, si chaque savant persiste
I. Cont'ormcnient à celte thèse, M. Jastrow aurait dû reconnaître dans les « têtes
noires » [salmat kakkadii les Sémites et non les Sumériens (p. 70, n. 3); cf.
Sumevier iind Semiten, p. 2 3.
244 REVUE CRITIQUE
à vouloir écrire dans sa langue, la bibliogiapliie d'un sujet quelconque
deviendra bieniôt un véritable Babel où d'excellents travaux seront
enfouis et ignores.
Les premiers cahiers des Archives orientales sont consacrés à des
Etudes phonologiques sur le dialecte arabe vulgaire de Beyrouth par
M. E. Mattsson (i) aux Débuts de la cartographie du Japon^ par
M. E.W. Dahlgren (4), à des Etudes sur le culte d'Ichtar, par N. Niis-
son (2). Ce travail sur Istar est le dernier chapitre d'une thèse où
l'auteur, mort prématurément, étudiait la déesse dErech dans l'épopée
de Gilgames, l'Hiéroduleet l'Etranger. La singulière coutume décrite
par Hérodote et qui obligeait toute Babylonienne à se prostituer une
fois en sa vie à un étranger dans le temple d'Istar y est étudiée et
comparée aux usages plus ou moins similaires d'autres peuples. Les
différentes explications qu'on en a proposées sont énumérées et cri-
tiquées. M. Nilsson compare notamment le rôle de l'étranger à celui
du prêtre auquel chez plusieurs peuples on confie la défloration de la
femme pour assurer sa fécondité : l'étranger est supposé doué,
comme le prêtre, d'un certain pouvoir magique. Ainsi s'expliqueraient
les paroles que l'étranger prononçait en jetant sa pièce de monnaie
sur les genoux de la Babylonienne : « J'implore pour toi la déesse
Mylitia » (= muallittu^ celle qui aide à enfanter).
G. FossEV.
C. H. W. Johns. Ancient Assyria. Cambridge, University Press, i vol.,
175 p., in-i2.
M. Johns a résumé en i5ô pages l'histoire de l'Assyrie depuis les
origines jusqu'à la chute de Ninive. Ce précis, publié dans une biblio-
thèque de vulgarisation, pourra néanmoins servir d'aide-mémoire aux
orientalistes car il est exact et à jour. Je m'étonne toutefois de voir
Opis placée sur la carte au confluent de l'Adhem et du Tigre. Winck-
1er a démontré qu'il fallait chercher celte ville aux environs de Séleucie
et de Ctésiphon.
G. FOSSEY.
Jean Capart, Abydos, le Temple de Séti I'^ Etude générale, 1892, Bruxelles,
Rossignol et Van den Bril, 10-4», 42 p., 5o pi. et i plan en phototypie.
Le volume de Gapart sur Abydos procède de la même conception
que son choix de monuments. Il s'agit pour lui de fournir aux Egyp-
lologues et aux savants du dehors des reproductions peu coûteuses
des documents relatifs à l'histoire de l'art, stèles, statues, tombeaux et
temples. D'un côté en effet les collections de planches dessinées à la
main ou ne prétendent pas exprimer exactement le style des objets
reproduits, ou le faussent par trop souvent, comme c'est le cas pour les
Denkmàler de Lepsius, ou ne le conservent qu'à moitié comme dans
le Tell-Amarna de Davies, et d'autre part les recueils de photogra-
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 24D
vures ou de phototypies, comme le Voyage dans la Haute-Egypte de
Mariette et les Denkmaler der ^Egyptischen Skulptiir de Bissing, sont
d'un prix qui les fait inabordables au gros des étudiants. Des ouvrages
à bon marché, tels que cet Abydos, permettront à tous ceux que l'art
égyptien intéresse de se procurer, sans peine, les moyens de l'appré-
cier par eux-mêmes.
Peut-être Capart cxagère-t-il les difficultés qu'il y a à étudier posé-
ment le temple de Sétouî I". Depuis six ou sept ans, le Service des
Antiquités possède au voisinage une cahute sans prétentions, où non
seulement Lefebvre mais d'autres personnes ont séjourné a volonté :
pourvu qu'on amène avec soi un domestique arabe capable de faire
un peu de cuisine, on peut passer là quelques jours et au besoin
quelques semaines. La raison pour laquelle ces ruines ont été négli-
gées par les Egyptologues est moins l'éloignemeni des hôtels, que la
répugnance à s'attarder dans des monuments où l'on n'a plus la
chance de découvrir des inscriptions historiques ou des objets de
Musée. A de rares exceptions près, notre école actuelle s'occupe de
philologie, d'archéologie, d'histoire politique ou religieuse plus que
d'histoire de l'art, et les bas-reliefs admirables de Sétouî I^^ ou de
Ramscs II parlent moins à son esprit que des stèles ou des papyrus
mal écrits mais remplis de dates ou de faits. On a copié plusieurs fois
tout ou partie du tombeau de Sétouî l*^'" : on a négligé jusqu'à présent
d'en publier par la photographie les dessins et les bas-reliefs de
manière à les rendre dans toute leur beauté. Ce sera, je l'espère, une
des entreprises prochaines de Capart, et qui sera plus difficile que
celle d'Ahydos, mais aussi utile. Le texte ne contient qu'une descrip-
tion rapide des salles, où sont mêlées des remarques ingénieuses et
fines, sur les motifs qui ont déterminé les Egyptiens à choisir les
motifs de la décoration murale et à les combiner de telle manière
plutôt que de telle autre. Les planches ne sont pas toutes aussi bien
venues l'une que l'autre : sans parier des déformations, assez légères
du reste, que l'emploi d'un appareil de dimensions médiocres et par-
fois le manque de recul ont infligées à plusieurs d'entre elles, d'au-
tres sont troubles et manquent de netteté. Pourtant la plupart sont
fort bonnes et elles produisent en petit l'impression de l'original,
ainsi le Sétouî allaité par Maout (pi. XIV), les Nils porte-offrandes
(pi. XV), le Sétouî posant la couronne sur le front de Tàmou
(pi. XXVI), le Sétouî offrant le vin à Isis (pi. XXXVI) ou préparant
l'autel pour Harendotês (pi. XLI). Je regrette de ne pas voir le tableau
où Sétouî vient à la rencontre d'Osiris accompagné des déesses, qui
est le chef-d'œuvre des artistes de l'école thébaine à cette époque. N'y
aura-t-il pas bientôt un second volume où nous trouverons ce qui
manque à celui-ci ?
G. Masi'Ero.
246 REVUE CRITIQUE |
O. i>K I.KMM, Koptische Miscellen, <:vi-cviii, cix-cxiii, cxiv-cxx (trois extraits du
Bulletin de i Ac.iAémic des Sciences de St-Pètersàouig, 1 g i i-j f) 1 2), St-l'ctcrs-
bourg, lyi 1-1912, in-H", 24-39-28 p.
Les trois fascicules nouveaux dos Koptische Miscellen contiennent
surtout des corrections apportées à des textes publics par d'autres
savants, aux versions sahidiques de la Dormitio Maria' {'^ CVl), aux
Coptic tcxls on St-Thcodore thc General \^ CVil, GIX] et aux frag-
ments de la Vita S. Matlnvi Pauperis ^ CXj de Winstedt, aux (.Euvres
de Schenoudi \^ CXVIIl, CXIX) d'Amélineau. On y trouve également
quelques pages inédites d"un discours de St-Athanasc {§ CXIII', mais
ce qui en fait l'intérêt principal pour les Egyptologues, ce sont les
études parfois assez développées qui ont été consacrées à des mots
inconnus ou mal interprétés jusqu'à présent, à hloolé dans le sens de
bercer [% CM II), au verbe bôsh et à ses dérivés, mettre à nu, dévêtir,
dépouiller (>^ CXIV), à saate pluriel de sot qui signilie saletés, excré-
ments (S CXVI), au Thébain sôpé forme de sôbé T., subi M., qui
marque Vourlet d'un vêtement ou le liteau d'une pièce d'étoffe
(§ CXVIl). La note sur la locution thébaine térrompé, térompé
(§ CXII), transcription de l'ancien égyptien tanou-ranpit, tanranpi,
tenrompé, comme le memphitique en-tenrompi, chaque année, est
particulièrement instructive. L'assimilation de n à r-l, qui, rare dans
le thébain ordinaire, est fréquente dans le thébain ancien, explique
comment les formes en hr de la ■/.o-vr^ raniesside, telle que banrou,
sont devenues en copte bol-bôl-bél : la voyelle intercalée entre n et r
de tanouranpit étant atone s'est amuie, mais elle existait à l'origine ;
nous devons en déduire que, dans les mots du type banrou, la voyelle
que l'orthographe de n semble indiquer, existait de même réellement,
et qu'ils se prononçaient bânourou, avec accent sur ba. Cette observa-
tion nous oblige à écarter l'hypothèse d'après laquelle nr n'aurait
été dans ces formes qu'une graphie destinée à noter une prononcia-
tion particulière du signe ra-rou. C'est bien une troisième radicale
que cet n-nou marque, mais comment s'est-elle introduite dans des
racines où les textes antérieurs à laXII*^ dynastie nous montrent
qu'elle n'existait pas à l'origine ?
G. Maspero.
Archimedis opéra omnia cum commentariis Eutocii iterum edidit J. L. Heiberg,
Volumen I. Leipzig, Teubner, 1910; xii-445 p. [Bibl. script, grcvc. et rom. Teiib-
neriana).
La première édition des œuvres d'Archimède, par M. Heiberg, a
paru il y a déjà trente ans. Il n'est pas inutile de rappeler comment le
savant professeur de Copenhague a été amené à en donner une
seconde édition. Ce n'est pas seulement parce que V. Rose a décou-
vert un secours critique d'une haute importance, l'interprétation
latine de Guillaume de Moerbeke; c'est surtout parce qu'un nouveau
d'histoire et de littérature 247
manuscrit a été connu, un palimpseste du Patriarcat grec de Jérusa-
lem, transporté depuis à Constaniinople, où M. H. put Tétudier. Ce
manuscrit, fort mutilé, contient en effet, outre des parties de traités
d'Archimède déjà publiés, plusieurs œuvres inédites plus ou moins
complètes : le Traité des corps flottants, connu jusqu'ici seulement
par une traduction latine, le Stomachion, et VEphodique, dont M. H.
a donné dans ï Hermès le texte grec, et qui fut immédiatement tra-
duit en français par M. Th. Reinach (1907). Une édition nouvelle,
comme le dit avec raison M. H., semblait donc non seulement dési-
rable, mais absolument nécessaire. Les traités nouveaux ne sont pas
publiés dans ce premier volume, qui contient les deux livres de la
Sphère et du Cylindre, la Mesure du Cercle, et les Conoïdes et Sphé-
roïdes. Le texte, qu'accompagne en regard une traduction en latin,
est établi sur des manuscrits que M. H. doit décrire dans les prolé-
gomènes du troisième volume ; il est pourvu de notes critiques et
de notes explicatives où M. H. essaie de retrouver les expressions
mêmes d'Archimède ; car les traités de la Sphère et de la Mesure du
Cercle ont subi de la part du transcripteur un certain nombre d'alté-
rations, au point qu'il est difficile de restituer le texte original ; on
notera d'ailleurs que ces traités. ont perdu leur forme dorienne, et que
les termes mathématiques n'y sont pas ceux qu'Archimède a dû
employer ; la forme originale a été parfois conservée dans le commen-
taire d'Eutocius.
My.
Frank Frost Abbott, The common people of ancient Rome, New York, 191 r,
à la librairie Scribncr et fils, 290 p., in-80.
Ce livre est une série d'articles de vulgarisation qui se rapportent
tous plus ou moins à la vie des classes inférieures à l'époque romaine.
M. Abbot a successivement exposé ce qu'était le latin populaire, la
poésie populaire, telle que nous la connaissons par les épitaphes et
les ex-votos, le roman réaliste dont le type est le Satiricon, ce qu'on
peut savoir du prix de la vie (édit de Dioclétien), ce que les classes
pauvres devaient à la munificence des riches (édifices élevés à Rome
et dans les villes de province), comment fonctionnaient les corpora-
tions ouvrières. Le livre se termine par une étude sur C. Scribonius
Curio, ami de Cicéron, et G. Matins, ami de César. L'auteur est au
courant de l'état actuel de la science sur toutes ces questions; son
volume sera lu avec intérêt.
R. C.
R. Brandstetter, Das Verbum, dargestellt auf Grund einer Analyse der bcstcn.
Texte in vierundzwanzig indonesischen Sprachcn. Lucerne (Haag), 191 2, in-8°,
70 p. {R. Brandstetters Monographien ^î/r Indonesischen Spracliforschung, IX).
Un linguiste peut rarement faire une lecture aussi savoureuse
24S REVUE CRITIQUE
que l'est celle de la brochure de M. Brandstetter. En 162 petits para-
graphes, dont presque chacun offre une formule précise, appuyée
d'un ou deux exemples lumineux, l'auteur expose tous les traits
essentiels du système verbal indonésien : structure des formes et
emploi des formes. I.e travail repose sur un examen direct de textes
que l'on possède en une vingtaine d'idiomes indonésiens apparte-
nant aux portions les plus diverses du vaste domaine couvert par
ces langues; et en même temps, M. Brandstetter tire parti des
formes plus ou moins anciennes, là où l'on en possède, à Java et à
Madagascar; pour Bornéo, il recourt à une langue religieuse qui
présente des particularités intéressantes pour le comparatiste et que
le dayak ne connaît pas. M. Brandstetter pose ainsi peu à peu, avec
une méthode excellente, avec une rare clarté et une singulière fer-
meté de doctrine, la grammaire comparée des langues indonésiennes,
dont quelques savants comme M. Kern avaient indiqué la portée, mais
que personne n'avait constituée. L'auteur annonce trois nouvelles
brochures, dont l'une sera relative à la syntaxe et l'autre à la phoné-
tique comparée du groupe indonésien. On en attendra la publication
avec la plus vive impatience.
A. MEILLt:T.
Handbuch der Kirchengeschichte fiir Studierende, herausgegeben von
Gustav Krûger. Teil III : Reformation und Gegenreformation, bearbeitct von
Lie. Heinrich Hcrmelink. Tubingcn, Mohr (P. Sicbeck), 191 1, xiii-328 p. 8",
Prix : 6 fr. 25.
Ce nouveau manuel d'histoire ecclésiastique fait son apparition
d'une façon quelque peu bizarre. Le quatrième volume, traitant des
temps modernes, a paru le premier, en 1909, rédigé par M. H. Ste-
phan ; maintenant c'est le troisième qui voit le jour, consacré à la
période de la Réforme et de la Contre-réformation par M. H. Her-
melinck. Les deux premiers tomes de l'ouvrage Antiquité q\ Moyen-
dge) paraîtront plus tard seulement.
Imprimé en caractères très fins, en lignes très serrées ', le volume
de M. Hermelinck, contient, en un espace assez restreint, des indica-
tions abondantes pour l'histoire religieuse du xv!"" et du xviT siècle ^
et s'il devait encourir, au point de vue des détails, un reproche,
c'est plutôt celui d'en fournir en trop grand nombre que trop peu.
Peut-être aussi fait-il une place trop considérable à l'histoire géné-
rale de cette période. Le livre est bouiré de faits, de noms propres, de
chiffres divers, placés tous un peu sur le même plan ; c'est un bon
manuel pour des savants expérimentés, désireux de vérifier rapide-
1. En outre l'auteur a supprimé les points et les virgules entre les noms et pré-
noms des auteurs dans les notes bibliographiques très abondantes, ce qui les
rend très fatigantes à déchift'rer.
2. Pour cerlains chapitres le récit s'étend assez souvent dans le xviii' siècle.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 249
ment une donnée quelconque de Thisioire ecclésiastique, mais il
me semble moins propre à être utilisé par des étudiants, surtout débu-
tants, qui auront quelque peine à se reirouvcr dans ce fouillis de
renseignements très utiles à coup sûr, mais qui n'ont pas tous pour-
tant la même importance. Si l'Allemagne tient naturellement la plus
large place dans ce volume, on ne peut dire cependant que les autres
pays de l'Europe soient négligés ou qu'il y ait des lacunes notables
dans l'exposition des luttes confessionnelles du temps. C'est à peine
si çà et là les préoccupations religieuses ou politiques de l'auteur l'en-
traînent h des affirmations contestables ' ; mais le nombre des fautes
d'impression — en admettant que le typographe soit le coupable et
non pas l'auteur lui-même — est assez considérable \ Le style, d'un
laconisme voulu, est parfois émaillé de locutions qui jurent avec la
gravité de l'histoire '' ; l'on regrettera aussi que M. H. n'ait joint
à son volume qu'une table des noms de personnes, en négligeant d'y
ajouter une table des noms de lieux, au moins aussi nécessaire.
E.
Paul ScHWARTz. Die Gelehrtenschulen Preussens unter dem Oberschulkolle-
gium (1787-1806] und das Abiturientencxamen. 2. Band, Berlin, Weidmann,
1911,80, p. 549, mk. 14; 3. Band,ibid., 191 2, p. 648, mk. 16, 80 {Momtmenta
Germanica Paedagogica, vol. 48 et 5o).
K. Reissinger, Dokumente zur Geschichte der humanistischen Schulen der
Bayerischen Pfalz, 2, Band. Ibid., 191 r. S" p. 666, mk. 17 (Même collection,
vol. 49).
Zeitschrift fiir Geschichte der Erziehung und des Unterrichts (Neue Folge
der Mitteilungen der Gesellschaft fin- deiitsche Eviiehungs-und S chtil geschichte),
Erster Jahrgang '4 Hefte). Ibid.. 1911,8"., p. 814.
R. Needon, Die Lectionum Praxis des Magisters Johannes Theill [Beitràge
:{iiy Geschichte der Er^ieliung und des Unterrichts in Sachsen). Ibid., 191 1, 8°,
pp. 2G et I 10.
I. J'ai annoncé dans la Revue du i3-20 octobre 1910 le premier
volume de l'ouvrage de M, Schwartz. La seconde moitié en était
1. Ainsi p. 92, on n'a pas besoin d'être un « cynique falsificateur » de la con-
duite de Luther, pour désapprouver sa conduite dans la guerre des Paysans. On
se demande aussi pourquoi l'auteur affirme (p. iSg) que Genève était « alle-
mande d'origine ».
2. P. 27. André Proies n'est pas mort en i563 mais en i5o3. — P. 3i. Léon X
n'a pu accorder d'indulgences en i53o puisqu'il est mort en i52i. — P. 121. Ce
n'est pas en 154- que Martin Bucer se rendit en Angleterre, mais en i54g. —
P. iby. Gérard Roussel ne fut pas évéque d'Oléron mais d'Oloron. — P. 210.
Henri le Balafré et son frère le cardinal de Guise ne furent pas assassinés « dans
un accès de rage » mais avec préméditation. — P. 211. Ramus ne s'appelait pas
Pierre de Ramée mais Pierre La Ramée. — P. 239. L'exposé chronologique de la
Guerre des Evèques est erroné. — P. 285. Le prénom de M. Erdmannsdoerfer
est Bernard et non Benno. — P. 287. Ce n'est pas Ferdinand // mais Ferdi-
nand III qui est mort en 1657, etc., etc.
3. Par exemple p. 285, où il est question des « coups de pied que Louis XIV
distribuait partout >>,
250 REVUE CRITIQUE
constituée par une revue des différentes écoles secondaires après la
reforme de VAbitiirient. Cette revue est continuée dans les deux nou-
veaux volumes consacrés aux provinces de Poméranie, de la Nouvelle
Marche, de la Marche Electorale, pour le second, et aux autres par-
ties de la monarchie prussienne, pour le troisième. Comme pour les
écoles de la région orientale, l'auteur donne sur chaque établissement
de minutieux renseignements fournis par les dossiers du Conseil
supérieur de l'Enseignement : situation au moment de l'introduction
de VAbitiirient, personnel, fréquentation scolaire, discipline, pro-
grammes des études, horaires, livres classiques, rapports des maîtres
sur leur enseignement, parfois aussi rapports d'inspection (ceux de
Meierotto et de Gedike sont des modèles), propositions de réformes,
etc.; puis, année par année, en général de 1789 à 1806, comptes-
rendus détaillés de l'examen écrit et oral de VAbitiirient, avec des
fragments de copies des élèves et des tableaux d'ensemble de tous les
candidats pour la période en question. Il se rencontre parfois dans ces
listes des noms illustres : je signale pour la session de mars 1792 du
Friedrichswerder-Gymnasium ceux de Tieck et de Wackenroder, qui
ont obtenu tous deux des certificats très flatteurs. Il y aurait dans cette
masse de pièces originales bien des détails curieux à relever, en
dehors de ce qui touche à l'histoire de l'éducation. On est par exemple
frappé de l'intérêt porté jusqu'au fond de la Poméranie ou du Brande-
bourg aux événements contemporains de la Révolution française et
de l'Empire naissant ; on n'est pas moins surpris de l'ignorance de sa
propre littérature dans laquelle cette jeunesse semble vivre. C'est à
peine si Wieland, Goethe et Schiller sont nommés et plus rarement
encore Lessing ou Herder; mais innombrables sont les traces qu'a
laissées le rationalisme, V AiifklàKung . A cet égard, Tenquête de l'his-
torien offre un intéressant reilet du siècle philosophique et de l'in-
fluence exercée par nos écrivains sur l'Allemagne contemporaine;
parmi les auteurs français le plus en honneur il faut mettre en pre-
mière ligne Voltaire et Fénelon : la Henriade et le Télémaqiie se dis-
putent les honneurs de la traduction. M. Sch, a terminé cette série
de monographies des Gelehrtenschulen prussiennes en reproduisant la
correspondance échangée entre les commissions d'examen ou les
autorités scolaires et le Conseil supérieur qui veillait avec une atten-
tion inlassable sur le bon fonctionnement de la réforme, relevant l'in-
dulgence coupable des examinateurs ou le choix inopportun des ques-
tions posées. Enfin les derniers chapitres étudient deux autres genres
d'épreuves qui se rattachent à VAbitiirient. L'une était l'examen que
subissaient les Kantonistes, c'est-à-dire, les fils de bourgeois ou de
paysans astreints au service militaire et réclamés par le régiment de
leur canton; certains voyaient dans les études universitaires au moyen
d'échapper à cette charge, et un examen subi vers la treizième année
devait décider s'ils étaient aptes ou non à continuer les études clas-
d'histoire et de LITTERATURE 2DI
siques pour éviter rcnrôlcmeni par la qualité d'étudiants. L'autre
épreuve était celle qui attendait à l'Université les jeunes gens qui
s'étaient présentés. sans être munis de leur certiticat de maturité; de ce
coté aussi la négligence ou l'hostiliic des professeurs risquaient de
compromettre les efforts du Conseil supérieur. Un triple index de
5o pages permettra de tirer tout le parti convenable des riches docu-
mente si patiemment réunis par M. Schwartz.
II . Ce sont aussi des dossiers scolaires qu'a dépouillés M. Reissin-
ger. Les pièces qu'il avait déjà fournies dans un premier volume
(V. Revue du 8 juillet 191 i), à la suite de son histoire des écoles
secondaires du Palatinat bavarois, se rapportaient aux instituts épis-
copaux de Spire. Le second volume nous donne celles qui sont rela-
tives aux établissements laïques soit du duché de Deux-Ponts, soit de
la ville impériale de Spire. Il y a en tout dans les deux volumes i23
pièces, allant de q83 à 18 10, et beaucoup sont d'une étendue consi-
dérable. Pour la plupart ce sont des règlements scolaires, des rapports
d'inspection, des programmes d'études, des consultations demandées
à des éducateurs éminents du temps, comme au théologien strasbour-
geois Marbach en i558, à Gesner en 1754; ce sont aussi des nomina-
tions de maîtres, des compositions d'examen de candidats à une chaire,
des certiticats scolaires, des devoirs d'écoliers, des discours solennels
qu'en quittant l'établissement les élèves prononçaient en hébreu, en
grec, en latin, en français, en prose ou en alexandrins allemands.
Tous ces documents ont été édités par M. R. avec un grand scrupule '
(était-il indispensable de respecter toutes les bizarreries orthogra-
phiques des originaux ?), et si petit que soit le domaine qu'ils concer-
nent, leur importance pour l'histoire de l'éducation en Allemagne est
essentielle. On y glanerait aussi bien des renseignements d'ordre éco-
nomique ou littéraire. Ainsi la pièce 56 sur l'organisation de l'internat
de l'école de Hornbach est pleine de détails précieux sur la vie maté-
rielle du temps; à titre d'exemple du second cas, les prospectus de
Bahrdt, le fondateur du philanthropinum de Heidesheim, éclairent le
personnage immortalisé par Goethe et le surnom qu'il en a gardé de
« Bahrdt au front de fer » ne surprend plus après la lecture de ces
rodomontades. Il faut remercier M. R. du zèle qu'il a déployé à nous
rendre facile l'accès de tous ces documents.
III. L'ancien Bulletin de la Gesellschaft fur deulsche Er:{iehungs-
iind Schulgeschichte a pris, après vingt ans d'existence, un nouveau
titre et est devenu une Revue de VHistoire de VEducation et de l'En-
seignement. La direction se propose, en restreignant la place faite à
l'histoire purement locale, de coordonner davantage les recherches
dans le champ de la pédagogie historique et d'étendre les études de
I. P'crire p. 333" Dumarsais, et non Damarsais.
252 REVUE CRITIQUE
son domaine h rantiquitc et aux pays autres que TAllcmagne ; elle
fournira ainsi des matériaux à une discipline encore à naître, la science
de l'histoire comparée de renseignement.
Nous avons reçu les quatre fascicules qui constituent le premier
volume de la Revue transformée. Ils contiennent plusieurs articles
d'un grand intérêt, mais je ne puis que signaler les plus importants.
Parmi les publications de documents, M. G. Schuster nous donne des
instructions du margrave Christian de Brandenbourg-Bayreuth pour
l'éducation de ses deux rtls, de i63o et 1637 (p. 69-85]; M. R. Stiebitz,
des règlements scolaires de 1667 et 167 1 pour le comté de Schwarz-
bourg-Rudolstadt, inspirés du Schitlmethodus (1643) du duc Ernest
de Gotha et d'un esprit tout moderne (p. 274-292); M. M. Schneider,
une instruction du surintendant Fergen de Gotha, écrite en 1698 pour
son fils étudiant en droit à Giessen (p. 39-46); enfin M. A. Schnizlein,
diverses pièces tirées des archives de Rothenburg sur la Tauber,
allant du xvi« au xvm^ siècle et relatives surtout à la discipline scolaire
(p. 196-205). Parmi les études, qui s'appuient d'ailleurs aussi sur des
documents originaux, je citerai celle de M. P. Schwartz (p. 134-195)
sur la politique scolaire de la Prusse dans les provinces polonaises
acquises en 1793 et 1795; c'est un précieux complément à son vaste
travail sur les écoles prussiennes dont il a été déjà question. M. R. Bit-
terling (p. 206-222) a étudié en détail le dépôt des manuscrits de Frô-
bel que possède Berlin et tout ce qui se trouve réuni ou dispersé
ailleurs. M. F. Kammradt (p. 233-273) a soigneusement analysé les
idées de Tieck sur l'éducation et présenté ainsi un aspect assez peu
connu du romantisme allemand. Une contribution à l'histoire de la
pédagogie étrangère est due à M. B. Barth (p. 3-32), qui a recherché
les rapports de la philosophie de Montaigne avec ses opinions pédago-
giques. Je dois enfin mentionner un excellent article nécrologique du
secrétaire de la Revue, M. Max Herrmann (pp. 99-1 19), à la mémoire
d'Alfred Heubaum, qui dirigea quelque temps la publication des
Monumenta Germaniœ Paedagogica et par sa Geschichte des deiit-
schen Bildiingsxpesens s'était acquis un nom mérité dans l'histoire de
la pédagogie. Des comptes rendus critiques et de courts rapports sur
l'activité des différents groupes de là Société pour VHisloire de VEdu-
cation en Allemagne accompagnent chacun des fascicules et un index
général termine le dernier. Nous souhaitons à la Revue ainsi renou-
velée et élargie le succès qu'elle a rencontré auprès du public sous
son ancienne forme.
IV. La publication de M. Needon est une annexe à la précédente
Revue. Elle a été tirée d'un manuscrit des archives du gymnase de
Bautzen. C'est un journal que le recteur de l'école Johannes Theill a
tenu de 1642 à 1679, année de sa mort, et où il relate, avec quelques
autres menus faits, la vie scolaire de sa Ratsschule, principalement
d'histoire et de LITTÉRArURE 253
les ouvrages expliqués dans sa classe, les examens, les exercices reli-
gieux, auxquels pariicipaient maîtres et disciples, et surtout les vale-
dictoria' orationex, les discours d'adieux prononcés par les élèves à
leur sortie de l'école, en présence d'auditeurs de marque. Un appen-
dice du manuscrit donne pour la même période des détails sur les
congés et les réjouissances scolaires, en particulier sur la fête de saint
Grégoire, qui était roccasion à Bautzen comme ailleurs de cavalcades
et de travestissements allégoriques. Une érudite introduction de l'édi-
teur nous renseigne sur la carrière de Thcill, sur son arrivée à Baut-
zen (l'acte de nomination est intégralement reproduit!, sur ses col-
lègues et sur ses efforts pour relever l'école qui avait eu beaucoup à
souff'rir pendant la guerre de Trente ans.
L. R.
Albert Waddington, correspondant de l'Institut, professeur à l'Université de Lyon,
Histoire de Prusse, tome I. Des origines à la mort du Grand-Électeur. Paris,
Plon-Nourrit, 191 1, xii-394 p. 8», cartes et portrait. Prix : 7 fr. 5o.
Le nouvel ouvrage de M. Albert Waddington s'ouvre par quelques
considérations générales sur ce que j'appellerais volontiers \a philoso-
phie de Vhistoire de Prusse. En historien impartial, M. W. rend plei-
nement justice aux eff'orts, couronnés de succès, des Hohenzollern,
pour faire sortir quasiment du néant, un royaume aujourd'hui si
puissant; mais il n'est pas de ces âmes naïves qui ont créé de nos
jours la légende d'une dynastie, préoccupée, dès le xvii^ et le
xviii" siècle, des intérêts supérieurs de l'Allemagne, et qu'aurait animée
un esprit de patriotisme germanique qui manquait à la plupart des
Allemands (p. xii). Il constate — sans leur en faire un reproche —
qu'ils eurent au cours des siècles, « une politique purement égoïste »;
jamais d'ailleurs les vrais fondateurs d'empires n'en ont eu d'autre,
si l'on y regarde de près. Dans le premier livre, l'auteur nous
esquisse rapidement les destinées de la Marche de Brandebourg,
depuis les origines jusqu'à l'avènement de l'Electeur George Guil-
laume en 161 g, en cent vingt pages environ. Dans le second livre il
retrace le passé de la Prusse proprement dite sous le gouvernement
de l'Ordre teutonique, et puis sous ses ducs héréditaires jusqu'à
l'extinction de la branche des Hohenzollern de Kœnigsberg. Avec le
troisième livre nous entrons enfin dans l'histoire générale et nous
assistons à la première ébauche de l'Etat brandebourgeois-prussien à
travers toutes les péripéties de la guerre de Trente Ans et de la guerre
du Nord (1619-1660), aux misères des débuts de Frédéric-Guillaume,
le Grand Electeur, et à ses premiers succès. M. W. reconnaît les
mérites hors ligne de ce prince, vrai fondateur de la Prusse moderne,
qui savait ce qu'il voulait et qui, pour atteindre au but, employait la
ruse et l'équivoque quand la force n'était pas de son côté, mais sans
plier jamais dans la tourmente plus qu'il n'était indispensable. L'au-
254 REVUE CRITIQUE
leur n'a fait que résumer ici, en révisant les données de son premier
récit, les deux volumes du grand ouvrage qu'il a consacré récemment
à Frédéric-Guillaume. Le quatrième livre s'occupe de l'administra-
tion intérieure du Grand-Electeur, de 1660 à 1688, et le cinquième
de sa politique extérieure durant le même laps de temps. L'alliance
avec la France ne lui ayant valu que des déboires après le traité de
Saint-Germain (1679), il l'abandonne in petto dès l'époque de la
trêve de Ratisbonne (1684) pour l'alliance avec l'Empereur et les Pro-
vinces-Unies ; mais il est trop peu satisfait de l'attitude de ses nou-
veaux amis pour ne pas rester tout d'abord dans une réserve prudente
à l'égard de Louis XIV, et c'est seulement sous l'impulsion d'une
indignation d'ordre confessionnel qu'il marque la rupture définitive
avec ce monarque, en promulguant l'édii de Potsdam (8 nov. i685)
en faveur des religionnaires fugitifs. En Jugeant l'ensemble de ce
règne de près d'un demi-siècle, et tout en y signalant des procédés
politiques regrettables et des défauts personnels choquants, M, W. a
raison d'en déclarer les résultats « grandioses » (p. 56 1). D'un Elec-
toral absolument ruiné, d'un duché vassal de la Pologne, il a fait un
Etat presque centralisé, fondé sur deux assises solides, une bureau-
cratie diligente et une armée considérable. « L'intérêt direct du Bran-
debourg a été la règle unique de sa conduite >; (p. 563), mais celle-ci
a profité en définitive à l'Allemagne moderne et l'exemple qu'il a
donné, suivi avec une énergie tenace par ses successeurs, a fini par
rendre cet Etat, si débile dans les sables de la Marche, redoutable à
tous ses voisins. Ce sera le sujet d'un second volume que nous espé-
rons prochain '. j^
1
Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France
depuis les traités de Westphalie jusqu'à la Révolution française. XVII I.
Diète Germanique, avec une introduction et des notes par Bertrand Al'erbach,
professeur à l'Université de Nancy. Paris, F. Alcnn, 19 12, xcviii, 400 p.. gr. S".
Prix : 20 fr.
Le nouveau tome des Instj'iictions aux ambassadeurs de France,
qui vient de s'ajouter à la série déjà considérable des volumes de cet
important recueil, n'est certes pas l'un des moins intéressants de la
collection, encore que la Diète Germanique n'ait été ni au xvii% ni
I. Il n'y a point d'observations de détail de quelque importance à faire sur une
matière que l'auteur possède si bien. Pour lui montrer avec quelle attention j'ai lu
son volume, j'ajoute ici quelques errata pour une édition prochaine. P. io3, lire
Andreae pour A>idraea. — P. iig. Vers 1600, Strasbourg netait plus du tout « un
milieu moins attaché à la lettre du luthéranisme «. A ce moment, la plus stricte
orthodoxie luthérienne avait effacé le souvenir de la large tolérance qui avait
existé dans cette ville libre un demi-siècle auparavant. — P. i 2 i. 11 n'y a pas eu de
Diète à Ratisbonne en 1617, mais seulement une réunion de quelques princes et
Etats. La dernière Diète impériale fut convoquée en lôi? et se sépara, sans abou-
tir. — P. 507, on confond Ent^lieim, près Strasbourg, avec Ensisheim dans la
Haute-Alsace.
d'histoirk et oe littérature 255
surtout au xviii'' siècle, un centre d'action politique bien considérable.
Mais c'était l'arène classique où les Etats du Saint-Empire romain
essayaient leurs forces, au détriment les uns des autres, tandis que,
par suite d'une vieille tradition, la diplomatie française s'ingéniait à y
créer des courants d'opinion hostiles à la maison d'Autriche et favo-
rables à l'inHuence des Bourbons, voire même à une certaine hégé-
monie de la France, sous les couleurs du vif intérêt ressenti par elle
pour la <i liberté germanique ». Cette politique, qui avait généralement
assez bien réussi au xvi'-' siècle et dans la première moitié du xvu'',
remporta quelques derniers succès après les traités de Westphalie,
grâce aux diplomates habiles, formés à l'école de Mazarin, MM. de
Vautorte et Robert de Gravel, qui représentèrent successivement
Louis XIV à Ratisbonne. Mais déjà sous M. de Verjus, l'influence
française est en baisse, puisque l'ambition du monarque, de plus en
plus apparente, etTraie ses voisins et indispose même les anciens par-
tisans de la France à mesure que ses usurpations et ses attaques contre
les États immédiats de l'Empire deviennent plus fréquentes. La
méfiance augmente quand il renonce toujours plus ouvertement aux
alliances protestantes d'autrefois, sans inspirer, pour cela, plus de
confiance aux États catholique de l'Allemagne. Le point culminant de
la prépotence française est marqué par là trêve de Ratisbonne (1684).
Puis s'ouvre la guerre de la succession du Palatinat, se forme la coali-
tion européenne sous la direction de Guillaume d'Orange, s'engage la
grande lutte pour la succession d'Espagne, et au cours de tous ces
événements les conditions de l'équilibre européen sont modifiées,
trois Électeurs du Saint-Empire (Brandebourg, Saxe et Hanovre]
ceignent des couronnes royales, et quand, à la mort de Louis XIV, la
F'rance songe à faire occuper enfin de nouveau le poste de résident à
Ratisbonne, la Diète germanique elle-même est devenue une parlotte
insignifiante, puisque c'est avec les cours de plus en plus émancipées
des États dominants dans l'Empire que l'on négocie désormais. Aussi
ne voyons-nous plus que des personnages plus ou moins insignifiants
occuper désormais ces fonctions. MM. de Gergy, de Chavigny, de
La Noue, etc., assistent, sans instructions bien précises, aux discus-
sions monotones de ce corps falot, qui représente de moins en moins
l'Allemagne vivante, jusqu'au moment où la querelle des princes pos-
sessionnés en Alsace amène la rupture entre la France révolution-
naire et le Saint-Empire romain.
Nous ne nous arrêterons pas cette fois à analyser plus en détail les
instructions émanées du Cabinet de 'Versailles, puisque nous savons
que le savant doyen de la faculté des lettres de Nancy qui a, de
longue date, entrepris l'étude des menées de la diplomatie française
en Allemagne ', termine en ce moment un autre volume, dans lequel,
I. Nous rappelons son ouvrage, La diplomatie française et la Cour de Saxe
{1648-1680), l^aris, 1888, 8".
256
REVUE CRIïK/UE
exploitant la riche source des Archives des Affaires étrangères, il
racontera, plus en détail, et d'une façon plus individuelle, les péripc-
péties de la politique franv^aisc vis-à-vis du Saint-Empire, dans les
années i653à 1792, telle qu'il la résume ici, dans une introduction
très suggestive déjà, et riche en détails nouveaux. Nous reviendrons
alors sur les travaux de M. Auerbach, fruit d'un long et souvent
pénible labeur à travers les dépèches de nos diplomates, les grimoires
latins des jurisconsultes germaniques et les procès-verbaux allemands,
trop souvent soporifiques, de la haute assemblée elle-même. Bornons-
nous à dire, pour le moment, que, sur le fond même de son travail,
nous sommes à peu près partout d'accord avec l'auteur, soit qu'il juge
la politique de Louis XIV, soit qu'il apprécie raiiiiude des princes
d'Allemagne, et nous ne nous scandalisons pas le moins du monde
de ce que M. A. n'a pas toujours parié des arcanes de la diplomatie
avec le respect pieux qu'affectent volontiers les initiés de la « car-
rière » '. j^
Maurice Pf.rrod, Répertoire bibliographique des ouvrages franc- comtois
imprimés antérieurement à 1790. l'aiis, lli>noré Chainpion, 11J12, 382 p.,
gr. 8». Prix : 16 fr.
Tout répertoire bibliographique consciencieusement établi mérite
des éloges, car c'est toujours un travail fastidieux et pénible de le
dresser et nul de ceux qui l'entreprennent ne peut jamais se flatter
d'être absolument complet. Celui de M. Perrod se présente comme
une œuvre de longue patience et Ton voit bien qu'il n'a reculé devant
aucun labeur pour l'enrichir. ,Ie ne suis aucunement outillé d'ailleurs
pour rechercher s'il y a des lacunes sérieuses dans ce catalogue de
dimensions respectables ' ; pour prouver à M. Perrod tout l'intérêt
1. Pour satisfaire à notre devoir de critique et pour montrer à l'auteur avec
quelle attention nous avons parcouru son volume, nous notons ici quelques
menues corrections de détail. — P. 63, Antoine Schott n'est pas mort à Colmar.
M. X. Mossmann a fait réimprimer en 1878 le sermon funèbre prononcé lors des
obsèques du diplomate saxon, à Katishonne, par le pasteur Zimnier en i685.
P. i3i, lire Paderborn p. Paderbos)i. — P. 170, 1. liilicis p. Inliers. — P. 243,
1. Durcklieim p. Tttrckhcim. — P. 347, Dn lapsus de plume a fait citer par l'au-
teur HotVmann, L'Alsace au xviii'^ traduit par Ingold; c'est édité qu'il faut lire. —
Gérard de Rayneval n'était pas de Marnioutier {Mattismiaister), mais de Masevaux
{Maasmiinster). — D'autres eirata (que nous ne mentionnerons donc pas ici) sont
relevés sur une feuille volante jointe au volume.
2. M. P. déclare — ce qui est regrettable, à mon avis — avoir laissé de côte les
factums et mémoires judiciaires imprimés dans lesquels l'histoire provinciale
puise souvent des renseignements bien curieux pour les biographies des notabi-
lités locales, et pour l'histoire des mœurs et qui l'emportent en intérêt sur une
foule de productions théologiques et autres, citées ici. — Pour certains noms, il y
a très probablement des oublis. Ainsi pour Claude Goudimel, il est difficile de
croire qu'il n'y a pas eu plus d'éditions de ses Psaumes que celles indiquées
p. 162, et les pamphlets politiques de Mathieu tic Mourgues doivent avoir été
plus souvent imprimés qu'il n'est dit p. 248.
d'histoire et de littérature 257
avec lequel j'ai parcouru son ouvrage, je me permettrai seulement de
lui présenter quelques observations sur sa méthode de travail, qui ne
me semble pas toujours conséquente. Ainsi p. 91 (n" 5i3) on lit :
« Coppel, le P. Elisée, carme déchaux, Oraison funèbre du roi Sta-
nislas (vers I j65i ». Puis, à la p. 1 '3 i (sous le n° 794), nous trouvons :
« Elisée, Jean-François Elisée Copel, Oraison funèbre de Stanislas,
Besançon, 1706)). — Ailleurs les ouvrages de G. de Saint-Amour
figurent sous quatre rubriques différentes : au n" 925 sous Flacius
lllyricus ; au n'^ io5i sous Guillaume de Saint Amour; au n" 2189
sous Saint-Amour, J. V. de; au n'^ 2354 sous Vêtus. Jean. Les tragé-
dies de Mairet figurent d'abord p. 216, puis nous retrouvons l'auteur
p. 324, sous Sophonisbe ; pourquoi les séparer? l^ourquoi encore le
Masson du n° 1459 est-il séparé du n» 2375 ? Il en est de même des
écrits de Nonnotte (nos 5^2 et 820) '.
Les fautes d'impression ne manquent pas " et les titres allemands
sont généralement mutilés; l'auteur aurait dû faire relire ses épreuves
par quelqu'un qui sût l'allemand, surtout celui du xvii" siècle'. Mais
ces critiques de détail ne doivent pas nous rendre injuste pour le tra-
vail consciencieux de M. Perrod. Il nous laisse entrevoir une suite
à son travail, une Bibliographie francomtoise de 1790 à nos jours;
elle sera la bienvenue '.
R.
Alfred Baudrili.art, Recteur de Tlnstitut catholique de Paris, docteur ès-
lettres. Histoire de France, publiée avec la collaboration de J. Martin, profes-
seur à l'Ecole Massillon. — Cours moyen, certificat d'études. Paris, Bloud et
Comp. s. dat. (1911-.') IV, 328 p. iS», illustré. Prix : 1 fr. 60.
M. Baudrillart trouve détestables les manuels scolaires, mis entre
les mains de la jeunesse primaire par les soins de l'enseignement offi-
ciel ; il a voulu en publier un qui répondît à ses préoccupations reli-
gieuses et pédagogiques personnelles, et c'est de cet effort qu'est né le
r. Je remarque aussi que l'abbé Lambert meurt, à la même page (p. 196), à
Paris et à Lons-le-Sannier. P. 210, il ne suffisait de dire que M. Pribram cite les
pamphlets du baron de Lisola; le bibliographe devrait énumérer la Saitce an
Verjus et les autres satires ou brochures polémiques du diplomate impérial.
2. P. 127, au lieu de Diinvocll de Fiilt^, il faut lire Diirwell de Soult^. — P. 129,
1. Kirchlieim p. Kirchcm. — P. 1006, 1. rhétorique p. rhéthorique. — p. igS,
1. Zetpieri p. Zetneri. — P. Vij, 1. / 7<S'<y p. ij38.
3. P. ri6, lire Pliilosophisclies p. Pliilosophischen. — P. iSy, 1. Gespraecli p.
Gesprach. — P. 1(17, I. Kriegsleufteii p. Kriegsleusten. — P. 214, 1. Cathechetisch
p. Catliaclictiscli. — P. 248, 1. Dienst p. Dients. — P. 282, 1. Preischri/t p. Preis-
clifrit. — P. 299, 1. gcgeben p. gegelen. — P. 353, 1. Iiochseliges p. lochseliges,
etc.
4. 11 y a déjà quelques numéros qui dépassent 1790; ainsi p. iii, M. P. parle
de l'abbé Descharrières mort comme aumônier au Lycée de Strasbourg en 1824.
La plupart de ses écrits ne sont pas énumérés, comme postérieurs à 1790; mais
pourquoi mentionne-t-il les Observations sur les aiicieinies forti/ications de Stras-
bourg, qui n'ont paru qu'en 1818?
2 58 RKVUK CRiriQUE
prcscni vt)lunu', doiii la prcMacc annonce que les ailleurs ne soni pas
neutres niais prétendcni être impartiaux, ei qu'en >• leur qualiié de
catholiques et d'hisioriens », ils diront u en toute circonstance la
vérité ». On peut mettre en doute que tout y soit « mis a la portée
des jeunes intelligences « ' ; on trouvera vieillotte la méthode des
questionnaires avec réponses ', et l'assurance que « l'illustration ne
donne rien à la fantaisie » et qu'elle est » tout à lait documentaire »
étonne un peu quand on constate que la plupart des « images » de
cette histoire de France sont empruntées à MM. Mélingue, J.-J. Lau-
rens, Ary Schclfer, Bordes, Yvon, Luc-Olivier Merson, Puvis de j
Chavannes, Horace Vernct, Delacroix, etc., etc., qui furent et sont de '
grands artistes mais, en partie du moins, des archéologues médiocres '.
Pour le fond, il est inutile de s'y arrêter longtemps, puisque nous !
connaissons la tendance des auteurs qui, dès la préface, ont pris soin
d'accentuer leur « qualité de catholiques w. Tout y est raconté,
autant que possible, à la plus grande gloire de l'Eglise. Si celle-ci
« au moyen âge, avait de grandes richesses » elle en « faisait généra-
lement un noble usage » (p. 34). Si l'évêque Cauchon est stigmatisé
comme « abominablement perrtde », si les juges de Jeanne d'Arc
sont qualifiés de « bourreaux », nous n'apprenons pas que le Saint-
Siège approuva, toutau moins tacitement, la sentence, mais seulement
que « le pape Pie X a déclaré bienheureuse » la suppliciée de
Rouen (p. 80). Si la Réforme s'est produite, c'est parce que « beau-
coup de particuliers n'étaient pas fâchés de se soustraire à certaines
règles que l'Eglise leur imposait » et parce que l'Eglise avait de
grands biens dont les princes désiraient s'emparer, et que beaucoup
de rois voulaient cominander aux âmes, ce à quoi l'Eglise mettait
obstacle » (p. i 19-120). — Les guerres de religion furent assurément
très douloureuses; mais « il est beau cependant d'avoir le courage de
1. Quand on leur dit, par exemple que les Albigeois « détruisaient le christia-
nisme et menaçaient la société » (p. 43) ou qu'on leur raconte que « Louis XIV
avait trop longtemps vécu sans tenir compte des lois de la morale » (p. 178),
M. B. croit-il \Taiment qu'un enfant de 10-12 ans comprendra quelque chose à
ce style noble? Et quand on lui a fait savoir que Henri III « se parfumait comme
une femme et vivait entouré de jeunes seigneurs qui s'habillaient avec coquet-
terie » (p. i33), il s'étonnera sans doute qu'on appelle cela de « très grands vices».
2. Cette façon surannée de fourrer dans la cervelle des élèves les faits essentiels
de l'histoire, en outre qu'elle en fait des perroquets, a le grave inconvénient de
prendre beaucoup de place dans un si petit volume. Assurément il faut interroger
les enfants sur ce qu'ils ont appris, mais l'interrogation doit se faire spontané-
ment, par la libre initiative du maître, s'adaptant à la capacité de celui qu'il
questionne et non d'après un schéma fixé, une fois pour toutes, par un auteur
qui ne connaît pas les élèves en vue desquels il formule son questionnaire.
3. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait que des reproductions de peintres modernes;
dans le volume de M. B., il y a beaucoup d'illustrations et certainement c'est un
des points dignes d'éloges que cette abondance de figurations qui rendent plus
saisissable pour l'intelligence puérile les hommes et les choses du passé.
f
d'histoire et de littérature 259
verser son sang pour ce que l'on croit » (p. i23) '. Les Jansénistes
ne sont pas mieux traités que les huguenots; ils « affichent une
morale sévère » (ce qui implique qu'ils sont des hypocrites] et ils
poursuivent les Jésuites « d'une haine mortelle » parce que ceux-ci
sont « les plus fermes défenseurs de la vérité catholique » (p. 180).
Toute l'histoire moderne et contemporaine est abordée dans le
même esprit. Sans doute on trouve de très sages réflexions sur « les
inconvénients du pouvoir absolu « (p. i 14) ; il y est même question
de Voltaire et de Rousseau, sans épithètes vengeresses de la foi
menacée, mais la période de 1789 à 1799 est racontée avec un
manque de sympathie visible ' et si l'on ne manque pas de signaler
que Bonaparte « assista lui-même à une solennité religieuse, rompant
avec l'impiété des gouvernements révolutionnaires » (p. 234) nous
n'apprenons pas qu'il ait imposé à l'Eglise de France les articles
organiques. La troisième république n'est pas mieux partagée que la
première. Les enfants éduqués d'après notre manuel, sauront que les
premiers ministres républicains de Mac-Mahon « ne tardèrent pas à
effrayer les conservateurs et les catholiques » (p. 289) et que, dès
1880, Jules Ferry « commença laguerre contre les catholiques » (291);
mais on se demande s'ils pourront rien comprendre au récit de l'Af-
faire (p. 297-298) qui est un modèle d'escamotage prestement exé-
cuté \ — La presse bien pensante ne cesse de se plaindre des « odieux »
1 manuels qui envahissent nos écoles publiques; il y a eu certaine-
ment de regrettables exagérations, relevées dans certains d'entre eux,
parfois même d'assez grossières erreurs. Mais quand on constate ce
que l'on entend, dans le camp opposé, par les belles promesses de
1 « dire en toute circonstance la vérité », on ne peut s'empêcher de
penser que, demeurant eux-mêmes dans une maison de verre, cer-
tains seraient mieux avisés s'ils mettaient moins de zèle à casser les
vitres d'autrui.
E.
1. Et le sang d'autrui, est-il aussi beau de le verser, « pour ce qu'on croit » ?
— Les Ligueurs sont pour M. B. des « patriotes bons Français mais bons catho-
liques » (p. i33); mais son impartialité leur permet d'enseigner que Coligny « se
servait du prétexte de la religion... l'our s'assurer des honneurs et des pensions»
(p. \2'i). En parlant de la Révocation de l'Edit de Nantes, il affirme avec la même
impartialité, que Louis XIV ne fit que << suivre l'exemple des princes protestants
persécuteurs des catholiques » (p. 170). 11 serait bien embarrassé de citer le sou-
verain contemporain qui chassa de son pays cent mille catholiques et dragonna
les autres jusqu'à ce qu'on les eût traînés au prêche.
2. A cette occasion défendons le pauvre La Réveillère-Lepeaux contre l'accusa-
tion d'avoir inventé une religion nouvelle (le théophilanthropisme) « où l'on nom-
mait Dieu l'Etre Suprême » (p. 3i4). M. B. a sans doute oublié pour un instant
que VEtre Suprême date de Robespierre et d'un temps où le futur Directeur
n'avait pas encore grand chose à dire.
3. Signalons encore l'ironie discrète avec laquelle l'auteur caractérise de « can-
dide » la doctrine de la Souveraineté nationale, « encore en honneur aujour-
d'hui ».
200 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
— Le second fascicule de W'ùiter nud Saclieu, vol. III (Hcidelberg, 191 2, chez
C. Winicr) renferme un grand article de M. Mcringer sur le poêle et ses diverses
formes; la partie linguistique de cet article se compose seulement de quelques
observations sur l'ctymologic du mot allemand kacliel. Le fascicule est complété
par une série de notes, parmi lesquelles on remarque d'excellentes observations de
M. \'asmer sur des mots russes empruntes à largot. — A. Me.
— Un savant tchèque, M. Vilem M.\tiiesii;s, a public en 191 1, à Prague, dans
les publications de l'Académie, une étude de 24 pages in-8», intitulée d'une manière
un peu énigmatique : O potencialnosti jevu ja^rkovvch. 11 s'agit en réalité des
variations que comportent les cléments linguistiques dans le parler d'un individu
donne, et notamment de l'autonomie des mots. L'auteur a une grande lecture,
mais n'apporte pas de faits nouveaux. — A. Me.
— Nous avons reçu le 46" fascicule du Dictionuaire des antiquités grecques et
romaines, de Daremberg et Sagi.io, continué par MM. Pottier et Lafaye; t. V,
i>« partie, pp. 1-68. Il contient, outre le discours de M. 0.\io.nt et une notice de
M. PoTTiER (avec portrait en héliogravure) sur M. Edmond Saglio, mort le 7 décem-
bre 191 1, les articles suivants : tabella, tabellarius, tabula, tabularium, tabularius,
talus, tessera (G. Lafaye); tabellariae leges (Humbertet Lécrivain); tabellio, tabu-
lae novae, talio, taxatio télé, télonai, tergiversatio, terminus molus, testimonium
falsum, testimonium, testis (Ch. Lécrivain;'; taberna, tabernaculum. tcnsa i thcnsa),
tentorium, tetrarchia, textrinum (V. Chapot) ; taenia, Tages, tagetici libri (E. Sa-
glio); tagos, tamias, tamieion (Alb. Martin); tainaria, tamyneia, tauria, tauro-
cholia, taurokathapsia, tauropolia, taurophonia (E. Cahen): talca, temenos, tem-
plum (A. Sorlin-Dorigny) ; talentum, ternio, tetartemorion. tetrachalcus lE. Babe-
lon) ; tetrassarion, tetrastater, tetrobolon (E. Babelon et F. Lenormant); tapes
(M. Besnier); taurii ludi, tentipellium, tessarakostaion (E. S.); taurobolium (Espé-
randieu); taxiarchoi (A. Krebs); tector, tectorium, tectum, tegula (A. Jardé);
Telchines, Telcsphorus (G. Darier) : Tcllus mater, Terminus, terminalia
(J. A. Hild); telum (R. Gagnât); terebra (Héron de Villefosse); terminatio, ter-
mini, territorium (J. Toutain); teruncius (F. Lenormant); testamentum (L. Bcau-
chet et Ed. Cuq); testudo (A. Jacob et E. S.); Téthys (A. Legrand) ; tetrapolis
(G. Glotz); tettix (A. Boulanger).
' Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du j3 septembre rprs.
— Le R. P. Scheil présente un poids babylonien, de tous le plus ancien, puisqu'il
est daté du roi Ouroukaghina (vers 2800 a. G.). C'est un poids de i3 sicles, soit
d'un quart de mine. Au peser, il représente 119 gr. 3o centigr., soit pour la mine
entière le total de 447 gr. 20 centigr.
M. Gagnât communique une note dans laquelle M. Merlin, directeur des Anti-
quités de la Tunisie, étudie et discute certaines opinions récemment émises sur
l'emplacement du champ de bataille de Zama. Dans des ouvrages parus dernière-
ment, on a proposé de fixer le lieu de cette rencontre fameuse soit au S. de Sidi
Youssef, sur la frontière tuniso-algérienne, soit aux environs du Kef.M- Merlin
démontre tout ce que ces théories ont d'hypothétique et conclut qu'en réalité, dans
l'état actuel de la documentation, il ne semble pas possible délocaliser exactement
l'endroit où s'est produit ce combat qui marqua, par la défaite d'Hannibal, la fin
de la seconde guerre punique, en 202 a. G. —M. Glermont-Ganneau présente
quelques observations.
M. Noël Valois lit une étude sur les sermons prononcés par le pape Jean XXII
devant le collège des cardinaux.
Léon Dorez.
L" imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouclion et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 40 — 5 octobre. — 1912
Stengel. L'Immunité en Allemagne. — Bresslau, Le millénaire de l'indépen-
dance allemande. — P. de Vaissière, Quelques assassins. — L. Febvre, Phi-
lippe II et la Franche-Comté. — Pirenne, Histoire de la Belgique, IV. — Hume,
La cour de Philippe IV et la décadence de l'Espagne. — Strich, Lisclotte et
Louis XIV. — Lehr, La Réforme et les églises réformées en Eure-et-Loir. —
MûNCH, Essais sur la vie allemande. — F. Buisson, la foi laïque. — G. et H.
BouRGiN, Le socialisme français. — F. Maury, Nos hommes d'Etat et l'œuvre
de réforme.
Edmund Ernst Stengel, Die Immunitaet in Deutschland bis zum Ende des
11. Jahrhunderts. Teil I. Diplomatik der deutschen Immunitaetsprivilegien
von g. bis Ende des ii. Jahrhunderts. Innsbruck, Wagner, igio, XXXVI, ySi p.
grand in-S».
L'auteur, professeur agrégé à l'Université de Marbourg, a conçu le
projet d'un grand travail sur V Immunité en Allemagne durant les
premiers siècles du moyen âge, dont le premier volume si compacte,
de près de huit cents pages, n'est, à vrai dire, que l'introduction. Pour
arriver à des résultats plus solides, M. Stengel a cru devoir établir
préalablement la diplomatique détaillée de tous les privilèges royaux
d'immunité, à lui connus, du ix^ au xi^ siècle, c'est-à-dire étudier les
formules ou les modèles d'après lesquels les diplômes d'immunité de
cette époques ont été dressés ; de fixer, pour ainsi dire, leur état civil,
afin de pouvoir établir ensuite, pour chacune de ces formules, la
valeur et le sens réel qu'elle comporte dans le « style » des notaires
royaux, à une date précise. C'est un travail aussi lon^ que délicat.
Aussi ne peut-on que louer le courage et la patience de l'auteur qui,
depuis des années, étudie la matière ', en suivant les traces de Théo-
dore de Sickel, qui, voilà cinquante ans déjà, analysait dans ses Bei-
traege ^ur Diplomatik les lettres d'immunité et de protection des
premiers Carolingiens jusqu'à la mort de Louis-le-Débonnaire.
C'est par le formulaire du fils de Charlemagne que M. St. com-
mence ses recherches "; puis il étudie les documents analogues éma-
nant des derniersCarolingiens. Le troisième chapitre est consacré aux
auteurs des privilèges d'immunité, du x" au xi" siècle et nous fournit
1. Une preiïiière étude de M. St. [Grundherrschaft und Immunitaet) paraissait,
dès 1004, dans la Zeitschrift der Savigny-Stiftitng.
2. bans les appendices, on trouvera (p. 397-G58) la reconstruction complète du
formulaire d'immunités de Louis-le-Débonnaire, d'après quatre-vingt-dix-neuf
diplômes et formules réunis par l'auteur.
Nouvelle série LXXIV 40
202 REVUE CRITIQUE
une longue liste des notaires royaux de cette époque. Le quatrième
chapitre traite des modèles suivis die Vorlage), et l'auteur y montre
comment parfois ces formules sont transportées dans d'autres régions
et combien elles sont dépendantes les unes des autres '. Le cinquième
chapitre s'occupe des analogies entre les lettres d'immunité et les
bulles pontificales. Dans le sixième chapitre [Giiederung und Formu-
liening) M. St. étudie très en détail la terminologie des diplômes et
fixe le sens précis des mots pour la langue du moyen âge; dans le
septième, il traite des diplômes dans lesquels l'immunité proprement
dite est combinée avec d'autres privilèges (protection royale, fran-
chise de péages, dîmes, droits électoraux, etc.). Le huitième et dernier
chapitre est consacré aux immunités spéciales (Teilimmunitaet), aux
diplômes où le notaire royal a mentionné plus particulièrement telle
partie du domaine ecclésiastique, telle parcelle plus éloignée du centre,
plus exposée par conséquent à quelque attaque, pour lui procurer
comme un surcroît de protection. Il y est traité aussi des immunités
relatives aux banlieues des villes et aux donations forestales.
Nous devons nous borner à ce résumé très sommaire du volumi-
neux travail de M. Stengel. On ne saurait analyser et discuter ici dans
ses détails un travail d'érudition juridique tout autant qu'historique,
pour l'étude approfondie duquel il faudrait une compétence spéciale
qui nous manque. Mais nous pouvons dire que c'est un travail fait
avec un soin consciencieux et qui doit inspirer confiance à ceux qui
l'utiliseront à leur tour. L'auteur mérite d'autant plus d'éloges pour
ses patientes recherches qu'il a dû se dire, dès le début, qu'il ne serait
lu que par un petit nombre de spécialistes.
On fera bien de ne pas négliger les Errata et Additions (p. 701-71 1)
assez nombreux, ce qui ne saurait étonner, vu le nombre effrayant
des chiffres, renvois et citations donnés par l'auteur. Le catalogue
des seules citations de diplômes remplit près de quarante pages
(p. 713-751) %
E.
Das tausendjaehrige Jubilaeum der deutsohen Selbststaendigkeit von Harry
Bresslau, Strasbourg, Trûbner, 1912, 16 p. gr., in-S». Prix : i fr. 5o.
Les professeurs de l'Université de Strasbourg ont fondé en 1906
une Société pour l'avancement des sciences en Alsace-Lorraine; ce
Fere/n, qui ne comprend guère que des immigrés, a fait paraître déjà
plusieurs publications relatives soit aux antiquités égyptiennes, soit
1. M. St. a traité en détail (p. ôSy-ôôS), le cas de Strasbourg, Altaich, Prum, où
il montre combien les privilèges de ces deux dernières abbayes sont dépendants de
celui de Strasbourg.
2. Les localités françaises, auxquelles sont octroyés des diplômes d'immunité,
cités dans ce volume, &oxiX Besançon, Cambrai^ Dijon, Épinal, Luxeuil, Reims,
Sainte-Claude, Saint-Denis, Saint-Dié, Seriones, Toid et Verdun.
d'histoire et de littérature 263
aux liitératures orientales, etc. C'est à la dernière assemblée générale
de l'association, le i"'- juillet 191 i, que M. Harry Bresslau, profes-
seur d'histoire, a fait la conférence, reproduite ici, sur le millénaire
de Vindépendance allemande, qu'il Hxe au 10 novembre 911. C'est à
cette date que les grands de la Francie orientale, de la Saxe et de la
Souabe, élurent le duc Conrad de Franconie, comme chef d'une
Allemagne indépendante de l'empire carolingien, dont les derniers
représentants existaient encore dans la Francie occidentale et consti-
tuèrent ainsi un nouvel état au centre de l'Europe. M. B. raconte à
cette occasion comment, dès 1843, le roi de Prusse, Frédéric-Guil-
laume IV, avait voulu organiser la célébration du millénaire du traité
de Verdun, et fêter à cette date, le jour de naissance de l'Allemagne
moderne. Mais l'indifférence marquée de l'Autriche et l'opposition
catégorique des quelques autres ctats de la Confédération germanique
fit échouer ce projet, qui ne trouva guère d'écho partiel qu'en Prusse.
C'est un chapitre assez curieux de Thistoire de l'esprit public en Alle-
magne, vers le milieu du xix^ siècle, raconté d'après des documents en
partie inédits.
E.
De quelques assassins, par Pierre de Vaissière, Paris, Emile Paul, 19 12, in-S",
X et 409 p., 7 fr. 5o.
M. de Vaissière partage son temps entre l'histoire de la Révolution
et celle de la fin du xvi"^ siècle. Cette dernière époque, qu'il appelle
« l'âge héroïque, luxurieux et sanglant », a pour lui un attrait particu-
lier, et il se complaît particulièrement à l'étude de personnages tenant
plus de la bête de proie que de l'homme. Dans son nouveau volume
il s'attache successivement à Poltrot de Méré, Maurevert, Besme,
Henri III et ses Quarante-cinq, enfin Jacques Clément ; il reconstitue
habilement l'existence de ces assassins, la genèse et l'exécution des
crimes qui leur ont valu leur triste célébrité. Il entrevoit une inter-
prétation nouvelle, et s'élève contre les historiens qui ont considéré
! celte série de meurtres comme « une sorte de drame dont le nœud
aurait été la rivalité des deux puissantes familles, les Guise et les
Chatillon ». Il découvre une effroyable unité entre eux et pense que
le lien pourrait bien être l'exécrable politique des derniers Valois.
Pour lui, l'acteur principal serait donc Catherine de Médicis qui,
pour régner, applique des procédés italiens, s'efforce de profiter dans
son intérêt exclusif et égoïste des divisions des partis, et cherche à
lancer les catholiques contre les protestants, les Guise contre les
Chatillon, pour détruire les uns et les autres, et établir son pouvoir
incontesté sur les ruines de tous. Ainsi il soupçonne Poltrot de Méré,
meurtrier du conquérant de Calais, d'avoir été l'instrument, non de
Coligny, mais celui de la reine mère. Celle-ci, débarrassée d'un rival
qui l'annihilait depuis la mort d'Henri II, comptait rejeter la respon-
264 RKVUE CRITIQUE
sabiliic du crime sur l'amiral ci les reformés qu'elle abandonnerait à
la vengeance des Lorrains et dont elle se déferait ainsi. M. de V. ne
présente à l'appui de sa thèse qu'un document d'une authenticité très
douteuse, et en somme il semble bien que Poltrot ne fut qu'un fana-
tique dont la parente et les relations avec les chefs de la conspiration
d'Amboise expliquent suHisamment la conduite. Catherine, dit
l'auteur, ayant échoué en partie dans sa combinaison machiavélique,
essaya de la reprendre en août 1572. 11 s'agit alors de faire tuer
Colignypar Charles de Louviers, seigneur de Maurevert, dans l'espoir
que les nombreu.x huguenots, alors réunis dans la capitale, venge-
raient leur chef sur les Guise et fourniraient aux forces royales l'occa-
sion, sous prétexte de rétablir l'ordre, de tomber sur les adversaires
affaiblis. Le coup de Maurevert manqué, la reine et le duc d'Anjou
« se rendent compte qu'ils sont sur le point d'être débordés par les
fureurs des deux factions que leur projet primitif a été de mettre aux
prises » et ils se jettent dans les bras des catholiques les poussant à
attaquer leurs rivaux. L'assassinat de l'amiral par Jean Yanowitz, dît
Besme, commença le massacre de la Saint-Barthélémy dont les résul-
tats déçurent encore Catherine en laissant les Lorrains trop puissants.
Désormais la vieille reine passe la main à Henri III, son fils préféré
et son élève, qui, fidèle à ses leçons, s'efforce d'abattre les tètes trop
hautes, et ce sont les meurtres de Blois. M. de V. n'est pas toujours
impartial, il reconstitue avec précision les détails de ces sanglantes
journées, mais il ne cache pas ses préférences pour les Guise : » On
a beaucoup déclamé contre le gouvernement de la ligue. Celui-là sut
du moins ce qu'il voulait : le maintien et le triomphe de la religion
traditionnelle ; sa volonté, il sut l'imposer à Henri IV avant de l'accep-
ter pour roi ». Jacques Clément ne pouvait être représenté comme un
instrument de la politique que l'auteur croit démêler depuis le siège
d'Orléans. Le crime du moine fut, dit-il, la punition et l'expiation
des fureurs et des rancunes amassées par les fautes des derniers
'Valois.
Nous laisserons à M . de "Vaissière toute la responsabilité de l'expli-
cation de ce drame en quatre actes, mais nous constaterons volontiers
que son livre bien documenté, agréablement illustré, contient des
détails nouveaux et intéressants sur l'existence et le caractère de ces
quelques assassins, ainsi que sur ceux de leurs victimes et de leurs
inspirateurs.
A. BiovÈs.
Lucien Febvre, Philippe II et la Franche-Comté. Étude d'histoire politique,
religieuse et sociale. Paris, H. Champion, 1912, i.vi, S07 p. Gr. ln-S°. Prix : i5fr.
Le livre de M. Lucien Febvre est une thèse de doctorat récemment
soutenue devant la faculté des lettres de Paris et qui a valu, à juste
titre, à son auteur une mention très honorable. Ce n'est pas précisé-
d'histoire et de littérature 205
ment, comme le titre pourrait le faire croire, une histoire complète
des rapports du monarque espagnol avec ce qui lui restait delà vieille
Bourgogne. Elle n'est pas complète au point de vue chronologique,
puisque M. Febvrc s'arrèie longtemps avant la mort de Philippe II ;
elle n'est pas complète non plus, au point de vue des faits, puisque
l'auteur se refuse à « inventorier successivement, dans une série de
chapitres méthodiquement juxtaposés tous les faits intéressants de
tous les ordres qui se sont manifestés, un demi-siècle durant » dans
les limites de la Franche-Comté. Mais s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il
ne l'a pas voulu, son but étant autre. Il considère sa province comme
une « individualité politique », comme une « personne historique
collective >., dont il entend retracer la physionomie dans « une des
périodes les plus vivantes de son histoire ». Tâche séduisante à coup
sûr, et dont M. ¥. s'est acquitte avec beaucoup de science et de talent,
mais très dilHcile aussi, car il semble bien que la Franche-Comté
n'ait eu jamais d' « individualité ■> propre, puisque, française de
langue, espagnole par héritage, elle a toujours oscillé, sous la domina-
tion des Habsbourgs, entre deux types de formation politique très
distincts, ainsi que l'auteur le reconnaît lui-même, celui du petit
État pariiculariste et quasi féodal, s'inspirant des idées du moyen
âge et celui de la province d'un grand empire, se perdant, plus ou
moins récalcitrante, il est vrai, dans le cadre centralisateur de la
monarchie espagnole. La Franche-Comté fut travaillée ainsi, en sens
inverse, par les forces agissantes et les traditions du terroir et par la
volonté impérieuse d'un souverain, de moins en moins disposé à lais-
ser leur liberté d'allures à des sujets qu'il regardait volontiers comme
des rebelles, dès qu'ils ne se soumettaient pas aveuglément àses arrêts.
Les mouvements intérieurs de ce microcosme comtois devaient
être d'autant plus accentués, qu'au dehors, grâce à sa situation de
quasi neutralité entre le France, l'Empire et les Cantons helvétiques,
elle était, ou semblait du moins à l'abri des attaques de ses voisins.
Quand Philippe II succède à Charles Quint dans la Comté (i556) '
la vie politique et sociale est agitée, l'on peut dire bouleversée, par
les conflits violents entre l'absolutisme royal et les libertés provin-
ciales, entre la noblesse et la bourgeoisie, entre l'Eglise menacée dans
sa toute puissance et les idées de la Réforme qui s'infiltrent dans le
pays. C'est en s'appuyant sur un apport formidable de documents
manuscrits et imprimés ' que M. F. aborde l'étude détaillée de cette
1. Philippe II ne fait son apparition dans le livre de M, F. qu'assez tard, ce qui
s'explique fort bien, puisque ce n'est pas lui, mais la Franche-Comté elle-même
qui forme le centre de l'ouvrage.
2. L'auteur a donné le relevé de ses sources dans son introduction, p. xv-lvi.
Signalons seulement son dépouillement plus intensif du fonds de Granvelle à la
bibliothèque de Besançon, après Charles Weiss et Poulet-Piot, et celui des
Archives du Parlement de Dùle.
2bt) RKVUE CRITIQUE
siiuation si troubice. Dans la proiiiicrc partie de son travail, il nous
expose l'état du pays à la veille de l'avcnement de Philippe. Son récit
s'ouvre par une description idéographique très vivante des différentes
régions de la Franche-Comté, suivie d'un aperçu rapide sur l'histoire
de la province depuis les temps lointains des Séquanes jusqu'à
Charles-Quint. Il décrit ensuite les rouages administratifs, le gouver-
nement lointain de Bruxelles, le gouvernement local assez impuissant,
aux prises avec le Parlement très agissant dans les affaires intérieures,
avec les Etats, jaloux de leurs droits politiques, plus ou moins pré-
caires, tantôt contestés par la couronne et tantôt par la cour suprême.
Une noblesse ambitieuse, une bourgeoisie remuante et riche
inquiètent les représentants du roi, ces Perrenot de Granvelle, détes-
tés des chefs de l'aristocratie locale ', qui voient dans les robins
parlementaires des adversaires encore plus dangereux pour leur
influence et leurs fortunes. Une troisième partie nous montre le
contre-coup, dans la Comté, de la révolution des Pays-Bas, les
troubles politiques qui agitent le pays, le passage du duc d'Albe
(i566), celui du duc Wolfgang de Deux-Ponts (1569). Dans la qua-
trième partie, nous assistons aux progrès de l'absolutisme, après
quelques essais de réformes dans l'Église, l'Université, le Parlement.
Les Ordonnances d'avril i586 marquent latin des luttes intérieures, la
soumission, plus ou moins résignée, à l'absolutisme égoïste de l'hôte
de l'Escurial '. La Franche-Conité n'est plus seulement exploitée,
elle est sacrifiée aux principes régulateurs de la politique de Phi-
lippe II; désormais elle ne sera plus pour l'Espagne qu'une route
d'étapes, conduisant d'Italie vers les Flandres, route sans cesse par-
courue par des soudards indisciplinés jusqu'au moment où elle
devient, au cours de la guerre de Trente Ans, un champ de bataille
perpétuel.
Dans ce vaste tableau politique et social de la Franche-Comté
durant la seconde moitié du xvi^ siècle, il y a peut-être quelques idées
maîtresses, théoriquement discutables, comme l'affirmation de la pré-
dominance absolue des facteurs économiques dans la vie des peuples
sur les facteurs intellectuels et religieux. Il peut sembler aussi que ce
soit une entreprise bien hardie d'expliquer un pareil processus histo-
rique pour une époque « où l'on n'a le recours possible d'aucune
donnée statistique » (p. xii), alors qu'il serait serait déjà fort difficile
de le faire pour l'histoire contemporaine avec nos dossiers adminis-
tratifs. M. F. n'a pas craint pourtant de nous décrire un état de
choses économique et social, « dont l'interprétation, à chaque ins-
1. Un des épisodes les plus curieux du livre c'est l'espèce de duel à mort qui
remplit toute cette période, entre les Perrenot, natifs d'Ornans et Simon Renard,
de Vesoul ; on croirait lire l'histoire d'une vendetta corse.
2. A ce moment, dit l'auteur, « disparut aussi le sentiment de confiance joyeuse
en l'avenir qui animait les Comtois d'autrefois » (p. 768).
d'histoire et de littérature 267
tant, soulève des problèmes impossibles à résoudre )'. Cette réserve
faite, nous constatons qu'il a réuni dans son livre une quantité
énorme de faits, et — ■ chose plus rare ! — il ne s'y est pas perdu ; il a
su les grouper, les éclairer les uns par les autres, en tirer des tableaux
très vivants et très précis à la fois. On ne sait ce qu'on doit le plus
louer dans le travail du professeur de Besançon, la patience à
dépouiller tant de dossiers particuliers, le talent de disposer les maté-
riaux réunis par un labeur prolongé en un récit attrayant, les conclu-
sions d'une portée générale que l'auteur sait tirer des faits. Nous
citerons, comme exemples, le tableau de l'appauvrissement des sei-
gneurs territoriaux, alors « qu'à travers les mailles trop larges du
filet féodal les réalités de la vie économique, souple et fuyante,
glissent, s'évanouissent, s'échappent à leur aise » (p. 227) et celui des
sources de la richesse bourgeoise, « fondant sur la misère paysanne
l'édifice laborieux et patient de sa fortune » (p. 25 1) '.
11 n'y a presque rien à noter, comme corrections de détail \'
R.
Histoire de la Belgique par Henri Pirenne, professeur à l'Université de Gand.
Tome IV : La révolution politique et religieuse. Le règne d'Albert et Isabelle.
Le régime espagnol jusqu'à la paix de Munster (1648). Bruxelles, H. Lamertin,
igi I, vii-495 p. in-8".
Nous avons déjà parlé jadis du vol. III de V Histoire de Belgique,
de M. Pirenne, à propos de la traduction allemande de son ouvrage ' ;
c'est du tome IV de l'édition originale que nous avons à rendre compte
aujourd'hui. Il est consacré aux quatre-vingt années qui s'écoulent
entre le début de la révolte néerlandaise et la signature des traités de
Westphalie. Époque glorieuse pourles Pays-Bas réunis d'abord tous
ensemble contre la tyrannie espagnole, mais glorieuse surtout pour
les Provinces-Unies du Nord qui surent conserver leurs "libertés et
devenir une nation, alors que les provinces méridionales, un instant
associées à la rébellion commune, s'effraient de leur propre audace et
préfèrent retourner sous un Joug qui conserve leur foi mais les endort
d'un sommeil délétère dont la Révolution française seule parviendra
plus tard à les retirer. Quand on compare l'histoire de la Hollande
1. de paysan comtois, on aurait voulu le voir autrement que comme « victime »
de l'oppresseur noble et de l'usurier bourgeois; on aurait désiré le rencontrer
chez lui, dans sa vie quoditienne. 11 y a là un chapitre qui manque à ce tableau
général de la société franc-comtoise au xvi" siècle. L'Eglise aussi n'y figure que
très incidemment, dans le chapitre sur les poursuites contre les hérétiques.
2. P. 3o, il est dit que Maximilien I devint empereur le 19 août I4g3; il serait
plus exact de fixer son couronnement (dont dépendait alors le titre impérial) au
4 février i5o8. — P. 72, le siège de Saint-Dizier est de i >44 et non de i .^64. —
P. 472, lire Toiissain pour Toussaint et Htitten pour Hûttcn. — P. 482, 1. dix
pour deux. — P. 743, 1. 1 58o p. ibS-j.
3. Voy. Revue critique du. 23 décembre 1907.
268 REVUE CRITIQUE
au xvii= siècle, avec celle de la Belgique à la même époque, les con-
trastes sont frappants et, pour un patriote belge, qui ne serait pas
ultrainoniain, ils ne peuvent être que douloureux ; mais cette histoire
de la Belgique de Philippe II, d'Albert et d'Isabelle n'en est pas moins
des plus instructives et le savant professeur de Gand, tout en se
renfermant dans son rôle d'historien, a su nous en présenter les ensei-
gnements dans un style sobre et précis, et d'autant plus impressif qu'il
fuit tous les effets de rhétorique et se contente de bien établir et bien
grouper les faits. Tandis que les provinces du nord, plus énergiques,
finissent par s'émanciper du joug espagnol, et par jouer un rôle mar-
quant dans la politique européenne, celles du sud, qui d'abord avaient
lutté avec la môme vaillance pour les vieilles franchises brabançonnes
et flamandes, se soumettent dévotement aux anciens maîtres ou aux
nouveaux, passant du stupide Mathias au fourbe Anjou, d'Alexandre
Farnèse à l'archiduc Albert, jusqu'au moment où se réalise l'entière
restauration de la puissance d'Espagne et de l'Église catholique. Les
Belges, à demi ruinés, « considèrent maintenant leurs concitoyens
calvinistes du nord comme des étrangers, et se sentant incapables
de défendre contre eux leur territoire et leur foi religieuse, ils s'a-
bandonnent désormais à la protection du roi » (p. 217). La cession
des Pays-Bas espagnols aux -< infants » Albert et Isabelle, dont l'union
devait rester stérile, n'était d'ailleurs qu'un « expédient », et ce système
bâtard du « gouvernement des archiducs » qui prend fin dès i633,
cache mall'action du roi d'Espagne qui, de Madrid, le tient en bride,
dès le premier jour, par l'épée de Spinola. Les Etats généraux dissous
en 1634, n'ont été rappelés à l'existence qu'en 1788, et dès lors c'est
de nouveau le roi d'Espagne qui commande directement à Bruxelles.
Mais comme c'est un souverain «impuissant et discrédité », laBelgique
future risque fort d'être absorbée par la France, durant la guerre de
Trente Ans. Ce qui la sauva, ce fut la crainte qu'éprouva la république
des Provinces-Unies, de voir les Français s'établir sur ses propres
frontières. Malgré Mazarin, les Hollandais accordèrent la paix à leurs
ennemis héréditaires après 80 ans de guerre, et, pour obtenir cette
paix, « les commissaires espagnols sacrihèrent sans pitié la Belgique
aux exigences des Provinces-Unies » (p, 287). De tous les efforts
gigantesques faits par la couronne d'Espagne, de Philippe II à
Philippe IV, un seul résultat subsiste, « la restauration et la victoire
définitive du catholicisme » ; mais l'historien constate que « les pro-
vinces n'ont échappé à l'hérésie qu'au prix de la ruine » (p. 288 ').
I. M. P. a placé ici un chapitre latéral, si je puis dire, sur Tévéché dé Liège
qui, depuis qu'un Witteisbach en occupe le siège, est plus étroitement rattaché
au Saint-Empire; ce chapitre intéressera parles détails donnés sur l'alliance
entre Liège ei la France au cours de la guerre de Trente Ans. L'auteur est, je
crois, le premier à faire remarquer FinHuence de l'élément protestant dans les
révolutions liégeoises du temps (p. 32o et suiv.}.
d'histoire et de littérature 269
Cette décadence se marque d'une façon visible dans la partie du
volume consacrée au tableau de la Civilisation des Pays-Bas catho-
liques. « I. 'appauvrissement, l'incertitude du lendemain, les désastres
de la guerre tarissent toutes les sources de la vitalité du pays. . . Il se
réfugie dans la religion. L'Eglise seule entretient encore un mouve-
ment intellectuel qui finira bientôt par s'arrêter lui-même au milieu
de l'atonie universelle » (p. 335). Rien d'étonnant à cela; Vintelli-
gence des villes avait pris le chemin de l'émigration vers les Pays-Bas
libres ', et les masses indifférentes et dociles, travaillées par un clergé
innombrable, dirigé lui-même par un épiscopat presque aussi nom-
breux que celui d'Italie, sont d'une obéissance à toute épreuve. Les
écoles dominicales, les missions, les catéchismes de persévérance ont
fait alors de la Belgique « une véritable place de guerre spirituelle »
(p. 359) '. L'organisaiion politique du pays n'est pas moins déplo-
rable. Il n'y a plus nulle liberté; « on en est revenu en somme au
point où l'on était à l'époque d'Albe et de Requesens « (p. 391) ; un
Conseil d'État nul ; un Conseil privé qui seul fonctionne au service
du pouvoir absolu ; plus d'États-Généraux ; quelques États provin-
ciaux sans importance, sauf ceux du Brabant ; une situation finan-
cière déplorable, « les ressources du gouvernement ne parvenant
jamais à couvrir ses dépenses ». La misère est également grande dans
les villes et les campagnes ; Anvers, qui avait eu plus de cent mille
habitants, n'en a plus que cinquante-sept mille en. 1 645 , tout un demi-
siècle après le sac de la ville; dans certaines localités le quart des
maisons tombe en ruines, les gens meurent de faim ; le déclin écono-
mique est constant, universel. Les tristes gouvernements qui se suc-
cèdent, rois, archiducs ou gouverneurs généraux, ne songent à
procurer à leurs sujets que la félicité du paradis catholique sans
faire aucun effort pour leur rendre ici-bas la terre secourable et la vie
aisée, comme jadis. Pourtant si la Belgique d'alors avait eu quelque
homme d'État véritable, quelques hommes d'énergie, elle aurait pu
redevenir, après les guerres, un « champ d'action incomparable »
pour de grandes entreprises commerciales. Avec l'argent employé à
bâtir des églises, à doter des couvents, des collèges de jésuites, à
mettre en scène des processions fastueuses, on aurait facilement pu
créer une flotte belge. L'industrie était un peu moins délaissée que le
1. Nous avons rendu compte ici, il y a quelques années, du livre si instructif de
M. J, Eggen sur V Influence des Pays-Bas méridionaux siii- la Néerlande septen-
trionale.
2. 11 est un seul point sur lequel je ne suis pas entièrement d'accord avee l'au-
teur; c'est quand il déclare " que la liberté scientifique et la tolérance... furent éga-
lement odieuses aux protestants et aux catholiques (p. 447). Cela n'est vrai que
pour le xvi« siècle et une partie du xvii» siècle, et encore pas d'une façon absolue.
Mais il y a toujours cette dilférence considérable, que c'est du protestantisme
qu'est sortie, dès le xvii« siècle, et que s'est développée, dans les pays acquis à la Ré-
forme, la liberté scientifique que condamne encore aujourd'hui l'Eglise catholique.
270 REVUE CRITIQUE
commerce, mais elle avait quitte les villes pour les campagnes, et
l'agriculture elle-même, encore intense dans les Flandres, n'est plus
florissante comme par le passé. La science » n'est plus qu'une « police
intellectuelle pour sauvegarder l'orthodoxie ». On voit le vieux Juste
Lipse revenir dans le giron de l'Eglise et chanter les Vierges miracu-
leuses; Van Helmont est dénoncé comme hérétique; les historiens
sont réduits à faire de l'érudition médiévale, et presque tous sont des
clercs ou des jésuites. M. P. s'extasie un peu trop — ou bien est-ce
de l'ironie? — sur « l'extrême fécondité » des Révérends Pères, dont
« la production littéraire a de quoi surprendre l'imagination » (p. 452).
Que reste-t-il de leurs écrits? En quoi ces polygraphes infatigables
ont-ils fait avancer l'esprit humain? Et quanta la littérature profane,
elle est morte et bien morte, émasculée par les clercs; la Belgique
laïque n'a plus de voix, plus même, dirait-on, le regret d'être muette.
Quant aux beaux arts, « dominés par l'Eglise et associés par elle au
triomphe de la Contreréformation », ils sont bientôt victimes de la
décadence générale. Rubens, qu'on « a appelé avec raison le peintre
par excellence de la Contreréforme », n'est pas encore atteint dans
son génie; ses élèves, Jordaens, Van Dyk, Snyders, Téniers, sont
encore de grands artistes ; mais il est curieux et triste à la fois de
constater avec quelle rapidité leurs élèves à eux, ont été pris « de cet
engourdissement de l'activité nationale, au milieu duquel devaient
bientôt s'obscurcir, puis s'éteindre, les dernières lueurs de l'art »
(p. 468).
On le voit, le nouveau volume du savant historien de Gand est d'une
lecture attrayante et suggestive. Il ne fera pas seulement mieux con-
naître le passé de la Belgique à ses compatriotes et aux étrangers. Sans
avoir quitté le terrain purement scientifique, le brillant exposé de
M. Pirenne est de nature à faire réfléchir ceux des Belges d'aujour-
d'hui qui n'ont pas encore renoncé docilement à toute liberté de
penser.
R.
Martin Hume, professeur à l'Université de Cambridge, Lacour de Philippe IV et
la décadence de l'Espagne (1621-1665), trad. de l'anglais par J. Condamin
et P. Bonnet. Paris, Perrin et C'°, 1912, ix-5i2 p. in-8°, avec portraits. Prix :
7 fr. 5o.
M. Martin Andrew Hume compte parmi les vétérans delà littérature
historique relative à l'Espagne du xvi' et du xvu* siècle. Il est bien
connu comme éditeur des Calendars of Spanish State Papers et par
une série de volumes consacrées au passé de la péninsule ibérique '.
Il avait projeté, nous dit-il, une histoire complète du règne de Phi-
lippe IV, qui marque « la décadence finale » de la monarchie de
I. Nous rappellerons seulement quelques-uns de leurs titres The year after the
Armada., Queens of Spain, Spanish influence in cnglisli littérature, etc.
d'histoire et de littérature 271
Charles-Quint ; il y a renoncô, sous prétexte que le goût du public ne
s'accommode plus de la « grande histoire », vraisemblablement aussi
parce qu'il a senti combien mesquin, presque ridicule, fut le person-
nage qui devait tigurer au centre de son récit et qu'il ne serait guère
possible de lui gagner les sympathies des lecteurs. M. Hume a donc
réduit son récit à un tableau de la cour de Philippe IV, tableau brossé
d'ailleurs de main de maître, mais avec une indulgence que d'aucuns
trouveront imméritée. On sent à chaque page la connaissance parfaite
des hommes et des choses d'Espagne, que l'auteur a acquise par ses
longs séjours dans le pays, par la pratique constante des archives de
Simancas et des bibliothèques de Madrid, et de leurs richesses iné-
dites, comme aussi par celle des dépèches des diplomates anglais du
temps; on est étonné seulement de la mansuétude presque souriante
avec laquelle il traite ce triste souverain et son triste entourage. C'est
le premier historien qui nous entretient, avec autant de détails exacts
et précis, de la mentalité du « Roi Planète », des mœurs de sa cour,
et de sa capitale, « le laid et malpropre Madrid » qu'il appelle quelque
part « le foyer phosphorescent de la décadence d'une grande nation ».
Quand Philippe IV naquit en i6o5 et fut baptisé sur les mêmes fonts
qui avaient servi jadis pour le baptême de S. Dominique, le fonda-
teur de la Sainte Inquisition, l'Espagne était déjà bien malade. Le
pieux et inerte Philippe III, son père, et le tout-puissant duc de
Lerme, son ministre, épuisaient le sang de ses provinces pour nourrir
les folies et les vices de la cour et des grands; pourtant l'Espagne
faisait encore figure dans le monde et l'ombre de sa puissance d'au-
trefois inspirait encore quelque respect à l'Europe. Mais quand le
vieux roi eut « enjambé l'abîme qu'il avait tant redouté de frafichir,
aimé et respecté d'un peuple qu'il avait ruiné par son incapacité »
(p. 39), le nouveau monarque, incapable et fainéant comme lui, accé^
léra la chute de la monarchie tant par ses défauts que par les quelques
« qualités » que ses flatteurs admiraient en lui. Il chassa le favori tout
puissant de son père, mais pour le remplacer par un autre, plus inca-
pable et plus orgueilleux. Si « le clan des Sandoval fut écrasé sous la
botte de fer des Guzman », les malheureux sujets n'y gagnèrent rien ;
le comte-duc d'Olivarès fut plus néfaste encore à l'Espagne que le duc
de Lerme, parce qu'il voulut faire de la haute politique en même
temps qu'il devait subvenir aux dépenses de la cour, « la plus amusée
et la plus perverse, dit M. H. (avec quelque exagération sans doute),
depuis celle d'Héliogabale » (p. 45). S'il fallait en croire la chronique
scandaleuse du temps, le jeune roi, au teint pâle, aux cheveux roux,
à l'œil trouble, à la lèvre pendante, à la physionomie glacée, n'était
pas un des moins débauchés de cette cour, et sa'femme Isabelle était,
elle aussi, '«insatiable dans la recherche du plaisir » (p. 1 35). L'au-
teur, qui cependant lui veut du bien, peint Philippe comme « un
libertin sans conviction, un voluptueux qui, par la force de l'habi-
272 REVUE CRITIQUE
tudc, recherchait les saiisfaciions sensuelles longtemps après qu'elles
avaient cessé d'être pour lui un plaisir, puis les expiait dans des ago-
nies de remords où son âme devenait un enfer organise ' » (p. 160).
Seuls, les beaux-ans et les lettres jetèrent quelque lustre sur cette
décadence et cette » course à Tabime » que la chute d'Olivarès, rem-
placé à son tour par don Luis de Haro, ne parvint pas à enrayer. Le
nouveau premier ministre partageait l'influence qu'il exerçait sur la
personne royale avec une religieuse, sœur Marie, du couvent de Tlm-
maculée Conception d'Agréda, qui le régenta jusqu'à sa mort, lui
donnant non seulement des conseils politiques et lui prêchant vaine-
nement d'ailleurs la vertu, mais lui enjoignant aussi de procréer des
héritiers pour la couronne d'Espagne ^ La Paix des Pyrénées vint
trop tard et dura trop peu pour que les maux de cette longue guerre
de quarante ans pussent être réparés. La banqueroute des finances
espagnoles était si complète que les pâtissiers madrilènes refusaient
de livrer plus longtemps à crédit à la pauvre reine les tartelettes qu'elle
affectionnait tant (p. 433). Et cependant, alors que les soldats men-
diaient et les peuples mouraient de faim, « il ne s'écoulait guère de
semaines où l'on n'eût à enregistrer deux ou trois fêtes magnifiques,
des combats de taureaux, des mascarades et des tournois >> (p. 452) '.
Un prince qui vivait si follement en gaspillant avec tant d'insou-
ciance les dernières ressources d'un pays aux abois était bien certai-
nement un très mauvais roi ; pourtant M. H. trouve moyen de s'api-
toyer sur lui ; après avoir raconté sa mort (18 sept. i665) : il s'écrie :
« Il assista au cours de son règne à une décadence morale qu'il fut
impuissant à arrêter et à une ruine nationale que ne purent conjurer
ses prières ferventes. Et ainsi toute son existence fut une vie de mar-
tyre. » Il semble que Philippe IV ait été un martyr à bien bon
compte !
Très au courant des choses d'Espagne, M. H. est parfois moins
bien informé pour d'autres chapitres de l'histoire générale de l'époque;
on trouvera en note quelques corrections de détail à ce sujet '. Le
1. On comprend que les remords de ce dévot devaient être grands, quand on
apprend qu'il alla jusqu'à séduire une religieuse dans son couvent même; mais
après chaque accès de repentir, « il cessait de faire des efforts pour être vertueux »,
comme le dit l'auteur par un joli euphémisme.
2. Le malheureux roi tâchait bien d'obéir, mais il était si pourri que ses enfants,
à peine nés, mouraient bientôt. M. H. nous raconte des choses bien singulières
sur cette sœur Marie d'Agréda; mais les contemporains de la reine Isabelle II ont
vu, eux aussi, une nonne régenter la couronne d'Espagne.
3. L'auteur revient souvent, au cours de son récit, « sur l'épouvantable licence
des mœurs qui s'étalait dans la capitale» (p. 42g). Etait-elle vraiment plus grande
qu'à Londres, ou à Paris ou à Rome? Il serait en tout cas intéressant de savoir si
cette corruption morale s'étendait également aux provinces.
4. P. 29. 11 n'est nullement prouvé que \e fanatique Rava.i\\a.c (ùl fou. — P. "iy.
Jacques I''"' ne voulait pas « assurei- le Palatinat » à son gendre Frédéric, mais le
luifaire rendre, ce qui n'est pas la même chose. — P. 67, il est question d'un
d'histoire et de littérature 273
style de l'écrivain anglais, autant qu'on peut en juger par une traduc-
tion, est par moments un peu fantasque et les images manquent de
suite ' ; çà et là de? fautes d'impression ou d'inattention ', mais ou
demeurant c'est un livre qu'on lit avec intérêt ; il apprendra bien des
choses aux historiens qui s'occupent du xvii" siècle.
R.
Liselotte und Ludwig XIV von D' Micha2l Strk.ii. Mûiichcn uiui Berlin, Olden-
bourg, 191 2, I 54 p., 8", f;ic-simi!c. Prix : 6 fr. 2?.
On abuse un peu trop, en Allemagne, de la personne et de la prose
inédite de la bonne princesse palatine Elisabeth-Charlotte, devenue
Madame, duchesse d'Orléans. Je ne crois pas qu'on se doute chez nous
de tout ce qu'on y a mis au jour, depuis un quart de siècle, en fait de
correspondances exhumées des archives, de Lettres choisies, de dis-
sertations historiques, de pièces de théâtre, de poèmes en langage
classique ou en dialecte ^ On a fait de cette femme douée d'un grand
bon sens et même d'un certain esprit, mais parfois aussi bien brutale
et vulgaire, comme un type symbolique de toutes les vertus alleman-
des et comme un repoussoir pour la cour « corrompue » de Louis XIV \
Aussi que de lettres absolument insignifiantes imprimées sous ce pré-
texte, que de tirades « patriotiques » resassées à l'infini, quelle ava-
lanche d'élucubrations, dont la plupart absolument inutiles, depuis
« Grand-Electeur », titre qui n'existait pas en Allemagne. — P. 144, Richelieu fait
envahir la Valteline par des « troupes suisses et françaises ». Il s'agit de merce-
naires à la solde de la France. — P. 233, Tilly est appelé le meilleur général de
l'empereur; il n'était pas le général de Ferdinand II mais de la Ligue catholique.
— P. 234, Tilly ne fut pas « tué à îngolsiadt », il y mourut des blessures reçues à
la bataille du Lech. — P. 274. L'Electeur de Saxe ne s'appelait piiS Jean-Frédéric ,
mais Jean-Georges. — P. 273, la bataille de Noerdlingen ne fut pas gagnée « en
octobre 1634 » mais le 5-6 septembre. — P. 299. Les Français ne « perdaient pas (en
1637), l'Alsace »; malgré l'invasion de Gallas, ils y conservaient une série de
places fortes. — P. 390. L'Espagne n'a nullement << apposé sa signature au bas du
traité de Munster », en octobre 1648.
1. Ainsi nous v'oyons(p. 23i) Gustave-Adolphe « entrer dans la lice, commeun
météore, se ranger du côté de la France, et tout balayer devant lui!
2. P. 233, on lit que le cardinal-infant emprunta « aux Fucars » 240.000 ducats.
L'auteur ou les traducteurs ne semblent pas connaître le vrai nom des célèbres
banquiers d'.\ugsbourg, les Fiigger. — P. 274. Le nom d'Axel Oxenstierna est
suivi des deux dates i383-i584; à la place de ce dernier chiffre il faut lire 1654. —
P. 3 12, 1. Sofala p. Solfala. — P. 484, un même diplomate anglais est appelé Sir
Richard Fansliawe et p. 485 lord Fansliave : sa femme lady Fransliave (p. 482).
P. 434, et passim 1. maréchal de Gramont p. Grammont.
3. Dès 1909 M. Helmolt publiait à Leipzig une Liselotte-DibliograpJiie .
4. Sous ce rapport, l'auteur du présent volume est parmi les plus raisonnables.
11 avoue ne pas comprendre qu'on ait fait de la princesse une héroïne favorite du
peuple allemand, pour le seul fait d'avoir soupiré après sa soupe à la bière et sa
choucroute et pour avoir parlé avec dégoût des ragoûts parisiens.
274 REVUE CRITIQUE
Schiller jusqu'à Mf""^ Arvcdc Barinc '. En venant après tant d'autres,
M. Sirich n'a pas voulu se borner à repéter ce qui avait été dit déjà
tant de fois; il a fait de louables efforts pour renouveler le sujet. 11
est venu en France se livrer à des recherches personnelles, pour
retrouver dans les Archives de M. le duc de La Trémoïlle des corres-
pondances inédites, et, sur divers points, il nous apporte des éclair-
cissements sur l'histoire de « Liselotte ». Un premier chapitre
s'occupe de la littérature afférente à Madame; un second est intitulé
Louis XIV, Liselotte et M"^'^ de Sévigné. On sait que dans une de ses
lettres, la spirituelle et médisante marquise dit que la princesse de
Tarente insinuait que Liselotte était amoureuse de son royal beau-
frère. Là dessus, l'auteur entreprend un long panégyrique de son
héroïne, pour montrer qu'un pareil égarement de la princesse pala-
tine est absolument impossible, et qu'il n'y a là qu'une calomnie
méprisable. On n'a qu'à jeter un regard sur les portraits de Madame
pour donner raison à M. S. quand il proteste contre l'existence de
relations coupables entre le roi et la seconde duchesse d'Orléans;
lui-même a négligé pourtant — par courtoisie sans doute — de men-
tionner la raison la plus topique qu'il aurait pu donner pour défendre
Louis XIV et sa belle-sœur, c'est que le monarque avait à sa disposi-
tion, sinon toutes, du moins, la plupart des belles femmes de sa cour,
et que Madame était assurément l'une des plus laides qui s'y trou-
vaient. J'accorde volontiers la « pureté de l'àme » de Liselotte {die
Reinheit ihrer Seele) proclamée par M. Jakob Wille ; mais cela n'em-
pêche pas que sa plume ne le soit pas toujours et qu'elle raconte de
très vilaines choses en termes fort crus. Il faut toute l'absence de sens
critique, de la part d'un poète comme M. de Wildenbruch, pour faire
de cette massive personne, si haute en couleur, un « bouton de rose,
germant dans la forêt des contes de fées germaniques » (p. 32).
La troisième partie du travail de M. S. est la plus intéressante ; il y
aborde directement, et très en détail, l'examen des rapports, tantôt
courtois et même affectueux, tantôt plus que froids, qui ont existé
entre le roi et la duchesse d'Orléans, de 1671 à 171 5. Je ne crois pas
qu'on ait jamais étudié d'aussi près cette question, que l'auteur traite
avec un discernement et une critique, méritant des éloges. Il distin-
gue une.' période d'attente (i 671-1682), une période d'étrangement
(1682-1701), puis, après la mort de Monsieur, une espèce de réconci-
liation et une période de rapports courtois et polis (1701-1710) ; enfin,
après les grands deuils de famille, une période cordiale (171 1-1715),
qui se prolonge jusque longtemps après la mort de Louis XIV, que
la princesse pleure à chaudes larmes (p. 145). Elle parlait encore en
I. Je crains bien que ce dernier livre de notre spirituelle et regrettée compatriote
n'ait fait beaucoup de mauvais sang outre-Rhin, où on Ta trouvé insuffisamment
respectueux pour la princesse. Notre auteur relève avec amertume certains de ses
jugements.
D HISTOIRE KT DE LITTERATURE 27D
1722, à nu gentilhomme allemand, du <( Grand Roi que j'ai si cordia-
lement aimé » (p. 140'. — M. Strich a trouvé aux Archives Etrangères
de Paris une lettre de Madame, adressée à son beau-frère et datée de
Saint-Cloud, 24 mai i685 ', lettre assez longue (p. 63-77) et dans
laquelle elle présente son apologie, au sujet des accusations qui ont été
portées contre elles dans le cabinet royal. Quelque prolixe qu'elle
soit, cette pièce, d'ailleurs curieuse, ne nous fournit pas tous les élé-
ments matériels suffisants pour comprendre nettement le motif de sa
disgrâce, M. S. l'explique par des paroles inconsidérées et brutales
lancées par l'orgueilleuse princesse contre M™= de Maintenon, qu'elle
regardait toujours encore comme une individualité subalterne de l'en-
tourage de la Montespan, alors qu'elle régnait déjà sur le cœur de
Louis XIV '. Elle aurait donc encouru le courroux royal par un de
ces excès de langage que lui reprochaient ses propres parents, et aux-
quels elle se laissait constamment aller dans sa correspondance, bien
qu'elle sût fort bien que Louvois la faisait surveiller de près. On com-
prend, qu'à un moment donné, le roi en ait eu assez et l'ait mis un
peu rudement en quarantaine. Peut-être y a-t-il eu encore autre chose,
mais nous n'en savons rien. En tout cas le mémoire de M. Strich est
une contribution intéressante pour l'histoire intime de la cour de
Louis XIV '.
R.
La Réforme et les Eglises réformées dans le département actuel d'Eure-
et-Loir (1523-1911), par Henri Lehr, pasteur à Chartres. Paris, Fischbachcr,
191 2, VI, 5g5 p., 8", cartes et planches.
Nous avons déjà parlé ici des travaux de M. Henri Lehr sur l'his-
toire de la Réforme en France, à l'occasion d'un de ses volumes ( Vie
et Institutions militaires, igoi), publiés dans la série des Protestants
d'autrefois du regretté Paul de Félice '. Pasteur à Chartres, M. Lehr
a été tout naturellement amené à faire des recherches spéciales sur le
passé huguenot du pays chartrain et le présent ouvrage est le fruit de
ses fouilles consciencieuses et prolongées à travers les dépots d'archives
et les procès-verbaux des communautés réformées elles-mêmes. On y
trouvera tous les renseignements que l'auteur a pu réunir, depuis les
1. C'est soit dit en passant, — l'unique lettre de la princesse à Louis XIV que
l'on connaisse ; il est vrai que cette épistolière acharnée vécut, toujours à ses côtés,
ou du moins dans son voisinage.
2. M. S. déclare d'ailleurs fort sensément que les jugements de Madame sur les
hommes et les choses sont souvent tellement partiaux qu'ils ne sauraient avoir
aucune valeur pour la critique (p. 117).
3. F'. 1 I, il y a une faute d'impression évidente ; le passage e'ni als weib wie icli
doit être corrigé en ein alts iceib wie icii.
4. Voy. Revue Critique, du 5 mai 1902.
27b
REVUE CRITIQUE
premières dissidences au xvi'^ siècle ' jusqu'au lendemain de la sépa-
ration de IKt^lise et de l'Etat.
Après une courte introduction (i523-i559j, la première partie de
l'ouvrage retrace les vicissitudes des Églises réformées du territoire f
jusqu'à la promulgation de l'I'^dit de Nantes; les quatre premiers
chapitres sont consacrés à la paroisse de Chartres, les huit autres
aux petites Eglises du pays chartrain, Dreux, Nogent-le-Rotrou, Cha-
teaudun, etc. La deuxième partie reprend l'historique de ces mêmes
groupements sous l'Edit de Nantes (i SgS-iôSSi ; la troisième partie
retrace leurs épreuves en un tableau d'ensemble, depuis la Révocation
jusqu'à la Révoluiion. L'auteur suit les uns, parmi les religionnaires,
sur les chemins de l'exil ' ; il essaie de constater le nombre des autres
qui réussirent à échapper, tout en restant au pays, à la conversion
durable et définitive. M. L. très prudent dans la fixation de ces chiffres, .|
forcément hypothétiques, estime qu'en 1790, lors de la formation du
département d'Eure-et-Loir, il pouvait s'y trouver « un maximum de
1200 âmes, légèrement supérieur au total actuel des protestants
(p. 477), et que, de i65o à 1790, la population réformée du pays avait
décru « au moins des trois quarts ». — La quatrième partie expose,
d'après des documents désormais abondants, l'histoire contemporaine,
de la Révolution à 1906, la création d'une première paroisse officielle
à Marsauceux en 1807, paroisse dont le culte se célébrait encore dans
une grange en 18 19. En 1827, le pasteur Née desservait, à lui seul,
cinquante-six communes, et, pour vivre, sa femme devait ouvrir une
boutique à Dreux. La Restauration, le gouvernement de Juillet, et la
seconde République ne firent rien pour les « disséminés » de la région,
et c'est en juin 1870 seulement qu'un décret impérial constituait
officiellement la paroisse de Chartres, dont le temple ne fut inauguré
qu'en 1887. Aujourd'hui les quatre associations cultuelles du dépar-
tement '> ne comptent pas beaucoup plus de 900 protestants » (p. 549);
l'émigration des petites villes et des campagnes vers Paris et sa ban-
lieue en a beaucoup absorbé dans le cours des dernières cinquante
années.
Ce passé, si soigneusement reconstitué par M. L., n'est pas préci-
sément riche en faits d'importance majeure ni en caractères héroïques.
Il s'agit en somme de modestes groupes, quasi ruraux, qui n'eurent
aucun centre commun ni grande activité intellectuelle, et dont le
passé ne nous est que bien incomplètement connu.
L'auteur a fait le possible pour tirer de sa documentation si frag-
mentaire un récit vivant et suivi. Peut-être aurait-il mieux valu se
1. On peut prendre comme point de départ de la crise religieuse dans le pays
chartrain^ le procès en hérésie intenté en i323 à Rouland Greslet.
2. L'auteur estime que le nombre des émigrants de la région qui franchirent les
frontières du royaume fut de 600 tout au moins, au début, et peut avoir atteint le
double de ce chifire.
d'histoire et de littérature 277
résigner franchement à écrire une série de monographies paroissiales,
les unes plus déiaillées grâce aux matériaux réunis, les autres plus
sommaires, sauf à résumer les résultats généraux de son enquête dans
un chapitre final. En revenant, quatre fois de suite, dans les diffé-
rentes parties de son livre aux mêmes localités, pour les quitter
ensuite de nouveau, il éparpille, si je puis dire, Tattention du lecteur,
sans réaliser pourtant l'unification véritable de son sujet. M. L. n'a
pas seulement raconté l'histoire du passé de ces communautés réfor-
mées qu'il a étudiées de si près, avec tant de sympathie; on trouvera
dans son volume des détails intéressants pour l'histoire tout à fait
contemporaine, tels les extraits du Journal de M™^ S. Bost, la femme
du pasteur de Chartres, relatifs à la guerre de 1870-1871 .
R.
Wilhelm Mûncii, Zum deutschen Kultur- und Bildangsleben. Fiinfte Samm-
lung vermischter Aufsâtze. Berlin, W'cidinann, 1912. In-S", p. 33S. Mk. 6,5o.
Ferdinand Buisson, La Foi laïque. Extraits de discours et d'écrits (1878-1911).
Paris, Hachette, 1912, in-i6, p. '^36. Fr. 3,5o.
I. L'auteur de ce recueil d'articles variés n'est pas un inconnu pour
les lecteurs de la Revue. M. Miinch est actuellement un des pédago-
gues les plus écoutés en Allemagne. Un des traits essentiels de sa
pédagogie, qui était la marque commune de ses précédents volumes
et justifie le titre du nouveau, c'est le souci de suivre les effets de l'édu-
cation sur la culture, d'étudier les transformations de celle-ci et de
rapprocher sans cesse la culture nationale des cultures voisines. Tout
pédagogue est par métier psychologue. Il y a dans le recueil de
M. M. beaucoup d'articles de psychologie : sur les âges de la vie, sur
le prétendu bonheur de l'enfance, sur les types d'écoliers, etc. Une
riche et longue expérience (M . M. a été longtemps inspecteur) lui a
fourni en abondance les observations dont sont nourris ses analyses
et ses portraits ; peut-être souhaiterait-on y surprendre plus souvent
sous les généralités la trace des faits concrets et des souvenirs précis.
Le rôle des maîtres, non moins que le caractère des élèves, a attiré
l'attention de l'auteur : sur l'art d'enseigner avec intérêt, sur le degré
de considération accordé au professeur dans la société moderne, sur
le devoir qu'il a de ne pas sacrifier l'éducateur au savant M. M. a écrit
beaucoup de sages remarques et mis en garde contre bien des erreurs.
Dans certains de ses articles les conseils sont exclusivement pédago-
giques, comme ceux qui traitent de la préparation des professeurs de
langues vivantes, de leur enseignement, de l'étude du vocabulaire ;
d'autres examinent les rapports de l'enseignement secondaire avec
l'enseignement supérieur ou revendiquent les droits de la pédagogie
au titre de science représentée officiellement dans les Universités.
Dans cet ensemble si varié de sujets les lecteurs (et le livre mérite
d'en trouver hors d'Allemagne) prendront le plus d'intérêt aux réfle-
xions de l'auteur sur la question du progrès dans la civilisation con-
27^ RKVDE CRITIQUE
temporaine, sur les emprunts que se font les unes aux autres les
nations modernes dans le domaine de l'éducation, sur le degré de
pénétration réciproque de leurs langues, sur la formation de leur
idéal classique et la consécration des auteurs qui pour elles le repré-
sentent, enrin sur révolution ci la psychologie du Berlin actuel '. l.a
plupart de ces derniers articles et un chapitre final d'aphorismes sont
nouveaux ; les autres avaient paru au cours des dernières années dans
différentes revues. Mais on lira ou relira les uns et les autres avec le
même plaisir; on y trouvera à la fois un tableau fin et nuancé de la
vie intellectuelle de l'Allemagne d'hier et le reflet de ses dernières
transformations notées fidèlement par un observateur clairvoyant et
indulgent.
II. Le livre de M. Buisson, comme le recueil de M. Miinch, bien
qu'avec moins de variété, est aussi l'image d'une culture particulière
et il aurait pu porter un titre analogue. L'ensemble des quarante-cinq
morceaux que l'auteur a réunis sous celui plus expressif de Foi
laïque, discours, allocutions, conférences, lettres ouvertes, articles de
journaux, représente comme un raccourci de la réorganisation de
notre enseignement primaire depuis les lois Ferry. L'ancien direc-
teur au ministère de l'Instruction publique, comme le professeur de
Sorbonne et plus tard le député de Paris, ont été trop intimement
associés à cette œuvre de constitution et de défense pour qu'on ne
Juge pas naturel que M. B. mette sous les yeux du public dans ce
qu'il appelle son dossier près d'un demi-siècle d'histoire de notre
politique scolaire. On sait avec quelle vivacité cette œuvre a été atta-
quée, depuis les premières protestations des monarchistes et de
l'Église jusqu'aux récentes querelles des manuels scolaires, et il n'est
pas surprenant que la polémique tienne une large place dans ces
pages. Mais même les adversaires seront forcés de rendre justice à la
loyauté de pensée et à la franchise de ton de cet apôtre de la laïcité.
Ses amis politiques et tous les amis de l'école, même ceux qui ont
retenu moins bien que lui les leçons du Vicaire savoyard, de^Con-
dorcet et d'Edgar Quinet, ou qui sont moins habitués à vivre exclu-
sivement dans l'air pur et subtil des principes et des théories et ne le
suivent pas jusqu'au bout de son fervent spiritualisme, même ceux-là
seront heureux de pouvoir embrasser dans l'étendue d'un seul volume
le long et constant effort de l'administrateur et de l'homme politique
et d'y trouver la preuve, s'ils en avaient douté, de la ferme unité de
convictions qui relie le premier jusqu'au dernier de ces articles et à
laquelle M . Raymond Poincaré a rendu un juste hommage dans sa
Préface. Pour les lecteurs étrangers, moins au courant de nos débats,
le livre aura encore le mérite de résumer avec intérêt un des aspects
de notre Kiilturkampf.
L. ROUSTAN.
I. P. 283, la date du livre de Karl Scheffler est à rectifier.
d'histoire et de littérature 279
Georges et Hubert Bourgin, Le socialisme français de 1789 à 1848. Paris.
Hachette, I9i2,in-i6, vui et 1 1 1 p.
François Maurv, Nos hommes d'État et l'œuvre de réforme, Paris, Alcan,
1912, in-i6, 281 p., 3 fr. 3o.
Dans la collection publiée sous la dircciion de M. L. Cahen,
MM. G. et H. Bourgin se sont chargés de l'histoire du socialisme
français de 1789 à 1848. On connaît par différents fascicules parus le
procédé adopté : laisser autant que possible la parole aux contempo-
rains, découper dans leurs ouvrages les passages les plus frappants et
les réunir par quelques mots d'explication. Pour MM. B., appartient
à l'histoire du socialisme tout ce qui a trait à la critique générale du
désordre social, à la lutte des classes, au régime de la propriété, aux
droits égaux des individus à l'existence, à la conception d'une société
collectiviste ou communiste supprimant l'exploitation de l'homme par
l'homme. On conçoit combien le champ devient vaste, combien il est
aisé de découvrir dans les écrits et les discours des tirades que l'on peut
qualifier de socialistes. Dès lors le choix devenait difficile, et ce n'est
pas en empruntant une vingtaine de lignes à Marat, Robespierre, Dan-
ton ou Saint-Just que l'on prouvera sans réplique leurs tendances socia-
listes. La part réservée aux théoriciens est plus considérable ; mais
trois pages, même extraites avec bonheur des oeuvres de Saint-Simon,
Fourier, Proudhon ou Cabet, ne sauraient donner qu'une idée bien
vague des conceptions de ces penseurs. Une place presque aussi impor-
tante est accordée aux inconnus, et les articles, les interrogations, les
procès-verbaux de sociétés secrètes sont, semble-t-il, plus intéressants,
plus caractéristiques des progrès du socialisme que les courts passages
empruntés à des ouvrages célèbres. Tout cela est lié d'une façon assez
lâche par de brèves notices ne contenant le plus souvent que des rensei-
gnements sommaires sur la biographie et la bibliographie des auteurs
cités. Cette anthologie ne justifie guère en somme la prétention qu'elle a
de «rendre le passé plus vivant et l'étude de l'histoire plus attrayante ».
Le livre de M. Mauryest formé d'articles parus dans la Revue bleue
qui ont conservé leur intérêt angoissant et dont la réunion accroîtra
l'effet sur le public qui aura plus d'une leçon à en tirer. L'auteur n'est
pas un pessimiste, mais il s'efforce de déterminer les périls de l'heure
présente, et le tableau trop vrai qu'il fait, est impressionnant. Il
montre le parlementarisme incapable d'accomplir sa tâche, absolu-
ment inférieur aux devoirs traditionnels de Justice et d'administration
qui incombent à tout gouvernement digne de ce nom. Faiblesse,
incohérence, népotisme, favoritisme, désordre, gaspillage sont les
traits de ce régime. Si les classes dirigeantes s'obstinent dans leurs
querelles intestines sans profit et sans honneur, si elles ne savent pas
réprimer le mal et assurer une condition meilleure aux salariés^, elles
s'éveilleront quelque jour vaincues et dépossédées. « La nation, infi-
niment lasse, déçue déjà par un cycle sanglant d'expériences révolu-
tionnaires et de restaurations monarchiques et impériales, désem-
28o
REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE KT 1>E LITTÉRATURE
parée, ne sait à qui se vouer. I.a perspective d'une Commune déma-
gogique, suivie après de terribles convulsions d'une dictature — ou de
l'invasion — paraît être la seule qui lui reste » (p. 120). M. M. estime
que le cas n'est pas incurable, et que pour guérir il suffirait d'instau-
rer un certain idéal de grandeur nationale et de justice, d'imposer le
respect de la loi visant des fins résolument collectives, de contenir
l'excès des appétits individuels. Pour cela il est indispensable d'adop-
ter la représentation proportionnelle. Le régime actuel amène au
pouvoir « les médiocres, sinon les pires » ; il faut dégager des rangs
des citoyens, par une organisation électorale entendue, une véritable
élite élective qui saura enrtn faire prédominer les intérêts généraux.
La France a-t-elle des guides pour la conduire dans cette voie ?
M. M. reproche à nos leaders parlementaires d'avoir en général plus
de talent que de caractère, mais il ne les croit pas incapables de la
tâche. Il passe en revue quelques-uns de nos grands politiques :
d'abord Gambetta, persuadé que la démocratie réconcilierait les
classes, opérerait l'alliance du prolétariat et de la bourgeoisie, mais
qui mourut trop tôt pour son œuvre ; ensuite le clairvoyant M. Ribot,
chef du parti républicain conservateur, acquis lui aussi aux nécessités
de la réforme sociale; M. Poincaré qui a tous les talents et qui est
resté si longtemps en réserve; M. Deschanel qu'une méchante fée
semble écarter du pouvoir; M. Briand pour qui l'auteur ne paraît
avoir qu'une médiocre sympathie et qu'il compare même au héros de
Machiavel ; M. Caillaux, technicien très sûr, réaliste avisé, logicien
des finances, mais qui a « très accentué le défaut de notre époque où
le développement excessif de l'intelligence est compensé par certaine
fièvre, certaine dureté dans l'action, une impatience cynique d'abou-
tir». M. M. accueille avec une joie nullement dissimulée l'avènement
du cabinet Poincaré dont il attend l'accomplissement de la réforme
électorale et sociale. Sans essayer d'esquisser l'ensemble de cette
besogne, il en énumère quelques points et s'applique particulièrement
à signaler les obstacles de la route et les dangers du mouvement syn-
dicaliste. Il y a dans ces pages une fine analyse psychologique des
créateurs et des chefs de ce mouvement, Ferdinand Pelloutier,
Emile Pongei, Victor Griflfuelhes. Ces derniers professent publique-
ment qu'une minorité résolue conquiert tous les pouvoirs et possède
tous les droits, et ils jugent que pour triompher, l'essentiel est que les
milices syndicales soient pénétrées d'un esprit insurrectionnel intré-
pide. Le péril réside vraiment dans l'audacieuse initiative d'une
bande de militants qui a pour elle la force et le prestige de la violence
en face d'une autorité gouvernementale énervée, annihilée. Pour
remonter la pente, la substitution de la représentation proportionnelle
au régime actuel, suffira-t-elle? C'est la question qui se pose après la
lecture de l'ouvrage de M. Maury. A. BiovÈs.
L' imprimeur- gérant : Ulysse Rouchon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 41 — 12 octobre — 1912
WissowA, Religion et culte des Romains, -r- Cagnat, La frontière militaire de la
Tripoiitaine. — Pierre Alfonsi, Disciplina clericalis, p. Hilka et Soederhjelm.
— O. DoBiACiiE-RojDESTVENSKY, La vic paroissiale en France au xiii« siècle. —
A. de BoûARD, Les actes des notaires du Châtelet de Paris.' — Kurth, La cité
de Liège au moyen âge. — Baeumker, L'Alsace au moyen âge. — Collas, Valen-
tine de Milan. — Girodie, Martin Schongauer. — Febvre, Réforme et Inquisi-
tion en Franche-Comté. — Lemonnier, L'art français au temps de Louis XIV;
Procès-verbaux de l'Académie royale d'architecture, I. — Brutails, Les vieilles
églises de la Gironde. — Fisher, Capital et revenu. — Brouilhet, Précis d'éco-
nomie politique. — Epitome thesauri iatini, p. Vollmer, L — Vitae sanctorum
danorum, p. Gertz. — Académie des inscriptions.
G. WissowA, Religion und Kultus der Rômer (2" édition) Munich, 1912, in-8°
612 pages; Beck, éditeur.
On sait le succès mérité qu'a rencontré auprès des savants le
volume que M. Wisso'wa a consacré à la religion romaine dans le
Handbuch d'iwan Muller. L'auteur vient d'en donner une seconde
édition, rendue nécessaire par tous les travaux publiés, toutes les
découvertes de détail survenues depuis quelques années. Le plan
général du traité n'a point été modifié ; la division en quatre parties :
coup d'œil général sur la religion romaine; les Dieux; le culte (fêtes,
jeux, prêtres, calendrier, temples) a été conservée, ainsi qu'il était
naturel; comme il était naturel aussi, les subdivisions n'ont point
été modifiées, sauf pour certains détails [Junon séparée de Jupiter
et rapprochée de Genius ; Neptune placé parmi les indigetes et non
plus parmi les divinités d'influence grecque, par exemple). Les
changements apportés à la présente édition sont tous de détail et de
mise au point. Est-il utile d'ajouter que M. W. a apporté à ces réfec-
tions la science et le soin dont il est coutumier ? La quantité des
additions est donnée par le nombre même des pages qui s'est accru
de quatre-vingt.
R. C.
R. Cagnat, La frontière militaire de la Tripoiitaine à l'époque romaine,
1912. In-80.
C'est dans le tome XXXIX des. Mémoires de l'Académie des Ins-
criptions (19 12) que M. René Cagnat a fait paraître cet important
travail, accompagné d'une carte hors texte et de deux planches de
photographies, sur La frontière militaire de la Tripoiitaine à
NouTiUe série LXXIV 41
282 REVUE CRITIQUE
Vépoque romaine. Il y niet au point, après vingt ans écoulés, l'un
des chapitres de son Armée romaine S Afrique. En 1892 on connais-
sait fort mal les vestiges antiques de la région, d'accès difficile, qui
s'étend depuis le Chott Djerid jusqu'au fond de la grande Syrte.
Grâce aux explorations et aux publications des officiers du sud tuni-
sien, de P. Blanchet, de P. Gàuckler, de M. de Mathuisieulx, il est
possible maintenant d'identifier quelques-unes au moins des stations
du limes, dont l'Itinéraire d'Antonin nous avait conservé les noms
et dont les ruines ont été en partie reconnues et fouillées. On sait de
quels éléments se composait le système défensif des Romains : le
long de la falaise montagneuse que suivait la route-frontière, une
série continue de grands camps reliés par des petits postes ; dans les
vallées et les lieux de passage, un fossé et un mur, marquant la sépa-
ration matérielle du monde romain et du monde barbare; sur les
grandes voies de caravanes qui se dirigeaient vers le sud, des fortins
occupés par de la cavalerie; en arrière du limes, dans l'intérieur du
pays pacifié, des places militaires et des fermes fortifiées destinées à
servir de réduits en cas d'invasion ou de soulèvement. Tout était
combiné à merveille pour tenir en respect les Gétules de l'est et les
Garamantes du sud. M.Besnier.
Die Disciplina clerioalis des Petrus Alfonsi, das aelteste Novellenbuch des
Mittelalters, nach allen bekannten Haiidschriften herausgegeben von Alfons
HiLKA u. Werner Soederhjelm. Heidelberg, Winter, 191 1, xv, 5o p., 18». Prix :
I fr. 5o.
La Disciplina clericalis que publient MM. Hilka et Soederhjelm,
forme le premier fascicule d'une Collection de textes latins du moyen
âge. L'opuscule de Tespagnol Pierre Alfonsi, qui porte ce titre, pré-
sente un certain intérêt pour l'histoire comparée des littératures,
puisqu'il est un des premiers textes où l'écho des traditions orientales
s'est répercuté au sein de l'Europe chrétienne du moyen âge. L'auteur,
Rabbi Moïse Sephardi, se convertit, et eut l'honneur d'être le filleul
du roi Alphonse I d'Aragon (1106), dont il était le médecin. Son
recueil fut répandu de bonne heure dans la chrétienté et les éditeurs
en signalent dans l'introduction une soixantaine au moins de manus-
crits plus ou moins complets (voir p. ix). De bonne heure, le recueil
fut traduit en français, en espagnol, en italien, en allemand, soit en
prose, soit plus tard en vers. Dans ce dernier pays, certaines des
historiettes d'Alfonsi ont été imitées par Boner et Steinhoevel, et l'on
en retrouve la trace jusque dans la littérature islandaise. Quelques
unes des anecdotes et fables coUigées par Alfonsi (il y en a trente-
quatre en tout), n'ont d'ailleurs absolument rien d'oriental '.
E.
I. Par exemple le n" j, l'histoire du prêtre qui étant entré dans une auberge est
arrêté avec les voleurs qui y buvaient, et pendu, tout innocent qu'il était.
d'histoire et de littérature 283
La Vie paroissiale en France au XIII« siècle d'après les actes épiscopaux,
par Olga Dobiache-Rojdicstvensky. Paris, A. l'icard et hls, lyii. In-8° de
191 pages.
Cet ouvrage comprend deux parties : 1° les sources de Thistoire
intime des paroisses au xiii' siècle : recueils conciliaires (critique de
celui de Mansi qui n'est ni original, ni complet pour cette époque),
statuts édictés dans les synodes diocésains, ordonnances particulières
des évèques, procès-verbaux des visiteurs ecclésiastiques; 2° Texposé
de ce que fut la vie paroissiale, telle que nous la montrent les docu-
ments ci-dessus indiqués.
Dans Tune et l'autre partie l'auteur a tait un sérieux travail de cri-
tique. M'"^ Dobiache-Rojdestvensky, après avoir dressé la liste des
statuts synodaux imprimés ou manuscrits, a dégagé de ces textes le
fonds commun qui a été inspiré par les conciles généraux et par les
Pères, qui s'applique par conséquent à l'Eglise universelle ; elle a
retenu pour son étude les préceptes originaux, ceux qui concernent
particulièrement les diocèses de France. Les statuts personnels des
évêques qu'elle a retrouvés ne constituent pas une longue liste : peut-
être aurait-elle pu en indiquer davantage si elle avait étendu ses
recherches à un plus grand nombre de recueils de textes du xiii^ siècle;
Je me rappelle par exemple en avoir vu dans les Cartulaires publiés
par la Société historique de la Gascogne. Dans tous les cas, elle a
fourni des indications précieuses sur les synodes et les ordonnances
qui y étaient promulguées par les évêques.
Elle a très bien vu que ce que cherchaient les prélats du xiii^ siècle,
c'était la conservation intacte de l'unité paroissiale : toutes les per-
sonnes vivant dans une paroisse, bien groupées autour du curé qui les
connaît, qui leur administre seul les sacrements, qui écarte les indi-
gnes et les excommuniés, qui pourchasse l'hérésie, qui défend son
troupeau contre les mauvais bergers, prédicateurs errants, fauteurs
d'hérésie, etc. C'est aussi parce que le curé doit trouver dans la
paroisse sa subsistance ; il jouit des biens attribués à son église, reçoit
les « louables coutumes » qu'on lui accorde lors de l'administration
des sacrements, touche la dîme et les prémisses. Et cela lui est d'au-
tant plus nécessaire qu'il a lui-même à faire face à de nombreuses
obligations, à payer procurations, décimes, etc. Malgré la protection
qu'il trouve auprès de ses supérieurs hiérarchiques, les encourage-
ments, les ordres mêmes qu'il reçoit, il lui est difficile d'écarter de sa
paroisse la rude concurrence que lui font les religieux Franciscains
ou Dominicains, il lui est parfois impossible de résister aux violences
des laïques : de là bien souvent son embarras, lorsqu'il lui faut obser-
ver les sentences d'excommunication portées contre des paroissiens
trop puissants. Placé dans un milieu grossier, d'une instruction peu
développée, il se laisse gagner par le siècle ; trop souvent il vit comme
ses paroissiens ; ivrogne, querelleur, il a fréquemment femme et
284 REVUE CRITIQUE
enfants et il songe à transmettre à sa famille les biens de l'Église.
M"" Olga Dobiache-Rojdcsivensky a brossé de son caracièrc et de son
genre de vie un tableau plein de relief, haut en couleur et qui paraît
parfaitement exact.
L.-H. Labande.
Études de diplomatique sur les actes des notaires du Châtelet de Paris, par
A. DE BoÙARD. Paris, H. Champion, njio. I11-8' de xv-191 pages 'i86'' t'asc.
de la Bibliothèque de l'Ecole des Hautes-Études).
Cet ouvrage se compose en réalité de deux parties : après quelques
pages préliminaires sur l'origine des actes notariés, sur l'authenticité
et la force exécutoire qu'on leur a reconnues, puis sur l'organisation
de la juridiction gracieuse dans le nord de la France, l'auteur détaille
tout d'abord les actes législatifs qui ont été édictés concernant les
notaires du Châtelet de Paris et la rédaction de leurs actes ; il montre
comment de simples clercs du prévôt de Paris, ils se sont peu à peu
élevés à la situation qu'ils occupaient à la fin de l'ancien régime, com-
ment à coup d'argent, ils sont parvenus à maintenir leurs privilèges, à
ne pas se laisser absorber, à conserver leurs minutes, à sceller eux-
mêmes les actes, à limiter le nombre de leurs offices. Voilà toute une
première partie purement historique.
La seconde est beaucoup plus diplomatique puisqu'elle a trait à
rétude des caractères et du style des lettres de prévôt au xin*^ siècle,
puis des actes rédigés au nom des notaires : minutes, grosses et bre-
vets. Étayée par une série de 38 pièces justificatives, la rédaction de
M. de Boiiard, dans tout ce qui concerne les actes des notaires du
Châtelet, paraît à peu près définitive. Mais ce que j'ai qualifié de pré-
liminaires appellerait plus d'une observation et susciterait plus d'une
rectification. Et cela parce que l'auteur n'a pas examiné une quantité
assez suffisante de textes du nord comme du midi de la France. Je
me permets en particulier de lui signaler les trois volumes du Trésor
des chartes de Retliel (dont les 2 premiers avaient paru en 1904), où
il aurait trouvé des actes scellés avec les sceaux particuliers des deux
notaires. La sigillographie du même Trésor qui paraîtra prochaine-
ment exposera comment les tabellions de cette partie de la France
apposaient au bas de la double queue supportant le sceau et le contre-
sceau de la juridiction, sur un même gâteau de cire verte, les deux
sceaux obligatoires. Si M. de Bouard avait compulsé, d'autre part, les
actes notariés de la région avignonnaise, il aurait modifié en plus d'un
endroit ce qu'il dit à propos des contrats du midi. Il aurait constaté
qu'à Avignon, par exemple, au temps de la commune, le notaire ins-
crivait en tête des actes les noms des consuls ou du podestat en exer-
cice et qu'il mentionnait la présence de deux curiales pour l'établie-
sement du contrat : deux consuls, ou (sous le régime des podestats)
un ou deux Juges, ou un ou deux clavaires, ou un ou deux syndics.
D*HIST01RE ET DE LITTÉRATURE ^85
Après Tabolition de la commune, le notaire nomma en tête des actes
les seigneurs de la ville i Alfonse de Poitiers et Charles d'Anjou),
puis, pendant plusieurs années, les huit personnages qualifiés de laii-
.iatores instrumentoriim dont deux devaient être présents. Cette insti-
tution de laudatorcs instrumentorum lui aurait certainement inspiré
des remarques intéressantes et lui aurait fourni des éléments d'appré-
ciation pour certaines dispositions législatives prises dans le nord de
la France à la fin du xiii'^ siècle.
L.-H. Labande.
La Cité de Liège au moyen âge, par Godetroid Kurth. Paris, A. Picard et lils,
1910, 1 vol. in-80 de LXxi-323, 346 et 418 pages.
Depuis de longues années, M. Godefroid Kurth étudie l'histoire
liégeoise et publie dans diverses revues le résultat de ses éludes. Nul
n'était mieux qualifié que lui pour entreprendre l'ouvrage qu'il nous
a présenté dernièrement en trois volumes. Se préoccupant le moins
possible des princes-évêques et seulement dans la mesure où ils furent
en relations avec leurs sujets, il a retracé les fastes de la cité depuis
ses origines jusqu'à la catastrophe de 1468 qui semblait devoir l'anéan-
tir. C'est seulement au xi^ siècle que Liège prit une véritable impor-
tance, mais ses institutions municipales ne se développèrent pas
avant la fin du siècle suivant. Dès les premiers temps, les citadins
commencèrent la lutte contre le pouvoir absolu du prince-évéque ;
conduits d'abord par l'aristocratie locale, ils eurent à se débattre
contre le clergé, revendiquant ses privilèges, puis contre l'échevinage,
émanation du prince, dont ils voulaient s'affranchir. Au xiii* siècle,
la prospérité de la ville amena l'avènement des métiers à la vie pu-
blique. Fortement organisés, ils écartèrent promptement le patriciat
du gouvernement de la ville, ou plutôt ils obligèrent les patriciens
à se faire inscrire sur leurs rôles pour pouvoir accéder aux fonctions
publiques.
Les Liégeois, ayant les yeux fixés sur les villes impériales libres, se
proposèrent bientôt pour objectif de les imiter et de s'ériger en répu-
blique indépendante. Mais leurs princes-évêques, choisis presque tous
dans les familles les plus puissantes, ne se laissèrent pas dépouiller
aussi facilement qu'on aurait pu le supposer : pendant près de deux
siècles, ils résistèrent avec une énergie tenace, s'alliant souvent aux
pires ennemis de leur peuple, tandis que les citadins de Liège for-
maient des confédérations avec les autres villes de la principauté. Les
excès démagogiques des Liégeois les perdirent : leurs libertés fail-
lirent une première fois sombrer dans les premières années du
xv« siècle; elles furent toutes abolies après la vengeance atroce que
Charles-le-Téméraire lira de leur haine pour son cousin Louis de
Bourbon, évêque de Liège, et de leur affection pour le roi Louis XL
Le récit des événements multiples qui marquèrent une histoire
286 REVUE CRITIQUE
aussi agitée est présenté par M. G. Kurth avec le plus grand souci
d'exactitude et d'impartialité. Mais il parait bien souvent se laisser
entraîner par ses impressions et si les pages qu'il écrit y gagnent en
pittoresque et en attrait, il n'est pas aussi certain qu'il garde une par-
faite mesure. Les documents qu'il a utilisés sont pour ainsi dire tous
d'origine locale ; les archives du pays ont été pourtant détruites en
grande partie au milieu de tous les bouleversements; l'auteur a été
obligé d'y suppléer en une certaine mesure, soit par la comparaison
avec ce qui passa dans d'autres villes, soit par des hypothèses suggé-
rées par des récits d'annalistes. Heureusement les chroniqueurs ont
laissé sur Liège des pages très copieuses, mais ils n'indiquent pas
toujours ce que l'on voudrait savoir et leurs œuvres reflètent les pas-
sions du jour. Peut-être aurait-on pu trouver ailleurs le moven de
rectifier leurs erreurs ou de réparer leur oublis. Il ne semble pas que
M. Kurth ait assez tenté cette recherche : j'en vois surtout la preuve
dans les derniers chapitres de son ouvrage où il est question des rela-
tions de Liège avec les rois Charles VII et Louis XI. Les archives
françaises, mieux explorées, lui auraient peut-être permis de mieux
apprécier le rôle de la France. De même, je me suis étonné que les
archives du Vatican n'aient pas été mises davantage à contribution.
La rédaction semble avoir été assez hâtivement faite. Dans sa pré-
cipitation l'auteur passe rapidement sur les origines des institutions
qui ne sont pas expliquées ou qui le sont bien longtemps après qu'elles
ont été montrées en exercice. Je citerai notamment la question de
l'origine et des fonctions de l'avoué qui reste non tranchée. De même
certains termes sont employés, tous particuliers à Liège, sans qu'il en
soit donné d'abord la signification, tellement M. Kurth suppose son
lecteur averti : nous ne découvrons qu'à la page i38 du tome II la
signification du mot Vinàve, que l'on trouve dans le tome I ; l'Anneau
du Palais dont il est question p. i25 du t. II, n'est expliqué qu'à la
p. 10 du t. III, etc. On devine plus tard, mais sans être bien sûr d'être
dans le vrai, ce que doivent être les droits de hauteur du prince-
évêque, signalés p. 86 et 127 du t. II.
Cette hâte dans la rédaction n'a pas été sans amener quelques
erreurs tout à fait involontaires : lorsque la ville de Liège fit obédience
au pape d'Avignon (c'était en iBggj, ce ne fut pas à Clément VII,
comme il est dit p. 18 du t. III, mais à Benoît XIII. A plusieurs
reprises, il est question du roi d'Allemagne au lieu du roi des Ro-
mains; M. Kurth dit même, p. 109 du t. I, que Liège entra dans le
droit public du « royaume ». C'est une impropriété de terme dont il
n'est pas sans se rendre compte. Quel était aussi ce « président du
conseil de Toulouse », qu'il fait intervenir p. 209 du t. III?
Sa langue n'est pas toujours d'un français correct. Je sais bien
qu'il utilise des expressions locales (encloîtres, mettre le Palais
ensemble pour recevoir l'assemblée dite le Palais, etc.), mais il en est
d'histoire et de LITTERATURE 287
d'autres qui n'auraient pas dû figurer dans un livre aussi bien écrit,
comme par exemple l'enceinte muraillée (t. I, p. i lo ; t. II, p. 53), le
pouvoir édictal (t. II, p. 47), le sens obvie (t. II, p. 214), la guerre inex-
piable(t. I II, p. 79, pour implacable), les verbes comminer (t. II, p. 270;
t. III, p. 34) et instiguer (t. III, p. 198), etc. Il est probable qu'une
correction plus attentive des épreuves aurait fait disparaître ces taches.
11 n'en est pas moins vrai que l'ouvrage de M. Kurth sur la cité de
Liège au moyen âge est plein d'intérêt et de vie. Tous ceux qui s'in-
téressent aux institutions communales, à l'essor des métiers et cor-
porations ouvrières, au développement de la vie politique dans les
villes, à l'étude des mouvements d'une démagogie non contenue par
les lois, le liront avec le plus grand profit.
L.-H. Labande.
Der Anteil des Elsass an den geistigen Be-wegungen desMittelalters, Rede...
am 27 .lanuar iyi2 gehalten von D' Glemens Baeumker, ord. Professer der
Philosophie. Strassburg, Ed. Heitz, 1912, 69 p. in-8°. Prix : 2 fr. 5o.
Dans ce discours académique, prononcé, à l'occasion de l'anniver-
saire impérial, dans la grande salle des Actes de l'Université de Stras-
bourg, M. Clément Beaumker, professeur de philosophie, a retracé
à grands traits le tableau de la participation de l'Alsace au développe-
ment de la culture générale du moyen âge. Ce n'est pas un exposé
systématique ; l'orateur fait passer devant nos yeux, en une espèce de
cinéma scientifique et littéraire, les silhouettes, artistement découpées,
d'une série de personnages, plus ou moins célèbres, qui, sur le sol
alsacien, marquèrent dans le domaine de la poésie, de la pensée phi-
losophique et religieuse, depuis Ermoldus Nigellus, l'exilé aquitain
du IX* siècle, et Manegold de Lautenbach, le polémiste du xi«, jusqu'à
Gotfrit de Strasbourg et Gonthier de Pairis, au xui* siècle. Il s'est
naturellement arrêté, de préférence, aux philosophes scolastiques,
Ulric Engelberti, Hugues Ripelin, Thomas de Strasbourg, et aux
grands mystiques, Tauler, maître Eckart, Rulmann Merswin, etc.
Son étude, d'une allure très littéraire, fait ressortir très impartiale-
ment l'influence française, grandissante du xii" au xiii^ siècle, dans le
double domaine de la poésie chevaleresque et de la spéculation. Les
vingt dernières pages contiennent une centaine de notes critiques sur
la littérature du sujet.
R.
Emile Collas. Valentine de Milan, duchesse d'Orléans. Paris, Pion-Nourrit
et C'«, 191 I. ln-8° de 441 pages.
M. Emile Collas a consacré à la biographie de la malheureuse
femme de Louis d'Orléans un livre compacte qui ne manque pas d'in-
térêt. Il l'a même écrit avec un certain charme littéraire et il vise à
intéresser le grand public autant que les érudits. Il a donc rapporté
de multiples anecdotes qui donnent une note très pittoresque à son
288 RKVUE CRITIQUE
récit. Môme, le souci qu'il a d'agrémenter son ouvrage de pages amu-
sâmes l'entraîne à des hors-d'œuvre qu'il aurait pu fort bien négliger
sans nuire à l'intérêt de son livre : je signalerai par exemple le cha-
pitre m intitulé « l'histoire de Jean le Mercier et de Colette la
Buquette»). D'autres histoires de sorcellerie n'avaient pas davantage
leur place ou sont trop longuement racontées.
Il ne faut pas non plusdissimulci- que M. Collas fait une large part
dans son volume à Louis d'Orléans. Les lecteurs trouveront même
qu'il est beaucoup plus fréquemment question de sa personne, de ses
actes, de ses goi^ts, de ses plaisirs que de Valentine 'Visconti. L'au-
teur se trouvait, il faut le dire, grandement aidé par l'excellent livre
de M . Jarry sur la vie politique du duc ; il a puisé aussi dans maintes
publications de ces dernières années la trame de son récit '. Est-ce à
dire qu'il n'ait pas eu recours aux documents originaux, aux pièces
d'archives? Nullement. Il a puisé grandement dans les manuscrits
de la Bibliothèque nationale et les dossiers des Archives, il a pris
bien des renseignements dans les comptes. Mais il aurait pu faire
mieux, contrôler davantage les récits des chroniqueurs auquel il s'at-
tache trop par moments, sans bien savoir auquel en cas de désaccord
il faut donner la préférence. Ses recherches auraient donc gagné à
être plus étendues et plus critiques. Plus complètes, elles l'auraient
sans doute dispensé plus d'une fois de se laisser aller à émettre des
impressions purement personnelles.
Plusieurs de ses opinions auraient besoin aussi d'être rectifiées ;
quand il oppose par exemple le luxe de la cour de Milan, le goût pour
les arts que l'on avait en Italie à ce qui existait en France à la fin du
xive siècle. Il était bon, il y a une dizaine d'années encore, d'affirmer
que l'Italie était en avance sur la France; aujourd'hui on réfléchirait
davantage à soutenir ce sentiment. M. Collas a encore des étonne-
ments qui se seraient dissipés s'il avait pratiqué davantage l'époque où
vécut Valentine de Milan, comme ceux qu'il a pour la vie dissolue
des princes et l'admission des bâtards au foyer conjugal. La femme
de Louis d'Orléans n'avait-elle pas été disposée à une large tolérance
par ce qu'elle avait vu dès son enfance à la cour de son père?
Quand j'aurai ajouté que les citations de sources par M. Collas
sont souvent trop incomplètes, je reviendrai encore sur l'intérêt que
l'on prend à la lecture de son livre. Il a présenté de son héroïne une
belle figure, très noble, très sympathique, peut-être pas toujours extrê-
mement juste, mais toujours très attachante. Il mérite certainement
qu'on lui tienne grand compte de son effort \ l -H Labande.
1 . S'il avait pu utiliser le très bon livre de M. Pierre Champion sur Charles
d'Orléans, il aurait certainement marché en quelques endroits d'un pas plus ferme
et il aurait évité quelques petites erreurs.
2. Il est bien prématuré de parler de Carmélites au xiv« siècle : l'ordre Carme-
Utarum auquel s'intéressait la reine Blanche (voir p. 69) était celui des Carmes.
d'histoire et de littérature 289
Martin Schongauer et l'art du Haut-Rhin au XV"^ siècle, par André Gmo-
DiK,... l'aris, Plon-Nourrit et C''^', s. d. In-H» de 25o pages. (Les Maîtres de l'Art).
L'ouvrage de M. Girodie se recommande par des qualités toutes
spéciales. Il présente, sous une forme concise, le tableau au xv= siècle
de toute Taciivité artistique de la région rhénane, dont les principaux
centres étaient Colmar, Thann, Strasbourg et Bàle. Il expose les con-
ditions économiques dans lesquelles l'art s'y est développé, les
influences religieuses, mystiques même qui l'ont influencé, les rela-
tions qui ont existé entre les peintres etgraveurs de ce pays et ceux de
la Bourgogne, des Flandres, de Cologne et de l'Italie. Il étudie leurs
productions, les vitraux, les rétables ou autels, les gravures sur
cuivre, les dessins qu'ils nous ont laissés. Il détermine enfln la part
d'originalité qu'il faut y reconnaître.
Après un chapitre consacré aux prédécesseurs de Martin Schon-
gauer, Hans Tiffenthal, Hans et Conrad Witz, Gaspard Isenman, le
maître ES, etc. M. André Girodie aborde le sujet principal de son
livre. Avec érudition, il analyse les oeuvres du « beau Martin »,
reconnaît les impressions qu'elles ont subies. Un dernier chapitre est
consacré à l'influence que cet artiste célèbre a exercée ; M. Girodie,
avec un sens critique des plus aigus, montre comment les ateliers de
Colmar, Augsbourg, Bàle, Strasbourg ont réagi les uns sur les autres,
combien l'enseignement de l'école du Haut-Rhin a été profitable aux
Holbein et aux meilleurs maîtres de leur temps, même à Albert
Durer.
Ce n'est pas tout : le livre de M. Girodie contient encore un essai
de catalogue chronologique des principaux artistes originaires du
Haut-Rhin et des œuvres-types de l'art de cette région au xv" siècle;
puis une bibliographie critique fort détaillée. Tout cela est excellent
et voici tout un monde d'art, qui nous est maintenant connu autant
que les documents, peu nombreux hélas, l'ont permis '.
L.-H. Labande.
Lucien Fkbvre, Notes et documents sur la Réforme et l'Inquisition en
Franche-Comté. Extraits des Archives du Parlement de Dôle. Paris, Honoré
Champion, 1912, 336 p. in-S". Prix : 7 fr. 5o.
L'histoire de la Réforme en Franche-Comté n'a Jamais encore été
l'objet d'une enquête plus approfondie et l'on pouvait croire que sur
ce sol, en apparence peu propice aux nouveautés religieuses, elle
n'avait pas réussi à prendre racine. La thèse de M. Lucien Febvre,
naguère encore pensionnaire de la fondation Thiers, aujourd'hui
professeur à la faculté des lettres de Besançon, nous montre pourtant
I. Je n'aime pas beaucoup l'expression de « pays vogéso-rhénan ». De même le
« cadre à ogive », signalé p. 194 me paraît être d'une langue archéologique mau-
vaise. Le saint Cedon qui est cité à la même page aurait dû être appelé Sidoine
ou Sidonius, nom sous lequel il est universellement connu.
290 REVUE CRITIQUE
qu'à un moment donné, les adeptes de la foi nouvelle furent relative-
ment assez nombreux dans le pays et qu'il fallut toutes les rigueurs
de la justice espagnole et de l'Inquisition pour y étouffer le souvenir
d'une période, assez courte il est vrai, où la Comté ne fut pas exclusi-
vement « un pays de catholicisme ardent », comme dit l'auteur. Mais
i. un voile d'oubli » s'est étendu depuis sur ces manifestations d'une
mentalité religieuse différente de celle qui prédomine aujourd'hui.
En réunissant les matériaux de sa thèse principale sur Philippe II et
la Franche-Comté, en parcourant les dossiers de l'ancien Parlement
de Dôle, M. Febvre a retrouvé aux Archives départementales du
Doubs les matériaux inédits de ce second ouvrage (procédures,
arrêts, correspondances officielles) et en a fait surgir tout un chapitre
nouveau de l'histoire de la Réforme au wi*" siècle, et des moyens
efficaces employés pour en écraser les progrès. L'auteur ne s'est point
appliqué à nous donner un récit littéraire; comme l'indique son
titre même, ce sont des notes et des documents classés dans l'ordre
chronologique et géographique ', qui embrassent les années 1524 a
iSjS environ ^ Une fois commencées, les poursuites judiciaires ne
s'arrêtent plus jamais entièrement jusqu'à l'absolue extinction de
l'hérésie, mais il y a des moments d'accalmie, suivis de crises plus
violentes, comme au moment du passage du duc d'Albe (i 567). Après
l'écrasement du protestantisme à Besançon (iSyS) ses adhérents dis-
paraissent aussi du reste de la Franche-Comté. M. F. a retrouvé,
pour la période comprise entre les deux dates indiquées plus haut,
les dossiers, plus ou moins complets, de 304 procès. Sur ce nombre,
139 (donc près de la moitié) se sont terminés par une j sentence
de bannissement par défaut, c'est-à-dire que les accusés avaient pu
se soustraire à temps à leurs juges et au supplice \ Vingt-six con-
damnations à mort seulement ont été prononcées, ce qui prouve que
les Magistrats n'étaient pas impitoyables *. D'ailleurs, en bien des
cas, l'accusation d'hérésie était renforcée par d'autres inculpations,
comme pour mieux assurer la punition de l'accusé \ On voudrait que
1. Les Documents sont groupés dans la deuxième partie du volume. !ly en a de
très intéressants comme, par exemple, l'interrogatoire de Hugues Cousin, en
1571 sur son frère Gilbert Cousin (p. 245-254).
2. Le premier martyr de la foi nouvelle, Crespin Petit, est décapité en 1537.
3. La proximité de la frontière suisse explique la facilité avec laquelle les incul-
pés se mettaient à l'abri ; on se dédommageait en prononçant la confiscation de
leurs biens.
4. Certains conseillers au Parlement furent même incriminés eux-mêmes
d'hérésie par un frère cordelier, Claude Montribon [tbjo) ; il reçut une semonce
officielle pour avoir été si hardi.
5. Ainsi dans le procès de J. Meignier, d'Orgelet, on le voit accusé « d'actes
dérisoires du Saint-Sacrement », d'avoir « chanté des psaumes de David en
français », d'avoir donné des coups de poing à sa femme enceinte et d'avoir acca-
paré des grains (p. 208). Un autre hérétique est accusé en outre d'avoir fabriqué
de la fausse monnaie (p. 235); un troisième a « rompu et mis en pièces un crucifix
d'histoire et de littérature 291
les procès-verbaux fussent parfois un peu plus explicites; ainsi il
n'est presque jamais dit quels étaient les livres « contre notre Sainte
Foy », que l'on condamnait au bûcher. Mais malgré ces lacunes, que
M. F. est le premier à regretter, son ouvrage est des plus instructifs
et l'on doit le remercier vivement d'avoir eu la patience d'étudier à
ce point de vue les registres du Parlement de DôIe et de les avoir
commentés dans un esprit aussi large que critique.
R.
Henry Lemonnier, L'Art français au temps de Louis XIV 1661-1690). Paris,
Hachette et C'% 191 1. In-i6 de x-354 pages.
Procès-verbaux de l'Académie royale d'architecture, 1671-1793, publiés
pour la Société de l'histoire de l'art français, par M. Henry Lemonnier. Tome I,
1671-1681. Paris, J. Schemit, 191 i In-8° de lxiii-352 pages.
L'ouvrage solidement établi que M. Henry Lemonnier a consacré
l'an dernier à l'histoire de l'art français au temps de Louis XIV,
comptera parmi les meilleurs que l'on possède sur notre art natio-
nal. Il est divisé en trois parties : 1° les hommes (le gouvernement
des arts et les artistes) ; 2° la doctrine (les académies et l'esprit d'auto-
rité, les maîtres et les modèles, les théories dans la peinture, la sculp-
ture et l'architecture) ; 3° les œuvres (influence des modes et du goût,
monuments d'architecture, la sculpture à Paris et "Versailles, la pein-
ture monumentale).
M. Lemonnier a très finement analysé les théories et les produc-
tions des artistes du xvii^ siècle ; il a montré quel était leur idéal, quels
étaient les modèles qu'ils se proposaient d'imiter (l'antiquité romaine
vue à travers les ouvrages italiens), mais il a su en même temps fort
bien dégager ce que leur propre tempérament apportait d'originalité
à leurs imitations. Il est même fort instructif de considérer comment
les architectes, par exemple, doués d'une longue expérience, experts
dans leur art, transformaient, sans presque s'en rendre compte, les
conceptions qu'ils puisaient ailleurs. Quoi qu'ils aient fait, ils impri-
maient à leurs constructions un goût français qui se différenciait
notablement de l'italien. Les maîtres du temps de Louis XIV perfec-
tionnaient l'art qu'ils recevaient ; ils le renouvelèrent et ils relevèrent
à un tel rang qu'ils l'imposèrent à l'Europe tout entière.
Si les analyses de M. Lemonnier sont extrêmement poussées, les
renseignements qu'il donne sur chacun des artistes du temps de
Louis XIV et sur ses principales œuvres, méritent d'être notés. 11 fait
naturellement une très large place à Le Brun, qui, grâce à la faveur
royale, grâce à la position éminente qu'il occupa, exerça une sorte de
de bois étant en sa maison « et en méTnc temps il a « dérobé un escu et un teston
en la bource de Cécile » (p. 3o5),etc.
P. 65. L'érudit bibliothécaire de la Société de l'histoire du protestantisme fran-
çais ne s'appelle pas Nathan mais Nathanaël.
292 REVUE CRITIQUE
régence sur tous les arts; mais il sait aussi mettre en lumière tous ses
collaborateurs et ses rivaux, les Mignard, Pierre Pugei, Coyzevox,
Girardon, les Le Vau, Claude Perrault, François Blondel, etc. Les
pages qu'il a écrites sur les travaux exécutés au Louvre, aux Tuileries,
à Versailles, celles où il a discuté la part qui doit revenir à chaque
artiste, resteront aussi comme définitives dans leurs conclusions.
Il s'était préparé à écrire ce volume de V Art fraricais au temps de
Louis XIV par l'édition des procès verbaux de l'Académie royale
d'architecture, dont il nous a présenté dans le même temps le tome \.
Ces docu.ments sont de toute importance si l'on veut se rendre
compte des sentiments et des préoccupations des architectes qui
entrèrent dans la nouvelle Académie fondée en 1 671. Se proposant
d'abord pour but la définition de ce qu'on nomme bon goût, puis
l'étude et l'explication des livres de Vitruve, de Scamozzi, de Vignole,
de Serlio, de Philibert de l'Orme, etc., ils furent entraînés à exposer
leurs propres vues sur l'art qu'ils pratiquaient ; ils eurent aussi très
rapidement à sortir du domaine des spéculations et des théories, et
furent invités à donner leur avis sur des travaux effectués à Versailles,
à Paris ou dans d'autres villes de France ; ils dirigèrent même
quelques enquêtes techniques, dont ils consignèrent le résultat dans
leurs registres. Leurs procès-verbaux sont donc essentiels à connaître
pour l'historien du xvii^ siècle.
L'éditeur en a fait précéder le texte d'une très savante introduction
où il a présenté l'historique de l'Académie d'architecture, des notices
biographiques sur les premiers académiciens et un aperçu de leurs
travaux. Il me peimettra de rectifier ce qu'il a écrit sur Pierre Mignard,
dont « presque toutes les œuvres, dit-il, se trouvent dans le comtat
de Provence », c'est-à-dire à Avignon, Montmajour, Roquefort (?).
Ni Avignon, ni Montmajour ne se trouvent dans le comté Venaissin,
La liste des monuments dont il fut l'architecte est aussi singulière-
ment sujette à caution : on pourra la rectifier après le Répertoire que
M. l'abbé Requin va incessamment publier.
L'-H. Labande.
Jean-Auguste Brutails, Les vieilles Eglises de la Gironde. Ouvrage illustré de
près de 400 gravures dont 16 planches hors texte en phototypie... — Bordeaux,
Feret et fîls, 1912. In-4" de xii-3o2 pages.
Un ouvrage d'archéologie médiévale signé de M. Brutails ne peut
laisser indifférentes les personnes qui s'occupent des mêmes études.
Celui qui vient de nous être présenté retiendra leur attention et méri-
tera leur suffrage. Car il est d'une très grande iinportance pour la
région du sud-ouest de la France.
Le titre qui lui est donné indique qu'il n'y est pas seulement
question des édifices d'une époque déterminée. M. Brutails a examiné
toutes les églises qui ont été construites dans la Gironde avant la fin
d'histoire et de littérature 293
de l'ancien régime ; mais comme la très grande majorité est de style
roman, c'est surtout l'architecture des xi=et xu" siècles, du xii" plutôt,
qui est ici étudiée. En dehors de quelques monuments, dont la cons-
truction a été entreprise par les architectes des âges suivants, l'art
gothique ne s'y manifesta que par des remaniements plus ou moins
considérables, que par des restaurations de parties ruinées, que par
des agrandissements. Quant aux époques postérieures, elles ont rela-
tivement peu construit. Le livre de M. Brutails, je le répète, em-
brasse donc toute la période comprise entre le xi^ siècle (des monu-
ments mérovingiens ou carolingiens il n'existe plus que des vestiges
insignifiants) et le xYia*^.
II est divisé en deux parties : d'abord une suite de monographies
assez courtes, mais très précises et documentées, d'après une soixan-
taine d'éditices du département : église primatiale et son clocher,
églises Sainte-Croix, Saint-Michel, Sainte-Eulalie et Saint-Seurin de
Bordeaux, cathédrale de Bazas, église de Blasimon, de Francs, de
Langoiran, de la Sauve, de Saint-Emilion, d'Uzeste, de Vertheuil,
etc. Tous les types sont représentés dans cette série : c'est ce qui a
permis à l'auteur de donner des notices extrêmement variées etsurtout
de déterminer les remaniements, parfois désastreux, opérés dans le
siècle dernier.
La deuxième partie est de beaucoup la plus importante : elle expose
ce que fut l'architecture religieuse en Gironde. Un chapitre que
j'appellerai préliminaire indique les « causes » de celte architecture,
la nature du sol, ses carrières, ses forêts, la répartition du territoire
entre divers diocèses, les grands événements historiques qui ont
influencé la construction, enhn la condition sociale et la formation
des maîtres d'œuvre, les ressources mises à leur disposition. Nous
entrons dans le vif du sujet avec l'étude du plan des églises giron-
dines : il est en général fort simple; on eut, pour les monuments les
moins riches, une nef terminée à l'est par une abside; les autres, à
l'époque romane, présentèrent pour la plupart une abside et deux
absidioles, un transept et une nef; rares furent celles qui furent dotées
de bas-côtés ou de déambulatoire. Dans la campagne, les dévia-
tions d'axe, les irrégularités sont assez fréquentes, mais sans que le
symbolisme y soit pour quelque chose. Beaucoup de nefs sont restées
sans voûte, avec leur loiture portée par des charpentes que cachent
assez souvent des lambris ; pour celles qui sont couvertes en pierres,
on adopta de bonne heure la voûte en berceau surbaissé, en fer-à-
cheval, en plein cintre ou en arc brisé; on la soutint au moyen de
doubleaux d'un tracé plus au moins régulier. D'autres systèmes de
voûte (en dehors des culs-de-four pour les absides) furent usités à
l'époque romane ; si l'on ne trouve qu'une fois, à la base d'un clocher,
la coupole sur trompes, la coupole sur pendentifs fut assez fréquem-
ment usitée ; elle fut même substituée à d'autres voûtes plus anciennes.
294 REVUE CRITIQUE
La croisée d'ogives fut importée dès le milieu du xn' siècle : elle fut
imaginée d'abord comme couvre-joints, comme moyen de consolida-
tion des clochers ébranlés par la sonnerie des cloches, comme décor
de la voûte, mais surtout comme support des claveaux.
Je n'entrerai pas davantage dans le détail des différents chapitres :
quil suffise de marquer que tous les membres de la construction sont
étudiés avec une grande abondance de détails, que l'auteur de l'ou-
vrage possédant les connaissances techniques que l'on sait, a expliqué
chacun d'eux avec une précision tout à fait remarquable, et les a
analysés avec une perspicacité non moins digne d'éloges. Il ne néglige
en effet aucune partie de l'édifice : les supports, les ouvertures, les
clochers et cryptes, font l'objet d'autant de chapitres. Un autre est
consacré à la fortification des églises, qui a été imaginée en général
après coup, pendant la guerre de Cent Ans ou les guerres de religion.
Plusieurs autres le sont à la décoration ; celle-ci est parfois fort abon-
dante : certains édifices ont le pourtour extérieur de leurs absides
très richement orné avec des groupes de colonnes engagées, des
séries d'arcades, des cordons ou des corniches supportées par des
corbeaux sculptés ; d'autres églises ont des portraits aux voussures
multiples chargées de figures humaines d'animaux, de rinceaux, de
feuilles stylisées, d'ornements géométriques, etc. Partout on trouve
encore des chapiteaux de diverses formes. Pourtant l'iconographie
des églises girondines n'est pas très abondante; si les motifs tirés de
la faune et de la Hore ou les combinaisons des formes géométriques
sont des plus répandus, les sculpteurs n'ont présenté que peu de
sujets tirés de l'Ecriture. A l'époque romane proprement dite, ils n'ont
produit que trop souvent des œuvres maladroites. Mais il est vrai de
dire qu'on avait aussi recours pour la décoration des édifices à la
peinture. 11 n'a subsisté que peu de fresques des xii'^ et xiii« siècles,
mais on sait qu'il y en eut un assez grand nombre. Même dans les
églises les plus pauvres, on avait recouvert les parements intérieurs
d'enduits avec les motifs décoratifs extrêmement simples.
11 n'est pas possible d'indiquer ici même sommairement comment
fut appliqué le décor sculpté : il faut lire l'ouvrage de M. Brutails. Il
est plus utile d'exposer les conclusions auxquelles il est arrivé. Le
classement chronologique lui a paru diflficile, faute de documents
précis, car d'une part il y a lieu de se défier des impressions d'ar-
chaïsme que produisent certains monuments mal construits ou dégra-
dés et d'autre part les formes romanes et gothiques ont persisté
bien plus longtemps qu'on ne s'imaginerait : ainsi la façade romane
de Francs est de i6o5 et la porte gothique de Saint-Michel- Lapujade
date de 1640. C'est dire qu'il faut se montrer prudent. Les rappro-
chements que l'on a tentés avec d'autres édifices du nord de la F'rance
sont également sujets à caution, puisque la plupart de ces édifices sont
assez mal connus Cependant M. Brutails est fondé à attribuer au
d'histoire et de littérature 295
XI* siècle la crvpte et le porche occidental de Saint-Seurin de Bor-
deaux et des portions d'autres monuments. Mais c'est aux xii' et
xin' siècles qu'il rapporte la plupart des belles constructions de style
roman qui ont couvert la terre girondine.
A quelle école d'architecture fallait-il les rattacher? C'est encore
une autre question bien délicate. Pour la trancher, l'auteur du livre
que j'analyse a établi la répartition géographique des différents types ;
il a reconnu que la rég-on où dominent les formes les plus riches,
sinon les plus originales, était le territoire compris entre la Dordogne
et risle. La géographie architecturale ne correspond pas avec la
géographie ecclésiastique; les constructions élevées par une famille
monastique, sauf par les Hospitaliers et les Templiers, ne se res-
semblent pas davantage. L'influence anglaise fut nulle ou à peu près.
Bordeaux, la capitale, ne fut pas un foyer d'art : les courants vinrent
du dehors. Il y a bien eu des imitations de décors orientaux, de
formes usitées surtout en Auvergne, en Périgord, dans le haut pays de
la Garonne, mais c'est surtout avec les Charcutes, l'Anjou et le Poitou
que les constructeurs girondins eurent des affinités. Les caractères
essentiels de leurs édifices se retrouvent même plutôt dans les deux
Charente et se distinguent assez des formes poitevines pour caracté-
riser une école qui embrasserait le Bordelais, l'Angoumois et la
Saintonge.
Tel est, sommairement analysé, l'ouvrage de M. Brutails. Ecrit
dans une langue technologique très riche et très claire, illustré de
fort nombreuses photographies, de croquis et de plans multiples, il
est appelé à servir grandement la science archéologique. Peut-être
aurait-on pu désirer une autre division : 1° étude et explication de
l'architecture et des formes romanes; 2" art gothique; 3° construc-
tions des xvii« et xviiie siècles. A la réflexion pourtant, on se rend
compte des raisons qui ont poussé M. Brutails à ne pas l'adopter : les
styles se pénètrent trop et ne permettent pas une classification aussi
rigoureuse.
L.-H. Labande.
De la nature du capital et du revenu par Irving Fisher, professeur à l'Univer-
sité de Yale, trad. par Savinien Bouyssy. Giard et Brière éd. 191 1, in-S», 1,
475 p.
l,a notice — annonce jointe par l'éditeur français au volume de
M. Irving Fisher, assure que ce livre « est d'une lecture facile ». Je ne
suis pas de son avis. L'auteur entre, au sujet du capital et du revenu,
dans des distinctions bien subtiles et qui ne me paraissent pas con-
duire à des conclusions très fécondes. La grande distinction à laquelle
il aboutit entre le capital et le revenu, que l'un est le « stock de
richesse existant à un moment précis » tandis que le second est « un
mouvement de. services pendant une certaine période de temps »,
296 REVUE CRITIQUE
cette distinction ne laisse pas dans l'esprit une clarté suffisante pour
justifier une démonstration en près de 400 pages de texte, sans compter
huitappendices avec formules mathématiques. L'auteur semble atta-
cher beaucoup d'importance h sa thèse que le mot capital est employé
pour désigner le revenu anticipé, revenu qui consiste en un courant
de services ou de valeur. « Si c'est la valeur que l'on a en vue, le rap-
port de causalité ne va pas du capital au revenu, mais du revenu au
capital. Il ne va pas du présent au futur mais du futur au présent. En
d'autres termes la valeur du capital est la valeur escomptée du revenu
attendu ». L'auteur ajoute que les « fluctuations de cette valeur capital
seront, toute chance mise de côté, égales aux déviations du revenu
par rapport aux bénéfices et réciproquement ; tandis que si l'on tient
compte de la chance il y aura en plus de ces fluctuations, d'autres
fluctuations qui refléteront les changements successifs que l'on peut
prévoir dans le revenu futur ».
Ce sont là les dernières lignes du livre. On peut juger par elles,
qu'au moins dans la traduction, le lecteur se heurte à quelques diffi-
cultés de compréhension '. La puissance d'analyse de l'auteur est
incontestable, ainsi que son érudition qui lui permet d'opposer les
unes aux autres beaucoup de définitions plus ou moins défectueuses
dues aux divers économistes, ce qui est la portion la plus accessible
de son ouvrage. De plus l'auteur est familier avec les méthodes de la
comptabilité commerciale et il en tire beaucoup d'exemples et de
déductions. Celle qu'il applique à la question de la taxation qui
« devrait imposer toute la propriété une fois et aucune propriété plus
d'une fois » est intéressante, en ce qu'elle constate que par la confu-
sion entre les méthodes d'inventaires suivant qu'on tient ou non
compte des droits des véritables propriétaires, le législateur arrive
souvent à frapper deux fois la même chose : par exemple un chemin
de fer et les actions ou obligations de cette même entreprise. En
général ses observations sur la taxation des revenus sont instructives;
mais je ne vois pas le législateur allant les chercher dans des pages
d'un caractère aussi abstrait.
E. d'Eichthal.
Ch. Brouilhet, professeur d'Economie politique à la Faculté de Lyon. Précis
d'Economie politique, i vol. grand in-4<', i, 820 p.
Le cercle que M. Brouilhet a voulu parcourir est immense. Cette
immensité contraste un peu avec le titre qu'il a donné à son volume :
1. L'auteur pose comme principe p. i23 « qu'une bonne définition doit toujours
être utile à l'analyse scientifique, et être d'accord avec l'usage populaire et ins-
tinctif. « Il ne me semble pas, au moins dans la traduction, avoir toujours rempli
la seconde condition. Je relève quelques erreurs dans la traduction : Rent s'appli-
quant à une maison signifie loyer et non rente. Log veut dire tronc ou grume de
bois et non poutre; stranded à la côte et non à la rue. Le traducteur emploie le mot
frange d'une façon incompréhensible pour un lecteur français.
d'histoire et de littérature 297
« Précis d'Economie politique ». C'est plutôt le Manuel, tel que le
conçoivent les professeurs allemands — et actuellement beaucoup
de professeurs français — c'est-à-dire une sorte d'encyclopédie de la
matière professée. Ici, il s'agit sous le nom d'Economie politique
d'une foule de sujets qui sont, si on le veut, de l'Economie appliquée,
mais qui pourraient et devraient être traités chacun dans un ou plu-
sieurs volumes séparés. J'avoue ne pas même bien apercevoir les rai-
sons logiques de l'ordre dans lequel l'auteur a rangé ces sujets si
divers sans tenir aucun compte des divisions habituelles des traités :
la population, les forces économiques, les dépenses et l'épargne, les
institutions sociales, l'agriculture, les mines, les villes, l'industrie, le
commerce, les transports, la monnaie et les prix, le crédit, capital et
travail, le parasitisme social et les doctrines économiques, l'économie
politique comparée; ce sont là, dans l'ordre suivi par l'auteur, les
titres généraux de ses chapitres divisés ensuite en un grand nombre de
subdivisions. Ils ont un peu l'air d'avoir été pour leur répartition tirés
au sort dans un chapeau '. Le fait d'avoir pu traiter, en les connais-
sant sous plusieurs de leurs faces, un aussi grand nombre de sujets,
prouve chez l'auteur une^grande facilité d'assimilation. Il y joint une
facilité d'affirmation parfois un peu déconcertante. Le nom même
qu'il donne à sa méthode préférée « le socialisme juridique », n'éclaire
pas beaucoup le lecteur, d'autant que de son aveu même le mot socia-
lisme n'est pas employé là dans son sens habituel. « C'est, écrit-il, un
effort scientifiquement très intéressant pour interpréter les formules
juridiques parles situations économiques auxquelles elles correspon-
dent, et réciproquement les situations économiques par les formules
juridiques qui les résument ».
Pour que la méthode ftàt vraiment « intéressante », il faudrait que
les juristes, en faisant de l'économie politique, se plaçassent tout
d'abord à un point de vue vraiment économique, ce qu'ils ne font
presque jamais. Le point de vue juridique, c'est-à-dire de répartition
suivant des droits à formuler, s'impose à eux de suite, préalablement
à celui de la production de la richesse générale qui est le premier dont
se préoccupe l'esprit économique — et qui doit logiquement précéder
les problèmes de la répartition : car comment partager ce qui n'exis-
terait pas? Vérité banale que les réformateurs sociaux perdent trop
souvent de vue. Par exemple, le rôle de l'entrepreneur sous ce rap-
I. L'auteur dit bien dans une note (p. 141) que « s'il aborde l'étude des institu-
tions sociales avant l'examen du mécanisme de la vie économique, ou productive,
c'est 1° qu'il faut s'occuper de l'homme d'abord et delà richesse ensuite ; 2" que
la direction donnée à nos dépenses par les institutions conditionne la vie écono-
mique )) : mais il faut observer 1° que ce sont là de simples affirmations sans
démonstrations et auxquelles on pourrait facilement opposer des affirmations
contraires ; 2» que cette tentative de justification du plan de l'auteur vient après
qu'il a consacre déjà trois chap. et [40 pages à des matières diverses autant écono-
miques que sociales.
2^8 REVUE CRITIQUE
port, échappe presque complètement à M. B. Ses fonctions d'initia-
teur, d'organisateur, de combinateur pour ainsi dire ne lui apparais-
sent pas comme une des conditions essentielles de la production, et il
n'est pas loin d'en faire soit un simple fonctionnaire, soit un de ces
parasites capitalistes auxquels, par un abus des métaphores dans
lequel il tombe souvent, il fait une si grande place dans l'organisme
social actuel. Les métaphores entraînent plus d'une fois l'auteur dans
des théories qui prêtent au pittoresque de l'expression, mais qui ont
bien peu de rapports avec la réalité des faits. Nous en avons un
exemple dans l'assimilation d'une bonne partie du capitalisme au
parasitisme biologique, qui a été très étudié dans ces derniers temps
et a révélé bien des phénomènes curieux en histoire naturelle, mais
qui ne prouvent rien en économie politique sociale. Un autre exemple
est le recours aux images et aux définitions de la guerre pour expli-
quer l'échange sur les marchés commerciaux. L'auteur voit partout
des vainqueurs et des vaincus, la vaillance personnelle ou conta-
gieuse, et la peur : le prix est une victoire accordée à ceux qui ont le
plus de confiance dans leurs forces, etc. Cela rappelle les raisonne-
ments des protectionnistes qui ne parlent que du joug de l'étranger,
de l'invasion des marchés, du tribut payé à l'industrie hors frontières,
etc. et ne prouve pas plus. C'est encore un indice de l'absence du
sens économique proprement dit, cette confusion des choses de la
force avec celles de l'échange — produits ou services — dont l'es-
sence est d'être avantageux, plus ou moins avantageux, mais avanta-
geux tout de même aux deux parties en présence, ce qui ne se réalise
pas dans le combat à main armée. M. B., lui, voit toujours un spolié
et un spoliateur. L'organisation économique vue sous cet angle exige
naturellement un constant appui des faibles par l'Etat qui apparaît
dès lors comme un éternel et nécessaire arbitre. Pour qu'il puisse
remplir ces fonctions d'une façon à peu près satisfaisante, M. B. est
obligé, comme tous les Etatistes, de faire abstraction de la nature
réelle de l'État, surtout de l'Etat populaire, et de lui attribuer des
caractères d'activité, d'impartialité, de justice qu'il n'a pas. Les pages
où il prétend répondre aux objections des libéraux contre les enva-
hissements de l'Etat touche-à-tout, incompétent et brouillon, sont
parmi les plus faibles du livre, et cette faiblesse compromet les con-
clusions de tout l'ouvrage.
Celles qui s'appliquent au chapitre spécial des rapports du capital
et du travail prêtent à bien des critiques. L'auteur tranche par exemple
avec une assurance déconcertante, en une note de huit lignes, la ques-
tion de savoir si la grève est une rupture ou une simple suspension
du contrat de travail. L'auteur n'admet même pas la discussion sur ce
point : « La grève est simplement une suspension parce que telle est
l'intention des parties », C'est peut-être souvent l'intention de celle
des parties qui déclare la grève, mais non de l'autre qui souvent
d'histoire et de littérature 299
cherche à embaucher ou à s'embaucher ailleurs. Mais l'auteur n'ad-
met pas cela : « Les patrons ne demandent qu'à reprendre le même
personnel ». « Ce n'est cependant pas ce qui se passe dans bien des
cas, lorsque la liberté du travail est suffisamment protégée. Mais la
liberté du travail apparaît à l'auteur une niaiserie en temps de grève.
Ici les images de la guerre reviennent sous sa plume. Il revoit de nou-
veau le champ de bataille avec ses vainqueurs, ses vaincus, et les vio-
lences nécessaires delà guerre. « 11 est impossible de ne pas considé-
rer la grève comme un acte de guerre. On ne la fait pas avec des
âmes de moutons. La grève ouvrière cherche à être la ruine du pa-
tron »... (Comment concilier cetie assertion avec l'affirmation que les
grévistes ne cherchent qu'à rentrer chez le patron ?). L'État qui était
pour M. B. le grand arbitre nécessaire des intérêts, l'appui des fai-
bles, devient tout à coup incapable d'aucune défense des non-grévistes
qui refusent de suivre les meneurs. « Le geste protecteur de l'Etat
n'a qu'une valeur de symbole : devant des grévistes résolus et orga-
nisés, les non grévistes sont hors d'état de se défendre. Il ne faut pas
leur laisser croire qu'ils seront efficacement placés sous la tutelle de
l'État. La grève nous transporte dans le domaine de la guerre, donc
en dehors de celui du droit ».
La solution d'avenir aperçue plutôt qu'étudiée par M. B. est la
constitution d'organes collectifs de location de la main d'œuvre
moyennant des contrats collectifs, solution qui a déjà été proposée
par des économistes ultra libéraux comme M. Yves Guyot, ce que
M. B. dans son dédain pour l'école libérale omet de rappeler. Il est
très possible qu'il se fasse à l'avenir dans cette voie des transforma-
tions intéressantes du marché de la main d'œuvre; le difficile sera
dans le contrat collectif de respecter la liberté de ceux qui ne vou-
dront pas y adhérer : mais ce sont là difficultés qui ne touchent pas
beaucoup en général les économistes-juristes de l'école de M. B.
Celui-ci n'aborde même pas le problème.
E. d'Eichthal.
— La librairie Teubner nous envoie le i^" fascicule de ÏEpitome tliesaui-i latini,
adornavit et auxiliantibus compluribus edidit Fr. Vollmer. Vol. I, fasc. i , a-aedilis,
confecerunt Fr. Vollmer et E. Bickkl, iSg col. gr. in-4°. Prix : 2 mk. le fasc.
Les souscripteurs ne paieront que i mk. 5o, s'ils envoient leur adhésion avant le
3i décembre 191 2. Cet ouvrage parait être à la fois un éclaircissement et une
mise au point des matériaux accumulés dans le grand Thésaurus. Il est conçu
avec une intelligence remarquable des besoins du public savant. Sa disposition
est excellente et pratique. On prévoit quatre volumes maniables. Le seul point
noir est que cette publication ne peut que suivre le grand Thésaurus. Il en est
au D. Quand en verrons-nous la fin ? h' Epitome , qui pourrait rendre tant de
services, sera forcé de marcher du même pas. Nos arrière-neveux auront bien
des facilités. — J. D.
— M. M. Cl. Gertz, nous a envoyé : Om den nyc udgave af Vitae Sanctorum
3oO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
danorum (Oversigt over det kgl. Danske videnskabernes selskabs forhandiinger,
1912, n» 3, p. 169-21 i). Il est fâcheux qu'aucun résumé dans une langue plus
accessible que le danois ne donne une idée de cet article aux hagiographes qui ne
sont pas polyglottes. — 1). S.
Académie des Inscru'tions et Belles-Lettres. — Séance du 20 septembre igi2.
— M. Héron de Viilefosse communique une lettre où M. le commandant Espéran-
dieu, correspondant de l'Académie, annonce la découverte d'une clôture en pierres
sèches ayant l'aspect d'un reirancheinent, au lieu dit la Croix-Saint-Charles, à
Alise-Sainic-Rcinc. M. Fî^spérandicu pense que ce doit dire l'ouvrage de défense
dont il est question dans les Commentaires de César (livre Vlf^ ch. 69). —
M. Héron de \'illefosse insiste sur l'intérêt de cette constatation et rappelle qu'au
dernier Congrès des Sociétés savantes M. le D"" Epery avait émis des nypothèses
qui se trouvent ainsi confirmées.
M. Charles Diehl donne lecture d'une lettre de M. Ebersolt qui a exploré un
quartier de Constantinople voisin de Sultan-Ahmed et dévasté par un récent
incendie. Il y a trouvé un certain nombre de débris de l'antique Palais impérial.
M. Charles Diehl annonce qu'il y a quelques semaines, près d'un village du
gouvernement de Poltava (Russie méridionale), deux jeunes garçons découvraient
par hasard un trésor d'objets précieux, vases d'argent et d'or, armes, bijoux, etc.,
comprenant plus d'une centaine d'objets et qui constitue une des plus belles col-
lections d'orfèvrerie ancienne qui aient été retrouvées. A l'exception de quelques
détournements, presque toute la collection a été sauvée parles soins de la Com-
mission archéologique impériale et elle ne tardera pas à entrer au Musée de l'Er-
mitage. M. Diehl, fait brièvement connaître les pièces principales qui composent
ce trésor, vases et coupes d'or et d'argent relevées de sculptures en relief, vaisselle
précieuse, bijoux, armes et harnachements de chevaux, plaques d'or non travaillé.
Parmi ces objets, les uns se rattachent à l'art chrétien, et certains peuvent remon-
ter au IV* et au ve siècle ; le plus grand nombre est d'art sassanide, par exemple la
magnifique coupe d'argent au centre de laquelle figure un roi perse à cheval.
Aucune pièce ne semble postérieure au milieu du vii<= siècle ; des monnaies d'or
trouvées avec le trésor portent l'effigie de l'empereur Héraclius (638-641). Il est
donc probable que ce trésor provient de quelqu'un de ces chefs de peuples noma-
des bulgares ou avars qui erraient alors dans les steppes de la Russie du Sud et
qui plus d'une fois se mirent au service de l'empire perse pour ravager le pays
byzantin.
M. Raymond Weill rend compte des travaux qu'il a exécutés en Egypte pendant
la saison de fouilles 1911-1912. A Tounah, nécropole de la ville d'Hermopolis en
Haute-Egypte, il a été dégagé une partie de ce champ funéraire très étendu, notam-
ment le cimetière de l'époque du Nouvel Empire (xvi" au xii" siècle av. J.-C.) ; les
to.mbeaux explorés ont fourni des objets de mobilier funéraire en abondance, sar-
cophages, vases, figurines, etc. Le plus important des objets rapportés est un beau
sarcophage de granit à couvercle anthropoïde, complètement inscrit et décoré,
dont le poids total est de 4000 kilogr.
A. Zaouièt El-Maietin, d'autre part, M. Weill a misa découvert, sous les cons-
tructions d'une ville d'époque grecque, les ruines d'une pyramide de l'époque
memphite ancienne (vers 3ooo av. J.-C); la sépulture intérieure, protégée contre
les déprédations, depuis l'antiquité, par les constructions susjacentes, est sans
doute intacte, et il sera procédé à son ouverture au cours de la campagne du pro-
chain hiver.
M. Seymour de Ricci communique les photographies d'une collection de tapis-
series gothiques récemment acquise par M. Pierpont Morgan. Ces tapisseries pro-
viennent du château de Knole (comté de Kent) qui appartint aux archevêques de
Cantorbéry et aux rois d'Angleterre et où elles étaient conservées depuis quatre siè-
cles.Elles datent de la belle époque de la tapisserie flamande, entre 1480 et i520.
On y reconnaît des scènes sacrées et profanes, l'Ecce Homo, sainte Véronique pré-
sentant la sainte face à l'empereur Vespasien, Enée et Didon, le jugement d'Othon,
des scènes de romans médiévaux.
Léon Dorez.
U imprimeur-gérant : Ulyssk Rouchon.
Le Puy-eu-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchou et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N' 42 — 19 octobre. — 1912
Keks, La danse du roi égyptien devant la divinité. — Zéliqzon et Thiriot, Textes
patois recueillis en Lorraine. — Saulnier, Le cardinal de Bourbon. — Vindry,
Les parlementaires français au xvi" siècle, II. — Goeters, Le piétisme aux
Pays-Bas. — O. Pfister, Zinzendorf. — Lesprand, Les derniers jours du parle-
ment de Metz; La suppression des Récollets de Sierck; La fin de l'abbaye de
Wadgassc. — P. Casper, Lettres de Golbéry. — Pkrkire, Autour de Saint-
Simon. — Fagukt, Initiation philosophique. — Aster, Grands penseurs. —
Cardinal Mathieu, Œuvres diverses. — Souries, Almanach des Spectacles, 191 1.
— Peters, Saint François d'Assise. — H. Hoffmann, Le rationalisme du
XVIII' siècle. — G. ScHULZE, Aénésidème, p. Liebert. — Maugain, Boileau et
l'Italie. — Dejob, M""" Siciliani. — Académie des Inscriptions.
Hermann Kei:s, Der Opfertanz des segyptischen Kônigs, 19 12, Leipzig,
J.-C. Hinrichs'sche Buchhnndiung, in-8", vu-292 p. et 7 pi.
Il y a trente ans passés, je proposais comme sujet de thèses, aux
jeunes gens qui suivaient les cours de l'Ecole des Hautes Études,
l'examen et l'interprétation des poses, gestes et mouvements qui carac-
térisent les personnages dans les représentations religieuses et funé-
raires : tout en effet y est réglé comme dans un de nos ballets, à tel
point que, s'il subsiste dans un tableau détruit quelques traits suffi-
sants pour indiquer la silhouette du roi et son attitude, nous pouvons
déterminer la cérémonie à' certains détails secondaires près. Ceux
de mes auditeurs que l'idée intéressa renoncèrent à la poursuivre, et
le temps m'a manqué depuis lors pour coordonner et pour publier
les notes que j'avais recueillies à l'appui. M. Kees a consacré son long
mémoire à une des scènes qui avaient attiré le plus mon attention,
celle qui représente la course, ou si l'on veut, la danse du roi devant
la divinité. Il en a distingué et défini minutieusement quatre types :
la course à l'oiseau, la course au vase, la course à la rame, et enfin la
course du Habisadou. Disons tout de suite que la course à l'oiseau
est la moins fréquente : on en trouve quelques exemples sur les
monuments de la XVIIP dynastie et sous les Ptolémées, aucun dans
l'intervalle, ce qui permet à M. Kees de supposer qu'elle serait
tombée en désuétude vers le début des temps Ramessides, pour ne
reparaître qu'à titre archaïque vers le milieu de l'époque macédo-
nienne. Il est possible, mais tant de temples ont été détruits qu'un
défaut sur les débris de ceux qui subsistent ne suffit pas à prouver
la perte d'un rite. Le roi devait courir vers une déesse, en lui présen-
Nouvelle série LXXIV 42
?02 REVUE CRITIQUE
lani un oiseau de la main gauche, tandis que de la main droite il
appuyait à son épaule trois sceptres, celui de vie surmonté d'un ibis,
celui de stabilité surmonté d'une chouette ou plutôt d'un faucon,
celui de force surmonte d'un vautour. La légende décrit sans rien
expliquer : « Prends ta course pour la déesse », que la déesse soit
Hathor ou Maout, ou une autre. M. Kees, remarquant que l'oiseau
est très probablement un oiseau Khou, et que la déesse s'appelle aussi
Kliouit^ IJxlwuît, considère la cérémonie comme figurant l'offrande
faite à Hathor de son propre symbole et de sa vertu principale. Or
Khouît, Ikhouît, est l'urœus enflammée qui couronne Rà, le soleil et
qui le garde contre ses ennemis. Elle est d'abord comme une sœur
de l'Œil de Râ, puis elle se confond avec celui-ci, et par conséquent,
elle s'identifie de même que lui avec Hathor. Il semble donc que la
course à l'oiseau ait eu pour effet de conférer à la statue de la déesse
le pouvoir défenseur du souverain et destructeur de ses adversaires,
qui lui accroissait de sa qualité d'urœus, œil et protectrice du soleil.
Autant la course à l'oiseau est d'occurrence rare sur les monuments,
autant la course au vase et la course à la rame s'y rencontrent sou-
vent. Elles s'appareillent perpétuellement, presque toujours sur le
linteau des portes, ce qui a conduit la plupart des savants à les ranger
parmi les épisodes des fêtes de la fondation de l'édifice où on les voit.
Dans les tableaux les plus anciens qui nous en soient parvenus
jusqu'à présent, ceux de la XIT dynastie et des commencements de
la XVni", le Pharaon coureur lève de la main gauche l'espèce
d'équerre qu'on appelait hapît, et de la droite il appuie à l'épaule
une longue rame-gouvernail décorée de diverses manières, et c'est
la course à la rame ; ou bien il tient de chaque main un vase hasou,
dans lequel il apporte l'eau fraîche au dieu. A partir d'Aménô-
thès ni, le sens des deux cérémonies et l'intelligence des deux
types vont s'effaçant peu à peu. Le symbole /m/"/? n'est plus compris,
il se déforme, et l'on finit par voir Ramsès II courir tenant le vase
d'une main et la rame de l'autre, accomplissant ainsi les deux opéra-
tions du même coup. Une confusion semblable s'établit entre la
course à la rame ou au vase et la course de habi-sadou^ si bien que
sous les Ptolémées leurs attributs se mêlent dans les mains du
Pharaon. La course au vase a le moins souffert de ces contamina-
tions, mais la course à la rame est devenue méconnaissable : l'équerre
s'est métamorphosée en un fouet, celui qui caractérise la course de
habi-sadon, puis la rame n'est plus qu'un bâion assez court, un peu
plus épais à une extrémité qu'à l'autre, mais qui n'en conserve pas
moins le nom hapî\t]. Il résulte de l'examen auquel M. Kees s'est
livré, qu'à l'exception de la course au vase, tous les tableaux qui
représentent une course perdirent leur sens primitif, dès que la
tradition qui les maintenait encore au début de la XVIIP dynastie
eut disparu. La course au vase était à l'origine, et elle demeura tou-
d'histoire et de littérature 3o3
jours, l'un des prcliminaircs de la libation. On apportait au dieu
l'eau fiaîclie pour qu il la bût, et, afin qu'il la reçut, on la versait
devant lui. Si le roi courait en accomplissant ce devoir, c'est qu'il
devait, pour en assurer l'efficacité, tourner autour de l'image du dieu
alin de consacrer le liquide au.K quatre maisons du monde : les quatre
parois de la salle où la fonction avait lieu étaient l'objet de son hom-
mage l'une après l'autre. Comme une partie de l'eau ainsi offerte
était employée à la puriricaiion qui précédait tout acte nouveau du
sacrifice, l'idée de purihcation s'attacha à la course et y prédomina
par la suite. La course à la rame n'appartient pas à la série des actes
sacriflciels, et c'est surtout pour des motifs de symétrie décorative
qu'elle a été accouplée si souvent à la course du vase, à partir de l'âge
Ramesside : le roi, accourant avec son vase, faisait, de la façon la
plus heureuse, pendant au roi accourant avec sa rame, lorsqu'on
affrontait les deux scènes l'une à l'autre sur le linteau des portes.
Toutefois l'association est entièrement artificielle. Si Pharaon s'ap-
prochait du dieu une rame gouvernail et un objet de la forme liapit
aux mains, c'était pour obéir au vieil usage qui voulait que le matelot
en s'embarquant et en débarquant prît avec lui son équipement
propre : se rendant au temple pour y honorer les dieux, il montrait
par là qu'il était prêt à monter dans leur barque divine et à la manœu-
vrer. Le rite se troubla au cours des âges et des éléments nouveaux
s'y introduisirent, jusqu'à un taureau qui court auprès du souverain :
c'est de ces développements d'idées par jeux de mots, — ici entre le
nom Hapi du taureau et le nom hapî[t] de la rame-gouvernail, —
comme on en rencontre tant en Egypte.
Pour compléter l'explication de ces trois scènes, il reste à indiquer
la valeur de certaines figures accessoires qui y jouent un rôle, et
d'abord celle de la déesse Marît, qui est à l'ordinaire une des suivantes
du dieu Nil. Lorsque le roi a présenté l'eau ou la rame, le dieu le
remercie et la déesse est, pour ainsi dire, l'image de la bienvenue
divine; elle lève les mains, elle les frappe l'une contre l'autre, et elle
crie : « Viens, apporte ! Viens, apporte! » C'est le geste des musicien-
nes qui suivaient les processions et qui agrémentaient de leurs chants
le cérémonial ; Marît les incarne toutes à elle seule, et en la plaçant à
côté du dieu, le dessinateur a marqué la présence des chœurs du
temple. M. Kees a dégagé du symbolisme qui l'obscurcissait, le motif
pour lequel les Egyptiens lui assignèrent cet emploi : elle avait sur la
tête en guise de coiffure les bouquets de lotus et de papyrus des deux
Egyptes, et les musiciennes se paraient dans l'exercice de leurs fonc-
tions de couronnes ou de chapeaux de fleurs. M. Kees se demande
ensuite jusqu'à quel point ces courses diverses peuvent s'appeler des
danses, et il conclut aussitôt à l'affirmative ; après avoir étudié les
tableaux qui nous montrent et la danse de guerre et les cabrioles du
peuple en joie pendant les fêtes, il démontre que les mouvements
3o4 REVUE CRITIQUE
rythmes du souverain, lorsqu'il apporte l'oiseau, eau ou a rame,
constituent une véritable danse rituelle. Il analyse enfin le groupe de
signes singuliers qui sont gravés d'ordinaire derrière l'image du roi,
mais ici. pour saisir et pour apprécier ses raisons, il faudrait recourir
aux signes eux-mêmes : je me bornerai à dire qu'il est arrivé presque
sur tous les points à des conclusions fort différentes de celles aux-
quelles Jéquier était parvenu, dans le curieux article qu'il consacra
naguères à ce sujet [Recueil, 1905, t. XXNII, p. 170 sqq.).
La course de habi-sadou nous est connue par des documents qui
remontent à la première dynastie, et les représentations s'en divisent
en deux groupes. Dans le plus ancien, et jusque sous Thoutmôsis III,
le roi court, mais il ne paraît pas avoir de but précis à sa course.
Dans le plus récent, à partir de Thoutmôsis III, la cérémonie se
modèle sur le type des autres courses, et, comme dans celles-ci, le roi
se dirige vers une divinité. PZvidemment, le rite est le même dans les
deux cas, et l'examen des insignes dont le Pharaon est orné peut seul
nous renseigner sur son objet. L'un d'eux est le fouet nommé nakha-
khoii, mais que doit-on penser de l'autre ? C'est quelque chose de
court et d'épais, un peu plus large aux extrémités qu'au milieu, et
dont les deux bouts dépassent de quelques centimètres à peine la main
qui le serre. Comme cela échange assez souvent avec un bâtonnet
par la suite des temps, M. Kees le croirait volontiers un sceptre de
forme très ancienne. Je préférerais y voir une de ces ai;mes archaïques
qui devinrent des insignes de pouvoir aux âges historiques, lésa bre de
bois sakhimou, la masse à tête de pierre blanche ou-{ou, le fouet d'armes
uakhakhou; ce serait une sorte de gros coup de poing fait d'un os de
bœuf ou d'une pierre dure, analogue dans ce dernier cas, à ces
énormes marteaux de silex que Schweinfurth et Seton Karr ont
recueillis dans la nécropole ihébaine, et qui servaient encore à creuser
les hypogées sous le second empire thébain. On le remplaça plus tard
par le bâtonnet, sans doute faute de savoir ce qu'il était à l'origine.
Il s'agirait donc ici d'une course que le Pharaon exécuterait après
avoir reçu d'un dieu ces emblèmes de sa royauté, et comme elle avait
lieu durant la fête de habi-sadou, M. Kees est amené à rechercher ce
qu'est cette fête, afin de déterminer la place que la course y occupait
et la signification qu'on lui prêtait. Il est conduit par un ensemble de
considérations très ingénieuses à déclarer, d'abord que l'édifice où l'on
courait était la chapelle des âmes de Nekhen, l'Hiéracônpolis du Saîd.
Or, ces esprits de Nekhen avaient pour père et pour représentant le
grand dieu Ouapouaîtou à museau de chacal ou de loup, le vain-
queur des deux mondes, celui qui marche à la tête des dieux. La
course du roi aurait donc pour objet d'aller recevoir d'Ouapoaîtou, et
sous ses directions, dans la chapelle de Nekhen, les insignes de l'an-
tique royauté du Sud. Elle serait, comme la fête elle-même, origi-
naire du midi de l'Egypte, et elle commémorerait jusqu'à un certain
d'histoire et de littérature 3o5
point le triomphe du royauine mciidional sur celui du Nord; elle
aurait, dans le principe, été exécutée en Thonneui- des seuls dieux
de Nekhcn, principalement du dieu loup ou chacal. On la dansa par la
suite devant ceux du royaume septentrional, et on la confondit par-
fois avec les autres courses, notamment avec celles du vase et de la
rame : ces modifications postérieures avaient jusqu'à présent empêché
les savants de discerner la nature véritable du rite.
J'ai résumé, aussi fidèlement qu'il m'a été possible, la thèse de
M. Kees, non sans omettre nombre de détails dont plusieurs ont leur
valeur dans sa démonstration ; mais il m'aurait fallu, pour en faire
sentir l'intérêt, entrer dans des considérations par trop techniques
pour les lecteurs de cette Revue. Tout ne me paraît pas également
certain dans la démonstration, et peut-être telles opinions antérieures
que l'auteur rejette devront-elles être reprises, lorsqu'on étudiera plus
à fond quelques-uns des sujets abordés ici. Je crois pourtant que,
dans l'ensemble, M. Kees sera approuvé de la plupart des Egypio-
logues qui s'intéressent à ces questions si obscures encore des rites
égyptiens, de leurs origines, et de leur histoire. Les scènes figurées et
les inscriptions ont été recueillies avec un soin minutieux et traitées
avec beaucoup d'habileté. L'exposition est claire, la démonstration
est bien conduite, et je regretterai seulement que M. Kees n'ait pas
réparti au bas des pages les textes cités et les notes explicatives; rien
n'est plus incommode que d'être obligé à chaque instant de quitter
l'endroit où l'on est, pour aller chercher une référence à la fin du
volume. Je crois que c'est le premier ouvrage que M. Kees publie, du
moins le premier ouvrage important : il lui assure une bonne place
parmi les Egyptologues de la génération nouvelle.
G. Maspero.
L. ZÉLiQzoN et G. Thiriot, Textes patois recueillis en Lorraine. Metz, 1912,
in-8, XII et 477 pages.
La première impression, en ouvrant ce livre, ne laisse pas que
d'être pénible : il se présente à nous comme une œuvre française,
s'il en lut, et il est publié par une société d'histoire allemande avec
des subventions d'un ministère prussien. Mais alors quelle contradic-
tion ! Tandis que l'administration allemande traque en Alsace-Lor-
raine la langue française avec la sauvage et ridicule rigueur que l'on
sait, comment expliquer qu'elle patronne une publication de textes
français, imprimés à Metz, non seulement pour les philologues, mais
aussi (suivant les propres termes des éditeurs) pour le grand public,
œuvre surtout de vulgarisation?...
L'étude des paKjis lorrains — nous autres nous aurions dit messins
ce qui n'est pas du tout la même chose, et à plus d'un point de vue —
cette étude, dis-je, n'est pas nouvelle, et l'on eiàt souhaité que les édi-
3o6 REVUE CRITIQUE
tours de ce dernier recueil, puisque aussi bien ils s'adressent égale-
ment aux philologues, consacrassent un chapitre ou au moins quel-
ques pages préliminaires à l'étude critique des travaux de leurs nom-
breux devanciers : ils eussent ainsi sans doute et encore mieux jusiiHé
leur entreprise, et peut-être nous auraient-ils, chemin faisant, con-
vaincus de l'exactitude de leur titre. Car, au fait, y a-t-il un patois
messin? Lorsqu'on s'est un peu familiarisé avec la graphie imaginée
pour des textes destinés à être parlés et non écrits, ce prétendu patois
apparaît comme du français à peine déformé par des prononciations
locales, farci seulement de loin en loin de quelques mots ou locutions
venus on ne sait trop d'où.
On pourrait encore reprocher aux éditeurs de n'avoir pas indiqué
ce qui, dans leur recueil, est proprement messin et ce qui est em-
prunté aux langues et littératures populaires des autres parties de la
France, de l'Europe et du monde. Ils l'ont fait pour les trima\us et
les daymants ; cela allait de soi, étant donné le caractère purement
local de ces productions. Mais combien de leurs contes, récits, chan-
sons, rondeaux, etc., se retrouvent ailleurs que dans le pays de Metz,
et combien cette étude de littérature comparée eût agrandi le cercle
de leurs lecteurs!
Mais ce sont là critiques de pédants, critiques un peu déplacées ici
et sur lesquelles il serait cruel et inconvenant de s'appesantir, alors
qu'à d'autres égards, cet ouvrage est vraiment digne d'éloges. Et en
effet, quelle que soit la richesse de la bibliographie des patois, chants
et poésies populaires du pays messin, et bien qu'un assez grand
nombre de pièces admises dans le présent recueil aient déjà été impri-
mées, même plusieurs fois^ MM. Zéliqzon et Thiriot paraissent avoir
été chercher directement sur place toutes celles qu'ils ont pu se pro-
curer encore, sans l'intermédiaire du livre. Cette méthode est la
bonne, la meilleure en pareille matière. Mais si vous songez qu'à
toutes les causes qui précipitent partout la disparition des patois et
des vieilles coutumes populaires locales, il faut ajouter celles qui
empruntent tant de force aux procédés de germanisation en vigueur
depuis quarante ans dans le pays messin, vous apprécierez mieux les
difficultés de la tâche que ces conscienceux éditeurs se sont imposée.
Leur moisson faite, il leur a fallu battre en grange, je veux dire
d'abord imprimer en signes conventionnels destinés à frapper les
yeux, des pièces composées pour frapper seulement les oreilles, puis
faire passer ces parlers dénués de culture dans le langage littéraire :
double travail dont le premier est bien ardu et le second bien délicat.
En général cependant la traduction est très littérale, elle respecte
pieusement le texte, même fautif, lui laissant ainsi toute sa saveur,
tout son goût de terroir. Mais pourquoi faut-il que, p. 171, texte et
note 3, on ait traduit : dons dobes (deux doubles, sous-entendu liards)
par deux doubles pfennigs! Est-il une plus fâcheuse erreur?
d'histoire et de littérature 3o7
Mais, Je le répète, c'est là une exception, peut-être unique. Et s'il
nous était permis, à nous, Fran*;ais du pays de Metz séparés de leur
petite patrie, d'apprécier enfin ce livre à notre point de vue particu-
lier, nous ne pourrions e]u'adresser aux auteurs l'expression émue de
notre reconnaissance. En faisant repasser sous nos yeux ces contes
dont beaucoup ont bercé notre petite enfance, ces trimaios que nous
avons encore entendu chanter dans les preniiers jours du mois de
mai, ils ont réveillé en nous l'écho d'un passé bien cher, beaucoup
plus aboli pour nous que le passé ne l'est généralement pour tous.
Ce n'est pas seulement sur les plages de Bretagne que l'on entend
parfois, le soir, sonneries cloches de la ville d'Ys...
Eugène Welvert.
Eugène Sai i.NiKR, Le rôle politique du cardinal de Bourbon (Charles X)
1523-1590. Paris, H. Champion Biblioth. de l'École des Hautes-Études,
fasc. 193), 1912. In-8", v-324 p. Avec un portrait et un fac-similé.
Le « roi de la Ligue » n'apparaît guère dans notre histoire que
comme un fantôme. On sait vaguement que ce vieillard fut reconnu
comme roi par Mayenne et par l'Union, en attendant que pût se poser
ouvertement la candidature lorraine ; qu'il fut prisonnier de son
neveu Henri ; qu'il rendit à ce dernier le service de disparaître durant
le premier siège de Paris.
Les patientes recherches menées par M. S. à la Bibliothèque natio-
nale, aux Archives (K et X la )^ à Florence, au Vatican, à Rouen,
n'aboutissent pas à faire de « Charles X » un grand homme. Il appa-
raît comme un être faible et crédule, vaniteux, balloté entre son désir
de défendre la religion catholique et son attachement à la race des
Bourbons, également incapable de Jouer un rôle et d'y renoncer. Ce
qui fait l'intérêt du travail de M. S., c'est de nous révéler que Charles
appartient à l'histoire avant la date de son éphémère et ridicule
royauté. II est lieutenant-général de Paris en 062. Dans les pre-
mières querelles entre Guise et Bourbon, il semble d'abord se ranger
du côté des siens ; mais, après Poissy, nous le voyons de plus en plus
subir l'ascendant du cardinal de Lorraine, comme plus tard il se
laissera mener par Henri de Guise. Quelques mots, recueillis par
M. S. dans les chroniqueurs, permettent de croire qu'il y eut à plu-
sieurs reprises et Jusqu'au bout chez ce Bourbon, des velléités bour-
bonniennes. Mais ces velléités ne l'empêchèrent pas d'être englobé
dans la catastrophe de Blois; il fut prisonnier de Henri HI avant de
l'être de Henri IV.
M. S. nous apporte donc de précieux renseignements (voy. ses
24 pièces Justificatives) sur l'histoire de la maison de Bourbon ' et sur
I. Notamment sur la conduite très équivoque de Condé en i564-i565 (voir
p. 49-53) et ses intrigues avec les Lorrains.
3o8 REVDE CRITIQUE
l'histoire de la Lij^ue. Il est curieux qu\)n ne trouve chez lui pas
môme une allusion à la thèse soutenue par M. Daviilé. On souhaite-
rait que le livre eût été écrit d'un si\ le plus soit;né '.
Henri Hauser.
FIcury Vindry, Les Parlementaires français au XVI' siècle. Tome second
(Tasc. II) : Parlement de Toulouse. Paris, 11. Champion, i(ji2 In-8", 133-284 p.
Nous avons déjà dit quels services rendaient les précieux réper-
toires de M. FI. Vindry. On sait le rôle joué par le Parlement de
Toulouse (auquel il faut ajouter le Parlement royaliste de Béziers et
la Chambre de l'Edii de Castres). Quelques notices h signaler parti-
culièrement : Daffis, Duranti, Coras, de Belloy ; cette dernière toute
chaude d'une amusante passion guisarde. Et comme on éprouve un
malin plaisir à prendre en défaut — quandoque bonus... — l'impec-
cable érudit qu'est M. FI. V., je lui signalerai une négligence dans
sa notice sur du Fresne-Canaye (p. 164), et je le renverrai, pour la
preuve, à mon Voyage du Levant de Philippe du Fresne-Canaye.
Voilà ce que c'est que de se Her à Moréri !
H. Hr.
WilhelmGoETERS. Die Vorbereitung des Pietismus in der Reformierten Kirche,
der Niederiande bis zur labadistichcn Krisis 1G70. Leipzig, Hinrichs, 191 1, in-8"
p. 3oo. iVlk, 7.
Oskar Pfistkr. Zinzendorfs Frômmigkeit im Lichte Lie. Gerhard Reichels und
der Psychanalyse. Zurich, l'riclv, i9ii,in-8o, p. 28.
I. L'étude de M. Goetcrs traite un épisode intéressant pour les des-
tinées de Téglise réformée des Pays-Bas et se rattachant étroitement
à l'histoire générale du piéiisme. L'auteur n'a d'ailleurs voulu que
compléter et rectifier sur certains points les travaux de ses prédéces-
seurs, Goebel, Heppe et Ritschl, les historiens de cette forme particu-
lières du sentiment religieux. M. G., par ses recherches actives dans
les bibliothèques de Hollande et d'Allemagne, par un dépouillement
consciencieux de l'abondante littérature polémique contemporaine et
l'examen des procès-verbaux des synodes a fourni une monographie
précise et sûre. Elle se divise en deux parties : avant et après l'arrivée
de Labadie en Hollande. L'auteur a caractérisé les efforts du parti
religieux qui, surtout dans les provinces de Zélande et de Frise, tra-
vaillait à renouveler la vie spirituelle par un retour aux enseignements
de la primitive église; il a analysé les rapports de ce mouvement avec
le puritanisme anglais et les tendances analogues dans des groupes
étrangers au calvinisme; il a surtout mis en lumière les doctrines
théologiques particulières aux initiateurs de la réforme, Amesius,
I. Négligence dans la correction des épreuves : p. 5i, <> deux hommes, qui
s'étaient vouéj une haine... » P. 223 : « l'autorité que le duc de Mayenne et le
conseil s'étaient attribué* »,
d'histoire et de littérature 3o9
Voetius, W. et J. Teellinck, Saldcnus, Lodenstein, et les a suivis
dans les luttes qu'ils engagèrent contre le cartésianisme et le coccéja-
nisme. La seconde partie est entièrement réservée au rôle de Labadie
dans l'église hollandaise. II est court, n'ayant duré que de 1666 à
1669, mais très rempli. Ses prêches, ses conférences bibliques, ses
catéchisations, ses instructions, ses écrits, ses projets et ses essais de
rénovation du calvinisme sont soigneusement analysés, toutes les
formes de son activité religieuse exposées en leur place. La résistance
obstinée à l'autorité des synodes le conduisit par degrés jusqu'au
séparatisme absolu. Quand il quitte Middelbourg pour Amsterdam
en 1670, Labadie n'est plus que le chef d'une secte dans un pays où
l'individualisme religieux et la tolérance des gouvernants les faisaient
éclore avec une rare richesse ; il n'appartient plus dès lors à l'his-
toire de l'église réformée et M. G. n'a eu qu'à résumer brièvement
la Hn de sa carrière. Mais le profond subjectivisme dont il avait
marqué la doctrine de Calvin, en venant s'ajouter aune série de ten-
dances de même nature, devait rester longtemps attaché à la vie reli-
gieuse de son époque, même si elle ne revêtait pas la forme quasi
monacale et communiste qu'avait donnée à sa petite chapelle le chef
mystique et impérieux du labadisme. Malgré son objet très spécial,
le travail de M. G. ne saurait manquer d'intéresser par quelque côté
l'histoire générale, si l'on considère qu'il se rapporte à une période
où la théologie se mêlait intimement à toutes les manifestations de la
vie intellectuelle, politique et sociale.
II. La brochure dont j'ai noté plus haut le titre nous ramène à une
des gloires un peu compromettantes du piétisme. Dans un article de
la Schjfei^. Theolog. Zeitschrift, publié en tirage à part, M. Pfister a
répliqué à la critique qu'avait faite de son livre M. Reichel dont j'ai
signalé le volume (V. Revue du 22 déc. 191 1). M. P. maintient toute
ses affirmations et reprend quelques uns de ses plus forts arguments
en faveur d'une explication de la piété de Zinzendorf par un état
sexuel anormal. Le débat est délicat, scabreux, presque répugnant, et
les deux adversaires ne sont pas près de s'entendre, car l'un juge en
médecin, l'autre en théologien ou en philologue. Il faudrait à l'appui
de l'une ou l'autre thèse des preuves différentes puisées ailleurs que
dans l'interprétatirDn des passages incriminés. La démonstration de
M. P. dans la critique de M. Reichel nous avait paru parfois outrée;
en revenant à la charge, l'auteur a pressé un peu plus fort quelques
uns des textes que son contradicteur n'avait pas à son sens suffisa-
ment discutés, et il a infirmé sa tentative de réfutation. Mais il fau-
drait connaître son premier travail pour se prononcer en connais-
sance de cause. Il reste quela piété de Zinzendorf, quelles qu'en soient
les origines troubles, est d'une extravagance déconcertante.
L. R.
3lO REVUE CRITIQUE
Abbc 1*. Lesprand, Les derniers jours du Parlement de Metz (Extrait de 1^4w5-
trasic, n" i 3). Metz, 1912, in-N, 32 pngcs.
Après avoir fait passer sous nos yeux les derniers actes du parle-
ment de Metz, son adhésion à la campagne de remontrances des
autres cours souveraines, ses refus d'enregistrer les nouveaux impôts,
ses mesures pour soulager la misère causée par le rude hiver de 1788
et pour réprimer les mouvements populaires, l'auteur nous montre
cette compagnie englobée dans le discrédit général qui enveloppe
alors toutes les institutions publiques. Vainement les magistrats com-
mencent-ils par donner dans les idées nouvelles : seigneurs féodaux
et titulaires des premières charges judiciaires du royaume, ils sont
suspects, jalousés par les avocats, les procureurs, les robins que
ronge le virus égalitaire. De son côté, l'Assemblée nationale ne les
redoute pas moins, précisément (chose bizarre) à cause de leur oppo-
sition récente au pouvoir royal. Les parlements vont-ils continuer?
Adoptant la proposition d'Alexandre de Lameth et de Thouret, elle
décrète, le 3 novembre 1789, que les parlements resteront en vacances
jusqu'à la réorganisation générale des tribunaux. Le parlement de
Metz proteste contre ce décret, sous prétexte que le roi, qui cepen-
dant Ta sanctionné, n'est pas libre, et il ne l'enregistre que provisoi-
rement. L'affaire est portée à l'Assemblée nationale et donne lieu à
un important débat où prennent part le vicomte de Mirabeau, Rar-
nave, Barère, Rcederer, député de Metz et conseiller audit parlement,
Emmery, aussi député de Metz, et le baron de Menou. L'Assemblée
décrète, le 17 novembre, que les membres révoltés du parlement vien-
dront à sa barre faire amende honorable et recevoir un blâme public.
Mais dès le 20 novembre, la chambre des vacations, revenant sur la
délibération, décide d'enregistrer purement et simplement; le 22,
les autres chambres adhèrent à cette capitulation. La municipalité de
Metz, bien qu'épurée nouvellement, soutient son parlement et envoie
une adresse à l'Asseniblée, implorant son pardon. Le 25 novembre,
l'Assemblée annule son décret du 17. Ainsi finit cette affaire qui avait
soulevé beaucoup d'émotion non seulement à Metz, mais à Paris et
dans tous le royaume. Mais la soumission du parlement messin ne le
ressuscita pas. Il avait été remplacé par une chambre n'ayant d'autre
attribution que d'expédier les affaires courantes. Cette chambre elle-
même disparut le 28 septembre 1790, au grand regret de la population.
Telle est l'histoire des derniers jours du parlement de Metz. M. Les-
prand nous la raconte avec une simplicité dont il faut le louer, mais
non sans une secrète émotion, comme il convient lorsqu'on voit les
révolutions démolir en quelques jours des institutions qui avaient été
pendant des siècles les pierres d'angle d'une cité.
E. W.
d'histoire kt de littérature 3ii
Abbé p. Lesprand, Suppression du couvent des Récollets de Sierck. Metz,
191 I, in-S", 32 pages lavec son plan^.
Cette étude n'est qu'un opuscule, encore trop long de moitié.
Au lieu de reproduire textuellement d'interminables délibérations
municipales ou de districts, il eût été beaucoup plus avantageux pour
le lecteur d'en extraire la substance et de la commenter. Ah ! les
impitoyables érudits ! impitoyables et maladroits. Comme on les
lirait d'avantage s'ils mettaient un peu plus d'eux-mêmes dans leurs
travaux! Quoi qu'il en soit, l'histoire qui se dégage de ces textes
juxtaposés ne manque pas d'intérêt. Elle nous fait assister, autour
d'un humble couvent de moines aux trois quarts allemands, à une
lutte qui, pour être celle de presque toute la France à cette époque,
ortre partout des épisodes locaux des plus variés. Ici, nous sommes
sur l'extrême frontière de la Lorraine allemande, au début de l'inva-
sion de 1792, et nous voyons entrer en scène un homme, Nicolas
Hentz, qui n'allait pas tarder à se rendre célèbre, tant à la Convention
qu'aux armées, par sa brutale et cruelle énergie. Le couvent des
Récollets de Sierck était voué à la disparition; mais il ne se laissa pas
supprimer sans combat. On ne peut que savoir gré à M. l'abbé
Lesprand d'avoir exhumé des archives de Sierck, de Thionville et de
Metz les documents où se heurtent, dans une mêlée qui faillit devenir
tragique pour quelques-uns d'entre eux, les assaillants et les défen-
seurs de cette maison.
E. W.
Abbé P. Lesprand, Les derniers jours de l'abbaye de Wadgasse. Metz, 191 2,
in-S», 79 pages.
Cette nouvelle étude mérite les mêmes critiques et les mêmes
compliments que la précédente. Il s'agit cette fois d'une très vieille
abbaye de Prémontrés assise sur les bords de la Sarre dans les envi-
rons de Sarrelouis qu'un traité d'échange avec le prince de Nassau
avait attribuée à la France en 1766, mais sous la réserve de respecter
les droits, privilèges, exemptions et immunités qu'elle tenait de son
fondateur et de la maison de Nassau. Lorsqu'il fut question d'appli-
quer à cette abbaye les lois de l'Assemblée constituante sur la nationa-
lisation des biens d'Eglise, cette réserve du traité d'échange fut
naturellement mise à profit par les moines et les représentants du
prince de Nassau. Mais bien qu'elle eût donné lieu à des débats aussi
longs que mouvementés, elle n'empêcha pas l'inexorable adjudication
des bâtiments de l'abbaye et de toutes ses dépendances, qui eut lieu
en l'an III. Si le récit de cette mince affaire est beaucoup trop long,
elle prouve du moins que son auteur aime profondément son pays,
qu'il en a exploré et qu'il en connaît minutieusement les archives.
Des monographies de ce genre sont des pierres d'attente pour l'histoire
de la Révolution dans l'ancien département de la Moselle, histoire
3l2 REVUE CRITIQUE
qui est encore à écrire et dont le futur auteur est assuré d'avance de
la gratitude de ses compatriotes d'au-delà et d'en-deça de la nouvelle
frontière.
E. W.
Paul Caspf.r, Neuf lettres inédites de Philippe de Golbéry (Tirage à part de
\a Revue d'Alsace, p. i^jo-HS-j, scplcmbrc-octobrc n)i2).
En préparant une thèse sur Guillaume Schlegcl et les Français,
M. Paul Caspcr a trouvé à la bibliothèque de Dresde quelques lettres
inédites que Philippe de Golbéry adressait au grand critique en
i832, i833 et 1834.
Golbéry connaissait personnellement Schlegel. Il l'avait vu en
1825 à Bonn où il venait traduire Niebuhr, et ce qui donne une idée
de la minutie de Golbéry autant que du style obscur et laborieux de
Niebuhr, c'est qu'au lieu de traduire d'emblée le texte allemand, notre
Alsacien en faisait d'abord une traduction interlinéaire. Présenté par
Welcker, Golbéry passa avec Schlegel une demi-heure inoubliable.
Chargé en i832 de composer un articlesur les deux Schlegel dans la
Biographie des Contemporains, puis entraîné par son sujet et se lais-
sant aller à faire, outre cet article, une vaste notice et, comme il dit,
un grand travail — qui parut dans la Nouvelle Revue germanique de
i832 et de i833 — il demanda à Schlegel des détails biographiques et
bibliographiques, et c'est de ces particularités, de ces « données chro-
nologiques » et autres que traitent les lettres publiées par M. Casper.
Mais, dans ces lettres, Golbéry nous dit davantage. 11 exprime pour
Schlegel son admiration, à vrai dire, excessive. Que de jouissances il
assure devoir à l'écrivain, au philologue, au poète ! Combien le fran-
çais de Schlegel est pur et correct ! Quel savoir universel se déploie
dans ses études et traductions de toute sorte! Quelle grâce et quelle
élévation dans ses pièces de vers! Quel chef d'œuvre convaincant que
le Cours de littérature dramatique ! Il invite Schlegel dans son châ-
teau d'Alsace « au pied des Vosges en face du Rhin et des monts
Abnoba ». Il annonce à Schlegel une visite prochaine, un « pèleri-
nage » à Bonn. Elevé à Goblenz où il resta plus de quinze ans, et dis-
ciple de Gœrres, Golbéry regarde comme une autre patrie « ce beau,
ce bienheureux pays, où il a laissé tant d'amis et d'où il a emporté
tant de souvenirs ». Il veut le montrer à M""^ de Golbéry — tille de
Merlin de Thionville — et il désire pousser jusqu'à Mannheim pour
voir la grande-duchesse Stéphanie, « condisciple de sa femme et sa
voisine de campagne ». Mais les événements viennent à la traverse ;
sa fille tombe malade à Constance, son beau-père se meurt à Paris,
lui-même doit présider les assises, juger des concours; il devient
député, entre « dans la politique parlementaire », et en i832, en i833,
en 1834, il exprime ses regrets à Schlegel. A ses excuses se mêlent
des consolations et des encouragements. C'est à ce moment que Heine
d'histoire et de littérature 3i3
critique Schlegel et son tVcrc dans VEurope littéraire. Golbéry
s'élève contre ces attaques qu'il traite, par deux fois « d'imperti-
nences ». Il refuse de collaborer à VEurope littéraire. Il écrit au
journal que lorsqu'on compare au petit Poucet des hommes du mérite
de Schlegel, c'est qu'on a envie de se faire ogre et que MM. de Schlegel
ont emporte les bottes de sept lieues ! Il qualifie les Français de gobe-
mouches : quoi ! ils s'imaginent « qu'ils ont la quintessence de la lit-
térature allemande parce qu'un juif de Dusseldorf élève chez eux
une tribune de laquelle il jette des ordures à ses compatriotes! Il ne
rogne plus d'écus, mais il rogne toujours et s'adresse aux médailles
que le monde avait frappées en l'honneur des grands hommes! »
Nous tirons des lettres de Golbéry cet exposé que M. Casper
aurait pu nous faire lui-même. Mais, en son maigre avant-propos,
M. G. se contente de remarquer dans les lettres l'esprit alsacien
d'avant 1870, la sympathie de Golbéry pour la science d'Outre-
Rhin et ses relations avec les savants allemands, la conscience scru-
puleuse qu'il apporte dans ses travaux, etc. [sic). C'est tout, et cet
etc. assez cavalier, dispense M. G. d'insister.
M. G. a annoté les lettres avec exactitude et avec zèle. Son com-
mentaire, toutefois, pouvait être plus fourni. La note sur Niebuhr
dont Golbéry a traduit quelques volumes, est vague, et on voudrait
trouver des éclaircissements sur certains points, par exemple sur le
château de Golbéry et sur les œuvres de Schlegel dont le magistrat
alsacien cite les titres.
Tout cela, avant-propos et notes, aurait étoffé la publication de
M. G. qui aurait pu l'intituler Golbéry et Schlegel.
La lecture des lettres de Golbéry est, parait-il, difficile, et M. G.
n'a pu tout déchiffrer. Nous lui proposons de lire (lettre I) au lieu
éCexcité^ « irrité » (« irrité de vos attaques » vaut bien mieux qu' « ex-
cité de vos attaques «) et (lettre III), au lieu de devant moi « à sou-
tenir » (« j'ai une horrible corvée à soutenir ») '.
Gela dit, complimentons et remercions le jeune éditeur de cette pu-
blication qui ravive le souvenir de ce que fut en son temps l'alsacien
Golbéry. Nous ne nommerons pas Golbéry avec M. Gasper un grand
jurisconsulte et un célèbre archéologue; mais il fit honneur à l'Alsace
et à la France, et pour prendre une de ses expressions (lettre I),
nous dirons que ses lettres à Schlegel nous donnent un brillant reflet
de son âme.
Arthur Ghuquet.
Alfred Pereire, Autour de Saint-Simon. Documents originaux. Paris, Champion,
1912, in-i6, p. 237. Fr. 3.5o.
M. A. Pereire, qui possède dans ses archives de famille des papiers
I. P. 378, Nacke alla « prendre des nouvelles »; mieux valait dire « recueillir
des renseignements » — p. 38 1, lire « mourait » et non mourrait,
3 14 REVUE CRITIQUE
de Saint-Simon, légués à son granJ'pcie Isaac Pcreire par Henri
Foiirnel, vient de publier sur le sociologue, en les accompagnant de
brèves éludes, quelques documents inédits. Le plus important inté-
resse les premiers rapports de Saint-Simon avec Auguste Comte; ce
sont les deux lettres dites anonymes de Comte à son ami, déjà
publiées, il est vrai, en 1882, mais d'après une copie. M. P. nous
livre l'original dont il décrit minutieusement le manuscrit qu'il date
d'avril ou mai 18 18. Il donne ces lettres pour un projet d'article de
journal demeuré sans suite ; c'était dans la pensée des deux collabo-
rateurs des Cahiers de l'Industrie, après l'écliec du III« volume et au
moment de la publication du IV'', une polémique imaginaire destinée
à servir de réclame. L'hypothèse ne nous paraît pas d'accord pleine-
ment avec le fond des lettres ; d'un autre côté celui-ci répond si bien
aux idées de Comte à cette date et aux objections ordinaires qu'il
faisait à son ami qu'il est difficile de croire à un simple jeu de sa
part. M. P. nous a fourni du moins dans son introduction de pré-
cieux renseignements sur les débuts littéraires de Saint-Simon ; il
nous communique la liste des souscripteurs qui avaient accepté de
contribuer à l'impression des Cahiers de l Industrie et il nous donne
encore, d'après la minute originale, l'accord intervenu entre Saint-
Simon et Comte pour fonder un nouveau journal, la Politique, en
1819. Le second document est une notice biographique de Saint-
Simon, mais riche en digressions; aussi n'a-t-elle pas été intégrale-
ment reproduite. Elle est due à un secrétaire du philanthrope qui fut
à son service de 1814 à 18 18; M. P. n'a pas su découvrir le nom de
cet inconnu, ce qui ne doit pourtant pas être impossible. En dehors
de l'annonce de cette seconde pièce, M. P. a joint à sa publication
deux autres articles, l'un sans grande importance sur Saint-Simon
réclamant en 18 14 une alliance avec l'Angleterre, et un autre sur
^es frères Pereire. Celui-là seul est inédit, les trois autres avaient
déjà paru dans des journaux ou revues. M. P. a suivi, non sans
quelques redites, Emile et Isaac Pereire dans leurs rapports avec
Saint-Simon qu'ils connurent par Olinde Rodrigues, et aussi dans
leur rôle de journalistes et d'économistes. L'article est trop court et
trop peu précis pour nous donner une idée juste de ce qu'ont voulu
ou fait les Pereire à côté ou en dehors de Saint-Simon. Une biblio-
graphie et un index terminent le volume qui représente une contribu-
tion modeste, mais non sans valeur, à l'étude du Saint-Simonisme '.
L. R.
I. Ecrire p. 47, Fourier ; p. io5, couches; p. 170, invite, au lieu de Fourrier,
souches, indique; ajouter, p. 93, après sic : le résumé; p. gS et 96, le ms. est
distraitement reproduit; p. 78 et 85, Saint-Simon est donné comme un cousin du
duc, et p. 104, comme un petit-neveu.
d'histoire et de littérature 3i5
Emile Fagi ET. Initiatiori philosophique. Paris, Hachette, 1912, in-iG, p. 172.
I"r. 2.
Grosse Denker hcrnusgegeben von K. von Astku. Leipzig, Quelle et Meycr, sans
date (lyi 1). 2 vol. in-S", pp. 384 et 3Si. MK. 14.
I. En demandant à M. Faguci de résumer pour les débutants l'his-
toire de la philosophie, on pouvait être sûr qu'il en donnerait un
aperçu complet et limpide, si étroit que fût le cadre proposé. De
pareils livres valent autant par ce qu'ils ne disent pas que par ce
qu'ils disent. M. F. a su pour chaque époque, pour chaque système,
pour chaque penseur enfermer en un court développement les prin-
cipaux traits qui les caractérisent, sans négliger de montrer
les liens qui unissent une spéculation à l'autre; c'est un schéma
rudimentaire, mais net. Toute érudition a été bannie de ce volume;
il n'v a point de références, point de citations, mais souvent
des formules ingénieuses, piquantes qui fixent un portrait ou gra-
vent un système dans la mémoire. Sans doute on pourra trouver
que tel ou tel philosophe n'a pas été présenté au lecteur avec l'am-
pleur qu'il méritait: Leibniz est vraiment sacrifié, et le nom de la
monadologie n'est pas môme prononcé à son sujet; Fichte, Schelling
sont à peine caractérisés, et Schopenhauer et Nietzsche avaient droit
à quelques paragraphes de plus; peut-on éviter en parlant du dernier
de ne pas mentionner le surhomme? D'une façon générale l'éthique
dans le manuel de M. F. a été plus longuement et mieux traitée que
la métaphysique. Ces quelques remarques ne touchent en rien à la
valeur du livre, et malgré ou à cause de sa brièveté, cette histoire de
la philosophie in nuce rendra service aux étudiants dont elle excitera
plus qu'elle ne satisfera la curiosité '.
II. Comme le modeste volume de M. Faguet, le gros ouvrage
publié par M. von Aster, en collaboration avec d'autres philosophes,
se propose d'initier le grand public à l'histoire de la- philosophie.
Seulement dans un cadre beaucoup plus vaste il a été possible de
présenter de chacun des grands penseurs une esquisse qui n'était pas
réduite à quelques lignes et qui, sans prétendre à donner d'un système
philosophique une idée entière, ne Ta pas du moins trop mutilé. En
vingt chapitres d'étendue à peu près égale les auteurs ont pu embrasser
toute l'histoire de la spéculation, car bien qu'ils n'aient voulu étudier
que les aspects les plus originaux, ils ont eu garde cependant de ne
pas négliger toutes les tentatives moins hardies de leurs devanciers,
quand il s'en est rencontré, de même qu'ils ont signalé avec attention
I. P. 4, Pylhagore est mort et non pas né vers 5oo; il est né en 58o à Samos, et
non pas dans Vile d'Elée ; p. 5, pourquoi Xénophanc est-il toujours appelée Xénophe
p. 137, Cousin avant i8îo était moins près de Hegel que de Schelling. Ecrire p. b-j
fondèrent; p. 74, chancelier; p. i 20, de faire; p. i38, à tout; p. 143, peut; au lieu
àc fondirent, chevalier, déclare, étant, pour. La lecture des épreuves et même la
rédaction trahissent à la tin une certaine précipitation.
3l6 RF.VITE CRITIQUE
tous les aspects divers d'un nicnic problème chez des philosophes
différents et aux époques les plus distantes. Ce ne sont donc pas vingt
monographies isolées, mais comme une histoire suivie de l'effort de
la pensée humaine depuis Thaïes jusqu'à Nietzsche. Chacun des
auteurs a présenté son philosophe d'une manière différente, les uns
donnant davantage un exposé systématique de la doctrine du maître
dans ses diverses parties, métaphysique, logique, morale, politique
ou sociologie, les autres s'aitochant plutôt à révolution intellectuelle
du philosophe et suivant les transformations essentielles de sa pensée.
Il est des cas, pour saint Augustin, Schelling, Schopenhaucr, par
exemple, où ce procédé s'imposait ; pour les anciens au contraire la
méthode historique eût été moins à sa place; néanmoins l'essentiel
de la biographie, de la genèse des œuvres et du développement intel-
lectuel n'a pas été laissé dans l'ombre. Il est difficile d'exposer un
système philosophique sans y mêler une part de critique, il est dan-
gereux pour un résumé qui s'adresse au grand public de faire cette
part trop grande : les auteurs du présent ouvrage me semblent s'être
tenus dans une juste mesure en ne signalant que les objections les
plus graves que soulève au passage la discussion d'un système.
On ne peut songer à analyser l'un après l'autre les vingt chapitres
de ces deux volumes. D'ailleurs les collaborateurs choisis par M. v. A.
se sont fait pour la plupart connaître par des publications dans le
domaine même, souvent pour l'auteur même qu'on leur demandait
de caractériser brièvement ; il faudrait donc renvoyer à ces travaux
pour éclairer le lecteur sur le point de vue de l'historien, et la courte
bibliographie qui termine chacune des monographies signale ce com-
plément d'information. Mais à défaut d'un compte rendu précis, il sera
permis d'indiquer l'économie de l'ouvrage. M. A. Fischer a traité de
la philosophie avant Socrate, en insistant sur Thaïes, Anaximandre,
Pythagore (sur lui d'excellentes pages), Xénophane, Heraclite, Par-
ménide, Empédocle, Anaxagore, Démocrite. M. R. Richier, plus
rapidement et de façon moins rigoureusement scientifique, de Socrate
et des sophistes. MM. P. Natorp et F. Brentano ont parlé avec plus
d'ampleur et en discutant davantage les interprétations modernes,
de Platon et d'Aristote; mais l'exposé est parfois abstrus. La phi-
losophie hellénistique et romaine, c'est-à-dire, les stoïciens, les
sceptiques, les néo-platoniciens, a été étudiée par M. A. Schmekel;
le moyen âge chrétien par M. M. Baumgariner dans saint Augustin
et saint Thomas d'Aquin, et la Rena'ssance par M. R. Hônigswald
dans G. Brimo. Le Descartes de M. M. Frischeisen-Kôhler termine le
premier volume. Dans le second on doit à M . O. Baensch l'étude de
Spinoza et à M. W. Kinkel celle de Leibniz. L'éditeur lui-même a
pris pour lui dans un même chapitre Locke et Hume. Les grands
systèmes allemands viennent ensuite : Kant est présenté par
M. P. Menzer, Fichte par M. F. Medikus, Hegel par M. H. Falken-
d'histoire et de littérature 3 17
"stcin ; de Schelling M. O. Braun, qui prcparaii alors son édition des
Lettres et une étude d'après les manuscrits, a tracé une vivante carac-
téristique avec quelques détails inédits. M. R. Lehmann a étudié
pour sa part deux philosophes, Schopenhauer et Herbart, les jugeant
parfois sévèrement. L'avant-dernier chapitre de M. A. Pfiinder sur
Nietzsche, trop réduit à la manière d'un résumé scolaire, est le moins
satisfaisant et, ce qui est bien imprévu, le plus pâle.
On attend comme conclusion à un ouvrage de ce genre un chapitre
sur l'orientation de la philosophie contemporaine; il ne manque pas,
et c'est un des doyens de la philosophie allemande, M. W. Windel-
band, qui l'a écrit. Il n'est pas sans dédain pour certaines formes qu'il
juge peu philosophiques de la spéculation moderne, comme la psycho-
logie expérimentale, les poèmes de Nietzsche, le pragmatisme, mais
il est plein d'espoir pour l'avenir, et la faveur dont jouissent aujour-
d'hui le néokantisme et l'hégélianisme nouvellement interprété lui est
un gage d'un renouveau prochain dans les études philosophiques. Ce
qui est certain, c'est qu'au cours de cette revue de systèmes différents,
l'idéalisme a rencontré les plus vives sympathies, et que toutes ces
esquisses, si variés que soient les points de vue des auteurs, ont un
trait commun : l'importance attribuée aux recherches du domaine de
la métaphysique et surtout au problème de la connaissance ; ce que
M. Faguet a trop négligé tient ici la première placé '.
L. ROUSTAN.
Cardinal Mathifu, Œuvres diverses. Mélanges historiques et littéraires. Sermons
Discours de circonstance. Paris, Champion, 1912, in-8°, pp. 20 et 504. Fr. 6.
Les Œuvres diverses du cardinal Mathieu forment comme une
suite à ses Œuvres oratoires publiées en 19 10. En mettant à part les
deux études qui ouvrent le volume, toutes deux présentées à l'Acadé-
mie de Stanislas, l'une sur un prédicateur irlandais contemporain, le
P. dominicain Burke, l'autre, dont l'érudition est forcément dépassée,
sur le Dolopathos, ce recueil latin bien connu de contes du xii' siècle
dû à un moine de l'abbaye de Haute-Seille ; en retranchant celle qui
le termine, dans laquelle l'auteur a élucidé un incident des rapports
diplomatiques du gouvernement de Louis XVIII avec le Saint-Siège
à propos de la nomination d'un auditeur de Rote : tout le reste du
livre est constitué par un mélange varié de discours et de sermons.
Il y a des allocutions de mariage, que des noms célèbres, ceux de
Taine, Paul Dubois, Duruy, Nisard, feront remarquer; il y a des
oraisons funèbres, entre autres celle de Mac-Mahon, émue et chaude,
toute pleine de ce patriotisme qui ne vibre jamais à faux ; il y a beau-
coup de discours de circonstance prononcés à Angers, à Toulouse
I. L'exécution typographique de l'ouvrage est excellente et la reproduction de
quelques portraits de philosoplies très satisfaisante ; mais le temps où les livres
allemands étaient sans fautes d'impression semble à peu près passé.
3i8
REVUK CRITIQUE
OU à Rome ci qui rappellent soit les iiuérèis religieux défendus par
le prélat, soit les étapes de sa brillanie ean ièrc ; il y a entin un groupe
considérable d'instructions religieuses adressées, de 1880 jusque vers
1890, aux jeunes élèves des dominicaines de Nancy : on y trouve une
éloquence plus familière et une direction éclairée et affectueuse de la
jeunesse. Plus d'un lecteur sera peut-être surpris de rencontrer le
cardinal Mathieu dans le voisinage du délicat auteur du Traité de
r Education des filles.
L. R.
Albert Soubiks, Almanach des Spectacles. Année 191 1. Paris, Flammarion. 19 12.
Ce nouveau volume — le volume 41 — de V Almanach des Specta-
cles, joli, comme toujours, et orné, cette année, d'une eau-forte de
Delzers — le château des Loufoques (qu'on nous pardonne de citer ce
mot dans l'austère Revue) — renferme le résumé fidèle de l'année
^héàtrale : spectacles de Paris, de la banlieue et de la province, biblio-
graphie, membres de la critique, etc. On y relèvera, entre autres par-
ticularités intéressantes, la liste des pièces le plus souvent représentées
sur les scènes parisiennes {Papa, au Gymnase, 297 représentations;
Le mariage de M"'' Beulemans, aux Bouffes-Parisiens, 196; Les
bleus de l'amour, à l'Athénée, 161 ; La Veuve joyeuse, à l'Apollo et
L'oiseau bleu, au théâtre Réjanc, 160; La reine de Golconde, slux
Folies-Dramatiques, et La Femme et le Pantin, au théâtre Antoine,
i36; La Vie parisienne, aux Variétés, i33; Le Tour du monde en
80 jours, au Châtelet, 120; Au pays de Manneken-Pis, à Déjazet,
116; La Gamine, a la Renaissance, 1 1 1 ; Aimé des femmes, au Palais-
Royal, 104; Le Train de 8 heures, k l'Ambigu, iû3; Le Tribun,
au Vaudeville, 88, etc. La tâche de M. Soubies est utile, et il faut
l'encourager à la poursuivre; il ne se contente pas de nomenclaturer
les pièces indiquées dans les recueils imprimés de la Société des
auteurs et dans le recueil — si peu connu — de la Société des compo-
siteurs et éditeurs de musique ; il lit attentivement les journaux, et le
butin qu'il y trouve est parfois, souvent même, de grand intérêt.
Félicitons le, par conséquent, de son labeur dont nous profitons, et
remercions le de son infatigable patience.
A. Ch.
— Dans une brochure de la collection populaire des Religionsgeschichtliche
Volksbiiclier M. Ulrich Peters a raconté la vie de saint François d'Assise {Fran:^
von Assisi. Tûbingen, Mohr, 1912, in-i6, p. 42. Mk, o,5u), mais en séparant les
traits légendaires des faits acquis ou ne gardant que la signification de la légende^
Il a exposé la jeunesse dissipée du saint, sa conversion, le succès croissant de sa
prédication, sa respectueuse soumission aux volontés du pape, la formation de la
famille franciscaine, devenue contre le gré du fondateur et par une extension
d'histoire et de littérature 3 19
fatale l'ordre mendiant des Frùres mineurs. M. P. a terminé par une caractéris-
tique de la piété naïve et joyeuse du poverello d'Assise. Sa brochure n'est rien de
plus qu'une modeste œuvre de vulgarisation, mais elle a su utiliser les meilleures
sources. — L. R.
— Un autre fascicule de la même collection, dû à la plume de M. Heinrich
Hoffmann, traite do VAiifkldning (Ibid., p. 48), le mouvement rationaliste du
xvin<= siècle. L'auteur, après l'avoir caractérisé, en a passé en revue les divers
effets dans les ditlérents domaines de la science, de la politique, du droit, de la
morale, de l'éducation et surtout de la religion. Un second chapitre suit le déve-
loppement historique de VAufkldrung en Hollande, en France, en Allemagne.
M. H. a montré les causes qui ont favorisé le rationalisme, les formes particu-
lières qu'il a revêtues chez chaque peuple et les influences qu'il a subies ou exer-
cées; ici également il a tenu à souligner le point de vue religieux. L'auteur n'a
voulu donner qu'un résumé très succinct d'une étude souvent abordée, mais,
faite par un théologien, cette esquisse aura le mérite de présenter aux lecteurs un
aspect du rationalisme qui leur est moins familier. — L. R.
— Sur l'initiative d'un de ses membres, M. Menzer, la Kantgesellschaft a entre-
pris la réimpression des ouvrages philosophiques importants pour l'histoire des
idées au xvii" et xviii" siècles, mais qui, disparus du commerce, sont devenus
d'une rareté les rendant peu accessibles. Cette publication, destinée à favoriser
les études kantiennes, sans s'interdire d'en dépasser le domaine, débute par
VAenésidème de G. Schulze publié sans nom d'auteur en 1792 et dirigé contre
Reinhold, en fait, contre Kant, dont Reinhold avait introduit la philosophie à
l'Llniversité d'Iena. M. A. Liebert s'est chargé de cette première réimpression qui
reproduit scrupuleusement l'original : Aenesidemus oder iiber die Fiindamente
dev von dem Herrn Professai- Reinhold in lena gelieferten Elementar-PInlosophie
von G. E. Schulze (Berlin, Reuther et Reichard, igi i, in-8°, p. 35 i, mk. 5). M. L.
a ajouté à la fin du volume de brèves notes et une très courte notice sur Schulze
qui fut à Gôttingue un des premiers maîtres de Schopenhauer. 11 faut signaler aux
amis des études kantiennes cette innovatioJi que les philologues également ne
verront pas avec déplaisir, puisqu'elle leur facilitera l'accès d'anciens textes inté-
ressants aussi pour l'histoire de la langue. — : L. R.
— M. Gab. Maugain vient de tirera part un article sur Boileau et l'Italie paru
dans les Annales de VUniv. de Grenoble. 11 y prouve que Boileau lisait les poètes
italiens dans le texte et qu'il leur a très peu emprunte; il résume et examine les
griefs articulés contre lui à leur sujet; mais la partie la plus neuve de son travail
est celle où il montre qu'au fond la doctrine et le talent de Boileau ont plu en
général aux Italiens (p. 73-84) et que leurs réformateurs du xviii<^ siècle se sont
souvent inspirés de lui (p. S4-95). De plus, M. M. nous donne la liste des éditions
ou traductions soit partielles soit totales de Boileau en Italie. On remarquera que
ses œuvres poétiques ont eu seules l'honneur d'y ctre imprimées ou traduites et
que des deux versions totales l'une a été commandée par Murât. — On recon-
naîtra une fois de plus dans cette brochure la grande connaissance que M. M.
possède de la critique italienne du xviii'' siècle. — Charles Dejob.
— Comme les progrès de la science dépendent en partie des facilites oflértes
aux débutants, il n'est pas mauvais de rappeler que nos jeunes italianisants
trouvent dans un des salons les plus distingués de Florence un accueil bienveil-
lant, maternel. M""" Sicimani, en procurant cette année à trois d'entre eux tombés
320 REVUE CRiTlQUI;; d'hISJOIRE KT UK LITTÉRATURE
assez dangereusement nialadcs, soit l'admission immédiate dans un hôpital où sa
sollicitude a veillé sur eux, soit des consultations gratuites de médecins éminents,
a puissamment contribué à les guérir. En retour, nos boursiers, sur l'initiative
de M"" Thérèse Gay, professeur d'anglais au lycée de Bourg, qui est une des
habituées de M">° Siciliani, lui ont otlert, avec un superbe bouquet et des dis-
cours en vers et en prose vraiment réussis, les insignes, enrichis de diamants, de
la décoration académique que notre ministère lui a naguère conférée. Acquitter
notre dette envers M'"" Siciliani serait dillicile ; mais c'est du moins un devoir et
un plaisir de le proclamer. — Charles Dkjoh.
AcADÉ.MiK DES INSCRIPTIONS ET Belles-Lettriîs. — Sémice du 27 septembre if)i 2.
— M. Se}niour de Ricci annonce qu'il a découvert à Saint-Pétcisbourg : i° au
Cabinet des médailles, un bronze autrefois attribué à Cius en Bithyn'ic et qui
est, en réalité, d'un prince galate inconnu, Bithorix ; 2° dans la collection de pho-
tographies du Musée des ans décoratifs, une tenture de Beaunc portant les ini-
tiales de Nicolas Robin et de Guigonne de Salins, qui ne paraît pas avoir encore
été signalée.
Dans son compte rendu des fouilles de Délos, M. Th. HomoUe, directeur de
l'Ecole française d"Athènes, signale la découverte, faite par M. Avegan, d'une belle
tête en bronze plus grande que nature et appartenant à l'art romain. Cette tète
est vivante, eSpressive, énergique et fine tout à la fois, parfaite au point de vue
technique, d'une magnifique patine; les yeux d'émail sont très beaux. — Dans le
quartier environnant le Stade, on a mis au jour une maison contenant un autel
tout orné de peintures. — Dans le déblaiement du vieux Serapeion, on a trouvé une
inscription qui en raconte la fondation par un personnage venu d'Egypte et
auquel le dieu avait ordonné de lui élever un temple à Délps dans un endroit par
lui désigné. Cette découverte est de premier ordre : elle indique le début du culte
privé et la résistance de la population et des autorités. — L'Aphrodision décou-
vert à quelques mètres de là est reconnaissable par la présence d'objets désignés
dans les inventaires. Le Théâtre est entièrement déblayé. On a mis au jour la
cavea de la scène et les murs majestueux qui la soutiemient tout autour, les
grands escaliers, les citernes colossales placées en arrière de la scène et les cons-
tructions attenantes qui ont peut-être appartenu aux artistes dionysiaques. — La
Palestra est un bâtiment d'une très belle construction et très solide. 11 a pour
cette raison, et aussi par sa situation auprès de l'anse de Scardana, servi d'appui,
de bastion et de tète au mur de Triarius, élevé en hâte pour résister aux pirates.
M. Maspero donne lecture d'un mémoire de M. Perdrizet^ intitulé : « Questions
d'archéologie alexandrine. »
M. Salomon Reinach présente des photographies et un facsimilé d'un bracelet
en or pesant iio grammes, et qui a été acheté à .Madrid par M. Ignace de Bauer.
M. Reinach explique les difficultés techniques vaincues par l'orfèvre ibérique, et
signale l'analogie qui existe entre ce bijou et le couvre-oreilles de la dame
d'Elche. Ces objets paraissent appartenir à la fin du premier âge du fer, c'est-à-dire
au v siècle avant l'ère chrétienne, ou au début du siècle suivant.
Le P. Scheil communique un texte babylonien nouveau, de 2400 a. C, qui lui
permet de formuler les conclusions suivantes. 1° 11 existait en Babylonie de
grandes palmeraies de douze hectares environ. 2° On évaluait volontiers la super-
ficie non par mesures agraires, mais par chirt'res d'arbres. 3" On employait la
fécondation artificielle du dattier femelle, et les pieds mâles étaient cultivés à part.
40 L'évaluation du rendement se faisait par séries d'arbres, non au poids, mais au
volume des fruits. 5" Le maximum du rendement allait, pour certains pieds, à
io5 kilogrammes ou à 141 litres environ. 6" La comptabilité en cette matière était
tenue avec rigueur et précision, selon les procédés les plus rationiiels.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouch.on et Gamon
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 43 — 26 octobre — 1912
WKissnAcii, Les inscriptions des AclTemcnides. — Zimmkrn, Hymnes et prières
babyloniennes, II. — C. Frank, Etudes sur le sacerdoce babylonien, I. —
Wkidnkr, De l'astronomie babylonienne. — Gradenwitz, Preisigkk, Spiegel-
BERG, Une ati'aire égyptienne d'héritage. — E.-C. Riciiardson, Bibliothécaires
égyptiens. — Bissing, Le Kaî des anciens [égyptiens. — Moncicaux, Le donatisme.
— Bresslau, Manuel de diplomatique, 2« éd. — Seillièrk, Schopenhauer. —
More, Nietzsche — Vaujanv, L'école primaire en F"rance sous la troisième
République. — Flamini, Anthologie italienne. — Bellissima, Corpusculum ins-
criptionum lalinarum. — Biasotti, Diaconies romaines; Sainte-Marie-Majeure.
F. -H. Weissbach, Die Keilinschriften der Achâmeniden : Vorderasiatische
Bibliothek. i vol. in-8°, lxxxiv-iGo p. Leipzig, Hinrichs, 191 1.
M. Weissbach a réuni en un volume toutes les inscriptions aujour-
d'iiui connues des Perses Achéménidcs. Comme on le sait, la plupart
de ces inscriptions sont rédigées en trois langues, perse, élamite et
babylonienne. C'est la première fois que les trois versions de l'ensem-
ble de ces textes sont ainsi réunies (transcription et traduction). La
disposition adoptée par M. Weissbach est fort heureuse et permet de
confronter constamment les trois versions et la traduction allemande.
M. Weissbach n'ignore rien des recherches de ses devanciers et il a
lui-même contribué à établir plus d'une lecture douteuse et à inter-
préter plus d'un passage difficile. En appendice M. Weissbach a
donné le cylindre d'Antiochus I Soter, en babylonien, qui reste un
monument unique et n'aurait pu être mieux placé dans la collection
de textes relatifs à l'orient ancien que doit former la Vorderasiatische
Bibliothek. L'introduction contient une bibliographie fort complète
et déjà longue de ces documents qui ont été l'objet de tant de travaux,
et une étude sur la question de la transcription en général, et en parti-
culier du babylonien, de l'élamite et du vieux perse. Je recommande
cette étude aux fauteurs de transcriptions nouvelles, et l'ouvrage
entier à tous les historiens de l'Orient classique.
C. FOSSEY.
H. ZiMMERN, Babylonische Hymnen und Gebete, zweite Aus-wahl : Der Alte
Orient, XIII, i. Leipzig, Hinrichs, 191 i, '^2 p., in-S".
Le second choix d'hymnes et de prières babyloniennes traduites par
M. Zimmern fait suite à un premier recueil publié dans la même col-
322 REVUE CRITIQLE
Iccùon de VAlte Oriciil (\H ,. Il coiiiiciu des hymnes l\ Siii, Adad,
Ellil, Tamu-{, IàtiX)\ Nabû, Samas et quelques maximes de sagesse.
Débarrassé de tout appareil philologique, il sera le bienvenu auprès
de ceux qui s'intéressent à la Babylonie sans avoir pénétré les arcanes
de l'écriture cunéiforme. Le nom de M. Zimmern leur sera une suffi-
sante garantie de rexaciitude des traductions.
C. FOSSEY.
C. Frank, Studien zur Babylouischen Religion. 1 Baiul. Strasbourg, Schlesier
et Schweikhardt, 1911, 1 vdl. xiri-287 p., in-80.
Nous sommes encore fort mal renseignés sur le sacerdoce babylo-
nien, et c'est à peine si nous entrevoyons quelles pouvaient élre les
attributions spéciales des nombreuses classes de prêtres et de prêtresses
dont les noms paraissent dans les textes. M. Frank a le premier
essayé de réunir et de scruter les indications éparscs et souvent obs-
cures que nous possédons sur ce sujet; il a réussi à préciser en plu-
sieurs points des notions encore vagues et en quelque sorte constitué
un important chapitre de l'histoire de la religion babylonienne. Je ne
crois pas qu'il ait augmenté la valeur de son travail en y joignant la
transcription et la traduction d'une douzaine de textes qui n'ont pas
tous un rapport étroit avec le sujet traité et qui paraissent choisis
assez arbitrairement. Ils seront un peu perdus entre les deux disserta-
tions qu'ils séparent. Mais ce n'est là que le moindre inconvénient.
En traduisant des « morceaux choisis », on se prive volontairement
d'un des plus puissants moyens d'interprétation : la comparaison. Si,
par exemple, au lieu de prendre au hasard deux fragments de 17 et 73
lignes dans la série Summa i\bii, M. Frank avait étudié toute la série,
il aurait certainement reconnu que kutallii ne signifie pas le « dos »
mais « l'occiput » (p. 141), que irrii signifie intestins (p. 140', que
uiiui est du féminin (p. 1 14), que du-du doit se lire ittalak (ira) et non
kliri (Bèstand p. 146, 40), qu'il faut Ure talla-kà-at (la route) et noii
u\nu îâ-ka-ta (dsLS Ohr klein ist ib. 41); sanarnma (second) et non
ma;îWii (irgend ein, ib. 1. 4); taktit paie, fin du règne et non labar
j?a/é"(quine peut pas signifier : Fall der Herrschaft, (p. 147, 14);
bit béîi-Sa, la maison de son propriétaire et non bit en-sa (p. 162).
Je suis surpris que M. Frank affirme que le li-dur est un organe
double, simplement à cause d'un texte où Ton trouve li-dur imiiti et
Li-DiiR siimêli (p. 141); pareilles locutions se rencontrent pour birku,
« pénis ». P. 145, 28, je ne crois pas que er ù-tu puisse se lire tdl'it
ali (die Jugend der Stadt) mis bien al alitti, la ville de l'accouchée.
P. 147, 25, au lieu de miLiltim kiillati gi-is-lii-u ibassi, où gislû
n'est qu'un barbarisme inintelligible, lire mUyittim tiir gi-mil-lii-u
ibassi, il y aura défaite et revanche. Je suis surpris que M. F'rank,
qui a comparé les textes sa-sa-sa issi et sa-sa-sa ibakki (p. 142-143) et
traduit correctement le second passage (die Leibcsfrucht wimmert), ait
d'histoire et de littérature 323
traduit le premier « die LeibesiVucht sich entfernt •>, faisant ainsi
venir issi de nisû; n'est-il pas plus naturel de le faire venir de sasû,
a crier »? La comparaison avec CTXXVII, 9, 20 et suiv. aurait
sans doute permis à M. P'rank de découvrir le sens exact. —
La seconde dissertation de M. Frank est consacrée au temple sumé-
rien, sujet aussi peu connu que le précédent et sur lequel les fouilles
nous ont apporté fort peu de lumière. C'est donc surtout à l'aide des
textes que l'auteur a essayé de déterminer le plan du temple et de ses
annexes, les statues et emblèmes des dieux, les animaux vivants atta-
chés au culte, et les animaux divins plus ou moins fantastiques dont
les images étaient déposées dans les temples, les instruments de culte,
les cérémonies, les fêtes et la musique. Une liste des temples consa-
crés à chaque divinité termine cette étude que complètent quatre appen-
dices sur le temple élamite, l'existence incontestable de bibliothèques
dans les temples, le secrétariat des temples (e-dub), les instruments de
musique. — Les animaux sacrés et le culte des animaux forment l'objet
de la troisième dissertation de M . Frank qui a le premier attiré l'atten-
tion sur cet aspect de la religion babylonienne. M. Frank n'accepte
pas d'ailleurs les théories totémistes, mais affirme que tous les dieux
babyloniens, principaux ou secondaires, ont été conçus et représentés
dès les temps les plus anciens sous la forme humaine. Les animaux
dont M. Frank étudie le rôle dans le culte sont le lion, le chien ", le
taureau, le bélier, le bouc, le cheval, l'âne, l'aigle, le faucon, le cor-
beau, le coq, le scorpion et la tortue, le serpent. Ce n'est là qu'un
choix et il faut souhaiter que le second volume des Etudes de
M. Frank nous donne bientôt la suite des observations qu'il a recueil-
lies à ce sujet.
C. FOSSEV.
Ernst Weidner, Beitrâge zur babylonischen Astronomie mit einer Stern-
Karte und 6 Abbildungen im Text : Beitrâge zur Assyriologie und semitis-
chen Sprachwissenschatt, \'lll. 4. Leipzig, Hinrichs, 1911; loo p. in-8°.
M. Weidner n'admet aucune des identifications proposées par Jen-
sem, Hominel et Winckler pour les expressions astronomiques « che-
min d'Anu », « chemin d'Enlil », « chemin à'Ea ». S'appuyant sur
des textes en partie inconnus à ses devanciers, il démontre que
les Gémeaux et le Scorpion appartiennent au « chemin d'Enlil », que
le (.'. chemin d'Ea » est aux environs du Sagittaire et du Capricorne,
que le Taureau appartient au « chemin d'Ajiu », et que le soleil est
six mois dans le « chemin d'Enlil » et trois mois dans chacun des
deux autres « chemins ». Il en conclut que le « chemin d'Enlil » cor-
I. Pour donner un exemple du rôle joue dans le culte par les animaux citons
les cérémonies dans lesquelles les a chiens furieux » à'Istar sont conduits au
fleuve la nuit, tournés vers l'est et couverts de toile blanche; la cérémonie
commence au lever du jour.
324 REVUE CRITIQLK
respond à six constellations du Zodiaque, des Gdmcaux au Scorpion ;
le « chemin d'Ea » à trois constellations, du Sagittaire au Verseau ;
le «chemin d'Ami » aux trois dernières, du Poisson au Taureau.
Ce système a dû être conçu à l'époque où le soleil, à Tcquinoxe du
printemps, se trouvait aux environs de a et r, des Gémeaux, c'est-
à-dire vers 4500 av. notre ère.
Les termes agii et a^haru sont l'objet de la seconde enquête de
M. Wcidner. ï*o\iv agi}, M. Kuglcr a proposé en 1907 la traduction
« lumière cendrée » ' que M. Wcidner accepte, mais non pour tous
les cas. Agii tasrihti signifie, d'après lui, « la pleine lune » ; agïi, en
certains cas, « une couronne » (de nuages, etc.i entourant la lune. Le
soleil et Vénus peuvent aussi avoir un agù. Les q\karé sont les parties
de la lune visibles avant et après une éclipse totale.
La troisième contribution de M. Weidner est consacrée à l'étude
du texte n° III de Virolleaud, Astrologie Chaldéenne, Sin, qui est
transcrit, traduit et ingénieusement commenté. L'interprétation de
M. Jastrow est rectifiée sur beaucoup de points. M. Weidner a par
surcroît dressé l'index, qu'aucun traducteur ne devrait négliger.
Enfin M. Weidner propose une hypothèse sur l'origine du système
sexagésimal en usage chez les Babyloniens. Ce système dériverait d'une
division de la voûte céleste en six secteurs de 3o degrés. Comme le
diamètre apparent de la lune d'après l'estimation des Babyloniens
était de 3o minutes, chaque secteur équivalait à 60 fois le diamètre
de la lune.
Ces problèmes sont trop difficiles pour que personne puisse se flat-
ter d'en donner une solution complète et définitive. Mais il y a en
tout cas beaucoup de détails à retenir dans le travail de M. Weid-
ner \
C. FOSSEY.
O. Gradenwitz, F. Preisigke, W. Spiegelberg, Ein Erbstreit aus dem Ptole-
maeischen ./Egypten, Griechische und Demotische Papyri der "Wissent-
schaftlichen Gesellschaft zu Strassburg i. Els., 1912, Strasbourg. Karl.
J. Trûhner, in-8», 63 p. et 4 pi. en photot}pie. — Prix : 6 Marks [-j fr. 5o).
L'avertissement placé en tête du mémoire nous raconte une vieille
histoire, bien connue de tous ceux qui se sont occupés des papyrus
égyptiens. Des paysans, procédant à l'extraction du sébakh ou fouil-
lant sans autorisation sur le site des villes antiques, y découvrent un
dépôt qu'ils se partagent et qu'ils vendent, soit à un touriste, soit à
un marchand de profession : les lots, dispersés par les hasards du
1. Je l'avais proposée dès 1900, dans RHR, à propos des Reports de Thompson.
2. P. 36, 1. 10 : au lieu de ulabbar, lire ultabbar (cf. p. 44, 22). — P. 44, 1. 9 se
restitue : eridte liplipsin[a inaddâ]. — P. 5o, 14 et 16 : au lieu de ma-gal, lire dan-
nis (Leip. sem. St. V, 6.). — P. 74, ia-ad-dar ne peut pas être une contraction
pour aùadar.
d'histoire et de littérature 325
commerce, arrivent par morceaux aux musées européens, et ce n'est
qu'après de patientes recherches que les savants finissent par recons-
tituer l'ensemble de la trouvaille. Les pièces relatives à l'affaire
d'héritage dont se sont occupés MM. Gradenwitz, Preisigke et Spie-
gelhcrg, recueillies originairement à Gébéleîn en Thébaidc, se sont
réparties entre Berlin, Gicssen, Heidelbcrg, Londres, Strasbourg, et
peut-être s'en est-il égaré dans les collections privées : la plupart sont
en grec, quelques-unes en démotique, et pour l'une de celles-ci, tan-
dis que l'original égyptien appartient à Strasbourg, la traduction
grecque reste à Giessen.
L'affaire est assez embrouillée. Un certain Panas, dit Apollônios
et fils de Nékhouris, avait eu trois enfants, un fils Paménôs dit Her-
mocratès, et deux filles Kalibis et Taménôs, auxquels il légua ses
biens, sis à Gébélîn et dans les environs. Le mari de Kalîbis, Patous
dit Kallimêdcs, profita par la suite de certaines circonstances, mal
déterminées encore, de la succession, pour essayer de dépouiller son
beau-frère Paménôs et sa belle-sœur Taménôs ainsi que leurs héri-
tiers, d'une portion des terres qui leur revenaient sur l'héritage com-
mun. Il semble que la liquidation de celui-ci dût présenter quelques
difficultés, car les hoirs Paménôs et les hoirs Taménôs avaient com-
mencé les uns contre les autres une action, qui fut close assez rapide-
ment par un arrangement à l'amiable : mais ils ne purent s'entendre
avec Patous. Il serait trop long d'entrer dans le détail de la cause : le
différend porte sur deux fonds de terre, l'un de dix l'autre de trente-
cinq aroures, et les documents conservés à Strasbourg intéressent
surtout ce dernier. Porté en dernier ressort devant l'épistratège de la
Thébaïde, il fut tranché par celui-ci, en l'an 37 de Ptolémée Ever-
gète II : Paious dut renoncer à ses prétentions sur les trente-cinq
aroures et sur le prix que la vente en avait produit. M. Gradenwitz a
traité de la marche du procès et des points de droit qu'il touchait.
MM. Preisigke et Spiegelberg ont publié et commenté le premier les
papyrus grecs, le second les papyrus démotiques de Strasbourg. II
est résulté de cette triple collaboration un très instructif et très
curieux mémoire, auquel Je ne saurais adresser qu'un reproche : les
auteurs ont été trop brefs, et, puisque aussi bien leur œuvre s'adresse
à des égyptologues et à des hellénistes qui ne sont pas tous nécessai-
rement des juristes et des paléographes, j'aurais aimé qu'ils dévelo-
passent certaines notions de déchiffrement ou de procédure qu'ils se
sont contentés d'indiquer brièvement. J'ajouterai que j'ai pris un
intérêt spécial à la partie qui avait été confiée à Spiegelberg : les
observations qu'il a jointes à la transcription et à la traduction des
pièces renferment des suggestions utiles sur la prononciation et sur
la grammaire de l'égyptien à l'âge ptolémaique.
G. Maspero.
320 REVUE CRITIQUE
K. CisiiiNC RiciiARDSON, Some old Egyptian Librarians, 191, New-York,
Charles Scribner's Sons, în-18", 9!^ p.
La plus grande pariic de cet amusant petit volume est remplie par
le texte d'une conférence faite, le 28 septembre 191 i, h la réunion de
\di Ncu'-York Library Association. L'auteur déclare dans sa Préface
qu'il a utilisé pour son sujet, non pas les textes orij^inaux eux-mêmes,
mais des traductions empruntées aux œuvres des savants les plus
compétents, et il cite plus loin comme ayant été sa source principale
les Aucient Records de Breasted. On ne s'étonnera donc pas de
retrouver chez lui l'écho des théories les plus intransigeantes de
l'école berlinoise, sa chronologie trop réduite, ses trois Sésostris de
laXII® dynastie, et d'autres détails de ce genre. Il a de plus rangé,
parmi les bibliothécaires dont il a cru pouvoir constater l'existence en
Egypte, des personnages qui auraient été bien étonnés de s'entendre
ainsi qualifier. 11 a été victime de la même erreur de perspective qui,
il y a quelques années, conduisait les archéologues à intituler archi-
tectes tous les Intendants des travaux du roi. confondant une fonc-
tion administrative exercée dans les bureaux avec un métier qui
menait son homme sur les chantiers : les hauts officiers de la cou-
ronne de qui leurs inscriptions disent qu'ils possédaient tous les
secrets des temples, ou qu'ils avaient accès à tous les écrits mysté-
rieux et à tous les livres divins.^ devaient à leur dignité et à leur édu-
cation le privilège de connaissances étrangères au peuple, mais ils
n'étaient pas les gardiens des bibliothèques où ils pouvaient pénétrer.
Il y aurait donc beaucoup de coupes sombres à opérer dans la liste
que M. Richardson a dressée, et peut-être quelques noms nouveaux à
insérer. Sa conférence, écrite d'un style alerte et familier, avec des
allusions aux hommes et aux choses de l'Amérique contemporaine,
n'en est pas moins très agréable à lire : elle a retenu un moment
l'attention du public sur nos études, et, si elle a éveillé chez quelques-
uns des auditeurs le désir de s'y initier, nous aurions mauvaise grâce
à y chicaner une date ou à y critiquer un fait inexactement rapporté.
G. Masi*ero.
I
Fr, W, von BissiNG, Versuch einer neuen Erklarung des Ka'i der Alten
Agypter (extrait des Sit^ungsberichte de l'Académie de Munich}, 191 1,
Munich, in-S", i 5 p.
Ce petit mémoire a pour objet de démontrer que l'auteur a eu raison
naguères, dans un article du Recueil (1903, t. XXV, p. 182), de dire,
du kd des Egyptiens «qu'il sortait pour jouir des offrandes, kdoii » : le
nom de la survivance humaine, lu par lui kdi, serait un nisbé de A*aoM,
et il dériverait de kd, la nourriture, l'offrande. « C'est » donc « cette
« partie de l'homme qui dépend de la nourriture, qui le rend capable
« de prendre la nourriture et, à ce point de vue, le principe de vie, la
« force vitale. Le kdi n'a point de préexistence, — car l'homme avant
d'histoire et de littérature 327
« qu'il ne naisse ne prend aucune nourriture. Le kdi apparaît au même
« moment de la naissance, il grandit avec l'homme et, en grandissant,
« il modifie sa forme extérieure. Toutefois, après la mort, il continue
« à vivre sépare du corps, tant qu'il possède un corps d'appui, momie
« ou statue, et qu'il reçoit l'offrande. C'est pour cela que les plus
« anciens prêtres des morts s'appellent les Serviteurs du kdi, pour
« cela que toutes les prières et toutes les oflVandcs s'adressent à lui,
« pour cela qu'on lit sur les plus vieilles stèles qui marquent le lieu
« où l'on doit faire l'offrande aux morts, Kdi de N. N. ou Kdi du
« Lumineux N. N. Et, comme le kai reçoit l'offrande, peut-être est-
« ce pour cela qu'on écrit son nom avec deux bras qui s'étendent vers
« elle afin de la saisir... Les morts ont de tout temps su qu'ils ne
« pouvaient recevoir l'offrande nécessaire à prolonger leur vie que par
« l'intermédiaire du A\n : il a dû en être de même des dieux à l'ori-
«gine. Les dieux possédaient en effet plusieurs kdis et de môme, par
« conséquent, le roi, qui était leur image sur terre. Il en résulte que le
« kdi doit être quelque chose qui peut être commun aux dieux et aux
« souverains vivants ou morts. Pour l'homme naif qui se figurait
« qu'un être divin était obligé de prendre de la nourriture, les dieux
« ne pouvaient faire autrement que de posséder un ou plusieurs
« démons de ce genre ». Ils en possédaient en effet, et le dieu Râ en
détenait quatorze à lui seul, dont «les noms conviennent bien à des
« êtres qui assurent l'alimentation et l'entretien de la divinité, tandis
« qu'ils seraient en partie des plus bizarres appliqués à des doubles,
« à des âmes ou à des esprits protecteurs des moris ». Et main-
tenant «avons-nous le droit d'imaginer le kaî comme un dieu ? Que
« ce terme se soit fort affaibli par la suite, et que bien souvent on ait
« à peine eu conscience de la divinité du kaî, il le faut concéder.
« Mais, d'autre part, qui, autre qu'un dieu, reçoit une offrande, et
« vers qui, si ce n'est vers un dieu, vient-on avec des prières ? ».
J'ai eu souvent l'occasion de parler du ka ou kai égyptien, et j'ai
essayé de le définir un double, mais non pas en partie d'après Lepage-
Renouf, comme Bissing le pense : la conférence où j'en exposai la
théorie à Lyon, en septembre 1878, est de six mois antérieure à la
lecture que Lepage-Renouf fit à la Société d'Archéologie Biblique
de Londres, et j'ai quelques raisons de croire qu'elle ne fut pas sans
influence sur elle. Le terme que j'employai alors, et que je per-
siste à employer pour traduire le mot ka, est l'expression exacte d'un
fait matériel dont Steindorff seul jusqu'à présent a contesté partielle-
ment la réalité : l'être ainsi désigné est, dans les représentations que
nous possédons de lui, la contrepartie minutieuse du personnage
auquel il est attaché, et il le double à tous les instants de la vie et de
la mort, enfant si le personnage est un enfant, homme ou femme si
celui-ci est un homme ou une femme. En l'appelant double, je ne fais
qu'indiquer son apparence sensible, et je ne préjuge rien de sa nature
328 REVUE CRITIQUE
iniime ni de son origine M. de Bissing admet ces points importants,
mais il va plus loin que je n'allais alors, en ce qu'il affirme : i° que le
ka n'existait pas avant la naissance de son homme, mais qu'il se pro-
duit à l'instant précis où celui-ci vient au monde; 2" qu'il est un dieu;
3" qu'il est le dieu par qui son homme s'alimente. Je ne saurais lui
accorder tout cela. J'ai récemment, dans un article de la revue
Memnon, montré contre Steindorff, par le moyen des tableaux de
Louxor et de Déîr-el-Bahari, que le ka était fabriqué par le dieu
créateur dans le sein de la mère, en même temps que le corps auquel
sa destinée le liait et de la même pâte que celui-ci: je renvoie le
lecteur à cet article, l'espace me manquant ici pour en résumer les
données. La raison alléguée par Bissing et d'après laquelle le ka,
étant un dieu de l'alimentation, ne peut exister qu'après que l'homme
est né, l'homme encore à naître ne recevant pas de nourriture, ne me
paraît pas décisive. Sans être grands clercs en physiologie, les Égyp-
tiens n'ignoraient pas que l'embryon humain se nourrit dans le sein
maternel, et, comme le peuple le dit d'instinct, que toute mère en
mangeant nourrit deux vies : leur ka, une fois formé avec le corps,
s'alimentait et alimentait celui-ci aux dépens de la femme qui le por-
tait, et cela jusqu'à l'heure de l'accouchement. Je substituerai donc à la
première proposition de Bissing une proposition contraire: le ka
existe et commence ses fonctions caractéristiques, dès avant la nais-
sance du corps qu'il suivra désormais dans la vie et dans la mort.
Je ne soulèverai pas d'objections contre les deux autres propositions.
J'admets, et j'ai toujours admis, que le double tient de la nature du
dieu, mais je n'irai pas jusqu'à prétendre comme Bissing et comme
Steindorff, que pour cela il ne forme pas un des éléments constitutifs
de la personne humaine ou divine, au même titre que l'àme-oiseau,
le bai, par exemple. J'ai indiqué, dans mon article de Memnon, que
l'âme-oiseau est un dieu elle aussi, ce qui ne l'empêche pas d'être un
des éléments constitutifs de cette personne : si la qualité divine ne
lui enlève pas cette propriété, elle ne doit pas non plus l'enlever au
double. Que ce facteur divin soit celui qui fournit à la nourriture
de l'homme, Bissing l'a prouvé, et ici encore je renverrai à mon
mémoire de Memnon, où j'ai cité plusieurs des représentations figurées
qui ne nous permettent pas d'en douter. Je tiens également pour
établi que le nom égyptien du double est étroitement apparenté au
nom kdou de la nourriture et de l'offrande, et je suis porté à penser
qu'il a signifié le nourrisseur, le nourriciei% ainsi que le veut Bissing,
mais je me garderai de dire avec lui que ce nourricier est le principe
dévie, la force vitale, « das Lebensprincip, die Lebenskraft ». Les
Egyptiens n'en étaient pas au stade de l'abstraction, mais où nous
voyons des principes et des forces abstraites, ils apercevaient des êtres
matériels produisant des actes : c'est commettre un véritable anachro-
nisme et altérer l'histoire de la pensée humaine que de parler de
d'histoire bt de littérature 32g
principe vital où ils parlaient du tVoz/^/e. Retenons donc une partie des
idées de Bissing, et la combinant avec la conception courante, disons
que le ka est un double, un dieu à l'image de chaque individu qui,
créé avec son homme dans le sein maternel, l'accompagne pour veiller
sur son alimentation, tant que le corps ou la copie du corps auquel
il est attaché subsiste dans la vie et dans la mort.
G. Maspero.
Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne depuis les origines jusqu'à l'invasion
arabe, par Paul Monceaux, professeur au Collège de l'rance et à l'école des
Hautes-Etudes. Tome quatrième : Le Donatisme. Paris, Ernest Eeroux, 191 2.
Prix : 10 fr.
Le grand ouvrage dont M. Paul Monceaux poursuit depuis dix ans
la publication, comprend actuellement quatre volumes : TertuUien et
les Origines ; Saint Cyprien et son temps ; le iV siècle, dWrnobe à
Victorin ; le dernier tome paru est consacré au Donatisme.
Je ne sais si, en France, l'on a toujours reconnu comme il conve-
nait ce que cette œuvre considérable représente de forte et saine
érudition. En tous cas, elle a conquis à l'étranger l'estime des juges
les mieux qualifiés. Qu'on se reporte aux travaux de Adolf Harnack,
spécialement au tome II de sa Chronologie der altchristlichen Litera-
tiir, et l'on y verra avec quelle déférence les opinions de M. Mon-
ceaux y sont citées et discutées par l'illustre professeur de Berlin.
Je bornerai mon examen au volume qui a pour objet le Donatisme.
Schisme africain, « exclusivement africain », et qui suscita tant d'écrits
de polémique, le Donatisme avait sa place marquée dans une Histoire
littéraire de V Afrique chrétienne. Son dossier est d'une remarquable
ampleur. Autant il est malaisé de connaître à fond les mouvements
hétérodoxes ou schismatiques qui se développèrent aux deux premiers
siècles lie gnosiicisme ou le montanisme, par exemple), faute d'une
documentation suffisante, autant les investigations sur l'histoire du
Donatisme, en dépit de quelques lacunes regrettables, sont facili-
tées par la richesse des sources parvenues jusqu'à nous.
Une telle variété de documents — écrits donatistes ou antidona-
tistes, pièces ofificielles émanant des empereurs, des gouverneurs afri-
cains, des commissaires impériaux, procès-verbaux de conférences et
de conciles, suppliques aux pouvoirs publics, inscriptions, etc., —
est un bienfait pour l'histoire; mais elle crée à l'historien un sérieux
embarras, quand il s'agit de dominer cette immense matière, de la dis-
cipliner, et delà faire entrer dans un exposé cohérent et méthodique.
M. Monceaux a-t-il réussi à triompher de cet ordre de difficultés?
Je crois qu'à lire son livre, non point au hasard des chapitres, mais
d'une seule teneur, on s'apercevra qu'il souffre de certains vices de
composition.
3?0 REVUE CRITIQUE
Pcndirant lout de suiic au vif de son sujci, M. M. déroule d'abord
les péripéties du Donatisme, ses premières origines (p. 8-25), ses
vicissitudes avant saint Augustin (p. 25-52), au temps d'Augustin
(p. 52-97), après Augustin (p. 97-108), jusqu'aux derniers sursauts de
sa longue agonie dans TAfriquc vandale et byzantine. 11 dit là tout
l'essentiel ; il analyse les faits dans l'ordre chronologique et caracté'
rise chacun d'eux.
11 marque ensuite l'extension du Donatisme, selon les époques ; il
décrit l'organisation des Églises donaiistes, et définit l'esprit propre à
ce grand mouvement (p. 109-192). Viennent après cela deux longs
chapitres où il analyse par périodes les documents donatistes ou rela-
tifs au donatisme (p. 193-320), et spécialement les Actes conciliaires
— il n'y eut pas moins de 54 conciles de part et d'autre, en 3o5 et
596 — (p. 321-436). Un dernier chapitre est consacré à l'épigraphie
donatiste.
Or, comme l'ouvrage s'ouvre par un exposé d'ensemble où n'est
omis aucun événement de quelque portée, le lecteur a le léger déplai-
sir de lire à nouveau, dans les morceaux qui suivent, certains récits
qu'il connaît déjà, des anecdotes qui se répètent, des actes qui font
double emploi '. Bien plus, pour peu que sa mémoire soit fidèle, il
s'aperçoit que l'interprétation des mêmes faits est parfois nuancée de
façon toute différente, d'un passage à l'autre. Ainsi, p. 1 15, le gram-
mairien Victor est présenté comme le type de ces chrétiens naïvement
ou cyniquement indifférents qui devenaient donatistes « presque sans
s'en apercevoir » ; p. 239, nous retrouvons le même personnage, nou-
velle allusion est faite à ses aveux devant le consulaire Zénophiius,
mais M. Monceaux lui prête cette fois les traits d'un rusé compère qui
« joue la naïveté « et « se croit obligé de mentir pour sauver la face ».
Je n'aurai pas le pédantisme de prétendre montrer à l'auteur com-
ment il aurait dû aménager son plan; mais il est certain que l'écono-
mie de l'ouvrage est un peu gâtée par ces fâcheux duplicata.
Je ferais quelques réserves d'un autre ordre sur le dernier chapitre
du livre. M. Monceaux, qui connaît aussi bien qu'homme au monde
l'archéologie de l'Afrique du Nord, a pensé — et il est le premier à
avoir pris cette initiative — qu'il y aurait lieu de distinguer dans l'épi-
graphie chrétienne de cette contrée un domaine â part, dont il observe
à juste titre qu'il était « presqu'inconnu jusqu'ici » : à savoir l'épigra-
phie donatiste ou aniidonatiste. Il est singulièrement intéressant, à la
suite d'un guide de cette compétence, d'entendre « répercutés sur la
pierre, les propos populaires et quotidiens où se résument les aspira-
tions ei les griefs des schismatiques, comme les répliques de leurs
adversaires ». Au surplus, M. M. reconnaît que la discrimination des
inscriptions spécifiquement donatistes est fort malaisée, et que c'est
I. Cf. p. 5 et 196 ; 21 et 200; 22, n. 401 219; 29 et 198 ; 3i et 1S4; 32 et 124;
33 et 160J 49 et 128; 58 et 354 ; 7^ et 293 ; 1 15 et 239 ; i58 et 453 ; 175 et 177 etc.
d'histoire et de littérature 33 I
seulement « par cxccpiion » que ces documents trahissent leur origine
sectaire. Il me semble que, sur quelques points, il y a lieu de se mon-
trer plus sceptique encore qu'il ne veut l'cire. Ainsi il range dans le
groupe des inscriptions « sûrement donatistes » toutes celles où
figure la devise coutumière du parti : Dca laudes (p. 439). Mais le
moyen de croire que les catholiques africains eussent totalement
renoncé à cette formule, pour Tunique raison que les dissidents en
avaient fait leur cri de guerre? Un procès-verbal inséré parmi les
sermons de saint Augustin ' ne nous montre-t-il pas le peuple d'Hip-
pone clamant dans rÉglisc, Deo laudes, au récit d'une guérison mira-
culeuse? Le critérium est donc bien douteux. Pareillement, p. 452,
M. Monceaux revendique pour le donatisme une inscription d'Hen-
chir El-Guis, sous prétexte que le mot mundus (pur) y figure, mot
« inconnu de Tertullien » et qui, comme l'idée qu'il représente, « est
donatiste ». Or mundus se rencontre chez Tertullien au moins dans
cinq passages, — Je n'ai pas poussé la vérification : Adu. Nationes, I,
V (Reiff-Wissowa, p. 65, 1. 20); de Pudic, vt, 16; xix, i3; xx, 10;
de Penit., 11, 6 (dans la coll. Hemmer-Lejay). Voilà déjà une raison
sérieuse de douter que ce terme ait été presque étranger au latin
« d'Eglise ».
Ces remarques n'ont point pour objet d'ébranler la solidité d'un
chapitre où il y a tant d'incontestable. Elles ne visent qu'à faire com-
prendre sur quel mince résidu de faits certains une enquête de ce
genre peut opérer.
Dans son ensemble l'ouvrage est très attachant. On y voit à plein
comment une question qui aurait pu être réglée assez vite avec un peu
de bonne volonté — la question des pénalités à infliger aux fidèles et
aux clercs « tombés » durant la persécution de Dioclétien — se com-
pliqua, s'empoisonna de querelles de personnes, de jalousies épisco-
pales, du mécontentement des populations, etc., au point de devenir
pour des siècles le souci désolant de toute une province. Cette terrible
affaire du Donatisme. M. M. l'a instruite avec une conscience, une
sérénité qui donnent grand poids à ses jugements. Peut-être vou-
drait-on çà et là un peu plus d'approfondissement des doctrines théo-
logiques intéressées dans ces débats. M. M. est, en cette matière,
d'une discrétion excessive. Mais là où il reprend ses avantages, c'est
dans l'exposé des faits, dans l'analyse des états d'esprit, dans la des-
cription vivante et pittoresque des épisodes de la lutte, spécialement
de ces interminables colloques où catholiques et donatistes s'épou-
monnaient sans résultat. Tout cela est d'une méthode parfaitement
sage et d'un art parfois fort divertissant (cf. p. 247, 289, 294, etc.).
M. M. ne veut pas reconnaître dans le parti de Donat un parti
I. Sermo CCCXXIII, III, 4 (P. L., xxxvui, 14+6) : « Et cum haec dicerel Augus-
tinus, populus.. clainarc coepit « Deo gratias I Deo laudes \ »
332 RKVUK CRITIQUE
d'opposition sociale et politique, et il estime que les critiques qui le
considèrent comme tel interprètent arbitrairement des données d'ail-
leurs certaines. « En réalité, a(Tirme-t-il, le Donatisme ne visait pas si
haut, ni si loin. Pour transformer ces " rebelles » en loyaux sujets de
l'Empire, il eût sulli d'une constitution iiniu-riale, proclamant que
l'Église de Donat représentait seule en Afrique l'Eglise universelle,
l'Eglise catholique. Mais cette loi n'a pas été promulguée : jusqu'au
bout, le Donatisme est resté l'éternel proscrit, » (p. toi).
Quant au rôle joué par la secte dans l'Afrique chrétienne, M. M.
déclare sans ambages qu'il fut « malfaisant ». Dégradé par une mino-
rité de violents, « l'idéal évangéliquc de l'Eglise des « Saints » deve-
nait trop souvent, dans la réalité, une école de haine, de pillage et de
meurtre. » (p. 170). Le christianisme local, la civilisation africaine
subirent, du fait de la « folie fratricide du donatisme », d'irréparables
désastres.
Dans un prochain volume, M. M. traitera des œuvres littéraires
provoquées par la polémique donatiste et antidonatiste. Cette vaste
étude une fois achevée, les travaux antérieurs sur la question du
Donatisme seront, ou peu s'en faut, relégués dans l'oubli '.
Pierre de Labriolle.
Harry Bresslau. Handbuch der Urkundenlehre fur Deutschland und Italien.
Tome I. 2« édition. Leipzig,Veit et C, 1912. xviii-746 pages in-H". Fr. 22, 5o.
Il est inutile de recommander la seconde édition d'un ouvrage
qui, dès son apparition en 1889, s'est imposé, comme celui-ci, à
l'estime des spécialistes. La nécessité d'une édition nouvelle — fait
bien rare sinon unique dans la « littérature diplomatique » — atteste
d'autant plus éloquemment la valeur du Handbuch de M. Bresslau
qu'il n'est pas destiné à l'enseignement, mais s'adresse, comme on sait,
aux savants. Le nom de l'auteur suffit à garantir l'excellence du rema-
I. Je note encore ici quelques observations de détail. P. iSy : ces formules
« nous et le Saint-Esprit » et autres semblables n'ont qu'une portée médiocre.
Elles étaient de style dans les protocoles conciliaires : cf. Leitnkr, die biblisclie
Inspiration, Fr. i. B. 1896, p. 191 et s. ; — P. i65. « Jusqu'au temps d'Augustin,
l'Afrique n'a pas produit de véritables théologiens ». Voilà une affirmation
quelque peu étrange de la part d'un savant qui a écrit un gros volume sur Ter-
tuUienl — P. 166 : « On ne peut nier que le principe adopté par les Donatisles
[relativement aux conditions de validité des sacrements] fût conforme à l'esprit de
l'Evangile et des communautés primitives. » On aimerait à voir cette opinion
étayée de quelques références. — M. Monceaux ne fait aucune allusion, ce me
semble, à l'hypothèse ingénieuse proposée par Dom Chapman {Rev. Béiiéd., 1909,
p. i3 et s.) au sujet de la distinction des deux Donats. — Les revues qui
s'occupent de l'histoire de la sténographie ont beaucoup à prendre dans l'ouvrage
de M. M. : cf. p. 421 et s. — Je signale aussi la très précieuse liste chrono-
logique des documents donatistes ou relatifs au donatisme, qui est dressée à la
fin du livre (p. 487-510).
d'histoire et de littérature 333
niement auxquel le travail a ctc soumis. Le plan général est resté le
mè-me que précédemment. On y retrouvera les neuf chapitres si bien
ordonnés et si substantiels, intitulés : 1. Objet et déHnition de la
diplomatique; 11. Histoire de la diplomatique; III. Analyse et
classification des actes; IV. Transmission manuscrite des actes ; V.
Les Archives ; VI. La chancellerie des empereurs romains et des
papes; VII. La chancellerie des rois d'Italie, des rois francs, des
rois et empereurs allemands; VllI. Autres chancelleries et scribes
en Allemagne et en Italie; IX. Les actes diplomatiques comme
moyens de preuve juridique au moyen âge.
Aucune page de la rédaction primitive n'a été laissée sans change-
ments, et il est superflu de dire que M. Bresslau a soigneusement
utilisé les travaux si nombreux qui, depuis l'apparition de son livre,
ont, en tant de points, enrichi et précisé nos connaissances. L'exposé
des généralités de la science et des principes de la méthode ne pou-
vait être modifié en rien d'essentiel. Mais l'auteur a su incorporer à
son œuvre, sans rien lui faire perdre de sa clarté, les résultats des
innombrables monographies, catalogues ou éditions d'actes, consa-
crés, durant le dernier quart de siècle, à la diplomatique des papes,
des empereurs, ou des rois d'Italie. On admirera particulièrement,
dans les chapitres relatifs aux archives et aux chancelleries, le parti
qu'il en a tiré et le tact critique avec lequel il les a mis en œuvre. D'un
bout à l'autre de l'ouvrage se révèle la compétence d'un maître con-
naissant à fond toutes les questions dont il traite, ayant lu tous les
travaux qu'il cite et s'étant fait sur chacun d'eux une opinion person-
nelle. M. Biesslau, dans cette seconde édition comme dans la pre-
mière, a écarté toute polémique : il se contente de signaler en note,
avec la conscience légitime de l'autorité qui s'attache à ses jugements,
les conclusions qu'il rejette.
Cette nouvelle édition du Handbuch sera accueillie avec une satis-
faction d'autant plus vive que la préface annonce l'apparition pro-
chaine du second volume que tous les diplomatistes attendent depuis
si longtemps.
H. PiRENNE.
Ernest Seillikre, Schopenhauer (Collection des Grands Ecrivains étrangers).
Paris, Bloud, 191 i, in-16, p. 240. Fr. 2,5o.
Paul Elmer More, Nietzsche. Boston et New-York, Houghton Mifflin, J912,
in-16, p. 87. Sh. I .
I. Sous une forme concise le Schopenhauer de M. Seillière est un
exposé clair, vivant et aussi une critique impitoyable du philosophe
de la volonté. Cette esquisse pourrait se lire comme un chapitre
d'une des dernières études de l'auteur ; elle vient en tout cas prendre
sa place naturelle dans son tableau du mal romantique. Peut-être
eût-il convenu pour une œuvre de vulgarisation de ne pas considérer
334 REVUE CRITIQUE
un penseur Je l'iniporiance de Schopcnhauer sous l'angle toujours
étroit d'une théorie particulière. M. S. a commencé par nous présen-
ter l'homme en quelques pages savoureuses, et il a donne de l'adoles-
cent sullisant et irritable, comme du sexagénaire égoïste, maussade et
quinteux, un portrait animé, en se bornant à grouper les traits les
plus familiers de cette biographie si nue. 11 y en a un que je regrette
qu'il ait négligé, tant il est signitkaiif" : le dosent de 1820 à Berlin
s'obstinant à choisir pour son cours les mêmes heures que le maître
Hegel et restant naturellement sans auditeurs. M. S. a réservé la part
principale de son étude à l'œuvre de Schopenhaucr. Elle est pour
lui née de son tempérament d'impulsif et du milieu romantique où
se forma le penseur ; elle devait donc faire une place essentielle à
l'instinct" et aboutir à une divinisation du subconscient, en substi-
tuant la volonté aveugle à l'intelligence consciente comme loi du
monde. C'est l'œuvre d'un mysticisme outré et il n'est pas surprenant
que la morale de Schopenhaucr ait fait des emprunts au mysticisme
chrétien, car M. S. ne veut pas que nous soyons dupes de l'étiquette
indienne qu'elle porte. L'auteur a très bien exposé la genèse de l'éthique
schopenhauerienne, de son pessimisme, de sa rédemption parla pitié,
de son ascétisme, tout en soulignant avec malice les contradictions
flagrantes entre le système du solitaire de Francfort et sa propre con-
duite. D'ailleurs une des raisons de la fortune de cette philosophie
tenait au caractère personnel dont elle était marquée et M. S. a eu un
soin constant de mettre en pleine lumière l'originale individualité de
l'auteur avec ses paradoxes et ses boutades. Un dernier chapitre est
destiné à faire comprendre comment les théories de Schopenhaucr
ont favorisé les différentes formes du mysticisme romantique, par
son esthétique, par son idéal social (c'est ici moins apparent), sa con-
ception de l'amour et sa classification des races. Comme s'il avait eu
quelque remords d'avoir fait servir trop exclusivement la philosophie
de Schopenhaucr, de môme qu'ailleurs Stendhal et Fourier dont il a
cherché toutes les occasions de le rapprocher, à expliquer un des
renouvellements du mal romantique, M. S. dans sa conclusion recon-
naît les « quelques concessions qu'a faites le philosophe à une vue plus
rationnelle du monde ». En résumé l'impression dernière que gardera
le lecteur sera celle d'une philosophie qui s'est mise sans cesse en
contradiction avec elle-même. S'il essaie de profiter de l'excellente
notice bibliographique ' que l'auteur a eu raison de joindre à son
étude, il pourra se faire de Schopenhaucr une idée plus dégagée de
tous ces multiples liens avec le romantisme sous lesquels M. S.
Ta trop enchaîné \
1. Il faudrait y ajouter au moins deux études un peu plus récentes, celles de
R. Lehmann (1894) ci de .1. Volkelt (1900).
2. Ecrire p. 23, Wolf ; p. 26, Meyer ; p. iSg, Nettesheim ; p. 176, vornehm, au
lieu de Wolff, Mejer, Netîeshein, vornliem; et pourquoi adopter cette graphie sin-
gulière qui transforme Bûrger en Buevger?
d'histoire et de littérature 335
II. Le petit livre de M. More n'est qu'un court aperçu de la morale
de Nietzsche. L'auteur, après une brève notice biographique, a voulu
montrer la place que vient prendre la théorie du surhomme dans le
conflit des deux morales de l'inte'rèt et de l'altruisme, tel surtout quMl
s'est développé en Angleterre avec Hobbes, Mandeville, Hume, d'une
part, et Adam Smith, de l'autre. Son exposé et sa discussion de la
pensée de Nietzsche sont plus que sommaires, et seulement pour des
lecteurs américains ignorant tout de lui ils peuvent avoir la valeur
d'une introduction très générale.
L. ROLSTAN.
Vaujanv (Joseph , L'école primaire en France sous la troisième République.
Paris, Perrin, uji2. In-N dc\i'i-'.>^vT p. 1^ fr. 5o.
Ce livre écrit pour établir que, dans nombre d'écoles communales,
le maître vise à combattre la foi en Dieu et en la patrie, est animé d'un
esprit élevé et suppose des lectures étendues, mais manque d'ordre,
de proportion, de concision. L'auteur y insiste beaucoup trop sur des
doctrines que tout le monde connaît ; il recommence sans cesse à
définir, à discuter les vues philosophiques ou politiques des législa-
teurs de l'école laïque, les diverses manières de concevoir la neutralité,
à montrer que la neutralité, même sincère, qui accommode fort bien
les positivistes, ne peut agréer également aux spiritualisies. Aussi ne
fait-il que toucher à la partie vraiment intéressante, c'est-à-dire aux
faits de l'heure actuelle. A peine consacre-t-il quelques pages aux
Manuels franchement hostiles à l'esprit religieux (p. i68 sqq.), aux
procès intentés aux prélats qui les ont signalés (p. 286 sq.), aux
projets destinés à écarter de l'enseignement les ecclésiastiques sécu-
liers (p. 192 sqq.), à fonder le monopole de l'État (p. 197-9); à peine
fait-il la comparaison avec les autres Etats où l'école confessionnelle est
favorisée (p. 33o). Son langage reste toujours modéré, grand mérite,
si l'on songe au ton habituel des théoriciens qu'il combat ; mais le
défaut de méthode affaiblit la portée du livre.
Charles Dejob.
Flamini (Francesco). Antologia délia critica e dell' erudizione. Naples, Per-
rella, 1913. In-S" de vii-1146 p. 4 fr.
M. F., le docte successeur à Pise de M. D'Ancona, fait, dans ses
travaux, la part des débutants et des gens du monde. On sait qu'il a
composé un très bon manuel de littérature italienne ; aujourd'hui il
nous donne un choix de morceaux critiques sur cette même littéra-
ture. Il explique dans sa préface en quoi son recueil diffère de celui
de M. L. Morandi. Il ne s'agit plus cette fois de nous donner les
pages les plus pénétrantes qu'aient inspirées les chefs-d'œuvre de
l'Italie, mais d'une sorte d'histoire suivie de la littérature nationale
qui embrasse la discussion des problèmes que se posent les érudits,
336 REVUK CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE I.ITTICRATTIRE
des rapports avec la production ctrangcrc, de la contribution de la
littcraiarc populaire ou dialectale.
On aperçoit le danger de ce plan : il laui pour l'execuier accueillir
des pages où il y a quelquefois plus de science que de style, qui sen-
tent rimprovisation sans donner toujours Tidée qu'avec plus de loisir
l'auteur ail mieux lait. Mais M. F. a lait tout le possible pour y
parer. D'abord il a très largement fait la part des grands hommes sur
lesquels il n'avait à recourir qu'à des plumes d'élite : il accorde à
Dante 6j pages. Puis, il a en somme surtout fait appel aux maîtres
de l'heure présente, renforcés de quelques étrangers de distinction
(Muntz, M. H. Cochin, 'VVesselofsky, Spingarn). Parmi les écrivains
qu'il fait juger devant nous, il y en a plus d'un qu'on s'étonnera bien-
tôt de rencontrer dans cette galerie d'honneur; mais il fallait tenir
compte de la vogue actuelle. Au total, cette histoire littéraire offre
l'originalité d'avoir été rédigée par des hommes dont chacun avait fait
une étude spéciale de son auteur. La tentative valait la peine d'être
essayée par un savant.
Charles Dejob.
— La plaquette intitulée Corpuscuhim inscriptionum latinarum (in-8" Sienne,
191 1) par M. J. Bellissima, professeur de lettres anciennes au lycée de Sienne,
n'intéresse ni les épigraphistes latins, ni même les historiens; c'est un recueil
d'inscriptions latines composées par l'auteur en ditTérentes circonstances, surtout
pour des amis morts. — C.
— M. Giovanni Biasiotti a publié l'an dernier à Rome deux très intéressantes
brochures historiques. La première est intimlée Le Diaconie cardinali^ie e la
diaconia « S. Viti in Macello » (In-8» de 47 pages); elle expose ce que furent
pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne les diaconies romaines, quel rôle
était afl'ecté aux dignitaires ecclésiastiques placés à leur tête, comment elles se
transformèrent et comment leur siège fut transféré pour la plupart dans des
monuments publics anciens. Dans une seconde partie, l'auteur présente les docu-
ments que l'on possède sur le monastère et l'église de S. Vito in Macello qui
furent attribués à l'un des cardinaux diacres de l'Eglise. — La seconde brochure,
qui a pour objet La Basilica Esquilina di S. Maria ed il pala:[:{0 apostolico apud
S. Mariam Majorem (In-S", de 33 pages) résume, mais d'une façon critique,
l'histoire de la basilique de Sainte-Marie-Majeure et du palais annexe. Les deux
publications, solidement documentées, montrent comment sur ce champ merveil-
leux qu'est la ville de Rome, l'antiquité se continue dans les temps modernes.
Elles seront lues avec fruit par tous ceux qui étudient les monuments de la Ville
éternelle. — L. H.-L.
V imprimeur- gér ant : Ulysse Rouchon.
Le l'uy-eu-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouclion et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 44 — 2 novembre. — 1912
Si'iEc.Ei.iiKRc, Textes dcmotiques sur tessons. — Navii.i.h, La poterie primitive en
Egypte. — BissiNG, Vases préhistoriques. — Mkii.let, Introduction à l'clude
comparative des langues ind(^-eiiropéennes, 3« éd. — Le Frahang, p. Junkkr. —
L.\BOURT et Ba rii-KOL, Les odes de Salomon. — Frankf.nherg, Les odes de Salo-
mon. — l^uuRKiiiL, La vente des biens nationaux dans les Côtes- du-Nord; Le
régime révolutionnaire dans le district de Dinan. — Dehérain, Dans l'Atlantique.
— Mancini, Bolivar. — Regnault de Beaucaron, Souvenirs de famille. — Sorb,
La défense nationale. — Poirier, L'officier en Allemagne. — Witte, La guerre
avec le Japon. — Boigev, Le massif des Béni Snassen. — Fougères, Athènes.
— Michel et Migeon, Les sculptures du Louvre. — Aubert, Senlis. — L. Tuetey,
Procès-verbaux de la Commission temporaire des arts, I. — Jantzen, La pein-
ture hollandaise au xvn« siècle. — Brillant. Le charme de Florence. — Dur-
RiEu, Michelino de Besozzo. — Morel-Fatio, Histoire de Charles-Quint par un
fourrier de sa cour. — Catalogue de la librairie Burgersdijk et Niermans. —
D"Ancona, Variétés historiques et littéraires. — Miraben, La fumée antitoxique.
— Logos, m, i. — KoFFKA, Analyses psychologiques. — H. aus der Fuente,
L'esthétique de Humboldt. — R. VVorms, La sexualité dans les naissances fran-
çaises. — L. Arrkat, Le génie individuel.
\V. Spiegelberg, Deinotische Texte auf Krugen (forme le 5^ fascicule des
Demotisclie Studien), 1912. Leipzig, J. C. Hinrichs'sche Buchhandlung, Texte
in-4", 81 p. et Atlas in-f" de 6 pi. — Prix : 36 marcs, 45 fr.
Comme le papyrus coûtait assez cher en Egypte, on utilisait dans
les écoles et même dans les maisons ou dans les bureaux d'adminis-
tration et dans les ateliers, des éclats de calcaires, des galets ou des
tessons dépôts afin d'y écrire des brouillons de lettres, des quittances,
des memoranda de dépenses ou des devoirs d'écoliers. Spiegelberg a
reconstitué, avec des fragments conservés à Berlin et à Strasbourg,
trois cruches en terre sur la panse desquelles de jeunes Egyptiens,
qui vivaient à la fin du premier ou au commencement du second
siècle après Jésus-Christ, avaient copié des récits en forme de lettres
familières ou officielles. Sa restitution comporte encore bien des
lacunes et la traduction suivie est presque impossible : pourtant le
sens ressort parfois assez clair des phrases qui subsistent.
La cruche A, qui est la plus complète, portait quatre lettres. Il
s'agissait, dans la première, du magicien Houî-horou, qui avait été
enfermé, nous ne savons pour quelle raison, dans la prison d'Élé-
phantine. Pendant le temps que les oiseaux migrateurs reviennent en
en Egypte, deux d'entre eux à qui il avait donné la vie, lui voulurent
Nouvelle série LXXIV 44
338 REVUE CRITIQUE
rendre visiic. et apprenant où il était, ils se rendirent auprès de lui
sans tarder. Ils lui conseillèrent d'écrire son histoire sur deux rouleaux
de papyrus qu'ils prendraient avec eux et qu'ils laisseraient tomber
dans la cour d'audience du Pharaon. Ils le (irent comme ils l'avaient
dit et l'histoire s'arrête sur ce point. Les deux lettres suivantes sont
de teneur assez obscure. La première semble traiter un sujet proposé
dans quelque école de rhéteur, l'homme emprisonné pour un crime
dont on l'accuse faussement et qui essaie de se disculper : celui-ci,
qu'on poursuivait pour le meurtre de son hls, expose que l'enfant
n'était pas de lui mais seulement de sa femme, et que celle-ci l'avait
tué afin de se débarrasser de lui. La quatrième lettre est soi-disant
adressée à Pharaon par un chéîkh qui arrive d'Arabie, cl qui requiert
le prince de vouloir bien entendre le conte de l'hirondelle. L'hiron-
delle, avant niché sur une plage, avait coutume de confier ses petits à
la mer, lorsqu'elle partait pour leur aller chercher pâture, tant
qu'enfin, un Jour, le flot en furie ne songea plus au dépôt qui lui
était confié et enleva la couvée. L'hirondelle pour se venger vida la
mer avec son bec et combla le lit avec le sable du rivage. Telles sont
les lettres de la cruche A : il n'y en a que deux sur la cruche B, dont
la première, qui n'est pas trop mutilée, renferme une version très
abrégée de l'histoire de Si-Osiri, le fils de Satni-Khàmoîs. On y lit
comment il naquit de la princesse Mahît-ouaskhît, comment celle-ci
l'envoya à l'école, et comment le maître donna le fouet à son élève.
La seconde lettre, dont le texte continuait sur la cruche C, contient
une plainte d'un Syrien contre les habitants d'une ville qui l'auraient
maltraité, mais tant de lacunes l'interrompent qu'on n'aperçoit pas
quelle est la nature du dommage. En résumé la plupart de ces petits
récits excitent notre curiosité plus qu'ils ne la satisfont. .l'imagine
pourtant qu'on peut supposer dans celui d'entre eux où il est ques-
tion de Houî-horou, le commencement d'un de ces romans à tiroirs
qui sont si fréquents dans la littérature arabe et hindoue : la lettre
de Houî-horou provoquait probablement une enquête, au cours
de laquelle les ennemis du sorcier racontaient une histoire pour justi-
fier la mesure d'emprisonnement prise contre lui, tandis qu'il répon-
dait à chacun d'eux par une histoire contraire destinée à prouver
qu'on devait lui rendre la liberté. D'autre part, le pasteur Jacoby a
signalé à Spiegelberg, dans le Pantchatantra, un coi>te analogue à
celui de l'hirondelle et de la mer. L'Egypte est-elle en cela tributaire
de l'Inde ou l'Inde de l'Egypte? Il est difficile de rien dire en l'état
actuel de la science. Je rappellerai seulement que j'ai signalé, il y a
trente ans, au Musée de Turin, un fragment d'une version de la
fable des Membres et de l'Estomac qui fut écrit sous les Ramessides,
à Thèhes, vers le xr ou le xii*^ siècle avant notre ère.
L'édition de Spiegelberg est excellente : il a défini fort bien la date
et la nature des textes, la traduction ainsi que la transcription sont
d'histoire et de littérature 339
ce qu'elles pouvaient être, considéré le mauvais état des manus-
crits, et le Glossaire est une contribution précieuse à l'étude du
démotique. Ici pourtant, il me semble qu'en essayant de rétablir
l'orthographe hiéroglyphique des mots Spicgclberg n'a pas toujours
réussi à retrouver les originaux de certains signes : c'est un sujet que
je reprendrai plus tard dans une de nos revues égyptologiques.
G. Maspero.
I\. Navili.k, La poterie primitive en Egypte (I\xtrnit de V Anthropologie, 1912,
I. XXIIl.p. ? i3-32o), 1912. Paris, Masson, in-S", 8 p.
Ce ne sont que huit pages, mais elles valent plus que beaucoup de
longs mémoires. Elles correspondent à une idée que je conçus dès le
moment que l'étude des premières dynasties et de leurs monuments
fut abordée par les Égyptologues : la facture, la couleur et les formes
de la poterie égyptienne ne sont pas liées exclusivement à chacune
des périodes de l'histoire de l'F.gypte, mais elles sont indépendantes
de celles-ci, et leur présence dans un tombeau ne nous oblige pas à le
rapporter à telle ou telle d'entre elles, [^es premiers vases mi-rouges
et noirs qui aient été découverts l'ont été par moi, à Gébéléîn et à
Khizàm, au nord de Thèbes, dans des sépultures de la XI^ et dans
une chapelle de la VI'' dynastie et je les avait classées comme étant
contemporaines de la fin de l'Empire Memphite et du commencement
du premier empire thébain. Lorsque M. de Morgan et après lui
Flinders Pétrie, les rencontrant dans les nécropoles archaïques, vou-
lurent faire d'elles la propriété des temps antérieurs à Menés ou de
l'âge thinite, leur découverte me porta non pas à renier l'opinion que
ma propre trouvaille m'avait inspirée, mais à l'étendre et à déclarer
que ce genre de poterie s'était perpétué à travers les siècles, jusque
sous la X'VIIl<= dynastie, au moins dans certaines parties de la vallée,
et les fouilles de ces dernières années ont montré que je n'avais pas
tort. L'erreur persiste pourtant, et elle est d'autant plus regrettable,
qu'elle a fourni des éléments à une chronologie de monuments archaï-
ques où il n'y a pas d'inscriptions permettant d'assigner une date à
peu près certaine. Comme elle se complique d'autres erreurs, dues
à cette hâte de généralisation intuitive qui a gâté les travaux les meil-
leurs qui aient été exécutés dans ce coin de notre domaine, on imagi-
nera aisément avec quelle réserve il convient d'admettre ce qui a été
dit et écrit sur l'histoire la plus ancienne de l'Egypte.
Le présent mémoire est intéressant en ce qu'il nous fournit un
exemple certain de la persistance des types de la poterie à travers les
âges. C'est au village de Bené-Mansour, l'antique Abydos, que
Naville constata pour la première fois l'existence, à côté d'une qualité
de pots fabriqués au tour par les hommes, d'espèces très inférieures
modelées à la main par les femmes. J'avais naguère remarqué la dis-
tinction aux villages de Nafs-Achmounéîn et de Méchéikh dans la
340 REVUE CRITIQUE
Moyenne Egypte : je dirai aujourd'hui que l'usage est général, au
moins dans la Vallée proprement dite, car il n'a pas été encore observé
dans le Delta. Naville donne une raison très vraisemblable de rem-
ploi du tour par les hommes seuls : le potier, assis, le place entre ses
jambes écartées, et la nécessité de cet écartement suffit pour interdire
aux femmes le maniement décent de l'instrument. La fabrication à la
main leur permet de préparer des ustensiles variés, qu'elles saupou-
drent de paille hachée ou d'une poussière schisteuse avant de les
mettre au four : ils servent de préférence à la cuisson des aliments,
et les gens du pays prétendent que la soupe aux lentilles y prend meil-
leur goi^t que dans les marmites tournassées. Quelques mois de ser-
vice leur impriment un cachet d'antiquité, et lorsqu'elles ont été
ébréchées puis jetées au rebut, il serait souvent difficile de les distin-
guer de leurs similaires des âges archaïques, n'était leur poids qui est
plus grand. Naville conclut de ces observations, et je l'approuve com-
plètement, qu'au lieu de préjuger que la présence de poteries à la
main dans un tombeau marque un degré inférieur de civilisation ou
une recherche d'archaïsme, on doit simplement se dire qu'on a sous
les yeux l'œuvre des femmes d'autrefois : ces poteries grossières peu-
vent s'y trouver à côté de vases plus élégants, des vases rouges et
noirs fabriqués au tour, et le mélange des deux espèces s'explique,
pour ces temps reculés comme pour l'âge présent, par des différences
d'emploi, les unes étant destinées à la cuisine, les autres étant réser-
vées à la table dans bien des cas. Le fait seul de rencontrer quelque
part des vases à la main ne nous donne aucune indication chronolo-
gique, et il en est de même de la diversité des galbes et des formes.
Un coup d'œil au marché des villages modernes suffit à démontrer
quelle abondance de galbes et de formes ces fabrications féminines
affectent dans un même canton, et la diversité augmente quand on
passe d'une province à l'autre. Les touristes ne peuvent s'empêcher
de noter que la céramique d'Assiout et celles de Kénéh ou d'Assouân
ont des caractères très distincts : quand on parcourt les campagnes,
on voit les distinctions se multiplier presque de ville à ville. Il en
était de même sous les Pharaons ou avant eux. Je ne sais si l'on réus-
sira jamais à établir des règles précises pour rattacher à telle ou telle
dynastie, dans telle ou telle localité, certaines de ces formes locales,
et pour en suivre le développement : je m'assure que celles qu'on a
voulu établir jusqu'à présent ne tiennent pas, et qu'elles risqueraient
de tromper souvent les savants qui se fieraient à elles seules pour
déterminer l'âge d'une nécropole. n \/i
^ ^ Cj. Maspero.
R. W. DE BissiNG, Praehistorische Tœpfe aus Indien und aus ^gypten (Ex-
trait des Sitpmgsbericlite de l'Académie des Sciences de Munich, 191 1, 6' fasc),
191 1. Munich, in-S". 22 p. et 3 pi.
M. de Bissing voulut, lorsqu'il écrivit ce mémoire, mettre en garde
d'histoire et de littérature 341
les archéologues qui, placés devant certains produits des céramiques
antiques de l'Inde et de l'Egypte, seraient tentes de conclure, de la
grande ressemblance qu'elles présentent, à l'inHuence de l'un des
deux pays sur l'autre. Après avoir marqué les traits par lesquels on
peut les rapprocher, il détermine très habilement ceux par lesquels
on doit les séparer, et il conclut qu'il y eut là bien certainement,
éclosion indépendante de formes similaires, dans des régions qui
n'avaient aucun rapport l'une avec l'autre au temps où ces genres de
poterie y étaient employés. Je me rappelle avoir été fort frappé jadis
des analogies qu'un premier examen me portait à établir, entre des
vases découverts dans des tombeaux péruviens et d'autres qui prove-
naient de l'Egypte : une étude plus minutieuse ne tarda pas à me
démontrer qu'il n'y avait là que des apparences, et ce ne fut pas un
médiocre désappointement pour l'amateur qui avait attiré mon atten-
tion sur ce point. S'il y a aujourd'hui encore quelques personnes qui
entretiennent l'illusion de rapports très anciens entre les civilisations
premières de l'Inde et de l'Egypte, le petit écrit de M. de Bissing pro-
duira sur elles une impression aussi désagréable, mais je ne vois
guère commentelles pourront en repousser les conclusions. La démons-
tration est en effet fort claire, et les planches placent très heureuse-
ment sous les yeux du lecteur les pièces principales de la controverse.
Chemin faisant, l'auteur touche, dans son texte et surtout dans ses
notes, à des questions sur lesquelles il émet son avis succinctement,
et qu'on aimerait le voir traiter avec le développement qu'elles méri-
tent, sur la provenance de l'étain et des encens en Egypte, sur la
patrie du froment et qui le cultiva le premier. Je recommande la lec-
ture de cette brochure à tous ceux qui, n'étant pas Égyptologues, sont
curieux de connaître les renseignements que l'Egypte nous fournit
sur ces matières.
G. Maspero.
A. Meillet, Introduction à l'étude comparative des langues indo-euro-
péennes, 3" éd. augm. et corr., Paris, Hachette, 1912, xxvi -1- 5o2 p. (prix :
10 fr.).
La Revue Critique a rendu compte soigneusement de V Introduc-
tion de M. A. Meillet lors de sa première apparition et lors de sa
seconde édition. L'objet de l'ouvrage n'a pas changé et ses traits
essentiels sont restés pareils : nous ne pouvons donc y revenir ici.
Mais il est de notre devoir strict de relever que le livre de M . M. est
proprement devenu classique puisqu'il atteint une troisième édition
française, alors qu'il est traduit depuis déjà quelque temps en alle-
mand et depuis peu en russe.
Cette troisième édition de Vlntroduction présente d'ailleurs des
additions et des changements. Elle compte une quarantaine de pages
de plus que la précédente; bien des détails sont modifiés, remis à
p
342 REVUE CRITIQL'E i
jour. Bref, le livre est au courani ci il a mcme cté tenu compte de la
nouvelle lan^^ue indo-europcenne, le « lokharien », dont les décou-
veries d'Asie Centrale ont révclc l'cxisiencc.
On remarquera surtout que l'exposé de la méthode et aussi le
point de vue de Tauteur en général ont été sensiblement renouvelés.
S'il est vrai que V Introduction a toujours présenté côte à côte, joints
et comme se pénétrant, les faits précis et les idées générales, il n'en
reste pas moins que dans cette troisième édition la grammaire et le
développement de l'indo-européen apparaissent plus que jamais
comme un cas spécial d'une linguistique générale dont on n'attend
guère que l'exposé systématique et rationnel. Va parce que l'on per-
çoit nettement que cette linguistique générale repose sur des faits très
nombreux et très variés, on sent combien le livre est profond et
nourri jusqu'à travers les moindres phrases.
Voici quelques additions à l'errata : p. 74, 1. 8 du bas lire vlr^ou»;
pour véou; ; p. jy, I, i il faut lire représentait 0 et Je la gutturale;
p. 96, tableau, 1. i, lire ïr, iir au lieu de ïn, un; p. 98, la note 2° se
rapporte aussi au cas de è {«) ; p. 99, i. 16, lire (E-jy-aTÔv ; p. 327, 1. 4,
lire àirr^ypa pour aTC/i'jpoc; p. 385, 1. 8 du bas Vneforha « épicéa ».
R, Gauihiot.
The Frahang i Pahlavik edited by Heinrich Junker, Heidelberg 1912, Cari
Wintcr's Univcrsitatsbuchhandlung, xu + 128 p., prix 5 M. 20.
L'édition courante, ou mieux la seule édition d'allure scientifique
que l'on eût Jusqu'ici du Frahang i pahlavik était celle de Haug et
Jamaspji Asa (1870). Elle était fort imparfaite d'ailleurs et M. Junker
a pu écrire justement en tête de sa nouvelle édition qu'après la publi-
cation du mémoire de M. G. Salemann (en 1878) Ueber eine Parseu'
handschrift der K. œffentlichen Bibliothek ■{u St-Petersbourg « con-
fidence in Haug's édition was thoroughly shaken ». Mais l'édition
d'un texte pehlvi se heurte à tant de difficultés diverses, en partie
imprévues, que Ton n'osait trop espérer une réédition du Frahang et
qu'il faut louer grandement M. J. de l'avoir entreprise.
Il a eu pour cela à sa disposition tout un lot de manuscrits venant
de l'Inde, que les Parsis ont eu l'intelligence et la générosité de lui
communiquer. Mais, ainsi qu'il convient en matière de moyen per-
san deux manuscrits connus par ailleurs lui sont restés inacces-
sibles. Ce qui est plus surprenant et ce que M. J. n'explique pas
(p. vi), c'est qu'il n'a pas eu connaissance directe des deux manuscrits
du fonds Anquetil et que l'excellent K'^ de Copenhague n'a pu être
consulté par lui qu'au moment où son travail était déjà sous presse.
Ce second texte au moins valait bien un voyage.
L'édition de M. J. remplacera, sauf bien entendu pour ce qui est
des essais de Haug, l'édition de 1870. Elle est faite selon les habi-
tudes correctes des philologues occidentaux : description des manus-
d'histoire et de littérature 343
crits, classement, comparaison, rcsiituiion de la forme la plus
ancienne se suivent correctement. Après le texte et les variantes,
M. J. a ajouté, ainsi e]u'il convient, un lexique de tous les mots du
Fraliang, avec commentaire à l'occasion, et un index des mêmes
vocables en transcription latine.
N'ayant entre les mains qu'une très faible partie de ses instruments
de travail, Ion ne peut se prononcer, en général, que sur la manière
de procéder de l'auteur et ses résultats d'ensemble : tous deux parais-
sent justes. M. J. a eu raison de distinguer avec soin les additions en
parsi et en pàzcnd du texte pelilvi, de prendre ce dernier pour base,
de revenir au groupement des mots d'après leur sens.
l^cut-ètre la linguistique de l'auteur n'cst-elle pas toujours très
sûre. Il semble qu'il fasse trop bon marché de l'opinion de Darmes-
teter sur le pehlvi et qu'il fasse quelque violence à la phrase, pour-
tant très nette de M. Salemann sur le même sujet (p. 14 et i5). Sur-
tout qu'il aboutit à introduire les termes de étéogramme (mot iranien)
et de hétérogj'amine (idéogramme ou cryptogramme), qui ne peuvent
pourtant se rapporter qu'à des graphies, et non à des articulations.
Voici un autre exemple : M. J. parle de nax^âr « chef militaire »
qu'il rapproche de l'emprunt iranien en arménien naxarar. Celui-
ci a été expliqué par M. Meillet comme une forme refaite sur
pers. "sdraoâra, sàlàr, par M. Andréas par le nom propre attesté chez
Ammien Nohodares ; mais il est en fait le correspondant correct d'un
*nax''a^àr arsacide, ou persan du Nord, dont la forme persane pro-
prement dite s'est retrouvée dans les textes deTourfan nwxwjT et est
citée par M. J. lui-même (cf. Bartholomae, I. ¥., Beiheft, p. 43,
n. I ; iMeillet, M. S. L., t. 17, p. 245).
Mais c'est un travail philologique au premier chef que M. J. a
entrepris; et il l'a mené à bonne (in, malgré son aridité.
R. Gauthiot.
Les Odes de Salomon, Traduction française et introduction historique, par
J. Labourt et P. BATiiFof., Paris, Lecoffre, 191 1 ; in-S", vui-i23 pages.
Das Verstândais der Oden Salomos, von W. Frankknberg, Giessen, Tupelmann,
1911 ; in-8°, io3 pages,
Le travail de MM. Batiffol et Labourt sur les Odes de Salomon est
digne de tout éloge. On peut négliger la petite préface, toute pleine
d'onction, où le P. Lagrange conclut de l'unité des Odes de Salomon
à celle de l'Apocalypse. La traduction des Odes est de M. Labourt;
elle est très soignée ; on a voulu la faire littérale ; pendant qu'on y
était, on aurait dû marquer le parallélisme, qui est constamment
observé dans ces pièces lyriques. L'introduction historique est de
M. Batiffol ; elle est très solide et documentée. M. B. a eu une hypo-
thèse originale au sujet de l'auteur : l'attribution viendrait de ce que
celui-ci aurait voulu se faire passer pour Salomon et serait entré
^4
REVUE CRITIQUE
dans le personnage du plus sage dos rois, arin de prophétiser à l'ins-
tar de David et de parler mC-me au nom du Christ, comme on crovait
que David l'avait fait dans certains Psaumes. La conjecture est ingé-
nieuse et séduisante. Mais il semble que, si elle était vraie, le faux
Sa^omon aurait dû se désigner plus clairement à l'aiteniioii du lecteur.
Aucun trait spécial ne suggère l'identification que propose M. B.
Un prophète chrétien n'avait pas besoin de remonter jusqu'à David
et Salomon pour parler au nom du Christ. Saint Paul ne dit-il pas
que le Christ vit en lui, et le voyant de l'Apocalypse n'écrit-il pas
pour le Christ aux sept Eglises ? L'auteur du quatrième Évangile parle
constamment au nom de Jésus. L'adjonction des Odes aux Psaumes
dits de Salomon a bien pu ne se faire que dans la tradition. M. B. tient
à bon droit pour l'unité d'auteur et il combat l'hypothèse de M. Har-
nack sur l'origine juive des Odes, avec interpolations chrétiennes.
La christologie des Odes se ramènerait à « une théophanie docète »,
et leur sotériologie à « l'illumination par la connaissance >> ; leur chris-
tianisme n'aurait « rien de gnostique » ; ce serait « un mysticisme
d'essence grecque, provenant du milieu où le quatrième Évangile
s'est produit »; et ce mysticisme en marge de la grande Église serait
celui que combat Ignace d'Antioche »; on pourrait « le localiser en
Syrie, en Asie peut-être encore, et le dater de la période 100-120 ».
Mais tout cela est fort conjectural ; et comme M. B. en convient, il est
inutile d'insister.
Les Odes ayant été, selon toute vraisemblance, composées en grec,
M. Frankenberg a pris à tâche d'en reconstituer le texte primitif.
Dans sa préface, il observe assez justement que l'on a beaucoup
exagéré l'importance d'un document qui ne jette pas grande lumière
sur les origines chrétiennes, sur la tradition concernant Jésus, sur la
composition du quatrième Évangile. Mais il pourrait bien tomber
dans un autre excès quand il n'y découvre aucune originalité, aucune
beauté. Et il s'avance beaucoup en affirmant que les Odes sont une
œuvre purement littéraire, sans aucun rapport avec le service religieux
d'un communauté particulière, et s'adressant à l'Eglise dans le sens
mystique. M. F. ne semble pas avoir considéré sa traduction grecque
comme un essai plus ou moins hypothétique, simplement utile pour
l'intelligences des Odes; le texte qu'il a voulu rétablir sert de base à
l'interprétation particulière qu'il entend donner de cette œuvre pour
nous pleine d'obscurités. Par des rapprochements tires des anciens
auteurs chrétiens, il croit pouvoir soutenir que le symbolisme des
Odes est tout psychologique, si l'on peut dire, et concerne l'action du
Logos dans les âmes. Point de vue systématique et trop exclusif.
A lire l'Ode xlii, où est décrite la descente du Christ aux enfers,
on ne se douterait pas que les morts délivrés par le Fils de Dieu soient
les facultés de l'âme ; et même après lecture du commentaire de M. F.,
il est permis de n'en être pas convaincu. De même pour le fameux
d'histoirk et de littérature 343
passage de TOde iv, sur le temple, qui a induit M. Harnack à penser
que Fauteur était juif. On a pu faire toutes sortes d'hypothèses sur ce
temple, les uns y voyant le paradis, les autres TEglise, d'autres la
société des saints du ciel et de la terre; mais que ce lieu saint « qu'on
ne peut changer de place », qui a été « désigné avant que les lieux
fussent créés )>, soit l'àmedu fidèle, on ne lavait pas soupçonné.
M. F. le dit. On conçoit qu'il ait pu découvrir le même symbolisme
partout ; mais on croira difficilement qu'il ait retrouvé la véritable
clef des Odes de Salomon.
Alfred Loisy.
Ueber den privaten Gebrauch der heiligen Schriften in der alten Kirche,
von A. Haunack, Leipzig, Hinrichs, i<ji2 ; in-8', vii-i 1 1 pages.
M. Harnack trouve un triple intérêt à la question de l'usage privé
des Livres saints dans l'ancienne Église : d'abord, c'est matière à dis-
cussion, depuis la Réforme, entre catholiques et protestants; ce fut,
dans la polémique entre Goeze et Lessing, un débat qui n'a pas été
clos; enfin, étant donné le secret gardé sur les livres sacrés dans les
cultes de mystères, il n'est pas indifférent de savoir si l'Eglise des pre-
miers siècles les a imités. Il y aurait une quatrième raison qui voudrait
mieux que ces trois : l'importance réelle du sujet. C'est cette raison
qui fait la valeur scientifique de l'étude que M. H. vient de consacrer
au problème dont il s'agit. L'éminent historien a montré, par un
ensemble de témoignages bien commentés, que la lecture des Livres
saints tant de l'Ancien que du Nouveau Testament n'était soumise à
aucune restriction dans les premiers siècles du christianisme ; par la
même occasion, il fait voir comment celte lecture était pratiquée.
Après cela, il n'était pas autrement nécessaire d'insister sur ce que
l'Église romaine a innové quand elle a restreint l'usage des Écritures.
L'Éslise romaine en a fait bien d'autres. Le changement dans sa
manière de traiter la Bible est en rapport avec l'ensemble de son évo-
lution et n'a peut-être pas en soi l'importance énorme que les protes-
tants sont naturellement tentés de lui attribuer. M. H. s'est offert aussi
un facile triomphe en démontrant par la publicité des Livres saints
que le christianisme ne pouvait pas être un culte de mystère. Il n'est
pas question de considérer le christianisme comme un culte absolu-
ment semblable à celui de la Grande Mère, d'Isis ou de Mithra, mais
de savoir si le christianisme ne doit pas quelque chose et beaucoup
aux cultes de mystères. Les écrits du Nouveau Testament sont ici
hors de cause : ils n'ont pas été rédigés pour contenir un exposé
authentique de la doctrine chrétienne et des rites chrétiens.
Alfred Loisy.
346 REVUE CRITIQUE
Léon DuBRKiii., docteur es lettres, La vente des biens nationaux dans le
département des Côtes du-Nord, 1790-1830. l'aris. 11. Ch;iinpiuii, nji-i,
wm et 70.^ p. gr. in-S". 1 fi IV. — Le régime révolutionnaire dans le dis-
trict de Dinan, 25 nivôse an 11-30 floréal an III. l'aris, M. Champion,
iQia.cxxiii et i83 p. in-80 raisin, 7 l'r. 5o.
La thèse principale de M. Dubreuil csi la meilleure étude que je
connaisse, la plus cumplèie et la plus critique sur ce sujet difficile de
la vente des biens nationaux. Sans doute, M. Dubreuil a beaucoup
protité de Texcellent livre de M. Mariun paru il y a trois ans, mais il
y a aussi beaucoup ajouté. Avec une précision minutieuse il a mis
en relief la corrélation étroite et continuelle entre le mouvement poli-
tique et les ventes. On savait déjà que la grande majorité des acqué-
reurs étaient des bourgeois, hommes de loi, ou négociants, mais ce
qu'on ignorait, c'est que ces acquéreurs tenaient de si près au nouveau
régime. Dans les Côtes-du-Nord, les membres des diverses adminis-
trations ont accaparé pour eux seuls la plus grande part des biens du
clergé et des biens des émigrés. Ceci ressort nettement des constata-
tions de M. Dubreuil. Gela apparaîtrait mieux encore s'il avait pris
soin de grouper dans un tableau d'ensemble les acquisitions des
fonctionnaires révolutionnaires en regard des autres. A un seul
moment, les biens nationaux échappèrent à la classe des bourgeois
tricolores, pendant les deux premières années du Directoire, quand
les royalistes déguisés s'emparèrent des élections. Alors, les nou-
veaux administrateurs favorisèrent les achats des parents d'émigrés
qui rachetèrent la moitié des biens mis en vente. On comprend que
les révolutionnaires exclus des enchères aient poussé au coup d'Etat
du 18 fructidor qui leur rendit la haute main sur la riche proie
convoitée.
On savait déjà que dépuis le 9 thermidor les biens nationaux
s'étaient vendus à vil prix, pour une bouchée de pain. Les tableaux
de M. Dubreuil accumulent les faits précis à l'appui de cette conclu-
sion. Des domaines furent vendus en Tan IV pour des sommes infé-
rieures à leur revenu annuel (p. 279).
On soupçonnait que les spéculateurs avaient fait des affaires d'or.
Ce soupçon devient ici une certitude. Dès la chute de Robespierre
les agioteurs accaparent les ventes, après le 18 fructidor ils réus-
sissent à écarter complètement des enchères les simples particuliers.
« Le métier de procurateur commence à s'établir d'une matière
sérieuse ; il est de plus en plus rémunérateur et nous verrons bientôt
le secrétaire général de l'administration lui même, Claude Le Gorrec,
se faire le représentant rétribué de la compagnie Chevalier et inter-
venir en cette qualité dans le plus grand nombre des ventes, tout au
moins à titre d'enchérisseur. Déjà se constitue entre les fondés de
pouvoir cette espèce d'association occulte qui s'efforcera d'imposer
son entremise à tous les enchérisseurs et que nous verrons en l'an VII
se venger de ceux qui dédaignaient ses offices en faisant monter les
d'histoire et de littérature 347
enchères à un prix exorbitant » (p. 337). C'est l'âge d'or des bandes
noires.
A lire ce livre un peu ardu mais suggestif, on comprend mieux
pourquoi la Révolution a échoue. Elle est devenue de plus en plus la
chose d'une caste, d'une bande. Le peuple s'est peu à peu retiré d'elle.
Les paysans n'ont pas acheté le cinquième de la propriété ecclésias-
tique mise en vente, ils n'ont pour ainsi dire rien acquis de la pro-
priété nobiliaire. « Il est à craindre, dit M. D., que les cultivateurs,
surtout ceux de l'est (du département), n'aient connu de la Révolution,
si l'on en excepte l'abolition du régime féodal, que les réquisitions
d'hommes, d'animaux ou de choses, et la crise financière due au dis-
crédit du papier-monnaie parce qu'ils devaient les subir » (p. 638).
Sous la plume d'un historien de gauche ces lignes prennent une
gravité singulière '.
En guise de thèse complémentaire, M. Dubreuil a publié un
registre de correspondance du district de Dinan pendant l'époque de
la Terreur 12 5 nivôse an II, 3o floréal an III), Le registre contenait
surtout des comptes décadaires. J'ai signalé il y a dix ans déjà l'intérêt
historique de ces précieux comptes décadaires" et Je ne suis pas surpris
devoir que M. D. confirme ici mes prévisions. Il reconnaît que ce
qui fait l'intérêt de sa publication, ce sont précisément ces « comptes-
rendus analytiques de la décade » (p, xviii). Rédigés avec beaucoup
de soin et de précision pendant la Terreur, ils étaient dépouillés avec
soin par les agents du Comité de Salut public qui les annotaient. Ils
constituent une mine de renseignements de toute sorte.
De l'importante introduction de M. D . , je ne veux retenir que cette
constatation, c'est que l'administration du district fut infiniment plus
ferme, plus probe, plus habile sous la Terreur proprement dite
qu'après le 9 thermidor. Les thermidoriens, ici comme partout, ne
surent que gaspiller et désorganiser \
Albert Mathiez.
Henri Dehérain, Dans l'Atlantique, Paris, Hachette, 1912, in-i6, viii et 243 p.,
5 cartes, 3 fr, 5o.
M. Dehérain continue avec succès ses explorations dans l'histoire
de l'Afrique, et on le suivra dans son nouvel ouvrage avec d'autant
plus de plaisir qu'on y retrouvera les qualités appréciées dans les pré-
1 . Faute de s'être reporté au compte-rendu que j'ai donné du livre de M, Marion
dans la Revue critique, M. D. croit encore que Marie-Antoinette spécula sur les
biens nationaux (p. 6i3). M. D. ignore les études de M. Vermale sur la vente des
biens nationaux parues dans les Annales Révolutionnaires. Sa bibliographie prête
à la critique. Fondé de pouvoir se disait en ce temps-là procurateur et non, comme
M. D. Yécv'w, procureur .
2. Dans deux articles de la Revue d'histoire moderne, t. IV et t, V.
3. Je ne comprends pas que M. D. se serve du terme de démocrates pour qua-
lifier les thermidoriens. Pourquoi ne pas conserver les termes de l'époque?
348 REVDE CRITIQIE
ccdcnts : la sûreté de l'information, riicureuse utilisation des docu-
ments, enlin la clarté et l'élégance de la narration. M. D. étudie
Sainte- Hélène avant le j(jur où cette île acquit la célébrité comme
prison de Napoléon. Sa position sur la route des Indes, les ressources
qu'elle offrait aux navires, attirèrent sur elle l'attention des deux
grands peuples navigateurs du xvii= siècle; mais les Anglais y devan-
cèrent les Hollandais, et surent conserver malgré eux cette position.
Parmi les gouverneurs qui s'y succédèrent, M. D. a relevé le nom
d'un huguenot français, Etienne Poirier, et a esquissé la carrière de
ce réfugié qui eut le cruel devoir de défendre l'île contre ses anciens
compatriotes. Pour développer les cultures à Sainte-Hélène, les
Anglais y importèrent des noirs, et l'auteur nous donne des détails
curieux sur l'existence de ces esclaves. Situé plus au sud que Sainte-
Hélène, mais encore sur la route des navires, le petit archipel de
Tristan da Cunha fut occupé par les Anglais pendant la captivité de
Napoléon. L'empereur mort, la garnison rappelée, quelques soldats
colonisèrent l'île principale où subsistent encore leurs descendants.
M. D. a raconté le premier l'histoire de la petite population qui vit
dans ces îles, isolée du reste du monde, sans lois et sans gouverne-
ment. Le volume se termine par une biographie développée du natu-
raliste Auguste Broussonet, membre de l'Institut et député à la Légis-
lative. Chassé de France par la Terreur, Broussonet se réfugia au
Maroc « comme pays allié de la France et ne renfermant aucun Fran-
çais ennemi de la patrie. » Radié de la liste des émigrés, mais ruiné
par la Révolution, il obtint, le i5 mai 1797, la place de vice-consul à
Mogador, et y cumula ses fonctions diplomatiques avec une mission
scientifique de l'Institut. Moins d'un an après, la peste l'obligea à quit-
ter Mogador et à se retirer aux Canaries où il continua ses recherches
botaniques. Les aventures de ce savant égaré dans la politique ne
manquent pas de saveur.
A. Biovî;s.
Jules Mancini : Bolivar et l'émancipation des colonies espagnoles, des ori-
gines à 1815, Paris, Perrin, 1912, in-8», 606 p., carte, 7 tV. 5o.
La vie de Bolivar, dit M. Mancini, sert de cadre à la révolution
américaine dont il est le principal protagoniste; et il s'autorise de
cette conception pour mettre son livre sous le patronage du Libéra-
teur bien que celui-ci ait joué un rôle effacé et secondaire jusqu'à la
fin de 18 12 (p. 442). M. M. recherche d'abord les causes de la révolte,
et remonte jusqu'à la conquête pour retrouver chez les autochtones
les germes de l'esprit d'indépendance. L'administration déplorable et
tyrannique des Espagnols, les excès de l'Inquisition, l'incapacité des
gouverneurs aliénèrent la population, surtout les créoles, fiers de
leurs richesses, et ulcérés du mépris que leur témoignaient leurs
frères européens. Les réformes tentées par les ministres de Charles III
d'histoire et de littérature 349
ne satisfirent pas les colons et leur révélèrent des horizons inconnus.
L'expulsion des Jésuites, qui avaient travaillé avec succès au bien
erre et à riiistruction des habitants, fut une des plus lourdes fautes
commises (p. 66). De fréquentes révoltes, en particulier celles des
Comiineros et de Tupac-Amaru, trahissaient l'impatience avec laquelle
les Américains supportaient le joug. M. M. insiste avec raison sur
l'influence que les philosophes exercèrent sur les classes éclairées, et
il cite le cas de Bolivar lui-même, élevé selon les préceptes de VEmile
par un personnage qui n'était que « la caricature de Jean-Jacques »
(p. 1 19 . 11 y avait donc à la fin du xviu^ siècle une élite acquise aux
idées libérales, et d'autant plus pressée de les appliquer que l'exemple
des Etats-Unis sollicitait son émulation, stimulait ses espoirs. La
Révolution française excita son enthousiasme, et la traduction de la
déclaration des droits de l'homme par Narina, eut chez elle un grand
retentissement; mais la masse du peuple restait insensible, et refusait
de suivre les patriotes, les Procerès, dans la voie qu'ils lui mon-
traient. Enfin, survinrent les événements de Bayonne, l'usurpation
de Napoléon. Les créoles '•riches et instruits, affiliés aux sociétés
secrètes, s'emparèrent de la direction du mouvement et profitant de
la crise terrible où se débattait l'Espagne, ils proclamèrent l'indépen-
dance. Ainsi fut créée la première république du Venezuela. Le
général Miranda, le Précurseur, en fut le principal personnage, mais
se heurta aux jalousies et aux discordes des Procerès. M. M. convient
que la proclamation de l'indépendance avait été prématurée, que le
peuple était parfaitement incapable de mettre en pratique la Consti-
tution « où les rêveries du Contrat social et les leçons de l'Esprit des
lois se mêlaient aux doctrines de l'Amérique du nord ». Quant au
zèle des Vénézuéliens pour défendre leur liberté, qu'on en juge par la
façon dont il fallut recruter les légions républicaines (p. 379) : « la
majeure partie, arrachés de force à leurs occupations agricoles,
avaient été conduits à Caracas, les menottes aux mains ». Malgré la
faiblesse de leurs ressources, les généraux espagnols renversèrent
aisément la république de Venezuela, et Miranda, livré par ses lieute-
nants, alla terminer sa carrière dans les prisons de Cadix. Bolivar
n'avait pas joué un rôle bien honorable dans cette aventure, et c'est
en vain que M. M. veut l'excuser. Le triomphe des Espagnols, absor-
bés par leur lutte contre les Français, fut de courte durée. Sur de
nombreux points du continent, des groupes de patriotes se mainte-
naient. Bolivar, réfugié à Carthagène, entra au service de la Nouvelle
Grenade, et se lança avec une poignée de braves à la délivrance de sa
patrie. Son audace, sa ténacité, sa fortune lui permirent de rentrer à
Caracas et d'y rétablir la republique. Il est désormais le chef du parti
de l'Indépendance, le Libérateur. Mais les Espagnols, soutenus par
une grande partie de la population, ne renoncent pas encore à l'em-
pire, et la guerre prend le caractère de violence et de cruauté fré-
35o REVUE CRITIQUE
qucnt dans les luttes intestines. Des deux côtés on achève les blessés,
on extermine les prisonniers, on brûle les villes, on massacre les
habitants. Bolivar trouve moyen de se faire remarquer au milieu de
toutes ces horreurs : de sang froid, il donne Tordre de tuer un millier
de captifs détenus depuis plus d'une année dans les prisons républi-
caines, et parmi lesquels on trouve surtout des marchands ou bour-
geois suspects de fidélité à leur ancien souverain, des vieillards décré-
pits, hors d'état de tenir une arme, même de marcher et que l'on
portera au supplice sur des fauteuils (p. 541). Malgré M. M., l'his-
toire n'absoudra pas facilement Bolivar de ce crime, qui, d'ailleurs,
fut inutile : les Espagnols renversèrent de rechef la république, et le
Libérateur, menacé du sort que lui-même avait infligé à Miranda, dut
fuir sa patrie.
M. Mancini racontera sans doute plus tard comment Bolivar
secoua définitivement les chaînes de l'Amérique; dans son présent
volume, un peu compacte et désordonné, écrit trop souvent avec
emphase, il ne réussit pas à établir le Libérateur sur le piédestal qu'il
lui destinait. Son parti pris est trop manifeste, et son admiration
pour l'Amérique et les Américains, démesurée. Ne parle-t-il pas de
ces « vingt républiques qui grandissent sous les regards enfin séduits
de rUnivers », sans réfléchir que ces louanges aux pays administrés
par le président Castro et ses émules paraîtront exagérées!
A. BiovÈs.
Regnault de Beaucaron, Souvenirs de famille. Paris, Pion, 191 2, in-8°, 480 et
425 p.
La famille de M. Regnault de Beaucaron a Joué un rôle honorable,
mais modeste; elle ne compte aucun personnage ayant marqué dans
son temps, aucun auteur de mémoires ou de souvenirs; on ne sait
même si elle a conservé des livres de raison ; et cependant M. de B.,
qui avait déjà tiré de ses archives un volume de souvenirs anecdo-
tiques, en publie deux nouveaux avec pour sous-titre : Voyages et
Agriculture. Pour les remplir, il a utilisé toutes les correspondances
familiales, empruntant même à ses alliés et à ses amis; il n'a pas
craint d'allonger encore son texte par des commentaires, qui n'ont
pas toujours le mérite de l'inédit, comme, par exemple, les explica-
tions fournies (I, 167-168) sur la différence existant entre le Desaix,
tué à Marengo, et le Dessaix, surnommé le Bayard de la Savoie. Ses
petits-enfants, à qui il destine ses ouvrages, s'y complairont sans
doute, mais les lecteurs ordinaires ne seront que trop souvent déçus
dans leur curiosité légitime. Après une agréable causerie sur le passé
de M. de Maricourt, qui sert de préface, nous citerons des lettres
écrites de l'île de Bourbon auxxvn® et xviii^ siècles, lettres contenant
quelques notions sur l'existence des colons et sur leurs cultures. Une
d'histoire et de littérature 35 I
autre correspondance nous conduit à Saint-Domingue, et nous fait
assister, d'un peu loin maliieureusement, à la terrible révolte des
noirs, aux excès de Toussaint Louvcnurc et de ses lieutenants, enfin
à la dernière résistance des Français dans la partie espagnole de l'île.
On remarquera encore un récit de Musset Pathay qui se trouvait sur
les derrières de l'armée pendant la campagne de Marengo, et qui se
pique de ne même pas nommer le général Bonaparte ; les aventures
d'un gendarme d'ordonnance, engagé à la fin de 1806, amputé et
retraité après Eckmiihl. Avec la Restauration, les archives plus four-
nies permettent à l'auteur de reconstituer la vie qu'on menait alors à
Sens et à Tonnerre. On suit ensuite ses ancêtres, devenus très voya-
geurs, en Suède, Finlande, Russie, Angleterre, Irlande, Italie, jus-
qu'au Mexique et au Canada, mais surtout dans tous les coins de la
France. Il y a dans cette partie des détails piquants et instructifs sur
la façon dont on voyageait alors, mais M. de Beaucaron conserve
tout, sans discernement, jusqu'à une banale relation d'excursion en
Bretagne en 1881. Aussi l'histoire ne glanera-t-elle dans ces gros
volumes que de rares miettes.
A. BiovÈs.
Capitaine Sorb, La doctrine de la défense nationale, Paris, Berger-Levrault,
igi2, in-8°, 416 p., 7 fr. 5o.
Jules Poirier, L'officier, le haut commandement et ses aides en Allemagne,
Paris, Chapelet, 191 2, in-12, XXV et 252 p., 3 fr. 3o.
Comte WiTTE, La guerre avec le Japon, Déclarations nécessaires, Paris,
Berger-Levrault, igi i, in-80, 77 p., 2 fr. 5o.
Docteur Boigey, Le Massif des Béni Snassen, Paris, Delagrave, 1912, in-8»,
80 p., grav.
Le capitaine Sorb a entrepris de résoudre « le problème de la guerre
et de la mise en œuvre de toutes les ressources organisées en vue de
notre défense nationale ». La tâche était ardue, mais la nécessité
d'une doctrine de défense nationale s'impose, et celte doctrine, qui ne
peut être établie qu'avec la collaboration des Affaires étrangères, de la
Guerre, de la Marine, des Colonies, des Finances, doit être conçue
dès le temps de paix pour prévenir toute surprise en cas de conflit
soudain. M. S. est amené par la situation politique de l'Europe à exa-
miner l'éventualité d'une lutte entre la Triple alliance et la Triple
entente, ou plus exactement entre l'Allemagne et la France. On n'a
que des hypothèses sur le plan médité par nos adversaires; mais l'au-
teur estime que les considérations logiques, appuyées sur les idées
exprimées parles écrivains militaires allemands, et sur des faits incon-
testables comme le tracé des voies ferrées, le nombre et l'emplace-
ment des quais de débarquement, le système des fortifications, per-
mettent une quasi-certitude. 11 déduit de ces données que les armées
allemandes tenteront un grand mouvement débordant par leur droite,
en violant la neutralité de la Belgique et du Luxembourg, incapables
352 REVUE CRITIQUE
de la défendre. L'armée française ne saurait attendre sur ses positions
le résultat de la manœuvre ennemie : la défensive absolue est con-
damnée par toutes les écoles. Battra-t-elle en retraite? Se retirera-!-
elle sur une position reculée pour prolonger la guerre? Beaucoup de
gens en France préconisent cette lactique qui, si elle réussit, per-
mettra à nos alliés russes, dont la mobilisation sera forcément lente,
d'entrer en ligne et d'opérer une puissante diversion ; à nos amis
anglais de nous envoyer un contingent important; elle nous donnera
enfin les bénéfices de notre supériorité financière. M. S. s'acharne
contre cette conception de la guerre : avec les armées modernes aux
effectifs énormes et inexpérimentés, il serait insensé de rompre le
combat, de manoeuvrer en retraite. Donc, pour différer la bataille
décisive, on devra reculer rapidement avant de s'être laissé accrocher ;
ce recul qui ressemblera à une fuite, déprimera malgré tout le moral
de l'armée et de la population, livrera à l'ennemi de riches provinces
dont il s'appropriera les ressources. L'auteur croit qu'il faut tenir
ferme dès le début et préparer une riposte opportune. Il se défend
d'écrire un roman sur la guerre de demain, mais succombe à la ten-
tation d'opposer des plans à ceux attribués à l'ennemi. Il y a là une
longue suite de pages que l'absence de carte rend presque inintelli-
gibles, et qui ressemblent beaucoup à un exercice de Kriegspiel.
Que les spécialistes apprécient les mouvements préconisés par le capi-
taine S. ; nous accepterons seulement le principe posé par lui, à savoir
que le sort de la campagne dépendra essentiellement, sinon unique-
ment, des opérations initiales des armées de caserne mobilisées. La
victoire aura pour conséquence la désorganisation totale du vaincu.
Dans ces conditions, quel appui, quels services faut-il attendre de nos
alliés, de nos amis, de notre flotte, de nos troupes noires? M. S. exa-
mine successivement ces points capitaux. Les Russes doivent entrer
en campagne le plus-tôt possible pour retenir dans l'Est de gros con-
tingents allemands; l'auteur, qui excuse au point de vue russe le
remaniement des garnisons de Pologne, compte néanmoins sur notre
état major pour convaincre nos alliés de la nécessité d'une prompte
offensive. Il n'a que très peu de confiance dans l'aide de l'Angleterre,
et conseille de retarder la transformation de l'entente à l'alliance jus-
qu'au jour où la Grande Bretagne disposera d'une armée sérieuse. Il
se leurre même de l'illusion que la France pourrait conserver la neu-
tralité dans un conflit anglo-allemand. De la marine britannique, il
n'espère pas grand secours puisque les coups décisifs se porteront
sur terre. Quant à notre flotte, elle ne nous rendra que de bien
minimes services, et M. S. n'exige même pas d'elle qu'elle assure la
sécurité de nos transports sur la Méditerranée, parce que cette mer
est relativement si restreinte que l'ennemi, même vaincu, pourrait
l'infester de torpilles et l'interdire ainsi à nos convois de troupes.
Notre flotte serait donc inutile ou impuissante ; mais le capitaine n'ose
d'histoire et de littérature 353
tirer toutes les conséquences de cette conclusion audacieuse : il recon-
naît d'autre part que notre marine ne pourrait défendre l'Indo-Chine
contre les Japonais, qu'elle aurait beaucoup de peine à tenir tête aux
escadres britanniques, et il conclut pourtant que la France, puis-
sance coloniale, ne saurait se passer d'une forte marine. Le capitaine
Sorb ne craint donc pas d'affronter les questions les plus diverses et
les plus étendues. Nous n'avons signalé que quelques-unes de ces
solutions; si certaines sont discutables, toutes méritent cependant de
retenir l'attention de nos hommes d'état, de nos généraux, et de l'opi-
nion publique '.
M . Poirier publie une nouvelle édition de son étude sur l'officier
allemand. On y trouvera des renseignements très abondants sur le
recrutement de ces officiers, leur instruction générale et leur prépa-
ration spéciale. M. P. loue surtout les travaux ayant pour but le per-
fectionnement de l'instruction professionnelle, et y voit une raison
de supériorité des officiers allemands sur leurs camarades français; il
attribue (p. loi) le mal « à ce mauvais génie qui s'appelle l'ancien-
neté », à l'avancement à l'ancienneté qui ôte à nos officiers le courage
de travailler. II y a là quelque exagération, mais l'auteur effleure à
peine cette question importante. II explique sommairement le fonc-
tionnement des caisses de prêts et des fonds de secours alimentés par
la prévoyance du gouvernement impérial. II donne des détails sur le
corps de l'Etat major et sur celui de l'AdJutantur, tous deux recrutés
parmi les anciens élèves de l'Académie de guerre. Depuis 1907, date
de la première édition, des règlements avaient modifié la vie et la
situation des officiers allemands ; avec la nouvelle, on connaîtra tous
les changements survenus jusqu'à la fin de 191 1.
En ses savants travaux sur la guerre russo-japonaise le général
Kouropatkine s'était efforcé d'atténuer les fautes commises par le
ministère de la guerre. Dans ce plaidoyer pro domo, il avait pris à
parti son ancien collègue, le ministre des finances. Celui-ci, le
comte Witte, a voulu prouver à son tour qu'il n'avait jamais lésiné
sur les crédits demandés ; que son intervention dans les questions de
chemins de fer avait été conforme aux intérêts généraux et même
militaires ; et qu'enfin Kouropatkine n'était pas resté aussi étranger
qu'il le disait à la création du port de Dalny si utile aux Japonais.
M. W. établit, avec documents à l'appui, que au moins dans la qua-
trième partie de son ouvrage intitulée le Bilan de la guerre, le géné-
ral Kouropatkine n'a pas toujours respecté les faits. La brochure a
été traduite par M. Duchesne.
Nous ne possédons encore que de vagues notions, non seulement
sur le Maroc, mais même sur les régions limitrophes de l'Algérie. On
accueillera donc très favorablement le travail soigné du docteur
I. Pourquoi le capitaine S. s"obstine-t-il à appeler le colonel M angin, 3/oMg'în ?
354 REVUE CRITIQUE
Boigey, qui a profité d'un séjour dans le massif des Boni Snassen,
situé sur la rive droite de la Moulaya, pour étudier à fond la géo-
graphie, la géologie et l'ethnographie de cette contrée. H a rapporté
en particulier des observations très intéressantes sur cette population
qui a conservé presque pur son sang berbère.
A. Biovks.
G. FoucftRKS, Athènes (Les villes d'art célèbres). Paris, H.. I.aurens, in-S". Prix :
^ fr. Anilrc Micm:i, et Gaston Migeon, Le Musée du Louvre: Sculptures et
objets du moycn-àgc, etc. (Les Grandes liisiilulioiit; de Frauccj. ibid ., 111-8".
— M. AuBERT, Senlis (Petites monographies des grandes édifices de la France).
Ibid . iii-12. Prix: 2 fr. — Procès-verbaux de la Commission temporaire
des Arts, t. I, publ. par Louis Tuimkv. Paris, Imp" Naiioiuilc, in-S".
— IL Jant/i;n, Niederlandische Malerei im 17 .lahrhundcrt ;Aus Natur und
Geistcswelt). Leipzig, Teubncr, iii-i8.
Athènes manquait encore à la collection des « Villes d'art célèbres»;
mais nous u'avons pas perdu à attendre, car M. Gustave Fougères
en préparait la monographie, et nous savons déjà depuis assez long-
temps si l'auteur de l'excellent Guide-Joanne de Grèce possède à lond
son sujet et devait le traiter avec compétence, avec passion, avec vie.
Cette vie, il l'a évoquée d'autant plus heureusement que depuis une
période encore bien récente les fouilles ont renouvelé en quelque sorte
l'histoire, avec l'aspeci de ces monuments admirables où semble
palpiter encore l'àme grecque. Le passé s'est ainsi mêlé au
présent, s'animani encore de se voir un peu survivre. Comme le dit
justement l'érudit professeur, « que l'Athènes de notre xx<= siècle soit
encore presque aussi grecque qu'au temps de Démosthène, voilà le
phénomène unique de l'histoire, la répétition du miracle antique ! »
C'est assez dire qu'ici il ne se borne pas à une étude historique et
archéologique de l'Athènes antique, étude sociale d'ailleurs en même
temps qu'esthétique ; il en retrace les vicissitudes aux différentes
époques modernes et insiste sur les traces qu'elle y a laissées, qu'on
y retrouve toujours; il en chante la beauté féconde, il la situe dans sa
« campagne » entre Eleusis, Daphni, le Pentélique, le Pirée, Sala-
mine... Et jusqu'à 168 photographiesdirectes apportent une contri-
bution précieuse à cette étude descriptive. C'est assurément le premier
ouvrage français consacré à ce beau sujet, mais il est détiniiif en son
genre
Snv \q Musée du Louvre, dans la collection des» Grandes Insti-
tutions de France », nous avons déjà signalé l'histoire et la descrip-
tion du département des Peintures et Dessins. Voici celles du
département des Sculptures du moyen âge, de la Renaissance et des
temps, modernes, et du département des objets d'art, des mêmes
époques; et comme, selon le plan de cet ensemble de monographies,
ce sont les conservateurs -mêmes qui se sont chargés de nous en par-
ler, à peine est-il besoin de dire que la promenade à travers les salles
d'histoire et de littérature . 355
ne saurait être conduite d'une plus intéressante façon. M. André
Michel a suivi l'Iiistoiic de son dépôt depuis la Révolution, Lenoir
et le musée des Monuments français, et montré comment il se trouve
être de formation si récente, au moins pour les époques anciennes,
si longtemps méconnues et si essentielles dans l'évolution de notre
domaine artistique. M. Gaston Migeon n'a pas décrit avec moins de
goût les belles collections confiées à ses soins et dont le développe-
ment est plus récent encore, puisque le département des objets d'art
n'est issu de celui des sculptures que depuis 1893. Il a d'ailleurs
insisté sur le caractère historique dont bon nombre d'entre eux sont
revêtus, puisqu'ils témoignent encore du goût de collectionneur qui
a de tout temps animé nos souverains ou nos princes, et suivi les
autres à travers les collections particulières qui les avaient recueillis.
L'une et l'autre, ces départements sont appelés à s'enrichir chaque
jour, mai-s le moment était bien venu de jeter un coup d'œil d'ensem-
ble sur les étapes parcourues pour arriver au beau résultat dont nous
jouissons aujourd'hui. 106 photographies ont été placées entre ces
pages.
Senlis a une cathédrale qui n'est peut-être pas parmi les plus impor-
tantes de France, mais dont la flèche est particulièrement gracieuse et
élancée, dont le portails est précieux entre tous pour ses sculptures,
dont enfin le contraste et la juxtaposition des styles du xj!*" et du
xvi*" siècle sont féconds en études. Aussi a-t-elle été plus d'une fois
étudiée, et d'abord par M. Aubert, en une belle monographie dont le
petit volume est l'essence. Le visiteur y puisera des notions précises,
exposées avec goût. Il remerciera encore l'auteur de l'avoir
conduit par la main, au sortir de cet édifice, en lui faisant connaître
lout le reste de la ville, églises et hôtels. 39 reproductions et un plan
viennent à point à l'appui.
La collection des Documents inédits relatifs à la Révolution de
1789 vient de s'enrichir d'un nouveau volume, début de série, avec
les Procès-verbaux de la Commission temporaire des Arts, dont la
première séance eut lieu le i*"' septembre 1793 et dont les travaux
nous sont données ici in extenso jusqu'au 3o frimaire an III. Précédé
d'une introduction et de notices biographiques sur les membres de
cette Commission, élucidé par de nombreuses notes, ce document
peut rendre de vrais services, et sa publication fait honneur au zèle et
à la curiosité historique de M. Louis Tuetey, qui en a été chargé. Il
importe essentiellement, au surplus, que ces éditions de procès-ver-
baux soient conçues de la sorte. II y a là, sinon du bavardage, car la
rédaction est plutôt sèche et ne relate que le résultat des discussions,
s'il en fut, au moins une profusion de petites nouvelles, de petits ren-
seignements, de petites occupations et préoccupations, qui ne garde
encore quelque intérêt que si on les fait revivre un peu dans leur
ambiance et en les expliquant. La Commission partagée bientôt en
356
REVUE CRITIQCE
5 sections (Histoire naturelle, Physique, Mécanique, Peinture et
autres arts plastiques), Bibliographie (et Géographie, Archéologie et
Musique), tint ses séances jusqu'en nivôse an IV (fin de l'année 1795).
Tous ses papiers sont conservés aux Archives Nationales. Un second
volume suivra de près celui-ci et comprendra la fin des procès-verbaux
et la table générale, qui sera précieuse.
Le 373' petit volume (97 p.) de la collection Ans Natur iind Geis-
teswelt est consacré à \a peinture des Pays Bas, Hollande et Belgi-
que au XVII^ siècle^ et a pour auteur le D"" Hans Jantzen, privât
docent à Halle. Ce n'est pas une histoire, c'est une étude personnelle,
comparative, esthétique, des morceaux saillants et significatifs qui peu-
vent caractériser les différents genres de cet art et montrer comment
les peintres les ont composés : peinture d'histoire, portrait, genre,
intérieur, paysage, marine, église, nature morte. De bonnes tables,
37 petites reproductions comme références, et du goût, rendent ce
livre intéressant.
H. DE CURZON.
Maurice Brillant, Le charme de Florence, Paris, Bloud, 1912, in- 16, 290 p.,
3 fr. 5o.
Il faut de l'audace pour parler de Florence après tout ce qui a été
dit et écrit sur la Cité des fleurs, et pourtant M. Brillant entreprend
de raviver notre admiration pour cette ville et ses trésors artistiques.
Il croit que les cultures françaises et toscanes sont sœurs, avant pour
caractères communs le tact et la sobriété, mais la florentine est plus
sensible, plus mélodieuse, plus colorée. Les Français s'enrichiront
donc en assimilant cette culture qui complétera la leur. Pour cela
qu'ils étudient seulement les fresques, les tableaux, les statues impré-
gnés de grâce florentine. Ce n'est pas dans les galeries des Ufïizi ou
du palais Pitti que l'auteur nous conduit; il prétend surtout nous
faire savourer les œuvres éparses de ceux qu'il a choisis pour maîtres :
Lippi, Botticelli, Ghirlandaio, Gozzoli ; ce sont eux, dit-il, qui ont le
mieux réussi à unir la pensée chrétienne à la forme humainement
belle. A ces peintres il préfère encore les sculpteurs, leurs contempo-
rains, qu'il place même au dessus des Grecs qui ne se sont point
« pénétrés de cette tendresse charmante, de cette vie de 1 ame et de
l'esprit, de ce rêve délicat » que les Florentins doivent au christia-
nisme. Nous objecterons à M. B. qu'il exagère un peu cette influence,
que Botticelli lui-même y échappe dans son Mars et Vénus, son Prin-
temps, son Mariage de Vénus, et dans tant d'autres fantaisies néo-
paiennes. Dès le temps de Laurent le Magnifique l'antiquité poly-
théiste et sensuelle avait repris, à visage découvert, la lutte contre le
moyen âge chrétien et mystique bien démodé. Mais l'amour que Flo-
rence inspire à M. B. est si sincère qu'il en devient contagieux, et
l'auteur nous promène sans fatigue à travers les petites villes de la
d'histoire et de littérature 357
Toscane, les rues et les églises de Florence, et jusque sur les collines
des environs. Le charme de ce pays est si réel, si persistant, que ceux
qui l'ont goûté seront heureux d'en retrouver le parfum dans l'aimable
livre de M. Brillant.
A. BiovÈs.
— Dans un mémoire intitulé Michelhw da Beso^^^o et les relations entre l'art
italien et l'art français à l'époque du ràgne de Charles VI (extrait des Mémoires
de TAcadémie des Inscriptions et belles-lettres, t. XXXVIil, 2' partie; Paris,
libr. C. Klincksieck, 191 1, in-4" de 29 pages et V planches), M. le comte Paul
DuRRiEU, membre de l'Institut, considère les rares miniatures qui puissent être
attribuées à Michelino de Molinari, du village de Besozzo. Il en est une qu'il a
peinte au début du ms. lat. 5888 de la Bibliothèque nationale et qui représente
l'Entrée au ciel du duc Jean-Galéas Visconii. Or, la disposition adoptée est la
même que celle du Couronnement de la Vierge dans une page célèbre des Très
Riches Heures du duc Jean de Berry. On sait que les peintres et miniaturistes de
la France et du nord de l'Italie avaient des relations nombreuses au début du
xv« siècle. Où lut donc inventé le thème du Couronnement de la Vierge, celle-ci,
entourée d'un groupe d'anges, étant agenouillée aux pieds du Seigneur qui la bénit,
thème imité par Michelino de Besozzo? .M. le comte Durrieu établit d'une façon
irréfutable qu'il a été imaginé par les artistes français et qu'il leur a été emprunté
par les italiens. Sa démonstration, très documentée et fort savamment conduite,
soulève un certain nombre d'autres questions intéressantes pour l'histoire de l'art;
la solution en est sommairement indiquée. — L.-H. L.
— M. A. Morel-Fatio a publié dans le t. XXIX des Mémoires de l'Académie des
inscriptions et belles-lettres et à part dans une brochure in-4° de 40 pages (librai-
rie C. Klincksieck, 191 i) une notice détaillée sur une histoire inédite de Charles-
Quint par un fourrier de sa cour. Le manuscrit original en était entré dernière-
ment à la Bibliothèque nationale. L'auteur est à peu près certainement Hugues
Cousin, originaire de Nozeroy dans le Jura; après avoir servi avec honneur dans
les armées de Charles-Quint et pris part aux campagnes de Hongrie (i532), de
Tunis (i535), de Provence (i536), de Dalmatie (iSSg), après avoir passé plusieurs
années en captivité à Constantinople, il avait été anobli par l'Empereur avec ses
frères en i535. Son œuvre consista à prendre la traduction française par Robert
le Prévost de l'ouvrage écrit par l'allemand Jean Sleidan, De statu religionis et
reipublicae, Carolo Quinto Caesare, commentarii et à développer le récit des évé-
nements auxquels il avait assisté. La part qui lui incombe personnellement a
donc toute la valeur d'un document de première main. — L.-H. L.
— La librairie Burgersdijk et Niermans à Leydc vient de publier, en un élégant
catalogue rédigé en français, la liste, avec prix marqués, des ouvrages d'occasion
qu'elle possède dans le domaine de la philologie et de l'archéologie classique ainsi
que dans les domaines voisins. Le volume se compose de 548 pages et comprend
16,441 numéros, qui tous existent réellement à cette librairie comme livres d'oc-
casion. — H. P.
— M. Âlessandro D'Ancona vient de réimprimer ses célèbres articles sur les
précurseurs de Dante, sur Béatrix, sur le De Monarchia, sur les chants VII et VIII
358 RF.VfK CRITIQITK
du Purgatoire, le XXV'II" ilii Paradis, sur le vrai portrait de Dante par Giotto, sur
le masque tic Dante et y ajoute ijucliiucs supplcnicnts et correctiotis. F-c volume
édité par Sansoni de Florence (5 tV.) est très soif;né et orne de c|uclques belles
illustrations. L'auteur, dans une courte préface, tire une cruelle et légitime ven-
geance d'une sottise de feu Uuvio, en l'extrayant île la correspondance de Crispi :
Bovio a eu un jour le malheur d'appeler M. D'A. un pédant qui >t'a pas su entendre
la voix de Dante. Si jamais homme a prouvé qu'on pouvait joindre beaucoup
d'esprit à beaucoup de science, c'est bien celui qui nous a donné ses charmâmes
Varietà storiclie e letterarie ; si jamais homme a su entendre la voix de Dante,
c'est bien celui qui a rétabli la croyance à l'existence réelle de Béatrix; car la plus
sûre des preuves était ici l'accent du poète où l'on reconnaît l'homme qui déguise
quelquefois son amante en abstraction, mais n'est jamais dupe du costume dont il
l'habille. — Charles Dkjob.
— La section VI [Hygiène) de \' Encyclopédie internationale d'assistance, pré-
voyance, hygiène sociale et démographie dirigée par le D"" A. Marie et éditée par
Giard et Briére a publié La lutte anti-toxique, La fumée divine [opium) (1912, in-
18 de 283 p., plus une carte des principaux centres de production et de commerce
de l'opium et 14 gravures chinoises représentant d'une façon saisissante les méfaits
de ce narcotique : 4 fr.) par M. G. Miraden, avec une préface du D' R. Millant,
auteur de La Drogue (19 10), où M. M. a trouvé la légende chinoise de l'origine de
l'opium qu'il reproduit comme Introduction. Sa f*^ partie retrace l'historique de
la consommation de l'opium; sa 2" partie en décrit les effets ; la 3' en raconte la
culture, la préparation, le commerce, la régie, les essais d'interdiction ; enfin l'ap-
pendice emprunte au Times le détail des neuf résolutions adoptées par la Com-
mission internationale de l'opium (février 1909) et transmises par les délégations
présentes à leurs gouvernements respectifs. Rappelons à ce propos que la lutte
engagée depuis 1906 contre la culture du pavot par le gouvernement impérial chi-
nois a é:é interrompue par la Révolution qui en a autorisé de nouveau la culture.
Ajoutons d'autre part que l'auteur a vu de ses yeux, en Extrême-Orient, les ravages
de la fumée nocive et a pu ainsi réunir contre elle le plus gros faisceau d'armes
défensives. — Th. Son.
— Le i»"" fascicule du t. 111 du Logos (Mohr, 1912, 120 p. 4 M.) comprend les arti-
cles suivants : P. 1, A. Meinong (Graz) : Fur die Psychologie und gegen den Psy-
chologismus in der allgemeinen Werthcorie. Cette notice sur la théorie générale
des valeurs a été présentée au Congrès de philosophie de Bologne et veut com-
pléter le chapitre VIII de l'ouvrage de l'auteur Vber Annahmen (Leipzig, 1902;
2' éd. 1910, où le ch. \'1I1 est devenu le ch. IX). C'est M. M. d'ailleurs qui a, en
quelque sorte, introduit le débat sur ce sujet dans ses Psychologisch-ethische Un-
tersucJiungen ^ur Werttheorie (Graz, 1894), débat qui a trouvé sa conclusion
provisoire dans le livre magistral de M. W. M. Urban, Valuation, its nature and
laws (Londres, 1909). L'auteur a encore traité ce sujet dans deux articles : Uber
Werthaltung und Wert {Archiv fur System. Philosophie, I, iSg.'r) et Uber Urteils-
gefahle, rvassie sind und was sie nichi sind [Archiv fiir die gesamte Psychologie (VI,
jqo5). P. i5, G. SiMMEL, Die ^^'ahrheit und das Individuum. Aus einem Gœ-
thebuch. Contribution à l'étude des théories psychologiques de Goethe, et examen
de différentes affirmations de ce dernier, dont la plus remarquable est celle-ci :
« Quand on est d'accord avec soi, on l'est aussi avec les autres » (p. 27). — P. 29,
Max Frischeisen-Kôhler (Berlin) : Wilhelm Dilthey als Philosoph. Analyse du
d'histoire et OE LITTKRATl'RE 359
système de ce philosophe berlinf>is mort, on se le rappelle, en automne 191 1.
Les points examinés ici sont la Phénoménologie lic la métaphysique ; la doc-
trine de la Selbstbesitiniiiif^, base de tout le système; la théorie de la
W'elt^insclijuiing, la Grundlci^uug der GvistcswissensclKi/teii, la poétique et la
pédagogie. — P. >i). H. Grat Kevsicrling, Djs W'esen der IntiiHinn und ihre Rolle
in der Philosophie. Critique de l'intuition bergsonnienne. Le philosophe estho-
nicn démolit rarlisiiquc ou artificielle construction de son collègue parisien,
auquel il reconnaît, selon la distinction de Pascal, plus d'esprit de finesse que
d'esprit géométrique (p. 78). La conclusion aboutit à l'impossibilité d'une philo-
sophie intuitive. — P. 80, Ernst FiicRsiiARD (Berlin^ : Die Struktur der fran^ôsis-
chen Geistes. Etude consciencieuse, objective et sereine de la mentalité française,
groupement national des traits principaux de notre caractère national, mais, en
somme, rien de bien nouveau sur le Modevolk, comme Kant nous appelait. Ce-
pendant on notera quelques citations heureuses qui résument bien nos tendances
fondamentales : révolution au lieu d'évolution, l'étiquette d'un sac est plus impor-
tante que son coiitenu, manie des généralisations et mépris des faits, simplifica-
tion à outrance, déification de la Raison, « impossible n'est pas français », nature
spéciale de la coquetterie française, etc. — P. i83, Marianne Weber, Atitovitàt
und Aiitouomie in die Ehe. L'auteur à'Ehefrau und Mutter in der Rechtsent-
nnckliing (1907) développe ici, sous une forme très noble, son haut idéal du mariage,
idéal qui, d'ailleurs, n'a rien d'utopique et est fort réalisable pour ceux qui ont
l'expérience de la vie et la maîtrise d'eux-mêmes. A noter sa remarque judicieuse
sur l'influence salutaire exercée par le puritanisme au point de vue du rapport des
deux époux (p. 106). — P. i i5, Noti:^en : Comptes rendus d'E. Lask, Die Logik
der Philosophie u. die Kategorienlehre (Tubingue, fgii); de Fr. Glndolf, 5/j^-
kespeare und der deutsclie Geist (Berlin, igii) ; de la 4« édition de la Logique de
SiGW.ART ; enfin, une appréciation de la valeur actuelle de la philosophie de Ficute,
à propos du I T0'= anniversaire de sa naissance (rg mai). — Th. Scn.
— N. K. KoFFKA a, pendant un an et demi f igog-rgio) poursuivi de méticuleuses
expériences aux instituts psychologiques de Wùrzbourg et de Francfort, sous les
auspices de N. Oswald Kûlpe,le chef de l'éeoîe dite de Wùrzbourg. Ces expérimen-
tations duraient chaque fois une heure, deux fois la semaine; leurs résultats sont
consignés avec le détail le plus minutieux dans Zur Analyse derVorstellungen und
ihrer Geset^e. Eine ex péri m eut elle Untersiichung (Quelle et Meyer, Leipzig, 1912, x-
392 p., 12 M. 3o). Le ch . 11 [Visuelle, akustomotorische, komplexe Vorslelhmgen
u. Typenpsychologie] a paru dè> l'été de igii comme thèse à l'université de Gies-
sen. Les 10 personnes (dont 2 dames) qui se sont successivement soumises à ces
épreuves sont nommées p. 23 et la méthode employée est exposée p. 18 et suiv.
— Th. Scn.
— Le 3" et dernier fascicule du t. IV des Philosophische Arbeiten de Cohen et
Natorp a pour auteur M. Hans ai_'s der Fuentf. et pour sujet Wilhelm von Hum-
boldts Forscliungcn iiber Asthetik (Toepelmann, Giessen, igi2, p. 161 à 304,
4 M. 40). Le personnage est bien choisi pour étudier, à travers ses idées, l'esthé-
tique du classicisme allemand. II réunit, pour ainsi dire, en lui, les courants éma-
nés de Kanf, Gœlhe et Schiller. Une introduction historique marque ses rapports
intellectuels avec ces trois coryphées de la pensée allemande de son temps ; puis
une f"^ partie étudie les principes de son esthétique, tandis que la 2^ en montre
l'application dans les ditlércnts arts, — Th. Scn.
360 REVUE CRITIQllK d'hISTOIRK KT DK LITTÉRATURE
— Le irXLIX de la Hibliothèqtte sociologique internationale donne un ouvrage
de son directeur, M. René Worms, sur La sexualité dans les naissances françaises
((îiard et Hrièrc, i<)i2, 237 p. in-S», 3 francs), c'est-à-dire sur les causes qui
déterminent le sexe des enfants à naître. Après avoir indique le problème et les
données, c'est-à-dire avoir posé la question et éclairé les sources (statistiques et
travaux scientifiques), Tauteur explique la loi fondamentale de la supériorité des
naissances masculines et la concilie avec le phénomène général de la supériorité
des existences féminines par la constatation de la plus grande mortalité des
màlcs. La production de ces derniers — c'est là l'essai d'interprétation particulier à
M. W . — serait déterminée par une nutrition défectueuse et leur excès ne serait
donc pas un bon signe pour une nation, au point de vue biologique. La baisse de
la masculinité constatée au cours du xix" siècle chez les enfants nés vivants en
F"rance, s'expliquerait alors par les progrès de la richesse publique et serait liée à
d'autres phénomènes concomitants, tels que la baisse de la natalité, spécialement
infantile, et de la morii-natalité. Une 4<= partie étudie les influences physiques du
lien et du moment de la conception, les influences organiques des parents et ancê-
tres, les influences psychiques et sociales. Un Appendice donne et commente le
tableau des naissances par sexe dans la commune de Wimereux depuis sa sépa-
ration de Wimille (juin 1899), commune placée dans des conditions ethniques aussi
voisines que possible de la moyenne française. — Th. Sch.
— La même Bibliothèque publie dans sa série in-iS" fF) le Génie individuel et
Contrainte sociale (i3i p. 2 fr.) par M. Lucien Arrkat. Etudiant les rapports de
la psychologie individuelle avec la psychologie sociale, en d'autres termes cher-
chant à résoudre le problème de la dépendance réciproque du génie individuel
et de l'activité sociale, l'auteur s'est heurté à la doctrine de la contrainte sociale,
énoncée par M. Durkheim et 0 appliquée sinon étendue par ses disciples », et l'a
acceptée en ses termes généraux, c'est-à-dire en ce sens qu' « un fait social se
reconnaît au pouvoir de coercition externe qu'il exerce ou est susceptible d'exer-
cer sur les individus »; mais tentant d'y ramener la science, la morale et l'esthé-
tique, bref tous les faits de la vie sociale, il a « abouti à des conclusions qui
semblent inacceptables et font sentir le besoin d'y apporter au moins des tempé-
raments ». Discuter ces conclusions et reprendre la question ainsi posée, tel est
l'objet de la brochure que nous signalons et qui montre par quelles relations
secrètes, les doctrines excessives de l'inconscience et de la contrainte sociale se
trouvent liées aux excès de l'individualisme qu'elles semblent contredire.
— Th. Sch.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
I
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 45 — 9 novembre — 1912
HoGARTH, Les fouilles de Carchemisch. — \'lvisaker, La grammaire des Lettres
des Sargonides. — Scheil, La chronologie rectifiée de Hammourabi. — Deimel,
Chronologie assyro-babylonicnne. — Holtzmann, Théologie du Nouveau Testa-
ment, 2' éd. p. JûLicuER et Bauer. — WiEGAND, HistoIre des dogmes. — Kuge-
NER et CuMONT, La 123° homélie de Sévère d'Antiochc ; L'inscription de Salone.
— Flamion, Les Actes apocryphes de l'apôtre André. — Goblet d'Alviella,
L'évolution du dogme catholique. — P. Sabatier, L'orientation religieuse de la
France actuelle. — A. Stein, Les fonctionnaires impériaux sous Alexandre
Sévère. — Panzer, Sigfrid. — Rota, L'Autriche en Lombardie. — H. Cochin,
Lamartine et la Flandre. — Chambolle, Retours sur la vie. — Deloncle, Statut
international du Maroc. — Colson, Organisme économique et désordre social.
— Fossey et LoNGNON, La Haute-Normandie. — Arnaudin, Chants populaires de
la Grande-Lande, L — A.-V. Muller, Défense de Luther contre Denifle et Gri-
sar. — Le Roy, Bergson.
D. G. HoGARTH. Hittite problems and the Excavation of Carchemisch (from
the Proceedings of the British Academy, vol. V), i5 p., in-8">. London, Frowde.
1912.
Le British Muséum a repris au printemps de 191 1 les fouilles de
Jerablus (Syrie du Nord) sur le site probable de la ville hittite de
Carchemisch. Des recherches avaient déjà été pratiquées en ce lieu
dans les années 1876 et 1880, et d'excellentes raisons faisaient dési-
rer qu'elles fussent continuées. Seules les fouilles pourront nous
apprendre si les Hittites étaient établis en Syrie avant l'invasion
venue de Cappadoce sous le règne de Subbitiiliiima (xiv« siècle), quel
était le lien ethnique entre les Hittites et les gens de Mitani, quelle
est la part des influences hittites dans la civilisation de l'Asie anté-
rieure, etc. Enfin si une inscription bilingue doit quelque Jour nous
donner la clef des hiéroglyphes hittites, c'est bien dans la Syrie du
nord, au point de rencontre des civilisations assyrienne et hittite,
qu'on peut espérer la découvrir. — Les ruines de Jerablus com-
prennent deux parties, une acropole et une ville basse. Les fouilles
récentes ont reconnu, au sud de l'acropole, un temple d'époque ro-
maine, du style de Baalbek, près d'une plateforme en briques crues,
à la manière assyrienne, qui paraît remonter au vin<= siècle. Au nord,
on a découvert une base de colonne flanquée de deux lions et un
autel portant une inscription hittite, qui semblent marquer l'empla-
cement d'une forteresse ou d'un palais hittite de la dernière période.
Nouvelle série LXXIV 4»
302 REVUE CRITIQUE
De nombreuses tombes om été également découvertes sur l'acropole;
elles sont malheureusement prcsques dépourvues de mobilier.
M. Hogarth les fait remonter au xi^ ou au xii= siècle et les considère
comme les premières tombes hittites mises à jour. Un grand escalier
de pierre qui conduisait de l'extrémité sud de l'acropole à la ville
basse avait été partiellement dégagé par les premières fouilles; il l'a
été cette fois complètement et dans les environs on a trouvé treize
reliefs représentant des chars de guerre, des soldats à pied, des
divinités monstrueuses; l'un d'eux porte une longue inscription
en relief au-dessus de trois tètes barbues et seize mains coupées. Les
inscriptions hittites ou fragments découverts atteignent le nombre
de quatre-vingt-dix. Cette première campagne a établi que Jerablus
a été occupée bien avant l'arrivée des Hittites et a permis de distin-
guer trois périodes dans la céramique et la sculpture, M. Hogarth
croit déjà pouvoir conclure qu'il y a eu des Hittites ou tout au moins
une inriuence hittite en Syrie avant la conquête des Hittites venus de
Boghaz-Keni, que cette conquête n'a pas eu d'influence durable et
qu'elle a été suivie d'une période d'influence assyrienne, préparant la
conquête assyrienne. Les représentations religieuses rappellent celles
de la Cappadoce, mais on y remarque deux éléments inconnus en
Cappadoce, la déesse nue et le géni barbu, à pieds de taureau, saisis-
sant un rameau de palmier '; M. Hogarth croit que ces motifs sont
originaires de Mésopotamie '.Le heaume à crête que portent certains
soldats des bas-reliefs, et des (- verres à Champagne » trouvés dans les
tombes de l'acropole font au contraire songer à des influences Cre-
toises et rhodiennes ou chypriotes. Les résultats de cette campagne
sont encourageants et justifient tous les sacrifices que le British Mu-
séum pourra consentir pour poursuivre les recherches,
G. FOSSEY,
s. C. Ylvisaker. Zur babylonischen und assyrischen Grammatik ; eine Unter-
suchung auf Grund der Briefe aus der Sargonidenzeit. Leipziger semitistische
Sfudien V, 6. i vol. iv-88 p., in-8". Leipzig, Hinrichs, 1912.
On a depuis longtemps remarqué que les lettres assyriennes et
babyloniennes contiennent un grand nombre de formes grammati-
cales inconnues aux textes historiques et juridiques. Affranchies du
formulaire traditionnel dans lequel ceux-ci sont régulièrement coulés,
elles nous présentent une image plus exacte de la langue à l'époque
de leur rédaction ; ^lles doivent notamment permettre de préciser les
nuances qui distinguent l'assyrien du babylonien. Pourtant ce
1. Il est reconnu aujourd'hui que le prétendu palmier, qui figure sur les bas-
reliefs assyriens en face du génie ailé, est en réalité un cep de vigne et le spathe
une. grappe de raisin.
2. M. Delaporte {Catalogue des cylindres orientaux, p. xv-xvi et xxi) croit au
contraire que la femme nue des cylindres babyloniens est un motif d'origine hittite.
d'histoihk et de littérature 363
domaine si riche n'avait pas encore été exploité d'uiTc manière métho-
dique. M. Vlvisaker a étudié au point de vue de la phonétie]ue et de
la morphologie les 974 lettres publiées dans les neuf premiers
volumes de Harper : Assj^rian and babylonian letters. Deux volumes
de ce recueil ont paru depuis que M. Ylvisaker a rédigé son travail
et d'autres paraîtront encore, mais il n'est pas vraisemblable qu'ils
apportent beaucoup de faits nouveaux. C'est maintenant du côté
de la syntaxe qu'il faudra porter l'etlbri, car M. Vlvisaker s'est borné
sur ce point à quelques remarques disséminées dans la morpho-
logie.
11 est impossible de relever ici toutes les particularités signalées
par M. Ylvisaker. Notons seulement que, à la différence du babylo-
nien, l'assyrien de l'époque des Sargonides emploie encore régulière-
ment les désinences casuelles et qu'il vocalise la première radicale de
l'impératif et du permansif, au piel et au safel, en a et non en ii :
kammiis au lieu de kummiis. Le livre de M. Ylvisaker sera un instru-
ment très utile pour l'étude de textes souvent difficiles. L'utilité en
sera encore rehaussée par les corrections aux lectures de Harper réu-
nies dans les dix dernières pages.
C. Fosse Y.
ScHKiL, La chronologie rectifiée du règne de Hammourabi. Extrait des
Mémoires de VAcade'mie des Inscriptions et Belles-Lettres, tome XXXIX ; Paris,
Klincksieck, 19 12 ; 12 p. in-4'.
Les Babyloniens ne se sont jamais élevés à la conception grecque
et moderne de l'ère. Plusieurs systèmes de comput des années leur
en ont tenu lieu. A l'époque de la première dynastie, les années
étaient désignées par un événement important : avènement d'un roi,
la prise d'une ville, la réparation d'un temple ou le curage d'un canal.
Comme l'ordre relatif de ces événements devait s'oublier rapidement,
on avait été amené à dresser des listes des noms d'années. Plusieurs,
de ces listes nous sont parvenues et nous pouvons, grâce à elles, rap-
porter à une date précise les actes datés, par exemple, de l'année où fut
creusé le canal Hammurabi-Hegal (neuvième année de Hammiirabi).
Mais ces listes sont souvent mutilées. C'est le cas notamment pour
celles qui nous renseignent sur la chronologie de la première dynas-
tie et particulièrement du règne de Hammiirabi : les noms des années
35 à 43 ont presque entièrement disparu et n'avaient pu être restau-
rés que d'une manière assez hypothétique par M. Pœbel [Bab. Expé-
dition ofthe Univ. of. Pennsylvania,W\, 2) d'après les formules rele-
vées dans les actes. Une liste nouvelle publiée par le P. Scheil rectifie
les restitutions de M. Poebel de la manière suivante : les années 35,
36, 3/, 41, deviennent respectivement les années 42, 41, 35, 36; la
seconde formule de l'année 38 est rapportée à l'année 3y, les formules
364 RICVDK CRITIQUE
auriLuices aux unnccs 40 et 42 soin des désignations particulières à
certains districts (?). La première fornuiie attribuée à l'année 38, les
formules des années 3(j et 43 sont exactes.
C. H'OSSKV.
A. Di:iMi-i. S. .1. Veteris Testament! Chronologia monumentis babylonico.
Assyriis illlistrala : ScripUi poutiticii instiluii biblici. Koiiie, IJictschneidcr.
1912 ; 124 p. in-8".
Dans une première partie, M. Deimel a réuni les textes qui con-
tiennent les données sur la chronologie assyro-babylonienne : canon
des éponymes, canon de Ptolémée, listes de rois, chroniques, indi-
cations diverses dans les inscriptions royales ; un appendice donne
la liste des souverains, en caractères cunéiformes et en transcrip-
tion'. Il n'y a là ni fait nouveau ni interprétation nouvelle; mais il
peut être commode pour certains historiens de trouver ces matériaux
réunis. La seconde partie est consacrée à la chronologie de l'ancien
Testament. L'auteur renonce à résoudre les contradictions internes
du livre des Rois et celles qu'on a relevées entre les textes bibliques
et les textes cunéiformes; il admet que les nombres donnés pour les
règnes des rois d'Israël et de Juda ne peuvent pas être exacts. Mais
on est assez surpris de le voir affirmer qu'il n'y a pas de contradiction
entre les deux passages de la Genèse qui attribuent au déluge l'un
une durée de 40 Jours, l'autre une durée de i5o jours, et que la con-
tradiction existe seulement pour ceux qui voient dans le récit une com-
pilation de plusieurs sources (pp. 87-88]. La conclusion est empruntée
à saint Jérôme : « Relege omnes et veteris et novi Testamenti libros
et tantam annorum reperies dissonantiam et numerorum inter Judam
et Israël, id est, inter regnum uirumque confusum, ut huiusmodi
haerere quaesiionibus non lam studiosi quam otiosi hominis esse
videatur. » C'est aussi mon avis; mais on peut alors se demander
pourquoi l'auteur s'est donné la peine d'écrire la seconde partie de
son livre. — La langue n'est pas d'une qualité à faire souhaiter le
retour au latin comme langue savante \
C. FOSSEY.
Lehrbuch der neutestamentlicheu Théologie, von H.-J. Holtzmann, Zweite
Autiage, herausgegeben von A. Jûlicher und W. Bauer. Tùbingen, Mohr, 191 1 ;
deux in-8, xx-SSg et xv-6i5 pages.
Dogmengeschichte der alten Kirche, von F. WiiiCAND, Leipzig, Quelle, 1912;
in-8, vni-141 pages.
On saura gré à MM. Jûlicher et Bauer du soin et de la prompti-
tude avec lesquels ils ont mené à bonne fin la seconde édition de
•■ ^ « ■
1. Les quatre premiers souverains d'Assyrie, nommés p. 58, manquent dans cette
liste.
2. Un seul exemple : ftincta contactus inter rcges Assyrios et reges populi
elccti
d'histoirf. et de littérature 365
l'œuvre de Holtzmann. Cette cdiiion avait été préparée par Fauteur
lui-même, qui se tenait fort exactement au cdurant de toutes les publi-
cations en rapport avec son sujet, même de celles qui étaient écrites
en français. L'ouvrage a donc été revu et retouché en maint détail.
Il ne semble pas néanmoins que les opinions de l'éminent exégète sur
les points les plus importants de la théologie néotestamentaire aient
été grandement moditices. I^ar exemple, en ce qui regarde la der-
nière cène, H. maintient Tauthenticité des paroles : « Ceci est mon
corps )), « Ceci est mon sang », bien qu'il écarte comme paulinienne
ridée de mort expiatoire, et aussi celle de nouvelle alliance, aussi
incompatible que la première avec la perspective qu'ouvre la parole
authentique : «Je ne boirai plus devin que dans le royaume de Dieu. »
Mais on ne voit plus, dans ces conditions, la raison des paroles
solennelles sur le corps et le sang. S'il s'agit de signitier que Jésus va
mourir, mieux vaudrait le dire sans image, car l'image a presque l'air
d'un jeu d'esprit assez déplacé. L'on fait une hypothèse toute gratuite
et Ton aplatit sans motif l'idée paulinienne en supposant que Jésus
aurait eu subitement la pensée d'une mort qui cimenterait l'union de
ses disciples et qui ainsi leur serait utile. La critique allemande ne
semble pas prête à reconnaître que le vieux récit qui est à la base de
Luc, xxii, i5-i8, est aussi à la base de Marc, xiv, 22-25, et que les
paroles concernant le corps et le sang du Christ y sont surajoutées.
De même, pour ce qui concerne la conversion de Paul et sa doc-
trine, H. s'en lient aux explications tirées de la tradition juive et des
expériences religieuses de l'Apôtre ; s'en rapportant toutefois au
■ témoignage de celui-ci, il admet que le sentiment de sa vocation pour
• l'évangélisation des gentils est aussi ancien que sa conversion. Reste
. à savoir quelles expériences intimes auraient pu créer dans l'esprit de
Paul l'idée du Christ sauveur universel par le moyen de sa mort,
et celle du salut par la foi à ce Christ sans les œuvres de la Loi. Le
livre de H. n'en demeure pas moins le monument scientifique le plus
achevé qu'il fût possible de construire sur la base fournie par le
Nouveau Testament et les littératures juive et chrétienne. La compa-
raison des religio.ns païennes, spécialement des cultes de mystères,
pourra conduire à des résultats nouveaux; mais l'exégèse de H . a
été si prudente et pénétrante que ses conclusions seront sans doute
plus souvent complétées que contredites par les progrès ultérieurs de
la critique.
L'ouvrage de M. Wiegand est un abrégé de l'histoire des dogmes,
clair et bien ordonné, avec docuinentation suffisante et renseigne-
ments bibliographiques. L'exposé historique s'arrête à la théologie
de Grégoire le Grand. Entendant par dogme la définition officielle de
la croyance, l'auteur fait naitre le dogme chrétien au concile de
• Nicée et dans les conciles orientaux qui ont suivi ; il consacre un
• chapitre au développement du dogme en Occident sous l'influence
366 REVUE CRITIQUE
d'Augustin. Il va sans dire que ces deux chapitres sur l'histoire du
dogme en Orient et en Occident sont précédés d'un autre consacré à
la préhistoire du dogme, depuis les Pères apostoliques, et d'une
introduction sur les « présupposiiions historiques » du dogme, à
savoir la philosophie et la religiosité païennes, le judaïsme, Jésus et
la prédication chrétienne primitive. Ainsi la « révélation du Nouveau
Testament » est présupposée à l'histoirt de la croyance, elle n'y est
pas comprise. II semble pourtant que cette révélation n'est indépen-
dante ni du judaïsme, ni du paganisme, et que la préhistoire du
dogme, — puisque préhistoire il y a, — commence bel et bien dans le
Nouveau Testament. Les spéculations pauliniennes et johanniques
sont le commencement de l'évolution qui aboutit aux définitions des
conciles et à la théologie d'Augustin.
Alfred Loisy.
Recherches sur le manichéisme. II. Extrait de la cxxiii'^ homélie de Sévère
d'Amioche. III. L'inscription de Salone; par M. A. Kvgener et F. Cumont,
Bruxelles, Lamertin, 1912; gr. in-S, pp. 83-177.
Les Homélies de Sévère d'Amioche ne se sont conservées qu'en
syriaque. La I23« contient d'importants extraits d'un livre de Mâni
qui développait une cosmogonie. II va sans dire que Sévère ne citait
Màni que pour le réfuter. L'édition et la traduction des fragments de
Mâni et de sa réfutation par Sévère sont dues à M. Kugener ; le com-
mentaire est de M. Cumont. Le texte méritait les soins qu'y ont
donnés ces deux savants. On y voit comment les deux principes for-
maient à l'origine deux mondes voisins mais tout à fait distincts,
celui de la lumière et celui des ténèbres, l'arbre de vie ou l'arbre bon,
et l'arbre de mort ou l'arbre mauvais. Une agitation qui se produisit
dans le monde ténébreux lit découvrir à ses habitants le monde de la
lumière et le leur fît désirer ; le dieu de la lumière n'avait rien qui lui
donnât prise sur le monde des ténèbres pour le détruire ; il laissa
donc envahir une partie de la lumière par les ténèbres, afin d'acquérir
le moven d'atteindre l'ennemi de tout bien et de préparer sa ruine :
ainsi naquit le monde où nous vivons. Sévère ne dit pas à quel livre de
Mâni il emprunte ses citations. M. G. démontre que Titus de Bostra
et Théodoret ont puisé à la même source que Sévère; mais ils ne
nomment pas non plus le livre, comme s'ils craignaient de le faire
connaître à des gens trop curieux. On a supposé gratuitement que
c'était le livre des Mystères, mentionné par Épiphane ; M, C. pense
qu'il s'agit plutôt du Traité des Géants. Une citation de Basilide, à
la fin des Acta Archelai, permet d'affirmer que cette cosmogonie a été
empruntée par Màni aux doctrines du mazdéisme contemporain.
Une petite inscription, trouvée à Salone, importe à l'histoire du
manichéisme; elle provient de la tombe de « Bassa, vierge, lydienne,
manichéenne « ; elle est antérieure au v' siècle et sans doute appar-
d'histoire et de littérature 367
tient à un temps où la secte n'était point persécutée. M. C. note que
la qualité de « vierge » indique probablement une situation privi-
légiée dans l'Kglise de Màni ; Bassa était une <( élue ».
A. L.
Les Actes Apocryphes de l'apôtre André; les actes d'André et de Mathias, de
Pierre et d'André et les textes apparentes par .1. 1'"i.amion S. T. L. Louvain-
Paris, 191 1. in-8°, de xvi-33o pages.
M. Flamion a étudié, avec la plus minutieuse attention, les travaux
de Lipsius, ceux de Bonnet et les miens; et il prétend restituer la
légende primitive du frère de Pierre — tâche que Harnack juge impos-
sible, avec beaucoup de sens. — Il croit la retrouver, essentiellement,
dans le texte de Grégoire de Tours, et aussi dans la Landatio et le
Martyr. I graec . (hymne à la croix) : elle daterait de milieux chré-
tiens plaionisants de la fin du m' siècle, tandis que les gestes d'An-
dré et de Mathias auraient pour patrie un monastère d'Egypte, au
Y*" siècle '. Ces conclusions sont très acceptables. Pourtant, notre
auteur prend comme point de départ le texte latin de la lettre des
prêtres d'Achaie et il en cherche le rédacteur dans le groupe auquel
j'ai rattaché Vitus, Cécile^ Agathe,.. . ". Pareille théorie me paraît
très douteuse. La pseudo-lettre a pu être utilisée par Vitus; mais elle
se rapproche davantage de Censiirinus, de la version mélitonienne du
Transitas Mariae et de la recension parisienne du Décret de Gélase ';
elle devait refouler une édition manichéenne des gestes de l'apôtre;
peut-être date-t-elle des environs de 520. Quant à l'hymne à la croix,
j'accepte la conclusion de M. F., dont l'analyse m'a paru fort intéres-
sante. Mais je regrette qu'il fasse tant d'accueil à la théorie allemande
et montre dans nos textes de purs romans ; ils constituent, à mon
sens, non pas du tout une littérature romanesque, mais une littéra-
ture polémique, dont les pointes ont été peu à peu émoussées par de
successives retouches; ils visaient, non à charmer l'imagination du
lecteur, mais à répandre certaines idées et à en combattre certaines
autres '.
A. DUFOURCQ.
Les Actes apocryphes de l'Apôtre André, par J. Flamion. Paris, Picard,
191 1 ; gr. in-S°, xvi-33o pages.
Étude critique des Actes d'André en leur diverses formes. Première
1. Trois parties : I. Les textes : i. occidentaux; 2. byzantins. — II. Les actes
primitifs, i . Le martyrium-source ; 2. Les hagiographcs byzantins; 3. Grégoire
de Tours. — lil. Les actes dWndré et Mathias.
2. Etude sur les Gesta Martyrum romains, tome H, p. 182-210.
3. Étude G. M. R., tome IV, p. 324-344.
4. Que dire de la langue qu'écrit M. F.? Qu'on en juge. « Ces chapitres viennent
de la forme donnée à la passion de l'épistolier, aussi bien que des préoccupations
moralisantes et édifiantes qui l'ont amené à faire une passion digne d'être lue à
l'office avec la tradition sur S. André », p. 43.
368 REVUE CRITIQUE
partie, discussion des textes byzantins ; deuxième partie, recherche
et reconstitution hypothétique des Actes primitifs d'André, d'où pro-
cèdent directcmcni ou indireciement les textes précédemment étudiés ;
troisième partie, complémentaire, examen des légendes indépen-
dantes des Actes primitifs, Actes d'André et de Mathias, de Pierre et
d'André, et textes apparentés. Le travail est très solide, l'analyse des
textes est très pénétrante, leur comparaison judicieuse. Mais Texposé
ne pèche point par excès d'ordre et de lucidité; les conclusions sont
éparses dans tout le livre, et l'auteur n'a pas pris soin de les résumer
en quelques pages qui permettraient de saisir d'un seul coup d'œil la
filiation des textes et les résultats d'ailleurs importants auxquels il
est arrivé. On nous permettra de ne point suppléer ici à cette omis-
sion. Disons seulement que, d'après M. F., les Actes primitifs com-
prenaient et le récit des pérégrinations apostoliques d'André et celui
de son martyre ; ils faisaient voyager l'apôtre depuis le Pont jusqu'en
Achaïe. C'est en Achaïe même qu'a dû être composé ce pieux roman.
Car il s'agit d'une création purement fantaisiste, composée à l'imita-
tion des « romanciers grecs ». L'hagiographe dépendrait du mouve-
ment néoplatonicien , « il suppose Ploiin » ; il vivait dans la seconde
moitié du 111'^ siècle et il a échappé à l'infîuence de la gnose. Une dis-
cussion plus claire de ce dernier point n'aurait pas été superflue.
A. L.
L'évolution du dogme catholique, par Félix Goblet d'Alviella. I. Les ori-
gines. Première partie. Paris, Nourry, 1912 ; gr. in-8, xni-347 pages.
C'est une tâche considérable que celle dont s'est chargé M. F. Goblet
d^Alviella. L'œuvre comprendra plusieurs volumes ; celui qui nous
est donné concerne les origines du dogme, le commencement des
origines. Préface de M. Salomon Reinach. L'auteur écrit dans son
introduction : « Puisque le dogme se dit immuable, infaillible,
expression parfaite et évidente de la vérité éternelle, et qu'il ne pos-
sède aucune de ces qualités, il renferme donc un principe d'erreur....
La science a donc pour devoir de le combattre. La science le fait sans
partialité et sans haine, uniquement parce qu'il s'agit d'une erreur. »
ïl s'agit donc d'une histoire qui n'est pas exempte d'arrière-pensée
polémique. Cependant le premier devoir de la science est d'être
elle-même, d'être de plus en plus la vérité. L'objet de l'histoire n'est
pas de contredire et de réfuter la théologie, mais de montrer ce qui
fut. Pas n'est besoin de vouloir prouver que les dogmes ne sont pas
immuables ; il suffit d'exposer comment ils se sont formés. La
démonstration sera d'autant plus efficace qu'ells n'aura pas été
cherchée.
M. G. d'A. est bien informé; il fonde son analyse de l'histoire et
des doctrines du Nouveau Testament sur les travaux critiques les
d'histoire et de littérature 369
plus récents, et l'on ne pcui pas le blâmer d'avoir été éclectique
dans son choix. Mais l'équilibre de sa synthèse en souffre peut-cire
sur certains points. Par exemple, en ce qui regarde la carrière de
Jésus, les emprunts qu'il fait à mon commentaire des Evangiles
synoptiques ne s'accordent pas avec l'idée, qu'il prend ailleurs, d'un
Jésus qui n'aurait pas eu de prétention messianique. L'Évangile n'a
pour moi de sens, et mon commentaire ne tient que dans l'hypothèse
contraire. Si Jésus n'a point été condamné, sur son propre aveu, au
supplice de la croix, comme prétendant à la royauté messianique,
c'est son existence même qui devient problématique. On ne peut pas
faire de lui un doublet de Jean-Baptiste. Les disciples de Jean ne
l'ont pas dit ressuscité, ils ne l'ont pas proclamé Christ, même quand
l'exemple des disciples de Jésus les y invitait. L'unique raison
qu'eurent les apôtres de penser que Jésus était entré dans la gloire
messianique par la résurrection est qu'ils croyaient d'avance, avec
Jésus lui-même, qu'il entrerait dans cette gloire par l'avènement du
règne de Dieu. Jean avait annoncé surtout le jugement de Dieu;
Jésus annonçait le règne, le triomphe des justes, où sa place était
marquée. A mon humble avis, « la science », si désireuse qu'elle
puisse être de «. combattre l'erreur », ne peut pas affirmer comme
choses certaines, ainsi que le fait M. G. d'A., que Jésus ne s'est pas
cru Messie, et que l'apôtre Pierre n'est jamais venu à Rome.
Alfred Loisy.
L'orientation religieuse de la France actuelle, par P. Sabatier. Paris, Armand
Colin, iq I I ; in- 18, 3 20 pages.
Sujet difficile, mais que nul ne pouvait traiter avec plus de compé-
tence, d'entrain et de confiance que M. Paul Sabatier. Son livre aurait
pu s'intituler tout aussi bien la Désorientation religieuse. A ne con-
sidérer que les faits, c'est même ce dernier titre qui conviendrait le
mieux. Mais par dessus les faits l'auteur étend comme un transparent
lumineux son indéfectible espérance. Les réalités seraient plutôt
sombres. M. S. établit assez péremptoirement que les Églises, suivant
avec trop de logique leurs propres voies, ont perdu le nord, et que
nul jusqu'à maintenant ne peut se flatter d'avoir retrouvé la bous-
sole qu'elles ont égarée. Mais M. S. n'en réussit pas moins à signaler
de ci de là, un peu partout, des efforts qu'il voit converger dans une
direction qui lui paraît être celle de l'avenir. La religion future,
n'existant encore qu'à l'état d'idéal, est par conséquent plus belle qu'elle
ne sera jamais si elle s'affirme dans le monde réel. La critique du
catholicisme officiel et du protestantisme, dans l'ouvrage de M. S.,
pourrait bien être plus solide que ses prévisions. Du moins l'auteur
croit-il à l'avènement de l'idéal nouveau comme les anciens pro-
phètes croyaient à l'avènement du règne de Dieu. Mais ces chose-là
370 REVUE CRITIQUE
n'arrivent jamais aussi prompteincnt ni aussi pleinement que l'an-
noncent les voyants.
A. L.
Arth. STKiN,Die Kaiserlichen Verwaltungsbeamten unter Severus Alexan-
der. Prag. i<ji2 (Extrait du Jaliresbciiclit 1 >/ 1 :j der I deiitsclicn Staatsreal-
schule tn Prag.) 21 p. in-80.
Ce petit mémoire contient le nom de tous les fonctionnaires
d'ordre équestre connus qui ont vécu sous Alexandre Sévère, depuis
les préfets du prétoire juqu'aux procurateurs de provinces, avec la
mention et, autant que possible, la date des charges qu'ils ont exer-
cées. La Prosopographia imperi romanii de Berlin rendait le travail
facile ; le mérite de l'auteur est de l'avoir complétée au moyen des
inscriptions parues depuis quelques années.
Studien zur germanischen Sagengeschichte, von D"^ Friedrich Panzf.r, Pro-
fesser an der Akademie zu Frankfurt a. M. II. Sigfrid. Mûnchen, Beck, 19 12.
In-8", x-282 pp.. 8 m.
Parmi les tentatives faites pour découvrir l'origine et le sens des
grandes épopées germaniques, il en est une, toute récente, qui n'a pas
eu la fortune qu'elle méritait. C'est celle dont l'auteur le plus qua-
lifié est M. Panzer. Ce distingué germaniste s'applique depuis plu-
sieurs années à démontrer que les légendes conservées dans les
poèmes les plus glorieux des Germains, Beowulf, Giidrun, Nibe-
liingenlied, sont la version héroïque de contes populaires encore en
circulation de nos jours. Après avoir, dans deux imposants volumes,
tenté la preuve de son opinion pour les légendes de Beowulf et de
Gudrun, il s'essaye aujourd'hui à la faire pour la légende de Siegfried.
Ce n'est pas le Nibelungenlied qui sert de point de départ à M. P.
pour ses investigations. Il n'y a pas lieu de s'en montrer surpris.
Tout le monde sait que le célèbre poème moyen-haut-allemand est
une rédaction « courtoise « de l'antique légende. M. P. a pensé
trouver la forme la plus primitive du récit dans le Lied vom hiimen
Seifrid. Ce poème populaire est beaucoup plus récent que le Nibe-
lungenlied, mais, comme le fait voir M. P. la rédaction que nous en
possédons est le remaniement d'un texte datant du xiii^ siècle. Une
minutieuse comparaison de ce Lied avec le conte — aux multiples
variantes — de Jean de VOurs ' a convaincu M. P. que la légende
est la mise en œuvre poétique du conte. Ainsi M. P. dépasse les cri-
tiques anciens qui, avec les Grimm, avaient reconnu la parenté de la
légende de Siegfried avec certains contes allemands, qu'ils appelaient
I. J'adopte ce titre qui est celui de l'une des variantes françaises, afin de rester
tout près du titre allemand, Bàrensohn.
d'histoire et de littérature 371
« Siegfriedmaerchen », mais croyaient, à Tinverse de M. P. que c'était
le conte qui s'inspirait de la légende. Par contre, M. P. détruit une
opinion universellement admise. On a, depuis Grimm, cru que la
légende de Siegfried et le conte de la Belle au Bois Dormant avaient
une commune origine, qui serait un mythe indo-européen. M. P. nie
toute identité de la légende et du conte. Ceci concorde avec sa
théorie d'après laquelle — il est sur ce point d'accord^avcc la plupart
des critiques actuels — la mvthologie n'aurait aucune part dans la
formation des légendes germaniques. Avec lui, nous croyons que la
solution du problème des origines des épopées germaniques est « non
dans le ciel, mais sur la terre ».
La légende de Siegfried n'est pas une. C'est un complexe où se
démêlent — dit M. P. — trois parties. La première, qui est aussi la
plus importante, est l'histoire de la libération de la vierge ravie par
un monstre : cette histoire fait le fond presque entier d\x~^ Lied von
hiirnen Seifried et de Jean de VOurs. La seconde, qui se lit dans le
Nibeliingenlied et d'autres documents surtout norrois, est l'aventure
d'un héros qui par son courage et sa force conquiert et dompte la
fiancée récalcitrante, c'est-à-dire l'aventure qui soumet Brunhilde à
Siegfried, puis à Gunther. Selon M. P. cette partie de la légende de
Siegfried est la version poétique d'un conte répandu aujourd'hui en
Russie, mais disparu, ou inconnu aux folkloristes, dans l'Europe
occidentale. Enfin, la troisième partie de la légende de Siegfried, la
mort du héros, aurait pour origine un conte dont le] sujet est l'invul-
nérabilité conditionnelle d'un mortel privilégié.
Il faut quelque bon vouloir et un esprit prêt à ne s'étonner de rien
pour suivre docilement l'argumentation de M. P. Parmi les rappro-
chements qu'il établit il en est qui apparaissent convaincants ; d'autres
sont moins persuasifs. Voici un exemple. Dans deux textes différents
M. P. constate que le héros triomphe de la fiancée récalcitrante en la
frappant de verges. Cette analogie lui suffit pour affirmer le rapport
de dépendance de ces deux textes. C'est peut-être un argument chan-
celant. D'une part, le trait n'est pas caractéristique; d'autre part il est
aisément amené par la situation, et la concordance remarquée peut,
en fin de compte, n'être qu'une simple coïncidence. Mais il faut dire
que ces points faibles sont assez rares dans le travail de M. P., dont
la méthode devient de plus en plus sévère et dont les déductions
offrent moins de prise à la critique aujourd'hui que dans ses pre-
mières oeuvres. L'érudit germaniste aura d'ailleurs eu le mérite de
faire prévaloir quelques idées justes dont ne se préoccupaient pas
assez les philologues de l'ancienne école, et ses études auront renou-
velé toute une branche de la philologie germanique en montrant la
valeur du conte populaire que l'on a jusqu'ici trop^ traité en Cen-
drillon.
F. Piquet.
372 REVUE CRITIQUE
Prof. Kttorc Rota. LAu8trii\ in Lombardia e la preparazione del movimento
democratico cisalpine. Milan, Soc. Dame .Migliicri, ia-8", 191 1, 295 p., 3 lire
(Bili|. stor. dcl Risorgimcnto, série VI, vol. ir)).
Les états de ritalic du Nord, cl la Lombardic spécialement, ont
accepté et supporté, plus aisément que tous les autres pays « affran-
chis » par nos armées de 1792 à 1801, les désagréments et les
charges, souvent écrasantes, de l'intervention française. Les Milanais
ont même collaboré de bon C(eur à une œuvre entreprise par des
mains étrangères, et donné libéralement ce qu'on réclamait d'eux :
argent, trésors artistiques et soldats. A quoi tient cette particularité,
qui étonna les Français eux-mêmes? M. R. estime que la seule expli-
cation acceptable est dans l'aversion profonde des habitants de la
Lombardie pour la domination autrichienne, aversion telle que tout,
même le despotisme des agents du Directoire, même l'avidité fiscale
d'un Haller, semblait préférable au retour des tedeschi. Le bâton
autrichien seul a fait ce miracle de mettre un Visconti et un Serbel-
loni à la tête d'une république démocratique milanaise. Le danger
autrichien passé, tout ce qui séparait dans le nord de l'Italie la popu-
lation en classes distinctes et traditionnellement hostiles a reparu peu
à peu, et la fragilité de l'état lombard est apparue tout de suite.
L'auteur n'a pas conduit son étude au-delà de 1797, ce qui ne per-
met pas de vérifier si son explication rend bien compte du mouve-
ment et de l'évolution des partis après la crise des « treize mois » et
le retour victorieux des Français à Milan. Mais l'étude qu'il a faite,
d'après la littérature imprimée et les archives milanaises, de la légis-
lation autrichienne (en matière politique et économique), des rela-
tions intellectuelles franco-milanaises au xviii^ siècle et de l'agitation
révolutionnaire en 1794-96 semble donner raison à sa thèse. Les faits
qu'il cite ne sont pas tous nouveaux, mais ils sont bien choisis et mis
en valeur, avec seulement parfois un peu trop de recherche dans le
style et trop d'expressions imagées. Le chapitre sur la fascination
exercée par le Paris de la fin de l'ancien régime sur les Milanais de la
classe éclairée est sans doute le plus neuf et le mieux venu. Peut-être
M. R. aurait-il pu essayer de noter avec un peu plus de précision le
sentiment vrai de la population milanaise lors de l'arrivée en 1796
des troupes victorieuses de Bonaparte. Les principaux témoignages
que nous en avons sont, ou un peu suspects, ou trop vagues; il y
aurait eu intérêt à en faire une critique plus serrée. L'ouvrage n'en
est pas moins agréable à lire, et utile. Un index alphabétique ou une
bonne table analytique ne l'auraient pas déparé, au contraire.
R. G.
-Henry Cochin, Lamartine et la Flandre, Paris, Pion, 19 12, in-S», p. xix-442.
Ce livre s'appuie sur une documentation considérable et solide;
dépouillement des œuvres et des mémoires relatifs à la monarchie de
d'histoire et de littérature 373
Juillet et à Lamartine —, longs fragments inédits du Manuscrit de
ma mère — , Iciires inédites nombreuses de l.amariinc dont 26 sont
publiées en appendice avec des notes biographiques sur les amis du
député, sur la composition du corps électoral — , documentation spé-
ciale dont des échantillons (profession de foi, rapports administra-
tifs...) figurent en fin du volume. Il se présente de manière aimable :
écrit avec entrain, alerte, plein d'anecdotes, à la fois minutieux et
attachant. Plusieurs résultats s'en dégagent.
D'abord dés précisions sur la biographie électorale et les opinions
politiques du poète. Sa candidature esquissée pour une élection par-
tielle à Dunkerque en nov. i83o sous le patronage des Saint-Simoniens,
organisée à Bergues en mai i83i sans succès, reprise pendant le
voyage en Orient à la fin de i832, réussit au mois de Janvier i833,
puis en 1834, enfin en 1837 :1e nombre de voix allait croissant. Peut-
être M. C. s'exagère-t-il la valeur de ce siège pour Lamartine : il reste
pour lui un pis aller qu'il abandonne dès qu'il est slir de Mâcon. —
M. C. nous présente un Lamartine original : bon enfant, candidat
attentif, député aux petits soins, hrQÏ xrhs politicien. Ses opinions sont
et restent nettement légitimistes mais en même temps nationales : il se
présente comme 1' « homme social », travaillant à la conservation de
l'ordre et très libéral, acceptant jusqu'en 1839 de collaborer avec le
Gouvernement de juillet qu'il déteste, puis désespérant de lui et le
combattant à outrance après la coalition. C'est la période conserva-
trice qu'étudie M. Gochin.
A côté de cet appoint appréciable à la biographie et à la psychologie
de Lamartine, on trouvera dans le livre en question : un tableau coloré
des mœurs (ch. 3) et de la vie économique (ch. 6) et politique (ch. 6
et 9) de la Flandre sous Louis-Philippe ; — des renseignements nom-
breux, précis, vivants sur la préparation des élections, la recherche,
généralement difficile, des candidats, le choix du lieu de scrutin,
l'administration, bref sur la « cuisine » électorale du gouvernement
d'abord hésitante et timide, puis pressante et ouverte. Ce livre pennet
de suivre l'action du gouvernement dans les provinces sous Louis-
Philippe ; comme tel, en dehors de ses qualités littéraires, en dehors
de sa valeur pour l'histoire de Lamartine, il offre un réel intérêt pour
l'histoire générale.
Charles-H. Pouthas.
A. Chambolle, Retours sur la vie. Paris, Pion, 191 2, in-80, pp. v-544.
Ces mémoires offrent un double intérêt : leur qualité littéraire :
un style simple et rapide, des portraits vivement brossés, des anec-
dotes abondantes et amusantes (je recommande particulièrement les
pages 91 et suivantes où la physionomie de Casimir Périer s'enlève
avec tant de relief et de pittoresque), leur valeur documentaire ;
ChamboUe, journaliste de talent d'abord au Courrier Français et au
374 REVUE CRITIQUE
NatioriiU, puis rédacteur en chef du Siècle de 1837 à 1849, fondateur
enfin et directeur de V Ordre (1 849-185 1 ) et députe intègre de la Ven-
dée (1838-1848), de la Mayenne eif 1848 et de la Seine ( 1849-1851),
signataire de la protestation des journalistes du 27 juillet i83o, exilé
après le 2 décembre, fut très intimement lié avec Odilon Barrot et
Thicrs. Ils sont un document sur les opinions à la fois libérales et
sages des partis d'opposition constitutionnelle sous la monarchie de
juillet. On y trouvera de plus un certain nombre de renseignements
tout à fait neufs : détails qui montrent bien la timidité et presque le
remords des auteurs de la Révolution de Juillet pp. 71-86), récit des
efforts pour constituer en 1837 un grand parti d'opposition libérale
(p. i35 et p. 142), des divisions au sein de la Coalition en 1839
(p. i5i sqq.), surtout ceci à propos de .la Réforme qui est une révéla-
tion : démarches de 62 conservateurs dissidents près de Guizot (fin
de 1846 ou début de 1847) pour lui demander des concessions libé-
rales (pp. 22 1-223) et quasi-conspiration des princes pour se désoli-
dariser de la politique de leur père et prendre l'initiative d'une réforme
(pp. 225-6). Depuis son exil, retiré de la vie publique, Ch. n'est plus
à même d'apporter grand'chose de nouveau à l'histoire: à noter poui^-
tant le récit d'une conférence chez Thiers le 7 ou 8 septembre 1870
où celui-ci combat la rentrée des princes d'Orléans en France (p. 402).
La publication de lettres inédites complète ces souvenirs : parmi
celles-ci, il y en a de tout à fait remarquables de Thiers sur la crise
orientale de 1840 (pp. 5o5-5o9) et sur les mariages espagnols (p. Sog).
Voilà donc une utile contribution à l'histoire du xix^ siècle.
Charles-H. Pouthas.
Léon Deloncle, Statut International du Maroc (Collection diplomatique n° i ),
Paris, Lechevalier, 1912, in-i6, pp. 347.
Idée heureuse que de vouloir réunir les textes qui établissent la
situation juridique du Maroc dans le droit international. Mais il faut
à un recueil de ce genre deux qualités . être clair, être complet. Ce
volume de M. D. n'a ni l'une ni l'autre.
Il n'est pas clair : l'ordre de publication des textes est mauvais
pour n'être franchement ni logique (des textes de nature très diffé-
rente : actes signés entre le Maroc et la France, actes signés entre
deux puissances européennes relativement au Maroc, actes internatio-
naux, figurent sous des rubriques communes ; les rubriques ne contien-
nent pas tous les textes qui leur reviennent, ainsi le régime des Con-
fins), ni historique malgré la division en 3 périodes : avant Algésiras,
Algésiras, après Algésiras ; (ainsi aux différents chapitres de l'Acte de
1906 sont joints les règlements applicatifs s'étendant jusqu'à l'heure
actuelle). Résultat : la physionomie des textes disparaît complètement ;
peut-on se faire une idée de l'Acte d'Algésiras si minutieux, si déve-
d'histoire et de littérature 375
loppé, ligotant si étroitement avec ses i2'3 articles notre action, lors-
qu'il est amputé de son préambule et morcelé en 7 morceaux isolés?
Il n'est pas complet; ce livre était composé en août 191 i. Depuis
lors, des événements sont survenus, des textes nouveaux ont été
publiés qui ont complété notre documentation et transformé la con-
dition du Maroc. Les voici : traité secret franco-anglais du 8 avril
1904 communiqué par les gouvernements le 24 novembre 191 i, traité
secret franco-espagnol du 3 octobre 1904 publiée par \c Matin du
8 novembre 191 i (on trouvera ces 3 documents dans les rapports
Long Chambre n*^ 1921 ou Baudin Sénat 1912 n" 244), traité de
Protectorat du 3o mars 19 12 (rapport Long Chambre n" 1994 ou
Baudin Sénat n" 268). D'ailleurs à la date même où était composé le
recueil, certains actes étaient connus qui n'y Hgurent pas : toute la
série des 7 traités de commerce marocains, l'arrangement franco-espa-
gnol sur le programme de la conférence i"^ septembre 1903, le traité
franco-anglo-espagnol de 1907 garantissant le statu quo territorial,
l'arrangement financier franco-marocain du 21 mars 19 10, accords
de mars igi i sur les féformes chérifiennes.
Ce livre devançait le moment où il était possible : à l'heure actuelle
il faudrait encore attendre le traité franco-espagnol, le règlement de
Tanger, les accords internationaux à venir pour l'abrogation des tri-
bunaux consulaires.
Charles-H. Pouthas.
C. CoLscN. Organisme économique et désordre social. Paris, Flammarion
(Bibliothèque de philosophie scientifique), iyi2. ln-12, 364 p.
M. Colson est un penseur vigoureux. L'expérience des grandes
entreprises, le goût et le don du raisonnement mathématique, l'indé-
pendance d'esprit donnent à ce qu'il écrit une singulière valeur. On
n'en éprouve pas moins un certain malaise, en face de ce dyptyque
où il a cherché à figurer d'une part l'harmonie économique (le mot
d'organisme, comme le dit très bien M. C. lui-même, est dangereux),
de l'autre le désordre social.
Sur bien des points, les démonstrations de M. C. paraîtront con-
vaincantes. 11 saisit à bras le corps les conceptions inconsciemment
« réalistes » de l'école sociologique. Dans la permanence des phéno-
mènes sociaux, où l'école voit un caractère spécifique, M. C. ne
découvre qu'une simple application de la loi des grands nombres.
On pourrait dire, renversant les propositions de M. Durkheim, que ce
qui est véritablement sociologique dans le fait social, c'est la variation,
la permanence étant purement d'essence mathématique. — M. C. se
livre également à une analyse serrée de ce que l'on peut appeler la
« mystique » du socialisme. 11 oppose à Karl Marx une théorie rela-
tiviste de la valeur. Il renverse quelques-unes des idoles de la tribu,
3-6 REVDE CRITIQUE
par exemple ceiic idée bizarre ci lu-rasic que le travail serait en quan-
tité limitée et que, par conséquent, en tète du décaloguc où s'inscrira
la morale des producteurs, devrait rigurer une nouvelle obligation, le
devoir de la sous-production. Malthusianisme industriel, qui menace
de se répandre depuis l'Australie jusqu'aux antipodes de ce conti-
nent, et qui irait directement à l'encontre de la civilisation. — Signa-
lons au passage quelques pages non moins fortes, par exemple
(p. 16-17) sur l'orientation à donner à l'enseignement, sur l'abus des
bi — tri — et quadrilurcations, « et cet amas de prétendues con-
naissances pratiques, qui enlèvent au travail de la jeunesse une
grande partie de son efficacité ». — De même il sera bien difficile
de ne pas souscrire aux plaintes que M. C, en homme averti, nous
fait entendre sur la diminution du rendement des services publics, et
surtout sur la baisse, dans certains corps de fonctionnaires, du dévoue-
ment professionnel. Il n'est personne qui, assistant à une réunion de
fonctionnaires, — - fût-elle de l'ordre le plus élevé — ne se soit cru
parfois dans un syndicat d'épiciers ou de balayeurs, tant les ques-
tions de « ventre >- y priment toutes les autres'.
Mais s'il y a d'excellentes choses dans le livre de M . C, on esii-
niera sans doute qu'il yen a trop. Il semble qu'en 3 5o pages il ait
voulu nous donner sa confession, le résumé de toutes ses expériences,
sa conception générale de l'homme et de la vie.
Cette conception est à la fois optimiste et pessimiste. Tout est
bien, dirait volontiers M. C, sortant de la main de la nature, c'est-à-
dire du libre jeu des luis économiques ; tout est mal, sortant du cer-
veau des réformateurs sociaux. Resterait à expliquer — puisqu'en
définitive c'est des faits que proviennent les doctrines — comment
l'harmonie économique engendre le désordre social. Est-ce que,
fatalement, le progrès trouverait sa limite en soi-même ? Alors c'est
une conclusion résolument pessimiste qu'il faudrait tirer du spectacle
de l'histoire.
Optimiste, M. C. l'est sans hésitation lorsqu'il loue les institutions
patronales, y compris les économats ; lorsqu'il admet, ici-bas, l'exis-
tence d'une sorte de a justice dans la répartition des biens » ; lorsqu'il
écrit cette phrase : « la base des droits de chacun dans les biens pro-
duits, c'est la part qu'il a prise à leur production », phrase complétée
par celle-ci : « Les détenteurs actuels... ne puisent dans leur posses-
sion aucun droit propre ; mais ils usent des droits que leur ont trans-
mis leurs auteurs ». J'entends bien comment un producteur a pu
légitimement disposer de la partie non consommée des produits de
son travail (mais alors pourquoi, p. i32, lui enlever le droit d'exhéré-
dation ?) ; je vois moins bien comment ce droit du testateur crée un
droit à l'héritier, même ab intestat. Et M. C. ne le voit pas près bien
lui-même, puisque, s'engageant dans une voie que les conservateurs
purs trouveront dangereuse, il arrête à un certain degré le droit des
d'histoirk kt de littérature 377
collatéraux. C'est dire que riicriiage n'a d'autre jusiiricaiion que son
utilité sociale actuelle — actuelle, et par conséquent changeante.
M. C. oppose (p. 42) à toutes les révolutions passées, souvent bien-
faisantes malgré leurs violences, toute révolution future possible,
nécessairement malfaisante. Pourquoi vouloir arrêter l'histoire?
Assurément une révolution nouvelle serait une violation de la pro-
priété. Mais est-ce que l'histoire est autre chose qu'une série de vio-
lations de la propriété ? On a violé la propriété des patriciens, lors-
qu'on les a privés du droit d'enchaîner leurs débiteurs. On aurait
violé la propriété d'un industriel athénien, tel le père de Démos-
thène, si l'on avait affranchi ses esclaves armuriers, c'est-à-dire son
capital. On a bien violé la propriété des planteurs des Antilles,
comme celle des corporations de métiers, comme celle de l'Eglise,
comme celle des seigneurs terriens. On pourrait dire que l'histoire
des progrès de la civilisation, c'est l'histoire des viols successifs de la
propriété. Si le fait de l'appropriation est un fait essentiel et perma-
nent, les formes de la propriété sont transitoires. Pourquoi la forme
actuelle, le capitalisme industriel, échapperait-elle au sort de ses
devancières ?
Au candidat à la succession du capitalisme, à savoir au syndica-
lisme, M. C. reproche deux choses. La première, c'est d'être inutile.
L'amélioration du sort des ouvriers, dit-11, se serait produite d'elle-
même, en vertu de l'action des lois économiques. Ce n'est pas,
cependant, ce que l'on constate en étudiant l'histoire économique des
quatre derniers siècles.
M. C. ne tient pas compte de la résistance opposée par le milieu à
la hausse normale des salaires dans toutes les époques de non-
liberté de coalition et de non-intervention. C'est une remarque faite
par un économiste aussi pondéré que feu Levasseur : dans les périodes
d'accroissement du stock métallique, les salaires croissent moins vite
que les prix, moins vite par conséquent que ne les ferait croître le
libre jeu des lois économiques. Turgot l'avait dit avant Levasseur.
C'est qu'à tout moment il existe, formelle ou tacite, consciente ou
non, une coalition des employeurs; la coalition des employés et
l'action des lois positives ont pour objet de rétablir l'équilibre.
M. C. reproche ensuite au syndicat (et sans faire, d'ailleurs, une
place à part au syndicat de fonctionnaires) sa malfaisance. Il le consi-
dère comme un élément de désordre social, comine une cause de
recul vers la barbarie. Assurément, les événements actuels semblent
lui donner raison. Mais n'oublie-t-il pas ceci? Actuellement une mino-
rité, organisée en un petit nombre de fédérations puissantes, est en
face d'une masse amorphe, qu'elle domine et qu'elle écrase; mais
lorsque cette masse sera également répartie entre d'autres associa-
tions, l'équilibre ne s'établira-t-il pas entre les intérêts rivaux? Dans
un Parlement syndical^ des transactions s'imposeraient entre groupes
3ji> RKVDE CRITIQUE
sociaux comme, dans le Parlemeni poliiique d'aujourd'hui, entre
partis. — Fata viam invcnicnt. Dans une société nouvelle, le besoin
d'ordre qui est coni^éniial à riionime ferait aussi de Tliarmonie avec
de la discorde. Il me semble que cette vue devrait plaire à l'opti-
misme de M. C.
Un livre qui soulève de tels problèmes est tout le contraire d'un
livre inutile. Nous ne saurions trop conseiller aux lecteurs qui
veulent se donner le temps de réfléchir la lecture de celui de M. C.
On abuse souvent de ce mot : les livres « qui font penser ». Celui-ci
en est un.
Henri Hauser.
Guides artistiques et pittoresques des Pays de France, publiés sous la direc-
tion de L. DiMiER. La Haute-Normandie, par G. Fossey et G. Longnon.
Paris, Delagravc, s. d. [1912]. ln-8», 692 p. Une carte et des plans. Index.
Nous n'avons pas à revenir sur les caractéristiques de cette nouvelle
collection (voy. Revue du 21 sept. 1912). On sait que ces guides
ignorent délibérément les chemins de fer, les hôtels, etc. Ce nouveau
volume contient un exposé de l'histoire de la Normandie, et un
exposé de l'art normand : il se classe donc, logiquement, avant la
Basse-Normandie, précédemment parue. A signaler l'important mor-
ceau sur Rouen, où la ville est décrite con amore, Dieppe, le Havre.
Il y a, hélas ! quelque chauvinisme à dire du Havre : « le second des
ports de France et l'un des premiers de l'Europe ». Cela fut. — On
s'étonne, dans une collection destinée à reproduire la physionomie
des pays de France, qu'il soit fait si peu de place à la géographie
physique, surtout lorsqu'il s'agit de « pays » aussi nettement carac-
térisés que le Caux ou le Bray. — Le parti adopté pour les renvois
rend certains plans (ceux des quartiers de Rouen) pratiquement inuti-
lisables. — Le style, à force de préciosité archaïque, est contourné et
bizarre. P. 58 : « La Normandie de l'unité française, plus que celle
des ducs y est concernée ». — Les auteurs tiennent à commettre l'aga-
çant solécisme (il date, si mes souvenirs ne me trompent, du Cosmo-
polis de M. P. Bourget) qui consiste à orner d'une majuscule les adjec-
tifs géographiques : « l'unité Française, l'architecture Normande ».
H. Hr.
F. Arnaudin, Chants populaires de la Grande-Lande, t. 1, Paris, Champion,
1912. In-i2"de LXXXVI-52I pp. Pr. S frs.
Ce recueil, dit l'auteur dans sa préface, est le résultat de « patientes
recherches commencées il y a quelque trente-cinq ans, d'abord par
amusement, aux veillées de mon village ou en voguant sur la bruyère
pour la simple satisfaction d'un goût personnel, mais qui se sont
peu à peu étendues, en prenant un but, aux villages environnants,
d'histoire et de littérature 37g
puis à la Grande-Lande ei au pays de Born en entier, enfin aux loca-
lités des Petites-Landes et du Marensin les plus proches ».
\[ conùeni \es Chants du premier âge : berceuses et amusettes, et
des Chansons de danse : rondes enfantines, chansons de neuf, chan-
sons énumcratives, chansons facétieuses et burlesques, chansons
satiriques. Chaque texte en patois est traduit en français et accom-
pagné de la mélodie. Les Chansons d'amour viendront, nous espé-
rons que ce sera bientôt, dans le deuxième volume. Un troisième
Sera consacré aux Chants divers, chants des moissonneurs, com-
plaintes antiques, légendes pieuses, enfin HM-m Chants nuptiaux. C'est
dire la variété de cette nouvelle gerbe qui vient enrichir le folk-lore
français. Peut-être n'aurions-nous pas rangé les fîeurs qui la com-
posent tout à fait ainsi que l'a fait M. Arnaudin. Mais ceci est une
affaire de goût et de méthode. L'essentiel est que les traditions qui
nous sont ainsi conservées, aient été recueillies avec une absolue
sincérité, le scrupuleux souci de la plus minutieuse exactitude Jusque
dans les moindres détails. M. Arnaudin nous l'affirme et l'on s'en
rend compte, de reste, à la simple lecture. « C'est pour la partie
musicale pareillement, dans toute leur pureté originelle, que nos
vieilles chansons sont présentées ici, et nettes, inutiles de l'ajouter,
de la plus petite retouche ou addition personnelle, telles que me les
ont fournies ceux et celles — imposante en est la liste — qui les
tiraient des plus anciennes sources et les avaient conservées le
mieux ».
Outre son intérêt philologique et poétique, cette collection, lors-
qu'elle sera achevée, permettra une psychologie du paysan landais
que, peut-être, tenterons-nous alors d'esquisser.
Léon Pineau.
— L'ex-dominicain Alph. Vict. Muller a écrit Liithers theologisclie Qiiellen,
Seine Verteidigung gegen Denijle wid Giisar (Tôpelmann, Giessen, 19 12, xvi-
244 p. 5 M.) pour prouver que les thèses fondamentales de Luther ne furent nul-
lement inventées par lui, mais appartenaient au contraire à la plus authentique
tradition catholique et trouvèrent même, jusqu'à son époque, des défenseurs
convaincus au sein de l'Église. L'abbé Turmel, qui passe pour l'un des plus
grands historiens catholiques, ne dit-il pas dans la Revue d'histoire et de littéra-
ture religieuse (1902, p. 527), en parlant de la doctrine du « De nuptiis » : elle
avait trouvé un asile sous le cloître des Augustins et s'y perpétuait jusqu'au jour
où, associée à des colères, à des rancunes et à une logique à outrance, elle servit
à allumer dans l'Eglise un immense incendie » ? Le général des Augustins Séri-
pandus et les théologiens de cet ordre qui le représentèrent au Concile de Trente,
défendirent les mêmes doctrines que Luther sur la concupiscence et le péché ori-
ginel, la justice parfaite, la justilication par la foi en un mot. Denifle et Grisar
avaient attaqué en Luther l'homme, le moine et le théologien; l'homme a été
défendu par Walthcr dans Fiir Luther, wider Rom (Halle, 1906). C'est le moine
38o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
et le théologien que prétend réhabiliter M. M. en étalant l'ignorance de Denifle et
même sa mauvaise foi, et l'incompétence absolue de Grisar qui ne cesse de copier
Denifle que quand il copie les critiques des théologiens protestants contre Luther,
et quand, dans son chapitre sur la « Religion du serf arbitre », il reproche au
réformateur des doctrines qui aujourd'hui encore sont considérées comme ortho-
doxes par une partie des Dominicains. Livre intéressant, plein d'imprévu et de
points de vue nouveaux. —Th. Sch.
Encore un livre sur Bergson : Une philosophie nouvelle. Henri Bergson
(Alcan, 1912. v-209 P- in-iG"; 2 fr. 5o. Bibliothèque de philosophie contempo-
raine) par M. Ed. Le Roy, qui réunit ici ses deux articles de la Revue des Deux-
Mondes (1" et i5 févr. 19 12) sur la Méthode et la Doctrine, en y joignant une Pré-
face (avec un extrait de la lettre que M. Bergson lui adressa à l'occasion de ses
articles) et, en plus d'une Conclusion, sept Explications complémentaires sur
« quelques points plus importants ou plus diflïciles » comparables aux « centres de
relief principal où se doit rassembler la lumière de l'attention ». M. L. veut nous
donner « simplement quelque chose comme un guide préliminaire à l'usage de
ceux qui voudraient s'initier à la philosophie nouvelle ». Pour lui, cette dernière
« comptera aux yeux de l'avenir parmi les œuvres les plus caractéristiques, les
plus fécondes et les plus glorieuses de notre époque ». Caractéristique, elle le
sera sans doute, mais peut-être pas dans le sens qu'on lui attribue ici; et un sou-
rire seul peut répondre à cette naïve déclaration que « la révolution qu'opère
cette oeuvre égale en importance la révolution Kantienne ou môme socratique ».
Ne rendons pas M. Bergson responsable des maladresses de ses admirateurs;
sans être « désormais le point de départ de toute philosophie spéculative », la
sienne nous apporte sinon du nouveau, du moins une manière nouvelle de formu-
ler d'antiques vérités et nourrira l'esprit de quelques-uns de nos contemporains,
en attendant qu'un autre système le remplace pour un temps, comme les couches
de feuilles sèches se succèdent et se recouvrent dans les forêts primitives.
— Th. Sch.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-eu-Vel»y. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
R £ V U h u i< i i i Q U E
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 46 — 16 novembre. — 1912
Margoliouth, Dictionnaire de Yaqoût, IV. — Jkquier, Décoration égyptienne. —
GuuM et Steindorff, Actes coptes de Djéme. — Reutter, L'embaumement égyp-
tien. — Le.squier, Les institutions militaires de l'Kgyptc [sous les Lagides. —
JouGLiET, Papyrus grecs, II, 2-4. — Textes grecs d'Aboukir el Meleq. — R. Del-
BRûcK, Monuments hellénistiques du Latium, H. — Vitae \'ergi]ianae, p. Brum-
-MER. — ZiELiNSKi, Cicérou, 3« éd. — Les origines diplomatiques de la guerre
de 1870, 4 et 5. — Blondel, Les embarras de rAliemagne. — Jirecek, Histoire
des Serbes, I. — Dukmeyer, Le Diarium in Moscoviam, II. — Duc:mesne, Le
Domostroï; Lermontov. — Habermann, Le projet Stolypine. — Pétition du Land-
tag de Finlande. — Finlande et Russie. — Martinovitch, Karagueuze. — Jeli-
nek, La littérature tchèque contemporaine. — Haumant, Pouchkine. —
KuLCZYSKi, Histoire de la révolution russe. — Pinès, Histoire de^'la littérature
judéo-allemande.
Yaqut's Irshad al- Arib ila ma'rifat al-Adib, éd. by D. S. Margoliouth :
vol. V. Leyden. Brill, 1911 (Gibb Mémorial séries, vol. VI, 3), in-4°; xii-5'.'O pp.
M. Margoliouth publie le quatrième volume du dictionnaire de
Yaqoût, qui renferme les biographies d'un certain nombre de per-
sonnages dont le nom commence par la lettre 'ain. Le volume précé-
dent contenait la lettre ha : une partie importante de Touvrage manque
donc dans les manuscrits connus, et l'éditeur, dans l'espoir que des
documents nouveaux pouvant surgir, renouvelle l'appel qu'il avait
fait en tête du tome troisième : il est à souhaiter qu'il trouve un écho
et que soit complété un ouvrage qui fournit un apport considérable à
l'histoire de la littérature arabe. Comme pour les précédents, l'exécu-
tion matérielle du nouveau volume est quasi parfaite. Les corrections,
suggérées par l'éditeur, sont en général fort Judicieuses. — Des
notices étendues sont consacrées à des personnages illustres, tels
qu'El Kisai, El Baîhaqi, etc.; — on y lira toute une anthologie de
vers, qui en sont point tous des jeux d'un esprit pédantesque. — Les
listes des ouvrages attribués à chaque auteur fourniront des rensei-
gnements bibliographiques nouveaux '.
I. Par exemple, pour Abou 1 Faradj el Isfahâni (p. i5i et i52), la liste de Yaqoût
complète celle de Hadji Khalfa et du Fihrist, qui paraissent avoir omis des
ouvrages importants de l'auteur du Kitâb el Agliâni. Yaqoût, d'autre part, ne lui
attribue point le Ayan el Fours de H. Kh., t. I, p. 365, ce qui ne permet pas de
considérer comme résolu le petit problème posé in Ibn Khalliqan, tr. de Slane,
t. III, p. 647, note II. — Yaqoût, pour les titres connus de H. Kh., a des variantes
Nouvelle série LXXIV 46
382 RKVUE CRITIQUE
Enlin, il y a abondance d'indications piccicuses pour rétude de la
société arabe : — des pages bien amusantes sur la saleté de l'auteur du
Kitâb cl Aghàni et sur la tenue qu'il avait à table (p. i 5? s. i; — p. 242,
l'anecdote sur le poète Ibn Roumi qui, pendant trois jours, ne sort
point de chez lui, au risque de faire mourir sa famille de faim et de
soif, plutôt que de risquer la vue néfaste de son voisin le borgne ; —
p, 260 le cadi qui s'enivre, mais sans appeler de son vrai nom,
khamr, le vin qu'il baptise successivement de six ou sept autres
vocables. — De la notice consacrée au khalife 'Ali (p. 262), il résulte
que Yaqoùt ne croit pas à l'authenticité du divan attribué, dès une
époque ancienne, au gendre du Prophète; — (p. 272) il faudrait
quelque effort pour s'intéresser aux jeux de mots ineptes qui font
dire au pauvre savant qui les écoute : « Pourquoi toutes les bêtes
s'acharnent-elles aujourd'hui sur moi ! » — p. 347-375 : très impor-
tante biographie d'Abou i Fath. visir du Bouide Rokn ed daouleh.
M. G. D.
G. JÉQuiER. Décoration Egyptienne, Plafonds et frises végétales du Nouvel
Empire thébain ^1400 à 1000 av. J.-C), Paris, Eggimann, 1912, in-40, p. 25-28
et pi. VII-VIII, XI, XVI, XXI-XXVI, XXVIII-XXX, XXXIII-XL.
Je rendais compte de la première livraison de cet ouvrage l'an passé,
à pareille époque : la seconde a suivi la première au bout de six
mois. Elle contient les dernières lignes du texte, les tables, et vingt-
une planches en couleur. L'éditeur a fait largement les choses et nous
devons lai en être reconnaissant, mais il avait reçu de si bons élé-
ments de reproduction, qu'il aurait été inexcusable de nous donner
un volume médiocre. Je crois que les personnes qui s'imaginent
encore que l'art de l'Egypte était monotone, seront bien étonnées en
parcourant ce recueil : elles y trouveront une variété de formes, une
richesse de coloris et une fraîcheur d'imagination qui les porteront
peut-être à craindre que M. Jéquier n'ait agi parfois à la façon de
Prisse d'Avenues, et que ses copies ne soient par endroits de belles
infidèles. Je puis les rassurer : tout y est rigoureusement exact, des-
sins et couleurs, et la seule liberté que M. Jéquier ait prise avec ses
modèles, c'est de n'y pas tenir compte des cassures de la pierre et des
manques de l'enduit sur lequel les motifs étaient peints. 11 a eu raison
de procéder ainsi, dans un livre destiné à faire connaître non pas
l'état actuel des monuments, mais les types de décoration végétale
dont les Egyptiens ornaient les plafonds. Les exemples recueillis
ici proviennent des tombeaux et c'est dans les tombeaux en effet que
intéressantes : udàbâ l ghtirabâ au lieu de àdàb (I, 21 3), el ghilmân el miivglian-
niin (V, 127), etc. — Quelle raison a fait préférer par l'éditeur (p. i5i av. dern.
1.) diyânât à diyâvât, que lui donnait son second manuscrit et qui paraît consacré
par H. Kh., t. III, p. 240, par le Fihrist (p. 1 19) et par le manuscrit de Berlin (Broc-
kelmann, G. A. Litt., t. I, p. 146) ?
d'hISTOIRK et DK LlTnCRATUHK 383
la conservation des plafonds est meilleure; mais les mêmes poncifs
étaient usités dans les palais royaux ei dans les maisons des nobles ou
delà classe aisée : le Musée du Caire possède des fragments ramassés
dans les ruines du palais d'Aménôthès III, à Médinét-Habou, qui
procèdent d'une inspiration aussi puissante et aussi féconde. Je crois
me rappeler que M. Jéquicr projette de publier d'autres séries de
motifs empruntés aux nécropoles thébaines : j'espère qu'il ne laissera
pas tomber ce projet, et que M. Eggimann lui en facilitera l'exé-
cution.
G. Masi^ero.
W. E. Crlm et G. Steindorff, Koptische Rechtsurkunden des achten Jahr-
hunderts aus Djème (Theben), i'^'- Band : Texte und Indices von W. E. Crum,
Leipzig, J. C llimichs'schc Biichhandlunt;, ii)i2, in-4°, iv-470 p. Prix : 56 f"r. 25.
Les deux collaborateurs se sont partagé la tache : Steindorff s'est
réservé la traduction et le commentaire, Crum a pris pour lui ce qu'il
y avait de plus ingrat, la copie et l'établissement des textes ainsi que
la compilation des Index. Il s'est acquitté de sa besogne avec la cons-
cience voulue, et il nous a donné une œuvre dont on ne saurait trop
le remercier et dont il est impossible de faire valoir l'importance
dans un compte rendu rapide. On avait publié antérieurement un
certain nombre de ces mêmes pièces, mais isolées, et souvent avec
des erreurs dans le déchiffrement que l'état des manuscrits excusait,
bien qu'elles fussent de nature à nuire par endroits à l'intelligence
des documents. Le présent volume renferme tout ce qu'il a été pos-
sible jusqu'à ce jour de réunir du cartulaire d'une des petites villes
qui s'élevaient sur la rive gauche du Nil en face de Thèbes, celle de
Djèmé, et la comparaison a permis, tout en comblant beaucoup des
lacunes que plusieurs d'entre eux présentent, de lire sûrement divers
passages demeurés douteux aux premiers éditeurs. Nous possédons
maintenant, grâce à Crum, un ensemble d'actes assez fidèlement
reproduits, pour que les juristes de profession puissent y étudier en
toute sécurité certaines portions du droit copte-byzantin, tel qu'il sub-
sistait encore un siècle ou un siècle et demi après la conquête arabe.
Il y en a de toute espèce, mais surtout des actes de vente, de par-
tage et de donation et des testaments. Le corps en est toujours écrit
en copte, et il n'en pouvait guère être autrement, le copte étant le
langage parlé dans la plaine thébaine, mais l'influence des coutumes
administratives de l'empire byzantin était si forte encore que, dans
bien des cas, la formule initiale d'invocation à la Sainte Trinité, et la
signature du notaire sont en grec, un grec plein de fautes, il est vrai :
c'est ainsi qu'une donation d'enfant faite en 8i3 de notre ère ss ter-
mine par les mots îyw a!3^a aTra-r/ip [j.ov sXa z'[ p7.'\i'(-t . L'arabe en revanche
ne ligure qu'en tète des feuillets dans le protocole obligatoire. La
rédaction est verbeuse, emphatique, comme celle des papyrus byzan-
384 REVUE CRITIQUE
lins, Cl il semble bien que les formules n'aient été à Torii^ine que des
traduciions du grec : des développements s'y mêlent pourtant çà et là,
qui ont été ajoutes par les scribes coptes. Autant que je puis voir,
c'est surtout dans les donations d'enfants faites aux monastères que
les éléments coptes prédominent : on le comprend de reste, si l'on
songe que les donations de ce genre semblent être devenues, sous la
domination musulmane, beaucoup plus fréquentes qu'elles ne l'étaient
sous celle des empereurs. Environ les deux tiers des pièces — quatre-
vingt-quatre sur cent-vingt-trois — étaient inédites et sont mises ici
pour la première fois à la disposition des savants; pour le reste, Crum
a presque toujours collationné lui-même les originaux.
Les Index sont des plus riches. Comme celui des mots coptes con-
tient des termes inconnus jusqu'à présent ou des expressions juri-
diques qui ne sont pas familières au plus grand nombre des lecteurs,
je regrette que Crum n'y ait joint aucune traduction : il aurait pu le
faire sans que cela déflorât le commentaire de SteinJorff. Rien qu'à
le parcourir, j'y ai noté des faits précieux pour l'histoire de la langue :
par exemple, a pour s et a pour 0 ont persisté plus longtemps que je
ne pensais, au moins dans l'usage de quelques personnes. Après l'In-
dex des mots coptes celui des mots grecs est le plus intéressant, en
ce qu'il nous permet de vérifier une fois de plus les procédés de
déformation par lesquels ces mots ont passé, à l'entrée dans le langage
courant des Egyptiens. Disons pour terminer que le volume entier
est autographié ; l'écriture en est si nette que, malgré sa petitesse, elle
est partout parfaitement lisible. Fond et forme extérieure, tout est
excellent.
G. Maspero.
L. ReuTTER, De l'Embaumement avant et après Jésus-Christ, avec analyses
de masses résineuses ayant ser\ i à la conservation des corps chez les Anciens
Egyptiens elles Carthaginois. Paris, Vigot, 1912, xii-172 p.
Les procédés de l'embaumement égyptien ont été reconstitués avec
exactitude médicale et archéologique, en dernier lieu par le D'' EUiot
Smith et par ses collaborateurs., mais on connaît assez mal encore la
nature de la plupart des substances qui étaient employées par les
taricheuies. Il est certain qu'ils se servaient de résines, mais des-
quelles plus particulièrement? C'est ce que le D'' Reutter a essayé de
déterminer par l'analyse des échantillons que je lui avais envoyés, et,
après avoir étudié ce qui concerne l'Egypte, il est passé à Carthage,
grâce à la complaisance du Père Delattre. Il y a dans l'ouvrage où
il publie ses recherches, des descriptions d'opérations chimiques et
des discussions d'ordre purement technique, dont je me garderai bien
de faire part aux lecteurs de cette Revue : il est probable qu'ils ne les
comprendraient pas mieux que moi. Elles ont prouvé suffisamment
au D"" Reutter « que les Anciens utilisaient pour la conservation des
d'hiSTOIRK KT I)K I ITTKRATURE 385
« cadavres des substances melani^ées provenant soit d'arbres indi-
« gènes, soit d'asphalte ou de baume de Judée, soit de baume tel que
a le styrax dont les efieis sont antiputrides. En s'aidant de la dessica-
« tion favorisée par le climat, le sol et pour les Egyptiens du natron,
« corps déshydratant par excellence, ils parvenaient à embaumer les
« corps ». Pour plus de précision, disons que Téchantillon recueilli
dans le sarcophage d'un certain Hikaoumsaf, d'époque saïte, com-
prenait, avec diverses parties de subsiances sans valeur antiseptique,
des débris d'un bois aromatique, probablement un genévrier, Jutiipe-
riis Phœnicea, Jiinipcrus Oxycedriis ou Juniperus Drupaceay de la
Térébenthine de Chio, de la résine de cèdre, du styrax provenant du
Liquidambar Orientali.s, de la résine d'Alep et du mastic Pistacia
Lcntisciis. 11 va de soi que ce sont là seulement des résultats très par-
tiels : les substances utilisées par les prêtres varièrent grandement
selon les époques, et, dans une même époque selon les localités.
D'autres analyses pourront amener leurs auteurs â des conclusions
ditférentes, qu'il faudra accepter sans repousser celles qui les ont pré-
cédées. Les Egyptiens agissaient empiriquement, et pourvu qu'ils
arrivassent à leur fin, qui était de perpétuer l'existence du cadavre,
ils ne s'avisèrent pas d'employer toujours les mêmes matières : c'est
ce qu'on ne doit jamais oublier quand on se livre à des études du
genre de celles que le D'' Reutter a entreprises si heureusement.
G. Maspero.
J. Lesquier, Les institutions militaires de l'Egypte sous les Lagides. Paris,
Leroux, 191 i ; in-8", xviii-383 pages.
Un ouvrage sur ce sujet doit forcément, dans l'état actuel de nos
connaissances, tenir moins et plus que ne promet son titre. Étudier
l'armée ptolémaïque, c'est aborder la question des clérouques, et par
elle toute une portion des institutions civiles, de l'administration, de
l'économie du pays. D'autre part les documents conservés concernent
presque tous ces mêmes clérouques : la description de l'armée des
Lagides ne peut donc encore se faire qu'en partie, et avec peine. Les
divergences d'opinion qu'on remarque entre les divers auteurs qui
l'ont déjà tentée, témoignent de cette difficulté.
Les trois éléments dont l'armée se compose sont appelés ici : indi-
gènes, mercenaires et réguliers. Ce dernier terme n'est peut-être pas
très heureux, puisque ces hommes sont en principe des mercenaires
étrangers, payés en nature, pour ainsi dire, au lieu de l'être en argent.
Il n'y a pas, entre les deux dernières classes, de différence indélébile :
car il existe des mercenaires clérouques, qui sont ainsi devenus de
vrais réguliers. xVIais cette question de détiniiion est secondaire, et en
pratique la distinction devait être faite. Le trait le plus caractéristique
du système est l'emploi, de plus en plus fréquent, des indigènes :
386
RICVUR CRITIQUK
d'abord seulement des ,ui/i[xot, classe privilégiée héritée de l'Egypte
pharaonique, puis de tous sans distinction. Cependant ce troisième
clément reste bien distinct, au moins en théorie, ei ne se fondit jamais
dans l'armée régulière.
Les réguliers, ce sont les clérouques ; dès la page 3o, c'est à eux
que se consacre l'attention de M. Lesquicr. C'est la partie la plus déli-
cate du problème, celle où les hypothèses jusqu'ici émises se contre-
disaient le plus violemment. Entre les opinions qui représentent les
clérouques comme constituant une armée active ou une armée terri-
toriale, l'auteur a pu avancer une thèse qui, ici comme dans la ques-
tion des x^; ÈTTiYovfic;, a bien des chances de nous donner la solution
définitive. Les clérouques sont des soldats actifs en disponibilité.
Pour se créer une armée d'apparence nationale, les Lagides ont eu
recours, à un expédient : des mercenaires étrangers ont été attirés et
fixés en Egypte par l'octroi de la jouissance d'une terre. Dans les
intervalles des campagnes, ils cultivent leur yJà^po^, contribuant ainsi,
par les colonies qu'ils forment, à la diffusion de la culture grecque.
Par l'hérédité de la tenurc concédée, les Ptolémées parvinrent à for-
mer une caste militaire, et à assurer l'avenir du recrutement. De Là
découle une nouvelle et ingénieuse conception des x-^; lTzi'{ovf,ç : ce
sont simplement les fils des clérouques; l'ethnique qui précède tou-
jours cette expression, ne fait pas corps avec elle. Tous les fils de clé-
rouque reçoivent une éducation militaire, et plus tard l'État choisit
entre eux le mieux qualifié, à son gré, pour hériter les charges et les
bénéfices de son père.
Sur la condition sociale et juridique de ces soldats-colons, les docu-
ments sont relativement nombreux, sinon toujours très clairs.
M. Lesquier a retracé en détail le mode de leur recrutement, le
mouvement irrésistible d'infiltration qui, vers le ii'' siècle, pousse
dans leurs rangs des indigènes, sous le couvert de quelques fictions
légales; l'évolution importante qui les transforme peu h peu en pro-
priétaires défait, sinon de droit, léguant, cédant, vendant leur tenure.
Le meilleur éloge qu'on puisse faire de toute cette partie de l'ouvrage,
est de rappeler que M. Jouguet, dans son travail sur la Vie munici-
pale dans l'Egypte romaine, a fréquemment utilisé la thèse, alors
manuscrite, de M. Lesquier.
Reste un chapitre consacré au commandement, lequel n'offre rien
de bien particulier en Egypte. Il y a aussi une autre question, que
l'on regrette de voir exclue d'un traité aussi complet. Un tableau
topographique serait nécessaire pour donner au lecteur une idée nette
de ce qu'était l'armée des Lagides. Les clérouques, par définition
même, sont une troupe intermittente. Mais les mercenaires, en partie
au moins, formaient des corps permanents. Pour contenir les révoltes
de la Thébaïde, pour repousser les incursions libyennes ou nubiennes,
pour protéger la frontière de Syrie, les rois avaient dû forcément
d'histoire et de littérature 387
tracer des circonscripiions miliiaiics, établir des garnisons fixes,
construire des forteresses. Comment y était répartie l'armée? Il est
fort probable que les papyrus, unique source de renseignements, ne
nous apprendraient que peu de chose là-dessus. Mais la question
valait d'être posée, dût-elle n'obtenir en réponse que des hypothèses.
Une conjecture, même aventurée, proposée par quelqu'un qui a étu-
dié à fond les institutions militaires du pays, aurait eu de la valeur,
ainsi que l'effort fait pour grouper le peu de renseignements dispersés
entre les papyrus et les inscriptions. Cette lacune, théorique plus
encore qu'effective, est d'ailleurs la seule qu'on puisse relever dans la
thèse de M. L., qui réalise, en comparaison des travaux antérieurs,
un progrès dont on lui doit être reconnaissant.
Jean Maspero.
Institut papyrologique de l'Université de Lille, Papyrus grecs publics sous
la direction de Pierre Jouguet, etc., tome II, fasc. II-IV : Papyrus de Magdala,
parJ. Lesquier. Paris, Leroux, 1912, iii-4°, 222 pages.
Seconde édition des pièces publiées par MM. Jouguet et G. Le-
febvre en 1902-1903 dans le Bulletin de correspondance hellénique
(XXVI et XXVII). M. L. a pu profiter d'assez nombreuses interpré-
tations et corrections, proposées depuis aux textes ; et lui-même a été
assez heureux pour leur apporter encore d'utiles améliorations. Une
préface de 5o pages sur la nature, la forme et le contenu de ces
requêtes au roi, la traduction et les notes détaillées qui accompagnent
chacune d'entre elles, font du livre une œuvre originale appelée à
rendre de grands services.
Jean Maspero.
Aegyptische Urkunden aus den Kôniglichen Museen zu Berlin ; Griechis-
che Urkunden, I\' Band, XI-XII Hcfte, in-4». Berlin, Weidmann, igii et 19 12,
^2-^2 p .
La riche trouvaille d'Abousir el Meleq fait encore les frais du fasci-
cule XI (n°'* I 185-1209). Toutes les pièces publiées ici appartiennent
au i*^"" siècle avant notre ère ou aux premières années de l'ère chrétienne.
Particulièrement intéressants sont les documents intéressant l'admi-
nistration militaire (i i85, i 186, i 190), qui ont trouvé leur explication
détaillée dans l'étude de M. Lesquier sur les Institutions militaires
sous les Lagides. Plusieurs requêtes adressées à des stratèges de nome,
une au préfet d'Egypte (i 198), avec la réponse de ce fonctionnaire;
une autre, isolée (1200) à un autre préfet d'Egypte, sont à signaler,
ainsi que la curieuse correspondance familiale (1203-1209) échangée
entreune certaine Isidora et ses proches. Au n" 1197, I, 22, il faut
peut-être restituer [-.iv.^iwi z'jj%^<.cxo'j]\xvio'. ; — i 198,1. i i : joindre îç-'j-kt,-
ocTO'jTo; pour £?uî:r,pî-:o'jv-i;; l'expression ov-£; t'i tEpsiov se suffit à elle-
même et se retrouve dans la réponse du préfet à la requête suivante
388 KEVDE CRITIQUE
(i i()o, IJI. I I ; - I2()5, 1. 6 : on pcui songer à otà [X]ciT'j[po]; pour
îia-rJO'jj : cf. plus bas. I. 17, e-.,- .Mivi'.; pour Mévoiv.
La fascicule XII termine le volume, comme dans les trois tomes
précédents, et contient les inde.x, ainsi que deux planches en héliogra-
vure (papyrus i()t)i, 1022 et ii3S).
Jean Masprro.
R. Delbrikck, Hellenistiche Bauten in Latium, 11. Un vol. in-4'', pp. 1-190,
avec 22 pi. el avec 35 et 84 fîg. Strasburg, 1912. Prix : 58 marks.
Malgré le grand nombre d'études et de relevés dont les monuments
romains ont été le sujet depuis la Renaissance jusqu'à nos Jours, l'ar-
chitecture antique de l'Italie est peut-être, de toutes les disciplines,
celle que nous connaissons le plus mal et de la façon la moins pré-
cise. Il y en a deux raisons principales. La première est qu'on a
d'abord cherché dans ces édifices des modèles qu'on ne s'est pas sou-
cié d'étudier en eux-mêmes et d'une manière qui fût scientifique :
souvent incompétents par ailleurs, les premiers historiens ont ainsi
confondu pêle-mêle les époques les plus diverses, danger auquel ils
étaient d'autant plus exposés qu'il subsiste de très rares bâtiments des
premiers temps de Rome et que presque aucun d'eux n'est venu jus-
qu'à nous sans restauration. Une autre difïiculté venait de ce que les
termes de comparaison étaient inaccessibles aux premiers chercheurs
et c'est à peine si nous commençons d'en connaître quelques-uns : les
monuments hellénistiques de la Grèce, de l'Asie Mineure, de la Syrie
n'ont été que tout récemment exhumés et partiellement étudiés,
encore beaucoup d'entre eux sont-ils inconnus et la date même
de ceux qu'on a pu relever est souvent incertaine : comment, dans
ces conditions, apprécier la part d'influence qu'ils ont pu et dû exer-
cer sur les constructions romaines? Et combien n'a-t-il pas dû y
avoir jadis d'intermédiaires qui ont aujourd'hui disparu pour tou-
jours ou qui risquent de ne se révéler que très tard à notre curiosité?
Faute de points de repère fixes, les origines de l'architecture romaine
seront longtemps encore mystérieuses. Si l'on ne peut en faire l'his-
toire, des essais comme celui de D. serviront de pierres d'attente, qui
seront, un jour ou jamais, remplacées par des matériaux plus
durables.
En tête de cette nouvelle série d'études, l'auteur a placé les relevés
de divers monuments qui tous appartiennent au 11' siècle avant notre
ère, en allant de la fin du 111^ au début du i^'. Ce sont le sanctuaire de
la Fortune à Préneste d'après les nouvelles fouilles (D. persiste, p. 4,
à y reconnaître une cour centrale), le temple de Gabies, les deux
temples de Tivoli, le temple dorique de Cora et le tombeau de Bibu-
lus. Après ce préambule vient un chapitre sur la technique de l'archi-
tecture, p. 45-55 : un deuxième chapitre, plus important, étudie cette
même technique non plus dans ses procédés, mais dans son histoire,
d'histoire et dk littérature 389
p. 55-1 12 et distingue i'appareiilat^e en picrnes de taille et la construc-
tion en mortiers divers. Une seconde partie est consacrée aux « formes
artistiques »; ces éléments architectoniques sont, eux aussi, d'abord
pris en eux-nicmes, p. i i 2- 1 40, puis considérés dans leurs origines et
dans la suite de leur évolution, p. 140-1 73, qu'il s'agisse de places, de
cours, d'intérieurs, de décoration murale, de la construction par arcs,
des ordres de colonnades ou des peintures sur parois. Suivent quatre
pages de conclusion, p. 174-177 et un intéressant excursus sur les
goûts et l'éducation des entrepreneurs et sur l'influence que le per-
sonnel, surtout syrien qu'ils employaient, put exercer sur la forme et
sur l'aspect des édirices.
Dans l'état de nos connaissances, il semble que nous puissions
accepter provisoirement la thèse de D., que l'auteur n'expose pas
d'ailleurs sans hésitation, ni sans réserves. Suivant lui, l'action de la
Grèce sur l'Italie s'est d'abord exercée par l'intermédiaire de la
Grande-Grèce et de la Sicile, puis les rapports deviennent directs avec
l'Asie-Mineure, avec l'Egypte et avec la Syrie, l'époque de Sylla
coïncidant avec l'apogée de l'influence syrienne. Pendant toute cette
période, les constructeurs ne laissèrent pas d'employer encore les
quelques formes d'art qui paraissent proprement indigènes, ce qui ne
veut pas dire originales, car l'ordre toscan procéderait de la Grèce
archaïque : D. en cherche la preuve à Pompei et dans cette peinture
significative de Boscoreale qui montre, à l'arrière-plan de fabriques
plus récentes, une colonnade « étrusque » d'ancien style. Mais il va
sans dire que ces principes rétrogrades sont comme submergés par
l'afflux des motifs hellénistiques. On remarquera le rôle que D. attri-
bue à la Syrie et la tendance actuelle de l'archéologie à ne pas exagé-
rer la part de l'influence égyptienne; je souscrirais volontiers à ces
conclusions si je ne craignais de voir remplacer un postulat par un
autre; il faut se souvenir en effet que nous connaissons fort mal et
indirectement l'art et l'architecture des Séleucides ; seules des fouilles
à Antioche feraient la luniière sur ce point et décideraient du rôle
qu'il convient d'attribuer à cette capitale dans l'histoire de l'architec-
ture hellénistique et, par contre-coup, de l'architecture romaine. ïl
serait d'autant plus à souhaiter qu'on ouvrît des chantiers sur les
bords de l'Oronte qu'on aurait chance de résoudre du même coup un
second problème dont l'intérêt ne le cède point à celui du premier,
car il ne s'agit de rien moins que des origines même de l'art byzantin.
La doctrine catégorique de M. Strzygowski et ses conclusions, singu-
lièrement plus hardies que celles de M. D., seraient, en même temps
que le système de ce dernier, soumis au meilleur-et au plus impartial
de tous ces tribunaux, à la preuve par le fait qui donnera le coup de
grâce aux deux hypothèses ou qui les consacrera pour jamais.
En attendant ce jour lointain, le livre de D. rendra service aux
archéologues, bien qu'il soit malaisé à lire et alourdi par un fâcheux
<?Q0 REVUE CRITIQUE
appareil scholastiquc. On noiera, Jaiis les bonnes tables qui ler-
miiunt le volume, d'assez nombreuses références à des monuments
de rExtréme-Orieni : D. a tiré bon parti de la thèse de Foucher sur
l'art duGandara. 11 faut le louer à ce propos d'avoir compris le profit
que les études antiques pouvaient tirer de ces rapprochements avec les
civilisations de l'Asie centrale.
A. DE RiDDER.
Vitae Vergilianae recensuit Jacobus Brummer. Bih. Teubner, i9i2,xxii-74 p.,
2 m.
L'attention des savants s'est portée, ces dernières années, sur les
Vies de Virgile'; le sujet a été renouvelé surtout par l'édition spé-
ciale d'Ernest Diehl, dans la collection Lieizmann (1911). D'autre
part M. VoUmer, le professeur bien connu de Munich, avait proposé
à l'un de ses élèves de prendre comme sujet de thèse une nouvelle
édition de la vie de Virgile de Donat, en traitant aussi de ses sources ;
sujet rude sans doute, mais pour lequel le débutant était sûr d'être
guidé. La thèse a été soutenue et voici l'édition qui a passé dans la
bibliothèque de Teubner. L'étude sur les sources de la Vita de Donat
et celle qui traitera des rapports des manuscrits entre eux, doivent
paraître séparément dans le Philologus.
Le travail préparatoire a été très important et, ce me semble, fait
avec soin. Au bas des pages il n'y a que l'indication sommaire des
conjectures et des leçons importantes. Suit Vapparatiis plenus qui
remplit à lui seul 18 pages. Outre ses collations, M. Br. avait en
main, pour plusieurs manuscrits de la vie de Donat, des reproduc-
tions photographiques, dontplusieurs communiquées par M. VoUmer.
Il y a dans les Vitae secondaires d'énormes déformations de mots ^
La question est de savoir si l'éditeur n'aurait pas dû d'emblée les
corriger, en notant au bas les lapsus du copiste ou du grammairien.
Il est vrai que les grosses méprises du rédacteur sont telles qu'il
serait souvent malaisé de voir où il conviendrait de s'arrêter dans la
correction.
Nous devons être particulièrement reconnaissants à M. Br. d'avoir
enfin numéroté ici les lignes ; la notation de la Vita permet désormais
des références commodes et précises.
J'ajoute ci-dessous quelques desiderata \
1. Voir les articles de Norden, Rh. M. 1906 ; de Kroll, Rh. M. 191 1, etc.
2. Par ex. p. 58, 68 Mebetis, Vabeiis sont certainement une déformation parles
copistes des deux noms qui suivent ainsi sous une forme moins incorrecte :\'aviiis
et Mevius. De même loyctis pour logicus ; creci pour graeci. etc.
3. Pourquoi deux fois la reproduction 'du même stem ma : p. xi et xxiv ? — P. vi,
^u milieu,[poLir l'article de Kroll, lire 1909 (au lieu de 1906). — P. 4, 1. i, le point
final manque avant inter. — P. 22. 1. 2, lire <^ono ; 1. 3, ceieritatem, et supprimer,
1. 2, la virgule après eoruvi. — P. 40, i3, à l'apparat lire [itx-ô;. — Quelle idée
d'avoir reçu au texte p. 40, 3o, sanguiencm. qui n'est que la fusion des deux
(
d'histoire et de littérature 391
M. Br. indique qu'il n'a pu examiner un manuscrit de Saint-Omer,
n" 656, XVI s., contenant le Donatiis auctus. J'ai vu le manuscrit. La
Viia esi refoulée en lignes serrées, au dessus et au dessous d'un texte
des Bucoliques, au recto et au verso du f" 86, plusdeux lignes en haut
du t" 87. Pas de suscripiion; comme titre : VITA \'I RGILII seciin-
diim Donatum. Cette vita est formée de fait par la simple juxtaposition
de la Vita du Bernensis (Diehl, p. 44; M. Br., p. 66, au bas : Publius
Virgilius Maro gcnere... etc.; jusque y compris : annos L// ;
variantes sans importance) ; suit immédiatement le Donat dans la
recensionque donne M. Br. d'après CK (p. 1 : pregnans ejiis... jusque
p. 18 : explanatio in ordinem digeretur [cod. dirigeturj). Le texte de
cette recension est ici amélioré en quelques passages : \'^, occideretnr
''pour occidetur); i32, aiixit (au lieu de. hausit) ; 226, quos convocavit
et non canit) dianae\ 278, per iras viros. Il n'y a dans le ms. de St
Orner aucun des intervalles que M. Br. laisse entre les phrases ou
paragraphes ; ni correction, ni revision. Les annotations des marges
sont des extraits de gloses et de scolies qui se rapportent aux vers du
texte.
Quoiqu'une partie importante de l'étude entreprise reste encore
inédite, il est évident que l'édition présente dépasse de beaucoup et
par bien des côtés celle qui l'avait précédée. Le travail de M. Br.,
même tel quel, suscitera, je pense, plus d'une étude et réveillera sur un
sujet difficile le zèle des savants.
Emile Thomas.
Cicero im Wandel der Jahrhunderte von Th. Zielinski, Prof. a. d. Univ. Sankt-
Petersburg. Driite durchgesehcne Auflage. Teubner, 1912, viii-Syo p. 6 m.
Les deux éditions précédentes du Cicéron de M. Zielinski, profes-
fesseur à Saint-Pétersbourg, sont de 1897 et de 1908. Celle-ci n'a pas
été augmentée, mais simplement revue. Le succès du livre s'explique
par plus d'une raison ; la clarté, la facilité, le brillant de la forme y
sont sans doute pour beaucoup et le succès est très mérité. Cette fois
le format est un peu plus fort ; ce qui a pu compenser la diminution
du nombre des pages {371 au lieu de 453).
M. Z., par une sorte de praeoccupatio de la préface, reconnaît dans
son ouvrage trois lacunes qu'il résume ainsi : Cicéron au moyen âge
(pour celle-ci, il renvoie au livre récent de Manitius) ; Cicéron au
xix" siècle; Cicéron et la science du gouvernement. Ce franc aveu est
tout à fait d'accord avec une impression qu'on garde de la lecture:
leçons sanguinem N et sanguine P, avec i. e. écrit au dessus de la dernière syllabe?
— Dans la phrase corrompue de la p. 4?, 12G, je ne sais pourquoi M. Br. a sup-
primé la croix que Hagen plaçait devant aramque. — P. 49, au vers 19, lire rctar-
davi. — P. 54, k Favant-dernière ligne, Pavtliinope est-il exact ? — De même
p. 55,47, 1'^ ■l'is. a-t-il loy-cam (Diehl logicam]'^ Aussi 1. 54, Ba/cita ? — P. 63, 19,
lire : Oiestis et. — P. 72, 70, lire pasctia.
302 REVUE CRITIQUE
il est clair que M. Z. Jinniiic son siijci ci iiu'il se juge, comme aussi
les autres, d'une vue pénétrante. M. Z. a voulu et, par endroits, a pu
écrire en beau style. J'ai peur que ses allusions rapides ne soient
comprises que de ceux qui n'avaient pas besoin de son livre pour
apprendre à connaître Cicéron, et qu'elles n'échappent presque entiè-
rement à tous les autres. Ils y perdent certes beaucoup; mais quelle
idée peut leur rester du livre?
Dans les remarques beaucoup d'extraits d'auteurs français, de
Tainc, des travaux sur le xviii« siècle et la Révolution, Concourt,
etc.
É. T.
Les Origines diplomatiques de la guerre de 1870-71. Recueil de documents
publié par le ministère des affaires étrangères. Tome IV (191 i) et V (1912),
Paris, iinpr. Nationale; Ficker, éditeur, in-8°, 403 et 462 p.
Le tome V du grand recueil publié par le ministère des affaires
étrangères va du i^"" aoiât au 5 novembre 1864. Il se rapporte donc à
la préparation et à la signature de deux actes diplomatiques impor-
tants : la convention franco-italienne du i5 septembre relative à
l'évacuation des états pontificaux par l'armée française, et le traité de
paix du 3o octobre entre le Danemark, la Prusse et rAutriche.
Sur la convention de septembre, les documents publiés ne nous
apportent aucune révélation ; mais on y trouvera des indications
intéressantes de l'incertitude qui régnait, dans les Conseils de Napo-
léon III. L'Empereur cherche à rassurer sur les conséquences de
l'évacuation, d'abord le pape lui-même, qui n'a guère d'illusions (v.
p. i65 son entretien avec M. de Sartiges, notre ambassadeur), puis
l'opinion catholique française (v. p. 33o et suiv., les polémiques
suscitées pour la publication d'une dépêche du chevalier Nigra au
général La Marmora). Et cependant Napoléon III est déjà résigné à
l'inévitable. Il ne saurait, écrit Drouyn de Lhuys à Turin « se porter
garant pas plus de la perpétuité de l'état actuel des choses en Italie
que du pouvoir temporel de la papauté. La solution de ces grandes
questions est aux mains de la Providence ». On sait ce que cela veut
dire.
Dans ses rapports avec la Prusse au sujet de l'affaire des duchés,
Napoléon III, après comme avant le traité de paix, demeure fidèle
I. Citations et renvois ne sont pas toujours exacts et précis, ce qui est fâcheux
dans un exposé dense de fond et rapide de forme. Pour le mot Romania employé
par Orose (p. 89 et 307), il eût fallu indiquer exactement le chapitre (VII, 43) sans
oublier la réserve : ut vulgaritev loquar . — P. 3o6, note\sur la p. 87, je ne trouve
pas, dans le livre, le renvoi à Taine, Essais; mais, ce qui est plus grave, quelle
peut bien être sur ce point l'autorité de Taine: — L'épigraphe (17»/ coluere colun-
tur) est énigmatiquc ; elle reste obscure même après l'explication de la p. 148. —
Le détail de la table lui-même n'est pas toujours clair ni exact.
d'histoire et de littérature 393
à sa théorie des nationalités. Quoiqu'il y insiste avec moins d'énergie,
il n'en persiste pas moins à faire, ou h faire faire par ses ministres,
des déclarations où les mots et les idées de race et de nationalité
continuent d'être confondus : « Si nous avons suggéré l'idée de
consulter les populations, écrit Drouyn de Lhuys le 19 août, c'est
dans la pensée d'éclaircir des doutes qui résultaient de la confusion '
des deux races. . . par la constatation de la nationalité de chacune »
(p. 41).
Parallèlement, on voit naître et progresser la manœuvre de Bismarck
qui conduira aux entrevues de Biarritz et aux négociations de Nikols-
bourg. Le ministre prussien, dès le 3 septembre 1864, déclare ouver-
tement que l'acquisition du Slesvig et du Lauenbourg n'est qu'un
point de départ, et que le temps fera le reste. Il parle déjà ou fait
parler à notre ministre à Francfort d'une future alliance franco-russo-
prussienne, qui vaudra à Napoléon III la Belgique et le Rhin, au
tsar les principautés, à l'Italie la Vénétie, à la Prusse les états au
Nord du Main. D'autres avertissements sont donnés. De Kiel,
M. Méroux de Valois signale d'inquiétants propos de Journalistes
prussiens sur l'Alsace, et il rapporte cette prophétie d'un officier
de marine russe : « un jour viendra où nous nous mordrons les doigts
d'avoir laissé M. de Bismarck écraser le Danemark et s'emparer de
son meilleur port. Peut-être ne serons-nous pas seuls à le regretter. »
Ces avis sont passés inaperçus, et peut-être ne nous frappent-ils
aujourd'hui que par la justification qu'ils ont reçue plus tard des
événements. Toutefois, d'une manière générale, les diplomates du
second Empire paraissent avoir bien observé et signalé le péril de
loin. L'optimisme était plutôt le fait de certains militaires, comme
Bourbaki, par exemple. Après avoir assisté aux manoeuvres de
Spandau en 1864, le général conclut dans son rapport (p. 265) à
l'infériorité de l'armée prussienne « à tous les points de vue », et
signale que « les services des ambulances, des vivres et des transports
ne sont nullement organisés »; il n'y a en Prusse, selon lui, qu'un
« simulacre d'administration militaire ».
Le tome V (6 novembre 1864-27 février i865) correspond à une
période, moins active. Les relations franco-prussiennes deviennent
plus intimes, mais il n'en paraît pas grand'chose dans la correspon-
dance, malgré l'arrivée à Berlin d'un nouvel ambassadeur français,
le comte Benedetti. L'intérêt principal des documents publiés se
concentre autour de deux points : la question de la 'Vénétie et le rôle
futur des duchés de l'Elbe dans la Confédération germanique. Un fait
curieux, sinon imponant, relatif à la Vénétie, nous est révélé par les
correspondances échangées entre Paris, Londres et Vienne. L'Italie
avait imaginé, et était parvenue à faire agréer à Londres le singulier
projet suivant : Victor-Emmanuel, par un procédé quelconque, se
rendrait acquéreur des principautés danubiennes, et les offrirait
394 RKVUE CRITIQUE
ensuite à rAuiriclic CM! ocliangc des pays vénitiens. Lord Russell ne
paraissait pas douter du succès de cette combinaison, et il \- trouvait
l'avaniagc d'être débarrassé du prince Couza, qu'il ne pouvait soutIVir.
Napoléon III ne lit pas d"objecti(jn de principe, mais TAuiriche en
lit, et les 'i'urcs, consultés par Russell, ne voulurent naturellement
rien entendre fpp. 105-107, '351).
Quant aux duchés, ils l'ont l'objet de longues querelles, de plus en
plus aigres, à la diète de Franclort et entre les cabinets allemands,
où l'on voit la fameuse triade près de réussir à se constituer solide-
ment (décembre 1864, pp. 24oetsuiv.). L'Europe laisse faire et suit
les événements avec curiosité, mais sans inquiétude apparente : la
Russie est occupée en Asie, la France commence à rêver au rôle de
terlius gaudens, et l'Angleterre déclare par la bouche de lord Napier,
n'avoir rien à faire « dans la querelle de deux larrons qui, après avoir
pris à l'un de leurs voisins leur part de ses dépouilles, s'en disputent
la possession » (p. 402). C'est un des cas où, comme disait Met-
ternich, « il n'y a plus d'Europe »,
La publication continue d'être faite avec soin, suivant des règles
qui ne varient guère d'un bout à l'autre. On remarque toutefois, au
t. IV, que pour les documents déjà insérés aux livres jaunes, et qui
sont reproduits ici, on a pris soin de signaler les coupures qui avaient
été faites. Les listes d'agents diplomatiques qui terminent chaque
volume laissent quelquefois un peu à désirer. On découvrira avec
surprise que le baron Ch. Frédéric de Reinach, décédé le 21 février
1871, n'en a pas moins été promu ministre plénipotentiaire le 16 décem-
bre 1872 (IV, 38o).
R. G.
G. Ri.oNDEL, Les embarras de l'Allemagne, i vol. in- 12, viii-3i6 p., Paris,
Pion-Nourrit, 1912.
Voici un volume qui vient a son heure, au moment où les divisions
politiques, un certain malaise économique et les préoccupations que
fait naître le conflit balkanique créent à nos voisins une situation par-
ticulièrement difficile. Examinés sans parti pris et très objectivement,
grâce à une documentation qui repose à la fois sur la connaissance
des hommes et sur celle des livres, analysés avec une clarté et une
vigueur d'expression peu communes, les embarras de l'Allemagne
apparaissent nettement au lecteur. Nul n'était mieux qualifié pour les
mettre en relief que l'auteur des Etudes sur les populations rurales de
r Allemagne, de L'essor industriel et commercial du peuple allemand^
et de tant d'autres travaux approfondis sur les pays d'Outre-Rhin;
nul n'ei\t mieux réussi à faire comprendre la complexité des pro-
blèmes posés, comme aussi les chances favorables ou défavorables
de ceux qui ont à les résoudre. Peut-être irouvcra-t-on, après les
éloges qu'il décernait récemment à l'activité allemande dans tous les
d'histoire et de littérature 395
domaines, surtout dans le domaine économique, que M. B. évolue
trop brusquement et trop loin en sens contraire. C'est là une impres-
sion que j'ai personnellement éprouvée à la lecture de ce petit livre,
dont le pessimisme me semble exagéré : l'Allemagne dispose de forces
et de ressources immenses qui la mettent en état de braver encore
bien des tempêtes, habitudes de respect et de discipline que la « poussée
socialiste » a seulement ébranlées, orgueil de l'œuvre accomplie et
enthousiasme pour le but à atteindre (l'hégémonie sur tous les terrains),
patience et ténacité admirables des commerçants, organisation tou-
jours puissante de la bureaucratie et de l'armée '. Je crois néanmoins
qu'il y a du vrai dans la thèse nouvelle, et que le « réalisme » blsmar-
ckien, poussé à ses extrêmes limites, risque d'aboutir à de fâcheux
résultats. L'essor inouï pris par TAllemagne il y a quelques années
ne paraît pas devoir se maintenir indéfiniment; il se produit déjà du
flottement dans les esprits, du relâchement dans les caractères, un arrêt
dans la marche en avant; de plus, et c'est là le gros danger, la recher-
che du bien-être et de la jouissance immédiate l'emporte peu à peu
sur de plus nobles raisons de vivre et de lutter, la technique étouffe les
vues générales, un égoïsme borné chasse le vieil idéalisme germanique,
parfois trop nuageux, mais qui avait sa grandeur, voire ses avantages ;
bref tout dégénère, suivant la mot de l'anglais Glarke, en « un maté-
rialisme étroit dans la vie et dans la pensée », ce qui n'est guère
rassurant pour l'avenir, ni au point de vue moral, ni au point de vue
vue politique, ni même au point de vue économique.
En une séiie de chapitres, concis et solides à la fois, M. B. a étudié
successivement : la constitution impériale et ses imperfections, l'unité
étant malaisée à réaliser avec vingt-six états autonomes; les embarras
financiers, résultant des. besoins croissants du gouvernement impé-
rial, qu'on avait omis de doter des ressources nécessaires; l'émiette-
ment étonnant des partis politiques; les embarras économiques
provenant pour une bonne part de l'audace aventureuse de spécula-
teurs sans capitaux; les défauts de la législation sociale qui a tenté en
vain de faire au socialisme sa part ; les préoccupations des moralistes, .
effrayés de la ruine des antiques vertus chez un peuple qui perd « le
regard hiérarchique » ; les difficultés qui attendent la Prusse dans
l'accomplissement d'une réforme électorale, inévitable aujourd'hui,
le mode ancien de suffrage, tout féodal, étant un anachronisme au
XX® siècle ; les redoutables problèmes que soulève la clameur des natio-
nalités opprimées en Pologne, en Schleswig et en Alsace; enfin les
soucis résultant de la politique extérieure, du système nouveau des
alliances européennes, des complications coloniales, de l'attitude
haineuse des Anglais.
I. Les dernières réformes ont porté l'armée à plus de 700,000 h. et le Welirve-
rein réclame de nouveaux accroissements.
396 REVUE CRITIQUE
On pourrait iinagiiiiji" un ordre plus rij;ourcux dans l'ciudc de ces
diverses questions, qui semblent parfois mal classées; on ne saurait
rencontrer ni plus de compétence, ni plus de profondeur ', ni plus
d'impartialité, le tout sous une forme agréable et claire, et, pour tout
dire, bien française.
Albert Waudington.
Constantin Jirecek. Geschichte der Serben. 1" Band. i vol. iQ-8°, xi-442 pp.
Gotha, F. A. Perthes, njii.
Cette histoire des Serbes écrite par le savant professeur viennois
fait partie de la grande collection de Staatengeschichte éditée par
Lamprecht. Le premier volume traite des origines et poursuit Jus-
qu'en 1371 . Un prochain second volume terminera l'œuvre.
Ce qui fait l'intérêt de cet ouvrage est surtout le soin qu'a pris M. J.
de présenter en détail ce que la science actuelle connaît de l'organisa-
tion intérieure des tribus slaves du sud. Tous les chapitres qui trai-
tent de la presqu'île balkanique avant l'immigration slave, puis après
cette immigration jusqu'au ix« siècle environ, présentent un très réel
intérêt et éclairent d'une manière vive toute cette période assez com-
pliquée. D'ailleurs, la qualité la plus frappante de ce livre est la sim-
plicité du style et la limpidité de la langue. On éprouve à cette lecture
une sensation de paisible objectivité qui fait plaisir \
Jules Legras.
Friedrich Dukmeyer. Korbs Diarium itineris in Moscoviam und Quellcn, die es
ergânzen. II" Band. 356 pp. Berlin, Ebering, 1910, 12 marks.
Ce second volume poursuit l'étude des questions soulevées par le
célèbre Diarium, entre autres une critique du Schrciben eines
vornehmen teutschen Oj^^iers, etc., ouvrage anonyme de Neugebauer;
l'exécution des Strelitz; la « tragédie » de la famille Mons, etc. Ce
livre est rempli de citations intéressantes. Par malheur, c'est le type du
livre inutilisable : une jolie typographie, mais rien qui saute à l'œil,
et, en outre, pas de plan, pas de méthode, pas de conclusions, pas
d'index. C'est l'idéal de la confusion : c'est le contenu d'une boîte de
fiches imprimé sans suite. Et c'est dommage, car il y a là des maté-
riaux qui attendent l'ouvrier.
J. L.
1. Cinq appendices complètent avantageusement l'ouvrage, et donnent d'utiles
précisions sur les progrès de la criminalité, les syndicats confessionnels, les
finances, la politique commerciale, le caractère du peuple allemand.
2. M. J. qui connaît les langues slaves, traduit, p. 134. le mot koljeno par
genou. Il pourrait ajouter que c'est plutôt par le sens crusse) de « anneau de
cbaîne » que ce mot en est venu à signifier tribu.
d'histoire kt de littérature 397
E. DucHESNE. Le Domostroï. l'iaJ. et Commciuaire. 1 vul. in-S», 168 pp.
Picard, 5 f.
Id. Michel I. Lermontov, i vol. in-S». 478 pp. Pion, 7 fr. 5o.
M. D. a traduit le texte Konchine du Domostroi. Nous regrettons
les quelques coupures qu'il y a faites, non certes à cause de leur valeur,
mais parce que leur absence constitue une lacune. Le commentaire
est honnêtement au courant de la question. On y souhaiterait plus de
vigueur et de personnalité.
L'étude consacrée à Lermontov est consciencieuse et au courant :
elle sera utile; seulement, le séduisant poète y apparaît un peu dans
une espèce de grisaille qui le banalise. Il faut plus que du savoir pour
parler congrùment d'un poète comme celui-là.
Le chapitre attendu sur la forme n'a pas la clarté et la méthode
qu'on pourrait souhaiter. C'est précisément parce que Lermontov se
reprenait souvent qu'il était intéressant de nous montrer vers quel but
il tendait son style. M. D. s'est contenté d'énumérations souvent
curieuses, d'ailleurs. Quant aux pages relatives à la métrique, disons
tout net qu'elles sont manquces. M. D. ne semble pas être rompu
au.\ études de la métrique étrangère moderne. Il ne s'est pas demandé
quelle était la forme dominante chez Lermontov, quelles sont les
formes dérivées et d'où venaient les influences, toutes questions qui
étaient dignes de trouver place dans une thèse. Non seulement ces
questions ne sont pas touchées, mais ce qui est dit de la métrique
contient bien des erreurs. Par ex., p. 198 sq. Borodmo n'est pas écrit
en vers de 5 iambes incomplets, mais en vers de 4 iambes à rime
féminine; dans le Poète, avant de songer à ce que M. D. appelle
l'amphibraque, il convient de songer à l'alexandrin ; le Vaisseau fan-
tôme n'offre pas les complications de rythme qu'on lui prête, mais
des vers iambiques de 3 pieds, avec des résolutions anapestiques
régulières au 2= et 3*^ pied, et des rimes masculines et féminines
croisées.
Ces réserves ne nous empêchent pas cependant de rendre pleine
justice au travail de M. D. et de souligner le service qu'il a rendu en
rendant accessible à notre public la charmante figure du malheureux
poète russe. Son livre sera donc lu avec intérêt et avec fruit.
Jules Legras.
W. Habkrmann. Der Stolypinsche Gesetzentwurf. i vol. in-S", 122 pp. Leipzig,
Duncker et Huiiiblut, ■•> ni. 20.
Pétition des Finnlândischen Landtags vom 2G mai 19 10, i vol. in-8", 124 pp.,
ibid.
Finnland und Russland. Die internationale Conferenz. i vol. in-S", 117 pp.,
ibid.
Ces publications se rapportent toutes à la lutte constitutionnelle
entre la Finlande et la Russie. La première contient la réponse avec
398 RKVUK CRiriQUE
ses annexes du Landtag finlandais au Tsar à propos du projet de
Stolvpine ayant pour but d'enlever à la Finlande le contrôle des lois
qui la concernent, et de l'incorporer plus intimement au faisceau
russe.
La deuxième publication contient la pétition que, vingt jours après
cette réponse, le Landtag a adressée au Tsar pour le prier de ne pas
donner suite aux projets de son minisirc.
La troisième brochure eiiiin contient les prcjcès-verbaux de la
conférence de juristes internationaux réunis à Londres du 26 février
au 6 mars 19 10 pour discuter la question des droits de la Fjnlande.
Ces trois volumes sont présentés ici en traduction allemande. Il
est bon de les lire et de les relire avant de se faire une opinion sur
cette question qui met en regard d'un côté le droit et de l'autre la
raison d'Etat, également intransigeants l'un et l'autre mais dont le
premier est singulièrement plus séduisant.
J. L.
Martinovitcii. Touretzki Téatre Karagueuze (Le théâtre turc Karagueuze).
I vol. in-8», Saint-Pétersbourg, igio.
M. M. donne, avec une intéressante introduction historique, la
traduction de trois scénarios du guignol Karagueu-{e.
J. L.
H. Jelinek. La littérature tchèqvie contemporaine, i vol. in- 12, 366 pp. Paris.
Mei'cure de France, 1912, 3 fr. 5o.
Ce volume, que M. E. Denis a honoré d'une préface généreuse,
donne plus que son titre ne promet, à savoir un raccourci de l'his-
toire littéraire tchèque depuis la Réforme. M. J. n'a pas essayé de
faire une construction arbitiaire : il s'est contenté, en professeur qui
sait son métier, de grouper d'une façon claire les périodes et les
genres. Il en résulte que son livre, d'ailleurs pourvu d'un index, est
de ceux qu'on peut consulter souvent, au lieu de le feuilleter un jour
et de l'oublier ensuite.
Cette histoire est captivante : elle exprime bien, jusque dans le
choix des citations (dont on souhaiterait, d'ailleurs, le ton un peu
plus varié), le caractère de cette littérature tchèque indécise encore,
malgré de robustes noms, et tournée avec une obstination piesque
exclusive vers la contemplation historique et le souci de l'asservisse-
ment politique. A cet égard, ce tableau d'un peuple qui pense et tra-
vaille à travers tant de difficultés, qui veut être lui-même en face de
voisins puissants dont la personnalité menace de l'écraser, ce tableau
a quelque chose de tragique et de réconfortant tout à la fois.
Jules Legras.
d'histoire et de littérature 3g9
E. Haumant, Pouchkine, i vol. in- 12, 232 pp. et 2 portraits. Paris, Blond et C'%
T 9 1 1 , 2 fr.
L'étude de M. H. sur Pouchine est avant tout une œuvre de vulga-
risation : elle est consciencieuse et aussi complète que le permettait le
cadre restreint de la collection. L'ordre en est agréable. On en
apprécierait davantage la rapidité, si le style y était plus également
surveillé.
J. L.
L. KuLczvsKi. Geschichte der russischen Révolution, trad. du polonais par
M""' Schapire-Neurath. 2 vol. in-S" de 32o et 535 pp. Gotha, igioet 1911,
8 et S ink.
Le premier volume de cette histoire de la révolution russe s'étend
de la tin du xvni'^ siècle jusqu'en 1870 environ ; le second se termine
avec 1886. C'est la première fois que les mouvements d'idées liber-
taires et révolutionnaires en Russie se trouvent exposés, dans un
ouvrage d'ensemble, avec pareil détail et aussi sérieuse méthode. Il
faut rendre à M. K. cette justice qu'il s'est efforcé d'exposer les idées
et les faits avec une impartialité absolue. Cet effort a eu l'heureux
effet de lui donner une prudence et une réserve toutes nouvelles en
pareille matière. En effet, les documents russes sont, d'ordinaire, ou
bien entachés de parti-pris gouvernemental, ou bien, quand ils
émanent de révolutionnaires, composés avec une absence totale d'es-
prit critique. M. K. s'est, lui du moins, efforcé de ne rien affirmer
sans raison, et, quand il s'agit de bruits, il ne manque pas d'en
indiquer l'origine.
A ce souci d'exactitude scientifique s'allie chez M. K. un sérieux
effort de construction historique. M.K. s'efforce de montrer comment
les bases de l'agitation révolutionnaire se sont peu à peu élargies,
depuis l'affaire des Décembristes jusqu'à nos jours, à mesure que les
essais de mise en pratique échouaient les uns après les autres. Il ne
s'agit donc pas ici de l'histoire purement anecdotique d'une série de
mouvements, mais bien d'un travail d'ensemble qui rattache ces
mouvements les uns aux autres.
Ai-je besoin de dire que cet exposé se lit avec un intérêt qui ne
faiblit pas? M. K. possède une culture étendue qui lui permet de
suivre sur les domaines industriel, agricole et littéraire les traces de
l'agitation et les ramifications de la révolte, et cette variété des points
de vue soutient l'intérêt, qui menacerait de faiblir à partir des années
quatre-vingts par suite de l'accumulation des détails anecdotiques.
En résumé, nous avons là une histoire digne de ce nom des
malaises de la Russie durant le siècle dernier. M. K. accorde peut-
être çà et là une place exagérée à l'élément volonté dans les mouve-
ments révolutionnaires; mais il a du moins le grand mérite de
montrer pourquoi les diverses classes sociales sont devenues chaque
400 REVUE CRITIQUE D HISTOIRE l'.T DE LITTERATURE
jour plus accessibles aux iddes avancées, à mesure que la culture
occidentale creusait plus profondément le fossé entre l'ancienne et la
nouvelle Russie.
Jules Legras.
M. PiNfts, Histoire de la littérature judéo-allemande, i vol. in-S», 582 pp.
Paris, 191 I, <S francs.
J'ai eu la curiosité de comparer au livre de M. Pinès le livre de
M. Wiener sur le même sujet ' : j'ai pu constater que M. P. n'exagé-
rait rien, lorsqu'il a écrit u qu'il devait beaucoup à son devancier »!
Il lui doit en effet son titre, son plan, bon nombre de ses idées et
beaucoup de ses développements. Que ne l'a-t-il suivi jusqu'au bout,
et, puisqu'il prenait la peine de recopier jusqu'à sa bibliographie, que
n'a-t-il terminé, lui aussi, par un index des matières, au lieu de se
contenter d'un pauvre index des noms propres?
Ces réserves faites, on lira avec curiosité le livre de M. P., si on ne
connaît pas l'autre. On regrettera peut-être que les textes n'accom-
pagnent pas (comme chez M. Wiener) les traductions données; mais
on rendra hommage au travail de patiente adaptation du traducteur.
Une importante lacune apparaît. Naturellement, elle existe chez
M. Wiener, mais là, du moins, elle pouvait se défendre, puisque
M. Wiener se cantonnait le plus possible aux Etats-Unis, son pays
d'adoption. Je veux parler du rôle, de l'organisation, des conditions
de vie de la presse j^idish dans cette Pologne où se place M. Pinès.
Il semble évident que le centre de Vilna, pour ne citer que celui-là,
a une sérieuse importance, tant par ses journaux que par sa littéra-
ture à deux sous, qui a une grande diffusion. M. P. eût trouvé là une
occasion de faire une étude vraiment personnelle.
M. Andler a donné pour cette thèse d'université une préface qui en
est le morceau capital. Il y a là quelques vues sur l'origine philolo-
gique àiiyidish qui sont extrêmement intéressantes
Jules Legras.
I. The history of Yiddish literature in the igth century.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTERATURE
N" 47 — 23 novembre — 1912
Hamii.ton, Le pays de Somalis. — Bentox, Textes kanouris. — Pascal, Les
croyances antiques sur l'autre ivionde. — Schi.esinger, Histoire du symbole. —
ScHURÉ, L'évolution divine, du Sphinx au Christ. — Chinard, L'exotisme amé-
ricain dans la littérature française du xvi° siècle. — Tavi.or, La prophétie poli-
tique en Angleterre. — Patterson, Lyrique religieuse du moyen-anglais. —
MosMER, L'exempluin tians la poésie anglaise. — Andrews, Littérature anglaise,
2« éd. — Beaumont et Fletcher, p- Wai.i.ek, X. — Tiinnies, Hohbes. — Smith,
Pierre Bayle. — Merck, (Euvres et lettres choisies, p. Woi.kf. — Merck, Lettres
à Charles-Auguste, p. CirAk. — Archives bavaroises de la Guerre, XXI. —
Mémoires du hussard 'l'héodore Gœthc, p. Holzhausen. — Esquer, L'adminis-^
tration civile à Alger en i83o. — VValzei,, Etudes sur le xvni« et le xix' siècle.
— Rolland, Vie de Tolstoï. — Forbes, Les parlers slaves. — Pal.mieri. Réponse
au clergé polonais. — .Académie des inscriptions.
Angus Hamilton, Somaliland. Londres, Hutchinson and Co, xv-366 p. in-8*,
avec 2 5 illustrations et une carte.
On se tromperait si, sur la foi du titre, on croyait trouver ici une
monographie complète du pays de Somalis, au point de vue ethno-
graphique, géographique, historique, linguistique et économique.
C'est seulement le récit de la lutte, non encore terminée aujourd'hui,
que les Anglais ont eu à soutenir contre celui qu'on a nommé Mad
Miillah (le mollah fou). On sait que ce personnage, de son vrai nom
Mohammed 'Abd Ullah, originaire des Habr Solaimàn, fraction des
tribus de TOgadèn, et allié par son mariage aux Dolbahantes, com-
mença sa carrière en iSgS, à son retour de la Mekke, De nouveaux
pèlerinages lui valurent une autorité religieuse qui se manifesta en
1899 par des expéditions contre les tribus soumises aux Anglais. Pour
se défaire de lui, le gouvernement britannique conclut un accord avec
l'Ethiopie et Tltalie : celle-ci autorisa le passage des troupes an-
glaises à travers son territoire : la première envoya un corps d'arméié
dont les opérations mal combinées avec celles du corps expédition-
naire britannique, ne donnèrent pas les résultats attendus. Le livre
de M. A. H. nous présente dans le plus grand détail le tableau des
quatre campagnes dirigées contre le MuUah, campagnes signalées par
des épisodes sanglants, comme l'échec de Gumburu : les deux pre-
mières dirigées par le colonel Swayne, les deux dernières par le géné-
Nouvelle série LXXIV 47
402 REVUE CRITIQUE
rai Manning. Finalement, on dut se contenter, après le succès de
Jidbcli, de rejeter le MuUah hors du territoire britannique. L'auteur
a suivi les colonnes expéditionnaires et son récit se fait remarquer
par une précision, une exactitude et une abondance de détails tout à
fait remarquables. Il tranche avec les publications hâtives et superfi-
cielles qu'a suscitées en France la campagne du Maroc et où la suffi-
sance des auteurs n'a souvent d'égale que leur ignorance. C'est un
document important pour l'histoire de la colonisation anglaise dans
l'Afrique du Nord-Est et il mérite d'être recommandé à ce titre.
René Basset.
P. AsKKLL Benton, Kanurl Readings. Oxford, LJniversity Press, 191 i, i lo-vm p.
in-i6.
Depuis les publications de Norris en i853, Kœlle en 1854 et l'étude
inachevée de Barth dans ses Vukabiilarien, le kanouri ilangue du Bor-
nou) n'a pas été l'objet de travaux originaux. Le petit livre de M. Ben-
ton n'a d'autre prétention que de servir de complément à ceux de Kœlle
et il a atteint ce but. Il contient huit textes, transcrits d'après l'original
en caractères arabes publié à la fin. Mais l'arabe représente-t-il bien
les sons du Kanouri ? Chacun de ces textes est accompagné d'une tra-
duction correcte : trois sont des traditions plus ou moins légendaires
(une sur les Sau, géants qui auraient précédé les Kanouri dans le
Bornou ; origine des noms d'Afuno et de Galadima et de celui de la
ville de Kamo) ; un autre est une variante de la fable bien connue de
la Part du Lion ' ; enfin le reste comprend une lettre, un court éloge
de la patience, où abondent les mots arabes, la traduction du Pater
Noster et une série d'énigmes. Viennent ensuite deux glossaires
anglais-kanouri et kanouri-anglais, et une liste fort utile des préfixes
et des suffixes en kanouri. Les textes autographiés en caractères
arabes terminent ce volume qui mérite un bon accueil.
René Basset.
C. Pascal, Le credenze d'oltretombe nelle opère litterarie dellantichità
classica. Catania, Battiato, 191 2 ; deux in-8", xii-262 et 262 pages.
Cet ouvrage se lit avec plaisir et facilité. C'est un exposé clair et
bien ordonné des croyances antiques sur l'autre monde, fondé prin-
cipalement sur les œuvres littéraires, quoique l'épigraphie soit mise
de temps en temps à contribution. L'auteur connaît fort bien la litté-
rature antique et les travaux modernes relatifs au sujet qu'il traite. Il
n'a toutefois esquissé qu'un tableau dont l'utilité n'est pas niable
I. P. 17. L'expression, empruntée à Varahe, Subchana Allahi ne veut pas dire
« Dieu sans péché » mais « Louange de Dieu ».
d'histoire et »k littérature 4(j3
pour la vulgarisaiion. mais qui ne laii pas beaucoup avancer la
science des religions grecque et romaine. L'origine des croyances
n'csi pas discutée; on ne montre pas leur évolution et à plus forte
raison n'en a-i-on pas rendu compte. On ne distingue pas assez
nettement ce qui appartient aux vieilles croyances populaires, à la foi
des mystères, aux spéculations philosophiques. La comparaison des
doctrines orphiques avec la croyance chrétienne à la résurrection
et la croyance catholique au purgatoire est quelque peu artificielle.
La crovance à la réincarnation des âmes jusqu'à purilication com-
plète n'est pas la résurrection qu'enseignent saint Paul et l'Eglise
chrétienne. La croyance chrétienne est beaucoup plus simple; l'idée
d'une purilication après la mort n'y apparaît qu'assez tard. M. P., à
la fin de son second volume, dit que saint Justin parle de la régéné-
ration chrétienne par le baptême ; ce n'est pas Justin qui en a parlé le
premier. l,a même idée s'e.\prime très nettement dans le quatrième
Évangile et déjà dans saint Paul.
A. L.
Geschichte des Symbols, von M. Schlesinger. Berlin, Simeon, 191.2; in-4*,
vin-474 pages.
Une compétence universelle serait indispensable pour critiquer ce
gros volume, qui traite de l'histoire du mot symbole, de la physiolo-
gie du symbolisme, de son histoire, du symbolisme du droit, de celui
de la religion, du symbolisme dans l'art, dans la littérature et dans
la vie. L'icuvre paraît importante ; c'est le fiuit d'une vaste lecture et
sans doute aussi d'une longue réflexion. Des matériaux considérables
y ont été exposés en bon ordre. Ce qui y manque le plus pourrait
bien être une définition nette de ce que l'auteur lui-même entend par
symbole, et une notion claire et logique de la chose.
Il y a symbole et symbole : le symbolisme inhérent à tout exer-
cice de la pensée humaine et à tout langage humain; aussi le sym-
bolisme inconscient de l'intelligence enfantine ou inculte, qui pense
en images et qui pourtant ignore la métaphore, parce que tout rapport
d'analogie lui est une sorte de participation réelle ; enfin le sytnbo-
lisme conscient et réfléchi qui se sert des iinages pour rendre plus
impressionnante l'idée qu'il se fait des choses. M. S. a bien l'air de
mêler un peu tout cela. Pcjurtant ce ne peut être que du symbolisme
réfléchi qu'il a pu vouloir dire que son siège, au point de vue psycho-
logique est dans les centres les plus élevés du cerveau parce qu'il
comporte une sorte de chaîne parallèle à l'association d'idées qu'il
présuppose. Au premier degré de la connaissance, ce qui est pour
nous image ne suppose pas l'idée abstraite que nous y mêlons pour
l'interpréter; elle la remplace. Ce doit être faute d'avoir posé dès
l'abord les distinctions nécessaires que M. S. en vient à ne pouvoir
404 REVl'P CRITIQI F.
se prononcer sur la question du symbolisme primitif de la religion
grecque. Pas plus qu'aucune autre mythologie celle des Grecs n'a
commence' par un symbolisme conscient, et l'on n'a cherché aux
mythes un sens spirituel qu'après s'être élevé au-dessus de la menta-
lité qui les avait d'abord conçus. Pour M. S. Héraclès est le sym-
bole de l'esprit hellénique, tout comme Moïse est le symbole du pro-
phétisme israéliie. Mais c'est à nous seulement que Moïse et Héraclès
apparaissent ainsi comme des types représentatifs, et la création de
ces types a été spontanée, quel que soit son point de départ dans
l'histoire ; les types ont été compris et affirmés comme réalité.
La question du symbolisme religieux n'est pas posée en termes
plus nets que celle du symbolisme en général. Il semble à M. S. que
ladivinité soit un symbole, un idéal créé par Thommepourson besoin,
selon le mouvement de son propre désir, — ce qui est seulement
une partie de la vérité, — et il en infère que la religion tout entière
est symbole. Ce n'est qu'un de ses aspects, toutes les religions histo-
riques pouvant, d'un point de vue philosophique, être considérées
comme des formes diverses d'idéal humain. Mais dans leur réalité
vivante, pour leurs adeptes, et en tant que créations originales de
l'humanité, elles sont tout autre chose que des symboles. Un objet
concret est censé correspondre aux croyances, comme une efficacité
réelle est supposée dans les rites. Le symbolisme inconscient, inné à
la pensée religieuse comme à toute pensée humaine, et qui résulte,
au fond, de la nécessité naturelle d'attribuer une valeur objective à
nos idées, n'est pas le même que le symbolisme en vertu duquel on
détourne de leur signification première les formules et les rites reli-
gieux qui ne correspondent plus aux aspirations des âges nouveaux.
L'interprétation allégorique et chrétienne du culte juif dans l'Épître
aux Hébreux — exemple allégué par M. S. — appartient au symbo-
lisme, incontestablement; mais ce symbolisme artificiel, qui se subs-
titue à la signification naturelle et historique de l'ancien rituel n'est
pas de même ordre que celle-ci ; elle n'a qu'une valeur de spécula-
tion, en tant du moins qu'on la considère par rapport aux rites qu'elle
concerne ; elle vide ceux ci de leur contenu réel, qu'elle remplace
par un contenu purement idéal . Pour l'auteur de l'Épître aux Hébreux,
le grand-prêtre pénétrant dans le Saint des saints avec le sang des
victimes le jour de l'Expiation est le Christ ouvrant aux croyants par
sa mort et sa résurrection la voie de l'immortalité. C'est du pur
symbolisme ; mais ce symbolisme-là diffère essentiellement de celui
qu'on peut trouver dans l'acte du grand-prêtre accomplissant la puri-
fication d'Israël, le sens des rites se confondent ici avec l'idée même
de l'effet qui leur est attribué, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas véritable-
ment de symbolisme, de signe qui par lui-même n'est que signe,
mais d'acte eflficace et de réalisme mystique.
Ce que dit M. S. touchant le symbolisme du culte Israélite prête-
d'histoire et de littérature 4o5
rait à des remarques analogues. Le sabbat lui paraît être le symbole
de l'alliance entre lahvé et son peuple. Mais ce n'est point pour cette
raison qu'on l'a pratiqué. La Bible même enseigne que Dieu a consa-
cré le sabbat, se l'est réservé, l'a frappé d'interdit pour le travail
humain. 11 ne s'agit pas d'un symbole d'alliance, et l'on peut dire
que le sabbat est gardé pour lui-même, à raison du caractère sacré
qu'on y suppose attaché. L'encens qu'on brûlait était autre chose
qu'un symbole de la bienveillance divine. Les pains sur la table du
sanctuaire n'étaient pas un symbole des dons divins, mais une
oft'rande au dieu, et c'est pour cela qu'ils étaient sacrés. Le candé-
labre aux sept lampes était pour l'éclairage du sanctuaire, et si les
sept lampes avaient de plus une signification mystique, cette signi-
fication ne concernait pas « l'efficacité de la parole divine ». Les
rites des sacrifices ont pu être interprétés allégoriquement par les
docteurs dans les derniers temps ; mais durant des siècles on les
avait pratiqués comme étant agréables à Dieu, — quoi qu'en aient
pu dire les prophètes, — et les sacrifices dits de péché n'étaient pas,
comme le suppose M. S., des peines religieuses à signification sym-
bolique ; c'étaient avant tout des rites de purification cultuelle,
conséquemment des rites efficaces, non de purs symboles, et ils sont
demeurés tels jusqu'à la fin. On ne saurait les loger dans la même
catégorie que les actions symboliques des prophètes, les scènes figu-
rées de la littérature apocalyptique, l'interprétation allégorique de la
Bible par Philon, l'interprétation chrétienne de l'Ancien Testament.
M. S. s'est excusé de traiter en détail du symbolisme du Nouveau
Testament, en alléguant que d'autres l'ont fait, — il semble plutôt
que le sujet serait à reprendre tout entier, surtout pour les Évangiles,
— et il se borne à indiquer certains points de détail : lavement des
pieds, baptême, paroles de l'institution eucharistique, paraboles de
Jésus. Il considère le lavement des pieds, dans le quatrième Evangile,
comme une action symbolique de Jésus : c'est beaucoup plus sûre-
ment un récit allégorique de l'évangéliste, et le quatrième Évangile
tout entier se présente à peu près dans les mêmes conditions que le
récit du lavement des pieds. Le baptême n'est pas précisément un
symbole mais un moyen de purification. Le sujet de l'eucharistie esta
peine effleuré; le thème est pourtant de ceux où l'on peut apprendre
beaucoup sur la véritable nature du symbolisme religieux. M. S.
témoigne quelque surprise de trouver que, pour les anciens Pères de
l'Eglise, symbole et réalité ne sont point choses contradictoires. Il
aurait pu faire la même constatation dans les textes du Nouveau Tes-
tament qui regardent l'eucharistie. Le symbolisme pur peut, être une
satisfaction de l'esprit théologique ou esthétique; le mysticisme d'une
religion vivante est toujours plus ou moins réaliste.
Z.
406 REVUE CRITIQUE
Kdounrd Sciiuhk, L'évolution divine. Du Sphinx au Christ, l'aris, Pcirin, i(ji2 ;
in-i2, xv-441 pa[i[cs.
S'adresse « à tous ceux qui, seiiiant la {^raviic de riicurc présente,
sont résolus à marcher vers l'avenir sous la bannière de Vésotérisme
liclléno-chrétien ». Peut-être v aura-t-il un second volume intitulé :
Du Christ à Lucifer. Celui-ci est déjà plein de choses que je ne me crois
pas permis de résumer dans la Revue critique, précisément parce qu'elle
est critique. On ne discute pas avec les voyants, et M S. voit tant de
choses que la discussion n'aurait pas de rtn. Cela va depuis « l'évolu-
tion planétaire » jusqu'à la résurrection du Christ. La cosmogonie
de M. S. dépasse par la richesse de la fantaisie tous les mythes de l'an-
tiquité, toutes les gnoses connues, et sa façon d'entendre l'histoire
fi'est pas moins extraordinaire. C'est une vision, comme la cosmo-
gonie, l-cs lecteurs de celle Revue, étant tous cnirainés dans « le cou-
rant luciférien de la Science », n'auraient pas pour celle révélation
le respect qui convient. El peut-être penseraieni-ils que la discipline
intellectuelle du dogme le plus étroit est encore moins dangereuse
■pour la raison et le sens commun que la « voyance » de « l'ésoté-
risme ».
A. L.
Gilbert CiiiNARD, L'exotisme américain dans la littérature française au
XVI'' siècle, (.f après Rabelais, Ronsard, Montaigne, etc. Paris, Hachette et C'%
1911, 1 vol. in-iG lie xvii -f- 246 pages. Prix : 3 fr. 5().
Le litre de ce livre a le défaut de ne pas indiquer quel en est l'in-
térêt véritable. En fait, ce que l'on entend par exotisme, c'est soit un
état de sensibilité dont le fond est le regret des pavs lointains, soit
■encore une manière artistique qui tend à mettre^ en relief le caractère
pittoresque des régions étrangères. L' « exotisme » ne se rencontre
guère chez les écrivains du xvi'' siècle. Ce que M. Chinard a étudié
dans son ouvrage, ce sont lous les éléments nouveaux introduits dans
notre littérature au xvi'' siècle par la découverte de l'Amérique :
notions de cosmographie et de géographie, théorie sur la bonté natu-
relle des sauvages, conception du relativisme d'e la morale, etc.
Quelle fut à cette époque l'influence de la découverte du Nouveau
Monde sur les poètes et les moralistes, voilà l'objet de ce travail.
M. Chinard prend comme résumé des conceptions cosmographiques
et géographiques avant 1492 l'Imago Mundi de Pierre d'Ailly. Nom-
breuses sont les légendes qui se mêlent à certaines données précises
dans ce livre qu'étudia et annota Christophe Colomb avant d'entre-
prendre son grand voyage. Les premières relations de la découverte
de l'Amérique, les lettres de Colomb et d'Améric Vespuce, les
Oceani Décades de Pierre Martyr d'Anghiera, restent hdèles à l'esprit
du moyen âge avide de merveilleux. Colomb cr(jii à l'existence des
Amazones et à celle des indigènes qui sont pourvus d'une queue, etc.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 4O7
Chez Pierre Martyr, les légendes de l'Eldorado prennent la place
occupée dans Marco-Polo par les descriptions de Cipangu la Dorée.
Ces premières relations n'apportent rien de neuf dans la littérature.
Elles ne font que prolonger le moyen âge. L'esprit humain n'a pas
I encore lait un dépari entre les vieilles légendes et les nouvelles acqui-
sitions.
Le Bricf récit et succinte narration de la navigation de Jacques
Cartier puplié en 1545, a un caiactère tout ditierent. Relation
simple et scientiHque, c'est un )Ournal de route exact et détaillé.
Cartier n"a rencontré ni monstres, ni pygmées, ni griffons. La faune
et les paysages du Canada lui rappellent la faune et les paysages de
la Normandie. Les sauvages, tels qu'il les dépeint, sont de pauvres
gens, sans morale et sans religion. Ni poète, ni artiste, il se contente
de dresser un « routier », pour les marins qui voudront après lui
suivre son itinéraire.
C'est précisément cette route comme l'a démontré M. Lefranc, que
Rabelais fait suivre à Pantagruel dans les livres IV et V de son roman.
Mais le romancier ne pouvait s'accommoder de cette indigence d'élé-
ments merveilleux. S'il a gardé l'itinéraire réel de Cartier, il ne s'est
pas fait scrupule d'y introduire des fantaisies et des singularités con-
formes au goût médiéval. Par une des tendances les plus constantes
de son esprit Rabelais a été incliné à prendre dans la réalité contem-
poraine quelques épisodes et l'itinéraire général delà navigation : une
nécessité du genre qu'il cultivait l'a contraifit de doter son roman
d'histoires fabuleuses analogues à celles de Marco-Polo, de Pierre
d'Ailly ou de Pierre Martyr.
La tentative faite par Durand de Villegagnon pour établir une colonie
protestante au Brésil (i555) excita en France un intérêt plus vif que
les voyages de Cartier. Elle a été racontée dans deux relations princi-
pales : celle du cordelier François Thevet, Singularité^ de la France
antarctique (i558) et celle du ministre protestant Léry -.Histoire
d'un voyage fait en la terre du Brésil (1578). Ces deux personnages
firent partie de l'expédition. M. Chinard a montré quelle fut la popu-
larité de l'ouvrage de Thevet, célébré par les poètes de la Pléiade. Le
bon moine voit et juge en homme du moyen âge, dénué d'esprit cri-
tique, riche de préjugés de cordelier, d'homme d'Eglise et de civilisé.
Pour lui, les sauvages sont des brutes. Mais le texte de sa narration
est illustré de gravures dessinées par des artistes formés à l'école de
l'Italie. Elles représentent des sauvages aux muscles saillants et aux
anatomies puissantes dans le style des Carrache, des sauvagesses aux
lignes allongées. Ces figures d'où se dégage une impression de
beauté antique et d'harmonie ont peut-être plus fait que bien des dis-
sertations pour créci- l'idée de l'homme de la nature, non déformé par
la civilisation.
Tout dilîérent du naif Thevet est Jean Léry que M. Chinard qua-
408 REVUE CRITIQUE
lirtc de « moralisie voyageur ». Comme Thcvei, il n'a que pitié pour
les sauvae;cs et surtout pour les sauvagcsses qui ne consentent à porter
des vêtements que par crainte du fouet des colons ; mais il ne les tient
pas pour des brutes. Il admire le dévoùment des sauvagcsses à leurs
petits : il s'indigne à peine du cannibalisme, dont il connaît les rai-
sons. 11 devance Montaigne et parfois, dans ses descriptions, il
touche à quelques-uns des thèmes qn'illustrera Chateaubriand.
Villegagnon avait donc échoué dans sa tentative de colonisation.
Colignv cependant ne renonçait pas à fonder dans le Nouveau Monde
une colonie de refuge pour les Huguenots persécutés. En 1 562, il
envoya le capitaine Jean Ribaut, de Dieppe, avec un petit groupe
d'aventuriers occuper un point du littoral de la Floride. Après
diverses vicissitudes, la colonie huguenote fut écrasée par les Espa-
gnols. Cette expédition fut relatée par Le Challeux dans un Dis-
cours de Vhistoire de la Floride et par Chauveton à la suite de sa
traduction de l'ouvrage de l'italien Benzoni, Histoire naturelle du
Nouveau Monde (1579). Ces relations attiraient l'attention du public
moins sur la découverte des terres américaines que sur les atrocités de
la colonisat'on espagnole. Au même moment, on traduisait en fran-
çais la Relation de la destruction des Indiens de Las Casas. Il ne
semble pas d'ailleurs que l'on se soit beaucoup intéressé à la ques-
tion de l'esclavage des Indiens. Il est bien vrai que Ronsard a écrit
dans son Discours contre Fortune une sorte de proclamation des
droits des sauvages. Mais en somme quelque curiosité qu'excitât à
cette époque l'Amérique et ses indigènes, il n'apparaît pas qu'avant
Montaigne les problèmes moraux que soulève la colonisation aient
troublé la conscience d'aucun écrivain.
Montaigne est le premier qui se soit appliqué à l'étude de ces ques-
tions. Attiré d'abord et amusé par le pittoresque des mœurs
indiennes [Essais^ chapitre des Cannibales , il est arrivé à prendre la
défense des Indiens contre les Européens, (chapitre des Coches . Au
catalogue de la bibliothèque américaine de Montaigne dressé par
M. Villey, il faut ajouter maintenant la traduction de Benzoni par
Chauveton. Toutes les idées exposées au début du chapitre des Can-
nibales procèdent directement d'un passage de Chauveton. Si Mon-
taigne le passe sous silence ainsi que Jean de Léry, c'est que les expé-
ditions de Villegagnon et de Jean Ribaut qui avaient eu un but
religieux plutôt que national ne lui semblaient pas dignes de beau-
coup d'intérêt et qu'en principe il était opposé à toute entreprise colo-
niale. On le voit bien dans le chapitre des Coches.
En somme, sur les sauvages américains deux théories ont cours au
xvi^ siècle : l'une considérant les indigènes du Nouveau Monde
comme des animaux à peine supérieurs, l'autre voyant en eux des
êtres plus heureux, plus vertueux et plus raisonnables que les civili-
sés. Cette seconde conception donnera naissance au procès de la
u'HISTOIRli ET DE LITTÉRATURE 4O9
civilisation et à la théorie de Thomme de la nature qui seront déve-
loppés par Rousseau et ses disciples.
On peut par ce résumé juger de l'intérêt de l'élude de M. Chi-
nard. Elle appelle toutefois quelques réserves et quelques corrections.
Le ch. V, V Amérique cl le grand public eût gagné à nous présenter
un plus grand nombre de témoignages empruntés aux écrivains du
temps. Certains textes du Premier Curieux de Ponthus de Tyard et
de la McissituJe des choses de Louis Le Roy méritaient d'être cités.
P. 188, M. Chinard réclame pour Montaigne l'honneur d'avoir
répandu le premier les idées de justice et d'humanité en matière de
politique coloniale. Il oublie qu'avant lui, Rabelais avait longuement
disserté sur « la manière d'entretenir et retenir pays nouvellement
conquestés » au ch. I du Tiers Livre (1546). P. 5o, M. Chinard
réédite une erreur commune sur la date du Quart Livre de Panta-
gruel. La première édition parut en 1548 et non en 1547. — P- 5 3,
Tantériorité du Pantagruel sur le Gargantua est maintenant incon-
testable : la mention des iles des Perles et des Cannibales dans l'épi-
logue du Pantagruel est donc antérieure à celle du Gargantua '. —
P. 55, n. I . Thélème ne saurait être le château de Saint-Maur-les-
Fossés qui n'existait pas en i534 — P. 84, n. 2, lire Florence au lieu
de Rome Le passage auquel songe M. Gaffarel, qui confond Thevet et
Tenaud, est le ch. XVI de Gargantua. — P. 106, lire Maurice Scève,
au lieu de Maurice de Scève. — P. 149, lire i552, au lieu de i562. —
P. 216. Benzoni est qualifié d'espagnol alors qu'il était italien, cf.
p. i63. — P. 36, n. I, lire i 545, au lieu de i5 1 5, — P. XII, lire
1480 au lieu de i58o. — P. XVI, lire xvi'' siècle, au lieu du xv''. —
P. 44, l'appréciation de M. Chinard sur la Cosmographie de Jean
Alfonse le Saintongeois se trouve confirmée par l'étude que M. vSai-
néan vient de donner à la Revue des Etudes Rabelaisiennes sous le
titre : La Cosmographie de Jean-A If onse Saintongeois (19 12, fasc. I.).
— Sur l'expédition de Jean Ribaut, il a paru un article dans le Bulle-
tin de la Société d'histoire du protestantisme français de juillet-août
191 2 : Les massacres de la Floride, par Paul Besson, p. 364-373.
Jean Plattard.
Rupert Tavlor. The Political Prophecy in England, New-York, Columbia
University Press, 1911,111-80, i65 pp. i d. 25.
F. A. Patterson. The Middle English Penitential Lyric, New- York, Colum-
bia University Press, iyii,in-8", 2o3 pp. i d. 5o.
J. A. MosHER, The Exemplum in the Early Religions and Didactic Literature
of England, New-York, (Columbia University Press, igi i, i3o pp. i d. 25.
Ces trois monographies font partie de la collection Studies in
English publiée sous les auspices de l'Université Columbia.
I. J"ai exposé {Revue des Etudes Rabelaisiennes), V, 434 comment cette mention
des îles Perles et des Cannibales ne saurait être prise pour une étape d'itinéraire,
mais comme le théâtre d'un des huit ou dix exploits distincts que Rabelais se
propose de prêter à Pantagruel.
41 O REVUE CRITIQUE
On sait la fortune que rencontra dès le moyen âge VHistoria
rcgitin liriliViniiV de GeDiircy de Monmouth. Chronique des rois
bretons dont Torii^inc remonte naturellement à Brutus, ce gros livre
devait rendre populaire la légende d'Arthur et des chevaliers de la
Table Honde. Outre d'innombrables récits merveilleux qui ont ali-
menté Tépopée an lui rien ne, Geoft'rey de Monmouth rapportait de
mystérieuses prophéties attribuées à l'enchanteur Mei lin. (Quelle est
la source de cette partie de VHistoria rcgum Britanniae? Pour le
professeur Brandi, les prophéties ont été forgées de toutes pièces.
C'est contre cette opinion que M. Rupert Taylor s'élève en s'effor-
çant de prouver qu'elles sont d'origine galloise. Son principal argu-
ment, c'est l'originalité des prophéties. Il n'y a rien de commun entre
elles et les Oraciila Sibyllina. Or, un clerc d'intelligence moyenne,
comme Gcotîrey de Monmouth, aurait été certainement amené à
démarquer les oracles de la Sibylle auxquels les contemporains
accordaient la même autorité qu'aux livres sacrés, s'il n'avait eu sous
les yeux une œuvre originale. Bien entendu, cet original est distinct
du fameux « livre breton » de l'archidiacre Walter qui n'a jamais
existé que dans l'imagination de Geoffrey. M. R. T. cherche ensuite
à mesurer l'influence littéraire et politique des prophéties de Merlin.
Grâce à son traducteur latin, le sorcier gallois a pu influer sur les
événements, a peut-être changé les destinées de l'Angleterre. Quel
éloquent témoignage de l'attrait qu'exerce le merveilleux !
La thèse de M. F. A. Patterson est une édition critique d'un cer-
tain nombre de cantiques et de poésies sacrées des xiii«etxiv<= siècles.
Quelques-unes de ces pièces sont inédites. Dans une introduction
intéressante, l'éditeur ramène à deux les sources de ces effusions
lyriques : la liturgie et les poésies françaises contemporaines. Enfin le
volume est complété par des notes et une bibliographie.
Par Vexemplum il faut entendre le récit, l'anecdote, la fable qui
servent d'éclaircissement ou de preuve à l'appui d'un enseignement
moral ou religieux. On en trouve déjà dans Alfred le Grand. Au
XII* siècle des recueils à'exempla rédigés en latin font leur apparition.
Mais c'est surtout à la venue des moines franciscains en Angleterre
qu'il faut attribuer la popularité du genre. Les exempla abondent
dans la littérature homilétique jusqu'à la veille de la Réforme.
M. J. A. Mosher a fait de son mieux pour traiter d'une façon claire
ce sujet assez mince.
Ch. B.ASTIDE.
La deuxième édition du précis d'histoire de la littérature anglaise
de M. E.-A. Andrews [A Short History of English Litcraîuri\ Leipzig.
I. Quelques fautes ont échappé à la vigilance de l'auteur : p. 7>-j, lisez attribii-
ted; p. 88, Histoire littéraire de la France. La table des matières ne renvoie pas
aux pages, ce qui ne facilite pas les recherches.
d'histoire et de littérature 411
Berlin, 191 2, in-8', 170 pp. 2 M. 20) vient de paraître chez Teub-
ner. Nous avons déjà rendu compte du livre qui, sous une forme
revue ci améliorée, est appelé à rendre service aux étudiants.
Ch. B.
BKAt'.MONT AND Fi.ETciiER . Works (cd . A. R. Wai.i.er, Vol. X, Cambridge, Uni-
versity Press. 191 2, in-S", Sgo pp., 4 s. 6 d.
En i.)o5, M. Arnold Glover se chargeait d'une édition critique de
Beaumont et Fletcher. Le travail, [uiblié sous les auspices de l'Uni-
versité de Cambridge, devait comprendre dix volumes. Interrompue
un moment par la mort prématurée de l'éditeur, l'œuvre fut reprise
et continuée par M. A. R. Waller. Il ne s'agissait pas seulement de
réimprimer le second in-folio, mais d'y ajouter les variantes. Il n'a'
pas fallu moins de sept ans de labeur patient pour mener cette entre-
prise à bonne fin. Avec le dixième et dernier volume qui vient de
paraître, on a, en un format facile à consulter et accessible à tous, une
réimpression complète des continuateurs les plus célèbres de Shakes-
peare. C'est un monument digne de la tragi-comédie du xvi*^ siècle
qu'ils ont illustrée. M. A. R. W. avait annoncé en 1906 qu'il comp-
tait préparer un supplément contenant des notes indispensables à
rinielligence d'un texte qui présente beaucoup de difficultés. Il est
regrettable qu'il soit obligé aujourd'hui de manquer à sa promesse.
Ces notes, ainsi qu'une réimpression des poésies diverses de Beau-
mont et Fletcher, nous les devrons, dit-il, à d'autres mains. Quelque
doive être le mérite de ce supplément, il ne pourra faire oublier la
dette de reconnaissance que tous les amateurs de la littérature anglaise
ont contractée envers M. A. R. Waller. Ceux-là seuls qui ont préparé
une édition critique se rendent compte des qualités que suppose un
aussi prodigieux travail.
Le dixième volume contient les pièces suivantes : Thierry and
Theodoret^'The Woman-Hater, The Honest Man s Fortune, Masque,
Four Plays in One.
Ch. Bastide.
Ferdinand Tônnies, Thomas Hobbes, der Mann und der jDenker, Zickleldt,
Leipzig, 1912, in-H", ibo pp., 4 M.
Dès 1889, M. Ferdinand Tônnies publiait en deux volumes des
œuvres inédites de Thomas Hobbes [The Eléments 0/ La)j% appen-
dice et Behemoth or the Long Parliament). En 1896, il donnait une
biographie du philosophe. Depuis lors, dans la revue bien connue
Arclnvjur Geschichte der Philosophie, il a fait paraître les lettres de
Hobbes conservées a la Bibliothèque nationale et à la Bibliothèque
bodléienne. Aujourd'hui le savant professeur de l'université de Kiel
revient encore une fois sur son auteur favori et nous donne en un
412 RKVUE CRITIQUE
petit volume très solide la vie Je Hobbes et une analvse de ses
ouvrages. La première partie (der Mann) est divisée en quatre cha-
pitres : premières années, période de production (1628-1660), der-
nières années (1660-1679), caractère. I,a seconde partie fder Denker)
est un exposé de la pensée de Hobbes. Notons les chapitres sur la
logie]ue, la métaphysique, la physique, l'anthropologie, le droit natu-
rel, l'Etat, enfin sur l'influence du hobbisme. Dans ce dernier cha-
pitre Rousseau n'est guère que mentionné. — Il est regrettable que
ce volume, indispensable à consulter, soit imprime en caractères
gothiques. Pour les étrangers il n'en sera que plus difficile à lire.
Ch. B.
Horalio E. Smith, The Literary Criticism of Pierre Bayle, Albany N. Y.,
Brandow printing co., 191 2, in-8, 1.14 pp.
II semble étrange à première vue qu'on puisse découvrir en Pierre
Bayle un critique littéraire. Ce dialecticien dépourvu de sensibilité
n'a jamais goûté un vers de Racine ou une fable de La Fontaine.
M. H.-E. Smith a cependant tiré le meilleur parti possible d'un sujet
de thèse bien ingrat. Il examine successivement la critique de Bayle
en ce qui concerne les livres et les auteurs, les romans, la poésie, le
théâtre, l'éloquence, l'histoire, l'érudition, le style, les anciens et les
modernes. Il expose ensuite les idées de Bayle sur la critique, et ter-
mine en disant quelques mots de son influence. — Je ne crois pas que
M. H.-E. S. ait cité un curieux passage de ÏAvis aux réfugiés sur
Milton. Il manque un index des noms propres; enfin, la correction
typographique laisse quelquefois à désirer (lisez par exemple p. i 34 :
Opuscules).
Ch. B.
Johann Heinrich Mercks Schriften und Brief\p-echsel. In Ausvvahl heraus-
gegeben von Kurt Wolff. Leipzig, Insel-Verlag. 1909. Deux vol. In-8°, XVI de
3o3 p. + 298 p.
Johann Heinrich Mercks Briefe an die Herzogin — Mutter Anna Amalia und an
den Herzog Cari August von Sachsen Weimar, herausgegeben von Hans Gerhard
GRâF. Leipzig, Insel-Verlag. 191 1, in-8° xxv et 343 p.
Ces trois volumes sont très joliment édités par la librairie dite de
nie ou Insel-Verlag à Leipzig.
Dans les deux premiers, M. Kurt Wolff publie un choix des écrits
et lettres de Merck. L'introduction est courte, et M. W. a tort de
rejeter parmi les légendes l'histoire du mariage de Merck « malheu-
reux et abreuvé d'amertume »; rien de plus vrai que cette histoire
dont Herder fait mention dans ses lettres et que, plus récemment,
Haym rappelait dans son Herder '. Dirons-nous aussi que la liste
I. Cf. p. xiii. De même, p. ix, le Hess mentionné est évidemment le conseiller
intime Hesse qui avait épousé une Flachsland, sœur de Caroline Herder.
d'histoire et de littérature 41 3
des témoignages de Gœihe sur xVIerck n'est pas complète, et qu'on
nous donne vraiment trop pou de « recensions » écrites par Merck?
Mais ce c7io/-v — puisqu'on voulait publier un choix — est bien fait :
on y trouve quelques morceaux inédits ou qui paraissent pour la pre-
mière fois en leur entier, et, si M. Wolti' n'a pas recueilli, à notre
avis, tout ce qui est « le plus capable de vivre », on aura du moins,
en lisant ces deux tomes, une idée de ce que fut Merck, de ce que fut
cet esprit clair, vigoureux, mordant, de ce Méphisio-Merck qui eut
sur Gœthe une si grande influence '.
M. Griif publie les lettres de Merck à la duchesse Amélie et à
Charles-Auguste de Saxe-Weimar. On sait que Merck passait pour
un profond connaisseur en fait d'arts et pour un habile homme d'af-
faires : Charles-Auguste l'avait chargé de lui acheter des dessins, des
gravures, des tableaux; il vantait le flair de Merck et, tout en se gar-
dant, non sans raison, de le prendre à son service, il l'invita plusieurs
fois, le traita toujours avec bienveillance et le secourut dans sa détresse.
Les lettres que fait paraître M. Graf, traitent donc d'acquisitions et
d'envois d'oeuvres d'art; mais on y trouve aussi nombre d'anecdotes
et de potins — ce que les Allemands appellent Klatsch — qui plai-
saient à la cour de Weimar. La plupart de ces lettres sont inédites et
tirées des archives de Weimar. M. Griif les a très consciencieuse-
ment éditées et accompagnées d'un commentaire fort soigné et fort
minutieux.
A. Chuquet.
Darstellungen aus der Bayerischen Kriegs = und Heeresgeschichte, hrsg.
vom K. B. Kriegsarchiv. Heft 21. Mûnchcii, Lindauer (Schripping), 1912. In-S",
i56 p., 3 mark 5o.
Ce fascicule — le XXP — des travaux publiés par les archives du
ministère de la guerre bavarois, traite de la guerre de 1812 : il est
dédié aux treize mille Bavarois qui trouvèrent la mort dans la cam-
pagne de Russie et qui, eux aussi, selon le mot du roi Louis I",
moururent pour la délivrance de la patrie.
On y trouve ; 1° une suite de notices sur les généraux de l'armée
bavaroise dans cette campagne (Deroy, Siebein, Raglovich, Rechberg,
Seydewitz, Wrede, Minucci, Vincenti, Beckers, Preysing, Lamotte,
I. Quand aurons-nous une nouvelle édition des lettres si intéressantes publiées
par Wagner en i835, i838 et 1847, s'entend de toutes les lettres et dans leur texte
intégral? Lire, dans le second volume de M. WollT (lettres de et à Merck), p. 8
« oublis » et non oublies; p. 26 <• mena » et non mèna\ p. 27 ligne 19 « par » et
non pour: p. 74 « matinée » et non matinée; p. 78 « Pococuranti » et non j^oco-
Curanti: p. i3i « couleur de puce » et non de pouce; p. 134 « chacun a » et non
chaquun à; p. igS « well-wisher » et non well-withev; p. 227 «je trouvai... qui
m'accompagnèrent » et non je trouvais... qui m'accompagnoienf, p. 23o » magne-
tibus » et non magnalibus.
414 RKVDE CRITIQUE
Sirôlil, Zoller) ; ces notices, pk-incs de dates et de de'tails précis, sont
dues au major Frédéric de Furtcnbach.
2° Le Journal de Preysing durant la campagne; il ne va que jus-
qu'au 9 décembre Me général avait été fait prisonnier le 2) ; il offre un
saisissant tableau des privations et des combats de la cavalerie bava-
roise sur le chemin de Vilna à Moscou et de ses souffrances pendant
la retraite.
3*^ Le Journal du capitaine Maillinger, édité par M. Paul Holzhau-
sen qui Ta, dans une introduction de huit pages, très bien apprécié à
tous égards. On y remarquera particulièrement tout ce que dit Mail-
linger de la situation des troupes à Poloisk, de leur misère et de leur
reculade, des hôpitaux de Vilna, du maréchal Gouvion Saint-Cyr
qu'il a vu de très près et qu'il estime peu. Nous n'hésitons pas à dire
que le Journal de Maillinger, bien que déjà consulté par d'autres et
notamment par Krauss, est un des textes les plus instructifs et les
plus précieux qui aient paru dans l'année du centenaire russe.
A. Chuqtjet.
Eia Verwaadter Gœthes im russischen Feldzuge 1812. Aus dem Leben eines
sâchsischen Husaren, von TheoJor Gœthe, bearbeitet und herausgegeben von
Paul HoLZHAusEN. Bcflin, Morawe et SchelVelt, 1912. In-8% 179 p.
Un parent très éloigné du grand poète, et que ledit poète ne con-
naissait pas, Théodore Gœthe, a fait, comme fourier d'un régiment
de hussards saxon, la campagne de Russie, et il a, dit M. Holzhausen
qui publie ses Mémoires, porté dignement son nom. Il appartenait
au corps que Reynier commandait sous les ordres supérieurs de
Schwarzenberg et il a raconté ce qu'il a vu : la vie du soldat, les
marches dans les forêts et les marais de la Lithuanie et de la Volhynie,
les périlleuses chevauchées qu'il fit parfois pour porter un message,
les combats auxquels il assista, les souffrances et les misères qu'il
essuya. Il nous montre ses camarades égorgeant et dépeçant les
moutons et les porcs des paysans de la Podiésie. II nous raconte l'his-
toire du pauvre déserteur Leidenfrost — un nom prédestiné — qui
devient fou lorsqu'il reçoit sa grâce. Il nous décrit l'aspect du champ
de bataille de Gorodeczna et la place où la brigade Sahr a subi le feu
des Russes, la place où, au lendemain de l'affaire, il chercha son frère,
soldat dans un régiment d'infanterie, et le trouva mort. Les détails
saisissants abondent : le froid, les maladies, la vermine, etc. On com-
prend qu'il souhaite de reposer, de dormir une couple d'heures sous
un abri quelconque, fût-ce dans l'étable à cochons qu'il se souvient
d'avoir vue à Artern, sa garnison, en un coin de la caserne. Comme
tant d'autres témoins de la campagne, il retrace l'aspect lamentable de
sa troupe véiue de haillons. La hn de la campagne fut affreuse. Malade
et mêlé aux blessés, transporté sur une voiture dont les cahots lui
d'histoire i.t de littérature 415
arrachaient des cris de desespoir, abandonné par le charreiier à l'ap-
proche des cosaques, il se iraina sur les roules, de village en village,
et, à force de temps ei d'obstination, non sans avoir été maltraité et
houspille, il finit par revenir dans la patrie où personne, hors sa
mère, ne le reconnut. M. Holzhausen a très bien édité ce curieux
récit.
A. Chuqukt.
G. EsQUER, Les débuts de l'administration civile à Alger. Le personnel,
Alger, Jourdan, 1912. lii-!S", 40 p.
M. Esquer raconte dans cette intéressante étude ce que fut et ce
que Ht l'administration civile autonome instituée à Alger sous le nom
d'intendance civile par Casimir Périer et qui dura du i'^'" décembre
i83i au 12 mai i832. Elle devait aboutir à un échec : les militaires
la jugeaient inutile et l'intendant civil, Pichon, indépendant du gou-
verneur, entra naturellement en conflit avec le commandant en chef,
qui était Savary, duc de Rovigo. L'auteur nous pailc longuement de
Pichon, lequel est nlus connu qu'il ne le croit, puisque c'est le
Pichon qui était chargé d'affaires aux Etats-Unis lorsque Jérôme
Bonaparte épousa Elisabeth Patterson (et on sait que Jérôme le prit
en Westphalie à son service). Il expose les idées de Pichon en
matière coloniale, retrace quelques incidents de la querelle entre
Pichon et Savary et présente en même temps les fonctionnaires de
l'administration civile. Les détails qu'il donne sur ces personnages
(les enquêteurs Fougeroux, d'Escalonne et Cadet de Vaux, les inter-
prètes Gérardin et Lauxerrois) sont curieux. Il n'oublie pas les candi-
didais qui, à Alger même, attendaient un « poste confortable », et
nous retrouvons parmi eux de vieilles connaissances, comme Gas-
pard Thierry, comme Krettly, comme Hamelin. Finalement, Pichon
demanda son rappel et l'obtint; il fut remplacé par Genty de Bussy
que Soult plaça sous les ordres du général en chef. On voit que ce
travail sera lu avec profit par tous ceux qui voudront connaître les
premiers représentants de l'administration civile et de la colonisation
officielle à Alger '.
A. Chuquet.
Vom Geistesleben des 18 und 19 Jahrhunderts, Aufsiitze von OsUar Walzel,
Leipzig, Insel-\'crlag, ujii. ln-80, 5H-j p.
M. Oscar Walzel a réuni en un fort volume plusieurs essais qu'il
avait fait paraître dans divers recueils. Les uns sont de véritables
I. La note sur Esménard devra être rectifiée : l'article dont on parle, fut publié
à l'instigation de Savary contre Tchcrnychev qui n'était pas « l'envoyii de Russie »,
et il est inexact de dire que l'académicien, atl'ulé par la disgrâce de Napoléon, s'est
suicidé ; il succomba à un accident de voiture.
^.l6 Itl VIK iRITIQUE
études; les autres ne sont que des grands comptes rendus, de longues
« recensions »; tous méritent d'être lus. L'Idée du tragique dans
Lessing : Lessing croit que, dans la tragédie, le spectateur s'ideniiiie
avec le héros tout en ayant conscience qu'il n'est pas ce héros. Schil-
ler et l'art plastique : Revue des jugements que Scliiller a portés sur
la sculpture antique. Schiller et le romantisme : Traite ce sujet inté-
ressant avec brièveté, mais avec précision, et insiste notamment sur
les rapports de Schiller avec les deux Schlegcl et sur les formes
romantiques qu'il adopta, sur les idées romantiques qu'il accueillit
dans ses (leuvros. Le romantisme d'après Ricarda Huch : Brillante
appréciation de ce brillant ouvrage. Gœthe et le problème de la nature
de Faust : Étude originale; le type de Faust, tel qu'il se révèle dans
le (' Sturm und Drang », dans F « Urfaust », dans le « Fragment »,
n'est plus le môme en 1800, au temps de Schiller et du premier
romantisme. Clément Brentano et Sophie Mereau : Ce que fut cette
union : Brentano n'était pas heureux, mais Sophie fut la seule femme
qui put satisfaire ses aspirations et une femme comme elle pouvait
seule l'attacher. Amélie d'Imhoff : Intéressante notice sur la traduc-
trice de Tégner, d'après le livre d'Henriette de Bissing. Les Affinités
électives dans le cadre de leur temps : Contient une foule de détails et
de rapprochements; en somme, le roman est antiromantique; Gœthe
Ta écrit pour réhabiliter le mariage menacé par le romantisme. Le
romantisme rhénan : Le Rhin est le fleuve du romantisme, et ce qu'il
a de romantique, il le doit surtout à Frédéric Schlegel, à Arnim, à
Clément Brentano et à Heine qui, sans Brentano, n'eut pas chanté la
Lorelei. Zacharie Werner et le Rhin : Voyage de Werner en 1809 sur
les bords du Rhin; il a pris à Frédéric Schlegel ce qu'il dit des
tableaux de Cologne. Le Fortunat de Chamisso : L'étude la plus
complète sur ce fragment. Lenau : Un des meilleurs morceaux du
volume, sinon le meilleur; on y remarquera surtout les pages consa-
crées à Lenau, peintre de la nature et à ses devanciers sur ce
domaine, à l'influence de Byron sur Lenau, au jugement profond que
Grillparzer portait sur le poète. Stendhal et la maladie romantique :
On s'étonne que l'auteur qualilie Stendhal de Poet et de Dichter,
quelque étendu que soit en allemand le sens de ces deux mots. La
correspondance de Herwegh avec sa fiancée : Si Herwegh n'a plus
rien produit après les « Chants d'un vivant », c'est qu'il avait peu de
profondeur, c'est qu'il avait des allures d'artiste et que sa nature vani-
teuse s'opposa à sa mission de poète de la liberté. Freytag et le duc
Ernest de Cobourg : Le duc Ernest fut un ami véritable pour Frey-
tag et il jugea mieux que lui la machine politique parce qu'il la
voyait de plus près. Le soir de la vie d'une idéaliste : Sur Malwida de
Meysenbug dont les Mémoires sont un notable document pour l'his-
toire du temps. Deux Autrichiens experts dans Vart de la vie : Dans
l'étude sur Malwida, M. Oscar Walzel a parlé d'Alexandre de Wars-
d'histoire et de littérature 417
berg, si amoureux du Midi, de la Grèce et de la vieille Italie. II
revient ici sur ce groupe d'Autrichiens, de dilettantes délicats, qui
voulaient et qui veulent encore donner à l'existence de la noblesse
autrichienne comme un retiet de la culture de la Renaissance et des
salons littéraires de la France : Heusenstamm, Kami de Lenau, Vil-
1ers, Hoyos, le comte Lanckroronski, qui réussirent à « unir harmo-
nieusement la vie et Fart ». Deux d'entre eux, Alexandre de Villers et
le comte Rodolphe Hoyos sont Tobjet d'une étude spéciale. Villers,
tils d'émigré, neveu de Charles de Villers, est, après une incroyable
série d'aventures, après une vraie vie de bohème, devenu diplomate,
et ses lettres ont été publiées en deux volumes par Hoyos sous le
titre de « Lettres dun inconnu ». Les Nouvelles d'Autriche de Ferdi-
nand de Saar : Etude pénétrante sur ce nouvelliste qui ne voulait rien
publier qui ne fût mûri, limé avec soin : M. Walzel montre que ses
nouvelles reposent toujours sur un fond de réalité, sur quelque chose
de vécu, et aussi sur le « moi » de Saar, sur ses propres impressions
et souvenirs. Marie d' Ebner-Eschenbach : La seule étude du volume
qui soit inédite; elle compte quarante pages, et c'est un digne éloge
de cette femme que l'Allemagne regarde Justement comme un de ses
premiers écrivains. Les thèses d'Ibsen : Ibsen a prêché l'action ; il s'est
plaint que les hommes oublient d'agir et qu'ils ne se dépensent qu'en
mots ; à certains égards, il a été ce que Gœthe se glorifiait d'avoir
été, un libérateur; il s'est sans cesse efforcé de traiter ce sujet, com-
ment réaliser une grande idée; jamais la pensée d'une plus noble
humanité ne l'a quitté. Lafontaine redivivus : A propos du « Chante-
cler » de Rostand, mais Rostand est-il le « véritable successeur de La
Fontaine »? Questions scéniques du présent : Sur la forme que Fritz
Schumacher a donnée à ia scène lorsqu'il représenta « Hamiet » en
1909 sur le théâtre de la Neustadt à Dresde. — Ce court aperçu, cette
trop brève analyse donnera, nous l'espérons, une idée de ce volume
attachant, instructif, suggestif; il y a dans tous les essais de M. "Wal-
zel, particulièrement dans ceux qui concernent Schiller, Gœthe et le
romantisme, beaucoup de savoir — un savoir qui se montre toujours
à propos — et beaucoup de finesse.
A. Chuquet.
Romain Rolland, Vie de Tostoï, 1 vol. in-12". 2oJî pp. Paris, Hachette, 2 f.
L'enthousiasme déborde de ce généreux livre auquel M. R. a mis
le meilleur de son cœur et de son intelligence; et, pourtant, il nous
paraît un peu qu'il y a, entre M. R. et son héros, le même malentendu
qu'entre Olénine et Mariana dans Les Cosaques. La rigueur métho-
dique de M. R. assure la solidité de sa construction ; mais à cette
construction si solide il manque un je ne sais quoi qui serait la défi-
nitive étincelle.
41 S REVUE CRITIQUE
Kn rcaliic, M. K. a procède, dans ces nobles pages, comme s'il
s'agissait d'étudier un Laiin : il a imu déduit, tout expliqué : or, un
Slave ne se déduit pas, de là vient que nous avons ici l'image d'un
Tolstoi un peu artificiel, d'un Tolstoï retouché par le bon photo-
graphe. Le grand écrivain ne saurait être, comme il l'est trop souvent
ici, isolé de son milieu. Il ne se dresse pas, en etîct, en dehors de la
société russe comme un géant qui la dépasse ou un phare qui dirige
sa course. Il est tout simplement un pomiéchtchik de l'ancien temps,
très russe, très original, très indiiférent au qu'en dira-t-on, très intel-
ligent, très près de la nature — mais en même temps très naïf, et tant
soit peu homme de lettres. Doué d'un pouvoir de vision qui tient du
prodige, il a créé des types immortels. Mais c'est faire fausse route
que vouloir mettre une suite logique rigoureuse dans son évolution '.
Nombre de détails montrent que M. R. ne saisit pas exactement, à
travers les livres, la réalité de telle ou telle manifestation. C'est ainsi
que, p. 7, il parle d\x journal de Tolstoï, et ignore que Tolstoï avait
un double journal, l'un qu'il montrait aux amis, l'autre qu'il réser-
vait, et dont une partie a été détruite. P. 100 (note). M. R. parle de
la « prédilection de grand seigneur » de Tolstoï pour le cheval. En
réalité toute la Russie, riche ou pauvre, a pour le cheval cette prédi-
lection : le cheval est là-bas non pas un luxe, mais un indispensable
outil.
Ces critiques ne diminuent certes pas le livre si sérieux et si ardent
de M. R Ce livre, on le lira pour avoir de Tolstoï une vue d'en-
semble, mais on devra le baisser d'un ton, ou du moins en prendre les
conclusions avec une certaine réserve *.
Jules Legras.
Nevill FoRBF.s, The position of the Slavouic languages at the présent day.
I broch. Oxford, 1910. 1 sh.
P. Aurelius Palmieri, Mobliamimus et Panpolonismus eorumque methodus
polemica et coQsectaria. i broch. Rome, lyio.
M. Forbes donne ici, en des pages claires captivantes et précises,
la position géographique des parlers slaves. C'est là sa leçon d'ou-
verture de sa chaire d'Oxford.
Le P. Palmieri, à la suite de son beau livre objectif et sincère sur
la Chicsa russa, a été accusé par certains membres du clergé polo-
1 . Cf. p. 109, sq., l'influence de la foi sur l'art de Tolstoï.
2. P. 184, .M. R. écrit : « 11 était moralement isolé parmi les siens. Il n'avait
guère que sa dernière fille et son médecin pour le comprendre. » Nous pouvons
affirmer à M. R. qu'il s'est fait là, très innocemment, l'écho d'une calomnie dont
l'origine, en Russie, est une question de gros sous.
P. igo. Nous sommes en mesure de rectifier comme suit la reproduction des der-
nières paroles de Tolstoï : « Seulement il y a une chose que je vous conseille de
vous rappeler, c'est à savoir qu'il y a sur la terre une infinité de gens en dehors
de Léon Tolstoi, or c'est du seul Léon Tolstoï que vous vous occupez tous! »
d'histoire et de littérature 419
nais d'être hérésiarque, d'être un agent payé par la Russie. Il répond
de sa meilleure encre, dans une brochure qui pétille d'esprit et de
logique en même temps.
J. L.
Académie des [nscriptions et Bei.ues-Lettres. — Séance du 4 octobre
igi2. — M. Maspero fait son rapport annuel sur les travaux du Service des
antiquités d'Eg'ypte. La restauration de Karnak a été continuée, celle de Deiret
Médinèh a été achevée, et celle du temple de Hibib poiissée fort loin. Le
déblaiement du pronaos d'Ksnèh a été terminé, et le dégagement des por-
tions méridionales du téméiios d'Edfou poussé rapidement. Mais ces travaux,
qui rentrent dans le cadre habituel, sont dominés par deux événements : l'achè-
vement des travaux de relèvement du barrage d'Assouân et la promulgation
d'une nouvelle loi pour la protection des monuments antiques de l'Egypte. Le
service a obtenu tout l'argent qu'il avait demandé pour essayer de défendre contre
les attaques de l'eau lès monuments menacés de submersion totale ou par-
tielle. Ceux-ci sont prêts depuis deux ans à recevoir l'assaut, et la publication de
leurs inscriptions cl de leurs bas-reliefs est en bonne voie. M. Maspero espère qu'ils
opposeront une force de résistance suffisante et dureront sans trop de dom-
mage jusqu'au jour où l'on reconnaîtra enhn le danger que présente pour le
pays l'emmagasinement dans un seul bassin, qu'un accident peut vider soudain,
d'une masse d'eau aussi considérable. — Pour la conservation des antiquités, la
loi qui était en vigueur depuis quinze ans était, de l'aveu de tous, insuffisante ;
mais on voyait dans le régime des capitulations un obstacle insurmontable à l'éta-
blissement d'une loi plus efficace. En 1900 et 1901, M. Maspero avait préparé un
projet dont les dispositions s'appliquerait d'abord aux seuls nationaux, sauf à les
étendre plus tard aux étrangers avec l'approbation des puissances, si elle pouvait
être obtenue. Cette loi resta en route, mais M. Maspero continue ses efforts, et Lord
Kitchener a enfin obtenu que le projet, repris et élargi, fût adopté par le Conseil
législatif et promulgué le 16 juin dernier. M. Maspero espère avoir trouvé un
moyen de faire disparaître l'inégalité de traitement entre les indigènes et les étran-
gers consacrée par cet acte et amener le gouvernement à corriger la nouvelle loi
sur ce point important.
Académie des Inscriptions et Belles Lettres. — Séance du 11 octobre iQi^.
— M. le Ministre de l'instruction publique et des beaux-arts écrit à M. le Secré-
taire perpétuel qu'il vient d'allouer une idemnité de i,5oo francs à M. René Basset,
membre de la Commission internationale de publication de V Encyclopédie de
l'Islam.
M. Henri Cordier annonce le prochain retour de M. de Gironcourt, missionnaire
de l'Académie dans le Niger.
M. Homolle com.inunique une lettre de M. Avezou, relative à la découverte
dans la « Vieille Palestre », explorée par M. Picard et par lui, d'une tête de
bronze représentant un personnage romain, tête énergique et fine d'un Romain
d'une quarantaine d'années. M. Homolle insiste sur la rare valeur de cette œuvre
vivante, bien faite pour justifier le renom des sculpteurs gréco-romains comme
portraitistes, et qui parait dater du premier siècle a. C.
L'Académie procède à l'élection de deux commissions chargées de proposer des
sujets ou des programmes de prix : 1° pour le prix ordinaire à décerner en igi5,
dans l'ordre des études oiientales ; 2° pour le prix Dclalande-Guérineau à décerner
en 1914 et pour le prix extraordinaire Bordin à décerner en igiS. Sont élus, pour
le prix ordinaire : MM. Senart, Barth, Chavannes, Cordier; — pour le prix
extraordinaire Bordin et pour le prix Delalande-Guérineau : MM. Senart, Barth,
Clermont-Ganneau, Chavannes, Scheil, Cordier.
M. Salomon Reinach fait une communication sur le bâton de Teyjat et les
ratapas à l'âge du renne.
M. Moise Schwab fait une communication sur une encyclopédie rabbinique du
XIII* siècle.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 1 8 octobre IQ12.
— La prochaine séance est fixée au mercredi 23 octobre, en raison de la séance
annuelle des cinq Académies qui aura lieu le vendredi 25.
M. Morel-Fatio fait une communication sur un livre d'une importance capitale,
la Véridique histoire de la conquête du Mexique par Bernai Diaz del Castillo,
l'un des compagnons de Cortès ; livre auquel José Maria de Heredia a pour tou-
jours attaché son nom par la traduction qu'il en donna de 1877 à 1887, et qui est
420 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
une véritable œuvre d'art, digne pour le style des Commentaires de Monluc. On
sait moins qu'au cours de ce travail Mcrcdia eut le grand mérite de chercher et
de retrouver en (maicmala le manuscrit autographe de Bernai, dont il fit photo-
graphier un tcuillct (lui orne le ijuatricme volume de sa traduction. Grâce à ce
fac-similé, on a pu se rendre compte des altérations très graves qu'a subies le
texte de la V'ériJiqiic histoire dans la première édition de 16X2, due à un Père de
la Merci, et qui passèrent dans toutes les autres. Une vingtaine d'années après
l'achèvement de la traduction d'Heredia, un crudit mexicain publia à Mexico la
Véridiqiie histoire, d'après une photographie de l'original oiTèrte à son gouverne-
ment par celui du Guatemala, sans dire un mot des intelligents elT'orts d'Heredia
pour mettre en valeur et rendre accessible le manuscrit de Bernai. M. Morel-Katio
prépare une étude comparée des deux versions de la \'éridique histoire, dont il
communiquera plus tard les résultats à l'Acadétnie; mais il n'a pas voulu attendre
plus longtemps pour revendiquer les droits méconnus d'un illustre membre de
l'Institut de France. Cette revendication est d'autant plus justifiée et opportune
qu'il paraît actuellement en Angleterre une traduction anglaise du texte authen-
tique de la Vcridiquc histoire, p.'ir M. Alfred Percical Moudslay. Ce savant améri-
caniste ne suivra pas l'exemple de l'éditeur mexicain; il reconnaîtra loyalement la
priorité des recherches et de la découverte de l'auteur des Trophées.
M. Babelon t'ait une communicotion sur le mot moue ta, « monnaie », et ses ori-
gines. Il démontre que moueta était primitivement le nom d'une vieille divinité
italiote, Junon Moneta, qui avait son temple dans Varx ou la citadelle du
Capitole à Rome. Cette divinité rustique avait l'oie pour symbole, et on élevait
des oies dans une dépendance de son sanctuaire. Ce sont ces oies dont les cris
éveillèrent l'attention de Manlius, dont la maison était contigùe, lorsqu'en 396
a. C. les Gaulois voulurent escalader le Capitole. En 345 a. C.,en exécution d'un
vœu du dictateur Camille, on agrandit le temple de Junon Moneta ; mais ce fut
seulement longtemps après, en 269 a. C, qu'on installa, sur l'emplacement de la
maison de Manlius démolie, l'ateli'er monétaire qui frappa les premiers deniers
d'argent. Cet atelier était une annexe du temple, et il fut placé en cet endroit et
mis sous la protection de Junon Moneta, la déesse aux oies, parce que c'était là,
dans le trésor du temple, à l'abri des murs de la citadelle, qu'on avait amoncelé les
trésors en argent de la République, rapportés de la prise deTarente et de la con-
quête de l'Italie méridionale. C'est ainsi que le nom de la déesse Moneta passa,
dans le langage populaire, aux produits de l'atelier placé sous sa protection, puis à
l'atelier lui-même.
M. Henri Omont communique les photographies d'un manuscrit grec du xii' siècle
récemment entré à la Bibliothèque nationale, grâce à une nouveile libéralité de
M. Maurice Fenaille, auquel les musées et les bibliothèques sont déjà redevables
de nornbreux dons. Ce manuscrit otTre une double suite d'illustrations du Nouveau
Testament (moins l'Apocalypse) et du Psautier. Pour les Psaumes et les Cantiques
qui les suivent, elle est différente de celle qui s'est développée à Byzance au
IX' siècle ; son caractère plus réaliste permet de la rapprocher de celle du Psautier
grec 752 de la Bibliothèque V'aticane, mais la composition des scènes, l'art avec
lequel certaines figures ont été traitées semblent tout à l'avantage du nouveau
manuscrit.
L'exposition des titres des candidats à la place de membre ordinaire vacante par
suite (Ju décès de M. Philippe Berger aura lieu dans l'avant-dernière séance de
novembre.
Léon Dorez.
V imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon,
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie Peyriller, Ronchon et Gamon.
R E V U t C H 11 i Q U E
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 48 — 30 novembre. — 1912
Krauss, Archéologie taliiiudiquc, ill. — Rattay, Le manuscrit d'Ostrach. —
Laferrière, Jean Duvergier de Haiiranne. — Mims, La politique coloniale de
Colbert. — Depitre, La toile peinte en France au xviii« siècle. — Faguet, Rous-
seau penseur. — Delafarge. Palissot. — Duine, La Mennais. — Welsciiinger,
Bismarck. — FoHii:;s, Tolstoï. — Vkitii, César. — Lauze, La censure romaine.
— Rasi, Uu poème latin sur Rome. — Brak.man, Miscella. — Irène Nvk, La
suite des idées chez Tite-Live. — Micmels, Eléments de moyen-haut allemand.
— .\cadémie des inscriptions.
Talmudische Archâologie, von (}. Krauss, Band III. Leipzig, Fock, 1912, grand
in-S", \11-49 1 pages.
Dernier volume de cet important ouvrage. Il y est traité des rela-
tions de société, des divertissements, y compris les fêtes, de l'écriture
et des livres, de l'école. .\ la fin, copieuses tables générales (Sachre-
gister, Wortregister). Nous avons déjà dit l'abondance d'érudition et
l'exactitude de méthode qui caractérisent cette publication. Les cha-
pitres concernant l'écriture et l'instruction offrent un particulier inté-
rêt. Peut-être pourrait-on demander une critique un peu plus sévère
dans l'emploi de certaines données. II y aurait eu dans Jérusalem,
quand l'armée de Vespasien vint l'assiéger, quatre cent quatre-vingt
synagogues ayant chacune sa petite école pour la lecture de la Bible
et son école doctorale pour l'interprétation de la l,oi : quelle popula-
tion cela suppose, dit M. K., et quel zèle pour l'instruction! Mais,
pour ce qui est de la population, son chiffre ne doit pas être en pro-
portion directe avec celui des synagogues. Celles-ci ne correspondaient
pas à une division régulière de la population urbaine, mais, en par-
tie, à des groupements d'un autre ordre (il est question Actes, vi, 9,
de la synagogue des Libertin! et de celle des Ciliciens) qui pouvaient
bien n'être pas tous considérables. Béther, le dernier refuge des Juifs
dans leur révolte au temps d'Hadrien, aurait eu quatre cents syna-
gogues, avec quatre cents maîtres ayant chacun quatre cents élèves :
chiffres trop ronds, information suspecte. Il n'en reste pas moins
que l'instruction, une certaine forme d'instruction, religieuse et
nationale, était très répandue et très suivie à l'époque talmudiquc.
A. L.
Nouvelle série LXXIV 48
a
A22 REVUE CRITIQUE
Die Ostracher Liederhandschrift und ihre Stellung in der Geschichte des
deutschen Liedes. Auf Grund der handschriftlichcn Liedersammlungen des
XVII. und XVIII. .lahrhuildcrts untersucht von Kurt Rattav. Halle a S., Nie-
mcycr, 191 1. In-S», xii-i3G pp.
Il existe peu de « Cahiers de chansons » du xviii<: siècle en Alle-
magne, surtout dans rAllemagnc du Sud. L'un de ces cahiers trouvé
dans les environs d'Ostrach, en Hohenzollern, est conservé à 1
Bibliothèque nationale de Stuttgart. Il offre un grand intérêt tant h
cause de son origine, qui est wurtembergeoise, que des chansons
inédites qu'il contient et surtout des mélodies qui y sont notées,
chose fort rare. M. Rattay s'est imposé le devoir de publier ce cahier.
Écrit sans doute entre 1740 et lybo dans une école de couvent, il ne
contient pas de chansons d'amour mais seulement des chansons sati-
riques, des chansons populaires et des chansons à boire et pots pour-
ris. M. Ratty a confronté ces productions avec les chansons connues
par d'autres recueils et cette contribution à l'histoire du lied est ins-
tructive. Il a quelquefois donné l'explication de termes obscurs. On
lui aurait su gré d'être moins ménager de ses interprétations ' et de
les ranger en une sorte de vocabulaire alphabétique à la fin du livre.
II aurait ainsi fourni une addition — qui eût été la bienvenue — au
Dictionnaire Souabe.
F. Piquet.
J. Laferrière, Étude sur Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran
(1581-1643), un vol. in-8» de 289 pages. Louvain, Bruxelles, Paris (Alphonse
Picard), 1912.
L'histoire religieuse du xvii" siècle est aujourd'hui l'objet de travaux
nombreux et variés; mais on semble s'intéresser tout particulièrement
à ce qui concerne Port-Royal et le jansénisme. Les études relatives à
Pascal, à la Mère Angélique, à .lansénius et à Saint Cyran se multi-
plient comme à plaisir, et l'ouvrage que vient de publier un professeur
de séminaire canadien, M. Laferrière, en est une nouvelle preuve. Il
y aurait lieu de se féliciter de cette activité, si les lois de la critique
moderne étaient observées par les nouveaux historiens ; si du moins
ils s'inspiraient toujours de l'adage célèbre : Ne quidfalsi non audeat
historia. Tel n'est pas, malheureusement, le cas de M. L., ancien
étudiant de l'Université de Louvain, et disciple enthousiaste de
« M. le chanoine Alfred Gauchie, Téminent directeur du Séminaire
historique de Louvain «. Muni de l'imprimatur, M. L. est en règle
avec l'autorité religieuse : un certificat en bonne et due forme établit
que son ouvrage ne contient rien qui soit contraire à la foi et aux
bonnes mœurs; mais le certificat ne dit pas si les assertions de l'au-
I. Je doute que le lecteur allemand comprenne aisément Fouter diabel, p. 89,
Tôusseer, p. 90 et d'autres expressions. Je ne crois pas que « Nonnen-fûrz »,
p. 28 soit « eine Art Konfekt ». C'est la traduction de « pet de nonne » qui est le
nom français du beignet soufflé appelé en allemand Windbeutel.
n'HISrOIRK KT DK LITTÉRATURE 423
leur sont conformes à la vcriié historique, et c'est ce qu'il peut être
bon d'examiner brièvement.
M. L. dit parfois qu'il voudrait être équitable et modéré dans ses
jugements; mais dès les premières pages son étude tourne au réqui-
sitoire, car il exècre le personnage qu'il étudie. M. L. voudrait faire
connaître à la postérité le véritable Saint Cyran, que ne l'on connaît
pas encore, dit-il en propres termes. On ne lui a consacré jusqu'ici que
« deux ou trois notices sans importance »; M . L. entend sans doute
par là les deux volumes de Lancelot, les cent cinquante pages de dom
Clémencet et les deux cents pages in-quarto des Œuvres d'Arnauld,
sans compter les gros ouvrages des jésuites Pinthereau, Brisacier
et Rapin, sans compter le Port-Royal de Sainte-Beuve. M. L. a-t-il
donc eu entre les mains des di)cuments inédits dont la mise en œuvre
lui permettait d'établir sur lies bases solides des conclusions abso-
lument neuves? — Point du tout. Louvain ne lui a rien fourni;
Malincs pas grand chose, et il ne parait pas avoir trouvé le chemin
de la Bibliothèque Mazarine ou de la Bibliothèque de l'Arsenal. Ce
qu'il a recueilli à la Bibliothèque Nationale se réduit à huit ou dix
pages de nulle importance ; les manuscrits dont il donne la liste sont
connus depuis longtemps, et ce qu'ils contiennent a été imprimé dès
le wiii*: siècle.
Le livre de M. L. ne saurait donc être présenté comme un ouvrage
original ; il est de seconde ou de troisième main ; il se traîne à la
remorque de quelques vieux auteurs; il n'ajoute rien à ce qu'ont
ressassé les jésuites du xv!!** et du xvjii" siècle, et il se contente de
rééditer des calomnies dont on a fait justice depuis plus de deux
cents ans. Un examen même superficiel de sa bibliographie prouve
que M. L. connaît bien mal la plupart des ouvrages auxquels il
renvoie. Où donc a-t-il rencontré une édition des Lettres de la Mère
Agnès publiée à Utrechi en 1742? Il confond avec les Lettres de la
Mère Angélique, qu'il croit imprimées en 1740. Il renvoie à l'édition
des Œuvres chrétiennes et spirituelles de Saint Cyran qui fut donnée,
dit-il, h Paris, en 1679, par Arnauld d'Andilly. Or d'Andilly était
mort depuis cinq ans, et les quatre petits volumes réédités en 1679
ont paru à Lyon, chez Laurent Aubin. Il y a plus, cet historien qui
veut paraître si bien documenté ne mentionne même pas les quarante
trois volumes in-quarto des oeuvres d'Antoine Arnauld (Paris-Lau-
sanne, 1775-1783). Il ne s'est pas servi du tome XXIX de cette admi-
rable publication, dont les Notices historiques sont si précises et
mettent sur la voie de tant de découvertes.
Mais il est entendu que les ouvrages relatifs à Port-Royal et à son
histoire sont des raretés bibliographiques; on les a si bien recherchés
pour les détruire que les travailleurs modernes, même ceux de Lou-
vain, — je le sais, — ne parviennent pas t(;ujours à se les procurer. Il
n'en est pas de même de ceux des jésuites, et pourtant M. L. ne paraît
424 REVUE CRITIQUE
pas les connaître mieux que les tiuires. Il parle (page 23 i) d'un certain
Colomb (S. J.) auteur d'une Bibliothèque janséniste mise à l'index par
Benoît XIV, et il travestit ainsi le nom du fameux Père Colonia,
réédité et complété par le non moins fameux Père Patouillet '.
Quant aux ouvrages mêmes de Saint Cyran, dont il aurait peut-être
fallu tenir compte dans une étude de ce genre, si Ton excepte la Ques-
tion royale, la Théologie familière, la réfutation de Garasse, le Petriis
Aurelius, dont Saint Cyran n'est décidément pas l'auteur, et quelques
opuscules, M. L, n'a pas pris la peine de les étudier; il ne s'est pas
attaché, comme il aurait dû le faire en prenant pour guide le savant
bénédictin dom Clémencet, aux vingt-huit ouvrages dont Duvergier
de Hauranne est certainement l'auteur.
Les sources du travail de M. L., ne sont pas les livres de Saint
Cyran lui-même, ce sont les pamphlets composés par ses pires enne-
mis, par les jésuites Pinthereau et Rapin. M, L. suit à la trace l'His-
toire du jansénisme de René Rapin, et il ne s'est même pas demandé
quelle peut être la valeur de cette élucubration. 11 n'a pas vu que
Rapin n'est que le metteur en œuvre sans critique de notes venimeuses
et de racontars stupides qu'il s'est fait communiquer. Quand ses
garants ne savent rien, il n'en sait pas davantage; quand ils viennent
à lui manquer, il s'arrête tout court, à la date de 1644, ^ui qui est mort
en 1687. Cet ouvrage mal digéré, très mal écrit ^ ei profondément
malhonnête, aurait dû être rejeté d'une manière absolue par un auteur
soucieux de la dignité de l'histoire. Du moins M. L. a parfois des
scrupules; il avoue même à l'occasion que son auteur s'est trompé,
notamment au sujet du conte ridicule de Bourgfontaine. Enfin il ne
s'abaisse pas à ramasser les vilenies qui déshonorent le P. Rapin.
Il ne représente pas Saint Cyran comme un goinfre faisant compa-
raître le cuisinier de ses amis quand la chère n'est pas assez bonne;
comme un furieux qui frappe à coups de pied et à coups de poing le
pauvre qui ose lui demander l'aumône; comme un libertin qui a chez
lui une servante accorte faisant fonction de valet de chambre. Cette
réserve est louable ; mais citer à tout propos comme un oracle le
religieux qui écrivait tranquillement de telles infamies, n'est-ce pas
se condamner soi-même, quand on écrit l'histoire, à jouer un rôle
assez fâcheux?
Il résulte de ces observations et de quelques autres semblables qui
se présentent d'elles-mêmes que les méthodes de travail de M. L. ne
1. Cette bévue a. pour pendant celle qui attribue (p. 234) à un certain Foillo
l'Histoire de Port-Royal de Jacques Foiiillou. Toute la bibliographie de M. L.
est de cette force. Est-ce donc ainsi que l'on travaille au Séminaire historique
de Louvain ?
2. On s'est moqué de la phrase longue des Jansénistes, qu'on lise Rapin, ou
simplement la première phrase de son histoire; c'est assurément à lui que revient
la palme.
d'histoire et de littérature 425
sont pas bonnes, et que, croyant étudier à nouveau Tabbé de Saint-
Cyran, il ne fait que présenter à ses lecteurs le personnage que les
jésuites Pinthereau et Rapin ont calomnié avec la rage que l'on sait.
Inutile donc de suivre pas à pas le nouveau biographe, de relever
une à une ses innombrables erreurs, de réfuter ses assertions qui
n'ont mèine pas le mérite de la nouveauté ; mieux vaut faire voir en
peu de mots ce que pourrait donner une étude sérieuse et honnête de
la vie et des ouvrages de Duvergier de Hauranne.
Lorsque le célèbre abbé fut incarcéré par ordre de Richelieu en
mai i638, on saisit chez lui deux grands coffres de manuscrits. Ces
papiers furent remis à ses plus mortels ennemis ; ils les gardèren-t
deux ans, et s'efforcèrent d'y découvrir des hérésies et des attentats
contre l'autorité civile. Vains efforts, on ne trouva rien. L'interroga-
toire que Lescot fit subir au prisonnier durant quinze après-midi
consécutives aboutit au même résultat, si bien qu'en dehors des
vilaines imputations de Sébastien Zamet, Tévêque délateur bientôt
réduit au silence, il n'y a pas une seule ligne de Saint Cyran qui ait
pu être l'objet d'une condamnation, soit à Rome, soit en Sorbonne.
Bien plus, quand Arnauld d'Andilly publia de nouveau, en 1672, les
Instructions chrétiennes tirées des deux volumes de Lettres de M. Jean
du Verger (sic) de Hauranne, abbé de Saint Cyran ', ce fut de la part
des contemporains un concert d'éloges dont l'écho aurait dû venir
jusqu'à M. L. Dix-huit évèques, dont quatorze au moins n'étaient pas
suspects de jansénisme, approuvèrent l'ouvragé en termes dithyram-
biques. Ils dirent que ces Lettres, datées toutes de Vincennes, étaient
« pleines de l'esprit de Dieu » (Gondrin) ; que c'était « une profonde
et abondante mine d'or et de pierres précieuses;.... que tout y est
utile, orthodoxe, saint » (Godeau). L'évêque de La Rochelle disait au
début de son approbation : « L'amour sincère que feu M. l'abbé de
Saint Cyran a toujours eu pour la vérité, et son zèle désintéressé pour
la gloire de l'Eglise lui avaient acquis l'affection et l'estime de tous
ceux qui l'avaient le plus particulièrement connu. » L'évêque de
Meaux, de Ligny, parlait de sa doctrine « si pure, si solide, si chré-
tienne ». Tous enfin exaltaient l'homme et l'œuvre; Rapin vivait
encore, ni lui ni ses confrères n'osèrent broncher alors ; ils se réser-
vaient pour nos contemporains, plus faciles à tromper, et préparaient
en cachette des calomnies "d'outre toipbe.
A la même époque, en 1670 pour donner la date précise^ parut
sans nom d'auteur un autre ouvrage du prisonnier de Vincennes. Il
est en deux volumes et a pour titre : Considérations sur les diman-
ches et les fêtes des mystères et sur les fêtes de la Vierge et des Saints.
La lecture de ces deux volumes réserverait au lecteur bien des surpri-
ses, et elle lui ferait connaître un Saint Cyran tout autre que celui
1. Paris, Pierre Le Petit, avec privilège de Sa Majesté; un volume in-8» de
374 pages.
426 RK\ I 1: »^KI 1 IQIJK
(.luuii Se rcpicscnic d'oidiiKiiic. Liiuicur des Cousidcrations pousse
aussi loin que possible le culie passionné de la Vierge Marie; il parle
de ses perfeciions avec amour et avec enihousiasnic ; saint Bernard
seul est plus dévot à Marie, et saint Bernard lui refusait le titre
d'immaculée, tandis que Saint Cvran se lient à cet égard sur la
réserve. Le culte de saint Joseph n'a pas de propagateur plus zélé ;
Saint Cyi"an parle avec enthousiasme de saint Dominique, de saint
Thomas, de Tordre si saint des frères prêcheurs, et c'est la plume du
célèbre janséniste qui a écrit au sujet du jésuite François Xavier :
« Il a mérité d'être appelé l'apôtre des Indes, qui est un titre appro-
chant de celui d'Apôtre des Gentils, et qui ne se trouve jamais avoir
été communiqué en un si haut degré à aucun autre prêtre (tome I,
partie II, p. 12) ». Dans ce livre comme ailleurs, comme dans les Let-
tres, on voit Duvergier de Hauranne révérer l'eucharistie et conseiller
la communion fréquente, celle de tous les huit jours, et même,
comme on peut le lire dans une lettre à Le Pelletier des Touches,
celle de tous les Jours '.
Voilà un aperçu de ce que M. L. et ses inspirateurs auraient pu
trouver dans les ouvrages imprimés de Saint Cyran lui-même ; mais il
y a d'autres sources auxquelles on n'a pas encore puisé. Au premier
rang doivent figurer vingt-deux lettres autographes adressées par Jan-
sénius, à différentes époques, tantôt à M. de Haitze, tantôt à l'abbé de
Saint Cyran. Elles sont inédites, et Pinthereau ne les a pas eues entre
les mains; elles serviraient à montrer que les lettres publiées par le
jésuite en 1654 sont authentiques, du moins dans leur ensemble. A
Ces lettres viendraient se joindre quelques lettres, également autogra-
phes et inédites, d'ArnauId d'Andilly et de Martin de Barcos, ces der-
nières écrites durant les cinq années de la captivité ". Les imprimés
du temps seraient égalemeat précieux. En voici un, par exemple, qui
date de 1644, un an après la mort de Duvergier de Hauranne, et qui
donne des indications assez précises. C'est un ouvrage de Godefroi
Hermant intitulé Apologie de M. Arnauld^ etc. (un vol. in quarto de
398 pages). On y voit (p. 84) que les enneinis de Saint Cyran cachaient
à tous les yeux le procès-verbal des quinze interrogatoires que Lescot
fit subir au prisonnier un an après son incarcération. Ce procès-ver-
bal établissait la parfaite innocence de l'abbé ; il le justifiait pleine-
ment « devant Dieu et devant les hommes »; et pour cette raison on
le tint si secret que le premier président Mole ne put jamais en avoir
connaissance. On l'a publié cent ans plus tard, en 1740, dans le célè-
bre Recueil d'Utrecht (p. 1-140).
On voit surtout dans cette Apologie la parfaite authenticité d'une
1 . \'. dans le recueil de 1679, tome I, p. a'icj et suiv. La lettre est du 2 i décembre
1642. Un historien équitable aurait dû lire et discut;;r cette longue lettre.
2. J'ai toutes ces lettres entre les mains, et je me propose de les publier sans y
changer un iota, ce que n'a certainement pas fait le Père Pinthereau.
d'histoire et de littérature 427
correspondance entre Saint Cvran et M'"" de Chantai, authenticiic
que certains modcines, suivis par M. 1,.. ont niée avec une certaine
audace et avec une grande désinvolture. Voici le passage, imprimé en
1644, deux ans à peine après la mort de la sainte, survenue en décem-
bre 1641 : « La bienheureuse Mère de Chantail isic) ne voulut point
sortir du monde sans rendre une visite h cette maison [le monastère
de Port Royal], qui est consacrée à l'esprit de pénitence, de retraite,
de pauvreté, de charité et de pai5c. Elle voulut y venir reconnaître les
traces des bénédictions extraordinaires que la conduite de son cher
Ami et Consolatriir ', M. l'abbé de Saint Cyran, qu'elle appelait tou-
jours l'homme de Dieu, y avait attirées par ses instructions lorsqu'il
était libre, et par ses prières depuis sa détention ; et elle voulut témoi-
gner à toutes les religieuses de son ordre combien la piété de l'abbesse
de ce monastère, propre sœur de M. Arnauld, (à qui elle a ouvert son
cœur autant et peut-être plus qu'à aucune religieuse de France, comme
le savent les filles de la Visitation), et la vertu de toute cette sainte
maison leur devait être vénérable et précieuse. Lisez la vie de cette
Mère écrite par Mgr i'évéque du Puy, vous trouverez qu'il dit ces
paroles : Cette vénérable Mère, voulant aussi satisfaire au désir que
Madame de Port-Royal lui témoigna de la voir en son monastère,
elle y demeura deux jours, où ces deux grandes dmes s'entretinrent
avec bénédiction, et une joie singulière de part et d'autre ^ ».
L'ouvrage que Martin de Barcos publia en 1668 pour réfuter celui
d'Abelly, ancien évêque de Rodez, n'est pas moins catégorique. Il éta-
blit que l'interrogatoire de saint Vincent de Paul, la seule pièce qui fasse
connaître exactement l'âge du saint, innocentait Duvergier de Hau-
ranne et lui était on ne peut plus favorable. Cet interrogatoire a été
public par Joachim Colbert, dont la probité a toujours été hautement
reconnue, et il l'a donné d'après l'original, revêtu de la signature du
saint ; il n'est donc pas permis, à un historien, de n'en tenir aucun
compte ^ Vincent de Paul n'a pas fait preuve d'héroïsme lors de l'ar-
restation de Saint Cyran ; il avait peur de Richelieu et surtout des
jésuites, et il craignait avec raison pour les œuvres admirables aux-
quelles il se dévouait corps et âme. Mais du moins il a donné, dès
qu'il a pu le faire sans danger, des témoignages publics de son estime
pour Saint Cyran. Il est allé des premiers le congratuler à Vincennes
1. U faut noter ce mot de consolateur, qui fait allusion aux souffrances morales
qui ont si longtemps torturé S^ Chantai, et dont elle fit la confidence à Saint-Cyran
et à la Mère Angélique.
2. P. 272. On lit à la marge la petite note suivante : » On le pourra justifier
quelque jour par les Lettres de cette vénérable Mère ». 11 s'agit de celles qui ont
été publiées en 1679 ^^ ^" '742-
3. En 1730, Colbert prit énergiquement la défense de Saint Cyran contre son
confrère Beisunce, qui rééditait les calomnies devenues classiques; je trouve dans
sa lettre, qui est d'une grande vivacité, beaucoup des arguments que j'ai fait valoir
sans l'avoir lue. M. L. ne connaît évidemment pas ce document.
428 REVUE CRITIQUE
au sujet de sa délivrance prochaine ; il s'est rendu au domicile de
Saint Cyran mort ' pour jeter de l'eau bénite sur son cercueil ; il a
peut-être assisté à ses funérailles solennelles. Enfin il a l'ait plus et
mieux ; il s'est employé avec le plus grand zèle pour faire donner au
neveu l'abbaye de l'oncle ; et Barcos devenu abbé de Saint Cyran
affirme (p. 29) que M. Vincent vint en personne lui annoncer cette
nouvelle, et lui dire ce qu'il avait fait pour mener la chose à bien.
Que saint Vincent de Paul se soit ensuite laissé circonvenir et qu'il lui
soit échappé des insinuations vagues, il n'y a pas lieu de s'en étonner,
car on sait que ce grand saint, qui eut par excellence le génie de la
charité, n'était pas précisément un homme de génie.
Il y aurait donc place pour une nouvelle étude d'après les sources,
et de cette étude l'illustre Saint Cyran sortirait, je ne dis pas justifié,
c'est chose faite depuis deux siècles et demi, mais grandi encore, si la
chose était possible. On lui reconnaîtrait peut-être, malgré les protes-
tations de dom Clémencet, le.s trois défauts que lui attribuait Besoi-
gne : une tendance manifeste à l'exagération, une certaine prédisposi-
tion au mysticisme, une trop grande facilité à parler de soi ; mais ces
concessions faites, il faudrait bien avouer que si Duvergier de Hau-
ranne invoquait journellement dans ses prières saint François de Sales
et saint Chantai, la mère de Chantai n'avait pas tort lorsque prenant
les devants elle le considérait lui aussi comme un saint. Il y aurait loin
de ce véritable saint à l'intrigant que prétend nous montrer à l'œuvre
le nouvel historien de Duvergier de Hauranne.
A. Gazier.
Stewart L. Mims, Colbert's West India policy. New Haven, Yale University
press (Yale Historical studios, t. 1), 1912. In-S", xiv-385 p. Index.
C'est un phénomène curieux que l'intérêt témoigné depuis quelque
temps par les Universités américaines pour l'étude des origines euro-
péennes de la civilisation du Nouveau Monde. Voici un sujet qui
aurait dû tenter un de nos scholars^ puisque les documents s'en trou-
vent en France, et auquel vient d'être consacré le premier volume de
la collection historique de l'Université Yale.
M. Stewart L. Mims a établi avec beaucoup de soin la bibliogra-
phie de son sujet (voy. p. 341-364). Il ne s'est pas contenté de la por-
tion des Archives coloniales déposée aux Archives nationales ; il a
utilisé, dans le dépôt de la rue Oudinot, les fonds Sénégal et Guyane
de la série C, et, dans la série F, les documents sur les compagnies.
En dehors de Paris, il a surtout fait une abondante récolte à Nantes.
I. La maison de Saint Cyran existe encore, suivant toute apparence; elle est
dans le jardin du Luxembourg, entre l'Ecole des Mines et l'Orangerie ; c'est une
grande construction de style Louis XIII avec une énorme toiture en tuiles et de
hautes cheminées. Elle était bien « devant les Chartreux >>, et on la distingue très
nettement sur les plans de Gomboust et de Turgot.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 429
Il a pu ainsi construire une œuvre en grande partie neuve, et qui sur
certains points rectilie les assertions de Bonnassieux et de Chemin-
Dupontès.
L'iiistoire des Antilles françaises, de 1664 à 1666, apparaît chez lui
comme étant essentiellement l'histoire des révoltes de la population
contre le monopole, qui se montre incapable de satisfaire aux besoins
les plus urgents. Il y aura encore une révolte à Saint-Domingue en
1670 : les habitants voulaient bien obéir au roi, non à la Compagnie,
et réclamaient le droit, pour ne pas mourir de faim, de commercer
avec les Hollandais. Le régime des compagnies (du moins dans les
pays à population européenne comme les Antilles) produit donc dès
ses débuts des résultats absolument néfastes.
Colbert est amené lui-même à restreindre le monopole de la Com-
pagnie, pour sauver au moins Tessentiel du système : réserver aux
seuls Français le commerce des îles. Dès 1668, il ouvre une brèche
dans la muraille de l'exclusif, sans qu'on puisse noter chez lui (M. M.
l'indique très finement) un changement de principes, mais seulement
des tâtonnements, qui s'expliquent par les leçons de l'expérience. De
plus en plus il établit la liberté commerciale entre Français, en res-
treignant le rôle de la Compagnie à l'importation des esclaves, du
bétail, des salaisons. Après dix ans d'essais infructueux, la Compa-
gnie est mise en liquidation, et seul le trafic des esclaves échappe au
commerce libre.
Ce commerce libre est d'ailleurs soumis aux règles générales du
pacte colonial. Le monopole du tabac ruine cette culture à Saint-
Domingue. Pour le sucre, au contraire, la mission de Patoulet en
1679 a pour résultat la création de raffineries dans les îles mêmes.
Les colons s'enrichissent du produit du rafîinage, et accroissent ainsi
leur capacité d'achat des produits français. Va-t-on persévérer dans
cette tentative d'une saine économie coloniale ? Hélas ! Colbert est le
prisonnier des rafïineurs de France : en 1682, il impose un droit de
S fr. par quintal de 100 1. sur les rafîinés coloniaux (le double du
droit sur les sucres bruts) ; en 1684, il prohibe l'établissement des
raffineries, malgré les protestations de Patoulet.
Il essaie vers 1670 de créer un commerce intercolonial en faisant
des Antilles un marché pour les cultures vivrières du Canada, mais le
Canada n'est alors ni un producteur suffisant de céréales et ie bes-
tiaux, ni un consommateur suffisant des produits des tropiques. Col-
bert ne réussit pas à exclure des Antilles le bœuf salé irlandais.
M. M. nous paraît indulgent pour Colbert considéré comme
« ministre des colonies ». Il estime que, malgré tout, l'existence
décennale de la compagnie a favorisé le commerce français aux
Antilles contre le commerce hollandais. Il constate cet heureux résul-
tat d'ensemble : plus de 200 vaisseaux français abordant annuelle-
ment aux Iles, et ce trafic contribuant à l'essor de Rouen, de Bor-
43o REVUE CRITIQUE
deaux, de Nantes. M, M. ne nous en donne pas moins d'excellentes
raisons de renoncer à la légende d'un (2<)lbert génial, embrassant
d'un coup d'œil la France et le monde. Ce fui un bon commis, appli-
que et tCtu.
Henri Hausi.r.
Edgard DicpiTRE.La toile peinte en France au XVIII' siècle. Industrie, com-
merce, prohibitions. Paris, .Mnrcel Rivière et C" (Bibliothèque d'histoire éco-
nomique), 1912. lii-8°, XV11-271 p. 4 gr.av. dont une en couleurs.
L' « affaire des toiles peintes », qui aboutit à l'édit libérateur du
5 septembre lySg, est un des faits essentiels de l'histoire économique
du xviii* siècle. Mais si l'on en a retracé très souvent les derniers épi-
sodes, et la guerre de plume qui la termina, on en connaît moins bien
les origines, qui remontent à l'arrct prohibitif du 20 octobre 1686.
M. Depitre a retracé cette histoire en historien, depuis cet arrêt
jusqu'au traité de 1786 — car il y eut un refour offensif de la légis-
lation prohibitionniste en 1785. Son information est étendue ; on la
souhaiterait cependant plus complète. Bien que la question des
étoffes de l'Inde ne soit qu'une partie de son sujet, il est regrettable
qu'il n'ait pu consulter les Archives des colonies '. On s'étonne qu'il
n'ait rien demandé à Du Fresne de Francheville, ni à toute la littéra-
ture relative à la Compagnie des Indes \ Je crois également que le
fonds Fm de la Bibliothèque nationale aurait dû être dépouillé.
M. D. montre fort bien que le problème est double. La législation
inaugurée en i68ô prohibe à la fois Vimportation des toiles peintes
d'Orient, ou indiennes — ce qui est, en somme, conforme à la doctrine
mercantiliste — et \a, fabrication en France des toiles imprimées, ou
même « teintes à la réserve ». Cette dernière interdiction semble un
désaveu de la politique industrielle de Colbert. M. D. recourt, pour
l'expliquer, à une hypothèse qui nous paraît des plus risquées : dans
le préambule de l'arrêt, il démêle « une allusion voilée et confuse », à
l'exode protestant . Louvois aurait, en rejetant sur les toiles peintes
la responsabilité de la ruine des manufactures, cherché à dissimuler
les difficultés économiques nées de la Révocation : « Il était plus
politique d'incriminer la toile peinte » '. Outre que cette conjecture
ne s'appuie que sur des textes, d'ailleurs peu probants, de 1756 et
1769, elle se heurte à cette objection que la prohibition n'est pas un
fait spécial à la France : on la retrouve non seulement en Espagne (où
elle peut s'expliquer par l'imiiation de la France^ mais en Prusse, en
Angleterre. La vraie raison est que l'on reproche à l'industrie de l'im-
1. Le ïonàs Inde est resté en entier rue Oudinot.
2. Parmi les modernes, i! connaît Kaeppelin, mais pas Weber.
3. P. 29, M. D. risque une autre conjecture : cette industrie déplaisait à Lou-
vois, en tant qu'industrie protestante. Mais combien d'industries étaient dans le
même cas .'Ce qui est vrai, c'est que la Révocation a transféré l'impression des
toiles à l'étranger, surtout en Suisse.
d'histoire et de LITTERATURE 4? I
pression des toiles : i'' de faire tort aux industries textiles déjà exis-
tantes; 2° d'employer tiop peu de main-d"(BUvre ; 3"' de n'ajouter à la
matière première, sous forme de travail national, qu'une très faible
valeur supplémentaire.
Contre cette double prohibition vont agir trois forces : i° la con-
trebande, favorisée par l'existence des ports francs et des provinces
réputées étrangères. Contrebande à main armée, illustrée par les
exploits de Mandrin; 2° les progrès de l'industrie du coton, qui a
besoin de trouver un débouché pour ses produits; 3° les perfection-
nements de la technique, qui permettent d'abord à nos toiles teintes
à la réserve, puis à nos toiles imprimées, de rivaliser avec l'Orient et
avec l'étranger, l^a mode s'en mêlant, la controverse s'engage, et
devient très vite une bataille générale entre la réglementation et l'éco-
nomie libérale. M. D. retrace les hésitations du Conseil du com-
merce, qui abandonne peu à peu, et par fragments, l'idéal réglemen-
taire. La victoire de ijSg n'est donc pas l'œuvre personnelle et
exclusive de Gournay (dont des Cilleuls a eu tort, cependant, de nier
le mérite) ou de tel autre; elle s'annonce dès 1746 au moins.
Quant au retour momentané à la prohibition de l'importation en
1785, M. D. démontre victorieusement qu'il ne faut pas y voir, en
dépit des apparences, une mesure prohibitionniste. C'est un moyen
d'exercer une pression sur l'Angleterre, pour l'amener à traiter avec
nous. — On regrette d'avoir à relever dans cet ouvrage les traces
d'une rédaction hâtive '.
Henri Hauser.
Fagqet (Emile), Rousseau penseur, Paris, Société franc, d'impr. et de libr.,
[1912]. In-80408 p. 3 t'r. 5o.
M. F. a pour Rousseau une évidente sympathie : voici le 4* volume
qu'il lui consacre et un 5= est en préparation. Il y a en effet entre lui
et J.-J. une analogie qu'il serait indiscret mais intéressant d'appro-
fondir. Comme Rousseau, ce bourreau du travail n'aime pas le travail
obligatoire, les études régulières ; le commerce du monde lui agrée
encore moins qu'à Rousseau et la profession de littérateur lui inspire
tout aussi peu d'estime. Il y a seulement, sur ce dernier point, une
ditîérence : pour J.-J., la littérature ce sont les écrivains de son temps,
Voltaire et sa livrée; c'est d'après eux qu'il se forme l'idée d'une gent
libertine et intrigante; au fond, il est vraisemblable que la m.ésestime
de M. F. pour la littérature vient de ce qu'il a vu jadis de près, comme
critique dramatique, l'immoralité des productions de notre temps;
mais jamais il n'attaque le théâtre ni le roman contemporains ; il
aime mieux dire que la littérature est essentiellement corruptrice et,
I. La correction des épreuves a été rapide : p. xv, Gal[l]iéra ; ib., groufli (encore
p. 23) et modeine, pour gvowtli et modem: Ncii/chàtcl pour Ncucliâtel; constam-
ment Koeppelin pour Kaeppelin.
^32 REVUE CRITIQUE
quand il en veut donner un exemple, il va le prendre, on s'en sou-
vient, dans Molière et non dans Zola. Dur et avec raison pour nos
poliiicicns, dur et jusqu'à l'injustice pour le monde enseignant de
notre époque, il s'amuse à noire littérature d'imagination, et fait
pénitence sur le dos de Voltaire au lieu de combattre des corrupteurs
plus récents et par suite plus bas, plus dangereux pour le public.
Cette sympathie pour Rousseau aide M. F. à démêler ce qu'il
appelle avec hardiesse son exquis bon sens et le lui exagère. Parce
que J.-J. a donné quelquefois d'excellents conseils et mis en garde
contre ses propres doctrines, il ne faudrait pas appeler bon directeur
de conscience et mettre sur la ligne des François de Sales et des
Fénélon (p. 119- 120, 121, 212) un homme qui, même dans ses meil-
leurs moments, flatte l'orgueil d'une femme pour l'amener à vivre
avec elle-même (p, 97), qui admire les voluptueux calculs de la sagesse
de Julie, et, de l'aveu de M. F. a connu toutes les morales sauf celle
du devoir (p. io5), c'est-à-dire la seule véritable. M. F", aurait même
pu faire remarquer que la chimère des moralistes d'aujourd'hui qui
croient qu'une bonne législation suffirait à préserver du vice est en
germe dans l'arrangement des circonstances extérieures que Rousseau
n'a d'ailleurs pas tort de recommander à l'individu.
M. F. distingue en Rousseau deux hommes, le vrai qui est d'une
indépendance farouche et anarchique, l'autre qui est volontiersdespote
mais n'apparaît qu'à certains jours : ainsi le Contrat Social ne serait
qu'une œuvre de jeunesse, l'Emile qu'une opinion accidentelle. Certes
J.-J. s'est contredit souvent ; mais les deux hommes n'en faisaient
qu'un. Un anarchiste est un despote : détruire la maison, n'est-ce
pas une manière, et la pire, d'y faire la loi ? M. F. avoue que la haine
du catholicisme est au fond même du cœur de Rousseau (p. 36o sqq) ;
il aurait pu ajouter que Rousseau la porte au point d'invoquer contre
les catholiques (p 367) l'odieux argument qu'il leur reproche à bon
droit (p. 357) d'invoquer contre les hérétiques. Au surplus, M. F. a
parfaitement montré (p. 346) que Rousseau ne sait même pas ce que
c'est que la liberté.
Il taxe Voltaire d'étourderie, mais n'est-ce pas une terrible étour-
derie que celle de J.-J. revendiquant les droits du citoyen sans
s'être demandé qui doit être citoyen, de sorte qu'il faut toute la
dialectique de^M. F. pour établir que Rousseau n'est pas réellement
démocrate et ne réclame pas le suffrage universel ? Rousseau était-il
même complètement sincère ? Aimait-il, autant qu'il le disait, la vie
indépendante? M. F., par instants, montre bien que non; mais il
laisse passer (p. 321-2) la désinvolture avec laquelle J.-J., dans une
même année, glorifie et nie Tàge d'or.
Tout cela n'empêche pas le livre d'être plein de vues pénétrantes :
M. F. marque comme personne les effets du remords chez Rousseau,
l'accent que ses conseils en acquièrent (p. 21, 22-3) ; il montre vigou-
d'histoire et de littérature 433
reusement que le communisme exclut la fraternité ip. 3io), et toute
sa partialité pour son auteur ne l'empêche pas de réduire sa bonté à
n'être pas méchant. On remarquera aussi la finesse des discussions
par lesquelles il établit la date de quelques ouvrages de Rousseau ;
il eût été le plus sagace des érudits si la nature, ne l'avait destiné à être
le premier critique de sa génération. Même quand on ne se rend pas à
ses idées, on se rend à son style plein d'éclat et d'imprévu. Qu'on me
permette d'en donner, pour finir, un exemple inédit : « Tu as bien
raison » écrivait-il récemment à un ami, « de me reprocher d'avoir
qualifié Voltaire de scélérat. Que veux-tu ? Vn mot plus fort m'a
manqué ».
Charles Dejob.
Daniel DicLAFARGE.La Vie et l'Œuvre de Palissot (1730-1814). Paris, Hachette,
1912, in-80, pp. 21 et 534. Fr. 10.
— L'Affaire de 1 abbé Morellet en 1790. Ibid., 1912, in-S» p. 79.
I. M. Delafarge qui ne s'est fait aucune illusion sur l'originalité de
Palissot, lui a consacré néanmoins une longue et consciencieuse
étude. Il a jugé que si l'œuvre même de l'écrivain est médiocre,
froide et justement oubliée, le bruit qu'elle fit et la lutte contre l'En-
cyclopédie qu'elle symbolisa pour les contemporains méritaient
qu'elle fût attentivement examinée. On donnera raison à l'auteur et
on lui saura gré d'avoir jugé Palissot, impartialement, sans l'accabler
d'une trop facile sévérité.
M. D. a suivi en neuf chapitres simultanément l'homme et l'écri-
vain dans une longue carrière, s'arrêtant surtout aux œuvres de
théâtre ou de critique qui engagèrent Palissot dans des querelles où
les déboires ne lui furent pas épargnés, mais dont sa vanité retira
de larges satisfactions. Il débute en 1-53 dans sa comédie des
Tuteurs par des allusions à Rousseau. 11 n'avait encore effleuré que
le musicien ; dans le Cercle il s'en prit au philosophe qu'il accusait
d'insincérité. Rousseau dédaigna le trait et pardonna généreusement.
Le satirique, impatient de notoriété, s'était attaqué presque en même
temps aux théories dramatiques de Diderot qui répliqua ou fit répli-
quer verteinent par Grimm '. Palissot profita alors d'une conjoncture
favorable pour jouer avec plus d'éclat son rôle d'adversaire de la phi-
losophie qui ne pouvait être bien sincère pour un ami aussi; déclaré
de Voltaire. Le parti de l'Encyclopédie était assez mal vu du pouvoir
pour que la comédie des P/zf/o^o/^/ie^ bénéficiât de cette hostilité. La
pièce eut un vif succès et le scandale se prolongea dans une longue
polémique que M. D. nous présente en détail. Mais la défaveur du
parti ne dura pas, et ce revirement de l'opinion publique et du gou-
I. Le calembour allemand sur le nom de Palissot, ce libraire ingénieur de Liège
baptisé Bleichnarr, est aussi uu petit argument en faveur d'une collaboration de
Grimm.
434 REVUE CRITIQUE
verncment ne laisse pas de paraître assez brusque; il est vrai qu'il ne
s'at^issaii que d'une brouille passagère, comme l'auteur a tenu à le
souligner par les conclusions de sa thèse complémentaire. Palissot vit
donc sa pièce suivante des M^/7r/'5e5 (1762), nouvelle adaptation des
Méncchmcs, tomber à plat, la cabale aidant ; quand il voulut en 1764
publier sa satire terne et lourde de la Duuciade, qu'il ne se lassera pas
d'amplifier et de rééditer, le parti fit interdire le livre et exiler l'au-
teur. Il emptîcha aussi la représentation des nouvelles comédies de
V Homme dangereux et des Courtisanes ; elles ne virent la scène que
beaucoup plus tard et modifiées par l'auteur. Palissot d'ailleurs
s'efforça de se rapprocher des Encyclopédistes; sauf pour Diderot et
Marmontel, il atténua beaucoup de ses sévérités passées et protesta de
son admiration pour Rousseau que le public s'obstinait à identifier
avec le Crispin de la comédie des Philosophes, marchant à quatre
pattes et dévorant une laitue. Ce changement d'attitude ne fut pas la
seule évolution de Palissot; M. D. nous le montre pendant la Révo-
lution étalant son civisme et s'associant aux théophilanthropes pour
fonder une religion épurée, puis sous l'Empire faisant sa cour à
Napoléon. A côté de ses satires et de ses comédies, ses diverses
œuvres, comme elles, sans cesse rééditées et remaniées, d'ailleurs
souvent simples opuscules, ont été étudiées à mesure de leur appari-
tion, confrontées avec les jugements de la critique contemporaine et
suivies dans leurs transformations; la valeur de son édition de "Vol-
taire a été aussi exactement appréciée. Palissot dont la critique est
souvent superficielle et la satire rarement exempte de prévention, a eu
la bonne fortune de rencontrer un juge de l'attention la plus scrupu-
leuse, qui ne s'est pas lassé de réunir et de discuter toutes les pièces
(les documents inédits n'y manquent pas) de ses longs procès litté-
raires. Le personnage reste mince, malgré son débordant amour-
propre; mais le débat méritait d'être étudié et nous devrons à M. D.
de le mieux connaître '.
II. Un épisode de l'abondante polémique engagée autour de la
comédie des Philosophes a fourni à M. D. le sujet de sa thèse complé-
mentaire. Il y étudie à l'aide de documents nouveaux que n'avait pas
connus Delort, le dernier historien de la détention des philosophes à
la Bastille, les raisons de l'arrestation de l'abbé Morellet, auteur de la
Vision de Charles Palissot, et celles de sa libération après sept
semaines d'nne captivité sans rigueur. Avec les mêmes qualités de
précision et de prudence qui distinguent sa thèse principale M. D. a
complété et rectifié le récit que nous fait Morellet dans ses Mémoires
de ce moment de son existence. Le libelle fut uniquement poursuivi
I. Puisque M. D. cite souvent le témoignage de Gœthe, je lui signale l'excellente
étude de R. Schlôsser [Rameaus Nejffe, Berlin, 1900) sur la traduction annotée que
donna Gœthe du dialogue ; il y est abondamment question de Palissot.
b'mSrOlRh, ET UlC LITTI-.RAIURK 4'3 5
pour les injures qu'il contenait CMuire la princesse de Robecq ; le
piquant, c'est que Malesherbes qui avait reçu l'aveu du coupable, ne
lit rien pour le faire punir et s'employa a le détendre, après avoir
réclamé quelques jours auparavant du lieutenant de police les
mesures les plus sévères contre l'auteur inconnu du factum. Parmi
les hautes interventions qui hâtèrent la mise en liberté de l'abbé, il
faut mettre en première ligne celle de M""= de Luxembourg, sollicitée
par Rousseau, dont Morellei eut le tort de chercher à diminuer les
amicales démarches. Toute cette discussion est très bien conduite et
l'appendice donne les pièces qui manquent dans le dossier réuni par
Delort.
L. RoUSTAiN.
F. DuiNK. La Mennais. L'Homme et l'écrivain. Pa^es choisies. Paris-Lyon.
Emmanuel N'itlc, 1912, in-4", 34.S p.
Présentées par un menaislen aussi distingué, aussi renseigné que
l'abbé Duine, ces Pages choisies ont d'abord le mérite d'avoir eu
pour les trier et les ordonner un écrivain qui a lu et relu l'œuvre
entière de La Mennais, et même les diverses éditions de l'œuvre
entière. Pour qui connaît cette œuvre considérable, c'est un plaisir de
retrouver ici les passages qu'il remarqua ou aurait du remarquer, et
il garde à M. D. une reconnaissance analogue à celle du voyageur qui
arrive au faite d'une montagne découvre une table d'orientation. Les
Pages choisies de La Mennais nous font songer aux Pages choisies
de Chateaubriand par Victor Giraud ' qui vit dans la familiarité de
Chateaubriand comme M. D. dans celle de La Mennais. Les éditeurs
se décideraient-ils à ne plus demander des extraits tju'à ceux-là qui
sont qualihés pour les faire?
Mais nous ne signalons pas à la Revue critique l'ouvrage de M. D.
pour la seule valeur des extraits; nous le signalons surtout pour son
caractère scientifique. L'on y rencontrera certains renseignements
qu'on chercherait vainement ailleurs. C'est ainsi que le livre com-
mence par une iconographie et une bibliographie. L'appendice con-
tient le premier testament de La Mennais (pièce inédite); des notes
précieuses sur les dates de sa première communion et de ses
ordinations.
Une biographie — de la naissance à la prêtrise; les années de
sacerdoce; de la séparation à la mort — apparaît rigoureusement
exacte, et, malgré sa sobriété, vivante et attachante ". Indomptable et
aimant à s'exténuer de fatigue, ayant d'autre part « une passivité
d'àme mystique et faible » (p. 27); un instant amoureux et roma-
1. Chateaubriand. Pages choisies par Victor Giraud. Hachette, igii.
2. Cf. enfance de Feli, p. 22; la vie à la Chênaie, p. 34; La Mennais et Béran-
ger, p. 5i ; mort de L. M. p. Sg.
436 REVUE CRITIQUE
nesquc, détendant parfois ses nerfs fatigués dans les éclats saccadés
d'un rire convulsif et l'élan d'une gaieté qui allait jusqu'à la plaisan-
terie rabelaisienne; secoué par des colères subites; passant avec ses
élèves de l'expansion à l'indifférence, du monologue fougueux au
silence tenace — « les excès de son affection ne duraient pas, s'ils
n'étaient point entretenus par le charme de l'absence » (p. 40) —
tantôt enlevant sa longue redingote grise pour jouer aux barres ou
grimper à un frêle peuplier, et tantôt se jetant avec une sorte d'anéan-
tissement sur le parquet sonore de la chapelle; unissant les accents
de la fureur à ceux de la tendresse; charitable et parfois étrangement
économe; ayant toujours le besoin de fuir p. 55); éperonné par le
désir de faire vite, — quod facis fac citius, était sa devise (p. 42) —
douée d'un orgueil exigeant et aussi d'une imagination maladive qui
défigurait les hommes et les époques (p. 145), tel est le La Mennais
que nous présente M. D.; et l'on comprend qu'avec cette nature exal-
tée et instable, quand il se heurta au Saint-Siège, il ne put se ressai-
sir. « Atteint dans son rôle de pasteur des peuples, où s'étaient fon-
dus en une flamme de gloire son orgueil inflexible et sa sensibilité
suraigiie, il n'eut pas l'humilité d'un saint ni la patience d'un grand
politique ' » (p. 47).
Les notes qui accompagnent les extraits doivent être remarquées.
M. Duine le plus souvent indique les variantes des éditions, ce qui
permet de prendre sur le vif les procédés du style de L. M. (Cf.
p. 66). Parfois sont citées les appréciations contemporaines; un
article de Hugo dans la Muse française [^. jb] un compte rendu du
Conservateur littéraire (p. jj).
Les appréciations personnelles de l'auteur ont un rare mérite. Con-
naissant l'œuvre, la vie et la génération de L. M., M. D. n'hésite pas
à condenser en quelques lignes précises un résumé de ï Essai (p. 3o),
le programme de V Avenir (p. 5o); une déhnition de l'ultramonta-
nisme de L. M. (p. io5); la genèse des opinions politiques et reli-
gieuses de L. M. (p. 106).
Disons, en terminant, que le monument élevé par M. D. à la gloire
de L. M. ne dissimule point à ses yeux les travaux d'autrui. C'est
ainsi qu'il renvoie « à l'admirable bibliographie épistolaire que
M. Anatole Feugère a jointe à son volume, — volume de premier
ordre, — intitulé : Lamennais avant VEssai sur V Indifférence » Je
pourrais multiplier les preuves de cette générosité, j'en ai moi-même
bénéhcié. Qu'il me suffise de noter ici un bel exemple de charité
littéraire.
Marc CiTOLEUx.
1. A travers toute cette biographie apparaît, à peine appuyé, mais très sûr, un
parallèle entre les deux Malouins Chateaubriand et La Mennais, particulièrement
dans leur vieillesse. Cf. p. 52.
d'histoire et de littérature 437
H. WELSCHiNtiKR, Bismarck (1815-1898 . Paris, Alcan, if)i2, in-80, xxviioGop.
5 fr.
M. W. a publié en 1902, dans la petite collection in- 16 Ministres
et hommes d'Etat, une courte étude sur Bismarck qui est aujour-
d'hui épuisée. Comme depuis dix ans un grand nombre de recueils
de documents et de travaux historiques importants ont paru, tels par
exemple que les Mémoires du Prince Clovis de Hohenlohe où l'im-
portante biographie de Bismarck (en trois volumes in-8°) due à
M. Paul Matter, M. W. n'a pas cru pouvoir se borner à rééditer,
même en la retouchant, sa première étude. 11 l'a retondue et aug-
mentée de plus de moitié, en y ajoutant, sous forme d'appendices,
quelques articles publiés par lui, à différentes époques, dans le Jour-
nal des Débats et la République française. Ce n'en est pas moins
demeuré un ouvrage de haute vulgarisation, destiné au grand public,
et dépourvu de tout autre appareil d'érudition qu'une bibliographie
sommaire. M. W. y a développé les qualités qu'on lui connaît, et
qui assurent le succès des livres de ce genre : clarté de l'exposition,
emploi des procédés descriptifs et pittoresques, élimination des
détails sans intérêt psychologique ou moral, recherche souvent heu-
reuse des anecdotes typiques et des formules frappantes.
L'ouvrage se lit aisément ; écrit pour ceux à qui l'histoire exté-
rieure de la France entre i85o et 1870 n'est pas encore ou n'est
plus familière, il a les plus grandes chances de laisser à ce genre de
lecteurs une impression vive et persistante. Il leur donnera sans
doute aussi — et cela est infiniment désirable — le goût d'étudier
cette partie de notre passé, d'en pénétrer davantage les détails si dra-
matiques et le sens profond. A cet égard, le Bismarck de M. W. com-
plète heureusement sa Guerre de iSjo.
Dans une préface assez étendue, l'auteur a cru devoir développer
sa conception de l'histoire. Il « salue en elle la maîtresse de la vie »,
lui demande des leçons morales autant et plus que politiques, et en
profîtepour dire son fait à la « jeune et détestable école » de l'histoire
dite scientifique. Je crains qu'il n'y ait là quelque injustice. L'abus
d'une méthode n'en proscrit pas l'usage, et si l'on a écrit, ces der-
niers temps, trop de livres indigestes, ennuyeux et mal construits,
c'est souvent faute de talent, mais c'est aussi par une réaction néces-
saire bien qu'excessive contre le genre oratoire qui a lui aussi ses
inconvénients. M. W. pour son compte sait s'arrêter où il faut dans
l'emploi de la rhétorique ; s'il se met lui-même en scène par inter-
valles, et s'il use — largement — des procédés tels que la prosopopée
ou le parallèle à la Montesquieu, du moins il n'en abuse pas. Mais
d'autres ont été moins discrets, et ils ont créé contre cette façon
d'écrire l'histoire un préjugé tenace, qu'il sera difficile d'effacer. Il
est bien probable que là comme en beaucoup de choses in média
stat virtus. Préparer son livre en homme de science, puis l'écrire
438 RKVUK CRiriQl K
en liomme de goùi, c'csi k- mieux assuronicni, mais c'est le plus diffi-
cile et le plus rare '.
R. G.
Nevill FoRBKs. Tolstoï, i broch. Oxford i()ii. ' sh.
Ces vingt-cinq pages sur Tolstoi contiennent ce qui a été éciit de
plus vrai, de plus senti, de plus juste sur le grand romancier. On se
sent en présence d'un homme qui connaît et TolsKji et la Russie, et
cela repose de tous ces livres vagues et artiriciels qui ont paru dans
ces dernières années. Chaque ligne de cette leçon contient une idée,
et il n'est pas un mot qui soit écrit au hasard. On aura plaisir à
retrouver ici le Tolstoi vivant, réel, le Tolstoï russe, que ses admi-
rateurs ont parfois défiguré. Cette phrase de la conclusion ne laisse
aucun doute à cet égard : « Tolstoi possédait tout le charme et toute
la terreur des éléments; impulsif et allant à l'exirème, il n'a jamais
su dominer ses instinctb; il n'a jamais eu la moindre sensation d'hu-
mour: comme une hête de la foret, il a été superbe et indevinablc ».
J. Le GRAS.
— Dans une collection de Quelle et Mcyer à Leipzig (vol. à i m. 25), publiée par
le privât dozent l'aul Herre (litre : Wissenscliaft itnd Bildung, Ein^eldarsîeUiingen
ans allen Gebieten des \\ issens) vient de paraître un César du capitaine G. Veith,
avec portrait et groupe de petites cartes. L'inspiration est prise délibérément dans
l'histoire romaine de Moainisen. Do la chaleur et des idées; mais certainement
trop de phrases, et je crains que l'exposé ne reste confus pour les lecteurs qu'il
vise. — E. T.
— Nous avons reçu de la librairie Niemeycr, à Halle, un livre de i56 p. gr. in-8° :
Zur Gesdiiclitc der Rômisciten Cciisur du Di- Oscar Leuze à Halle. De l'auteur je
connais un livre sur la chronologie romaine (Tubingue, 1910); plus des articles,
dans le Philologits et dans Klio, sur la chronologie romaine, sur les questions
touchant à la première guerre punique, légende de Métellus l'aveugle, l'annaliste
Pison, etc. Le sujet ici me paraît nettement posé : il s'agit d'éclaircir les parties
obscures ou contestables de l'exposé magistral de Mommsen sur la Censure. Bonne
table des matières : 4 chapitres : intervalle d'un cens à l'autre; divers emplois du
mot lustriini; à quelle date on confia au censeur, outre la confection du cens, des
fonctions particulières; durée primitive de la censure. L'étude est très soignée. —
É. T.
— Les vers latins fleurissent toujours en Italie. L'an dernier, un concours poé-
tique avait été ouvert pour célébrer l'anniversaire de la fondation de Rome. Le
lauréat ou l'un des lauréats a été le professeur de Padoue, M. Pietro Rasi dont j'ai
signalé plus d'une fois les publications. Nous avons reçu son poème en distiques
(164 V.). A côté du sujet tout indiqué (description de la Rome primitive, à laquelle
I. Quelques fautes d'impression. Il faut lire Rosebery; Sclilesivig ou Slesvig;
farà da se ; Hamburger Naclirichten, au lieu de Roseberrj-, Schlesvig, fara da
se, Hamburger Naclirichten. 11 est parlé, p. 232, d'une guerre /raHCO-rz/ssÊ" dans le
sens, un peu surprenant, as guerre contre la France et la Russie.
d'histoire et de littérature 439
est opposée la Rome impériale, puis la Rome papale sur laquelle M. R. passe vite
et la Rome contemporaine), on trouvera nommés \'ictor Emmanuel et Garibaldi et
tout lecteur notera dans le poème plus d'un vers qui mérite d'être goûté. — É. T.
— J'ai signalé autrefois des recueils de conjectures souvent très heureuses
d'un professeur de La Haye, M. C. Brakman {Ammianea et AnuaaeiU, Leyde,
igog; Annaeana nova, Velleiana, Ad scriptores liist. atig., Ad Panegy^vicos
latinos, 1910). Cette fois le savant a étendu le cercle de ses lectures; dans les
nouveaux M'iscella (Leyde, Brill.. 1012. 2 fr.), les passages étudiés sont tirés
d'Arnobe, Valère-Maxime, Florus, Ovide, Sénèque le tragique. Suétone, Minucius
et un texte de l'Apologétique de TertuUien. Tout est, comme d'habitude, très
soigné et je suis moi-même fort étonné d'avoir à relever qu'il faut lire p. g au
milieu, sur IV, 37, fin de la première phrase, opinioH«Hi ; de même encore
3 lignes après. — É. T.
— Un professeur de l'Université de Yale, le D" Mendell. a provoqué, depuis un
an, autour de lui, des études sur les moyens d'exprimer la suite des idées chez
les historiens latins. En 191 1 a paru une étude de M. Clarence W. Mendell
portant sur Tacite; j'ai le regret de ne pas la connaître. Le nouveau livre (Sentence
connection illustrated chiely from Livy by Irène Nye, thèse de Yale, 1912, 191), le
texte de Tite-Live (I, XXI, XXII et XXIII, est celui de Weissenborn — H. J. Muel-
leri. La thèse, à part les préliminaires, contient deux chapitres, suivant que la
liaison est marquée par une répétition, ou suivant qu'elle n'est exprimée que
d'une manière incomplète. — E. T.
— M.Victor Michels a publié, voici douze ans, un Mittelhochdeutsches Elemen-
tarbitch dans la collection Germanische Bibliothek éditée par M. Streitberg. Une
nouvelle édition de ce livre est devenue nécessaire. Elle a paru récemment (Hei-
delberg, Winter, 1912, 5 m.). Les mérites de la i^" édition, qui étaient nombreux,
se retrouvent dans celle-ci, avec de nouveaux. Le chapitre relatif à la syntaxe a
été remanié et augmenté, ainsi que celui qui a trait à la morphologie. Le débu-
tant trouvera ici, présenté sobremeut et clairement, ce qui est requis pour l'initia-
tion rapide à la grammaire du moyen-haut-allemand. — F. P,
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 23 octobre igi2.
— M. le marquis de Cerralbo, membre de l'Académie de Madrid, fait une com-
munication sur ses fouilles au centre de l'Espagne, en pleine Celtibérie, qui ont
porté sur cinquante-deux stations, principalement sur celles de Torralba, d'Agui-
lar d'Anguita et d'/Vrcobriga. Les- trouvailles s'étendent depuis les temps préhis-
torisques jusqu'au iii« s. p. C. — M. Salomon Reinach présente quelques obser-
vations.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 3o octobre jgi 2. —
M. Edouard Cuq lit un mémoire sur une Novelle inédile de Justinien. Cette
Novelle, que vient de faire connaître un papyrus gréco-égyptien du Musée du
Caire, publié par M. Jean Maspero, est relative à une très ancienne institution de
la Grèce, sur laquelle on ne savait rien de précis, rà-rtoicf,pu^'.;. Le père de famille
avait, chez les Grecs, le droit de chasser de sa maison l'enfant rebelle à son
autorité et de l'exhéréder. Cette institution, qui n'était pas en harmonie avec l'or-
ganisation de la puissance paternelle romaine sous l'Empire, fut proscrite par
Dioclétien. Elle persista néanmoins dans les pays de civilisation grecque. Justi-
nien essaya vainement de remettre en vigueur le rescrit de Dioclétien; la cou-
tume fut plus forte que la loi, et l'empereur se résigna à réglementer une ins-
titution qu'il n'avait pu supprimer. Le papyrus du Caire contient un acte
d'à-0/Cf,pj;i;, rédigé vers l'an 539, conformément k la Novelle de Justinien. L'acte
devait être motivé et soumis a l'homologation du gouvernement de la province
après une enqucite faite par le défenseur de la x()'>;j.r;. Il était ensuite notifié au
public par le héraut et affiche pendant sept jours sur la place publique. L'acte
était irrévocable; ses effets s'étendaient aux héritiers éventuels de l'enfant
440 REVUE CRITIQUE D HISTOIRE F.T DE LITTERATURE
exclu Ac sa famille. — MM. Perrol et Théodore Reinach présentent quelques
ob.scivations.
M. le comte Bcgoucn fait une coinniunicalion sur les statues d'argile préhisto-
riques de la caverne de Moutcsquicu-Avantès (Ariègc). — M. Salomon Reinach
insiste sur l'iinpurtance exceptionnelle de ccili; découverte et sur les moyens de
conserver les monuments en question.
M. lîabcloii continue la lecture de son mémoire sur .lunon Moneta. .Après avoir
démontré que cette déesse était primitivement une divinité italioïc à laquelle les
oies du (2apitole étaient consacrées, il réfute l'opinion récemment émise, suivant
laquelle le mot moueta serait la iléformation par les Romains d'un nom carthagi-
nois. C'est au contraire la vieille déesse italiote Junon Mfjncta qui donna son nom
H la monnaie parce que l'atelier nu)néiaire de Rome était installé dans une dépen-
dance de son lemple. hans le premier siècle de IT^mpire romain, il y eut deux
ateliers monétaires, celui de Sénat pour le bionze, qui demeura au Capitole, et
celui de rKmpcreur, pour l'or et l'argent. Ce dernier, installe dans le quartier du
mont Cœlius, était sous le patronage d'Apollon Salutaris. La représentation allé-
gorique de la Monnaie, à partir du ii'' siècle p. C, se confond avec celle d'^^i/ifti.v.
A(:ADKMit; Di:s Inscru^tions kt Iîki.i.ks-Lkttrics. — Séance du S novembre igi2.
— M. le Secrétaire perpétuel donne lecture des lettres par lesquelles .VIM. Paul
Lejay, Gustave Glotz, J.-R. (Chabot, Jean Psichari, Fr. Thureau-Dangin et Léon
Dorez posent leur candidature à la place de membre ordinaire vacante par suite
du décès de .M. Philippe Berger.
M. Cordier annonce le retour de .M. de Gironcourt, missionnaire de r.\cadcmie
dans le Niger.
M. Homolle communique une lettre de M. Replat, architecte de l'École fran-
çaise d'Athènes, annonçant la découverte, à Delphes, sur l'emplacement du temple
d'Athéna Pronaia, d'une statue archaïque dite de la Victoire. La trouvaille, adve-
nue à l'ouverture des hostilités en Orient, a eu un grand retentissement à Athènes
et dans toute la Grèce, comme une coïncidence de bon augure. Elle n'est pas
sans intérêt archéologique. La figure, qui garde encore dans l'attitude et la drape-
rie quelque chose de la raideur archaïque, rappelle, à part la ditTérence du style,
l'iris du fronton oriental du Parthénon. C'est comme un exemplaire du même
type antérieur d'une génération environ.
M. .lullian communique, au nom de MM. Germain de Montauzan et Fabia, pro-
fesseurs à l'Université de Lyon, le texte et le commentaire d'une inscription
récemment découverte à Fourvière. Datée de 207 p. C, elle fait connaître un
vétéran de la 3o"= légion et un procurateur impérial. C'est la dédicace d'un petit
autel placé dans un local de la caserne romaine, la schola ou salle de réunion des
optioites ou adjudants.
M. Bouchc-I,eclercq fait une communication sur la mort d'Antiochus lll le
Grand et la tin d'Antiochus IV' Epiphane. — M. Théodore Reinach présente quel-
ques observations.
M. Jules Toutain expose les nouveaux résultats îles fouilles exécutées sur le
Mont Auxois par la Société des sciences de Semur. Les fouilles, que dirige
M. V. Pernet, ont mis au jour une construction tout à fait originale, composée
d'une salle rectangulaire terminée par une cella et renfermant une sépulture de
caractère dolménique, sépulture qui fut probablement transformée en lieu de
culte à la fin de l'époque gauloise et sous l'Empire romain. Dans un angle de
cette construction, tout près de la sépulture dolménique, M. V. Pernet a découvert
une tète en bronze, représentant une déesse, Junon ou Diane, de caractère et de
siyle hellénique; un buste en bronze, portrait d'une Gallo-romaine du 1" s. p. C,
à la coitïure très curieuse, etc. Ces bronzes sont dans un remarquable état de
conservation. — MM. Héron de ViUefosse, Salomon Reinach et CoUignon présen-
tent quelques observations.
L".\cadémie procède à l'élection de deux commissions, chargées de dresser : la
première, une liste de candidats aux places vacantes de correspondants étrangers ;
la seconde, une liste de candidats aux places vacantes de correspondants fran-
çais. Sont élus, pour les correspondants étrangers : MM. Senart, Paul Meyer,
Alfred Croiset et Collignon; — pour les corresp'ondants français : MM. Meyer,
Héron de Villefosse, Salomon Reinach et Antoine Thomas.
L'Académie a décidé de proposer pour le prix ordinaire à décerner en igiS le
sujet suivant : Le genre épistolaire clie^ les Assyro-Babyloniens depuis les origines.
Pour le prix extraordinaire Bordin à décerner en n)[5, l'Académie a décidé que
le prix sera décerné à un ouvrage imprimé relatif aux" études orientales; de même
pour le prix Delalande-Guérineau, à décerner en 1914.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gératit : Ulysse Rouchon.
LE PUY-EN-VELAV. — IMPRIMERIE PEYRILLER, ROUCHON ET GAMON.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 49 — 7 décembre — 1912
L. Lkvy, Le Qoheleth. — Saintyves, Les reliques et les images légendaires. —
Rusii.LON, Le Tromba. — Eludes offertes à C. Robert. — Cézard, Métrique
sacrée des Grecs et des Romains. — Struck, Mistra. — Drouet, L'abbé de Saint
Pierre. — Abry, Audic et Crouzet, Histoire illustrée de la littérature française.
— Wright, Histoire de la littérature française. — P.adovani, Littérature fran-
çaise. — CuRY et Bœrner, Histoire de la littérature française, 2* éd. — Flake,
Le roman français et la nouvelle. — May, La lutte pour le français en Lorraine
avant 1870. — R. Imulmann, Johannes Bramis. — Kraus, Exercices en moyen-
haut-allemand. — ViETOR, La prononciation allemande. — Publications Scandi-
naves. — Académie des inscriptions.
Das Buch Qoheleth, ein Beitrag zur Geschichte des Sadduzâismus, kritiseh
untersucht, ûbersetzt und erklârt von L. Levv. F^eipzig, Hinrichs, 1912, in-8°,
i52 pages.
Travail rempli de vues ingénieuses, mais parfois conjecturales et
trop subtiles. M. Levy croit pouvoir maintenir l'unité de TEcclé-
siaste, et il ne semble pas que ce soit sans quelques artifices de
logique. Il fait large l'influence de l'hellénisme, mais peut-être sans
préciser exactement le caractère de cette influence. Par exemple,
dans EccL, m, i5 : " Dieu recherche le poursuivi », M. L., sans
doute avec raison, pense qu'il ne s'agit aucunement du soin que la
Providence a des persécutés, mais du retour des choses à l'existence :
Dieu ramène ce que déjà il avait amené. Stoïcisme et palingénésie,
dit M. L. Un peu d'attention au contexte montre que l'auteur n'a pas
pensé à la succession de cycles ramenant les mêmes êtres jusqu'à la
conflagration universelle, mais qu'il développe son idée : rien de nou-
veau sous le soleil ; ce qui arrive ressemble à ce qu'on a déjà vu.
Autant il paraît évident que l'idée de i'Ecclésiaste suppose un contact
intime avec l'hellénisme, autant il est clair qu'elle ne soutient avec
l'idée stoïcienne qu'un rapport d'analogie.
Le livre aurait été écrit vers l'an 200 avant notre ère, par un doc-
teur, un chef d'école, très connu en son temps, et comme auteur du
livre, la fiction littéraire qui fait intervenir Salomon étant de pure
forme et nullement destinée à faire illusion sur la personnalité de
l'auteur; c'était ou Sadoc ou Boéthos, l'un des deux disciples que le
traité Abotli de R. Nathan donne à Antigonc de Socho; à la seconde
Nouvelle série LXXIV. 49
442 REVUE CRITIQllE
génération, vers 140, les disciples de l'Ecclésiaste formaient déjà un
parti, et c'étaient les sadducéens. — Ces conclusions n'ont guère plus
qu'une valeur de symbole. L'Ecclésiaste a dû être composé vers
l'époque indiquée ; l'auteur était un sage, peut-être un docteur; s'il
n'est pas le fondateur du sadducéisme, il est, à beaucoup d'égards, un
de ses ancêtres les plus directs; si le livre n'a pas été l'évangile du
sadducéisme naissant, il représente assez bien l'esprit et les tendances
d'où procède le sadducéisme. Et la doctrine de l'Ecclésiaste viendrait
assez naturellement après la philosophie que résume la sentence attri-
buée par la tradition à Antigone de Socho : ne pas ressembler aux ser-
viteurs qui travaillent pour un salaire, craindre Dieu et faire le bien
sans espoir de rétribution. Façon très haute et très religieuse d'envisa-
ger les problèmes de la justice divine et de l'immortalité, que l'Ecclé-
siaste résoudra comme en se Jouant, au point de vue d'une sagesse
séculière qui veut garder son respect à la foi monothéiste.
A. L.
Les reliques et les images légendaires, par P. Saintyyes. Paris, Mercure de
France, 191 2, in-12, 334 pages.
Recueil d'études sur le miracle de saint Janvier, les reliques du
Bouddha, les images qui ouvrent et ferment les yeux, les reliques cor-
porelles du Christ, les talismans et reliques tombés du ciel. Ce sont
des sujets fort curieux. Sur le miracle de saint Janvier, les considéra-
tions de M. S. reviennent à dire qu'un examen scientifique de la
relique fournirait l'explication du prodige : rien n'est plus vraisem-
blable ; mais, en attendant, il n'avance guère de multiplier les conjec-
tures. En ce qui regarde les reliques du Christ, M. S. a recueilli des
indications qui ne manquent pas d'intérêt ni même de piquant. L'his-
toire de quelques-unes de ces reliques mériterait peut-être une discus-
sion plus attentive, car il importerait de savoir dans quelles conditions
elles ont été inventées et quel genre de culte leur a été rendu ; par
exemple, il est assez significatif qu'à Vendôme, où l'on gardait une
larme du Christ, — une des larmes versées sur Lazare! — il se faisait
commerce de petites larmes en verre ou en argent qui guérissaient
les personnes atteintes de maux d'yeux. La dissertation sur les talis-
mans et reliques tombés du ciel se divise en trois parties qui corres-
pondent à des catégories d'objets passablement différentes : reliques
d'origine météorologique ou censée telle ; reliques d'origine liturgique,
dont les variétés sont extrêmement nombreuses; reliques d'origine
apologétique. Cette dernière rubrique désigne les écrits tombés du ciel,
et qui servent une intention de ceux qui les ont supposés. Il y a ici les
simples faux, avec lesquels il convenait de ne pas confondre le Coran
ou les écrits à qui l'on a attribué après coup une origine céleste,
d'histoirk et de littf.kature 443
comme la règle de saint Pacôme ou de ici ordre religieux (M. S. aurait
pu ajouter le décalogue et même la Loi de Mo'ise lout entière). Et
ce n'est peut-être pas sans quelque ariitice de logique, en tous cas c'est
dans des termes assez vagues et de signiHcaiion indécise que l'auteur
en arrive finalement à rattacher au type des pierres de foudre toutes
les légendes concernant des objets censés venus du ciel, à raison du
« reste d'animisme ou de dynamisme sacré » qu'elles renferment, ou
bien parce qu'elles ont plagié, pour autoriser ou promouvoir un
culte, la fable des pierres tombées du ciel.
A. L.
Un culte dynastique avec évocation des morts chez les Sakalavcs de Madagascar.
Le " Tromba ». par H. Ri'sili.on. Introduction par R. Ali.ikr. Paris, Alphonse
Picard, 1912, in-12, 193 pai;es.
L'introduction de M. .Allier concerne principalement la politique
religieuse de l'autorité coloniale à Madagascar. Les notes de M. Ru-
sillon, missionnaire évangélique, ont une valeur documentaire ; elles
représentent des observations faites sur place.
C'est un culte d'esprits que la religion malgache, et la préoccupa-
tion constante des esprits a pour effet différentes formes de possession.
La part d'aberration mentale qui entre dans ce culte le rend très
intéressant pour la comparaison. Même les réunions communes
pour les fêtes annuelles des anciens rois défunts s'accompagnent de
manifestations de ces ancêtres dans les personnes présentes. Et le
premier venu, en temps ordinaire, peut être saisi par l'esprit de
l'ancêtre royal : c'est le tromba. Le tromba est l'esprit; mais le même
mot désigne certaines maladies, qui sont causées par les esprits, il
peut désigner le malade, il désigne aussi le traitement qu'on lui fait
subir, et qui est en même temps « le service » qu'on rend à l'esprit
pour obtenir qu'il lâche le patient. Ce sont les gens débilités, surtout
ceux qui sont atteints de fièvre paludéenne, qui sont pris par le
tromba; mais il y a contagion dans les scènes délirantes auxquelles
donne lieu « le service ». Très important est le rôle du fondy^
l'homme qui possède un tromba suréminent, un esprit guérisseur, et
qui est ainsi qualifié pour soulager les possédés vulgaires. M. B.
nous dit que le fondy et son assistant interprète, le mpamoaka —
ordinairement le conjoint du fondy, qui peut être un homme ou une
femme, — à la ditï'erence de leurs clients, sont gens robustes, d'esprit
lucide et de ferme volonté. Cependant le fondy lui-même est un
malade guéri, qui est ainsi entré en possession du charme de guérison
et resté dans la familiarité de l'esprit. Il est fâcheux que M. R.
n'ait pas pu nous donner plus de détails sur la formation du fondy.
Les grands fondy, nous dit-il, ont de douze à seize esprits. Ce ne
peut être pour avoir passé par autant de maladies, à moins que
444 REVUE CRITIQUE
ce ne suit par quelque ticiion rituelle sur laquelle il serait précieux
d'être renseigné. Quant au procédé d'initiation qui lait du malade
guéri un médecin guérisseur, il n'est pas sans exemple. L'on n'est pas
surpris d'apprendre que le « service » n'empêche pas certains malades
de guérir, que même il en guérit quelques-uns, mais qu'il l'ait aussi
beaucoup de victimes qui ne lui sont pas imputées. M. R. pense que
les fondy, bien que gens très hardis, ne sont pas des imposteurs. 11 va
de soi qu'un tel culte se fonde sur une foi commune à tous; mais
cela n'empêche pas sans doute les fondy de poser délibérément beau-
coup d'actes, pour eux légitimes, qui, selon notre mentalité et notre
moralité, seraient frauduleux.
A. L.
Genethliakon, (larl Robkrt zum 8 Mârz 1910. Berlin, Weidmann, 1910; viii-246 p.
Dans ce volume, offert à M. C. Robert par plusieurs de ses amis et
anciens élèves à l'occasion de son soixantième anniversaire, sont con-
tenues huit dissertations. L'une d'entre elles échappe à ma compétence :
Betrachtungen iiber die Deutung und Wertung der Lehre Spino\as,
par B. Erdntann. Une autre appartient au domaine de la littérature
latine : Nœvius iind die Meteller . Selon G. Wissowa, qui reprend une
objection déjà formulée en i83i par Zumpt, le vers fameux Fato
Metelli Roma' Jiunt con.sules ne peui avoiv été écrit qu'à une époque
où la famille Cascilia était illustre ; or ceci ne put avoir lieu qu'à la
fin du 11° siècle, plus de deux générations après la mort de Nievius.
Par une suite d'intéressantes combinaisons, W. en vient à conclure
que ce serait un de ces vers anonymes comme il en courait beaucoup
dans le public, attribué plus tard à Nœvius; la réponse Dabiint maJiim
Metelli Ncevio poetœ serait un vers imaginé par Gœsius Bassus pour
donner un modèle de vers saturnien. Ce sont là d'ingénieuses hypo-
thèses, dont la première seule me paraît avoir un fondement solide.
— Les autres dissertations traitent de sujets relatifs à l'antiquité
grecque. B. Niese [Drei Kapitel eleischer Geschichte) étudie la situa-
tion politique des périèques de l'Elide et les relations entre les Eléens,
les Arcadiens et les Lacédémoniens ; il montre ensuite que la géogra-
phie de l'Elide des temps homériques ne peut se déterminer que très
approximativement; et dans un troisième chapitre il recherche ce
qu'on doit entendre par Pise, importante question sur laquelle les
historiens ne sont pas d'accord, et qu'il résout à l'aide d'une discussion
aussi serrée qu'originale. Le nom de Pise ne désigne pas une ville,
mais un territoire, sur lequel se célébraient les Jeux olympiques. Pise
et l'Elide, Eléens et Pisates sont identiques ; les témoignages des his-
toriens et géographes anciens sont discordants et souvent d'une histo-
ricité douteuse, en particulier l'exposé qu'ils font d'une lutte entre les
Eléens et les Pisates au sujet des jeux. Pise n'est en somme que le
d'hISTOIRK KT de LITIKRATURE 445
nom du district dans lequel était située Olympie. — Fr. Bechtcl com-
munique ses observations sur les noms de personnes du quatrième
volume dc^ Iiisci-iplioncs Crwca' :Kgine et Argolide), principalement
sur des foriiies nouvelles, et propose ensuite diverses corrections aux
lectures de Frankcl [Dir Pcrsonennamcn iin viotcii HcDide der Ins-
criptioncs Grœca.'). — O. Kern s'appuie sur des inscriptions récem-
ment découvertes pour essayer de trancher une question assez déli-
cate, celle du lieu d'origine des hymnes orphiques [Die Herkiinft
des orphischcn Hj^inncniuiclis). Ces hvmnes auraient été composés
en Asie Mineure plutôt qu'en Egypte, pour une association de
mystes. dionysiaques. L'argumentation donne à cette opinion une
grande probabilité. — K. Priichter s'occupe de la philosophie néopla-
tonicienne et de son développement historique (Richtungen iind
Schiilen im Neoplatonismus). La distinction de trois écoles, celle
de Plotin et Porphyre, purement philosophique, l'école syrienne
de Jamblique, plus ihéologique, l'école d'Athènes avec Proclus,
qui cherche à concilier les deux iendances, lui paraît insuffisante
et inexacte; la dernière évolution, en pariiculcr, qui aurait orienté
l'école d'Athènes dans une direction différente de celle de Jam-
blique, est pour lui très contestable, et il propose les subdivisions
suivantes, qui sont en effet plus précises : i) Plotin et Porphyre
fondent ie néoplatonisme, qui se dirige ensuite 2j dans le sens
spéculatif sous Tintluence de l'exégèse de Jamblique, d'une part
dans l'école syrienne, d'autre part dans l'école d'Athènes; 3) une nou-
velle orientation se produit dans le sens théologique et religieux avec
l'école de Fergame; P. distingue enfin 4) ce qu'il appelle la direction
scientifique, avec les philosophes alexandrins et les néoplatoniciens
occidentaux. — E. Meyer s'occupe de cette partie des Travaux
d'Hésiode oili le poète décrit les cinq âges de l'humanité [Hesiods
Erga und das Gedicht von dcnfiinf Menschengeschlechtern). Hésiode
ne nous expose pas un développement continu des âges, dégénérant
de l'âge d'or à l'âge de fer, mais deux séries parallèles d'évolution,
l'une de l'âge d'or à l'âge d'argent, l'autre de l'âge d'airain à l'âge de
fer, avec les héros intercalés entre les deux derniers; dans chaque série
la race la plus jeune est une dégénérescence de l'autre, et ces deux
groupes correspondent le premier à la souveraineté de Kronos, l'autre
à celle de Zeus. Mais comment Hésiode a-t-il eu cette notion de
quatre âges? M. l'explique de la manière suivante : Hésiode connais-
sait d'anciennes légendes relatives à Kronos et à son époque bien-
heureuse, l'âge d'or, en contraste avec lequel est la vie des hommes
d'aujourd'hui; et celle-ci est caractérisée par le fer. Mais Hésiode
savait aussi qu'avant le fer il y avait un temps où les armes et les
outils étaient d'airain, d'où la série or, airain, fer ; l'évolution étant
ainsi caractérisée par les métaux, l'argent ne pouvait manquer, et la
vie de l'âge d'argent est une création du poète. L'âge des héros inter-
446 REVUb. CRITIQUE
ronipi la suite de l'évoIuiiDii Llcsccndanic, parce que la tradition exi-
geait celle iniercalation. En somme, conclut M. après avoir com-
menié les détails du texte, Hésiode a voulu montrer que l'âge d'or ne
pouvait produire qu'une race dégénérée et ne pouvant subsister, et
d'autre part que la race présente, telle que Zeus l'a formée, ne sait pas
se diriger d'après les idées d'ordre et de justice, mais qu'elle vit sous
le règne de la force brutale, du mensonge et du parjure, produits d'une
culture trop développée; et cela doit la conduire aussi à sa perte.
La morale que doit en lirer Perses, c'est que l'homme doit obéir au
sentiment de la justice et de l'honneur, et se soumettre à la noble loi
du travail. — U. Wilcken commente deux fragments sur papyrus
découverts par Flinders Pétrie à Hawara il y a une vingtaine d'an-
nées. Le premier éditeur, Sayce, avait cru y reconnaître une descrip-
tion des murs de Syracuse, provenant d'une histoire perdue de la
Sicile. W. avait déjà conjecturé, de son côté, que ces textes apparte-
naient à une périégèse aitique. Il y revient ici, après avoir étudié l'ori-
ginal même, et de celte étude, qui confirme pleinement ses conjec-
tures, est sorti le présent article {Die attische Periegese von Hawara).
Il est diflScile de trouver une restitution aussi heureuse — bien qu'elle
nesoit que partielle — et un commentaire aussi riche, aussi ingénieux
et aussi sûr. Nous avons là une brève description des ports du Pirée
et des longs murs, puis l'auteur arrive à Athènes ; mais ici le fragment
est mutilé. La date en est, selon toute vraisemblance, le début du
m" siècle ; l'auteur reste anonyme, mais c'est sans doute le plus
ancien représentant connu de ce genre de littérature.
My.
Ë. CiîzARD, Métrique sacrée des Grecs et des Romains. Paris, Ivlincksieck,
191 1 ; viii-538 p.
Les anciens nous ont laissé assez de traités de métrique pour que
la science moderne ait pu, sans trop de difficultés, découvrir les lois
qui régissent la forme extérieure des œuvres poétiques composées par
les Grecs et par les Latins. Les pieds et les mètres, les vers et leurs
formes variées, les divers genres de composition ont été l'objet de nom-
breux travaux ; les rythmes de l'épopée, du drame, de la poésie lyrique
ont été analysés dans tous les sens, et nous pouvions croire que les
notions acquises jusqu'à ce jour en matière de métrique étaient, à part
quelques détails encore peu clairs, solidement et scientifiquement éta-
blies. M. Cézard, professeur au collège de Beaune, a changé tout
cela. Tout ce que nous savons est erroné ; les anciens nous ont trom-
pés, et volontairement; et cela est au point que pas un savant
moderne n'a pu avoir l'idée de sortir de l'ornière où nous sommes
enrayés depuis des siècles. Enfin M. G. vint, qui découvrit la juste
cadence, reconnut le pouvoir du dimètre, et révéla les mystères de la
d'histoire et de littérature 447
métrique sacrée. L'autre, c'est la métrique profane. Avec celle-ci, tout
n'est que trompe-l'iuil, obscurité, désordre ; avec la métrique sacrée,
tout est limpide, tout s'éclaire, tout est ordonné. Cette métrique
inconnue de la science actuelle repose sur une conception nouvelle
de la quantité, du pied et du mètre, ou mieux du dimètre. « Le dimèirc
est l'élcment fondamental de tr)us les vers, et la loi suprême de la
métrique est celle-ci : ])iins tous les vers clierehe^ le dimètre » (ainsi
souligné par M. C). On se demandera peut-être comment M. C. a
découvert celte « loi suprême ». Rien de plus simple : « Cette loi a
son origine dans la nature de l'homme et dans la conformation de
l'organe de la pensée. » Ceci n'est peut-être pas très clair; mais
M. C. précise : « Les deux hémisphères du cerveau, exigeant chacun
un mètre, donnent naissance au dimètre ». Or le dimètre vaut invaria-
blement douze temps, car le pied, dans tous les vers, a une valeur de
trois temps, l'anapeste ainsi que l'iambe, pieds fondamentaux d'où
dérivent tous les autres; attribuer à un pied une valeur de quatre
temps, par exemple, est une erreur voulue de la métrique profane. Il
faut par conséquent distinguer les longues et brèves anapestiques
(i 1/2 temps et 3/4 de temps, et les longues et brèves iambiques (2 et
I temps), dont la quantité d'ailleurs peut varier suivant les circons-
tances; il y a des longues de 3 temps (que M. C. apelle macres), de 6
temps [monomacres], de 4 1/2 et 5 temps; il y a des brèves pyrrhiques
de 1 1/2 temps, des brèves pyrrhiques irrationnelles de 6/5 de temps,
et même des brèves iambiques prolongées de. 3 temps, ce qui leur
donne une valeur de 4 temps. Ceci posé, M. C. cherche le dimètre,
et il le trouve partout sans peine, grâce à ces multiples quantités,
grâce aussi aux pauses de plusieurs temps qui interviennent quand il
en est besoin. C'est ainsi, par exemple, qu'il trouve un dimètre dans
cf>£ù, « qui constitue à lui seul le dimètre grand monomacre (2 grmon),
comprenant un monomacre et une pause de six temps », ou encore
dans l î, « dimètre grand inonomacre léger (2 grmonlj, dans lequel
le premier mètre est un monomacre composé d'un pyrrhique et d'une
pause de trois temps, et le second mètre est une pause de six temps ».
Telle est, dit gravement M. C, la nécessité du dimètre (p. 35).
Entrer dans plus de détails serait. Je crois, inutile. Toutefois, on
peut se demander d'où vient cette métrique sacrée, tellement mysté-
rieuse que si par hasard « il est un métricien qui nous ait donné
quelques renseigneinents exacts, il n'a pas osé se faire connaître et il
a gardé l'anonymat. » M. C. a sur ce sujet des connaissances d'une
étonnante précision. Je cite en résumant. La métrique sacrée est due
à Orphée, qui établit les règles qui maintiennent la distinction des
genres (p. 5o). Ces règles, il les imposa toutes au genre iambique, et
il n'en imposa aucune au genre anapesiique; mais il lui adressa tout
au moins l'invitation très pressante de faire le nécessaire pour se
distinguer du genre iambique (p. 47). C'est que les circonstances
448 REVUE CRITIQUE
étaient critiques, nous dit M. C, qui connaii mieux que personne
l'histoire de ces temps recules. Les discordes violentes dont les poètes
donnaient alors le spectacle étaient devenues un scandale public,
qui menaçait de jeter dans l'Ktat un trouble profond. Le désordre
devint tel que les chefs de l'Etat résolurent d'imposer à la poésie des
règles qui fussent obseivées de tous. Ils nommèrent un législateur,
chargé de faire ses propositions, lesquelles seraient discutées contra-
dictoirement devant un aréopage composé des poètes les plus remar-
quables et des représentants les plus élevés de l'ordre politique et
religieux. Le législateur choisi fut Orphée (p. 49). Les poètes se
défendirent pied à pied, mais furent toujours battus (p. 53), et la
réforme d'Orphée fut immédiatement mise en vigueur (p. 54). Mais
la société antique, qui était essentiellement aristocratique, même à
l'époque où son gouvernement semblait être le plus démocratique,
gardait jalousement la connaissance de la science sous toutes ses
formes (p. 65); on fut donc obligé d'inventer, à l'usage des non initiés,
une métrique profane, laquelle avait pour but de les induire en
erreur et de leur cacher la véritable connaissance des rythmes.
Orphée, en sa qualité de législateur, fut chargé de composer cette
métrique (p. 66). Aussi Orphée périt-il assassiné de la main ou à
l'instigation des poètes dont il avait condamné les noms à un éternel
oubli (p. 69). M. C. ne saurait l'affirmer ni le prouver, mais il le
croit très fermement. La connaissance des rythmes était réservée aux
initiés, qui étaient tenus de garder le secret; celui qui l'aurait violé
se serait exposé à une action judiciaire très grave ; exemple Eschyle
(p. 6g). J'en passe.
M. C, on le voit, possède une imagination d'une fertilité singulière.
Il a été initié, il a eu connaissance de cette métrique sacrée dont les
règles étaient soigneusement cachées aux profanes, et il n'a pas craint
de nous la révéler. Bien qu'à notre époque il n'ait pas à redouter
une action judiciaire, il convient de l'en remercier; car sans lui, qui
sait combien de temps encore nous serions restés dans les ténèbres de
l'erreur, combien de temps encore nous aurions continué à ne rien
comprendre à la poésie ancienne ? On ne peut nier du reste, que son
livre soit intéressant; mais le genre d'intérêt qu'il suscite n'est cer-
tainement pas celui sur lequel M. Cézard a compté,
My.
Adolf Struck, Mistra. Eine mittelalteiiiche Ruinenstadt. Streifblicke zur Geschi-
chte und zu den Denkmaelern des fraenkisch-byzantinischen Zeitaliers in Morea.
Mit 76 Abbildungen und Planskizzen. Vienne et Leipzig, A. Hartieben, 1910;
vin-164 P- grand in-8.
Mistra, fondée par G. de Villehardouin, devint rapidement floris-
sante sous les princes francs; elle devint ensuite la capitale d'un
d'histoire et de littérature 449
despotat grec dont les souverains, les Cantacuzènes, les Paléologues,
et ce Constantin Dragazès qui devait cire le dernier empereur de
Constantinople, l'ornèrent de nombreux édifices civils et religieux,
et fut, au commencement du xV siècle, le centre d'une sorte de renais-
sance littéraire et philosophique, grâce à l'inHuencc d'un homme qui
jouit alors d'une très grande renommée, Gémisthe Piéthon. Mais cette
prospérité dura peu; la conquête turque ruina la ville, et bien qu'elle
eût repris une certaine importance sous la domination de Venise, sa
population diminua rapidement, jusqu'au moment où la fondation
d'une nouvelle Sparte, sous le roi Othon, lui porta le dernier coup.
C'est aujourd'hui une cité déserte, mais dont les murs et les tours,
les maisons, les églises et les couvents, en un état plus ou moins bon
de conservation, peuvent donner au voyageur une impression exacte
de ce qu'était une ville franque de la Morée. Il n'y a guère qu'une
vingtaine d'années que l'attention s'est portée sur Mistra; l'antiquité
seule, dans la Grèce, attirait les regards des explorateurs, et devant
elle s'effaçaient les souvenirs du moyen âge. Depuis la fin du siècle
dernier, les recherches et les travaux de plusieurs savants, en parti-
culier de G. iMillet, ont été comme une révélation, et Mistra com-
mence à être mieux connue. Aujourd'hui, c'est M. Struck, membre
de l'institut allemand d'Athènes, qui nous en donne une très intéres-
sante monographie, dans un volume où de nombreuses vues photo-
graphiques illustrent une description détaillée, faite en outre très
méthodiquement. Je ne voudrais pas comparer l'ouvrage de M. S. à
un guide; il n'en a ni la sécheresse, ni la banalité ; et cependant c'est
bien un guide excellent pour ceux qui voudront voir et apprécier
Mistra dans ses pittoresques détails. M. S., suivant un itinéraire
déterminé, nous fait visiter les couvents et les églises, dont il étudie
l'architecture et l'ornementation, les restes du palais des despotes et
de la citadelle, et nous conduit, en montant à travers les ruines,
jusqu'au point culminant d'où la vue s'étend au loin sur la vallée de
l'Eurotas et sur les gorges du Taygète. Cette description est précédée
d'une cinquantaine de pages dans lesquelles M. Struck retrace rapi-
dement les principaux événements de la conquête franque, et esquisse
une brève histoire du despotat de Mistra, de telle sorte que l'ouvrage
possède ce double intérêt, d'éclairer les ruines par l'histoire, et de
vivifier l'histoire par les monuments.
My.
I. Joseph Dr.iuet, L'abbé de Saint-Pierre, l'homme et l'œuvre, Paris, Cham-
pion, 1912, 397 p.
II. Joseph Drouet, Annales politiques de l'abbé de Saint-Pierre, 1658-1740,
nouvelle édition coiiationnée sur les exemplaires manuscrits et imprimés avec
une introduction et des notes, Paris, Champion, 191 2, 399 p.
I. II est certain que l'abbé de Saint-Pierre méritait une monographie
450 REVUE CRITIQUE
d'ensemble, qui mît en lumière son rôle de précurseur. La difficulté
était seulement de ne point exagérer la valeur et la nouveauté de ses
idées, de ne point grandir sa personnalité intellectuelle et morale. En
général M. Drouets'est sufHsammeni gardé de ce danger. Tout au plus
jugera-t-on qu'il est fort indulgent pour les Annales politiques, qu'il
rapproche trop facilement du siècle de Louis XIV, et qu'il suit de
bien près M. .Iules I^emaitre en opposant les rêves de l'abbé, trans-
formés en réalités bienfaisantes aux « déclamations » de Rousseau qui
n'ont fait souvent que des ruines. Ni l'abbé, ni Rousseau ne sont res-
ponsables des applications de leurs idées. Peut-on d'ailleurs parler de
la réalisation des idées de l'abbé de Saint-Pierre? M. Drouet recon-
naît lui-même qu'elles ne lui sont point personnelles, que « son
mérite a consisté à prendre un peu partout des idées qui avaient été
créées, pour les creuser et familiariser l'esprit public ». Quant à l'ac-
cord entre certains projets formulés par l'abbé, et des institutions ou
des aspirations modernes, c'est M. Drouet qui l'établit par une
méthode factice, et avec une compréhensible, mais peu rigou-
reuse complaisance. 11 écrira par exemple que « la loi de 1882 s'est
inspirée des idées de l'abbé de Saint-Pierre en mettant au programme
de l'enseignement primaire les éléments des sciences physiques,
mathématiques et naturelles ». Sont-ce les idées de l'abbé de Saint-
Pierre, ou celles d'innombrables éducateurs, qui avant lui ou après
les ont formulées de manière plus précise, plus définitive, les ont
approfondies davantage? Le procédé est commode, donne des résul-
tats tangibles : il est un peu dangereux.
Ces réserves faites, reconnaissons l'utilité et l'intérêt du livre de
M. Drouet. Le plan en est très simple, l'homme, l'œuvre; la docu-
mentation en partie nouvelle. M. Drouet a consulté les manuscrits de
Saint-Pierre qui se trouvent aux Archives nationales et à la Biblio-
thèque de Rouen. D'importants inédits lui ont été communiqués par
M. Tony Genty, et lui ont permis de reconstituer dans le détail la
vie de l'abbé. Son premier chapitre est consacré aux années de jeu-
nesse. Après avoir fait de médiocres études, l'abbé de Saint-Pierre
vint à Paris : il n'en bougea plus guère. M. Drouet nous donne de
suffisantes indications sur les milieux dans lesquels il vécut. Sa vie
ne compte guère qu'un seul événement : son exclusion de l'Académie
française, où Fontenelle l'avait fait entrer. Est-ce à dire, comme le
croit M. Drouet, que par ses attaques contre Louis XI"V il ait
'< devancé le jugement de la postérité », et n'est-ce point plutôt Vol-
taire qui avait raison en ses appréciations. Chassé de l'Académie
française, l'abbé de Saint-Pierre, à peine entré au club de l'Entresol,
fut cause de sa fermeture. II mourut en 1743. Dans cette biographie
intéressante, il n'y a guère à relever que des erreurs de détail ' ou des
I. Ex. p. 22, n. I . Le livre de Lemoine et Lichtenberger, où il est question de
BouTdelot, a paru non chez Hachette, mais chez Champion.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 43 1
affirmations historiques contestables. P. 5, M. Drouet exagère l'in-
dépendance de Bellefonds «qui seul osa tenir tète à Louvois ». Belle-
fonds fut un favori du roi. qui multiplia par sa propre obstination les
disgrâces, et une moins belle figure sans doute que ne se l'imagine
d'après Camille Rousset M. Drouet. P. 6 ii° 2 : il nesi pas du tout
prouve qu'Horiense Mancini ait refusé d'épouser Turenne, ni que
Turenne air demandé sa main à Mazarin. P. 19, n. i, il faudrait aban-
donner une fois pour toutes la fameuse division par Michelet du règne
de Louis XIV avant et après la fistule. P. 83, le mot de M""" de Tencin
sur sa ménagerie, ses bétes n'est-il pas plutôt de M"i« Geoffrin ?
Les œuvres de l'abbé de Saint-Pierre sont fort nombreuses :
M . Drouet en dresse la liste en appendice. 1 1 en est de même de ses
inventions depuis le trémoussoir, fauteuil médical, jusqu'à la paix
perpétuelle : toutes ne sont point originales. Comme pacifiste, il con-
tinue Emeric Cruce et bien d'autres : il préconise la taille proportion-
nelle après Boisguillebert, la poivsynodie, alors qu'elle a fonctionné.
Au premier abord il semble difficile de trouver dans ses écrits quelque
idée directrice. M. Drouet nous propose, avec justesse semble-t-il, la
« foi au progrès indéfini ». L'abbé de Saint-Pierre est avant tout un
« progressiste ». M. Drouet proteste contre l'opinion commune qui
fait de lui un « utopiste » chimérique : il le considère au contraire
comme un « contemporain égaré au xvm" siècle ». Enfin il le carac-
térise encore par le beau nom de philanthrope.
Il est probable que M. Drouet a raison, mais ce qui a beaucoup nui
à l'abbé de Saint-Pierre, ce fut d'être un brouillon intellectuel, et un
homme à idées universelles. M. Drouet nous montre qu'il a effleuré
tous les domaines, politique, financier, économique, historique,
pédagogique — : la multiplicité de ses « réformes » comme le peu de
valeur littéraire de ses écrits l'ont desservi. Dans le livre que
M. Drouet lui consacre, peut-être lira-t-on surtout avec profit le cha-
pitre sur le fameux « projet de paix perpétuelle ». On s'intéressera
également à sa « taille tarifée » et aux essais — d'ailleurs peu heureux
— qui en furent tentés dans quelques généralités. Partout, même
dans les théories de l'abbé de Saint-Pierre sur la littérature et les
moeurs, apparaissent ses préoccupations morales, et son désir géné-
reux de travailler à l'amélioration des hommes. Malheureusement la
vigueur de la pensée et l'étendue des connaissances ne sont point en
rapport avec la beauté des intentions. Aussi ne s'étonnera-t-on point,
que, comme le montre M. Drouet en un de ses derniers chapitres,
l'abbé de Saint-Pierre ait eu fort peu d'influence sur ses contempo-
rains. Son « rabâchage éternel », comme disait Grimm, a beaucoup
amusé le xviii" siècle. Ce succès de ridicule était un peu injuste :
notre époque a réparé cette erreur; le livre de M. Drouet aura le
grand mérite de s'ajouter à d'autres pour nous faire mieux connaître
l'abbé de Saint-Pierre : l'auteur de la Paix Perpétuelle a eu « des
452 REVUE CRITIQUE
lueurs et des éclairs qui Font t'ait passer pour un homme de
génie > .
II . Les éditions imprimées des Annales politiques sont toutes pos-
térieures à la mort de l'abbé de Saini-Pierre. Pour publier à nouveau
cet ouvrage, M. Drouet a utilisé les manuscrits de Rouen, de l'Arse-
nal, de Caen, et aucun n'étant complet, l'édition princcps qui est de
1757. Les Annales politiques ont été commencées vers 1690, termi-
nées vers 1730, puis probablement complétées au fur et à mesure des
événements jusqu'en 1740. Il suffit de les lire dans l'édition anno-
tée ' et pourvue de variantes de M. Drouet, pour s'apercevoir qu'elles
n'ont rien de comparable ni au siècle de Louis XIV, ni même à
rabrégé chronologique du président Hénault. Ce ne sont ni de l'his-
toire, ni des souvenirs. « Comme l'abbé de Saint Pierre etjt pu écrire
des A/cmo/re5 pleins d'intérêt, pleins de vie, s'écrie M. Drouet,... où
auraient passé presque tous les personnages illustres de la fin du
xvii" siècle, et du commencement du xviii^ siècle !» — Ce n'est point
ce qu'il a fait. Il parle peu de lui et de ce qu'il a vu personnellement.
Ses qualités d'historien sont médiocres. Un exemple entre mille. Il
attribue la guerre de 1672 « uniquement au plaisir qu'éprouva le roi
d'abattre la sotte présomption et l'orgueil des Hollandais ». Ses théo-
ries sur l'histoire sont curieuses : il distingue l'historien du chroni-
queur : <( L'historien montre, par des réflexions justes, à ceux qui doi-
vent entrer dans les affaires publiques, les moyens d'éviter des maux
et d'obtenir des avantages pareils à ceux qu'il raconte. » Ce qu'il faut
au chroniqueur, c'est « un esprit de précision, une crainte d'affirmer
mal à propos, une attention à ne pas donner comme certain ce qui
n'est que douteux,... une grande exactitude dans les citations, toutes
qualités qui ne sont pas nécessaires au même degré à l'historien. »
L'histoire doit donc fournir des leçons de politique et de morale.
A condition de ne chercher aucune indication sur les événe-
ments, ni aucune vue vraiment historique dans les Annales poli-
tiques, on les lira dans l'édition de M. Drouet avec intérêt, et non
sans aniusement. Les Annales ont « le mérite de résumer les idées
qui hantèrent le cerveau de l'abbé et qu'il faudrait aller chercher
dans les trente tomes de son œuvre ». Il y est surtout parlé de ses
projets de réforme. Le livre n'eut aucun succès en son temps, malgré
quelques portraits historiques d'une honnête médiocrité. Puisqu'il
nous évite de lire les autres écrits de l'abbé de Saint-Pierre, il faut
remercier M. Drouet de l'avoir exhumé, paré de notes et de variantes,
et de l'avoir fait précéder d'une substantielle introduction.
Camille-Georges Picavet.
I. Les notes sont parfois insuffisantes. Quelques rectifications du texte s'impo-
saient, ex : 3/"« de Kéroualle au lieu de M'i* de Kérouart.
d'histoire et de littérature 453
E. Abrv, C. Audic et p. Crouzet, Histoire illustrée de la Littérature fran-
çaise. Précis méthodique, ^24 illusiiaiions. Paris, hkiicr, ii)i2, 8' pp. 12 et
664. Fv. 3.
C. II. Connu! Wright, A History of French Literature. Oxford, University
Press, 191 2, S" p. 064.
G. Padov.ani, Letteratura francese dalle 01 ii;iiii ai nosiri giorni cou un'appendice
sulla storia dclla lingua [Manuali Hoepli, 269-270). Milan, Hoepli, uj\'.\ in-18,
p. 323. Fr. 3.
Camille Cury et Otto Boernkr, Histoire de la littérature française à l'usage
des étudiants hors de Fr.Tncc, 2c édition revue, corrigée et considérablement
augmentée. Leipzig et Berlin, Tcubncr, 1912. S» pp. 12 et 400. Mk. 3.
Otto Fi,.\KE, Der franzôsische Roman und die Novelle. Ihre Geschichte von
den Anfangen bis zur Gegenwart [Ans Natur und Geistesivelt, n° 377). Ibid.,
1912, 80, p. i3o. Mk. 1.25.
I. Nous ne manquons pas d'histoires de la littérature française
parmi lesquelles il en est d'excellentes; celle de MM. Abry, Audic et
Crouzct me paraît être du nombre. Les auteurs ont voulu faire un
livre scolaire, un précis, mais cette intention n'ote rien à la valeur de
l'ouvrage, elle lui a simplement donné son cadre et sa forme exté-
rieure. Leur histoire est d'une information abondante sans confusion,
d'une documentation précise et nette. Elle a profité, sans en être
alourdie, de toutes les recherches de détail de l'érudition moderne et
s'est bornée à en présenter les résultats sous une forme brève, en
caractérisant le plus possible les auteurs par eux-mêmes et les œuvres
par des analyses ou des citations heureusement choisies. Un aperçu
de l'évolution de notre langue ouvre le volume, et cinq grandes sec-
tions, du moyen âge au xix^ siècle, embrassent l'histoire des produc-
tions littéraires. Chaque époque est précédée d'une introduction qui
en constitue comme le cadre politique et social et en indique l'orien-
tation générale, puis successivement en divers chapitres sont étudiés
les auteurs principaux, groupés par affinités de genre. L'exposé n"a
pas reculé devant une uniformité de plan qui avec ses divisions et
subdivisions facilitera l'étude, mais a su respecter la variété des
manifestations de notre vie littéraire : esquisse biographique de l'au-
teur, énumération de ses œuvres, traits saillants de son caractère,
son esthétique particulière, étude détaillée de son œuvre et de sa
langue, partout appuyée sur des textes précis ; enfin l'essentiel de sa
personnalité et de son action est ramassé dans une brève conclusion,
et une courte notice bibliographique fournit un premier complément
d'étude. D'un auteur à l'autre, d'une période à l'autre les traits mul-
tiples qui unissent ou séparent les hommçs et les livres ont été notés
avec soin. Il n'y a sans doute dans ce long exposé rien qui ne soit
connu, la matière a été si souvent étudiée qu'elle n'otÎTc plus guère
de point de vue nouveau, mais les auteurs ont su la présenter d'une
manière complète et attachante.
Il faut bien dire un mot de l'illustration, puisqu'elle constitue la
nouveauté extérieure de cette histoire. Elle concourt de son côté à la
454 REVDE CRITIQUE
documentation du livre. M. Crouzet qui s'est chargé de cette partie
et a rédigé les substantielles légendes accompagnant les gravures, n'a
voulu recourir avec raison qu'à des documents contemporains : por-
traits, scènes de mœurs, illustrations des éditions originales, fac-simi-
lés des auteurs (j'aurais souhaité ceux-ci plus nombreux), caricatures
même, il a groupé d'abondants et _vivanis témoignages de notre his-
toire des lettres. La Bibliothèque nationale avant tout, mais aussi
d'autres collections, musée Carnavalet, musée de la Comédie fran-
çaise, bibliothèques de Toulouse, d'Oxford, etc. ont été mis à contri-
bution. Les illustrations sont en général d'une bonne exécution ; elles
ont parfois le défaut d'être trop exiguës et de laisser perdre alors le
détail. Mais je ne voudrais pas que ce mérite du livre, parce qu'il est
plus nouveau ou plus apparent, fît tort à ses autres qualités et qu'on
ne remarquât de cette littérature que l'illustration '.
II. L'histoire précédente s'adresse surtout à nos élèves, celle de
M. Wright a été écrite pour des étudiants de langue anglaise. Elle
n'avait pas besoin du cadre commode des divisions et subdivisions,
elle pouvait se passer des analyses et des extraits, mais elle a tenu à
donner de l'évolution littéraire un exposé sans lacunes et rigoureuse-
ment enchaîné. Aussi a-t-elle soigneusement relevé tout ce qui se
rapporte aux origines d'un genre, tout ce qui prépare une orientation
diverse des esprits, tout ce qui explique une œuvre avant son appari-
tion ou la rattache à quelque tradition ou tentative du passé. Des
auteurs secondaires et des genres inférieurs sont traités par M. W.
avec une grande abondance de détails, alors que les auteurs de la Lit-
térature illustrée ont dû passer outre ou se borner à de brèves indi-
cations.
Le plan des deux livres est le même dans ses grandes lignes, étant
d'ailleurs celui qui s'impose. C'est dans la section du moyen âge que
naturellement l'érudition tient le plus de place. L'auteur a voulu
résumer les résultats des dernières recherches sur les questions d'ori-
gine, donnant sur l'épopée, le roman chevaleresque, le Renart, les
fabliaux, les hypothèses de Bédier, Jeanroy, Sudre et rappelant aussi
I. J'ajoute en note quelques menues remarques. P. 147, le 0 fier Artaban » est
un personnage du roman de Cassandre, non de Cléofdtre: p. 19g, il fallait nom-
mer la bulle Unigenitusy elle fit assez de bruit; p. 3o2, Huet était évêque
d'Avranches, non de Soissons, il avait bien été nommé à Soissons, mais le pape
ne confirma pas la nomination; p. 843, le Dialogue de Sylla et d'Eucrate est de
1745, non i-;48 ; p. 374, le XePeii de Rameau a été publié avant i8gi, déjà en
182 1 et la date décomposition est 1761, non ijô^ : p. 38o, l'encj'clopédie anglaise
de Chambers parut en 1728, non en i~2-\ p. 383, le titre du livre de Raynal est
incomplet; p. 418, le Barbier de Sévi lie fut d'abord représente en 1775, non 1777;
p. 433, Robespierre est né en 1758, non 175g et p. 436, C. Desmoulins est mort
S" '794i non / 7p.? ; enfin il faut lire p. 23, Lestine; p. 359, compliments : p. 38o,
Sellius; p. 431, crotales: p. 614, Lefebvre. au lieu de Lesiive, complément, Sel-
lins, cratales, Lefèvre.
d'histoire Kl DE LITTÉRATURE 455
les anciennes explications. 1 1 ;i piLScmc de la scolasiiquc, de l'érudi-
tion et de rhumanisme du xiii"^ siècle un tableau plus juste ou plus
Hattcur que celui qu'on est habitué à rencontrer. Le xvr siècle est
pour lui la préparation du rationalisme du siècle suivant et il a appro-
fondi en ce sens les théories et les œuvres, souligné la portée de
Ranius et expliqué par le menu la formation de la tragédie classique.
Le xvii" siècle, qui possède les préférences avouées de Fauteur, offrait
moins matière aux nouveautés, mais M. W. s'est appliqué à bien
séparer et caractériser les représentants complets du classicisme ; et
ici encore tout ce qui a été préparation des œuvres essentielles,
comme pour les prédécesseurs de Corneille et de iMolière, a été étudié
avec minutie. Aux philosophes la principale place a été faite dans le
xviiie siècle, depuis Bayle jusqu'aux moindres contemporains de la
Révolution. Le xix" siècle a été plus sévèrement jugé. Déjà pour
Rousseau M. W. avait été peu indulgent, soulignant à l'excès la
« folie » ; mais il est plus dur encore pour Chateaubriand, pour
Hugo, pour le théâtre romantique et le roman naturaliste. Nous ne
le chicanerons pas sur ces appréciations qui d'ailleurs sont formulées
partout avec beaucoup de réserve. Ce qu'on demande à un pareil
livre, c'est qu'il soit d'une information abondante et sûre, qu'il ne
néglige pas les cntours d'une question et signale les attaches loin-
taines des idées et des œuvres. M. W. Ta fait partout avec la plus
grande attention. Son index de 25 pages avec plus de 2,000 noms est
déjà une preuve extérieure de la richesse des matériaux accumulés et
pour la mise en œuvre il a su s'entourer des autorités les plus
sérieuses, comme l'atteste l'importante bibliographie, en partie cri-
tique, jointe à son livre (p. 881-937), et je n'aurais dans la partie spé-
ciale correspondant aux divers chapitres de l'ouvrage que peu de
livres essentiels à signaler pour la compléter.
La plupart des histoires générales de la littérature s'arrêtent à la frn
du xix'^' siècle. M. W. a voulu donner au moins un aperçu des ten-
dances du XX'' et s'il a renoncé à ordonner la matière assez confuse de
notre dernière production littéraire, il a du moins dressé un réper-
toire alphabétique des auteurs contemporains et de leurs œuvres
essentielles. Même sous sa forme concise cette dernière partie sera
utile, et dans l'ensemble, son livre, écrit pour les étudiants américains,
leur sera un précieux instrument de travail. Il pourra aussi être con-
sulté par les nôtres avec fruit sur certains points, et partout ils trou-
veront signalés plus abondamment qu'on ne l'avait encore fait des
rapprochements de notre histoire littéraire avec la littérature anglaise
ou américaine '.
-■■ — . . -■..-,, .-— — — - — ■ ■ ■ ^
I . P. 57, Innocent IVe&t mis pour Innocent IH; ibid., les dates de Villehardouin
sont en général données 1164-1219, au lieu de 1 1 5o-i 2 1 2\ p. 436, écrire : une
morale nue apporte, au lieu de nous apporte ; p. 3o8, le juif du procès de Vol-
taire à Berlin s'appelle Hirschel, non Hirscli ; p. 555, Babœuf fut exécuté en 1797,
456 RlîVLK LlUTIQUE
III. Le manuel de M. Padovanicsi un simple livre de vulgarisation.
Très éloigné d'avoir la valeur des deux ouvrages précédents, il ren-
seignera sutlisumnvjnt le public scolaire italien sur notre histoire
littéraire. L'auteur s'est arrêté au.\ leuvres principales, il a brièvement
mentionné les autres et rejeté en note toute la partie biographique.
On aurait souhaité souvent plus de précision, moins d'épiihètcs lau-
datives et de redondances d'expression; pourquoi tant de mots vides
quand la place est si mesurée? Il y aurait aussi sur la manière dont
certains auteurs otii été présentés, comme Corneille, Molière, La
Fontaine, Rous'-cau, bien des réserves à faire. Toute la seconde moitié
du xix" siècle et le chapitre des contemporains ne sont guère qu'une
avalanche de noms et de titres d'ouvrages : au moins n'eût-il pas fallu
les estropier, comme il est trop fréquemment arrivé. La bibliogra-
phie a été volontairement écartée, mais on n'aurait pas dû renoncer
à l'indispensable index '.
IV. La seconde édition du livre de MM. Cury et Boerner offre
quelques compléments de détail, en particulier pour le xix'= siècle,
sans éviter toutefois le défaut ordinaire de ces revues hâtives, la sèche
énumératioa de noms et d'œuvres. Dans l'ensemble la sévérité de
certains jugements a été adoucie; parfois même, comme pour La
Bruyère, Lesage, Zola, les auteurs ont retourné leur opinion. Mais
le principal changement consiste dans la forme qui était vraiment
trop imparfaite. M. Berret, qualifié dans la préface du Docteur cfEtat,
a fait la toilette du style pour les xvn' et xviii'= siècles et aussi apporté
dans l'exposé plus de précision et un sens des nuances qui manquait
trop aux deux auteurs. 11 aurait été à souhaiter que les autres parties
eussent été aussi scrupuleusement revues; les germanismes et les
vulgarités d'expressions y sont encore trop nombreux, et on en est
d'autant plus surpris que l'un des deux auteurs est Français \
non en rjqfj: p. 619, Chateaubriand écrit de Biionaparte; écrire p. 52, Reims,
p. 496, Dutresny; p. 927, Benrubi; p. 664, masquer, au lieu de Rheims, Diifresne,
Bernubi, marquer; il y a enfin pp. 227, 457, 460, 466 et 701 des vers mal cités ou
faux.
1. P. 128, Descartes n'est pas né à La Flèche; p. i52, les dates pour M^^ de Vil-
ledieu sont 1532-1692, non 1640-1683 ; p. 164, on ne peut appeler les comé-
dies de Regnard des vaudevilles; p. 267, Cirey n'est pas près de Paris; p. 3i4,
Mnie de Tencin est née, non en i63o, mais en 1682; p. 35r, M'"" de Staël ne
s'est pas convertie au catholicisme; p. 37g, on sait que le Cromwell de V. Hugo
ne tut pas représenté. Que de noms niai transcrits I Bercheurè, M^^^ Poulet, Mère,
Protélisas, Mourion, Pixéricourt, M"»' Testu, Séru^ier, etc., pour Bersuire,
M"° Paulet, Méré, Protésilas, Monrion, Pi.\erecourt, M"" Tastu, Serurier; de même
pour les titres d'ouvrages : le dernier Abencerange, l'Enfant d'un siècle, Rouge
et noir, les Jeux qui s'ouvrent, le Repos du lion, la course du flambeau, etc., etc.
2. P. 72, Montaigne ne s'est pas largement servi du gascon; p. 226, les Lettres
philosophiques de Voltaire ne parurent pas qu'en anglais; p. 282, Lamartine est
aujourd'hui bien loin d'être oublié; p. 370, observation singulière sur le manque
d'histoikk kt uk littérature 457
V. M. F"lakc nous offre aussi une histoire do noire littérature, mais
envisagée dans un seul genre, le roman et la nouvelle. Le mot est
pris naturellement dans son acception la plus large et l'étude embrasse
les chansons de geste, les romans de chevalerie et les fabliaux. L'au-
teur s'est préoccupé de préciser la conception française du roman aux
ditférents moments de son évolution, l'effort successif des romanciers
pour parvenir à une forme d'art serrant de plus en plus près la réalité.
Comme un étranger est amené à illustrer ce point de vue particulier
par un rapprochement fréquent avec les habitudes des écrivains natio-
naux, c'est dans cette comparaison entre les idées, les sentiments, les
principes littéraires et le milieu social de la France et de l'Allemagne
que réside pour nos lecteurs l'intérêt de cette esquisse. Elle est brève,
puisqu'elle devait adopter le cadre modeste de la collection où elle
paraît, elle a omis volontairement beaucoup de noms, mais en s'arrê-
tant assez longuement aux œuvres les plus représentatives et aux
auteurs les plus originaux (Lesage est cependant trop sacrifié, p. 66),
elle donne de l'évolution d'un des aspects essentiels de notre litté-
rature une analyse approfondie et bien conduite. Surtout pour le
xix« siècle les théories littéraires qui ont déterminé une orientation
nouvelle du roman, tour à tour romantique, naturaliste, impressio-
niste ou psychologique, ont été caractérisées d'une manière sobre,
mais précise '.
L, ROUSTAN.
Gaston Mw, La lutte pour le français en Lorraine avant 1870, Paris, Berger-
• Lcvrault, igiS, in-8°, 214 p.
La substantielle étude de M. Mav, presque exclusivement fondée
sur des documents d'archives, offre un réel intérêt de nouveauté. Il y
a d'abord exposé ce qu'était la Lorraine allemande, c'est-à-dire, dans
l'ancien département de la Moselle les arrondissements de Thion-
ville. Sarreguemines et Metz, et pour la Meurthe ceux de Sarrebourg
de plan dans les volumes de critique de Sainte-Beuve; p. 385, le Molièriste a
cessé de paraître en 18S9. Il faut écrire p. G7 isnel (de l'allemand scliriell); p. 91,
154S; p. i83, Nemours; p. 22.0, collège de Clermont; p. 229, son Commentaire;
p. 223, l.auraguais ; p. 243, Winzenried ; p. 273, de Barante ; p. 333, de Croisset;
p. 348, omnibus; p. 383, Gandar, au lieu de : isiiel, 164H, Namotirs, lycée Loiiis-
le-Grand, ses Commentaires, Laiiragais, Win^iiiried, Barante, de Croiset, fiacre,
Gaiidar. — Je ne peux pas relever tous les germanismes ou les fautes de français,
mais voici un échantillon d'analyse (il s'agit de la pièce de Richepin, p. 332) :
« un chemineau qui retrouve un fils naturel issu de ses amours avec une jeune
fïUe qu'il a séduite, l'aide à conquérir celle qu'aime ce fils naturel ».
I. P. 26, Isengrin n'est pas Voiirs du roman de Renart: p. 44, d'Urfé est né en
1567, non en i56S; écrire p. 45, Polexandre; p. 56, Secondât; p. 112, Coppée
au lieu de Polalexandre, Secondât, Coppé ; et corriger le Ncveu.v de Rameau, les
Veillées de château, le maître des forges.
^58 REVUE CRITIQUE
et do Cliàtcau-Salins, compiciuint les uns ci les autres une population
très fiaiisaisc de cœur, mais allemande par la langue ; une carte d'après
This fixe la frontière linguistique. Nous aurions aime recevoir quel-
ques précisions sur le dialecte parlé dans la région, mais l'auteur se
contente peu scientifiquement de le qualifier d'après les rapports de
nos administrateurs de « jargon germanique » ou d' '< affreux patois ».
Il est vrai que M. M ne s'était pas propose une étude linguistique ou
ethnographique; il a voulu simplement exposer les efforts tentés
pendant cent ans pour réaliser l'unité nationale par la langue dans
les marches de l'Est. Au xviii" siècle les ducs de Lorraine se mon-
trèrent assez indifférents à cette question ; le dernier prit cependant
une mesure d'une sage prévoyance : ledit de 1748, œuvre sans doute
de la Galaizière, affirmait nettement la nécessité de hâter l'unité poli-
tique et linguistique. Les assemblées de la Révolution eurent une
pleine conscience de leur devoir de rattacher plus étroitement ces
populations à la France et au nouveau régime; M. M. a relevé et
commenté les divers décrets de la Constituante et de la Convention,
les rapports de Barère et de Grégoire. Mais les moyens d'exécution
et le personnel nécessaire manquaient, et les administrateurs dépar-
tementaux, comme plus tard les préfets du Consulat et de l'Empire et
dans la suite les représentants du pouvoir central, trouvèrent devant
eux l'hostilité ou franche ou déguisée du clergé local qui voyait dans
la propagation du français une menace pour la foi religieuse et une
diminution de son autorité . Les mesures ou les intentions des organes
du pouvoir central sous les divers régimes qui se succédèrent jusqu'à
la chute du second Empire, le rôle des assemblées locales en général
unanimes à soutenir la cause du français, les efforts parfois incohé-
rents et parfois méthodiques et tenaces de l'administration universi-
taire ont été présentés séparément. Cet examen de la question repris
par trois fois dans l'étude de M. M. pourra surprendre, alors que
l'ordre chronologique eût été simple à suivre; il eût en tout cas évité
à l'auteur beaucoup de redites. 11 a voulu sans doute conserver à
l'agent le plus dévoué de la lutte pour le français toute son impor-
tance en présentant un tableau d'ensemble de son activité. Ce furent
en effet de modestes fonctionnaires, comme l'inspecteur d'académie
Maggiolo, l'inspecteur primaire Creutzer, qui réussirent par l'intro-
duction d'une méthode d'enseignement appropriée, par un habile
ménagement des autorités religieuses, à assurer le triomphe du fran-
çais dans la Meurthe; pour la Moselle l'échec fut à peu près complet.
En lisant la consciencieuse enquête de M. M. on regrettera avec lui
que les tentatives de tant d'esprits clairvoyants n'aient pas été mieux
encouragées par les pouvoirs publics, et on sentira aussi ce que pèse
exactement l'argument que les vainqueurs ont tiré de la langue pour
justifier leurs prétentions sur une partie de la Lorraine.
L. R.
d'histoire et de littérature 459
Johannes Bramis' Historia régis Waldei, hcrausgepcbcn von Rudolf Imel-
MANN, Hoiiii, Hiuistciii, 11)12, in-8", 272 pp. [Boiincr Studien zur Englischen
philologie, IV).
C'est à la Bibliothèque de Corpus Chrisii Collège, Cambridge,
que l'on conserve le manuscrit que vient d'éditer M. Rudolph Imel-
mann. Le Waldens dont Johannes Bramis raconte les exploits, n'est
autre que le Waldef ou Waldeof, héros d'un poème anglo-normand
et sans doute aussi d'un poème anglais disparu. Le clerc qui a rédigé
en un latin médiocre l'histoire du roi Waldcus et de ses fils, connais-
sait la littérature de son temps; il y puisait même à pleines mains,
ce qui permet à M. R.-J. d'écrire un copieux chapitre sur les
« sources » de son auteur. C'est ainsi que l'on retrouve chez ce lointain
prédécesseur de Marlowe, jusqu'à l'histoire de Héro et de Léandre.
— L'impression est bonne, les notes de l'éditeur sobres.
Ch. B.
— M. Cari von Kraus, qui est un des plus distingués parmi les germanistes
allemands de la nouvelle génération, a donné dans la Germanische Bibliothek,
publiée par M. Streitberg, un Mittelhochdeutsches Uebtingsbuch (Heidelberg,
Winter, 1912, 3, 40 m.), que recommandent de nombreuses qualités. C'esi un
recueil de textes du moyen-haut-aliemand destiné aux exercices de « séminaire ».
L'auteur s'est proposé de mettre l'étudiant en présence de textes établis exacte-
ment d'après certains manuscrits, et non de « vulgates », qui laissent le lecteur
ignorant des conditions de transmission des œuvres anciennes. Grâce à ce recueîl,
il sera possible de faire des études philologiques très précises sur la langue des
auteurs dont les œuvres sont reproduites ici en extraits. — V. P.
— Que faire pour acquérir une prononciation parfaite de l'allemand? S'astreindre
à lire le Deutsches LesebucJi in Laiitschrift dont M. Wilhelm Vietor, le phonéti-
cien bien connu, publie chez Teubner (Leipzig, 1912, 3 m.) la deuxième partie.
La notation graphique, qui est celle que M. Paul Passy a mise en honneur,
signale toutes les difficultés de la prononciation. En lisant et en étudiant les
textes transcrits, on est assuré de ne point faire d'erreur, ni de qualité ni de
quantité. Il est entendu, naturellement, que le lecteur du livre de M. Viëtor sera
préalablement instruit du caractère articulatoire des signes employés ici. — F. P.
Publications Scandinaves. — D'AdoIt Noréen les fasc. 2 du vol. III et 6 du vol. V
de sa « Grammaire du suédois moderne w (Vârt Sprâk. Gleerup à Lund. Pr. i Kr. 25
le fasc.j. Les vol. I contenant l'Introduction générale, II la phonétique descriptive
et V la Sémantique, sont donc maintenant achevés. — Dans les « Meddelanden
frân nordiska Seminariet >> (Uppsala, 1912;. MM. Oskar Lundberg et Hans Sper-
ber publient une étude très documentée sur le nom de lieu « Hârnevi », qui témoi-
gnerait d'une divinité païenne ignorée des mythes eddiques : Hœrn, qui serait, à
ce moment de son dcxeloppemcnt, la déesse de la terre accouplée au dieu de la
fécondité, UU, et dont le culte aurait été célébré chaque printemps dans un champ
sacré. Mais M. H. Sperber estime, d'après l'étymologie de son nom, qu'elle dut
être primitivement la « déesse du lin » représentée par la dernière gerbe. —
M. Torleiv Hannaas édite dans les « ^Eldre norske sprogminder » que publie la
460 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
Commission des sources âc l'Histoire de la Norvège (Kristianiâ, Grœndahl. 191 1)
I, le commencement d'une petite grammaire norve'giciuie et un Recueil de pro-
verbes norvégiens jusque lii inédits, et tioin il croit que le manuscrit doit remonter
à 1625. Son auteur, inconnu, eût vécu quelque part dans la région de Vcst-Agder;
II, Un glossaire du 'l'clemark occidental de la lin du xvii' siècle particulièrement
précieux pour tuus les rcnSeigneinents qu'on y trouve sur les mœurs et coutumes,
les anciennes croyances et la vie populaire en général. — Le vol. V des Islandica
(Ithaca, Ne\v-York, 191 2) contient la Bibliographie par Halldôr Hermannsson des
sagas tnythiques et héroïques connues depuis Rafn sous la dénomination com-
mune de « Fornaldarsogur », c'est-à-dire des sagas dont le sujet remonte aux
temps antérieurs à la fondation du royaume de Norvège et à la colonisation de
rislande, mais qui n'ont été rédigées que dans la seconde moitié du xiir et au
commencement du xiv siècle. — Dans la douzième année de la Revue de philolo-
gie néo-suédoise (Sprâk och Stil, Uppsala, 19 12) il y aurait à signaler un curieux
article de A. W. Munthe sur a Les yeux des animaux dans leur emploi hguré pour
les yeux de l'homme » chez les auteurs suédois contemporains; une étude d'Oloj
Gerdman sur « L'allitération vocale», de Ruth Hedvall sur « Le style de l'œuvre
lyrique de Runcbcrg ». — Le CV^ vol. des publications de la « Svenska Litiera-
tursâllskapet i Finland » (Helsingfors, 1912) donne, outre les procès-verbaux des
séances de l'année 191 i, différentes études dont une particulièrement importante
deV. T. Rosenqvist sur» Le psautier de Lars Stenbâk », auquel collaborèrent, de
i85i à i8(52, Bengt Olaf Lille et J. Lud. Runeberg. —Le CVI«est tout entier rempli
par des extraits de la « Correspondance entre J. Grot et P. Pletnjov » (Helsing-
fors, 1912), tous deux professeurs de langue et littérature russes, le premier à
l'Université de Helsingfors, le deuxième à celle de Saint-Pétersbourg. Ces extraits,
qui s'étendent du 18 juin 1840 au 5 décembre 1842, sont une véritable mine de
^enseignements sur l'état politique et littéraire de la Finlande à cette époque. —
Léon Pineau.
Académie DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 22 novembre i g 1 2 .
— M. le Secrétaire Perpétuel comiuunique les lettres par lesquelles MM. H. -Fran-
çois Delaborde, Fougères, Ch. Kohler, Paul Lejay, Emile Mâle, Paul Monceaux
posent leur candidature à la place de membre ordinaire vacante par suite du décès
de M. Philippe Berger.
M. Henri Cordier communique le télégramme suivant du commandant Tilhc,
daté de N' Guimi, 3i octobre : « Arrivée Tchad excellente santé après 4 mois
voyage Congo, Oubanghi et Chari ; saison des pluies causa quelques dégâts à mon
matériel... »
M. Cordier communique ensuite une lettre du commandant E. Devedeix, daté
d'Abouroi, frontière de l'Ouaddai, territoire du Tchad, 10 septembre. Très malade
dès son arrivée, l'explorateur n'a pu encore commencer ses recherches. Il a fait
fouiller sans résultat le Kaga d'Ardibé (amas de roches et de grottes); mais il en
reste plusieurs autres plus importants à explorer, surtout la grotte d'Allah, aux
environs d'Aouni.
Léon Dorez.
L' imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon,
Le Puy-eu-Velay. — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 50 — 14 décembre. — 1912
Jesperskn, Eléments de phonétique, — Kaui.crkn, Le génélif pluriel en serbe. —
Van Wuk, Dictionnaire étymologique du néerlandais. — Mansuy, Le monde
slave et les classiques français aux xvr et xvii« siècles. — Maugras, Delphine de
Sabran, marquise de Custine. — Riiuss, Hitoire d'Alsace. — Cliîdat, Diction-
naire étymologique de la langue Française. — VEy, Le dialecte de Saint-Etienne
au XVII' siècle. — Léo Claretie, La Roumanie contemporaine. — Calonna-
Beaufaict, Etudes Bakango. — Von TnilTER, Souvenirs, 1870-71. — Académie
des inscriptions.
O. Jespersen Elementarbuch der Phonetik, Leipzig et Berlin (chez Teubner),
1912, in-8°, V1-187 p.
Ce petit livre est une sorte de résumé du manuel de phonétique
publié par Tauteur ; il renferme l'essentiel de ce que doivent — ou
devraient — savoir de phonétique toutes les personnes qui s'occupent
de langues, soit qu'elles les étudient théoriquement en linguistes,
soit qu'elles aient charge de les enseigner. Les langues auxquelles
des exemples sont constamment empruntés, sont l'allemand, l'an-
glais et le français, de sorte qu'il est facile à tout Européen d'ob-
server les faits cités; l'auteur ne recourt à d'autres idiomes que là où
Tune au moins des trois langues ne fournit pas les illustrations
nécessaires.
Le nom de M. Jespersen est trop connu pour qu'il y ait lieu de dire
sa haute compétence ; il se rattache à l'école anglo-scandinave de pho-
nétique, mais il garde sur tous les points une grande indépendance de
jugement. Son exp'osé, toujours clair malgré sa densité et malgré la
masse des indications données sous un petit volume, provient partout
d'observations et de réflexions personnelles. On regrettera l'absence
de toute figure, qui donne à l'ouvrage un caractère un peu abstrait;
l'auteur compte que le lecteur observera par lui-même ; mais une
représentation des organes de la parole et des figures représentant la
position de la langue pour les différents phonèmes semblent indis-
pensables dans un précis tel que celui-ci.
M. J. se place surtout au point de vue des trois langues principales
qu'il cite; ses affirmations sont parfois un peu trop générales et pour-
ront induire en certaines erreurs les lecteurs qui ne sont pas familiers
avec d'autres langues. Ainsi, p. 89, il enseigne que les diverses classes
de consonnes occlusives qu'il décrit s'opposent deux à deux et que
chaque langue en a seulement deux; ceci est vrai de l'allemand, de l'an-
glais et du français; mais le grec ancien par exemple et la plupart des
Nouvelle série LXXIV 5o
462 RI VUE CRIIIQIE
parlers de l'arménien moderne ont trois séries bien distinctes : sourdes
simples, sourdes aspirées ci sonores; et le sanskrit avait quatre séries.
La prononciation aspirée de p, t, k est un caractère remarquable des
langues germaniques; mais elle n'est pas aussi rare en dehors de ces
langues que M. J. paraît l'indiquer : sans sortir des langues indo-
européennes, on l'a observée en toscan, et elle est courante dans les
parlers arméniens.
M. .1. a une connaissance profonde des langues qu'il utilise : il cède
trop au goût de certains phonéticiens pour les prononciations vul-
gaires quand il admet, p. 79, qu'une prononciation lé:{ariko de les
haricots est générale chez les gens cultivés; elle me choque vivement,
et je ne l'ai entendu employer dans la bourgeoisie que par plaisanterie,
Si l'on a quelque chose à regretter dans cet excellent petit livre, c'est
que tout y soit mis au même plan et que les choses essentielles n'y
ressortent pas assez. Une prononciation de 1'/ de l'allemand solch,
qui est un simple accident dû au ch suivant, occupe exactement autant
de place que 1'/ normal du français et de l'allemand, qui est un pho-
nème de première importance et qui a une existence autonome. Ce
défaut est sensible dans les trois petites esquisses d'ensemble des pro-
nonciations allemande, anglaise et française par où se termine le
volume; les détails en sont exacts; mais on ne voit pas qu'aucun
caractère soit subordonné à un autre, ni qu'aucun apparaisse plus
important que les autres. Le rôle tout différent de l'accent d'intensité
en français, d'une part, en allemand et en anglais, de l'autre, est l'un
des caractères essentiels qu'il aurait importé de mettre en évidence;
la prononciation des occlusives sourdes et sonores en est un autre;
au contraire, les voyelles nasales, si importantes qu'elles soient, ne
sont qu'un détail et pourraient disparaître sans altérer de manière
décisive le système phonétique du français.
A. Meillet.
4
A. Karlgren, Sur la formation du génitif pluriel en serbe. Upsal (chez Appel-
herg),igii^in-8°,bop. (Archives d'études orientales, publiées par Lundel],vol. III).
Le serbe présente au génitif pluriel une voyelle longue finale qui
ne remonte pas au slave commun et qui est de création proprement
serbe. C'est l'une des innovations par lesquelles les dialectes slaves
ont tenté de résoudre la difficulté où les mettait l'amuissement de la
voyelle finale qui caractérisait le génitif pluriel slave commun. Après
avoir discuté avec soin les hypothèses déjà émises et avoir montré
qu'on ne saurait s'y tenir, M. Karlgren propose une explication entiè-
rement neuve et très ingénieuse qui ne saurait passer pour démontrée,
mais qui a le mérite d'être admissible. La dissertation est correctement
écrite en français, et les faits y sont exposés d'une manière sobre et
méthodique.
A. Meillet.
d'histoire et de littérature 463
N. van WuK, Franck's Etymologisch Woordenboek der Nederlandsche
Taal. Tweede Jruke. La Haye chez. M. Nijhotl , nj ki-mji 2, iii-S», xvi-Stjy p.
Le dictionnaire étymologique du néerlandais dont la première
livraison a déjà été annoncée ici a tenu les promesses du début. M. van
Wijk est arrivé avec une remarquable diligence au terme du grand
travail qu'il avait entrepris, et l'ouvrage est vraiment réussi. Bien que
paraissant encore sous le nom de l'auteur d'un dictionnaire étymo-
logique du néerlandais paru en 1892,11 s'agit en réalité de l'œuvre
personnelle de M. van Wijk.
Le dictionnaire est du même type que celui de M. Kluge pour
l'allemand; mais il en est aussi indépendant que possible et repose
sur des dépouillements nouveaux. L'auteur y indique l'origine des
mots les plus récents; il va plus loin que M. Kluge qui ne parle pas
de mots comme Meter. Mais, pour autant qu'il s'agit de vieux mots
germaniques, il donne avec soin les rapprochements avec les autres
langues indo-européennes. Les articles sont précis, clairs et laissent
voir nettement les opinions de l'auteur. On y trouve très peu de
renvois bibliographiques; mais toute personne au courant de l'éty-
mologie des langues indo-européennes verra aisément que M. v. W.
connaît les travaux les plus récents et en tire parti. Il est en général
très prudent; il indique souvent plusieurs possibilités ou s'abstient
de toute indication; parfois même on peut trouver certaines réserves
excessives ; ainsi à propos de vaars, on ne voit pas pourquoi M. v. 'W.
doute du rapprochement avec le sanskrit prthiikas, et à propos de
vaden, pourquoi il met un point d'interrogation au rapprochement
avec l'avestique pavana.
Le principal regret qu'on éprouve, c'est que la part faite à l'éiymo-
logie indo-européenne soit peut-être un peu trop grande aux dépens
de l'histoire proprement dite des mots. On n'en saurait faire grand
grief à l'auteur : l'étymologie indo-européenne est chose à peu près
faite, et où l'on peut s'appuyer sur des ouvrages antérieurs; au
contraire l'histoire des mots supposerait des monographies qui n'ont
pas été faites pour la plupart. Le vocabulaire des langues modernes
de l'Europe pose un grand nombre de problèmes qui sont les mêmes
pour beaucoup de ces langues et que l'auteur du dictionnaire étymo-
logique d'une langue particulière ne saurait étudier dans le détail.
Les recherches sur l'histoire des mots du vocabulaire européen depuis
l'empire romain jusqu'à l'époque moderne sont très difficiles et sup-
posent des connaissances étendues; mais tant qu'elles ne seront pas
faites, les auteurs des dictionnaires étymologiques en seront réduits,
comme M. v. W., à donner à l'étymologie indo-européenne une place
un peu exccessive.
Voici quelques critiques de détails : sous vak, M. v. W. rappelle
l'arménien hoc; mais le vocalisme o du mot arménien reste énigma-
tique. Sous gouw, il cite, peut-être avec raison, arménien gavai\
4t>4 REVUE CRITIQUE
avec un ;• tinal spécial qu'on transcrii par r surmonté d'un point ;
une faute d'impression en a tait gavai. Sous sik, il était inutile de
citer le russe dikij ; et surtout il ne fallait pas citer le lituanien dykas,
qui est à peu près sûrement emprunté au slave.
A. MlClLLET.
Abcl M.\.ssi Y, Le monde slave et les classiques français aux xv!"" et xvii"" siècles.
Paris, Champion, 191 2, iii-8", p. 493. Fr. 10.
La série des quatorze articles de ce livre, sans doute déjà publiés
dans des revues (je ne vois pas d'autre excuse aux abondantes redites)
présente une histoire de nos relations accidentelles avec la Pologne,
car il n'est guère question que d'elle. Polonais attirés par la France ou.
Français émigrés en Pologne, M. Mansuy nous les a fait connaître,
souvent en puisant àdes sources inaccessiblesaux non slavistes. Parmi
les premiers, Jean Kochanovski, un admirateur de Ronsard, venu à
Paris en i556 pour voir son héros, et qui tint à venger son pays des
dédains de Desportes ; ensuite les Sobieski, le père hôte aussi de
Paris en 16 10 et les deux fils en 1646-47 ; le journal de voyage du
premier était connu, celui du précepteur des fils, Gawarecki, que cite
M. M., paraît assez insignifiant. Un représentant polonais (son nom
est pourtant allemand) de la poésie légère et précieuse du xvn^ siècle
est André Morsztyn, traducteur du Cid, qui, en i683, vient en France
et s'y fixe sous le nom de comte de Châteauvillain. Plus nombreux
et plus familiers à l'auteur par leur orgine sont les Français qui
devinrent les hôtes de la Pologne. D'abord dans le groupe d'Henri III
Desportes qui jugea sévèrement, mais d'une vue juste, les nouveaux
sujets dé son roi ; puis la duchesse de Nevers, Marie-Louise de
Gonzague, devenue reine de Pologne en 1 645, et dans son train, Saint-
Amant, l'admirateur le moins réservé des Polonais, qui se déguisa
pendant huit mois en un pittoresque Saint-Amantsky. La France
donna encore à la Pologne une seconde reine dans Marie-Casimire
de la Grange d'Arquien, qui épousa en i665 Sobieski; la correspon-
dence amoureuse du vainqueur des Turcs transformé en Céladon est
une des illustrations les plus curieuses de la persistance de nos goûts
et de nos modes littéraires à l'étranger. De tous ces personnages et
d'autres encore M. M. a parlé avec d'amples détails; mais s'il s'est
attardé plus que de raison au passé de ses héros, en glissant plus vite
que nous n'aurions souhaité sur leur nouvelle vie, il faut songer que
son livre s'adresse aussi au public polonais qui lui saura gré de toute
cette information plus neuve pour lui.
En dehors de ces agents directs assez rares en somme d'une influence
intermittente entre Slaves et Français, l'auteur a relevé chez nos
classiques quelques passages intéressant la Pologne, et il les a com-
mentés avec une minutie ingénieuse, pour que nous puissions
apprécier la véritable valeur d'une documentation qu'on est disposé
D HISTOIUK El 1)1'. l.irrKRA I IRE 40?
à juger précaire, tant elle porte sur des ubjeis lointains. Ce ne sont
souvent, il est vrai, que de minces détails qui ne valaient peut-être
pas une enquête aussi nourrie : quelques mots échappés à Rabelais,
à Montaigne, à Montluc, à Brantôme, un passage d'une fable de La
Fontaine, un souvenir dans une lettre de Racine ont servi de prétexte
à l'auteur pour nous prouver quelles menues précisions se cachent
sous des affirmations que nous aurions laissé passer avec inditierence.
Tout cela est instructit, neuf souvent, toujours piquant, mais eût
gagné à être resserré et Fauteur a vraiment trop battu les buissons.
Pourquoi nous analyser VAttiîa de Corneille ? J'aurais compris qu'il
nous parlcit du V\'iiceslas de Rotrou que j'ai vainement attendu et
avec qui nous restions du moins en Pologne. Les plus substantielles
de ces études sont celles qui concernent Pascal . La question du plagiat
des expériences sur le vide dont on accusa le P. Valeriano Magno a
été examinée avec un soin scrupuleux et à l'aide de documents inédits. :
M. M. s'efforce de prouver que l'érudit capucin, d'ailleurs autant
diplomate que physicien, a dû, malgré ses dénégations, être au cou-
rant des expériences de Torricelli et qu'il a pu être assez rapidement
informé de celles de Pascal à Rouen pour essayer de prétendre à
l'antériorité de la découverte. La question très embrouillée n'est pas
entièrement tirée au clair, mais ce chapitre où l'auteur a bien présenté
l'entourage savant et janséniste de Marie-Louise, mérite d'être signalé
à l'attention des Pascalisants. Un autre intéressera les Bossuetistes
pour l'histoire des tentatives de Bossuet s'efîorçant de réaliser l'unité
de l'Eglise chrétienne. Le livre, d'un intérêt si varié, plein de détails
nouveaux, trop noyés seulement au milieu d'une information connue
et de seconde main, est écrit avec beaucoup d'agrément, mais non
sans quelque recherche, et il ne nianquera pas d'amuser les Po-
lonais '.
L. ROUSTAN.
Delphine de Sabran, marquise de Custine, par Gaston Maugras et le comte P.
DE Croze-Lemercier. Paris, Pion, r(ji2. In-S", III et bj6 p. 7 fr. 5o.
Ce gros et lourd et massif volume est l'œuvre de M. Maugras plu-
tôt que de M. de Croze, mort « au cours du travail », et M, M. n'a
pas réussi à fixer la physionomie de M"^'^ de Custine qui reste incer-
taine et vague.
Ce qu'il fallait nous donner, c'était, non pas une étude soi-disant
I. P. 78, d'Aubray est oublié parmi les auteurs de la Ménippée ; p. i34, sans
doute i63i, au lieu de / ^^7, Gustave-Adolphe était alors mort depuis cinq ansj
p. 157, que signifie Laumbourg en Prusse royale à la date de 1646 ? Lire p. 96,
Bâdecker ; p. 147, je la fus voir: p. 168, le Neckar ; p. 171, Varsovie; p. 278,
Schlôzer ; p. 369, Julie d'Angennes ; p. 401, Montbéliard ; p. 424, Saint-Jeun de
Losneaulieu de Bcdecker, Jis, Nectar, Varmie, Schloet^er, Lucie. Montlièliard,
Losme. Des ouvrages latins et des vers latins mal transcrits ou taux (pp. 41,46,
249, 282) et un vers français faux, p. 322.
406 REVUE CRITIQUE
historique, mais une pénétrante étude de psychologie. M""' de Cus-
tine touche un peu à la grande histoire ; elle était la belle-fille du géné-
ral — et il lui sera beaucoup pardonné parce qu'elle assista intrépi-
dement son beau-père devant le tribunal révolutionnaire — elle fut
une des prisonnières de la Terreur, elle aima Chateaubriand. Toutefois,
c'est, avant tout, une amoureuse, et l'on aurait dû nous la présenter
de ce point de \ue. On ne voit pas assez comment cette « reine
des roses » va de passionnettc en passionnette et de passion en pas-
sion, comment elle arrive quelquefois à se donner par calcul, com-
ment elle dédaigne ceux qui l'aiment sincèrement pour se jeter dans
les bras de ceux qui la regardent comme un jouet. M. M. a découpé
la vie de Delphine en tranches symétriques et il raconte l'existence de
son héroïne uniment, froidement, platement, sans chaleur ni émotion,
selon l'ordre des temps. Son récit se déroule comme une chro-
nique et ne s'anime que vers la fin lorsqu'il vient à parler de M'"<= de
Varnhagen dont il parle trop — car elle tient très peu de place dans
la vie de M""" de Custine — et dont il n'eût peut-être pas parlé si sur
ces entrefaites n'avait paru le volume de M. Spenlé.
L'ouvrage n'est guère qu'un recueil de lettres, qu'une suiie de cita-
lions. Encore, ces citations sont-elles d'une incroyable longueur. Que
de lettres il eût fallu abréger et résumer ! Que d'épisodes inutiles il
eût fallu supprimer ! Il semble que M. M. ait voulu à tout prix dépas-
ser ses cinq cents pages et faire coûte que coûte un Pion à 7 fr. 5o.
Ne sait-il pas qu'un historien doit non seulement chercher, trou-
ver, copier des documents, mais les assembler, les ranger, les choisir,
retrancher le superflu, donner l'essentiel? Ne sait-il pas qu'il faut com-
poser difficilement un facile récit? Ne sait-il pas que pour un pareil
sujet, il faut aussi quelque chose de fin, de délicat, de piquant ? ht
peut-être, en s'appliquant, M. M. aurait-il eu ces qualités. Mais il ne
s'est pas appliqué, et nous regrettons vraiment qu'il n'ait pas mis dans
son œuvre plus de mesure et d'élégance, plus de goût et d'agrément.
Sa prose même n'est pas très attrayante ni même très correcte et soi-
gnée. Il dit que Delphine *( travaillait la peinture » (p. 371), que, « cher-
chant avec conscience l'âme sœur, elle était dans un état d'àme inquié-
tant » (p. 372), qu'un incident « coupa court à la carrière de Chateau-
briand » (p. 38 1).
Chemin faisant, des erreurs petites et grandes.
P. 3i. Le mari de Delphine se prénomme habituellement, non pas
François, comme' l'a cru Sorel, mais Amand. M. M. dit toujours
Armand, mais je lui assure que c'est Amand '.
I. Je mets en note, pour l'édification des chercheurs, le peu que je sais sur
Amand de Ciisiine. Amand-Louis-Philippe-François de Custine (je n'ai pas la date
exacte de sa naissance) a commencé par être aspirant au corps royal (14 mars
1781), et il a eu la permission de suivre les cours de l'Ecole d'artillerie à Stras-
bourg, comme plusieurs jeunes gens de qualité, qui, sans se destiner.au corps
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATIRE 467
P, 6?. Le 5 octobre, dit M. M.. la populace <( massacre les gardes »;
mieux valait dire « des gardes».
P. 74. 11 est impossible que le « Troubadour » soit Victor de Bro-
glie qui n'a pas émigré à Bruxelles en 1790 et qui, ayant été guillotiné
en I 794, n'a pu reparaître à Paris en 18 14 (p. 471) '.
P. i3o. Au 20 juin, le peuple aurait, d'après M. M. « massacré tout
ce qui s'opposait à son passage » ; le peuple n'a rien massacré et il
n'y eut pas une seule victime dans cette journée.
P. i33. Dans la nuit du 9 au 10 août, la Commune a été proclamée,
comme dit M. M.; mais ce n'est pas dans cette nuit que le palais est
envahi et la garde suisse, massacrée.
P. 139. Custine ne commandait pas encore l'armée du Rhin au
I 5 octobre 1792.
P. 164-165. On pourrait croire d'après le récit de M. M., que
Francfort — qui fut repris le 2 décembre 1792 — a été repris en
avril 1793.
P. i65 . Il est inexact de dire qu'au 1 7 mai i 793, à Riilzheim, Cus-
tine fît une sortie puisque Custine n'était pas dans Mayence, et d'ail-
leurs il ne fut pas « écrasé ».
P. 166. C'est le 28 juillet et non le 2J qu'on apprit la capitulation
de Mayence et le i'^'' août, et non le 28 juillet qn'on apprit la capitu-
lation de Valenciennes.
P. 174. Custine ne fit pas arrêter, il menaça de faire arrêter le
docteur (ou plutôt le professeur) Hofmann.
P. 227. Une malencontreuse virgule fait d'un seul homme, Élie
Lacoste, deux personnages, Elie et Lacoste.
P. 269. Miranda, né à Caracas, n'était pas Péruvieti.
P. 270. Pourquoi dire le malheureux prince de Lambesc '?
royal, y commençaient leur éducation militaire et y obtenaient même, lorsqu'ils
avaient l'âge exigé, des lettres de lieutenant à la suite, en attendant d'être placés
dans l'infanterie ou la cavalerie. Lieutenant en second à la suite au corps royal le
22 janvier 1783, Amand de Custine devient trois ans plus tard, le 8 février 1786^
capitaine à la suite au régiment de la Reine cavalerie. Il obtient alors un congé
pour voyager et il en fait usage « pour visiter, comme lui-même l'a dit, en 1786
et 1787 les pays militaires de l'Allemagne et du Nord. » En 1788, il sert à Douai et
au camp de Saint-Omer comme aide-de-camp de son père. Du mois de juillet i 789
au mois de mai 1790, il est commandant de la garde nationale de Niederwiller.
1. Victor de Broglie est, en effet, colonel de Bourbonnais (depuis le i"' juillet
1783) lorsqu'il est nommé député du bailliage de Colmar et Schlestadt aux États-
Généraux ; secrétaire de la Constituante (10 novembre 1789), président de l'assem-
blée (14 août 1791), il est envoyé comme maréchal de carnp (28 novembre 1791)
dans la 5° division militaire et devient le 28 janvier 1792 chef de l'état-major de
l'armée du Rhin ; destitué le 17 août 1792, il est condamné à mort par le tribunal
révolutionnaire le 8 messidor an II ou 26 juin f 794.
2. Lire, p. v, Assing, p. 79, Starhemberg, p. 85, 86, 121, 173, Luckner, p. 174,
Hofmann^ p. 5oi, Schlosser, et non Assiing, Stahremberg, Lùckner, Hoffmayxn et
Schloffer.
468 REVUE CRITIQUE
P. 378 et ailleurs, l'auteur nous dit que Delphine était pauvre,
besogneuse, qu'elle se dcbauaii dans les soucis d'argent, qu'elle obtint
grâce à Fouché une grande partie de ses biens confisqués, qu'elle
acheta le château de Fervaques, quelle fit de longs et coûteux,
voyages; mais tout cela aurait pu cire plus clairement, plus ample-
ment explique et le lecteur se demande ce qu'elle a recouvre du
domaine de Niederwiller et des 28,000 livres de rentes apportées par
Amand de Custine.
P. 428 et 433, Delphine est-elle morte de son amour pour Chateau-
briand ? La fin de sa vie fut-elle « troublée par les regrets, tourmen-
tée par la jalousie et le vain espoir de ramener un jour l'infidèle? »
M. M. nous dit lui-même que dès 1807 elle se résigne à l'inévitable
(p. 427). Il croit qu'en 181 1 elle part pour distraire sa douleur.
Non : elle part pour guérir son fils Astolphe qui, dit-elle, « par
la tournure de son esprit et de son caractère la condamne à des
larmes éternelles ». En 181 2, en 181 3, elle passe de très beaux jours
à Rome et à Naples : elle a pour compagnon Koreff ou Ko, le « bon
docteur » qui, lorsqu'il s'éloigne, laisse un vide inremplissable,
r « ami « dont le départ fait de la vie de Delphine — comme elle
s'exprirne — une longue et sombre nuit. De même, en 1814, en 181 5,
et plus tard encore, c'est le sort du malheureux Astolphe qui inquiète
Delphine. En 1816, elle rejoint Astolphe à Francfort et y retrouve
Koreff. Plus tard, elle cherche à marier Astolphe et à l'occuper. Si
elle revoit quelquefois Chateaubriand, c'est pour l'intéresser en
faveur d'Astolphe et, lorsqu'elle meurt en 1826, c'est qu'elle a su le
deshonneur d'Astolphe, ses mœurs inavouables ; c'est qu'elle a vu
mourir sa belle-fille Léontine de Courtomer et son petit-fils Enguer-
rand ; c'est qu'elle a une maladie de foie. Peut-on dire avec M. M.
qu'elle meurt d'être abandonnée? Peut-on dire qu'elle avait « donné
sa vie » à Chateaubriand?
D'ailleurs, M™^ de Custine est-elle si intéressante, si touchante?
Est-elle digne de sympathie? Certes, elle chasse de race, et M. M.
remarque que Delphine et son frère Elzéar, enfants de vieillard, ont
reçu de leur père « un sang si appauvri que tous deux manquaient
complètement d'équilibre moral », que tous deux » devaient sitremeut
à la fatalité de leur naissance des états nerveux inexplicables, de
véritables crises morbides » (p. 4). Mais enfin, et après avoir exposé
les circonstances atténuantes, il faut bien juger Delphine telle qu'elle
est, et, en la suivant à travers le livre, nous la voyons toujours légère,
frivole, et dans le malheur se plaisant à faire des conquêtes, toujours
un peu folle et convenant elle-même qu'elle n'a pas le sens commun.
Elle essaie de souffler un amant — le Troubadour — à son amie la
comtesse Alex. Elle se donne à Antoine de Lévis, celui qu'elle
nomme V Agréable. Elle va, sous le nom de M"e Justine, passer
quelques jours dans une auberge du Havre avec Grouchy .qu'elle
d'histoire et de littérature 469
nomme le Sigisbcf. Elle adore dans la prison des Carmes Alexandre
de Beauharnais qui, de son côté, l'idolâtre, sous les yeux mêmes de
Joséphine, et qui lui « fait goûter le bonheur à l'ombre de l'écha-
faud ». Elle se lie avec Boissy d'Anglas, avec Fouché qui ont pour
elle, nous dit-on, des sentiments très vifs et lui écrivent des lettres
qu'il a fallu détruire (p, 296). Et cette femme à la tète exaltée (p. 89),
cette femme qui ne peut se défendre longtemps (p. 233j, cette femme
qui a été la maîtresse d'un Fouché — de Chéché, comme elle l'ape-
lait — cette femme qui allait trouver Chateaubriand dans sa chambre
d'hôtel ', cette femme, on la plaint, on s'apitoie sur elle, on gémit
sur sa « misère morale », sur les « détresses » qu'elle a « connues
moins par sa faute que par celle des événements (p 11) ! » Sa mère et
son frère avaient bien raison de lui souhaiter un peu plus de fierté et
un peu plus d'amour-propre (p. 83 et 92)'.
Arthur Chuquet.
Les vieilles provinces de France. Rod. Reuss, Histoire d'Alsace. Paris,
Boivin (Furne), 1912. ln-8°, vu et 371 p. 3 t'r. 5o.
La tâche entreprise par M. Rodolphe Reuss était très difficile.
Comment résumer d'un bout à l'autre l'histoire d'un pays qui n'eut
jamais une unité politique? M. R. a réussi pourtant à retracer cette
histoire confuse et compliquée. Il a su raconter clairement, à grands
et vigoureux traits, en chapitres denses et nettement divisés, l'exis-
tence que mena l'Alsace au moyen âge et au xvi" siècle dans les cadres
du Saint-Empire romain, et, ajoutons-ie, il présente avec une com-
plète impartialité ce lointain passé qui n'est pas sans grandeur. Notre
auteur ne se borne pas à narrer les faits, et l'effort des villes pour
s'émanciper du joug épiscopal ou seigneurial, et le triomphe de
l'élément plébéien dans les conseils de Strasbourg, et les premières
interventions françaises, la Réforme, la guerre des paysans, les
guerres religieuses et cette guerre de Trente Ans qui fit en Alsace une
énorme, une prodigieuse consommation de vies humaines. Il met
en relief ce que fut la civilisation alsacienne, et, ne fut-ce qu'en passant,
d'une phrase signifiante, d'un mot expressif, il caractérise les histo-
riens et les mystiques de Strasbourg qui, dès le xm« siècle, est le
centre intellectuel de l'Alsace ; il rappelle les artistes et les architectes;
il salue la cathédrale sirasbourgeoise, le Munster, et sa façade « mer-
veilleuse, aux dentelures infinies, aux niches peuplées de saints,
illuminée par les rayons du soleil couchant ou parle fauve éclat des
éclairs » ; il évoque les moralistes, satiristes, polémistes du xvi' siècle.
1. Et Chateaubriand parle ensuite — est-ce une ironie ? — de « la sainte appa-
rition qui le visita I »
2. M. Maugras juge, avec raison, stupéfiant « que Delphine ait envoyé à son frère
les lettres de ses adorateurs et lui ait raconte les moindres détails, même les plus
intimes, de son ménage «.
470 RKVUK CRITIQUE
Avec la môme fidélité, et peut-être avec plus de vivacité et de sympa-
thie M. Rcuss dépeint l'Alsace nouvelle qui naît dans le dernier tiers
du xvii* siècle et qui se développe dans le cours du xviii' ; il montre
comment, pendant la Révolution, pendant cette terrible crise qui
bouleverse tout, au milieu des douleurs et des gloires, l'Alsace
s'associe intimement à la E^Vance : « la Révolution a fait la soudure;
l'empreinte de cette mémorable époque ditierencic encore aujourd'hui
les paysans et les bourgeois de l'Alsace des paysans et des bourgeois
d'outre Rhin ». On sent d'un bout à l'autre du livre que l'auteur
affectionne profondément l'Alsace où il est né; on sent qu'il aime la
France à laquelle son pays natal s'est si solidement attaché; mais on
sent aussi qu'il aime par dessus tout la vérité et qu'il connaît à mer-
veille son sujet, qu'il l'a fouillé depuis de longues années et qu'il le
maîtrise. Ce résumé, ce tableau sommaire, ce modeste travail, comme
le nomme le modeste auteur, a toutes les qualités d'une grande œuvre
historique, et ceux-mémes qui n'ignorent pas la matière, trouveront
à prendre etàapprendre dans ces brillants raccourcis, dans ces brefs et
lumineux exposés, dans des chapitres substantiels et neufs comme la
situation économique de l'Alsace à la fin du xviie siècle, comme l'as-
semblée provinciale de 1787 et 1788. Toute la partie consacrée à la
Révolution, pleine de détails précis et puisés aux sources, est vraiment
excellente '.
A. Chuquet.
ï
L. Clédat, Dictionnaire étymologique de la Langue Française. Paris,
Hachette, 1912; un \ol. in-i6, de ix-618 pages.
M. Clédat vient de nous donner un nouveau dictionnaire étvmolo-
gique qui se distingue par une certaine originalité, et qui rendra des
services à l'enseignement du français, mais qui aurait pu lui en
rendre" je crois, de plus éminents encore, s'il avait été conçu sur un
plan un peu différent. L'auteur s'est expliqué d'ailleurs là-dessus, et
avec beaucoup de franchise, dès les premières lignes de sa préface :
venant après bien d'autres, il n'a pas voulu faire la même chose
qu'eux. Depuis quarante ou cinquante ans « c'est le point de vue
phonétique, alors nouveau, qui devait prévaloir dans la conception
d'un pareil livre » ; mais aujourd'hui il n'en est plus ainsi, et « l'his-
toire des sons doit nécessairement céder le pas, dans un dictionnaire
de vulgarisation, à l'histoire des sens », Voilà le point de départ.
Eh bien, je souhaite fort — mais je n'en suis pas certain — que les
lois de la phonétique historique soient aussi familières au grand
public qu'a l'air de l'espérer M. C. ; j'admets même (quoique à
regret) que, pour abréger, on se dispense de les invoquer d'une façon
I. Lire p. 247 et 257 Rûhl; p. 25 1 et 261 Hésingue ; p. 268 Beaune (pour Riilil,
Hesingen, Banne; p. 314 Strasbourg avait pour gouverneur en 1814, non pas
Bourcier, mais Broussier.
D HISTOIRK ET DF. LITTÉRATURE 47 I
continue et systématique, comme le faisaient Braciiet et le Diction-
naire Général : mais enfin, si l'on n'indique pas les lois d'après les-
quelles s'est formée la langue française, encore ne faui-il pas obs-
curcir ou fausser l'idée que pouvait s'en faire par avance le lecteur,
et il y a pour cela certaines précautions à prendre. Je m'expliquerai
tout à l'heure à ce sujet.
En somme, ce qu'a voulu faire M. C, c'est montrer avant tout la
filiation originelle qui existe entre nos mots français : et cette filia-
tion — qui était déjà chère aux lexicographes idéologues de la fin du
xviii° siècle — il a réussi en effet à l'établir avec dextérité, avec sûreté
même, mais en se plaçant un peu in abstracto, c'est-à-dire en
dehors du temps, ou tout au moins en dehors de la période romane
proprement dite. Les familles de mots telles qu'il les a constituées,
se trouvent établies par rapport au latin plus encore que par rap-
port au français. L'auteur nous parlait dans sa préface de livre élé-
mentaire et « de vulgarisation » : mais pour en faire avec fruit la
lecture, j'estime au contraire qu'il faut assez bien savoir le latin,
voire le grec, et quelquefois posséder des notions de linguistique
indo-européenne. A chaque instant il y est question non plus d'éty-
mologie française, mais en réalité d'étymologie latine, et des relations
que les mots ont pu avoir entre eux dans un passé très lointain — à
une époque où le français n'existait pas — relations dont la cons-
cience avait disparu pour les Romains eux-mêmes. Ainsi j'ouvre le
livre, et dès la seconde page, au mot abolir, je trouve que ce verbe
est emprunté du latin abolere et qu'il contient sans doute « le radical
qui se trouve dans adolescent » : c'est en effet possible, et même
probable; mais je me demande en quoi les considérations de ce genre
sont tellement « élémentaires », et si en tout cas elles ne seraient pas
mieux à leur place dans un dictionnaire étymologique du latin que
dans un dictionnaire français. En procédant de la sorte, en prenant
systématiquement son point de départ dans le latin, ou même plus
loin, M. C. est arrivé à créer des familles sémantiques qui par rap-
port au français n'ont aucune existence réelle, et à grouper ensemble
des mots qui sont un peu surpris de se voir accouplés : ainsi affable
et fantassin, ou bien encore stimuler et éteindre. Je sais que dans les
premiers on retrouve le radical/ari, mais qu'est-ce que cela prouve?
Et pour les deux autres, il n'est même pas très sûr qu'ils renferment
un élément commun : en tout cas, étant donné leur sens, stimulare
et extinguere sont des mots que les Latins déjà n'auraient point
songé à rapprocher. Dès lors n'est-il pas un peu surprenant que, nous,
sous prétexte d'étymologie française, nous opérions ce rapproche-
ment ?
Du plan adopté par l'auteur, il résulte forcément que certains de ses
articles sont très étendus, par exemple celui de tenir, surtout celui de
faire où l'on risquera d'avoir à parcourir cinq ou six pages compactes
472 REVUK CRITIQl'E
avant de trouver le terme désiré : je ne nie pas du reste que les divers
mots ne s'y succèdent dans un v-rdre parFaitemeni logique, et que
l'ensemble n'offre un enchaînement rigoureux. Un autre inconvénient,
c'est que les mots commençant par des préfixes dé-^ in-, re-, etc. sont
répartis en longues colonnes de renvois imprimées en caractères plus
petits, coupées quelquefois par des lignes d'un autre œil, et typogra-
phiquement tout cela n'est ivis très agréable. Mais enfin ce sont de
petits détails, et il me reste quelques objections de tond plus graves à
présentera l'auteur. Je remarque qu'il y a souvent dans la rédaction
de ses articles un certain flottement, une sorte d'inégalité : et j'entends
par là que le type latin auquel correspond le mot français est donné
tantôt sous sa forme classique, tantôt sous sa forme populaire ; que
les types grecs sont tantôt supprimés, tantôt cités seuls. Ainsi par
exemple : « Beurre, latin butyrum, d'origine grecque » ; mais en
revanche : « Thon, grec thimnon », et pourquoi dans ce cas n'avoir
pas indiqué l'intermédiaire latin thynniisl Ne risque-t-on pas ainsi de
dérouter un peu le lecteur, et de favoriser, sans le vouloir, un retour
à ces étranges théories qui jadis tiraient le français directement du
grec? Mais ce qui est bien plus grave, ce qui risque vraiment d'em-
brouiller les idées, et ce que je ne puis admettre pour ma part, c'est
que quelquefois, un peu arbitrairement, on cite le type vulgaire
immédiat d'où procède notre mot français, et que par ailleurs, en
général du reste, on n'en fasse aucune mention. Ainsi comparez la
rédaction de ces deux articles qui à la lettre F ne sont pas très éloi-
gnés : « Face, latin faciem », et d'autre part : « Figue, vient du latin
populaire fica, par l'intermédiaire du provençal. » On ne peut pas
dire que l'auteur ait été là bien inspiré, en supprimant d'une part
facia prototype obligé dt face, et d'autre part le classique ficus : car
enfin il ne faut pas oublier que précisément/cicz'aest une forme attestée
et qui se trouve dans les bons dictionnaires latins, tandis qu'au con-
traire_^ca est un type hypothétique, ce qu'aucun signe n'indique ici.
Je sais qu'il est très difficile d'atteindre du premier coup, dans une
rédaction de ce genre, à une parfaite homogénéité ; on doit cependant
s'y efforcer. Au fond, le grand reproche que je fais à M. C, c'est de
n'avoir pas dans son dictionnaire distingué systématiquement l'élé-
ment savant, ou d'emprunt, peu importe le nom qu'on lui donne :
c'était vraiment là un point capital, étant donné le public auquel il
s'adresse. Il dira — et il l'a dit dans sa préface — que ce n'était pas là .
le but qu'il avait visé : mais la question est de savoir si, sous prétexte
que d'autres l'ont déjà faite, on a le droit dans un livre de ce genre de
se soustraire à cette partie de la tâche. On peut assurément ne pas
rappeler d'une façon méthodique les lois de la transformation des
mots : encore faut-il donner les formes intermédiaires qui permet-
tront au lecteur de les appliquer dans tous les cas d'une façon régu-
lière. Que la sémantique prenne le pas sur la phonétique, soit ! Mais
d'histoire et de littérature 4^3
qu'est-ce qu'une sémantique qui n'a de fondements que sur la logique
et point sur riiistoire, qui ne lient aucun compte de révolution de la
langue, c'est-à-dire de ce qui a été « successif >>, et qui rapproche
arbitrairement les faits les plus distants ? Il faut toujours situer les
choses dans le temps : la sémantique n'a rien à v perdre, elle a tout
à y gagner. Car autrement, comment le lecteur un peu novice s'y
reconnaîtra-t-il, et que pourra-t-il tirer de tout cela sinon des connais-
sances empiriques? J'ouvre encore une fois ce dictionnaire, un peu
au hasard, et par exemple à la p. 97 je trouve : « Ceindre, latin cin-
gere », puis immédiatement après : « Célèbre, latin celebrem ». Voilà
donc deux mots qui sont exactement sur le même plan, et que rien,
au point de vue de l'origine indiquée, ne distingue entre eux. Pardon,
direz-vous, l'un est un terme héréditaire, l'autre un terme d'emprunt.
Mais lequel des deux? Et comment le lecteur se tirera-t-il d'affaire,
s'il ne sait par avance que célèbre est signalé seulement chez Rabelais,
auquel cas il n'aurait guère eu besoin d'ouvrir le dictionnaire, ce qui
est un cercle vicieux. — Je ne voudrais pas insister, et je crois avoir
assez fait comprendre ma pensée. Que M. C. n'allègue pas que des
exigences de cette sorte eussent indéfiniment grossi le volume : il y a
toujours des moyens pour abréger les choses. Et pourquoi, par exem-
ple, ne mettrait-on pas entre les mots le signe de l'égalité ? Une rédac-
tion « Ceindre = lat. cingere » serait assez conforme à la réalité,
puisque aussi bien c'est trop peu de dire ici « vient du latin 0, et qu'au
fond ceindre c'est encore cingere prononcé d'une façon différente, à
la française. L'autre formule « empr. du lat. » serait réservée aux
mots du genre de célèbre, et une fois admise la convention irait de
soi. Je ne verrais même aucun inconvénient à ce qu'on ajoutât entre
parenthèse quelque brève mention comme (16^ s.), et cela aurait
l'avantage de fixer un peu la date approximative dé l'emprunt. A cette
question d'une détermination rigoureuse de l'élément originel se rat-
tache aussi celle des mots germaniques anciens : je trouve qu'ils ont
été ici trop laissés dans l'ombre ; les types auxquels ils se réfèrent ne
sont point allégués, et c'est à peine si l'on rencontre çà et là quelques
rapprochements avec l'allemand moderne.
Voilà bien des critiques sur le plan de ce dictionnaire : Je les ai
faites, il va sans dire, en vue d'améliorations qui pourraient être intro-
duites dans les éditions ultérieures. Avant de terminer, je liens à
rendre hommage à la sûreté étymologique dont a fait preuve l'auteur
d'un bout à l'autre, au soin avec lequel il a dépouillé les travaux les
plus récents. Si, à cet égard, au point de vuede la doctrine, on pouvait
lui reprocher quelque chose, ce serait plutôt un excès de circonspec-
tion, et parfois presque un peu de scepticisme. Est-il légitime, par
exemple, qu'on hésite à rattacher notre verbe mener au lat. minari
« menacer », étant donnée la phrase souvent citée d'Apulée, et n'y
a-l-il pas là au contraire un cas bien typique de l'évolution des sens?
.}74 REVliE CRITIQUE
Je conçois qu'on hésite davantage — et c'a été le cas du Dictionnaire
Gênerai aussi — à rapprocher sortir « aller hors d'un lieu » du'verbe
lat. sortiri : j'estime pourtant que le rappprochement est exact. Assez
rares sont en somme les mots où je me trouve en desaccord avec
M. Clédat sur la question étymologique proprement dite : en voici
trois ou quatre que j'ai notés au cours de ma lecture, et que je cite un
peu au hasard. Je ne rattacherais pas, même avec un « peut-être »,
encombrer, au mot comble, et je tiens pour une origine celtique. — Le
mot haricot « légume » doit sans doute être séparé de celui qui signifie
« ragoût », et l'étymologie mexicaine récemment prônée me paraît
assez vraisemblable. — La forme du mot juillet est relativement
récente, puisqu'on disait au moyen âge juignet « petit juin » et l'évo-
lution s'est évidemment produite sous l'influence du \2i\\n juliiis. — A
l'article /o.y.se, et à la suite du verbe latin fodere, je lis que « un nou-
veau verbe enté sur le premier a "proành fouiller »; ceci n'est pas tout
à fait exact, et entre les deux il y a eu une autre forme. La vérité c'est
que de fodere est venu d'abord fodicare, d'où en fr. fouger qui
existe encore et n'est point cité ici : c'est de fodicare qu'on avait
ensuite dérivé le diminutif non 2ines\é fodiculare. — Enfin, à l'article
île, il est dit : « Isolé, qui nous vient de l'italien, ne se rattache pas à
seul mais à île, il équivaut à « île », qui est comme abandonné dans
une île. » Ceci est spécieux. Pour être historiquement vrai, il faudrait
ajouter qu'en latin insula signifiait déjà « pâté de maisons séparé des
autres », que chez nous le mot isolé a d'abord été exclusivement un
terme d'architecture, et qu'à la fin du xv!!*" siècle l'expression canirs
isolés faisait encore se pâmer les précieuses bourgeoises mises en
scène par Boursault dans ses iVfo^5 à la jnode. Le terme ne paraît s'être
généralisé que vers 1800.
E. BOURCIEZ.
E. Vny, Le dialecte de Saint-Étienne au xvn^ siècle. Paris, H. Champion,
191 1 ; un vol. gr. in-8°, de xxx-379 pages.
E. Vev, Le Ballet Foresien de 1605, en dialecte de Saint-Etienne, suivi d'ex-
traits en prose de la « Gazzette Françoise ». Paris, H. Champion, 191 i ; un vol.
gr. in-8°, de 1 1 3 pages.
La thèse de M. Vey sur le dialecte de Saint-Etienne au xvii^ siècle
est un ouvrage qui a évidemment coûté de la peine à son auteur, qui
atteste des recherches longues et minutieuses, et qui rendra certains
services, mais qui aurait pu en rendre encore davantage s'il avait été
conçu sur un plan un peu différent. D'abord le livre répond-il exacte-
ment à son titre? Je ne le pense pas, et M. V. a donné en un sens
bien plus que ce qu'il semblait annoncer : il l'a fait malheureusement
d'une façon un peu confuse — ou diffuse si l'on préfère — sans maî-
triser assez le sujet, et sans que sa préparation à ces études dialecto-
logiques ait été par avance assez rigoureuse. De plus, il a été un peu
d'histoire et dk littkrattrr 475
hypnotisé par les textes écrits, et ne s'est pas assez replacé dans les
conditions où le langage vivant, c'est-à-dire parlé, évolue sur un
point donné. Ce point c'est Saint-Etienne, et il était intéressant en
effet de l'étudier pour bien des raisons : avant tout, parce qu'il se
trouve à peu près à Tune des extrémités de ce domaine qu'on est
convenu d'appeler franco-provençal ; de plus parce qu'il y avait une
sorte de solution de continuité entre les recherches de M. Dauzat
portant sur l'Auvergne, et d'autre part les travaux qui ont été faits sur
Lyon et la Bresse par M. Philipon, sur le Dauphiné par l'abbé
Devaux. La lacune est-elle comblée? Oui et non, quoique ce soit là
évidemment ce que s'est proposé l'auteur. Il est juste de reconnaître
que lorsqu'on veut étudier historiquement le dialecte de Saint-
Etienne, on se trouve dans une situation assez désavantageuse, faute
de documents locaux anciens : pour avoir des points de comparaison
qui se rapportent à la période du moyen âge, on est forcé d'aller les
chercher soit dans le nord du Forez, soit au sud-ouest du côté de
Saint-Bonnet-le-Chàteau. D'autre part — quoiqu'il ne l'ait pas dit et
qu'il ait conservé malgré tout son titre — M. V. a bien senti, en
cours d'oeuvre, que le dialecte du xvii« siècle, uniquement attesté par
quelques pièces patoises parfois suspectes et dont l'orthographe est
défectueuse, ne se suffisait pas à lui-même, et ne suffisait pas non
plus aux exigences d'un exposé scientifique; il a donc été amené à
prendre son point d'aboutissement dans le parler contemporain, mais
il ne l'a pas fait d'une façon assez résolue ni assez suivie, il a allégué
des faits qui nous transportent parfois bien loin de Saint-Etienne, à
l'autre extrémité du domaine franco-provençal, ou même en dehors.
En revanche, il n'en a pas connu d'autres qui eussent facilité sa tâche,
notamment ceux qu'il aurait trouvés dans ÏAtlas linguistique de Gil-
liéron et Edmont : comment se fait-il qu'il ait négligé de consulter
une source aussi capitale, un ouvrage dont il se trouve, je crois, un
exemplaire dans les bibliothèques de tous les chefs-lieux de France?
Il dit bien, au cours de sa bibliographie, qu'il regrette vivement de
n'avoir pu s'en servir; en réalité, ce n'est pas là une excuse. On
pourrait encore noter dans cette bibliographie une certaine absence
d'information précise (le Grundriss de Groeber et le Lateinisch-roma-
nisclies Woerterbuch de Koerting n'y sont pas cités d'après les der-
nières éditions), ou même des lacunes (les N eufranioesische Dialekt-
texte éd'nés en 1906 par E. Herzog auraient pu être consultés avec
fruit). Mais enfin passons.
Il résulte de tout cela, de l'emploi d'une méthode souvent flottante,
ou même d'une notation qui n'est qu'à moitié phonétique {ou pour u,
etc.), que le livre de M . V. ne laisse pas toujours au premier abord
une impression très nette. Les faits y sont en général, mais il faut
parfois un peu les y chercher : et surtout ceux qui sont relatifs à
Saint-Etienne, c'est-à-dire au point étudié, ne se trouvent pas assez
476 REVUE CRITIQUE
mis en relief et restent un peu noyés dans l'ensemble. Qu'il y ait
d'abord dans l'exposé des inadvertances assez fréquentes, on pourrait
le prouver sans peine, et en voici quelques-unes que je relève au
hasard. Au si 233, il est dit que 1'// de butyro est suivi d'un yod : mais
où est ce yod, et comment cela s'accorde-t-il avec le «^'401 où l'on
constate que le groupe /;• subit à Saint-Kticnnc le même traitement
qu'en fiançais? Au i^ 238 (qui a été mal numéroté , le mot castanea
est indûment place à côté de camino ci caballo, c'est-à-dire de mots
où Va iniiial derrière palatale est libre. D'après les exemples allégués
au v! 5oo, il me paraît bien difficile aussi de saisir le raisonnement qui
est fait à cet endroit sur une distinction entre é et è. Mais ce qui
frappe surtout dans celte étude, ce qui prouve à maintes reprises
combien l'auteur a eu de difficulté à se placer à un point de vue stric-
tement phonétique, ce sont çà et là des expressions tantôt singulière-
ment gauches, tantôt tout à fait défectueuses. Ainsi, au § 388, que
signifie « t intervocàlique en latin, appuyé en roman »? Ce n'est pas
le / qui a été « appuyé », et s'il l'avait été à un moment quelconque,
il ne serait pas devenu d : l'expression est inexacte. En voici, au
§ 493, une qui est bien plus regrettable encore : « L'évolution de ce
groupe de lettres est en général rendue obscure... » Ceci est affreux,
et jusqu'à quand faudra-t-il répéter que ce ne sont pas les lettres qui
évoluent, mais les sons! L'expression nous choque d'autant plus que
précisément le passage où elle se trouve était intéressant, que la dis-
cussion n'était pas mal menée, et qu'il était question d'un mouille-
ment de // final auquel on n'a pas toujours prêté assez attention,
celui qui, sur une certaine aire, a transformé gallum en jay. Je
pourrais ajouter que si M. V. pèche quelquefois faute d'avoir un sens
phonétique assez aiguisé, il ne semble pas posséder non plus d'une
façon très sûre les principes de la philologie romane, ce qui lui aurait
évité bien des recherches faites en pure perte. Car s'il les avait mieux
possédés, il ne se serait pas donné le stérile plaisir d'aller parfois
découvrir dans des chartes tardives de l'époque carolingienne cer-
tains faits qui sont attestés déjà pour la période du latin vulgaire.
Par exemple, il n'y a rien d'étonnant (p. 112) à ce qu'on rencontre
paor en vieux lyonnais ou ailleurs, puisque, ainsi que le constate
l'auteur lui-même à la page suivante, cette forme sans v se trouve
déjà dans VAppendix Probi. 11 n'est pas douteux (^p. 6\) (\uq vecino
pour vicino remonte au latin vulgaire ; mais il ne s'ensuit pas qu'on
ait eu dès la même époque un type vesione pour visione, et les condi-
tions dans lesquelles ïi initial s'est d'abord affaibli sont bien con-
nues. A propos du nom de nombre vint (p. loi), il est tout à fait
chimérique de supposer un intermédiaire vient remontant à viginti :
on sait assez que la forme du mot était déjà venti en latin vulgaire, et
que dans toute la Gaule l'e s'est changé en i sous l'influence de la
finale. Enfin bien inattendue est à la p. 7 l'intervention de rogitus ou
d'histoire et de littérature 477
roitiis pour fOi^atiis, considère comme forme màconnaise (!) sous pré-
texte qu'on le trouve dans des chartes de Cluny : il est pourtant bien
connu que ces participes forts en -itiis s'étaient développés dans le
latin parlé, et les inscriptions de l'époque impériale en font foi. C'est
ce que J'appelle ne pas être assez silr de son commencement. Mais en
voilà suffisamment sur ces menus détails.
J'ai dit que les discussions de M. V. sont parfois un peu confuses,
qu'il n'a pas toujours, surtout en fait de phonétique, pleinement maî-
trisé la matière ; bref que l'impression qui en reste n'est pas très nette.
La place me manque un peu ici pour en faire une démonstration en
règles. On en trouvera un exemple presque dès le début (§ 90 suiv.),
à propos des infinitifs en -yar et des participes en -yat, et c'est là
qu'intervient le fameux rogitus : ce qu'il y a de certain, c'est que ces
flexions aboutissent toutes les deux à -i à Saint-Etienne, et cette éga-
lité de traitement est assez spécifique pour la région. La discussion
sur Vo ouvert n'est pas elle non plus un modèle de clarté : les signes
graphiques employés qui sont tantôt ceux des auteurs du xvii'' siècle,
tantôt des notations plus phonétiques l'obscurcissent encore, et on
saisit mal pourquoi des mots comme grosso et osso ont été rangés
parmi ceux où la voyelle est libre. Je ne dis pas que cette question de
Vo fût facile : je me plains que, malgré le tableau synoptique placé à
la fin, elle ne se trouve guère élucidée. J'aime bien mieux, et je l'ai
déjà dit, ce qui a trait (§ 5o8) au traitement de // final : il y a là des
indications qui méritent d'être prises en considération, seulement il
ne faudrait pas pousser aussi loin que cela a été fait, le parallèle
avec les mots gascons du type betetch. — Maintenant si de la phoné-
tique nous passions à la morphologie, je ferais remarquer que M. V.
émet sur certaines formes des hypothèses bien contestables, qu'elles
soient de lui, ou qu'il les fasse siennes. Je doute par exemple qu'un
possessif comme noutron représente le latin noslriim avec m finale
conservée et l'explication tentée au ^ 646 ne m'a pas convaincu : faute.
de mieux, je préfère m'en tenir à l'influence du singulier mon invo-
quée par M. Meyer-Luebke. Je doute également (malgré l'autorité de
M. Philipon, § 7t)7) qu'une première personne de l'imparfait comme
je fe\in{s) reproduise le \-AU\-\facebam, toujours avec m conservé, mais
pourquoi, voilà ce qu'on ne dit pas, et qu'a ici à voir une influence
savante? J'aimerais encore mieux songer tout compte fait — mais
dans des conditions qui resteraient à examiner — à une réaction pos-
sible des formes du pluriel sur le singulier. Enfin la fameuse question
des présents du subjonctif franco-provençaux dits seconds, en -ei'ie,
est ici discutée (§810 suiv.) : comme une forme ameiie correspond à
un type théorique amesiam, la solution proposée consiste à le tirer de
ame [m] -\- siam (subjonctif de l'auxiliaire). Même lorsqu'on n'a rien à
y substituer, il faut opposer une fin de non-recevoir à une solution de
ce genre, qui n'est donnée, je le reconnais, que sous toutes réserves,
4-8 REVUE CRITIQUE
mais qui choque vraiment trop les idées qu'on peut se faire sur révo-
lution morphologique. Tout cela prouve que M. V. n'a peut-être pas
un sens linguistique très exercé. Mais les réserves une fois faites, il
convient de répéter qu'il a beaucoup travaillé; il s'est attaqué à un
sujet qui n'était point facile, il a réussi à en embrasser l'ensemble
grâce à des efforts méritoires et qui ne seront pas stériles. Grossi d'un
lexique qui n'a pas moins de 200 pages et qui contient un dépouille-
ment très complet des textes patois, son livre offre un recueil de
matériaux d'une grande richesse ; il sera consulté avec fruit, et si l'in-
terprétation des faits y laisse parfois à désirer, on y trouvera du moins
le moyen de les saisir dans leur ensemble.
L'auteur nous a encore facilité la tâche en éditant à part le plus
ancien texte patois de Saint-Etienne, qui est un Ballet Foresien com-
posé en i6o5. Il l'a fait précéder de détails intéressants sur les autres
poètes locaux du xvii^ siècle, les Chapelon, qui ont formé une sorte
de dynastie. L'édition de ce petit poème de 466 vers est faite avec
tout le soin désirable, accompagnée d'une traduction française, et
suivie d'un glossaire. Quant au ballet lui-même — dont les entre-
parleurs sont trois couples de bergers, deux jeunes et l'autre vieux —
il présente une grande naïveté scénique, procédant d'un bout à l'autre
par petits discours qui alternent et se succèdent. Le style en est par
endroits d'une assez franche crudité, et certains vers font un peu plus
que braver l'honnêteté : mais c'est un bon texte patois, et nous ne
pouvons que remercier M. Vey de l'avoir mis à notre disposition.
E. BOURCIEZ.
Léo Claretie, Feuilles de route en Roumanie : La Roumanie intellectuelle
contemporaine. Paris, E. Sansot, 191 2; un vol. in- 16, de 269 pages.
Ecrit sans prérentions scientifiques, et d'une façon peut-être un
peu rapide, ce livre a le mérite de répondre assez bien à son titre, et
serait pour le grand public auquel il s'adresse, une initiation très
nécessaire chez nous. Il se compose de trois chapitres qui sont d'un
aspect différent, et aussi de valeur inégale. Dans le premier, l'auteur
a voulu nous mettre au courant du mouvement intellectuel de la Rou-
manie, et embrassant à la fois la poésie, le roman, le théâtre, l'his-
toire, etc., il a dû forcément citer beaucoup de noms, noms d'hommes
ou noms d'œuvres : ce qui fait que nombre de ces pages tournent à
rénumération pure et presque au catalogue de librairie. Il est difficile
d'ailleurs de faire autrement, lorsqu'on parle de littérature contem-
poraine, qu'on essaie de n'oublier personne, et qu'on manque du
recul nécessaire pour opérer un triage et situer les choses à leur rang.
J'aime bien mieux le second chapitre, celui où M. G. nous parle de
la littérature orale populaire des Roumains : là, après quelques détails
intéressants sur la façon dont ont été recueillies ces légendes versi-
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 4JC)
fiées, il a su choisir les plus typiques, et les analyser avec goût, sans
altérer ce qu'elles ont de naif et de sauvage, mais en les encadrant
dans le paysage où elles sont nées, et en faisant ressortir l'état d'âme
qui s'v révèle. Le dernier chapitre est consacré à un examen de
l'œuvre de Carmen Sylva, et quoique ce soit peut-être la partie du
sujet la moins ignorée chez nous, on ne le lira pas sans profit. — Une
légère critique pour terminer. M. Claretie a souvent estropié les
noms des auteurs roumains en les italianisant à outrance. Pour les
mots qu'il a eu à citer dans des titres d'ouvrages ou ailleurs, il s'est
permis une orthographe fantaisiste. Pourquoi par exemple écrire
romanesc l'adjectif qui se prononce rominesc? Pourquoi à la p. 94 y
a-t-il plusieurs fois la forme barbare Viata « la Vie », au lieu _de
Viat^a qui est tout indiqué, si l'on ne veut pas se servir du t pointé?
L'auteur semble avoir compté sur l'ignorance des lecteurs français.
Mais que diront de ces négligences les Roumains qui certainement
liront son livre ?
E. BOURCIEZ.
A. DE Galonné Beaufaict, Études Bakaago. Notes^de sociologie^ coloniale.
Postface de E. Waxweiler, professeur à l'Université de Bruxelles, directeur de
l'Institut de sociologie Solvay (Liège, Mathieu Thone, 191 2, gr. in-S", i52 p.,
19 vues photogr. dans le texte, 3 planches hors texte).
L'on ne saurait trop louer les nations qui procèdent à l'inventaire
méthodique de leurs possessions coloniales, corps et biens — et
âmes. Et c'est peut-être les âmes qu'il importe surtout de connaître :
elles fournissent l'explication du reste. Les Belges, avec leur sens
pratique, ont entrepris une série d'enquêtes ethnographiques {Col'
lection des Monographies ethnographiques)^ publiée par Cyr. Van
Overbergh, à Bruxelles, avec le sous-titre : Sociologie descriptive
('8 vol. parus).
Les Etudes Bakango, pour n'appartenir pas à cette collection,
s'inspirent de la même méthode de sociologie coloniale que M. 'Wax-
weiler définit dans une postface dogmatique et d'une littérature raffi-
née. M. de Galonné Beaufaict a observé scientifiquement et intelli-
gemment (ces deux termes ne sont pas toujours synonymes) le type
Mokango (au pluriel : Bakango). Les Bakango, peuplade de pêcheurs
sur les rives de l'Uélé, appartiennent à la race bantu; mais leur mode
d'existence et leur habitat les a différenciés : ainsi le mécanisme de
leur idiome se ressent de la nécessité de s'interpeller à longue dis-
tance entre les ilôts rocheux du fleuve ; leur case [sanga) n'a point le
même appareil architectural ni le même style que celle des sylvicoles.
L'outillage de pêche, que l'auteur a minutieusement étudié, est mer-
veilleusement adapté au régime hydrographique, aux mœurs des
poissons; le travail s'exécute par clans, que M. de G. B. appelle
« parentés » ; ces clans sont des coopératives, comprenant quatre
480 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE KT DE LITTÉRATURE
adultes au moins. Le produit de la pjchc est cchangé par troc contre
les denrées et les articles indispensables; des routes, des chemins de
fera voie étroite, inviteront» l'Homme de l'Eau » à augmenter sa
production, à adopter des procédés nouveaux, transformations qui
s'accomplissent, au dire de la sociologie, sous l'intiuence de crises
économiques et sociales. Les Bakango sont polygames, parce que la
mortalité infantile chez eux est énorme et qu'il faut fabriquer des
travailleurs : l'aperçu est ingénieux. M. de C. B. assure que le gou-
vernement colonial se les est aliénés en les soumettant à des chefs
d'une tribu qu'ils méprisent.
B. A.
Gottlieb von Tiiater, Moine Feldzugserinnerungen 1870-71. Munich, Oscar
Beck, igi2. In-8», 229 p. 3 fr. 5o.
Intéressants Souvenirs. L'auteur arrive à Frœschwiller, après la
bataille, et il a dès lors dépouillé ce qu'on pourrait nommer sa timi-
dité bavaroise, il a confiance, il marche sous le « commandement
éprouvé » des Prussiens et d'un bout à l'autre du volume, il parle des
Prussiens comme ses maîtres. Il assiste aux batailles de Beaumontet
de Sedan, à celle de Beaugency-Cravant ; il cantonne devant Paris; il
voit d'assez près la Commune. Son récit est net, chaud, saisissant
(voir par exemple, le passage où l'aumonier de la division apparaît
soudain sur un talus, et revêtu de son étole, donne l'absolution à tous
les Bavarois qui passent et qui se signent dévotement, ménie ceux qui
ne sont pas catholiques). Gottlieb deThater, alors lieutenant, aujour-
d'hui général, sait apprécier ce qu'il y a d'adresse et d'énergie chez les
Français; il nous juge impartialement; il donne surtout de curieux
renseignements sur l'armée bavaroise et on sent qu'il a écrit ses
Mémoires avec amour ; tous ses faits et gestes d'alors lui sont encore
présents; 1870-1871, voilà sa période héroïque, la seule où il valait
la peine de vivre, et depuis, son existence lui semble plate et vul-
gaire '.
A. Chuquet.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du 2g novembre igi2.
— La séance a été tout entière consacrée à la continuation, en comité secret, de
l'exposition des titres des candidats à la place de membre ordinaire vacante par
suite du décès de M. Philippe Berger.
Léon Dorez.
1. « Verflachl in den Alltag]». Nous avons analysé plus longuement ces Mémoires
dans \^. Revue (ancienne Revue des Revues) du i" novembre et nous reproduirons
prochainement cette analyse dans la ô^ série de nos Etudes d'histoire.
L'imprimeiir-gêrant : Ulysse Rouchon.
LE PUY-EN-VELAY. — IMPRIMERIE PEYRILLER, ROUCHON ET GAMON.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 51 — 21 décembre — 1912
Bruhniîs, La géographie hiiir.aine, 2° éd. — PisciiEr., Vie du Bouddha. — Ij'.mmann,
Le bouddhisme. — Narasu, L'essence du bouddhisme — Jogleka.r, Açvaghosa.
— FoRMiCHi, Le Buddhacarita. — Pilsudski, L'aïno. — Uhlenbeck, Les Indiens
Blackfoot, H. — Persson, Contribntions à l'étude des langues indo-européennes.
— J.\consTiiAi., Vases de Gœttingue. — DWrbois de Jlbai.nville, Traduction du
Tâin bô Cùalngc, III. — Dodgson, Les formes verbales du Nouveau Testament
basque. — Huon le Roi, Le Vair Palefroi, p. Langfors. — Levasseur, Histoire
du commerce extérieur de la France, IL — M. Reclus, Ernest Picard. —
DuciiESNE et Grandsaigne, Le château de Madrid. — Leroux-Cesbron, Aux por-
tes de Paris. — Tohler, Mélanges de grammaire française, V. — PfleideRer,
Le christianisme dans la philosophie grecque, 2« éd. — Strotii.mann, Les zaïdi-
tes. — N. MïiLLER, La catacombe juive de Monteverde. — Baumgarten, Ser-
mons. — SiMONS, Travaux théologiques. — Jovy, Six lettres de Bossuet. —
C. Janet, La forme des icebergs, — Sahr, Extraits du xvr siècle allemand. —
Choses et mots, III et IV. — Académie des inscriptions.
Jean Brunhes. La géographie humaine. Deuxième édition, revue et augmen-
tée. Avec 272 gravures et cartes dans le texte ou hors texte (dont 66 nouvelles).
Paris, Félix Alcan, 191 2, xv-802 p. Prix : 20 fr.
En signalant ici (3o septembre 191 i) la première édition, nous
sollicitions de l'auteur un compendium de son ouvrage ; cette seconde
édition apporte un commencement de satisfaction à ce vœu : en dépit
d'une illustration renforcée, elle est réduite d'une quarantaine de
pages; ce que M. Brunhes annonce avec une aimable contrition :
«moins de pages et plus de choses ». Le second terme de ce pro-
gramme s'entend des « additions explicatives », que M. Brunhes
laisse aux lecteurs le plaisir de découvrir. Recherche fructueuse :
car elle oblige à pénétrer davantage cette œuvre où la matière,
pourtant si copieuse, n'étouffe pas la doctrine. L'auteur a nourri le
chapitre vm (p. 534-45) d'une description des Baléares ; mais ailleurs,
il a précisé ses points de vue en réponse à quelques critiques. On lui
avait reproché par exemple de ne vouloir point faire état de l'ethno-
logie ; il atteste (p. 566j qu'elle n'est point négligeable et qu'il ne
l'a pas dédaignée de parti-pris. Plus loin, il interroge le concept des
frontières prétendues naturelles ip. 7321. Enlin à quelques-uns le
champ d'observation de M. Brunhes, que d'autres jugent illimité, a
paru trop restreint et superficiel, ne dépassant pas le « visible » et le
Nouvelle so'rie LXXIV. 5i
482 REVUE CRITIQUE
« photographiable ». L'auteur déclare qu'il n'exclut pas ces « facteurs
impondérables et immatériels, qui font la vie des sociétés, qui font
les mœurs, l'histoire, la civilisation... » Ces éléments ont leur place
dans le cadre, ou, selon l'expression de M. B., « dans l'ordre géogra-
phique ».
La préface est encore datée de Fribourg, où sans doute la géogra-
phie humaine a été d'abord professée. Désormais elle entre en un
contact plus immédiat avec les étudiants et le public français, puis-
qu'une initiative généreuse l'a domiciliée au Collège de France et lui
a procuré la consécration officielle; ce qui, en notre pays, confère à
une science son éminente dignité.
B. A.
R. PiscHEL, Leben und Lehre des Buddha. 2'* Auflage. Leipzig; 1910, 126 pp.
(Aus Natur und Geisies\\clt). i mk.
Edv. Lehmann, Der Buddhismus, ais Indische Sekte, als Weltreligion. Tùbin-
gen ; Mohr. igi i, 274 pp. 5 mk.
P. Lakshmi Narasu, The Essence of Buddhism. 2d Edition, Madras, Varada-
chariet Co. 1912, 359 pp.
K. M. JoGLEKAR, Ashvaghosha's Buddha-charita iCantos I-V). Introduction,
Notes and Translation. With a Scholium by Dattatraya Shastri Nigudkar.
Bombay; Or' Publishing Company, 191 2, 2 Rs.
C. FoRMicHi, Açvaghosa Poeta del Buddhismo. Bari ; Laterza e Figli, 19 12,
408 pp. (Biblioteca di Cultura moderna). 5 L.
Le petit volume de Pischel sur la Vie et la Doctrine du Bouddha a
été rapidement épuisé. Il méritait son succès. P. avait réussi à con-
denser dans un mince opuscule une masse énorme de faits, tirés
directement des sources, clairement exposés, avec une sympathie dis-
crète qu'on a pourtant taxée d'exagération. M. Liiders, le successeur
de P. à l'Université de Berlin, a revu la seconde édition; son inter-
vention s'est bornée à de légères retouches, dans les cas où P. lui-
même aurait voulu les faire.
M. Lehmann n'est pas un indianiste; il enseigne l'histoire des
religions à Berlin, après l'avoir enseignée à Copenhague. S'il étudie
le bouddhisme, c'est surtout pour y observer Je cas-type d'une reli-
gion universelle; son attention s'arrête de préférence à la genèse de la
doctrine, à la disparition du bouddhisme sur le sol indien, à ses
transformations sur un sol étranger, La critique occidentale peut, en
effet, se croire plus indépendante en face d'une religion de l'Extrême
Orient qu'à l'égard du judaïsme, du christianisme, même du maho-
métisme où tant de préventions risquent de fausser le Jugement. Mais
la contre-partie, et qui compense lourdement cet avantage, c'est que
le monde de l'Inde réclame une longue initiation, et qu'on peut diffi-
cilement se flatter de l'avoir compris. Pischel fondait le bouddhisme
sur le sentiment de maitrî (pâli mettà) où il retrouvait Và-ft-nr^,
«l'amour » chrétien. M. L., d'accord avec Oldenberg, réduit cette
d'histoire et de littérature 483
vertu à une « bienveillance » indifférente. Le pessimisme bouddhique
a défrayé bien des travaux, et provoqué nombre d'anatlièmes ; c'est
pourtant du bouddhisme que se réclament les races les plus sou-
riantes de la terre, les Birmans et les Japonais. M. L. a tracé un
tableau honnête et loyal; la vie active et pratique du bouddhisme lui
échappe ; il ne l'a pas étudié en fonction de l'histoire indienne.
Le bouddhisme ne provoque pas moins de curiosité dans l'Inde
qu'en Occident; il est naturel qu'il y éveille plus de sympathies,
puisque l'Inde est sa patrie. L'Essence du Bouddhisme, par M. Lak-
shmi Narasu, publié à Madras en 1907, atteint déjà sa seconde édi-
tion. L'ouvrage a été notablement remanié et aiTipHHé; l'auteur a eu
l'heureuse idée de l'illustrer à profusion en prenant de toutes mains :
images du Bouddha, des saints; scènes peintes ou sculptées ; temples
anciens ou modernes; œuvres d'art de l'Inde, de l'Indo-Chine, de la
Chine, du Japon. Le lecteur passe en revue le monde bouddhique du
passé et du présent, et se sent en contact avec des réalités. C'est là
un complément avantageu.x, car le livre n'est qu'un exposé de doc-
trine. M. L. N, n'est pas un bouddhiste de naissance ; il est venu au
bouddhisme par un choix voulu; il y trouve la religion de la raison,
qu'il avait en vain cherchée à travers les civilisations. Il a beaucoup
lu, connaît la plupart des travaux européens, et quoiqu'il se défende
modestement d'être un sanscritiste, il cite aisément ses textes sans les
écorcher. Dans son effort pour dégager le tréfonds du bouddhisme,
il plane au-dessus des sectes ; sanscrit et pâli fraternisent chez lui.
Son inspiration tient du « modernisme »; il ne se soucie pas de mar-
quer une à une les étapes des dogmes ; il applique à sa façon la vieille
formule : c< Parole bien dite, parole du Bouddha >> ; et, avec les maté-
riaux pris un peu partout dans l'immense littérature du bouddhisme,
il construit un exposé honnête et cohérent. C'est son droit, et nul ne
peut lui reprocher d'en user, quand il s'agit d'un acte de foi. Mais la
critique historique a d'autres exigences.
Açvaghosa est une des figures les plus saillantes du bouddhisme
indien (je n'ai pas rencontré son nom chez M. Lehmann). Poète,
musicien, philosophe, il a marqué partout son empreinte fécondante.
Les fouilles de l'Asie Centrale viennent de le révéler comme l'an-
cêtre du théâtre indien ; le Népal a rendu récemment une épopée
d'Açvaghosa dont le titre même était oublié. Son poème sur la Vie
du Bouddha (Buddhacarita), longtemps négligé, n'est imprimé que
depuis vingt ans : il a pris rang aujourd'hui parmi les chefs-d'œuvre
de la littérature sanscrite. La tradition du texte est assez pauvre ; on
ne disposait jusqu'ici que de manuscrits népalais de basse date et
dérivés du même exemplaire, M. Joglekar a eu la bonne fortune de
découvrir trois manuscrits indépendants dans la région de Bombay,
où personne ne s'attendait à les rencontrer ; par une amusante fantai-
sie du sort, deux d'entre eux appartiennent à des Jainas, qui vénèrent
aSa. revue critiquk
dévoiemcnt ces textes, écrits pourtani à la gloire d'une église abhor-
rée, mais que leur pieuse ignorance tient pour orthodoxes. {)n des
manuscrits va jusqu'au vers 90 du chant XII; un autre n'a que dix
chants; un autre enfin n'a pu être collaiionné que pour les deux
premiers chants. A l'aide de ces matériaux, M. J. a préparé une nou-
velle édition ; il en donne les chants I-V dans le premier fascicule.
Les variantes n'ont qu'un intérêt médiocre; elles n'auraient pas sufli
à justifier une édition nouvelle. Les notes explicatives, en anglais,
que M. J. a placées à la suite du texte, ne dépassent pas non plus une
honnête médiocrité. Toutefois l'éditeur a eu du moins une heureuse
idée; il a demandé à un pandit, M. Datiatreya Shastri Nigudkar,
un commentaire en sanscrit sur le poème d'Açvaghosa. C'est un
spectacle piquant de voir un savant forme par les écoles brahma-
niques s'attaquer aux difficultés d'une œuvre bouddhique ; il a parfois
d'heureuses trouvailles, par exemple, I, i 5, m âydpagateva analysé
en ma yâ ap' « comme Ma (:= Çrï) isolée de la personne du roi ».
Mais l'éditeur et le commentateur sont trop étrangers aux choses du
bouddhisme pour rendre de réels services à l'interprétation. .le citerai
seulement la lecture cyiito' thà kâyât piintât qu'ils ont acceptée sans
sourciller I, ig. M. J. annote : « piisitât = wellnourished. This is
certainly not a very happy and poetic idea ». L'idée appartient,
hélas! à M. J. tout seul. Cowell et un des nouveaux manuscrits don-
naient bien imitât; il s'agit des dieux Tusitas, qui doivent de toute
nécessité figurer ici.
Sous un titre trop large et qui déborde le véritable sujet, M. For-
michi, professeur à l'Université de Pise, donne une version italienne
du Buddhacarita, avec une introduction et des notes. Admirateur
enthousiaste et délicat des beautés du poème, M. F. a voulu en
ouvrir l'accès au public cultivé. Mais le public, en Italie comme ail-
leurs, sait trop peu de l'Inde pour entrer de plain-pied dans une
œuvre de la littérature indienne. M. F. a donc mis devant sa traduc-
tion une Introduction de 120 pages où il analyse et commente le
Buddhacarita. Mais les spécialistes trouveront aussi leur compte
dans le livre de M. F. L'auteur a tenu à établir solidement son texte
avant de le traduire; il a passé au crible l'édition de Cowell et les
corrections qu'ont proposées tant de savants de marque, Boethlingk,
Kielhorn, Speyer, etc. : ses discussions, toujours courtoises, marquent
à la fois un érudit et un artiste.
Sylvain Lévi.
Bronislaw Pilsudsri, Materials for the Study of the Ainu Language and
Folklore, eJited under the supervision of J. Rozwadowski. Cracow (Spolka
wydawnicza polska), 1912, in-S", xxviii-342 p.
Exilé en Sibérie pendant plus de dix-huit ans par le gouvernement
russe, un Polonais de haute culture, M. Pilsudski, a passé quelques-
d'histoire et de littérature 485
unes dos dornicrcs années de son séjour force en Exirèmc-Oricni dans
Tilc de Sakhaline, ci il en a proriié pour étudier attentivement les
restes de la population amo, qui attirent roriement l'attention des
ethnographes. Pour pouvoir faire ses observations d'une manière
sûre et précise, M. P. a appris la langue des Ainos, et il a recueilli
autant de leur littérature — naturellement orale — qu'il Ta pu. Le pré-
sent volume, édité grâce à une subvention de l'Académie de Gracovie,
se compose essentiellement de 27 contes, publiés, traduits et com-
mentés, et ce n'est qu'une petite partie des 35o textes relevés par
l'auteur.
On possède déjà des descriptions de la langue aino ; on en a des
grammaires et des dictionnaires. Mais il a été publié peu de textes;
or on sait qu'on ne connaît une langue que si l'on en a des textes
étendus. Les textes publiés par M. Pilsudski sont excellents au point
de vue lingo-iistique; grâce à leur extrême variété, on y trouve des
tvpes de phrases de toutes sortes, on y peut observer l'emploi des
formes grammaticales et la valeur exacte des mots. Un commentaire
abondant fournit toutes sortes de renseignements et de détails sur les
formes grammaticales employées et sur la signification exacte des
mots. La qualité de ce commentaire est du reste garantie par le nom
de l'éminent linguiste de Gracovie, M. Rozwadowski, qui a surveillé
la publication. Les contes sont précédés d'une description phoné-
tique de la langue aïno, pour laquelle M. Pilsudski a pu profiter des
indications de M. l'abbé Rousselot qui a eu occasion d'observer à
Londres, avec M. Pilsudski, tout un groupe d'Aïnos. La publication
de M. Pilsudski est donc précieuse au point de vue linguistique.
Elle ne l'est pas moins pour les folkloristes et les ethnographes qui
y trouveront des documents de première main, recueillis dans des
conditions rares d'exactitude et d'authenticité.
En permettant cette publication, l'Académie de Gracovie a donc
bien mérité des linguistes et des ethnographes; il est à désirer que
le reste des matériaux recueillis par M. Pilsudski ne demeure pas
inaccessible au public et soit édité le plus tôt possible.
A. Meillet.
C. C. Uhlen'beck, a new séries of Blackfoot texts, wiih ihe help of Joseph
Tatsey, collected and published witli an english translation Amsterdam (chez
Joh. Mùller}, 1912, in-S», x-264 p. [VerliandelingeniSc l'Académie d'Amsterdam,
afd. Letterkunde, n. r., XIll, i).
L'éminent linguistede Ltyde, M. Uhlenbeck, a fait un second séjour
dans la réserve des Indiens Blackfoot, aux Etats-Unis; et, sans
attendre d'avoir pu mettre au point l'étude grammaticale détaillée
qu'il prépare, il s'empresse de mettre à la disposition du public les
textes qu'il a recueillis, accompagnés d'une traduction anglaise. Soit
qu'on s'intéresse à la langue, soit qu'on s'occupe des mœurs et du
486 REVUE CRITIQUK
folklore, on trouvera dans ce recueil des matériaux abondants,
recueillis sur place par un savant soigneux, et l'on remerciera l'auteur
de la diligence avec Jaquelle il fait proliter le public des résultats de
son enquête. M. Uhlenbeck a facilité l'usage de son recueil par un
index alphabétique, et il y a ajoute des corrections et additions à sa
précédente publication de textes. On souhaitera que M. Uhlenbeck
donne le plus tôt possible la description complète de la langue qu'il
a étudiée sur place.
A. Meillet.
P. Pehsson. Beitraege zur indogermanischen Wortforschung. Upsal (Aka-
demiska Bokhandcln), et en commission à Leipzig (chez Harassowitz, [1912],
in-S", viii-i 1 13 p. (Skifter utgifna af kungl. humanistika Vetenskaps-samfun-
det i Uppsala, Band X).
Depuis son ouvrage bien connu et souvent cité sur les élargisse-
ments de racines, paru en i89i,M. P. Persson n'avait publié que
quelques articles. Mais il n'a pas cessé depuis de réfléchir sur le voca-
bulaire des langues indo-européennes, et le gros ouvrage qu'il publie
maintenant apporte le résultat de longues années de travail. Il se
divise en deux parties, à peu près égales, d'abord une série de 108
notes étymologiques, puis une longue étude, intitulée Zur Frage
nach den sogenannten Wur\eldetenninativen. Ces deux parties se
tiennent étroitement; les étymologies sont pleines de discussions sur
des questions de phonétique, d'alternances vocaliques et de structure
des racines, et la partie générale est pleine d'observations étymolo-
giques. On aurait grand peine à utiliser un livre aussi touffu si un
index très détaillé des matières traitées, qui occupe 44 pages, et un
index des mots étudiés, qui occupe 3oo colonnes, ne rendaient les
recherches aisées.
On n'attend pas d'un critique qu'il ait une opinion sur ce qu'en-
seigne M. P. Persson à propos des quelque douze mille mots qu'il
cite et qui appartiennent aux langues indo-européennes les plus
diverses. Il suffira de caractériser d'une manière générale la méthode
de l'auteur. M. P. Persson ne se préoccupe en général ni de suivre, à
Taide de données historiques et philologiques, l'histoire des mots
qu'il étudie, ni de déterminer la valeur précise des mots par l'énoncé
des réalités qu'ils désignent ; quand il lui arrive, surtout pour le
latin (qui est la langue dont il s'occupe particulièrement), de donner
des passages d'auteurs, c'est pour fixer le sens en philologue bien
plus qu'en historien qui détermine par des faits précis un dévelop-
pement, II procède en principe par rapprochements, et son travail est
de caractère à peu près uniquement comparatif.
Mais il va de soi que des rapprochements si nombreux ne sont pas
tous solides. En fait, M. P. se contente de ressemblances lointaines
d'histoire et de littérature 487
de sens et de forme pour poser un rapprochement. Soit par exemple
le mot grec 0!,- qui désigne une plage de sable au bord de la mer, le
bord de la mer en général ; il en rapproche le lituanien duja « grain
dépoussière », en supposant que Oi; repose sur un ancien 'Oft; et tout
le groupe de v. h. a. dûna « promontoire » ; tout ce qu'il y a de com-
mun entre le mot grec et les mots rapprochés, c'est une dentale sonore
initiale; l'origine Of- est possible, mais indémontrable; quant aux
sens, on voit qu'ils sont assez éloignés. Les rapprochements avec
lesquels opère M. P. d'un bout à l'autre de son livre et sur lesquels
reposent toutes ses démonstrations ont presque toujours ce caractère
d'incertitude. Jamais M. P. ne semble se demander si l'on est obligé
d'expliquer tous les mots d'une langue indo-européenne donnée par
des rapprochements avec d'autres langues indo-européennes, si des
mots comme gr. xôXa;et »jXa; par exemple ne seraient pas des emprunts.
D'autre part, il ne fait pas assez la critique des faits qu'il utilise;
ainsi, voulant montrer que dans beaucoup de racines il y a des for-
mes en -tz-, en -en- et en -ei-, il se sert du cas de sthà-« se tenir debout »;
il y a en efl'et une racine *sthcu-, mais elle signifie « être ferme,
solide », et il est par suite douteux qu'elle soit une autre forme de
*sthd-; et quant à *sthei-[ou *sthâi-), deux thèmes pourvus de sufiixes
secondaires comme staje- et stoji- du slave n'en établissent pas l'exis-
tence, et le stheman- du sanskrit dont M. P. fait état a toutes chances
d'être une formation proprement indienne faite sur sthii'a- et stheyas- ;
à ces faits déjà si fragiles, M. P. en ajoute d'autres plus incertains
encore en admettant que sth- et st- sont deux formes de même origine
et admettent d'être rapprochées. Pour qui pose en principe qu'un rap-
prochement étymologique ne vaut que s'il s'appuie sur un ensemble
complexe de concordances de forme, de sens et d'emploi qui excluent
toute rencontre fortuite, il y a bien peu des étymologies proposées ou
admises par M. P. qui puissent être considérées comme définitive-
ment établies et comme pouvant servir de bases à la démonstration
d'une théorie. En général ces rapprochements sont possibles; mais
indiquer une possibilité n'est pas prouver.
Le livre de M. P. ne perd pas pour cela son utilité. Là où une seule
étymologie est proposée, les étymologistes sont tentés de la tenir
pour solide jusqu'à nouvel avis ; montrant d'autres possibilités,
M. P. qui a une grande connaissance du vocabulaire indo-européen et
qui sait le manier, montre du moins la fragilité de bien des hypo-
thèses. Il critique beaucoup de théories, et sa critique est souvent
judicieuse; on ne pourra plus revenir sur les théories relatives au
vocalisme indo-européen sans tenir grand compte de ses observa-
tions et de ses discussions; il juge toujours par lui-même, et son
indépendance fait réfléchir. Et ceci ne l'empêche pas d'avoir une
grande lecture et de connaître tout ce qui s'est écrit depuis trente ans
sur le vocabulaire indo-européen. On ne pourra manquer d'envisa-
^88 REVUE CRITIQUE
ger toujours les possibilités indii.]uées par M. P., et, comme son pre-
mier ouvrage, celui-ci sera souvent cite ci beaucoup utilisé.
A. Meillict.
P. Jacobsthal, Gôttinger Vasen, Mémoires de l'Acad. de Gôttingen, XIV, i. Un
vol. in-4°, p. t-~(\ avec 'iH fig. et 22 pi. Berlin, Weidmann, 1912. Prix : 18 m.
L'Université de Gœttingen possède un petit musée d'antiquités que
lui envieraient beaucoup de nos Facultés françaises. La collection des
vases peints comprend notamment assez d'exemplaires intéressants
pour que l'Académie locale ait cru bon de les faire connaître au
dehors. M. Jacobsthal, auquel elle a confié ce soin, les a décrits d'une
manière claire et précise et l'illustration du livre eût été parfaite si le
photographe employé avait su éviter les luisants et tirer un meilleur
parti des « écrans liquides ». Telle qu'elle se présente à nous, la
publication rendra d'utiles services parce que nous n'aurons jamais
assez de documents bien reproduits et commentés avec exactitude. —
Je noterai, p. 6 et suiv., un certain nombre de poteries étrusques
archaïques, dont deux au moins paraissent ionisantes. P. 8, sur un
tesson de même origine, paraît un démon à bec d'oiseau qui se
retrouve sur une œnochoé de fabrication attique et que J. a justement
rapproché des empreintes de Zakrô. P. 12, sur un fragment à figures
noires, Héraclès portant les Kerkopes. P. i5, petite amphore pana-
thénaique d'imitation, avec représentation de la course aux flambeaux.
P. 16, 17 et 69, exemples de réparations antiques. P. 20, coupe à
figures rouges, de travail négligé, où le sujet du médaillon est emprunté
à l'un des tableaux de la panse. P. 43, skyphos à figures rouges .et à
fond estampé, technique qui apparaît ou qui réapparaît dès le début
du V* siècle. P. 25, beau fragment représentant Héraclès appuyé sur
la massue, que J. croit de travail italien et qu'il date (peut-être un
peu haut) de 430 av. J.-C. P. 26-7, phlyaque et vieille femme,
curieuse scène réaliste. P. 29, « falisque » devrait être suivi d'un
point d'interrogation.
Un appendice, pp. 33-68, traite de la manière dont les Grecs ont
représenté les scènes de banquets ou, plus exactement, les person-
nages couchés sur les lits d'apparat. J. montre bien que les peintres
de vases, ne disposant que d'un espace limité, choisissent les traits
essentiels et simplifient par nécessité autant que par goût. Le v^ siècle
et même presque tout le iV sacrifient les détails pittoresques et se
contentent d'images ou de tvpes symboliques qui, bien qu'empruntés à
la réalité, ne laissent pas que d'être en grande partie conventionnels.
Ainsi le convive à demi allongé gardera longtemps une apparence
géométrique et une silhouette uniforme, que les potiers reproduiront
religieusement, sans se soucier d'indiquer le mouvement et les con-
tours des jambes sous la draperie qui entoure comme un sac le bas du
D'HfSTOIRE ET DE LITTÉRATURE 489
corps. Andocide serait le premier à rompre sur ce point avec la
tradition et d'audacieuses ou d'intdressantes tentatives sont faites à
sa suite pour donner quelque vérité à ces ligures à demi drapées.
On notera, p. 5q et suiv., une curieuse petite coupe inédite du iîritish
Muséum : .1. serait tenté d'y voir, parmi les convives, des artisans du
Céramique, dont un éiraiiger, coitî'é à la manière des Scythes : les
trois scènes qu'on y voit ligurccs montrent l'un des personnages
chantant et les paroles que prononcent lun d'eux paraissent emprun-
tées à un (( paroinion » de Praxilla.
A. DE RiDDER.
Tàin bô Cùalngé. Enlèvement [du Taureau divin et] des vaches de Cooley, It?
plus ancienne épopée de l'Europe occidentale, traduction par H. d'Arbois de
JuBAiNviLLE. Troisième ct demicrc livraison. Paris, Champion, 1912, gr. in-8°,
p. igi-25o.
Avec cette livraison se termine la publication de la traduction fran-
çaise du Tdin bô Cùalngé. Les deux premières livraisons (Voir Revue
critique, 1909, t. 1, p. 46-47; 1910, t. Il, p. 428-429) conduisent le
récit jusqu'à la fin des exploits de Cûchulainn, qui pendant trois
mois a arrêté à lui seul l'armée de la reine Medb. Dans la troisième
livraison, les guerriers d'Ulster qu'une maladie subite avait immobi-
lisés commencent à venir au secours de Cûchulainn, épuisé par ses
nombreuses blessures. Enfin l'armée d'Ulster est réunie sous le com-
mandement du roi Conchobar. La bataille décisive s'engage. Les
hommes de Connaught sont repoussés dans leur pays, mais ils em-
mènent à Cruachan le taureau de Cùalngé, cause de leur expédition.
Le taureau du roi de Connaught Ailill lui livre un combat singulier.
Le taureau de Cùalngé enlève son rival sur ses cornes, le met en
pièces et en disperse les débris sur l'Irlande. Puis il s'en retourne en
son pays de Cùalngé, et, pris d'une fureur subite, après avoir massa-
cré les femmes et les enfants qu'il rencontre sur son passage, il
s'écrase contre une colline.
Les détails intéressant l'histoire des idées et l'archéologie de l'an-
cienne Irlande ne sont pas moins nombreux dans cette livraison que
dans les précédentes. Cûchulainn est guéri par les eaux des ruisseaux
et des rivières du pays de Conaille en Murthemne dans lesquelles les
Tuatha De Danann, sorte de fées, ont mis des plantes médicinales
(ch. xxi). Un sorcier guérit Cethern de ses blessures en le tenant trois
jours et trois nuits dans une grande jarre remplie d'une sorte de
hachis fait de la chair, des os et de la peau des bestiaux d'Ulster
(ch. xxii). Il est dit que les druides ont droit de prendre la parole
avant le roi fp. 210). Quand l'armée d'Ulster apparaît sur les hau-
teurs de Slcmain cii Meaih, le roi Ailill se fait décrire par ses con-
seillers les chefs qui dirigent l'armée, et cette longue énumération
(p. 220-232) est aussi riche en détails sur le costume et l'armement
490 REVUE CRITIQUE
que la Togaiï Bruidne Dd Dcrga iVoir Revue critique^ iQoS, t. I,
p. 84). Beaucoup d'épisodes semblent avoir été imaginés pour don-
ner l'étymologie d'un nom de lieu (par exemple p. 245-246 : Crua-
chan Ac,Ath Luain, Atli Troim, Ath Cliath).
L'achèvement de la traduction du Tdin bô Cûalngé va permettre à
tous les érudits qui ne peuvent lire celte épopée dans le texte gaé-
lique d'en entreprendre l'étude. C'est, avec la Togail Bruidne Dd
Dcrga, le monument de l'ancienne littérature irlandaise qui fournira
aux folkloristes et aux archéologues le plus de documents. D'autre
part, du point de vue littéraire, le Tdin bô Cilalttgc VemporiQ par la
composition et le style sur les autres épopées. On peut regretter que
cette traduction ne soit pas absolument complète et que H. d'Arbois
de Jubainville en ait retranché des énumérations de noms propres
d'hommes et de lieux qui peuvent présenter quelque intérêt pour
l'histoire et la géographie de l'Irlande (par ex. p. 237). Il eût été bon
aussi que l'édition française comprît un index. Mais on sait que cette
publication est la dernière de l'éminent celtistc et que la mort l'a
empêché d'y mettre la dernière main *.
G. DOTTIN.
Verbi Vasconici... in Novo Testamento adhibiti formulas composuit. E.-S.
DoDGsoN. Oxoniae, MCMXll, in-8° (ij), 200 p. (St Luc.)
La Revue critique s'est occupée plusieurs fois déjà des ouvrages de
M. D. La présente brochure est la continuation d'un travail d'analyse
minutieuse sur les formes verbales du Nouveau Testament basque de
1571. On y trouve les mêmes défauts que dans les précédentes publi-
cations : abréviations trop multipliées et confuses, ordre alphabé-
tique un peu arbitraire, réflexions inattendues, etc. Mais M. D. est
un de ces hommes qui ne sont pas faciles à convaincre de leur erreur
et qui s'obstinent envers et contre tous dans les fantaisies de leur
esprit. Il persiste à appeler Leizarraga le traducteur du xvi^ siècle,
ancien prêtre catholique que tout le monde appelait et à toujours
appelé Liçarrague comme il signait lui-même. Il faudrait donc dire
Homeros, Virgilius, Wîen, il Tasso, par exemple et non Homère, Vir-
gile, Vienne, le Tasse. M. D. s'avise aujourd'hui d'une autre propo-
sition inattendue ; on a constaté entre les divers exemplaires connus
du Liçarrague deux petites différences et cela suffit au basquisant ama-
teur pour supposer qu'il y a eu deux éditions du livre dans la même
année; outre l'impossibilité qu'il y avait, à la fin du xvi^ siècle, de
publier en quatre mois deux éditions d'un volume de plus de
iioo pages, il n'est même pas nécessaire de connaître les choses de
l'imprimerie, pour voir que les différences signalées sont des change-
I. Signalons, p. .182, I. 4, une faute d'impression : attendit /70z/r entendit.
d'histoire et de littérature 491
ments faits par l'auteur lui-n-ièmc en composant au cours de l'impres-
sion ou des accidents survenus pendant le tirage.
Le volume, d'ailleurs très bien imprimé, contient, comme d'ordi-
naire dans ses dernières pages un certain nombre de notes et de docu-
ments tout à fait étrangers à Li^'arrague, au Nouveau Testament, au
basque et à la science. Il est revêtu d'une couverture d'un rouge
éclatant qui fatigue le regard et est dun goût douteux.
Julien ViNSON.
HuoN LK Roi, Le « Vair Palefroi », avec deux versions de la « Maie Honte » par
Huon de Cambrai et par Guillaume, fabliaux du xiii' siècle édités par Arthur
Langkors. Paris, Champion, 1912; in-i8 de xv-68 p.. (Les Classiques français
du moyen âge, publiés sous la direction de M. Roques).
Grâce au zèle de M. Roques et de ses collaborateurs, au reste sou-
tenu par la faveur du public, cette collection, dont j'ai expliqué ici
(191 1, I, 148) l'économie et le but, s'enrichit très rapidement: au
volume que j'annonçais alors (et dont une réédition est devenue
nécessaire) sept autres sont venus, en dix mois, s'ajouter. Le regretté
Longnon a remplacé sa grande édition de Villon, devenue introuva-
ble, par celle-ci, qui a profité des recherches et des trouvailles faites
par lui-même ou par d'autres au cours des vingt dernières années ;
c'est un signalé service que ce grand travailleur a pu, avant de mourir,
rendre à ses compagnons d'étude. MM. Bédier et Faral ont repris, eux
aussi, deux travaux déjà anciens, qu'ils ont estimé pouvoir améliorer,
et ont republié, avec des corrections ou additions qui sont presque
exclusivement leur œuvre propre, l'un les Chansons de Colin Miiset,
l'autre le Jez^ de Courtois d'Arras. M. Roques a republié, avec des
notes fort instructives et ingénieuses, cette curieuse et souvent énig-
matique Farce du Garçon et de VAveugle, dont la seule édition,
publiée il y a près de cinquante ans, était perdue dans un périodique
peu répandu en France. Celle du Jeu de la Feuillée par M. Langlois.
marque, cela va sans dire, un immense progrès sur les précédentes '.
Le dernier volume paru est celui dont on vient de lire le titre. Le
choix de M. Langfors s'est porté sur cette œuvre médiocre, où un
joli sujet a été gâché par un plat versificateur, sans doute parce
qu'elle est attribuée à ce Huon le Roi dont il avait publié les œuvres
authentiques ; mais il doute lui-même du bien fondé de cette attribu-
tion et la médiocrité du morceau eût pu encore ajouter à son hésita-
tion. Cette édition, précédée d'une précise étude de langue, marque,
elle aussi, un progrès très notable sur les deux précédentes. J'eusse été
toutefois plus hardi encore que M. L. à l'égard de ce texte, conservé
par un manuscrit unique et médiocre, et je l'aurais, parfois, entendu
I. A ces ouvrages nouveaux est venue s'ajouter une réimpression de la Vie de
Saint Alexis de G. Paris.
j^gZ REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
aiurement. Au v. 3i, je lirais non descendre mais destendre : l'auteur
veut « desploicr son sens », comme il le dit deux vers plus loin. — 63.
Jocr li la forclose me paraît signifier « s'amuser aux bagatelles de la
porte » \ forclose désigne spécialement les barrières qui entouraient le
champ du tournoi; c'est le sens qu'a le mot dans plusieurs des exem-
ples où Godefroy traduit par « finalement » la locution a la forclose.
— I02. Le père de la jeune fille ne voulait pas qu'elle aimât Guillaume,
ne que de lui le renomast. L'expression est embarrassée, mais le sens
ne peut être que « il ne voulait pas que sa fille prît le nom de ce che-
valier et le transmit à ses descendants ». — 529. Les acointances
d'escu^f d'espces et de lances sont certainement des prouesses d'armes
(au Gloss. « personnes de connaissance ») : acointier a souvent le
sens de « aborder les armes à la main, attaquer ». — 624-5. En rem-
plaçant les premières personnes par des troisièmes, on obtiendrait un
sens excellent et on écarterait l'hypothèse d'une lacune. — 716. Je
corrigerais sans hésitation esmaïecnesmarie^ e5?Ma/ers'employant sur-
tout à propos de l'esprit, et esmarie étant une épithète classique de
chiere (ex. dans Godefroy). — 1262. Corr. cil en cel. — Je regrette
au Glossaire l'absence de garison au sens de « fief » (707), de mander
— « demander » (733) et de tendre (58o) dans un passage obscur et
qui exigerait sans doute une correction.
A. Jeanroy.
Histoire du commerce extérieur de la France, par E. Levassecr, impartie, de
1789 à nos jours avec un Avertissement de M. A. Deschamps, i vol. in-S",
869 p. A. Rousseau, éd. 1912.
L'inlassable producteur qu 'était Emile Levasseur avait laissé en
mourant ce dernier volume de son Histoire du commerce de la
France, presque achevé et en partie imprimé. M. Auguste Des-
champs a bien voulu se charger de reviser les épreuves et de coordon-
ner certaines parties du manuscrit. Celui-ci a fourni 869 pages
d'impression grand format, plus i3 tableaux graphiques. Levasseur
ne se ménageait pas l'espace, et ne ménageait pas les yeux de ses
lecteurs. En revanche, il leur donnait des séries de documents diffi-
ciles à retrouver ou à rassembler pour la comparaison, et en tirait
avec une rare clarté d'esprit, et une sobriété d'expression qui n'excluait
pas la fermeté, d'instructives conclusions. L'auteur, dans sa Préface,
a lui-même indiqué la méthode et l'ordre qu'il avait suivis dans son
vaste ouvrage, couronnement d'une longue et féconde carrière d'his-
torien économiste. Il insiste sur « le danger pour l'historien des temps
contemporains d'être accablé sous la masse énorme des documents »...
C'est à se demander si la rareté de ceux-ci n'a pas été une des condi-
tions essentielles delà composition de nos histoires classiques. Les
histoires futures seront probablement des résumés généraux très
courts, ou des histoires partielles et limitées dans le temps, très déve-
d'histoire et de littérature 493
loppées, qui n'auront que des groupes restreints de lecteurs, et qui
seront plutôt consultées que lues par le public.
Celui-ci trouvera dans l'ouvrage de Levasseur un plan excellent qui
l'aidera à se reconnaître en des matières aussi complexes et touffues.
L'ordre historique est d'abord suivi dans la numération des livres,
puis dans chacune de ces subdivisions chronologiques l'auteur
aborde tour à tour la législation douanière et le commerce extérieur,
la monnaie, les banques, la viabilité, le développement colonial, le
commerce intérieur, le conHit des doctrines économiques sur le com-
merce, des vues sur les principaux clients de la France, la comparai-
son du développement du commerce français avec celui des pays
étrangers. « La diversité de ces matières qui reparaissent dans cha-
que livre, écrit l'auteur dans sa Préface, ne rompt pas l'unité de la
composition. Ce sont en quelque sorte les organes d'un même tout
qui concourent à une vie commune, sont liés dans leur développe-
ment et dans leurs défaillances par une étroite solidarité. Cette
solidarité existe non seulement dans la vie d'une nation, mais elle se
manifeste dans les relations des nations commerçantes entre elles. »
Le sentiment profond de ce lien national et international nécessaire
à la prospérité de chaque Etat, a inspiré à Levasseur des conclusions
modérées dans la forme mais fermes dans le fond sur la liberté des
échanges. « En histoire, la place appartient surtout aux faits. Après les
avoir exposés, l'auteur doit les apprécier et en tirer un enseignement.
L'auteur a donc une opinion. La nôtre s'inspire de la doctrine de
l'école libérale : sans professer une application absolue de cette doc-
trine à tous les cas de l'administration économique de la Société,
nous pensons que dans les contrats de travail et d'échange des
citoyens d'un même Etat entre eux, elle doit avoir pour règle la liberté,
réserve faite des mesures nécessaires de police; et que quant aux
relations internationales la politique gouvernementale doit les rendre
le plus faciles qu'il est possible en vue de l'extension du commerce
extérieur ».
E. d'Eichthal.
Maurice Reclus, Ernest Picard (1821-1877). Paris, Hachette, 191 2. in-i6,
363 p., 3 fr. 3o.
L'ouvrage de M. Maurice Reclus a été une « thèse complémen-
taire » pour le doctorat ès-lettres. Pour lui conserver, en apparence,
le caractère de pure érudition qui est d'ordinaire commun à tous les
travaux de ce genre, l'auteur a inscrit sur la couverture que son livre
était un « essai de contribution à l'histoire du parti républicain », et
il a rempli les dernières pages d'une importante bibliographie, modes-
tement qualifiée de « notice sommaire ». Sous ce couvert scientifique
à souhait, les lecteurs trouveront une biographie très alerte, point
surchargée de notes ni d'appendices, facilement écrite et facile à lire;
494 REVUE CRITIQUE
ils ne s'en plaindront pas. Le jury de la faculté ne s'en est pas plaint
non plus, bonne preuve — s'il en fallait une — que l'histoire « lisible »
n'est pas aussi mal vue à la Sorbonne que de mauvais plaisants l'ont
prétendu .
M. R. a eu la bonne fortune de pouvoir utiliser pour son travail
tous les papiers d'Ernest Picard, communiqués par ses descendants,
et recueillir, de la bouche même des survivants, des témoignages aussi
précieux que précis. Il a fait usage naturellement des recueils impri-
més, discours, enquêtes sur le gouvernement du 4 septembre et sur
le 18 mars, Souvenirs de Thiers, de Jules Favre, etc. Il ne paraît pas
avoir essayé de tirer parti, ni des collections d'autographes, ni des
archives publiques. Les fonds récemment versés aux Archives natio-
nales par les administrations de la justice, de l'intérieur, des cultes
ne contenaient peut-être rien de notable concernant Ernest Picardg
en dehors de ce qui a déjà été vu par Tchernofî. Il aurait été utile de
nous le dire, ne fût-ce que d'un mot. C'est la seule réserve qu'ap-
pelle une documentation par ailleurs très neuve et très étendue.
Picard fut, comme on sait, l'un des Cinq. Encore M. Emile Olli-
vier a-t-il écrit: « en réalité, les cinq, c'étaient nous deux ». Ces deux
s'entendirent d'abord à merveille et M. R. donne sur les luttes du
parti républicain contre l'Empire, entre i858 et 1867, une foule de
détails intéressants, que la plume pourtant féconde de M. OUivier
avait négligés, avec ou sans intention. Picard s'était fait une réputa-
tion étendue par son talent oratoire et par ses mots à l'emporte-pièce ;
il plaisait aux éléments bourgeois et modérés de l'opposition répu-
blicaine par ses origines et par sa culture intellectuelle ; mais il n'était
pas et ne pouvait guère devenir populaire à proprement parler. Si la
démocratie ne l'effrayait pas, au contraire, le peuple, vu de près, lin-
timidait quelque peu ; son attitude au 4 septembre et au moment de
l'invasion de l'hôtel de ville le 3i octobre 1870 en fournissent la
preuve. Le point capital de sa carrière politique est le gouvernement
de la défense nationale. M. R. y a insisté longuement, avec raison,
et son récit apporte des détails et des documents qu'aucun historien
de cette époque ne pourra négliger. Signalons spécialement aussi le
rôle de Picard, après la réunion de l'Assemblée de Bordeaux, pour
surveiller et réprimer l'agitation fédéraliste du Midi. Toutes les pièces
inédites données là-dessus par M. R. sont capitales. Elles font com-
prendre l'urgente nécessité de créer en France, comme on l'a fait
depuis longtemps en Angleterre, cette commission historique des
manuscrits réclamée plusieurs fois déjà par nos sociétés historiques,
et qui pourrait garantir de la destruction ou d'une publication peu
scrupuleuse les papiers privés des hommes d'état de notre époque.
Quiconque sait combien les archives publiques sont pauvres en
documents de ce genre pour la période postérieure à 1848 en sen-
tira la nécessité. Si le travail de M. R. peut contribuer à ce résultat,
d'histoirk et de littérature 495
ce n'est pas le moindre service que son excellent petit livre aura
rendu '.
R. G.
Henri-Gaston Duciiesne et Henry dk GRANosAitisi:, Le château de Madrid. Paris,
H. Daragon, 191 2, in-8, 253 p., gravures.
Les documents, lectures et extraits dont l'assemblage constitue ce
volume nous apprennent que le château de Madrid, situé en bordure
du bois de Boulogne et appelé d'abord pour cette raison Château de
Boulogne, doit son nom définitif au souvenir de la captivité de
P'rançois I", son fondateur. Cette demeure royale eut pour architecte
Pierre Gadyer, qui en fit le plan et en commença la construction en
1528.
L'œuvre fut continuée et poursuivie sur le même plan jusqu'en
1548 par Gratien et Jean François père et Hls. Fille fut terminée par
Philibert Dclorme. Jérôme délia Robbia, aidé de son frère Luc,
recouvrit d'émaux la façade des deux premiers étages; les deux der-
niers furent décorés, suivant le même système, par des ouvriers de
Léonard le Limousin. Ennemi du goût italien, Philibert Delorme se
brouilla avec délia Robbia et gâta l'ordonnance primitive du château
en bâclant les deux derniers étages. Mais Delorme étant tombé en
disgrâce â la mort de Henri II, le Primatice, nommé directeur des
bâtiments royaux, rappela en iSSg délia Robbia qui reprit son
travail et l'acheva en i566, l'année même de sa mort.
Au point de vue architecture, les deux principales caractéristiques
du château de Madrid, c'est d'abord l'emploi des émaux qui, au soleil,
faisaient briller la façade de mille feux, et c'est, d'autre part, au pre-
mier et deuxième étage, une galerie couverte qui régnait tout autour
de l'édifice, donnant des vues variées sur le bois de Boulogne, la
Seine, les coteaux de Saint-Gloud, le Mont Valérien.
Le but de François 1-='", en bâtissant ce château, avait été d'en faire
surtout un lieu de plaisance, et les chroniqueurs ont célébré à l'envi
les fêtes galantes qu'il donna à Madrid. Henri II n'y fit pas de longs
séjours, ou du moins n'ont-ils pas laissé de traces marquantes. Mais
Charles IX y vint souvent, si l'on en juge par les nombreuses lettres
patentes qu'il fit expédier et dater du château de Madrid. Quant à
Henri III, qui n'avait pas des goûts ordinaires, il donna au château
de Madrid des combats de fauves. Délaissée par Henri IV, cette pro-
priété passe entre les mains de Marguerite de France, troisième fille
de Henri II. Sous l'impulsion d'Olivier de Serres et malgré l'oppo-
sition de Sully, elle y crée une grande manufacture de soierie et
plante dans le parc trois à quatre mille mûriers. Mais cette industrie,
mal dirigée, ne tarde pas à péricliter. Marguerite reprend Madrid
I. La date de i85 i, citée en note pp. 12b et 126, ne doit pas être exacte.
49O REVUE CRITIQUE
pour y habiter; elle y meun en 101 5. Le roi Louis XIII, grand chas-
seur, aimait beaucoup Madrid ; il y avait installe une « volerie » de
faucons; il y faisait de longues séances. A sa mort, Madrid commence
à décliner. Rarement visite par Louis XIV, sauf les jours où le roi va
à la chasse dans le bois de Boulogne, le château, mal entretenu, se
détériore. Colbcrt reprend l'idée d'Olivier de Serres et établit à Madrid
une manufacture de bas de soie qui ne demande qu'à prospérer.
Mais les bâtiments se dégradent de plus en plus, le directeur meurt,
la fabrique tombe.
Les parasites profitent de l'abandon de Madrid pour s'y faire attri-
buer des logements gratuits, et cet état de choses se prolonge jusqu'à
la chute de l'ancien régime. Le dernier locataire fut Dufour, doyen des
maîtres d'hôtel de Louis XVI, qui ne quitta la place qu'à la fin de
1792-
Plusieurs fois mis en vente, l'ancien château de François I«' fut
adjugé le 27 mars 1792 pour 271.000 francs à un sieur Le Roi qui,
après avoir essayé mais en vain de l'incendier, le fit démolir. Les tapis-
series, les boiseries, le marbre, le plomb, furent vendus. Les émaux
des délia Robbia, livrés à un maître maçon, furent convertis en
ciment.
Un dernier chapitre est consacré à ce que les auteurs appellent
le petit Madrid, c'est-à-dire au.K communs du château, et à ses hôtes
dont les plus notables furent l'avocat Barbier, M"'= de Charolais et la
comtesse de Maurepas.
.l'ai dit que ce livre est une compilation. En tout autre rencontre,
ce serait une critique. Ici c'est un éloge, car si le texte môme de l'ou-
vrage avait été écrit comme la préface, il eût découragé bien des lec-
teurs. Dans cette préface, en effet, les auteurs annoncent qu'ils se pro-
posent de « faire tinter à nouveau ce nom si sonore (Madrid) qui
fleure Xo\M à la fois et la poudre et la bergamote. » Plus loin, après
nous avoir promenés a dans ce bois de Boulogne, paré comme l'est
une fiancée qui se dirige vers l'autel », ils nous contient que, revenus
à eux d'une défaillance causée par les difficultés à vaincre, ils se sont
jetés dans Varène et ont ramassé le glaive. Enfin, ayant recueilli les
documents « qui montrent qu'rt côté de l'amour dont la folie emplis-
sait les vastes salles du château, il y avait toujours une idée saine qui
planait », les auteurs se demandent « avec angoisse » s'ils ont réussi à
mettre en relief, etc.
Quel dommage que Boileau soit mort !
Eugène Welvert.
C. Lkroux-Cesbron. Aux Portes de Paris, avec 14 illustrations, i vol. in-8°.
Paris, Émile-Paul, 1912.
M. Leroux-Cesbron est un artiste doué d'un esprit d'observation
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 497
aiguisé et personnel. Lors>.]u'il commença d'écrire, il publia des Sou-
venirs d'un maire Je village où se déployaieni déjà ces qualiiéset qui,
parce qu'ils étaient véridiques, quoique présentés sous une affabula-
tion discrète, ne manquèrent pas de produire quelque agitation dans
le Landerneau provincial où ils avaient été cueillis sur le vif. Est-ce
pour cette raison ou pour d'autres, de moi inconnues, que l'auteur
abandonna, pour un temps, ce genre où il avait si bien réussi ? Tou-
jours est-il que depuis une dizaine d'années, au moins, il s'est con-
tenté de produire sept ou huit romans non dénués de mérite assuré-
ment, mais qui, h nion humble avis, n'atteignent pas à la hauteur de
son premier ouvrage.
Il revient aujourd'hui, sous une autre forme, à sa première
manière et je l'en félicite bien sincèrement. Son dernier livre est une
série de jolis tableaux où l'anecdote est habilement et heureusement
mise en œuvre; bien racontée, dans un style agréable. Cet ensemble
rappelle à ceux qui le suivent depuis ses débuts, qu'avant d'écrire, il
fut un dessinateur aimable, souvent caustique, à la plume et au
crayon. Ses clironiques historiques intitulées, cette fois : Aux Portes
de Paris, se rapportent surtout à Neuilly. Mais, souvent, elles forcent
ces pauvres fortifications qu'on se dispose, d'ailleurs, à niveler, et
elles entrent de plein pied, très joliment, ma foi, dans l'histoire pari-
sienne. Certains chapitres dépassent de beaucoup la portée qu'ont,
d'ordinaire, de telles productions. Les deux chapitres sur Fleuriau
d'Armenonville, capitaine des chasses de Louis XIV puis garde des
sceaux de LouisXV, et sur Marie-Antoinette à la Muette, nous content
allègrement l'histoire de ce délicieux séjour au travers du xviii'= siècle.
Celui sur mon compatriote Baudard, le baron de Saint-James,
« l'homme au rocher » ainsi que l'avait surnommé Louis XVI, est
une étude documentée, sur l'existe'nce des gros financiers parvenus,
de la fin de l'Ancien Régime, pour lesquels, parfois, tel celui-ci, la
Roche-Tarpéienne voisinait par trop avec le Capitole. L'étude sur la
mort du Duc d'Orléans, fils de Louis-Philippe, met en relief l'intéres-
sante figure du comte de Cambis, son écuyer. Celle sur le général
Louis de Villiers nous initie à la vie aventureuse et non sans gloire,
d'un soldat de la République et de l'Empire qui pris, sur le tard, de la
monomanie nobiliaire, se fit vicomte de Villiers, bien qu'il fut né
tout simplement Claude-Germain Louis, sans plus.
Tous ces récits alertes et bien trousses, où l'anecdote est, je le
répète, toujours agréablement contée, rendent facile et agréable la
lecture de ce volume très bien documenté. L'auteur s'en est, du même
coup, conquis une place enviable, à côté, tout près, des maîtres du
genre.
H. Baguenier Desormeaux.
498
REVDE CRITIQUE
A. Toni.ER, Vermischte Beitraege zur franzoesischen Grammatik (5° série).
I.cipzig, S. Mil/cl, i'ji2; un vol. in-H, de x-5i.i. pages.
Cette publication posthume a eic faite par les soins pieux de
M. Rudolf Toblcr, et elle est intéressante assurément, mais il ne
faudrait pas non plus que le titre adopté pour ce gros volume de
5oo pages induisit en erreur ceux qui le liront. Dans cette cinquième
série des Vermischte Beitraege on ne trouvera rien d'analogue à ces
pénétrants essais qui ont fondé jadis la gloire de l'auteur, et orienté la
syntaxe vers des voies nouvelles, car ce serait trop peu de dire que les
seules études romanes en ont profité. Ici la syntaxe française n'est
représentée que par huit petites notes assez brèves : la locution malgré
qu'il en ait est examinée avec la finesse coutumière ; puis vient le tour
à peine si elle répondait à son salut, où l'on peut bien se contenter de
voir une ellipse de cest; et il y a encore, par exemple, l'expression
7uon chéri appliquée en français moderne à des femmes, ce qui est
bien à vrai dire un point un peu mince. Le tout occupe à peine trente
pages. Le reste du volume, le volume entier, pour mieux dire, est
consacré à une réédition d'articles choisis parmi ceux que Tobler a
semés d'une main prodigue dans toutes les revues. Il y en a trois
qui se rapportent à des étymologies françaises; puis six qui ont trait
à la littérature (parmi lesquels une étude de près de cent pages sur
l'ancienne épopée française). Viennent ensuite une dizaine de recen-
sions, quelques-unes très importantes d'ailleurs, et qui se réfèrent à
des éditions de textes français ou provençaux. Enfin les dernières
pages du volume (pp. 481-514) donnent une liste longue et complète
de tout ce qu'a publié l'auteur, livres ou articles : le total de ces
publications atteint le chiffre de 58 1, et commencées en 1857 elles se
sont poursuivies annuellement et sans interruption jusqu'en 1910.
Saluons très bas ce labeur qui a duré plus d'un demi siècle, mais
n'oublions pas qu'en somme Adolf Tobler en a été récompensé,
puisqu'il a vu triompher ses méthodes, et a pu se dire légitimement
à lui-même qu'il avait fait avancer la science.
E. BOURCIEZ.
— Seconde édition, conforme à la première, du petit livre écrit par O. Pfleide-
RER sur la préparation du christianisme dans la philosophie grecque {Die Vorbe-
reitung des Christentums in der griechischen Philosophie. Religionsgeschichtliche
Volksbiicher, îll, i. Tûbingen, Mohr, 1912 ; in-12, 64 pages). Brèves et substan-
tielles considérations sur la théologie orphique et la philosophie grecque avant
Socrate, Socrate et Platon, Aristote, les stoïciens, Philon, Plotin, — A. L.
— De M. R. Strothmann, étude sur les zaidites {Kultus der Zaiditen ; Strass-
burg, Trûbner, 1912; gr. in-8, 76 pages). Il s'agit d'une branche des chiites sub-
sistant encore actuellement dans le Yémen. L'auteur discute assez longuement,
et non sans quelque obscurité, certaines pariicularitcs de rituel et de casuistique
qui distinguent cette secte. — A. L.
d'histoire et de littérature 499
— Seconde et dernière partie de la Théologie évangélique de A. B. Nitzsch,
publiée en troisième édition par les soins ilc M. H. Stkpiian [Lehrbuch der evan-
gelischen Dogmatik. Zweiter Tcil ; Tùbingen, Mohr, hj 12, gr. in-8, 462-xxiv pa-
ges). Cette partie contient la dogmatique spéciale : anthropologie, théologie, chris-
tologie. La discussion de thèses théologiques est en dehors de notre compétence.
— A. L.
— Intéressante relation des fouilles que M. N. Mùller a pu exécuter dans la
catacombc juive de Monteverde à Rome, et de leurs résultats [Die jûdisclie Kata-
kombe am Monteverde ^u Rom; Leipzig, Fock, 1912; in-8, 144 pages). Les
fouilles n'ont pu être complètes, l'auteur s'ctant vu refuser depuis 1909 l'autori-
sation de les poursuivre. Il nous dit ce qu'il a fait et trouvé en 1904-1906. Une
inscription est du premier siècle de notre ère; les plus récentes semblent être du
quatrième. Les épitaphes fournissent naturellement des renseignements assez
importants sur l'onomastique juive et aussi sur l'organisation des Juifs de Rome.
— A. L.
— Nous ne pouvons que signaler, sans émettre de jugement, les sermons de
M, O. Baumgarte.n : Jesuspredigten (Tùbingen, Mohr, 191 1 ; in-8, vii-228 pages).
Ce sont sermons universitaires, prêches à Kiel. — A. L.
— Echappent aussi en grande partie à notre compétence les travaux théologi"
ques publiés sous la direction de M. D. Simons. Le fascicule que nous avons reçu
contient les articles suivants [Theologische Arbeiten aus dem rheinischen Wissen-
schaftUchen Prediger Verein. Neue Folge, i3 Heft. Tùbingen, Mohr, 19 12);
F. SiEFFERT, Die religiôsen Grundlagen des christUchen sittlichen Lebens ;
O. RiTscHL, Friedrich Sieffert; J. Hymmen. Das Verhàltnis der Bedeutung des
Wortes Gottes als Gnadenmittel :^u seiner Bedeiitityig als christlicher Erkenntnis-
quelle; W. Wolff, Geschiche, Idée iind Symbol in der christUchen Religion;
P. BocKMùHL, Wo ist die erste Aiisgabe des Werkes « Der Leeken Wecinvyser »
{i554) von Johannes Veluanus gedruckt ? — A. L.
— M. Ernest Jovy, à qui l'on doit déjà de si précieuses contributions à l'étude
de Bossuet, vient de découvrir aux archives de Massa dans les papiers du cardinal
Cibo, secrétaire d'Etat d'Innocent XI, six lettres de Bossuet qu'il lui adressa de
1678 à 1681 {Six lettres originales de Bossuet, Paris, Emile-Paul, 191 2, in-8°,
p. 25). Les trois premières sont en latin et se rapportent à la publication de l'Ex-
position de la doctrine catholique et à l'envoi de la lettre au pape, De Institutione
Serenissimi Delpliini. Les trois autres, en français, dont deux sont inédites, sont
relatives aux démarches du prélat qui venait d'être nommé à l'évéché de Meaux et
sollicitait du pape la faveur de ne pas payer Vannate. A ces documents originaux
et en partie inconnus, M. Jovy a joint un instructif commentaire et signalé les
variantes que présente le texte des lettres avec l'édition actuellement en cours de
publication dans la collection des Grands écrivains français. — L. R.
— M. Charles Jan'et, prenant texte de la catastrophe du Titanic, imagine que
les saillies émergées et visibles des icebergs qui se décapent et se brisent, repo-
sent sur des socles qui n'ont pas subi la môme déformation et s'étalent plus large-
ment sous les flots : les icebergs ne garderaient pas les contours cylindriques
qu'on leur suppose. Les navires ont donc intérêt à observer les distances [Sur la
forme probable de la partie immergée de quelques icebergs, 1912. Limoges, Ducour-
tioux et Gant, imprimeurs, 1 1 p, 5 fig. dans le texte).
— Dans la collection Gôschen vient de paraître en seconde édition une antho-
logie des écrivains allemands du xvi» siècle {Deutsche Literaturdenkmâler des 16
Jahrhunderts III. N" 36. Berlin, Leipzig, Gôschen, 1912, 0,80 m.) par M. Julius
5o6
REVUE CRITrQOE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
Snhr. Ce petit volume contient des extraits de Rrant, Ilutten, Fischart, du Reineke
Vos et quelques fables. Des introductions et des notes facilitent la lecture de ces
morceaux, dont le choix est tout à fait judicieux. — F. P.
— Lu revue Wôrterund Saclien, dirigée surtout par M. Meringer (chez l'éditeur
Winter, à Heidelberg^ continue de paraître, toujours aussi sonnptueuscment
éditée. Nous avons reçu la tin du volume I il et le commencement du volume IV,
où l'on remarquera surtout une longue élude, très approfondie, de M. H. Va\\<
sur la navigation chez les anciens Scandinaves et sur tous les termes relatifs à la
navigation; cette élude, qui sera précieuse, rentre remarquablement bien dans le
pnigrammc de Wôrter iind Saclien ; le même fascicule renferme une étude de
géographie linguistique sur le nom du mais et de la pomme de terre d'après
VAtLis de M. Gilliéron. — A. M.
Académie des Inscriptions ht Belles-Lettres. — Séance du 6 décembre igi 2.
M. Saiomon Reinach annonce que, grâce aux Comptes rendus de l'ancienne Aca-
démie des inscriptions, M. Besnier, professeur à 1 Université de Gaen, a pu éta-
blir qu'un admirable bas-relief grcC ilu Musée d'Aix, dont on ignorait la prove-
nance, a été découvert vers 1705 dans l'île de Rhénéc, qui servit de nécropole à
Délos.
M. Perrot, secrétaire perpétuel, communique une lettre de M. Léon Dorez qui
retire sa candidature à la place de membre ordinaire vacante par suite du décès
de M. Philippe Berger.
L'Académie procède à l'élection d'un membre ordinaire en remplacement de
M. Philippe Berger, décédé.
MM.
i" tour
?.• tour
3* tour
4« tour
5« tour
Chabot
2
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0
0
0
Delaborde
5
7
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Fougères
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Glotz
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Kohler
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2
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Mâle
3
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0
Monceaux
5
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II
i5
20
Psichari
3
6
1 1
10
6
Thureau-Dangin
4
6
10
10
9
M. Monceaux, ayant obtenu la majorité des voix, est déclaré élu par M. Léger,
président. Son élection sera soumise à l'approbation de M. le Président de la
République.
M. Paul Fournier commence la lecture d'un mémoire consacré à l'étude d'un
groupe de collections canoniques de l'Italie méridionale. Ces collections appar-
tiennent à une époque qui va du ix« au xr" siècle. On y peut constater l'état de la
législation ecclésiastique dans cetie région pendant la période antérieure à la
réforme de Grégoire VII. M. Fournier étudie d'abord le recueil contenu dans
le ms, 18 de la Vallicellana de Rome. II montre que ce recueil a été vraisembla-
blement rédigé entre 902 et 920 à Naples, à Bénévent ou dans les environs de ces
villes. 11 fait apparaître les traces d'inHuence byzantine qui caractérisent ce
recueîL
M. Babelon achève sa communication sur Moneta. Après avoir démontré qu'à
Rome il n'y eut jamais qu'un Hôtel des Monnaies, qui frappait à la fois la monnaie
de bronze sénatoriale et la monnaie impériale d'or et d'argent, M. Babelon établit
que cet Hôtel des monnaies, installé au Capitule, fut abandonné sous Néron.
Après qu'il eut fait incendier Rome, Néron ht bâtir un nouvel Hôtel des Mon-
naies, beaucoup plus vaste que l'ancien, sur le mont Cœlius, dans le voisinage de
sa Maison Dorée. A partir de cette époque et en raison de ce changement, un
nouveau type allégorique de la Monnaie paraît sur les espèces d'or, d'argent et de
bronze. Ce type se confond avec celui de l'Equité et représente une femme
debout, tenant une balance et une corne d'abondance.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gératit : Ulysse Rouchon.
Le Puy-eu-VelayT — Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 52 — 28 décembre. - 1912
ScHucHARDT, Nubicii et basque. — E. Cavaignac, Histoire de l'antiquité, II, Athè-
nes. — Wn.iiEi.M et DvROFF, I.a Passinn de saint Psotius. — Coli.on, inventaire
des sceaux de Bourgogne. — AuGii-LARimô, L'évolution de la France agricole. -^
Havkm, Mémoires et documents pour l'histoire du commerce et de l'industriô
en France. — Académie des inscriptions.
H. ScMucHARDT. Nubisch und Baskisch, Paris ("chez Geuthner et chez Chatnpioh),
igi2 (extrait de la Revue internationale des études basques^ VI, p. 267-284).
Cette brochure, dédiée au célèbre hamitisant Léo Reinisch par
M. Schuchardt, est extraite de la Revue des études basques qu'a fondée
et que dirige M. de Urquijo et dont M. Lacombe est le très actif
secrétaire. On peut dire que cette revue a apporté aux études basques
un véritable renouveau; les fantaisies puériles et les assertions extra-
vagantes qui ont tant nui au progrès de la linguistique basque en sont
bannies; la direction s'est efforcée de n'y admettre que des travaux
faits suivant une méthode correcte; sans avoir besoin de faire des cri-
tiques vives — que certaines publications méritent trop — , elle intro-
duit par son exemple le bon sens et la rigueur dans un domaine où
ils ont trop longtemps été négligés. La revue a mérité ainsi une bonne
fortune inappréciable : la collaboration d'un maître tel que M. Schu-
chardt.
L'exposé intitulé Nubisch und Baskisch est remarquable à la fois par
les concordances qui y sont signalées entre deux langues aussi éloi-
gnées que le nubien et le basque et par les considérations générales
que M. Schuchardt présente à ce propos.
L'idée générale tient à tout l'ensemble de recherches que poursuit
depuis longtemps M. Schuchardt sur les langues mixtes : la généalogie
linguistique est chose souvent trompeuse ; chague langue contient
des éléments qui viennent de plusieurs idiomes différents. Tous les
travaux poursuivis dans les dernières années ont montré combietî
M. Schuchardt a eu raison d'insister sur ces mélanges et combien les
actions et réactions des langues les unes sur les autres sont multiples
et complexes. Maintenant M.Sch.irait jusqu'à ne plus faire de distinc-
tion radicale entre la transmission directe des langues et les faits d'em-
prunt. Il y a sans doute des cas limites oi^i il est malaisé de faire un
départ exact. Mais les sujets parlants n'ont-ils pas toujours le senti-
ment et la volonté de parler une certaine langue, même quand ils y
Nouvelle série LXXIV " 52
502 REVUE CRITIQUE
introduiseni le plus d'ciémcnis dûs à une autre langue? Et n'a-t-on
pas alors le droit de tenir les deux types pour bien distincts : celui de
la langue où s'introduisent des éléments étrangers, aussi nombreux
qu'on le voudra, et celui de la langue à laquelle on emprunte? 11 y a
bien là deux espèces distinctes. — Il est vrai que les deux espèces ne
se laissent pas toujours distinguer nettement en fait. Là où il existe
un système grammatical à formes multiples et très détinios, comme
en indo-européen, en sémitique, en caucasique du Sud, en finno-ou-
gricn, en bantou, en indo-nésien (malais), etc., la démonstration est
aisée : partout où il subsiste quelques-uns des éléments essentiels du
système ou des restes de ces éléments, on est en présence d'une langue
indo-européenne, sémitique, etc., et les éléments de vocabulaire
venus d'ailleurs sont des emprunts. Là où, comme en Extrême-Orient
par exemple, on est devant des langues où les formes grammaticales
d'un aspect défini sont rares, il est permis de se demander si les ques-
tions se sont posées aussi nettement aux sujets parlants et par suite si
le linguiste peut les poser d'une manière aussi absolue. On voit com-
ment, même sans aller aussi loin que M. Sch., on doit reconnaître à
son observation une grande portée : il ne faut pas étendre à toutes
les langues humaines des principes de classement généalogique rigou-
reux qui ne valent que pour certaines conditions définies, d'ailleurs
réalisées le plus souvent à l'époque historique.
Partant du principe que, dans une langue donnée, on peut et l'on
doit démêler des origines multiples. M, Sch. s'efforce de mettre en
évidence certaines concordances entre le nubien et le basque, sans
vouloir conclure de là que le nubien et le basque soient deux formes
d'une même langue commune, comme le grec et le latin sont deux
formes de l'indo-européen et surtout sans contredire à l'existence pos-
sible de concordances du basque avec d'autres langues, les langues
caucasiques par exemple. Les rapports signalés entre le nubien et
le basque sont pour la plupart frappants ; l'auteur indique les nuances
et les réserves qu'il faut; et l'on peut dire qu'une donnée nouvelle
vient s'ajouter à celles qu'on avait déjà pour la solution du problème
basque. Grâce à M. Schuchardt, la linguistique basque fait enfin des
progrès décisifs.
A. Meillet.
Eugène Cavaignac. Histoire de l'Antiquité. T. II : Athènes (480-330). Paris,
Fontemoing et C'«, 1912, in-S", xv-5i2 p.
Les lecteurs français et les étudiants insuffisamment familiarisés
avec les langues étrangères ne disposaient jusqu'à présent d'aucun
ouvrage général sur l'histoire de l'antiquité classique, qui fût au cou-
rant des études récentes. Il y avait là une lacune dont il fallait se
préoccuper. Un groupe de travailleurs a cru que le mieux était de tra-
duire la Geschichte des Altertums d'Eduard Meyer. M. Cavaignac
d'hISTOIRK tT DlC LITTÉRATURE 5o3
a préféré entreprendre un ouvraj^e orii^inal, qui comprendra trois
volumes, lia commencé par le second, qui traite de la période clas-
sique 48o-'33o et qui a pour sous-titre : Athènes.
Ce volume répond donc à un besoin certain, et, tant que la traduc-
tion d'Kduard Meyer n'en sera pas arrivée au.>: tomes IV et V de
l'édition allemande, il rendra de bons services au.x « monogloties ».
L'auteur s'est préparé à l'écrire par quelques articles d'érudition et par
deux études austères sur les finances de l'Attique au v^ siècle. Il con-
naît bien l'ensemble de son sujet : il sait quelles sont, en dehors des
questions qu'il a fouillées lui-même, les solutions admises et les
problèmes débattus. Le récit des événements est précis, rapide, géné-
ralement clair.
J'aimerais bien pouvoir insister complaisamment sur ces qualités;
mais elles frappent dès l'abord le lecteur et n'exigent pas de longue
démonstration. Si ce compte rendu peut avoir quelque utilité, c'est à
condition de signaler les points sur lesquels les opinions de l'auteur
sont sujettes à caution, et particulièrement ceux où les erreurs com-
mises ne se peuvent révéler qu'à une consultation attentive des
documents.
Le premier défaut de ce livre, c'est l'esprit dans lequel il est conçu.
Sans doute il ne faut pas qu'un ouvrage d'histoire soit un dithyrambe
enthousiaste, et rien n'est fatigant comme la louange continue. Mais
l'excès contraire est peut-être plus maladroit, plus injuste à coup sûr.
Si l'on n'entre pas en sympathie avec les gens dont on parle, on
s'expose a ne pas les comprendre et à mal interpréter leurs intentions.
Or, M. C. prend à l'égard de la démocratie athénienne une attitude
non pas seulement raide et désabusée, mais chagrine et agressive. Dès
qu'il apprécie le régime, les termes de dénigrement et de mépris lui,
viennent spontanément aux lèvres. Il a des expressions hostiles qu'il
répète sans se lasser : on les voit venir quelques lignes d'avance. Les
« aboycurs démagogiques » de la p. 126 reparaissent à la p. i3i
comme « aboycurs de la Pnyx », à la p. 3 16 comme « aboyeurs de la
place publique », et ils ne changent guère en se présentant, p. 180,
sous forme de « braillards ». Le peuple, c'est ordinairement « la
canaille » (cf. p. 493) et, à l'Héliée, « la canaille judiciaire » (p. 177,
206). .Les pays qui suivent de plus ou moins près l'exemple
d'Athènes « s'enlisent dans la démocratie » (p. 70) ou même « se sen-
tent enlisés par le flot montant »(p. 102). Avec un pareil préjugé, il
est difficile de porter sur toutes choses un jugement calme et pondéré.
Que, pour la première fois dans l'histoire du monde, on ait tenté
d'organiser un gouvernement avec quarante mille souverains égaux ;
que les citoyens tout-puissants aient eu le bon sens de placer long-,
temps à leur tête les descendants des grandes familles habituées au
maniement des affaires politiques et de confier jusqu'à la fin les fonc-
5 04
REVUE CRITIQUE
lions importantes aux gens de loisir, bien nés ou riches; qu'ils aient
senti avec un tact surprenant le besoin de réfréner Içs passions de
Vecclesia par les pouvoirs donnés à la boulé et de contenir l'arbitraire
des décrets dans la limite des lois par la graphe parauotnôn : tout
cela, M. C. ne veut pas ou plutôt ne peut plus le voir, parce qu'il
s'est mis un bandeau sur les yeux; tout cela n'est pour lui que
« l'anarchie politique d'une nation qui s'obstinait à faire d'un organe
de contrôle comme le suffrage populaire un organe de gouvernement »
(p. I 57-1 58 ; la démocratie est encore « l'anarchie » à la p. i 34). Dans
ce spectacle, qui ne manque pas de grandeur, il ne discerne que « la
puissance d'avortement de la démocratie » ip. i58). Ah! on n'accusera
pas M. C. de se faire l'âme du peuple qu'il décrit, ni même de celui
auquel il appartient.
L'image ainsi déformée de la démocratie se reflète naturellement
sur toutes les parties où l'auteur examine ou mentionne une institu-
tion quelconque. On pense s'il a beau jeu à verser le blâme sur l'orga-
nisation financière d'Athènes : il la connaît bien, et elle a toujours
été défectueuse. Encore quelque impartialité sied-elle à la critique.
M. C. est le premier à poser en fait qu'il n'y a pas eu de trésor public
sur l'Acropole avant les guerres médiques; il admet donc qu'il fallut
créer tout d'un coup une double administration, pour la cité et pour
la confédération; et il s'étonne que le peuple athénien ne soit pas
arrivé à la perfection en quelques années, mettons même en un siècle
et demi! Ne faudrait-il pas s'étonner plutôt de la rapidité avec laquelle
les progrès s'accomplirent, de l'intelligence pratique qui fit vite se
détacher les unes des autres les administrations spécialement affectées
à la recette, à la trésorerie, à la comptabilité, au contrôle général?
M. C. voit dans la complexité de ces administrations une tare de plus.
Il énumère avec sévérité « les collèges de magistrats financiers qu'a
multipliés le gaspillage et la méfiance démocratique » (p. 194). Pour-
tant, si le gaspillage est un vice — et il faut concéder qu'en certaines
conjonctures les Athéniens s'y laissèrent aller trop facilement — , la
méfiance est au moins le commencement de la vertu. Je ne veux pas
examiner si 10 apodectes, 10 logistes, etc., c'était trop pour un État
qui renfermait une population libre de plus de 200.000 âmes et diri-
geait un vaste empire; je constate seulement que la division croissante
du travail administratif est la conséquence nécessaire du progrès poli-
tique et que, pour restreindre les dépenses inutiles, il n'est rien de
tel qu'un partage logique d'attributions et un contrôle bien compris.
Un autre reproche renferme une contradiction tout aussi singulière.
M. C. s'apitoie sur le sort des riches, traités en suspects par le
peuple. Il nous montre les Trois-Cents accablés par la triérarchie et
les Douze-Cents fortement grevés par les autres liturgies. Il devrait
donc (p. 202-2o3) insister sur le caractère équitable de ïeisphora,
puisqu'elle était répartie entre tous les citoyens et métèques possédant
d'histoire et DR LITTÉRATURE 5o5
au moins 2.3oo dr., et qu'elle pesait sur les biens modestes des
zeugites comme sur les gros capitaux des deux classes supérieu-
res. Eh bien! non; l'eisphora est présentée, avec les liturgies, sur
la liste des mesures vexatoires prises contre les riches. Est-ce à dire
que limpôt ne pouvait être juste qu'à condition d'écraser les thètes
qui ne possédaient rien et vivaient au jour le jour?
A l'égard des autres institutions, M. C. procède de même. Ce qu'il
appelle « la canaille judiciaire » lui semble toujours à l'aftut des biens
à conrisquer. Il mentionne à ce propos certaines pages de Boeckh,
déjà hautes en couleur, et ajoute qu'il faudrait encore charger ce
tableau (p. 2o3). Il faudrait, au contraire, dire que les abus de la
confiscation sont exceptionnels et datent des temps troublés où les
passions politiques se satisfaisaient patriotiquement en subvenant à la
détresse du trésor. Il faudrait ajouter que la confiscation remplaçait
dans le droit pénal d'Athènes les peines privatives de la liberté, qu'on
déclarait intolérables pour un citoyen, et qu'elle marqua depuis 4o3
un progrès notable dans les mœurs publiques en excluant la peine de
mort. M . G. n'est pas plus tendre pour l'organisation de l'armée et
de la marine. Il est certain qu'au iV' siècle les Athéniens n'ont pas
grand goût pour le service militaire; mais de là à soutenir que la
cité ne fournissait aux stratèges que « des milices poltronnes et
indisciplinées » (p. 199), il y a loin. Quelle preuve péremptoire justifie
donc cette accusation? Apollodore raconte que, pour ne pas désobéir
aux lois, il ne consentit pas à prendre à bord de son navire le beau-
frère de son chef, condamné à mort par contumace : peut-on voir là
« un exemple curieux du refus d'obéissance d'un triérarque et d'un
pilote vis à vis d'un ordre qu'ils jugent dangereux? » Il n'est pas
jusqu'à la culture athénienne qui ne donne prise à une attaque de
M. C. Il admire le développement des arts au siècle de Périclès; il
va même trop loin, quand il doute (p. 206) qu'il y eût des artistes
médiocres à Athènes. Mais il considère comme un fait normal que la
supériorité intellectuelle suscitait l'envie démocratique. Pour tirer
une pareille conclusion de la condamnation de Socrate, il faut oublier
que les hostilités furent ouvertes par Aristophane et que le procès
final eut lieu sous la domination du parti modéré. Enfin, M. C.
(p. 204) relève, comme un indice de la corruption croissante des
mœurs au iV siècle, cette phrase tirée du plaidoyer contre Nééra :
« Nous avons des épouses pour perpétuer notre nom, des concubines
pour nous soigner, et des courtisanes pour nous divertir ». Mais
cette phrase, pas plus qu'elle n'a été « prononcée par Démosthène en
pleine tribune » puisqu'elle a été écrite par Apollodore en vue d'un
procès à l'Héliée, n'a, rien qui caractérise la société athénienne de
l'époque, puisque la r.-xXl'r/.r] a des droits d'épouse à côté de la oâ(jLap
dans le code de Dracon et que le Digeste fait exactement les mêmes
distinctions que l'orateur incriminé. Reste que M. G. y voudrait un
5o6 REVDK CRITIOUK
pou plus d' >< hypocrisie »; mais il n'a pas la prétention de substituer
notre moralité, dont la supériorité sur ce point serait à démontrer, à
celle de toute l'antiquité grecque et romaine.
Naturellement les antipathies de M. C. lui dictent aussi parfois des
opinions contestables sur les personnages et sur les événements. Sans
doute il ne tombe pas dans les mêmes excès où se complaît, par
exemple, M. Beloch quand il ne trouve à priser dans Périclès que
l'habileté du financier et la stratégie du parlementaire. Il témoigne
même la plupart du temps à l'égard des personnages de premier plan
d'une impartialité méritoire. Cependant, au milieu de la tourmente
qui se déchaîne dans la dernière période de la guerre du Péloponèse,
il ne parvient pas toujours à conserver son sang-froid. Quand il raconte
les débuts d'Alcibiade, il nous dit : « Le snobisme et la badauderie de
ses compatriotes lui permettaient toutes les espérances, que ses rares
facultés pouvaient d'ailleurs le mettre en mesure de réaliser » (p. 134).
Mais le snobisme qui mène à deviner le mérite n'est-il pas un heu-
reux défaut? Après la dernière application de l'ostracisme, c'est bien
aussi une vue un peu courte qui en fait expliquer la disparition par
le manque « de sérieux dans les mœurs politiques » (p. i36). La loi
de Glisthènes avait été faite pour écarter d'Athènes, en cas de besoin,
les parents des Pisistratides; détournée de son véritable but dès
qu'elle servit à décider entre les chefs de parti, elle ne correspondait
plus, au bout d'un siècle, aux besoins du régime parlementaire qui
s'était perfectionné; enfin, trop anodine pour les vengeances des
oligarques en 410 et en 404, elle ne pouvait plus être remise en
vigueur par les démocrates triomphants. Un peu plus loin (p. 137),
M. C. attribue les procès de Protagoras et de Diagoras au caractère
agressif des superstitions exotiques apportées par les métèques.
Erreur manifeste : Diagoras, en 414, fut victime d'une réaction natio-
nale, et Protagoras fut accusé par l'ot^cier de cavalerie Pythodoros,
qui devait être un des Quatre-Cents. Enfin, les mesures énergiques
prises en 413 contre les sacrilèges n'apparaissent plus comme des
mesures de salut public, mais comme des actes de tyrannie fantasque,
du moment où la mutilation des Hermès n'est qu'une « gaminerie
de jeunes aristocrates échauffés par un bon repas » (p. i5i). On
dirait que M. C, qui voit dans l'histoire d'Athènes durant tout le
IV* siècle une « Terreur adoucie » (p. 197), veut trouver une Terreur
pure et simple dans une bonne partie de la période précédente.
Les mêmes préoccupations se font jour de temps en temps quand
la scène se passe hors d'Athènes. Que la démocratie s'établisse à
Patras, du coup « l'anarchie devient dangereuse )^ (p. 134). C'était
plutôt un gouvernement d'oligarchie tempérée que celui de Thèbes,
où l'accès des magistratures était interdit à quiconque avait exercé
un métier depuis dix ans, et M. C. reconnaît que cette ville
n'avait pas « poussé jusqu'au bout la dangereuse plaisanterie de
d'histoire et de littérature 5o7
la souveraineté populaire ». II n'en distingue pas moins dans
l'histoire des Théhains « tous les vilains côtés de la démocratie »; il
y flétrit la « surenchère de flagornerie démagogique » ; il y dénonce,
naturellement," l'aboyeur de place publique » ^p. 3i6), Au fond
M. C. est Spartiate de cœur. C'est son allaire, et nul ne niera que
Sparte n'ait apporté de très hautes et très nobles vertus au florilège,
moral de l'antiquité. Mais on ne peut cependant pas raisonnablement
regretter que toutes les constitutions des Grecs n'aient pas reproduit
le même modèle et que tous leurs actes n'aient pas été inspirés par
la même politique. On ne peut surtout pas antidater de vingt-cinq'
siècles un certain idéal de liberté, pour déclarer que le Grec s'esti-
mait libre, mais ne l'était pas (p. 368). Quant à s'itnaginer que « touteS'
les aristocraties » sont « essentiellement pacifiques » (p. 1 02), c'est une
illusion contre laquelle proteste l'histoire de tous les temps.
Un autre défaut de M. C. est bien plus dangereux, parce qu'il est
moins apparent et qu'au contraire, si l'on n'y regarde pas de très près,
on lui en fera compliment comme d'une qualité rare et d'un mérite bien
personnel : je veux dire son goût pour les chiffres. Presque tous les
travaux préparatoires qu'a publiés l'auteur ont porté sur l'histoire
des Hnances et sur des questions de population. Lors donc qu'il-
traduit les faits éconoiniques ou démographiques en talents et en
drachmes, en milliers d'habitants ou en kilomètres carrés, on a une
tendance naturelle à le croire sur parole, d'autant que lui-même consi-
dère volontiers comme acquises les conclusions de ses recherchés^
antérieures et se borne parfois à nous y renvoyer; on lui veut du •
bien de préciser ainsi d'une façon moderne les formules vagues et
nuageuses qui dissimulaient et consolaient notre ignorance. Hélas! •
quand on essaie de refaire après M. C. le travail auquel il s'est '
livré, trop souvent on éprouve de cruelles déceptions. Tantôt les
procédés qu'il imagine, pour trouver les chiffres que les documents
lui refusent, apparaissent comme illégitimes et forcés; tantôt, les
calculs opérés sur les bases qu'il pose ne donnent pas les résultats
qu'il annonce.
Examinons les tableaux, principale originalité du chapitre prélimi-
naire, qui nous montrent l'état du monde ancien dans la première
moitié du v^ siècle.
M. C. veut d'abord (p. 4-8) évaluer la richesse et la population des "
19 satrapies ou nomes de l'empire perse. 11 dispose d'un docu-
ment capital, la liste des tributs donnée tout au long par Hérodote.
Quand on a une base comme celle-là, il faut s'y tenir le plus fidèle-
ment possible. Il est vrai que le total indiqué par l'historien en talents
euboiques présente quelques difficultés, qu'il n'est, d'ailleurs, pas
impossible de résoudre. Mais l'essentiel, c'est de rester le plus près
possible de données si précieusement exactes. Que fait cepen-
5o8 REVUE CRITIQUE
dant M. C, quand il dresse la liste des 19 tributs en convertissant
les poids babyloniens en poids eiiboïques? Il commence par rempla-
cer le rapport ^ par ^. Il veut simplifier, dit-il; mais, quand on fait une
opération en vue d'en employer le résultat à des calculs ultérieurs, on
ne doit pas multiplier d'avance les chances d'erreur; au reste, il n'est
pas plus compliqué de chercher les j^ que les 3 de 200, 3oo, etc.
Ce qui est plus gênant encore dans ce premier tableau (p. 4-5), c'est
qu'il s'y glisse des lapsus et des erreurs de calcul qu'on ne peut pas
pr<;ndre pour des fautes d'impression. Les 170 talents babyloniens du
7"" nome ne font pas 270 talents eubo'iques, mais 226, si l'on admet
le rapport 3, et en réalité 227. Le tribut de 400 talents babylo-
niens, qui est converti pour le i®' nome en 5'3o talents cuboiques et
qui devrait en faire 52o, se trouve tout à coup, pour les i3<^ et 17" no-
mes, n'en plus représenter que 5oo.
Mais vovons l'usage que va faire l'auteur de la liste ainsi obtenue.
Pour chiffrer la richesse naturelle de chaque nome, il rapporte le
montant de son tribut à sa superficie. Pour cela, il part de ce postu-
lat que, dans cet immense empire composé de déserts et de vallées
prodigieusement fertiles, l'impôt était partout assis sur le sol suivant
une règle uniforme ; et là-dessus il rapproche les chiffres du tribut,
déjà plus ou moins légèrement déformés, de mesures superficielles
qu'il est obligé de conjecturer en l'absence de toute certitude sur les
limites des nomes. Admettons cependant le système ; les erreurs déjà
commises font boule de neige : sur 19 nomes dont on nous donne le
tribut au kilomètre carré, il y en a 10 pour lesquels cette moyenne est
inexacte. De plus, quand l'auteur veut faire la moyenne générale, au
lieu de diviser la superficie de l'empire par le total des tributs, il
divise la somme des moyennes partielles par le nombre des nomes,
ce qui n'aurait d'intérêt que si les nomes avaient tous la même éten-
due : il trouve ainsi 8 drachmes eubo'iques par kilomètre carré, au
lieu de 10.
Non content — ou plutôt trop content — de ces résultats, M. C.
entreprend d'évaluer la population libre et sédentaire de chaque
nome. Comment s'y prendre? Pas un mot là-dessus dans aucun
document. Qu'à cela ne tienne ! Nouveau postulat : le tribut, qui
était partout proportionnel à la production du sol, l'est aussi partout
au chiffre de la population. Soit. Mais quel est le taux par tête?
Qu'on le demande à l'Egypte. Elle paie 5 1/2 millions de drachmes.
Elle aura 7 millions d'habitants sous les Ptolémées ; elle en a moins
sous Darius. A i dr. par tête, ce serait encore trop ; à i 1/2 dr., on
arrive à 3, 600, 000 habitants pour l'Egypte. Voilà qui va. Pourquoi ?
Parce que M. C. a l'impression que cela va, et c'est tout. Plaisons lui
encore crédit. En réalité, il hésite continuellement dans l'application
du taux qu'il a choisi. Il tâtonne, et sur les 18 résultats auxquels il
d'histoire et de littérature 509
aboutit (l'Egypte mise à part}, je n'en trouve que ? qui soient con-
formes aux règles qu'il s'est posées. Il évalue à 2,000,000 d'habitants
la population de cinq nomes : celle du Kf nome qui devrait être de
1,600,000, celle du 3'' qui devrait être de 1,900,000, celles du i«'' et
du 17"= qui devraient être de 2,100,000, celle du 4" qui devrait être
de 2,600,000. Bref, il renonce à maintenir le taux qu'il avait adopté.
Mais il fait mieux. Dans ses conclusions, quand il considère les
choses de haut (p. 7). il reconnaît à l'Egypte 5, 000, 000 d'habitants.
Alors nous revenons au taux de i dr., et tout est à recommencer?
C'est assez dire que la faniaisic, ou du moins le sentiment personnel,
tient la plus grande place dans ces recherches et qu'en tout cas le
taux de I 1/2 dr. par habitant n'a aucune valeur.
On pourrait croire que pour les choses de Grèce, qui lui sont plus
familières, M. C. use d'une méthode plus prudente. Malheureuse-
ment il n'en est rien. Parcourons, par exemple, le tableau de la con-
fédération athénienne en 454/3 (p. iS-iq).
Il s'agit avant tout d'établir le tarif des tributs. La tentative n'est
pas chimérique ; car la liste d"à-xo-/a( que nous possédons pour l'an
454/3 peut être complétée par celles d'autres années. Mais il y faut
d'inlinics précautions. Reportons-nous avec M. C. à son ouvrage sur
le l^résor d'Athènes, doni i\ maintient ici les conclusions. Quand il
trouve des chitîres exacts dans les comptes mêmes de 454/3, il lui
arrive de les augmenter sans raison apparente. Il fixe le tribut de
Lindos à 10 talents, au lieu de 8 talents 25oo drachmes ; celui d'Ab-
dère à i5 t., au lieu de 12 t. 5 100 dr. Il sait que les chiffres d'une
année peuvent être élevés anormalement par liquidation d'arriérés ou
versement d'avances, et c'est ainsi qu'il réduit fort justement le chiffre
donné pour Sermylia ; mais souvent aussi il manque à cette règle. Il
maintient pour les Érinéens le chiffre de 453/2, 41 3o dr., quand
ceux de 446/5 et de 444/3 sont de 1000 dr. et bien qu'une diminution
à ce moment soit invraisemblable. Pour Stagire il s'en tient égale-
ment au chiffre douteux de 453/2, un talent, quand celui de 1000 dr.
se retrouve durant dix années de la période 450-437 et les deux années
427-5. Pour Ténédos il va chercher, au contraire, le chiffre de 452/1,
4 talents 3oo dr., quand il n'aurait qu'à prendre celui de 453/2, cer-
tifié par la liste de 450/49, à savoir i t. 3720 dr. Encore n'est-il pas
sûr qu'il ne faille pas faire subir une légère diminution aux chiffres
de la période 453-450, lorsqu'on s'en sert pour l'année 454/3 ; au
moins l'exemple des Lepsimandiens invite-t-il à le croire, puisqu'ils
paient io3odr. en 453/2, 1200 en 452/1, i5oo en 451/0 : par consé-
quent, il est bien risqué de les taxer pour 454/3 au chiffre le plus
élevé, d'autant que leur tribut n'est plus que de 1000 dr. dans la
période 444-439. M. C. a raison, en général, de tenir compte des
diminutions accordées par Athènes de 450 à 439 et de considérer les
chiffres de cette période comme des minima; mais il devrait se rap-
5lO REVUE CRITIQUE
pclor que cette règle ne vaut pas pour les villes de l'Asie Mineure
avant 446/5. Il ne faut donc pas porter le tribut d'iù-ythrées à 10 t. en
454/3, sous prétexte qu'il est de 9 t. 33oo dr. en 450/49, et de 7 t.
en 444/3; il est plutôt au-dessous de 91. qu'au-dessus, et, puisqu'en
425, année où les tributs seront doublés, il s'élcvc'ra à 12 t.. il
convient de l'évaluer pour 434/3 à environ 6 t. Entin, c'est un
principe juste qu'à partir de 439 chaque revision du tarif amena une
augmentation, jusqu'à ce qu'en 425 on lût arrive au double du total
primitif; et même ce principe, à condition d'être appliqué avec tact,
fournit un excellent moyen de contrôle pour les listes antérieures.
Mais est-il bien légitime, parce qu'en 425/4 des 'KoptY,; 'X'ir^nnT^- figu-
rent parmi les tributaires de Carie pour 6 t., d'inscrire d'office sur la
liste de 454/3, et pour la somme considérable de 3 t., une ville dont
on ne sait absolument rien ? Le chiffre de 5ooo dr. pour les riE?-.-?;; h.
Aîvoou n'est-il pas entaché d'arbitraire, alors qu'ils n'ont fourni jus-
qu'en 436/5 que des sommes intimes, trois fois 100 dr. et une fois
280, et qu'il a fallu évidemment une raison extraordinaire, qu'on n'a
pas le droit de reporter sur la période antérieure, pour qu'à partir de
436/5 ils aient été imposés pour des sommes de 5o6o dr., 4800 dr. et
I t. ? Si Eléonte a contribué en 425/4 pour 100 dr., ce n'est certes
pas un motif suffisant pour fixer à 5o dr. le chitlVe de 454/3 ; mais,
puisque, dans Tintervalle, le chiffre de 100 dr. se retrouve trois fois,
et une seule fois — en 445/4 — celui de 3oo dr., il ne faut pas choisir ce
dernier, mais indiquer le premier comme un maximum. Pour Cos,
nous avons trois chiffres certains : en 450/49, 3 t. 336o dr. ; en 441/0,
5 t. ; en 428/7, 3 t. 4465 dr.; M. C. choisit le chiffre de 441/0, quand
il serait cependant conforme aux principes qu'il a posés de préférer
celui de 4 50/49, confirmé par celui de 428/7.
Sans doute je cite les exemples les plus caractéristiques; mais ils
sont assez nombreux déjà (et il y en a d'autres) pour que M. C. soit
mal venu à déclarer allègrement, par allusion à des objections qui lui
ont été faites, que « ceci n'affecte, en tout cas, qu'un petit nombre de
chiffres ». Ceci suffit, en tout cas, à mettre en pleine lumière la ten-
dance de l'auteur: il gonfle le plus possible les chiffres des tributs.
II arrive ainsi à un totf^l de 52i talents, qu'il arrondit en 5 25 ; sous
prétexte de lacunes, il le porte à 55o; 55o, c'est presque le chiffre
donné quelque part par Diodore, 56o; 56o, c'est tout près de 600
talents dont parle Thucydide pour l'an 431 et M. C. s'arrête à ce
dernier chiffre. En réalité, le total de 52 1 talents s'effrite en partie,
d'autant plus que M. C. renonce maintenant, sans explication ni aver-
tissement, à faire figurer sur la liste la moitié presque des 245 villes
qu'il y avait réunies Jadis, d'où déduction de 32 talents, et que par
manière de compensation il y insère, avec des chiffres énormes et
purement conjecturaux, Samos, Chios et Lesbos, qui n'ont rien à y
faire.
d'histoire et de littérature 5 I 1
Voilà la hase incertaine et fragile sur laquelle M. C. prétend t^tablir
ses calculs, pour déterminer la population et la superficie des villes
confédérées. Rien de plus simple: il suffit d'appliquer h chaque trihut
le rapport de i 1/2 dr. par tête d'habitant, qui a dû être emprunté par
les Athéniens au cadastre perse. M. C. ne se dit pas que Tlonie, à
elle seule, payait au grand roi 52u talents euboiques, tandis qu'Aris-
tide fixa le total des contributions à 460 talents pour la confédération
tout entière, et que, par conséquent, le rapport du tribut à la population
n'a pas pu être le même dans l'empire perse et dans la ligue de Délos. En
traitant des données hypothétiques d'après une formule manifestement
fausse, il prétend faire surgir du néant les résultats d'un dénombrement
qui n'a jamais été fait. Intrépide, il va, il va. Les Lyciens, 40,000 habi-
tants; Milet, 40,000 habitants; Argilos, 41 ,000 habitants. Quoi! Argi-
los celte bourgade de Thrace, plus peuplée que Milet ou que toute la
Lycie ! Oui, et elle renferme même plus de cinq fois la population
d'Olynthe ; car on peut supposer qu'elle payait 63, 000 dr., tandis que
Milet et les Lyciens n'en payaient que6o/)0oet01ynthe i2,ooo.Colo-
phon et Cnide ont chacune 12,000 habitants, tout comme les 'Kopiï,;
'V;jLy)77r;;, etc., etc. Mais M. C. poursuit plus loin ses recherches. Il
sait maintenant que la confédération enfermait une population totale
de 2 millions d'habitants, et il peut mesurer sur une carte la super-
ficie du domaine fédéral; il évalue ainsi la densité kilométrique de la
population à 75. Cette moyenne, il a le courage de la croire valable
pour chaque ville en particulier. De même que le tribut a fixé la popu-
lation, la population va fixer la superficie du territoire. La Lycie
mesure 5.600 k c, Milet et sa banlieue 5oo, Argilos 600, tandis
qu'Olynthe n'en saurait posséder que 100. Même quand il arrive aux
îles dont il connaît la superficie réelle,. M. C. ne s'arrête qu'à regret :
il place côte à côte le chiffre que lui fournissent ses calculs et celui
qu'il trouve dans les géographies. Et les différences qui à ce moment
se manifestent à lui ne lui dessillent pas les yeux.
Après avoir appelé l'attention sur les tendances générales de l'ou-
vrage, je voudrais signaler quelques taches dans le détail.
P. 22. Le théorikon est donné comme une institution démocratique
du ve siècle. 11 est dit plus justement, à la p. 226, n. 4, que cette date
n'est pas certaine, et à la p. 232, n. 7, qu'il paraît être une invention
d'Agyrrhios.
P. 84. L'existence de magistrats appelés ^Evooîxac repose sur une res-
titution peu vraisemblable : la juridiction qui leur est attribuée appar-
tenait, au temps de Cratinos et d'Aristophane, aux va^j-coo-xa-. qui sont
déjà nommés dans le décret pour Hestiaia (IG, I, 29).
P. 84, 92. Les 14,240 citoyens qui, d'après le texte de Philochore,
prirent part à la distribution de 444 ne représentent pas toute la classe
desthètes. Le nombre des thètes n'a donc pas progressé en 14 ans de
5 12 REVUE CRITIQUE
14240 à 20000. Il faut probablement ajouter aux 14240 les prétendus
4761) -a;£YYpa--'>'., dont le nombre a été imaginé de toutes pièces, parce
qu'on croyait à un total de 19,000 tliètes (19.000 — 14240 = 4760).
P. 02, n. 1. Le uEToîx'.'Jv n'était pas d'une drachme par tète, mais
de 12 pour le chef de famille, et de 6, si c'était une femme.
P. q3, 204, 348. Ilest probable, en effet, que l'esclavage a pris de
l'extension au iv« siècle. Mais la preuve donnée ne vaut rien. Si les
esclaves avaient baissé de prix, cela prouverait, non que la demande
était plus forte, mais que l'offre surabondait. En fait, il semble bien
qu'à la fin du v* siècle et pendant le iv^ la hausse ait été constante.
Les pôlètes. en 415, n'inscrivent pas seulement des prix de 170 et 180
dr., mais aussi de 240 et 3oi; malgré les guerres continuelles, les
rançons des prisonniers de guerre ont une tendance à augmenter.
Pour démontrer la thèse de l'auteur, il convient, en somme, de pren-
dre le coatre-pied de son raisonnement.
P. 129. Si la situation des hilotes est peu à peu devenue tolérable,
il n'en faut pas faire honneur aux habitudes patriarcales des Spartiates.
La loi qui les attachait à la glèbe et fixait à perpétuité le quantum de
la redevance les laissait en mesure de profiter de tous les progrès qu'ils
réalisaient dans l'exploitation de leur tenure : d'où une amélioration
quasi automatique de leur sort.
P. 190. Comme le Perse Otanès ne prévoyait pas les discussions
modernes sur la R. P. et le système majoritaire, le principe qu'il
exprime dans Hérodote III, 80 : sv yào tôj toXXù) ev. -rà riv-ra ne signifie
nullement : « la majorité équivaut au tout » (il faudrait au moins
7:XéovO, mais affirme tout simplement la souveraineté populaire.
P. 194. Ce n'est pas vers 365, mais en 378/7, que les neuf proèdres
ont enlevé au prytane la présidence de l'assemblée.
P. 196. Il était bon de mentionner, à côté de l'Aréopage, les autres
tribunaux du sang, Palladion, Delphinion, etc., où siégèrent d'abord
les éphètes et plus tard les héliastes.
P. 2o3. M. C. veut donner un exemple de procès où un métèque
risque de perdre sa fortune. Il cite celui 0 où nous trouvons impliqué
le fils de l'affranchi Pasion ». C'est Phormion qui est défenseur dans
cette affaire; quant au fils de Pasion, Apollodore, il est citoyen,
puisque son père avait déjà reçu le droit de cité.
P. 217. Platon est du dème de Kollytos; mais cela ne prouve pas
qu'il y soit né.
P. 225. << Sur les comptes de l'Erechtheion, on est étonné de la
faible rémunération des architectes et sculpteurs, comparée au salaire
élevé des manœuvres. Au iv« siècle d'ailleurs, il en sera encore de
même. » Dans les comptes de l'Erechtheion, le salaire à la journée
est le même pour tous, architecte, ouvriers qualifiés ou simples
manœuvres; mais il y a des travailleurs payés à la pièce, conime les
sculpteurs, et il est difficile d'apprécier leur rémunération. Au
d'histoire et de littérature 5i3
IV' siècle, la hausse des salaires est générale, et en même temps leur
différenciaiion : les manœuvres ont i drachme 1/2, les ouvriers qua-
liHés 2 ou 2 1,2 ; rarchiiecie est pavé à l'année.
P. 227, 498. La littérature peut dédaigner la moyenne comédie,
dont il reste si peu de chose; l'histoire doit y attacher une grande
importance. C'est la comédie sociale, succédant à la comédie poli-
tique. Le poète ne prolonge plus sur la scène les discussions de
l'agora; il s'adresse aux gens de métier, aux métèques plus encore
qu'aux citoyens.
P. 317. A la liste des intellectuels qu'a produits la Béotie, ajouter
Cratès de Thèbes, un des chefs de l'école cynique.
P. 325. C'est au v'' siècle que la mise en circulation du trésor perse
a fait baisser la valeur de l'or de 14 ou i 5 à 12 par rapport à i d'ar-
gent. Au iv" siècle, et avant même l'expédition d'Alexandre, l'affluence
de l'or a fait baisser le rapport de 12 : i à 10 : i.
P. 33o, n. 2. M. C. croit que le a>op[jiô<;, mesure de capacité,
équivalait à un chargement de navire et pouvait être facilement de
5,000 médimnes ou même de 8,000. Mais le texte même qu'il cite.
Lys. XXII, 5, 6, nous apprend que la loi défendait aux revendeurs
d'acheter en une fois plus de 5o cfopijto'!. Si M. C. avait raison, le légis-
lateur aurait pris la peine d'intervenir pour défendre aux intermé-
diaires d'acheter plus que la production totale de l'Attique.
P. 341. Il est exagéré de dire qu'au iv« siècle l'importance des
temples comme établissements de banque avait presque disparu. Il
suffit de se rappeler l'exemple de Délos.
P. 341. Les calculs sur les souscriptions apportées à Delphes, en
vue de retrouver les revenus des villes grecques, caractérisent une fois
de plus les aspirations de M. C. vers la précision arithmétique. Mais
là, comme ailleurs, il adopte un taux arbitraire. Nous savons que ce
taux était d'une obole ; mais sur quelle unité, nous l'ignorons. M „ C.
opte pour le statère : Apollon Delphien aurait exigé en tout 1/6,
quand les dieux d'Eleusis demandaient 1/600 ou 1/1200 de la récolte
annuelle et qu'Athéna même se contentait de 1/60 du tribut. Et puis,
à quels chiffres M. C. applique-t-il un taux inusité? A des acomptes
irréguliers, à des annuités dont le nombre nous est inconnu. On le voit,
dans cette tentative tout est ruineux. Enfin, comment les 2,478 drach-
mes des Phocidiens, multipliées par 12, font-elles 56 talents? Même
si l'on convertit les valeurs delphiques en valeurs euboïques (ce que
l'auteur fait sans nous en prévenir), on n'arrive qu'à 7 talents.
P. 36o. On nous dit que lors du procès contre Zcnothémis,
Démosthènes était déjà un personnage influent. Le procès ayant eu
lieu en 3 3o, Démosthènes l'était depuis longtemps.
P. 367. « Il y a douze chambres de l'Héliée, de cinq cents membres
chacune. «Traduisez : « Il y a dix sections de l'Héliée, comprenant
chacune cinq cents membres et mille suppléants. »
5 14 REVUE CRITIQUE^
P. 469. A Tarente, « le nombre Jcs fOics, disait-on, était plus nom-
breux que celui des jours de l'année •. La plaisanterie eût été un peu
lourde. Le mot de Strabon (V, '3, 4) auquel l'auteur fait allusion
signitie que le nombre des jours fériés dépassait celui des jours
ouvrables.
P. 304. <i L'Académie... était tombée aux mains de Xénocratc,
avant de passer au rustre Speusippe. » Platon eut pour successeur
immédiat son neveu Speusippe, qui dirigea l'Académie de 347 h 339,
avant Xénocrate. (Qu'est-ce qui vaut à Speusippe l'épithcte de
« rustre»? Est-ce le fait d'avoir associé les Grâces aux Muses dans
une chapelle élevc'e au milieu des jardins ?
P. 5o5. Les 43.475 (et non les 43.372) lignes de manuscrit payées
3 talents reviennent, non pas à i5 oboles la ligne, mais à 2 1/2 obo-
les. Aux oboles sont malencontreusement substituées des drachmes.
Décidément, jusqu'à la dernière page, M. C. aime les chiffres d'un
amour malheureux.
Je signalerai quelques défauts de composition. Il faudrait des raisons
bien pressantes pour séparer complètement les deux chapitres sur l'art
grec et sur la science grecque, en mettant dans l'intervalle une cen-
taine de pages avec le récit des événements cle 435 à4o3. — Le livre III,
intitulé « les Puissances nouvelles » et commençant en 346, devrait
s'ouvrir par ces considérations sur la force et la grandeur de la Macé-
doine qui sont rejetées après le chapitre sur la conquête de l'Asie : au
lieu d'un « retour sur les antécédents », comme dit l'auteur, on aime-
rait mieux une explication préalable des faits. — On voudrait bien aussi
une conclusion générale à la fin d'un volume comme celui-là, même
s'il doit être suivi d'un autre ; tout ce qu'on trouve, avant de clore le
livre, ce sont, à propos d'Aristote, des notes sur le commerce des
livres : c'est un peu mince.
L'exposition présente quelques maladresses ou obscurités. On nous
parle à plusieurs reprises de syntriérarchie et de synchorégie, 'sans
nous dire ce que c'est (p. 90,1 36); l'explication ne vient qu'à la p. 170
pour l'une, et à la p. 227 pour l'autre. — L'importance du décret rendu
par Athènes contre Mégare est bien mise en relief (p. loi, 120-122);
mais la teneur exacte du décret n'est donnée nulle part. — L'histoire
de l'eisphora, telle qu'elle se présente à la p. 137, est incompréhen-
sible. — Le mot « ennéakaidékaétéride », que l'auteur emploie souvent
(voir p. Soi) est bien désagréable, même pour ceux qui le compren-
nent; les autres, en tout cas, aimeraient mieux lire « cycle de
19 ans ».
La bibliographie est, en général, telle qu'il convient à ce genre
d'ouvrage. Peu de taches à relever. En voici quelques-unes. P. 22,
n. I : pour la loi de Gortyne, il ne faut plus se référer au commen-
taire de Dareste dans ï Annuaire de VAss. des Et. gr. 1886, mais au
D'HISTOIRt lil DE LITTÉRATURE 5l5
travail complet et excellent de Dareste, Haussoullier et Th. Reinach
dans leurs Inscr. jurici. gr. P. 404: puisque le travail de Birt, Das
antike Buchn'esen, est vieilli, mieux valait citer la 2' éd. de la Palaeo-
graphie de Gardthausen. L'ouvrage cité p. 197, n. 3, est de 1904, et
non de 1907; l'article dont il est question p. 414, n. 6, a paru, non
dans la Rev. des Et. ^t., mais dans le Bull, de corr. hell. P. 20,
n. 3 : écrire Milchhôfer; p. 223, n. 2 écrire Biichsenschutz.
Nous n'avons guère vérifié les références aux textes. Notons en
passant : p. 223, n. 2 : Isocrate, Antidose, p. 194 (il faudrait ij 195).
Mais nous tenons à signaler une pratique que nous trouvons, quant
à nous, détestable. Si utile que soit la Prusopographia de Kirchner, ce
n'est pas une raison pour la substituer en toute occasion aux sources
directes. Il serait vraiment par trop commode, dès qu'un nom propre
apparaît dans un événement historique, de se justifier par la note :
Kirchner, s. v. M. G. ne craint pas d'en abuser, soit qu'il parle de
missions pareilles à celle d'Eschine et de Démosthènes en 346, soit
qu'il dépeigne les chefs des mercenaires et mentionne les vices de
Charès, soit qu'il considère la vie ei l'influence de Socrate, etc., etc.
(voir p. 198-206); il en prend si bien l'habitude, qu'à la p. 202 la
mention familière lui vient au bout de la plume après une phrase sur
les familles riches où il ne se trouve pas un nom propre.
La langue est la plupart du temps simple et de bon aloi ; souvent
même la phrase se ramasse sur elle-même, nerveuse, énergique. De
loin en loin (c'est rarei on est arrêté par des obscurités ou des lour-
deurs, des expressions embarrassées ou impropres, des figures discor-
dantes et heurtées (p. 58, 59). Des mots comme « insatisfait » (p. 61)
et surtout ■<■ insûr » (p. 338), sont des néologismes « indésirables ».
Certains titres : « Périclès maître », « Athènes comme puissance »
choquent les habitudes françaises. « Considérer la ville comme
traître » est franchement incorrect. Les effets de style sont assez
souvent des anachronismes voulus (p. 79 : » le régime des exposi-
tions universelles; p. 137 ; « battre le pavé » ; p. 36 i : le Marseillais
Pythéas « jouit toujours d'une réputation de Gascon ») ou même des
trivialités (p. 89, Aspasie est « une drôlesse prétentieuse » ; p. loi, la
démocratie"a << un aplomb olympien »; p. 1 15, la Victoirede Paionios
est « cousine germaine » de la Victoire à la sandale; p. i35, l'ostra-
cisme qui menaçait Nicias et Alcibiade tombe sur ^< un troisième lar-
ron ))).
En résumé, le volume de M. C. pourra être mis aux mains des
étudiants qui ne lisent facilement ni l'allemand ni l'anglais, mais sous
la condition expresse qu'on y cherche les faits et qu'on en élimine
les jugements, qu'on se méfie des données arithmétiques dans la
mesure même où l'auteur tient à les faire accepter, et qu'on prenne
3l(") RKVl'K CRITIQUfc
la précauiiun de crayonner sur bon nombre de marges les rectirica-
lions nécessaires '.
Gustave Glotz.
1 r. WiLiiKi.M, K. hYHoii-, Lateinische Akten des heiligen Psotius, dans
Mi'inchciicr Muscmn, Baïul i, llcti 2, p. 1.S.S-214.
M.Wiilielm publie, d'après deux manuscrits, le texte malheureument
incomplet de la Passio de saint Psotius ou Psaie, et de ■son compagnon
Cailinique, tous deux évoques en Thcbaide. Le récit est curieux et
valait la peine J'cire tiré des bibliothèques où on l'avait oublié
jusqu'ici (p. 186, 1. 22, lire « vcredarius » au lieu de « sanctus «). Six
fragments d'une rédaction copte des mêmes Actes sont traduits en
allemand, à la suite de la version latine, par M. Dyrotf. Entin, deux
recensions arabes sont déjà connues, conservées dans les synaxaires
jacobites. La tradition copte nous est parvenue de façon trop fragmen-
taire pour qu'on puisse juger si la Passio latine en est une traduction
approchée. La comparaisori avec le texte arabe, assez fantaisiste, est
possible et intéressante. Elle montre que les Actes ici publiés, qui
sont infiniment plus simples, ont peut-être une certaine valeur histo-
rique, que M. W. fait justement ressortir.
Jean Maspero.
Aug. Coin. ON. Inventaire des sceaux de la Bourgogne, recueillis dans les
dépôts d'archives, musées et collections particulières des départements de la
Côte-d'Or, de Saône-et-Loire et de l'Yonne (ouvrage publié sous les auspices du
Ministère de l'Instruction Pu'olique et des Beaux- Arts, et de la Direction des
Archives, et accompagné de 60 planches en phototypie). Paris, Leroux, 1912,
in-fol . xi.viii-366 p.
Les Archives Nationales possèdent une collection d'empreintes de
sceaux unique au monde. Cette collection s'est considérablement
accrue depuis le jour où Douët d'Arcq en a publié l'inventaire. Les
missions de Demay, en particulier, l'ont enrichie de moulages
recueillis à la Bibliothèque Nationale et dans les départements for-
I. On a vu plus haut par plusieurs de nos critiques que l'erratum des p. xni-xv,
quoique assez long, est tout à fait insuffisant. J'y ajouterai encore : p. xiv (préci-
sément dans l'erratum), au lieu de p. 3g2, lire Sgi ; — p. 17, Polichna, 9,000 dr.
e., hve 6,000; ib. Cyme, 72,800 dr. e. ; lire 72,000; ib. Mendè, 16,000 hab., lire
32,000; — p. 20, le district peuplée; — p. 37, une apogée; — p. 63, atihénien ;
— p. 79, n. 4, ail lieu de encore, lire déjà ; — p. 93, n. 6, Griesch.; — p. 102,
l'armée que Sparte a porté; —p. 118, iv° siècle, lire vi^; — p. 120, mater, lire
mater ; — p. 128, de nouveaux: accomplie ; — p. i33, Ion)!ienne ; — p. 147, n. 4,
Lièybéens , — p. 148, Est, lire Ouest; ib. plus de un; ib. nous l'avons vu (la
Sicile) vendre du vin, lire vue; — p. iSi, à la gaminerie, lire qu'à la gaminerie ;
— p. i56, Salamnie, lire Salamine ; —p. 171, n. 5, le diobélie; — p. 2o3,. n. 2,
cité n. 2, lire cité n. i ; — p. 206, ne parles pas ; — p. 233, rhét/;curs ; — p. 33.5,
la darique (sous-entendu stalère) ; — p. 341, n. 2, le taux laissée ; — p. 41 i, au
printemps de 349, lire 340; — p. 463, n. 3, Xénothémis, //re Zénothémis ; —
p. 5oo, quoiqu''\.\ en soit.
d'histoirk et Dt: littérature 517
mes par les anciennes provinces de la Flandre, de l'Artois, de la
Picardie et de la Normandie. Mais l'ttuvre de Demay avait été mal-
heureusement interrompue. Elle vient d'être reprise, en ces dernières
années, sur l'initiative de M. Dejean, directeur des Archives, par un
érudit particulièrement compétent, M. Coulon. De 1906 à 1908, ce
dernier a parcouru les trois départements de l'ancienne Bourgogne,
la Côte-d'Or, la Saônc-et-Loire et l'Yonne; il y a exploré avec
méthode les dépôts d'archives, les musées, les collections particu-
lières, et il a recueilli, au cours de ses campagnes, un peu plus de
1600 sceaux, qui portent à environ 54,000 le nombre des fac-similés
maintenant réunis au palais Soubise. C'est l'inventaire de ses décou-
vertes que, sous les auspices de la Direction des Archives, M. C. pré-
sente aujourd'hui au public.
Cet inventaire est une oeuvre scientifique, dans toute l'acception du
mot. On ne saurait trop louer la méthode de l'auteur, son érudition
étendue, sa conscience, qui va parfois jusqu'au scrupule. Le plan
rappelle celui de Demay : c'est la même grande division en deux
groupes, les sceaux laïques, qui se répartissent en neuf séries, et les
sceaux ecclésiastiques, qui en comprennent onze. Chaque sceau fait
l'objet d'une description qui met en relief ses caractères particuliers.
M. C. a su donner à ces descriptions toute leur valeur en identifiant
exactement le personnage ou la juridiction dont le sceau émane, en
analysant et en datant avec précision le document auquel il est atta-
ché. On peut se fier aux indications de cet inventaire, ce qui est l'es-
sentiel ; et le plus souvent, après l'avoir consulté, on peut se dispen-
ser de recourir aux originaux, dont la conservation est, d'ailleurs,
assurée par les excellents moulages que M. C. en a pris. Quelques
lapsus, inévitables dans un ouvrage de cette importance, ne sauraient
diminuer le mérite de l'auteur. P. xxxii, il est bien évident que l'in-
signe de la Toison d'Or n'a pas été créé, en 1429, par Jean Sans-Peur,
mais par Philippe-le-Bon. N° 89, l'acte auquel est appendu le sceau
de Béatrix de Chalon n'est pas de i32o, mais de 1220. La table alpha-
bétique, bien que dressée avec soin et susceptible de rendre de grands
services, renferme quelques inexactitudes (le sceau d'Henri I", dit
Beauclerc, est le n° i i et non le n° 77). Ces petites négligences ne
sont pas graves; il faut savoir gré à l'auteur d'en avoir réduit le
nombre le plus possible.
La préface que M. C. a jointe à son inventaire sera lue avec profit
par tous ceux qui s'intéressent à lart du Moyen Age. L'auteur y
signale les faits nouveaux que l'examen collectif des sceaux de la
Bourgogne apporte à l'histoire générale de l'art sigillaire et de l'ico-
nographie religieuse et civile. Le chap. III, dans lequel il étudie les
spécimens curieux de la collection, nous apporte une foule de rensei-
gnements intéressants sur les dignitaires et les artistes de la cour des
ducs de Bourgogne, et montre tout le parti qu'on peut tirer de la
5l8 REVUE CRITIQUE
sigillographie pour résoudre la quesiion. encore pendante, des ori-
gines de l'an bourguignon.- [.e chap. V n'est pas moins neuf : M. C.
y iraiie des ditTércnts types de sceaux, et spécialement de l'iconogra-
phie des saints de la Bourgogne, d'après les sceaux du type légen-
daire. Il y a là, résumée en quelques pages, la matière d'un livre très
attachant : l'esquisse que l'auteur en donne nous permet déjà d'entre-
voir avec quel charme délicat les artistes de l'école bourguignonne
ont su interpréter la légende des saints, et i]uel intérêt il y aurait à
rapprocher ces petites compositions des œuvres plus vastes où leur
génie s'aHirme dans toute son ampleur et toute son originalité.
La Direction des Archives a voulu rehausser la valeur documen-
taire de cet ouvrage et en faire en même temps un livre de luxe, en
l'accompagnant de 60 belles planches, qui reproduisent en phoioty-
pie le quart environ des sceaux décrits. Parmi ces 400 spécimens,
choisis avec goût, il en est d'un dessin charmant et d'une rare finesse
d'exécution. On remarquera les sceaux de type équestre qui portent
les n°' 79 (sceau du duc Philippe le Bon, 1433), 116 (sceau de
Guigues, comte de Nevers et de Forez, 1 238), 147 (sceau de Jean, sei-
gneur de Thil et de Marigny, 1347) ^Si (sceau de Jean de Chàteau-
villain, 1337); ceux qui offrent les figures en pied de Marguerite,
reine de Sicile (1282, n° 22), de Marguerite, comtesse de Flandre
(1374, n" 93), de Jean de Chalon, évêque de Langres (r33i, n° 958),
etc. ; les sceaux des cardinaux Zarabella et Panciera (141 6, n"* 874 et
875); le sceau et le contre-sceau de la ville de Cantorbery (r36i,
n°' 536 et 536 bis), celui de la Madeleine de Vézelay (i345, n° 1297),
celui de Daniel, évêque élu de Cefalu (i 157, n"^ 929 et 929 bis), etc.
Aucune de ces reproductions, d'ailleurs, n'est indiiïérente, et leur
ensemble complète dignement une œuvre magistrale, conforme aux
traditions scientifiques du palais Soubise, également honorable pour
la Direction éclairée qui en a conçu le projet et pour l'érudit archi-
viste qui a été chargé d'en assurer l'exécution.
Paul Le Cacheux.
Michel Augk-Laribk. L'évolution de la France agricole. Paris, Armand Colin
{Le mouvement social contemporain;, 1912. In-i8, xvii-lio4p.
M. Augé-Laribé n'est pas de ceux que l'optimisme aveugle. Il nous
décrit l'agriculture tendant de plus en plus à devenir une industrie,
en dépit desroutines paysannes. Industrialisée, elledevient capitaliste.
S'il n'y a pas, comme l'ont cru à priori les marxistes de la stricte
observance, concentration de la propriété rurale, si même il n'y a
pas de tendance très nette à la concentration des exploitations, il n'en
reste pas moins que la campagne se vide d'hommes, moins vite en
France qu'en Angleterre ou en Allemagne, assez vite tout de même.
La terre ne retient plus le paysan, et Michelet ne récrirait plus Le
Peuple.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE SlQ
Dans le capitalisme agraire naît l'association agricole, qui n'a pas,
tant s'en faut, donné tous ses résultats, ni sous la forme syndicale
ni sous lu forme coopérative. En réaction contre ce même capita-
lisme apparaît le socialisme agraire, peu développé encore, et assez
inhabile à se définir lui-même. Au reste l'association agricole se
présente surtout comme une collection d'égoismes.
Somme toute, une nouvelle démocratie rurale se forme, très ditîé-
rente de l'ancienne race paysanne, et que M. A.-L. ne voit pas très
en beau, ni comme groupe moral, ni comme élément physiologique
de la nation, ni comme entité politique. Il n'est plus tenté de dire à
la Terre : Salve, magna parens viriim ! Et ses conclusions seraient
assez décourageantes, s'il n'entrevoyait la formation d' « un type
nouveau de paysan », mieux adapté aux conditions nouvelles.
Quoi qu'on pense de ces conclusions, il reste un livre solide,
rempli de faits bien classés et intelligemment interprétés, sur la pro-
duction et la technique, sur le régime de la propriété, sur les mouve-
ments delà population, etc. Une chose manque, cependant, à tous les
ouvrages de cette jeune collection : une brève bibliographie.
Henri Hauser.
Mémoires et documents pour servir à l'histoire du commerce et de l'in-
dustrie en France, publiés sous la direction de Julien Havem. Paris, Hachette,
191 1. In-S", xii-253 p. Préface de Paul Delombre. — Deuxième série, ibid,, 1912.
In-80, viii-287 p., 9 grav. •
M. J. Hayem a eu deux excellentes idées : la première, c'est de
publier dans une revue commerciale financière des études d'his-
toire économique ; la seconde, c'est de ne pas laisser perdre ses études
et celles de ses collaborateurs, et d'en constituer une sorte de biblio-
thèque. Nous sommes si pauvres de documents et d'études documen-
taires en matière d'histoire économique que nous devons saluer avec
satisfaction l'apparition de cette collection.
C'est faire à M. H. une mauvaise querelle que de lui reprocher
l'absence d'ordre de ces deux volumes. Il est naturel que les cher-
cheurs se dirigent un peu dans tous les sens et nous apportent, au
courant de la découverte, le produit de leurs trouvailles.
Ce qui est plus regrettable, c'est que les divers collaborateurs de
M. H. ne soient pas tous également bien préparés au travail qu'ils ont
entrepris. Quelques-uns, M. Eugène Guitard, M. Paul Destray,
M. Georges Mathieu, M. Emile Isnard, sont rompus aux bonnes
méthodes : leurs études sur la délimitation du bordeaux et le com-
merce des vins de Bourgogne sous l'ancien régime, sur l'industrie
limousine et sur la soie en Provence nous seront précieuses. On goû-
tera également, de M. H., le mémoire de Tribert, inspecteur des
manufactures à Orléans de 1787 à 1791, c'est-à-dire à la veille du
jour où l'institution allait disparaître. Il y a, par contre, bien de
520 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
rinexpcriencc dans rarticle de M. Clierrière qui, sous prétexte d'étu-
dier la lune contre l'incendie sur la Seine, nous fait une histoire des
ports de Paris; le sujet nous est suffisamment connu par le livre,
plusieurs fois réédité, do M. François Maury, et il serait déplorable
que ces études devinssent des meubles à tiroirs.
11 faudrait également apprendre à publier correctement les textes.
Ce n'est pas nous donner le Mémoire de l'iniendant Jérôme Bignon
sur la généralité d'Amiens (il s'agit d'un des mémoires de 1698) que
d'imprimer d'abord un résumé de ce mémoire par Boulainvillers, et
de reproduire seulement le texte du mémoire pour la partie relative
aux manufactures. Ajoutons que l'éditeur a, ici, employé un bien
mauvais copiste, aux yeux de qui le nom assez connu de Van Robais
se transforme en un inattendu Naiirobois; il n'a su reconnaître ni Har-
divilliers, ni Pisseleu, ni la Thiérache, ni (p. i 5o) l'Authie, etc.
Les auteurs ne sont pas toujours très au courant des derniers tra-
vaux. Si l'article sur la navigation et le commerce de la Méditerranée
à la tin du xvii^ siècle connaît le premier ouvrage de Masson et cite,
mais sans les avoir utilisés (il aurait, autrement, reconnu, p. 224, dans
Salles le port de Salé), ses Etats barbaresqiies, il ignore sa si impor-
tante Compagnie du Corail. Une lecture un peu plus soigneuse de
G. Martin, Grande industrie sous Louis XV (p. 332), n'aurait pas
permis de considérer comme absolument inédite l'affaire Van Robais
de 1715-1716 (t. I, p. 57). Sur cette affaire, en dehors de f 12 des
Archives nationales, il faudrait voir c 149 des Archives de la Somme.
— Était-il bien utile de rééditer la « fête brésilienne célébrée à Rouen
en i55o », pièce archiconnue ?
Avec une méthode plus stricte, un choix plus sévère des maté-
riaux, une bibliographie mieux tenue à jour, la collection de M. J.-H.
pourra rendre de réels services.
Henri Hauser.
Académie DES Inscriptions et Belles-Lettres. — Séance du i3 décembre 1Q12.'
— M. Paul Monceau.x, élu membre ordinaire en remplacement de M. Phifippê
Berger, décédé, est introduit en séance.
M. Cuq fait une seconde lecture de son mémoire sur l'à-axTipu;'.;.
Léon Dorez.
L'imprimeur-gérant : Ulysse Rouchon.
LE POY-EN-VELAY. — IMPRIMERIE PEYRILLER, ROUCHON ET GAMON.
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Revue critique d'histoire et
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