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Full text of "Revue critique d'histoire et de littérature"

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REVUE  CRITIQUE 


D'HISTOIRE   ET    DE    LITTÉRATURE 


RECUEIL  HEBDOMADAIRE 


Directeur  :    M.  Arthur  GHUQUET 


QUARANTE-SIXIEME  ANNÉE 


PREMIER    SEMESTRE 


Nouvelle    Série.   —   Tome    LXXIII 


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PARIS 

ERNEST    LEROUX,  ÉDITEUR 

28,    RUE    BONAPARTE,    28,    VI* 
I912 


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REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET    DE   LITTÉRATURE 


1  , 

Nouvelle  série.  —  Tome  LXXIII 
QUARANTE-SIXIÈME     ANNÉE 


ANNEE     1912 


TABLE    DU    PREMIER    SEMESTRE 


TABLE   ALPHABETIQUE 


pages 


Académie  Hongroise,  Répertoire  alphabétique  des  articles 

contenus  dans  les  revues  quelle  édite  (L  K.) 339 

Albin,  Les  grands  traités  politiques  (R.  G.) 177 

Alès  (d'),  Commodien  et  son  temps  (P.  de  LabrioUe) .  .   .   .  370 

Allain  et  Hausicr,  La  France  (A.  Biovcs) 43 1 

Amade  (d'i,  En  Chaïouia(A.  Chuquet) 181 

Américaine  (Société  philologique),  Mémoires,  XL  (V.  Cour- 

nille) 8 

Amérique    du    nord,    Questions     de    politique    étrangère 

(A.   Biovès) 274 

Ammien  Murcellin,  I,  p.  Clark  (J.  D.) 12 

Ancona  id'),  Etudes,  H  (Gh.  Dejob) 336 

Ancona  (d"),  Lettres  à  lui  adressées  (Gh.  Dejob) 399 

Angleten'e  (le  meuble  et  la  décoration  en).  (H.  de  Gurzon).  56 

Angot  (L.),  Mélanges  d'histoire  (E.  W.).  ..........  317 

Antiquités  grecques  et  romaines  (Dictionnaire  des),  45  .   .   .  116 

Archambault,  Renouvier  (L,  R.) 190 

Aristote,  Politique,  p.  Thalhiîim  (My) 222 

Arvanitopoullos,  Fouilles  en  Thessalie  (A.  de  Ridder).    .   .  167 

Athènes  (Université  d').  Annuaire.  —  My 179 

AiJDOUARD,  Trois  lettres  de  Mirabeau  père. 

—  Généalogie  delà  maison  de  Bruny  (P.  Laborderie).   .  .  .  392 

Augustin   (saint).    Lettres,    IV,    p.   Goldbacher   (Pierre   de 

Labriolle) 10 

Aymard,  Les  Touaregs  (René  Basset) 81 

Bakhrf:ns,  Panégyriques  latins  (Emile  Thomas) 147 

Bakounine,  Œuvres,  V  (A.  Mathiez) 276 

Baldknspergf.r,  Alfred  de  Vigny  (Ernest  Dupuy) 329 


VI  TAHLK     DIS     MAIII.UKS 


page-f 


BalJi-nspcif^cr    I.liuc  de  M.)  à   propos  du   Chateaubriand 

de  M.  Kvaiisic  Michel 79 

Bai.zkr,  La  loi  (P.  Allarici 17 

lîariîoni  (Angclo)  (Ch.  Dejob; 335 

Baroque  (l'archiicciure)  en  Italie  (H.  de  Curzon) 56 

H*RTH  (B),  Amour  et  mariage  dans  les  nouvelles  du  moyen- 
âge    F.   Piquet) 27 

Harth  (P.)t  La  nature  dans  Obermann  (F.  Baldensperger)..  35o 

BARrHOLOMAF.,  Le  dati t"  si ugul icr  en  o  ( H .  P.) 21  3 

Baski-rvii-le,  Ce  que  doit  Jonson  à  ses  devanciers  (Ch.  B.).  359 

Batk.s,  Touristes  de  1600  (Ch.  Bastide) 496 

Baudissin,  Adonis  et  Eshmoun   A.  Loisy) i 

Baikr  iH.),  Les   temps  en  sémitique  (C.  Fossey) 481 

Balmgartkn,  Etat  de  détresse  et  état  de  défense  (Th.  Sch.).  ,  39 

Bi:al'corps  (C.  de),  Les  intendants  d'Orléans  (C.  E.  R.).  .  .  334 

BKAi:.MONr,  Mes  trois  grandes  courses  (H.  de  C.) 58 

Beal'quikr,  Faune  et  flore  populaire  de  la  Franche-Comté 

(Léon  Pineau) i5 

BivCCARi,  Documents  sur  TEihiopie,  X  ^J.-B.    Ch.) i65 

Bb:ccari,  Le  Tigre  ^J  .-B.  Ch.) 421 

Bégulé,  La  chapelle  de  Kermarie  (S.) 26 

Behaghel,  Histoire  de  la  langue  allemande  (F,  Piquet)  .  ..  346 

Benedek,  Victor  Hugo  (I.  Kont) 272 

Benni^tf,  Le  verbe  dans  Tancien  latin  (J.  D.) 3o2 

Benoit  XIV,   Correspondance,   p.   Em.  de   Heeckeren  (Ch. 

Dejob) 498 

Bergstraesser,  Le  parti  du  centre  (R.  G.) 3o 

Behneker,  Dictionnaire  étymologique  slave  (A.  Meillet).  .  .  364 

Bernhard  (L.),  La  question  polonaise  (R.  Guyot) 112 

Biîrot-Berger  (M""),  Décalogue  de  la  vie  moderne  (A.  Bio- 

vès) 43  2 

Berr,   La  synthèse  en  histoire  (Th.  Sch.) ,.   .   .  .  38 

Berteval,  Le  théâtre  d'Ibsen  (L.  Pineau) 376 

Bill,  Contre  Marcion  (P.  de  Labriolle) 371 

Binet-Sanglé,  Lettre  à  m.  Loisy qj 

Blum(A.),  Mantegna(H.    de  Curzon) 56 

Blumml,  Le  recueil  de  chansons  d'Uhland  (F.  Piquet)..  .  .  428 

Blùmner,  Antiquités  privées  des  Romains  (E.  T.) 102 

lîocKHOKF,  Henri  de  Neustadt  (F.  Piquet) 5o3 

BoHL,  Chananéens  et  Hébreux  (Alfred  Loisy) 204 

Bonhokker,  Epiciète  et  le  Nouveau  Testament  (P.  Alfaric).  19 

BoNiN,  Les  royaumes  des  neiges  (A.  Biovès) 431 

BôôK,  Etudes  critiques  (Virgile  Pinot) 458 

Boppe,   Les  peintres  du  Bosphore  (A.  Chuquet) 5i 

BoRELL,  Spinoza  (L.  R.) loo 


TABLK     DKS    MATIKRKS  VU 

pages 

Bosr,  Les  prcdicaieurs  protestants   des  Cévennes  et  du   bas 

Languedoc  (Albert  Waddington) i35 

BoixHAUD  (P.  de),  Les  poésies  de  Michel  Ange  et  de  Vittorio 

Colonna  (Ch.  Dejob) 3/3 

BoL'CHOR,  Contes  (L.  Pineau) 377 

Boi'RELLY,  La  guerre  de  1870  (A.   Chuquct) 54 

BouTOURAS,   Les  emprunts  du  grec  et  au  grec  (My) 424 

BouTROux,  James  1  Th.  Sch.) 36 

BovKT,  Lyrisme,  épopée,  draine  (F.  Baldensperger) 232 

BoYD,  L'Octateuque  J.-B.  C.) 397 

BoxALL,  L'évolution  de  la  science  et  de  la  religion  (A.  L.).  ..  443 

Braun  (P.),  Conrad  de  Merhourg  et  Steding  (E.) i3i 

Bréal  (Michel),  Gabriel   Monod 358 

Brewks,  L'époque  de  Commodien  (P.  de  Labriolle) 370 

Brinkmann,  Wustrau  (R.) 160 

Brissot,  Correspondance  et  papiers,  p.  Perroud  (E.  Welvert).  76 

Brock  (Miss),  Fronton  (Emile  Thomas) i5i 

Brugmann,  L'enseignement  du  grec  et  du  latin  (My) 170 

Brunetii^re,  Lettres  de  combat  (L.  R.) 195 

Bryce,  La  Révolution  américaine,  I  (A.  Biovès) 235 

Busse,  Les  grands  philosophes  modernes  (Th.  Sch.) 399 

Byron,  Lettres,  trau.  Delachaume  (Ch.  Bastide) 86 

Cabeen.  L'influence  de  Marino(L.  Roustan) 384 

Calvin,  L'excuse  de  M.  de  Falais,  p.  Cartier  iR.) 490 

Cambridge   (Université    de),     Histoire     de     la    littérature 

anglaise,  VII   (Ch.  Bastide) 74 

Canat,  Morceaux  choisis   de  Chateaubriand  (  L.  R.) 408 

Candé  (M"^  de),  Souvenirs  de  l'armée  vendéenne  (H.  Bague- 

nier-Desormeaux) 41  3 

Castella,  Bûchez.  (R.  G.) 3o 

Cavaignac,  Esquisse  d'une  histoire  de  France  (R.  Guyot).  ..  178 

Cessi,  La  vie  à  Alexandrie  (My). 333 

Chateaubriand,  Amours,  p.  G.  Pierredon  (F.  Baldensperger).  414 

Chauvigny  (L.  de).  Le  Hls  de  Laclos  (A.  Chuquet) 5  16 

Chesterton,  Charles  Dickens,  trad.  A.  Laurent  et  Martin- 
Dupont  (Ch.  B.) '359 

Christ,  Histoire  de  la  littérature  grecque,  p.    W.    Schmidt 

(Myj .^ 6 

Chuquet  (Arthur),  Gabriel  Monod 358 

—  Monod  et  la  Revue  Critique 419 

C1ACERI,  Cultes  et  mythes  en  Sicile  (Ed.  Thanisy) .  72 

Clergeac,  Les  évêques  de  Gascogne  (L. -H.  Labandei 5i  i 

Collas,  Jean  Chapelain  (L.  Roustan) 384 

CoLLiNS,  Voltaire,   Montesquieu  et  Rousseau  en  Angleterre 

(Ch.  Bastide) 86 


VIII  TABLE    DES    MATIERES 

pages 

Conseil  de  Genève.  Registres  III   et  IV  (R.) , i3  2,  492 

CoNsoi.i,  Notes  latines; 

—  I, a  première  satire  de  Juvenal  (E.  T.) 199 

CoRNELiirs,  Introduction  à  la  philosophie  i^Tli .  Sch.) 38 

CoRNiLs.  La  théologie  (P.  Allaric) 22 

CosQUiN,  Le  conte  du  chat  et  de  la  chandelle  (M.  G.  D.).  .  483 

CosTER,  Antiquaires  d'autrefois  (Ch.   Dcjob) 336 

CoTTiN,  Souvenirs  de  Rousiam  (A.  Chuquet) 59 

CotiRTHOPE,     L'élément    romanesque     dans    la    littérature 

(Ch.  B) 340 

Croze  l'A.   de),    La   chanson   populaire    de    l'île   de    Corse 

(L.  Pineau) 377 

Cruvplants  et  Aerts,   Dumouriez  dans  les  Pays-Bas  autri- 
chiens (A.  Chuquet) 474 

CsENGERi,  Drames  d'Euripide  (I.  K.) .  338 

DiJHNHARDT,  Légendes  animales  (Edouard  Thanisy) 8 

Damas  (Roger  de;,  Mémoires,  p.  p.  J,  Rambaud  (Ch.  Dejob).  477 

Danilowicz,  Naoum  Aronson  (Léon  Rosenthal) 55 

Daudet  (E.),    L'ambassade  du    duc  Decazes  en  Angleterre 

(R.  G.) 270 

Dauzat,  Pour  qu'on  voyage  (L.  R.) 194 

Dklannov,  La  juridiction  ecclésiastique  en   matière  bénéfi- 

ciale,  I  (A.) 73 

Delattre,  Les  fairies  dans  la  poésie  anglaise  (Ch.  Bastide).  497 

—  Robert  Herrick  (Ch.  Bastide) 5o5 

Della  Seta,  Religion  et  an  figuré  (A.  de  Ridder) 212 

Deloche,  La  maison  du  cardinal  de  Richelieu  (R.) 493 

Dfx  Vecchio,    Guerre  et  paix  (Th.  Sch.) 35 

—  De  Burlamachi  à  Rousseau  (Th.  Sch.) ,  .  .  .  .  38 

Denikle,  Luther  et  le  luthéranisme,  II  (Th.  Sch.) 36o 

Denis  (A.),   Le  Comité  de  surveillance  révolutionnaire  de 

Toul  (C.  P.) 218 

Dennett,  Les  noms  bantous  (A.  Meillet).  .  .  .  • 63 

Deonna,     L'archéologie,     sa     valeur,    ses    méthodes,    III 

(F.  Courby) 466 

Descartes,  Méditations,  p.  Guttler  (Th.  Sch.) 5i8 

Despatvs,  Fouché  et  Gaillard  (A.  Chuquet) iSi 

DiBELius,  La  cène  (A.  Loisy) 242 

Didier,  Locke  (  L.  R.  ) loo 

DiEHL  (E.),  Inscriptions  en  latin  vulgaire  (J.  D.) 25 

DiERALER,  Histoire  de  la  confédération  suisse,  IV  (R.).    .    .  495 
DiEULAFov,  Le  mausolée  d'Halicarnasse  et  le  Trophée  d'Au- 
guste, A.  de  Ridder) .  381 

DiEz,  La  presse  (R.  G.) 3o 

DiMiER,  Les  primitifs  français  (H.  de  Curzon) 56 


TABLE    DES    MATIERES  IX 

pages 

DiOBOUNioTis  et  Harnack,  Lesscolies  d'Origènc  sur  I  Apoca- 
lypse (P.  de  Labrjolle) 344 

DoKLGicR,  L'exorcisme  baptismal  (M.  D) 3oi 

DouKL,  Au  pays  de  Salammbô  (F.    B.) i  i  i 

DouTRKPONT,  La  littérature  française  à  la  cour  des  ducs  de 

Bourgogne  (H.  C.) 268 

Driault,  Austerlitz  et  la  fin  du  Saint  Empire  (R.  G.).  ...  456 

Duchaine,  La  franc-maçonnerie  belge  au  xyiii®  siècle  (F.  B.).  109 

DuKMKYER,  Lemonosov  (Th.  Sch.) 118 

DuPLKSsix,  Printemps  sacré  (L.  R.) 196 

Dupont  (Etienne",  Le  Mont  Saint-Michel  inconnu  (L.-H. 

Labande) 514 

DuPUY  (Ernest),  Alfred   de  Vigny  (F.  Baldensperger).  ...  109 

DuTiL,  Lettre  de  M^^de  Mondonville  (L.  R.) 400 

Eglise  (L'),  Ce  qu'on  a  fait  d'elle  (A.  Loisy) 465 

EiMER,  Byron  et  Shelley  (Ch.  B.) 340 

Endt,  Scolies  sur  Lucain  (J.  D.) 68 

Enéide,  H,  p.  E.  Diehl  ^E.  T.) 228 

Enk,  Commentaire  de  Properce  (Emile  Thomas) 307 

Faguet,  De  la  profession 

—  Delà  patrie  (L.  R.) 196 

Faguet,  Rousseau  contre  Molière  (Ch.    Dejob) 390 

Falisques  (inscriptions)  p.  Herbig  (J  .   D.) 23 

Faure,  La  crise  du  français  (L.  Roustan) 193 

Fedorowicz,  Documents  français  sur  la  campagne  de  Polo- 
gne en  1809  (A.  Chuquet) 181 

Feilberg  (Recueil  offert  à)  —   Léon   Pineau 345 

Férarès,  La  durée  de  l'année  biblique  (A.  L.) 437 

Fetzer,  Anatomie  pour  artistes  (L.  R.) 196 

Feuillerat,  L'Arcadie  de  Sidney  (Ch.  Bastide) 5o5 

FiAux,  Carrel  et  Girardin  (Ch.  Dejob). 259 

FicK,  La  formation  de  l'Odyssée  (My) 65 

FiEBiG,  Histoire  et  philosophie  de  la  religion  (A.  L.).   .   .   .  442 

—  Ethique  (A.  L.) • 442 

—  Les  Prophètes  (A.  L.) 442 

FiEBiG,  Un  écrit  de  Luther  (F.  P.) 119 

FiNACzv,  Helvétius  (L  K.) 337 

Finlande  (Société  suédoise  des  belles-lettres  de  la).  Publica- 
tions (L.  Pineau) 473 

FiNzi,  Histoire  de  la  littérature  italienne  (Ch.  Dejob).   .    .  .  107 

Fior  di  Virtu,  [Formules  du)  —  Ch  .  Dejob 335 

Fleiner,  Droit  administratif  allemand  (Th.   Sch.).    ....  38 
Fleischmann  et  Bovet,  Lettres  de  Talma  à  Pauline  (A.  Chu- 
quet)   181 

Flickinger,   Scaenica  (My) 326 


^  TAHI-K    DKS     MATIKRKS 


paçes 

locii.i.oN,  BcnvcnutoCcllini    H.  de  Curzoïi 56 

ForrvHT.Lcs  Aihciiiciis  dans  la  Chersonèse  de  Tliracc  i  Myi.  224 

KotiRNj:/..  l.undrecies  (A.  Cliuquci '^^' 

France  i»,hisioire  ei  géographie  économiques   H.  de  C.K  379 
Franchkt,  Céramique  primitive  (A.  de   Ridder).  ...:..  45 
Frankkirtkr,  Lcsamisdes  humanités,  1  ^'"'^  bulletin  ^L.  H.;.  189 
Frati    et   Skc.akizzi.  Catalogue    des    manuscrits   de    Saint- 
Marc  Il    Henri   Hauvette' '^ 

Frkch,  Le  passé  de  la  terre  (Th.  Sch.) ^1 

Friedrichs,  Brelan  d'adversaires  (R.  G.) ^92 

Frischeiskn-Kokhlkr,  Science  et  réalité  (Th.  Sch.) 519 

FROBKNiirs,  La  syntaxe  d'Ennius  (J.  D.) -^<>3 

Fromf.r,  LeTalmud  babylonien  (M.   Liber) '-^82 

FucHS  (E.),  Révélation  et  évolution  (P.  Alfaric 447 

FixHs(M.'i,  Lexique  du  .lournal  des  Concourt  (F.  B.).   .  .  41") 

Gabetti,  Giovanni  Prati  (Ch.  Dejob) -^7^ 

GAFFARELCt  Dl'ranty,  La  pcstc  de  Marseille  (A.  Biovès).  .  .  4-9 

Gafkir,  La  crise  constitutionnelle  anglaise    A.  Biovès).   .   .  237 

Gagliardi,  Hans  Waldmann  iR.) '56 

Gagyhy,  Les  troubadours  (I.  K.) 337 

Gailly  DE  Taurines,  Les  légions  de  Varus  iR.  Gagnât).  ...  26 

Gaix 'baron  de  Blaydel,  Lettres  du  baron  deCastelnau   R.Gl  394 

Ganzenmuller,   Deux  articles  sur  Ovide  fE.  T 200 

Gardner,  L'ancienne  Athènes,  trad.  en  hongrois  (L  K.).   .  .  338 

Garstang,  Le  pays  des  Hittites  C.  Fossey) 121 

Gayet,   Le  Journal    de    l'Université  de    Pont  -  à  -  Mousson 

(Ch.    Pfister) 294 

Gerhart,  De  Panurge  à  Sancho  Pança    F.  B.  ).  ...'...  .  11  i 
Gemoli,,   Les  Indo-Germains  dans   l'ancien    Orient  (Alfred 

Loisy) 2«4 

Genouilhac,  Dréhen  iC.  Fossey) 201 

Gercke  et  NoRDEN,  Introduction  à  la  science  de  l'antiquité 

(E.  Cavaignaci 221 

Gercke  et  Norden,  Introduction  à  la  science  de  l'antiquité,  I 

\}A\) 122 

Gertz,  Vies  des  saints  danois,  II    D.  Sonnery) 83 

Giercke  (Hommage  à  Otto)  -  E i  58 

Giesecke,  La  législation  commerciale  américaine  avant  1789 

H.  Hr  ) 91 

GiLLouiN,    La  philosophie  de  Bergson   fTh.   Sch) 519 

Giraud(V.),   Nouvelles  études  sur  Chateaubriand  (F.    Bal- 

densperger) 35o 

GoEAT,  Le  cauchemar  de  l'Europe  (R.  G.).  .  .  , 3o 

GoMPERz,  L'Apologie  de  l'art  de  guérir  (My) 425 

GoLGAiD,  Les  chrétientés  celtiques  (G.    Dottin^ 47 


TABLE     DES     MATIERES  XI 

pa^es 

GoYAT,  Bismarck  et   l'Eglise    [..    Roustan) 94 

Gbaggkr,  La  Caution    de  Schiller    (I.  K. 3'38 

Grikkith,  Sir  Perceval  of  Galles  (Gcrtrude  Schoeppele).  .  .  454 

Gruenler,  Ecquis  ou  etquis(E.  T. 4^8 

GuERLiN,  La  Touraine  (H.  de  G.) 3/8 

GuLYAS,  La  Grammaire  hongroise  de  Fœldi  (L  K.) 3  18 

GusTAFFSON,  Les  pronoms  relatifs  (E.  T.) 197 

Gyi.lai,  Critique  (L  Kont) 272 

Haase,  Histoire  des  dogmes  (P.  Alfaric) 20 

Haepke,   Le  négociant  allemand  aux  Pays-Bas  (R.) i  38 

Handelsman,  Napoléon  et  la  Pologne  (R.  Guyot) 175 

Hanoteaii,    Instructions  aux     ambassadeurs   de    France   à 

Rome,  Il  (G. -G.  Picavet) 4^5 

Harder,  Chrestomathie  arabe  (René  Basset) 41 

Hardy(G.)  et  Gandilhon,  Bourges  (H .  de  C.) 378 

Harmand,  Madame  de  Genlis  (A.  Chuquet) 5i 

Harnack,  Science  et  vie  R.) 173 

Harsangi,  Les  traductions  de  Pope  par  Bessenyei  (I .  K.).   .  3  19 
Haskins  et  LocKwooD,  L'humanisme  en  Sicile  au  xii^  siècle 

(My) 291 

Hautzsch,  L'Octateuque  et  le  texte  de  Lucien  (A.  L.).  .  .  .  437 

Hauviller,  Les  pieux  désirs  d'un  Alsacien  (R.) 137 

Havet  (Louis),  Manuel  de  critique  verbale  (P.  de  Labriolle) .  34 1 

Hay,  Elagabal  (Maurice  Besnier) 3  10 

Hayers,  Un  emploi  du  datif  (A.  Meilleti 36r 

Heeg,  Catalogue  des'manuscrits  astrologiques  grecs, V.  2(My)  5 

Heidrich,  Rutilius  (E.  T.) 404 

Heigel,  Courants  politiques  (R.  G.) 3o 

Heirel,  Le  Constantin  d'Eusèbe  (P.  de  Labriolle) 344 

Hefmsoeth,   Descartes  et  Leibniz.  (Th.  Sch.).   . 36 

Hein.tich  (G.),  Histoire    universelle   des  littératures,  IV  (L 

Kont) 262 

Heitmuller,  Le  baptême  et  la  Cène  (A.  Loisy) 242 

Henneguy  (P.),  Histoire  d'Italie  (Ch.  Dejob) 335 

Hennequin,  Zurich  (A.  Chuquet) iSt 

Henri  de  Neustadt 5o3 

Heraeus  et  NiEDERMANN,  Textes  en  latin   vulgaire,  II  et  III 

(JP).   • 24 

Herbert,  L'enluminure  (F.  de  Mély) 265 

Héroli),   Le  Tristan  de  Munich  (F.  Piquet) 5o 

Heymann  (M'"^  a.),  Lunettes  et  lorgnettes  de  jadis  (Henri  de 

Curzon) 277 

HiLL,  La  Calprenède  en  Angleterre  (L.  R.) 480 

HiNDENLANG,  La  langue  des  (cuvres    botaniques  de  Théo- 

phraste  (My) 324 


.,,  TABI.Iv    DES    MATIERES 

pages 

HiNKi,  KuJurru  balnlonicnncs  (C.  Fossey) 262 

HoENN.  Los  Vies  d'Hdiogabalcei  d'Alexandre  Sévère  (E.T).  io5 

HoKKMANN  (Max),  MorccBUx  choisis  de  Rankc    R.) i?8 

HoLDACK.  La  peine  juridique  ^rii.Sch.i 39 

Hoi.Mis,  Le  Codex  I.ovaniensis  (E.  T.) 197 

HoLTZMANN,  Les  Origincs   du  Nouveau  Testament  (A.  Loi- 

sv! 461 

Hoors,  Lexique  des    antiquités  i^ermaniques  (  F.  P.).    •   •  •  100 

HoRAri:,  p.   Barukra  iJ.  1) -3 

HiîBKRT  (L.  ,  L'effort  allemand   (L.  Roustan] 97 

HmiKRTiL.),  Politique  extérieure  (A.  Biovès) 274 

HuBNKR,  Le  lion   de  Daniel,  poème  allemand  (F.  P.).  .  .   .  374 

HuLOT,  La  manœuvre  de  Laon  (A.  Chuquet 477 

Hingi:r,  L'armée  assyrienne  (C.  Fossy) 483 

HcNziNGKR.  Le  miracle  (P.  Alfaric) 447 

HvMANS,  Frère-Orban  (R.  G.) '77 

Idiotikon  suisse  (F.  P.) 120 

Isidore  de  Séville,  Étymologies,  p.  Lindsay  (J.  D.) 327 

Jacobs,    Lettres  de  Frédéric  II  à  Thierioi  iL.  R.) 389 

Jakob,  L'illusion    et    la   désillusion  dans  le    roman   réaliste 

français  (F.  Baldensperger' 219 

Jahr,   Sources  choisies  du  moyen  âge   allemand  (F.  T.).   .  100 

Jérôme  (sainii,  Lettres,  I,  p.  Hilberg  (D.  S.) 326 

Jespersen,  L'Anglais  (M.  Bréal) 141 

Jones  (L.),  Légende    du   roi  Arthur  (Ch.  B.) 339 

Jorga,  L'ancienne  civilisation  roumaine  (L.  R.) 191 

Jorga,  Petite  histoire  de  Roumanie  (E.) 161 

Jlsserand,   Ce  qu'il  faut  attendre  de  Shakspeare   (Ch.  B.).  5i 

Kallos,  Archiloque  (I.    K.) 337 

Karsten,  Donat  (Emile  Thomas) .  40 

Kastil,  La  doctrine  de  Fries(Th.  Sch.) 3g8 

Kaukmann  (E.),   La  banque  française  (H.  Hauser) 89 

Kal'fmann  (G/,   Histoire  de  r  Université  de  Breslau  (R.)--  i58 

Kegi-,  Khosrev(L  K.) 337 

Keller  (O.),  Les  animaux  dans   Tantiquiié,  ï  (My) 124 

Kelsbv,  Grec  et  latin  en  Amérique  L.  R.), 188 

Kelsey,  Latin  et  grec  dans  l'cducaiion  américaine  (A.   Bio- 
vès)   235 

Kern  (P.),  Documents  sur  les  relations  extérieures  de  l'Al- 
lemagne, I 267-13 I 3 . 
—  Les  débuts  de  la  politique  française  d'expansion  jusqu'en 

i3o8  (R.) 129-130 

Khatzis,  Les    Raoul  grecs  (My) 437 

Kip,  Etudes  ihessaliennes  (My) 423 

Kisfaludy  (Société),  Annuaire,  XLV   (I.  K.) 339 


o 


■7 


TABLE    DES    MATIERES  XIII 

pages 

KiTTKL,  Histoire  du  peuple   d'Israël,  I  (A.  Loisy) 462 

KiTTEi.,  La  Science  de  l'Ancien  Testament  (A.  Loisy) 241 

Klemm,  Histoire  de  la  psychologie  (Th.  Sch.) 38 

Klio,  X  (My) '..... 4'3 

Klotzsch,  Histoire  de  l'Empire  (E.  Cavaignac) 224 

Kluge,  Les  éléments  du  gothique  fA.  Mcilletj 363 

Knecht,  Sujet  et  verbe  dans   l'anglais  du  temps  de  Shaks- 

peare  (Ch.  Bastide) 258 

Knorr,  Les  vases  de   Roiiweil  (Maurice  Resnier) 3ii 

KoHLER  et  Ungnai),  Textes  juridiques  babyloniens  (C.  Fos- 

sey).   . 261 

KoTKAL,  Excursions  étymologiques  (E.  Bourciez) 254 

Krauss,  Archéologie  talmudique   (M,  Liber) 285 

Krebhiel,  L'interdit  (M.  D.) 25 

Krusch  et    Lkvison,  Monumenta    Germaniae    historica(D. 

Sonnery) 214 

Kudrun,  p.   E.  Schrœder  (F.  P.) 100 

KuKULA,  La  poésie  séculaire  à  Rome  (E.  T.). 198 

KiiNSTLE,  Vie  de  sainte  Geneviève  (P.  de  L.) 374 

KuNTZEL,  Bismarck  et  la  Bavière  (R.  Guyot) 297 

Laband,  Droit  politique  de  l'Empire,  I  (Ludovic   Roustan).  ii5 

Laband,  Le  droit  de  l'Empire  allemand    (Th.  Sch.) 34 

Laberthonnière,  Etudes  (Th.   Sch.) 36 

Lachèvre,  Un  mémoire  de  Garassus  (L.  R.) 400 

Lafontaine,  Fourier  (L.  R.) 190 

La  Grasserik,  Les  principes  sociologiques   du  droit  public 

(A.  Biovès) 33 

Lamm,  Léon-Gabriel   Oxensiierna  (Virgile  Pinot)  .' 41 1 

Lamy    (Et.),    Quelques    oeuvres    et  quelques   ouvriers   (E. 

d'Eichthal) 417 

Landi,  Lucrèce  et  Ovide  (E.  T.) 199 

Landry,  Le  rythme  du  français  (E.  Bourciez) 25 1 

Langdon,  Dréhen  (C.  Fossey) 201 

LANNOY(uE)et  Van  der  Linden.   Histoire  de  l'expansion  co- 
loniale des  peuples  européens,  Néerlande   et    Danemark 

(Albert  Waddington) 356 

Lanzac  de  Laborie,  Paris   sous  Napoléon,  le  Théâtre  fran- 
çais (A.  Mz.) 297 

Lapierre,  La  campagne  des  émigrés  en  1792  (A.  Chuquet).  475 
Lasteyrie    (R.  de),  L'architecture   religieuse    en     France   à 

l'époque  romane  (H.  de  Curzon) 382 

La  Tour  (J.  de).  Le  maréchal  Niel  (A.  Chuquet) 395 

Lauer,  Robert  I  et  Raoul  de  Bourgogne  (Ch.  Pfister).  .  .   . 

—  Le  palais  de  Latran  (Ch.  Pfister) 292 

Laurentie,  L'affaire  Naundorff  (R.  G.) 392 


2 


33 


«lY  rAiti.r   OK.s    MATii:nES 

rages 

UfVRtKRK,  KJgar  Poe  Ch.  Bastide) 5  12 

L*z\i«.  f,B.),  Courbet  Cl  son  inliuoncc  à  rctranf,'cr.  (I.  K.)-  •  338 

Lp.r.i.KRrQ  (IJ.  Voyage  à  l'ilc  Majorque  (  H.  de  C.) 378 

Li:K(Sir  Sidney;.  Principes   de  biographie   A.  Riovès  .  .  .  .  435 

Lf.gk.r.  La  Renaissance  tchèque  (L.  R.) 192 

1.f.i»mann-Haiim,    Le  culte  juif  sous  les  Perses,  les  Grecs  et 

les  Romains  (A.  Loisy) 461 

—  La  Sdmiramis  historique  et    son  époque  (C.  Fossey).   .  ,  482 

Li-UMANN  (P.\  Jean  Sichart  (E.  T.) io5 

Li-.man-Galpin,  Les  sources  de   DiguUeville  (A.  J.) 100 

Lkmonon,  Naples  et  son  golfe  (H.  de  Curzon) ;  116 

LknAtre  (G.),  Le  vieux   Paris  (Henri  de  Curzon) 277 

Lknz,  Histoire  de  Bismarck  (L.  Roustan) 93 

Lescœur,  Les  coffres  forts  et  le  fisc    (A.  Biovès) 432 

Ltc  Sknni:,  M""'  de  Paiva  (R.  G.) 3o 

Lkstraoe,     Les    Huguenots    en    Comminges    (L.-H.     l^a- 

bandc 504 

Levi,  Le  drame  satirique  (My) .  99 

Lewin,  Luther  et  les  juifs  (E.) 17 

Lewinski,  L'évolution  industrielle  de  la  Belgique  (A.  Bio- 
vès)  

LiPiNSKA  ^A.  de),  Posen  (A.  Chuquet'i 181 

Livi,  Datini  iW.) 73 

Llovd,  Histoire  de  Galles.  (G.   Doitin) 47 

LoGOs,  H,  2.  (Th.  Sch.) 35 

LoGOs,  H,  3.  (Th.  Sch.) 38o 

LoNGNON  (H.),  Pierre  de  Ronsard)   (Jean  Plattard) 3  12 

Longuemare,  Bossuet  et  la  société  française  sous  Louis  XIV 

(L.  R.) 388 

Louis,  Philon  (L.  R.,, '. 190 

LuQL'iENs,  L'original  de  la  chanson  de   Roland  (H.  C).   .  .  269 

Macé,  La  prononciation  du  latin  (E.  T.) 239 

Mahler,  Papyrus  araméens    (I.   K.) 337 

Maisonnier  et   Lecarpentier,    L'Irlande    et    le    home   rule 

(P.  Laborderie) 43o 

Maitlani),  Essais,  p.  Fisher   (A.    Biovès) 14 

Mali.evol'e  (F.  de),  Actes  de  Sully  passés    au    nom  du   roi 

par  devant    notaire   (Henri  Hauser) i33 

Mangin,  La  mission  des  troupes  noires  (A.  Biovès) 274 

Manilius,  p.  Garrod  (E.  T.) 149 

Manitius,  Histoire  de  la  littérature  latine  du  moyen  âge,  I. 

(P.  de  LabrioUe) 216 

Marçais,  Textes  arabes  de  Tanger  (M.  G.  D.) 483 

Marck,  Les  Idées  de  Platon.  |E.  Thouverez) 209 

Margolis,  Grammaire  du  Talmud  babylonien  (M.  Liber).  .  282 


TABLE    DES    MATIERES  ^V 

pages 

Marie,  Lexique  hébreu-français  (A.  L.) 4-^7 

Marmorstein,  Clirctiens  et  Gnostiques  dans  leTalmud  et  le 

Midrasch  (A.  L.;^ 4^5 

Marquiset,  Ballanche  et    M'"---    d'Hauieleuille   (F.    Baldens- 

sperger) 4'^ 

MARQUisiiT,  Le  colonel   Clère  'A.  Chuqueti i8i 

Marsay  (E.  de),  Les  livres  d'Esiher  et  de  Judith  (A.  L.)-  •  •  44^ 

Marti,  Grammaire  araméenne  (J.-B.  Ch.) 422 

Marti     (M.),     L'avenir    de    Dieu,    de    Henri    de   Neustadt 

(F.  Piquet) 5o3 

Martin  (H.),  La  syntaxe  des  inscriptions  latines  d'P^spagne 

,J.  B.) i53 

Martin,  (J.),  Thomassin  (A.  L.) 465 

Marvaud,  Le  Portugal  et  ses  colonies  (A.  Biovès] 237 

Masson  (Fr.),  Au  jour  le  jour  (A.  Chuquet) 55 

Meader,  Idem  et  ipse  (De  L.) 397 

Mehlhorn,  Vérité  et  poésie  dans  la  vie  de  Jésus  (A.  L.).   .  206 

Meinecke,  Cosmopolitisme  et  Etat  national  (Ludovic  Rous-  i  14 

tan) ;  I  14 

Meinhold,  Le  chapitre  XI V  de  la  Genèse  (A.  Loisy) 241 

Metz,  Frédérique  Brion  (Aug.  Ehrhard).  . 347 

Meusel,  Comptes  rendus  de  César  (E.  T.) 333 

MiiYER  (P. -M.),  Papyrus  grecs  de  Giessen.   I,  2(My).   .   .   .  223 

Meyer-Liibke,  Etudes  qui  lui  sont  dédiées,  II.  (E.  Bourciez)  255 
Mevnadier,  L'idée  républicaine  dansles  pays  monarchiques 

d'Europe  (JK.    Biovès) 237 

Michal't,  Histoire  de  la  comédie  romaine.  I,  sur  les    tré- 
teaux latins  (René  Pichon) 4^^ 

Mirbt,  Sources  de  l'histoire  de  la  papauté    et  du  catholi- 
cisme romain  (E.) i55 

Môller,  Dictionnaire  comparé  indo-germanique-sémitique 

(A.  Meillet) 367 

Mornet,  Les  sciences  de  la  nature  en  France  au  xvin"  siècle 

(F.  Baldensperger) 233 

Mornet,  Morceaux  choisis  de  J.-J.  Rousseau  (L.  R.) 408 

MoRPURGo,  L'inondation  de  Florence  en  i333(Ch.   Dejob) .  335 

Morris,  Le  jeune  Goethe,  VI    (M.   B.) 279 

Morris  (G.-D),  Cooper  et  Poe  d'après  la  critique   française 

(F.  Baldensperger) 417 

Mortet,    Textes    sur    l'histoire    de    l'archiiecturc    (Robert 

Michel) 48 

Mots  et  choses,  IH  (A.   Meillet) 64 

MovssEr,  L'esprit  public  en  Allemagne  (L.  Roustan) 96 

MuENZER,  Cacus.  (E.  T.) io3 

Muller  (E.),  Les  dieux  dans  la  tragédie  grecque  (My).   .   .  .  427 


XVI  TABLK    DES    MATIERES 

pages 

MusTARD,  Deux  articles 117 

MiTMi  sus,  Gicihc  et  Charles-Alexandre  (A.   Chuquei).   .  .  5ii 

Nassai-,  Dcnys  d'Halicarnasse  et  Ciecron  (My) 45o 

Nau,  Nestorius  (L.  R.) iQ' 

Navarrk,  La  chambre  introuvable  (L.  R.) 19! 

Navarrk  et  Valkntin,  Les  chefs  d'œuvre   de    la    littérature 

grecque  «My) 44^ 

Nkkser,  La  religion  hors  des  limites  de   la  raison  (Th.  Sch.  38 

Nelson,  Le  problème  de  la  connaissance  (Th.  Sch.) 118 

Nicolas  (A. -L. -M.),  Cheikh  Ahmed  Lahcahi(M.  G.  D.).  .  .  78 
Nicole,  Catalogue  des  vases  peints  du    Musée    d'Athènes 

(A.  de  Ridder) 82 

Nicole,  Le  procès  de   Phidias  (My) 289 

Nitzsch-Stephan,     Manuel      de    dogmatique    évangeliquc 

{A.  Loisy) 4 

Nohl,  Manuel  de  Cicéron  (E.  T.) 333 

NoLHAC  (P.  de),  Madame  Vigée  Le  Brun  (Henri  de  Curzon).  277 

Nonnos  p.  Ludwich.  (My) 226 

Nowicow,  L'association  humaine  (A.  Biovès) 432 

Oberman,  Les  sarcophages  chrétiens   (S.) 84 

Obser,  Inventaire  des  archives  de  Bade,  IV,  2  (R) i34 

Oelmann,  Les  allégories  homériques  d'Heraclite  (My).  .  .  .  288 
Olmstead,  Charles  et   Wrench,  Inscriptions  hittites,   i,  2, 

(G.  Fossey) 122 

OwEN,  Manuscrits  de  Perse  et  de  Juvenal  (E.  T.) 333 

Palmieri,  Théologie  dogmatique,  I  (A.   Loisy) 4 

Pannier,  L'Église    réformée   de  Paris  sous  Henri  IV  (Ch. 

Plister) 28 

Pareti,  Interpolation  des  Helléniques  (My) 290 

Parizot  (K.),  Table  des  Annales  de  i'Est  et  du  Nord  (R.).   .  489 

PARizoT(Dom  .lean),  Lafamille  Parizot  de  Plombières  (G.  P.)  218 

Pascal,  Epictète  et  les  mystiques  (M.  D.) 24 

Paul,  Dennis  (Ch.  Bastide), , 88 

Paulson,    Index  de  Lucrèce  (J.  D.) 3o5 

P.  D.  Derrière  la  façade  allemande    (A.  Biovès).  • 274 

Pellissier,  Le  réalisme  du  romantisme  (F.  Baldensperger).  354 
Pellisson,  Les  hommes  de  lettres  au  xvme  siècle   (F.  Bal- 
densperger)   407 

Perdelwitz,  La  première  Epitre  de  Pierre  (A.  Loisy) 242 

Perkins,  La  France  et  la  Révolution  américaine  (A.  Biovès)..  235 
Pernot,  Anthologie  populaire  de  la  Grèce  moderne; 
Le  siège  de  Malte  en  i565; 

Bibliographie  ionienne  (My) 32i 

Perrot  (G.),  Histoire  de  l'art  dans  l'antiquité,  IX  (Salomon 

Reinach) 143 


TABLE    DES    MATièRES  XVII 

pages 

Petzoldt,  Le  problème  du  monde  (Th.  Sch.l 519 

Philippi,  Châtiments  et  criminels  (Th.  Sch.) 399 

Philippson  (M.),  Histoire  contemporaine  du  peuple  juif,  III 

(Albert  Waddington) 139 

Photiauès,  Meredith  (Ch.  P.) 36o 

PiCHON  (G.-E.),  Leçons  pratiques  de  français  (L.  R.) 195 

PicHON  (R.)'  Hommes  et  choses  de  l'ancienne  Rome  (Mau- 
rice Besnier) 3  10 

—  Les  sources  de  Lucain  (Emile  Thomas) 229 

Pindray(F.  de),  L'action  en  déclaration  de  paternité   natu- 
relle (P.  Laborderie) 479 

PiNON,  L'Europe  et  la  jeune  Turquie  (A.  Biovès) 274 

PiRRO,  La  Naples  grecque  (E.  T.) 438 

—  Tacite  et  les  chrétiens  (E.  T.) 198 

Platner,  Topographie  de  l'ancienne  Rome  (J.  Toutain).  .  .  247 

Platon,  Apologie  de  Ménon,  p.  Burnet  (My) 79 

PoHL,  La  Cour  internationale  des  prises  (H.  Hr.) 90 

Poirot,  Phonétique  (A.  Meillet) 365 

Politien,  p.  G.  Rossi  (Ch.  Dejob) 336 

PoLTi,  Les  trente-six  situations  dramatiques  (F.  B.) 417 

PoRTERFiELD,  Immcrmanu  (F.  B.) iio 

PoRTET,  Histoire  de  Saint-Lazare  (L. -H.  Labande) 5i5 

Poulet,  Mallarmé  (A.  Chuquet) 181 

Preuss,   Philippe   II,   les   Hollandais  et  le  premier  voyage 

aux  Indes  (L.) i33 

Price   (W.-R.),    Le    symbolisme    des    contes   de    Voltaire 

(F.  Baldensperger). 349 

Prônai,  Histoire  de  la  littérature  hongroise  (I.  K.) 319 

Properce,  p.  Hosius  (Emile  Thomas) 307 

Proskauer,  L's  final  des  inscriptions  latines  (H.  Plémy).  .  .  85 
Provins  et  Friedrichs,   Abrégé  de  l'histoire  des  infortunes 

du  Dauphin  (R.  G.) 392 

Prutz,  La  fausse  Pucelle  d'Orléans  (R.) 489 

Quentin-Bauchart,  Les  musées  municipaux  (Henri  de  Cur- 

zon) 277 

Rapp,  F.-T.  Vischer  et  la  politique  (L.  Roustan) 92 

Rasi,  Bibliographie  de  Virgile  (E.  T.) 200 

Regnard,  Histoire  de  l'Angleterre  depuis  1875  (Ch.  B.).  .  ,  5 12 

Reid,  Lucretiana  (E.  T.) 200 

Reinach  (A.-J  .],  Bulletin  annuel  d'épigraphie  grecque 

—  Les  fouilles  de  Koptos  (My) 78 

Reimach  (J.),  Index  de  l'affaire  Dreyfus  (C.) 120 

Reinach  (Salomon),  Eulalieou  le  grec  sans  larmes  (M.  Bréal).  141 

Reinôhl,  Uhland  homme  politique  (L.  Roustan) 91 

Reisinger,  Céramique  créioise  (A.  de  Ridder) 38i 


XVIII  TABLK    I)F.S    MATIKKICS 

pages 

Religion  (lu)  dans  l'histoire  ci  le  présent,  III    A.  Loisy).   .  .  464 

Hkl'ss.  L'Kglisc  J'Alsacc  sous  Louis  XIV  (Th.  Sch.) 397 

KicHTi.R  (Élise).  Comment  nous  parlons  (A.  Meillct) 363 

HiNN(H.i,  Morceaux  choisis  des  dogmes  chrétiens  (A.  Loisy).  4 
KoBKRis,  Le  traité  de  Dcnys  d'Halicarnassc  sur  la  composi- 
tion des  mots  (My) 1^9 

H(»Bi:RrsoN  (A. -T.),   Grammaire   du    Nouveau    Testament, 

trad.  MoNTKT  (A.  Meillet 63 

UoiiiNsoN  (J.-A),  Westminster  (Ch.  B.) 339. 

UouocANACHi,  n.):"c  au   temps  de  .Iules    II   et   de  Léon   X 

(J.  Toutain) 247 

Rondkt-Saint,  L'Afrique  équaioriale  française  iH.  de  C).  .  58 

Roos,  Excerpta  de  Virtutibus  (My) 5o2 

RoscHKU,  Le  nombre  40  (My) 101 

Roscnthal  (Catalogue),  141  (S.) 117 

RosTOWzKW,  Le  Colonat  romain  (J.  Toutain) 245 

RorssEAU  (Fr.),  Mémoires  du  président  Hénault  (L.  R.).  .  .  387 

Rousseau  (Société  J.-J.),  Annales,  VII  (L.  R.) 408 

Roux,  Vesoul(R.  G  ) 3o 

Roux  (marquis  di:),   La   Révolution  à    Poitiers  et  dans  la 

Vienne  (E.  Welvert) 395 

RuwNTRF.R  et  Lasker,  Lcs  sans  travail  (A.  Biovès) 432 

RoY,  Le  18  août  1870  (A.  Chuquet) 181 

Roz,  Tennyson  iCh.  B.) 118 

RuBENSOHN,  Moulages  antiques  du  Musée  Pelizaeus  (A.  de 

Ridder) 167 

RtrsiNYï,  Le  cours  de  Rêvai  à  Pest  (L  K.j 319 

RucKER,  Les  homélies  de  Cyrille  d'Alexandrie  sur  le  troi- 
sième Evangile  (J.-B.  Ch.) 166 

RusKiN,  Le  val  d'Arno  (H.  de  Curzon) 56 

Russo-japonaise  (guerre),  III,  i-3  (A.  Chuquet) 181 

RuviLLE  (A.   de),  La  Bavière  et  l'Empire  allemand,   trad. 

Albin  (R.  Guyot) 297 

Sagot,  Les  gardes  d'honneur  de  la  Marne  (A.  Chuquet).  .  .  181 
Sainte-Beuve,  Lettres  à  Labitte,  p.  Sangnier  (F.   Balden  - 

sperger) 353 

Saint-Hilaire,  Mémoires,  IV,  p.  Lecestre  (R.) 494 

Saint-Léger   et    Sagnac,    Appendices    aux    cahiers    de    la 

Flandre  maritime  (A.  Mz.) 179 

Samter,  Rites  populaires  (De  L.) 397 

Sandys,  Un  compagnon  des  études  latines  (V.  Cournille).  ..  i5i 

Sauvage,  L'abbaye  de  Saint-Martin  de  Troarn  ; 

—  Le  fonds  de  l'abbaye  de  Saini-Éiienne  de  Caen  (Paul  Le- 

cacheux) 126 

Sauzey,  De  Munich  à  Vilna  (A.  Chuquet) 53 


TAHLK     DES     MATIKRKS  XIX 

pages 

Scandinaves  (publications)  (F.  P.] 119 

ScHKLL,  Documenis  sur  le  développement  de  Luther  (E.j .   .  171 

SoHiKFF.R,  Les  Araméens  (J.-B.  Ch.) 422 

ScHMiDT. (C.)  et  ScHGBART,  Ancicus  textes  chrétiens  (A.  Qué- 

rity) 69 

ScHMiDT  (F.),  Importation  de  culte  (My) 426 

ScHMiDT  (H.\   L'historiographie   dans  l'Ancien  Testament 

(A.  Loisy) 461 

ScH-MiDT  (L.),  Histoire  des  Germains,  II,  i  (E.) 486 

ScHMiTZ,  La  métrique  de  Fleming  (F.  Piquet) 429 

ScHNABEL,  La  cordace  (My) 168 

ScHONACK,  Sir  Thomas  Brovvne  (Ch.  B.) 339 

ScHRADER,  L'année  cartographique  (H.  de  C.) 58 

ScHWARTz  (Ed.),  Portraits  antiques,    i  et  2  (My) 67 

Sembower,  Charles  Cotion  (Ch.  B.) 359 

Setala,  Kullervo-Hamlet  (L.  Pineau) 472 

Sévigné  (chevalier  de),  sa  correspondance  avec  Christine  de 

France,  p.  Lemoine  et  Saulnier  (R.) 494 

Shaw,  Artistes  et  dégénérés  (A.  Biovès) 435 

Shorey,  L'adverbe  roman  en  grec  (My) 333 

SiDERSKv,  L'origine  astronomique   de  la  chronologie  juive 

(A.  Loisy) 241 

Su. VA,  L'industrie  delà  laine  à  Florence  (Ch.  Dejob) 336 

SiMBECK,  De  Senectute  (E.  T.) 401 

Simon  (P. -F.),  Thiers,  chef  du  pouvoir  exécutif  (R.  Guyoi).  379 

SiMONYï,  Eloge  deMisieli(I.K.) 319 

SipPEL,  Dell  et  Luther  (P.  Alfaric) 17 

Solidarité  (la)  sociale  (H.  Hauser) 90 

Solvay  (Inslitut),  Bulletin,  XV  (Th.  Sch.) 36 

SoRLEV,  Manuel  de  morale  pratique  (Ch.  B.) 339 

Spieth,  La  religion  des  Eve  (A.  Loisy) 207 

Spurgeon  (C),  Chaucer  (Ch.  B.) 117 

Stace,  Silves,  p.  Klotz  (E.  T.) 3o5 

Stengkl-Fleischmann,  Dictionnaire  du  droit  allemand,  12- 

16  (Th.  Sch.) 39,  398 

SrERN  (Alfred;,  Histoire  de   l'Europe,  181  5-1848.    II  et  III 

(R.  Guyot) ". 5i3 

Stobée,  IV,  p.  Hense  (My) 7 

SrouT,  Les  gouverneurs  de  Mésie  (R.  C.) 454 

SiiSKiND,  Schleiermacher  (P.  Alfaric) 17 

SvBEL  (L.  de).  L'art  chrétien  antiqne  (S.) i  54 

SziGETVARi,  La  théorie  du  comique  (I.  Kont) 264 

SziLADY,  Sermons  du  xv«  siècle  (I.  Kont)..  • 270 

Tedeschi,  Ossian  en  France  (F.  pKilJensperger) 108 

Terzaghi,  L'ombre  d'Achille  (My) 79 


XX  TABLE    DES    MATIERES 

pages 

Tciibncr  iBibli(>ilict.]uc,  Livres  de  droit  (E.  T.) 334 

Thcophrastc,  Rhétorique,  p.  A  .  Maykr  (My) 5oi 

Thomas  A. -B.\  Moore  en  France  (Ch.  B.) 117 

Thomas  (E.),  Pétrone,  ?«  éd.  (C.) 334 

Thi'Reau-Dangin,  Le  cardinal  Vauglian  fL.  R.) 191 

TixERONf,  La  (în  de  l'Age  patristiquc  (P.  Alfaricl 445 

ToHLKR  (Clara),  Mrs  Inchbald  (F.  B.) 107 

ToLDo,  Sources  et  imitations   des  fables  de    La    Fontaine 

(C.  Dejob) 455 

ToMMASiNi,  Machiavel,  Il   (E.  Rodocanachi) 248 

ToRO  (de),  Trésor  de  la  langue  espagnole  (H.  L.) 32 

ToRTORi,  Anthologie  italienne  (Ch.   Dejob) 336 

Toi'TAiN,   Les  cultes   pa'icns  dans  FP^mpirc  romain   (Mau- 
rice Besnier) 3o8 

Trent,  Littérature  américaine  (Ch.    Bastide) 86 

Troeltsch,  La  perfection  du  christianisme(P.  Alfaric).   .  .  .  447 

Ullman,  Manuscrits  de  Properce  (E.  T.) 197 

Ui-BRicH,  L'armée  russe  (A.  Chuquet) 181 

Ungnad,  Grammaire  hébreue 

—  Introduction  à  la  lecture  de  l'Ancien  Testament  (A.  L.).  441 

Ussani,  Josèphe  et  Pline  l'Ancien  (M.  B.) 79 

Vacandari),  Etudes  de  critique  et  d'histoire  religieuse  (A.  L.)..  443 

Vaczv,  Correspondance  de  Kazinczy  (I.   K.) 3  18 

Vahlen,  Œuvres  complètes,  I  (E.  T.) 104 

Valensin,  Jésus   Christ   et   l'étude  comparée  des  religions 

(A.    L.) \   .   .  443 

Van  Gennep,  Ethnographie  algérienne  (A.  Biovès) 431 

Van  Laak,   Harnack  et  le  miracle  (A.  L.) 3 

VanTieghem,  Le  mouvement  romantique  (F.  Baldensperger).  354 

Vauthier,  (M.),  Essais  de  philosophie  sociale  (E.  d'Eichthal).  238 

Vernay,  Le  Liber  de  excommunicacione  (P.  Laborderiey.  .  374 

Vialay,  Les  cahiers  du  Tiers  Etat  (A.  Mz) 175 

ViNDRY,  Les    parlementaires    français    au    xvf    siècle,     II 

(H.  Hauser) .' .  .  .  86 

Viollier,  Les  rites  funéraires  en  Suisse  (R.  M.) 71 

V01ZARD,  Sainte-Beuve  (F.  Baldensperger) 235 

VuLLiOD,  M"^  Gottsched   et   Bougeant  (A.  Chuquet).   ...  507 

Wagner  (G.),  Monastères   d'Alsace  (E.) 487 

Wahlund,   Bibliographie  des  serments    de    Strasbourg  (E. 

Bourciez) 253 

Walker,  Essai  d'isométrie  (My) i25 

Wëbb,  Manuscrits  de  Térence  (E.  T.) 198 

Wedderkop    (M.  de),    La   littérature    française   des   xyii^  et 

xviii^  siècles  (L.  Roustan) 386 

Weil  et  Chi^.nin,  Le  français  de  nos  enfants  (L.  Roustan).  193 


TABLE     DES    MATIERES  XXI 

pages 

Weinberg,  La  loi  de  Noikcr  (F.  Piquet) 5o3 

Wendt,  Syntaxe  de  l'ant^lais  (Ch.  Bastide) 258 

Wernlk,  L'étude  de  la  théologie  (Prosper  Alfaric) 202 

Wernle,  Renaissance  et  Réforme  (Th.  Sch.) 399 

Westcott,  Nouvelles  poésies  de  Jacques  I  (Ch.  Bastide  .  .  .  5o5 

WiCKMAN,  Madame  de  Staël  et  la   Suède  (Virgile  Pinot).  .   .  459 

WiET,  Le  Khitat  de    Maqrizi(M.  G.D.) 61 

WiLHELM  (F.),  Le  Musée  de  Munich  pour  la  philologie  du 

moyen  âge  et  la  Renaissance  (F.  P.) 119 

WiLLMANN,  Aristote  (E.  Thouverez) 208 

Willrich,   Livie    E.  T.) 239 

WiNDELBAND,  Préludes,  4=  éd.  (Th.  Sch.) 39 

WiTTiNG,  Sur  l'architecture  de  Tancienne  France  (S.).   ...  70 

Wyzewa  et  Sainte-Foix,  Mozart  (H.  de  Curzon) i63 

WoBBERMiN,  La  croyance  en  Dieu  (Prosper  Alfaric) 202 

Wright,  Grammaire  comparée  du  grec  (A.  Meillet) 369 

WuNDT,  Petits  écrits,  I  (E.  Thouverez) 211 

WuNSCH  (R.),  Formules  de  malédiction  (A.  L.). 437 

Xénophon,  Scripta  minora,  p.  Thalheim  et  Ruhl  (My).  ...  451 

Y0VANOVITCH,  La  Guzla  de  Mérimée  (F.  Baldensperger).     .  35i 

Zagorski,  Racky  (R.  G.) 3o 

Zehnpklnd,  La  Babylonie  et  ses  ruines  les  plus  importantes 

(G.   Fossey) 201 

Zettkrsteen,  Études  nubiennes  (M.  Cohen) 281 

ZiEGLER,  Le   drame  de  la  Révolution  (A.  Chuquet) 181 

ZiEHKN,  Herbart  et  la  psychologie  expérimentale  fTh.  Sch.).  .  398 

ZuRHELLEN,  La  religion  des  prophètes  (A.  L.) 442 


Académie   des  Inscriptions  et   Belles-lettres,  résumés  des  séances 
par  M.  Léon  Douez,  du  22  décembre  191  i  au  14  juin  191  2. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 


N"  1  —  6  janvier  —  1912 


Baudissin,  Adonis  et  Eshmoun.  —  Van  Laak,  Harnack  et  le  miracle.  —  H.  Rinn, 
Morceaux  choisis  des    dogmes  chrétiens.  —  Palmieri,  Théologie  dogmatique,  I. 

—  Nitzch-Stkimian,  Manuel  de  dogmatique  évangélique.  —  Heeg,  Catalogue  des 
manuscrits  astrologiques  grecs,  V,  3.  —  Christ,  Histoire  de  la  littérature  grec- 
que, p.  W.  ScHMiDT.  —  Stobée,  I\",  p.  Hense.  —  Mémoires  de  la  Société  philo- 
logique américaine,  XL.  —  DanNHARDx,  Légendes  animales.  —  Saint  Augustin, 
Lettres,  iV,  p.  Goldbacher.  —  Ammien  Marcellin,  I,  p.  Clark.  —  Frati  etSEGA- 
Rizzi,  Catalogue  des  manuscrits  de  Saint-Marc,  IL  —  Maitland,  Essais,  p.  Fisher. 

—  Beauquier,  Faune  et  flore  populaires  de  la  Franche-Comte.  —  Académie  des 
inscriptions. 


Adonis  und  Esmun,  von  W.  W.   Baudissin.  Leipzig,    Hinrichs,    191  i  ;  gr.   in-8°^ 
xx-375  pages. 

Travail  considérable,  d'une  érudition  abondante  et  d'une  critique 
circonspecte.  Contribution  à  l'étude  des  dieux  qui  meurent  et  ressus- 
citent, et  des  dieux  guérisseurs, aussi  à  l'origine  des  idées  de  résurrec- 
tion et  de  dieu  vivant  dans  l'Ancien  Testament. 

Pour  M.  Baudissin,  Adonis  et  Eshmoun  sont  des  divinités  appa- 
rentées mais  distinctes  :  Adonis  n'est  pas  l'Eshmoun  de  Byblos. 
Adonis  est  le  dieu  de  la  végétation  printanière  :  de  là  son  rapport  avec 
la  déesse  de  la  fécondité.  Un  sacrifice  humain  ne  serait  pas  à  supposer 
à  l'origine  du  culte  et  du  mythe,  oia  l'idée  d'expiation  n'apparaît  pas.  — 
Mais  rien  n'obligerait  à  admettre  le  caractère  proprement  expiatoire 
d'un  tel  sacrifice;  dans  l'hypothèse,  la  victime  aurait  incarné 
l'esprit  de  la  végétation,  qui  aurait  été  censé  mourir  avec  elle  et  en  elle, 
à  seule  fin  d'assurer  sa  résurrection  ultérieure;  c'aurait  été  le  mythe 
joué  au  naturel.  —  Eshmoun  est  à  l'égard  d'Astarté  dans  le  même 
rapport  qu'Adonis  avec  la  dame  de  Byblos;  c'est  un  dieu  guérisseur, 
qui  a  personnifié  comme  Adonis  le  renouveau  de  la  nature;  il 
semble  que  le  serpent  lui  ait  été  consacré  ;  peut-être  l'histoire  biblique 
du  serpent  d'airain  [Nombres,  xxi,  49)  et  son  culte  sont-ils  en  rapport 
avec  le  culte  cananéen  d'Eshmoim.  Les  anciens  ont  identifié  Adonis 
et  Tammouz,  l'amant  de  l'Ishtar  babylonienne,  dont  la  mort  était 
l'objet  d'une  commémoration  annuelle.  M.  B.  conjecture  que  le  per- 
sonnage de  Tammouz  est  complexe,  les  Sémites  mésopotamiens  ayant 

Nouvelle  série  LXXIII  i 


2  Rl.Vl   V.     ^.  UITIQUK 

idciiiilic  au  Jicii  siimciicn  'l'ammouz  une  divinité  scmiiiquc  analo- 
gue à  l'Adonis  plionicion.  'l'ammouz,  Adonis,  Osiiis,  Aiiis,  ont  pu 
se  rencontrer  au  cours  de  l'histoire  et  leurs  mythes  s'inHuencer  réci- 
projuenieni,  mais  .  h  i>un  Ac  ces  cultes  a  probablement  une  origine 
indépendante. 

C'est  surtout  la  complexité  de  ce  problème  que  M.  B.  réussit  à 
mettre  en  évidence.  Sa  tendance  n'est  point  à  exagérer  la  portée  des 
témoignages  anciens.  .Ainsi,  bien  qu'Ézéchiel  (viii,  14)  montre  les 
femmesde  Jérusalem  pleurant  Tammouz  dans  le  temple,  M.  B.  estime 
que  saint  Jérôme  (Ep.  L\\u,aJ  Pauliniim),  parlant  du  culte  de  «  Tam- 
mouz, c'est-à-dire  Adonis  »  à  Bethléem,  ne  mentionne  Tammouz  que 
d'après  Ézéchiel,  mais  qu'il  s'agit  d'Adonis  et  d'un  culte  inauguré 
par  Hadrien,  comme  les  statues  de  Jupiter  ei  de  N'cnus  sur  l'empla- 
cement du  Calvaire.  11  n'est  pas  impossible,  en  effet,  que  Jérôme  ait 
voulu  étaler  sa  science  en  nommant  Tammouz;  mais  cela  n'est  pas 
certain  ;  en  tout  cas,  Jérôme  ne  dit  nullement  ni  ne  donne  même  à 
entendre  que  le  culte  de  Tammouz-Adonis  à  Bethléem  ait  été  institué 
par  Had'-ien,  et  ce  culte  ne  se  présente  pas  dans  les  mêmes  conditions 
que  les  statues  de  Jérusalem;  il  s'agit  d'un  bois  sacré  et  d'une  caverne, 
de  la  caverne  «  ubi  quondam  Chrisius  parvulus  vagiit  >>.  Ce  n'est 
pas  Hadrien  qui  a  fait  creuser  la  caverne;  les  Evangiles  ne  savent  pas 
encore  que  Jésus  soit  né  dans  une  grotte;  et  comme  il  n'est  même 
pas  né  à  Bethléem,  tout  porte  à  croire  que  la  tradition  légendaire  a 
voulu  placer  sa  naissance  dans  un  ancien  lieu  de  culte,  où  Tammouz- 
Adonis  avait  été  honoré  de  temps  immémorial,  publiquement  ou 
clandestinement  selon  les  époques.  Au  lieu  qu'Adonis  ait  usurpé  la 
caverne  consacrée  par  la  naissance  de  Jésus,  c'est  bieri  plutôt  le  Christ 
qui  s'est  approprié  la  grotte  d'Adonis. 

La  partie  la  plus  neuve  du  travail  de  M.  B.  est  peut-être  celle  qui 
concerne  le  rapport  d'Adonis-Eshmoun  avec  les  croyances  de  l'An- 
cien Testament.  L'idée  de  vie  est  au  centre  des  cultes  d'Adonis  et 
d'Eshmoun;  Adonis  est  un  dieu  qui  se  maintient  dans  la  vie  à  travers 
la  mort  ;  Eshmoun  est  de  plus  un  dieu  guérisseur,  c'est-à-dire  qu'il 
maintient  les  hommes  dans  la  vie  en  leur  rendant  la  santé,  œuvre 
bienfaisante  qui  est  comprise  comme  une  résurrection.  Or,  de  Jahvé 
aussi  l'on  dit  qu'il  guérit,  qu'il  sauve  de  la  mort,  qu'il  ressuscite  les 
hommes.  Osée  (vi,  i-3)  parle  métaphoriquement  de  la  restauration 
d'Israël  comme  d'une  résurrection  ;  il  parle  même  de  résurrection 
a  après  deux  jours,  le  troisième  jour  »,  et  M.  B.  se  demande,  non 
sans  raison,  si  la  meilleure  façon  d'expliquer  cette  locution  ne  serait 
pas  de  la  supposer  empruntée  au  culte  d'Adonis.  Il  n'ose  toutefois 
l'affirmer.  Le  détail  a  son  importance,  parce  que,  si  le  rapport  existe, 
ce  n'est  pas  tout-à-fait  par  un  ariilice  d'exégèse  que  ce  passage  aurait 
été  censé  prédire  la  résurrection  de  Jésus;  il  aurait  pu  contribuer 
réellement  à  en  fixer  la   date.  D'où  viendrait  la  crovance    juive  à  la 


d'histoire  et  1>K   i.itikrature  3 

1  csLirrcciion  des  niDins?  D'un  cuhc  iiaiurisic,  où  le  réveil  de  la  végé- 
liiiiiin  éiait  imerprété  comme  un  reiour  à  la  vie,  une  résurrection; 
du  culie  cananéen  d'Adonis,  pluux  que  du  culie  égyptien  d'Osiris; 
pas  de  la  religion  de  Bahvlone,  où  Mardouk  était  depuis  longtemps 
un  dieu  de  la  lumière;  pas  de  la  religion  des  Perses,  où  l'idée  de  résur- 
rection ne  paraît  point  associée  à  celle  de  guérison.  —  Disons  plutôt 
que  la  question  demeure  fort  obscure,  et  que  M.  B.  en  a  bien  fait 
ressortir  les  difficultés.  —  lahvé  en  personne  est  qualifié  de 
vivant;  l'idée  même  devait  être  vulgaire,  puisqu'on  jure  par  la  vie  de 
lahvé,  que  lahvé  aussi  jure  par  sa  propre  vie;  et  cette  idée,  originaire- 
ment, n'implique  pas  que  lahvé  soit  le  seul  dieu  réel  ;  elle  indique  une 
propriété  de  sa  nature  ;  lahvé  est  dit  «  vivant  »  comme  étant  ou  demeu- 
rant en  vie,  s'affirmant  dans  la  vie,  par  contraste  avec  la  mort,  l'état 
de  mort;  il  est  immortel,  non  seulement  comme  durant  toujours, 
mais  comme  se  maintenant  en  vie  en  dominant  la  mort.  Cette  notion 
du  dieu  vivant  est  sans  rapport  avec  la  cosmogonie;  du  moins  l'idée 
de  l'esprit  qui  donne  la  vie  aux  créatures  vient  d'ailleurs.  Ce  n'est  pas 
de  l'ancienne  religion  d'Israël  que  provient  l'idée  du  «  dieu  vivant  »; 
elle  a  été  plutôt  empruntée  aux  cultes  phéniciens,  en  laissant  tomber 
la  forme  purement  naturiste  de  l'idée,  puisque  lahvé  n'est  point  sujet 
à  la  mort.  Tout  cela  est  très  finement  analysé,  finement  déduit, 
d'aucuns  peut-être  seront  tentés  de  dire  :  trop  finement.  Mais  il  ne 
s'agit  que  d'hypothèses. 

Alfred  Loisy. 


Harnack  et  le  miracle,  par  H.  van  Laak  ;  traduit  de  l'italien  par  C.  Senoutzen. 
Paris,  l'ioud,   i  ij  i  i ,  in-12,   123  pages. 

Le  besoin  n'était  peut-être  pas  urgent  de  mettre  en  notre  langue,  — 
en  un  français  peut-être  un  peu  lourd,  —  la  dissertation  théologique 
du  P.  van  Laak,  S.  J.  Ce  n'est  pas  que  le  Jésuite  n'ait  raison  à  beau- 
coup d'égards  contre  le  protestant  libéral.  M.  Karnack  a  voulu 
prouver  par  rÉpître  de  Clément  Romain  que  le  christianisme  pri- 
mitif n'a  pas  été  surtout  un  mouvement  d'enthousiasme  religieux, 
mais  un  mouvement  moral  qui  procédait  d'un  sentiment  sincère  et 
profond  du  monothéisme.  On  ne  s'en  douterait  pas  en  lisant  saint 
Paul.  Celte  conclusion  n'est  pas  suggérée  non  plus  par  l'Épître  de 
Clément.  Sur  la  question  du  miracle  en  particulier,  il  n'est  pas  trop 
difficile  de  montrer  que  les  miracles  ne  sont  pas  quelque  chose  d'in- 
différent ou  d'accessoire  à  la  foi  de  l'Église  romaine  vers  la  fin  du 
i*^""  siècle.  Le  bon  Clément  prouve  la  résurrection  des  morts  par  la 
légende  du  phénix,  et  M  H.  a  bien  l'air  d'en  inférer  que  ces  deux 
miracles  sont  regardés  par  Clément  comme  des  phénomènes  naturels. 
Le  P.  v.  L.  s'efforce  de  montrer  que  la  résurrection  est  comprise 
comme  un  miracle  de  la  puissance  divine.  Rien  n'est  plus  certain, 
seulement  il  fallait  dire  que  la  distinction  des  phénomènes  naturels  et 


i  REWK    CRiriQUE 

des  pliciiomcncs  surnauircls  n'est  pas  nette  dans  l'esprit  de  Clément, 

et  que  le  miracle  est  plutôt  pour  lui  le  régime  ordinaire  du   monde, 

ce  qui  n'autorise  pas  à  dire  que  le   miracle  soit  étranger  ou  extérieur 

à  sa  religion, 

A.    L. 


Dogmeageschichtliches  Lesebuch,  in  V'crbindung  injt  .1.  Jùngst  herausgegcben 

von  11.  RtNN.  Tiibinpcn,  Mnhr,   1910  ;  gr.  iri-S°,  x-3i  i  pages. 
Theologia  dogmatica  orthodoxa  ad    lumen  caiholicae  doctrinae   examinata  et 

discus.sa  ab  A.  I'almucki.   lOnius  I.   l'^lnrcncc,  Libraria  éditrice  I''iorenlina,  igii  ; 

gr.  ln-80,  xxv-8i.T  pages. 
Lehrbuch  der  evangelischen    Dogmatik.  von  A.  B.  Nitzsch.  Driite    Auflage, 

bcarbeiict  von  lloRsr  S  ii:imian.   KrstcrTeil.  Tûbingen,    Mohr,   191  i;    gr.  in-8", 

XV-291  pages. 

La  publication  de  MM.  Rinn  et  Jiingst  se  présente  comme  une 
introduction  à  l'histoire  des  dogmes  chrétiens,  et,  à  ce  titre,  elle  est 
tout  à  fait  recommandable.  C'est  proprement  une  analyse  des  prin- 
cipales sources,  très  objective  et  bien  ordonnée,  depuis  les  Pères 
apostoliques  jusqu'au  concile  du  Vatican.  Les  auteurs  procèdent  par 
extraits,  qu'ils  donnent  en  traduction.  Ils  n'ont  pas  la  prétention  de 
remplacer  les  ouvrages  où  Ton  expose  l'histoire  des  dogmes  en  l'in- 
terprétant et  en  la  commentant.  Leur  compilation,  de  lecture  facile, 
est  très  propre  à  éveiller  la  curiosité  de  l'étudiant,  à  lui  faire  voir 
nettement  les  doctrines,  avec  les  problèmes  qu'elles  visent,  et  à 
l'orienter  vers  des  recherches  personnelles. 

C'est  une  entreprise  assez  originale  que  celle  du  P.  Palmieri.  Il 
ne  s'agit  de  rien  moins  que  d'un  exposé  complet,  développé,  de  la 
théologie  orthodoxe,  c'est-à-dire  de  la  théologie  des  Eglises  grecque 
et  russe,  pour  la  comparer  à  l'enseignement  catholique  romain. 
L'auteur  avait  été  engagé  dans  ce  travail  sous  le  pontificat  de 
Léon  XIII,  quand  on  parlait  delà  réunion  des  Églises.  Bien  que  les 
les  temps  soient  changés,  il  persévère  dans  l'œuvre  commencée.  La 
franchise  de  son  langage  l'ayant  déjà  fait  accuser  de  modernisme,  il 
réprouve,  comme  il  convient,  cette  damnable  hérésie,  et  il  remet  aussi 
fort  lestement  ses  accusateurs  à  leur  place.  Ce  qu'il  dit  de  la  façon 
dont  quelques  publicistes,  auparavant  inconnus,  se  sont  adjugé  la 
police  intellectuelle  de  l'Eg-lise  catholique  depuis  que  Pie  X  a  pres- 
crit la  chasse  aux  modernistes,  ne  laisse  pas  d'être  assez  curieux  et 
instructif.  Son  style  est  un  peu  diffus;  la  sincérité  de  sa  manière  le 
rend  sympathique;  sa  méthode  n'est  pas  sans  quelque  défaut.  Le 
mélange  de  polémique  à  l'exposé  des  doctrines  gréco-russes  ne  va  pas 
sans  un  peu  de  confusion.  Mais  l'adversaire  est  courtoisement  traité. 
Autant  qu'il  dépend  de  lui,  le  P.  P.  analyse  exactement  les  théolo- 
giens qu'il  cite;  il  est  au  courant  de  leur  littérature.  Les  autres  théo- 
logiens catholiques,  s'ils  le  lisent,  pourront  s'instruire  auprès  de  lui 
de  ce  que  l'on  pense  dans  la  maison  d'à  côté.  Le  présent  volume  con- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  D 

cerne  les  préliminaires  de  la  théologie  dogmatique  :  notions  du  dogme 
et  du  progrès  dogmatique,  de  la  théologie  et  de  ses  sources,  etc. 

La  nouvelle  édition  de  la  théologie  dogmatique  de  Nitzsch,  comme 
l'ouvrage  du  P.  Palmicri,  échappe  en  grande  partie  à  la  compétence 
de  cette  Revue.  Traité  de  dogmatique  luthérienne  conçu  dans  un 
esprit  assez  libéral.  En  ce  qui  regarde  l'histoire  de  la  théologie,  l'édi- 
teur tient  compte  des  travaux  publiés  en  ces  dernières  années.  Le 
tome  Lt  a  pour  objet  la  théologie  générale  :  essence  de  la  religion  et 
essence  du  christianisme.  Conception  psychologique  et  individualiste 
de  la  religion;  supernaturalisme  mitigé. 

Alfred  Loisy. 

Catalogus  codicum  astrologorum  graecorum.  Codicum  Romanorum  partem 
tertiam  descripsit  J.  Hkeg.  Tomi  V  pars  IH.  Bruxelles,  Lamertin,  1910;  viii- 
160  p. 

Ce  nouveau  volume  du  catalogue  des  manuscrits  astrologiques 
grecs  forme  la  troisième  partie  du  tome  V  [Codices  Romani),  et  con- 
tient la  description  de  dix  manuscrits  de  la  Vaticane,  numérotés  16 
à  25.  M.  Heeg,  à  qui  a  été  confiée  la  publication,  s'est  bien  acquitté 
de  sa  tâche;  suivant  la  méthode  adoptée  pour  l'ensemble  de  l'ouvrage, 
il  a  donné  en  appendice  plusieurs  morceaux  intéressants,  tirés,  à  l'ex- 
ception de  deux,  du  manuscrit  n°  20,  le  Vatic.  gr.  io56.  On  y  remar- 
quera quelques  fragments,  paraphrases  en  prose  des  vers  de  Doro- 
théos  de  Sidon,  des  extraits  de  Palchos,  et  plusieurs  morceaux  d'un 
astrologue  arabe  du  commencement  du  ix''  siècle,  Zahel  (Sahl  ben 
Bisr,  -i/À  u'-ô^  Toù  nsTo),  traduits  en  grec  par  quelque  Byzantin.  La 
publication  est  faite  avec  soin  ';  je  relève  cependant  quelques  cor- 
rections faites  à  tort.  P.  91,  2Q  les  mots  =.■.;  -/.aoâXav  xal  -/.'jvTiY'.v  (cod. 
•/.■jv/yt,v)  ne  sont  pas  à  changer  en  sU  xaoaXÀ-.xs'ktv  y.7.\  xuvr/csTv,  d'autant  que 
ces  textes  ne  disent  Jamais  à-f/OV;  £'.;,  v.zXôv  zU  qu'avec  un  substantif.  De 
même  je  respecterais  les  formules  àvaOov  to'j  ô[jLtX£Tv,y,aÀôv  toù  pÀé-rretv  (92, 
I  I  et  93,  i),  sans  écrire  tô  au  lieu  de  xoO;  ce  sont  des  vulgarismes  qui 
ont  le  même  sens  que  £■;  avec  l'accusatif.  95,  22  et  3o  conserver  /_p5^- 
fJai,  comme  on  l'a  fait  96,  18.  La  correction  95,  3i  o'.oôvat  ùira^xi-x  ht 
o!y.Î7xt[j  (cod.  hio:v.'.v.t''j]  est  mauvaise;  le  sens  est  «  donner  des  maisons  à 
loyer,  <>  et.  96,  9  hov/.ii'Çv.v  octt/,-'.'/;  il  faut  lire  un  mot  comme  èvor/v'.ov. 

120,  3  SV.  Y''"'WT/.£  OT'.  6  (IjooT/.ô— 0;  /.al  ô  -/.joto;  ajTO'j  ■/.%<.  r,   ^iKt^'ir^  [/.a',  ô  •/.jO'.o^ 

a'j-roj]  v/)>.o'jo-'.  etc.  Les  quatre  mots  entre  crochets  sont  considérés 
comme  une  dittographie  par  Boll;  c'est  une  erreur,  cf.  même  page, 
1.   12  r,  i^£À///7,  iJiîTà  TCij  /.'jpîo'j   aÙTO'j  ;   1  i  2,  20  et  32,  l  l  3,   5    et   170';  v.jp'.o'. 

I.  Quelques  mots  sont  mal  accentues  ou  sans  accent  :  95,  !^5  <i^\)-/io:ou  ;  ii3,  2 
;j.o(pav  ;  116,  24  Çiôoiov  ;  117,  5  5tT(.j;j.(.i  ;  120,  9  àirêoysTai  ;  129,  i  ppa/tôve;  ;  i35,  g 
àîTpovoaiiî.  Lire  87,  1  i  xaviOTro'.ôiv,  96,  2  àyopâtsiv.  Certains  nombres  sont  ine- 
xacts :  127,  ;î  lire  y.!!' et  i32,  29  lire  r,  (;iu  lieu  de  /')  ;  i32,  28  et  3i  le  groupe  XOo 
n'est  pas  un  nombre. 


,,  RKVUK    CRITIQUE 

'.w>  "ytnî.'A'yt  \   M  4,    Il   Ct   l6   -'':»    :^-.lr,-jf,-i  /.t'   tôv  /.Ôo'.ov  aOxoj  ;  et   surtout 

118,  <>  ;*î"i  '''J  v.'jp-'>-'  "''J  ''>;o7/. iz-jj  ■;',  jjL-T."'.  TvJ  y.jjto'j  t?;c;   SiÀï/yr,;,  et    121, 

10  irô  Toj  X.  wj  loo.  /.ï'.  -ryj  •/..  T?,;  ïç'A/vr,;.  La  faute  est  ajToô  (provenant 

sans  Joute  de  ce  que  la  fonTiule  est  fréquente,  ou  eie  ce  que  le   scribe 

pense  à  -t'Itto;),  à  corrii;er  en  xkr,;,  correction  que  le  scrihc  lui-même  a 

faite  1  iS,   10.  M.  Hees:;  a  eu  rexccllente  idée  de  dresser  un  index  des 

mots  nouveaux  i)u  rares. 

My. 


\V.  von  Christs  Geschichte  der  griechischen  Litteratur,  P  ûnftc  Autiage,  unter 
.Mitwirkiins  von  ().  Srani.iN  bcarbciicit  von  \V.  Schmid.  Zweiter  Teil,  Elrste 
Malt'ie.  Munich.  Bcck,  1909;  p.  1  à  233.  —  Zweiier  Teil,  Erste  Hâlfte, 
Zwcitc  Licferung.  Munich,  Bcck,  lyn;  p.  2'ib  à  5oG,  +  viiip.  comprenant  le 
laux-titre,  ct  la  table  de  ce  qui  a  paru    de  la  seconde  partie. 

Le  indme  ouvrage,  Krster  Teil,  Sechstc  Auflage.  Munich,  Beck,  1912  ;  xiv-771  p. 
;Ccs  volumes  t'ont  partie  du  Handbuch  der  klass.  Altertinnsivisscuscha/t,  public 
par  Iwan  von  Millier,  t.  VIP. 

L'achèvement  de  la  cinquième  édition  de  VHistoire  de  la  littérature 
grecque  de  W.  Christ,  revue  par  W.  Schmid,  est  retardé  par  des 
empêchements  imprévus.  La  seconde  partie  dut  être  publiée  en  deux 
fascicules,  dont  le  premier  parut  en  1909;  le  second,  à  son  tour,  fut 
également  scindé  en  deux  livraisons,  dont  la  première  porte  la  date 
de  191  I .  La  deuxième  livraison  ne  sera  donnée  au  public  que  dans  le 
courant  de  1912  ;  je  ne  puis  donc,  comme  je  l'aurais  voulu,  parler  de 
cette  seconde  partie  dans  son  entier,  et  je  ne  veux  pas  tarder  davan- 
tage à  la  présenter  au  lecteur,  d'autant  plus  que  dès  maintenant  l'ou- 
vrage a  atteint  une  sixième  édition,  dont  le  premier  volume  vient  de 
paraître.  On  sait  que  ce  premier  volume  contient  la  période  classique 
de  la  littérature  grecque,  et  que  M.  Schmid  en  a  conservé  le  plan  pri- 
mitif, au  moins  dans  ses  grandes  lignes,  {y oy.  Revue  du  5  août  1909).. 
La  seconde  partie,  Die  nachklassische  Période  der  griechischen  Litte- 
ratur, a  subi  au  contraire  des  modifications  plus  profondes.  Elle 
débute  par  un  chapitre  spécial  sur  la  comédie  nouvelle,  et  suit  le 
développement  des  genres  littéraires  d'abord  jusqu'en  146,  date  de  la 
réduction  de  la  Grèce  en  province  romaine,  puis  dans  une  seconde 
section,  jusqu'à  la  tin  du  premier  siècle  de  l'ère  chrétienne^pour  cette 
division  en  périodes,  voy.  maintenant  la  6^  édition  de  la  première 
partie,  p.  4).  Cette  disposition  a  permis  à  M.  Sch .  de  donner  plus 
d'extension  à  certains  chapitres  traités  plus  brièvement,  parfois  même 
très  sommairement  par  Christ,  qui,  dans  le  principe,  avait  rejeté  en 
appendice  tout  ce  qui  concerne  la  littérature  technique,  ainsi  que 
IVnsemble  de  la  littérature  chrétienne.  Ici  tiennent  leur  juste  place 
non  seulement  la  médecine,  les  sciences  mathématiques  et  naturelles, 
la  philologie,  mais  aussi  la  littérature  judéo-hellénistique,  celle-ci  dans 
un  chapitre  dû  à  M.  O.  Stiihlin,  et  qui  n'est  pas  le  moins  intéressant 
de  l'ouvrage.  Un  écrivain  comme  Philon,  par  exemple,  y  est  étudié 


d'histoire  et  de  littérature  7 

avec  tout  le  détail  que  méritent  son  activité  littéraire  et  l'influence 
considérable  qu'il  a  exercée.  L'abondance  des  renseignements,  la 
richesse  des  informations  de  toute  nature  données  soit  dans  les  notes, 
soit  dans  les  paragraphes  en  plus  petit  texte  ajoutés  à  chaque  article 
important,  justilient  auTplement  le  succès  de  cet  ouvrage,  qui  va  tou- 
jours en  se  perfectionnant  et  est  soigneusement  tenu  au  courant  des 
travaux  publiés  sur  chaque  auteur. 

La  sixième  é.diiion  du  premier  volume  prouve  avec  quel  soin 
M.  Sch.  a  de  nouveau  revu  l'ouvrage.  Il  n'a  pas  pu,  dit-il,  le  rema- 
nier comme  il  l'aurait  voulu  ;  toutefois,  les  modifications,  non  seu- 
lement dans  les  notes,  mais  aussi  dans  le  texte,  sont  nombreuses. 
C'est,  le  plus  souvent,  une  brève  addition  qui  fournit  un  renseigne- 
ment nouveau;  mais  parfois  aussi  la  rectification  d'un  titre  d'ouvrage, 
d'une  date,  d'un  détail  biographique  (voy.  par  exemple  §  292  ce  qui  a 
trait  au  lieu  et  à  la  date  de  naissance  de  Lysias),  et  de  temps  en  temps 
un  développement  plus  étendu  donné  à  une  appréciation  littéraire. 
On  notera  particulièrement  ?;  164  une  page  nouvelle  sur  l'action  chez 
Eschyle,  i-5  une  explication  (d'ailleurs  discutable)  de  la  manière 
dont  Sophocle  a  conçu  le  caractère  d'Œdipe  dans  Œdipe  à  Colone^ 
236  toute  une  tin  de  chapitre  sur  les  jugements  divers  portés  sur  Aris- 
tophane dans  l'antiquité,  etc.  Disons  encore,  au  sujet  de  la  disposi- 
tion matérielle,  que  le  ?î  23  i  est  devenu  232  et  réciproquement,  pour 
observer  la  suite  chronologique  des  comédies  d'Aristophane,  et  que 
^e  §  284  a  été  dédoublé,  de  sorte  qu'à  partir  de  286  [=  285,  S'  éd.)  les 
numéros  ne  concordent  plus  '. 

My. 


Joannis  Stobaei  Anthologiumrecensuerunt  C.Wachsmuth  et  O.  Hense.  Vol.  IV  : 
Anthologii  lihri  quarti  partem  priorem  ab  O.  Hense  editam  continens.  Berlin, 
Weidmann,   190g;  xiii-675  p. 

Ily  a  longtemps  que  M.^Hense,  absorbé  par  d'autres  travaux,  avait 
remis  à  plus  tard  la  continuation  de  sa  belle  édition  de  Stobée.  Après 
les  deux  premiers  volumes  publiés  par  Wachsmuth,  il  avait  donné 
dans  un  troisième  les  quarante-deux  premiers  titres  du  Florilegium 
en  1894;  l'ouvrage  est  resté  interrompu  pendant  quinze  ans,  et  les 
amis  des  lettres  grecques  attendaient  avec  impatience  le  quatrième 
volume,  qui  devait  achever  cette  publication  si  utile  et  si  méthodi- 
quement préparée.  Avec  ce  tome  IV  nous  n'avons  pas  encore  la  fin  ; 
il  ne  contient  que  la  première  partie  du  livre  IV  de  Stobée,  Floril. 
43-84.  Il  n'y  a  pas  à  faire  l'éloge  du  volume,  qui  est  digne  du  précé- 

I.  La  nouvelle  édition  comprend  368  paragraphes  au  lieu  de  SGy,  et  771  pages 
au  lieu  de  716;  le  prix,  l'i  mk.  5o  (16  fr.  85),  n'a  pas  varié. —  M.  Schmid  écrit 
maintenant  les  noms  anciens  sous  leur  forme  grecque  ou  latine,  par  exemple, 
Hesiodos,  Pindaros,  Horatiiis,  l.iicictiiis,  au  lieu  tic  Ilcsiod,  Piiidar,  Hoia:^, 
Lucre^,  etc.;  il  dit  ccpemlant  J/oinei-  et  non  Ilomcros. 


8  REVl'i;    CRITIQUE 

dent  ;  le  regrette  P.  Couvreur  avait  dit  ici  même  {Revue  du  29  octobre 
i8i)4K  î»  propos  du  tome  III,  comment  le  nouveau  texte  se  détache  de 
la  vulgatc,  avec  quelle  solidité  il  est  établi,  quelles  sont  les  qualités  de 
l'appareil  critique,  de  quelle  utilité  enfin  peut  être,  pour  la  recherche 
des  sources,  le  rapprochement  avec  les  autres  florilèges.  Tout  ceci 
s'applique  également  au  tome  IV;  il  serait  superflu  de  répéter  en 
d'autres  termes  ce  qui  a  été  dit  par  un  juge  si  compétent,  et  il  ne 
reste  qu'à  souhaiter  la  prompte  apparition  du  dernier  volume,  qui 
malheureusement  sera  peut-être  encore  retardée;  car  M.  Hense  ne 
peut  promettre  que  son  temps  sera  exclusivement  consacré  à   Stobée 

(P-  ix)-  ^^ 

My. 


Transactions  and  proceedings  of  the  American  philological  association, 
1900.  Volume  XL,  with  indices  to  volumes  XXXI-XL.  Hoston,  Ginn;  Paris, 
Weltcr.    201-CXI.1X-44  p.  in-8". 

Les  mémoires  publiés  dans  ce  volume  sont  au  nombre  de  onze  : 
W.  A.   HiciDKL,  The 'i'JoLpixo:  'ôyAO'.  of  Heraclides  and  Asclepiades.   — 
Truman  Michelson,  The  Etymology  of  sanskrit  «.  punya- ^.  Remonte 
kpnîa-.  —  B.  O.  Poster,  On  certain  euphonie  embellishments   in  the 
verse  0/  Propertiiis  :  rime,  répétition  de  voyelles,  allitération,  répéti- 
tion de  syllabes,  répétition  de  mots  et  échos,  échos  à  rhémisiiche, 
onomatopée.  Ce  mémoire  contient  beaucoup  d'exemples  contestables . 
—  R.   W.   HusBANi),  Race  mixture  in  early  Rome.   Conclusions    : 
1°  Il  y  avait  une  différence  de  race  entre  les  patriciens  et  les  plébéiens  ; 
2°    Les  patriciens   étaient  un    mélange   de    Romains,    de    Sabins    et 
d'Étrusques;  3"  Les  plébéiens  étaient  en  grand  partie  Ligures  ;  4°  Le 
latin  a  été  la  langue  des  compagnons  de  Romulus,  les  Romani,  avec 
quelques  modifications  dues   au  contact  d'étrangers  ;  5"  Il  n'est  pas 
évident  que  le  ligure  était  une  langue  indo-européenne.  M.  H.  admet, 
avec  Hirt,  que  l'intensité  initiale  est  l'acceat  de  populations  soumises 
et  il  suppose  personnellement  que  l'accent  réglé  sur  la  quantité  de  la 
pénultième  a  été  introduit  par  les  Italiotes  conquis,  au  11"  siècle  avant 
notre  ère.  Il  fait  une  étude  particulière  de  la  langue  des  inscriptions 
ligures.  —  J.  W.  Hewitt,  The  major  restrictions  on  accès  to  Greek 
temples.  On  a  beaucoup  restreint  les  cas  où  l'accès  des  temples  grecs 
était  interdit,  plus  ou  moins   complètement,  et  M.  R.  Smith  y  a  vu 
l'effet  d'une  influence  sémitique.  M.  Hewitt  a  voulu  tirer  la  question 
au  clair.  Il  dresse  une  liste  assez  longue  d'où  il  résulte  qu'il  s'agit  sur- 
tout soit  de  divinités  étrangères  et. orientales,  soit  de  divinités  chtho- 
niennes  ou  en  relation  avec  les  cultes  chthoniens.  —  S.  G.  Oliphant, 
An  interprétation  o/Ranae  jSS-ygo.  —  Andrew  R.  Anderson,  Some 
questions  of  Plautine  pronunciation.  Sur  -uo   en  syllabe  finale  et  sur 
uorro,  uorto,  uoster,  uerber,  etc.  --  R.  C.  Flickinger,  Scaenica.  Exa- 
men de  quelques  textes  relatifs  à  la  structure  de  la  scène  du  théâtre 


d'histoire  et  de  littérature  9 

grec.  —  G.  G.  Fiske,  Luciliits  and  Pcrsiiis.  Ariicle  de  3o  pages,  qui 
conclut  à  rintiucnce  directe  de  Lucilius  sur  Perse.  —  W.  P.  Mustard, 
On  the  eglogues  of  Daptista  Mantuaniis.  Notice  sur  un  humaniste  de 
Mantoue,  Baptista  Spagnolo  (1448-1  5  i6),  appartenant  à  l'ordre  des 
Garmes  et  béatitié  en  i885.  Son  œuvre  principale,  dix  eglogues,  a  été 
célèbre  dans  toute  l'Europe  et,  pendant  deux  siècles,  a  balancé,  au 
moins  dans  les  écoles,  la  gloire  de  Virgile.  —  P.  Shorky,  'Wji'.::.,  Miki-.r^, 
'K-'.TTr;ijir,.  M.  Shorey  réunit  et  compare  un  certain  nombre  de  textes 
grecs  où  ces  notions  sont  opposées. 

Parmi  les  résumés  et  les  extraits  publiés  dans  les  procès-verbaux,' 
nous  remarquons  :  H.  F.  Allen,  sur  ôjt-î  dans  l'Ancien  Testament  et 
les  apocryphes  (tableau  statistique  des  divers  emplois)  ;  L.  G.  Barret, 
sur  le  participe  présent  formant  périphrase  avec  esse  et  sur  le  carac- 
tère que  cette  forme  donne  au  style  dans  le  drame  latin  ;  .1.  W.  Ba- 
sore,  sur  les  renseignements  de  Quiutilien  relatifs  aux  genres 
comiques  secondaires  et  à  la  survivance  de  \apalliata  ;  N.  W.  Dewit, 
sur  la  manière  dont  le  temps  est  distribué  dans  \'Enéïde\  F.  S.  Dunn, 
sur  les  mesures  qui  préparaient  la  déification  de  Gésar;  Th.  Fitz- 
Hugh,  sur  l'évolution  du  vers  saturnien;  W.  D.  D.  Hadzits,  sur  la 
théorie  romaine  de  l'apothéose  des  empereurs;  K.  P.  Harrington, 
sur  l'élément  classique  dans  la  lyrique  latine  du  xvi"  siècle  ;  G.  D.  Kel- 
logg, sur  une  source  poétique  de  Tacite,  Agricola,  12,  4,  comparable 
à  ÏOra  marit.  d'Aviénus;  Knapp,  sur  la  satura  dramatique  des 
Romains;  H.  W.  Magoun,  sur  l'analyse  du  logaédique  ;  A.  W.  Mil- 
den,  sur  l'article  grec  accompagnant  l'attribut;  F.  G.  Moore,  sur 
Tacite,  Hist.,  II,  40  ;  M.  B.  Ogle,  sur  la  porte  et  les  croyances  qui  s'y 
rattachent  en  Grèce  et  à  Rome  ;  P.  O.  Place,  les  affiches  électorales  à 
Pompéi  (l'auteur  ne  paraît  pas  connaître  l'étude  de  M.  Thédenat  sur 
ce  sujet);  E.  K.  Rand,  sur  des  commentaires  médiévaux  de  Térence  ; 
J.  G.  Rolfe,  sur  sicca  mors  dans  Juvénal,  10,  1 13  ;  M.  L.  Rouse,  sur 
la  prononciation  de  c,  g,  v  en  latin  ;  E.  G.  Sihler,  sur  Macrobe  et  la 
fin  du  paganisme  ;  H.  R.  Fairelough,  sur  quelques  formes  de  la  ques- 
tion dans  Platon  ;  I.  Richards,  sur  le  témoignage  des  monuments 
relatif  au  costume  de  la  femme  romaine;  F.  Winthei-,  sur  les  imi- 
tations de  la  pièce  d'Otway,  Venice  preserved,  par  La  Fosse  et 
Hoffmannsthal. 

V.   GOURNILLE. 


Natursagen.  Eine  Sammlung  naturdeutenJer  Sagen,  Marchcii,  Fabcln,  und 
Legenden,  herausgegebcn  von  Oskar  Daf.iinhardt.  Leipzig  et  Berlin,  Tcubner, 
1910.  Band  111,  Tiersagen,  Erster  Teil,  xvi-558  p.,-  in-8".  Prix  :    i5  Mk. 

M.  Duhnhardt,  avec  le  concours  d'un  certain  nombre  de  collabora- 
teurs, a  entrepris  un  vaste  recueil  des  légendes  populaires  qui  pré- 
tendent expliquer  la  nature,  les  êtres  qui  la  composent,  les  phéno- 
mènes qui  s'y  produisent.  Ce  volume  est  le  premier  de  la  série  des 


lO  RKVHK    CRITIQUE 

aninintix.   ce  que  le  rcgrcuo  lolk-lorisio  frans-ais   Rolland  appelait  la 
launc  p  ipulairc.    Un  dciixiènic  v(ylumc  coniiendra  les  légendes  des 
peuples  classiques  et  celles  qui  permeiicnt  de  supposer  entre  elles  un 
lien  direct.  Nous  n'avons  donc,  dans  ce  volume,  que  des  légendes  et 
des  contes  modernes.  C'est  une  masse  w'onsidérablo  de  textes,  repro- 
duits ou  anaivsés,  classés  en  dix-huit  chapitres.  Il  est  nécessaire  d'en 
reproduire  les  litres  pour  donner  une  idée  de  la  richesse  de  ce  recueil  : 
i"  La  l'orme  et  l'aspect  extérieur  du   corps  des  animaux  :  rapetisse- 
ment et  allongement,  origine  et  aspect  de  la  robe,  aiguillons,  écailles, 
coquilles,  nudité,  parties  du  corps;   2"  Traces  et  couleurs,  change- 
ments de  couleur,  yeux  colorés;  3°  L'acquisition   du  feu  et  du  soleil  ; 
4"  L'échange  des  propriétés;  5"  Les  paris;  6°  L'origine  des  bêtes  nui- 
sibles;  7"   L'acquisition  des  particularités   et  des  noms;  8"  et  9°  La 
demeure  et   l'habitat;  10°  La  vie  des  animaux;    1  1"  Les  animaux  qui 
fuient  la  lumière;  12*^  Les  chercheurs;  i?"  La  nourriture   des   bêtes; 
14°  Désobéissance  à  l'ordre  de  fouir  ou  de   construire;  i  5°  Amitié  et 
guerre  entre   les  animaux;    16"   Voix  des  animaux  ;    17'^    Métamor- 
phoses; 18"  Ames  ailé£s.  On  doit  féliciter  M.  Ouhnhardt,  non  seule- 
ment de  nous  donner  une  si  riche  collection,  mais  d'avoir  su  l'ordon- 
ner de  manière  à  rendre  les  recherches  très  faciles. 

Edouard  Thanisv. 


Corpus  Scriptorum  Ecclesiasticorum  latinorum.  Vol.  LVII.  S.  Aurcli 
Augustiiii  Opcrum  Sectio  II.  S.  Aiigiisti)ii  PJpistulae  (Pars  IV),  ex  recensione 
AL.  Goi.DBACHER,  Vindobonac,  F.  Tempsky,  Lipsiae,  G.  Freytag.  Prix  :  broché 
M.  21. 

Cette  quatrième  partie  comprend  les  lettres  i85  à  270,  autrement 
dit  la  fin  de  la  troisième  classe  et  la  quatrième  classe  en  entier  selon 
le  classement  des  Bénédictins,  que  suit  M.  Goldbachcr.  L'édition' 
de  la  correspondance  de  saint  Augustin  se  trouve  donc  achevée.  Je 
rappelle  que  .\L  G.  avait  publié  les  trois  premiers  volumes  en  1895, 
1898,  1904  '.  Il  promet  avant  deux  ans  une  cinquième  partie  qui  ren- 
fermera les  prolégomènes  et  six  Indices. 

Dans  la  présente  série,  M.  G.  donne  un  seul  fragment  inédit  de 
quatre  lignes  {Ep.  clxxxv  A,  p.  44),  qu'il  a  trouvé  dans  le  Codex 
Augiensis,  xcv,  s.  X,  entre  le  Liber  de  spiritu  et  littera  et  le  Liber  de 
cura  pro  mortuis  gerenda^  avec  cette  mention  :  Incipit  eiusdem 
epystola  ad  comitem  bonifatium  féliciter.  —  Il  y  a  une  autre  lettre 
[Ep.  ccii«,  p.  362),  qu'on  ne  rencontrerait  pas  dans  l'édition  bénédic- 
tine. Découverte  au  xvni"  siècle,  elle  hgure  déjà  dans  la  Bibliotheca 
de  Gallandi  et  Migne  l'a  reproduite. 

M.  G.  renvoie  au  dernier  tome,  encore  à  paraître,  son  exposé 
d  ensemble   sur  la   tradition  manuscrite  des  lettres  d'Augustin.  Dès 


I.  Corp.  Script.  Ecclcs.  Icit.,  t.  XXXIV,  pars  I,  II;   t.  XLIV,  pars  III, 


D  HISTOIRK    F,T    OK    LITTERATURE  I  I 

maintenant  on  peut  se  rendre  compic  de  l'ampleur  de  ses  investiga- 
tions. Si  mon  pointage  est  exact,  il  n'a  pas  consulté,  pour  celle 
Pars  W,  moins  de  137  manuscrits,  dont  30  de  Paiis.  En  tête  de 
chaque  lettre,  il  dresse  un  appareil  critique  spécial.  Il  est  telle  pièce 
pour  laquelle  12  ou  même  i5  manuscrits  ont  été  coUationnés  (vg, 
Ep.  ce,  p.  2()3;  Ep.  ccxiv,  p.  38o).  Ses  corrections  personnelles  sont 
en  petit  nombre,  et  modérément  audacieuses,  ce  dont  il  convient  de 
le  louer.  Il  en  est  d'excellentes  (par  exemple  Ep.  cclix,  3,  p.  61  3,  I.  7 
te Jideli  scd  etiam ;  ihid.,  1.  18  quonam ;  Ep.  ccxlvi,  3,  p.  585,  1.  8 
dispiitet  ;  Ep.  ccxxxi,  4,  p.  5o6,  7  uelnt  .^erpentis,  eic).  Quelques 
autres  seraient  sujettes  à  contestation  :  ainsi  Ep.  ccxvi,  3  'p.  398, 
1.  Il),  il  parait  inutile  de  marquer  une  lacune  entre  niintiasset  et 
fiirtiua.  L'imparfait  erat  marque  l'état  de  choses  qui  se  serait  établi, 
sans  le  rapport  de  Florus  à  Valentin  (cf.  Riemann,  Synt.  lat.,  §  iSg). 

Ces  lettres  sont  d'étendue  variable.  Quelques-unes  se  réduisent  à 
de  courts  billets.  D'autres  prennent  l'allure  de  véritables  traités  qui 
n'ont  d'épistolaire  que  l'interpellation  du  début  et  de  la  fin  au  desti- 
nataire :  par  exemple  VEp.  clxxxv  au  comte  Boniface,  que  saint 
Augustin  lui-même  intitule  dans  ses  Rétractations  «  liber  de  correc- 
tione  Donatistarum  »,  \'Ep.  clxxvii,  VEp.  cxcix,  etc.  La  pièce  ccxiii 
est  un  procès-verbal,  ou  plus  exactement  une  sténographie,  de  la 
séance  tenue  dans  l'Eglise  de  la  paix  à  Hippone,le  26  septembre  426, 
où  Augustin  fit  agréer  à  ses  ouailles  le  prêtre  Eraclius  comme  son 
successeur  éventuel  sui-  le  siège  épiscopal  de  cette  ville.  M.  G.  l'a 
accueillie  pour  se  conformer  aux  données  des  manuscrits  et  à  l'usage 
des  précédents  éditeurs. 

Les  lettres  qui  peuvent  être  datées  s'échelonnent  entre  417  et  43o, 
date  de  la  mort  de  l'évêque.  Saint  Augustin  y  apparaît  en  pleine 
possession  de  son  prestige  :  il  est  le  papa  vénéré  vers  qui  se  tournent 
les  yeux  de  la  chrétienté  d'Occident,  et  à  qui  les  empereurs  eux- 
mêmes  jugent  indispensable  d'adresser  un  double  des  lettres  officielles 
qu'ils  expédient  au  primat  de  Carthage  (cf.  Ep.  cci).  De  tous  côtés, 
on  le  consulte,  et  ces  questions,  même  les  plus  saugrenues,  pro- 
voquent ses  longanimes  réponses  :  cf.  VEp.  ccv,  où  l'on  voit  que  Con- 
sentius  s'était  enquis  auprès  de  lui  «  utrum  nunc  corpus  Domini  ossa 
et  sanguinem  habeat,  aut  reliqua  carnis  lineamenta.  » 

Parmi  les  plus  intéressantes  des  lettres  incluses  dans  ce  volume,  je 
signale  VEp.  clxxxv,  qui  est  d'importance  capitale  pour  la  théorie 
ecclésiastique  sur  la  répression  de  l'hérésie  et  sur  l'utilité  de  la  timor 
ou  de  la  dolor  en  certains  cas  ;  VEp.  clxxxix  au  comte  Boniface  :  le 
^  IV  beaucoup  a  contribué  à  fixer  l'opinion  chrétienne  sur  la  légitimité 
du  métier  des  armes;  VEp.  cxcvn  à  Hésychius  sur  la  date  probable 
de  la  fin  du  monde  :  aux  affirmations  de  l'évoque  de  Salone,  Augus- 
tin oppose  des  conseils  de  prudence  et  il  Tinviie  à  savoir  ignorer; 
VEp.    ccxi,  qui    est   un   règlement   de   vie   à   l'usage  d'une    commu- 


I  2  REVUE   CRITIQUE 

nautt;  de  religieuses  :  Augu.iin  ne  s'en  tient  pas  aux  préceptes  géné- 
raux, ii  entre  dans  les  détails  les  plus  circonstanciés,  sur  l'art  de 
délendre  les  vêtements  contre  l.s  mites,  sur  le  bain  mensuel  et  les 
conditions  où  il  doit  être  pris,  eic.  Les  lettres  ccxxv  etccxxvi  qui  éma- 
nent, l'une  de  IVosper,  l'autre  d'Hilaire,  donnen'  de  précieuses  indi- 
cations sur  l'état  d'esprit  du  sud  de  la  Gaule  dans  les  controverses  de 
la  grâce,  qui  préoccupent  si  vivement  les  dernières  années  du  grand 
docteur  :  on  y  apprend  à  connaître  le  milieu  et  l'atmosphère  d'où  devait 
sortir,  en  434,  le  iamcux  Commoiiitoriiim  de  Vincent  de  Lérins.L'iTp. 
ccxxxvii  est  capitale  pour  le  problème  de  l'exégèse  priscillianiste.  On 
mesurera  enlin,  dans  r7:/7.  cclxu,  la  sagesse  des  directions  d'Augustin, 
en  un  différend  d'ordre  conjugal  et  intime. 

Personnellement  l'évêque  se  trahit,  s'épanche  très  rarement.  Il  ne 
vise  ni  à  l'esprit,  ni  au  brillant.  Parfois  une  légère  malice  (voy.  le 
début  de  ï'Ep.  ccLxi),  mais  bien  vite  il  se  rassaisit,  tout  entier  à  son 
objet  et  uniquement  attentif  à  la  démonstration  qu"il  conduit.  La 
curiosité  psychologique  du  lecteur  est  donc  un  peu  déçue.  Mais  en 
revanche  quelle  ample  moisson  on  peut  faire  dans  ces  lettres  au  point 
de  vue  de  l'histoire  religieuse  et  de  l'histoire  de  la  civilisation  !  Il  y  a 
là  une  mine  qui  recèle  encore  bien  des  richesses  inexploitées. 

Pierre  de  Labriolle. 

Am'uiani  Marcellini  rerum  gestarum  libri  qui  supersunt.  Recensuit  rhyt- 
miccquc  distinxit  Carolus  U.  Ci.ark,  adiuuantibus  Ludouico  Traube  et  Gui- 
lelino  Hcrai.0.  \'ol.  I,  lihri  xiv-xxv.  Accedunt  tabulae  quinquc.  Berolini,  apud 
Wcidmannos,  .vdccccx.  xi-387  p.  in-S",  Prix  :  lô  Mk. 

>.L  Clark  prépare  depuis  dix   ans  cette  édition  qui   réalise   sur  les 
précédentes  (Eyssenhardt,  1871  ;  Gardthausen,  1874-1875)  trois  pro- 
grès notables.  On  a  établi  définitivement  que  le  texte  ne  repose  que 
sur  deux  sources,  le  ms.  de  Fulda,  conservé  au  Vatican  (lat.  1873),  et 
le    Memmianus  aujourd'hui   perdu  et  dont  Ghelen   (Gelenius)   s'est 
servi  pour  l'édition  imprimée  à  Bàle  en   i533.  Or  le  ms.   du  Vatican 
était  encore  assez  mal  connu.  M.  G.  nous  permet  ici  de  le  reconsti- 
tuer exactement.  Premier  gain.  Le  Memmianus,  qui  était  à  Hersfeld. 
n'estpas  entièrement  perdu.  On  en  a  découvert  six  fragments  à  Mar- 
bourg,  depuis  les  éditions  d'Eyssenhardi  et  de  Gardthausen.  De  plus, 
M.  G.  a  collationné  minutieusement  les  deux  éditions  de  Ghelen  et  de 
Castelli  (Bologne,    i5i7).   L'édition  de  Castelli  est  dénuée   de  toute 
espèce  de  valeur,  étant  fondée  surl'édiiion  princeps  de  Sabini(Rome, 
'47-})i  laquelle,  comme  la  plupart  des  premières  éditions,  repose  sur 
un  ms.,  du   xv=  s.  qui  est  un  sous-dérivé  d'un  dérivé  récent  du  Vati- 
canus-Fuldensis.  Mais  Ghelen  a  pris  comme  base,  et  probablement 
comme  texte  confié  directement  à  l'impression,  l'édition  de  Castelli. 
En  déduisant  Castelli  de  Ghelen,  on  a  des  chances  de  retrouver  les 
leçons  du  Memmianus,  dont  Ghelen   s'est  servi  pour  améliorer  Cas- 


D'HISTOI     iC    ET    L)K    LITTERATURE  1  3 

telli.  M.  C.  nous  fait  donc  connaître  exactement  pour  la  première  fois 
IcMcmmianus.  Deuxième  t^ain .  Le  iioisième  gain  est  annoncé  dans 
le  titre.  M.  C.  s'est  servi  des  clausulcs  pour  ponctuer  le  texte.  Sur 
ce  point,  il  n'innove. pas  complètement;  il  nous  apprend  lui-rnème 
que  Henri  Valois  s'était  servi  du  même  indice.  On  est  heureux  de 
voir  qu'une  méthode,  si  bruyamment  moderne,  a  été  pratiquée  par 
un  de  nos  grands  savants  du  xvii"  siècle.  Il  est  plaisant  de  voir  les 
Allemands  redécouvrir  pénibleinent  ce  que  ces  maîtres  savaient  avec 
goût  et  discrétion.  Le  rythme  d'Ammien  est  un  rythme  tonique,  fonde 
sur  Taccent,  non  sur  la  quantité.  Entre  deux  svllabcs  portant  l'accent, 
on  trouve  deux  ou  quatre  syllabes  atones,  on  n'en  trouve  Jatiiais  une 
ou  trois.  Il  n'y  a  pas  d'élision.  Les  lettres  ii  et  i  sont  comptées  tantôt 
comme  voyelles,  tantôt  comme  consonnes,  ad  libitum.  Il  résulte  de  là 
divers  types  du  cursus  iielox. 

L'apparat  critique  comporte  deu'c  étages.  Le  premier  contient  les 
variantes  du  Vaticanus-Fuldensis  et  du  Memmianus.  Le  second 
donne  les  variantes  d'autres  mss.  et  des  éditions,  en  outre  de  nom- 
breuses conjectures.  M.  C.  a  pu  connaître  des  notes  de  Mommsen.  Il 
a,  de  plus,  très  attentivement  dépouillé  la  bibliographie  et  les 
anciennes  éditions.  La  comparaison  des  deux  étages  montrera  aussi 
comment  le  texte  primitif,  du  ms.  de  Fulda,  s'est  altéré  dans  ses 
copies.  Il  y  a  là  un  sujet  d'étude  intéressant  pour  un  séminaire  de 
philologie. 

Le  deuxième  volume  contiendra  une  introduction  développée  et 
les  tables.  Dès  maintenant  on  peut  féliciter  M.  Clark  d'avoir  donné 
une  édition  aussi  parfaite  et  l'Académie  de  Berlin  de  l'avoir  encou- 
ragée par  ses  subsides  '. 

J.  D. 

Catalogo  dei  Codici  Marciani  italiani  a  cura  dclla  Dirczione  délia  R.  Biblio- 
teca  di  S.  Marco  in  Venezia  ;  volume  II  (classe  IV  e  V)  redatto  tia  C.  F"rati  e 
A.  Segarizzi.  — Modène,  Ferraguti,  Jyii,  t;r.  in-S",  XXI-423  pages. 

Cette  belle  publication,  dont  la  Revue  a  déjà  signalé  le  premier 
volume  (5  mai  19 lo),  se  poursuit  avec  une  régularité  parfaite,  digne 
du  soin  exemplaire  avec  lequel  elle  a  été  préparée  par  ses  deux  auteurs. 
Le  plan  adopté  dans  le  premier  volume  n'ayant  subi  aucune  modifi- 
cation, bornons-nous  à  constater  que  les  classes  IV  et  V,  décrites  ici, 
comprennent  respectivement  les  ouvrages  concernant  les  mathéma- 
tiques et  les  arts  du  dessin  d'une  pair,  de  l'autre  l'histoire  ecclésias- 
tique. Les  manuscrits  de  musique,  au  nombre  de  269dans  la  classe  IV, 
sont  omis,  parcequ'ils  figurent  déjà  dr.ns  un  catalogue  publié  en  1888 

I.  Dans  la  liste  des  abréviations,  je  ne  liou'/c  pas  l'explication  de  O,  désignant 
un  manuscrit.  —  Les  planches  reproduisent  un  fragment  du  Memmianus,  deux 
pages  du  Fuldensis,  une  page  d'un  manuscrit  de  Saint-Pierre  et  une  page  d'un 
autre  ms.  du  \'atican. 


,  ,  i«i:vl;k  lUi  i  iqlk 

par  les  soins  de  M.  I  .  Wicl;  s(,ni  donc  décrits  dans  ce  volume 
434  niss.  de  la  classe  IV  et  i5o  de  la  classe  V,  soit  un  total  de 
364  articles  fet  non  364,  comme  une  erreur  évidente  le  tait  dire  à 
l'auteur  de  la  préface  . 

Beaucoup  de  mss.  de  la  classe  IV  ont  un  inicrét  scientifique  et 
purement  local  (nombreux  traités  ou  rapports  sur  lart  militaire,  sur 
la  lagune,  sur  la  marine,  etc.,)  ;  mais  on  peut  y  glaner  bien  des  titres 
d'œuvres  qui  intéressent  riiisioire  proprement  dite  ou  l'histoire  de 
l'art;  Vitruve  traduit  par  D.  Barbaro(IV,  3;  et  i52)  et  par  G.B.  da 
San  Gallo  IV,  iqi);  le  traité  de  D.  Barbaro  sur  la  perspective  (IV, 
3qet  40);  B.  Ceilini,  traité  d'orfèvrerie  (IV,  44);  Léonard  de  Vinci, 
traité  de  peinture  (IV,  43,  1  3o  et  180)  ;  diverses  lettres  de  Galilée  (IV, 
5g,  60,  487)  et  deux  de  ses  traités  (IV,  129);  N.  Melchiori,  vies  des 
peintres  vénitiens  [IV,  167,  daté  1790;  l'ouvrage,  en  grande  partie 
inédit,  fut  achevé  en  1728)  ;  G.  Barutîaldi,  vies  des  peintres  et  sculp- 
teurs ferrarais(IV,  175);  L.  B.  Alberti,  traduction  des  traités  d'archi- 
tecture et  de  peinture  (IV,  532).  Dans  la  Classe  V,  l'attention  est  atti- 
rée par  des  mss.  de  P^'o  Belcari  (V.  10,  45,  66),  Paolo  Sarpi,  histoire 
du  Concile  de  Trente  (V.  25,  manuscrit  original)  ;  G.  Cecchi,  histoire 
de  l'hôpital  de  Santa  Maria  Nuova  à  Florence  (V.  36),  et  une  quan- 
tité de  légendes  hagiographiques. 

Henri  Halvf.tte. 


The  coUected  papers  of  Frédéric  William  Maitland,  éd.  by  H. -A.  L.  Fisher. 
Cambridge,  Univcrsity  Press,  191  i,  !•>  vol.in-8°;  ix  et  497  p.,  496,  566  p.,  3o  sh. 

M.  Fisher,  auteur  d'une  excellente  biographie  de  Maitland  dont 
nous  avons  rendu  compte  ici-même  ',  a  tenu  à  compléter  son  œuvre 
en  réunissant,  et  en  rééditant  ce  que  le  savant  professeur  a  publié  en 
dehors  de  sa  célèbre  histoire  du  droit  anglais.  M.  F.  a  écarté  de  son 
recueil  les  neuf  préfaces  ou  introductions  écrites  pour  la  Selden 
Society  ci  pour  des  documents  parlementaires  historiques,  parce  qu'il 
pensait  qu'on  les  trouverait  toujours  aisément;  il  s'est  contenté  de 
rechercher  ce  qui  avait  paru  ça  et  là  pendant  le  cours  de  trente 
années.  Sa  moisson  a  été  fructueuse,  et  il  a  récolté  matière  à  trois 
gros  volumes  dont  l'exécution  soignée  lui  fait  honneur,  ainsi  qu'à 
rUniversity  Press.  On  ne  peut  analyser,  ni  rnême  énumérer  les 
soixante  neuf  morceaux  réunis;  il  y  a  un  peu  de  tout,  depuis  une  dis- 
sertation écrite  en  1875  pour  un  concours  de  l'Université,  jusqu'à  des 
articles  nécrologiques  consacrés  à  lord  Acton,  sir  Leslie  Stephen, 
Henry  Sidgwick,  en  passant  par  des  conférences,  des  leçons,  des 
articles  bibliographiques.  M.  F.  s'est  borné  à  les  placer  dans  l'ordre 
chronologique  de  leur  apparition  sans  même  les  annoter.  Tous  ces 


I.  Revue  critique  du  10  novembre  ujio. 


D'HlSrOlRK    ET    1)K    LirTKKATURE  l5 

morceaux  de  dimensions  ei  d'inicrèt  lori  inégaux  seront  cependant 
lus  avec  profit,  car  la  méthode  et  la  science  de  Maiiland  y  sont  tou- 
jours présentes.  L'éditeur  recommande  en  particulier  l'important 
essai  qui  termine  le  deuxième  volume,  et  dans  lequel  Maitland  a  tracé 
une  si  magistrale  esquisse  de  l'histoire  du  droit  anglais  de  56o  à 
1600.  C'est  en  effet  le  joyau  de  celte  collection,  mais  nous  avons  pris 
presque  autant  de  plaisir  à  la  conférence  dans  laquelle  le  professeur 
exposait,  en  1888,  les  raisons  qui  s'étaient  opposées  jusque  là  à  la 
composition  d'une  histoire  du  droit  anglais,  et  les  dllFicultés  que  ren- 
contrerait quiconque  tenterait  l'entreprise.  On  sait  avec  quel  éclat  il 
s'est  lui-même  tiré  de  l'aventure,  et  cette  conférence  permet  de  mieux 
apprécier  le  mérite  de  soti  grand  ouvrage. 

A.  BiovÈs. 


Ch.  Beauquier,  Faune  et  Flore  populaires  de  la  Franche-Comté.  2  vol.de  4o3 
pp.  (T.  XXXII-XXXIII  de  la  Collection  de  Contes  et  chansons  populaires).  Paris, 
E.  Leroux,  1901 . 

«  Nous  nous  sommes  proposé  dans  cet  ouvrage,  écrit  l'auteur  dans 
son  Introduction,  de  publier  le  recueil  de  toutes  les  notions  tradition- 
nelles, superstitions  et  préjugés,  que  les  populations  de  Franche- 
Comté  ont  eues  ou  ont  encore  sur  les  animaux  et  sur  les  plantes  ». 
C'est  là  une  histoire  naturelle  d'un  genre,  certes,  original  et  qu'il  ne 
manquerait  point  d'intérêt  de  comparer  aux  Belluaires  et  Volucraires 
du  Moyen-Age.  On  serait  surpris  de  constater  combien  les  connais- 
sances que  nos  paysans  possèdent  des  plantes  qu'ils  voient  tous  les 
jours,  sont  enfantines  encore,  et  les  idées  qu'ils  ont  de  certains  ani- 
maux surprendraient  évidemment  .plus  d'un  intellectuel.  Il  est  vrai 
que  beaucoup  de  ceux-ci,  pour  n'avoir  pas  les  mêmes  croyances 
naïves,  n'en  sont  pas  moins  tout  aussi  ignorants  !  Que  d'animaux  fan- 
tastiques continuent  de  hanter  dans  toute  cette  Franche-Comté  1  Basi- 
lic, bouc  noir,  cheval  blanc,  cheval  gauvain  — -  celui-là,  peu  de  per- 
sonnes l'ont  vu  ;  aussi  ne  sait-on  pas,  au  juste,  comment  il  est  ! 
dragon,  drack,  «  quadrupède  blanc,  ressemblant  à  un  cheval  sans 
tête,  mais  très  léger  et  très  rapide  »  —  il  y  en  avait  un,  dit-on,  qui 
gardait  l'entrée  du  bois  de  Commenailles  !  loup-garou,  vampire, 
vouivre,  etc.,  etc.  On  comprend  que  les  petits  campagnards  n'osent 
guère  sortir  seuls  le  soir,  à  la  nuit  tombée.  M.  Beauquier  donne 
également  des  contes,  des  chansons,  des  dictons,  se  rapportant  aux 
divers  animaux  sauvages  ou  domestiques.  Tout  n'y  est  naturellement 
pas  particulier  à  sa  province.  Il  indique  tout  ce  qui  se  dit  de  chacun 
des  mammifères,  des  oiseaux,  des  reptiles,  des  poissons,  des  insectes, 
crustacés  et  mollusques,  avec  leurs  différents  noms  et  surnoms  en 
patois.  Il  rapporte  tous  les  usages  auxquels  ils  donnent  lieu.  De  même 
pour  les  arbres,  les  herbes  et  les  fleurs.   C'est  assurément  une  œuvre 


I  Ô  RKVIJK    CRiriQUK    DHISTOlKK    ICT      I)K    LITTERATURE 

de  j;randc  patience  i|u'iin  tel  recueil,  mais  cjuc  celui  qui  connaît  ainsi 
à  fond  s.i  province.  Joii  la  trouver  poéiiquc  et  Taimerl 

Léon  Pineau. 


AcAftH-Miu  DKS  In.scrii'Thins  kt  I>i;i.i,i:s-1  .kttrios.  — Séance  du  -^2  décembre  n/ 1 1  . 
—  A  propos  du  procès-verbal  de  la  dernière  séance,  M.  Antoine  Thomas  signale 
rintcrcl  <)iie  présente,  dans  l'inscription  de  Délos  communiquée  par  M.  Holleaux, 
in  transcription  par  e  de  l'i  latin  dans  les  noms  latins  (propres  et  communs), 
èvT2pxaX2pio'.;,  xoiitTior/,  TE^Éptoî.  Ces  exemples  sont  à  ajouter  à  ceux  que  l'on 
possède  déjà,  et  en  assez  grand  nombre,  car  les  transcriptions  analogues  ne  sont 
pas  très  rares  et  elles  s'échelonnent  sans  lacunes  sensibles  du  commencement  du 
11»  s.  a.  C.  à  la  plus  basse  époque  impériale.  L'idée  de  Diez,  qui  admettait  une 
liliation  entre  la  prononciation  archaïque  du  latin  et  la  prononciation  romane  (où 
l'i  est  assimile  à  l'éj,  reçoit,  semble-t-il,  de  la  constatation  répétée  de  ce  fait  une 
nouvelle  confirmation.  On  ne  saurait  donc  accepter  la  manière  de  voir  qui  tend 
à  prendre  laveur  aujourd'hui  et  qui  est  présentée  sans  réserve  dans  des  tra\'aux 
récents,  et  d'après  laquelle  le  passage  de  l'i  à  ë  serait  un  fait  nouveau  dans  le 
développement  du  latin  vulgaire  et  daterait  seulement  du  ii"  ou  ni<=  s.  p.  C.  11  ne 
faut  pas  i)ublier  que  les  inscriptions  de  Pompéi  offrent,  non  seulement  beaucoup 
de  formes  en  -es,  -et  (pour-/5,  -it),  mais  des  exemples  comme  geuetrix,  feliceter, 
etc. 

.M.  Henri  Cordier  communique  une  lettre  de  M.  dcGironcourt,  datée  deTombouc- 
tou,  M  I  novembre  191  i.  M.  de  Gironcourt  a  passé  dix  jours  à  prendre  les  estam- 
pages des  pierres  de  Bentia  et  des  inscriptions  des  cimetières.  De  plus,  il  a  pu 
recueillir  deux  Tariklis  sur  le  contenu  desquels  toutes  réserves  doivent  être  faites 
provisoirement;  l'un  est  un  récit  composé  récemment  par  un  chefsourai  entre 
Gas  et  Bentia  et  concernant  les  gestes  à&s  Ouliminden  ;  l'autre  traite  des  tribus  de 
l'Ouest  et  parle  de  Mohammed  Askia. 

M.  Paul  Foucart  lit  une  étude  sur  la  sixième  lettre  attribuée  à  Démosthènes. 
Cette  lettre  se  place  dans  les  jours  qui  suivirent  la  levée  du  siège  de  Lamia  et  le 
combat  des  Grecs  alliés  contre  le  Macédonien  Léonnatas.  M.  Foucart  prou\e  son 
authenticité  parla  précision  des  détails  et  leur  concordance  avec  les  témoignages 
des  écrivains  anciens  et  des  inscriptions. 

L'Académie  procède  à  l'élection  d'un  correspondant  français.  M.  Déchelette, 
conservateur  du  Musée  de  Roanne,  est  élu. 

M.  J.  Toutain  expose  les  résultats  de  la  sixième  campagne  de  fouilles  effectuée 
par  la  Société  des  sciences  de  Semur  sur  le  Mont-Auxois.  Le  principal  résultat  de 
cette  campagne  a  été  la  découverte  d'un  atrium  rectangulaire  se  rattachant  par 
son  extrémité  méridionale  au  monument  à  crypte  découvert  en  igo8.  Cet  atrium  ' 
a  dij  être  construit  dans  la  première  moitié  du  iii«  s.  p.  C.  Dans  le  sous-sol  de  ce 
monument  ont  été  déblayés  deux  puits,  trois  caves  gallo-romaines  et  diverses 
excavations  d'aspect  gaulois.  L'emplacement  fouillé  en  191 1  met  en  pleine  lumière 
la  superposition  de  trois  Ages  (les  excavations  gauloises,  les  caves  des  premiers 
siècles  de  l'Empire,  l'atrium  construit  à  l'époque  des  Sévères).  Les  travaux  ont 
été  dirigés  par  M.   V.  Pernet.  —  M.  Dieulafoy^  présente  quelques  observations. 

M.  Cagnat  communique,  de  la  part  de  M.Merlin,  une  inscription  latine  trouvée 
en  Tunisie  par  M.  le  lieutenant  Haack,  non  loin  de  la  station  du  chemin  de  fer  de 
Tunis  à  Sousse  appelée  Bir-bou-Rekba.  C'est  une  dédicace  à  l'empereur  Auguste 
par  les  marchands  romains  établis  dans  une  petite  cité  punique  nommée  Thi- 
missut. 

Léon  Dorez. 


L imprimeur- gérant  :  Ulysse    Rouchon. 


Le  Puy-cn-Vc'ny.  —  lmiirini.eric  royrillor,  Rouchon  et  Ganion. 


K  b  V  U  h    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N    2  —  13  janvier.  —  1912 

SippEL,    Dell    et    Luther.    —    SOskind,    Schleiermacher.    —    Bai.zer,    La    foi.    — 
BoNiioi-i-KR,  Epicicte  et  le  Nouveau  Testament.  —  Haask,  L'histoire  des  dogmes. 

—  CoRNiLS,  La  théologie.  —  Horace,  p.  Barbera.  —  Inscriptions  falisqucs,  p. 
Hkriug.  —  Textes  en  latin  vulgaire,  H  et  111,  p.  Heraeus  et  Niedermann.  — 
Pascal,  Epictète  et  les  mystiques.  —  Krebhiel,  L'interdit.  —  E.  Dieiii.,  Ins- 
criptions en  latin  vulgaire.  —  Bégulé,  La  chapelle  de  Kermaria.  —  Gaii.ly  de 
Tai'rines,  Les  légions  de  Varus.  —  Barth,  Amour  et  mariage  dans  les  nou\  elles 
du  mû\en  âge.  —  Panniku,  L"Eglise  réformée  de  Paris  sous  Henri  I\^  — 
Zaguuski,  Racky.  —  Castei.la,  Bûchez.  —  Roux,  Vesoul.  —  Le  Senne,  M""'  de 
Païva.  —  Bergstr.ksser,  Le  parti  du  centi'e.  —  HEioiiL,  Courants  politiques.  — 
Diez,  La  presse.  —  Gobât,  Le  cauchemar  de  l'Europe.  —  Dk  Toro,  Trésor  de 
la  langue  espagnole.  —  Lewinskt,  L'évolution  industrielle  de  la  Belgique.  — 
R.  DE  la  Grasserie,  Les  principes  sociologiques  du  droit  public.  —  Laband,  Le 
droit  de  l'Empire  allemand.  —  Del  Vecchio,  Guerre  et  paix.  —  Logos,  II,  i.  — 
Hei.xîsoetu,  Descartes  et  Leibniz.  —  Laberthonnière,  Etudes.  —  Boutroux, 
James.  —  i  ?'■  Bulletin  de  l'Institut  Solvay. —  Frech,  Le  passé  de  la  terre.  — 
Del  Vecchio,  De  Burlamachi  à  Rousseau.  —  Klemm,  Histoire  de  la  psychologie. 

—  Fleinkr,  Droit  administratif  allemand.  —  Cornélius,  Introduction  à  la  philo- 
sophie. —  Neeser,  La  religion  hors  des  limites  de  la  raison.  —  Berr,  La  syn- 
thèse en  histoire.  —  .\.  Baumgarten,  Etat  de  détresse  et  état  de  défense.  — 
Stengel-Fleischmann,  Dictionnaire  du  droit  allemand,  i2-;3.  —  Holdack,  La 
peine  juridique.    —  Wlndelband,  Préludes,  4«  cl.  Académie  des  inscriptions. 


1.  Thcodor  Sii'pEL  :  William  Dell's  Programm  einer  «  lutherischen  »  Gemein- 
schaftsbewagung,  Tubingen,  Mohr  njir,   in-8"   120  pages.  Prix:  2  M.  So. 

2.  Hcrmann    Sûskind    :  Christentum    und    Geschichte    bei  Schleiermacher. 
I  Tcil  :  Die  Absoiutheit  des  Christentums  und  die  Religionsphilosophie. 

Tubingen.  Mohr,    191 1.   in-S",  xu-198  pages. 

3.  Otto    Balzer  :  Giaubensfragen.  Tubingen,    Mohr,  191  r,    in-8",    iv-68    pages. 
Prix  :   I  M.  5o. 

I .  C'est  une  ligure  curieuse  et  peu  connue  que  celle  deWilliam  Dell, 
d'abord  secrétaire  de  l'évêque  de  Londres  et  de  l'archevêque  de  Gan- 
lorbéry,  puis  prédicateur  dans  l'armée  de  Crornwell,  enfin  chef  de 
collège  à  Cambridge,  qui,  avec  tant  d'autres  de  ses  contemporains, 
rêva  de  iransiornier  rÉglise  en  une  société  de  saints  animés  du  plus 
pur  esprit  de  l'Évangile  et  qui  exposa  ses  idées  réformatrices  dans  des 
sermons  reieniissants  et  surtout  dans  de  nombreux  écrits  très  lus  chez 
les  Quakers  et  chez  les  Méthodistes.  Dans  un  fascicule  supplément  de 
la  Zcitschrift  fur  Théologie  und  Kirclie,  M.  Sippel,  pasteur  à 
Schwcinsberg,  expose  sa  doctrine  en  analysant  ses  principales  œuvres 

Nouvelle  série    LXXIII  2 


,{^  RKVLE    CRITIQIE 

et  la  compare  à  celle  de  Biown  ei  surtout  à  celle  de  Luther,  pour 
montrer  que  Dell,  qui  s'est  réclamé  de  l'un  et  de  l'autre,  se  rattache  de 
fait  à  eux,  mais  s'en  dillcrencie  sur  un  certain  nombre  de  points  fort 
importants.  On  aimerait  à  connaître  d'une  façon  plus  générale  ce  que 
le  même  réformateur  a  de  commun  avec  le  milieu  complexe  dans 
lequel  il  a  vécu  et  ce  qui  constitue  son  originalité  propre,  comme 
aussi  la  manière  dont  il  s'est  formé  et  les  inHucnces  qu'il  a  subies.  De 
telles  questions  se  posent  désormais  inévitablement  en  ces  sortes 
d'études.  On  ne  peut  pourtant  pas  trop  faire  un  grief  à  M.  Sippel  de 
ne  pas  les  avoir  abordées,  car  il  ne  présente  son  travail  que  comme 
un  «  premier  essai  ».  Les  renseignements  qu'il  nous  donne,  tout  en 
étant  incomplets,  sont  très  utiles,  et  aideront  à  mieux  connaître  le 
mouvement  un  peu  désordonné  des  idées  religieuses  qui  s'est  produit 
en  Angleterre  à  l'époque   troublée  dont  il  s'occupe. 

2.  L'histoire,  aujourd'hui  plus  étudiée  et  mieux  connue,  des  reli- 
gions n'intirme-t-elle  pas  la  prétention  qu'a  le  christianisme  de  repré- 
senter à  lui  seul  la  vérité  absolue?  Cette  question  préoccupe  vivement 
tous  ceux  des  nouveaux  historiens  qui  tiennent  à  la  foi  chrétienne. 
Un  des  maîtres  les  plus  autorisés  du  protestantisme  libéral,  M.  G. 
Troeltsch  l'a  discutée  dans  un  ouvrage  très  remarqué  :  Die  Absolut- 
heit  des  Christentums  und  die  Reli gions geschichte ,  où  il  s'attache  à 
établir  que  le  christianisme  l'emporte  sur  toutes  les  religions  qui  ont 
existé,  mais  non  pas  nécessairement  sur  toutes  celles  qui  pourraient 
paraître,  que  sa  perfection  est  relative  et  non  point  absolue.  Un  de 
ses  disciples,  M.  H.  Suskind,  de  Tubingue,  qui  a  traité,  en  un  volume 
récent,  de  «  l'influence  exercée  par  Schelling  sur  l'évolution  de 
Schleiermacher  »,  examine  maintenant,  dans  un  nouveau  travail, 
l'idée  que  le  même  Schleiermacher  s'est  faite  des  rapports  du  christia- 
nisme et  de  l'histoire  des  religions  pour  montrer  qu'il  a  vu  dans 
l'étude  philosophique  de  cette  dernière  science  la  preuve  de  la  trans- 
cendance du  christianisme  présupposée  par  toute  dogmatique  et  que 
si,  en  dogmatique,  il  fait  simplement  appel  à  l'expérience  intime  de 
tout  croyant,  bornant  le  rôle  de  l'histoire  à  la  définition  de  l'essence 
de  la  vraie  religion,  c'est  précisément  parce  qu'il  y  regarde  la  croyance 
comme  déjà  formée,  que  si,  d'autre  part,  il  a  accordé  au  christianisme 
une  valeur  absolue,  c'est  en  se  plaçant  aussi  au  point  de  vue  de  la 
foi,  non  plus  à  celui  de  la  science  historique.  La  démonstration  est 
consciencieuse  et  suppose  une  étude  approfondie  du  sujet,  sans  être, 
sur  tous  les  points,  convaincante  ;  mais  elle  s'attarde  trop  sur  des  ques- 
tions purement  formelles  et  elle  se  présente  sous  un  aspect  assez 
rébarbatif  qu'on  peut  regretter  même  chez  un  théologien.  Après 
avoir  fait  de  Schleiermacher  un  Père  de  l'Église,  il  ne  faudrait  pas 
bâtir  sur  lui  une  nouvelle  scolastique. 

3.  Dans  une  brochure  qui  fait  partie   d'une  collection  théologique 
consacrée  à  la  défense  de  la  cause  religieuse,  M.  Otto  Baltzer,  pasteur 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  I9 

à  Guben,  reproduit  trois  confcrcnces  qu'il  a  données  sur  la  foi  et  la 
science,  la  foi  et  l'histoire,  TÉglise  et  la  vie  moderne,  pour  montrer 
que  ces  grandes  rivales,  bien  loin  de  s'opposer  fatalement,  peuvent 
fort  bien  s'entendre.  Afin  de  les  mettre  d'accord,  il  morigère,  à  l'occa- 
sion, chacune  d'elles  cl  les  cantonne  dans  des  limites  assez  étroites, 
dans  lesquelles  aucune  ne  s'est  tenue  jusqu'ici  et  aucune  ne  se  tiendra 
sans  doute  dans  l'avenir.  Il  évite  d'ailleurs  prudemment  de  trop  pré- 
ciser les  difficultés  qui  les  mettent  aux  prises,  et,  pour  obtenir  plus 
d'harmonie,  il  fait  appel  aux  Muses  et  cite  maints  poètes.  Son  livre  a 
toutes  les  qualités  du  genre  apologétique,  et  cela  ne  veut  pas  dire  qu'il 
soit  sans  défaut,  mais  les  défauts  n'en  apparaîtront  qu'à  ceux  qui  ne  le 
liront   pas   en   croyants  et  il  convaincra  tous  ceux  qui  y  chercheront 

une  justihcaiion  de  leur  foi. 

Prosper  Alfaric. 

Adolf  BoNiiôFFER  :  Epilctst   und  das    Neue    Testament,   Gicssen,  Tôpelniann, 
191  I,  in-S»,  X11-412  pages.  Prix  :    i5  M. 

M.  Bonhôffer,  de  Stuttgart,  s'est  spécialisé  dans  l'étude  d'Epictète, 
Après  avoir  publié,  en  iSgoeten  1894,  deux  travaux  importants  intitulés: 
Epiktet  und  die  Stoa  et  Die  Ethik  des  Stoikers  Epiktet,  il  vient  d'en 
donner  un  troisième  qui  étudie  les  rapports  existants  entre  ce  philo- 
sophe et  les  auteurs  du  Nouveau  Testament  et  qui,  pour  ce  motif,  a 
paru  dans  la  collection  des  Religionsgeschichtliche  Versuche  und 
Vorarbeiten  de  Dieterich  et  Wiinsch. 

Il  s'y  attaque  d'abord  à  quelques  thèses  récentes.  En  1894,  dans  un 
discours  rectoral  prononcé  à  Erlangen,  Th.  Zahn,  réagissant  contre 
la  tendance  qu'ont,  d'après  lui,  les  théologiens  et  les  philologues  de 
nos  jours  à  faire  dériver  le  christianisme  primitif  du  paganisme,  sou- 
tenait qu'Epictète  a  connu  le  Nouveau  Testament  et  s'en  est  largement 
inspiré.  Un  hollandais,  K.  Kuiper,  dans  une  longue  étude  publiée 
en  1  906,  reprenait  la  même  thèse,  en  y  introduisant  quelques  réserves 
et  en  s'attachant  à  montrer  que,  si  l'auteur  de  VEnchiridion  s'est 
assimilé  sur  certains  points  la  doctrine  chrétienne,  il  l'a  sur  d'autres 
assez  clairement  attaquée  sans  la  nommer.  M.  B.  soumet  les  argu- 
ments de  ces  deux  auteurs  à  une  discussion  serrée,  pour  conclure 
qu'Epictète  n'a  ni  exploité,  ni  seulement  connu,  d'une  façon  un  tant 
soit  peu  précise,  l'enseignement  du  christianisme,  et  sa  démonstration 
parait  tout  à  fait  décisive. 

D'autres  critiques,  prenant  une  position  diamétralement  opposée  à 
celle  de  Zahn  et  de  Kuiper,  out  soutenu  que  c'est  plutôt  le  Nouveau 
Testament  qui  dépend  du  stoïcisme.  Telle  est  en  particulier  la  thèse 
adoptée  par  P.  Wendland  et  G.  Heinrici,  ainsi  que  par  K.  Clemen. 
M.  B.  la  combat  également  et  s'attache  à  établir  qu'on  ne  constate 
aucune  influence  stoïcienne  ni  dans  les  Synoptiques,  ni  dans  les 
Epîtres  de  saint  Paul,  ni  dans  les  autres  écrits  du  Nouveau  Testament. 


20  RtVUt    CRiriQDK 

Son  nrtirmntion  rencontre  dcjà  quelques  difficultés  en  ce  qui  concerne 
les  Synoptiques  dont  certaines  semences,  par  exemple  celles  des 
deux  voies  et  des  malades  qui  ont  besoin  du  médecin,  ont  une  ressem- 
blance assez  Irappanie  avec  divers  apliorismcs  stoïciens.  Elle  est  plus 
sujette  àcaution  au  sujet  de  saint  Paul  dont  plusieurs  idées,  celles  par 
exemple,  de  Tliomme  spirituel  qui  juge  tout,  de  liniérieur  et  de  l'exté- 
rieur, de  la  chair  et  de  l'esprit,  du  déterminisme  moral,  se  rapprochent 
par  fois  singulièrement,  jus.]ue  dans  leur  forme,  du  stoïcisme.  Elle  est 
enfin,  croyons-nous,  inadmissible  en  ce  qui  concerne  les  écrits  johan- 
niqucs,  ou  plus  précisément  le  4""^  Evangile,  dont  le  Logos  peut  bien 
Otre  juif,  mais  est  aussi  sûrement  hellénique,  ou  plus  précisément, 
stoïcien,  en  même  temps  que  platonicien  malgré  les  transformations 
qu'il  a  subies  avant  dépasser  dans  TEvangile.  M.  B.,  il  est  vrai,  ne  le 
voit  que  dans  le  prologue,  mais,  en  cherchant  plus  attentivement,  il 
l'aurait  trouvé  à  travers  tout  le  livre.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  l'évan- 
géliste  s'est  mis  sur  ce  point  à  l'école  du  stoïcisme,  mais  il  en  a  subi, 
pour  ainsi  dire,  l'inHuence  dilfuse,  parce  que  le  milieu  dans  lequel  il 
a  paru  en  était  pénétré.  La  même  remarque  s'applique  à  tous  les 
auteurs  du  Nouveau  Testament  chez  qui  on  pourra  relever  des  ves- 
tiges analogues  de  la  philosophie  des  Grecs.  M.  B.  semble  un  peu  trop 
porté  à  nier  l'action  d'une  doctrine  sur  une  autre  quand  la  seconde 
ne  reproduit  pas  exactement  la  première  et  n'en  provient  pas 
directement. 

Dans  la  suite  de  son  travail,  il  compare  le  christianisme,  tel  qu'il  le 
trouve  exposé  dans  le  Nouveau  Testament  et  le  stoïcisme  formulé  par 
Epiciète,  car,  pour  lui,  ces  deux  doctrines,  tout  en  étant  mutuellement 
indépendantes,  se  touchent  de  très  près,  et,  tandis  que  certains  se  sont 
efforcés  de  les  identifier,  d'autres  au  contraire  de  les  mettre  en  désac- 
cord, il  s'applique  à  faire  ressortir  leurs  traits  communs  en  même 
temps  que  leurs  caractères  distinctifs.  II  le  fait  avec  une  sûreté  d'in- 
formation et  une  pénétration  très  remarquables.  On  peut  lui  repro- 
cher de  rester  ici  trop  souvent  dans  le  vague,  en  ce  qui  concerne 
la  doctrine  chrétienne,  pour  n'avoir  pas  distingué  renseignement  de 
Jésus,  celui  de  saint  Paul  et  celui  du  4'"^  Evangile.  Cette  dernière 
partie  de  son  travail  n'en  est  pas  moins  solide  et  bien  conduite.  Le 
livre,  dans  son  ensemble,  apporte  une  excellente  contribution  à 
l'étude,  si  importante  et  encore  si  débattue,  des  rapports  du  chris- 
tianisme et  de  l'hellénisme. 

Prosper  Alfaric. 

Félix  Haasi;  :  Begriff  und  Aufgabe  der  Dogmengeschichte.  Breslau,  Gœriich 
et  Coch,  iiji  I  ;  in-S.,  9!^  pages.  Prix  :   i   mark  40. 

L'histoire  des  dogmes  est  à  Tordre  du  jour  et,  comme  l'idée  qu'on 
s'en  fait  varie  beaucoup  avec  la  position  dogmatique  adoptée  par  les 
historiens,  plusieurs  d'entre  eux  en  ont  donné,  au  cours  de  ces  der- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  21 

nicrcs  années,  des  dcfinitions  passablement  divergentes.  M.  Félix 
Haase,  de  Breslau,  qui  a  déjà  à  son  aciil  une  étude  sur  Dioscore  I, 
patriarche  d'Alexandrie,  et  une  autre  sur  la  gnose  de  Bardesane, 
vient  d'exposer  à  ce  sujet  sa  manière  de  voir  dans  une  brochure  qui 
porte  l'iniprimatur  du  cardinal  Kopp,  et  qui  se  place  à  un  point  de 
vue  nettement  catholique.  Son  intention  est  de  montrer  qu'on  peut 
écrire  une  telle  histoire  de  la  façon  la  plus  scientifique,  tout  en  se 
tenant  au  catholicisme  le  plus  orthodoxe,  et  de  préparer  un  travail  de 
ce  genre,  d'en  écrire  en  quelque  sorte  la  préface,  pour  provoquer  des 
critiques  et  des  observations  utiles. 

Dans  une  première  partie  il  explique  donc  ce  qu'on  doit  entendre 
par  un  dogme.  Après  avoir  montré  comment  ce  mot,  qui  désignait  à 
l'origine  l'ensemble  des  croyances  professées  par  un  fidèle  quel- 
conque, ne  s'applique  dans  le  Concile  du  Vatican  qu'à  celles  qui  sont 
imposées,  conformément  à  l'Écriture  et  à  la  Tradition,  par  l'autorité 
infaillible  de  l'Eglise,  il  concilie  les  Catholiques,  qui  s'en  tiennent  à 
cette  dernière  acception,  et  les  Protestants,  revenus  à  la  précédente, 
en  disant  que  les  deux  se  distinguent  sans  s'exclure  et  que  le  dogme 
peut  être  soit  simplement  chrétien,  soit  ecclésiastique,  selon  les  cir- 
constances ou  les  points  de  vue  auxquels  on  l'envisage,  qu'un  histo- 
rien par  conséquent  peut  le  prendre  dans  un  sens  comme  dans  l'autre 
et  étudier  les  croyances  chrétiennes  dans  leur  ensemble  et  à  travers 
toutes  les  sectes  ou  s'occuper  simplement  de  celles  dont  son  Eglise 
fait  profession.  Rien  n'est  plus  simple,  ni  plus  incontestable. 

Dans  la  seconde  partie  les  choses  se  compliquent,  car  il  s'agit  de 
préciser  le  concept  non  plus  simplement  du  dogme,  mais  de  l'histoire 
qu'on  peut  en  faire.  M.  Haase  se  refuse  à  définir  la  méthode  histo- 
rique, «  supposée  connue  ».  Il  se  contente  d'expliquer,  afin  de  préve- 
nir l'objection  signalée  par  lui  en  commençant,  que,  pour  procéder 
scientifiquement,  on  n'a  pas  à  se  débarrasser  de  toutes  les  idées  pré- 
conçues qu'on  pourrait  avoir,  mais  seulement  de  celles  qui  se  rappor- 
tent à  l'objet  précis  de  la  science  dont  on  s'occupe.  Or  l'Eglise, 
ajoute-t-il,  nous  impose  ce  que  nous  devons  croire,  mais  non  la  repré- 
sentation du  processus  selon  lequel  la  croyance  s'est  formée  et  c'est 
sur  ce  dernier  point  uniquement  que  porte  l'attention  de  l'historien 
des  dogmes.  L'encyclique  Pascendi  et  la  formule  du  serment  anti- 
moderniste ne  visent  qu'à  écarter  de  son  étude  tout  préjugé  irreli- 
gieux emprunté  à  l'agnosticisme  et  à  l'iinmanentisme. 

Ces  deux  documents,  objecterons-nous,  vont  en  réalité  beaucoup 
plus  loin,  car  ils  interdisent  à  l'historien  croyant  de  faire,  dans  son 
œuvre  historique,  abstraction  de  sa  croyance.  D'autre  part,  la  foi 
catholique  affirme  avoir  toujours  été  en  substance  ce  qu'elle  est 
aujourd'hui  et  ne  s'êtix' développée  que  dans  le  même  sens  et  la  même 
formule.  .M.  llaase  ne  peut  aller  à  l'encontre  de  ces  dernières  affirma- 
tions. Il  montre  combien  il  en  dépend  jusque  dans  ce  travail  destiné 


22  REVUE    CRITIQUE 

à  établir  son  indépendance  de  savant,  dès  qu'il  s'y  applique  à  préciser 
un  tant  soit  peu  son  prngraninic,  car  il  déclare  que  l'historien  des 
dogmes  ne  doit  pas  attacher  une  grande  importance  à  l'étude  compa- 
rée  des  relij»ions  anciennes  dont  rintlucnce  sur  le  christianisme  a  été, 
d'après  lui,  purement  extérieure  et  très  restreinte.  Une  telle  remarque 
est  de  nature  à  inspirer  quelque  inquiétude  sur  le  caractère  scienti- 
fique de  l'oeuvre  qu'il  annonce.  La  préface  qu'il  vient  d'en  écrire 
dénote  un  esprit  ouvert,  qui,  tout  en  restant  très  hdèle  à  l'Eglise  et  à 
Pie  X,  flirte,  à  l'occasion,  avec  Harnack  et  compagnie,  mais  qui  paraît 
plus  habitué  à  disséquer  les  idées  d'autrui  qu'à  oi-ganiser  les  siennes 
propres  et  dont  l'idéal  consiste,  selon  une  remarque  faite  par  lui,  à 
assembler  de  bons  matériaux  plutôt  qu'à  faire  une  belle  construction. 
T«)ut  en  donnant  lieu  à   des  espoirs  sérieux,  elle   suggère    aussi  des 

craintes  trop  fondées. 

Prosper  Alfaric. 

Martin  Cornils,  Théologie.  Einfiihrung  in  ihre  Geschichte,  ihre  Ergebnisse 
und  Problème.  Leipzig,  Teubner.  igir;  in-12,  iv-iyS  pages.  Prix:  i  mark-.'3. 

Dans  un  petit  et  élégant  volume  de  la  collection  Ans  Natiir  iind 
Gcisteswelt,  M.  M.  Cornils,  pasteur  à  Kiel,  s'applique  à  donner  aux 
laïques  cultivés  qui  s'intéressent  aux  choses  religieuses  une  idée  som- 
maire mais  substantielle  de  la  théologie  et  il  le  fait  en  s'inspirant  des 
maîtres  du  jour,  notamment  de  Harnack  et  de  Troehsch. 

Une  première  partie  de  son  travail  expose  à  grands  traits  l'histoire 
de  la  théologie.  On  en  résumerait  assez  bien  l'esprit  en  disant  que  la 
pensée  chrétienne,  qui  a  été  d'abord  et  très  longtemps  gréco-latine, 
est  devenue  finalement,  en  vertu  du  progrès,  anglo-saxonne.  Mais  on 
pourrait,  là-dessus,  objecter  à  l'auteur  qu'elle  a  été  profondément 
juive  avant  d'être  hellénique.  Nous  trouvons  déjà  une  théologie  dans 
les  paroles  de  Jésus  et  surtout  dans  les  écrits  de  saint  Paul.  Son 
influence  a  même  été  plus  considérable  sur  les  Grecs  que  celle  de  leur 
philosophie  et  saint  Augustin  s'est  inspiré  d'elle  beaucoup  plus  que 
des  théologiens  orientaux  qu'il  a,  du  reste,  fort  peu  connus.  D'autre 
part  l'esprit  moderne  ne  vient  pas  en  première  origine  d'Angleterre 
mais  d'Italie  et  il  est  passé  par  la  France  avant  d'arriver  en  Alle- 
magne. Galilée  et  Descartes  méritent  d'être  nommés  à  côté  de  Kepler 
et  de  Newton.  A  lire  M.  Cornils  on  ne  soupçonnerait  pas  que  les 
questions  ihéologiques  sont  étudiées  depuis  un  siècle  ailleurs  qu'en 
Allemagne.  Peut-être  gagnerait-il  à  élargir  un  peu  son  horizon. 

Dans  une  seconde  partie  il  s'applique  à  définir  de  façon  plus  pré- 
cise l'objet  de  la  théologie  moderne.  Celle-ci,  explique-t-il,  sera  avant 
tout  historique  et  étudiera  dans  la  Bible  les  manifestations  progres- 
sives de  la  révélation.  Cependant  elle  devra  aussi  s'élaborer  ensuite 
systématiquement  en  une  Dogmatique  et  en  une  Éthique  qui  étudie- 
ront la  psychologie  et  la  morale  du  Christianisme.  Malheureusement 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  23 

cette  théologie  systématique  risque  fort  de  n'être  plus  une  science  du 
moment  où  elle  entrera  dans  le  domaine  de  la  métaphysique  et 
M.  Cornils  entend  bien  Tamener  de  bonne  heure  à  le  faire,  (^uant  à 
la  théologie  historique,  de  quel  droit  la  limite-t-il  à  Tétude  de  la 
Bible,  du  moment  où  il  ne  reconnaît  pas  à  celle-ci  une  valeur  abso- 
lue? Ne  devrait-il  pas  Fétendre  à  l'histoire  des  religions  en  général  et 
surtout  à  toute  celle  du  christianisme  ?  C'est  ce  que  demanderait  logi- 
quement la  conception  de  Troeltsch,  qui  se  trouve  chez  lui,  sans 
qu'il  semble  s'en  douter,  en  opposition  continuelle  avec  celle,  fort 
différente  et  plus  étroite  de  Harnack. 

En  somme,  il  reste  influencé  par  son  protestantisme  comme  par 
son  nationalisme  plus  qu'il  ne  le  faudrait  pour  une  œuvre  vraiment 
scientifique.  Son  livre  n'en  contient  pas  moins  des  vues  excellentes, 
exposées  avec  beaucoup  de  clarté  et  de  méthode.  Il  mérite  d'être  lu. 

Prosper  Alfaric. 


Q.  Horatii  Flacci  opéra.  Florentiae,  apud  G.  Barbera,  mcmxi,    xii-265  p.  in-i^a. 
Prix  relié  :  3  I. 

Ce  petit  volume  est  le  premier  d'un  Corpus  poetarum  latinorum. 
Elégamment  relié,  avec  tranches  rouges,  il  est  vraiment  un  Horace 
de  poche;  il  mesure  8  centimètres  sur  12.  On  nous  annonce  toute 
une  série  de  volumes  semblables.  Ils  seront  commodes.  On  paie  cet 
agrément  par  une  impression  un  peu  fine.  Le  problème  des  petits 
volumes  me  paraît  devoir  être  résolu  par  une  autre  voie,  en 
employant  des  papiers  minces,  comme  VIndian  paper  de  la  Biblio- 
theca  Oxoniensis .  Pour  les  personnes  qui  n'ont  pas  les  yeux  fatigués, 
cet  Horace  sera  un  compagnon  charmant.  La  préface  est  signée  par 
M.  F.  Ramorino.  Le  texte  pris  pour  base  est  celui  de  Keller  et  Haus- 
sner.  Cependant  Od.,  II,  20,  6,  M.  R.  garde  uocas ;  Epod.,  2,  65,  il 
Vil pnsitosque;  Sut.,  I,  6,  126,  il  admet  la  leçon  blandinienne  '.fugio 
campum  lusumque  trigonem.  M.  Ramorino  n'a  donc  pas  copié  servi- 
lement le  texte  de  Keller  et  en  a  retouché  quelques  points.  Nous 
souhaitons  bon  succès  à  la  nouvelle  collection,  qui  ne  pourra  man- 
quer de  gagner  de  nouveaux  amis  aux  poètes  latins. 

J.  D. 


Tituli  Faleriorum  ueterum  linguis  falisca  et  etrusca  conscripti.  Conlegit, 
edidit,  enarrauit...  Gustauus  Hërbig.  Lipsiae,  Barth,  1910,  59  p.  in  f". 

M.  Herbig  a  pris  comme  thèse  d'habilitation  à  l'université  de 
Munich  ce  recueil  des  inscriptions  falisques,  qui  est  en  même  temps 
un  extrait  du  premier  fascicule  de  la  seconde  section  du  t.  II  du  Cor- 
pus inscriptionum  etruscarum  (n"*  8ooi-833i).  Ces  inscriptions  ont 
toutes  été  trouvées  à  Civita  Castellana,  dans  la  capitale  des  Falisques. 
Les    textes    provenant  du    reste  du    territoire   paraîtront   plus   tard. 


2.|  RKVUE    CRITIQUE 

M.  11.  commence  par  une  description  du  site  et  l'indication  des 
icpuiuires  touillées.  Los  textes  sont  très  soigneusement  publiés, 
presijue  tous  avec  le  contrôle  d'un  autre  savant,  M.  Thulin  ou 
M.  N'oi^ara.  M.  Herbig  les  a  entourés  de  commentaires  et  de  biblio- 
graphie. Quand  nous  aurons  la  suite,  nous  aurons  toutes  les  données 
positives  que  l'on  peut  réunir  sur  le  ("alisque.  Malheureusement,  ces 
inscriptions  sont  de  misérables  débris,  le  plus  souvent.  A  la  difficulté 
linguistique  s'ajoute  la  dilliculté  archéologique.  Comme  on  peut  s'y 
attendre,  c'est  surtout  l'onomastique  qui  profite  jusqu'ici  de  ces  tra- 
vau.x;  on  en  a  pour  preuve  le  grand  ouvrage  de  M,  Schultze.  Il  faut 
ajouter  :  la  connaissance  des  chitlVes  latins;  voy.  ici  les  inscriptions 
8081-8162  ei  les  références. 

J.  D. 


SammluDg    vulgarlateinischer    Texte     hciausgegcben    von    W.     Heraeus    u. 

H.    M.-RK. 

2.  Petronii  cena  Trimalchionis,  nehst  ausgewâhlten  Pompeianischcn  Wandins- 
chriften;  hcrausg.  von  \V.   Hkrakus,   1909,  vi-47  p.  Prix  :  i   Mk.  20. 

3.  Proben  aus  der  sogenannten  Mulomedicina  Chironis  (Buch  II  und  III)  ; 
herausg.  von  .\1.    Niedkr.mann,    1910,   x-GS  p.  l^rix  :   1   Mk.   20. 

ln-8",  Hcidelbcig.Wintcr. 

M.  Heraeus  publie  le  texte  de  la  Cena  d'après  Bucheler.  Mais  il  l'a 
revisé  et  souvent  il  revient  à  la  leçon  des  manuscrits  quand  elle  pré- 
sente des  vulgarismes  traduits  (et  trahis)  par  Bticheler;  ainsi  quia 
pour  (/Moi,  inici-  pour  intra.  Outre  quelques  inscriptions  de  Pompéi, 
M.  Heraeus  reproduit  à  la  tin  de  la  brochure  le  Tcstamenlum 
porcelli. 

M.  Niedermanna  de  nouveau  coUationné  le  manuscrit  de  Munich 
pour  les  deux  livres  qu'il  publie.  Il  a  surtout  amélioré  la  lecture  en 
divisant  plus  correctement  les  mots  que  ne  l'avait  fait  Oder  Son 
apparat  présente  des  conjectures,  des  explications  et  des  rapproche- 
ments. Un  court  extrait  de  Végèce  est  destiné  à  montrer  le  rapport 
des  deux  auteurs. 

J.  D. 


Carlo  Pascal,  Epicurei  e  mistici.  Catania,  Fr.  Battiato,  igi  r,  viii-ôg  p.  in-8». 

M.  Pascal  a  réuni  sous  ce  titre  sept  études.  Les  quatre  premières 
assez  courtes  sont  consacrées  à  des  sujets  antiques.  M.  P.  défend  le 
caractère  moral  de  Mécène  contre  les  jugements  sévères  de  Scnèque. 
Vingt-cinq  pages  caractérisent  Pétrone  et  la  société  romaine  telle 
qu'il  la  dépeint.  Douze  pages  résument  ce  que  nous  savons  des  mvs- 
tères  grecs.  Nous  voyons  avec  plaisir  M.  P.  faire  entrer  dans  cette 
courte  notice  les  réflexions  suggérées  par  le  bon  livre  français  de 
M.  Diès,  Le  cycle  mystique  (Paris,  Alcan,  1909).  Ce  sont  encore 
deux  livres  français,  de  M.  Masqueray  et  de  M.  Dalmeyda  sur  Euri- 


d'hISTOIRK     KT    DK     LIITERATURE  25 

pide,  qui  loin  poser  à  M.  P.  la  question  Euripide  misticu  ?  11  croit 
que  le  poète  reste  un  rationaliste,  même  dans  les  Bacchantes,  et  que, 
dans  cette  pièce,  la  religion  y  est  jugée  d'après  les  nécessités  de  la 
politique.  Les  deux  principales  études  du  volume  ont  pour  sujet  Leo- 
pardi  dans  son  atiiiudc  envers  le  christianisme  et  Amiel.  A  propos  de 
Leopardi,  M.  Pascal  discute  la  question  qui  a  soulevé  un  débat  très 
vif  en  Italie  :  Leopardi  a-t-il  reçu  les  derniers  sacrements?  11  incline 
vers  la  négative.  Enrin,  quelques  pages  sur  Maurice  de  Guérin  le  rap- 
prochent de  Leopardi  et  d'Amiel  :  M.  Pascal  voit  en  ces  trois  écrivains 
trois  mystiques,  bien  que  Leopardi  ait  abandonne  le  christianisme 
tandis  que  les  deux  autres  y  réfugiaient  leur  doute. 

M.  D. 


The  interdict,  its  history  and  its  opération,  with  especial  attention  to  thc 
time  ot  pope  Innocent  111,  119S-1216.  By  Edw.  B.  Krehbiel.  Washington,  publi- 
sheJ  by  the  American  historical  association,  1909,  192  p.  in-i8.  Prix  :  i  d.  5o. 

Les  canonistes  définissent  l'interdit  :  cessatio  a  divinis.  M.  Kreh- 
biel étudie  dans  ce  volume  l'interdit  local,  par  lequel  TÉglise  catho- 
lique suspendait  tout  service  religieux  dans  une  région.  Il  montre 
quelle  est  la  nature  de  cette  décision  exceptionnelle,  quels  en  sont  les 
conséquences,  enfin  comment  Tinterdit  est  suspendu,  corrigé  ou 
retiré.  M.  K.  a  donné  une  attention  particulière  au  pontificat  d'Inno- 
cent m.  Il  a  cependant  tenu  compte  de  tous  les  faits.  Dans  un  très 
loug  appendice,  il  relève  et  explique  les  interdits  portés  de  1198  à 
1216.  Une  bibliographie  très  abondante,  qui  comprend  des  sources 
manuscrites,  témoigne  du  soin  avec  lequel  M.  Krehbiel  a  composé 
son  ouvrage.  Un  index  détaillé  en  rend  l'usage  facile.  Ce  livre,  écrit 
avec  clarté  et  bien  composé,  rendra  les  plus  grands  services  aux  his- 


toriens de  l'Eglise. 


M.  D. 


Vulgârlateinischen  Inschriften.  Herau&gegeben  von    Ernst  Diehl.  Bonn,   Mar- 
cus  et  Weber,  1910,  176  p.  petit  in-8».  Prix  :  4  Mk.  5o. 

Cette  brochure  est  le  n^  62  de -la  collection  Kleine  Texte  dirigée  par 
M.  H.  Lietzmann.  Les  inscriptions  sont  groupées  dans  un  ordre 
méthodique,  d'après  le  détail  qui  a  motivé  le  choix  de  M.  Diehl.  On 
a  ainsi  huit  chapitres:  Vocalisme,  Consonantisme,  Tablettes  magi- 
ques, Inscriptions  latines  en  lettres  grecques,  Morphologie,  Syntaxe, 
Sémantique,  Documents  officiels  présentant  des  vulgarismes.  Ces  titres, 
avec  les  sous-titres  de  paragraphes  (a,  ae,  au,  e  bref,  e  long,  i  bref, 
etc.),  se  lisent  sur  chaque  page  dans  le  titre  courant.  Ils  ne  sont  pas 
intercalés  dans  le  texte,  où  un  simple  filet  indique  que  l'on  passe  d'un 
sujet  à  l'autre.  Ils  ne  sont  relevés  dans  aucune  table  des  matières.  En 
revanche,  nous  avons  cinq  index  :  noms  propres,  présentant  des 
vulgarismes,  mots  intéressants,  grammaire,  abréviations,  concordance 


26  RKVUK    CRITIQUK 

avec  le  Corpus,  les  Civminn  cpi{;raphica,  Dessau.  On  pense  bien  que 

les  icxtes  cites  sous  une  ruhriquo  ont  des  particularités  qui   tombent 

sous  une  autre.  1/index  i^rarnmaiical  pare  à  l'inconvdnient  de  ne  pas 

les  retrouver  ailleurs 

.1.  1). 

Lucien    Iîéodi.k,  La  chapelle  de    Kermaria  Nisquit   et  la  danse    des   morts. 
Paris,  Chnmpion.  4  pi.  1   pi.  lioublc,  ;^2  j^iav.,  .=>2  p.  in  4".  Prix,:  8  fr. 

Cette  belle  publication  est  une  description  détaillée  de  la  chapelle 
de  Kcrniaria-Nisquit,  entre  Saint-Bricuc  et  Guingamp,  dans  les  Cotes 
du  Nord.  Elle  a  été  construite  au  xiii*^  siècle,  avec  trois  nefs;  au 
xv^  siècle,  on  Ta  allongée  de  trois  travées,  on  ajoute  un  bras  de 
transept  et  un  porche  au  midi.  Entin  au  xvii"^  siècle,  on  a  bâti  une 
abside.  L.a  charpente  actuelle  date  du. xv^  siècle.  Elle  est  apparente, 
forme  un  berceau  en  tiers-point  dans  la  grande  nef,  un  demi-berceau 
dans  les  bas  côtés.  Tous  ces  bois  étaient  richement  peints:  il  en 
subsiste  des  traces.  Il  semble,  d'ailleurs,  qu'il  n'y  a  jamais  eu  d'autre 
voûte  qu'une  charpente  de  bois.  On  conserve,  à  l'intérieur,  cinq 
panneaux  sculptés  en  albâtre,  représentant  probablement  saint  Yves, 
l'Annonciation,  le  Couronnement  de  la  Vierge,  l'Assomption  et  l'Ado- 
ration des  mages.  Ils  sont  du  commencement  duxV  siècle  et  provien- 
nent d'Angleterre,  comme  quantité  d'autres  petits  reliefs  d'albâtre  de 
la  même  époque  qui  sont  épars  à  travers  TEuVope.  Ce  qu'il  y  a  de 
plus  précieux  à  Kermaria,  ce  sont  les  peintures.  Elles  représentent 
sur  les  murs  de  la  nef,  au  dessous  de  la  voûte,  la  danse  des  morts, 
formant  frise,  avec  des  légendes  ironiques  en  vers  français;  au-des- 
sous, occupant  les  écoinçoné  entre  les  arcs  des  travées  au-dessus  des 
piliers  de  la  nef,  les  prophètes  ;  dans  le  bas-côté  nord,  sur  le  lambris 
de  la  voûte  et  le  mur.  vis-à-vis  du  transept,  les  Vertus  et  les  Vices,  et  le 
Dit  des  trois  morts  et  des  trois  vifs;  sur  la  voûte  du  porche,  les  anges  ; 
dans  le  transept,  les  donateurs.  Les  peintures  de  l'intérieur,  principa- 
lement la  danse  des  morts,  se  trouvent  datées  par  les  armoiries  des 
donateurs  vers  1470-1480. 

Cette  étude  très  consciencieuse  de,  M.  Bégulé  ramène  rattention 
sur  un  monument  fort  intéressant.  Puisse-t-ellc  le  sauver  de  la  ruine 
dont  il  est  menacé  et  qui   l'a  déjà  sérieusement  gâté  ! 


Ch.  Gaillv  dk  Tauiunes,  Les  légions  de  Varus.   Latins  et  Germains    au  siècle 
d'Auguste.  Paris,   191 1,  in-12.  chez  Hachette.  Prix  :  3  fr.  5o. 

Le  livre  de  M.  Gaillv  de  Taurines  est  agréable  à  lire,  plein  d'en- 
irain,  prestement  écrit;  mais  c'est  moins  un  livre  de  science  qu'une 
oeuvre  de  vulgarisation  et,  comme  tel,  je  crains  d'en  parler  ici  injuste- 
ment. Je  n'entends  pas  dire  par  là  que  l'auteur  n'est  pas  bien  informé 
des  faits;  il  a  lu  et  suit  pas  à  pas  les  historiens  anciens,  Tacite,  Vel- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  2- 

leius,  Dion;  il  ne  l'ait  pouiiani  i|ue  répctcr,  sous  une  forme  agréable, 
ce  qui  figure  dans  toutes  les  histoires.  Ce  qui  lui  appartient,  c'est 
d'avoir  coupé  le  récit  en  petits  chapitres  précédés  d'un  titre  à  effet 
comme  :  Ara  Pacis.  Gaulois  et  Germains^  ou  Le  mariage  germanique, 
Arminn  et  Thusnelda  ou  Veillée  d'armes,  le  Sommeil  de  Germanicus  ; 
et  d'avoir  transcrit  avec  des  additions  d'imagination  ou  de  style  les 
textes  dont  il  s'inspire.  Voici  un  exemple  qui  montrera  la  méthode  de 
l'auteur.  Tacite  lyl/?».,  II,    i3i   écrit    ceci  :   Unus  hostium  latinae  lin- 

giiae  sciens,  acto  ad  vallum  eqiio,  voce  magna,  conjiiges Arminii 

nomine  pollicetiir.  M.  G.  de  T.  rapporte  ainsi  le  fait  :  A  ce  moment, 
à  Vextérieur  du  camp,  dans  les  ténèbres,  au  galop  de  son  cheval,  un 
Germain  s'approche  du  fossé.  Au  nom  d'Arminn,  hurlait-il,  en 
langue  latine  dont  il  savait  quelques  mots,  pour  vous  des  femmes,  etc. 

De  références  à  quelqu'un  des  nombreux  travaux  qu'on  a  consacrés, 
surtout  en  Allemagne,  aux  campagnes  germaniques  de  Varus,  de  Ger- 
manicus,  de  Drusus,  je  n'en  ai  pas  trouvé  une,  peut-être  à  dessein. 

Autre  remarque.  L'auteur  parlant  de  l'arc  de  Saintes  et  de  son  ins- 
cription, remercie  certaines  personnes  de  lui  avoir  communiqué  la 
bibliographie  relative  à  cet  arc.  Je  croyais  qu'il  était  aisé  de  la  trou- 
ver soi-même  dans  V Epigraphie  de  la  Saintongc  de  M.  Espérandieu 
ou  dans  le  XIII''  vol.  du  Corpus  inscriptionum  latinarum.  S'il  s'était 
reporté  à  l'un  de  ces  ouvrages,  M.  Gailly  de  Taurines  aurait  vu  que  le 
père  du  dédicani  se  nommait  Otuaneunus  (et  non  Otiraneunus),  son 
grand-père  Gedomon  (et  non  Gedemon),  et  son  bisaïeul  Epotsorovi- 
dus  (et  non  Eposterovidus) . 

Quant  à  l'illustration,  elle  est  un  peu  déconcertante.  A  côté  de 
monuments  antiques  et  d'une  vue  des  fouilles  d'Aliso,  on  trouve  deux 
gravures  empruntées  à  la  Germania  antiqua  de  Gluver  (Guerriers 
germains  et  Un  repas  chez  les  Germains),  qui  ne  peuvent  guère  pas- 
ser pour  des  documents  de  quelque  valeur.  A  quoi  peuvent  bien  ser- 
vir des  reproductions  aussi  ridicules? 

R.  Gagnât. 

Bruno  Bartii,  Liebe  und  Ehe  im  altfranzœsischen  Fablel  und  in  der  mit- 
telhochdeutschen  Novelle  (Palaesira,  hgb.  von  A.  Brandi,  G.  Roethe, 
E.  Schniidt,  XCV'II).  Berlin,  Mayeret  Mûller,  lyoo.   In-8",  x-274  pp.,  7,80  m. 

On  ouvre  ce  livre  avec  curiosité,  on  le  ferme  avec  quelque  décep- 
tion. Et  cependant  l'auteur  a  fait  preuve  de  zèle  et  de  discerneinent. 
C'est  le  sujet  qui,  seul,  est  en  cause. 

Le  nombre  des  «  nouvelles  «  de  l'ancienne  littérature  allemande  est 
assez  restreint  —  si  l'on  s'en  tient  aux  nouvelles  examinées  par 
M.  Barth.  Elles  ne  forment  pas  un  genre  tranché.  Pour  la  plupart 
elles  ne  sont  pas  originales.  Aussi,  les  caractères  des  personnages, 
leurs  sentiments,  leurs  faits  et  gestes  n'offrent-ils  rien  qui  soit  parti- 
culier à  la   nouvelle,  qui  ne   se  rencontre  dans  le  roman  et  ailleurs. 


jj{^  REVUE    CRITIQUE 

Leur  langafic  est  plus  libre  ci  leur  morale  plus  relâchée.  Mais  c'est  là 
un  irait  dcienniné  par  le  {^enre  lui-même  ei  bien  connu.  Pas  plus 
que  l'histoire  liiiéraire.  l'histoire  de  la  civilisation  ne  gagne  beau- 
coup aux  recherches  de  M.  Rarih.  Les  mœurs,  dans  les  nouvelles, 
n'otVrcnt    rien  qui   soii    spécialement' allemand    ou   particulièrement 

révélateur. 

La  comparaison  des  nouvelles  allemandes  anciennes  à  nos  fabliaux 
français  n'a  pas  donné  de  résultats  très  précieux  ou  inattendus.  La 
manière  des  nouvellistes  allemands  ne  diffère  pas  de  celle  des  roman- 
ciers, et  les  traducteurs  de  fabliaux  français  montrent  dans  leurs  adap- 
tations les  habitudes  des  traductions  épiques  :  tendance  au  délayage, 
adoucissement  des  hardiesses,  intervention  de  la  réflexion.  Mais 
M.  Barih  a-t-il  songé  qu'en  enlevant  aux  fabliaux  leur  légèreté  leste 
et  leur  vivacité  colorée,  les  nouvellistes  allemands  les  ont  privés  de  ce 
qui  fait  leur  caractère  le  plus  distinctif? 

Si  la  science  ne  doit  pas  retirer  un  grand  bénéfice  du  travail  accom- 
pli par  M.  Barih,  son  étude  est  capable  d'orienter  les  lecteurs  novices. 

A  ce  titre  son  livre  est  des  plus  recommandables. 

F.  Piquet. 


.lacques  Pannier,  L'Église  réformée  de  Paris  sous  Henri  IV.  Rapports  de 
Tcglise  et  de  T'état.  Vie  publique  et  privée  des  protestants.  Leur  part  dans  l'his- 
toire de  la  capitale,  le  mouvement  des  idées,  les  arts,  la  société,  le  commerce. 
Paris,  Champion,  191 1,  i  vol.  in-S»  de  671  pages. 

M.  le  pasteur  Pannier  a  rassemble  dans  ce  très  intéressant  et  vivant 
ouvrage  tout  ce  que  nous  pouvons  savoir  sur  l'église  réformée  de 
Paris  pendant  le  règne  d'Henri  IV.  Aussitôt  après  l'entrée  du  roi 
dans  sa  capitale,  les  protestants  y  peuvent  respirer;  ils  y  célèbrent 
même  leur  culte.  Catherine  de  Bourbon,  sœur  du  roi,  ouvre  à  leurs 
assemblées  les  salons  de  son  hôtel,  l'hôtel  de  la  Reine  (plus  tard 
hôtel  de  Soissons)  ;  elle  fait  prêcher  même  au  Louvre  lorsqu'elle 
habite  ce  palais  et  les  réunions  se  tiennent  soit  dans  son  appartement 
soit  au  rez  de  chaussée,  dans  la  salle  des  Cariatides.  Ce  culte  cessa, 
quand  Catherine  de  Bourbon  partit  en  iSgg  pour  la  Lorraine 
où  elle  allait  épouser  le  duc  Henri  de  Bar,  et  il  n'y  eut  plus  sous 
Henri  IV  de  service  réformé  à  Paris  que  lors  des  brefs  séjours  que 
la  duchesse  de  Bar  vint  faire  à  la  cour  de  France  en  1601  ou  à  l'hô- 
tel de  l'ambassadeur  d'Angleterre,  en  1607  et  1608.  C'est  que  l'édit 
de  Nantes  défendit  tout  exercice  de  la  religion  réformée  à  Paris  et  à 
cinq  lieues  de  la  ville.  Les  protestants,  après  l'enregistrement  de  l'édit 
parle  Parlement  le  25  février  logg,  se  réunirent  d'abord  à  Grigny 
dans  la  maison  du  seigneur  du  lieu,  Josias  Mercier,  puis,  vers  la  fin 
de  l'année,  à  Ablon  où  la  haute  justice  appartenait  au  roi.  Ablon  était 
bien  à  5  lieues  de  Paris  ;  mais  le  voyage  de  la  capitale  jusqu'au 
temple  ne  laissait  pas  que  d'être  pénible  pendant  la  rude  saison;  des 


d'histoire  et  de  littérature  2g 

enfants  qu'on  y  portail  pour  le  baptême  moururent  de  froid  en  route. 
Aussi,  en  août  1606,  Henri  IV  déclara  que  la  distance  de  Paris  à  Cha- 
renton  était  réputée  de   cinq  lieues  et  permit  aux  réformes  de  s'assem- 
bler en  cette  dernière  localité  et  d'y  élever  un   temple.   L'église  chez 
Madame  et  Grigny,   Ablon,  Charenton,  ce  sont  les   trois  parties  du 
livre  de  M.   Pannier.  Il  nous  donne  les  détails  les  plus  précis  sur  les 
lieux  où  était  célébré  le  culte   réformé,    sur   l'état  des   bâtiments  à 
l'époque   d'Henri    I\^    sur  les    divers  pasteurs,  Lobéran,    La  Faye, 
Couér,  Pierre  Du  Moulin,  Samuel  Durant,  dont  il  raconte  avec  minu- 
tie la  biographie  ;  sur  les  fidèles  qui  fréquentent  le  culte,  sur  l'organi- 
sation  de  l'église  (^anciens   et  diacres),  sur  les  enterrements   protes- 
tants (à  Paris  ces  enterrements  ne  peuvent  avoir  lieu  qu'à  neuf  heures 
du  soir,  dans   les  deux  cimetières  de  la  Trinité  et  des  Saints-Pères), 
etc.  M.  Pannier  a  eu  le  tort,  à  notre  avis,   de  sectionner  ces  rensei- 
gnements en  trois  ou  deux  parties,  en   un  ordre  chronologique  qu'il 
n'a  pu    rendre   tout  à  fait  rigoureux;  mieux   eût  valu   présenter   un 
tableau    unique  pour    tout  le  règne  d'Henri  IV,   et  le  reproche  est 
encore  plus   fondé,   si   nous   lisons   les  chapitres  sur  la  prédication 
protestante,  sur  les  controverses  entre  protestants  et  catholiques.   Il 
était  déjà  malaisé  de  séparer,  pour  ces  questions  générales,  l'église  de 
Paris  des  autres  églises  de  France.  M.  Pannier  a  augmenté  la  diffi- 
culté en  distinguant  encore  la  période  d'Ablon  de  celle  de  Charenton  : 
les  sujets  sont  traités  de  la  sorte  de  façon  trop  étriquée,  trop  fragmen- 
taire, au  lieu   de  l'être  par  touches  larges.  Puis  tout  le  livre,  du   reste 
très  méritoire,  a  un  caractère  anecdotique;  la  topographie,  la  biogra- 
^  phie,  les   menus  incidents  y  tiennent    une   place  trop   grande.  Nous 
aurions  aimé  pénétrer  davantage  dans  la  vie  de  cette  communauté 
protestante,  connaître  l'influence  très  réelle  qu'elle  a  exercée.  M.  Pan- 
nier ne  nous  fait  jamais  assister  à  un  service  protestant.  De  quel  livre 
de  cantiques  se  servaient  les  fidèles  ?  Quelles  mélodies  étaient  chantées  ? 
Quelles  prières   étaient   récitées    et    en    quel  ordre?  Les    protestants 
disaient-ils  déjà   cette   confession  des  péchés  de  Théodore  de    Bèze, 
qui,  en  1601 ,  était  réimprimée  dans  un  recueil  de  prières  catholiques? 
L'auteur  ne  nous  renseigne  pas  '.  Puis  il  faut  signaler  quelques  petites 
négligences  et  erreurs.  Le  Journal  de  l'Estoile  est  cité  rarement  dans 
la  nouvelle  édition    de   Jouaust,  le    plus  souvent  d'après  Michaud  et 
Poujoulatdont  le  texte  est  incorrect.  La  bibliographie  de  Palma-Cayer 
et  de  Du  Moulin  est  bien  incomplète  ;  je  renvoie  M.  Pannier  au  cata- 
logue de  la  Bibliothèque  nationale.  Qu'on  n'appelle  point  pasteurs  «  lor- 
rains »  des  pasteurs  de  Badonviller  ou  de  Metz;  et  surtout  qu'on  ne 
prenne  pas  les  Economies  royales  de  Sully  pour  un  document  irrépro- 
chable ;  l'auteur  croit  encore  aux  secrétaires  de  Sully,  au  grand  dessein 

I.  Il  aurait  dû  au  moins  nous  renvoyer  à  l'excellent  livre  de  P.  de  Félice,  Les 
protestants  d'autrefois,  en  adaptant  à  Tcglise  de  Paris  les  renseignements  géné- 
raux qui  nons  y  sont  donnes. 


•<j,  RKVl  1-:    CRITIQUE 

il'IlciHi  IV;  Cl  il  laii  du  i;iaiu1  iiKiiiio  d'aiiillcrie  un  personnage  dcsin- 
icrossc,  luui  dévoue  aux  proicsianis.  Malgré  ces  critiques,  l'ouvrage 
csi  dos  plus  estimables  :  avec  une  thèse  complémentaire  sur  Salomon 
de  Brosse  ',  il  a  valu  à  l'auteur  en  Sorbonne  le  liire  de  docteur  avec 
mention  tics  honorable  '. 

Cil.   Pfister. 


WlaJimir  Zagouski.  François  Racky  et  la  renaissance  scientifique  et  poli- 
tique de  la  Croatie,  1S2S-1.S0).  l'aris,  Hacheite,  1909.  In-8».  239  p. 

Castki.i.a.  Bûchez.  \\\r\>,   lîl.uul.   191  i.  In-if),  64  p.  o  fr.  Go. 

RogcrRoux,  Notes  historiques  sur  Vesoul.  P>\ris,  Champion,  [911.  In-H»,  io5  p. 

Kiuilc  Lk  Sennk.  M""^  de  Païva.  l^iris,  Daragoii.  191  i.   ln-8",  36  p. 

!..  HKRr.sTR.KS.M;».  Studien  zur  Vorgeschichte  der  Zentrumspartei.  Tùbingcn, 
.Mohr.  In-S",  25'>  p.  3  mark. 

Heigii..  Politische  Hauptstrômungen  in  Europa  im  XIX  Jahrhundert.  [.eip- 
zig,  Tcubiicr.  In-io,  ij3  j''. 

H.   Diiu,  Das  Zeitungswesen.  Leipzig,  Teubiicr.  In-8°,  145  p. 

Albert  Gob.vt.  Le  cauchemar  de  l'Europe.  Paris,  Le  Soudier.  In-8°,  89  p. 

François  Raéky,  chanoine  de  Zagreb  et  fondateur  de  l'Académie 
croate,  mort  en  1894  à  65  ans,  a  été  l'un  des  défenseurs  les  plus  actifs 
des  Jougo-Slavcs  contre  la  domination  magyare  que  leur  impose  le 
Compromis  de  1867.  A  l'école  des  historiens  tchèques  et  surtout  des 
archéologues  allemands,  il  a  appris  tout  ce  que  l'érudition  historique 
et  philologique  peut  faire  puur  la  renaissance  d'un  idiome  et  d'une 
nationalité.  Il  a  travaillé  toute  sa  vie  avec  succès  à  ressusciter  en 
quelque  sorte  le  peuple  croate,  à  retrouver  ses  tities  et  à  lui  rendre  la 
conscience  de  son  indépendance  passée.  Aux  côtés  de  Strossmayer,  il 
a  été  l'apôtre  de  l'union  des  églises  latine  et  orthodoxe  rêvée  par 
Léon  XIII.  M.  Wladimir  Zagorski  a  consacré  sa  thèse  de  doctorat 
d'Université  à  ce  grand  patriote  qui  fut  aussi  un  travailleur  infati- 
gable et  un  utile  précurseur,  sinon  un  savant  sans  reproche.  C'est  un 
travail  très  consciencieux,  très  clair  et  écrit  dans  une  langue  remar- 
quablement correcte  pour  un  étranger.  Il  sera  fort  utile  aux  lecteurs 


1.  tJn  architecte  français  au  commencement  du  xvni'^  siècle,  Salomon  de  Brosse. 
Paris,  librairie  centrale  d'art  et  d'architecture,  i  vol.  in-4°  de  282  pages.  La  vie  de 
Salomon  de  Brosse  est  racontée  avec  soin;  sa  généalogie  est  bien  établie.  Peut-être 
M.  Pannicr  lui  attribuc-t-il  trop  facilement  un  certain  nombre  de  constructions,  le 
premier  temple  de  Gharenton  et  le  château  de  Versailles.  Le  très  important 
ouvrage  de  Geymûllcr  sur  l'architecture  de  la  France  à  l'époque  de  la  Renais- 
sance et  où  très  souvent  il  est  question  de  de  Brosse,  lui  a  échappé. 

2.  Signalons  quelques  menues  négligences.  P.  23  au  milieu,  lire  rive  gauche 
de  la  Seine  au  lieu  de  rive  i^roiYt^  ;  l'interprétation  de  la  gravure  p.  24  est  tout 
à  fait  arbitraire  :  p.  47,  le  24  août  1601  est  un  vendredi,  non  un  dimanche,  les 
protestants  se  réunissent  exprès  en  un  service  funèbre  le  jour  de  la  Saint-Barthé- 
lemy;  p.  558,  le  duc  d'Albe  est  mort  en  janvier  i582  ;  p.  436,  Montbéliard 
était  jusqu'à  la  Révolution  un  comte  appartenant  au  Wurtemberg,  par  suite  hors 
de  France:  p.  525,  les  Mémoires  du  duc  de  Bouillon  viennent  d'être  réimprimés 
par  Baguenauh  de  Puchesse. 


u'mSTOlRK    KT    1)K    LITPKRATURE  3l 

français,  généralement  assez  mal  informés  de  riiisioirc  des  nations 
slaves  modernes. 

Dans  la  petite  collection  «  Science  et  religion  »,  on  a  fait  une  place 
à  Bûchez,  comme  à  l'un  des  précurseurs  du  socialisme  chrétien.  La 
brochure  que  M.  Castella  consacre  à  l'auteur  de  VHistoire  parlemen- 
taire de  la  Révolution  n'est  cependant  pas  une  étude  des  idées  sociales 
de  Bûchez.  11  n'y  est  guère  question  que  de  sa  biographie  et  de  ses 
doctrines  sur  l'idée  de  progrès  et  sur  la  méthode  scientitîquc  de  l'his- 
toire. C'est  un  exposé  intelligent  et  clair,  mêlé  de  discussions  parfois 
un  peu  trop  «  verbales  ».  Los  épreuves  n'ont  pas  toujours  été  revues 
avec  soin. 

M.  Roger  Roux  a,  dans  ses  Notes  historiques  sur  Vesoul,  rassemblé, 
avec  soin,  mais,  un  peu  en  désordre,  des  documenis  narratifs  de  toute 
origine,  venant  principalement  d'un  religieux  du  xvni'-  siècle,  Dom 
Couderet.  Ce  qui  nous  parait  le  plus  utile  est  un  recueil  de  notices 
biographiques  exactes  et  assez  complètes,  allant  de  i5  5o  à  1796,  et  un 
tableau  des  principaux  fonctionnaires  de  Vesoul  au  début  du  Consulat. 

M.  Emile  Le  Senne  publie  dans  la  Bibliothèque  de  l'histoire  du 
Vieux  Paris  une  plaquette  illustrée  sur  Madame  de  Païva.  L'odyssée 
de  cette  aventurière,  qui  huit  par  épouser  le  comte  Henckel  de  Don- 
nersmarck  et  joua  lui  rôle  dans-  les  rapports  franco-allemands 
après  1870.  est  connue  dans  son  ensemble.  Mais  les  détails  piquants 
que  l'auieui-  rassemble  se  liront  avec  plaisir.  Sans  être,  comme  il  le 
dit  un  peu  ambiiicuscment,  une«  étude  de  psychologie  et  d'histoire  », 
sa  brochure  sera  un  fort  utile  aide-mémoire  pour  les  curieux  qui 
souhaiteront  visiter  le  fameux  hôtel  des  Champs-Elysées. 

M.  Adalbert  Wahl,  professeur  à  l'Université  de  Tiibingen,  a  entre- 
pris de  publier  une  collection  de  monographies  historiques  sur  l'his- 
toire des  partis  politiques  en  Allemagne.  Le  premier  fascicule,  qui  est 
une  Habilitalionsschri/t,  CSX  dû  à  M.  L.  Bergstriisser  et  consacré  au 
parti  du  Centre.  C'est  l'histoire  desorigines  du  parti  jusqu'en  1848,  mais 
limitée  à  certaines  régions  :  Hesse,  pays  de  Mayence,  Bavière  (celle- 
ci  jusqu'en  i83o  seulement).  Les  associations  catholiques  (Confédérés 
bavarois,  Piusvcrein  de  Mayence)  et  leur  influence  sur  les  élections 
sont  étudiées  en  détail  cl  avec  soin.  11  est  curieux  de  constater  une 
dualité  de  tendances  politiques  :  à  Mayence,  on  est  en  général  gagné 
aux  doctrines  nationales  ;  ailleurs,  les  catholiques  sont  franchement 
conservateurs.  On  verra  dans  le  chap.  iv^  consacré  aux  journaux,  que 
Metternich  essaye,  non  sans  succès,  d'employer  au  service  de  sa  poli- 
tique l'influence  naissante  de  la  presse  catholique.  L'ouvrage  est  écrit 
sur  le  ton  de  la  plus  louable  impartialité. 

L'intéressante  petite  collection  de  vulgarisation  scientifique  que 
publie  la  libiairie  Teubner  de  Leipzig,  sous  le  titre  Ans  Natur  und 
Geisteswelt,  s'est  enrichie  de  deux  nouveaux  fascicules.  Celui  de 
M.  Heigel  sur  l'Europe  politique  au  xix'  siècle  est  un  résumé  histo- 


32  RKVUE    CRIIIQl'K 

riquc  facile  à  lire,  mais  insullisammcm  «  objectif  »;  rautcur  sacrifie 
vraiment  au  désir  d'amuser  par  le  détail  pittoresque,  mais  d'une  exac- 
titude contestable,  ou  de  séduire  le  lecteur  allemand  par  l'exaltation 
des  gloires  nationales.  La  petite  étude  de  M.  II.  Diez  sur  le  journa- 
lisme est  au  contraire  excellente.  L'auteur,  qui  a  limité  son  travail  au 
journalisme  allemand,  donne  des  renseignements  statistiques  tout  à 
fait  intéressants  et  neufs,  et  signale  avec  beaucoup  de  pénétration  les 
inconvénients  du  journalisme  dit  «  moderne  »  ;  concentration  des 
grands  journaux  aux  mains  de  quelques  capitalistes,  recherche  à  tout 
prix  du  gros  tirage,  abaissement  de  la  valeur  littéraire,  développement 
du  scepticisme  politique,  etc.  Le  remède  lui  paraît  être  dans  une  sépa- 
ration absolue  entre  deux  espèces  de  feuilles  quotidiennes  :  le  bulle- 
tin d'informations,  et  le  journal  proprement  dit,  de  format  et  tirage 
réduits,  un  peu  plus  coûteux,  mais  plus  soigné,  plus  sérieux,  plus 
honnête  aussi.  Excellejit  programme,  mais  sera-i-il  jamais  réalisé  ? 

M.  Albert  Gobât,  conseiller  national  suisse,  plaide  en  faveur  de 
l'autonomie  alsacienne-lorraine  dans  une  brochure  chaleureuse.  Il 
estime  que  la  paix  armée  est  un  fléau,  qui  procède  uniquement  du 
traité  de  Francfort,  et  que,  du  moment  où  l'Alsace-Lorraine  devien- 
drait état  confédéré  allemand,  tous  les  vœux  de  ses  habitants  seraient 
comblés  ;  les  F'rançai-s  de  leur  côté  abandonneraient  tout  ressenti- 
ment et  toute  méfiance  contre  l'Allemagne.  M.  G.  a  les  meilleures 
intentions  du  monde  ;  il  aime  la  France  et  l'Alsace  ;  il  juge  bien 
l'Allemagne,  avec  sévérité  quand  il  faut,  mais  sans  animosité.  Il  a 
raison  de  souhaiter  un  apaisement,  une  solution  qui  écarte  le  «  cau- 
chemar de  l'Europe  «.  Mais  comment  peut-il  croire  et  écrire  que 
l'Alsace  état  confédéré  serait  entre  la  France  et  l'Allemagne  un  état- 
tampon  comme  la  Belgique  et  le  Luxembourg?  Quelle  analogie  entre 
deux  pays  neutres  et  indépendants  et  un  état  qui  resterait  allemand, 
sans  plus  d'indépendance  politique,  militaire,  économique  envers 
l'Empire  que  le  Mecklembourg  ou  la  Saxe?  Cette  erreur  de  fait  affai- 
blit beaucoup  les  conclusions  de  l'auteur.  Sa  brochure  se  lit  du  reste 
avec  agrément  et  sympathie. 

R.  G. 


Chernoviz,  191 1,  in-S",  392  p. 

Le  Tesoro  de  M.  de  Toro  n'est  pas  une  grammaire,  mais  même 
pour  des  gens  possédant  celle-ci  déjà  très  convenablement  c'est  un 
livre  à  la  fois  intéressant  et  commode,  et  où  se  trouve  la  solution  de 
mille  petites  difficultés  touchant  la  langue  :  liste  de  mots  souvent  mal 
accentués  ou  sur  l'accentuation  desquels  il  existe  des  doutes  presque 
légitimes:  listes  de  mots  sur  le  genre  ouïe  nombre  desquels  le  langage 
courant  se  trompe  fréquemment,  etc.  Une  longue  énumération  de 
gallicismes  rassure  un  peu  le  Français  étudiant  l'espagnol  en   lui   fai- 


Miguel  de  Toro  Y  Gisbert,  Tesoro  de  la  lengua  espanola.  —  Paris,   Roger  y  ^ 


il 


1 S 


d'histoire  et  de  littérature  33 

sant  voir  qncl^ien   souvent  la  casîillan  niMjcrnc   emploie   des  formes 

calquées  sur  noire  lani;ue,  mais,  il  est  vrai,  répudiées  par  les  puristes. 

{)n  aura   souvent  lien  il'appréeier   le  chapitre    oîi  s'alit^ncnt   les    mots 

exigeant  un  régime  spécial  sur  lequel  il  n'est  pas  toujours  aisé  d'eelaiier 

notre  orthodoxie.  Bref,  par  tous  les  renseignements  qu'il  contient,  le 

7"'c\vo/-o  est  un  livre  d'usage,  et   comme  il  s'appuie  sur  les   meilleures 

autorités,  telles  que  le  dictionnaire    de  l'Académie  et  les  travaux    de 

Cuervo  et  autres  philologues  espagnols  et  hispano-américains,  on  est 

en  droit  de  se  lier  à  ses  indications. 

H.  L. 


L'évolution  industrielle  ds  la  Belgique,  par  J.  I.favinski.  Bruxelles,  Misch  et 

Thrnn,   i  o  i  i,  iu-H",  44_|.  p. 
Les  principes  sociologiques  du  droit  public  par  R.  de  la  Grasserie.  Pari.s, 

Giard  et  Brière,   191  i,  in-8",  430  p.,   10  fr. 

M.  Lewinski  publie,  sous  le  patronage  des  Instituts  Solvay,  une 
intéressante  étude  sur  l'évolution  industrielle  de  la  Belgique  au  cours 
du  x\x^  siècle.  Après  avoir  brièvement  esquissé  le  tableau  de  la  situa- 
tion économique  à  la  fin  de  la  période  précédente,  il  recherche  les 
causes  de  la  révolution  industrielle  qui  a  si  profondément  bouleversé 
sa  patrie  et  le  monde  civilisé.  C'est  à  la  fois  la  partie  la  plus  neuve,  et, 
ce  nous  semble,  la  plus  discutable  de  son  travail.  Il  s'efforce  en  effet 
de  ruiner  la  théorie  généralement  admise  qui  fait  dépendre  de  la 
technique  l'évolution  industrielle.  Pour  lui  le  facteur  principal, 
essentiel,  c'est  l'augmentation  de  la  densité  du  marché  intérieur,  en 
d'autres  termes  l'accroissement  de  la  population.  Il  estime  que  «  les 
changements  de  milieu  obligent  l'humanité  à  chercher  de  nouvelles 
voies  d'adaptation  »,  et  que  «  l'augmentation  de  la  population  doit 
nous  expliquer  la  marche  ascendante  de  l'humanité.  »  Il  ne  s'arrête 
pas  un  instant  à  la  corrélation  existant  entre  cet  accroissement  de  la 
population  d'une  part,  le  développement  de  l'industrie,  du  commerce 
et  la  prospérité  générale,  qui  en  est  la  conséquence,  de  l'autre.  11  ne 
se  demande  pas  comment,  pourquoi,  à  un  moment  donné,  la  popula- 
tion s'est  accrue  dans  ces  grandes  proportions.  Ne  confond-il  pas  la 
cause  et  l'effet?  A  la  vérité,  il  adniet  des  facteurs  secondaires  et  impor- 
tants: surtout  la  Révolution  française,  qui,  en  incorporant  la  Bel- 
gique à  la  France,  aggrandit  le  marché  commercial,  entraîna  une 
hausse  de  prix,  et,  en  transférant  la  richesse,  représentée  alors 
presque  exclusivement  par  la  propriété  foncière,  à  des  classes  dépour- 
vues de  traditions  et  de  préjugés,  facilita  la  formation  du  capita- 
industriel . 

La  seconde  partie  de  l'ouvrage  traite  de  la  transformation  de  l'in- 
dustrie et  du  commerce;  l'auteur  y  montre  clairement  pourquoi  la 
petite  industrie  et  le  petit  commerce  périclitent  de  plus  en  plus,  et 
sont  destinés  à  disparaître.  Pour  conclure  avec  autant  d'audace  qu'il 


34  REVUE    CRITIQUE 

a  commence,  il  explique  le  phcnomèiie  de  la  concentration  indus- 
trielle par  l'éloignemcni  du  consommaicu:-.  Il  confesse  que  c'est  là 
une  livpoiljcse  qui  aurait  encore  besoin  de  démonstration,  et  il  en 
renvoie  la  paternité  à  Bolim-Bawerk,  M.  Le\vinski  n'a  eu  à  sa  dispo- 
sition que  des  statistiques  défectueuses,  et  dont  la  plus  récente  a  déjà 
quinze  ans  de  date;  mais  sa  bibliographie,  qui  occupe  quatre-vingt- 
cinq  pages,  prouve  qu'il  s'est  largement  documenté  pour  une  étude 
dont  on  appréciera  tout  au  moins  Toriginalité. 

I.a  sociologie  du  droit,  dit  M.  de  la  Grasserie,  est  la  recherche  de 
lois  naturelles  et  persistantes  que  l'on  doit  déduire  de  faits  juridiques, 
contemporains  ou  successifs  ;  et  il  s'est  proposé  d'établir  celles  qui 
constituent  le  droit  public.  Son  ouvrage  comprend  à  la  fois  ce  qui 
concerne  le  droit  constitutionnel,  le  droit  administratif,  le  droit  inter- 
national, et  entinlesrapportsentre  ledroit  public  et  le  droit  individuel. 
Il  examine  chaque  question  à  trois  points  de  vue  différents  ;  statique, 
c'est  le  droit  dans  son  état  actuel  ;  dynamique,  le  droit  dans  l'ensemble 
du  passé  et  du  présent;  scientifique,  le  droit  dans  le  prolongement 
logique  des  deux  époques  précédentes,  dans  l'avenir.  Amené  à  parler 
de  toutes  les  questions  politiques  actuelles,  il  le  fait  sans  hésitation, 
avec  une  belle  assurance  qui  ne  laisse  pas  d'étonner  un  peu,  et  se  pro- 
nonce sur  le  référendum,  la  représentation  proportionnelle,  la  lutte 
des  classes,  le  féminisme,  le  socialisme,  le  pacifisme.  Il  a  sur  beau- 
coup de  points  des  opinions  personnelles  et  intéressantes;  malheureu- 
sement son  style,  souvent  obscur,  est  rendu  encore  plus  difficile  à 
comprendre  par  de  nombreuses  incorrections  matérielles,  imputables 
en  grande  partie  à  l'imprimeur,  mais  regrettables  néanmoins  \ 

A.  BiovÈs. 


I. 

—  Das  Staalsrec'nt  des  Deutschen  Reiclws  de  M.  Paul  Laband  paraît  en  5<^  édi- 
tion remaniée  (Mohr,  4  vol.  .  Le  t.  II  (1911.  3i8  p.  8  M.)  comprend  les  cha- 
pitres VI  à  IX  :  Législation  de  l'Empire,  Traités  d'Etats,  Administration,  La  Terre 
d'Empire  cl  les  protectorats  coloniaux.  Ce  dernier  chapitre  intéressera  le  plus 
les  lecteurs  non  juristes;  il  donne,  dans  sa  partie  relative  à  LAlsace-Lorraine, 
l'histoire  du  développement  constitutionnel  de  ce  pays,  la  question  juridique  de 
ses  trois  voix  au  Conseil  fédéral  (quoiqu'il  ne  soit  pas  reconnu  un  des  Etats  confé- 
dérés; donc  sa  représentation  au  Conseil  ne  peut  reposer  que  sur  une  fiction), 
son  organisation  et  sa  législation  d'après  la  loi  constitutionelle  du  3i  mai  iqii. 
L'étude  sur  la  situation  légale  des  Protectorats  allemands  envisage  successivement 
l'état  territorial   et  les  acquisitions,  les  sphères  d'intérêts,  le  pouvoir  protectoral, 

I.  Par  exemple  (p.  i34.)  en  exposant  son  système  particulier  de  représentation 
proportionnelle,  il  parle  de  5ûo  députés  à  élire,  et  dans  ses  calculs  on  en  trouve 
670.  —  On  lit  plusieurs  fois  1889  pour  1789—  p.  277  Castefranco  pour  Castel- 
franco—  p.  3o8  la  conférence  de  Berlin  en  /tV55  pour  en  i8S3  —  p.  370  viabilité 
pour  vitalité,  etc. 


d'histoirk  et  dk  littérature  3  5 

le  domaine  protégé,  les  protégés,  l'exercice  du  pouvoir  souverain,  les  détenteurs 
de  ce  pouvoir  </\'eioid)iungsyi'clit.  les  nutorités  administratives,  la  constitution 
juridique,  l'organisation  militaire,  les  finances,  les  fonciioiinaires  coloniaux,  les 
compagnies  coloniales,  enfin  la  législation  ecclésiastique.  —  Th.  Scn. 

—  M.  G.  bEL  Vecchio  (Messine)  donne  une  deuxième  édition  revue  et  augmentée 
d'il  fenomeno  délia  giierra  e  Videa  délia  pace  (Bocca,  Turin,  191 1,  99  p.),  discours 
de  rentrée  (1909)  des  cours  de  ITJniversité  sarde  de  Sassari,  extrait  de  la  Revue 
de  droit  international.  Plan  :  caractère  du  problème,  causes  de  la  guerre,  ses 
conséquences  —  surtout  bienfaisantes  — ,  principales  conceptions  théoriques  de 
la  paix  (conception  ascétique,  impérialiste  et  absolutiste,  empirico-politique,  juri- 
dique). Conclusion  modérée  :  la  paix  est  désirable,  mais  pas  à  tout  prix,  surtout 
pas  au  prix  de  la  justice.  —  Th.  Scn. 

—  Le  deuxième  fascicule  du  t.  Il  du  Logos  (Mohr,  igii,  p.  i3i  à  264,  9  M.) 
se  compose  des  articles  suivants  :  H.  Rickert  (Fribourg  en  B.),  Lebenswerte  und 
Kultunverte.  La  philosophie  biologistique  à  la  mode —  le  biologisme  et  la  biologie 
comme  science  naturelle  —  la  civilisation  et  la  vie.  Conclusion  :  La  vie  n'a  pas 
de  valeur  propre  et  indépendante  des  valeurs  morales  {Kiilturwerte)  dont  elle 
n'est  que  le  levier.  En  d'autres  termes,  la  civilisation  n'est  pas  au  service  de  la 
vie,  mais  c'est  la  vie  qui  est  au  service  de  la  civilisation.  Excellent  article,  de 
philosophie  vivante,  sans  jargon  ni  formalisme  ni  concession  à  la  mode  du  jour. 
—  Ch.  VossLER  (Munich),  Das  Verhàltnis  von  Sprachgeschichte  und  Literaturge- 
schidite.  Complète  un  article  précédent  de  l'auteur  {Logos,  I,  p.  83;  Grammatik 
und  Spradigeschichte),  qui  aboutit  ici  à  cette  thèse  que  l'histoire  littéraire  doit 
être  considérée  comme  une  préparation  optique  et  surtout  synoptique  à  l'histoire 
de  la  langue,  et  celle-ci  comme  un  enrichissement  analytique  et  explicatif  des 
sources  de  celle-là.  —  W.  Iwanow  (Pétersbourg),  L.  Tolstoj  und  die  Kultur.  Des 
trois  types  d'attitude  consciente  vis-à-vis  de  la  civilisation,  seuls  possibles  au 
point  de  vue  religieux  et  moral,  à  savoir  relativiste,  ascétique  et  symbolistique, 
Tolstoï  représente  le  second  qui  conduit  fatalement  à  la  subordination  de  tout 
instinct  artistique  à  l'utilitarisme  moral  et  suppose  une  méfiance  absolue  de  la 
nature.  L'auteur  estime  que  le  troisième  type  seul  est  juste  et  sain,  c'est  celui  de 
Socrate.  —  J.  Cohn  (Fribourg  en  B.),  Hans  von  Marées,  remarques  sur  le  problème 
du  style.  Il  s'agit  du  peintre  allemand  mort  à  Rome  en  1887  à  l'âge  de  5o  ans, 
et  dont  la  vie  et  l'œuvre  ont  été  exposées  en  trois  vol.  par  M.  J.  Meier-Graefe.  — 
G.  Radbruch  (Heidelberg),  Ubcr  den  Begriff  der  Kultur.  Notice  destinée  seule- 
ment à  attirer  l'attention  sur  ce  fait  que  la  notion  de  «  culture  »,  qui  semble 
vouloir  prendre  en  philosophie  une  place  de  plus  en  plus  centrale,  implique  au 
fond  une  triple  notion  qu'il  importerait  de  distinguer  plus  qu'on  n'a  coutume  de 
le  faire  :  notion  historique,  de  philosophie  de  l'histoire,  éthique.  —  W.  Sesemann, 
Das  Rationalc  und  das  Irrationalc  im  System  der  Philosophie.  Histoire  et  critique 
de  ces  deux  notions  contraires,  renfermées  déjà  dans  le  -spa;  et  l'a-Etoov  pytha- 
goricien, contraires  qu'il  s'agit  de  concilier  et  d'unifier  en  une  synthèse  philoso- 
phique. —  G.  Mehlis  (Fribourg  en  B.),  Formen  der  Mystik.  Elle,  dont  l'essence 
même  est  l'absence  de  forme,  peut-elle  prendre  fortiie  ?  Oui,  en  tant  que  son 
expérience  devient  doctrine,  c'est-à-dire  déborde  au  dehors  comme  émanation  de 
la  surabondance  intérieure.  Les  exemples  probants  sont  surtout,  comme  il  est 
naturel,  empruntés  à  la  vie  d'Eckhart,  dont  Windelband  oppose  l'intellectualisme 
au  volontarisme  de  Boehtne,  opposition  importante  en  ce  qu'elle  reflète,  dans  une 
certaine  mesure,  celle  qui  sépare  les   civilisations  antique  et    modepne,  et  même 


3()  REVl'E    CRITIQUE 

raiiiliiomic  ao  ncccssiié  cl  de  liberic.  -  l.a  nniico  bibliugrnphi.|uc  a  la  lîn  Ju 
\..lnmc  traite  lies  «rijvrcs  choisies  de  Ci.  .Icllincck  (2  v..l.  Berlin,  li.icrin^,  1911) 
é.lm'.s  |.ir  .■>  >n  lils;  »le  Christinnscn,  Pliilosopliie  dcr  A'»»f.v/ (Hannu,  Claus,  1909), 
et  lies  rroh'gomcit.i  ^itr  .Wiltirphilosopliie  (Miinicli,  Lchnianii,  M|10i  du  cointc 
II.  Kivscrling,  qui  sont  un  reniaiiienienl  cl  un  approfundissciiient  de  ses  sept 
discuiii.s  de  1907  à  rUnivcrsiié  libre  d'iiaiiibourg.  —  Th.  Scii. 

—  I.e  premier  fascicule  du  i.  1\'  des  Pliilosofhisclie  Arbeiten  de  Cohen  et  Natorp 
donne  la  première  partie  d'une  étude  comparée  sur  Die  Méthode  der  Etkenntnis 
bei  Descarles  und  Leibni^  (Gicsscn,  Toepclniann,  1912,  192  p.,  3  M.  3o)  par 
M.  II.  HiciMSijKTii.  C'est,  après  une  Introduction  historique  sur  les  précurseurs  de 
la  pensée  moderne  (N'inci,  Kepler,  Galilée,  Bacon),  un  exposé  de  la  méthode 
cartésienne  de  la  connaissance.  Tandis  que  ces  précurseurs  se  contentèrent  de 
découvrir  une  nouvelle  notion  de  la  nature  et  de  réduire  les  données  sensibles  à 
l'exactitude  de  définitions  mathéinatiques,  sans  s'informer  de  la  rnéthode  de  la 
connaissance  et  du  procédé  d'acquisition  et  de  fixation  de  ces  contenus,  seule  la 
confrontation  de  la  connaissance  pure  et  empirique  et  le  développement  systé- 
matique de  la  question  de  méthode  par  Descartes  et  Lcibnitz  mènent  à  une  carac- 
téristique complète  de  la  connaissance  en  général.  —  La  deuxième  partie,  sur 
Leibniz,  doit  paraître  dès  ce  printemps.  —  Th.  Scii. 

—  Les  Etudes  de  Morale  et  de  Sociologie  (Bloud)  donnent  i  vol.  de  M.  L. 
I.AnERTiioNNiÈRi-;  :  Positivisme  et  Catholicisme,  à  propos  de  «  l'Action  Française  » 
(1911,  4^0  p.  in-i6,  3  fr.  5o),  dirigé  surtout  contre  la  série  d'articles  que  M.  Pedro 
Descoqs  publia  dans  les  Etudes,  de  juillet  à  décembre  1909,  sous  ce  titre  :  ^l  tra- 
vers l'œuvre  de  M.  Maiirras,  essai  critique  et  qui  «  était,  sinon  une  apologie  directe 
de  l'Action  française,  du  moins une  interprétation  si  bienveillante  de  ses  doc- 
trines et  de  son  attitude  que  l'auteur  aboutissait  à  conclure  qu'une  alliance  des 
catholiques  avec  ce  nouveau  politicismc  était  légitime  et  en  principe  devait  être 
féconde  ».  M.  L.  prétend  dévoiler  l'antichristianisme  et  l'immoralisme  de  l'Action 
française  et  la  pitoyable  casuistique  des  catholiques  qui  s'allient  à  elle  en  imagi- 
nant une  orthodoxie  sans  foi  et  entreprenant  l'œuvre  vaine  «  de  faire  triompher 
l'Eglise,  sinon  dans  les  âmes,  du  moins  dans  la  société  ».  L'auteur  donne  à  son 
livre  comme  épigraphe  caractéristique  la  réponse  des  Jésuites  à  l'offre  d'alliance 
faite  par  A.  Comte  en  itSiy  et  reproduit  en  appendice  (II)  les  curieux  documents 
relatifs  à  cette  offre,  documents  publiés  par  M.  P.  Laffite  dansla  Revue  occidentale 
du  v  juillet  1886.  —  Th.  Scn. 

—  M.  E.  BouTROux  a  consacré  à  la  mémoire  de  son  ami  William  James  (Colin, 
191 1 ,  143  p.  3  fr.)  un  vol.  in- 1 8  avec  phototypie  hors  texte.  Après  une  très  intéres- 
sante biographie  de  17  p.,  il  esquisse  la  philosophie  du  penseur  américain  en  exa- 
minant successivement  sa  psychologie,  sa  psychologie  religieuse,  son  pragmatisme, 
ses  vues  métaphysiques  et  sa  pédagogie.  M.  B.  attache,  à  très  juste  titre,  une 
grande  importance  à  ce  fait  que  le  père  de  James  fut  un  ardent  disciple  de  Swe- 
denborg et  que  son  fils  «  semble  avoir  conservé  toute  sa  vie  une  secrète  prédilec- 
tion pour  les  doctrines  du  grand  mystique  ».  Cette  influence,  en  etïet,  explique 
toute  une  partie  essentielle  de  la  mentalité  de  James,  et  juste  la  partie  la  plus 
étrangère  aux  habitudes  de  la  philosophie  française.  M.  B.  a  fait  une  excellente 
œuvic  Je  vulgarisation.  —Th.  Sch. 

—  Le  i?'  (mai  1911)  Bulletin  mensuel  de  l'Institut  de  Sociologie  Solvay  comprend. 
comme  les  précédents,  les  contributions  nouvelles  aux  Archives  Sociologiques  de 
l'Institut,  la  Chronique  mensuelle  et  les  procès-verbaux  des  réunions  des  groupes 


d'histoire  et  de  littérature  37 

(J'cludos.  Les  Coiiti-tbiitio)is  nouvelles,  qui  remplissent,  ici  coinme  d'ordinaire,  la 
plus  grande  partie  du  volume,  consistent,  on  se  le  rappelle,  en  comptes  rendus 
d'ouvrages  récents  «  contribuant  »  (de  là  le  titre)  aux  progrès  de  la  Sociologie 
humaine  ou  à  sOn  Introduction.  Sont  considérés  comme  servant  à  cette  Introduc- 
tion les  écrits  répartissables  sous  les  rubriques  suivantes  :  i"  Energétique  et  bio- 
logie générale  dans  leurs  rapports  avec  la  Sociologie;  2"  Eihologie  des  rapports 
intcrindividuels  chez  les  êtres  vivants  autres  que  les  hommes  ;  3"  Physiologie  et 
psychologie  humaines  et  comparées  dans  leurs  rapports  avec  la  Sociologie.  Quant 
aux  travaux  de  Sociologie  humaine  eux-mêmes,  ils  sont  classes  dans  ces  trois 
groupes  ;  Accommodation  sociale,  Organisation  sociale.  Doctrine  et  méthode.  Parmi 
les  auteurs  étudiés  dans  ce  numéro,  citons  :  ().  Hertwig,  Neiœ  Gedankeii  ^ur  E>it- 
wicklnngslehre  (dans  Die  Umsclian  du  8  avril  191 1)  par  A.  Brachet  ;  Shaw  Bolton, 
A  contribution  to  the  localisation  of  cérébral  functions,  basedon  clinico-patliological 
study  of  menlal  disease  {Brain,  XXXIII,  129)  par  G.  Bouché;  .1.  Cohn  et  J.  Dief- 
Fenbacher,  Untcrsuchungen  ûber  Gcschlcclits-Altcrs-und  Dcgabungsuntcrscliiede  bel 
Scliitlcrn  [Beilieflc  ^ur  Zeitschrift  fur  angeivandte  Psychologie  und  psychologische 
Samnielforscliung.  Leipzig,  Banh,  191  1)  par  P.  Menzerath  :  A.  Meillet,  Différen- 
ciation et  unification  dans  les  langues  [Scioitia,  191 1)  par  P.  de  Reul;  \.  Chris- 
tensen,  Politikog  Massemoral.  Til  Belysning  af  aktuelle  Problème)-  ((Copenhague, 
G.xd,  1911)  par  D.  Warnottc;  J.-L.  Puech,  L'Inde  et  la  u  paix  britainiique  n  {La 
paix  par  le  droit,  mai  191 1)  par  le  même;  F.  Deliizsch,  Das  Land  ohne  Heitn- 
/tt'//r  (Stuttgart,  Deutsche  Verlagsanstalt,  191 1)  par  R,  Kreglinger;  G. -G.  Selig- 
mann,  Tlie  \'eddas  (Cambridge,  University  Press)  parN.  Ivanitzky  ;  P.  Perdrizet, 
La  miracu'rnse  histoire  de  Pandore  et  d'EcJiédore,  suivie  de  reclierdics  sur  la  mar- 
que dans  l'antiquité  {.\rchiv.  filr  Religionswissenschaft,  191  i)  par  J.  de  Decker; 
Georges  Cahen,  Les  Fonctionnaires,  Leur  action  corporative  (,GoIin,  igii)par 
M.  Bourquin  :  J.  Fisher,  The  impatience  theory  of  interest  [Scientia,  1900)  et 
L.  Maingic,  La  théorie  de  l'intérêt  et  ses  applications  (Bruxelles,  Castaignc,  191 1) 
par  l-C.Waxwcik-r  (Directeur  de  l'Institut  Sociologique)  ;  J.  Fishur,  The  purchasing 
poiver  of  msney  (New-York,  Macmillon  Company,  191  i)  par  M.  Ansiaux;  enfin,  à 
propos  du  quatrième  Congrès  international  de  philosophie  à  Bologne,  M.  E.  Du- 
préel  recherche  les  points  de  contact  actuels  de  la  sociologie  et  de  la  philosophie. 
La  Chronique  Mensuelle  (p.  385-470],  par  M.  D.  Warnotte,  complète  les  Contri- 
butions en  passant  la  revue  de  toutes  les  sciences  pour  y  signaler,  plus  sommaire- 
ment, tous  les  travaux  récents  susceptibles  de  faire  avancer  la  Sociologie.  Enfin 
les  Réunions  des  groupes  d'études  remplissent  les  dernières  pages  (473-498)  de  ce 
très  important  fascicule,  réparties  en  groupes  sociologiques,  groupe  historique, 
colonial,  économique.  —  Th.  Sini. 

—  La  coquette  et  pratique  collection  Ans  Natur  und  Geisteswelt  (Leipzig,  Teub- 
ner)  publie  en  2"  édition  la  belle  série  des  six  Etudes  de  F.  Frkch,  Aus  der  Vor- 
^cit  der  Erde  {n"'  207-211  et  61)  comprenant  :  i»  Vulkane  eiiist  u)id  jetit  \  2» 
(jcbirgsbau  und  Erdbeben  ;  3°  Die  Arbeit  des fliessenden  Wassers;  4"  Die  Arbeit 
des  Océans;  5°  Steinkohle,  Wilsten  und  Klima  der  V'or^^/7  ;  6"  Gletscher  einst  und 
jet^t.  Chacun  de  ces  fascicules  est  illustré  par  une  cinquantaine  (le  n"  i  en  a  même 
80)  d'excelleiites  gravures  qui  éclairent  et  animent  singulièrement  le  texte,  eia  ins- 
pirant l'envie  de  l'étudier  de  plus  près.  —  Cette  même  Collection  a  édité  (n"'  SqS 
et  3i>2)  une  Aesthctik  (viii-r2o  p.  lori)  par  M.  Richard  Hamann,  et  une  Einfïih- 
rung  in  die  Biochcmie  (83  p.  1911)  par  M.  W'Ai.rnKR  Lob  ^avec  12  ligures  dans  le 
texte).  Chaque  fascicule  coûte    i  M  23.  —  Th.  Scu. 


KKVUfc.    CRITIQUE 


II. 


—  yV.i  il  lUnlamachi  c  il  Rousseau  (Oilona  a  Mare,  iijio,  7  p.),  par  M.  G.  dcl 
Vkiuiiio,  professeur  a  l'univcrsitc  ilc  Messine,  est  une  simple  «  note  critique  », 
extraite  lic  La  Ciilluia  coutcmporaiica  (A.  II,  N.  4),  et  destinée  à  réduire  à  de 
justes  limites  les  allirmations  de  M.  D.  Rodari,  qui.  dans  la  Rivista  Filosofica  de 
i.,oS,  avait  tait  de  Burlamachi  (1(194-1748),  professeur  h  Genève,  le  véritable 
inspirateur  du  Discours  sur  l'origine  et  les  fondements  de  l'incgalité,  M.  dcl  \ . 
montre  que  ilousseau  ne  fut  nullement  plagiaire.  —Th.  Sch. 

—  La  jolie  collection  de  Wissenschaft  und  Hypothèse  (Teubner,  Leipzig  et  Bcr- 
linl  donne  comme  t.  VIII  la  Geschichte  der  Psychologie  (x-388  p.,  191 1)  par 
M.  ().  Ki.EMM,  privatdocent  à  Leipzig,  qui  développe  d'abord  les  tendances  géné- 
rales de  la  psychologie  (métaphysique  et  empirique),  puis  ses  notions  fondamen- 
tales (sa  définition  comme  science,  son  objet  qui  est  la  conscience,  la  classifica- 
tion des  contenus  de  la  conscience,  les  méthodes  psychologiques,  la  mesure  psy- 
chique), enfin  fait  l'histoire  des  principales  théories  psychologiques.  —  Th.  Son. 

—  M.  Fritz  I'lkiniîr  a  écrit  les  Instilutioucn  des  deiitschen  Verwaltinigsrechts 
(Mohr,  191  I,  XI-35S  p.  8  M.)  dans  une  partie  générale  qui  traite  des  notions  fon- 
damentales, des  facteurs  {IVàger)  de  l'administration  publique  et  de  ses  rapports 
originels  avec  les  citoyens,  enfin  de  la  protection  légale  ;  et  dans  une  partie  spé- 
ciale qui  comprend  l'appareil  administratif  et  ses  eft'ets  [Leistiingen),  ainsi  que  les 
devoirs  des  citoyens  vis-à-vis  du  droit  administratif.  — Th.  Son. 

—  VEinleitirig  in  die  Philosophie  de  .M.  Hans  Cornélius  a  paru  en  deuxième 
édition  (Teubner,  Leipzig  et  Berlin,  191 1,  xv-SjG  p.  5  M.  20)  avec  des  additions 
sur  les  idées  métaphysiques,  les  valeurs  sociales,  l'obligation  et  la  prétention 
sociales,  le  droit  et  l'Éiat.  —  Th.  Sch. 

—  La  religion  hors  des  limites  de  la  raison  (Sainl-Blaise,  Foyer  Solidariste, 
191 1,  322  p.  5  fr.),  par  M.  Maurice  Neeser,  veut  tracer  les  traits  principaux  d'une 
philosophie  de  la  religion  sur  les  hases  du  kantisme  et  donner  non  «  point  une 
étude  générale  de  la  philosophie  kantienne,  mais  l'exposé  de  certaines  consé- 
quences du  système  dans  le  domaine  de  la  pensée  religieuse  »,  en  cherchant  dans 
les  principaux  livres  seulement  de  Kant  «  l'essentiel  de  sa  pensée  pour  en  déve- 
lopper les  corollaires  »  ;  et  «  sans  ignorer  les  travaux  les  plus  excellents  parus 
dans  ce  domaine,  on  a  voulu  courir  une  piste  originale  —  au  risque  de  redire  ce 
que  d'autres  ont  peut-être  déjà  dit  ».  4  chapitres  :  Religion  et  certitude  historique 
(insuffisance  philosophique  essentielle  de  toute  assise  historique  de  la  religion); 
religion  et  psychologie  (insuffisance  philosophique  essentielle  de  certaines  bases 
psychologiques  de  la  religion)  ;  à  la  recherche  de  la  religion  dans  les  limites  de 
la  raison  (le  domaine  de  la  raison  d'après  Kant)  ;  la  religion  hors  des  limites  de  la 
raison  (en  route  vers  l'au-delà).  «  Si  les  conclusions  de  Kant  n'ont  pas  toujours 
exposé  les  conséquences  des  prémisses,  il  a  jalonné  une  route  possible,  peut-être 
la  seule,  vers  l'explication  philosophique  de  la  religion  ».  —  Th.  Sch. 

—  Le  directeur  de  la  Revue  de  Synthèse  historique,  M.  Henri  Berr,  a  donne  à 
la  Bibliothèque  de  philosophie  contemporaine  son  Essai  critique  et  théorique  sur 
La  Synthèse  en  Histoire  (.\lcan,  191  i,  xvi-272  p.  5  fr.),  qui  «  était  terminé  en 
1903  >>  et  contenait,  dans  un  chapitre  central,  l'exposé  et  la  discussion  du    mou- 


d'histoire  et  de  littérature  39 

vement  théorique  allemand  ».  Mais  «  le  tableau  de  ce  mouvement  considérable  a 
semblé  rompre,  par  les  proportions  qu'il  exigeait,  l'unité  du  livre  ».  L'auteur  a 
préféré  donc  y  «  traiter  les  questions  en  elles-mêmes,  examiner  les  théories  de 
toutes  provenances,  sans  s'inquiéter  de  leur  provenance,  sans  dissimuler  toutefois 
que  des  penseurs  français  ont  fourni  les  principaux  éléments  pour  la  conception 
de  la  synthèse  »;  et  it  a  «  remis  à  un  deuxième  volume  l'exposé  du  mouvement 
théorique  allemand  des  quinze  ou  vingt  dernières  années  ».  Au  reste,  il  s'est 
«  elîbrcé,  non  de  créer  une  théorie  neuve  de  l'histoire,  mais  de  critiquer,  d'utili- 
ser, de  faire  aboutir  les  théories  antérieures  »,  tachant  «  en  même  temps  de  rap- 
procher, autant  que  possible,  la  théorie  de  la  matière  historique  »  et  tenant 
«  compte  des  diverses  disciplines  historiques  ou  auxiliaires  de  l'histoire,  qui,  jus- 
qu'ici, se  raccordent  mal  entre  elles  «.  11  a  étudié,  dans  une  première  partie,  les 
deux  degrés  de  la  synthèse  (érudite  et  scientifique)  et  les  principes  d'orientation 
dans  la  synthèse  scientifique;  dans  la  deuxième  partie,  les  articulations  de  celte 
synthèse  scientifique,  à  savoir  :  la  contingence,  la  nécessité,  la  logique.  La  con- 
clusion traite  de  l'avenir  de  l'histoire,  de  la  survivance  du  subjectivisme  histo- 
rique et  de  la  croyance  en  Viutuitioii,  du  fondement  de  cette  croyance  (intuition  et 
vie),  des  théories  anti-intcllcctualistes  (l'histoire-science  est-elle  inutile  pour  la 
vie?},  enfin  de  l'intuition  et  de  la  synthèse  et  des  modes  divers  de  l'histoire. — 
Th.  ScH. 

—  Dans  Notstaiid  und  Notwelir,  Eine  Stiidie  im  Hi)iblick  au/  das  kiiiiftige 
Strafredit  {Mohr,  191  i,  viii-i  26  p.  3  M.),  M.  Arthur  Baumgarten,  professeur  à 
Genève,  étudie  un  point  juridique  spécial  en  vue  d'une  réforme  du  droit  criminel, 
en  examinant  les  cas  où  la  défense  personnelle  doit  être  légitime.  Notstaud  est 
l'état  de  détresse  où  se  trouve  celui  qui  peut  user  de  cette  défense  personnelle,  et 
le  droit  de  cet  individu  à  se  défendre  dérive  du  principe  de  l'instinct  de  conserva- 
tion et  est  limité  par  la  théorie  des  collisions  entre  l'intérêt  privé  et  l'intérêt 
public.  —  Th.  ScH. 

—  Le  fascicule  12-1 3  (commencement  du  t.  Il)  du  Wôrterbuch  des  deutschen 
Staats  =  und  Veywaltungsreclits  de  M.  de  Stenùul  (réédité  par  M.  Fleischmann) 
va  du  mot  Gebàudesteiiev  à  celui  de  Gemeinheitsteilungen  et  renferme  les  princi- 
paux articles  suivants  :  Gebiiliren,  Gefàngniswesen,  Geheimmitiel,  Geistliclte, 
Geistliclie,  Gesellschaften,  Geleil{freies),  ci  surtout  Gemeinde,  qui  prend  plus  des 
4/3  de  la  livraison  (p.  39  à   i56.  en  tout   160,  prix  4  M.).  —  Th.  Scii. 

—  L'étude  de  M.  Félix  Hom.dack  (Leipzig),  Von  der  Idealitdt  des  dualistischcn 
Prin^ips  in  dcr  Strafe  (Breslau,  Max  Mûller,  191 1,  viii-66  p.  2  M.)  a  été  provoquée 
surtout  par  le  discours  de  M.  Binding  sur  Die  Entstehung  der  ôffentlichen  Strafe 
im  germaniscli-deutschen  Redit  et  soumet  a  un  nouvel  examen  la  valeur  de  la 
peine  juridique.  Parmi  ses  autres  autorités  (ou  adversaires)  citons  Merkel,  Win- 
delband,  v.  Amira,  I.ipps,  Œttker,  v.  Hippel,  v.  Liszt.  —  Th.  Sch. 

—  Les  Praelndien  (Aitfsât^e  und  Reden  ^/(r  lunleitung  in  die  Philosophie^  de 
M.  WiNDEi.BAND  oiit  paru  en  4^  édition  (la  3^  était  de  1907),  cette  fois  en  2  vol.  de 
xii-276  et  iv-322  p.  (5  M.  chacun,  Mohr,  191 1).  Les  sept  morceaux  nouveaux  sont  : 
deux  articles  des  Kantstudien,  a  savoir  Nach  hundert  Jahren  (centenaire  de  la 
mort  de  Kant)  et  Schillcrs  trans^endentaler  Idcalisinus,  puis  le  discours  «  acadé- 
mique »  (dans  le  sens  allemand  du  mrjt)  sur  Die  Emeuerung  des  Hegelianismiis 
{Sit^ungsberichte  der  Heidelberger  Akademie  des  W'issenschaften,  1910),  celui  de 


!..  REVUK    CKITICL't:    o'HlSTUlht:     Kl     Ul      LITTERATURk. 

I.  1  /  .;  MM  J'csstmismus  iiiiJ  W'i.tsciisclia/l  Der  Salim,  1^77),  celui  lic  Vienne 
r.  ''Il-  Wi-scn  iindW'vrl  Jer  7'taJiliun  im  Kultuilebcu  et  son  ooniplcment  Bildiaigs- 
>len  uuJ  Kulliii ciiilu'tt  (parus  tous  deux  dniis  Das  liumanistische  Gymna- 
iiwm),  CMlin  l'article  du  Lo^'05(i9io)  intitule  Knllurpliilosopliie  und  trans^^enden- 
t.ili'v  IdCitlistnits,  v|ui  rcsuinc  le  discours  de  Munich  iqoi))  sur  Weltauschauung. — 
II)     S.  1,. 


m- 


AcADKMiu  DKS  INSCRIPTIONS  KT  Hi:lles-Lettres  .  — Sc'aucc  dii  2 ij  dcccDibre  l  ()  I  I 
—  M.  Uabclon  dépose  sur  le  bureau,  de  la  part  de  r.\cadéniic  do  Mî'icon,  un  excin 
plaire  en  or  de  la  médaille  du  Millénaire  de  Cluny. 

M.  Jullinn  donne  lecture  d'une  nouvelle  lettre  de  M.  Moniméja  relative  aux 
découvcnes  laites  à  Sos  (Lot-et-Garonne).  On  y  a  notamment  trouvé  des  traces  des 
explorations  iiiéialluii;iques  auxquelles  César  fait  allusion. 

L'Académie  procède  à  réleciion  du  bureau  pourTaiinée  1912.  — M.  Louis  Léger, 
vice-président,  est  élu    président.  M.  Noël  \'alois  est  élu  vice-président. 

L'Académie  procède  ii  l'éleciion  des  commissions  suivantes  : 

'J'ravjiix  littcraires  :  MM.  l'réal,  Scnart,  Meyer,  Héron  de  ViJlefosse,  A.  Croisct, 
Clermoni-Ganneau,  de  Lasteyrie,  (^ollignon. 

Antiquités  df  la  France:  MM.  Meyer,  Héron  de  Villefbssc,  Viollet,  de  Lasteyrie, 
Thédenat,  Omont,  Jullian,  Prou. 

Jîcolcs  françaises  d'Athènes  et  de  Rome:  MM.  Hcuzcy,  Foucart,  Meyer,  Ilomoile, 
CoUignon,Cai:nat,  Châtelain,  Haussoullier. 

l'école  française  d'Extrême-Orient  :  M.VL  Brcal,  Senart,  Barth,  Chavanncs,  Cor- 
dier,  le  P.Scheil. 

Foiidatiiin  (îarnicr  :  NL\1.  S^iiait,   Barth,    Cordier,   le  P.  Scheii. 

Fondation  Piot  :  MM.  Heuzey,  Héron  de  Viilefosse,  de  Lasteyrie,  Homolle,  Col- 
li^non,  Babelon,  l'otticr,  Haussoullier,  Durrieu. 

Commission  administrative  :  .MM.  A  Croiset  et  Cagiiat. 

Prix  ordinaire  :  .\1M.  Senarr,  Barth,  Chavannes,  (^urdicr. 

Prix  Diiclialais  :  M.M.  de  Vos;ûé,  Schlumbcrger,  Héron    de  Viilefosse,  Babelon. 

J'rix  Gubert  :  MM.  Meyer,  Viollet,  Thomas,"  Durrieu. 

Prix  Bordin  :  MM.  Meyer,  Schinmberger,  Emile  Picot,  Prou. 

/')(.v  Fotild  :  MM.  de  Lasteyrie,  Coliignon,  Potiier,  Durrieu;  —  plus  MM.  Bcrnicr 
et  Ciuill'rey  membres  de  l'Académie  des  Beaux-.\rts. 

Prix  lîrunet  :  MM.  de  Lasteyrie,  Emile  Picot,  Omont,  Châtelain. 

/';-;.v  Stanislas  Julien  :  M.M.  Senart,   Barth,  Chavannes,  Cordier. 

Prix  Dclalandc-Guérineaii  :  MM.  A.  Croiset,  Bouché-Leclercq,  Châtelain, 
Haussoullier. 

Léon  Douez. 


L'imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rolxhon 


Le  Puy-cn-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N"  3  —  20  janvier  —  1912 


Harder,  Chrestomathie  arabe.  —  Klio,  X.  —  Franchet,  Céramique  primilive.  — 
GouGAUD,  Les  chrétientés  celtiques.  —  Lloyd,  Histoire  de  Galles.  —  Mortet, 
Textes  sur  l'histoire  de  l'architecture.  —  Herold,  Le  Tristan  de  Munich.  — 
BoppE,  Les  peintures  du  Bosphore.  —  Harmand,  Madame  de  Genlis.  —  Sauzev, 
De  Munich  à  Vilna.  —  Bourelly,  La  guerre  de  1870.  —  Fr.  Masson,  Au  jour  le 
jour.  —  Danii.gwicz,  Naoum  Aronson.  —  Dimier,  Les  primitifs  français.  — 
Focit.LON,  Benvenuto  Celiini.  —  A.  Blum,  Mantegna.  —  Ruskin,  Le  val  d'Arno. 

—  L'architecture  baroque  en  Italie.  —  Le  meuble  etia  décoration  en  Angleterre. 

—  Rondet-Saint,  L'Afrique  équatoriale  française.  —  Beaumont,  Mes  trois 
grandes  courses.  —  Schrader,  L'année  cartographique.  — Cottin,  Souvenirs  de 
Roustam.  —  Académie  des  inscriptions. 


Harder,  Chrestomathie   arabe,  édition  française   par    R.    Armez,    Heidelberg. 
J.  Gross,  iQii,  viii-520  p.  in-8°. 

Une  chrestomathie  des  prosateurs  arabes  est,  à  l'heure  actuelle,  un 
des  principaux  desiderata  de  l'étude  de  cette  langue.  Il  en  est  d'excel- 
lentes, comme  celles  de  Sacy  et  d'Arnold,  même  de  Freytag,  mais 
elles  sont  épuisées  depuis  longtemps;  celle  de  Brûnnow  n'a  pas 
encore  été  réimprimée;  celle  de  Wright  a  le  défaut  de  ne  pas  être 
accompagnée  d'un  glossaire  indispensable  ;  elle  remonte  d'ailleurs  à 
plus  de  quarante  ans;  celle  de  Guirgas  et  Rosen  a  un  dictionnaire, 
mais  il  est  en  russe;  celle  du  P.  Cheikho,  dans  les  Elementa  gram- 
maticce  arabicœ  de  Durand  et  Cheïkho  est  suivie  d'un  glossaire,  mais 
latin;  c'est  trois  dernières  sont  excellentes  d'ailleurs  pour  le  choix 
des  morceaux.  Quant  à  celles  auxquelles  on  a  joint  un  dictionnaire 
arabe-français,  il  vaut  mieux  n'en  pas  parler  ;  elles  ne  remplissent  pas 
le  but  proposé.  La  chrestomathie  de  M.  Harder  vient  donc  à  propos. 

Ce  n'est  pas  que  le  choix  des  morceaux,  pour  l'arabe  classique,  ne 
puisse  soulever  des  objections.  Consacrer  3g  pages  à  Zamakhchari, 
c'est  beaucoup,  alors  que  ni  le  Kitdb  el  Aghdni,  ni  le  'Iqd  el  Farid 
d'Ibn  'Abd  Rabbih,  ni  les  Prairies  d'or  de  Mas'oudi,  ni  les  Séances 
de  Hamadani  ou  de  Hariri  ne  figurent  sur  la  liste  des  extraits.  Il 
aurait  mieux  valu,  si  le  nombre  des  pages  était  limité  (les  textes  en 
occupent  363)  leur  sacrifier  le  supplément  consacré  à  quelques 
maigres  extraits  tirés  du  Delectus  de  Nœldeke.  La  poésie  arabe 
mérite  mieux  que  cette  portion  congrue  et  un  volume  spécial,  con- 

Nouvelle  série  LXXIII  'i 


^2       *  REVUE    CRITIQUE 

sacré,  non  pas  seulement  à  la  poésie  ancienne,  ne  serait  pas  de  trop. 

Ce  qui  donne  de  l'imporiancc  à  ce  recueil,  c'est  la  part  faite  à 
l'arabe  moderne  :  je  ne  parle  pas  des  extraits  du  roman  contemporain 
de  Djirdjis  ZeidAn  et  de  son  compendium  de  la  géographie  de 
i'Kgyptc  ;  ils  pourraient  être  supprimés  sans  inconvénients  et  leur 
place  mieux  occupée.  Mais  la  langue  moderne,  et  c'est  utile,  y  est 
largement  représentée  par  des  extraits  d'articles  politiques,  de  variétés, 
de  télégrammes,  de  chronique  locale,  de  Bulletins  de  Bourse  et 
d'annonces  de  journaux.  A  ce  titre,  la- chrestomathie  de  M.  Harden 
prendra  place  à  côté  de  l'ouvrage  de  Washington-Serruys  [L'arabe 
moJernc,  Beyrouth,  1897).  Remarquons  toutefois  que  ni  l'Algérie, 
ni  la  Tunisie  n'y  sont  représentées. 

Le  lexique  m'a  paru  complet  dans  les  passages  que  j'ai  vérifiés  ; 
d'ailleurs,  ce  n'est  qu'à  l'usage  qu'on  peut  juger  d'un  dictionnaire. 

Cet  ouvrage  rendra  donc  de  grands  services  et  on  ne  peut  que  le 
recommander  '. 

René    Basset. 


Klio,  Beitraege  zur  alten  Geschichte,  t.  X.  Leipzig,  Weicher  (Dictcrich'i,  1910; 
5 16  p. 

Les  articles  contenus  dans  le  tome  X  de  Klio  sont  de  sujets  très 
variés.  Ceux  qui  se  rapportent  à  l'histoire  romaine  sont  assez  nom- 
breux :  Varese  {Ntiovi  contributi  alla  crojiologia  délia  prima  guerra 
pnnica,  fasc.  i)  discute,  contre  Leuze  et  Luterbacher,  quelques  dates 
delà  première  guerre  punique;  Groebe  [Zum  Seeràiiberkriege  des 
Pompeius  Magnus  {6j  v.  Chr.),  3),  après  avoir  examiné  les  disposi- 
tions de  la  loi  Gabinia,  qui  donnait  à  Pompée  le  haut  commandement 
dans  la  guerre  des  pirates,  essaie  de  préciser  la  personnalité  de  ses 
lieutenants  [legati  pro  prœtore)^  ainsi  que  la  mission  qui  fut  confiée  à 
chacun  d'eux  dans  le  plan  général  de  Pompée;  K.  Lehmann  conti- 
nue ses  recherches  sur  l'histoire  des  Barcides  par  une  étude  très 
fouillée  sur  le  plan  d'Hasdrubal  dans  la  campagne  du  Métaure  {Zur 
Geschichte  der  Barkiden.  II  Hasdriibals  Marsch\iel  im  Metaurus- 
feld\uge^  3)  :  le  chef  carthaginois  s'avança  jusqu'à  l'embouchure  du 
fleuve  pour  tromper  l'ennemi  sur  ses  intentions  et  l'attirer  dans  l'est 
des  Apennins,  dans  le  but  de  se  dérober  ensuite,  de  franchir  rapide- 
ment la  chaîne,  et  de  rejoindre  ainsi  son  frère  à  proximité  de  Rome. 
Ce  plan  ne  réussit  pas  parce  qu'Hannibal  ne  put  en  être  informé,  et 
à  cause  du  peu  de  discipline  des  auxiliaires  gaulois,  qui  fut  un  obs- 
tacle à  l'exécution  rapide  de  cette  manoeuvre  aussi  difficile  que  hardie. 
Eckhardt   poursuit  et  termine  son   intéressante  dissertation  sur  les 

1.  P.  IV,  lire  Baidawi  et  non  Bedawi;  Maïdâni  et  non  Midani;  la  Légende  des 
sept  Dormants  et  non  des  sept  Dormeurs.  La  forme  Scliudscha'  ne  représente  pas 
le  français  Cliodja. 


d'histoire  et  de  littérature  43 

campngncs  de  Luculliis  en  Arménie  {Die  armenischen  Feld\ûge  des 
Lukiillus,  II  Cl  III^  tasc.  i  et  2);  il  étudie  les  préparatifs  de  la  guerre, 
la  marche  en  avant  jusqu'au  Tigre,  "^t  montre  combien  Tigrane  était 
peu  préparé  contre  une  attaque  des  Romains  ;  le  blocus  de  Tigrano- 
certe  et  la  bataille  qui  s'ensuivit  font  l'objet  d'un  second  chapitre,  où 
sont  combattues  les  conclusions  de  plusieurs  savants  sur  le  champ  de 
bataille  et  sur  la  marche  de  l'action,  notamment  celles  de  Sachau. 
Eckhardt  expose  très  bien  ensuite  comment  LucuUus,  au  moment  où 
Miihridate  rassemblait  une  nouvelle  armée,  se  trouva  aux  prises  avec 
de  graves  difficultés,  tant  à  cause  du  mauvais  vouloir  de  Rome  que 
par  suite  des  mutineries  qui  se  produisirent  dans  ses  propres  troupes. 
Il  termine  par  un  historique  des  combats  livrés,  et  par  une  étude 
topographique  sur  les  marches  de  Lucullus  et  les  lieux  des  engage- 
ments. Les  deux  articles  de  Leuze  et  de  Bang  sont,  en  tout  ou  en 
partie,  consacrés  à  des  questions  de  sources  :  le  premier  [Die  Kàmpfe 
iim  Sardinien  iind  Korsika  im  ersien  punischen  Krieg  {25g  iind  2^8 
vor  Clir.),  4)  fait  l'histoire  des  opérations  en  Sardaigne  et  en  Corse 
pendant  la  première  guerre  punique  ;  il  dégage  la  suite  chronolo- 
gique des  événements,  examine  en  détail  les  renseignements  fournis 
par  Polybe,  et  recherche  de  quelles  sources  aujourd'hui  perdues 
(Fabius,  Philinus)  découlent  les  récits  des  historiens  grecs  et  latins  ; 
le  second  [Marins  in  Minturna%  2]  distingue  trois  traditions  diffé- 
rentes de  l'épisode  de  Marins  à  Minturnes,  représentées  l'une  par 
Cicéron,  qui  ne  connaît  pas  l'anecdote  du  soldat  cimbre,  l'autre  par 
Appien  (remontant  probablement  à  Posidonios),  où  cette  anecdote  est 
rapportée  sèchement,  la  troisième  par  Tite-Live,  qui  a  dramatisé  le 
fait  et  l'a  enrichi  de  détails  pathétiques;  Plutarque  représente  une 
fusion  de  ces  deux  dernières  traditions.  L'histoire  grecque  fait  le 
sujet  de  deux  articles  :  le  colonel  Janke  [Die  Schlacht  bei  Issus,  2) 
défend  l'opinion  qu'il  a  exposée  sur  la  bataillé  d'Issus  dans  son  livre 
Auf  Alexanders  des  Grossen  Pfaden  (1904),  rectifie  quelques  points 
de  détail,  et  discute  à  nouveau  la  question  du  fleuve  Pinaros,  qu'il 
identifie  avec  le  Dell  Tchaï.  Perdrizet  [Scaptésylé^  i)  retrace  l'his- 
toire des  mines  d'or  de  Skaptésylé  et  des  conflits  auxquels  ce  «  pla- 
cer »  donna  lieu,  et  montre  qu'on  s'est  exagéré  le  nombre  des  placers 
du  district  pangéen  ainsi  que  la  durée  de  leur  exploitation  ;  article  des 
plus  intéressants,  où  toutefois  l'auteur  interprète  inexactement  le 
mot  n-y/y%  dans  le  texte  d'Hérodote,  VI,  46.  Les  Thasiens,  dit  l'histo- 
rien, tiraient  annuellement  de  Skaptésylé  80  talents,  et  des  mines  de 
Thasos  même  ÈXaTuio  [jt'sv  to-jtwv,  uuyvà  Ss  oO-w  wa-e  10  ÈiiÎTrxv..,  7rooj//.î... 
o'.r,/.Ô7'.7  x-jjri'i-.'j..  Il  est  impossible  de  traduire  ici  cruyvâ  par  «  fréquem- 
ment «  ;  la  phrase  grecque  ne  peut  avoir,  grammaticalement,  d'autre 
sens  que  celui-ci  :  «  des  revenus  inférieurs,  il  est  vrai,  à  80  talents, 
mais  assez  abondants  pour  que,  tout  compris,  revenus  de  Skaptésylé, 
de  l'ile  même  et  de  ses  comptoirs  de  la  Péréc,  le  total  atteigne  200  ta- 


^^  REVUE    CRITIQUE 

lents.  Au  domaine  cpii;rapliii]uc  appariicnncni  un   article  de  Calder 
.1  Journcy  roiiiui  Ihc  Pro:;eilcmmctJC,  2)  et  deux  de  S'voboda  {Stu- 
Jiin  -ur  Vcrjassuug  lioioticns,  3' ci  Zttr  Geschichte  von  Aliarnanien, 
4)  ;  Calder  publie  lO  inscriptions,  la  plupart  inédites,  qu'il  a  relevées 
dans  un  vovage  en  Lycaonie  pendant  Télé  de  1908  ;  Swoboda,  d'une 
part,  étudie  rorganisation  et  les  attributions  du  conseil   fédéral   des 
Béotiens,  et  revient  sur  la  question  d'un  changement  dans  les  institu- 
tions des  villes  béotiennes  après  146;  tout  en  admettant  toujours  que 
ce  changement   eut  lieu,   il   ne  considère  plus   comme    probants  les 
décrets  d'Akr<Tphia  sur  lcs;.]ucls  il  s'appuyait  dans  son  ouvrage  Die 
f^ricchischen  Volksbeschliisse;  d'autre  part  il  commente  l'inscription 
de  Thermon   relative  à   un   traité  d'alliance  entre  les  Etoliens  et  les 
Acarnaniens,  qu'il  date  des  années  qui  suivirent  la  mort  de  Pyrrhus 
•     (272).  L'organisation  de  l'Egypte  sous  les  Ptolémées  est  l'objet  d'un 
travail  deW.  Schubart;  il  constate  qu'à  côté  des  lois  et  ordonnances 
royales,  vôfiot,   o'.aYpâ,u|i.a-x,  7:po<T-âYîJi.axa,  en  existaient  d'autres,  -oÀ'.-u'.y.o; 
vôjjLO'.,  àoTixo'.  vôao;  et  ^r^'s'.'sii.Tzy.,  qui  s'en  différenciaient  nettement.  Ces 
traces  d'autonomie  sont  recherchées  dans  l'organisation  de  plusieurs 
communautés  politiques  grecques  ou  étrangères  ;  mais  cette  autono- 
mie s'affaiblit  de  plus  en  plus,  et  c'est  surtout  sous  les  premiers  Pto- 
lémées qu'il  faut  la  chcrchev  [Spiiren poîitischer  Autonomie  in  Aegyp- 
ten  iinter    den    Ptolemàern,    i).    Avec    l'article   de   Kahrstedt  nous 
sommes  dans  la  numismatique  [Fi'auen  aiif  antiken  Miin^en,  3).  Les 
figures  de  femmes  commencent  à  paraître  sur  les  monnaies  antiques 
à  la  fin  du  iv^  siècle;  K.  en  donne  un  catalogue  :  Ptolémées,  Séleu- 
cides,  autres  états  grecs,  Rome,   où    la  première  représentation  est 
celle  de  Fulvie,  femme  d'Antoine.  La  liste  s'étend  jusqu'à  la  fin   du 
v<:  siècle  après  J.-C,  et  se  termine  avec  Ariadne,  femme  de  l'empe- 
reur  Zenon.    Macchioro  essaie  d'attribuer  leur  place  à    un   certain 
nombre  de  fragments  de  Dion  Cassius,  à  l'aide  de  comparaisons  avec 
des  passages  d'autres  historiens,  particulièrement    de  Tite-Live   {Di 
alciini  frammenti  di  Cassio  Dione,  3)  et   Lehmann-Haupt  continue 
ses  recherches,  commencées  dans  le  tome  VIII,  sur  la    chronologie 
des  dynasties  babyloniennes  [Berossos'  Chronologie  und  die  keilin- 
sclu  iftlichen  Neufunde  IX,  X,  fasc.  4).  Quelques  études  sont  d'un 
genre  plus  spécial.  La  cavalerie  antique  pouvait-elle,  par  exemple  par 
des  attaques  de  flanc,  arrêter  la  grosse  infanterie?  C'est  ce   que  dis- 
cute, pour  prouver  l'affirmative,  H.  Delbruck,  à  l'aide  de  considéra- 
tions sur  plusieurs  combats,  notamment  la  bataille  de  Sardes,  en  BgS, 
entre  les  troupes  d'Agésilas   et  l'armée  perse  [Antike  Kavallerie,  3)  ; 
un  article  de  Steinwender  [Der  Gefechtsabstand  der  Manipulare,  4) 
contient  des   recherches  techniques  sur  la  distance  des    rangs  et  des 
files  dans  la  formation  de  combat  des  manipules;  Dessau    propose 
une  explication  de  la  date  choisie  pour  la  célébration  des   fêtes  sécu- 
laires d'Auguste  en   17  avant  J.-G.  [Der  Mond  und  die  Sakularfeier 


d'histoire  et  de  littérature  45 

des  Augiistiis,  3);  c'est  parce  qu'à  cette  date  (i,  2,  3  Juin)  le  ciel  était 
éclairé  par  la  pleine  lune  ;  Lehmann-Haupt  présente  quelques  obser- 
vations, à  propos  d'un  ancien  poids  perse  de  Saint-Pétersbourg,  sur  le 
rapport  dé  l'or  h.  l'argent  {Zum  Wcrtverhàltnis  von  Gold  iind  Silber, 
2);  et  Johanna  Nisiler  [Vettius  Agoriiis  Prœtextatus,  4*  reirace  la 
carrière  d'un  haut  personnage  romain,  qui  vivait  sous  l'empereur 
Julien  et  ses  successeurs,  et  qui  reniplit  d'importantes  fonctions.  On 
remarquera,  dans  les  Mitteilitngcn  und  Nachrichten  (fasc.  4),  d'inté- 
ressantes observations  de  R.  Adam  sur  l'ordre  de  bataille  des  Grecs  à 
Salamine  [Die  Aufstellung  der  griechischen  Flotte  l'or  der  Schlacht 
bei  Salamis'. 

M  Y. 


L.  Franchet,  Céramique  primitive;  introduction  à  l'étude  de  la  technologie.  Un 
vol.  in-8",  p.    1-160,  tig.  1-26.  Paris,  Geuthner,  191 1. 

F.  est,  comme  l'on  sait,  à  la  fois  spécialiste  et  chef  de  fabrique  et 
le  présent  volume  résume  les  leçons  qu'il  a  professées  à  l'Ecole 
d'anthropologie  en  191 1.  Si  Ton  considère  que,  depuis  le  traité  clas- 
sique de  Brongniart  (1844),  aucun  technicien  n'avait  étudié  le  sujet, 
on  ne  saurait  trop  être  reconnaissant  à  l'auteur  de  nous  mettre  au 
courant  des  progrès  que  la  science  a  pu  faire  en  trois  quarts  de  siècle. 
D'autant  que  F.  écrit  très  simplement  et  d'une  manière  accessible  aux 
profanes.  Les  cinq  chapitres  de  son  livre  traitent  successivement  des 
argiles  et  des  flammes  (p.  i-23),  des  pâtes  céramiques  (p.  24-48),  du 
tour  (p.  49-82,  des  colorations  et  des  glaçures  (p.  83-ii6),  enfin  de 
la  cuisson  et  des  classifications  diverses  (p.  iij-iSô).  Sur  tous  ces 
points,  F.  apprendra  bien  des  choses  aux  archéologues.  P.  10,  la 
plasticité  de  l'argile  et  les  lamelles  micacées.  P.  14,  toutes  les  poteries 
primitives  auraient  subi  une  cuisson  plus  ou  moins  prolongée,  même 
à  l'époque  néolithique.  P.  20,  pouvoirs  oxydant  et  réducteur  de  la 
flamme,  qui  expliquent  la  coloration  de  l'argile  et  les  coups  de  feu. 
P.  27,  les  Anciens  employaient  des  matières  imparfaites  et  ne  mélan- 
geaient pas  à  dessein  des  impuretés.  P.  41-2,  la  pâte  de  silice  chez  les 
Égyptiens  :  son  avantage  et  ses  inconvénients;  si  elle  est  difficile  à 
inodeler,  en  revanche  elle  est  un  support  tout  trouvé  pour  des  glaçures 
alcalines,  d'un  ton  vif  et  très  chaud  [cï.  p.  74).  P.  bj ,  la  forme  en 
calice  est  la  plus  naturelle  pour  l'ouvrier  tourneur.  P.  76,  les  incrus- 
tations diverses.  P.  79-81,  définition  exacte  des  engobes,  des  glaçures, 
des  vernis,  des  émaux,  des  couvertes  et  des  lustres,  tous  termes  que 
nous  confondons  trop  souvent  en  archéologie.  P,  86,  les  poteries 
«  charbonneuses  ».  P.  101,  F.  dit  justement  que  la  pâte  vitrifiée  des 
Égyptiens  est  un  véritable  grès.  P.  108,  le  noir  grec  serait  à  base  de 
magnétite  ;  la  cuisson  devait  d'ailleurs  être  rapide  dans  les  fours 
helléniques  et  durer  tout  au  plus  de  4  à  6  heures  (p.  i  3o). 


4f> 


RKVirE   CRITIQUE 


Je  crois  savoir  que  l'aiik'iir  prépare  un  grand  ouvrage  sur  les. pro- 
cédés des  pr)tiers  primitifs.  Nous  devons  souhaiter  que,  lorsqu'il 
l'écrira,  F.  veuille  bien  s'astreindre  à  une  composition  plus  sévère 
cl  qu'il  s'assure  la  collaboration  d'un  archéologue  de  métier,  qui  con- 
naisse aussi  bien  la  céramique  néolithique  que  celle  de  l'âge  du 
bron/A-  et  de  la  période  classique.  Je  doute,  à  dire  vrai,  qu'il  en 
existe  un. 

A.  de  RinDF.R. 


Louis  GoroAUD,   Les    chrétientés    celtiques,     l^aris,    Lccoffrc,     191 1,     in-12, 
xxxv-4u>  p.  et  3  cartes. 

Sur  le  christianisme  dans  les  pays  qui  jusqu'à  nos  jours  sont  restés 
celtiques,  il  n'y  avait,  jusqu'à  l'apparition  de  ce  livre,  aucune  autre 
étude  d'ensemble  que  celle  qui  fut  publiée  en  1901  par  H.  Zimmer 
dans  la  Realencj-clopacdie  fur  protestantische  Théologie  iind  Kirche 
de  Herzog  et  Plitt,  t.  X,  p.  204-243,  et  qui  a  été  traduite  en  anglais 
en  1903  par  M"*"  Antonia  Meyer.  M.  Louis  Gougaud,  connu  déjà  par 
d'importants  travaux  de  détail  sur  les  institutions  et  la  littérature 
chrétiennes  des  Celtes,  nous  donne,  au  lieu  d'un  article  de  revue  ou 
d'encyclopédie  nécessairement  incomplet  en  sa  concision,  un  excel- 
lent manuel  où  il  s'est  efforcé  de  concilier  la  science  et  la  vulgarisa- 
tion scientifique. 

La  bibliographie  est  abondante  et  classée  systématiquement.  En 
tête  de  l'ouvrage  sont  signalés  les  livres  et  les  publications  de  textes 
relatifs  au  sujet,  répartis  entre  quatre  périodes  :  le  xv!*"  et  xvii«  siècles, 
lexviii*  siècle,  1 800-1 853  (date  de  l'apparition  delà  Grammatica  Cel- 
tica),  1853-191  I  ;  en  tête  de  chaque  chapitre  ou  en  notes  au  bas  des 
pages,  d'après  leur  importance,  sont  mentionnés  les  articles  de  revues. 
Cette  bibliographie  est  critique  et  met  en  garde,  à  l'occasion,  le  lec- 
teur contre  les  défauts  de  certains  livres.  Un  index  complet  des 
noms  propres  permet  de  trouver  sans  peine  les  détails. 

L'utilité  de  ce  livre  se  mesure  aux  services  qu'il  rendra  à  tous  ceux 
qui  auront  besoin  de  renseignements  sur  le  christianisme  dans  les 
pays  celtiques.  Après  une  rapide  revue  des  croyances  et  de  l'organi- 
sation des  Celtes  païens,  l'auteur  expose  successivement  les  origines 
du  christianisme  dans  les  Iles-Britanniques,  l'épanouissement  du 
christianisme  et  le  monachisme,  l'émigration  en  Armorique  et  les 
expansions  irlandaises;  puis  il  étudie  les  controverses  disciplinaires, 
le  clergé  et  les  institutions  ecclésiastiques,  la  culture  intellectuelle  et 
les  doctrines  théologiques,  la  liturgie  et  la  dévotion  privée,  les  arts 
chrétiens  ;  enfin  il  termine  en  montrant  l'atténuation  graduelle  du  par- 
ticularisme celtique  par  les  réformes  ecclésiastiques  des  x'^-xii'"-  siècles.  • 

De  ce  livre,  qui  touche  à  tant  Me  questions  diverses,  le  critique  ne 
peut  guère  juger  que  la  méthode.  Dans  les  problèmes  qui  ne  sont  pas 


d'histoire  et  de  littérature  47 

encore  dcHniiivcment  résolus,  M.  Gougaud  expose  le  plus  objeciive- 
ment  possible  les  opinions  émises  par  les  savants  compétents;  puis  il 
tâche  de  concilier  ces  opinions  ou  marque  sa  préférence  pour  l'une 
d'elle.  Il  n'apparaît  pas  qu'il  ait  eu  dans  quelque  cas  une  théorie  pré- 
conçue, et  les  idées  nouvelles  qu'il  expose  çà  et  là  sont  déduites  sans 
effort  du  fond  même  des  choses.  C'est  un  modèle  achevé  de  manuel 
scientifique  où  l'auteur  ne  se  contente  pas  d'être  un  catalogueur,  mais 
où  il  est,  quand  il  le  faut,  un  guide. 

Sur  les  questions  que  je  connais  plus  particulièrement,  je  puis  pré- 
senter à  l'auteur  quelques  menues  remarques.  Les  mots  irlandais  sont 
en  général  correctement  transcrits  ;  quelques  formes  seraient  à  recti- 
fier :  le  glossaire  des  Ancient  laws  of  Ireland  porte  ail  adartha  et  non 
lia  adrada  (p.  12;.  L'idole  de  Mag  Slecht  s'appelle,  dans  le  Dinn  Sen- 
chus,  Crom  Cruaich  et  non  Cronn  Cruach  (p.  17)  ;  dans  la  Vie  tri- 
partite  :  Cenn  Ct^uaich.  Le  mot  druidechta  cité  p,  24  est  au  génitif;  il 
en  résulte  que  les  guillemets  devraient  être  ouverts  avant  «  de  drui- 
disme  ».  Erdattre  (p.  26)  est  une  faute  d'impression  pour  erdathe,  de 
même  que  Patrice  (p.  40  pour  Patrice.  Pour  Mac  in  Tsair^  l'ortho- 
graphe usuelle  est  mac  in  t-Sair  (p.  "b).  Les  «  trois  cinquantaines  » 
sont  en  irlandais  tri  côecait  (p.  97).  P.  i  14  il  faut  lire  Kopvao'jîo-..  Au 
chapitre  VIII  je  n'ai  pas  trouvé  cité  VAi's  Malsachani  qu'a  édité  avec 
tant  de  soin  M.  Roger  en  igoS.  La  note  4  de  la  page  9  se  réfère  à  des 
textes  de  Strabon  et  de  S.  Jérôme  qui  n'ont  pas  été  cités.  P.  xx  il  faut 
lire  Whitley,  et  p.  24,  25,  26  :  Marillier. 

G.  Dottin. 


J.  E.   Lloyd,  a  history  of  Wales  from  the  earliest  times  to  the  Edwardian 
conquest.  Longnaans,=  Green  and  Co.,   191 1,  2  vol.  in-S"  de  xxiv-816  p. 

L'histoire  ancienne  du  Pays  de  Galles,  fondée  sur  les  documents 
archéologiques,  sur  les  témoignages  des  écrivains  latins  et  grecs  et 
sur  des  ouvrages  comme  ceux  de  Gildas,  de  Bède,  et  les  Annales 
Cambriae  et  les  lois  galloises  laisse  à  l'écrivain  un  vaste  champ  de 
conjectures.  M.  John  Edward  Lloyd,  professeur  d'histoire  au  collège 
de  Bangor,  a  entrepris  de  distinguer  ce  qui  est  connu  et  établi  de  ce 
qui  reste  encore  à  étudier  et  il  nous  expose  en  deux  volumes  l'his- 
toire de  la  principauté  jusqu'à  la  ruine  de  l'indépendance,  en  1282.  Il 
utilise  surtout  les  nombreux  livres  et  articles  de  revues  publiés  en 
Grande-Bretagne  et  fait  de  plus  rares  emprunts  aux  ouvrages  des 
savants  du  continent;  une  bibliographie  générale  en  tête  du  premier 
volume,  des  bibliographies  particulières  en  tête  de  chaque  chapitre  et 
de  chaque  section,  des  notes  au  bas  des  pages  témoignent  de  la  soi- 
gneuse documentation  de  l'auteur.  Les  divisions  sont  en  partie  chro- 
nologiques, en  partie  logiques  ;  les  questions  principales  sont  grou- 
pées de  manière  à  constituer  des  ensembles  qui  se  détachent  de  la  nar' 


^8  RKVUE    CRITIQUE 

ration  des  faits  historiques.  La  méthode  historique  est  de  tout  point 
louable.  Peut-(?tre  est-il  permis  de  regretter  que  l'auteur  ne  fasse  pas 
une  part  sutlisante  à  l'histoire  littéraire,  si  originale,  des  Gallois  et 
ne  lire  pas  de  celte  liiiéraiure  tous  les  renseignements  qu'elle  pourrait 
fournir  pour  l'histoire  des  idées  et  des  institutions.  On  regrette  aussi 
que  la  géographie  physique  n'occupe  presque  aucune  place  dans  un 
ouvrage  dont  un  chapitre  f  VI  H)  est  réservé  à  la  géographie  historique, 
Cl  que  les  questions  relatives  à  la  langue  galloise  ne  soient  pas  traitées 
spécialement.  A  peine  trouve-t-on,  p.  i6,  quelques  remarques  sur 
roriginalité  de  la  syntaxe  celtique  que  l'auteur,  non  sans  témérité, 
d'après  M.  Morris  Jones,  explique  par  l'usage  d'un  dialecte  berbère 
en  Galles  avant  l'arrivée  des  Celtes. 

G.    DOTTIN. 


N'ictor  MoBTET.    Recueil  de  textes  relatifs  à  l'histoire  de  l'architecture  et  à 
la  condition  des  architectes  en  France  au   moyen-âge.  XI%  XII*  siècles. 

[Collection  de  textes  pour  seri'ii-  à  l'étude  et  à  renseignement  de  l'Histoi}-e,  fasc. 
44).  Picard,   191  i,  in-S",  lxv-5i4  p. 

En  constituant  un  recueil  de  textes  relatifs  à  l'histoire  de  Tarchi- 
tecture  française  aux  xi«  et  xii''  siècles,  M.  Victor  Mortet  a  rendu 
service  aux  historiens  et  aux  archéologues.  Non  que  les  documents 
qu'il  nous  donne  soient  inédits  —  ils  le  sont  très  rarement  —  mais 
parce  que  plusieurs  d'entre  eux,  mal  publiés,  méritaient  une  édition 
critique,  et  surtout  parce  qu'ils  étaient  tous  restés  dispersés  jusqu'à  ce 
jour.  Or,  c'est  déjà  les  éclairer  que  les  rapprocher  les  uns  des  autres. 

Renonçant  aux  vastes  entreprises  de  ses  devanciers  dont  quelques- 
uns  prétendaient  embrasser  dans  leurs  publications  tout  l'art  médié- 
val d'Occident  ',  M.  M.  a  limité  chronologiquement  et  géographique- 
mentses  recherches.  Plus  précises  et  mieux  cotiduites,  celles-ci  attei- 
gnent entièrement  leur  but  :  des  textes  patiemment  réunis  de  très  inté- 
ressantes conclusions  se  dégagent. 

Ces  conclusions  on  les  trouve  exposées  à  la  fin  d'une  excellente 
préface  où  l'auteur,  après  avoir  défini  l'objet  et  le  plan  de  son  recueil 
analyse  le  caractère  et  la  nature  des  sources  qu'il  a  utilisées. 

«  Le  témoignage  des  textes  s'ajoute  à  celui  des  monuments  et  des 
vestiges  matériels  du  passé  pour  faire  voir  que  le  xi«  siècle  offrit  en 
France  le  spectacle  d'un  très  grand  mouvement  de  construction  et  de 
reconstruction  d'églises  et  de  monastères,  de  donjons  et  de  châ- 
teaux '  ».  Telle  est  une  des  conclusions  de  M.  Mortet.  Cette  concor- 
dance, dans  les  grandes  lignes,  du  témoignage  des  textes  avec  celui  des 
monuments  valait  d'être  signalée.  Elle  se  retrouve  à  d'autres  époques. 


1.  Tels    le   «   Quellenbuch   zur    Kunstgeschichte   des   abendlandischen  Mittela- 
ters  »  de  J.  von  Schlosser. 

2.  P.   XXXI. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  49 

Mais  c'est  aux  textes  seuls  que  l'on  doit  de  pouvoir  marquer,  comme 
Va  fait  M.  M.,  la  substitution  pro£;ressive  à  cette  époque  de  l'usage 
de  la  pierre  à  celui  du  bois  dans  les  constructions,  substitution  sur 
laquelle  l'auteur  a  insisté  avec  raison  car  c'est  un  des  résultats  les  plus 
neufs  de  son  livre  que  d'avoir  mis  en  lumière,  combien  furent  tardifs 
les  débuts  de  ce  «   nouvel  âge  de  la  pierre  '  ». 

Précieux  pour  l'histoire  de  l'architecture  monastique,  publique  "  et 
militaire,  le  recueil  de  M.  M.  l'est  aussi  en  ce  qui  concerne  la  condi- 
tion des  architectes.  Il  nous  donne  des  noms  inconnus,  il  nous  mon- 
tre surtout  l'état  d'architecte,  de  maître  d'œuvre  se  constituant  peu  à 
peu  ;  il  nous  fait  assister  enfin  au  développement  dans  les  villes  pen- 
dant la  seconde  moitié  du  xii'^  siècle  de  groupements  d'artisans,  maçons 
ou  charpentiers,  qui  commencent  à  s'affranchir.  Nul  doute  qu'il  ne 
faille  voir  là  l'origine  de  ces  métiers  corporatifs  qui  atteindront  leur 
plein  épanouissement  au  siècle  suivant. 

On  voit  par  ces  seuls  exemples,  choisis  entre  plusieurs,  le  parti  que 
M.  M.  a  su  tirer  des  documents  qu'il  publiait.  Et  s'il  a  si  bien  su  les 
interpréter  c'est  qu'il  les  a  analysés  et  étudiés  un  à  un. 

Ce  soin  apparaît  dans  tout  le  recueil.  Le  texte  de  chaque  pièce, 
très  soigneusement  établi,  est  précédé  d'une  substantielle  analyse  et 
acconipagné  de  l'indication  des  éditions,  parfois  aussi  de  celle  des 
originaux  ei  des  copies.  Au  bas  des  pages,  les  notes  abondent  :  réfé- 
rences bibliographiques,  identifications  de  noms  de  lieux  et  de  per- 
sonnes, rapprochements  et  explications  archéologiques. 

Ces  dernières  sont  toujours  intéressantes,  car  M.  M.  se  rend  conipte 
de  la  portée  particulière  de  chaque  texte  comme  de  sa  portée  générale  ; 
il  note  avec  une  égale  précision  ce  qu'il  nous  apprend  sur  l'histoire 
de  tel  édifice  et  sur  Thistoire  de  l'architecture  en  général. 

L'auteur  a  adopté  comme  cadre  de  classement  l'ordre  chrono- 
logique; c'était  le  seul  qui  convint  à  un  recueil  de  ce  genre.  Mais  il 
offre  des  inconvénients.  Une  table  alphabétique  des  noms  de  lieux  et 
de  personnes,  et  un  répertoire  archéologique  ''  y  remédient  en  per- 
mettant la  consultation  méthodique  de  l'ouvrage.  Ajoutons  qu'un 
glossaire  explique  et  groupe  à  la  fin  du  volume  un  grand  nombre  de 
termes  techniques  '*. 


1.  P.  xxxiir.  —  Dans  l'architecture  militaire  les  constructions  de  bois  ^ont  encore 
employées  au  xiv'=  siècle  de  manière  beaucoup  plus  constante  qu'on  ne  le  croit 
généralement. 

2.  Ici  encore  l'auteur  a  bien  montré  le  parti  que  l'on  peut  tirer  des  textes.  Ainsi 
il  nous  a  montré  grâce  à  eux  l'accroissement  dans  les  villes  de  la  surface  bâtie 
au  xn'=  siècle. 

3.  A  signaler  quelques  renvois  inutiles;  tels  celui-ci  :  «  Mosaïque  :  voir  Pave- 
ijients  »;  et  «  Pavements.  V.  Mosaïque  »,  etc. 

4.  Tous  ceux  qui  figurent  dans  les  textes  ne  s'y  rencontrent  malheureusement 
pas. 


5()  REVUK    CRITIQUE 

On  le  voii  hi  iniblicaiioii  de  M.  M.  peut  être  donnée  en  exemple  à 
tDUS  les  éditeurs  de  textes  archéologiques,  (^est  un  excellent  instru- 
ment de  travail  mis  à  la  disposition  des  étudiants  et  des  érudiis  ;  c'est 
aussi  une  source  de  premier  ordre  pour  celui  qui,  le  premier,  tentera 
d'écrire  une  histoire  de  notre  architecture  française  au  moyen  âge. 

Puisse-t-i!  joindre,  comme  l'auteur  du  présent  recueil,  aux  connais- 
sances archéologiques  vastes  et  précises,  indispensables  en  la  matière, 
la  pénétration  et  le  sens  historique  qui  permettent  seuls  d'interpréter 
de  façon  vivante  les  textes  et  les  monuments. 

Robert  Michel. 


Der  Miinchener  Tristan.  Ein  Beitrag-  zur  Ueberlieferun^sgeschichte  uud  Kritik 
des  Tristan  Gottfricds  von  D""  Kurt  Herold  (Quellen  und  Forschungcn,  114. 
Hcft'».  Strasbourg,  Trûbner,  191 1.  In-S»,  go  pp.  3  m. 

11  est  rare  qu'une  étude  de  manuscrit  conduise  aux  beaux  résultats 
que  vient  d'obtenir  M.  Herold,  On  savait  que  le  manuscrit  de 
Munich  (Afj  du  Tristan  de  Gottfried  de  Strasbourg  était  ancien  et 
révélait  un  caractère  original.  Massmànn,  von  der  Hagen  et  le 
regretté  Marold  avaient  reconnu  quele  copiste-rédacteur  de  ce  manus- 
crit s'était  attaché  à  énerver  le  texte  de  Gottfried.  Mais  pourquoi  cet 
effort  si  soutenu  en  vue  d'atténuer  la  vigueur  poétique  du  Tristan^ 
qui  tire  sa  plus  grande  beauté  précisément  de  l'éclat  de  son  style? 
A  cette  question  M.  H.  répond  :  l'auteur  de  M,  lecteur  assidu  de 
Hartmann  d'Aue,  travaillant  peut-être  pour  des  admirateurs  de  l'auteur 
(ïlwein,  a  «  hartmannisé»  son  texte.  A  la  diction  neuve,  chatoyante, 
lyrique,  parfois  compliquée  à  l'excès  du  poète  strasbourgeois  il  a 
substitué  la  forme  plus  commune,  plus  simple,  plus  claire,  plus 
narrative  du  bon  Hartmann.  Il  a  été  plus  loin.  Il  a  supprimé  ou 
résumé  d'assez  nombreux  et  longs  passages  où  Gottfried  —  soit  qu'il 
suivît  son  modèle,  soit  de  sa  propre  inspiration  —  a  développé  une 
pensée  morale,  répété  une  idée  en  la  variant,  appuyé  sur  une  situa-  . 

tion,  fait  un  sort  aux  personnages  secondaires,  essayé  des  descriptions 
des  costumes.  J'avoue  que  pour  ce  qui  est  du  chapitre  des  suppressions, 
je  suis  moins  convaincu  que  M.  H.  Il  peut  se  faire  que  ce  ne  soit  pas  ■ 

l'influence  de  Hartmann,  mais  un  désir  de  sacrifier  la  psychologie  et  f 

la  description  à  la  narration   pure  qui  a  déterminé  les  abréviations  \ 

de  M.  Le  moine  qui  traduisit  le  Tristan  français  en  Scandinave  a  pris  \ 

exactement  les  mêmes  libertés  avec  son  texte,  comme  j'ai  essayé  de  le 
faire  voir.  11  peut  s'agir  ici  simplement  d'une  méthode  de  traduc- 
tion. En  revanche,  il  semble  impossible  qu'on  n'admette  pas  l'expli- 
cation que  propose  M.  H.  à  l'égard  des  altérations  du  texte.  Tous  les 
faitsqui  étayentsa  thèse  sont  d'une  évidence  à  laquelle  nul  scepticisme 
ne  peut  résister.  * 

Non  seulement  M.   H.  a  rendu  raison  d'un   fait  jusqu'ici  incxpli- 


d'histoire  et  de  littérature  5i 

que,  mais  il  a  réhabilité  le  ms.  M.  Il  a  montré,  que,  hors  les  cas 
d'aliératioii  volontaire  et  en  quelque  sorte  méthodique,  ce  codex  a 
une  grande  valeur  pour  rétablissement  du  texte  gottfriedien.  Quelques 
passages,' étudiés  en  appendice,  rendent  cette  opinion  probable. 

Nous  devons  de  la  reconnaissance  à  M.  H.  pour  ce  travail  si  neuf 
et  solide  ;  nous  en  devons  aussi  à  M.  Schultz,  qui  l'a  inspiré. 

F.  Piquet. 


A.  BoppE,Les  peintres  du  Bosphore,  Paris,  Hachette,  191 1.  In-S",  vu   et  23i  p. 
3  fr.  3o. 

On  n'ignore  plus  que  nos  peintres  et  dessinateurs  du  xviii''  siècle 
eurent  pour  les  hommes  et  les  choses  du  Levant  un  goût  très  vif,  que 
Constantinople  exerça  sur  eux  sa  séduction,  et  qu'ils  s'attachaient  à 
reproduire  et  le  Bosphore  et  ses  personnages  enturbannés.  C'est  aux 
«  turqueries  »  de  ce  temps-là  que  M.  Boppe  consacre  son  volume,  et 
il  a  singulièrement  réussi  à  faire  revivre  les  artistes  d'alors  dans  la 
société  où  ils  travaillaient  et  dans  la  nature  qu'ils  aimaient.  Il  nous 
présente  Jean-Baptiste  Van  Mour,  le  véritable  inspirateur,  dit-il,  des 
artistes  de  France  et  d'Allemagne  qui  ont  modelé  tant  de  charmants 
petits  Turcs  de  porcelaine;  le  chevalier  de  Malte  Antoine  de  Favray 
qui  sut  rendre  le  riche  et  éclatant  costume  des  belles  Levantines  ; 
Hilaire,  le  plus  fidèle  observateur  du  geste  et  de  l'attitude  des  Orien- 
taux ;  Melling,  qui  connut  le  mieux  le  Bosphore  et  ses  eaux  chan- 
geantes et  ses  doux  paysages,  si  doux  et  si  calmes  qu'on  croirait  en 
regardant  certains  dessins  de  ce  Melling,  «  entendre  le  clapotis  si 
familier  à  ceux  qui  ont  vécu  à  Thérapia  »  (p.  176).  Ce  livre  charmant, 
plein  de  la  lumière  et  de  la  couleur  de  là-bas,  fait  honneur  et  au  goût 
et  au  savoir  de  M.  Boppe,  et  il  se  termine  par  un  essai  de  catalogue 
qui  achève  de  faire  du  volume  une  précieuse  contribution  à  l'histoire 
de  l'an  du  xviii"  siècle. 

A.  Ch. 


Jean  Harmand,  Madame  de  Genlis,  sa  vie  intime  et  politique,  1746-1830,  d'après 
des  documents  inédits.  Préface  d'Emile  Faguet.  Paris,  Perrin,  1912.  In-8%  xii 
et  557  p.  5  fr. 

Voilà  un  volume  attachant  et  qui  mérite  d'être  lu  et  consulté. 
Certes,  il  offre  des  défauts.  Il  est  un  peu  long  et  on  ne  peut  arriver  au 
bout  sans  fatigue.  La  seconde  partie,  consacrée  à  l'Empire  et  à  la  Res- 
tauration, traîne,  languit.  On  dirait  qu'à  ce  moment,  l'auteur  com- 
mence à  se  lasser.  C'est  surtout  dans  cette  Hn  délivre  qu'il  aurait  fallu 
réduire  et  retrancher. 

Autre  défaut.  Tout  en  reconnaissant  que  M.  Harmand  a,  dans  sa 
conclusion,  donné   une  très  Judicieuse  et  utile  «  vue  d'ensemble  », 


5  2  REVUE   CRITIQUE 

non;,  croyons  qu'il  n'analyse  pas  assez,  au  courant  du  récit,  les 
ouvrages  do  M"'"  de  Gcnlis.  Lorsqu'il  parle  d'Adùlc  et  Théodore,  il 
n'entre  pas  sutHsamment  dans  le  détail.  De  même,  il  passe  trop  rapi- 
dement sur  les  Mémoires,  sur  ces  réminiscences  qui,  comme  disait 
Sainte-Beuve,  ne  sont  qu'une  mystitication  et  qu'elle  fausse  presque 
à  son  insu.  Il  v  a  dans  ce  livre,  somme  toute,  trop  de  biographie  et 
pas  assez  de  critique  littéraire  et  historique,  trop  d'anecdotes  et  de 
menus  faits,  et  pas  assez  d'appréciation  et  de  jugements. 

En  outre,  il  y  a  des  erreurs.  Elles  étaient  inévitables  en  un  si  gros 
ouvrage  et  qui  embrasse  tant  d'événements.  Mais  quelques-unes  pou- 
vaient être  évitées.  M.  H.  s'imagine  que  Dumouriez  voulait  établir  sur 
le  tr(')ne  le  duc  de  Chartres  (p.  3o6);  que  ses  conférences  avec  Mack 
à  Ath  durèrent  quatre  jours  (idem);  que  Proli,  Dubuisson  et  Pereira 
(p.  3o7  et  3q8),  envoyés  au  général  par  le  club  des  jacobins,  étaient 
membres  de  la  Convention  et  que  ce  furent  eux  que  Dumouriez  livra 
aux  Impériaux;  que  Bàle  était  depuis  le  7  avril  179?  réunie  à  la 
France  et  incorporée  au  département  du  Mont-Terrible  (p.  3i5); 
qu'Altona,  comme  toute  l'Europe,  «  révérait  »  Robespierre  (p.  332); 
que  le  roi  de  Prusse  enfermait  alors  ses  sujets  dans  la  forteresse  de 
Landau,  en  Bavière  (p.  36o)  '. 

Enfin,  bien  qu'il  sache  beaucoup,  beaucoup  de  choses  sur  son 
héroïne,  certains  témoignages  importants  lui  ont  échappé,  et,  par 
exemple,  il  ignore  une  intéressante  lettre  de  Napoléon  disant  à  Laval- 
lette  qu'il  a  lu  les  notes  de  M°"=  de  Genlis  sur  les  écoles  primaires  des 
filles  et  désirant  qu'elle  fasse  un  plan  général  d'éducation  pour  les 
petites  filles  du  peuple,  qu'elle  lui  développe  en  deux  sections  ce  qu'on 
fait  à  Paris  pour  l'éducation  des  femmes  et  ce  que  l'on  pourrait  faire. 
Ce  qui  prouve  que  Napoléon  profitait  des  avis  et  des  idées  de  M"^^  (jg 
Genlis. 

Malgré  ces  taches,  M.  Harmand  a  fait  un  bon  livre.  Il  apporte  de 
nouveaux  détails  sur  les  origines  de  M™*"  de  Genlis.  Il  étudie  patiem- 
ment sa  vie,  la  suit  à  travers  les  méandres  de  son  aventureuse  car- 
rière, trace  les  lignes  essentielles  de  son  histoire,  et  cela,  personne  ne 
l'avait  fait  avant  M.  Harmand.  Peut-être  veut-il  trop  la  réhabiliter,  et 
il  la  nomme  à  tort  une  Maintenon  du  xviii'  siècle.  Bien  qu'elle  ait  été 
un  champion  de  morale  et  un  «  gouverneur»  de  princes,  bien  qu'elle 
ait  osé  lutter  contre  les  philosophes,  nous  ne  pouvons  oublier  son 
libertinage,  nous  ne  pouvons  oublier  qu'elle  mit,  suivant  une  expres- 
sion célèbre,  les  vices  en  actes  et  les  vertus  en  préceptes,  et  d'ailleurs, 

I.  L'auteur  ne  sait-il  pas  que  Landau  était  alors  français?  P.  220,  «  Barère  et 
Brissot.  Celui-ci...  celui-là  »;  c'est  le  contraire  ;  il  fallait  dire:  «  celui-là...  celui- 
ci...  ».  —  Id.,  Mathieu  de  Montaxiron  est  sans  doute  Mathieu  de  Montmorency 
et  Alquié,  Alquier.  —  P.  2.^5,  lire  dans  la  brochure  citée  «  rétractez  »  et  non 
retardes;.  —  P.  3o8  et  3i?,  Mack  était  alors  colonel,  et  non  général.  —  P.  333, 
quel  est  ce  Garât  émigré  à  Altona? 


d'histoire  et  de  littérature  53 

quel  qu'ait  été  son  talent,  quelle  que  soit  son  élégance  et  sa  facilité  un 
peu  fade,  il  y  a  toujours  en  elle  quelque  chose  de  factice  et,  malgré  le 
tour  romanesque  et  la  curiosité  de  son  esprit,  malgré  sa  vive  intelli- 
gence et  ses  appels  au  sentiment,  je  ne  sais  quoi  de  froid  et  de  sec. 
Mais  M.  Harmand  a  très  bien  montré  qu'elle  fut  une  «  femme  de 
gloire  »  ou  plutôt  de  gloriole  et  qu'elle  ne  cessa  pas,  selon  le  mot  de 
Sainte-Beuve,  de  briguer  avec  fureur  la  célébrité  ;  sans  la  rendre  plus 
sympathique,  il  la  fait  mieux  comprendre. 

A.  Chuquet. 


Lieutenant-colonel  Sauzev,  De  Munich  à  Vilna.  A  létat-major  du  corps  bava- 
rois de  la  grande  armée  en  1812,  d'après  les  papiers  du  général  d'Albignac 
(9  gravures  et  9  planches  hors  texte).  Paris,  Chapelot,  igii.  In-8°,  xxiv  et  237  p. 

M.  Sauzey  a  eu  à  sa  disposition  les  papiers  du  général  d'Albignac, 
chef  d'état-major  de  Gouvion  Saint-Cyr  qui  commandait  le  corps 
bavarois  en  1 8 1 2,  et  il  publie,  en  les  commentant,  les  lettres  adressées 
alors  à  d'Albignac  par  les  généraux  et  administrateurs  de  ce  corps 
bavarois.  Il  a  bien  fait.  On  voit  dans  ce  volume  tout  bourré  de  pièces 
fonctionner  l'état-major  et  remuer  les  troupes.  On  suit,  de  Munich  à 
Vilna,  le  corps  bavarois  dans  ses  marches  et  cantonnements.  On 
rembarque  la  part  importante  que  tient,  comme  toujours,  la  «  question 
de  l'alimentation  »  :  il  ne  s'agit  le  plus  souvent  dans  cette  correspon- 
dance que  de  vivres  et  de  ravitaillements.  Aussi,  que  de  réquisitions, 
souvent  brutales,  et  que  de  doléances,  que  de  plaintes  sur  les  «  pro- 
cédés déréglés  »  des  Bavarois  (p.  148)  et  quel  découragement  chez  les 
autorités  civiles  polonaises!  Les  ordonnateurs  et  commissaires  des 
guerres  bavarois  '  sont  absolument  au-dessous  de  leur  tâche.  La 
maraude  s'établit,  et  le  pillage.  On  ne  peut  et  on  n'ose  sévir.  Pour- 
tant, si  les  troupes  vivent  mal,  elles  ne  meurent  pas  de  faim,  et  leur 
moral  reste  intact.  Si  les  chevaux  meurent  —  on  les  nourrit  avec  le 
chaume  des  toits  —,  si  chaque  brigade  n'a  plus  que  l'effectif  d'un 
régiment,  la  cavalerie  est  si  belle  encore  que  Napoléon  l'emmène,  la 
donne  à  Murât.  M.  Sauzey  excusera  quelques  critiques.  Comment 
peut-il  (p.  xviii)  regarder  les  Mémoires  de  ce  gascon  de  Comeau  comme 
«  les  plus  documentés,  les  plus  philosophiques  et  les  plus  attachants 
écrits  »  sur  la  Révolution  et  l'Empire  '  ?  Il  a  tort  d'ailleurs  de  dire  que 


1.  On  envoya  Pichot  pour  mettre  l'ordre;  mais  sonj  arrivée,  comme  dit  spiri- 
tuellement l'auteur,  produisit  l'etî'etd'un  pavé  au  milieu  d'une  mare  de  grenouilles. 
M.  Sauzey  écrit  justement  que  Pichot  était  très  intelligent  et  excellent.  J'aurais 
voulu  qu'il  nous  dise  un  mot  de  ce  Pichot  :  c'était  le  filS  d'un  notaire  du  Vaucluse, 
il  s'était  distingué  en  179g  à  l'armée  d'Italie  et  il  disparut  pendant  la  retraite,  entre 
■Vilna  et   le  Niémen. 

2,  'Voir  notre  étude  sur  ces  Mémoires  de  Comeau  dans  nos  Episodes  et  Portraits, 
2"  série,  p.  102-12. 


5^  REVUE    CRITIQUE 

Saim-(-vr  paiiicipa  à  la  victoire  do  Hohenlinden  p.  xi  et  que  Deroy 
ciaii  licutcnant-i^cncral  dès  i7')2.  lia  laissé  passer  une  foule  de  fautes 
d'impression  (par  exemple,  p.  224  et  225  Jomcni  et  p.  216  qu'est-ce 
qu'un  i;énéral  Gilaoumic':  .  Il  reproduit,  par  deux  fois,  à  huit  pages 
de  distance,  la  mC'mc  lettre,  et  une  lettre  très  longue  (p.  163-164  et 
•  72-173):  peut-être,  a-t-il  par  instants,  comme  le  corps  bavarois,  un 
peu  précipité  sa  marche. 

Arthur  Ghuquet. 

(^.cnéral  Bourkluy,  La  guerre  de  1870-1871  et  le  traité  de  Francfort  d'après 
les  derniers  documents.  Paris,  Perrin,  1912,  in-S"  vu  et  220  p.  2  tV.  5o. 

Le  récit  du  savant  général  est  peut-être,  en  quelques  endroits,  par 
trop  sommaire.  L'auteur  a  bien  dit  qu'il  ne  veut  faire  qu'un  compen- 
dium,  et  un  compendium  sérieux.  Il  a  tort  de  raconter  si  brièvement 
certains  épisodes.  Que  dit-il  de  Froëschwiller  ?  :  a  Malgré  l'admirable 
ténacité  de  Mac-Mahon  dans  sa  résistance  aux  assauts  furieux  d'un 
ennemi  trois  fois  plus  nombreux,  toutes  ses  positions  furent  empor- 
tées »  (p.  II).  Et  c'est  tout.  De  ci  de  là,  de  légères  erreurs.  Les  débris 
du  !'■■■  corps  ont  rétrogradé  sur  Saverne  non  pas  le  lendemain,  mais 
le  jour  même  {id).  Le  village  pris  par  les  Saxons  le  18  août-est  nommé 
par  deux  fois  Raiicoiirt  au  lieu  de  Roncourt  (p.  27).  Le  personnage 
équivoque  dont  on  parle  p.  87  se  nommait  réellement  Régnier  et  ce 
nom  n'était  pas  un  pseudonyme.  N'y  a-t-il  pas  trop  de  phrases  inutiles 
ou  inexactes  sur  Bazaine?  Le  maréchal  était-il  si  fin  ?  Peut-on  dire 
que  «  l'intrigue  politique  n'avait  pour  lui  aucun  ressort  caché»? 
(p.  43j.  Peut-on  dire  qu'il  est  encore  un  sphinx  pour  nous  et  qu'il 
faut  faire  dans  ses  actes  la  part  de  la  trahison  et  celle  de  l'inconscience 
et  de  l'incapacité?  (p.  53).  Le  mot  trahison  n'est-il  pas  de  trop?  M.  de 
Freycinet  a-t-il  été  nommé  délégué  à  la  guerre  le  10  octobre  et  Gam- 
betta  est-il  arrivé  à  Tours  le  20  '?  (p.  80).  Bourbaki  montrait-il  dans 
la  campagne  de  l'Est  une  «  bouillante  ardeur  »  ?  (p.  i3o).  Le  livre 
renferme  d'ailleurs  nombre  d'appréciations  justes,  utiles,  nettement 
exprimées  par  un  homme  compétent.  On  remarquera  surtout  le  chapi- 
tre sur  les  causes  de  la  défaite  et  la  phrase  mélancolique  qui  termine 
ce  chapitre  :  «  L'armée  française  dispose  aujourd'hui  d'éléments 
supérieurs  à  ceux  qu'elle  opposait  à  l'ennemi  en  1870,  même  quand 
elle  ne  comprenait  que  d'anciens  soldats.  L'immense  labeur  accompli 
a  fait  germer  des  promesses  d'avenir;  mais  hélas!  la  politique,  à 
chaque  instant  en  conflit  avec  l'intérêt  militaire,  menace  de  les  rendre 

vaines!  »  Di  omen  avertant  ! 

Arthur  Ghuquet. 

I.  Comment  Freycinet  aurait-il  été  nommé  avant  l'arrivée  de  Gambetta  r  En  réa- 
lité, Gambetta  part  de  Paris,  en  ballon,  le  7,  et  il  est  le  9  à  Tours;  le  11,  après 
avoir  voulu  désigner  d'abord  soit  Thoumas,  soH  Détroyat,  il  nomme  Freycinet 
son  délégué  à  la  Guerre. 


d'histoire  et  de  littérature  55 

P'rédcric  iMasson,  Au  jour  le  jour.   Paris,  Ollcndoriï,   ifjri,  in  S",  xxiii  et  l->6o  p. 
3  fr.  5o. 

Nous  n'avons  pas  à  dire  ici  que  M.  Frédéric  Masson,  indépendant 
et  de  caractère  et  de  situation,  témoigne  dans  celte  nouvelle  série  d'ar- 
ticles d'un  grand  talent  de  polémiste,  d'une  belle  et  sincère  ardeur  de 
conviction,  d'une  entraînante  vigueur,  d'une  mordante  ironie  (cf. 
l'article  Mon  fils,  fais  toi  bistro  !  et  les  articles  sur  la  fille  Schuma- 
cher), d'une  généreuse  indignation  contre  tout  ce  qui  nuit  à  la  patrie 
—  et  n'a-t-il  pas  raison  de  nous  dire  qu'il  faut  à  l'heure  présente  écou- 
ter non  les  conseils  d'une  basse  démagogie,  mais  la  voix  de  l'histoire  et 
la  conscience  de  nos  propres  ressources  (p.  145)  ?  Nous  ne  devons  citer 
que  les  articles  de  ce  recueil  qui  traitent  de  l'histoire  du  passé  et, 
encore,  ne  pouvons-nous  les  cnumérer  tous.  Mais  nous  nous  permet- 
tons de  rappeler,  outre  l'article  Napoléon  marieur,  les  pages  où 
M.  Masson  nous  montre  Jean    de    Bry  osant  se  rattacher  aux   Derby 

d'Angleterre 

car  un  lyran  sommeille  en  tout  tyrannicide, 

celles  où  il  évoque  l'entrée  de  Napoléon  111  à  Chambéry  après  le  plé- 
biscite, où  il  analyse  les  Mémoires  du  lieutenant  Henckens,  où  il 
décrit  la  misère  des  émigrés  et  les  vengeances  de  leur  retour,  où  il 
retrace  avec  des  détails  inédits  le  rôle  du  colonel  Camille  dans  la  cons- 
piration du  retour  de  l'île  d'Elbe,  où  il  raconte  de  façon  si  neuve  et 
si  attachante  les  Trois  Glorieuses  —  et,  de  fait,  ces  trois  derniers  arti- 
cles forment  une  ample  étude  sur  les  émigrés,  comment  ils  sont  rentrés 
avec  l'étranger,  comment  l'armée  et  le  peuple  les  ont  rejetés  en  181  5, 
comment  ils  ont  vaincu  de  nouveau  et  comment  Paris  s'est  en  i83o 
insurgé  contre  eux.  Nous  ferons  toutefois  une  chicane  à  M.  Masson. 
Une  comprend  pas  pourquoi  Saint-Just,  Robespierre,  Carnot  en  vou- 
laient à  Hoche,  et  il  semble  dire  que  je  n'ai  pas  compris  davantage. 
Qu'il  lise  notre  volume  Hoche  et  la  lutte  pour  V Alsace  où  j'ai  traité 
ce  point.  Le  Comité  en  voulait  à  Hoche  1°  parce  que  Hoche  s'était 
laissé  nommer  par  Lacoste  et  Baudot  généralissime  au  détriment  de 
Pichcgru  et  en  dépit  de  Saint-Just  et  de  Le  Bas,  2°  parce  que  Hoche, 
après  la  reconquête  de  l'Alsace,  n'avait  pas  marché  sur  Trêves  et  pres- 
suré le  Palatinat  '• 

Arthur   Chuquet. 


C.   de   Danilowicz,    Naoum    Aronson   sculpteur,    i     vol.   grand    in-4".   Paris, 
Fontemoing  et  C''-,  191 1. 

Ce  livre  consacré  à  l'étude  ou  plutôt  à  la  glorification  d'un  artiste 
contemporain  est  bien  le  plus  singulier  exemple  de  la  biographie  à 
ne  pas  imiter.  Lorsque  l'on  a  achevé  de  le  lire,  on  connaît  les  doc- 
trines esthétiques  de  l'auieur  Cl  l'on  entrevoit  mêmes  quelques  idées 

• 

I.  Lire  p.  262  Limon  et  non  LivvoUy  p.  3i2-]>'i3  Lessard  et  non  Dclessart. 


5(3  RKVUK    CRITIQUE 

iic  rariisio,  mais  on  n'a  rencontre  aucun  lait  positit",  Je  parle  des  plus 
élémentaires.  En  e]uel  pays,  à  quelle  date  Naoum  Aronson  est-il  né, 
dans  quel  milieu  a-til  j;randi,  sa  vocation  a-t-elle  été  précoce,  par 
quoi  a-t-elle  été  déterminée,  de  quels  maîtres  l'artiste  a-t-il  reçu  des 
leçons,  a-t-il  voyagé  et  en  quels  pays,  autant  de  points  sur  lesquels 
nous  en  sommes  réduits  aux  conjectures.  Ai-je  besoin  d'ajouter  que 
l'on  nous  laisse  ignorer-toialement  la  chronologie  des  œuvres  et  que 
l'ouvrage  ne  comporte  ni  un  catalogue,  ni  une  bibliographie,  ni 
même  une  simple  table  des  matières  ou  des  gravures? 

Ainsi,  à  supposer  que  la  notoriété  de  Naoum  Aronson  ne  soit  pas 
éphémère,  ceux  qui,  dans  un  demi-siècle  d'ici,  auront  recours  au 
livre  de  M.  D.  n'y  trouveront  aucun  des  renseignements  qu'il  sera 
devenu  alors  presque  impossible  de  réunir  et  qu'il  eût  été  facile  à 
l'auteur  de  recueillir  en  une  conversation  de  deux  heures. 

Naoum  Aronson,  au  surplus,  méritait  un  hommage  plus  précis. 
S'il  est  difficile  de  voir  en  lui,  comme  le  fait  M.  D.,  un  esprit  excep- 
tionnel et  un  novateur,  il  faut  lui  reconnaître  des  qualités  de  premier 
ordre,  une  capacité  extraordinaire  de  réception.  Il  s'est  inspiré  des 
maîtres  les  plus  divers,  mais  il  a  surtout  une  sympathie  pour  les 
créateurs  les  plus  hardis  et  c'est  Rodin  qu'il  a  surtout  admiré;  il  est 
vrai  que  parfois  il  semble  songer  à  M.  Puech. 

Au  point  de  vue  de  l'exécution  matérielle,  ce  livre  ne  mérite  que 
des  éloges,  si  l'on  considère  l'usage  du  papier  couché  co.mme  une 
nécessité  inéluctable.  Les  photoiypies  hors  texte,  les  fac-similé  de 
dessins  sont  irréprochables. 

Léon    ROSENTHAL. 


L.  DiMiER,  Les  Primitifs  français;  H.  Focillon,  Benvenuto  Cellini:  A.  BluxM, 
Mantegna;  3  vol.  in-S",  coll.  des  •<  Grands  Artistes  »:  Paris,  H.  Laurens 
(2  fr.  5o; .  —  RusKiN,  Le  Val  d'Arno,  trad.  de  E.  Cammaeris,  i  vol.  in-S»,  av. 
planches:  Paris,  H.  Laurens  6  fr.j,  —  L'Architecture  baroque  en  Italie, 
I  vol.  pet.  in-4°,  de  3i3  planches.  Paris,  Hachette  (cartonné),  25  fr.).  —  Le 
Meuble  et  la  Décoration  en  Angleterre,  de  1680  à  1800,  i  vol.  pet.  in-4»,  de 
201    planches.  Paris,  Hachette  (cart.  23  fr). 

Peu  d'expositions  rétrospectives  ont  eu  plus  d'éclat  et  éveillé  plus 
de  curiosités  que  celle  des  Pi'imitifs  français,  à  Paris,  en  1904. 
Quelques  articles  l'avaient  précédée,  une  foule  d'autres,  ei  des  livres 
entiers  la  suivirent.  Des  théories  s'échafaudèrent  en  s'abritant  d'elle, 
en  se  servant  d'elle  pour  mieux  dire,  et  en  concluant  à  l'existence 
d'une  école  française  primitive,  continue,  autonome,  comparable  à 
celles  de  France  et  d'Italie.  Des  esprits  moins  passionnés  aperçurent 
vite  l'erreur,  les  contradictions,  l'inconsistance  des  œuvres  entre  elles, 
la  nécessité  de  l'établissement  d'un  ordre  chronologique,  qui,  à  lui 
seul,  démontre  l'irrégularité  et  l'absence  de  traditions  de  cette  pro- 
duction  française,  faite   en   partie   d'influences   flamandes   puis  ita- 


d'histoire  et  de  littérature  57 

liennes.  M.  Louis  Dimier  s'était  appliqué,  dès  1904,  à  étudier  sur 
nouveaux  frais  et  d'un  œil  moins  prévenu  la  question  :  ce  volume, 
qu'accompagnent  24  planches,  et  qui  débute  au  règne  de  Philippe  le 
Bel  pour  tinir  à  celui  de  Louis  XII,  résume  d'une  façon  particulière- 
ment claire  toutes  les  recherches  auxquelles  il  s'est  livré. 

—  Les  arts  décoratifs  n'étaient  pas  encore  représentés  dans  la  col- 
lection des  «  Grands  Artistes  ».  Benvenuto  Cellini  manquait.  On  sait 
pourtant  quelle  vie  attrayante  ses  propres  mémoires  permettent  de 
retracer.  Il  fallait  en  conserver  toute  la  saveur,  et  même,  par  la  cri- 
tique des  œuvres,  en  mettre  en  relief  la  fougueuse  originalité. 
M.  Henri  Focillon  s'en  est  acquitté  avec  succès.  Il  a  d'ailleurs  fait 
revivre  autour  du  somptueux  sculpteur-orfèvre  tout  ce  milieu  d'ar- 
tistes évocateurs  qui  fleurit  au  xiv«  siècle  italien,  puis  au  xv^  :  Cara- 
dosso  notamment.  Il  a  suivi  Cellini  à  Rome,  à  Mantoue,  en  France 
et  dans  la  Florence  des  Médicis,  il  a  interrogé  l'œuvre  pour  caracté- 
riser l'artiste,  et  su  en  montrer  l'énergie  et  l'audace,  encore  si  atta- 
chantes aujourd'hui.  Les  reproductions  du  volume  sont  particulière- 
ment réussies. 

—  Un  volume  sur  Mantegna  ne  s'imposait  pas  moins.  Nous  man- 
quons un  peu  d'ouvrages  français  sur  le  maître  si  important,  au  talent 
si  souple  et  si  varié,  d'une  ardeur  si  personnelle,  d'un  besoin  de  vérité 
si  émouvant.  11  était  surtout  utile  d'apporter  à  nos  lecteurs  les  docu- 
ments récemment  découverts  et  mis  en  œuvre  (les  travaux  de 
M,  Kristeller  notamment).  M.  André  Blum  a  étudié  l'artiste  et  son 
temps,  son  évolution,  ses  grandes  œuvres,  avec  une  passion  mani- 
feste, qui  s'exprime  avec  d'autant  plus  d'éloquence  et  d'ailleurs  beau- 
coup de  goût. 

—  Le  même  éditeur,  poursuivant  la  publication  des  œuvres  d'esthé- 
tique de  John  Ruskin,  a  fait  paraître,  après  «  Les  Matins  à  Flo- 
rence »,  «  les  Pierres  de  Venise  «,  les  «  Conférences  sur  l'architecture 
et  la  peinture  »  déjà  signalées  ici,  le  volume  intitulé  Le  Val  d'Arno. 
iM.  E.  Cammaerts,  une  fois  de  plus,  en  a  traduit  le  texte  anglais  et  l'a 
annoté.  Une  introduction  chaleureuse  et  informée  en  explique  l'es- 
prit et  en  analyse  les  théories.  Elles  sont  de  l'époque  où  il  luttait  avec 
le  plus  d'énergie  contre  des  auditeurs  hostiles  qu'il  prétendait  conver- 
tir. Nicolas  de  Pise,  Jean  de  Pise,  la  vie  à  Florence  au  xiii^  siècle,  le 
monde  des  artisans  et  des  marchands,  les  révolutions  et  l'architecture 
et  la  maçonnerie,  l'histoire  et  l'esprit.  Ces  dix  conférences  ont  des 
titres  mystérieux,  comme  toujours;  le  titre  aussi  d'ailleurs;  le  texte 
aussi  a  quelques  images,  mais  il  est  de  noble  allure.  Douze  belles 
photographies  le  décorent. 

—  On  apprécie  de  plus  en  plus  en  ce  moment,  dans  le  domaine  des 
répertoires  d'art,  les  albums  de  reproductions  sans  aucun  texte,  ou 
avec  le  moins  de  texte  possible.  Il  ne  faudrait  pourtant  pas  aller  trop 
loin.  Ce  parti  est  facile  à  comprendre  et  se  défend  tout  seul  quand  il 


58  RKVUE    CRITIQUE 

s'agit  de  IVcuvrc  iriiii  maître  de  Tait,  dont  le  groupement,  raisonné, 
critique,  complet  d'ailleurs,  est  extrêmement  utile  ainsi  pour  Téiude. 
11  Test  moins  lorsqu'il  s'applique  à  l'évolution  d'une  forme  d'art, 
qu'on  ne  saurait  suivre  sans  erreur  ou  tâtonnement  en  dehors  d'un 
commentaire  perpétuel  qui  l'explique  et  l'annonce.  Le  répertoire  n'en 
est  pas  moins  précieux  pour  cela  et  peut  rendre  les  plus  réels  services. 
Tel  est  le  volume  intitulé  L'Architecture  baroque  en  Italie,  dont 
M.  Corrado  Ricci  a  écrit  la  préface.  Ces  quelques  pages  ne  donnent 
que  des  jalons,  un  cadre,  peu  de  vrais  renseignements;  mais  les  3i3 
reproductions  photographiques  sont  d'une  perfection  et  d'une  variété 
irréprochables  et  nous  apportent  des  exemples  de  choix  de  toutes  les 
parties  de  cet  art  intéressant,  qui  fleurit  de  si  merveilleuse  façon  aux 
xvi°  et  xvn"  siècles,  plein  de  fougue,  de  richesse,  de  sincérité  aussi, 
quoi  qu'on  ait  dit.  et  qui  n'a  rien  du  rococo,  son  successeur  mala- 
droit. Monuments  complets,  églises,  palais,  salles  et  galeries,  cours  et 
escaliers,  portes  de  ville,  jardins,  villas....,  puis  détails  de  sculpture, 
d'ornementation,  d'architecture...,  tout  y  est,  par  groupes  compara- 
tifs autant  que  possible,  avec,  pour  en  faciliter  la  recherche,  des 
tables  des  lieux  et  des  noms  à  la  fin. 

—  Un  autre  album  a  été  publié  dans  les  mêmes  conditions,  avec  des 
tables  et  une  préface  également  (mais  celle-ci  anonyme),  pour  inven- 
torier et  rapprocher  les  spécimens  les  plus  frappants  du  Meuble  et  de 
la  Décoration  en  Angleterre,  de  1680  à  1800.  L'œuvre  des  Chippen- 
dale  et  des  Sheraton,  des  frères  Adam  et  d'Happlewhite,  créateurs  du 
meuble  national  anglais,  défile  ainsi  sous  nos  yeux  par  groupes  dans 
le  même  genre  et  aussi  à  leur  place  dans  la  décoration  générale  des 
intérieurs.  C'est  un  répertoire  un  peu  spécial,  un  peu  froid,  mais 
très  nouveau  pour  nous,  à  coup  sûr,  et  qui  sera  précieux  pour  les 
collectionneurs,  car  il  est  sans  précédents.  Les  reproductions,  au 
nombre  de  201,  sont  toujours  la  perfecinn  i".  "ir.c. 

H.  ui:  CuuzoN. 


M.  Rondet-Saint,  L'Afrique  équatoriale  française.  Paris,  Pion,  in-12  (3  fr.  5o). 

—  A.    Beaumo.nt  Mes  trois  grandes    courses.   Paris,  Hachette,   in-8°   (10  fr.) 

—  Fr.  ScHRADER,    L'Année  cartographique,  1910.   Paris,  Hachette,  in-folio. 
(3  fr.). 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  parler  des  études  de  M.  Rondet- 
Saint  au  cours  de  ses  longs  voyages  à  travers  le  monde.  Dernièrement, 
il  insistait  sur  «  l'avenir  de  la  France  sur  mer  >>.  Aujourd'hui,  il 
s  attache  ^V  Afrique  équatoriale  française,  pour  nous  en  démontrer 
1  importance,  l'intérêt,  les  ressources.  Son  récit,  ses  observations  ont 
l'avantage  précieux  d'une  absolue  liberté  de  pensée  et  de  parole.  Ce 
n  est  pas  un  fonctionnaire  qui  prend  la  parole  ;  c'est  un  touriste  qui 
examine,  s  instruit,  et  nous  fait  part  de  ses  impressions.    Impressions 


d'histoire  et  de  littérature  59 

économiques  et  sociales  surtout,  bien  entendu  ;  ce  n'est  pas  un  récit 
de  chasseur  qu'il  faut  chercher  ici.  En  trois  mois,  le  voyageur 
a  parcouru  massifs  et  bassins,  sans  incidents,  et  donne  son  cas 
en  exemple  de  la  facilité  qu'il  y  aurait,  pour  tenir  de  bonnes 
volontés  disponibles,  à  s'employer  dans  un  pays  où  il  y  a  tant  à 
faire.  On  regrettera  cependant  que  le  livre  ne  soit  pas  un  peu  plus 
documenté;  mais  il  est  vrai  que  c'eût  été  en  changer  la  portée  et  le  but. 

Il  va  falloir  maintenant  compter  l'aviation  comme  un  mode  de 
voyage,  et  les  aviateurs  au  nombre  des  explorateurs  ou  des  géo- 
graphes. Des  impressions  neuves  se  fortifieront  d'observations  pré- 
cieuses, capables,  plus  d'une  fois,  de  rectifier  des  notions  incom- 
plètes. Nous  n'en  sommes  pas  encore  là,  et  les  récits  d'exploits 
sérieux  sont  surtout  féconds  en  sensations  personnelles,  en  détails 
techniques.  Telles  Aies  trois  grandes  courses,  le  volume  que  l'aviateur 
André  Beaumont  (l'enseigne  de  vaisseau  Conneau)  vient  de  publier 
dans  un  style  simple  et  alerte,  avec  d'intéressantes  photographies  et 
maint  renseignement  documentaire. 

Voici  la  21''  année  de  ï Année  cartographique  (igio)  de  M.  F.  Schra- 
der,  supplément  annuel,  en  trois  cartes  documentées  de  commen- 
taires, à  toutes  les  publications  géographiques  courantes.  Celle  de 
ÏAsie,  rédigée  par  M.  D.  Aïtaff,  contient  les  itinéraires  du  D""  Stein 
en  Turkestan  chinois,  de  M.  J.  Bacot  en  Tibet  oriental,  de  l'expédi- 
tion Kozloff  en  Mongolie,  du  capitaine  Leachman  en  Arabie.  Celle 
d'Afrique  donne  le  relevé  du  Sahara  central  de  M.  Villatte,  celui  du 
Kordofan  d'après  les  travaux  récents  anglais,  la  zone  Anglo-Alle- 
mande de  Nigeria-Cameroun,  la  frontière  Germano-Belge,  la  fron- 
tière Franco-Libérienne.  Les  commentaires  ont  M.  Chesneau  pour 
auteur.  L'Amérique  offre  des  cartes  détaillées  du  Paraguay,  de  la 
Bolivie  et  du  Matto  Grosso,  du  rio  Haupes,  avec  notices  rédigées 
par  M.  V.  Huot. 

H.  DE  C. 

Souvenirs  de  Roustam,  mamelouck  de  Napoléon  I.  Introduction  et  notes  de 
Paul  CoTTiN.  Préface  de  Frédéric  Masson,  Paris,  Ollendorf,  191  i,  in-8°,  xxxvii 
et  3o2  p.  3  fr.  5o. 

Parmi  les  lectures  napoléoniennes,  il  y  en  a  peu  d'aussi  attrayantes 
que  celle  de  ces  naïfs  Souvenirs  du  mamelouck  Roustam.  M.  Cottin 
a  réimprimé  le  manuscrit  (tantôt  dicté,  tantôt  écrit  par  Roustam)  sans 
supprimer  ni  ajouter  un  mot  et  en  se  bornant  à  rétablir  l'orthographe  '. 
Il  a  mis  quelques  notes  au   bas  des  pages  ".  Dans  son  introduction,  il 

1 .  Il  faut,  je  crois,  lire  à  la  p.  2  «  deux  ans  après  sa  naissance  »  et  non  «  deux 
ans  après,  son  négoce  ». 

2.  P.  XXXVII,  les  deux  fonctionnaires  cités  ne  sont  pas  «  conservateurs  »;  p.  80, 
Duroc  se  prénomme  Géraud  et  non  Gérard;  p.  166,  l'anecdote,  quoi  que  pense 
M.  Cottin,  est  authentique,  voir  nos  Mém.  de  Griois  (II.  p.  294);  lire  p.  223 
Erfurt  et  p.  240  Doubrovna,  au  lieu  de  Erfilrt  et  Dombrovna. 


Ôo  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

retrace  ce  ^ue  fui  le  corps  des  Mameloucks  —  dont  il  donne  les  noms 
l\  l'nppendice  —  et  ce  que  lut  Roustam.  11  nous  apprend  que  Rous- 
lam  habitait  Dourdan  ci  y  mourut  en  1845.  '.  N'oublions  pas  une 
préface  de  M.  Frédéric  Masson,  pleine  de  verve  autant  que  de  savoir, 
sur  la  Revue  rétrospective  qui  publia  les  Souvenirs  pour  la  première 
fois  en  1 888  et  sur  les  usines  de  Mémoires  au  temps  de  la  Restauration  : 
Heureusement,  les  réminiscences  de  Roustam,  échappées  à  ces  «  usi- 
niers >,  ont  conservé  toute  leur  saveur. 

Arthur  Chuquet. 


Ai: A0KMI1-:  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  5  janvier  igi2. 
—  M.M.  Omont,  président  sortant,  et  Léger,  élu  président  pour  1912.  prononcent 
les  allocutions  d'usage. 

M.  Salomon  Rcinach  est  désigné  pour  représenter  l'Académie  au  Congrès  d'an- 
thropologie et  d'archéologie  préhistorique  qui  aura  lieu  à  Genève  au  cours  de 
l'année. 

M.  Henri  Cordicr  communique  une  lettre  du  D' Legendre  donnant  les  détails 
les  plus  circonstanciés  sur  l'attentat  dont  il  a  été  victime  ei  qui  a  entraîné  la  perle 
des  collections  réunies  par  la  mission. 

L'.Académie  procède  à  l'élection  des  commissions  suivantes  : 

Prix  de  La  Grange  :  MM.  Paul  Meyer,  Emile  Picot,  Thomas,  Morel-Fatio. 

Nouvelle  fondation  de  M.  le  duc  de  Loubat,  MM.  Heuzey,  Senart,  Meyer, 
Schlumberger. 

Prix  Saintour^OTxtnl):  .MM.  Senart,  Clcrmont-Ganneau,  Philippe  Berger,  Barth. 

Prix  Estrade-Delcros  :  MM.  Heuzey,  Senart,  Alfred  Croiser,  de  Lasteyrie, 
Babelon,  Châtelain,  Elie  Berger,  Prou. 

Prix  Auguste  Prost  :  MM.  CoUignon,  Omont,  Elie  Berger,  le  P.  Scheil. 

Médaille  Paul  Blanchet  :  MM.  Héron  de  Villefosse,  Philippe  Berger,  Gagnât, 
Bahelon. 

M.  le  comte  Paul  Durrieu  donne  lecture  des  titres  des  ouvrages  présentés  au 
prix  Gobert. 

M.  Perrot,  secrétaire  perpétuel,  donne  lecture  d'une  note  résumant  la  situation 
des  concours. 

Le  P.  Scheil  fait  une  communication  sur  les  formules  chronologiques  dont  se 
servaient  les  Babyloniens  pour  dénommer  les  années  sans  les  dénombrer.  Au 
moyen  d'un  texte  inédit,  il  complète  et  classe  la  série  des  43  formules  du  règne  de 
Hammurabi  (2,000  a.  C).  —  M.  Cuq  présente  quelques  observations. 

M.  Holleaux,  directeur  de  l'Ecole  française  d'Athènes,  commence  à  exposer  les 
résultats  des  travaux  de  l'Ecole  pendant  l'année  qui  vient  de  s'écouler. 

Léon  Dorez. 

I.  Voici  sur  Roustam  un  détail  peu  connu.  En  181  2,  à  .Moscou,  il  visita  souvent, 
dit  un  témoin,  ses  compatriotes,  «  avec  une  discrétion  ministérielle  »,  et  il  s'occu- 
pait d'appeler  en  France  une  partie  de  sa  famille,  sa  mère  et  son  frère  j  il  comp- 
tait sur  sa  connaissance  personnelle  avec  l'empereur  de  Russie  pour  leur  faciliter 
le  voyage  en  France.  Cf.  aussi  nos  Etudes  d'histoire,  IV,  p.  178  (l'allemand  Meyer 
a  vu  Roustam  «  au  visage  large  et  insignifiant  »,  eine  breite  unbedeutende  Araber 
Physionomie,  et,  en  un  autre  passage  que  je  n'ai  pas  cité,  il  nous  dit  :  «  l'humeur 
joyeuse  de  Roustam  et  son  attachement  à  son  maître  le  rendent  le  favori  de  la 
famille;  j'ai  vu  son  portrait  parfaitement  dessiné  d'après  nature  par  .M"'  Beauhar- 
nais  »). 

V imprimeur- gérant  :  Ulysse    Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N°  4  —  27  janvier.  —  1912 


WiET,  Le   Khitat  de    Maqrizi.  —  Dennett,  Les  noms  banlous.  —  A. -T.  Robert- 
son,  Grammaire  du  Nouveau  Testament,  trad.  Montet.  —  Mots  et  choses,  III,  r. 

—  FicK,  La  formation  de  l'Odyssée.  —  Ed.  Schwartz,  Portraits  antiques,  i  et  2. 

—  Endt,  Scoiies  sur  Lucain.  —  G.  Schmidt  et  Schubart,  Anciens  textes  chré- 
tiens. —  WiTTiNG,  Sur  l'architecture  de  l'ancienne  France.  —  Viollier,  Les 
rites  funéraires  en  Suisse.  —  Giaceri,  Gultes  et  mythes  en  Sicile.  —  Livi, 
Datini.  —  Delannoy,  La  juridiction  ecclésiastique  en  matière  bénéficiale,  I.  — 
Université  de  Gambridge,  Histoire  de  la  littérature  anglaise,  VII.  —  Brissot, 
Gorrespondance  et  papiers,  p.  Pkrroud.  —  A.-L.-M.  Nicolas,  Cheikh  Ahmed 
Lahçahi.  —  A.-J.  Reinach,  Bulletin  annuel  d"épigraphie  grecque.  Les  fouilles  de 
Koptos.  —  L'Apologie  et  le  Ménon,  p.  Burnet.  —  Ussani,  Josèphe  et  Pline  l'An- 
cien. —  Terzaghi,  L'ombre  d'Achille.  —  Lettre  de  M.  Baldensperger,  —Acadé- 
mie des  inscriptions. 


Maqrizi,  El-maw^a'iz  wal-i'tibar  fi  dhikr  el  Khitat  wa'1-Athar,  texte  arabe 
édité  par  M.  Gaston  Wiet,  Le  Caire,  imp.  Institut  Français,  1911,  4°  (Mém. 
Instit.  fr.  Arch.  Or.,  t.  XXX  :  vol.  I,  fasc.  I  ;  xvi-184  pp.). 

Ce  n'est  point  un  mince  travail  que  M.  W.  a  entrepris  en  préparant 
une  édition  critique  du  Khitat  de  Maqrizi  :  il  absorbera,  pendant 
plusieurs  années,  le  meilleur  de  son  activité.  Du  moins,  il  ne  fait  que 
suivre  une  voie  bien  française,  où  l'ont  précédé  Langlès  et  de  Sacy, 
et  où  Quatremère  avait  projeté  de  marcher  à  son  tour.  La  description 
de  l'Egypte,  écrite  par  l'érudit  cairote  du  xv^  siècle,  est  un  précieux 
recueil  de  renseignements,  puisés  à  toutes  sources  avec  cette  désin- 
volture et  cette  absence  de  critique  qui  est  l'une  des  marques  et  l'un 
des  charmes  de  la  littérature  historique  arabe  ;  il  a  séduit  tous  ceux 
qui  se  sont  intéressés  à  l'histoire  de  la  vallée  du  Nil,  et  il  était  naturel 
qu'elle  attirât  particulièrement  l'attention  des  savants,  qui,  à  l'Institut 
français  du  Caire,  ont  représenté  récemment  les  études  arabes.  En 
1895,  M.  Bouriant  commençait  donc  la  publication  d'une  traduction 
qui  devait  mettre  Maqrizi  à  la  portée  de  tous  les  lecteurs  ;  mais  la 
mort  est  venu  interrompre  son  travail,  et  M .  Casanova  ne  l'a  continué 
que  par  un  second  fascicule.  La  traduction  de  M.  B.  a  été  jugée, 
non  sans  raison,  avec  quelque  sévérité;  mais  peut-être  certains  juges 

Nouvelle  série  LXXIII  4 


62  REVUE    CRITIQUE 

ont-ils  négligé  les  circonstances  atténuantes.  Le  texte  arabe,  publié  à 
Boulaq,  a  été  édité  avec  la  négligence  et  l'insouciance  que  les  arabes 
apportent  à  l'étude  des  livres  qui  ne  sont  ni  théologiques,  ni  juri- 
diques :  il  est  souvent  incompréhensible,  et  pour  l'éclairer,  il  ne  faut 
pas  seulement  savoir  l'arabe;  il  est  nécessaire  de  se  livrer  à  une  étude 
critique  des  manuscrits,  qui,  par  bonheur,  sont  nombreux  dans  les 
bibliothèques  de  l'Europe  et  de  l'Orient,  ainsi  qu'à  des  recherches 
méthodiques  sur  les  parties  obscures  de  ce  grand  ouvrage.  Et  c'est 
un  travail  dont  tout  le  monde  n'est  point  capable. 

Il  apparaît  que  M.  Wiet  saura  mener  à  bonne  hn  celui  qu'il  vient 
d'entreprendre,  et  le  premier  fascicule,  que  l'on  annonce  ici,  donne 
pleine  confiance  dans  la  solidité  de  l'édition  nouvelle.  Le  texte  en 
est  établi  sur  le  manuscrit  1739  de  la  Bibliothèque  nationale,  qui  est 
le  plus  ancien  (1470),  avec  le  contrôle  de  quarante-six  manuscrits, 
dont  M.  W.  a,  dans  la  mesure  où  c'était  utile,  reproduit  les  princi- 
pales variantes.  Il  a  indiqué,  avec  précision,  et  ses  doutes,  et  les 
raisons  qui,  parmi  les  variantes,  imposaient  son  choix,  tout  en  laissant 
à  la  critique  les  matériaux  utiles  à  une  discussion.  —  Mais  il  a  cru 
pouvoir  pousser  plus  loin  son  élude,  et  on  le  lui  a  reproché  '.  Editant 
un  texte,  il  s'est  cru  autorisé  à  reprendre  quelques-uns  des  passages 
incompris  dans  la  traduction,  et  adonner  sur  certaines  questions  déli- 
cates de  véritables  mémoires  (par  exemple,  voir  sur  Muqauqis,  p.  i  19 
et  s.).  J'avoue  que,  reconnaissant  en  principe  la  Justesse  de  Tobserva- 
tion  de  M.  Becker,  je  suis  pourtant  disposé  a  me  réjouir  de  la  juvénile 
ardeur  de  M.  W.  Il  faut,  en  effet,  que  nous  renoncions  à  avoir  une 
traduction  du  Khitat \  léguons  cet  espoir  à  nos  neveux;  en  attendant, 
il  sera  vraiment  agréable  d'avoir  en  main  des  éléments  d'appréciation 
qui  permettront  d'éclairer  un  texte,  bien  fixé  sans  doute  quant  à  la 
forme,  mais  d'une  interprétation  souvent  difficile. 

Le  premier  fascicule,  qui  s'arrête  au  chapitre  xii,  renferme  quelques 
erreurs  typographiques  qui  seront,  je  crois,  signalées  à  la  fin  du 
second.  A  la  page  i23,  note  6,  M.  Wiet  fait  à  la  traduction,  qui 
n'offre  pas  un  sens  très  net,  une  correction  qui  ne  me  paraît  point 
serrer  encore  assez  exactement  le  texte;  ne  pourrait-on  pas  traduire 
ainsi  :  «  Tu  as  une  religion  que  tu  ne  peux  quitter  que  pour  en  suivre 
«  une  meilleure,  et  celle-ci  est  l'Islam  qu'Allah  met  définitivement  en 
«  la  place  de  toutes  les  religions  abolies.  Qu'avait  fait  Moïse  en 
«  annonçant  Jésus,  sinon  ce  qu'a  fait  plus  tard  Jésus  en  annonçant 
«  Mohammed?  En  t'appelant  au  Coran,  faisons-nous  autre  chose  que 
«  répéter  l'appel  que  tu  adressais  aux  gens  de  la  Tora  pour  les  amener 
«  à  l'Evangile?  Nous  ne  t'interdisons  donc  point  la  religion  du  Messie  : 
«  nous  t'ordonnons  de  la  suivre!  » 

L'exécution  typographique  est  digne  de  l'imprimerie  de  l'Institut 


1.  M.  Becker,  in  der  Islam,  191 1,  n»  3. 


d'histoire  et  de  littérature  63 

français.  C'est  presque  un  trop  beau  livre,  et  Ton  ne  songe  point 
sans  quelque  effroi  à  la  place  que  l'ouvrage  complet  tiendra  dans  les 
bibliothèques,  et  un  peu  aussi  au  prix  qu'il  coûtera.  C'est  un  à-côié 
auquel  devra  penser,  une  autre  fois,  le  directeur  de  l'Institut,  dont  il 
faut  d'ailleurs  reconnaître  l'heureuse  influence  sur  la  production  de  la 
Mission  Française  du  Caire  durant  les  dernières  années. 

M.  G.  D. 


R.  E.  Dënnett.  Notes  on  West  African  Catégories.  Londres (Macmillan),  uji  f, 
in-8°,  xi-68  p. 

11  importerait  beaucoup  de  savoir  comment  les  classes  des  noms 
bantous  concordent  avec  les  notions  des  populations  de  l'Afrique  aus- 
trale. Mais  il  faudrait  pour  cela  faire  une  théorie  complète  de  ces 
classes,  déterminer  la  forme  et  la  valeur  des  préfixes  en  bantou  com- 
mun et  reconnaître  les  rapports  des  préfixes  avec  les  éléments  compa- 
rables qu'on  rencontre  dans  d'autres  langues  africaines.  M.  Dennett 
procède  arbitrairement,  sans  jamais  analyser  les  données  linguisti- 
ques, sans  faire  de  dénombrements  complets,  sans  rapprocher  systéma- 
tiquement les  dialectes  bantous  les  uns  des  autres.  Sans  examiner  si 
son  exposé  des  classifications  des  populations  du  Congo  qu'il  con- 
naît est  correct  —  et  il  n'a  guère  de  chances  de  l'être  —  on  peut  donc 
dire  hardiment  que  son  essai  linguistique  demeure  en  l'air  :  c'est  sur 
le  bantou  commun,  non  sur  le  bavili,  qu'une  recherche  de  ce 
genre  doit  reposer. 

A.  Meillet. 


A.  T.  RoBERTsoN.  Grammaire  du  Nouveau  Testament,  traduite  par  A.  Montet. 
Paris  (Geuthner),  191  i,  in-8°,  xvi-298  p. 

Il  y  a  de  bonnes  grammaires  de  la  langue  du  Nouveau  Testament,  et 
il  pourrait  être  utile  d'en  mettre  une  en  français.  Mais  il  ne  fallait 
pas  traduire  le  livre  de  M.  Robertson  :  sans  rien  savoir  ni  de  la  gram- 
maire comparée,  ni  de  la  grammaire  historique  du  grec,  M.  R.  s'est 
proposé  de  donner,  à  propos  du  Nouveau  Testament,  avec  un  bref 
exposé  de  toute  l'histoire  de  la  langue  grecque,  une  «  philosophie  du 
langage  grec  »,  comme  l'écrit  naïvement  le  traducteur,  et  il  a  réussi 
dans  ce  projet  bizarre  de  la  manière  qu'on  peut  imaginer.  Par 
bonheur,  la  traduction  de  M.  Montet,  incorrecte  et  inintelligible, 
empêchera  le  livre  de  faire  aucun  mal  dans  le  public  français.  Une 
citation  suffira  pour  faire  juger  et  de  l'ouvrage  et  de  la  manière  dont 
il  est  traduit  :  p.  145  «  Homère  pouvait  dire  oXi^y,  àvdtTza'jcrt;  T:o)i[jLO'.o 
«  c'est  un  bref  arrêt  de  la  guerre  ».  Mais,  de  même  qu'en  latin  l'abla- 
tit  disparaît  de  l'usage  avec  les  substantifs,  de  même  en  grec,  à  moins 
que    cependant   quelques   exemples   de   prétendu   génitif  partitif   ne 


64  RKVUb    CRITIQUK 

puissent  pas  (sic)  être  proprement  considérés  comme  des  ablatifs,  ex. 
£v  tokwv  (Matt.  VI,  29).  Ceci  est  rendu  plus  probable  par  Temploi 
fréquent  de  à::o  ou  ik  avec  l'ablaiil  dans  des  exemples  semblables,  ex. 
Ttva  àrô  xiôv  o'So  (Matt.  XXVI I,  2  i),  •:(;  i;  'jjjiôjv  (Luc  XII,  25).  Il  est  pos- 
sible de  considérer  comme  ablatif  8;/.xto7jvr,  Ocoô  (Rom.  I,  17)  «  la  jus- 
tice de  (qui  vient  de^  Dieu  »,  mais  c'est  plus  conforme  au  génitif, 
«  l'espèce  de  justice  de  Dieu  ». 

A.  Meillet. 

"Wôrter    und    Sachen,     Kulturhistorische  Zeitschritt    fur   Sprach-und    Sachfor- 
schung.  Bd.  m,  Hett  I,  Heidelberg  (C.  Winter),  191  i,  in-4",  i36  p. 

Il   suffirait    à  peu  près  de  signaler   que  le    troisième    volume    de 
Wôrter  iind  Sachen  commence  de  paraître,  de  dire  que  décidément  la 
revue  tient  les  promesses  de  son  programme,  et  de  noter  en   particu- 
lier que,  cette  fois,  le  monde  sémitique  y  apparaît,  avec  une  étude  de 
M.  Rhodokanakis  sur  le  mihrab,  si  ce  premier  cahier  ne  renfermait 
une  réponse  de  M.  Meringcr  aux  critiques  qu'a  provoquées  la  fonda- 
tion du  nouveau  périodique.  La  revue  a  cinq  directeurs;  MM.  Merin- 
ger,  Meyer-Liibke,  Mikkola,  Much  et  Murko.  Mais  le  vrai  fondateur 
et  le  directeur  effectif  est  M.  Meringer,  qui  avait  publié  auparavant 
dans  les  Indogermanische  Forschungen  une  grande    série  d'articles 
sous  le  titre  même  qui  a  été  donné  à  la  revue.   La  fondation  n'a   pas 
été  bien  vivement  critiquée  ;  on  a  seulement  souhaité,  et  du  côté  des 
ethnographes   et  des    archéologues,   et  du  côté    des   linguistes,    une 
limitation   aussi   stricte  que  possible  à  l'objet  propre  de  la   revue  : 
éclairer  l'étude  des  mots  parcelle  des  choses  et  l'étude  des  choses  par 
celle  des  mots.   M.  Meringer  est  bien  près  de   taxer  d'indiscrets   et 
taxe   tout    à   fait   d'incompétents    ceux   qui    lui    font    cette    modeste 
demande.   M.  Meringer  se  plaint  de  n'avoir  pas  été  assez  loué,  et  en 
particulier  ici,  par  l'auteur  du  présent  compte-rendu  —  dont  l'incom- 
pétence, qu'il  proclame,  aurait  dû  lui  rendre   indifférente  la  tiédeur 
pour  sa  fondation.  Et,  ne  recevant  pas  toutes  les  louanges  qu'il  atten- 
dait, il  me  prête  la  pensée  que  je  trouverais  sa  revue   bonne  s'il  n'y 
écrivait  pas  :  je  n'ai  rien  écrit  de  pareil  naturellement,  parceque  je  n'ai 
jamais  eu  pareille  pensée.  Mais,  même  en  écrivant  d'autres   réponses, 
M.  Meringer  ne  convaincra  personne  que  le  précepte  d'éclairer  l'étude 
des  mots  par  celle  des  choses  ait  rien  d'original  ;  c'est  une  règle  pra- 
tique excellente,  qu'on  a  trop  négligée,  mais  qui  ne  vaudra  que  par 
l'application  qu'on  en  fera.   M.  Meringer  a  eu  le  mérite  de  la  procla- 
mer bien  haut  en   1904  et  en  1906;  mais  elle  était   dans  l'air  à   ce 
moment;  et,  sans  parler  de  M.  Schuchardtà  qui  l'on  ne  peut  imputer 
un  plagiat  sans  provoquer  le  sourire,  M.  Gilliéron  a  publié  en    1905, 
en  collaboration   avec  Mongin,  sa  célèbre  étude  sur  Scier  dans  la 
Gaule  romane  où  il  fait  dépendre  de  l'histoire  d'un  outil,  la  faucille 
dentelée,  toute  l'histoire  du   mot  scier   en  gallo-roman.  On  souhai- 


d'histoire  et  de  littérature  65 

tera  que  M.  Meringer  et  ses  collaborateurs  poursuivent    leurs  utiles 
recherches,  et  que  leur  organe  continue  de  prospérer. 

A.  Meillet. 


August  FicK,  Die  Entstehung  der  Odyssée  und  die  Versabzîihlung  in  den 
griechischen  Epen,  Gantinguc,  \'andcnhoeck  et  Ruprecht,  1910  ;  xii-2 14  p. 
Prix  7  nik  (8  fr.  73). 

On  n'ignore  pas  que  M.  Fick  a  une  théorie,  pour  laquelle  il  lutte 
inébranlablement  depuis  trente  ans,  sur  l'origine  des  poèmes  homé- 
riques.   Ces  poèmes,  dans  leurs  parties  les  plus  anciennes,  ont  été 
composés  en  éolien,  et  ce  n'est  que  plus  tard  qu'ils  furent  transposes 
en  ionien,  en  même  temps  qu'ils  subissaient  des  additions  et  des  trans- 
formations de  toute  nature.  Il  s'agit  donc,  pour  retrouver  l'Iliade  et 
l'Odyssée  primitives,  d'en  reconstituer  le  texte  éolien,  la  vraie  forme 
dans  laquelle  elles  ont  été   composées;   le  seul   but  vraiment  digne 
d'être  poursuivi  par  les  recherches  homériques  ne  peut  et  ne  doit  être, 
nous  répète-t-on  dans  le  présent  ouvrage,  que  cette  reconstitution  ;  et 
elle  sera  complète  si  l'on  arrive  à  montrer  que  chacune  des  épopées  est 
construite  d'après  un  système  numérique  qui  en  pénètre  et  en  condi- 
tionne à  la   fois  l'ensemble  et   les   parties.  Admise  par  les    uns,  au 
moins  en  ce  qui  concerne  le  dialecte  primitif,  combattue  par  les  autres, 
cette   théorie  est  de  nouveau   mise  à  l'épreuve  dans  le  volume  que 
M.   F.    vient  d'écrire  au   sujet  de  l'Odyssée.  L'Odyssée  se  compose 
essentiellement    de   quatre   poèmes    d'origine    et  de   date  différentes 
(Kirchhoffj  ;    l'antique  chant    du   retour   d'Ulysse,  poursuivi  par  la 
colère  de  Poséidon,  le  Nostos  ;  une  continuation  postérieure,  la  ven- 
geance  tirée   des    prétendants,    la    Tisis;    la   Télémachie;    enfin    un 
remaniement  du  Nostos,  où  apparaît  la  colère  d'Hélios,  et  que  M.  F. 
appelle   le   Gegennostos.   Ces    quatre  poèmes    se   laissent  facilement 
débarrasser  de  leurs  ionismes  et  rétablir  en  éolien,  preuve  que  leurs 
éléments  primitifs   étaient  bien  écrits  dans  ce  dialecte.    Et  en  effet, 
M.  F.  analyse  ces  quatre  parties,  selon  un  plan  à  peu  près  identique  : 
il  en  détermine  d'abord  l'étendue  première,  en  élaguant  tous  les  pas- 
sages et  tous  les  vers  qui  lui  paraissent  discordants;  puis  il  transforme, 
dans  les  parties  conservées,  les  ionismes  en  éolismes,  et  il  propose 
enfin  ses  hypothèses  sur  le  lieu  et  la  date  de  composition.  A  la  tin  sont 
deux  chapitres  complémentaires,  l'un  sur  l'Homéride  Kynœthos,  àqui 
M.  F.  attribue  la  soudure  de  la  Télémachie  avec  la  Tisis,  ainsi  que 
la  fin  actuelle  du  poème,  l'autre  sur  les  systèmes    de    nombres  qui 
soi-disant  président  au  développement  des  deux  épopées.  Ce  sont  là, 
on  ne  peut  le  nier,  d'intéressantes  études  et  d'ingénieuses  hypothèses, 
mais  combien   fragiles!  Que  de  combinaisons  en  l'air,  que  de  subti- 
lités, que  de  violences  faites  au  texte,  tant  pour  expulser  des  ionismes 
récalcitrants  que   pour  obtenir  les   nombres  nécessaires  au  système  ! 
Ces  nombres  n'ont  pas,  comme    dans   les   études  bien  connues  de 


65  REVUE    CRITIQUE 

A.  Ludwich  sur  les  hymnes  homériques,  un  caractère  religieux  et 
mythique,  en  rapport  avec  les  divinités  et  certains  traits  de  leur 
légende  ;  ce  sont  des  nombres  astronomiques,  en  relation  avec  l'année, 
les  mois,  les  jours,  etc.  C'est  ainsi  que  le  nombre  243  a  une  importance 
toute  particulière,  d'abord  parce  que  c'est  le  nombre  de  jours  de  deux- 
saisons  de  l'année  solaire,  ensuite  parce  qu'il  exprime  la  durée  de 
trois  trimestres,  9  mois  de  l'année  lunaire.  C'est  pourquoi  M.  F.  a 
moditié  ses  anciennes  vues  ;  autrefois  en  effet  Tlliade  primitive, 
Urmenis,  se  composait  pour  lui  de  deux  parties  égales,  dont  chacune 
comprenait  4  chants  et  968  vers,  c'est-à-dire  1 1  x  1 1  X  8,  dont  le  quart 
pour  chaque  chant  est  242  ;  aujourd'hui  chaque  moitié  a  972  vers,  soit 
243  X  4>  le  triple  de  324,  nombre  de  jours  de  l'année  lunaire  à  12 
mois  de  27  jours;  de  sorte  que  l'antique  Iliade,  après  les  athétèses 
indispensables,  est  formée  de  1944  vers,  nombre  égal  au  total  des 
jours  de  6  années  à  324  jours,  16  saisons  à  121  1/2  jours,  ou  encore 
8  doubles  saisons  à  243  jours  de  l'année  solaire  de  364  jours.  Ce  nom- 
bre, conclut  M.  F.,  exclut  toute  addition,  toute  athétèse  qui  peuvent 
le  troubler  (p.  200).  Cette  théorie  astronomique  est  étendue,  comme 
on  peut  s'y  attendre,  à  d'autres  compositions  anciennes,  plus  ou  moins 
voisines  des  épopées;  je  cite  seulement,  à  titre  d'exemple,  l'hymne 
homérique  à  Hermès,  pour  lequel  M.  F.  procède  de  la  manière 
suivante  :  «  L'hymne  à  Hermès  comprend  578  vers  (58o  en  réalité; 
mais  M.  F.  ne  compte  pas  les  deux  derniers,  formule  de  conclusion 
commune  à  plusieurs  hymnes);  mais  le  nombre  exigé  572  =  52  x  11 
(52  est  le  nombre  des  semaines  de  l'année  solaire)  se  laisse  restituer 
sans  grande  peine...  Il  s'agit  seulement  de  supprimer  6  vers  à  peu  près 
généralement  condamnés  ',  36,  97-98,  100,  106,  enfin  210  ou  21 1  au 
choix  ;  et  ce  qui  prouve  la  justesse  de  ces  athétèses,  c'est  que  les  572 
vers  ainsi  obtenus  se  subdivisent  très  clairement  en  quatre  groupes 
de  1 10  vers  précédés  et  suivis  de  66  vers,  soit  de  deux  parties  égales 
de  286  vers  ». 

Le  lecteur  trouvera  peut-être  tout  cela  bien  mystérieux,  et  se 
demandera  sans  doute  comment  les  auditeurs  pouvaient  comprendre 
un  symbolisme  aussi  compliqué  ;  il  se  dira  peut-être,  alors,  que  si  les 
audiieurs  ne  le  comprenaient  pas,  ne  pouvant  se  rendre  compte  de 
relations  aussi  subtiles,  il  était  bien  inutile,  pour  ne  pas  dire  impro- 
bable, que  les  poètes  eussent  mis  ainsi  leurs  œuvres  en  rapport  avec 
les  nombres  du  calendrier;  peut-être  songera-t-il  encore  qu'on  ne 
retroave  ces  nombres  que  grâce  à  des  suppressions  plus  ou  moins 
arbitraires,  sur  lesquelles  d'ailleurs  on  est  loin  de  s'entendre;  peut- 
être  enfin,  ces  réflexions  faites,  et  bien  d'autres  encore  qu'il  n'est  pas 
besoin  de  lui  suggérer,  restera-t-il  dans  une  sage  incrédulité,  dont  je 

I.  La  comparaison    avec  la  théorie  de  Ludwich^  qui   n'admet  dans  l'hymne  à 
Hermès  aucune  interpolation,  éclairera  suffisamment  le  lecteur. 


d'histoire    et    de    littérature  Çi'J 

ne  chercherai  pas  à  le  de'tourner.  Quant  à  l'hypothèse  d'un  Homère 
éolien,  je  reconnais  volontiers  qu'elle  a  quelque  chose  de  brillant  qui 
peut  séduire  au  premier  abord  ;  mais  il  suffit  qu'il  reste  actuellement, 
dans  les  parties  reconnues  authentiques  et  primitives  des  épopées,  des 
éolismcs  facilement  transposables  en  ionien  pour  qu'on  soit  étonné  de 
les  y  trouver,  et  pour  estimer,  par  conséquent,  que  le  ou  les  rédacteurs 
ioniens  procédaient,  comme  nous  disons,  un  peu  à  la  bonne  fran- 
quette ;  et  alors  toute  discussion  devient  impossible.  On  voudra  bien, 
pour  ce  qui  concerne  les  détails,  se  reporter  à  l'ouvrage  de  P.  Cauer, 
Grundfragen  der  Homerkritik.  2"  éd.  (1909),  pp.   i65  et  suivantes. 

My. 


Ed.  ScHWARTz,  Charakterkôpfe  au  s  der  antiken  Literatur.  Erste  Reihe,  3"  éd. 
Leipzig,  Teubner,  1910,  IV-i28p.  —  Zweite  Reihe.  Leipzig,  Teubner,  igio, 
lV-i36   p.  —  Zweite  Reihe,    20   éd.   Leipzig,  Teubner,    191 1,  IV-142    p.  Prix  : 

2  mk.  20  (2  fr.  75)  le  volume. 

Le  légitime  succès  qu'ont  obtenu  les  Charakterkôpfe] de  M.  Ed. 
Schwartz  n'a  fait  que  s'accentuer  après  la  seconde  édition,  à  propos 
de  laquelle  nous  avons  parlé  du  livre  [Revue  du  3o  Juillet  1906)  ;  une 
troisième  édition  est  devenue  nécessaire,  et  M.  Sch.  l'a  donnée  sans  y 
faire  autre  chose  que  de  légères  retouches.  En  même  temps  paraissait 
une  nouvelle  série,  qui  reçut,  elle  aussi,  un  accueil  si  favorable  que 
l'auteur  dut  en  donner  une  seconde  édition  à  peine  dix-huit  mois 
après.  Cette  seconde  série  comprend,  comme  la  première,  cinq  mor- 
ceaux :  Diogène  et  Cratès,  Epicure,  Théocrite,  Eratosthène,  Saint- 
Paul.  Il  semble  que  les  personnages  choisis  par  M.  Sch.  pour  former 
un  pendant  à  sa  première  série  fussent  en  général  plus  difficiles  à 
représenter.  Alors  que  des  individualités  comme  Pindare,  Thucydide, 
Platon,  Cicéron  se  laissent  plus  intimement  pénétrer  et  plus  fidèle- 
ment dépeindre,  parce  que  nous  connaissons  mieux  leur  vie  et  leurs 
œuvres,  des  hommes  tels  que  Diogène,  Epicure,  Eratosthène,  quel- 
que marquée  qu'ait  été  leur  personnalité  à  l'époque  où  ils  vivaient, 
nous  sont  moins  saisissables  dans  leurs  traits  particuliers,  soit  parce 
que  les  détails  de  leur  carrière  nous  sont  moins  sûrement  connus, 
soit  parce  que,  le  temps  n'ayant  pas  respecté  leurs  écrits,  leur  physio- 
nomie se  reflète  avec  moins  de  lumière  dans  le  peu  qui  nous  reste 
d'eux.  M.  Schwartz  a  su,  toutefois,  en  donner  des  portraits  peut-être 
moins  fermes  dans  leurs  contours,  mais  tout  aussi  vivants  et  non 
moins  propres  à  intéresser  ses  lecteurs;  car  on  retrouvera  dans  cette 
série  toutes  les  qualités  qui  plaisaient  dans  la  première  :  une  connais- 
sance approfondie  des  personnages,  une  juste  appréciation  de  leur 
valeur,  un  art  tout  personnel  de  les  situer  dans  leur  milieu  histo- 
rique et  littéraire  ;  en  même  temps  la  forme  est  attrayante,  le  style 
rapide  et  coulant,  l'expression  sobre  et  précise  ;  c'est  à  la  fois  de  la  vul- 
garisation et  de  la  vraie  science.  j^y 


68  REVUE    CRITIQUE 

Adnotatlones  super  Lucanum.  Primuin  ad  iietiistissimoruin  codicum  fidem 
eJidit  loanncs  Endt  {liibHotltcca  tcitbneriana).  Lipsiac,  in  acdibus  Tcubncri) 
MCMIX.  xii-447  p.  in-i2.  Prix  :  8  Mk. 

Il  existe  deux  séries  de  scolies  sur  l.ucain.  L'une,  connue  sous  le 
nom  de  Commenliim,  est  conservée  dans  un  manuscrit  de  Berne 
(n"  370)  et  a  é\é  publiée  en  1869  par  Usener.  L'autre,  Adnotationes, 
était  connue  par  des  extraits  de  l'édition  d'Oudendorp  (1728)  et  par 
une  publication  intégrale  dans  le  troisième  volume  de  l'édition  de 
C.  V.  "W'eber  (  i83i).  Malheureusement  Weber  avait  pris  pour  guide 
un  manuscrit  de  Berlin  35  (du  xiii=  s.),  qui  était  un  médiocre  repré- 
sentant d'un  remaniement  des  Adnoîationes.  Reitferscheid,  en  éditant 
la  biographie  de  Lucain  par  Vacca,  avait  reconnu  comme  plus  exempts 
d'interpolations  un  ms.  de  Berne  3-0,  du  yS  siècle,  un  ms.  de  Wallers- 
tein  chez  le  prince  d'Q^ttingen  à  Maihingen.  M.  Endt  y  joint  un  des 
Vossiani  de  Lucain  (XIX,  f.  63),  du  x^  s.  ;  un  ms.  de  Bruxelles  (533o- 
32),  du  x''  s.  ;  enfin  un  ms.  de  Prague  (16271,  du  xii*^  s.  Ces  deux  der- 
niers forment  une  seconde  famille.  Les  Adnotationes  ont  subi  une 
recension  dans  divers  autres  mss.,  comme  celui  de  Berlin  3  5.  Comme 
M.  E.  indique  chaque  fois  en  marge  ses  manuscrits,  toute  incertitude 
est  écartée  sur  la  tradition  des  scolies. 

M.  E.  se  fonde  sur  un  ms.  d'humaniste,  écrit  en  i  355  (Prague  632), 
pour  attribuer  à  Vacca  les  Adnotationes.  La  biographie  n'est  pas 
seulement  donnée  à  Vacca  par  une  scolie  de  II,  322.  Un  ms.  utilisé 
par  Weber  et  négligé  par  M.  E.,  Berlin  34  (du  xni«  s.),  porte  cette 
attribution  dans  une  scolie  de  III,  56.  M.  E.  n'entre  pas  plus  avant 
dans  la  question  des  origines  des  Adnotationes  et  de  leur  rapport  avec 
le  Commentum  de  Berne,  ni  dans  celle  de  la  date  de  la  plus  ancienne 
couche  du  commentaire.  M.  E.  aurait  dû  mentionner  et,  au  besoin, 
discuter  les  indications  précises  de  M.  Lejay  dans  l'introduction  à 
l'édition  du  premier  livre,  p.  lxxvii  suiv.  (Paris,  1894).  Mais  M.  E. 
paraît  avoir  ignoré  entièrement  cette  publication.  Enfin  quand  on 
compare  le  texte  de  M.  E-  avec  la  masse  des  notes  compilées  par 
Weber,  on  a  l'impression  que  M.  E.  est  resté  en-deçà  du  texte  com- 
plet et  qu'il  ne  nous  donne  pas  tout.  Ainsi  le  scoliaste  s'avise,  I, 
55  suiv.,  de  voir  des  allusions  aux  particularités  physiques  de  Néron  : 
strabus  (obliquo  sidère),  pingiiis  (sentiet  axis)  ;  les  mss.  du  xiu*  s. 
ajoutent  :  caliius  (nullaeque  obstent  a  Caesare  nubes).  Ce  dernier 
détail  se  trouve  déjà  dans  le  Commentum  de  Berne;  il  complète  l'allé- 
gorie saugrenue  du  grammairien.  Il  manque  dans  les  mss.  et  le  texte 
de  M.  E.  Je  crois  qu'il  serait  facile  de  poursuivre  ce  genre  de  compa- 
raison. 

En  tout  cas,  M.  Endt  nous  rend  service  par  cette  édition.  Elle 
n'annule  pas  le  recueil  de  Weber.  Mais  elle  permet  de  mieux  s'y 
orienter  et  d'en  tirer  plus  sûrement  parti. 

J.  D. 


d'histoire  et  de  littérature  69 

Altchristliche  Texte.  Bcarbeitet  von  C.  Schmidt  und  \V.  Sciiubart.  Mit  2  Licht- 
drucktafeln.  Berlin,  Weidmann,  1910,  viii-r4op.  Petit  in-4".  Prix  :  10  Mtc. 

Les  musées  de  Berlin  publient  leurs  papyrus  dans  des  recueils  où 

sont  réunis   les  textes  de   même  nature,  inédits  ou  déjà  publiés.  Ce 

fascicule  est  le  sixième  des  Berliner    KJassikertexte.    Il    comprend 

sept  numéros. 

I.  Ignace,  Épître  aux  Smyrniens,  m-xii,  i.  Ms.  du  V  s.  Ce  frag- 
ment est  le  seul  qui  nous  atteste  la  lecture  d'Ignace  dans  TEglise 
d'Alexandrie.  Il  montre  à  quel  point  la  tradition  du  texte  dans  nos 
mss,  est  fautive. 

II.  Pasteur  d'Hermas.  1°  Sim.  11,  7-10  et  iv,  *2-*5.  Ms.  du  111=  s. 
Connu  et  publié  depuis  1891.  2"  Sim.  viii,  1,  *i-i2.  Ms.  du  vi^  s.  Ce 
fragment  montre  combien  est  peu  sûr  le  ms.  du  Mont-Athos,  seul 
subsistant  pour  cette  partie,  et  combien  est  excellente,  au  contraire, 
la  vieille  traduction  latine. 

III.  Anthologie  des  lettres  de  saint  Basile.  Ms.  du  V  s.  Publié  par 
H.  Landwehr,  dans  le  Philologus  en  1884. 

IV.  Anthologie  de  la  Vita  Mosis  de  Grégoire  de  Nysse.  Ms.du  v^  s. 
Publié  par  H.  Landwehr  dans  le  Philologus  en  i885. 

V.  Lettre  pascale  d'Alexandre,  patriarche  d'Alexandrie.  Original, 
Cette  pièce  est  un  morceau  capital.  On  connaît  les  lettres  pascales  de 
saint  Athanase.  Cet  usage  de  l'Eglise  d'Alexandrie  est  très  ancien; 
Eusèbe  cite  des  lettres  pascales  de  Denys  d'Alexandrie  (247-264). 
Celle-ci  porte  encore  le  protocole  ou  marque  de  la  fabrique  officielle 
du  papyrus,  en  grec  et  en  arabe.  La  forme  de  ce  protocole  limite  le 
document  entre  6g3  et  733.  Com.me  la  lettre  notifie  la  date  de  Pàque 
pour  le  16  avril,  elle  est  d'une  des  années  -13,  719,  724.  A  cette 
époque  était  patriarche  Alexandre  II  (702-729).  D'après  le  dispositif, 
«  la  sainte  quarantaine  des  jeûnes  »,  ce  que  nous  appelons  le  Carême, 
«  est  de  huit  semaines  »,  c'est-à-dire  commence  au  dimanche  qui  porte 
chez  nous  le  nom  de  Sexagésime.  Le  texte  même  contient  d'éner- 
giques affirmations  de  la  doctrine  monophysite,  avec  citations  des 
«  arcnibergers»  de  la  chaire  apostolique  de  Rome,  de  saint  Athanase, 
de  saint  Cyrille  et  du  Pseudo-Denys  l'aréopagite. 

VI.  Morceaux  liturgiques,  i"  Anciennes  prières  chrétiennes.  Ms. 
qui  peut  être  encore  du  m"  s.  Recueil  très  intéressant.  Après  qu'il  a 
été  publié,  une  pièce  de  cet  euchologe  a  été  reconnue  comme  emprun- 
tée à  Poimandres  [Nachrichten  de  Gôttingue,  19 10,  p.  326).  2°  Frag- 
ment de  la  liturgie  de  Noël.  Ms.  du  vu''  s.  environ.  Pièce  de  chant, 
assez  endommagée.  3"  Canon  pascal  de  Jean  de  Dainas.  Ms.  du  x^  s. 
environ.  Texte  déjà  connu.  4°  Prière  eucharistique.  «  Grosse  écriture 
de  basse  époque  >>.  Contient  une  formule  monophysite  :  Christ  s'est 
laissé  mettre  à  mort  et  ensevelir  oj^  avOpwTiOi;  loîtfj  ôsXr^iJLatt.  5"  Hymne 
aux  martyrs,  x*'  s.  environ.  Destinée  à  la  fête  des  martyrs  que  l'Églis^ 
grecque  célèbre  le  premier  dimanche   après  la  Pentecôte.  6°  Prière, 


jO  REVUE    CRITIQUE 

Basse  date.  7"  Eloge  du  Créateur.  Basse  date.  A  pu  servir  d'amulette. 
S"  Hvmne  acrostiche.  iV  s.  environ.  Ce  fragment  est  la  fin  (T  incom- 
plet, V,'l»,  X,  M',  i>'i.  L'hymne  s'adressait  au  bon  pasteur.  9"  et  10°.  Deux 
iVagments  très  courts  de  signification  douteuse  et  de  basse  date. 

VII.  Amulettes  d'époque  tardive,  sans  intérêt. 

Ces  textes  sont  édités  avec  un  soin  admirable.  Pour  ceux  qui  sont 
déjà  connus,  on  trouvera  dans  ce  volume  des  leçons  plus  exactes. 
D'excellentes  tables  alphabétiques  le  terminent.  Les  fac-similés  don- 
nent un  spécimen  de  la  lettre  pascale. 

A.    QuÉRITY. 

Vier  Beitrâge  zur  Geschichte  der  Baukunst  Frankreichs  {Ztir  Kunstges- 
cliiclite  des  Aiislaudcs,  Ilcft  79).  \'on  Fclix  Witting.  Strasbourg,  Heitz,  1910. 
44  p.,  4  pi.  et  4  grav. 

Les  quatre  mémoires,  très  courts,  de  M.  Witting  sont  les  suivants  : 
jo  La  basilique  élevée  par  l'évêque  Perpetuus  de  Tours  à  saint 
Martin.  M.  W.  cherche  à  s'en  faire  une  idée  en  se  fondant  exclu- 
sivement sur  les  données  des  textes,  éclairée  par  quelques  rappro- 
chements avec  des  monuments  subsistants.  2°  Le  passage  du  plan  à 
plusieurs  nefs  au  plan  à  un  seul  espace  dans  l'ouest  de  la  France.  Je 
crois  qu'il  faudrait  écrire  :  dans  le  sud-ouest  (voy.  Enlart,  Manuel,  I, 
284  suiv.).  M.  W.  le  date  de  la  seconde  moitié  du  x'=  siècle;  mais  la 
substitution  n'est  accomplie  que  dans  le  cours  du  xf  siècle.  Les 
églises  avaient  auparavant  la  forme  de  basiliques,  avec  plafond  lam- 
brissé. Le  nouveau  plan  entraîne  la  construction  de  coupoles.  M.  W. 
étudie  particulièrement  l'église  de  Brantôme,  qui  lui  paraît  garder  des 
traces  de  l'ordonnance  primitive.  3°  Guinamundus,  moine  de  La 
Chaise-Dieu,  architecte.  Les  églises  de  Saint-Paul  d'Issoire,  de  N.-D. 
d'Orange,  de  Saint-Gilles  d'Arles,  et  de  Saint-Front  de  Périgueux 
présentent  des  caractères  communs.  M.  W.  y  voit  les  œuvres  d'un 
talent  unique  qui  se  développe  graduellement.  Il  les  attribue  à  Gui- 
namundus, parce  que  le  chroniqueur  de  Saint-Front  note  :  «  Guina- 
mundus, monachus  Casae  Dei,  sepulchrum  S.  Frontonis  mirabiliter 
sculpsit  anno  D.  1077  "•  Mais  il  s'agit  dans  cette  note  d'un  sculpteur, 
et  non  pas  d'un  architecte.  L'attribution  reste  donc  douteuse.  4°  Les 
églises-salles  de  Provence.  M.  Witting  choisit  comme  exemple  de  ce 
type  Maguelonne,  et  en  rapproche  nombre  d'églises  de  Provence,  en 
remarquant  la  différence  qu'elles  présentent  graduellement,  à  mesure 
que  l'on  s'enfonce  du  rivage  dans  les  terres.  Ce  dernier  article  sou- 
lève la  question  de  la  voûte  d'arêtes,  des  cancri  et  de  l'influence 
orientale.  Nous  ne  pouvons  qu'y  renvoyer  ceux  que  ces  questions 
intéressent. 

Les  quatre  planches  sont  une  vue  extérieure  de  l'église  abbatiale  de 
Brantôme,  deux  intérieurs,  de  Saint-Paul  d'Issoire  et  de  Saint- 
Gabriel,  enfin  le  portail  de  Saint-Restitut. 

S. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  7I 

Essai  sur  les  rites  funéraires  en  Suisse  des  origines  à  la  conquête  romaine, 

par  \'ii)i,i.iKR.  Étude  sur  les  mœurs  et  les  croyances  des  populations  préhistori- 
ques (Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes  Études,  Sciences  religieuses, Vol. XXI\', 
fasc.   i).  Paris.  Leroux,  1911,  87  p.  in-S». 

Cette  étude  est  la  bienvenue.  Elle  coordonne  les  résultats  éparpillés 
des  fouilles  et  des  trouvailles.  Elle  substitue  une  synthèse  accessible 
à  des  menus  faits  dispersés  dans  les  publications  locales. 

A  l'époque  paléolithique,  les  traces  de  l'homme  sont  rares.  Le  sol 
est  couvert  de  glaciers.  Quelques  bandes  isolées  ont  erré  dans  le  Jura 
et  le  massif  du  Santis.  Elles  n'ont  pas  laissé  de  tombes. 

L'époque  néolithique  présente  trois  types  d'inhumation  :  les 
tombes  à  corps  étendus  à  plat,  sur  la  rive  droite  du  Rhin  ou  à  proxi- 
mité ;  les  tombes  à  corps  accroupi,  dans  la  Suisse  occidentale  ;  les 
ossuaires,  où  l'on  recueillait  les  os  préalablement  décharnés,  à  Aesch 
(Bàle)  et  à  Auvernier  (Neuchâtel).  Les  tombes  du  second  type 
contiennent  souvent  deux  corps,  de  sexe  différent.  M.  V.  en  conclut 
qu'à  cette  époque  on  pratiquait  en  Suisse  le  mariage  funéraire,  étudié 
par  M.  O.  Schrœder.  Les  populations  de  cette  période  continuent 
celles  de  l'époque  paléolithique,  telles  qu'on  les  connaît  en  France. 
Elles  sont  mélangées  dans  les  tombes  à  corps  accroupis  avec  des 
populations  dolicocéphales  comme  elles,  mais  d'origine  septen- 
trionale. 

A  l'époque  du  bronze,  apparaît  l'incinération  à  côté  de  l'inhuma- 
tion, mais  dans  des  régions  distinctes;  les  incinérants  habitaient  la 
Suisse  orientale.  Jusqu'à  l'Aar;  les  inhumants,  la  Suisse  occidentale, 
c'est-à-dire  le  bassin  du  Léman  et  le  plateau  compris  entre  le  Jura  et 
l'Aar.  Les  inhumants  continuent  à  user  des  trois  formes  décrites  de 
l'âge  précédent.  Les  incinérants  élèvent  des  tumuli.  Ils  arrivent  d'au- 
delà  du  Rhin,  par  le  nord,  apportant  le  bronze.  Déjà  par  la  vallée  du 
Rhône  s'était  propagé  l'usage  du  cuivre  pur  dans  les  stations  lacustres 
de  la  Suisse  française. 

Pendant  le  premier  âge  du  fer  ou  période  de  Hallstadt,  les  tumuli 
se  rencontrent  dans  le  Plateau,  entre  le  Jura,  le  Rhin,  le  lac  de  Cons- 
tance, les  Alpes  et  le  Léman.  Ils  sont  extrêmement  dispersés  et 
jalonnent  les  allées  et  venues  des  bandes  qui  les  ont  dressés.  Elles 
ont  pénétré  par  le  coude  du  Rhin,  au  nord  du  lac  de  Constance,  ont 
suivi  les  vallées  larges  et  basses,  évitant  les  endroits  escarpés,  restant  à 
portée  des  rivières,  s'agglomérant  près  des  lacs,  population  de  pas- 
teurs et  de  chasseurs,  qui  vivait  entre  l'eau  et  la  forêt.  Les  tumuli 
sont  de  deux  espèces,  à  incinération  et  à  inhumation  ;  parfois  les 
deux  rites  sont  réunis.  Les  inhumants  paraissent  être  venus  de 
l'ouest  ;  ils  sont  moins  nombreux  et  se  rencontrent  surtout  dans  le 
Jura.  Les  uns  et  les  autres  paraissent  avoir  immolé  des  victimes 
humaines,  surtout  des  femmes.  Dans  les  tumuli  mixtes,  l'homme  est 
incinéré,  la  femme  ou  les  femmes  inhumées.  On  a  trouvé  des  tumuli 


72  REVUE    CRITIQUE 


h  chnrs.  I.c  char  fuit  absolument  défaut  dans  les  lombes  souterraines 
en  Suisse.  Un  certain  nrimbre  de  particulariids  s'expliquent  par  les 
usages  connus  des  Gaulois  :  sacrifices  funéraires,  dépôts  de  glands  et 
de  feuilles  de  chêne,  roues  et  rouelles  dans  les  tombeaux.  M.  V. 
admet  que  «  les  Gaulois  sont  les  descendants  des  hommes  des 
tumuli  »  (p.  55j. 

A  l'époque  de  Hallstadt.  où  la  population  est  nomade,  succèdent 
les  deux  époques  de  la  Tène,  où  la  population  s'agglomère  aux  deux 
points  représentés  aujourd'hui  par  Zurich  ci  Berne.  Dès  lors,  les 
sépultures  souterraines,  rares  à  l'époque  de  Hallstadt,  deviennent  la 
règle. 

L'ouvrage  de  M.  Viollicr  est  utile  et  bien  fait.  On  est  un  peu 
étonné  que,  parlant  de  la  religion  gauloise  dans  son  introduction,  il 
ne  cite  pas  une  fois  les  articles  de  M.  .luUian  dans  la  Revue  des  études 
anciennes.  Pourquoi  dit-il  «  tombes  souterraines  •>->  dans  les  titres  et 
le  texte  des  chapitres  IV  et  V  et  «  tombes  plates  »  à  la  table  ?  Enfin, 
on  pourra  lui  reprocher  quelques  répétitions  et  un  peu  de  diffusion 
dans  les  considérations  générales. 

R.   M. 

Emanuelc  Ciackri,  Culti  e  miti  nella  storia  dell'  antica  Sicilia.  Catanc,  F.  Bat- 
tiato,   191  I,  xii-33o  p.  ia-B".  Prix  :  5  1. 

Ce  volume  appartient  à  une  Biblioteca  dijilologia  classica  dirigée 
par  l'infatigable  professeur  Carlo  Pascal.  M.  Ciaceri  a  réuni  tous  les 
textes  relatifs  aux  temples  et  aux  cultes  de  la  Sicile  antique.  Il  y  a 
joint  le  témoignage  des  monuments,  surtout  des  inscriptions  et  des 
monnaies.  La  récolte  est  divisée  en  cinq  chapitres  :  1°  Cultes  indi- 
gènes hellénisés  (très  intéressantes  données  sur  Adranos,  la  dea 
Hyblaia,  Enjx,  la  sibylle  de  Lilibée,  etc.)  ;  2"  Mythes  et  cultes  d'ori- 
gine probablement  orientale  (Zeus  Atabyr-ios,  Kronos,  Aphrodite 
Erycine,  Héraclès-Melkarth,  Aristée,  Orion,  etc.;  le  rôle  du  chien 
dans  les  cultes  de  la  Sicile);  3°  Grandes  divinités  gréco-romaines  ; 
4°  Divinités  mineures  (parmi  lesquelles  sont  comprises  les  Meteres, 
les  Nj'mphes  et  les  divinités  égyptiennes)  ;  5°  Héros  et  personnages 
mythiques  (fondateurs  et  rois,  Héraclès,  lolaos,  Aristée  et  Actéon, 
Daphnis,  etc.).  Le  but  de  M.  C.  était  de  recueillir  des  données  posi- 
tives, en  se  tenant  éloigné  des  conceptions  systématiques.  On  sait  que 
la  Sicile  a  été,  dans  ces  dernières  années,  le  terrain  de  prédilection  des 
savants  qui  voient  partout,  derrière  un  saint  ou  un  pèlerinage  chrétien, 
un  dieu  païen  ou  une  fête  antique.  M.  C.  a  voulu  rester  à  l'écart  de 
ces  exagérations,  aussi  bien  que  de  la  fâcheuse  apologétique  qui  ne 
veut  rien  entendre  sur  ce  sujet.  Il  se  réclame  d'un  savant  religieux 
sicilien,  le  P.  Ottavio  Gaetani,  dont  l'œuvre  était,  à  l'époque,  la 
meilleure  :  Octavius  Cajetanus,  Isagoge  adhistoriam  sacram  siculam, 
Panormi,   1707.  Le  livre  de  M.  Ciaceri  rendra  les  plus  grands  ser- 


d'histoire  et  de  littérature  73 

vices,  en  même  temps  qu'il   permet   de   mieux  comprendre  le  passé 
religieux   de  la  Sicile.    Il  est  terminé  par   un  bon  index. 

Ed.  Thanisy. 


Giovani  Livi.  Dell'archivio  di  Francesco  Datini  mercante  Pratese.  Celebran- 
dosi  in  Prato  addi  xvi  d'agosto  mdcc.ccx,  auspice  la  pia  casa  de'  Ceppi  il  v  cen- 
tenario  délia  morte  di  Lui.  Firenze,  Lumachi,  mdccccx,  v-69  p.  gr.  10-4°  et 
I  pi. 

Datini,  mort  en  1410,  est  un  de  ces  marchands  italiens  à  qui  le 
commerce  étranger  donnait  le  goût  des  affaires  publiques  et  le  moyen 
de  s'informer  des  nouvelles  de  tout  pays.  M.  Livi,  directeur  des 
archives  d'État  à  Bologne,  donne  un  aperçu  de  la  richesse  des 
archives  laissées  par  Datini  à  Prato.  Il  en  tire  des  lettres  intéressantes 
ou  des  extraits  qu'il  convient  de  signaler  aux  historiens.  Des  fac- 
similés  et  une  planche  reproduisant  la  statue  moderne  de  Datini  font 
de  cette  brochure  un  précieux  souvenir  du  centenaire  du  personnage. 

W. 


La  Juridiction  ecclésiastique  en  matière  bénéficiale  sous  l'ancien  régime 
en  France,  tome  I,  La  Juridiction  contcntieuse,  par  P.  DelaNxNoy  (Université 
de  Louvain,  Recueil  de  travaux,  27°  fascicule).  Paris,  Picard,  19 10,  xxxi-217  p. 
in-8". 

Cette  étude  comprend  deux  parties  :  les  procès  bénéticiaux,  la 
compétence  en  matière  bénéficiale.  Toute  la  première  tourne  autour 
du  dévolut,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  la  dévolution.  La  dévo- 
lution supposait  la  vacance  d'un  bénéfice.  Quand  le  collateur  laissait 
passer  un  certain  temps  sans  le  pourvoir,  le  droit  de  collation  passait 
au  supérieur  immédiat.  C'était  la  dévolution,  établie  par  le  troisième 
concile  de  Latran  pour  parer  à  la  négligence  des  collateurs  et  à  la 
vacance  prolongée  des  bénéfices.  Le  dévolu  suppose,  au  contraire,  le 
bénéfice  pourvu.  Le  collateur  a  usé  de  son  droit  en  faveur  d'un 
individu,  soit  N.  Mais  N.,  à  tort  ou  à  raison,  est  indigne  ou  inca- 
pable. Alors  intervient  le  dévolutaire,  qui  dénonce  l'incapacité  ou 
l'indignité,  et  réclame  pour  lui-même  le  bénéfice  auprès  du  supérieur 
immédiat.  Durand  de  Maillane  définit  donc  le  dévolut  «  une  impétra- 
tion  fondée  sur  l'incapacité  de  la  personne  du  pourvu,  ou  sur  quelque 
défaut  dans  ses  titres,  soit  que  le  pourvu  fût  incapable  avant  la  colla- 
tion, ou  que  l'incapacité  ne  soit  survenue  qu'après  ses  provisions  ». 
Dans  la  pratique,  les  dévolutaires  s'adressaient  à  Rome.  La  curie 
favorisait  ces  pratiques,  y  trouvant  des  gains  abondants.  Le  pape 
délivrait  une  provision  au  dévolutaire  qui  rentrait  en  France,  prenait 
la  place  de  l'ancien  bénéficier,  avec  la  complicité  des  parlements,  et 
forçait  l'évêque  à  lui  accorder  l'institution  canonique.  Sur  ce  thème, 
on  voit  assez   ce  que  la  jurisprudence  et  les  justices  compliquées  de 


"4  REVUE    CRITIQUE 

l'ancien  régime  pouvaient  broder.  M.  D.  retrace  l'histoire  des  varia- 
tions et  des  règles  suivies  depuis  la  seconde  moitié  du  xvi"=  siècle,  et 
surtout  au  xviii«  siècle.  La  deuxième  partie  relate  les  querelles 
survenues  en  matière  de  compétence  entre  lés  juges  séculiers  et  les 
ollicialités.  M.  D.  explique  en  détail  l'organisation  et  le  fonction- 
nement des  ofHcialités. 

Le  livre  de  M.  Delannoy  est  surtout  fondé  sur  les  archives  du 
clergé  de  p-rance,  imprimées  ou  manuscrites,  notamment  la  série  G8* 
des  Archives,  nationales.  Pour  les  conflits  avec  le  Parlement,  il  eût 
été  sans  doute  bon  de  consulter  les  archives  du  Parlement,  en  l'espèce 
la  série  U,  et  de  ne  pas  se  contenter  du  Recueil  (imprimé)  des  Actes, 
Titres  et  Mémoires  concernant  les  affaires  du  clergé  de  France.  Le 
mérite  de  l'auteur  n'en  est  pas  moins  grand  d'avoir  pénétré  dans  ce 
fourré  qu'est  la  juridiction  bénéficiale. 

A. 


A.  W.  Ward  and  a.  R.  Waller.  —  The  Cambridge  history  of  English  Lite- 
rature,  vol.  VII  (Cavalier  and  Puritan).  Cambridge,  University  Press.  191  i, 
in-80,354  pp.  10  s.  6d. 

On  se  rappelle  que  les  volumes  V  et  VI  de  la  savante  histoire  de  la 
littérature  anglaise  publiée  sous  les  auspices  de  l'université  de  Cam- 
bridge par  un  groupe  de  professeurs,  étaient  consacrés  au  théâtre  du 
xvi""  siècle.  Avec  le  volume  VII  on  tombe  brusquement  des  splendeurs 
de  la  Renaissance  aux  ternes  et  interminables  discussions  de  théolo- 
giens anglicans  et  de  docteurs  puritains.  A  côté  de  Shakespeare  et  de 
Webster,  les  pamphlétaires  et  les  controversistes  de  la  guerre  civile 
ne  paraissent  que  des  figures  effacées.  Ils  appartiennent  à  l'histoire 
plus  qu'à  la  littérature.  Mais,  par  un  extraordinaire  hasard,  l'époque 
qui  produisit  toute  une  bibliothèque  d'ouvrages  ennuyeux  et  illisibles, 
a  produit  aussi  les  poèmes  de  Milton.  Il  semblait  qu'un  volume  con- 
sacré à  la  littérature  puritaine  dût  donner  la  place  d'honneur  à  son 
plus  illustre  représentant.  L'université  de  Cambridge  paraissait  indi- 
quée pour  veiller  à  la  mémoire  du  plus  glorieux  de  ses  élèves.  Or, 
nous  venons  de  lire  le  chapitre  que  M.  G.  Saintsbury  a  écrit  sur  l'au- 
teur du  Paradis  perdu,  et  nous  avouons  notre  surprise.  M.  G.  S.  a- 
i-il  cru  qu'il  serait  déplacé  de  mentionner  autrement  qu'en  passant 
un  chef-d'œuvre  sublime  dans  un  ouvrage  qui  s'étend  avec  beaucoup 
de  détails  sur  James  Howell  et  qui  discute  l'influence  des  Atinales  de 
Baronius  ?  Même  en  analysant  les  ouvrages  de  Milton  en  prose  et  l'on 
sait  s'ils  sont  diffus  et  indigestes,  il  n'arrive  à  accorder  au  plus  grand 
poète  épique  de  l'Angleterre  qu'une  quarantaine  de  pages.  Dans  une 
histoire  de  la  littérature  anglaise  qui  doit  comprendre  quatorze  tomes, 
cinq  pages  ont  donc  suffi  au  Paradis  perdu  et  deux  au  Paradis  re- 
conquis et  à  Samson  Agonistesl  Qu'on  suppose  une  histoire  de 
la  littérature  française  qui  donnerait  au  père  Garasse  et  au  père  Maim- 


d'histoire    et    Dk    LITTÉRATURE  jS 

bourg  l'importance  de  Racine!  Les  traités  du  xyii®  siècle  sur  la  sor- 
cellerie sont  analyses,  de  façon  très  attachante  d'ailleurs,  dans  un  cha- 
pitre guère  moins  étendu  que  le  chapitre  sur  Milton  :  il  faut  se  figurer 
le  procès  d'Urbain  Grandier  étudié  au  même  titre  que  Phèdre  ou 
Athalie.  Passe  encore  si  M.  G.  S.  était  équitable,  mais  il  faut  voir  le 
dédain  avec  lequel  le  poète  aveugle  est  traité.  «  Rien  ne  peut  lui 
donner  un  caractère  aimable  »  ;  «  son  caractère  peut  à  peine  être  très 
attirant  »  ;  «  des  personnes  qui  ont  uni  la  culture  à  la  sincérité  ont 
déclaré  que  Cornus  est  lourd  »;  <  Milion  a  toujours  été  plus  admiré 
que  lu  »;«  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  ait  eu  peu  d'admirateurs  hors 
d'Angleterre  et  que  ceux-ci  (comme  Schérerpar  exemple)  aient  eu  des 
raisons  très  spéciales  de  l'admirer»,  etc.  Ce  qui  est  étonnant,  c'est  que 
M.  G.  S.  ignore  la  place  que  tient  l'épopée  de  Milton  dans  l'œuvre 
de  Chateaubriand.  Accordons  au  critique  qu'il  est  «  superflu,  dans  la 
Cambridge  History  of  English  Literature,  de  faire  de  la  rhétorique  » 
en  parlant  de  Milton,  mais  au  moins  ne  faudrait-il  pas,  si  l'on  tient 
à  cette  qualité  de  précision  qui  donne  à  une  étude  une  valeur  «  scienti- 
fique »,  accuser  un  poète  de  «  manquer  de  variété  »  sans  en  fournir  la 
preuve.  Parmi  ceux  qui  liront  cet  étrange  jugement,  plusieurs  sans 
doute  songeront  à  la  description  du  soir  dans  le  paradis  terrestre,  au 
lendemain  d'orage  dans  le  désert,  et  reverront  Eve  penchée  sur  le 
miroir  des  eaux.  On  s'insurgera  aussi  contre  l'arrêt  extraordinaire 
qui  donne  aux  paysages  miltoniens  l'épithète  de  «  vagues  ».  C'est  la 
condamnation  de  la  sobriété  classique.  Les  paysages  de  Milton  rap- 
pellent chez  les  maîtres  de  la  peinture  italienne  les  fonds  de  tableaux. 
Évidem.ment  il  ne  faut  pas  leur  demander  la  minutie  d'un  Burne 
Jones  ou  d'un  Holman  Hunt.  «  Le  vague  miltonien  n  ressemble  singu- 
lièrement au  «  vague  »  homérique  et  virgilien.  Mais  ce  n'est  pas  le 
moment  de  plaider  la  cause  de  Milton;  il  n'a  d'ailleurs  pas  besoin  de 
défenseur  '. 

Hâtons-nous  d'ajouter  que  parmi  les  professeurs  qui  ont  collaboré 
à  ce  septième  tome,  le  détracteur  de  Milton  fait  exception.  On  aura 
beaucoup  à  apprendre  du  D''  Moorman,  auteur  du  chapitre  sur  les 
poètes  lyriques,  ou  du  D''  John  Brown  qui  fait  autorité  sur  Bunyan 
et  son  œuvre  ;  nul  n'était  plus  qualifié  que  le  D^"  J.-E.  Spingarn  pour 
écrire  sur  les  critiques;  enfin  le  D'"  A.  W.  Ward  s'est  chargé  des  his- 
toriens, M.  J.  B.  Williams  des  journalistes  et  au  professeur  W.  R. 
Sorley  est  dévolue  la  Lourde  tâche  de  parler  comme  il  convenait  de 


I .  Il  arrive  souvent  aux  critiques  de  Miltoii  de  tomber  dans  la  vulgarité.  Pareil 
au  docteur  Masson  dont  les  six  volumes  imposants  sur  la  vie  de  Milton  permirent 
à  Matthew  Arnold  d'exercer  sa  verve,  M.  G.  S.  risque  des  plaisanteries  sur  Milton 
et  les  femmes.  L'idéal  de  Milton,  c'était,  paraît-il,  «  une  Aspasie-Hypatie-Lucrèce- 
Griselidis  »,  mais,  ajoute  M.  G.  S.,  «ce  mélange  {blend,  terme  appliqué  par  les 
boutiquiers  à  leur  thé  et  à  leur  tabac)  n'est  pas  communément  coté  sur  le  marché 
matrimonial  «.  De  telles  fadeurs  déshonorent  une  œuvre   sérieuse. 


-ô  RliVUlC    CRITIQUE 


Hobbcs.  Nous  nous  pcrmeiions  de  signaler  à  M.  J.-B.  Williams 
l'exemplaire  des  Nouvelles  ordinaires  de  Londres  que  conserve  la 
Hibliotliùque  nationale.  Ce  journal,  rédigé  en  français  et  qui  parut  à 
Londres  de  i()5o  à  1657,  n'a  donc  pas  «  presque  entièrement  dis- 
paru ».  (P.  36o)  '. 

Ch.  Bastu)i:. 


J.-P.  Brissot.  Correspondance  et  papiers,  prcccdés  d'un  avertissement  et  d'une 
notice  sur  sa  vie,  par  Cl.  rEinuiLD.  Paris,  Alpb.  Picard  et  tils,  s.  d.,  in-8», 
402  pages  (collection  des  Mémoires  et  documents  relatifs  aux  xvin'-  et  xix*^  siècle). 

Voici  le  troisième  volume  que  M.  Perroud  consacre  à  Brissot;  soit, 
avec  les  deux  précédents,  un  ensemble  de  1290  pages  in-8°.  Ceux  qui 
considèrent  que  Brissot  a  donné  son  nom  à  l'un  des  deux  grands 
partis  politiques  qui  divisèrent  la  France  à  un  des  monients  les  plus 
émouvants  de  son  histoire;  ceux  qui  se  rappellent  les  jugements  abso- 
lument contradictoires  portés  sur  lui  avant,  pendant  et  depuis  la 
Révolution  ;  ceux  enfin  que  passionne  la  vérité  historique,  ne  pourront 
que  louer  M.  Perroud  d'avoir  entrepris  de  nous  restituer  ce  person- 
nage, d'avoir  donné  à  cette  œuvre  de  pareils  développements  et  de 
l'avoir  si  consciencieusement  accomplie. 

Quand  à  Brissot  lui-même,  gagnera-t-il  ou  perdra-t-il  à  cette  magis- 
trale étude?  Je  crois  qu'il  faut  distinguer.  Il  en  sortira  lavé  de  beau- 
coup de  calomnies  accumulées  sur  lui  dès  son  vivant.  Sans  être  d'une 
moralité  héroïque,  Brissot  possédait  une  vertu  moyenne,  il  fut  bon 
citoyen  :  voilà  ce  qui  paraît  désormais  acquis.  Mais  —  et  n'est-ce  pas 
la  seule  vraie  question  qui  se  pose  quand  il  s'agit  de  Brissot?  — 
était-il  à  la  hauteur  du  rcMe  que  ses  amis  lui  tirent  jouer? 

En  d'autres  ternies,  y  avait-il  en  lui  l'étoffe  d'un  grand  politique, 
d'un  Cromwell,  par  exemple,  démolisseur  d'une  royauté,  et  rebâtis- 
seur d'un  autre  gouvernement?  Je  ne  pense  pas  que  cela  ressorte  avec 
évidence  des  textes  publiés  par  M.  Perroud.  Brissot  fut  un  publiciste, 
rien  de  moins,  et  sans  doute  rien  de  plus.  Trop  besogneux  pendant 
toute  sa  jeunesse  pour  avoir  eu  le  temps  de  beaucoup  penser,  trop  peu 
intelligent  '  pour  avoir  conçu  un  nouveau  système  politique,  trop  peu 
énergique  pour  avoir  osé  payer  d'audace,  trop  simple  pour  s'être 
imposé  par  la  ruse,  il  se  borna  à  rnettre  une  plume  facile  et  exercée 
au  service  d'idées  qui  n'étaient  pas  proprement  les  siennes,  mais  celles 
de  tout  le  monde  autour  de  lui. 

1.  P.  3o8,  à  côté  de  Primrose,  le  professeur  Watson  aurait  dû  citer  Jean  Came- 
ron,  né  à  Glasgow  en  iSyi,  pasteur  à  Montauban  en  1625  et  plus  tard  professeur 
à  l'Académie  de  Saumur.  —  Comme  d'habitude,  la  bibliographie  est  fort  bien 
faite. 

2.  Cependant  le  lieutenant  de  police  Lenoir  lui  trouvait  de  l'esprit.  Mais  il  parait 
que  c'était  un  prêté  pour  un  rendu. 


d'histoire  et  de  littérature  77 

Et  ce  ne  serait  pas  une  des  moindres  surprises  de  ces  temps  agités 
que  de  voir  Brissot,  ce  médiocre,  en  possession  de  sa  renommée,  si 
l'on  ne  savait  qu'en  politique  ce  ne  sont  pas  toujours  les  plus  fortes 
têtes  d'un  parti  qui  servent  à  celui-ci  de  porte  drapeau.  Au  surplus, 
ceux  qu'on  appelait  alors  les  Brissotins,  mais  que  nous  connaissons 
mieux  aujourd'hui  sous  le  nom  beaucoup  moins  exact  de  Girondins, 
parti  peu  homogène,  plus  brillant  que  solide,  plus  bruyant  qu'agis- 
sant, étaient  d'avance  voués  à  l'échec,  car  c'est  encore  un  autre  fait 
d'expérience  politique,  que  le  pouvoir,  même  en  France,  est  aux 
hommes  d'action  et  non  aux  hommes  de  plume  ou  de  parole  :  un  dis- 
cours, on  l'a  dit,  a  pu  faire  changer  une  opinion,  jamais  un  vote. 
Cela  est  encore  bien  plus  vrai  d'un  article  de  journal. 

Aussi  ne  serais-je  pas  supris  que  M.  Perroud  fût  de  cet  avis,  je  veux 
dire  qu'il  ne  s'exagérât  pas  le  génie  de  Brissot,  mais  que  Brissot  lui 
eût  paru  un  prétexte  avantageux  pour  continuer  à  verser  sur  nous  les 
inestimables  trésors  de  son  érudition.  Par  la  place  qu'il  occupait  à  la 
tête  de  son  parti  politique,  comme  par  les  entreprises  de  librairie,  de 
commerce,  de  banque  et  autres,  auxquelles  il  fut  mêlé  en  France,  en 
Angleterre  et  jusqu'en  Amérique  ;  par  les  journaux  et  publications 
variées  qu'il  dirigea  ou  inspira;  enfin,  par  ses  relations  dans  le  monde 
et  un  peu  dans  tous  les  mondes,  Brissot  pouvait  être  pris  coinme  le 
centre  d'une  vaste  étude  sur  la  société  française  et  cosmopolite  aux 
abords  et  dans  les  premières  années  de  la  Révolution.  Le  sujet  a  été 
maintes  fois  traité  ;  mais,  sous  cet  angle,  il  se  renouvelait  et  prêtait  à 
à  de  riches  développements.  Fidèle  à  sa  méthode,  M.  Perroud  a 
dédaigné  d'en  faire  le  thème  d'une  histoire  narrative,  et  préféré  éditer 
et  commenter  des  textes.  On  sait  avec  quelle  sûreté  de  main  il  a,  dans 
ses  deux  premiers  volumes,  dépecé  ce  qu'on  nous  avait  servi  comme 
les  Mémoires  de  Brissot,  pour  n'en  garder  et  ne  nous  offrir  que  les 
morceaux  authentiques.  Aujourd'hui,  sous  le  couvert  de  la  Corres- 
pondance et  des  Papiers  du  même  Brissot  (où  tout  n'est  ni  de  premier 
ordre,  ni  d'égale  valeur,  ni  même  de  valeur),  il  fait  défiler  devant  nos 
yeux  un  immense  cortège  de  personnages  de  toutes  nations,  de  toutes 
couleurs,  français,  anglais,  américains,  blancs  et  noirs,  athées  et 
croyants,  royalistes  et  révolutionnaires,  escrocs  et  hommes  sensibles, 
gens  de  lettres  et  commerçants,  magistrats  et  militaires...  M.  Perroud 
les  connaît  tous,  et,  en  nous  les  présentant  l'un  après  l'autre,  il  nous 
apprend  (ou  nous  rappelle)  d'où  ils  sont  sortis,  ce  qu'ils  ont  fait  dans 
la  vie  et  comment  ils  ont  Hni.  C'est  à  la  fois  une  procession  et  une 
encyclopédie.  Je  ne  prétends  pas,  ni  lui  non  plus  du  reste,  que  tout 
cela  soit  extrêmement  intéressant.  Mais  M.  Perroud,  nouveau  Vatel, 
se  croirait  déshonoré  vis-à-vis  du  public,  s'il  laissait  celui-ci  attendre 
un  commentaire,  une  glose,  une  simple  note.  Il  faut  dire  aussi  que  de 
ce  précieux  cuisinier  la  sauce  vaut  souvent  mieux  que  le  poisson  : 
nous  l'avions  déjà  constaté  dans  quelques-unes  de  ses  dissertations 


^g  REVUE    CRITIQUE 

sur  M'""  Roland  ci  ses  amis;  celles  dont  il  vient  d'honorer  Brissot  pcr- 
niciicnt  de  ratrirmcr  bien  mieux  encore  '. 

Eugène  Welvert. 

—  Le  petit  volume  de  A.  L.  M.  Nicolas,  inùiu\é  Cheikh  Ahmed  Lahçahi  (Paris, 
Gciuhner,  1910,  pet.  in-8",  xix-72  pp.)  est  le  premier  d'une  série  qui  a  pour  titre 
};éacral  :  Essai  sur  le  Cheikhisme.  Le  présent  volume  est  une  biographie,  en 
général  traduite  sur  le»  sources  indigènes,  du  fondateur  de  cette  secte  dissidente 
du  chiismc,  qui  précédant  le  Babismc,  parait  en  avoir  préparé  la  venue.  C'est  un 
document  où  il  y  aura  à  puiser  pour  l'histoire  du  chiismc  moderne;  mais  il 
semble  que  tout  y  soit  bien  oriental,  c'est-à-dire  peu  clair  et  peu  ordonné,  et  que 
la  préface  ait  subi  l'influence  du  livre.  —  M.  G.  D. 

—  AL  A.  J.-Reixacu  nous  a  envoyé,  en  tirage  à  part,  le  premier  fascicule  du 
Bulletin  épigraphiqne  qu'il  publie  chaque  année  dans  la  Revue  des  Etudes  grec- 
ques [Bulletin  annuel  d'Épigraphie  grecque  publié  par  A.  J.-Reinach.  Première 
année,  1907-1908;  Paris,  Leroux,  1909;  96  p.  Extrait  de  REG,  XXII,  pp.  145-195 
et  3o6-335).  On  sait  que  dans  ce  Bulletin  sont  signalées  toutes  les  inscriptions 
grecques  publiées  ou  étudiées  dans  les  recueils  savants  de  toute  l'Europe  et  des 
États-Unis,  et  que,  non  content  de  les  analyser  et  de  mettre  en  relief  les  connais- 
sances nouvelles  qu'elles  apportent,  M.'R.  donne  place,  en  outre,  à  tous  les  ren- 
seignements qui,  tout  en  étant  hors  du  domaine  épigraphique  proprement  dit, 
sont  néanmoins  de  nature  à  rendre  service  à  l'étude  des  inscriptions;  ensuite  à 
un  résumé  succinct  des  ouvrages  spéciaux  dont  les  documents  épigraphiques  font 
le  sujet.  Faire  l'éloge  d'un  tel  travail,  on  tout  est  clairement  ordonné  et  rangé 
méthodiquement,  me  semble  superflu  ;  les  tirages  à  part  en  sont  dès  maintenant 
indispensables,  d'autant  plus  que  M.  R.  y  ajoute  des  indices  qui  en  rendent  la 
consultation  bien  plus  facile.  Ce  premier  fascicule  nous  donne  les  résultats  du 
dépouillement  de  55  périodiques  français  et  étrangers,  la  plupart  de  1908.  —  Un 
second  fascicule  (1910)  nous  conduit  jusqu'au  i"^'"  décembre  1909;  mais  nous 
l'avons  reçu  comme  simple  tirage  à  part  [REG,  XXIII,  pp.  287-345),  sans  pagina- 
tion spéciale,  ce  qui  n'a  pas  un  grand  inconvénient,  mais  aussi  sans  indices;  ceux 
du  premier  fascicule  sont  si  bien  disposés  et  si  commodes  qu'on  regrette  de  ne 
les  pas  avoir  pour  le  second. 

—  M.  A.  J.-Reinach  nous  a  également  envoyé  ses  rapports  sur  les  fouilles  qu'il 
a  dirigées  pendant  six  semaines,  avec  la  collaboration  du  capitaine  Weill,  à  Kop- 
tos  dans  la  Haute-Egypte,  sous  les  auspices  de  la  Société  française  des  fouilles 
archéologiques  {Rapports  sur  les  fouilles  de  Koptos  (janvier-février  1910)  adressés 
à  la  Société  française  des  fouilles  archéologiques  et  extraits  de  son  Bulletin,  aug- 
mentés de  huit  planches  et  d'un  plan  (Paris,  Leroux,  1910;  55  p.).  Ces  rapports, 
au  nombre  de  trois,  sont  des  modèles  de  précision  ;  on  suit  pas  à  pas  les  explora- 

I.  Page  373,  texte  et  note.  En  substituant  au  mot  concierge,  employé  par  M™^  Bris- 
sot,  celui  de  régisseur  du  château  de  Saint-Cloud,  M.  Perroud  ne  s'est  sans  doute 
pas  rappelé  que  les  concierges  des  maisons  royales  en  étaient  en  réalité  les  régis- 
seurs. C'était  une  véritable  charge  qui  s'achetait  à  beaux  deniers  et  qui  rappor- 
tait, sinon  de  gros  salaires,  du  moins  beaucoup  de  revenus  à  côté.  Bonnefoy  Duplan, 
par  exemple,  concierge  du  petit  Tr.ianon,  était  un  gros  personnage,  riche  et  influent, 
dont  les  descendants  sont  aujourd'hui  marquis,  ^'oilà  sans  doute  pourquoi  la 
corporation  des  portiers  a  fait  place,  dans  le  vocabulaire  actuel,  à  celle  des 
concierges  :  les  mots  ont  leur  psychologie. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  79 

teurs  dans  leurs  découvertes,  édifices  royaux,  temples,  colonnades,  stèles,  reliefs, 
etc.,  intéressants  aussi  bien  pour  l'histoire  de  l'art  que  pour  l'histoire  de  l'Egypte 
ancienne.  .\  ces  rapports  M.  R.  a  joint  un  résumé  des  principaux  résultats  d'une 
expédition  qu'il  fit  dans  le  désert,  une  fois  les  fouilles  terminées,  et  qui  avait 
pour  but  d'explorer  la  route  de  Koptos  à  Kocéir  (Leukos  Limèn)  sur  la  Mer 
Rouge;  c'est  en  quelque  sorte  une  rapide  histoire  de  la  prospérité  et  de  la  déca- 
dence de  Koptos,  et  de  son  rôle  comme  entrepôt  commercial  entre  l'Egypte  et 
l'Arabie.  —  My. 

—  La  bibliothèque  d'Oxford  {Scriptorum  classicorum  bibliotheca  Oxoniensis) 
publie  en  un  volume  à  part  deux  ouvrages  de  Platon,  VApologic  et  le  Ménon, 
reproduits  de  l'édition  complète  de  M.  Burnet,  t.  I  et  t.  III.  Chacun  des  deux 
morceaux  est  précédé  des  sigles  des  manuscrits.  En  un  passage  du  Ménon,  70  b 
on  constatera  une  modification  au  texte  :  le  mot  ■Ko'kXta.i  n'est  plus  entre  cro- 
chets; c'était  là  une  conjecture  personnelle  de  M.  Burnet,  qu'il  a  abandonnée 
avec  raison.  Les  signatures,  dans  le  Ménon,  sont  erronées  ;  au  lieu  de  25,  lire  23 
et  ainsi  de  suite.  On  sait  que  ces  éditions  n'ont  ni  pagination  ni  date.  —  My. 

—  Dans  la  Rivista  di  filologia  de  juillet  igii,p.  390-408,  M.  Vincenzo  Ussani 
continue  ses  études  critiques  sur  Flavius  Josèphe  [Qiœstioni  Jlaviane ,  III,  Le  inter- 
fola^ioni  pliniane  in  Giuseppe).  Du  rapprochement  d'un  certain  nombre  de  pas- 
sages de  Josèphe  et  de  Pline  l'Ancien,  —  ou  de  Tacite,  qui  s'inspire  lui-même  de 
Pline,  —  il  conclut  que  dans  le  texte  du  premier  s'est  introduite  toute  une  série 
de  passages  traduits  du  second;  le  sentiment  antisémite  qui  s'y  manifeste,  la  na- 
ture des  faits  rapportés,  les  expressions  employées  trahissent  leur  véritable  ori- 
gine. Avant  même  qu'un  interpolateur  chrétien  d'Alexandrie,  vers  la  fin  du  se- 
cond siècle,  ait  révisé  l'œuvre  de  Flavius  Josèphe,  les  interpolations  tirées  de 
Pline  avaient  pris  place  dans  les  Antiquités  judaïques  et  dans  La  guerre  des  Juifs. 
—  M.  B. 

—  M.  Terzaghi  propose  une  ingénieuse  interprétation  d'un  sujet  représenté  sur 
une  amphore  archaïque  à  figures  noires  publiée  par  Gerhard  Auserl.  l^asenb. 
198,  un  guerrier  armé  volant  au-dessus  d'un  vaisseau  {L'ombra  di  Achille,  extr.  de 
Ausonia,  IV  (1909),  fasc.  i,  pp.  26-3o).  On  y  voit  généralement  l'ombre  de 
Patrocle  protégeant  les  navires  grecs;  selon  M.  T.,  ce  serait  l'ombre  d'Achille  qui 
vient  réclamer  le  sacrifice  de  Polyxène.  L'artiste  se  serait  inspiré  des  poèmes 
cycliques,  probablement  de  la  Petite  Iliade,  qui  aurait  également  servi  de  source 
à  Euripide  pour  son  He'cube,  où  il  est  plusieurs  fois  question  de  l'apparition 
d'Achille.  —  Mv. 


Paris,  5  janvier  19 12. 
Monsieur  le  Directeur, 

M.  le  D^  Evariste  Michel  me  déclarant  que  la  «prière  d'insérer»  jointe  à  son  C/iâ- 
teaubriand;  interprétation  médico-psychologique  de  son  caractère  a  été  rédigée  sans 
son  aveu,  je  suis  tout  disposé  à  lui  donner  acte  de  cette  observation.  Elle  n'enlève  rien, 
à  mon  sens,  aux  dangers  d'une  méthode  qui  consiste  à  extraire  des  seuls  Mémoires 
d'outre-tombe  les  preuves  d'une  disposition  morbide;  mais  elle  ne  permet  plus  de 
croire  que  l'auteur  s'imaginait  «  combler  une  étrange  lacune  »  et  consacrer  le 
premier  une  étude  de  ce  genre  au  tempérament  du  «  dégénéré  de  génie  ». 

Agréez,  etc. 

F.   Baldenspkrgkr. 


8o  REVUE   CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

Académie  des  Inscriptions  et  Bki.les-Lettres.  —  Séance  du  1 2  janvier  igi2. 
—  M.  le  comte  Paul  Durricu  rappelle  qu'il  avait  signalé  à  l'Académie  la  supériorité 
avec  laouellc  le  peintre  milanais  Michclino  da  lîesozzo,  dans  le  premier  tiers  du 
XV' siècle,  savait  traiter  les  ligures  d'animaux.  .M.  Durrieu  avait  ajouté  qu'il  pos- 
sédait depuis  longtemps  la  preuve  que  Michelino  avait  travaillé  pour  le  duc  Kilippo 
Maria  N'isconti,  et  il  citait  un  livre  d'Heures  conservé  dans  la  famille  du  baron  de 
l.aiidau  et  qui  pouvait  contenir  des  pages  de  la  main  de  Michelino.  Les  circons- 
tances n'ont  pas  encore  permis  de  laire  exécuter  des  reproductions  de  ce  manus- 
crit, mais  M.  Durricu  a  récemment  acquis  un  feuillet  enluminé,  provenant  d'un 
Missel,  et  où  apparaissent  les  mêmes  caractères  typiques  que  dans  les  Heures  du 
duc  Filippo  Maria.  On  y  remarque  surtout,  comme  éléments  décoratifs,  placés 
au  bas  de  la  page  illustrée,  deux  tigures  de  cerfs  accroupis,  de  la  plus  remarqua- 
ble exécution,  et  qui  annoncent  déjà  l'art  de  Pisanello. 

M.  Holleaux  rend  compte  des  fouilles  exécutées,  cette  année,  à  Délos,  par  l'École 
française  d".\thènes,  aux  frais  de  M.  le  duc  de  Loubat.  Les  fouilles  ont  porté  sur 
cinq  points  principaux  :  1°  llléraion,  où  fut  retrouvé  le  sanctuaire  primitif,  ren- 
fermant une  Collection  de  vases  archaïques  ;  2»  la  vallée  de  l'Inopos,  dont  les  réser- 
voirs, supérieur  et  inférieur,ont  été  presque  complètement  déblayés;  3"  le  Gymnase, 
dont  le  plan  a  été  exactement  établi  et  qui  a  livré,  outre  de  nombreux  morceaux 
d'architecture,  d'importantes  inscriptions;  4» la  région  située  au  S.  et  au  S.-O.  du 
théâtre,  exploration  qui  a  amené  la  découverte  de  deux  temples;  5°  du  sanctuaire, 
provisoirement  appelé  Nouveau  Sarapicion,  dont  la  ruine  a  été  découverte  un  peu 
a  rO.  du  réservoir  inférieur  de  l'Inopos.  —  Les  trouvailles  archéologiques  appar- 
tiennent aux  périodes  les  plus  diverses  de  l'histoire  de  l'art  antique  ;  outre  les  céra- 
miques ^vases  et  masques)  exhumées  du  sous-sol  de  l'Héraion,  il  faut  signaler 
deux  statuettes  représentant  des  personnages  assis,  largement  drapés,  d'un  style 
qui  rappelle  celui  des  figures  de  l'avenue  des  Branchides.  —  Parmi  les  monuments 
épigraphiques,  la  première  place  est  due  au  sénatus-consulte  de  l'an  166  a.  G. 
trouvé  au  Nouveau  Sarapiéion;  les  ruines  du  gymnase  ont  livré  une  liste  des 
gymnasiarques  de  Délos,  pendant  46  années  à  partir  du  rétablissement  de  la  domi- 
nation athénienne  (166  a.  G.);  plusieurs  textes  apportent  des  renseignements 
nouveaux  sur  les  cultes  égyptiens  à  Délos. 

M.  Gagnât  fait  une  communication  sur  les  castella  de  la  Tripolitaine.  A  l'époque 
romaine,  la  province  de  Tripolitaine,  annexe  de  la  province  d'Afrique,  était  entourée 
d'une  ceinture  de  postes  fortifiés  qui  ont  été  en  partie  retrouvés  par  les  explorateurs 
français  et  par  les  ofHciers  des  atïaires  indigènes  du  Sud  tunisien.  La  série  des  for- 
tins qui  joignait  la  pointe  méridionale  du  massif  des  Matmatas  à  Tripoli  et  à  Lebda, 
l'ancienne  Leptis  Magna,  est  encore  mal  connue;  quelques  points  seulement  ont 
pu  être  identifiés.  Mais  dans  le  massif  lui-même  on  a  découvert  et  même  fouillé 
un  certain  nombre  de  castella  :  Detubat,  Remada,  Tlalet  près  de  Tatahouine,  Benia 
des  Ouled-Mahdi,  Ksar-Tarcine,  Khaneti,  Benia  Geder,  Henchir-Remtia,  Telmin. 
A  cote  de  deux  de  ces  ouvrages,  les  deux  Benia,  on  a  même  relevé  la  trace  d'un 
mur  de  pierre  précédé  d'un  fossé  qui  indiquait  la  limite  du  territoire  romain  de  ce 
côté.  Dans  ce  mur  était  ouverte  une  porte  par  où  les  indigènes  pouvaient  le  fran- 
chir, sous  la  surveillance  de  postes  militaires.  En  outre,  le  long  des  routes  qui  de 
la  frontière  se  dirigeaient  vers  l'intérieur  du  pays,  étaient  échelonnés  des  bord)S  for- 
tifiés :  à  Ghadamès,  à  Ghasia  el  Garbia,  à  Boudjem,  à  Siaoun,  au  S.  du  massif 
des  Matmatas,  à  Ksar  Ghelane  à  l'O.;  enfin,  dans  l'intérieur  même  du  massif,  on  a 
trouvé  la  trace  soit  de  fortins  qui  gardaient  les  passages  importants,  soit  de  fermes 
fortifiées. 

M.  Henri  Omont  signale  une  feuille  de  papier  contenue  dans  le  ms.  141  de  la 
Collection  Baluze,  à  la  Bibliothèque  nationale,  et  renfermant  des  variantes  des 
Fables  de  Phèdre  relevées  pour  Nicolas  Rigault,  par  le  P.  Sirmond,  sur  le  ms.  de 
Saint-Remi  de  Reims  détruit  par  un  incendie  en  1774. 

M.  Clermont-Ganneau  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  l'abbé  Hyvernat  sur 
5o  mss.  coptes  récemment  acquis  par  M.  J.  Pierpont  Morgan  et  provenant  d'un 
même  monastère  tombé  en  ruines  vers  la  fin  du  x' siècle.  Plusieurs  de  ces  mss. 
ont  encore  leur  reliure  originale,  et  une  dizaine  d'entre  eux  contiennent  d'intéres- 
santes miniatures.  La  plupart  sont  en  dialecte  sahidique  ;  deux  sont  en  fayoumi- 
que  et  un  seul  en  bohaïrique. 

L'Académie  déclare  vacante  une  place  de  membre  libre,  par  suite  du  décès  de 
M.  Edmond  Saglio.  L'exposition  des  titres  des  candidats  est  fixée  au  16  février,  et 
l'élection  au  23. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 


Le  Puy-en-Yelay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 


N°  5  —  3  février  —  1912 


Aymard,  Les  Touaregs.  —  Nicole,  Catalogue  des  vases  peints  du  Musée   d'Athè- 
nes. —  Gertz,  Vies  des  saints  danois,  II.  —  Oberman,  Les  sarcophages  chrétiens. 

—  C.  Proskauer,  L's  final  des  inscriptions  latines.  —  Vindry,  Les  parlementai- 
res français  au  xvic  siècle,  II.  —  Collins,  Voltaire,  Montesquieu  et  Rousseau  en 
Angleterre.  —  Trent,  Littérature  américaine.  —  Lettres  de  lord  Byron,  trad. 
Delaciiaume.  —  Paul,  Dennis.  —  E.  Kaufmann,  La  banque  française.  —  La  soli- 
darité sociale.  —  Pohl,  La  cour  internationale  des  prises.  —  Giesecke,  La  légis- 
lation commerciale  américaine  avant  1789.  —  Reini'ihl, Uhland  homme  politique. 

—  Rapp,  F. -T.  Vischer  et  la  politique.  —  Lenz,  Histoire  de  Bismarck.  — Goyau, 
Bismarck  et  l'Eglise.  —  Moysset,  L'esprit  public  en  Allemagne.  —  L.  Hubert, 
L'effort  allemand.  —  Lettre  de  M.  Binet-Sanglé,  Réponse  à  M.  Alfred  Loisy.  — 
Levi,  Le  drame  satyrique.  —  Leman-Galpin,  Les  sources  de  DiguUeville.  — 
Hoors,  Lexique  des  antiquités  germaniques.  —  Kudrun,  p.  E.  Schruder.  — 
Jahr,  Sources  choisies  du  moyen  âge  allemand.  —  Académie  des  inscriptions. 


Capitaine  AvMARD,  Les  Touaregs,  Paris,  Hachette,  191 1,   242    p.  in- 16    avec  une 
carte  et  44  gravures. 

Sous  ce  litre  général,  l'auteur  a  décrit  principalement  les  Touareg 
du  sud  et  son  livre  est  intéressant  à  consulter  même  après  ceux  de 
Barth  et  de  Jean.  L'organisation  des  tribus,  la  vie  domestique  du 
Targui,  peu  flatté,  mais  supérieur  aux  Maures  et  aux  Arabes,  la  vie 
sociale,  la  géographie  des  contrées  au  Nord  du  Niger,  la  faune,  sont 
exposées  d'une  façon  claire  et  utile.  On  peut  s'associer  sans  restric- 
tion aux  conclusions  tirées  des  conditions  politiques  et  militaires  sur 
le  pays.  Malheureusement,  le  chapitre  des  Origines  est  rempli 
d'erreurs  :  en  dépit  des  autorités  alléguées  pour  appuyer  la  vieille 
fable  des  Touaregs  issus,  comme  d'autres  Berbères,  des  Himyarites, 
leur  nom  ne  vient  ni  de  l'arabe  taraka  «  abandonner  »,  ni  de  l'arabe 
taraqa  c  assaillir  »  :  c'est  un  nom  de  tribu  berbère  déjà  mentionné 
par  El  Bekri  :  Targa,  P.,  5.  Ibn  Hauqal  n'écrivit  pas  une  Description 
■de  r Afrique,  ce  n'est  qu'un  chapitre  de  sa  géographie  générale,  qu'a 
traduit  M.  de  Slane  en  1842  et  non  en  1827,  comme  il  est  dit  à  tort 
p.  5,  note  I.  On  ne  doit  pas  citer  la  traduction  fautive  d'El  Idrisi  par 
Joubert  (et  non  Jaubert  comme  il  est  nommé  p.  6,  note  i)  quand  on 
Nouvelle  série  LXXIII  5 


82  REVUE    CRITIQUE 

peut  consulter  celle  de  Dozy  et  de  Goeje.  Les  citations  d'auteurs 
arabes  sont  incomplètes  :  croirait  on  qu'El  Bekri,  le  plus  important 
de  tous,  El  Ya'qoubi,  Ibn  Batoutah  qui  traversa  le  pays  des  Touaregs 
en  allant  au  Soudan  et  le  décrivit,  ont  été  oubliés?  Faire  des  Hyksos 
(et  non  Hycksos)  les  ancêtres  des  Touaregs  (p.  lo-i  i)  est  de  la  pure 
fantaisie:  ils  auraient  été  repoussés  en  Libye  par  l'invasion  des  Scythes 
en  655  av.  J.-C.  ou  par  celle  de  Cambyse  en  525  (!).  Ou  encore  les 
Numides,  ancêtres  des  Touaregs  sont  «  le  résultat  du  croisement 
des  fils  de  Persée  (Phorusiens  ou  Hycksos,  peuple  pasteur  chassé  de 
l'Egypte),  avec  les  Gétules,  habitants  primitifs  du  pays»  (p.  i3). 
Cette  amplification  du  ch.  xviii  du  De  bello  Ju^urthino  de  Sallusie 
est  originale.  L'aventure  de  Sidi  'Oqbah  (p.  i6)  est  sagement  donnée 
comme  une  légende;  mais  les  noms  de  la  Kahina  et  de  Kosa'ilah 
«  héros  touareg  »  montrent  qu'il  s'agit  d'une  légende  fabriquée  par 
des  tolba  à  demi  lettrés.  Ce  premier  chapitre  aurait  pu  être  supprimé 
sans  inconvénient. 

La  carte  est  sommaire;  les  44 gravures  sont  des  photographies  bien 
choisies  et  bien  réussies  '. 

René  Basset. 


G.  Nicole,  Catalogue  des  vases  peints  du  Musée  national  d'Athènes,  Supplément. 
Un  vol.  in-S",  p.  v-xi,  i-?5i,Hg.  1-9  et  un  album  in-f"  avec  XXI  pi.  Paris, 
Champion,  191 1.  Prix,  70  fr. 

C'est  en  1877  que  M.  CoUignon  fit  paraître  le  premier  catalogue 
des  vases  d'Athènes.  L'ouvrage,  refondu  et  complété  par  Couve,  qui 
ne  put  le  terminer,  parut  sous  sa  seconde  forme  en  1 902,  bientôt  suivi 
d'une  double  série  de  tables  et  d'un  précieux  Album.  Le  présent  sup- 
plément, qui  compte  plus  de  i35o  numéros,  contient  les  vases  entrés 
depuis  1897,  auxquels  s'ajoutent  ceux  que  Schliemann  avait  décou- 
verts dans  les  tombes  de  l'acropole  mycénienne  :  les  séries  primi- 
tives et  minoennes,  chypriotes,  eubéennes  et  hellénistiques,  enfin  la 
suite  des  divers  vases  à  reliefs  se  sont  enrichies  de  nombreux  et  d'im- 
portants exemplaires.  L'auteur,  bien  connu  comme  céramographe  et 
dûment  présenté  par  M.  Collignon,  a  suivi  les  grandes  lignes  du 
classement  adopté  par  ses  prédécesseurs,  tout  en  y  introduisant  des 
subdivisions  et  des  groupements  nouveaux  :  de  très  courtes  notices 
suffisent  à  mettre  le  lecteur  au  courant  des  dernières  découvertes  ou 
des  plus  récentes  hypothèses;  la  description  est  toujours  sobre  et 
précise  et  seules  les  indications  techniques  pourraient  être  plus  nom- 
breuses. L'album  ne  contient  pas  que  des  inédits,  mais  les  monuments 
qu'il  donne  sont  bien  choisis  :  Je  les  aurais  voulu  plus  abondants, 
mais  il  est  probable  que  tel  aurait  été  aussi  le  désir  de  l'auteur  et  il 


I.  De  nombreuses  fautes  d'impression  :  p.  6,  Zirir  lire  Ziri;  p.  8,  note,  Ivbiennes 
1.  libyennes;  p.  92,  ham:;ad,  lire  am^ad;  p.  i5o,  Tanairovt  (2  fois  )  I.  Tane^roiift  ; 
p.  67,  note  2,  dikhr,  lire  dhikr;  kouadrya,  lire  Khaouatyah,  etc. 


d'histoire  et  de  littérature  83 

faut  ajouter  que  beaucoup  de  vases,  qui  sont  simplement  décrits,  ont 
été  reproduits,  dans  divers  recueils.  Quelques-unes  des  planches  sont 
en  couleurs,  mais  la  polychromie  en  est  parfois  médiocre  :  si  la 
planche  Vil  donne  une  idée  assez  exacte  de  l'amphore  d'Erétrie  (888), 
en  revanche  la  cruche  chypriote  5i3  (pi.  II)  n'offre  aucunement  la 
teinte  de  l'original;  la  faute,  cela  va  sans  dire,  n'en  est  nullement  à 
N.  lui-même,  mais  aux  procédés  de  reproduction  qui  restent  encore 
fort  imparfaits,  lorsqu'il  s'agit  de  gravures  en  couleurs. 

P.  i3,  dérinir  le  terme  :  établissement.  P.  45,  est-ce  bien   un  banc 
de  sable?   P.  71,  N.  rappelle  avec  raison  le  traitement  barbare  que 
Schliemann  a  fait  subir  aux  vases  qu'il  a  découverts  à  Mycènes.  P.  gS 
et  suiv.,  comparer  les  spécimens  que  j'ai  décrits  dans  le  t.  V  du  cata- 
logue de  Glercq.  P.  124,  l'anse  de  l'amphore  76g  est  étudiée  et  repro- 
duite BCH,  XXII,    1898,   p.   5o8,  fig.    17.    P.  i53,  n»  854,  l'oiseau 
parait  une  chouette,  cemmc  sur  le  n»  872  (p.  i5g).  P.  i58  (870),  les 
serpents  ne  sont  pas  enlacés.  P.  167,  est-ce  bien  un  carquois  et  non 
un   fourreau  d'épée  que   porte    Héraclès?  P.    i83,   N.  est-il   sûr   du 
«   héron   »?  P.  196,  l'  «  instrument  de  la   palestre  »  est  un  javelot. 
P.  2o3,  nouveaux  lécythes  avec  le  nom  de  Diphilos,  Hls  de  Melanopos. 
P.  227,  n°  io55,  le  deinos  apode  en  métal   est  connu  dans  la  Grèce 
propre  comme  vase  funéraire  et  «  agonistique   ».   P.  249,  je  doute 
beaucoup  que   l'athlète  nu   trempe  une  bandelette  dans  le   pseudo- 
aryballe.  Pourquoi  écrire  p    270  HomoUe-Perdrizet  et  p.  145  le  nom 
seul  de   Perdrizet?   P.   244  et    265,  je  trouve   la  graphie    strigile  et 
p.  25  5   et   343  strigyle  :  la  première  orthographe  est  la  bonne.  —  On 
ne  peut,  en  fermant  le  bon  et  l'utile  catalogue  de  N.,  s'empêcher  de 
penser  que  le  musée  d'Athènes  est  privilégié  parmi  les  galeries  d'Eu- 
rope :  non  seulement  les  inventaires  en  sont  publiés  avec  le  plus  grand 
soin,  mais  ils  sont  constamment  tenus  à   jour  par  des  rééditions  et 
des  additions  successives.  Sans  doute  la  richesse  des  séries  qu'il  ren- 
ferme  justifie   l'émulation    féconde   des    archéologues,  mais  le   jour 
viendra-t-il  jamais  où  les  Italiens  voudront  imiter  l'exemple  qui  leur 
est  donné  ailleurs  et  verrons-nous  quelque  jour  le  catalogue  illustré 
et  complet  du   Musée  du   Papa   Giulio,  du  Musée  de  Naples  et  du 
Musée  étrusque  de  Florence  ? 

A.  DE   RiDDER. 

Vitae  sanctorum  Danorum.  Udgivne  ved  M.  Cl.  Gertz,  af  Selska'oet  for  Udgt- 
velse  af  Kilder  lil  Dansk  Historié,  Andet  Haette,  pp.  167-390.  Copenhague,  en 
coinmissioa  chez  G.  E.  G.  Gad,  1910.  Gr.  in-80. 

Ge  deuxième  fascicule  des  Vitae  sanctorum  Danorum  comprend 
des  pièces  relatives  à  saint  Ganut,  duc  de  Schleswig,  à  saint  Ketil  ou 
Ketillus,  confesseur,  à  saint  Guillaume,  abbé  d'.'Ebelholt,  à  sainte 
Marguerite  de  Roskilde.  La  plupart  de  ces  pièces  proviennent  de  livres 
de  culte,  bréviaires,  antiphonaires,  missels.  Un  certain  nombre  sont 


84  REVUE    CRITIQUE 

déjà  connues.  On  retrouve  ainsi  les  pièces  de  la  liibliothcca  hagiogra- 
phica  Litifui,  i554,  i535,  4651,  4652,  8908,  5324.  Mais  M.  Gertz 
donne  un  meilleur  texte,  distingue  les  récits  parallèles  (pour  la  vie 
de  Ketil),  donne  les  abrégés  des  bréviaires  en  moniiani  leur  parenté 
mutuelle,  ajoute  les  pièces  de  vers  des  offices  et  fait  connaître  des 
récits  tout  à  fait  nouveaux  comme  le  recueil  des  miracles  de  saint 
Canut.  Des  introductions  soignées  font  connaître  les  manuscrits  de 
ces  textes  et  contiennent  de  précieuses  indications  historiques.  L'en- 
semble est  excellent  et  a  un  caractère  tout  à  fait  scientifique.  Guil- 
laume d'^î-lbelholt  intéresse  la  France.  Il  était  Parisien  et  chanoine 
de  Saint-Victor.  Une  partie  de  sa  biographie,  d'ailleurs  conservée  dans 
des  mss.  delà  bibliothèque  nationale,  a  de  l'importance  pour  l'histoire 
religieuse  de  Paris.  Nous  devons  regretter  que  les  introductions  soient 
rédigées  en  danois.  La  langue  arrêtera  plus  d'un  de  nos  étudiants  et 
tous  les  hagiographes  ne  savent  pas  le  danois.  Pour  cette  publication, 
le  latin  paraissait  indiqué. 

D.    SONNERY, 


De  Oud-Cristelijke  Sarkophagen  en  hun  godsdienstige  beteekenis.  Door 
H.  T.  Oberman.  's-Gravenhage,  M.  Nijhotf,  191 1.  viii-i  58  p.  et  39  fig.  sur  12  pi. 
grand  in-4°.  Prix  :  12  florins. 

L'étude  de  M.  Oberman  est  une  analyse  méthodique  des  représen- 
tations que  Ton  voit  sur  les  sarcophages  chrétiens  et  des  croyances  ou 
des  sentiments  qui  les  ont  inspirées.  Le  premier  chapitre  est  une  intro- 
duction. L'auteur  énumère  les  sarcophages    et  les  publications   qui 
leur  ont  été  consacrées.  11  en  établit  la  chronologie.  Le  chapitre  sui- 
vant   est   une    classification    des  motifs  figurés    d'après  leur    prove- 
nance :  motifs   empruntés  à  l'art  païen,  motifs  empruntés  à  l'art  des 
catacombes,    motifs    nouveaux    et    originaux.   La   représentation    de 
l'orante  méritait  un  chapitre  particulier  où  M.  0.1e  définit,  détermine 
la  nature  de  son  acte,  décrit  le  milieu  dans  lequel  les  artistes  le  font 
paraître  (arbres,  oiseaux,  saints,  brebis,  etc.).   LIne  autre  série  symbo- 
lyse  l'idée  du  salut  ou  du  triomphe  sur  la  mort  par  la  rédemption  :  le 
Bon    Pasteur,   Jonas,  Noë,    Daniel,   Suzanne,  le  passage  de   la   mer 
Rouge,  le  sacrifice  d'Abraham,  etc.  Un  cycle  spécial  est  l'histoire  du 
Christ  considéré  comme  Sauveur.  Souvent  il  préside  au  centre  de  la 
composition.  M.  O.  décrit  et  classe  les  divers  aspects  de  cette  figure. 
Un  long  chapitre  traite  des  images  du  paradis  ou  qui  l'annoncent. 
Elles  montrent  l'homme  apaisant  enfin  sa  soif  (noces  de  Cana,  Sama- 
ritaine, Moïse  frappant  le  rocher)  ou  sa  faim  (multiplication  des  pains, 
cène),  ou  bien  encore  arraché  au  danger  (Jonas,  Adam  et  Eve  dans  le 
paradis).    Dans   d'autres  scènes,  nous   assistons  aux  occupations  du 
paradis,  prière,  lecture,  jeux,  au  milieu  des  oiseaux,  des  fleurs  et  des 
arbres,  au  son  de  la  musique  (Orphée).   Alors  toute  pudeur  sera  dé- 
placée ;  les  personnages  placés  au  paradis  sont  représentés  nus.  Pour 


d'histoire  et  de  littérature  85 

donner  une  idée  de  la  manière  dont  les  saints  participent  aux  scènes  de 
sarcophages,  M.  O.  a  choisi  saint  Pierre  et  le  considère  dans  ses  trois 
situations  habituelles,  recevant  ses  pouvoirs  du  Christ  (tradition  des 
clés),  médiateur  de  salut,  enfin,  portant  la  croix  de  son  martyre  ou 
emprisonné.  Un  chapitre  sert  de  conclusion. 

L'ouvrage  est  accompagné  de  belles  héliogravures  des  principaux 
sarcophages  chrétiens.  Une  notice  donne  les  sujets  d'une  manière  très 
commode.  On  peut  recommander  le  livre  comme  la  meilleure  étude 
d'ensemble.  Il  est  vraiment  fâcheux  qu'il  soit  écrit  dans  une  langue 
peu  répandue.  M.  Oberman  n'aura  pas,  à  cause  de  cela,  tout  le  succès 
qu'il    mérite. 

S. 


Das  auslautende  -s  auf  den  lateinischen  Inschriften.  Von  Carola  Proskauer. 

Strasbourg,  Trùbner,   1910,  vin-2oS,  p.  in-8".  Prix  :  6  M. 

L'auteur  de  ce  travail  croit  que  1'^  final  était  encore  complètement 
conservé  vers  600  av.  J.-C.  Entre  cette  date  et  l'époque  historique, 
il  est  instable  après  o  bref  ouvert.  Vers  200,  il  se  consolide,  par  suite 
de  la  substitution  de  u  plus  fermé  à  o.  Cette  consolidation  est  défini- 
tive et  de  telle  nature  que  l'^^  final  passe  en  roman.  La  chute  de  s  en 
roumain  et  en  italien  n'a  aucun  rapport  avec  l'ancien  latin. 

Ces  derniers  points  étaient  connus.  La  consolidation  de  ïs,  vers 
200,  est,  au  contraire  contredite  par  l'usage  des  poètes.  On  a  la  res- 
source de  dire  que  les  poètes  ont  prolongé  arbitrairement  un  état  de 
choses  ancien  et  changé.  Il  y  a,  à  cela,  deux  difficultés.  D'abord 
M.  Havet  a  prouvé  que  la  fluctuation  chez  les  poètes  n'est  pas  arbi- 
traire ni  également  étendue.  Il  y  a  restriction  graduelle  de  Plante  à 
Cicéron.  De  plus,  le  texte  de  Cicéron,  Orator,  161,  atteste  formelle- 
ment que  certaines  gens  prononcent  encore  de  son  temps  sans  faire 
entendre  ïs  :  qiiod  iam  subrusticum  iiidettir.  II  ne  faut  pas  considérer 
ce  texte  comme  posant  la  question  ;  il  la  résoud.  Ce  n'est  pas  l'énoncé 
d'un  problème,  c'est  un  témoignage.  M.  Havet  était  au  contraire  par- 
faitement fondé  à  regarder  les  inscriptions  comme  soulevant  plus  de 
difficultés  qu'elles  n'en  dissipent  sur  ce  point.  Il  aurait  fallu  tenir 
compte  du  supplément  que  M.  Havet  a  apporté  à  son  premier  article 
dans  les  Alélanges  Boissier^  p.  263  et  suiv.  Enfin  1'^  final  n'est  pas 
seulement  caduc  après  o  final,  mais  après  i  bref. 

Malgré  ces  réserves,  cette  brochure,  en  réunissant  tous  les  exemples 
épigraphiques  et  en  faisant  une  large  enquête,  rendra  service.  Une 
table  détaillée  eût  été  utile.  Comment  saura-t-on,  par  exemple,  que 
nous  avons  là  un  recueil  des  cas  où  1'^  est  omise  dans  l'indication  de 
l'âge,  dans  annos  et  annis}  Une  quantité  de  détails  intéressants  et  bien 
classés,  utiles  aux  épigraphistes  ou  aux  linguistes,  passeront  forcé- 
ment inaperçus. 

H.  Ple;my. 


g^  •  RliVUh    CBlTiQLE 

rieury  Vindhv,  Les  Parlementaires  français  au  XVP    siècle,  t.  Il  (i"  fasc), 
Parlement  de  HorJeaux.    Taris,  H.  Champion,  igro,  in-8",  i32  +  xxxv  p. 

Suiie  de  celte  imércssaïuc  cl  uiile  piiblicaiion,  due  à  un  prodigieux 
labeur.  Sur  ces  Sgb  notices,  quelques-unes  sont  pariiculièrcment 
importantes  :  les  Dallîs.  les  Ncsmond,  les  de  Mullet,  les  de  Cruseau 
(M.  FI.  V.  apprécie  particulièrement  le  chroniqueur  Etienne  de  Cru- 
seaui,  les  Eyquem  parmi  eux  Montaigne),  la  Boéiie,  les  GautiVcteaa 
(ici  un  chroniqueur  que  M.  FI.  V.  n'aime  guère),  Arnoul  le  Ferron, 
les  de  Baulon,  Mctivier,  Florimond  de  Racmond,  Geoffroy  de  Mal- 
vin,  etc.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  avec  quelle  minutieuse  probité 
sont  établies  ces  notices,  désormais  indispensables. 

Au  risque  d'attirer  la  foudre  sur  M.  FI.  V.,  je  révélerai  ce  mystère 
que  \c  Contr'un  esi  pour  lui  une  «  pâteuse  élucubraiion  scolaire»,  qui 
jouit  d'une  <>  prodigieuse  ei  inexplicable  renommée  ».  Il  juge  comme 
nous  l'avons  fait  nous  même  les  allusions  à  l'œuvre  de  Ronsard,  les- 
quelles sont  au  futur.  El  il  traite  irrévérencieusement  de  «  réjouis- 
sante découverte  ))  la  thèse  qui  attribue  à  Montaigne  sinon  la  pater- 
nité, du  moins  le  décrassage  de  la  Servitude  volontaire.  Où  l'on  sera 
peut-être  moins  facilement  d'accord  avec  M.  FI.  V.,  c'est  quand  il 
dénie  aux  réformés  du  xvi*^  siècle,  même  après  iSja,  toute  tendance 
républicaine.  Le  loyalisme  de  Condé,  de  Coligny,  de  Henri  de 
Navarre  (le  loyalisme  de  ce  dernier  était  quelque  peu  intéressé)  ne 
font  rien  à  l'atîaire.  Les  pamphlets  de  1 573-1 679  n'en  tirent  pas 
moins  les  conséquences  politiques  de  l'esprit  d'examen.  «  Ceux  de  la 
R.  P.  R.  n'étaient  pas  contre  Un  ».  Ils  semblent  bien  qu'ils  le  fussent 
devenus  après  la  Saint-Barthélémy,  puisqu'ils  contisquèrent  le  Contr 
Un  à  leur  profit. 

L'appendice  comprend  des  notes  prises  à  l'éiat-civil  de  Bordeaux, 
pour  la  période  i56o-i6io.  P.    i  3o,  errata  et  addenda  au  t.  i". 

H.    Hacser. 


J.  Churton  Collins.  —  Voltaire,  Montesquieu   et  Rousseau   en  Angleterre, 

traduit  de  l'anglais   par   Pierre  Deseilie.  Paris,  Hachette,  191 1,  in-12,  252  pp. 

3  fr.  3o. 
William  P.  Trent.  —  Littérature   américaine,  traduction  de  Henry  D.  Davray, 

Paris,  Colin,  igi  i,  in-i  2,  42G  pp.,  5  francs. 
Lettres  de    Lord  Byron,  traduites  par  Jean  Delachaume,  avec  une  préface  de 

G.  Clemenceau.  Paris,  Calmann-Lévy,  191 1,  in-8%  440  pp.,  7  fr.  5o. 

Rien  ne  prouve  mieux  l'intérêt  qu'on  prend  en  France  à  la  littéra- 
ture d'outre-Manche  et  d'outre-Atlantique  que  ces  trois  traductions. 
Le  livre  de  M.  Churton  Collins  est  bien  connu  de  ceux  qui  se  sont 
occupés  du  séjour  de  Voltaire  en  Angleterre.  On  en  lit  la  traduction 
avec  plaisir.  Félicitons  M.  Ch.  C.  de  sa  préface  où,  sans  employer  le 
mot  de  littérature  comparée  dont  on  fait  si  souvent  abus,  il  donne  de 
la  science  qu'elle  devrait  être  une  excellente  définition,  en  l'appelant 


d'histoire  et  de  littérature  87 

a  l'étude  des  relations  étroites  qui  existent  entre  la  culture  d'un  pays 
et  celle  des  pays  étrangers  et  de  l'inBuence  mutuelle  des  principales 
littératures  européennes  sur  leur  évolution  et  leur  progrès  récipro- 
ques ».  Ce  que  l'auteur  dit  de  <  l'entente  cordiale  »,  est  beaucoup  plus 
contestable  :  on  ne  peut,  semble-t-il,  établir  aucune  corrélation  entre 
l'expansion  politique  d'un  peuple  et  la  diffusion  de  sa  littérature  ;  il  est 
possible  que  nos  idées  pénètrent  «  pacitiquement  »  en  Angleterre  à 
l'heure  présente,  mais  elles  y  pénétraient  bien  au  xviii"  siècle  en  dépit 
des  guerres  coloniales,  et  de  bons  juges  assurent  que  les  Allemands 
ont  attendu,  pour  s'éprendre  de  notre  culture,  la  guerre  de  1870  '. 

La  collection  d'histoires  des  littératures  publiée  par  la  librairie 
Armand  Colin  s'est  enrichie  d'une  littérature  américaine  que  les  lec- 
teurs français  devront  au  souple  et  élégant  traducteur  qu'est  M.  Henry 
D.  Davray.  L'auteur  de  ce  manuel,  le  professeur  Trent,  de  l'Univer- 
sité Columbia,  malgré  la  réputation  solide  dont  il  Jouit  en  Amérique, 
n'est  pas  connu  en  France  autant  que  tel  de  ses  collègues,  par  exemple, 
le  professeur  Barrett-Wendell,  le  professeur  Baker  ou  M.  Wood- 
berry.  On  ne  s'étonnera  pas  de  trouver  chez  lui  comme  chez  eux  la 
même  absence  de  préjugés  et  la  même  indépendance  d'idées.  A  la 
différence  de  M.  Barrett-Wendell,  le  professeur  Trent  fait  bon  marché 
de  toute  la  littérature  coloniale  américaine,  fatras  de  sermons,  de 
livres  de  controverse  religieuse,  d'annales  et  de  récits  de  voyages  ;  tout 
son  effort  se  porte  sur  l'étude  du  xix«  siècle.  Tandis  que  les  chapitres 
sur  la  période  coloniale  et  la  période  révolutionnaire  ne  demandent 
qu'une  centaine  de  pages,  les  chapitres  sur  la  «  période  de  formation  » 
(1789-1829)  et  la  «  période  locale  »  (i83o-r865),  en  prennent  plus  de 
trois  cents.  Par  un  scrupule  d'historien  dont  les  jugements  exigent 
pour  plus  de  sûreté  le  recul  du  temps,  le  professeur  T.  s'arrête  à  la 
date  de  i865.  C'est  dommage,  car  si  nous  connaissons  bien  les  «  clas- 
siques »  américains,  Irving,  Hawthorne  et  même  Poe  et  Whitman, 
nous  avons  moins  de  renseignements  sur  les  contemporains.  Dans 
quel  sens  s'oriente  la  pensée  américaine  ?  Poe  et  Whitman  ont-ils  fait 
école?  Quelle  est  la  dette  actuelle  de  l'Amérique  envers  l'Angleterre? 
Quelle  action  exerçons-nous  là-bas  et  quelle  action  y  exercent  les 
Allemands?  Autant  de  question  auxquelles  nous  voudrions  voir 
répondre  avec  quelque  précision.  En  fermant  le  livre  on  est  pris  d'un 
soupçon  :  y  aurait-il  chez  cet  Américain  un  peu  de  timidité  acadé- 
mique? Inutile  d'ajouter  que  le  volume  est  admirablement  imprimé. 
On  n'y  relève  aucune  de  ces  fautes  d'impression  qui  ont  la  gravité 
de  contresens. 

Les  lettres  de  Lord  Byron  sont  bien  oubliées  aujourd'hui  en  Angle- 
terre.  D'ailleurs  toute  son  œuvre  y  est  dépréciée,  injustement  cela  va 

r.  Quelques  fautes  d'impression  regrettables  :  par  exemple,  concennittg,  p.  47  ; 
Sloiine  pour  Sloane.  p.  78:  Beuchot  pour  Rcuchot.  p.  86;  Aban^it  pour  Abauzit, 
Pi   184,  etc. 


gg  REVUE    CRITIQUE 

sans  dire,  car,  avec  Shakespeare  et  Milton,  il  est  à  peu  près  le  seul  auteur 
anglais  qui  ait  acquis  une  renommée  européenne.  Le  titre  que  M.  De- 
lacliaume  a  donné  à  sa  traduction  n'est  pas  tout  à  fait  exact  ;  c'est 
choix  de  lettres  qu'il  aurait  fallu  dire,  car  des  635  lettres  de  Tédition 
anglaise  il  n'a  retenu  pour  les  traduire  que  i65  et,  par  un  lâcheux 
oubli,  il  n'a  pas  prévenu  le  lecteur  de  cette  mutilation.  La  traduction 
est  tîdèle  et  rend  scjuvent  la  vivacité  de  l'original,  mais  le  commentaire 
manque  quelquefois  de  siireté  et  les  fautes  d'impression  abondent  '. 
On  lira  avec  plaisir  la  vigoureuse  préface  de  M.  G.  Clemenceau. 

Cil.  Bastide. 


H.  G.  Paul,  John  Dennis,  His  Life  and  Criticism,  Ncvv-York,  Columbia  Uni- 
■     versity  Press,  191  i,  in-8°,  229  pp.  i   dollar  25. 

C'est  une  tâche  délicate  que  de  tenter  la  réhabilitation  d'un  auteur 
condamné  par  un  poète  satirique  de  génie.  Les  adversaires  de  Boileau 
ne  se  sont  pas  relevés  des  coups  qu'il  leur  a  portés  ;  ceux  de  Pope  évo- 
quent dans  notre  mémoire  les  vers  qui  les  ont  rendus  ridicules.  Nul 
ne  paraît  plus  grotesque  que  Dennis,  «  le  petit  critique  replet,  aux 
sourcils  froncés,  aux  gros  yeux  myopes  »,  si  prompt  à  s'emporter  que 
Pope  pouvait,  à  la  grande  joie  des  lecteurs,  le  représenter  comme  sujet 
à  des  attaques  de  tièvre  chaude.  Ce  fut  un  écrivain  infatigable. 
Comme  la  plupart  des  médiocres,  il  s'essayait  successivement  dans 
tous  les  genres,  sans  réussir  dans  aucun.  La  longue  liste  de  ses  publi- 
cations que  M.  H.  G.  P.  a  établie  avec  un  zèle  louable,  contient  pêle- 
mêle  poésies,  traductions,  tragédies,  pamphlets  politiques,  essais  cri- 
tiques. De  ce  fatras,  le  docteur  Spingarn  avait  tiré  il  y  a  deux  ans 
pour  ses  Morceaux  choisis  des  critiques  du  xvii^  siècle,  le  Critique 
impartial,  une  réponse  à  un  traité  de  Rymer  sur  la  tragédie.  M.  H. 
G.  P.  a  voulu  faire  mieux  :  il  a  tout  lu  et  rend  compte  de  tout.  Sans 
aller  jusqu'à  confirmer  le  jugement  de  Swinburne  pour  qui  ^  Dennis 
est  supérieur  à  Addison  »,  M.  H.  G.  P,  pense  que  le  critique  a  été 
injustement  déprécié.  «  Son  importance  n'est  pas  dans  les  doctrines 
qu'il  a  soutenues,  mais  dans  le  fait  qu'il  fut  l'un  des  premiers  de  sa 
race  à  consacrer  la  meilleure  partie  de  sa  vie  à  la  critique  ».  Accep- 
tons qu'on  tresse  une  couronne  à  ce  père  grincheux  de  la  critique 
moderne,  «  au  Timon  de  Grub  Street  »,  comme  l'appelle  si  bien 
Thackeray.  Peut-être  sera-t-on  désormais  moins  sévère  pour  Dennis, 
mais  je  doute  qu'on  lise  beaucoup  Les  remarques  sur  le  roi  Arthur, 
poème  héroïque,  L'utilité  du  théâtre  au  bonheur  de  l humanité,  au  gou- 
vernement et  à  la  religion.  Le  progrès  et  la  réforme  de  la  poésie 
moderne,  etc.  —  Quelques  fautes  à  signaler  :  Benchot  pour  Beuchot, 

I.  P.  7  :  Lisez  non  Vliomme  de  sentiment  mais  Vliomme  sensible;  p.  S  :  il  s'agit 
non  de  Jonson  l'auteur  comique,  mais  de  Samuel  .lohnson  le  critique;  p.  18  :  la 
lettre  viii  ne  vient  pas  à  sa  place  ;  ibid.,  n.,  torie  est  une  orthographe  vieillie  ;  p.  58, 
lisez  Montagne;  p.  341,  lisez  :  Rorvcroft,  etc. 


d'histoire  et  de  littérature  89 

p.  4;  lire  :  William,  p.  6;  le   renvoi  manque  p.    33  n.  ;  lire   p,   119: 
«  le  bon  sens  »  ;  et  pp.  121,221  :  Desmarets.  Dans  l'exemplaire  que  j'ai 
entre  les  mains,  je  n'ai  pas  irouvé  de  table  des  matières.  L'index  des 
noms  propres  ne  comble  pas  cette  lacune.   L'orthographe  Terrence, 
p.  83,  répétée  p.  228  et  ailleurs,  paraît  bizarre.  —  L'auteur  a  eu  raison 
de  mettre  en  évidence  ce  que  les  idées  de  Dennis  avaient  de  révolu- 
tionnaire à  son  époque.  Ce  fut,  sans  qu'il  s'en  doutât,  une  sorte  d'ancê- 
tre des   romantiques.    L'un  des  premiers   à  reconnaître  le  génie  de 
Milton,  il  proposait  aux  poètes  de  renoncer  à   l'imitation   des  chefs- 
d'œuvre  de  l'antiquité  païenne  pour  puiser  leur  inspiration  dans  la 
Bible.  La  source  de  la  poésie,  disait-il  encore,   c'est  l'émotion.  Il  se 
faisait  contre  Pope  et  l'école  classique  le  défenseur  du  vers  blanc,  le 
vers  de  Shakespeare  et  de   Milton.  EnHn,  et  ce  dernier  trait  est  tout  à 
fait  digne  de  remarque,  il  eut,  surtout  dans  sa  jeunesse,  un  culte  très 
sincère  pour  la  nature.  «   J'aime,  dit-il  dans  son  récit  d'un  voyage  en 
Italie,  les  collines  et  les  vallées,  les  prairies  ornées  de  fleurs,  et  les 
ruisseaux  murmurants.  Mais  c'est  avec  transport  que  j'ai   contemplé 
les  Alpes,  transport  mélangé  d'un  sentiment  d'horreur  et  quelquefois 
presque  de  désespoir  ».  Nous  nous  rangeons  à  l'avis  de  M .  H.  G.  P. 
quand  il  s'écrie  que  le  malheur  de  Dennis  fui  de  vivre  trop  vieux  et  de 
s'attirer  dans  sa  vieillesse  les  sarcasmes  de  Pope.  Il  ne  sera  pas  facile 
de  chasser  de  notre  mémoire  l'image  d'un   Dennis  misérable,  aigri, 
extravagant. 

Gh.  Bastide. 


Dr.  Eugen.  Kaufmann,  Das  franzôsische  Bankwesen,  mit  besonderer 
Berûcksichtigung  der  drei  Depositengrossbanken  (Ergânzungsheft  I  de 
VArcliiv  f.  Socialwissenschaft  und  So:iijlpolitik).  Tubingen,  J.  C.  B.  Mohr,  191 1. 
In-8°,  xii-3y2  p. 

G'est  une  chose  curieuse  que  nous  devions  à  un  étranger  le  seul 
exposé  scientifique  d'ensemble  de  la  question  des  banques.  L'auteur 
explique  lui-même  ce  phénomène  :  ceux  des  Français  à  qui  ne  fait 
pas  défaut  la  compétence  sont  au  service  ou  dans  la  dépendance  des 
établissements  qu'il  s'agit  d'étudier.  L'exposé  de  M.  K.  est  remarqua- 
blement clair.  Mais  là  n'est  pas  son  principal  mérite.  On  sent  que 
M.  K.  ne  s'est  pas  contenté  d'étudier  son  sujet,  germanicomore,  dans 
les  textes  et  dans  les  bilans.  11  a  vécu  dans  nos  banques,  il  en  a  étudié 
le  fonctionnement  concret,  les  habitudes,  lepersonnel.  Son  historique 
est  d'une  lecture  particulièrement  savoureuse,  parce  qu'on  y  voit  des 
hommes,  les  premiers  Rothschild,  les  grands  banquiers  orléanistes, 
les  Péreire.  Sur  nos  grands  établissements  de  crédit,  M.  K.  ne  par- 
tage ni  les  indignations  de  Lysis  ni  les  enthousiasmes  de  Testis.  A 
chaque  peuple  les  institutions  de  crédit  qu'il  mérite.  Les  nôtres  chan- 
geront, quand  changera  notre  mentalité. 

Henri  Hauseb. 


go  REVUE   CRITIQUE 

La  solidarité  sociale,  ses  formes,  son  principe,  ses  limiics.  Travaux  et  paroles 
de  Kcnc  Woriiis,  A.  D.  Xéimpol,  cic,  etc.  't.  III  des  AidkiIcs  dv  l'Intitiit  iiitC)-- 
fijtional  de  xociolof^ic),  Paris,  (liard  et  Bricre.  191  i,  ln->S".   32G  p. 

l.u  Solidarité  de  M.  Léon  Bourgeois  devait  avoir  son  congres.  Il 
s'est  tenu  à  Berne  en  1909.  Il  nous  est  iiiip(jssible  de  résumer  ou 
même  d'enumérer  ici  les  communications,  parfois  brillantes,  de 
MM.  Novicow,  Ludwig  Stcin,  Grimanclli,  Gobai,  F.  Buisson, 
Ostwald,  James  M.  Baldwin  et  de  tant  d'autres.  Notons  seulement  la 
place  que  le  Congrès  a  donnée,  d'une  façon  plutôt  inattendue,  à  la 
notion  des  limites  de  la  solidarité.  En  particulier  la  lecture  de 
M.  G.  Papillaut  sur  les  limites  biologiques  de  la  solidarité  est  singu- 
lièrement riche  d'observations  précises. 

Sur  la  solidarité  nationale,  la  communication  la  plus  importante 
est  celle  de  M.  Xénopol.  On  voit  qu'elle  émane  d'un  citoyen  d'un  de 
ces  pays  où  la  langue  est  presque  le  seul  support  de  la  nationalité. 
Aussi  M.  X.  n'admet-il  qu'une  cause  à  la  coexistence  de  plusieurs 
idiomes  dans  le  sein  d'un  même  peuple,  à  savoir  la  contrainte,  et  est-il 
disposé  à  identifier  les  limites  linguistiquesetleslimites  nationales.  Ces 
théories  ne  trouvent  que  très  imparfaitement  leur  application  dans 
l'Europe  occidentale.  Où  M.  X.  est  plus  solide,  c'est  quand  il  dit  : 
«  Ce  n'est  pas  en  sanctionnant  des  injustices  présentes  que  l'on  assu- 
rera la  solidarité  humaine  ».  Ce  qu'on  appelle  la  paix  par  le  droit  ne 
saurait  sortir  de  la  paix  contre  le  droit. 

Contre  la  thèse  de  M.  Novicow,  qui  veut  voir  dans  la  solidarité 
internationale  le  seul  facteur,  non  seulement  futur  mais  passé,  du 
progrès  humain,  des  objections  ont  été  formulées,  notamment,  par 
cet  esprit  si  libre  et  si  original  qu'est  M.  Fournière.  Il  est  fâcheux  que 
M.  Novicow  n'en  ait  pas  présenté,  à  son  tour,  contre  les  propositions 
de  M.  Couturat  en  faveur  d'une  langue  internationale  artihcielle. 

Henri  Hauser. 


D'  Heinrich  Pohl  Deutsche  Prisengerichtsbarkeit.  Ihre  Reform  durch  das  Haa- 
ger  Abkommen  vom.  18.  Okt  1907.  Tûbingcn,  G.  G.  B.  Mohr,  191 1.  In-S»,  233  p. 

Que  deviendra  la  convention  de  1907?  Sera-t-clle  jamais  la  loi  des 
nations?  Que  sera  la  cour  internationale  des  prises?  Dès  maintenant 
il  est  intéressant  de  rechercher,  dans  le  droit  spécial  des  diverses 
nations  maritimes,  les  antécédents  de  cette  institution.  M.  P.  le  fait 
dans  un  esprit  trèspositif,  sans  cacher  sa  méfiance  à  l'égard  de  certaines 
formules,  creuses,  par  exemple  «  la  communauté  juridique  inter- 
nationale »  (ce  que  nos  pacifistes  les  plus  notoires  appellent  la  société 
des  nations)  considérée  comme  source  de  droit.  Le  droit  international 
allemand  lui  apparaît  comme  la  somme  des  principes  juridiques  que 
l'Etat  allemand  reconnaît  comme  obligatoires  pour  soi  dans  ses 
rapports  de  fait  avec  les  autres  États  C'est  seulement  de  la  ressem- 
blance entre  les  règles  de  droit  spéciales  à  chaque  État  que  peut  sortir 


d'histoire  et  de  littérature  91 

un  droit  international  positif.  «  La  convention  des  prises  n'est  pour  le 

moment  rien  déplus  qu'un  projet  non  obligatoire...  On  esta  l'œuvre, 

pour  appeler  à  la  vie  un  devoir-ôire  ».  Bref  la  Société  des  nations  n'est 

pas  un  commencement,  mais,  dans  tous  le  sens  du  mot,  une  fin.  En 

appendice  (en   français)  les  propositions  allemandes  et  anglaises  à  la 

conférence,  et  la  convention. 

H.  Hr. 


Albert  Anthony  Giesecke.  American  commercial  législation  before  1789. 
University  of  Pcnnsylvania,  D.  Applctoii  and  Go.  New-York.  1910.  In-8% 
IV-167  p.   Index. 

Nous  savons,  en  Europe,  le  rôle  joué  par  les  questions  de  législa- 
tion commerciale  dans  la  révolte  des  colonies  d'Amérique.  Mais  nous 
oublions  facilement  que  l'Angleterre  pratiquait,  tout  comme  les  autres 
puissances,  la  théorie  du  pacte  colonial.  Ce  n'est  qu'à  la  longue,  et  à 
mesure  que  leurs  intérêts  devenaient  plus  considérables,  que  les  colo- 
nies songèrent  à  dénier  au  gouvernement  métropolitain  le  droit  de 
s'occuper  de  leurs  affaires,  à  faire  appel  à  la  grande  charte  et  à  la 
déclaration  de  1689. 

M.  A.  A.  G.  montre  en  outre  quel  savant  système  de  droits  d'en- 
trée et  de  sortie,  de  primes,  etc.,  isolaient  les  colonies  les  unes  des 
autres. 

La  révolution  coupe  les  relations  commerciales  avec  l'Angleterre. 
Mais  elle  n  a  pas  pour  effet  de  constituer  la  fédération  en  une  unité 
douanière.  La  législation  commerciale  est  du  ressort  des  États,  et 
chaque  Etat  a  ses  tarifs  spéciaux,  parfois  dirigés  contre  les  États 
voisins.  En  I78i-i782le  Congrès  échoue  encore  dans  sa  tentative 
d'établissement  d'un  droit  de  douane  fédéral  de  5  0/0  sur  certains 
produits  étrangers;  de  même  en  1786.  11  fallait  cependant  constituer 
des  ressources  à  la  Confédération,  ne  fût-ce  que  pour  le  service  de  la 
dette.  Mais  l'opposition  d'un  seul  État  suffisait  à  tout  empêcher.  Il 
fallut  la  convention  d'Annapolis  et  celle  de  Philadelphie  (1787)  pour 
conférer  au  Congrès  un  droit  de  contrôle  sur  le  commerce  extérieur 
et  le  commerce  entre  États,  pour  donner  au  pouvoir  fédéral  le  droit 
exclusif  de  conclure  des  traités.  On  peut  dire  que  cette  convention  a 
autant  contribué  que  le  vote  même  de  la  Constitution  à  faire  des  États- 
Unis  une  nation. 

H.  Hr. 

Walther  Reinôhl,  Uhland  aïs  Politiker,  Tiibingen,  Mohr,  191 1,  8",  p.  267 
Mk.  5  (Beitrâge  zur  Parteigeschichte,  hersg.  v.  Ad.  Wahl.  2,  Bd). 

Adolf  Rapp,  Friedrich  Thcodor  Vischer  und  die  Politik,  Ibid.  191  r,  8°.  p.  166, 
Mk.  3,40  (Ibid.,  3,  Bd). 

I.  Un  exposé  méthodique  de  la  carrière  politique  d'Uhland,  bien 
qu'il  ne  pût  nous  apporter  aucune  révélation  sur  une  vie  si  franche  et 
si  droite,  méritait  de  nous  être  présenté  et  il  complétera  le  portrait  si 


92  REVUE    CRITIQUE 

souvent  iracc  du  savant  et  du  poète.  M.  Reinôhl  a  recherché  dans  la 
correspondance  d'Uhland  et  de  ses  amis,  dans  ses  manuscrits  con- 
servés au  Schiller  Miiscum,  dans  les  comptes  rendus  et  les  archives 
du  Lnndtag  wui  tenibergeois  et  ailleurs  encore  les  documents  néces- 
saires pour  suivre  le  rôle  de  l'avocat  et  du  professeur  devenu,  malgré 
lui,  par  conscience,  homme  politique.  Vers  i8i5,  les  démocrates  du 
Wurtemberg  étaient  d'irréductibles  conservateurs,  et  Uhland  qui,  sa 
vie  durant,  fut  boudé  par  les  monarchies,  débute  dans  la  politique  par 
la  lutte  pour  le  maintien  de  l'ancienne  constitution  avec  les  Altrechtler, 
il  réclame  la  suppression  de  la  noblesse,  il  écrit  ses  fameuses  poésies 
politiques  (M.  R.  eût  pu  s'y  arrêter  davantage)  et  gagne  ce  renom  de 
défenseur  intransigeant  des  droits  du  peuple  qui  par  deux  fois  le 
désigna  aux  sutîVages  de  ses  concitoyens.  Son  activité  parlementaire 
dans  les  sessions  de  1819a  1826  et  de  i833  à  i838  est  suivie  en  détail; 
chacune  de  ses  motions,  chacun  de  ses  amendements  et  de  ses  votes 
sont  commentés,  souvent  avec  ses  propres  paroles.  11  eût  été  à 
souhaiter  que  l'auteur,  au  lieu  de  se  borner  à  suivre  l'ordre  chrono- 
logique, eût  groupé  les  différents  points  de  cette  activité,  qu'il  nous 
eût  donné  une  idée  plus  complète  et  de  la  chambre  wurtembergeoise 
et  de  la  vie  politique  du  pays.  Uhland  est  trop  isolé  dans  cette  étude  ; 
c'est  un  portrait  sans  cadre.  Pour  le  dernier  chapitre  de  la  vie  poli- 
tique d'Uhland.  au  Parlement  de  Francfort,  cette  lacune  est  moins 
sensible  :  l'histoire  de  l'Assemblée  nationale  est  une  page  souvent 
retracée  de  l'histoire  d'Allemagne  et  en  outre  l'activité  du  député,  du 
fait  de  son  caractère,  y  fut  moins  dispersée  et  plus  restreinte  aussi. 
Elle  reste  intéressante  à  suivre  et  la  voix  obstinée  et  éloquente  de  ce 
modeste  qui  ne  recherchait  pas  la  tribune,  qui  fuyait  les  clubs,  qui 
repoussait  toutes  les  avances,  emprunte  de  cette  réserve  une  énergie 
qui  force  le  respect.  Mais  nous  aurions  aimé  rencontrer  dans  ces 
pages  un  porfait  d'Uhland  orateur,  quelques  mots  sur  son  humour, 
car  il  n'en  manquait  pas;  M.  R.  n'eût  pas  été  embarrassé  pour 
recueillir  des  souvenirs  auprès  de  l'ancienne  génération.  Nous  aurions 
enfin  voulu  aussi  connaître  l'origine  des  idées  politiques  de  ce  doc- 
trinaire qui  ne  voulait  l'unité  que  par  la  liberté,  nous  aurions  voulu 
voir  analyser  l'influence  des  idées  de  la  Révolution  sur  son  esprit 
(elle  est  évidente,  mais  jusqu'à  quel  degré  l'a-t-il  subie?),  le  résultat 
du  séjour  de  Paris,  celui  de  ses  relations  avec  un  petit  pays  alors  en 
pleine  fermentation,  Bade.  M.  R.  s'est  bien  acquitté  de  sa  tâche  pro- 
prement dite,  mais  il  a  eu  le  tort  de  négliger  les  entours  du  sujet, 

II.  La  monographie  de  M.  Rapp  appartient  comme  la  précédente  à 
une  collection  dont  M.  Wahl,  professeur  à  Tubingue,  vient  d'entre- 
prendre la  publication  et  qui  se  propose  de  grouper  les  documents  et 
les  études  intéressant  l'histoire  des  partis  politiques,  sans  restreindre 
celle-ci  à  l'Allemagne.  D'ailleurs  en  dehors  même  des  travaux  abor- 


d'histoire  et  de  littérature  93 

dant  directement  notre  propre  histoire  ou  celle  de  l'Angleterre,  il  est 
évident  que  les  conceptions  politiques  au-delà  du  Rhin  présentent 
de  fréquentes  attaches  avec  celles  des  pays  voisins.  C'était  vrai  pour 
Uhland,  qui  peut  passer  pour  un  tils  intellectuel  de  ncjtre  Révolution, 
c'est  vrai  également  pour  Vischer,  si  gallophobc  qu'il  ait  été.  A  la 
différence  d'Uhland,  Vischer  a  fait  passionnément  de  h\  politique,  il 
l'a  recherchée  et  il  l'a  maudite,  il  l'a  infatigablement  servie  par  la 
plume  et  par  la  parole;  mais  comme  Uhland,  il  n'a  eu  aucune  ambi- 
tion personnelle  et  autant  que  son  froid  compatriote,  démocrate  et 
grossdeutscher  comme  lui,  il  n'obéissait  partout  qu'à  un  patriotisme 
sincère,  seulement  plus  bouillonnant  et  plus  inquiet.  Toute  l'activité 
politique  de  Vischer  est  concentrée  autour  du  problème  de  l'unité 
allemande.  M.  R.  a  suivi  en  détail  son  rôle  au  Parlement  de  Franc- 
fort, dans  les  séances  et  dans  les  clubs,  puis  après  la  dissolution  de 
l'assemblée,  la  campagne  que,  de  i855à  1866,  retiré  à  Zurich,  il  mène 
en  faveur  de  la  cause  nationale,  les  solutions  successives  qu'il  cherche 
à  la  question,  car  cet  esprit  souple  sait  en  voir  les  multiples  aspects 
si  souvent  modifiés  par  les  événements.  Nous  le  voyons  toujours 
garder  ses  méfiances  à  l'égard  de  la  Prusse,  ses  sympathies  pour 
l'Autriche,  ses  inquiétudes  d'une  intervention  française  et  son  ardent 
désir  d'une  grande  guerre  nationale  dont  l'élan  lui  semblait  devoir 
fondre  toutes  les  résistances,  et  c'est  plaisir  de  retrouver  de  ces  divers 
seniiinents  dans  le  livre  de  M.  R.  l'expression  pittoresque,  souvent 
bizarre,  toujours  savoureuse.  Lorsqu'enfin  en  1866  le  nceud  qui  ne 
pouvait  se  délier  fut  tranché  par  la  diplomatie  de  Berlin,  Vischer 
resta  profondément  blessé  du  succès  de  la  Prusse,  mais  il  jugea  avec 
la  plupart. des  grossdeutsche  que  les  succès  de  1871  avaient  racheté  la 
faute  de  1866  et  il  devint  un  des  admirateurs  sincères  de  la  politique 
de  Bismarck.  M.  R.  a  retracé  d'une  manière  très  attachante  et  très 
fidèle  cette  longue  part  prise  par  Vischer  à  la  politique;  il  a  analysé  ou 
cité  beaucoup  de  ses  discours,  de  ses  feuilles  volantes,  de  ses  articles, 
dont  certains  ne  furent  pas  imprimés;  il  a  tiré  parti  des  lettres  échan- 
gées avec  Strauss,  Màrklin,  le  pasteur  Rapp,  Giinthert,  etc.,  ei  dans 
l'ensemble  des  renseignements  qu'il  a  ainsi  amassés  la  part  du  nou- 
veau reste  assez  grande.  Son  étude,  comine  celle  de  M.  Reinôhl,  fait 
bien  augurer  de  l'entreprise  due  à  l'initiative  de  M  Wahl,     ^   R 


Max  Lenz.  Geschichte  Bismarcks.  3,  verhesserte  und  ergânzte  Auflagc.  Leipzig, 

Duncker  et  Humblot.    191  i,  in  8°  p.  497.  mk.  8. 
Georges    Goyau.    Bismarck    et  l'Église.    Le   Culturkampf.    (1870-1878).    Paris, 

Perrin,  191 1,  in- 16,  2  voL  pp.   .14,  487  et  435.  Fr.  8. 
Henri    Moysset.    L'Esprit  public   en    Allemagne.    Vingt   ans  après    Bismarck. 

Paris,  Alcan,  191  i,  in-8°  pp.  2g,  304.  Fr.  5. 
Lucien  Hlbert.  L'Effort  allemand.    L'Allemagne  et   la  France    au  point  de  vue 

économique.  Paris,  Alcan,  191  i,  in-i6.  p.  236.  Fr.  3.5o. 

I.  La  première  édition  de  l'ouvrage  de   M.  Lenz  a  paru  en    1902  ; 


()  1  REVUE   CRITIQUE 

j'en  ai  rendu  compte  dans  la  Revue  du  5  février  io()3.  Il  n'est  pas 
besoin  de  refaire  l'éloge  de  celte ///iYo//f  de  liismarck  qui  reproduit 
presque  exactement  l'articie  dont  M.  L.  a  cié  chargé  pour  VAll^em. 
deiitsche  liio^rciphie  vol.  4(1  .  Il  suflira  d'appeler  l'attention  sur  les 
parties  nouvelles  du  livre.  A  part  de  légères  retouches  de  style  et 
quelques  précisions  de  plus  çà  et  là,  comme  sur  le  refus  du  roi  de 
Prusse  de  prendre  part  au  Congrès  des  princes  de  Francfort,  sur  les 
négociations  avec  l'Autriche  avant  le  conflit  de  1866  et  sur  l'attitude 
de  Napoléon  après  Sadowa,  il  n'y  a  de  vraiment  neuf  que  le  chapitre 
consacré  au  Norddeutscher  Bund.  Mais  celui-ci  constitue  une  addi- 
tion importante  :  il  était  réduit  à  9  pages  dans  la  première  édition,  il 
en  a  54  dans  la  nouvelle;  les  papiers  de  Bennigsen  et  les  Mémoires 
de  Hohenlohe  semblent  en  avoir  fourni  les  principaux  éléments. 
M.  L.  nous  y  renseigne  mieux  sur  la  préparation  laborieuse  de  la 
nouvelle  constitution,  sur  le  partage  du  pouvoir  entre  le  Bundesrat 
et  le  Reichstag,  sur  l'attitude  des  partis  et  plus  spécialement  sur  le 
rôle  des  nationaux-libéraux  et  de  leur  ancien  chef  Bennigsen.  La 
question  de  Luxembourg  dont  Bismarck  sut  user  si  habilement  pour 
chauffer  le  nationalisme  allemand  et  les  efforts  déployés  afin  de  gagner 
à  la  cause  de  l'unité  la  Bavière,  dont  il  n'aurait  pas  hésité  à  briser  la 
résistance  parla  force,  s'il  l'eût  fallu,  toute  cette  période  intéressante 
entre  les  deux  grandes  guerres  a  reçu  le  développement  qu'elle  com- 
portait et  une  lacune  de  l'excellent  ouvrage  est  ainsi  comblée, 

II.  Existe-t-il  une  histoire  impartiale  du  Culturkampf  cl  en  général 
de  tous  les  conflits  nés  de  la  rivalité  de  l'Église  et  de  l'État  ?  Il  paraît 
difficile  de  l'admettre  ;  on  ne  s'étonnera  pas  en  tout  cas  de  recevoir  de 
M.  Goyau  un  récit  catholique  delà  lutte  qui  mit  aux  prises  Bismarck 
et  l'ultramontanisme.  Il  a  fouillé  ce  long  épisode  de  la  politique  inté- 
rieure du  chancelier,  il  a  dépouillé  une  énorme  littérature  imprimée, 
mémoires  et  correspondances  des  principaux  acteurs  de  la  querelle, 
écrits  de  polémique  et  controverses  théologiques,  procès-verbaux 
des  débats  parlementaires;  il  n'a  rien  négligé  et  a  su  recueillir  aussi 
nombre  de  documents  inédits  que  lui  ont  livrés  les  archives  des  évê- 
chés  et  des  cures.  Son  livre  est  puissamment  documenté,  mais,  il  faut 
le  dire,  en  vue  d'une  apologie,  et  on  ne  pourra  le  consulter  que  pour 
y  trouver  la  thèse  d'un  parti. 

Pour  M.  G.  le  Culturkampf  fui  une  erreur  de  Bismarck,  une  cam- 
pagne malheureuse  où  il  s'est  lourdement  mépris  et  a  donné  des 
preuves  d'une  nervosité  trop  fréquente.  Bismarck  était  d'une  piété 
sincère  et  le  premier  chapitre  nous  définit  cette  religiosité  particu- 
lière, réelle,  mais  fermée  au  sens  d'une  organisation  religieuse.  Sans 
aucun  parti-pris  contre  l'Église  et  nullement  avec  les  convictions  d'un 
sectaire,  Bismarck  a  laissé  agir'les  nationaux-libéraux  dont  il  avait 
besoin  depuis  que  les  conservateurs  l'avaient  abandonné.  Il  s'est  servi 


DHISTOlRfc;    ET    UK    LITTÉRATURE  ^5 

d'eux  pour  écraser  le  Centre  qu'il  accusait  de  compromettre  l'unité 
du  Jeune  Empire  et  il  s'est  fait  du  Culturkampf  une  arme  contre  les 
tendances  antinationales  d'une  coalition  redoutable.  Malgré  les  pro- 
testations des  catholiques  et  la  plaidoierie  habile  de  leur  historien, 
il  faut  bien  reconnaître  que  la  résistance  des  Polonais  comme  l'hosti- 
lité du  parti  guelfe  ne  laissaient  pas  de  donner  quelque  fondement  à 
ces  griefs  du  chancelier.  Windthorst  ne  combattait  pas  seulement 
pour  l'indépendance  de  la  vie  religieuse  en  Allemagne.  Que  dans  cette 
défense  de  son  œuvre,  Bismarck  se  soit  laissé  entraîner  trop  loin,  on 
peut  l'accorder  à  M.  G.  ;  il  a  su  d'ailleurs  abandonner  à  ses  collabo- 
rateurs, à  Falk  surtout,  la  responsabilité  de  la  forme  irritante  que  prit 
le  conflit;  mais  on  ne  saurait  prétendre  qu'homme  d'Etat  il  eût  à  se 
désintéresser  du  péril  que  suscitait  à  l'État  une  intervention  étrangère 
sous  le  masque  de  la  religion. 

L'auieur  est  remonté   aux   origines    du   Ciilliirkampf  en   étudiant 
l'attitude  de  Bismarck  dans  la  question  romaine,  la   constitution    des 
deux   grands  partis   adverses,    nationaux-libéraux     et  Centre,     et  la 
formation  de  la  secte  des  Vieux  Catholiques  à  la  suite  des  dissentiments 
provoqués  dans  l'Eglise  d'Allemagne  par   la  proclamation  du  dogme 
de  l'infaillibilité.  Dans  tout  le  cours  de  l'ouvrage  les  destinées  de  ces 
schismatiques  sont  fidèlement  suivies  avec  une  abondance   de  détails 
qui  ne  répond  peut-être  pas  à  l'importance  de  leur  rôle,  mais  donne  à 
M.  G.  le  malin    plaisir  de  nous  signaler  les  déceptions  et  les  échecs 
de  ces  fourvoyés.  La  suppression  de  la  division  catholique  au  minis- 
tère prussien,  la  loi  sur  l'inspection  scolaire  et  la  loi  contre  les  Jésuites 
furent  les  premiers  engagements  de  la  lutte  que  Virchow  devait  baptiser 
du  nom  de  Ciiltiirkampf,  qx  l'auteur  nous  en  présente  très  habilement 
les   principaux    protagonistes,     Windthorst,    Mallinkrodt,    les  deux 
Reichensperger,  Schorlemer-Alst,   etc.    Puis  vinrent   les  attaques  de 
biais  contre   l'épiscopat  et  enfin  le  vote  des  lois  de    mai.  Toutes  les 
péripéties   de  la  guerre    qu'entraîna   leur   application   sont    exposées 
avec  beaucoup  d'intérêt  :  les  passes  d'armes   avec  le  pape  et  la  résis- 
tance opposée  en  Prusse  par  les  prélats   ou    les    simples  clercs.    Que 
d'incidents  dans  le  récit  anecdotique  de  ces  querelles  où  il  suffirait  de 
changer  les  noms  pour  que  cette  histoire  vieille   de  près  de  quarante 
ans  nous  reporte  à  celle  qui  s'est  déroulée  chez  nous  il  y  a  quelques 
années  seulement  !  On  verra  avec   curiosité  quels    appuis  inattendus 
les  catholiques  trouvèrent  en  dehors  de  leur  confession,  jusque  dans 
l'entourage  même  du  roi  Guillaume.  Les  tenants  du  Cultiirkampfoni 
au  contraire,  en  dehors  de  Falk,  un  rôle  plus  effacé,  mais  les  diverses 
tentatives  de  Bismarck  pour  donner  à  la  lutte  en  Allemagne    et  hors 
d'Allemagne,  l'aniplcur    d'un    conflit   international  sont   signalées  à 
leur  place.  Le  combat  finit  par  la  lassitude,    mais  seulement  chez  les 
persécuteurs,  de  l'autre  côté  il  n'y  a  qu'héroïsme  et  inépuisable  esprit 
de  sacrifice;  le  désarroi  et  les  déconvenues,  la  mauvaise  humeur  et  les 


q(\  RKVIIE    CRITIQUE 

vellcitcs  mal  déguisées  d'obtenir  la  paix  ne  se  rencontrent  que  chez 
ceux  i]ui  ont  dccliainé  la  guerre. 

Un  troisième  volume  nous  exposera  les  phases  de  Tapaisement. 
Souhaitons  qu'il  paraisse  bientôt,  et  nous  remercierons  M.  G.  d'avoir 
traité  avec  tant  d'érudition  ei  de  dévouement  à  la  cause  catholique 
u\}  épisode  historique  qu'il  nous  fait  mieux  connaître,  même  s'il  n'a 
voulu  projeter  la  lumière  que  sur  l'un  de  ses  aspects. 

III.  M.  Moy.'set  n'a  pas  prétendu  à  n^us  donner  une  étude  com- 
plète de  l'esprit  public  en  Allemagne;  ce  titre  n'est  qu'un  lien  entre 
divers  articles  publiés  de  1908  à  191  i  et  où  il  étudiait  des  questions 
qui  par  leur  portée  peuvent  passer  en  effet  pour  être  assez  représen- 
tatives de  l'opinion  allemande.  La  première  est  celle  delà  germanisa- 
tion des  provinces  polonaises;  elle  occupe  un  tiers  du  livre  et  offre 
une  étude  très  nourrie,  pleine  de  chiffres  et  de  statistiques,  exposant 
les  efforts  tentés  par  la  Commission  de  colonisation  d'une  part,  et  de 
l'autre  toute  l'organisation  de  la  résistance  souvent  victorieuse  que 
lui  a  opposée  le  Polonisme.  On  se  souvient  comment  le  ministère 
prussien  dut  recourir  à  une  arme  étrange,  l'expropriation  ;  les  débats 
enaaaés  autour  du  vote  de  la  loi  sont  suivis  en  détail  par  M.  M.  Un 
second  problème,  dont  la  solution  intéresse  toute  l'Allemagne,  quoi- 
qu'il ne  soit  lui  aussi  qu'exclusivement  prussien,  est  la  réforme  du 
droit  électoral  du  Landtag  de  Prusse.  Ici  encore  l'auteur  a  puisé 
abondamment  dans  les  statistiques  pour  nous  faire  saisir  les  compli- 
cations et  les  bizarreries  du  régime  censitaire  auquel  le  gouverne- 
ment veut  rester  attaché;  il  a  avec  une  précision  non  moins  minu- 
tieuse expliqué  les  profondes  transformations  économiques  qui 
rendent  la  réforme  de  plus  en  plus  pressante.  C'est  d'ailleurs  le  mérite 
de  son  livre  de  nous  signaler  tous  les  germes  de  révolution  politique 
que  la  substitution  d'une  Allemagne  industrielle  à  l'ancien  Etat  agra-  . 
rien  a  apportés  dans  l'œuvre  de  Bismarck.  Le  dernier  article,  la  cam- 
pagne contre  Guillaume  II,  a  le  tort  de  grossir  un  peu  trop  l'incident 
né  de  l'article  du  Daily  Telegraph  d'octobre  1908;  il  n'y  avait  pas  à 
faire  si  grand  état  de  discours  ou  de  brochures  qui  eurent  en  effet  un 
moment  de  bruyant  retentissement,  mais  qui  ne  sauraient  cependant 
nous  faire  croire  à  la  tin  de  toute  tradition  loyaliste  dans  l'Empire. 
Le  problème  qu'aborde  l'auteur  dans  ses  dernières  pages  de  l'absorp- 
tion éventuelle  de  la  Prusse  dans  l'Allemagne  est  trop  complexe  pour 
être  suffisamment  indiqué  dans  les  étroites  limites  d'un  article  de 
revue.  En  faisant  la  part  de  quelques  généralisations  hâtives,  de  con- 
clusions parfois  risquées,  d'affirmations  et  de  rapprochements  surpre- 
nants,mais  qui  ne  sont  peut-être  que  des  effets  de  style,  le  lecteur  trou- 
vera profit  aux  informations  que  l'auteur  a  recueillies  chez  nos  voisins 
comme  aux  observations  directes  qu'il  a  pu  faire  en  vivant  près  d'eux  '. 

I.  Je  relève  en  note  quelques  légères  inexactitudes  :  p.  xii,  on  ne  peut  pas  dire 
que  les  Landtage  des  États  confédérés  sortent  d'un  suffrage  censitaire  et  restreint; 


d'histoire  et  de  littérature  97 

IV.  Comme  M.  Moysset,  M.  Hubert  a  consulté  les  statitisques  offi- 
cielles de  nos  voisins,  non  pas  pour  leur  demander  l'explication  de 
tel  problème  politique,  mais  pour  nous  donner  un  aperçu  de  l'in- 
tense activité  qu'ils  déploient  dans  le  domaine  économique.  Il  nous 
offre  surtout  des  tableaux  de  chiffres  et  des  graphiques,  accompagnés 
d'un  bref  commentaire,  et  en  regard  de  la  situation  de  l'Allemagne  il 
a  mis  la  nôtre.  Nous  faisons  ainsi  une  perpétuelle  comparaison  entre 
les  deux  pays  d'abord  pour  les  armes  dont  ils  disposent  dans  cet  effort 
vers  le  bien  être,  population,  richesses  minérales,  voies  de  communi- 
cations, etc.,  puis  pour  le  rendement  des  diverses  industries,  la  pro- 
duction agricole,  le  mouvement  commercial  et  entin  la  situation 
financière.  Ce  ne  sont  sans  doute  que  les  grandes  lignes  d'un  vaste 
sujet,  mais  malgré  quelques  lacunes  (un  chapitre  sur  les  impôts  était 
indispensable,  comme  un  autre  sur  les  forces  maritimes  et  navales  et 
un  autre  encore  sur  l'activité  coloniale)  et  des  indications  volontaire- 
ment sommaires,  le  public  français  trouvera  dans  les  notes  de  ce 
voyageur  avisé  les  faits  et  les  chiffres  les  plus  caractéristiques  pour 
l'expansion  économique  de  l'Empire  pendant  les  vingt  dernières 
années,  en  même  temps  qu'un  tableau  réconfortant,  s'il  n'est  pas  trop 
optimiste,  de  nos  propres  efforts  dans  la  même  période  '. 

L.  Roustan. 

Réponse  a  M.   Alfred  Loisy. 
Monsieur, 

Dans  la  Revue  critique  dliistoire  et  de  littérature  du  3o  décembre 
dernier,  vous  vous  efforcez  de  réfuter  les  conclusions  du  tome  I"  de 
*<  La  folie  de  Jésus  »,  paru  en  igo8,  sans  faire  allusion  au  tome  II  qui 
contient  les  plus  solides  arguments  de  ma  thèse.  Vous  ne  serez  pas 
surpris,  en  raison  des  circonstances,  que  j'aie  à  cœur  de  vous  répondre. 

«  Pour  acquérir  le  sens  historique,  écrivez-vous,  il  ne  suffit  pas  de 
lire  sur  le  tard  quelques  livres  d'histoire  ».  Ce  n'est  pas  tout  à  fait  sur 
le  tard,  mais  seulement  après  avoir  étudié  l'anatomie,  la  physiologie, 

p.  io8,  le  mot  de  Treitschke  est  mal  interprété  :  das  leidenschaftlichste  Volk  n'est 
pas  le  plus  haineux  des  peuples;  ibid.,  le  quartier  de  Moabit  est  loin  d'être  au 
cœur  de  Berlin;  p.  ii5,  en  1826,  Krupp  n'a  pas  de  boutique  à  Essen,  mais  une 
fonderie;  p.  117,  «  le  forgeron  de  Thuringc  »  est  l'arrière-grand-père,  non  le 
grand-père  de  Goethe;  p.  171,  les  Hohenzollern,  souverains  d'un  pays  luthérien, 
sont  eux-mêmes  calvinistes;  p.  176,  que  représentent  les  académiciens  dans  le 
Mittelstand  de  la  Prusse  ?'p.  214,  Hegel  mort  en  i832  n'a  pas  pu  enseigner  la 
génération  de  Bismarck  ;  p.  25  i,  écrire  kùhl  bis  ans  Herz  hinan  et  non  an  Her:^ 
liinem  ;  p.  293,  le  leader  socialiste  Paul  Singer  n'était  pas  un  député  ouvrier, 
mais  le  chef  d'une  florissante  maison  de  confection. 

I.  Ecrire  p.  19,  von  der  Goltz,  p.  170  et  180,  Rheinbaben,  p.  170,  Milwaukee, 
p.  179,  wurtembergeois  au  lieu  de  :  von  der  Gol^,  Rheinhaben,  Mihvankee,  wur- 
tembourgeois;  la  p.  128  donne  par  erreur  la  vigne  comme  représentant  chez 
nous  un  quart  de  la  surface  de  terre  cultivée. 


98  REVUE    CRITIQUE 

la  psychologie  et  la  paihologie  des  hommes  que  j'ai  cru  pouvoir  abor- 
der Tetudc  de  leur  passé.  11  m'a  paru  que  c'était  là  une  méthode  pru- 
dente et  le  meilleur  moyen  d'acquérir  ce  que  vous  appelez  «  le  sens 
historique  ».  Le  sens  historique  n'est,  en  effet,  qu'une  des  applica- 
tions du  bon  sens  et,  en  ce  qui  concerne  les  hommes,  le  bon  sens  est 
d'autant  plus  aiguisé  qu'on  les  connaît  mieux. 

o  Dans  quelles  circonstances  spéciales,  écrivez-vous  encore,  Jésus 
avait-il  été  amené  à  prêcher  le  règne  de  Dieu?  Nul  n'en  sait  rien... 
Selon  M.  Binet-Sanglé,  tous  les  gens  de  Nazareth, y  compris  les  parents 
de  Jésus,  auraient  été  alcooliques  :  on  n'en  sait  rien.  Jésus  aurait 
été  petit,  de  taille  et  de  poids,  délicat  de  constitution  :  on  ne  sait  pas... 
On  ne  sait  pas  vraiment  s'il  y  a  eu  chez  le  Christ  ce  que  M.  Binet- 
Sanglé,  appelle  un  «  arrêt  de  développement  de  l'appareil  génital  ». 

Mais,  à  ce  compte,  Monsieur,  on  ne  sait  rien  de  rien  dans  ce  bas 
monde. 

Si  de  ce  que  les  mégalothéomanes  ne  font  qu'obéir  à  un  orgueil 
morbide,  lorsqu'ils  s'en  vont  prêcher  la  transformation  de  l'univers, 
Je  n'ai  pas  le  droit  de  conclure  qu'il  en  fut  de  même  chez  le  mégalo- 
théomane  de  Nazareth  ; 

Si  de  ce  que  l'alcoolisme  est  fréquent  dans  les  pays  viticoles,  je  n'ai 
pas  le  droit  de  conclure  qu'il  était  fréquent  (non  pas  général,  ne  me 
faites  pas  dire  ce  que  je  n'ai  pas  dit)  dans  la  viticole  Palestine,  ainsi 
que  l'attestent  les  imprécations  des  prophètes  : 

Si  de  ce  que  Jésus  présentait,  comme  beaucoup  de  fous  mystiques, 
les  symptômes  physiques  et  mentaux  de  rhérédo-alcoo!!sme,je  n'ai  pas 
le  droit  de  conclure   qu'un  de  ses  parents  au  moins  était  alcoolique; 

Si  de  ce  que  Jésus  présentait,  comme  la  plupart  des  fous  mystiques, 
certaines  anomalies  sentimentales,  je  n'ai  pas  le  droit  de  conclure 
qu'il  y  avait,  chez  lui,  un  vice  de  conformation  d'une  partie  du  sys- 
tème nerveux  ; 

S'il  me  faut  toujours  et  à  chaque  instant  négliger  la  preuve  incluse 
dans  la  loi,  à  quoi  sert  la  science,  je  vous  le  demande,  et  qu'était-il 
besoin  de  l'immense  effort  de  comparaison  et  de  généralisation 
accompli  au  cours  des  âges? 

Votre  méthode,  qui  prétend  ignorer  les  lois  de  la  vie,  ne  peut  abou- 
tir qu'à  l'incertitude  et  au  scepticisme.  Les  lois  biologiques  sont  les 
seuls  flambeaux  qui  nous  permettent  de  nous  diriger  dans  le  dédale 
de  l'histoire.  Si  vous  les  supprimez,  tout  retombe  dans  ta  nuit  et  il  ne 
reste  plus,  sur  les  ruines  des  siècles,  que  des  ombres  d'hommes 
errant  dans  le  vague  de  récits  plus  ou  moins  légendaires. 

Je  vous  mets  au  défi  de  démontrer  l'historicité  d'un  fait  quelconque 
si,  le  comparant  à  ceux  que  vous  pouvez  observer  vous-même,  vous 
ne  le  réduisez  au  commun  dénominateur  des  lois.  Lorsque  vous  aflfir- 
mei,  par  exemple,  que  Jésus  «  ne  jeûnait  pas  au  cours  de  son  minis- 
tère »,  ne  suis-je  pas  en  droit  de  vous  dire,  à  mon  tour,  que  vous  n'en 


d'histoire  et  de  littérature  99 

savez  absolument  rien,  en  ajoutant  que  le  jeûne  est  d'observation  cou- 
rante chez  les  mégalothéomancs  durant  leurs  périodes  hallucinatoires 
et  que,  précisément,  les  évangiles  nous  signalent  un  jeûne  de  longue 
durée  chez  le  fils  du  charpentier  de  Nazareth  dans  le  temps  môme 
où  il  vovait  le  diable  et  s'entretenait  avec  lui. 

Serait-elle  possible,  qu'une  pareille  démonstration  serait  tout  à  fait 
vaine,  qu'elle  n'aurait  que  la  valeur  du  déchiffrement  d'un  logogriphe 
ou  d'un  rébus,  et  que  l'histoire,  comprise  de  cette  manière,  ne  serait 
rien  d'autre  que  ce  qu'elle  est  pour  beaucoup  d'hommes,  une  série 
d'anecdotes  plus  ou  moins  tragiques,  plus  ou  moins  comiques,  plus 
ou  moins  grotesques,  sur  lesquelles  s'exerce  librement  le  sentiment 
instable  des  historiens.  Une  pareille  histoire  fait  partie  des  belles-, 
lettres,  elle  n'a  rien  à  voir  avec  la  science;  elle  peut  satisfaire  votre 
sens  historique,  elle  ne  peut  satisfaire  mon  esprit  scientifique  ou,  si 
vous  voulez,  mon  esprit. 

Vous  écrivez  encore  que  «  mysticisme  n'est  pas  synonyme  de  détra- 
quement d'esprit  » .  Mysticisme  n'est  pas  non  plus,  soyez-en  persuadé, 
synonyme  de  santé  cérébrale,  pas  plus  que  santé  cérébrale  n'est  syno- 
nyme de  paranoïa  religieuse. 

"  Il  n'est  pas  autrement  certain,  ajoutez-vous,  que  Jésus  ait  été 
visionnaire  »,  et  vous  discutez  l'hallucination  du  baptême  et  l'attaque 
d'extase  sur  la  montagne.  Mais  il  me  semble,  monsieur,  que  vous 
oubliez  l'hallucination  de  «  Satan  tombant  du  ciel  »,  l'hallucination  de 
Gethsémani  et  les  quatre  hallucinations  du  désert,  ce  magnifique  accès 
de démonomanie  externe  qu'on  retrouve  chez  presque  tous  les  aliénés 
de  la  classe  nosologique  à  laquelle  appartenait  Jésus  de  Nazareth. 

Vous  voulez  bien  admettre  que  «  dans  son  cas,  il  y  eut  quelque 
influence  de  nervosité  maladive  »  et  c'est  là,  sous  votre  plume,  un 
aveu  prccieu.x.  Mais  ici,  permettez-moi  de  vous  le  dire,  vous  vous 
engagez  imprudemment  sur  le  terrain  des  aliénistes,  lesquels  vous 
répondront  qu'un  homme  qui  se  croit  le  Messie,  le  Fils  de  Dieu,  Dieu 
lui-même  et  qui  s'entretient  avec  le  diable  n'est  pas  un  névrosé,  un 
hystérique  ou  psychasthénique,  mais  incontestablement  un  fou. 

Dr.  Binet-Sanglé. 

—  M.  Levi  a  jugé  à  propos  d'écrire  quelques  pages  {Ancora  su  le  origini  del 
drama  satirico,  Venise,  Ferrari,  1910,  20  p.  Extr.  des  Atti  del  R.  Instit.  Veneto 
di  Se,  Lett.  ed  Arti,  t.  69,  2«  partie)  pour  réfuter  l'opinion  récemment  soutenue 
par  Dieterich  sur  le  drame  satyrique  dans  un  article  posthume  intitulé  Die  Ent- 
stehiing  der  Tragôdie  {Arch.  f.  Reîigionswiss.  XI,  1908).  Il  discute  plusieurs  points  : 
la  nature  originelle  des  satyres,  la  valeur  de  l'expression  èÇap/stv  -uôv  5tOûpa[jL6ov,  le 
passage  d'Hérodote  relatif  aux  chœurs  tragiques  de  Sicyone  en  l'honneur 
d'Adraste,  et  maintient  les  conclusions  qu'il  a  posées  dans  un  opuscule  antérieur 
(V  Revue  du  22  juillet  1909),  à  savoir  qu'il  faut  chercher  l'origine  du  drame 
satyrique  primitif  uniquement  et  exclusivement  dans  le  dithyrambe  et  le  culte  de 
Dionysos.  —  My.  ' 


lOO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

—  l.'articlc  de  M.  Si.  I.kman  CiAi.i'iN,  On  the  Sources  of  (htillaume  de  Digiille- 
ville's  i<  Pclerinage  de  l'Ame  «  (extrait  des  Publications  of  the  Modem  I.anguage 
Association  of  America,  XXV,  2;  1910)  complète  heureusement  un  travail  de 
J.  K.  Hulinian  sur  le  mCmc  sujet.  M.  G.  montre  que  Diguiicville  ne  s'est  inspiré 
ni  de  Hante  ni  des  œuvres  françaises  des  xiii"  et  xiv"  siècles,  mais  qu'il  a  puisé 
presque  exclusivement  dans  les  «  Visions  »  latines,  des  plus  anciennes  aux  plus 
récentes.  Ce  résultat,  qui  n'a  rien  de  surprenant,  est  assuré  par  des  rapproche- 
ments nombreux  et  précis.  Les  quelques  emprunts  au  Roman  de  la  Rose,  admis 
par  M.  G.,  me  paraissent  beaucoup  plus  douteux.  —  A.  J. 

— M.  .lohannes  Hoops  a  conçu  le  projet  de  publier  un  dictionnaire  des  antiqui- 
tés germaniques,  et  vient  d'en  commencer  la  réalisation  en  éditant  le  premier  fas- 
cicule du  Reallexikon  der  Germanischen  Altevtumskunde  (Strasbourg,  Trûbner, 
5  m.).  Ou  doit  reconnaître  que  ce  livre  faisait  défaut.  Il  faut  aussi  proclamer  que 
les  collaborateurs  que  M.  Hoops  a  gagnés  à  son  entreprise  sont  d'une  compétence 
très  assurée.  Ainsi  qu'il  convient,  c'est  aux  choses  concrètes  de  la  vie  matérielle, 
aux  institutions  et  aux  mœurs  que  ce  livre  fait  la  part  la  plus  large.  On  y  trou- 
vera par  exemple  des  articles  très  nourris  sur  l'agriculture,  la  constituiion  agraire, 
la  superstition  des  Germains.  Peut-être  le  lecteur  sera-t-il  surpris  de  l'extension 
de  certains  articles.  Il  se  demandera  sans  doute  pourquoi  Alcuin  dispose  d'une 
place  plus  importante  qu'Attila.  Mais  ce  sont  là  des  défectuosités  légères  et  inhé- 
rentes à  toute  entreprise  de  ce  genre.  —  V.  P, 

—  Outre  sa  grande  édition  annotée  de  Kudnin,  M.  FZrnst  Martin  avait  publié  à 
l'usage  des  étudiants  une  édition  ne  contenant  que  le  texte  et  les  variantes.  Cette 
édition  étant  épuisée,  M.  Edward  Schrôdkr,  à  qui  M.  Martin  a  demandé  ce  ser- 
vice sur  son  lit  de  mort,  vient  d'en  donner  une  réimpression  (Halle  a.  S.,  Wai- 
senhaus,  3  m.).  M.  Schrôder  a  amendé  le  texte  en  quelques  endroits;  il  a  ajouté 
à  l'œuvre  un  glossaire  des  mots  que  ne  connaît  pas  le  Nibelungenlied  ou  aux- 
quels ce  poème  attribue  un  sens  différent.  Ouvrage  très  sûr.  —  F.  P. 

—  M.  W.  Jahr  publie  un  Quellenlcsebiicli  fur  Kidturgeschichte  des  fn'ilierén 
deutschen  Alittelalters  (2  vol.,  Berlin,  Weidmann,  191  i,  7  m.)  destiné  aux  exer- 
cices des  0  séminaires  »  d'histoire,  des  classes  supérieures  de  l'enseignement  secon- 
daire et  aussi  aux  études  personnelles.  Le  premier  volume  renferme  un  choix  de 
textes  empruntés  aux  auteurs  du  moyen  âge,  chroniqueurs,  annalistes,  et  poètes, 
textes  latins  et  presque  tous  d'ordre  historique.  Le  second  volume  offre  la  traduc- 
tion de  ces  morceaux  et  des  notes  explicatives.  Il  semble  que  les  étudiants  d'his- 
toire puissent  tirer  grand  profit  de  cette  publication.  .\ux  germanistes  elle  rendra 
siîrement  des  services.  —  F.  P. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  ig  janvier  1Q12. 
—  M.  Perrot,  secrétaire  perpétuel, communique  les  lettres  par  lesquelles  MM.  Char- 
les Bayet,  le  D""  Capitan  et  le  chanoine  Ulysse  Chevalier  posent  leur  candidature 
à  la  place  de  membre  libre  vacante  par  suite  du  décès  de  M.  Edmond  Saglio. 

M.  Gagnât  continue  la  lecture  de  son  mémoire  sur  les  castclla  de  la  Tripoli- 
taine. 

M.  Maurice  Prou  lit  un  mémoire  sur  des  dalles  de  marbre  provenant  d'une  clôture 
dechœurde  l'église  de  Schœnnis  (canton  de  Saint-Gall)  et  ornées  d'entrelacs.  Par 
comparaison  avec  une  série  de  monuments  du  même  genre  conservés  en  Italie  ou 
en  France,  il  en  fixe  la  date  au  ix»  siècle. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur -gérant  :  Ulysse    Rouchon. 

Le  Puy-en-Velay.  —  ïraprimene  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon, 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N°  6  —  10  février.  —  1912 

RoscHER,  Le  nombre  40.  —  Blûmner,  Antiquités  privées  des  Romains.  —  Muen- 
ZER,  Cacus.  —  \'ahlen,  (Euvrcs  complètes,  1.  —  Hoenn,  Les  vies  d'Héliogubale 
et  d'Alexandre  Sévère.  —  P.  Leumann,  Jean  Sichart.  —  Finzi,  Histoire  de  la 
littérature  italienne.  —  Clara  Tobler,  Mrs  Inchbald.  — Tedeschi,  Ossian  en 
France.  —  Duchaine,  La  franc-maçonnerie  belge  au  xvîu"  siècle.  —  E.  Dupuv, 
Alfred  de  Vigny.  —  Porterfield,  Immermann.  —  Douel,  Au  pays  de  Salambo. 
—  Gebhart,  De  Panurge  à  Sancho  Pança.  —  L.  Bernhard,  La  question  polo- 
naise. —  Meinecke,  Cosmopolitisme  et  Etat  national.  — •  Laband,  Droit  politique 
de  l'Empire,  I.  —  Lémonon,  Naples  et  son  golfe.  —  Dictionnaire  des  antiquités 
grecques  et  romaines,  45.  —  Mustard,  Deux  articles.  —  Catalogue  Rosenthal 
141.  —  C.  Spurgeon,  Chaucer.  —  A.-B.  Thomas,  Moore  en  France.  —  Roz,  Ten- 
nyson.  —  Dukmever,  Lomonosov.  —  L.  Nelson,  Le  problème  de  la  connais- 
sance. —  Publications  Scandinaves.  —  Fiebig,  Un  écrit  de  Luther. —  F.Wilhelm, 
Le  Musée  de  Munich  pour  la  philologie  du  moyen  âge  et  la  Renaissance.  — 
Idiotikon  Suisse.  —  J.  Reinach,  Index  de  l'affaire  Dreyfus.  —  Académie  des  ins- 
criptions. 


W.  H.  RoscHER.  Die  Tessarakontaden  und  Tessarakontadenlehren  der 
Griechen  und  anderen  Vôlker.  Ein  Beitrag    zur  vergleichenden    Rcligionswis- 

-  senschaft,  Volkskunde  und  Zahlenmystik  sowie  zur  Geschichte  der  Medizin. 
Leipzig,  Tcubner,  1909  (Extr.  des  Berichte  ûbev  die  Verhandl.  d.  kon.  Sachs. 
Gesellsdi.  d.  Wiss.  :[u  Leip:^ig.  t.  61,  fasc.  2,  p.  21-206). 

Ce  travail  est  la  seconde  partie  d'un  ouvrage  d'ensemble  sur  le 
nombre  40  et  sur  son  importance  dans  la  religion,  la  médecine  et  en 
général  dans  les  croyances  des  peuples  sémitique  et  aryens.  La  pre- 
mière partie,  qui  portait  sur  les  Sémites,  a  déjà  été  analysée  dans  la 
Revue  (i3-20  octobre  19(0);  ici  il  s'agit  plus  spécialement  des  Grecs, 
avec  un  dernier  chapitre  où  est  étudié  sommairement  le  rôle  du  nom- 
bre 40  chez  d'autres  peuples,  Perses,  Arméniens,  Hindous,  Slaves, 
Germains,  Egyptiens,  Romains,  etc.  On  ne  sera  pas  surpris  de  cons- 
tater, dans  les  faits  nombreux  rassemblés  par  M.  Roscher,  une  con- 
cordance entre  les  Grecs  et  les  Sémites  relativement  à  la  tessarakon- 
tade,  même  pour  de  minimes  détails;  ou  aurait  tort  toutefois  de 
penser  que  les  Grecs  ont  subi  une  influence  étrangère,  babylonienne 
par  exemple;  leur  idées  à  ce  sujet  reposent  essentiellement  sur  des 
observations  communes  à  toutes  les  races  humaines;  tous  les  peuples 
ont  pu  remarquer,  entre  autres  faits,  que  la  durée  de  la  grossesse  est 
de    280   jours  — ■  7  X  40,    que  les  Pléiades    sont    invisibles    pendant 

Nouvelle  série   LXXIII  6 


102  REVUE    CRITIQUE 

40  jours,  etc.  et  ces  remarques  furent  également  faites  chez  des  peu- 
ples qui  n'ont  jamais  été  directement  ni  indirectement  en  rapport 
avec  les  Babyloniens.  Les  conclusions  de  M.  R.  résultent  de  considé- 
rations  sur  les  délais  et  intervalles  de  40  jours  non  seulement  dans  la 
vie  religieuse  des  Grecs  et  dans  leur  mythologie  (ch.  I),  mais  aussi 
dans  de  nombreuses  croyances  populaires  relatives  aux  travaux  des 
champs  et  à  la  navigation  (ch.  III)  ;  Homère  et  Hésiode  sont  aussi 
interrogés  par  M.  R.  (ch.  II),  de  même  que  les  anciens  législateurs 
(ch.  IV},  les  philosophes  (ch.  VII),  et  les  médecins,  en  particulier 
Hippocrate  (ch.  V  et  VH.  Le  chapitre  V  surtout  est  important;  M.  R. 
V  établit  que  l'attention  de  la  médecine  grecque  a  été  appelée  sur  les 
périodes  de  40  jours  à  la  suite  de  renseignements  fournis  par  des 
femmes  enceintes  ou  des  accouchées,  et  qu'alors  ces  périodes  se  sont 
introduites  dans  la  théorie  des  jours  critiques  ;  les  exemples  accumu- 
lés et  les  tables  dressées  d'après  ces  exemples  montrent  en  outre  que 
la  quarantaine  (40,  ses  multiples  et  ses  facteurs)  tient  une  large  place 
dans  les  écrits  purement  hippocratiques,  tandis  qu'elle  manque  pres- 
que totalement  dans  les  traités  cnidiens.  On  notera  que  M.  Roscher 
avait  cru  pouvoir  (p.  88)  d'après  un  passage  du  Trep'.  ÈTtTaixT^voj,  supposer 
un  traité  hippocraiique  perdu  Tiepl  ':îaTapaxovTàôa)v  (ou  un  titre  analo- 
gue); les  observations  que  lui  communiqua  M.  Ilberg  lui  firent  aban- 
donner cette  hypothèse  (p.  i85  note). 

My. 

Handbuch  herausg.  von  Iwan  von  Mùller.  Die  rœmischen  Privataltertumer 
von  Hugo  Blûmner,  professer  an  der  Univ.  Zurich  mit  86  Abbildungen.  Mûn- 
chen,  191  r,  Oskar  Beck.  gr.  in-8°,  677  p.  12  m. 

■  Rien  n'était  plus  naturel  que  de  confier  ces  Privataltertumer  à  l'au- 
teur de  la  Geii^erbliche  Thàtigkeit  (1869)  et  surtout  de  la  classique 
Technologie  und  Terminologie  der  Gexverhe  und  Kïinste  (1874-87). 

M.  Bl.  a  conçu  le  sujet  autrement  que  ne  l'avait  fait  M.  Moritz 
Voigt  (en  1887  et  1898)  dans  la  première  forme  du  volume;  il  rappelle 
beaucoup  plus  le  livre  de  Marquardt.  Afin  qu'on  juge  mieux  par  où 
se  rapprochent  et  par  où  diffèrent  ces  formes  diverses  de  la  même  par- 
tie du  Manuel,  je  donne  ci-dessous  à  la  suite  l'une  de  l'autre  les  deux 
tables  des  matières'.  Dans  sa  préface  M.  Bl.  reconnaît  de  la  manière 

I.  Première  édition  de  1887.  Moritz  Voigt  :  p.  747-931  :  Einleitung.  i.  Phy- 
sisch-geographische  Verhâltnisse  Roms  und  des  ager  Romanus  ( —  p.  753).  2. 
Erste  Période  bis  zu  Mitte  des  6  Jahr.  d.  St.  :  Das  altromische  Volkstum 
(—  p.  808).  3.  Zweite  Période  bis  zum  Ausgang  der  Republik  :  Eindringen 
des  Hellenismus  (—  p.  881).  4.  Dritte  Période  bis  zu  Diokletian  :  Eindringen 
provinzieller  kulturelemente.  —  Rlûmner.  Einleitung  ( — 7).  Erste  Abteilung.  Die 
ailgemeinen  Grundlagen  des  Lebens  (—  299).  i.  Das  stâdtische  Wohnhaus.  2.  Vil- 
len  und  Gârten.  3.  Die  inncre  Ausstattung  des  Hauses.  4.  Der  Hausrat.  5.  Die 
Nahrung.  6.  Die  Tracht.  7.  Die  Sklaven.  —  Zweite  Abteilung.  Das  Leben 
(— 5i2).  I.  Geburt  und  Kindheit.  2.  Erziehung  und  Unterricht  der  Knaben.  3. 
Die  Frauen  und  die  Ehe.  4.  Zeitrechnung  und  Tageseinteilung.  5.  Mahlzeiten  und 


d'histoirk  et  de  littérature     .  io3 

la  plus  explicite  les  mérites  du  livre  de  Marquardt;  il  a  raison  de  faire 
remarquer  qu'à  part  les  études  forcément  communes  aux  deux  livres, 
on  trouvera  ici,  en  dehors  de  ce  qu'ont  fourni  les  nouveautés  épigra- 
phiques  et  archéologiques,  des  sujets  que  Marquardt  n'a  pas  traités. 
Le  présent  livre  vise  à  compléter  Marquart  bien  plutôt  qu'à  le  rem- 
placer. On  ne  s'étonnera  donc  pas  de  rencontrer  ici  maint  renvoi  au 
Manuel  de  Marquardt.  surtout  en  ce  qui  concerne  la  bibliographie. 
Aussi  renvois  fréquents  à  Friedlander,  au  Pauly-Wissowa  et  à  notre 
Saglio.  Même  soin  dans  la  rédaction  et  dans  l'impression  '. 

É.  T. 

Friedrich  Muenzer,  prof,  der  Klass.  phil.   Cacus,  der  Rinderdieb.  Programni  zur 
Rektoratsfeier  der  Univ.    Basel.  Basel,  Reinhardt,  191  i,   i36  p.  gr.  in-S". 

M.  Munzer,  professeur  à  T Université  de  Bàle,  a  publié  des  articles 
dans  bien  des  revues  et  dans  les  grandes  collections  savantes  (Wis- 
sowa  etc.);  il  est  surtout  connu  par  son  étude  sur  les  sources  de  Pline 
l'ancien  ". 

Après  l'introduction,  quatre  chapitres  :  technique  et  disposition  du 
récit  dans  Virgile,  Properce,  Ovide  ;  analyse  du  récit  dans  Virgile, 
Properce,  Ovide;  Tite-Live  et  Denys  ;  la  critique  ancienne  et  ses 
matériaux.  Appendice.  Représentation  de  Cacus  dans  l'art;  monnaies 
et  monuments  divers  par  Paul  Wolters,  prof,  d'archéologie  à  l'Uni- 
versité de  Munich . 

Avec  le  nom  dont  elle  est  signée,  il  est  bien  inutile  d'assurer  que 
l'étude  est  très  soignée,  parfaiiernent  au  courant,  appuyée  sur  une 
bibliographie  des  plus  riches  et  très  précise,  et  qu'elle  vise  avant  tout 
à  nous  faire  gagner  quelque  chose  sur  le  point  qui  est  traité. 

Aurons-nous  gagné  beaucoup,  c'est  une  autre  affaire.  Pour  com- 
mencer par  la  fiii,  l'étude  archéologique  de  M.  Wolters  est  des  mieux 
fondée;  M.  W.  suit  Cacus  dans  les  monuments  ;  d'abord  d'après  des 
moulages  gracieusement  envoyés  ;  il  décrit  ensuite  des  médaillons  de 
Paris  et  de  Vienne.  Mais  le  résultat  est  négatif  :  les  artistes  sont  influen- 
cés par  Virgile;  d'autre  part  bien  des  pièces  sont  fausses  :  d'oij 
nécessité  de  se  rabattre  sur  l'étude  littéraire. 

Ici  sans  doute  la  matière  est  plus  riche  et  M.  M.  se  retrouvait  sur 
un  terrain  bien  connu  de  lui  ;  dans  un  article  du  Rhein.  Mus.  (LUI, 
1898),  M.  M.  avait  exposé  jadis,  avec  ses  objections,  la  légende  étrusque 
qu'on  croit  reconnaître  dans  une  peinture  murale  de  Vulci  et  l'expli- 
cation qu'avait  tenté  d'en  donner  G.  Kôrte. 

gciellige  Unterhaltungen.  6.  Bàder  und  Kôrperpflege.  7.  Der  Verkehr.  8.  Aerzie, 
Toj,  Bestattung  und  Grabmaler.  —  Dritte  Abteilung.  Die  Berufsarten  (—  db-j).  i. 
Jagd,  VogelFang  und  Fischerei.  2.  Die  Landwirlschaft.  3.  Handwerk,  geiehrte 
und  andere  Berufe.  4.  Handel-and  Geidgeschâfte.  Nachtrâge  und  Berichtigungen. 
Verzeichniss  der  Abbildungen.  Alphabetisches  Register. 

1.  P.   277,  à  la  fin  de  la  Bibliographie,  écrire  Beauchct. 

2.  Weidmann,  1897;  voir  \^  Revue  critique  de  1898,  3  janvier. 


I04  RKVUE    CiUTlQUE 

il  prend  soin  aussi  do  dobairasscr  le  sujet  des  parties  trop  épi- 
neuses en  avertissant  nettement  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  religion 
comparée,  mais  qu'il  cherche  à  suivre  seulement  le  développement 
d'une  tradition  littéraire.  Le  but  est  bien  déterminé;  en  rapprochant 
Virgile  des  autres  poètes,  puis  des  historiens  qui  exposent  la  même 
légende,  séparer  ce  qu'a  trouvé  l'auicur  de  l'Enéide  de  ce  qu'il  a 
inventé.  Départ  assez  malaisé  sur  plus  d'un  point.  Après  la  lecture  on 
entrevoit  bien  plus  qu'on  ne  voit  ce  que  M.  M.  voulait  prouver. 
Peut-être  était-ce  un  des  côtés  fâcheux  du  sujet  où  l'on  a  peine  à  sortir 
des  vues  purement  subjectives;  peut-être  aussi  M.  M.  se  sera-t-il 
perdu  dans  les  détails  '  ? 

J'ai  indiqué  le  scrupule  qui  m'est  resté,  ce  qui  ne  m'empêche  nulle- 
ment de  reconnaître  le  mérite  de  ce  «  Cacus  «  et  l'intérêt  qu'il  aura 
pour  tous  ceux  qui  lisent  ou  qui  ont  lu  Virgile. 

É.  T. 

Gesammelte  philologische  Schriften,  von  Johanncs  Vaulen,  MitglieJ  der 
Akademien  dcr  Wissenschaftcn  zu  Wien  und  Berlin.  Erster  Teil.  Schriften  der 
Wiener  Zeit.  1858-1874.  Teubner,  lyii,  14  m. 

Les  amis  ou  élèves  de  Vahlen  ont  publié  en  1907  et  1908,  sous 
forme  d'Opusciila  Academica  ses  mémoires,  prograin  mes  ou  bro- 
chures en  latin.  Ici  commence  un  nouveau  recueil  contenant  les 
travaux  rédigés  en  allemand.  Le  premier  volume  qui  vient  de  paraître, 
réunit  les  publications  du  temps  où  M.  V.  enseignait  à  Vienne.  Les 
articles  avaient  paru  antérieurement  dans  le  Rheinisches  Muséum, 
dans  les  Mémoires  de  l'Acadéniie  de  Vienne,  dans  la  Zeitschrift  f.  d. 
Oesterr.  Gymn..;  dans  VHermes;  dans  les  Jahrb.  fur  Phil.  ;  dans 
VIenaische  Literatur\eitung  ;  enfin  dans  le  Philologus.  Il  sera  plus 
commode  de  les  avoir  tous  sous  la  main. 

Les  auteurs  grecs  traités  sont  les  suivants  :  Aristote  particulière- 
ment, puis  Platon,  Alcidamas,  le  sophiste  Lycophron,  Gorgias,  le 
rhéteur  Polycrate.  On  me  pardonnera  d'avoir  limité  mes  lectures 
aux  articles  sur  les  auteurs  latins  qui  occupent  la  petite  moitié  du 
livre. 

Aux  yeux  sautent  d'ahord  des  noms  d'ouvrages  édités  dans  la  suite 
par  M.  V.  et  sur  lesquels  il  a  acquis  ultérieurement  une  compétence 
spéciale  :  Enniiis  et  le  De  Legibus  ;  mais  on  ne  sera  pas  moins 
curieux  de  voir  comment  il  a  touché  à  d'autres  auteurs  :  Horace, 
Varron,  Tite-Live,  Plante  (Ménechmes),  Valère  Maxime;  Sénèque 
le  rhéteur,  et  TOctavius.  Les  résultats  peuvent  paraître  plus  ou  moins 
heureux  ;  mais  dans  tous  les  travaux  se  reconnaît  déjà  la  conscience, 
la  pénétration,  la  tinesse  qui  ont  fait  plus  tard  la  réputation  de 
M.  Vahlen.  Çà  et  là,  une  note  se  réfère  à  des  publications  ultérieures. 

I.    La    distinction  subtile   des    deux    preniiers    chapitres   (technique,     analyse), 
n'est  pas  faite  pour  rassurer  le  lecteur. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  105 

Même  aux  étrangers  et  à  tous  ceux  qui  n'ayant  pas  reçu  les  leçons 
du  maître,  ne  peuvent  lire  ces  pages  avec  la  même  clairvoyance,  la 
publication  paraîtra  très  intéressante  et  à  l'occasion  fort  utile  '. 

É.  T. 

Quollen  Untcrsuchungcn  zu  dcii  \'itcn  des  Heliogabalus  und  des  SeverL'S  Ale- 
xander  des  Corpus  der  Sciipiores  historiae  Augustae  herausg.  von  Karl  Hoenk. 
Teubner,  252  p.  in-8°,  igii.8  m. 

La  thèse  de  M.  Hônn  est  dédiée  à  Alfred  von  Domaszewski .  C'est 
sur  ses  conseils  et  en  fait  sous  sa  direction  que  le  présent  travail  a  été 
entrepris.  De  même  deux  ans  auparavant  sous  la  direction  de  Hirsch- 
feld,  M.  Walther  Tbiele  avait,  en  1909,  publié  à  Berlin  un  travail  sur 
la  vie  d'Alexandre  Sévère  '.  H  y  relevait  des  parties  entières  où  il 
voyait  les  additions  d'un  faussaire.  M.  Hônn,  reprenant  le  même 
sujet,  reproche  à  M.  Thiele  d'avoir  été  trop  modéré  et  de  n'avoir 
abouti  qu'à  un  compromis. 

Voici  le  plan  suivi  :  I.  D'abord  en  un  chapitre  préliminaire,  analyse 
de  la  vie  de  iMacrin  et  de  celle  du  Diadumène.  II.  Analyse  des  sources 
de  la  Vie  de  Sévère.  III.  Notices  de  la  biographie  qui  s'appuient  sur 
des  passages  du  Code  Théodosien.  IV.  Passages  parallèles  à  des  par- 
ties d'autres  Vies  du  Corpus.  V.  Rapport  de  la  Vita  avec  les  auteurs 
anciens.  VI.  La  personnalité  de  Lampride.  VIL  Notices  parallèles  à 
la  première  partie  du  corps  des  biographies  dans  les  Vies  de  Gor- 
diçn,  Aurélien,  Tacite  et  Probus. 

Je  pense  que  l'auteur  est  très  fier  de  son  chapitre  V;  de  tous  c'est 
justement  à  mes  yeux  le  plus  faible.  Voir  des  réminiscences  de  Lam- 
pride dans  des  rapprochements  lointains,  accidentels,  dans  la  reprise 
d'expressions  quasi  nécessaires,  isolées  et  banales,  suivant  moi,  c'est 
pleinement  se  fourvoyer.  De  même  au  chapitre  VI  où  M.  H.  juge  avec 
une  extrême  sévérité  le  style  de  Lampride  et  sa  valeur  ou  plutôt  son 
peu  de  valeur  comme  historien. 

Les  autres  rapprochements,  quoiqu'ils  soient  tendancieux  et  qu'on 
doive  les  vérifier,  méritent  davantage  de  retenir  l'attention  du  lecteur. 

É.  T. 


Quclien  und  Untersuchungen  zur  lateinischen  Philologie  des  Miueialters  begrûn- 
det  von  Ludwig  Traube.  Vierter  Rand,  ersles  Heft  :  Johannes  Sichardus,  und 
die  von  ihm  benutzten  Biblioihcken  und  Hanschriften  von  Paul  Lehmann,  privat- 
dozent  fur  iateinische  Philologie  des  Mittelalters  an  der  Univ.  Mûnchen,  Osk. 
Beck.  Mùnchen,  191  i,  237  p.  gr.  in-8°,   10  m. 

Le  présent  volume  fait  partie  de  la  collection  dont  un  volume  Vor- 
Icsungen  und  Abhandlungen  de  L. Traube  a  été  précédemment  signalé  '. 

1.  J'avoue  que  le  chapitre  sur  Sénèque  le  rhéteur,  avec  ses  références  à  Bursian 
(i858),  nous  rejette  bien  loin,  dans  une  sorte  de  passé  préhistorique. 

2.  Voir  l'article  de  M.  Gagnât,   1909,  I,  p.  347. 
'i.  Revue  du  23  décembre  dernier,  p.  482. 


I06  REVUE    CRITIQUI-: 

Voici  brièvement  le  sujet  du  nouveau  tome.  Jean  Sichart  est  un 
crudit  allemand  du  xvi^'  siècle  (1499-1  552)  qui  a  publié  en  1340,  à 
Bùle,  chez  Henri  Pétri  des  éditions  de  Quintilicn,  de  Justin  et  de 
Prudence.  En  laissant  de  côté  ses  travaux  juridiques,  il  a  été,  surtout 
de  i32t")  à  i5'3o,  l'auxiliaire  savant  et  actif  des  grands  éditeurs  de 
Bâle  :  Jean  Bebel,  Adam  Cratander,  Adam  et  Henri  Pétri.  M.  L.  a 
pu  retrouver  7.4  publications  qu'on  peut  sûrement  regarder  comme 
l'œuvre  propre  de  Sichart. 

Le  livre  de  M.  Lehmann  est  dédié  à  deux  amis  de  Traube,  Franz 
Boll  et  Bruno  Giiterbock  à  Eigen. 

Deux  parties  :  I .  Vie  de  Jean  Sichart  ;  en  appendice  :  Vie  de  Sichart 
par  Konrad  Humbracht  (un  patricien  de  Francfort)  et  lettres  de 
Sichart;  H.  Sichart  comme  chercheur  de  mss.  A  la  fin  index  déve- 
loppés. 

II  était  naturel  que  mon  attention  se  portât  de  préférence  sur  le  cha- 
pitre H  et  sur  la  liste  des  Bibliothèques  fouillées  par  Sichart  '.  Très 
heureusement  il  n'y  est  pas  question  de  Sichart  seulement.  Nous  y 
apprenons  quels  savants  ou  quelles  personnes,  avant  et  après  la 
Réforme,  voulurent,  pour  des  éditions  ou  pour  des  recherches  per- 
sonnelles, fouiller  dans  les  riches  fonds  des  abbayes.  Pour  beaucoup 
de  mss.,  M.  L.  retrouve  leurs  voyages  d'un  pays  à  un  autre;  il  les 
suit  comme  à  la  trace,  ce  qui  a  son  importance.  Notons  ce  fait  qu'au 
moment  des  conciles  les  abbés  de  grandes  fondations  (comme  Fulda) 
envoyaient  à  la  ville  où  siégeait  le  concile  :  lectissima  vohimma.  Ils 
ne  revenaient  pas  tous  ',  tant  s'en  faut.  Aussi  ceci  que  à  cette  époque 
on  savait  déjà  piquer  l'attention  du  public  en  glissant  habilement 
dans  les  œuvres  authentiques  des  parties  fabriquées  de  toutes  pièces, 
et  que  même  dans  de  vieilles  chroniques,  la  tromperie  avait  souvent 
du  succès  (ici,  p.  108].  Le  faussaire  signalé  serait  là  un  jésuite. 

Partout  et  sur  tous  les  points,  bibliographie  très  soignée  et  des  plus 
précises  '. 

E.  T. 

1.  En  voici  la  liste  :  Augsbourg;  Bâle;  Fulda;  Hersfeld  ;  Ladenburg  (près  de 
Heidelberg);  Lorsch  ;  Mayence  ;  Murbach;  Schœnau  ;  Spanheim;  Strasbourg  et 
Trêves.  C'est  à  Fulda  et  à  Lorsch  qu'est  faite,  cotnine  il  convient,  la  grosse  part 
(21  et  25  p.  sur  i  18  p.) 

2.  P.  93. 

3.  Je  n'ai  relevé  que  quelques  lapsus  d'impression  dans  la  citation  française  de 
S.  Berger,  p.  i3i  en  haut.  —  Passim  d'utiles  compléments  même  à  telle  de  nos 
meilleures  publications  contemporaines  :  il  faudra  ajouter  à  la  préface  de  l'Apulée 
de  M.  P.  Thomas  la  mention  de  la  publication  d'une  partie  du  itîpl  spjjiTiVîia;, 
qu'avait  faite  Sichart,  sous  le  titre  de  :  de  syllogismis  catégoriels,  en  se  fondant 
sur  un  ms.  de  Hersfeld.  —  A  signaler,  p.  146^  ce  qui  concerne  la  part  prise  par 
Sichart  dans  l'édition  des  lettres  de  Cicéron  de  Cratander.  A  relever  aussi,  p.  143 
au  bas,  le  passage  sur  la  laus  Pisonis  :  Baehrens  y  est  pris  en  flagrant  délit 
d'inexactitude  et  de  négligence  en  un  sujet  où  justement  il  faisait  de  tels  repro- 
ches à  Sichart.  —  P.  75,  avant-dernière  ligne  de  la  note  5,  lire  exemplum. 


D  HISTOIRE    ET    DE    I.ITIERATURE  lOj 


FiN^i  (G.),  Histoire  de  la  littérature  italienne,  traduite  par  M'""  Thiérard-Bau- 
drillart.  Paris,  Pcrrin,   1912.  In-8"  de  xi-3G()  p.  3  fr.  5o. 

M.  F",  sait  tour  à  tour  écrire  un  livre  entier  sur  un  maître  écrivain 
et  saisir  Tensemble  d'un  siècle,  d'une  littérature.  Une  même  traduc- 
trice, qui  sort  de  bon  lieu,  l'aura  successivement  fait  connaître  sous 
ces  deux  faces  au  grand  public  français  et  elle  a  bien  exécuté  sa 
double  tâche  puisque  deux  de  nos  meilleurs  italianisants,  MM.  de 
Nolhac  et  H.  Cochin,  se  sont  chargés  l'un  après  l'autre  d'écrire  la 
préface  de  ses  traductions. 

M.  Cochin  a  très  bien  caractérisé  le  présent  livre  en  disant  qu'il 
s'adresse  surtout  aux  gens  du  monde  désireux  d'aborder  les  chefs- 
d'œuvre  de  Ja  littérature  italienne  et  de  réfléchir  sur  les  vicissitudes 
qu'elle  a  traversées.  M.  F.  eût  pu  appliquer  encore  plus  hardiment  sa 
méthode,  en  supprimant  beaucoup  de  noms  et  de  titres  auxquels  le 
grand  public  ne  s'intéressera  pas;  mais  il  a  fait  une  place  large  aux 
chefs-d'œuvre;  il  en  a  discuté  avec  ampleur  le  mérite;  il  a  même 
traité  avec  précision  et  clarté  les  problèmes  d'érudition  dès  qu'ils 
offraient  de  l'intérêt  pour  d'autres  que  les  spécialistes  (v.  p.  ex.  les 
pages  relatives  à  l'origine  de  l'italien,  à  l'authenticité  de  la  chronique 
de  D.  Compagni)  ;  mais  il  n'oublie  pas  que  le  sens  critique  doit  sur- 
veiller l'érudition  (v.  le  passage  oia  il  définit  l'influence  des  récits  de 
visions  sur  la  Divine  Comédie).  Il  a  eu,  en  outre,  l'heureuse  idée  de 
mêler  à  ses  jugements  des  aperçus  touchant  les  arts  du  dessin  (p.  162, 
intéressante  remarque  sur  l'architecture  civile  au  xrii^  s.).  En  somme, 
le  livre  était  diflicile  à  faire  et  il  est  bien  fait.  M.  F.  en  a  dédié  la  tra- 
duction aux  deux  écrivains  précités  et  à  l'auteur  du  présent  article, 
honneur  dont,  pour  ma  part,  je  le  remercie  vivement.  Une  des 
récompenses  des  italianisants  de  France  sera  d'avoir  préparé  des 
lecteurs  à  M.  F.  Il  commence  à  sortir  de  nos  lycées  quantité  de  jeunes 
gens  de  toute  destination  qui  parlent  et  écrivent  l'italien;  mais  l'ère 
des  traductions  n'est  pas  pour  cela  fermée;  car,  à  mesure  que  les 
choses  d'Italie  intéresseront  plus  de  personnes,  celles  qui  auront  pré- 
féré l'étude  des  langues  du  Nord  voudront  du  moins  qu'on  leur  pré- 
sente   des   copies  d'œuvres   qu'elles   ne  peuvent  directement  étudier 

dans  l'original. 

Charles  Dejob. 


Clara  Tobi.er.  Mrs.  Elizabeth  Inchbald,  eine  vergessene  englische  Buhnen- 
dichterin  und  Romanschriftstellerin  des  18.  Jahrhunderts.  Berlin,  Mayer 
und  Mûller,  igto;  in-8"  de  119  pages. 

Actrice  et  auteur,  amie  de  Kemble  et  de  Mrs  Siddons,  de  Godwin 
et  de  Holcroft,  Mrs  Inchbald  est  assez  représentative  de  cette  littéra- 
ture anglaise  du  second  ordre  qui,  plus  sociable  que  vraiment  expres- 
sive ou  profonde,  suffisait  au  public  de  la  fin  du  xviii'  siècle  et  n'a 
guère  laissé  d'œuvres  durables.  Son  roman  le  plus  connu,   A  simple 


,(j8  rkvue  critique 

story,  lui  acepcndani  valu  d'ctre  citée,  par  Mme  de  Siael,  à  côté  des 
femmes  de  lettres  les  plus  renommées  de  son  pays.  M"«  Tobler  lui 
consacre  une  étude  soigneuse,  dont  la  partie  biographique  se  fonde 
principalement  sur  le  livre  de  Boaden,  dont  la  partie  critique  vaut 
surtout  par  des  analyses  et  quelques  rappels  d'œuvres  dont  l'influence 
s'est  exercée  sur  cette  aimable  femme.  Sa  dépendance  à  l'égard  du 
roman  français  pourrait  être  sans  doute  marquée  davantage.  Mais 
c'est,  en  somme,  le  genre  d'étude  qui  convient  à  une  personnalité  de 
second  plan,  dont  la  notoriété  n'a  guère  franchi  qu'un  instant  les 
limites  de  son  époque  et  de  son  milieu. 

F.   B 


A.  Ti.DKsi.iii.  Ossian,    «l'Homère   du  Nord  »,  en  France,    Milano,  Tipografia 

Sociale,  191  i  ;  in-8"  de  124  pages. 

En  attendant  que  cette  vaste  question  de  l'ossianisme  européen  se 
trouve  étudiée  dans  les  travaux  que  réclame  un  sujet  de  cette  ampleur, 
il  ne  faut  pas  faire  fi  des  esquisses  et  des  «  cartons  »  qui  rendent 
possible  un  relevé  préalable  de  cet  ample  terrain.  M"'-*  Tedeschi  ne 
va  très  loin,  dans  sa  recherche,  ni  en  surface  ni  en  profondeur  :  je 
veux  dire  que  l'on  ne  trouvera  pas  chez  elle  une  documentation  bien 
nouvelle  '  et  moins  encore  une  détermination  originale  des  senti- 
ments et  des  idées  intéressés  par  la  vogue  d'Ossian  dans  la  littérature 
française.  Mais  elle  marque  assez  bien  les  diverses  périodes.,  et 
l'importance  relative  de  cette  influence,  en  mettant  «  l'apogée  du  règne 
ossianique  »  à  l'époque  du  Consulat  et  de  l'Empire  :  encore  fallait-il 
indiquer  au  moins  une  raison  plus  ou  moins  secrète  de  cette  conso- 
nance, l'évocation  mélancolique  de  la  «  fugacité  »  des  empires,  venant 
faire  écho  chez  nous  à  des  regrets  ou  à  des  craintes  du  même  ordre. 
Le  romantisme  avant  la  lettre  qui  se  manifestait  dans  ces  formes  litté- 
raires est  bien  indiqué,  mais  il  n'y  a  pas  toujours  que  cela.  Regrettons 
enfin  que  la  correction  typographique  soit  bien  loin  d'être  à  l'avenant 
d'un  style  qui  fait  en  général  honneur  aune  étrangère". 

F.  Baldensperger. 


1.  Le  caractère  d' «  idylle  de  la  société  primitive»  (p.  8)  semble  avoir  moins 
séduit  le  public  que  !'«  énergie  »  et  le  «  sombre  »  d'Ossian;  et  l'on  ne  saurait  dire 
(que  Macpherson  et  Letourneur  aient  tout  à  fait  supprime  ces  caractères,  il  fau- 
drait citer  (p.  26  et  27)  le  titre  complet  de  la  Galette  littéraire  de  l'Europe.  Il  con- 
viendrait de  mentionner,  avant  la  traduction  coinplète  de  Letourneur,  son  Choix 
de  contes  et  de  poésies  erses,  traduits  de  l'anglais  (Amsterdam-Paris,  1771).  Un 
excellent  «  témoin  »,  pour  l'entre-deux  du  pseudo-classicisme  et  du  romantisme, 
est  E.  Giraud  en  son  journal;  de  i8i5  à  1826,  il  est  visible  à  qui  dépouille 
VAlmanack  des  Muses,  qu'Ossian  fait  encore  l'intérim  •  cf.  Ch.  Loyson,  E.  Mer- 
cœur,  etc.  Et  l'on  pourrait  donner  un  rappel  à  Aug.  Barbier  à  côté  de  Lacaussade. 

2.  Des  contresens,  cependant,  comme  «  on  enrage  de  les  posséder  les  premiers  » 
Pi  21  ;  «  pénétré  »  p.   24,  ete* 


D  HISTOIRE    ET    DE     LITTERATURE  I  OQ 

Paui.   Duciiaine.  La   franc-maçonnerie  belge  au  XVIir  siècle,  avec    préface 
par  le  comte  Goblet  d'Alviella.  Bruxelles,  Van  Mctercn,  191  i  ;  in-8"  de  523  pages. 

L'histoire  des  loges  maçonniques  belges  est  d'autant  plus  liée  à 
l'histoire  générale  que  leurs  démêlés  avec  l'autorité  autrichienne  en 
constituent  une  partie  importante.  M.  Duchaine  tâche  de  reconsti- 
tuer d'une  façon  aussi  complète  que  possible  les  destinées  de  l'ordre 
dans  les  Pays-Bas  autrichiens,  depuis  ses  incertaines  origines  au 
début  du  xYiii*  siècle  jusqu'à  l'autorisation  donnée  en  l'an  VII,  par 
le  ministre  français  de  la  Police,  de  ne  pas  inquiéter  les  réunions  de 
Francs-Maçons.  L'espèce  de  malentendu  foncier  qui  sépara  Joseph  II 
et  ces  groupes  éclairés  des  populations  belges  offre  le  plus  d'intérêt  à 
qui  ne  se  place  pas  au  point  de  vue  de  l'histoire  locale;  mais  le  livre 
entier,  documenté  aux  fonds  d'archives,  muni  de  soigneux  index, 
apporte  une  contribution  solide  à  une  question  qui  ne  semble  pas 
près  d'être  élucidée  partout  avec  la  même  conscience. 

F.  B. 


Ernest  Dupuv.  Alfred  de  Vigny;  ses  amitiés,  son  rôle  littéraire,  II.  Le  rôle 
littéraire.  Paris,  Société  française  d'imprimerie  et  de  librairie,  1912;  in-i6  de 
448  pages. 

Suivant  à  quelques  mois  de  distance  le  tome  premier,  le  second 
volume  du  Vigny  de  M.  Dupuy  n'a  pas  laissé  trop  longtemps  impa- 
tients les  vœux  de  ses  lecteurs  :  surtout,  l'unité  d'impression  de  l'ou- 
vrage n'a  pas  été  mise  en  péril,  ainsi  qu'il  arrive,  par  une  publication 
trop  espacée.  Les  mêmes  qualités  de  patiente  recherche  ',  d'ingé- 
nieuse interprétation  et  de  goût  délicat  se  retrouvent  dans  ce  copieux 
volume;  le  même  Vigny  serviable,  attendri  et  profondément  humain 
qui  revivait  dans  <<  les  amitiés  »  se  retrouve  à  propos  du  «  rôle  litté- 
raire »  :  tant  la  vie  et  la  pensée,  l'art  et  les  réalités  se  trouvaient  liés 
d'une  même  étreinte  par  une  personnalité  qui  n'a  guère  connu  les 
fâcheux  dédoublements  du  métier,  du  rôle  public,  de  l'attitude  à 
prendre.  Et  si  l'intérêt  est  souvent  moindre  des  documents  utilisés 
par  M.  D.  dans  ce  tome  II,  à  cause  de  la  signification  plus  effacée 
des  personnages  auxquels  se  rapportent  certains  d'entre  eux,  le  com- 
mentaire implicite  qui  s'en  dégage  pour  la  vie  et  pour  l'œuvre  de 
Vigny  n'est  pas  moins  précieux,  —  ni  moins  utiles  à  suivre,  pour  l'his- 
toire littéraire  du  milieu  du  xix"  siècle,  les  mille  sentiers  incidents 
que  le  hasard  d'une  lettre,  d'une  rencontre,  d'une  lecture,  nous  engage 
à  prendre  chemin  faisant  à  la  suite  du  plus  informé  des  guides. 

Est-il  permis  de  risquer,  à  propos  de  Vigny  et  des  nouveautés  d'in- 
terprétation que  M.  D.  semble  préparer  et  autoriser  par  son  livre,  de 
ces  «  synthèses  «  dans  lesquelles  le  poète  lui-même  voyait  de  «  magni- 

i.Lire  55^  p.  97  et  266  ;  Aimé  de  Loy,  p.  1  14  ;  Thaïes  Bernard,  p.  209;  Zum 
Elephanten,  p.  23i;on  aimerait  connaître  les  quantièmes  des  journaux  cites 
p.    I  26  et  p.   I  39,  notCi 


1  lo  REVUE    CRITIQUE 

fiqucs  soties  »?  Le  premier  volume,  par  le  détail  môme  des  relations 
mises  en  lumière,  écartait  assez  nettement  Vigny,  écrivain,  du  second 
Cénacle,  l'isolait  du  groupe  qui  a  fini  par  donner  au  romantisme 
français  son  principal  signalement  :  et  ce  démenti  donné  par  les 
laits  à  Sainte-Beuve  était  bien  conforme  au  sentiment  manifesté  par  le 
principal  intéressé  {Journal,  p.  y 5).  Le  second  volume  ruine  absolu- 
ment la  légende  de  la  «  tour  d'ivoire  »,  fort  compromise  déjà  par  cer- 
tains chapitres  du  premier,  et  l'on  comprend  assez  que  l'auteur  s'ins- 
crive en  faux  (p.  :i43)  contre  une  notion  aussi  singulière.  La  clientèle 
littéraire  qui  se  trouve  passée  en  revue  dans  ces  pages,  les  disciples 
avoués  et  les  écrivains  déférents,  de  Brizeux,  Barbier  et  Laprade  à 
Marmier,  Pommier  et  Baudelaire,  constituerait  assez  bien,  parallèle 
à  la  série  des  poètes  plus  artistes  ou  plus  éloquents  dont  le  succès  a 
été  enregistré  par  l'opinion  générale  et  par  la  mémoire  simplifica- 
trice de  la  postérité,  un  groupe  plus  «  intérieur  »,  plus  curieux  de 
musique  et  de  rêve  :  il  est  conforme  à  l'ordre  des  choses  et  aux  affi- 
nités profondes  que  ces  poètes  plus  poètes  peut-être  se  groupent 
d'eux-mêmes  autour  de  celui  qui  regretta  souvent  notre  indifférence 
nationale  à  l'égard  de  cette  variété  de  littérature  '. 

F'.  Baldknsperger. 


Allen  Wii.son  Porterfield.  Karl  Lebrecht  Immermann  ;  a  Study  in  Ger- 
man  romanticism.  New  York,  The  Colunibia  Uiii\ersity  Press,  hj  i  r  ;  in-8°  de 
i53  pages. 

Etant  lui-même  au  premier  chef  un  «  épigone  »,  Immermann  se 
prête  parfaitement  à  une  étude  comme  celle-ci,  qui  abandonne  le 
point  de  vue  de  la  personnalité,  de  l'évolution  du  caractère  et  du 
talent,  des  œuvres  expliquées  par  la  vie,  pour  s'en  tenir  à  un  objet 
déterminé  :  dans  quelle  mesure  et  sous  quelles  formes  le  Romantisme 
allemand  se  reflète-t-il  ici  ?  Quelle  résistance  trouve-t-il  dans  desdis- 

I.  P.  21.  Une  rédaction  un  peu  diflerente  du  dizain  de  Brizeux  sur  Florence, 
que  je  me  trouve  posséder,  sera  publiée  par  M.  Dorchain  dans  son  édition  du 
poète  breton.  Il  est  amusant  de  noter,  p.  45,  49  et  dans  les  éditions  de  Vigny,  les 
variantes  au  sujet  des  «  vaisseaux  de  ligne  »  qui  peuvent  manœuvrer  dans  la  rade 
de  Brest  au  gré  du  capitaine  de  la  Sérieuse.  Barbier  aurait  bien  pu  (p.  88)  repro- 
duire fidèlement  la  citation  d'Othello  (III,  3)  par  Vigny  :  elle  se  retrouve  au  cha- 
pitre XV  de  Stello.  Il  y  a  dans  le  David  d'Angers  et  ses  relations  littéraires,  de 
Jouin,  p.  ib-j,  un  billet  de  Vigny  auquel  répond  la  lettre  mentionnée  p.  236.  Il 
pourrait  avoir  lieu  pour  Marmier  (p.  171,  note  et  23q)  de  faire  des  recherches  à  la 
Bibliothèque  municipale  de  Pontarlier.  C'est  exactement  au  24  octobre  iS54  qu'il 
faut  rapporter,  avec  M.  H.  Dupin,  la  Réponse  à  un  acte  d'accusation  (p.  196,  note). 
Les  conférences  de  Ph.  Boyer  (p.  206)  seraient-elles  sa  série  shakespearienne  de 
1859?  Le  début  des  Amours  des  Anges  avait,  plutôt  que  Lucrèce,  inspiré  celui  du 
Déluge  ;p.  384).  Vigny  n'a  fait  que  suivre,  dans  la  l'eillàe  de  Vincemies,  une 
donnée  réelle  (p.  422)  et  la  singularité  de  la  mort  de  l'adjudant  n'est  pas  de  son 
invention.  Les  vers  de  Vigny  cités  par  Coupy,  Marie  Dorval,  Paris,  1868,  auraient 
pu  être  rappelés,  p.  362. 


D  HISTOIRE    ET    DE    I.ITTICRATURE  I  i  r 

positions  qui  lui  sont  contraires?  La  difficulté  et  l'insécuriié  des- 
conclusions  proviennent,  en  pareil  cas,  du  vague  et  de  la  variété  de 
sens  que  ce  concept  du  «  romantique  »  n'a  pas  cessé  d'avoir;  mais  les^ 
confrontations  de  détail  opérées  chemin  faisant  sont  souvent  fort 
avantageuses  à  notre  connaissance  d'immcrmann  et  de  ses  alentours'.. 
Romantique  au  second  degré,  sans  orthodoxie  ni  conviction  absoluê- 
à  cet  égard,  Immermann  subit  des  influences  plutôt  qu'il  n'écrit  selon 
les  nécessités  profondes  de  sa  nature  :  c'est  déjà  une  détérioration  de 
l'idéal  romantique  qui  s'opère  dans  une  œuvre  qui,  sur  tant  de  points, 
paraît  lui  donner  des  gages. 

F.   B. 

Martial  Douel.   Au  pays   de    Salammbô.   Préface    de  M.  René    Gagnât.  Paris, 
Fontemoing,  igri;  in-i6  de  270  pages. 

De  vives  impressions  de  voyage,  colorées  et  lumineuses  et  qui  ne 
s'arrêtent  pas  à  la  simple  apparence  des  choses;  des  évocations  du 
passé  au  milieu  des  ruines  ou  des  transformations  aperçues  par  le 
voyageur  actuel;  Tunis,  Timgad,  Kàirouan  et  Biskra  vues  par  un 
Européen  lettré  :  la  tentation  était  grande  de  placer  sous  l'égide  de 
Flaubert  et  de  son  héroïne  ce  livre  africain.  Ici,  M.  Douël  esc  peut- 
être  disposé  à  s'exagérer  ce  qu'il  appelle  «  le  génie  scrupuleux  et 
détiant  du  solitaire  de  Croisset  w  en  matière  de  reconstitution  cartha- 
ginoise. Ou  plutôt  il  attribue  exagérément,  semble-t-il,  à  l'intensité 
réaliste  de  Flaubert  ce  qui  provient  plutôt  de  ses  merveilleuses  sug- 
gestions rythmiques,  du  prestige  de  sa  phrase,  d'un  ensemble  de 
vertus  littéraires,  en  un  mot,  qui  valait  surtout  par  le  lyrisme  et  le 
romantisme  latent. 

F.  B. 

Emile  Gebhart,  De  Panurge   à  Sancho  Pança  ;  mélanges  de   littérature  euro- 
péenne. Paris,  Bloud,  191  i  ;  in-  16  de  32  i  pages. 

Ce  sont,  en  réalité,  vingt-un  comptes-rendus  d'ouvrages  de  littéra- 
ture  française  ou  étrangère  :  il  y  aurait  avantage,  pour  la  commodité 
du  discours,  à  réserver  l'expression  de  «  littérature  européenne  »  aux 
cas  où  sont  en  cause  des  phénomènes  ou  des  œuvres  concernant  à  la 
fois  plusieurs  littératures,  à  défaut  du  groupe  européen  tout  entier. 
Le  délié  feuilletonniste  des  Débats,  de  la  République  française  ou  du 
Gaulois  accommode,  pour  l'agrément  et  l'instruction  de  ses  lecteurs, 
l'essentiel  d'un  livre  d'érudition,  d'histoire,  de  critique,  ou  d'une  tra- 
duction '  :  on  ne  saurait  dire  que  la  question  elle-même  s'en  trouve 
avancée  ou   déplacée  en   rien,   mais  quelques  pages  savoureuses  ou 

I.  L'incendie  de  Hambourg  est  de  1842  (p.  21);  les  références  données  dans  la 
note  de  la  p.  26  pourraient  aujourd'hui  être  rafraîchies  et  complétées. 

2  11  eût  été  plus  logique  de  placer  la  critique  de  la  première  série  des  Contes  de 
Cantevbury  (2.''  avril  1907)  avant  la  seconde  (11  mars   1908).  ' 


I  I  2  REVUE    CRITIQUE 

narquoises  mciiciit  au  couraiu  un  public  scmi-piofane  qui  s'intéresse 
aux  iciires.  C'nsi  d'une  besogne  excellente  de  Journaliste,  sans  qu'une 
reprise  en  volume  s'impose  vraiment  pour  un  genre  de  production 
t'ait  pour  le  quotidien  et  qui  doit  se  résigner,  en  somme,  à  «  passer  » 
avec  lui.  Mais  il  va  sans  dire  que  la  plume  humoristique  et  diserte 
d'Emile  Gebliart  se  joue  à  l'aise  autour  de  Villon,  de  Rabelais, 
d'Erasme,  et  surtout  de  son  cher  Don  Quichotte. 

F.  B. 

Ludwig   Bern'iiard,  Die    Polenfrage.    2"  édition   augmentée.   Leipzig,   Dunckicr 
et   Humblot,    1910,  in-S",   f)2o   p.,  6  mk.  (2   cartes). 

Il  s'agit  ici  seulement  de  la  question  polonaise  en  Allemagne. 
M.  Bernhard,  qui  est  professeur  de  sciences  politiques  à  l'Université 
de  Berlin,  a  essayé  de  la  traiter  en  dehors  de  toute  préoccupation 
politique  ou  nationale,  en  examinant  les  faits  et  en  contrcMant  les 
témoignages  allemands  par  les  témoignages  polonais.  La  sincérité  de 
son  eti'ort  à  ce  point  de  vue  serait  prouvée,  s'il  en  était  besoin,  par  les 
difficultés  d'information  qu'il  a  rencontrées  auprès  de  la  plupart  des 
fonctionnaires  prussiens.  Les  agents  officiels  de  germanisation  se 
sont  méfiés  —  sauf  quelques  honorables  exceptions  —  de  cet  homme 
singulier  qui  pesait  le  pour  et  le  contre.  Il  faut  dire  cependant  que 
M.  B.,  s'il  juge  sans  arrière  pensée,  et  sévèrement  parfois,  la  politique 
allemande  en  Posnanie,  a  cependant  en  vue  le  succès  de  la  germa- 
nisation ;  ce  qu'il  blâme  principalement  dans  les  lois  anciennes  ©u 
récentes  destinées  à  favoriser  la  «  colonisation  »  des  provinces  de 
l'Est,  ce  n'est  pas  leur  injustice,  mais  leur  inefficacité.  Sa  manière  de 
voir  est  purement  réaliste. 

Le  livre  débute  par  un  exposé  historique.  De  i83i  à  i863,  selon 
M.  B.,  la  Pologne  prussienne  a  été  moralement  dirigée  par  les  émigrés 
réfugiés  à  Paris.  L'espoir  des  Polonais  se  limitait  à  une  révolution 
violente,  qui  serait  préparée  à  l'étranger.  Après  i863,  et  jusqu'en 
1893,  les  paysans  paraissent  à  peu  près  ralliés,  le  gouvernement  prus- 
sien se  fie  à  leur  loyalisme,  à  cause  de  leur  conduite  dans  les  guerres 
de  1866  et  de  1870  ;  la  classe  moyenne,  le  clergé  et  la  noblesse  restent 
hostiles  au  fond,  mais  espèrent  pendant  longtemps  arriver  à  une 
quasi-autonomie  par  la  voie  parlementaire.  La  politique  de  coloni- 
sation prussienne,  inaugurée  en  1886,  commence  à  marquer  le  début 
d'une  nouvelle  crise,  qui  devient  grave  à  partir  de  1893,  quand  le 
gouvernement  en  interdisant  la  langue  polonaise  dans  les  écoles, 
réveille  chez  les  paysans  le  sentiment  national  assoupi.  Toute  cette 
première  partie  est  assez  rapide,  mais  l'exposé  en  est  remarquablement 
clair,  vivant,  coloré,  amusant  parfois,  avec  de  vraies  trouvailles 
d'expression. 

M.  B.  étudie  ensuite  l'état  actuel  de  ce  qu'il  appelle  la  commu- 
nauté polonaise  et  spécialement  la  «  république  rurale  ».  Il  examine 


d'histoire  et  de  littérature  ii3 

de  près  l'origine  et  l'cvolution  des  sociétés  de  crédit  agricole,  qui, 
réorganisées  et  dirigées  par  la  banque  générale  (Verbandsbank)  de 
Posen,  sont  devenues  l'élément  principal  de  la  résistance  en  Pologne 
prussienne.  Cette  partie  du  livre,  plus  complète  et  plus  nouvelle  que 
l'étude  des  partis  politiques  proprement  dits,  est  de  beaucoup  la  plus 
intéressante.  On  y  verra  dans  une  suite  de  curieux  chapitres  (2''  livre, 
1^%  11^  et  IV''  parties)  comment  la  banque  est  parvenue  non  seulement 
à  défendre  les  positions  des  Polonais  contre  la  germanisation,  mais 
même  à  les  améliorer  beaucoup,  malgré  une  crise  financière  grave 
survenue  en  1900.  Le  plus  piquant  est  que  pour  surmonter  cette 
crise,  étendre  ses  opérations  et  soutenir  victorieusement  contre  le 
gouvernement  prussien  et  les  propriétaires  allemands  la  «  lutte  pour 
la  terre  »,  la  banque  polonaise  de  Posen  a  trouvé  un  appui  empressé 
et  des  ressources  étendues  dans  les  grandes  banques  de  Berlin, 
alléchées  par  un  taux  élevé  d'intérêt,  et  fort  peu  soucieuses  de  Deut- 
schtiim.  M.  B.  donne  des  exemples  bien  amusants  de  l'accord  sou- 
vent réalisé  entre  le  spéculateur  polonais  et  le  propriétaire  rural 
allemand  pour  extorquer  au  trésor  prussien,  sous  prétexte  de  <(  sau- 
ver »  un  domaine  près  d'être  acquis  par  des  Polonais,  une  forte 
somme  que  les  deux  compères  partagent  à  l'amiable  (p.  53o  et  suiv.). 

La  politique  de  colonisation  {Ansiedlungspolitik)  a  échoué  complè- 
tement, comme  on  sait,  de  même  que  la  lutte  scolaire  (peu  étudiée 
par  M.  B.).  L'expropriation  d'office,  autorisée  par  la  loi  de  1908, 
produira-t-elle  des  résultats  plus  décisifs?  Les  Polonais  dirent  que 
non,  et  M.  B.,  quoiqu'il  n'ait  pas  les  mêmes  raisons  de  le  penser, 
est  de  leur  avis.  Il  montre  avec  beaucoup  de  netteté  et  de  clairvoyance 
que  la  loi,  votée  avec  bien  des  restrictions  par  la  majorité  conserva- 
trice du  Landtag,  n'est  appliquée  qu'incomplètement,  et  de  moins  en 
moins.  Les  agrariens,  hostiles  au  principe  même  de  l'expropriation, 
qui  leur  paraît  une  concession  dangereuse  au  socialisme,  refusent 
aussi  de  se  prêter  au  morcellement  des  domaines  expropriés,  par 
crainte  de  constituer  en  Pologne  un  quasi-prolétariat  rural  qui  devien- 
drait dangereux  au  cas  d'une  réforme  électorale  profonde.  L'avenir 
de  la  germanisation,  si  elle  a  un  avenir,  ne  peut  être  assuré,  selon 
M.  B.,  que  par  une  politique  résolument  favorable  à  la  démocratie 
rurale.  Les  Polonais,  dit-il,  ne  craignent  qu'une  chose  :  le  dévelop- 
pement d'une  classe  puissante  de  petits  propriétaires  allemands.  Mais 
le  gouvernement  actuel  de  la  Prusse  voudra-t-il  s'engager  dans  cette 
voie,  et  quand  il  le  voudrait,  le  pourra-t-il  ?  Cela  paraît  douteux. 

Il  faut  remercier  M.  B.  de  nous  avoir  donné  ce  résumé  parfaitement 
clair  et  pénétrant  d'une  question  difficile  et  obscurcie  par  les  polé- 
miques. Quoique  précis  et  nourri  de  chiffres,  son  livre  se  lit  avec 
plaisir,  et  réserve  faite  des  questions  de  droit,  auxquelles  il  ne  touche 
pas,  on  peut  en  louer  la  réelle  «  objectivité  ». 

R.  Guyot. 


I  1^  RKVDE    CRITlQUfc. 

l'ricdrich  Mf.im;i;ki:.  Weltblirgertmu  and  Nationalstaat.  Siudicn  ziirGencsis  des 
dciitschcnNationalstnatcs.  2.  durchpcschiic  Aullngc.  Munich  et  Berlin.  Olden- 
bourg, lyii,  in-S",  p.  5i5i.  nik.  11. 

Paul  l.AnvMi,  Das  Staatsrecht  des  deutschen  Reiches  5.  ncubearbeiiete  Aut"- 
lagc  in  4  Bândcii.   1.  Ikind.  Tubinguc,  Mohr,  191  i,  gr.  in-8",  p.  332.   mk.  12. 

I.  La  première  édition  du  livre  de  M.  Meinecke  est  de  1907;  l'auteur 
l'a  corrigée  et  augmentée  à  l'aide  de  documents  récemment  mis  au  jour. 
Des  deux  parties  qui  composent  l'ouvrage,  la  première,  la  plus  considé- 
rable, étudie  l'évolution  en  Allemagne  de  l'idée  de  l'Etat  national,  elle 
fait  voir  comment  a  l'idéal  d'une  Allemagne  préoccupée  d'un  rôle  uni- 
versel, se  considérant  comme  chargée  d'une  mission  supérieure  et  lar- 
gement humaine,  s'est  lentement  substituée  la  conception  moderne 
de  l'État  autonome,  trouvant  dans  le  développement  de  son  indivi- 
dualité les  raisons  légitimes  et  suffisantes  de  son  expansion.  M.  Mei- 
necke suit  dans  les  principaux  écrivains  politiques  depuis  la  tin  du 
xvmc  siècle  l'idée  qu'ils  se  sont  faite  du  rôle  de  TEiat,  en  insistant 
sur  tout  ce  qu'ils  ont  mêlé  d'étranger  à  sa  véritable  nature,  même 
pour  ceux  qui  sont  justement  considérés  comme  les  ouvriers  les  plus 
puissants  de  l'unité  nationale.  Tour  à  tour  il  passe  en  revue  G.  de 
Humboldt,  Novalis,  F.  Schlegel,  Fichte,  Adam  Mtiller,  Stein  et 
Gneisenau.  Tous  restent  profondément  individualistes  et  tous  sont 
plus  ou  moins  pénétrés  de  l'ancien  cosmopolitisme  de  la  génération 
des  classiques;  ils  sentent  à  des  degrés  divers  les  éléments  constitu- 
tifs du  véritable  État  national,  ils  sont  d'accord  pour  réagir  contre  la 
conception  rationaliste  issue  de  la  Révolution  française  et  sauvegar- 
der les  droits  de  la  tradition  ;  ils  conçoivent  de  plus  en  plus  l'État 
comme  une  personnalité  vivante  nouant  la  chaîne  des  générations 
passées  et  à  venir;  mais  aucun  ne  peut  renoncer  au  rôle  moral  dont 
ils  veulent  charger  l'État  ou  se  le  figurer  affranchi  d'une  tutelle  étran- 
gère. Jusque  dans  les  Discours  au  peuple  allemand  Fichte  voit  le 
devoir  suprême  d'un  patriote  dans  la  nécessité  de  travailler  au  déve- 
loppement de  l'humanité,  et  Stein  comme  Gneisenau  acceptent  déli- 
bérément un  contrôle  de  l'Angleterre  dans  la  réorganisation  qu'ils 
préparent  de  leur  pays.  Avec  la  période  de  la  Restauration  l'idée  de 
l'Etat  seul  arbitre  de  ses  destinées  gagne  plus  de  force,  mais  avec  une 
tendance  conservatrice  marquée  et  au  détriment  de  l'unité  politique 
de  la  nation.  Il  faut  aller,  par  delà  Niebuhr  et  Hegel,  jusqu'à  Ranke  et 
à  Bismarck  pour  arriver  à  la  conception  de  l'État  à  qui  des  mobiles 
d'ordre  universel  sont  étrangers  et  qui  ne  connaît  plus  que  des 
mobiles  égoïstes.  Gomment  alors  se  conciliera  l'autonomie  de  l'État 
prussien  avec  sa  place  actuelle  dans  l'Empire  allemand? 

L'examen  de  ce  problème  constitue  la  seconde  partie  de  l'ouvrage 
de  M.  M.  L'étude  en  est  peut-être  plus  attachante  encore  que  l'en- 
quête précédente,  car  on  peut  dire  que  le  problème  n'a  encore  reçu 
qu'une  solution  d'attente.  La  juxtaposition  d'un  organisme  conserva- 
teur, tel  qu'est  restée  la  Prusse,  avec  un  organisme  relativement  libé- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LlTTERATUfE  IID 

rai,  tel  que  le  créateur  de  l'unité  nationale  a  voulu  l'Empire,  ne  sau- 
rait donner  l'impression  d'une  solution  définitive,  quelque  efficace 
que  ce  provisoire  se  soit  jusqu'à  présent  montré.  On  suivra  avec  inté- 
rêt dans  l'exposé  de  M.  M.  les  combinaisons  que  les  politiques  en 
Prusse  et  hors  de  Prusse  imaginèrent  pour  réaliser  l'unité  allemande 
sous  la  direction  du  plus  grand  des  États  allemands.  P.  Pfizer, 
F.  et  H.  de  Gagern,  Droysen,  Dahlmann  réclament  une  absorption 
de  la  Prusse  dans  l'Allemagne  ;  ils  ont  peur  d'une  Prusse  trop  libé- 
rale qui  eût  alors  absorbé  l'Allemagne  et  M.  M.  a  montré  avec  un 
heureux  détail  toutes  les  manoeuvres  qui  entourèrent  l'octroi  de  la 
constitution  du  5  décembre  1848.  Les  unitaires  du  Parlement  de 
Francfort  étaient  au  fond  de  tenaces  particularistes;  quand  le  pro- 
blème se  posa  de  nouveau  en  1866  et  en  1870,  Bismarck  sut  faire 
l'habile  synthèse  réaliste  de  ces  intérêts  divergents  par  l'institution  du 
Conseil  fédéral. 

Le  peu  que  j'ai  dit  du  livre  suffira  à  indiquer  quel  intérêt  d'actua- 
lité offre  ce  coup  d'oeil  rétrospectif  sur  l'histoire  au  xix^  siècle  de 
ridée  nationale  en  Allemagne.  Il  faudrait  ajouter  que  l'étude  particu- 
lière des  conceptions  politiques  des  hommes  d'État  ou  des  penseurs 
sur  lesquels  s'est  arrêté  le  savant  directeur  de  VHistorische  Zeit- 
schrift  est  remplie  d'aperçus  neufs  et  partout  soumise  à  une  discus- 
sion délicate  et  serrée. 

IL  Le  traité  qu'a  écrit  M.  Laband  du  Droit  politique  de  iEinpire 
est  classique  en  Allemagne.  La  première  édition  en  avait  été  publiée 
en  1876,  la  dernière  en  1901.  La  nouvelle  a  dû  naturellement  tenir 
compte  des  transformations  incessantes  que  la  vie  politique  apporte 
dans  la  législation  et  le  régime  administratif  d'un  grand  État.  Non 
moins  abondants  ont  été  dans  cette  période  de  trente-cinq  ans  les  dis- 
cussions et  les  commentaires  sur  une  foule  de  points  du  domaine 
juridique.  L'auteur  leur  a  fait  une  large  place  dans  ses  notes  et  toutes 
les  opinions  des  juristes  les  plus  compétents,  chaque  fois  qu'elles 
s'écartent  de  la  sienne,  sont  relevées  et  brièvement  jugées. 

Ce  premier  volume  (l'ouvrage  complet  en  comprend  quatre)  traite 
d'abord  de  l'origine  de  l'Empire  allemand.  M.  L.  en  établit  comme 
la  généalogie  juridique  depuis  la  dissolution  de  la  Confédération  ger- 
manique; il  s'attache  à  montrer  comment  le  nouvel  Empire  n'a  été 
que  la  continuation  du  norddeutscher  Biind  et  comment  il  s'est  inces- 
samment développé  dans  le  sens  de  l'unité.  La  nature  juridique  par- 
ticulière de  l'Etat  allemand  et  ses  rapports  avec  les  États  formant  la 
confédération  sont  analysés  en  détail  et  avec  une  insistance  qui  frap- 
pera en  faveur  du  concept  de  Bimdesstaat;  l'auteur  est  partout  dis- 
posé à  souligner  la  souveraineté  du  Reich  et  la  subordination  des 
Etats  qui  le  constituent.  Non  moins  intéressants  sont  les  développe- 
ments touchant  l'organisation  des  dirierents  pouvoirs  dans  l'Empire, 


ii6 


RICVUK    CRITIQUE 


en  pariicLiIicr  loui  lo  conimcniairc  des  droits  de  rempereur  et  du 
Conseil  lédérai,  car  il  s'agit  ici  encore  d'organes  complexes  dont  la 
dualité  exige  une  précision  et  une  discussion  des  plus  étroites.  Les 
pages  consacrées  au  Reichstag,  aux  autorités  et  aux  fonctionnaires 
sont  davantage  d'un  caractère  descriptif  et  elles  donnent  du  détail 
des  rouages  administratifs  de  l'Empire  comme  des  rapports  des  fonc- 
tionnaires avec  l'Etat  une  analyse  minutieuse.  La  doctrine  éiatisie  est 
partout  défendue  dans  ces  chapitres  avec  une  rigueur,  presque  une 
âpreté,  qui  surprendrait  les  défenseurs  de  thèses  contraires,  telles  que 
les  derniers  événements  de  notre  histoire  en  ont  vu  éclore.  L'ouvrage 
de  M..L.  sera  un  guide  stir  pour  tous  ceux  qui  voudront  se  familia- 
riser avec  le  mécanisme  constitutionnel  de  l'État  allemand. 

Ludovic  ROL'STAN. 

E.   LÉ.MONON,  Naples  et  son    golfe  (Les   \'illes   d'art)  in-S"  carré,  av.    121   phot. 
Paris,  H.  Laurens  (4  fr.). 

Naples,  une  ville  d'art?  Ce  n'est  pas  pour  ses  monuments  que  Ton 
y  court  d'habitude,  et  même  que  son  extraordinaire  réputation  s'est 
fondée  en  Italie  comme  à  l'étranger.  M.  Lémonon  a  prévu  l'objection 
et  s'applique  tout  de  suite  à  la  détruire.  Les  églises  et  les  palais  sont 
nombreux,  les  styles  d'art  reflètent  une  grande  variété  d'écoles,  s'ils 
n'en  constituent  aucune,  du  moins  jusqu'à  celle  qui,  au  xvii°  siècle 
eut  tant  d'influence  sous  le  nom  de  baroque  ;  de  toute  façon  on  y 
constate  une  véritable  évolution  artistique,  qui   a   bien    son  intérêt. 

D'ailleurs  le  sujet  a  de  la  nouveauté.  On  a  souvent  parlé  de  Naples 
incidernment,  on  ne  l'a  guère  décrite  d'une  façon  spéciale,  surtout  en 
français.  Le  livre  est  donc  le  bienvenu.  Depuis  les  souvenirs  de  l'épo- 
que antique,  attestés  par  tant  de  chefs-d'œuvre  dans  les  Musées,  jus- 
qu'à la  ville  moderne,  à  ses  rnonuments,  à  son  pittoresque  populaire, 
à  ses  environs  aussi  (jusqu'à  Caprij,  M.  Lcmonon  nous  fait  tout  voir, 
et  en  connaisseur  passionné.  Des  missions,  de  longs  séjours,  de  véri- 
tables fouilles  à   la  découverte,  l'ont  rendu  maître  en  cette  partie. 

H.     DE     CURZON. 


—  Le  45*'  fascicule  An  Dictionnaire  des  antiquités  grecques  et  romaines,  fondé 
par  Daremberg  et  rédigé  sous  la  direction  de  M.  Saglio  avec  le  concours  de  M. 
PoTTiER  termine  la  deuxième  partie  du  tome  IV  (p.  1457-1601  ;  fig.  6566  à  6710) 
et  contient  les  articles  suivants  :  stamnus,  staphilololeion  (Postier)  ;  stannus  (Bes- 
nier)  ;  stater  (F.  Lenormant)  ;  stater  (Babelon)  ;  statio,  stationarius,  statu  liber, 
status  quaestio,  stigma,  stuprum,  sumptuariae  leges,  superficies,  superindictio, 
supplicium  (Lécrivain)  ;  stator,  stillatura,  stipendium,  strator  (Gagnât);  statua 
(Ch.  Picard);  statuaria  ars  (Deonna)  ;  status,  subscribendarius  (Humbert)  ;  Stella 
(Esperandieu);  stellionaïus,  substitutio,  successio,  synallagma,  syngraphé,  syn- 
thekon,  parabaseos  graphe  (Beauchet);  stemma,  Stéphane,  stibadium,  stolar- 
chus,  storea,  strophium,  structor,  struppus,  subalare,  subarmalc,  subligaculum, 
subula,  lubuncior,   suffibulum,  sulîimcnta,  sufFragium,  suouetaurilia,  supparum. 


I 


D  HISTOIRE    KT    DE    LITTERATURE  II7 

supposilio  partus,  susccptorcs,  suspcnsurn,  synthcsis,  syssitia  (Saglio);  Ste- 
phancphoria,  studiis  (a),  subsellium,  suggcstus,  sutor,  syndicus  (Chapot)  ;  Sthé- 
nia,  syrmaia  (Cahen);  stilus,  stloppus,  streptiiida,  stuppator  (Lafaye)  :  stimu- 
lus, strigilis,  striglis,  sutïlamen  (Sorlin-Dorigny)  ;  stips,  supplicatio  (Toutain)  ; 
stipulatio,  suus  (Cuq)  ;  stlata  (Gauckler);  stola,  stylohates  (Leroux);  stra- 
gulutn  (V.  Mortel);  synodos,  stratèges  (Colin);  strenae  (Maynial)  ;  structura 
(Jardé)  ;  stylis,  sybéné,  symphonia  (A.-J.  Reinach)  ;  Suada  (Baudrillart)  ;  Sum- 
manus  (Hild);  supellex  (Alberiini);  sykophanta,  symposion,  Syrrna  (Navarre)  ; 
syllogeis,  synoikia  (Ch.  Michel);  symmachia,  synedros  (Alb.  Martin);  synegoros 
(l'errot)  ;  sytiaiioubiastai  (l'oucart)  ;  symphoniacus  (C.  de  la  Berge)  ;  syntrophoi 
(Jalabert);  Syria  dea  (Guinont)  ;  syrinx  (Th.  Reinach). 

—  M.  W.  P.  MusTARD,  qui  depuis  a  publié  une  savante  édition  des  églogues 
latines  de  Mantuanus,  nous  a  envoyé  deux  tirages  à  part  de  l'American  Journal 
of  Pliilology  qui  se  rattachent  au  même  ordre  de  recherches  :  1°  Latereclioes  oj 
the  Greek  bticolic  pocts,  A.  J.  Ph.,  XXX  (1909),  n°  3,  245-283  ;  pour  chaque  idylle, 
vers  par  vers,  M.  M.  reproduit  les  passages  similaires  ou  imités  dans  la  poésie 
latine  de  la  Renaissance  et  chez  les  poètes  modernes,  anglais,  français,  italiens; 
2"  Vi)-gil's  Georgics  and  the  British  poets,  ib.,  XXIX,  n",  i-32.  Dans  ces  deux 
articles,  M.  Mustard  t'ait  preuve  de  beaucoup  de  lecture  et  d'érudition. 

—  La  librairie  Ludwig  Rosenthal  nous  envoie  son  catalogue  141  :  Katholische 
Théologie  in  deutscher  Sprache,  22  3  pp.  in-S",  3698  numéros.  On  y  trouve  des 
manuscrits,  beaucoup  d'incunables  rares,  une  riche  collection  de  Bibles  alle- 
mandes du  xv^  au  xixe  siècle,  des  livres  à  gravures  sur  bois,  des  impressions 
rares,  et  aussi  beaucoup  de  livres  modernes  importants  dus  à  la  plume  des  catho- 
liques. —  S. 

—  Le  monument  que  Mlle  Caroline  F.  E.  Spurgeon  a  voulu  élever  à  la  mémoire 
de  Chaucer  est  le  résultat  d'un  labeur  prodigieux  {Chancer  devant  la  critique  en 
Angleterre  et  en  Fi-ance  depuis  son  temps  jusqu'à  )ios  jours,  Paris,  Hachette,  igti, 
in-8",  422  pp.  7  fr.  5o).  Voici  les  divers  chapitres  de  celte  thèse  :  aperçu  général 
de  l'histoire  de  la  critique  chaucériennc  en  Angleterre  ;  Examen  et  classification 
des  différents  types  d'allusions  à  Chaucer;  Caractéristiques  attribuées  à  Chaucer  ; 
Evolution  de  la  biographie  de  Chaucer  ;  Les  Chaucériens  ;  Chaucer  en  France. 
Suivent  trois  appendices  fort  longs  ;  bibliographie  des  œuvres  de  Chaucer,  cita- 
tions illustrant  le  développement  de  la  critique  anglaise,  textes  français  où  il  est 
parlé  de  Chaucer.  Ce  dernier  appendice  nous  intéresse  plus  particulièrement,  car 
on  y  verra  la  preuve  de  la  popularité  constante  du  poète  anglais  en  France.  Depuis 
Eustache  Deschamps  jusqu'à  M.  Drurnont,  les  allusions,  les  citations,  les  hom- 
mages sont  innombrables.  Les  Contes  de  Canterbury  ont  été  traduits  trois  tois. 
Des  notices  biographiques  se  trouvent  dans  la  plupart  des  dictionnaires  depuis 
Moreri  jusqu'à  Larousse.  Bien  entendu,  un  pareil  appendice  n'a  pas  la  prétention 
d'être  complet.  11  a  fallu  faire  un  choix  môme  dans  les  comptes  rendus  de  la 
Revue  critique.  —  Cu.  B. 

—  A  signaler  une  étude  intéressante  sur  Moore  en  France  [Moore  en  France, 
contribution  à  l'histoire  de  la  fortune  des  œuvres  de  Thomas  Moore  dans  la  litté- 
rature française,  1819-1830,  par  A.  B.  Thomas,  Paris,  Champion,  191  i,  in-8», 
170  pp.  3  fr.  5o).  Trois  chapitres  principaux  :  Moore  à  Paris,  Moore  et  la  presse 
littéraire  en  France,  influence  de  Moore  dans  la  littérature  française.  Ce  troisième 
chapitre  cherche  à  établir  quels  emprunts  \'igny,  Lamartine  et  Victor  Hugo 
ont  faits  à  Moore.  «  C'est  dans  la    tonalité  du  poème  {d'Eloa)    que    l'influence    de 


,   I  g  KKVLK    CRITIQUE 

Moorc  se  fait  sentir...  l.'iiitlucnce  de  Mooro  sur  Lamartine  a  été  peu  considéra- 
ble ».  Pour  \'ictor  Hugo,  «  il  a  pris  de  Moore  le  titre  d'une  de  ses  Orientales,  mais 
rien  que  le  titre  ».  Conclusion  :  «  L'influence  de  Moore  n'a  pas  été  proportionnce 
à  sa  popularité  ».  Cette  étude  qui  rcsoud  ainsi  négativement  un  petit  problème 
de  littérature  comparée,  fait  grand  honneur  à  son  auteur,  un  étranger  pour  qui 
notre  langue  n'a  plus  de  secrets.  Elle  fait  honneur  aussi  à  l'université  de  Lyon, 
dont  le  docteur  A.  B.  Thomas  a  été  l'élève;  elle  est  dédiée  à  notre  collaborateur, 
M.  F.  haldenspergcr.  —  Cn.   B. 

—  Le  're>i)iyso}i  Ac  M.  l'inniii  Roz  (Paris,  BlouJ,  njii,  in-iG,  2'.-îopp.)  qui 
parait  dans  la  collection  des  «  Ecrivains  étrangers  »  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
contient  tout  l'essentiel  sur  le  poète-lauréat  si  populaire  en  Angleterre.  Pcui-étre 
pourrait-on  faire  des  réserves  sur  les  attaques  fort  vives  auxquelles  l'auteur  se 
livre  contre  celui  qui  a  le  plus  contribué  à  nous  faire  connaître  Tennyson,  contre 
M.  Taine.  Pour  qui  n'a  pas  la  mentalité  anglaise,  Tennyson  évoque  l'apologue  de 
Hogarth  :  l'assiduité  au  travail,  du  bon  apprenti  et  sa  conduite  irréprochable  lui 
gagnent  la  confiance  du  patron,  celui-ci  lui  donne  sa  fille,  l'apprenti  devient  patron 
à  son  tour  et  tandis  que  son  camarade  d'autrefois,  le  mauvais  apprenti,  reste  pauvre 
et  inconnu,  il  finit  par  être  élu  lord-maire.  Inutile  d'ajouter  que  le  mauvais 
apprenti  est  Browning.  A  signaler  quelques  fautes  d'impression.  (P.  14,  84,  146. 
P.  i5,  traduire  ainsi  la  citation  :  «  Tu  surmonteras  » P.  107,  pourquoi  rabais- 
ser Byron  au  profit  de  Tennyson  ?  Le  génie  de  Byron  est  méconnu  en  ce  moment 
en  Angleterre,  mais  un  revirement  doit  se  produire.  —  Cii.   B. 

—  L'Académie  des  Sciences  de  Saint-Pétersbourg,  ayant  fêté,  le  8  novembre  der- 
nier (v.  st.),  le  bicentenaire  de  la  naissance  ds  Lomoitosov,  chargea,  à  cette  occa- 
sion, M.  Fr.  DuKMEVKR,  de  rédiger  un  article  biographique  et  bibliographique  sur 
le  «  père  de  la  grammaire  et  de  la  littérature  russes  ».  Cet  article  a  paru  dans  les 
Pretissische  Jahrbilclier  (T.  146,  n"  2,  p.  247-264.  Berlin,  Stilke,  191 1).  Rappe- 
lons seulement  ici  que  Lomonosov  succéda  en  176 1  à  l'Alsacien  Schumacher 
comme  directeur  de  la  chancellerie  de  l'Académie,  et  mourut  en  1765.  La  f^  édi- 
tion de  ses  œuvres  parut  trois  ans  après,  la  dernière  est  en  voie  de  publication 
depuis  i8gi  par  les  soins  de  M.  Suchomlinov.  Ses  4  meilleures  odes  ont  été  tra- 
duites en  allemand  dans  Die  schônwissenscJiaftliche  Literatur  der  Russen  (I^eipzig, 
1843)  par  Wolfsohn.  D'autre  part,  M.  Menschutkin  a  consacré  à  ses  mérites  comme 
physico-chimiste  un  ouvrage  russe  qu'il  a  résumé  dans  Jes  Annalen  der  Natur- 
philosopliie  [T.  4,  igob)  d'Osiwald.  Il  l'y  présente  comme  l'auteur  du  principe  de 
la  conservation  de  la  matière,  principe  formulé  par  l'académicien  russe  dès  le 
5  juillet  1748  dans  une  lettre  à  Euler  tandis  que  Lavoisicr  n'exprima  ce  principe 
qu'en  1789.  Il  en  serait  de  môme  de  l'interprétation  des  phénomènes  de  combus- 
tion. —  Th;  Sch. 

• —  Au  Congrès  international  de  Bologne,  M.  L.  Nelson  a  résumé,  le  11  avril 
191 1,  son  grand  travail  Ueber  das  sogenanntc  Erkenntnisproblcm  paru  dans  les 
Abhandlungen  der  Fiies'schen  Schu(e{T.  II,  n°  4,  1908),  dont  la  direction  vient  de 
publier  ce  résumé  sous  le  titre  :  Die  Umnôglichkeit  der  Erkenntnistlieorie  (Gœttin- 
gen,  Vandenpœck  et  Ruprccht,  191 1,  35  p.);  en  faisant  cela,  elle  ne  pense  pas  se 
répéter,  puisque  un  problème  de  cette  importance  capitale  ne  peut  que  gagner  en 
clarté  à  être  présenté  sous  une  forme  nouvelle;  elle  s'est  même  hâtée  de  le  faire, 
à  cause  des  jugements  inexacts  ou  superficiels  dont  le  rapport  de  M.  Nelson  a  été 
l'objet  de  la  part  de  la  Gazette    de  Francfort,   du  Tag  (28    avril;,  de  la  Zeitschrift 


d'histoire  et  de  littérature  119 

filr  Philosophie  und  phiLosophischc  k'ritik   T.  14.2,  n"  i ',  et  miirne  du  Logox  (T.  2, 
n»  1).  —  Tu.  Scii. 

Publications  Scandinaves.  De  la  société  de  littérature    suédoise  de  Finlande 

les  tomes  XCII  et  XCV  consacrés  aux  Studier  i  Nordisk  Filologi  I  et  II  (Helsing- 
fors  igioet  1911)  éditées  par  Hugo  Pipping  et  contenant,  entre  autres,  des  études 
de  Lidén  sur  les  anciens  surnoms  en  norois  :  de  Pipping  sur  la  langue  judiciaire  en 
vieux  suédois:  de  Ralf  Saxén  sur  les  noms  des  cours  d'eau  en  finlandais  (I);  de 
Karsten  sur  la  culture  germanique  dans  la  Finlande  primitive;  de  Pipping  sur  les 
noms  suédois  du  Onjeper,  et  de  Lindroth  une  intéressante  Contribution  à  l'inter- 
prétation  de  l'inscription  unique  de  la  pierre  de  Rôk.—  Le  tome  XCVI  de  la  même 
collection  comprend  un  certain  nombre  de  Fôrhaedlingar  och  Uppsatser  'Helslng- 
fors.  191 1).  A  signaler,  outre  les  procès-verbaux  des  réunions  de  la  société  en  1910, 
un  fragment  de  poème  épique  de  Runeberg  sur  La  fête  du  Solstice  d'été  et  un 
très  curieux  recueil  de  Pratiques  magiques  che^  les  Suédois  de  la  Bothnie'prientale 
par  Eric  Holmberg.  —  Dans  les  fascicules  I,  II  et  III  de  Sprdk  och  Stil  (Uppsala, 
191  i)  j'ai  particulièrement  remarqué  les  articles  de  :  Louis  Elmquist  sur  Le  Sué- 
dois en  Amérique;  de  Sven  Rothman  sur  Les  Danismes  dans  la  langue  d'Oscar 
Levertin  ;  le  Bengt  Hesselman  des  Etudes  de  Morphologie  suédoise,  etc.  —  L.  P. 

—  Dans  le  premier  fascicule  des  Aktstykker  til  de  norske  stœndermœters  histo- 
rié publiés  au  nom  de  la  Commission  des  sources  de  l'Histoire  de  la  Norvège 
par  M.  le  Dr  Oscar  Alb.  JoHNSEN  (Kristiania,  Grœndahl,  19 10)  on  trouvera  les  actes 
et  documents  relatifs  à  la  prestation  du  serment  à  Frédéric  II,  i-HS,  aux  assem- 
blées des  Etats  provinciaux  à  Bergen,  i56i  et  i565,  aux  négociations  avec  les 
Etats,  ib-ji  et  1572,  à  l'Assemblée  de  la  noblesse  à  Oslo,  en  i582,  à  la  prestation 
du  serment  â  Kristian  IV  à  Oslo,  en  1.^91,  et  au  prince  Kristian  VI  en  1610.  —  Au 
nom  de  la  même  Commission,  M.  A.  Kjaer  publie  les  deux  premiers  fasc.  (I  et  H, 
in-S"  de  480  pp.  Kristiania,  1910  et  191 1)  du  manuscrit  81  a  Fol.  de  la  Collection 
arnamagnéenne  contenant  les  importantes  sagas  de  Sverrir,  du  roi  Hâkon  et  de 
ses  fils.  Publication  sans  aucun  commentaire,  au  moins  jusqu'à  présent;  de  sim- 
ples corrections  de  texte  au  bas  des  pages.  —  Le  quatrième  vol.  d'islandica  (Cor- 
nell  University  Library,  New- York,  191 1)  contient  par  Holldor  Hermannsson  des 
anciennes  lois  de  la  Norvège  et  de  l'Islande  :  collections  et  diplojnatique,  textes 
isolés,  histoire  et  critique,  bibliographie  et  biographie  avec  un  index  des  matières. 
—  Sprdk  och  Stil,  IV  (Uppsala,  191 1).  Entre  autres  articles,  celui  de  R.  G.  Berc 
sur  les  «  Danismes  dans  Levertin  ».  —  L.  P. 

—  La  librairie  J.-C.-B.  Mohr  (Paul  Siebeck)  de  Tûbingen  met  en  vente  une 
réimpression  de  l'opuscule  de  Luther  :  Von  der  Freilieit  eines  Christenmenschen, 
faite  par  les  soins  de  M.  Paul  Fiebig,  qui  s'est  appliqué  à  rendre  accessible  à  des 
lecteurs  modernes  le  texte  luthérien.  —  F.  P. 

—  La  maison  Cahvey  de  Munich  nous  envoie  le  premier  fascicule  d'un  périodique 
édité  par  M.  Friedrich  Wilhel.m  sous  le  titre  Miinchener  Muséum  filr  Philologie 
des  Mittelalters  und  der  Renaissance.  Cette  publication  a  pour  but  de  donner  des 
articles  originaux  où  seront  étudiées  les  langues  et  littératures  de  l'Europe  à 
l'époque  du  moyen  âge  et  de  la  Renaissance.  Une  place  très  large  y  sera  réservée 
au  latin  moyen  et  moderne.  Si  la  revue  ne  donne  pas  de  comptes  rendus  régu- 
liers d'ouvrages  récents,  elle  présentera  de  temps  à  autre  des  vues  d'ensemble 
et  une  mise  au  point  de  qu£stions  étudiées  dans  des  livres  nouveaux.  L'esprit 
du    .Vlûnchener    Muséum    sera,    promet-on,    strictement    historique,    c'est-à-dire 


I-ZO  REVUE    CRITIQUE    D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE 

conscient  des  incertitudes  qui  accompagnent  toute  recherche  et  soucieux  de  ne 
pas  dissimuler  les  contingences  qui  diminuent  la  sûreté  des  résultats.  Ceux  qui 
connaissent  les  travaux  de  M.  Wilhclm  ne  douteront  pas  qu'il  ne  s'ctVorce  de  réa- 
liser le  beau  programme  qu'il  s'est  tracé.  Le  premier  fascicule  du  MCinchcner 
Muséum  otî're  surtout  des  publications  de  texte.  —  F.  1^. 

—  Le  Schweijeriscltes  Idiotikon,  ce  «  trésor  »  si  abondant  cl  si  sûr  de  la  langue 
parlée  et  écrite  en  Suisse  s'est  accru  de  deux  fascicules  (68  et  69)  au  cours  de  ces 
deux  dernières  années.  Sont  étudiés  ici  les  mots  compris  entre  sclien  (fin  de  l'ar- 
ticle) et  Salj  (traité  en  grande  partie).  —  F.  P. 

—  Le  septième  et  dernier  volume  de  VHistoire  de  l'affaire  Dreyfus,  de 
M.  Joseph  Reinach,  a  paru  à  la  librairie  Fasquelle.  Il  comprend  l'index  général 
des  noms.  C'est  l'indispensable  supplément  de  cet  important  ouvrage,  de  ce  récit 
dont  il  faut  louer  la  puissance  et  limpartialité,  de  cette  véritable  oeuvre  d'histo- 
rien. —  C. 


Académie  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  jô  janvier  igi2. 
—  M.  Perrot,  secrétaire  perpétuel,  donne  lecture  de  lettres  où  MM.  Adrien  Blan- 
chet  et  G.  Radet  posent  leur  candidature  à  la  place  de  membre  libre  vacante  par 
suite  du  décès  de  M.  Saglio. 

M.  Jullian  communique,  de  la  part  de  M.  le  D''  Gaston  Lalanne,  une  figure  en 
relief,  en  pierre,  trouvée  dans  ses  fouilles  de  Laussel.  près  des  Eyzies  fDordogne). 
Cette  figure  remonte  aux  temps  aurigiiaciens  et  représente  une  femme  stéatipy- 
gique,  nue,  tenant  à  la  main  une  corne  de  bison.  La  sculpture,  vigoureuse,  est 
sans  doute  antérieure  aux  peintures  et  sculptures  zoomorphiques  des  temps  mag- 
daléniens. 

M.  J.  Loth  fait  une  communication  intitulée  :  Le  Cornwall  et  le  roman  de  Tris- 
tan. Le  roman  de  Tristan,  tel  qu'on  le  connaît  par  le  poète  français  du  xii^  siècle, 
trahît  les  collaborations  de  gens  de  langue  anglaise,  française  et  celtique.  Le  ber- 
ceau idéal  du  roman  serait  un  pays  uù  les  trois  langues  eussent  été  parlées  cou- 
ramment et  concurremment.  Ce  pays  existe.  M.  Loth  montre  que  c'est  le  Corn- 
wall. 

M.  le  D''  Capitan  fait  une  communication  sur  les  caractéristiques  de  l'architec- 
ture maya  ancienne  (Sud  du  Mexique).  Tous  les  grands  monuments  mayas, 
temples  ou  palais,  sont  placés  sur  des  élévations  artificielles  plus  ou  moins  hautes; 
l'étude  des  façades  de  divers  monuments  montre  une  reproduction  très  nette  de 
prototypes  en  bois.  On  trouve  les  origines  de  ces  particularités  dans  l'étude  du 
texie  et  des  figures  où  l'on  voit  que  d'après  la  tradition  les  Mexicains  primitifs 
ont  construit,  pour  y  mettre  leurs  idoles,  de  petits  temples  en  bois  (et  non  en 
pierre,  à  cause  de  la  pénurie  de  cette  matière).  D'autre  part,  ces  temples,  dès 
l'origine,  étaient  placés  sur  des  élévations  artificielles  de  terrain,  en  général  pour 
les  protéger  contre  les  inondations,  ensuite  pour  les  rendre  visibles  de  loin  et  en 
même  teinps  les  rapprocher  de  la  divinité. 

Léon  Dorez. 


L'imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 


Le  Puy-en-VeJay.  —  Imprimerie   Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 

N°  7  —  17  février  —  1912 

Garstang,  Le  pays  des  Hittites.  —  Olmstkad,  Charles  et  Wrench,  i,  2,  Inscrip- 
tions hittites.  —  Gkrcke  et  Norden,  Introduction  à  la  science  de  l'antiquité,  I. — 
O.  Keller",  Les  animaux  dans  l'antiquité,  I.  —  Walker,  Essai  d'isométrie.  — 
Sauvage,  L'abbaye  de  Saint-Martin  de  Troarn;  Le  fonds  de  l'abbaye  de  Saint- 
Etienne  de  Caen.  —  F.  Kern,  Documents  sur  les  relations  extérieures  de  l'Alle- 
magne 1 267-1  3  I  3  ;  Les  débuts  de  la  politique  française  d'expansion  jusqu'en  i3o8. 

—  P.  Braun,  Conrad  de  Mnrbourg  et  Sieding.  —  Registre  du  Conseil  de  Genève, 
111.  —  F.  de  Mallevoue,  Actes  de  Sully  passés  au  nom  du  roi  par  devant  notaire. 

—  Preuss,  Philippe  II,  les  Hollandais  et  le  premier  voyage  aux  Indes.  —  Obser, 
Inventaire  des  archives  de  Bade.  IV,  2.  —  Bost,  Les  prédicants  protestants  des 
Cévennes  et  du  Bas-Languedoc.  —  Hauviller,  Les  pieux  désirs    d'un  Alsacien. 

—  Haepke,  Le  négociant  allemand  aux  Pays-Bas.  —  Max  Hoffmann,  Morceaux 
choisis  de  Ranke.  —  M.  Philippson,  Histoire  contemporaine  du   peuple  juif,  III. 

—  Académie  des  inscriptions. 


J.  Garstang,  The  land  of  the  Hittites;  an  account  of  récent  explorations  and 
discoveries  in  Asia  minor,  with  Descriptions  of  the  Hittite  Monuments,  with 
Maps  and  Plans,  ninety-nine  Photographs  and  a  Bibliography.  London,  Cons- 
table  and  C°.    igio,  i  vol,  413  p.  in-S%  12  sh.   6. 

L'importance  du  rôle  joué  par  les  Hittites  apparaît  chaque  jour- 
plus  grande  à  mesure  que  les  découvertes  se  succèdent  en  Asie  Mi- 
neure et  les  trouvailles  faites  par  l'expédition  allemande  à  Boghaz- 
Keui  ont  rappelé  l'attention  sur  les  ruines  trop  négligées  de  la  Cap- 
padoce  et  de  la  Syrie  du  Nord.  Nous  savons  aujourd'hui  que  la  pre- 
mière dynastie  de  Babylone,  celle  de  Hammurabi,  fut  renversée  par 
les  Hittites;  que  les  Hittites  résistèrent  souvent  victorieusement  en 
Syrie  aux  Egyptiens  et  aux  Assyriens,  qu'ils  fondèrent  la  dynastie 
des  Héraclides  en  Lydie  ;  qu'ils  transmirent  à  l'Asie  Antérieure  l'art 
babylonien  qui  leur  avait  emprunté  le  système  de  construction 
appelé  bit  hildni;  enfin  que,  maîtres  des  mines  de  Taurus,  ils  furent 
les  grands  métallurgistes  qui  fournirent  à  une  bonne  partie  du  monde 
ancien  l'argent,  le  cuivre,  le  plomb  et  peut-être  même  l'étain.  Le 
livre  de  M.  Garstang  vient  donc  fort  à  propos  nous  donner  un  état 
actuel  des  connaissances  sur  un  peuple  longtemps  ignoré  ou  négligé 
et  justement  remis  aux  premiers  plans  de  l'histoire.  Il  débute  par 
une  description  du  pays  proprement  hittite,  entre  Césarée  et  Boghaz- 
Keui,  et  des  régions  plus  ou  moins  pénétrées  d'influences  hittites, 
Syrie  du  nord,  Phrygie  et  Cilicie.  Une  cinquantaine  de  pages  résu- 
ment ensuite  l'histoire  de  ces  régions  depuis  l'époque  hittite  jusqu'à 
la  conquête  seldjoukide.  Les  monuments  hittites  actuellement   con- 

Nouvelle  série  LXXIH  7 


122  REVUE    CRITIQLK 

nus,  rt^partiscn  cinq  groupes  suivant  les  régions  où  ils  ont  été  décou- 
verts, sont  soigneusement  décrits  dans  un  tioisième  chapitre.  Pouf 
le  cas  où  il  publierait  une  seconde  édition  de  son  livre,  M.  Garstang 
me  permettra  de  lui  signaler  deux  bas  reliefs  que  j'ai  autrefois  photo- 
graphies dans  la  Syrie  du  Nord,  l'un  à  Kara-Maghara  (liulletin  de 
Corr.  hell.  1897.  pi-  IV),  l'autre  à  Tchatal-Tépé  (Maspero,  Hist.  anc. 
des  peuples  de  l'or,  class.,  III,  p.  36)  et  un  buste  trouvé  dans  les  envi- 
rons d'Antioche  [Bulletin  de  Corr.  hell.,  ib.).  Les  deux  chapitres  sui- 
vants sont  consacrés  à  la  ville  de  Boghaz-Keui  et  aux  sculptures  do 
lasili-Kaya,  au  palais  et  aux  sculptures  d'Eyuk.  étudiés  en  1907  par 
l'expédition  anglaise  de  Liverpool  puis  par  Macridi-Bey,  à  la  ville  de 
Sindjerli.  fouillée  de  1888  à  1892  par  l'Orieni-Comité  allemand,  aux 
ruines  de  Sakjegeuzi  fouillées  par  M.  Garstang  lui-même.  Enfin  l'his- 
toire des  Hittites,  telle  du  moins  qu'on  peut  l'esquisser  d'après  des  tex- 
tes encore  bien  insuffisants,  est  retracée  depuis  les  origines  jusqu'à  la 
chute  de  Carchemis.  Quatre  tables  terminent  le  volume  et  en  facilitent 
l'usage.  L'illustration  est  abondante  et  très  réussie.  J'aurais  voulu 
que  l'auteur  nous  dit  un  mot  des  différentes  tentatives,  assez  nom- 
breuses déjà,  faites  pour  déchiffrer  les  inscriptions  hittites. 

C.    F"0SSEV. 


A.  T.  Oi.MSTEAD,  B.  B.  Charles,  J.  E.  Wrench,  Travels  and  Studies  in  the 
nearer  East,  vol.  I,  part.  II.  Hititte  inscriptions;  the  Cornell  Expédition  to 
Asia  Minor  and  the  Assyro-Babylonian  Orient,  Iihaca,  (New-York),  191 1,  49  p. 
gr.  in-80. 

Les  découvertes  en  pays  hittite  se  multiplient  avec  une  telle  rapi- 
dité que  le  livre  de  M.  Garstang,  à  peine  paru,  se  trouve  déjà 
incomplet.  Une  expédition  américaine  qui  a  parcouru  l'Asie  Mineure 
publie  en  effet  vingt-sept  planches  reproduisant  des  inscriptions  hit- 
tites dont  plus  d'une  douzaine  étaient  complètement  inédites.  Ces 
planches  ont  été  dessinées  avec  un  soin  minutieux  d'après  des  pho- 
tographies prises  sur  les  pierres  recouvertes  d'un  estampage.  Ce  pro- 
cédé a  permis  de  reconnaître  ou  de  rectifier  plus  d'un  signe  que  des 
photographies  prises  directement  sur  des  pierres  très  frustes  ne  fai- 
saient pas  apparaître.  La  publication  de  MM.  Olmsiead,  Charles  et 
Wrench  sera  donc  indispensable  à  tous  ceux  qu'intéresse  l'épigraphie 
hittite  et  elle  inaugure  très  heureusement  la  publication  des  résultats 
de  l'expédition  Cornell. 

C.    FOSSEY. 

Einleitung  in  die  Altertumswissenschaft,  herausgegeben  von  A.  Gercke  und 
E.  NoRDEN.  Tome  I  :  Methodik,  Sprache,  Metrik,  Griechische  und  rômische 
Literatur.  Leipzig-Berlin,  Teubner,   1910;  xii-588  p. 

Enlisant,  sur  le  titre  de  l'ouvrage  publié  par  MM.  Gercke  et  Nor- 
den,  les  noms  de  leurs  collaborateurs,    on   ne  peut  que  prendre   une 


d'histoire    et    de    littérature  I2'3 

• 

idée  fort  avantageuse  de  la  manière  dont  seront  traitées  les  matières 
dont  il  se  compose.  Dans  ce  tome  premier  (l'ensemble,  primitivement 
conçu  pour  deux  volumes,  doit  en  comprendre  trois)  est  exposé  aussi 
complètement   que    possible,   et  sans    développements   superflus,   le 
résumé  des  connaissances  actuelles  sur  les  langues  et  littératures  grec- 
ques et  latines.  L'ouvrage  est  destiné  aux  étudiants,  et  plus  spéciale- 
ment à  ceux  qui'  doivent  faire  leur  carrière  dans  le  professorat;  et  l'on 
remarquera  que  dans  la  pensée  des  éditeurs  il  s'agit  moins  de  traitera 
fond  chaque  sujet  que  d'orienter  le  lecteur  et  de  le  guider  dans  ses  tra- 
vaux futurs  et  dans  son    enseignement  ;  chacun   doit  y   trouver,    en 
même  temps  qu'une  base  solide  pour  progresser  selon   ses  aptitudes, 
l'ensemble  des  notions  indispensables  sur  les  autres  disciplines,  sans 
lesquelles   aucune    branche  des  études   sur   l'antiquité    ne  peut  être 
abordée  avec    fruit.   Car  tout    se  tient;   et  malgré  les  spécialisations 
nécessaires,  un  savant  trop    renfermé  dans  un    cercle    de  recherches 
restreintes  court  risque  de  n'être  qu'un  demi-savant.  Le  volume  débute 
par  un  chapitre  sur  la  méthode,  dû  à  A .   Gercke,  et  je  n'hésite  pas  à 
dire  que  c'est  celui  dont  on  retirera  le  plus   de  profit.  Alors    que   les 
chapitres  suivants,  sur  l'histoire   et  la  grammaire    des  langues   classi- 
ques (P.  Kretschmer),  sur  leur  métrique  (E.  Bickel),    sur  les  littéra- 
tures grecque  et  latine  (E.  Bethe,  P.  Wendland,  E.Norden),  exposent 
et  condensent  les  résultats  acquis  dans  chacune  de   ces   parties,  cette 
première  section  est  destinée  en   quelque    sorte   à  l'apprentissage    du 
futur  savant,  en  lui  indiquant  les  sources  de  la  science  de  l'antiquité, 
et  en  le   familiarisant,  pour  ainsi    dire,   avec   les  instruments  et   les 
méthodes  dont  il  aura  à  se  servir,  quel  que  soit  le  domaine  vers  lequel 
il  sera  attiré,   philologie   pure,   histoire,  linguistique  ou  archéologie. 
Les  autres  parties  ne  sont  pas  moins  solidement  traitées,  et  dans  leur 
brièveté  relative  ne  perdent  pas  de  vue  le  but  principal  de    l'ouvrage. 
Il  faudrait  un  article  spécial  pour  juger  chacune  d'elles  ;  nous  ne  pou- 
vons ici  que  signaler  ce  qu'il  y  a  de  plus  nouveau  et  de   plus  saillant 
dans  un    manuel  de  ce    genre.    Dans    le   chapitre   intitulé   Sprache, 
M.  Kretschmer,  après  avoir  esquissé  le  développement  historique  du 
grec  et  du  latin  depuis   leurs  origines,  s'occupe  des   principes  fonda- 
mentaux de  la  grammaire;  on  remarquera,  sous  la  rubrique  Syntaxe, 
une    définition  psychologique  de  la  proposition  qui  ne  sera   pas,   je 
crois,  sans  soulever  des  controverses.  On  notera  aussi,  dans   le  cha- 
pitre Métrique^  le  dernier  paragraphe,  en  plus  petits  caractères,  sur  le 
rythme  de  la  prose.  Les  littératures  ne  sont  pas  traitées  selon  un  même 
plan;  la  littérature  grecque  est  subdivisée  en  deux  sections,  poésie  et 
prose,  tandis  que  la  littérature  latine  est  étudiée  suivant  les  périodes. 
Les  deux  dispositions  ont  leurs  avantages,  l'une  faisant  mieux  ressortir 
Tcvuluiion  des  genres,  l'autre  caractérisant  avec  plus   de  précision  la 
vie  littéraire   et  le  goût  des  époques  successives  ;  elles  ont  également 
leurs  imperfections  —  qui  d'ailleurs  peuvent  être  atténuées  dans  une 


,2  1  REVUE   CRITIQUE 

lar'c  mesure  —  l'une  risquaiii  do  subordonner  l'écrivain  à  ses 
œuvres,  l'autre  conduisant  plutôt  à  mettre  au  premier  plan  les  person- 
nalités. Quoi  qu'il  en  soit,  les  auteurs  ont  su  justement  apprécier 
l'histoire  des  deux  lijitératures,  et  donner  en  même  temps  le  relief 
nécessaire  aux  grands  noms  qui  les  ont  illustrées;  ils  ont  en  outre, 
MM.  Bethc  et  Wendland  d'une  part,  M.  Norden  de  l'autre,  écrit  un 
chapitre  additionnel,  abondamment  fourni  de  renseignements,  sur  les 
matériaux,  sources  anciennes,  manuscrits,  éditions,  ouvrages  moder- 
nes, que  doivent  utiliser  les  historiens  de  chaque  littérature;  cet 
appendice  donne  également  un  aperçu  des  questions  encore  pendantes, 
ainsi  que  de  précieuses  indications  sur  ce  qui  reste  à  faire.  Ainsi  ce 
tome  premier  est  pleinement  approprié  au  but  que  se  sont  proposé  les 

éditeurs'. 

My. 

Ouo  Kei.leu.  Die  antike  Tierwelt.  Erster  Band.  Sâugetieve.  Leipzig,  Engelmann, 

1909;  xii-434  p. 

Il  y  a  environ  vingt-cinq  ans,  M.  O.  Kellcr  publiait  à  Innsbruck, 
sous  le  titre  Tliiere des  classischen  Alterlhiimsin  culturgeschichtlicher 
Be-{iehung,  une  série  de  monographies  dans  lesquelles  il  avait  réuni  la 
plupart  des  renseignements  fournis  par  l'antiquité  sur  certains  ani- 
maux tels  que  le  loup,  le  cerf,  Tours,  l'aigle,  le  rossignol,  etc.,  avec  de 
de  nonibreuses  illustrations  et  citations  de  textes.  Je  ne  connais  pas  ce 
volume,  qui  ne  doit  pas  manquer  d'intérêt;  et  peut-être  est-il  à 
regretter  que  M.  K.  n'ait  pu  donner  suite  à  son  projet  de  publier  de 
nouvelles  séries  d'articles  qui  auraient  finalement  englobé  tout  le  règne 
animal.  L'ouvrage  que  nous  analysons  ici  est  conçu,  nous  dit-on, 
suivant  un  plan  différent;  il  sera  complet  en  deux  volumes,  illustrés 
de  plus  nombreuses  figures,  et  laissant  de  côté  les  citations;  le  tome 
premier,  qui  forme  un  tout  en  lui-même,  comprend  les  n^iammitères. 
Les  articles  relatifs  à  chaque  animal  ne  sont  pas  également  déve- 
loppés ;  une  quinzaine  sont  traités  sonimairement,  parce  que  le  sujet 
en  est  déjà  expose  avec  détails  dans  l'ouvrage  cité  plus  haut,  et  auquel 
M.  K.  renvoie  ses  lecteurs.  Les  plus  importants  de  ces  articles  sont, 
naturellement,  ceux  qui  sont  consacrés  aux  mammifères  les  mieux 
connus  des  anciens,  en  particulier  aux  animaux  domestiques.  Mais  ce 
n'est  pas  un  ouvrage  d'histoire  naturelle  qu'a  voulu  composer  M.  K.; 
la  zoologie  tient,  dans  son  livre,  une  place  assez  mince  ;  il  s'est  proposé 
tout  spécialement  de  rechercher  ce  que  nous  font  connaître,  sur  les 
animaux,  les  monuments  plastiques  et  les  œuvres  littéraires  des 
anciens.  Un  exemple  permettra  de  comprendre  la  disposition  générale 

I.  Dans  la  liste  des  abréviations,  pp.  ix-xi,  l'impression  n'a  pas  été  surveillée 
d'assez  près;  on  regrette  d'y  \o\r  c'xiQx:  \q  Dictionnaire  des  Antiquités  Aq  Ch.  Dareni- 
berg,  Daglio,  F.  Pottier,  et  d  y  lire  Mon.  Tiot  =  Monuments  et  mémoires  fonda- 
tion Tiot  (sic]. 


d'histoire  et  0e  littérature  125 

de  chaque  article.  Le  chien  tait  le  sujet  du  plus  long  chapitre  du 
volume,  qui  se  développe  ainsi  :  Les  différentes  races  de  chiens  con- 
nues de  l'antiquité,  d'après  les  textes  et  les  monuments  hgufés,  chiens 
loups,  chiens  parias,  lévriers,  dogues  et  molosses,  chiens  de  berger, 
chiens  de  chasse;  les  chiens  à  la  guerre;  noms  de  chiens;  le  chien 
dans  la  religion,  le  culte  et  la  mythologie;  superstitions  populaires; 
représentations  artistiques;  observations  sur  les  mots  qui  désignent 
le  chien  et  son  aboiement.  Tout  cela  est  entremêlé  d'anecdotes  où  le 
chien  joue  un  rôle,  tirées  des  auteurs  grecs  et  latins,  souvent  sans 
autre  référence  que  le  nom  de  l'écrivain.  Pris  en  soi,  chaque  chapitre 
est  d'une  composition  assez  lâche,  et  donne  plutôt  l'impression  d'une 
série  de  fiches  reliées  ensemble  d'une  manière  assez  superficielle.  Le 
.livre  est  évidemment  destiné  au  grand  public,  dont  l'intérêt  sera 
encore  excité  par  les  figures  (145)  insérées  dans  le  texte,  et  par  les 
trois  planches  de  gemmes  et  de  médailles  à  la  fin  du  volume  '. 

My. 


R.  J.  Walkkr.    'AvtI  M'.â;,  an  essay  in  isometry.   Londres,  Macinillan,  1910.    Deux 
volumes  de  viii-Soy  et  vi-3g4  p. 

Les  œuvres  lyriques  grecques  nous  ont  été  transmises  avec  de  nom- 
breuses fautes,  plus  peut-être  que  les  autres  textes;  mais  ces  fautes,  la 
sagacité  des  critiques  (j'entends  les  critiques  méthodiques,  et  non  les 
fantaisistes  de  la  critique  verbale)  les  avait  découvertes  en  bonne  partie, 
et  elle  y  avait  remédié  parfois  avec  certitude,  parfois  avec  une  grande 
vraisemblance,  si  bien  que  le  nombre  des  passages  défectueux  s'était 
sensiblement  réduit.  M.  Walker,  dans  un  gros  traité  qui  n'a  pas  moins 
de  900  pages,  nous  révèle  un  genre  de  fautes  auquel  on  n'avait  pas  pensé, 
et  qui  est,  selon  lui,  un  signe  certain  d'interpolation  ou  de  remanie- 
ment. Ce  sont  des  fautes  reconnaissables  à  la  métrique,  et  voici  com- 
ment M.  W.  les  découvre.  Dans  la  lyrique  grecque,  pense-t-il,  toutes 
les  fois  qu'il  y  a  correspondance  strophique,  cette  correspondance 
s'étend  à  chaque  syllabe;  à  une  longue  répond  une  longue,  à  une 
brève  une  brève;  mais  jamais  le  poète  n'a  substitué  deux  syllabes 
brèves  à  une  syllabe  longue,  àvTl  [u-j.;.  Partant  delà,  M. W.  estime  que 
dans  tous  les  cas  où  nous  rencontrons  deux  brèves  correspondant  à 
une  longue,  au  moins  dans  le  domaine  de  la  lyrique  dorienne,  et  par 
conséquent  dans  les  chœurs  dramatiques,  le  texte  est  corrompu.  Une 
correction  est  donc  nécessaire  pour  remettre  tout  en  ordre,  et  Pindare, 

I.  Parmi  les  noms  de  chiens,  M.  K.  cite  Hormé,  chienne  de  Xénophon,  avec  la 
référence  Arrien,  Cynég.  V,  6  ;  il  s'agit  de  la  chienne  d'Arrien  lui-même,  qui  se 
désigne  sous  le  nom  de  Xénophon,  comme  chacun  sait;  cf.  1,  4,  où  il  se  dit  ôaw- 
v'jjxo?  Tô  û)v  aÙTw  (Xénophon,  7.7.I  -ôXvjk  t'ô  ^t'-JT?.;.  H  serait  facile  de  relever  dans 
l'ouvrage  de  légère  inexactitudes  du  même  genre,  par  exemple  sur  l'origine  du 
nom  de  Bucéphale  (p.  227),  etc.  On  est  surpris  de  ne  pas  voir  mentionné  le 
fameux  cheval  de  Caligula,  Incitatus. 


126  REVUE    CRITIQUE 

Bacchylidc,   les   tragiques,  Aristophane  passent   tour  à  tour  sous  la 
critique  de    M.  W.,  qui  ne  perd  pas   une  occasion    (ses   observations 
sont  en  ctfet  très  complètes)  de  rétablir,  par  des  émendations   parfois 
extraordinaires,   la  correspondance  qui  seule,   selon  lui,  est  conforme 
aux  lois  de  la  composition  lyrique.   Il  se  flatte  ainsi  parfois,   tout   en 
avouant  que  certaines  de  ses  corrections  peuvent  bien  ne  pas  entraîner 
la   conviction  (t.    1,    p.    VI),    d'avoir  retrouvé  très   probablement  ce 
qu'avaient  écrit  les  poètes  (V.  par  exemple  t.   I,  p.  173).  Son  ouvrage 
est  donc  essentiellement   un  ouvrage  de  détail,   qui  dès  lors  ne  peut 
être  analyse.   Mais  il   repose  tout  entier  sur   une  hypothèse,    et    c'est 
cette  hypothèse  que  l'on  voudrait  voir  déniontrcr.  Les  passages  exa- 
minés, dans  lesquels  se  trouve  la  correspondance  condamnée,  ne  soin 
pas  tous  corrompus;  M.  W.  les  déclare  tels,  et  corrige,    en  s'appuyant. 
précisément   sur   ce  fait,   que    la  correspondance   de    deux    brèves  à 
une  longue  est   illégitime;   cela  s'appelle  une  pétition  de  principe. 
D'autre  part,    que  cette  correspondance  apparaisse  seulement  à   l'état 
d'exception,  c'est  une  chose  qui  sans  doute   doit   attirer   l'attention; 
mais  ces  exceptions,  en  fin  de  compte,  forment  encore  un  total    assez 
respectable  pour  que  l'on  ne  conclue  pas  sans  appel  à  des   fautes  de 
copiste  ou  à  des  retouches  plus  ou  moins  sensées   de  quelque   scribe 
byzantin.   Mon  système,  dit  quelque  part  M.  W.,  ne  dépend  pas   de 
mes  émendations.  Évidemment  non;  c'est  l'inverse;  ses   émendations 
dépendent   de  son  système  ;    et  ce   système   restera  caduc,   tant  que 
M.  Walker  n'aura  pas  démontré  que  le  côlon,   dans  la  composition 
chorique,   repose  sur  une  succession  régulière  de  syllabes  et  non  sur 
une  succession  régulière  de  pieds.  Ces  deux  volumes,  d'ailleurs,   sont 
loin  d'être  dépourvus  d'intérêt;  et  l'auteur  aura   sûrement,  pour  me 
servir  de  ses  propres  termes,  la  consolation  de  savoir  qu'il  a  réuni  des 
matériaux  — j'ajoute  nouveaux  et  importants  —  pour  les    recherches 
d'autres  savants.  C'est  par  là  surtout  que  l'ouvrage  sera  utile. 

My. 

R.  N.  Sauvage.  L'Abbaye  de  Saint-Martin  de  Troarn,  au  diocèse  de  Bayeux, 
des  origines  au  xvi«  siècle.  (Histoire  et  développement  économique  d'un  monas- 
tère normand  au  Moyen  Age),  Caen,  Henri  Dclesqucs  et  Louis  Jouan,  in-4'', 
Lii-524p.,  191 1.  — Le  fonds  de  l'abbaye  de  Saint-Étienne  de  Caen  aux 
Archives  du    Calvados  (thèse  complémentaire   pour  le   doctorat  présentée  à  la 

.  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Caen).  Caen,  Henri  Delesques,  in-4'', 
xxiii-58  p.  1911). 

I.  La  thèse  de  M.  S.  n'est  pas  seulement  la  meilleure  monographie 
d'abbaye  normande  qui  ait  été  publiée  jusqu'à  ce  jour.  L'auteur  s'est 
préoccupé  de  nous  faire  comprendre  le  rôle  social  d'un  monastère 
au  Moyen  Age,  et  il  nous  offre  un  tableau  achevé  de  l'exploitation  et 
de  la  mise  en  valeur  d'un  grand  domaine  ecclésiastique,  qui  résuma  , 
longtemps  toute  la  vie  rurale  de  la  Vallée  d'Auge.  La  nouveauté  du 
plan,  l'étendue  et  la  sûreté  de  la  documentation,   l'originalité  des 


d'histoire  et  de  littérature  127 

aperçus,  et  surtout  l'heureux  développement  donné  à  Thistoire  écono- 
mique placent  cet  ouvrage  hors  de  pair  et  l'imposent  à  l'attention  .  En 
l'accueillant  au  nombre  de  ses  publications,  et  en  l'éditant  somptueu- 
sement, la  Société  des  Antiquaires  de  Normandie  s'est  acquis  un 
nouveau  titre  à  la  reconnaissance  des  érudits. 

Cet  ouvrage  ne  se  présente  point  comme  une  monographie  com- 
plète de  l'abbaye  deTroarn.  L'auteur  s'est  proposé  d'étudier  l'histoire 
et  le  développement  économique  d'un  monastère  normand  au  Moyen 
Age,  et  il  a  volontairement  limité  le  champ  de  ses  recherches  à  la 
période  qui  s'étend  des  origines  aux  dernières  années  du  xvi''  siècle. 
Mais  à  Troarn,  comme  en  tant  d'autres  abbayes  françaises,  les  guerres 
de  religion  marquent  la  fin  de  l'activité  religieuse  et  sociale,  et  assu- 
rent la  décadence.  Le  rôle  du  monastère  ne  fut  efficace  qu'au  Moyen 
Age.  C'est  alors  seulement  qu'il  répandit  la  vie  dans  le  pays  environ- 
nant, et  qu'en  lui  se  concentrèrent  le  commerce  et  l'industrie  de  la 
Vallée  d'Auge.  Quelques  pages  suffisent  à  résumer  son  action  sous  les 
derniers  abbés  commendataires.  Cette  période  de  cinq  siècles  et  demi, 
M.  S.  l'a  étudiée  minutieusement,  avec  le  souci  de  donner  leur  véri- 
table sens  aux  aspects  connus  de  l'histoire  politique,  religieuse  et  éco- 
nomique de  l'abbaye  en  les  plaçant  dans  l'évolution  générale,  et  d'at- 
teindre, sur  les  problèmes  que  cette  histoire  soulève,  des  précisions 
nouvelles.  Son  examen  critique  des  sources  est  excellent.  Ce  qu'il 
nous  apprend  des  origines  et  du  développement  extérieur  de  l'abbaye, 
de  ses  rapports  avec  les  puissances  laïques  et  les  autorités  spirituelles, 
du  régime  intérieur  de  la  maison  était  moins  inattendu.  Mais  le  plan 
adopté  par  l'auteur  lui  a  permis  de  ne  laisser  de  côté  aucun  fait  sail- 
lant, et  son  tableau  historique  des  événements  paraît  achevé.  Il  faut 
signaler  les  pages  dans  lesquelles  il  définit  la  nature  de  Yexemption 
iroarnienne,  et  celles  où  il  explique  le  caractère  social  des  troubles  de 
I  562  :  elles  ouvrent  des  perspectives  nouvelles  et  peuvent  servir  de 
point  de  départ  à  des  travaux  plus  étendus. 

Après  avoir  résumé  l'histoire  de  Saint-Martin  de  Troarn,  M.  S. 
nous  fait  connaître  son  développement  économique.  Cette  seconde 
partie  du  livre  est  de  beaucoup  la  plus  originale  et  la  plus  curieuse  : 
nous  n'avons  son  équivalent  pour  aucune  autre  abbaye  normande. 
L'auteur  y  traite  successivement  et  en  détail  de  la  formation  du  tem- 
porel, de  son  exploitation,  de  la  façon  dont  les  moines,  devenus 
riches,  ont  géré  leurs  capitaux,  des  résultats  économiques.  Il  y  a  là  des 
pages  sobrement  écrites  et  fort  intéressantes  sur  l'administration  du 
domaine,  la  condition  des  tenanciers,  les  rapports  de  l'abbaye  avec 
les  communautés  d'habitants  et  les  curés,  la  perception  des  dîmes, 
etc.  Le  rôle  du  monastère  comme  établissement  de  crédit  est  étudié 
soigneusement  et  apprécié  avec  mesure.  Il  arrive,  en  effet,  un  moment 
où  les  revenus  réalisés  dépassent  les  charges.  Quel  emploi  les  reli- 
gieux faisaient-ils  de  l'excédent  ?  MM.  Génestal  et  Allix,  professeurs 


,28  REVUE   CRITIQUE 

h  la  Faoïiltd  de  droit  de  Caen,  se  sont  efforcés  de  nous  l'apprendre 
dans  leur  excellente  étude  sur  les  opérations  financières  de  l'abbaye 
de  Troarn.  Sans  combattre  absolument  leur  théorie,  M.  S.  montre 
bien  qu'elle  ne  cadre  pas  toujours  avec  les  faits.  Le  rôle  de  Saint- 
Mariin  de  Troarn  comme  banque,  comme  maison  de  crédit,  fut  réel 
sans  doute,  mais  subsidiaire.  Le  sentiment  religieux  se  mêle  à  toutes 
les  entreprises  financières  des  moines  et  leur  donne  un  caractère  spé- 
cial :  les  actes  mêmes  les  plus  pénétrés  de  Kesprit  utilitaire  décèlent 
chez  eux  et  chez  leurs  clients  d'autres  préoccupations  que  les  seules 
préoccupations  du  siècle.  C'est  un  point  de  vue  qu'il  ne  faut  pas 
oublier.  Un  chapitre  final,  consacré  aux  résultats  économiques, 
résume,  sans  l'exagérer,  l'œuvre  accomplie  par  les  religieux  dans  la 
Vallée  d'Auge  :  l'estuaire  de  la  Dive,  les  marais  de  Troarn,  les  bois, 
les  cultures,  les  chemins  sont  successivement  passés  en  revue,  et  cet 
examen  constitue  une  excellente  étude  de  géographie  historique. 

M.  S.  a  rejeté  en  appendice  la  liste  des  abbés,  une  dissertation  cri- 
tique sur  les  plus  anciens  actes  originaux  de  l'abbaye,  un  exposé  de 
la  liturgie  troarniennc,  et  l'étude  archéologique  des  bâtiments.  Qua- 
rante pièces  justificatives,  publiées  avec  une  méthode  qui  satisfera  les 
plus  dithciles,  et  des  tables  alphabétiques,  assez  soigneusement 
dressées  pour  rendre  tous  les  services  qu'on  peut  leur  demander,  ter- 
minent ce  volume,  dont  l'exécution  typographique  est  irréprochable, 
et  que  la  Société  des  Antiquaires  de  Normandie  a  fait  illustrer  de  plu- 
sieurs cartes  et  de  sept  planches  très  artistiques, 

II.  M.  S.  avait  choisi  comme  thèse  complémentaire  une  étude  sur 
le  fonds  de  l'abbaye  de  Saint-Etienne  de  Caen  aux  Archives  du  Cal- 
vados. C'est  le  Répertoire  numérique  d'une  partie  importante  de  la 
série  H,  précédé  d'une  préface  qui  donne  l'historique  du  fonds  et 
expose  la  rtnéthode  de  classement.  La  monographie  d'Hippeau  sur 
l'abbaye  de  Saint-Etienne  ne  laissait  pas  soupçonner  la  richesse  de 
ces  archives.  Les  érudits  normands  sauront  gré  à  M.  S.  d'avoir  porté 
ses  efforts  sur  ce  point,  et  les  archivistes  trouveront  dans  ce  travail 
professionnel,  qui  touche  de  bien  près  à  la  perfection,  un  modèle 
d'instrument  de  recherches  plus  maniable  et  plus  rapidement  exécuté 
que  l'inventaire  sommaire.  Une  publication  de  ce  genre  est  très  utile, 
mais  présente  évidemment  peu  d'attrait.  M.  S.  en  a  corrigé  la  séche- 
resse par  une  savante  préface,  qui  donne  à  son  répertoire  numérique 
le  caractère  marqué  d'une  œuvre  d'érudition,  et  qui  doit  servir  de 
base,  dans  l'avenir,  à  toute  étude  sérieuse  sur  l'abbaye  de  Saint- 
Etienne  '.  Cette  thèse   complémentaire  est  digne  de  la  principale,  et 

I.  Je  signalerai  à  M.  S.  une  petite  coquille  typographique  sans  importance: 
Laulne  (Manche,  canton  de  Lessay'  est  constamment  écrit  Laulnc.  Page  175  de  la 
thèse  principale,  je  ne  vois  pas  comment  Bebec  (Seine-Inférieure,  cant.  deCaude- 
bec)  peut  être  maintenu  dans  le  diocèse  de  Coutances. 


^1. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  I  29 

l'une  et  l'autre    sont  en  progrès    sensible  sur    les   travaux   du  même 
genre  parus  précédemment. 

Paul  Lecacheux 

Acta  Imperii  Angliae  et  Franciae  ab  anno  1267  ad  annum  i3i3.  Dokumente 
vornehmlich  zur  Geschichte  der  ausw  acrtiijen  Beziehungcn  Deutschlaiids,  in 
auslaendischen  Archiven  gcsainmelt  und  hcrausgegebcn  von  Fritz  Kern.  Tùbin- 
gen,  Mohr  (Siebeck),  191 1,  XXX,  3^b  p.  gr.  in-S».  Prix  :  25  tV. 

M.  Fritz  Kern  a  visité  en  1908  et  1909  les  dépôts  d'archives  et  les 
bibliothèques  publiques  de  France,  d'Angleterre  et  d'Italie,  pour 
tâcher  d'y  découvrir  des  documents  nouveaux  sur  la  politique  exté- 
rieure de  l'Allemagne  pendant  le  règne  de  Rodolphe  de  Habsbourg, 
Adolphe  de  Nassau,  Albert  I  et  Henri  VH.  Il  a  exploité,  à  Paris,  les 
Archives  Nationales  et  la  Bibliothèque  Nationale,  et  visité  en  outre, 
chez  nous,  les  archives  de  Dijon,  Bar-le-Duc,  Besançon,  Grenoble  et 
Verdun.  A  Londres  c'est  surtout  le  dépôt  de  la  Tour  qui  lui  a  fourni 
des  pièces  curieuses  sur  les  relations  anglo-allemandes  durant  le  règne 
d'Edouard  I  ;  en  Italie,  ceux  de  Rome,  Florence  et  Turin.  Ce  qui 
nous  intéresse  le  plus  dans  le  recueil  de  M.  Kehr,  ce  sont  tout  natu- 
rellement les  documents  relatifs  à  l'influence  plus  ou  moins  considé- 
rable exercée  par  la  politique  française  sur  les  destinées  de  l'Empire  ', 
et  à  l'extension  matérielle  du  royaume  aux  dépens  de  l'Allemagne, 
du  côté  de  la  Lorraine  et  de  l'évêché  de  Toul,  ou  du  côté  de  Lyon.  Le 
volume  débute  par  le  répertoire  chronologique  de  toutes  les  pièces 
citées.  Puis  viennent  244  chartes  (p.  i-i65)qui  constituent  la  pre- 
mière partie;  5i  pièces,  groupées  sous  le  titre  d'Actes  et  régestes 
constituent  la  seconde  partie  (p.  165-248)  ''.  La  troisième  partie,  inti- 
tulée Zur  Reichsgeschichte  ans  italianischen  Chroniken^  renferme 
des  extraits  de  chroniques  inédites  de  Pise,  de  Lucques,  de  Sienne  et 
surtout  d'un  Chronicon  Parmerise,  dont  le  manuscrit,  conservé  à 
Vigevano,  est  dénommé  De  Riibeis  (de  Rossi)  par  l'éditeur,  parce  que 
le  copiste  a  Joint  au  texte  des  notices  sur  la  famille  de  ce  nom  et  qu'il 
peut  être  ainsi  distingué  d'autres  chroniques  parmesanes  déjà 
publiées.  Ces  fragments  se  rapportent  aux  règnes  de  Rodolphe  de 
Habsbourg  et  de  Henri  VII  et  à  leur  ingérence  dans  les  affaires  de  la 
péninsule. 

Un  supplément  de  seize  pièces,  presque  toutes  relatives  au  duché 
de  Lorraine,  termine  ce  recueil,  auquel  est  joint  un  répertoire  des 
noms  de  personnes  et  de  lieux  (p.  293-332)  et  une  table  «  des  expres- 

1.  Citons  comme  pièce  curieuse,  à  la  p.  221,  le  mémorandum  adressé  à  Phi- 
lippe le  Bel,  en  décembre  1299,  contenant  la  liste  de  tous  les  princes  ecclésias- 
tiques et  laïques  du  Saint-Empire  subventionnés  parla  couronne  de  France. 

2.  Dans  ce  groupe,  citons  le  n»  278,  qui  renferme  l'enquête  officielle  faite  en 
septembre  129g  pour  fixer  les  frontières  des  deux  pays,  lors  de  l'entrevue  de  Phi- 
lippe IV  avec  Albert  I;  le  document  fut  dressé  par  les  soins  de  Guillaume  Bas- 
tart  de  Poitiers,  bailli  de  Chaumont  (p.  207-220). 


I  30  REVUE    CRITIQUE 

sions  les  plus  importantes  »  (p.  333-345),  table  dont  on  ne  comprend 
pas  bien  l'uiiliic,  puisque  ces  mots,  latins  ou  français,  sont  simple- 
ment Ciitiilo^iics  mais  nullement  interprétés  ni  expliqués  par  Tcdi- 
icur  '. 

R. 

Die  Anfaenge  der  franzoesischen  Ausdehnungspolitik  bis  zum  Jahre 
1308,  \<iii  l'ritz  Kern.  Tubingen,  Mohr  (Siebeck),  191  i,  XXXII,  '^-j?  p.  8», 
carie.  Prix  :    i  3  fr.  73. 

M.  Fritz  Kern  est  le  même  dont  nous  venons  d'annoncer  un  recueil 
de  documents  [Acta  Imper ii  Angliae  et  Franciue)  sur  Jes  rapports  du 
Saint  Empire  avec  l'Angleterre  et  la  France  dans  les  trente  dernières 
années  du  xiii'^et  les  quinze  premières  du  xiv" siècle.  Les  pièces  inédites 
réunies  à  cette  occasion  lui  ont  paru  suffisamment  intéressantes  pour 
les  utiliser  dans  un   récit   suivi   ei  il  en  est  résulté  celte  élude  sur  les 
débuts  de  la  politique  d'expansion  de  la  couronne  de  F'rance  Jusqu'en 
l'année  i3o8.  C'est  un  premier  chapitre  de  l'histoire  de  celle  poussée 
systématique  de  la  royauté  française  durant  six  siècles,  pour  élargir 
ses  frontières  orientales  aux  dépens  de  ses  voisins,   ei  des  résultats 
obtenus  par  les  successeurs  de  Hugues  Capei.  L'auieur  est  un  esprit 
suffisamment    libre   pour  ne    pas    meure  en  doute    la  sincérité  des 
hommes  paliiiques  qui  représentaient  alors  ces  tendances  nationales 
et  réclamaient  le  Rhin  comme  frontière  à  la  fois  naturelle  et  néces- 
saire. Un  seiTiiment  d'orgueil  national  devait  amener  l'expansion  de 
la  France,  tout  comme  l'orgueil  national  germanique  devait  amener, 
de  nos  jours,  des  contre-efforts,  destructeurs  de  l'ancienne  frontière 
française  occupée  par  Louis  XIV.  Etudier  ce  mouvement  d'expansion 
est,  selon  M.  Kern,  une  des  «  tâches  les  plus  attrayantes  de  l'histoire 
politique  (p.  vii,   mais  en  dépouillant  la  subjectivité  française  ».  Il 
s'agit   de  montrer  comment  la  Francie   occidentale  est  devenue    la 
France  et  surtout  d'étudier  ce  qu'a  fait,  dans  cette  direction  Philippe 
le  Bel,  dont  le  règne  réalisa  les  premiers  succès  importants  dans  la 
direction  de  l'est.  M.  Kern  connaît  bien  les  travaux  consacrés  chez 
nous,  à  cette  question,  les  ouvrages  de  M.  Alfred  Leroux  {Recherches 
critiques  sur  les  relations  politiques  de  la  France  et  de  l'Allemagne 
de  I2g2  à  i3j8  (1882).   Les  conflits   entre  la  France   et   l'Empire 
pendant  le  moyen  âge  (1902);  celui  de    M.    L.   Jacob  {Le  royaume 
de   Bourgogne  sous    les   empereurs    franconiens,    1906);   celui     de 
M.  Ch.  Aymond,  Les  relations  de  la  France  et  du  Verdiinois  de  12-0 
à  /552,  1910);  il  apporte  aux  sources,  déjà  connues  un  apport  très 
appréciable    de    documents    nouveaux,    et  son   travail,  rédigé   d'une 
façon   très   lucide,  et  d"une  plume  alerte,   se  lit  avec  plaisir.  Il  est 
divisé  en  trois  livres.  Dans  \q premier,  l'auteur,  après  avoir  défini  la 

I.   P.   207,  au  commencement  de  la  pièce   il  faut   lire    bornes  pour  bonnes.    — 
P,  228,  note  I,  lire  Lugdiinensis  pour  Lugdiinenses, 


d'histoire  et  de   littérature 


i3i 


royauté  française,  et  la  pensée   dominante  des    rois  qui,   forcément, 
devaient  tourner   leurs   regards  vers  la  Lotharingie,  nous  parle  des 
débuts  du  «  chauvinisme  >>  français,  explique  les  procédés  employés 
pour  faciliter  l'expansion  désirée,  le  procédé  judiciaire  surtout,  éta- 
blissant la  suzeraineté  royale  sur  de  nouveaux  vassaux  ;  le  procédé 
plus  doux,  plus  insinuant,  plus  irrésistible  peut-être,  de^l'extension  et 
de  la  prédominance  de  la  civilisation  française  en  Europe  ;  le>rocédé 
le  plus  fréquent  enfin,  au  moyen-âge  comme  dans  les  temps  m.odernes, 
celui  de  la  guerre,  guerres  de  défense,  guerres  de  magnificence,  ten- 
dant toutes  au  déplacement  des  frontières.  Dans  le  second  livre,  nous 
assistons   aux    premiers  succès   plus  importants    de  cette   politique 
d'expansion  sous  Philippe   III,   vers   la  Lorraine,  malgré  les  protes- 
tations   de  Rodolphe  de  Hasbourg.   Ce  sont  les   débuts  de  la  lutte 
franco-allemande.   Puis  viennent  les  commencements  de  l'annexion 
de  Lyon,  les  débuts  de   Philippe  IV,  ses  conquêtes  en  Flandres,  en 
Lorraine,  en  Bourgogne,  pendant  les  sept  premières  années   de  son 
règne.  Le  troisième  livre  nous  raconte  les  temps  de  la  prépondérance 
française,  les  luttes  contre  l'Angleterre  et  sur  les  frontières  bourgui- 
gnonnes, néerlandaises  et   lorraines,   le    traité   de  Quatrevaux   avec 
Albert  de  Habsbourg   (décembre  129g),  les  annexions  tentées  sur  le 
duché  de  Bar,  sur  Toul  et  Verdun  les  essais  d'une  Confédération  du 
Rhin,  l'annexion    définitive  de  Lyon,  la  candidature  à  la  couronne 
impériale,   de    Charles   de   Valois,  posée  par  Philippe  IV  à  la  mort 
d'Albert  I^''(i3o8).  Cette   candidature  préfigure  déjà  la  politique  de 
la  couronne  de   France  du  xvi*^  et  du  xvii'^  siècles,  de  François  l"  à 
Henri  IV  et  à  Louis  XIV. 

Parmi  les  appendices  {excursus)  nous  signalerons  le  premier  Les 
approches  de  la  France  vers  le  Rhin  et  le  troisième,  Alliances  de 
Philippe  IV  avec  les  princes  allemands. 

En  somme  le  travail  de  M.  F.  Kern,  bien  écrit  et  bien  documenté, 
se  recommande  à  l'attention  des  historiens  et  plus  particulièrement 
des  historiens  de  notre  pays  '  ;  sans  doute  certaines  de  sesj'données 
seront  discutées,  certaines  conclusions  combattues,  mais  c'est  un 
ouvrage  dont  on  devra  tenir  grand  compte  et  que  consulteront,  sur- 
tout avec  fruit  tous  ceux  qui  s'occupent  chez  nous  de  Philippe  le  Bel, 
dont  la  figure,  toujours  un  peu  vague  encore,  malgré  tant  d'études 
récentes,  ressort  avec  un  relief  singulier  du  livre  de  M.   Kern. 

R. 

Die  angebliche  Schuld  Konrads  von  Marburg  an  dem  Kreuzzug  gegen  die 
Stedinger  vom  Jahre  1234,  von  D'-  Paul  Braun.  Hannover,  Geibel,  loii, 
6  p.  8». 

Tirage  à  part  du  Jahresbericht  der  Maenner  vom    Morgenstern, 

I.  Voy.  ce  qu'il  est  dit  du  livre  de  M.  Kern  dans  la  Revue  historique,  vol.  CVIII, 
p.   i38,' 


l32  REVUE    CRITIQUE 

Xlll  .  I. amour  expose  dans  celle  irès  courte  notice  les  moiifs  pour 
lesquels  il  n'est  point  admissible,  selon  lui,  que  l'inquisiteur  Conrad 
de  Marbourg,  le  confesseur  de  Sainte-Elisabeth  de  Thuringe,  ait 
poussé  le  pape  Grégoire  IX  à  faire  prêcher  une  croisade  contre  les 
habitants  du  pays  de  Sicdingen.  Cette  croisade,  désirée  par  la  haine 
et  la  cupidité  des  seigneurs  voisins,  stimulés  par  les  colères  pontifi- 
cales, aboutit  au  massacre  à  peu  près  complet  de  la  population  mâle 
de  ce  district,  situé  sur  les  bords  de  la  Hunte  et  du  Weser,  à  la 
journée  d'Altenesch,  le  27  mai  i2?4.  A  plus  forte  raison  M.  Braun 
ne  veut  pas,  comme  on  le  répète  encore  quelquefois,  que  Conrad  de 
Marbourg  ait  prêché  cette  croisade  lui-même.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'il  mourut  avant  le  desastre  final  des  paysans  de  Steding. 

E. 

Registres  du  Conseil  de  Genève  publiés  par  la  Société  d'histoire  et  d'archéolo- 
gie de  Genève,  tome  III.  Genève,  KOndig,  191 1,  X,  637  p.  gr.  in-S°.  Prix  :  20  fr. 

Cinq  ans  se  sont  passés  de  nouveau  depuis  que  nous  avons  entre- 
tenu nos  lecteurs  de  cette  importante  collection  des  Registres  du  Con- 
seil de  Genève  '  et  l'un  des  éditeurs  du  présent  volume,  M.  Léopold 
Micheli,  a  disparu  avant  sa  mise  au  jour,  laissant  à  ses  collabora- 
teurs, MM.  F.  Barbey  et  Victor  van  Berchem,  la  tâche  de  le  mettre 
au  point,  avec  le  concours  de  M.  Emile  Rivoire.  Ce  tome  III  nous 
donne  la  reproduction  des  procès-verbaux  du  Conseil  de  février  1477 
à  février  1487.,  moins  ceux  de  l'année  1479,  qui  sont  perdus  et  une 
partie  de  ceux  de  1478,  également  disparus  ^.  Cette  période  décen- 
nale n'est  pas  précisément  une  époque  de  prospérité  pour  Genève, 
dont  le  commerce  décroît  et  dont  la  situation  politique  est  menacée 
par  l'autoritaire  évêque,  Jean-Louis  de  Savoie,  puis,  après  sa  mort 
en  juillet  1482,  par  un  successeur,  également  issu  de  la  maison  ducale 
et  qui  semble  très  enclin  à  inquiéter  les  partisans  des  libertés  com- 
munales au  nom  de  l'autorité  épiscopale.  Les  secrétaires  qui  se  sont 
succédés  durant  cette  période,  Hugonin  Conseil,  Guillaume  de  la 
Crosse,  Antoine  Lyonard,  etc.  ont  rédigé  leurs  protocoles  dans  un 
latin  si  macaronique  que  les  bons  bourgeois  de  Genève  ont  dû  le 
comprendre  sans  peine  ''  ;  mais  en  les  parcourant  à  plus  de  quatre 
siècles  de  distance,  on  ne  peut  s'empêcher  de  formuler  une  réflexion 
d'ordre  générale  que  je  me  permets  de  soumettre  aux  très  méritants 
éditeurs  des  Registres  du  Conseil.  Nous  ne  songeons  pas  à  nier  l'in- 
térêt sérieux  que  présentent  beaucoup  de  ces  textes,  sinon  pour  l'his- 

1.  V.  Revue  critique  du  11  février  1907. 

2.  C'est  le  contenu  des  volumes  VIll,  IX  et  X  des  registres  originaux  conservés 
aux  Archives  de  la  Ville. 

3.  Je  n'en  citerai  qu'un  exemple,  pris  au  hasard,  à  la  date  du  12  décembre 
1484,  où  le  Conseil  vote  un  cadeau  à  l'envoyé  de  Lucerne  :  Dentuv  dicto  ambas- 
siatori  unam  cymesiam  malvatici  et  totidem  ypocratis,  iina  boyta  confiture  honesta 
et  totidem  mnsqiteti  (p.  Byô). 


d'histoire  et  de  littérature  i33 

toire  générale,  du  moins  pour  l'histoire  de  la  civilisation  genevoise. 
Mais  pourtant,  il  nous  semble  qu'on  nous  en  donne  un  peu  trop,  et 
que,  maintenant  qu'on  est  rixé  sur  la  prose  et  les  procédés  des  scribes 
du  xve  siècle,  il  serait  licite  d'élaguer  de  leurs  comptes  rendus  tout  ce 
qui  n'est  que  la  répétition  indéfinie  des  affaires  journalières  et  cou- 
rantes. Tout  au  moins  il  suffirait  de  donner  les  régestes  de  ces  par- 
ties, rédigés  en  français  moderne;  les  curieux  des  moindres  détails 
de  Texistence  de  la  Genève  médiévale  iraient  consulter  les  originaux 
et  les  dévoués  éditeurs,  que  nous  ne  voudrions  pas  contrister,  mais 
encourager  plutôt,  par  nos  propos,  avanceraient  infiniment  plus  vite 
dans  leur  tâche  ardue  et  réussiraient  peut-être  à  gagner,  dans  leur 
prochain  volume,  les  abords  de  la  Genève  du   xvi"  siècle,  alors  que 

commence  seulement  le  rôle  mondial  de  la  vieille  cité. 

R. 

Les  Actes  de  Sully  passés  au  nom  du  roi  de  1600  à  1610  par  devant  M'^  Si- 
mon Fournyer,  notaire  au  Châtelet  de  Paris...  recueillis,  publiés  et  annotés 
par  M.  de  Mallevouc.  Paris,  Irnpr,  nat.  (Doc.  inéd.),  191!.  ^1-4°,  lx.\u-5i6  p. 
Un  plan.  Index. 

Dès  qu'il  fut  grand-maître  de  l'artillerie,  Sully  établit  «  en  règle 
générale  ce  qui  n'était  qu'un  usage  irrégulièrement  suivi  Jusqu'alors, 
que  tous  les  marchés  intéressant  les  finances  de  l'Etat  fussent  passés 
en  forme  authentique  par  devant  notaire  ».  A  cette  sage  pratique  nous 
devons  la  conservation  des  278  actes  que  M.  de  M.  a  découverts  dans 
le  minutier  de  M«  Henri  Motel.  L'éditeur  a  classé  ces  Actes  de  la 
façon  suivante  :  Inventaire  de  Catherine,  du'chesse  de  Bar;  —  Con- 
seil d'État  (série  extrêmement  riche,  documents  sur  les  galères,  les 
manufactures  introduites  en  France,  toiles  de  Hollande,  matières 
colorantes,  etc.;  fournitures  de  vivres  pour  l'armée  au  moment  de  la 
guerre  de  Clèves;  domaine  royal,  documents  particulièrement  inté- 
ressants pour  la  topographie  parisienne.  Place  Royale,  Arsenal;  canal 
de  Briare,  Antibes)  ;  —  Sully  grand-voyer  de  France  ;  Sully  surinten- 
dant des  bâtiments  (travaux  du  Louvre  et  des  Tuileries,  du  Pont- 
Neuf,  des  Gobelins,  de  Saint-Germain,  de  Villers-Cotterets  ;  Jardins, 
cérémonies  publiques);  Sully  grand-maître  de  l'artillerie  (inutile  d'in- 
sister sur  l'importance  de  ces  pièces).  Un  répertoire  chronologique 
permet  de  replacer  tous  ces  actes  dans  leur  ordre.  —  Il  est  à  remar- 
quer que,  sur  ce  certain  spécial  de  l'histoire  financière,  la  confronta- 
tion des  actes  notariés  avec  le  texte  des  (Economies  n'est  pas  défavo- 
rable au  surintendant.  C'est  là,  pour  les   futurs  critiques  de  Sully,  un 

point  qui  a  sa  valeur. 

Henri  Hauser. 

Philipp  II,  die  Niederlaender  und  ihrc   crste  Indienfahrt  von  D""  G.  F.  Preuss, 
ord.  Protessor  an  der  Universitaet  Breslau.  Bresslau,  Marcus,  191 1,  34  p.,  8°. 

L'auteur  veut  réagir,  nous  dit-il,  contre  une  opinion,  généralement 


l34  REVUE    CRITIQUE 

répandue  en  Allemagne,  comme  en  Néerlande,  d'après  laquelle  Phi- 
lippe II,  en  fermant  aux  Hollandais  le  port  de  Lisbonne,  aurait/orce 
ceux-ci  à  chercher  une  communicaiion  directe  avec  les  contrées  pro- 
ductrices des  épices,  et  aurait  de  la  sorte  amené  lui-même  le  dévelop- 
pement inoui  du  commerce  de  ses  anciens  sujets  rebelles.  En  réalité, 
le  fameux  Edit  royal  du  29  mai  i  585  idoni  le  but  était  moins  de  ruiner 
le  commerce  étranger,  que  de  se  constituer  rapidement  une  grande 
flotte  de  navires  de  transport,  en  arrêtant  dans  tous  les  ports  de 
l'Espagne  les  vaisseaux  des  autres  nations)  ne  fut  pas  du  tout  mis  à 
exécution  d'une  façon  rigoureuse;  les  Hollandais  ne  furent  nullement 
boycottés,  au  contraire  (p.  11).  Sans  doute  le  roi  ordonna  de  nou- 
velles saisies  en  iSgS;  mais  à  cette  date  la  première  grande  expédition 
aux  Indes  orientales  avait  déjà  été  organisée;  d'ailleurs  les  ports 
espagnols  furent  encore  une  fois  ouverts  aux  Néerlandais.  On  ne  peut 
donc  pas  dire  que  ce  fut  Philippe  II  qui  les  a  poussés  vers  les  Indes. 
Ce  ne  fut  pas  non  plus  un  acte  de  désespoir,  qui  les  fit  se  jeter  sur  ces 
régions  lointaines.  Ces  voyages  n'avaient  rien  de  si  terribles  pour  un 
peuple  de  marins  hardis  et  de  commerçants  avides  de  richesses.  Pour 
fixer  leur  trafic,  il  leur  fallait  des  colonies;  ils  allèrent  occuper  celles 
du  Portugal,  conquises  par  l'Espagne  en  même  temps  que  la  métro- 
pole. II  semble  que  ce  sont  là  des  truïsmes  historiques  tellement 
évidents  par  eux-mêmes  qu'il  était  assez  inutile  de  les  démontrer 
autant  en  détail. 

R. 


Inventare  des  Grossherzoglich  Badischen  General  Landes  Archivs,  heraus- 
gegeben  voii  der  Grosshcrzoglichen  Archivdirektion.  Bd  IV,  zweite  Haeiftc, 
Karlsruhc,  C.  F.   Mùller,  191 1,  V,  p.  209-499,  8°. 

Nous  avons  ici  la  seconde  moitié  du  volume  dont  la  première  a  été 
annoncée  dans  la  Revue  du  19  août  191 1.  Elle  contient  la  suite  des 
répertoires  sommaires  des  archives  de  la  série  des  abbayes  et  congré- 
gations religieuses,  qui  s'arrêtait  au  couvent  de  Giinterstal.  Notons 
avant  celui  de  la  grande  abbaye  de  Saint-BIaise,  ceux  de  Tennenbach, 
Wonnental,  Waldkirch,  Schuttern,  Ettenheimmunster,  Allerheiligen, 
Lichtental,  Herrenalb,  Frauenalb;  ceux  des  comtés  et  seigneuries  de 
Lahr,  Mahlbcrg,  Geroldseck,  Hanau-Lichtenberg  (parcelles  badoises); 
ceux  des  petites  villes  impériales  Gengenbach,  Offembourg,  Zell-am- 
Harmersbach  ;  des  terres  transrhénanes  de  l'évêché  de  Strasbourg;  du 
bailliage  de  Bruchsal,  appartenant  au  Chapitre  de  Spire  ;  des  parties 
du  Palatinat  incorporées  au  grand-duché  de  Bade  ;  de  ceux  de  la 
Noblesse  immédiate  de  l'Ortenau  et  du  Kraichgau,  de  tous  les  dos- 
siers du  Lehens-iind  Adelsarchiv  rangés  par  ordre  alphabétique  des 
familles.  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  la  dernière  fois  que  ces 
inventaires  locaux,  tels  qu'ils  sont  donnés  ici,  sont  excessivement 
sommaires;    mais   M.   le   D''   Obser,  di.recteur-général   des  Archives 


D  HISTOIRE    El    DE    LITTERATURE 


i35 


grand-ducales,  explique  dans  la  préface,  jointe  à  ce  second  fascicule, 
qu'il  n'aurait  guère  été  possible  d'entrer  dans  plus  de  détails  en  ana- 
lysant tous  ces  fascicules.  Les  moindres  développements  une  fois 
admis  pour  chacun  d'eux  auraient  infiniment  grossi  le  nombre  des 
volumes  de  l'inventaire  général,  sans  satisfaire  pourtant  à  tous  les 
desiderata.  Il  faut  laisser  quelque  besogne  à  l'initiative  des  travail- 
leurs qui  seuls  s'aviseront  de  fouiller  cette  division  du  grand  dépôt 
de    Carlsrouhe,   en    vue    de    monographies   d'histoire    locale    ou    de 

recherches  sur  les  familles  nobles  du  pays. 

R. 


Charles    Bost,  Les  prédicants   protestants  des  Cévennes    et    du  Bas-Lan- 
guedoc (1684-1700),   2  vol.  in-8»,   xx-478  et  663  p.,  Paris,  Champion,  1912. 

M.  Charles  Bost  a  vécu  des  années,  comme  pasteur,  dans  une 
petite  ville  des  Cévennes,  au  milieu  des  montagnes  couvertes  de 
châtaigniers,  des  plateaux  rocheux  et  des  vallées  profondes  où  ont 
lutté  et  souffert  jadis  ses  coreligionnaires.  Il  s'est  «  recueilli  »,  comme 
il  le  dit  dans  son  avant-propos,  en  face  de  cette  nature  plutôt  rude, 
à  laquelle  le  soleil  en  été  prête,  avec  sa  lumière. éclatante,  un  charme 
mélancolique,  près  de  ces  pauvres  hameaux  et  de  ces  «  mas  »  où 
s'abrite  une  population  pieuse,  austère,  énergique,  marquée  encore 
du  sceau  des  vieilles  mœurs,  «  fortes  et  saines  «,  du  protestantisme 
d'antan.  II  était  tout  préparée  écrire  l'histoire  du  drame  qui  s'est 
déroulé  là  au  temps  de  Louis  XIV,  drame  poignant  où  l'àme  des 
anciens  huguenots  a  été  soumise  à  si  rude  épreuve,  ballottée  entre  sa 
foi  et  son  loyalisme,  forcée  de  sacrifier  l'une  ou  de  trahir  l'autre;  et, 
à  côté  de  ces  angoisses  morales,  que  de  souffrances  matérielles,  à  une 
époque  où  l'esprit  public  ne  répugnait  pas  aux  pires  violences  contre 
les  hérétiques,  pour  faire  soi-disant  leur  salut!  M.  B.  a  mis  quinze 
ans  à  étudier  ce  triste  martyrologe,  fouillant  les  Archives  de  Mont- 
pellier et  de  plusieurs  autres  petites  localités  du  Languedoc,  aussi 
bien  que  les  manuscrits  de  la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme 
français  à  Paris,  délimitant  peu  à  peu  son  sujet  afin  de  le  mieux 
renouveler,  vivant  en  communion  pour  ainsi  dire  avec  les  humbles 
prédicants,  dont  il  a  entrepris  de  taire  revivre  la  figure  et  com- 
prendre les  idées.  A  l'émotion  du  protestant,  sympathisant  avec  ces 
hommes  du  passé  et  partageant  leurs  tourments,  il  a  uni  la  solide  éru- 
dition et  le  jugement  impartial  de  l'historien,  accomplissant  ainsi 
une  œuvre  digne  de  fixer  l'attention  des  savants.  Sans  doute,  on 
pourra  lui  reprocher  une  entrée  en  matières  un  peu  brusque,  on 
pourra  critiquer  le  choix  de  ses  dates  extrêmes  (1684  et  1700),  on 
pourra  trouver  parfois  rebutant  le  détail  minutieux  de  certains  évé- 
nements, d'importance  médiocre  ;  malgré  tout,  il  aura  eu  le  mérite 
d'apporter  une  contribution  de  haute  valeur  à  l'histoire  religieuse 
sous  Louis  XIV,  et  de  faire  bien  connaître,  pour  la  première  fois,  les 


l3ô  RKVUK    CRITIQUK 

prcdicanis  des  Ccvcnncsct  du  Bas  Languedoc,  auxquels  rcvicm  incon- 
testablemeiu  rhunneur  d'avoir  relevé  une  cause  qui  se  mourait,  gal- 
vanisé des  caractères  qui  s'abandonnaient,  rendu  à  la  R.  P.  R., 
abattue  par  les  persécutions,  la  force  de  se  redresser  en  face  du  plus 
puissant  monarque  du  monde! 

Le  tome  I  raconte  les  débuts  de  cette  histoire.  C'est  d'abord,  de 
i683  à  1687,  le  temps  où  Claude  Brousson,  avocat  cà  Toulouse, 
conseille  une  manifestation  collective  de  tous  les  protestants,  pour 
prouver  au  roi  leur  nombre  et  leur  union,  et  où  les  premiers  «  pré- 
dicanis  »,  successeurs  improvisés  des  pasteurs  fugitifs,  les  Teissier, 
les  Fulcran  Rcv,  les  Rocher,  bravent  la  torture  et  la  mort  pour  sti- 
muler la  résistance  aux  édiis,  jusqu'au  moment  où  les  survivants  de 
cette  phalange  héroïque,  traqués  de  tous  côtés  par  l'implacable 
Bàville,  se  résignent  à  sortir  du  royaume  (août  1687).  Ensuite,  de 
1687  à  i()92,  c'est  une  époque  de  guerre  civile.  Le  système  de  répres- 
sion efl'royable  de  Bàville  n'a  réussi  qu'en  apparence  :  aux  prédicants 
émigrés,  d'autres  succèdent  sur  place,  et  d'ailleurs  les  premiers,  parmi 
lesquels  se  distingue  François  Vivent,  ne  tardent  pas  à  rentrer  en 
France  (juillet  i68g),  décidés  à  lutter  par  les  armes,  et  même  à 
s'allier,  s'il  le  faut,  aux  ennemis  du  roi.  M.  B.  a  prouvé,  textes  en 
main,  et  ce  n'est  pas  une  de  ses  moindres  découvertes,  les  relations 
étroites  des  prédicants  et  de  la  coalition,  dont  Guillaume  d'Orange 
était  le  chef;  il  a  exposé  en  détail  les  projets,  formés  surtout  en 
1689-90,  et  soutenus  par  Brousson  comme  par  Vivent,  pour  amener 
une  armée  sous  Schomberg  au  secours  des  protestants  du  Languedoc. 
Puissent  l'ardeur  et  le  désespoir  de  ces  croyants  exaltés  excuser  en 
une  certaine  mesure  ces  démarches  impies  !  De  1689  à  1692,  François 
Vivent,  le  farouche  sectaire  au  visage  osseux  et  aux  jambes  cagneuses, 
est  l'instigateur  d'une  révolte  ouverte  ;  il  prêche  et  combat  dans  toute 
la  région,  impitovable  à  ses  ennemis  dont  il  n'attend  pas  de  pitié;  il 
finit  en  luttant,  comme  il  a  vécu,  tué  à  coups  de  fusil  dans  une 
grotte  où  il  vend  chèrement  sa  vie(ig  février  1692). 

Le  tome  II  va  de  1692  à  1700,  et  met  surtout  en  lumière  le  rôle  de 
Claude  Brousson  qui,  devenu  prédicant  en  1689  et  animé  jadis  des 
mêmes  haines  que  Vivent,  adopte  soudain  une  nouvelle  attitude,  plus 
noble  et  plus  profitable  à  sa  cause,  celle  du  prêtre  qui  ne  connaît 
que  les  armes  spirituelles,  et,  «  sans  épée  ni  aucunes  autres  armes  », 
marche  au  martyre  librement  accepîd-  Cette  évolution  du  principal 
prédicant,  dont  l'exemple  est  suivi  par  ses  collègues,  ouvre  une  nou- 
velle période  dans  l'histoire  religieuse  des  Cévennes.  Plus  de  révolte 
désormais  ',  plus  de  compromis  avec  l'étranger,  mais  une  œuvre  paci- 
fique de  réveil  des  consciences,  poussée  jusqu'au  sacrifice  de  la  vie, 
voire  jusqu'à  l'extase  au  milieu  des  tortures.  Quand  Schomberg  et  le 

I.  Du  moins  jusqu'à  la  guerre  des  Camisards. 


d'histoire  et  de  littérature  i37 

duc  de  Savoie  envahissent  le  Dauphiné  (août  1692),  personne  ne  se 
lève  pour  les  seconder.  Louis  XIV  écrit  à  Catinat  sa  satisfaction,  mais 
hélas!  il  ne  change  pas  de  politique,  et  le  féroce  Bàville  continue,  sans 
être  blâmé,  à  poursuivre  les  prédicants,  dont  plusieurs  subissent  le 
supplice  de  la  roue  ^Paul  Colognac  notamment,  le  i3  octobre  1693, 
et  Pierre  Papus,  le  8  mars  1695).  Brousson,  après  deux  séjours  au 
dehors,  surtout  en  Hollande  où  il  recommande  les  intérêts  religieux 
aux  négociateurs  de  Rijswijk,  ne  rentre  en  France  en  octobre  1697 
que  pour  assister  à  de  nouvelles  dragonnades  ;  au  cours  d'une  tournée 
dans  les  Pyrénées,  il  est  pris  enfin  en  Béarn  (septembre  1698),  con- 
duit à  Montpellier  et  exécuté  après  avoir  subi  la  question  ordinaire  et 
extraordinaire  (4  novembre  1698).  Ce  coup,  qui  réjouit  Bàville,  met  à 
peu  près  fin  au  rôle  des  prédicants.  En  1700-01,  les  derniers  émigrent, 
laissant  la  place  au  «  prophétisme  »,  qui  fait  son  apparition  dans  le 
Vivarais.  La  guerre  des  Camisards  en  sortira. 

Le  volume  s'achève  par  quelques  chapitres  sur  l'église  du  Désert 
à  cette  époque,  sur  sa  discipline  et  ses  règlements,  sur  les  prédications 
et  la  dialectique  de  ses  ministres  extraordinaires.  Un  appendice  con- 
tenant des  poésies  du  Désert  (hymnes  spirituels  ou  couplets  popu- 
laires), de  nombreuses  pièces  justificatives  (déclarations  et  ordon- 
nances, plans  de  campagne,  sermons,  interrogatoires,  listes  de  con- 
damnés], enfin  deux  tables  alphabétiques  pour  les  noms  de  personnes 
et  les  noms  de  lieux,  complètent  avantageusement  un  ouvrage  qui 
est  vraiment,  grâce  à  l'étendue  des  recherches  et  à  la  conscience  scru- 
puleuse de  l'auteur,  un  des  plus  imposants  monuments  qu'on  ait 
élevés  à  la  mémoire  des  huguenots  persécutés. 

Albert  Waddington. 


Elsaessische  Verfassungs-und  Verwaltungswûnsche  im  18.  Jahrhundert  : 

«  Les  pieux  désirs  d'un  Alsacien  »,  herausgegeben  und  eingeleitct  von  Ernst 
Hauviller.  Metz,  Scriba,  191  i,  71  p.  8".  (Tirage  à  part  du  Jalvbitch  fiir 
Lothringische  Geschichte  iind  Altertiimskniide,  tome  XXII). 

M.  le  D"^  Hauviller,  archiviste  départemental  à  Metz,  a  trouvé  à 
Paris,  aux  Archives  Nationales  (M.  750,  n^  4,  fol.  27),  un  manuscrit 
intitulé  ((  Les  pieux  désirs  d'un  Alsacien  »  qu'il  a  publié,  d'abord 
dans  ÏAnmiaire  de  la  Société  d'histoire  et  cf  archéologie  lorraine,  et 
puis  en  tirage  à  part.  Le  mémoire  a  été  certainement  rédigé  pendant 
que  M.  de  Lucé  était  intendant  d'Alsace,  c'est-à-dire  entre  1753  et 
1764.  L'auteur  se  pose  en  gentilhomme  d'Alsace,  bon  catholique  et 
passablement  féodal  ;  mais  on  pourrait  peut-être  mettre  en  doute  son 
origine  alsacienne  quand  on  le  voit  dédier  son  «  ouvrage  »  à  u  M.  l'ar- 
chevêque de  Strasbourg  »,  nul  n'ignorant  à  Strasbourg  ni  à  Paris  que 
les  princes-évêques  de  Strasbourg  n'ont  jamais  porté  ce  titre  là. 
Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question  de  provenance,  le  mémoire  qui 
revendique  pour  la  province  une  certaine  autonomie,  et  la  constitu- 


I  3S  RKVUK    CRITIQUE 

lion  d'Kiats  provinciaux,  tels  qu'ils  lurent  octroyés  à  l'Alsace  en 
1787,  est  intéressant  en  ce  qu'il  accentue  constamment  le  cachet 
français  cic  l'Alsace  d'alors  ',  tout  en  réservant  au  roi  le  moyen  de 
gouverner  ces  Etats  par  lettres  de  cachet  et  d'en  écarter  tous  ceux 
qui  ne  seraient  pas  régnicoles  '.  On  ne  peut  que  remercier  M.  Hau- 
Viller  d'avoir  mis  au  jour  ce  témoignage  authentique  des  dispositions 
des  classes  privilégiées  de  ces  régions  dans  les  dernières  années  du 
règne  de  Louis  XV  '.  ^ 

Der  deutsche  Kaufmann  in  den  Niederlanden,  von    Rudoli   Haepkk.  Leipzig, 
Dunckor  u.  Humblot,   191 1.  66  p.  in-8°.  Prix  :   i    f'r.  25. 

Tableau  vivant  et  suffisamment  documenté,  l'opuscule  de 
M.  Haepke  fait  partie  de  la  série  des  «  Feuilles  de  la  Pentecôte  » 
publiées  annuellement  par  le  Hansischer  Geschichtsverein.  L'auteur 
nous  y  décrit  les  grands  centres  commerciaux  de  la  Néerlande, 
Bruges  si  morte  aujourd'hui  et  jadis  la  Venise  du  nord,  Anvers, 
Amsterdam,  se  relayant  l'un  l'autre,  à  mesure  que  les  temps  sont 
révolus.  Il  nous  dépeint  d'une  façon  pittoresque  la  vie  quotidienne 
des  négociants  allemands  '  qui  viennent  y  trafiquer,  échangeant  les 
fourrures,  les  vins  du  Rhin,  les  bières  de  Hambourg,  les  bois  et  les 
goudrons  de  la  Baltique  contre  les  toiles  et  les  draps  de  Flandres;  il 
nous  raconte  toutes  les  querelles  de  la  maison  de  la  Hanse  à  Bruges 
avec  les  villes  et  les  autorités  voisines,  les  boycottages  des  uns,  l'émi- 
gration des  autres,  l'ensablement  graduel  du  port  de  Bruges  et  la 
décadence  de  son  industrie.  Le  centre  du  commerce  allemand  se 
déplace  vers  l'Escaut  et  c'est  à  Anvers  que  s'élève,  de  \  564  à  i  568,  la 
splendide  Domus  Hansae  teutonicae,  changée  plus  tard  en  caserne  et 
en  hôpital.  Mais  les  guerres  civiles  mettent  fin  brusquement  à  cette 
prospérité  et,  après  le  sac  d'Anvers,  en  1576,  les  Allemands  con- 
centrent leur  activité  dans  les  ports  de  Hollande,  surtout  à  Amsterdam. 
Mais  négociants  et  marins  n'y  forment  plus  des  guildes  fermées 
comme  au  moyen-âge  et  y  figurent  surtout,  au  xviii=  siècle,  comme 
commis  et  capitaines  de  bateaux  de  commerce  au  service  des  riches 
armateurs  et  négociants  hollandais,  devenus  trop  riches  et  trop  pares- 
seux pour  travailler  eux-mêmes.  j^ 

Geschichtsbilder  aus  Leopold  von  Ranke's  "Werken  zusammengestellt  von 

D''  Max  Hoffmann,  Gymnasialprotessor  a.    D.   2''  Auflage,  Leipzig,   Duncker  u. 
Humblot,  191 1,  portrait,  viii,  Sgg  p.  in-8".  Prix  :  7  fr.  5o  c. 

C'est  une  anthologie  historique,  contenant  une  soixantaine  de  mor- 

1.  «  En  général,  qui  dit  Alsacien,  dit  Français  au  superlatif  »  (p.  66). 

2.  Le  Tiers-Etat  est  à  peu  près  ignoré  au  point  de  vue  politique  par  l'auteur 
anonyme. 

3.  P.  24  et  64  lire  Paulmy  pour  Paiilny  ef  Gonvcniet  pour  Gouverné. 

4.  Aux  Pays-Bas  l'expression  de  Detitscher  Kauf)nann  désigne  toujours  les 
habitants  de  l'.Mlemagne  du  nord. 


d'histoire  et  de  littérature  1  39 

ceaux  choisis  dans  l'œuvre  du  célèbre  historien  berlinois.  Elle  ne  ren- 
ferme presque  rien  sur  les  siècles  de  l'antiquité  ni  du  moyen  âge-;  un 
seul  fragment  est  emprunté  à  la  Weltgeschichte.  L'ensemble  embrasse 
l'histoire  moderne,  depuis  la  Hn  du  xv^  siècle  jusqu'à  Bismarck,  et 
peut  donner  en  effet  au  lecteur  une  idée  du  style  de  Ranke  et  de  sa 
façon  de  penser,  en  même  temps  qu'on  pourra  utiliser  le  volume  dans 
les  classes  supérieures  des  gymnases  et  des  écoles  réelles  pour  l'ensei- 
gnement de  l'histoire.  Selon  ses  goûts  personnels,  tel  critique  regret- 
tera de  ne  pas  rencontrer  dans  ce  recueil  tel  portrait  de  souverain,  de 
ministre  ou  d'homme  de  guerre,  reste  gravé  dans  sa  mémoire  ou  d'y 
trouver  tel  autre  morceau  qu'il  jugera  moins  digne  d'y  figurer.  Après 
avoir  tout  récemment  parlé  ici  plus  longuement  de  l'œuvre  de  Ranke', 
il  me  semble  inutile  d'insister  ici  davantage  sur  les  mérites  de  son 
style  et  le  profit  que  l'on  peut  retirer  sous  ce  rapport  aussi,  de  la  fré- 
quentation de  son  œuvre.  M.  Hoffmann  a  joint  à  son  livre  une  courte 
biographie  du  grand  historien;  il  n'a  plus  pu  soigner  cette  nouvelle 
édition  lui-même,  étant  mort  peu  après  la  publication  de  la  première 
édition,  parue  en  igoS  \  r. 

M.  Philippson,  Neueste   Geschichte    des  jûdischen  Volkes,  Tome    III,  in-S», 
VI,  338  p..  Leipzig,  G.  Fock,  191 1. 

M.  Philippson  vient  d'achever  le  troisième  et  dernier  volume  de  sa 
grande  histoire  contemporaine  du  peuple  juif.  Comme  il  l'avait 
annoncé  dans  son  premier  volume,  il  n'a  eu  pour  objet  de  faire  ni  un 
ouvrage  d'érudition,  ni  un  ouvrage  complet  :  il  a  écrit  pour  le  grand 
public,  écartant  résolument  un  appareil  scientifique  de  notes  et  de 
références  qui  aurait  pu  rebuter,  se  bornant  d'autre  part  aux  événe- 
ments saillants  et  aux  développements  essentiels.  Il  a  su,  comme 
dans  ses  œuvres  précédentes,  se  rendre  maître  d'une  «  littérature  » 
considérable,  et,  dominant  ses  matériaux,  en  tirer  un  récit  clair,  bien 
ordonné,  éminemment  propre  à  intéresser  et  à  instruire.  Résultat 
j  d'autant  plus  méritoire  qu'il  avait  à  parler  cette  fois  de  pays  peu 
1  connus  de  lui,  régis  par  un  système  de  lois,  de  règlements  ou  de 
coutumes  difficiles  à  expliquer,  parfois  même  à  comprendre,  et  que 
sa  documentation  devait  reposer  presque  exclusivement  sur  des 
recueils  et  des  livres  en  langue  russe  ou  polonaise.  Il  a  su,  en  outre, 
rester  impartial,  et  c'est  peut-être  le  plus  bel  éloge  qu'on  puisse  lui 
décerner,  étant  donné  qu'il  avait  à  retracer  une  longue  série  de  faits 
lamentables,  indéfiniment  répétés. 

Il  s'agit,  en  effet,  de  l'histoire  des  Israélites  en  Russie  et  en  Pologne 
de    1825   à    1910,  histoire  particulièrement  triste   et    qui,    depuis   la 

1,  Revue  critique  du  24  juin  191 1. 

2.  Cela  explique  certaines  négligences;  ainsi  p.  35o,  1.  26,  à  propos  de  la  paix 
de  Bâle^iygD)  il  faudrait  lire  keine  Allian^  pour  seine  Allian^,  et  plus  loin  Beis- 
timmung  pour  Bestimmung  (voy.  Gesammelte  Werke,  vol.  46,  p.  210). 


140  REVUli    CRlTIQUli:    1)  HISTOIRE    lîT      DE    LITTÉRATURE 

tyrannie  haineuse  de  Nicolas  I""  jusqu'aux  «  pogroms  »  du  xx=  siècle, 
n'a   guère    cessé   d'ctrc  un   mariyrologc.   Sous  Nicolas  I'^'',  souverain 
borné,  épris  uniquement  d'ordre,  de  discipline  et  d'uniformité,  le  sort 
des  Juifs  fui  déplorable  ;   je   n'en   veux  pour  preuve  que  la  loi  fonda- 
mentale du  i3  mai  i835,  qui  les  parquait  en  Pologne  et  dans  quelques 
gouvernements  de  l'ouest,  en  leur   fermant  les  trois  quarts  de  l'Em- 
pire, ou  les  autorisant  à  y  séjourner  pour  peu  de    temps,  avec   une 
permission    spéciale.  Sous    Alexandre    II,  l'horizon  parut  s'éclaircir 
à  deux  reprises,  au  début,  avant  la  révolution  polonaise  de  i863  qui 
rendit  pour  quelques  années  la  haute  main  au  parti  de  la  réaction,  et 
à  la  fin  du  règne,  grâce  à  l'influence  libérale  du  comte  Loris-Mélikow. 
L'attentat  nihiliste  du  i3  mars  1881  Ht  disparaître  le  tsar  réformateur 
et  avec  lui  les    espérances  de   ses  sujets  juifs.  Alexandre  lîl  se  livra 
aux  vieux  russes,  adoptant   les  idées  rétrogrades  des  Ignatiew  et  des 
Pobjedonoszew,  et  traquant  partout  les  cléments  non  russes  ou  non 
orthodoxes  ;   l'émigration   devint    la  grande  ressource  des  Israélites. 
Enfin,   sous  Nicolas  II,  depuis  novembre   1894,  après  une  accalmie 
pleine  de  promesses,   la  guerre  russo-japonaise   a  provoqué  une  ter- 
rible crise  intérieure  ;  une  sorte  de  révolution  s'est  produite,  et,  si 
certaines    réformes  politiques  ont  pu   être  réalisées,  la  réaction  s'est 
rattrapée  aux  dépens  des  Juifs;  ceux-ci,  assommés  ou  fusillés  dans  de 
sanglants  «  pogroms  »,  ont  subi   les  plus  cruelles  épreuves  ;  ils  sont 
encore  aujourd'hui,  même  en  Pologne,  traités  véritablement  en  parias. 
Et  pourtant,   comme  le  dit  l'auteur,  avec   sa  volonté  tenace    et  son 
invincible  attachement  à   l'idéalisme,   que    ne  pourrait  pas,  pour  le 
bien  de  la  Russie,  si  l'on  brisait  ses  chaînes,    cette  malheureuse  race 
qui  compte  près  de  huit  millions  d'àmes  ! 

Albert  Waddington. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  2  février  irji'j.  — 
M.  Perrot,  secrétaire  perpétuel,  donne  lecture  des  lettres  par  lesquelles  MM.  le 
comte  Alexandre  de  Laborde  et  le  commandant  Espcrandieu  se  portent  candidats 
à  la  place  de  membre  libre  vacante  par  suite  du  décès  de  M.  Saglio. 

M.  J.  Loth  achève  sa  communication  sur  leCornwall  et  le  roman  de  Tristan. 

M.  Jules  Martha  expose  le  résultat  de  ses  recherches  sur  la  langue  étrusque.  Il 
a  reconnu  que  cette  langue,  jusqu'ici  restée  inintelligible,  a  des  affinités  d'origine 
avee  le  hongrois,  le  finnois  et  les  idiomes  congénères.  En  se  servant  de  ces 
langues,  il  a  réussi  à  traduire  les  textes.  —  M.  Havet  présente  quelques  observa- 
tions 

M.  Gagnât  donne  une  seconde  lecture  de  son  mémoire  sur  la  frontière  romaine 
de  la  Tripolitaine. 

Léon  Dorez. 


V imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon. 


■f' 

II 


Le  Pu)'-en-Velay.  —  Imprimerie  Pcyriller,  Rouclion  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N»  8  —  24  février.  —  1912 

Jespersen,  L'anglais.  —  Salomon  RinNAcii,  Eulalie  ou  le  grec  sans  larmes.  — 
G.  Perrot,  Histoire  de  l'art  dans  l'antiquité,  IX.  —  G.  Baehrens,  Panégyriques 
latins.  —  Manilius,  p.  Garrod.  —  JVliss  Brock,  Fronton.  —  Sandys,  Un  compa- 
gnon des  études  latines.  —  H.  Martin,  La  syntaxe  des  inscriptions  latines  d'Es- 
pagne. —  L.  de  SvBEL,  L'art  chrétien  antique.  —  Mirbt,  Sources  de  l'histoire 
de  la  papauté  et  du  catholicisme  romain.  —  Gagliardi,  Hans  Waldmann.  — 
Hommage  à  Otto  Giercke.  —  G.  Kaufmann,  Histoire  de  l'Université  de  Breslau. 
—  Brinkmann,  Wustrau.  —  Jorga,  Petite  histoire  de  Roumanie.  —  Wyzewa  et 
Sai.nte-Foix,  Mozart.  —  Académie  des  inscriptions. 


O.  Jespersen,  Gro-wth  and  Structure  of  the  english  language.  Tcubner,  1912. 
Deuxième  édition. 

La  première  édition  de  cet  ouvrage  a  été  épuisée  en  six  ans  :  ce  qui 
n'étonnera  personne  de  ceux  qui  l'ont  pratiqué.  Il  y  a  peu  de  livres 
mieux  faits  pour  inspirer  le  goût  de  la  linguistique  et  donner  une 
première  idée  des  problèmes  qu'elle  soulève.  Il  serait  à  souhaiter 
qu'un  de  nos  étudiants  en  langues  modernes  nous  donnât  une  traduc- 
tion française  de  cet  excellent  livre. 

La  seconde  édition  ne  diffère  de  la  première  que  par  un  petit 
nombre  d'additions  et  par  quelques  modifications  dans  le  choix  des 
exemples. 

Michel  Bréal. 


Salomon  Reinach,  Eulalie  ou  le  grec  sans  larmes.  Paris,  191 1,  Hachette. 

Les  temps  qu'on  nous  a  quelquefois  prédits  sont-ils  venus'?  Voici  le 
grec  qui  va  retrouver  les  grâces  de  la  nouveauté  !  Ceux  qui  voudraient 
rééditer  les  plaisanteries  de  Molière  se  montreraient  en  retard  et  prou- 
veraient qu'ils  sont  peu  au  courant  des  tendances  et  des  idées  de  leur 
temps.  Le  grec  est  vu  avec  faveur  par  beaucoup  d'esprits  nullement 
arriérés,  qui  voudraient  non  pas  restreindre  mais  élargir  la  part  qu'il  a 
dans  notre  éducation. 

Les  causes  de  ce  changement  méritent,  Je  crois,  d'être  envisagées 
d'un  peu  plus  près. 

Avant  de  parler  du  petit  livre  de  M.  Salomon  Reinach,  qui  est  une 
grammaire  grecque  adaptée  à  des  temps  nouveaux,  s'adressant  à  des 
lecteurs  qu'on  ne  prévoyait  point  jadis,  je  voudrais  dire  un  mot  des 
causes  qui  peuvent  expliquer  cette  curieuse  modification  de  l'opinion. 

Nouvelle  série   LXXIII  8 


142  REVUE    CRITIQUE 

Klles  sont  assez  nombreuses  : 

i"  Le  changement  survenu  dans  notre  corps  enseignant.  En  premier 
lieu  (soyons  justes!)  l'Ecole  d'Athènes.  Le  professeur  de  grec  n'est 
plus  ce  qu'il  était.  Autrefois  (il  y  a  vingt,  trente  et  quarante  ans)  le  pro- 
fesseur de  grec  était  un  personnage  grave,  qui  représentait  avant  tout 
le  savoir  des  bibliothèques  ;  si  on  avait  voulu  le  peindre,  il  eût  été  figuré 
sous  les  traits  de  quelque  docte  érudit,  mettons,  je  suppose,  le  savant  et 
proverbial  M.  Hase.  Mais  l'École  d'Athènes  a  apporté  un  changement 
complet.  C'est  la  partie  la  plus  jeune,  la  plus  vivante,  la  plus  désireuse 
de  nouveauté  qui,  d'un  jour  à  l'autre,  s'est  chargée  de  l'enseignement 
du  grec.  Grande  et  heureuse  transformation  dont  les  premiers  effets 
se  sont  fait  sentir  vers  i85o,  et  depuis  lors  n'ont  pas  cessé  de  gagner 
en  force, 

2°  En  second  lieu,  il  est  juste  de  faire  la  part,  une  grande  part,  aux 
arts  plastiques,  dont  l'influence  a  été  considérable.  Non  seulement 
par  leurs  œuvres,  ils  ont  fait  voir  et  sentir  de  plus  près  l'antiquité,  mais 
les  artistes  eux-mêmes  ont  donné  l'exemple  :  les  plus  empressés,  les 
plus  sincères  peut-être  des  adorateurs  de  la  Grèce  se  sont  trouvés 
parmi  ces  élèves  de  l'École  des  Beaux-Arts  allant  recueillir  sur  les 
lieux  ce  qui  restait  de  la  vie  antique,  et  d'une  façon  touchante  se  cha- 
grinant de  ne  pas  lire  dans  le  texte  Homère,  Eschyle,  Pindare... 

3'  Pourquoi  ne  pas  le  dire  ?  Le  progrès  des  études  philologiques. 
On  s'est  avisé  du  lien  qui  unit  le  grec  avec  les  langues  vivantes,  le 
grec  ancien  avec  le  grec  moderne.  Ceux  qui  se  sont  montrés  le  moins 
facilement  ouverts  à  cet  esprit  nouveau,  ce  sont  les  humanistes,  ou 
plutôt  les  prédicateurs  de  l'humanisme,  qui,  hors  du  grec  classique  et 
du  latin,  ne  voulaient  rien  connaître,  pensaient  en  dedans  d'eux- 
mêmes  que  rien  ne  valait  ce  qu'ils  avaient  appris  à  leur  collège  en 
rhétorique  et  ce  qu'ils  enseignaient  eux-mêmes.  Cette  forme  de  l'es- 
prit classique  paraît  quelque  peu  vieillie. 

4.°  Le  goût  des  voyages  qui,  pouvant  se  satisfaire  plus  facilement, 
s'est  beaucoup  étendu.  Il  n'est  pas  aujourd'hui  rare  de  rencontrer  des 
adolescents,  des  jeunes  filles,  qui  connaissent  pour  les  avoir  vus  et 
visités,  les  pays  dont  parlent  Homère  et  Virgile,  Le  professeur  d'autre- 
fois en  dissertait  d'après  les  textes  connus  et  rebattus  des  poètes. 

Le  désir  de  savoir  plus  ou  moins  la  langue  ne  pouvait  manquer  de 
se  produire  à  la  suite  de  ces  impressions  de  voyage. 

5°  Je  pourrais  continuer  d'énumérer  les  causes  de  ce  changement 
dans  l'esprit  public.  Mais  ce  qu'on  vient  de  lire  est  suffisant.  On  sait 
que  le  même  fait  s'est  produit  en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Italie. 
Ceux  qui  voudraient  y  rester  étrangers  se  mettraient  en  dehors  d'un 
mouvement  général  et  destiné  à  augmenter  d'année  en  année. 

Dans  son  livre  intitulé  Eulalie  [la  bien  disante)  M.  S.  Reinach  fait 
quelquefois  appel  aux  comparaisons  du  présent  avec  le  passé,  mais 
il  a  su  se  modérer,  et  son  livre  est  avant  tout  une  grammaire  du  grec 


d'histoire  et  de  littérature  143 

ancien.  On  sent  qu'il  a  pris  la  résolution  d'e'loigner  tout  ce  qui  est 
fait  pour  encombrer,  non  pour  éclairer.  Ainsi  il  a  pris  ce  grand  parti 
de  supprimer  dans  l'écriture  les  accents  des  mots  grecs,  en  quoi  nous 
l'approuvons.  Marquer  dans  l'écriture  les  accents,  si  on  ne  les  fait  pas 
entendre  dans  la  prononciation,  c'est  le  fait  d'un  professeurde  musique 
qui  donne  ses  leçons  sur  un  piano  muet. 

M.  R.,  comme  nous  venons  de  le  dire,  s'applique  à  retrancher  tout 
le  savoir  inutile,  ou  pour  parler  exactement,  tout  le  savoir  qui  ne  sert 
qu'au  savant.  A  notre  avis,  il  n'est  pas  encore  allé  assez  loin  dans  cette 
voie.  Mais  peut-être  a-t-il  pensé  que  certaines  pages  de  son  livre  étaient 
pour  être  consultées,  non  pour  être  apprises  par  cœur.  Ce  qu'il  eût 
pu  retrancher  sans  dommage,  ce  sont  certaines  formules  mnémoni- 
ques :  l'intention  est  bonne,  mais  les  formules  mnémoniques  ne  ser- 
vent en  général  qu'à  celui  qui  les  a  composées  lui-même. 

Pensant  avec  raison  que  l'apprenti  helléniste  ne  saurait  être  mis  trop 
tôt  à  la  lecture  des  textes,  M.  R.  intercale  fréquemment  des  phrases, 
des  citations,  des  tours  consacrés,  et  même  quelques  passages 
célèbres  des  poètes  ou  des  orateurs  grecs.  Bref,  on  voyage  avec  un 
guide  instruit  et  empressé,  nullement  avare  de  son  expérience.  Les 
endroits  où  l'auteur  converse  avec  la  studieuse  Eulalie,  lui  prodigue 
conseils  et  encouragement,  ne  sont  pas  les  parties  les  moins  agréables 
du  volume. 

Ce  volume  est  exécuté  avec  un  parfait  bon  goût.  Entête,  on  trouve 
la  reproduction  d'un  buste  grec  de  jeune  fille  du  Musée  de  Naples. 
L'impression  typographique  m'a  paru  d'une  entière  correction. 
J'allais  faire  compliment  à  la  typographie  française  de  ce  beau  spé- 
cimen de  ses  presses,  quand  arrivé  à  la  dernière  ligne  de  la  dernière 
page,  j'ai  eu  la  surprise  de  trouver  le  nom  d'une  imprimerie  anglaise. 
Félicitons  donc  M.  Richard  Clay  (Brunswick  Street),  et  souhaitons 
que  les  nombreuses  suggestions  de  toute  sorte  contenues  dans  ce 
petit  et  charmant  livre  produisent  en  temps  et  lieu  tous  leurs  heureux 
résultats. 

Michel   Bréal. 

Georges  Perrot,    Histoire    de    l'art    dans   l'antiquité.    Tome    IX.    La  Grèce 

archaïque  :  la  glyptique,  la  numismatique,  la  peinture,  la  céramique.  Gr.  in-S"; 
7o3  p.,  avec  22  planches  hors  texte  et  367  gravures.  Paris,  Hachette,  191 1. 

Le  précédent  volume  de  ce  grand  ouvrage,  publié  en  igoS,  traitait 
de  la  sculpture  grecque  archaïque  (cf.  Rev.  crit.,  1903,  II,  p.  482). 
Celui-ci  concerne  surtout  les  arts  mineurs  de  la  même  époque;  un 
chapitre  est  consacré  à  la  peinture  non  céramique,  aux  tablettes 
peintes  et  aux  sarcophages  de  Clazomènes. 

Pour  la  glyptique  postérieure  à  l'époque  mycénienne,  M  Perrot  a 
trouvé  un  excellent  guide  en  Furtwaengler,  dont  les  Gemmen  sont 
peut-être  le  chef-d'œuvre  et  celui  de  ses  livres  qu'on  consultera  le 


1^.^.  RliVUE     CIUTIQLK 

plus  longtemps.  Mais  Furiwacnglcr  avait  peu  puisé  aux  riches  séries 
de  notreCabinet  des  Médailles;  M.  P.,  dirigé  par  M.Babelon,  en  a  fait 
grand  usage  et  a  pu  ainsi  accroitrc  notablement,  par  les  belles  repro- 
ductions qu'il  a  publiées,  le  trésor  de  gravures  archaïques  dont  nous 
disposons.  Je  regrette  qu'il  n'ait  donné  aucune  place,  en  résumant  les 
théories  de  Furtwacngler,  au.x  objections  qu'y  a  faites  M.  Rossbach  ; 
ce  savant  vient  de  les  formuler  à  nouveau  dans  son  long  article  Gem- 
men  de  la  Real- Eucyclopaedie  de  Wissowa.  La  provenance  mélienne 
des  intailles  dites  de  Mélos  n'est  pas  démontrée,  bien  que  je  la  croie 
vraisemblable.  —  Dans  ce  chapitre,  comme  dans  les  suivants,  M.  P. 
s'est  appliqué  à  mettre  en  lumière  l'initiative  féconde  des  artistes 
ioniens  qui,  héritiers  des  traditions  de  l'époque  achéenne,  portèrent 
vers  l'Occident,  depuis  le  viii''  siècle,  ce  qui  leur  en  restait  et  ce  que 
leur  génie  propre  y  ajouta.  Cette  thèse  de  l'Ionie  continuant  la  Grèce 
achéenne  ou  minoenne  et  contribuant  à  la  renaissance  de  l'art  après 
l'invasion  des  Doriens,  n'est  plus,  tant  s'en  faut,  une  nouveauté;  mais 
il  ne  suffisait  pas  de  l'énoncer  comme  une  vue  générale;  il  fallait  en 
établir  la  vérité  historique  par  une  louie  d'observations  de  détail. 
C'est  là  une  tâche  dont  M.  P.  s'est  parfaitement  acquitté;  tout  le 
volume  est  à  la  gloire  de  l'Ionie  et  nul  n'a  mieux  marqué  que  l'au- 
teur, dans  le  domaine  des  arts  industriels,  l'influence  souveraine  de 
ceux  qu'il  appelle  justement  des  précurseurs  et  des  initiateurs  (p.  43.] 

Les  chapitres  sur  la  numismatique  sont  fondés  principalement  sur 
les  deux  traités  de  MM.  Lenormant  et  Babelon,  les  plus  complets  qui 
aient  paru  dans  aucune  langue.  Tout  en  s'occupant  surtout  de  l'art 
dans  les  monnaies,  M.  P.  n'a  pas  voulu  négliger  les  côtés  historiques 
et  archéologiques  de  son  sujet  ;  on  peut  même  penser  qu'il  aurait  pu 
être  plus  bref  et  sacrifier  une  partie  de  ses  notes.  —  P.  85,  il  est  ques- 
tion des  monnaies  d'Argos  où  Apollon  lycien  est  figuré  par  un  loup. 
C'est,  dit  M  .  P.,  que  les  Grecs  avaient  perdu  de  vue  le  vrai  sens  dune 
épithète  désignant  le  dieu  de  la  lumière,  lux,  et  avaient  fait  un  rappro- 
chement arbitraire  entre  les  mots  Xj/.io;  et  X>/.o;.  Cette  explication  date 
de  Max  Millier,  dont  M.  P.  a  autrefois  traduit  les  œuvres;  mais  elle 
a  fait  son  temps.  L'Apollon  lycien  est  un  loup,  comme  l'Apollon 
delphinien  est  un  dauphin,  comme  l'Apollon  sminthien  est  une  sou- 
ris; les  Argiens  n'ont  pas  fait  de  calembour,  ni  commis  de  confu- 
sion, mais  leurs  graveurs  ont  représenté  le  dieu  sous  une  des  formes 
animales  plus  anciennes  qu'avaient  remplacées  et  comme  absorbées 
l'Apollon  anthropomorphe   des  Doriens. 

Avant  d'aborder  l'étude  de  la  peinture,  M.  P.  s'occupe  de  la  poterie 
noire  et  des  vases  monochromes  à  reliefs,  c'est-à-dire  du  bucchero 
grec,  modèle  du  beau  bucchero  italien,  et  des  débuts  de  la  céramique 
dite  de  Mégare.  Une  idée  très  juste,  bien  développée  à  la  p.  ijS,  c'est 
que  la  poterie  à  reliefs,  devenue  prédominante  à  partir  du  11'  siècle 
av.  J.-C,  n'est  que  la  suite  d'une  technique  plus  ancienne  qui,  pen- 


d'histoire  et  de  littérature  145 

dant  deux  ou  trois  cents  ans,  fut  non  pas  remplace'c,  mais  reléguée  au 
second  rang  par  la  mode  des  vases  peints.  M.  P.  a  eu  raison  de  traiter 
cette  question  après  la  glyptique  et  la  numismatique;  bien  qu'il 
s'agisse  de  vases,  c'est  un  chapitre  de  la  sculpture,  non  delà  peinture. 

La  peinture  grecque,  du  v)ii'^  au  v"  siècle,  a  laissé  peu  de  documents, 
en  dehors  des  vases;  mais  les  questions  relatives  à  la  technique 
(fresque,  détrempe,  encaustique),  aux  rapports  de  la  peinture  monu- 
mentale avec  la  peinture  de  vases  et  la  sculpture,  la  critique  des  textes 
anciens  sur  les  peintres  des  écoles  grecques  primitives,  méritaient 
d'être  traitées  avec  le  développement  que  M.  P.  leur  a  donné.  Voici 
quelques  observations.  P.  200,  j'aurais  fait  des  réserves  au  sujet  de  la 
publication  de  M.  Benjamin  Fillon,  Description  de  la  villa  et  du  tom- 
beau d'une  femme  artiste  gallo-romaine  découvert  Saint-Me'dart-des- 
Pre's  (1849).  B.  Fillon  était  un  savant  assez  suspect  et  les  renseigne- 
ments que  l'on  tient  de  lui  seul  ne  doivent  être  acceptés  qu'avec 
mcrtance  '.  —  P.  21g,  parlant  du  peindre  Boularchos,  M.  P.  a  oublié 
que  nous  avons  une  raison  sérieuse  de  le  considérer  comme  natif  de 
Clazomènes;  c'est  une  scholie  d'Acron  sur  Horace,  qui  qualifie  le 
sculpteur  Boupalos  de  peintre  cla^oménien;  il  n'est  guère  douteux 
que  Boupalos  a  été  confondu  avec  Boularchos.  J'avais  noté  cela 
dans  la  Revue  des  Etudes  grecques  (1895,  p.  179)  et  je  crois  encore 
cette  observation  fondée.  —  Dans  le  môme  article  (que  M  .  P.  a  cité, 
mais  paraît  avoir  lu  trop  vite),  j'ai  démontré,  par  des  arguments  tirés 
de  l'histoirede  Clazomènes,  que  les  sarcophages  peints  de  cette  prove- 
nance sont  antérieurs  à  546  [ibid.,  p.  169)  ;  M.  P.  admet  qu'  «  ils  ne 
sont  guère  postérieurs  à  5  5o  >i  (p.  177),  mais  néglige  la  preuve  que 
j'en  ai  donnée. 

Que  la  peinture  polychrome  des  Ioniens  soit  un  legs  de  la  civilisa- 
tion achéenne  (p.  285),  c'est  ce  qu'avait  déjà  dit  très  nettement,  en 
1892,  M.  P.  Girard  [La  peinture  grecque,  p.  134)  et  ce  qu'il  n'était 
pas  alors  le  premier  à  dire.  M.  P.  a  très  judicieusement  développé  cette 
manière  de  voir  et  l'a  appuyée  de  considérations  d'un  grand  prix;  sur 
ce  point,  comme  sur  tant  d'autres,  la  science  contemporaine  a  jeté  un 
pont  entre  «  les  créateurs  de  la  civilisation  mycénienne  et  les  Hellènes 
de  l'histoire  »  (p.  284).  Signaler  les  hiatus  et  puis  les  combler,  c'est 
une  bonne  part  du  travail  qui  incombe  aux  archéologues  et  aux  his- 
toriens. 

Tout  le  reste  du  volume  (p.  291-683)  concerne  les  vases  peints. 
Comme  les  ouvrages  d'ensemble  les  plus  détaillés  et  les  plus  récents 
sur  la  céramique  grecque  ont  déjà  vieilli  et  que  l'activité  des  fouilles, 

I.  Comme  on  m'a  souvent  questionné  sur  le  sort  des  objets  découverts  par 
B.  Fillon,  je  profite  de  l'occasion  pour  dire  qu'ils  sont  restés  aux  mains  de  sa 
belle-sœur,  M'"°  Charier-Fillon,  à  Fontenay-le-Comte  (Vendée).  M.  Clouzot  les  a 
vus  en  juillet  iqoi  et  a  eu  l'impression  que  le  prétendu  attirai!  de  peintre  se  com- 
posait simplement  d'objets  de  toilette. 


146  REVDE    CRITIQUE 

taiii  en  pays  grecs  qu'en   Italie,  a  singulièrement   accru   nos   connais- 
sances depuis  dix  ans,  l'exposé  de  M.  P.  se  trouve  être  aujourd'hui  le 
plus  complet  et  le  mieux  informé  auquel   on  puisse  recourir.  J'avoue 
n'avoir  pas  lu  sans  admiration  ces  chapitres.  Je   n'exprime  pas  celle 
qui  rend  hommage  à  la  verte  vieillesse  de  l'auteur;  comme  on  sent 
partout   la  verdeur  et  jamais  la   vieillesse,  il  est  inutile  de  parler  de 
celle-là.  Mais  en  présence  d'une  masse  énorme  de  documents  encore 
imparfaitement  triés,  dont  l'étude  est  parfois  plus  compliquée  que  faci- 
litée par  une  nuée  de  monographies  et  d'hypothèses,  M.  P.  a  su  soule- 
ver et  porter  son  fardeau  avec  gaîté,  avec  bonne  grâce,  sans  apparence 
d'etîort,  et  nous  a  donné  non  pas  un  résumé,  mais  un  traité  appro- 
fondi où  rien  d'essentiel  n'est  négligé,  où  l'on  ne  trouve  rien  qui  soit 
superflu.  De   loin    en    loin,   il    fait  mention    d'opinions   discréditées, 
mais  il  ne  s'arrête  pas  à  d'inutiles  historiques;  un  des  grands  mérites 
de  son  œuvre,  c'est  d'avoir  beaucoup  élagué  pour  éclaircir.  En  revan- 
che, formes  des  vases,  technique  de  la  peinture,  condition  des  céra- 
mistes, variétés  des  céramiques  ioniennes  et  corinthiennes,  toutes  ces 
questions  ont  été  mises  au  point  avec  autant  d'abondance  que  de  clarté. 
M.  P.  n'est    pas    de    ceux  qui  adoptent  d'emblée    l'opinion  la    plus 
récente  d'un   spécialiste;   son   sens  critique,   qui   ne  sommeille  pas, 
réclame  des  preuves  et  regimbe   quand  elles    font  défaut.  C'est  ainsi 
qu'il  ne  s'est  pas   laissé  séduire  par  les  théories   de  Boehlau  sur  la 
céramique  de  Samos,  ni  par  celles  qui,  à  la  suite  des  fouilles  anglaises 
à.  Sparte,    attribuent  une    origine    laconienne    aux  poteries  dites  de 
Cyrène.   L'idée  dominante  est  toujours    la  même,  celle  de  la   force 
créatrice  de   l'Ionie.    Même   en  pays   dorien,  ce    furent   d'abord  les 
produits   ioniens   qui    s'accréditèrent    et    suscitèrent    des    imitations 
locales. 

M.  Glotz  a  déjà  remarqué  {Revue  des  Etudes  grecques^  191 1. 
p.  493)  que  l'information  si  sûre  et  si  vaste  de  M.  P.  est  en  défaut  sur 
un  point  important  :  il  a  laissé  de  côté  les  découvertes  abondantes  de 
tessons,  très  probablement  milésiens,  qui  ont  été  faites  depuis  igoS 
dans  la  Russie  méridionale,  dans  cette  région  de  steppes  fertiles  qu'un 
savant  anglais  appelait  «  le  Canada  milésien.  »  Peut-être  aussi  M.  P. 
aurait-il  pu  parler  des  trouvailles  céramiques  de  Delphes,  comme  il  a 
si  bien  parlé  de  celles  de  Délos  et  même  de  celles  de  Rhénée,  encore 
inédites  par  la  faute  d'un  Grec  indolent.  Mais  ces  quelques  oublis  sont 
plus  que  véniels  dans  un  sujet  si  complexe  et  que  personne  n'avait 
encore  embrassé  d'une  vue  d'ensemble.  Ce  dernier  volume  suffirait  à 
établir  la  réputation  d'un  jeune  archéologue;  il  apporte  un  lustre  nou- 
veau à  celle  du  vétéran  qui  a  montré  là  toutes  ses  qualités  sous  leur 
meilleur  jour,  à  la  fois  artiste,  érudit,  critique  et  lettré.  Si  M.  P.  n'a 
jamais  pris  pour  modèle  la  brièveté  de  Tacite,  si  l'on  peut  regretter 
parfois  qu'il  n'ajoute  pas  à  la  netteté  de  la  pensée  la  concision  qui  la 
fait  valoir,  il  écrit  toujours  une  langue  irréprochable,  élégante  et  pure, 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  I47 

une  langue  bien  française  dont  le  secret  tend  malheureusement  à  se 
perdre  sous  l'influence  des  jargons  professionnels. 

De  tous  les  volumes  de  V Histoire  de  l'art,  aucun  n'est  mieux  illustré 
que  celui-ci.  Les  planches  hors  texte  sont  excellentes  et  les  vignettes 
d'une  parfaite  clarté.  La  correction  typographique  est  également  digne 
d'éloges ';  l'index  lui-même  m'a  paru  plus  complet  que  ceux  des 
volumes  précédents  \ 

Salomon  Reinach. 


XII.  Panegyrici  iatini  post  ^milium  Baehrensium  iterum  recensuit  Guilielmus 
Baehrens.  Teubner,   191 1,  xxx-327  p.,  in-12.  5  M. 

J'ai  rendu  compte'  de  la  thèse-préface  par  laquelle  M.  G.  Baehrens 
a  préludé  à  l'édition  qu'il  publie  aujourd'hui.  Je  n'ai  rien  à  ajouter  à 
ce  que  j'ai  dit  du  jeune  auteur  et  des  travaux  par  lesquels  il  s'est  pré- 
paré à  son  œuvre  présente. 

Je  trouve  le  nouveau  livre  sérieux  ;  il  constitue  un  durable  progrès; 
aussi  indiquerai-je  librement  ce  qui  en  est,  suivant  moi,  le  côté  faible 
et  les  parties  fâcheuses.  Je  n'entends  pas  les  exagérer;  mais  il  n'y  a 
pas  non  plus  lieu  de  les  taire. 

La  première  impression  est  très  satisfaisante,  tant  saute  aux  yeux, 
de  l'édition  de  1874,  à  celle-ci,  la  différence  d'ampleur  des  deux  appa- 
rats. On  goûte  la  manière  brève  dont  le  nouveléditeur  condamne  des 
conjectures  inutiles  par  de  simples  rapprochements  avec  d'autres  pas- 
sages des  Panégyriques.  Certaines  finesses  du  texte  sont  bien  saisies 
et  suffisamment  indiquées.  On  est  heureux  de  trouver  dans  l'apparat 
des  remarques  sur  diverses  confusions  habituelles  à  tel  copiste;  aussi 
sur  les  particularités  de  ce  latin  \  Rentrent  ici  dans  le  texte  des 
formes  orthographiques  que  les  mss.  du  xv*  siècle  et  les  éditeurs  cor- 
rigeaient par  purisme  ^. 

Pas  de  source  nouvelle  pour  l'apparat.  Malgré  les  complications  où 
nous  engage  la  préface,  le  texte  des  Panégyriques  reposera  en  somme 
sur  M  (le  ms.  de  Mayence),  les  mss.  d'Upsal  (A),  de  Londres  (H), 
l'archétype  d'Aurispa,  source  des  détériores  (X),  et  un  Vaticanus  ou 
surtout  son  correcteur  fw).  Bien  plus  par  une  opinion  qui  lui  est 
particulière  et  qu'il  défend  ici  contre  M.  Klotz,  M.  B.  écarte  un  ms. 

1 .  Je  n"ai  noté  que  deux  fautes  graves  (p.  3oi,  n.  i  et  p.  486,  !.  3.) 

2.  Ilya  pourtant  quelques  inconséquences;  ainsi  les  prénoms  des  archéolo- 
gues cités  (ils  ne  le  sont  pas  tous)  sont  tantôt  indiqués,  tantôt  omis.  Les  Bacchiades 
ne  sont  pas  seulement  mentionnés  à  la  p.  56  (renvoi  de  l'index),  mais,  plus  lon- 
guement, à  la  p.  569  ;  si  le  collectionneur  Macmillan  figure  à  l'index,  on  y  cherche 
en  vain  le  nom  de  Tyskievicz  et  celui  du  graveur  de  génie,  Epiménès,  qui  a  signé 
la  belle  intaille  autrefois  dans  cette  collection  (p.  18).  Qui  pourrait  me  dire  où  elle 
est  aujourd'hui  ?  Ni  M.  Perrot,  ni  M.  Rossbach  ne  paraissent  le  savoir. 

3.  Revue  de  1910,  II,  p.  288. 

4.  Iste  =  ipse  ;  quidem  =  sed  ;  ctim  et  l'indicatif,  etc. 

5.  Commemoraôoj-,  inaugurjjre,  die  (=  diei),  etc. 


1^.8  REVUE    CRITIQWE 

auquel  on  donnait  autrefois  de  la  valeur,  le  Bcrtincnsis,  qu'il  regarde 
comme  une  copie  de  A  '. 

La  nouveauté  du  livre  consiste  en  ceci,  que  la  tradition  du  texte 
est  sans  cesse  contrôlée  par  les  règles  des  clausules.  C'est  une  vue 
juste,  quoiqu'ici  mc'me  je  ne  sois  pas  entièrement  d'accord  avec  M.  B. 
On  voit  revenir  coup  sur  coup  dans  l'apparat  la  formule  :  clausula 
obstat,  clausula  rejicit  ou  au  contraire  :  ego  clans,  causa.  Cette  mé- 
thode a  servi  h  nous  débarrasser  d'un  coup  des  conjectures  dont  on 
encombrait  ces  textes,  y  compris  naturellement  bon  nombre  de 
leçons  de  E.  Baehrens;  car  on  mettrait  ici  volontiers  comme  titre  au 
nouveau  livre  :  E.  Baehrens  sévèrement  jugé  par  son  fils.  Les  ^/;ie 
necessitate  ou  clausula  nbslat  tombent  sur  lui  comme  grêle.  Il  suffit 
d'ailleurs  de  telle  petite  leçon  ',  comparée  aux  essais  antérieurs,  pour 
mesurer  combien  le  texte  a  gagné,  grâce  à  ce  contrôle  des  clausules. 

Voilà  des  avantages  sérieux  que  je  reconnais  ;  quelles  seraient  mes 
réserves  ? 

D'abord  pour  les  rapprochements  d'une  page  à  l'autre,  ils  sont 
bien  souvent  vagues,  lointains  et  ne  prouvent  rien  ;  le  résultat  imman- 
quable sera  que  le  lecteur  fatigué  ne  s'y  reportera  plus. 

Critique  plus  grave  qui  touche  à  ce  qui  fait  la  nouveauté  et  le  prix 
du  livre;  je  veux  parler  de  l'application  des  règles  des  clausules. 

Tout  d'abord  on  objectera  que  la  formule  de  condamnation  {clau- 
sula obstat)  est  souvent  obscure  et  confuse  '.  Surtout  il  y  avait  lieu  de 
distinguer  entre  les  clausules,  suivant  qu'elles  sont  à  la  fin  de  la 
phrase  ou  à  la  fin  d'une  proposition,  devant  un  repos  fort,  ou  un 
repos  faible  ;  on  devait  les  attendre,  chez  les  anciens,  avec  une  proba- 
bilité qui,  très  forte  dans  le  premiercas,  diminuait  certainement  dans 
les  autres.  M .  B.  ne  distingue  pas  ;  par  là  toute  sa  démonstration  perd 
en  force  et  en  clarté. 

D'autre  part  M.  B.  ne  sent  pas  ce  que  sa  méthode  a  de  dangereux 
ou  tout  au  moins  de  délicat  ;  les  clausules  sont  inégalement  riches  ; 
quel  droit  avons-nous  d'en  rejeter  une  médiocre  pour  y  substituer  une 
fin  plus  élégante?  Aucun,  et  cependant  n'est-ce  pas  le  fond  de  la  pra- 
tique nouvelle  ? 

Pour  toutes  ces  questions,  M.  B.  renvoie  à  sa  thèse  :  est-ce  suffi- 
sant? Dans  la  thèse,  M.  B.  admettait  que  Pline  avait  employé  les 
clausules  dans  les  diverses  propositions  comme  à  la  fin  des  phrases. 
Il  s'est  ravisé  depuis  et  convient  maintenant  qu'il  ne  faut  chercher  les 

1.  M.  B.  corrige  Suster  et  propose  dans  la  préface  un  nouveau  classement  des 
détériores  :  cela  regarde  surtout  le  Panégyrique  de  Pline  et  n"a  au  fond,  pour  les 
autres,  qu'un  intérêt  médiocre. 

2.  Comme  p.   202,  i3,  es  nattis. 

3.  Par  ex.,  p.  263,  3,  je  ne  vois  pas  que  constitui.vse,  conjecture  de  Baehrens 
contredise  les  habitudes  métriques  de  ces  auteurs.  De  mâme  en  une  infinité  de 
cas. 


d'histoire  kt  de  littérature  149 

clausules  dans  Pline  qu'à  la   tin   des    phrases.   S'il  s'est  trompé   de 
même  pour  les  autres  discours,  voilà  tout  l'apparat  en  déroute. 

Mon  objection  la  plus  forte  portera  sur  l'insuffisance  de  la  biblio- 
graphie et  de  la  table  des  sigles.  Voilà  des  discours  qui  n'ont  guère 
qu'un  intérêt  historique,  qui,  certes,  fatiguent  par  la  faiblesse  de  la 
pensée,  le  vide  du  fonds,  l'humble  attitude  de  celui  qui  parle  :  est-il 
besoin  d'en  rendre,  par  des  maladresses,  la  lecture  plus  pénible? 
Veut-on  en  défendre  l'accès?  La  table  des  sigles  est  ici  donnée  sans 
ordre  :  pourquoi  ne  pas  les  avoir  indiquées  dans  l'ordre  alphabétique? 
Elle  est  très  incomplète;  on  y  cherchera  vainement  le  sens  d'abrévia- 
tions qui  reviennent  à  toutes  les  pages  '  ;  de  plus  ces  signes  sont  choi- 
sis, ce  semble,  tout  exprès,  pour  provoquer  des  confusions  ^  Pas 
d'index  bibliographique  ;  celui  de  la  thèse  est  ailleurs  et  ne  serait  ni 
complet,  ni  au  courant. 

Surtout  en  un  tel  sujet,  une  édition  devrait  se  suffire  ;  elle  ne  peut 
certainement  tout  donner;  mais  elle  doit  donner  clairement  surtout 
l'essentiel;  M.  B.  n'en  a  cure;  on  dirait  qu'il  s'est  plu  à  semer  dans 
son  apparat  les  renvois  qui  pouvaient  le  mieux  fatiguer  ou  agacer  ses 
lecteurs  \ 

Si  j'ajoute  que  le  latin  de  M.  B.  est  obscur,  enchevêtré  et  bizarre, 
ne  vais-je  pas  écarter  du  livre  les  lecteurs  ^  ?  Comme  ce  n'est  pas  du 
tout  mon  dessein,  j'aime  mieux  m'arrêter  court  etsupprimer  les  autres 
vétilles  que  j'avais  notées. 

Emile  Thomas. 


Manili  Astronomicon  liber   II    edidit  H.    W.  Garrod    colleg.  Mertonensis  socius. 
Oxford,  e  typographeo   Academico.  191 1,  xcix-i65  p.  in-8".  10  sh.  6  d. 

Si  je  ne  me  trompe,  c'est  ici  le  premier  ouvrage  qu'ait  publié 
M.  Garrod,  lecteur  à  Oxford.  L'édition  est  dédiée  à  Ellis. 

Dans  l'introduction  trois  chapitres  ;  I  :  lesmss.  de  Manilius  et  leurs 
rapports  ;  les  trois  mss.  principaux  ;  11  :  autres  mss .  ;  essais  de  classi- 
fications ;  111  :  Manilius  et  ses  éditeurs  (41  p.).  A  côté  du  texte,  tra- 
duction ;  au-dessous  apparat  critique  ;    commentaire.  Puis  choix  de 

1.  Ainsi  M;  Cu<spinianus>;  Gr(onov)  ;  Ac(idalius);  Eyss(enhardt),  etc.;  rien 
sur  le  sens  des  crochets  <  >  ;  M.  B.  s'est  embrouillé  lui-même  sur  leur  emploi  : 
voir  l'Errata    (incomplet). 

2.  Après  M,  M',  etc.;  la  même  sigle  {Add.)  pour  un  ms.,  et  aussi  pour  un 
article  annoncé. 

3.  On  y  trouvera  coup  sur  coup  :  Vid.  Diss.  (renvois  souvent  bien  inutiles, 
comme  je  l'ai  vcritié);  vid.  ou  cf.  Mnem.  (un  article  que  M.  B.  n'a  pas  indiqué 
et  que  tout  le  monde  n'a  pas  sous  la  main)  ;  vid.  Add.  :  il  s'agit  d'un  article  qui 
doit  paraître  dans  les  suppléments  du  Philologus  :  nous  voilà  certes  bien  lotis  ! 

4.  P.  XVII,  1.  i5  :  sique  ;  p.  xvin,  1.  11  et  p.  xxix,  1.  8,  atitem  dans  l'apodose; 
p.  XX,  1.  16  :  et  C  et  W..  om\ttet  ;  p.  xvii,  1.  i3  :  casti  Bertinensis  alteram  ex  duobus 
conjecturam  recte  elegit.  —  P.  107,  n.  5  :  Citation  bi/.arre  :  Sen.  Dial.  Lit.  VI, 
22,  I.  —  P.  i3  I,  22  :  il  y  a  deux  cum  à  la  ligne  :  lequel  est  visé  ? 


l  3u  REVUt    CKlTlQUl!. 

leçons  d'éditions  anciennes  ;  conjectures  des  savants  depuis  Scaliger  ; 
index. 

M.  G.  est  plein  de  son  auteur;  il  l'admire  presque  sans  réserve;  si 
on  ne  lit  guère  Manilius,  c'est  que  personne  ne  s'intéresse  plus  à  l'as- 
trologie (mais  à  cela,  quel  remède?);  ce  poète,  à  demi  ignoré,  est 
pourtant  par  endroits  «  l'égal  de  Lucrèce  »  ;  là  il  atteint  à  la  plus 
haute  poésie  ;  ailleurs  il  a  «  riiabileté,  la  grâce  d'Ovide  >>  ;  les  défauts 
qu'on  lui  trouve,  doivent  cire  rejetés  sur  la  médiocrité  de  la  tradition 
(j'analvse  là  simplement  les  idées  de  M.  G.  ;  au  lecteur  d'y  introduire 
les  restrictions  nécessaires).  C'est  après  tout,  pour  un  éditeur,  un  beau 
défaut  que  d'abonder  ainsi  dans  le  sens  de  son  auteur. 

M.  G.  a  songé  à  donner  le  second  livre  justement  à  cause  de  ses 
difficultés  particulières.  Le  travail  a  été  très  sérieusement  préparé. 
Dans  la  traduction,  dans  le  commentaire  et  partout,  on  sent  un  effort 
souvent  heureux  pour  triompher,  à  force  de  précision,  des  difficultés 
particulières  du  sujet  '. 

Les  collations  de  Manilius  sont  difficiles  et  le  malheur  veut  qu'elles 
aient  été  faites  souvent  avec  négligence.  Dans  ces  derniers  temps,  on 
ne  savait  comment  concilier  les  divergences  de  deux  collations  du  ms. 
de  Madrid,  publiées  par  Ellis  et  par  Loeve.  M.  G.  a  fait  vérifier  le 
ms.,  à  ces  passages,  par  un  de  ses  amis;  plusieurs  savants  lui  ont  com- 
muniqué d'avance  leurs  notes  et  il  s'efforce  partout  de  renseigner 
exactement  le  lecteur. 

On  gagne  aussi  d'un  autre  côté.  Les  savants  ont  tâché  de  reconsti- 
tuer l'archétype  des  deux  principaux  mss.  (22  lignes  à  la  page',  en  se 
fondant  sur  les  transpositions  de  vers.  M.  G.  croit  avoir  fait  avancer 
«  de  quelques  pas  »  cette  étude.  Il  se  fonde  sur  ce  calcul  de  pagination 
et  de  l'archétype  pour  appuyer  l'obel  dont  on  marque  plusieurs  vers, 
et  aussi  par  contre  pour  admettre  telle  lacune,  que  l'on  comble  en 
suppléant  tout  au  moins  la  pensée  d'un  vers  '. 

Donc  sur  cet  auteur  difficile,  édition  partielle  qui  me  paraît  des 
meilleures. 

E.    T. 


1.  Ainsi  pour  la  définition  de  tertia,  sexta  :  astres  séparés  l'un  de  l'autre  par  un 
ou  par  quatre  autres  astres.  — Pour  diflerentes  parties  de  sa  démonstration,  M.  G. 
renvoie  à  des  articles  de  la  Classical  Quatterly,  de  igo8  et  1909  que  j'ai  le  regret 
de  ne  pas  connaître. 

2.  Le  calcul  devient  des  plus  compliqués  quand  on  arrive  aux  vers  645  et  s.  où 
les  déplacements  se  croisent  dans  une  trentaine  de  vers.  A  cet  endroit,  comme 
aussi  aux  vers  que  M.  G.  ajoute,  5q3'  et  394»  et  à  ceux  qu'il  retranche,  585  et  586, 
j'avoue  que  j'hésiterais  beaucoup  à  le  suivre.  —P.  xix,  1.  5,  au  lieu  de  six  pages  lire 
eight.  —  .Malgré  l'explication  de  M.  G.,  je  trouve  indéfendable  la  forme  tradition- 
nelle du  V.  768. 


d'histoire  et  de  littérature  i5i 

Girton  Collège  Stiuiies  cditcd  by  Lilian  Knowlcs,  Litt.  D.,  rcader  in  Economie  His- 
tory  in  the  Univcrsity  of  London.  N»  3  '.  Studics  in  Fronto  and  his  agc  with  an 
Appcndix  on  African  Latinity  illustraicd  by  Sélections  from  the  Correspondence 
of  Fronto  by  M.  Dorothy  Brock,  B.  A.  Someiime  PfeitTer  Student  of  Girton 
Collège,  Cambridge.  Cambridge  at  the  Univ.  Press,  igi  i,  348  p.  in-i  2.  4  sh. 

Heureux  les  débutants,  ils  ne  douteni  de  rien.  Miss  Brock  n'avait 
rien  publié  encore  que  Je  sache.  Elle  a  trouvé  bon  de  commencer  par 
Fronton.  Elle  voulait  en  faire  une  édition;  les  dieux  l'en  ont  gardée; 
elle  a  tenu  à  se  rabattre  tout  au  moins  sur  une  «  étude  «qu'elle  a  traitée 
plutôt  en  élève  qui  se  souvient  trop  de  ses  lectures.  On  trouvera  ici  du 
français,  de  l'allemand,  mêlé  à  l'anglais  et  aux  citations  de  toutes  sortes 
de  livres  anglais  (surtout  Cruttwell,  History  ofthe  Roman  Literature); 
bref  force  extraits  divers  des  œuvres  des  savants  qui  ont  touché  à 
son  auteur  (mss.  Br.  excelle  à  jouer  des  ciseaux);  il  est  vrai  que  les  dis- 
tinctions nécessaires  entre  les  extraits,  très  différents  de  valeur,  ne  sont 
pas  faites;  il  arrive  aussi  que  les  extraits  se  contredisent  et  qu'il  sur- 
vient des  accidents  sur  les  noms  \ 

Sans  doute  tout  n'est  pas  mauvais  dans  le  livre.  Je  pense  que  le 
chapitre  sur  le  latin  d'Afrique  pourra  rendre  service,  et  j'ai  lu  avec 
plaisir  les  lettres  accompagnées  d'une  traduction  et  de  notes.  Miss  Br. 
détache  habilement  et  fait  valoir  les  jolis  traits  de  Fronton  sur  sa 
famille  et  sur  les  enfants  de  Marc-Aurèle.  On  conçoit  de  reste  qu'elle 
refuse  de  croire  à  tout  le  mal  qu'on  a  dit  de  Faustine.  Malheureuse- 
ment l'inexpérience  ne  manque  pas  de  se  trahir  ça  et  là  par  plus  d'un 
trait  '. 

Je  crains  fort  que  Miss  Brock  ne  se  soit  brûlée  à  Fronton  :  elle  aurait 
dû  se  défier  de  lui,  ou  ceux  dont  elle  prend  conseil  (j'imagine  qu'elle 
ne  se  croit  pas  au  dessus  de  tout  conseil)  auraient  dû,  suivant  moi,  l'en 
détourner.  Le  résultat  est  sans  conteste  médiocre  \ 

Emile   Thomas. 


A  companion  to  Latin  Studies,  edited  for  the  syndic  of  univcrsity  press,  by 
.1.  E.  Sandvs.  Cambridge,  at  the  univcrsity  press,  C.  F.  Clay,  igco,  xxxv-8gi  p. 
in-80.  Prix  :  18  sh. 

En  1905,  les  savants  de  Cambridge  sous  la   direction  de  M.  Whi- 
bley  ont  publié  A    Companion   to  Greek  stiuiies.  L'ouvrage  a  eu  du 

1.  Les  quatre  premiers  volumes  de  la  collection  traitent  de  l'histoire  d'Angleterre, 
et  de   philosophie. 

2.  Par  ex.  l'éditeur  des  inscriptions  chrétiennes,  Edm.  Le  Blantqui  n'est  pas  un 
inconnu,  devient  fâcheusement  ici  avec  constance  Le  Blaut  (p.   igt  et   194). 

3.  Ainsi  il  est  question  p.  yS,   1.  7   de  «  the   long  letter  to  Quintus  de  petitione 
consulatiis  ». 

4.  II  s'en  faut  que  l'impression  soit  irréprochable   je    note  en   quelques  pages  .\ 
p.  i39  à  la  fin  de  la  note   3,  est  tombée  l'indication  de  la  date.  —  P.    142,  vers  le. 
milieu,  lire  vincerent.  —  La  note  5  de  la  p.    141  se  rapporte  à  la  première  ligne  de 
la  page  suivante  etc.  • 


l52  REVUE    CRITIQUE 

succès  et  a  reçu  une  seconde  édition  en  1910.  Il  était  naturel  de  son- 
ger à  lui  donner  un  pendant  latin.  C'est  M.  Sandys,  l'auteur  connu 
d'une  histoire  de  la  philologie,  qui  en  a  pris  la  direction.  Le  but  de 
l'ouvrage  est  de  réunir  toutes  les  notions  usuelles  dont  peut  avoir 
besoin  un  étudiant  de  philologie  latine,  à  la  réserve  de  la  grammaire 
et  de  l'histoire.  On  trouvera  dans  ce  volume  les  rubriques  suivantes  : 
géographie  de  l'Italie  (J.  E.  Sandys),  ethnographie  (W.  Ridgeway), 
topographie  de  Rome  (Th.  Ashby),  fauve  (Otto  Keller),  flore 
(W.  T.  Thiselton-Dyer),  chronologie  et  table  chronologique  de  l'his- 
toire romaine  iJ.  S.  Reid),  religion  et  mythologie  (W.  Warde  Fow- 
1er),  antiquités  privées  (P.  H.  Marshall),  éducation  et  enseignement 
(W.  Murison),  livre  et  écriture  (M.  R.  James),  institutions  politiques 
(J.  S.  Reid),  droit  et  justice  (J.  S.  Reid),  finances  G.  H.  Stevenson  , 
population  et  organisation  sociale  (F.  H.  Marshall;,  administration 
des  villes,  des  colonies  et  des  provinces  (B.  W.  Henderson),  industrie 
et  commerce  (R.  G.  Bosanquetj,  poids,  mesures  et  mnnnaies 
("W.  Ridgeway),  armée  de  terre  (E.  H.  Alton),  marine  (W.  W.  Tarn), 
speciacles  et  fêtes  (J.  H.  Gray),  architecture  (Cl.  Gutch;,  sculpture 
(A.  J.  B.  Wace),  terres  cuites  (A.  H.  Smith),  pierres  gravées 
(W.  Ridgeway),  peinture  et  mosaïque  (F.  R.  Earp),  poésie  jusqu'à  la 
fin  de  Tàge  d'Auguste  (A,  W.  Verrall),  poésie  après  Auguste 
ÇW.  C.  Summer),  prose  de  Caton  à  Cassiodore  avec  une  bibliogra- 
phie générale  (J.  E.  Sandys  ,  philosophie  romaine  [R.  D.  Hicks), 
sciences  (J.  F.  Payne),  épigraphie  (J.  E.  Sandys),  paléographie 
(E.M.  Thomson),  critique  des  textes  (J.  P.  Postgate),  langues  de 
l'Italie  (P.  Giles),  métrique  (A.  W.  Verrall),  histoire  de  la  philologie 
latine  (J.  E.  Sandys).  Cette  énumération  sèche  montre  que  toutes  les 
parties  de  ce  vaste  domaine  figurent  dans  le  livre  et  qu'on  s'est  efforcé 
de  confier  chacune  d'elles  à  un  homme  compétent.  La  rédaction  a  un 
développement  suffisant  pour  rendre  service.  Même  les  spécialistes 
seront  heureux  d'avoir  certains  ensembles,  une  ethnographie  de  l'Ita- 
lie par  M.  Ridgeway,  une  religion  romaine  de  M.  W.  Fowler  ;  ce 
sont  des  savants  dont  il  faut  connaître  les  vues  générales.  141  fig.  et 
2  planches  illustrent  le  volume.  Une  typographie  admirable  y  fait 
tenir  en  une  impression  parfaitement  lisible  une  masse  considérable 
de  renseignements. 

Sans  doute,  il  faut  s'attendre  à  des  lacunes.  L'histoire  de  la  littéra- 
ture latine,  surtout  dans  la  partie  traitée  par  M.  Verrall,  est  conçue 
d'une  manière  un  peu  personnelle  :  M.  V.  n'a  voulu  parler  que  des 
grands  poètes,  ceux  dont  il  nous  reste  des  morceaux  étendus.  Aussi 
le  mime  n'est-il  même  pas  mentionné,  je  crois,  et  l'on  chercherait  en 
vain  les  noms  de  Novius,  de  Pomponius  de  Bologne  et  de  Labérius, 
tandis  que  M.  Summers  ne  nous  fait  grâce,  dans  sa  partie,  ni  de 
VAetna^  ni  de  Calpurnius  Siculus,  ni  de  Nemesianus.  Peut-être  eût-il 
mieux  valu  supprimer  ce  chapitre  et  profiter  de  la  place  ainsi  gagnée 


d'histoire  et  de  littp:rature  i53 

pour  développer  la  table  chronologique,  en  s'inspirant,  dans  la  mesure 
du  possible,  du  modèle  donné  par  les  Zeiltajeln  de  Peter.  M.  Reid, 
qui  a  rédigé  la  table  chronologique,  doit  être  loué  d'avoir  en  partie 
évité  la  faute  de  Peter,  qui  a  omis  entièrement  la  littérature  grecque 
contemporaine  ;  comme  les  tables  de  l'histoire  grecque  s'arrêtent  à  la 
réduction  de  la  Grèce  en  province  romaine,  il  suit  de  là  que  Polybe 
est  le  dernier  écrivain  grec  mentionné  par  Peter  et  qu'il  ne  nomme 
ni  Lucien  ni  Plutarque.  Ici  au  contraire,  des  événements  comme  les 
apologies  d'Aristide,  de  Quadratus  et  de  saint  Justin  sont  au  moins 
indiqués  à  leur  date.  Chaque  partie  est  accompagnée  d'une  biblio- 
graphie sommaire.  On  pourra  trouver  quelques  inégalités  choquantes 
dans  le  choix  de  ces  références.  L'introduction  de  M.  Lejay  à  Lucain 
méritait  de  prendre  place  à  côté  de  celle  de  Heitland,  publiée  sept 
ans  plus  tôt.  On  renvoie  à  ï Etude  sur  la  Thébaïde  de  M.  Legras  ; 
mais  on  omet  celles  de  M.  Lafaye  sur  Catulle  et  sur  les  Métamor- 
phoses d'Ovide,  de  M.  Cartault  sur  les  Bucoliques,  de  M.  Puech  sur 
Prudence.  M.  Verrall  ne  cite  que  \e  De  re  metrica  de  L.  Miiller.  Cela 
est  d'autant  plus  regrettable  qu'il  se  fait  du  vers  saturnien  et  de  la 
métrique  des  poètes  dramatiques  une  idée  très  particulière,  difficile- 
ment acceptable,  où  l'accent  joue  le  rôle  le  plus  inutile.  Les  ouvrages 
de  MM.  Léo,  Havet,  Klotz  révéleraient  au  lecteur  au  moins  l'exis- 
tence d'autres  théories,  si  on  s'y  trouvait  renvoyé.  Enfin,  puisque  la 
table  chronologique  de  M.  Reid  tient  lieu  d'un  abrégé  d'histoire,  une 
courte  bibliographie  de  l'histoire  romaine  eût  pu  y  être  jointe. 

Ce  sont  là  des  lacunes  qui  ne  peuvent  guère  être  évitées  dans  un 
manuel.  Mais  elles  ne  sauraient  arrêter  ceux  qui  ont  besoin  d'avoir  à 
portée  de  la  main  un  recueil  de  renseignements  précis.  Le  livre, 
publié  sous  la  direction  de  M.  Sandys,  rendra  les  plus  grands  services 
aux  étudiants  et  aux  professeurs.  Nous  pouvons  le  recommander  à 
ceux  des  nôtres  qui  savent  assez  l'anglais  pour  le  consulter.  Il  les  dis- 
pensera de  recherches  longues  dans  des  ouvrages  compliqués  et  mul- 
tiples. Il  peut  tenir  dans  leur  bibliothèque  la  place  de  manuels  coû- 
teux et  développés. 

V.    COURNILLE. 


Notes   on  the  Syntax  of  the  Latin  inscriptions  found  in  Spain.  By  Henry 

Martin.    Baltimore,  J.  H.  Furst  company.  1909.  5i  p.  in-S". 

Cette  thèse  a  été  entreprise  avant  l'achèvement  du  travail  de 
M.  Carnoy  sur  les  inscriptions  d'Espagne.  Elle  lecomplète.  M.  Martin 
s'est  surtout  inspiré  de  l'excellent  livre  de  M.  Pirson  sur  la  langue  des 
inscriptions  latines  de  Gaule.  Il  y  a  d'ailleurs  beaucoup  moins  de 
traits  caractéristiques  en  Espagne  qu'en  Gaule.  La  plupart  des  cons- 
tructions notées  par  M.  M.  sont  conformes  à  l'usage  de  l'âge  d'argent 
ou  ne  sont  que  des  extensions  naturelles  des  libertés  antérieures.  Dans 
les  inscriptions  chrétiennes,  on  saisit  l'influence  de  la    Vulgate.  Enfin 


I  54  REVUE    CRITIQUE 

dans  les  inscripiions  mciriqucs,  païennes  ou  chrétiennes,  la  syntaxe 
des  poètes  classiques  et  du  premier  siècle  se  retrouvent  avec  leurs 
formules. 

Voici  deux  ou  trois  observations.  P.  14,  M.  M.  constate  avec 
M.  Pirson  Textension  du  génitif  de  qualité.  Cela  est  naturel  et  ne  tient 
ni  à  l'époque  ni  au  milieu  social  ni  à  la  région.  Les  qualités  dont  on 
fait  l'honneur  aux  défunts  sont  des  qualités  permanentes,  essentielles, 
immuables  :  Vxori  rarissimi  exempli,  Feminae  incomparabilis pietatis 
{CIL.  II,  4146,  2436).  — P.  i5,  les  génitifs  relevés  ici  sont,  ainsi  que 
le  dit  M.  M.  des  extensions  du  génitif  possessif.  M.  M.  cite,  comme 
une  exception,  un  seul  exemple  d'ablatif  de  l'àge  :  Herennia  mortiia 
est  aetate  XV  an.  (ib.,  3471).  Il  ne  l'explique  pas.  C'est  une  de  ces 
exceptions  qui  confirment  la  règle.  Au  lieu  du  simple  chiffre  des 
années  au  génitif,  nous  avons  un  mot  général  aetas.  L'ablatif  aetate 
est  employé  dans  cette  expression  comme  spatio,  interuallo,  dans  les 
expressions  biJui  spatio,  septem  miliiim  interuallo  (voy.  Rikmann- 
Lejav,  Syntaxe  latine,  i^  71,  1°  et  2°).  —  Dans  chrismatis  uncta,  epis- 
copus  de  Sce  Marie  (Hiibner,  Inscr.  Hisp.  chr.,  464  et  472  ;  M.,  p.  16 
et  I  3),  est-on  sûr  que  l'auteur  a  eu  conscience  de  ce  qu'il  disait  ?  — 
P.  21,  M.  M.  s'embarque  dans  une  phrase  interminable  pour  expli- 
quer une  figure  de  rhétorique  qui  n'a  rien  à  voir  avec  la  grammaire 
scolaire  :  Nec  morte periit  sed  uibit  (=  iiiiiit)  sede perhenni  [Inscr. 
i/z'5/7.  c/îr.,  218).  On  ne  peut  traduire  plus  énergiquement  les  espé- 
rances chrétiennes.  —  P.  22.  Les  inscripiions  païennes  marquent  un 
progrès  de  l'ablatif  aux  dépens  de  l'accusatif,  en  Espagne  comme  par- 
tout, dans  l'indication  de  l'àge;  au  contraire  les  inscripiions  chré- 
tiennes témoignent  d'un  retour  offensif  de  l'accusatif.  Contraste 
curieux,  dont  M.  M.  ne  donne  pas  l'explication.  — P.  j^i:  Inscr. 
Hisp.  chr.^^ji  :  «  Hic  sunt  reliquiae  reconditae,  id  s(un)t  de  cruore 
d(omi)ni  »  etc.,  aurait  dû  être  cité  à  propos  de  l'accord. 

J.   D. 


Christliche  Antike.  Einfùhrung  in  die  altchristliche  Kunst.  Von  Ludwig  von 
Sybel.  Zweiter  Band.  Plastik,  Architektur  und  Malerei.  MitTitelbild,  drei  Farb- 
tafeln  u.  99.  Textbildern.  Marburg.  Elwert,   1909.  viii-34i  p. 

L'introduction  est  un  expose  du  problème  ;  Orient  et  Grèce; 
Grèce;  Rome  et  Orient.  Les  idées  de  Riegl,  de  Wickhoff,  de  Kraus 
et  de  Strzygowski  sont  surtout  discutées.  Dans  la  première  partie, 
la  plastisque,  M.  von  Sybel  étudie  longuement  les  sarcophages.  Il  les 
analyse,  les  classe  par  régions  et  par  époque,  et  conclut  :  l'art  de 
l'Asie  Mineure,  de  l'Italie  y  compris  les  sarcophages  à  colonnes  de 
Ravenne,  de  la  Gaule  du  Sud-Est  et  du  Nord  de  l'Afrique  représen- 
tent un  art  ancien,  dans  l'essentiel  le  style  du  Haut  et  du  Moyen 
Empire  romain.  L'art  syrien  et  copte,  l'art  tardif  de  Ravenne  et 
celui  de  la  Gaule  du  Sud-Ouest  forment  une  période  postérieure,  où 


d'hISTOIRK    Kl     DE    LITTÉRATURE  l55 

le  style  est  celui  de  la  décadence.  La  chronologie  doit  dominer  l'his- 
toire et  détruit  les  généalogies  de  types,  compliquées  et  à  première 
vue  invraisemblables  de  M.  Strzygowski.  A  cette  première  partie 
s'ajoutent  des  chapitres  secondaires  sur  les  objets  en  porphyre,  en 
ivoire  ou  os,  en  bois,  en  pierres  précieuses,  en  métal  et  en  terre  cuite. 
Certaines  de  ces  classes  d'objets  sont  traitées  sommairement,  ainsi  les 
gemmes.  C'est  une  spécialité  bien  fermée.  M.  von  S.  demande 
qu'un  savant  expert  s'occupe  des  pierres  gravées  chrétiennes.  Dans 
sa  bibliographie,  il  aurait  pu  citer  le  livre  de  M.  Rabelon,  La  gra- 
vure en  pierres  fines,  (:\m  donne,  p.  ijB-igi,  une  esquisse  du  sujet.  Au 
contraire,  les  ouvrages  en  ivoire  ont  la  part  du  lion  ;  M.  von  S.  cata- 
logue et  décrit  les  diptyques  et  les  pyxides.  Au  problème  de  la 
basilique,  il  applique,  son  principe  :  l'art  chrétien  n'est  pas 
fils  de  l'art  antique,  il  est  de  l'art  antique.  La  basilique  est  la  halle 
construite  à  côté  du  marché  en  plein  air,  et  dérive,  par  des  intermé- 
diaires grecs  encore  inconnus,  du  temple  égyptien  hypostyle.  L'autel 
était,  à  l'origine,  une  table,  essentiellement  mobile.  Le  chapitre  sur  la 
peinture  est  assez  court. 

Le  volume  se  termine  par  les  gravures  réunies  sur  une  série  de 
planches  à  part.  Elle  sont  excellentes.  L'ouvrage,  qui  est  muni  d'un 
bon  index,  peut-être  recommandé  comme  un  manuel  d'ancien  art 
chrétien.  On  n'en  acceptera  peut-être  pas  toutes  les  idées;  mais  il 
renouvelle  les  conceptions  sur  lesquelles  on  vivait  et  il  met  en  garde 
contre  des  hypothèses  aventureuses   ou  prématurées. 

S. 


Quellen  zur  Geschichte  des  Papsttums  und  des  Roemischen  Katholizismus 

von  D.  Cari  Mirut,  Professer  cicr  Kirchengeschichte  an  dcr  Universitaet 
Marburg,  Dritte  Auflage,  Tubingen,  Mohr  (Siebeck),  igii,  XXIV,  5i4  p., 
gr.  8°.  Prix  :   lo  f. 

Tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de  l'histoire  de  l'Eglise,  sachant 
l'allemand,  connaissent  sans  doute  et  ont  utilisé  déjà,  comme  un 
instrument  de  travail  commode,  le  recueil  de  Sources  pour  servir  à 
Vhistoire  de  la  papauté  et  du  catholicisme  romain  publié  par  M.  Mirbt, 
professeur  à  Marbourg.  C'est  un  compendium  portatif  et  pourtant 
assez  complet  des  textes  les  plus  importants  pour  l'histoire  des  doc- 
trines et  des  faits,  compilé  surtout  à  l'usage  des  étudiants  en  théologie, 
mais  qui  rend  aussi  d'utiles  services  aux  historiens  et  aux  jurisconsultes, 
quand  ils  ont  à  citer  certains  dicta  probantia  et  qu'ils  n'ont  pas  de 
bibliothèque  plus  considérable  sous  la  main.  Dans  cette  troisième  édi- 
tion, Tauicur  a  ajouté  un  assez  grand  nombre  de  textes  pour  l'époque 
contemporaine,  tout  en  ne  grossissant  pas  de  beaucoup  le  volume, 
ayant  élagué  quelques  pièces  moins  importantes  et  choisi  des  types 
d'impression  plus  menus.  On  sait  qu'il  débute  par  les  passages  de 
Suétone,  de  Tacite  et  de   Dion  Cassius  sur  les  persécutions  des  Juifs 


l56  RKVIJE    CRITIQUE 

à  Rome  sous  Claude  et  sur  celle  des  chrétiens  par  Néron  et  qu'il 
embrasse  tout  le  passé  de  l'Eglise.  Dans  cette  édition  nouvelle,  il  va 
jusqu'à  l'Encyclique  de  S.  Charles  Borromée  (1910)  et  jusqu'au  ser- 
ment anti-moderniste  imposé  aux  professeurs  des  facultés  catholiques 
(191 1).  En  tout,  la  collection  de  M.  M.  comprend  5j5  textes,  géné- 
ralement bien  choisis.  Il  y  a  joint  une  quarantaine  d'appendices  (avec 
des  textes  également  topiques),  une  liste  chronologique  des  papes  et 
un  index  [Sachregister]  très  détaillé.  Chaque  texte  est  reproduit  dans 
sa  langue  originale  (grec,  latin,  allemand,  français,  etc.),  avec  renvois 
sommaires  aux  sources  auxquelles  a  puisé  le  compilateur.  Le  recueil 
de  M.  M.  n'est  évidemment  pas  un  livre  de  lecture  courante  mais  il 
permet  à  tout  lecteur  intelligent  de  s'orienter  facilement  sur  les 
vicissitudes  doctrinales  de  l'Eglise  et  sur  les  principes  promulgués 
et  soutenus  successivement  par  le  Saint-Siège,  à  travers  les  siècles. 

E. 


Quellen  zur  Schweizergeschichte.  Neue  Folge.   II.   Abteilung   :  Akten   Bd  1. 
Dokumente   zur  Geschichte  des   Bûrgermeisters  Hans  Waldmann,   gesammelt 
und    herausgegeben    von    Ernst   Gagliardi.    Basel,    Adolf  Geering,    191 1,    ccii, 
445  p.  gr.  in-S».  Prix  :  17  fr. 

Parmi  les  personnages  restés  vivants  dans  les  souvenirs  des  popu- 
lations suisses,  l'un  des  plus  connus,  sinon  des  plus  sympathiques, 
c'est  le  bourgmestre  de  Zurich,  Jean  Waldmann  ;  il  a  marqué  à  la  fois 
dans  les  luttes  du  dehors  et  les  intrigues  politiques  du  dedans,  com- 
bat à  Morat  et  à  Nancy  contre  Charles  le  Téméraire,  négocie  avec 
Louis  XI,  avec  les  Habsbourgs,  avec  les  Visconti  de  Milan,  dirige 
pendant  quelques  années  la  république  zurichoise  en  maître  presque 
absolu  et  finit  par  succomber,  d'une  façon  vraiment  tragique,  sous  les 
efforts  combinés  des  paysans,  sujets  de  la  ville,  opprimés  et  des  patri- 
ciens comprimés  à  l'intérieur  de  la  cité.  M.  le  professeur  Ernest 
Gagliardi  nous  donne  dans  le  plus  récent  volume  du  grand  recueil 
des  Sources  pour  ïhistoire  suisse  une  espèce  de  Cartulaire  biogra- 
phique, si  je  puis  dire,  de  Hans  Waldmann,  ou  du  moins  de  la 
majeure  partie  de  son  existence,  en  y  joignant  une  introduction  de 
plus  de  deux  cents  pages,  qui,  dépassant  les  textes,  nous  la  raconte 
déjà  toute  entière,  jusqu'au  moment  de  son  supplice  (6  avril  1489.) 

On  ne  peut  pas  dire  que  le  personnage,  dans  l'intimité  duquel  nous 
pénétrons  ici  pour  la  première  fois,  soit  entièrement  sympathique. 
Né  vers  1435  dans  un  village  du  canton  de  Zug,  artisan  corroyeur,  il 
eut  une  jeunesse  tumultueuse  et  brutale  ',  s'engagea  comme  merce- 

I.  Ce  n'est  pas  comme  tout  jeune  homme  qu'il  se  livre  à  l'inconduite  la  plus 
grossière;  on  n'a  qu'à  parcourir  le  dossier  réuni  par  M.  Gagliardi  pour  constater 
qu'il  court  les  cabarets  et  les  bordels  et  échange  des  coups  d'épée  nocturnes  avec 
les  premiers  vauriens  venus,  alors  qu'il  jouait  déjà  un  rôle  politique  et  qu'il  viole 
les  règlements  officiels  quand  il  est  déjà  membre  du  Magistrat. 


d'histoire  et  de  littérature  i5j 

naire,   épousa   plus  tard  une  veuve  riche   mais    mal   famée,   marqua 
pour  la  première  fois,  comme  capitaine,  dans  la  guerre  de  Mulhouse 
(1468),  entra  cinq  ans  plus  tard  au  Conseil,  et  devient  très  populaire 
par  son  énergie  patriotique  durant  les  campagnes  contre  le  duc  de 
Bourgogne,  ses  ambassades  à  la  cour  de  France  et  h  celle  des  Vis- 
conti,    qu'on    lui    reprochera  plus  tard.    Devenu    bourguemestre  de 
Zurich,  il  gouverne  avec  une  clique  des  représentants  des  corpora- 
tions d'arts   et  métiers,  commet  des    illégalités  qui    restent  d'abord 
impunies  '  mais  dont  on  se  souviendra  plus  tard,   se  voit  accusé  de 
trahison  pour  avoir  négocié  avec  les  Habsbourgs  l'accord  du  14  sep- 
tembre   1487,   pour  avoir  sacrifié   les  Valaisans  aux   Visconti,  pour 
avoir  accepté  des  pensions  de  princes  étrangers,  etc.  Il  semble  bien 
que   Waldmann    se    soit    senti    au-dessus   des    lois,    un   surhomme 
(p.  cxLiii)  en  un  mot,  comme  l'appelle  l'éditeur,  ne  craignant  aucun 
danger,   au    moment   même   où    le   sort   va  le  frapper.   Une   simple 
mesure  de  police,  assez  légitime  en  elle-même,  amena  la  catastrophe. 
L'ordre  de  massacrer  tous  les  chiens  de  paysans  (qui  détruisaient  le 
gibier)  ameuta  contre  lui  les  populations  rurales  des  bords  du  lac  de 
Zurich,  qui  avaient  encore  d'autres  griefs  à  faire  valoir.  Des  commis- 
saires des  Eidgenossen  s'interposèrent  et  négocièrent  un  accord  avec 
les  révoltés;  Waldmann  eut  l'audace  de  le  modifier,  par  un  faux,  au 
détriment  des  paysans.  Ceux-ci,  furieux,  reviennent  assiéger  la  ville  ; 
les  nombreux  adversaires  intra-muros  du  bourguemestre  profitent  de 
l'occasion,    un    tumulte    devant    l'Hôtel-de-Ville    (i    avril     1489)    se 
change  en  révolution;  Waldmann  est  arrêté,  torturé  sans  pitié,   et 
finalement  décapité  devant  les  murs  de  Zurich,  en  présence  de  quinze 
mille  paysans  accourus  pour  assister  à  ce  spectacle,  et  de  la  popula- 
tion urbaine,  après  avoir  confessé  ses  fautes  et  demandé  les  prières 
des  assistants,  mais  sans  se  reconnaître  coupable   des  crimes  poli- 
tiques qu'on  lui  reprochait.  M.  G.  donnera  dans  un  prochain  volume 
les  mêmes  pièces,   relatives  à  l'année   1489  et  à  la  révolution  zuri- 
choise, dont  il  n'a  fait  qu'analyser  brièvement  le   contenu   dans  sa 
très  précise  et  très  consciencieuse  notice  biographique,  qui  rend  inu- 
tile désormais  toute  la  littérature  antérieure,  depuis  la  biographie  de 
Waldmann   par    Fuessli   (1780I   jusqu'aux   études    plus    récentes   de 
Daendliker  (1878-1880).   En   dehors  des  renseignements  infiniment 
plus  abondants  sur  la  vie  même  de  Waldmann  qu'offre  le  travail  de 
M.  Gagliardi,  il  a  le  grand  mérite  de  nous  retracer  cette  existence  en 
contact   intime   et   permanent  avec    l'histoire   générale   des   cantons 

suisses  à  cette  époque. 

R. 

I.  Avant  tout  la  scandaleuse  affaire  de  l'exécution  du  Lucernois  Frischhans 
Theiling  en  septembre  1487.  —  L'influence  politique  de  Waldmann  ne  semble  pas 
d'ailleurs  s'âtre  appliquée  à  modifier  les  lois,  mais  plutôt  à  en  suspendre  les  effets  ; 
après  sa  chute,  il  n'y  eut  pas  de  grandes  réformes  constitutionnelles . 


I  58  REVUE    CRITIQUE 

Festgabe  der  Berliner  juristischea  Fakultaet  fur  Otto  Giercke,  zum  Doktor- 
Jubilaciim,  21.  August  1910.  Breslau,  Marcus,  1910,  379,  5ii,  363  p.,  8°. 
Prix  :  43  f. 

Comme  le  titre  môme  l'indique,  ces  trois  volumes  représentent 
l'hommage  collectif  des  professeurs  de  la  faculté  de  droit  de  Berlin 
à  leur  collègue,  M.  Otto  Giercke,  qui  célébrait  le  21  août  19 10  le 
cinquantième  anniversaire  de  son  doctorat.  Des  vingt-deux  disser- 
tations, plus  ou  moins  étendues,  que  renferme  l'ouvrage,  la  grande 
majorité  ne  rentre  pas  dans  le  cadre  de  la  Revue  critique  et  nous 
serions  d'ailleurs  absolument  incompétent  pour  en  rendre  compte; 
c'est  aux  jurisconsultes  à  les  juger.  Le  tome  premier  est  consacré  à 
des  questions  de  droit  public,  droit  administratif,  droit  canon;  le 
second  à  des  mémoires  sur  le  droit  privé  et  la  procédure  civile  ;  le 
troisième  au  droit  international  et  aux  principes  dirigeants  de  la 
législation  comparée. 

Nous  mentionnerons  seulement  une  étude  très  intéressante  de 
M.  Henri  Brunner  sur  l'émancipation  résultant  pour  le  serf  de  son 
séjour  dans  une  commune  libre,  tant  en  Allemagne,  qu'en  France  et 
en  Angleterre  (I,  p.  1-45);  une  très  volumineuse  dissertation  de 
M.  E.  Seckel  sur  certaines  sources  du  droit  féodal  lombard  (I,  p.  47- 
168)  ;  une  étude,  un  peu  confuse,  de  M.  Ed.  de  Moeller  sur  le  passage 
du  Faust  où  Mephistophélès  parle  à  l'étudiant,  «  du  droit  qui  est  né 
en  même  temps  que  nous  »  (I,  p.  355-377).  Citons  encore  les  extraits 
faits  par  M.  Ad.  Stoelzel  d'un  registre  de  justice  de  Hanau,  147 1- 
1472  (II,  p.  3o3-34i);  une  étude  de  M.  K.  Dickel  sur  le  développement 
historique  du  droit  de  chasse  et  sur  les  obligations  de  ceux  qui 
l'exercent  (II,  p.  359-5  1 1)  ;  un  mémoire  de  M.  R.  Krauel,  La  Prusse 
et  la  liberté  des  marchandises  neutres  sur  navires  ennemis  (III, 
p.  1-18),  etc. 

E. 


Festschrift  zur  Feier^  des  hundertjaehrigen  Bestehens  der  Universitaet 
Breslau.  [Erster  Theil  :  Geschichte  der  Universitaet  Breslâu,  iSii-igir,  von 
Georg  Kaufmann.  Breslau,  Ferdinand  Hirt,  191 1,  XII,  255  p.  in-4'',  planches. 

L'Université  de  Breslau  célébrait  l'année  dernière  le  centenaire  de 
sa  création,  ou  plutôt  de  la  translation  de  l'Université  de  Francfort- 
sur-l'Oder,  en  Silésie.  Après  la  création  de  celle  de  Berlin,  en  1810, 
on  avait  jugé  avec  raison  que  l'antique  Viadrina,  fondée  dès  i  5o8,  était 
trop  rapprochée  de^la  capitale  prussienne  pour  rester  prospère  et  on 
l'avait  transplantée  à  Breslau.  Pour  célébrer  ce  transfert,  le  Sénat  uni- 
versitaire avait  chargé  l'un  de  ses  membres,  M.  Georges  Kaufmann, 
professeur  d'histoire,  de  rédiger  un  aperçu  sommaire  de  ce  récent 
passé.  Nul  mieux  que  M.  Kaufmann  n'était  à  môme  de  remplir  cette 
mission  ;  on  sait  qu'il  est  occupé  depuis  de  longues  années  à  écrire 
une  Histoire  des  Universités  allemandes  dont  deux  volumes  ont  déjà 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  I  D9 

paru   '.    D'après  les   dossiers  administratifs,    les    procès-verbaux   du 
Sénat  académique  et  des  différentes  facultés,  il  nous  donne  un  tableau 
vivant  de  cette  émigration  d'une  vieille  École  et  de  sa  réorganisation 
dans  une  des  plus  grandes  villes  du  royaume;  de  l'esprit  éclairé  qui  y 
présida;  de  l'appel  adressé  aux  savants   sans  égard  à  leur  situation 
confessionnelle  \  Il  expose  en  détail  tout  ce  qui  se  rapporte  à  la  créa- 
tion  des  chaires,  aux  traitements  des  professeurs,  aux  prérogatives 
universitaires;  il  nous  fait  faire  connaissance  avec  les  personnages  les 
plus  marquants  de  la  première  génération  du  corps  enseignant,  Cari 
von   Raumer,  le  pédagogue,  Frédéric  von  Raumer,  l'historien,  Hen- 
drilc  Sterfens,  le  philosophe  romantique,  le  philologue  classique  Pas- 
sow,  le  professeur  de  théologie  catholique  Dereser,  qui,  jadis  avait 
figuré  à  Strasbourg  dans  le  clergé  constitutionnel  du  Bas-Rhin.  Les 
débuts  de  l'Université  furent  modestes  au  point  de  vue  de  la  fréquen- 
tation ;  elle  comptait  environ  3oo  auditeurs  en  i8i  i  ;  le  mouvement 
patriotique  de   i8i3  faillit  la  supprimer;   plusieurs  professeurs  et  les 
trois  quarts  de  leurs  élèves  s'enrôlèrent,  et  dans  les  années  de  la  Res- 
tauration qui  suivirent,  la  prospérité  de  l'École  ne  se  marqua  que  fai- 
blement, par  suite  des  tendances  réactionnaires  du  gouvernement  et 
même  parfois,    du   corps    professoral.    Les    associations    d'étudiants 
étaient  interdites,  comme  celles  des  gymnastes,  quand  elles  manifes- 
taient des  tendances  libérales,  en  somme  bien  inoffensives,  en  vertu 
des  décisions  de  la  conférence  de  Carlsbad,   les  mœurs  brutales  des 
associations  conservatrices  et  rétrogrades  [Corps]  étaient  tolérées;  les 
professeurs   de  la   faculté   de   philosophie  (lettres  et  sciences)   déci- 
daient en   1817  de  ne  jamais  créer  un  juif  docteur  en  philosophie,  ce 
grade    académique    étant    une   dignité    essentiellement    chrétienne  1 
(p.   85).   Cet  esprit  conservateur  persista    jusqu'à   la   Révolution   de 
1848,  durant   toute  la  première  partie  du   règne  de  Frédéric-Guil- 
laume IV,  le  roi  piétiste,  qui  avait  en  horreur  les  libéraux  et  les  hégé- 
liens. Pendant  longtemps  l'Université  et  la  population  de  la  grande 
ville  industrielle  et  commerçante  avaient  vécu  assez  à  l'écart  l'une  de 
l'autre;  peu  à  peu  le  corps  enseignant  eut  quelque  emprise  sur  l'es- 

1.  Voy.  Revue  critique  du  14  juin  1897. 

2.  On  créa  une  double  faculté  de  théologie,  l'une  protestante,  l'autre  catholique. 
Pourtant  le  nombre  des  professeurs  protestants  fut  toujours  plus  considérable;  de 
professeurs  israélites  on  n'en  vit  qu'après  1848.  —  Pour  les  étudiants,  les  ^statis- 
tiques démontrent  que,  de  181 1  à  1861,  tout  au  moins,  il  y  eut  à  peu  près  équi- 
valence entre  les  deux  cultes  chrétiens  (sur  14,062  immatriculés,  on  en  compte 
6712  protestants,  643?  catholiques  et  — ce  qui  est  bien  curieux,  puisqu'ils  ne 
trouvent  aucune  carrière  ouverte  pour  eux  dans  l'État  prussien!  —967  israélites. 
Encore  qu'ils  soient  exclus  de  l'administration,  de  l'armée,  de  la  magistrature,  de 
renseignement,  qu'il  ne  leur  reste  guère,  en  fait  de  carrières  libérales,  que  la  pra- 
tique de  la  médecine,  ils  n'en  viennent  pas  moins  aux  Universités,  se  rendant 
compte  qu'il  faut  s'instruire  d'abord  pour  s'émanciper  ensuite,  et  qu'il  y  a  toujours 
profit  à  savoir,  car  Wissen  ist  Maclit. 


IhO  REVUE    CRITIQUE 

prit  public  et  nous  le  vfjvous  s'associer  aux  agitations  politiques  de  la 
Prusse  moderne,  mais  dans  un  esprit  modérément  constitutionnel  et 
point  du  tout  radical.  L'dniversitc  s'est  toujours  efforcée  de  rallier 
l'Allemagne  autour  de  la  Prusse,  même  à  une  époque  ou  l'opinion 
publique  d'outre-Rhin  ne  semblait  guère  favorable  aux  tendances 
absolutistes  des  Hohenzollern.  On  le  voit  parce  que  M.  K.  nous 
raconte  du  jubilé  du  cinquantenaire  en  aotit  1861,  et  de  l'adresse  pré- 
sentée au  roi  Guillaume  au  moment  où  éclatait  la  guerre  contre  l'Au- 
triche, en  1866.  Dans  la  seconde  période  du  xix«  siècle,  Breslau  ne 
compta  pas  moins  de  professeurs  célèbres  que  durant  la  première  ;  je 
nommerai  seulement  le  chimiste  Bunsen,  le  physicien  KirchhofT,  le 
médecin  Frerichs,  les  historiens  de  l'Eglise  Hermann  Reutcr  et 
Koestlin,  les  jurisconsultes  Gaupp  et  Wilda,  le  philologue  Riischl, 
l'historien  Rœppell  et,  le  plus  illustre  de  tous,  Théodore  Mommscn  ; 
la  plupart  de  ces  savants  ont,  il  est  vrai,  quitté  leur  chaire  à  Breslau 
pour  aller  professer  dans  d'autres  Universités.  En  1910,  il  y  avait 
i'ibg  étudiants  immatriculés  dans  les  différentes  facultés  et  le  budget 
universitaire  se  montait  à  2,343,000  marks,  alors  qu'il  n'avait  été  que 
de  3o2,ooo  marks  en  181  2. 

L'ouvrage  de  M.  Kaufmann  se  termine  par  un  chapitre  intitulé 
Problèmes  de  Vheure  présente,  où  l'on  trouvera  plus  d'une  pensée 
.  ingénieuse  et  hardie  sur  le  rôle  des  Universités  dans  l'avenir  et,  sur  la 
nécessité  de  les  défendre  contre  l'hypertrophie  croissante  de  Berlin. 
Un  second  volume,  que  nous  n'avons  pas  reçu,  contient  une  série  de 
monographies  sur  les  différents  organismes  académiques  (chaires  des 
facultés,  instituts,  séminaires,  etc.)  rédigées  par  les  représentants 
actuels  de  ces  groupes  ou  corporations  '. 

R. 

Wustrau,  Wirtschafis  =  und  Verfassungsgeschichte  eines  brandenburgischen  Rit- 
tcrgutes  von  Cari  Brinkmann.  Leipzig,  Duncker  u.  Humblotj  igii,II,  i63p.,8°. 

La  présente  dissertation  forme  le  cent-cinquante-cinquième  fasci- 
cule de  la  collection  des  Staats  ■=■  und  sociahvissenschaftliche  For- 
sehungen,  publiées  par  MM.  Gustave  Schmoller  et  Max  Sering. 
Wustrau  (dont  le  nom  slave  signifie,  à  ce  qu'il  paraît,  île)  est  un 
domaine  équestre,  situé  dans  le  cercle  de  Ruppin,  province  de  Bran- 
debourg, et  appartenant  à  la  famille  de  Schwerin.  C'est  à  la  demande 
du  propriétaire  actuel,  président  de  gouvernement  à  Francfort  sur- 
l'Oder,  que  l'auteur  a  reconstitué  l'histoire  économique  et  juridique 
de  ce  coin  de  terre,  d'après  les  documents  des  dépôts  publics  et  des 
archives  familiales.  On  peut  remonter  dans  le  passé  de  'Wustrau 
Jtisque  vers  le  milieu  du  xv^  siècle;  à  cette  époque  le  «  pays  »  appar- 
tenait à  trois  familles  seigneuriales,  dont  les  Zieten  étaient  déjà,  Au 

I.  P.  164,  il  faut  lire  inconnu  pour  unconnii.  P.  184,  lire  1844  pour   1884. 


h 


d'histoiric  f,t  de  littérature  i6i 

cours  des  guerres  du  xvi''  et  surtout  du  \vu'  siècle,  il  fut  terriblement 
maltraité  par  des  incendies  et  des  pillages  répétés;  fermiers  et  seigneurs 
firent  banqueroute  et  les  champs  restèrent  longtemps  en  friche  '.  Ce 
n'est  qu'avec  le  xviii*  siècle  que  commencent  des  «  améliorations  » 
encores  timides;  en  1720  Jean-Joachim  de  Zieten,  le  futur  général  de 
Cavalerie  de  Frédéric  II  entrait  en  possession  de  ces  terres;  peu  à  peu, 
grâce  à  ses  soins,  grâce  aux  «  douceurs  »  du  roi,  la  machine  agricole 
est  remontée,  le  domaine  s'arrondit  par  l'achat  des  parts  des  deux 
voisins.  L'auteur  étudie  plus  en  détail  l'etfet  (plutôt  nuisible  en  défi- 
nitive) des  ordonnances  du  21  octobre  1769  sur  la  réglementation  des 
parcelles,  et  du  14  septembre  1 807  sur  la  régularisation  des  domaines. 
Ces  échanges  obligatoires  entre  les  communes  et  les  propriétaires 
féodaux  ne  furent  terminés,  pour  Wustrau,  qu'en  1840.  Et  dix  ans 
plus  tard  le  nouveau  Regulirungsgeset\  du  2  mars  i85o  obligeait  à 
recommencer  des  arrangements  qui  ne  furent  complétés  qu'en  1903. 
Mais  aussi,  grâce  à  ces  échanges  et  à  ces  «  régularisations  »,  le  domaine 
de  Wastrau,  sur  lequel  tant  de  générations  avaient  végété  pénible- 
ment, quand  elles  ne  s'y  étaient  pas  ruinées,  était  devenu  rémuné- 
rateur, grâce  à  l'exploitation  surtout  de  ses  vastes  tourbières  %  et  c'est 
un  beau  cadeau  que  le  dernier  comte  de  Zieten  fit  en  i853,  à  sa  nièce 
Caroline  de  Schwerin,  en  lui  léguant  Wustrau  comme  fideïcommis. 
D'après  les  données  de  M.  Brinkmann,  il  n'a  cessé  de  prospérer 
depuis.  Lee  économistes  trouveront  dans  son  mémoire  une  foule 
d'indications  pratiques  dont  ils  feront  leur  profit. 

R. 


N.    JoRGA,   Brève    Storia    dei   Rumeni   con    spéciale   considerazione    délie 
relazioni   coll'  Italia.   Bucarest,  lypografia  Neamul-Roinaaesc,    191 1,  17G   p., 

8",  illustrations. 

Cet  opuscule  du  savant  professeur  à  l'Université  de  Bucharest, 
destiné  au  grand  public,  a  été  demandé  à  l'auteur  par  la  «  Ligue  de 
la  civilisation  »  roumaine,  à  l'occasion  des  fêtes  du  cinquantenaire  de 
la  création  du  royaume  d'Italie,  «  comme  hommage  d'un  peuple 
frère  et  ami  »  et  pour  amener  ces  deux  rameaux  du  tronc  latin  à  faire 
plus  ample  connaissance  '.  C'est  un  résume,  forcément  sommaire, 
des  destinées  des  régions  du  Bas-Danube  qui  constituent  aujourd'hui 

1.  Encore  en  1687,  sur  les  vingt-deux  fernries  du  domaine  de  Wustrau,  quatorze 
restaient  désertes. 

2.  RicMi  que  pour  la  vente  de  tourbe,  le  Rittergiit  réalisa,  de  i856  à  1884,  une 
somme  totale  de  779,406  thalers  (p.  iSg). 

3.  En  cli'ct,  jusqu'ici  les  rapports  directs  entre  Italiens  et  Roumains  ont  été 
plutôt  assez  rares,  puisqu'entre  eux  s'interpose  le  corps  massif  de  l'Autriche- 
Hongric.  Mais  comme  ils  ont  tous  deux  leur  Iiredenta  et  que  Roumains  de  Hon- 
grie et  Italiens  de  Triestc  et  du  Trentin  ont  à  se  plaindre  également  du  régime  des 
Habsbourgs,  cela  créera  peut  être  entre  les  deux  peuples  des  relations  plus 
i  ntimes  par  la  suite. 


102  REVUE    CRITIQUE 

le  royaume  de  Roumanie,  depuis  les  temps  de  la  Dacie  romaine 
jusqu'à  la  quarante-cinquième  année  du  règne  de  Carol  I.  On  n'y 
trouvera  ni  notes  érudiies,  ni  renvois  aux  sources,  comme  il  convient 
pour  un  écrit  de  vulgarisation  de  ce  genre.  Les  reproductions  des 
monuments,  vues  ou  portraits,  ne  donnent  pas  précisément  une  bien 
favorable  idée  de  la  technique  des  ateliers  roumains. 

E. 

TcuJor  DU  WvzKWA  et  Gcori^os  r>K  Saint-Foix  :  "W.  A.  Mozart,  Sa  vie  musicale 
et  son  œuvre,  de  l'enfance  à  la  pleine  maturité  (1756-1777).  Paris,  Pcrrin, 
2  vol.  in-8°  de  xvi-522,  et  452  p.  av.  8  portr.  et  3  f.  sim.  Prix  :  25  fr. 

Ce  livre  est  sans  précédent  en  France,  et  peut-être  même  en  aucune 
langue.  On  n'en  sera  pas  médiocrement  surpris,  car  on  croit  volon- 
tiers Mozart  très  connu.  Il  ne  l'est  pas  :  peu  de  maîtres  le  sont  même 
moins  que  lui.  On  se  figure  trop  facilement  qu'il  suffit,  d'une  part,  de 
le  suivre  dans  sa  vie  extérieure,  où  fleurit  l'anecdote,  de  l'autre,  d'étu- 
dier ses  principales  œuvres  et  d'y  admirer  son  génie.  Ce  sont  là  deux 
domaines  distincts,  qui  ne  s'expliquent  pas  du  tout  l'un  par  l'autre, 
et  qui  ne  nous  révèlent  nullement  la  seule  vraie  vie  de  Mozart  :  sa 
vie  musicale.  C'est  parce  qu'elle  a  été  devinée,  cherchée,  reconstituée 
ici,  cette  vie  musicale  ;  c'est  parce  que  désormais  l'histoire  de  Mozart 
et  de  son  activité  artistique,  au  moins  jusqu'à  sa  22''  année,  et  pen- 
dant toute  la  période  de  formation  de  son  génie,  se  trouve  complète- 
ment renouvelée,  que  l'ouvrage  que  nous  annonçons  est  si  considé- 
rable et  si  original  à  tous  points  de  vue.  De  fait,  on  chercherait  vai- 
nement une  étude  d'histoire  et  d'analyse  musicales,  où  la  critique,  la 
critique  de  première  main,  comparative  et  technique,  soit  plus  ser- 
rée, plus  approfondie,  plus  féconde,  nourrie  d'une  connaissance  plus 
abondante  et  plus  étendue  de  toute  l'ambiance  de  toute  l'œuvre  d'une 
époque,  éclairée  d'ailleurs  par  un  goût  plus  sûr  et  plus  fin,...  et  qui 
ait  des  résultats  plus  neufs. 

Il  y  a  de  longues  années  que  M.  de  Wyzewa  s'occupe  de  Mozart. 
On  se  souvient  des  articles  parus  en  1904  et  1905,  dans  la  Revue  des 
Deux-Mondes,  sur  la  jeunesse  de  l'enfant  génial.  On  fut  surpris  de 
tout  ce  qu'ils  apportaient  de  nouveau  :  c'est  que  l'éloquent  critique 
avait  revécu  jour  après  jour  ces  premières  années  d'existence  ;  il  avait 
voulu  aller  aux  mêmes  lieux,  évoquer  les  mêmes  impressions...  Et  en 
agissant  ainsi,  combien  n'avait-il  pas  été  récompensé  de  sa  peine  !  Posi- 
tivement, l'âme  de  Mozart  s'était  ouverte  à  lui;  il  y  avait  lu...  et  il 
s'était  rendu  compte  qu'on  la  connaissait  mal,  et  que  personne  n'avait 
su  en  dire  l'évolution  continuelle,  l'épanouissement  progressif,  la  for- 
mation même. 

Il  s'était  aperçu  qu'un  homme  de  génie  est  un  être  d'exception, 
pour  lequel  les  procédés  habituels  ne  sont  plus  de  mise,  et  qu'il  es^ 
des  cas  «  où  l'examen  trop  minutieux  des    événements  extérieurs  de 


d'histoire  et  de  littérature  i63 

la  vie  d'un  artiste,  non  seulement  ne  contribue  en  aucune  manière  à 
nous  faciliter  l'intelligence  de  son  œuvre,  mais  au  contraire  risque 
de  l'entraver,  ou  parfois  de  la  fausser  tout  à  fait.  >>  C'est  que  «  les 
hommes  de  génie  ont  le  pouvoir  de  vivre  une  existence  pour  ainsi 
dire  étrangère  ou  supérieure  aux  accidents  fortuits  de  leur  vie  privée, 
une  existence  où  leurs  rêves,  les  libres  créations  de  leur  cœur  ou  de 
leur  cerveau,  dépassent  infiniment  en  iniportanee  les  menus  hasards 
des  événements  que  nous  les  voyons  obligés  de  subir.  » 

Or  justement,  qu'apprend-on,  lorsqu'on  pénètre  très  avant  dans 
l'intimité  de  Mozart,  lorsqu'on  étudie  son  esprit  à  la  lueur  de  ses 
œuvres?  Que  les  questions  d'atavisme,  de  race,  d'éducation,  de  vie 
quotidienne,  ne  sont  plus  d'aucune  valeur,  ne  peuvent  rien  révéler 
de  la  source  secrète  de  son  inspiration,  et  que  pour  lui,  —  comme 
pour  d'autres,  quand  c'est  un  Rembrandt  ou  un  Beethoven,  —  la 
vraie  existence,  la  claire  réalité  des  choses,  c'était  sa  vie  intérieure,  le 
domaine  de  ses  visions.  De  son  «  drame  intime  »  les  péripéties  sont 
innombrables  et  passionnantes,  et  elles  se  sont  toutes  produites  sous 
des  impulsions  musicales  extérieures.  Son  avidité  d'apprendre  était 
sans  bornes,  mais  sa  nature  «  féminine  »  avait  besoin  de  recevoir 
d'ailleurs  l'élan  nécessaire  pour  engager  son  art  dans  des  voies  nou- 
velles, sauf  à  transfigurer  chaque  fois,  d'une  beauté  bien  autrement 
haute  et  originale,  les  idées  ou  les  procédés  qui  s'étaient  présentés  à 
lui.  Mozart  ne  vit  que  d'impressions  musicales,  ne  perçoit  des  choses 
que  leur  expression  musicale.  A  chaque  impression  ou  expression 
nouvelle,  il  est  frappé,  il  exulte,  il  s'assimile,  il  développe,  il  pousse 
à  l'extrême  les  moindres  ressources  découvertes;  et  toutes  ses  œuvres 
pendant  cette  période  sont  marquées  des  mêmes  traits,...  qui  dispa- 
raissent pour  faire  place  à  d'autres  dès  qu'une  nouvelle  influence 
s'est  imposée,  dès  qu'un  nouvel  enthousiasme  a  ouvert  à  ce  génie 
transformateur  une  voie  nouvelle.  Les  conséquences  de  ce  point  de 
vue  (que  l'expérience  affirme  rigoureux),  pour  l'étude  de  l'œuvre  de 
Mozart,  sont  considérables,  on  le  comprend.  Les  fantaisies  de  son 
inspiration,  comme  les  procédés  surpris  de  ses  compositions,  se 
groupent  ainsi,  s'éclairent  l'un  l'autre,  et  chantent  la  joie  féconde  de 
cette  âme  enchanteresse, qui,  de  tout  ce  qu'elle  touche,  entreprend  ou 
imite,  fait  jaillir  un  flot  original  d'idées  neuves. 

A  analyser,  à  conter  une  pareille  «  vie  musicale  »,  l'érudition,  on 
le  voit,  ne  suffit  plus.  Elle  suffit  d'autant  moins  que  la  simple  chro- 
nologie des  œuvres,  qu'elle  avait  établie  jusqu'à  présent,  comme  elle 
avait  pu,  bien  souvent  sur  de  vagues  traditions,  s'est  révélée  pleine  de 
méprises.  En  somme,  tout  était  à  faire,  lorsque  M.  de  Wyzewa,  au 
moment  d'entreprendre  ce  travail,  le  seul  utile  :  l'étude  directe  et 
approfondie  des  œuvres  mêmes,  a  eu  le  bonheur  de  rencontrer  l'ap- 
pui fidèle  et  précieux  d'un  autre  amateur  passionné  du  maître  de 
Salzbourg,  M.  de  Saint-Foix.  Mais  peu  d'investigations  devaient  être 


1  t)4  REVUE    CRITIQUE    d'hISTuIhIO     t T     uh     LITTÉRATURE 

aussi  fccoiidcs,  devaioni  apporter  au  chercheur  autant  d'clcmcnts  atta- 
chants et  nculs.  Ce  n'était  pas  assez  d'établir  enfin  et  pour  la  pre- 
mière fois  une  chronologie  certaine  de  ces  œuvres,  il  convenait  encore 
d'étudier  les  sources  où  avait  puisé  Mozart,  d'interroger  les  œuvres 
qu'il  avait  pu  lire  et  qui  avaient  pris  influence  sur  lui.  Ainsi  com- 
prise, l'histoire  de  l'œuvre  de  Mozart  est  devenue  celle  d'une  bonne 
partie  de  l'activité  musicale  de  cette  époque.  A  chaque  pas,  on  y 
trouve  une  étude  critique  sur  tel  maître  mal  connu,  un  Schobert,  un 
Chrétien  Bach,  un  Michel  Haydn,..,  dont  l'exemple  fut  essentiel  pour 
Mozart;  ou  bien  la  monographie  du  genre  dont  son  activité  s'est 
emparée  à  son  tour,  sonate,  symphonie,  variation,  sérénade... 

Cette  histoire,  qui  est  un  monde,  s'arrête  pourtant  à  la  22^  année 
de  la  vie  de  Mozart...  On  imagine  à  peine  ce  que  pourrait  être  la 
suite,  ainsi  conçue.  11  ne  faut  pas  oublier  toutefois  que  la  méthode 
nouvelle  qui  a  présidé  à  ces  investigations  était  surtout  utile  pour  la 
période  de  «  formation  »  du  jeune  artiste.  Une  fois  «  les  véritables 
éléments  intimes  de  son  génie  «  ainsi  établis,  on  peut  marcher  de 
confiance  avec  la  suite,  désormais  très  sûre,  des  œuvres,  et  les  tra- 
vaux auxquels  elles  ont  donné  lieu.  Jusqu'à  cette  date  de  1777,  les 
deux  volumes  sont  partagés  en  24  périodes;  chacune  d'elles  est  étu- 
diée d'ensemble,  puis  suivie  de  l'analyse  critique  des  œuvres  l'une 
après  l'autre.  C'est  donc  un  nouveau  catalogue  thématique,  histo- 
rique et  critique,  qui  est  le  cadre  de  l'ouvrage;  celui-ci  n'en  pouvait 
admettre  d'autre.  A  la  fin,  il  se  poursuit,  mais  pour  les  seuls  titres,  en 
10  périodes  encore,  jusqu'en  1791.  Après  quoi,  une  table  de  concor- 
dance rapproche  le  nouveau  numérotage  de  celui  du  catalogue  de 
Kôchel,  qu'il  convient  désormais  de  laisser  de  côté.  Enfin  des  notes 
spéciales  expliquent  l'absence,  au  cours  du  livre,  d'un  certain  nombre 
d'œ^uvres  inscrites  à  tort  comme  composées  par  Mozart. 

8  portraits,  dont  4  de  Mozart,  et  3  fac  similés  de  manuscrits,  ajou- 
tent leur  attrait  à  l'excellente  typographie  de  ces  2  gros  volumes. 

Henri  DE  CuRzoN. 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  — Séance  du  g  février  JQjp-  — 
M.  Gagnât  analyse  un  rapport  qui  lui  a  été  transmis  par  M.  le  général  Momier  et 
qui  a  pour  auteurs  MM.  le  commandant  Michelange'li  et  le  capitaine  Venet,  du 
6^  bataillon  colonial.  Ces  officiers  ont  reconnu  sur^l'Oued-Sebou  la  présence  de 
ruines  romaines  à  l'endroit  appelé  Sidi  Ali  hou  Djenoun.  11  y  avait  là  une  colonie 
romaine  Batmsa.  Des  fouilles  vont  être  entreprises  sur  ce  point  par  les  soins  du 
corps  expéditionnaire. 

M.  Jules  Martha  termine  sa  lecture  sur  l'interprétation  de  la  langue  étrusque.  Il 
montre,  par  des  exemples  tirés  du  texte  de  la  momie  d'Agram,  comment  on  peut 
analyser  les  divers  éléments  d'un  texte  étrusque.  11  termine  en  donnant  la  traduc- 
tion des  passages  les  mieux  conservés  de  la  momie  d'Agram.  Ces  passages  sont 
les  fragments  d'un  rituel  mêlé  de  conseils  pratiques  à  l'usage  des  navigateurs. 

LAcadémie  procède  à  l'élection  de  deux  membres  de  la  Commission  des 
chartes  et  diplômes,  en  remplacement  de  MM.  Léopold  Delisle  et  Auguste  Lon- 
gnon,  décèdes.  Sont  élus  MM.  Henri  Omont  et  Noël  Valois.  _ 

Léon  Dorez. 

L' imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 


Le  Puy-en-Yelay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 

N"  9  —  2  mars  —  1912 


Beccari,  Documents  sur  l'Ethiopie,  X.  —  Rûcker,  Les  homélies  de  Cyrille  d'Ale- 
xandrie sur  le  troisième  Evangile.  —  Arvanitopoullos,  Fouilles  en  Thessalie. 

—  RuBENsoHN,  Moulages  antiques  du  Musée  Pelizaeus.  —  Schnabel,  La  cor- 
dace.  —  RoBERTs,  Le  traité  de  Denys  d'Halicarnasse  sur  la  composition  des 
mots.  —  Brugmann,  L'enseignement  du  grec  et  du  latin.  —  Scheel,  Documents 
sur  le  développement  de  Luther.  —  Lewin,  Luther  et  les  juifs.  —  Harnack, 
Science  et  vie.  —  Vialay,  Les  cahiers  du  Tiers  Etat.  —  Handelsman,  Napoléon 
et  la  Pologne.  —  Hymans,  Frère-Orban.  —  Albin,  Les  grands  traités  politiques. 

—  Cavaignac,  Esquisse  d'une  histoire  de  France.  —  Saint-Léger  et  Sagnac, 
Appendices  aux  Cahiers  de  la  Flandre  maritime.  —  Annuaire  de  l'Université 
d'Athènes.  —  Académie  des  inscriptions. 


C.  Beccari,  Rerum  Aethiopicarum  Scriptores occidentales  inediti  a  saec.  XVI 
ad  XIX,  Rome,  C.  de  Luigi.  Vol.  X,  igio;  pp.  xvii-5o2,  avec  3  pi.;  vol.  XI, 
igi  I  ;  pp.  ix-562,  avec  3  pi.  (Prix  du  vol.  :  25  fr.) 

Avec  le  dixième  volume  de  sa  collection  le  P,  Beccari  aborde, 
I  sous  le  titre  de  Relationes  et  Epistolae  variorum,  la  publication  des 
nombreux  documents  qu'il  a  recueillis  dans  les  dépôts  d'archives, 
principalement  en  Portugal,  et  surtout  dans  les  archives  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus.  C'est  le  comple'ment  naturel  des  grands  traités  his- 
toriques édités  dans  les  huit  volumes  précédents.  Fidèle  à  son  titre, 
l'auteur  ne  publie  que  des  pièces  inédites.  Il  n'a  pas  reproduit  certains 
documents  découverts  par  lui,  mais  qui  ont  été  publiés  depuis,  on 
ne  sait  trop  pourquoi,  en  appendice  au  t.  VIII  des  Moniimejita  Igna- 
tiana;  il  se  borne  à  en  donner  la  liste  :  on  regrettera  qu'il  n'y  ait  pas 
ajouté  un  petit  sommaire.  Pour  mettre  un  peu  d'ordre  dans  cette 
longue  suite  de  lettres,  de  notes,  de  rapports,  l'éditeur*  les  a  partagés 
en  deux  séries  ;  la  première  comprendra  les  documents  qui  concernent 
l'époque  de  la  mission  des  Jésuites,  la  seconde  ceux  qui  se  rapportent 
à  la  mission  plus  récente  des  Frères  Mineurs.  Les  tomes  X  et  XI, 
que  nous  avons  sous  les  yeux,  contiennent,  classés  par  ordre  chrono- 
logique, les  documents  relatifs  aux  années  1 53g- 1623.  Des  deux 
volumes,  le  premier  est  de  beaucoup  le  plus  intéressant  ;  il  renferme 
iSj  pièces  relatives  au  temps  de  la  première  mission  en  Abyssinie 
(i  539-1 5g8),  sous  la  direction  du  patriarche  Oviedo.  On  y  trouve, 
tant  sur  l'histoire  de  la  mission  elle-même  que  sur  les  affaires  inté- 
rieures de  l'Ethiopie,  beaucoup  de  renseignements  qui  complètent, 
Nouvelle  série  LXXIII  9 


j(36  REVUE    CRITlQLi; 

et  qucUiucfois  rcciititiii,  ce  que  les  hisioriens  postérieurs  ont  rapporté 
do  cette  période;  surtout,  on  perçoit  plus  nettement  les  causes  qui 
entravèrent  le  succès  de  cette  tentative  :  inexpérience  des  mission- 
naires, inintelligence  de  la  vraie  situaiion  du  pays,  défaut  de  secours 
de  la  part  du  vice-roi  des  Indes.  Ix:  second  volume  ne  contient  que 
67  documents;  quelques-uns  sont  très  longs;  les  plus  nombreux  et 
les  plus  étendus  émanent  du  P.  Paez  ;  en  général  ils  ajoutent  fort  peu 
de  chose  à  ce  qu'il  a  consigné  dans  son  histoire  d'Ethiopie.  Les 
autres  pièces  sont  utiles  à  consulter  pour  la  confirmation  de  certains 
points  qui  demandaient  à  être  précisés.  L'éditeur  a  relevé  avec  beau- 
coup de  sagacité,  soit  dans  les  notes,  soit  dans  l'introduction  critique 
qui  précède  chaque  volume,  les  données  nouvelles  qui  méritaient 
d'être  signalées  aux  futurs  écrivains  de  l'Histoire  d'Ethiopie.  Parmi 
les  notes,  brèves  et  substantielles,  on  appréciera  celles  qui  four- 
nissent des  notices  biographiques  sur  les  auteurs  ou  destinataires  des 
documents;  la  plupart  de  ces  renseignements  sont  tirés  de  sources 
inédites,  et  même  inaccessibles  au  public.  Un  sommaire,  en  tête  de 
chaque  pièce,  une  table  alphabétique  à  la  fin  de  chaque  volume  faci- 
litent grandement  les  recherches. 

J.-B.  Ch. 


Die   Lukas-Homilien  des  Hl.  Cyrill  von  Alexandrien.  Ein   Beitrag von 

Ad.    RùcKER,    Domvicar   in   Breslau  ;    Breslau,    njii;    Gôrlich    et    Coch,    in-8°, 
pp.    102. 

On  sait  que  les  i56  Homélies  de  S.  Cyrille  d'Alexandrie  sur  le 
troisième  Évangile  ne  nous  sont  parvenues  dans  le  texte  original  qu'à 
l'état  fragmentaire,  tandis  qu'elles  sont  conservées  presque  intégra- 
lement dans  une  ancienne  version  syriaque.  Celle-ci  a  été  éditée,  puis 
traduite  en  anglais,  par  Payne  Smith,  dès  i858.  Une  nouvelle  édition, 
accompagnée  d'une  traduction  latine  que  Th.  Lamy  avait  préparée 
il  y  a  une  quarantaine  d'années  pour  la  Patrologie  grecque  de  Migne, 
était  sous  presse  dans  le  Corpus  Script.  Clirist.  Orient.  ;  la  mort  de 
l'auteur  en  a  retardé  jusqu'ici  l'apparition".  Entre  temps,  M.  Rucker 
nous  donne  sur  ces  homélies  une  étude  qui  peut  être  regardée  comme 
une  bonne  introduction  aux  éditions  qui  en  sont  dépourvues.  On  y 
trouve,  avec  la  littérature  du  sujet,  un  tableau  de  concordance  très 
complet  entre  les  fragments  originaux  conservés  et  la  version  syriaque. 
L'examen  des  passages  caractéristiques  qui  peuvent  servir  à  déterminer 
l'état  du  texte  biblique  dont  se  servait  S.  Cyrille  n'est  qu'une  légère 
contribution  à  une  étude  plus  vaste,  qui  devrait  être  basée  sur  l'en- 
semble des  textes,  fort  nombreux,  renfermés  dans  les  écrits  du  docteur 
alexandrin.  Ces  Homélies  ayant  surtout  un  but  moral  otïrent  moins 
de    ressources   que    ses  autres  ouvrages  pour  préciser  la   pensée  si 

I.  La  première  partie  paraîtra  dans  quelques  semaines. 


d'hisioike  et  de  litteratuke  167 

flottante  et  si  obscure  de  l'auteur  en  matière  de  christologie.  Comme 
appendice  (p.  87-94)  M.  RCicker  publie  (d'après  un  manuscrit  syriaque 
de  Berlin)  et  traduit  quelques  fragments  inédits  des  Homélies  '. 

J.-B.  Ch. 

Arvamtopouli.os,  Fouilles  et  Rscherches  en  Thessalie  pendant  l'année  1910. 
F'Zxtr.  des  Piaklika.   In-8",  p.  iGS-2(34,  fig    1-24.  Athènes,  SaUellarios,  1911. 

Les  recherches  en  Thessalie  pendant  Tannée  19 10  n'ont  pas  porté 
sur  moins  de  quatorze  localités  ou  chantiers  différents.  Sur  tous  ces 
points,  de  menues  découvertes  ont  été  faites  et  A.  les  expose  avec  un 
louable  souci  d'exactitude.  A  Larissa,  p.  173,  le  musée  a  été  invento- 
rié et  réorganisé.  A  Eurymenai,  p.  192,  intéressantes  inscriptions 
néo-grecques  ;  d'autres  à  Makryniisa,  p.  204  et  suiv.  A  Pagasai, 
p.  235,  la  seconde  tour,  qui  a  été  entièrement  dégagée,  renfermait 
comme  la  première  des  sièles  peintes.  La  recherche  d'un  fixatif  appro- 
prié a  retardé  la  publication  de  la  trouvaille,  qui  est  capitale  pour  l'his- 
toire de  la  peinture  grecque,  mais  le  zèle  d'A.  nous  est  garant  que 
nous  ne  l'attendrons  plus  longtemps  désormais. 

A.  DE    RiDDER. 


O.  RuBENSoiiN,  Hellenistisches  Silbergeraet  in  antiken  Gipsabgûssen.  Publ.  du 
Musée  Pelizaeus  à  Hildeshcini.  In-S",  p.  1-89,  pi.  I-XXI,  fig.  1-22.  Curtius, 
Berlin,  191 1.  Prix  25  m. 

L'année  aura  été  bonne  pour  la  toreutique  hellénistique.  En  même 
temps  que  le  catalogue  de  Perdrizet,  consacré  aux  bronzes  de  la  col- 
lection Fouquet,  paraît  l'ouvrage  où  R.  étudie  les  moulages  antiques 
du  Musée  Pelizaeus,  inauguré  à  Hildesheim   le  29  juillet  dernier.  Ces 
[plâtres,  trouvés  à  Mit  Rahineh,  sur  l'emplacement  de  l'antique  Mem- 
phis,  sortaient  du  quartier  des  orfèvres,  où  ils  avaient  vraisemblable- 
ment été  suspendus  comme  modèles,  dans  un  ou  plusieurs  ateliers. 
Les  moules  d'où  ils  avaient  été  tirés  avaient  été  sommairement  établis, 
au  moyen  de  terre  ou  de  cire  simplement  pressée,  mais,  ce  qui  est 
l'important,   avaient  été  pris  directement  sur  les  pièces  d'armure  ou 
d'argenterie  qui   passaient  sur    le  marché  de   Memphis.    Ces  chefs- 
d'œuvre  dont  on  voulait  conserver  l'image  étaient,  pour  la  plupart, 
déjà   montés,   comme  l'indiquent  les   rivets   dont    les    moulages  ont 
gardé  l'empreinte.    Quelques-uns    sont   archaïques   et   remontent  au 
vi*  siècle,  d'autres  peuvent  être  d'époque  romaine,   mais  la  plupart 

I.  M.  R.  n'a  pas  reconnu  le  rapport  qui  existe  entre  son  texte  (p.  90,  1.  21)  et 
l'homélie  XXIX  de  Payne  Smith  (p.  5,  1.  16).  En  réalité,  les  nouveaux  fragments 
contiennent  la  fin  de  l'hom.  XXVll,  le  début  de  l'hom.  XXVIII  et  la  fin  de 
l'hom.  XXIX  ([>uc,  VI,  24-25).  Corriger  d'après  cette  remarque  le  tableau  de  concor- 
dance p.  Sj-jîS  ;  ajouter  que  l'homélie  XXXIII  (Iaic,  vi,  41-45)  existe  entière  dans 
le  manuscrit  syr.  de  Londres  (quelques  feuillets  ont  été  retrouvés  postérieurement 
à  l'édition),  et  que  le  texte  édité  par  Payne  Smith,  p.  5,  19-6,  17,  appartient  à 
l'hom.  XXXII. 


l68  REVUE    CRITIQUE 

appartiennent  à  la  période  liellénistique  et,  d'après  Tévaluation  vrai- 
semblable de  R.,  vont  de  35o  environ  à  220  avant  notre  ère,  d'où 
leur  intérêt  tout  spécial  pour  l'histoire  de  l'orfèvrerie  et  de  la  toreu- 
tique.  A  ce  noyau  viennent  d'ailleurs  s'ajouter  un  certain  nombre 
de  moules,  une  pièce  modelée  directement  et  quelques  épreuves 
d'après  des  essais  d'artistes. 

Le  commentaire,  très  sobre  et  pour  lequel  M.  Zahn  a  fait  profiter  R. 
de  son  expérience,  fait  bien  ressortir,  pour  chaque  pièce,  l'orginalité 
du  monument  et  les  liens  qui  le  rattachent  tant  au  présent  qu'au  passé. 
L'ensemble  confirme  les  résultats  qu'avait  déjà  établis  l'étude  de  la 
numismatique  et  de  la  glyptique  :  on  y  voit  bien  la  supériorité  de 
l'art  hellénistique,  encore  large,  souple  et  vivant,  sur  les  copies 
sèches  et  sur  l'élégance  froide  delà  période  augustéenne.  —  P.  i3, 
singulier  médaillon  composite,  avec  une  guirlande  ionisante,  une  frise 
d'animaux  égypitsante  et  un  petit  bouclier  ridicule  auprès  de  la  tête 
d'Athèna.  P.  17,  moulage  d'une  œuvre  d'Epimachos,  lequel,  comme 
le  dit  très  bien  R.,  n'est  pas  nécessairement  un  artiste  indigène. 
P.  23,  tête  de  Ménade,  qui  ressemble  à  un  Gorgoneion.  P.  32,  le 
«  vase  »•  sur  lequel  s'appuie  le  bras  gauche  du  Satyre  paraît  une 
outre.  P.  37,  scène  champêtre  où  R.  reconnaît  des  rennes  :  s'il  a  rai- 
son, la  constatation  ne  serait  pas  sans  importance  pour  l'histoire  de 
l'«  exotisme  »  hellénistique.  P.  46,  tête  de  cheval  cornu,  invention  des 
Séleucides,  ce  qui  prouve  qu'il  y  a  des  centres  d'art  hors  de  l'Egypte. 
P.  37,  modèle  de  poids??  P.  49,  la  Nikè  se  retrouve  sur  une  am- 
phore d'Hildesheim,  qui  peut  provenir  de  Crète  ou  d"Egypte.  P.  55, 
rinceaux  ajoutés  et  cloués.  P.  59,  la  main  de  femme  paraît  étrange, 
mais  je  ne  vois  pas  d'explication  préférable.  P.  6 1 ,  les  têtes  de  lynx  sont 
communes  dans  l'orfèvrerie  antique.  P.  63,  la  femme  assise  rappelle 
des  figures  pareilles  sur  les  pyxis  d'ivoire.  P.  68,  Eros  au  thyrse. 
P.  69,  l'objet  ne  semble  pas  un  miroir  :  les  cabochons  de  verre 
étaient  d'un  fréquent  emploi  décoratif,  comme  le  prouve,  entre 
autres  monuments,  le  coffret  de  la  collection  Peytel.  P.  75,  certaine- 
ment romain.  P.  89,  écrire  Berthouville  au  lieu  de  Bernay. 

A.    DE    RiDDER. 


H.  ScHNABEr,.  Kordax,  archâologische  Studien  zur  Geschichte  eiiies  antiken 
Tanzes  und  zum  Ursprung  der  griechischen  Komôdie.  Munich,  Beck,  19 10;  iv- 
66  p.  et  2  planches. 

Cette  dissertation  se  compose  de  deux  parties.  Dans  Tune,  M.Schna- 
bel  recherche,  d'après  les  données  littéraires,  quels  étaient  les  princi- 
paiTx  mouvements  de  la  danse  lascive  appelée  xopoa;,  et  les  retrouve  sur 
une  amphore  du  Musée  de  Corneto;  dans  la  seconde,  il  discute  et 
interprète  les  représentations  de  ces  sortes  de  danses  sur  les  vases 
peints,  notamment  sur  un  cratère  corinthien  du  Louvre   et  sur  une 


d'histoire  et  de  littérature  169 

amphore  d'Athènes.  La  cordace  fnous  devrions  dire  le  cordace,  ô  y.ôp- 
oa;)  serait,  selon  lui,  une  danse  d'orit^ine  péloponnésienne,  intimement 
liée,  dans  les  temps  antiques,  au  culte  d'Artémis,  divinité  de  la  nature, 
ayant  pour  but  d'obtenir  la  fécondité  du  sol.  Quand  plus  tard  le  carac- 
tère d'Artémis  se  modifia,  le  sens  religieux  de  ces  gestes  lascifs  disparut, 
et  l'on  ne  vit  plus  que  leur  caractère  grossier.  Mais  la  cordace  eut  alors, 
en  tant  que  danse  religieuse,  un  prolongement  important  ;  elle  se  dé- 
veloppa, dit  M.Sch.,  en  un  drame  comique,  dont  la  signification  reli- 
gieuse se  perdit  peu  à  peu,  comme  celle  de  la  danse  elle-même,  de 
sorte  que  l'élément  profane  finit  par  prédominer,  et  que  les  mouve- 
ments qui  caractérisaient  cette  danse,  ainsi  que  les  attitudes  et  l'exté- 
rieur de  ceux  qui  les  exécutaient,  cessèrent  d'être  un  symbole;  ils 
n'eurent  plus  d'autre  valeur  que  celle  d'actes  nécessaires  dans  ce  genre 
dramatique,  destinés  à  provoquer  le  rire.  Ainsi  la  cordace,  passant  du 
Péloponnèse  à  Mégare,  puis  à  Athènes,  pénétra  dans  les  scènes  bur- 
lesques de  la  comédie  attique,  jusqu'à  ce  qu'Aristophane  en  restreignit 
l'usage  (cf.  Nuées,  540).  Toutefois,  elle  ne  disparut  pas  complètement, 
car  on  la  trouve  encore  mentionnée  par  des  écrivains  postérieurs  grecs, 
comme  Julien,  et  latins,  comme  Pétrone.  La  thèse  de  M.  Schnabel  ne 
tendrait  donc,  comme  on  le  voit,  à  rien  moins  qu'à  faire  de  la  comédie 
grecque  un  prolongement  de  la  cordace,  danse  et  mimique  rituelles; 
elle  est  ingénieuse,  et  l'on  jugera  que  l'auteur  possède  un  remar- 
quable talent  de  combinaison.  Mais  son  hypothèse  manque  de 
preuves  ;  il  s'appuie,  il  est  vrai,  sur  des  faits  et  des  textes  précis,  mais 
son  argumentation  repose  essentiellement  non  sur  ces  faits  eux-mêmes, 
mais  sur  l'interprétation  qu'il  en  propose. 

My. 


Dionysius  of  Halicarnassus  On  literary  composition,  being  the  greek  text  of 
\.hc  De  compositione  verbovnm,  cdi\.td  wiih  introduction,  translation,  notes,  glos- 
sary  and  appendices  by  W.  Rhys  Roberts.  Londres,  Macmillan,  1910;  xiv-358  p. 

Le  traité  de  Denys  d'Halicarnasse,  de  Compositione  verboj'um, 
est  l'un  des  ouvrages  de  critique  littéraire,  dus  à  des  Grecs,  dont  la 
publication  fait  le  sujet  des  travaux  de  M.  Roberts.  Ce  savant  a  donné 
en  effet  de  remarquables  éditions  du  Traité  du  Sublime,  des  trois 
lettres  littéraires  de  Denys,  et  du  de  Elocutione  de  Démétrius.  Nous 
avions  du  de  Compositione  un  texte  excellent,  celui  qui  parut  récem- 
ment dans  les  Opuscula  de  Denys  publiés  par  Usener  et  Rader- 
macher;  M.  R.,  toutefois,  n'a  pas  jugé  hors  de  propos  de  donner  son 
édition,  qui  était  en  préparation  depuis  plusieurs  années,  et  qui  d'ail- 
leurs répond  à  d'autres  besoins.  Ce  travail  n'est  pas,  à  proprement 
parler,  une  révision   du  texte,  bien  que  M.  R.  ait  à  nouveau    colla- 

I.  .le  note  en  passant  que  M.  Schnabel  est  moins  bon  helléniste  que  bon  archéo- 
logue :  ayant  l'occasion  de  citer  le  caractère  de  Théophraste  intitulé  'A-iiovoia,  il 
parle,  à  deux  reprises  dirtéreiitcs,  du  type  de  Và.-ô'to:ù^\  (p.    i5  et  65), 


I-fQ  REVUE    CRITIQUE 

lionne  le  Parisiniis  1741  'P\  et  que  ses  vues  diffèrent  légèrement  de 
celles  d'Usencr  relativement  à  la  valeur  de  ce  manuscrit  et  du  manus- 
crit de  Florence  F,  Laurentianus  LIX,  i  5)  ;  plus  importantes  sont  la 
traduction  en  anglais  ',  les  notes  critiques  et  explicatives  (il  en  est 
de  fort  intéressantes),  et  une  introduction  dans  laquelle  M.  R..  après 
avoir  résumé  le  de  Compositione,  étudie  avec  beaucoup  de  finesse  les 
qualités  du  style  qui  dépendent  de  l'ordre  des  mots  en  grec,  et  insiste 
avec  raison  sur  les  lumières  que  nous  apporte,  à  nous  modernes, 
pour  apprécier  Justement  les  anciens  auteurs,  l'ouvrage  du  technicien 
d'Halicarnasse.  Non  moins  utile  sera  le  glossaire,  qui  comprend  une 
cinquantaine  de  pages  ;  la  terminologie  de  Denys  est  très  variée,  et  il 
est  difficile  de  trouver  dans  les  dictionnaires  usuels  une  traduction 
précise  d'un  grand  nombre  de  ces  termes  de  rhétorique;  c'était  là  un 
complément  nécessaire  de  l'édition,  et  l'on  remerciera  M.  R.  d'avoir 
fait,  pour  ce  traité,  ce  qu'il  a  fait  dans  ses  publications  précédentes. 
Je  signale  les  principaux  passages  où  M.  Roberts  s'écarte  du  texte 
de  Usener.  Chap.  m,  p.  78,  1.  7  'fiJo—v.:  -oÀ/.a!  --.vs;  avec  les  manus- 
crits. U.  lit  raXatx-;  M.  R.  remarque  justement  que  vXwTTai  sont  ordi- 
nairement raXa'.aî  et  que  la  locution  rroXXo!  -;v£;  se  rencontre  ailleurs 
chez  Denys  ;  la  conjecture  est  donc  inutile.  IV,  94,  i3  -pojoaîr.v  codd. 
Une  conjecture  (comme  celle  de  U.  -pooSaTîv)  est  inutile  lorsque  la 
tradition  est  claire,  correcte  et  satisfaisante  quant  au  sens.  IV,  94,  16 
TTo-joi^e-v  P  et  autres,  U.  lit  T-oooâÇsaOat  avec  F  ;  c'est  ici  un  des  cas  où 
M.  R.  estime  que  U.  a  trop  de  propension  à  suivre  le  Laurentianus 
quand  il  est  seul  iV.  p.  57  et  cf.  p.  i  5  i  note  i  i  i.  V,98,  20  -îva  codd.  ; 
U.  conjecture  oTa  tiva.  XII,  i32,  22  M.  R.  défend  avec  raison  s';  -ôoe 
^pôvoo  contre  U.  £■;  tôos  -/-•  XXV,  268,  26  à-Txijrw;  codd.  ;  U. 
àTrralTTfo.  La  phrase  est^'.oXiov  à-TaÎT-w;  oupyôuEOa  icz:  -.i  y.x'.  -.iyz<.  àiri^T'o; 
à  première  vue,  l'adjectif  semble  préférable,  en  accord  avec  'il-.:  ;  M.  R. 
se  borne  à  dire  que  l'adverbe  va  mieux  avec  oi£pyjaî6:<  que  l'adjectif 
n'irait  avec  'i\i'.  zi  xa'  -zi/}:,  ce  qui  est  une  bien  faible  raison,  la  cri- 
tique des  textes  n'étant  pas  une  affaire  de  goût  personnel  ;  il  voit  juste, 
toutefois,  car  à  la  réflexion,  on  s'aperçoit  que  -.-.  s'oppose  à  la  correc- 
tion d'Usener. 

My. 

K.    Brugmann,   Der   Gymnasialunterricht  in  den  beiden    klassischen   Sprachen 
und  die  Sprachvvissenschaft.  Strasbourg,  Trûbncr,  1910;  32  p. 

Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  qu'il  y  a  un  conflit,  en  Allemagne,  entre 
la  linguistique  et  la  philologie.  Les  linguistes  estiment  que  les 
langues  grecque  et  latine  sont  mal  enseignées,  et  trouvent  qu'ils 
n'exercent  pas  toute  l'influence  désirable  sur  l'enseignement  gramma- 
tical dans  les  gymnases;  les  philologues  soutiennent  que  la  gram- 

I.  Les  passages  des  poètes  cités  par  Denys  sont  traduits  en  vers  par  M.  Way. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  I71 

maire  des  langues  anciennes  n'esi  qu'un  moyen  pour  étudier  les  textes 
littéraires,  et  que  IcséiuJcs  linguistiques  prennent  beaucoup  de  temps 
et  sont  à  peu  près  inutiles  dans  les  classes.  Dans  une  brochure  d'une 
trentaine   de  pages,   M.  Brugmann  intervient  pour  défendre  l'étude 
scientifique  du  latin  et  du  grec  dans  leur  évolution   et  leur  histoire. 
Il  est  étrange,  dit-il  'p.  7),  que  Ton  exige  des  candidats  au  professorat 
des  langues  vivantes,   allemand,   français,  anglais,  une  connaissance 
sérieuse  du  développement    historique   de  ces  langues,    et   qu'on    ne 
demande  rien  de  tel  quand  il  s'agit  des  langues  anciennes;  la  connais- 
sance de  la  grammaire  suffit.  Il  en  est  ainsi,  nous  dit-on,  en  Saxe,  en 
Prusse  et  en  Bavière  (cf.  la  note  page  7).  Et  ce  que  désire  M.  B.,  c'est 
que  le  maître  ait  une  solide  préparation  linguistique,  dont  il  se  ser- 
vira à  l'occasion  pour  soutenir,  vivifier  et   rendre  plus  fructueux  son 
enseignement  (p.  10).  Or  on  conçut  une  sorte  de   défiance  contre  la 
linguistique,  lorsque  la   nouvelle  école,  comme   on   l'appelait  alors, 
soumit   à    une  critique  sévère   la  méthode  en  cours   et  les  résultats 
acquis  antérieurement  ;  M,  B.  le  déplore,  tout  en  espérant  que  le  fossé 
qui  sépare  encore  la  philologie  classique   de  la  linguistique  se  com- 
blera avec  le  temps;  autrement,  dit-il  (p.  i5),  ce  serait  à  désespérer 
d'un  développement  sensé  de  la  première.  11  examine  alors  les  griefs 
des  philologues  et  les  principales  objections  qui  sont  faites  à  l'intro- 
duction de  la  linguistique  dans  l'enseignement  des  gymnases.  Il  n'a 
pas  de  peine  à  les  réfuter  :  il  n'est  pas  indispensable  d'avoir  recours 
au  sanskrit  pour  comprendre  l'évolution  du  grec  ou   du   latin;   c'est 
une   erreur  de  dire   que  la    linguistique    opère   sur    des    hypothèses 
incertaines;    erreur  encore   de  croire  que   les    linguistes  ne  sont  pas 
d'accord;  il  est   inexact  que  les   linguistes   ne  s'occupent  pas  de  la 
syntaxe,  etc.  (p.    17  svv.).  Je  crois  qu'au   fond  il   s'agit   plutôt   d'un 
malentendu  que  d'une  réelle  discordance  de  vues.  Il  fut  un  temps, 
qui    n'est  pas  encore  bien  loin   de  nous,  où  la  linguistique,  rénovée 
par  de  remarquables  esprits,  prétendit  être  seule  en  possession  d'une 
méthode  scientifique  pour  l'étude  des  langues  anciennes  ;  la  réaction 
ne   tarda  pas  à  se  faire  sentir.  Elle  alla  trop  loin,  comme  toutes  les 
réactions,  bien  que  Je   ne   pense  pas  que  la  linguistique  soit  encore 
actuellement,  comme  le   dit  M.   Brugmann,  la   plus  impopulaire  de 
toutes  les  disciplines  (p.  3  i)  ;  mais   l'équilibre  doit   se   rétablir.  Cette 
brochure   y  contribuera,  car  tout  y  est  généralement,  à  part  quelques 
personnalités,  bien  pensé  et  bien  dit. 

My. 

Dokumente  zu  Luther's  EntAvicklung  (bis)  i3ig)   herausgegeben  von  D.  Otto 
SciiEKi..  Tubingen,  Mohr  (Sicbcck),   191  i,  XI,    14G  p.  iu-S".  Prix   :  3  fr.  -jS. 

Ce  volume  fait  partie  d'une  Collection  de  sources  pour  Ihistoire 
de  l'Eglise  et  des  dogmes  qui  paraît  sous  la  direction  de  M.  le  pro- 
fesseur G.  Kriiger,  et  qui  vise  surtout  les  études  de  textes  entreprises 


I  -2  REVUE    CRITIQUE 

dans  les  séminaires  ou  conférences  des  facultés  de  théologie  alle- 
mande. Il  forme  le  neuvième  fascicule  de  cette  collection  et  renferme, 
en  cent  cinquante  pages  seulement,  326  pièces,  soit  in-extenso,  soit 
par  extraits,  relatives  au  développement  des  idées  théologiques  de 
Luther  jusqu'en  i5iq.  On  voit  qu'aucun  de  ces  documents  ne 
saurait  être  d'une  étendue  bien  considérable.  L'éditeur,  après 
une  introduction  explicative  et  une  bibliographie  sommaire,  nous 
les  présente  disposés  en  deux  séries  :  la  première  (p.  1-54)  com- 
prend Les  sources  du  deuxième  et  du  troisième  degré;  le  deuxième 
(p.  53-146)  les  sources  du  premier  degré,  les  plus  importantes. 
Pourquoi  cette  interversion  singulière?  Comment  un  texte  (pour  ne 
citer  qu'un  exemple)  écrit  par  le  D'  Paul  Luther,  le  lils  du  réforma- 
teur, en  I  582,  peut-il  être  sérieusement  cité  comme  preuve  des  dispo- 
sitions morales  et  intellectuelles  du  moine  augustin,  se  rendant  à 
Rome,  en  i5io  (p.  2)?  '.  L'idée  même  de  cette  compilation  de  témoi- 
gnages est  louable  et  le  volume  rendra  des  services  ;  mais  il  est  néces- 
saire de  faire  remarquer  qu'il  n'est  pas  complet,  tout  ce  qui  a  trait  à 
la  querelle  des  indulgences  en  i  5  1 7  étant  éliminé,  puisque  M.  Kœhler 
avait,  dès  1902,  fourni  là  dessus  un  premier  fascicule  à  la  collec- 
tion. Et  si,  à  côté  des  gloses  sur  Saint-Augustin  et  Saint-Thomas 
M.  Scheel  n'a  pas  utilisé  non  plus  les  notes  sur  les  soutenances  acadé- 
miques de  Wittemberg  avant  1  5  17,  c'est  que  M.  Stange  avait  égale- 
ment publié  déjà,  en  1904,  les  <(  Disputationes  ethicaeo.  Les  textes 
ont  été  reproduits,  partout  où  cela  a  été  possible,  d'après  celui  de 
l'édition  de  Weimar,  en  cours  de  publication.  —  On  regrettera 
l'absence  d'une  table  des  matières. 

E. 

Luthers  Stelluag  zu  den  Juden.  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  .luden  in 
Deutschland  waehrend  des  Reformationszeitalters  von  D"'  Reinhold  Lewin 
Berlin.  Trowitzsch  u.  Sohn,  191  r,  XVI,   iio  p.  8°.  Prix  :  5  fr.  5o. 

La  question  de  l'attitude  du  réformateur  de  Wittemberg  vis  à  vis 
des  Israélites  de  son  temps  a  déjà  été  traitée  bien  des  fois  depuis  que 
J.  G.  Walch  l'a  discutée  au  tome  XX  de  son  édition  des  œuvres  de 
Luther,  en  1747.  Pour  la  traiter,  l'auteur  a  consciencieusement 
dépouillé  la  littérature  afférente,  les  écrits  polémiques  et  la  corres- 
pondance de  Luther  qui  ne  renferment  que  trop  de  passages  dans 
lesquels  il  s'exprime  sans  aucun  esprit  de  charité  à  l'égard  des  Juifs. 
Dès  i5i3,  à  l'occasion  des  querelles  de  Reuchlin  avec  Pfeffercorn, 
il  formule  des  observations  peu  sympathiques  et  doute  de  leur  apti- 
tude à  se  convert-ir.  Sa  connaissance  directe  des  Israélites,  ses  rela- 
tions personnelles  avec  les  représentants  de  la  Synagogue  ne 
semblent  dater  cependant  que  de    i52i,  où  il  reçut  la  visite  de  deux 

I.  On  trouvera  singulier  aussi  que  l'éditeur  affirme  (p.  iv)  la  nécessité  de, donner 
parfois  des  sources  de  valeur  douteuse,  afin  de  former  le  jugement  des  élèves. 


d'histoire  et  de  littérature  173 

rabbins  qui  voulaient  évidemmcni,  comme  on  dit  vulgairement,  lui 
tàter  le  pouls.  Il  paraîtrait  avoir  cru,  à  ce  moment-là,  à  la  possibilité 
de  les  amener  à  l'Evangile:  c'est  alors  qu'il  écrivit  (en  i523)  sa  bro- 
chure :  Dass  lesus  Cliristiis  ein  geborcner  lude  sey  qui,  en  cette  seule 
année,  eut  neuf  éditions  allemandes  et  fut  traduite  plusieurs  fois  en 
latin.  Mais  ces  dispositions  plus  favorables  ne  durèrent  pas;  dès 
i525,  Luther  en  était  à  croire  que  les  Juifs  voulaient  l'empoisonner, 
et  jusqu'en  i536  il  parle  des  expériences  malencontreuses  faites  sur 
leur  compte.  Dans  ses  Propos  de  table  mainte  anecdote,  mainte 
parole  amère  stigmatise  leur  ignorance  ou  leur  fausseté.  En  i537 
nous  le  voyons  engagé  dans  une  polémique  violente  contre  le  rabbin 
Josel  de  Rosheim,  en  Alsace  '  ;  l'année  d'après  il  publie  sa  Lettre 
contre  les  Sabbatariens  ;  en  iSSg,  il  écrit  à  un  prédicateur  de  Bres- 
lau,  de  se  garer  des  Juifs  ;  «  ce  sont  les  dents  les  plus  aiguës  du 
Serpent  lui-même  »...  «  Je  ne  puis  convertir  les  Juifs,  N.  S.  Jésus- 
Christ  ne  l'a  pas  pu  davantage,  mais  je  puis  leur  boucher  la  gueule!  » 
En  1543,  nouvelle  brochure  :  Des  Juifs  et  de  leurs  mensonges  (men- 
teurs sont-ils  car  ils  ne  cessent  d'attirer  à  eux  les  chrétiens!)  ;  on  y 
lit  «  qu'il  faut  brûler  leurs  synagogues  et  leurs  livres,  les  forcer  à  un 
travail  manuel,  ou  mieux  encore,  comme  en  France,  en  Espagne,  en 
Bohème,  les  e"xpulser  tous!  »  S'il  s'exprime  ainsi,  c'est  qu'il  est 
poussé  par  la  foi  et  le  souci  de  l'honneur  de  Dieu,  car  les  Juifs  sont 
un  amalgame  de  bandits  {eine  Grundsuppe  aller  losen  Bubenj,  pires 
que  Tartares  ou  Tsiganes,  qui  volent  les  enfants,  empoisonnent  les 
puits,  font  de  l'usure,  etc.  Je  m'arrête;  M.  Lewin  poursuit  encore 
longtemps  ses  extraits,  riches  en  déclarations  absurdes  et  en  indignes 
brutalités.  Il  faut  dire  pourtant  que  tout  le  monde  n'approuvait  pas 
ce  langage  et  que  Bullinger,  par  exemple,  le  théologien  zurichois, 
déclarait,  à  ce  propos  que  Luther  écrivait  impurissime  et  qu'en  lui 
renaissaient  Pfeffercorn  et  Hochstraten.  Cette  antipathie  du  réfor- 
mateur ne  cessa  qu'avec  sa  vie  ;  encore  quelques  semaines  avant  sa 
fin,  il  se  prononçait  contre  les  Juifs  d'Eisleben  et  longtemps  après  sa 
mort  il  restait,  pour  ses  adversaires  comme  pour  ses  coreligionnaires, 
un  des  témoins  classiques  de  l'antisémitisme  général  à  cette  époque. 

E. 


Adolf  Harnack    Aus    Wissenschaft    und     Leben.     Giessen,   A.   Toepelmann, 
191 1,  VIII,  356,  VI,  348  p.  in-8».  Prix  :  12  fr.  5o. 

Personne  n'ignore  parmi  nous  que  M.  Ad.  Harnack,  professeur  à 
la  faculté  de  théologie  de  Berlin  et  conservateur  de  la  Bibliothèque 
royale,  est  un  des  plus   éminents   représentants  de  la  science  dans  la 

I.  C'est  sans  doute  en  opposition  contre  le  chef  de  l'hérésie  luthérienne  que 
Charles-Quint  accorda  en  i543  de  nouveaux  privilèges  aux  Israélites  de  l'Em- 
pire, à  la  demande  de  Rabbi  losel  de  Rosheim,  ce  qui  n'empêcha  pas  de  les 
poursuivre  en  Saxe  et  en  Hesse. 


1^4  REVUE    CRITIQUE 

capiialo  Je  rEmpirc,  mais  beaucoup  ignorent  sans  doute  que  ce 
savant,  loin  de  se  renfermer  dans  la  fameuse  «  tour  d'ivoire  »  de  la 
science,  aime  à  dire  sa  façon  de  voir  sur  les  hommes  et  les  choses  du 
jour  et,  qu'en  dehors  de  ses  travaux  d'érudition,  il  fournit  volontiers 
de  la  copie  aux  revue?  et  même  aux  journaux  politiques  du  dedans  et 
du  dehors.  Le  même  éditeur  a  déjà  fait  paraître  de  lui  un  premier 
recueil  de  ces  pages  détachées,  sous  le  titre  :  Redcn  und  Aufsaet\e. 
Les  deux  nouveaux  volumes  que  nous  devons  annoncer  ici  sont 
intitulés  Science  et  Vie  et  comprennent  une  cinquantaine  d'articles 
de  longueur  diverse,  mémoires,  rapports,  discours  académiques, 
articles  de  journaux,  composés  dans  les  dix  dernières  années,  et  con- 
sacrés à  des  sujets  très  variés  '.  On  y  trouvera  des  études  très  inté- 
ressantes sur  l'organisation  des  grands  laboratoires  à  l'Université  de 
Berlin,  sur  la  réorganisation  de  l'enseignement  des  jeunes  filles,  sur 
le  développement  de  la  Bibliothèque  royale  ';  des  articles  d'économie 
sociale  et  de  politique  ^  ;  des  articles  plus  nombreux  sur  le  passé  et  le 
présent  de  l'église  catholique  {Protestants  et  catholiques  en  Alle- 
magne, Foi  et  liberté  scientifique,  Origine  de  la  papauté^  LEncy- 
clique  sur  S.  Charles  Borromée,  etc.)  On  y  trouvera  aussi  des  articles 
relatifs  aux  controverses  dans  l'Eglise  évangélique  de  Prusse  (sur  la 
Lettre  de  l'empereur  Guillaume  d  l'amiral  Hollmann,  concernant  la 
divinité  de  Jésus-Christ  et  l'autorité  de  la  Bible,  ou  sur  le  nouveau 
Spruchcollegium  ou  tribunal  delà  foi  qui  vient  de  destituer  le  pasteur 
latho,  de  Cologne),  et  l'on  désirerait  lui  voir  un  peu  plus  d'énergie 
libérale,  vis-à-vis  des  puissances  du  jour  ^ 

M.  Harnack  traite  en  outre  une  foule  de  sujets  divers.  On  trou- 
vera dans  ses  volumes  des  choses  très  sensées  sur  la  surproduction 
scientifique  en  Allemagne,  qui  dépasse  encore  de  beaucoup  la  nôtre, 
des  manières  de  voir  assez  naïves  sur  la  simplification  de  l'existence 
actuelle  \  des  opinions  qu'on  peut  même  qualifier  de  singulières 
comme  cette  page  où  il  exprime  quasiment  le  regret  que  les  laïques 
s'intéressent  aux  questions  ecclésiastiques,  ce  qui  ne  lui  semble  nul- 
lement désirable  (II,  p.  i5i).   L'auteur  se  trouve  sur   un  terrain  plus 

1.  Ils  ont  paru  dans  les  Preussische  Jalirbûcher,  le  Tag,  la  Taegliche  Rundschau, 
la  Neuefreie  Presse,  la  Deutsche  Revue,  la  Frankfurter  Zeitung,  la  Nation,  la 
Christliche  W'elt,  etc.,  etc. 

2.  On  nous  y  apprend,  entre  autres,  qu'elle  reçoit,  régulièrement,  8200  pério- 
diques. 

3.  L'impôt  sur  les  successions,  sur  Bismarck,  sur  l' Allemagne  et  l'Angleterre, 
sur  Carnegie,  etc. 

4.  On  a  peine  à  comprendre  comment,  pour  lui.  des  paroles  impériales, 
découle  le  droit  absolu  de  la  pensée  libre  (H,  67)  et  la  façon  dont  il  s'exprime 
sur  le  Spruchcollegium  (11,  102,  108,  126)  montre  combien  peu  ce  théologien, 
qu'on  traite  volontiers  de  radical,  est  peu  avance  sur  le  terrain  pratique. 

5.  11  engage  par  exemple  tous  les  jeunes  mariés,  riches  ou  pauvres,  à  entrer  en 
ménage  sans  aucune  bonne  (I,  p.  i25).  Je  ne  sais  pas  si  pareille  innovation  ne 
mettrait  pas  fin,  très  brusquement,  à  bien  des  lunes  de  miel. 


d'histoire    et    de    LITTÉRATURt  I7D 

solide  et  plus  familier  dans  ses  études  sur  le  chrisiianisme  primitif 
(Jésus  a-t-il  vécu  ?  le  Socialisme  de  Jésus,  La  critique  des  Evangiles, 
etc.)  Une  série  d'homélies  laïques  [Festbetrachtungen]  sur  Noël, 
Pentecôte,  etc.  permettent  d'apprécier  M.  H.  comme  orateur  reli- 
gieux, l.e  recueil  est  clos  par  une  série  de  notices  nécrologiques,  sur 
l'impératrice  Victoria,  Théodore  Mommsen,  O.  de  Gebhart,  le  phi- 
losophe Paulssen  et  autres  personnages  moins  connus.  On  quitte  la 
lecture  de  ces  pages  variées,  qui  poussent  à  réfléchir,  même  quand 
on  ne  les  approuve  pas,  avec  un  redoublement  d'estime  pour  le  savant 
qui  se  repose  en  de  pareilles  causeries  de  ses    recherches  érudites  et 

de  ses  labeurs  professionnels. 

R. 


Amcdéc  ViAi.Av,  Les  cahiers  de  doléances  du  Tiers  Etat  aux  Etats  Généraux 

de  1789.  Etude  historique,  économiqueet  sociale.  Préface  deM.  René  Stourm. 
Paris,  Perrin.  191  r,  in-i6  de  ^62  p.  3  fr.  5o. 

J'ai  le  regret  de  le  dire,  cet  ouvrage  m'a  profondément  déçu.  Je 
comptais  y  trouver  une  analyse  méthodique  et  complète  des  vœux 
des  cahiers  Jusqu'ici  connus,  une  nouvelle  édition  revue,  corrigée  et 
augmentée  des  ouvrages  de  MM.  Edme  Champion  et  Roger  Picard. 
Or,  l'analyse  des  cahiers  ne  tient  dans  le  volume  de  M.  Vialay  qu'une 
place  infime.  Les  citations  qu'il  leur  emprunte  ne  sont  là  qu'à  titre 
d'e.xemples  ou  d'arguments  à  l'appui  d'une  thèse,  la  thèse  du  libéra- 
lisme économique.  Le  fond  du  livre  est  un  tableau  à  vol  d'oiseau, 
d'après  les  ouvrages  de  seconde  ou  de  troisième  main,  des  principales 
institutions  de  la  France  monarchique  :  impôts,  dîmes,  droits  féo- 
daux, etc.    Une   dissertation    aussi    générale   et  aussi    tendancieuse 

n'apprend  rien  à  l'historien. 

A.   xMz. 


M.  Handelsman,  Napoléon  et  la   Pologne  (1806-1807).  Paris,  Alcan,  1909,  iii-S" 
280  p.,  5  fr. 

Ce  livre  semble  un  fragment  détaché  d'une  étude  plus  importante. 
Il  commence,  sans  introduction,  par  un  chapitre  intitulé  :  à  Berlin 
qui  nous  met  tout  de  suite  in  médias  res,  et  s'achève,  sans  conclusion, 
par  ces  mots  :  «  Le  premier  acte  des  rapports  directs  entre  Napoléon 
et  la  Pologne  était  terminé  ».  L'auteur  semble  avoir  eu  tout  ce  qu'il 
fallait  pour  bien  traiter  ce  sujet  intéressant  entre  tous  ;  il  sait  les 
langues  russe  et  polonaise,  il  a  fait  des  recherches  dans  nos  archives 
—  en  négligeant,  à  tort,  celles  de  la  Guerre,  —  il  dispose  des  docu- 
ments prussiens  ou  polonais  publiés  par  ses  devanciers,  il  s'est 
informé  aussi  à  Varsovie,  à  Rapperswyl,  etc.  Mais  il  ne  s'élève  pas 
assez  au-dessous  des  docuiTienis  dont  il  se  sert;   il  s'égare  dans  les 

I.  P.  219,  note,  lire  Bridrey  et  non  Bri«drcy  ;  p.  3oo,  lire  Boiteau  et  non 
Boi/cau. 


I-Ô  REVUE    CRITIQUE 


démils;  la  composition  de  son  livre  est  souvent  lâche  et  incertaine;  il 
n'arrive  pas  à  faire  vivre  ses  personnages,  fauic  de  les  présenter  au 
lecteur,  de  dégager  des  textes  où  elles  s'expriment  leurs  passions  et 
leurs  idées.  Après  avoir  lu  ce  livre  sur  Napoléon  ci  la  Pologne,  on 
ne  garde  pas  une  impression  nette  des  vues,  même  changeantes,  de 
Napoléon  envers  les  Polonais.  Le  travail  de  M.  H.  est  consciencieux, 
impartial,  sa  recherche  acte  attentive,  heureuse  souvent  ;  son  livre 
n'est  pas  lohncnd,  il  ne  récompense  pas  le  lecteur  de  l'effort  qu'il  doit 
faire  pour  suivre  le  récit.  A  la  fin,  on  trouve  en  appendice  des  docu- 
ments :  mémoires  sur  la  Pologne,  rapports  diplomatiques,  etc.  Aux 
premières  lignes  de  ces  écrits  on  découvre  un  plan  précis,  une  char- 
pente du  développement.  Ces  documents  annexes  paraissent  plus 
clairs,  plus  démonstratifs,  plus  vivants  que  le  texte  qui  les  précède. 
Ce  devrait  être  l'inverse.  L'ouvrage  sera  utile  cependant,  par  ses 
analyses  de  correspondances  et  de  mémoires,  par  le  résumé  de  la 
Constitution  du  grand  duché  de  Varsovie  qui  s'y  trouve,  par  l'abon- 
dante bibliographie  qui  le  termine.  Un  index  alphabétique  soigneu- 
sement fait  facilitera  les  recherches. 

R.   GUYOT. 


Paul    Hymans   Frère-Orban,    i.    II.     Bruxelles,    Lebègue,    s.    d.    in- 8°.  xi-?6o  p. 
(portr.). 

Dans  ce  second  volume,  auquel  il  a  donné  comme  sous-titre  :  La 
Belgique  et  le  secojîd  Empire,  M.  H.  ne  donne  qu'un  assez  bref 
résumé,  d'après  des  sources  connues,  des  événements  antérieurs  à 
1868.  Frère-Orban  fut  membre  du  cabinet  belge  dès  i858,  mais  c'est 
seulement  après  1866  que  son  rôle  devint  prépondérant  dans  les 
affaires  extérieures.  Il  resta  entièrement  ignorant  des  négociations 
franco-prussiennes  où  le  sort  de  la  Belgique  fut  un  moment  agité,  à 
Biarritz,  à  Nikolsbourg  et  à  Berlin.  Il  ne  paraît  pas  avoir  su  grand'- 
chose  de  l'affaire  du  Luxembourg,  et  ce  que  les  documents  utilisés 
par  M.  H.  contiennent  à  ce  sujet  a  déjà  été  indiqué  par  Discailles 
dans  son  livre  sur  Charles  Rogier  :  on  sait  que  les  Belges  avaient 
trouvé  au  différend  franco-prussien  relatif  au  Luxembourg  une  solu- 
tion toute  simple  :  annexer  le  grand  duché  à  la  Belgique,  après  y  avoir 
en  secret  provoqué  un  mouvement  populaire.  La  partie  nouvelle  et 
importante  du  livre  se  rapporte  à  l'affaire  du  chemin  de  fer  de  Liège 
à  Luxembourg,  que  la  compagnie  française  de  l'Est  voulut  acheter 
en  1869  et  qu'elle  dut  renoncer  à  acquérir  sur  l'opposition  formelle 
de  l'Angleterre,  qui,  appuyée  discrètement  par  la  Prusse,  poussait  la 
Belgique  à  la  résistance.  Frère-Orban,  après  avoir  fait  voter  une  loi 
de  circonstance,  et  quelque  peu  rétroactive,  pour  empêcher  la  vente 
du  chemin  de  fer,  vint  à  Paris  négocier  l'affaire  avec  les  ministres 
français  et  avec  Napoléon  III.  Il  ht  preuve  d'une  fermeté  et  d'un 
savoir-faire  que  mettent  bien    en  valeur  les  nombreuses  correspon- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  I  77 

dances  inédites  publiées  par  M.  H.  Il  montra  aussi  beaucoup  de 
fierté—  et  son  biographe  le  fait  après  lui  —  d'une  victoire  diploma- 
tique dont  le  mérite  revient  surtout  à  l'Angleterre,  si  vraiment  il  s'est 
agi  en  cette  atiaire  d'habileté  diplomatique,  et  non  pas  seulement 
d'une  question  de  force  et  d'une  menace  de  guerre.  En  tout  cas,  on 
ne  pourra  négliger  le  récit  fait  par  M.  H.  ni  les  documents  qu'il 
publie. 

Le  livre  est  bien  composé  et  écrit  agréablement.  Il  est  inspiré  par 
un  patriotisme  très  vif  et  assez  soupçonneux,  du  moins  envers  les 
voisins  français  de  la  Belgique.  Il  se  termine  par  un  passage  où 
l'auteur  semble  souhaiter  pour  l'avenir,  comme  moyen  de  sécurité  et 
de  prospérité,  une  entente  économique  et  militaire  hoUando-belge. 
M.  H.  en  est  venu  apparemment  à  penser,  lui  aussi,  que  si  la  Belgique 
possédait  encore  un  homme  d'Etat  digne  d'être  surnommé  Barre-de- 
fer,  comme  Frère-Orban,  elle  devrait  l'envoyer  ailleurs  qu'à  Paris 
faire  montre  de  ses  talents. 

R.  G. 

Pierre  Albin.  Les  grands  traités  politiques.  Paris,  Alcan,   1911,  in-S",    670  p., 
10  fr. 

Le  recueil  de  M.  Albin  n'est  pas  destiné  aux  historiens,  mais  plutôt 
aux  juristes,  aux  diplomates,  aux  hommes  politiques.  Les  traités 
qu'il  reproduit  sont  ceux  qui  sont  encore  en  vigueur  actuellement,  en 
tout  ou  en  partie,  et  il  suit  de  là  que  la  partie  tout  à  fait  contempo- 
raine du  volume  est  la  plus  complète.  Si  le  lecteur  trouve  quelques 
lacunes,  c'est  surtout  dans  la  période  18  I  5-1870  :  par  exemple  on  ne 
trouve  pas  le  traité  d'Andrinople  de  1829,  ni  la  convention  d'Akker- 
man.  M.  A.,  qui  reproduit  avec  raison  ie  texte  des  capitulations 
franco-turques,  aurait  pu  rappeler  d'un  mot  les  fameux  articles  de 
Kaïnardji.  C'est  aussi  dans  la  première  partie  qu'on  peut  relever  quel- 
ques erreurs  de  détail.  Par  exemple,  Landau  appartenait  à  la  France 
avant  1792  et  ne  peut  être  compté  au  nombre  des  «extensions» 
garanties  par  le  traité  du  3o  mai  18 14,  p.  2).  Il  n'est  pas  exact  non 
plus  que  les  traités  de  "Vienne  aient  «  partagé  les  territoires  du  Luxem- 
bourg entre  les  Pays-Bas  et  la  Confédération  germanique»,  ni  que 
l'union  du  grand  duché  avec  le  royaume  soit  devenue  personnelle  en 
1867  (p.  20).  Le  traité  des  24  articles  sur  la  Belgique  est  du  19  avril 
et  non  ^oz/M839;  etc. 

Ce  ne  sont  là  que  taches  légères,  à  peu  près  inévitables  dans  un 
recueil  étendu.  Elles  n'enlèvent  rien  au  mérite  ni  à  l'utilité  du  travail 
de  M.  A.  On  pourra  trouver  les  notices  préliminaires  quelquefois  un 
peu  sèches,  on  pourra  regretter  que  certains  traités  ne  soient  précédés 
d'aucune  notice  (p.  ex  la  convention  du  i  3  mars  1S71,  p.  i83),  on  sera 
particulièrement  surpris  que  les  traités  franco-siamois,  si  importants 
au   point  de  vue   territorial,  ne  soient  pas    reproduits  ni  même  indi- 


1-8  RKVL'E    ClUriQUE 


/ 


quL's'.  Mais  si  l'on  s'en  lient  à  ce  que  M.  A.  nous  donne,  on  lui  recon- 
naîtra le  mérite  d'avoir  réuni,  classé  avec  soin  et  reproduit  exactement 
près  de  cent  textes  contractuels  qu'il  est  très  souvent  nécessaire  de 
consulter  et  très  difficile  de  retrouver  sans  de  longues  recherches. 
Trois  tables,  analytique,  alphabétique  et  chronologique  rendent  très 
aisé  le  maniement  du  recueil.  M.  Herbctte,  chef  de  bureau  au  minis- 
tère des  affaires  étrangères,  a  ajouté  au  travail  de  M.  A.  une  prélace 
amicale  ci  des  notes  sur  les  traités  de  la  Triple-Alliance. 

R.  G. 


E.    (^WAicNAC.     Esquisse  d'une  histoire  de    France.    Paris,   nouvelle  librairie 
nationale,  1910,  in-8°,  612  p.,  7  tV.   5o. 

Il  est  assez  difficile  de  démêler  ce  qu'a  voulu  faire  M.  G.  Lui-même 
ne  l'indique  qu'en  conclusion,  sommairement,  et  par  métaphore  :  il  a 
essayé  de  déterminer  la  courbe  géométrique  du  développement  his- 
torique de  la  France.  Surtout  il  semble  avoir  voulu  comparer  entre 
elles  les  diverses  époques  de  notre  histoire,  pour  établir  «  les  hauts  et 
les  bas»  de  la  courbe.  G'est  dire  à  quel  point  ce  travail  est  subjectif, 
pour  employer  le  langage  volontiers  philosophique  de  l'auteur.  Selon 
son  appréciation,  c'est  le  règne  de  Louis  XIV  qui  représente  le  maxi- 
mum par  où  la  courbe  a  passé,  parce  que  c'est  le  moment  où  la 
(•  collectivité  française  »  fut  le  plus  nationale;  depuis  lors,  l'influence 
anglaise,  le  développement  du  libéralisme,  le  succès  de  la  Révolution, 
plus  récemment  la  prépondérance  allemande  ont  «  accentué  la  courbe 
descendante  ».  On  pouvait  tirer  de  là  des  conclusions  analogues  à 
celles  que  formulent  les  publicistes  néo-monarchistes.  M.  G.,  bien 
qu'au  fond  il  soit  sans  doute  de  leur  avis,  ne  le  dit  pas,  mais  on  peut 
l'induire  de  quelques  formules  qui  lui  échappent,  de  sarcasmes  fré- 
quents contre  la  démocratie,  d'un  chapitre  inattendu  et  d'ailleurs 
vague,  sur  la  franc-maçonnerie,  etc. 

Il  y  a  donc,  au  fond,  une  thèse,  bien  connue  du  reste,  mais  elle  n'est 
pas  exposée,  elle  n'apparaît  que  par  endroits,  et  timidement.  II  y  a  un 
chapitre  intitulé  V Affaire,  et  on  y  va  naturellement,  supposant  que 
si  l'auteur  donne  ce  développement  à  un  fait  isolé,  c'est  qu'il  y  attache 
—  sans  doute  avec  raison  —  une  grande  importance  :  on  ne  trouve 
que  quelques  allusions,  ni  résumé  des  faits,  ni  exposé  de  doctrine.  A 
côté  de  cela,  des  chapitres  de  pure  idéologie  (Livre  IV,  chap.  vin) 
Et  cette  incertitude  d'objet,  cette  quasi-timidité  surprennent,  décon- 
certent. 

Même  indécision  dans  la  façon  de  traiter  le«  récit,  de  choisir  et  de 
raconter  les  faits.  Est-ce  un  manuel  qui  s'adresse  aux  enfants?  On  le 
croirait,  puisqu'il  y  a  des  cartes  (rares,  d'ailleurs,  et  pas  toujours 
utiles,  car  elles  ne   correspondent  guère  aux  parties  développées    du 


I.  Rien  non  plus  sur  la  sentence  arbitrale  relative  au  contesté   tVanco-brésilien. 


D  lllblOlKE    LT    DE    LITTEKATURE  1/9 

récit),  puisqu'un  prend  la  peine  de  dire  ce  qu'étaient  des  personnages 
très  connus  ^Mirabeau,  Dumouriez,  Colbcri)  puisque  des  pages 
entières  sont  un  sommaire  de  faits,  parfois  coupé  des  citations  qu'on 
trouve  dans  tous  les  précis  scolaires.  Et  pourtant  ce  manuel,  si  c'en 
est  un,  est  incomplet,  presque  vide  d'histoire  de  la  civilisation  (le 
siècle  de  Louis  XIV  mis  à  part),  sans  un  mot  d'histoire  économique 
avant  ou  après  la  période  1 660-1  -63,  très  développé  sur  certains  points, 
muet  ou  à  peu  près  sur  d'autres,  inexact  parfois  (Constiiuiion  de 
l'an  111,  décrets  anglais  en  réponse  au  décret  de  Berlin),  surtout  beau- 
coup trop  abstrait  et  philosophique,  sans  effort  pour  faire  vivre  les 
hommes  et  voir  les  événements.  Si  ce  n'est  pas  un  manuel,  mais  un 
essai  d'interprétation,  pour  les  gens  cultivés,  déjà  au  courant  des  faits 
principaux,  pourquoi  tant  de  détails,  de  chiffres,  de  citations  parfois 
si  longues,  pourquoi  des  listes  d'artistes  qui  ne  sont  que  des  palmarès, 
pourquoi  surtout  six  cents  pages  ?  Si  M.  C.  s'adresse  à  cette  «  élite  »,  à 
cette  «  minorité  cultivée  »  dont  il  parle  si  souvent  avec  mélancolie, 
que  ne  lui  épargne-t-il  ce  fardeau  ? 

•  Et  si  son  livre  n'est  rien  de  ce  que  je  suppose,  je  ne  vois  pas  ce 
qu'il  peut  être;  l'auteur  n'a  pas  éclairé  sa  lanterne,  et  il  a  dépensé  du 
temps,  de  l'application,  du  talent  aussi,  —  car  il  écrit  d'une  plume 
alerte  et  son  langage  est  clair,  simple,  élégant  parfois,  sauf  les  néolo- 
gismes  philosophiques  —  pour  laisser  le  lecteur  indécis  sur  l'objet  de 
son  travail,  et  sur  le  profit  qu'on  en  peut  tirer. 

R.    GUYOT. 


MM.  de  Saixt-Léger  et  Sagnac  qui  publièrent  en  igoo  les  Cahiers  de  la  Flandre 
maritime  en  1  y  S')  donneiit  aujourd'hui  à  leurs  deux  volumes  un  très  utile  supplé- 
ment qui  comprend  des  appendices  (cahiers  découverts  postérieurement),  un 
glossaire  et  une  table  des  matières.  Le  glossaire  n'a  rien  de  linguistique  ni  de 
philologique,  c'est  un  recueil  de  dissertations  historiques  et  juridiques  rangées 
par  ordre  alphabétique  sur  des  expressions  locales  ou  techniques  :  abonnement^ 
dime,  droit  d'issnc,  droits  domaniaux,  magistrat,  droit  des  quatre  membres,  etc. 
La  table  des  matières  est  très  complète  et  bien  conçue.  —  A.  Mz. 

—  Nous  avons  reçu  quatre  volumes  de  l' A  nnua  ire  TU  ni  vcrsité  d'Athènes, les  tomes  IV, 
1907-08;  V.  1908-09;  VI,  1909-10;  VII,  1910-11  ('EOvixàv  navcitt7XT,[j.tov,  'E7ricjT-ri[j.o- 
vixr,  'E-sTT.pt;,  Athènes,  impr.  Sakellarios,  1909,  1910,  1911^  >9ii;  resp.  486,  Sig, 
612  et  320  pages).  Ces  volumes  contiennent  d'assez  nombreux  articles  scientifiques 
(mathématiques,  physique,  chimie,  médecine;  deux  sont  en  allemand  et  un  en 
français);  quelques-uns  sont  relatifs  au  droit  canon,  et  d'autres  sont  du  domaine 
de  la  philologie  classique,  se  rapportant  les  uns  aux  langues  anciennes,  les  autres 
au  grec  moderne^  Ces  derniers,  à  l'exception  d'un  article  (t.  VII)  où  Skias  croit 
retrouver  le  digamma  à  l'initiale  du  mot  jiciAy.ô;,  sorte  de  filet  de  pêche,  sont  dus  k 
la  plume  fertile  de  Hatzidakis.  Dans  le  t.  IV,  il  étudie  l'usage  des  verbes  moyens 
et  des  vcrbjs  employés  transitivement  et  iutransitivemcnt  dans  le  néogrec;  dans 

I.  Les  Cahiers  de  la  Flandre   maritime  en  ijSij,  t.  IL  2"   partie,    1910.   Paris, 
Alph.  Picard.  201  pages  in-S". 


l80  REVUIC    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

le  t.  V,  il  expose  en  un  essai  intéressant  la  continuité  de  la  langue  grecque  à  tra- 
vers les  siècles,  à  Taitie  d'exemples  pris  dans  Homère,  dans  le  Nouveau  Testament 
et  dans  rErolokritos;  dans  le  t.  VI,  il  public  des  leçons  faites  à  l'Université  sur  la 
langue  écrite,  ses  origines,  sa  nature  et  son  développement,  ainsi  qu'une  étude  sur 
rErotokritos;  ce   poème  aurait  pour  auteur  un  Cretois,  et  aurait  été  composé  en 
Crète  au  xvi'  siècle;  enfin,  dans   le  t.  \"1I,  on  trouvera  des  considérations  sur  les 
mots  modernes  en  ffii^o;  (adjectifs)  et  j'.|j.ov  (substantifs),  une  comparaison  entre  les 
formes  grammaticales  de  la  langue  ancienne  et  celles  du  grec  parlé  actuellement, 
et  toute  une  série  d'observations  pleines  d'intérêt  sur  les  quatre  volumes  de  pro- 
verbes  populaires    publiés  jusqu'ici  par  Politis.  Hatzidakis  a  donné  en  outre  une 
note  sur  Thucydide  V,  102  (t.  VI;  il  préfère  xaivoxspaî  à  Y.of.w:ép3.i),  et  une  défense 
contre  Kazarow  (REG.,  lOio,  p.  243  svv.)  de  la  thèse  d'Hoftmann  sur  l'hellénisme 
des  anciens  Macédoniens  (t.  Vil);  mais  il  exagère  en  disant  que  les  observations 
de  K.    n'ont  aucune  valeur    scientifique.   —  Les  articles  relatifs  aux    langues  an- 
ciennes sont  du  ressort  de  la  critique  verbale  ou  de  la  grammaire;   Kontos  pro- 
pose, avec   sai  maîtrise  ordinaire,  mais  aussi  avec  une  érudition  par  trop  touffue, 
diverses   corrections   à   Procope,  Alexandre  de  Tralles,   Galien,  etc.  (t.  IV  et  V). 
Vasis  rectifie,  parfois  heureusement,  le  texte  du  De  Magistratibus  de  Lydus,  publié 
par  Wûnsch  (t.  IV),  publie,  en  latin,  plusieurs  émendations  au  texte  des  Questions 
naturelles  de   Sénèque    (IV),  du    Digeste   (V),   d'Horace  et  de  Quintilien  (VII),  et 
montre  par  des  exemples   (VII,  en  latin)   que  la  troisième  personne  de  l'impératif 
latin  en  to  se  rapporte  au  présent;  c'est  l'opinion  de  Diomède.  Gardik.\s  étudie,  à 
l'aide  de  nombreuses  citations,  un  genre  de  fautes  très  connu,  les  mots  mal  réunis 
ou  mal  séparés  dans  les  manuscrits  (VII);  il  donne  une  liste  des  doublets  en  lov 
et  eiov,  et  pour    chaque  couple   distingue  les  significations  (V);  et    dans  le    même 
volume  il  essaie  de  déterminer    le    sens  du  verbe  \j.î'k%y/o'KCi,  qu'il  explique   dans 
tous  les  cas  par  «  être  saisi  d'une  sorte  de  démence  »,  tandis  que  Kakridis  (VII)  le 
traduit,  dans  Lucien,  Timon,  8,  par  «  être  rempli  d'indignation  ».  —  Un  article  est 
en  allemand    (t.  V)  :  Nadrowski   explique  le    nom  d'Athènes   par  «  sources  de  la 
montagne  »,  en  divisant  'A6-T|va'.  ;  le  nom-d'AO-rjvâ  est  postérieur,  et  désigne  une  divi- 
nité des  sources  montagneuses,  comme  le  prouvent  ses  épithètes  ;  yXauxwTLç,  par 
exemple,  signifie  «  aux  eaux  claires  »,  d'une  racine  ap  =  eau.  Je  laisse  au  lecteur 
le  soin  d'apprécier.  —  On  notera  enfin  la  continuation   du  catalogue  des  ouvrages 
publiés  en  Grèce  et   à  l'étranger  par  des  Grecs  depuis  1907,  par  Politis  (seconde 
partie,  comprenant    les    publications  de  1909  et    1910  [t.  \l]  ;  la  première  a  paru 
dans  le  t.  111),  et  un  travail  précieux  pour  la  lexicographie  et  l'histoire  de  la  langue 
moderne  (t.  IV)  :  l'auteur,   Miliarakis,  met  en  ordre,  complète  et  publie  un  cata- 
logue des  noms  vulgaires   des  plantes,  suivant  la  classification  botanique,  dresse 
par  feu  Heldreich,  mais  laissé  imparfait.  Une  première  partie  contient,  rangés  par 
familles,  les  noms  scientifiques  en  latin,  avec  les  noms  vulgaires  correspondants, 
et  une  seconde  les  noms  vulgaires  par  ordre  alphabétique,  accompagnés  des  noms 
latins.  En  appendice,  une  liste  alphabétique  des  noms  de  plantes  usités  à  Cépha- 
lonie,  par  Tzitzélis.  —  My. 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Séance  du  J  0  février  i  g  1 1 . —_ 
Après  quelques  présentations  d'ouvrages  récents,  l'Académie  se  forme  en  comité 
secret  pour  entendre  l'exposé  des  litres  des  candidats  à  la  place  de  membre  libre 
vacante  par  suite  du  décès  de  M.  Edniond  Saglio. 

Léon   Dorez. 


V imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Ronchon  cl  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N"  10  -  9  mars.  —  1912 


ZiEGLER,  Le  drame  de  la  Révolution.  —  Poulet,  Mallarmé.  —  Hennequin,  Zurich. 

—  Fedorowicz,  Documents  français  sur  la  campagne  de  Pologne  en  1809.  — 
Fleischmann  et  Bart,  Lettres  de  Talma  à  Pauline.  —  Sagot,  Les  gardes  d'hon- 
neur de  la  Marne.  —  Despatys,  Fouché  et  Gaillard.  —  A.  de  Lipinska,  Posen.  — 
Marquiset,  Le  colonel  Clère.  —  Fournez,  Landrecies.  —  Roy,  Le  18  août  1870. 

—  Guerre  russo-japonaise.  III,  i-3.  —  Ullrich,  L'armée  russe.  —  D'A.made,  En 
Chaouïa.  —  Kelsev,  Grec  et  latin  en  Amérique.  —  Frankfurter,  Les  amis  des 
humanités,  la^  bulletin.  —  Petites  collections  Bioud  (Louis,  Philon  ;  Borell, 
Spinoza;  Didier,  Locke;  Lefontaine,  Fouricr;  Archambault,  Renouvier  ;  Nau, 
Nestorius;  Navarre,  La  chambre  introuvable;  Thureau-Dangin,  Le  cardinal 
Vauahani.  —  Jorga,  L'ancienne  civilisation  roumaine.  —  Léger,  La  Renaissance 
îchèe-]ue.  —  Weii.  et  Chénin,  Le  français  de  nos  enfants.  —  Faure,  La  crise  du 
français.  —  Dauzat,  Pour  qu'on  voyage.  —  Brunetière,  Lettres  de  combat.  — 
G.-E.  PicHON,  Leçons  pratiques  de  français.  —  Faguet,  De  la  profession;  De  la 
patrie.  —  Fetzer,  Anatomie  pour  artistes.  —  Duplessix,  Printemps  sacré.  — 
GusTAFSsoN,  Les  pronoms  relatifs.  —  Holmes,  Le  Codex  Lovaniensis.  —  Ullman, 
Manuscrits  de  Properce.  —  Webb,  Manuscrits  de  Térence.  —  Kukula,  La  poésie 
séculaire  à  Rome.  —  Pirro,  Tacite  et  les  chrétiens.  —  Consoi.i,  Notes  latines; 
La  première  satire  de  Juvénal.  —  Landi,  Lucrèce  et  Ovide.  — Reid,  Lucretiana. 

—  Rasi,  Bibliographie  de  Virgile.  —  Ganzenmùller,  Deux  articles  sur  Ovide.  — 
Académie  des  inscriptions. 


Kugen  ZiEGLER,  Das  Drama  der  Révolution.  Berlin,  Weigandt  et  Grieben,  In-8°, 

97  P- 
Henry  Poulet,  La  vie  de  F.-R.-A.  Mallarmé.  Nancy,  29,  rue  des  Carmes,  igii. 

In-So,  62  p. 

Louis  Hennequin,  Zurich,  Masséna  en  Suisse.  Paris,  Berger-Lcvrault.  1911. 
In-S»,  xxii  et  599  p.  12  fr. 

Wladislaw  de  Fedorowicz,  1809.  Campagne  de  Pologne.  I.  Documents  et  maté- 
riaux français.   Paris,  Pion.   igii.In-8",  iv  et  447  p.  8  fr. 

Hector  Fleischmann  et  Pierre  Bart,  Lettres  d'amour  inédites  de  Talma  à  Pau- 
line Bonaparte.  Paris,  Charpentier  et  Fasquelle.  191 1.  In-S»,  xxii  et  342  p, 
3  fr.  5o. 

François  Sagot,  Les  gardes  d'honneur  de  la  Marne.  Paris,  Champion.  191 1. 
In-8'',  167  p.  2  fr.  5o. 

Baron  Despatys,  Un  ami  de  Fouché.  D'après  les  mémoires  de  Gaillard.  Paris, 
Pion.   1911.  In-8°,  XV  et  480  p.  7  fr.  3o. 

A.  de  Lipinska,  Le  grand-duché  de  Posen  de  1815  à  1830.  Paris,  Rousseau. 
191 1 .  In-8°,  319  p. 

Alfred  Marquiset,  Un  cavalier  léger,  le  colonel  Clère.  Paris,  Champion.  19  m. 
In-80,  63  p. 

Philippe  Fournez,  Histoire  d'une  forteresse,  Landrecies,  d'après  des  documents 
inédits,  publiée  avec  une  introduction  par  H.-R.  de  Planterose.  Paris,  Perrin. 
191 1 .  In-80,  IX  et  341  p.  5  fr. 

Nouvelle  série  LXXIII  lo 


l82  REVUE    CRITIQUE 

Capitaine  Rnv,  Études  sur  le  18  août  1870.  Paris,  Bcrger-Lcvrault.  191 1.  In-8", 

XVI  et  23s  p.  G  fr. 
Guerre  russo  japonaise.   Historique   rédige    à   l'ctat-major  général   de  Tarméc 

russe,  'l'otnc  III,  r,  2,  3.  Paris,  Chapciot.  1911.  In-8",  g32  et  555  p.  (avec  allas). 
Richard  Ui.i.uicii,  L'armée  russe  au  feu  (1904-1905),  trad.  de  Raoul  Marsol- 

i.ET.  Paris,  Chapciot.  lyi  1.   ln-8«,  3if)  p.  G  fr. 
Rapport  du  général  d'Amade  sur  la  campagne  de  1908-1909  en  Chaouïa. 

Paris,  Chapciot.  ln-8",  393  p.  avec  44  cartes  et  croquis  et  20  photos. 

Le  travail  de  M.  Eugène  Ziegler,  Le  drame  de  la  Révolution,  es{ 
facile  et  agréable  à  lire,  dénué  d'ailleurs  de  prétention.  L'auteur  veut 
simplement  analyser  les  œuvres  dramatiques  les  plus  marquantes  de 
celte  époque  et  par  le  théâtre,  faire  connaître  et  comprendre  la  Révo- 
lution. Il  analyse  donc  le  Charles  IX de  Joseph  Chénier,  les  Victimes 
cloîtrées  de  Monvel,  VAmi  des  lois  de  Laya,  —  qu'il  nomme  «  le 
chant  du  cygne  de  l'idéalisme  »  —  la  Journée  du  Vatican  et  le  Juge- 
ment dernier  des  rois  de  Sylvain  Maréchal,  Vlntérieur  des  comités 
révolutionnaires  de  Ducancel  et  Madame  Angot  de  Maillot...  et  c'est 
tout. 

La  biographie  du  conventionnel  Mallarmé  qu'a  publiée  M.  Henry 
Poulet,  n'est,  sans  doute,  pas  complète;  mais  elle  suffit.  Peut-être 
M.  Poulet  est-il  trop  indulgent  pour  le  personnage.  «  Qu'on  ne  vienne 
pas,  dit-il,  reprocher  à  Mallarmé  la  cruauté  de  ses  arrêts  ;  il  faut  en 
faire  tomber  la  réprobation,  non  sur  lui,  mais  sur  son  époque  ».  Or, 
Mallarmé  a  déclaré,  contre  toute  vérité,  que  Landremont  était  inca- 
pable et  aristocrate  ;  Mallarmé  a  envoyé  à  la  mort  les  administrateurs 
de  la  Moselle;  Mallarmé  a  fait  condamner  Délayant  et  proclamé  sa 
joie  d'avoir  vu  «  rouler  cette  tête  infâme  »;  Mallarmé  s'est  vanté  d'avoir 
«  établi  le  règne  de  la  justice  et  de  la  vertu  »  dans  la  Meuse  et  la 
Moselle;  Mallarmé  a  crié  après  thermidor  :  «  point  de  clémence,  ni 
d'humanité  envers  les  ennemis  du  peuple  »,  etc.,  et  M.  Poulet  recon- 
naît qu'il  avait  le  caractère  brutal,  aigri.  Ne  fallut-il  pas,  lorsqu'il 
était  commissaire  du  Directoire  près  l'administration  de  la  Dyle,  le 
renvoyer  sur  les  plaintes  répétées  des  députés  de  la  Dyle  et  de  Lam- 
brechts?  On  sait  qu'il  fut  en  181  5  sous-préfet  d'Avesnes  et,  le  i3  juin, 
l'Empereur  s'entretint  avec  lui  sans  soupçonner  qu'il  avait  devant  lui 
un  ancien  président  de  la  Convention.  L'étude  de  M.  Poulet,  faite 
d'après  les  sources,  témoigne,  comme  tous  ses  travaux,  d'un  très 
grand  soin  et  de  recherches  patientes  et  étendues  '. 

On  sait,  en  gros,  ce  que  fit  Masséna  en  Suisse  du  mois  de  juillet  au 
mois  d'octobre  1799,  et  on  le  saura  désormais  dans  le  détail,  après 
avoir  lu  le  livre  si  documenté,  si  studieusement  travaillé,  si  nettement 
rédigé,  de  M.   Louis  Hennequin.  Le  général  en  chef  de  l'armée  du 


I.  M.  Poulet  trouve  que  Blaux  a  de'noncé  Mallarmé,  après  prairial,  avec  un 
acharnement  étrange;  mais  Mallarmé  n'avait-il  pas  écrit  en  mai  1794  que  Blaux 
était  un  modéré,  un  royaliste,  un  représentant  pervers  qui  soufflait  à  Sarrcgucmines 
un  mauvais  génie  ? 


d'histoire  et  de  littérature  i83 

Danube,  établi  derrière  la  Limmat,  semble  inactif;  mais  il  attend  son 
heure,  et  il  ne  veut  combattre  qu'après  avoir  affermi  sa  position.  Il 
approvisionne  son  arme'e,  il  complète  ses  cadres,  il  envoie  Lecourbe 
rcoccuper  le  Saint-Gothard,  et,  enfin,  une  fois  solidement  accroché 
au  «  bastion  suisse  »,  profitant  du  départ  de  Tarchiduc  Charles,  il 
tombe  avec  le  gros  de  ses  forces  sur  Korsakov  qu'il  bat  devant  Zurich, 
puis,  se  retournant  contre  Souvorov  qui  vient  de  franchir  le  Gothard, 
il  lui  interdit  toutes  les  voies  d'accès  vers  Lucerne  et  Zurich  et  l'oblige 
à  opérer  une  désastreuse  retraite.  M.  Hennequin  a  réussi  à  dérouler 
devant  nous,  non  seulement  d'une  façon  complète,  mais  d'une  façon 
claire  et  intéressante,  les  opérations  de  1799  qui  délivrèrent  la  France 
d'une  invasion  et  décidèrent  la  Russie  à  se  retirer  de  la  coalition.  Il 
nous  montre  les  qualités  déployées  par  Masséna,  par  Soult,  par 
Lecourbe,  leur  habileté,  leur  vigueur,  et  à  côté  des  généraux,  il  fait 
voir  les  soldats  de  ces  demi-brigades  qui,  selon  le  mot  de  Clausewitz, 
étaient  en  acier  trempé  et  qui  firent  reculer  les  grenadiers  russes,  ces 
rudes  hommes  qu'il  fallait,  a-t-on  dit,  non  seulement  tuer,  mais  faire 
tomber.  Ajoutons  que  l'auteur  ne  s'est  pas  contenté  d'utiliser  tous  ou 
presque  tous  les  documents  imprimés  et  manuscrits  ;  il  a  visité  la 
région  et  on  louera  ses  descriptions,  et  notamment  celle  de  la  basse 
Linth.  Mais  tout  est  à  louer  dans  ce  volume,  et  la  réoccupation  du 
Saint-Gothard,  et  la  prise  de  Zurich,  et  le  passage  de  la  Linth  —  où 
Soult,  toujours  un  peu  circonspect,  n'a  pas,  à  vrai  dire,  été  assez  éner- 
g_ique  dans  la  poursuite  — '■  et  les  opérations  de  la  brigade  Molitor  dans 
la  vallée  de  Claris,  et  l'échec  de  Souvorov  qui,  malgré  le  courage 
«  quasi-surhumain  »  de  ses  troupes,  se  voit  cerné  dans  le  Muotathal, 
contraint  de  se  faire  jour  sur  Claris,  et,  après  avoir  vainement  tenté 
d'emporter  le  pont  de  Nafels,  de  battre  en  retraite  sur  les  Grisons  par 
le  Panixerpass.  Cet  ouvrage  fait  à  M.  L.  Hennequin  le  plus  grand 
honneur,  et  c'est  une  joie  pour  le  critique  de  lire  et  d'annoncer  cette 
œuvre  d'un  modeste  et  loyal  et  consciencieux  travailleur. 

M.  Wladyslaw  de  Fedorowicz  a  fait  une  œuvre  très  utile  en  publiant 
les  «  documents  et  matériaux  français  »  qu'il  a  recueillis  sur  la  cam- 
pagne de  1809.  Il  donne  aujourd'hui  le  premier  volume  qui  com- 
mence au  3o  juillet  1808  pour  finir  au  28  août  1809.  M.  de  Fedo- 
rowicz s'occupe  du  VI  t°  corps  autrichien,  que  l'archiduc  Ferdinand 
d'Esté  commandait  et  qui  marcha  sur  Varsovie  et  Thorn  pendant  que 
le  sort  de  l'Autriche  se  décidait  sur  les  bords  du  Danube  II  étudie 
celte  campagne  de  Pologne  au  point  de  vue  politique  et  il  l'explique 
en  faisant  paraître  ces  25o  documents  français  tirés  de  toutes  parts. 
Un  deuxième  volume  contiendra  les  documents  allemands.  Un  troi- 
sième comprendra  les  documents  en  autres  langues  que  le  français  et 
l'allemand  ainsi  qu'un  résumé  historique,  rédigé  en  français,  qui 
montrera  pourquoi  ce  corps  de  33, 000  hommes  fut  détaché  de  l'ar- 
mée autrichienne,  envoyé  à  Varsovie  où  il  perdit  le  temps  en  revues 


184  REVUE    CRITIQUE 

Cl  en  parades,  ci  rappclc  avani  d'aiicindrc  le  Lnit  qui  lui  était  marque 
—  lequel  but  était  Je  rejoindre  les  Anglais  qui  débarquèrent  à  Wal- 
cheren  ci  de  renforcer  une  insurreciion  allemande  '. 

Pauline  Bonaparte  a  compté  Talma  parmi  ses  amants  —  la  liaison 
csi  de  1812  —  et  MM.  Fleischmann  et  Bart  publient  les  lettres  de 
Talma  à  la  princesse.  Comme  disent  les  éditeurs  dans  leur  introduc- 
tion, cette  correspondance  «  brûlante,  trépidante,  laisse  percer  une 
pointe  de  vanité  et  d'orgueil  satisfait  ».  Il  y  a  vingt-neuf  leiires  et  les 
éditeurs  ont  dû  corser  le  volume;  ils  ont  donc  ajouté  aux  Lettres 
(.Vamour  médites  qu'annonce  le  titre  :  une  étude  sur  Talma  pendant 
sa  jeunesse;  une  autre  étude  intitulée  «  Les  petits  secrets  de  la 
citoyenne  Talma  »;  les  Mémoires  de  Louette,  jardinier  de  Talma; 
le  Journal  de  la  maladie  et  de  la  mort  de  Talma  écrit  par  son  neveu; 
le  catalogue  de  la  vente  des  costumes,  tableaux  et  objets  d'art  com- 
posant le  cabinet  de  Talma;  une  bibliographie,  due  à  M.  L. -Henry 
Lecomte,  des  publications  dont  Talma  a  été  l'objet  et  la  reproduction 
d'une  «  lurlupinade  »,  Talma  au  paradis,  composée  à  propos  de  sa 
mort.  Le  livre  est  indispensable  à  qui  veut  connaître  la  vie  et  l'œuvre 
de  Talma. 

M.  Sagot  a  fait  sur  les  gardes  d'honneur  de  la  Marne  un  solide 
travail  plein  de  détails  et  de  pièces  de  toute  sorte,  et  qui  ne  sera  pas 
recommencé.  Il  a  bien  vu  que  dans  une  étude  de  cette  sorte,  le  docu- 
ment est  tout,  que  l'histoire  de  ces  gardes  d'honneur  est  toute 
entière  dans  les  circulaires  officielles,  dans  les  lettres  des  autorités  et 
des  intéressés,  dans  les  états,  dans  les  comptes,  et  il  montre  l'accueil 
que  la  Marne  fit  à  cette  mesure  des  gardes  d'honneur,  comment  les 
instructions  du  ministre  y  furent  interprétées  et  appliquées,  comment 
eut  lieu  la  levée  des  taxes^  comment  se  fit  le  recrutement,  quelle  fut 
la  composition  définitive  du  contingent,  à  quelles  difficultés  se  heurta 
le  préfet.  Ce  préfet,  c'était  le  fameux  Bourgeois  de  Jessaint.  11  mena 
l'opération  avec  habileté,  zélé,  fidèle  à  ses  instructions  sans  les  outre- 
passer, ménageant  ses  administrés,  choisissant  ses  gardes  avec  tact, 
et  ne  choisissant  que  des  volontaires.  On  peut  dire  que  dans  la 
Marne  la  levée  se  fit  avec  célérité,  et  grâce  à  ladresse  et  à  la  modéra- 
tion du  préfet  les  gardes  de  la  Marne  montrèrent  tous  ou  presque 
tous,  sinon  de  l'enthousiasme,  du  moins  une  grande  confiance  dans 
le  régime  impérial.  Les  deux  premiers  détachements  qui  rejcugnirent 
leur  régiment,  le  2''  commandé  par  le  général  Lepic,  n'obtinrent  que 
des  éloges  pour  leur  tenue  et  leur  bon  esprit.  C'est  que  la  Marne 
voyait  venir  l'invasion;  elle  avait  ce  patriotisme  qui  a  toujours  animé 
les  populations  de  l'Est;  tout  ce  qu'elle  possédait  de  ressources,  elle 

I.  Pourquoi  garder  l'orthographe  fautive  des  documents?  Que  nous  importent 
les  lapsus  de  tel  ou  tel  ?  A  quoi  sert-il  de  savoir  que  Rozniecki  écrit  Holien^^olern  ? 
deffendre,  Providance,  etc.?  P.  60,  la  lettre  de  Woyczynski  ne  peut  être  adressée 
au  maréchal  Davout,  puisqu'elle  commence  par  ces  mots  «  Monsieur  le  général  ». 


d'histoire  et  dk  littérature  i85 

le  recueillit    pour  repondre,  sans   chaleur,  à  vrai    dire,  au    désir  de 
l'Empereur. 

Que  dire  du  second  volunie  du  baron  Despatys,  sinon  ce  que  nous 
avons  dit  du  premier?  On  nous  annonce  les  Mémoires  de  Gaillard, 
de  l'intime  ami  de  Fouché,  du  conHdent  de  Fouchc,  d'un  homme 
pour  qui  Fouché  n'a  pas  eu  de  secret.  Et  que  nous  donne-t-on?  Le 
volume  de  M.  Despatys.  Je  sais  bien  que,  dans  sa  préface,  M.  Des- 
patys assure  que  le  récit  de  Gaillard  a  le  ton  familier  et  la  forme  par- 
fois négligée,  qu'il  n'y  a  pas  d'ordre  chronologique  dans  le  manus- 
crit, qu'il  y  a  des  longueurs,  que  Gaillard  n'a  pas  eu  la  force  ou  le 
temps  de  faire  œuvre  d'historien.  M.  Despatys,  lui,  fait  œuvre  d'his- 
torien; c'est  son  devoir,  dit-il  ;  et  il  publie  ce  volume  en  restituant 
aux  événements  leur  ordre  chronologique,  en  supprimant  les  con- 
clusions morales,  en  reproduisant  le  manuscrit  de  Gaillard,  sans 
modification,  si  ce  n'est  de  pure  forme.  Cela  me  suffit,  et  je  ne  vais 
pas  plus  loin.  Je  veux  lire  Gaillard,  et  non  Despatys.  Pour  un  histo- 
rien exact  et  sincère,  ce  volume  n'existe  pas.  Inutile  de  dépasser  l'aver- 
tissement. M.  Madelin  à  qui  l'on  a  demandé  une  préface,  dit  dans 
cette  préface  que  «  mieux  ne  vaut  publier  qu'avec  un  commentaire 
les  Mémoires  de  Pylade  sur  Oreste  ».  Non.  Mieux  vaut  publier  les 
Mémoires  de  Pylade.  Or,  M.  Despatys  ne  publie  pas  les  Mémoires 
de  Pylade;  il  publie  le  commentaire,  un  commentaire  qui  délaie  et 
noie  les  Mémoires,  et  nous  ne  voulons  pas  d'un  pareil  commentaire. 

Avec  un  chaud  patriotisme,  et  aussi  avec  un  zèle  très  louable  et  un 
sérieux  esprit  historique,  d'après  des  sources  de  seconde  main  (on 
ne  lui  a  pas  permis  l'accès  des  archives  d'État),  M"^«  A.  de  Lipinska 
étudie  les  efforts  que  fit  le  gouvernement  prussien  de  i8i5  à  i83o 
pour  germaniser  le  pays  de  Posen  et  la  résistance  que  les  Slaves  oppo- 
sèrent à  l'étranger,  au  Niemets.  Elle  nous  montre  que  les  Polonais 
ont,  dans  cette  lutte,  déployé  une  énergie  qui  surprit,  déconcerta 
leurs  oppresseurs;  comme  elle  dit,  «  les  Polonais  n'ont  jamais  prouvé 
plus  clairement  leur  droit  à  l'existence  nationale  que  depuis  le  moment 
où,  par  un  coup  de  force  criminel,  ils  ont  été  rayés  du  nombre  des 
peuples  indépendants.  »  Elle  a  eu  le  mérite  de  tracer  pour  la- pre- 
mière fois  ce  tableau  d'ensemble.  On  suit  dans  son  livre  l'exécution 
continue  du  plan  d'envahissement  conçu  parla  Prusse  et  cette  «  sorte 
de  travail  d'érosion  qui  use  peu  à  peu  les  clauses  protectrices  du 
traité  de  i8i5  ».  Mais  vainement  se  multiplient  les  mesures  de  ger- 
manisation; vainement  les  représentations  les  plus  anodines  sont 
interdites  sur  la  scène  polonaise;  vainement  tous  les  emplois  appar- 
tiennent désormais  à  des  bureaucrates  hargneux  à  habitudes  sordides 
et  de  manières  déplaisantes;  vainement  chaque  année  de  nouveaux 
immigrés  éliminent  partout  l'élément  indigène.  Les  Polonais  ont  pu 
renoncer  à  leur  indépendance  politique;  ils  ne  se  résignent  pas  à 
sacrifier  leur  langue,  leurs   traditions,  leur  nationalité,  et  voilà  pour- 


l86  REVDK    CRITIQUE 

quoi,  conckii  l'auiour  —  qui  manie  notre  langue  avec  aisance  et 
fcimeié  —  ils  ont,  depuis  plus  d'un  siècle,  supporté  sans  faiblir 
l'assaut  de  la  Germanie  victorieuse. 

On  lit  avec  plaisir  la  jolie  plaquette  que  M.  Alfred  Marquiset  a 
consacrée  à  un  cavalier  léger,  le  colonel  Glère,  un  de  ses  aieux,  évi- 
demment, et  dont  il  a  quelques  papiers.  Nous  voyons  Glère  servir  en 
Espagne  où  il  a  des  aventures  intéressantes  de  guerre  et  d'amour; 
nous  le  voyons  servir  en  i8i3  dans  la  campagne  de  Saxe  où  il  sauve 
la  vie  au  général  Klicki,  et  combat  à  Leipzig  et  à  Hanau;  nous  le 
voyons  servir  en  1814  et  mériter  toujours  ce  surnom  d'  «  intrépide  » 
que  Klicki  lui  avait  donné.  Malheureusement,  Glère  n'a  pas  note  ce 
qu'il  vit  à  Waterloo.  Il  rtt  la  guerre  d'Espagne  en  1823.  Très  lie  avec 
de  Brack,  il  apparaît,  dit  très  bien  M.  Marquiset,  et  ainsi  que  de 
Brack,  comme  le  vrai  type  du  cavalier  léger,  grand,  mince,  montant 
parfaitement  à  cheval  ^  aimant  les  belles,  ne  craignant  pas  un  coup 
de  sabre,  toujours  prêt  à  tendre  la  main  ou  à  fermer  le  poing,  à 
laisser  tomber  un  énergique  commandement  du  gosier  ou  s'échapper 
une  i:hanson  des  lèvres.  » 

L'histoire  de  Landrecies  que  M .  Philippe  F'ournez  était  près  d'ache- 
ver et  que  M.  de  Planterose  a  terminée  et  mise  au  point,  n'est  pas  à 
dédaigner,  bien  qu'elle  ne  soit  pas  satisfaisante  sur  tous  les  points.  11 
y  a  de  ci  de  là  quelques  fautes  et  si  sèches  et  techniques  que  soient 
les  relations  des  sièges,  on  aurait  pu  en  citer  certains  passages.  Un 
des  meilleurs  chapitres  est  consacré  à  Landrecies  au  milieu  et  à  la  fin 
du  xviii«  siècle.  Pauvre  ville  qui  n'a  plus  aujourd'hui  ni  remparts  ni 
fossés  et  qui  n'offre  plus  aucune  trace  de  l'œuvre  de  Vauban  !  N'im- 
porte, elle  a  un  glorieux  passé  \ 

M.  Roy  a  fait  pour  Saint-Privat  ce  que  M.  Maistre  a  fait  pour 
Spicheren.  Il  a  étudié  la  bataille  du  18  août  avec  une .  attention 
extrême,  sans  rien  négliger  ni  oublier.  Cinq  chapitres  sont  consacrés  à 
la  journée.  Et  quelle  est  la  conclusion  de  M.  Roy?  Les  Français  ont 
un  fusil  supérieur,  ils  occupent  de  fortes  positions,  mais  ils  restent 
immobiles  et  ils  se  battent  sans  but,  sans  plan  d'ensemble,  se  conten- 
tant d'agir  par  leur  feu.  Les  Allemands  ont  un  fusil  inférieur  et  une 
artillerie  supérieure,  mais  d'une  supériorité  relative  et  qui,  ce  jour-là, 
à  cause  du  terrain,  fait  souvent  plus  de  bruit  que  de  mal  ;  ils  ont  une 
méthode  désuète  de  combat  d'infanterie;  mais  ils  ont  l'esprit  doften- 
sive,  ils  veulent  à  tout  prix  joindre  l'ennemi  et  envelopper  sa  droite. 
Le  choc  se  produit  à  midi.  Les  Allemands  commettent  fautes  sur 
fautes;   mais  ils  ne   désespèrent  pas  ;  ils  ne  cessent  pas  d'attaquer,  et 

1.  Lire  sans  doute  p.  26  Couin  au  lieu  de  Cohen. 

2.  P.  181  et  182  le  général  ci:é  se  nomme  Ihler  et  non  Hillcrs.  P.  225,  FerranJ 
s'appelle  Becaysct  non  Bi;gays.\l  n'a  pas  défendu  Valenciennescontre  i5o, 000  Au- 
trichiens et  ce  n'est  pas  lui  qui  reprit  I^andrccies  :  c'est  un  autre  Ferrand.  P.  338, 
lire  Hamm  au  lieu  de  Hanau  ;  etc. 


d'histoire  et  de  littérature  187 

grâce  à  l'inertie  de  l'adversaire,  ils  le  délogent  de  ses  positions.  Saint- 
Privat  est  «  l'apothéose  de  l'offensive  »  ;  Saint-Privat  prouve  qu'un 
offensive,  fut-elle  mal  conduite,  a  toujours  raison  d'une  défense  obstiné- 
ment passive.  Le  général  Langlois,  dans  sa  préface,  aboutit  aux  mêmes 
conclusions  :  ce  qui  a  donné  la  victoire  aux  Allemands,  c'est  l'activité, 
l'initiative,  la  passion  guerrière  de  leurs  chefs,  l'unité  de  doctrine  qui 
les  animait  tous  ;  «  erreurs,  fausses  directions,  attaques  décousues, 
tout  cela  s'efface  par  l'unanimité  avec  laquelle  tout  le  monde  chez  les 
Allemands  pousse  l'attaque  à  fond,  et  aussi  par  l'unanimité  avec 
laquelle  chacun,  du  côté  français,  reste  figé  dans  ses  positions.  » 

Nous  ne  ferons  qu'annoncer  le  tome  III  de  la  traduction,  entreprise 
par  le  2'  bureau  de  l'état-major  de  l'armée,  de  la  Guerre  russo- 
japotiaise.  Ce  tome  III  comprend  trois  parties  :  la  première  et  la 
deuxième  traitant  des  opérations  dans  la  région  de  Liaoyang  ;  la 
troisième  partie  consacrée  à  la  bataille  (avec  annexes  et  atlas).  Il  a 
été  traduit  sous  la  direction  du  colonel  Cheminon  par  vingt-trois  de 
nos  officiers.  Le  récit  est,  comme  toujours,  très  détaillé  et  minutieux  ; 
il  reproduit  les  rapports  des  généraux,  et  notamment  ceux  du  vice- 
roi  et  de  Kouropatkine;  l'état-major  russe  n'a  rien  changé  à  ces 
rapports,  et  il  donne  intégralement  les  passages  les  moins  flatteurs, 
comme  celui  qui  concerne  la  déroute  du  détachement  Orlov  au  2  sep- 
tembre (i,  p.  400)  où  l'on  vit  «  un  grand  nombre  de  fuyards  au 
nombre  desquels  se  trouvaient  malheureusement  beaucoup  d'officiers 
et  même  les  commandants  de  deux  régiments.  »  Les  opérations 
sont  d'ailleurs  exposées  avec  clarté,  et,  par  exemple,  on  comprend 
très  bien  pourquoi  Kouropatkine  a  reculé  sur  Moukden  :  il  craint  de 
manquer  de  munitions  d'artillerie;  il  apprend  que  Stackelberg,  jugeant 
sa  situation  grave  à  cause  des  pertes  importantes  qu'il  a  éprouvées 
durant  cinq  jours,  recule  de  son  chef  sur  Lilienkeou;  il  apprend,  en 
outre,  que  les  troupes  de  Bilderling  ont  lâché  Sseukwangtouen  et  les 
hauteurs  qui  formaient  le  pivot  du  mouvement  offensif;  enfin,  il 
croit  les  Japonais  de  Kuroki  beaucoup  plus  nombreux  qu'ils  l'étaient, 
et  c'est  ainsi  qu'il  abandonne  Liaoyang. 

Le  livre  de  Richard  Ullrich  diffère  singulièrement  des  relations 
officielles.  L'auteur  a  pris  part  à  la  campagne  de  1 904-1905  ;  il  a  vu 
la  bataille  de  Sandepu,  celle  de  Moukden  et  la  retraite  sur  les  hauteurs 
de  Sypingai  ;  il  a  tenu  un  journal  des  opérations  auxquelles  il  assistait 
et  il  décrit  quotidiennement  ses  impressions.  On  ne  saurait  croire  ce 
qu'il  a  dit  des  Russes,  des  soldats  et  des  officiers  :  jalousie  et  mésin- 
telligence entre  les  généraux,  manque  de  camaraderie  dans  le  combat, 
absence  totale  de  direction  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie,  insou- 
ciance de  l'administration  et  finalement  une  déroute  honteuse.  Un 
seul  homme,  Rennenkampf,  trouve  grâce  aux  yeux  de  l'auteur.  On 
sent  que  M.  Ullrich  est  Allemand;  il  voit  dans  les  Russes  des  ennemis, 
et  il  ne   serait  pas  fâché,  ce  semble,  de  leur   «  faire  goûter  le  rude 


l88  REVUE    CRITIQUE 

glaive  allemand  >-  ;  il  assure  que  l'armée  allemande  ferait  ce  qu'a  fait 
l'armée  japonaise,  et  avec  plus  d'initiative,  plus  de  spontanéité  et  un 
succès  plus  grand  encore. 

Le  rapport  du  général  d'Amade  sur  la  ("ampagnc  de  igoS'-irjog 
en  Chaouïa  comprend  trois  parties.  Dans  la  première  partie  qui  a 
trait  à  la  période  de  répression  et  de  pacification,  on  expose  les 
opérations  jusqu'à  la  prise  d'Azemmour,  et  le  récit  détaillé  du  combat 
livré  le  2  février  1908  à  Dar-Kseibat  et  de  la  seconde  marche  sur 
Settat  (combat  de  Zaouiet  el  Mekki,  6  févrieri  donne  une  idée  exacte 
de  ce  que  furent  les  rencontres  entre  Français  et  Marocains.  La 
deuxième  partie  concerne  la  période  d'organisation,  du  mois  de  juil- 
let 1908  à  la  rentrée  du  général  en  France  :  précautions  prises  en 
Chaouia  pendant  l'expédition  d'Ab-el-Aziz,  vers  Marrakech  ;  disposi- 
tions arrêtées  pour  assurer  la  pacification  du  territoire  occupé;  éta- 
blissement et  fonctionnement  des  postes  régionaux,  travaux  entrepris 
à  Casablanca;  répartition  et  emploi  des  troupes;  organisation  des 
goums  et  d'un  système  d'impôts;  mesures  pour  développer  les  intérêts 
français.  La  troisième  partie  offre  des  considérations  d'ensemble  sur 
la  conduite  des  opérations,  l'emploi  des  armes  et  le  fonctionnement 
des  services.  Ce  rapport  a  été  rédigé  à  l'état-major  du  corps  de  débar- 
quement par  le  capitaine  Broussaud.  C'est  un  ample  et  très  intéressant 
document  pour  l'histoire  de  la  pénétration  française  en  pays  marocain, 

Arthur  Chuquet. 


Latin  and  Greek  in  American  Education  with  Symposia  on  the  value  ol 
humanistic  Studies.  Edited  by  Francis  W.  Kelsey.  New  York,  the  Macmiilan 
Company,  191 1,  8°,  p.  Sgû  (University  of  Michigan  Publications,  [iumanistic 
Papers;. 

Mitteilungen  des  Vereins  der  Freunde  des  humanistischen  Gymnasiums 
hrsg.vom  Vercinsvorstand,  redigiert  vom  Schriftfùhrer  S.  Frankflrter.  12.  Heft., 
Vienne  et  Leipzig,  Cari  Fromme,  8,  p.  120.  K.  1.20. 

I.  Les  défenseurs  des  études  classiques  en  France  seront  peut-être 
surpris  d'apprendre  que  leur  cause  a  trouvé  de  vaillants  champ'ions 
en  Amérique.  Une  réaction  dont  il  n'est  pas  aisé  de  mesurer  l'étendue, 
s'y  est  manifestée  contre  l'utilitarisme  et  la  spécialisation  prématurée 
qui  ont  passé  pour  inspirer  jusqu'ici  la  pédagogie  américaine,  et  juste 
au  moment  oia  ils  commencent  à  transformer  la  nôtre.  Des  confé- 
rences, des  symposies^  organisées  en  1906  à  l'Université  Ann  Arbor 
sur  diverses  questions  touchant  à  l'enseignement  des  humanités, 
reproduites  ensuite  dans  des  revues  et  par  des  tirages  à  part,  ont  été 
suivies  avec  tant  d'intérêt,  que  M.  Kelsey,  professeur  à  l'Université 
du  Michigan,  qui  en  avait  été  l'actif  organisateur,  les  publie  aujour- 
d'hui réunies  en  un  volume  très  soigneusement  édité.  Elles  sont  pré- 
cédées de  trois  articles  de  l'éditeur  lui-même  et  d'un  autre  d'un  de  ses 
collègues,  M.Wenley,  sur  l'état  actuel  des  éludes  classiques  aux  États- 


d'histoire  p:t  de  littérature  189 

Unis,  sur  les  avantages  qu'elles  présentent  comme  moyen  de  culture 
et  sur  le  détail  des  modifications  qu'il  faudrait  apporter  à  leur  ensei- 
gnement. Les  mêmes  idées  reviennent  dans  les  conférences  propre- 
ment dites,  souvent  avec  les  mC'mes  arguments  ;  nous  les  avons  en 
France  entendus  cent  fois  et  ils  nous  paraissent  usés,  mais  ici  ils 
donnent  l'impression  d'avoir  été  fraîchement  découverts;  de  plus  ils 
sont  renouvelés  par  l'humour  américain  et  illustrés  d'exemples  précis 
empruntés  à  un  milieu  social  si  différent  qu'on  les  relira  avec  plaisir. 
D'ailleurs  le  congrès  des  études  classiques  qui  avait  fixé  le  programme 
de  ces  conférences,  s'était  piqué  au  jeu  et  avait  tenu  à  démontrer  par 
la  bouche  de  ses  orateurs,  qui  ne  sont  pas  des  professeurs  de  rhéto- 
rique, mais  des  médecins,  des  chirurgiens,  des  avocats,  des  électri- 
ciens, des  marins,  que  la  culture  antique  est  une  source  d'inappré- 
ciables bienfaits  pour  le  futur  médecin,  pour  l'ingénieur,  pour 
l'homme  de  loi,  le  pasteur  et  l'homme  d'affaires.  Les  cinq  premières 
symposies  sont  consacrées  au  développement  d'une  même  thèse  dans 
ces  cinq  domaines  différents  et  chacun  des  quatre  ou  cinq  orateurs 
intervenant,  on  ne  peut  pas  dire  dans  le  débat,  il  y  manque  même 
l'avocat  du  diable,  mettons  dans  le  panégyrique,  aboutit  aux  mêmes 
conclusions.  Habitudes  de  précision  pour  l'esprit,  acquisition  de  la 
terminologie  scientifique,  possession  plus  complète  de  l'anglais,  péné- 
tration d'une  civilisation  essentielle  dans  l'histoire  de  l'humanité  : 
tels  sont  les  principaux  avantages  que  les  conférenciers  prétendent 
retirer  de  l'étude  du  latin  et  de  celle  du  grec  auquel  vont  leurs  secrètes 
préférences.  Jusqu'à  quel  point  cet  idéal  pédagogique  qui,  comme 
le  prouve  ce  recueil,  a  d'éloquents  défenseurs,  est-il  partagé  en 
Amérique,  nous  aimerions  à  le  savoir.  A  s'en  référer  à  la  conférence 
de  M.  Wiley  qui  avait  adressé  à  une  centaine  de  savants  faisant  auto- 
rité un  questionnaire  sur  l'utilité  de  la  culture  classique,  il  semblerait 
que  les  adversaires  soient  au  moins  aussi  nombreux  que  les  partisans, 
mais  il  faudrait  pour  porter  un  jugement  une  enquête  plus  étendue. 
De  toute  façon  ce  recueil  d'articles  et  de  conférences  dont  le  nombre 
et  la  variété  interdisent  toute  analyse,  sur  un  sujet  qui  n'a  pas  cessé 
de  garder  son  intérêt  d'actualité,  mérite  d'attirer  l'attention  des  leC' 
teurs  français  et  de  tous  les  amis  de  l'humanisme. 

IL  Le  i2«  Bulletin  de  ceux  qui  se  sont  formés  en  association  à 
Vienne  pour  le  défendre  nous  apporte  les  renseignements  ordinaires 
sur  l'activité  de  la  société  pendant  l'année  191 1  avec  les  comptes 
rendus  de  ses  réunions  et  la  reproduction  des  conférences  dont  elles 
sont  l'occasion.  Le  conservateur  de  la  collection  des  Antiques  de 
Vienne,  M.  Hans  Schrader,  a  pris  pour  sujet  de  la  sienne  Phidias,  et 
il  faut  signaler  aux  archéologues  l'examen  détaillé  d'une  tête  de  bronze 
assez  peu  connue  du  musée  viennois  et  dans  laquelle  M.  Sch.  est 
disposé  à  voir  une  copie  fidèle  du  Zeus  d'Olympie.  Le  conférencier 


igo  REVUE    CRITIQUE 

de  la  seconde  réunion  a  été  M.  Otto  Seeck,  professeur  à  l'Université 
de  Munster,  qui  a  développé  devant  ses  auditeurs  le  sujet  suivant  : 
die  Gcschiclïtc  des  Altcrliims  ah  Lchrmeislcrin  unserer  Zeit.  Quant 
au  rôle  même  de  la  Société,  elle  semble  sortie  à  présent  de  la  période 
de  lutte  et  son  dernier  Bulletin  s'est  occupé  plutôt  de  la  destinée  des 
études  classiques  dans  d'autres  pays  où  les  intérêts  qu'elle  défend  ont 
provoqué  des  discussions  et  des  revendications  qu'elle  suit  avec 
sympathie  pour  y  appeler  l'attention  de  ses  lecteurs  :  ainsi  en  France, 
en  Prusse,  en  Amérique.  Deux  des  articles  les  plus  attachants  du 
volume  dont  il  vient  d'être  rendu  compte  plus  haut  y  sont  donnés  en 
traduction,  comme  d'autres  avaient  déjà  paru  dans  les  Bulletins 
antérieurs  '. 

L.  R. 

Petites  collections  Bloud. 

La  librairie  Bloud  nous  a  adressé  cinq  numéros  de  sa  collection 
Philosophes  et  Penseurs  (191  i,  in-i6,  fr.  0,60  par  vol.).  Ce  sont  des 
essais  louables  de  vulgarisation,  mais  où  l'on  sent  parfois  que  le 
cadre  à  peu  près  uniforme  de  la  soixantaine  de  pages  s'est  révélé  trop 
étroit.  Il  faut  se  borner  à  signaler  brièvement  ces  courtes  esquisses. 

M.  M.  Louis  a  essayé  de  nous  résumer  la  philosophie  abstruse  et 
diffuse  de  Philon  le  Juif  qi  de  montrer  comment  s'est  fondue  chez  lui 
l'étude  des  penseurs  grecs,  de  Platon  surtout,  avec  l'interprétation  de 
l'Écriture. 

Le  Spino\a  de  M.  Philippe  Borell,  qui  a  tenu  à  souligner  le  carac- 
tère pratique  et  la  valeur  durable  du  spinozisme  pour  les  modernes, 
ne  m'a  pas  paru  donner  une  idée  assez  complète  et  suffisamment 
coordonnée  de  la  métaphysique  spinoziste  (P.  6,  le  cléricalisme  luthé- 
rien en  Hollande  est  un  lapsus;  il  n'y  avait  guère,  comme  on  sait^ 
que  des  réformés). 

M.  Jean  Didier  nous  présente  une  bonne  synthèse  de  la  philoso- 
phie de  Locke.  Il  ne  s'est  pas  d'ailleurs  interdit  dans  son  exposé  une 
petite  part  de  critique,  de  même  qu'il  a  eu  soin  de  ne  pas  isoler  Locke 
de  l'ensemble  de  la  spéculation  philosophique  et  de  rapprocher  ses 
conclusions  de  celles  des  autres  penseurs  anglais.  Il  estime  qu'il  ne 
faut  pas  voir  dans  sa  philosophie  un  pur  empirisme  et  Juge  Locke 
surtout  d'après  son  dernier  historien,  Riehl. 

Le  Fourier  de  M.  Albert  Lafontaine  serait  la  plus  satisfaisante  de 
ces  petites  monographies.  En  ne  retenant  de  l'œuvre  fumeuse  du 
«  Père  du  socialisme  »  que  la  partie  originale  et  féconde,  l'auteur  en  a 
très  nettement  présenté  les  principales  lignes  et  fait  apparaître  le  lien 
logique  des  idées  de  Fourier. 

Enfin  M.  Paul  Archambault,  se  plaçant  surtout  au  point  de  vue  his- 

I,  Corriger  p.  94  Beimier  en  Bonnier. 


d'histoire  et  de  littérature  191 

torique,  a  suivi  révolution  de  la  philosophie  de  Renoiivier,  en  insis- 
tant sur  la  façon  dont  le  maître  du  néo-criticisme  a  renouvelé  les 
problèmes  de  la  substance  et  de  la  liberté.  Quelques-uns  des  auteurs 
de  ces  brochures  ont  eu  l'idée  de  terminer  par  une  courte  note  biblio- 
graphique ;  on  peut  regretter  qu'elle  n'ait  pas  été  pour  toutes  unifor- 
mément adoptée. 

Nous  avons  encore  à  signaler  du  même  éditeur,  mais  appartenant  à 
la  série  des  Questions  historiques  ou  des  Biographies  trois  autres 
brochures. 

L'une,  de  M.  F.  Nau  sur  Nestorius  d'après  les  sources  orientales, 
s'arrête  sur  un  point  mal  connu  d'histoire  ecclésiastique;  M.  N.  y 
présente  un  plaidoyer  de  Nestorius,  en  faisant  de  fréquents  emprunts 
au  Livre  d'Héraclide. 

L'autre,  de  M,  Marcel  Navarre,  retrace  de  façon  assez  terne  et  peu 
neuve,  d'après  de  Barante,  Vaulabelle  et  le  Moniteur  ou  le  Mercure 
de  France,  l'élection  et  le  rôle  de  la  Chambre  introuvable . 

Le  dernier  de  ces  petits  livres  que  nous  avons  à  mentionner  offre 
plus  d'intérêt.  C'est  une  esquisse  très  vivante  et  de  dimensions  moins 
réduites  (p.  120.  Fr.  1,20)  du  Cardinal  Vaughan.  M.  Paul  Thureau- 
Dangin  l'a  tracée  en  suivant  de  près  l'ample  ouvrage  consacré  au  car- 
dinal par  son  ami  et  collaborateur  Snead  Cox.  Avec  ce  guide  sûr,  il 
nous  a  donné  du  dernier  archevêque  de  Westminster  si  entier  et  si 
intransigeant  un  portrait  Juste,  qui  seulement  accable  un  peu  trop  le 
cardinal  par  la  comparaison  avec  ses  grands  prédécesseurs  Wiseman, 
Newman  et  Manning.  M.  Th.  D.  ne  lui  pardonne  pas  d'avoir  par  ses 
méfiances  et  sa  rude  franchise  fait  échouer  le  projet  de  réunion  des 
églises  d'Angleterre  caressé  en  i8g5  par  Léon  XIIL  En  tout  cas,  l'au- 
teur de  la  Renaissance  catholique  en  Angleterre  au  xix'=  siècle  était 
plus  que  personne  qualifié  pour  présenter  au  grand  public  la  figure 
malgré  tout  originale  du  cardinal  Vaughan. 

L.  R. 


N.  JciRGA.  Éléments  originaux  de  l'ancienne  civilisation  roumaine.  Jassy.  Ste- 
t'anic,    191  I,  in-S",  p.   29. 

Cette  conférence,  faite  devant  les  délégués  étrangers  aux  fêtes  du 
centenaire  de  l'Université  de  Jassy,  retrace  les  origines  complexes  de 
l'État  roumain  et  avec  plus  de  détail  son  évolution  artistique  qui  a 
subi  et  fondu  en  une  synthèse  originale  des  influences  latines  et  byzan- 
tines. Du  XV'  au  xvii^  siècle,  les  princes  moldaves  et  valaques  tinrent  à 
honneur  d'illustrer  leur  règne  par  l'érection  d'églises  et  de  monastères 
plus  ou  moins  riches,  et  l'architecture  religieuse  occupe  ainsi  la  pre- 
mière place  dans  cette  brève  esquisse. 

L.    R. 


iq2  REVUE    CRITIQUE 

Louis  Le(.kr.  La  Renaissance  tchèque  au  dix-neuvième  siècle.  Paris,  Alcan, 
11)1  I,  in-if),  p.  271 .  ;■;  Ir.  5o. 

Depuis  presque  un  demi-siècle  M.  Léger  travaille  avec  une  persé- 
vérance inlassable  à  éveiller  dans  le  grand  public  français  la  curiosité 
de  la  Bohème  et  du  slavisme.  Ce  nouveau  volume  lui  offrira  un  rac- 
courci de  rctl'ort  national  des  Tchèques  au  xis."  siècle,  il  le  familiari- 
sera avec  quelques-unes  des  principales  figures  qui  l'incarnent,  et, 
comme  il  touche  à  bien  des  questions  soulevées  dans  les  précédentes 
études  de  l'auteur,  ses  anciens  lecteurs  y  trouveront  un  utile  complé- 
ment pour  leur  information.  Après  une  rapide  esquisse  du  dévelop- 
pement littéraire  de  la  Bohème,  M.  L.  nous  présente  les  érudrits  qui 
en  ont  préparé  le  réveil  contemporain  et  dont  les  recherches  ont  frayé 
la  voie  en  Bohême  et  en  Russie  à  l'ethnographie  et  à  la  philologie 
slaves.  Puis  vient  une  série  d'études  biographiques  :  sur  un  dilettante, 
Hanka,  éditeur  de  poèmes  apocryphes  et  faussaire  par  patriotisme  ; 
sur  un  historien,  Tomek;  sur  un  véritable  savant,  Safarik,  probe, 
vaillant,  actif,  le  grand  initiateur  de  la  slavistique  moderne;  sur  un 
poète,  Czech;  enfin  sur  un  homme  politique,  Rieger,  qui  fut  l'ami  et 
l'hôte  de  l'auteur.  Rieger,  après  1866,  cherchait  à  intéresser  Napoléon 
à  la  cause  des  revendications  de  ses  compatriotes  ;  ce  fut  M.  Léger  qui 
indirectement  ménagea  l'entrevue  et  il  nous  renseigne  sur  le  mémo- 
randum inédit  que  l'empereur  avait  demandé  à  Rieger.  C'est  ainsi  que 
ces  études  historiques  ou  littéraires  prennent  parfois  le  caractère  de 
souvenirs  personnels,  tant  l'auteur  s'est  mêlé  de  loin  et  aussi  par  de 
fréquents  voyages  à  la  vie  intellectuelle  de  la  Bohême.  Il  faut  encore 
citer,  pour  être  complet,  le  chapitre  sur  l'histoire  des  dernières  mani- 
festations de  la  vie  nationale  en  Bohême  et  des  relations  entre  Paris  et 
Prague.  M.  L.  a  bien  fait  d'y  Joindre  le  compte  rendu  détaillé  de 
l'inauguration  du  monument  élevé  en  igoS  à  Jean  de  Bohême  à  Crécy, 
et  qui  symbolise  heureusement  un  rapprochement  plus  étroit  entre 
les  deux  nations,  d'autant  plus  précieux  à  l'auteur  qu'il  en  avait  été 
un  des  premiers  ouvriers.  Il  faut  se  borner  à  signaler  ces  brèves  études 
qui  ne  sont  elles-mêmes  que  des  résumés,  mais  dans  leur  ensemble 
et  venant  d'une  plume  si  autorisée,  elles  offriront  au  lecteur  une  juste 
image  du  risorgimento  tchèque  et  des  aspirations  communes  de  la 
Slavie  '. 

L.  R. 


I.  Je  relève  quelques  lapsus.  Lire  p.  8,  Herborn  et  non  Herbon  ;  p.  22,  Léo- 
pold  H  et  non  Joseph  II,  mort  en  1790;  p.  83  et  ailleurs,  Kôniggratz,  non  Konig- 
grat^;  p.  lôo,  1818,  non  j8o8;  p.  175,  Gleichberechtigung,  non  Gleicliberichti- 
giing  ;  p.  201,  Reichsrat,  non  Reichstadt  ;  p.  2i3  l'ouverture  du  théâtre  national 
est  datée  de  jSS3  et  p.  178  de  i8S~  (en  fait,  elle  est  de  i88i)-,  p.  214,  la  fonda- 
tion de  l'université  tchèque  serait  de  1SS2  et  p.  2o3  de  i88j, 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  I9:) 

Armand  Weil.  Emile  Giiknin,  Le  Français  de  nos  enfants.  Toulouse,  Privât  et 
Paris,  Didier,  191 1,  iii-i6,  p.  292,  avec  34  illustrations,  Fr.  3,5o  (Bibliothèque 
des  Parents  et  des  Maîtres,  \'lir  . 

Abel  Faure,  La  Crise  du  Français  et  la  Réforme  universitaire.  Paris,  Stock, 
191 1,  in-iG,  p.  76.  Fr.  i. 

I.  MM.  Weil  et  Chénin  plaident  en  faveur  d'une  méthode  nouvelle 
de  renseignement  du  français  qu'ils  ont  expérimentée  et  dont  ils  nous 
communiquent  quelques  résultats.  Il  ne  s'agit  d'ailleurs  que  des 
modestes  débuts  de  cette  discipline  dans  les  classes  de  sixième  et  cin- 
quième. Aux  exercices  traditionnels,  aux  «  matières  à  développer  » 
prises  uniquement  dans  la  fiction  et  l'abstraction  en  dehors  de  toute 
réalité,  ils  veulent  substituer  des  sujets  d'observation  directe  où  l'en- 
fant au  lieu  de  parler  à  vide  note  ses  menues  expériences  personnelles, 
s'habitue  à  voir  Juste  et  à  exprimer  des  sentiments  sincères.  Tout  le 
petit  domaine  qui  relève  de  cette  observation  commençante  a  fourni 
aux  deux  auteurs  une  série  de  sujets  méthodiquement  groupés  pour 
lesquels  nous  avons  les  copies  des  meilleurs  élèves  et  sans  retouches  ; 
celles  des  médiocres  et  des  mauvais  nous  seraient  plus  utiles  encore 
pour  une  juste  appréciation.  La  méthode  se  complète  en  faisant 
appel  à  la  composition  d'après  l'image  :  des  tableaux,  non  pas  artifi- 
ciellement exécutés,  mais  empruntés  à  l'œuvre  des  meilleurs  artistes, 
apprendront  aux  jeunes  enfants  l'art  de  regarder  la  réalité,  d'en  grou- 
per les  éléments  et  d'en  rendre  l'impression.  Des  œuvres  de  nos 
musées  les  plus  utilisables  à  cet  égard  les  auteurs  ont  signalé  un  choix 
et  joint  des  reproductions  à  leur  texte  à  titre  d'indication.  Cet  auxi- 
liaire de  la  méthode  d'observation  pourra  sembler  assez  suspect  ; 
dans  la  pratique  il  aboutit  le  plus  souvent  à  une  notation  sèche  et 
maladroite.  Mais  quant  au  procédé  renversé,  l'illustration  d'une  page 
littéraire,  confiée  au  pinceau  d'enfants  de  dix  à  onze  ans,  elle  est  un 
franc  contre-sens,  et  en  tout  cas  l'expérience,  si  elle  doit  être  tentée 
ou  continuée,  ne  regarde  que  le  professeur  de  dessin.  Ce  n'est  pas  ici 
le  lieu  d'aborder  une  discussion  de  méthodes,  mais  d'une  façon  géné- 
rale le  souci  de  ne  pas  sortir  de  l'observation  rigoureuse  m'a  paru 
excessif  pour  cet  âge  et  il  a  fait  souvent  confondre  la  banalité  avec  la 
réalité.  Pourquoi  tant  se  défier  de  l'imagination  ?  la  folle  du  logis  a 
si  tôt  fait  de  le  déserter.  Malgré  toutes  ces  réserves,  il  y  a  dans  cet 
effort  pour  renouveler  l'enseignement  élémentaire  du  français  une 
tentative  louable  dont  l'initiative  des  maîtres  saura  tirer  parti.  Mais 
transformer  la  nouvelle  méthode  en  un  système  absolu  mènerait  à 
d'aussi  fâcheux  errements  que  celle  qu'elle  prétend  remplacer.  Je 
signale  en  tout  cas  à  tous  ceux  qu'intéresse  la  psychologie  de  l'enfant 
les  nombreux  petits  documents  que  les  auteurs  nous  ont  offerts,  bien 
que  dans  un  autre  but. 

II.  Malgré  son  titre,  la  brochure  de  M.  Faure  n'est  pas  un  cri 
d'alarme  de  plus  sur  ratïaiblisscment  d'une  des  disciplines  de  notre 


ip4  REVUE    CRITIQUE 

enseignement.  L'auteur  entend  protester  contre  une  prétendue  déca- 
dence de  notre  langue  qu'il  plait  à  certains  d'appeler  crise  et  qui 
n'est  qu'une  des  multiples  transformations  auxquelles  est  lice  l'his- 
toire de  tout  langage.  Cependant  en  ce  moment  l'évolution  de  notre 
françaises!  compromise  par  notre  système  d'éducation,  par  des  erreurs 
pédagogiques  dont  la  Sorbonne  doit  porter  toute  la  responsabilité. 
C'est  pour  dénoncer  les  méfaits  de  la  Sorbonne  que  l'auteur  a  pris 
prétexte  de  la  «  crise  du  français  »,  et  il  se  donne  le  plaisir  facile  de 
railler  les  errements  de  la  Faculté  des  Lettres  de  Paris,  «  sur  laquelle 
sont  calquées  toutes  les  facultés  de  province  »,  avec  ses  méthodes 
tour  à  tour  délaissées  ou  prônées,  critique  dogmatique  d'hier  ou  phi- 
lologie envahissante  d'aujourd'hui.  Cette  polémique  n'est  pas  nou- 
velle, nous  l'avons  souvent  rencontrée  ailleurs,  quoique  avec  moins 
d'incohérence  et  d'injustice. 

L.   ROUSTAN. 

>t'  ■ 

Albert  Dauzat,  Pour  qu'on  voyage.  Essai  sur  fart  de  bien  voyager.  Toulouse, 
Privât  et  Paris,  Didier,  191  r,  in-i6,  p.  363,  avec  20  illustrations.  Fr.  3,5o 
(Bibliothèque  des  Parents  et  des  Maîtres,  VII). 

M.  Dauzat  souhaite  que  le  goût  des  voyages,  dont  on  ne  peut  pas 
dire  qu'il  soit  étranger  aux  Français  d'aujourd'hui,  se  répande  encore 
davantage  parmi  eux,  et  il  a  résumé  sous  une  forme  agréable  d'utiles 
conseils  pour  rendre  le  voyage  aussi  fructueux  que  possible.  Grand 
voyageur  lui-même  —  la  Suisse,  l'Italie  et  même  la  France  lui  sont 
familières. —  il  a  recueilli  beaucoup  d'observations  et  d'expériences. 
Sur  la  préparation  d'un  itinéraire,  sur  l'information  nécessaire  à 
toute  sortie  longue  ou  brève,  sur  le  meilleur  parti  à  tirer  d'une  villé- 
giature ou  d'une  excursion,  sur  l'art  de  visiter  un  pays,  ses  villes  et 
ses  œuvres  artistiques,  sur  la  façon  de  pénétrer  les  mœurs  de  ses 
habitants  et  de  prendre  une  idée  de  leur  activité  agricole,  commerciale 
et  industrielle,  il  nous  prodigue  les  avis  et  les  avertissements,  sans 
oublier  les  critiques,  car  à  côté  du  goût  il  y  a  aussi  la  manie  des 
voyages  ;  tout  ce  qu'il  remarque  sur  la  fièvre  et  l'exclusivisme  de  cer- 
tains voyageurs  est  rempli  de  bon  sens  et  présenté  non  sans  humour. 
M.  D.  ne  s'est  pas  non  plus  interdit  les  digressions  :  les  longues  pages 
consacrées  au  sentiment  de  la  nature  sont  plutôt  une  incursion  dans 
le  domaine  littéraire  qu'un  chapitre  de  tourisme  ;  elles  sont  du  reste 
pleines  d'intérêt.  Sans  doute  dans  cette  variété  de  questions  effleu- 
rées par  l'auteur  les  truismes  et  les  lieux  communs  ne  manquent 
pas,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  livre  est  écrit  surtout  pour  la 
jeunesse  et  d'ailleurs  il  renferme  aussi  nombre  d'aperçus  neufs  et  de 
sages  réflexions  dont  d'autres  lecteurs  encore  pourront  faire  leur  pro- 
fit '. 

L.  R. 

-  I.  P.  195,  les  croc6' de  l'auroch  (un  herbivore!) 


I 


d'histoire  et  de  littérature  195 

Ferdinand  Brunetière.  Lettres  de   combat.  Paris,  Perrin,    1912.    In-i6,  p.  262. 

3  fr.  5o. 

Après  les  Discours  de  combat  de  Brunetière  nous  avons  ses  Lettres 
de  combat,  et  la  mémoire  du  savant  et  de  Thistorien  est  ainsi  presque 
effacée  par  celle  du  polémiste.  Il  faudrait  le  regretter,  si  l'on  ne  savait 
que  le  temps  remettra  vite  dans  leur  ordre  véritable  les  mérites  du 
controversiste  et  du  critique.  Ce  volume  d'ailleurs  offre  le  môme  inté- 
rêt que  ceux  dont  il  a  emprunté  à  demi  le  titre  et  il  était  naturel  d'offrir 
aux  lecteurs  de  B.  après  les  trois  volumes  de  discours  les  lettres 
ouvertes  où  il  défend  les  mêmes  idées  avec  la  même  logique  serrée  et 
pressante.  M.  A.  Chérel,  l'éditeur  de  ce  recueil  de  polémiques,  nous 
avertit  qu'il  ne  contient  rien  d'inédit,  il  nous  signale  le  Journal  ou  la 
revue  où  elles  parurent  d'abord,  mais  il  a  eu  soin  aussi  d'en  rappeler 
brièvement  l'occasion  et  de  résumer  en  quelques  mots  la  thèse  de  l'ad- 
versaire. Il  serait  vain  d'entrer  dans  le  détail  de  discussions  oubliées 
et  plus  encore  d'essayer  d'apprécier  la  valeur  des  arguments  de  l'au- 
teur; il  suffira  d'indiquer  l'économie  du  volume.  En  dehors  d'une 
réponse  à  Sarcey,  provoquée  par  un  débat  littéraire  et  remontant  à 
1875,  toutes  les  lettres  se  rapportent  à  des  questions  politiques,  sociales 
ou  surtout  religieuses  et  s'échelonnent  entre  les  années  iSgS  et  1906. 
Ce  sont  d'abore  douze  lettres  échangées  avec  le  directeur  du  Siècle  à 
propos  de  «  l'affaire  »  ;  trois  autres  adressées  à  M.  F.  Buisson  sur  la 
liberté  de  l'enseignement;  l'article  nécrologique  sur  Léon  XIII  ;  une 
controverse  avec  G.  Renard  sur  l'idéal  social  et  l'idéal  chrétien,  et 
quelques  autres  déclarations  moins  étendues  à  propos  du  pacifisme  ou 
de  la  loi  de  séparation.  Un  dernier  groupe,  sous  le  titre  d'Apologé- 
tique, se  rapporte  à  la  thèse  ordinaire  de  l'auteur  sur  le  réveil  du 
sentiment  religieux  et  l'adaptation  du  catholicisme  aux  besoins  de  la 
société  moderne. 

L.  R. 


G. -E.  PicHON.  Leçons   pratiques  de  français.   Freiburg   i.   B.,  Bielefeld,  191 1. 
In-i6,  272  p. 

M.G.-E.  Pichon,  chargé  de  cours  à  l'Université  tchèque  de  Prague, 
a  composé  ce  volume  de  Leçons  pratiques  pour  les  étrangers  désireux 
d'acquérir  le  maniement  du  français  courant.  Il  a  disposé  le  voca- 
bulaire le  plus  usuel  dans  une  série  de  morceaux  méthodiquement 
groupés,  les  uns  artificiellement  composés,  les  autres  empruntés  à  des 
auteurs  surtout  modernes.  De  brèves  explications  des  termes  nou- 
veaux accompagnent  ces  derniers  morceaux;  celles-ci  ont  le  tort  de 
manquer  trop  souvent  de  précision  et  de  laisser  échapper  quelques 
contre-sens.  Des  exercices  oraux  de  vocabulaire,  de  grammaire  et  des 
sujets  de  devoirs  sont  joints  aux  leçons;  un  long  appendice  sur  la 
conjugaison   complète  le  recueil   de   M.  P.  dont  le  caractère  pratique 


iq6  revue  critique 

rendra  service  aux  étrangers  déjà  entraînés  par  son  premier  cours  de 
niétliode  directe  que  j'ai  signalé  aussi  en  son  temps. 

L.    R. 


Km.  Faguet  Les  dix  commandements. 

De  la  profession.  io3  p. 

De  la  patrie,  182  p.  Paris,  Sansot,  191  i.  ln-12,  i   franc  le  volume. 

On  lira  avec  plaisir  ces  réflexions  d'une  forme  si  piquante,  d'un 
tour  si  alerte  sur  des  sujets  qui  ne  cessent  pas  d'être  d'actualité  et  que 
d'ailleurs  l'observation  aiguisée  du  moraliste  a  su  rajeunir.  L'auteur  ne 
résiste  pas  sans  doute  à  l'attrait  du  paradoxe,  des  conclusions  impré- 
vues et  des  rapprochements  trop  ingénieux  ;  mais  il  n'est  paradoxal 
que  par  boutades,  sans  danger,  et  on  lui  passe  ses  pirouettes,  tant 
elles  sont  jolies;  au  fond  de  la  discussion  il  y  a  toujours  un  solide 
bon  sens  et  une  compréhension  juste  des  réalités.  Des  deux  bro- 
chures la  première  avec  ses  considérations  sur  les  etïets  de  la  pré- 
sence ou  du  manque  de  vocation,  sur  les  rapports  delà  moralité  et  de 
la  profession,  sur  l'importance  et  le  choix  du  «  second  métier  «  nous 
a  semblé  plus  neuve  et  plus  suggestive  que  les  réflexions  inspirées  par 
le  second  sujet. 

L.  R. 


H.  Fetzer.  Einleitung  in  die   plastische  Anatomie  fUr  KUnstler.  lùbingen, 

Laupp,  191 1.  In-S",  p.  b-  (illustré). 

Dans  ce  petit  ouvrage,  M.  H.  Fetzer,  professeur  d'anatomie  plas- 
tique à  la  Kûnstlerakademie  de  Stuttgart,  présente  en  abrégé  et  sous 
forme  de  tableaux  commodément  disposés  une  étude  des  diflférents 
muscles  du  corps  humain,  en  indiquant  l'origine,  l'insertion,  la  forme 
et  la  fonction  de  chacun  d'eux.  Le  livre  s'adresse  aux  élèves  des- 
écoles  des  beaux-arts  et  devra  leur  servir  de  référence  pour  mieux 
suivre  l'enseignement  oral  qu'ils  reçoivent  du  maître.  A  leur  inten- 
tion l'auteur  n'a  voulu  se  servir  que  d'une  terminologie  allemande  au 
lieu  des  désignations  scientifiques  des  spécialistes.  Les  planches 
indispensables  à  cet  exposé  accompagnent  le  volume  au  nombre  de  56 
et  sont  d'une  bonne  exécution. 

L.  R, 


Jacques  DuPLESSix.  Printemps  sacré.  Paris,  Champion,  iii-iG",  32i  p.   3  fr. 

Nous  ne  pouvons  parler  en  détail  (car  il  sort  trop  du  cadre  ordi- 
naire de  cette  Revue)  du  premier  —  et  dernier  —  volume  de  Jacques 
Duplessix.  Le  père  de  l'écrivain,  avec  un  soin  pieux,  a  recueilli  les 
fragments  les  mieux  venus  dans  des  essais  de  roman,  quelques  vers, 
quelques  pages  de  critique,  des  notes  de  journal  et  un  bref  choix  de 
lettres.   Le  volume  n'est  pas  sans  agrément  ;  mais  la    mort    n'a  pas 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  ig7 

laissé  le  temps  à  ce  jeune  homme  de  vingt-sept  ans,  d'une  activité 
inquiète  et  trop  dispersée,  de  fondre  seulement  d'une  manière  à  demi 
satisfaisante  ses  premières  ébauches.  Rennais  d'origine,  sollicité  tour 
à  tour  par  la  peinture,  la  musique  et  la  littérature,  il  avait  eu  enfin 
Tambition  de  devenir  le  poète  de  la  Bretagne  des  hautes  terres  et  d'en 
illustrer  le  génie  dans  un  grand  roman  symbolique,  en  suivant,  mais 
librement,  la  voie  de  Le  Braz.  Ces  quelques  pages  laisseront  à  leurs 
lecteurs  le  regret  que  les  lettres  aient  été  frustrées  des  promesses  d'un 
talent  qui  s'annonçait  comme  original. 

L.   R. 


—  Le  nouveau  programme  académique  de  M.  F.  Gustafsson,  professeur  bien 
connu  d'Helsingfors  [Paratactica  latina,  III,  gS  p.  in-4'')  traite  des  pronoms  relatifs; 
quelle  est  leur  origine?  ne  viennent-ils  pas  des  interrogatifs  plutôt  que  des  indé- 
finis? Différentes  formes  de  l'interrogation.  Elle  est  surtout  fréquente  sous  cette 
forme  que  celui  qui  parle,  s'interroge  ou  paraît  s'interroger  lui-même  ;  est-elle 
placée  avant  ou  après  la  proposition  principale  ?  Le  tout  est  clairement  présenté, 
bien  déduit  et  fort  bien  rédigé;  la  plupart  des  exemples  sont  empruntes  à  Plante; 
un  très  petit  nombre  vient  de  Térence  et  de  Pétrone.  —  É.  T. 

—  Je  réunis  en  un  seul   groupe  diverses  études  de  manuscrits.  —  L  Le   Codex 
Lovanicnsis  (a),  xi"  s.,  est  le   meilleur  ms.  de  César  du   British    Muséum.  Il  a  été 
collationné  pour  la  première  fois  partiellement  par  Holder  (B.  Civ.),  par  Du  Pontet 
(B.  Al.  et  B.  Afr.).  On  n'en  avait  pas   le  B.  Gall.  M.  Holmes,  auteur  d'excellents 
livres  sur  César  (Conquest  of  Gaul,  etc.),  en  a  fait  une  collation  qu'il  a  envoyée 
à  M.  Meusel.  Elle  permet  de  juger  plus  sûrement  du  caractère  de  la  famille  9  et 
modifie  la   caractéristique   que  Meusel   avait   donnée  du  manuscrit  en  tête   de  la 
guerre  civile.  Car  L  n'est  plus  ici,  comme  dans  le  B.  C,  un  jumeau  de  l'Ashbur- 
nhamianus  (S).  Pour  gagner  de  la  place,  dans  la  publication  qui  est  faite  ici  par  la 
Classical  Quarterly  (juillet  191  i)  (25  p.),  M.  H.  a  omis  des  indications  de  peu  d'im- 
portance. Mais  en  somme  nous   lui  devons  un  bon  complément  de  notic  apparat 
critique  de  César.—  II.  J'ai  déjà  eu  occasion  de  citer  divers  travaux  de  M.  Ui.lman, 
maintenant  professeur  à  l'Université  de  Pitisburg  (sur  les  citations  de  Catulle,  1910, 
II,  p.  397;  sur  l'identification  des  manuscrits  deCatulle  cités  par  Statius  ;  sur  la 
division   des  livres  de  Propercc,  1909,  I,  p.  397).  Présentement,  dans  un  article  de 
la  Classical  Philology,  de  juillet  dernier  (19  p.),  ce  savant  aborde  la  question  des 
manuscrits  de  Properce. Voici  les  points  qu'il  traite  :  histoire  du  plus  ancien   ma- 
nuscrit ;  rapport  de  A  et  de  F  ;   vues  présentées  dans  deux  articles  récents  sur  les 
manuscrits  de    Properce.  M.  U.  indique  sur  quelles  bases  est  fondé   son    travail  : 
photographies  de.NAF,  une  collation  de  1"   (manuscrit  difficile   à    coUationner,  à 
cause  de  ses  nombreuses  corrections),  collation  faite  sur  le  manuscrit  lui-même  ;  des 
leçons  diverses  venant  de  nombreux  manuscrits  (une  centaine).  Au  lieu  d'étudier 
les  manuscrits  en   eux-mêmes,  au    moins    provisoirement,  M.  U.  tâche  d'éclairer 
leur  histoire  :  de  quelle  date  sont-ils,  de   quel  pays,  écrits  par  combien  de  mains 
et,  s'il   est  possible  de  le   savoir,  de  quelles   m.ains   :   enquête   qui  n'est    pas    peu 
utile    pour   la   relation    des    manuscrits   entre   eux.   Par  des    rapprochements  de 
photographies  de  Rome  avec  le  manuscrit  de  Florence,  M.  U.  est  arrivé  à  quelques 
identifications  curieuses  des  mains  qui  ont  laissé  leur  trace  dans  F  :  copiste  prin- 
cipal, celui  qu'employait  Lombardo;  correcteur;  Lombardo.  La  3"  main   est  celle 


ig8  REVUE    CRITIQUE 

de  Coluccio.  Ce  sont  la  trois  mains  qu'il  importerait  de  tiistingucr  dans  l'apparat 
(F"'  F'  P)  au  lieu  de  les  confdndrc  comme  a  fait  Ikichrcns  (F';.  M.  U.  s'attache  à 
rectifier  les  erreurs  commises,  sur  la  date  des  manuscrits  ou  de  leurs  correcteurs 
(surtout  pour  F),  par  Bachrcns  et  à  sa  suite  par  Plcssis.  Il  emprunte  beaucoup  k 
un  article  de  James  dans  la  (llassical  Review,  1903,  p.  462  et  s.  Après  Catulle  et 
Properce,  M.  U.  étend  son  travail  à  TibuUe  dont  il  voudrait  préparer  une  édition. 
—  III.  On  sait  que  les  manuscrits  de  Tcrencc  de  la  recension  de  Calliopius  se 
divisent  en  deux  groupes  :  d'après  Schanz  5  comprendrait  principalement  D  et 
C;  Y  comprendrait  de  mûme  CFP.  En  dehors  de  ces  groupes  il  existe  des 
manuscrits  mélangés  que,  pour  simplifier,  je  laisse  de  enté.  Dans  un  article  des 
Harvard  Studies  de  191 1  (p.  55-iio  :  An  attempt  to  restore  the  y  archétype  of 
Tercncc  manuscripts^,  M.  Robert  Hcnning  Webd  passe  en  revue  d'autres  manus- 
crits de  ce  groupe  étudiés  récemment.  Il  appelle  surtout  l'attention  sur  un  Pari- 
sinus  7900  (Y),  illustré,  dont  on  a  jusqu'ici  négligé  à  tort  le  texte.  11  en  a  étudié, 
cet  été,  particulièrement  l'Andrienne,  VHaiit.  et  le  Phormion.  De  plus  il  apporte 
des  indications  complémentaires  pour  P  C  et  le  Dunelmensis  (O)  signalé  par  un 
Américain,  M.  Ch.  Hoeing,  dans  VAmev.  Jown.  of  Archaeology  de  1900.  11  a  eu 
sur  ces  manuscrits  des  indications  particulières  précieuses,  et  il  a  noté  nombre 
de  corrections  à  faire  à  l'apparat  de  Umpfenbach.  Donc  très  bonne  contribution 
sur  le  sujet.  —  E.  T. 

—  Le  professeur  de  l'Université  de  Graz,  dont  nous  avons  déjà  signalé  bien 
des  publications,  et  tout  récemment  une  édition  de  Pline  le  jeune,  M.  R.  C. 
KuKULA  étudie  la  poésie  séculaire  à  Rome  dans  une  brochure  de  97  pages.  La 
division  était  tout  indiquée;  après  une  introduction  sur  les  fêtes  séculaires  (5  p.), 
un  chapitre  sur  1  epode  d'Horace  (36  p.);  un  autre  sur  Téglogue  de  Virgile  (5o  p.); 
enfin  chapitre  final  (5  p.)  sur  le  rapport  de  l'églogue  à  l'épode.  —  Suivant  M.  K., 
l'épode  est  antérieure,  l'églogue  postérieure  à  la  paix  de  Brindes;  cette  différence 
de  date  expliquerait  à  elle  seule  les  différences  de  ton  qu'on  peut  trouver  de  l'une 
à  l'autre;  il  n'y  a  pas  à  songer  à  une  véritable  imitation  ni  à  une  sorte  de  rectifi- 
cation. Si  l'on  eût  renversé  la  situation  des  poètes,  il  est  clair  que  chacun  d'eux 
se  serait  exprimé  autrement  qu'il  ne  l'a  fait.  —  En  dehors  des  lieux  communs 
tirés  d'oracles  sibyllins  et  des  thèmes  analogues,  les  deux  poètes  suivent  chacun 
leur  modèle  et  se  conforment  aux  habitudes  d'un  genre  déterminé  :  Horace  suit 
Archiloque  dans  ses  iambes;  Virgile  se  souvient  de  trois  idylles  deThéocrite  (XVI, 
XVII  et  XXIV),  des  hymnes  et  des  dithyrambes  grecs  en  l'honneur  de  tel  person- 
nage. —  Je  crois  bien  que  je  n'adopterais  pas  toutes  les  vues  de  M.  K.;  mais  par 
ce  qui  précède  on  peut  se  faire  une  idée  de  l'intérêt  de  son  élégante  plaquette.  -^ 
É.  T. 

—  Nous  avons  reçu  de  M.  Alberto  Pirro,  professeur  d'histoire  ancienne  à  l'Uni- 
versité de  Naples,  une  plaquette  de  22  p.  in-8°  :  Tacito  e  la  persecii^ione  neroniana 
dei  christiani.  M.  P.  est  un  élève  de  l'Ecole  normale  de  Pise.  Ses  publications 
précédentes  que  j'ai  le  regret  de  ne  pas  connaître,  portent  sur  Hérodote,  sur  Thu- 
cydide, sur  divers  points  de  l'histoire  romaine,  enfin  sur  l'histoire  de  Naples. 
Dans  le  sujet  épineux  qu'il  traite  cette  fois,  sujet  où  nous  venons  de  subir,  presque 
en  pure  perte,  un  déluge  de  brochures  et  de  déductions,  voici  en  résumé  les  vues 
de  l'auteur  :  Suivant  M.  P.,  il  y  a  contradiction,  dans  Tacite,  entre  \e  forte  an 
dolo  principis  qui  exclut  la  culpabilité  des  chrétiens,  et  les  mots  utilitatc  ptiblica 
qui  la  supposent.  La  contradiction  est  inexplicable  si  on  lie  la  «  faute  >>  des  chré- 
tiens à  l'incendie  de  Rome.  Mais  on  a  tort  de  réunir   les  deux   choses  :  si  Tacite 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  1 99 

jupe  scvcrement  les  chrétiens,  il  le  fait  indépendamment  du  malheur  public  qui 
a  fourni  contre  eux  un  prétexte.  M,  P.  note  le  silence  curieux  qu'ont  garde,  après 
Tacite,  sur  cette  accusation  spéciale  dirigée  contre  les  chrétiens,  tous  les  auteurs 
indistinctement,  payens  et  apologistes,  tous  jusqu'à  Septime  Sévère.  Sans  suivre 
Hochart,  M.  P.  admettrait  que  la  phrase  ;  Ergo  abolendo  —  appellabat,  est  une 
interpolation  d'une  main  chrétienne  (hypothèse  suivant  moi  bien  risquée;  ce  n'est 
sûrement  pas  en  tirant  ou  en  comparant  des  déductions,  qu'on  peut  justifier  des 
interpolations  de  ce  genre;.  Il  y  aurait  eu  de  même  addition  ou  quelque  remanie- 
ment semblable  dans  la  phrase  ;  igiiur  primiim  —  conjintcti  smit.  L'interpolation 
aurait  eu  lieu  un  peu  avant  l'époque  où  écrivait  Sévère,  donc  dans  la  seconde 
moitié  du  iV^  siècle.  Les  passages  que  M.  P.  croit  avoir  trouvés  dans  des  œuvres 
chrétiennes  (Epitre  de  Clément  de  Rome  aux  Corinthiens,  etc.)  et  dont  il  pense 
reconnaître  une  imitation  dans  le  passage  interpolé,  à  mes  yeux,  ne  prouvent 
rien.  —  E.  T. 

—  Le  professeur  de  Catane,  M.  Santi  Consoli,  poursuit  la  série  de  ses  Note 
critichc  e  bibliograjîce  di  Letteratura  latiua.  Il  en  donne  un  nouveau  fascicule 
(Puatala  IV,  191 1)-  l'^s  textes  traités  sont  empruntés  à  Juvénal;  les  comptes 
rendus  concernent  le  choix  de  Pline  le  jeune  de  Maur.  Schuster,  les  éditions  de 
Pline  de  Kukula,  les  notes  de  Morris  Morgan  sur  Vitruve,  la  Cité  de  Dieu  de 
Dombart,  le  Salluste  d'Opitz  et  diverses  publications.  —  Comme  Perse  mène  à 
Juvénal,  le  même  savant,  après  avoir  donné  un  Perse  qui  a  reçu  bon  accueil, 
prélude  aujourd'hui  à  un  Juvénal  en  donnant  la  première  satire  (Loescher,  264 
p.  gr.  in-8°).  Mais  cette  fois,  au  lieu  d'une  édition  critique,  nous  avons  ici,  sans 
l'apparat  habituel,  un  commentaire  développé.  Comme  M.  S.  C.  est  infatigable, 
il  annonce  déjà  un  autre  ouvrage  :  Giovenale,  nella  tradi^ione  letteraria  e  nelle 
biblioteche  del  medio  evo;  après  le  poète,  les  imitations  de  l'œuvre  ancienne.  Je 
n'ai  parlé  que  de  l'extérieur  du  livre  et  j'ai  peur  d'en  avoir  trop  dit.  M.  S.  C. 
court  quelque  risque  en  nous  étant  le  grand  soutien  de  l'homme  dans  la  vie  : 
spex finis.  On  le  voit  aligner  les  fautes  des  mss.,  de  longues  citations,  des  légendes 
avec  tous  les  détails;  où  sera  le  terme?  Surtout  le  lecteur  comptera  :  un  volume 
pour  une  courte  satire;  donc  pour  l'œuvre  entière,  plus  d'un  rayon.  Pour  être  sûr 
d'arriver  au  port,  tel  refusera  de  s'embarquer.  C'était  l'écueil.  En  France  on  ne 
verra  pas  sans  étonnement  la  traduction  en  vers  de  Duboys-Lamolignière,  Paris, 
1801,  et  celle  de  Jules  Lacroix,  Paris,  1847,  citées  comme  des  autorités  pour  le 
texte  latin.  —  E.  T. 

—  Sous  le  titre  de  Qiiaestiones  doxographicae  et  paradoxographicae  ad  Liicre- 
tium  et  Ovidiiim  praecipue  spectantes  (5o  p.  in-S",  Padoue,  Randi,  1910  et  191 1), 
le  professeur  Car.  Landi,  de  Padoue,  a  publié  deux  lectures  faites  par  lui  à  l'Aca- 
démie de  Padoue  et  qui  traitent  successivement  de  l'opinion  qu'avaient  les  anciens 
des  causes  de  l'inondation  du  Nil,  (surtout  d'après  Lucrèce,  VI,  7o3,  etc.),  des 
causes  aussi  des  sources  merveilleuses  de  divers  pays  (Métamorphoses,  XV,  Soy  et 
suiv.).  De  part  et  d'autre  M.  L.  s'applique  à  réfuter  la  thèse  de  Rusch  (thèse  de 
Greifswald,  1882)  qui  voit  dans  Posidonius  la  source  unique  des  deux  poètes. ,^Les 
savants  trouveront  ici  un  exposé  clair  et  consciencieux  de  ces  deux  questions  dont 
la  première  a  été  déjà  bien  des  fois  étudiée.  La  documentation  de  M.  L.  est  aussi 
étendue  qu'il  est  possible  ;  il  connaît,  outre  les  grands  recueils,  les  moindres  publi- 
cations, thèses  et  programmes.  De  ce  coté  je  ne  vois  pas  ce  qu'on  pourrait  ajouter 
sur  le  sujet.  M.  L.  a  consulté  dans  les  bibliothèques  italiennes  de  Florence  et 
de  Padoue  des  mss,   latins  d'Aristote  que  n'avait  pas  vus  Rose  ;  son  examen   n'a 


200  rkvi:f.  critique  d  histoihi:   et  de  littérature 

fait  c]UC  contirincr  les  conjectures  de  Rose.  A  regretter  seulement  plus  d'une 
phrase  embrouillée  dans  la  rédaction  latine  et  trop  de  fautes  d'impression.  A 
rci-rettcr  aussi,  dans  le  plan  f^énéral  et  dans  la  composition,  une  obscurité  qui  rend 
inutilement  pénible  la  lecture  d'un  travail  certainement  méritoire.  —  É.  T. 

l^e  professeur  de  Cambridge,  M.  .1.  S.  Rkiu,  a  sur  Cicéron  (traités  philosophi- 
ques, lettres  etc.)  une  compétence  reconnue  de  tous.  Voici  qu'il  étend  à  d'autres 
auteurs  les  services  qu'il  nous  a  rendus  et  il  passe  celte  fois  de  la  prose  aux  vers. 
Les  Harvard  Studies  de  191 1  contiennent  sous  le  titre  de  Lucretiana  (53  p.)  une 
suite  de  conjectures  et  de  notes  des  plus  intéressantes  sur  les  livres  !  et  II.  Aucun 
lecteur  de  Lucrèce  ne  négligera  de  connaître  ou  ne  regrettera  d'avoir  lu,  sur  ce 
sujet,  les  vues  de  l'excellent  commentateur  des  anciens  philosophes  latins.  —  E.  T. 

—  Le  professeur  italien  bien  connu,  M.  Pietro  Rasi,  qui  a  passé  récemment  de 
l'Université  de  Pavie  à  celle  de  Padoue,  vient  de  publier  (191  1)  cette  année  encore 
dans  les  Attic  Memorie  délia  Academia  Vii-giliana  de  Manloue  une  bibliographie 
de  Virgile  en  1909  (5o  p.  gr.  in-8").  59  publications  sont  examinées;  sur  chacune 
d'elles  est  donnée  une  analyse  et  une  appréciation.  Celles-ci  sont  toutes  modérées 
et  dans  l'ensemble  je  ne  vois  pas  de  lacune  importante.  —  E.  T. 

—  Viennent  de  paraître,  dans  le  Pliilologus,  les  articles  que  M.  Ganzenmui.i.er 
avait  annoncés  dans  son  travail  sur  la  Nux  dont  j'ai  rendu  compte  précédemment 
(Revue  de  191 1,  I,  p.  347).  Titre  :  Ans  Ovids  Wcrkstalt  ;  deux  articles  de  Sy  à  40 
pages.  Sur  les  imitations  d'Ovide,  la  matière  est  si  abondante  qu'il  est  impossible 
de  tout  citer.  Quoique  M.  G.,  à  mes  yeux,  ait  donné  dans  l'excès  (maint  rapproche- 
ment ici  manque  d'intérêt),  il  lui  faut  se  contenter  souvent  d'aligner  des  numéros 
de  vers,  ce  qui  double,  pour  le  lecteur,  le  risque  de  se  perdre.  Conclusion:  presque 
partout,  Ovide  imite  d'autres  poètes,  grecs  ou  latins,  ou  il  se  répète;  mais  sans 
cesse  il  varie  et  modifie  si  habilement  et  d'une  manière  si  gracieuse  ce  qu'il  reprend, 
qu'il  donne  à  la  pensée  ou  à  l'expression  un  air  original  :  vue  qui  me  parait 
très  juste  et  que  M.  G.  justifie  par  des  exemples  bien  choisis.  Cette  remarque 
a  aussi  son  intérêt  pratique  pour  la  critique  du  texte;  elle  permet  d'écarter  cer- 
tains doutes  que  les  savants  voulaient  élever  contre  l'authenticité  de  passages 
célèbres,  soit  dans  Ovide,  soit  dans  d'autres  poètes  .■  l'imitation  d'Ovide  est  ici  une 
garantie  sérieuse.  —  E.  T. 

Académie  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  2  3  février  i gi 2. 
—  M.  Gagnât  appelle  l'attention  de  l'Académie  sur  les  découvertes  faites  au 
Maroc  par  MM.  Biarnay  et  Pératié.  Ils  ont  déblayé  sur. le  plateau  de  Marchan,  à 
l'O.  de  Tanger,  une  nécropole  du  iv  siècle  p.  C,  et  à  20  kiiom.  au  S.-O.  de  la 
même  ville,  un  établissement  thermal  romain.  Leur  rapport  vient  de  paraître 
dans  les  Archives  marocaines  de  M.  Alfred  Le  Chatclier. 

Le  P.  Scheil  communique  en  seconde  lecture  son  mémoire  sur  la  chronologie 
rectifiée  du  règne  de  Hammourabi. 

M.  Cuq  examine  au  point  de  vue  juridique  un  passage  du  sénatus-consulte 
trouvé  à  Délos  et  récemment  produit  devant  l'Académie  par  M.  HoUeaux. 

M.  Prou  donne  une  seconde  lecture  de  son  mémoire  sur  les  entrelacs  carolin- 
giens de  Schœnnis  (canton  de  Saint-Gall). 

Léon  Dorez. 

IS imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HIST01F(,E    ET     DE     LITTÉRATURE 

N»  11  —  16  mars  —  1912 

Zehnpfund,  La  Babylonie  et  ses  ruines  les  plus  importantes.  —  Genouilhac, 
Dréhen.  —  Langdon,  Dréhen.  —  WoiîrsKRMiN,  La  croyance  en  Dieu.  —  Wkrnle, 
L'étude  de  la  théologie.  —  Gemoli,,  Les  Indo-germains  dans  l'ancien  Orient. — 
BoHL,  Chananéens  et  Hébreux.  —  Meulhorn,  Vérité  et  poésie  dans  la  vie  de 
Jésus.  —  Spietii,  La  religion  des  Eve.  —  Wii.lmann,  Aristotc.  —  Marck,  Les 
Idées  de  Platon.  —  Wundt,  Petits  écrits,  l.  —  Della  Seta,  Religion  et  art 
tiguré.  —  Bartuolomae,  La  datif  singulier  en  o.  —  Kuuscii  et  Levison,  Monu- 
menta  Germaniae  historica.  —  Manitius,  Histoire  de  la  littérature  latine  du 
moyen  âge,  I.  —  Dom  Jean  Parizot,  La  famille  Parisot  de  Plombières.  — 
A.  Denis,  Le  Gomité  de  surveillance  révolutionnaire  de  Toul.  —  Jakob,  L'illu- 
sion et  'la  désillusion  dans  le  roman  réaliste  français.  —  Académie  des  inscrip- 
tions. 


R.  Zehnpfund,  Babylonien  in   seinen  wichtigsten   Ruinenstsetten.  Leipzig, 
Hinrichs,  igio,  i  vol.  in-8°,  72  p. 

La  brochure  de  M.  Zehnpfund  donne  un  exact  résumé  des  recher- 
ches archéologiques  —  explorations  et  fouilles  —  en  Babylonie. 
Toutes  les  ruines  de  quelque  importance  —  celles  de  Babylone  excep- 
tées —  qui  ont  été  étudiées,  sont  décrites,  et  les  résultats  de  l'enquête 
exposés  avec  clarté  et  agrément.  L'impression  la  plus  nette  que  lais- 
sera la  lecture  de  ce  travail,  c'est  que  excepté  sur  deux  po'inis,  Telloh  et 
Nuffar,  tout  est  à  faire  en  Babylonie.  Il  reste  encore  beaucoup  de  tells 
à  identifier  :  sauf  en  trois  endroits  on  n'a  pas  fait  autre  chose  que  des 
sondages  et  les  fouilles  mêmes  de  Telloh,  de  Nuffar  et  de  Babylone 
sont  encore  loin  d'être  complètes.  L'information  de  M.  Zehnpfund  est 
sûre  :  pourtant,  p.  '3o,  en  bas,  noter  que  la  véritable  prononciation 
de  l'idéogramme  lu  d'abord  gis-ban,  puis  gis-hu,  a  été  établie  par 
M.  Hrozny,  Zeitschri/tfiir  Assyriologie,  XX,  421  . 


C.    FOSSEY. 


H.  DE  GENouiLLAC.La  trouvalUe  de  Dréhem.  Etude  sur  un  choix  de  textes  de 

Constantinople  et  de  Bruxelles.  20  p.,  20  pi.  in-40.  Paris,  Geuthner,  191 1. 
H.  DE  Genouillac,  Tablettes  de  Dréhem,  publiées   avec   inventaire   et  tables. 

I  vol.,  21  p.,  5i  pi.  in-4\  Paris,  Geuthner,  191  i. 
S.  Langdon,  Tablets  from  the  archives  of  Dréhem,  with  a    complète   account 

of  the  origin  of  the  Sumerian  calendar,  translation,  commenlary  and   23  plates. 

I  vol.  25  p.  in-4''.  Paris,  Geuthner,  191 1. 

Des  fouilles  clandestines  pratiquées  par  les  Arabes  à  Dréhem,  une 
demi-heure  au  sud  de  Nuff'ar,  ont  amené  la  découverte  d'un   grand 

Nouvelle  série  LXXIII  11 


202  REVUE    CRITIQUE 

nombre  de  tablettes  de  comptabilité  constituant  les  archives  du  parc 
à  bciaii  attaché  au  temple  lVJùiUI.  Ces  tablettes  ont  été,  pour  une 
faible  part,  déposées  au  Musée  impérial  ottoman  (21  i\  pour  une  part 
plus  grande  vendues  à  des  collectionneurs  et  à  des  musées  d'Europe, 
environ  400  au  musée  du  cinquantenaire  à  Bruxelles,  176  au  Musée 
du  Louvre,  68  en  Angleterre  (Bodléienne  et  Ashmolean  Muséum). 
M.  de  Genouillac  a  publié  un  choix  de  67  tablettes  de  Bruxelles  et  de 
Constantinople  et  les  176  tablettes  du  Musée  du  Louvre;  ses  copies 
sont  d'une  élégance  remarquable  et  rendent  fort  bien  la  calligraphie 
exceptionnelle  des  originaux.  M.  Langdon  a  publié  en  même  temps 
les  68  tablettes  conservées  à  Oxford. 

M.  de  Genouillac  a  joint  à  ses  copies  de  la  collection  du  Louvre  un 
inventaire  des  tablettes  et  un  index  des  noms  propres  (noms  de  per- 
sonnes, noms  de  dieux,  rois  divinisés  et  objets  sacrés,  noms  de 
villes,  de  pays  et  de  lieux.  Son  introduction  aux  séries  de  Bruxelles 
et  de  Constantinople  est  un  peu  plus  développée;  il  ne  s'est  pas  con- 
tenté de  donner  un  index  des  noms  de  personnes,  mais  a  fait  remar- 
quer la  fréquence  des  noms  sémitiques,  qui  indique  que  Dreliem  est 
à  la  frontière  du  pays  d'Accad  (à  Telloh  au  contraire  les  noms  sémi- 
tiques sont  rares)  ;  il  a  dressé  la  liste  des  fonctionnaires  connus  par 
les  différentes  collections,  depuis  les  dernières  années  du  règne  de 
Dungi  jusqu'au  début  du  règne  dCIbi-Sin,  la  liste  des  mois  et  des  for- 
mules employées  pour  dénommer  les  années  auxquelles  appartiennent 
les  documents,  enfin  la  liste  des  dieux;  il  a  en  outre  donné  la  tra- 
duction d'un  «  hymne  »  aux  Anunnaki,  égaré  dans  ces  pièces  comp- 
tables, et  qui  me  paraîtrait  plus  justement  qualifié  d'incantation. 

Dans  son  introduction  aux  séries  d'Oxford,  M.  Langdon  fait 
remarquer  que  les  offrandes  au  temple  d'Enlil  viennent  de  toutes  les 
partiesdu  pays  soumis  aux  rois  d'Ur,  depuis  Asnunak  jusqu'à  Eridu; 
il  discute  les  noms  et  Tordre  des  mois  à  l'époque  sumérienne  et  donne 
une  analyse  des  68  textes  copiés  par  lui. 

C.   FOSSEV. 


Georg.  WoBBERMiN  :  Der  Christliche  Gottesglaube  in  seinem  Verhaltnis  zur 
heutigen  Philosophie  und  Naturvissenschaft  Drittes  Tausend.  Leipzig, 
Hinrich,  191  i,  in-8%  lyS  pages.   Prix  :  2  M.  5o. 

Paul  WiRNLE   :  Einfuhrnng  in  das  theologische  Studium,  Zweite,  verbesserte 

Auflage.  Tûhingen,  Mohr,  191  i,  in-8,  xv-324  pages.  Prix  :  7  M. 

L  D'après  M.  G.  Wobbermin,  qui  s'est  déjà  fait  connaître,  dans 
deux  publications  antérieures,  par  sa  critique  très  vive  du  monisme, 
si  une  science  superficielle  éloigne  de  Dieu,  une  autre  plus  pro- 
fonde y  amène.  Nous  devons  tourner  le  dos  à  Hœckel  et  revenir 
à  Kant,  non  pour  nous  y  tenir  mais  pour  le  dépasser.  Son  agnos- 
ticisme porte  sur  la  connaissance  intellectuelle,  non  sur  le  senti- 
ment, qui  va  bien  plus  loin  et  dont  il  n'a  pas  vu  toute  l'importance  en 


d'histoire  et  de  littérature  2o3 

matière  religieuse.  Après  lui  les  preuves  tradiiionnelles  de  l'exisicnce 
de  Dieu  ne  peuvent  pas  être  soutenues  en  leur  formé  ancienne,  mais  le 
fond  en  demeure  toujours.  L'argument  cosmologique  ne  démontre  pas 
une  cause  première,  mais  il  montre  l'unité  des  phénomènes,  laquelle 
se  conçoit  mieux  dans  l'hypothèse  d'un  être  transcendant  qui  gou- 
verne le  monde.  L'argument  télcologique  ne  démontre  pas  davantage 
une  intelligence  ordonnatrice,  mais  il  montre  dans  les  êtres  vivants 
une  finalité  qui  s'e.xplique  mieux  avec  une  conscience  immanente 
dirigeant  leur  évolution  continue.  L'argument  ontologique  ne 
démontre  pas  que  l'existence  soit  esssentielle  à  Dieu,  mais  il  nous 
montre  en  lui  l'être  parfait  que  postule  notre  nature  propre.  Par  ail- 
leurs le  christianisme  seul  sait  allier  dans  l'idée  qu'il  s'en  fait  son 
immanence  avec  sa  transcendance  et  sa  perfection  morale.  Il  est  la 
meilleure  religion  existante  ou  possible,  et  en  son  genre  l'absolu. 

Pas  une  de  ces  affirmations  ne  résisterait  peut-être  à  une  critique 
minutieuse.  La  dernière  surtout  est  philosophiquement  exorbitante 
et,  dans  le  protestantisme  libéral,  auquel  M.  Wobbermin  appartient, 
beaucoup  d'esprits  éminents  la  rejettent.  La  conclusion  peut  être 
retournée  d'ailleurs  contre  tout  le  système.  Si  le  christianisme  est  la 
religion  parfaite,  du  jour  oii  l'on  s'apercevra  que  l'enseignement 
authentique  du  Christ  est  erroné  dans  son  principe  même,  ne  sera-t- 
on pas  amené  à  condamner  avec  lui  toute  idée  religieuse  ? 

IL  M.  P.  Wernle,  publiait,  en  1908,  une  Introduction  à  V étude 
de  la  théologie  dont  il  a  été  rendu  compte  ici  même.  L'ouvrage  a 
trouvé  le  meilleur  accueil,  car  il  paraît  maintenant  à  nouveau. 
Cette  seconde  édition  diffère,  dans  sa  forme,  de  la  première.  Cer 
taines  parties  d'intérêt  secondaire  ont  disparu.  D'autres,  plus 
importantes,  ont  été  au  contraire  développées.  Celles  qui  concernent 
l'essence  de  la  religion  et  du  christianisme,  la  dogmatique  et  la 
morale  chrétiennes,  ont  subi  de  multiples  remaniements.  Toutes  ont 
plus  ou  moins  bénéficié  du  travail  théologique  de  ces  dernières 
années,  et  la  bibliographie  y  a  été  tenue  soigneusement  à  jour.  Mais 
l'esprit  du  livre  n'a  point  changé.  On  lui  a  reproché  ses  tendances 
libérales.  M.  Wernle  répond  qu'il  a  voulu  faire  simplement  œuvre 
libre,  et  que,  s'il  a  eu  à  tenir  compte  des  libéraux  plus  que  des  repré- 
sentants de  l'école  rivale,  ceux-ci  ne  doivent  s'en  prendre  qu'à  eux- 
mêmes.  En  fait  son  <euvre  constitue,  surtout  après  les  améliorations 
qu'il  vient  d'y  introduire,  une  excellente  introduction  à  l'étude  de  la 
théologie  allemande,  et  elle  sera  très  utile  non  seulement  aux  théolo- 
giens de  profession  mais  à  tous  les  esprits  cultivés  qui  s'intéressent  au 
mouvement  actuel  des  idées  religieuses. 

Prosper  Alk.\ric. 


2  04  REVUE    CRITIQUE 

Die  ladogermanen  im  alten  Orient,  von  M.  Gkmoll.  Leipzig.  Hinrichs.  rgii  ; 

iii-H",  s  111-  I  24  pages. 
Kananlier  und  Hebriier,  \<jii  l".  lîuiii..  Leipzig,  Hinriciis,   uji  i  ;  in-S",  viii-i  18  p. 

Dans  un  précédent  ouvrage  [Grundsteine  Jiir  Geschichte  Israels^ 
Leipzig,  Hinrichs,  191 1),  M.  Gemoll  a  entrepris  de  montrer  que  les 
Israélites  avaient  emprunté  toute  leur  religion  aux  anciens  habitants 
de  Canaan,  lesquels  étaient  d'origine  indogermanique.  Là  M.  G.  a 
cru  établir  qu'Abraham  et  Aaron  sont  identiques  à  Ahura  Mazda,  et 
lahvé  à  ^'ama.  Poursuivant  le  cours  de  ses  découvertes,  il  a  trouvé  que 
le  roi  Arthur  est  aussi  Ahura,  même  que  Lot  et  le  roi  Lear  sont  un 
seul  et  même  personnage.  N'est-il  pas  clair  après  cela  que  les  mythes 
de  la  Bible  sont  d'origine  indogermanique?  C'est  que  les  peuples  de 
Hatti  et  de  Mitanni  étaient  indoiraniens.  Le  nouveau  livre  de  M.  G. 
est  consacré  principalement  à  la  démonstration  de  ce  dernier  point. 
L'argumentation  ne  se  fonde  guère  que  sur  des  rapprochements  de 
noms  propres  (Ahura-Arthur-Abram  ;  Gédéon-Gwydion  ;  etc.),  qui 
sont  vraiment  peu  concluants  et  que  sans  doute,  avec  quelque  bonne 
volonté,  on  pourrait  emprunter  à  toutes  les  langues  du  monde.  Dans 
son  ensemble,  la  thèse  est  faite  de  conjectures.  Ce  que  M.  G.  devrait 
établir  d'abord,  c'est  que  l'ancienne  langue  d'Élam,  celle  des  Hittites, 
celle  de  Mitanni,  langues  jusqu'à  présent  peu  ou  point  connues, 
appartiennent  à  la  famille  indogermanique.  Pour  cela  il  ne  suffit  pas 
de  rapprocher  Karduniash  de  Calédonie,  Kaldi  de  Celtes,  etc. 

Plus  prudente  est  la  méthode  de  M.  Bôhl,  et  plus  nuancées  sont 
ses  conclusions  sur  les  origines  du  peuple  cananéen  et  de  sa  civilisa- 
tion. Pour  ce  qui  est  des  choses  de  l'Asie  occidentale,  il  opère  avec 
les  mêmes  données  que  M.  G.,  mais  il  en  dispose  moins  souveraine- 
ment. Son  étude  comprend  quatre  chapitres  tout  positifs  concernant 
Canaan,  les  Hittites,  les  Amorites,  les  Hébreux,  et  un  chapitre  inti- 
tulé syncrétisme  et  mosaïsme,  vue  d'ensemble  sur  l'évolution  de  la 
religion  Israélite,  où  l'hypothèse  avait  nécessairement  sa  part,  et  où  la 
théologie  a  pris  aussi  la  sienne.  Canaan  serait  une  désignation 
ethnique,  non  géographique,  se  rapportant  à  un  peuple  qui  s'est  rendu 
maître  de  la  côte  et  du  bas  pays  palestiniens,  où  il  serait  arrivé  après 
les  Amorites.  Pour  plus  de  clarté,  M.  B.  veut  distinguer  entre  Hétites 
et  Hittites;  les  documents  cunéiformes  d'El-Amarna  ont  fait  connaître 
deux  langues  non  sémitiques,  celle  de  Mitanni  et  celle  d'Arzawa; 
dans  la  langue  d'Arzawa  sont  rédigés  les  textes  non  babyloniens  de 
Boghaz-Kœi,  et  conséquemment  cette  langue  est  celle  des  Hittites 
proprements  dits;  appartiennent  d'autre  part  à  la  langue  de  Mitanni 
les  plus  anciens  noms  de  princes  d'Assyrie,  Aushpia  et  Kikia,  des 
noms  babyloniens  au  temps  de  la  première  dynastie  et  surtout  de  la  . 
dynastie  cassite,  des  noms  de  chefs  palestiniens  dans  les  documents 
d'El-Amarna;  d'autres  noms  palestiniens  se  rattachent  à  la  langue 
d'Arsawa  ;  brochant    sur  le   tout,  viennent   les   noms  de    divinités 


d'histoirk  et  de  littérature  2o5 

aryennes,  Mithra,  Varouna,  Indra,  les  Nasatya,  dans  les  documents 
de  Bût^haz-Kœi,  et  plusieurs  noms  aryens  dans  les  textes  d'El-Amarna  ; 
il  faudrait  donc  distinguer  dans  ce  groupe   non  sémitique  trois  élé- 
ments, Mitanni,  arrivé  le  premier  en  Asie  occidentale,  Arzawa-hittite, 
apparenté  à  Mitanni,  et  un  élément  aryen  qui  aurait  pénétré  les  deux 
précédents,  fournissant  en  beaucoup  d'endroits  les  dynasties  royales. 
Selon  M.  B.,  Canaan  pourrait  être  une  branche  de  Mitanni,  et  Ton 
s'expliquerait  ainsi    que   la    Bible  fasse  de  Het  (Hitiitesj  le    fils    de 
Canaan.  Une  invasion  hittite,  vers  1760,  aurait  mis  fin  à  la  première 
dynastie  de  Babylone  et  fait  place  libre  à  la  dynastie  cassite.  Les  Amo- 
rites  étaient  des  Sémites,  et  ce  sont  eux  probablement  qui  fondèrent 
la  première  dynastie  de  Babylone;  c'est  d'après  eux  que  la  Palestine 
était  appelée  en   Chaldée  pays  d'Amurri,  comme  les  Assyriens  l'ont 
plus  tard  appelée  pays  de  Hatti;  et  rien  n'oblige  à  rejeter  la  tradition 
biblique  touchant  le  royaume  amorite  de  Sihon,  au  delà  du  Jourdain. 
Après  les  Amorites,  après  les  Hittites,  arrivent  les  Hébreux  ;  ce  der- 
nier nom  a  une  signification  plus  large  que  celle  d'Israël  ;  il  ne  paraît 
pas  douteux  que  les  Habiri  d'El-Amarna  sont  les  Hébreux  ;  parmi  ces 
Habiri  étaient  les  anciennes  tribus  Israélites;  l'exode  d'Israël  (si  exode 
il  y  eut)  devrait  être  renvoyé  au  xv®  siècle.  Toutes  ces  conclusions  et 
d'autres  moins  importantes  sont  fondées  sur  qn   examen  attentif  et 
une  discussion  pénétrante  de  toutes  les   sources,   inscriptions  hiéro- 
glyphiques et   cunéiformes,  données  bibliques.    La  construction    ne 
peut  manquer  d'être,  à  beaucoup  d'égards,  provisoire,  mais  les  pierres 
d'attente  sont  bien  posées. 

M.  B.  n'écarte  par  l'hypothèse  d'un  exode  partiel  qui  pourrait  avoir 
eu  lieu  au  xin'^  siècle  ou  même  plus  tard.  Ce  à  quoi  il  tient  essentiel- 
lement, c'est  qu'on  ne  mette  pas  l'œuvre  de  Moïse  en  rapport  avec 
celle  du  pharaon  hérétique  Aménophis  IV,  et  qu'on  laisse  au  fonda- 
teur de  la  religion  Israélite  son  originalité.  PourThistorien  cette  origi- 
nalité n'est  pas  discernable  à  travers  la  nuit  des  temps.  C'est  par  des 
conjectures  purement  artificielles  que  la  légende  mosaïque  peut  se^ 
rattacher  maintenant  à  l'histoire  connue  de  l'Egypte  et  de  l'Asie  occi- 
dentale. Certes  le  iahvisme  Israélite  ne  procède  pas  de  la  réforme  reli- 
gieuse d'Aménophis  IV;  mais  de  quoi  procède  le  iahvisme  israélite  ? 
Non  sans  raison  M.  B.  compare  le  iahvisme  naissant  à  une  époque 
de  syncrétisme,  mais  un  peu  à  l'écart  de  la  mêlée  des  peuples  et  des 
influences  syncrétistes,  par  l'initiative  de  Moïse,  au  christianisme 
naissant  à  une  autre  époque  de  syncrétisme,  en  dehors  du  courant 
syncrétiste,  sur  le  fonds  traditionnel  du  judaïsme,  par  l'éminente  per- 
sonnalité de  Jésus.  Deux  grands  hommes  (de  type  un  peu  trop  protes- 
tant, il  faut  bien  l'avouer  )  auraient,  à  quinze  siècles  de  distance,  fondé, 
l'un  la  religion  d'Israël,  l'autre  la  religion  chrétienne,  et  l'œuvre  de' 
l'un  et  de  l'autre  aurait  eu  ensuite  à  se  défendre  tant  bien  que  mal, 
plutôt  mal  que  bien,  contre  le  syncrétisme  ambiant.  Mais  autant  la 


2,,(t  RKVDE    CRITIQUE 

position  générale  de  cette  comparaison  est  acceptable,  autant  l'idée 
qu!on  se  lait  du  rôle  des  fondateurs  aj^pelle  de  sérieuses  réserves.  Jésus 
a  été  le  point  de  dcpari,  ou,   si   l'on    veut,    le    premier  initiateur   du 
mouvement  chrétien;  il   n'est  pas  précisément  le  fondateur  du   chris- 
tianisme en  tant  que  religion,  et  religion  distincte  du  judaïsme.  Le 
christianisme  historique  est  cet  alliage  de  judaïsme  et  de  syncrétisme 
païen  que  représente,  en  somme,  la  littérature  du  Nouveau  Testament, 
et  dont  l'artisan  principal,   à  notre  connaissance,  est  Paul  de   Tarse. 
De  même  la  religion   d'Israël  représente   l'alliage  d'un  ancien   culte 
sémitique  avec  le  syncrétisme  cananéen.  Cet  ancien  culte  sémitique, 
le  iahvisme,  aurait-il  été  institué,  à  un  moment  donné,  par  l'action 
prépondérante  d'un  prophète  appelé  Moïse?  A  en  croire  M.    B.,  on 
devrait  l'admettre  comme  un  postulat  nécessaire  :  ce  serait  le  cas  de 
toutes    les   religions  historiques  d'être  inaugurées  ainsi   par  un  pro- 
phète. Malheureusement  le  iahvisme  précananéen  est  aussi  le  iahvisme 
préhistorique.  En  l'état  des  témoignages,   il  reste  probable   que  les 
ancêtres  d'Israël,  encore  nomades,  à  une  époque  et  dans  des  circons- 
tances qui  nous   échappent  en  grande  partie,    s'associèrent  dans   le 
culte  de  lahvé  par  l'initiative  d'un  personnage  appelé  Moïse.  On  ne 
peut  d'ailleurs  soutenir  que  la  nécessité  absolue   d'une  telle  initiative 
supplée  à  l'insuffisance  de   l'attestation.  Ceux  qui   énoncent  de  tels 
arguments  supposent  toujours  que  la  religion  n'est  qu'une  expérience 
psychologique,  renouvelée  dame  en  âme  après  qu'elle  s'est  produite 
dans  celle  d'un  prophète.  Il  y  a  quelque  chose  de  cela  dans  la  religion, 
mais  tant  s'en  faut  que  ce  soit  la   religion,  toute  la  religion.   La  part 
des  individus  dans  l'évolution  des  religions  est  en  coordination  essen- 
tielle avec  la  tradition,  de  nature  sociale,  qui  les  porte,  et  avec  un 
mouvement  collectif  qu'ils  représentent  et  qu'ils  aident  à  se  détermi- 
ner. Faire  abstraction   de  cette  base  sociale  dans  l'histoire  des  reli- 
gions, pour  en  appeler  uniquement  à  la  psychologie  individuelle,  au 
sentiment  mystique,   est  se  jeter  en   dehors  du  réel  et  reconstruire 
l'histoire  au  gré  de  sa  foi.  L'existence  de  Moïse,   celle  de  Jésus,  le 
caractère  de  leur  action  propre  ne  sont  pas  à  préjuger   au  nom  de 
certaine  loi   mystérieuse  qui  les   rendrait  indispensables;   ils  sont  à 
présumer  ou  bien  à  constater,  selon  la  valeur  et  la  portée  des  témoi- 
gnages qui  les  concernent. 

Alfred  LoisY. 

Wahrheit  und  Dichtung  im  Leben  Jesu,  von    P.    Mkhlhorn.  Zweite  AuHage. 
Leipzig,  Teubner,    191 1  ;  in-12,  140  pages. 

Le  titre  de  ce  livre  indique  suffisamment  que  l'auteur  en  retient  et 
en  laisse  dans  les  documents  de  la  tradition  évangélique.  M.  Mehl- 
horn  prend  nettement  position  contre  ceux  qui  ont  nié  l'existence  de 
Jésus,  et  il  leur  objecte  surtout  la  consistance  relative  des  témoi- 
gnages directs,  chose  que  les  adversaires   n'ont   pas   accoutumé   de 


d'histoire  et  de  littérature  207 

remarquer,  éblouis  qu'ils  sont  par  l'atiirail  des  analogies  mytholo- 
giques. Par  ailleurs,  l'attitude  et  la  méthode  de  M.  M.  sont  celles 
d'un  protestant  rationaliste  et  libéral  qui  fait  assez  large  la  part  de  la 
critique,  est  quelque  peu  embarrassé  par  la  prétention  messianique 
de  Jésus,  se  rabat  sur  la  loi  au  Dieu  qui  pardonne,  etc.  11  serait  inu- 
tile d'entrer  dans  une  discussion  de  détail,  par  exemple  sur  l'histori- 
cité du  baptême  de  Jésus  par  Jean,  admise  à  condition  que  le  Christ 
y  soit  venu  en  juif  pieux,  et  qu'il  n'y  ait  pas  trouvé  le  sentiment  de 
sa  vocation  messianique,  mais  celui  d'une  vocation  supérieure  à  celle 
du  commun  :  «  ollicier,  pas  encore  général  »,  dit  M.  M.  Cependant  le 
récit  évangéliquc  n'a  de  sens  que  par  rapport  à  la  vocation  niessia- 
nique  :  ou  bien  il  atteste  la  réalité  de  cette  vocation,  ou  bien  il  est 
fictif  et  ne  peut  servir  à  prouver  une  vocation  quelconque. 

A.  L. 

Die  Religion  der  Eweer  in  Siid-Togo,  von  .1.  Spieth.  Leipzig,  Dieterich,  191  i  ; 

in-8,  xvi-3 16  pages. 

Recueil  de  documents,  renseignements  pris  sur  place  par  un  mis- 
sionnaire et  reproduits  tels  qu'ils  ont  été  donnés  par  les  indigènes. 
Le  procédé  a  un  grand  avantage,  puisqu'il  fournit  sur  le  sujet  dont  il 
s'agit  des  pièces  aussi  authentiques  que  possible.  Il  a  aussi  quelque 
inconvénient,  l'importance  relative  des  idées,  des  institutions  et  des 
rites  dans  la  religion  vivante  n'apparaissant  pas  nettement  et  ne  pou- 
vant même  pas  toujours  se  déduire  sûrement  des  textes.  Les  quel- 
ques pages  d'introduction  ne  remédient  pas  complètement  à  ce  défaut 
de  l'exposé.  Le  premier  chapitre  :  «  la  croyance  en  Dieu  chez  les 
Ewe  »,  se  serait  intitulé  plus  exactement  :  la  croyance  aux  dieux  ». 
On  ne  voit  pas,  d'ailleurs,  qu'il  y  ait  une  différence  bien  essentielle 
entre  ces  dieux  et  les  tràji'o,  esprits  ou  génies,  qui  sont  l'objet  du 
second  chapitre,  le  plus  développé,  très  curieux  en  beaucoup  de  par- 
ties. Les  autres  chapitres  concernent  respectivement  les  confréries 
secrètes,  les  âmes  des  morts  et  leur  culte,  la  magie,  Vaka,  espèce  d'or- 
dalie, les  sorcières. 

On  signale  quelques  tràiuo  qui  pourraient  être  la  personnification 
du  chimpanzé,  de  l'hyène,  de  la  scie  de  mer,  du  boa.  Un  supplément 
d'informations  sur  ce  culte  des  animaux  ne  serait  pas  inutile.  Le  toté- 
misme existe  ou  a  existé  chez  les  Ewe,  bien  que  M.  S.  n'en  parle  pas, 
et  certains  traits  indiqués  par  lui  comme  cultuels  ne  tiennent  pas  pré- 
cisément de  la  religion  ;  par  exemple,  les  soins  rendus  par  les  chas- 
seurs aux  os  des  bêtes  fauves,  et  qui  sont  pour  ménager  l'espèce  en  vue 
de  chasses  ultérieures;  les  cérémonies  qui  ont  lieu  quand  un  chasseur 
a  tué  un  buftte  ;  même  celles,  beaucoup  plus  compliquées,  qui  se  pra- 
tiquent lorsqu'on  a  tué  un  léopard..  Ici  toutefois  des  prêtres  inter- 
viennent et  crient  :  «  Le  chasseur  a  tué  notre  père!  »  M.  S.  ne  dit 
pas  que  le  léopard  soit  l'objet  d'un  culte  au  Togo,  comme  il  l'est  au 


2o8  REVUE    CRITIQUE 

Daliomcy,  ni  si  les  prêtres  en  question  appartiennent  à  ce  culte,  II 
mentionne  des  prêtres  de  riiyène,  du  boa,  animaux  qui  sont  traités 
en  divinités.  On  voudrait  savoir  dans  quel  rapport  ces  pratiques  et 
CCS  cultes  peuvent  être  avec  le  totémisme, 

La  même  curiosité  s'éveille  à  propos  de  la  confrérie  religieuse  de 
lewe,  ordre  puissant  qui  vient  du  Dahomey,  et  qui  a  ses  dieux,  ses 
règles,  même  des  espèces  de  monastères.  Chaque  initié  peut  se  trans- 
former en  léopard  ;  le  miracle  se  produit  quand  un  frère  ou  une  sceur 
entrent  en  querelle  avec  un  non  initié  ;  l'initié  devient  «  sauvage  »;  les 
autres  frères  et  scuurs  prennent  fait  et  cause  pour  lui,  aidant  à  la  comé- 
die de  métamorphose,  et  l'adversaire  ne  s'en  tire  pas  à  moins  d'une 
forte  amende.  La  métamorphose  en  léopard  est  un  trait  d'origine  ; 
au  fond,  c'est  l'initiation  qui  introduit  les  hommes  dans  la  commu- 
nion du  léopard  et  qui  fait  d'eux  des  léopards.  Le  dieu  léopard  n'est 
plus  un  totem;  la  question  serait  de  savoir  si  c'est  un  totem  divinisé. 

Dans  ce  pays  qui  doit  beaucoup  à  la  tradition  religieuse  du  Daho- 
mey, les  sacrifices  humains  ne  sont  pas  ou  du  moins  n'étaient  pas 
ignorés.  Ils  ont  dû  être  jadis  assez  fréquents,  quoique  M,  S.  ne  les 
mentionne  guère  qu'à  propos  de  ïafa,  esprit,  don,  sacrement  de 
divination,  qui  réside  essentiellement  en  trente-deux  noix  de  palmiers 
soigneusement  grattées,  et  par  lequel  se  perpétue  la  confrérie  des 
devins.  Uafa  peut  réclamer  des  victimes  humaines;  s'il  s'agit  de  cri- 
minels (selon  le  droit  ewe),  on  les  tue,  dit  simplement  M.  S.;  s'il 
s'agit  d'autres  personnes,  elles  deviennent  propriété  du  devin;  les 
pauvres  gens,  qui  n'ont  pas  d'hommes  à  sacrifier,  offrent  dans  ce  cas 
une  poupée  d'argile  où  l'on  a  mis  un  fragment  d'os  d'un  individu  qui 
a  péri  de  mort  violente.  On  fait  ce  qu'on  peut  pour  se  conformer,  sans 
y  trop  perdre,  à  la  tradition.  Mais  ces  divers  procédés  ont  leur  inté- 
rêt pour  la  comparaison  avec  les  religions  de  l'antiquité. 

Assez  grand  développement  des  croyances  d'outre  tombe  et  des  pra-^ 
tiques  relatives  au  culte  des  morts.  Tout  cela  est  plus  ou  moins  cohé- 
rent parce  qu'il  y  entre  des  éléments  qui  ne  sont  pas  tous  également 
anciens  ou  de  même  provenance.  Ainsi  l'on  croit  à  un  enfer,  qui  est 
coinme  une  grande  cité,  avec  des  quartiers  distincts  pour  les  diverses 
catégories  de  défunts;  on  donne  aux  morts  des  provisions  pour  le 
dernier  voyage,  et  même  quelque  monnaie,  parce  qu'il  v  a  un  fleuve 
à  passer,  et  que  le  nautonnier  se  fait  payer;  cela  n'empêche  pas, 
toutes  les  fois  qu'on  mange,  de  jeter  une  bouchée  par  terre  à  l'inten- 
tion des  morts,  la  coutume  traditionnelle  étant  d'enterrer  sous  le  sol 
des  maisons  les  gens  qui  ne  sont  pas  «  morts  dans  le  sang  ». 

Alfred  LoisY, 

Aristoteles,  von  O.  WiLLMANN.  Die  grossen  Erzieher.  Reuther  et  Reichard;  Berlin, 
.  rgog;  VJU-2.16  p.,  p.  in-8°. 

•  Certains  penseurs  appartiennent  à  l'histoire  de  l'éducation  parce 


d'histoire  et  de  littérature  209 

qu'ils  ont,  comme  Comenius  et  Pestalozzi,  ouvert  des  écoles,  manié 
des  élèves,  institué  des  disciplines  de  classes;  d'autres,  comme 
Bacon  et  Descartes,  parce  qu'ils  ont  renouvelé  la  culture  scientifique 
et  morale  de  laquelle  dérivent  après  coup  les  applications  scolaires. 
Aristote,  précepteur  d'Alexandre,  chef  du  Lycée,  auteur  représentatif 
d'un  système  philosophique  qui  résume  l'antiquité,  domine  le  moyen 
âge  et  pose  encore  aujourd'hui  les  problèmes  les  plus  actuels,  est  l'un 
des  plus  grands  pédagogues  de  l'humanité.  Mais  en  fait,  son  II.  Ilxt- 
oïîa;  est  perdu  ;  et,  sauf  quelques  chapitres  de  la  Politique,  le  problème 
de  l'éducation  des  enfants  tient  peu  de  place  dans  ce  que  nous  savons 
de  son  œuvre.  Le  livre  de  Willmann  est  un  résumé  détaillé  qui  fait 
rîèche  de  tout  bois  —  même  du  Traité  du  Monde  —  pour  découvrir, 
dans  Aristote  philosophe,  Aristote  éducateur.  On  y  trouve  exposé 
l'ensemble  du  Péripatétisme,  analyse  et  synthèse,  expérience  et  spé- 
culation, philosophie  et  théologie,  matière  d'enseignement  et  méthode, 
culture  intellectuelle,  psychologique  et  logique  ;  culture  morale, 
sociale,  esthétique,  tout  ce  qui  peut  en  un  mot  intéresser  par  ses  appli- 
cations ultérieures  le  problème  général  de  l'éducation.  On  n'y  trouve 
pas  un  tableau  de  ce  qu'est  l'éducation  athénienne  des  enfants  et  des 
jeunes  gens  dans  le  gymnase  et  la  palestre,  avec  ses  programmes,  ses 
moyens  d'action,  ses  résultats  acquis  à  l'époque  d'Aristote  et  sous 
son  influence.  C'est  Aristote  et  la  culture  de  l'esprit  humain  beau- 
coup plus  qu'Aristote  et  la  conduite  des  enfants  qu'il  faut  chercher 
dans  ce  livre  ;  et  cependant,  ce  livre  est  le  tome  II  d'une  collection 
dont  le  tome  I  est  consacré  à  Jean-Paul,  et  le  tome  III  à  Pestalozzi, 
auteurs  pédagogiques,  au  sens  strict  de  ce  terme. 

E.  Trouverez. 


Die  Platonische  Ideenlehre  in  ihren  Motiven,  von   Siegfried    Marck.   Oskar 
Beck,  Mûnchen,  191 2;  i  vol.  pet.  in-H»,  180  pp. 

Ce  mémoire,  couronné  par  l'Académie  de  Breslau  et  transformé,  a 
pour  objet  la  théorie  des  idées  reconstruites  d'après  les  motifs  qui 
l'ont  inspirée  ou  dû  inspirer.  Il  est  dédié  à  Kuhnemann,  auteur  de 
précédentes  études  sur  les  pré-socratiques,  Socrate  et  Platon  (1S99) 
qu'Uberweg  qualifie  «  recherches  riches  d'idées  et  de  substances  sur 
le  H'o  et  le  Ji'ie  des  doctrines,  et  le  pourquoi  de  leurs  solutions  ». 
Marck  s'inspire  de  son  maître  et  en  outre  des  travaux  de  l'école  de 
Marbourg,  c'est-à-dire  de  Natorp  et  de  N.  Hartmann  '  :  interprétation 
idéaliste  et  quasi  hégélienne  de  Platon,  ancêtre  de  Kant,  du  Kant  de 
Marbourg.  On  croyait  autrefois  que  la  théorie  des  idées  de  Platon  for- 
mait un  tout  achevé  et  statique;  et  Schleiermacher  découvrait  le, 
plan,  conçu  par  Platon  dès  sa  jeunesse,  et  suivant  lequel  il  avait  con- 
tinûment déroulé  les  œuvres  de  toute  sa  vie.  Marck  croit  aujourd'hui 

i.  CÂ.  Revue  Critique,  1910,  p.  i58  et  i6i.. 


ïlO  REVUE    CRITIQUE 

que  la  pensée  de  Platon  csi  un  perpétuel  devenir;  que  chez  elle 
chaque  solution  d'un  problème  proposé  pose  un  problème  à  résoudre, 
toujours  de  Tavant.  C'est  qu'en  etîet  la  doctrine  des  idées  remplit  un 
double  rôle.  L'idée  est  Têtre  en  soi  aj-:à  /.aO'  akô  principe  métaphy- 
sique de  toute  réalite  véritable;  mais  elle  est  aussi  et  surtout  ètt'.txtjixy,; 
Evexa,  Hl  conducteur  et  principe  d'action  de  toute  pensée  en  marche. 
Cette  polarisation  de  l'idée  fait  osciller  Platon  d'un  point  de  vue  à  un 
autre.  Parti  de  la  philosophie  dogmatique  de  Socrate,  d'Heraclite  et 
de  Parménide,  il  aboutit  à  l'idéalisme  critique.  Le  premier  point  de 
vue  prédomine  dans  ses  dialogues  de  jeunesse.  Marck  suit  à  peu  près 
l'ordre  des  dialogues  de  Lutoslawski,  sauf  que  le  Théétète  est  analysé 
à  la  suite  du  Ménon,  avant  le  Phèdre,  le  l^hédon  et  la  République,  ce 
dont  l'auteur  s'explique  ou  s'excuse;  mais  au  fond  la  difficulté  du 
classement  aujourd'hui  reçu  n'est-elle  pas  d'admettre  une  solution  de 
continuité  chronologique  entre  les  dialogues  logiques  du  premier 
genre  :  Protagoras,  Ménon,  Cratyle,  et  ceux  du  second  :  Parménide 
et  Sophiste,  séparés  par  les  dialogues  orphiques?  et  cette  difficulté 
n'est-elle  pas  cruciale? —  Le  point  de  vue  idéaliste  et  critique  prédo- 
mine à  partir  de  Parménide  dans  lequel  Platon  «  éveillé  du  sommeil 
dogmatique  »,  se  critique  lui-même  et  s'accouche  d'une  science  nou- 
velle. Le  Sophiste  est  le  point  culminant  du  système  et  manifeste  le 
mieux  le  passage  de  Platon  au  point  de  vue  mobiliste  et  dynamique. 
Le  Phélèbe,  genèse  de  Vessence,  prépare  la  métaphysique  de  «  grand 
style  »  qui  remplit  le  Timée.  Les  idées  ne  sont  pas  transcendantes  au 
monde,  mais  immanentes;  le  monde  est  une  tendance  à  l'être  de  plus 
en  plus  riche,  de  plus  en  plus  immanent  à  soi-même,  de  plus  en  plus 
parfait,  sans  que  cette  perfection  soit  jamais  un  état  de  repos  qui  serait 
la  mort.  La  matière  est  la  matrice  du  monde,  la  mère  et  le  lieu  du 
devenir  éternel.  La  critique  d'Aristote  contre  Platon,  aujourd'hui 
aussi  actuelle  que  jamais,  exprime  le  point  de  vue  des  métaphysiques 
d'expérience  ou  de  la  raison,  mais  toujours  statiques,  contre  le  point 
de  vue  dynamique  des  pures  idées.  Ce  qui  subsiste  encore  chez  Pla- 
ton de  métaphysique  positive  a  caché  aux  yeux  d'Aristote  et  de  ses 
successeurs  à  travers  les  siècles  —  jusqu'à  l'école  de  Marbourg  excep- 
tée —  ce  qu'il  y  a  en  lui  de  critique  et  de  vivant.  La  culture  de  l'huma- 
nité ne  s'arrête  jamais  parce  que  tout  progrès  accompli  est  pour  elle 
l'origine  d'un  pro'grès  à  accomplir  ;  et  la  philosophie  de  Platon  est 
partie  intégrante  de  la  culture  parce  qu'elle  est  la  vie  de  l'idée,  sans 
limite,  sans  arrêt,  sans  terme.  On  voit  comment  cette  thèse,  intéres- 
sante et  suggestive,  s'insère  dans  les  travaux  allemands  du  même 
ordre.  Mais  pourquoi  Marck  ignore-i-il  les  représentants  français  du 
Platonisme?  Aucun  nom  français  ne  figure  dans  sa  bibliographie. 

E.  Thouverez. 


d'histoire  et  de  littérature  211 

Kleine  Schriften,  von  \V.   Windt.    I;    I.eip/.ii;,    lùigclmann,    kjio,    vnir)4o    p., 
p.  in-8". 

Wilhelm  Wundt,  le  patriarche  de  Leipzig,  a  choisi,  parmi  ses 
«  œuvres  mineures  »  parues  à  longs  intervalles,  celles  qui  lui  parais- 
saient les  plus  propres  à  servir  de  commentaire  actuel  à  ses  grands 
ouvrages  ;  et  il  les  représente  remaniées  dans  leur  forme  et  mises  au 
courant  de  l'état  actuel  des  questions  :  i"  Problème  cosmologique  dans 
les  sciences  naturelles  (187b);  exposé  des  deux  hypothèses  tinitiste 
(Kant,  Laplace,  Clausius)  et  inHnitiste  (évolutionisme)  que  Wundt 
concilie  par  la  distinction  de  deux  concepts  d'univers  :  concept  uni- 
versel du  possible,  inHni  dans  le  temps  et  dans  l'espace,  concept  du 
contenu  de  Texpérience,  étroit  et  fini;  2°  Problème  cosmologique  en 
philosophie,  les  antinomies  de  Kant  et  le  problème  de  l'infini  (i885- 
1909);  étude  de  détail  des  antinomies  Kantiennes,  terminée  par  Top- 
position  de  deux  infinis  :  le  monde  extérieur  (infini  externe)  et  la 
conscience  (infini  interne),  laquelle  contient  la  dualité  interagissante 
du  sentiment  moral  :  l'infini  en  devenir  agissant  sur  le  monde  externe, 
et  du  sentiment  religieux  :  l'infini  réalisé  ou  réalisation  idéale  de  la 
totalité  absolue;  3°  Qu'est-ce  que  Kant  ne  doit  pas  être  pour  nous? 
(1892- 19 10);  réponse  à  Paulsen  «  ce  que  Kant  doit  être  pour  nous  »  ; 
Kant  a  vécu  et  nous  devons  vivre  à  notre  tour  dans  notre  temps  et 
non  dans  le  sien  ;  Kant  ne  doit  pas  être  pour  nous  l'objet  d'un  culte 
scolasiique,  un  arrêt  définitif  dans  la  pensée  humaine  ;  nous  devons 
au  contraire  l'honorer  le  mieux  et  féconder  le  mieux  ses  doctrines  par 
l'étude  personnelle  et  la  solution  indépendante  des  problèmes  d'au- 
jourd'hui; que  Kant  soit  pour  nous  un  exemple  et  non  un  fétiche; 
4°  Histoire  et  théorie  des  concepts  abstraits  (i885),  d'être  et  de  deve- 
nir, de  matière  et  de  forme,  de  cause  et  de  substance,  auxquels  corres- 
pondent les  attributs  corrélatifs  d'un  et  de  inultiple,  de  quantité  et  de 
qualité,  de  fini  et  d'infini;  les  concepts  engendrent  les  sciences  de  la 
cause  ,'physique)  ;  les  prédicats  engendrent  la  science  du  divers  (ma- 
thématique) :  laquelle  a  pour  support  logique  le  pensable  (das  Denk- 
môgliche)  :  lequel  à  son  tour  engendre  à  tort  l'illusion  que  la  méta- 
physique peut  se  construire  comme  la  mathématique  par  simple  jeu 
dialectique;  5°  Du  réalisme  naïf  et  du  réalisme  critique^  1896  ;  A  Phi- 
losophie de  l'immanence  de  Schuppe,  caractérisée  par  cette  formule 
que  toute  réalité  est  sujet  ou  représentation  du  sujets  et  que  tout  ce 
qui  est  hors  du  domaine  de  la  conscience  n'est  pas;  B  empirio-criti- 
cisme,  exposition  et  critique  particulièrement  intéressante  de  la  doc- 
trine d'Avenarius,  encore  mal  connue  en  France  ;  doctrine  de  Vintro- 
jection,  suivant  laquelle  la  croyance  à  mon  moi  est  un  choc  en  retour 
de  la  croyance  préalable  que  j'ai  eue  du  moi  des  autres  hommes;  doc- 
trine biologique  dans  laquelle  les  divers  sujets  apparaissent  comme 
des  systèmes  organiques  plus  ou  moins  différenciés  par  un  système 
nerveux  plus  ou  moins  parfait,  de  telle  sorte  que  les  individus  ou  pré' 


2  12  REVUE    CRITIQUE 

tendus  tels  ne  sont  pas  autre  chose  que  des  systèmes  centraux  qui 
apparaissent  dans  une  niasse  diffuse  de  périphéries  et  de  centres  inter- 
dépendants les  uns  des  autres  ;  doctrine  la  plus  radicale  pour  sup- 
primer avec  l'iddc  du  moi  tout  ce  qu'elle  renferme  encore,  suivant 
Comte,  d'illusion  métaphysique  ;  6°  P.sychnlogisme  et  logicisme 
(iqio),  revue  générale  des  deux  tendances  qui  aujourd'hui  s'engen- 
drent réciproquement,  s'opposent  et  s'enchevêtrent  dans  la  pensée 
allemande;  les  doctrines  de  Lipps,  de  Sigwart,  de  Brentano,  de  Hus- 
serl, de  B.  Erdmann,  de  Dilthey,  de  Rickert,  etc.,  sont  tour  à  tour 
analysées  et  discutées  dans  leurs  rapports  logiques  et  historiques  ;  et 
l'on  comprend  sans  peine  l'intérêt  d'une  telle  rcccnsion  par  un  tel 

auteur. 

E .  Thouveri^z. 


Alessandro  DELLA  Seta,  Religione  6  arte  figurata.  Un  vol.  in-S»,  p.  i-viii,  1-287, 
avec  210  fig.  hors  texte.  Rome,  Danesi,   191  2. 

Destiné  au  grand  public,  le  livre  de  S.  cherche  moins  à  découvrir, 
des  faits  nouveaux  qu'à  résumer  et  à  coordonner  des  observations 
déjà  bien  connues.  La  thèse  est  que  l'art,  à  ses  débuts,  n'a  guère  eu 
qu'un  rôle  et  qu'une  fonction  magique  ;  les  Grecs,  puis  le  boud- 
dhisme et  le  christianisme  l'auraient  peu  à  peu  spiritualisé  et  rendu 
capable  de  donner  une  forme  matérielle  aux  plus  hautes  vérités  reli- 
gieuses. La  proposition,  dans  sa  généralité,  ne  prête  guère  à  la  cri- 
tique, mais  il  est  souvent  malaisé  d'en  montrer  l'application  dans  le 
détail.  S.,  qui  s'y  est  essayé,  ne  réussit  pas  toujours  à  trouver  le  lien 
qui  devrait  rattacher  les  unes  aux  autres  les  diverses  manifestations 
religieuses  de  l'art  et  presque  chaque  page  appellerait  des  corrections 
ou  des  réserves,  objections  d'autant  plus  sérieuses  et  plus  inquié- 
tantes que  la  nature  même  de  l'ouvrage  empêche  l'écrivain  de  donner 
ses  raisons  ou  ses  preuves.  Aussi,  malgré  mainte  vue  ingénieuse  ou 
profonde,  les  spécialistes  trouveront,  je  le  crains,  peu  de  profit  aie 
lire  et  je  doute  que  les  gens  du  monde  puissent  le  suivre  dans  son 
style  grandiloquent  et  dans''sa  marche  lente  et  embarrassée.  C'est  un 
de  ces  ouvrages  demi-savants  et  demi-populaires  qui  coûtent  plus  de 
peine  à  leur  auteur  que  le  public  ne  retire  d'avantage  à  les  pratiquer. 

P.  34,  Hérodote,  qui  est  allé  en  Egypte,  est  un  témoin  borné,  mais 
digne  de  foi;  en  revanche  Juvénal,  qui  a  connu,  tout  au  plus,  les 
Egyptiens  de  Rome,  n'a  rien  à  faire  ici.  P.  5q,  bonne  distinction 
du  Ka  et  du  Ba.  P.  60,  Seth  n'a  pas  une  tête  d'àne.  P.  70,  les  nom- 
breuses statues  ou  figurines  courotrophes  montrent  que  la  Grèce  a 
connu  l'expression  de  l'amour  maternel.  P.  io3,  les  animaux  fantas- 
tiques de  l'art  «  minoen  »  seraient  surtout  décoratifs.  P.  118,  justes 
réserves  à  propos  du  Télamon-pilier  de  P.  Girard.  P.  149,  le  portrait 
hellénistique  est  bien  différent  du  portrait  romain.  P.  i53,  le  Dio- 
nysos de  Naples  est   probablement  une  figure   éleusinienne.  P.   174, 


d'histoire    et    DK    littérature  21  3 

l'art  «  orientalisant  »  des  tombes  Bcrnardini  de  Preneste  et  Re-^olini- 
Galassi  de  Caere.  P.    i()5,   S.  parait   douter  que   la    frise  marine  de 
Munich  appartienne,  ainsi  que  la  scène  de  sacrifice  du  Louvre,  à  l'au 
tel  de  Domitius  Abenobarbus. 

Il  manque  au  livre  une  table  :  elle  serait  d'autant  plus  indispen- 
sable que  l'auteur  touche  à  plus  de  sujets  divers  et  dans  un  ordre  qui, 
par  la  force  même  des  choses,  ne  peut  être  ni  méthodique,  ni  continu. 

A.  DE  RiDDER. 


Der  Dat.-Sing.-Ausgang  der  o-Deklination  im  Lateinischen.  Von  Chr. 
Bartholomae.  Ileidelberg,  Winter,  19 lo  [Sit:{ungsbericJite  der  Heidelbergcr 
Akademie,  1910,   n"  5),   14  p.  in-S". 

Le  datif  singulier  de  la  seconde  déclinaison  latine  des  grammaires 
scolaires  est  en  -o  :  equo.  Cette  forme  est  expliquée  ordinairement  de 
la  manière  suivante.  On  avait  à  l'origine  eqiioi,  la  diphtongue  oi  ayant 
l'o  long.  Cet  eqiioi  aboutit  à  equo  à  la  fin  de  la  phrase,  par  un  phé- 
nomène de  phonétique  syntactique.  Cette  explication  offre  plusieurs 
difficultés.  D'abord  en  sanskrit,  on  a  des  formes  en  -âya.  Puis  le 
parallélisme  entre  la  déclinaison  féminine  et  la  déclinaison  masculine 
est  détruit  :  terrae,  equo.  Or  ce  parallélisme  a  introduit  plus  d'une 
innovation  dans  les  langues  italiques  :  à  l'instrumental-datif  pluriel, 
osq.  feïhuis  a  entraîné  diumpaïs;  à  l'ablatif  singulier,  meritod  a 
entrainé  sententiad ;  au  génitif  pluriel,  ^/frtrz/m  a  entraîné^/for?/m; 
au  nominatif  pluriel,  osq.  pas  entraîne  pus,  lat,  quoi  [quel,  qui) 
entraîne  quai  (quae),  poploe  ipopuli)  entraîne  tabelai  {tabulae).  Il  est 
étonnant  que  le  datif  féminin  en  -a,  qui  a  existé,  ait  été  supplanté 
par  le  datif  en  -ai,  et  que  ce  phénomène,  qui  a  eu  lieu  en  sens 
inverse  pour  le  datif  en  -oi  -o,  ne  se  soit  pas  produit  au  locatif  : 
Romai  Romae.  En  fait  les  quatre  formes  -ai,  -a,  -oi,  -0  se  ren- 
contrent dans  les  langues  italiques  et  spécialement  dans  le  domaine 
falisco-latin  (cf.  numasioi,  ^extoi,  titoi,  duenoi,  populoi  romanoi  \  for- 
tuna,  fileia primogenia,  locina,  menerua,  etc.).  Les  formes  en  -a  sont 
analogiques  d'après  les  formes  en  -0,  et  ont  toujours  été  assez  rares. 
Les  formes  en  -oi  et  les  formes  en  -o  se  balançaient  à  peu  près.  Or 
dans  ce  que  nous  appelons  la  troisième  déclinaison  latine  ei  était 
passé  à  e  long  avec  une  prononciation  bien  fermée.  Au  cours  du 
vie  siècle,  e  long  a  passe  à  i  fermé.  L'z  bref  du  nominatif  était  très 
ouvert  et  tendait  vers  \'e.  A  l'accusatif  singulier,  Ve  était  fermé  et 
tendait  vers  i.  On  avait  en  conséquence  hostis  hostem  hosti,  qui  fai- 
sait une  série  parallèle  à  equos,  equom,  equo  (l'o  de  equo,  étant  long, 
était  fermé)  ;  hostis  hostem  était  à  hosti  comme  equos  [munis)' equom 
à  equo.  C'est  ce  qui  explique  le  triomphe  de  equo  sur  equoi.  Ce  qui  a 
facilité  ce  résultat,  c'est  l'emploi  de  l'épithète,  par  exemple  ceiue 
romano. 


2(4  RtVUE    CaniQUfe. 

L'Iiypoihcse  de  M.  Rartlioldmac  est  assez  compliquée  ;elle  implique 
bien  des  hypothèses  secondaires.  Mais  clic  n'a  pas  les  inconvénients 
de  l'explication  généralement  admise. 

H.   P. 


Monumenta  Germaniao  historica,  Scriptorum  rerum  merovingicarum, 
tomus  V,  Passiones  vitaeque  sanctorum  aevi  merovingici.  lùlidciuiu 
B.  Kri'scii  et  \V.  l.EvisoN.  Hannoverac  et  Lipsiac,  impensis  bibliopolii  Hahiiiaiii, 
NDCcccx,  vin- 8^4  p.  et  22  pi.  in-4".  Prix  :  40  Mk. 

Ce  volume  contient  vingt-six  parties,  concernant  chacune  un  per- 
sonnage et  composée  souvent  de  plusieurs  pièces.  Nous  mention- 
nerons d'abord  les  docuitients  les  plus  intéressants  par  leur  sûreté 
historique  ou  leur  caractère.  1°  Vie  de  saint  Wandrille,  abbc  de 
Fontenelle,  par  un  contemporain  de  ses  derniers  jours.  Il  mêle  peu 
de  faits  importants  à  beaucoup  d'inutilités,  dit  M.  Krusch.  Ces  inu- 
tilités ne  sont  pas  sans  valeur  pour  l'histoire  des  mœurs.  Ainsi  le 
biographe  croit  bon  de  remarquer  que  le  saint  se  lavait  souvent  les 
mains,  qu'il  avait  fort  longues.  Parmi  les  nombreuses  incorrections 
de  son  langage,  la  confusion  des  occlusives  sourdes  et  sonores  est  à 
noter  comme  indice  d'origine  germanique  :  conclutinet,  demigatur 
(dimic-)  lidigantis,  mimtanecus  (mundanicos),  splcndeta,  opetiim  [obi- 
tiim).  M.  K.  signale  de  nombreux  emplois  du  féminin  pour  le  mas- 
culin (p.  4)  ;  mais  la  plupart  sont  des  exemples  de  la  confusion  de 
quam,  giiem,  qiiod  '.  Ce  texte  a  été  conservé  par  le  célèbre  ms.  B.  N. 
lat.  i8--îi5,  du  commencement  du  vni'' siècle,  très  voisin  de  l'époque 
de  l'auteur,  qui  parait  avoir  écrit  vers  700.  2°  Vie  de  saint  Germain 
fondateur  de  Moutier  près  Grand  Val,  dans  le  Jura  bernois,  par  le 
prêtre  Bobolenus.  Cette  biographie  montre  comment  l'institut  monas- 
tique de  Columban  a  rayonné  de  Luxeuil  dans  les  confins  de  l'Alsace, 
de  la  Suisse  et  de  la  Bourgogne,  et  apporte  des  renseignements  pré- 
cieux pour  l'histoire  de  ces  régions^  dans  le  troisième  quart  du 
vue  s.  L'auteur  s'est  mis  à  l'oeuvre  aussitôt  après  la  mort  de  saint  Ger- 
main. 3°  Passion  de  saint  Préjet  [Praeiectiis),  évêque  d'Auvergne 
(Clermont)  et  martyr.  C'est  le  récit  d'un  contemporain,  qui,  sur  la 
mort  de  l'évêque,  par  exemple,  s'appuie  sur  des  témoins  oculaires. 
Ce  document  nous  renseigne  sur  la  cour  et  l'histoire  de  Childéric, 
roi  d'Austrasie  (662-675)  et  sur  les  institutions  mérovingiennes.  Dans 
son  introduction,  p.  21 3,  M.  K.  reproduit  l'épitaphe  de  saint  Genès 
(Genesius),  un  des  éducateurs  et  des  prédécesseurs  de  saint  Préjet. 
Cette  épitaphe,  déjà  publiée,  a  été  omise  cependant  par  Le  Blant. 
4.°  Passion  de  saïm  Léger  (Leudegarius),  évêque  d'Autun  et  martyr. 
Il  est  inutile  d'insister  sur  ce  que  nous  apprend  la  biographie  de  ce 
martyr  de  la  politique.  Elle  est  aussi  l'œuvre  d'un  contemporain. 
M.  K.   édite,   à  la  suite,    une   seconde  passion,   par   Ursinus,  et  les 

I.  Cf.  M.  Bonnet,  Le  latin  de  Grégoire  de  Tours,  p.  499. 


d'histoire   kt   de   littérature  21  5 

extraits  d'une  troisième  par  Frulaiulus.  5°  Vie  de  saint  Oucn,  évéque 
de  Rouen.  M.  Levison  publie  le  poème  de  saint  Ansberi  et  la  vie 
ancienne.  Il  s'appuie,  d'ailleurs,  pour  les  expliquer  sur  les  travaux 
de  M.  N'acandard.  11  nous  donne  une  édition  critique  définitive  de 
ces  textes.  6°  Vision  de  Barontus,  moine  de  Saint-Pierre  de  Longo- 
rctus,  aujourd'hui  Saint-Cyran  en  Brenne  (Indre).  C'est  une  vision 
du  ciel  et  de  l'enfer,  qu'il  est  intéressant  de  comparer  avec  d'autres 
morceaux  analogues,  notamment  la  légende  de  saint  Fursy  [Furseiis). 
I.a  pièce  e%x  d^xéQ  :  Acta  sunt  haec  omnia  VIII  kal.  April.  in  sexto 
anno  régnante  de  Theoderico  regem  Francoriim .  M.  Levison  donne 
la  date  :  25  mars  678  ou  <d~^j.  Il  n'a  pas  remarqué  l'intérêt  du  quan- 
tième, 2  5  mars.  C'est  la  date  de  la  fête  tixe  de  la  Passion  du  Christ, 
célébrée  en  Gaule  indépendamment  de  la  Pàque  mobile  '.  Nous 
avons  d'autres  indices  qu'à  cette  époque  ce  jour  était  encore  consacré 
par  l'Eglise  mérovingienne.  La  coïncidence  peut  avoir  aussi  son 
importance  pour  l'interprétation  de  la  vision.  7°  Histoire  du  roi 
Wamba,  par  Julien  de  Tolède.  Ce  récit  des  commencements  du  règne 
et  de  la  sédition  du  duc  Paul  a  été  rédigé  peu  après  les  événements, 
c'est-à-dire  peu  après  673,  certainement  avant  680. 

Les  autres  documents  de  ce  volume  concernent  les  personnages 
suivants  :  Sadalberga,  abbesse  de  Laon  ;  Frodobertus,  abbé  de  Saint- 
Pierre  la  Celle  (Montier  la  Celle,  dans  l'Aube);  Remacle,  abbé  et 
évêque  de  Stavelot  ;  Viance  (Vincentianus)  d'Avolca  (le  lieu  a  reçu 
maintenant  le  nom  du  saint,  dans  la  Corrèze)  ;  Meneleus,  abbé  de 
Menât,  dans  le  Puy-de-Dôme;  Nivard,  évêque  de  Reims;  Faron, 
évêque  de  Meaux  (sa  biographie  contient  le  fameux  poème  de  la 
guerre  de  Saxe)  ;  Rambert  (Ragnebertus),  martyr  à  Saint-Rambert- 
en-Bugey  (anciennement  Bebrona);  Memmie,  évêque  de  Châlons; 
Amand,  le  célèbre  évêque-abbé  ;  Philibert,  abbé  de  J  umièges  et  de 
Noirmoutier;  Lambert,  abbé  de  Fontenelle  et  évêque  de  Lyon; 
Ansbert,  évêque  de  Rouen;  Condedus,  anachorète  dans  une  île  de  la 
Seine,  près  de  Caudebec;  Erembert,  évêque  de  Toulouse;  Wulfram, 
évêque  de  Sens  ;  Ermenlandus,  abbé  dans  l'île  d'Indre  ou  Basse- 
Indre  (Loire  Inférieure);  Kilian,  martyr  à  'W'^ûrzbourg;  Orner,  Ber- 
lin et  Winnoc. 

Tous  ces  textes  sont  établis  avec  le  plus  grand  soin  et  reposent  sur 
une  masse  considérable  de  collations  de  manuscrits. 

Les  planches  reproduisent  :  i"  quatre  miniatures  de  la  vision  de 
Barontus,  d'après  un  ms.  du  ix''-x'=  s.  qui  est  à  Saint-Pétersbourg  et 
provient  de  Saint-Rémy  de  Reims  (voy.  de  plus,  p.  387,  les  figures 
des  clés  de  saint  Pierre)  ;  2°  une  série  de  peintures  illustrant  la  vie  de 
saint  Amand  dans  le  ms.  de  Valenciennes  607,  du  xii'^  siècle;  3°  les 
miniatures  du  testament  de  saint  Amand  dans  le  ms.  de  Valenciennes 

I.  DucHESNE,  Origines  du  culte  chrétien,  ch.  viii,  §  b,  i". 


21Ô  REVUE    CRITIQUE 

606  du  nicme  temps.  Ces  pciniurcs  oflicni  de  rinicrèi  pour  l'archéo- 
logie et  l'histoire  de  l'art. 

Deux  tables  alphabétiques  terminent  le  volume.  Elles  sont  ['(cuvre 
de  M.  Levison  et  sont  très  étendues. 

Ce  volume  fait  le  plus  grand  honneur  aux  deux  collaborateurs. 
M.  Krusch  annonce  comme  prochain  un  dernier  volume  qui  termi- 
nera cette  série  des  écrivains  de  l'époque  mérovingienne. 

D.    SONNERY. 


Maiidbuch  der  Klassischen  Altertumswisseuschaft  hsg.  von  Dr  Iwan  von  Mùllcr, 
ncunter  Hd,  2  Abt.,  1  Theil.  Geschichte  der  lateinischen  Literatur  des 
Mittelalters,  von  Max  Manitius.  Erstcr  Theil  :  Von  Justinian  bis  zur  Mitte  des 
zchnten  Jahrhunderts,  mit  Index.  C.  H.  Beck'schc  Verlagsbuchhandlung,  Mûn- 
chen,  191  I.  Prix  :   i5  M. 

Quand  le  dernier  tome  delà.  Romi.scheLitteraturgescliichte  de  M.Mar- 
tin Schanz  aura  paru,  le  présent  ouvrage  en  formera  la  suite  immédiate. 
Dans  ce  premier  volume,  qui,  d'après  l'intention  de  l'auteur,  sera  suivi 
d'un  autre  dès  l'été  de  igiS,  M.  Max  Manitius  étudie  la  littérature 
écrite  en  latin  depuis  le  vf  siècle  de  notre  ère  jusqu'au  milieu  du  x^. 
Le  livre  est  divisé  en  deux  parties  :  i^la  littérature  latine  de  Justinien 
à  Charlemagne  fp.  1-242);  2°  l'humanisme  carolingien,  son  apogée  et 
sa  décadence  (p.  243-248).  M.  Manitius  parait  avoir  hésité  sur  le  classe- 
ment qu'il  devait  préférer  à  l'intérieur  de  ces  deux  grandes  sections.  Il 
reconnaît  qu'il  eût  été  préférable  de  distribuer  sa  matière  par  ordre 
chronologique,  ou  mieux  encore  par  écoles  ou  centres  intellectuels. 
Mais  ce  mode  de  disposition  eût  requis  une  connaissance  exacte  de  la 
date  d'apparition  des  œuvres  ou  de  la  formation  première  des  écri- 
vains. A  défaut  de  ces  données  précises,  qui  auraient  manqué  en  nom- 
bre de  cas,  M.  Manitius  s'est  résigné  à  une  division  par  «  genres  »  ou 
par  «  disciplines».  11  traite  successivement  des  «  écrivains  universels  » 
(tels  que  Boèce,  Cassiodore,  Isidore  de  Séville,  dans  la  première 
période,  Paulus  Diaconus,  Alcuin,  etc.,  dans  la  seconde)  de  la  théo- 
logie, de  la  philosophie  et  sciences  naturelles,  de  la  philologie  et 
grammaire,  de  la  poésie,  de  l'histoire  et  géographie.  Contrairement  à 
la  pratique  de  Schanz,  il  a  cru  devoir  éliminer  de  son  plan  les  œuvres 
juridiques  :  ne  voulant  pas  y  incorporer  toute  la  littérature  canonique 
ecclésiastique.  Il  en  a  exclu  également,  au  nom  de  la  notion  même 
de  «  littérature  »  —  et  cette  notion,  on  eût  souhaité  qu'il  précisât  par 
quelques  définitions  le  concept  qu'il  s'en  est  formé  —  les  traductions 
de  la  littérature  technique  grecque,  ainsi  que  bon  nombre  de  récits 
historiques,  de  légendes  hagiographiques,  d'hymnes  et  de  séquences, 
Jugés  en  bloc  «  insignifiants  ». 

L'inventaire  descriptif  dressé  par  M.  Manitius  n'est  donc  pas  tout 
à  fait  complet.  Tel  qu'il  est,  il  résume  et  classe  à  notre  usage  le  labeur 
de  toute  une  vie  de  savant,  et  cela  avec   une  variété   d'informations, 


d'histoire  et  de  littérature  217 

une  minutie  critique,  qui  laisse  bien  loin  derrière  soi  lAllg-.  Geschichte 
der  Litcr.  des  Mittelalters,  d'Adolf  Ebert .  M.  Maniiius  connaît,  non 
pas  seulement  les  œuvres  imprimées,  mais  aussi  les  œuvres  manus- 
crites. En  dépit  des  lacunes,  des  inexactitudes  de  détails  qui  ont  été 
signalées  dans  son  travail,  ou  qui  le  seront', ce  répertoire  est  de  beau- 
coup le  plus  complet  et  plus  sûr  dont  on  dispose  présentement. 

Il  otïre  plusieurs  sortes  d'intérêts.  Certes,  la  plupart  des  écrivains 
dont  s'occupe  Manitius  sont  de  mince  envergure.  Cette  littérature 
perpétuellement  didactique,  moralisante,  allégorisante,  vit  de  gloses 
et  d'excerpla.  Elle  exploite  un  patrimoine  qu'elle  n'enrichit  guère  et 
dont  souvent  elle  méconnaît  l'esprit.  Mais  en  l'utilisant,  du  moins  le 
sauve-t-elle  de  la  ruine.  Cette  survie  de  la  culture  gréco-latine  au 
moven  âge,  nous  en  pouvons  suivre  les  étapes  à  travers  le  livre,  sur- 
tout dans  les  introductions  que  l'auteur  a  mises  en  tête  de  chacune  des 
parties  principales.  Si  l'on  y  joint  la  lecture  des  deux  études  parallèles, 
l'une  plus  générale,  l'autre  plus  technique,  que  M.  Norden  a  rédigées 
pour  la  Kultiir  der  Gegenwart  [Die  Griech.  u.  lat.  Liter.  u.  Spr., 
3«  éd.  [191 1],  Teubner,  p.  483-520)  et  pour  YEinleitung  in  die  Alter- 
tumswiss.  de  Gercke-Norden,  t.  I  (191 1),  p.  552  et  s.  %  on  se  formera 
une  idée  distincte  des  immenses  services  que  les  influences  conserva- 
trices du  moyen  âge,  et  en  première  ligne,  l'Eglise  et  les  monastères, 
ont  rendus  à  la  civilisation. 

Ceux-là  même  qui  bornent  de  préférence  leur  horizon  à  la  littérature 
romaine  classique,  aimeront  à  s'aider  de  l'ample  Index  qui  clôt  l'ou- 
vrage pour  se  rendre  compte  de  l'action  que  leurs  auteurs  favoris  ont 
exercée  sur  les  écrivains  du  moyen  âge,  des  allusions  que  ceux  ci  y 
ont  faites  dans  leur  prose  ou  dans  leurs  vers.  C'est  là  une  question 
qui,  depuis  plus  de  vingt  ans,  sollicitait  la  curiosité  de  M.  Manitius  : 
on  n'aurait,  pour  s'en  convaincre,  qu'à  feuilleter  la  collection  du 
Rhein.  Muséum,  du  Philologus,  deVArchiv  der  Ges.f.  altère  deutsche 
Geschichtskunde,  où  il  dispersa  Jadis  tant  de  notes  et  d'articles,  qu'il 
ramasse  ici  dans  leur  cadre  naturel.  Il  est  loisible  ainsi  de  mesurer 
le  prestiged'un  Virgile,  d'un  Ovide,  d'un  Pline  l'Ancien,  et,  par  contre, 
l'oubli  où  fut  ensevelie  la  mémoire  de  Tacite,  de  Properce,  etc.,  etc.. 
Pareille  enquête  devient  également  facile  à  propos  des  «  Pères  ».  La 
moisson  est  aussi  riche  que  féconde  en  enseignements. 

Je  voudrais  en  terminant  adresser  une  ou  deux  critiques  à  l'auteur. 
Pourquoi  a-t-il  rendu  son  livre  si  dense,  si  massif,  j'allais  dire  si 
accablant  ?  Une  composition  typographique  plus  intelligente  eût  par- 
tiellement corrigé  cette   impression  désagréable.  Il  aurait  fallu  diffé- 

1.  En  voici  une,  p.  33,  1.  26  ;  lire  :  Journal  des  Savants,  1889,  44g. 

2.  Il  serait  préjudiciable  d'oublier  la  belle  étude  de  Roger,  L'Enseign.  des  lettres 
classiques  d'Aiisone  à  Alciiin,  Paris,  i(jo5,  et  le  résumé  substantiel  de  M.  Louis 
Havet,  dans  les  premières  pages  de  son  Manuel  de  critique  verbale,  Paris, 
191 1 . 


2  l8  REVUE    CRITIQUE 

rencicr  plus  clairement  le  nom  des  auteurs  du  titre  des  groupes  d'ou- 
vrages (v.  g.  p.  23  Boetliius,  p.  26  Schriften  zum  Quadriuium).  Pour- 
qu(M  les  titres  en  caractères  gras  disparaissent-ils  subitement  à  partir 
de  la  p.  3  I  ?  Pourquoi,  parmi  tant  d'indications  bibliographiques,  plu- 
sieurs sont-elles  sanslieu  ni  daie?Le  lecteur  est-il  tenu,  par  exemple,  de 
savoir  que  VAnecdoton  Holderi,  d'Usener  (p.  24)  a  été  publié  à  Bonn, 
en  1877,  ou  l'étude  de  Franz  sur  Cassiodore  (p.  Sq)  à  Breslau,  en 
1872?  L'ouvrage  manque  d'air.  On  y  ctoutTe. 

Il  manque  un  peu  d'art  aussi.  On  aurait  aimé  qu'après  avoir  énu- 
méré  les  œuvres,  accumulé  les  données  positives,  Manitius  s'essayât 
à  recomposer  la  phvsionomie  morale  et  intellectuelle  des  écrivains 
dont  il  s'occupe;  non  pas  de  tous,  sans  doute,  mais  de  ceux  qui 
méritaient  un  tel  traitement,  Cassiodore,  par  exemple,  ou  Boèce, 
ou  Béda,  ou  Colomban,  etc.  Les  vues  générales  des  introductions  ne 
suppléent  pas  à  ce  déficit.  M.  Schanz  excelle  dans  le  Riickblick  final, 
où,  après  la  dissection  critique,  l'auteur  étudié  ressuscite  et  se  dresse 
avec  ses  traits  particuliers.  L'immense  matériel  réuni  par  M.  Manitius 
ressemble  trop,  par  endroits,  à  une  riidis  indigestaqiie  moles  :  avec 
plus  de  goût,  plus  de  sens  philosophique  et  littéraire,  l'auteur  lui 
aurait  soufflé  la  vie. 

Pierre  de    Labriolle. 

Dom  Jean  Parisot,  Étude  de  généalogie  lorraine.  La  famille  Parisot  de  Plom- 
bières.  Nancy,  imprimerie  Crépin-Lehlond,  247  pages,  tables  et   planches. 

Nulle  famille  n'est  plus  populaire  à  Plombières  et  aux  environs  que 
celle  des  Parisot.  Elle  a  fourni  des  banquiers,  des  notaires,  des  admi- 
nistrateurs des  thermes,  des  maires,  des  prêtres.  L'un  des  membres  de 
cette  famille,  dom  Jean  Parisot,  a  dressé  l'arbre  généalogique  et  réuni 
tous  les  renseignements  qu'il  a  trouvés  sur  elle.  Il  a  pu  remonter  jus- 
qu'au milieu  du  xv!*"  siècle,  à  Hanneso  Parisot,  «  mayeur  ».  L'étude 
est  faite  avec  grand  soin,  à  l'aide  des  archives  de  Plombières,  de  Val 
d'Ajol,  de  Remiremont,  des  archives  départementales  de  Meurthe  et 
Moselle,  de  la  collection  lorraine  à  la  bibliothèque  nationale.  Les  his- 
toriens de  la  Lorraine  auront  souvent  à  la  consulter.  L'ouvrage  a  été 
tiré  à  170  exemplaires  numérotés. 

C.  P. 

Albert    Denis.    Le    Comité  de   surveillance  révolutionnaire  de  Toul  (1793- 
1795).  Toul,  impr.  G.  Laurent,   160  pages,  in-S». 

M.  Albert  Denis,  aujourd'hui  député  de  Toul,  a  publié  en  1892  un 
premier  volume  sur  l'hisioire  de  Toul  pendant  la  Révolution  ;  il  y 
racontait  la  suite  des  faits  depuis  la  convocation  des  états-généraux 
jusqu'à  la  proclamation  de  la  République  (21  septembre  1792).  La 
seconde  partie  de  cette  étude  jusqu'au  18  brumaire  an  VIII  est  en 
cours   de    publication    dans    VÉcho    toulois.  De    cette  histoire    gêné- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  219 

raie  il  a  distrait  un  chapitre  important  concernant  les  comite's  de  sur- 
veillance qui  se  sont  succédé  dans  la  ville  de  1793  à  1795.  Le  premier 
Comité  fut  créé  le  12  avril  1793  et  composé  de  sept  membres,  le  juge 
de  paix  du  canton,  deux  membres  du  district,  du  Conseil  de  la  com- 
mune et  de  la  société  des  amis  de  ta  Liberté  et  de  l'Égalité.  Le  2  juin, 
deux  Comités  de  surveillance,  correspondant  aux  deux  sections  de  la 
ville,  Saint-Etienne  et  Saint-Gengoult,  turent  élus,  chacun  composé 
de  douze  membres,  conformément  au  décret  du  21  mars.  Le  i^""  no- 
vembre, autre  changement  :  Toul  a  un  seul  Comité  dont  les  douze 
membres  sont  désignés  par  la  société  populaire  ;  puis  les  membres  du 
Comité  sont  nommés  par  les  représentants  du  peuple  en  mission.  Bar 
le  20  février  1794  et  Michaud  le  6  octobre  1794.  Sur  les  attributions 
de  ces  divers  comités,  M.  Albert  Denis  fournit  les  renseignements  les 
plus  précis.  Il  donne  la  liste  exacte  des  personnes  qu'ils  firent  arrê- 
ter ;  il  publie  les  renseignements  qu'ils  envoyèrent  sur  elles  au 
Comité  de  sûreté  générale;  il  indique  la  part  prise  par  eux  à  la  levée 
de  1793.  Signalons  quelques  petites  erreurs  de  détail.  Ce  n'est  pas 
Levasseur  (René)  de  la  Sarthe,  mais  Levasseur  (Antoine-Louis)  de 
Sarrebourg  qui  fut  envoyé  comme  représentant  du  peuple  dans  les 
départements  de  la  Meurthe  et  de  la  Moselle,  le  9  mars  1793  (cf.  l'ar- 
rêté du  28  avril  1793,  p.  14);  p.  35,  lire  Harlaut  (Nicolas-Jacques), 
au  lieu  de  Harlaiix;  p.   i33  note,  lire  Altkirch  au  lieu  de  Altkirche. 

C.  P. 


Gustave  Jakob.  L'illusion  et  la  désillusion  dans  le  Roman  réaliste  français 
(1851  à  1890).  Paris,  Jouve,  i9ii;in-8°  de  143  pages  (thèse  de  l'université  de 
Paris). 

Une  idée  ingénieuse,  et  juste  dans  l'ensemble  :  le  roman  «  réaliste  » 
de  Flaubert,  des  Concourt,  de  Zola,  est  surtout  le  roman  des  désillu- 
sions romantiques  :  c'est  moins  l'étude  immédiate  de  la  vie  que  le 
contre-coup  des  réalités  vitales  sur  des  esprits  gonflés  d'irréalité  qui 
préoccupe,  au  fond,  ces  écrivains  (et  il  aurait  été  juste  d'ajouter  à 
ceux-ci  le  Feydeau  de  Fanny,  le  Fromentin  de  Dominique  et  la 
G.  Sand  de  quelques  œuvres  tardives,  où  le  rappel  au  vrai  s'accom- 
pagne de  plus  d'optimisme).  L'  «  illusionnaire  «  heurté  par  les  choses 
que  n'apercevait  pas  son  romantisme  inné  ou  acquis,  c'est  en  effet  un 
type  d'humanité  que  toute  la  littérature  post-romantique  européenne 
devait  connaître  et  goûter,  et  que  M,  Jakob  retrouve  au  fond  de  la 
figuration  «  réaliste  »,  Des  analyses  assez  exactes,  mais  trop  poussées 
souvent  dans  le  sens  de  cette  thèse  initiale,  illustrent  cette  idée  inté- 
ressante '. 
La  même  insistance,  plus  périlleuse  ici,  fait  souhaiter  à  M.  J.  que 

I.  La  correction  typographique  laisse  beaucoup  à  désirer.  Certaines  notes  (p.  94, 
n.  4,  p.  9-,  n.  I ,  p.  I  1 2)  ont  une  bizarrerie  catégorique  qui  ne  laisse  pas  de  com- 
promettre une  idée  juste. 


220  REVUE    CRITIQUE    D  HISTOIRE    ET      DE    LITTERATURE 

la  psychologie  tire  parti  des  documenis  fournis  par  la  littérature;  et 
c'est  tout  un  système  de  l'acquisition  des  idées  qu'il  engagerait  volon- 
tiers dans  son  hypoilièse  :  mieux  encore  que  la  théorie  de  Taine  sur 
rhallucination  vraie,  une  remarque  de  Bersoi  à  Renan,  22  janvier 
i852  {ap .  Hémon,  p.  io5)  servirait  de  devise  à  celle  proposition,  «  il 
semble. ..  que  la  première  connaissance  ne  soit  jamais  qu'une  appa- 
rence trompeuse,  et  que  la  science  consiste  uniquement  à  user  cette- 
illusion.  Notre  monde  n'est  pas  d'obscurités,  mais  de  fantômes  ». 
Mais  la  philosophie  sera  en  droit  de  récuser  le  témoignage  de  l'artiste 
1°  à  cause  de  la  déformation  esthétique;  2"  à  cause  de  l'origine  souvent 
étrangère  des  éléments  employés  par  la  création  d'art. 

F.  Baldensperger. 


Académie  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  dit  i"  mars  J  ()  1 2 .  — 
M.  Cordier  communique  deux  lettres  de  M.  Gironcourt,  17  et  20  jan\ier.  Les  pié- 
tendus  saints  «  Echabas  »  enterres  dans  la  région  de  Djenne  n'ont  été  que  des 
marabouts  indigènes  d'époque  postérieure  et  étrangers  à  cette  première  intiltraiion 
musulmane  en  Afrique  occidentale  dont  M.  de  Gironcourt  a  rapporté  la  tradition. 
M.  de  Gironcourt  a  recueilli  quelques  traditions  de  cette  ville  de  Dia  qui  serait 
vieille  de  mille  années  et  garde  quelques  témoins  de  cet  art  de  sculpture  sur  bois 
encore  en  honneur  dans  les  pays  sarakollés.  Les  échantillons  de  Dia  tirent  leur 
valeur  de  leur  âge,  car  depuis  l'époque  reculée  à  laquelle  les  reporte  la  tradition 
locale  (xi'=  s.),  ces  objets  ne  semblent  plus  avoir  été  fabriqués  dans  la  ville.  P'nfin 
M.  de  Gironcourt  envoie  les  copies  de  73  mss.  recueillis  à  Djcnné  et  dans  le  Macina 
qui  éclaireront  sans  doute  l'histoire  de  ces  régions.  iM.  de  Gironcourt  devait  quit- 
ter Tombouctou  le  21  janvier  pour  se  rendre  à  Gao,  Kidal,  Es-Souk,  Taiaya,  pour 
remplir  le  principal  objet  de  sa  mission,  l'étude  des  nécropoles,  qui  le  retiendra 
surtout  entre   Bamba  et  Bentia,  et  sans  doute  aussi  entre  Kidal  et  Taiaya. 

L'Académie  procède  à  l'élection  d'un  membre  libre  en  remplacement  de 
M.  Edmond  Saglio,  décédé.  II. y  a  44,  puis  45  votants;  majorité  23. 

i""""  tour     2<'  tour     3«  tour     4<^  tour. 

MM.  Bayet i5              16            18              19 

Blanchet 9721 

Capitan ■ 3                400 

Ulysse  Chevalier 9               14            22              25 

Espérandieu. . . .  • 4                22               o 

Alex,  de  Laborde 4                2               i                o 

M.  le  chanoine  Ulysse  Chevalier,  qui  a  obtenu  la  majorité  des  voix,  est  proclamé 
élu  par  M.  Léger,  président.  Son  élection  sera  soumise  à  l'approbation  de  M.  le 
Président  de    la  République. 

L'Académie  décerne  le  prix  Estrade-Delcros  à  Madame  Vve  Auguste  Longnon. 

L'Académie  désigne,  pour  la  direction  de  l'Ecole  française  d'.^thènes,  en  première 
ligne  M.  Homolle,  en  seconde  ligne  M.    Pierre    Paris. 

Léon  Dorez. 

V imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon. 


Le  Puy-eu-Vclay.  —  Imprimerie  Pej  rillcr,  Rouclion  cl  Gamoii. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N"  12  -  23  mars.  —  1912 

Gerckk  et  NoRDEN,  Introduclidii  à  la  science  de  l'antiquité.  —  Aristote,  Politique, 
p.  Thaliieim.  —  Papyrus  grecs  de  Giessen,  1,  2,  p.  P.  M.  Meyer.  —  Foucart, 
Les  Athéniens  dans  la  Chersonèse  de  Thrace.  —  Klotzsch,  Histoire  de  l'Epire. 

—  Nonnos,  p.  Ludwich.  —  Enéide,  II,  p.  Diehl.  —  R.  Pichon,  Les  sources  de 
Lucain.  —  Bovet,  Lyrisme,  épopée,  drame.  —  Mornet,  Les  sciences  de  la 
nature  en  France  au  xviii«  siècle.  —  Voizard,  Sainte-Beuve.  —  Perkins,  La 
France  et  la  révolution  américaine.  —  Bryce,  La  république  américaine,  I.  — 
Kelsey,  Latin  et  grec  dans  l'éducation  américaine. —  Meynadier,  L'idée  répu- 
blicaine dans  les  pays  monarchiques  d'Europe.  —  Marvaud,  Le  Portugal  et  ses 
colonies.  —  Gaffié,  La  crise  constitutionnelle  anglaise.  —  M.  Vauthier,  Essais 
de  philosophie  sociale.  —  Wii.lricii,  Livie.  —  Macé,  La  prononciation  du  latin. 

—  Académie  des  inscriptions. 


Einleitung  in  die  Alterturaswissenschaft,  par  A.  Gergke  et  E.   Norden,  î.  III, 
Leipzig  et  Berlin,  Teubncr,   1912,  in-8°,  428   p.  9  mks. 

Ceci  est  le  troisième  volume  d'une  collection  dont  le  tome  II  a  été 
présenté  dans  cette  Revue  l'an  dernier.  Celui-ci  comprend  l'histoire 
grecque  et  l'histoire  romaine,  les  antiquités  publiques  de  la  Grèce  et 
de  Rome. 

L'histoire  grecque  Jusqu'en  338  est  traitée  par  M.  Lehmann-Haupt 
(p.  i-i  20),  l'histoire  grecque  depuis  Alexandre  par  M.  Beloch(p.  120- 
154),  les  antiquités  publiques  grecques  par  M.  Br.  Keil  (p.  297-388), 
l'histoire  romaine  sous  la  République  par  M.  Beloch  (p.  155-204), 
l'histoire  de  l'Empire  romain  par  M.  Kornemann  (p.  2o5-2g6),  les 
antiquités  publiques  de  Rome  par  M.  Neumann  (p.  387-428).  L'in- 
convénient des  ouvrages  collectifs  est  sensible  ici,  les  auteurs  ne  sont 
pas  toujours  d'accord  sur  les  mêmes  questions,  par  exemple  sur  la 
question  de  la  conquête  étrusque  à  Rome  (p.  160,  p.  393). 

La  disposition  adoptée  dans  cette  collection,  pour  chacune  des 
parties,  nous  paraît  particulièrement  heureuse  :  d'abord  un  exposé 
didactique,  puis  la  bibliographie,  puis  une  troisième  rubrique  com- 
prenant les  problèmes  qui  sont  à  l'ordre  du  jour  de  l'érudition. 

Dans  l'histoire  grecque,  je  signalerai  les  observations  de  M.  Leh- 
mann-Haupt sur  les    mesures  '  et  sur  la  reprise  de   Babylone   par 

I.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  l'explication  des  mesures  censitaires  de  Solon 
(p.  iio),  très  ingénieuse,  l'est  trop  à  mon  avis;  j'ai  dit  ailleurs  que  je  ne  pouvais 
admettre  rien  de  tel  au  vi*^  siècle. 

Nouvelle  série  LXXIII  u 


222  REVUE    CRITIQUE 

Xcrxès  après  480.  Il  tend  à  identifier  l'historien  d'Oxyrhinchos  avec 
Cratippe  plutôt  qu'avec  Théopompe. 

Au  chapitre  sur  les  antiquités  publiques  de  la  Grèce,  M.  B.  Keil 
a  joint  une  bibliographie  importante  à  consulter  pour  l'étude  du  droit 
grès.  A  lire  aussi,  dans  l'histoire  de  l'Empire  de  M.  Kornemann,  sous 
la  rubrique  Problèmes,  le  passage  relatif  à  Byzance  et  à  la  Perse, 
riran  étant  à  l'ordre  du  jour. 

M.  Neumann  est  l'auteur  de  travaux  sur  l'histoire  romaine  primitive 
qui  ont  bénéficié  de  l'entraînement  de  la  science  allemande  et  sont 
pleins  de  bonnes  intentions.  Dans  le  chapitre  qu'il  consacre  ici  aux 
antiquités  publiques  de  Rome,  il  apporte  à  ces  travaux  quelques 
compléments  intéressants  (p.  424,  etc.).  On  attend  avec  curiosité  le 
travail  qu'il  annonce  sur  les  assemblées  romaines  '. 

L'index  est  pour  les  tomes  I,  II,  III,  mais  je  n'ai  pas  bien  discerné" 

les  principes  suivant  lesquels  il  a  été  compose.  Il  y  a  un  utile  index 

des  textes  cités  et  corrigés. 

E.  Cavaignac. 

Aristotelis  HoTvtTsîa  'AÔT.vaiwv,  post  Fridericum  Blass  edidit  Th.  Thalheim.  Leipzig, 
Teubner,  1909;  xvi-128  p.  {Bibl.  script,  greec.  et  rom.    Teubneriana). 

Le  titre  nous  indique  que  c'est  le  texte  de  Blass  que  M.  Thalheim 
a  pris  pour  base  de  cette  nouvelle  édition  de  la  \Wk'.-i[%  'AOT.vaâov;  et  en 
effet  on  y  lit  une  bonne  partie  des  corrections  proposées  soit  par  Blass 
lui-même,  soit  par  d'autres  savants,  et  que  Biass  a  admises  dans  sa 
quatrième  édition  (ipoSj.Il  s'en  faut,  toutefois,  que  M.  Th.  observe 
les  mêmes  principes  que  son  prédécesseur.  Sa  méthode  est  d'abord 
plus  conservatrice;  non  seulement  les  leçons  du  papyrus  (L)  sont 
retenues,  lorsque  ni  le  sens  ni  la  grammaire  ne  s'y  opposent,  par 
exemple  p.  6,  1.  19  ■^'.^loixbtr^Q  (Blass  Y'Y-'''^iI^-"*''^i^);  7i  ^  y.a-cappjTiatvs'.v  (B 
p'JTc.);  54,  5  (Tuvea-ro'joajav  (B -^ov)  ;  66,  24  xa^rayvoùaa  (B  xaTaYvôvto;),  etc., 
mais  elles  sont  encore  respectées,  ce  que  Blass  ne  faisait  pas  toujours, 
dans  les  cas  où  il  s'agit  seulement  de  la  forme  extérieure  des  mots, 
comme  dans  l'addition  ou  l'omission  du  v  dit  euphonique,  dans 
l'emploi  delauToùet  auToù,  de  èâv  et  av,  etc.  M.Th;  écrit  cependant  îooj- 
Xô[jLT,v,  iouvâjxTjv  (Blass  suit  L  rjg.,  7)8.)  seules  formes  en  usage  avant  3oo, 
et  (TTpa-£Îa  au  sens  de  «  expédition  »,  au  lieu  de  i-otz'.%  32,  i3  ;  38,  i, 
que  Blass  conservait,  comme  orthographe  attestée  par  les  inscriptions 
de  l'époque.  En  second  lieu,  M.  Th.  repousse  certaines  corrections, 
suppressions  ou  transpositions,  que  Blass  croyait  justifiées  par  sa 
théorie  des  rythmes;  18,  14  y.aî  y^vaty-a  [jley^Xt.v  /.a'.  /.aXv/,  Blass  Y'jvaT/.a 
■/.%:  ]x.  /.a;  /..  «  ob  numeros  »  ;  3o,  18  xt,v  h  Mapafitov'.  [xiyr^^',  Blass  sup- 
primait âv  pour  la  même  raison,  d'ailleurs  à  tort;  88,  10  èXaîav  [xoptav, 

1.  Je  ne  puis  souscrire  à  l'explication  des  chiffres  primitifs  pour  les  centuries 
(p.  39g)  :  j'ai  dit  pourquoi  en  rendant  compte  du  livre  de  M.  Botsford  {Jotini, 
des  Savants,  1911). 


d'histoire    Et    DE    LITTERATURE  22^ 

Blass  supprimait  j^op'a/  :  «  dubiam  rem  disceptent  numeri  ».  Enfin, 
M.  Th.  accorde  moins  d'importance,  partant  moins  de  confiance  aux 
corrections  faites  de  seconde  main  dans  le  manuscrit,  dont  Blass  ad- 
mettait un  certain  nombre  dans  son  texte;  il  lit  avec  L  29,  8  rpôç;  33,  4 
xaTâ;  42,  22  r,  rîVTa/.'.a^'.Xîo'.;;  45,  4  Tito',  opy.o'j;  5o,  l3  sT^ov  (e/^ov  L)  ;  5 7, 
12  'EXs'jtTv'.,  au  lieu  de  /.'x-i,  itiot,  TCîv-ax'.Ty.Xfiov,  Tztpl  xoù  opvco'j,  sîa/ov,  ev 
'EXs'jaTvt  (L  2<=  main  et  Blass).  En  somme,  M.  Thalheim,  à  juger 
d'ensemble  son  édition,  est  plus  circonspect  que  Blass,  qui  du  reste 
confessait  lui-même  être  assez  audacieux  :  «  quod  ad  emendationem 
attinet. . .  ego  paullo  audentior  (factus  sum),  magis  etiam  postquani 
numerorum  auxilio  rectius  uti  didici  »  (4^  édition,  p.  XXVI). 

My. 

Griechische  Papyri  im  Muséum  des  oberhessischen  Geschichtsvereins  zu 
Giessen,  im  Verein  mit  O.  Eger  hgg.  und  erki.  von  E.  Kornemann  und 
P.  M  Meyer;  t.  I,  fasc.  2  par  P.  M.  Meyer.  Urkunden  Sô-Sy  mit  3  Lichtdruck- 
tafeln.  Leipzig  et  Berlin,  Tcubner,  1910;  104  p.  in-4». 

La  publication  des  papyrus  grecs  du  Musée  de  Giessen,  entreprise 
par  MM.  Eger,  Kornemann  et  Paul  M.  Meyer,  a  commencé  par  le 
second  fascicule  du  premier  volume,  qui  contient  22  documents, 
n°s  36-57.  Ils  ont  été  répartis  par  l'éditeur,  M.  Meyer,  en  trois 
groupes  :  I.  Transcriptions  grecques  de  papyrus  démotiques  (36-3g); 
II.  Papyrus  des  trois  premiers  siècles  (40-51);  III.  Papyrus  du  iv"  au 
VI''  siècle  (52-57).  Il  y  a  dans  ce  fascicule  divers  morceaux  particu- 
lièrement intéressants.  Le  n»  39  est  la  traduction  en  grec  d'une 
Tjv/o.pT.çrt?,  acte  ayant  pour  but  de  mettre  fin  à  un  litige,  contrat 
intervenant  entre  les  parties  pour  terminer  une  affaire,  accommode- 
ment et  non  jugement.  Il  s'agit  de  quatre  sœurs  qui  sont  en  procès 
au  sujet  d'un  terrain  de  35  aroures,  et  qui  s'engagent,  par  une  décla- 
ration remise  à  l'épistratège  de  la  Thébaïde,  Boéthos,  à  s'abstenir 
dorénavant  de  toute  attaque  en  justice;  selon  M.  M.,  cela  doit  s'expli- 
quer par  la  constitution  d'un  droit  de  propriété  commun  aux  deux 
parties.  Le  n°  37  contient  plusieurs  actes  probablement  relatifs  à  un 
même  procès;  l'un,  qui  est  intact,  est  un  contrat  de  fermage  concer- 
nant un  terrain  situé  dans  les  dépendances  du  temple  d'Hathor  à 
Gebelên.  N"  41  :  le  stratège  d'Heptakomia,  ApoUonios,  demande  au 
préfet  d'Egypte  un  congé  de  60  jours  pour  aller  mettre  de  l'ordre 
dans  ses  propriétés,  qui  ont  souffert  de  véritables  dommages  -rcapà  ttjV 
twv  àvoTtwv 'lo'joattov  l'cçooov  (il  5-1 17).  N°  43  :  feuille  de  recensement, 
y.'x-.'  o'./.fav  à-7ûOYpa(f7j,  du  locataire  d'une  maison  au  village  jusqu'ici 
inconnu  de  Tanyâthis.  N°  47  :  un  agent  envoie  au  stratège  ApoUo- 
nios des  renseignements  au  sujet  d'achats  dont  il  a  été  chargé  (achat 
d'armes,  entre  autres),  et  qu'il  a  faits  dans  de  bonnes  conditions;  mais 
à  Koptos,  où  il  se  trouve,  les  prix,  dit-il,  changent  tous  les  jours. 
N"  5o  :  offre  de  prendre  à  bail  deux  vestiaires  aux  thermes  d'Oxyryn- 


224  REVUE    CRITIQUE 

chos;  ce  xa'j/ipto;  dc'sirc  succéder  à  son  père  décédé.  N"  64  :  texte  qui 
fournit  d'importants  renseignements  sur  l'administration  de  Vannoua 
militaris.  N"  55  :  lettre  d'un  évéque  à  un  autre  évcque  en  faveur  d'un 
prêtre  qui  a  laisse  son  diocèse  on  ne  sait  pour  quelle  cause,  pour  lui 
faire  conférer  les  fonctions  de  diacre  dans  son  nouveau  domicile. 
N"  56  :  pièce  très  intéressante;  contrat  de  fermage  d'un  vignoble 
dépendant  d'un  monastère,  avec  un  état  des  machines  et  la  détermi- 
nation des  obligations  du  fermier  relativement  à  la  culture.  Le  mor- 
ceau capital  du  recueil  est  le  n»  40,  qui  est  longuement  et  soigneu- 
sement commenté  par  M.  Meyer.  Il  comprend  trois  édits  de  Caracalla, 
ou  plutôt  deux  édits  et  une  instruction  adressée  au  préfet  d'Egypte. 
Le  premier  nous  fait  connaître  le  texte  de  la  constitutio  Antoniniaua, 
qui  conférait  le  droit  de  cité  aux  peregrini  de  l'empire  (212),  et  le 
second  complète  le  décret  d'amnistie  générale  qui  fut  rendu  en  212, 
lorsque  Caracalla  fut  seul  empereur  après  le  meurtre  de  son  frère 
Géta;  quant  à  la  troisième  pièce,  elle  date  de  21  5,  époque  où  Cara- 
calla ciait  à  Alexandrie,  après  la  répression  du  soulèvement  de  cette 
ville,  et  renferme  des  instructions  relatives  à  l'expulsion  d'Alexandrie 
de  tous  les  Égyptiens  venus  du  dehors,  à  l'exception  de  certaines 
catégories  de  marchands.  Je  signale  en  terminant  quelques  mots 
nouveaux  fournis  par  les  textes  publiés  dans  ce  fascicule  :  yjvt,  tpo- 
<j»Tti<;  (36  et  37),  dont  le  sens  n'est  pas  très  clair,  et  que  M.  Meyer 
explique  par  «  femme  mariée  sous  un  certain  régime  (alimentation  ?)  »  ; 
TavjâOiî(43),  nom  de  village;  ax|j.a£ipa(47),  objet  inconnu;  ■/jjpiT.y.fiyf,  (48), 
domaine  royal  (?)  ;  SEXc/axti;  (49),  jeune  truie,  mot  dont  a  déjà  un  exem- 
ple; xà  Ttpôi'^iopa  (5l)  =  r,  xxp-î!a;  y.aXaij.oo":aî'.a  (56),  plantation  de 
roseaux. 

My. 

P.  FoucART,  Les  Athéniens  dans  la  Chersonèse  de  Thrace  au  iv'  siècle. 
Paris,  linpr.  nationale,  1909,  40  p.  (Extrait  des  Mém.  de  l'Acad.  des  Inscr.  et 
Belles-Lettres,  t.  XXXVIII,  2'^  partie,  p.  81-120). 

Les  Athéniens,  ayant  perdu  leur  puissance  maritime  après  la  guerre 
du  Péloponnèse,  s'efforcèrent  de  la  reconquérir;  une  de  leurs  pre- 
mières entreprises  fut  de  s'emparer  de  la  Chersonèse  de  Thrace. 
Plusieurs  inscriptions  nous  éclairent  sur  la  politique  suivie  alors  par 
Athènes,  depuis  la  paix  d'Antalcidas  jusqu'au  moment  où  Philippe 
lui  enleva  ses  dernières  possessions  en  Thrace,  c'est-à-dire  pendant 
une  période  d'une  cinquantaine  d'années.  Ces  inscriptions  font  l'objet 
du  présent  travail  de  M.  Foucart  ;  elles  y  sont  analysées,  commentées, 
restituées  en  partie,  avec  la  science  la  plus  sûre,  et  de  cette  série 
d'études  se  dégage  un  chapitre  de  l'histoire  d'Athènes,  sobre  et 
lumineux,  où  rien  n'est  obtenu  par  des  combinaisons  hasardeuses,  où 
tout,  au  contraire,  est  dû  à  une  méthode  impeccable  et  à  une  discus- 
sion rigoureuse  des  textes.  Dans  l'inscription  CIA,  IV,  14  c,  la  rcsti- 


d'histoire  et  De  littérature  22  5 

tution  l.  I  I  'Jy>  -/cifjosajTTlv  est  des  plus  heureuses  ;  le  général  honoré  de 
réloge  était  le  gendre  ou  le  beau-frère  d'Ebruzclmis,'"roi  des  Odryses, 
qui  doit  se  placer  entre  Seuthès  et  Kotys.  Ce  même  texte  contient  un 
détail  très  important  pour  la  détermination  de  la]  date  des  décrets 
athéniens  ;  M.  F.  observe  en  effet  que  l'inscription,  postérieure  à  la 
paix  d'Antalcidas,  doit  être  exposée  èv  à-Apo-nôlzi,  que  les  documents 
antérieurs  portent  constamment  h  irôÀEt,  et  que  par  conséquent  l'emploi 
de  l'une  ou  de  l'autre  formule  détermine  la  date  par  rapport  à  l'année 
386.  D'une  autre  inscription  (CIA,  IV,  2,  65  b)  il  déduit  l'interpréta- 
tion d'un  passage  assez  obscur  du  discours  de  Démosthène  contre 

Aristocrate,    170,  slvat  xt,v    àoy-r^^i   y.otvT,v  Tr,;0po(xr,ç  eÎ; -rpsTs  otrjp-riiJtÉvTjV  ;  les 

trois  rois  Bérisadès,  Amadokos  et  Kersobleptès  régnent  en  commun, 
mais  les  tributs  des  villes  thraces  ne  sont  payés  qu'à  l'un  d'eux,  sui- 
vant les  régions.  Le  texte  CIA,  II,  961  fournit  à  M.  F.  l'occasion 
d'une  de  ses  restitutions  les  plus  sagaces,  et  d'une  grande  vraisem- 
blance, sinon  absolument  certaine  ;  les  noms  propres  sont  ceux  des 
triérarques  qui  tirent  sous  les  ordres  de  Charès  une  expédition  sur  les 
côtes  de  Thrace  et  dans  l'Hellespont  en  357,  expédition  qui  se  ter- 
mina parle  traité  mentionné  dans  le  discours  contre  Aristocrate,  173. 
Les  Athéniens  ne  poursuivirent  pas  immédiatement  l'exécution  de  ce 
traité;  ce  fut  seulement  en  353  qu'ils  envoyèrent  des  clérouques  en 
Ghersonèse  ;  un  second  envoi  eut  lieu  dix  ans  plus  tard,  en  vertu 
d'un  décret  aujourd'hui  perdu,  mais  dont  M.  F.  retrouve  les  dispo- 
sitions générales  dans  une  inscription  postérieure  de  quelques  années, 
relative  à  la  ville  d'Eléonte.  Enfin  M.  F.,  à  l'aide  de  quelques  inscrip- 
tions et  du  commentaire  de  Didyme,  expose  la  suite  chronologique 
des  événements  qui  eurent  lieu  après  l'intervention  de  Philippe  : 
sièges  de  Périnthe  et  de  Byzance,  capture  des  vaisseaux  de  commerce 
athéniens  à  Hiéron,  envoi  d'une  flotte  sous  les  ordres  de  Charès,  puis 
d'une  seconde,  conduite  par  Phocion  et  Képhisophon,  levée  du  siège 
de  Byzance  en  339,  après  quoi  les  Athéniens,  défaits  à  Chéronée, 
perdirent  la  Chersonèse.  C'est  ainsi  qu'une  fois  de  plus  M.  P,  Foucart 
nous  enseigne  magistralement  à  commenter  les  documents]  épigra- 
phiques  et  à  les  faire  servir  à  l'intelligence  du  texte  des  auteurs  '. 

•  M  Y. 

Epirotische  Geschichte,  von  C.  Klotzsch,  Berlin,  191 1,  240  p.  in-S",  6  marks. 

L'auteur  a  divisé  en  sept  chapitres  l'histoire  de  l'Epire  jusqu'en 
280  av.  J.-C. 

Dans  le  premier,  il  la  conduit  jusque  vers  l'année  429.  Il  fait  très 
grande  la  part  de  l'élément  illyrien  (p.  2,  n.  i,  je  suis  plutôt  porté  à 
interpréter  comme  M.  Beloch  le  à^vw^xotaxot  de  Thuc.  III  94).  Il 
insiste  sur  le  rôle  dominant  des  Chaoniens  en  429. 

I.  P,  9,  lire  w  Ssvo'fwv  ;  14  note,  Kotuoç;  17  Koumanoudis, 


220  REVUE    CRITIQUE 

Dans  le  2'  chapitre,  il  traite  du  début  de  la  prépondérance  des  Mo- 
losses. Il  parle  d'Admète,  de  Tharyps,  et  de  la  constitution  de  ce  peu- 
ple. C'est  en  lisant  ce  chapitre  qu'on  fera  bien  de  se  reporter  à  l'ap- 
pendice sur  l'histoire  mythique  de  l'Epirc,  où  l'auteur  donne  p.  221) 
quelques  vues  suggestives  sur  la  tragédie  Andromaquc,  dTiuripide 
-voir  aussi  p.  226,  l'étude  de  la  légende  de  Lanassa,  que  M.  K.  attri- 
bue à  l'historien  Proxène^. 

Dans  le  3%  l'auteur  attire  l'attention  sur  le  contre-coup  de  la  vic- 
toire de  Sparte  en  Epire,  ce  qui,  je  crois,  n'avait  pas  été  fait  avant 
lui.  Il  parle  du  rétablissement  d'Alkétas,  de  ses  relations  avec  Jason, 
et  de  l'organisation  de  la  confédération  épirote. 

Dans  le  4'",  il  est  question  de  Néoptolème  Ii  et  d'Arybbas.  L'auteur 
parle  p.  62)  de  la  première  intervention  de  Philippe;  il  date  la 
seconde  ip.  jS)  du  début  de  342,  et  place  vers  ce  temps  ip.  80)  l'acqui- 
sition de  la  Paravéa  par  les  Macédoniens.  Enfin  on  trouvera  ip.  85) 
des  vues  intéressantes  sur  la  part  prise  par  Alexandre  le  Grand  à 
l'entreprise  d'Alexandre  d'Epire  en  Italie. 

Dans  le  5%  il  parle  du  gouvernement  d'Olympias,  et,  dans  les 
guerres  civiles  qui  suivent,  met  bien  en  relief  la  lutte  des  deux 
branches  royales  p.  95  :  se  reporter,  ici,  à  la  note  de  la  page  229; 
p.  108).  Chemin  faisant,  il  donne  son  opinion  sur  certains  faits  de 
l'histoire  des  Diadoques  (p.  126,  p.  139,  n.,  où  il  réduit  à  la  Cilicie  le 
domaine  de  Pleistarchos). 

Dans  les  6^  et  7^  chapitres,  il  est  question  de  Pyrrhus  depuis  297 
jusqu'en  280.  A  propos  du  meurtre  de  Néoptolème  (p.  iSg),  l'auteur 
donne  d'intéressants  détails  sur  l'état  économique  du  pays.  A  lire 
aussi  fp.  173  sqq.)  les  observations  sur  la  situation  de  l'Acarnanie  et 
de  l'Etolie,  et  (p.  211)  la  chronologie  des  rois  de  Macédoine  de  323  à 
280.  L'auteur  s'arrête  à  l'expédition  d'Italie  :  il  jette  un  regard  de 
regret  sur  les  expéditions  de  Pyrrhus  en  Illyrie,  qui  auraient  pu  être 
le  commencement  d'une  évolution  intéressante  de  ce  côté.  Peut-être 
faut-il  tenir  compte  ici,  comme  pour  l'avortement  de  la  monarchie 
thraco-macédonienne,   de  l'intervention  des  Celtes. 

L'index  des  noms  propres  est  soigné. 

Le  livre  sort  de  l'école  de  M.  Ed.  Meyer  :  c'est  di^e  qu'il  est  alerte, 
«  pragmatique  »,  la  narration  nourrie,  la  discussion  serrée.  Malheu- 
reusement, la   forme  n'est  pas  sans  être  parfois  empreinte  de  négli- 


gence. 


E.  Cavaignac. 


Nonni Panopolitani  Dionysiaca  recensuit  A.  Lldwh.h.  Vol.  prius  libres  I-XXIV 
continens.  \o\.  alterum  libros  XXV-XLVIII  continens.  Leipzig,  Teubner, 
1909-1911.  Deux  vol.  de  xxvi-5oi  et  536  pp.  [Bibl .  script,  grœc.  et  rom. 
Teubneviana). 

Il  serait   difficile  de  présenter  les  Dionysiaques  comme  un  poème 


d'histoire  et  de  littérature  227 

plein  d'intérêt.  Certes,   Nonnos  a  des  qualités  qu'il  serait  injuste  de 
lui  refuser  :  il  fait  facilement    le  vers,  trop  facilement,   malgré  les 
règles  compliquées   qu'il    s'astreint  à  suivre  ;   il  a  de  l'imagination, 
parfois  de  la  grâce,  et  on  trouve  chez  lui,  çà  et  là,  des  petits  tableaux 
qui  ne  sont  pas  sans  charme.  Mais  ces  qualités  sont  tellement  étouf- 
fées sous  des  défauts  choquants,  dont  les  plus  saillants  sont  la  pro- 
lixité et  la  monotonie,  qu'il  a  fallu  quelque  courage  à  M.  Ludwich 
pour  se  décider  à  publier  de  nouveau  les  21000  vers  de  ces  48  chants. 
Mais  M.  L.  s'occupe  depuis  fort  longtemps  de  la  critique  de  Nonnos 
et  de  ses  manuscrits;  les  éditions  antérieures  (la  dernière,  celle  de 
Kœchly,  remonte  à  un   demi-siècle)  n'ont  pas  suffisamment  apprécié 
la  valeur  intrinsèque  des  manuscrits  ;  le    texte,  qui  a  donné  lieu  à 
d'assez  nombreux  travaux  sur  la  versification  de  l'auteur,  a  été  peu 
étudié  pour  lui-même  ;  enfin  les  fragments  publiés  dans  les  Berliner 
Klassikertexte,  V,   i    (1907)   sont  venus    confirmer  l'importance  du 
Laurentianus,  XXXII,  16;  et  M.  L.  a  donné  son  édition.  La  préface 
nous  éclaire  d'abord  sur  la   personnalité  de  Nonnos,  ensuite  sur  les 
manuscrits  et  leurs  deux  familles,  dont  les  représentants  actuels  sont 
pour  la  première   le  papyrus  de   Berlin    (n),  et  pour  la  seconde  le 
Laurentianus  (L)   et  son  apographe  le    manuscrit   d'Heidelberg,  ce 
dernier  source  directe  ou  indirecte  de  tous  les  manuscrits  existants. 
Dans  l'appareil  critique,  M.  L.  donne  toutes  les  leçons  de  n  et  de  L, 
avec  un  choix  abondant  de  variantes  des  autres  manuscrits;  on  pourra 
ainsi  se  faire  une  idéejuste  du  caractère  et  de  l'origine  des  nombreuses 
corruptions  qui  altéraient  le  texte  de  Nonnos,  auxquelles  les  éditeurs 
des  Dionysiaques  ont  remédié  en   partie,  et  que  M.   L.  lui-même  a 
parfois  heureusement    corrigées  ",   mais  qu'il  ne  se  flatte  pas,  nous 
dit-il,  d'avoir  éliminées  complètement.  C'est  qu'en  effet  la  tradition 
de  L  laisse  beaucoup  de  place  à  la  critique  conjecturale,   et  ne  per- 
met  pas  toujours  de  retrouver  le  texte  original  avec  sûreté.  M.   L. 
donne  en  outre  dans  son  annotation,   pour  que  l'on   puisse  suivre 
l'histoire   du    texte,    la  plupart   des  lectures  et    des  conjectures  des 
éditeurs  précédents  et  des  savants  qui  se  sont  occupés  de  Nonnos  soit 
dans  des   articles  spéciaux,  soit   incidemment  à  l'occasion  d'autres 
études.  Il  ne  néglige  pas,  enfin,  de  citer  les  passages  d'autres  poètes 
que  Nonnos  a  pu  imiter  de  près  ou  de  loin.  J'aurais  préféré  cepen- 
dant que  ce  dernier  genre   de  notes  fût  mis  à  part  en   une  série  spé- 
ciale, en  dehors  des  conjectures  proposées  et  des  leçons  des  manus- 
crits; la  réunion  de  toutes  ces  notes  en  une  seule  série  ne  va  pas  sans 
quelque  confusion.  Un  index  très  complet  des  noms  propres  termine 
le  second  volume.  Nous  avons  donc  là  une  bonne  édition,   métho- 

I.  Les  corrections  personnelles  de  M.  Ludwich,  introduites  par  lui  dans  le 
texte,  dépassent  le  nombre  de  i5o;  elles  sont  motivées,  pour  la  majeure  partie, 
par  la  comparaison  avec  d'autres  passages  de  Nonnos,  et  méritent  d'être  prises  en 
considération, 


228  REVUE    CRITIQUE 

diquc  et  consciencieuse,  et  très  pratique  par  l'abondance  des  rensei- 
gnements qu'elle  fournit  sur  le  texte  ;  on  saura  gré  à  M.  Ludwich  de 

l'avoir  entreprise  et  menée  à  bonne  fin. 

My. 


Kleine  Texte  fuer  Vorlcsungen  und  Uebungen  herausg.  von  Hans  Lietzmann, 
80.  Vergil  Aeneis  II  mit  dem  commentar  des  Servius  herausg.  von  D'  Ernst 
DiEUL  a.  o.  prof,  in  lena.  Bonn,  Marcus  und  Weber,  191 1,  i3i  p.,  in-12,  2  m. 

J'ai  déjà  eu  occasion  de  signaler  la  collection  des  Kleine  Texte  '  de 
Lietzmann.  Je  n'y  reviens  pas.  Je  voudrais  seulement  noter  avec 
plaisir  ce  retour  à  des  habitudes  saines,  quittées  chez  nous  depuis 
le  xviii«  siècle,  celles  de  placer,  sous  le  texte  ou  à  côté,  les  commen- 
taires anciens  qui  l'expliquent  ;  nous  avons  vu  déjà  combien  cette 
juxtaposition  est  commode  pour  le  Cicéron  de  la  même  collection 
éclairé  par  Asconius  et  les  autres  scolies  ;  pour  le  Perse  et  le  Juvénal, 
depuis  Jahn,  cela  nous  paraît  indispensable;  nous  y  arrivons  enfin 
pour  Virgile.  A  gauche  est  le  Virgile,  au-dessous  et  à  droite,  le  Ser- 
vius. Sigles  et  signes  conventionnels  sont  empruntés  à  Ribbeck  et  à 
Thilo.  L'apparat  de  Ribbeck,  comme  celui  de  Thilo,  sont  remis  au 
courant  et  complétés  par  les  indications  ou  les  conjectures  nouvelles 
des  savants.  Ce  travail  a  été  bien  fait  et  à  lui  seul  ce  n'était  pas  déjà 
une  si  petite  affaire.  Dans  les  deux  apparats,  renvois  utiles  au  Thé- 
saurus et  à  nos  recueils  nouveaux  (Funaioli,  etc.). 

Pour  le  texte  de  Virgile,  peu  de  changements;  M.  D.  se  fonde  en 
gros  sur  Ribbeck  et  se  réfère  à  ses  prolégomènes.  Il  ajoute  dans 
l'apparat  ce  qui  était  absolument  nécessaire;  on  s'attend  bien  à 
retrouver  là  les  noms  des  savants  qui  ont  écrit  sur  le  sujet  :  Weidner, 
Kloucek,  Kvicala,  Baehrens,  Schoell,  Gebhardi,  Heinze,  Bethe,  etc. 

Pour  les  scolies  les  différences,  avec  Thilo,  sont  peut-être  plus 
sensibles  et  constituent  dans  l'ensemble  un  progrès.  Les  scolies  de  la 
renaissance  représentées  par  le  manuscrit  de  Dresde,  que  Thilo  rejetait 
au  bas  de  la  page,  sont  ici  à  droite,  entre  le  Servius  et  l'apparat  des 
scolies.  C'a  été  aussi  une  bonne  idée  que  de  distinguer,  d'une  manière 
commode,  dans  les  scolies  du  FuUensis,  la  recension  intégrale  de 
celle  qui  est  abrégée.  M.  D.  a  employé  pour  cela  les  demi  crochets 
(ri).  Ce  qu'ils  enferment  forme  le  texte  du  manuscrit  de  Cassel  qui 
donne  seul  beaucoup  de  scolies.  On  s'étonnera  peut-être,  non  sans 
raison,  de  cette  mise  à  part;  car  la  recension  du  Cassellanus  est  la 
recension  relativement  normale,  tandis  que  celle  du  manuscrit  de 
Paris  n'est  qu'un  abrégé  souvent  étranglé  et  négligé.  Mais  comme  il 
ne  s'agit  après  tout  que  de  signes  conventionnels,  on  en  prend  vite 
son  parti.  ^ 

Je  m'accommoderais  beaucoup  moins  de  la  manière  dont  est  rédigé 
en  quelques  endroits  l'apparat,  par  ex.  la  note  sur  la  leçon  du  Fuhiensis, 

}.  Voir  la  Rçvite  du  18  décembre  191 1,  p.  468, 


»>^ 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  229 

p.  127  sur  le  V.  768),  1.  26  à  Tapparat  :  Fiild.  teste  Scioppio,  Steph, 
Fabr.  Dan.  M.  D.  met  justement  à  la  fin  le  nom  qui  aurait  dû  venir 
en  tête,  puisque  c'est  Daniel  qui  a  découvert  et  publié  les  scolies  du 
Fuldensis  ;  le  témoignage  de  R.  Etienne  et  celui  de  Fabricius  sont  là, 
pour  le  Fuldensis,  sans  valeur;  car  R.  Etienne  n'a  pas  connu  directe- 
ment le  ms.;  son  édition  a  quelques  petites  scolies  communes  avec 
le  Fuldensis  ;  elles  sont  toutes  sans  importance.  Etienne  avait  dû  les 
trouver  dans  quelque  Parisinus;  de  même  pour  Fabricius  qui  n'a  fait 
que  copier  l'édition  de  Daniel  après  1600.  Quant  à  Scioppius  il  me 
semble  qu'on  est  d'accord  pour  mettre  en  doute  ses  données  et  pour 
admettre  qu'il  glîsse  volontiers  ses  conjectures  sous  le  couvert  demss. 
réputés.  Ni  comme  homme,  ni  comme  éditeur,  à  aucune  époque  de 
sa  vie,  il  n'a  mérité  ni  estime  ni  confiance.  A  lire  l'apparat  de  la 
p.  io3,  on  est  amené  à  croire  que  Gaspar  Schopp  {Scioppius  :  pourquoi 
l'inconséquence  de  Sciop/7/0  à  la  1.  21)  a  eu  pour  ce  passage  une 
source  particulière  et  que  le  Cassellaniis  n'est  pas  \e  Fuldensis  :  autant 
d'erreurs.  Je  ne  comprends  pas  pourquoi  M.  D.  recueille  telles  de  ses 
conjectures  insignifiantes  et  des  moins  probables  (p.  55,4,  jam  pour  ^n; 
p.  57,16,  quod  pour  ^in',etc.).  Il  en  est,  il  est  vrai^  de  meilleures;  il  eût 
fallu  se  borner  à  celles-là,  en  n'y  voyant  que  des  conjectures  et  non 
des  témoignages. 

Pour  se  reconnaître  sans  doute  dans  ces  lettres  de  petit  caractère, 
dans  ces  apparats  multiples  (Virgile,  Servius,  scolies  de  Daniel),  il 
faut  quelque  entraînement  ;  mais  la  préparation  a  été  très  conscien- 
cieuse et  il  me  semble  qu'on  est  payé  de  sa  peine.  Comme  texte 
d'étude  dans  un  séminaire,  celui-ci  paraît  excellent  '. 

É.  T. 


Les  Sources  de  Lucain  par  René  Pichon,  docteur  ès-lettres,  professeur  de 
première  supérieure  au  lycée  Henri  IV,  maître  de  conférences  à  l'École  Nor- 
male Supérieure  de  Sèvres.  Ouvrage  couronné  par  l'Académie  des  Inscriptions 
(Prix  du  Budget),  Leroux,  1912,  gr.  in-S",  279  p. 

Il  est  parfaitement  inutile  de  présenter  aux  lecteurs  un  savant  connu 
par  d'excellents  livres  ;  on  s'attend  à  trouver  dans  ce  nouvel  ouvrage 
le  travail  d'un  parfait  humaniste,  bien  informé,  très  prudent,  plein  de 
goût  et  qui  sait  écrire.  Aucun  lecteur  n'aura  de  déception  et  tout  le 
monde  approuvera  ce  qu'a  décidé  l'Académie.  Que  ceci  soit  dit  bien 
nettement,  afin  que  je  puisse  de  mon  côté  faire  mon  métier,  en  cher- 
chant à  découvrir  les  inégalités,  les  faiblesses  ou  les  lacunes  du  nou- 
veau livre. 

I.  P.  io3,  dans  l'apparat,  à  la  fin  de  l'addition  de  M  (1.  19),  au  lieu  de  ab  abla- 
tii'o,  faute  qui  est  restée  aussi  dans  Thilo,  lire  ab  appellativo;  cf.  ici  le  texte  de 
Servius,  p.  io5,  40).  —  P.  25,  note  à  l'apparat,  12  et  26  :  comprendre  que  P,  pour 
commenter  un  mot,  répète  auparavant,  comme  repère,  le  premier  mot  du  vers  ; 
de  là  :  Demisere  et  ConsiUia, 


23o  REVUE    CRITIQUE 

Ne  seraient-elles  pas  dans  la  mcihodc  même  de  travail  de  M.  Pichon? 
Sur  quoi  son  livre  csi-il  fondé  en  somme?  Sur  une  lecture  très  atten- 
tive du  poème,  avec  la  discussion  des  travaux  modernes  qui  ont  traité 
de  Lucain  et  de  ses  sources,  notamment  ceux  de  Baier,  de  Wester- 
burg,  de  Ussani,  de  Vitelli,  de  Hosius  et  des  éditions  nouvelles  du 
poète.  Tel  est  bien  le  fonds  sur  lequel  M.  P.  s  appuie  ;  je  n'en  con- 
teste pas  la  valeur  ;  mais  pourquoi  n'est-il  question  ici  presque  nulle 
part  d'une  autre  source  à  laquelle  chacun,  ce  semble,  aurait  d'abord 
pensé,  celle  des  scolies  de  Lucain? 

Sur  elles,  la  bibliographie  est  muette,  ce  qui  est  d'abord  un  indice. 
Je  ne  suppose  pas  que  M.  P.  les  ait  écartées  simplement  parce  qu'elles 
sont  anciennes,  ce  qui  serait  un  cas  d'exclusion  bien  étrange.  Sans 
doute  il  faut  faire  dans  leur  masse  un  triage,  et  savoir  en  tirer  ce 
qu'elles  contiennent  d'utile.  M.  P.  semble  les  avoir  rejetées  d'un 
bloc  ;  je  n'ai  trouvé  dans  le  livre  qu'un  jugement  dédaigneux  et 
partial  sur  le  recueil  de  Weber,  des  politesses  du  bout  des  lèvres  sur 
le  Commcntiim  Berncnse^ \  mal  lui  en  a  pris;  non  seulement  il  a  perdu 
par  là  un  point  d'appui  solidequi  lui  eût  permis  de  démontrer,  sans  tant 
de  mots,  l'emploi  par  Lucain  de  Tite-Live  ;  mais,  si  je  ne  me  trompe, 
il  n'a  même  pas  distingué  du  reste  les  Adnotationes  super  Liicanum 
qu'avait  déjà  signalées  Usener  dans  la  préface  du  Commentum\  elles 
étaient  alors  inédites,  je  le  veux;  mais  on  n'a  plus  d'excuse  depuis 
que  M.  Endt  en  a  donné,  en  1909,  dans  la  bibliothèque  de  Teubner 
une  édition  commode  accompagnée  d'une  comparaison  continue  avec 
les  scolies  du  Commentum.  Les  Adnotationes,  Q(\yo\ç{Vie,  plus  éloignées 
de  l'antiquité,  complètent  le  Commentum  sur  plus  d'un  point  d'une 
manière  importante.  M.  P.,  pour  tout  le  reste  si  bien  informé,  a 
négligé  ou  ignoré  le  livre.  Par  là  son  travail  prête  le  flanc  ;  cela  n'est 
pas  contestable  \ 

Suivons  M.  P.  dans  les  limites  où  il  s'est  fâcheusement  enfermé, 
celles  d'une  pure  discussion  de  critique  littéraire.  Même  ici  je  trouve- 
rais bien  à  redire,  tout  en  convenant  que  le  livre  se  lit  bien  et  que  par 
sa  clarté,  par  l'élégance  de  la  forme,  il  saurait  au  besoin  se  faire  beau- 
coup pardonner.  A  mon  sens,  il  y  a  dans  ce  livre  trop  d'hypothèses 
fondées  sur  des  raisons  a  priori, xxo^  de  conjectures,  de  combinaisons 
pour  établir  des  rapports  dont  presque  aucun  ne  peut  être  prouvé  ^ 

1.  M.  P.  ne  paraît  connaître  qu'indirectement  les  scolies  de  Lucain  dont  il 
oppose  l'étude  à  celle  du  poète  (;')■,  je  crains  fort  qu'il  ne  juge  du  Commentum 
que  par  Ussani  et  par  les  discussions  des  savants. 

2.  Dans  Vlndicuhis  de  Usener  et  à  l'Index  de  Endt,  M.  P.  eût  trouvé  avec  des 
citations  formelles  des  livres  de  Tite-Live  sur  la  guerre  civile,  des  quasi-extraits 
de  Tite-Live  (Florus,  Orose,  Valère-Maxime,  etc.),  donc  toute  une  série  de  témoi- 
gnages directs  qui  ont  leur  prix  et  qui  certes  valent  mieux  que  toutes  les  hypothèses. 

3.  Remarquer,  p.  104,  une  petite  phrase  qu'on  pourrait  répéter,  dirai-je?  de  page 
en  page  ;  «  toutefois  ce  n'est  là  qu'une  probabilité  »  ;  mieux  encore  la  phrase 
ingénue  de  la  p.   238  en   haut  :  «  ce  n'est  qu'une  hypothèse;  mais  elle  est   fort 


d'histoire  et  de  littérature  23  I 

Voici  le  plan,  trois  chapitres  intitulés  Sources  historiques,  ayant 
comme  sous-titres  :  Les  faits  accessoires;  Le  récit  de  la  guerre  civile; 
Les  altérations  de  l'histoire  (subdivision  qui  me  paraît  assez  peu 
naturelle)  ;  ch.  IV  :  Les  Sources  philosophiques  ;  ch.  V  :  Les  Sources 
littéraires;  appendice  :  La  composition  de  la  Pharsale. 

L'épigraphe  :  Tantus  amor  veri  (X,  189),  que  M.  P.  a  choisie,  me 
paraît  discutable,  même  après  les  pages  (i5g-i65)  où  M.  P.,  s'efforce 
de  la  défendre  ;  que  Lucain  prétende  à  cette  qualité,  d'accord  ;  mais 
qui  penserait  d'abord  à  la  lui  reconnaître  ;  qui  même  s'attendrait  à  ce 
que  l'amour  de  la  vérité  dominât  chez  lui  tout  le  reste  ? 

Singulière  alternative  par  laquelle  aura  passé  la  réputation  de  Lucain 
avec  la  même  injustice  dans  les  deux  cas.  De  son  temps,  ceux  qui  l'ont 
combattu  affectaient  de  l'exclure  du  nombre  des  poètes  pour  le  rejeter 
parmi  les  historiens.  Voici  que  plus  d'un  savant  de  nos  jours,  à  cause 
des  erreurs  et  de  la  partialité  de  l'auteur,  refuse  presque  toute  valeur 
historique  à  la  Pharsale.  Forclos  de  la  poésie  ;  on  veut  que  Lucain  le 
soit  encore  de  l'histoire.  Qu'importe  après  tout?  En  resterait-il  moins 
l'auteur  d'un  beau  carmen  togatum} 

Il  me  semble  que  je  n'ai  pas  besoin  de  développer  ce  que  j'ai  indiqué 
comme  mon  objection  principale  :  M.  P.  affirme  trop.  C'était  peut- 
être  une  fâcheuse  nécessité  du  sujet;  mais  qui  croira  qu'on  puisse 
déterminer  avec  cette  précision  de  quels  livres  (perdus  pour  nous)  se 
servait  Lucain,  comment  il  les  a  employés  ;  à  quelle  doctrine  morale 
il  s'est  rallié,  etc.?  Tout  cela  n'est-il  pas  en  somme  étranger,  extérieur 
à  son  œuvre,  et  de  ce  que  nous  l'ignorerons,  où  sera  pour  nous  un 
risque  véritable  ?  Les  arguments  ex  silentio  abon-dent  dans  la  discus- 
sion de  M.  P.,  et  l'on  sait  à  quels  mécomptes  ils  conduisent.  Mais 
jusque  dans  la  forme  d'exposition,  se  cachaient  des  pièges  dont  M.  P. 
certainement  ne  s'est  pas  gardé. 

Je  conçois  un  Lucain  tout  autre  que  celui  que  décrit  M.  Pichon, 
n'ayant  qu'un  souci  médiocre  de  suivre  exactement  l'histoire  ;  par 
contre  très  préoccupé  de  ses  formules,  de  ses  coupes,  de  ses  effets  ;  se 
corrigeant  peu  ou  pas,  plein  d'inconséquences  et  d'inexactitudes  : 
qu'importait  si  l'idée  était  neuve,  le  vers  bien  frappé  !  Le  Cicéron  qu'il 
fait  parler  n'est  qu'un  fantoche  :  il  s'agissait  bien  pour  lui  de  repré- 
senter au  vrai  l'ancien  orateur  !  Que  répondrait  M.  P.  à  cela? 

M.  P.  fait  grand  état,  dans  ses  hypothèses,  de  la  «  vraisemblance 
psychologique  »  qui  permet  d'atteindre  un  «  haut  de  degré  de  probabi- 
lité »  :  on  lui  répliquera  par  :  «  le  moindre  grain  de  mil. .  .  » 

M.  P.  voit  avec  tant  de  netteté  les  difficultés  de  son  entreprise,  il 
les  formule,  si  bien  qu'on  n'aurait  pour  en  souligner  la  témérité,  qu'à 
l'opposer  à   lui-même.  Qu'on    lise   les  quelques  lignes  du   haut  de  la 

plausible  ».  Et  passim  que  de  fois  :  «   il  est  probable....  il  est  naturel  (3  lois  p.  266 
au  bas)!  Formules  jadis  chères  à  nos  maitres  ;  si  on  les  leur  laissait? 


232  REVDE    CRITIQUE 

p.  252  «  Le  texte  de  Tite  Live  nous  est  inconnu....  il  est  impossible 
de  préciser  dans  quelle  mesure...  il  a  été  une  des  sources  littéraires 
de  Lucain  »  :  n'est-ce  pas  une  sorte  de  condamnation  formelle  de  la 
tentative  à  laquelle  s'est  livré  l'auteur  dans  son  étude  ? 

Je  suis  embarrasse  d'avoir  malgré  moi  tant  repris;  qu'on  me  per- 
mette donc  de  signaler  une  partie  que  tout  latiniste  lira  certainement 
avec  intérêt  :  celle  où  M.  P.  traite  des  rapports  entre  la  Pharsale  et 
les  tragédies  de  Sénèquc  ',  et  de  ce  qu'on  en  peut  conclure  sur  l'au- 
thenticité et  sur  la  date  des  tragédies.  Cela  me  paraît  excellent  et 
neuf. 

J'aurais  encore  peut-être  des  querelles  de  détail  à  faire  à  l'auteur  ;  je 
les  rejette  en  note  '. 

Bref  on  devine  ce  que  contient  le  livre  de  M .  Pichon  ;  pas  de  décou- 
vertes, pas  ou  peu  de  vues  nouvelles  proprement  dites  ;  mais  une  étude 
consciencieuse,  bien  conduite,  très  prudente,  avec  des  parties  faibles 
et  contestables,  mais  dont  l'ensemble  tient;  c'est  là  tout  un  groupe  de 
qualités  dont  il  convient  d'apprécier  la  valeur  surtout  par  le  temps  qui 
court,  où,  même  isolées,  elles  se  rencontrent  si  peu. 

Emile  Thomas. 

Ernest  Bovet.  Lyrisme,  Épopée,  Drame  :  une  loi  de  l'histoire  littéraire  expli- 
quée par  révolution  générale.  Paris,  Colin,  igii  ;  in-i8  de  ix-Sog  pages. 
On  étonnerait  beaucoup,  sans  doute,  l'auteur  de  ce  livre  tout  plein 
d'une  belle^ardeur  «  futuriste  »,  si  l'on  insistait  sur  l'origine  probable 
de  la  théorie  qui  forme  l'ossature  de  son  système  :  Victor  Hugo,  à  qui 
il  l'emprunte  en  l'adaptant  à  la  littérature  universelle,  mettait  en  œuvre 
des  thèses,  chères  à  Nodier  et  à  Bonald  derrière  lui,  sur  le  lyrisme 
primitif  et  l'épopée  antique.  Si  bien  que  «  les  idées,  qui  naissent  les 
unes  des  autres  aussi  bien  que  les  hommes  »  (p.  17),  ont  passé  des 
aperçus  de  l'école  théocratique  à  cette  curieuse  tentative  d'imposer  à 

1.  P.  242  et  s. 

2.  Le  sujet  était  assez  épineux  sans  que,  par  des  maladresses,  on  ajoutât  à  ses 
difficultés.  Voici  une  confusion  qui  me  paraît  surtout  fâcheuse.  Il  y  avait  dans 
l'antiquité  un  résumé  de  Tite  Live  que  nous  n'avons  plus;  on  s'accorde  à  l'appeler 
Epitome;  M.  P.  en  parle  longuement  lui-même  (p.  88  et  s.  Voir  surtout  à  cette 
page  la  n.  5)  en  lui  donnant  ce  nom.  Mais  alors  pourquoi  employer,  pour  tout 
autre  chose  (les  petits  sommaires),  le  même  terme,  p.  24  au  milieu  et  à  la  note, 
au  lieu  de  Perioclia,  terme  que  M.  P.  lui-même  emploie  ailleurs  et  qui  empêche- 
rait toute  équivoque."  —  Un  exposé  comme  celui  des  p.  2o5  et  206,  sur  l'idée  que 
Sénèque  se  fait  de  la  Providence,  laisserait  croire  que  là-dessus  Sénèque  n'a 
jamais  changé  ;  est-ce  vraisemblable  ?  On  tourne  quelques  feuillets  et  l'on  voit 
(p.  214  au  bas)  que,  d'après  M.  P.,  le  même  Sénèque,  sur  la  participation  du 
sage  à  la  vie  politique,  soutenait  des  opinions  différentes  selon  les  dates,  selon  les 
circonstances,  et  aussi  selon  les  personnes.  Comment  concilier  tout  cela  ?  —  Les 
restes  du  De  Superstitione  de  Sénèque  occupent  dans  Haase  près  de  quatre  pages, 
et  contiennent  14  fragments.  Un  renvoi  comme  celui  de  la  p.  199,  n.  3  devait  viser 
un  fragment  indiqué  avec  précision. 


d'histoire  et  de  littérature  233 

la  diversité  des  faits  littéraires  une  «  loi  »  nouvelle.  Cette  loi  attribue 
(en  multipliant  par  elle-même  la  fameuse  proposition  avancée  par  la 
Préface  de  Cromwell)  à  chacune  des  ères  principales  de  la  littérature 
(>  les  débuts  lyriques,'  la  création  épique,  la  désagrégation  drama- 
tique ».  En  d'autres  termes,  chacune  des  grandes  tendances  humaines 
qui  trouvent  leur  expression  littéraire  s'offrent  d'abord  sous  des 
formes  spontanées  et  subjectives,  s'organisent  ensuite  pour  l'action 
équilibrée,  se  heurtent  enfin,  en  des  conflits  intimes  ou  extérieurs,  à 
d'autres  dispositions.  Si  elle  s'en  tenait  à  proposer,  sur  des  points  où 
la  transmission  et  la  dépendance  des  idées  sont  assurées,  la  vérifica- 
tion de  ces  vicissitudes,  la  thèse  de  M.  Bovet  n'inquiéterait  qu'à  demi, 
satisferait  même  ceux  qui  croient  à  la  possibilité  de  constituer  une 
«  histoire  des  idées  ».  Mais  elle  prétend  faire  entrer  de  vastes  périodes 
dans  ses  cadres  :  et  dès  lors,  elle  est  obligée  de  se  contenter  de  «  tables 
de  présence  »  incomplètes  et  des  données  fournies  par  des  ouvrages  de 
seconde  main,  d'affirmer  son  indifférence  aux  «  documents  »  (p.  i5o), 
acceptés  «  comme  explication  et  contrôle  »,  et  de  faire  quelque  presti- 
digitation avec  les  termes  employés,  lyrisme  exceptionnel  de  Racine 
et  dispositions  épiques  dominantes  de  son  siècle,  inspiration  drama- 
tique essentielle  du  xv!!!*"  siècle  français,  «  chaînes  ininterrompues  » 
qui  lient  d'une  manière  contestable  des  manifestations  similaires  (cf. 
p.  I  I  5  les  historiens  du  xix''  siècle),  phénomènes  littéraires  antidatés 
ou  postdatés  (Rousseau,  p.  1 16,  le  Rastignac  de  Balzac,  p.  121,  etc.) 
Et  cette  perspective  cavalière  de  l'histoire  de  la  littérature  française  et 
de  la  littérature  italienne  aboutit  à  une  proposition  audacieuse  :  «  La 
loi,  qui  doit  être  universelle...  »  Rien  ne  serait  plus  facile,  en  réalité, 
que  de  reconstruire  sur  un  plan  différent  les  mêmes  ensembles  :  à 
quoi  bon,  vraiment  ?  Et  n'est-ce  pas  introduire  dans  ces  recherches 
une  nouvelle  variété  de^^wa/i^me,  alors  que  M.  B.  conteste  si  juste- 
ment les  catégories  surannées  de  l'ancienne  esthétique? 

Car  il  va  de  soi  qu'une  thèse  irrecevable  comme  celle-ci,  impossible 
à  démontrer  et  à  vérifier  dans  l'état  de  nos  connaissances,  n'empêche 
pas  d'intéressantes  observations  de  détail.  De  justes  remarques  sur  la 
recherche  des  «  sources  »  littéraires,  plus  d'un  paradoxe  incident, 
une  appréciation  équitable  de  l'élément  individuel  et  «  intuitif  »  en 
art,  des  idées  analogues  à  celles  que  défend  si  énergiqucment  M.  Be- 
nedetto  Croce,  témoignent  de  l'indépendance  d'esprit  et  de  la  curio- 
sité multiple  d'un  homme  que  sa  familiarité  avec  plusieurs  mentalités 
nationales,  sonpropice  observatoire  zuricois  mettent  à  même  d'échap- 
per à  de  trop  commodes  truismes .  p,  Baldensperger. 

D.  MoRNET.  Les  sciences  de  la  nature  en  France  au   XVIII'  siècle;  un  cha- 
pitre de  l'histoire  des  idées.  Paris,  Colin,   191  i  ;  ini8  de  290  pages. 

La  connaissance  approfondie  que  M.  Mornet  possède  du  xviii'^  siècle 
écrivant,  lisant,  réagissant  à  ses  lectures,  n'a  plus  à  faire  ses  preuves  : 


2?4  REVUE    CRITIQUE 

les  mérites  dï-rudiiion  ci  d'habile  groupement  qui  distinguaient  son 
livre  sur  le  Sentiment  de  la  nature  se  retrouvent  dans  ce  volume-ci, 
consacre  à  un  sujet  auquel  le  conduisaient  de  plain  pied  ses  premières 
études.  Dans  quelle  mesure,  avec  quelle  extension  et  à  travers  quels 
combats  s'est  imposée,  au  xviii'"  siècle,  la  curiosité  sociale  pour  les 
sciences  naturelles,  succédant,  avec  tous  les  corollaires  qui  décou- 
laient de  cette  accession,  aux  sciences  physiques  et  mathématiques? 
Une  telle  enquête  (qui  n'a  rien  de  commun  avec  une  histoire  des 
découvertes  et  des  théories  scientifiques)  ne  pouvait  être  tentée  qu'à 
l'aide  de  procédés  qui  tiennent  de  la  statistique  ',  qui  valent  par  le 
nombre  et  la  coïncidence  des  témoignages,  mais  qu'une  synthèse 
devait  discipliner  et  organiser  :  et  c'est  une  importante  contribution 
à  l'histoire  morale  collective  que  nous  apporte  M.  M.,  en  ses  trois 
parties  de  trois  chapitres  chacune,  Buffon  au  centre,  la  lutte  contre 
le  merveilleux  et  la  théologie  comme  premier  panneau  du  triptyque, 
le  triomphe  et  la  diffusion  formant  l'autre  panneau. 

L'  «  histoire  des  idées  »,  à  proprement  parler,  y  est  peut-être  moins 
engagée  qu'il  ne  pourrait  sembler.  Ou  plutôt,  je  crains  que  M.  M., 
parfaitement  avisé  des  bénéfices  qu'un  esprit  réfléchi  tire  aujourd'hui 
de  la  pratique  des  méthodes  scientifiques,  ait  attribué  par  provision 
une  part  trop  généreuse  de  ces  bénéfices  au  public  du  xvm''  siècle  qui 
avait  dans  sa  bibliothèque  Y  Histoire  naturelle  ou  le  Spectacle  de  la 
Nature.  Que  la  théologie  et  la  curiosité  du  bizarre  et  de  l'anormal  se 
soient  vues  évincer  par  la  diffusion  de  la  zoologie  et  de  la  botanique, 
rien  de  mieux  constaté  ni  de  plus  normal,  puisque  ce  sont  en  effet  des 
sciences  qui  ne  laissent  jamais  tout  à  fait  les  croyances  humaines, 
comme  les  mathématiques,  «  au  point  où  elles  les  prenaient.  »  Mais 
est-il  bien  certain  que  l'habitude  de  l'induction,  l'abandon  de  tout 
anthropocentrisme,  aient  été  le  résultat  général  de  cette  familiarité? 
L'intempérance  des  «  causefinaliers  »,  l'aventure  des  occultistes  et  des 
théosophes  qui  ne  tiennent  ici  que  deux  pages (23  1-232)  semblent  bien 
impliquées  dans  l'ardeur  naturaliste  du  xviii"  siècle.  ISInsectologie  de 
Bonnet  ne  saurait  faire  oublier  sa  Palingénésie,  ni  le  Cours  d'histoire 
naturelle  de  Beaurieu  son  Elève  de  la  nature  ;  et  j'ai  grand  peur  que, 
de  même,  le  grand  public  ait  cédé  à  une  intoxication  à  forme  scientifi- 
que contre  laquelle  devait  s'armer  à  nouveau  la  vraie  science,  autant 
que  jadis  contre  l'exégèse  ou  la  tératologie.  La  fort  belle  conclusion, 
si  élevée  et  si  grave,  qui  termine  le  livre  de  M .  M.,  pourrait  bien  être 
moins  adaptée  à  Tétat  réel  des  choses,  à  l'issue  du  xviu''  siècle,  et  aux 
«  conséquences  du  triomphe  »,  qu'à  la  dignité  théorique  des  recher- 
ches scientifiques  désintéressées.  p_  Baldensperger. 


I.  Ajouter,  pour  l'élaboration  des  systèmes  d'éducation,  le  projet  rapporté  par 
M.  Deberre  dans  sa  17e  littéraire  à  Dijon  au  xviir  siècle.  La  bibliothèque  du 
comte  d'Espinchal  contient,  elle  aussi,  un  Buffon  in-4°  (cf.  Journal  d'émigration, 
p.  528).  Ecv'wQ  Mesmer,  p.  232,  et  <itie  la  vie  pratique,  p.  238. 


d'histoire  et  de  littérature  235 

D''  Francis  Voizaro.  Sainte-Beuve;  l'homme  et  l'œuvre;  étude  médico-psy- 
chologique. Avec  une  préface  de  Jules  Troubat.  Paris  et  Lyon,  Maloine,  191 1, 
in-80  de  xi-io3  pages. 

Plus  prudente  et  attentive  que  ne  sont  parfois  les  enquêtes  «  scien- 
tifiques »  de  ce  genre,  la  thèse  de   M.  Voizard  ne   prétend   pas  faire 
sortir  tout  Sainte-Beuve  de  prémisses   de   physiologie  et  de  psychia- 
trie :  l'étude    du    tempérament,  ici,    s'efface   le    plus  souvent   devant 
d'autres  problèmes,  les  curiosités  dominantes,  la  méthode  et  les  idées 
générales  d'un  critique  qu'on   n'a  pas  sans   raison    rangé   parmi    les 
«  évadés  de  la  médecine  ».  Pour  être   satisfaisante  et  convaincante  à 
plein,  une  telle  recherche  devrait  être  parfaitement  renseignée  sur  la 
nature  et  la  diffusion    des  idées  auxquelles   est  soumise  la  vie  céré- 
brale de  l'écrivain  :  or,  rien  n'est   plus  approximatif,  en    réalité,  que 
les   pages    18  à  20,  où   est   caractérisée   sans   précision  '  la   série   des 
«expériences  »  intellectuelles  traversées  par  le  imur  auteur  des  Lundis. 
M.  V.  est  plus  à  l'aise  dans  les  intéressantes  observations  qui,  à  propos 
de  l'dPwvre,  rapprochent  de  conceptions  médicales,  et  en  particulier  de 
la  «  diathèse  dans  un  organisme  »,  les  procédés  sainte-beuviens  et  la 
«  qualité  décidément    dominante  »  :  encore    faudrait-il    rappeler   des 
hypothèses   biologiques  autant  que  cliniques,  la  théorie  de  l'unité  de 
composition  en  première  ligne,  issues  de  régions  assez  différentes  et 
qui  frappent   visiblement   Sainte-Beuve.  L'éternel   problème,  en   ces 
matières,  reste  le  triage  authentique  de  l'original  et  de  l'acquis,  celui- 
ci  choisi  et  assimilé    en   raison    des  dispositions  de  celui-là,  servant 
cependant  à  donner  sa  forme  à  l'élément  primordial  :  retenons  donc, 
dans  le  cas  particulier,  1'  «  arthritisme  inquiet  »  de  Sainte-Beuve, 'mais 
sans  oublier  «  la  contagion  du  siècle  »,  en  multipliant  même,  s'il  est 
possible,  les  indices  de  cette  influence  surtout  intellectuelle,  qui  est  à 
vrai  dire  de  tous  les  instants. 

F.  Baldensperger. 


France  in  the  american  révolution,  par  James  Breck  Perkins,  Londres,  Cons- 

table,  igi I,  in-i 2,  XVI  et  544  p. 
La  république  américaine  par  James  Bryce,  t.  l.  Le  gouvernement  national, 

Paris,  Giard  et  Brière,   191 1,  in-S»,  xv  et  656  p. 
Latin  and  Greek  in  american  éducation,  par  Francis  VV.  Kelsey,  New- York, 

Macmillan,  191 1,  in-8",  x  et  396  p. 

J.  B.  Perkins  n'a  pas  été  seulement  un  historien  de  talent;  ce  fut 
aussi  un  homme  politique  distingué  qui  a  laissé  un  nom  comme  pré- 
sident du  comité  des  affaires  étrangères  du  Congrès  américain.  A  ce 
double  titre  le  livre  qu'il  préparait  sur  la  collaboration  de  la  France 
dans  la  guerre  de  l'Indépendance  excitera  l'intérêt.  L'œuvre  était 
presque  achevée  quand  la  mort  lui  a  arraché  la  plume  des  mains; 

I.  L'  «épicurien  Guttinguer  «est  en  réalité,  de  bonne  heure,  un  catholique 
inquiet  (p.  18);  Vinet,  Mmes  de  Boigne  et  d'Agcult,  etc.  sont  bien  insuffisamment 
ou  inexactement  caractérisés  (p.  19). 


236  REVUE    CRITIQUE 

mais  Mrs  Perkins.  aidée  par  quelques  amis,  a  pu  en  as:i".r^.r  la  publi- 
cation. L'ouvrage  inspire  une  grande  estime  pour  l'impartialité  de 
l'auteur.  Pas  un  seul  instant  M.  P.  n'a  cherché  à  diminuer  les  ser- 
vices rendus  par  la  France  aux  Insurgents,  et  même  il  insiste  avec  une 
certaine  coquetterie  sur  le  manque  de  zèle  de  la  majorité  des  colons. 
Il  établit  clairement  que  Washington  n'obtint  jamais  des  Etats  les  res- 
sources en  hommes  et  en  numéraire  qui  lui  étaient  indispensables; 
que  jusque  dans  l'expédition  décisive  contre  Cornwallis  l'efl'ectif  des 
troupes  nationales  ne  dépassa  guère  celui  des  alliés;  que  sans  l'ar- 
gent avancé  généreusement  par  le  trésor  obéré  de  Louis  XVI  les 
États-Unis  n'auraient  pu  alors  conquérir  leur  indépendance.  En 
racontant  les  transactions  pécuniaires  il  n'hésite  pas  à  flétrir  la  mau- 
vaise foi  des  congrès  successifs,  surtout  vis-à-vis  de  Beaumarchais  et 
de  ses  héritiers.  Dans  la  préface,  M.  Jusserand  reproche  à  M.  P.  d'at- 
tribuer principalement  l'intervention  française  au  désir  d'effacer  les 
hontes  de  la  guerre  de  Sept  ans  et  d'abaisser  l'ennemi  séculaire  ;  M.  P. 
aurait  en  conséquence  amoindri  le  rôle  joué  par  l'opinion  publique 
qui,  dans  sa  sympathie  pour  un  peuple  revendiquant  sa  liberté,  a 
imposé  la  guerre  au  cabinet  de  Versailles.  Cette  critique  n'est  pas  jus- 
tifiée, et  l'auteur  a  fait  leur  part  aux  deux  facteurs  de  la  politique  fran- 
çaise. Il  s'est  limité  étroitement  au  sujet  choisi,  et  ne  s'est  permis  que 
de  brèves  allusions  aux  campagnes  des  Français  dans  les  Antilles  et 
aux  Indes.  Plutôt  sévère  pour  ses  compatriotes,  sauf  pour  Washing- 
ton et  Franklin,  il  a  tracé  des  portraits  assez  poussés  au  noir  des 
champions  de  l'indépendance.  En  revanche,  indulgent  pour  les  Fran- 
çais, il  a  peint  en  beau  non  seulement  La  Fayette  et  Rochambeau, 
mais  Vergennes,  voire  Beaumarchais,  d'Estaing,  de  Grasse.  Il  se 
complaît  à  rappeler  dans  le  détail  les  nobles  origines  de  ses  héros,  et 
justifie  une  fois  de  plus  le  goût  reproché  aux  démocrates  américains 
pour  les  vieux  parchemins.  On  peut  expliquer  la  bienveillance  de 
M.  P.  par  les  sources  auxquelles  il  a  puisé  :  il  paraît  n'avoir  consulté 
aucun  document  inédit,  et  s'en  être  tenu  aux  ouvrages  déjà  parus  en 
France,  en  particulier  à  celui  de  Doniol.  Gela  ôte  du  prix  à  son  tra- 
vail; mais  ses  jugements,  bien  personnels,  le  feront  lire  avec  plaisir  et 
profit. 

L'ouvrage  de  M.  J.  Bryce,  ambassadeur  d'Angleterre  à  Washington, 
sur  la  république  des  Etats-Unis  a  acquis  une  réputation  universelle 
et  est  devenu  classique  pour  l'étude  des  institutions  américaines.  La 
traduction  française  a  obtenu  un  légitime  succès,  et  la  nouvelle  édi- 
tion que  publie  la  maison  Giard  et  Brière  sera  d'autant  mieux  accueil- 
lie que,  coïncidant  avec  l'apparition  d'une  nouvelle  édition  anglaise, 
elle  profite  de  l'analyse  des  derniers  événements  que  l'auteur  a  poussée 
jusqu'à  la  fin  de  1910.  Il  est  regrettable,  cependant,  que  le  texte  fran- 
çais n'ait  pas  été  plus  soigné. 

Les  études   classiques   sont   aussi   attaquées    en   Amérique   qu*en 


d'histoire  et  de  littérature  237 

France,  mais  là-bas  comme  ici  elles  trouvent  d'ardents  et  d'habiles 
défenseurs.  Depuis  cinq  ans  de  savants  professeurs  combattent  pour 
•ce  que  nous  appelons  les  humanités  dans  la  School  Review  et  dans 
V Educational  Rcvicw.  Pour  mettre  à  la  portée  de  tous  ces  articles  dis- 
persés, M.  F.  W.  Kelsey  les  groupe  en  un  beau  volume.  On  y 
découvre  d'abord  un  tableau  clair  et  complet  de  la  situation  actuelle, 
puis  un  exposé  des  mérites  du  latin  et  du  grec  pour  l'éducation  géné- 
rale .  Plus  loin  des  spécialistes  s'appliquent  à  prouver  la  valeur  de  ces 
langues  mortes  pour  les  futurs  médecins,  ingénieurs,  légistes,  théolo- 
giens et  même  hommes  d'affaires.  Adversaires  et  défenseurs  des 
humanités  gagneront  à  méditer  ces  pages. 

A.J^BiovÈs. 

Robert  Meynadier.  L'idée  républicaine  dans  les  pays  monarchiques  d'Eu- 
rope, Paris,  Alcan,  191 1,  in-iG,  IX  et  288  p.,  3  fr.  5o. 

Angel  Marvaud.  Le  Portugal  et  ses  colonies,  Paris,  Alcan,  19 12,  in-8°,  in-S", 
335  'p.,  5  francs. 

Lewis  Gaffié.  La  crise  constitutionnelle  anglaise,  Paris,  Falque,  i9r2,  in-i6, 
164  p.,  2  fr.  5o. 

M.  Meynadier  s'est  proposé  d'étudier  l'évolution  de  la  conception 
gouvernementale  en  différents  pays  monarchiques  européens  ;  prenant 
successivement  l'Espagne,  l'Italie,  la  Hongrie,  la  Belgique,  la  Hol- 
lande, il  recherche  les  précédents  républicains  dans  le  passé,  les  causes 
qui  ont  empêché  le  régime  d'aboutir  ou  de  durer,  les  variations 
subies  par  l'idée  républicaine,  enfin  ses  chances  de  succès  dans 
l'avenir.  Dans  chacun  de  ces  pays,  la  Hollande  exceptée,  la  monar- 
chie a  largement  contribué  à  la  formation  de  l'unité  nationale,  et  elle 
demeure  encore  le  principal  ciment  de  cette  précieuse  unité.  D'un 
autre  côté  l'idée  républicaine  tend  de  plus  en  plus  à  se  confondre 
partout  avec  l'anticléricalisme,  et  la  question  religieuse  constitue 
pour  les  rois  le  terrain  le  plus  brûlant  et  le  plus  dangereux.  Mais  les 
peuples,  commençant  à  comprendre  l'inanité  de  ces  luttes,  s'attachent 
presque  uniquement  désormais  à  la  solution  des  questions  sociales 
qui  seules  influent  sur  leur  bien-être.  Ils  négligent  la  forme  du  régime 
pourvu  qu'ils  en  obtiennent  les  satisfactions  réclamées,  et  les  souve- 
rains, conscients  de  la  force  de  ces  aspirations,  leur  font  des  conces- 
sions égales,  sinon  supérieures,  à  celles  accordées  par  les  gouverne- 
ments républicains  voisins.  Cette  politique  paraît  réussir  pour  l'ins- 
tant, et  M.  M.  constate  que  dans  ces  divers  pays  l'idée  républicaine 
est  plutôt  en  régression.  M.  Hanoiaux,  qui  a  écrit  une  substantielle 
préface,  émet  des  doutes  sur  la  durée  du  succès  de  cette  tactique  parce 
que  «  le  peuple  pensera  toujours  qu'il  est  plus  apte  que  personne  à 
connaître  ses  intérêts  et  à  défendre  ses  propres  revendications.  » 

La  république  portugaise  est  si  récente  qu'on  eût  pu  étudier  avec 
profit  comment  et  pourquoi  la  dynastie  de  Bragance  a  perdu  le 
trône.  L'excellent  ouvrage  de  M.  Marvaud  eut  fourni  pour  cela  tous 


238  REVUE    CRITIQUE 

les  renseignements  nécessaires.  Il  est  difficile  de  mieux  connaître  ce 
pavs,  de  le  juger  avec  plus  de  sympathie  et  d'impartialité  que  cet 
auteur,  et  il  n'en  fait  pas  un  tableau  Hatté.  Tout  en  signalant  les 
fautes  des  monarques,  il  insiste  justement  sur  les  abus  imputables  aux 
classes  dirigeantes,  abus  qui  avaient  rendu  une  réforme  indispensable. 
Il  expose  les  etiorts  inutiles  de  M.  Franco  et  les  dernières  erreurs  de 
la  monarchie,  ou  plutôt  de  ses  ministres,  puis  raconte  comment  la 
république  triompha  grâce  à  une  poignée  d'intellectuels  soutenue  par 
la  tiotte  et  favorisée  par  l'inertie  du  jeune  roi.  Le  nouveau  régime  a 
une  véritable  reconstruction  à  opérer;  tâche  bien  lourde  mais  pos- 
sible s'il  sait  tirer  parti  de  toutes  les  ressources,  M.  M.  passe  en 
revue  l'agriculture,  l'industrie,  le  commerce,  et  apporte  sur  ces  diffé- 
rents points  des  renseignements  précis  et  peu  encourageants.  Mais  il 
reste  au  Portugal  les  débris  de  son  superbe  empire  colonial,  et  s'il 
peut  les  soustraires  aux  convoitises  de  l'Allemagne  et  de  l'Angleterre, 
si  surtout  il  les  exploite  d'une  façon  rationnelle,  M.  M.  estime  qu'il  y 
trouvera  les  moyens  du  développement  économique  qui  doit  précéder 
son  relèvement.  Mais  le  Portugal  est  avant  tout  dans  l'obligation  de 
reformer  les  mœurs  publiques  et  privées  du  peuple,  de  triompher  de 
l'indifférence,  de  la  fatigue  morale  qui  sont,  d'après  M.  Marvaud,  les 
traits  caractéristiques  de  l'élite  lusitanienne. 

M.  Lewis  Gaflfié  a  réuni  en  volume  ses  articles  parus  dans  le 
Courrier  du  Parlement  pendant  la  crise  constitutionnelle  anglaise. 
Il  ne  saurait  être  question  des  progrès  de  l'idée  républicaine  en 
Grande  Bretagne,  et  le  loyalisme  de  ses  habitants  est  notoire;  mais 
eux,  jusqu'ici  si  attachés  à  leur  ancienne  constitution,  viennent  de  la 
bouleverser  de  fond  en  comble.  Ces  pages,  rédigées  au  jour  le  jour  et 
sous  la  pression  des  événements,  font  revivre  les  étapes  de  la  lutte 
dans  laquelle  la  Chambre  des  Lords  a  perdu  presque  toute  impor- 
tance politique.  On  y  recueillera  maints  détails  intéressants,  et  elles 
rendront  service  aux  historiens  de  l'avenir;  mais  M.  G.  n'a  pas  pénétré 
au  fond  même  de  la  question,  et  comme  il  s'est  abstenu  de  rechercher 
quel  avait  été  le  rôle  des  lords  dans  la  tfiachine  politique  anglaise, 
quelle  sera  désormais  cette  constitution  dépourvue  de  contrepoids,  ce 
qui  pourra  un  jour  remplacer  la  Chambre  haute,  sa  brochure  ne 
retiendra  pas  longtemps  le  lecteur. 

A.  BiovÈs. 

Essais  de  philosophie  sociale  par  Maurice  Vauthier,  professeur  à  l'Université 
de  Bruxelles,  i  vol.  gr.  in-S»  i  à  41 3  p.  Alcan,  éd.   191 2. 

Plusieurs  des  études  réunies  sous  ce  titre  par  M.  Vauthier  ont 
un  grave  défaut  :  celui  de  dater  de  dix  à  quinze  ans,  ce  qui,  en 
matières  politiques,  est  déjà  long.  Que  de  points  de  vue  se  modifient 
pendant  ce  laps  de  temps!  Que  de  faits  démentis  par  les  faits  suivants! 
La  lecture  des  pages  de  M.  V.  est  souvent  une  curieuse  confirmation 


I 


d'histoire  et  de  littérature  289 

de  cette  vérité.  Elles  conservent  néanmoins  sur  bien  des  points  un 
réel  intérêt.  L'auteur  est  un  libéral  et  un  démocrate  modéré  qui 
cherche  impartialement  dans  l'analyse  des  idées  et  des  institutions  ou 
des  événements  une  justification  de  sa  doctrine.  Je  ne  suis  pas  sûr 
qu'il  n'ait  gardé  quelques  illusions  sur  la  volonté  du  peuple  '  et  le 
fonctionnement  de  la  représentation  dans  les  démocraties  de  suffrage 
universel,  mais  l'avenir  seul  achèvera  la  démonstration  de  ce  qui  est 
possible,  et  de  ce  qui  est  condamné  h  périr  dans  le  mécanisme  com- 
plexe du  gouvernement  démocratique  des  Etats  :  et  le  plus  clairvoyant 
observateur  ne  peut  guère  aboutir  qu'à  des  hypothèses.  M.  V.  pré- 
sente les  siennes  avec  une  modération  dans  la  forme  et  une  connais- 
sance approfondie  de  son  sujet  qui  recommande  son  ouvrage  aux 
étudiants  de  la  science  politique. 

Eugène  d'Eichthal. 


—  Voici  une  plaquette  élégante  (7g  p.,  Teubner)  de  M.  Hugo  Willrich,  privat- 
docent  à  Gntlingue  :  Livia.  Elle  est  dédiée  à  un  professeur  honoraire  de  la  même 
Université,  M.  Anton  Viertel.  En  tète  reproduction  de  deux  portraits  de  Livie 
(buste  et  monnaie).  La  brochure  reproduit  une  conférence  faite  à  Brunswick 
devant  une  réunion  d'historiens  allemands.  L'auteur  a  \'oulu  montrer  comment 
s'est  développée  dans  la  Rome  républicaine  la  place  d'une  impératrice  et  quelles 
idées,  quels  facteurs  y  ont  aidé.  Très  significatif,  suivant  l'esprit  romain,  est  le 
silence  gardé  sur  elle  par  les  poètes  contemporains  :  sauf  un  mot  en  passant  d'Ho- 
race et  les  flatteries  intéressées  d'Ovide,  on  chercherait  vainement  le  nom  de 
Livie  dans  les  poèmes  du  grand  siècle  ;  Virgile,  Tibulie,  ou  Properce  ne 
l'ont  pas  nommée.  Introduction  intitulée  :  les  sources.  Puis  3  chapitres  : 
Livie  dans  la  famille;  Livie  impératrice;  administration  et  politique  de  Livie. 
M.  W.  s'est  proposé  surtout  de  réagir  contre  le  jugement  de  Gardthausen  particu- 
lièrement défavorable  à  Livie.  La  tradition  qui  nous  est  parvenue  à  son  sujet,  sur- 
tout par  Tacite,  est  faite  en  grande  partie  des  attaques  de  ses  ennemis,  à  savoir 
d'emprunts  aux  Mémoires  de  la  première  Agrippine  et  aussi  à  ceux  de  la  seconde 
qui  avait  recueilli  soigneusement  de  tous  côtés  l'expression  des  mêmes  haines. 
M.  "Willrich  tire  beaucoup  des  monnaies  et  des  médailles.  L'attention  du  lecteur 
s'arrêtera  sur  les  notes  suggestives  qui  résumentdes  études  de  détail  :  les  femmes 
sur  les  monnaies  antiques,  démarches  publiques  de  diverses  cités  en  l'honneur  de 
Livie,  etc.  M.  W.  a  su  aussi  trouver  chez  le  vaniteux  Josèphe  des  indications  pré- 
cieuses sur  les  relations  de  l'impératrice  avec  le  roi  Hérode,  sa  sœur  Salomé,  et 
et  les  autres  dynastes  d'Orient;  aussi  sur  les  statues  qu'ils  lui  érigent,  toutes 
choses  que  passe  sous  silence  la  tradition  romaine.  Donc  plaquette  très  intéres- 
sante. —  É.  T. 

—  M .  .Macé  vient  de  publier  dans  la  collection  de  Klincksieck  un  petit  livre,  dédié 
à  M.  Châtelain,  sur  la  Prononciation  du  latin  (148  p.)  L'ouvrage  ne  me  parait  ni 

I.  M.  V.  rappelle  sans  la  contredire  l'aflirmation  de  Rousseau  que  «  jamais  on 
ne  corrompt  le  peuple,  mais  souvent  on  le  trompe  et  c'est  seulement  alors  qu'il 
parait  vouloir  ce  qui  est  mal  »  {Contr.  Soc,  liv.  II,  ch.  3).  Quel  extraordinaire 
optimisme  ! 


240  REVUi:    CRITIQUE    D  HISTOIKK    ET    Dt    LITTERATURE 

meilleur,  ni  pire  que  bien  d'autres.  Jai  remarque  dans  l'index  bibliographique, 
les  articles  qui  concernent  M.  Macé  (17  lignes)  et  M.  Sécheresse  (10  lignes)  ;  voilà 
qui  compte  ;  personne  ne  les  égale,  et  alors  mCme  qu'on  n'aurait  pas  obtenu 
d'autre  résultat,  on  a  tout  au  moins  l'avantage  de  bien  connaître  sur  le  sujet 
l'opinion  de  ces  deux  savants.  Cela  prime  le  reste  sans  aucun  doute.  —  E.  T. 


AcvDicMiE  DES  Inscriptions  et  Bellus-Licttres.  —  Séance  du  S  mars  JQ12.  — 
M.  Salomon  Reinach  annonce  qu'au  mois  de  décembre  dernier,  M.  Henri  Viollct 
a  relevé,  à  Bagdad,  tous  les  détails  d'une  construction  arabe  du  xiii"  siècle, 
ancienne  école  fondée  par  le  khalife  abasside  Mustansir  vers  i232  et  servant 
actuellement  de  douane.  Malgré  l'état  d'cxtrénie  dégradation  de  l'édifice,  M.  \'iollct 
a  pu  photographier  ou  dessmer  les  riches  décorations  qui  subsistent  en  partie 
sous  les  plâtrages  et  dont  le  caractère  essentiel  est  leur  harmonie,  leur  liaison 
intime  avec  les  grandes  lignes  de  la  construction.  Le  style  rappelle,  d'autre  part, 
celui  des  portes  sculptées  en  bois  que  l'on  trouve  en  Egypte  ;  ces  boiseries  se 
divisent,  comme  les  compositions  en  briques  de  Bagdad,  en  carrés,  en  polygones, 
en  étoiles,  en  figures  à  côtés  multiples.  Le  même  art  se  manifeste  dans  toute  la 
Mésopotamie  depuis  le  début  du  xiii"  siècle  ;  la  couleur  n'y  joue  aucun  rôle, 
l'architecte  n'ayant  cherché  d'effets  décoratifs  que  dans  les  jeux  de  l'ombre  et  de 
la  lumière. 

M.  Edmond  Pottier  montre  les  aquarelles  de  quatre  vases  à  fond  blanc  et  à 
décor  polychroinc  appartenant  au  Musée  du  Bardo  de  Tunis  et  au  Musée  Saint- 
Louis  de  Garthage.  Ces  aquarelles  sont  l'œuvre  de  M.  Pierre  Paris  qui  les  com- 
munique avec  lîne  courte  note  décrivant  ces  poteries  et  indiquant  leur  prove- 
nance. Elles  ont  été  trouvées  dans  des  tombeaux  puniques  de  Garthage.  M.  Pottier 
ajoute  quelques  observations  sur  cette  catégorie  encore  peu  nombreuse,  qui 
mériterait  une  étude  spéciale.  Les  exemplaires  en  sont  dispersés  en  Italie,  en 
Grèce,  en  Asie-Mineure,  en  Grimée  et  même  en  Gaule.  On  a  indiqué  Canosa 
comme  centre  de  fabrication,  mais  il  y  a  eu  sans  doute  plus  d'un  atelier  pour  les 
faire.  Ces  vases  sont  comme  une  renaissance  de  l'ancienne  et  célèbre  fabrication 
des  lécythes  attiques  à  fond  blanc  et  à  décor  polychrome.  Comme  eux,  ils  s'ins- 
pirent de  la  technique  à  fresque  contemporaine  et  contiennent  en  général  le  décor 
que  l'on  appelle  pompéien,  mais  dont  les  origines  remontent  au  w"  siècle  et 
qui  s'est  développé  pendant  toute  la  période  hellénistique.  Les  maisons  de  Délos 
récemment  découvertes  et  étudiées  par  l'Ecole  française  d'Athènes  offrent  un 
système  analogue  de  technique  et  d'ornementation.  Par  les  fouilles  d'Antinoé,  en 
Egypte,  on  constate  que  cette  céramique  existait  encore  au  ii«  s.  p.  G.  Par 
conséquent,  on  a  continué  à  faire  des  vases  peints  beaucoup  plus  longtemps 
qu'on  ne  le  pensait.  —  M.M.  Perrot,  Salomon  Reinach  et  Clermont-Ganneau 
présentent  quelques  observations. 

M.  Léon  Heuzey  communique  des  détails  sur  les  fouilles  exécutées,  au  nom  du 
Musée  de  Constantinople,  par  M.  Macridy,  dans  le  tumulus  de  Langaza,  près  de 
Salonique.  On  y  a  dégagé  une  construction  voûtée,  avec  vestibule  et  chambre 
funéraire,  tout  à  fait  du  même  type  macédonien  que  les  sépultures  fouillées 
autrefois  à  Pydna  et  à  Palatitza  par  MM.  Heuzey  et  Daumet.  Les  portes,  l'une  en 
bois,  l'autre  en  marbre,  étaient  décorées  d'ornements  en  bronze  doré,  masques  de 
Méduse,  gueules  de  lion  tenant  des  anneaux  mobiles  et  doubles  palmettes 
servant  à  tirer  les  vantaux,  d'une  exécution  remarquable.  On  les  conserve 
aujourd'hui  au  Musée  de  Constantinople. 

M.  Jean  Psichari  fait  une  communication  intitulée  :  Lamed  et  lambda.  — 
MM.  Théodore  Reinach  et  Clermont-Ganneau  présentent    quelques  observations. 

Léon  Dorez. 


L imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.   —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 


N°  13  —  30  mars  —  1912 


KiTTEL,  La  science  de  l'Ancien  Testament.  —  Meinhold,  Le  chapitre  xiv  de  la 
Genèse.  —  Siderskv,  L'origine  astronomique  de  la  chronologie  juive,  —  Per- 
DELWiTZ,  La  première  épître  de  Pierre.  —  Heitmùller,  Le  baptême  et  la  cène. 
—  RosTOwzEW,  Le  colonat  romain.  —  Platner,  Topographie  de  l'ancienne 
Rome.  —  RonocANACHi,  Rome  au  temps  de  Jules  II  et  de  Léon  X.  —  Tommasini, 
Machiavel,  II.  —  Landry,  Le  rythme  du  français.  —  Wahlund,  Bibliographie 
des  serments  de  Strasbourg.  —  Koukal.  Excursions  étymologiques.  —  Etudes 
dédiées  à  Meyer-Lûbke,  II.  —  Wendt,  Syntaxe  de  l'anglais.  —  Knecut,  Sujet 
verbe  dans  l'anglais  du  temps  d'Elisabeth.  —  Fiaux,  Carrel  et  Girardin.  — 
Académie  des  inscriptions. 


Die  alttestamentiche   Wissenschaft,  von   R.  Kittel.  Zweite  Autlage.   Leipzig, 

Quelle,  i9i2;in-8°,  255  pages. 
I  Mose  14.  Eine  historich-kritische    Untersuchung,   von  J.    Meinhold.   Giessen, 

Tiipclmann,  191 1  ;  gr.  in-8",  5o  pages. 
Étude  sur  l'origine  astronomique  de  la  chronologie  juive,  par  D.  Siderskv, 

Paris,  Klincksieck,  191  i  ;  in-4°,  96  pages. 

L'ouvrage  de  M.  Kittel  a  été  accueilli  très  favorablement  en  Alle- 
magne: la  première  édition  est  de  1910.  Conclusions  d'une  critique 
très  modérée,  interprétées  au  point  de  vue  d'une  théologie  également 
conservatrice.  Traité  de  pédagogie  religieuse,  méthode  d'enseignement 
chrétien  par  l'Ancien  Testament,  avec  égard  aux  principales  et  aux  plus 
certaines  conclusions  de  la  critique. 

M.  Meinhold  revient  sur  le  ch.  xiv  de  la  Genèse  et  l'histoire  de 
Codorlaomor.  Étude  très  consciencieuse  et  minutieuse  dans  toutes  ses 
parties,  on  pourrait  presque  dire  dans  tous  ses  mots.  Pas  de  résul- 
tats bien  nouveaux.  La  forme  archaïque  de  la  légende  paraît  inten- 
tionnelle. Après  cela,  on  ne  saurait  dire  au  juste,  et  M.  M.  ne  semble 
pas  avoir  expliqué  comment  le  rédacteur  ou  les  rédacteurs,  très  récents, 
de  ce  morceau,  ont  pu  en  avoir  l'idée,  ni  à  quelles  sources  ils  auront 
puisé  certaines  données  anciennes  plus  ou  moins  vagues  sur  lesquelles 
a  été  construite  artificiellement  la  légende  d'un  Abraham  guerrier  et 
vainqueur  des  rois  d'Orient.  L'épisode  de  Melchisédek  {Gen.  xiv,  18- 
20)  paraît  surajouté,  conçu  pour  la  plus  grande  gloire,  même  pour  le 
profit  de  Jérusalem  et  du  temple.  Selon  M.  M.,  le  nom  même  de  Mel- 
chisédek serait  fictif,  conçu  d'après  l'Adonisédek  de  Jos.  x,  i.  Mais 
il  est  possible  aussi  que  le  nom  soit  emprunté  à  une  ancienne  tradi- 

Nouvelle  série  LXXIII  i3 


242  REVUE    CRITIQUE 

lion  :  la  donnée  biblique  n'en  serait  pas  plus  solide.  Juifs  et  chrétiens 
ont  spéculé  sur  le  rapport  de  Melchisédek  avec  Abraham.  Toutefois 
rien  ne  prouve  i]ue  la  légende  de  Melchisédek  ne  soit  pas  antérieure 
à  la  rédaction  dernière  de  Gen.  xiv.  Melchisédek  n'a  sans  doute  jamais 
été  prêtre  du  Dieu  Haut  ;  mais  qui  sait  s'il  ne  serait  pas  le  fondateur 
mythique  de  Jérusalem  ? 

Des  connaissances  spéciales  en  astronomie  et  en  littérature  rabbini- 
que  seraient  nécessaires  pour  discuter  les  conclusions  de  M.  Sidersky 
touchant  l'origine  de  la  chronologie  juive.  Il  ne  s'agit  pas,  en  effet,  de 
rendre  compte  de  la  chronologie  biblique,  mais  d'expliquer  d'où  vient 
l'économie  de  l'année  Israélite.  Le  point  de  départ  est  la  fixation  de  la 
pàque  à  la  première  pleine  lune  du  printemps.  Comment  s'y  prenait- 
on  dans  les  temps  bibliques  pour  ajuster  le  calendrier  lunaire  des  fêtes 
au  cours  de  l'année  solaire  ?  On  ne  sait  trop.  Beaucoup  de  gens  hésite- 
raient plus  que  M.  S.  à  parler  de  l'année  lunisolaire  instituée  par  Moïse, 
des  connaissances  astronomiques  de  Salomon,  attestées  par  le  livre 
delà  Sagesse  (vu,  17-19),  de  la  science  des  temps  que  la  Chronique 
(I,  XII,  33)  attribue  aux  hommes  d'Issacar,  sous  le  règne  de  David,  etc. 
etc.  M.  S,  a  cru  pouvoir  reconstituer  le  calendrier  juif  pour  les  quatre- 
vingts  premières  années  de  notre  ère,  et  fixer  la  date  précise  de  la  mort 
du  Christ  :  vendredi  14  nisan,  3  avril,  de  l'an  33.  Ce  pourrait  être 
peine  perdue  que  de  tenter  la  conciliation  de  deux  données  qui  parais- 
sent l'une  et  l'autre  assez  incertaines,  le  jour  de  la  mort  de  Jésus  dans 
la  tradition  apostolique,  et  le  jour  de  la  pàque  juive  en  l'année  où  cette 
mort  eut  lieu.  M.  S.  dit  aussi  que  le  concile  de  Nicée,  en  fixant  la 
date  de  la  pàque  chrétienne,  empêcha  les  Juifs  de  célébrer  la  leur  le 
même  jour  :  selon  les  témoignages  ecclésiastiques,  le  concile  décida 
que  la  pàque  chrétienne  n'aurait  pas  lieu  le  même  jour  que  celle  des 
Juifs;  ce  n'est  pas  précisément  la  même  chose.  La  valeur  du  travail  de 
M.  S.  paraît  consister  en  ce  qu'il  dit,  d'après  les  sources  rabbiniques, 
sur  la  Hxation  du  calendrier  juif  depuis  la  fin  du  premier  siècle  de 
notre  ère. 

Alfred  Loisy. 

Die  Mysterienreligion  und  das  Problem  des  I.  Petrusbriefes,   von  R.  Per- 

DELwiTZ.  Giessen,  Tôpelmann,  191 1;  in-S.  loS  pages. 
Taufe  und  Abendmahl  im  Urchristentum,  vonW.  Heitmûller  {Religionsges- 

chichtlichc  Volksbiidier,  1,  22-23).  Tùbingen,  Mohr,  191 1  ;  in-12,  82  pages. 
Das  Abendmahl.  Eine  Untersuchung  ùber  die  Antânge  der  christlichen  Religion. 

von  F.  DiBELius.  Leipzig,  Hinrichs,  igii  ;  in-8,  vin-129  pages. 

Il  y  a  dans  la  dissertation  de  M.  Perdelwitz  une  interprétation  de  la 
première  Epitre  de  Pierre  d'après  les  conceptions  et  la  terminologie 
des  mystères  païens  qui,  pour  le  principal,  est  digne  de  tout  éloge,  et 
une  hypothèse  touchant  l'origine  du  document  en  question  qui  paraît 
fort  contestable. 

M.   P.  montre  péremptoirement  que   la  majeure  partie  de  l'Épître 


d'histoirk  et  dk  littérature  243 

(i,  3-iv,  1 1)  forme  une  instruciion  sur  rcxcellcnce  et  les  devoirs  de  la 
vocation  chrétienne,  comme  on  imaginerait  une  homélie  adressée  à 
des  néophytes  qui  viennent  de  recevoir  le  baptême.  Les  passages 
essentiels,  expliqués  de  ce  point  de  vue,  avec  rapprochements  tirés  des 
mystères,  gagnent  en  signification  et  en  clarté  :  le  prédicateur,  pénétré 
des  idées  de  Paul,  traite  le  baptême  en  véritable  rite  d'initiation,  prin- 
cipe de  régénération  mystique  et  morale.  Peut-être  était-il  superflu 
de  chercher  dans  les  mystères  un  équivalent  complet  de  ce  que  dit 
1  Pier.  m,  19-2?.,  touchant  la  prédication  du  Christ  aux  morts.  L'in- 
fluence des  mythes  païens  n'est  pas  douteuse,  mais  la  forme  qu'affecte 
le  mythe  chrétien  témoigne  d'une  adaptation  originale.  Jésus  est  allé 
porter  l'Évangile  aux  morts  du  déluge,  et  M.  P.  reconnaît  avec  raison 
dans  cette  préoccupation  du  déluge  un  élément  de  spéculation  juive. 
J^'idée  d'assurer  aux  morts  le  bénéfice  du  salut  pouvait  naître  sponta- 
nément dans  le  christianisme;  d'autre  part,  les  mythes  de  dieux  des- 
cendus aux  enfers  se  sont  naturellement  appliqués  au  Christ  ;  mais 
que  pouvait  faire  le  Christ  aux  enfers  sinon  annoncer  le  salut  aux 
morts?  On  n'est  pas  obligé  d'admettre  que  cette  évangélisation  serait 
imitée  directement  d'une  prédication,  d'ailleurs  assez  mal  attestée, 
d'Orphée  aux  enfers. 

Selon   M.    P.,    l'homélie  primitive  aurait  été  englobée    dans  une 
lettre  (i,   1-2  ;  iv,   12-vi  du  même  auteur,  adressée  à  une  communauté 
de  fidèles  venus  des  provinces  qu'énumère  la  suscription  ;  l'auteur  de 
la  lettre  s'appelait   Pierre,   mais   n'était  pas  l'ancien  apôtre  galiléen; 
Marc    et  Silvanus,  qui  sont  nommés  à   la   tin,   n'appartenaient   pas 
davantage  à  la  génération  apostolique;  ces  gens  vivaient  vers  la  fin  du 
1^'   siècle  chrétien;  la   tradition   s'est  trompée   sur   leur  identité.    Il 
semble  plutôt  que  la  tradition  a  été  trompée.  L'auteur  de  la  seconde 
Épître  (ni,   1),   qui  se  donne  expressément   pour   le  compagnon  du 
Christ,  a  cru  pouvoir  se  référer  à  sa  première  lettre.  Ce  qui  a  fait  la 
fortune  de  celle-ci  est   qu'on  la  présentait  comme  l'œuvre  du  prince 
des  apôtres.   C'est   faire  violence  au  texte  que  de  concevoir  les  des- 
tinataires de  la  lettre,  les  élus  dispersés  du  Pont,  de  la  Galatie,  etc., 
comme  appartenant  à  une  seule  et  même  communauté.  On   a  voulu 
que    Pierre  eût  écrit  aux  Églises.   La  suscription  veut  donner  à  la 
pièce  le  caractère  d'une  lettre  encyclique,  écrite  par  un   «    apôtre  de 
Jésus-Christ   »  ;  le  nom  de  Pierre  y  vient  pour  authentiquer  ce  que 
l'apôtre  n'a  pas  réellement  écrit.    Marc  et  Silvanus  sont  mentionnés 
pour  le  même  motif  dans  la  souscription,  et  la  désignation  énigma- 
tique  de  Rome  sous   le   nom    de   Babylone  tend    à  la    même   fin  ;  il 
s'agissait  d'aflfirmcr,  et  aussi  d'affermir,  dans  des  circonstances  parti- 
culières qui  nous  échappent,    la  communauté  de  tradition  et  de  foi 
entre  l'Église  romaine  et  les  Églises  d'Asie  mineure. 

Ce  que  M.  HeitmuUer  nous  dit  du  baptême  est  entièrement  satis- 
faisant.   Dans    la    première  communauté,    ce    fut    un   emprunt   au 


244  REVUE    CRITIQUE 

judaïsme,  spécialement  à  la  secte  de  Jean-Baptiste;  conféré  au  nom 
de  Jésus,  c'était  dcjà  un  rite  efficace,  non  un  pur  symbole  ;  dans  la 
conception  de  Paul,  c'est  un  véritable  sacrement,  et  sur  ce  point  l'in- 
fluence des  mystères  n'est  pas  niable.  La  question  de  la  cène  est  plus 
compliquée;  du  moins  les  théologiens  libéraux  la  compliquent  davan- 
tage. M.  H.  ne  réussit  pas  à  débrouiller  la  confusion  des  témoi- 
gnages touchant  le  dernier  repas  du  Christ.  Il  voit  bien  que  la  parole  : 
«  Je  ne  boirai  plus  désormais  de  vin  que  dans  le  royaume  de  Dieu  -> 
{Luc,  XXII,  i8),  est  ce  que  la  tradition  offre  de  plus  clair  et  de  plus 
consistant.  Mais,  le  troisième  Evangile  énonçant  ensuite  la  présenta- 
tion du  pain  avec  ces  mots  :  «  Ceci  est  mon  corps  »,  il  se  persuade 
que  cette  formule  est  aussi  bien  garantie  que  l'autre;  il  incline  à 
penser  que  Jésus  a  dit  pareillement  du  vin  :  «  Ceci  est  mon  sang  »  ; 
et  comme  il  ne  pense  pas  que  le  Christ  ait  enseigné  la  théologie  de 
Paul,  il  prête  à  Jésus  l'idée  de  faire  valoir,  entérines  métaphoriques, 
sa  personne,  au  sens  moral,  comme  le  lien  qui  unira  ses  disciples 
après  sa  disparition.  Autant  vaudrait  dire  que  le  Christ  était  un  doc- 
teur allemand,  protestant  libéral,  qui  eut  le  tort  de  naître  dix-neuf 
cents  ans  avant  qu'on  pût  le  comprendre,  et  qui  même  aurait  parlé  de 
façon  à  n'être  pas  compris.  Les  mots  :  «  Ceci  est  mon  corps  »,  dans 
le  récit  de  Luc,  sont  pour  rejoindre  la  tradition  de  Paul,  qui,  dans 
Marc  et  dans  Matthieu,  s'est  introduite  à  côté  de  la  tradition  primi- 
tive, représentée  par  les  paroles  :  «  Je  ne  boirai  plus  »,  etc.  Quant  à 
la  tradition  de  Paul,  M.  H.  l'a  bien  caractérisée.  En  ce  point  aussi, 
Paul  a  subi  l'influence  des  mystères.  Avant  lui,  chez  les  judéochré- 
tiens,  le  repas  de  communauté  avait  déjà  un  caractère  religieux  ;  il  se 
célébrait  avec  le  souvenir  de  Jésus  et  dans  l'espérance  du  prochain 
royaume  ;  il  est  devenu  dans  les  communautés  de  Paul  un  rite  d'union 
mystique  au  Christ  immortel,  et  une  commémoration  expresse  de  sa 
mort  salutaire.  M.  H.  pense  trouver  une  certaine  incohérence  entre 
la  théorie  de  la  justification  par  la  foi  et  ce  que  Paul  enseigne  des 
sacrements  chrétiens.  Un  élément  de  religion  pure  aurait  été  conta- 
miné. Jésus  n'aurait  connu  que  la  religion  pure,  morale  et  person- 
nelle. Hélas  !  il  est  bien  à  craindre  que  la  doctrine  de  la  justification 
par  la  foi  au  Christ  mort  et  ressuscité  ne  doive  aussi  quelque  chose, 
et  même  beaucoup,  aux  mystères  païens.  Et  Jésus,  qui  a  dit  :  «  Je  ne 
boirai  plus  de  vin  que  dans  le  royaume  de  Dieu  »,  se  représentait  ce 
royaume  comme  un  festin.  En  vérité,  cela  n'est  ni  purement  moral  ni 
purement  individualiste.  Quand  l'histoire  des  origines  chrétiennes 
sera-t-elle  dégagée  de  toute  fiction  théologique  ? 

Chez  M.  Dibelius,  la  théologie  n'entend  pas  se  réserver  un  petit 
coin  à  l'abri  de  la  critique;  elle  fait  le  procès  de  celle-ci.  Les  cri- 
tiques libéraux  veulent  qu'il  y  ait  un  abîme  entre  Jésus  et  la  commu- 
nauté apostolique,  et  un  autre  abîme  entre  la  communauté  aposto- 
lique et  saint  Paul  :  pure  illusion.  On  dit  que   Marc  est  plus  ancien 


d'histoire  et  dk  littérature  245 

que  Matthieu  :  chimùre.  Et  l'hypothèse  des  deux  sources,  Marc  et 
Logia,  pour  Matthieu  et  pour  Luc,  est  une  hallucination  de  l'exégèse. 
Les  récits  de  la  cène  dans  les  Évangiles  et  dans  Paul  se  complètent  et 
ils  ne  se  contredisent  pas.  Toutes  les  difficultés  s'évanouissent  dès 
qu'on  entend  bien  le  mot  ôtaO/,xr,,  qui  signifie  «  testament  »,  rien  que 
«  testament  »,  et  qu'on  s'obstine  à  traduire  par  «  alliance  ».  Jésus 
savait  qu'il  devait  mourir  pour  sauver  les  hommes  ;  au  lieu  d'écrire 
son  testament  en  cette  forme  :  «  Je  donne  ma  vie  pour  le  salut  du 
monde  »,  il  a  dit  à  ses  disciples  :  «  Ceci  est  mon  corps  pour  votre 
bien  »,  «  Ceci  est  mon  sang  de  testament,  répandu  pour  plusieurs  », 
et  il  entendait  signifier  :  «  Je  donne  ma  vie  pour  vous  procurer  le 
royaume  de  Dieu  ».  Paul  ne  viserait  Jamais  que  ce  droit  au  salut, 
fondé  sur  le  testament  du  Christ;  baptême  et  cène  seraient  de  vrais 
sacrements  en  tant  qu'ils  expriment  et  réalisent  pour  chacun  le  droit 
en  question.  Paul,  il  est  vrai,  a  bien  l'air  de  rattacher  l'effet  aux  sacre- 
ments mêmes;  Jean  aussi;  et  Ignace  d'Antioche  encore  plus  claire- 
ment. M.  D.  trouve  que  la  nuance  est  secondaire. . . 

Vues  systématiques  de  théologie  abstraite  que  ne  rendent  pas  plus 
solides  certaines  critiques,  parfaitement  fondées,  touchant  les  libé- 
raux qui  font  de  Jésus  un  apôtre  de  la  religion  parfaite  selon  l'idéal 
de  Kant.  La  tradition  évangélique  est  à  discuter  un  peu  plus  sévère- 
ment que  ne  fait  M.  D.  Pour  l'histoire  impartiale,  Jésus  n'a  pas  for- 
mulé de  testament,  et  la  plus  ancienne  définition  du  sacrement 
eucharistique  est  dans  saint  Paul.  Le  Christ  n'a  point  légué  sa  vie  à 
ses  disciples  ;  il  ne  leur  a  même  pas  légué  le  royaume  des  cieux,  puis- 
qu'il se  promet  d'y  être  avec  eux.  L'idée  de  testament  n'est  qu'acces- 
soire, si  tant  est  qu'elle  existe  dans  les  récits  de  la  cène.  Le  mot  oiaÔ/iXTj, 
dans  le  langage  biblique,  signifie,  comme  son  correspondant  hébreu, 
la  disposition,  l'économie  divine  du  salut,  instituée  par  volonté  spé- 
ciale, révélation  et  promesse  de  Dieu  ;  l'économie  chrétienne  fait  pen- 
dant à  l'économie  mosaïque,  laquelle  n'a  jamais  pu  être  considérée 
comme  le  testament  de  lahvé  ;  ni  le  mot  «  testament  »  ni  le  mot 
«  alliance  »  ne  rendent  exactement  l'idée  dont  il  s'agit.  On  s'explique 
aisément  que  Paul  soit  le  premier  qui  oppose  en  termes  exprès  la 
nouvelle  économie  à  l'ancienne.  M.  D.  n'a  pas  vu  que  le  «  testament  » 
de  Jésus  consiste  dans  les  paroles  :  «  Maintenant  je  ne  boirai  plus  de 
vin  que  dans  le  royaume  de  Dieu.  » 

Alfred  Loisv. 

M.  RosTowzKw,  Studien  zur  Geschichte  der  rômischen  Kolonates,  Leipzig  et 
Berlin,  Teubner,  1910.  In-8". 

Ces  Éludes  pour  Vhistoire  du  colonat  romain,  de  M.  Rostowzew, 
constituent  moins  un  traité  général  sur  la  question  si  complexe  et  si 
controversée  du  colonat  qu'un  groupe  de  contributions  à  l'histoire 
économique  de  plusieurs  provinces   de  l'empire.  L'auteur  s'est,  en 


2<5  RFVI'F.     ORITIQIK 

effet,  occupé  sLicccssivemcni  de  rKgyptc,  d'abord  piolcmaique,  puis 
romaine;   de  la  Sicile;   de  l'Asie-Mineure;  de  l'Afrique  romaine.  A 
vrai  dire,  ce  sont  là  presque  les  seules  parties  du  monde  romain  pour 
lesquelles  les  documents  permettent  d'entrevoir  ce  qu'a  été  l'organi- 
sation de  la  propriété  et  de  l'exploitation  foncière,  et  par  conséquent 
de  retrouver  ou  au  moins  de  rechercher  l'origine,  ainsi  que  le  carac- 
tère du  colonat.  En  outre,  le  grand  avantage  de  cette  méthode,  c'est 
qu'elle  n'incite  pas  à  généraliser  trop  vite.  M.   Rostowzew  observe 
en  Egypte  l'organisation  de  la   propriété   foncière  et  les  conditions 
auxquelles  s'est  trouvée  soumise,  d'abord  sous  les  Ptolémées,   puis 
sous    la    domination    romaine,    l'exploitation    agricole   du    pays;    il 
s'efforce  d'en  fixer  les  caractères  principaux;  il  reconnaît  la  continuité 
des  faits  historiques  et  économiques,  tout  en  constatant  que  ces  faits 
ont  évolué  au  cours  des  siècles;   mais  il   se  tient  strictement  dans  les 
limites  du  cadre   géographique  qu'il  a   adopté  et  il  n'est  point  tenté 
d'étendre  à  tout  l'empire   romain  les  conclusions  qu'il  croit  devoir 
tirer  des  faits  observés  dans  la  vallée  du  Nil.  Et  de  même,  quand  il 
aborde  l'étude  des  documents  si  intéressants  découverts  dans  l'Afrique 
du  Nord  depuis  une  trentaine  d'années,  il  évite  de  généraliser  trop 

rapidement. 

Ces  Études  de  M.  Rostowzew  sont  fondées  sur  une  connaissance 
en  général  complète  et  exacte  des  documents,  surtout  des  inscriptions 
crre'cques  et  latines,  de  certains  textes  capitaux  comme  les  Verrines 
de  Cicéron,  des  papvrus  égyptiens,  des  ostraka  et  des  Codes  romains. 
Il  nous  est  impossible,  dans  un  bref  compte-rendu,  d'examiner  en 
détail  toutes  les  interprétations  que  M.  Rostowzew  propose  des  docu- 
ments, parfois  incomplets  ou  obscurs,  qu'il  étudie.  Son  livre  est  de 
ceux  qui  appellent  la  discussion  ;  et  ce  n'est  pas  là,  dans  notre  pensée, 
une  critique.  Les  textes  y  sont  expliqués  et  commentés  minutieuse- 
ment, saisis  corps  à  corps,  pour  ainsi  dire.  Qu'on  adopte  ou  non  les 
solutions  de  détail  proposées  par  M.  Rostowzew,  il  sera  impossible 
de  n'en  pas  tenir  compte  à  l'avenir.  On  rendra  ainsi  à  ses  recherches 
et  à  ses  efforts  pour  résoudre  un  des  problèmes  les  plus  difficiles  de 
l'histoire  romaine,  une  justice  et  un  hommage  que  lui-même  n'a  pas 
toujours  rendus  à  ses  prédécesseurs,  même  les  plus  éminents  :  c'est  à 
peine,  par  exemple,  si  le  nom  de  Fustel  de  Coulanges  est  cité  une 
seule  fois  en  note,  sans  même  que  soit  mentionné  le  titre  de  sa  magis- 
tr.ale  étude  sur  le  Colonat  romain.  Sans  doute  il  est  bien  de  connaître 
les  moindres  articles  d*es  érudits  d'aujourd'hui  ;  mais  aucun  de  ces  arti- 
cles n'a  encore  remplacé  et  ne  doit  faire  oublier  l'importante  contri- 
bution apportée  à  l'étude  du  colonat  par  le  maître  éminent  qu'a  été 
Fustel  de  Coulanges. 

J  .   TOUTAIN. 


d'histoire  et  de  littérature  247 

s.  Bail  Platner,  The  topography  and  Monuments  of  ancient  Rome,  2c  édi- 
tion revue  et  augmentée,  13osioii,  i()i  1,  in-S". 

La  première  édition  du  livre  de  M.  Platner  swr  \si.  Topographie  et 
les  monuments  de  la  Rome  antique  a  été  publiée  en  1904.  «  Bien  que 
les  fouilles  opérées  à  Rome  depuis  cette  date,  écrit  l'auteur  dans  la 
préface  de  cette  seconde  édition,  n'aient  pas  été  aussi  importantes  que 
celles  de  la  période  antérieure,  néanmoins  leurs  résultats  m'ont  ins- 
piré ridée  de  publier  une  nouvelle  édition  de  mon  ouvrage.  »  Il  n'y  a 
pas  lieu  d'insister  longuement  sur  cette  seconde  édition  d'une  œuvre 
parue  il  y  a  peu  d'années  et  dont  l'auteur  a  voulu  surtout  mettre  à  la 
portée  des  érudits,  des  étudiants  et  des  hommes  de  goût  qui  s'inté- 
ressent aux  antiquités  de  Rome  les  résultats  acquis  grâce  aux 
recherches  les  plus  récentes.  Le  volume  de  M.  Platner  se  recom- 
mande par  la  clarté  de  l'ensemble,  par  la  netteté  et  la  précision  des 
détails^  par  l'exactitude  de  l'information.  Plusieurs  plans  et  de  nom- 
breuses illustrations  en  rendent  la  lecture  à  la  fois  plus  facile,  plus 
attrayante  et  plus  profitable.  Moins  détaillé  et  moins  abondant,  en  ce 
qui  concerne  le  Forum,  que  le  volume  de  M.  l'abbé  Thédenat,  il  le 
complète  heureusement  pour  le  reste  de  la  ville.  C'est  un  instrument 
de  travail  que  voudront  avoir,  à  portée  de  leur  main,  tous  ceux  qui 
étudient  l'histoire  monumentale  et  la  topographie  de  la  Rome  antique. 

J.  Toutain. 


E.  RoDOCANACHi,  RomB  au  temps  de  Jules  II  et  de  Léon  X,  Paris,  Hachette 
et  G'o,  191 2.  In-8°,  p. 

Voici  un  nouveau  volume  consacré  par  M.  E.  Rodocanachi  à  cette 
ville  de  Rome,  dont  il  a  déjà  décrit  d'importants  édifices,  comme  le 
Capitole  et  le  château  Saint-Ange,  et  dont  l'histoire  au  Moyen  âge  et 
sous  la  Renaissance  lui  doit  déjà  maintes  études  d'un  haut  intérêt. 
Rome  au  temps  de  Jules  II  et  de  Léon  X  ne  le  cède  en  rien  aux 
ouvrages  antérieurs.  Le  sujet  d'ailleurs  présente  une  riche  matière. 
«  On  voit  rarement  en  histoire,  écrit  M.  Rodocanachi  dans  son  Intro- 
duction, s'accomplir  une  transformation  aussi  rapide  et  aussi  com- 
plète que  celle  qui  changea  la  face  de  Rome  au  lendemain  de  la  mort 
du  pape  Alexandre  VI  (Borgia).  C'est  «  une  ville  nouvelle  »,  comme 
on  le  dit  alors,  c'est  un  monde  nouveau  qui  surgissent.  La  Rome  des 
premières  années  du  xvi''  siècle,  la  Rome,  telle  que  la  formèrent 
Jules  II  et  Léon  X,  et  celle  de  la  fin  du  siècle  précédent,  sont  deux 
cités  entièrement  dissemblables.  Le  Moyen  âge  prend  fin  bien  nette- 
ment. Il  y  eut  alors  vingt  années  sans  pareilles.  Rome  devint  le  centre 
de  la  vie  intellectuelle,  artistique  et  politique  de  l'Italie  ;  elle  fut  com- 
merçante et  lettrée  comme  Florence,  riche  et  puissante  comme  Milan 
et  Venise;  gaie  et  policée  comme  Ferrare,  féconde  en  plaisirs  comme 

Naples On  s'est  proposé  de  décrire  cette  société  et  son  milieu. 

Par  une  singulière  rencontre,  elle  prit  fin  brusquement,  comme  elle 


248  REVUE    CRITIQUE 

avait  commencé.  En  quelques  jours  de  destructions,  de  violences,  de 
massacres  et  de  rapines,  les  soldais  de  Charles-Quint  anéantirent 
presque  l'oeuvre  de  Jules  II  et  de  Léon  X.  » 

Le  plan  ainsi  annoncé  a  été  exécuté  par  M.  Rodocanachi  avec 
science  et  talent.  Son  livre  est  divisé  en  six  parties  dont  les  titres 
indiqueront  tout  l'intérêt:  i"  La  Cour  pontificale  \  2"  Artistes,  gens 
de  lettres;  3°  La  ville  et  le  peuple;  4"  Administration  de  la  ville; 
5°  Les  fêtes  et  les  réjouissances;  6°  Le  sac  de  Rome  (i  527).  La  lecture 
de  l'ouvrage  est  aussi  agréable  et  piquante  qu'instructive.  Les  détails 
que  l'auteur  accumule,  d'après  de  nombreux  contemporains,  sur  la 
vie  privée,  le  luxe,  les  richesses,  les  divertissements  plus  ou  moins 
profanes  des  cardinaux  et  de  leur  entourage  ;  les  tableaux  qu'il  trace 
des  réunions  littéraires  qu'ils  aimaient  à  tenir,  de  la  vie  universitaire, 
des  spectacles;  les  renseignements  puisés  aux  meilleures  sources, 
qu'il  fournit  sur  les  transformations  matérielles  de  Rome,  sur  l'œuvre 
monumentale  de  Jules  II  et  de  Léon  X,  sur  le  caractère  et  les  diverses 
classes  de  la  population  romaine;  les  récits  émaillés  d'anecdotes,  et 
les  descriptions  colorées  qu'il  donne  des  cérémonies,  des  fêtes,  des 
réjouissances  populaires  :  tous  ces  éléments  divers  de  l'œuvre  se 
fondent  en  une  vaste  fresque,  bien  ordonnée  dans  l'ensemble,  animée 
de  nombreux  personnages  adroitement  groupés,  composée  de  mille 
épisodes,  où  les  physionomies,  les  costumes,  les  gestes,  tous  les 
détails  enfin  sont  d'une  scrupuleuse  vérité  historique.  Quant  à  la 
dernière  partie,  à  ce  sac  de  Rome,  qui  marque  la  fin  tragique  et 
sinistre  du  quart  de  siècle  le  plus  brillant  que  Rome  ait  alors  connu, 
le  récit  qu'en  donne  M.  Rodocanachi  se  recommande  surtout  par  la 
précision  des  (aits,  par  le  réalisme  tantôt  grossier  tantôt  effrayant  des 
violences  et  des  rapines  qui  furent  alors  commises.  Parmi  les  docu- 
ments publiés  en  Appendice,  il  n'en  est  point  de  plus  curieux  que  la 
série  des  Actes  Notariés  rédigés  à  l'occasion  de  l'occupation  de  Rome 
par  les  troupes  impériales. 

Une  illustration,  abondante  et  soignée,  ajoute  au  texte  un  vrai 
trésor  de  documents  artistiques  et  historiques,  dont  le  groupement 
dans  le  volume  est  d'un  très  haut  prix.  Tous  ceux  qui  aiment  l'Italie 
de  la  Renaissance  sauront  gré  à  M.  Rodocanachi  d'avoir  consacré  à 
la  gloire  de  la  Rome  de  Jules  II  et  de  Léon  X  cette  œuvre  nouvelle, 
à  la  fois  scientifique  et  artistique,  érudite  et  pittoresque,  évocatrice 
et  vivante, 

J.    TOUTAIN. 

La  vie  et  les  écrits  de  Nicolas  Machiavel,  par  Oreste  Tommasini  (Rome,  191  0- 
La  seconde  partie  de  l'ouvrage  de  M.  O.  Tommasini  sur  Machia- 
vel et  le  Machiavélisme  qui  vient  d'être  publiée,  se  compose  de 
1000  pages  de  texte  et  de  5oo  pages  de  pièces  justificatives.  On  pou- 
vait  penser   qu'après   la   belle    biographie   de    Villari,    l'analyse   de 


d'histoire  et  de  littérature  249 

Symonds,  l'étude  malheureusement  interrompue  de  M.  Ch.  Benoist, 
sans  oublier  la  première  partie  de  la  biographie  de  M.  O.  Tomma- 
sini  qui  formait  déjà  un  volume  de  800  pages,  le  sujet  devait  être 
épuisé.   Il  n'en  est  rien,  à  ce  qu'on  voit.  Étant  très  complexe  et  un 
peu  contradictoire,  représentant  un  moment  de  l'histoire  de  l'huma- 
nité  qui  est  comme  le    point  d'interférence   de   plusieurs   courants 
d'idées,   le  personnage  de    Machiavel  peut  être   considéré  sous  des 
aspects     extrêmement    variés.     M.     Tommasini    l'envisage    comme 
patriote,  il  va  même  jusqu'à  voir  presque  uniquement  en   lui  l'un  des 
précurseurs  du  Risorgimcnto;  à  l'en  croire,  son  œuvre  n'a  d'autre 
cause  que  son  amour  ardent  pour  l'Italie  et  d'autre  objet  que  de  faire 
connaître  à  ses  concitoyens  ce  qu'il  leur  convient  de  méditer  et  d'exé- 
cuter pour  lui  rendre  sa  liberté,  voire  sa  puissance.  Même  dans  ses 
comédies  il  tend  à  ce  but,  dit  M.  Tommasini,  et  en  ceci  il  semble 
dépasser  quelque  peu  ce  qui  est  acceptable.  Ainsi  dans  le  Mandra- 
gore, si  Machiavel  établit  que  les  plus  belles  femmes  et  peut-être  les 
plus  vertueuses  sont  de  Florence,  c'est  à  l'effet  de  rehausser  les  Flo- 
rentines et  partant  les  Florentins  dans  leur  propre  estime.  Son  œuvre 
historique  est  inspirée  du  même  esprit.  L'opuscule  de  Lucien  sur  la 
façon  d'écrire  l'histoire  venait  d'être  traduit  en  italien  par  Pirckhei- 
mer  (i  5i  5)  et  Machiavel,  qui  n'avait  pu  le  lire  en  langue  grecque,  car  il 
en  savait  tout  juste  l'alphabet,  s'en  inspira  sans  doute  tout  en  négli- 
geant ce  qu'il   dit  touchant  Timpartialité  que  doivent  s'imposer  les 
historiens.  Accommoder  l'histoire  aux  fins  qu'on  poursuivait  parais- 
sait louable  alors,  en  tout  cas  tout  à  fait  légitime.  Lucrezia  Salviati  à 
qui  on  avait  offert  une  vie  d'Alexandre  le  Grand,  l'envoie  à  Machia- 
vel «  pour  y  ajouter  des  ornements  ».  Machiavel  usa  sans  scrupule  de 
la  latitude  qui  lui  était  donnée  par  l'opinion  publique  ;  il  prêta  tant 
de  bons  mots  à  Castruccio  dans  la  biographie  fantaisiste  qu'il  fit  de 
lui,  que  son  ami  Zanobi  trouva  lui-même  qu'il  avait  vraiment  dépassé 
la  mesure  et  lui  en  fit  un  doux  reproche,  mais  combien  d'autres  lec- 
teurs durent  l'en  louer!  11  fait  mourir  Castruccio  à  43  ans  pour  pou- 
voir dire  qu'il  vécut  autant  d'années  que  Philippe  de  Macédoine  et 
Scipion  alors  qu'il  lui  était  difficile  d'ignorer  que  cela  était  faux.  Cas- 
truccio l'avait  séduit;   il  composa  sa    biographie  à  Lucques  encore 
toute  imprégnée  de  son  souvenir  et  où  l'on  continuait  à  l'appeler  le 
Grand  Lombard  (i52o);  sa  vie  aventureuse  et  surtout  ses  succès  lui 
parurent  un  excellent  exemple  à  donnera  ses  contemporains  et,  s'ins- 
pirant  bien  évidemment  de  Plutarque  et  de  la  Cyropédic  de  Xéno- 
phon,  il  transforma   son  héros   pour  lui  donner  toutes  les  qualités 
qu'il  jugeait  propres  à  faire  un  citoyen  parfait  et  bonnes  à  inculquer 
à  ses  concitoyens. 

Quand  il  entreprit  la  composition  de  ses  Histoires  florentines,  il 
en  voulut  faire  aussi  un  enseignement  ;  sa  vie  antérieure  l'avait  pré- 
paré au  métier  d'historien;  il  avaii,  comme  chancelier,  compulsé  les 


25o  REVUE    CRITIQUE 

anciens  diplômes,  rédigé  des  procès-verbaux  ;  l'accès  des  Archives  lui 
éiaii  facile  et  il  savait  ce  qu'on  en  peut  tirer;  ttjutefcMs  son  objet  n'est 
pas  tant  de  raconter  que  d'éclairer,  non  ad  scribcndum  sed  ad  proban- 
dum,  le  passe  ne  l'intéresse  qu'en  la  mesure  où  il  se  rattache  au  pré- 
sent. Son  idée  première,  au  moment  de  composer  ses  Histoires,  avait 
été  de  ne  les  faire  commencer  qu'à  partir  de  l'année  1434,  c'est  à- 
dire  à  partir  du  moment  où  les  Médicis  eurent  dcHnitivemcnt  la 
haute  main  dans  les  affaires  publiques  ;  ce  qui  le  décida  à  remonter 
plus  haut,  aux  origines,  mais  en  s'occupant  surtout  des  événements 
intérieurs  :  «  c'est  que,  écrit-il,  aucun  exemple  ne  prouve  mieux  la 
puissance  de  notre  cité  que  celui  de  nos  discussions  qui  auraient  suffi 
à  anéantir  un  État  plus  grand  et  plus  puissant.  »  Et  il  écrit  en  langue 
vulgaire  afin  que  chacun  puisse  profiter  de  ses  enseignements. 

Dans  son  poème  si  curieux  intitulé  l'Ane  mort  qui  est,  du  moins  à 
son  début,  comme  une  parodie  de  la  Divine  Comédie,  il  insère  un 
chapitre  où  sont  résumées  ses  vues  sur  la  conduite  des  Etats  ;  il 
reproche  particulièrement  à  sa  patrie,  comme  à  toutes  les  cités  ita- 
liennes, leur  ambition  de  s'étendre  les  unes  aux  dépens  des  autres. 
«  Ce  qui  renverse  les  royaumes,  c'est  que  les  puissants  ne  sont  jamais 
assez  rassasiés  de  puissance.  —  De  nos  jours  chacune  des  villes  d'Al- 
lemagne vit  dans  la  sécurité  parce  qu'aucune  n'a  un  territoire  de  six 
milles  d'étendue.  —  Henri  et  toutes  les  forces  de  l'Empire  ne  purent 
effrayer  notre  cité  quand  ses  limites  étaient  bornées  pour  ainsi  dire  à 
nos  murailles.  » 

A  la  différence  de  Dame,  de  Rienzo,  de  Pétrarque,  Machiavel  ne 
veut  pas  que  l'étranger  intervienne  dans  les  affaires  italiennes,  même 
pour  y  réaliser  son  rêve.  L'Empire  et  la  Papauté  lui  sont  également 
haïssables  ;  il  est  respectueux  des  dogmes,  assurément,  et  des  rites  et 
ne  se  mêle  nullement  de  querelles  liturgiques,  mais  il  estime  que  le 
Saint-Siège  est  trop  faible  pour  assurer  l'union  de  l'Italie  et  trop 
agissant  pour  n'être  pas  une  cause  de  discords.  Il  le  dit  au  pape 
Léon  X  ou  peu  s'en  faut.  Sa  haine  des  Français  n'a  pas  d'autre  cause 
que  son  amour  de  l'Italie;  dans  le  tableau  si  intéressant  qu'il  fit  après 
l'une  de  ses  ambassades,  de  l'état  de  la  France  et  du  caractère  des 
Français,  il  lui  arrive  de  dire  :  «  Ils  sont  ennemis  de  la  langue  des 
Romains  et  de  leur  renommée  »  et  il  ajoute  :  «  Les  Français  sont 
naturellement  avides  du  bien  d'autrui,  mais  ils  en  sont  prodigues 
comme  du  leur.  —  Au  moyen  de  la  force,  ils  tissent  bien  ce  qu'ils 
avaient  mal  ourdi.  —  Les  premiers  accords  que  l'on  fait  avec  eux 
sont  toujours  les  meilleurs,  etc.  » 

Ses  traités  que  l'on  pourrait  appeler  didactiques,  le  Prince  et  l'Art 
de  la  Guerre,  sont  plus  vivement  encore  inspirés  du  même  sentiment 
d'ardent  patriotisme.  S'il  parle  de  Tite-Live,  c'est  pour  pouvoir,  à 
l'abri  des  anciens,  attaquer  et  morigéner  plus  librement  les 
modernes. 


d'histoire  et  de  littérature  25  I 

Ainsi  dans  toutes  ses  œuvres,  excepté  dans  les  poésies  légères,  les 
Canti  Carnascialeschi,  l'hisioirc  merveilleuse  de  l'archidiable  Bel- 
phegor,  directement  ou  indirectement,  Machiavel  se  propose  soit  de 
réveiller,  soit  d'éclairer  et  de  diriger  le  patriotisme  de  ses  contem- 
porains. M.  Tommasini  multiplie  les  preuves  à  l'appui  de  son  dire 
et,  sous  certaines  réserves,  sa  théorie  ne   semble   pas  injustifiée. 

E.    RODOCANACHI. 

E.    Landry,  La  théorie   du  Rythme  et  le  Rythme  du  français  déclamé.  — 
Paris,  H.  Champion,   191 1  ;  un  vol.  in-S»,  de  427  pages. 

Ce  livre,  qui  est  une  thèse  présentée  en  Sorbonne,  aborde  un  sujet 
singulièrement  ardu  et  s'efforce  de  démêler  des  relations  bien  com- 
plexes. Pour  l'entreprendre,  il  était  nécessaire  de  posséder  avant  tout 
une  oreille  fine  et  une  forte  éducation  musicale  ;  pour  l'écrire,  il  a 
fallu   s'aider  des  secours  de  la  phonétique  expérimentale,   procéder 
aux  mensurations  de  toutes  sortes  qu'elle  entraîne.  Et  cela  naturelle- 
ment ne  peut  se  faire  qu'avec  bien  des  tâtonnements,  par  une  série 
d'approximations   successives   dans    lesquelles    il   y   a   beaucoup  de 
déchet.  M.  Landry  qui  a  dépensé  cinq  ou  six  ans  à  ces  études  préli- 
minaires, ne  s'est  pas  dissimulé  du  reste  la  difficulté  du  sujet,  et  il  ne 
cherche  pas  non  plus  à  la  dissimuler  au  lecteur.  «  L'interprétation  de 
ces  faits  et  de  ces  chiffres,  dit-il  dans  sa  préface,  est  plus   hérissée 
encore   de    difficultés.   Tout    semble   ici    se   liguer    contre    nous,    la 
nouveauté  des  recherches,  et  la  complexité  de  l'objet.   La    psycho- 
logie,   dont    nous    avons    surtout    besoin,    est    une    science    encore 
embryonnaire...   C'est  pourquoi  il  ne  saurait  être  question  pour  le 
moment,    dans   une    pareille   matière,    et  si  l'on   veut   procéder   par 
ordre,  ni  d'expériences,  comme  nous  avons  dit,  ni  même  d'inférences 
tirées  des  statistiques,  et  encore  moins  de  lois  véritables  et  de  véri- 
tables explications.  «  Ces  aveux,  il  faut  bien  le  reconnaître,  ne  sont 
pas  de  nature  à  encourager  le  lecteur,   ni  même  à  lui  donner  une 
grande  confiance  dans  la  solidité  des  théories  qui  vont  être  exposées. 
On  se  sent  dès  l'abord  sur  un  terrain  bien  mouvant,  et  dans  son  désir 
de  ne  pas  provoquer  de  déception  en  donnant  moins  qu'il  n'aurait 
promis,  M.  L.  a  peut-être  ici  un  peu  dépassé  la  mesure.  En  soinme, 
le  plan  de  son  livre  est  simple  et  tout  à  fait  acceptable.  Dans  une  pre- 
mière partie  (p.  33-145),  il  s'occupe  de  la  théorie  du  rythme  consi- 
déré   en   lui-même;   il   en   cherche    l'origine   dans    les    mouvements 
volontaires  du  corps  humain,  puis  insiste  sur  la  façon  dont  il  peut 
être  perçu  et  s'introduire  dans  l'art  pour  y  faire  éprouver  un  plaisir 
esthétique.  La  seconde  partie  est  le  cœur  même  de  l'ouvrage  (p.  149- 
3o8j  :  c'est  là  qu'il  est  question  du  rythme  dans  la  déclamation  fran- 
çaise contemporaine,  et  qu'est  examiné  tout  ce  qui  a  trait  à  l'énergie, 
à  la  durée,  aux  accents  d'où   naissent  les  divisions  rythmiques.   Le 
nombre  et  le  mètre  y  forment  une  division  spéciale,  où  est  discutée 


252  RKVUE    CRITIQUE 

la  Structure  du  vers  français.  Dans  la  troisième  partie  nous  n'avons 
qu'un  recueil  des  exemples  sur  lesquels  s'ctayait  précédemment  la 
discussion  :  l'auteur  a  choisi  naturellement  les  meilleures  déclama- 
tions qu'il  avait  à  sa  disposition,  les  plus  nettes,  celles  qu'ont  bien 
voulu  lui  fournir  certains  amateurs  et  quelques  professionnels  (Mou- 
net-Sully,  M"""  Bartet,  etc.)  en  se  prêtant  à  des  expériences  de  labora- 
toire. Je  ne  dis  rien  d'un  court  appendice,  d'ailleurs  fort  intéressant, 
sur  le  rythme  du  vers  italien  comparé  à  celui  du  vers  français. 

L'économie  de  l'ouvrage  me  paraît  donc  bonne  dans  son  ensemble. 
Mais  il  y  a  quelques  questions,  pour  ainsi  dire  préjudicielles,  dont 
l'auteur  n'a  peut-être  pas  assez  tenu  compte.  Et  d'abord  il  admet  — 
sans  même  examiner  la  question  —  que  depuis  deux  siècles  et  demi 
la  déclamation  française  n'a  pas  varié,  qu'elle  s'est  établie  vers 
l'époque  de  Molière  et  de  Racine,  et  est  restée  depuis  ce  qu'elle  était 
alors.  Mais  l'affirmation  est  bien  un  peu  gratuite;  on  se  demande  si  la 
continuité  d'une  telle  tradition  est  vraiment  établie,  et  le  Conserva- 
toire après  tout  (ou  ce  qui  en  a  d'abord  tenu  lieu)  n'est  antérieur  que 
de  quatre  ou  cinq  ans  à  la  Révolution.  D'ailleurs  le  fût-elle,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'une  telle  tradition  dût  rester  forcément  immuable,  et 
qu'avec  les  changements  survenus  dans  la  prononciation  du  français, 
de  nouvelles  possibilités  rythmiques  ne  s'ouvrent  pas  un  jour  devant 
nos  poètes.  D'une  part,  en  fait  de  poésie,  M.  L.  a,  il  faut  bien 
l'avouer,  une  esthétique  un  peu  fermée,  un  peu  archaisante;  il  n'en- 
visage guère  jamais  que  l'alexandrin  classique  à  deux  hémistiches  et 
à  quatre  accents,  tout  au  plus  le  vers  romantique  coupé  en  4  -j-  4  -|- 
4.  Que  vont  dire  les  vers-libristes?  D'autre  part,  dans  la  déclamation 
de  la  prose,  il  n'admet  aussi  qu'un  seul  dessin  possible  pour  une 
période  donnée.  J'avoue  que  le  rythme  d'une  période  de  prose,  si  elle 
a  quelque  étendue,  m'a  toujours  paru  quelque  chose  d'un  peu  flot- 
tant, et  d'assez  subjectif  en  somme  :  les  schémas  qu'on  a  parfois 
essayé  d'en  tracer  (par  exemple  M.  Lanson  dans  son  Art  de  la  prose) 
me  semblent  bien  plus  interversibles  qu'on  ne  le  dit,  et  du  reste  ils 
aboutissent  à  nous  donner  une  sensation  rythmique  si  vague  qu'elle 
est  à  peu  près  variable  à  l'infini,  et  que  je  ne  vois  pas  enfin  quelles 
règles  un  peu  précises  on  pourrait  déduire  de  tout  cela.  Mais,  en  ce 
qui  concerne  la  période  poétique  elle-même,  n'y  a-t-il  pas  assez  sou- 
vent plusieurs  interprétations  possibles,  et  entre  lesquelles  nous 
avons  le  droit  d'hésiter?  L'artiste,  quelque  grand  qu'il  soit,  est-il  sûr 
de  retrouver  toujours  le  rythme  intérieur  par  lequel  s'était  laissé 
guider  le  poète,  et  d'autres  ne  viendront-ils  pas  demain  qui  le  com- 
prendront et  l'exprimeront  d'une  façon  différente?  En  fait,  après 
avoir  résumé  en  quarante-neuf  propositions  ce  qu'il  considère 
comme  étant  le  résultat  de  ses  recherches,  l'auteur  de  ce  volume  est 
forcé  d'avouer  —  et  l'aveu  a  dû  lui  coûter  —  que  «  ce  qu'il  nous 
importerait  le  plus  de  savoir,  les  lois  de  l'équilibre  syllabique  d'un 


d'histoire  et  de  littérature  253 

vers  et  surtout  d'une  période  nous  échappe  presque  complètemenr.  » 
Alors  en  guise  de  conclusion,  et  pour  se  bien  prouver  que  son  travail 
n'a  pas  été  inutile,  il  prend  ce  qu'il  appelle  un  «  exemple  didac- 
tique »,  et  le  tire  du  reste  du  fameux  quatrain  de  Joad  :  Celui  qui  met 
un  frein. . .  (dont  par  parenthèse  il  a  un  peu  abusé  dans  tout  le  cours 
du  livre).  Mais  que  fait-il  en  somme?  D'après  les  six  tracés  qu'il  a  à 
sa  disposition  et  les  chiffres  qui  en  résultent,  il  écarte  d'abord  ce  qu'il 
considère  comme  des  «  anomalies  manifestes  »,  puis  «  s'il  s'est 
trouvé  chez  quelqu'un  une  idée  heureuse  »  il  la  lui  prend  ;  et  c'est 
ainsi  qu'il  emprunte  à  Mounet-Sully  une  conception  particulièrement 
affirmative  du  dernier  vers,  d'autres  traits  à  d'autres.  Bref  il  trie,  il 
choisit,  il  compose  une  sorte  de  mosaïque,  qui  sera  le  type  ryth- 
mique idéal  du  quatrain  :  il  n'était  guère  possible  de  mieux  faire  res- 
sortir que  les  diseurs  ne  l'ont  pas  tous  récité  de  la  même  façon. 

Voilà  quelques-unes  des  objections  qu'on  peut  faire  à  cet  ouvrage, 
où  je  me  plais  d'ailleurs  à  reconnaître  une  grande  somme  de  travail, 
une  certaine  originalité  même,  et  l'horreur  des  sentiers  battus.  Main- 
tenant je  me  demande  si  M.  L.  a  vraiment  déblayé  le  terrain,  autant 
qu'il  le  croit,  et  ouvert  des  voies  où  forcément  on  devra  s'engager 
après  lui?  Qu'il  songe  lui-même  combien  il  a  fait  bon  marché  de  cer- 
tains ouvrages  de  ses  devanciers,  par  exemple  de  celui  de  Pierson, 
qui  n'avait  pas  eu,  à  vrai  dire,  la  phonétique  expérimentale  à  sa  dis- 
position, mais  qui  avait  l'oreille  bien  fine.  — Je  me  permettrai,  en 
terminant,  une  petite  observation  d'un  tout  autre  genre.  Cet  ouvrage 
étant  déjà  forcément  hérissé  de  termes  techniques  assez  nombreux,  je 
crois  qu'il  eût  été  bon  de  ne  pas  en  rendre  le  style  plus  pénible 
encore  au  lecteur  par  une  affectation  de  certains  tours  archaïques, 
ainsi  la  place  donnée  au  pronom  {je  le  vais  dire),  l'emploi  de  comme 
interrogatif  pour  comment,  la  substitution  constante  de  quoi  à  lequel 
derrière  une  préposition,  et  quelques  autres.  Tout  cela,  c'est  pour 
l'écolier  limousin. 

E.    BoURCIEZ. 

C.  W.  Wahi,und,  Bibliographie  der  franzoesischen    Strassburger  Eide  vom 
Jahre  843.  —  Paris,  H.  Champion,   igii;  un  vol.   in-S»,  de  54  pages. 

M.  Wahlund,  qui  avait  déjà  donné  dans  divers  recueils  une  biblio- 
graphie des  Serments  de  842  pour  le  xvi*'  et  le  xvu"  siècle,  achève  en 
quelque  sorte  son  travail  dans  cette  publication  faite  à  propos  de  l'an- 
niversaire du  professeur  Geijer.  Il  est  presque  inutile  d'ajouter  qu'il 
a  traité  la  période  concernant  le  xviii^  siècle  avec  non  moins  de  soin 
et  de  patience  que  les  précédentes  :  si  bien  que  rien  ne  semble  lui 
avoir  échappé  qui  ait  quelque  importance  ou  quelque  valeur  histo- 
rique. De  1702  à  17H7,  M.  W.  a  retenu  43  commentaires  faits  soit  en 
France,  soit  en  Allemagne,  en  Angleterre  ou  ailleurs  sur  le  célèbre 
texte,  ce  qui  donne  très   exactement  la  moyenne  d'un  tous  les  deux 


2  54  REVUE    CRITIQUE 

ans.  [.'intérêt  consiste  ici  à  voir  quelle  idée  on  se  faisait  à  ce  moment- 
là  des  origines  de  la  langue  fransaise,  et  c'est  ce  qui  se  dégage  en 
effet  des  analyses  et  des  exiraits  qui  nous  sont  mis  sous  les  yeux.  Il 
est  fort  curieux  de  voir  combien  ces  idées  ont  été  encore  incertaines 
Cl  flottantes,  avec  des  lueurs  et  des  reculs  brusques,  pendant  tout  le 
xviii' siècle.  Tandis  que  Bonamy  en  i-So  émettait  des  théories  rai- 
sonnables dans  leur  ensemble  et  correctes,  à  peu  de  chose  près,  sur 
la  façon  dont  le  latin  s'est  transformé,  certains  autres  cherchaient  à 
démontrer  que  leurs  patois  contemporains  n'étaient  pas  encore  très 
distants  de  la  langue  des  Serments,  et  c'est  ce  que  faisait  par  exemple 
Astruc  en  1737  pour  le  languedocien,  ce  qu'insinuait  Oberlin  en  1775 
pour  le  lorrain.  Mais  que  dire  surtout  des  rêveries  des  celtomanes, 
celles  qui  s'étalent  en  1754  dans  l'ouvrage  de  Bullet,  et  que  Le  Bri- 
gant  reprit  avec  plus  de  fougue  en  i  787,  à  la  veille  de  la  Révolution  '. 
En  somme  M,  Wahlund  a  réuni  là  des  documents  fort  intéressants 
pour  l'histoire  des  études  romanes,  à  une  époque  où  elles  n'étaient 
point  encore  entrées  dans  leur  phase  scientifique. 

E.    BOURCIEZ. 

G.  Koukal,  Etymoi.ogiscue  Streikzûge  (Bcitrage  zur  franzosischen  Wortgeschi- 
chte".  Vienne,  igri,  in-8°  de  24  pages. 

Dans  cet  opuscule  (qui  est  un  tirage  à  part  du  LW\.  Jahres-Beri- 
chte  der  K.  K.  Staats-Oberrealschule)  M.  Koukal  a  donné  une  petite 
contribution  à  l'étymologie  française.  Il  cherche  à  démontrer  par 
exemple  quejalco  est  un  mot  d'origine  germanique  (donc  ne  se  ratta- 
che pas  a. faix  commQ  Baist  l'avait  proposé),  et  cela  semble  assez  bien 
établi  par  une  dissertation  très  documentée,  reposant  sur  des  considé- 
rations de  géographie  et  de  culture  historique.  D'autre  part,  en  Italie 
et  en  France,  le  mot  autour  ne  vient  point  d'Espagne,  et  ne  repré- 
sente pas  astur  (Meyer-Liibke  indique  acceptor]  ;  il  continuerait  tout 
simplement  une  expression  composée  avis-iurris  :  ceci  est  plus  hardi, 
et  demanderait  qu'on  y  réfléchît  encore  un  peu.  En  outre  on  trouvera 
ici,  données  plus  brièvement  mais  de  façon  intéressante,  des  probabi- 
lités sinon  des  certitudes  sur  l'étymologie  des  mots  français  gaule, 
guinclie,  malot,  écrou.  —  Une  seule  de  ces  notes,  la  première,  se  rap- 
porte à  ce  que  j'appelle  volontiers  pour  ma  part  un  <(  mot  grammati- 
cal »,  et  c'est  de  notre  préposition  avec  qu'il  s'agit.  L'auteur  y  résume 
bien  les  idées  qui  depuis  quelques  années  se  sont  fait  jour,  et  préci- 
sées peu  à  peu  :  point  de  doute  que  avec  ne  représente  ab-hoc  (peut- 
être  serait-il  plus  exact  de  dire  ab-hoque).  Seulement  qu'est  le  ab 
premier  terme  de  cette  composition?  C'est  v\n  apud  atone  qui,  au  sud 
de  la  Gaule,  est  devenu  apu,  puis  ab{u  ,  aussi  am  par  assimilation 
(d'où  une  forme  contaminée  amb,  etc.i.  Au  Nord,  cet  apud  accentué 
passe  par  avud  à  aud,  d'où  l'a.  fr.  od,  ot,  o.  Voilà  qui  va  bien  :  mais  si 
la  forme  «6  n'appartient  pas  au  Nord,  où  s'est  constitué  le  composé  ab- 


d'histoire   r:T  or.   littérature  253 

/loc  qui  précisément  n'est  pas  provençal?  M.  Koukal  ne  le  dit  pas. 
Faut-il  lui  assigner  comme  lieu  d'origine  un  point  intermédiaire  entre 
la  zone  du  Midi  et  la  zone  française  proprement  dite?  Cela  n'aurait 
après  tout  rien  d'impossible.  g    Bourciez 

Beihefte  ziir  Zeitschritt  fur  roinanische  Philoloi;ie  :  XXN'II.  Prinzipienfragen 
der  romanischen  Sprachwissenschaft.  Tcilll .  Halle,  M.  Niemeyer,  loii; 
un  vol.  10-80,(^0  201  pages. 

Ce  second  volume  des  études  dédiées  à  M.  Meyer-Liibke  ne  le  cède 
point  en  intérêt  au  premier,  celui  qui  a  déjà  été  signalé  et  analysé  ici 
ivoir  Revue  Critique  du  25  mars  191  1).  Il  renferme,  comme  l'autre, 
quatre  études  distinctes.  La  première  est  due  à  M.  P.  Skok,  et  traite 
de  la.  Composition  verbale  dans  la  toponomastique  romane  (p.  i-56). 
Les  mots  en  question  sont  essentiellement  formés,  comme  on  le  sait, 
d'un  impératif  et  d'un  nom  qui  est  ordinairement  régime,  parfois 
aussi  au  vocatif.  Dans  ce  sujet  l'auteur  essaie  d'introduire  des  divi- 
sions et  des  subdivisions  qui  sont  admissibles  sans  doute,  mais  dont 
quelques-unes  ne  laissent  pas  d'être  un  peu  fragiles  :  car  de  ce  que 
certaines  de  ces  dénominations  apparaissent  aussi  par  exemple  comme 
noms  de  familles  je  ne  vois  pas  trop  ce  qu'on  en  peut  tirer  pour  éta- 
blir une  division,  et  il  est  assez  naturel  que  l'appellation  donnée 
d'abord  au  sol  se  soit  attachée  ensuite  à  ceux  qui  l'habitaient.  M.  S. 
nous  a  donné  une  liste  fort  intéressante  de  1 5o  verbes  qui  se  retrouvent 
communément  dans  ces  composés,  et  dont  les  plus  productifs  ont  été 
cantare,  guardare,  mirare,  taleare,  tornare^  etc.  En  somme  c'est  sur- 
tout l'Italie  et  la  Gaule  qui  sont  riches  en  formations  de  ce  genre,  et 
l'Espagne,  à  ce  qu'il  semble,  l'est  beaucoup  moins.  —  Dans  la  troi- 
sième étude,  M"*  A.  Sperber  a  fourni  une  contribution  étymologique 
relative  à  la  Formation  des  noms  d'enfants  en  roman  (p.  144-161). 
D'après  elle,  l'esp.  muchacho  serait  un  dérivé  de  mucho,  lequel  repré- 
senterait à  son  tour  le  lat.  musculus  «  petit  rat  ",  et  phonétiquement 
cela  est  très  correct,  mais  il  est  un  peu  surprenant  que  ce  mucho  n'ait 
laissé  aucune  trace.  Le  gascon  goujat,  gouge  se  rattacherait  à  gobius, 
gobionem,  et  par  conséquent  signifierait  à  l'origine  «  petit  poisson  »  : 
voilà  qui  est  encore  possible,  ingénieux  même,  mais  il  y  aurait 
encore  des  recherches  à  faire  sur  ces  mots  qui  n'apparaissent  pas  dans 
les  plus  anciens  textes  de  la  Gascogne,  et  qui  devaient  cependant  y 
être  usuels  à  l'époque  de  la  guerre  de  Cent  ans,  puisqu'ils  ont  remonté 
à  ce  moment-là  vers  le  nord.  Dans  Tital.  raga^a  il  faudrait  voir  une 
racine  plus  ou  moins  onomatopeique  rac^  rag  et  un  suffixe  -^^^a, 
l'ensemble  désignant  du  reste  à  l'origine  la  «  pic  grièche  ».  L'ital. 
monèlla  représenterait  le  lat.  moncdula  «  geai  »,  qui  est  déjà  chez 
Plautc  un  terme  de  caresse,  et  il  ne  semble  pas  en  effet  que  la  qualité 
de  la  voyelle  soit  un  obstacle  à  cette  façon  de  voir,  ayant  subi  l'in- 
fluence du  suffixe   -è//a.  J'ai  plus  de  peine  à  croire  que  Vital,  piccola 


256  REVUE    CRITIQUE 

provienne  Je  pica,  et  que  Tital.  piccino  soit  en  relation  directe  avec 
\e  prow  piclwiin  fpipioncm):  l'existence  d'une  racine  pic  indiquant  la 
petitesse,  et  probablement  celtique,  me  paraît  toujours  probable,  et  de 
ce  que  piciiliis  aboutit  à  picchio  «  pivert  >■,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  n'ait 
pu  se  former  plus  tardivement  un  Auire  picculiis  où  le  suffixe  se  soit 
conservé  intact.  A  propos  de  l'ital.  toso,  prov.  tos,  qui  sont  évidem- 
ment le  lat.  ionsits,  M"'"  S.  a  donné  des  détails  précis  sur  la  façon 
dont  on  coupait  les  cheveux  pendant  le  haut  moyen  âge.—  Le  der- 
nier travail  du  volume  est  de  M.  E.  Gamillscheg,  qui  a  donné  Sur  la 
substitution  des  sons  {p.  162-191  j  une  contribution  fort  intéressante. 
L'étude  est  relative  surtout  aux  consonnes,  et  porte  en  particulier  sur 
les  faits  qui  se  sont  produits  lors  du  mélange  des  Romans  et  des  Ger- 
mains. Elle  montre  par  exemple  comnient,  en  ladin,d'un  croisement 
entre  tch,  dj  et  l'italien  ts,  ds  ont  résulté  des  consonnes  interdentalcs. 
L'auteur  a  insisté  également  sur  la  différence  acoustique  qu'il  y  avait 
entre  un  phonème  sourd  et  un  sonore  dans  certaines  circonstances;  il 
en  a  déduit  une  explication  du  passage  de  v  hf,  defapf,  etc. 

Il  me  reste  à  parler  du  second  de  ces  mémoires,  le  plus  développé 
puisqu'il  occupe  à  lui  seul  la  moitié  du  volume,  le  plus  important 
aussi  par  l'intérêt  général  des  questions  qu'il  soulève.  Il  est  dû  à 
M""  E.  Richter  et  est  intitulé  :  Des  connexités  internes  dans  le  dévelop- 
pement des  langues  Romanes  (p.  57-143).  Répond-il  exactement  à  ce 
titre,  d'ailleurs  un  peu  vague  et  vraiment  trop  compréhensif  ?  Je  ne 
sais.  Mais  en  tout  cas  il  semble  bien  avoir  été  inspiré  à  l'auteur  par 
une  critique  adressée  à  l'ouvrage  connu  sur  le  Wortstellung  qu'elle  a 
publié  il  y  a  huit  ou  neuf  ans.  On  lui  avait  reproché  de  ne  pas 
montrer  assez  le  rapport  qui  existe  entre  l'ordre  des  mots  et  le  rythme 
de  la  phrase  :  elle  a  donc  cru  bon  d'y  insister  ici.  M"*  R.  débute  du 
reste  par  des  considérations  toutes  générales  sur  la  continuité  des 
diverses  évolutions  linguistiques,  et  s'élève  avec  vivacité  contre  la 
conception  d'un  développement  mécanique  du  langage.  Pour  elle, 
les  faits  phonétiques  sont  de  même  nature  que  ceux  de  la  sémantique, 
procédant  les  uns  et  les  autres  d'une  seule  force  qui  est  l'esprit. 
Dès  lors,  et  s'il  est  dûment  établi  que  le  langage  n'est  en  rien  quelque 
chose  de  physico-mécanique,  il  deviendra  déplacé,  sinon  dangereux, 
d'appliquer  à  l'observation  des  phénomènes  linguistiques  cette 
exactitude  mathématique,  avec  laquelle  nous  pouvons  par  exemple 
observer  et  prévoir  les  phénomènes  du  monde  physique.  Je  résume 
les  idées,  sans  entrer  dans  une  discussion  qui  nous  entraînerait  un 
peu  loin  :  ces  idées,  j'y  souscris  d'ailleurs  pour  ma  part  sinon  com- 
plètement, du  moins  dans  une  large  mesure.  Et  j'aurais  mauvaise 
grâce  à  ne  pas  admettre  aussi  la  définition  du  latin  vulgaire  qui  est 
donnée  ici  à  la  p.  80,  car  c'est  à  peu  près  celle  que  je  défends  moi- 
même  depuis  longtemps,  et  qui  se  trouve  notamment  au  ^i  43  de  mes 
Eléments  de  linguistique  romane  :  c'est  bien  à  une  distinction  entre 


d'histoire    et    de    littérature  23' 


'/ 

la  langue  écrite  et  la  langue  parlée  que  doit  se  ramener  en  somme 
celle  du  latin  classique  et  du  latin  vulgaire.  Sur  le  point  de  départ 
initial  des  langues  romanes,  sur  la  date  du  fameux  punctiim  salions, 
j'aurais  plus  de  réserves  à  faire  :  mais  passons. 

Après  ces  préliminaires  très  intéressants  en  eux  mêmes,  M"*^  R.  est 
entrée  dans  le  vif  du  sujet  qu'elle  entendait  traiter,  et  l'a  réparti  en 
quatre   chapitres   qui  sont  tous   assez   étendus.   S'appuyant    sur   les 
textes  que  nous  ont  laissés  les  anciens,  et  les  interprétant  une  fois  de 
plus,  elle  a  cherché    à  établir  d'abord  quel   était    le    rythme  de    la 
phrase  latine,  puis  le  rapport  qu'il  y  avait  entre  ce  rythme  et  l'ordre 
des  mots.    Elle  a  montré  ensuite  que  le  rythme  de  la  phrase  et  du 
mot  latins  est  de  descendant  devenu  ascendant,  et  qu'il  en  est  résulté 
certains    changements    dans    l'articulation.    Enfin    dans   un    dernier 
chapitre,  et  très  dense,  qui  cherche  à  embrasser  presque  toute  l'évo- 
lution phonétique,  il  est  question  de  l'influence  qu'a  eue  la  «  poussée 
expiratoire    »   sur   le    développement    de   l'articulation    des    langues 
romanes.  Et  M"^  R.  constate  en  terminant  que  le  français  (auquel  il 
faut  joindre  cependant  les  dialectes  de  l'Emilie  et  de  la  Rhétie)  est  la 
seule  des  grandes  langues   littéraires  qui  ait  abouti  sans  réserve   à 
l'ordre  ascendant;  les  autres  en  sont  restées  à  un  stade  intermédiaire. 
Je   crois   cette    conclusion   exacte  :    mais   dans   cette   démonstration 
touffue,  et  au  détail  de  laquelle  je  ne   puis  que   renvoyer  le  lecteur, 
il  y  a   cependant  quelque   chose  qui  m'inquiète.   Je  trouve  que,  par 
un  artifice  d'exposition,  l'auteur  dans  tous  ces  chapitres'  a  constam- 
ment étendu  à  la  phrase  ce  qu'elle  disait  du  mot,  mais  sans  le  prouver 
pour  la  phrase  elle-même.  Il  y  a  là  une  sorte  de  confusion  volontaire 
entre  deux  choses  qui  sont  en  somme  assez  distinctes,  et  ce  qui  est 
valable  pour  la  prononciation  du  mot  ne  l'est  pas  forcément  pour 
celle  d'un  groupe,  tant  que  ce  groupe  n'est  pas  unifié.    De  même, 
lorsqu'au    début    de  son  opuscule,    M"«   R.    pose   en  principe    que 
relativement   au    latin   l'ordre   des    mots    moderne    se    distingue    de 
l'ancien  en   ce  qu'il  tient  compte  davantage   de  l'auditeur  —  qu'il  a 
donc  été   non   pas  précisément  un   progrès  logique,    mais  plutôt  un 
progrès  dans  le  développement  de   la  civilisation  —  elle  émet  une 
idée  assez  neuve  et  même  profonde.   Mais  cette  idée  est-elle  juste  de 
tous  points?  Sufïit-il   de  distinguer  comme  ici    un  ordre    des  mots 
habituel,  et  un  autre  occasionnel,  l'habituel  étant  celui  qui  consiste  à 
passer  de  l'élément  connu  au  nouveau  (donc  inconnu  de  l'auditeur), 
tandis   que  par   l'ordre   occasionnel   le  sujet   parlant  procède  d'une 
façon  inverse  et  n'a  plus  égard  à  son  auditeur,  mais  à  des  préférences 
subjectives  ?  Les  données  du  problème  ainsi   posé  ne  sont  pas  com- 
plètes, il  me  semble,  ni  suffisantes  pour  qu'on  arrive  à  une  solution. 
Il  faut  encore  tenir  compte  du  principe  de  l'enchaînement  des  idées, 
et  de  la  façon  dont  il  entre  en  conflit  avec  ce  qu'on  appelle  l'ordre 
habituel  ou  grammatical  :  je  ne  crois  pas  qu'aucune  considération  sur 


2  58  hkvuk  .".ritiqiif 

les  changements  d'ai  liciilation  puisse  en  dispenser.  C'est  ce  qu'avait 
bien  vu  et  établi  jadis  Henri  Weil  dans  ce  lumineux  petit  opuscule, 
auquel  les  gros  livres  écrits  depuis  un  demi  siècle  n'ont  rien  ajouté 
de  vraiment  essentiel.  Pourquoi  M""-"  Richter  y  fait-elle  à  peine 
allusion  dans  une  courte  note?  Elle  était  en  veine  pourtant  de  rendre 
justice  aux  devanciers,  car  elle  a  précisément  insisté  elle-mtîme  sur 
le  mérite  des  Lectures  de  H.  Blair  publicec  en  1783,  et  inspirées  du 
reste  de  l'esprit  de  Gondillac.  Mais  elle  exagère  un  peu  en  disant  que 
ces  Lectures  sont  aujourd'hui  profondément  inconnues  de  tous  les 
spécialistes  :  du  moins  pour  ma  part,  je  n'accepte  pas  le  reproche. 

E.     BOURCIEZ. 

G.    Wendt,   Syntax  des  heutigen   Englisch,  /.   Teil.  Die  Wortlelire.    Heidel- 

berg,  Winter,  in-8,  Ji28  pp.  1911. 
.1.  KN-rruT.  Die  Kongruenz  z'wischen  Subjectund  Pradikat  imElisabethanis- 

chen  Englisch.  Heidclbcrg,  Winter,  iii-S,  i  5o  pp.  1911. 

Nous  ne  croyons  pas   qu'il   existe  de  grammaire  anglaise  conçue 
sur  le  même  modèle  que  celle  du  docteur  G.  Wendt.  Examinant  les 
règles  classiques  de  la  syntaxe,  il  s'est  demandé  si  elles   sont  encore 
observées  aujourd'hui.  Il  s'est  donc  préoccupé  de  recueillir  un  grand 
nombre  d'exemples,  choisis  de   préférence  dans  la  littérature  pério- 
dique et  chez  les  romanciers.  Bien  entendu,  les  journaux  mal  rédigés 
et  les  auteurs  excentriques  ont  été  écartés.  On  se  rend  compte  de  ce 
qu'il  a  fallu  de  temps  et  de  patience  pour  mener  pareille  tâche  à  bonne 
fin,  et  quel  précieux  instrument  de   travail  les  anglicisants  pourront 
trouver  dans  cet  ouvrage,    quand  il   sera  complet.  En  appliquant  à 
l'étude  de  la  grammaire  les  procédés  de  la   méthode  directe,  on  doit 
aboutir  aux  mêmes  constatations  que  le  docteur  G.-W.,  et  reconnaître 
le  peu  de  fondement  des  interdictions  édictées  par  les  grammairiens 
au  nom  de  ;<  la   correction   classique  ».  Rien  de  moins  fixe  que  le 
«  bon  usage  »  du  cas  possessif,  du  pluriel  des  noms  composés,   des 
comparatifs.  On  lit  dans  les  grammaires  que  l'adjectif  précède  le  subs- 
tantif à  moins  d'être  suivi  d'un  régime,  mais  les   périodiques  multi- 
plient les  exceptions  de  telle  façon  qu'on  en  vient  à  se  demander  si  ce 
n'est  pas  surtout  l'euphonie  qui  détermine  la  place  de  l'adjectif.  Com- 
parez celte  citation  d'un  journaliste  :  (c  This  is  an  unfailingly  and  novs' 
and  then  poignantly  interesting  work  »  et  celte  phrase  de  Washington 
Irving  :  «  The  English  is  a  characier  not  to  be  hasiily  studied  »  ;  lequel 
des  deux  se  révèle  véritable  écrivain,  celui  qui  prend  son  oreille  pour 
guide  ou  ceiui  qui  défère  aux  oukases  des  compilateurs  de  syntaxes? 
Grâce  au  docteur  G.-W.,  l'on  apprend  que  le  relaiU  which  est  encore 
employé   avec  un   antécédent  masculin    ou    féminin,   qu'un    même 
régime  peut  se  construire  dans  la  même  phrase  avec  deux  verbes  exi- 
geant des  prépositions  différentes,  qu'un    verbe    peut    avoir  un   sens 
actif  et  un  sens  intransitif  (ïo^zg/zf  a   boat  s\§i^n\ûe  combattre  et  faire 
combattre),  et  que  ces  accrocs  à  la  correction  traditionnelle,  ce  sont 


d'histoire  et  de  littérature  259 

les  plus  estimables  écrivains  qui  s'en  rendent  coupables.  Il  n'est  pas 
étonnant,  en  rin  de  compte,  que  la  syntaxe  se  soit  si  peu  fixée  :  la 
langue  anglaise  n'a  jamais  eu  de  vraie  tradition  littéraire;  jamais  les 
grands  prosateurs  anglais  n'ont  consenti  à  observer  des  règles  uni- 
formes '.  Aussi  la  langue  est-elle  restée  souple,  pittoresque  et  variée 
comme  au  xvi'"  siècle;  mais  si  elle  n'a  rien  perdu  de  ses  qualités 
natives,  elle  n'a  guère  gagné  depuis  trois  siècles. 

Le  docteur  J.  Knecht  étudie  chez  les  auteurs  du  temps  d'Elisabeth 
quelques  particularités  syntactiques.  On  trouve  chez  Shakespeare  et 
ses  contemporains  un  sujet  pluriel  avec  un  verbe  en  -s  ou  en  -th,  c'est- 
à-dire  au  singulier.  Partant  de  là,  l'auteur  étudie  l'accord  du  sujet  et 
du  verbe  au  xvi"  siècle.  Il  aurait  été  intéressant  de  rechercher  si  quel- 
ques-unes des  anomalies  relevées  par  M.  K.  se  retrouvent  encore  de 
"OS  jours.  Ch.  Bastide. 

FiAux  (Louis)  Armand  Carrel  et  Emile  de  Girardin.   Paris,  Rivière,  s.  d.  In-8" 
xvii-355  p.   3  fr.  5o  (avec  le  portrait  de  Carrel  par  H.  Scheffer,  en   héliogravure). 

Cette  étude  soignée  et  neuve  intéressera  même  ceux  qui  trouveront 
le  principal  argument  de  l'auteur  moins  solide  que  sa  thèse  ne  paraît 
d'abord  vraisemblable.  M.  F.  veut  prouver  que  Carrel  s'est  battu  avec 
Girardin  surtout  pour  empêcher  qu'on  ne  divulguât  une  liaison  irré- 
gulière qu'il  avait  contractée  depuis  longtemps.  Sa  plus  forte  preuve 
est  ce  propos  qu'Am.  Pichot  dit  avoir  recueilli,  au  National,  de  la 
bouche  de  Carrel  :  u  Mon  adversaire  m'a  menacé  de  faire  ma  biogra- 
phie et  d'y  faire  figurer  une  personne  dont  je  ne  souffrirai  pas  que  le 
moindre  souffle  touche  le  voile.  Je  le  tuerai  ou  il  me  tuera.  »  Or  le 
21  juillet  i8?6,  jusqu'à  i  i  heures  du  soir,  Carrel  n'était  pas  sûr  que  le 
duel  eût  lieu  et  le  22,  à  7  heures  du  matin,  il  attendait  ses  témoins  au 
boulevard  de  l'Opéra  pour  se  battre  à  S.  Mandé  ;  on  n'imagine  donc 
pas  bien  comment  Pichot  a  pu  être  informé  et  accourir  au  National. 
Puis,  cette  sombre  intention  de  Carrel  s'accorde  mal  avec  l'autorisa- 
tion qu'il  avait  donnée  à  ses  témoins  et  qu'il  renouvela  sur  le  terrain 
même,  d'accepter  un  arrangement  qui  serait  honorable;  elle  s'accorde 
mal  avec  la  question  pleine  de  confiance  qu'il  posa  à  Girardin  avant 
d'aller  prendre  son  poste  de  combat,  avec  la  déclaration  spontanée 
dont  il  accueillit  la  réponse  de  Girardin,  avec  l'intérêt  qu'il  témoigna 
pour  la  blessure  de  son  adversaire.  Mais  le  volume  de  M.  F.  n'en  est 
pas  moins  attachant.  Fruit  de  lectures  considérables,  il  nous  apporte 
d'abondants  détails  sur  tous  les  acteurs  du  drame,  en  particulier  sur 
la  maîtresse  de  Carrel  que  M.  F.  a  le  bon  gotit  de  ne  pas  nommer 
(c'est  probablement  aussi  par  délicatesse  qu'il  ne  dit  pas  d'où  il  tire 

I.  Comme  le  constate  M.  Bernard  Shaw,  à  propos  des  «  split  infinitives  »  qui 
résistent  aux  efforts  des  grammairiens,  «  the  natural  healthy-minded  Englishman 
always  splits  his  infinitives,  so  following  the  genius  of  the  language,  which  is  to 
split  everything.  » 


200  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

ses  documents  sur  elle)  et  sur  les  tcmoins  des  deux  adversaires.  Il 
connaît  très  bien  la  presse  du  temps  et  non  pas  seulement  pour  la 
semaine  du  drame.  11  voit  surtout  Carrel  par  ses  beaux  côtés,  mais  ce 
qui  serait  un  tort  dans  une  biographie  complète  du  pcrsonnnagc  est 
presque  une  qualité  dans  le  cadre  où  M.  F.  s'est  renferme.  Certaines 
pages  ont  une  réelle  portée  :  la  prompte  réconciliation  de  Capo  de 
Fcuillide,  celui  qui  avait  embarqué  Carrel  dans  l'affaire,  avec  Girar- 
din  et  avec  le  Gouvernement  de  juillet  suggère  de  tristes  conjectures 
que  d'ailleurs,  et  avec  raison,  M.  F.  ne  donne  pas  pour  des  certitudes. 

Charles  Dejob. 

AcADÉMiK  DES  In.soriptions  ET  Helles-Lettkes.  —  SéaHcc  du  j .^  mars  jgi2. 
—  M.  Cordicr  annonce  qu'il  a  reçu  du  D"'  Legcndrc  une  lettre  datée  de  Hung- 
Kong,  1 1>  février.  I.e  D''  Legcndrc  confirme  les  détails  de  l'agression  dont  il  a  été 
l'obrct  ;  il  allait  gagner  le  Tông-King,  et  de  là  le  Yun-nan,  si  la  situation  permet- 
tait d'y  travailler. 

M.  Babelon  annonce  que  la  commission  du  prix  Duchalais  a  partagé  ce  prix  en 
deux  parties  égales  entre  M.  Jules  Sambon,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Rcpertorio 
générale  délie  moncte  coniate  in  Italia,  et  M.  Antoine  Sabaticr,  pour  sa  Sigillogra- 
phie historique  des  administrations  fiscales,  communautés  ouvrières  et  institutions 
diverses.  Plombs  historiés  de  la  Saône  et  de  la  Seine. 

M.  Prou  annonce  que  la  commission  du  prix  Bordin  a  décerné  :  i»  un  prix  de 
i,5oo  francs  à  M.  F.  Chalandon,  pour  son  histoire  de  Jean  II  Comnène  et  Manuel 
Comnène;  —  2"  trois  récompenses  de  5oo  fr.  chacune  :  au  F.  Fredegand  Callaey, 
pour  son  livre  intitulé  :  L'idéalisme  franciscain  spirituel  au  xw"  siècle:  étude  sur 
Ubertin  de  Casalc  ;  à  M.  Jean  Longnon,  pour  son  édition  de  la  Chronique  de 
Marée  ;  à  dom  Antonio  Staerke,  pour  son  livre  :  Les  mss.  latins  du  v«  au  \}u^  siècle 
conservés  à  la  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg. 

M.  Héron  de  Villefosse  informe  l'Académie  que  M.  le  chanoine  Feynaud,  cure 
de  Sousse,  grâce  à  une  subvention  de  la  Société  française  des  fouilles  archéolo- 
giques, est  en  mesure  de  reprendre  l'exploration  des  grandes  catacombes  d'Hadru- 
mète.  De  son  côté,  M.  le  duc  de  Loubat  à  fait  parvenir  à  M.  Leynaud  une  géné- 
reuse contribution  personnelle.  —  M.  Leynaud  vient  d'ailleurs  de  découvrir  une 
plaque  de  marbre  blanc  portant  l'épitaphe  d'un  centurion  de  la  11«  légion  Par- 
thique.  Le  tombeau  de  ce  centurion  a  été  ouvert  le  2  mars.  Au  fond  d'une  auge 
était  déposé  le  corps  du  défunt,  recouvert  d'une  couche  de  plâtre  très  blanc; 
aucun  objet  près  du  corps.  Le  squelette,  bien  conservé,  mesure  i  m.  72  de  lon- 
gueur. L'épitaphe,  gravée  avec  soin,  est  ainsi  conçue  :  Q.  Papio  Q.  F.  Satur- 
nino.  I  Iuliano  centurioni.  \  leg.  II.  Part.  vix.  ann.  LX  |  Papia  Victoria  soror  | 
piissima  fratri  suo  \fecit.  On  remarquera  l'absence  de  la  formule  Dis  manibus 
sacrum.  Cette  inscription^  ne  peut  être  antérieure  au  règne  de  Septime  Sévère 
auquel  on  doit  la  création  des  trois  légions  Parthiques.  Elle  fournit  donc  une 
date  importante  à  retenir  pour  l'histoire  de  ces  catacombes.  Comme  on  ne  pos- 
sède aucun  témoignage  sur  un  séjour  des  légions  Parthiques  en  Afrique,  il 
parait  probable  que  ce  Q.  Papius  Saturninus  était  venu  finir  ses  jours  dans  sa 
patrie,  auprès  de  sa  sœur,  Papia  Victoria,  qui  prit  soin  de  sa  sépulture.  On  a 
relevé  à  Lambèse  les  épitaphes  de  deux  centurions  de  la  II1«  légion  Parthique, 
morts  l'un  à  70  ans,  l'autre  à  54  ans,  dont  la  présence  dans  le  cimetière  de  Lam- 
bèse ne  peut  s'expliquer  que  par  des  motifs  analogues. 

M.  le  comte  Durrieu  signale  une  série  d'importants  documents  historiques  dont 
M.  Delaville  Le  Roulx,  récemment  décédé,  avait  réuni  des  copies.  Parmi  ces 
documents  se  trouvent  :  une  correspondance  en  langue  grecque  échangée,  vers  la 
tin  du  xvc  siècle,  entre  le  sultan  et  le  grand-maitre  de  l'Ordre  des  Hospitaliers 
alors  installé  à  Rhodes  ;  une  lettre  en  français  écrite  de  Rome  par  Djem,  frère  du 
sultan  Bajazet  ;  enfin  d'autres  lettres  relatives  à  l'expédition  de  Charles  Mil  en 
Italie,  où  il  est  nettement  indiqué  qu'en  partant  pour  l'Italie  le  roi  de  France  se 
proposait  en  réalité  d'aller  conquérir  Constantinople. 

M.  le  Dr  Lalanne  fait  une  communication  sur  trois  bas-reliefs  à  figuration 
humaine  de  l'abri  sous  roche  de  Laussel  (Dordognc).  —  M.\l.  Dieulafoy,  Salomon 
Reinach,  Heuzey  et  Prou  présentent  quelques  observations. 

M.  Psichari  continue  sa  communication  sur  lamed  et  lambda. 

M.  Cuq  communique  en  seconde  lecture  son  mémoire  sur  certaines  particula- 
rités juridiques  du  sénatus-consulte  de  Délos  relatif  au  culte  de  Sarapis. 

Léon  Dorez. 

V imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon. 


REVUt    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N«  14  -  6  avril.  —  1912 

HiNKii,  Kudurru  babyloniennes.  —  Kohler  et  Ungnau,  Textes  juridiques  babylo- 
niens. —  G.  1Ieiniuc;ii,  Histoire  universelle  des  littératures,  IV.  —  Szujetvari, 
La  théorie  du  comique.  —  Hkrrkrt,  L'enluminure.  —  Doutrepont,  La  littéra- 
ture française  à  la  cour  des  ducs  de  Bourgogne.  —  Luquiens,  L'original  de  la 
chanson  de  Roland.  —  Sermons  du  xv^  siècle,  p.  Szilady.  —  E.  Daudet,  L'am- 
bassade du  duc  Decazes  en  Angleterre.  —  Gvuj.ai,  Critiques.  —  BENEDEK,\'ictor 
Hugo.  —  Questions  de  politique  étrangère  dans  TAmérique  du  Nord.  —  Pinom, 
L'Europe  et  la  jeune  Turquie.  —  L.  Hubert,  Politique  extérieure.  — P.  D.  Der- 
rière la  façade  allemande.  —  Mangin,  La  mission  des  troupes  noires.  —  Bakou- 
nine,  Œuvres,  V.  —  P.  de  Noi.iiac,  M""  Vigée  I^e  Brun.  —  Quentin-Bauchart, 
Les  musées  municipaux.  —  G.  Lenôtre,  Le  vieux  Paris.  —  M™"  A.  Heymann, 
Lunettes  et  lorgnettes  de  jadis.  —  Morris,  Le  jeune  Gœthe,  VL  —  Académie 
des  inscriptions. 


W.  J.  Hinke.  Selected  babylonian  kudurru  inscriptions.  Semitic  study  séries, 
n°  XIV.  Leiden,  Brili,  igii.    i  vol.  xi-90  p,,  in-8".  6  M. 

M.  Hinke  a  donné  en  autographie  le  texte  cunéiforme  de  huit 
kudurru  ou  chartes  de  donation.  Ces  documents  sont  datés  des 
règnes  de  Naii-Marruttas,  Meli-Sipak,  Marduk-apal-iddina,  Nabû- 
kudurri-iisur  /,  Ellil-nddin-aplu,  un  roi  de  la  dynastie  de  Pase,  et 
Marduk-nddin-alîé.  Le  kudurru  de  Nabû-kudurri-unir  I  est  celui 
dont  M.  Hinke  a  donné  autrefois  la  transcription  et  la  traduction 
dans  un  travail  d'ensemble  sur  les  kudurru  (Cf.  Rev.  Crit.  du 
23  juillet  igo8),  mais  dont  le  texte  original  était  demeuré  jusqu'à  pré- 
sent inédit.  M.  Hinke  a  rendu  un  réel  service  aux  études  assyriennes 
en  réunissant  dans  un  livre  facile  à  manier  des  textes  dispersés  dans 
des  publications  épuisées  ou  chères  et  d'un  format  mal  commode.  Il 
serait  fort  à  souhaiter  qu'un  second  fascicule  nous  donnât  les  autres 
kudurru.  L'autographie  est  soignée  et  d'un  bel  aspect.  J'ai  pourtant 
relevé  quelques  erreurs  :  p.  9,  1.  58,  un  signe  la  omis;  p.  11,  1.  39, 
un  signe  nu  omis;  p.  17,  1.  8,  il  aurait  fallu  indiquer  que  l'original 
porte  ba  au  lieu  de  \u. 


C.  FOSSEY. 


J.  KoHLER  et  .\.  Ungnad.  Hundert  ausgewàhlte  Rechtsurkunden  aus  der  Spât- 
zeit  des  babylonischen  Schrifttums  von  Xcrxes  bis  Mithridates  II  (483-93  v. 
Chr.i.  Leipzig,  Pfeifter,  1911,  89  p.,  in-H". 

Les  cent  textes  traduits  par  M.  Ungnad  sont  extraits  des  tomes  VHI, 

Nouvelle  série   LXXIII  14 


202  REVUE    CRITIQUE 

IX  Cl  X  de  The  Bahylonian  Expédition  of  the  University  of  Pennsyl- 

ViViia,    du    fascicule    IV   des    Cunei/orm    Texts in    the    British 

Muséum,  des  fascicules  III  et  IV  des  Vorderasiatische  Scrifldenkmd- 
ler  de  Berlin,  des  Arsaciden-Inschriften  de  Stiassmaier  et  des  Ins- 
criptions of  the  reigns  of  Evil-AIerodach,  etc.  d'Evctts.  L'interpréta- 
tion est  celle  que  les  travaux  antérieurs  de  M.  Ungnad  nous  donnaient 
le  droit  d'attendre  ;  c'est  dire  qu'elle  est  strictement  philologique  ei 
que  les  historiens  du  droit  étrangers  aux  études  babyloniennes  peuvent 
l'utiliser  en  toute  sécurité.  Le  seul  regret  que  l'on  puisse  exprimer, 
c'est  que  M.  Ungnad  se  soit  borné  à  un  choix  si  restreint.  Le  com- 
mentaire juridique  que  M.  Kohler  a  donné  à  la  suite  de  cette  traduc- 
tion résume  les  principaux  faits  qui  en  ressortent.  J'y  relève  la  pré- 
sence en  Babylonie  de  nombreux  étrangers  égyptiens,  grecs,  perses, 
araméens,  indiens  —  un  index  des  noms    propres  non  babyloniens 
permet  de  s'en   rendre  compte  rapidement;  — ■  le  développement  du 
contrat  en  forme  de  dialogue,  d'où  est  sorti  le  chirographe  dans  lequel 
la  personne  qui  s'engage  parle  seule  ;  la  disparition  des  prêtresses  qui 
interviennent  si  fréquemment  dans  les  transactions  de  l'époque  an- 
cienne ;  la  capacité  de  contracter  accordée   aux  esclaves,  qui   traitent 
non  seulement  pour  leur  maître  mais  pour  eux-mêmes,  La  terre  féo- 
dale peut  être  hypothéquée  et  le  service  militaire  peut  être  remplacé 
par  une  somme  d'argent  ;  le  taux  de  l'intérêt  monte  sous  Darius  II 
jusqu'à  40  0/0  ;  le  cheptel  du  droit  français  et  allemand  existe  déjà  en 
Babylonie  ;  la  commandite  et  la  société  en  commandite  également  ;  le 
droit   babylonien    s'est    maintenu   jusqu'à    la  fin  de   l'époque   perse, 
notamment  en  ce  qui  concerne  les  biens.  On  peut  dès  à  présent  établir 
des  parallèles  intéressants,  entre  le  droit  babylonien  du  i"  siècle  avant 
notre  ère  et  le  droit  égypto-grec  révélé  par  les  papyrus.  M.  Kohler  en 
donne  quelques  exemples  et  fait  justement  remarquer  qu'il  ne  faut 
pas  voir  forcément  dans  ces  ressemblances  le  résultat  d'emprunts. 

C.    FOSSEY. 


Egyetemes  irodalomtœrténet  (Histoire  universelle  des  littératures).  Tome  IV. 
Peuples  ouralo-altaïques  et  slaves.  Budapest,  Franklin,  191 1,  xi-746  p.  gr.  in-8°, 
avec  de  nombreuses  illustrations. 

Le  grand  ouvrage  de  vulgarisation  publié  sous  la  direction  de 
M.  Gustave  Heinrich,  est  arrivé  à  son  IV^  volume.  Les  trois  premiers, 
consacrés  à  l'ancien  Orient,  à  la  Grèce,  à  Rome,  aux  littératures 
romanes  et  germaniques,  sont  plutôt  destinés  à  répandre  le  goût  des 
littératures  étrangères  dans  le  public  magyar.  Les  savants  les  plus 
renommés  de  la  Hongrie  y  ont  collaboré.  Le  volume  que  nous 
annonçons  aujourd'hui  mérite  d'être  connu,  même  en  dehors  du 
pays  auquel  il  est  destiné.  La  première  partie  contient,  en  effet, 
l'exposé    de  l'état  actuel   de  nos  connaissances   sur   les   langues   et 


d'histoirk   KT    DK    LITTF.RATURE  263 

les  liitéraiurcs  ouralo-altaïques.  Puisque  la  plupart  des  idiomes  qui 
consiituent  cette  famille,  sont  presque  inconnus  et  que  le  public 
même  lettré,  n'a  que  des  notions  très  vat^ues  sur  le  groupe  ougro- 
finnois,  il  serait  à  souhaiter  que  ce  premier  essai,  dû  à  MM.  Bernard 
Munkâcsi  et  Aladdr  Ban  fût  traduit  dans  une  langue  plus  accessible 
aux  savants  que  le  hongrois. 

M.  Munkâcsi  retrace  à  grands  traits  les  caractères  principaux  de  la 
grande  famille  ouralo-altaique  qui  se  divise  en  deux  branches  :  la 
branche  orientale  le  turc,  le  mongol,  le  toungouze-mandchou)  et 
la  branche  occidentale  itoutes  les  langues  ou^ro-finnoises  et  le 
samoyède.)  Il  nous  montre  Tétai  primitif  de  ces  peuples  qui  occu- 
paient jadis  tout  le  territoire  qui  s'étend  de  la  mer  Caspienne  jusqu'à 
la  Corée  et  qui  tirent  souvent  trembler  l'Europe  par  leurs  invasions 
(Huns,  Magyars,  Mongols).  Les  études  linguistiques  et  ethnogra- 
phiques sur  ces  peuples  se  poursuivent  aujourd'hui  surtout  en  Russie, 
en  Finlande,  en  Suède  et  en  Hongrie;  elles  ont  permis  à  M.  Mun- 
kâcsi qui  lui-même  a  voyagé  longtemps  en  Sibérie  et  a  fait  des 
travaux  remarquables  sur  les  Vogouls,  d'établir  la  parenté  de  ces 
races,  de  chercher  l'influence  que  les  Aryens  ont  pu  exercer  sur  ces 
peuples  que  l'Avesta  mentionne  déjà,  que  les  Grecs  dénommaient 
Scythes,  les  Byzantins  Turcs  et  qu'on  a  longtemps  appelés  des  Tou- 
raniens.  La  vie  sociale  et  intellectuelle  de  ces  peuples  ne  peut  être 
élucidée  que  par  les  rares  dociiments  littéraires  que  nous  possédons. 
M.  Munkâcsi  explique  les  inscriptions  que  le  génie  de  Thomsen  a 
rendu  intelligibles  aux  savants,  il  dit  un  mot  de  la  parenté  du  japo- 
nais avec  ce  groupe,  parenté  qui  n'est  pas  encore  bien  prouvée,  mais 
il  rejette  l'hypothèse  des  savants  qui  voudraient  faire  entrer  le  sum- 
mérien  dans  la  famille  ouralo-altaique.  La  parenté  de  l'étrusque  avec 
ce  groupe  dont  M.  Martha  vient  d'entretenir  l'Académie  des  Inscrip- 
tions, n'est  pas  mentionnée. 

M.  Bân  nous  initie,  grâce  à  son  talent  poétique,  à  la  littérature  des 
Finnois  et  des  Esthoniens,  à  la  poésie  populaire  des  Lapons,  des 
Mordves,  des  Tcherémisses,  des  Vogouls,  des  Ostiaks  et  des 
Samoyèdes,  Après  un  court  exposé  sur  les  efforts  de  certains  de  ces 
peuples  pour  créer  une  vie  littéraire,  il  nous  donne  dans  des  traduc- 
tions en  vers  fort  réussies  toute  une  Anthologie  de  la  poésie  Hnno- 
ougrienne. 

Le  groupe  oriental  de  la  famille  ouralo-altaique  de  même  que  les 
littératures  des  peuples  slaves  nous  sont  présentés,  en  grande  partie, 
par  des  savants  non-hongrois.  La  direction  a  eu  recours  à  eux  pour 
avoir  pour  chaque  peuple  la  plume  la  plus  autorisée.  Leurs  travaux 
furent  traduits  en  magyar  et  mis  au  point.  On  connaît  les  inconvé- 
nients de  ce  procédé,  mais  quel  est  le  savant  qui  voudrait  se  charger 
aujourd'hui  de  présenter  l'ensemble  des  littératures  slaves?  On  nous 
otiVe  donc  ici  des  pages  nourries  de  MM.   Prôhle  (Turcs),    Laufer 


204  REVUE    CRITIQUE 

(Mongols  Cl  Mandchous),  Bruckncr  (Russes  et  Polonais),  Franko 
(Ruihcnes),  Cerny  (Vendes),  Novak  (Tchèques),  Skultéty  (Slovaques), 
Brijatelj  (Slovènes),  Popovic  (Serbes  et  Croates),  Atanasov  (Bulgares). 
Les  noms  de  ces  savants  sont  suffisamment  connus  en  France;  il 
est  donc  inutile  d'insister  sur  leur  collaboration  à  cette  œuvre  inter- 
nationale. Nous  voulions  surtout  attirer  ratteniion  des  savants  sur  la 
partie  vraiment  neuve  de  ce  volume  :  les  exposés  de  MM.  Munkdcsi 
et  Bân. 

I.    KONT. 


A  komikum  elmélete  (La  théorie  du  comique)  par   Ivan  Szigetvari.    Budapest, 
Académie,  191 1,  432  p.  in-i6. 

Ce  Mémoire  couronné  par  l'Académie  hongroise  se  divise  en  deux 
parties.  Dans  la  première  (p.  6-174)  M.  Szigetvari  nous  donne  l'his- 
toire des  théories  du  comique  depuis  l'antiquité  jusqu'à  nos  jours. 
L'antiquité  est  représentée  par  Platon,  Aristote,  Cicéron  et  Quinti- 
lien;  la  moisson  pour  les  temps  modernes  est  beaucoup  plus  riche. 
Ainsi  pour  la  France,  nous  trouvons  trente-quatre  théoriciens,  depuis 
Laurent  Joubert  {Traité  du  ris,  iS/q)  jusqu'aux  travaux  de 
MM.  Bergson,  Mélinand  et  Dugas.  Pour  l'Allemagne,  Fauteur 
remonte  jusqu'à  Gottsched,  pour  l'Angleterre  jusqu'à  Hobbes  et 
pour  la  Hongrie  jusqu'à  Georges  Szerdahely  qui  occupa,  vers  la  fin 
du  xviii'=  siècle,  la  chaire  d'esthétique  à  l'Université  de  Pest.  On  se 
rendra  facilement  compte  des  vastes  lectures  de  M.  Szigetvari  en  par- 
courant les  différentes  opinions  de  ces  théoriciens. 

Après  cet  exposé  un  peu  aride,  le  livre  nous  dédommage  en  nous 
montrant  par  des  centaines  d'exemples  les  différents  genres  du 
comique  et  les  sources  d'où  il  jaillit.  En  dehors  des  auteurs  comiques 
(Aristophane,  Plante,  Molière,  etc.)  nous  trouvons  là  la  quintessence 
des  feuilles  amusantes  (Fliegende  Blatter,  le  journal  hongrois  Kakas 
Mdrton)  et  même  quelques  calembours  que  l'auteur  a  entendus  sur 
les  scènes  parisiennes.  Toutefois  M.  Szigetvari  avoue  que  pour  la 
théorie,  c'est  toujours  celle  d'Aristote  qui  contient  le  plus  de  vérité  et 
c'est  à  celle-là  qu'il  se  rallie. 

Jusqu'ici  les  auteurs  ont  écrit  des  Préfaces  pour  expliquer  la  genèse 
de  leurs  œuvres.  M.  Szigetvari  intervertit  l'ordre  établi  et  met  son 
avertissement  à  la  fin  ;  il  y  constate  que  les  exemples  recueillis  par  lui 
sont  beaucoup  plus  nombreux  que  ceux  de  ses  prédécesseurs.  Nous 
lui  donnons  volontiers  acte  de  ses  recherches  minutieuses  et  nous 
considérons  son  livre,  surtout  la  seconde  partie,  comme  une  lecture 
très  amusante. 

I.    KONT. 


d'histoire  et  de  littérature  205 

Herbert  (J.-A.),  lUuminated  manuscripts.   l.oiulres,  Methuen,  191  i,  in-4*,  xm- 
35(5  p.,  3  I  planches. 

Les  miniaturistes  qui  furent,  dit-on,  des  humbles,  des  naifs,  des 
méprisés,  seraient  alors  vraiment  bien  surpris  s'ils  revenaient  sur 
terre  ;  depuis  quelques  années,  ils  sont  en  effet  royalement  traités. 
Non  seulement,  une  société  des  plus  savantes  s'est  constituée  pour  les 
magnifier,  mais  partout  en  Europe,  on  exalte  leur  talent,  on  leur 
élève  des  monuments,  en  essayant  de  reconstituer  leur  histoire.  L'in- 
lérèt  de  ces  publications  qui,  comme  elles  se  répètent  forcément  les 
unes  les  autres,  pourrait  au  premier  abord  paraître  faire  double  em- 
ploi, lient  à  ce  que  les  savants  de  tous  les  pays,  mettent  dans  un  cadre 
à  peu  près  identique  les  monuments  qui  les  entourent,  qui  leur  sont 
familiers.  De  telle  sorte  que  bientôt  peut-être  les  bibliothèques  d'Alle- 
magne, d'Italie,  d'Angleterre,  de  Belgique,  n'auront  plus  de  secrets 
pour  nous. 

Parmi  les  excellents  volumes  qui  ont  ainsi  été  consacrés  depuis 
quelques  mois  à  ces  primitifs,  l'ouvrage  du  savant  M.  J.-A.  Herbert, 
l'éminent  conservateur  du  British  Muséum,  est  fort  important.  Il  faut 
l'histoire  de  Tenluminure,  et  suit,  à  l'aide  des  plus  précieux  manuscrits 
d'Angleterre  qu'il  reproduit,  le  développement  de  cet  art  exquis  que 
le  temps  a  un  peu  épargné  et  qui  demeure  ainsi  une  des  branches  les 
plus  complètes  de  l'art  du  Moyen  Age.  Naguère,  VExposilion  de  Bur- 
lington Club  k  Londres  en  1908,  nous  avait  fait  connaître  les  plus 
beaux  manuscrits  enluminés  des  collections  privées  d'Angleterre  : 
aujourd'hui,  les  cinquante  et  une  planches  qui  accompagnent  le  tra- 
vail de  M.  H.,  en  grande  partie  tirées  du  British  Muséum,  forment 
un  ensemble  nouveau  des  plus  riches. 

Le  volume  se  divise  en  XVIII  chapitres;  les  huit  premiers  traitent 
de  l'art  classique  encore  tout  imprégné  des  souvenirs  de  l'Antiquité, 
comme  le  Virgile  du  Vatican.  Je  le  trouve  cependant  moins  intéres- 
sant que  VIliadç  de  l'Ambrosienne  de  Milan  :  dans  ce  dernier  les 
illustrations  sont  en  effet  de  véritables  tableaux  aussi  magistralement 
traités  que  savamment  composés. 

Le   British   Muséum  fournit  avec  l'Egerton    11 39,   le  Psautier  de 
Mélissende,  reine  de  Jérusalem  (i  i3i-i  134),  une  bien  belle  page  byzan- 
tine ;  nulle  part,  on   ne  trouvera  d'enluminure  celtique  plus  fine  que 
celle  de  VÉvangiliaire  de  Lindesfarne  (c.  700  Brit.  Mus.  Nero  D  IV); 
la  Bible  d'Alcuin  (ix«  s.,  Brit.  Mus.  add.  10546)  n'est  peut  être  pas  par 
exemple  aussi  précieuse  que  notre  Evangéliaire  de  Saint-Médard  de 
Soissons  (Biblioth.  Nat.  lat.  885o)  encore  tout  imprégnée  du  charme 
de  la  Renaissance  Carolingienne.   Mais  leur  rapprochement  est  parti- 
culièrement intéressant  parce  qu'il  montre  la  brusque  décadence  qui 
succède  au  passage  lumineux  du  Grand  Empereur  à  la  barbe  fleurie. 
Pourtant   tel  Psautier   anglais   de  xi-^   siècle  (Brit.  xMus.,  Tib.  C  VI) 
présente  une    envolée    artistique  que  l'Angleterre  saura    peut-être 


266  RKVDE    CRITIQIJI'. 

mieux  défendre  que  le  Coniinein  ei  que  nous  retrouvons  dans  l'.4;7o- 
cah'psc  iic  Costredy  (Biblioili.  Nat.  Ms.  Ir.  4(j3,  édiicc  par  la  Société 
des  Anciens  7\'xtes,  iQOi),  qui  pourrait  lort  bien,  elle  aussi,  être  d'o- 
rigine anglaise. 

Au  xiM«  siècle  la  technique  anglaise  n'est  pas  très  ditiVrentc  de  celle 
de  la  France.  Sans  être  aussi  merveilleux,  le  Psautier  anglais  i  Roy. 
I  D  X,  pi.  XXI)  pourrait  être  rapprocké  de  l'incomparable  feuillet  de 
la  Bible  Moraïisée  d2  saint  Louis,  signée  Fortin,  qui  est  aujourd'hui 
la  propriété  de  M.  Pierpont-Morgan. 

Un  volume  de  la  fin  du  xiii''  siècle  pi.  XXVI),  un  Evan^^éliaire 
parisien  iBrit.  Mus.,  add.  i7'34r)  doit  particulièrement  nous  arrêter. 
On  voit  en  effet,  en  bas  de  page,  le  petit  oisea,u  d'Honoré;  il  peut  donc 
soulever  une  discussion  intéressante.  Car  s'il  porte  bien  ainsi  la  mar- 
que du  célèbre  miniaturiste,  que  nous  connaissons  par  l'inscription 
tracée  à  la  fin  d'un  de  ses  ouvrages  d'une  technique  si  personnelle,  il 
ne  présente  aucun  des  caractères  de  facture  du  Gralien  de  Tours,  mais 
se  rapproche  beaucoup  du  Bréviaire  de  Pliilippe  le  Bel  i  Bibl.  Nat. 
ms.  lat.  I023),  que  L.  Delisle  attribuait,  d'après  un  compte,  précisé- 
ment à  Honoré.  La  marque  de  V Evangéliaire  du  British  Muséum 
viendrait  ainsi  confirmer  cette  attribution,  et  prouver  que  le  petit 
oiseau  est  la  marque  de  son  atelier,  bien  plutôt  que  la  signature  per- 
sonnelle de  l'artiste  lui-même. 

Le  chapitre  XIII  consacré  à  l'enluminure  anglaise  postérieure  à 
i3oo,  est  illustré  de  quelques  planches  qui  font  regretter  qu'elles  ne 
soient  pas  plus  nombreuses;  on  y  découvre  en  effet  une  série  d'in- 
fluences très  diverses.  Les  artistes  anglais  se  déplaçaient  facilement, 
nous  le  savons  :  maison  trouve  là  des  impressions  françaises,  flaman- 
des, italiennes  tout  à  fait  extraordinaires  que  les  pages  suivantes  font 
d'ailleurs  toucher  du  doigt  ;  par  exemple  dans  VQ\':\ms  Pontifical  de 
Met\  de  i3o2,  dans  les  Heures  de  Jeanne  de  Navarre,  vers  i33o,  à  la 
bordure  tricolore  (peut-être  la  marque  d'une  boutique  dont  l'enseigne 
était  A  Varc  en  ciel),  dans  le  manuscrit  de  Nicolo  di  ser  Sozzo  de 
1334,  à  Sienne,  qu'il  faut  rapprocher  d'un  bien  curieux  ms.,  à  peu 
près  ignoré,  de  la  Bibliothèque  d'Angers  (ms.  378),  les  Grégorien- 
nes, enluminées  en  i333  par  un  certain  Jean  de  Piciano,  qui  y  ap- 
pose sa  signature. 

Attribuer  encore  les  Très  riches  Heures  du  duc  de  Berry,  de  Chan- 
tilly, aux  frères  Limbourg,  n'est  peut-être  pas  sans  danger.  Qu'on  ait 
accepté  en  )884,  l'opinion,  même  très  hypothétique,  d'un  savant  émi- 
nent,  rien  de  plus  naturel.  Mais  depuis  on  a  fait  le  silence  autour  de 
travaux  infiniment  poussés,  qui  montraient  cependant  dans  cette  œuvre 
extraordinaire  plus  qu'une  influence  italienne.  On  n'a  jamais  voulu 
paraître  attacher  d'attention  aux  articles  du  fin  critique  d'art  qu'était  • 
Eug.  Muntz  (i885  ,  il  n'était  pas  d'accord  avec  L.  Delisle;  les  remar- 
ques de  H.  Bouchot  n'ont  semblé  d'aucune  importance,  il  n'admet- 


d'histoire  et  de  littérature  267 

tait  pas  les  Limbourg  aveuglément.  Aujourd'hui,  la  Vue  de  Sienne 
dans  la  miniature  de  V Adoralion  des  Mages  signée  de  Filippus,  si 
probablemeni  Filippus  di  Francesco  di  Piero  di  Heriuccio  —  artiste 
de  Sienne  — .  publiée  dans  les  Monuments  Piot,  l'origine  Siennoise 
du  Zodiaque,  un  des  problèmes  les  plus  impressionnants  de  cette 
suite  incomparable,  les  lettres  qui  annoncent  au  duc  de  Rerry  l'envoi 
d'artistes  de  Sienne  en  140g,  doivent  singulièrement  donner  à 
réfléchir. 

Il  en  est  de  même  des  Heures  d'Anne  de  Bretagne,  attribuées  à 
liourdichon.  Là  encore,  on  suit  sans  discuter  L.  Delisle,  parce  qu'il 
affirmait  qu'il  n'y  avait  qu'z//z  mandat,  pour  une  oeuvre  unique. 
Aujourd'hui  nous  avons  deux  mandats  de  payement  à  Bourdichon 
pour  deux  oeuvres  similaires  :  un  de  i  5o8,  un  de  i5i8,  et  de  plus, 
le  volume  de  la  Bibliothèque  nationale  porte  la  date  de  i5oi;enfln 
depuis  deux  ans,  cinq  répétitions  presque  identiques  sont  venues  à  la 
lumière.  Alors,  il  en  résulte  que  Bourdichon  était  simplement  un 
grand  éditeur,  car  ce  qu'il  livrait  ne  pouvait  être  de  sa  main,  sa  vie 
n'y  aurait  pas  sufti.  Et  nous  ne  savons  dès  lors  rien  de  lui,  sinon 
qu'il  dirigeait  un  atelier  célèbre,  d'où  sortirent  des  œuvres  superbes, 
acquises  par  les   rois  et  les  reines.  Et  c'est  tout. 

C'est  sur  ce  terrain  que  je  me  sépare  de  M.  H.,  pourtant  toujours 
si  averti.  11  n'a  en  effet  tenu  aucun  compte  ni  des  inscriptions  ni  des 
signatures  qui  modifient  forcément  ce  qu'on  sait  et  ne  permettent 
plus  d'écrire  l'histoire  de  l'art  comme  on  le  faisait  autrefois.  Depuis 
1866,  alors  que  L.  Delisle  imprimait  officiellement,  pour  la  pre- 
mière fois  je  crois,  que  les  artistes  du  moyen  âge  n'étaient  pas 
autorisés  à  signer  leur  nom,  sans  aucune  preuve  d'ailleurs,  nom- 
breuses cependant  ont  été  les  études  qui  publiaient  des  signatures  ; 
mais  personne  n'a  songé  à  en  faire  la  synthèse,  à  les  utiliser.  Quoti- 
diennement aujourd'hui  paraissent  de  nouveaux  travaux  apportant  de 
précieuses  découvertes,  déchiffrant  des  inscriptions,  qui  identifient  si 
bien  les  œuvres  d'art,  qu'hier,  M.  L.  Cust,  l'éminent  conservateur 
du  musée  de  Windsor,  constatait  dans  le  Burlington  Magaiine 
(février  1912)  l'importance  de  cette  méthode  qui  nous  fait  pénétrer 
dans  l'inconnu.  Elle  détruit  la  Tradition,  c'est  possible,  mais  elle 
permet  de  ne  plus  piétiner  sur  place. 

Le  livre  de  M.  H.  n'en  demeure  pas  moins  un  de  eeux  qu'il  faudra 
toujours  consulter  pour  les  renseignements  précieux  qu'on  y  ren- 
contre à  chaque  page. 

N'oublions  pas  de  signaler,  en  finissant,  l'excellente  bibliographie 
qui  termine  le  volume,  et  ses  index  fort  copieux,  qui  permettront  aux 
travailleurs  d'utiliser  tous  les  documents  contenus  dans  les  pages 
qui  les  précèdent. 

F.   DF,  Mélv. 


2Ô8  REVUE    CRITIQUE 

La  littérature  française  à  la  cour  des  ducs  de  Bourgogne,  par  G.  Doutre- 
i>osr  [Bihliotlii-quc  du  xv  siàclc,  t.  VIII\  l'aris,  Champion,  in-S»,  Lxviii-344  p., 
1909. 

Œuvres  composées  pour  la  famille  de  Bourgogne,  œuvres  anciennes, 
simplement  achetées,  recopiées,  ou  modernisées  à  la  demande  des 
quatre  ducs,  Philippe  le  Hardi,  Jean  sans  Peur,  Philippe  le  Bon  et 
Charles  le  Téméraire,  dans  les  divers  genres  (Epopées  et  romans 
d'inspiration  médiévale,  L'Antiquité,  Littérature  religieuse  et  didac- 
tique, Fabliaux  et  Nouvelles,  Théâtre,  Poésie  lyrique,  Histoires  et 
Chroniques),  tel  est  l'ensemble  énorme  —  la  Bibliothèque  de  Bour- 
gogne était  «  la  mieux  garnie  de  la  chrétienté  »  — dont  l'auteur  a  fait 
l'histoire,  l'inventaire  et  l'analyse  en  sept  chapitres  (les  quatre  cin- 
quièmes du  livre);  le  but  de  ce  travail  était  de  «  marquer  les  relations 
qui  existent  entre  les  manuscrits  qui  ont  été  recueillis  en  l'espace  de 
plus  d'un  siècle  et  les  goûts,  les  soucis  et  les  tendances  du  milieu  où 
ils  ont  été  confectionnés  et  rassemblés  ».  Ces  relations,  en  ce  qui 
concerne  les  princes,  leur  psychologie  et  leurs  tendances  politiques, 
on  les  trouvera,  partie  dans  {Introduction  (l'éducation  et  les  goûts 
intellectuels  des  quatre  ducs),  partie  dans  le  chapitre  ix  (Coup  d'œil 
rétrospectif),  et  dans  les  Conclusions  (p.  558  et  s.).  Quant  aux  écri- 
vains, voici  au  point  de  vue  de  l'histoire  littéraire  et  sociale,  les  princi- 
pales questions  que  s'est  posées  et  auxquelles  a  répondu  l'auteur  : 
leur  situation  (chap.  viii),  le  ton  de  leurs  œuvres  (passim,  chap.  vn, 
et  Conclusions,  p.  5o2-3,  l'éloge  passe  la  remontrance,  étouffe  l'ex- 
pression des  besoins  et  des  revendications  des  peuples),  ce  qu'ils 
doivent  à  la  cour  au  point  de  vue  littéraire  (les  Eustache  Deschamps, 
Christine  de  Pisan,  Martin  Le  Franc,  Antoine  de  La  Salle  n'ont  reçu 
de  ce  milieu  aucune  formation  ou  empreinte  littéraire,  mais  les  Oli- 
vier de  la  Marche  et  les  Georges  Chastellain,  sans  l'aide  de  la  cour 
n'eussent  pas  produit  leurs  œuvres  ;  les  écrits  des  rhétoriqueurs,  hor- 
mis ceux  de  ces  deux  auteurs,  avec  deux  chroniques  et  trois  poèmes 
de  Molinet,  n'ont  paru  qu'après  que  la  cour  avait  cessé  d'exister),  ce 
qu'ils  doivent  à  l'esprit  général  du  siècle  (style  «  pâteux  et  diffus  », 
allusions  et  réminiscences  pédantesques),  l'importance  respective  qu'ils 
accordent  à  la  prose  et  à  la  poésie  (refontes  romanesques  des  épopées, 
traductions,  bref,  prédominance  de  la  prose).  En  résumé,  à  la  Cour 
de  Bourgogne  comme  sous  le  règne  de  Charles  V,  la  grande  majorité 
des  auteurs  sont  de  mince  talent,  impossibles  à  «  réhabiliter  »  (les 
Jean  Wauquelin,  David  Aubert,  Miélot,  F.  Mastre,  Mansel,  etc.), 
mais  ils  préparent  le  terrain  où  sera  cultivée  la  littérature  de  la  Renais- 
sance ;  sur  la  diversité  des  tendances  de  cette  littérature  (prédication 
morale,  piété,  mais  aussi  gaillardise  et  indulgences  de  toutes  sortes), 
M.  Doutrepont  rejoint  les  conclusions  qu'avaient  formulées  Gaston 
Paris  et  de  M .  A.  Piaget  sur  une  des  œuvres  de  ce  siècle,  le  Cham- 
pion des  Dames. 


d'histoire  et  de  littérature  269 

Des  monographies  parues  depuis  le  livre  de  M.  Doutrepont,  et  le 
premier  volume  de  VHistoire  de  la  poésie  en  France  au  xvi^  siècle, 
nous  font  connaître  de  plus  près  la  valeur  littéraire  de  nos  rhétori- 
queurs,  de  Georges  Chastellain  à  Gringore  ;  mais  Ton  voit  que  cette 
histoire  de  la  Bibliothèque  des  ducs  de  Bourgogne  n'est  pas  une  his- 
toire exclusivement  extérieure  des  productions  du  xv"  siècle.  Elle 
rassemble  une  masse  considérable  de  faits,  dont  une  bonne  partie 
sont  nouveaux;  elle  fait  honneur  à  l'érudition,  à  la  persévérance 
méthodique  et  inlassable,  au  talent  d'exposition  du  professeur  de 
l'Université  de  Louvain  '. 

H.  G. 


The  Reconstruction  of  the  original  Chanson  de  Roland,  par  Frederick 
Bliss  LuQUiENs  (Yale  University),  in-8°,  26  p.  (reprinted  from  the  Transactions 
of  the  Connecticut  Academy  of  Arts  and  Sciences,  vol.  XV,  July  1909. 

M.  Luquiens  se  propose  d'établir  que  l'original  de  la  Chanson  de 
Roland  était  au  point  de  vue  littéraire  d"une  «  excellence  constante  et 
achevée  »,  que  le  manuscrit  d'O.xford  présente  les  qualités  suivantes  : 
unité,  cohérence  et  «  emphasis  »  (c'est-à-dire  proportion  des  parties, 
gradation  d'intérêt,  symétrie  artistique  et  variée,  —  d'après  les  défini- 
tions données  par  le  professeur  G.  S.  Baldwin  dans  son  traité /l  Col- 
lège Maniial  of  Rhetoric),  et  que  les  quelques  imperfections  qu'on 
y  rencontre  peuvent  être  attribuées  à  des  copistes  négligents  ou 
novices  présomptueux;  l'auteur  poursuit  cet  examen  de  l'ensemble 
aux  détails,  «  chapitres  »  (en  particulier  les  deux  premiers),  strophes, 
vers;  dans  l'ensemble,  il  ne  trouve  que  huit  mauvais  vers  authenti- 
ques sur  2927. 

Une  si  parfaite  ordonnance,  ajoute  en  note  l'auteur,  doit-elle  sur- 
prendre en  ce  onzième  siècle  français  qui  a  donné  au  monde  «  les 
principes  de  l'architecture  ogivale  »  ?.. 

.Jusqu'ici,  M.  Luquiens  développe  et  corrobore  les  appréciations 
élogicuses  de  Petit  de  Julleville,  de  Ten  Brink  [Geschichte  der  englis- 
chen  Litteratiir,  Strassburg,  1899),  et  du  professeur  W.  M.  Hart.  Dans 
la  seconde  partie  de  son  étude,  il  essaie  de  prouver  que  la  thèse  qu'il 
soutient  assure  à  la  théorie  de  Théodore  Millier,  sur  le  classement  des 
manuscrits,  une  supériorité  incontestable  sur  le  texte  et  le  classement 
des  manuscrits  proposés  par  le  professeur  Stengel,  et  que  le  principe 
adopté  par  Muller  (mal  appliqué  en  deux  endroits  de  son  édition, 
ajoute  M.  Luquiens)  :  ne  jamais  corriger  le  manuscrit  d'Oxford 
d'après  les  autres  rédactions,  excepté  les  cas  où  une  raison  impérieuse 
s'impose,  doit  être  complété  par  celui-ci  :  exclure  du  manuscrit 
d'Oxford  tout  ce  qui  peut  être  prouvé  comme  provenant  des  copistes. 
Mais  les  copistes,  d'où  vient  tout  le  mal,  ont  peine  à  se  défendre  et  à 

1.  Ajouter  à    VErrata,  une  erreur  typographique,  p.  482,  avant-dernière  ligne. 


270  REVUE    CRITIQUE 

emptîchcr  rintclligoni  ci  dili^^cnt  commentateur  d'accorder  à  une 
hypoilicsc  séduisante,  que  soutiennent  des  concordances,  des  obser- 
vations de  détail,  la  valeur  d'une  certitude. 

H.  C. 


Sermones  dominicales.    Ediles   par  Aron   Szilûdv.    lîudapest,  Académie,  1910, 
2  vol.  xx-663  et  7G4  pages,  iii-8". 

M.  Szilâdy  auquel  on  doit  de  nombreux  travaux  sur  la  littérature 
hongroise  des  xv  ei  xvi<^  siècles,  vient  de  publier  deux  volumes  de 
semions  latins  du  xv''  siècle.  Le  texte  de  ces  Sermons  nous  est  con- 
servé dans  deux  manuscrits  dont  lun  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de 
l'Université  de  Budapest  (Cod.  Lat.  Saec.  XV,  n°  98;  et  l'autre  à  la 
Bibliothèque  du  Couvent  des  Franciscains  à  Német-Ujvâr.  Tous  les 
deux  furent  signalés  dès  i883  par  M.  Fejérpataky  comme  contenant 
des  gloses  hongroises.  Etant  donné  le  petit  nombre  de  textes  magyars 
conservés  du  xV  siècle,  l'intérêt  de  ces  manuscrits  est  assez  grand 
pour  les  linguistes.  L'auteur  de  ces  Sermons  est  un  nommé  Frère 
Dionyse,  chanoine  de  Pécs  (Cinq-Eglises)  qui,  en  guise  d'explication, 
a  ajouté  souvent  le  terme  magyar  à  des  expressions  peu  familières  à 
son  auditoire;  par  exemple  praesumpiiiose  vakmerœ,  magnae  nondi- 
nae  vulgo  sokadalom,  merces,  dru,  etc.  Le  lexique  de  ces  vocables  et 
tournures  n'occupe  pas  moins  de  171  pages  (tome  I,  p.  493-663)  et 
sera  fréquemment  consulté  par  les  linguistes  à  côté  des  quinze 
volumes  du  Nyelvemléktdr  et  des  fragments  de  dictionnaires  de 
Besztercze,  de  Gyôngyôs  et  de  Murmelius  découverts  et  édités  dans 
ces  dernières  années. 

Nous  ne  savons  pas  grand  chose  de  l'auteur  de  ces  Sermons  ;  d'après 
les  manuscrits  il  s'appelait  Dionyse  et  d'après  les  vocables  hongrois, 
M.  Szilâdy  croit  qu'il  était  du  district  d'au-delà  du  Danube  et  l'iden- 
tifie avec  ce  Dionyse  de  Mohâcs  qui  hgure  dans  la  liste  des  Maîtres 
et  élèves  hongrois  à  V Université  de  Vienne  aux  xiv*  et  xv^  siècles  que 
Mgr  Fraknoi  a  dressée  en  1874.  M.  Szilâdy  démontre  également  que 
l'auteur  des  Sermons  en  a  emprunté  un  bon  nombre  à  Jacques  de 
Voragine. 

Le  texte  est  établi  avec  cette  érudition  de  bon  aloi  qui  caractérise 
les  travaux  du  savant  rapporteur  de  la  Commission   d'histoire    litté- 


raire de  l'Académie  hongroise. 


I.   KONT. 


Ernest    Daudet.    Lambassade  du  duc  Decazes    en    Angleterre    (i82o-i83t). 
Paris,  Pion,   1910,  iii-8°,  375  p. 

Ce  volume  est  la  suite  d'une  sorte  de  biographie  politique  du  duc 
Decazes,  entreprise  il  y  a  déjà  longtemps  par  M.  Daudet,  et  dont  le 
tome  premier  a  paru  en    1899   sous  le  titre  Louis  XVIII  et  le  duc 


d'histoire  et  de  littérature  271 

Deccir^es.  Ce  ne  peut  guère  être  une  élude  complète  de  la  carrière  du 
personnage,  ni  surtout  une  étude  critique,  puisque  c'est  aux  héritiers 
mêmes  de  Decazes  que  Tauteur  est  redevable  de  presque  tous  les 
documents  qu'il  utilise.  iMais  ces  documents  sont  de  premier  ordre  : 
lettres  de  Louis  XVI 11  à  Decazes,  réponses  à  ces  lettres,  correspon- 
dances avec  le  duc  Pasquier,  journal  de  la  duchesse  Decazes  pendant 
son  séjour  à  Londres,  bulletin  du  cabinet  noir,  rapports  de  police, 
correspondances  diplomatiques  sur  la  mort  du  duc  de  Berry  et  les 
derniers  jours  du  ministère  de  iSkj,  etc.  11  y  aura  dans  tout  cela 
beaucoup  à  prendre  pour  Miisioire  du  règne  de  Louis  XVIII,  sinon 
pour  l'histoire  de  nos  relations  avec  l'Angleterre  sous  la  Restauration. 
On  y  verra  le  déclin  de  cette  faveur  extraordinaire  dont  avait  joui 
Decazes  auprès  du  roi,  et  qui  s'exprimait  parfois  dans  un  langage  si 
étrange.  Eloigné  de  Paris  pour  des  raisons  de  politique,  le  duc  y 
revint  sans  congé  régulier  pour  soigner  sa  jeune  femme,  gravement 
atteinte  dans  sa  santé  ;  il  encourut  de  ce  fait  les  colères  des  ultras,  et 
le  mécontentement  de  Louis  XVIII.  Ce  vieux  souverain,  toujours 
rempli  pour  son  «  cher  fils  »  Decazes  d'une  tendresse  apparente,  alla 
pourtant  jusqu'à  refuser  de  lui  donner  audience,  sous  prétexte  de 
scrupules  constitutionnels.  En  réalité  la  disgrâce  de  l'ambassadeur, 
de  plus  en  plus  accentuée,  coïncide  avec  la  faveur  croissante  de  la 
célèbre  Zoé  du  Cayla.  M.  D.  trace  de  cette  ancienne  amie  du  duc  de 
Rovigo,  devenue  le  truchement  fidèle  de  l'extrême  droite,  un  portrait 
piquant,  peu  flatté,  mais  qui  paraît  ressemblant.  L'histoire  de  la  Res- 
tauration est  à  refaire  presque  en  entier.  Celui  qui  l'entreprendra  ne 
saurait  négliger  l'importance  de  ce  nouveau  volume.  La  méthode  de 
l'auteur  est  toujours  la  même  :  il  ne  cite  ses  sources  que  très  rare- 
ment, et  d'une  manière  très  vague.  Cet  inconvénient,  qui  est  toujours 
très  grand  et  peut  enlever  toute  valeur  aux  conclusions  d'un  livre,  a 
cependant  moins  d'importance  pour  celui-ci,  qui  est  fondé  presque 
tout  entier  sur  une  collection  particulière.  Mais  ce  n'est  pas  une  rai- 
son pour  qu'on  puisse  approuver  ce  système,  qui  au  demeurant  n'a 
presque  plus  de  défenseurs  '. 

R.  G. 


I.  Quelques  noms  propres  mal  écrits.  11  faut  lire,  par  exemple,  BathiDst, 
Ancillon,  etc.  P.  236,  M'""  dli  Cayla  écrit  :  «  Je  secourrai  le  petit  Villèle  »  ; 
c'est  secouerai  qu'il  faut  lire  sans  doute,  cl  de  môme  p.  227,  n..  où  la  duchesse 
de  Berry  a  dû  dire  :  «  rien  sur  la  terre  ne  pourra  me  forcer  (et  non  m'empécher) 
de  rester  dans  la  même  pièce  que  l'assassin  de  mon  mari;  »  Un  lapsus  amusant: 
«  Bie>i  qu'elle  eût  été  administrée,  la  petite  duchesse  ne  devait  pas  mourir  »,  ce 
n  est  sûrement  pas  cela  que  M.  D.  a  voulu  écrire  (p.  22d).  A  noter  que  Charles  X, 
après  la  retraite  de  Mariignnc,  otlVit  le  pouvoir  à  Decazes,  à  la  condition  que 
Polignac  aurait  le  portefeuille  de  la  maison  du  roi,  ce  qui  fit  échouer  la  combi- 
naison. 


272  REVUE    CRITIQUE 

Biràlatok   Critiques)  par  Paul  Gyulai,    i86i-igo;<.    Budapest,   Académie,    igii, 
viii-434  p.   11116. 

Depuis  la  mort  du  grand  critique  hongrois,  ses  disciples  devenus  à 
leur  tour  des  maîtres,  ont  publié  des  éloges  et  des  études  qui  tous 
constatent  que  Paul  Gyulai  (1826-1909)  fut  le  critique  le  plus  repré- 
sentatit  de  la  période  qui  s'étend  de  i8ôo  à  1880.  Cette  période  a  vu 
le  triomphe  de  la  poésie  issue  du  peuple,  mais  ennoblie  par  les  efforts 
d'esprits  disciplinés,  fort  au  courant  du  mouvement  littéraire  de 
l'étranger,  n'admettant  que  ce  qui  se  distingue  par  la  noblesse  des 
sentiments  et  la  be'auté  de  la  forme,  loin  de  tout  chauvinisme  litté- 
raire et  de  tout  excès.  MM.  Ricdl,  Angyal  et  Haraszii  dans  leurs 
études  sur  le  maitre  disparu  ont  mis  dernièrement  en  évidence  la 
noblesse  de  ce  caractère  ferme  et  de  celte  haute  intelligence.  Le 
volume  que  l'Académie  vient  de  publier,  contient  trente-neuf  études 
ou  analyses  plus  ou  moins  longues  qui  se  rapportent  toutes  à  des 
sujets  littéraires,  excepté  les  pages  sur  Kossuth  et  la  pragmatique 
sanction  ^i88ii.  On  relira  avec  profit  les  études  sur  certains  romans 
de  Jôkai  que  Gyulai  n'aimait  guère,  tout  en  reconnaissant  que  Jôkai 
était  le  maitre  du  style  narratif  et  que  son  art  de  conter  fut  très  grand. 
Il  trouvait  cependant  ses  récits  peu  profonds,  manquant  d'analyse 
psychologique  et  leur  préférait  les  romans  de  Sigismond  Kemény.  Il 
ne  goûtait  pas  beaucoup  non  plus  les  premiers  travaux  historiques  de 
Coloman  Thaly,  trouvant  qu'il  y  étalait  trop  de  matériaux  et  de 
documents  mais  qu'il  n'était  pas  capable  de  les  dominer.  Quelques 
attaques  à  la  Société-Petôfi  et  aux  détracteurs  de  l'Académie  ne 
manquent  pas  non  plus  dans  ce  recueil. 

On  reprochait  à  Gyulai  que  dans  la  revue  Budapesti  S^emle  qu'il  a 
dirigée  de  iSjS  jusqu'à  sa  mort,  il  ignorait  systématiquement  les 
Jeunes.  Il  est  vrai  qu'il  ne  les  gâtait  pas  et  que  leur  cosmopolitisme 
littéraire  n'était  pas  de  son  goût.  Il  ne  manquait  cependant  pas  de 
signaler  les  œuvres  de  Kozma,  de  Dôczi,  de  Herczeg,  de  Mikszâth, 
de  Kiss  et  d'Ignotus  dans  des  critiques  que  l'on  est  content  de 
trouver  ici  réunies.  Si  le  volume  ne  reflète  pas  tout  le  mouvement 
littéraire  des  quarante  dernières  années  de  Gyulai,  il  est  néanmoins 
une  contribution  très  importante  pour  connaître  l'état  des  lettres  à 
cette  époque.  Et  sous  ce  rapport  il, sera  le  bienvenu. 

I.     KONT. 

Victor  Hugo,   par   iMarcel    Benedek.    Budapest,   Franklin,    1912.    —    448  pages, 
in-i6. 

Dans  le  préambule  de  la  dernière  partie  de  ce  livre,  l'auteur  nous 
explique  la  genèse  de  son  œuvre.  Il  a  vu  au  Musée  Victor  Hugo  la 
Proclamation  aux  Allemands.  L'impression  qu'il  en  a  ressentie  fut 
tellement  grande,  qu'il  se  proposa  de  lire  chaque  ligne  de  cet  auteur, 
de  connaître  sa  vie  jusque  dans  ses  moindres  détails  et  d'essayer  l'ana- 


I 


d'histoire    et    de    LITTERATURE  2/3 

lyse  de  cette  àme  compliquée.  Et  M.  Benedek  a  tenu  sa  promesse.  Il 
a  lu  consciencieusement,  la  plume  à  la  main,  les  œuvres  complètes  de 
Victor  Hugo,  il  a  dépouillé  ses  commentateurs  surtout  les  plus 
récents.  Possédant  un  certain  talent  pour  la  synthèse,  un  style  très 
agréable,  il  a  donné  la  première  grande  biographie  hongroise  du 
poète.  Nous  n'avons  pas  affaire  ici  à  un  ouvrage  d'érudition  ;  certains 
chapitres  montrent  plutôt  le  journaliste  avisé  qui  égayé  le  lecteur  par 
des  anecdotes,  par  le  récit  de  la  vie  intime.  Déjà  la  division  du  livre 
diflère  de  ce  qu'on  trouve  habituellement  dans  une  biographie.  Les 
cinq  parties  dont  il  se  compose  s'intitulent  :  Le  lyrisme  de  Vadoles- 
cent  et  de  l'homme;  Le  drame  ;  Le  lyrisme  de  l'exil;  Roman  et  épo- 
pée; L'art d^étre  grand-père.  Dans  ces  cinq  chapitres  nous  trouvons 
condensée  toute  la  vie  du  poète,  l'analyse  de  ses  œuvres,  même  de  ses 
discours  dans  les  assemblées  politiques,  une  appréciation  très  péné- 
trante de  ses  poésies  lyriques  que  M.  Benedek  admire  pardessus 
tout,  et  de  ses  romans.  Quelquefois  ses  sources  françaises  l'entraînent 
un  peu  trop  loin,  ainsi  il  y  a  trop  de  noms  à  propos  du  Cénacle  de 
la  Muse  française  (p.  -8  et  jq)  et  cela  grâce  à  la  publication  récente 
de  M.  Séché;  l'introduction  sur  le  drame  romantique  est  égalemenr 
trop  longue.  Par  contre  on  aurait  souhaité  plus  qu'une  note  (p.  442- 
446)  sur  «  Victor  Hugo  en  Hongrie  ».  M.  Benedek  avoue  que  son 
professeur  à  l'Université  de  Budapest,  M.  Riedl,  lui  a  conseillé  de 
faire  ce  chapitre,  mais  il  faudrait,  dit-il  en  guise  d'excuse,  tout  un 
volume  pour  traiter  ce  sujet  à  fond.  C'est  vrai,  car  depuis  les  études 
du  baron  Eôtvôs  sur  Victor  Hugo  qui  datent  de  i836  et  les  premières 
représentations  de  ses  pièces  au  Théâtre  National  de  Pest,  jusqu'à 
nos  jours,  on  n'a  pas  seulement  traduit  et  joué  Victor  Hugo,  mais 
il  a  exercé  une  grande  influence  sur  Vôrôsmarty,  Eôtvôs  et  Jôkai  et 
sur  de  nombreux  poètes  lyriques.  Malgré  cela,  M.  Bene(iek  aurait  pu 
indiquer  dans  un  chapitre  les  grandes  lignes  de  cette  influence.  Mais 
cette  lacune  ne  nous  empêche  pas  de  reconnaître  la  valeur  de  cette 
étude  qui  plaira  au  public  lettré  auquel  elle  est  principalement  des- 
tinée '. 

I.    KONT. 


I.  En  vue  d'une  seconde  édition,  nous  soumettons  à  M.  Benedek  les  remarques 
suivantes  :  Page  3o,  la  citation  de  H.  von  Hofmannsthal  aurait  dû  être  traduite  en 
hongrois;  p.  38,  écrire  :  .]  eux  floraux  ;  p.  127,  Bai^f  ac  ;  p.  i  34  et  ailleurs  :  il  n'est 
guère  admissible  de  mettre  les  initiales  d'un  nom  propre  ou  d'un  titre  dans  le 
texte  même  d'un  ouvrage  de  ce  genre  :  ainsi  S.  B.  pour  Sainte-Beuve  (il  ne  faut 
pas  écrire  non  plus  Ste-Beuve)  S.  M.  Girardin  pour  Saint-Marc  Girardîn;  D.j. 
dun  condamné  (p.  35o),  Tr.  de  la  mer  [p.  372).  —  P.  140,  l'adjectif  hatalmas 
(puissant,  immense)  ne  s'applique  guère  à  la  Coupole  de  l'Institut;  p.  274,  Victor 
Hugo  n'a  jamais  éxé  secrétaire  [pcrpéincVj  de  l'Académie;  il  y  a  là  une  confusion 
entre  chancelier  et  secrétaire .  En  général,  les  écrivains  hongrois  ne  connaissent 
pas  bien  l'organisation  de  l'Institut  de  France  ;  les  journaux  croient  que  l'officier 


2-^.  REVUE    CRITIQUE 

Les  questions  actuelles  de  politique  étrangère  dans  l'Amérique  du  Nord, 
contcrcnccs  orgaiiisccs  par  la  Socicic  des  anciens  élèves  el  des  elè\es  de  IKctjlc 
libre  des  sciences  politiques,  Paris,   Alcan.    1911,  in-iG.    xviii  et   242  p.,  cartes, 

1^  fr.  3o 
L'Europe  et    la  Jeune  Turquie,    par    René    1'in..n,    Paris,   Penin.    kjii,    in-8», 

x\i  el  S">  p..  caries,  ?  tr. 
Politique  extérieure,    par  Lucien    IIiukut,    Paris.    Alcan,    njii,    in-it),  23:^  p., 

;^  tV.  3(1. 
Derrière  la  façade  allemande,  par  P.  H.,  Paris,  Chapclot,    1912,  in-iG.  107  p., 

I  fr.  23. 
La  mission  des  troupes  noires,  par  le  lieutenant  colonel  Mangin,  Paris,  Comité 
de  l'At'riqne  française,  191  i,  in-iC).  44  p. 

La  société  des  anciens  élèves  et  élèves  de  TEcole  libre  des  sciences 
politiques,  poursuivant  les  conférences  qui  ont  obtenu  depuis  1907 
un  succès  si  mérité,  a  tourné  l'année  dernière  son  attention  vers 
l'Amérique  du  Nord.  M.  A.  Siegfried  a  parlé  du  Canada  et  de  Timpé- 
rialisme  britannique  ;  M.  P.  de  Rousiers,  du  canal  de  Panama; 
M.  de  Pérignv,  du  Mexique;  M.  Firmin  Roz  de  la  crise  des  partis 
aux  Etats-Unis;  M.  A.  Tardicu,  de  la  «doctrine  de  Monroe  »  et  du 
panaméricanisme.  Dans  chacune  de  ces  leçons  on  peut  louer  les 
mêmes  qualités,  mais  les  auteurs  sont  exposés  par  la  nature  même  de 
leurs  études  au  danger  de  spéculer  sur  les  événements  futurs,  et 
l'avenir  est  parfois  prompt  à  déjouer  leurs  prévisions.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  M.  de  Périgny  se  refusait  à  croire  au  succès  possible  de 
Madero,  et  les  feuillets  n'étaient  peut-être  pas  sortis  de  la  presse,  que 
le  président  Porfirio  Diaz  arrivait  en  fugitif  sur  les  côtes  européennes. 
On  ne  saurait  reprocher  sévèrement  ces  erreurs  inévitables  aux 
conférenciers;  tout  ce  qu'on  est  en  droit  d'exiger  d'eux,  ce  sont  les 
données  exactes  et  complètes  des  problèmes  posés,  et  par  la  clarté, 
la  méthode,  le  savoir,  ceux  de  cette  année  se  sont  montrés  les  dignes 
émules  de  leurs  prédécesseurs. 

Un  de  ceux-ci,  et  non  des  moins  distingués,  M.  R.  Pinon  publie 
sous  le  titre  :  l'Europe  et  la  jeune  Turquie,  une  suite  à  son  excellent 
ouvrage  sur  V Europe  et  V Empire  ottoman.  Il  a  réuni  des  articles 
parus  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  et  y  a  ajouté  des  post- 
scriptum  qui  analysent  brièvement  les  changements  survenus  jusqu'au 
l'f  juillet  191  I.  Il  prend  naturellement  pour  point  de  départ  la 
révolution  ottomane  de  1908,  et,  sans  s'attacher  à  raconter  des  évé- 
nements encore  présents  à  toutes  les  mémoires,  il  s'efforce  de  les 
expliquer,  de  les  grouper,  d'établir  les  liens  existant  entre  eux.  Le 
mouvement  des  Jeunes  Turcs  l'occupe  particulièrement;  c'est  avec 
une  impartialité  méritoire  qu'il  expose  Toeuvre  accomplie,  signale  les 
périls  du  chemin.  M.  P.  ne  cache  pas  ses  craintes  de  voir  les  réfor- 
mateurs   s'enliser    en   une   politique    musulmane    et    nationaliste   de 

d'Académie  est  nommé  par  l'Académie  française.  —  P.  43 1,  il  est  peut-être  exa- 
géré de  dire  que  la  statue  de  Victor  Hugo  par  Rodin  explique  mieux  que  tous  les 
commentateurs  ei  critiques  le  génie  du  poète, 


d'histoire    KT     [IV.    LITTÉRATURK  275 

naiure  à  aliéner  les  cléments  chiéiiens  de  l'empire.  Il  est  ensuite 
amené  à  traiter  l'annexifjn  de  la  Bosnie-Herzégovine,  le  boycottage 
ami-autrichien  et  ami-grec,  la  question  albanaise  et  monténégrine, 
la  Roumanie  et  son  entente  militaire  avec  la  Turquie.  Ayant  passé 
les  Balkans  en  revue,  M.  P.  aborde  l'examen  d'une  des  solutions  les 
plus  vantées  de  réternelle  question  d'Orient  :  la  constitution  d'une 
confédération  balkanique;  il  ne  lui  est  que  trop  aisé  de  démontrer 
que  cette  combinaison,  éminemment  souhaitable,  ne  sera  pas  réalisée 
de  longtemps,  et  que,  longtemps  encore,  le  gâchis  oriental  restera  un 
grave  danger  pour  la  paix  européenne  que  menace  si  sérieusement- 
d'autre  part  la  rivalité  de  l'Allemagne  et  de  l'xAnglcterre.  Celle-ci, 
qui  domine  la  politique  contemporaine,  se  mêle  à  tout  pour  tout 
empirer,  tout  fausser;  la  question  d'Orient  ne  lui  échappe  pas,  et 
M.  P.  a  pu  justement  écrire  sur  ce  point  particulier  un  chapitre  qui 
est  peut-être  le  plus  passionnant  de  ce  livre  si   intéressant  toujours. 

Avec  M.  L.  Hubert  nous  revoyons  quelques-uns  des  sujets  traités 
par  M.  Pinon,  et  si  les  deux  auteurs  ne  se  placent  pas  forcément  au 
même  point  de  vue,  leurs  conclusions  se  concilient  en  général  assez 
bien  ;  c'est  ainsi  que  pour  la  Jeune  Turquie,  M.  H.  discerne  nette- 
ment aussi  les  périls  que  lui  fera  courir  «  le  chauvinisme  musul- 
man »,  le  panislamisme.  La  partie  la  plus  considérable  de  l'œuvre  de 
M.  H.  est  consacrée  au  Maroc.  L'éminent  député  a  été  le  rapporteur 
de  l'acte  d'Algésiras  et  de  tous  les  projets  concernant  l'empire  chéri- 
fien  depuis  1904.  Les  discours  reproduits  établissent  que  si  la 
Chambre  et  le  Gouvernement  eussent  plus  souvent  écouté  ses  sages 
avis,  on  eût  sans  doute  évite  quelques  écueils.  Dès  1904,  il  dénonçait 
les  progrès  du  commerce  allemand  et  les  appétits  de  l'Allemagne. 
Plus  tard,  il  s'efiorcait  de  mettre  le  gouvernement  en  garde  contre  le 
triomphe  possible  de  Moulay  Halid  dans  la  guerre  civile.  Les  der- 
nières pages  du  livre  se  rapportent  à  la  politique  coloniale.  D'après 
M.  H.  la  France,  ne  saurait  songer  à  utiliser  ses  possessions  loin- 
taines comme  colonies  de  peuplement  ;  il  serait  contraire  à  ses  prin- 
cipes humanitaires  de  les  exploiter  ;  il  lui  reste  donc  à  pratiquer  la 
politique  d'assimilation  qui  consiste  à  faire  évoluer  l'indigène  dans 
sa  propre  civilisation.  C'est  la  tâche  qui  s'impose. 

M.  P.  D.  du  journal  «  la  Dépêche  »  ne  s'applique  pas  aux  ques- 
tions de  politique  étrangère  ou  coloniale  qui  ont  amené  la  France  et 
l'Allemagne  à  la  veille  d'un  conflit;  mais,  acceptant  cette  situation, 
il  s'efforce  de  démontrer  que  la  puissance,  qui  est  depuis  si  long- 
temps notre  adversaire  et  qui  sera  peut-être  notre  ennemie  demain, 
n'est  pas  aussi  redoutable  que  sa  façade  porterait  à  le  croire.  En  d'au- 
tres termes  il  entreprend  de  rendre  aux  Français  confiance  en  leurs 
forces  en  leur  révélant  les  défauts  de  la  cuirasse  germaine.  Il  voit  sur- 
tout ces  défauts  dans  le  régime  aristocratique  et  autoritaire  de  l'Alle- 
magne et  de  son  armée,  et  il  néglige  de  parti-pris  les  avantages  indé- 


276  REVUK    CRITIQUE 

niables  do  ce  régime  au  point  de  vue  militaire.  Ses  raisonnements  sur 
les  ditiérences  d'effectifs  ci  leurs  conséquences  dans  une  guerre, 
paraissent  plus  logiques. 

Cependant,  malgré  l'optimisme  préconisé  par  M.  1).,  il  importe 
toujours  de  se  préoccuper  de  ces  différences  d'effectifs  entre  les  deux 
armées,  et  c'est  pour  suppléer  à  nr)tre  laible  natalité  qu'on  a  envisagé 
la  possibilité  d'utiliser  les  ressources  en  soldats  de  notre  empire  afri- 
cain. Le  lieutenant-colonel  Mangin,  promoteur  de  cette  idée  peut-être 
féconde,  revient  de  reconnaître  sur  place  l'importance  des  contin- 
gents qu'il  serait  aisé  de  recruter  dans  ces  régions.  Le  comité  de 
l'Afrique  française,  auquel  il  a  communiqué  les  renseignements 
recueillis  par  ses  collaborateurs  et  par  lui,  les  transmet  au  public  dans 
une  brochure  instructive  qui  promet  la  réalisation  des  espoirs  conçus. 

A.  BiovÈs. 


Michel  Bakounine,  Œuvres,  t.  V,  avec  une  préface,  des  avant-propos  et  des  noies 
par  .lames  Guillaume.  Paris,  l^.-V.  Stock,   191 1,   vu  et  362  p.,  in-i6. 

Le  tome  V  des  Œuvres  de  Bakounine,  que  son  disciple  M.  J.  Guil- 
laume collige  avec  patience,  renferme  :  i"  une  série  d'articles  que  le 
révolutionnaire  russe  écrivit  en  1868  et  1869  dans  le  journal  VEga- 
lité  de  Genève,  organe  des  sections  suisses  de  l'Internationale  ;  2"  une 
longue  lettre  inédite  adressée  par  Bakounine  au  journal  Le  Réveil  de 
Delécluze  pour  protester  contre  les  attaques  du  juif  allemand  Moritz 
Hess  qui  l'avait  représenté  comme  un  agent  masqué  du  tzarisme  ;  3° 
trois  conférences  de  philosophie  historique  faites  aux  ouvriers  du 
Val  de  Saint-Imier  en  mai  1871 .  Dans  ses  articles  de  V Egalité,  Bakou- 
nine oppose  sa  conception  révolutionnaire  du  socialisme  à  celle  du 
docteur  Coullery  qui  représentait  à  La  Chaux  de  Fonds  les  idées 
socialistes  réformistes.  Dans  sa  lettre  au  Réveil,  il  marque  une  anti- 
pathie très  vive  contre  les  publicistes  juifs  qui  introduisent  dans  le 
socialisme  le  mercantilisme  de  leur  race.  Dans  ses  conférences  du 
Val  de  Sainl-Imier,  il  caractérise  l'importance  de  la  Réforme  et  de  la 
Révolution  française  dans  l'évolution  de  l'humanité  vers  la  cité  future 
de  ses  rêves. 

Les  notes  et  commentaires  de  M.  Guillaume  sont  d'un  homme 
d'action  qui  n'a  pas  renoncé  à  la  lutte  et  qui  entend  que  sa  publication 
serve  ses  idées.  Leur  caractère  subjectif  et  même  polémique  ne  doit 
pas  cependant  faire  méconnaître  leur  utilité.  Elles  sont  abondantes 
et  précises, 

A,  Mathiez. 


Histoire  de  l'Art,  publ.  sous  la  direction  d'André  Michel,  tome  IV,  2^  partie. 
Paris,  A.  Colin,  gr.  in-S^de  5oo  p.  Prix  :  i5  fr— M""  Vigée-Le-Brun,  peintre 
de  Marie-Antoinette,  par  Pierre  de  Nolhac.  Paris,  Goupil,  Manzi  et  Joyant,in-8<', 


D  HISTOlRi:    ET    DE    LITTERATURE  277 

de  275  p.  Prix  :  20  fr.  — Les  musées  municipaux,  par  M.  <^iii:ntis-Bauciiart 
(Les  richesses  d'art  de  la  ville  de  Paris),  Paris,  11.  l.aurcns,  in-80  carré  de 
193  p.  Prix  :  8  fr.  —  Le  Vieux  Paris;  Souvenirs  et  vieilles  demeures,  publ. 
sous  la  direction  de  ().  Lemitre.  i  "■  série.  Paris,  Ei^gimann,  in-4"  de  80  p.  — 
Lunettes  et  lorgnettes  de  jadis,  par  M'"«  Alfred  Heymann,  Paris,  J.  Leroy, 
in-4°  de  i25  gr.  avec  nonihr.  pi. 

L'Histoire  de  VArt,  si  diligemment  dirigée  par  M.   André  Michel, 
poursuit,  dans    la  seconde    partie   de   son    lome  IV,  dernier  volume 
paru,  l'étude  de   la  Renaissance.  Apres  l'art  Italien  de  cette  période, 
qui  avait  occupé  tout  le  précédent  volume,  celui-ci  nous  renseigne  sur 
l'art  français,  et  l'art  espagnol  et  portugais.   Le  suivant  sera  consacré 
aux  pays  du  Nord,  et  c'est  à  la  tin  de  celui-ci   seulement  que  paraîtra 
la  conclusion  générale  habituelle  sur  toute  la  période  étudiée  ici.  On 
ne  songera  pas  à  juger  trop  développée  l'histoire  en  trois  volumes  de 
cette  seule  période  :  elle  est  tellement  riche  et  grosse  de  conséquences 
qu'à  peine  ces  proportions-là  sont  suffisantes  à  un  aperçu  de  la  ques- 
tion. On  doute  même  comment  un  seul  volume  suffit  à  terminer  l'en- 
semble de  celte  étude,  même  en  se  bornant  à  tracer  la  voie,  à  planter 
des  jalons  pour  des   monographies  plus  complètes.   En  attendant,  le 
présent  tome  est  des  plus  intéressants,  et  distribué  dans  d'heureuses 
proportions.  L'architecture  en  France  a  été  l'objet  de  six  chapitres  par 
M.  Paul  Vitrv,  qui  a  bien  tracé  l'évolution  de  noire  style  dit  gothique 
par  la   vogue    des   artistes  et    des    monuments   italiens,    et  étudié  à 
part  les    principaux  architectes  de  la  période    néo-classique.  La  scul- 
pture, depuis  Louis  X 1  jusqu'à  la  Hn  des  Valois,  entre  Michel  Colombe 
et    Germain    Pilon,   a    été    naturellement   décrite    et  commenté  par 
M.  André  Michel  lui-même.  M.  Jean  de  Foville  s'est  attaché  ensuite 
à  la  médaille  et  à  l'art  monétaire,  de  Charles  VII  à  Henri  IV  ;  M.  Paul 
Durrieu,  à  la   peinture,  depuis  Charles  VII  jusqu'à  la  fin  des  Valois, 
des  miniaturistes   et  de  Jean    Fouquet,    aux   Clouet  et   à   l'école  de 
Fontainebleau;  M.  Emile  Mâle,  enfin,  au  vitrail,  pendant   les  xv^  et 
xvF  siècles.  Pour  l'art  en  Espagne  et  en  Portugal,  c'est  M.  Emile  Ber- 
taux  qui  s'en  est  chargé  tout  en  remontant  d'abord  avant  la  Renais- 
sance, au   roi  Manuel  le  Fortuné,  aux  influences  flamandes,  si  sensi- 
bles, puis   en  étudiant  la   part  des  artistes  français  et   italiens  dans  ta 
rénovation  de  cet  art.  Cette  monographie,  distribuée  ainsi  en  lo  cha- 
pitres très   substantiels,  est  sans  doute,  pour   le  lecteur,  la  partie  la 
plus  neuve  de  l'ouvrage.  Une  bonne  bibliographie  achève,  comme  de 
coutume,   chacune  des  parties  du  volume,  qu'éclaire   une  profusion 
d'excellentes   reproductions  photographiques  (325),  souvent  très  peu 
connues. 

M.  Pierre  de  Nolhac  se  plait  le  plus  souvent,  dans  ses  monogra- 
phies d'art,  à  de  somptueuses  éditions  fort  peu  accessibles  à  k  masse 
des  lecteurs.  Mais  quelques-unes  sont  par  lui  réduites  à  un  format  et 
un  prix  plus  populaire,  du  moins  quant  à  la  documentation,  et  de 
même  que  nous  avons  pu  signaler  ici  une  édition  relativement  popu- 


■ZyS  RKVUK    CRITIQUE 

lairc  de  son  NiUtici\  voici  i]lic  ikhis  en  devons  noicr  ici  une  sem- 
blable pour  M"'°  Vigée-Le-liniu.  Cette  histoire,  nettement  suivie 
dans  l'ordre  chronologique,  n'est  qu'en  partie  une  étude  d'art,  elle 
s'attache  surtout  à  la  biographie  de  cette  artiste  qui  fut  mêlée  à  tant 
d'événements,  et  la  conte  avec  entrain,  avec  vie,  non  sans  documents 
inédits  et  papiers  de  (amilleà  la  base.  Les  deux  listes  des  oeuvres  expo- 
sées aux  Salons  par  M"'"  Vigée-Le-Brun,  et  de  celles  qui  ont  été  vues 
dans  des  collections  particulières,  complètent  utilement  l'ouvrage, 
sans  oublier  une  bonne  table  alphabétique  générale.  28  reproductions 
des  plus  beaux  portraits  de  l'ariisie  donnent  un  prix  particulier  à  cette 
agréable  étude. 

Le  très  regretté  conseiller  municipal,  pariiculicrcmcnt  attaché  aux 
Beaux- Arts,  Quentin- Bauchari,  avait  achevé,  avant  sa  mort  préma- 
turée, pour  la  collection  des  «  Richesses  d'art  de  la  ville  de  Paris  » 
fondée  par  l'éditeur  H.  Laurcns,  un  volume  sur  Les  Musées  munici- 
paux :  palais  des  Beaux-Arts,  musées  Carnavalet,  Victor  Hugo, 
Galliera  et  Cernuschi.  Son  Hls,  qui  lui  a  succédé,  l'a  présenté  comme 
en  son  nom.  11  est  très  documenté,  très  historique,  et  écrit  avec  une 
véritable  verve.  64  planches  hors  texte  apportent  la  plus  utile  contri- 
bution à  ces  monographies,  qu'achève  une  bonne  table  des  noms. 

Rapprochons  de  ce  catalogue  raisonné  de  nos  richesses  d'art  pari- 
siennes une  intéressante  publication  sur  Le  Vieux  Paris,  qui  ne  fait 
que  débuter  mais  dans  des  conditions  auxquelles  on  peut  accorder 
tout  crédit.  Avec  le  sous-titre  de  souvenirs  et  vieilles  demeures,  qui 
permettra  bien  des  voyages  originaux  et  des  documents  décisifs  sur 
mainte  chose  de  l'ancien  et  artistique  Paris,  cette  première  série  fait 
augurer  le  mieux  du  monde  de  la  suite  du  travail,  que  M.  G.  Lenôtre 
dirige.  Les  petites  monographies  contenues  dans  ce  fascicule  in-q", 
d'une  vraie  coquetterie  comme  disposition,  sont  consacrées  :  à  l'église 
Saint-Séverin,  par  M.  L.  Lanibeau,  à  l'Abbaye-au-bois  (aujourd'hui 
disparue),  par  M.  Georges  Cain,  au  boulevard  du  Palais,  par 
M.  E.  Beaurepaire,  à  l'hôtel  Biron,  par  M.  André  Hallavs,  enhn, 
plus  brièvement,  à  l'hôtel  Hérouët  (de  la  rue  Vieille  du  Temple),  au 
Pont  au  double,  à  l'hôtel  du  Prévôt,  au  quai  Bourbon,  à  l'auberge  du 
Compas  d'or  (rue  Montorgueil),  au  collège  de  Fortet.  Ces  pages  sont 
d'ailleurs  imprimées  dans  un  format  et  sur  un  papier  qui  permettent 
de  les  illustrer  de  remarquables  photogravures  inédites  hors  texte  et 
dans  le  texte.  Ce  sera  une  très  attrayante  galerie  pour  tous  les 
Parisiens. 

On  avait  remarqué,  à  la  récente  exposition  d'Art  Théâtral  abritée 
par  notre  musée  des  Artsdécoracifs,  deux  vitrines  remplies  de  lunettes 
et  lorgnettes  de  théâtre  :  c'était  la  collection  formée  par  M ™'=  Alfred 
Heymann.  Depuis  l'éparpillemeni  des  œuvres  exposées  à  travers  les 
collections  des  amateurs  qui  les  avaient  prêtées,  celle-ci  est  restée  : 
on  peut  la  voir  encore.  Mais,  comme  pour  suppléer  à  son  absence  de 


d'histoire  et  de  littérature  279 

chez  elle,  M™=  Heymann  s'est  mise  à  en  faire  l'histoire,  à  décrire,  à 
conter  sa  collection,  enfin  à  publier  luxueusement  ce  commentaire 
pittoresque,  en  le  documentant  encore  de  nombreuses  reproductions 
photographiques  des  principaux  objets.  Ce  parti  lui  fait  le  plus  grand 
honneur.  Une  collection  n'est  vraiment  éloquente  que  lorsqu'elle  est 
historiquement  et  artistiquement  présentée  au  public  par  celui  qui  l'a 
peu  à  peu  formée.  Aussi  bien  n'est-ce  pas  seulement  d'une  certaine 
collection  et  de  certains  objets  qu'il  est  question  ici. 

L'ouvrage  comporte  deux  parties.  Les  lunettes,  les  besicles,  les 
loupes  forment  la  première.  L'auteur  y  prend  soin  de  remonter  à 
travers  les  âges  et  de  recueillir,  comme  document,  les  tableaux,  les 
portraits  où  il  en  figure  des  spécimens  divers.  C'est  ici  comme  une 
étude  d'art  et  de  mœurs.  Le  texte  contient  des  citations  littéraires, 
des  extraits  de  comptes,  l'illustration  de  beaux  portraits,  des  scènes, 
de  curieux  objets  de  musées.  Des  indications  sur  les  lunettiers  com- 
plètent ces  pages.  La  seconde  partie  est  consacrée  aux  lorgnettes, 
depuis  la  lunette  d'approche  jusqu'à  la  jumelle  (dont  le  premier 
exemple  est  de  1825).  C'est  la  lorgnette  à  la  mode  sous  Louis  XIV  et 
Louis  XV,  souvent  symbole  d'effronterie,  d'insulte  tolérée...  C'est  la 
lorgnette  avec  miroir  oblique,  ou  dans  un  éventail,  ou  sur  un 
pommeau  de  canne...  C'est  la  lorgnette  à  plusieurs  tirages,  la  lor- 
gnette en  breloque...  Pour  finir,  une  table  des  livres  et  productions 
littéraires  ayant  trait  à  l'optique,  avec  une  liste  des  lunettiers  et  opti- 
ciens, puis  des  brevets  obtenus,  terminent  utilement  l'ouvrage. 

Henri  de  Curzon. 


Der  Junge  Gôthe.  Neue  Ausgabe,  von  Max  Morris.  T.  VI. 

Dans  ce  sixième  volume,  qui  complète  la  collection  déjà  bien  con- 
nue et  universellement  appréciée  de  M.  Max  Morris,  on  trouve  des 
additions  et  rectifications  aux  cinq  premiers  tomes,  se  rapportant  à  la 
période  de  Francfort,  Leipzig,  Strasbourg  et  Wetzlar.  Le  lecteur 
curieux  y  trouvera  de  nombreux  passages  venant  de  Goethe,  en  fran- 
çais. 11  est  inutile  de  vanter  le  soin  et  l'entente  de  l'éditeur  :  le  nom  de 
M.  Max  Morris  n'a  pas  besoin  de  recommandation  auprès  des  lecteurs 
de  Gœthe. 

M.  B. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  22  mars  r g i  2 .  — 
M.  Jullian   affirme  l'authenticité  des  monuments  préhistoriques    prescrites  à  la 
dernière  séance  par  M.  le   D^  Lalanne.  —  M.  Salomon  Reinach   présente  quelques 
observations. 

Le  P.  Scheil  annonce  qu'en  soulevant  l'endroit  qui  avait  servi  à  une  fausse 
restauration  de  la  tablette  royale  récemment  signalée  par  lui,  il  a  pu  lire  distinc- 
tement les  deux  premiers  signes  du  nom  du  cinquième  roi  d'Agaclé;  Sar-g[a].... 
La  restitution  Sargani  sarri  s'impose   comme  étant  le  nom  bien   connu,   par   les 


28o  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRK    KT    DE    LITTÉRATURE 

fouilles  de  Tclloh,  d'un  rui  d'A^adé.  Dès  lois,  plus  de  confusion  ^lussible  entre 
Sarnikni,  premier  roi  de  la  dvnaslic,  cl  Saigaui  sarii.  el  les  ruis  d'Agadô  se  doi- 
vent sérier  ainsi,  comme  le  P.  Schcil  l'a  proposé  dés  1908:  Saiiakiii...,  .Wirâni 
5iM,  Sjiffani  sarn,  ei  non  pas.  comme  on  l'a  voulu  sans  raison  sutîisante  :  Sarru- 
kin....,  SarfiAiti  sani,  .Xardin  siii.  Narâm  sin  peut  donc  bien  élre  descendant 
direct  de  Sarrukin,  ainsi  que  le  disaient  les  scribes  babyl(jnicns,  —  nullement  de 
Sari^ani  sarri  qui  a  répnc  après  lui.  C'est  gratuitement  qu'ciU  a  attribue  à  ces 
serines  une  confusion  entre  deux  noms  à  consonnance  légèrement  analogue. 
M.  Collignon  communique  une  note  de  MM.  Charles  Picard  et  A.-J.  Reinach, 
membres  de  l'école  française  dWthènes  exposant  les  résultats  des  fouilles  qu'ils 
ont  entreprises  à  Thasos  en  191  1.  Ils  ont  porté  leurs  recherches  sur  des  points 
dirtércnts.  M.  Picard,  secondé  par. M.  Avezou,  membre  de  l'Kcole,  s'est  attaché  à 
étudier  une  partie  de  l'enceinte  hellénique  et  le  temple  voisin  de  l'Acropole.  Des 
fouilles   très  fructueuses  lui    ont   permis  d'abord  de  dégager    complètement  deux 

Î>orlcs  déjà  signalées  par  ses  de\ancicrs  et  olï'ranl  celte  particularité  curieuse  que 
es  montants  étaient  déchrés  de  bas-reliefs  dont  plusieurs  ont  été  trou\és.  D'après 
les  sujets  de  ces  bas-relief.->,  M.  Picard  les  désigne  sons  les  noms  de  Porte  de  /eus 
et  de  Porte  d' Héraclès  et  de  Dionysos.  11  a  de  plus  découvert  une  autre  porte  per- 
cée obliquement  dans  le  mur  d'enceinte;  c'est  la  Porte  oblique  ou  du  Silène  au 
canthare.  Un  des  côtés  était  formé  par  un  monolithe  de  marbre  où  est  sculpté  en 
relief  une  remarquable  figure  de  Silène  tenant  un  canthare,  œuvre  de  style  ionien 
du  VI"  siècle.  Son  rôle  est  celui  qu'une  inscription  attribue  à  riiéraclès  et  au 
Dionysos  représentés  sur  les  bas-reliefs  de  la  partie  voisine;  il  est  le  «  gardien  de 
la  ville  ».  La  découverte  est  d'autant  plus  précieuse  que  les  portes  de  ville  ornées 
de  reliefs  sont  fort  rares  en  Grèce.  —  Les  recherches  de  .\1.  Picard  ont  entièrement 
renouvelé  l'étude  du  temple  de  l'Acropole  qui  est  aujourd  hui  identifié.  11  était 
consacré  à  .\pollon  Pythios.  C'est  un  temple  de  style  archaïque,  dépourvu  de 
colonnade  extérieure.  Il  est  de  très  grandes  dimensions.  Les  fouilles  ont  mis  au 
jour,  de  ce  côté,  plusieurs  sculptures,  notamment  un  bas-relief  ionien  rappelant 
celui  qu'à  rapporté  Miller  et  qui  est  conservé  au  Louvre.  Enhn  M.  Picard  a 
dégage  une  porte  trioinphale  romaine,  érigée  sous  le  règne  de  Caracalla,  et  que 
tianquaient  des  statues  dont  les  bases  ont  été  letrouvécs.  —  M.  A.-J.  Reinach 
s'était  proposé  d'explorer  le  téménos  d'Artémis  Polos,  dans  le  voisinage  duquel  oiit 
découvertes  des  statues  dont  l'une  porte  la  signature  de  Philiskos  de  Rhodes.  Si 
ces  fouilles  n'ont  pas  donné  de  résultats  décisifs,  elles  ont  permis  à  M.  Reinach 
d'étudier  de  près  la  terrasse  du  téménos  et  la  fontaine  qui  avait  sans  doute  désigné 
cet  emplacement  pour  un  lieu  de  culte.  Des  sondages  ont  fait  découvrir  les  vestiges 
d'un  monastère  byzantin. 

M.  Mayer-Laraoert  fait  une  communication  sur  les  noms  de  nombre  sémitiques 
masculins  de  genre  et  féminins  de  forme. 

Léon  Dorez. 


IJ'imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouclion  ei  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N"  15  —  13  avril  —  1912 


Zettkrsteen,  Ktudcs  nubiennes.  —  Fromer,  Le  Talmud  babylonien.  —  Margolis, 
Grammaire  du  Talmud  babylonien.  —  Krauss,  Archéologie  talmudique.  — 
Oei.ma.nn,  Les  allégories  homériques  d'Heraclite.  —  Nicole,  Le  procès  de  Phi- 
dias. —  Pareti,  Interpolations  des  Helléniques.  —  Haskins  et  Lockwood,  L'hu- 
manisme en  Sicile  au  xii<^  siècle.  —  Laukr.  Robert  I-'  et  Raoul  de  Bourgogne  ; 
Le  palais  de  Latran.  —  Gavet,  Le  Journal  de  l'Université  de  Ponl-à-Mousson. 
—  Lanzac  de  Laborie,  Paris  sous  Napoléon,  Le  théâtre  français.  —  A.  de  Ruville, 
La  Bavière  et  l'Empire  allemand,  trad.  Albin.  —  Kûntzel,  Bismarck  et  la 
Bavière.  —  Académie  des  inscriptions. 


Nubische  Studien  im   Sudan  1877-78,  aus  dem  Nachlass  Prof.    Herman    Alm- 

ki'ist's,    herausgegeben    von     K.   V.    Zetterstéen.   Uppsala,    igii     (3o   Mk.], 
XXXVllL  280   pages. 

C'est  dans  une  collection  publiée  grâce  à  une  donation  que  paraît 
ce  livre  :  il  est  d'une  exécution  luxueuse,  d'une  impression  très  claire. 

M.  Z.,  à  qui  nous  devons  son  apparition,  a  droit  à  la  reconnaissance 
des  savants  qui  s'occupent  des  langues  de  l'Afrique  pour  le  travail  très 
soigneux  qu'il  a  fait  et  en  particulier  pour  la  peine  qu'il  a  prise  de 
rédiger  ce  livre  en  allemand,  car  les  notes  d'Almkuist  étaient  en 
suédois. 

Ce  sont  des  note?  en  effet  qui  sont  publiées  ici  :  l'auteur  les  avait 
prises  dans  le  Soudan,  mais  avait  renoncé  à  les  publier,  parce  qu'il 
avait  été  devancé  par  deux  autres  savants,  auteurs  de  grammaires  et 
lexiques  du  nubien,  Reinisch  et  Lepsius.  Il  les  avait  donc  laissées 
telles  qu'il  les  avait  prises;  c'étaient  des  paradigmes  étendus,  avec  des 
conjugaisons  complètes  pour  certains  verbes,  plus  fragmentaires  pour 
d'autres,  des  phrases  nombreuses,  précieuses  pour  l'étude  de  la  syn- 
taxe, quelques  textes  suivis,  un  lexique. 

M.  Z.  a  ajouté  à  ces  notes,  qu'il  a  consciencieusement  mises  en  ordre, 
un  vocabulaire  allemand-nubien,  et  une  introduction  :  dans  celle-ci 
il  supplée  brièvement  au  manque  d'une  partie  phonétique  dans  le 
cours  de  l'ouvrage,  compare  sur  certains  points  les  données  de  Alm- 
KuiST  à  celles  de  Reinisch  et  Lepsius,  et  met  en  relief  différentes  par- 
ticularités que  Ai.MKUiST  avait  négligé  de  spécifier;  mais  au  total  il  se 
garde  autant  que  possible,  bien  qu'ayant  étudié  lui-même  avec  des 
nubiens,  de  rien  ajouter  qui  vienne  de  lui;  il  a  voulu  se  borner  étroi- 
tement au  rôle  d'éditeur,  et  ne  pas  composer  un  ouvrage  nouveau. 

Nouvelle  série  LXXIII  i3 


282  REVUE    CRITIQUE 

Certes  il  est  heureux  que  le  public  rec,'oive  ainsi  connaissance  de 
documents  sur  le  nubien,  recueillis  par  un  bon  enquêteur  linguis- 
tique, et  sur  certains  points  plus  complets  que  ceux  qui  ont  été  publiés 
antérieurement.  On  sait  en  effet  que  le  nubien  est  intéressant  tant  par 
sa  situation  géographique  et  son  caractère  intermédiaire  possible  entre 
les  langues  chamitiques  de  l'Afrique  orientale  et  les  langues  du  Sou- 
dan occidental,  que  par  le  rôle  qu'a  dû  jouer  l'ancien  nubien  dans  les 
états  situés  au  sud  de  TEgypte. 

Cependant  on  ne  saurait  s'empêcher  de  penser  que  la  peine  de 
M.  Z.,  sans  parler  de  l'argent  dépensé  à  limpression  du  livre,  auraient 
été  plus  utilement  consacrés  à  quelque  ouvrage  nouveau  :  dictionnaire 
complet  d'un  des  dialectes  du  nubien  lui-même,  ou  étude  sur  une  quel- 
conque des  langues  de  l'Est  africain  qui  ont  été  jusqu'ici  insuffisam- 
ment étudiées  ;  il  n'en  manque  pas,  quand  ce  ne  serait  que  le  galla  de 
l'Abyssinie  méridionale,  langue  répandue,  utile  pour  la  colonisation, 
aisément  accessible  et  facile  à  apprendre,  dont  on  n'a  encore  que  des 
lexiques  absolument  insuffisants. 

Souhaitons  donc  pour  un  temps  prochain  quelque  ouvrage  de 
M.  Zetterstéen  qui  ne  soit  pas  rétrospectif. 

M.  Cohen. 


Jakob  Fromer,  Der  babylonische  Talmud.  Textkritische  Ausgabe  (Mit  einer 
Reaikonkordanz)  vokalisiert,  iiberselzt  und  erkiart.  Teil  I  (Ordnung  4,  Trak.- 
tat  i)  :  Baba  Kamma.  Berlin-Charlottenburg,  Verlag  fur  die  Wissenschat't  des 
Judentums,  1910;  xx  et  38  p.  in-S". 

M.  Fromer  projette  de  publier  du  Talmud,  une  édition  critique, 
une  traduction,  un  commentaire  philologique  et  de  fond,  une  ency- 
clopédie méthodique,  le  tout  réuni.  Dans  l'état  actuel  des  études 
talmudiques,  une  telle  entreprise  est  peut-être  irréalisable  et  dans  tous 
les  cas  M.  Fr.  ne  parait  pas  qualifié  pour  la  mener  à  bonne  fin, 
autant  qu'on  peut  en  juger  par  le  présent  spécimen.  Il  y  a  là  quelques 
bonnes  choses,  par  exemple  la  manière  de  découper  les  textes;  mais 
il  y  en  a  beaucoup  de  mauvaises  (fautes  de  vocalisation  aussi  bien 
que  de  traduction)  et  d'autres  manquent  totalement,  comme  la  discus- 
sion des  variantes.  L'ouvrage  a  été  conçu  sur  une  trop  vaste  échelle  ; 
le  commentaire  doit  à  la  fois  expliquer  les  mots  difficiles  et  élucider 
les  discussions  juridiques  :  imaginez  une  édition  du  Corpus  juris 
civilis  avec  les  éléments  de  la  grammaire  latine.  Et  les  hébraïsants 
feront  bien  de  se  méfier  aussi  bien  que  les  juristes.  Il  serait 
excessif  de  dire  que  M.  Fr.  ne  sait  pas  le  Talmud,  mais  sa  science 
est  mal  digérée.  Prétendre  établir  un  texte  critique  avec  le  secours 
des  manuscrits  et  prendre  pour  base  l'édition  de...  Wilna;  vou- 
loir vocaliser  ce  texte  et  opposer  la  vocalisation  «  scientifique  «  à 
la  vocalisation...  «  polonaise  »  ;  se  piquer  d'être  grammairien  quand 
on  considère  heb'er  comme  un  infinitif  hof'al  (p.  2)  et  qu'on  corrige 


d'hISTOIRK    El     DE    LITTÉRATURE  283 

partout  guemirè  en  guemira  (p.  2()),  d'èire  historien  quand  on  prend 
Eliézer  tout  court  pour  Eliczcr  b.  Scliammona  fp.  7)  ei  qu'on  cite  les 
Tossafot  de  Schanz  [ibidcuu  pour  Sens  en  P^nirgognc),  c'est  donner 
tout  à  la  fois  la  mesure  de  son  ambition  et  celle  de  son  incompétence. 

M.  Liber. 


Max  !..  MvRcuit.is.  Lehrbuch  der  arainâischen  Sprache  des  Babylonischen 
Talniuds.  Grammatik,  Chrestomathie  und  Wôrterbuch  (Clavis  linguarum 
sciniticaruin,  edidit  H.  L.  Strack,  pars  III).  Munich,  Oscar  Bcck,  iqio';  XVM, 
00  et   184*  p.  in-8",   10  Marck. 

Nous  possédions  déjà,  outre  quelques  monographies,  deux  gram- 
maires de  la  langue  duTalmiid  de  Babylone,  Tune  de  S.  D.  Luzzatto 
(i865),  l'autre  de  C.  Levias  (  1900).  Le  traité  de  M.  Margolis  ne  comble 
donc  pas  une  lacune,  mais  il  représente  un  progrès  considérable  et 
par  la  méthode  suivie  et  par  les  matériaux  utilisés.  L'auteur  a  exa- 
miné notamment  plusieurs  manuscrits,  qui  lui  ont  fourni  des  formes 
grammaticales  plus  auiheniiques  ou  plus  correctes  ;  il  a  étudié  l'or- 
thographe et  la  grammaire  des  textes  avec  le  plus  rigoureux  esprit 
scientihque,  sans  se  laisser  guider  —  ou  égarer  —  par  la  tradition,  qui 
(i  peut,  lorsqu'elle  est  maniée  sans  critique,  conduire  aux  pires  aber- 
rations ))^p.  7-8). 

L'ouvrage  de  M.  Margolis  est  plus  complet, .  sinon  plus  développé, 
que  celui   de  ses  devanciers;  il   comprend  non  seulement  une  gram- 
maire, riiais   encore   une  chrestomathie  et  un  vocabulaire.  La  partie 
grammaticale,  la  plus  importante  sans  contredit,  en  a  un  peu  souffert; 
elle  est  trop   sobre   et  par  endroits  comme  étriquée.  Cette  concision 
entraîne  l'obscurité  (voir  p.  ex.  §  4  c,  d)  et  engendre  le  doute  (les  mots 
cités  .>:( 4  h  sont-ils  tous  des  exemples  de  dissimilation  ?  comment  may 
est-il  une  contraction  de  nid-dén,  ^  6  b'q.  Au  §4  on   n'a  pas  noté  la 
chute  de  la  gutturale  dans  les  mots  tels  que  hadddê,  andn  (signalé  en 
passant  §  5  o)  et  tattdd.  Les  règles  formulées  sont  rarement  expliquées; 
que  faut-il  entendre  par  prononciation  «  allegro  »  et  «  lento  »  i^  5  j?)  ? 
Par  concision  encore,  les  exemples  sont  généralement  dépourvus  de 
références,  ce  qui  empêche  de  vériHcr  soit  la  forme,  soit  le  sens  ;  par 
exemple  on  se  demande  poui^quoi  rabbdnan  est  traduit  par  «  disciples  » 
(§  66  a).  L'auteur  aurait  pu  gagner  de  la  place  pour  l'exposé  gramma- 
tical   en    réduisant   les    tables  de  paradigmes,  qui  rendront    d'autant 
moins  de  services  aux  étudiants  qu'elles  ne  sont  pas  vocalisées  et  qui, 
en  dépit  de  leur  disposition  synoptique,  sont   difficiles  à  embrasser 
parce   que    toutes    les    formes    ne    sont  pas    illustrées   par    la    même 
racine. 

La  partie  relative  à  la  syntaxe  est  pres(.}u'entièrement  neuve;  elle  est 
tiaiiée  avec  les  développements  nécessaires.  Il  faudrait  une  plus 
grande  pratique  de  l'ouvrage  pour  s'assurer  qu'elle  est  complète  ;  une 


284  REVUE    CRITIQUE 

lecture  courame  montre  qu'elle  est  exacte.  L'omission  de  la  conjonc- 
tion et  proposition  ilmalé,  qui  s'emploie  en  araméen  aussi  bien  qu'en 
hébreu,  ne  nous  a  frappé  que  parce  que  la  syntaxe  de  cette  particule  a 
été  étudiée  par  M.  Lambert  [Revue  des  Etudes  juives,  IX,  290  et  s.). 
La  locution  talmudique  Kol  ki,  »  tout  comme  «,  est  peut-être  rappro- 
chée à  tort  (|5  4b  b)  de  l'araméen  biblique  Kol-gobél,  car  nous  avons 
artairc  dans  le  premier  cas  au  pronom  indéfini  employé  adverbiale- 
ment, dans  le  second  cas  à  un  composé  des  deux  particules  Ke  -j-  l^ 
(Lambert,  même  revue,  XXXI,  47  et  s.).  Au  §  49  a,  il  aurait  suffi  de 
remplacer  «  mysteriose  »  jiar  «  ominose  »  pour  rendre  compte  de  la 
tournure  «  cet  homme,  etc.  »  remplaçant  la  if^'ou  la  2"=  personne  : 
dans  tous  les  exemples  cités  il  s'agit  d'un  malheur  qu'on  veut  dé- 
tourner de  soi  ou  de  son  interlocuteur.  Au  §  68  />,  il  aurait  fallu 
indiquer  que  l'interrogation  est  marquée,  quand  c'est  possible,  par 
l'inversion.  La  préposition  ml  dans  mi-qamê,  etc.  (54  d)  n'est  pas  un 
pur  pléonasme,  pas  plus  que  dans  l'hébreu  mi-maal. 

La  chrestomathie  comprend  :  1°  des  mots  et  des  phrases  qui  illus- 
trent les  paragraphes  correspondants  de  la  grammaire,  formes 
archaïques  d'abord,  puis  formes  modernes;  2°  des  textes  suivis, 
en  commençant  également  par  les  plus  anciens,  qui  sont  beaucoup 
moins  nombreux  (6  numéros  contre  43).  Les  textes  halachiqties, 
c'est-à-dire  législatifs,  ne  forment  qu'un  numéro,  le  dernier,  qui  occupe 
9  pages  (sur  5oJ  ;  non  seulement  cette  inégalité  risque  de  tromper  sur 
l'étendue  proportionnelle  de  la  halacha  et  de  Vaggada  dans  le 
Talmud  de  Babvlone,  mais  encore  les  quatre  passages  halachiques 
reproduits  ne  permettent  pas  à  l'étudiant  de  s'initier  à  l'intelligence  de 
cette  partie  du  Talmud,  qui  est  pourtant  essentielle.  Il  aurait  fallu 
d'abord  augmenter  ces  textes,  fût-ce  aux  dépens  de  Vaggada,  QnsmXQ 
donner  en  note  les  explications  nécessaires  à  la  compréhension 
du  fond  (un  profane  ne  comprendra  rien  au  texte  b,  où  l'abréviation 
qui  lait  l'objet  du  premier  alinéa  n'est  même  pas  résolue)  et  notam- 
ment faire  connaître  la  terminologie  exégétique  et  dialectique  du  Tal- 
mud. Au  surplus,  nous  n'avons  pas  examiné  ces  textes  dans  le  détail; 
nous  pouvons  dire  seulement  qu'ils  ont  été  choisis  avec  goût,  qu'ils 
sont  édités  d'après  des  manuscrits,  avec  indication  des  principales 
variantes,  qu'ils  sont  ponctués  et  que  les  mots  difficiles  sont  vocalises. 
Cette  chrestomathie  montre  ce  que  peut  et  ce  que  doit  être  une  édition 
critique  du  Talmud. 

Le  glossaire  paraît  se  rapporter  à  la  grammaire  aussi  bien  qu'à  la 
chrestomathie.  Il  appelle  un  grand  nombre  de  remarques,  mais,  faute 
de  pouvoir  employer  des  caractères  hébreux,  nous  nous  bornerons  à 
en  présenter  quelques-unes,  qui  se  rapportent  en  même  temps  à  la 
grammaire.  On  s'étonne  que  les  pronoms  dili  et  didi  n'aient  pas  la 
même  origine  (p.  119  *Z?  et  127*^;  cf.  §  10  b\  et  l'étymologie  de  la 
particule  aton  (pour  laquelle  des  exemples  manquent  §  68  è),  dérivée 


d'histoirf.   et   de  littérature  285 

de  la  racine  ta'aii  (118  'd),  est  suspecte  après  qu'on  a  lu  le  ^  25  a. 
L'adverbe  hjJar{p.  io5  *b)  n'esi-il  pas  plutôt  un  ancien  participe  qu'un 
impératif  (i^  24  èj  et  ne  faut-il  pas  lire  (p.  100  *b)  :{arii  au  lieu  de 
-ct/:^  (^  14e)}  Des  erreurs  se  sont  glissées  dans  la  confection  du  glos- 
saire :  aJd  et  'iicic  ne  devaient  pas  être  réunis  (p.  146  *a)  et  le  mot 
'iddnd  qui  les  sépare  vient  plutôt,  d'ailleurs,  de  la  racine 'a^tf  ;  au  mot 
êdén  fp,  86  *b\  on  renvoie  à  dén^  où  on  ne  trouve  rien  ;  au  mot  biyà 
(p.  ()3*)  on  renvoie  à  \ar'a,  qui  manque  (cette  étyniologie  a,  du  reste, 
été  contestée  par  M.  Sorges,  Revue  citée,  XXX,  i  52). 

Dans  la  bibliographie  (p.  97-99),  M  Margolis  aurait  pu  citer,  pour 
la  grammaire,  les  études  de  Riilf,  Zur  Lautlehre  der  aramàisch- 
taïmudischen  Dialekte  et  de  I.  Lévi,  Notes  de  grammaire  judéo -baby- 
lonienne {Revue  des  Etudes  juives,  I,  2  i  2  et  s.),  et  pour  la  lexicogra- 
phie, celles  de  Geizer,  Zur  Sp)  aehe  des  Talmuds  (Jiidisehe Zeitschrift, 
VI 11,  177  et  s.)  et  de  M.  Jastrow,  Transposed  stems  in  Talmudie 
Hebrejp  and  Chaldaie  {\Sgi);  p.  xv,  dernière  ligne,  titre  inexact.  — 
L'exécuti(jn  typographique  est  bonne;  des  points-voyelles  ont  sauté 
de  ci  de  là  (p.  86  *b,  1.  2,  etc.). 

M.  Liber. 


P 


Samuel  Kralss.  Talmudische  Archaeologie.  Band  I.  Leipzig,  G.  Fock,  1910; 
XIII  et  720  p.,  in-S",  2g  tig.,  20  Mark.  (Schriften  herausgegeben  von  der  Gesell- 
schaft  zur  Fôrderung  der  Wisseiischaft  des  Judentuilis.  Grundriss  der  Gesamt- 
wissenschaft  deo  Judentums). 

La  Société  pour  l'avancement  de  la  science  du  judaïsme  a  mis  siir 
le  chantier  une  Encyclopédie  méthodique  de  toutes  les  disciplines 
ressortissant  à  la  science  juive  ;  parmi  ces  disciplines  figure,  sur  le 
modèle  des  Archéologies  bibliques,  une  Archéologie  talmudique  — 
c'est-à-dire  une  Archéologie  juive  à  l'époque  talmudique  et  d'après 
la  littérature  de  cette  époque  —  dont  la  composition  a  été  confiée  à 
M.  Samuel  Krauss.  M.  Krauss,  connu  par  de  nombreux  travaux  de 
philologie  et  d'histoire,  est  ici  sur  son  véritable  terrain.  Il  a  pu 
dépouiller  toute  la  littérature  talmudique  et  midraschique,  qui  cons- 
titue la  seule  source  d'information  ;  car,  tandis  que  les  découvertes 
ont  considérablement  enrichi  l'archéologie  classique,  l'archéologie 
juive  ne  dispose  guère  que  d'une  documentation  littéraire.  Et  quels 
documents!  Les  antiquités  grecques  et  romaines  sont  exposées,  en 
dehors  des  mentions  fortuites,  dans  des  ouvrages  techniques;  les 
rabbins  n'ont  janiais  fait  d'archéologie  ex  professo  et  tout  notre  savoir 
doit  être  dégagé  d'indications  et  d'allusions  plus  ou  moins  claires. 
M.  Krauss  a  su  tirer  le  meilleur  parti  de  ces  informations  éparses 
grâce  à  son  érudition  et  à  sa  faculté  combinatrice,  soit  en  interprétant 
et  rapprochant  les  textes,  soit  en  consultant  les  commentateurs  auto- 
risés ou  encore  en  demandant  des  lumières  à  l'archéologie  des  peuples 
voisins.  Enfin,  il  possède  l'art  d'exposer  avec  clarté  et  de  décrire  avec 


28Ô  RKVIIK    CRITIQDK 

vie;  les  spccialisics  consiilicroiii  loui  Toiivragc  avec  profit,  une 
crande  partie  sera  lue  avec  agréineiu  «.ie^  profanes.  Ces  derniers  sont 
môme  plus  favorisés;  à  leur  intention  les  iu)tes,  qui  contiennent 
toutes  les  rélérences  et  qui  sont  deux  lois  plus  étendues  que  le  texte, 
ont  été  rejetécs  à  la  fin  du  volume,  ce  qui  rend  sini^ulièremeni  dilR- 
ciles  la  vérification  et  le  contrôle. 

Le  premier  volume  de  cette  Arcliéoloi;ie,  qui  doit  en  comprendre 
trois,  a  pour  objet  :  lliabitation  et  le  mobilier,  la  nouiriture  et  sa 
préparation,  le  vêtement  et  la  parure,  les  soins  du  corps.  I/étude  est 
fort  détaillée  c-t  sans  doute  complète  ;  mais  il  nous  semble  que  fauteur 
décrit  plutôt  les  matériaux  de  la  vie,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  que 
la  vie  elle-même,  il  énumère  les  différentes  sortes  d'habitations,  les 
matériaux  de  constructions,  etc.,  mais  il  ne  présente  pas  une  maison 
toute  bâtie  (le  .^  28  est  insullisant  à  cet  égard),  ni,  ce  qui  nous  aurait 
particulièrement  intéressés,  une  synagogue,  pour  la  restitution  de 
laquelle  il  aurait  pu  utiliser  plus  qu'il  ne  fa  fait  les  ruines  décou- 
vertes en  Galilée  et  en  Syrie.  Il  énumère  tous  les  plats  qui  pouvaient 
être  servis  sur  une  table  juive,  mais  il  ne  fait  pas  le  tableau  d'un  repas 
tel  qu'il  était  pris  chez  les  Juifs  de  cette  époque,  notamment  du  repas 
pascal.  De  même  pour  la  toilette,  de  même  pour  le  bain.  Le  chapitre 
sur  la  constitution  du  corps  humain,  l'idéal  de  la  beauté  et  l'hygiène 
est  une  heureuse  exception  (p.  244-252).  —  M.  Krauss  distingue 
autant  que  possible  lesnraits  palestiniens  de  ceux  qui  sont  propres  à 
la  Babylonie,  les  cas  théoriques  de  ceux  qui  sont  empruntés  à  la  vie 
réelle  ;  il  note  les  ressemblances  et  les  différences  avec  les  peuples 
voisins;  c'est  à  ceux-ci  qu'il  emprunte  la  plupart  des  objets  repro- 
duits, l'archéologie  juive  étant,  nous  l'avons  dit,  très  pauvre;  il  aurait 
pu  reproduire  cependant  des  lampes  juives,  par  exemple  quelques-unes 
de  celles  de  Hammam-Lif,  qu'il  ne  paraît  pas  connaître.  Certains 
détails  étaient  trop  évidents  pour  avoir  besoin  d'être  appuyés  de 
textes  (p.  ex.  que  la  lainpe  fume!)  et  plus  d'une  fois  des  cas  isolés 
auront  été  érigés  en  règles.  Les  notes  sont  généralement  longues  et 
copieuses;  les  additions  de  M.  Immanuel  Lôw  sont  trop  rares,  mais 
précieuses  dans  leur  sobriété.  Beaucoup  de  références  inutiles  ou 
insuffisantes  ou  inexactes.  Un  exemple  pour  illustrer  le  tout  en 
même  temps.  P.  5  l'auteur  parlant  de  la  manière  dont  on  élevait  des 
cabanes  à  la  fête  de  Souccot,  ajoute  :  «  il  en  était  ainsi  sans  doute  à 
l'époque  des  Maccabées  ».  Voilà  qui  est  fort  intéressant  :  voyons  la 
note  justificative.  Elle  est  exceptionnellement  concise  :  «  //  Makk. 
I,  (j  <Txï]voTT7;  Y  î  a,  ib.  18  direkte  Berufiing  auf  Nehemias.  Vgl. 
REJ  2g,  28  ».  Or  1"  ces  deux  passages  du  2«  livre  des  Maccabées  ne 
nous  apprennent  rie-n  sur  la  manière  d'élever  des  cabanes;  2"  ils  ne 
se  rapportent  pas  à  la  féie  de  Souccot,  mais  à  celle  de  Hanoucca  ; 
3°  il  aurait  mieux  valu  citer  II  Macc,  x,  6;  4"  il  est  douteux  que  ces 
textes  soient   authentiques,  qu'ils  appartiennent  à  la   Palestine  et  à 


d'histoire  et  de  littérature  287 

répoque  maccabéenne;  3°  l'allusion  à  Néhcmie  ne  vise  pas  la  fête  des 
tentes,  mais  celle  du  feu;  (VMire  Revue  des  Etudes  juives,  XXX,  28, 
article  de  M.  Krauss,  où  Ton  ne  retrouvera  du  reste  aucun  renseigne- 
ment sur  ce  sujet;  il  aurait  mieux  valu  renvoyer  à  celui  de  M.  Buchler 
dans  la  même  Revue,  XXXVII,  188  et  s.  —  P.  431,  note  274,  lire 
REJ,  XXIX,  95;  ajouter  LIX,  37-38,  ici  cl  p.  469,  n.  409,  où  sur  le 
terme  généalogique  'issa,  il  fallait  renvoyer  à  l'étude  de  Rosenthal 
dans  la  MGWJ^  XXX.  —  La  bibliographie  est  abondante  mais  forcé- 
ment incomplète;  sur  la  couleur  bleue  (p.  564,  n.  23i),  voir  Kroner, 
der  Talmud  und  die  Farben,  dans  la  Israelitische  Monatsschrift, 
I,  n<^  3.  Parmi  les  ouvrages  récents,  citons  celui  de  Brandi,  Die 
jûdischen  Baptismen  {Giessan,  iq  10)  sur  les  ablutions  rituelles,  celui 
de  Blanï'uss,  Rômische  Feste  und  Feiertage  nach  den  Traktaten... 
(Nuremberg,  1909)  sur  la  depositio  barbae,  etc.  Les  mots  français 
de  Raschi  ne  sont  pas  toujours  correctement  transcrits  et  ne 
le  sont  quelquefois  pas  du  tout.  Dans  une  œuvre  considérable,  si 
difficile  et  en  somme  si  neuve  —  il  n'existait  aucun  travail  d'ensemble 
jusqu'ici  et  les  monographies  ont  dû  être  reprises  et  contrôlées  — 
les  erreurs  et  les  lacunes  étaient  inévitables  ;  mais  si  plus  d'un  détail 
est  à  reprendre,  l'ensemble  inspire  confiance. 

Appuyer  sur  la  critique  serait  de  l'ingratitude,  quand  on  pense  aux 
services  signalés  que  cet  ouvrage  est  appelé  à  rendre.  D'abord  il  offre 
une  reconstitution  fidèle  de  la  vie  juive  aux  environs  de  l'ère  chré- 
tienne et  dans  les  six  premiers  siècles  de  cette  ère.  A  l'exégète  il  ouvre 
l'intelligence  de  nombreux  textes  tamuldiques  et  midraschiques.  Au 
philologue  il  fournit  une  foule  de  termes  techniques,  dont  beaucoup 
foncièi'emcnt  hébreux,  beaucoup  plus  qu'on  n'en  attendrait  dans  une 
langue  prétendue  morte  ;  il  est  vrai  que  les  mots  empruntés  au  grec 
et  au  latin  sont  également  en  nombre.  M.  Krauss  a  retiré  plus  d'une 
explication  hasardée  dans  ses  Lehnxudrter.  Il  a  toujours  son  don  pour 
les  conjectures  ingénieuses,  mais  il  a  perdu  son  goût  pour  les  étymo- 
logies  aventureuses.  L'historien  notera  au  passage  de  nombreux 
usages  et  traits  de  mœurs,  mais  il  fera  bien  de  se  métier  des  «  allusions 
historiques  »   (p.   582,  n.  382;  p.   632,  n.  743;  p.  648,  n.  852,  etc.). 

L'archéologie  biblique  (p.  480,  n.  490;  p.  499,  n.  658;  p.  5 14, 
n.  773;  p.  65  I,  n.  874,  etc.)  et  même  celle  des  peuples  classiques 
(p.  472,  n.  435,  etc.),  trouveront  à  glaner  ici.  Car  la  vie  juive,  telle 
qu'elle  apparaît  dans  la  littérature  talmudique,  est  des  plus  complexes 
et  ses  éléments  se  distribuent  entre  les  rudiments  des  cultures  primi- 
tives et  les  raffinements  de  la  civilisation  hellénistique,  entre  les 
créations  les  plus  authentiques  du  génie  national  et  les  emprunts  les 
plus  avérés  aux  autres  peuples.  Ce  sont  les  sources  elles-mêmes  qui 
distinguent  le  plus  souvent  ce  qui  est  propre  aux  Juifs  de  ce  qui  est 
en  usage  chez  les  païens.  M  .  Krauss,  dans  sa  Préface  au  moins,  a 
tendance  à  accuser  le  caractère  indigène   et   oi'iginal  de  la  culture 


288  REVUE    CRITIQUE 

juive  à  travers  les  âges.  11  est  cenain  quelle  a  beaucoup  conservé  du 
passt-;  mais  là  où  elle  s'est  développée  et  affinée,  une  inHuence  grecque 
ou  romaine,  égyptienne  ou  perse,  devient  sensible.  Dïine  manière 
générale  on  observe  la  persistance  de  la  culture  indigène  dans  la  vie 
ordinaire  et  l'importation  étrangère  dans  la  vie  de  luxe. 

M.    LlliER. 

Heracliti  Quœstiones  Homericae  cdiderunt  Societaiis  philologae  Bonnensis 
Sodalcs.  Piolci;oiucna  scripsit  Fr.  Oei.mann.  Leipzig,  Tcubner,  1910;  xi.viii- 
140  p.  {Bibl.  script,  pr.  et  rorn.  Teuhneriaua). 

La  dernière  édition  de  l'opuscule  d'Heraclite  connu  jusqu'ici  sous 
le  titre  de  Allégories  homériques  date  de   i85i  ;   elle  est  imparfaite, 
l'éditeur,  Mehler,  ayant  fait  un  usage  peu  méthodique  des  manuscrits 
qu'il  avait  à  sa  disposition.  Les   nouveaux  éditeurs,  les   membres  du 
séminaire  philologique  de  Bonn,  nous  donnent  une  recension  nou- 
velle, qui  repose  sur  une  étude  plus  approfondie  des  manuscrits,  et  la 
préface,  écrite  par  l'un  d'eux,  M.  Oelmann,  expose  le  plan  suivi  et  la 
méthode  adoptée.  Les  manuscrits,  en  petit  nombre,  sont  tous  plus  ou 
moins  complets;   à  part   deux  qui  représentent  des  traditions   diffé- 
rentes, ils  dérivent  d'une  source  qui  remonte  au  xiii«  siècle  (M,  Ambro- 
sianus  B  99  sup.),  mais  qui  aujourd'hui  n"a  plus  que  les  quinze  der- 
nières  lignes    de  l'édition   actuelle;  l'un   d'entre   eux,    le  Vaticanus 
gr.  871  (A),  est  celui  que  les  éditeurs  ont  reconnu  comme  le  principal 
fondement  du  texte.   L'Aldine  (i5o5l,  faite  sur  un   exemplaire  actuel- 
lement perdu,  également  dérivé  de   M,   est  l'équivalent  d'un  manus- 
crit. En  outre,  les  scholies  homériques  contiennent  un  grand  nombre 
de   passages   du  commentaire  d'Heraclite,  et  les   éditeurs   n'ont  eu 
garde  de  négliger  les  manuscrits  d'Homère  qui  en  sont  pourvus.  Une 
observation   qui  n'est  pas  sans  importance   pour  la  constitution  du 
texte,  c'est  qu'Heraclite  évitait   soigneusement  l'hiatus;   les  éditeurs 
consacrent  quelques   pages  à  ce   sujet,  pour  justifier  l'exactitude    de 
cette  opinion,  et  pour  montrer  que  beaucoup  de  corrections,  de  Meh- 
ler entre  autres,  ne  sont  pas  admissibles.  L'édition   a   donc  été  faite 
avec  soin  et  prudence;  elle  donne,  immédiatement  sous  le  texte,   les 
références  aux  passages  cités,  à  ceux  auxquels  il  est  fait  allusion,  et 
aux  scholies  qui  ont  conservé  des  passages  d'Heraclite  ;  plus  bas,  l'an- 
notation critique,  variantes  des  manuscrits  et  conjectures  des  savants. 
Les  éditeurs  eux-mêmes  ont  peu  conjecturé  ;  quelques-unes  de  leurs 
corrections  méritent  d'être  citées  :  8,  8  «Tiôypr)  <^Yâp>>  ;  3i,    14   \i-'-[J-'->- 
Oî'jy.s  <^y.£v^(Os;  40,  6  del.   oj  ;  40,  8  [jl'j6î'jÔ|jl£vov   (codd.    [X'jSo'jfXîvovj  ;  5o, 
9  àuô  (uuô)  ;  yi,  11  del.  V'  ;  mais  1.   10  la  correction  Y'wpvtôv  pour  7^^'^?- 
^ôv    semble   inutile;  95,    18  lî^-   '^wv?,;   tt,v   ypetav  (xt,v    ocovr,v    -r^c,   ypcîa;); 
96,   16  Œ'jpoacpîj;  ;   104,   1 2  oîpstXofxivfj  xt[JHopta    (-[Jiivr,v    -pîav    codd.).    Trois 
bons  index,  des  auteurs  cités,  des  noms  propres,  des  mots,  terminent 
le  volume.  On  notera  enfin  ce  point  intéressant  :  le  titre  donné  jus- 


d'histoire  et  de  littérature  289 

qu'ici  à  l'ouvrage  'AXA-/;Yop!a'.  '(>;j.r,p'./.--(!,  est  inexact;  le  vrai  titre  est 
fourni  par  une  souscription  ancienne  à  la  lin  du  manuscrit  M,  'Oir/j- 
p'./.à  rioooÀ/ri.Qt-ca  sU  5t  TCîoî  Osôjv  "Ojxrjpoî  tjXXtiY^^^'-''-  L  ouvrage  est  en  eflet 
un  commentaire  des  passages  qui  pouvaient  provoquer  une  explica- 
tion, et  dont  l'interpréiation  était  douteuse. 

Mv. 


Le  procès  de  Phidias  dans  les  Chroniques  d'ApoUodore,  d'après  un  papyrus 
inédit  de  la  collection  de  Genève  déchiffré  et  commente  par  J.  Nicolk.  Avec  un 
fac-similé.  Genève,  Kùndig,  igio;  5o  p. 

On  trouvera,  dit  M.  Nicole,  que  dans  le  traitement  du  texte  nou- 
veau Je  me  suis  montré  trop  prodigue  de  restitutions  (p.  6).  Pas  préci- 
sément; il  fallait  bien  conjecturer,  pour  arriver  à  tirer  quelque  chose 
des  deux  fragments  si  mutilés  qu'il  publie  et  commente  ingénieuse- 
ment. Ce  que  l'on  trouvera,  c'est  que  ces  restitutions  n'ont,  pour  la 
plupart,  d'autre  fondement  que  l'imagination  deM.N.  Comment,  du 
reste,  n'aurait-il  pas  été  tenté?  Il  déchitîre  un  texte  tellement  décousu 
qu'il  semble  au  premier  abord  n'en  devoir  rien  sortir  ;  mais  il  recon- 
naît des  fragments  de  vers  iambiques,  où  il  est  question  de  Phidias, 
de  Ménon,  de  dénonciation,  de  chouette,  des  Éléens  et  d'isoiélie,  etc., 
et  conclut  qu'il  s'agit  d'un  passage  des  Chroniques  d'Apollodore,  où 
était  raconté  le  procès  de  Phidias.  Jusque-là  tout  le  monde  suivra 
M.  N.,  en  admettant  même  avec  lui  que  le  copiste  s'est  à  peine  aperçu 
qu'il  transcrivait  des  vers,  et  qu'il  y  a  transposé  indûment  plusieurs 
mots.  Rien  ensuite  de  plus  naturel,  pour  le  savant  aux  prises  avec  un 
pareil  texte,  que  d'y  chercher,  en  combinant  habilement,  avec  les  faits 
déjà  connus  par  les  auteurs,  les  mots  et  fragments  de  mots  qui  sub- 
sistent, les  éléments  d'un  récit  conforme  à  ce  qu'il  s'imagine.  Il  y  a 
là  une  action  réciproque  du  texte  sur  l'esprit  et  de  l'esprit  sur  le  texte  ; 
quelques  mots  suggèrent  l'idée  générale,  puis,  l'ensemble  du  récit  une 
fois  imaginé,  on  y  introduit  les  détails  par  d'intelligentes  supposi- 
tions. Mais  quelle  est  leur  valeur?  Le  document  nous  fournit  une 
date,  celle  de  la  dédicace  de  la  chouette  sculptée  par  Phidias,  sous 
l'archontat  de  Morychidès  (440-439)  ;  mais  l'expédition  à  Adoulé  sur 
la  mer  Rouge  pour  y  chercher  l'ivoire,  le  vote  des  Athéniens  relatif  à 
un  nouvel  achat,  parce  qu'  «  ils  attachaient  le  plus  grand  prix  à  la 
beauté  de  la  statue  »,  la  «  réprobation  d'une  partie  du  public  »  soule- 
vée par  l'emprisonnement  de  Phidias,  la  caution  déposée  par  les 
Éléens  pour  la  mise  en  liberté  de  l'artiste,  la  reprise  du  procès  et  la 
condamnation  «  par  défaut  »  de  Phidias  «  probablement  à  la  peine 
capitale  »,  d'autres  détails  encore,  comme  «  les  places  d'honneur  (aux 
jeux  olympiques)  refusées  ou  marchandées  à  la  théorie  des  Athé- 
niens »,  et  l'épilogue  de  l'histoire,  la  Hn  de  Ménon  «  conforme  à  ses 
antécédents  »,  tout  cela  est  bâti  sur  le  sable.  La  trouvaille  n'en  a  pas 
moins  son  importance;  M.  Nicole  combine  avec  une  réelle  dextérité 


2()0  BEVUE    CRITIQUE 

desdonnées  imparfaites  ci  obscures,  et  d'autres  peut-être,  séduits  par 
sa  virtuosité,  penseront  que  tout  devient  clair  dans  la  question  du 
procès  de  Phidias  p.  3;)  ;  iv<'>  ''i  -■'■;  '•'■>  ■zx/y-vM/,;.  j^^. 

L.  Parkti,  Note  suUe  iuterpolazioni  cionologiche  nci  priini  duc  libri  dcllc 
..  Hllcnichc  »  lii  Sciiuronlc.  Turin,  I>œschcr,  kjio  lExir.  de  la  Rivista  di  l-'ilo- 
logia,  XXX\111,  1,  p.   if)7-i2i)- 

11  y  a,  dans  la  première  partie   des  Helléniques  de  Xénophon,  où 
est  racontée  la  tin  de  la  guerre  du  Péloponnèse,  deux  sortes  d'inter- 
polations, les  unes  chronologiques,  les  autres   historiques,  que  l'on 
s'accorde  à  considérer  comme  étrangères  au  texte.  Les  unes  compren- 
nent i)  les  mentions  du  nombre  d'années  écoulées  depuis  le  commen- 
cement de  la  guerre:   elles  sont  généralement  inexactes;  2)  les  réfé- 
rences aux  archontes  athéniens  et  aux  épbores  Spartiates  ;  par  deux 
fois  cette  référence  est  erronée,  et  elle  est  omise  une  fois  ;  3)  l'indica- 
tion de  l'olympiade,  qui    se  rencontre  deux  fois;   à  chaque   fois  le 
nombre  est  inexact.  Les  autres  sont  les  mentions  de  faits  sans  rapport 
avec  la  guerre,  comme  les  événements  de  Sicile,  de  Perse,  de  Thessa- 
lie,  ou  les  incendies  de   temples  et  les  éclipses;  ces  synchronismes 
sont  ajoutés  vraisemblablement  pour  rappeler  la  manière  de  Thucy- 
dide. Il  faut  ajouter  la  liste  des  éphores  éponymes  (II,  3,  9-10),  qui 
se  tient  avec  la  durée  indûment  attribuée  à  la   guerre,   28  ans    1/2. 
Dans  un  article  d'une  quinzaine  de  pages,  M.  Pareti  étudie  le  carac- 
tère général  de  ces  passages,  et  montre  clairement  l'origine  des  erreurs 
commises  par  l'interpolateur,  ainsi  que  la  manière  dont  il  a  procédé 
pour  intercaler  ses  notices   chronologiques   inexactes   :    au    lieu   de 
compter  à  partir  du  commencement  de  la  guerre,   il  est  remonté  en 
arrière  en  partant  de  la  date  certaine  de  la  prise  d'Athènes,  en  404,  et 
a  oublié  le  commencement  de  407.  M.  P.  refait  le  raisonnement  avec 
grande  vraisemblance.  Il  reste  un  groupe    de   notes  chronologiques 
que  M.  P.  considère  également  comme  interpolées  ;  ce  sont  les  chan- 
gements d'années,  signalés  par  la  formule  tw  os  aXXw  îzi'.,  toO  0'  î-'.ôvto; 
t-.o-j;,  -Ci»  ^'  Èr-.ôvT'.  ÈTEi  ;  ces  mots  sont  en  effet  suspects,  parce  qu'ils  sont 
liés  à  des  interpolations  certaines,  et  qu'en  outre  le  changement  d'an- 
née est  noté  six  fois  seulement   au    lieu  de  sept.  On   pourrait   donc 
croire  avec  M.  Pareti  que  l'interpolateur  a  intercalé  ces  formules  aux 
endroits  où  il  trouvait  dans  le  texte  des  indications  qui  lui   taisaient 
supposer  une  nouvelle  année  ;  mais  il  est  également  possible  que  ces 
expressions  fussent  dans  le  texte  original,   car  il  est  peut-être   plus 
vraisemblable  que  ce  sont  précisément  ces  brèves  mentions  du  chan- 
gement d'année  qui  ont  été  l'origine  des  additions  étrangères  au  texte. 
C'est    là,  si  je  ne  me  trompe,  l'opinion  de  la  majorité  des  critiques  ; 
exception,    toutefois,  doit  être  faite  pour  I,  3,  1,  où   -roù  ètt'.ôvtoç  ètou; 
n'est  guère  supportable,  à  cause  de  l~i'.  o'  0  yf.ixôyj  ïlr,-;t  qui  suit  immé- 
diatement. jvIy. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  29  1 

Charles  H.  Haskins  et  Dean  P.  Lockwood.  The  Sicilian  translators  of  the 
twelflh  ccntury  and  ihc  iirsi  laiin  version  ot  l'iokmy's  Ahnagesl.  (llxlr.  de 
Harvard  Studics  in  classical  Pliilology^  vol.  XXI,  1910,  p.   75-102). 

Article  très  intéressant  sur  riiumanisme  en  Sicile  au  xii'' siècle.  Les 
auteurs  nous  révèlent  une  traduction  latine  de  VAlmageste,  ante'rieure 
à  la  première  connue.  L'ouvrage  de  Ptolémée,  traduit  en  arabe  dès  le 
ix"  siècle,  fut  traduit  en  latin  sur  Tarabe  en  i  \-jb  par  Gérard  de  Cré- 
mone; la  première  traduction  latine  faite  directement  sur  le  grec, 
celle  de  Georges  de  Trébizonde,  ne  parut  que  trois  siècles  plus  tard, 
en  1451.  MM.  Haskins  et  Lockwood  ont  découvert  à  la  Vaticane 
(Vat.  lat.  2o56)  un  manuscrit  du  xiv^  ou  peut-être  de  la  fin  du  xiii^  siè- 
cle, dont  ils  donnent  une  brève  description,  contenant  une  traduction 
latine  de  VAlmageste  accompagnée  d'une  préface  dont  certains  détails 
permettent  de  fixer  la  date.  Il  est  dit  en  effet  dans  cette  préface,  qui 
est  publiée  à  la  fin  de  l'article,  qu'un  manuscrit  de  la  S'jvTaçi;  [jLaOT,[xa- 
T'.x-/;  fut  envoyé  en  présent  par  l'empereur  de  Constantinople  au  roi  de 
Sicile,  à  Palcrme,  par  l'entremise  d'un  ambassadeur  du  roi  nommé 
Arisiippe  ;  et  le  traducteur  ajoute  qu'il  s'empressa,  dès  qu'il  connut 
l'existence  de  ce  manuscrit,  d'aller  trouver  Aristippe  dans  la  région 
de  l'Etna  où  celui-ci  se  trouvait  alors,  et  qu'il  fit  sa  traduction  après 
quelques  études  préparatoires.  Or  cet  Aristippe  est  connu  comme  un 
personnage  important  de  la  cour  de  Guillaume  I  de  Sicile  ;  après 
avoir  perdu  la  faveur  du  roi,  il  fut  jeté  en  prison  en  1 162,  et  il  y  mou- 
rut peu  de  temps  après.  La  traduction  est  donc  antérieure  à  cette  der- 
nière date  ;  elle  est,  par  conséquent,  la  première  faite  sur  le  grec,  et 
elle  peut  avoir,  de  ce  fait,  une  certaine  valeur  pour  l'étude  du  texte  ; 
selon  MM.  H.  et  L.,  elle  a  une  grande  affinité  avec  le  manuscrit  A  de 
Heibcrg  (Paris,  gr.  2389)  ;  un  spécimen  en  est  donné  p.  83,  note  3 
(=^  Heiberg,  I,  p.  4,  7-5,  7).  L'auteur  néglige  de  donner  son  nom  ;  on 
apprend  seulement  qu'il  étudiait  alors  la  médecine  à  Salerne,  et  l'on 
peut  conclure  d'un  passage  de  la  préface  qu'il  avait  déjà  traduit  plu- 
sieurs traités  d'Euclide  et  de  Proclus.  MM.  H.  et  L.  ajoutent  quel- 
ques renseignements  sur  deux  traducteurs  siciliens  du  xii'^  siècle, 
Aristippe,  celui-là  même  dont  il  vient  d'être  question,  dont  on  a  une 
traduction  du  Ménon  et  du  Phédon,  conservée  dans  plusieurs  manus- 
crits ',  et  l'amiral  Eugène  de  Palerme,  vir  tam  grœcœ  quam  arabicœ 
Unguœ  peritissimus,  comme  l'appelle  le  traducteur  anonyme  de  VAl- 
mageste ;  on  lui  doit  la  traduction  en  latin,  faite  sur  l'arabe,  de  VOp- 
tique  de  Ptolémée,  dont  le  texte  grec,  ainsi  d'ailleurs  que  la  traduction 
arabe,  est  aujourd'hui  perdu. 

My. 

I.  Les  prologues  en  ont  été  publiés  par  V.  Rose.  Les  premières  et  les  dernières 
lignes  de  la  traduction  du  Ménon  sont  données  ici  en  note,  p.  88,  d'après  le  ma- 
nuscrit 243  de  Corpus  Christi  Collège.  Les  incipit  et  cxplicit  de  la  traduction  ano- 
nyme de  VAlmageste,  pour  chacun  des  treize  livres,  sont  également  donnés  en 
note,  p.  78-79. 


2Q2  REVl'E    CRITIQUE 

Ph.  Lauur.  Robert  I"  et  Raoul  de    Bourgogne,  rois  de   France   '923-936). 

1  vol.  iii-S"  Je    I  lO   pages  iii-S'  (J.ms  la  liihlioihc  |uc    do    fl^colc   des  Hautcs- 
F.tudcs].  Paris,  llrinoré  Champion,  kjio. 
—  II.  Le  palais  de  Latran.  Ktude  historique  et  archéologique,  i  vol.  de  643  p. 
in-4"  avec -X.XXV  planches  hors  texte  et  142  gravures.  Paris,  Krncst  Leroux,  191  i. 

I.  —  Le  premier  ouvrage  fait  partie  de  la  série  des  Annales  de  ihis- 
toire  de  France  à  Vcpoquc  carolingienne  entreprises  jadis  sur  l'iniiia- 
live  d'Arthur  Giry.  Il  comble  la  lacune  qui  existait  entre  le  travail  de 
M.  Eckel  sur  le  règne  de  Charles  le  Simple  et  celui  de  M.  Lauer  lui- 
même  sur  le  règne  de  Louis  d'Outre-Mer.  La  série  est  maintenant 
complète  de  888  à  98;,  et  il  est  à  souhaiter  que  bientôt  soit  terminé 
le  règne  de  Charles  le  Chauve,  dont  des  fragments  importants,  dus  à 
MM.  Ferd.  Lot  et  Halphen,  ont  déjà  paru.  La  France  pourra  mettre 
en  parallèle  cette  belle  suite  de  travaux  avec  les  Jahrbiicher  \ur  deut- 
schen  Gescliichte,  traitant  de  la  même  période.  Déjà  un  savant  alle- 
mand, W.  Lippert,  avait  consacré  en  i885  sa  thèse  au  règne  de 
Raoul;  mais  l'ouvrage,  fort  estimable  d'ailleurs,  demandait  à  être 
refait  au  point  de  vue  français.  M.  Lauer  en  a  corrigé  un  assez  grand 
nombre  d'assertions;  il  a  proposé  des  identifications  différentes  de 
noms  de  lieux,  déterminé  de  façon  plus  précise  certaines  dates.  Il 
avait  été  fort  bien  préparé  à  cette  tâche  par  l'excellente  édition  qu'il  a 
donnée  autrefois  des  Annales  de  Flodoard, 

II.  —  M.  Lauer,  alors  qu'il  était  membre  de  l'École  française  de 
Rome,  a  obtenu,  après  de  multiples  démarches,  l'autorisation  de  faire 
des  fouilles  sous  la  Scala  santa  et  dans  les  soubassements  du  Sancta 
Sanctoriim,  et  il  y  a  découvert  des  fresques  fort  curieuses  du  xi"^  ou 
xii«  siècle.  11  a  pu  aussi  examiner  de  près  les  curieuses  reliques  dépo- 
sées dans  le  coffre  de  cyprès,  remontant  au  pape  Léon  III,  placé  sous 
l'autel  du  Sancta  Sanctorumex  protégé  par  une  grille  de  fer.  Puis  il  a 
réussi  à  pénétrer  dans  les  archives  de  Saint-Jean-de~Latran  où  très 
peu  d'érudits  ont  eu  accès  et  à  prendre  copie  de  certaines  pièces 
curieuses.  Divers  mémoires  publiés  dans  les  Mélanges  d'archéologie 
et  d'histoire  de  l'École  de  Rome,  une  étude  élégante  sur  le  trésor  du 
Sancta  Sanctoriim  parue  en  1906  dans  les  Monuments  Piot  nous 
avaient  fait  part  de  ses  trouvailles.  Il  était  tout  naturel  qu'il  songeât  à 
nous  présenter  un  travail  d'ensemble  sur  le  Latran,  et  ce  travail  est  un 
fort  beau  volume,  superbement  imprimé  et  enrichi  de  nombreuses  et 
magnifiques  planches.  L'ouvrage  se  divise  en  deux  parties  à  peu  près 
d'égale  longueur,  le  texte  et  les  documents.  Parmi  ces  documents, 
quelques-uns  ne  se  rapportent  pas  directement  à  son  sujet.  Au  cours 
du  volume,  M.  Lauer  nous  a  parlé  de  façon  tout  à  fait  incidente  du 
chapitre  de  chanoines  qui  fut  attaché  à  la  basilique,  tantôt  chanoines 
séculiers  et  tantôt  chanoines  réguliers;  il  n<.)us  donne  en  appendice 
des  inventaires  des  biens  de  ce  chapitre  d'où  relevait  un  certain 
nombre  de  maisons  religieuses  dans  toutes  les  parties  du  monde.  Le 
roi  de  France  Henri  IV  dont  la  statue  se  dresse  à  l'une  des  entrées  de 


d'histoire  et  de  littérature  293 

la  basilique  donna  au  chapitre  en  \5q6  l'abbaye  de  Clairac  (aujour- 
d'hui Lot-et-Garonnei;  M.  l.auer,  ^jui  a  trouvé  un  inventaire  des 
archives  de  cette  abbaye  dressé  en  1762  par  dom  Cîalctti,  bénédictin 
du  mont  Cassin,  le  publie  tout  au  long;  nous  lui  sommes  reconnais- 
sants de  nous  avoir  donné  ces  pièces  ;  mais  il  faut  être  prévenu  pour 
les  chercher  à  la  fin  de  son  volume  et  l'on  aimerait  que  ces  documents 
fussent  accompagnés  de  quelques  notes  très  sobres,  identifiant  les 
noms  de  lieux  et  donnant  les  renseignements  indispensables.  D'autres 
documents  sont  au  contraire  bien  ici  cà  leur  place  ;  M.  Lauer  a  maintes 
fois  raison  de  nous  donner  la  description  du  l.atran  qui  est  précédée 
d'une  dédicace  du  chanoine  Jean  Diacre  à  un  pape  Alexandre,  et  celle 
qui  fut  faite  dans  la  seconde  moitié  du  xvi=  siècle  par  Onuphre  Panvi- 
nio;  maison  aurait  souhaité  une  courte  préface  nous  faisant  connaître 
la  valeur  de  ces  récits.  .lean  Diacre  est-il  l'auteur  de  la  première  des- 
cription ou  n'a-t-il  fait  que  reprendre  un  ouvrage  plus  ancien,  puis- 
qu'aussi  bien  cette  dédicace  ne  se  trouve  pas  en  un  certain  nombre  de 
manuscrits?  Nous  aurions  voulu  être  fixés  d'autant  plus  qu'au  cours 
de  l'ouvrage  M.  Lauer  varie  sur  la  date  du  document,  l'attribuant 
tantôt  au  xi=  siècle  (p.  35,  i33),  tantôt  au  xu'' (p.  5r,  176,217).  En 
tout  cas,  la  dédicace  de  Jean  Diacre  est  adressée  à  Alexandre  III  et  se 
place  par  suite  dans  les  années  11  59  à  1181.  La  question  mériterait 
d'être  reprise  et  serrée  de  plus  près. 

M.  Lauer  nous  expose  dans  sa  préface  quel  fut  son  dessein  :  «  Nous 
nous  sommes  borné  à  présenter  l'histoire  du  monument  en  suivant 
autant  que  possible  la  succession  des  temps....  Nous  avons  négligé  de 
pani-pris  de  décrire  méthodiquement  la  basilique  ou  le  palais,  préfé- 
rant à  des  restitutions  hypothétiques  les  témoignages  même  des  con- 
temporains que  nous  avons  réunis  »,  et  le  sous-titre  de  son  volume 
est  :  Etude  historique  et  archéologique.  On  peut  regretter  que  l'archéo- 
logie ait  cédé  le  pas  à  l'histoire.  M.  Lauer  ne  nous  montre  pas  vérita- 
blement le  Latran  pas  plus  que  ne  nous  montrerait  le  Louvre  un  écri- 
vain qui  décrirait  les  entrées  dans  ce  palais  des  souverains,  en  enumé- 
rerait  les  hôtes,  relèverait  les  ordonnances  ou  les  diplômes  datés  de 
cette  demeure.  Les  diverses  parties  des  bâtiments  ne  nous  apparaissent 
que  lorsqu'elles  sont  citées  pour  la  première  fois  par  un  chroniqueur, 
sans  que  soit  hasardée  quelque  conjecture  sur  leur  origine  ;  puis 
jamais  nous  ne  voyons  d'ensemble  l'ancien  palais  du  Latran  avant  sa 
destruction  par  Sixte-Quint.  M.  Lauer  s'abstient  aussi  en  général  de 
toute  considération  artistique,  et  c'est  trop  de  modestie.  Sans  doute 
il  lui  est  arrivé  parfois  de  se  tromper  sur  la  date  d'une  mosaïque  ou 
d'une  peinture;  mais  certaines  dissertations  que,  malgré  tout,  il  intro- 
duit de  temps  en  temps  dans  son  exposé  chronologique,  prouvent 
qu'il  a  le  sens  critique  très  fin.  Arrivé  au  pontificat  de  Nicolas  IV 
(1288- 1292),  il  étudie  la  mosaïque  qui  ornait  autrefois  l'abside  de  la 
basilique  et  qui  a  été  fort  mal  refaite  en    1876  ;   il   détermine  la  date 


204  RliVUK    CRITIQUE 

des  divers  morceaux  dont  i.]ucLiLics-uns  étaient  fort  anciens,  dont 
d'autres  remontaient  à  Nicolas  IV'  uiOme;  et  cette  étude  faite  en  bloc 
(pp.  214-228)  est  remarquable. 

D'ordinaire  M.  Lauer  se  borne  à  mettre  bout  à  bout  les  textes  des 
écrivains   qui  ont  parle   du   Latran  ;   il    nous   donne   un  régeste  du 
Latran,   pour  prendre  un   mot  qui   est  à   la  mode.  Les  faits  les  plus 
divers,  incendies,  élections  de  papes,  entrées  des  souverains,  banquets 
servis  dans  l'un  des  triclinia,  se  succèdent  ainsi  pêle-mêle,  au  hasard 
de  la  chronologie.  Or  tous  ces  faits  embrassent  près  de  treize  siècles, 
de  l'époque  de  Constantin  au  début  du  ive  à  la  destruction  du  palais  à 
la  fin  du  xvi«.  Il  n'est  pas  étonnant  que  M.  Lauer,  ayant  eu  à  compul- 
ser  les  chroniqueurs  et  les  documents  d'une  si  longue  période,  ait 
laissé    échapper  quelques  erreurs  ;  il  les  signale  lui-même  dans  ses 
Errata.  Nous  préférons  ici  insister  sur  la  masse  des  faits  qu'il  relève; 
il  ne  s'est  pas  borné  aux  documents  romains;  il  a  vu  les  chroniques 
françaises   ou    allemandes    où    il  est  question  du  Latran;  il  cite    par 
exemple  les  vers  de  Jean  Baudoin,  de  Rosiôres-aux-Salines,  mention- 
nant la  sépulture  de  Martin  V  (f  1431)  dans  la  basilique  et  publiés 
par  Paul  Meyer  au  t.  XXXV  de   la  Romania.  Jusqu'au  début  du  xiv^ 
siècle  il  cite  à  peu  près  tous  les  passages  des  écrivains  où  il  est  ques- 
tion du  Latran  ;  à  partir  de  i  3oo,  il  est  bien  obligé  de  faire  un  choix  ; 
peut-être  ce  choix  est-il  un  peu  arbitraire.  Il  insiste  par  exemple  sur  la 
visite  que  fit  l'empereur  Frédéric  III  au  Latran  le  3i  décembre  1468;. 
il  ne  mentionne  pas  les  processions  qui  menèrent  Sigismond  de  Saint- 
Pierre  à  Saint-Jean  le  3i  mai  1433,  Frédéric  III  lui-même  le  19  mars 
1452,  après  leur  couronnement,  les  derniers  couronnements  d'empe- 
reur qui  aient  eu  lieu  à   Rome.   L'exposé  s'arrête  avec   Sixte-Quint; 
les  dernières  transformations  de  la  basilique,  notamment  l'agrandis- 
sement du  chœur  en  1876,  ne  sont  relatées  que   de  façon  sommaire, 
en  manière  de  conclusion. 

Nous  avons  signalé  quelques-uns  des  défauts  de  ce  beau  livre  ;  mais 
il  nous  faut  insister  à  la  fin,  pour  être  entièrement  juste,  sur  ses  qua- 
lités. M.  Lauer  a  fait  un  vigoureux  effort  pour  raconter  toute  l'his- 
toire du  Latran  depuis  les  origines  ;  il  a  ramassé  de  très  nombreux  do- 
cuments, quelques-uns  inconnus  avant  lui  (voir  p.  245  le  poème  latin 
décrivant  l'incendie  de  mai  i3o8);  il  a  réuni  une  collection  de  plan- 
ches qui  sont,  elles  aussi,  un  véritable  répertoire  de  documents —  des 
documents  iconographiques  ;  —  personne  ne  parlera  plus  du  Latran, 
sans  recourir  à  son  livre,  et  c'est  là  le  meilleur  éloge  qu'on    puisse 

faire  des  monographies  de  ce  genre. 

Ch.  Pfister. 

Diarium  Universitatis  Mussipontanae  (1572-1764\  publié  sous  les  auspices  et 
aux  frais  de  la  Société  des  amis  de  TUniversité    de   Nancy  pnr  G.  Gavet,  i  vol. 
grand  in-4»  de  xxviii-747  pages.  Paris  et  Nancy,  Bergei-Levrault,   191 1. 
Le  manuscrit  que  M.    G.  Gavet  a  retrouvé   et  qu'il  édite  est  un 


d'hISTOTRK     !■•  r     HK     I.ITTFRATt'RR  296 

registre  qui  servait  de  mémento  au  recteur  de  F  Université  de  Pont-à- 
Mousson.  Le  recteur  lui-incme  ou  divers  employés  y  inscrivaient  un 
peu  pèle-mèle  les  documents  ou  les  faits  auxquels  il  pouvait  être 
besoin  de  se  référer  :  ordonnances  sur  la  Constitution  de  l'Uni- 
vcrsito,  attributions  des  divers  officiers,  manière  dont  les  examens 
doivent  être  passés,  formulaires  pour  la  réception  des  bacheliers, 
licencies  ou  docteurs,  actes  de  la  vie  universitaire.  Le  registre  n'est 
pas  écrit  au  jour  le  jour  ;  le  terme  de  Diarium  n'est  pas  exact  ;  mais 
il  est,  à  des  intervalles  plus  ou  moins  éloignés,  tenu  à  jour  ;  pourtant, 
quand  sont  reçus  des  officiers  ou  des  employés  de  l'Université, 
notaires,  imprimeurs,  bedeaux,  ils  signent,  à  la  date  de  leur  réception, 
le  serment  de  garder  inviolablement  ce  qui  appartient  à  la  charge  et 
d'obéir  au  recteur.  Comme  le  recteur  était  placé  à  la  tète  du  collège 
et  que  son  autorité  s'étendait  surtout  sur  la  Faculté  de  théologie,  c'est 
des  collégiens  et  des  théologiens  dont  il  est  particulièrement  question 
dans  le  Diarium;  on  y  trouvera  peu  de  renseignements  sur  la  vie  inté- 
rieure des  deux  facultés  séculières,  droit  et  médecine;  pourtant  ces 
t'acultés  sont  mentionnées  à  propos  de  la  vie  universitaire  en  général  ; 
puis  les  étudiants  en  droit,  avant  de  passer  la  licence  in  iitroque  jure, 
prêtaient  serment  de  foi  catholique  entre  les  mains  du  recteur  et  ces 
prestations  sont  souvent  consignées  au  registre.  Il  faut  aussi  avouer  que 
le  registre  n'est  pas  toujours  bien  tenu  ;  très  détaillé  pour  certai- 
nes années,  il  est  sobre  de  renseignements  sur  d'autres  :  pour  l'époque 
de  Stanislas,  il  ne  contient  presque  plus  que  les  serments  des  protes- 
seurs  et  des  officiers;  le  registre  s'arrête  brusquement  en  1764,  c'est- 
à-dire  quatre  années  avant  la  translation  de  l'Université  de  Pont-à- 
Mousson  à  Nancy. 

Si  l'on  ne  trouve  pas  dans  le  Diarium  tous  les  renseignements  qu'on 
serait  tenté  d'y  chercher,  on  en  trouve  un  très  grand  nombre,  et  la 
vie  de  l'Université  lorraine  revit  pour  ainsi  dire  sous  nos  yeux  :  voilà 
pourquoi  il  faut  être  reconnaissant  h  M.  Gavet  et  à  la  Société  des 
amis  de  l'Université  de  Nancy  d'avoir  publié  ce  document. 

L'Université  fut  créée  par  une  bulle  du  pape  Grégoire  XIII  du 
5  décembre  1572,  pour  lutter  contre  l'hérésie  ;  elle  fut  placée  dans  une 
petite  cité  qui  était  divisée  entre  les  deux  diocèses  de  Metz  et  de  Toul 
et  d"où  il  était  facile  d'agir  sur  celui  de  Verdun.  Les  premières  classes 
du  collège  et  les  premiers  cours  de  théologie  purent  s'ouvrir  en 
octobre  i  575  sous  la  direction  des  Jésuites;  le  P.  Edmond  Hay,  d'ori- 
rigine  écossaise,  fut  nommé  recteur  par  la  compagnie.  En  i582,  fut 
créée  la  faculté  de  droit  qui  eut  pour  premier  doyen  le  célèbre 
Pierre  Grégoire  de  Toulouse,  en  i5g8,  la  faculté  de  médecine  où 
enseigna  Charles  Lepois;  et  ce  furent  aussitôt  entre  les  théologiens  et 
les  facultés  séculières  une  série  de  luttes  sur  le  rectorat,  sur  la  nomi- 
nation du  chancelier,  sur  l'ordonnance  des  processions,  sur  le  nom 
à   donner   à   l'Université    (faut-il   l'appeler    mussipontana  ou  ponti- 


21)6  REVIJK    GRITIQri". 

mtissjna  : )  cxc.  On  trouve  rcclin  de  ces  querelles  dans  le  Diarium: 
on  V  lit  par  exemple  l'ordre  qui  l'oîi  être  suivi  en  la  procession  {siip- 
vlicatio]  du  recteur,  tel  qu'il  l'ut  arrêté  le  lo  juillet  i6(j4en'la  maison 
du  seigneur  de  Maillanc;  mais  le  document  préfère  insister  sur  la 
prospérité  du  collège.  Après  l'expulsion  de  France  des  Jésuites  en 
i5q5,  de  nombreux  Français  y  adluent;  beaucoup  de  jeunes  nobles, 
accompagnés  de  leur  domesticité,  y  sont  accourus  dès  Toriginc.  Henri 
de  Gondi,  le  premier  cardinal  de  Retz  (-|-  1622!,  fut  élève  de  Pont-à- 
Mousson  en  i3So.  V.c  Diarium  nous  signale  aussi  le  nom  de  tous 
ceux  qui  passent  leurs  examens  au  collège  ou  à  la  théologie  et  nous 
dit  le  sujet  de  leurs  thèses;  il  fait  connaître  les  ci^o/zof/zè/t'^,  c'est- 
à-dire  les  noms  des  grands  seigneurs  qui  font  les  frais  des  prix 
et  dont  les  armoiries  sont  reproduites  au  plat  des  reliures  des  volu- 
mes; il  indique  les  représentations  théâtrales  données  par  les  éco- 
liers :  la  liste  des  pièces  dressée  jadis  par  M.  l'abbé  Eug.  Martin  dans 
son  excellente  thèse  sur  V  Université  de  Pont-à-Mousson  peut  être  ainsi 
allongée;  en  1607,  les  écoliei's  représentent  la  tragédie  Cartalo,  en 
1608  la  wa^'i-comédie  DatJtascenus,  en  1610  la  tragi-comédie  ^ef/zro- 
viis,  en  161  I  Vhilarotragœdia  Gottofredus\  en  161 2  la  comédie 
Polidoxonmnes,  en  161 3  la  tva^éd'iQ  Wenceslaus,  en  16 14  Arcadius 
pœnitens  en  1616,  une  tragédie  en  français,  Diogène  Romain,  empe- 
reur d'Orient,  et  pendant  un  certain  temps  les  sujets  sont  empruntés 
à  l'histoire  byzantine. 

A  cette  période  de  prospérité  succéda,  à  partir  de  1 633,  avec  les 
malheurs  de  la  Lorraine  une  période  de  longue  et  profonde  déca- 
dence. Les  élèves  n'osent  venir  dans  un  pays  occupé  par  les  F'rançais 
et  où  sévit  la  guerre.  Combien  sont  tristes  des  mentions  de  ce  genre, 
i636  :  «  Apertae  scholae  sine  oratione  publica  proptcr  paiicitatem 
scholasticorum  qui  vix  ad  i5o  numerabantiir  propter  miserias  tempo - 
rum  »!  et  une  pareille  formule  revient  souvent  les  années  suivantes. 
L'Université  se  releva  quand,  en  1697,  ^^  Lorraine  fut  rendue  à  l'an- 
cienne dynastie  ducale.  Mais  à  ce  moment  et  surtout  sous  Stanislas 
la  vie  intellectuelle  se  retirait  de  Pont-à-Mousson  ;  elle  se  concentrait 
à  Nancy,  et  l'Université  ne  jeta  plus  quelque  éclat  qu'après  son  trans- 
fert en  1768  en  cette  ville  ;  et  encore  elle  souffrit  du  mal  général  qui 
anémiait  toutes  les  Universités  au  xviu^  siècle  :  elle  faisait  des  prati- 
ciens et  se  souciait  médiocrement  de  science. 

Nous  avons  dit  tout  ce  que  le  Diarium  ajoute  à  nos  connaissances; 
il  importe  de  dire  aussi  qu'il  a  été  édité  avec  le  plus  grand  soin. 
M.  Gavet  a  poussé  le  souci  de  l'exactitude  jusqu'au  scrupule,  relevant 
toutes  les  fautes  du  manuscrit,  s'appliquant  à  donner  des  noms  d'étu- 
diants l'orthographe  véritable  ;  en  cas  de  doute,  il  indique  par  centi- 
mètres et  même  par  millimètres  la  place  que  le  nom  propre  occupe 
dans  le  manuscrit.  Mais  ce  volume  imprimé  avec  beaucoup  de  luxe 
est  incomplet.  On  ne  pourra  véritablement   s'en  servir  que  lorsqu'il 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTERATURE  297 

sera  accompat:;nô  de  tables.  De  telles  tables  donnent  un  prix  tout  spé- 
cial aux  matricules  de  l'Université  de  Strasbourg  publiées  par 
G.  Knod.  Que  la  Société  des  amis  de  TUniversité  de  Nancy  consente 
encore  à  un  sacrifice  ;  qu'elle  vote  les  crédits  nécessaires  pour  Tim- 
pression  de  cette  table  qui  est  prête,  et  elle  aura  mis  en  toute  sa 
valeur  un  document  de  premier  ordre  pour  l'histoire  de  l'Université 
nanccienne. 

Ch.  Pfister. 

L.  de  Lanzac  de  Laborie  Paris  sous    Napoléon,    Le    théâtre    français.  l'Ion, 
191  I,  3.1 1    p.    in-i6. 

Dans  ce  nouveau  volume  de  son  grand  ouvrage  qui  deviendra  clas- 
sique, M.  de  Lanzac  de  Laborie  donne  une  fois  de  plus  la  preuve  de 
son  talent  si  souple  et  si  varié.  Il  y  passe  en  revue,  avec  un  luxe  d'in- 
formation étonnant,  toute  l'histoire  architecturale,  administration, 
dramatique,  littéraire,  morale,  etc.,  du  premier  et  du  second  théâtre 
français  sous  le  premier  empire.  On  voit  défiler  les  étoiles  tragiques 
cl  comiques,  Talma,  Monvel,  Mlles  Raucourt,  Contât,  George, 
Duchesnois,  etc.,  on  connaît  le  répertoire  et  les  pièces  nouvelles,  les 
censeurs  et  les  critiques,  le  public  et  ses  goiits,  sans  oublier  la  Cour 
et  l'Empereur  ;  on  n'ignore  rien  de  ce  qui  peut  intéresser  les  curiosités 
les  plus  exigeantes  ou  les  plus  indiscrètes  et  tout  cela  forme  un  tableau 

plein  de  vie,  de  justesse  et  d'agrément. 

•  A.  Mz. 


A.  DE  RuviLLE.  La  Restauration  de  l'Empire  Allemand,  le  Rôle  de  la 
Bavière.  Traduit  de  rallemand  par  Pierre  Albin.  Paris,  Alcan,  191 1,  in-S", 
xxx-327  p. ,  7  fr. 

G.  KûNTZEL.  Bismarck  und  Bayern  in  der  Zeit  der  Reichsgrundung.  Franc- 
fort s.  le  M.,  Baer,  19 10,  in- 8",   1  14  p.,  4  m k. 

M.  de  Ruville,  professeur  à  l'Université  de  Halle,  a  publié  en  1909 
^  un  livre  sur  la  Restauration  de  l'Empire  Allematid  qui  a  rencontré  en 
Allemagne  et  à  l'étranger  un  succès  de  curiosité  et  provoqué  de  nom- 
breux commentaires.  Il  a  été  remarqué  en  France,  et  presque  dès  sa 
publication  M.  Joseph  Reinach  en  signalait  l'importance  aux  lecteurs 
du  Temps.  M.  Albin  a  jugé  bon  de  traduire  l'ouvrage  en  français  et 
d'y  joindre  l'article  de  M.  Reinach  comme  préface.  Son  entreprise 
sera  sans  doute  bien  accueillie,  car  le  livre  de  Ruville  ne  s'est  pas 
beaucoup  répandu  chez  nous  dans  le  texte  original,  et  il  touche  trop 
directement  à  notre  histoire  contemporaine  la  plus  passionnante  pour 
ne  pas  intéresser  beaucoup  de  lecteurs. 

M.  de  R.  avait  été  frappé  de  deux  faits  en  apparence  difficiles  à 
concilier  :  La  Bavière,  d'une  part,  était  avant  1870  à  peu  près  domi- 
née politiquement  par  un  parti  peu  nombreux,  mais  très  actif,  le 
parti  «    patriote  »,    conservateur,  catholique,  ami  de    l'Autriche  et 


2()X  UKVUK    CRITIQUE 

lioslile  ù  la  Piiissc  ;  le  niinisirc  vcjii  iMoidicn  rcppcscniait  ce  parti  à  la 
tC'tc  t-ios  atlairos  lors  du  conllii  ausiro-prussicn  de  1866,  le  coniie  de 
Biav-Sieinbuig  au  moment  de»  la  guerre  de  1870.  D'autre  part,  la 
Bavière  est  entrée  sans  résistance  apparente  dans  Talliance  prus- 
sienne après  Sadowa  d'abord,  puis  dans  la  confédération  allemande 
après  Sedan,  l^lle  n'a  fait  aucune  opposition  sérieuse  à  la  dcjmination 
prussienne,  quoique  ses  ministres  aient  certainement  souhaité,  et 
selon  toute  apparence  préparé  une  autre  solution  au  problème  natio- 
nal de  l'Allemagne.  Comment  résoudre  celle  contradiction?  Les 
textes,  diplomatiques  et  autres,  qui  le  permettraient  ne  sont  pas  acces- 
sibles. Pour  longtemps  encore  les  archives  allemandes  de  cette 
période  sont  fermées.  La  publication  entreprise  en  France  sur  les 
origines  diplomatiques  de  la  guerre  de  1870  n'a  pas  dépassé  l'année 
1864,  et  elle  ne  contiendra  pas,  cela  est  dès  à  présent  certain,  les 
pièces  confidentielles  les  plus  importantes.  Les  éléments  même  de  la 
recherche  font  défaut. 

C'est  ici  qu'intervient  un  procédé  d'investigation  particulier  à 
M.  de  R.,  ou  que  du  moins  il  a  fait  sien.  «  Ma  méthode,  écrit-il,  est 
semblable  à  celle  des  archéologues  qui  cherchent  à  reconstituer  les 
fragments  d'une  monnaie  brisée...  Si  l'on  possède  un  des  morceaux, 
il  ne  sera  jamais  difficile  de  découvrir,  parmi  un  certain  nombre  de 
moitiés  de  pièces  de  monnaie,  celle  qui  en  représente  le  complément. 
Si  même  on  avait  à  choisir  parmi  des  centaines  et  des  milliers  de 
fragments  pareils,  aucun  ne  s'adapterait  exactement,  sauf  précisément 
celui  qui  était  auparavant  raitaché  à  celui  que  l'on  possède  ».  Pour 
expliquer  des  faits  fragmentaires,  mais  certains  et  inconciliables  en 
apparence,  M.  de  R.  recherche  l'hypothèse  qui  les  explique  tous,  les 
explique  seule  et  n'explique  que  ceux-là.  C'est-à-dire  qu'en  somme  il 
emploie,  pour  découvrir  la  cause,  même  particulière,  de  faits  particu- 
liers, et  au  besoin  pour  reconstituer  des  faits  ignorés  ou  imparfaite- 
ment connus,  le  même  procédé  que  les  sciences  naturelles  emploient, 
non  pour  découvrir  un  lien  de  cause  à  effet,  mais  pour  coordonner, 
par  une  explication  générale,  tous  les  faits  particuliers  précédemment 
constatés  par  l'observation  et  susceptibles  d'être  reproduits  par  l'ex- 
périence. On  voit  que  la  similitude  des  deux  méthodes  est  peut-être 
plus  apparente  que  réelle,  aussi  bien  du  reste  que  l'analogie  préten- 
due entre  la  technique  de  Thist-oire  et  celle  des  sciences  de  la  nature. 

L'  «  hypothèse  »  de  M.  de  R.  est  celle-ci.  Tandis  que  les  pouvoirs 
parlementaires  ont  été,  en  Bavière,  presque  sans  cesse  aux  mains  des 
«  patriotes  »  anti-prussiens,  le  roi  Louis  II  n'a  cessé,  au  contraire,  de 
poursuivre  une  politique  favorable  à  la  Prusse.  C'est  lui  qui  a,  en 
1866,  décidé  la  signature  du  traité  d'alliance  avec  la  confédération  du 
Nord,  Ce  traité  est  vague,  il  lie  à  peine  la  Bavière,  il  n'a  pas  de  terme 
fixé,  il  prête  à  mille  chicanes  sur  le  casus  J'œJeris .  Tout  cela,  qui  a 
justement  permis  à  Pfordten  et  à  Bray  de  signer  la  convention,  avec 


d'histoire  et  de  littérature  299 

l'arrière-pensée  de  s'y  soustraire,  la  Prusse  s'en  est  contentée,  et  en 
pratique  cela  lui  a  suffi.  Pourquoi  ?  Parce  que,  dit  M.  de  R.,  le  roi 
Louis  II  avait  donné  sa  parole  au  roi  de  Prusse  de  maintenir  l'al- 
liance et  de  secourir  la  Prusse.  Cette  parole,  engagée  à  l'insu  de  ses 
ministres,  il  Ta  tenue.  Voilà  l'hypothèse.  Elle  seule,  selon  l'auteur, 
explique  l'attitude  générale  de  la  Bavière,  et  aussi  certaines  notes 
parues  dans  les  journaux,  où  l'on  signalait,  en  termes  bien  vagues 
cependant,  le  rôle  personnel  du  souverain  dans  les  pourparlers. 

En  1870,  après  les  victoires  de  la  Prusse,  quand  les  négociations 
s'engagèrent  à  Versailles  pour  la  formation,  ou  plutôt  —  M.  de  R, 
tient  à  ce  terme  —  la  Restauration  (Wiederaiifrichtiing)  de  l'Empire 
allemand,  c'est  encore  le  roi  de  Bavière  qui  joua  le  rôle  principal,  et 
entraîna  par  son  exemple  le  suffrage  de  la  Hesse  et  du  Wurtemberg. 
Son  ministre  Bray  fut  cette  fois  au  courant  de  ses  intentions,  les 
contraria  d'abord,  puis  —  à  partir  du  5  novembre  1870  environ  — 
s'y  associa  entièrement.  Pourtant  Bray  était,  il  avait  toujours  été 
adversaire  d'un  empire  prussien.  Il  était,  dès  longtemps,  grossdeiits- 
cher  et  il  le  demeurait  même  après  1867;  ami,  condisciple  de  Beust 
qu'il  tutoyait,  il  avait  certainement  médité,  négocié  sans  doute  avec 
lui  et  le  duc  de  Gramont,  à  Vienne  où  ils  vivaient  tous  trois,  des 
combinaisons  politiques  fort  hostiles  aux  projets  de  Bismarck.  Si 
donc  il  change  d'attitude  en  1870,  presque  soudainement,  et  sans 
retour,  c'est  pour  une  raison  grave.  M .  de  R.  l'indique  par  une  nou- 
velle hypothèse.  Tout  s'expliquerait  par  une  sorte  de  «  chantage  » 
exercé,  envers  les  ministres  des  états  du  Sud,  par  le  chancelier  de  la 
confédération  du  Nord. 

Le  10  octobre  1870,  des  soldats  mecklembourgeois  avaient  saisi  à 
Cerçay,  en  Seine-et-Marne,  dans  un  château  appartenant  à  Rouher, 
une  masse  considérable  de  papiers,  contenant  à  peu  près  sûrement 
des  preuves  d'une  entente  secrète  des  ministres  bavarois,  wurtember- 
geois  et  hessois  avec  la  France  et  l'Autriche  après  1867.  Bismarck 
tit  transporter  ces  pièces  à  Versailles,  et  ses  secrétaires  en  eurent 
bientôt  tiré  de  quoi  rendre  accommodants  les  ministres  des  états  du 
Sud,  venus  auprès  du  roi  de  Prusse  pour  négocier  le  futur  pacte 
fédéral.  Rapprochant  des  témoignages  isolés,  de  petits  faits,  des  nou- 
velles de  journaux  plus  ou  moins  démenties,  M.  de  R.  en  arrive  à 
affirmer  que  le  chancelier,  dans  un  entretien  du  5  novembre,  gagna 
Bray  à  ses  vues,  comme  il  avait  fait  pour  le  hessois  Dahvigk  et  pour 
les  Wurtembergeois,  en  les  menaçant  de  rendre  publiques  les  preuves 
de  leur  collusion  récente  avec  les  ennemis  de  la  patrie  allemande. 

Cette  explication  avait  déjà  été  pressentie  par  Rothan,  indiquée  par 
Sorel  ;  mais  on  n'y  avait  jamais  donné  un  pareil  développement.  Ni 
Sybel,  ni  Lorenz,  ni  Matter  n'en  avaient  soufflé  mot.  Au  premier 
moment,  elle  est  apparue  comme  un  trait  de  lumière.  Quand  on  y 
réfléchit,  on  la  trouve  quelque  peu  aventurée.  M .  de  R.  a  l'art  de  cons- 


3oO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    KT      DE    LITTÉRATURE 

iruire  sur  très  peu  de  chose  un  ddilicc  d'apparence  solide.  Il  passe 
avec  un  art  des  nuances  et  des  iraiisiiions  un  peu  inquiétant  du  possi- 
ble au  probable,  puis  à  la  certitude.  11  faut  voir  comment  (p.  260  et 
suivantes),  sur  le  seul  témoignage  de  Bray,  dans  une  phrase  d'une 
lettre  à  Eisenhart,  sans  même  qu'on  puisse  être  sûr  de  l'existence  d'un 
entretien  particulier,  seul  à  seul,  du  ministre  bavarois  avec  Bismarck, 
M.  de  R.  linil  par  nous  raconter  —  par  hypothèse  —  toute  leur  con- 
versation et  préciser  «  quels  doivent  avoir  été  i\  peu  près  les  arguments 
de  Bismarck  »  ! 

Il  n'est  pas  étonnant  qu'une  méthode  semblable  ait  été  critiquée. 
Dans  une  brochure  publiée  par  la  collection  des  Frankfurter  historis- 
che  Forschungen,  M.  Georges  Kiintzel,  serrant  de  près  l'argumenta- 
tion de  M.  de  R.,  n'a  pas  eu  de  peine  à  prouver  combien  elle  est 
fragile,  à  quelles  objections  de  fait  elle  se  heurte  et  combien  il  est 
dangereux  de  bâtir  sur  un  texte  unique,  de  source  inconnue  parfois  et 
de  valeur  suspecte,  des  explications  aussi  générales  et  à  si  longue 
portée.  Il  semble  qu'en  France  on  se  soit  un  peu  trop  pressé  de  sous- 
crire aux  conclusions  du  livre  de  M.  R.  Son  ingéniosité,  sa  perspi- 
cacité sont  évidentes.  Sa  bonne  foi  n'est  nullement  en  cause.  Mais  sa 
méthode  de  la  «  médaille  brisée  »  est  bien  imprudente.  Il  arrive  aux 
plus  grands  archéologues,  il  est  arrivé  à  Mommsen  de  se  tromper 
lourdement  dans  la  reconstitution  d'un  texte  peu  étendu,  simple  et 
pas  très  mutilé.  Que  ne  risque-t-on  pas  lorsque  les  c  fragments  de 
médaille  »  qu'on  recherche,  au  lieu  d'être  égarés  parmi  des  débris  où 
l'on  peut  fouiller,  sont  enfermés  sous  triple  serrure,  loin  des  regards 
profanes,  aux  archives  secrètes  de  Berlin  ? 

R.    GUYOT. 


Académie   des    Inscriptions    et   Belles-Lettres.  —  Séance  du   2g  mars  igi2. 

M.  Léger,  président,  rappelle  la  perte  que  l'Académie  a  faite,  il  y  a  quelques 
jours,  en  M.  Philippe  Berger,  membre  ordinaire. 

_M.  Chavannes  annonce  que  la  commission  du  prix  ordinaire  a  décidé  de  ne  pas 
décerner  le  prix,  dont  le  sujet,  proposé  par  l'Académie,  était  une  étude  sur  le 
Turkestan  oriental.  Elle  a  accordé  une  récompense  de  i5oo  francs  à  M.  Gauihiot 
pour  ses  travaux  sur  le  dialecte  iranien  connu  sous  le  nom  de  langue  soghdienne. 

M.  Chavannes  annonce  ensuite  que  la  commission  du  prix  Stanislas  Julien  a 
décerné  un  prix  de  1000  francs,  à  M.  Savina  pour  son  Dictionnaire  Tay-annamite- 
francais,  et  deux  récompenses  de  5oo  francs  chacune,  Tune  à  M.  doré  pour  ses 
Recherches  sur  les  superstitions  en  Chine,  et  l'autre  à  M.  Raphaël  Petrucci  pour  sa 
Philosophie  de  la  nature  dans  l'art  d'Extrême-Orient. 

M.  Auguste  AudoUent  fait  une  communication  sur  les  sépultures  découvertes  aux 
Martres-de-Veyre  fPuy-de-Dôme). 

M.  Joseph  Déchelette,  correspondant  de  l'Académie,  donne  lecture  d'un  mémoire 
relatif  au  vase  dit  «des  Moissonneurs  y  de  Haghia-Triada,  l'un  des  principaux 
ouvrages  de  l'art  crétois  minoen.  Il  montre  que  le  bas-relief  ornantce  vase,  objet  de 
diverses  interprétations,  représente,  en  réalité,  une  procession  solennelle  de  sacri- 
ficateurs se  rendant  à  l'autel  sous  la  conduite  d'un  prêtre.  C'est  une  des  plus 
anciennes  figurations  des  cérémonies  rituelles  qui  précédaient  l'hécatombe  homé- 
rique. —  MM.  Salomon  Rcinach,  Perrot,  Pottier,  Foucart,  Dieulafoy,  Pcrrot  et 
Heuzey  présentent  quelques  observations. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur- gérant  :  Ulysse   Rouchon. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE 


N'  16  -   20  avril.  —  1912 


Dcia.cjER,  L'exorcisme  baptismni.  —  BiiNNiiTT,  Le  \crbe  dans  l'ancien  latin.  — 
1'"robenii's,  La  syntaxe  d'Ennius.  —  Pai?i.son,  Index  de  Lucrèce.  —  Stacc,  Silves, 
p.  Klotz.  —  Properce,  p.  Hiisius.  —  Knk,  (commentaire  de  Properce. —  Tou- 
TAiN,  Les  cultes  païens  tlims  l'Empire  romain.  —  H.w,  Eliagabal.  —  R.  Piciion, 
Hommes  et  choses  de  l'ancienne  Rome.  —  Knorr,  Les  vases  de  Rottweil.  — 
IL  LoNGNON,  Pierre  de  Ronsard.  —  L.  .Xngot,  Mélanges  d'histoire.  —  Vaczy, 
C(jrrespondance  de  Kazinczy.  —  Gui. vas,  La  Grammaire  hongroise  de  Fœldi. 
—  RuBiNvi,  Le  cours  de  Rcsai  à  Pest.  —  Harsanyi,  Les  traductions  de  Pope  par 
Bessenyci.  —  Prônai,  Histoire  de  la  littérature  hongroise.  —  Simonyi,  Eloge  de 
Misteli.  —  .Xcadémie  des  inscriptions. 


F.  J.  DoLGKR,  Der  Exorzismus  itn  altchristlichen  TaufrituaL  Paderborn,  Schô- 
ningh,  n^oq,  x-i-j5  p.  Pris  :  3  .\lk. 

Ce  volume  fait  partie  d'une  collection  publiée  sous  le  patronage  de 
la  Gœrresgesellschaft  ei  sous  la  direction  de  MM.  Drerup,  Grimme 
et  Kirsch,  Stiidien  :{iir  Geschichie  iind  Kiilter  des  Altertums  (t.  III, 
n"  1-2,.  Il  est  revêtu  de  Vimprimatur  de  l'évèque  de  Paderborn. 

L'exorcisme  baptismal,  comme  tous  les  exorcismes,  est  une  céré- 
monie des  plus  intéressantes,  parce  qu'elle  se  rattache  directement  à  la 
magie  antique.  Dans  sa  courte  introduction,  M.  Dôlger  défend  la 
thèse  suivante  :  La  provenance  ou  la  nature  d'un  rit  n'a  aucune  valeur 
démonstrative  en  soi  ;  ce  qui  donne  au  rit  sa  signification,  c'est  la 
doctrine  à  laquelle  il  se  rattache.  On  pourrait  peut-être  ménager  des 
surprises  à  M.  D.,  si  on  lesuivait  en  partant  de  telles  prémisses;  car  on 
aurait  à  discuter  la  démonologie  des  pa'iens  et  des  chrétiens.  Mais 
nous  laisserons  cela.  Voyons  seulement  ce  que  nous  donne  le  livre  de 
M.  D.  Il  est  divisé  en  trois  chapitres. 

M.  D.  recherche  d'abord  les  origines  ci  les  motifs  de  l'exorcisme 
baptismal .  Il  étudie  le  baptême  en  tant  qu'exorcisme  et  explique  pour- 
quoi un  acte  spécial  d'exorcisme  v  a  été  joint.  Les  chrétiens  considé- 
raient les  pa'iens  et  les  hérétiques  comme  des  possédés.  Pour  eux,  le 
péché  était  aussi  une  sorte  de  possession  M.  D.  n'a  pas  de  données 
bien  précises  sur  la  situation  des  Juifs  à  l'époque  la  plus  ancienne.  II 
est  encore  plus  embarrassé  par  les  peiis  enfants.  H  cite  un  passage  des 
homélies  pseudo-clemeniines  qui  refuse  aux  non-baptisés  la  posses- 
sion du  royaume  de  Dieu  ;  c'est  s'appuyer  sur  un  texte  de  date  et  de 

Nouvelle  série  LXXIII  i6 


3o2  REVUE    CRITIQUE 

sincérité  également  douteuses.  Il  raisonne  par  analogie.   Le  baptême 
est  assimilé  à  la  circoncision  ;  or  on  donnait  la  circoncision  aux  petits 
enfants;  donc...  Une  analogie  ne  prouve  rien,  surtout  en  ce  cas;  car 
la  circoncision  est  une  opération    qui   est  facilitée  par  la  jeunesse  du 
sujet.  Cette  question  du  baptême  des  enfants  est  liée  à   celle  du   péché 
originel  et  à  l'appréciation  de  la  moralité  de  l'acte  conjugal.  Le    pro- 
blème n'est  pas  de  ceux  que  Ton  résoud  en  trois  pages  et  demie.  M.  D. 
cite  seulement  quelques   textes   et  ne  laisse  pas  soupçonner  la  pro- 
fondeur et  rétendue  de  la  difficulté.  Au  moins,  M.  Turmel,  dans  son 
livre  sur  Le  Péché  originel,  avait-il  réuni  honnêtement  les  très  nom- 
breux textes  divergents.  M.  D.,  s'il  ne  voulait  pas  entrer  dans  le  fond 
de  la  discussion,  aurait  dû  renvoyer  soit  à  ce  livre  soit  à  l'Histoire  de 
la  théologie  positive.  Les  deux  chapitres  suivants  sont  une  histoire  et 
une  description  du  rit  de  l'exorcisme.  M  .  D.  y  fait  preuve  d'une   éru- 
dition très  étendue.  Il  ne  néglige  pas  les  parallèles  non-chrétiens.  On 
regrettera  parfois  que  les  textes  ne  soient   pas   régulièrement  cités    et 
mis  en  œuvre  dans  l'ordre  chronologique.  Si  fragmentaires  que  soient 
nos  renseignements,   leur  date  est  un  facteur  capital.    Il  vaut  mieux 
donner  l'impression  d'une  série  de  faits,  coupée  souvent  par  des  lacu- 
nes, que  d'ordonner  une  synthèse  qui  n'est  qu'un  trompe-l'œil.  Un 
appendice  de  huit  pages  traite  de  l'exorcisme    pratiqué  sur    l'eau   qui 
doit  servir  au  baptême. 

M.  D. 

Syntax    of  early   Latin,    Vol.  I,  The  Verb.  By   Charles   E.    Bennett.   Boston, 
Allyn  and  Bacon;  Leipsic,  Th.  Stauffer;   igio,  xi-5o6  p.  in-S". 

M.  Bennek  entreprend  de  refaire  l'ouvrage  bien  connu  de  Holtze, 
Syntaxis priscorum scriptorum  latinorum  {2  vol.,  Leipzig, 1861-1862). 
Holtze  remonte  à  soixante  ans,  est  antérieur  à  l'achèvement  de 
l'édition  de  Plaute,  a  précédé  de  dix  ans  l'édition  critique  deTérence 
donnée  par  Umpfenbach.  C'est  dire  qu'un  nouvel  ouvrage  valait  la 
peine  d"être  publié.  De  plus,  Holtze  avait  dû  donner  des  suppléments 
à  son  travail  pour  y  comprendre  Lucrèce  (1868)  et  les  fragments  des 
poètes  scéniques  postérieurs  à  Térence  (1882).  Ici  nous  aurons  tout 
au  moins  la  syntaxe  des  fragments  unie  à  celle  des  pièces  complètes; 
mais  Lucrèce  est  exclu. 

M.  Bennett  arrête  son  travail  à  l'an  100  av.  J.-C.  «  Si  j'avais  placé 
le  terme  de  mon  ouvrage  un  quart  de  siècle  plus  tard,  les  additions 
auraient  été  insignifiantes,  un  petit  nombre  de  citations  des  anna- 
listes du  temps  de  Sulla  et  des  inscriptions  ».  On  ne  voit  pas  alors 
pourquoi  M.  B.  ne  l'a  pas  fait.  Cette  restriction  exclut  Claudius 
QuadrigariuSj'un  auteur  dont  Wôlfflin  nous  a  montré  l'importance 
pour  le  développement  de  la  syntaxe  latine. 

Le  plan  suivi  est  fondé  sur  la  forme  verbale.  M.  B.  étudie  l'accord, 
les  voies,  l'usage  impersonnel,  l'ellipse  du  verbe,  les  temps,  les  modes 


d'histoiri:  kt  dk  lutkrature  ?o3 

(^indicaiif,  subjonciif,  impcratit",  intiiutif,  etc.),  enfin  les  interroga- 
tions. Ce  plan  demanderait  à  être  complété.  Il  faudrait  au  moins  un 
chapitre  sur  les  conjonciions  et  les  particules  avec  renvoi  aux  cha- 
pitres des  modes.  Il  faudiait  avoir  quelque  part  un  tableau  de  tous 
les  emplois  de  qiiam,  qintd,  quia,  etc.  C'est  là  que  Ton  chercherait 
les  détails  relatifs  aux  particules  elles-mêmes,  origine  de  etsi,  praeter- 
qiiam  et  praeter  quam  ^z/Oi./ (manquent  à  l'index;  p.  ii8,  au  para- 
graphe des  propositions  dépendant  de  quam,  mêlés  à  d'autres 
exemples),  emploi  et  statistique  de  quasi  si  i\  cô\é  de  quasi,  de  quod 
si  à  côté  de  si,  etc.  Peut-être  M.  B.  doit-il  traiter  ces  questions  dans 
son  second  volume. 

M.  B.  ne  vise  pas  à  donner  tous  les  exemples,  sauf  quand  ils  sont 
rares  ou  intéressants.  En  tenant  compte  de  cette  méthode.  Je  signale 
deux  ou  trois  lacunes.  P.  85,  ajouter  un  second  exemple  de  quom 
interea  dans  Tércnce  :  Hec,  ?q.  P.  ii8,  à  l'unique  exemple  de 
praeter  quam  quod  {Caion,  8,  17  Jordan),  ajouter  :  Ti:r.,  Ht.,  399. 
P.  i65,  sur  w^  introduisant  un  ordre:  les  notes  de  Lindsay,  Capt., 
1  I  5  et  794,  permettent  d'ajouter  Plaute,  Amph.,  2  14  et  983  ;  C  /.  L., 
1,818  (date  incertaine)  ;  mais  M.  Lindsay  a  tort  de  citer  Cat.,  Agr.., 
i3q, precor  ut.  P.  33o,  M.  B.  mentionne  a^  ^wointerrogatif;  mais  je 
ne  trouve  pas  ad  quo,  «  dans  la  mesure  où  »,  de  Afranhis,  248  R.  : 
«  Ni  tantum  amarem  talem  tam  merito  patrem,  iratus  essem  ad  quo 
liceret  » . 

Ce  dernier  exemple  est  emprunté  à  Lindsay,  Syntax  of  Plautus 
(Oxford,  1907).  Ce  livre  n'est  cité  nulle  part,  non  plus  que  les  Kri- 
tische  Beitràge  de  H.  Jordan.  La  bibliographie  comprend  surtout 
des  travaux  récents  et  n'est  pas  exhaustive. 

Dans  le  traitement  des  questions,  on  retrouvera  les  classifications 
chères  à  M.  B.  :  «  Subjunctive  of  purpose,  stipulative  subjunctive, 
clauses  of  proviso,  descriptive  clauses  ».  Les  faits  sont  groupés  et 
subdivisés  en  menues  parties.  Il  est  très  facile  de  se  retrouver  dans' 
cette  multitude  de  détails.  Le  livre  de  M.  Bennett  est  un  précieux 
répertoire,  qui  permettra  de  faire  de  nouvelles  recherches.  Souhaitons 
que  le  second  volume  ne  tarde  pas  trop. 

J.   D. 

R.  Frobenius,  Die  Syntax  des  Ennius.  Thèse   de  Tuhingne.   Nôrdlingen,  Beck, 
1910,  x-i 5 I  p.  in-8". 

Une  étude  de  la  syntaxe  d'Ennius  était  nécessaire.  On  n'avait  que 
les  indications  dispersées  de  Holtze  et  des  remarques  utiles,  mais 
peu  étendues,  de  Lucien  Millier  dans  son  édition  et  son  Quintus 
Ennius,  M.  Frobenius  a  exécuté  son  travail  d'après  la  dernière 
édition  de  M.  Vahlen  (1903).  Il  est  fait  avec  soin  et  paraît  n'avoir 
rien  négligé  d'essentiel.  Çà  et  là  on  voudrait  des  listes  plus  détaillées 
C'était  le  cas  de  compléter,  par  exemple,  pour  et,  que,  aique,  l'index 


3o4  REVUE    CRITIQUE 

de  M.  V^ihlcn;  au  lieu  de  dire  >.]ue  atijuc  unit  29  fois  des  substantifs, 
il  cui  été  possible  de  dresser  la  liste  des  passages.  P.  91,  nec,  au  sens 
de  non  y  n'est  pas  seulement  dans  le  latin  juridique  ;  cf.  l'expression 
de  Plaute  nec  recte  dicere,  synonyme  de  maledicere.  M.  F.  n"a  pas 
borné  son  étude  à  la  syntaxe.  Il  l'étend  au  style,  à  quelques  figures, 
à  la  construction  des  phrases,  à  Tordre  des  mots,  à  Tallitération  et  à 

la  rime. 

Sous  ce  dernier  titre,  M.  F.  a  réuni  des  faits  sans  portée  et  des  faits 
qui  prouvent  autre  chose  que  la  recherche  de  la  rime.  Je  note  comme 
sans  portée  des  groupes  tels  que  qiiisquam  sopiam,  inuicti  uiri, 
etc.  Les  autres  expressions  recueillies  par  M.  F.  ne  sont  pas 
des  exemples  de  rime,  ainsi  sospitent  superstitentque.  Mais  elles 
témoignent  chez  Ennius  d'un  goût  marqué  pour  le  jeu  de  mots 
et  on  pourrait  presque  dire  le  calembour.  Ce  n'est  pas  la  finale 
seulement,  c'est  tout  le  mot  qui  est  répété  avec  un  à  peu  près  plus  ou 
moins  fort.  Ainsi  :  doctis  dictis,  haiidqiiaquam  quemqiiam,  si  nox 
si  mox,  iieluti  uenti,  stolidi  soliti,  bellipotentes  sapientipotentes. 
M.  F.  répondra  que,  pour  certains  de  ces  groupes,  il  y  a  combinaison 
de  l'allitération  et  de  la  rime.  C'est  que,  précisément,  cette  combi- 
naison est  autre  chose  que  l'allitération  et  la  rime,  c'est  une  aequiiio- 
catio  parfaitement  distincte.  Egaré  par  son  faux  principe,  M.  F. 
classe  parmi  les  rimes  monosyllabiques,  celles  des  deux  vers  : 

Plèbes  in  hoc  régi  antistat  loco  :  licet 
Lacrumare  plebi,  regi  honeste  non  licet; 

parmi  les  rimes  quadrisyllabiques  : 

Plus  negoti  habet  quam  cum  est  negotiiim  in  negotio 
Nam  quoi  quod  agat  institatumst,  is  nulle  negotio 
là  agit... 

Pourquoi?  parce  que  la  rime  étant,  par  définition,  une  fin  de  mot, 
la  première  syllabe  ne  peut  être  comptée.  Tout  le  monde  voit,  au 
contraire,  que  ce  que  le  poète  a  cherché  n'est  pas  la  répétition  de  cet 
ou  de  gotio,  mais  celle  du  mot  entier.  Nous  expliquerons  de  même  : 

Quo  uobis  mentes,  rectae  quae  stare  solebani 
Aniehac,  démentes  sese  flcxare  uiai. 

Enfin  il  faut  classer  parmi  les  rencontres  de  hasard  des  groupes 
comme frangitque  quatitqne  ;  pone  petunt,  rem  referiint;  ?'em  repctiint 
regnumque  petiini  jeu  de  mots),  iiadunt  solida  ni.  Ces  incises  sont 
ainsi  à  cause  de  la  structure  habituelle  de  la  phrase  chez  ces  vieux 
écrivains,  où  les  membres  se  succèdent  et  s'ajoutent,  soit  sans  liaison, 
soit  avec  la  plus  simple  des  liaisons  et  la  plus  ancienne,  qite  répété. 
La   conclusion   de   l'étude    de    M.   Frobenius    est    que    la    langue 


d'histoire  kt  de  i.iTrF.RATURR  3o5 

d'Ennius    est    franchemcni  ci    purciiiciii    laiiiie.    Les    scnivcnirs    de 

l'osque  et  du  grec  n'interviennent   pas   pour  fausser  la  syntaxe.  On 

peut  adhérer  au  jugement  rapporté  par    Cicéron   {Or.,  36)   :  «   Non 

discedit  a  communi  more  uerborum  ». 

J.  1). 


Index  Lucretianus  confecit  Johannes    Paih.son.   Ut    manu   scriptus  prclo  datus. 
Typ.  Wald.  Zachrisson,  Gotoburgi,   i()i  i.  vi-179  p.  gr.  gr.  in-8°.  Prix  :  7  Mk. 

Nous  e'tions  fort  mal  montés  en  fait  d'index  pour  Lucrèce.  Nous 
n'avions  guère  que  celui  de  Wakefield,  mal  commode,  peu  sûr,  fondé 
sur  un  texte  arriéré.  Quand  M.  Paulson  était  étudiant,  il  fit  des 
recherches  métriques  sur  Lucrèce  et  se  convainquit  bientôt  de 
l'impossibilité  de  les  poursuivre  sans  un  bon  index.  N'en  ayant  pas, 
il  l'entreprit  et  mit  sur  fiches  le  texte  de  Bernays,  alors  «  régnant  ». 
Puis  d'autres  études  et  la  maladie  lui  firent  perdre  de  vue  ce  travail 
de  jeunesse.  Il  nous  le  donne  aujourd'hui,  revu,  complété  et  mis  en 
ordre  par  sa  nièce,  M"''  Esther  Nilsson.  Les  éditions  de  Lachmann, 
Munro,  Brieger  et  Giussani  ont  été  dépouillées  et  leurs  divergences 
avec  Beruays  sont  maintenant  comprises  dans  cet  index.  Chaque  mot 
est  représenté  par  ses  diverses  formes  suivies  de  références,  .le  ne 
crois  pas  qu'il  y  ait  d'articles  abrégés  par  un  etc.,  sauf  les  articles  et 
Ql  que  [mdiXS,  a  c  et  i7?^z<e  sont  complets).  Pour  eteiqiie,  M.  P.  donne 
des  chiffres  totaux  par  livres,  et  la  liste  des  passages  du  livre  V.  Cela 
suffit,  en  effet,  si  l'article  ne  devait  comprendre  que  des  renvois.  Il 
eût  été  utile  de  disposer  ces  articles  autrement,  en  relevant  les 
diverses  espèces  de  liaisons,  et  vépcté,  que  répété,  et.  ..  que..,.i  et  ou 
que  entre  deux  substantifs,  deux  adjectifs,  etc.  Du  moment  qu'on 
n'entrait  pas  dans  ce  détail,  les  références  devenaient  assez  peu  utiles. 
Les  chiffres  totaux  montrent  une  balance  presque  exacte  entre  Jes  deux 
particules,  1274  et,  12H8  que.  Cela  est  notable,  comme  trait  de  l'ar- 
chaisme  du  style  de  Lucrèce,  alors  que  dans  Plante,  dans  Térence, 
dans  Caton,  et  l'emporte  beaucoup  sur  que.  M.  Paulson  s'excuse  de 
donner  cet  index  dans  la  forme  où  il  est.  Tel  quel,  il  rendra  les  plus 
grands  services.  Nous  devons  en  être  reconnaissants  et  à  l'auteur  et  à 
M"''  Nilsson  qui  en  a  rendu  la  publication  possible. 

.T.  D. 


P.  Papini  Stati   Silvae.  Krohni  copiis  usus  iterum  edidii  Alfredus  KLOTZ.Teubncr, 
MCMXI,  2  m.  40,  xcvi-220  p.in-i2. 

On  est  tombé,  d'accord  dans  le  monde  savant,  que  la  première  édi- 
tion de  Klotz  (1900)  a  fait  date  dans  la  critique  de  l'auteur  ;  les  idées 
que  l'on  se  faisait  de  la  constitution  du  texte,  ont  changé  aussitôt;  on 
a  compris  que  le  temps  était  passé  de  la  méthode  éclectique;  dès  lors 
qu'il  est  établi  que  tous  nosmss.  sont  dérivés  de  la  copie  qu'avait  fait 
faire  Pogge,  du  ms,  de   Saint-Gall,  et  qu'on  retrouve  cette  copie  dans 


3oti  m  vuF.  citi  I  ivi'i' 

le  nis.  de  Madrid,  tout  rclVnri  de  la  ciiiivjiu;  doit  porter  sur  ce  ms.,  en 
distinguant  avec  soin  de  la  première  main  les  corrections  successives. 
Là -dessus  aucun  doute. 

Dans  une  seconde  édition,  il  n"e>i  plus  et  il  ne  peut  plus  être  ques- 
tion de  pareil  changement.  Comparée  à  l'édition  de  igocj,  le  nouveau 
livre  de  M.  Klotz  contient  220  p.  au  lieu  de  204)  ;  la  préface  en  a 
xcvi  au  lieu  de  lxxxvhi. 

Les  changements,  d'après  l'éditeur  lui-même,  sont  les  suivants: 
sont  ajoutés  un  appendice  sur  Vexemplar  Corsinianiim  des  notes  de 
Politien,  où  Ton  croit  trouver  des  traces  d'une  tradition  indépendante 
de  M  ;  emprunts  aux  éditions  parues  dans  l'intervalle  fPostgate- 
Davies,  Phillimore  et  Saenger)  et  additions  à  l'apparat  critique  (con- 
jectures nouvelles  et,  sur  quelques  passages  difficiles,  brèves  explica- 
tions et  renvois  à  des  passages  parallèles).  La  préface  de  la  nouvelle 
édition  [9  p.)  indique  les  publications  intéressant  les  Silves  qui  ont 
paru  depuis  1900;  M.  K.  revient  sur  les  questions  discutées  :  rap- 
ports de  certains  mss.  (F,  G  ou  autres)  avec  M  ;  origine  de  M,  rapport 
de  M  avec  a,  méthode  suivie  par  Politien  dans    ses  corrections,  etc. 

Entre  les  préfaces  et  le  texte  un  bon  index  bibliographique  (6  p.). 
On  pourra  y  voir,  ainsi  qu'à  l'apparat,  les  noms  de  savants  français  : 
Lafaye,  Cartault.  A  côté  d'eux  liste  des  savants  étrangers  qui  se  sont 
occupés  de  Stace  :  surtout  Housman.  Bien  des  conjectures  récentes 
sont  écartées  d'un  simple  mot  :  maliim,  non  bonum,  ou  maie.  Au  con- 
traire pour  appuver  une  leçon  :  probuni.  Dès  que  les  critiques  ima- 
ginent sans  fin  de  nouvelles  conjectures  souvent  des  plus  baroques 
(Saenger,  Phillimore,  Stange,  etc.),  je  me  demande  si  les  éditeurs  ne 
devraient  pas  faire  un  triage  plus  sévère  et,  plutôt  que  d'encombrer 
le  bas  des  pages,  s'ils  ne  devraient  pas  laisser  tomber  les  conjectures 
qui  sont  dépourvues  de  toute  vraisemblance.  Dans  l'apparat  tel  qu'il 
nous  est  donné  ici,  il  s'en  trouve  certainement  un  bon  nombre  qui  sont 
bien  inutiles;  en  les  recueillant  M.  Kl.  fait  par  là  le  jeu  trop  beau  aux 
virtuoses  de  la  critique;  ou  est-ce  une  concession  voulue,  par  contraste 
avec  l'extrême  sobriété  de  l'édition  précédente?  Il  y  a  d'autre  part  dans 
ces  poèmes  tant  d'obscurité  que  les  petites  notes  explicatives,  jointes 
utilement  à  la  leçon  traditionnelle  ou  à  des  conjectures,  auraient 
gagné  à  être  plus  nombreuses. 

Dans  les  préfaces  de  Stace,  les  règles  des  clausulcs   servent  à  con- 
trôler les  leçons  sujettes  à  discussion  '. 

É.  T. 


I.  Pourquoi  à  la  p.  100,  à  la  I.  8  de  la  préface  du  livre  1V^  M.  Kl.  insère-t-il, 
sans  obscr\ation,  et,  ce  semble,  comme  s'il  l'approuvait,  d'après  le  Manuel  de 
M.  Havet,  une  cnnjeciure  que  celui-ci  ne  proposait  qu'en  hésitant  :  inccpisse  au 
lieu  de  coepisse  [propter  }!inneros);']C  ne  vois  p;is  en  quoi  la  conjecture  améliore  la 
clausuîe  :  reste  toujours  une  brève  suivie  de  quatre  hmgues.  —  Je  doute  fort  qu'on 
puisse,  comme  le  veut  M.  Kl.  p.  i5,  sur  III,  i,  12 3,  faire  dépendre  loci  de  Hic. — 
Les  fautes  d'impression  sont  très  rares;  il  y  en  a  cependant  quelques-unes  :  p.  23, 


d'histoire  et  dk  littérature  3o7 

Scx.  Propertii  Elegiaruni  libii  1\'  rec.  Carnlus  Ildsius.  Tcubncr,  MCMXI,  i  m.  60, 

XIV- 1 911  p. 
Ad  Propertii  carrnina  ccMiiinciitaiius  ciilicus.  Thèse  de  I.cydc  de  191  i  t!e  Pctrus 

Johanncs  Enk.  364  p.  gr.  iii-4",  17  m. 

Sur  un  auteur  qu'on  sent  doué  des  plus  hautes  c|ualiiés,  mais  mal 
transmis  et,  de  par  son  génie  même,  trop  souvent  obscur  et  difficile, 
deux  études  de  t'ormc  et  de  mérite  différent  qui  sont  certainement  les 
bien  venues  '.  Ils  ont  tâché  de  nous  renseigner;  mais  il  suffit  de  les 
rapprocher  l'un  de  l'autre  pour  constater  qu'aucun  d'eux  n'est  com- 
plet et  que,  chez  nous  deux,  la  bibliographie  est  trop  souvent  vague 
et  insuffisante. 

Voyons  d'abord  le  premier  de  ces  livres.  Par  son  Lucain,  par  ses 
études,  ses  articles  sur  les  poètes  latins,  M.  Hosius  s'est  conquis 
depuis  longtemps  la  faveur  des  savants;  avec  la  modération  et  la  pru- 
dence qu'on  lui  connaît,  on  sera  très  heureux  de  le  prendre  pour  guide 
dans  ces  élégies  attirantes  et  décevantes.  Le  livre  arrive  à  propos;  il 
y  a  longtemps  que  Baehrens  n'est  plus  au  point;  les  petits  Vahlen 
n'ont  pas  une  note,  ce  qui,  moins  que  jamais,  n'est  de  mise  ici  ; 
Rothstein  commente  copieusement  un  texte  qui  n'est  pas  établi; 
enfin  les  Anglais,  fervents  de  Properce,  ont  multiplié  leurs  travaux; 
mais  qui  ne  sait  qu'ils  ont  trop  d'audace,  et  qu'en  compagnie  de 
Housman,  Postgate,  même  Phillimore,on  se  sent  embarqué  pour  les 
pays  du  rêve,  vers  un  Properce  de  fantaisie?  Nous  espérons,  avec 
M.  Hosius,  rester  sur  la  terre  ferme,  aussi  près  que  possible  du 
Properce  de  la  tradition. 

La  préface  est  consacrée  tout  entière  à  l'exposé  de  la  méthode  que 
suit  M.  Hosius  :  secours  dont  il  disposait;  comment  il  conçoit  la  cri- 
tique de  Properce  ;  tout  cela  posé,  prudent,  tel  qu'on  pouvait  l'at- 
tendre de  M.  H.  et  le  souhaiter  en  un  tel  sujet. 

D'abord  liste  de  déceptions  auxquelles  il  faut  se  résigner.  M.  H. 
rappelle  les  recherches  qu'il  a  faites,  il  y  a  vingt  ans,  dans  les  biblio-  • 
thèques  d'Italie,  toutes  sans  résultat.  Un  ms.  de  Mons,  signalé  par 
Vollmer,  n'a  pas  été  plus  utile.  M.  H.  ne  croit  pas  aux  éloges  donnés 
en  ces  derniers  temps  par  Birt  et  par  d'autres  à  un  ms.  des  archives 
de  la  Haute  Lusace  {codex  Lusaticus,  XV  s.),  simple  ms.  de  mélange  ; 
bref  pour  M.  H.,  comme  véritables  témoins,  représentant  les  trois 
classes,  il  n'y  a  que  N  ;  AFL  et  DV. 

M.  H.  s'est  servi  des  collations  publiées  et  de  reproductions  photo- 
graphiques du  Neapolitanus;  il  a  de  plus  revu  de  plus  près  le  Liber 
Cohicii  de  Florence  (F.  de  Baehrens).  L'espérance  qu'il  avait  eue  un 

104,  Maenalia  auvah  dû  être  en  caractères  droits.  P.  21,  sur  le  v.  64,  je  ne  com- 
prends pas  :  alter»os...  mcnses  :  ne  serait-ce  pas  simplement  une  double  faute 
d'impression  ?  P.  68,  sur  le  v.  io5  au  bas  :  fata  M  (et  non  N). 

I.  A  côté  de  ces  nouvelles  études  de  Properce,  le  lecteur,  qui  désire  être  au 
courant,  fera  bien  de  se  reporter  à  un  article  de  M.  Ullman  sur  les  mss.  de  Pro- 
perce (Classical  Quatterly,  juillet,  191 1,  analysé  ici  au  Bulletin,  1912, 1,  p.  197). 


3o8  REVUE    CRITIQUE 

moilunt  de  trouver  de  nouveaux  secours,  pour  la  première  classe  des 
dctcriores,  dans  un  ms.  de  Naples  et  da;is  unms.  de  la  Laurentienne, 
n'a  pu  se  réaliser. 

Très  peu  de  conjectures  propres  au  nouvel  éditeur,  ce  qui  n'est  pas, 
à  mon  gré,  un  défaut,  en  un  texte  déjà  si  encombré.  Dans  l'apparat, 
utiles  renvois  aux  imitations  relevées  dans  les  Carmina  epigraphica 
(surtout  9(0  et  966).  l'nc  seule  réserve  :  le  conservatisme  n'arrive-til 
pas  ici  à  l'excès  quand  il  maintieni(par  ex.  IV,  5,  52,  Caelati)  des  leçons 
pour  lesquelles  on  v\c  peut  donner  aucune  explication  raisonnable? 
A  la  Hn  du  volume  r.n  Index  metricus  et  prosodiacus  et  un  Index 
grammaticiis  qui  rendront  service. 

Je  passe  au  second  ouvrage,  celui  de  M.  Enk.  Comme  œuvre  de 
début,  choisir  une  étude  critique  de  l'auteur  qui  peut-être  est  de  tous 
le  plus  difficile,  quand  de  plus  la  tradition  en  est  des  plus  médiocres, 
poursuivre  ce  travail  d'un  bout  à  l'autre,  paraîtrait  chez  nous  une 
étrange  gageure.  Il  faut  croire  qu'il  en  est  autrement  à  Leyde.  Quand 
même  il  y  aurait,  dans  le  livre  de  M.  E.,  des  parties  qui  ne  sont  pas 
négligeables,  c'est  bien  ma  pensée,  le  succès  partiel  et  relatif  ne  nous 
réconcilierait,  je  crois,  nullement  avec  l'entreprise. 

Seconde  objection  qui  ne  me  paraît  pas  moins  forte.  Nous  n'avons 
ici  qu'une  série  de  notes;  mais  supposez  un  texte  du  poète  établi 
comme  le  veut  M.  E.;  il  serait,  je  crois  bien,  plus  éloigné  de  la  tradi- 
tion manuscrite  qu'aucun  de  ceux  que  nous  avons  lu,  et  partout  semé 
de  conjectures  reçues  de  toute  main  ;  n'est-il  pas  vrai  que  cela  seul  le 
juge? 

On  reconnaîtra  la  patrie  de  M.  E.  et  l'on  sera  pour  lui  plus  indul- 
gent en  le  voyant  suivre  en  toute  contîance  les  plus  fortes  hardiesses 
de  ses  maîtres,  transpositions,  suppressions,  etc.),  de  Boot,  mais  sur- 
tout de  M.  Hartman.  Il  est  clair  que  sur  ce  point,  il  nous  est  impossi- 
ble d'appuyer.  Mais  nous  louerons  très  volontiers  chez  M.  E.,  j'aime  à 
finir  là-dessus,  et  ceci  est  certainement  une  qualité  qui  lui  vient  de 
ses  maîtres,  le  souci  de  défendre,  souvent  de  justifier  très  heureuse- 
ment, par  des  exemples  topiques,  telle  leçon  contestée  delà  tradition. 
On  en  verra  ici  des  preuves  en  bien  des  pages  '. 

Emile  Thom.\s. 

J.  TouTAiN,  Les  cultes  païens  dans  l'Empire  romain,  i'"  partie  :  les  provinces 
latines;  tome  II  :  les  cultes  orienlaux.  Paris,  E.  Leroux  (Bibliothèque  Je  TEcole 
des  Hautes-Études,  Sciences  religieuses,  2b'  volume),  191 1,  in-8,  270  p. 

Le  deuxième  tome  du  grand  ouvrage  de  M.  Toutain  traite  à  peu 
près  du  même  sujet  que  le  très  remarquable  livre  de  M.  Franz  Gumont 

I.  Je  ne  cite  qu  à  titre  de  spécimen  une  obscurité  de  rédaction  :  p.  14.  sur  I,  11, 
6  ;  la  conjecture  de  Rossberg  :  amare  loco  ne  peut  se  comprendre  quand  on  n'ajoute 
pas  qu'il  lit  Ecquid.  — Les  fautes  d'impression  ne  manquent  pas  dans  ce  livre  de 
prix  élevé  et  à  forme  luxueuse. 


d'histoire  f.t  de  littérature  3o9 

sur  Les  religions  orientales  dans  le  paganisme  romain.  Dès  ses  pre- 
mières lignes  M.  Toutain  le  reconnaît;  il  a  soin,  en  même  temps,  de 
préciser  la  différence  des  domaines  considérés,  des  points  de  vue  et 
des  méthodes.  M.  Cumont  s'occupait  de  Rome  et  de  l'Italie  autant 
que  des  provinces;  il  s'est  laissé  particulièrement  séduire  par  l'intérêt 
moral,  philosophique  et  ihéologique  de  la  question;  il  voulait  avant 
tout  donner  une  idée  d'ensemble  de  l'influence  exercée  sur  la  cons- 
cience religieuse  des  Romains  par  les  apports  orientaux.  M.  Toutain 
se  limite  aux  provinces  d'Occident,  abstraction  faite  de  Rome  et  de 
l'Italie;  il  examine  uniquement  en  historien,  dans  leur  développement 
concret,  les  destinées  des  cultes  exotiques;  il  tâche,  par  des  relevés  aussi 
complets  et  minutieux  que  possible,  en  utilisant  les  textes  littéraires, 
les  monuments  archéologiques,  et  surtout  les  documents  épigra- 
phiques,  de  doser  l'importance  relative  de  chaque  religion  ;  en  somme, 
sur  un  terrain  nettement  circonscrit  et  en  distinguant  avec  soin  les 
éléments  divers  du  problème,  il  met  au  point  les  généralisations 
de  M.  Cumont.  On  ne  sera  pas  surpris  qu'il  s'écarte  quelque 
peu  de  son  devancier.  Il  passe  en  revue  tour  à  tour  les  cultes 
égyptiens,  syriens,  d'Asie-Mineure^  iraniens,  l'astrologie  et  la  magie 
orientales,  le  syncrétisme.  Contrairement  à  ce  qu'on  pourrait  croire, 
le  culte  d'Isis  et  d'Osiris,  celui  des  Jupiters  d'Héliopolis  et  de  Doliché, 
et  même  celui  de  Mithra,  auxquels  les  empereurs  des  ii«  ç.t  m"  siècles 
étaient  personnellement  si  favorables  n'ont  été  très  répandus  qu'au;x, 
frontières  et  sur  le  parcours  des  grandes  voies  commerciales  ;  c'étaient 
les  religions  des  soldats,  .des  fonctionnaires,  des  commerçants,  des 
esclaves,  des  affranchis,  venus  les  uns  d'Orient,  les  autres  de  Rome, 
centre  secondaire  d'expansion  orientale;  il  en  était  de  même  pour  les 
cultes  syncrétiques,  tels  que  celui  du  Soleil  au  temps  d'Elagabal  et 
d'Aurélien  ;  la  magie  était  pratiquée  surtout  dans  les  ports  de  Carthage 
et  d'Hadrumète.  En  revanche  le  culte  de  la  Grande  Déesse,  originaire 
d'Asie-Mineure,  avait  des  fidèles  nombreux  dans  les  contrées  pacifiées 
de  l'intérieur,  parmi  les  habitants  romanisés  des  villes  ou  des  cam- 
pagnes de  Gaule  et  d'Espagne  ;  bien  que  les  empereurs  ne  lui  aient 
jamais  témoigné  beaucoup  de  sympathie,  il  était  populaire;  l'astro- 
logie avait,  elle  aussi,  des  adeptes  un  peu  partout.  On  aurait  tort, 
par  conséquent,  de  croire  que  toutes  ces  religions  ont  rencontré  un 
égal  succès  :  «  ce  n'est  pas  dans  les  mêmes  régions  qu'elles  se  sont 
implantées,  ce  n'est  pas  par  les  mêmes  éléments  sociaux  qu'elles  ont 
été  accueillies  «.  L'intiuence  de  l'Orient  est  incontestable,  mais  il  ne 
faut  pas  l'exagérer  :  «  elle  a  moditié  beaucoup  moins  profondément  la 
vie  et  la  dévotion  quotidienne  des  provinces  latines  que  la  théologie, 
la  philosophie  et  les  religions  officielles  de  la  haute  société  romaine  ». 
—  Toute  cette  démonstration  est  conduite  avec  autant  de  rigueur  que 
d'élégance.  On  ne  peut  que  louer  l'étendue  de  l'information,  la  clarté 
de  l'exposé,  la   modération   nuancée  des  conclusions.  Il   faut   savoir 


3lO  RKVLK    CRITIQIK 

beaucoup  de  j;ré  à  M.  Touuiin  de  la  cDiisciencc  avec  laquelle  il  pour- 
suit son  enquête  méthodique  et  de  sou  heureuse  habileté  à  mettre  en 
œuvre  les  résultats  très  neufs  et  très  sûrs  de  ses  patientes  recherches. 

Maurice  Besnip:r. 

J.  Stuart  IIay,  The  amazing  einperor  Heliogabalus,  Londres,  Macmillan,  191  i, 

in-8,  3o8  p.,  8  planches  hors  texte. 

M.  Hay,  séduit  par  l'étrange  figure  d'Elagabal,   a   voulu    étudier 
aussi  complètement,  aussi  impartialement  que  possible  le  règne  très 
court  de  ce  prince  au  renom  équivoque.  Une  intéressante  préface  de 
M.  Bary  fait  bien  ressortir  l'originalité  d'Elagabal  dans  la  série  des 
empereurs  romains  :  quels  que  soient  ses  vices,  il  a  eu  le  mérite  de 
s'élever  à  la  conception  d'une  religion  universelle  fondée  sur  le  culte 
syncrétique  du  Soleil;  cela  suffit  à  justifier  la  tentative  de  M.  Hay 
pour  bien  le  connaître  et  le  faire  comprendre.  Le  livre  se  divise  en 
deux  parties  inégales.  Dans  la  première,  l'auteur,  après  avoir  exposé 
très  rapidement  l'état  des  sources  et  montré  combien  il  faut  se  méfier 
de  Lampride,  expose  tour  à  tour  les  origines  et  les  débuts  d'Elagabal, 
son  avènement,   les  différents   épisodes    de    son    gouvernement    par 
ordre   chronologique.    La    seconde,  la    plus    personnelle   et   la    plus 
importante,   ne   comprend  que   trois    chapitres  :   la  psychologie  de 
l'empereur,  ses  extravagances,  sa  religion;  peut-être  M.  Hay  insiste- 
t-il  un   peu  longuement  sur  les  anomalies  morbides  de  son  person- 
nage;   peut-être,  en   revanche,   passe-t-il    trop    vite    sur   la    tentative 
d'organisation  du  syncrétisme  solaire.  Les  illustrations,  assez  nom- 
breuses, sont  faites  d'après  les   monnaies.  La  bibliographie,   où  les 
ouvrages  de  psychopothia  sexiialis  tiennent   une  bien  grande  place, 
est  abondante,  mais  confuse  et  parfois  fautive.  On  est  surpris  de  lire 
cette  indication  :  Audollent  (A.),    i)  Carthage  romaine,   1901,  Ecole 
française    à    Athènes;    2)    Mission    épigraphique  en   Algérie,    1890, 
École  française  à  Rome.  A  quoi  peut  servir  ce  renvoi  global  :  Biblio- 
thèque des  Écoles  françaises   d'Athènes  et  de   Rome,    Paris,    1877? 
Pourquoi  signaler  dans  la  même  page  d'une  part  les  Inscr.  Africae 
Proc.  Lat.  Eds.   R.  Cagnat  et  J.  Schmidt.   Soc.   Reg.  Sci.  Berlin, 
iSgi,  et  d'autre  part  le  Corpus  Inscriptionum  Latinarum,  vol.  VIIL 
alors  qu'il  ne  s'agit  que  d'un  seul  et  même  ouvrage?   M.   Hay  prend 
plaisir  à  émailler  son  texte  de  locutions  françaises,  en  italiques,  qui 
font  un  plaisant  effet;   nous  n'en  citerons  qu'un  seul   exemple,  à  la 
p.  201  :  «  The  world  of  Suetonius  was  the  world  où  on  s'en  fichait; 

our  'vorld  is  the  world  oii  on  s'ennuie  ». 

Maurice  Biîsnier. 

René  Pichon,  Hommes   et    choses   de    l'ancienne   Roma,  Paris,  Fontemoing, 
iQi  I,  in-iô,  Vii-3.T5  p. 
M.  René  Pichon  a  réuni  dans  ce  volume  deux  conférences  faites 


D  HISTOIRE    KT    DE    LIT TF.RA  I  URE  .'^11 

au  musée  Guimei  (le  mariage  religieux  à  Rome;  la  légende  d'Hercule 
à  Rome),  trois  articles  parus  dans  la  Revue  des  Deiix-AIondes  oi\  le 
Journal  des  Savants  à  propos  de  rcceiiics  ihcscs  de  doctorat  (Thistoire 
sociale  d'une  montagne  romaine,  —  mais  le  mot  montagne  est  un  peu 
trop  fort  pour  qualifier  la  colline  aventine;  un  philosophe  ministre 
sous  l'Empire,  — si  l'on  peut  appeler  ministère  l'inHuence  ofiicieuseet 
souvent  difficile  à  saisir  que  Sénèque  a  exercée  ;  les  polémiques  de 
saint  Jérôme),  enHn  une  notice  biographique  sur  «  un  historien  de 
Rome  au  xix"  siècle  :  Gaston  Boissier  ».  En  dépit  de  la  diversité  des 
sujets  traités,  le  livre  présente  une  réelle  unité  de  méthode  et  d'inspi- 
ration, la  seule  qu'on  puisse  raisonnablernent  exiger  d'un  recueil 
d'essais  de  ce  genre,  «  faits  par  les  gens  du  métier  pour  les  honnêtes 
gens,  comme  l'on  disait  jadis  ».  M.  Pichon  se  montre  partout  préoc- 
cupé d'expliquer  historiquement  les  hommes  et  les  choses  dont  il 
parle  ;  ce  qui  l'intéresse,  ce  sont  les  modifications  subies  à  travers  les 
siècles  par  l'institution  du  mariage  ou  le  mythe  d'Hercule,  c'est  le 
rôle  joué  dans  la  vie  de  Rome  à  toutes  les  époques  par  l'Aventin  et 
ses  habitants,  ce  sont  les  origines  et  l'application  des  idées  politiques 
de  Sénèque,  c'est  la  signification  et  la  portée  des  controverses  ardentes 
auxquelles  se  mêlait  saint  Jérôme,  c'est  la  formation  et  l'épanouis- 
sement des  rares  qualités  de  ce  connaisseur  émërite  de  l'ancienne 
Rome  que  fut  Gaston  Boissier.  Ajoutons  que  l'on  sent  aussi,  dans 
chacune  de  ces  études,  l'accent  d'un  homme  qui  aime  la  littérature 
latine,  qui  la  possède  à  fond  et  qui  sait  évoquer  heureusement,  à 
l'appui  de  ses  assertions,  les  témoignages  vivants  et  décisifs  des 
anciens  eux-mêmes.  Le  livre,  écrit  avec  aisance  et  très  agréablement 
présenté,  se  lit  avec  plaisir  et  profit;  il  contribuera  utilement  à 
maintenir  et  à  répandre  dans  le  public  lettré  le  goiit  des  antiquités 
romaines  '. 

Maurice  Bksnier. 


Robert  Knorr,  Sûdgallische  Terra-sigillata-gefâsse  von  Rottweil,  Stuttgart, 
W.  Kohlhammer,  1912,  in-S°,  5o  p.  et  3o   planches  hors  texte. 

M.  Knorr,  qui  s'est  voué  à  l'étude  des  fragments  de  céramique 
romaine  ornée  et  sigillée  recueillis  dans  le  Wurtemberg  (voir  la  Revue 
du  6  octobre  19  lo,  p.  252),  nous  donne  un  très  précieux  complément 
à  son  livre  sur  les  vases  de  Rottweil.  paru  en  1907.  11  reproduit  inté- 
gralement, en  trente  planches  de  dessins  au  trait,  les  poteries  origi- 

I.  Quelques  fautes  d'impression  :  p.  i3,  le  dextranim  iunctio,  pour  :  la  ;  p.  16, 
cultes  lolémiques,  pour  :  totémiques;  inofïensiF,  pour  :  inotïensive;  p.  io3,  à 
tous,  pour  :  à  tout;  p.  128,  il  ne  touche  pas  pomeriiim,  pour  :  au  pomerium  ; 
p.  i63,  mon  Sacré,  pour  :  mont.  —  P.  71,  Semo,  Sancus  et  Dius  Fidius  ne  sont 
pas  trois  noms  distincts;  il  y  a  d"unc  part  Sjino  Sancus,  de  l'autre  Dius  Fidius. 
—  P.  2?G,  eu  note  :  à  propos  d'un  texte  d'Athanasc,  gratte  et  surchargé,  était-il 
nécessaire  de  rappeler  le  «  petit  bleu  »  ? 


?I2  REVriC    CRITIQUli 

naircs  de  la  Gaule  méridionale  i.|iie  Ton  a  reiiouvées  dans  ceiie  loca- 
lité ;  un  texte  explicatif  signale  tous  les  points  de  comparaison  utilesà 
connaître  pour  compléter  les  sujets  ou  les  signatures  mutilés  et  sur- 
tout pour  assigner  à  chaque  morceau,  dans  la  mesure  du  possible,  sa 
date  précise  :  il  importe  à  l'histoire  de  l'art  industriel  et  du  commerce 
romain  que  l'on  puisse  distinguer  les  fragments  de  l'époque  de  Claude 
de  ceux  qui  datent  du  temps  de  Néron  et  de  Vespasien  ou  du  temps 
de  Domitien  et  de  Trajan.  Le  sol  de  Roitweil  a  été  particulièrement 
fertile  en  découvertes  de  vases  gallo-romains;  c'est  ainsi,  par  exemple, 
qu'on  n'y  relève  pas  moins  de  seize  signatures  du  potier  Germanus, 
alors  que  M.  Déchelette  n'en  compte  que  vingt-cinq  dans  la  France 
entière.  Grâce  au  zèle  avec  lequel  il  s'emploie  à  rechercher  et  publier 
ces  documents  archéologiques,  M.  Knorr  peut  se  féliciter  à  juste 
titre  d'avoir  beaucoup  ajouté  à  ce  que  nous  apprennent  sur  leur 
compte  le  volume  du  Corpus  Inscriptionum  Latinarum  rédigé  par 
M.  Zangemeisier  et  le  grand  ouvrage  de  M.  Déchelette.  Au  même 
ordre  d'études  se  rattachent  les  articles,  avec  planches,  qu'il  a  donnés, 
en  1909  et  en  19 10,  aux  Fundberichte  ans  Schwaben,  le  premier  sur 
un  vase  de  Sabinus  à  Cannstatt  comparé  avec  un  vase  de  Sasmonos 
à  Rottweil;  le  second  sur  divers  fragments  de  Geislingen,  de  Rott- 
weil  et  de  Heidenheim. 

Maurice  Bicsnier. 

Henri  I,iin(;n(in,  Pierre  de  Ronsard.  Essai  de  biographie.  Les  Ancêtres.  La 
jeunesse.  —  Paris,  H.  Champion,  1912,  i  vol.  in-S»  de  xii  +  5i2  pages. 
Prix  :  8  francs. 

La  gloire  de  Ronsard  a  passé  par  trois  étapes  depuis  le  jour  où 
Sainte  Beuve  réhabilita  le  chef  de  la  Pléiade  dans  son  Tableau  de  la 
poésie  française  au  xvi^  siècle.  Les  Romantiques,  satisfaits  de  l'avoir 
adopté  comme  ancêtre,  l'admirèrent  sans  le  lire.  Les  Parnassiens  lui 
vouèrent  un  culte,  comme  au  plus  artiste  et  au  plus  «  antique  »  des 
poètes  français.  Présentement  il  intéresse  surtout  la  critique  érudite, 
qui  Tétudie  avec  un  zèle  et  une  patience  que  rien  ne  rebute.  Après 
l'édition  critique  des  Amours  publiée  par  M.  Vaganay  (1909),  après  le 
chapitre  consacré  par  M.  Vianey,  dans  son  ouvrage  suv  \e  Pétrar- 
quisme  en  France  {iqog)  aux  sources  des  Amours.,  après  le  Ronsard 
poète  lyrique,  la  Vie  de  P.  de  Ronsard  de  Binct  et  le  Tableau  chrono- 
logique des  œuvres  de  Ronsard  [iqio]  '  de  M.  Paul  Laumonier,  voici 
un  volume  de  M.  Henri  Longnon,  riche  de  documents  et  d'aperçus 
nouveaux  sur  la  vie  et  l'œuvre  du  gentilhomme  vendômois. 

La  première  partie  de  cette  biographie  est  une  étude  sur  les  ancêtres 
de  Pierre  de  Ronsard.  On  sait  de  quelles  origines,  étrangères  et  loin- 
taines, le  poète  s'enorgueillissait.  Il  prétendait  descendre  d'un  mar- 
quis roumain,  dont  un  fils  puîné  serait  venu,  avec  une  bande  d'aven- 

1.  2«  édition,  La  première  avait  paru  en  igoS  dans  les  Annales  Fléchoises. 


d'histoirk    KT    DK    I.ITTÉRATURE  3l3 

turiers,  offrir  son  aide  au  roi  de  France  IMiilippc  VI  de  Valois.  En 
récompense  de  services  rendus  dans  la  guerre  contre  les  Anglais,  il 
aurait  reçu  des  terres  sises  sur  les  bords  du  L<jir. 

Or  quant  a  mon  ancestre,  il  a  tiré  sa  race 

D'où  le  glacé  Danube  est  voisin  de  la  Thrace. 

Plus  bas  que  la  Hongrie  en  une  froide  part 

lîst  un  seigneur  noinnié  le  niarquis  de  Ronsart,  etc. 

Ed.  rilanchcmaiii,  t.  IV,  p.  296-297. 

Binet  dans  sa  Vie  de  Ronsard  nous  donne  le  nom  de  ce  cadet  : 
Bauldouin  et  il  remarque  que  «  le  pais  de  Thrace  devait  aussi  bien 
qu'à  la  Grèce  donner  à  la  France  le  surjon  d'un  second  Orphée.  » 
Cette  origine  roumaine  ou  hongroise  de  Ronsard  a  trouvé  crédit  non 
seulement  auprès  des  disciples  enthousiastes  de  l'Orphée  de  la  Renais- 
sance française,  mais  encore  auprès  d'esprits  critiques  comme  Sainte 
Beuve.  A  vrai  dire,  depuis  Bayle,  il  s'était  rencontré  maints  érudits  et 
maints  critiques  pour  contester  l'authenticité  de  cette  ascendance  de 
Ronsard.  On  en  trouvera  la  liste  dans  le  cornmentaire  historique  et 
critique  de  la  Vie  de  Ronsard  de  Binet  pav  M.  P.  Laumonier,  p.  53- 
56.  iMais  nul  n'avait  encore  fciïirni  contre  cette  légende  les  arguments 
décisifs  que  produit  M.  Longnon.  «  Comment  Philippe  de  Valois 
eût-il  récompensé  ces  auxiliaires  étrangers  en  les  possessionnant  en 
Vendômois,  c'est-à-dire  dans  une  contrée  qui  ne  faisait  nullement 
partie  du  domaine  royal  et  dont  le  roi  ne  pouvait  par  conséquent  pas 
disposer?  De  plus,  s'ils  étaient  réellement  les  descendants  d'un  Bau- 
douin de  Ronsard  établi  en  Vendômois  seulement  après  i328  et  doté 
richement  parle  roi,  comment  expliquer  que  dès  la  première  moitié 
du  xiv<^  siècle,  c'est-à-dire  dès  leur  arrivée,  les  nouveaux  venus  aient 
déjà  essaimé  en  Italie  et  que  ceux  d'entre  eux  qui  restèrent  sur  les 
bords  du  Loir  aient  été  d'aussi  petits  vassaux  que  nous  voyons  Tèire, 
à  la  fin  du  même  siècle,  les  seigneurs  de  la  Poissonnière  (i)?  »  p.  11- 
12. 

La  vérité  que  M.  H.  Longnon  substitue  à  cette  légende,  pour  être 
moins  brillante,  n'est  pas  moins  intéressante.  Les  Ronsard  sont  des 
autochtones  des  bords  du  Loir.  Dès  l'an  1000,  une  charte  nous 
atteste  que  des  Ronsard  étaient  possesseurs  de  terres,  près  de  Ven- 
dôme. Au  xiV  siècle,  ils  réapparaissent  dans  des  documents  d'ar- 
chives comme  domestiques  de  l'hôtel  des  comtes  de  Vendômois.  Le 
premier  ancêtre  certain  du  poète  est  André  de  Ronsard,  qui  est,  au 
xive  siècle,  un  des  quatre  sergents  fieffés  de  la  forêt  de  Gastine.  Cette 
charge,  pour  laquelle  il  rend  hommage  en  i3g7  au  comte  de  Ven- 
dôme, était  un  office  subalterne.  Le  sergent  fieffé  exerçait  les  fonc- 
tions de  garde  chasse  et  de  garde  forestier.  Son  devoir  était  de  frapper 

I.  Ou  plutôt  de  la  Possonnièrc,  car  M.  Longnon  n'allègue  aucune  raison  pour 
rejeter  cette  Jcrnièie  orthographe,  attestée  par  Amadis  Janiyn,  qui  fut  secrétaire 
de  Ronsard. 


3  14  RKVUE    CRITIQUK 

d'aniciuic  ceux  qui  coiipaicni  le  bois  mon  ou  vil  i;t  ceux  qui  laissaient 
errer  leurs  animaux  domosiiqucs  dans  la  forêt.  Par  contre,  il  avait  le 
droit  de  chasser  le  lièvre,  la  fouine,  le  chat  sauvage,  le  goupil  et  même 
de  capturer  les  bctes  de  chasse  noble,  cerfs,  chevreuils  et  sangliers 
lorsqu'il  les  trouvait  «  navrées  ou  cntemmées  ».  Ses  revenus  étaient 
les  droits  de  pacage  et  de  lignage  et  le  si.xième  des  amendes  infligées. 
Cette  charge  de  sergent  se  transmettait  comme  un  fief  ordinaire  de 
père  en  fils.  Et  voilà  les  origines  ataviques  de  l'amour  de  Ronsard 
pour  sa  foret  natale. 

A  partir  d'André,  la  famille  des  Ronsard  ne  cesse  de  s'élever.  Oli- 
vier, le  grand-père  du  poète,  entre  au  service  de  Louis  XI  et  figure 
dans  la  compagnie  des  cent  gentilshommes  de  l'hoiel  du  roi.  Son 
père,  Louis,  fut  le  plus  aventureux  des  Ronsard.  Il  prit  part  à  toutes 
les  guerres  d'Italie,  passa  vingt-deux  fois  les  Alpes,  gagna  l'ordre  de 
Saint-Michel,  fut  nommé  maître  d'hôtel  du  Dauphin  et  l'accompagna 
pendant  sa  captivité  en  Espagne.  Il  fut  l'un  des  seigneurs  les  plus 
cultivés  de  la  cour.  Il  fit  reconstruire  dans  le  goût  italien  le  manoir 
de  la  Possonnière,  pratiqua  les  poètes  latins  et  rima  des  vers  fran- 
çais '.  Sur  tous  ces  ascendants  du  poète,  sur  son  père,  sa  mère,  ses 
oncles  et  ses  frères,  M.  H.  Longnon  a  rédigé  de  substantielles 
notices,  ici  corrigeant  ou  corroborant  les  études  de  ses  devanciers,  là 
utilisant  de  petits  faits  restés  inaperçus,  le  plus  souvent  apportant  une 
moisson  de  documents  inédits.  C'est  la  partie  la  plus  neuve  et  la  plus 
solide  de  son  livre. 

Certes,  il  a  conduit  avec  la  même  conscience  ses  recherches  sur 
la  jeunesse  de  Ronsard.  Mais,  après  les  travaux  de  M.  Chamard, 
de  M.  Augé-Chiquet  et  de  M.  Laumonier,  il  était  à  prévoir  que 
sur  le  collège  de  Coqueret,  sur  l'initiation  des  poètes  de  la  Pléiade 
aux  humanités,  sur  la  formation  du  génie  poétique  de  Ronsard, 
il  ne  restait  guère  qu'à  glaner  dans  les  textes  du  xvi'  siècle  quel- 
ques notes  complémentaires.  M.  Longnon  rend  à  ses  prédécesseurs 
l'hommage  qui  convient  vraiment  à  des  travaux  de  critique  his- 
torique et  érudite  :  il  les  utilise,  il  les  discute,  il  les  cite.  Cependant 
on  se  demande  parfois  s'il  a  été  amené  à  apprécier  à  leur  valeur  les 
grands  services  qu'ils  ont  rendus  à  notre  connaissance  de  la  Renais- 
sance française.  Cette  «  étude  d'ensemble  des  sources  de  la  Pléiade  » 
qu'il  appelle  de  ses  vœux  dans  une  note  ^,  elle  existe  ;  elle  occupe 
même  dans  leurs  ouvrages  une  place  prépondérante;  elle  est  d'une 
richesse  et  d'une  précision  fort  appréciées  de  quiconque  se  préoccupe 
d'examiner  dans  les  poèmes  de  Ronsard  l'originalité  artistique. 
M.  Longnon  aurait  eu  le  plaisir  de  le  constater  si,  comme  il  nous  en 

1.  Pourquoi  M.  Longnon  n'a-t-il  transcrit,  p.  490,  qu'une  des  deux  lettres  de  ce 
personnage  conservées  à  Chantilly  .^  On  les  trouvera  touies  deux  publiées  par 
M.   Laumonier  dans  les  Annales  Fléchoises  de  191  r. 

2.  P.  178,  note  I. 


d'histoiri:    I  r  dk   i.i  itf,rati:re  ?i5 

avertir,  «  l'étude  des  quesiio;is  liuciaiies  que  soulève  la  biographie  de 
Ronsard  »  ne  s'était  pas  trouvée  en  dehors  de  son  plan. 

Une  enquête  sur  les  amours  de  jeunesse  de  Ronsard  rentrait  natu- 
rellement dans  le  cadre  de  cet  essai  de  biographie.  La  question  n'est 
point  de  celles  qui  n'intéressent  qu'une  curiosité  grivoise.  Elle 
importe  à  la  connaissance  du  génie  artistique  de  Ronsard.  Où  sont 
dans  ses  poésies  amoureuses  les  souvenirs  de  sensations  éprouvées 
par  l'homme  et  où  sont  les  fantaisies  de  l'imagination  du  poète?  Où 
s'arrête  la  réalité  et  où  commence  le  rêve?  Comment  les  réminis- 
cences livresques  se  combinent-elles  avec  les  expériences  person- 
nelles? Dans  quels  cas  la  poésie  est-elle  l'idéalisation  d'une  sensualité 
grossière?  Dans  quels  cas,  au  contraire,  achève-t-elle  ce  qui  n'avait 
été  qu'ébauché  dans  la  vie  réelle?  Autant  de  problèmes  qui  trouve- 
raient leur  solution  dans  une  connaissance  précise  des  amours  de 
Ronsard. 

Or,  sur  cette  question,  ce  que  nous  savons  de  certain  se  réduit  à 
peu  de  choses.  i°  La  Cassandre  qui  a  inspiré  la  plupart  des  sonnets 
du  r''  livre  des  Amours  est  Cassandre  Salviati,  fille  de  Bernard  Sal- 
viaii,  banquier  et  propriétaire  du  château  de  Talcy,  âgée  de  14  ans 
lorsque  Ronsard  la  rencontra  à  Blois,  le  21  avril  iSqS.  Cette  identifi- 
cation nous  est  garantie  par  une  phrase  d'Agrippa  d'Aubigné  :  «  J'ay 
cogneu  Ronsard  privément...  Nostre  cognoissance  redoubla  sur  ce 
ce  que  mes  premiers  amours  s'attachèrent  à  Diane  de  Talsi,  nièce  de 
M""'  de  Pré  qui  étoit  sa  Cassandre.  •>  En  effet,  le  23  novembre  1546, 
Cassandre  épousait  Jean  de  Peigné,  seigneur  de  Pré.  (Contrat  de 
mariage  découvert  par  M.  Martellière  dans  les  Archives  du  Loir-et- 
Cher,  en  igoq.) 

2"^  Ronsard  a  surtout  aimé  Cassandre  en  liitérateui'  et  en  artiste. 
«  Il  prit  son  aventure  pour  une  matièie  à  développements  plastiques, 
erotiques,  psvchologiques...  Il  voulut,  dans  la  plupart  des  nom- 
breuses pièces  qu'il  lui  adressa,  «  contenter  son  esprit  »,  c'est-à-dire 
satisfaire  son  imagination,  se  donner  par  écrit  l'illusion  de  la  réalité 
rêvée  et  feindre  à  propos  de  sa  douce  ennemie  tous  les  tourments  et 
toutes  les  joies  de  l'amour.  »  Laumonier,  Ronsard,  poète  lyrique, 
p.  42-43.  «  En  lisant  le  Canzoniere  de  Pétrarque,  ardente  et  pieuse 
offrande  à  la  seule  Laure  de  Noves,  il  pensait  à  Cassandre  Salviati  et 
son  imagination  lui  peignait  Laure  sous  les  traits  de  Cassandre...  Il 
fit  mieux  que  d'imiter  Pétrarque,  il  entra  dans  ses  intentions,  y  con- 
forma ses  sentiments,  épousa  le  plan  général  de  son  œuvre,  en  adopta 
les  principaux  motifs...  »  H  Longnon,  Pierre  de  Ronsard,  p.  324  et 
35o-35 I . 

3°  A  ce  can:{oniere  d'amour  courtois  qui  constitue  le  fond  principal 
du  premier  livre  des  Amoiu's  sont  mêlées  des  pièces  libertines  ou  sen- 
suelles qui  n'ont  pas  été  inspirées  par  Cassandre,  mais  par  d'autres 
maîtresses,  Rose,  Macé,  Marguerite,  Madeleine,  Jeanne,  etc.  «   Il  est 


3l6  RKVUK     CniTIQlIE 

ccriain  que  K(MisarJ  aimait  aillciiis  tout  en  protestant  de  sa  passion 
pour  Cassandre...  Launioiiier,  p.  45.  «  Les  sensuelles  infidélités  qu'il 
ne  comptait  pas,  Konsard  les  avait  donc  chantées  en  même  temps 
que  Cassandre.  »  Longnon,   p.  33  i. 

Comment  faire  le  départ  entre  les  pièces  inspirées  par  Cassandre 
et  celles  qui  se  rapportent  à  d'autres  amours?  C'est  ici  que  com- 
mencent les  difficultés  et  le  désaccord  entre  les  deux  derniers  bio- 
graphes de  Ronsard.  Avec  la  circonspection  que  comporte  une  matière 
si  délicate,  M.  Laumonier  s'était  contenté  d'indiquer  que  Macé,  Mar- 
guerite et  Rose  avaient  peut-être  précédé  Cassandre,  tandis  que  la 
liaison  avec  Jeanne  dura  de  i55oà  i555.  Les  pièces  qui  sont  adres- 
sées aux  premières  ><  rappellent  les  chansons  de  Marot  ou  même 
celles  du  moyen  âge,  avec  une  touinure  un  peu  plus  littéraire,  mais 
sans  ombre  de  mythologie  ;  par  conséquent,  elles  pourraient  bien 
remonter  aux  débuts  de  Ronsard  »,  p.  46.  M.  H.  Longnon,  avec  une 
juvénile  témérité,  affirme  que  la  liaison  avec  Marguerite  précéda  la 
rencontre  de  Cassandre  et  n'hésite  point  à  grouper  autour  de  cette 
Marguerite  un  certain  nombre  de  sonnets,  pour  reconstituer  toute 
une  aventure  assez  piquante  :  indiscrétion  d'une  amie  de  Marguerite 
qui  trahit  le  secret  des  amants,  arrivée  du  mari  à  cheval  qui  surprend 
sa  femme  et  l'emporte  en  croupe,  etc.  —  En  réalité,  rien,  sauf  les 
indices  d'ordre  littéraire  signalés  par  M.  Launionier,  ne  prouve  que 
cette  liaison  ait  été  antérieure  à  la  rencontre  de  Cassandre.  Rien  non 
plus  ne  nous  garantit  que  les  sonnets  dont  s'est  servi  M.  Longnon 
pour  imaginer  les  épisodes  de  l'aventure  se  rapportent  à  Marguerite 
plutôt  qu'à  Rose,  à  Jeanne  ou  à  Macé.  On  ne  peut  faire  état  pour  la 
reconstitution  de  ce  roman  que  des  seules  pièces  dans  lesquelles  se 
rencontre  le  nom  de  Marguerite.  Encore  n'est-on  pas  assuré  qu'il 
n'ait  pas  été  pris  par  Ronsard  au  sens  métaphorique  :  rien  n'est  plus 
"commun  dans  la  poésie  du  xvi^  siècle  que  les  jeux  de  mot  sur  Mar- 
guerite (marguerita,  perle)  '. 

C'est  avec  beaucoup  plus  de  prudence  que  M.  Longnon  tente  une 
reconstitution  des  épisodes  de  l'amour  de  Ronsard  pour  Cassandre. 
«  Synthèse  interprétative,  que  peut  seule  contrôler  une  intime  fami- 
liarité avec  ce  can\oniere  charmant,  mais  si  confus.  »  11  ne  peut,  en 
effet,  qu'interpréter  le  texte  de  Ronsard  et  parfois  le  commentaire  de 
Muret,  en  l'absence  de  tout  document  sur  les  rapports  vrais  du  poète 
avec  sa  dame.  Ses  conjectures  sont  séduisantes.  Elles  paraissent  aussi 
parfois  bien  fragiles.  L'écueil  pour  un  commentateur  de  Ronsard, 
c'est  de  prendre  pour  une  allusion  à  quelque  événement  réel  ce  qui 
n'est  que  réminiscence  livresque'.  Qui   nous  garantit,  par  exemple, 

1.  C'était  l'hypothèse  de  M.  Lauinonier  qui  assimilait  la  Marguerite  louée  dans 
quatre  textes  de  i55o  et  i532  à  Cassandre.  11  a  depuis  abandonné  cetie  conjec- 
ture.  Cf.  Ronsard  puète  lyrique,  p.  42-47. 

2.  Ainsi  il  est  bon  de  rappeler  que   la   pièce  dans  laquelle  Ronsard  «  défie  OU- 


d'histoire    Kl     DE    LITTÉRATURE  ?>  l  J 

que  l'audacieuse  caresse  du  Soniici  de  hi  p.  389  du  t.  I  de  l'éd.  Blan- 
chemain,  n'est  pas  une  simple  iicùon:  cl  peui-on  en  déduire  que 
Cassandre  s'irriia  ei  bouda  son  poète? 

En  somme,  il  semble  bien  que  présentement  il  est  impossible  de 
connaître  avec  précision  les  épisodes  et  les  phases  des  amours  de 
Ronsard,  tout  d'abord  parce  que  la  chronologie  des  Amours  et  de 
quelques  autres  de  ses  pièces  critiques  a  été  brouillée  dans  la  publica- 
tion de  ses  œuvres;  ensuite  parce  que  les  réminiscences  livresques 
sont  sans  cesse  intervenues  pour  altérer  les  éléments  pris  dans  la  réa- 
lité. L'image  de  Laure  s'est  substituée  dans  l'esprit  de  Ronsard 
pétrarquisant  à  l'image  réelle  de  Cassandre.  Si  celle-ci  nous  est 
décrite  blonde  avec  des  yeux  noirs,  c'est  sans  doute  parce  que  telle 
Pétrarque  dépeignit  Laure.  Et  comment  expliquer  certaines  variantes 
qui,  en  1 578,  transforment  en  «  beau  poil  brunissant  )i,  en  tresses 
noires,  une  chevelure  qui  dans  l'édition  de  i5  52  était  représentée 
comme  dorée  ou  blondissante?  —  Dans  les  études  de  M.  Laumonier 
sur  les  sources  de  Ronsard,  les  éléments  de  réalité,  émotions,  expé- 
riences sentimentales,  incidents  de  la  vie  amoureuse  du  poète  ne  tien- 
nent qu'une  place  restreinte  en  regard  des  imitations  et  réminiscences 
livresques.  Aujourd'hui  voici  que  dans  l'ouvrage  d'un  esprit  singuliè- 
rement sagace  et  assidu  dans  ses  enquêtes,  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas 
être  frappé  de  la  même  pénurie  de  détails  concrets,  d'une  authenticité 
indiscutable,  qui  étayent  les  interprétations  des  vers  d'amour  du  poète, 
surtout  si  nous  rapprochons  cette  indigence  de  l'abondance  des  notions 
précises  et  certaines  qu'ont  données  les  recherches  sur  les  ancêtres  de 
Ronsard.  Qu'en  conclure?  Sinon  qu'il  faut  sans  doute  nous  résigner 
à  ignorer  ce  que  fut  la  réalité  que  les  Amours  et  autres  pièces  amou- 
jp  reuses  du  poète  nous  présentent  déguisée,  ou  déformée,  ou  embellie. 

Jean   Plattard. 

L.  Angot,  Mélanges  d'histoire,  Paris,  Emile-Paul,  191 1,  in-12,  3  16  pages. 

Si  jamais  livre  d'histoire  mérita  le  titre  de  Mélanges,  c'est  bien 
celui-ci.  On  y  trouve  en  effet  quatre  études  juxtaposées,  dont  les  deux 
plus  anciennes  ont  pour  cadre  le  xiii®  siècle  et  les  deux  plus  récentes 
la  fin  du  xviii^  et  le  début  du  xix«  siècle. 

Après  nous  avoir  introduits  dans  la  prison  du  Temple  et  avoir 
rouvert  devant  nous  le  procès  du  cordonnier  Simon,  geôlier  de 
Louis  XVII,  l'auteur  nous  transporte  en  Prusse  après  la  bataille 
d'Iéna,  et  nous  fait  lire  des  lettres  de  divers  membres  de  la  famille 
royale  de  Prusse  qui,  soit  dit  en  passant,  ne  sont  pas  toutes  aussi 
intéressantes  que  leur  éditeur  paraît  le  croire.  Faisant  alors  et  brus- 
quement   machine  en  arrière,   il   nous  ramène  sous  la   bannière  de 


► 


vier  de  Magny  de    compter  le    nombre    de    ses  amours  »  p.  3i3,  n'est  qu'une  tra- 
duction libre  d'Anacréon,  Ode  xxxii  :  «   V.'.  -JAAa  -âvxa  5f^opwv...  » 


'3  i8  ni'.vt^E  CRITIQUE 

Baudouin,  comte  de  I-'landrc,  empereur  Iranc  de  Consianiinople,  et 

nous  raconie   les   luttes  épiques  de  ce  héros  contre  l'illustre  Joannis, 

souverain  des    Bulgares  et   des   Valaques.    De  là   nous  revenons  en 

Provence,  à  la  cour  plus  polit  du  comte    Flaymond-Bérangcr,   pour 

entendre  l'histoire  de   ses  quatre   filles   qui  épousèrent  la  première, 

saint  Louis,  roi  de  France;  la  deuxième,  Henri  111,  roi  d'Angleterre; 

la  troisième,  Richard  de  Cornouailles,  qui  devint  roi  des  Romains,  et 

la  quatrième,  Charles,  comte  d'Anjou  et  du  Maine.  Ces  deux  dernières 

études  prêtent  à  de  belles  descriptions  de  batailles,  de  cortèges  et  de 

tètes  à  la  Froissard.  C'est  un  genre  où  l'auteur  se  complaît  et  excelle, 

pour  le  plus  grand  agrément  du  lecteur. 

E.  W. 


—  M.  .lean  Vaczv  vient  de  mener  à  bonne  fin  la  tache  à  laquelle  il  s'était  attelé 
il  V  a  vingt  ans  :  l'édition  de  la  Correspondance  de  François  Ka^inc^y .  Le 
tome  XXI  et  dernier  vient  de  paraître.  {Ka^inc^y  Ferenc^  levelezése.  Budape.st, 
Académie,  iqii,  XLiv-787  p.  8°).  Les  nombreuses  notes,  l'index  très  détaillé  qui 
accompagne  chaque  volume  font  de  cette  publication  une  source  inestimable  pour 
le  mouvement  littéraire  des  trente  premières  années  du  xix"  siècle  où  Kazinczy 
remplaça  seul  toute  une  Académie.  Dans  les  5393  lettres  dont  se  compose  cette 
Correspondance,  nous  voyons  un  caractère  éminemment  énergique,  doué  unique- 
ment d'un  grand  sens  critique,  diriger  la  renaissance  de  la  littérature  hongroise. 

Ce  dernier  volume  contient  les  lettres  du  i*'  janvier  1829  au  20  août  i83i,  au 

noinbre  de  434  dont  297  de  Kazinczy.  Nous  le  voyons  luttant  contre  la  misère, 
mais  toujours  occupé  de  ses  projets  littéraires;  il  entretient  ses  correspondants  de 
ses  traductions  dont  plusieurs  étaient  encore  inédites,  de  ses  récits  de  voyage;  il 
stimule  les  jeunes  revues,  prend  part  aux  premiers  travaux  de  l'Académie  nou- 
vellement fondée,  essuie  les  attaques  des  Jeunes  qui  s'étaient  formés  à  l'école  de 
Charles  Kisfaludy,  fait  encore  un  dernier  vo)'age  de  Pest  à  Gyôr  (Raab)  et  de  là 
à  Gômôr,  revient  à  Széphalom  et  meurt  du  choléra  le  23  août  i83i.  Sa  der- 
nière lettre  décrit  la  révolte  des  paysans  qui  avaient  accusé  les  nobles  d'avoir 
ernpoisonné  les  puits.  —  M.  \'âczy  croit  que,  malgré  ses  recherches^-  il  reste 
encore  dans  les  archives  des  familles  de  nombreuses  lettres  inédites  de  Kazinczy; 
il  prie  de  les  adresser  au  secrétariat  de  l'Académie.  Elles  seront  éditées  dans  un 
supplément  avec  une  table  générale  des  21  volumes.  —  I.  K. 

—  \J Ancienne  Bibliothèque  hongroise  dirigée  par  M.  Gustave  Heinrich,  vient  de 
s'enrichir  de  trois  nouveaux  fascicules.  N°  28  donne  la  Grammaire  hongroise  de 
Jean  Fôldi.  (Fôldi  Jânos  Magyar  Grammatikdja,  Budapest,  Académie,  191 2, 
3o3  p.  S".  Avec  une  préface  de  Coloman  Szily).  Cette  grammaire  date  de  1790 
et  est  restée  inédite.  Elle  avait  obtenu  au  Concours  institué  par  Gorôg  et  Kerekes 
en  1789,  le  premier  prix,  mais  ce  prix  de  26  ducats  était  probablement  trop 
minime  pour  éditer  l'ouvrage.  Après  la  mort  de  Fôldi  (1800)  le  manuscrit  est 
entré  à  la  bibliothèque  de  Gabriel  Nagy,  collectionneur  de  Debreczen;  celui-ci 
l'avait  prêté  à  plusieurs  savants.  Le  manuscrit  fut  divisé  ensuite  en  deux  parties, 
dont  une  se  trouve  actuellement  à  la  Bibliothèque  du  Musée  National  de 
Budapest,  l'autre  à  la  bibliothèque  des  Comtes  Teleki  à  Maros-Vâsârhely.  Le 
conservateur  de  cette  dernière,  M.  Charles  Gllvas  vient  de  l'éditer  et  a  fourni 
ainsi  une  contribution  précieuse  à  l'histoire   de    l'enseignement  grammatical    en 


d'histoire    et    de    LITTERATURE  SlQ 

Hongrie.  —  N°  29  contient  le  résumé  du  Cours  sur  la  langue  et  l'ancienne  litté- 
rature hongroises  que  Nicolas  Rêvai,  avait  professé  à  l'Université  de  Pest  au 
début  du  xi.\«  siècle  (Rêvai  Mikiôs  magyar  nyelvi  es  irodalmi  ké:{iknnyve,  édité 
par  M.  RuBiNYi.  Ibid.  1912,  1  ig  p.  S"),  Rêvai  le  fondateur  de  la  grammaire  his- 
torique hongroise,  avait  donne  dans  ses  ouvrages  latins  :  Antiqiiitates  littevatiirae 
hitngaricae  (i8o3)  Klaboratior  grammatica  hungarica  (i8o3-i8o6)  le  fruit  de  ses 
longues  recherches.  Nommé  professeur  à  l'Université,  il  rédigea  en  langue 
magyare  une  partie  de  son  cours.  M.  Rubinyi  considère  ce  petit  livre  comme  le 
premier  manuel  de  linguistique  hongroise.  E)tienne  Horvât  en  avait  publié  une 
partie  en  i83.î  dans  le  Magasin  scientifique;  grâce  à  M.  Rubinyi  nous  avons 
maintenant  le  texte  tout  entier.  Nous  y  trouvons  des  considérations  sur  l'origine 
et  la  parenté  de  la  langue  hongroise,  puis  des  chapitres  sur  les  Huns  —  d'après 
les  .A.nnales  de  Pray  qui  lui-même  les  avait  empruntés  à  de  Guignes  —  sur  les 
Sicules  et  les  plus  anciens  monuments  de  la  langue  hongroise  que  Rêvai  avait 
commentés  avec  tant  de  sagacité  dans  ses  Antiquitates.  —  N°  3o  nous  apporte 
les  deux  traductions  ou  plutôt  adaptations  de  ['Essai  sur  l'homme  de  Pope  par  le 
chef  de  l'Ecole  française,  Georges  Bessenyei  [Besscnyei  Gyôrgy,  A:^embernek 
prôbdja,  édité  par  Etienne  Harsanyi.  Ibid.,  1912,  196  p.  8").  La  première  version 
fut  publiée  par  Bessenyei  lui-même,  à  Vienne,  en  1772;  la  seconde,  qui  est  plus 
coulante  et  montre  des  progrès  au  point  de  vue  de  la  versification,  date  de  i8o3 
et  resta  inédite.  Au  moment  du  renouveau  littéraire,  les  écrivains  hongrois  firent 
passer  de  nombreux  ouvrages  français,  allemands  et  anglais  dans  leur  langue, 
mais  tel  était  l'ascendant  de  la  littérature  française  que  les  ouvrages  anglais 
furent  adaptés  et  traduits  d'après  les  traductions  françaises.  Bessenyei  le  dit  lui- 
même  et  M.  Harsanyi  croit  que  le  texte  qn'il  avait  sous  les  yeux  était  celui  des 
Œuvres  diverses  de  Pope,  traduites  de  l'anglais  (Vienne,  1761).  Bessenyei  écri- 
vant pour  un  puDlic  peu  lettré  a  souvent  amplifié  et  expliqué  la  pensée  de  Pope. 
M.  Harsanyi  a  fait  réimprimer  l'édition  de  1772  en  corrigeant  les  fautes  d'im- 
pression et  a  établi  le  texte  de  la  version  de  i8o3  d'après  les  trois  manuscrits  qui 
nous  sont  conservés.  —  I.  K. 

—  M.  Antoine  Prônai,  de  l'Ordre  des  Piaristes,  vient  de  publier  une  Histoire  de 
la  littérature  hongroise  accompagnée  de  morceaux  choisis.  [A  magyar  irodalom 
tôrténete,  Budapest,  Société  Saint-Etienne,  1910-1911,  2  vol.  418  et  448  p.,  8°). 
Nous  signalons  cet  ouvrage  comme  un  des  plus  complets  et  des  mieux  rédigés 
qu'on  ait  publiés  dans  ces  dernières  années  en  Hongrie.  Le  précis  de  la  littérature 
est  très  exact  —  excepté  quand  l'auteur  parle  des  Jésuites  (1,  58),  —  il  est  écrit 
dans  une  langue  claire  et  coulante.  Les  Morceaux  choisis  qui  occupent  plus  de  la 
moitié  de  l'ouvrage,  introduisent  l'élève  dans  îa  connaissance  intime  des  écrivains; 
la  bibliographie  succincte  lui  indique  les  ouvrages  qu'il  doit  consulter  sur  chaque 
écrivain.  Un  des  grands  mérites  de  l'ouvrage  est  d'avoir  rompu  avec  cette  habitude 
des  historiens  de  la  littérature  qui  consiste  à  arrêter  l'exposé  avec  l'année  du 
Compromis  (18G7).  Nous  trouvons  ici  une  appréciation  —  il  est  vrai  très  sommaire 
—  mais  assez  juste  de  ces  écrivains  de  la  Jeune  Hongrie  qui,  depuis  quarante 
ans,  enrichissent  la  littérature,  mais  que  l'on  exclut  systématiquement  des 
Manuels.  —  L  K. 

—  François  Misteli  (1841-1903)  fut  un  des  rares  linguistes  qui  se  soit  occupé  des 
langues  ougro-finnoises.  Il  était  en  rapports  suivis  avec  les  savants  magyars  et 
l'Académie  hongroise  l'avait  élu  membre  étranger.  M.  S.  Simonyi  a  prononcé 
dernièrement  son  éloge  qui  vient  de  paraître  également  en  allemand  {Fran:^  Mis- 


320  REVUE    CRITIQOE    d'hISTOIHE    tT     U1-.     LITTERATURt 

tcii,  Dciikrcvic,  F.cip/ig,  Ilairnssowitz,  11)1:2,  i('>  p.,  (S".  Avec  un  portrait).  Ne  à 
Solcure,  Misieli  fit  ses  cHudes  i^  Zurich,  Honii,  (îencvc  et  Paris  et  s'adoimu  de 
bonne  heure  à  l'étude  de  la  pliil(il<ji;ie  comparée.  Il  était  de  ces  lint;iiistes  qui, 
comme  Slcinihal,  voulaient  cn)l->rasser  toutes  les  langues.  Ses  principaux  travaux 
parurent  dans  \ii  Zeitscini/t  filr  \'ollcerpsj'cliok)f;ie  et  son  ouvrage  capital  C.liarah- 
tcristik  dcr  hauptsaclilichstvn  7'ypi'ii  des  Spiaclibciiics,  n'est  au  tond  <]uc  la  lieu- 
xièmc  édition,  complètement  remaniée  du  livre  de  son  maitre,  Steinthal.  Dans 
cet  ouvrage  il  a  utilise  ses  connaissances  du  hongrois  et  du  finnois.  L'MIoge  fait 
ressortir  l'importance  des  travaux  de  Misieli  ;  nous)-  trouvons  également  plusieurs 
lettres  inédites  où  le  savant  suisse  se  plaint  i.iu  peu  d'intcièt  i]uc  les  linguistes 
allemands  atiîtchcm  ii  la  philologie  ougro-finnoise.  ---  I.   K. 


Ac.ADÉMiK  DKS  Inscriptions  kt  Bhllks-Lkttrus.  —  Séance  du  ."^  avril  i()i2.  — 
M.  Paul  Girard  revient  sur  le  vase  de  llaghia-Triada  dont  M.  Déchelettc  a  entre- 
tenu l'Acadéinie  dans  sa  dernière  séance  et  présente  quelques  observations  sur 
les  interprétations  proposées. 

M.  Salomon  Reinach  fait  une  ci.tninunication  sur  le  nom  de  Monaco,  qui  a  été 
expliqué  soit  par  le  grec  soii  par  le  phénicien.  On  a  parlé,  dès  l'aïuiquité,  d'un 
Hercule  dit  monoikos]  c'est-à-iliie  «  habitant  seul  »  son  temple,  où  nul  autre  dieu 
n'était  admis;  ou  d'un  dieu  phénicien  ilit  Mciioiiakii,  c'est-à-dire  «  donnant  repos 
07/  asile  »,  épithète  de  la  divinité  tuiélaire  du  port.  M.  Reinach  rejette  ces  deux 
étymologies.  On  connaît,  au  Nord  de  Marseille,  une  tribu  ligure  des  Albioeci;  il 
devait  y  avoir  à  Monaco  une  tribu  ligure  des  Monoeci,  d'où  les  Grecs  ont  fait 
Monoikos.  en  essayant  de  donner  un  sens  à  ce  mot.  Les  noms  des  Albioeci  et 
des  Monoeci  de  Ligurie  se  retrouvent  à  l'extrémité  septentrionale  de  l'ancien 
domaine  ligure,  dans  ceux  des  îles  Britanniques  Albion  et  Mona. 

M.  le  comte  Henry  de  Castries  fait  une  communication  sur  le  protocole  en  usage 
dans  les  nombreuses  lettres  missives  émanant  deschérifs  marocains  de  la  dynastie 
saadienne  (i53o-i3Go)  qu'il  a  pu  réunir. 

M.  Babelon  fait  une  communication  sur  une  importante  trouvaille  de  monnaies 
grecques  archaïques  qui  a  été  faite  à  Tareiue.  en  juin  iqii.  Ce  trésor  compre- 
nait environ  (3oo  monnaies  du  vi'^  s.  a.  C;  elles  se  répartissent  entre  les  ditlcrents 
centres  commerciaux  des  côtes  de  la  Méditerranée  depuis  Phocée,  Chios,  des  villes 
de  la  Thrace  et  de  la  Macédoine,  Athènes,  Egine,  les  Cyclades,  Corinthe,  Corcyre 
et  Cyrène,  jusqu'aux  villes  de  la  Sicile  et  de  l'Italie  méridionale.  Un  certain 
nombre  de  monnaies  de  la  trouvaille  sont  nouvelles.  L'enfouissement  paraît  avoir 
été  eflèctué  à  peu  près  au  temps  de  la  destruction  de  Sybaris  par  les  Croto- 
niates  en  3 10  a.  C. 

Léon  Dorez. 


L' imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouclion  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE.  ET     DE     LITTÉRATURE 


N»  17  —  27  avril  -  1912 

Pernot,  Anthologie  populaire  de  la  Ciicce  moderne;  Le  siège  de  Malte  en  i565  ; 
Bibliographie  ionienne.  —  Hindenlang,  La  langue  des  œuvres  botaniques  de 
Théophraste.  —  Flickinger,  Scacnica.  —  Lettres  de  saint  Jérôme.  I,  p.  Hil- 
BERG.  —  Isidore  de  Séville,  Etymologies,  p.  Lindsay.  —  Baldensperger,  Alfred 
de  Vigny.  —  Cessi,  La  vie  à  Alexandrie.  —  Shorey,  L'adverbe  roman  en  grec. 

—  Nom.,  Manuel  de  Cicéron.  —  Meusee,  Comptes-rendus  de  César.  —  Owen, 
Manuscrits  de  Perse  et  de  .luvenal.  —  Livres  de  droit  de  la  Bibliothèque  Teub- 
ner.  —  E.  Thomas,  Pétrone,  3'  éd.  —  C.  de  Beaucorps,  Les  intendants  d'Orléans. 

—  MoRPiRGO,  L'inondation  tie  Florence  en  ilî33.  —  Formules  du  Fior  di  Virtu. — 

—  Angelo  Bargoni.  —  F.  Henneguv,  Histoire  d'Italie.  —  Politien,  p.  G.  Rossi.  — 
ToRTORi,  Anthologie  italienne.  —  Su. va,  L'industrie  de  la  laine  à  Florence.  — 
CosTER,  Antiquaires  d'autrefois.  —  D'Ancona.  Etudes,  II.  —  Kali.os,  Archilo- 
que.  —  Mahler,  Papyrus  araméens.  —  Kegl,  Khosrev.  —  Gagyhv,  Les  trouba- 
dours. —  P'inaczv,  Helvétius.  —  B.  Lazar,  Courbet  et  son  influence  à  l'étranger. 

—  Gragger,  La  Caution  de  Schiller.  -~  Csengeri,  Drames  d'Euripide.  —  Gardner, 
L'ancienne  .\thènes,  Irad.  en  hongrois.  —  Répertoire  alphabétique  des  articles 
contenus  dans  les  revues  éditées  par  l'Académie  hongroise.  —  Annuaire  de  la 
Société  KisFALUDY,  XLV.  —  J.  A.  Robinson,  Westminster.  —  L.  Jones,  Légende 
du  roi  Arthur.  —  R.  Sorlev,  Manuel  pratique. —  D''  Schonack,  Sir  Thomas 
Brovvne.  —  M.  Ej.mer,  Biron  et  Shelley.  —  J.  Courthope,  L'élément  romanes- 
que dans  la  littérature.  —  Académie  des  inscriptions. 


I 


Hubert  Pernot,  Anthologie  populaire  de  la  Grèce  moderne.  Paris,  Mercure 
de  France,  igio;  276  p. 

P.  Gentil  de  Vendosme  et  Antoine  Achélis,  Le  siège  de  Malte  par  les  Turcs 
en  i565,  publié  en  français  et  en  grec  d'après  les  éditions  de  1567  et  de  1371, 
avec  20  reproductions,  par  II.  Pernot.  Paris,  Champion,  1910;  xvi-200  p. 
(Collection  de  Monuments  pour  servir  à  l'étude  de  la  langue  et  de  la  littérature 
néo-helléniques,  3"=  série,  n°  2]. 

Bibliographie  Ionienne,  description  raisonnée  des  ouvrages  publiés  par  les 
Grecs  des  Sept-Iles  ou  concernant  ces  îles,  du  xv  siècle  à  l'année  1900,  par 
Emile  Legrand,  œuvre  posthume  complétée  et  publiée  par  H.  Pernot.  Paris, 
Leroux,  1910;  2  vol.  grand  in-8  de  x  -f  861  pages;  t.  1,  p.  x  4-  i-4^i,  t-  H  '■ 
p.  43 1-86 1  (Publ.  de  l'Ecole  des  langues  orientales  vivantes,  V"  série,  vol.  VI 
et  VII  ;  Em.  Legrand,  (Euvres  posthumes,  n"'  3  et  4). 

I.  Après  Fauriel,  de  Marcellus  et  Legrand,  M.  Pernot  publie  un 
choix  de  chants  populaires  de  la  Grèce  moderne,  en  traduction  fran- 
çaise, mais  sans  le  texte.  Ces  morceaux  ont  été  pris  dans  les  recueils 
publiés  en  Grèce  et  en  Occident,  principalement  dans  les  Popiilaria 
carmina  de  Passow,  les  Chants  populaires  épirotes  d'Aravantinos, 
les  Kretas  Volkslieder  de  .leannarakis  et  le  volume  publié  en  1891, 
sous  le  titre  de  ZojYp^'yET'j;  àY^jv,  t.  I,  par  le  Syllogue  philologique  grec 
de  Constantinople.  Quelques-uns  sont  empruntés  à  Legrand,  et  une 

Nouvelle  série  LXXIII  17 


322  REVUE    CRITIQUE 

dizaine  ont  été  recueillis  à  Chio  par  M.  P.  lui-mcnie.  M.  P.  a  voulu 
nous  montrer,  dans  un  volume  accessible  à  tous,  l'extrême  variété 
des  sujets  qui  ont  inspiré  la  muse  populaire  grecque,  et  pour  cela  il 
a  établi  les  divisions  suivantes  :  Chants  berniques,  qui  se  rattachent 
au  cycle  de  Digénis;  chants  historiques  et  kleftiques;   chants  légen- 
daires; chants  d'amour;  chansons  de  coutumes;  berceuses;  chants 
nuptiaux;    l'exil;    Charon  ;    mirologues;    enfin    distiques;    chaque 
groupe  est  précédé  de  quelques  mots  d'introduction.  J'avoue  ne  pas 
saisir  clairement  le  lien   qui  unit  les  morceaux  réunis  sous  le  titre 
Chants  légendaires;   les  uns,  en   effet,  se   présentent  avec  une  forme 
très  précise  de  légende,  comme  la   Chevauchée  funèbre  et  le  Pont 
d'Arta;  mais  d'autres,  tels  que  la  Reconnaissance  ou  la  Fille  bulgare, 
sont  loin  d'avoir  le  même  caractère.  On  regrettera  que  M.  P.   n'ait 
pas   mentionne   l'origine  de  ces   morceaux;    à  la  hn,  il  est  vrai,  il 
donne  une  table  des  sources,  et  quelques-uns  des  titres  des  ouvrages 
où  il  a   puisé  indiquent   la  provenance;   mais   pour  beaucoup,    par 
exemple  pour  ceux  qui  sont  pris  dans  Passow,  on  voudrait  savoir  à 
quelle  partie   de  la  Grèce  ils  appartiennent;    les  lecteurs   à  qui  est 
destiné  le  volume  n'ont   pas  ces  recueils  sous  la  main.  Enfin,  Je  ne 
sais  s'il  n'eût  pas   été   préférable  d'avoir  le  texte  en  regard  de  la  tra- 
duction; celle-ci  est  bien  faite,  suit  le  grec  d'aussi  près  que  possible, 
et  en  garde  généralement  le  ton  et  la  couleur;  cependant  il  y  a  mille 
détails  dans    ces    poésies    populaires,    diminutifs,    mots    composés, 
expressions  idiomatiques,  etc.,  que  le  français  ne  peut  rendre  ou  ne 
rend  qu'imparfaitement,  et  dont  la  délicatesse  et  la  grâce  sont  néces- 
sairement perdues,  quel  que  soit  le  talent  du  traducteur.  Mais  ceci 
était  probablement  affaire  de  librairie.  Il  y  a  près  d'un  siècle  que  le 
recueil  de  Fauriel  a  paru,  et  l'on  sait  avec  quelle  faveur  il  fut  accueilli  ; 
bien  que  les  circonstances  ne  soient  plus  les  mêmes,  nous  souhaitons 
le  même  succès  au  livre  de  M.  P.;  il  le  mérite. 

II.  Tout  en  préparant  son  Anthologie,  M.  Pernot  donnait  ses  soins 
à  une  autre  publication.  Immédiatement  après  le  siège  de  Malte  par 
le  sultan  Soliman,  en  i565,  une  relation  en  parut,  d'abord  en  italien, 
puis  en  français,  tantôt  sous  le  nom  de  Gentil  de  Vendôme,  tantôt 
sous  celui  de  Marino  Fracasso  ;  M.  P.  en  signale  trois  éditions  ita- 
liennes et  une  française.  Celle-ci  parut  en  1567;  quatre  ans  après, 
un  Grec  de  Réthymno,  totalement  inconnu  d'ailleurs,  nommé 
Antoine  Achélis,  en  donna  une  adaptation  en  vers  politiques,  dont  il 
n'existe  aujourd'hui  que  deux  exemplaires.  L'extrême  rareté  de  cet 
ouvrage  détermina  M.  P.  à  le  réimprimer;  et  pour  permettre  au  lec- 
teur de  comparer  le  grec  avec  son  modèle,  il  a  également  réimprimé 
le  texte  français.  Les  deux  textes  étant  reproduits  sans  changements, 
sauf,  pour  le  grec,  la  rectification  des  erreurs  orthographiques,  je 
pourrais  me  borner  à  signaler  le  volume  ;    mais  la   lecture  suggère 


d'histoirk  et  de   littérature  323 

quelques  remarques  au  sujet  de  la  versirication.  M.  P.  rétablit  régu- 
lièrement la  rime  dans  les  vers  d'Achélis;  par  exemple,  les  vers  4o5- 
406  se  terminent  par  /.apoiav,  Or,pîa  ;  M.  P.  écrit  /.apoîa.  De  même  424, 
b^b,  I  154,  2195  et  ailleurs;  mais  la  correction  n'a  pas  été  faite  aux 
vers  IQ23,  2328,  2423,  où  il  taui  lire  [j.'.o,  l/.y.lr^i'.'x,  TtooSô-rri.  L'accen- 
tuation est  scrupuleusement  conforme  à  la  métrique;  c'est  ainsi  qu'on 
rencontre  otav  et  ôtiv,  -rreptffaô;  et  TTEptaiio;,  àXViOîia  et  âXr|0£(a,  etc.  Mais 
M.  p.  a  parfois  trop  respecté  l'édition  ancienne.  Un  commencement 
de  vers  comme  585  uoÀ'j  cràXat-po  est  fautif;  il  faut  lire  aaXfjtîxpo,  comme 
1610  <y-io'.,  aaX|j.(Tpo,  OÙ  l'accent  est  régulier.  Le  début  du  vers  3i2  ^wa 
TrâvTx  là  pâOoaa  est  de  même  genre  ;  la  place  de  l'article  y  est  d'ailleurs 
insolite,  et  il  est  probable  qu'on  doit  lire  rA-n-x  xà  ^ô)'x.  Dans  un  cas 
comme  504  -:/,■/  '^pov7,crtv  /.-/■,  e'j-^s'H'.i-i  l'accentuation  est  indécise,  car  les 
mots  en  îia  paroxytons  et  proparoxytons  ont  confondu  leur  accentua- 
tion, de  sorte  qu'un  mot,  par  exemple,  comme  uuvxiXsta,  a  pu  devenir 
ff'jvTïX^îa  (1472),  puis  TJvxfAsià  (1464);  il  me  paraît  toutefois  plus  pro- 
bable qu'il  faut  lire  ici  /.'  Ejyéve'.av  (quatre  syllabes,  cf.  le  vers  précédent), 
car  il  n'y  a  aucune  raison  pour  ne  pas  conserver  au  mot  son  accent 
normal.  Les  détails  de  celte  sorte  sont  assez  nombreux;  mais  il  serait 
inutile  de  s'y  arrêter  plus  longuement,  et  je  ne  veux  plus  dire  qu'un 
mot  au  sujet  de  l'index  qui  se  trouve  à  la  fin  du  volume.  Il  eût  été 
facile  de  dresser  un  index  complet  de  ces  2541  vers  '  ;  on  regrettera 
que  M.  P.  n'ait  pas  jugé  à  propos  de  le  faire,  car  nous  n'avons  qu'un 
index  trtjnqué.  On  y  lit,  par  exemple,  xaOapôxT;,  mais  non  Xafjmrpôxv) 
(1337),  "H?^'=î''5î,  mais  non  'EXt/.côv  (55),  [Ji^oùva,  mais  non  YaXiôxa  (2249)  ; 
et  tandis  qu'on  y  trouve  des  mots  courants  comme  ay^EXoc;  et  iiî,aTCto, 
des  mots  comme  Traviaopoo;  (  1  385)  ou  7rx;A7rt7a-io[j.£vo;  (1778)  sont  laissés 
de  côté.  L'index  est  incomplet,  même  compris  seulement  comme 
«  verborum  memorabilium  »,  et  il  perd  d'autant  plus  de  son  utilité, 
que  le  sens  des  mots,  un  petit  nombre  exceptés,  n'y  est  pas  donné  \ 

IIL  M.  Pernot  terminait  en  même  temps  un  travail  de  plus  longue 
haleine,  l'impression  de  sa  Bibliographie  Ionienne.  Emile  Legrand, 
après  avoir  composé  sa  Bibliographie  hellénique,  avait  entrepris  un 
catalogue   des  ouvrages    relatifs   aux    Sepi-IIes   ou    publiés   par   des 


1.  En  réalité  2542;  à  partir  du  chapitre  5,  les  numéros  des  vers  sont  une  ligne 
trop  bas. 

2.  On  cite  ;j.-o'j/i;j.Ti£Xi  i534,  sens  inconnu  ;  mais  le  texte  porte  [j.ou-/i'.|nîsXi  ;  quelle 
est  la  forme  exacte  ?  —  Notant  zziyyr/i7.c,,  M.  P.  se  demande  quel  en  est  le  sens. 
Le  mot  n'est  pas  inconnu  et  signifie  gosier,  gueule.  —  Je  ne  comprends  pas  ^dans 
l'index)  la  note  «  -Trepta-jîv  pour  le  mètre  »  ;  s'il  s'agit  d'accentuation,  c'est  à  i:£piT(jo; 
ainsi  accentue  que  se  rapporte  robscrvalion.  —  Ti  irxjûâ  451  ne  signitic  certaine- 
ment pas  «  les  volatiles  ».  —  Pourquoi  M.  P.,  qui  donne  le  mot  turc  repondant  au 
grec  àvavtaoà;,  ne  donnc-t-il  pas  le  mot  français  ujicaire?  —  A  ajouter  aux  errata  : 
5oi  Aoirôv  au  lieu  de  Aot-ôv;  1292  [xt.i^-vao'J;  au  lieu  de  ;j.zi jxnroûî ;  2064  "At:6a).u- 
va;  au  lieu  de  "A-OA>,ojva;. 


3^4  REVUE    CRITIQUE 

Ioniens,  et  il  avait  réuni  des  niaiériaiix  déjà  abondants,  descriptions 
d'ouvrages  des  xv,  xvi"  et  xvii'^  siècles  extraites  de  la  liibliographie 
hellénique,  auxquelles  s'adjoignirent  les  publications  des  siècles  sui- 
vants qui  vinrent  à  sa  connaissance.  M.  P.  reprit  l'idée  ;  il  fil  de  nou- 
velles recherches,  catalogua  de  nombreux  volumes  nouveaux,  sur- 
loilt  du  xviii'  siècle,  et  compléta  ainsi  cet  important  répertoire,  dont 
le   numéro    i     porte   la   date    de    1494,    et   qui    se    termine    par   le 
numéro  4043,  daté  de  1900.  La  méthode  de  publication  est  la  sui- 
vante :  titre  in  extenso,  lieu  et  date;  nom  de  l'imprimeur  et  de  l'édi- 
teur; viennent  ensuite  le  format,  la  pagination,  et  les  particularités 
telles  que  feuillets  blancs,  dédicaces,  illustrations,  et  autres  détails  ;  la 
rareté  d'un   ouvrage   est  toujours  notée,  et   souvent   aussi,    dans  le 
tome  I,  les  possesseurs,  bibliothèques  publiques  ou  privées.  Un  index 
de  tous  les  noms  propres  cités  facilite  les  recherches;  les  noms  des 
auteurs  sont  en  capitales,  m'ais  j'avoue  ne  pas  découvrir  la  raison  qui 
a  fait  emplover  les  grandes  capitales  pour  quelques-uns,  les  petites 
pour  les  autres;  une  note  aurait  dû   informer  le  lecteur.  11   serait 
superflu  d'insister  sur  l'utilité  d'un  pareil  travail  ;  M.  P.  a  bien  mérité 
de  la  Grèce  et  de  tous  ceux  qu'intéresse,nt  ses  destinées  '.  Pour  ma 
part,  je  lui  donnerai  une  preuve  de  l'importance  que  j'attache  à  son 
ouvrage  en  lui  signalant,  pour  le  supplément  qu'il  promet,  deux  bro- 
chures dues  au  Céphaloniote  Epaminondas  Anninos,  de  qui  je  les 
tiens.  Ont-elles  été  répandues  ?  Assez  peu,  sans  doute;  autrement  il 
est  à  penser  qu'elles  n'auraient  pas  échappé   aux   investigations  du 
savant  professeur  de  l'École  des  Langues  orientales.  En  voici  la  des- 
cription :    1°  IIspl  ôavaxiXTiç  n:otV7;ç,  {.tto  'ETrajJLtvwvoou  'Avvîvou.  'Ev  K£tçaXX-r;v(c!f, 
TUTtOYpatpeTov  'H  KecpaXÀiQvîa,  1868.    En  épigraphe  sur  le  titre  :  Tov  iraXatôv 
dc-o6£ijL£70t  avOpioTTov,  TOV  vlov  Èv8'jw[j.£6a .  Brochure  in-8°  de  16  pages;  à  la 
fin  de  la  dernière  'Ev  'ApYoaToXûo  tri  3o  'Oy.xwêp(o'j   1868.  'ETrap.'.va)voa;"Avvt- 
voç.  2°  "^H  'EcDS'jpscriç  to'j  atôspîou  TirjSaXto'j  r^zoï  ô  vios  jîaacXs'j?  "ucov  TrxT|V(ï)v  (Ilpay- 
[xaxeîa 'ETTiaxTjaovtxr;).  Brochure  in-8°  de  16  pages,  sans  faux-titre  et  sans 
nom  d'imprimeur  ;  à  la  fin  de  la  page  i  3  :  'Ev  K£coaXXT,v!oc  (IlauXiaTç)  xr^ 
22    SETTxejjLêpfou  l8j'4.   'ETia[x£ivu)v8aç  "Avvtvo^  ;  page  14  en  titre  :  Aiaaaçpcdii;; 
à  la  fin  de  la  dernière  page  'Ev  'ApyouToXito,  x^  9  NoEfxSpi'o'j  1874.  'Eiraijiet- 
vwvSa;  "Avvwo;;.  Cette  dernière  brochure  est  très  curieuse.  On  remar- 
quera la  double    orthographe   du    prénom    Epaminondas;   l'auteur 
signait  lui-même  avec  un  seul  iota,  quand  je  l'ai  connu  en  1877. 

My. 

L.  HiNDENLANG,  SprachUche  Untersuchungen  zu  Theophrasts  botanischen 
Schriften.  Strasbourg,  Trûbner,  1910;  200  p.  (Dissert,  philol.  Argentorat. 
selectas,  XIV,  2). 

Cette  dissertation  contient  des  recherches  de  différente  nature  sur 

I.  Tome  II,  p.  600,  on  lit   :  284S.  0'.  Sûo  x>>sT:xai,  comédie  en  deux  actes.  C'est 
dit  M.  P.,  la  traduction  d'une  pièce  de  Molière.  Laquelle  ? 


d'histoire  et  de  littérature  32  5 

la  laiif^Lie  des  œuvres  botaniques  de  Théophraste,  les  Historiœ  ei  les 
Causa'  planlarum.  On  y  distinguera  trois  parties  :  une  étude  assez 
prétentieusement  intitulée  Vom  rhythmischen  Wohlklang^  où  il  est 
question  uniquement  deThiatus;  une  série  d'observations  sur  la  syn- 
taxe ;  un  lexique,  à  Taide  duquel  M.  Hindenlang  a  voulu  répondre  à 
ces  deux  questions  :  A  quels  écrivains  Théophraste  se  rattache-t-il  par 
son  vocabulaire?  Quels  mots  Théophraste  a-t-il  introduits  dans  la 
langue?  La  première  étude  épuise  le  sujet  ;  M.  H.  distingue  avec  rai- 
son les  hiatus  apparents,  qui  devaient  disparaître  dans  la  prononcia- 
tion, par  élision,  crase  ou  aphérèse,  et  ceux  qui  ne  sont  pas  de  véri- 
tables hiatus,  les  deux  mots  étant  séparés  par  une  pause;  il  conclut 
que,  ces  pseudo-hiatus  mis  à  part,  Théophraste  évite  la  rencontre  de 
deux  voyelles.  Il  y  a  là  peut-être  quelque  exagération;  car  M.  H.,  si 
je  ne  me  trompe,  raisonne  de  la  manière  suivante  :  Théophraste  évi- 
tait l'hiatus,  comme  on  peut  le  voir  par  la  construction  de  certaines 
phrases,  où  cela  est  évident;  on  devra  donc  supposer  que  là  où  l'on 
constate  la  rencontre  de  deux  voyelles,  l'hiatus  n'est  qu'apparent  et 
disparaissait  à  l'oreille.  C'est  possible,  et  même  vraisemblable  ;  cepen- 
dant M.  H.  ne  peut  pas  toujours  être  très  affirmatif;  il  y  a,  dans  le 
très  grand  nombre  d'exemples  qu'il  cite,  des  cas  fréquents  où  Une 
sorte  de  fusion  des  deux  vovelles  est  bien  difficile  à  admettre.  La 
seconde  partie  est  formée  d'un  certain  nombre  de  remarques  relatives 
à  la  construction  des  parties  du  discours;  on  y  demanderait  plus  de 
netteté  et  dec  distinctions  plus  précises  ;  l'usage  de  Théophraste,  toute- 
fois, en  ressort  assez  clairement,  et  l'on  notera  une  bonne  étude  sUr 
l'ellipse,  qui  se  rencontre  dans  Théophraste  sous  des  formes  assez 
curieuses  '.  La  troisième  partie  confirme  l'opinion  que  le  vocabulaire 
de  Théophraste  est  très  voisin  de  ceux  d'Hippocrate  et  d'Aristote,  et 
montre,  en  même  temps  que  l'originalité  de  l'auteur,  l'admirable  sou- 
plesse de  la  langue  grecque  :  dans  l'œuvre  botanique  de  Théophraste 
il  n'y  a  pas  moins  de  i333  mots  nouveaux,  dérivés  ou  composés,  dont 
65 1  ne  se  trouvent  que  chez  lui.  La  dissertation  de  M.  Hindenlang 
intéressera  les  hellénistes  et  sera  utile  pour  un  futur  éditeur  de  Théo- 
phraste; mais  elle  donne  l'impression  d'un  travail  fait  vite,  et  les 
épreuves  ont  été  corrigées  avec  une  déplorable  négligence  \ 

My. 

1.  Pour  la  syntaxe  des  prépositions,  M.  H.  renvoie  à  un  programme  de  W.  Mùl- 
ler  (Arnstadt,  1878)  que  je  ne  connais  pas,  et  revient  seulement,  dit-il,  sur  les 
faits  les  plus  dignes  de  remarque.  Il  n'eût  pas  été  inutile,  alors,  de  dire  quelques 
mots  sur  l'usage  de  à'aa  avec  le  datif,  si  varié  dans  Théophraste  et  si  caractéris- 
tique de  son  style. 

2.  M.  H.  ne  trouve  à  corriger,  dans  l'erratum,  que  sept  fautes  d'impression.  11 
y  en  a  bien  d'autres.  P.  17,  1.  3  d'en  bas  èvtapyoO  (1.  èviayo j)  ;  22,  5  d'en  bas  àsTpa- 
•f.'jVZ'.  (ixpaxx'jA.;;  2?,  3  ■(.or'j-/.rjUi  (y.pûx'j))  ;  26,  21  3vtoTi(-tc);  27,  2  àêpox'jvov  (-tovov)  ; 
3i,  7  d'en  bas  ffX(jj>>'.ÔT£pa  (-xoAiwir.);  32,  3  s'Jau;oi  (s'?,);  4g,  12  ôiotjxiffiv  (ôisaT.)  ;  id., 
i5  -/.oACioasva  (xoXouôjji.) ;  58,  6  |j.a)v3(xoTépo);   (-xwt.)    faute  répétée  gS,  6   d'en  bas; 


320  BEVlIli    CRITIQIF. 

Klickinger  :  Scœnica  (^lixtr.  des   'J'i\iiisactioiis  of  the  Amt-rican  Pliilulugical  As- 
sociation,  vol.    XI.,  KJIO,    p.    I()<J-I2<>). 

Cet  article  de  M.  Flickinger  se  compose  de  six  paragraphes  dis- 
tincts, dans  chacun  desquels  est  discuté  un  texte  grec  relatif  au  théâ- 
tre, i"  Eschyle,  Ag^ani.,  argument  :  loU»;  ok  .XîsyjÀo;  tov  'A-caiiÉiAvoia  IrA 
(TXT,v7,<;  àva'.o£.'30oti  tto'.ci  etc.  'Ktii  T/.f,\>r,^  signirie  «  dans  le  cours  de  Tac- 
lion.  »  autrement  dit  «  pendant  la  représentation  »  ;  ces  mots  sont 
interprétés,  comme  on  le  voit,  et  comme  le  dit  M.  F.  lui-même, 
M  with  considérable  freedom,  »  mais  que  ce  soit  là  leur  sens,  il  n'y  a 
pas  à  en  douter;  «  sur  la  scène  »  est  évidemment  inexact,  car  nous 
entendons  par  là  «  sous  les  yeux  des  spectateurs  »;  nous  dirions 
«  dans  la  pièce  ».  2°  Lucien,  Gall.  26:  iv  ,ai7ï,  -i,  r/,f,-iï,  est  rendu 
par  «  au  milieu  de  la  représentation  »;  cependant  il  me  semble  dif- 
ficile, dans  le  passage,  de  ne  pas  entendre  n/.f,-rf]  dans  le  sens  matériel. 
3"  Plutarque,  Marcell.  20.  Dans  une  assemblée  au  théâtre,  Nicias 
à'if.xev  £'.;  -v'  '{V'  "^ô  crtoiJLa.  L'interprétation,  <•  probably  the  correct 
one  »,  est  que  Nicias  tombe  sur  le  plancher  de  la  scène,  et  non  qu'il 
tombe  étant  dans  l'orchestra,  ni  qu'il  tombe  de  la  scène  dans  l'orches- 
tra ;  on  sera  d'accord  avec  M.  F.  4"  Lucien,  Icarom  21  :  -J,v  îr;  r/.r,- 
vf,;  ExâTToo  fJîov;  l'expression  est  traduite  par  le  mot  français  «   vie   de 

parade   ».   5°   Marc-Aurèle,  XI,  6  :  l-^\  -r,;  t/.y,/?,;;...   i-î  -•?,;   as-^ovo;  t/.t,v?;;. 

La  traduction  n'offre  aucune  difficulté;  mais  M.  F.  cite  à  cette  occa- 
sion un  pacage  de  Stobée,  Flor.  xcviii,  70,  où  se  trouve  la  même 
expression  avec  le  même  sens,  mise  dans  la  bouche  de  l'acteur  Néop- 
tolème,  longtemps  avant  Marc-Aurèle  ;  le  rapprochement,  dit  M.  F., 
semble  n'avoir  pas  été  fait  jusqu'ici,  b'^  Ps.  Lucien,  Nero,  g  :  êtt'  ôxoi- 
êâvTtov.  M.  F.  hésite  entre  deux  explications,  o/.p!gav-£;  =  scène  ou 
cothurne;  il  se  décide  cependant  pour  ce  dernier  sens.  Le  texte  est 
dans  l'ensemble  assez  peu  précis, etlaisse  place  au  doute.  Quant  à  l'ar- 
gument invoqué  par  M.  Flickinger  pour  l'attribution  du  Néron  à  l'un 
des  Philostrate,  à  savoir  que  le  mot  oxptêaç  ne  se  trouve  pas  dans  Lu- 
cien, tandis  qu'on  le  rencontre  dans  la  Vie  d'Apollonius  et  dans  les 
Vies  des  Sophistes,  il  est  par  lui-même  de  peu  de  poids. 

M  Y. 


Sancti  Eusebii  Hieronymi  Epistulae  Pars  I  :  Epistulne  i-lxx.  Recensuit  Isidorus 
HiLBERG.  Vindobonae,  Tempsky;  Lip.siae,  Freytag,  mdccccx.  vi-708  p.  in-S". 
Prix  :  22  Mk.  5o. 

Cette  édition  des  lettres  de  saint  Jérôme  comprendra  trois  volumes. 
Le  premier  est  le  t.  LIV  du  Corpus  scriptorum  ecclesiasticorum  lati- 
norz^m  de  Vienne.  M.  Hilberg  réserve    pour  le  troisième  volume   des 


60,  7  d'en  bas  iîppT,vi  f-p£vi);  75,  18  <iTpoyyu>>ÔTcpov  (-tôx.)  ;  79.  11  £^avQT,xô;  (£çt,vO.)  ; 
88,  I  I  d'en  bas  0'j7t,v,  eic.  Et  je  ne  parle  pas  des  erreurs  d'accentuation  comme  12, 
18  vsoTtîav,  65,  I  I  d'en  bas  Q-zo6-^yj\o:„  74,  16  /tovo;,  88,  5  -zùx/zz:,  89,  3  d'en  bas  et 
91,  10  'fXs'Çcov,  etc.,  etc. 


D'HlSTOmK    ET    DE    LITTÉRATURE  327 

indications  détaillées  sur  les  nianuscrits  et  l'e'tablissement  du  texte. 
Aussi  se  contente-i-il  ici  d'un  avant  propos  d'une  page  et  demie.  Il  n'y 
a  pas  de  manuscrit  de  la  collection  complète,  mais  une  quantité  de 
recueils  partiels,  et  parfois  un  manuscrit  ne  comprend  qu'un  très 
petit  nombre  de  lettres.  Sur  la  façon  dont  les  variantes  ont  été  publiées, 
nous  n'avons  que  cette  phrase  un  peu  ambiguë:  «  Integram  lectionum 
farraginem  a  me  enotatam  ut  nimis  proli.\am  salubribus  lituris  macres- 
cere  iussit  Auguslus  Engelbrecht,  cuius  prudenti  iudicio  debetur  quod 
hoc  uolumen  non  in  maiorem  eiiam  ambitum  creuit  ».  Il  faut  espérer 
que  pour  chaque  lettre  nous  avons  les  variantes  des  meilleurs  mss. 
Les  lettres  de  saint  Jérôme  ont  plus  d'importance  générale  et  psycho- 
logique que  celles  de  saint  Augustin.  Jérôme  était  passionné,  emporté, 
personnel.  Tous  ses  écrits  le  révèlent  un  homiîic,  et  sa  correspon- 
dance plus  que  les  autres.  Citons  au  hasard  dans  ce  volume  sa  célèbre 
lettre  à  Eustochium  sur  la  virginité  (x.xii,  p.  143),  pleine  de  confi- 
dences et  de  peintures  de  mœurs;  ses  éloges  de  saintes  femmes,  Léa 
(xxiii,  p.  211),  et  Asella  (xxiv,  p.  214);  la  lettre  à  Paula,  où  il 
dresse  la  catalogue  des  œuvres  de  Varron  et  d'Origène  (xxxiii,  p.  253). 
Cette  lettre,  d'une  importance  capitale  pour  les  philologues,  figure 
pour  la  première  fois  intégralement  dans  une  édition  de  saint  Jérôme. 
Il  faudrait  aussi  mentionner  les  lettres  à  Pammachium  (xlviii 
et  xLix),  véritables  apologies  ;  les  lettres  à  Népotianus  (i.ii),  sur  la 
vie  des  clercs,  et  à  Furia  (mv),  sur  le  veuvage,  où  abondent  les  traits 
intéressants;  enfin  les  lettres  où  Jérôme  pleure  la  mort  de  ses  amis 
ou  les  console  de  quelque  deuil,  lettres  sur  la  mort  de  Blésilla,  sur 
celle  de  Népotianus.  Nous  somines  heureux  de  pouvoir  enfin  lire  ces 
lettres  dans  l'édition  de  M.  Hilberg,  qui  pertnei  le  contrôle  de  la  leçon 
du  texte. 

D.  S. 


Isidori  Hispalensis  episcopi  Etymologiarum  siue  Originum  libri  XX.  Rcco- 
gnouit  breuique  adnotatione  critica  instruxit  W.  M.  Lindsay.  2  vol  in- 18, 
(livres  l-X,  XI-XX).  Oxonii,e  tyfiograpiieo  Clarcndoniano  ;  Londini  et  Noui  Ebo- 
raci,  apud  Henricum  Frowde.  xvi  pp.  et  caiiiers  signés  A-Z,  Aa-Ee  ;  A-Z,  Aa- 
Gg.  S.  d.  (1912).— Prix  :  18  sh. 

M.  Lindsay  vient  de  rendre  un  nouveau  service  aux  études 
anciennes.  Les  Origines  d'Isidore  de  Séville  n'avaient  pas  été  com- 
prises dans  la  collection  des  grammairiens  latins  dirigée  par  Keil.  On 
était  obligé  de  recourir  à  la  très  médiocre  édition  d'Otto,  dans  le 
recueil  de  Lindemann,  ou  à  l'édition  d'Arevalo  (Rome,  réimprimée 
dans  Migne).  L'édition  d'Arevalo  elle-même  dépend  de  l'édition  espa- 
gnole donnée  par  Grial  en  1  778.  Elle  reste  indispensable,  même  après 
celle  de  M  .  Lindsay,  par  la  compilation  de  ses  notes,  où  l'on  trouve 
indiquées  les  sources  d'Isidore.  Un  savant  anglais  devrait  bien  main- 
tenant reprendre  le  travail  d'Arevalo,  le  corriger,  le  compléter  d'après 


328  REVUE    CRITIQUE 

toutes   les   recherches  entreprises  depuis    cent  ans.    Voilà  un  travail 
intéressant  et  utile  pour  un  séminaire  d'université. 

M.  L.  se  défend  de  nous  donner  une  édition  critique  exécutée 
suivant  toutes  les  règles.  11  a  été  amené  peu  à  peu,  par  des  recherches 
sur  les  grammairiens  latins,  à  collationner  le  témoignage  d'Isidore 
dans  ses  manuscrits  les  plus  anciens.  Mis  en  possession  de  la  collation 
du  ms.  de  Wolfenbùttel  par  Klein,  des  collations  de  Kiibler,  de  la 
reproduction  du  ms.  de  Tolède,  M.  L.  a  fini  par  classer  ses  notes  et 
établir  trois  familles  de  manuscrits.  La  plus  exempte  d'interpolations 
est  appelée  française  par  M.  L.  Elle  comprend  un  très  grand  nombre 
de  manuscrits.  Les  plus  importants  sont  le  ms.de  Berne  loi  (ix'^-x''  s.) 
et  le  ms.  de  Leyde  Voss.  Fol.  74  (même  époque).  La  deuxième 
famille,  dite  italienne  ou  abrégée,  se  distingue  par  ses  omissions  et  ses 
résumés.  M.  L.  la  fait  représenter  surtout  par  le  ms.  de  'Volfenbuttel 
(Weissénburg  64)  du  commencement  du  viii<:  siècle.  Enfin  la  troi- 
sième famille,  dite  espagnole  ou  interpolée,  a  pour  principal  témoin 
le  ms.  de  Tolède  que  la  maison  Sijthoff  de  Leyde  vient  de  reproduire. 
M.  L.  donne  la  collation  complète  des  quatre  manuscrits  ci-dessus 
indiqués  et  les  variantes  d'autres  manuscrits  pour  les  passages  les 
plus  incertains.  En  somme,  le  travail  de  M.  L.  est  un  premier  sen- 
tier à  travers  la  forêt  des  manuscrits  d'Isidore.  Quelque  autre  y  tra- 
cera des  routes.  Jusqu'ici  nous  ne  savions  rien  de  certain  ni  sur  le 
contenu  exact  de  tel  manuscrit  donné  ni  sur  le  rapport  des  manus- 
crits entre  eux.  On  a  au  moins  avec  la  présente  édition  des  points  de 
repère. 

Dès  maintenant  on  peut  mieux  juger  de  telle  assertion.  Ainsi  la 
citation  de  Fronton,  XV,  11,  46,  paraît  ne  pas  provenir  d'Isidore;  car 
elle  n'est  donnée  que  par  les  manuscrits  de  la  troisième  famille.  Ce 
sont  aussi  seulement  les  manuscrits  de  cette  famille  qui  ont  les  deux 
premières  lettres  liminaires  :  Diim  a  mihi  litteras,  et  Quia  non  ualeo 
te perfruere;\\,  xxvii,7,  Haec  omnia...iitilitas.  D'autresinterpolations 
sont  d'origine  plus  complexe  :  III,  vi,  5  Minor....^  suis;  li,  2  Cui 
ideo...  derelinqiiit  lùré  d'IsiD.,  Nat.,  xvii,  3);  lui,  2  Sol...  sit  ;  VII, 
VI,  3o  Complexui,..  Saram.  Ces  passages  se  trouvent  dans  le  Leiden 
sis,  ce  qui  prouve  qu'il  n'est  pas  exempt  d'altérations  venant  de  la  troi- 
sième famille.  Il  semble  que  M,  L.  se  détermine  par  l'accord  de 
manuscrits  de  la  première  et  de  la  seconde  famille  contre  celui  de  la 
première  et  de  la  troisième.  Ainsi  IX,  iv,  5  Plebs...  ciuitatis  est  donné 
par  des  manuscrits  de  la  première,  notamment  le  Bernensis,  et  par 
le  ms.  de  Tolède;  omis  par  le  Leidensis  et  le  ms.  de  Wolfenbùttel. 
En  conséquence,  M.  L.  met  la  phrase  entre  crochets.  Cette  règle 
paraît  exacte,  d'après  ce  que  dit  M.  L.  des  rapports  des  manuscrits 
dans  l'introduction.  Il  faudrait  voir  s'il  est  possible  toujours  de  l'ob- 
server. La  grande  difficulté  d'un  texte  comme  celui-là,  ce  sont  les 
interpolations  d'usagers,  ainsi  que  les  appelle  M,    Havet.  Un  recueil 


d'histoire  et  de  littérature  329 

de  ce  genre  court  le  risque  d'être  abrégé  ;  il  risque  aussi   de  s'étendre 
par  les  additions  de  lecteurs  savants. 

M.  L.  croit  nous  faire  connaître  le  texte  tel  qu'il  courait  à  la  fin  du 
VII'  siècle.  Isidore  est  mort  en  636.  Ce  résultat  est  déjà  beau.  Il  ne 
faut  pas  oublier  que  le  manuscrit  même  de  l'auteur  n'était  pas  «  revu 
et  corrigé  ».  Il  y  avait  des  fautes,  des  lacunes,  des  ébauches,  des  cita- 
tions inexactes.  Dans  la  forme  où  nous  l'avons  ici,  il  suffit  aux 
recherches  ordinaires.  Nous  devons  remercier  M.  Lindsay  de  la  peine 
qu'il  a  prise  et  de  n'avoir  pas  oublié  que  le  mieux  est  l'ennemi  du 
bien  '. 

J.  D, 


F.  Baldensperger,  Alfred  de  Vigny.  Contribution  à  sa  biographie  intellectuelle. 
Hachette,  1912. 

En  écrivant  un  livre  sur  Alfred  de  Vigny,  M.  Fernand  Baldens- 
perger, professeur  de  littératures  modernes  comparées  à  la  Faculté 
des  lettres  de  Paris,  n'a  pas  abandonné  l'objet  habituel  de  ses  recher- 
ches. C'est,  en  effet,  sous  cet  aspect  particulier  des  influences  étran- 
gères qu'il  a  surtout  examiné  le  poète  d'Eloa  et  des  Destinées,  le 
prosateur  de  Stello  et  de  Servitude  et  Grandeur  militaires.  S'il  n'est 
pas  le  seul  ni  le  premier  qui  ait  eu  l'idée  de  cette  enquête,  per- 
sonne, avant  lui,  ne  l'avait  poursuivie  en  des  sens  si  divers,  n'y  avait 
consacré  une  attention  à  ce  point  scrupuleuse,  et  n'avait  déployé, 
à  cette  occasion,  des  qualités  plus  rares  de  méthode,  de  savoir,  de 
perspicacité. 

♦  » 

Sur  les  dix  chapitres  que  comprend  l'ouvrage,  deux,  le  premier  et 
le  dernier,  n'offrent  pas  le  même  caractère  que  les  autres.  Ils  forment 
une  sorte  de  cadre  de  généralisations  autour  de  huit  études  de  détail. 
Cadre  imposant,  un  peu  artificiel,  habilement  exécuté.  C'est  par  ces 
pages  d'introduction  et  de  conclusion  que  je  crois  à  propos  de  com- 
mencer l'analyse  du  livre;  il  est  de  ceux  qui  méritent  mieux  que 
l'éloge  :  la  discussion. 

Le  premier  chapitre  a  pour  titre  :  Les  deux  tristesses  de  Vigny. 
Selon  l'ingénieux  critique,  Vigny  aurait  été  en  proie  à  deux  inquié- 
tudes. L'une  est  causée  par  «  l'émouvante  question  de  la  souffrance 
de  l'innocent  »  ;  elle  reste  liée  au  problème  du  mal,  à  la  morale  reli- 
gieuse. L'autre,  de  nature  «  sociale  »,  et,  si  l'on  peut  dire,  «  pratique  », 
se  confondait,  chez  le  poète,  avec  un  profond  et  amer  sentiment  de 
«  la  faillite  des  aristocraties  ».  Tout  le  pessimisme  du  penseur  ne 
tiendrait  qu'à  ces  deux  causes. 

1.  Il  y  avait  des  figures  dans  l'encyclopédie  de  l'évéque  de  Séville.  M.  Lindsay 
en  donne  quelques-unes  (in,xiv:  c'est  un  chapitre  interpolé  de  la  troisième  famille; 
IX,  II  28  suiv.)  ;  ailleurs  il  les  omet  (III,  liv). 


330  REVUE    CRITIQUE 

Me  scra-i-il  permis  de  faire  à  la  piemièrc  au  moins  des  deux  idces 
une  objection?  M.  Baldcnspcr{;er  piêie  tout  d'abord  à  Vigny  une 
philosophie  systématique,  et  ce  système,  il  l'édirie,  en  prenant,  à 
travers  l'œuvre  eniièrc,  les  matériaux  de  sa  construction  :  il  met,  à 
côté  l'une  de  l'autre,  des  pièces  comme  Moïse  et  le  Mont  des  Oliviers, 
toutes  les  deux  d'inspiration  biblique,  mais  éloignées  l'une  de  l'autre 
et  par  la  date  et  par  l'esprit.  Faisant,  en  quelque  manière,  flèche  de 
tout  bois,  il  appelle  à  l'appui,  tour  à  tour  ou  presque  à  la  fois,  le 
Déluge,  la  Flûte,  Dolorida,  la  Prison,  la  Sauvage,  la  Femme  adultère, 
la  Colère  de  Samson,  Quitte  pour  la  peur.  N'est-ce  pas  supposer 
comme  évident  que  les  idées  de  Vigny  à  vingt-cinq  ans  étaient  déjà 
celles  qu'il  doit  avoir  à  quarante-cinq?  Il  serait  nécessaire  et,  je  n'en 
doute  pas,  difficile  de  le  démontrer.  A  la  date  du  Déluge,  Vigny  n'est 
que  byronien  ;  son  argumentation  contre  le  mal  moral,  ses  reproches 
à  la  divinité,  viennent,  en  droite  ligne,  de  Cain  ou  de  Manfred ;  son 
athéisme  frondeur  n'est  qu'un  reflet  de  ses  lectures.  Vingt  ans  plus 
tard,  son  pessimisme  est  devenu  personnel  et  profond  :  non  seule- 
ment il  rend  un  autre  son,  mais  il  traduit  des  sentiments  nouveaux, 
il  met  en  œuvre  des  idées  que  l'on  peut  dire  ditîerentes.  Ce  n'est  donc 
pas  en  prenant  les  Poèmes  et  les  Destinées  comme  un  corps  de  doc- 
trine constitué  qu'on  peut  espérer  de  serrer,  de  surprendre,  de  rendre 
en  formules  exactes  la  pensée  philosophique  d'Alfred  de  Vigny,  c'est 
plutôt  en  suivant  Tordre  chronologique,  et  en  notant,  pièce  par  pièce, 
presque  page  par  page,  le  progrès  et  l'évolution  de  ce  nihilisme  hautain. 

Cette  réserve  faite,  je  me  hâte  de  dire  que  la  thèse  proposée  par 
M.  B.  est  soutenue  avec  beaucoup  de  ressources  et  que,  chemin 
faisant,  il  rencontre,  pour  déterminer  les  attitudes  de  Vigny  devant 
le  problème  de  la  destinée,  l'expression  la  plus  heureuse  :  «  La  gran- 
deur de  Vigny  n"a  pas  été  de  dire  oui,  à  toute  force,  à  la  vie;  elle  est 
plutôt  dans  ce  demi-silence  qu'il  glorifiait  comme  le  vrai  stoïcisme 
d'une  âme  endolorie  et  d'un  esprit  averti,  qui  ne  veulent  cependant 
pas  s'abandonner  et  fondre  en  vains  gémissements.  On  sait  avec 
quelle  fermeté  il  resta  fidèle  à  cette  religion  d'honneur  et  de  vaillance  ». 

Dans  son  chapitre,  V Actualité  de  Vigny,  qui  est  le  dernier  du  livre 
et  qui  lui  sert  de  conclusion,  le  critique  recherche  les  causes  de  la 
faveur  qui,  depuis  bientôt  trente  années,  s'est  attachée  au  poète  d'Floa 
et  des  Destinées  et  qui  a  fini  par  grossir,  peut-être  plus  qu'il  n'eût  fallu, 
le  groupe  des  <«  amis  fidèles  ».  Il  nous  donne  ces  trois  raisons.  Dans 
le  discrédit  croissant  du  romantisme,  Vigny  bénéficie  de  la  tendance 
qu'on  a,  de  nos  jours,  à  reconnaître  dans  cet  ancien  écrivain  du 
Cénacle  un  classique  :  cette  étiquette  de  classique  suffit  à  l'absoudre 
du  byronisme  et  du  satanisme  de  ses  débuts.  —  Dans  la  «  démission 
de  la  morale  »,  caractéristique  de  l'époque  actuelle,  l'honneur, 
cette  religion  proclamée  par  Vigny,  attirerait  et  ne  saurait  manquer 
de  retenir  autour  du  prophète  des  temps  nouveaux  toute  une  église 


d'histoire  et  de  littérature  33 I 

de  croyants.  —  Enfin,  k  le  svmbolismc  du  poète,  si  paradoxal  que 
cela  puisse  paraître  »  —  j-.-  cite  ici  le  texte  même  de  M.  Baldenspcrger 
—  «  est  une  autre  raison  de  durée  et  même  un  motif  imprévu  d'actua- 
lité pour  sa  gloire  ».  Je  crois  sentir  l'intérêt  ou  même  la  force  des 
deux  premières  raisons  ;  je  ne  vois  pas  aussi  bien,  je  l'avoue,  le  carac- 
tère irréfutable  de  la  troisième.  Le  symbolisme  n'a  eu  tant  d'impor- 
tance, dans  les  dernières  années,  que  pour  un  petit  nombre  de  lettrés 
qui  se  flattaient  de  le  représenter  :  il  est  déjà  passé  de  mode.  Ce  n'est 
pas  par  la  vertu  du  symbole,  c'est  par  des  qualités  poétiques  plus 
profondes  et  plus  réelles,  que  des  maures,  comme  Henri  de  Régnier, 
s'imposent  à  d'autres  admirations  que  celle  de  la  chapelle  primitive, 
et  il  en  est  de  même  pour  V^ignv,  à  plus  forte  raison. 


Quelque  agrément  ou  quelque  utilité  qu'offrent  ces  deux  chapitres 
extrêmes,  ce  n'est  pas  en  eux  que  Je  crois  découvrir  la  véritable  ori- 
ginalité de  cet  ouvrage  et  son  accent  tout  personnel.  Par  contre,  dans 
chacune  des  huit  autres  études,  le  critique  aborde,  et  d'ordinaire 
épuise  un  sujet  spécial,  très  limité,  mais  très  approfondi.  C'est  la 
méthode  rigoureuse  —  et  fertile  —  du  laboratoire. 

Que  doit  Alfred  de  Vigny  à  l'influence  des  conseils  ou  des  modèles 
mis  sous  ses  yeux  d'écrivain  débutant  par  son  parent  Bruguière  de 
Sorsum?  Que  fur,  au  juste,  ce  Bruguière  mystérieux?  Qu'avait-il 
rêvé  d'être?  M.  Baldensperger  s'est  posé  ces  questions  et  il  y  répond 
avec  une  précision  qui  ne  nous  laisse  rien  désirer. 

Que  doit  Alfred  de  Vigny  à  Joseph  de  Maistre,  l'ancien  ambassa- 
deur sarde  émigré  en  Russie,  le  grand  prosateur  religieux,  qui,  dans 
plusieurs  de  ses  écrits,  s'est  efforcé  d'anéantir  les  objections  tirées  du 
mal  moral  contre  la  Providence,  et  qui  a  proclamé,  à  cet  effet,  des 
maximes  comme  :  L'innocence  satisfait  pour  le  crime;  le  sacrifice 
par  le  sang  rachète  une  autre  vie;  la  douleur  remédie  au  désordre? 
M.  Baldensperger  est  le  premier  qui  se  soit  avisé  de  découvrir  chez 
Alfred  de  Vigny  certains  mouvements  de  révolte  causés  par  l'effroi 
d'une  telle  doctrine  ;  il  nous  le  montre  plusieurs  fois  préoccupé  ou  de 
la  réfuter,  ou  du  moins  de  la  qualifier  avec  une  rigueur,  peut-être  un 
peu  déclamatoire  :  «  O  Pieux  Impie!  qu'avez-vous  fait?...  Entendez- 
vous  le  cri  de  la  bête  carnassière,  sous  la  voix  de  l'homme?  »  L'apo- 
logie de  la  guerre  par  Joseph  de  Maistre  n'avait  pas  moins  attiré 
l'attention  d'Alfred  de  Vigny  que  sa  théorie  de  «  la  réversibilité  des 
douleurs  de  l'innocence  au  profit  des  coupables  ».  C'est  aux  paradoxes 
des  Soirées  de  Saint-Pétersbourg  que  répondent  directement  certains 
passages  expressifs  de  Servitude  et  Grandeur  militaires.  Ces  rappro- 
chements, personne,  que  je  sache,  ne  les  avait  faits  avant  M.  Baldens- 
perger :  ils  sont  une  des  nouveautés  précieuses  de  son  ouvrage. 

A  force  de  regarder  de  près  le  texte  d'Alfred  de  Vigny,  M.  Baldens- 


332  REVUE    CRITIQUE 

perger  donne  peut-âtre  à  lello  ou  telle  indication  plus  d'importance 
qu'il  ne  paraît  nécessaire.  «   Eloa,   nous  dit-il,  fut  composée  en  plu- 
sieurs fois,  ébauchée  ici    et  là,  terminée  à   Bordeaux  :   qu'importe  ! 
Son  vrai  lien  génétique,  au  sentiment   de    Tauteur,  le   rattache   aux 
belles  vallées  silencieuses  et  aux  ciels  mouvants  de  la  montagne  vos- 
giennc,  et,  par  une  inexactitude  plus  vraie  que  la  stricte  vérité,  Vigny 
localise  son  poème,  rétrospectivement  :  Ecrit  en  j 823  dans  les  Fo.v- 
ges.  y>  Scrupuleux  comme  il  Test,  M.  Baldenspergcr  ruine  lui-même 
la  tradition   qui  place  à  Saint  Dié  un  séjour  de  Vigny  en    i82'3,  et 
d'après  laquelle  le  poème  d'Eloa  aurait  été   écrit  dans  cet  endroit,  au 
cours  d'une  «  villégiature  '> .  H  ne  dissimule  pas  davantage  que  la  plus 
fameuse  description  du   poème  d'Eloa  nous   peint  une  scène  du  ciel 
pyrénéen,  la  mort  de  l'aigle  des  Asturies.  Que  reste-t-il  donc  à  Vigny 
pour  avoir  pu  s'initier  aux  beautés  de  la  région  des   Vosges?   Deux 
mois  de  garnison  à  Strasbourg  et,   au  départ  de  Strasbourg,  vers  le 
milieu  de  mai,  la  traversée  des  régions  de  l'Esi  par  un  des  deux  iti- 
néraires qu'a  dû  suivre  le  55"  de  ligne  pour  se  rendre  par  étapes  Jus- 
qu'à la  Rochelle.  M.  B.  trace   ces  deux  itinéraires.  Quoi  qu'il  fasse, 
il  reste  un  peu  embarrassé  pour  nous  montrer  dans  Eloa  des  descrip- 
tions d'un   caractère  tellement  déterminé  qu'on  puisse  sûrement  les 
qualifier  du  nom  de  paysages  vosgiens. 

Mais  quel  moyen  de  résister  aux  raisons  apportées  par  M.  B.  pour 
réfuter  l'opinion  de  ceux  qui  «  sont  d'accord  pour  réduire  au  mini- 
mum rinfluence  qu'a  pu  exercer  Moore  sur  Vigny  »?  Il  rapproche, 
d'un  assez  grand  nombre  de  passages  de  la  traduction  que  M"^"  Belloc 
avait  donnée,  en  1823,  des  Amours  des  Anges,  les  passages  d'£'/oiZ 
qui,  selon  lui,  en  sont  le  calque  ou  la  réminiscence.  La  démonstra- 
tion est  minutieuse,  et,  je  dois  le  dire,  probante. 

Plein  d'intérêt  encore  et  d'une  savoureuse  nouveauté  est  le  chapitre 
qui  a  pour  titre  :  La  Mer  et  les  Marins  dans  l'Œuvre  de  Vigny.  Le 
cœur  de  cette  étude  spéciale  est  la  comparaison  des  mémoires  de 
l'amiral  Collingwod  avec  les  pages  de  Servitude  et  Grandeur  mili- 
taire où  Alfred  de  Vigny  a  idéalisé  l'image  de  ce  marin,  traité  actuel- 
lement avec  plus  de  rigueur  par  la  critique  anglaise. 

Je  dois  me  borner  à  citer,  par  leur  titre,  les  deux  chapitres,  le  Sym- 
bolisme de  Vigny  et  Hugo  et  Vigny  :  quelques  divergences.  Mais  aux 
lecteurs  qui  ont  la  curiosité  — et  c'est  le  grand  nombre  aujourd'hui 
—  de  rechercher  les  sources  de  la  pensée  d'un  poète,  je  proposerais 
comme  modèle  l'excellente  et  tout  à  fait  originale  étude  intitulée  «  Le 
Songe  de  Jean  Paul  dans  le  Romantisme  français  ». 

Je  voudrais,  dans  ce  compte-rendu,  beaucoup  trop  borné  malgré  son 
étendue,  avoir  donné  au  moins  une  idée  de  l'érudition,  de  la  finesse, 
ei  de  la  nouveauté  qui  caractérisent  la  critique  de  M.  Baldenspergcr, 
toutes  les  fois  qu'il  touche  à  un  des  points  de  son  large  domaine. 

Ernest  Dupuy. 


d'histoire  et  de  littérature  333 

—  Sous  le  titre  \'ita  ed  arte  ellenistica  (Catanc,  Muglia,  iqio;  39  p.),  M.  Cessi 
publie  une  lecture  qu'il  a  iaitc  a  rUnivcrsitc  de  Catane,  où  il  essaie  de  dépeindre 
la  vie  à  Alexandrie  et  les  tendances  et  goûts  des  lettrés  à  l'époque  des  Ptolémées, 
en  môme  temps  qu'il  expose  les  raisons  du  changement  survenu  dans  les  mœurs 
individuelles  et  sociales.  Vie  fiévreuse,  tourmentée,  avide  de  plaisir;  développement 
de  rindividualisme  et  du  cosmopolitisme;  pénétration  de  l'esprit  critique  et  de 
l'érudition,  du  rationalisme  et  de  la  virtuosité  dans  l'art  et  dans  la  littérature, 
tel  est  le  tableau  que  M.  C.  a  présenté  à  ses  auditeurs,  puis  à  ses  lecteurs,  en  un 
style  parfois  emphatique,  il  est  vrai,  mais  plein  de  vivacité  et  de  couleur.  La 
scène  des  Tlialysies  de  Théocrite  est  par  erreur  placée  au  printemps.  —  Mv. 

—  Les  quelques  pages  publiées  par  M.  Shorkv  dans  la  Classical  Philology,  V, 
I,  p.  83-96  (Chicago,  Univ.  Press,  1910),  sous  le  titre  A  Greek  analogue  of  the 
Romance  adverb,  attirent  l'attention  sur  une  manière  de  s'exprimer  très  fréquente 
en  grec,  et  qui  semble  n'avoir  pas  été  suffisamment  étudiée.  11  s'agit  de  l'expres- 
sion d'une  circonstance  de  manière  à  l'aide  d'un  adjectif  et  d'un  substantif,  au 
datif,  combinaison  qui  a  la  valeur  d'un  adverbe,  et  est  analogue  aux  adverbes 
romans  formés  avec  l'ablatif  de  mens.  Le  substantif  ainsi  employé  («pevt,  6u|i.w, 
ToÔTti),  /Epî,  TroSi,  tû/T),  etc.)  perd  son  sens  propre,  et  n'a  d'autre  effet  que  (^e 
donner  une  valeur  adverbiale  à  l'adjectif,  quoique  en  d'autres  cas  nombreux  il 
conserve  sa  signification,  plus  ou  moins  atténuée,  et  qu'alors  la  périphrase  con- 
tienne une  nuance  très  sensible  qui  n'est  pas  dans  l'adverbe.  M.  Shorey  n'a  voulu 
que  signaler  le  fait.  Il  ne  faudrait  pas,  toutefois,  exagérer  la  portée  de  son  obser- 
vation, car  l'analogie  de  cette  construction  en  grec  ancien  avec  les  adverbes  romans 
de  manière  est  plus  superficielle  qu'elle  ne  le  parait  au  premier  abord.  —  Mv. 

—  Un  de  nos  meilleurs  Cicéroniens,  le  D''  Hcrmann  Nohl,  a  eu  l'heureuse  idée  de 
publier,  chez  Tempsky-Freytag,  un  petit  manuel  [Hilfslieft)  destiné  à  initier  rapi- 
dement les  écoliers  à  la  lecture  du  grand  orateur  (94  p.  i  "").  Neuf  courts  chapitres  : 
Vie  de  Cicéron;  le  droit  civique  romain;  la  politique  et  les  partis;  le  sénat  et 
l'assemblée  du  peuple;  le  Cursus  Iwnorum;  les  procès  politiques  à  Rome;  le /orwm 
romain;  aperçu  sur  le  développement  de  la  plastique  grecque;  table  chronolo- 
gique. 26  gravures  choisies  avec  goût;  mais  où  l'on  s'étonnera  que,  dans  une 
série  où  ne  manquent  ni  les  statues,  ni  les  monnaies,  etc.,  il  n'y  ait  aucune  image 
de  Cicéron.  C'est  trop  de  discrétion  vraiment.  Souhaitons  pour  nos  élèves  quelque 
pendant  français  à  ce  petit  livre.  —  É.  T. 

—  J'ai  indiqué  l'an  dernier  (II,  p.  3i5)  que  M.  Meusel  avait  repris  dans  les 
Jahresbericlite  les  comptes  rendus  réguliers  des  publications  qui  concernent  César. 
Il  vient  de  donner  en  34  p.  la  recension  des  publications  de  191 1  (en  tout  i5  ; 
noms  principaux  :  MM.  Holmes,  Klotz,  Menge,  Fûgner  et  Lange).  On  retrouvera 
dans  ces  pages  les  qualités  qui  s'ajoutent  à  la  compétence  particulière  de  M.  M. 
et  qui  recommandent  au  lecteur  tout  ce  qu'il  veut  bien  nous  donner,  une  pleine 
impartialité  sans  opinion  préconçue,  une  conscience  scrupuleuse  et  un  soin 
extrême  jusque  dans  les  moindres  détails,  dans  les  livres  de  classe  comme  dans 
les  ouvrages  proprement  scientifiques.  Cette  nouvelle  contribution  lui  donne  droit 
à  tous  nos  remerciements.  —  E.  T. 

—  Dans  The  Classical  Quavterly  de  janvier  1912,  le  professeur  S.  G.  Owen 
d'Oxford  étudie  les  manuscrits  de  Perse  et  de  Juvénal  à  Vaienciennes.  Il  les 
décrit  méthodiquement  et  les  caractérise  ensuite  de  la  façon  suivante  :  le  manus- 
crit de  Juvénal,  quoique  appartenant  à   la  classe  w.  cependant,  s'accorde  en  maint 


3?4  REVUE    CRITIQUE 

passngc  avec  P  contre  <o  et  comiciu  Jes  leçons  particulières  qui  méritent  d'ctrc 
notées.  Pour  Perse,  le  manuscrit  iJc  X'alcncicnncs  a  une  importance  considérable 
parce  qu'il  s'accorde  en  plusieurs  passages  avec  P;  parce  qu'il  offre  en  général  la 
leçon  correcte;  entni  parce  qu'en  certains  cas,  il  est  le  seul  à  suggérer  de  nou- 
velles leçons  qui  pourraient  bien  i}trc  la  leçon  véritable.  Les  collations  partielles 
sont  faites  sur  la  2'  édition  d'Oxford  de  M.  Owcn,  le  Perse  étant  pourvu  des  nou- 
veaux secours  que  fournissent  les  éditions  nouvelles  de  Ramorino  (igoS),  de 
Léo  (1910)  et  de  Consoii  (1911).  Après  ces  listes,  remarques  sur  un  certain 
nombre  de  passages.  —  E.  T. 

—  Nous  avons  reçu  des  lirresdedroit  dont  voici  brièvement  le  contenu  :  i.dans  la 
Bibliothèque  de  Teubncr  un  nouveau  fascicule  des  Jurispnidentiae  antcjustinia- 
nae  rcliquiae  de  l'éd.  \'I  de  E.  Seckf.i-  et  B.  Kueblkr,  vol.  11,  i,  188  p.,  191 1, 
2  m.  20.  On  y  trouvera  de  Paul,  les  Scnteiitiae  et  les  fragments;  de  Herennius 
Modcstinus,  les  Regulae  et  les  Diffeventiae;  entin  des  fragments  que  les  récents 
éditeurs  ajoutent  à  leur  recueil  {Dejtirefisci,  de  gradibus  cognationis,  etc.)  tout 
ce  que  j'ai  lu  m'a  paru  très  soigné  et  digne  du  recueil  dont  le  petit  livre  fait 
partie.  —  2,  D""  juris  Gerhard  Beski.kr  privatdozenten  in  Kiel.  Zweites  Heft, 
181  p.  in-S"  à  Tubinguc,  chez  Mohr  :  Beitrdge  pir  Kritik  der  rômischen  Reclits- 
quellnt.  N'ayant  pas  le  premier  tome,  je  ne  pourrais  guère  comprendre  ce  qu'a 
voulu  l'auteur;  voici  tout  au  moins  le  contenu  du  volume.  D'abord  en  19  pages, 
discussion  d'un  passage  des  Institutions  de  Gaius  et  de  divers  textes  du  Digeste  ; 
puis  remarques  sur  les  termes  suivants:  Abalienave,  Adiiltevare,  Amave  (adv.), 
Ambigere,  Bencvolentia,  Benignitas,  Citra,  Cogère  ad  aliqiiid,  ColUgere  {—  conclu- 
dere);  Coiidicionales,  condicionaliter,  Condictius,  Consonaus,  consonare,  Consti- 
tuere  actionem  (judicium),  Consulere  =  prospicere,  Culpae  (doli)  reus  ;  Cur,  Date 
=  permittere,  concedere;  Deciirrere  ad  aliquid,  Dcscendere,  Dissonare,  dissonus, 
Hodie  (=  heutzutage)  Hujuscemodi,  Indemnis,  indemnitas,  Necesse  liabere,  Reme- 
diiim,  Rite  (116  p.);  enfin  43  p.  sur  quelques  questions  de  droit.  —  3.  De 
M.  Fridolin  Eisele,  professeur  à  Fribourg  en  Brisgau,  à  qui  on  doit  plusieurs 
études  de  droit  romain,  une  plaquette  intitulée  :  Studien  zur  rômischen  Rechts- 
geschichte,  106  p.  in-8,  3  m.,  chez  Mohr  à  Tubingue.  Deux  chapitres  :  Ziim  Streit 
nm  das  Nexum  (5i  p.);  Nochmals  ^iir  Zivilitât  des  Cognitor.  Pour  la  première 
partie,  voici  dans  la  polémique  de  Mitteis  et  de  Huschke  le  point  de  vue  de 
M.  Eisele.  Il  constate  d'abord  que  la  partie  critique  et  négative  de  la  thèse  de 
Mitteis  a  rencontré  plus  de  faveur  que  son  essai  de  restitution  qui  a  échoué  ;  en 
reprenant  les  objections  de  Mitteis  contre  Huschke,  M.  Eisele  soutient  et  cherche 
à  démontrer  qu'elles  n'étaient  pas  convaincantes.  La  seconde  partie  est  encore  une 
polémique  contre  Mitteis  qui  a  soutenu  que  le  rôle  du  Cognitor  est  d'origine  pré- 
torienne. M.  E.  croit  trouver  dans  certains  textes  la  preuve  indirecte  qu'il  existait 
déjà  dans  le  droit  civil.  —  E.  T. 

—  M.  E.  Thomas,  professeur  à  l'Université  de  Lille,  publie  chez  Fontemoing,  une 
troisième  édition  de  son  Pétrone.  Le  livre  a  été  remis  au  courant  et  l'auteur  y  a 
ajouté  un  chapitre  d'une  vingtaine  de  pages  sur  les  Sources  de.  Pétrone  et  les  Nou- 
velles dans  le  Satiricon.  —  C. 

—  La  Société  archéologique  et  historique  de  l'Orléanais,  l'une  de  nos  plus  impor- 
tantes sociétés  savantes  départementales,  vient  de  publier  le  tome  XXXIll  de  ses 
Mémoires.  Nous  signalerons,  comme  présentant  une  sérieuse  contribution  à  l'his- 
toire économique,  un  volumineux  travail  de  l'archiviste  Ch.  de  Be.\ucorps  (463  p.), 
ayant  pour  titre  :   Une  province  sous  Louis  XIV,  L'Administration  des  Intendants 


d'histoire  et  ue  littérature  335 

dOrlcaiis,   de    C.reil,    Jiibcrt  de  lioiivillc,  et   de    /cT    linnrdoiiiiaye  (1G86-1713;.  — 
C.  E.  R. 

—  M.  S.  MoRPURGO,  directeur  Je  la  Bibliothèque  Nationale  de  l''lorence,a  imaginé 
un  moyen  original  Je  secourir  nos  inondés  de  19 mv.  il  publie  et  traduit  avec  l'aide 
de  M.  J.  I.uchaire,  au  profit  des  bouquinistes  des  bords  de  la  Seine,  un  sirventois 
inédit  d'Ant.  Pucci,  un  chapitre  du  Centiluqtiiu  du  même  et  quelques  sonnets,  le 
tout  relatif  au  débordement  qui,  en  i  333,  désola  Florence.  On  trouvera  dans  l'élé- 
gant opuscule  (chez  H.  Champion;  i  fr.  5o)  une  description  touchante  du  cata- 
clysme; nombre  d'habitants  n'ont  pas  le  temps  de  s'enfuir,  d'autant  qu'à  chaque 
instant  un  pont  s'écroule  et  qu'on  n'ose  y  laisser  passer  les  fuyards  qu'un  à  un  ;  ils 
montent  sur  le  toit  de  leurs  maisons  d'où  leur  pied  peut  toucher  l'eau  ;  certains 
pauvres  se  réjouissent  des  dommages  essuyés  par  les  riches;  certains  Grands 
tâchent  de  tirer  parti  de  la  catastrophe  contre  le  peuple;  pourtant,  au  lendemain 
du  désastre,  ce  qui  prévaut,  c'est  le  repentir,  la  reconnaissance  envers  Dieu  qui  n'a 
pas  poussé  le  châtiment  jusqu'au  bout,  la  charité  :  le  malheur  a  pour  un  moment 
purifié  Florence.  —  Ch.  Dejob. 

—  Sous  le  titre  de  Dicerie  volgari  de!  secolo  XIV  aggiinite  in  fine  del  '<  Fior  di 
virtii  »  di  Carlo  Frati,  on  nous  envoie  lô  rubriques  de  rhétorique  diplomatique 
et  judiciaire.  Le  ms.  du  Fior  di  Virtii  qui  les  contient  et  qui  se  trouve  à  la  Biblio- 
thèque Bertoliana  de  Vicence  est  un  des  plus  anciens  et  des  plus  estimables  de 
l'ouvrage;  de  ces  formules  dont  l'origine  est  évidemment  bolonaise,  on  nous  donne 
ici  une  édition  critique.  —  Ch.  Dejob. 

—  11  y  a  beaucoup  de  documents,  mais  qui  n'ont  guère  qu'une  valeur  de  cir- 
constance, dans  le  volume  que  M.  Att.  Bargoni  vient  de.  consacrer  à  la  mémoire 
de  son  père  Angolo  Bargoni,  homme  politique  italien  mort  en  1902  (Milan, 
Hoepli,  igii);  v.  pourtant  p.  24-5  le  moyen  pris  par  des  prisonniers  politiques 
pour  avertir  leurs  amis  encore  libres;  p.  i63-4,  la  façon  vraiment  paternelle  dont 
Garibaldi  empêche  un  duel  entre  deux  de  ses  admirateurs  ;  et  l'on  ne  lira  pas 
sans  profit,  p.  1 3o  sqq.,  l'exposition  des  motifs  qui  amenèrent  le  dictateur  à 
rembarquer  pour  le  Piémont  La  Farina,  l'agent  de  Cavour  auprès  des  Mille, 
ainsi  que  les  p.  140  sqq.  sur  les  difficultés  de  gouvernement  que  Garibaldi  vain- 
queur rencontrait  en  Sicile.  A  défaut  d'originalité,  la  figure  de  Bargoni  ne  manque 
pas  d'intérêt  :  il  y  a  de  la  vigueur  dans  ses  discours  politiques  (v.  p.  ex.  contre 
des  députés  qui  donnent  leur  démission  parce  que  la  Chambre  donne  tort  à  leur 
parti,  p.  207-213,  et  en  faveur  de  la  marche  sur  Rome  en  1870,  p.  3i3  sqq.).  Un 
procès  calomnieux  lui  a  valu  un  triomphe  (p.  284-7),  ^^  dans  les  7  mois  qu'il  a 
été  ministre  de  l'Instruction  Publique,  il  a  pris  quelques  bonnes  mesures 
(p.  277-80).  On  s'étonne  seulement  qu'un  homme  qui  n'avait  pas  fait  baptiser  ses 
enfants  par  respect  pour  leur  liberté,  ait  exigé  à  son  lit  de  mort  que  son  fils  aîné 
lui  promît  de  mourir  sans  prêtre  (p.  379).  —  Charles  Dejob. 

—  L'Histoire  de  l'Italie  depuis  i  8 1 5  jusqu'au  einquantenaire  de  l'unité  italienne 
(191 1),  par  M.  Félix  Henneguy,  est  tout  à  fait  à  sa  place  dans  la  Bibliothèque 
utile  de  M.  F.  Alcan.  L'auteur  l'a  écrite  dans  un  esprit  peut-être  un  peu  optimiste, 
mais  avec  une  précision  qui  unit  l'abondance  et  la  sobriété.  On  n'adoptera  pas 
tous  ses  jugements.  Ce  n'est  pas  pour  défendre  le  Tyrol  et  Trieste  que  la  Prusse 
arma  en  1859,  puisque  Napoléon  lll  avait  promis  l'afiranchissement  de  l'Italie 
jusqu'à  l'Adriatique  et  non  jusqu  à  l'Isonzo  et  au  Quarnero.  Mais  la  narration  est 
rapide,  intéressante  et  embrasse  les  faits  économiques  comme  les  faits  politiques. 
Nous  recommandons  cet  excellent  manuel.  —  Ch.  Dejob. 


336  REVUE    CRITIQUE 

—  M.  li.  Kiissi  donne  en  appendice  à  la  2*  cdit.  des  Poésies  d'Ange  Politien 
(Bologne,  Zanichelli),  les  sonnets  attribués  au  poète  de  Montcpulciano,  dont  un 
seul  parait  authentique  ;  il  les  a  collationnés  sur  les  éditions  antérieures  et  sur 
les  manuscrits  et  les  fait  précéder  d'une  liste  des  critiques  qui  les  ont  jusqu'ici 
étudiés.  —  Gh.  Dejob. 

—  La  maison  Teubner  de  Leipzig  nous  envoie  une  anthologie  scolaire  de 
poésies  italiennes  qui  ne  trouvera  guère  son  emploi  chez  nous,  vu  que  les  notes 
explicatives  y  sont  rédigées  en  allemand  et  en  anglais.  L'auteur,  M.  Alf.  Tortori, 
l'a  composée  pour  ses  élèves  de  Munich.  — Ch.   Dejob. 

—  M.  P.  Sii-VA,  dont  nous  annoncions  récemment  l'intéressant  livre  sur  Pietro 
Gambacorta,  vient  de  faire  tirer  à  part  un  article  qu'il  a  consacré  à  une  autre 
question  de  l'histoire  de   Pise,  les  vicissitudes  de  l'industrie   et  du  commerce  de 

-la  laine  (extr.  des  Studi  storici  de  M.  Crivellucci,  vol.  XXX).  IJArte  délia  Laiia, 
qui,  en  1277,  s'était  élevé  au  niveau  des  deux  Mercan^ie  pour  former  avec  elles 
le  conseil  supérieur  de  la  cité,  et  qui  seul  provoquait  de  grands  mouvements  de 
capitaux,  déchut  assez  rapidement  pour  qu'en  1420  les  Parisiens  lui  fissent 
grâce,  vu  sa  pauvreté,  du  paiement  des  taxes.  C'est  la  rivalité  de  Florence  qui 
l'avait  tué  ;  il  a  bien  essayé  de  se  défendre  par  des  mesures  de  douane  ;  mais  il  y  a 
rencontré  une  vive  opposition  de  la  part  des  métiers  qui  vivaient  du  transit  des 
marchandises  florentines.  M.  S.  parait  incliner  à  croire  que  ces  rivalités  expliquent 
toutes  les  péripéties  sanglantes  de  Pise  à  cette  époque;  elles  les  expliquent  du 
moins  en  partie  ;  et  M.  S.  en  aurait  pu  tirer  une  leçon  pour  les  philanthropes  naïfs 
qui  croient  que  le   commerce  garantit  nécessairement  la  paix.  —  Charles  Dejob. 

—  M.  Ad.  CosTER  qui,  dans  ses  courts  loisirs  de  professeur  à  Chartres,  a  trouvé 
moyen  de  devenir  un  de  nos  plus  laborieux  hispanisants,  vient  de  tirer  à  part  le 
curieux  article  qu'il  avait  donné  à  la  Revue  des  Pyrénées  :  Antiquaires  d'autrefois 
(Toulouse,  Privât,  191 1,  i  fr.).  11  a  découvert  à  la  Nationale  de  Madrid  des  lettres 
qui  ressuscitent  un  brave  ecclésiastique  toulousain  du  xvii"  s.Fr.  Fiihol,  dont  les 
collections  en  livres,  médailles,  curiosités  naturelles  et  artistiques,  excitèrent 
l'admiration  du  riche  amateur  espagnol  Don  Vincenzio  Juan  de  Lastanosa,  de 
Baltasar  Gracian  et  de  quelques  autres  savants  de  la  péninsule.  M.  C.  donne  un 
aperçu  des  raretés  que  ces  antiquaires  étaient  parvenus  à  réunir.  On  trouvera 
dans  les  lettres  qu'il  publie  d'utiles  détails  sur  le  prix  des  livres,  des  reliures  et 
sur  la  difficulté  des  transports  au  xvii^  s.,  et  l'on  souhaitera  à  M.  C.  des  fonctions 
qui,  en  récompensant  son  zèle,  lui  donnent  les  moyens  de  nous  en  faire  encore 
davantage  profiter.  —  Charles  Dejob. 

—  M.  A.  D'Ancona  nous  donne  sous  le  titre  de  Studi  di  storia  e  di  critica 
letteraria  (Bologne,  Zanichelli,  1912,  2  vol.:  7  fr.),  une  2*^,  on  pourrait  dire 
une  3«  édition  de  cinq  études,  très  étendues,  très  importantes  et  très  soignées  ; 
Vidée  de  limité  politique  che:{  les  poètes  italiens  ;  la  littérature  politique  au 
temps  de  Charles  Emmanuel  /*■•■  (de  Savoie),  Cecco  Angelieri,  poète  humoriste  du 
xiiic  siècle:  les  sources  du  Novellino;  la  légende  de  Mahomet  en  Occident. 
Publiées  d'abord  séparément  puis  réunies  en  1880,  elles  reparaissent  aujourd'hui 
avec  des  corrections,  des  additions  et  quelques  autres  changements  que  l'auteur 
indique  dans  sa  préface.  C'en  serait  assez  pour  occuper  les  loisirs  d'un  autre 
savant;  pour  M.  D'Ancona,  ce  n'est  qu'un  délassement  parmi  les  productions 
nouvelles  qu'il  prépare.  —  Charles  Dejob. 

—  Dans  les  Mémoires  de  l'Académie  hongroise  ont  paru  :   1°  E,   Kallôs,  Notes 


d'histoire  et  dk  littérature  337 

et  remarques  sur  Arcliiloque.  I.  Triincires,  Tctrainùtrcs,  l'",légies  ^Biuhipest,  191  i, 
102  p.,  S").  Sous  ce  li;ie  modeste,  M.  Kallos  nous  donne  une  édition  critique  des 
fragments  d'Archiloque  avec  un  commentaire  historique,  littéraire  et  philologique 
où  toutes  les  questions  soulevées  par  les  fragments  sont  discutées  et  élucidées. 
Depuis  l'édition  de  Licbel  (V'ienne,  1812)  aucun  commentaire  de  ce  genre  n'a  paru 
sur  Archiloque.  Le  mérite  de  M.  Kallôs  est  d'avoir  soumis  à  un  examen  minutieux 
les  nombreuses  dissertations  qui  ont  paru  depuis  un  siècle  et  les  corrections  dont 
le  texte  fut  l'objet  depuis  la  quatrième  édition  des  Poetac  lyrici  graeci  de  Bergk. 
Un  second  fascicule  complétera  ce  travail  méritoire  qui  constituera  le  commen- 
taire le  plus  copieux  que  nour  ayons  sur  Archiloque.  —  2°  E.  Maui-kr,  L'impor- 
tance historique  des  papyrus  aramcens  d'Assouan  et  d'Elephantine.  (Ibid.,  29  p., 
iS**).  Après  avoir  jeté  un  coup  d'œil  sur  les  découvertes  faites  en  Orient  dans  ces 
dernières  années,  M.  Mahler  déinontre  la  valeur  historique  des  documents  trouvés 
à  Assouan  et  à  Eléphantine  et  les  examine  surtout  au  point  de  vue  chronolo- 
gique. Les  dates  qu'on  trouve  dans  ces  papyrus  sont,  d'après  lui,  tout  à  fait  con- 
formes au  calendrier  babylonien.  Il  résulte  de  cette  constatation  que  la  colonie 
juive  dont  on  connaît  l'existence  grâce  à  ces  documents,  n'a  pu  s'y  établir  qu'après 
58-,  date  de  la  destruction  du  premier  temple  de  Jérusalem,  car  avant  l'exil,  les 
Juifs  ne  connaissaient  pas  encore  le  calendrier  babylonien.  Ceci  nous  aide  à  com- 
prendre les  données  relatives  aux  contrats  de  mariage  et  à  la  juridiction.  Cette 
colonie  juive  formait  une  unité  religieuse,  mais  elle  n'avait  pas  de  caractère  poli- 
tique, car  elle  fut  gouvernée  par  des  prêtres  d'Elephantine.  Coïncidence  bizarre  : 
la  destruction  de  leur  temple  eut  lieu  au  même  mois  de  Tamous  que  celle  du 
Ternpie  de  Jérusalem.  —  3"  Alexandre  Kégl,  Emir  Khosrev  (Ibid.,  44  p.,  8°). 
Étude  sur  le  célèbre  poète  persan  qui  a  écrit  en  quatre  langues.  Une  partie  de  ses 
œuvres  fut  éditée  à  Lucknon  en  1874  en  lithographie,  le  reste  se  trouve  en  manus- 
crit au  British  Muséum  et  à  Oxford.  M.  Kégl  s'attache  surtout  à  démontrer  la 
beauté  et  la  variété  de  ses  poésies  amoureuses  et  en  donne  de  nombreuses  traduc- 
tions. Le  texte  original  se  trouve  transcrit  dans  les  notes.  M.  Kégl  a  complété  ce 
mémoire  par  une  étude  sur  le  même  poète  insérée  dans  Biidapesti  Si^emle,  octobre 
191 1 .  —  1.  K. 

—  Le  travail  de  M.  D.  Gagyhv  sur  les  Troubadours  {A  troubadourok.  Budapest, 
Lampel,  s.  d.  (1912)  96p.  in-8°)  est  im  essai  de  vulgarisation.  Il  n'y  a  là  ni  notes, 
ni  références.  L'auteur  remonte  très  haut,  à  l'origine  même  de  la  poésie  lyrique 
en  France  et  retrace,  d'après  les  manuels,  le  rôle  des  troubadours,  raconte  la  \ie 
de  plusieurs  d'entre  eux  et  esquisse,  dans  un  dernier  chapitre,  la  renaissance  de 
la  poésie  provençale  au  xix«  siècle.  Aubanel  et  Roumanille  sont  caractérisés  briève- 
ment. Mistral  est  traité  assez  longuement.  La  parenté  avec  Gœthe  et  Petôti  que 
M.  Gagyhy  mentionne,  aurait  dû  être  démontrée  par  quelques  exemples.  En 
somme,  lecture  attachante  pour  ceux  qui  veulent  s'initier  à  la  poésie  provençale. 
—  I.  K. 

—  M.  Ernest  FiNâczv  vient  de  publier  une  brochure  sur  la  Pédagogie  d'Helvé- 
tius  (Budapest,  191 1,  34  p.  in-S")  qui  repose  sur  une  lecture  att^entive  des  Œuvres 
complètes  du  philosophe,  sur  la  biographie  récente  de  Keim  et  sur  les  apprécia- 
tions de  quelques  critiques  français.  M.  Finâczy  insiste  sur  l'elTet  produit  par  son 
ouvrage  De  l'Esprit  et  fait  voir  que  les  raisons  alléguées  par  Helvétius  contre  l'en- 
seignement des  langues  classiques  sont,  au  fond,  les  mêmes  dont  on  se  sert 
aujourd'hui  dans  les  attaques  contre  le  latin.  M.  Finâczy  combat  Helvétius  qu'il 
trouve   dépourvu   d'idéal,  mais  qui  a  tout  de  même  sa  place  marquée  dans  l'his- 


338  REVUE    CRITIQUE 

toirc  Je  la  pciilapogie  piircc  que,  le  premier,  il  ;i  ciciiioiilrc  riiiriuence  de  la  vie  qui 
nous  cutourc,  sur  l'cJucation.  —  I.  K. 

—  M.  Héla  l.âzâR  auquel  nous  devons  une  belle  biographie  —  en  français  —  du 
peintre  hongrois  Ladislas  de  Paal  et  une  élude  sur  («auguiii,  \ieiit  de  publier  un 
essai  sur  Courbet  et  son  influence  à  l'ctrangev  (Paris,  Floury,  1911,  9G  p.,  in-40, 
111.)  où  il  démontre  l'intlucnce  du  maître  français  sur  les  trois  grands  peintres 
hongrois.  Munkâcsy,  l.cibl  et  Szinyei-Merse.  Selon  M.  Lâzâr,  c'est  l'Exposition 
universelle  de  1867,  puis  celle  de  Munich  de  1869  qui  ont  agi  puissamment  sur  ces 
trois  artistes  dont  le  premier  a  déployé  son  activité  à  Paris,  le  deuxième  en 
Bavière  et  le  troisième  en  Hongrie.  Tous  les  trois  reçoivent  l'impulsion  de  Cour- 
bet et  ils  la  reçoivent  dans  leur  jeunesse  et  la  gardent  toute  leur  vie.  Le  grand 
enseignement  que  le  jeune  Munkâcsy  retire  de  l'observation  des  œuvres  de  Cour- 
bet, ce  l'ut  la  théorie  de  l'unité  de  couleur  ;  il  demeura  toujours  fidèle  à  la  recher- 
che des  effets  plastiques  et  ainsi  l'influence  de  Courbet  fut  décisive  pour  toute  sa 
vie.  Son  Dernier  jour  d'un  Condamne  qui  obtint  la  médaille  d'or  au  Salon  de  1870 
montre  le  mieux  cette  influence,  l.eibi  que  M.  Arsène  Alexandre  déclare  le 
premier  peintre  allemand,  fut  également  le  disciple  de  Courbet  ;  Szinyei-Merse, 
l'initiateur  du  plein-air  en  Hongrie,  longtemps  méconnu,  aujourd'hui  classé  parmi 
les  premiers,  a  subi  son  influence  indirectement.  Le  livre  de  M.  Lâzâr  est  orné  de 
plusieurs  reproductions;  on  y  remarquera  surtout  celles  des  tableaux  de  Courbet 
qui  se  trouvent  à  Budapest  et  qui  peuveiit  intéresser  les  historiens  de  fart  français. 
—  I.  K. 

—  M.  R.  Gragger  nous  envoie  une  brochure  sur  les  Sources  et  la  parente  de  la 
ballade  de  Scliiller  :  La  Caution  (Budapest,  1911,  20  p.,  in-S").  C'est  une  bonne 
contribution  à  l'étude  comparée  de  cette  légende  dont  on  trouve  deux  types,  l'un 
en  Orient,  l'autre  en  Occident,  et  qui  se  sont  développés  chacun  à  sa  façon. 
M.  Gragger  énumère  les  différentes  rédactions  et  prouve  que  Schiller  a  connu  les 
deux  types,  le  type  occidental  par  les  écrivains  latins,  le  type  oriental  soit  par  le 
récit  de  Cardonne  (Mélanges  de  littérature  orientale,  1770)  soit  par  les  Palmblut- 
^É")- de  Herder  et  Liebeskind  (1786).   — L  K. 

—  M.  Jean  Csengeri  qui  excelle  dans  les  traductions  d'auteurs  grecs  et  latins,  vient 
de  publier  la  suite  de  son  Euripide  hongrois  en  vers  [Euripides  dràmdi.  Budapest, 
Académie,  191  i,  qSb  p.,  in-i6).  Ce  volume  contient  ;  Alkestis,  Ion,  les  deux  Iphi- 
génies  et  les  Bacchantes.  L'Introduction  est  un  abrégé  de  celle  que  nous  trouvons 
en  tète  de  l'édition  de  l'Hippolyte  parue  dans  la  Collection  des  Classiques  grecs 
et  romains,  avec  le  texte  grec.  Ici  nous  n'avons  que  la  traduction;  chaque  pièce 
est  précédée  d'une  courte  notice  et  accompagnée  de  quelques  notes  à  l'usage  du 
grand  public.  M.  Csengery  a  pris  pour  base  le  texte  de  Wecklein,  mais  les  travaux 
de  Weil,  Bruhn,  Dalmeyda  et  d'autres  lui  ont  fourni  quelques  corrections.  La  tra- 
duction, dans  le  rythme  de  l'original,  est  réussie  sous  tous  les  rapports.  —  I.  K.    .. 

—  L'Académie  hongroise  a  fait  traduire,  pour  sa  collection  destinée  au  public 
lettré,  l'ouvrage  de  A.  E.  Gardner  :  Ancient  A\.\\ç.n%  [A  régi  Atlie'n.  I.  Budapest, 
Académie,  191  i,  x-264  P-;  in-i6,  111.).  L'ouvrage  de  Gardner,  qui  fut  directeur  de 
l'Ecole  anglaise  d'Athènes  de  1887  à  1895,  est  classique  en  Angleterre.  La  traduc- 
tion hongroise  très  coulante,  est  due  à  M.  Martin  Schmidt;  elle  fut  revue  par  l'af- 
chéologue  M.  Lâng  qui  l'a  fait  précéder  d'une  courte  préface.  Le  volume  contient 
80  illustrations  empruntées,  en  partie  seulement,  à  l'original;  les  autres  provien- 
nent de  photographies  plus  récentes.  —  I.  K. 


d'histoire  et  de  littérature  339 

—  Tous  ceux  qui  s'occupent  d'études  magyares  savent  quels  services  impor- 
tants l'Académie  hongroise  rend  aux  savants  par  la  publication  de  travaux  qui, 
s'adressant  à  un  public  restreint,  ne  trouveraient  pas  d'éditeur.  C'est  encore  elle 
qui  édite  la  plupart  des  revues  savantes  du  pays,  de  sorte  qu'elle  est  une  des 
principales  maisons  d'édition,  pour  la  propagation  de  la  science  en  langue 
magyare.  La  plus  grande  partie  de  ses  ressources  est  absorbée  par  cette  noble 
tache.  Pour  montrer  son  activité  dans  les  22  dernières  années,  elle  vient  de 
publier  un  Répertoire  alphabétique  non  seulement  de  toutes  ses  publications 
(livres  et  mémoires),  mais  aussi  de  tous  les  articles  contenus  dans  les  revues  édi- 
tées par  elle.  Cet  inventaire  dressé  avec  le  plus  grand  soin  constitue  une  source 
précieuse  de  renseignements  bibliographiques  et  n'a  pas  moins  de  1,188  pages. 
(Budapest,  Académie,  191 1). —  I.  K. 

—  Le  tome  XLV  de  V Annuaire  de  la  Société  Kisfahidy  {A  Kisfaludy-Tdrsasdg 
évlapjai,  Budapest,  Franklin,  191  1,  263  pages  in-8°)  contient  le  compte-rendu  de  la 
séance  solennelle  du  5  février  1911,  des  poésies  de  Jakab,  Bârd,  Kozma,  Szâvay 
et  Hegedûs  et  les  études  littéraires  suivantes  :  Frédéric  Riedl  :  Les  influences 
ambiantes  dans  les  poésies  de  Petôfi  (ce  sont  le  réveil  du  sentiment  national  vers 
1840  et  les  idées  démocratiques  de  l'époque);  B.  Alexander  :  La  Tragédie  de 
l'homme  (à  propos  du  cinquantenaire  du  poème  dramatique  deMadâch);  Le  jubilé 
Mikszâth  Discours  de  Beôthy)  ;  Inauguration  du  monumicnt  de  Jean  Arany  à 
Nagy-Kôrôs  (par  le  môme)  Sigismond  Nagy  :  Le  Lucifer  de  Vondel  ;  A.  Bân  :  Lé 
poème  esthonien  Kalivipoëg  (traduction  en  vers).  Nécrologies  de  Szùry,  de  Miks- 
zâth, de  Giuseppe  Cassone  (traducteur  italien  de  Petôfi),  de  Kalona,  et  Bigault  de 
Casanove  (traducteur  de  Madâch,  de  Katona  et  de  Rakosi).  Bibliographie  des  ouvra- 
ges publiés  par  la  Société  Kisfaludy  de  i83i  à  igio.  —  I.  K. 

—  Le  docteur  J.  Armitage  Robinson,  doyen  de  Wells,  a  entrepris  sous  le  titre 
modeste  de  Notes  et  documents  une  étude  archéologique  sur  l'abbaye  de  West^ 
minster,  dont  le  quatrième  fascicule  vient  de  paraitre  {The  Abbot's  Hoiise  at 
Westminster,  Cambridge,  University  Press,  in-8'',  84  pp.).  On  y  voit,  grâce  aux 
très  intéressantes  pièces  que  M.  J.  A.  R.  a  pu  réunir,  comment  la  demeure  de 
l'abbé  a  été  bâtie  et  s'est  transformée  au  cours  des  siècles.  Des  plans  et  des  gra- 
vures accompagnent  le  texte  et  l'illustrent.  —  Ch.  B. 

—  La  collection  des  Cambridge  Manuals  of  Science  und  Literature  s'est  enrichie 
de  deux  nouveaux  livres.  M.  W.  L.  Jones  étudie  la  légende  du  roi  Arthur  et  des 
chevaliers  de  la  table  ronde  {King  Arthur  in  History  and  Legend,  Cambridge, 
University  Press,  191 1,  145  pp.,  in-i8)  et  le  professeur  W.  R.  Sorlev  a  essayé 
d'écrire  un  manuel  de  morale  \>x-a.ù(\ue{T  lie  Moral  Life  and  Moral  Worth,  146  pp.). 
Ces  deux  petits  ouvrages,  qui  sont  destinés  au  grand  public,  pourront  rendre  des 
services.  Il  est  regrettable  pour  les  lecteurs  français  que  M.  W.  L.  J.  n'ait  pas  jugé 
à  propos  d'insister  davantage  sur  le  roi  Arthur  dans  notre  littérature  du  moyen 
âge.  Le  dernier  chapitre  intitulé  «  Arthur  dans  la  littérature  anglaise  »,  parait 
bien  maigre.  Quant  k  M.  Sorley,  il  faut  le  féliciter  d'avoir  pu,  suivant  le  mot  de 
La  Bruyère  qu'il  a  choisi  pour  devise  de  son  travail,  «  dire  simplement  de  grandes 
choses  »,  en  d'autres  termes  donner  un  résumé  très  clair  et  très  impartial  des 
principales  questions  d'éthique.  Son  robuste  optimisme  est  réconfortant.  —  Ch.  B. 

—  A  signaler  l'étude  très  consciencieuse  du  D""  William  Schonack  sur  Religio 
Medici,  le  journal  intime,  pourrait-on  dire,  de  Sir  Thomas  Browne,  médecin  à 
Harwich  au    xvu»  siècle.   Le  titre  seul  de  l'étude  Sir   Thomas   Brownes  Religio 


300  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

.\fcdici.  ein  verschoUeucs  Dcnkinal  des  lùiglischett  Deismtis  CTûbingen,  Mohr,  191  i, 
.S7  pp.,  in-12'  cil  indique  la  tenJnnce.  Trois  chnpitres  :  biographie  de  Sir  Thomas 
Brownc,  analyse  de  son  ouvrage,  jugements  des  critiques.   —  Ch.  B. 

—  M.  Manfred  Eimer  a  étudié  avec  beaucoup  de  soin  les  rapports  de  Byron  et  de 
Sheliev  {Die  persônlichen  Beifiehungett  ^wisclien  Byron  inid  den  Shelleys,  Eine 
Kritische  Studie,  Heidelberg,  191 1,  Winter,  in-8»,  i  5o  pp.,  4  M.  20).  Entre  autres 
documents  il  utilise  les  lettres  de  Jane  Clairmont  publiées  il  y  a  quelques  années. 
Le  livre  comprend  six  chapitres,  qui  nous  promènent  dans  les  ditTcrentes  villes 
où  les  deux  poètes  ont  pu  se  rencontrer  aux  bords  du  lac  Léman,  à  Venise,  à 
Ravcnne,  à  Pisc.  L'auteur  ne  paraît  pas  connaître  la  thèse  de  M.  Koszul. — 
Ch.  B. 

—  M.  W.  J.  CoL'RTHopE,  chargé  par  «  l'Académie  britannique  »  de  prononcer 
le  discours  annuel  sur  la  poésie  anglaise  (Warton  Lecture  on  English  Poetry)  a 
choisi  pour  sujet  l'élément  romanesque  dans  la  littérature  {Tlie  Connexion  between 
Ancient  and  Modem  Romance,  London,  Fiowde,  in-8°,  16  pp.,  1  s.).  A  signaler  la 
définition  précise  du  mot  <■  1  omantic  »,  qui  prête  souvent  à  des  erreurs  d'interpré- 
tation. —  Ch.   B. 


Académie  des  Inscriptions  et  Bei.les-Lettks.  —  Séance  du  12  avfil  igi2.  — 
M.  Henri  Cordier  annonce  qu'il  a  reçu  deux  lettres  de  M.  de  Gironcourt,  l'une  de 
Bamba,  3o  janvier,  et  l'autre  de  Gao,  10  février.  A  la  première  sont  jointes  les 
copies  de  sept  manuscrits  arabes  et  une  nouvelle  pièce  relative  aux  origines  peules. 
Dans  la  seconde,  M.  de  Gironcourt  annonce  qu'il  a  pris  3ii  estampages  d'inscrip- 
tions localisées  dans  un  certain  nombre  de  nécropoles,  surtout  entre  Bourem  et 
Gao.  Ce  sont  là,  pour  la  plupart,  non  des  stèles  de  grande  taille,  comme  à  Bentia^ 
mais  des  objets  fort  anciens  de  pierre  polie  (polissoirs,  mortiers,  pilons)  qiii 
portent,  gravées,  des  écritures  souvent  tînes  et  témoignant  d'un  art  assez  pré- 
cieux. Ces  objets  ont  été  pour  la  plupart  détournés  de  leur  destination  et  de 
leur  emplacement  et  employés  dans  les  temps  modernes  à  la  parure  des  sépul- 
tures des  tributs  maraboutiques  touareg  Kel  es  Souk  et  CherifFen  nomadisant 
dans  ces  régions.  Il  doit  vraisemblablement  s'agir  de  monuments  venus  de  l'Adrar. 
—  Outre  les  estampages,  la  seconde  lettre  de  M.  de  Gironcourt  contient  la  copie 
de  sept  autres  manuscrits. 

M.  Paul  Girard  signale  une  découverte,  faite  par  M.  ArvanitopouUos,  éphore  des 
antiquités  de  Thessalie  et  de  Phthiotide,  dans  les  ruines  de  Pagasae,  près  de  Volo. 
Il  s'agit  de  deux  nouveaux  dépôts  de  stèles  peintes;  vingt  de  ces  monuments  ont 
déjà  été  exhumés  et  vont  augmenter  la  collection  de  monuments  analogues  du 
Musée  de    Volo,   qui    compte  déjà  plus  de  200  stèles  funéraires  du  même  genre. 

M.  Perrot,  secrétaire  perpétuel,  donne  lecture  d'un  mémoire  de  M.  R.  Vallois, 
intitulé  :  Attiques  détiens;  étude  sur  Varchitectuye  de  l'âge  lielténistique  à  Délos. 

M.  Jérôme  Garcopino  fait  une  communication  sur  Oslie  dans  l'Enéide.  — 
iMM.  Perrot  et  Salomon  Reinach  présentent  quelques  observations. 

Léon  Dorez. 


V imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon. 


Le  Pny,  imp.  Marchesson.  —  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon,  S'''. 


REVUE    C  l<  1 T I Q  U  E 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N°  18  -  4  mai.  -  1912 


Louis  Havet,  Manuel  de  critique  verbale.  —  Diobouniotis  èl  Harnack,  LesscolieS 
d'(3rigène  sur  l'Apocalypse.  —  Heikel,  Le  Constantin  d'Eusèbe.  —  Recueil 
otl'ert  à  l-'eilberg.  —  Beiiaghel,  Histoire  de  la  langue  allemande,  S"  éd.  —  Metz, 
Frédérique  Brion.  —  Price,  Le  symbolisme  des  nouvelles  de  Voltaire.  —  P. 
Bartii,  La  nature  dans  l'Obermann  de  Senancour.  —  \'.  Giraud,  Nouvelles 
études  sur  Chateaubriand.  —  Yovanovitch,  La  Guzia  de  Mérimée.  —  Sangnier, 
Lettres  de  Sainte-Beuve  à  Labilte.  —G.  Peli.issier,  Le  réalisme  du  rortiari- 
tisme.  —  H. -P.  Van  Tiegmem,  Le  mouvement  romantique.  —  De  Lannôy  et 
Van  der  Linden,  L'expansion  coloniale  de  la  Néerlande  et  du  Danemark.  — 
Arthur  Cmuquet  et  Michel  Bréai,,  Gabriel  Monod.  —  Baskerville,  Les  éléments 
anglais  dans  la  comédie  de  Ben  Jonson.  —  Sembower,  Charles  Cottoh.  —  A. 
Laurent  et  Martin-Dupont,  Le  Dickens  de  Chesterton.  —  pHOTiAbÊs,  Mere- 
dith.  —  DicK,  Meredith.  —  Denitie,  Luther  et  le  luthéranisme,  II,  p.  Paquier  et 
Bayol. 


Manuel  de  Critique  Verbale  appliquée  aux  textes  latins,  par  Louis  Havet, 
membre  de  l'Institut,  professeur  au  Collège  de  France.  Paris,  Hachette,  191 1. 
Prix  ;  5o  t'r. 

Ce  Manuel  est  sorti  d'un  cours  de  critique  verbale  professé  au  Col- 
lège de  France,  et  que  l'auteur  a  refondu  en  se  servant  des  notes 
recueillies  par  M"'^  Renée  Lafont  pendant  trois  années  consécutives. 
M.  Havet  s'est  proposé  de  donner  une  théorie  aussi  complète  que 
possible  de  la  «  faute  »  dans  les  textes  latins,  sans  s'astreindre  à  cor- 
riger chaque  fois  les  bévues  dont  il  dresse  le  recensement.  Son  livre, 
ainsi  qu'il  en  fait  lui-même  la  remarque,  ressemble  à  une  Pathologie 
plutôt  qu'à  une  Thérapeutique  :  «  La  maladie  seule  est  intéressante, 
ajoute-t-il  spirituellement,  là  où  le  malade  ne  court  aucun  risque.  » 
A  travers  la  série  de  transcriptions  par  où  nous  sont  parvenues  les 
œuvres  antiques  depuis  la  rédaction  des  originaux,  il  n'est  aucun 
texte  qui  ne  se  soit  émaillé  de  lapsus.  Constater  ces  erreurs  est  chose 
utile;  mais  en  reconstituer  la  genèse,  et,  grâce  à  la  confrontation 
d'un  grand  nombre  de  cas  similaires,  déterminer  les  conditions  où 
elles  ont  dû  se  produire,  voilà  une  enquête  de  haute  portée  scienti- 
fique, et  c'est  justement  celle  dont  M.  H.  établit  à  notre  usage  les 
résultats. 

Le  plan  de  l'ouvrage  est  le  suivant.  M  .  H  .  commence  par  indiquer 
les  principales  étapes  de  la  transmission  des  textes  latins,  les  alterna- 
Nouvelle  série  LXXIII  18 


342  REVUE    CRITIQUE 

tives  d'incuriosité  littéraire  et  de  «  renaissances  »  à  travers  lesquelles 
ils  nous  ont  clé  partiellement  conservés;  puis  il  aborde  son  objet 
propre.  Il  étudie  \cs  présomptions  de  faute,  et  il  en  analyse  en  une 
longue  suite  de  paragraphes  les  causes  multiples  [influence  du  con- 
texte :  influence  du  modèle,  personnalité  du  copiste;  fautes  princeps: 
fautes  issues  d'une  annotation,  etc.).  Un  dernier  chapitre  traite  la 
question  de  l'autorité  des  manuscrits,  de  la  méthode  par  laquelle  on 
les  classe,  et  des  pièges  qu'il  faut  éviter  en  établissant  ce  genre  de 
généalogie. 

On  est  stupéfait,  quand  on  réfléchit  au  nombre  d'opérations  intel- 
lectuelles —  non  point  spontanées  et  de  premier  jet,  mais  patientes, 
minutieuses,  subtiles  —  qu'il  a  fallu  pour  aménager  un  ouvrage  aussi 
dru,  où  presque  chaque  ligne  implique  manipulation  de  textes  et 
méditation  approfondie  sur  les  textes.  Combien  de  philologues, 
même  parmi  les  mieux  accoutumés  au  labeur  spécial  de  leur  disci- 
pline, auraient  osé  pareille  entreprise  ?  Les  Aduersaria  critica  de 
Madvig  résument  à  coup  sûr  d'immenses  lectures.  Mais  y  faisons- 
nous  autre  chose,  en  la  compagnie  de  l'illustre  critique,  qu'une  pro- 
menade instructive  et  divertissante  à  travers  les  méprises  des  scribes, 
vite  réparées  par  la  merveilleuse  ingéniosité  de  notre  guide  ?  Ici  les 
retouches  de  détail,  les  innombrables  indications  de  fautes,  sont  envi- 
sagées du  point  de  vue  d'une  psychologie  qui  ne  se  satisfait  pas 
d'améliorations  verbales  plus  ou  moins  chanceuses,  mais  qui  veut 
s'expliquer  à  soi-même  et  démonter  pour  autrui  le  mécanisme  mental 
d'où  l'erreur  est  sortie. 

Hérissé  de  références,  de  sigles  et  d'abréviations,  l'ouvrage  est  d'as- 
pect sévère,  et  même  un  peu  déconcertant  au  premier  regard.  Il  sup- 
porte cependant  une  lecture  continue,  et  l'intérêt  qu'on  y  prend  ne 
cesse  de  croître.  Le  spectacle  de  cette  virtuosité  qui  se  joue  si  allègre- 
ment dans  l'univers  des  lettres,  des  syllabes  et  des  mots  est  à  soi  seul 
un  plaisir.  Puis  on  se  rend  compte  très  vite  qu'il  n'y  a  point  là  fan- 
tasmagorie, combinaisons  arbitraires;  que  l'auteur  connaît  admira- 
blement, et  a  sans  cesse  présentes  à  l'esprit,  les  conditions  réelles  où 
ont  été  rédigées,  copiées,  transmises  à  la  postérité  les  œuvres  sur  les- 
quelles il  opère.  Voyez  par  ex.  p.  35  comment  il  explique  pourquoi 
les  anciens  citaient  volontiers  de  mémoire;  notez  aussi  tant  de 
remarques  judicieuses  —  et  indispensables  pour  la  claire  intelligence 
des  phénomènes  —  sur  les  variations  des  causes  d'erreurs  selon  les 
écritures  en  usage  à  chaque  époque,  selon  l'état  d'esprit  des  scribes, 
leurs  préoccupations  particulières,  etc.  Des  rapprochements  intéres- 
sants avec  certains  faits  constatés  chez  les  écrivains  modernes,  des 
réflexions  d'ordre  philosophique  (par  ex.  sur  le  rôle  de  la  «  conjec- 
ture »  dans  les  sciences  relatives  au  passé  humain  [p.  23],  sur  la  ten- 
dance des  copistes  à  substituer  aux  mots  concrets  des  mots  abstraits 
[p.  207],  etc.)  achèvent  de  diversifier  l'exposé. 


d'histoire  et  de  littérature  343 

Un  peu  d'inquiétude  naît  çà  et  là  dans  l'esprit  du  lecteur  :  c'est 
quand  M.  H.  compare  les  procédés  de  la  critique  conjecturale  à  ceux 
des  mathématiques,  de  l'algèbre  ou  de  la  physique  (p.  loi,  117,  i23). 
Mais  lui-même  ne  signale  les  analogies  que  pour  marquer  aussitôt 
les  différences,  et  pour  avouer  les  désavantages  de  la  science  dont  il 
définit  les  principes.  —  Ailleurs  ce  commencement  de  résistance  se 
fait  plus  obstiné.  Je  ne  puis,  pour  ma  part,  me  résigner  à  soupçon- 
ner une  faute,  de  par  les  «  lois  »  de  la  prose  métrique,  là  où,  dans 
telle  clausule  de  Cicéron,  le  sens  est  en  somme  parfaitement  accep- 
table (V.  g.  p.  27,  §  12  5).  C'est  qu'hélas!  comme  l'observe  un  peu 
plus  loin  M.  H.,  «  il  y  aura  toujours  des  gens  prêts  à  tolérer  dans 
Cicéron  la  Hn  de  phrase  redderem  si  possem  »  .' 

L'ouvrage  sera  précieux  pour  les  éditeurs  à  venir,  pour  ceux,  sur- 
tout qui  entreprendront  de  publier  à  nouveau  les  œuvres  des  comiques 
latins,  celles  de  Cicéron,  d'Horace,  de  Virgile,  de  Phèdre,  de  Juvénal, 
de  Symmaque,  chez  qui  M.  Havet  a  choisi  de  préférence  les  passages 
dont  il  illustre  ses  démonstrations.  Ils  y  trouveront,  rangées  à  leur 
place,  incorporées  à  leur  série,  une  foule  d'exégèses  de  détail,  dont 
le  prix  est  d'autant  plus  grand  que  chacune  d'elles  est  coniigué  à  beau- 
coup d'autres  de  la  même  espèce,  et  reçoit  de  ce  voisinage  un  sur- 
croît d'intérêt  et  d'autorité.  Cet  ample  répertoire  ne  vaut  pas  seule- 
ment par  la  méthode  rigoureuse  qui  en  a  tracé  les  lignes  et  organisé 
la  structure  ;  mais  il  vaut  aussi  par  ces  innombrables  explications 
partielles  où  M.  Havet  a  déversé,  outre  les  exemples  empruntés  à 
Madvig  et  à  Lindsay  et  à  bien  d'autres  critiques,  ses  notes  person- 
nelles, déjà  publiées  dans  la  Revue  de  Philologie  et  ailleurs,  ou  même 
entièrement  inédites. 

Ce  Manuel  combat  implicitement  d'un  bout  à  l'autre  l'erreur  cou- 
tumière  aux  débutants  en  philologie  (et  dont  beaucoup  de  ceux  qui 
s'y  croient  avancés  déjà  ont  quelque  peine  à  se  défendre  ou  à  s'atîran- 
chir)  :  celle  qui  consiste  à  imaginer  la  critique  textuelle  comme  l'art 
de  raccommoder  au  petit  bonheur  les  textes  endommagés.  On  se 
convainc,  à  le  lire,  qu'elle  n'est  point  un  jeu  frivole  où  triomphe  le 
plus  adroit,  mais  un  métier  difficile  où  il  faut  beaucoup  de  science, 
de  scrupule  et  d'observation. 

Je  ne  sais  malheureusement  si  les  débutants  compulseront  un  livre 
dont  les  dehors  sont  austères,  et  qui  coûte  5o  francs.  En  tous  cas 
grammairiens,  métriciens,  paléographes,  historiens  de  la  littérature 
latine  y  feront  un  ample  butin  ;  et,  pour  la  nouveauté  de  sa  méthode, 
l'originalité  de  certains  de  ses  aperçus  (par  ex.  sur  la  métrique  dra- 
matique) et  la  richesse  de  sa  documentation,  il  sera  accueilli  avec  le 
le  plus  grand  honneur  par  la  philologie  internationale. 

Pierre  de  Labriolle. 


344  REVUK    CIUTIQIIE 

Texte  iinJ  ('>ilcn!iicliii>i^'cii,  XX.W'III,  ?> .  —  Der  Scholien-Kommentar  des 
Origenos  zur  Apokalypse  Johannis  iiclist  ciiiein  Siiick  aus  Irenaeus,  lib.  V, 
("ir.iccc,  ciittlccUl  iiiul  licraiist^L^cbcn  von  Constantin  DrotiouNioTis  unJ  AdolF 
Harnack,  l.cip/.iiî,  J.-C.    Iliniichs,  lyii.  Prix  :  M.   3. 

Texte  und  Uutcrsiicliuiif:^e)i,  XXXVI,  4.  -  Kritische  Beitrasge  zu  den  Cons- 
tantiû-Schriften  des  Eussbius,  von  lv;>i  A.  IIi.ikki.,  1911.  l'rix  :  M.  3,.So. 

I.  M.  Diobouniotis,  privai-doccni  à  l'Université  d'Athènes,  a  ren- 
contré dans  le  manuscrit  du  couvent  «  Météoron  »,  en  Thessalie,  qui 
déjà  lui  avait  livré  l'ouvrage  d'Hippolyte  sur  les  h  Bénédictions  de 
Jacob  '  »  un  texte  de  VApocalypse  —  jusqu'au  chapitre  xiv,  5  —  qui 
se  trouve  partagé  en  sections  et  accompagné  entre  chaque  section  de 
scolies  plus  ou  moins  longues.  Ayant  communiqué  sa  trouvaille  à 
M.  A.  Harnack,  celui-ci  a  reconnu  que,  mis  à  part  les  deux  derniers 
morceaux  qui  sont  empruntés  (avec  bon  nombre  d'omissions)  au 
grand  ouvrage  de  saint  Irénée  ',  ces  scolies  doivent  être  restituées  à 
Origène.  Hypothèse  assez  hardie,  M.  Harnack  en  fait  l'aveu;  car  si 
Origène  exprime  dans  son  Commentaire  sur  Matthieu  (^  XLIX)  l'in- 
tention d'écrire  une  explication  de  VApocalypsc,  nul  témoignage  n'at- 
teste qu'il  ait  effectivement  réalisé  ce  projet.  Pourtant  le  contenu  de 
ces  paraphrases  paraît  imposer  cette  attribution,  M.  Harnack  le 
démontre  en  prenant  les  scolies  l'une  après  l'autre  et  en  les  analysant 
au  point  de  vue  de  l'idée  et  des  particularités  du  vocabulaire,  avec  sa 
maîtrise  accoutumée.  La  contexture  des  scolies  l'induit  à  penser 
qu'Origène  n'avait  rédigé  de  notes  spéciales  que  pour  les  cinq  pre- 
miers chapitres  de  VApocalypse,  et  que  celles  qui  se  réfèrent  aux  pas- 
sages suivants  ont  été  extraites  de  ses  œuvres  par  un  rédacteur  plus 
tardif",  lequel  n'y  trouvant  rien  pour  les  chapitres  xic  et  xm  s'est  tiré 
d'affaire  en  comblant  cette  lacune  à  l'aide  de  saint  Irénée. 

MM.  Diobouniotis  et  Harnack  publient  séparément  le  texte  de 
VApocalypse,  d'après  le  ms.  du  Météore,  et  les  scolies.  Un  certain 
nombre  d'observations  critiques  sur  ce  texte  font  suite  à  l'exposé  de 
Harnack. 

II.  M.  Heikel,qui  a  fait  paraître  en  1902  dans  le  Corpus  de  Berlin 
[Eusebius  Wcrke,  Bd  I),  la  Vie  de  Constantin  et  le  Panéf^yi^iqtie 
[Arj^rj-  Tp'.axovcasTTjp'.xôç)  du  même  empereur  par  Eusèbe  de  Césarée, 
ainsi  que  le  Discours  de  Constantin  à  V Assemblée  des  Saints,  a  voulu 
parachever  cette  édition  en  y  ajoutant  les  corrections,  remarques, 
améliorations  de  détail  que  lui  ont  suggérées  depuis  lors  ses  propres 
réflexions  ou  les  comptes  rendus  dont  son  travail  a  été  l'objet.  C'est 
ainsi  qu'il  complète  les  indications  critiques  qu'il   avait    fournies  sur 

1.  Publié  par  DiOBou:<roTis  et  Bonwetsch  dans  les  Texte  u.  Uiiters.,  xxxviir,  i 
(1911). 

2.  V,  xxviii,  2  jusqu'à  xxx,  2  {Pair .  grecque,  vu,  1198  et  s.).  Nous  ne  possé- 
dions jusqu'à  présent  ce  passage  d'Irénée  que  dans  la  version  latine,  sauf  pour 
quelques  fragments. 


d'histoire  et  de  littérature  343 

le  Marcianus  340  et  démontre  le  peu  de  confiance  que  ce  manuscrit 
mérite.  11  donne  aussi  les  résultats  d'une  nouvelle  collation  du  Vati- 
canits  149,  cl  il  étudie  le  rapport  des  deux  parties  qu'il  est  aisé  de 
discerner  dans  le  Aôyo-;  -o'.a-/.ovTaî-:T|p'.y.ô;.  —  Les  pages  les  plus  intéres- 
santes de  ce  fascicule  sont  celles  que  M.  H.  consacre  à  la  question  de 
lauthcniicité  du  Discours  à  V  Assemblée  des  Saints  fp.  2-49).  M.  H. 
nie  cette  authenticité.  Les  contradictions  que  sa  thèse  (qui  n'était 
point  nouvelle)  a  suscitées  n'ont  pas  réussi  à  l'en  dissuader,  et  il 
cherche  à  la  fortifier  par  une  analyse  détaillée  du  Discours,  où  il  ne 
veut  reconnaître  ni  le  style  de  Constantin  ni  le  tour  habituel  de  sa 
pensée.  Pour  lui  le  Discours  est  «  einc  rhetorische  Schularbeit  »,  et 
rien  de  plus. 

La  démonstration  de  Heikel  ne  me  parait  pas  absolument  convain- 
cante. 11  y  a  dans  la  Vie  de  Constantin  IV,  29)  '  un  curieux  passage 
oi^i  Eusèbe,  toujours  cpjrdu  d'admiration  à  l'égard  de  son  empereur, 
nous  dépeint  le  goût  de  celui-ci  poui-  l'éloquence  :  «  11  passait  beau- 
coup de  temps,  écrit-il,  à  confectionner  ses  discours  et  il  en  pronon- 
çait un  grand  nombre  en  public...  Quelquefois  il  convoquait  lui- 
même  l'assemblée  et  une  innombrable  multitude  se  pressait  pour 
entendre  un  roi  faire  métier  de  philosophe.  Si  dans  le  cours  de  son 
allocution  quelqu'occasion  s'offrait  à  lui  de  toucher  à  la  théologie,  il 
se  levait,  et,  composant  son  attitude,  modérant  sa  voix,  il  semblait 
initier  ses  auditeurs  aux  mvsières  de  la  doctrine  divine.  Les  acclama- 
tions éclataient-elles?  alors  il  leur  faisait  signe  de  lever  les  yeux  vers 
le  ciel  et  de  réserver  leur  admiration  et  leurs  louanges  au  Maître  de 
toutes  choses...  »  Il  faut  lire  aussi  la  suite.  Quand  on  s'est  bien  péné- 
tré de  cette  description,  tracée  par  un  maladroit  ami,  on  trouve  un 
peu  moins  surprenant  qu'un  comédien  de  cette  envergure  ait  donné 
dans  la  mauvaise  rhétorique  du  Discours  à  rassemblée  des  Saints. 

Pierre  dp:  L.\briollf.. 


Festskrift  til  H.   F.   Feilberg.  Graïui  in-8"  de  817    pp.   Copenhague,  G3'l<.lendal 
1911. 

Le  6  août  1911  le  pasteur  D'  H.  F.  Feilberg  fêtait  à  Askor  son 
80"  anniversaire.  A  cette  occasion  les  trois  sociétés  de  folk-lore 
Scandinaves:  «  Svenska  Landsmaalen  »  d'Upsal,  «  Maal-og-Minne  » 
de  Krisiiania,  «  Universitetsjubileets  danske  Samfund  »  de  Copen- 
hague, se  sont  entendues  pour  publier  en  l'honneur  du  vénérable 
savant  un  important  ouvrage  auquel  ont  collaboré,  on  peut  dire,  tous 
les  folk-loristes  du  Danemark,  de  la  Norvège,  de  la  Suède  et  aussi  de 
la  Finlande.  .le  ne  saurais,  cela  se  comprend,  donner  un  aperçu  des 
cinquante-cinq   articles  qui  composent   ce    recueil.   C'est,    après   un 

I.  ]]vAKEi.y  Euscbiiis  W'erkc,  \,  p.    128. 


346  REVUE    CRITIQUE 

0  essai  d'orieniaiion  sur  rcthnographic  de  la  Scandinavie  »  par  le 
prof.  Lundell  d'LJpsal,  comme  un  vaste  panorama  du  folk-lore  du 
Nord  :  toute  la  vie  du  peuple,  ses  dialectes,  ses  coutumes  et  ses 
mœurs,  de  la  naissance  à  la  mort:  ses  légendes,  ses  chants  et  ses  con- 
tes, ses  danses,  etc.,  etc.  Parmi  ces  études  je  signalerai  pourtant,  à 
cause  de  leur  particulière  importance,  celles  de  !..  Fr.  Lcirtler  sur 
«  l'arbre  toujours  vert  devant  le  temple  d'Upsal  »,  d'Ax.  Olrik  sur 
«  les  Mythes  de  Loki  »,  de  R.  Stetien  sur  «  Blaakulla,  la  déesse  de  la 
mort  y\  de  Kaarle  Krokn  sur  «  la  main  droite  deTyr  »,  d'Edv.  Leh- 
man sur  le  «  Totémisme  »,  de  Chr.  Blinkenberg  sur  «  l'arme  de 
foudre  et  sa  place  dans  l'archéologie  danoise  »,  de  N.  E.  Hammer- 
stedt  sur  les  «  restes  d'un  mythe  de  Frey  dans  une  cérémonie  du  ma- 
riage en  Suède  ",  de  Kr.  Bugge  sur  les  «  Usages  de  moisson  en  Nor- 
vège »...  J'en  passe  et  d'excellents.  Un  résumé  en  français,  à  la  tin 
du  livre,  permet  au  lecteur  étranger  qui  ignore  les  langues  Scandina- 
ves d'en  connaître  au  moins  les  idées  et  les  faits  essentiels.  M.  Feil- 
berg  peut  être  fier  de  cette  magnifique  manifestation  de  sympathie.  Il 
sait  bien,  d'autre  part,  que  de  nombreux  étrangers  eussent  été  hono- 
rés de  s'y  associer.  Personnellement,  je  suis  heureux  d'avoir  au  moins 
cette  occasion  de  lui  renouveler  l'assurance  de  mon  affectueuse  admi- 
ration. 

Léon  Pineau. 


Geschichte  der  deutschen  Sprache  von  Otto  Behaghel  (Grundriss  der  germa- 
nischen  Philologie  hgb,  v.  II.  Ptiul).  3.  Aufl.,  Strasbourg,  Trùbncr,  191 1.  lii-S", 
x-334  pp., 6  m. 

C'est  le  premier  volume  de  la  troisième  édition  du  Grundriss  édité 
par  M.  Paul.  Mais  ce  volume  est  plus  qu'une  nouvelle  édition,  c'est, 
comme  le  dit  l'auteur,  un  livre  nouveau.  Si  le  plan  est  resté  intact,  de 
nombreuses  additions  et  quelques  corrections  ont  modifié  l'aspect  de 
l'ouvrage. 

Les  germanistes  connaissent  le  caractère  de  ce  livre.  Ils  savent  que 
ce  qui  en  fait  l'originalité,  c'est  l'étude  non  seulement  de  la  formation 
de  l'allemand  littéraire  (Schriftsprache),  mais  de  l'évolution  des  faits 
linguistiques  dans  les  principaux  dialectes.  Que  ce  but  ne  puisse  être 
tout  à  lait  atteint,  on  s'en  rend  aisément  compte.  Les  dialectes  cons- 
tituent une  masse  énorme  et  insuffisamment  connue  encore.  M.  B. 
s'est  attaché  à  présenter  les  faits  les  plus  importants  et  les  plus  caracté- 
ristiques. C'est  vraiment  une  vue  générale  de  l'évolution  de  la  langue 
allemande  depuis  Ylirdeutsch  jusqu'à  nos  jours  que  nous  trouvons 
dans  ce  livre  si  plein,  si  sûr  et  qui  était  si  diflficile  à  faire. 

Certes,  il  est  permis  d'estimer  que  des  progrès  peuvent  être  réalisés 
encore;  M.  B.  lui-même  le  croit  sans  doute  et  se  propose  de  le  faire 
dans  la  prochaine  édition  qu'il  donnera  de  son  ouvrage.  Celui  qui 
tiendra  à  cœur  à  quelques-uns  de  ses  lecteurs,  c'est  l'explication  phy- 


d'histoire  et  de  littérature  347 

siologique  des  phénomènes  phonétiques.  Un  exemple  fera  comprendre 
la  portée  de  cette  observation.  Nous  lisons  au  .^  292  que  la  spirante  ch 
a,  dans  l'alemanniquc  actuel,  le  son  de  Vach-  Laut  après  toute  voyelle 
et  après  /  et  r,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  pour  le  reste  du  haut-allemand, où 
après  les  voyelles  palatales,  comme  après  /  et  r,  le  ch  a  la  valeur  de 
r/c7z-Laut.  Il  aurait  vraiment  peu  coûté  à  M.  B.  de  formuler  ici  une 
loi  qui  aurait  satisfait  la  curiosité  de  maint  lecteur.  11  lui  suffisait  d'ex- 
pliquer la  naissance  de  T/c/î-Laut,  son  récent,  par  la  palatalisation  de 
l'ancien  tzc/i-Laut  après  un  son  palatal.  Du  coup  était  apparente  la 
raison  d'un  fait  qui  n'est  pas  sans  intriguer  les  esprits  réfléchis,  je 
veux  dire  la  coexistence  en  allemand  littéraire  moderne  de  deux  sons 
différents  représentés  par  la  graphie  unique  ch.  En  même  temps  l'au- 
teur aurait  fait  comprendre  pourquoi,  dans  quelques  dialectes,  ch  est 
devenu  palatal  lorsqu'il  suit  un  a  issu  d'un  ai  ancien  {wàch,  blàch  = 
ji'eich,  bleichi  :  c'est  le  vod  de  la  diphtongue  ancienne  qui  survit  dans 
r/f/z-Laut  contemporain  '. 

F.  Piquet. 

Adolf  Metz,  Friederike  Brion,  Eine  neue  Darstellung  der  «  Geschichte  in 
Sesenheim  ».  Munich.  Bcck,  igii.  Prix  :4  m. 

L'aspect  élégant  du  livre  de  Metz  pourrait  tromper  le  lecteur  en 
semblant  annoncer  un  récit  romanesque,  à  l'usage  des  gens  du 
monde,  des  amours  de  Gœthe  et  de  Frédérique  Brion.  Tel  n'est  pas 
le  but  de  l'auteur.  Il  discute  des  textes,  vérifie'  les  faits  et  les  dates, 
détruit  les  légendes.  Ceux  qui  espéraient  une  poétique  histoire  seront 
déçus;  ceux  qui  veulent  tout  simplement  de  l'histoire  seront  au 
moins  en  partie  satisfaits. 

Une  première  légende  attaquée  par  Metz  est  celle  que  créa  Gœthe 
lui-même,  lorsque,  dans  Fiction  et  Vérité,  cédant  au  double  désir 
d'idéaliser  le  réel  et  de  justifier  sa  propre  conduite,  il  arrangea  le 
récit  de  son  idylle  avec  la  fille  du  pasteur  de  Sesenheim.  A  cette  fic- 
tion aussi  ingénieuse  et  gracieuse  qu'intéressée,  Metz  oppose  la  vérité 
telle  qu'on  peut  l'établir  avec  des  documents  authentiques  de  l'époque 
même,  c'est-à-dire  avant  tout  avec  la  correspondance  de  Goethe  des 
années  1770  et  1771  et  celles  de  ses  poésies  qu'il  est  permis  de  croire 
inspirées  par  Frédérique.  Cette  confrontation  est  faite  avec  une  pré- 
cision extrême,  avec  une  attention  à  laquelle  rien  n'échappe  et  en 
même  temps  avec  une  finesse  d'analyse  qui  explore  non  sans  bonheur 
les  recoins  de  l'àme  de  Gœthe.  Tout  en  approuvant,  dans  cette  partie 
du  travail,  la  méthode  de  l'auteur  et  en  se  ralliant  à  ses  conclusions, 
l'on  peut  cependant  ne   pas  accepter  tous  ses  arguments.    Lorsque, 

I.  Le  Dntck/ehlerteit/el,  ce  malin  démon  qui  hante  les  imprimeries  et  qu'aucun 
exorcisme  ne  peut  bannir,  a  joué  quelques  mauvais  tours  à  M.  Behaghel.  Voici 
trois  de  ses  méfaits:  p.  222,  1.  27  urdeucfsch  pour  urdeufsch;  p.  228,  !.  28  Aus- 
prache  pour  Aussprache;  p.  22r),  1.   18  lauigesetslich  pour  lautgeïet^lich. 


348  REVUE    CRITIQUE 

pour  ciablir  la  date  cl  rauthcniicitc  de  la  poésie  Nun  sit:{t  der  Ritter 
an  lieni  Ort,  où  il  est  question  d'un  repas  composé  d'jEufs  à  la  coque 
et  de  friture,  Metz   se    livre   a   des   considérations  sur  l'époque    où 
pondent  les  poules  et  sur  le   poisson  cuit  que   les  paysans  d'Alsace 
conserveraient  froid,  sa  démonstration  nous  parait  aussi  fragile  que 
la  coque  des  icufs.   Nous  n'oserions  pas  davantage  faire  état  d'une 
poésie,  Erwachc.  Friederikc,  que  xMetz  attribue  à  Gœihe,  mais  qui 
nous  semble  fortement  «  tripatouillée  »  par  Lenz.  N'est-ce  pas  aussi 
aller  trop  loin  que  de  nier  tout  simplement,  à  lenconire  de  Fiction  et 
Vérité,  le  voyage  à  Strasbourg  de  M"'°  Brion  avec  Frédérique  et  une 
autre  de  ses  tilles?  Metz  raisonne  ainsi  ;  En  examinant  l'emploi  du 
temps  de  Gœthe  en   1771,  nous  ne  trouvons  que  le  mois  de  juillet 
pour  y  placer  le   séjour  de   M"i=   Brion   à   Strasbourg;  or  en  juillet 
M""'  Brion  devait  être  retenue  à  Sescnhcim  par  les  travaux  de  la  mois- 
son ;  donc  son  voyage  est  une  pure  invention  de  Gœthe.  Admettons 
(ce  qui  ne  nous  paraît  pas  certain)  qu'il  faille  placer  ce  voyage   au 
mois  de  juillet.  La   moisson  aurait  été  un  empêchement?  Mais  ne 
peut-on   pas  supposer  que  M'"^  Brion  ait  eu  un  motif  urgent  de  se 
rendre  à  Strasbourg?  Ce  motif  n'aurait-il  pas  pu  être  le  désir  d'obtenir 
une  explication  décisive  de  la  part  de  Gœthe  que  la  famille  sentait  lui 
échapper  et  qui  s'apprêtait  à  retourner  à   Francfort  en   rompant  de 
véritables  Hançailles?  La  sollicitude  pour  Frédérique,  que  l'abandon 
menaçait  de  tuer,  ne  devait-elle  pas  l'emporter  sur  le  souci  de  pré- 
sider en  personne  à  la  rentrée  du  blé? 

Dans  les  parties  suivantes  du  livre  Met/,  contrôle  avec  sagacité  les 
lettres  et  les  poésies  où  Lenz  se  montre  marchant,  au  presbvtère  de 
Sesenheim,  sur  les  brisées  de  Gœthe;  il  réunit  ce  qu'il  est  possible  de 
savoir  de  la  suite  de  l'existence  de  Frédérique,  puis  il  s'attaque  à 
une  seconde  légende,  à  celle  qui  a  menacé  de  souiller  -la  mémoire  de 
la  gracieuse  Alsacienne.  Ses  efforts  sont  dirigés  surtout  contre 
Froitzheim  qui  a  prétendu  dévoiler  en  Frédérique  une  héroïne  de 
scandales,  mère  de  plusieurs  enfants.  Cette  défense  d'une  femme 
contre  ses  accusateurs  posthumes  est  méritoire  à  notre  avis,  non  seu- 
lement parce  qu'elle  est  chevaleresque,  mais  aussi  parce  qu'elle  est 
un  acte  de  justice.  Les  nombreux  témoignages  qui  proclament  la 
dignité  de  la  vie  de  Frédérique  ne  sont  pas  ébranlés  par  de  vagues 
racontars,  ni  même  par  les  documents  administratifs  sur  lesquels  on 
a  laborieusement  échafaudé  une  fable  de  maternités  répétées.  Malheu- 
reusement, si  le  généreux  champion  de  Frédérique  déploie  pour  elle 
toutes  les  ressources  d'une  dialectique  que  rien  ne  déconcerte,  il  gâte 
une  cause  excellente  par  l'intempérance  de  son  zèle.  Ce  n'est  plus  un 
historien  pondéré  qui  parle,  c'est  un  polémiste  en  courroux  qui 
refuse  à  ses  adversaires  la  bonne  foi  et  la  probité.  Nous  ne  saurions 
tolérer  qu'il  soupçonne  des  honimes  au  nom  vénéré,  Emile  Kuss,  l'an- 
cien maire  de  Strasbourg,  Edmond  Scherer,  Auguste  Neti'tzer,  d'avoir 


d'histoire  et  de  littérature  349 

calomnié  Frédériquc  pour  le  plaisir  d'exhaler  contre  ses  glorificateurs 
allemands  leur  bile  d'Alsaciens  hâbleurs  ci  renégats  (deutschfcind- 
liclies  Rcnegatengcjhinkcr  .  Que  Meiz  réserve  ses  colères  pour  les  pre- 
miers semeurs  d'un  grain  luneste,  pour  les  mauvaises  langues  comme 
le  pasicur  Schweppenhauser  qui,  sans  doute  afin  d'accabler  un  col- 
lègue catholique,  l'accuse  d'avoir  été  l'amant  de  F'rédérique,  pour  des 
inconscients  comme  le  pasieur  Jacques  Brion,  le  propre  neveu  de 
l'héroïne,  qui  prétend  avoir  de  ses  yeux  vu  le  bâtard  de  sa  tante,  pour 
Gœihe  lui-même  qui,  informé  des  propos  de  Scheweppenhauser, 
parla  de  cet  homme  avec  une  étonnante  mansuétude.  Mais  qu'il  traite 
avec  un  peu  plus  d'indulgence  des  gens  qui  sans  parti  pris  se  sont 
imaginé  qu'il  n'y  avait  point  de  fumée  sans  feu  et  des  chercheurs 
qu'ont  égarés  des  indices  inquiétants.  Quant  aux  sycophantes  avérés, 
la  meilleure  manière  de  les  confondre  est  de  mettre  la  vertu  et  la 
vérité  en  si  belle  posture  qu'elles-mêmes 

Versent  des  torrents  de  lumière 
Sur  ces  obscurs  blasphémateurs. 

Auguste  Ehrhard. 


William  Ralkigh  Piuci;.  The  Symbolism  of  Voltaire's  novels,  with  spécial 
référence  to  Zadig.  New-York,  The  Columbia  University  Press,  191 1;  in-12 
de  269  pages. 

Est-ce  bien  «  symbolisme  »  qu'il  faut  dire?  Et  n'est-ce  pas  plutôt 
les  allusions^  ou  même,  si  l'on  veut,  les  chiffres  des  contes  orientaux 
de  Voltaire,  que  M .  Price   s'efforce  de    dégager?    Recherche  intéres- 
sante et  opportune,  entreprise  ici  avec  une  connaissance  sérieuse  de 
la  biographie  littéraire  du  grand  écrivain,  un    peu  systématique  par- 
fois et  encline  à  oublier  l'élément  de  jeu,  de  badinage,   qui   ne  laisse 
pas  d'intervenir  même  dans  un  récit  secrètement  agressif  ou  railleur. 
Le  point  de  départ  véritable  de  M.  P.,  et  son  recours  presque  perma- 
nent, c'est  la  manie  voltairicnne   de    faire    des   calembours   sur  les 
noms   propres  ;  et    l'on    verrait  assez    bien  lé   développement  de  la 
p.  148  placé   à    la  p.   24.    Il  s'y  ajoute   le  dédain  de  Voltaire   pour  le 
roman  pur  et  simple,  qu'une  intention  secrète  lui  semble  seule  capable 
de  relever.  Ses  démêlés  avec  les  hommes,  les  pouvoirs,  les  idées,  font 
le  reste,  et  rien  n'est  plus   légitime  que  d'arracher  quelques  masques 
ou  de  mettre  d'autres  noms  sur  les  visages  grimés.  «   Un  ouvrage  qui 
dit  plus  qu'il  ne  semble  dire  »  :  cette  définition   préalable  de  Zadig 
par  son  auteur  s'applique  peu  ou  prou  à  tous  ses  récits,  mais  c'est  dans 
celte  histoire  que   se  rassemblent  le  plus  de  souvenirs  et  d'allusions, 
et  son  héros   mérite   bien  de  s'appeler  «  le  véridique  ». 

'i'rop  d'insistance  et  un  excès  d'ingéniosité,  à  l'occasion,  compro- 
mettent sur  quelques  points  les  résultats  curieux  auxquels  arrive  M. 
P.,    retrouvant  toute  une  série  de  faiis  privés  et  publics,  de  rancunes 


350  REVUE    CRITIQUE 

Cl  de  personnalités  dans  ces  libres  ci  souples  tlciions,  auxquelles  il 
seraii  iniéressani  d'ajouier  de  même  les  auires  romans  de  Voltaire  qui 
n'oni  pu  éire  examinés  ici  '. 

F.  Baldenspergkr. 


Paul  Barth,  Die  Naturschilderungen  in  Senancours  Obermann.  Halle,  Nie- 
incycr,   1911  ;  in-8"  de  viii-86  pages. 

Ce  travail  d'un  débutant  manifeste  quelque  gaucherie  dès  qu'il 
s'agit  de  faire  de  la  synthèse  historique  (cf.  les  pages  i  ci  2,  où  Ton 
nous  dit  tour  à  tour  qu'il  n'y  a  pas  de  révélations  brusques  en  litté- 
rature, et  que  Rousseau,  le  premier,  ou  lout  d'un  coup,  donna  à 
l'Europe  un  «  monde  nouveau  «).  Mais  il  témoigne  de  beaucoup  de 
conscience,  et  d'une  certaine  finesse  d'analyse,  dans  le  classement  et 
l'interprétaiion  des  paysages  de  Senancour.  Le  sens  aigu  de  la  o  per- 
manence »  naturelle  opposée  au  phénoménisme,  le  symbolisme  des 
choses  (avec  moins  de  panthéisme  que  n'en  suggère  M.  Barth  et  que 
n'en  comporte  le  rappel  trop  fréquent  de  Maurice  de  Guérin)  et  les 
correspondances  qui  incitent  Obermann,  avant  Amiel,  à  ne  trouver 
que  des  u  états  de  l'àme  »,  dans  les  plus  saisissants  paysages,  la 
marque  laissée  cependant,  en  mainte  page,  par  des  sites  définis  qui 
font  entrer  dans  la  littérature,  en  particulier,  de  hautes  régions  alpes- 
tres :  tout  cela  est  inventorié  et  catalogué,  avec  des  remarques  sou- 
vent ingénieuses  qui  rapprochent  de  ce  paysagiste  particulier  les 
Rousseau,  les  Bernardin  et  les  Chateaubriand. 

F.  Baldensperger. 


Victor  Giraud.  Nouvelles  Etudes  sur  Chateaubriand;  essais  d'histoire  morale 
et  littéraire.   Paris,  Hachette.  h)I2;  in-16  de  IX-335  pages. 

«  Peut-être,  sur  certains  points  de  détail,  mes  recherches  contribue- 
ront-elles à  diminuer  un  peu  la  part  d'inconnu  que  comporte  toujours 
l'étude  approfondie  d'une  haute  personnalité  littéraire.  C'est  là  toute 
mon  ambition,  et  c'est  aussi  tout  l'objet  de  ce  livre  ».  Si  l'on  excepte 
la  dernière  de  ces  études,  le  sillage  de  Chateaubriand,  qui  ne  laisse  pas 
d'être  «construite  »  surtout  en  surface',  le  nouveau  recueil  de  M. Giraud 
justifie  bien  cette  conclusion  de    son  avant-propos.  Il  est  certain  que 


1.  Gulo  suggère-t-il  de  lui-même  la  gloutonnerie  (p.  56)?  Les  sectes  anglaises 
se  faisant  équilibre  peuvent  être,  autant  que  la  Hollande,  impliquées  dans  la 
«  grande  famille  »  de  Bassora  (p.  71).  J'avoue  que  l'attribution  de  Pangloss  aux 
«  deux  Rousseau  »  me  semble  peu  satisfaisante  (p.  227).  Ecrire  Barbier  de  Mey- 
nard,  p.  80  et  rectifier  les  citations  des  p.  107  et  238. 

2.  il  serait  aisé  de  faire  une  sorte  de  relevé  contraire,  où  entreraient  autant  de 
noms  importants,  et  parfois  les  mêmes  noms,  à  d'autres  moments  qui  engagent  au 
moins  autant  une  vie  intellectuelle.  L'exemple  de  'Vigny,  en  particulier,  à  propos 
de  la  Maison  du  berger  et  de  la.  Sauvage,  confond  un  apparentement  tout  superli- 

.  ciel  avec  une  inspiration  qui  vient  d'ailleurs. 


d'histoire  et  de  littérature  35 I 

ces  pages,  qui  vont  de  la  publication  d'inédits  et  de  la  critique  de 
textes  à  la  vue  d'ensemble  sur  une  région  donnée,  mettent  en  forme, 
pour  le  plus  grand  bénéfice  de  lecteurs  attentifs,  les  résultats  de 
patientes  et  multiples  recherches.  La  Genèse  du  '<  Génie  du  Christia- 
nisme »  rassemble  méthodiquement  tous  les  éléments  que  devait  cris- 
talliser ce  livre  fameux,  hérédité  et  contingences,  dispositions  congé- 
nitales et  résultats  de  lectures  et  de  voyages  :  c'est,  à  vrai  dire, 
l'esquisse  du  livre  que  nous  sommes  endroit  d'attendre  de  M.  G.,  et 
je  n'y  vois  à  ajouter  que  des  compléments  assez  accessoires,  la  résis- 
tance probable  et  le  «  provincialisme  »  de  Chateaubriand  en  face  du 
Paris  de  1788,  sa  défiance  de  gentilhomme  breton  à  l'égard  de  la 
royauté  française  (c'est  là,  plus  que  l'influence  des  Encyclopédistes,  ce 
qui  le  rendra  si  tiède  en  91  ou  92).  Sur  quelques  points  encore,  le 
témoignage  des  Mémoires  d'outre-tombe  devr ah  être  contrôlé',  ou  du 
moins  transposé  de  la  fiction  à  la  réalité.  Les  pages  inédites  tiennent 
la  plus  grande  place  du  volume;  on  sait  quel  profit  un  commentaire 
ingénieux  et  averti  en  sait  tirer  pour  une  meilleure  connaissance  d'un 
homme,  d'une  œuvre,  d'une  influence  :  M.  G.  excelle  à  ce  genre  d'exé- 
gèse à  la  fois  érudite  et  subtile.  Mais  comme,  en  pareille  matière,  la 
précision  résulte  souvent  de  la  collaboration  de  fait  de  tous  ceux  qui 
détiennent   un  lambeau   de  vérité,    je  proposerai    quelques  addenda 

supplémentaires  ^. 

F.  Baldensperger. 

VoYSLAv  M.  YovANoviTCH.  «  La  Guzla  »  de  Prosper  Mérimée;  étude  d'histoire 

romantique.  Préface  de   M.  Augustin  Filon.    Paris,    Hachette,    191 1;  in-S"  de 
xvi-566  pages. 

Au  centre  de  cet  important  travail  —  thèse  de   l'université  de  Gre- 

1.  Les  états  de  service  militaire  du  chevalier  de  Combourg;  l'itinéraire  de 
Bruxelles  à  Trêves  en  1792  (comment  se  fait-il  que  dans  ÏEssai  (I,  lvu)  il  parle 
d'un  cabaret  où  il  est  entré  «sur  la  route  de  Mayence  à  Francfort  »  ?);  la  nature 
et  le  degré  de  son  ralliement  de  1798  aux  efforts  des  Princes  exilés,  etc. 

2.  Appendice  I,  le  «  Génie  du  christianisme  »  primitif.  Noter  p.  114  que  les 
Tablettes  romantiques  de  1823,  sans  doute  par  l'entremise  d'E.  Géraud,  donnèrent 
à  leur  tour  le  morceau-  intitulé  les  Rois  athées  (p.  3o)  en  regrettant  qu'il  n'ait  pu 
«  trouver  place  dans  les  ditiérentes  éditions  publiées  depuis  cette  époque  ». 

Appendice  II.  On  attendait  p.  i23,  à  la  note  i,  la  lettre  de  Boissonade,  26  juillet 
i83o,  publiée  par  l'Autographe  de  i863,  p-  239,  où  il  se  plaint  des  auteurs  «  vains' 
enHés,  glorieux  «,  à  propos  de  sa  révision  de  Vltinéraire. 

Appendice  III.  L'abbé  Guillon  avait-il  déjà  publié  ses  Entretiens  sur  le  suicide, 
qui  sont,  eux  aussi,  de  1802,  et  qui  opposaient  le  «  courage  philosophique  »  au 
«  courage  religieux  d  d'une  manière  qui  pouvait  intéresser  le  père  spirituel  de^^René  ? 

Appendice  IV.  L'édition  originale  d'Atala  est-elle  si  rare  ?  Je  puis,  en  tout  cas, 
être  ajoute  au  particulier  qui  en  possède  un  exemplaire. 

A  propos  de  la  note  de  Rivarol  citée  p.  i  16,  il  faut  remarquer  qui  si  c'est  à  Ham- 
bourg (donc  avant  septembre  r8oo)  qu'il  a  connu  le  titre  de  Génie  du  christianisme, 
nul  doute  que  Fontanes  ne  se  soit  servi  de  cette  formule  pour  désigner  un  livre 
qui  devait  tarder  à  recevoir  sa  désignation  détinitive.  Lire  Loth  p.  i3,  note  2; 
Oresiie  p.  325. Est-il  biensûr  (p.i4)que  le  Tristan  de  Wagner  verse  «  l'apaisement  »? 


3  52  RKVLE    CRITIQUE 

noble  —  il  y  a,  comme  le  titre  ramionce,  une  élude  sur  la  fameuse 
supercherie  de  Mérimée,  les  conditions  dans  lesquelles  elle  a  été 
exécutée,  la  nature  de  la  documentation  du  mvstitieateur  ;  mais  il  y  a, 
autour  de  cette  recherche  centiale,  un  tableau  fragmentaire  des  rela- 
tions de  la  France,  et  parfois  de  l'Occident  européen,  avec  le  folk-lore 
serbo-croate.  Mince  sujet  de  littérature  comparée,  pourrait-on  croire: 
mais  la  conscience  et  le  zèle  de  M.  Yovanovitch  ont  su  en  faire  quel- 
que chose  de  fort  utile  à  Thisioire  du  Romantisme,  avec  des  rattache- 
ments essentiels  à  l'oeuvre  de  dethe,  de  Nodier,  de  Rvron,  pour  ne 
citer  que  ceux-ci. 

Comment  certains  détails  d'ethnographie  illvrienne  passent  çà  et  là 
dans  le  champ  de  Taitention  occidentale;  comment  la  conception 
d'un  an  populaire  plus  énergique  et  caractéristique  s'impose  peu  à 
peu  à  la  littérature  :  tel  est  l'objet  des  premiers  chapitres.  Le  second 
ne  saurait  épuiser  la  question  :  il  n'est  même  pas  sûr  qu'il  en  marque 
d'une  façon  assurée  les  principaux  <>  paliers  »  en  s'en  tenant  à  l'influence 
d'Ossian  et  de  Percv,  et  la  persistance  de  curiosités  comme  celle  qui, 
chez  nous,  aboutiront  au  «  genre  troubadour  »  montre  bien  qu'il  est 
périlleux  de  simplifier  à  l'excès  l'histoire  des  modes  et  des  goûts. 
Quant  au  premier  de  ces  chapitres  d'introduction,  il  fait  naturellement 
la  plus  grande  place  au  FoKrt^''t-^  de  l'abbé  Fortis,  donne  de  curieux  ren- 
seignements sur  la  comtesse  de  Rosenberg  et  s'arrête  à  l'Illyrie  tran- 
çaisede  Napoléon:  nul  doute  que,  des  côtés  autrichien  et  italien,  il  n'y 
eût  encore  à  glaner  quelques  indices  épars  au  xviii^  siècle.  Le  «  vam- 
pirisme »  que  des  nécessités  de  construction  obligent  M.  Y.  à  indiquer 
seulement  p.  25  et  à  examiner  plus  tard  en  détail ',  a  passé  en  particu- 
culier  par  l'intermédiaire  d'observateurs  autrichiens.  Les  «  improvi- 
sateurs dalmates  »  dont  parle  M"^  Staël  dans  Corinne  pourraient  bien, 
de  leur  côté,  lui  avoirété  révélés  par  quelqu'une  de  ces  émules  italien- 
nes de  son  héroïne  qu'elle  rencontra  dans  la  Péninsule. 

Les  «  sources»  de  la  Gu\la  permettent  à  M.  Y.  d'exercer  une  ingé- 
niosité passionnée  et  une  érudition  très  avisée,  qui  dissocie  chacune 
des  pseudo-ballades  et  en  examine  tous  les  éléments.  Chose  curieuse  : 
il  ne  semble  admettre  nulle  part  que  Mérimée  ait  pu  devoir  des  indi- 
cations ou  des  encouragements  à  des  informateurs  en  chair  et  en  os, 
semblables  aux  Coraï,  Piccolos.  Mustoxidi  dont  s'aidait  Fauriel.  On 
voit  mal,  cependant,  des  traits  aussi  essentiels  et  particuliers  de  folk- 
lore slave  que    «  le  cheval  parlant  »  %  épingles  par   Mérimée   sur  la 

i.  Le  Mercure  galant  de  mai  lôgj»  risque  le  mot  de  Vpier^  pour  les  «  siryges  de 
Russie  ».  Et  c'est  le  Mercure  de  France  de  mai  1732  qui  lance  celui  de  ^WDnpirs 
avant  de  donner  le  rapport  des  chirurgiens  impériaux.  Cf.  sur  ce  sujet  le  JoiDiial 
étranger  de  juillet  1/38,  le  Discours  du  médecin  Rev  sur  les  vampires  de  Hon- 
grie (Ms  de  l'Académie  de  Lyon,  n»  i36),  une  Lettre  de  L.  M.  au  Bulletin  de 
Lyon,  12  août  1807,  "^'^  article  de  Nodier  dans  \e  Drapeau  blanc  du  2  juillet  1819. 

2.  Cf.  K.  Dieterich.  Die  osteuropàischcn  Litcraturcn  in  iliren  Hauptstromungen 
vergleiclieud  dargestellt.  Tùbingen,  1911,  p.  49. 


d'histoirk  et  de  littérature  355 

seule  suggestion  des  Chanls  f;rccs  :  M.  '\'.  ne  simplilic-l-il  pas  quel- 
que peu  la  quesiion  en  allliniani  (p.  263)  qu'«  en  tous  pa\s  la  poésie 
populaire  se  ressemble  »  ?  I,a  hiérarchie  des  seniinienis  qui  lient 
l'homme  à  son  entourage  suhii  au  contraire  Jes  variations  essentielles 
qui  laissent  au  moins  un  accent  particulier  à  tel  moli/dans  telle  pro- 
vince du  folk-lorc  :  la  restitution  de  cet  accent  ne  laisse  pasde  suppo- 
ser autre  chose  qu'une  documeniation  uniquement  livresque,  et  il  est 
permis  de  croire  que  le  Meiimée  de  1827  dut,  lui  aussi,  quelque  chose 
à  l'un  de  ces  réfugiés  orientaux  que  les  hellénistes  surent  mettre  à 
contribution.  La  Ballade  de  l'épouse  d'Asan-Agta  est  l'objet  d'un 
chapitre  spécial,  par  lequel  l'Allemagne  et  l'Angleterre  sont  intéres- 
sées à  une  curieuse  étude  des  traductions  et  des  adaptations:  Gœthe 
y  vient  en  bon  rang,  avant  de  reparaître  dans  la  dernière  partie  —  con- 
sacrée à  la  fortune  de  la  Gu\la  en  Occident  et  dans  les  pays  slaves  — 
à  propos  de  la  dédicace  de. Mérimée  et  de  la  facile  clairvovance  du 
maître  de  Weimar.  Et  ce  travail,  dont  la  <orme  fait  grand  honneur  à 
son  auteur,  témoigne  d'une  information  européenne,  en  matière  de 
ballade  romantique,  bien  digne  de  l'âge  héroïque  de  l'exotisme  litté- 
raire '. 

F.  Baldenspergkr. 

Lettres  inédites  de  Sainte-Beuve  à  Charles  Labitte  (1834-1845),  publiées, 
avec  une  introduction  et  des  notes,  par  Georges  Sangnier  (Extrait  de  la  Corres- 
pondance historique  et  arclicologique,  année  1911).  Paris,  Champion,  191 1  ;  in-S" 
de  79  pages. 

Ces  lettres,  adressées  par  le  grand  critique  à  un  jeune  ami  qui  mou- 
rut avant  d'avoir  pu  donner  toute  sa  mesure  d'érudit  et  d'historien  lit- 
téraire, sont  de  précieux  documents  pour  la  biographie  de  Sainte- 
Beuve.  Non  que  la  chronique  sentimentale  de  sa  vie  s'y  trouve 
intéressée;  M.  Sangnier  n'a  pas  hésité  à  supprimer  de  la  série  le  seul 
numéro  vraiment  confidentiel,  à  cet  égard,  de  cette  correspondance, 
et  c'est  le  travail,  l'œuvre  et  les  soucis  de  l'écrivain  ou  du  professeur 
qui  restent  seuls  en  jeu.  Sur  l'élaboration  de  Port-Royal,  sur  le 
détail  des  engagements  et  des  démarches  à  la  Revue  des  Deux-Mondes 
et  ailleurs,  sur  l'organisaiion  du  cours  de  Lausanne,  surtout,  toutes 
sortes  d'utiles  indications  nous  sont  fournies  par  ces  lettres,  dont  on 
aimerait  avoir  les  contre-parties  en  plus  d'un  endroit.  Mais  quel  dom- 
mage que  la  publication  en  soit  déparée  par  des  erreurs  de  lecture  évi- 
dentes et  faciles  à  éviter,  Jehan  de  Saintis  pour  Saintré  p.  25,  Ren- 
ducl  pour  Rœderer  p.    5o,  Bluie  pour  Bla^e  [de  Bury]  p.    54,  Lalu 

I.  Est-il  bien  sûr  que  les  initiales  M.  D.  V.  cachent  Marceline  Desbordes-Val- 
niore  dans  les  Annales  de  la  littérature  et  des  arts  de  182  i  (p.  108)?  Et  que 
l'intlucnce  de  Percy  soit  particulièrement  sensible  «  chez. les  poètes  elles  peintres 
du  noble  et  beau  mouvement  prcraphaéiisie  •>  (p.  123).-'  Ecrire  Zschokke  p.  86, 
note  ■•>.  Barlcvcorii  p.  2o3,  Hebbel  p.  355,  Fritz  Stapfer  (cousin  d'Albert)  p.  464» 
Scbuchardi  p.  468. 


354  REVDK    CRITIQUE 

pour  Fabre  p.  62,  ou  par  dos  commentaires  parfois  trop  discrets, 
comme  p.  ?7  où  la  pauvre  Marceline  est  simplement  traitée  de 
((  femme  du  réi^isseur  de  r(.)déon  »!  Sans  doute  faut-il  aussi  déplacer 
le  billet  n"  LV,  puisque  l'article  Thiers,  dans  la  Revue,  est  du  i5  jan- 
vier I  843. 

F.  Baldensperger. 

I. Georges  Pellissikr,  Le  Réalisme  du  Romantisme.  Paris,  Hachette,  igi  2  ;  in-i6 

de  3  I  3  pages. 
II.  P.  Van   Tieoiii:.n:,  Le  mouvement  romantique    Collection   L'Histoire  par  les 

contemporains).  Paris,  Hachette^  KJ12;  in-iG  de  viii-116  pages. 

I.  Nous  avions  le  Romantisme  des  classiques  d'E.  Deschanel,  et  des 
articles  de  Brunetière  sur  leur  réalisme  ;  on  s'est  souvent  préoccupé 
du  romantisme  des  réalistes,  et  de  ce  qui  subsiste  de  dispositions 
classiques  chez  les  romantiques.  Pour  que  ces  chasses-croisés  soient 
complets,  il  ne  manque  plus  que  le  classicisme  des  réalistes,  mainte- 
nant que  M.  Pellissier  a  examiné,  sous  l'angle  des  revendications  du 
naturel  et  du  vrai,  la  réforme  et  l'œuvre  des  principaux  romantiques. 
N'est-ce  pas  à  dire  que  de  telles  constructions  sont  un  peu  vaines,  et 
qu'il  y  a  dans  toute  œuvre  d'art  des  éléments  qui  peuvent  se  polariser 
autour  de  concepts  esthétiques  fort  divers?  L'essentiel  reste  de  déter- 
miner en  quoi  consiste  le  changement  dans  les  idées  et  les  goûts, 
pourquoi  les  «  valeurs  »  sont  soumises  à  de  successives  dépréciations, 
ce  que  signifient  au  plus  juste  les  programmes  et  les  écoles.  C'est 
l'analyse,  plutôt  que  des  synthèses  trop  rapides,  qui  peut  y  aider. 
Surtout,  il  faut  se  garder  de  donner  aux  mots,  à  la  fois,  un  sens  d'his- 
toire et  un  sens  de  théorie  esthétique  :  comme  le  dit  fort  justement 
M.  Pellissier,  «  on  méconnaît  le  romantisme  quand  on  n'y  voit  que 
les  extravagances  d'une  imagination  déréglée  :  on  fausse  de  même  le 
sens  du  mot  réaliste  quand  on  applique  ce  mot  aux  seules  œuvres  où 
sont  exclusivement  représentées  les  laideurs  et  les  misères  de  l'exis- 
tence humaine.  » 

C'est,  en  somme,  pour  s'être  conformé  assez  mollement  à  ces  justes 
exigences  que  M.  P.  ne  satisfait  qu'en  partie  ceux  de  ses  lecteurs 
qu'intéresse  le  développement  du  romantisme.  Il  suffirait  de  placer,  à 
côté  de  certains  de  ses  aperçus,  le  Style  poétique  de  M.  Barat,  la 
Presse  littéraire  dQ  M.  Des  Granges,  pour  faire  apparaître  tout  ce  qu'il 
y  a  de  «  construit  »  dans  un  livre  qui  vise  surtout  à  prendre  le  contre- 
pied  de  Brunetière,  qui  abonde  en  remarques  suggestives  et  en  rap- 
prochements ingénieux,  mais  qui  fait  trop  bon  marché  de  la  significa- 
tion des  idées  à  leur  date.,  et  qui  affecte  d'abandonner  aux  «  érudits  » 
tout  ce  qui  touche  aux  «  observations  »  et  aux  «  collections  »  préco- 
.  nisées  par  Sainte-Beuve.  «  Montrer  comment  le  romantisme  transforma 
la  conception  de  l'art  en  vertu  d'un  principe  éminemment  naturaliste, 
et  renouvela  d'après  ce  principe  tous  les  genres  littéraires  sans  excep- 


d'histoirk  tr  ut  littérature  355 

ter  le  genre  lyrique  »  :  la  démonstratioa  est  laite,  si  l'on  se  contente 
d'opposer,  aux  pauvretés  du  pseudo-classicisme,  le  pittoresque  et  la 
couleur  romantiques;  elle  ne  Test  pas,  si  l'on  songe  aux  sens  divers 
qu'a  pris  le  romantisme  frani;ais,  à  la  signiHcation  toute  partielle  du 
Globe  dans  le  conflit  des  idées,  au  «  grotesque  »  de  V.  Hugo  qui 
n'était  pas  exactement  «  le  laid  »  (p.  6g),  à  tous  les  romantiques  qui, 
au  dehors  de  Sainte-Beuve  et  Baudelaire  (p.  169)  cherchèrent  à  mani- 
fester un  moi  exceptionnel.  M.  P.  voit  surtout,  semble-t-il,  la  campa- 
gne romantique  à  travers  les  revendications  de  ces  «  partisans  peu 
avancés  »  avec  lesquels  rompait  la  Préface  de  Cromwell,  et  qu'il  ne 
détermine  qu'à  demi  aux  pages  71-75  :  son  livre  juxtapose,  à  vrai 
dire,  le  programme  stendhalien  de  la  soumission  à  l'objet  et  les  mer- 
veilleux etîets,  couleur  et  pittoresque,  du  métaphorisme  et  de  la  des- 
cription romantiques  ;  il  rassemble  ainsi  en  un  faisceau  illusoire  des 
indices  indéniables  de  «  réalisme  »  qui  tiennent,  si  je  puis  dire,  à  des 
^c  séries  »  peu  homogènes.  Cela  n'enlève  pas  leur  prix,  d'ailleurs,  à  de 
fines  remarques  incidentes  et  à  des  jugements  de  goût  qui  décèlent 
un  critique  avisé  dont  la  réputation  n'est  pas  à  faire  '. 

II.  Le  recueil  de  textes  offerts  par  le  livre  de  M.  Van  Tieghem  a  un 
double  avantage  :  rassembler  des  pages  de  doctrine  romantique  immé- 
diate qu'on  ne  trouvait  qu'isolées  et  éparses  ;  présenter,  par  l'assem- 
blage même  de  ces  fragments  théoriques,  un  tableau  implicite  du  phé- 
nomène européen  que  fut  le  Romantisme,  avec  les  différences  et  les 
analogies  qu'on  peut  relever  de  nation  à  nation.  Je  persiste  à  croire 
qu'il  eût. été  possible  de  répartir  ces  témoignages  d'une  manière  plus 
synthétique  —  sans  préjudice  des  «  nationalités  »  littéraires  —  en  les 
groupant  sous  leurs  rubriques  logiques  d'abord  (hostilité  au  rationa- 
lisme, retour  au  moyen  âge,  etc.),  en  laissant  ensuite  s'opérer  la  diffé- 
renciation des  temps,  des  lieux,  des  écoles  :  et  ainsi,  le  plus  ou  le 
moins^  accusé  dans  chaque  pays  par  les  diverses  thèses  romantiques 
eût  indiqué  les  affinités  particulières  d'une  nation  ou  d'un  groiàpe. 
La  disposition  actuelle  augmente  le  morcellement.  Cette  collection  de 
textes  précis,  dont  plusieurs  sont  traduits  pour  la  première  fois  en 
français,    rendra    d'ailleurs   les  plus    grands  services.  L'Angleterre, 

I.  Ecrire  ^/feVé  de  l'oubli  p.  \6o,)nanusc)-it  cfe  Jacques  i'e/orme,  p.  262.  L'idéal 
de  «  l'honnête  homme  »,  tel  qu'il  est  esquissé  p.  i63,  exagère  la  part  de  la  con- 
vention. «  Compter  pour  peu  de  chose  l'autorité  de  qui  que  ce  soit,  quand  on  voit 
qu'elle  impose  »,  dit  le  chevalier  de  Mérc  dans  le  Discours  de  Vesprit.  L'abbé  Pré- 
vost manque,  de  façon  fort  imprévue,  p.  180.  C'est  assurément  trahir  la  philoso- 
phie de  Balzac  que  de  lui  attribu-er  (p.  196)  «  une  assimilation  complète  de  l'homme 
et  de  l'animal  ».  L'histoire  considérée  comme  «  une  géographie  qui  marche  »  : 
c'est  une  idée  qu'on  trouve  avant  Michelet,  dans  Herder  par  exemple  p.  240^  La 
veine  de  romantisme  d'avant  89  n'est  pas  mise  en  valeur  par  la  p.  257.  Froehner 
(p.  27S;  n'est  un  «  savant  d'outre-Rhin  «  que  par  sa  naissance,  non  par  ses  fonctions 
d'administrateur  français  à  ce  moment-là. 


336  RKVHK    CR'lIQl'U 

rAlIcmagiH'.  riialic  et  la  France  y  sont  seules  miiircssdes  directement, 
mais  il  va  de  soi  que  les  lormules  maîtresses  du  Romantisme  ne  lais- 
sent pas  d'être  impliquées  dans  une  revue  limitée  même  à  ces  quatre 
pavs.  L'Angleterre  était  moins  riche  en  exposés  théoriques  qu'en 
œuvres  -  et  l'on  regrettera  que  la  littérature  o/jj'o/7t/er  and  horror  ne 
soit  qu'indiquée  à  propos  de  Walpolc,  et  que  le  recueil  de  Percy  appa- 
raisse si  tard.  L'Allemagne  surabondait  en  textes  doctrinaux  et  le  rat- 
tachement cà  la  philosophie  de  Fichte  et  de  Schelling  aurait  pu  être 
illustré  chemin  faisant.  Dans  l'extrême  variété  de  tendances  qui  s'auto- 
risaient du  romantisme  français,  l'absence  de  Stendhal  n'est  qu'à 
demi  excusée  par  son  «  extériorité  »,  une  bonne  partie  de  la  campa- 
gne dramatique,  avant  i(S28,  s'expliquant  par  les  desiderata  Aq  son 
groupe  ';  le  retour  aux  antiquités  nationales  avait  été  le  plus  systéma- 
tiquement préconisé  par  Villers  iMag.  encyclop. ,  sept.  1810);  la  }iro- 
fonde  modification  du  stvle  poétique  devait  être  jalonnée  au  moins 
par  un  texte  (par  exemple  la  préface  de  Delécluze  au  Romeo  de  Da 
Porto,  ou  l'article  de  P.  Leroux  dans  le  Globe  du  8  avril  1829),  aussi 
bien  que  l'assouplissement  du  vers  (qui  sépare  sans  grande  raison 
Sainte-Beuve  p.  io5  d'Hugo  p.  ii5].  Certains  articles  des  bibliogra- 
phies n'ont  pas  d'opportunité  bien  directe,  mais  peuvent  aider  à  gui- 
der des  curiosités  que  ce  petit  livre  servira  certainement  à  aiguiser  et 

à  informer. 

F.    Baldensperger. 


C.  DE  Lannoy  et  H.  van  der  Linden  :  Histoire  de  1  expansion  coloniale  des 
peuples  européens.  Néerlande  et  Danemark,  i  vol.  in-.S",  V1-4.S7  p.  Bru- 
xelles, Laincrtin  et  Paris,  Alcan,   191  r. 

Après  avoir  étudié,  dans  un  précédent  volume,  l'expansion  colo- 
niale des  Portugais  et  des  Espagnols,  les  auteurs,  que  recommande 
leur  titre  de  professeurs  aux  Universités  de  Gand  et  de  Liège,  ont 
abgrdé  Ihistoire  des  entreprises  néerlandaises  et  danoises.  Ils  l'ont 
fait  avec  un  plan  et  une  méthode  identiques  pour  les  deux  catégories 
d'entreprises,  qui  ont  été,  il  est  vrai,  calquées  les  unes  sur  les  autres, 
conime  elles  se  sont  inspirées  du  même  esprit,  et  leur  ouvrage,  plein 
de  faits  et  d'idées,  est  fort  intéressant.  C'est  le  résumé  le  plus  solide 
et  le  plus  complet  que  nous  possédions  de  la  question,  fondé  sur  la 
connaissance  d'une  littérature,  aussi  abondante  que  négligée,  le  hol- 
landais et  le  danois  n'étant  pas  accessibles  à  tout  le  monde,  voire  à 
tous  les  historiens. 

L'étonnant    essor    colonial   des    Provinces-Unies,    au    xvu"    et    au 

I.  Cf.  mémo  l'Histoire  du  romantisme  en  France  de  Torein.x  (Paris,  1^29, 
p.  164)  :  (c  Romantisme,  c'est  tout  ce  qui  est  mjuveau,  d'institution  nouvelle,  dans 
la  vie  pri\-ée  comme  en  liuérature,  en  médecine  et  en  politique  ;  je  dirais  presque 
toute  mode  nouvelle...  »  Le  Tea-table  Miscetlany  est  de  1724  (p.  3,  note  i). 
Ecrire  Complaint  (p.  3,  note  2),  Radclillc  p.  12,  Saiut-Aldobrandp.  94,  note  2. 


d'histoirk  et  I)i:   i. i ttkratlire  357 

xviii^  siècle,  s'explique  à  la  lois  par  leur  situation,  par  le  caractère  de 
leurs  habitants,  par  la  forme  de  leur  gouvernement,  par  les  conditions 
de  leur  vie  historique.  M.  de  Lannoy  Ta  bien  montré  avant  de  racon- 
ter l'expansion  néerlandaise  outre-mer  ;  il  a  ensuite   distingue  quatre 
grandes   phases,    celle   qu'il    détinit    heureusement    le    conHit    de    la 
liberté   et    des    monopoles,   avant   l'organisation    dérinitive  des  deux 
Compagnies  de  commerce  privilégiées  des   Indes  Orientales  et  Occi- 
dentales, la  période  des  luttes  pour  la  conquête  des   Indes  de  1621  à 
1667,  celle   de  l'extension   territoriale  et  du  déclin  des  Compagnies 
(1667-1  781),  enfin  celle  de    la  faillite  des   Compagnies  et  de  la  sup- 
pression des  monopoles  f  I  78  i-i -qSj  ;  il  s'est  arrêté  au  moment  où  les 
armées  de   la  France  révolutionnaire  renversent  l'antique   gouverne- 
ment   des    Provinces-Unies,    ce   qui    amène    la   dislocation    de    leur 
empire  colonial.    Malgré  l'étendue  et  en  général   l'exactitude  de  cet 
exposé,  il  ne  constitue  pourtant  pas  la    partie  principale  du  livre,    et 
les  chapitres  suivants  sont  de  beaucoup  les   plus   nouveaux  :    l'admi- 
nistration des  colonies,   soit   dans  la   métiopole,  soit    sur  place,   ses 
avantages  et  ses  inconvénients,  surtout  les  regrettables  abus  auxquels 
donnèrent   lieu    la    maladresse,   la    rapacité,    et    parfois    l'incroyable 
inconscience  des  fonctionnaires  et  colons,  sont  mis  en   lumière  d'une 
façon   remarquable;   le  régime  économique,   conçu  partout   presque 
uniquement  en  vue  de  l'exploitation  commerciale  des  pavs  conquis, 
est  soumis  à  une  sévère  et  juste  critique;  on  constate  avec  surprise  à 
quel  point  a  été  faible  le  rayonnement  moral  de  la   civilisation   néer- 
landaise aux  colonies  :  même  la  langue   hollandaise  ne  fut  pas  tou- 
jours la   plus   employée  et   le    portugais    restait    encore  à    la  tin   du 
xviu-  siècle  aussi  usité  à   Batavia;  enfin   les  résultats  de  la  colonisa- 
tion pour  la  mère-patrie  sont  appréciés  avec  perspicacité,  l'auteur  ne 
se  laissant  pas  éblouir  par  le  mirage  des  immenses   conquêtes  d'un 
petit  peuple  et  prouvant,  pièces  en  main,  que,  tout  en  formant  un  des 
organismes  économiques  essentiels  de  la   République,  l'empire  colo- 
nial néerlandais   n'a   pas   autant   fait   pour    sa   grandeur    politique  et 
morale  qu'il   l'aurait  pu,  constitué  sur  des  bases  moins  étroites,  en 
dehors  de  Compagnies  à  monopole;  ce  qui  d'ailleurs  ne  mérite  guère 
d'être  discute,  puisqu'aucune  autre  organisation  n'était  alors  possible! 
L'expansion  coloniale  du  Danemark  est  moins  célèbre  que  celle  de 
la  Néerlande  ;  elle  a  pourtant  son  importance,  et  le  travail  de  M.  van 
der  Linden  est  d'autant  plus  utile  qu'on  connaît  d'ordinaire   fort  mal 
les  circonstances  dans  lesquelles  le  pavillon  danois,  le  Danebrog,  s'est 
déployé  à  Tranquebar  aux   Indes  Orientales,  à  Saint-Thomas,  Saint- 
Jean  et  Sainte-Croix,  aux   Antilles,  ou  sur  les    rives   glacées  du  Fin- 
marken,  de  l'Islande  et   du  Groenland.    Les   détails  donnés,    soit  sur 
l'activité  des  diverses  compagnies  des  Indes  Orientales  ou  d'Asie,  des 
In  ijs  Occidentales  et  du  Groenland,  au  xvii''  et   au  xviii''   siècle,  soit 
sur  l'administration  des  établissements  danois  et    leur  régime  écono. 


338  REVUE    CRITIQUE 

miquc,  soit  sur  les  rcsuliais  de  cet  essor  colonial,  précieux  pour  la 
métropole  malgré  leur  médiocrité,  sont  judicieusement  choisis  ;  ils 
rendront  grand  service  à  tous  ceux  qu'intéresse  l'histoire  du  Dane- 
mark. 

Albert  W'addington. 

Gabriel    Monod 

I 

Gabriel  Monod,  qui  dirigea  cette  Reyue,  et  qui  lui  donna  jadis  tant 
et  de  si  bons  articles,  est  mort  prématurément  le  lo  avril.  D'autres 
ont  dit  et  diront  qu'il  fut  et  comment  il  fut  un  grand  historien  et  un 
grand  directeur  d'esprits.  Nous,  nous  devons  rappeler  ici  qu'il  imprima 
à  la  Revue  critique,  lorsqu'il  y  entra,  comme  il  disait,  avec  l'audace 
desintéressée  de  la  jeunesse,  une  nouvelle  vigueur  et  un  nouvel  élan. 
Avant  d'aller  fonder  la  Revue  historique,  il  soutint  la.  Revue  critique  de 
tout  son  dévouement,  de  toute  son  expérience  et  de  son  savoir.  Depuis, 
il  ne  cessa  de  nous  être  fidèle;  il  suivait  notre  marche,  il  s'inté- 
ressait à  nos  progrès,  il  nous  amenait  des  collaborateurs.  La  Revue 
critique  gardera  toujours  le  souvenir  de  cet  homme  de  talent  et  de 
cœur  auquel  elle  doit,  ainsi  qu'à  Gaston  Paris,  à  Pau!  Meyer  et  à 
Michel  Bréal,  ses  traditions  de  conscience  et  d'indépendance.  «  Ce 
n'est,  disait-il  en  1874,  qu'une  étude  attentive  et  patiente  qui  peut 
permettre  à  un  historien  de  comprendre  assez  bien  une  époque  pour 
en  parler  d'une  manière  juste,  originale  et  intéressante;  une  étude 
superficielle  ne  peut  engendrer  que  des  idées  banales  ou   fausses  »  '. 


Arthur  Chlquet. 


Il 


La  différence  des  études,  non  moins  que  la  différence  de  Tàge,  me 
tenait  assez  loin  de  Gabriel  Monod.  Ce  fut  la  Revue  critique  qui  nous 
rapprocha. 

Quand,  après  la  guerre,  nous  vovions  par  terre  ou  en  danger  de 
disparaître  bien  des  choses  auxquelles  nous  avions  commencé  de  tra- 
vailler, et  sur  lesquelles  nous  fondions  les  plus  belles  espérances 
d'avenir,  quelques  amis  se  réunirent  pour  se  demander  ce  qui  pouvait 
être  conservé,  ce  qui  devait  être  sauvé.  Je  me  permis  alors  de  dire 
qu'avant  tout  il  fallait  maintenir  la  Revue  critique^  qu'il  importait  de 
sauver  d'abord  le  franc  parler,  la  libre  recherche  dans  notre  ordre 
d'études.  Gabriel  Monod  fut  de  cet  avis  et  sur  notre  demande,  à  Gaston 
Paris  et  à  moi,  il  se  déclara  prêt  à  se  charger  de  la  direction.  Mais  il 
le  faisait  à  la  condition  de  nous  avoir  pour  associés  et  collaborateurs 

I.  ^'oi^  aussi  notre  article  de  la  Semaine  littéraire  de  Genève  (n°  du  27  avril)  et 
celui  de  Rodolphe  Reuss  dans  le  Journal  d'Alsace-Lorraine  du  i3  avril. 


d'histoire  et  de  littérature  3  5g 

réguliers.  C'est  ainsi  que  j'entrai  à  la  Revue  critique  et  que  j'appris  à 
connaître,  par  des  communications  hebdomadaires,  celui  à  qui  j'ai 
la  tristesse  de  survivre  et  qui  laisse  un  si  grand  vide  dans  la  science. 

Je  pus  alors  apprécier  les  rares  qualités  qui  faisaient  de  lui  un  maître 
des  études  historiques  :  une  incomparable  sûreté  de  mémoire,  des 
connaissances  aussi  étendues  que  variées,  hors  de  sa  spécialité  aussi 
bien  que  sur  son  domaine  spécial,  la  justesse  et  l'a  propos  des  rappro- 
chements. Mais  ce  qui  n'est  pas  moins  admirable,  et  ce  qui  redouble 
nos  regrets,  la  parfaite  impartialité  de  l'esprit,  l'indépendance  du 
jugement,  non  pas  seulement  vis  à  vis  des  adversaires,  ce  qui  est 
facile,  mais  vis  à  vis  des  amis,  des  confrères  :  en  ceci  on  aura  de  la 
peine  à  le  remplacer... 

Dans  les  circonstances  difficiles  que  depuis  quarante  ans  nous  avons 
traversées  ensemble,  j'avais  pris  l'habitude  de  me  régler  sur  lui.  Je 
ne  le  consultais  pas,  mais  je  le  regardais  agir,  car  chez  lui,  et  c'est 
un  trait  de  son  caractère,  l'acte  ne  se  faisait  pas  attendre  aprèsjla  parole. 
Il  était  donc  pour  moi  comme  un  livre  ouvert,  comme  un  guide  pour 
ma  conscience.  J'ai  idée  qu'en  ceci  je  n'ai  pas  été  seul  et  que  beaucoup 
d'autres  faisaient  comme  moi.  Pour  les  partis  à  prendre,  pour  les 
jugements  à  émettre,  ils  auront  à  se  demander  :  Qu'aurait  pensé, 
qu'aurait  dit,  qu'aurait  fait  Gabriel  Monod? 

Michel  Bréial. 


—  Ben  Jonson,  le  comique  du  xvi"  siècle,  est  en  passe  de  devenir  le  type  du 
plagiaire.  On  se  rappelle  comment  M.  J.  E.  Spingarn  d'abord  et  ensuite  M.  Cas- 
telain  ont  démontré  que  les  Discoverics  ne  sont  qu'un  pot-pourri  de  citations  et 
de  traductions  des  anciens  et  de  quelques  critiques  étrangers  contemporains. 
M.  Ch.  R.  Baskerville  a  voulu  rechercher  quelle  part  revenait  dans  les  premières 
comédies  de  Jonson  à  ses  devanciers  [English  Eléments  in  Jonson's  Early  Comedy, 
University  of  Texas,  in-8°,  328  pp.).  Pour  lui,  Jonson  n"a  fait  aux  classiques  et 
aux  auteurs  étrangers  que  des  emprunts  de  forme,  «  son  théâtre,  la  façon  de  con- 
cevoir les  personnages,  et  son  art  littéraire  »  sont  anglais  d'inspiration.  Cette 
affirmation  sappuie  sur  de  nombreux  rapprochements.  —  Ch.  B. 

—  La  figure  de  Charles  Cotton,  poète  lyrique  du  xvii^  siècle,  est  bien  oubliée 
maintenant.  Le  professeur  Charles  Jacob  Sembower,  de  l'université  d'Indiana,  a 
essayé  de  lui  rendre  un  semblant  de  vie  (Z'/zc  Life  and  the  Poetry  of  Charles  Cot- 
ton, University  of  Pennsylvania,  Appleton,  New-York^  191')  in-12,  i25  pp.).  On 
trouvera  dans  son  opuscule  une  biographie  fort  bien  faite,  et  une  analyse  des 
œuvres  poétiques,  avec  une  étude  sur  leurs  sources.  Cotton  semble  avoir  beau- 
coup admiré  nos  auteurs.  11  s'inspire  de  Desportes  et  de  Malherbe,  il  a  traduit  les 
Commentaires  de  Monluc  et  une  tragédie  de  Corneille.  Chose  intéressante,  il 
paraît    avoir  connu  en  manuscrit  plusieurs  petits  poèmes  de  Voiture.  —  Ch.  B. 

—  MM.  Achille  Laurent  et  L.  Martin-Dupont  ont  rendu  service  à  ceux  qui 
aiment  l'immortel  auteur  de"  Pickwick  en  traduisant  l'étude  enthousiaste  que 
M.  G.  K.  Chesterton  lui  a  consacrée  (Charles  Dickens,  Paris,  Delagrave,  1912, 
in-!2,  210  pp.,  3  fr.  5o).  La  conclusion  indique  le  ton  du  livre  :  «  Dickens  domi- 


36o  REVUE    CRITIQUE    d'hiSTOIRE     tT     lit    LITTÉRATURE 

nera  notre  époque  comme  la  figure  gigantesque  de  Rabelais  domina  la  Renais- 
sance ».  On  sent  que  le  critique  s'est  laissé  gagner  par  le  charme  singulier  du 
romancier,  et  h  son  tour  il  sait  nous  tenir  snus  le  charme.  --  Cii.  H. 

—  En  attendant  de  lire  la  cot-respondance  de  Meredith,  les  adriiiràteurs  du 
romancier  consulteront  avec  Fruit  le  volume  que  M.  Constantin  Photladf.s  lui  a 
consacré  (George  Meredith,  sa  rie,  son  imagination,  son  ait,  sa  doctrine,  l'dris, 
Colin,  in- 12,  !>oo  pp.,  3  fr.  3o).  De  mOme  qu'on  place  à  la  tCte  d'une  biographie 
un  portrait,  ainsi  M.  C.  P.  raconte  dans  le  premier  chapitre  sa  visite  à  l'Iint  Cot- 
tage en  1908.  Vient  ensuite  le  récit  de  la  vie  de  Meredith,  forcément  maigre, 
puisque,  soit  réserve  britannique,  soit  Hcrté  de  grand  incompris,  l'écrivain  s'est 
rarement  laissé  aller  aux  confidences.  Les  trois  autres  chapitres  sont  consacrés  à 
l'étude  de  l'œuvre.  On  y  verra,  probablement  pour  la  première  fois  en  France,  des 
analyses  exactes  des  principales  œuvres.  A  propos  du  st}  le  capricieux,  tourmenté, 
parfois  obscur  de  Meredith;  M.  C.  P.  parle  beaucoup  d'influences  allemandes;  il  y 
a  cependant  un  éct-Jvain  français  à  qui  ori  pourrait  compdrer  Meredith  sans  trop 
de  désavantage,  c'est  Marivaux.  —  Le  D""  Ernst  Dick  consacre  un  petit  livre  au 
rtlôttie  écrivain  (George  Meredith,  Drei  Versiiche.  Berlin,  Wiegandt  et  Grieberi, 
in-H",  iqi  pp.,  4  M.  5o)  ;  les  essais  portent  sur  la  vie  cl  les  œuvres  du  romancier  et 
sur  l'élément  comique  dans  ses  œuvres  et  sont  suivis  d'une  traduction  de  V Essai 
sitr  la  Comédie.  Les  quelques  pages  consacrées  à  la  biographie  ne  dépassent  pas  les 
dimensions  d'un  article  d'encyclopédie.  On  n'y  trouvera  rien  de  nouveau.  —  Ch.  B. 

—  Le  tome  11  de  Luther  et  le  Luthéranisme  (Picard,  191  i  ;  in-12  de  472  p., 
3  fr.  5o)  du  P.  Denifle  a  été  traduit  «  en  parties  à  peu  près  égales  »  par  MM.  Pa- 
quier  et  Bayol,  et  donne  la  fin  de  la  première  partie  (ch.  xi  et  xii  sur  le  Baptême, 
xiii  sur  le  Mariage  et  xiv  sur  l'Etat  religieux)  et  les  3  premiers  chapitres  de  la 
seconde  partie  (i,  des  pénitences  immodérées  de  Luther  avant  sa  conversion;  n, 
doctrine  des  Pères  de  l'Eglise  sur  la  miséricorde  de  Dieu  et  sur  sa  grâce  en 
regard  de  notre  impuissance;  m,  le  moment  précis  de  la  crise  morale  et  doctrinale 
de  Luthei-  :  il  faut  la  placer  en  i5i5,  «  ce  n'est  donc  pas  par  hasard  qu'il  n'entre 
qu'alors  en  lutte  avec  les  scolastiques  »).  Il  forme  le  n»  7  de  la  Bibliothèque  d'his- 
toire religieuse,  dont  le  tohie  I  avait  le  n"  5  ;  les  tomes  111  et  IV  vont  paraître,  et 
leur  traduction,  «  déjà  fort  avancée,  sera  le  fruit  de  la  même  étroite  collaboration  » 
des  deux  traducteurs;  qui  préviennent  que,  «  dans  ce  volurrie  plus  encore  que  daiis 
le  précédent  »,  Ils  ont  «  rectifie  et  complété  certains  passages  de  l'original  »  et 
«  utilisé  notamment  le  tome  I  du  Luther  du  P.  Grisar  »,  qui  apporte  «  le  calme 
après  la  tempête  »)  de  Denifle.  Comme  caractéristique  générale  de  l'ouvrage,  rap- 
pelons que,  bien  qu'étant  le  produit  d'un  parti-pris  aveugle  et  même,  en  partie, 
d'une  haine  furieuse,  il  peut  être  utilisé  prudemment  pour  redresser  certaines  don- 
nées trop  subjectives  ou  trop  optimistes  des  historiens  protestants  et  faire  entendre 
le  son  de  cloche  contraire.  Ici,  comme  d'ordinaire  :  in  medio  veritas.  — Th.  Scn. 


L'imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamoa. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N"  19  —  11  mai  —  1912 

Havers,  Un  emploi  du  datif.  —  E.  Richter,  Comment  nous  parlons.  —  Kluge, 
Les  éléments  du  gotique.  —  Beknekkr,  Dictionnaire  étymologique  slave.  — 
PoiROT,  Phonétique.  —  Mollkr,  Lexique  indo-germanique  comparé.  —  Wright, 
Gratnmaire  comparée  du  grec.  —  Brkwkr,  L'époque  où  vécut  Clommodien.  — 
D'Alks,  Commodien  et  son  temps.  —  Pmi.i.,  Tcrtullicn  et  Marcion.  —  Vie  de 
sainte  Geneviève,. p.  Kunstle.  —  Le  livre  de  Daniel,  p.  Huhner.  —  Vernay,  Le 
livre  de  l'Excommunication,  de  Bérenger  Frédtjl.  —  P.  de  Bouchaud,  Les  poé- 
sies de  Michel  Ange  et  de  Vittoria  Colonna.  —  Gabetti,  Jean  Prati.  —  Berte- 
VAL,  Le  théâtre  d'Ibsen.  —  Bouchor,  Contes.  —  A.  de  Croze,  La  chanson  popu- 
laire de  l'ile  de  Corse.  —  Guéri. in,  La  Touraine.  —  Hardy  et  Gandiehon, 
Bourges.  —  Leci.erco,  Voyage    à  Majorque.  —  La  France.  —  Simon,  .V.  Thiers. 


—  Logos,  II, 


W.  Havers.  Untersuchungen  zur  Kasussyntax  der  indogermanischen  Spra- 

chen;  Strasbourg  (chez  K.  Trùbner),  1911,  in-8°  xix-335  p.  (Untersuchungen 
zur  indogermanischen  Sprach-und  Kulturwissenschaft,  herausgegebcn  von 
K.  Brugmann  und  A.  Thumb,  3). 

Le  sujet  est  heureusement  beaucoup  plus  délimite'  que  le  titre  trop 
large  ne  le  fait  prévoir;  M.  Havers  ne  traite  en  réalité  que  d'un  emploi 
particulier  du  datif,  celui  qu'on  trouve  dans  les  phrases  latines  telles 
quepectus  mih: percutit,  hicmihi  corriimpit/îlium, etc.;  l'auteur  donne 
à  cet  emploi  le  nom,  inélégant,  de  dativus  sympatheticus. 

Ce  livre  a  un  premier  et  rare  mérite  :  il  est  Toeuvre  d'un  véritable 
comparatiste.  M.  H.  passe  en  revue  les  usages  du  datif  qu'il  étudie 
dans  toutes  les  langues  indo-européennes,  d'après  un  examen  person- 
nel de  textes  de  chacune,  et  non  seulement  des  plus  anciens  textes, 
mais  de  textes  empruntés  à  toutes  les  périodes  jusqu'à  la  période 
moderne.  Si  l'arménais  et  l'albanais,  que  M.  H,  n'a  pas  étudiés  lui- 
môme,  sont  négligés,  c'est  qu'ils  n'apporteraient  rien  à  la  solution  du 
problème  posé.  —  Cette  virtuosité,  remarquable  chez  un  savant 
encore  tout  près  de  ses  débuts,  n'a  pas  empêché  M.  H.  d'aboutir  à  des 
conclusions  précises  :  partout,  et  même  là  où,  comme  dans  le  latin 
des  comiques,  le  ^  dativus  sympatheticus  »  est  le  plus  vivant,  l'adjec- 
tif possessif  fait  concurrence  au  datif,  et  l'on  trouve  des  types  tels 
que  :  dorsum  dispoliet  meum  ou  meum  corriimpit  Jïliiim .  C'est  que 
cet  emploi  du  datif  était  au  fond  propre  aux  pronoms  personnels 
proprement  dits,  c'est-à-dire  aux  pronoms  de  i"""  et  de  2®  personnes; 
c'est  un  emploi  fortement  expressif,  et  qui  subsiste  surtout  là  où  l'on 
cherche  une  manière  expressive  de  parler.  M.  H.  est  amené  à  con- 
Nouvelle  série  LXXIII  19 


302  REVUE    CRITIQUE 

clurc  que  les  pronoms  atones  *moi  et  *toi  de  l'indo-européen,  qu'on 
considère  d'ordinaire  comme  des  génitifs-datifs  étaient  à  l'origine  de 
purs  datifs  et  doivent  à  l'emploi  étudié  dans  ce  livre  le  développe- 
ment de  sens  qui  les  a  conduits  à  être  traités  comme  des  génitifs. 
Incidemment,  l'auteur  indique  quantité  de  vues  de  détail  ingénieuses 
et  intéressantes;  il  s'efforce  détenir  compte  des  tendances  littéraires, 
des  influences  de  langues  les  unes  sur  les  autres.  Ce  premier  grand 
ouvrage  de  M.  H.  lui  fait  honneur  et  promet  pour  l'avenir. 

L'inexpérience  de  l'auteur  se  traduit  par  la  raideur  et  la  gaucherie 
du  plan  :  M.  H.  distingue  six  catégories  dans  les  emplois  du  datif 
qu'il  examine  —  il  y  aurait  à  dire  sur  sa  division  :  le  cas  de  optundit 
os  mihi  est  exactement  pareil  à  celui  de  jnihi  cor  sauciat,  et  l'on  ne 
voit  pas  que  le  caractère  physique  du  sens  dans  le  premier  cas  et 
le  caractère  moral  du  sens  dans  le  second  aient  aucune  conséquence 
ici  pour  la  grammaire  — ;  ces  six  catégories,  très  artificielles,  une 
fois  posées,  M.  H.  en  reprend  l'étude  non  seulement  pour  chacune  des 
langues  indo-européennes,  mais  pour  chacun  des  textes  qu'il  passe 
en  revue  ! 

M.  H.  est  un  peu  accablé  sous  la  masse  des  faits  qu'il  apporte;  il 
croit  un  peu  trop  aux  faits  matériels,  trop  peu  à  l'interprétation  et  à 
l'agencement  des  données.  Quand  il  s'efforce  d'établir  que  les  formes 
atones  *woz,  *toi  étaientà  l'origine  des  datifs  et  ont  reçu  d'une  manière 
tardive  la  valeur  de  génitifs,  il  s'appuie  trop  sur  le  fait  que,  en 
védique,  me  et  te  sont  presque  toujours  de  purs  datifs  :  les  formes 
atones,  très  faibles,  simples  mots  accessoires,  se  prêtaient  mal  à  servir  de 
génitifs  partitifs  près  des  verbes.  En  revanche,  le  principe  posé  par 
M.  Wackernagel  que  près  des  noms  on  employait  des  adjectifs  dérivés 
plutôt  que  des  génitifs  fait  prévoir  que  dans  une  phrase  du  type 
védique  de  sapatnîm  me  sahdvahai,  la  forme  i.-e.  *moi  était  un  datif; 
si  l'on  avait  pensé  à  un  complément  de  nom,  on  aurait  mis  un  adjec- 
tif possessif.  Ce  n'est  que  plus  tard,  quand  s'est  répandu  l'emploi  du 
génitif  complément  de  nom,  que  véd.  me,  gr.  [xoi  ont  fait  l'effet 
de  génitifs.  M.  H.  n'a  pas  tiré  des  vues  de  M.  Wackernagel  le  parti 
qu'il  aurait  pu. 

Quand  il  parle  de  maiy,  taiy,  etc.  en  vieux  perse,  M.  H.  omet  de 
rappeler  que  le  vieux  perse  ne  distingue  pas  entre  le  génitif  et  le 
datif,  et  l'on  éprouve  quelque  malaise  à  lui  voir  discuter  la  valeur 
de  datif  ou  de  génitif  de  ces  formes,  et  ne  pas  rappeler  que  le  pluriel 
shâm  de  shaiy  a  la  forme  d'un  génitif,  tout  en  ayant  exactement  le 
même  emploi. 

Les  hypothèses  de  M.  H.  sont  parfois  bien  hardies,  ainsi  quand, 
p.  255,  il  attribue  l'importance  prise  en  celtique  par  la  préposition  à 
l'influence  d'une  population  préceltique  (sans  doute  ibère,  dit-il)  sur 
le  celtique.  Mais  à  la  date  où  sont  attestées  les  langues  celtiques  et  au 
degré  d'évolution  où  elles  étaient  parvenues,  l'emploi  des  prépositions 


d'histoire  et  de  littérature  363 

n'a  rien  que  de  normal,  et  les  langues  romanes  ne  le  cèdent  guère 
au  celtique.  M.  H.  semble  oublier  ici  que  le  celtique  est  connu  à 
un  degré  très  avancé  de  son  évolution  et  ne  saurait  être  comparé  direc- 
tement au  védique,  au  grec  ancien  ni  même  au  latin. 

A.  Mi'.illkt. 

IClise  RiciiTKR.  Wie  wir  sprechen,  Sechs  volkstûmliche  Vortrâge,  Leipzig 
(Teubner)  191 2,  in-S"  xii-107  p.  (vol.  JÎ34  de  la  collection  Ans  Natitr-und 
Geistesivelt). 

Ce  petit  ouvrage  de  vulgarisation  est  écrit  clairement  et  avec  compé- 
tence par  une  excellente  élève  de  M.  Meyer-Liibke  et  peut  être  recom- 
mandé à  tous  ceux  qui  veulent  prendre  une  première  idée  des  principes 
de  la  linguistique  générale.  On  peut  regretter  quelques  erreurs  de 
détail,  on  peut  trouver  trop  mince  la  part  faite  à  la  théorie  de  l'em- 
prunt, on  peut  estimer  que  trop  d'importance  est  attribuée  à  une 
psychologie  quelque  peu  abstraite  et  verbale  et  trop  peu  à  des  faits 
réels,  historiques  et  sociaux.  Mais  dans  l'ensemble  l'ouvrage  donne 
des  idées  justes,  il  est  bien  équilibré,  et  il  rendra  de  grands  services. 

A.  Meillet. 

1\  Kluce,  Die  Elemente  des  Gotischen.  Eine  erste  Einfûhrung  in  die 
deuische  Sprachwisscnschaft.  Strasbourg  (chez  Trùbnerj,  igri,  in-S»,  viii-i33  p. 
[Grundriss  der  germanischen  Philologie  de  H.  Paul,  3*  édition). 

M.  Kluge  a  profité  de  ce  que  la  3«  édition  du  Grundriss  de  M.  Paul 
paraît  dans  des  conditions  nouvelles,  en  fascicules  séparés  publiés  et 
vendus  à  part,  indépendamment  les  uns  des  autres,  pour  donner  à  son 
exposé  du  gotique  un  aspect  nouveau  qu'annonce  le  titre  reproduit 
ci-dessus.  Jugeant  sans  doute  que  la  grammaire  de  M.  Streitberg 
fournit  à  l'étudiant  toute  la  description  utile  et  toute  la  bibliographie, 
l'illustre  germaniste  s'est  proposé  de  présenter  le  gotique  comrne 
l'outil  élémentaire  de  l'explication  historique  de  l'allemand  et  de  la 
comparaison  du  latin  et  du  grec  avec  le  germanique.  Et  c'est  bien 
ainsi  en  effet  que  la  plupart  des  étudiants  envisagent  le  gotique  ;  le 
manuel  ainsi  fait  sera  très  commode  et  ne  manquera  pas  d'avoir  du 
succès  auprès  de  tous  ceux  qui  veulent  s'initier  à  la  grammaire  com- 
parée du  germanique.  On  regrettera  néanmoins  que  l'auteur  n'ait  pas 
donné  quelques  indications  bibliographiques,  qu'il  n'ait  pas  dit  au 
moins  où  Ton  peut  les  trouver.  On  regrettera  aussi  que  la  théorie  de 
la  phrase  et  de  l'emploi  des  formes  soit  entièrement  omise. 

Dans  le  détail,  le  souci  qu'a  eu  xM.  K.  de  demeurer  élémentaire  l'a 
conduit  à  présenter  certains  faits  d'une  manière  un  peu  trop  sim- 
pliste; ainsi  p.  10,  la  question  de  la  répartition  de  e  et  /  dans  les  dia- 
lectes germaniques  autres  que  le  gotique  n'est  pas  aussi  simple  qu'on 
le  croirait  à  lire  M.  K.  ;  et  le  fait  que  le  gotique  confond  entièrement 
e  et  /,  disposant  des  deux  voyelles  suivant  les  phonèmes  qui  suivent, 


364  REVUE    CRITIQI  E 

n'est  peut-Ctre  pas  aussi  propre  au  goiiquc  qu'il  semble  d'abord.  On 
ne  voit  pas  assez  nettement  p.  7,  que  le  traitement  des  préverbes 
devant  un  verbe  est  un  traitement  de  mot  indépendant  tandis  que  le 
traitement  des  mêmes  préverbes  devant  un  nom  est  un  traitement  de 
premier  terme  de  composé.  P.  32.  l'emploi  de  /;  dans  Haibraiiis  et 
l'absence  de  //  dans  lairusaulyma  rappellent  de  trop  près  l'usage  laiin 
pour  que  la  coïncidence  soit  fortuite,  d'autant  plus  que  l'on  a  h  en  hia- 
tus dans  le  type  Abraham  comme  en  latin.  Et  le  k  de  Akaia  ne  prouve 
pas  que  le  y  grec  était  encore  occlusif  au  temps  de  WulHla  ;  mais  le  h 
gotique  ne  se  prêtait  plus  à  rendre  le  /  spirant;  et  l'on  a  recouru  à  k 
d'après  la  prononciation  latine  des  mots  correspondants,  ou  reproduit 
le  signe  grec  du  /,  qui  ne  figure  pas  dans  les  mots  indigènes.  —  M.  K. 
enseigne,  p.  26,  que  le  tt  de  got.  atta  serait  une  forme  altérée  d'une 
ancienne  spirante;  mais  le  tt  se  retrouve  également  en  allemand  pour 
ce  mot;  et  le  mot  vieux  frison  àththa  que  signale  M.  K.  signifie 
«  juré,  juge  »  ;  c'est  un  dérivé  de  êth  «  serment  w  ;  en  fait  la  géminée 
indo-européenne  tt  a  purement  et  simplement  échappé  à  la  mutation 
consonantique  ;  le  A*  géminé  échappe  de  même  à  la  mutation  dans 
v.  angl.  ticcen,  v.  h.  a.  ^icki,  en  regard  de  v.  h.  a.  :{iga  «  chèvre  ». 

A.  Meillet. 

E.  Berneker,    Slavisches    etymologisches    "Wôrterbuch.    Lief.    If-MIl,    Hei- 
delberg  (chez  Winter),  in-8°,  p.  81-640  (prix  de  souscription    :  i  m.  5o  la  livrai- 
son). 

Le  beau  dictionnaire  étymologique  du  slave  de  M.  Berneker,  dont 
la  première  livraison  a  été  annoncée  dans  cette  revue,  en  1908,  II, 
p.  264  et  suiv.,  progresse  régulièrement;  il  est  maintenant  parvenu  à 
la  fin  de  la  lettre  k  environ,  et  huit  des  vingt-cinq  livraisons  annoncées 
ont  paru.  La  suite  a  tenu  les  promesses  du  début  ;  la  méthode  est 
demeurée  aussi  ferme,  l'information  aussi  large  et  variée.  M.  B. 
fournit  aux  slavistes  un  instrument  de  travail  excellent  que  chacun 
aura  toujours  sous  la  main  et  qui  rendra,  qui  rend  déjà  des  services 
constants. 

Il  va  sans  dire  qu'un  livre  qui  renferme  autant  de  faits  et  d'aussi 
variés  et  où  l'auteur  a  été  obligé  de  prendre  parti  sur  tant  de  ques- 
tions délicates,  de  trancher  tant  de  problèmes  non  résolus  et  en  partie 
insolubles  prête  à  beaucoup  de  critiques  de  détail;  ces  critiques,  qu'il 
est  trop  aisé  de  multiplier,  n'enlèvent  rien  à  la  valeur  d'un  ouvrage 
dont  tous  les  slavistes  doivent  savoir  à  M.  B.  le  plus  grand  gré.  Voici 
quelques  observations  qui  pourront  peut-être  servir  à  l'auteur. 
P.  273  et  suiv.,  M.  B.  a  eu  certainement  tort  de  suivre  l'idée  de 
M.  Brugmann  que  l'e-  initial  de  *éd-  «  manger  »  en  slave  et  en 
lituanien  serait  un  préverbe;  on  trouve  fréquemment  des  e  longs  de 
cette  sorte  dans  la  flexion  athématique,  et  la  racine  *sed-  [Vn.sédmi]  lui 
en  fournira  un  brillant  exemple  quand  il  sera  parvenu  à  la  lettre  .s  ; 


» 


d'histoire  et  de  littérature  365 

à  propos  de  cette  même  racine,  Tidée  de  poser  un  primitif  *ésli,  alors 
que  toutes  les  langues  slaves,  sans  aucune  exception,  connaissent  seu- 
lement^a^/z,  est  malheureuse;  quant  au  traitement  deé-  initial  en  slave 
commun,  M.  B.  s'en  tient  à  l'idée  ancienne  que  le  traitement  slave 
commun  serait  ja-  ;  le  seul  exemple  clair  est  celui  du  verbe  ésti 
«  manger  »  qui  garde  é  partout,  sauf  en  bulgare,  et  il  semble  naturel  de 
poser  le  traitement  d'après  cet  exemple,  comme  l'a  fait  M.  Fortunatov. 
—  P.  458,  on  ne  voit  pas  pourquoi  M.  B.  part  de  *y()usd,  avec  d, 
pour  expliquer  jî/A\7 ,-  si  l'on  partait  d'une  diphtongue  ou,  avec  d,  on 
aurait  11  intoné  rude,  et  le  mot  slave  ne  serait  pas  oxyton,  cornme  il 
l'est  à  en  juger  par  l'accord  des  divers  dialectes.  La  racine  de  skr.' 
yauti,  à  laquelle  recourt  M.  B.,  à  tort  ou  à  raison,  pour  expliquer  le 
groupe  de  si.  juxa,  lat.  iiis,  n'est  pas  dissyllabique,  comme  le  croit 
M.  B.,  et  l'adjectif  en  *-to-  par  exemple  est  de  la  forme  skr.  yiita-^ 
avec  u  bref,  et  c'est  aussi  11  bref  que  suppose  la  forme  brittonique  de 
bret.  iod  «  bouillie  »,  etc.  ;  le  présent  sanskrit  j'az^f/,  cité  ici,  est  l'un 
de  ceux,  assez  nombreux,  où  un  présent  athématique  radical  présente 
le  vocalisme  des  trois  personnes  du  singulier  actif  au  degré  long. 
L'accentuation  du  Ux.jaujti,  que  cite  M.  B.  est-elle  bien  établie?  — 
P.  582,  ce  n'est  pas  de  gr.  ■/.■xi-AVk'. ,  mais  directement  du  latin  castellum 
que  peuvent  procéder  la  plupart  des  formes  slaves  telles  que  le  tchèque 
lîostel  ;  il  n'y  a  pas  de  raison  de  croire  que  le  slave  ait  dû  emprunter 
au  grec  plutôt  qu'au  latin;  M.  B.  sacrifie  ici  à  un  préjugé  courant 
chez  les  Russes.  —  P.  618,  la  lecture  krivy  que  M.  B.  attribue  au 
Psalterium  sinaïticiim  d'après  l'édition  si  défectueuse  de  Geitler  n'est 
pas  bonne  ;  M.  B.  aurait  trouvé  dans  l'édition  du  psautier  de  Bologne 
par  M .  Jagic  la  bonne  leçon  kriv  i  en  deux  mots  ;  et  il  aurait  vu  dans 
le  même  texte  de  Bologne  que  l'altération  du  texte  cité  d'après  le  Psal- 
terium sinaïticum  se  retrouve  dans  le  psautier  de  Bologne,  mais  non 
pas  dans  les  autres  manuscrits  du  psautier.  En  ce  qui  concerne  l'ad- 
jectif/rr/v,  il  aurait  été  bon  de  citer  Pedersen,  K.  Z.,  XXXVIII,  SyS, 
qui  rapproche  le  cas,  assez  pareil,  de  griva;  et  ceci  aurait  donné 
occasion  de  citer,  sous  griva,  l'article  de  M.  Pedersen  dans  les  Mate- 
rialy  i prace,  1,171.  —  P.  633,  il  ne  faudrait  plus  citer  gr.  7rp(a[jia'., 
mais  seulement  èirp'.à;jLr,v;  dans  skr.  krlndti,  il  ne  faudrait  pas  oublier 
ïn  cérébrale,  et  un  renvoi  à  Sreznevskij  n'aurait  pas  été  superflu 
pour  Ta-a;  iikrijenû. 

A.  Meillet. 


J.  PoiROT,  Phonetik.  Leipzig  (chez  Hirzel),   191 1,  in-S",   276  [Handbiich  der  phy- 
siologisclien  Methodik  de  K.  Tigerstedt,  III,  6). 

M.  Poirot,  qui  s'est  fait  connaître  par  des  recherches  très  solides 
et  précises  de  phonétique  expérimentale,  notamment  sur  le  lapon, 
publie  maintenant,  dans  un  grand  recueil  consacré  aux  méthodes  de 
la  physiologie,  un  exposé  minutieux  des  méthodes  de  la  phonétique 


3tlt")  rtKVl  i:     CRU  IQUK 

expérimentale.  L'exposé  est  en  allemand  parce  que  l'ouvrage  dont  il 
fait  partie  est  tout  entier  en  allemand;  mais  on  sait  que  M.  Poiroi  est 
frans'ais.  Dans  ces  276  grandes  pages,  très  denses,  on  trouvera  beau- 
coup de  descriptions  d'appareils  et  beaucoup  de  formules  mathéma- 
tiques; on  n'y  devra  chercher  aucune  théorie  sur  un  point  quelconque 
de  la  phonétique  proprement  dite,  l.e  livre  arrive  à  son  heure.  Après 
une  période  de  grands  espoirs,  on  n'a  pas  eu  de  la  phonétique  expé- 
rimentale toutes  les  réalisations  attendues.  Les  travaux  ont  été  peu 
nombreux;  ils  n'ont  porté  que  sur  peu  de  questions,  et  en  partie  sur 
des  questions  d'intérêt  assez  mince;  ils  ont  été  discutés  souvent  avec 
raison,  et  les  méthodes  employées  ont  paru  souvent  mal  assurées. 
Il  est  bon  qu'un  savant  d'une  compétence  certaine  vienne  décrire  tous 
les  procédés  employés  et  en  fasse  une  critique  impartiale.  Travaillant 
à  Helsingfors,  loin  des  divers  groupes  qui  sont  en  lutte  les  uns  avec 
les  autres,  M.  P.  a  toute  l'impartialité  désirable.  Et,  d'autre  part,  son 
livre,  œuvre  d'un  phonéticien  de  profession,  se  présente  avec  les 
meilleures  garanties;  ses  collègues  d'Helsingfors,  M.  Pipping,  dont 
on  connaît  les  excellents  travaux  faits  en  partie  sous  la  direction  de 
M.  Hermann,  et  surtout  le  physiologiste  directeur  de  la  collection, 
M.  Tigerstedt,  et  un  mathématicien,  M.  Lindelof  ont  aidé  et  conseillé 
M.  P.  Dans  ces  conditions,  on  peut  faire  confiance. à  l'auteur,  qui 
discute  les  diverses  expériences  d'une  manière  sobre,  précise  et 
rigoureuse. 

Le  manuel  de  M.  P.  est  bien  fait  pour  donner  aux  recherches  de 
phonétique  expérimentale  l'impulsion  nouvelle  dont  elles  ont  besoin. 
Mais   il   montre  que  les  laboratoires  devront   être   pourvus  de   res- 
sources supérieures  à  celles  dont  ils  disposent  pour  la  plupart;  les 
recherches  sont  délicates;   elles  exigent  des   appareils   multiples    et 
divers;    on  a  trop   multiplié  les  laboratoires  en   France,  mais  en  ne 
donnant  à  chacun  que  des  ressources  minimes  et  par  suite  lin  outil- 
lage insuffisant  pour  une  quantité  de  recherches.  Beaucoup  des  appa- 
reils décrits  ne  représentent  évidemment  que  des  essais,  et,  si  M.  P. 
s'y  est  arrêté,  s'il  donne  des  détails  sur  des  appareils  auxquels  on 
a  renoncé  ou  qui  même  n'ont  jamais  été  vraiment  en   usage,  comm^ 
certains  enregistreurs  des  vibrations  du  larynx  ou  des  mouvements 
du  voile  du  palais,  c'est  qu'il  estime  sans  doute  que  l'on  y  pourra 
trouver  l'idée  de  procédés   nouveaux.  D'autre   part,  si  les  linguistes 
peuvent,  sans  s'être  donné  une  préparation  physiologique  et  physique 
bien  approfondie,  faire  certaines  sortes  d'enregistrements,  en  parti- 
culier étudier  les  mouvements  des  organes  de  la  parole  —  mais  on 
ne  peut  les  enregistrer  que  d'une  manière  assez  grossière  et  imprécise 
—  et  la  hauteur  ou  la  durée  des  sons,  on  ne  peut  aborder  certaines 
autres  questions,  et  en  particulier  celle  du  timbre  des  voyelles  sans 
être  un  physicien  averti  et  sans  avoir  quelque  préparation  mathéma- 
tique.  En   ce  qui  concerne  l'étude  de  l'intensité,  dont  l'importance 


d'histoire  et  de  littérature  367 

en  linguistique  est  capitale,  M.  P.  indique  qu'on  n'est  pas  sorti  do   la 
période  des  premiers  essais. 

M.  P.  a  montré,  par  ce  livre,  qu'il  est  éminemment  qualifié  pour 
poursuivre  ces  recherches,  son  exposé  est  bien  disposé,  net,  impartial 
et  prouve  d'un  bout  à  l'autre  la  compétence  et  le  bon  jugement  de 
l'auteur. 

A.  Meillet. 

H.  Moi.LKK,  Vergleichendes  indogermanisch-semitisches  Wôrterbuch.   Got- 
tini^cn  (V'andcnhocck  u.  Riiprcchti.  l'iii,  in-8°,,  xxxvi-^iiô  p. 

M.  Môller  est  profondément  convaincu  que  le  groupe  indo-euro- 
péen et  le  groupe  sémitique  remontent  à  un  original  commun,  et  il 
s'efforce  de  dresser  le  vocabulaire  commun  de  la  langue  sémitico-indo- 
européenne  dont  il  suppose  l'existence.  Il  a  rencontré  Jusqu'ici  beau- 
coup de  contradicteurs,  mais  aussi  quelques  partisans  éminents, 
notamment  son  compatriote  M .  Pedersen.  On  a  quelque  scrupule  à 
ne  pas  partager  une  conviction  si  forte,  qui  née  chez  un  linguiste  con- 
naissant et  pratiquant  les  bonnes  méthodes,  ne  peut  manquer  de  faire 
impression.  Mais  les  procédés  de  M.  M.  sont  peu  rassurants.  Pour 
démontrer  que  l'indo-européen  et  le  sémitique  remontent  à  un  origi- 
nal commun,  il  faudrait,  à  ce  qu'il  semble,  établir  que  certains  élé- 
ments morphologiques  essentiels  des  deux  langues  sont  les  mêmes  ; 
or,  M.  M.  insiste  très  peu  sur  les  formes  grammaticales —  seules 
probantes  en  l'espèce  —  et  il  ne  s'assure  nullement  que  les  formes 
sémitiques  dont  il  use  se  retrouvent  dans  le  groupe  hamitique  ;  étant 
donné  que  le  sémitique  est  sûrement  apparenté  au  hamitique  et  no- 
tamment à  l'égyptien,  ce  n'est  pas  du  sémitique  seul  qu'il  faut  rappro- 
cher l'indo-européen;  c'est  du  hamitico-sémitique  ;  mais  ceci  est 
impossible  en  l'état  actuel  de  la  grammaire  comparée  du  hamitique  et 
du  sémitique.  Le  travail  de  M.  M.  est  donc  prématuré.  Quoiqu'il  en 
soit  de  cette  réserve  fondamentale,  les  concordances  grammaticales 
que  note  M .  M.  entre  le  sémitique  et  l'indo-européen  sont  peu  claires, 
peu  importantes,  dénuées  de  force  probante. 

Restent  les  combinaisons  étymologiques.  Mais  ici  M.  M.  se  con- 
tente à  trop  peu  de  frais.  On  est  plus  exigeant  que  cela  maintenant 
en  matière  de  preuve  étymologique.  11  n'hésite  pas  à  prendre  dans  le 
vocabulaire  de  chaque  langue  indo-européenne  isolément  un  mot 
qu'il  rapproche  d'un  mot  de  sens  plus  ou  moins  voisin  d'une  langue 
sémitique  également  isolée,  ou  même  quelquefois  si,  par  un  singulier 
hasard,  le  vocabulaire  riche  et  varié  des  divers  idiomes  sémitiques  ne 
fournit  pas  un  mot  qu'on  puisse  rapprocher  d'un  mot  des  vocabulaires 
indo-européens  non  moins  riches  et  variés,  il  recourt  à  l'égyptien  ; 
par  exemple  il  prend,  p.  73,  en  grec  le  mot  ■^(s'.iori  «  voisin  »,  qui  n'a 
de  correspondant  en  aucune  autre  langue  indo-européenne,  et  il  le  rap- 
proche d'une  racine  arabe  ^)\ï  «  accroître  »,  pour  laquelle  il  ne  four- 


368  REVUE    CRITIQUE 

nit  de  correspondants  en  aucune  autre  langue  sémitique.  L'étymologic 
suivante  n'est  pas  plus  probante  :  le  groupe  de  skr.  jyotayali  «  il 
éclaire  «  (qu'on  a  expliqué  avec  assez  de  vraisemblance  sur  un  prâ- 
kriiisme,  et  où  l'on  a  vu  une  altération  d'une  forme  dyotayati)  est 
rapproche  d'une  racine  arabe  ^/n;'  «  briller  ».  Il  y  a  des  choses  plus 
inquiétantes  encore,  ainsi  la  racine,  sûrement  indo-européenne  celle- 
là,  de  lat.  fari,  fama  est  rapprochée,  p.  23,  de  la  racine  aussi  sûrement 
sémitique  de  nb"  «.  annoncer,  prophétiser»;  le  n  initial  des  mots  sémi- 
tiques n'arrête  pas  M.  M.  :  c'est  un  préfixe,  dit-il  simplement.  A  la 
page  12,  M.  M.  va  jusqu'à  grouper  lat.  sol  et  lux  sous  un  même 
chef  "aw-l-,  et  il  rapproche  l'ensemble  ainsi  formé  d'un  groupe  de 
mots  sémitiques  signifiant  «  jour,  briller  ».  P.  24,  il  rapproche  skr. 
bhayate  «  il  craint  »  (et  le  vieux  haut-allemand  bibên,  qu'il  continue 
d'en  rapprocher  malgré  les  observations  de  M.  Wackernagel  qui  a 
définitivement  ruiné  cette  étymologie)  d'une  racine  hébraïque  biil 
«  être  épouvanté  «  :  il  n'y  a  que  la  labiale  initiale  de  commune  aux 
deux  mots. 

Sans  doute,  il  importe,  comme  le  dit  avec  raison  M.  M.,  de  faire 
éclater  les  murailles  qui  enserrent  la  grammaire  comparée  des  lan- 
gues indo-européennes.  Mais  pour  faire  sauter  la  muraille,  il  faut  la 
force  irrésistible  de  rapprochements  évidents.  Si  l'on  compare  les 
rapprochements  apportés  par  M.  M.  à  ceux  qui  ont  permis  d'établir 
la  parenté  des  langues  indo-européennes  entre  elles  ou  des  langues 
sémitiques  entre  elles,  ou  même  du  sémitique  avec  l'égyptien,  on 
verra  tout;e  la  différence  qui  sépare  une  preuve  en  règle  d'avec  une 
hypothèse  qui  reste  à  démontrer.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  l'on  puisse 
affirmer  que  le  sémitique  et  l'indo-européen  ne  soient  pas  apparen- 
tés. On  peut  fournir  la  preuve  que  deux  langues  sont  parentes;  on 
ne  peut  jamais  prouver  que  deux  langues  ne  soient  pas  parentes  ;  car, 
après  une  période  de  communauté,  ces  langues  peuvent  avoir  divergé 
assez  pour  que  les  concordances  qui  seraient  probantes  aient  disparu. 
Tout  ce  que  Ton  peut  dire  maintenant,  c'est  que  les  preuves  fournies 
par  M.  M.  n'emportent  pas  la  conviction  et  que  la  plupart  de  ses 
rapprochements  ne  semblent  pas  évidents.  Si  jamais  on  peut  établir 
la  parenté  du  sémitique,  ou  plutôt  du  hamitico-sémitique  avec  l'indo- 
européen,  ce  ne  sera  sans  doute  qu'à  l'aide  de  langues  intermédiaires, 
et  cette  parenté,  dont  la  preuve  n'est  pas  fournie  encore,  à  ce  qu'il 
semble,  expliquera  les  quelques  ressemblances  qui  peuvent  sembler 
séduisantes  parmi  celles  que  signale  M.  M.  Mais  que  l'auteur  prenne 
un  autre  groupe  de  langues,  le  bantou  par  exemple,  et  qu'il  y  cherche 
des  ressemblances  avec  l'indo-européen,  il  n'en  trouvera  sans  doute 
pas  moins. 

A.  Meillet. 


d'histoire  et  de  littérature  369 

Joseph   Wright,   Comparative    grammar    of   the    Greek    language.    Oxford 

(H.  l'rowde),  19  12,  iii-8",  xx-3(S4  p. 

Si,  pour  faire  un  précis  de  grammaire  comparée  du  grec,  il  suffisait 
d'avoir  une  idée  des  principes  de  la  grammaire  comparée  et  d'avoir 
soigneusement  emprunté  aux  manuels  de  M.  Brugmann  une  quantité 
d'explications  de  détail  en  omettant  le  plus  possible  les  idées  géné- 
rales, M.  Wright  aurait  écrit  un  bon  précis,  et  la  collection  dont  ce 
volume  fait  partie  promettrait  une  série  utile.  Mais  il  est  peut-être 
permis  d'être  plus  exigeant. 

Tout  d'abord,  M.  W.  ne  semble  pas  avoir  des  diverses  langues 
qu'il  cite  une  connaissance  assez  précise  et  assez  personnelle.  Il  est 
brouillé  plus  que  de  raison  avec  les  cérébrales  sanskrites,  notamment 
p.  III,  285  et  289;  p.  i6'3  il  décline  en  sankrit  svddîm,  svddyds, 
svddyai  avec  une  regrettable  obstination,  après  avoir  écrit  correcte- 
ment svddvî  p.  162,  et  le  skr.  bhrû-  devint  brû-  p.  28.  Tout  germa- 
niste qu'il  soit,  il  enseigne,  p.  335,  que  l'infinitif  est  limité  à  la  forme 
de  l'accusaiif  en  ancien  germanique.  P.  171,  on  a  en  lituanien  naktes 
au  lieu  de  naktës^  alors  que  c'est  sur  ë  que  porte  en  ce  passage  tout 
l'iniérêt  de  la  forme.  Et  même,  p.  217,  un  latiniste  lira  dexterus  avec 
surprise.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  exemples  cités  qui  ne  présentent  des 
traces  de  distraction,  ainsi  quand  avsjjio;,  en  regard  du  skr.  aniti,  est 
donné  p.  2  5  comme  exemple  du  traitement  a  de  d  en  grec. 

M.  W.  ne  semble  suivre  que  d'assez  loin  les  publications  relatives 
à  la  grammaire  comparée.  Quoique  spécialiste  du  gotique,  il  continue 
à  rapprocher  de  yfi'jc  le  gotique  siitis,  suti\o  que  M.  Streitberg  en  a  si 
heureusement  séparé.  L'idée  que -va-  dans  ojvaixa-.  serait  un  élément 
suffixal  est  choquante  au  point  de  vue  grec,  pour  qui  songe  à  ouvv 
To;i.at,  ojvx[j.'.;,  etc.;  M.  Frœnkel,  Nomina  agentis^  I,  p.  208  et  suiv.,  a 
bien  montré,  après  Frôhde  et  Solmsen,  qu'il  s'agit  d'une  racine  ouva-. 
—  P.  288,  M.  W.  enseigne  encore  que  le  futur  grec  serait  un  sub- 
jonctif aoriste,  théorie  périmée,  contre  laquelle  protestent  toutes  les 
formes  grecques  et  que  M.  Ribezzo  a  remplacée  par  son  rapproche- 
ment du  futur  grec  avec  le  désidératif  sanskrit. 

En  un  temps  où  les  questions  relatives  à  l'emploi  des  formes  et  à 
la  syntaxe  attirent  particulièrement  l'attention,  M.  W.  s'en  tient  à  la 
phonétique  et  aux  formes  grammaticales,  comme  on  l'aurait  fait  il  y 
a  trente  ans.  Après  la  publication  des  manuels  de  M.  Thumb  et  de 
M.  Buck  qui  ont  rendu  si  facile  l'étude  des  dialectes  grecs,  M.  W. 
s'en  tient  aux  dialectes  littéraires  et  laisse  de  côté  presque  tous  les 
enseignements  qu'on  peut  tirer  des  faits  dialectaux  connus  par  les 
inscriptions.  Enfin  les  faits  semblent  parfois  assez  inexactement  pré- 
sentés; on  ne  voit  pas  pourquoi  M.  "W.  conteste  l'antiquité  des  formes 
de  parfait  à  désinences  secondaires,  c'est-à-dire  du  plus-que-parfait; 
les  deux  seules  langues  qui  présentent  sous  une  forme  claire  le  par- 
fait indo-européen,  à  savoir  le  grec  et  l'indo-iranien    en  offrent  des 


3^0  REVUE    CRITIQUE 

formes  concordantes,  et  i!  n'est  pas  jusqu'au  type  éolien  (et  par  suite 
homérique)  cl  cypriote  £[x£;iY,y/j7  du  singulier  qui  ne  trouve  dans  les 
vëdas  son  correspondant  exact  ;  on  voit  mal  ce  que  veut  dire 
M.  W.  quand  il  parle  d'expliquer  hom.  i;ji£;i.ï;/.ov  par  l'analogie  de 
l'imparfait. 

Dans  l'ensemble,  renseignement  donné  par  M.  W.  est  correct; 
mais  l'auteur  se  borne  à  des  faits  énumérés  le  plus  sèchement  pos- 
sible, et  il  est  permis  de  se  demander  si,  réduit  à  cet  amas  de  petits 
faits  sans  lien,  l'enseignement  de  la  grammaire  comparée  n'est  pas 
plus  rebutant  qu'utile. 

A.  Mkillkt. 


H.  Bhihvkr,  s.  .).  Die  Frage  um  das  Zeitalter  Kommodians  [Forschungen  zur 
christl.  Litcratur.  u.  Dogiiiengcschichic,  von  l^hiliard  u.  Kirsch,  X,  :]  Pader- 
born,  Schôningh,  1910  (ix,  71  p.  in -8».  M.  2.t'>o 

A.  d'Alks,  Commodien  et  son  temps,  exirait  des  Recherches  de  Science  reli- 
gieuse. 191 1,  n"   3  et  G. 

Le  P.  Brewer  doit  être  flatté  de  l'intérêt  que  son  étude  sur  Kom- 
modian  von  Ga^a  [Forschungen  A.  Ehrhard  et  J.  P.  Kirsch,  VI,  1-2, 
Paderborn,  1906)  a  éveillé  parmi  les  critiques.  On  connaît  l'essentiel 
de  la  thèse  qu'il  y  soutient.  Selon  lui  Commodien  n'a  écrit  ni  au 
milieu  du  iii^  siècle  (Ebert,  Boissier),  ni  au  début  du  iv<:  (F.  X.  Kraus), 
ni  de  260  à  35o  (Harnack),  ni  dans  la  seconde  moitié  du  iv*  siècle 
(Maasl  :  mais  bien  entre  458  et  466,  dans  le  sud  de  Gaule.  Telle  est 
la  conclusion  à  laquelle  il  arrive  par  des  considérations  d'ordre  lin- 
guistique et  par  l'examen  des  allusions  historiques  qu'il  pense  aper- 
cevoir, soit  dans  les  Instrucliones,  soit  surtout  dans  le  Carmen  apolo- 
geticum  {v.  S05-822). 

Peu  de  temps  après  l'apparition  de  ce  docte  travail,  M.  J.  Driiseke 
écrivait  dans  la  Theol.  Literatiirieitung  (1907,  n°  3,  p.  80,  etc.). 
«  ..Eine  Kommodian-Frage  gibt  es  nun  nicht  mehr,  Brewer  hat 
sic  endgultiggelôst.  »  C'était  aller  un  peu  vite  en  besogne.  M.  Driiseke, 
de  qui  la  conviction  est  demeurée  entière  (voy.  Theol.  Literatur\ci- 
tung,  191 1,  p.  364  et  s.),  a  dû  s'apercevoir  qu'elle  ne  s'imposait  pas  à 
tous  les  esprits  avec  la  même  évidence  qu'au  sien.  Particulièrement 
vive  fut  l'attaque  menée  contre  les  combinaisons  de  Brewer  par 
M.  Paul  Lejay  dans  la  Revue  critique  (t.  LXIV  [1907],  p.  199-209; 
cf.  ibid.,  t.  XLIIl  [1909],  p.  i25).  M.  Cari  Weyman  opina  dans 
le  même  sens  que  M.  Lejay  [Theol.  Revue,  t.  VII  [1908]  p.  523  et  s.\ 
M.  F.  Zeller  publia  à  son  tour  dans  la  Theol.  Quarîalschrift  (t.  XCl 
[1909],  p.  161-211;  252-406)  une  dissertation  nettement  défavorable 
à  la  thèse  du  Père  Brewer,  et  Bardenhewer  a  cru  prudent  de  ne  pas 
accueillir  cette  thèse  dans  la  troisième  édition  (1910)  de  sa  classique 
Patrologie  (p,  197). 

C'est  pour  répondre  aux  objections  de   Lejay,  de  Weyman  et  de 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  ?"! 

Zcller  que  le  P.  Brewer  défend  à  nouveau  quelques  uns  des  points 
les  plus  coniesiés  de  sa  dénionsiraiion,  dans  un  récent  fascicule 
des  Forschungen.  Les  indices  qu'il  estime  décisifs  en  faveur  de 
sa  thèse  sont  :  i"  l'emploi  du  mot  index  au  sens  de  «  gouver- 
neur [Carmen  ApoL,  Sj'}  et  s.);  2"  l'allusion  à  la  lourdeur  des 
tributa  [Carmen  Apol.  890);  3»  le  petit  nombre  et  la  inisère  des 
prêtres  pa'iens  [Instr.,  i,  8;  17;  18;  19);  4"  l'allusion  à  la  rechute 
volontaire  dans  le  paganisme  et  aux  pénalités  qu'elle  entraîne  [Inst., 
II,i'3):  5"  l'utilisation  par  Commodien  des  Constitutions  apostoliques '^ 
6'^  l'hostilité  de  G.  au  Sémi-pélagianisme  et  son  adhésion  à  la  doctrine 
augustinienne  de  la  grâce;  7»  enfin  l'interprétation  du  Carmen,  8o5  et  s. 
(qui  implique  selon  B.,  que  le  poète  a  connu  la  prise  de  Rome  par 
Alaric,  et  l'irruption  des  barbares  sur  le  Danube  en  466)  et  le  rapport 
des  Instr.,  II,  lo  à  une  décision  prise  en  458  par  le  pape  Léon  L''  au 
sujet  du  baptême  des  enfants. 

La  discussion  de  B.  est  habilement  aménagée.  11  a  eu  la  satisfaction 
de  voir  M  .  A.  Bigelmair  se  ranger  à  ses  côtés  {Deutsche  Literatur- 
:[eitung,  n"  23  [191  i],  col.  i4i3et  s.)  et  M.  Rauschen,  Çd'abord  hos 
tile,  se  déclarer  également  en  sa  faveur  (voy.  la  Liter.  Beilage  de  la 
Kôln.  Volks\eitung,  n°*  3,  10  et  i5).  J'avoue  pourtant  que  la 
nouvelle  discussion  instituée  récemment  par  iVI.  Cari  Weyman, 
avec  son  ordinaire  acribie,  dans  la  Theolog.  Revue  (19 12,  n°  i), 
m'a  paru  ébranler  fortement  ou  même  ruiner  la  plupart  des  preuves 
dont  B.  fait  état;  et  de  tous  ces  débats  je  recueille  finalement  une 
impression  conforme  à  celle  de  A.  d'Alès  dans  l'intéressante  étude 
analytique  qu'il  vient  d'écrire  sur  Commodien  et  son  temps  à  propos 
des  travaux  de  Brewer  :  «  La  trace  des  temps  de  persécution,  remarque 
d'Alès,  y  apparaît  trop  évidente  et  trop  profonde  pour  qu'on  en 
puisse  abaisser  la  date  jusqu'après  l'édit  de  Milan.  Je  crois  que  le 
savant  philologue  a  majoré  quelques  indices  douteux  et  négligé  une 
somme  bien  plus  forte  d'indices  décisifs.  » 

Pierre  de  Labriolle. 


Zur  Erklgerung  und  Textkritik  des  I  Bûches  Tertulliens  «  aduersus  Mar- 
cionem  »,  von  !)'■  August  Bu.u.  Texte  und  Untersuchungen,  XXW'III,  2. 
Leipzig,  .1.  C.  Hinrichs,  igii.  Prix  ;  3  M.  5o. 

Depuis  deux  ou  trois  ans,  TertuUien  attire  particulièrement  l'atten- 
tion des  philologues.  M.  J.-P.  Waltzing  a  donné  en  1910  une  traduc- 
tion de  V Apologétique  avec  un  ample  commentaire,  en  même  temps 
qu'un  de  ses  élèves,  M.  Paul  Henen,  publiait  un  Index  uerborum 
quae  Tertulliani  Apologetico  continentur.  En  19 10  encore,  M.  Richard 
Heinze  a  consacré  à  ce  traité  tout  un  fascicule  des  Verhandlungen 
de  \a.  Sachs.  Ges.  der  Wiss.  Une  année  auparavant,  M .  J  .  Gcffcken, 
dans  ses  Kynika  und  Vervandtes  [ip.  58-i38)  traduisait  et  paraphrasait 
le  de  Pallia,  dont  les  énigmes   quasi    indéchiffrables  méritaient  -de 


3j-2  REVUK    CRITIQUE 


solliciter  sa  subiile  érudition.  M.  August  Bill,  enfin,  vient  de  faire 
paraître  dans  les  Texte  und  Untersuchungen  de  A.  Harnack  et  Cari 
Schniidt  une  analvse  critique  trt-s  minutieuse  du  premier  livre  de 
Vadiicr.sus  Marcioncm. 

.le  rappelle  en  quelques  mots  l'essentiel  de  la  thèse  marcioniste.  — 
Marcion  avait  été  vivement  frappé  par  les  divergences  entre  l'idée  de 
Dieu,  telle  que  la  révèle  l'Ancien  Testament,  et  celle  qui  apparaît  dans 
l'Évangile.  D'un  côté  un  Dieu  sévère  et  même  cruel,  en  qui  certaines 
des  passions  humaines  vivent  et  bouillonnent,  qui  aime,  hait,  se 
venge,  qui  est  sujet  à  l'incertitude  et  au  repentir;  de  l'autre  côté,  un 
Dieu  de  clémer^ce  et  de  bonté,  père  céleste  de  toute  créature.  Marcion 
partait  de  cette  opposition  pour  accommoder  à  son  gré  les  données  de 
la  Révélation  chrétienne.  Selon  lui,  le  Dieu  véritable,  le  Dieu  suprême 
s'était  véritablement  et  pour  la  première  fois  manifesté  dans  le  Christ  ; 
quant  au  Dieu  de  l'Ancien  Testament,  il  n'était  à  ses  yeux  qu'un 
simple  démiurge,  un  Dieu  subalterne,  responsable  de  la  création  de 
la  jXr,,  de  la  «  matière  »  mauvaise  en  soi.  —  Telle  est  la  théorie  que 
ce  Marcion,  ancien  commerçant,  autodidacte,  ignorant  des  disciplines 
de  la  rhétorique  et  de  la  philosophie,  avait  cherché  à  propager  à 
Rome  vers  1 38-140.  La  rupture  avec  l'autorité  ecclésiastique  était 
inévitable.  Quand  elle  fut  définitive,  Marcion,  se  mit  à  propager  sa 
doctrine,  avec  un  réel  succès. 

TertuUien  a  consacré  à  la  réfutation  du  marcionisme  le  plus  ample 
de  ses  ouvrages  [VAdii.  Marcionem  ne  comprend  pas  moins  de  cinq 
livres),  et  l'un  des  plus  retors,  des  plus  caustiques,  des  plus  procé- 
duriers. 

Le  premier  livre,  dont  s'occupe  uniquement  M.  Bill,  est  consacré 
à. la  discussion  de  l'idée  que  Marcion  s'était  formée  du  Dieu  suprême 
et  à  la  défense  du  Dieu  chrétien  méconnu.  M.  Bill,  s'est  assigné  pour 
tâche  de  suivre  pas  à  pas,  nuance  à  nuance,  la  pensée  de  TertuUien, 
qui,  par  son  allure  nerveuse,  ses  raccourcis  brusques,  l'imprévu  de 
ses  sautes,  déconcerte  si  souvent  le  lecteur.  Certaines  préoccupations 
dominent  l'exégèse  de  M.  Bill.  Il  veut  :  1°  étudier,  dans  ce  premier 
livre,  la  théorie  rationnelle  de  Dieu  la  plus  complète  que  les  premiers 
siècles  chrétiens  nous  aient  léguée,  et,  le  cas  échéant,  en  indiquer  les 
sources;  2°  extraire  toutes  les  indications  propres  à  mieux  faire  con- 
naître Marcion,  sa  doctrine,  et  ses  ouvrages  ;  3"  examiner  de  près  la 
théorie  de  Kroymann  (l'éditeur  du  tome  III  de  TertuUien  dans  le 
Corpus  de  Vienne)  sur  la  double  recension  de  VAdu.  Marcionem. 

Ce  dernier  point  est  fort  intéressant,  et  c'est  le  seul  que  je  retiendrai. 
Pour  faire  comprendre  de  quoi  il  s'agit,  je  traduis  les  premières 
lignes  du  traité  '  :  «  De  ce  que  nous  avons  pu  faire  précédemment 
contre  Marcion  (déclare  TertuUien)  il  n'y  a  plus  à  tenir  compte  désor- 

I.  Ed.  Kroymann  [Corp.  Vindob.,  t.  XXXXVII),  p.   290. 


d'histoire  et  de  littérature  373 

mais.  C'est  une  matière  nouvelle  que  nous  entreprenons,  d'après 
l'ancienne.  —  Trouvant  bàclc  un  premier  opuscule,  je  l'avais  sup- 
prime en  y  substituant  ensuite  un  travail  plus  complet,  lequel  n'était 
pas  encore  remis  pour  qu'on  en  tirât  copie,  quand  le  larcin  (d'un 
individu)  qui  était  alors  un  de  nos  frères,  et  qui  est  devenu  apos- 
tat depuis  lors,  m'en  dépouilla.  Il  en  transcrivit  au  petit  bonheur 
plusieurs  parties,  en  y  laissant  quantité  de  fautes,  et  il  les  livra  au 
public.  Une  révision  s'imposait  '.  A  l'occasion  de  ce  remaniement,  je 
me  suis  décidé  à  faire  des  additions.  Et  c'est  ainsi  que  ce  texte,  qui 
est  le  troisième  puisqu'il  vient  après  le  second,  et  qui,  étant  le  troi- 
sième est  désormais  le  premier  [=  celui  qui  doit  faire  autorité]  rend 
indispensable  une  préface,  au  moment  où  je  publie  l'opuscule  où  il 
tigure.  Il  sera  ainsi  coupé  court  aux  perplexités  de  ceux  qui  en  trou- 
veraient ici  et  là  des  rédactions  divergentes  ». 

Le  passage  est  curieux  pour  l'histoire  du  livre  dans  l'antiquité. 
L'Adu.  Ma7-cionem  eut  donc  trois  éditions,  dont  la  dernière,  dans  l'in- 
tention de  l'auteur,  devait  annuler  les  deux  autres.  M.  Kroymann 
est  parti  de  là  pour  expliquer  dans  ce  traité  certaines  répétitions 
d'idées,  qui  lui  semblaient  superflues  :  d'après  lui  des  morceaux  de  la 
seconde  édition  auraient  été  insérés  dans  la  troisième,  et  il  note  en 
marge  ces  prétendus  doublets  par  un  signe  spécial. 

Cette  hypothèse  (qui  ne  repose  sur  aucune  attestation  antique) 
parait  fort  compromise  après  l'examen  attentif  auquel  M.  Bill  vient  de 
la  soumettre.  En  réalité,  si  TeriuUien  semble  quelquefois  se  répéter 
à  l'excès,  c'est  que,  dialecticien  inexorable,  il  frappe  à  coups  redoublés 
sur  son  idée  pour  la  faire  entrer  de  force  dans  l'esprit  du  lecteur. 
Quelquefois  aussi,  ce  n'est  qu'une  altération  de  texte,  aisée  à  rectifier, 
qui  brise  ou  complique  ses  raisonnements.  N'étant  pas  indispensable 
à  l'interprétation  de  VAdu.  Marc,  la  conjecture  de  Kroymann  devient 
superflue. 

Outre  cette  démonstration,  M.  Bill  fournit  bon  nombre  d'utiles 
observations  de  détail.  J'estime  pourtant  qu'il  faut  défendre  contre 
lui  (p.  14)  le  texte  de  Kroymann  au  §  II  (p.  292,  1.  27  et  s.)  :  le  bonos 
fructus  est  mis  là  pour  la  symétrie,  ce  qui  facilite  l'ellipse  un  peu 
dure  de  condentis.  Quant  au  quasi  de  la  phrase  suivante,  il  signifle 
<i  s' imaginant  trouver  ».  La  correction  de  Bill  n'améliore  aucune- 
ment ce  passage,  et  est  à  rejeter  sans  hésii-ation.  J'en  dirai  autant  de 
celle  qu'il  propose  (p.  16)  pour  Kroymann,  p.  2r)3,  I.  Il  :  à  quoi  bon 
modiher  la  leçon  des  mss.,  là  où  elle  est  intelligible?  Enfln  la  con- 
tradiction que  B.  (p.  34)  croit  trouver  entre  le  chap.  i  et  le  chap.  xxi, 
au  sujet  de  l'argument  de  prescription,  est  imaginaire.  Tertullien  a 
déclaré  au  i;  1  qu'il  ne  veut  pas  couper  court  à  toute  discussion  en  se 

I.  Je  reviens,  avec  Bii.l,  à  l'ancienne  ponctuation,  modifiée  à  tort  par  Kroymann  : 
«  Einendationis  nécessitas   facta  est.    Innonationis  eius,  etc.  ». 


?-4  REVUE    CRITIQUE 

contcntani  d'invoquer  cet  argument;  mais  cela  n'implique  nullement 
qu'il  s'interdise  d'alléguer,  le  cas  échéant,  toute  preuve  tirée  de  la 
«  tradition  ». 

Pierre  dk  L.\nHi0Li-P:. 

Vita  sanctae  Genouefae  uirgiuis  Parisiorum  patronae,  l'r()lct;omcna  cons- 
cripsit,  icxluiu  cdiiiil  Carolus  KiiNSTi.i;.  Lipsiac,  MCMX.  Prix  :  M.  1.20;  car- 
tonné, M.   1 ,0o. 

M.  C.  Kiinsile  a  donné  dans  la  collection  'l\'ubner  une  nouvelle 
édition  de  la  vie  de  sainte  Geneviève.  On  se  rappelle  les  polémiques 
qui  se  sont  entrecroisées  à  propos  de  cette  Vie  entre  des  champions 
tels  que  M.  Bruno  Krusch  et  Mgr  Duchesne.  M.  Krusch  se  prononçait 
nettement  contre  l'authenticité  de  la  Vita  Genouefae  où  il  ne  voulait 
reconnaître  qu'une  falsification  du  viii^  siècle.  Il  résulte  des  conscien- 
cieuses recherches  de  M.  C.  Kiinstle  que  l'original  de  la  Vie  remonte 
bien  au  vi=  siècle.  K.  en  publie  une  recension  nouvelle  qui  procède 
d'un  exemplaire  du  vii«  siècle  et  qui  se  trouve  dans  le  Cod.  Augiensis^ 
XXXII  (ix'^  s.),  et  dans  le  Cod.  Palat.  Vindob.,  n°  420  (fin  viii-^s.). 
Il  conclue  (contre  Krusch)  qu'en  dépit  des  éléments  légendaires  que 
la  fantaisie  populaire  a  incorporés  à  la  Vie  de  sainte  Geneviève,  «  il 
faut  tenir  ferme  à  la  vérité  du  fond  historique  sur  lequel  tranche 
l'image  de  Geneviève  ». 

P.   DE   C. 

Die  poetische  Bearbeitung  des  Bûches  Daniel  aus  der  Stuttgarter  Handschrift 
herausgegeben  von  Arthur  IIui!NRr  (Deutsche  Texte  des  Mitielalters  hgb.  von 
der  k  Preuss.  Akad.  der  Wiss.  Band  XIX).  Berlin,  Wcidmann,  1911.  In-S", 
XXIV- 162  pp.,  6,60  m. 

L'Ordre  Teutonique  s'est  appliqué  à  mettre  en  vers  quelques 
épisodes  bibliques.  Un  poète  anonyme,  qui  fut  en  relations  avec  cet 
Ordre  chevaleresque,  a  écrit  une  version  poétique  du  Livre  de  Daniel^ 
conservée  en  deux  manuscrits,  dont  l'un  se  trouve  à  Stuttgart. 
M.  Hiibner,  qui  s'est  déjà  livré  à  l'étude  de  ce  poème  dans  une  thèse 
de  doctorat,  le  publie  dans  la  collection,  si  utile  aux  germanistes,  des 
Textes  allemands  du  moyen  àgc.  A  l'égard  de  la  poésie  et  aussi  de 
la  langue  cette  édition  est  la  bienvenue.  Les  8348  vers  du  poème 
célèbrent  l'histoire  de  Daniel,  mais  aussi  glosent  le  texte  biblique,  et 
s'étendent  en  allégories  et  exhortations.  La  langue  du  poème  est  un 
peu  sèche,  mais  ferme  et  variée.  Les  notes  dont  M.  Hubner  a  enrichi 
sa  publication  sont  abondantes  et  élucident  vraiment  un  texte  qui 
n'est  pas  toujours  aisé. 

F.  P. 


Eugène  Vernay.  Le  Liber  de  Excommunicacione  du  cardinal  Bérenger  Frédol, 
précédé  d'une  introduction  historique  sur  l'excommunication  et  l'interdit  en 
droit  canonique  à  la  tin  du  xiiif  siècle.  Paris,  Rousseau,  1912,  i65  pp. 

Cette  édition    complète   l'étude  que   M.    Paul   VioUet   publie    sur 


d'histoire  et  de  littérature  375 

Bércngcr  Frédol  dans  l'Histoire  littéraire  de  la  France  (t.  XXXÎV). 
Aussi  M.  Vernay  se  bornc-i-il  à  faire  prcccdcr  d'une  introduction 
historique  !e  Liber  de  exeommunieacione .  Mais  celte  large  introduc- 
tion forme  à  elle  seule  une  (Xiuvre   neuve  et  vigoureusement  pense'e. 

lille  était  nécessaire.  L'histoire  de  l'excommunication  en  effet, 
reste  encore,  en  grande  partie,  mystérieuse,  peu  de  sujets  se  ramifiant 
autant.  Considérant  l'excommunication  comme  un  corrélatif  de  la 
pénitence,  M.  Vernay  trace  une  esquisse  de  l'évolution  pénitentielle 
dans  son  ensemble,  et  cette  esquisse  sera  d'autant  inieux  accueillie 
que  les  théories  classiques  du  droit  canonique  ont  été  élaborées  par  la 
conciliation  de  textes  d'époques  très  dilférentcs. 

L'œuvre,  jusqu'ici  inédite,  de  Bérenger  Frédol,  révèle  un  change- 
ment accentué  dans  le  caractère  de  la  sentence  d'excommunication. 
Celte  dernière  perd  l'allure  qu'elle  revêtait  dans  le  haut  moyen  âge, 
pour  devenir  plus  interne.  Certes  elle  appartient  encore  à  la  juridic- 
tion extérieure  de  l'Eglise  et  s'appuie  toujours  sur  le  bras  séculier  ; 
mais  elle  cherche  déjà  à  se  fonder  avant  tout  sur  le  scrupule  de 
conscience,  le  for  interne  et  la  discipline  confessionnelle,  avec  le 
développement  des  excommunications  latœ  sententiœ.  Le  succès  du 
Liber  de  Bérenger  Frédol  fait  de  lui  un  témoin  notable  dans  ce 
mouvement  des  conceptions  pénitentielles. 

L'auteur  examine  successivement  :  l'excommunication  dans  l'his- 
toire générale  de  la  discipline  pénitentielle,  la  sentence  d'excommu- 
nication, les  excommunications  latœ  sententiœ,  l'interdit,  l'absolution. 
Il  décrit  avec  soin  les  manuscrits  du  Liber  de  exeommunieacione  et 
dressse  le  tableau   de  leur  filiation.   Une   série  de  fac-similé  termine 


l'ouvrage. 


P.    Laborderie-Bouloo. 


BoucHAUD  (Pierre  de),  Les  poésies  de  Michel  Ange  Buonarroti  et  de  Vittoria 
Colonna  :  £"55.3/  sur  la  lyrique  italienne  du  xvi"  5;cV/£>.  Paris,  Grasset,  1912. 
In-8,  2G8  p.  3  fr.   5o.  "  -  .  . 

On  trouvera  peui-ctre  que  M.  de  B.  exagère  un  peu  l'originalité  des 
poésies  de  Michel  Ange  et  de  V.  Colonna;  à  part  quelques  pièces 
touchantes  ou  éloquentes  comme  les  sonnets  du  premier  sur  Dante, 
le  style  ni  les  pensées  n'en  sortent  guères  du  cercle  où  les  lyriques 
italiens  s'étaient  enfermés  à  plaisir.  De  meine,  l'amour  de  la  liberté, 
le  ressentiment  contre  ses  oppresseurs  ne  tenaient  pas  une  aussi 
grande  place  qu'il  le  croit  dans  l'àme  de  Michel  Ange.  Ajoutons,  pour 
en  finir  avec  les  chicanes,  qu'il  jugerait  moins  sévèrement  la  poésie 
amoureuse  des  Latins  s'il  l'avait  étudiée  dans  Catulle  et  dans  Virgile 
aussi  bien  que  dans  Ovide,  Tibulle  et  Properce,  et  qu'il  y  a  (p.  102)  quel- 
ques lapsus  touchant  la  métrique  italienne.  Mais  à  s'éprendre  passion- 
nément d'âmes  nobles  comme  celles  de  la  marquise  de  Pescairc  et  du 


.l-O  .        RKVUE    CRITIQUE 

grand  sculpteur  Horcmin.  il  n'y  a  pas  grand  mal,  surtout  aujourd'hui. 
En  outre,  il  faut  songer  que  M.  de  R.  rend  depuis  de  longues  années 
à  la  science  un  service  rare:  c'est  lui  certainement  qui  a  contribué 
davantage  à  donner  le  goût  de  la  littérature  italienne  aux  personnes 
du  grand  monde.  Depuis  quinze  ans,  infatigable  comme  s'il  avait  sa 
vie  à  gagner,  il  prête  son  aide  à  toutes  les  sociétés  savantes  qui  la 
réclament  ;  par  ses  conférences,  dont  d'innombrables  projections 
doublent  l'attrait  et  où  sa  qualité  de  poète  et  ses  relations  sociales 
attirent  quantité  d'auditeurs  qui  ne  se  dérangeraient  pas  pour  un  érudit 
de  profession,  par  une  douzaine  de  volumes  d'une  lecture  agréable 
consacrés  à  nos  voisins,  il  a,  à  sa  manière,  autant  fait  que  personne 
pour  l'italianisme.  Ajoutons  que,  s'il  ne  fouille  pas  les  sujets  qu'il 
traite  avec  la  patience  d'un  bénédictin,  il  connaît  et  met  à  profit  tous 
les  grands  travaux  de  la  critique.  C'est  un  des  plus  distingués  de  nos 
amateurs,  et  il  faut  souhaiter  qu'il  poursuive  encore  longtemps  la 
tâche  qu'il  s'est  donnée. 

Charles  Drjob. 


Gabetti  (Giuseppe),   Giovanni  Prati,  Milan,  Cogliati,  19 12.  In-8  de  viii-466  p. 
5  i.  5o. 

Ce  n'est  pas  la  patience  qui  a  manqué  à  M.  G.  :  il  a  retrouvé  jus- 
qu'aux moindres  articles  de  journaux  relatifs  à  Prati.  Ce  n'est  pas 
non  plus  le  sens  critique;  car  il  ne  surfait  jamais  son  auteur;  ce  n'est 
pas  même  la  finesse,  car  il  démêle  très  bien  dans  Prati  ce  qui  est 
d'emprunt  et  ce  qui  vient  du  fonds  même  du  poète,  alors  qu'un  obser- 
vateur superficiel  s'y  tromperait.  Ce  qui  lui  a  manqué,  c'est  la  conci- 
sion. Quatre  cent  soixante-six  pages  sur  un  poète  dont  le  nom  ne 
périra  pas  mais  dont  quelques  vers  ou  quelques  pièces  survivront 
seuls,  c'est  vraiment  excessif.  Sans  doute  Prati  a  traversé  des  époques 
dramatiques  ;  il  a  eu  ses  opinions  en  littérature  et  en  politique  ;  il  a  été 
incarcéré  par  les  Autrichiens  à  Padoue,  éloigné  de  Venise  par  Manin, 
de  Florence  par-Guerrazzi  ;  il  fut  un  moment  fort  lu,  fort  goûté.  Mais 
autant  il  aurait  été  légitime  de  rassembler  ses  titres  à  l'estime  en  citant, 
en  analysant  les  morceaux  où  se  marquent  le  mieux  sa  grâce,  son 
imagination  rêveuse  et  brillante,  autant  il  fallait  courir  sur  sa  vie  qui 
n'offre  au  total  rien  de  saillant  et  ne  pas  ébaucher  la  discussion  de 
nombre  de  théories  littéraires  qui  appelleraient  une  meilleure  occa- 
sion. Mais,  somme  toute,  il  y  a  dans  l'ouvrage  de  M.  G.  les  éléments 
d'un  bon  travail. 

Charles  Dejob. 


M.  Berteval,  Le  théâtre  d'Ibsen.  Préface  du  comte  Prozor.  Paris,  Perrin,  1912. 
Pr.  3  fr.  ?o. 

L'auteur  de  ce  nouvel  ouvrage  sur  Ibsen  cite  en  épigraphe  ces  paroles 


d'histoirr  kt  de  littérature  3-7 

du  poète  rapportées  par  le  comte  Prozor  :  »  Pour  bien  comprendre 
mon  œuvre,  il  faut  en  lire  les  parties  dans  leur  ordre  chronologique  ». 
C'est  incontestable.  Et,  chronologiquement,  il  résume  et  commente 
toutes  les  pièces  depuis  «  Catilina»  jusqu'à  «  Quand  nous  nous  réveil- 
lerons d'entre  les  morts  ».  Il  n'en  est  pas  moins  certain  qu'après  cela, 
nous  n'avons  d'Ibsen  qu'une  idée  encore  assez  vague.  Son  théâtre 
est-il  ou  non  un  théâtre  d'idées  ?  Si  oui,  quelles  sont  ces  idées  ?  Nulle 
part  nous  no  trouvons  la  synthèse  qui  nous  présente  le  penseur  en  sa 
puissante  massivité.  El  ces  idées,  comment  le  poète  s'y  est-il  pris 
pour  les  exposer?  De  nouveau,  les  aperçus  ingénieux  ne  manquent 
point.  Mais  nous  n'avons  même  pas  en  fin  de  livre  une  conclusion  qui 
nous  dise  clairement  ce  que  fut  le  théâtre  d'Ibsen,  en  quoi  consiste 
son  originalité,  ni  quelle  place  il  tient  dans  l'histoire  du  théâtre  à  la 
fin  du  xix^  siècle. 

Léon  Pineau. 


Maurice  Bouchor,  Contes.  Paris,  A.  Colin,   igii.  Pr.  i  fr.  25. 

L'idée  que  M.  M.  Bouchor  a  eue  de  transcrire  un  certain  nombre 
de  contes  populaires,  «  les  plus  belles  histoires  à  lire  ou  à  faire  lire 
aux  enfants  »,  je  l'ai  moi-même  longtemps  caressée,  et  si  le  métier 
m'eût  laissé  le  loisir  de  la  mettre  à  exécution,  mon  édition,  certes, 
différerait  beaucoup  de  la  sienne.  Lui,  il  a  transcrit  en  poète  :  cela 
n'est  point  donné  à  tout  le  monde.  Moi,  je  l'eusse  fait  en  paysan  :  je 
m'en  serais  tenu  ou  presque  au  récit  populaire  même  tel  que  je  l'ai 
entendu  si  souvent  avec  ses  expressions  pittoresques  et  ses  tournures 
hardies,  où  l'on  retrouve,  en  même  temps  que  toute  la  clarté  et  la  viva- 
cité de  l'esprit  français,  toute  la  verve  un  peu  rude  et  libre  du  véritable 
esprit  gaulois.  Eût-ce  été  un  crime  d'être  fidèle  à  ce  point  ?  ou  même 
une  faute  de  goût?  .Te  ne  peux  pas  le  croire.  Mais,  parce  que  j'aurais 
procédé  autrement,  cela  ne  signifie  point  que  je  n'aie  eu  grand  plaisir 
à  relire  en  la  transcription  de  M.  M.  Bouchor  les  aventures  de  Peau 
d'Ane  et  du  Petit  Poucet  et  du  Chat  botte'  et  du  Chaperon  rouge...  Et, 
comme  M.  Bouchor,  je  pense  qu'un  tel  recueil  devait  être  «  le  premier 
livre  classique  »  de  nos  enfants. 

Léon  Pineau. 


Austin  DE  Gro/:i:,  La  ctianson  populaire  de  l'île  de  Corse.  Paris,  H.  Champion, 
191 1. 

Ce  petit  livre  est  tout  d'enthousiasme.  L'auteur  ne  s'en  cache  point 
et  il  a  raison.  En  le  publiant,  dit-il,  c'est  aussi  une  dette  de  reconnais- 
sance qu'il  acquitte  pour  les  joies  que  lui  a  procurées  son  séjour  de 
trois  ans  dans  l'ile  méconnue.  Cette  Corse  qu'il  aime  tant  après  l'avoir 
redoutée  comme  une  terre  d'exil,  c'en  est  l'âme  qu'il  a  essayé  de  fixer 
telle  qu'elle  s'exprime  en  ses  naïves  chansons.  Après  quelques  pages 


378  Rr.VlIF.    CRlTIQtlF, 

sur  les  Corses,  leur  histoire,  leurs  légendes,  leur  dialecte  et  leur 
génie  pratique  et  musical,  il  nous  donne,  en  les  expliquant  et  com- 
meniani,  de  vieux  airs  populaires,  des  cliansons  pcjlitiqucs  à  l'ironie 
niordanie,  des  «  nannc  »  ou  berceuses,  des  sérénades,  des  chants  nup- 
tiaux, des  chansons  de  travail,  des  «  lanienti  »  et  des  «-voceri  »  sur- 
tout, ces  prodigieuses  explosions  de  douleur,  d'une  douleur  qui  ignore 
la  résignation  passive  et  qui  «  mérite  d'être  interprétée  comme  un  signe 
de  l'énergie  et  de  la  vitalité  de  la  <«  race  ».  D'autres  avant  M.  Ausiin 
de  Croze  avaient  publié  de  semblables  recueils,  même  de  plus  com- 
plets. Nul  ne  l'a  fait  avec  plus  de  sympathie.  Les  Corses  lui  en  sau- 
ront gré,  et  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  la  littérature  populaire. 

Léon  PiNKAU. 


La  Touraine,  par  H.  Guerlin  (Antholosjies  illustrées  des  Provinces  françaises). 
Paris,  H.  I.aurcns,  in-8".  Prix  :  3  fr.  —  Bourges,  par  G.  Hardv  et  A.  Gax- 
Dii.iKJN  (Les  \'illcs  d'art  célèbres).  Paris,  11.  Laurcns,  in-H».  Prix  :  4  fr.  — 
Voyage  à  l'ile  Majorque,  par  .Iules  Leclkrcq.  l^aris,  Pion,  in-12.  Prix  :  3  fr.  3o. 
—  La  France,  histoire  ci  géographie  économiques,  t.  I,  gr.  in-8".  Paris, 
46,  rue  de  Londres. 

M.  H.  Laurens,  l'éditeur  d'art,  entreprend  une  nouvelle  collection, 
parmi  tant  d'autres  :  celle  des  Provinces  françaises,  sous  forme 
d'  «anthologies  illustrées  ».  Expliquons-nous.  Voici  La  Touraine, 
pour  commencer,  la  Touraine,  creur  de  la  France,  «  jardin  de  la 
France  »  comme  disaient  les  Mérovingiens,  féconde  en  monuments, 
merveilleuse  en  points  de  vue  provinciaux.  Le  livre  s'ouvre  sur  une 
étude  générale  due  à  la  plume  de  M.  Henri  Guerlin,  où  sont  exa- 
minées en  cent  pages  la  nature  avec  ses  aspects  pittoresques,  avec  les 
questions  de  race  et  de  sol,  et  les  beautés  créés  par  l'homme,  et  la  vie, 
c'est-à-dire  l'histoire  de  la  région,  son  art  et  son  industrie.  Cette 
partie,  écrite  avec  adresse  et  qui  donne  une  vue  d'ensemble  caracté- 
ristique, est  suivie  d'une  seconde,  de  proportions  un  peu  supérieuies, 
composée  de  pages  choisies  dans  les  livres  les  plus  célèbres  des 
écrivains  qui  ont  connu,  conté  et  décrit  la  Touraine  :  de  Ronsard  à 
Balzac,  de  M™*  de  Sévigné  à  Théophile  Gautier,  d'Agrippa  d'Aubigné 
à  Victor  Hugo,  de  La  Fontaine  à  Flaubert.  Ajoutez  une  carte 
d'ensemble  et  loq  photographies.  La  collection  est  dirigée  par 
M.  Henry  Marcel,  et  annonce  déjà  de  futurs  volumes  pour  la  Bour- 
gogne, l'Auvergne  et  la  Bretagne. 

La  série  des  «  Villes  d'Art  »,  elle,  en  est  à  son  L'  lome.  Voici,  cette 
fois,  Bourges  et  le  Berry  (l'abbaye  de  Noirlac,  les  châteaux  de  Mcil- 
lant  et  de  Valençay.).  MM.  G.  Hardy  et  A.  Gandilhon  ont  uni 
leurs  compétences  et  leurs  recherches  nouvelles  pour  écrire  cette 
histoire  descriptive  et  apprécier  ce  foyer  d'art.  Il  est  peu  de  villes  plus 
homogènes  que  Bourges  comme  évolution  et  développement  monu- 
mental ancien,  qui   aient   conservé  plus  de  vieilles  maisons,  d'aspects 


d'histoire  et  de  littérature  379 

pittoresques  et  éloquents.  Il  en  est  peu  de  moins  connues,  parce 
qu'elle  est  en  dehors  des  grandes  voies  des  touristes  et  d'ailleurs  un 
peu  morte  à  la  vie  moderne.  Elle  n'en  est  que  plus  attachante  à 
étudier,  et  ce  livre  sera  un  guide  précieux  pour  ceux  qui  auront  cette 
curiosité  de  l'aller  visiter  tout  exprès  :  il  est  plein  de  choses,  et 
décrites  avec  goût  ;  il  est  aussi  riche  en  photographies  excellentes  (i  24) 
et  heureusement  choisies. 

M.  Jules  Leclercq,  qui  a  été  au  Spitzberg  et  au  Caucase,  à  Java 
et  au  Japon,  en  Islande  et  au  Mexique,  s'est  contenté  cette  fois  de 
rilc  Majorque.  Le  pays  est  moins  inconnu,  mais  croyez  bien  qu'il  a 
su  en  parler  d'une  façon  qui  n'est  pas  celle  que  vous  connaissez  par 
ailleurs.  Ce  voyageur  a  l'œil  neuf  et  l'observation  fraîche,  cet  écrivain 
formule  en  style  vivant  des  pensées  originales.  L'histoire,  la  nature 
et  les  mœurs  sont  évoquées  ici  avec  autant  de  relief  que  de  charme, 
16  vues  photographiques  achèvent  le  côté  descriptif  du  livre. 

Citons  encore  le  premier  tome  d'une  série  d'études  d'histoire  et  de 
géographie  économiques  sur  la  France,  rédigées  sous  la  direction 
de  M.  Maurice  Vitrac,  et  envisagées  surtout  au  point  vue  du  ren- 
seignement rapide,  des  derniers  chiffres,  des  investigations  sociales 
ou  industrielles  les  plus  récentes,  mais  d'ailleurs  avec  documents 
rétrospectifs,  bibliographie  et  dates  pour  le  passé,  enfin  avec  une 
véritable  profusion  de  photographies.  Le  défaut  du  livre,  c'est  l'iné- 
galité des  développements  (les  «  rives  provençales  »  sont  de  beau- 
coup les  plus  étudiées;  les  «  rives  languedociennes  »  le  sont  déjà 
moins,  les  Pyrénées,  le  pays  Basque,  le  Massif  central,  autant  n'en 
pas  parler);  c'est  aussi  la  réclame  qui  forcément  prend  place  un  peu 
partout  à  travers  le  document. 

H.  de  C. 


Pierre  F.  Simon,  A.  Thiers,  chef  du  pouvoir  exécutif  et  président  de  la  Répu- 
blique française  (17  février  1871-24  mai  iSyS).  Paris,  Cornély,  191 1,  in-8°, 
358    p.,     10    fr. 

Le  17  février  1871,  l'Assemblée  nationale  avait  délégué  à  Thiers 
l'exercice  des  fonctions  executives.  Elle  ne  l'avait  fait  qu'en  prenant 
les  plus  grandes  précautions,  en  réservant,  dans  les  termes  les  plus 
exprès,  sa  propre  «  souveraineté  »  et  en  spécifiant  que  les  pouvoirs  de 
Thiers  s'exerceraient  sous  son  contrôle  permanent.  La  situation  du 
chef  du  pouvoir  exécutif  paraissait  donc  inférieure  et  précaire.  En 
fait,  cependant,  Thiers  imposa  ses  volontés  à  l'assemblée,  et  selon 
l'expression  souvent  employée  par  M.  S.  —  non  sans  exagération  — ^ 
«  loin  d'être  esclave,  il  fut  dictateur  ». 

C'est  pour  essayer  de  découvrir  les  raisons  de  ce  désaccord  entre  la 
théorie  et  la  pratique,  d'expliquer  comment,  en  si  peu  de  temps,  la 
toute  puissance  de  l'assemblée  élue  fit  place  à  une  espèce  de  gouver- 
nement personnel,  que  M.  S.  a  écrit  son  livre.  Il  l'a  composé  et  rédigé 


38o  REVUK    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

on  juriste,  ctudiant  directement  les  textes  législatifs  qui  ont  fondé  et 
moditié  successivement  —  en  général  pour  les  restreindre  —  les  pou- 
voirs du  président  de  la  République.  L'origine,  l'élaboration,  le  vote, 
enfin  l'application  de  chaque  loi  font  l'objet  d'un  paragraphe  spécial, 
que  suit  un  commentaire  détaillé  au  point  de  vue  de  la  doctrine  et  un 
examen  des  conséquences  théoriques  et  pratiques.  L'auteur  s'est  efforcé 
aussi  de  faire  la  part  des  hommes  et  des  circonstances,  et  il  y  a  en 
somme  assez  bien  réussi.  Le  don  de  faire  vivre  les  personnages  lui 
manque  pourtant  un  peu,  et  la  physionomie  de  Thiers^  qui  tient 
tant  de  place  dans  l'histoire  parlementaire  de  cette  époque,  demeure 
un  peu  terne  et  incolore,  malgré  les  louables  efforts  de  M.  S.  pour  la 
mettre  en  valeur. 

L'ouvrage,  naturellement  fondé  sur  des  documents  publics,  puisque 
les  pièces  d'archives  postérieures  à  1870  ne  sont  pas  accessibles, 
rendra  de  bons  services  aux  études  de  droit  constitutionnel  et  à  l'his- 
toire du  régime  parlementaire.  Il  est  bien  composé,  bien  écrit  sauf 
quelques  négligences.  C'est  un  bon  travail,  que  la  faculté  de  droit  de 
Paris  a  justement  récompensé  parle  prix  Rossi  en  1909. 

R.    GUYOT. 

—  Le  troisième  et  dernier  fascicule  du  tome  I!  du  Logos  (Mohr,  19 12,  4M., 
p.  263-38o)  renferme  les  articles  suivants  :  Eug.  KûhnemaniN  (Breslau),  Herder, 
Kant,  Gœthe.  Ein  Kapitel  ^iir  Kulturphilosophie  des  deiitschen  Idealismits.  His- 
toire des  rapports  d'Hcrder  avec  Kant  et  Gœthe;  on  y  trouvera  tout  le  détail  de  la 
vive  polémique  entre  les  deux  premiers  de  ces  écrivains  à  propos  des  Idées:  puis, 
à  partir  de  la  p.  290,  une  belle  analyse  du  génie  de  Gœthe.  Tout  cet  article  n'est 
d'ailleurs  qu'un  chapitre  de  la  deuxième  édition  remaniée  d'une  Vie  de  Herder 
parue  depuis  chez  Beck  à  Munich.  —  Broder  Christiansen,  Das  àsthetische  Urphe- 
nomen.  De  même  que  Gœthe  voyait  toute  la  plante  contenue  virtuellement  dans  la 
feuille,  de  même  l'auteur  trouve  dans  la  tension  [Spannung)  le  phénomène  pri- 
mordial de  toute  activité  esthétique.  —  Léop.  Ziegler,  Ueber  einige  Begriffe  der 
«  Philosopliie  der  reinen  Erfahriing  ».  Critique  du  système  d'Avenarius,  et,  ce  qui 
nous  intéresse  le  plus,  sa  comparaison,  à  un  moment  donné  ^p.  346)  avec  celui  de 
Bergson,  dont  le  grand  mérite,  comme  M.  Z.  le  remarque  avec  justesse,  est  d'avoir 
découvert  et  mis  en  relief  la  valeur  philosophique  de  la  durée.  —  Herm.  Nohl 
(lena).  Die  deutsche  Bewegung  iind  die  idealistischcn  Système.  Ce  fragment  était 
destiné  à  être  un  paragraphe  du  tome  1\'  d'une  nouvelle  édition  du  Griindriss  der 
Geschichte  der  Philosophie  d'Ueberweg-Heinze;  mais  ce  projet  de  publication 
n'aboutit  pas.  11  s'agit  d'une  caractéristique  du  mouvement  philosophique  inau- 
guré par  Schiller  et  Fichte,  et  qui  se  condensa  en  une  nouvelle  forme  de  pan- 
théisme. —  Arnold  RuGE,  System  imd  Geschichte  der  Philosophie .  C'est  un  cours 
de  l'Université  d'Heidelberg  qui  esquisse  un  essai  de  philosophie  de  l'histoire  de  la 
philosophie  et  appuie  surtout  sur  ce  fait  qu'il  faut  désormais  bien  distinguer  la 
philosophie  de  l'histoire  et  la  logique  de  la  science  historique.  L'auteur  touche 
aussi  à  la  question,  si  vivement  débattue  depuis  quelque  temp^,  des  limites  de 
l'histoire.—  Th.  Sch. 

L' imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N°  20  -  18  mai,  —  1912 


l)ii£LU,.\i-ov,  Le  Mausolée  dTIalicarnasse  cl  le  trophée  d'Auguste .  —  Rkisinger, 
Céramique  Cretoise.  —  R.  de  Lastkvrie,  L'architecture  religieuse  en  l'rance,  à 
l'époque  romane.  —  Cabeen,  Marino  en  France.  — Collas,  Chapelain.  — Wed- 
DERKOP,  La  littérature  française  des  xvii<^  et  xvui<=  siècles.  —  F.  Rousseau, 
Mémoires  du  président  Ilénault.  — Longuemare,  Bossuet  et  la  société  française. 

—  Jacobs,  Lettres  de   Frédéric  à  Thieriot.  —  Faguet,  Rousseau  contre  Molière. 

—  AuDOUARD,  Trois  lettres  du  marquis  de  Mirabeau  ;  La  maison  de  Bruny.  — 
Provins  et  Friedricus,  Infortunes  du  Dauphin;  Brelan  d'adversaires.  —  Lau- 
RENTiE,  L'aflaire  Naundorft".  —  Blay  de  Gaix,  Lettres  du  baron  de  Castelnau.  — 
Marquis  de  Roux,  La  Révolution  à  l'uitiers  et  dans  la  Vienne.  —  De  La  Tour, 
Le  maréchal  Niel.  —  Boyd,  Octalcuque,  2.  —  Samter,  Rites  populaires.  — 
Meader,  Idem  et  ipsc.  —  Reuss,  L'église  d'Alsace  sous  Louis  XIV.  —  Stengel- 
Fleiscuman'n,  Dictionnaire  de  l'administration  allemande,  14-16.  —  Kastil,  La 
doctrine  de  Fries.  —  Zieiien,  Herbart  et  la  psychologie  expérimentale.  —  Busse, 
Les  grands  philosophes  modernes.  —  Wernle,  Renaissance  et  Réforme.  — 
Philippi.  Châtiment  et  criminels.  —  Lettres  à  D'Aiicona.  —  Lachèvre,  Un 
mémoire  de  Garassus.  —  Dura.,  Lettres  de  M'""  de  Mondonville. 


M.  D1EULAF0V,  Lo  Mausolée  d'Halicarnasse  et  le  trophée  d'Auguste.  Extr.  des 

Mémoires  de  l'.Vcadémie  des  Inscriptions.  Paris,  Klincksieck,  191 1.  In-4»,   p.    i- 
5 1 ,  fi  g .    I  - 1  5 . 

D'après  D.,  ie  rythme  «  septénaire  »  et  le  rapport  de  6  à  7  ou  de  7  à 
6  joueraient  un  grand  rôle  dans  les  cotés  des  deux  édifices.  Le  trophée 
d'Auguste  dériverait  ainsi  du  Mausolée  d'Halicarnasse,  dont  il  serait 
une  transformation  lointaine.  I^es  spécialistes  sauront  gré  à  l'auteur 
des  efforts  qu'il  a  faits  pour  élucider  ces  difficiles  questions  de  propor- 
tions et  de  mesures,  auxquelles  les  Anciens  attachaient  tant  de  prix, 
mais  que  nous  avons  quelque  peine  à  bien  comprendre  aujourd'hui. 
Les  archéologues  noteront  avec  plaisir  que  D.  ne  croit  pas  à  l'exis- 
tence d'une  colonne  médiane  sur  les  faces  du   Mausolée. 

A.    DE    RiDDER, 


E.  Reisinger,  Kretische  Vasenmalerei  vom  Kamares-bis  zum  Palaststil.  In-S", 
p.    i-5i,pl.  i-iv.  Berlin,  Teubner,    1912.    Prix.  3  rn. 

Cet  essai  de  R.  sur  la  céramique  Cretoise  est  clairement  ordonné, 
non  sans  esprit  de  système  et  se  lit  aisément,  qualité  méritoire  dans 
un  sujet  difficile  et  encore  mal  accessible.  L'auteur  malheureusement 
ne  paraît  pas  avoir  connu  par  lui-même  et   manié  de  près  la   plupart 

Nouvelle  série   LXXIII  20 


382  REVUE    CRITIQUE 

des  monuments  dont  il  traite  ;  de  là,  sans  doute,  des  simplifications 
excessives  et  des  partis  pris  dont  la  hardiesse  ne  laisse  pas  d'être  inquié- 
tante. La  triple  triade  d'Evans  n'est  assurément  rien  de  plus  qu'une 
hypothèse  commode  et  R.  a  raison  de  relever  bien  des  contradictions 
dans  cette  classification  :  peut-être  cependant  aurait-il  mieux  fait  de  la 
conserver  provisoirement.  De  même  la  chronologie  de  Fimmen  n'est 
pas  infaillible  et  R.  le  convainc  à  bon  droit  d'erreur  sur  bien  des 
points,  mais  il  ne  propose  rien  qui  vaille  mieux  et,  faute  d'une  vue 
d'ensemble,  ses  positions  sont  quelque  peu  en  l'air.  Du  moins  a-t-il 
raison  de  repousser  la  singulière  idée  qu'E.  Meyer  se  fait  du  rôle  joué 
par  Milo  et  relève-t-il  à  juste  titre  l'unité  des  tombes  découvertes  par 
Schliemann  dans  1'  «  agora  »  de  l'acropole  mycénienne  :  du  fait  que 
les  vases  découverts  dans  ces  sépultures  sont  contemporains,  il  résulte 
que  les  «  teintes  mates  »,  si  fréquentes  hors  de  l'Argolide,  sont  appro- 
ximativement datées.  Enfin  R.  montre,  à  tous  les  stades  de  son  évolu- 
tion, la  diffusion  de  la  céramique  crétoise  au  dehors  de  l'île  et  s'efforce 
de  reconnaître  les  fabriques  d'imitation.  A  tous  ces  titres,  son  mémoire 
mérite  d'être  lu  et  ne  peut  manquer  de  rendre  service  aux  archéolo- 
gues. 

A.    DE  RiDDER. 


R.  DE  Lasteyrie,  L'Architecture  religieuse  en  France  à  l'époque  romane  : 

ses  origines,  son  développement.  Paris,  A.  Picard,    i    v.    gr.   in-S°,   de  7?o  p.  et 
73 1  fig.  Prix  :  3o  fr. 

Nous  attendions  depuis  quelque  vingt  ans  ce  précieux  traité. 
Nous  le  savions  conçu,  arrêté,  en  genèse,  dans  l'esprit  de  l'erudit 
successeur  de  Jules  Quicherat  à  cette  chaire  d'archéologie  française 
de  l'Ecole  des  Chartes  qui  fut  longtemps  la  seule  au  monde.  Nous 
escomptions  d'avance  la  sûreté  de  sa  doctrine,  l'ampleur  de  ses 
informations,  le  goût  artistique  de  ses  appréciations...  Et  nous 
trouvions  qu'il  tardait  beaucoup  à  paraître.  C'est  que,  ne  se  jugeant 
jamais  suflBsamment  informé,  suivant  avec  un  intérêt  passionné  les 
recherches  nouvelles  écloses  un  peu  partout,  soit  en  émulation  de 
son  enseignement,  soit  par  la  curiosité  universelle  qui  depuis 
quelque  temps  s'est  reprise  à  nos  vieux  monuments  si  longtemps 
dédaignés,  il  attendait  toujours  avant  de  conclure,  avant  d'établir, 
dans  des  termes  aussi  définitifs  que  peut  les  comporter  un  pareil 
sujet,  les  théories,  les  observations,  les  décisions  que  nous  lui  deman- 
dions. C'est  aussi,  chose  facile  à  comprendre,  qu'il  préférait  attendre 
l'heure  où,  débarrassé  de  l'enseignement  immédiat,  il  pourrait  voir  de 
plus  haut  l'œuvre  de  sa  vie  et  s'adresser  tout  d'un  coup,  en  une 
magnifique  leçon  dernière,  à  ses  trente  générations  délèves. 

C'est  à  elles,  dit-il,  mais  d'ailleurs  à  la  mémoire  de  Quicherat, 
qu'il  dédierait  son  livre  «  s'il  était  digne  de  faire  l'objet  d'une  dédi- 
cace ».  Mais  il  a  beau  nous  en  parler  comme  d'un  ouvrage  modeste 


d'histoire   kt  de  littérature 


383 


et  spécial,  substance  de  ses  simples  le^-ons,  nous  savons  que  nous 
possédons  là  enfin  une  monographie  complète,  étendue,  et  plus 
capable  que  tout  autre  essai  ou  manuel  déjà  paru,  de  défendre  la 
gloire  de  notre  architecture  nationale,  d'en  évoquer  l'éloquence, 
d'en  propager  l'étude. 

Il  l'a,  du  reste,  traitée  dans  des  proportions  qui  ne  laissent  rien  à 
désirer.  M  était  juste,  il  était  essentiel  de  consacrer  tout  un  premier 
volume  de  jbo  p.  à  la  seule  époque  romane,  trop  facilement  négligée, 
trop  instinctivement  saciiliée  à  la  gothique,  dont  les  spécimens,  natu- 
rellement, frappent  davantage  la  foule  et  sont  plus  nombreux.  Le 
XII'-"  siècle  en  particulier,  qui  vit  le  plus  magnifique  épanouissement  de 
ce  style,  mérite  à  lui  seul  une  monographie.  Mais,  pour  cire  complète 
et  vraiment  signiticative,  cette  monographie  doit  comprendre  l'his- 
toii-e  des  origines  de  l'an  roman,  et  au  besoin,  car  tant  de  monuments 
précurseurs  ont  disparu,  celle  des  édifices  similaires  éclos  en  Italie, 
en  Orient,  en  Afrique...;  elle  doit  également  en  suivre  l'influence 
hors  de  nos  frontières.  Elle  doit  d'ailleurs  et  enfin  recueillir  par  la 
photographie  le  plus  d'exemples  topiques  possible  à  l'appui  de  ses 
descriptions,  de  ses  démonstrations,  de  ses  discussions  critiques. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  aisé  de  trouver  encore  quelque  chose 
à  désirer  dans  l'ouvrage  de  M.  de  Lasteyrie.  D'autant  qu'il  est 
complet  en  un  autre  sens  encore,  celui  de  la  bibliographie  et  de  la 
critique  générale  du  sujet.  Je  veux  dire  que  son  enseignement,  et  son 
mode  particulier  de  traiter  les  mille  questions  soulevées  à  chaque  pas, 
n'a  rien  de  la  sécheresse  dogmatique  de  tant  de  manuels.  11  dit  son 
avis,  son  opinion,  son  jugement,  mais  après  avoir  admis  à  la  discus- 
sion et  soigneusement  indiqué  les  théories,  les  recherches,  les  juge- 
ments des  autres.  Il  ne  s'appuie  d'ailleurs  pas  au  hasard  sur  les  textes  : 
il  les  examine  et  les  commente.  El  sans -doute  on  dira  que  ceci  est 
d'une  méthode  normale,  élémentaire,  et  le  moins  qu'il  pût  faire... 
Croyez  qu'elle  n'est  pas  si  couramment  appliquée  que  cela. 

Voici  les  divisions  essentielles  du  livre  :  il  ne  peut  être  question  ici 
de  l'examiner  de  plus  près.  Tout  au  plus  insisterai-je  sur  les  pages 
où  sont  exposées  les  questions  des  voûtes  et  celles  de  la  classification 
des  écoles  romanes  (tout  en  faisant  remarquer  l'insuttisance  du  clas- 
sement imaginé  par  Quichcrat,  je  suis  bien  aise  de  constater  qu'il  en 
adopte  un  fort  peu  éloigné,  du  moins  des  conclusions  auxquelles  cet 
esprit  si  vigoureux  et  si  clair  était  arrivé  dans  les  dernières  années  de 
sa  vie).  Donc  M.  de  Lasteyrie  commence  son  étude  aux  origines  du 
christianisme  et  à  ses  premières  églises  en  Gaule.  Il  suit  l'architecture 
chrétienne  à  travers  les  basiliques  italiennes,  orientales  et  africaines. 
11  en  montre  d'ailleurs  la  formation  en  remontant  aux  basiliques 
civiles  et  privées  des  Romains  et  en  étudiant  de  très  près  leur  intéres- 
sante complexité.  Les  édifices  en  rotonde  et  à  coupole  sont  l'objet 
d'un  chapitre  spécial.  Puis  voici  les  ^églises  encore  existantes,  ou  dont 


■384  RKVIIE    CRITIQUE 

nous  avons  des  docunienis  j^raphiques,  de  répoque  carolingienne, 
avec  leurs  éléments  consiituiifs  et  ornementaux;  voici  la  renaissance 
de  l'art  avec  l'époque  romane,  et  alors  l'examen  minutieux  des  plans, 
des  formes,  des  éléments  constitutifs  de  la  construction;  voici,  après 
cette  enquête  technique,  la  revue  des  moiiumenis  laissés  par  le  temps 
à  notre  admiration,  à  travers  les  écoles  régionales  les  plus  caractéris- 
liquement  délimitées  :  Provence,  Bourgogne,  Auvergne,  Poitou, 
Aquitaine  (c'est-à-dire  surtout  les  églises  à  coupoles),  Normandie, 
Pays  du  Rhin,  Ile  de  France. 

Enfin,  cinq  chapitres,  non  des  moins  ariisiiques,  sont  consacres  à 
la  décoration  des  églises  romanes,  à  la  sculpture  d'ornement  qu'on  y 
étudie,  à  la  statuaire  parmi  les  différentes  écoles,  aux  accessoires  des 
églises  :  autels,  piscines,  tombeaux...  L'illustration  la  plus  abon- 
dante (731  reproductions),  parfois  inédite,  et  une  bien  utile  table 
alphabétique,  complètent  cet  ouvrage  dont  il  est  à  peine  suffisant  de 
dire  qu'il  fait  le  plus  grand  honneur  à  son  auteur. 

Henri  de  Curzon. 


Charles  W.  Cabeen,  L'influence  de  Giambattista  Marino  sur  la  littérature  fran- 
çaise dans  la  première  moitié  du  xvii*  siècle.  Paris,  Hachette,   1904,  8",  p.   iG3. 

Georges  Collas.  Un  poète  protecteur  des  lettres  au  xvir  siècle,  Jean  Chapelain, 
1595- 1674.  Etude  historique  et  littéraire  d'après  des  documents  inédits.  Paris, 
Perrin,  1912,  8°,  p.  525.  Fr.  7,5o. 

M.  V.  Wedderkop.  Neue  Wege  zur  franzôsischen  Literatur.  XVII.  und  XVIII. 
Jahrhundert.  Ein  Fûhrer  fur  moderne  Léser  Berlin,  Curtius,  19 12.  8",  p.  359. 
Mk.  3,5o. 

Il  est  un  peu  tard  pour  parler  de  l'étude  de  M.  Cabeen,  mais  elle  ne 
nous  a  pas  été  adressée  plus  tôt.  L'auteur  n'admet  pas  la  thèse  ordi- 
naire des  historiens  de  la  littérature  attribuant  au  cavalier  Marin  une 
influence  réelle  sur  la  préciosité  du  xvii«  siècle  commençant.  Pour 
lui,  l'évolution  de  la  poésie  française  a  obéi  à  ce  moment  à  de  tout 
autres  lois  que  la  littérature  italienne  du  secentismo,  dernier  rayon 
tremblant  et  afi'aibli  de  la  Renaissance.  Les  poètes  ou  prosateurs 
français  qu'il  passe  en  revue,  Balzac,  Voiture,  Théophile,  Saint- 
Amant  offrent  tous,  et  dans  leur  tempérament  et  dans  leurs  œuvres, 
des  divergences  si  profondes  avec  la  poésie  sensuelle  et  le  talent  tout 
formel  de  Marino  qu'ils  devaient  échapper  à  l'action  de  cet  étranger. 
On  ne  saurait  pourtant  oublier  qu'il  passa  huit  ans  à  Paris,  dans  une 
cour  alors  toute  italienne.  Le  raisonnement  de  M.  C.  pourra  paraître 
contestable  :  car  toutes  les  différences  d'humeur  et  de  goût  qu'il 
signale  dans  nos  écrivains  n'empêcheront  pas  qu'ils  n'aient  été  sen- 
sibles aux  séductions  de  style  de  l'Italien  et  cherché  à  les  reproduire. 
Une  comparaison  poussée  dans  le  détail  eût  autorisé  des  conclusions 
peut-être  opposées,  en  tout  cas  plus  précises;  M.  C.  s'est  borné  trop 
souvent  à  des  généralités,  à   de  lointaines  analogies  ;   sauf  pour  le 


d'histoire  kt  de  littérature  385 

Pyrame  et  Thisbé  de  Théophile,  il  n'a  guère  essayé  ce  rapprochement 
qui  s'imposait.  Il  s'est  contenté  de  nous  donner  d'assez  nombreuses 
citations  des  poésies  de  Marino,  de  VAdone  en  particulier,  nous  lais- 
sant le  soin  de  véririer  nous-mêmes  si  nos  auteurs  s'en  sont  véritable- 
ment inspirés.  Il  n'a  donc  réuni  que  des  matériaux,  et  encore  bien 
insutlisants,  pour  une  étude  de  l'influence  de  Marino,  plus  qu'il  n'a 
effectivement  étudié  cette  influence.  M.  C.  est  étranger  (le  style  de  sa 
dissertation  le  révèle  déjà);  il  était  difficile  de  lui  demander  de  ne 
nous  apporter  que  des  documents  nouveaux,  mais  il  eût  pu,  semble- 
t-il,  après  avoir  pratiqué  l'œuvre  de  Marino  et  étudié  l'auteur  d'après 
les  recherches  de  l'érudition  italienne,  nous  donner  une  enquête  plus 
approfondie. 

II.  Malgré  le  gros  volume  qu'il  lui  a  consacré,  M,  Collas  se  défend 
d'avoir   voulu   réhabiliter  Chapelain;   il   a   estimé    seulement   que  la 
place  qu'il  avait  tenue  dans  notre  littérature  méritait  une  étude  appro- 
fondie, et  comme  la  matière  était  touffue,  les  documents  abondants,  le 
biographe  scrupuleux,  son  travail  a  pris  des  proportions  qui  pourront 
ne  pas  sembler  à  chacun  en  rapport  avec  l'importance  du  personnage. 
M.  C.  en  a  suivi  la  biographie,  en  faisant  de  fréquents  emprunts  à  la 
correspondance  publiée  par  Tamizey  de  Larroque  et  y  ajoutant  lui- 
même  des  renseignements  inédits.  Pour  lui  Chapelain  est  avant  tout 
un  esprit  curieux,  toujours  avide  d'apprendre,,  et   non  seulement  en 
littérature,  mais  aussi  dans  le  domaine  de  la  science  et  de  la  politique; 
sa  vaste   érudition  le  met  en  correspondance  avec  les  savants  euro- 
péens les  plus  autorisés,   et  il    se  fait  volontiers  le  nouvellier  de  ses 
amis  et  de  ses  protecteurs.  M.  C.  l'a  bien  situé  au  milieu  de   ses  con- 
temporains et  signalé   les  influences  qu'il  a  subies  jusqu'au   moment 
où   il  devint  lui-môme  une  autorité  ;  on  lira    au   second  chapitre  du 
livre  un  joli  portrait  du  critique  et  une  vivante  description   de  son 
cabinet,  de  sa  bibliothèque,   de  son  entourage.   M.  C,  s'il  se  défend 
de  tenter  une  réhabilitation  de  Chapelain,  lui  est  du  moins  très  sym- 
pathique ;  il   s'est  attaché    à  le  laver  des   reproches  d'avarice  et  de 
négligence  dans  la  tenue  que  les  contemporains  lui  adressèrent,  et  il 
met  justement  en  lumière  son  patriotisme    et  son   dévouement  à  ses 
amis;  ce  qu'il  ne  lui  pardonne  pas,  c'est  une  lâche  indulgence  pour 
les  talents  médiocres.  La  faveur  de  Richelieu,  son  rôle  essentiel  dans 
l'Académie    naissante,    sa    réputation     croissante   de    critique    bien 
informé  désignèrent  Chapelain   à   l'attention   de  Colbert  comme  le 
conseiller   naturel  dans  la  dispensation  des  faveurs   royales  aux  gens 
de  lettres  et  aux  savants.  Cette  partie  de  l'étude  de  M.  C.  est   d'un 
grand  intérêt  et  méritait  le  soin  qu'il  y  a  apporté.    Il   a  bien  fait  voir 
quelle  fut  la  part  exacte  de   Chapelain   dans   cette   collaboration  et 
comment  Colbert  se  libéra  assez  vite  de  son  consultant  pour  les  gra- 
tilîcations  accordées  aux  nationaux  ;  pour  les  étrangers  au  contraire 


386  RKVDE    CRITIQUE 

le  rôle  de  Chapelain  tut  plus  durable  et  il  resta  longtemps  l'intermé- 
diaire nécessaire  entre  les  savants  d'Europe  et  le  ministre  qui  ne 
cherchait  d'ailleurs  à  faire  de  ses  largesses  qu'un  instiument  poli- 
tique. M.  C.  a  écrit  là  un  utile  chapitre  qui  complète  et  parfois  rec- 
tirie  le  tableau  tracé  par  les  historiens  de  Louis  XIV.  (^uant  à  r(euvre 
critique  ou  poétique  de  Chapelain,  qui  est  analysée  à  sa  place  au  cours 
de  la  biographie,  il  faut  bien  reconnaître  qu'elle  est  fastidieuse, 
même  éclairée  par  le  commentaire  pénétrant  et  alerte  de  son  bio- 
graphe. Malgré  l'excellente  excuse  qu'il  peut  nous  donner  de  ses 
investigations  minutieuses,  qu'après  tout  Chapelain  est  un  des  pre- 
miers ouvriers  du  classicisme,  ses  dissertations  sur  VAdone,  sur  le 
Cid,  ses  préfaces  sur  le  poème  épique,  toutes  ces  élucubraiions,  sauf 
le  Dialogue  sur  la  lecture  des  vieux  romans,  sont  d'un  parfait  pédan- 
tisme;  mais  M.  C.  était  trop  consciencieux  pour  passer  rapidement 
sur  ce  fatras.  Avec  le  même  scrupule  il  a  disserté  sur  les  défauts  de 
la  Pucelle  et  s'il  était  bien  forcé  d'accabler  Chapelain,  il  l'a  fait  sans 
trop  de  cruauté,  mais  non  sans  quelque  longueur.  Le  copieux  appen- 
dice bibliographique  '  témoignera  de  la  patience  avec  laquelle  l'auteur 
a  étudié  une  figure  justement  oubliée,  mais  qui  joua  du  moins  pen- 
dant quelque  temps  un  rôle  de  premier  plan.  Dans  un  volume  con- 
sacré à  un  auteur  dont  les  relations  furent  si  variées,  un  index  eût  été 
fort  utile. 

III.  De  quel  intérêt  peut  être  encore  pour  le  grand  public  allemand 
la  littérature  de  notie  xvii<^  et  \\\\\^  siècle?  M.  v.  Wedderkop  qui  s'est 
posé  cette  question  a  cru  rendre  service  à  ses  compatriotes  en  leur 
signalant  les  œuvres  qui  méritent  de  retenir  leur  attention.  Il  a  estimé 
avec  raison  que  le  choix  devait  être  restreint  à  celles  qui  sont  le  plus 
représentatives  de  l'esprit  français.  Mais  parce  que  toutes  les  œuvres 
où  on  a  voulu  voir  la  réalisation  la  plus  complète  de  l'idéal  classique 
lui  paraissent  en  contradiction  avec  cet  esprit  français,  il  rejette 
dédaigneusement  les  plus  grands  noms,  Corneille  et  Racine,  Rossuet 
et  Molière  (car  Molière  lui-même  n'est  pas  français,  il  est  lourd  et 
sans  verve)  ;  il  ne  veut  s'adresser  qu'aux  représentants  des  genres 
secondaires.  Il  ne  retient  ainsi  que  quelques  romans,  quelques  comé- 
dies, deux  poètes,  deux  auteurs  de  maximes,  s'arrête  plus  longuement 
aux  mémorialistes  et  termine  par  l'examen  de  l'œuvre  de  Lafontaine 
et  de  Voltaire.  Il  était  juste  de  signaler  à  des  lecteurs  allemands  des 
œuvres  originales  de  second  plan  et  qui  certainement  ne  leur  sont  pas 
familières,  telles  que  la  Princesse  de  Clèves  ou  même  le  Roman  boiir- 

I.  Il  y  a  une  édition  plus  complète  des  Mémoires  de  Ch.  Perrault,  c'est  celle  de 
M.  Bonnefon  (Paris,  Laurent,  1909)  d'après  le  ms.  autographe  qui  avait  échappé 
à  P.  Lacroix.  .le  me  permets  aussi  de  signaler  à  M.  G.  l'étude  de  M.  A.  Bernhard 
die  Parodie  «  Chapelain  décoiffé  n  (Leipzig,  1910).  —  P.  88,  écrire  plutôt  Banér 
que  Banier,  et  lire  Beuthen,  au  lieu  de  Beiithen. 


d'histoirk  kt  de  littérature  38- 

f^eois  de  Furetière,  de  leur  faire  mieux  connaître  Diderot,  Duclos, 
l'abbé  Voisenon,  ou  encore  Regnard  et  Marivaux,  de  les  renseigner, 
ne  fût-ce  que  hâtivement,  sur  Tallemant,  Hamilion,  le  président  de 
Brosses,  Marmoniel  ;  mais  des  Français  liront  avec  stupéfaction  que 
la  Métromanic  est  le  chef-d'œuvre  de  notre  art  comique,  que  Piron 
doit  être  mis  au-dessus  de  Molière,  qu'il  faut  voir  dans  Benserade  un 
modèle  d'élégance,  dans  Parny  un  poète  éclipsant  André  Chénier  ;  ils 
trouveront  aussi  outrés  les  éloges  décernés  au  Thémidore  de  Godard 
d'Aucourt,  aux  Mémoires  de  Lauzun,  et  surtout  ils  protesteront  au 
nom  du  bon  goût  contre  la  prétention  d'exhumer  pour  des  lecteurs 
modernes  la  Pucelle  de  Voltaire.  M.  v.  W.  dit  quelque  part  qu'une 
race  reste  toujours  par  quelque  côté  impénétrable  à  l'autre;  son  livre 
ne  le  prouve  que  trop,  et  à  côté  de  justes  appréciations  il  est  plein 
d'hérésies  et  d'injustices,  sans  parler  des  sévérités  ordinaires  où  un 
Germain  se  croit  tenu  en  parlant  des  Latins.  Le  désir  de  quitter  les 
sentiers  battus,  de  rompre  avec  les  classifications  des  histoires  litté- 
raires ou  les  traditions  de  l'enseignement  de  l'école  lui  a  fait  trop  sou- 
vent outrer  sa  pensée  pour  relever  ici  toutes  ses  exagérations  ;  mais 
malgré  ce  qu'il  y  a  d'exact  dans  ses  articles,  il  est  bon  d'avertir  les 
lecteurs  qui  le  prendront  pour  guide  que  l'esprit  français  n'est  pas 
complètement  représenté  par  les  œuvres  qu'il  lui  a  plu  d'en  donner 
comme  la  quintessence.  Pour  notre  propre  public  le  livre  ne  peut 
avoir  qu'un  intérêt  secondaire;  néanmoins  il  pourra  faire  son  profit 
çà  et  là  de  telle  remarque  sur  le  degré  d'estime  que  nos  auteurs  ont 
conservée  en  Allemagne  ou  de  tel  rapprochement  qu'ils  ont  suggéré 
au  critique;  j'en  cite  quelques-uns:  Diderot  et  Hoffmann,  le  prési- 
dent de  Brosses  et  Gœthe  en  Italie,  et  un  autre  au  moins  inattendu, 
le  Voltaire  des  contes  en  vers  et  Wilhelm  Busch  '. 

L.    ROUSTAN. 

François  Rousseau^  Mémoires  du  Président  Hénault.  Nouvelle  édition  complé- 
tée, corrigée  et  annotée.  Paris,  Hachette,  191 1,  in-8%  p.  457.  Fr.   10. 

L'édition  des  Mémoires  du  Président  Hénault  donnée  en  i855  par 
le  baron  de  Vigan  présentait  d'assez,  importantes  lacunes  que  M.  Rous- 
seau vient  de  combler.  Nous  avons  seulement  à  parler  ici  de  ces  addi- 
tions tirées  des  archives  de  la  Ferté-Macé  et  comparées  avec  d'autres 
manuscrits.  Elles  comprennent  d'abord  des  morceaux  détachés,  insé- 
rés dans  le  texte  des  Mémoires,  tels  que  le  récit  des  derniers  moments 
du  cardinal  Dubois,  celui  de  la  disgrâce  du  duc  de  Bourbon,  de  l'af- 

I.  P.  25,  V Art  poétique  de  Boileau  a  quatre  et  non  pas  trois  chants;  p.  Sy, 
d'Urfé  doit  être  appelé  marquis,  non  baron;  p.  71,  le  Roman  bourgeois  est  anté- 
rieur de  doH^e  ans  a  la  Princesse  de  (Uàves;  p.  (j'.î,  le  Neveu  de  Rameau  parut 
en  allemand  en  icSo5,  non  en  1S04.  et  la  première  édition  française  est  de  1821, 
non  i823\  p.  162,  écrire  C.haulicu,  La  Fare,  au  lieu  de  Chaulien,  La  Fnrre; 
p.  25o,  lire  tant,  non  tout;  enfin  dansics  citations  lesvcis  faux  sont  trop  fréquents. 


388  REVUE    CRITIQUE 

faire  du  duc  delà  Force;  puis  des  passages  plus  considérables  publiés 
en  appendice.  Sauf  quelques  pages  sur  le  renvoi  de  Villeroy,  gouver- 
neur de  Louis  XV,  ils  se  rapporient  tous  à  la  vie  professionnelle  du 
Président  ei  retracent  les  difficultés  survenues  entre  le  Parlement  hos- 
tile à  Law  et  le  Régent  qui  lit  transférer  les  chambres  à  Pontoise  en 
1720.  Les  aflaires  d'église  augmentèrent  encore  le  désaccord  entre  les 
deux  pouvoirs,  et  Hénault  nous  a  fidèlement  présenté,  en  le  suivant 
jour  par  jour,  de  démarche  en  démarche,  le  rôle  de  sa  compagnie 
dans  ces  négociations  laborieuses  ;  il  a  raconté  avec  non  moins  de 
minutie  la  suite  du  conflit  qui  sépara  le  Parlement  et  le  roi  de  iy?>\  à 
1732,  toujours  à  propos  de  la  constitution  Unigenitus.  M.  M.  ne  s'est 
pas  contenté  de  nous  donner  un  texte  plus  complet,  il  a  corrigé  aussi 
celui  de  l'ancienne  édition  et  l'a  éclairé  par  de  très  utiles  notes  bio- 
graphiques qu'appelait  la  foule  des  noms  propres  remplissant  chaque 
page  des  Mémoires  ;  l'index  qui  termine  le  volume  sera  égalenient  le 
bienvenu . 

L.  R. 

E.  LoNGUEMARE,  Bossuet  et  la  Société  française  sous- le  règne   de  Louis  XIV. 
Paris,  Bloud,   igio,  in-i6,  p.  284.  Kr.  3,5o. 

La  critique  moderne  nous  a  depuis  longtemps  habitués  à  voir  dans 
les  oeuvres  classiques,  en  dépit  de  leur  profond  caractère  de  généra- 
lité et  d'impersonnalité,  un  reflet  du  milieu  social  contemporain, 
mais  elle  ne  l'avait  pas  encore  tenté  pour  l'œuvre  oratoire  de  Bos- 
suet. M.  Longuemare  a  voulu  préciser  à  son  tour  l'actualité  du  grand 
sermonnaire  et  chez  celui  qui  fut  avant  tout  un  théologien  et  un  dog- 
matiste  découvrir  un  observateur  attentif  de  son  siècle,  un  moraliste 
qui,  malgré  la  haute  portée  de  ses  leçons,  est  toujours  préoccupé  des 
vices  et  des  travers  de  son  temps,  des  injustices  et  des  dangers  de 
l'état  social  du  monde  où  il  vit.  L'auteur  a  donc  commenté  sa 
parole  avec  l'aide  des  abondants  témoignages  que  les  correspondances, 
les  mémoires,  les  peintures  des  moralistes  purs  et  la  foule  des  docu- 
ments de  tout  genre  nous  livrent  sur  le  xv!!*"  siècle.  Bossuet  fut  pen- 
dant dix  ans  le  prédicateur  de  la  cour,  pendant  dix  ans  précepteur  du 
dauphin  :  c'est  naturellement  la  cour,  le  roi,  les  courtisans,  la  famille 
royale,  les  maîtresses  et  les  favorites  que  M.  L.  devait  étudier.  Il  a 
écrit  des  pages  solides  et  pénétrantes  pour  interpréter  les  grands  mor- 
ceaux d'apparat  que  furent  les  oraisons  funèbres  et  aussi  les  sermons 
plus  familiers.  Des  huit  chapitres  qui  constituent  dans  son  livre  cette 
analyse  historique  de  l'œuvre  de  l'orateur  sacré,  quatre  sont  ainsi 
consacrés  au  monde  de  Versailles  ;  il  faudrait  y  joindre  encore  celui 
dont  les  jeunes  filles  font  l'objet  et  où  M.  L.  a  habilenient  groupé 
tout  ce  qu'ont  suggéré  à  Bossuet  la  question  du  mariage  dans  la 
noblesse  et  le  régime  des  couvents,  si  souvent  l'asile  des  filles  de 
grandes  familles.  A  la  vie  brillante  des  courtisans  s'oppose  la  misère 


d'histoire  et  de  littérature  389 

des  humbles,  et  la  grandeur  du  péril  social  qu'avaient  engendré  un 
luxe  excessif  et  un  régime  de  privilèges  a  été  saisie  par  le  prédicateur 
avec  un  véritable  don  de  prophétie.  Les  deux  derniers  chapitres  du 
volume  traitent  des  libertins  et  des  beaux  esprits;  l'un  examine  l'atti- 
tude de  Bossuet  à  l'égard  de  l'incrédulité  de  son  temps  que  le  critique 
nous  semble  s'exagérer,  l'autre  passe  en  revue  ses  jugements  sur  la 
littérature,  la  philosophie  et  surtout  le  théâtre.  Si  M.  L.  fait  une 
place  aux  incrédules,  il  semble  qu'il  en  devait  une  aussi  aux  héré- 
tiques et  ne  pouvait  négliger  les  prote^^tants  ;  sans  aborder  une  discus- 
sion théologique,  il  y  avait  nécessité  de  ne  pas  les  isoler  du  milieu 
social  que  l'auteur  a  voulu  retracer  et  de  nous  montrer  le  rôle  de 
Bossuet  à  leur  égard. 

Il  suffira  d'avoir  indiqué  le  dessin  du  livre  de  M.  L.  pour  permettre 
de  juger  de  l'intérêt  et  de  la  nouveauté  du  point  de  vue  de  l'auteur.  La 
thèse  est  juste  en  principe  :  il  est  certain  que  les  développements  de 
Bossuet  reposent  sur  un  fond  d'observation  réelle  qui  devant  les 
auditeurs  leur  donnait  toute  leur  portée.  Mais  jusqu'à  quel  degré  y 
a-t-il  eu  chez  lui  la  préoccupation  tacite,  mais  précise,  d'un  cas  con- 
cret? a-t-il,  chaque  fois  que  le  prétend  M.  L.,  visé  telles  mœurs  ou 
tel  personnage?  c'est  souvent  délicat  de  l'affirmer,  et  bien  qu'il  ait 
fait  beaucoup  de  réserves,  l'auteur  n'échappera  pas  toujours  au 
reproche  d'avoir  sollicité  les  textes.  La  critique  de  Bossuet  nous  appa- 
raît souvent  trop  générale,  trop  commandée  par  les  habitudes  de  la 
chaire  pour  justifier  tous  les  rapprochements  découverts  par  M.  L., 
si  intéressants  qu'ils  soient.  En  tout  cas,  il  eût  été  utile  de  mieux 
indiquer  les  références,  il  n'y  a  pas  dans  tout  le  livre  une  seule  note 
qui  nous  reporte  au  texte  même  de  Bossuet  et  permette  le  contrôle  '. 

L.  R. 

Émil  Jacobs,  Briefe  Friedrichs  des  Grossen  an  Thieriot.  Berlin,  Weidmann, 
1912  (Mitteilungen  aus  dcr  Koniglichen  Bibliothek).  In-40,  p.  44,  mk.  3. 

On  sait  que  Thieriot,  l'ami  de  jeunesse  de  Voltaire,  fut  depuis  lySô 
jusqu'à  sa  mort  (1772),  avec  dix-huit  ans  d'interruption,  il  est  vrai, 
l'agent  qu'avait  choisi  Frédéric  II  pour  le  tenir  au  courant  des  pro- 
ductions littéraires  de  la  France  et  pourvoir  aux  achats  de  livres  des- 
tinés à  sa  bibliothèque.  Le  roi  d'ailleurs  le  chargeait  de  toutes  sortes 
de  commissions,  visites  aux  gens  de  lettres,  démarches  auprès  de  Vol- 

I.  P.  104,  M.  G.  Michaut  {la  Bérénice  de  Racine,  1907)  a  fait  justice  de  la 
légende  du  choix  de  Bérénice  suggéré  par  Madame  à  Corneille  et  à  Racine;  p.  107, 
Elisabeth-Charlotte  de  Bavière  :  on  sait  qu'elle  était  fille  de  l'électeur  palatin,  il 
y  a  eu  confusion  avec  la  Dauphine,  .\nnc-Marie,  princesse  de  Bavière;  p.  iio, 
nous  la  vimes  desséchée,  il  faut  lire  :  séchée  ;  p.  i54,  il  y  a  d'autres  preuves 
(M.  Griselle  l'a  récemment  démontré)  que  "  la  doctrine  et  le  style  »,  pour  rendre 
à  Fénelon  le  sermon  destiné  aux  religieuses  de  Saint-Cyr  ;  p.  219,  Théophile, 
mort  en  1626,  n'est  pas  des  libertins  que  pouvait  poursuivre  Bossuet;  p.  272, 
écrire  Bausset,  non  Beausset. 


3qo  REVUE    CRITIQUE 

laiic,  et  môme  envois  de  fromages  frais.  Les  lettres  de  Frédéric  à  son 
factotum,  conservées  dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  et 
(jui  étaient,  à  l'exception  dune  seule,  restées  inédites  jusqu'à  ce  jour, 
ont  été  publiées  par    M.   Jacobs.  11    y    en    avait  33;  toutes  sont  très 
courtes,  simples  billets   plutôt  que  véritables  lettres;  pour  la  plupart 
elles  ont  été  écrites  pnr  Jordan,  mais  augmentées  de  post-scriptums 
de  la  main  du  roi,  souvent  d"unc  forme  savoureuse.  Elles  nous  ren- 
seignent précieusement  sur  l'intérêt  si  vif  que  portait  Frédéric  à  nos 
écrivains,  à  Rollin.  à  Fontenelle,  Gresset,  Bernard,  et  surtout  à  Vol- 
taire. L'éditeur  les  a   pourvues   de   notes    identifiant  la  plupart   des 
ouvrages  nommés  dans  la  correspondance  et  restés  en    grande  partie 
dans  les  bibliothèques  des  divers  palais  et  châteaux  de  Potsdam  ;  son 
introduction  nous  donne  aussi  rcssentiel  sur  la  personne  de  Thieriot 
et  ses  relations  avec  P'rédéric  IL  Les  lettres  de  Thieriot  au  roi  sem- 
blent perdues  ;  quelques-unes  sont  conservées  dans  les  archives  de  la 
maison  rovale.  M.  .1.   en  a  reproduit  deux  se  rapportant  à  l'objet  de 
son  édition.  11  faut  se  féliciter  d'autant  plus  de  ce  complément  d'in- 
formation sur  les  rapports  de  Frédéric  II  avec  notre  histoire  littéraire 
que  cette  publication  dont  le  bi-centenaire  du  grand  roi  a  été  l'occa- 
sion, ne  doit  pas  rester  la  dernière;  la  direction   de    la   Bibliothèque 
royale  a  promis  de  rendre  accessibles  au  public  d'autres  intéressants 

documents  qu'elle  renferme. 

L.  R. 


Faguet  (Emile),  Rousseau  contre  Molière.    Paris,    Soc.    franc,   d'impr.    et    de 
librairie,  s.  d.  [Le  livre  a  été  achevé  en  novembre  19  lo].  In-i?S  de  343  p. 

Naturellement,  dans  un  sujet  aussi  connu,  M.  F.  est  obligé  de 
répéter  bien  des  arguments  déjà  produits;  mais  les  aperçus  originaux 
y  abondent  (v.  sur  l'abnégation  de  Philinte,  p.  43--;  la  brillante 
analyse  du  Philinte  de  Fabre  d'Églantine,  p.  51-79;  le  parallèle  entre 
Rousseau  et  Alceste  en  qui  Jean-Jacques  reconnaît  avec  colère  ses 
propres  défauts,  p.  82-4)  ;  d'ailleurs,  ce  qui  piquera  bien  autrement 
la  curiosité  du  lecteur,  une  sorte  d'animosité  contre  Molière  anime 
tout  le  livre.  M.  F.,  qui  sent  profondément  le  mal  que  la  rupture  avec 
nos  traditions  morales  a  fait  à  la  France  en  veut  plus  qu'il  ne  con- 
vient à  Molière  de  n'avoir  pas  été  de  tout  point  pénétré  de  ces  tradi- 
tions. 

A  certain  égard,  il  a  raison  :  Molière  n'a  pas  compris  la  sainteté  du 
mariage,  mais  c'est  seulement  l'effet  de  sa  vie  de  comédien  et  c'est 
uniquement  à  ce  propos  qu'on  peut  dire  (p.  178)  que  son  esprit  était 
plus  délicat  que  sa  conscience.  M.  F.  dit  qu'il  n'attaquait  que  les  tra- 
vers, les  ridicules,  ou  du  moins  que  les  vices  chez  lui  ne  sont  punis 
que  par  l'intervention  surnaturelle  de  Dieu  ou  invraisemblable  du  roi; 
mais  Argan,  Philaminte,  Jourdain  se  tirent  aussi  fort  bien  d'affaire; 
Molière  sait  qu'ici-bas  trop   souvent  le  seul    châtiment  du   vice  est 


D  HISTOIRE    ET    DK    LITTKRATURE  -^Qt 

dans  sa  propre  corruption  ;  en  revanche  jamais  personne  n'avait 
nioniré  avec  la  même  profondeur  TclTrayant  chemin  qu'un  simple 
travers  fait  faire  à  Thonnèie  homme  qui  ne  l'a  pas  combattu  :  Oronte, 
un  galant  homme,  appuie  lâchement  une  calomnie  semée  contre 
Alceste  ;  Jourdain,  le  plus  rangé  des  maris,  veut  séduire  une  mar- 
quise ;  Don  Juan  brave  encore  les  coups  d'épéc,  mais  il  en  est  déjà  à 
mettre  de  force  ses  habits  sur  le  dos  de  Sganarelle  quand  il  y  a  un 
coup  d'arquebuse  à  recevoir.  M.  F.  assure  que  Molière  n'admet  la 
piété  que  chez  ceux  qui  ont  tellement  la  pudeur  de  Vetaler  qu'ils  ne  la 
montrent  même  pas,  de  peur  de  faire  un  reproehe  secret  mais  visible 
à  ceux  qui  ne  pratiquent  point  :  car  enfin  confesser,  cest  professer  et 
professer  c'est  censurer  ceux  qui  ne  professent  pas  (p.  226);  mais 
Cléante  dit  tout  dilféremment  des  vrais  dévots  :  «  C'est  par  leurs 
actions  qu'ils  reprennent  les  nôtres;,  on  les  voit,  pour  tous  soins,  se 
mêler  de  bien  vivre.  »  Donc  Molière  autorise  le  reproche  muet  mais 
visible.  M.  F.  fait  spirituellement  remarquer  que  les  réflexions  reli- 
gieuses ne  se  rencontrent  pas  chez  Molière  là  où  le  sujet  les  appelle- 
rait (p.  2i());  il  oublie  ce  qu'il  a  dit  ailleurs,  que  le  xvn*"  siècle  ne  les 
trouvait  point  à  leur  place  dans  la  comédie  et  qu'il  obligea  Corneille 
à  faire  parler  Polveucte  encore  plus  en  spiritualiste  qu'en  chrétien. 
Quant  au  patriotisme,  qui  sait  si  l'indulgence  de  Molière  pour  les 
fredaines  de  Jupiter  ne  tient  pas  en  partie  à  l'idolâtrie  pour  le  roi  qui 
faisait  trembler  l'Europe  ? 

M.  F.  va  jusqu'à  dire  que  Molière  a  «  incontestablement  détourné 
les  hommes  de  tout  effort  vers  la  vertu  et  de  tout  goût  pour  elle,  très 
convaincu  du  reste  à  ce  qu'il  semble  que  les  hommes  n'en  ont  nul 
besoin  »  (p.  235)  et  que  «  la  recherche  du  sublime  est  toujours  ridi- 
cule »  fp.  237).  «  N'ayez  aucun  idéal  et  n'ayez  aucune  qualité  supé- 
rieure, c'est  la  maxime  même  qui  ressort  de  son  théâtre  tout  entier. 

Une  société  qui  se  réglerait  sur  Molière serait    d'assez  bon  sens, 

mais  serait  la  plus  plate  des  sociétés  qu'on  eût  jamais  vues  »  (p.  237). 

Voilà  un  Jugement  qui  eût  surpris,  non  pas  seulement  A.  de  Mus- 
set, mais  le  janséniste  Boileau  1  II  se  couronne  d'une  boutade  :  en 
regard  du  bohème  romanesque  que  fut  Rousseau,  Molière  est  un 
épicier  de  génie  (p.  338)  ;  car  il  ne  s'inspire  que  de  la  façon  moyenne 
de  penser  et  de  sentir  des  Français  de  son  temps  (p.  336).  La  preuve 
du  contraire  est  dans  l'énergie  avec  laquelle  Molière  attaqua  la 
débauche  systématique  et  l'hypocrisie  à  une  époque  où.  le  commun 
des  hommes  ne  prévoyait  point  qu'elles  minaient  la  monarchie  ;  ce 
n'est  pas  sous  la  dictée  du  siècle  qu'il  a  écrit  Don  Juan  et  Tartuffe; 
c'est  sous  la  dictée  d'une  inspii-ation  prophétique. 

Quelques  paroles  d'amer  scepticisme  expliquent,  excusent  la  sévé- 
rité de  M.  F.  Il  croit  que  c'est  par  les  parties  les  plus  médiocres, 
sinon  les  plus  misérables,  de  leur  intellect,  que  les  grands  écrivains  se 
font  une  clientèle  posthume  (p.  236j  ;  que  la  littérature  est  peut-être 


392  REVUE    CRITIQUE 

impuissante  à  moraliser  et  que  le  fond  de  la  comédie  est  la  cruauté 
des  hommes  civilisés;  qu'elle  perd  son  prétexte  honnête  quand  elle 
déverse  son  mépris  sur  les  scélérats  sans  les  corriger.  Cette  amertume 
trahit  de  nobles  souffrances;  et  c'est  une  bonne  fortune  pour  une 
nation  qu'un  homme  comme  M.  F.  soufi're  à  ce  point  de  ses  maux; 
mais  il  ne  faut  pas  venger  les  principes  sur  ceux  qui  les  ont  au  total 
servis  dans  la  mesure  où  leur  an  le  comportait  alors;  mieux  vaudrait 
attaquer  les  défaillances  de  l'heure  présente  et  ce  n'est  pas  le  courage 
qui  manquerait  à  l'homme  qui  déclare  ne  pas  douter  qu'actuellement 
la  plupart  des  professeurs  français  vantent  Corneille  pour  avoir  dans 
sa  Camille  glorifié  l'anii-pairiotisme  (p.  184).  Sans  aller  jusqu'à  cette 
hyperbole,  on  trouverait  de  nos  jours  des  détracteurs  de  l'idéal  beau- 
coup moins  hypothétiques  que  Molière. 

Charles  Dejob. 

Jean  AuDouARD.  Trois  lettres  inédites  de  l'Ami  des  hommes.  Paris,  Picard, 

191  2;  iii-S"  raisin,  17  pages. 
—  Généalogie  de  la  maison  de  Bruny,  in-B»,  raisin,  191  2,  52  pages. 

Les  trois  lettres  sont  adressées  par  le  marquis  de  Mirabeau  aux 
procureurs  du  pays  de  Provence.  Leur  mérite  est  de  dépeindre  sous 
un  jour  exact  et  bien  vivant  le  tempérament,  le  caractère,  de  cette 
individualité  puissante,  si  goûtée  à  partir  de  I/Dj,  connue  seulement 
des  érudits  aujourd'hui.  —  Quiconque  s'intéresse  à  l'Ecole  physio- 
cratique  puisera  dans  cet  opuscule  quelques  détails  de  première  main. 

Dans  la  seconde  plaquette,  l'auteur  qui  entreprend  de  nous  faire 
connaître  les  anciennes  familles  de  Provence,  débute  par  cette  mai- 
son de  Bruny  d'Enirecasteaux  qui  fournit  au  Parlement  d'Aix  plu- 
sieurs magistrats  et  à  notre  fîotte  l'illustre  marin  de  ce  nom.  Nous 
n'insistons  pas  sur  les  précieux  détails  que  l'historien  du  droit  peut 
glaner  dans  ces  monographies  familiales. 

Pierre  Laborderie. 


Abrégé  de  l'histoire  des  infortunes  du  Dauphin,  Introduction  et  notes  expli- 
catives par  Henri  Provins  et  Otto  Frif.drichs.  Paris,  Daragon,  191 1,  in-8°, 
xxxvni-417  p.  (illustré),  i5  fr. 

Otto  Friedrichs,  Brelan  d'Adversaires.  Paris,  Daragon,  191  i,  407  p.,  in-S",  3  fr. 

L'affaire  Naundorff.  Le  Rapport  de  M.  Boissy  dAnglas,  Sénateur,  com- 
mente et  réfuté  par  François  Laurentie.  Paris,  Emile  Paul,  191  i,  in-H",  vii- 
189  p. 

On  connaît  l'extraordinaire  roman  publié  en  i836  par  Naundorff  et 
qui  a  été  déjà  reproduit  récemment  par  MM.  Viirac  et  Galopin. 
MM.  Friedrichs  et  Provins  le  réimpriment  avec  soin,  en  y  ajoutant 
toutes  sortes  de  «  documents  »  dont  beaucoup  proviennent  de  la 
fameuse  agence  Bourbon-Leblanc.  Bien  entendu,  aucun  de  ces  textes 
n'est  l'objet  d'un  examen  critique.  Les  éditeurs  emploient  le  procédé 
des  apologistes  et  des  hagiographes  ;  ils  parient  d'un  récit  considéré 


d'histoire  et  de  littérature  ?q3 

par  eux,  a  priori,  comme  l'expression  de  la  vciiic  et  tout  leur  effort 
consiste  à  y  apporter  des  conrirmaiions,  prises  de  toutes  mains.  Cela 
n'a  rien  de  commun  avec  la  recherche  historique  proprement  dite. 

Le  «  brelan  d'adversaires  »  de  M.  Friedrichs  est  un  poker.  A  propos 
d'une  pièce  de  théâtre  (car  les  dramaturges  n'ont  pas  manqué  d'ex- 
ploiter l'engouement  du  grand  public  pourla  «  question  >>  Louis  XVII), 
quatre  écrivains,  MM.  Georges  Montorgueil,  Henri  Rochefort, 
Ernest  Daudet  et  Paul  Gauiot  ont  traité  des  descendants  de  Naun- 
dorff  et  leurs  partisans  avec  une  irrévérence  plus  ou  moins  accentuée, 
qui  a  choque  M.  F.,  défenseur  officieux  du  «  prétendant  ».  Il  a 
répondu  aux  articles  parus.  Les  journaux  intéressés  ont  refusé  d'insé- 
rer, et  l'ont  réduit  à  publier  lui-même  ses  réponses.  Elles  font  un 
assez  gros  volume,  parfois  assez  divertissant  par  le  ton  de  la  polé- 
mique iM.  E.  Daudet  est  fort  mal  accommodé,  frappé  d'arguments 
ad  hominem  et  traité  d'  «  apôtre  orléàne  »!),  mais  bien  mal  construit 
et  fort  peu  démonstratif.  Ce  sont  une  fois  de  plus,  les  racontars  de 
Gruau  (de  la  Barre),  de  Morel  (de  Saint-Didier)  et  autres  «  histo- 
riens ».  A  noter,  entre  autres  «  témoignages  »  1'  «  aveu  »  de  Barras  qui 
aurait  dit  :  «  Louis  XVII  vit  »,  en  i8o3,  à  Bruxelles,  devant  une  mar- 
quise (?)  de  Broglio  Solari,  femme  du  ministre  de  Venise  (!)  dans 
cette  ville,  laquelle  atteste  ce  propos  quarante-deux  ans  après.  Et  tout 
est  à  l'avenant  ! 

Les  descendants  de  Naundorff  ont  voulu,  il  y  a  quelques  temps, 
réclamer  la  qualité  de  Français  par  la  voie,  un  peu  inattendue,  d'une 
pétition  adressée  au  Sénat.  La  Commission  compétente  a  chargé  du 
rapport  M.  Boissy  d'Anglas,  qui  paraît  d'ailleurs  avoir  connu 
d'avance,  sinon  inspiré  la  démarche  des  «  princes  »,  et  qui  a  conclu  à 
l'admission  de  leur  requête.  Son  rapport  est  un  plaidoyer  pour  la  sur- 
vivance de  Louis  XVII  et  l'identité  de  Naundortf  avec  le  fils  de 
Louis  XVI.  Il  est  si  rempli  d'erreurs  (le  texte  même  des  lois  sur 
l'état  civil  en  vigueur  en  1795  est  inexactement  reproduit)  et  porte  la 
marque  d'une  crédulité  si  peu  avertie  que  le  Sénat,  après  en  avoir 
entendu  la  lecture,  a  passé  à  l'ordre  du  jour  à  la  presque  unanimité. 
M.  F.  Laurentie  n'a  pas  eu  de  peine  à  signaler  par  son  commentaire, 
qui  suit  le  texte  pas  à  pas,  toutes  les  faiblesses,  les  incertitudes,  les 
contradictions  de  ce  rapport  où  les  Naundorfistes  avaient  essayé  de 
réunir  en  faisceau  leurs  meilleures  «  preuves  ».  On  trouverait  même 
cette  démonstration  un  peu  trop  appuyée,  si  l'on  ne  songeait  à  la  foi 
robuste  des  adversaires  de  M.  Laurentie.  Bien  qu'il  y  ait  eu,  depuis, 
des  révélations  accablantes  pour  Naundorff,  aujourd'hui  reconnu 
comme  un  déserteur  westphalien  nommé  Werg,  les  ayants-droit  du 
pseudo-Louis  XVII  n'en  poursuivent  pas  moins  leurs  revendications, 
par  la  voie  judiciaire,  dit-on.  Sera-ce  la  fin  de  toute  cette  littérature  ? 
On  le  souhaiterait,  sans  oser  l'espérer. 

R.  G. 


3o4  RKVLIi    CRITIQUE 

Lettres  du  baron  de  Castelnau,  olVicicr  de  carabiniers  (i72H-i7(j;'>),  publiées  par 
le  barDii  de  lii.AV  de  I'iaix,  prélace  de  M.  A.  ('ihkjukt.  Paris,  Chainpioii  (iiibl. 
de  la  Kévolutioii  et  de  rKmpirc,  t.  \'),  iii-tS".  uji  i,  372  p.,  3  fr.  5o. 

Ces  k'iircs  sont  intcrcssamcs.  L'auteur  les  a  écrites  pendant  la 
guerre  de  Sept  ans,  où  il  a  lait,  dans  un  icuinient  de  carabiniers,  les 
canipa:;nes  de  l'armée  du  Khin,  puis  dans  les  diverses  garnisons  où 
il  a  passé  jusqu'à  sa  retraite  en  ij^[)-  (^e  n'est  pas  un  mécontent  ni  un 
pessimiste,  mais  il  ouvre  les  yeux,  et  comme  il  dit,  sa  tète  reste  froide 
même  devant  l'ennemi;  il  voit  donc  la  mauvaise  conduite  de  la  guerre, 
la  sottise  des  généraux,  et  il  l'indique,  sans  appuyer.  Il  dépeint  bien 
en  quelques  traits,  la  vie.de  camp  et  de  garnison,  où  Ton  s'ennuie 
souvent,  quoique  avec  bonne  humeur.  Il  nous  raconte  tout  au  long 
rhistoire,  très  romanesque  et  traversée  à  souhait,  de  ses  amours  et  de 
son  mariage;  sans  déclamation  du  reste  ni  grands  sentiments.  Ce 
cadet  de  Languedoc  n'a  sCu-emeni  pas  lu  la  Nouvelle  Héloïse  ;  c'est 
incroyable  à  quel  degré  il  est  peu  de  son  siècle,  bien  qu'il  se  dise 
<i  philosophe  ».  Visiblement,  sa  tête  est  fermée  aux  idées  nouvelles, 
encore  qu'il  se  soit  marié  après  sommations  judiciaires  à  son  beau- 
père  futur,  un  avocat  angevin  de  la  vieille  roche.  Cet  état  d'esprit  de 
gentilhomme  de  province  est  peut-être  ce  qu'il  y  a  de  plus  frappant 
dans  les  lettres  du  baron  de  Castelnau.  Cela  seul  valait  une  publica- 
tion. L'éditeur,  qui  s'est  fort  bien  acquitté  de  sa  tâche,  a  joint  aux 
lettres  une  sorte  de  testament  moral  du  baron  de  Gaix,  frère  aîné  de 
Castelnau  ;  c'est  un  recueil  de  préceptes  destiné  à  ses  enfants,  fort 
élevé  de  ton,  et  curieux  aussi  par  certaines  nuances,  notamment  le 
soin  pris  de  justifier  assez  longuement  aux  yeux  des  cadets  le  droit 
d'aînesse  suivant  la  coutume  du  Languedoc.  Le  baron  de  Castelnau 
suivit  les  Vendéens  lors  de  l'insurrection  de  1793,  tandis  que  son  fils 
servait  dans  l'armée  du  Rhin.  Il  fut  arrêté  et  exécuté  à  Angers.  Sa 
fille  mourut  aussi  sur  l'échafaud.  C'est  à  ce  titre  qu'on  a  pu  faire 
figurer  ses  lettres  dans  une  collection  relative  à  la  Révolution  et  à 
l'Empire.  Malheureusement  sa  correspondance  ne  se  rapporte  pas  à 
cette  période.  Il  est  fâcheux  que  M.  de  Blay  de  Gaïx  n'ait  pas  fait  de 
recherches  sur  cette  partie  de  la  vie  de  son  héros.  Tel  quel,  son 
recueil  se  lit  avec  plaisir  et  avec  profit. 

R.  G. 

M"  DE  Roux,  La  Révolution  à  Poitiers  et  dans  la  Vienne,  6  portraits.  Paris, 
Librnirie  nationale,  s.  d.,  in-S",  5<S()  pages. 

Pour  apprécier  ce  livre  à  sa  valeur,  il  ne  faut  pas  avoir  relu  immé- 
diatement avant  lui  celui  de  Tocqueville.  Ici  nous  trouvons,  condensé 
en  320  petites  pages,  tout  ce  qu'il  convient  de  retenir  de  l'histoire  de 
l'ancien  régime  et  de  la  Révolution  dans  la  France  entière.  Là, 
l'auteur  a  bien  de  la  peine  à  contenir  dans  un  gros  in-octavo  de  près 
de  600  pages  tout  ce  qu'il  s'est  cru  obligé  de  nous  donner  à  lire  sur 


d'histoire  et  de  littèratlre  3g5 

rhistoire  de  la  Révolution  dans  un  lies  petit  coin  de  la  France,  la 
ville  de  Poitiers  et  ses  envirc^ns.  Encore  s'arrête- t-il  au  loaoùt  1792. 
On  parle  de  la  crise  du  livre.  Que  MM.  les  auteurs  prennent  en 
pitié  les  pauvres  lecteurs.  Et  que  surtout  MM.  les  historiens  de  la 
Révolution  trançaise  aient  le  courai;e  de  se  borner  :  on  reprendra 
goût  aux  livres,  et  ils  iront  à  la  posiériié. 

C'est  le  vceu  que  l'on  peut  former  pour  l'ouvrage  de  M.  le  marquis 
de  Roux,  car,  s'il  mérite  le  reproche  d'être  beaucoup  trop  long,  il 
témoigne  d'une  préparation  consciencieuse,  d'une  mise  en  œuvre 
habile,  d'une  grande  probité  d'historien.  M.  le  marquis  de  Roux 
a  tout  lu.  Il  a  dépouillé  de  tout  ce  qui  se  rapporte  à  son  sujet,  tous  les 
ouvrages  imprimés,  toutes  les  archives  publiques  et  privées  (voir 
p.  533,  la  longue  énumération  de  ses  sourcesi. 

Sa  matière  ainsi  assemblée,  il  l'a  divisée  et  distribuée  en  trois 
grandes  parties  :  la  rin  de  l'ancien  régime  en  haut  Poitou,  1789  et 
l'application  des  décrets  de  la  Constituante,  passant  successivement 
en  revue  l'état  social,  religieux  et  politique  de  la  province;  les  assem- 
blées préparatoires  à  la  convocation  des  Etats  généraux  ;  le  14  juillet, 
la  disette  et  la  grande  peur  ;  la  formation  du  département  de  la 
Vienne  :  la  vente  des  biens  ecclésiastiques  et  la  constitution  civile  du 
clergé;  la  coalition  et  l'émigration  poitevine  ;  enfin  l'état  du  dépar- 
tement de  la  Vienne  depuis  la  l'uiie  du  rc^i  jusqu'à  la  chute  de  la 
royauté. 

Mais  si  c'est  déjà  quelque  chose  de  montrer  avec  quelle  entente  du 
sujet  a  été  tracé  le  plan  de  cet  ouvrage,  il  faudrait  encore  indiquer 
comment  l'auteur  a  rempli  son  programme.  D'une  lecture  trop 
rapide  il  résulte  l'impression  que  M.  le  marquis  de  Roux  s'est  efforcé 
de  juger  les  hommes  et  les  œuvres  de  la  Révolution  en  Poitou  avec 
discernement  et  modération.  .le  ne  dis  pas  sans  émotion,  car  quelle 
est  la  plume  qui  ne  tremble  pas  peu  ou  prou  en  écrivant  une  page  de 
l'histoire  politique  de  ces  temps  si  passionnants?  Ce  livre  n'est 
l'œuvre  ni  d'un  sectaire  ni  d'un  dénigreur  systématique,  mais  d'un 
auteur  de  bonne  foi.  A  ce  titre  il  mérite  confiance  et  attention. 


Eugène  Welvert. 


Commandant  .f.  DK  La  Tour.  Le  maréchal  Niel  1802-1869.     Paris,    Chapclot 
iyi2,  in-80,  vil  et  293  p.  3  fr.  5<). 

Le  livre  de  M.  de  La  Tour  sur  le  maréchal  Niel  est  un  bon  livre 
qu'on  lit  avec  profit. 

Né  à  Brioudes,  près  de  Muret,  dans  la  Haute-Garonne  en  1802  et 
issu  d'une  famille  militaire,  élève  à  l'Ecole  polytechnique  en  1821  et 
à  l'Ecole  d'application  en  1823,  capitaine  du  génie  en  1829  au  régi- 
ment dont  Vaillant,  le  futur  maréchal,  était  colonel,  chef  de  batail- 
lon en   1837  ap'"cs   l'assaut    de   Constantine,   colonel    en    1846,   chef 


396  lUCVUE    CRITIQIE 

d'ctat-major  tic  Vailhini  en  1840  pcndani  rexpcdiiion  de  Rome,  direc- 
teur du  génie  au  iiiinisière  de  la  guerre,  commandani  en  chef  du 
génie  devant  Boniarsund  en  1854,  aide-de-camp  de  l'Empereur  en 
janvier  i835,  Niel  joua  dans  la  guerre  de  Crimée  un  rôle  considé- 
rable. 

11  icçui  de  Napoléon  111  la  mission  de  surveiller  Canrobcrt  ci  le 
14  lévrier  il  adressait  à  IKmpereur  un  rapport  remarquable,  très  clair, 
comme  dit  l'auteur,  très  précis,  et  qui  désignait  MalakoU  comme  le 
véritable  point  d'attaque.  Mais  il  avait  une  situation  fausse  et  il  excita 
naturellement  la  incliance.  Aussi  fut-il  nommé,  après  la  mort  de 
Bizot,  commandant  du  génie  de  l'armée  d'Orient.  11  eut  toutefois 
quelque  démêlés  avec  Pélissier.  Lorsque  Niel  défendait  son  opinion 
et  disait  que  son  plan  était  celui  de  l'Empereur,  «  je  ne  partage  pas 
vos  idées,  lui  répondait  Pélissier  avec  son  ordinaire  rudesse,  je  passe 
outre,  c'est  mon  devoir  de  général  en  chef.  Il  n'y  a  pas  ici  d'aide-de- 
camp  de  l'Empereur;  il  n'y  a  qu'un  général  en  chef,  et  vous  êtes  son 
subordonné;  vous  n'avez  qu'à  obéir.  Au  besoin,  je  vous  ferai  embar- 
quer de  force,  et  rappelez-vous  que  vous  n'avez  pas  à  communiquer 
avec  l'Empereur  sans  passer  par  mon  intermédiaire.  »  Pélissier, 
remarque  l'auteur,  avait  évidemment  raison  de  revendiquer  sa  liberté 
d'action  et  d'assumer  ainsi  sans  nulle  hésitation  toutes  les  responsa- 
bilités du  commandement;  mais  il  aurait  dû  y  mettre  quelques 
formes. 

A  son  retour  en  France,  Niel  reprit  ses  fonctions  d'aide-de-camp  de 
l'Empereur.  En  1857  il  devint  sénateur.  En  i858,  il  alla  négociera 
Turin  le  mariage  de  la  princesse  Clotilde  avec  le  prince  Jérôme  et 
préparer  l'alliance  de  la  France  et  du  Piémont.  Dans  la  campagne  de 
1859  il  commanda  le  4"  corps,  et  sur  la  bataille  de  Magenta  où  inter- 
vint la  division  Vinoy,  une  des  divisions  de  Niel,  ainsi  que  sur  la 
bataille  de  Solferino,  l'auteur  communique  des  document  précieux. 

Solferino  valut  à  Niel  le  bâton  de  maréchal  et  il  commandait  à 
Toulouse  depuis  le  mois  d'août  1859  lorsqu'il  reçut,  le  18  janvier  1867, 
le  portefeuille  de  la  guerre. 

Le  ministère  de  Niel  est  le  chapitre  le  plus  important  du  livre. 
L'auteur  examine,  avec  beaucoup  de  détail  et  sans  ménager  les  cita- 
tions, les  réformes  projetées  ou  exécutées  par  Niel,  son  attitude  dans 
l'affaire  du  Luxembourg,  son  rôle  dans  la  discussion  et  la  défense  de 
la  loi  sur  l'armée,  de  la  loi  Niel. 

Certainement  Niel  prévoyait  la  guerre,  mais  il  ne  la  désirait  pas  ;  il 
ne  voulait  pas  d'une  lutte  dans  laquelle  la  France  n'aurait  pas  d'alliés. 
Il  savait  que  la  loi  qui  porte  son  nom,  cette  loi  tant  amendée,  mutilée, 
défigurée  par  la  Chambre,  n'était  qu'illusoire,  et,  s'il  comptait  qu'en 
cas  d'hostilités,  sous  la  pression  des  circonstances,  il  emporterait  de 
haute  main  une  nouvelle  Ipi  qui  permettrait  le  versement  de  la  garde 
mobile  dans  l'armée  active,  il  n'ignorait  pas  la  supériorité  del'organi- 


d'histoire  et  de  littératuke  397 

saiion  allemande,  «  Vous  verrez,  dit-il  un  jour  à  un  ami,  les  Prussiens 
feront  sur  nous  le  bond  de  la  panthère.  » 

La  lutte  acharnée  et  inutile  qu'il  avait  dû  soutenir  contre  la  Cham- 
bre, le  découragea,  Tépuisa.  11  mourut  le  i3  août  i86y,  et  il  fit  bien 
de  mourir.  L'auteur  de  ce  livre  croit  que,  si  Niel  avait  vécu,  il  aurait 
obtenu  en  1870  «  la  coopération  des  mouvements  »  et  «  l'obéissance  à 
une  volonté  unique  ».  Nous  croyons  qu'il  n'eut  pas  empêché  le 
désastre. 

En  tout  cas,  M.  de  La  Tour  a,  dans  ce  volume  consciencieux  et 
méritoire  dont  les  documents  sont  puisés  aux  meilleures  sources,  fait 
revivre  l'œuvre  et  la  personne  de  Niel.  Ce  grand  soldat  nous  apparaît 
sous  tous  ses  aspects  :  fort  intelligent,  instruit,  aussi  brave  que  savant, 
ferme,  énergique,  éloquent,  pénétré  du  sentiment  de  ses  devoirs. 

Il  est  très  regrettable  que  Napoléon  III  ne  l'ait  pas,  comme  il  en 
eut  l'idée,  nommé  ministre  dès  i858.  Qui  sait  si  en  dix  ans  Niel  n'eût 
pas  réorganisé  l'armée,  amélioré  ses  services,  refait  son  matériel  et 
par  tous  les  moyens  préparé  la  victoire  ?' 

A.  Chuquet, 


—  La  publication  de  VOctaleiiqne  éthiopien,  dont  il  a  été  question  dans  la  Revue 
du  18  août  1910,  se  poursuit  par  les  soins  du  D"^  J.  Oscar  Boyd.  La  seconde  par- 
tie, comprenant  l'Exode  et  le  Lévitique,  vient  de  paraître  (Leyde,  I5rill  ;  in-S", 
p.  240.  —  Forme  le  fasc.  IV  de  la  Bibliotheca  Abessinica  éditée  sous  la  direction 
de  M.  Littmann).  —  J.  B.  C. 

—  M.  Ernst  Samter,  dans  un  ouvrage  intitulé  Gebiivt,  Hocli^eit  uiid  Tod,  Beitr. 
^iir  vergleidienden  Volkskiinde  (mit  7  Abbildungen  im  Text  und  auf  3  Tafeln,  vi- 
222  p.,  in-8",  191 1.  Prix  :  broché,  M.  6;  relié,  M.  7,60)  décrit  certains  rites  popu- 
laires relatifs  à  la  naissance,  au  mariage  et  à  la  mort.  L'étude  des  religions 
antiques  peut  tirer  de  l'ample  «  matériel  »  réuni  par  M.  Samter  d'utiles  points  de 
comparaison.  Il  sera  utile  d'y  confronter  Gi:rcke-Norden,  Einl.  iii  d.  Altevtiinuviss., 
H,  48  et  s.  —  De  L. 

—  M.  Clarence  L.  Meauer  a  donné  une  suite  à  son  ouvrage  intitule  Tlie  Uitin 
PionoiDis  h,  Hic,  Istc,  Ipse,  a  Semasiological  Stiidy  (New-York,  190 1)  dans  une 
importante  brochure  de  1 1 1  pages,  The  Usage  of  Idem,  ^pse,  and  Wovds  of  rela- 
ted  Meaning  (New-York  et  London,  Macmillan  et  C'«,  1910)  qui  fait  partie  des 
Sttidies  de  l'Université  de  Michigan.  L'auteur  élargit  son  enquête  jusqu'aux  autres 
langues  indo-européennes.  —  De  L. 

—  Le  5''  et  dernier  fascicule  du  t.  VIII  (donc  n"  40)  des  Beitràge  ^iir  Landes- 
tind  Volkeskiinde  von  Elsass-Lothringen  nnd  den  angren^enden  Gebieten  (Hcitz, 
191 1,  32  p.  I  M.  5o)  est  un  Beitrag  de  M.  R.  Reuss,  Zur  elsàssisdien  Kirchen- 
geschiclite  tinter  der  Regierung  Ludwigs  XI \\  à  savoir  un  Historisclier  Beridit 
von  der  Religions- Verdndei-u>ig  in  DiUtlenheim    1686  par  le  Mag.   Johann  Rein- 

I .  Lire  p.  1 7  et  i  S  Clauzel,  p.  19  Comte,  p.  56  et  ailleurs  Baraguey  (et  non  Claxt- 
sel,  Combes  et  Baragiiay).  Remarquer  p.  9  que  Christin  avait  été  otllcicr  d'ordon- 
nance de  Napoléon.  Pourquoi  p.  -jb  réfuter  un  jugement  de  Henri  Martin  sur 
Niel  ? 


3q8  RtVUE    CRITIQUE 

luvJ  liicclil.  DiiitlcnliL'iin  est  un  villnj^c  liii  canton  de  Geispolsheim,  aujourd'hui 
cniicrcincnl  caihuliijuc  (sauf  i]uclques  familles  juives),  mais  qui,  jusqu'en  1686, 
fut  pn^tcstant  et  eut  comme  liernicr  pasteur,  pendant  trois  ans  seulement,  ledit 
Brecht,  né  en  i036,  heau-frèrc  du  préteur  royal  converti  Ulrich  Obrecht,  et 
devenu,  après  son  expulsion,  d'ahurd  professeur  au  Gymnase,  puis  successeur  de 
Zenti^raffà  la  Faculté  de  théologie,  mort  enfin  en  1722.  Sa  parenté  avec  "Obrecht 
et  su  prompte  nomination  à  un  autre  poste  sont  une  garantie  complète  de  sa 
véracité  et  même  de  sa  grande  modération.  I.a  moindre  \ivacitc  de  langage  l'au- 
rait fait  incarcérer  ou  expulser,  comme  il  arriv:i  à  tant  d  autres;  car  la  prétendue 
tolérance  envers  les  protestants  d'Alsace  n'est  qu'une  fable,  quelque  persistante 
qu'elle  soit,  f.e  pasteur  du  village  voisin  de  Dorlisheim,  .lean  Gùntzlin  cite  p.  18), 
fut  destitué  bientôt  après  (<S  février  lôSy'i,  à  la  demande  de  La  Grange,  et  dut 
attendre  cinq  ans  un  autre  poste,  qui  fut  aussi  une  chaire  du  Gymnase.  I.e  pré- 
sent document  a  déjà  été  largement  utilisé  dans  les  Mitteiliaigcii  de  Rœhrich  et 
résumé  par  M.  Reuss  lui-même  dans  L'Alsace  au  xvu«  siècle,  mais  n'avait  pas 
encore  été  publié  entièrement.  Il  n'en  est  pas  de  même  du  Mémoire  pour  la  con- 
version des  protestants  de  la  ville  de  Strasboiiig  qui  se  trouve,  à  sa  suite,  dans  le 
même  majiuscrit,  copié  en  1784,  sur  l'original  lie  Brecht,  par  un  pasteur  en 
retraite  inconnu;  M.  Reuss  a  hésité  d'autant  moins  à  laisser  ce  .Mémoire  de  coté, 
qu'il  l'avait  déjà  inséré  dans  son  l.oiiis  A'/T  et  l'Eglise  protestante  de  Strasbourg. 
—  Th.  Scn. 

—  Les  nos  14-16  (Bd  11,  Bg  ii-25,  p.  161-400)  du  W'ijrterbuch  des  Deiitschen 
Staats  =  und  \'envaltiingsreclits  (Mohr,  igii-12.  2  M.  le  n')  fondé  par  Stengel 
et  réédité  par  Flhiscumann  ont,  comme  article  principal  celui  sur  Gewerbe 
(p.  238-6i)  par  Nelkkn  (sauf  le  dernier  paragraphe  sur  le  Gewerbereclit  in  den 
Schul-{gebieten,  qui  est  d'EnrKR  v.  Hoffmann);  après  cela,  les  articles  les  plus 
importants  traitent  de  la  Gemeinlieitsteiliing  (diflérents  auteurs  selon  les  pays 
étudiés),  Gendarmciie  Fleischmann),  Gerichtskosten  (Pfatîeroth),  Gericlitsver/as- 
suug  (v.  Stengel),  Geset^  (Anschûtz),  Gcsnndheitswesen  (Rapmund:,  Gcwcrbliches 
Unterrichtswesen  (O.  Simon)  d'intérêt  très  actuel  en  ce  moment  où  paraissent 
dans  nos  revues  tant  d'études  sur  les  écoles  industrielles  et  commerciales  et  sur 
l'enseignement  postscolaire  en  général;  on  trouvera  ici  à  se  documenter  à  fond; 
Grnndsteiier  (v.  Heckcij,  Haftung  Dritter  (Beling),  Hamburg  (Seeligl,  Handel  et 
Handelsvertrâge  i|Lusensky),  Ilandclskammern  (Behrend),  Hcei-  (Laband),  Helgo- 
land  (Bahrfeldt  ,  etc.  —  Th.  Scn. 

—  M.  Alf.  Kastil  (Innsbruck)  a  fait  une  critique  approfondie  de  Jakob  Fried- 
rich Fries'  Lelire  von  der  iinmittelbaren  Erkenntnis,  eine  Nachpriifung  seincr 
Reform  der  theoretischen  Philosophie  Kants  (Gœttingue,  \'andenhœck  et  Ruprecht, 
191 2,  342  p.  8  M.  Tirage  à  part  des  Abhandlitngcn  der  Fries'schen  Sclnile  N.  F. 
IV,  i)  à  la  suite  de  M.  Léonard  Nelson  (dans  les  mêmes  Abhandlungen  II,  4),  qui 
avait  conclu  que  Fries  seul  avait  donné  une  réponse  vraie  à  la  question  de  Kant  : 
Comment  la  connaissance  à  priori  synthétique  et  métaphysique  est-elle  possible  : 
M.  K.  au  contraire  veut  prouver  que  de  tels  jugements  à  priori  prétendus  syn- 
thétiques et  métaphysiques  sont  impossibles  en  tant  que  connaissance. —  Th.ScH. 

—  La  2"  édition  de  Das  Verliàltnis  der  Hcrhartschoi  Psjxhologie  :;ur  physiolo- 
gif,ch-e.\perimentellen  Psychologie  (Berlin,  Reuther  ci  Reichard,  1912,  iv-88  p. 
I  M.  80)  par  M.  Th.  Ziehen  (Berlin)  trouve  une  situation  modiliée  en  ce  sens  que 
la  défaite  de   la  psychologie   hcrbartienne,    qui  était  encore   puissante  lors  de  la 


d'histoire  et  de  littérature  39g 

I"  édition  (1900),  ne  lui  laisse  plus  qu'une  valeur  historique.  Aussi  sa  rivale  vic- 
torieuse, la  psychologie  expcrinieiUalc,  prenJ-elle  une  phicc  plus  considérable 
dans  cette  nouvelle  édition,  qui  \cui  scr\ir  île  trait  d'union  entre  les  deux  sys- 
tèmes hostiles.  —  Th.  Son. 

—  La  5'  édition  de  Die  '\\\'lt,.Jiiscliaiiit)ii^c)i  lïcr  grossoi  Philosoplien  dev  Neu- 
^eit  (Tcubner,  Leipzig,  i()i2,  vin-160  p.  1  M.  25.  N»  56  de  la  collection  Aus 
Natur  iDid  Geistcswelt)  de  feu  Louis  Busse,  a  été  publiée  par  les  soins  de  M.  Fal- 
CKENBERG  (Erlangcu),  qui  s'était  déjà  occupe  de  la  4'^  édition  et  qui  a  eu  l'heu- 
reuse idée  de  consacrer  son  nouvel  avant-propos  à  la  biographie  de  Busse  (1862- 
1907).  Le  Manuel  comprend  deux  parties  :  de  Descartes  à  Kant,  et  de  Fichte  à 
Spencer  ;  et  chaque  partie  a  quatre  chapitres  :  I.  Rationalisme,  empirisme  de 
Leibniz  à  WoltT",  Kant.  H.  Idéalisme,  réalisme,  néokantisme,  positivisme.  — 
Th.  ScH. 

—  M.  Paul  Wernle  (Bâle)  ayant  fait  en  octobre  un  cours  de  vacances  à  Zurich 
sur  l'importance  de  la  Renaissance  et  de  la  Réforme  dans  l'histoire  universelle,  a 
publié  ces  six  conférences  [Renaissance  iind  Reformations  Mohr,  1912,  viii-i  70  p., 
3,  M.)  en  cinq  chapitres  qui  envisagent  successivement  i.  Ce  que  la  Renaissance 
nous  a  apporté  de  nouveau,  2.  Les  bornes  de  la  «  culture  »  Renaissance,  3.  Ce 
qui  rattache  la  Réforme  au  passé,  4.  Ce  qu'elle  a  produit  de  nouveau,  5.  La  nou- 
velle «  culture  »  protestante.  Cette  division  semble  claire  et  logique  et  l'on  s'at- 
tend à  trouver  les  mêmes  qualités  dans  le  développement.  On  est  un  peu  déçu  : 
point  d'idées  neu\'es  et  saillantes,  rien  d'empoignant;  consciencieux,  mais  terne. 
Le  livre  aurait  besoin  d'être  traduit  en  français  et  allégé  de  son  pédantisme,  de 
façon  à  faire  mieux  ressortir  les  différents  points  de  vue  et  à  égayer  un  peu  la 
lourdeur  monotone  du  style.  — Th.  Sch. 

—  Stra/voll^ug  iind  Verbrecher  (Mohr,  191  2,  84  p.  i  M.  N°  25  des  Lebensfragcn 
de  Weinel),  par  M.  Fritz  Philippi,  est  un  titre  tout  à  fait  trompeur.  On  s'attend  à 
une  froide  et  objective  étude  juridique,  et  l'on  tombe  dans  un  réquisitoire  véhé- 
ment et  sentimental  contre  le  code  pénal  et  surtout  contre  la  manière  routinière 
et  inhumaine  dont  il  est  généralement  appliqué,  et  aussi  contre  l'indifférence 
publique  sur  ce  point  et  contre  les  préjugés  qui  régnent  partout  à  l'égard  des  cri- 
minels. Au  milieu  de  beaucoup  d'illusions,  on  trouve  des  réflexions,  non  point 
neuves  sans  doiate,  mais  qui  ne  sauraient  être  trop  répétées,  tant  elles  sont  vite 
oubliées,  tout  en  étant  —  ou  justement  parce  qu'elles  sont  presque  banales  :  par 
exemple,  p.  37,  la  proclamation  de  la  solidarité  humaine  devant  le  crime,  la  con- 
viction profonde  que  chaque  délit  implique  une  part  de  responsabilité  sociale,  que, 
à  la  place  du  criminel  et  avec  ses  antécédents,  la  plupart  d'entre  nous  auraient 
agi  de  môme;  idée  féconde  et  généreuse  qui  suffirait  à  transformer  la  société,  si 
elle  était  mise  partout  en  pratique.  Et  le  corollaire  de  la  p.  37  est  la  p.  57  qui 
montre  le  délinquant  devenu  accusateur  de  l'indolence  et  de  l'égoïsme  myope  de 
l'Etat,  de  l'Eglise  et  de  la  Société.  L'auteur  a  déjà  publié  trois  romans  qui  défen- 
dent la  même  thèse.  —  Th.  Sch. 

—  Parmi  les 43  lettres  à  lui  adressées  que  M.  Al.  d'AwcoNA  publie  à  petit  nombre 
d'exemplaires  non  mis  dans  le  commerce  (Pise,  Mariotti),  quelques-unes  touchent 
la  politique  :  Guerrazzi,  suivant  la  fine  remarque  de  M,  D'A.,  se  montre  si  plein 
de  lui-même  que  toute  critique  lui  paraît  émanée  d'un  meurt-de-faim  ;  Nigra 
proteste  éloquemment  contre  une  stérile  manifestation.  La  plupart  des  lettres 
roulent    naturellement    sur    la    littérature.    On    y    voit    Wesselovsky    abandonner 


^OO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRK     ET     UK     LITTÉRATURE 

pour  S.  Piiicrsbourg  Moscou  trop  slavophilc  et  trop  germanophobe  à  son  gré  ; 
Karl  Hillcbrand  protester  en  i.Silr)  que  si  l.i  guerre  éclate  entre  les  Français  et  les 
Allemands,  il  se  retirera  chez  les  Anglais  par  égard  pour  la  France,  (que  pourtant 
il  allait  si  peu  ménager);  A.  Ranicri  donner  à  entendre  comment  l'argent 
plissait  entre  les  doigts  deLeopardi.  Surtout  on  admirera  l'alVectueuse  courtoisie 
des  rapports  d'A.  Bartoli  et  de  Carducci  avec  M.  IVA.  :  le  premier  lui  fournit  des 
armes  contre  liii-incmo  dans  la  fameuse  question  sur  la  personne  de  Béatrix  ;  le 
second  qui,  dans  ses  œuvres  imprimées  rebute  souvent  le  lecteur  français  par  son 
alVcctation  d'orgueil  et  de  rudesse,  se  montre  ici  simple,  amical,  consciencieux, 
spirituel.  —  (".h.  HiMon. 

—  Au  volumineux  dossier  qu'il  avait  réuni  pour  nous  cxp<iser  le  Procès  de 
Théophile  Vian,  M.  F.  Lachèvre  a  ajouté  une  nouvelle  pièce  :  un  Mémoire  i}iédit 
de  Français  Garassus  adressé  à  Mathieu  Mole  poidjjtt  le  Procès  de  lliéopliile, 
6  nov.  iû-23  (Paris,  Colin,  1912,  8",  p.  40.  N'est  pas  mis  en  vente.  Extrait  de  la 
Revue  d'Histoire  littéraire  de  la  France,  oct.-déc,  191 1).  C'est  une  longue  justifica- 
tion, verbeuse  et  diffuse,  du  rôle  du  Père  Jésuite  dans  fe  procès  fait  aux  libertins 
de  son  livre  de  la  Doctrine  curici/sc  dont  les  violentes  attaques  avaient  froissé 
beaucoup  d'esprits  modérés.  Quoique  encombrée  dune  érudition  parfois  ridicule, 
la  défense  du  H.  Garassus  ne  manque  pas  d'à-propos  quand  il  prend  à  partie 
Théophile  lui-même,  ni  d'habileté  quand  il  cherche  à  confondre  sa  cause  avec  celle 
de  sa  compagnie.  L'introduction  de  l'éditeur  nous  renseigne  utilement  sur  la  polé- 
mique engagée  par  Garassus  avant  et  après  la  publication  de  la  Doctrine  curieuse 
en  particulier  entre  l'auteur  et  les  fils  d'I'^tiennc  Pasquier.  (Corriger  p.  ^4  Fus- 
chius  en  Fuchsius).  —  L.  R. 

—  M.  Léon  Di'TiL  a  publié  des  Lettres  de  SP  de  Mondonville  (Paris,  Hachette, 
191  r,  8°  p.  i35)  qui  serviront  à  l'étude  du  mouvement  religieux,  en  particulier  du 
jansénisme  dans  le  Midi.  M"  de  Mondonvilio  avait  fondé  à  Toulouse  en  1662  avec 
l'aide  d'un  prêtre  austère  M',  de  Ciron  une  sorte  de  congrégation  laïque,  Flnstitut 
de  la  Sainte  Enfance,  que  la  jalousie  des  ordres  rivaux,  des  Jésuites  surtout,  ne 
laissa  subsister  que  jusqu'en  1686.  Le  procès  fait  à  ce  Port-Royal  du  Midi,  comme 
on  l'a  appelé,  a  été  toujours  très  partialement  exposé;  c'est  pour  permettre  un 
jugement  plus  sûr  que  M.  D.  à  réuni  les  documents  intéressant  la  fondatrice.  A 
vrai  dire,  ils  ne  se  composent  pour  la  plus  grande  partie  que  de  lettres  de  spiri- 
tualité écrites  avant  la  création  de  l'institut  par  M'  de  Mondonville  à  son  directeur; 
ces  examens  de  conscience  presque  toujours  pareils,  ces  scrupules  sans  cesse 
renaissants  d'une  dévotion  alarmée  ne  se  lisent  pas  sans  quelque  lassitude  et  la 
reproduction  intégrale  n  en  était  peut-être  pas  indispensable.  Les  dernières  pages 
seules,  exhortations  de  M'  de  Mondonville  à  ses  filles,  adressées  de  Coutances  où 
le  roi  l'avait  fait  exiler,  et  de  courts  fragments  de  Mémoires  se  rapportent  à 
l'œuvre  inséparable  de  son  nom.  En  tout  cas  la  publication  de  M.  D.  éclaire  mieux 
la  nature  de  ses  relations  avec  M.  de  Ciron.  —  L    R. 


L'imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N»  31  —  25  mai  —  1912 

SiMBECK,  Le  De  Senectute.  —  Karsten,  Donat.  —  Heidrich,  Rutilius.  —  J.  Hano- 
TEAU,  Instructions  aux  ambassadeurs  de  France  à  Rome,  II.  —  Pellisson,  Les 
hommes  de  lettres  au  xviii«  siècle.  —  Annales  de  la  Société  J.-J.  Rousseau,  VII  ; 
MoRNET,  Morceaux  choisis  de  Rousseau  ;  Canat,  Morceaux  choisis  de  Chateau- 
briand. —  Lamm,  Oxenstiern.  —  A.  de  Courson,  Souvenirs  de  M""*  de  Candé.  — 
Chateaubriand,  Amours,  p.  Pikrredon.  —  Marquiset,  Ballanche  et  M""  d'Haute- 
f'euille.  —  FucHS,  Lexique  du  Journal  des  Goncourt.  —  Morris,  Cooper  et  Poe. 
—  PoLTi,  Les  trente-six  situations  dramatiques.  — Lamy,  Quelques  oeuvres  et 
ouvriers.  —  A.  Chuquet,  Monod  et  la  Revue  Critique.  — Académie  des  inscrip- 
tions. 


M.  Tulli  Ciceronis  Cato  major  de  Senectute  liber  rec.  Carolus  Simbeck.  Teubner, 
1912,  60  p.,  in-8°.  2  m.  40. 

Le  livre  dédié  à  Vollmer  a  été  entrepris,  sous  sa  direction,  par  un 
de  ses  élèves.  Introduction  (De  codicibus)  en  12  pages,  puis  le  texte. 
Au  début  de  l'Introduction,  historique  soigné  et  très  clair  de  la  tradi- 
tion du  texte.  A  la  fin  un  stemma  des  manuscrits,  qui  me  paraît  très 
vraisemblable.  Il  me  semble  que  M.  S.  est  tout  à  fait  au  courant  des 
travaux  sur  le  Cato;  il  a  travaillé  sur  des  photographies  des  manus- 
crits principaux  PL  b  ;  il  annonce  pour  plus  tard  une  recherche  sur 
la  valeur  des  gloses  du  manuscrit  de  Leyde  (V).  Dans  l'exposé  des 
rapports  des  manuscrits  M.  S.  revient  sur  plusieurs  hypothèses  de 
ses  prédécesseurs  (Dahl,  Clark)  qu'il  rectifie.  —  De  l'historique  il 
résulte  que  maintenant  nous  arrivons  sûrement  à  mieux  juger  des 
rapports  des  meilleurs  manuscrits,  PLV  ayant  été  corrigés  de  seconde 
main,  l'un  d'après  l'autre. 

La  conclusion  de  M.  S.  est  que,  si  les  manuscrits  inférieurs  ne 
doivent  pas  être  négligés,  cependant  le  groupe  des  cinq  manuscrits 
qui,  d'après  lui,  forment  la  première  classe  (PV  b  LA,  du  ix-x''  s.) 
suffit  pour  la  constitution  du  texte. 

M.  S.  donne  beaucoup  de  détails  précis  sur  récriture  du  manuscrit 
d'Ashburnham  (A).  Surtout  il  s'efforce  de  reconstituer  l'archétype 
avec  les  habitudes  du  copiste,  son  orthographe,  les  abréviations  qu'il 
emploie,  les  dittographies,  etc. 

Sur  le  conseil  de  Vollmer,  M.  S.  a  adopté,  pour  le  texte,  l'ortho- 
graphe archaïque,  ce  qui  se  justifie  d'autant  mieux  qu'ici  l'ortho- 
graphe est  très  soignée. 

Nouvelle  série  LXXIII  21 


^^02  REVUE    CRITIQTK 

En  somme  irès  bonne  édition,  avec  des  parties  nouvelles  et  dont 
le  fond  me  parait  très  solide  '. 

É.  T. 

Commenti  Douatiani    aJ   Tcrcnii  fabulas  scholia  gcnuina  et  spiiria  probabiliicr 
scpararc    conatus  est    H.    T.    Karsten,    Vol.    1,    Leydc,    Sijthoff,    191 2,    xxiii- 

28  p.,  4  m. 

Jai  rendu  compte  autrefois  '  d'un  livre  intéressant  par  lequel  le  pro- 
fesseur d'Amsterdam  préludait  à  ses  études  sur  le  Commentaire  de 
Donat.  Nous  sommes  très  heureux  de  voir  qu'il  les  poursuit.  Il  nous 
donne,  pour  deux  pièces  (Andrienne,  Eunuque^,  le  texte  avec  la  dis- 
tinction faite  entre  les  vraies  scolies  de  Donat  et  celles  qui,  suivant 
lui,  n'ont  pas  d'authenticité;  suivent  des  notes  (Adnotationes]  sur  ces 
scolies  (43  p.);  en  tête  une  préface  de  23  pages.  —  Les  scolies  sur  les 
Adelphes,  sur  l'Hécyre  et  le  Phormion,  classées  d'après  la  même 
méthode,  doivent  paraître  en  un  autre  volume.  —  La  différence  avec 
Wessner  est  tout  indiquée  :  plus  d'apparat;  le  texte  est  supposé  établi; 
il  s'agit  avant  tout  de  distinguer  ici  le  vrai  et  le  faux  Donat. 

M.  K.  m"a  fait  l'honneur  d'emprunter  à  mon  ancien  article  le  plan 
qu'il  a  ici  suivi.  Je  ne  crois  pas  pouvoir  mieux  reconnaître  cet  hon- 
neur qu'en  indiquant,  en  toute  sincérité,  ce  que  je  pense  de  sa 
tentative;  et  pourquoi,  malgré  l'avance  obtenue,  je  ne  crois  pas  encore 
le  but  atteint. 

Pour  la  disposition  matérielle,  j'aurais  d'abord  des  réserves  à  expri- 
mer. Le  rejet  des  notes  à  la  tin  est  incommode;  elles  sont  remplies  de 
redites,  et  surtout  de  renvois  aux  articles  de  la  Mnemosyne.  Je  n"ai 
pas  ces  articles  sous  la  main  et  bien  des  lecteurs  seront  dans  mon 
cas.  11  n'y  aurait  que  demi-mal  si  leur  sens  était  indiqué  et  si  le  fonds 
nous  était  communiqué  en  résumé.  Mais  là-dessus  M.  K.  nous  a  laissés 
presque  entièrement  dans  la  nuit. 

De  plus,  les  épreuves  ont  été  médiocrement  corrigées.  L'errata  de 
la  rin  en  7  lignes,  qui  contient  lui-même  de  faux  numéros,  paraît  iro- 
nique à  côté  des  fautes  qui  se  trouvent  partout,  même  dans  les  lem- 
mag  ;  elles  obligeront  tout  lecteur  scrupuleux  à  mainte  vérification  : 
pourquoi  nous  avoir   imposé  cette  corvée? 

Je  laisse  ces  vétilles  et  j'aime  mieux  reconnaître  de  moi-même  que 
le  principal  défaut  de  l'essai  de  M.  K.  vient  du  sujet  lui-même.  Il  suf- 
fit d'avoir  lu  quelques  pages  de  ces  scolies  pour  sentir,  par  contraste, 
l'avantage  des  scolies  de  Virgile  où  les  points  d'appui  extérieurs, 
solides  et  multiples,  permettent  de  faire  un  premier  départ  entre  les 
notes.  Ici  il  faut  tirer  presque  tout  des  notes  elles-mêmes.  Le  nombre 

1.  La  leçon,  8,  25,  eumpse  (corrigée  par  Fleckeisen  de  eiim  ipsum  esse),  leçon  que 
les  manuscrits  de  Nonius  nous  ont  seuls  conservée,  prouve  que  notre  tradition  n'est 
pas  tellement  exacte.  —  P.  3i,  5  (après  bonarum)  ajouter  avtium  ;   6,   lire   afquç. 

2.  Revue  de  1907,  II,  p.  414. 


d'histoire  et  de  littérature  403 

des  scolies  que  les  divergences  de  la  tradition  autorisent  à  séparer,  est 
insignifiant  '.  Les  répétitions,  les  contradictions  nous  aideront  sans 
doute  à  en  écarter  un  certain  nombre,  mais  ce  ne  sera  pas,  plus  d'une 
fois,  sans  hésitation;  et  nos  doutes  augmenteront  bien  davantage 
quand  il  s'agit,  et  cela  est  fréquent,  de  pressentir  quelque  lacune. 
Nous  nous  débattons  d'ordinaire  comme  ici  à  démêler  du  vrai  com- 
mentaire les  additions  successives.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  la 
déformation  s'est  faite  aussi  dans  l'autre  sens  ;  des  scolies  importantes 
ont  dû  disparaître  sans  laisser  aucune  trace  ;  jamais  on  ne  pourra  les 
deviner  toutes.  —  D'autre  part,  la  faiblesse  de  nos  diagnostics  est 
évidente.  Il  est  bien  vrai  qu'en  gros,  pour  la  pureté  de  la  langue,  pour 
la  solidité  du  fonds,  la  simplicité  de  l'interprétation,  le  vrai  Donat  se 
distingue  de  l'autre.  Mais  la  démarcation  est-elle  toujours  nettement 
marquée?  Pour  telle  scolie  interpolée,  M.  K.  note  :  flosculus  magistri. 
Mais  combien  d'autres,  qui  sont  autheniiquement  de  Donat,  et  qui 
ont  le  même  caractère  ou  n'en  diffèrent  que  très  peu  !  On  peut  bien 
écrire  sur  telle  appréciation  :  (p.  269,  261)  observatio  et  exem- 
pliim  insipida  :  est-il  si  sûr  qu'ils  fussent  jugés  ainsi  au  troisième 
siècle  ?  Certaines  remarques  nous  paraissent  bien  étranges  (par  ex. 
Andr.  33o  :  sententiae,  qiiae  pronominibus  incipiunt,  séria  semper  et 
vera  promittunt);  cependant,  il  faut  provisoirement  les  conserver.  — 
Le  danger  de  notre  méthode  est  qu'elle  finirait  par  être  trop  favorable 
à  Donat  puisqu'elle  le  dégagerait  de  tous  ses  défauts  :  inconséquences, 
négligences,  inexactitudes,  etc.  Nous  devons  certes  croire  à  priori 
qu'il  était  loin  d'être  parfait. 

Ajoutons  que  les  degrés  de  notre  suspicion,  traduits  simplement  par 
des  mots,  restent  vagues  et  jurent  avec  le  besoin  de  précision  que 
nous  sentons  à  chaque  note  nouvelle  \ 

Malgré  ces  défauts,  il  y  a  cependant  dans  ce  premier  essai  de  clas- 
sement un  progrès  marqué  qui  fait  grand  honneur  à  M.  K.;  grâce  à 
lui  un  jet  de  lumière  est  tombé  enfin  sur  le  fouillis  du  commentaire 
traditionnel,  tel  que  le  présentent  les  manuscrits.  On  nous  opposera 
sans  doute  le  désaccord  qui  existe  en  bien  des  points,  pour  les  deux 
premiers  actes  de  l'Eunuque,  entre  M.  K.  et  son  prédécesseur  M.  Sab- 
badini.  Mais  alors  que  les  critériums  dont  on  dispose,  et  il  n'y  en  a 
pas  d'autres,  sont  aussi  subjectifs  qu'on  Ta  vu,  les  repères  aussi  peu 
fixes,  de  telles  contradictions  ne  pouvaient  être  évitées.  Qu'importent 
d'ailleurs  quelques  tâtonnements,  pourvu  que  nous  sentions  que  nous 
avançons  et  pourvu  que  nous  apercevions  le  but  ?  Je  crois  bien  que 
là-dessus  tout  au  moins  les  lecteurs  n'auront  aucun  doute.  —  Enfin, 
notre  livre  a   l'avantage  indéniable  qu'au  lieu  de  rester  dans  la   pure 

1.  C'est  presque  en  totalité  celles  que  Wessner  met  en  italiques. 

2.  Souvent  M.  K.  a,  sur  l'origine  de  la  scolie  reçue  au  texte,  des  doutes  qu'il 
indique  dans  VAdnotatio,  p.  24t,  26,  etc.  Il  a  des  repentirs  {Andr,  352,2)  ou  c'est 
le  cas  contraire. 


404  REVUE   CRITIQUE 

et  facile  thcorie,  l'auteur  a  passe  à  la  mise  en  oeuvre,  à  la  pratique  qui 
est  tout  autre  chose. 

Voici  encore  quelques  remarques  :  les  notes  sur  l'Andrienne  con- 
tiennent 23  pages;  les  notes  sur  l'Eunuque  19  pages;  elles  sont  d'une 
rédaction  très  concise,  pour  quelques  personnes  trop  concise,  je  crois; 
car  c'est  là  que,  de  fait,  se  trouve  concentrée  toute  la  discussion.  — 
Au  lieu  des  répétitions  fastidieuses  des  Adnotationes,  j'aurais  voulu 
trouver  groupés  dans  la  préface  ou  quelque  part,  les  signes  extérieurs 
de  l'interpolation  '.  —  A  la  séparation  nette  que  M.  K.  veut  faire  des 
«  scolies  de  rhétorique  »,on  objectera  tout  le  commentaire  sur  Virgile 
de  Tibérius  Donat  qui  certainement  l'a  écrit  en  grammairien. 

En  somme  la  proportion  des  scolies  écartées,  ou  si  l'on  veut,  du 
déchet  au  reste,  pour  ces  deux  premières  pièces,  serait  environ  d'un 
iiiffeùers. 

Louons  surtout  M.  K.  d'avoir  renoncé  cette  fois  à  toutes  les  compli- 
cations que  faisait  attendre  sa  précédente  étude;  il  ne  met  à  part  ici, 
avec  les  scolies  suspectes,  que  celles  qu'avait  déjà  séparées  M.  Sabba- 
dini  (ici  :  5.  a.)  et  les  notes  (marquées  d'un  astérisque)  d'un  auteur  de 
rentiae,  presque  toutes  niaises  et  prétentieuses. 

Quoi  que  nous  réserve  l'avenir,  il  faudra  retenir  qu'après  l'établis- 
sement d'un  texte  sûr  par  M.  Wessner,  c'est  à  M.  K.  que  revient  le 
mérite  d'avoir  tenté  par  une  étude  générale  un  premier  triage  des 
scolies,  et  ensuite  de  l'avoir  poursuivi  dans  une  édition  complète  et 
un  classement  méthodique  et  pratique.  Ce  n'est  pas  un  mince  mérite 
que  d'y  avoir  réussi. 

Emile  Thomas. 


Claudius  Rutilius  Namatianus.  Mit  Einleitung  und  kritischem  Apparat  herausg, 
von  G.  D''  Georg  Heidrich,  Wien  und  Leipzig,  19 12,  56  p.  gr.  in-So. 

Le  présent  travail  prélude  à  une  grande  édition  de  Rutilius  avec 
commentaire.  L'auteur  ayant  trouvé  des  choses  qui  ne  sont  ni  dans 
Vessereau  ni  dans  les  éditions  de  Keene,  s'est  résolu  à  publier  dès 
maintenant,  comme  spécimen,  avec  le  texte  qu'il  propose,  une  intro- 
duction critique  très  développée  (ici  3o  p.).  Vient  à  la  suite  son  texte 
de  Rutilius  en  21  pages. 

M.  H.  a  coUationné  soigneusement  et  non  sans  profit,  le  Vindo- 
bonensis  et  l'édition  princeps  qui,  avec  le  Romaniis,  forment  les  prin- 
cipales sources  du  texte.  Il  a  soin  de  distinguer,  dans  la  collation  du 
manuscrit  de  Vienne  les  différentes  mains  des  correcteurs,  et  avant 
tout  celle  de  Sannazar.  Il  s'efforce  surtout  de  séparer  les  passages 
où  Sannazar  paraît  avoir  reproduit  les  corrections,  doubles  leçons,  etc., 

I.  Additions  amenées  par  )ît7/?i,  par  enim,  par  a>i,  pav  quasi,  par  dcest,  par 
aittem,  par  hoc  est  ou  ici  est,  pavjam,  par  cigo  ou  igitm-,  par  non...  sed,  par  aut 
ou  aut  quia,  par  unde,  par  ut  diximus  (ou  notavimus),  par  semper,  par  et  siinul, 
par  quia...  quia,  par  vel...  vel,  par  ef  ideo,  par  consequens,pav  quasi  dicat  etc. 


d'histoire  et  de  littérature  403 

de  son  original,  etc.,  de  ceux  où  il  a  corrigé  et  rectifié  de  lui-même  le 
texte  qu'il  jugeait  fautif. 

Après  avoir  étudié  avec  le  plus  grand  soin  la  valeur  des  corrections 
et  des  additions  du  manuscrit  de  Vienne,  M.  H.  indique  leur  rapport 
avec  les  autres  sources  du  texte,  d'une  part  le  manuscrit  découvert  à 
Rome  (1891,  par  Elter)  et  étudié  surtout  par  Hosius  (Rhein.  Mus. 
1896),  et  d'autre  part  l'édition  princeps  de  Pius  en  i520.  A  la  fin 
courte  revue  des  éditions  et  des  travaux  récents. 

M.  H.  s'appuie  beaucoup,  pour  ce  qui  concerne  le  passé,  sur  la 
thèse  de  M.  Vessereau  à  laquelle  il  renvoie  très  souvent,  ce  qui  prouve 
indirectement  le  mérite  de  ce  travail  français.  Il  lui  reproche  cepen- 
dant d'avoir  accepté  trop  volontiers  maintes  variantes  du  Romanus 
et  d'avoir  entassé  dans  les  deux  parties  de  son  apparat  bien  des  leçons 
inutiles  et  qui  obscurcissent  le  reste. 

Donc  très  bon  résumé  de  l'histoire  du  texte  de  Rutilius  et  prélude 
excellent  à  l'édition  qui  nous  est  promise. 

É.  T. 


Jean  Hanoteau.  Recueil  des  instructions  données  aux  ambassadeurs  et 
ministres  de  France,  XVll.  Rome,  t.  II  (1688-1723^,  Paris,  F.  Alcan,  in-S» 
s.  d.  616  p. 

La  publication  des  instructions  données  aux  ambassadeurs  et 
ministres  de  France  depuis  les  traités  de  Westphalie  jusqu'à  la  Révo- 
lution française  se  poursuit  avec  une  lenteur  que  d'aucuns  jugeront 
excessive.  Le  premier  volume  relatif  à  Rome  fut  l'œuvre  de  M.  Gabriel 
Hanotaux.  Le  tome  second,  pourvu  également  d'une  introduction 
et  de  notes  abondantes  nous  est  présenté  par  M.  Jean  Hanoteau, 
qui  l'a  préparé  avec  beaucoup  de  conscience  érudite.  Il  contient  des 
documents  essentiels  pour  l'étude  de  la  politique  religieuse  de 
Louis  XIV  et  du  Régent.  L'histoire  des  rapports  de  la  France  et  du 
Saint-Siège  de  1688  à  1723  est  une  série  de  graves  problèmes,  posés 
dans  les  années  précédentes,  ou  nouvellement  apparus,  affaire  de  la 
régale,  affaire  du  quiétisme,  renaissance  du  jansénisme,  controverses 
sur  la  bulle  Unigeniius  jusqu'à  l'accommodement  «  plâtré  »  de  1720. 

Dans  les  quelques  pages  de  sa  préface,  M.  Hanoteau  s'est  efforcé 
«  d'exposer  le  sens  et  les  conséquences  des  interventions  du  gouver- 
nementt  royal  auprès  de  la  cour  de  Rome  »  :  il  a  donné  les  indica- 
tions essentielles  pour  la  compréhension  des  instructions  qu'il  s'est 
chargé  de  publier.  A  toutes  ces  négociations,  comme  aux  conclaves 
qui  furent  nombreux  en  cette  période  de  l'histoire  de  la  papauté, 
furent  mêlés  d'importants  personnages,  ecclésiastiques  et  laïques,  le 
duc  de  Chaulnes,  le  cardinal  de  Bouillon,  le  cardinal  de  la  Tré- 
moille,  le  cardinal  de  Rohan.  l'abbé  Dubois,  etc.  L'intérêt  de  ce 
second  tome  est  donc  considérable  et  ne  le  cède  en  rien  à  celui  du 
premier. 


406  REVUE    CRITIQUK 

Au  lendemain  de  la  mission  du  marquis  de  Lavardin,  les  rela- 
tions entre  Versailles  et  le  Saint-Siège  étaient  assez  tendues.  M.  de 
Chamlav,  sur  lequel  M.  Hanoteau  nous  donne  d'abondants  rensei- 
gnements biographiques  et  bibliographiques,  fut  pourvu  d'instruc- 
tions conciliatrices.  Pour  le  commentaire  des  textes  par  lui  publics, 
M.  Hanoteau  fait  grand  usage  des  archives  des  affaires  étrangères. 
Peut-être  eut-il  été  utile  de  lescompléter  par  l'utilisation  des  archives 
vaticanes,  et  surtout  de  la  correspondance  des  nonces  accrédités  à  la 
cour  de  France.  En  1689  le  duc  de  Chaulnes  fut  envoyé  pour  l'élec- 
tion du  pape  Alexandre  VIII.  Son  instruction  contient  surtout  des 
indications  sur  le  collège  des  cardinaux  :  il  lui  est  recommandé, 
comme  il  le  fut  aussi  à  ses  successeurs  dans  les  conclaves  postérieurs, 
de  ne  point  faire  d'exclusion  formelle  <■  étant  encore  moins  désavan- 
tageux à  la  France  d'avoir  un  pape  mal  intentionné  que  d'être  forcé 
de  ne  pas  reconnaître  celui  qui  aurait  été  élu  malgré  l'exclusion 
de  Sa  Majesté  ».  A  propos  de  la  mission  du  cardinal  de  Forbin  de 
Janson,  M.  Hanoteau  remarque  avec  raison  que  Louis  XIV  ne 
voulut  jamais  donner  le  titre  d'ambassadeur  auprès  du  Saint-Siège  à 
un  ecclésiastique,  mais  seulement  celui  de  chargé  d'affaires.  Forbin 
de  J  an  son  eut  cette  appellation  de  1690  à  1692,  puis  de  1701  à  1  706. 
Entre  temps,  le  cardinal  de  Bouillon  fut  chargé  de  solliciter  pour 
la  condamnation  de  V Explication  des  maximes  des  saints.  En  1699, 
le  poste  d'ambassadeur  à  Rome,  vacant  depuis  le  rappel  du  duc  de 
Chaulnes,  fut  donné  au  prince  de  Monaco,  qui  se  fit  «  l'exécuteur  peu 
modéré  des  ordres  du  roi  contre  le  cardinal  de  Bouillon  ».  Lors  du 
conclave  de  1700  des  lettres  et  des  mémoires  furent  adressés  par 
Louis  XIV  aux  cardinaux  français,  pour  leur  indiquer  l'attitude  à 
adopter  :  elles  sont  publiées  par  M.  Hanoteau  comme  de  véritables 
instructions.  Monaco  ne  put  agir,  brouillé  avec  le  Sacré  Collège  et 
la  noblesse  romaine  pour  des  questions  d'étiquette.  En  1706,  une 
longue  instruction  politique  fut  donnée  au  cardinal  Gualterio,  ancien 
nonce  à  Versailles,  qui  avait  su  gagner  la  confiance  de  Louis  XIV  : 
cette  tentative  curieuse  ne  donna  point  les  résultats  qu'en  espérait 
le  roi  :  Gualterio  perdit  à  Rome  toute  influence.  De  1706  à  1720  le 
cardinal  de  la  Trémoille  fut  chargé  d'affaires  :  il  fut  donc  le  repré- 
sentant de  deux  politiques  différentes  à  l'égard  de  la  Bulle  Unigeni- 
tus,  celle  de  Louis  XIV  et  celle  du  régent;  il  ne  reçut  pas  à  cette 
occasion  d'instructions  à  proprement  parler,  mais  des  dépêches. 
Entre  temps  échoua  complètement  une  mission  du  maréchal  de 
Tessé  pour  faire  entrer  le  pape  dans  une  ligue  contre  l'empereur. 
En  I7r5,  une  autre  mission  également  temporaire  fut  confiée  à 
Amelot,  qui  devait  obtenir  du  pape  des  mesures  de  répression  contre  le 
cardinal  de  Noailles  et  la  convocation  en  France  d'un  concile  natio- 
nal. Louis  XIV  mort,  ce  fut  le  même  cardinal  de  Noailles  qui  rédigea 
pour  l'abbé  Chevalier,  envoyé  à  Rome,  une  instruction  sur  la  Bulle 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  4O7 

Unigenitus.     En    1720    mourut    la    Trémoille.    Le  chargé   d'affaires 
provisoire   tut   le   P.    Latitau,    qui    dirigeait    depuis    longtemps  les 
intrigues  qui  devaient  aboutir  à  la  promotion  de  Dubois  au  cardinalat. 
En   1721,   le  cardinal  de   Rohan    fut  chargé  d'affaires  pour  le   con- 
clave qui  nomma    pape   Innocent  XIII.    Il  fut  remplacé    par  Tabbé 
de  Tencin.  «  Si  les  basses  intrigues   furent  la  principale   occupation 
de  l'abbé  de  Tencin  durant  cette  première  mission,  il  serait  injuste 
de  ne  pas  lui  reconnaître  le  mérite,  au  point  de  vue  de  la  paix  inté- 
rieure, d'avoir  maintenu   Innocent  XIII  dans  la  résolution  de  ne  rien 
faire  au    sujet  de  la  constitution  Unigenitus,  qui  pût  créer  de  nou- 
velles difficultés  ».  L'abbé  de  Tencin  resta  en  fonction  jusqu'en  1724. 
Telles  sont  les  principales  instructions   contenues   dans  ce  second 
tome.  D'innombrables  questions  de  détail,  relatives  aux  évêchés,  aux 
bénéfices  y  sont  traitées  :  leur  lecture  n'est  point  inutile  pour  l'his- 
toire politique  de  l'Italie  ;  elle  nous  renseigne  sur  l'état  de  la  cour  de 
Rome,   elle   nous  donne   des    indications    complémentaires  sur  de 
notoires  personnages  ecclésiastiques  comme  les  cardinaux  de  Noailles, 
et  de   Bouillon.    Les  notes  de    M.    Hanoteau    se  consulteront   avec 
profit  ;   elles  contiennent  tous  les  détails   nécessaires   pour  la  com- 
préhension   des   textes,    et  d'abondants    extraits    des   Mémoires  de 
l'époque,    de   Saint-Simon   en   particulier.    Enfin    ces    instructions, 
précieuses  à  plus  d'un  titre,   le  sont  encore  pour  nous  aider  à   nous 
représenter  ce  que  fut  la   diplomatie   française    au  xvii^  siècle,    ses 
procédés  et  ses  moyens  d'action. 

C.-G.    PiCAVET. 

iMaurice  Pellisson,  Les  hommes  de   lettres  au  XVIII"   siècle.  Paris,  Colin, 
191  I  ;  in-i8  de  3io  pages. 

Les  hommes  de  lettres  et  la  loi;  les  hommes  de  lettres  et  le  pouvoir  ; 
les  hommes  de  lettres  et  les  libraires  ;  les  hommes  de  lettres  et  les 
comédiens;  la  vie  privée  des  hommes  de  lettres,  etc.,  etc.  Ce  sous-titre 
à  multiple  détente,  s'il  ne  résume  pas  absolument  le  contenu  du 
volume,  en  fait  comprendre  le  dessein  essentiel  :  il  s'agit  de  la  con- 
dition matérielle  et  sociale  des  écrivains  français,  parisiens  surtout,  au 
cours  du  XVIII*  siècle  ;  non  pas  de  leur  action  ou  de  leur  succès,  qui 
ont  été  si  souvent  étudiés,  mais  de  leur  situation  financière  et  morale 
dans  la  vie  et  dans  la  société.  Il  va  de  soi  qu'un  tel  tableau,  pour  être 
complet  et  vérifié  dans  ses  moindres  détails,  exigerait  une  série  d'en- 
quêtes économiques  dont  le  résultat  serait  peut-être  assez  mince. 
M.  Pellisson  s'en  tient  au  témoignage  des  mémoires,  factums,  cor- 
respondances et  biographies,  que  viennent  corroborer,  sur  divers 
points,  des  actes  et  documents  manuscrits.  La  contrepartie  qui  aide- 
rait à  faire  comprendre  complètement  le  phénoniène,  gros  de  consé- 
quences, qui,  selon  le  mot  de  "Walpole,  <'  guinda  les  gens  de  lettres  à 
une  situation  indépendante  »,  ce  serait  l'étude  de  la  diffusion  de  l'esprit 


408  REVUE    CRITIQUE 

d'examen  ',  des  alliances  ei  des  désaccords  entre  le  pouvoir  et  la 
pensée,  de  la  sécularisation  de  certaines  activités  inicllectuellcs.  On 
pourra  trouver  aussi  que  les  initiatives  et  les  exemples  qui  se  rat- 
tachent à  certains  noms  du  xviii=  siècle  devraient  être  mis  en  relief, 
Beaumarchais  à  propos  des  comédiens,  Voltaire  à  propos  des 
libraires  '.  Mais  l'acheminement  à  une  dignité  plus  assurée,  l'affran- 
chissement progressif  et  la  lente  promotion  de  Thomme  de  plume 
ressortent  bien  de  l'étude  de  M.  P.  :  le  sens  de  l'association  et  de  la 
solidarité  s'est  développé  du  même  coup,  et  l'on  comprend  mieux 
Burke  ou  l'abbé  Barruel,  groupant  rétrospectivement  en  «  secte  »  ou 
en  «  cabale  »  ces  gens  de  lettres  que  le  début  du  xyiii*-'  siècle  avait 
connus  encore  isolés,  domestiques  des  grands   ou  clients  faméliques 

des  entrepreneurs  de  librairie. 

F.  Baldenspergér. 

Annales  de  la  Société  Jean-Jacques  Rousseau,  lomc  \II,  igii.  Genève,  Jul- 
lien.   8°  p.  23 1 .  Vr.   lo. 

Daniel  MoRNET,  Jean-Jacques  Rousseau.  Morceaux  choisis.  Avec  une  intro- 
duction et  des  notes.  Paris,  Didier  et  Toulouse,  Privât,  s.  d.  (1912),  in-i6, 
p.  375.  Fr.  2.  5o  (Collection  de  La  Littérature  française  illustrée). 

René  Canat.  Chateaubriand.  Morceaux  choisis.  Avec  une  Introduction  et  des 
notes.  Ibid.,  191 1,  in-i6,  p.  349.  Fr.  5  (même  collection). 

I.  Au  contraire  du  tome  précédent,  qui  n'était  constitué  que  par  une 
seule  étude,  le  beau  travail  de  M.  Courtois  sur  le  séjour  de  Rousseau 
en  Angleterre  \  le  nouveau  volume  des  Annales  ne  nous  présente  que 
des  documents  de  provenance  variée  et  d'importance  inégale.  Je  me 
bornerai  à  les  énumérer  brièvement.  Ce  sont  d'abord  onze  lettres 
échangées  entre  Rousseau  et  le  médecin  suisse  Tissot  de  1 762  à  1 769  ; 
cette  correspondonce  avait  été  déjà  publiée  en  1839,    mais  imparfaite- 

1.  Un  indice  intéressant  est  fourni  par  les  listes  d'abonnés  publiées  par  le  Mer- 
cure de  France  en  décembre  1763,  par  le  Journal  étranger  en  avril  1753. 

2.  Rappeler  sa  lettre  du  20  juin  1733  «  à  un  premier  commis  »  :  «  Les  pensées 
des  hommes  sont  devenues  un  objet  important  de  commerce.  Les  libraires  hol- 
landais'gagnent  un  million  par  an,  parce  que  les  Franvais  ont  eu  de  l'esprit...  » 
Il  est  imprudent  de  dire  (p.  66)  qu'avant  1750  «  il  ne  se  publiait  pas  encore  beau- 
coup de  livres  »,  et  (p.  79)  que  vers  la  fin  du  xvn"  siècle  le  nombre  des  auteurs 
«  amateurs  »  tend  sensiblement  à  décroître.  11  eût  été  intéressant  de  préciser  cette 
forme  transitoire  de  l'ouvrage  publié  par  souscription,  si  caractéristique  du 
xviii"  siècle.  Lire  les  Nouvellistes  p.  261  et  263,  1791  p.  39,  176^  et  1767  p.  ii3, 
le  Pour  et  Contre  passitn,  Béclard  p.  i36,  Rulhière  p.   247. 

3.  Je  profite  de  ce  rappel  pour  donner  acte  à  M.  Courtois  d'une  rectification  tou- 
chant sa  publication  des  lettres  de  Rousseau  à  Davenport  au  tome  précédent  des 
Annales.  J'avais  cru  dans  mon  compte  rendu  que  celle  qu'en  avait  déjà  faite 
M.  Dufour  et  la  sienne  provenaient  d'un  fonds  commun  du  British  Muséum  ;  en 
fait,  l'origine  des  deux  publications  remonte  à  une  copie  des  lettres  acquise  en  1903 
par  la  Société  J.  J.  Rousseau  et  que  M.  Courtois  avait  été  chargé  de  collationner 
sur  les  originaux.  D'après  lui,  les  trois  lettres  en  plus  dans  la  brochure  de 
M.  Dufourjmanquent  à  Londres.  En  tout  cas,  il  demeure  entendu  que  l'édition  de 
M.  Dufour,  comme  celle  de  M.  Courtois,  ont  été  faites  dans  une  entière  indépen- 
dance l'une  de  l'autre  > 


d'histoire  et  de  littérature  40g 

ment;    M.  Al.    Frani;ois  nous  en    donne   un  texte  plus  fidèle  et  plus 
complet.  Nous  lui  devons  aussi,    en  collaboration  avec   M''  Pauline 
Long,  quatre  lettres  de  Rousseau  au  libraire  d'Amsterdam  Néaulme  et 
cinq  au  libraire  Duchesne,  les  unes  et  les  autres   relatives  à  l'impres- 
sion de  l'Emile;  ces  intéressantes  pièces  étaient  à  peu  près  complète- 
ment inédites.  La  Direction  des  Annales  a  tiré  de  ses  propres  archives 
et  d'autres  fonds  diverses  lettres  inédites  ei   dispersées  de    Rousseau; 
il  v  en  a  dix-sept  qui,  pour  les  plus  intéressantes,  étaient  déjà  connues, 
mais  avaient  paru  dans  des  périodiques  difficilement  accessibles,  et  les 
érudits    seront    très    heureux   de    les    retrouver    dans    ce     volume. 
M.  Olszewicz  nous  communique  des  documents  polonais  sur  Rous- 
seau et  Thérèse  Levasseur;  ce  sont  deux  billets,  l'un  au  comte  Michel 
George  Mnizech,  l'autre  au  comte  Wielhorski,   celui-ci   d'après  une 
traduction  polonaise  de  l'original  qui  semble  perdu;  viennent  ensuite 
deux  lettres  au  même,  déjà  connues,  mais  très  importantes.  Le  docu- 
ment émanant  de  Thérèse  Levasseur  est  sa  lettre  à  Doubrov^'sky  sur 
les  derniers  moments  de  Rousseau;  elle  était  connue  elle  aussi  et  le 
nouveau  texte  n'offre  que  d'insignifiantes  variantes,  mais  la   pièce  est 
accompagnée  du  certificat  inédit  du  curé  d'Ermenonville.  Il  faut  enfin 
signaler  quelques  documents  se  rapportant  à  l'entourage  de  Rousseau 
et  tirés  des  archives  du  marquis  de  Girardin  :  deux  lettres  de  du  Peyrou 
à  René  de  Girardin  et  une  autre  à  Thérèse  Levasseur;  deux  curieuses 
lettres  de  l'horloger  Argand,  auteur  d'un  monument  élevé  àlamémoire 
de  Rousseau  et  dont  les  destinées  nous  sont  contées  par  l'éditeur   de 
ces  pièces,  M.  Al.  François.  En  dehors  de  ces  publications  de   corres- 
pondances, le  volume  ne  contient  qu'un  court  article  de  M.  Buffenoir 
sur  «  les  cendres  de  Rousseau  au  jardin  des  Tuileries  »  ;  l'auteur  nous 
y  renseigne,    d'après  le   rapport  de  Ginguené,  sur  le   transfert  de   la 
dépouille  du  philosophe  d'Ermenonville  au  Panthéon  et  il  reproduit 
le  petit  monument  dressé  aux  Tuileries  pour  recevoir  le  corps  pendant 
la  nuit  du  10  au  11  octobre  1794.  M.  E.  Ritter  a  fourni  pour  sa  part 
de  collaboration  des  notes  et  notules  sur  des  sujets  variés;    les   plus 
importantes  ont  trait  aux  parents  de  Rousseau  fixés  à  Londres   et  au 
séjour   de   Rousseau    à    Paris  (déc.    1765-janv.    1766),   sur   lequel  le 
ministre  de  Genève  Grommelin  avait  adressé  au  Conseil    de  curieux 
rapports  que  M.  Ritter  a  eu  raison  de  reproduire.  «  Sur  J.-J.  Rousseau 
dans  la  littérature  hongroise  »  M.  L.  Racz  n'a  donné  qu'une  note  biblio- 
graphique. La  seule  étude  du  volume  est  empruntée  à  un  critique  nor- 
végien, M.  G.  Gran,  et  traite  de  «  la  Crise  de  Vincennes  »;  elle  n'apporte 
rien  de  nouveau  et  commente  simplement  avec  la  terminologie  de  la 
psychologie  moderne  et  des  images  ingénieuses  des  faits  depuis  long- 
temps connus.    La    bibliographie  et  la  chronique    qui  terminent   le 
volume  sont  faites  avec  le  soin  ordinaire  '. 

I.  P.  170,  la  pièce  de  Gœthe,  die  natiirliche  Toclite)-,  n'est  pas  une  comédie:  p.  147 
et  i56,  écrire  Baudelaire,  Haeckel,  et  non  Beaudelaire,  Hcekel. 


^10  REVUE    CRITIQDE 

II.  M.  Mornet  ctaii  tout  désigne  pour  ctablir  un  volume  de  Mor- 
ccnux  choisis  de  Rousseau.  P'amiliarisé  avec  les  documents  originaux, 
très  informé  de  la  littérature  rousseauistc  (il  a  lui-même  publié 
naguère  dans  les  Annales  J.-J .  Rousseau  un  excellent  travail  sur  les 
éditions  de  la  Nouvelle  Héloise  ,  il  était  de  ceux  qui  pouvaient  le 
mieux  extraire  pour  nos  élèves  l'essentiel  de  l'œuvre  du  philosophe  et 
le  leur  présenter  comme  il  convient.  Son  choix,  sans  négliger  les 
œuvres  secondaires,  a  porté  de  préférence  sur  la  Nouvelle  Héloïse, 
V Emile  et  les  Confessions,  en  reliant  par  des  analyses  précises  les  par- 
ties sacrifiées.  Une  introduction  sobre  et  juste  sur  la  vie,  le  caractère 
et  l'influence  de  Rousseau  '  ouvre  le  recueil,  et  partout  le  texte  est 
accompagné  de  notes  linguistiques  ou  historiques.  Les  particularités 
de  la  langue  de  Rousseau  y  sont  soigneusement  relevées,  ses  procédés 
de  composition  sont  expliqués,  ses  idées  discutées,  confrontées  avec 
elles-mêmes  dans  les  différents  ouvrages  et  rapprochées  de  celles  des 
penseurs  contemporains;  les  véritables  nouveautés  dans  son  œuvre 
sont  signalées,  et  pour  toutes  celles  qui  ne  sont  qu'apparentes  l'érudi- 
tion de  M.  M.  a  su  rappeler  les  nombreux  prédécesseurs  qu'a  eus 
Rousseau;  l'histoire  des  mœurs,  celle  des  modes  même  et  des  engoue- 
ments du  xviii«  siècle  a  trouvé  sa  place  dans  ces  notes  substantielles. 
Enrin  des  sujets  d'études  variés  que  présente  en  foule  dans  Rousseau 
l'examen  des  idées  et  des  sentiments  sont  suggérés  à  l'élève.  Il  ne  faut 
pas  non  plus  oublier  d'appeler  l'attention  sur  une  nouveauté  de  la 
collection  à  laquelle  appartient  ce  Rousseau  :  les  nombreuses  gravures 
du  temps  et  quelques  fac-similés  faciliteront  encore  l'intelligence  de 
l'œuvre.  A  tous  égards,  le  recueil  de  M.  M.  est  un  livre  à  recomman- 
der pour  nos  classes  \ 

III.  Le  Chateaubriand  de  M.  Canat  appartient  à  la  même  collection. 
L"œuvre  du  romantique  est  plus  copieusement  encore  que  celle  de 
Rousseau  représentée  dans  ces  extraits  ;  néanmoins  elle  laisse  une 
impression  de  morcellement  dont  l'éditeur  n'est  pas  seul  responsable  : 
Chateaubriand  avait  écrit  d'avance  pour  les  assembleurs  de  Pages 
choisies.  L'emprunt  aux  morceaux  descriptifs  est  surtout  abondant, 
presque  lassant,  si  prestigieux  que  soit  le  talent  du  peintre.  Mais  on 
approuvera  pleinement  la  place  faite  aux  œuvres  ou  aux  articles  de 
politique,  d'histoire,  de  critique  littéraire,  de  polémique  qui  sont 
moins  connus.  Les  Mémoires  d' Outre-tombe  ont  été  largement  mis  à 
contribution  à  titre  d'information  biographique  ;  ils  encadrent  la 
série  des  œuvres  chronologiquement  présentées  et  en  expliquent  la 

1.  Ni  dans  ce  chapitre,  ni  à  propos  de  la  Nouvelle  Héloïse,  Werther  et  le  wer- 
thérisme  ne  sont  rappelés,  c'est  un  oubli  impardonnable. 

2.  P.  37,  écrire  Grandison;  p.  5y,  ButaFuoco;  p.  2S8,  Sautersheim,  au  lieu  de 
Grandisson,  Butta-Foco,  Sautterlheim;  p.  145,  c'est  Juan  Fernande^  qui  est  l'île 
deRobinson,  et  les  aventures  de  Selkirk  ont  certainement  inspiré  Defoe. 


d'histoire  et  de  littérature  41 1 

genèse.  L'introduction  est  réduite  à  une  courte  notice  de  cinq  pages; 
on  l'eût  voulue  plus  ample.  Les  notes  foisonnent  :  elles  seront  pré- 
cieuses dans  ces  morceaux  encombrés  de  noms  propres,  mais  toutes 
ne  sont  pas  aussi  substantielles  que  celles  du  précédent  volume  ;  il  y 
a  trop  d'épithètes  laudatives  et  trop  de  remarques  souvent  identiques 
sur  le  caractère  ou  le  style  de  Chateaubriand.  L'appendice  formera 
pour  les  élèves  curieux  un  heureux  complément  d'une  étude  du  grand 
romantique;  M.  C.  a  voulu  les  faire  profiter  des  recherches  de  M.  Gi- 
raud  et  de  M.  Bédier  sur  la  rédaction  des  Mémoires  et  celle  du  Voyage 
en  Amérique \  il  y  a  joint  ou  signalé  d'intéressants  rapprochements 
entre  Chateaubriand  et  les  nombreux  visiteurs  de  l'Italie,  de  la  Grèce 
ou  de  l'Orient  depuis  Montaigne  jusqu'à  M.  Barrés.  Comme  le 
volume  de  Rousseau,  celui-ci  est  orné  de  40  illustrations  suffisam- 
ment bien  venues;  on  regrette  l'absence  de  quelque  fac-similé  de 
manuscrit.  L   R. 

Martin   I.amm   :  Johan   Gabriel  Oxenstierna.  En   Gustaviansk  naturvârmares  lit" 
och  dikt.  Stockoim,  Hugo  Gebers  fôrlag,  grand  in-8°  viii-lîg8  pp. 

M.  Lamm  a  retracé  la  vie  publique  du  poète  Oxenstiern,  le  des- 
cendant du  grand  chancelier,  d'après  les  archives  de  Wiirnberg  qui 
appartiennent  au  comte  Erik  Oxenstierna.  Mais  les  pages  qu'il  con- 
sacre au  poète  officiel,  à  l'intendant  des  menus  plaisirs  de  Gus- 
tave III,  au  grand  maréchal  de  la  Cour,  ne  sont  ni  les  plus  nom- 
breuses ni  les  plus  intéressantes.  L'essentiel  de  ce  livre,  c'est  la  bio- 
graphie intellectuelle  et  sentimentale  d'Oxenstiern,  faite  d'après  des 
lettres  authentiques  encore  inédites  et  d'après  le  Journal  déjà  publié 
(1881).  Si  M.  Lamm  n'a  pas  la  prétention  d'avoir  trouvé  toutes  les 
lettres  du  poète  —  et  cela  est  presque  impossible  pour  un  homme  qui 
écrivait  huit  à  dix  lettres  par  Jour  —  il  en  a  du  moins  trouvé  un  bon 
nombre  et  il  s'est  servi  en  outre,  pour  démêler  la  pensée  d'Oxens- 
tiern aux  différentes  époques  de  sa  vie,  des  brouillons  de  poésies  qui 
pouvaient  se  trouver  dans  les  mêmes  archives.  Il  a  fallu  les  dater  avec 
soin,  car  Oxenstiern  se  corrigeait  sans  cesse  et  n'a  publié  que  tar- 
divement. M.  Lamm  a  donc  suivi  au  jour  le  jour  l'évolution  intellec- 
tuelle et  morale  d'Oxenstiern,  ei  il  a  pu  noter  à  chaque  instant  les 
influences  qu'il  a  subies.  Si  l'on  ajoute  que  les  deux  premiers  cha- 
pitres du  livre  (L'amour  de  la  nature  au  xviii^  siècle  et  La  descrip- 
tion de  la  nature  suédoise  avant  O.)  expliquent  les  influences  anté- 
rieures à  O.,  on  peut  dire  que  l'on  trouve  dans  ce  livre  l'histoire  du 
sentiment  de  la  nature  en  Suède  au  xviii''  siècle. 

Histoire  intéressante  non  seulement  pour  la  littérature  suédoise 
mais  aussi  pour  le  rayonnement  des  idées  françaises.  0.  écrit  et  parle 
le  français  ;  il  lit  tous  les  livres  français  qui  lui  tombent  sous  la  main. 
Il  est  disciple  de  Rousseau,  d'une  manière  un  peu  puérile  quelquefois, 
sinon  dans  son  œuvre,  du  moins  dans  sa  vie  intime  et  dans  ses  aven- 


412  REVUE    CRITIQUE 

turcs  amoureuses.  Mais  ses  poèmes  ne  sont  pas  des  pastiches.  11  con- 
naît la  nature  suédoise  pour  y  avoir  vécu  toute  sa  jeunesse  ;  son  pay- 
sage familier  est  lié  à  toutes  ses  impressions  d'enfance,  et  Linné,  par 
ses  descriptions  de  voyages,  a  remis  en  honneur  la  nature  suédoise. 
La  sensibilité  d'O.  est  antérieure  à  la  lecture  des  oeuvres  de  Rous- 
seau :  mais  Rousseau  lui  plaît  parce  qu'il  s'y  retrouve  :  c'est  le  grand 
exemple  qui  lui  permet  d'être  sentimental  sans  fausse  pudeur. 

Les  deux  premiers  chapitres  qui  traitent  de  la  formation  de  la 
sensibilité  en  Suède  au  xviii'^  siècle  sont  évidemment  nécessaires. 
Malgré  leur  longueur,  on  ne  peut  même  s'empêcher  de  les  trouver 
un  peu  brefs  ;  et  quelquefois  ils  manquent  de  précision.  La  grande 
faveur  des  jardins  anglais  en  Suède  est  une  preuve  de  la  senti- 
mentalité. Mais  à  quel  moment  se  sont-ils  introduits  en  Suède? 
M  .  Lamm,  pour  Justifier  cette  faveur,  ne  nous  donne  qu'une  citation, 
et  encore  c'est  une  citation  d'Oxenstiern,  mal  à  sa  place  ici  puisqu'elle 
ne  peut  servir  à  expliquer  ce  qui  précisément  a  besoin  d'explication. 
Cette  mode  a-t-elle  précédé  la  Nouvelle  Héloïse  ou  en  est-elle  la 
conséquence  ?  Nous  pouvons  d'autant  moins  le  savoir  que  la  citation 
est  faite  d'après  les  œuvres  imprimées  d'O.  sans  qne  l'on  puisse 
déterminer  la  date  à  laquelle  ce  passage  a  été  écrit;  on  peut  regretter 
que  M.  Lamm  se  soit  contenté  d'esquisser  à  grands  traits  les  influences 
principales,  en  s'en  tenant  aux  œuvres  littéraires,  sans  essayer  de 
faire  pour  la  Suède  ce  que  M.  Daniel  Mornet  a  fait  pour  la  France 
dans  la  première  partie  de  son  livre  '.  L'influence  des  physiocrates 
fut  grande  sans  doute  en  Suède  sur  les  esprits,  car  le  comte  Schiffer  et 
Gustave  III  lui-même  étaient  des  physiocrates.  Cette  influence  est 
parallèle  à  l'influence  de  Rousseau  et  la  renforce,  mais  elle  n'est 
pas  identique,  car  Rousseau,  sympathique  d'abord  au  mouvement 
physiocratique,  se  sépara  de  Quesnay  et  de  ses  disciples.  11  aurait 
fallu  marquer  cette  distinction. 

Lorsque  O.  dans  une  lettre  du  i8  décembre  1770  écrit  :  «  le  ciel, 
les  forêts,  les  torrents  et  les  vieilles  ruines  de  forteresses  et  de  villages 
abandonnés,  tout  cela  est  peint  dans  l'Emile  comme  je  viens  de  le 
voir  »  (p.  22,  n.  i),  il  confond  l'Emile  et  la  Nouvelle  Héloïse  comme 
le  remarque  M.  Lamm,  peut-être  parce  qu'il  le  lisait  alors  et  qu'il  en 
avait  l'esprit  obsédé,  mais  certainement  au  moins  parce  qu'il  le 
connaissait  déjà.  Je  crois  donc  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  rapporter  aux 
années  du  séjour  à  Vienne  la  lecture  de  ce  livre. 

Malgré  ces  quelques  critiques  de  détail,  il  n'en  reste  pas  moins  que 

M.   Lamm  a  écrit  un  très  bon  livre,   qui  sera  utile   non    seulement 

aux  Suédois,  mais  aussi  aux  Français  \ 

Virgile  Pinot. 

—  ■ 

1.  Le  sentiment  de  la  nature  de  J.-J.  Rousseau   à  Bernardin  de   Saint-Pierre. 
Paris.    1907. 

2.  L'exécutiou   typographique   est    soignée  môme  pour   les  passages   qui  sont 


d'histoire  et  de  littérature  41 3 

Une  jeune  fille  à  l'armée  vendéenne,  1793.  Soin'otirs  inédits  de  la  Baronne 

de  Candé  [née  Guntard  des  Chevalleries),  publiés  et  annotés  par  le  vicomte 
Aurélien  de  Courson.  —  Paris,  Librairie  des  Saints-Pères,  s.  d.  (1912).  In-i8, 
11-236  p.  portr. 

L'exhumation  de  ces  Souvenirs,  surtout  comme  elle  est  faite, 
n'apportera  pas,  ce  me  semble,  une  contribution  bien  grande  à  l'his- 
toire des  guerres  civiles  de  l'Ouest  pendant  la  Révolution.  L'auteur, 
alors  à  peine  âgée  de  17  ans,  a  fait  partie,  avec  sa  mère  et  sa  sœur,  de 
la  cohue  déplorable  de  femmes,  d'enfants  et  de  vieillards  qui  suivit 
l'armée  vendéenne  et  entrava  constamment  sa  marche  sur  la  rive 
droite  de  la  Loire,  depuis  l'exode  de  Saint-Florent  jusqu'aux  tueries 
du  Mans  et  dé  Savenay.  Elle  n'a  pas  vu  grand  chose,  en  dehors  du 
petit  noyau  de  parentes  et  d'amis  avec  lesquels  elle  cheminait. 
J'ajouterai  qu'il  n'en  pouvait  guère  être  autrement.  Mais  cela  ne 
l'empêche  pas  de  trancher  de  tout,  de  fournir  sur  tout  des  apprécia- 
tions pour  le  moins  singulières  et  souvent  controuvées.  L'éditeur 
pense  qu'  «  on  ne  saurait  en  vouloir  à  une  toute  jeune  fille  de  juger 
les  hommes  et  les  choses  avec  l'audace  de  l'inexpérience  et  d'être 
souvent  injuste  dans  ses  critiques,  ni  de  se  lancer  parfois  dans  un 
fatras  humanitaire  où  l'on  retrouve  la  trace  des  tirades  qu'elle  enten- 
tait  débiter  «  (Avant-propos),  en  1795  dans  sa  famille,  alors  qu'ayant 
repris  une  existence  plus  calme  elle  écrivit  ces  Souvenirs. 

Je  ne  voudrais  pas  chicaner  M.  de  C.  sur  cette  opinion  qui  lui  est 
personnelle.  Mais  il  m'apparaît  qu'il  aurait  pu,  sans  doute,  concilier 
son  respect  absolu  pour  le  texte  d'une  parente  avec  son  rôle  d'éditeur 
de  Souvenirs  historiques.  Sans  s'embarquer  dans  une  abondance  trop 
copieuse  d'annotations,  comme  certain  chercheur  de  ma  très-intime 
connaissance,  il  eût  pu  être  moins  chiche  de  renseignements,  par 
exemple  sur  les  personnes  dont  l'auteur  écorche  les  noms  avec  une 
belle  inconscience  assez  commune,  d'ailleurs,  à  son  époque.  Si  j'ai 
bien  compté,  il  y  a  environ  cinquante-cinq  notes,  en  tout,  au  bas  des 
236  pages  du  volume.  Un  bon  tiers  en  est  employé  à  discuter  les 
opinions  humanitaires  et  les  «  exagérations  juvéniles  »  de  l'auteur; 
une  douzaine,  tout  au  plus,  est  consacrée  à  essayer  de  rétablir  ou 
d'identifier  six  ou  sept  des  noms  cités.  Encore  plusieurs  sont-elles  un 
simple  aveu  d'impuissance. 

Il  en  est  ainsi,  par  exemple,  pour  M.  de  la  R...  (25,  28,  29)  membre 
du  conseil  supérieur  royaliste  de  Chatillon,  dont  tous  les  historiens 
de  la  Vendée  donnent  le  nom  :  Bourasseau  de  La  Renollière,  auditeur 
de  la  Chambre  des  comptes  de  Nantes,  puis  membre  du  Directoire 
de  Maine-et-Loire,  homme  intègre,  brave,  et  ayant  toujours  payé  de 
sa  personne,  et  que  l'éditeur  accuse,  bien  injustement,  de   pusillani- 

cités  en  français.  A  noter  seulement  ce  passage  du  journal  d'O.  «  Fortunée  soli- 
tude qui  cacha  l'instant  de  mon  bonheur,  l'instant  hideux  oii  j'appris  que  j'étais 
aimé  »  (p.  127),  qui  ne  se  comprend  pas,  mais  dont  sont  responsables  les  premiers 
éditeurs  d-u  journal. 


414  REVUE    CRITfQUE 

mité,  parce  qu'il  hc  se  fait  pas,  comme  le  jeune  Henri  de  La  Roche- 
jaquelcin,  d'illusions  sur  l'issue  de  la  lutte  engagée,  dans  laquelle  il 
Ht  d'ailleurs  tout  son  devoir.  De  même  pour  la  famille  Saillant 
d'Epinat\  (i  10),  etc.  Aucun  autre  éclaircissement  n'est  fourni,  et  je  le 
regrette;  car  la  précision  de  ces  Souvenirs  y  aurait  beaucoup  gagné.  Je 
relève  très  rapidement  quelques  noms  pour  appuver  ce  que  j'avance  : 
le  comte  de  la  P'ieuricre  (20)  est  en  réalité  Jacques  de  Fleuriot  de  la 
Freulière;  M.  de  Marcombre  (78),  appelé  plus  loin  de  la  Marcombe 
(187),  est  un  angevin  notable  nommé  Marcombe,  Lésigny  (ii5, 
142)  s'appelle  Blondin  d'Esigny,  royaliste  qui,  dès  le  i3  mars  1793, 
s'emparait  d'Ancenis  ;  l'ami  du  général  Wimpffen  (i23),  est  Bougon 
des  Longrais,  procureur-général-syndic  du  département  du  Calva- 
dos; Le  Maignan  (222,  223)  s'appelle  Le  Maignan  de  la  Verrie,  il 
avait  fait  partie  du  Conseil  supérieur  de  Chàtillon  et  eut  un  bras 
emporté  par  un  boulet  républicain,  à  l'attaque  de  Granville.  Les 
noms  du  plus  grand  nombre  des  femmes  qui  formaient  groupe  avec 
la  famille  Gontard  sont  à  peu  près  aussi  maltraités,  jamais  identifiés. 
Telles  mesdames  de  Clesne  (70),  de  Buor  de  Cuissard  (82),  née 
Le  Normand  et  les  deux  filles  de  celle-ci  :  M'"^  de  Faye  (84)  et  made- 
moiselle Céleste  (187),  mademoiselle  d'Armaillé  de  la  Menantière 
(187),  M'"<=  de  la  Guerivière  (90)...  elles  ont  toutes  péri,  massacrées  au 
Mans,  ou  noyées  à  Nantes.  Il  n'est  que  d'ouvrir  l'édition  des 
Mémoires  originaux  de  la  marquise  de  La  Rochejaquelein  pour  s'en 
rendre  compte. 

M"<=  Gontard  n'abime  pas  seulement  les  noms  humains,  elle  trans- 
forme totalement  ceux  de  certaines  choses.  Sous  sa  plume,  les  deux 
canons  chers  aux  Vendéens,  Marie-Jeanne  et  le  Missionnaire^  sont 
devenus  Marie-Antoinette  (14)  et  le  Cardinal  (i3)!  Une  petite  note 
rectificative  n'eût  certes  pas  été  de  trop.  Ces  deux  derniers  noms  n'ont 
jamais  été  portés  par  aucune  pièce  de  l'artillerie  vendéenne. 

Au  demeurant,  en  en  usant  avec  beaucoup  de  circonspection  et  en 
s'aidant  d'une,  quelconque,  des  nombreuses  histoires  de  la  guerre  de 
Vendée,  on  pourra  retirer  de  ces  Souvenirs  quelques  indications  sur 
les  agissements  du  prince  de  Talmond  et  sur  l'état  des  esprits  de  la 
foule  lamentable  dont  l'auteur  fit  partie.  On  y  trouvera  une  multitude 
de  cancans  faux  et  diffamatoires  sur  un  grand  nombre  des  meilleurs 
officiers  royalistes,  qui  sacrifièrent  leur  propre  vie  en  s'efforçant  de 
sauver  celle  de  Mademoiselle  Gontard  et  des  siens. 

H.  Baguenier  Desormeaux. 


Chateaubriand,  Amours,  Avec  une  introduction  et  des  parenthèses  par  Georges 
Pierredon.  Paris,  Sansol,  1912  ;  in- 12  de  193  pages. 

Entre  ies  Virilités  de  Napoléon  et  la  Chasse  au  Bonheur  de  Sten- 
dhal, la  Nouvelle  Bibliothèque  de  Variétés  littéraires  attribue  à  Cha- 


d'histoire'  ET    DÉ    LITTÉRATURE  4I  5 

teaubriand  la  mission  de  servir  de  porte-paroles  à  l'amour,  —  ou  aux 
amours.  Le  choix  n'est  qu'à  demi  justifié,  mais  c'est  par  ces  simplifi- 
cations, ces  délimitations  synthétiques,  que  s'affermissent  les  très 
grandes  renommées.  Reconnaissons  que  si  l'abandon  de  soi  fait  en 
général  défaut  aux  «  amours  »  de  René,  il  a  su  parer  de  beautés  émou- 
vantes ses  pages  sentimentales  :  M.  Pierredon  n'avait  qu'à  choisir,  et 
son  choix  est  habile  ;  il  va  de  la  «  Sylphide  »  à  la  «  jeune  Occiia- 
nienne  »,  en  attribuant  à  Charlotte  Yves,  M^^  de  Beaumont  et 
^me  Récamier  le  plus  grand  nombre  de  pages  (Hortense  Allart  ne 
figure  que  dans  la  préface).  L'interprétation  donnée  au  poème  de 
Clarisse  me  semble  contestable,  mais  la  découverte  du  «  poète  écos- 
sais »  dont  cette  pièce  serait  imitée  pourrait  seule  donner  des  certi- 
tudes. Quant  à  la  façon  dont  se  créent  les  légendes,  rien  ne  la  montre 
mieux  que  la  déformation  que  subit  une  anecdote  bien  connue  : 


Chamisso,  Voyage 
autour  du  monde, 
l,   4  juillet  1816  : 

Nous  dinàmes  chez 
M.  Clark,  un  Amé- 
ricain [à  Saint-Pierre 
et  Saint-Paul,  Kam- 
tschatka].  Je  vis  chez 
lui  pour  la  première 
fois  une  image  que 
j'ai  retrouvée  sou- 
vent sur  des  navires 
américains,  et,  par 
l'entremise  de  leur 
négoce,  dans  les  îles 
et  sur  les  côtes  de 
l'Océan  Pacifique  : 
le  portrait  de  M'^e 
Récamier,  délicate- 
ment peint  sur  verre 
par  un  artiste  chi- 
nois. 


Chateaubriand,  Mé- 
moires d'outre - 
tombent. \W, p. }g4  : 

Chamisso  donna 
son  nom  à  l'une  des 
îles  d'où  Cook  avait 
entrevu  la  côte  de 
l'Amérique.  Il  re- 
trouva au  Kamtcha- 
tka le  portrait  de 
Mme  Récamier  sur 
porcelaine... 


Amours,  p.  i  i,  cita- 
tion de  M.  André 
Beaunier  : 

L'île  était  habitée 
d'une  peuplade  aux 
mœurs  très  douces 
et  qui  adorait  une 
idole.  Adalbert  de 
Chamisso  put  voir 
l'idole.  C'était  une 
gravure  encadrée,  un 
merveilleux  visage 
qui  souriait.  EtAdal- 
bert  de  Chamisso 
reconnut  les  traits 
charmants  de  Ju- 
liette Récamier,  tels 
qu'Isabey  les  avait 
peints.  L'on  ne  sut 
pas  comment  cette 
image  était  arrivée 
en  cette  île  perdue... 


F.  Baldenspf.rger. 


Alfred  Marquiset,  Ballanche  et  M"'"  d'Hautefeuille.  Lettres  inédites  de  Bal- 
lanche,  Chateaubriand,  Sainte-Beuve,  M™"  Récamier,  M"""  Swetchine,  etc.  Paris, 
Champion,   1912;  in-i6  de  269  pages. 

En  dépit  du  sous-titre,   il   s'agit  presque  uniquement  de  lettres  de 
Ballanche,  empruntées  aux  archives  de   M.  de  Vanssay,  qui  en  con- 


41  6  REVUK    CRITIQUE 

tiennent  près  de  deux  cent  cinquante.  Correspondance  en  partie 
simple  dont  on  eût  souiiaité,  çà  et  là  au  moins,  la  contrepartie,  et 
qui,  répartie  sur  les  treize  années  qui  vont  de  1884  à  1847,  nous  fait 
mieux  connaître  maint  incident  de  l'Acadcmic  ou  de  TAbbaye-aux- 
Bois  ;  sans  compter  que  Ballanchc,  le  «  parfait  ami  »,  y  dévoile 
quelques-uns  des  aspects  curieux  de  son  âme  pacifique  et  visionnaire. 
Après  le  théosophe  lyonnais,  M""^  Swetchine  est  la  correspondante  la 
plus  abondante  de  iM"""  d'Hautefeuille  :  elles  appartiennent  toutes 
d'eux,  vers  1840,  à  ce  groupe  des  c  mères  de  TEglise  »  que  raillait 
doucement  Sainte-Beuve  et  qui  entretenait,  à  l'écart  des  grands  succès 
de  presse,  une  littérature  spiritualisie  persistante.  Documents  intéres- 
sants, quoique  un  peu  «  ésotériques  »,  pourrait-on  dire,  auxquels  le 
commentaire  de  M.  Marquiset  se  contente  d'ajouter  un  fil  biogra- 
phique et  de  brèves  annotations'. 

F.   Baldenspf.rger. 


Max  FucHs,  Lexique  du  «  Journal  des  Goncourt  ».  Contribution  à  l'histoire 
de  la  langue  française  pendant  la  seconde  moitié  du  xix"  siècle.  Paris,  Cornély, 
1912  ;  in-S"  de  xxxn-i52  pages. 

Dépouillement,  par  ordre  alphabétique,  de  ces  neuf  volumes  où  les 
deux  frères  ont  tenté  de  faire  donner,  au  vocabulaire  français,  son 
maximum  d'efficacité  expressive  :  M.  Fuchs  n'a  voulu  que  «  cons- 
tater des  faits  »,  et  sa  liste  viendra  utilement  se  joindre  à  d'autres 
tableaux  partiels  de  la  vie  du  langage  au  xix*"  siècle.  Cependant,  même 
en  attendant  l'heure  des  conclusions,  il  n'était  pas  impossible  de 
définir  le  processus  mental  qui  détermina  ce  qu'on  pourrait  appeler 
«  la  lexicographie  de  l'écriture  artiste  »  ^  M.  F.  a  la  prudence  de  s'en 
tenir  à  une  hypothèse  —  fort  acceptable  —  sur  la  collaboration 
d'Edmond  aux  trois  premiers  volumes.  Quelques-uns  des  vocables 
voudraient  un  rudiment  d'explication  (boscote,  burgauté,  qiiiqui...). 
D'autres  appellent  une  remarque  :  amiteux,  cf.  Marmontel,  Mémoires, 
1.  IV,  à  propos  du  chanteur  toulousain  Géliote,  «  doux,  riant,  amis- 
toux,  pour  me  servir  d'un  mot  de  son  pays...  »  ;  congénial  ne  veut 
pas  dire  congénital^  mais  rend  l'anglais  congénial,  sympathique,  et 
figure  souvent,  par  exemple,  dans  les  lettres  de  M™*  de  Duras  ;  enso- 
leillé a  été  pris  par  Th.   Gautier  au  poète  fribourgeois  Et.   Eggis  ; 

1.  Sans  doute  faut-il  lire  Quinet  p.  22  (cf.  p.  3o,,  où  il  est  question  d'Ahasvérus) 
écrire  [Guido]  Goerres  p.  149,  i5i,  i52,  Herriot  p.  77,  79,  81,  Prague  par  M.  de 
Pastoret,  p.  210.  Ne  s'agirait-il  pas  simplement,  p.  77  et  suiv.,  de  VAme  exilée 
préparée  d'abord  sous  le  titre  de   Vie  brisée? 

2.  Les  dérivations  qui  témoignent  du  besoin  d'un  substantif  verbal  (avalement 
tout  cru,  aventurement,  barbotage  dans  l'eau,  etc.)  La  préférence  donnée  aux  for 
mations  directes,  au  lieu  dun  retour  à  un  radical  savant  'a/îg'/a/ié  plutôt  qu"t7«- 
glicisé)  :  même  phénomène,  au  fond,  dans  bonne  enfance  (=  cordialité  ^o>j  enfant). 
Extension  superficielle  plutôt  qu'organique. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  4I7 

stepper  est  peut-être  en  relation  avec  le  mot  [stepper]  dont  Targot  an- 
glais désigne  la  roue  du  hard  labour  \ 

F.  B. 

George  D.  Morris.  Fenimore  Cooper et  Edgar  Poe  d'après  la  critique  fran- 
çaise du  dix- neuvième  siècle.  Paris,  Larose,  1912;  in-S"  de  210  pages. 

En  dehors  d'une  liste  à  peu  près  complète  (les  traductions  en 
volume  des  romans  ei  des  contes  de  ces  deux  e'crivains  américains), 
ce  volume  n'apporte  rien  d'assuré  ni  d'essentiel  à  l'histoire  littéraire  : 
les  dépouillements  sont  incomplets,  les  dates  souvent  erronées,  les 
identifications  d'anonymes  négligées.  Surtout,  le  sens  relatif  des 
jugements  français,  leur  rattachement  à  des  épisodes  intellectuels 
déterminés  ne  sont  même  pas  indiqués  :  c'est  un  paquet  de  fiches 
transformé  vaille  que  vaille  en  un  livre  —  et,  ce  qui  est  plus  grave, 
en  une  thèse  de  doctorat  de  l'université  de  Paris. 

F.  Baldensperger. 

Georges  Polti,  Les  trente-six  situations  dramatiques.  Nouvelle  édition  mise 
au  courant  et  augmentée  de  deux  index  bibliographiques.  Paris,  Mercure  de 
France,  1912;  in-i6  de  3o2  pages. 

Avec  un  humour  souvent  très  savoureux,  et  non  sans  l'intention 
expresse  de  révéler  aux  dramaturges  l'efficacité  insoupçonnée  de  tant 
de  sujets  possibles  qu'ils  sont  tentés  de  négliger,  M.  Polti  a  réparti  en 
groupes  et  en  sous  groupes  essentiels  toutes  les  «  situations  »  drama- 
tiques. C'est  la  boutade  de  Gozzi,  alléguée  par  Goethe  dans  ses 
Entretiens  et  médiocrement  utilisée  jusqu'à  présent,  qui  lui  fournit 
ce  chiffre  fatidique  de  trente-six  :  encore  n'est-il  pas  sûr  que  sa  clas- 
sification, ingénieuse  en  ce  qu'elle  va  du  simple  au  complexe,  ne 
renferme  pas  de  doubles  emplois.  Par  exemple,  la  première  et  la 
douzième  situations,  «  implorer  »  et  «  obtenir  »  sont  de  même 
essence  et  ne  différent  que  par  le  stade  plus  avancé  de  la  seconde  ; 
la  troisième  et  la  quatrième,  surtout,  «  la  vengeance  poursuivant  le 
crime  »  et  «  venger  proche  sur  proche  »  sont  réductibles  à  un  com- 
mun élément.  Il  va  de  soi  qu'une  érudition  théâtrale  étendue  ali- 
mente l'alchimie  de  M .  P.  :  encore  ne  peut-on  manquer  d'être  frappé 
de  voir  les  contemporains  représentés  avec  abondance  dans  ses 
tableaux,  alors  que  le  xviii*^  siècle  n'a  guère  que  Voltaire  pour  four- 
nisseur français  de  situations  dramatiques. 

F.  B. 

Etienne  Lamy  de  l'Académie  française.  Quelques  œuvres  et  quelques  ouvriers, 

vol.  in-i8,  I  287  p.  Bloud  et  C",  191  i . 

«  Je  n'ai  pas  réussi  à  servir  utilement  les  causes  que  ma  raison  et 

I.  \^' Introduction  devait    donner    une  mention  au   Labeur  des  de  Concourt   de 
G.  Abel  {Mélanges  'Wilmotte^  I,  1910).  Lire  -Votes  lexicologiques,  p.  xxxii. 


41 8  REVUE    CRITIQUE 

mon  cœur  voulaient  détendre,  et  mon  effort  contre  des  lois  injustes 
n'a  mis  fin  qu'à  ma  vie  publique.  «  C'est  en  ces  termes  plutôt  mélan- 
coliques que  M.  E.  Lamy  apprécie  le  résultat  de  son  action  pendant 
les  années  auxquelles  appartiennent  la  plupart  des  allocutions  qu'il  a 
réunies  dans  ce  volume  et  qui  vont  de  i885  à  1906.  L'auteur  se  traite 
lui-même  de  «  vaincu  »  ;  et  ce  qui  donne  à  sa  défaite  une  certaine 
amertume,  c'est  qu'il  la  doit  autant  à  ses  amis  qui,  en  grand  nombre 
n'ont  pas  voulu  le  suivre  dans  son  ralliement  à  la  république,  qu'à 
ses  adversaires  politiques.  Et  cependant  la  «  défaite  »  ne  l'a  pas  aigri. 
Il  a  continué  à  penser  qu'il  fallait  aimer  et  servir  son  temps.  «  Nous 
n'avons  pas,  dit-il  aux  élèves  de  Sorèze,  l'âge  fut-il  de  fer,  à  deman- 
der l'âge  d'or,  à  verser  de  stériles  regrets  sur  les  grandeurs,  les  beau- 
tés, les  forces  détruites.  Nous  ne  sommes  pas  créés  pour  habiter  les 
tombeaux  des  morts  mais  pour  élever  des  demeures  nouvelles  sur  la 
terre  des  vivants.  Aimez  votre  temps  ».  Aimer  son  temps  veut  dire 
pour  M.  L.  «  acquérir  l'intelligence,  l'habitude  ...  le  goût  des  influen- 
ces qui  sont  efficaces  sur  lui,  et  employer  ces  influences  à  le  rendre 
meilleur  ». 

L'intention  est  excellente,  mais  la  tâche  était  vraisemblablement 
ingrate  dans  les  conditions  où  la  posait  l'orateur.  Car  lui-même  recon- 
naît qu'il  a,  sinon  prêché  dans  le  désert,  du  moins  réussi  à  entraîner 
et  à  convaincre  un  trop  petit  nombre  de  ses  concitoyens.  Il  faut  un 
louable  courage  pour  marquer,  dans  un  recueil  rétrospectif  comme 
celui-ci,  les  étapes  d'un  échec  avoué.  C'est  livrer  à  l'histoire  des  ren- 
seignements et  des  enseignements  utiles  :  les  historiens  profiteront 
certainement  des  premiers.  Je  suis  moins  sûr  que  les  politiques  tirent 
aussi  bon  parti  des  seconds.  Ils  ressemblent  trop  à  ceux  que  le  passé 
du  parti  auquel  appartient  M.  L.  avait  légués  à  nos  contemporains  et 
qu'ils  n'ont  cependant  pas  suffisamment  compris  pour  ne  pas  retom- 
ber dans  les  mêmes  fautes  que  leurs  prédécesseurs.  Même  M.  L. 
extrait  des  événements  des  leçons  qui  nous  paraissent  déjà,  après 
quelques  années,  en  retard  sur  le  mouvement  général  des  choses  et 
notoirement  trop  étroites  dans  leurs  visées.  Il  attend  trop  de  la 
décentralisation,  trop  de  l'alliance  de  la  religion  et  de  la  liberté,  cha- 
cune restant  dans  son  domaine,  trop  de  la  charité  individuelle  à  qui  il 
assigne  un  rôle  d'universelle  et  suffisante  réparatrice  des  injustices 
sociales  '.  Il  y  a  dans  tout  cela  de  l'arriéré,  si  j'ose  dire,  et  les  réalités, 

I .  «  Le  prélèvement  volontaire  accompli  par  le  riche  sur  sa  richesse  pour  rele- 
ver la  condition  du  pauvre  voilà  la  solution  noble  et  efficace  du  problème  social  » 
p.  171.  M.  L.  semble  en  être  encore  à  croire  qu'en  enlevant  aux  riches  ce  qu'ils 
.ont  de  superflu  on  satisferait  aux  besoins  de  la  masse!  Comment  être  étonné  des 
progrès  du  socialisme  en  face  de  pareilles  idées  émises  par  des  esprits  de  la  valeur 
de  M.  L?  Il  croit  encore  que  «  les  placements  »  faits  par  les  riches  n'ont  pas  d'autre 
utilité  que  «  d'être  productifs  pour  des  revenus  sans  cesse  accrus.  »  La  mise  à  la 
disposition  du  travail  de  capitaux  moyennant  intérêt  toujours  plus  bas  à  mesure 
que  «  les  placements  »  sont  plus  considérables,  lui  échappe  complètement. 


d'histoire  et  de  littérature  419 

à  lori  ou  à  raison,  ont  dépassé  ce  libéralisme  centre  droit  ou  gauche, 
qu'on  peut  regretter,  mais  dont  l'observateur  social  actuel  sent  ins- 
tinctivement qu'il  a  fait  son  temps.  Le  recueil  de  M,  L.  n'en  reste  pas 
moins  un  tableau  intéressant  pour  l'histoire  contemporaine. 

E.  d'Eichthal. 


MoNon  ET  LA  «  Revue  Critique  ». 

L'histoire  de  la  Revue  critique  est,  croyons-nous,  intéressante  et 
tout  ce  qui  concerne  ses  destins  doit  être  exactement  indiqué.  On 
nous  permettra  donc  de  retracer  avec  plus  de  précision  que  nous  ne 
l'avons  fait,  comment  Monod  devint  directeur  de  notre  recueil. 

Les  directeurs  de  1870,  Gaston  Paris,  Paul  Meyer  et  Zotenberg, 
n'eurent  pas,  en  cette  fatale  année,  l'intention  de  supprimer  la  Revue. 
Le  i3  août,  ils  suspendirent  la  publication,  mais  avec  l'idée  de  la 
reprendre  plus  tard  et  de  faire  paraître  la  suite,  après  la  guerre,  en  un 
seul  fascicule. 

C'est  ce  qui  eut  lieu.  Quatre  fascicules  de  la  Revue — et  non  un 
seul  —  parurent  sous  la  date  de  1 870  en  1871  et  en  1 872 .  Ces  quatre 
fascicules  renferment  de  véritables  mémoires,  dus  à  Thurot,  à  Pan- 
nier,  à  Brachet,  à  Paul  Meyer,  et  l'on  y  remarque  une  fort  belle 
lettre  de  Rodolphe  Reuss  sur  l'incendie  de  la  bibliothèque  de  Stras- 
bourg. Ainsi  fut  complété  le  volume  de   1870. 

Mais  les  numéros  de  l'année  1872  furent  régulièrement  publiés. 
Les  directeurs  de  la  Revue  étaient  alors,  outre  Paris  et  Meyer,  Morel 
—  qui  plus  tard  dirigea  le  Journal  de  Genève  —  et  Michel  Bréal  qui 
remplaçait  Zotenberg. 

Or,  Paris  et  Meyer,  en  cette  même  année  1872,  fondèrent  la  Roma- 
nia.  Meyer  quitta  la  Revue  critique  :  il  avait,  disait-il,  moins  de  temps 
à  lui,  et  il  jugeait,  non  sans  raison,  que,  deux  des  directeurs  étant 
romanistes,  il  serait  utile  d'avoir  un  directeur  qui  s'occuperait  spé- 
cialement d'histoire.  Voilà  comment  Monod  prit,  à  la  Revue  critique, 
la  place  de  Meyer.  Il  entra  à  la  Revue  non  comme  directeur,  mais 
comme  co-directeur.  Tout  cela,  du  reste,  est  bien  établi  dans 
l'Avant-propos  du  premier  numéro  de  1873,  intitulent  nos  lecteurs 
et  rédigé  par  Paris. 

Arthur  Chuquet. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  i  <)  avril  J(ji2. — 
M.  Gagnât  donne  lecture  d'une  note  de  M.  Alfred  Merlin,  relative  à  une  base 
honorifique  découverte  par  le  capitaine  VanbourdoUe  et  le  lieutenant  Haack  à 
Souk  El-Abiod  (anc.  Puppiit].  Les  personnages  qui  y  sont  nommés,  Flavius  Ma- 
crobius  et  Flavius  Synesius,  n'étaient  ni  l'un  ni  l'autre  respectivement  connus 
comme  vicaire  d'Afrique  et  .consiilaris  de  Byzacène  sous  Arcadius.  Cette  inscrip- 
tion enrichit  donc  les  fastes  de  l'Afrique  romaine  de  deux  noms  sous  le  règne  de 
cet  empereur,  et  c'est  la  première  fois  qu'en  Afrique  on  rencontre  une  dédicace  à 
Arcadius  seul  qui,  depuis  SgS,  avait  le  gouvernement  de  l'Orient,  tandis  qu'Hpno- 
rius  avait  celui  de  l'Occident  et  de  l'Afrique.    Au  point  de  vue    géographique,   on 


4Î0  REVUE    CRITIQUE    D  HtSTOIRE    ET      DE    LITTERATURE 

voit  ici  que  Piipvut,  vers  l'an  ^lo,  était  en  Byzacènc,  tandis  qu'en  484  elle  était  en 
Proconsulairc.  Enfin  l'inscription  de  Pupviit  permet  de  préciser,  par  comparaison, 
le  sens  de  certaines  sii^les   sur  un  texte  de  la  localité  peu  éloignée  de  Vnia. 

M.  René  Pichon  fait  une  communication  sur  l'épisode  d'Amata  dans  l'Enéide. 
.Vprès  avoir  relevé,  dans  le  récit  de  Virgile,  quelques  anomalies  et  obscurités,  il 
essaie  de  les  expliquer  en  recherchant  les  traditions  religieuses  auxquelles  le 
poète  a  fait  des  emprunts.  11  pense  que  \'irpile  a  voulu  représenter  dans  la  fuite 
extatique  d'.Vmata  le  rite  des  fûtes  de  Liber,  le  Bacchus  latin  ;  que,  d'autre  pari, 
Amata  est  le  prototype  des  \'cstales  ;  mais  qu'il  a  dû  y  avoir  à  l'origine  une  asso- 
ciation entre  le  culte  de  Liber  et  celui  de  Vesta. 

L'Académie  procède  à  la  désignation  de  deux  candidats  pour  la  chaire  d'histoire 
de  l'Afrique  du  Nord  créée  au  Collège  de  France.  M.  Gsell  est  désigné  en  première 
ligne;  M.  Besnier  en  seconde  ligne. 

M.  Louis  Havct  présente  une  correction  pour  un  vers  de  Catulle  (68,  Sg).  Au 
lieu  de  valde,  il  propose  d'y  WvQalpc,  une  alpc,  une  prairie  de  montagne.  Ce  pas- 
sage serait  le  seul  de  toute  la  littérature  latine  où  se  lirait  alpis  employé  comme 
nom  commun.  Il  est  d'ailleurs  tout  naturel  que  ce  mot,  essentiellement  local,  ait 
été  essayé  en  poésie  par  un  auteur  natif  de  Vérone  et  par  conséquent  voisin  des 
Alpes  qui  ont  imposé  leur  nom  à  une   grande  chaîne  de  montagnes. 

Kl.  Lejay  étudie  l'origine  de  la  proposition  latine  absque.  Elle  se  rencontre  à 
partir  du  milieu  du  u"  siècle  p.  C.  Mais  dans  Plante  et  dans  Térence  on  a  huit  fois 
une  expression  absque,  dans  une  phrase  telle  que  la  suivante  :  Nam  absque  ted 
esset,  hodie  numquam  ad  solem  occasum  viverem  (Plante,  Ménechmes,  1022).  La 
proposition  absque  ted essed  est,  selon  M.  Lejay,  une  explication  introduite  comme 
entre  parenthèses  ;  absque  s'y  décompose  en  abs,  et  que,  conjonction  :  k  Et  loin  de 
toi  fsans  toi),  cela  serait  arrivé  ».  Certains  passages  ont  pu  suggérer  à  Fronton 
l'idée  d'une  préposition  absque,  par  exemple  Capt..  ^02;  quod,  précédant  absque, 
paraissait  y  avoir  le  sens  conditionnel  qu'il  a  quelquefois  dans  l'ancienne  langue. 
L'innovation  de  Fronton  est  remarquable,  parce  qu'elle  est  due  à  une  mode  litté- 
raire^ l'imitation  de  la  langue  archaïque  par  les  auteurs  du  n"  siècle,  et  que, 
néanmoins,  elle  a  eu  assez  de  succès  pour  pénétrer  dans  la  langue  populaire 
(lombard  asca). 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  26  avril  JgJ'~-  — 
M.  Prou  communique  une  lettre  de  M.  Lucien  Lambeau  .secrétaire  de  la  Commis- 
sion du  Vieux  Paris,  contenant  la  transcription  de  l'epitaphe  d'un  ancien  «  secré- 
taire commis  »  de  l'Académie  des  inscriptions,  Esprit  Louis  Rousset,  décédé  le 
23  novembre  1809  dans  sa  So''  année.  Cette  inscription  est  appuyée  contre  le  mur 
du    cimetière  de  Vaugirard  (rue  Lecourbe,  n»  3io  . 

Le  P.  Scheil  donne  une  première  lecture  d'un  mémoire  intitulé  :  Visite  che^  un 
armurier  susien  de  l'an  .'^oon  avant  notre  ère.  —  MM.  Heuzey  et  Pottier  présentent 
quelques  observations  et  signalent  deux  monuments  qui  représentent  les  objets 
mentionnés  par  la  tablette. 

M.  Châtelain,  au  nom  de  la  Commission  du  prix  Brunet,  fait  le  rapport  sui- 
vant :  «  La  Commission  du  prix  Brunet,  vu  le  grand  nombre  des  concurrents,  n'a 
pas  décerné  le  prix  de  3. 000  francs,  mais  elle  a  attribué,  sur  les  revenus  de  la 
fondation,  les  récompenses  suivantes  :  i.5oo  francs  à  M.  Vicaire,  Manuel  de  l'ama- 
teur des  livres  du  xix'  siècle.  7  vol.  in-8°  ; —  i.ooo  francs  à  M.  Georges  Lépreux, 
Gallia  typographica.  4  vol.  in-S"  ;  —  i.ooo  francs  à  M.  Hubert  Pernot,  Bibliogra- 
phie ionienne.  2  vol.  in-8''  (œuvre  d'Emile  Legrand  complétée  par  M.  Pernot);  — 
5oo  francs  à  M.  Etienne  Deville,  Index  du  Mercure  de  France,  i  vol.  in-4'' ;  — 
3oo  francs  à  M.  Charles  Beaulieux,  Catalogue  des  livres  de  la  Réserve  {x\i^  siècle) 
de  la  Bibliothèque  de  i Université  de  Paris,  i  vol.  in-8"  ;  —  5oo  francs  à  M.  Albert 
Maire,  L'œuvre  scientifique  de  Pascal.  Bibliographie  critique  et  analyse  de  tous 
les  travaux  qui  s'y  rapportent,  i  vol.  in-S".  —  Elle  décerne  en  outre  deux  men- 
tions très  honorables  :  à  M.  Pierre  Bliard.  Bibliographie  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  T.  X.  Tables,  i  vol.  in-40;  et  à  M.  J.  Baudrier,  Bibliographie  lyonnaise. 
9  vol.  in-80.  » 

M.  Paul  Foucart  commence  la  lecture  du  mémoire  qu'il  a  rédigé  en  collabora- 
tion avec  M.  Georges  Foucart,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres  d'Aix-Marseille, 
sur  les  cérémonies  qu'on  appelle  les  drames  mystiques  d'Eleusis. 

L'Académie  procède  à  la  désignation  de  son  délégué  au  Conseil  supérieiar  de 
l'instruction  publique.  Par  25  voix  sur  27  votants,  M.  R.  de  Lasteyrie  est  réélu. 

Léon  Dorez. 
L'imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puycn-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamoii. 


REVUE    CRIllQUE 
D'HISTOIRE    ET     DE    LITTÉRATURE 


N-  22  -  1"  juin.  —  1912 

Bkccari,  Le  Tigré.  —  Sciuffkr,  Les  Araméens.  —  Marti,  Grammaire  araméenne, 
oc  éd.  —  Kip,  Etudes  thessalienncs.  —  Boutouras,  Les  emprunts  du  grec  et  au 
grec.  —  GoMPERZ,  L'Apologie  de  l'art  de  guérir.  —  E.  Schmidt,  Importations  de 
culte.  —  E.  MûLLER,  Les  dieux  dans  la  tragédie  grecque.  —  Blûmml,  Le  recueil 
de  chansons  d'Uhland.  —  Schmitz,  La  métrique  de  Fleming.  —  Gaffarel  et 
DuRANTY,  La  peste  de  Marseille.  —  Maisonnier  et  Lecarpentier,  L'Irlande  et  le 
home  rule.  —  Bonin,  Les  royaumes  des  neiges.  —  Van  Gennep,  Ethnographie 
ali;criennc.  —  Allain  et  Hauser,  La  France.—  Novicow,  L'association  humaine. 

—  RowNTREE  et  Lasker,  Les  sans-travail.  —  Lescceur,  Les  coffre-forts  et  le  fisc. 

—  M°>"  Bérot-Berger,  Décalogue  de  la  vie  moderne.  —  B.  Siiaw,  Artistes  et 
dégénérés.  —  Sir  Sidney  Lee,  Principes  de  biographie.  —  R.  VVûnsch,  Formules 
de  malédiction.  —  Férarès,  La  durée  de  l'année  biblique.  —  Marie,  Lexique 
hébreu-français. —  Hautsch,  L'Octateuque  et  le  texte  de  Lucien,  —  Kiiatzis,  Les 
Raoul  grecs.  —  Gruenler,  Ecquis  ou  etquis.  —  Pirro,  La  Naples  grecque.  — 
Académie  des  inscriptions. 


G.  Beccari.  Il  Tigré  descritto  da  un   missionario  gesuila  dcl  secolo  XVII,  Rome, 
igi2,  Loescher  et  G'%  in-S»,  pp.  xiv-i8o.  (Prix  :  6  fr.) 

Le  jésuite  en  question  est  le  P.  Emmanuel  Barradas,  religieux  por- 
tugais, qui  séjourna  en  Ethiopie,  et  surtout  dans  la  province  du 
Tigré,  de  1624  à  i633.  Passionné  pour  l'étude  des  sciences  naturelles 
et  servi  par  un  bon  talent  d'observateur,  il  a  rédigé,  dans  sa  langue 
maternelle,  trois  traités  historico-géographiques  dont  le  plus  intéres- 
sant a  pour  titre  Do  reino  di  Tigré  \  L'aspect  du  pays,  sa  flore,  sa 
faune,  les  mœurs  et  usages  des  habitants  y  sont  décrits  avec  une  pré- 
cision qui  ne  le  cède  en  rien  aux  relations  de  nos  explorateurs  contem- 
porains. Cependant,  la  méthode  laisse  à  désirer.  Aussi  le  P.  Beccari 
a-t-il  jugé  avec  raison  qu'une  adaptation  serait  plus  utile  qu'une  simple 
traduction  du  texte  original.  C'est  toujours  Barradas  qui  parle,  mais 
ses  observations  sont  groupées  et  classées  méthodiquement  ;  aux  noms 
vulgaires  des  plantes  et  des  animaux,  ont  été  ajoutés  des  noms  scienti- 
fiques; quelques  notes  expliquent,  complètent  ou  rectifient  les  pas- 
sages obscurs.  Sous  cette  forme  rajeunie  le  livre  s'adresse  surtout  aux 
Italiens,  dont  la  colonie  Erythrée  occupe  une  partie  du  pays  décrit 
par  l'auteur;   mais  il  intéressera  aussi  tous  ceux   qui  s'adonnent  à 


f .  Le  texte  original  de  ces  trois  traités  a  été  publié  dans  le  tome  IV  des  Rerttm 
Aethiopicarum  Scriptores  occidentales,  dont  la  Revue  a  parlé  à  diverses  reprises. 

Nouvelle  se'rie  LXXIII  22 


J.22  REVDE    CRITIQUE 

l'étude  des  sciences  géographiques.  Il  est  illustré  d'une  soixantaine  de 
gravures  hors  texte,  d'une  exécution,  à  la  vcritc.  un  peu  trop  som- 
maire. 

J.-B.  Ch. 


Die  Arameeer.  Historisch-geographische  Untcrsuchungcn  von  Dr.  Sina  Schiffer, 
JLin.  Leipzig,  1911;  llinrichs,  in-8»,  pp.  xii-207.  (Prix  :  7  m.  5o). 

Ouvrage  qui  témoigne  d'une  bonne  érudition,  et  fruit  de  patientes 
recherches.  L'auteur  y  résume  tout  ce  que  nous  savons  actuellement 
sur  les  Araméens  d'après  les  inscriptions  cunéiformes,  la  Bible,  et, les 
monuments  épigraphiques  ou  littéraires  de  date  postérieure.  On  pour- 
rait discuter  quelque  détail,  signaler  quelque  omission  dans  la  biblio- 
graphie, critiquer  certaines  répétitions  inutiles  :  ce  sont  de  petits  lap- 
sus. Plus  grave  est  le  manque  d'un  plan  méthodique  :  en  réalité  le 
livre  est  une  série  de  notes,  sans  doute  fort  érudiics,  mais  dont  l'ari- 
dité est  rendue  encore  plus  fatigante  par  la  multiplicité  des  références 
très  souvent  insérées  dans  le  texte  sans  la  moindre  distinction  typo- 
graphique entre  celui-ci,  les  noms  des  auteurs  cités,  ou  le  titre  de 
leurs  ouvrages.  Heureusement,  une  bonne  table  alphabétique  permet 
d'utiliser  l'ouvrage  et  de  le  considérer  comme  une  sorte  de  diction- 
naire topographique.  Une  carte  sommaire  y  est  jointe.  Après  avoir 
parcouru  ce  travail,  on  a  le  sentiment  que  l'histoire  des  Araméens 
nous  est  encore  bien  mal  connue  et  que  le  rôle  de  ces  tribus  dans 
l'histoire  des  peuples  sémitiques  est  mal  défini  ;  mais  il  apparaît  assez 
nettement  que  leur  développement  ethnographique  n'a  pas  été  pro- 
portionné à  leur  influence  sociale,  et  on  est  de  plus  en  plus  surpris  de 
la  prodigieuse  extension  prise  par  leur  idiome  et  par  leur  écriture  qui 
se  propagèrent  au  point  de  supplanter  progressivement  toutes  les 
langues  de  l'Asie  occidentale  depuis  la  Méditerranée  jusqu'au-delà 
du  Tigre,  et  du  Tau  rus  au  centre  de  l'Arabie. 

J.-B.  Ch. 


Kurzgefasste  Grammatik  der  Biblisch-Aramaeischen  Sprache,  von  D.  Karl 
Marti.  2«éd.,  Berlin,  191 1,  Reuther  und  Rcichard,  pp.  117  +  98. (Porta  iingua- 
rum  orient.,  pars  XVIII). 

L'éloge  que  notre  ami  R.  Duval  avait  fait  ici-môme  de  la  Gram- 
maire de  M.  Marti,  est  à  répéter  pour  cette  seconde  édition.  Même 
clarté  d'exposition,  même  sobriété  de  détails,  sans  rien  omettre  d'es- 
sentiel. Quelques  améliorations  ont  été  fournies  par  l'étude  des  papy- 
rus araméens,  trouvés  en  ces  dernières  années  à  Éléphantine,  dont  la 
langue,  comme  on  sait,  est  apparentée  de  très  près  à  l'araméen 
biblique,  ou  pour  mieux  dire,  n'en  est  que  la  forme  un  peu  plus 
archaïque.  L'un  de  ces  papyrus  est  reproduit  dans  la  Chrestomathie 
qui  renferme,  selon  l'usage,  une  édition  critique  de  tous  les  passages 


d'histoire  et  de  littérature  423 

bibliques  rédiges  en  araméen.  A  la  «  Literaïur  »  il  faudra  ajouter 
maintcniim  l'important  recueil  de  Papyrus  et  d'Ostraca  édité  par 
M.  Sacliau  (Berlin,  191  i). 

J.-B.  Ch. 

G.  Kip.  Thessalische  Studien.  Reitragc  zur  politisclien  Géographie,  Gcschichte 
und  Vcrfassung  der  thcssalischcn  Land.schaften.  Neuenhaus  (Hanovre),  H.  Kip, 
1910;  143  p.  (Diss.  inaug.  Halle). 

C'est  un  bon  travail  que  cette  dissertation  inaugurale  de  M.  Kip.  Elle 
n'apprend  pas  beaucoup  de  nouveau;  certaines  questions  pourraient 
être  présentées  avec  plus  de  précision,  et  plusieurs  des  conclusions  de 
l'auteur  sur  des  points  de  détail  n'ont  pas  toute  la  sûreté  désirable; 
mais  elle  méthodique,  exactement  documentée,  et  elle  a  le  mérite  de 
condenser  en  peu  de  pages  tout  ce  que  nous  fournit  l'antiquité  sur  la 
géographie  politique  et  les  institutions  des  villes  thessaliennes.  M.  K. 
a  interrogé  les  textes,  étudié  les  inscriptions,  consulté  les  monnaies, 
se  proposant  un  triple  but  :  Déterminer,  pour  chacun  des  peuples  des 
régions  comprises  sous  le  nom  général  de  Thessalie,  son  domaine  géo- 
graphique ;  préciser,  autant  qu'on  peutles  connaître,  les  traits  saillants 
de  son  histoire  ;  exposer  et  discuter  ce  que  nous  révèlent  les  docu- 
ments sur  son  administration  intérieure.  M.  K.  a  commencé  —  le  sujet 
l'exigeait  —  par  distinguer  ces  peuples  divers  :  Thessaliens  proprement 
dits;  périèques  (Perrhèbes,  Magnètes,  Achéens  Phthiotes)  plus  ou 
moins  dépendants  des  Thessaliens  ;  peuples  de  la  vallée  du  Sperchios 
(Maliens,  Œiéens,  ^Enianes)  ;  puis,  reprenant  en  ordre  inverse,  il 
s'est  occupé  de  chaque  peuple  en  particulier,  en  intercalant  quelques 
pages  sur  les  Dolopes,  suivant  une  disposition  à  peu  près  uniforme  : 
le  territoire  et  les  villes,  leur  organisation  générale  et  particulière, 
leurs  magistratures,  jusqu'à  l'époque  où  ils  perdirent  leur  indépen- 
dance. Tous  ces  peuples  en  effet,  à  l'exception  des  Magnètes,  ren- 
trèrent dans  le  /.owôv  zôr/  ©exTaXwv,  les  uns  dès  le  commencement  du 
11°  siècle,  comme  les  Achéens  Phthiotes  et  les  Maliens,  les  autres 
sous  Auguste,  à  la  reconstitution  de  l'amphictionie  delphique.  Le 
•/.o'.vôv  des  Magnètes,  au  contraire,  resta  longtemps  indépendant  de  la. 
Thessalie,  et  ce  fut  seulement  à  l'époque  de  Dioclétien  que  la  Thes- 
salie et  la  Magnésie  furent  confondues  administrativement.  M.  K. 
s'appuie  parfois  sur  des  inscriptions  dont  la  lecture  est  purement 
hypothétique.  Dans  l'inscription  de  Drymœa,  par  exemple  (/G,  IX'), 
il  considère  comme  démontré  «  mit  iiberzeugenden  Grunden  «  par 
Vollgraft",  qu'il  faut,  lire  ligne  6  toVç  O'iTafotç  xaî  'AyatoT;  {BCH,  XXV, 
1901,  p.  226  svv.);  il  n'a  pas  suffisamment  médité  les  notes  ajoutées 
par  Homolle,  où  il  est  prouvé  au  contraire  que,  quelle  que  soit  la 
valeur  de  la  conjecture  de  Beaudouin  al  Xotiix;  oîxovo[jiLa'.,  on  ne  peut 
chercher  un  nom  de  peuple  dans  les  lettres  qui  suivent  Olxatoto;;. 
Mais  en   revanche  on    notera  d'excellentes   discussions  ;    celle,    par 


A2±  REVUE    CRITIQUE 

exemple,  d'où  il  rc'sulie  que  Pharsalc  csi  une  ville  de  la  Thcssalie 
et  non  de  l'Achaïe  Phihioiide,  et  qu'elle  appanenait  à  la  Phthiotide 
et  non  à  la  Thessaliotide  ;  ou  encore  les  pages  où  M.  K.  étudie  la 
sviiarchie,  collège  de  magistrats  de  la  ville  de  Démétrias,  et  non  du 
y.otvôv  des  Magnètes  ;  bien  qu'il  reste  encore  quelque  obscurité  dans  la 
question,  et  que  M.  Kip  n'aii  pus  réussi  à  déterminer  le  nombre  des 
nomophvlaques,  son  argumentation,  bien  conduite,  me  semble  pro- 
bante. Deux  cartes  sont  jointes  à  la  dissertation  :  la  plaine  du  Sper- 
chios,  et  l'ensemble  de  la  région  thessalienne  ;  ce  sont  seulement  des 

esquisses. 

My. 


BiTLRAS.  Ein  Kapitel  der  historischen  Grammatik  dér  griechischen 
Sprache.  l'cbcr  die  gcgenscitii;cn  Bcziehungcii  der  ij;ricchischen  und  dcr  frem- 
dcn  Sprachen,  besonders  ûber  die  frcniden  Einflûsse  aut'  das  Griechische  seit 
der  nachklassischcn  Période  bis  zur  Gegenwart.  Leipzig,  Weicher  (Dietcrich), 
igio;  112  p.  +  8  pages  nuniérotces  de  a  à  h. 

M.  Boutouras  a  raison  de  dire,  dans  ses  préliminaires,  que  son 
travail  sur  les  emprunts  faits  par  le  grec  aux  autres  langues  et 
réciproquement  par  les  autres  langues  au  grec,  «  porte  le  carac- 
tère d'une  dissertation  sur  les  résultats  obtenus  par  les  recherches 
faites  jusqu'à  présent  dans  ce  domaine  >■>.  C'est  à  cela  en  effet  que 
se  réduit  ce  «  chapitre  de  grammaire  historique  de  la  langue 
grecque.  »  Six  sections  sur  les  rapports  du  grec  avec  i)  les  langues 
sémitiques  ;  2)  les  autres  langues  orientales  et  les  langues  ancienne- 
ment parlées  dans  les  pays  au  nord  de  la  Grèce  ;  3)  le  latin  ;  4)  les 
langues  romanes  et  germaniques  ;  5)  les  langues  balkaniques  ;  6)  le 
turc,  sont  disposées  uniformément  de  la  manière  suivante  :  InHuence 
sur  le  grec  ;  influence  du  grec;  bibliographie.  La  bibliographie  sera 
utile  ;  dans  les  autres  paragraphes,  M.  B.  expose  comment  ont  pu  se 
produire  ces  influences,  par  suite  de  relations  politiques,  commer- 
ciales, religieuses,  plus  ou  moins  profondes  et  durables,  et  comment 
ainsi  le  grec  a  pu  recevoir  et  prêter  des  termes  plus  ou  moins  nom- 
breux ;  considérations  généralement  exactes,  mais  peu  nouvelles.  Le 
tout  estencadréentre  un  premier  chapitre,  le  meilleur  de  l'ouvrage,  où 
M.  B.  fait  ressortir  justement  l'intérêt  que  présente,  pour  la  grammaire 
historique  du  grec,  cette  question  des  influences  réciproques  du  grec  et 
des  autres  langues,  et  une  conclusion  dans  un  ordre  d'idées  tout  diffé- 
rent. M.  B.  y  exprime  son  opinion  sur  le  problème  de  la  langue  mo- 
derne, faisant  l'éloge  de  Hatzidakis,  ne  faisant  pas  celui  de  Psychari 
{ainsi  orthographié),  et  déclarant,  comme  plusieurs,  du  reste,  de  ses 
compatriotes,  que  les  savants  étrangers  sont  incompétents  en  cette 
matière,  parce  qu'un  occidental  ne  peut  pas  prétendre,  fùt-il  un  Krum- 
bacher,  se  pénétrer  des  affaires  des  Grecs  et  sentir  comme  un  Grec,  ni 
par  conséquent  juger  comme  un   Grec  dans  une  question  qui,  d'une 


D'HISTOir.F.     KT    Di:     LITTÉRATURE  42  5 

part,  n'est  pas  seulement  d'ordre  linguistique,  mais  qui  est  aussi  his- 
torique, et  d'autre  pan  n'est  pas  purement  scieniitique,  mais  est 
presque  exclusivement  pratique  (p.  io3).  Ge  n'est  pas  la  première 
fois  que  sont  émises  des  idées  de  ce  genre,  et  les  savants  occiden- 
taux amis  des  Grecs  n'v  aiiachcnt  guère  d'importance;  mais  quel 
rapport  ces  pages,  où  se  rencontrent  en  outre  quelques  phrases  à 
allure  politique,  peuvent-elles  bien  avoir  avec  le  sujet  du  livre  '  ? 

My. 


Die  Apologie  der  Heilkuust.  llinc  griechische  Sophistenrcdc  des  fûnften  vor- 
christlichen  Jahrhiuidcrts,  bearbeitet,  ûbersetzt,  eiiauicri  uiid  eingeleitet  voii 
Th.  GoMPERZ.  Zwcitc  durchgesehene  Autlage  Leipzig,  \'eit,  1910;  viii-182  p. 
l'rix  :  10  fr.  60. 

Après  vingt  ans,  M.  Gomperz  donne  une  nouvelle  édition  du  traité 
lUp;  Té/vr,;,  l'un   des  opuscules  du    Gorpus    Hippocraticum.  On   sait 
que  M.  G.  l'attribue  à  Protagoras,  ou  tout  au  moins  qu'il  considère 
comme  hautement  vraisemblable  que  le  philosophe  d'Abdère  en  est 
l'auteur.  Gette  seconde  édition,  re\ue  avec  beaucoup  de  soin,  n'a  pas 
subi  de  modifications  essentielles  ;  je  l'ai  lue.  attentivement,  et  je  ne 
puis  que  renvoyer  à  l'article  où  j'ai   exposé  mon  opinion  sur  la  pre- 
mière [Revue  du  8  juin  i  89  i).  Il  me  suffira  de  signaler  les  changements 
peu  nombreux  apportés  au  texte,  et  justifiés  dans  le  commentaire  ou 
dans  l'appareil  critique.  P.  40,  i   ;=  44,  20  1™  éd.)  y.x\  to'j;  àTroosjYovTa; 
suivant   M,  Marcianus   26911'' éd.  om.  /.aï  avec  A,  l^arisinus  2253)  ; 
il  semble  en  effet  plus  rationnel   d'admettre  l'omission  de  -/.xt  par  le 
copiste  de  A  que  son  intrusion  dans  M.  P.  40,  23  (=  46,  18)  ri  -zi^Ji.  .  . 
Tapa/ï,  d'après  A,  qui   porte  r,  z\  (i''-  éd.  -r)  -ïi   M),  cï.   p.  i  i3.  P.  44,  6 
(=   5o,   2)  ày.py.rsvf^v  avec  M;   M.   G.   lisait  d'abord   ài{>uy(rjv,   corr.    de 
k-^y/'yr;-!  A;   une  note,  parue  dans  les  Beitràge  :{ur  Kritik  iind  Erklà- 
7-iing  der  griech.  Schriftsteller,   VIII    (1905),    et   reproduite  dans  la 
nouvelle  édition  p.  1  19,  explique  les  motifs  qui  ont  ramené  M.  G.  à 
la  leçon  de  M.  Mais  la  variante  de  A  ne  laisse  pas  que  d'être  embarras- 
sante. P.  44,  18  (=  5o,  i3)  ôî  omis  avec  M    P.  46,  19  (=  52,  16)  ircoç 
o'j   -.'yj-Ai)'/   -y.  tojtw    jXT,  â/.'.T/,  !jj.£'>x  (i''«  éd.  Tw;  o'j  ^à  TO'j-Ltov  [JL7|    à)i.  avec  A); 
c'est  une  combinaison,  assez  peu  sure  du  reste,  de  A  avec  M  là  to'jtio, 
cf.  p.   124.  P.  52,    [9   (=  58,   17)  aaor^vï'.av  (7a-.prjV'.av  A)  au    lieu   de  jatpT,- 
vE'TjV  M.  p.  52,  23  (=  58,  21)  oiî^aoKÉ-rr,  (A  -tîi)  ;  c'est  avec  raison  que 
M.  G.  conserve  ce  texte;   la  correction  ry\  i^ap/iar,  était  vraiment  peu 
heureuse.  P.  56.  1  i  (===  6)2,  i  2)  ttwjjixtiov  et  58,  2  (=  64,  3)  7:m[xxx%,  au 
lieu  de  Tjj[j..,  avec  les  meilleurs  manuscrits. 

My. 


I.  Les  pages  ab,  intiiulccs  .1  propos  !  ;à  propos  de  quoi  ?)  comicnncnt  des  vues 
intéressantes  sur  le  projet  d'un  dictionnaire  historique  de  la  langue  grecque,  mis 
en  avant  par  Hatzidakis. 


426  REVUE    CRITIQUE 

Ernst    SciiMiDT,    Kultubertragungen,   (nesseii,   Tôpelmann,    1910;    viii-124    p. 
Prix  :  5  fr.  5o  (Kcligioiisgcsch.  \'cis.  iiiiil  V'orarb.  \'1!I,  2). 

Nous  sommes  prévenus  par  l'auteur  que  son  ouvrage  n'est  pas  un 
travail  d'ensemble  sur  la  translation  des  cultes  d'un  pays  dans  un 
autre.  M.  Schmidt  s'est  propose  d'étudier  seulement  quelques  exem- 
ples caractéristiques,  pour  lesquels  les  traits  de  la  Jégende  sont  à  peu 
près  identiques,  et  de  montrer  que  ces  légendes  sont  en  rapport  très 
étroit,  d'ensemble  et  de  détails,  avec  les  récits  qui  concernent  l'épi- 
phanie  d'un  dieu,  sa  première  manifestation  parmi  les  hommes.  Il  a 
choisi  pour  cela  Timportation  du  culte  de  la  Magna  Mater  et  de  celui 
d'Asclépios  à  Rome,  et  l'introduction  du  culte  de  Sarapi.-;  à  Alexandrie. 
Ce  sont  trois  chapitres  dans  chacun  desquels,  suivant  un  même  plan, 
M.  S.  réunit  d'abord  tous  les  documents  relatifs  à  l'événement,  puis 
en  fait  la  critique  et  en  tire  une  conclusion.  L'introduction  officielle 
de  la  Grande  Mère  et  d'Asclépios  dans  le  panthéon  romain,  la  cons- 
truction et  la  dédicace  d'un  temple  à  ces  divinités,  furent  des  actes  de 
politique,  extérieure  ou  intérieure;  dans  le  premier  cas,  Rome  voulait 
justifier  son  immixtion  dans  les  affaires  d'Asie,  et  alors  on  inventa  la 
légende  de  la  translation,  ordonnée  par  un  oracle,  de  la  plus  grande  di- 
vinité du  pays  dans  sa  nouvelle  patrie  ;  dans  le  second  cas,  il  s'agissait, 
dit  M.  S.,  de  calmer  l'effroi  de  la  population  lors  d'une  épidémie  très 
meurtrière,  et  de  lui  inspirer  confiance  dans  l'art  des  médecins  grecs; 
la  légende  de  l'arrivée  du  dieu,  que  les  Romains  allèrent  chercher 
eux-mêmes,  fut  alors  imaginée.  Ces  résultats  sont  obtenus  par  un 
examen  minutieux  des  textes  ;  pour  chaque  légende,  le  fond  reste  le 
même;  mais  les  détails  fournis  par  les  sources  sont  tellements  diffé- 
rents, tellement  inconciliables  entre  eux  qu'ils  deviennent  suspects  et 
donnent  toute  raison  de  révoquer  en  doute  leur  historicité.  Quant  au 
culte  introduit  à  Alexandrie  par  Ptolémée  Soier,  la  critique  des  docu- 
ments conduit  à  une  conclusion  analogue  ;  le  but  politique  n'est  pas 
moins  visible;  Sarapis,  quelle  que  soit  l'origine  du  nom,  fut  pour  le 
nouveau  souverain  de  l'Egypte  une  divinité  dont  le  sanctuaire  devait 
réunir  dans  une  même  idée  religieuse  Égyptiens  et  Grecs,  et  la 
légende  se  forma,  avec  des  traits  non  moins  variés  et  non  moins 
contradictoires.  Alors,  dans  un  quatrième  chapitre,  M.  S.  compare 
et  juge  les  traits  distinctifs  des  épiphanies  et  ceux  des  translations 
précédemment  étudiées;  il  passe  en  revue  un  grand  nombre  de 
légendes,  surtout  des  légendes  de  saints,  qui  portent  manifestement 
des  caractères  de  libre  invention.  Ces  rapprochements  sont  destinés, 
dans  la  pensée  de  M.  S.,  à  corroborer  les  résultats  qu'il  a  obtenus  par 
l'examen  et  la  critique  de  chaque  légende  en  particulier;  et  dans  le 
fait,  les  analogies  sont  tellement  frappantes  qu'on  peut  se  demander 
avec  l'auteur  s'il  n'y  a  pas,  dans  ces  histoires  de  translations  de  divi- 
nités, et  plus  tard  de  reliques,  autant  et  peut-être  plus  de  fiction 
consciente   que   d'imagination    populaire.    On    pourra   reprocher  à 


d'histoire  et  de  littérature  427 

M.  Schmidt  d'interpréter  certains  détails  pour  les  besoins  de  sa  cause; 

mais  ce  qui   importe  ici,  c'est  bien  plutôt  l'appréciation  générale  des 

faits,  et  je  la  crois  juste. 

My. 


E.  MuELLER,  De  Graecorum  deoruin  partibus  tragicis  (Relig.  Vers,  und  Vorarb., 
VIII,  3).  Giessen,  Topelinaiin,  19 10;  viii-146  p.  Prix  :  6  fr.  5o. 

Le  sujet  traité  par  M.  Millier  est  le  suivant  :  Quel  est  le  rôle  des 
dieux  dans  la  trat^édie  grecque,  et  comment  les  poètes  tragiques  ont- 
ils  mis  en  scène  les  personnages  divins?  Pour  répondre  à  cette  ques- 
tion, M.  M.  a  divisé  son  travail  en  trois  parties,  et  il  étudie  le  rôle  des 
dieux  dans  Eschyle,  dans  Sophocle,  dans  Euripide.  Il  examine  suc- 
cessivement toutes  les  tragédies  de  chaque  poète,  y  compris  les  tra- 
gédies perdues  dans  lesquelles  intervient  une  divinité,  et  cherche  à  se 
rendre  compte  des  motifs  qui  ont  déterminé  le  choix  d'un  dieu  comme 
personnage.  La  tragédie,  dit  M.  M.,  faisait  partie  du  culte  public; 
rien  ne  s'opposait  donc  à  ce  que  les  dieux  fussent  mis  sur  la  scène,  et 
fussent  les  acteurs  principaux,  même  parfois  les  seuls  acteurs,  de  tout 
un  drame  (p.  2-3-  ;  c'est  ce  qu'on  voit  chez  Eschyle,  par  exemple  dans 
les  Euménides  et  dans  Prométhée.  Ces  pièces  nous  font  comprendre 
le  rôle  des  dieux  :  ils  donnent,  d'abord,  à  la  tragédie  un  caractère  plus 
splendide  et  plus  religieux  ;  ensuite,  ils  viennent  instituer  des  cultes 
et  des  rites,  et  exposer,  avec  l'autorité  que  leur  donne  la  majesté 
divine,  les  sentiments  du  poète  sur  les  affaires  publiques;  enfin  ils 
ont  un  rôle  étiologique,  en  ce  sens  que  souvent  leurs  paroles  expli- 
quent la  raison  et  l'origine  (ta  aî'-'.a)  des  usages  et  des  institutions  reli- 
gieuses (p.  8).  Mais  la  tragédie  devint  bientôt  plus  humaine;  la  repré- 
sentation cessa  d'être  exclusivement  religieuse,  et  les  dieux  y  appa- 
rurent tels  qu'on  les  voit  dans  la  poésie  épique,  partiaux,  intéressés, 
se  souciant  peu  de  la  religion  ou  du  bien  moral  de  l'humanité,  parlant 
et  agissant,  en  un  mot,  comme  s'ils  étaient  des  hommes,  doués  toute- 
fois de  la  puissance  divine  (p.  36).  Cependant,  cette  tragédie  «  héroï- 
que »  conserve  encore  son  caractère  sacré  ;  et  lorsque  avec  le  temps  le 
rôle  des  dieux  perdit  de  son  importance,  lorsqu'ils  ne  furent  plus  des 
acteurs  directs  du  drame,  et  qu'ils  intervinrent  seulement,  comme 
dans  la  plupart  des  pièces  d'Euripide,  à  la  fin  ou  au  début  de  l'action, 
même  alors  ils  retinrent  quelque  chose  de  leur  rôle  primitif.  Le  deus 
ex  machina  n'apparaît  pas,  comme  on  a  pu  le  croire,  pour  terminer 
une  pièce  difficile  à  dénouer  autrement,  car  l'intervention  d'un  dieu 
n"a  rien  de  nécessaire  dans  la  plupart  des  cas.  Il  vient  pour  expliquer, 
comme  dans  la  tragédie  primitive,  les  a'.'-'.a  des  cultes,  pour  sanction- 
ner de  son  autorité  les  institutions  humaines,  pour  terminer  la  tragé- 
die sur  une  impression  religieuse,  et  surtout  pour  purger  de  tout 
reproche  les  desseins  des  dieux,  réfuter,  en  quelque  sorte,  les  critiques 
adressées  aux  dieux  dans  le  cours  de  la  pièce,  et  satisfaire  ainsi  le 


428  REVUE    CRITIQUE 

seniimcnt  religieux  du  public,  en  cloignani  Je  son  csprii  ce  qui  pou- 
vait avoir  e'ié  dit  de  contraire  aux  dieux  et  d'antipathique  à  la  religion 
populaire  (p.  i23).  Ainsi   la   tragédie  conservait,  tout  au    moins  à  la 
Hn,  un  certain  caractère  de  représentation  religieuse  (p.    137).  Telle 
est,  dans  ses   grandes   lignes,  la  théorie  de  M.  M.  Le  livre  se  lit  avec 
intérêt,  quoique  le   plan  adopté  oblige  Fauteur  à  se  répéter  souvent. 
J'avoue  toutefois  que  la  manière  dont  il  interprète  le  rôle  du  dciis  ex 
machina  ne  me  satisfait  pas.  Certes,  ce  n'est  pas  parce  que  le  poète 
est  embarrassé  qu'il    use  de  ce  moyen  pour  terminer  ses  pièces,  et  il 
est  possible  qu'il  ait  voulu  ainsi  donner  plus  de  solennité  à  la  fin  de 
la  représentation,  disons  même  satisfaire  à  un  goût  du  public;  mais 
je  ne  vois  guère  Euripide,  qui  ne  se  gène  pas  pour  dire  ce  qu'il  pense 
de  la  religion  populaire,  qui,  sansèire  un  athée,  n'a  qu'une  estime  et 
une  sympathie  très  modérées  pour  l'Olympe  de  la  foule,  je  ne  le  vois 
guère  faisant  au  vulgaire  la  concession  que  suppose  M.  M.,  chantant, 
comme  il  dit,  la  palinodie  (p.  121),  et  donnant  à  en-tendre  aux  specta- 
teurs, par  les  discours  qu'il  prête  au  dieu  de  la  hn,  quelque  chose 
comme  ceci  :  Si  j'ai  mal  parlé  des  dieux  dans  ma  pièce,  n'y  attachez 
pas  d'importance;  vous  voyez  bien  que,  par  la  manière  dont  je  Hnis, 
tout  ce  que  j'ai  dit  est  racheté  et  réduit  à  néant  [finis,  quo,  quœ  antea 
dicta  siint,  irrita  redduntur ;  cette  expression,  ainsi  que  d'autres  ana- 
logues, comme  purgare  dcos,  revient  fréquemment  sous  la  plume  de 
M.  M.).  Je  ne  vois  pas  Euripide  préoccupé  de  ne  pas  choquer  la  reli- 
gion   populaire  au  point  d'avoir  recours  à  une  sorte  de  rétractation 
destinée  à  atténuer,  sinon  à  annuler  l'effet  de  ses  critiques.  Sans  doute, 
Euripide,    comme    tout    poète    dramatique,   cherchait    la    faveur    du 
public;   mais  s'il  l'a  jamais  flatté,  ce  qui   n'est  pas  sûr,  ce  n'est  certes 
pas  en  lui  sacrifiant  ses  opinions  religieuses,  et  encore  moins  en  expo- 
sant, à  la  fin  de  ses  pièces,  des  idées  diamétralement  opposées  à  celles 
qu'il  exprime  dans   le   cours  de  l'action.  Que  l'intervention  divine, 
chez  lui,  soit   un  prolongement  du  caractère  religieux  de  la  tragédie 
antérieure,  nul  n'y  contredira;  et  l'explication  des  al'-'.a,  la  prédiction 
des  choses   futures  conviennent  encore  au  rôle,  même    réduit,  que 
donne  aux  dieux  le   poète;   mais  il  serait  étrange  qu'après  avoir  cri- 
tiqué, parfois  violemment,  les   actes  de  ces  dieux  anthropomorphes, 
il  déclartît  à  la  fin,  dans  une  réhabilitation   inattendue,  que  tout  est 
fait  par  eux  avec  la  suprême  justice  et  la  suprême  sagesse;   et  cela, 
pour  ne   pas  offenser  la  religion  populaire.    Ce  n'est   pas  ainsi,   du 
moins,  que  je  me  représente  Euripide  et  sa  conception  de  la  tragédie, 
en  ce  qui  concerne  les  divinités  de  l'Olvmpe. 

My. 


Ludwig  Uhlands  Saminelband  fliegender  Blâtter  aus  der  z\sreiten  Hâlfte 
des  16.  Jahrhunderts  (Drucke  des  Samuel  und  Siegfried  Apiarius,  Thiebolt 
Berger,  Wilhclni  Bergi<,  Hans  Burger,  Johannes  Frisch,  Johann  Ulhart  und  Be- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  439 

ncdikt  Ulman).  ySTitelfaksimiles  in  Originalgiossc  mit  68  Abbildungcn.  Mit  Ein- 
Icitung,  Reschreibungcn  und  Nachwcisen  hgb.  von  Emil  Karl  Bi.ûmmi,.  Strass - 
burg,  .1.   H.  F..  Hcitz,  nji  i.  (îr,  iii-S"  carré,   140  et  80  pp.,  20  ni. 

Uhland,  l'auicur  d'un  recueil  encore  classique  de  chansons  popu- 
laires, avaii  en  sa  possession  un  volume  composé  de  feuilles  volantes 
réunies  par  un  amateur.  Chacune  de  ces  feuilles  volantes  contient 
une  chanson  populaire  —  ou  plusieurs  —  dont  l'impression  date 
de  la  seconde  moitié  du  xvi'^  siècle.  De  ce  volume,  qui  est  aujour- 
d'hui à  la  Bibliothèque  de  l'Université  de  Tubingue,  Uhland  s'est 
servi  pour  son  édition  ;  mais  il  n'a  pas  réimprimé  tous  les  textes 
qu'il  contenait.  M.  Blumml,  dont  on  sait  la  compétence  en  matière 
de  chanson  populaire,  vient  de  mettre  au  jour  les  textes  dédaignés 
par  Uhland  et  qui  n'ont  pas  été  édités  par  d'autres.  Non  content 
de  ce  labeur,  il  passe  en  revue  ces  feuilles  volantes  dont  il  indique  les 
«  caractéristiques  »  et  les  réimpressions,  signalant  à  l'occasion  les 
variantes.  Enfin  on  trouvera  dans  la  seconde  partie  du  volume  les  fac- 
similés  des  titres,  des  feuilles  volantes  avec  les  gravures  les  accompa- 
gnant. Nous  avons  ici  une  œuvre  de  grande  précision,  capable  de 
mieu.N.  éclairer  l'histoire,  encore  bien  embrumée,  de  la  chanson 
populaire.  p_  Piquet. 

Metrische  Untersuchungen   zu   Paul    Flemings   deutschen   Gedichten,  von 

Friedrich  Wilhclm  Schmitz  ((^ucUcn  und  Forsçhungcn,  hgb.  von  A.  Brandi, 
E.  Schmidt,  F.  Schuitz,  iii).  Strabourg,  Trubner,   igio.  in-8»,  106  pp.,  3  m. 

Ces  études  de  prosodie  portent  sur  trois  points  :  l'accentuation,  la 
quantité,  la  césure.  Leur  résultat  essentiel  est  de  mettre  en  évidence 
l'influence  qu'exercèrent  les  théories  d'Opitzsur  le  jeune  poète  saxon. 
Si  P'ieming  ne  comprit  pas  le  sens  profond  des  préceptes  d'Opitz,  s'il 
se  permit  dans  le  déplacement  d'accent  des  libertés  qui  sont  en  désac- 
cord avec  la  doctrine  opitzienne,  s'il  alla  plus  loin  que  ne  voulait  le 
réformateur  silésien  dans  l'abrègement  des  mots  par  syncope,  apo- 
cope, élision,  etc.,  si,  enfin,  il  usa  de  la  césure  —  aussi  bien  à  l'hé- 
mistiche qu'en  tout  autre  position  —  plus  librement  qu'Opitz,  il  s'est 
efforcé  de  rester  fidèle  aux  règles  matérielles  que  formule  le  législateur, 
et  s'est  montré  disciple  plus  strict  que  les  autres  poètes  contemporains. 
Son  art  est  d'ailleurs  plus  souple  et  plus  aisé  que  celui  de  son  maître 
et  de  ses  rivaux 

Ou  aurait  souhaité  plus  de  clarté  dans  le  travail  de  M.  Schmitz. 

Mais  on  y  trouve  une  exactitude  dans  la  recherche,  une  intelligence 

du  sujet  et  une  connaissance  de  la  prosodie  du  xviT  siècle  qui  en  font 

un  livre  très  méritoire  et  dont  l'étude  s'impose. 

V.  Piquet, 

Paul  G.Mi-AREL  et  marquis  dk  Durantv,  La  peste  de  1720  à  Marseille   et  en 
France,  Paris,  Perrin,  191  1,  in-8'',  viii  et  ()!<o  p.,  grav.  7  tr.  3o. 
Le  fléau  qui  a  laissé  un  souvenir  encore  si  douloureux  à  nos  popu- 


43o  REVUE    CRITIQUE 

laiions  mcridionaleS,  n'avait  pas  jusqu'ici  tenté  d'historien  capable 
d'exploiter  selon  les  règles  de  la  science  moderne  les  nombreux  docu- 
ments des  archives  départementales  et  municipales  de  la  Provence  et 
du  Languedoc.  MM.  Gartarel  et  de  Durantv  ont  risqué  l'aventure,  et 
leurs  recherches  ont  été  si  fructueuses  qu'ils  ont  composé  un  gros 
volume,  bourré  de  citations,  de  statistiques  et  de  chiffres.  Ils  n'ont 
pas  écrit  l'histoire  d'ensemble  de  la  peste,  mais  ont  exposé  le  cours 
de  la  maladie  dans  chacun  des  centres  atteints.  Us  ont  pu  ainsi  être 
plus  complets  sur  chaque  point,  mais  on  a  quelque  peine  à  saisir  les 
rapports  des  événements  entre  eux,  et  on  relève  quelques  répétitions.  La 
plus  grosse  partie  de  leur  ouvrage  est  consacrée  à  Marseille,  qui  ne  fut 
pas  proportionnellement  plus  éprouvée  que  Toulon  et  certains  villages, 
mais  qui  fut  la  première  localité  infestée,  et  celle  où  la  lutte  contre 
l'épidémie  fut  rendue  plus  particulièrement  dilhcile  par  la  densité  de 
la  population.  Après  un  historique  assez  bref  des  pestes  antérieures, 
les  auteurs  racontent  comment  le  navire,  le  Grand  Saint- Antoine, 
apporta  la  maladie  d'Orient.  Le  tableau  qu'ils  font  de  ses  ravages  est 
saisissant,  et  de  nombreuses  citations  empruntées  à  des  contempo- 
rains, le  rendent  poignant.  Le  personnage  de  Belzunce^  réduit  à  ses 
vraies  dimensions,  reste  encore  fort  beau;  mais  MM.  G.  ei  de  D.  ont 
cru  pouvoir  mettre  sur  le  même  plan  les  échevins,  le  viguier,  le  che- 
valier Roze  et  le  bailli  de  Langeron.  Ils  jugent  avec  rigueur  la  con- 
duite de  l'intendant  Le  Bret  qui  se  tint  toujours  Loin  des  localités 
contaminées,  mais  confessent  de  bonne  grâce  les  précieux  services 
rendus  à  la  province  par  cet  administrateur  distingué.  Ils  poursuivent 
l'histoire  de  Marseille  jusqu'au  jour  où  le  fléau  ayant  complètement 
disparu,  le  blocus  qui  séparait  la  ville  du  reste  de  la  France,  fut  enfin 
levé.  Ils  suivent  alors  la  peste  à  travers  les  villes  et  villages  de  Pro- 
vence, du  Languedoc,  enfin  dans  le  Comtat  Venaissin.  Sur  ces  diffé- 
rents points  les  archives  se  sont  trouvées  moins  riches,  mais  elles 
l'ont  encore  été  suffisamment  pour  permettre  aux  auteurs  un  récit 
détaillé. 

A.   BiovÈs, 

L.  Maisonn'ier  et  G.  Lecarpentier,  L'Irlande   et  le    home   rule,  Paris,  Rivière, 

I912,  320    p. 

Le  rêve  d'une  autonomie  nationale  hante  depuis  des  siècles  l'île  cel- 
tique qui  fut  au  moyen  âge  la  patrie  des  w  saints  et  des  docteurs  ».  Ces 
aspirations  se  résument  dans  la  restauration  du  Parlement  de  Dublin. 
Posé  dès  longtemps  devant  le  peuple  anglais  et  les  assemblées  de 
Westminster,  le  débat  parait  à  la  veille  de  recevoir  un  heureux  dénoue- 
ment. Ce  sera  justice. 

L'Irlande,  en  effet,  a  connu  des  heures  cruelles.  Sans  insister  sur 
les  souffrances  des  catholiques,  il  suffira  de  rappeler  les  lois  de  coer- 
cition, la  dureté  des  landlords,  les  évictions  de  tenanciers,  les  crimes 


d'histoire  et  de  littérature  43  I 

agraires.  Aussi  «  l'île  sœur  »  est-elle  devenue  la  terre  classie]ue  des 
ligues  et  des  meetings.  Issue  de  cette  agitation  méthodique,  la  dcpu- 
lation  irlandaise  a  )Oué  un  rnle  de  premier  plan  dans  le  Parlement 
britannique  :  des  séances  épiques  se  sont  déroulées  à  Westminster. 
Cette  action  parlementaire  est  dominée  par  les  grandes  ombres 
d'O'Connell,  Isaac  Rutt,  Parnell,  Gladstone,  tous  pionniers  de 
l'autonomie. 

L'aurore  du  xx.--'  siècle  a  marqué  des  succès  pour  le  home  ritlc,  qui 
conquiert  graduellement  les  milieux  politiques  et  intellectuels  d'Outre- 
Manche.  L'administration  locale  de  l'Irlande  a  été  réformée  par  une 
loi  du  12  août  1898  substituant  aux  grands  jurys  —  rendus  si  impopu- 
laires par  la  prédominance  des  Lords  —  des  Conseils  de  comté  et  de 
district  élus  au  sutlVage  populaire.  Le  Land  Act  de  igoS  est  venu 
calmer  l'effervescence  paysanne.  Hier  enfin,  le  Parliament  Act  de 
iQi  I  a  partiellement  découronné  la  Chambre  des  Lords,  de  tout  temps 
si  hostile  aux  prétentions  irlandaises. 

L'Angleterre  va  s'honorer  en  s'inclinant  devant  la  liberté  de  «  l'île 
sœur  ».  Sur  un  tel  espoir  se  clôt  cet  historique  limpide  du  droit  public 
irlandais.  Il  intéressera  les  amis  de  l'Irlande  —  qui  sont  légion,  car 
cette  amitié  fait  traditionnellement  partie  de  l'àme  française. 

Pierre  Laborderie. 


Les  royaumes  des  neiges,  par  C.liaries  Eudes  BoiNin.  Paris,  Colin,    1911,  in-i8, 

X  et  3o6  p.,  cartes  et  illustr.,  4  [r. 
Études  d'ethnographie  algérienne,  par  A.  Van   Gennep.  Paris,  Leroux,  191 1, 

in-4'',  io3  p.  figures  et  planches. 
Les  principaux  aspects  du  globe.  La  France,  par  M.  Ai.lain  et    H.  Hauser. 

Paris,  Alcan,  1912,  in-i6,  iv  et  407  p.  2  fr.  25. 

Sous  un  titre  énigmatique  M.  Bonin  décrit  les  régions  qui  s'abri- 
tent aux  pieds  de  l'Himalaya,  entre  l'Afghanistan,  leThibet,  la  Chine 
d'une  part,  et  le  grand  empire  indien  de  l'autre.  L'auteur  qui  a  par- 
couru à  plusieurs  reprises  ces  contrées  presque  inconnues,  n'a  pas 
voulu  raconter  ses  voyages,  mais  plutôt  présenter  tous  les  renseigne- 
ments historiques,  géographiques,  ethnographiques  recueillis  dans 
ses  courses.  Laissant  de  côté  le  Népal,  objet  de  travaux  nombreux,  il 
a  suivi  de  l'Ouest  à  l'Est  les  confins  de  l'Himalaya,  dépeignant  la 
situation  sur  la  frontière  indienne  du  côté  de  l'Afghanistan  et  du 
Pamir,  puis  au  Ladakh,  récemment  conquis  par  le  Maharadja  de 
Kashmir.  Le  Bhoutan  l'a  retenu  plus  longtemps,  et  il  en  a  esquissé 
l'histoire,  qui  n'avait  jamais  été  dite  avant  lui.  Parvenu  aux 
frontières  du  Haut  Assam,  il  donne  sur  les  sauvages  tribus  contre 
lesquelles  se  heurte  la  pénétration  anglaise,  de  précieux  détails.  Ses 
deux  derniers  récits  transportent  le  lecteur  au  Thibet  :  c'est  d'abord 
une  visite  à  une  prêtresse  influente  que  M.  B.  appelle  la  papesse  du 
lamaïsme  ;  puis  un   bref  aperçu  des  campagnes  des  Chinois  au  Thi- 


^32  RKVUE    CRITIQUE 

bct  jusqu'à  la  fuite  du  Dalai-Lama,  au  commencement  de  191 1.  Dans 
les  appendices  on  trouve  une  description  des  routes  de  l'Asie  cen- 
trale, un  examen  de  la  question  des  sources  du  Gange,  et  enfin  une 
ctude  sur  la  tribu  des  Mossos  établie  aux  contins  du  Yunnan.  L'ou- 
vrage de  M.  Bonin  a  le  grand  mérite  de  nous  introduire  dans  des 
régions  nouvelles,  mais  l'absence  d'une  carte  d'ensemble  qui  permet- 
trait de  le  suivre  plus  aisément,  se  fait  d'autant  plus  sentir. 

M.  Van  Gennep  a  rapporté  une  ample  moisson  de  son  court  séjour 
en  Algérie.  Six  semaines  lui  ont  suffi  pour  amasser  de  nombreux 
documents  sur  les  soufflets  dont  se  servent  les  bijoutiers  indigènes, 
les  poteries  kabyles,  le  tissage  au  carton,  enfin  l'art  de  la  décoration. 
Le  point  de  vue  esthétique  a  été  relégué  au  second  plan  par  l'auteur 
qui  s'est  avant  tout  préoccupé  de  déterminer  le  rôle  joué  par  les  dif- 
férentes industries  dans  l'existence  économique,  et  le  mécanisme  des 
divers  métiers.  La  brochure  de  M.  V.  G.,  accompagnée  de  belles 
planches,  fournira  donc  des  matériaux  intéressants  à  l'œuvre  à  peine 
entamée  de  l'ethnographie  algérienne. 

Dans  le  cours  de  géographie  que  MM.  Allain  et  Hauser  ont  écrit  à 
l'usage  des  écoles  primaires  supérieures,  ils  ont  pensé  pouvoir  sortir 
un  peu  du  programme,  et  insister  au  début  sur  les  matières  générales 
que  les  élèves  sont  censés  posséder  dès  les  classes  précédentes.  Ces 
notions  sont  aussi  importantes  que  délicates,  il  n'est  jamais  mauvais 
de  les  revoir  et  de  les  approfondir.  Le  livre  est  divisé  en  courtes 
leçons  dans  lesquelles  les  points  principaux,  bien  mis  en  évidence, 
frapperont  l'esprit  des  écoliers.  L'ouvrage  contient  de  nombreuses 
illustrations  choisies  avec  goût,  et  en  général  bien  réussies.  Il  con- 
viendra parfaitement  au  public  auquel  il  a  été  destiné. 

A.  BiovÈs. 

Mécanisme  et  limites  de  l'association  humaine  par  J.  Novicow.  Paris.  Giard  et 

Brière,  1912,  in-iS,  ii5  p.,  2  t'r. 
Unemployment,  a  social  study,  par  B.  Sef.bohm  Rowntree  et    Bruno  Lasker, 

Londres,  Macmillan,  191 1,  in-H»,  xx  et  3  17  p.,  5  sh. 
Les  Coffres-forts  et  le  fisc  par  Ch.  Lescœur,  Paris,  Bloud.  191 1,  in-i6,  425  p., 

3  l'r.   5o. 
Décalogue  de   la  vie  moderne    par  M""*   Bérot-Berger,  Paris,  Giard  et  Brière, 

19 12,  in- 18,  43  p.,  I  fr.  bo. 

Persuadé  que  la  misère  disparaîtra  de  la  terre  le  jour  où  l'on 
comprendra  parfaitement  le  mécanisme  de  l'association  humaine, 
M.  Novicow  voit  dans  l'échange  le  lien  social,  et,  estimant  que  sans 
l'échange  la  vie  sociale  serait  impossible,  il  en  déduit  que  société  et 
échange  sont  synonymes  à  un  certain  point  de  vue.  Il  ne  s'arrête  pas 
là,  et  représente  l'échange  comme  créateur  du  droit,  de  l'Etat,  de  la 
nationalité.  Il  démontre  aisément  que  «  pour  entrer  dans  le  domaine 
du  droit,  il  faut  un  échange  entre  deux  ou  plusieurs  hommes.  »  Il  a 
plus  de  peine  avec  la  création  de  l'État  :  il  veut  que  l'organisation 


d'histoire  et  de  littérature  433 

sociale  vienne  de  l'échange,  ci  pour  combaiiie  ropinion  courante  e-jui 
admet  la  nécessité  de  Tintervcniion  de  la  force,  de   la  coercition,  il 
allègue  qu'on  peut  se  figurer  la  vie  humaine  sans  le  banditisme  et  la 
-conquête,    mais  non    sans   la    production   économique.    Quant    à   la 
nationalité,  il  en  discerne  le  principal  élément  dans  Tuniié  de  langue, 
et  réchange,  ayant  seul  opéré  la  diHusion  des  grandes  langues  sur  des 
régions  considérables,  a  encore  été  Tagent  principal  de  la  constitution 
de  la  nationalité.    M.  N.  traite  un  peu  superficiellement  ces  graves 
questions  qui  auraient  exigé  de  plus  longs  développements,  et  il  con- 
clut   que    le    commerce    est    le    facteur    principal    de    l'association 
humaine,  de  l'intensité  vitale,  donc,  en  définitive,  de   la  vie.  La  doc- 
trine opposée,  celle  qui  rejette  tout  sur  la  lutte  pour  la  vie,  repose, 
d'après    notre    auteur,    sur   l'illusion    spoliatrice    qui    persuade    aux 
hommes  qu'il  est  plus  simple  et  plus  rapide  de  vivre  aux  dépens  du 
prochain  que  de  produire  selon  ses  besoins  et  ses  moyens.  La  spolia- 
tion totale  est  impossible  :  la  production  cesserait  bientôt,  et  Thuma- 
nilé  dépérirait  ;   même   limitée,  elle  nuit  au  spoliateur  lui-même  qui 
gaspille  dans  la   préparation  et  l'exécution  de   la  conquête  son  temps 
et  ses  efforts,  tandis  que  le  futur  spolié  délaisse  pour  se  défendre  les 
travaux  productifs,  et  tout  le  monde  souffre.  Si  l'association,  qui  per- 
met d'atteindre  le  maximum  d'intensité  vitale,  est  la  vie,  en  revanche 
la   spoliation,  qui   empêche  d'atteindre  ce   maximum,    est    la  mort. 
Cette  vérité  s'imposera  inévitablement,   et  de  son  triomphe  découle- 
ront les  plus  heureuses  conséquences,  notamment  :   la  disparition  de 
l'anarchie  internationale,  qui   pousse  les  nations   les  unes  contre  les 
autres;  l'abandon  du  protectionnisme,  néfaste  au  commerce;  la  ruine 
des   idées  collectivistes,    fondées  sur  l'illusion    spoliatrice   et  sur   le 
sophisme  que  les  ressources  des  riches  suflftraient  à  faire  vivre  tous 
les  citoyens  dans  l'aisance.  Ce  rapide  résumé  montre  la  part  d'utopie 
existant  dans  la  sociologie  de  M.   Novicow  qui  s'appuie  principale- 
ment   sur   la    conviction    que    l'homme   est    un    être    raisonnable    et 
logique;  or,  cette  conception  n'est  qu'une  hypothèse  que  l'expérience 
démolit  chaque  jour. 

MM.  Rowntree  et  Lasker  ont  écrit  un  savant  volume  s.ur  la  ques- 
tion des  sans-travail.  La  Grande-Bretagne  entière  souffre  de  ce  mal, 
mais  les  auteurs,  ayant  résolu  de  restreindre  leur  champ  d'observa- 
tion pour  mieux  le  connaître,  ont  choisi  la  ville  d'York  qui  compte 
environ  82,000  habitants,  et  qui  rentre  par  conséquent  dans  la 
moyenne  des  cités  anglaises.  Ils  v  ont  relevé  aussi  exactement  que 
possible  le  nombre  des  chômeurs,  le  7  juin  19 10.  La  ville  ne  traver- 
sait pas  alors  une  période  de  prospérité;  elle  ne  souffrait  pas  non  plus 
de  dépression  économique;  il  n'y  avait  donc  aucune  cause  particu- 
lière de  chômage,  et  York  doit  avoir  journellement  un  nombre  sen- 
siblement égal  de  sans-travail,  emiron  1200,  ce  qui  est  une  propor- 
tion alarmante.  MM.  R.  et  L.  ont  procédé  à  une  enquête  détaillée,  et 


4?4  REVUF.    CRITIQUE 

leurs  tableaux  renseignent  complètement  sur  les  antécédents,  le 
caractère,  le  tempérament,  la  capacité  de  chacun.  Les  ayant  classés 
dans  un  ordre  logique  :  adolescents,  travailleurs  réguliers,  journa- 
liers, ouvriers  du  bâtiment,  paresseux  invétérés,  femmes  et  jeunes 
filles,  ils  recherchent  les  causes  de  chômage  et  les  remèdes  à  y  appor- 
ter. Ils  conseillent  la  création  de  cours  post-scolaires  et  profession- 
nels pour  les  adolescents  de  moins  de  19  ans;  l'extension  des  bourses 
de  travail  pour  une  meilleure  répartition  des  otîres  et  demandes;  une 
réorganisation  des  travaux  publics,  en  particulier  du  reboisement, 
qui  ouvrirait  de  nouveaux  chantiers;  et  enfin,  à  l'imitation  de  la 
Belgique,  un  retour  vers  les  campagnes  où  les  ouvriers  trouveraient 
dans  la  culture  de  petits  jardins  des  ressources  précieuses,  tandis  que 
des  communications  rapides  et  bon  marché  les  tiendraient  toujours  à 
portée  des  usines.  Malgré  leur  bonne  volonté,  les  auteurs  n'ont  donc 
rien  découvert  de  bien  nouveau,  ni  peut-être  rien  de  bien  efficace; 
mais  ce  qui  frappe  dans  leurs  projets,  c'est  le  recours  constant  à  l'in- 
tervention de  l'Etat,  tendance  caractéristique  chez  un  peuple  qui  a 
passé  longtemps  pour  le  plus  individualiste  du  monde. 

Après  une  esquisse  amusante  de  l'histoire  des  coffres-forts  depuis 
l'antiquité  la  plus  reculée,  M,  C.  Lescœur  étudie  très  à  fond  les  droits 
des  tiers  sur  la  fortune  mobilière  cachée  dans  notre  domicile,  dépo- 
sée chez  les  banquiers,  ou  enfermée  dans  des  caisses  louées  par  des 
maisons  spéciales.  Parmi  les  tiers,  il  range  le  fisc  qui,  depuis 
quelques  années,  poursuit  avec  une  àpreté  grandissante  l'argent  et  les 
titres,  pour  leur  faire  payer  les  droits  de  succession,  et  aussi  dans 
la  prévision  de  la  perception  future  de  l'impôt  progressif  sur  le 
revenu.  Les  contribuables,  exaspérés  par  l'augmentation  des  charges, 
s'ingénient  à  dérober  leurs  héritages  aux  inquisitions  des  agents  du 
trésor.  De  leur  côté,  les  législateurs,  poussés  par  la  surenchère  élec- 
torale à  trouver  sans  cesse  de  nouvelles  ressources,  méditent  les 
mesures  les  plus  sévères.  M.  L.  examine  un  projet  de  loi  déposé  par 
M.  Ch.  Dumont,  qui,  supprimant  la  saisine  héréditaire,  prescrirait 
dans  tous  les  cas  l'apposition  des  scellés,  les  fouilles,  l'inventaire  obli- 
gatoire, la  déclaration  sous  serment.  Cette  fiscalité  insensée,  vexatoire, 
choquerait  tellement  nos  sentiments  intimes,  nos  habitudes,  que,  croit 
l'auteur,  elle  serait  d'une  application  impossible.  D'ailleurs,  si  les 
législateurs  réussissaient  à  l'intérieur  du  territoire,  ils  n'aboutiraient 
qu'à  précipiter  l'exode  des  capitaux  à  l'étranger,  et  là  ils  se  heurte- 
raient à  l'intérêt  des  nations  qui  tirent  un  si  grand  avantage  de  l'ar- 
gent français  déposé  chez  elles.  En  vérité,  M.  Dumont  et  ses  amis 
veulent  subordonner  à  un  envoi  en  possession  spécial  la  remise  à 
l'héritier  des  valeurs  déposées  à  l'étranger.  Mais  l'action  du  gouver- 
nement français  au-delà  des  frontières  est  forcément  impuissante; 
les  dépôts  sont  soumis  à  la  règle  :  locits  régit  actiim;  et  les  banquiers 
suisses,  belges  ou  allemands  accepteront  toutes  sortes  de  combinai- 


d'histoire  et  de  littérature  435 

sons  dans  le  genre  du  dépôt  en  compte-joint  ou  du  mandat  post-mor- 
tem,  pour  attirer  l'argent  français.  Les  nombreuses  circulaires  de 
banques  étrangères  reproduites  dans  Tappendice  prouvent  clairement 
cette  tendance.  Le  seul  résultat  obtenu  par  les  réformateurs  serait 
donc  une  émigration  totale  des  titres  au  porteur  et  de  l'argent  liquide, 
émigration  qu'ils  redoutent  et  cherchent  à  prévenir  en  dénonçant 
«  l'hervéisme  des  capitau.\  ».  Mais  cette  expression  n'est  pasjustihée, 
car,  selon  M.  Lescœur,  lorsque  la  loi  positive  est  contraire  à  la  loi 
naturelle,  elle  cesse  d'être  exécutoire,  et  les  capitaux,  menacés  dans 
leur  existence  même,  seraient  aussi  excusables  que  les  émigrés  forcés 
à  fuir  leur  patrie  pour  sauver  leur  vie. 

M'""  Bérot-Berger  a  réuni  en  brochure  quelques  conseils  qu'elle 
appelle  modestement  le  dicalogue  de  la  vie  moderne!  Il  faut  rendre 
hommage  aux  intentions  toujours  généreuses  de  cette  ardente  fémi- 
niste, mais  regretter  qu'elle  les  ait  exprimées  dans  une  langue  souvent 
obscure  et  emphatique,  où  l'on  rencontre  trop  de  phrases  dans  le 
genre  de  celle-ci  :  «  Dès  la  minute  où  l'épouse  devient  mère,  comme 
si  l'éclair  irradiant  le  nouveau-né  sanctifiait  la  femme  en  l'auréolant, 

l'amour  maternel  se  révèle  supérieur  à  tous.  » 

A.  BiovÈs. 


The  sanity  of  art  :  An  exposure  of  the  current  Nonsense  about  Artists 
being  degenerate,  by  Bernard  Shaw,  Consiable,  London,  igii,in-i8,  104  p., 
I  sh. 

Principles  of  biography  by  sir  Sidney  Lee,  Cambridge,  University  Press,  191 1, 
in- 1 2,  54  p.,  I   sh  .  G  d. 

En  1893  le  docteur  Max  Nordau  publia  un  gros  volume  pour  prou- 
ver que  les  grands  artistes  du  xix*"  siècle  avaient  tous  été  des  dégéné- 
rés. M.  B.  Sha'.v  en  fit  la  critique  deux  ans  plus  tard  dans  un  pério- 
dique américain,  et  il  réédite  aujourd'hui  cet  article  en  développant 
certains  passages,  et  en  retranchant  ce  qui  lui  a  semblé  trop  violent 
contre  l'auteur  allemand.  Mais  le  fer  émoulu  de  M.  S.  est  très  acéré, 
et  il  malmène  encore  vivement  son  adversaire,  «  un  de  ces  remar- 
quables juifs  contemporains  qui  partent  en  guerre  contre  la  civilisa- 
tion moderne  comme  David  contre  les  Philistins,  ou  Charles  Martel 
contre  les  Sarrasins.  »  M.  Nordau  s'est  fait  l'avocat  du  diable  contre 
les  grandes  réputations  artistiques  du  dernier  siècle,  et  ses  conclu- 
sions peuvent  se  résumer  ainsi  :  «  tous  les  ouvrages  modernes 
révèlent  des  symptômes  de  maladie  chez  les  artistes,  et  ces  artistes 
malades  sont  eux-mêmes  des  symptômes  de  l'épuisement  nerveux  de 
la  race  causé  par  le  surmenage.  »  Ce  n-'est  pas  là,  dit  M.  S.,  une  thèse 
nouvelle,  il  est  trop  aisé  de  trouver  des  arguments  pour  la  soutenir, 
et  il  passe  en  revue  l'impressionisme  en  peinture,  le  wagnérisme  en 
musique,  l'ibsénisme  en  littérature,  pour  établir  que  ces  mouvements, 
glorieux  et  utiles  avec  les  chefs  d'école,  donnent  lieu  avec  certains  de 
leurs  disciples  mal  doués  à  des  exagérations  ridicules  qui  n'auraient 


^.36  Ri:\'HE    CRITIQUE 

pas  vu  le  ]ouv  si  les  vieilles  rèi;les  avaient  conserve  leur  empire. 
Amené  à  considérer  ces  règles  mêmes,  il  se  demande  d'abord  «  si  elles 
sont  utiles?  »  Les  lois,  les  religions,  les  croyances,  les  systèmes 
d'éthique  ne  sont  jamais  à  point.  Ils  sont  nécessaires,  bien  que  nous 
les  délestions  secrètement,  parce  que  le  nombre  de  gens  capables  de 
se  tracer  à  eu.K-mêmes  une  ligne  de  conduite  est  très  petit,  et  plus 
petit  encore  celui  des  hommes  qui  peuvent  s'en  assurer  le  loisir. 
Les  lois  ne  sont  supportables  qu'à  condition  de  se  niodlHer  avec  les 
conditions  de  l'existence.  La  véritable  force  agissante  n'est  pas  la 
raison,  mais  la  volonté,  et  la  volonté  au  service  de  la  passion.  De  là 
le  mouvement  moderne  parfaitement  bienfaisant  et  favorable  au  pro- 
grès, tout  en  présentant  parfois  une  apparence  hideuse  de  corruption 
morale  et  de  décadence,  mais  qui  n'est  réellement  néfaste  que  chez 
les  pitoyables  imitateurs.  Le  rôle  de  l'art  est  d'affiner  notre  sentiment 
de  la  justice  et  nos  facultés  de  svmpathie,  de  perfectionner  la  con- 
naissance et  la  possession  de  nous  même,  de  nous  rendre  insuppor- 
tables la  bassesse,  la  cruauté,  la  supei  hcialité  intellectuelle  et  la  vul- 
garité. Le  grand  artiste  est  celui  qui,  allant  plus  loin  encore,  crée  des 
œuvres  d'une  beauté  et  d"un  intérêt  plus  élevés  que  celles  de  ses  pré- 
décesseurs, et  réussit,  après  une  courte  iuite  contre  la  nouveauté,  «  à 
ajouter  une  extension  de  sentiment  à  l'héritage  de  la  race.  »  On  sent 
que  M.  Shaw  range  dans  cette  catégorie  tous  ceux  dont  il  a  entrepris 
la  défense  contre  M.  Nordau. 

Sir  Sidney  Lee,  directeur  Au  Dictionary  of  National  Biography, 
était  particulièrement  compétent  pour  énumérer,  codifier  en  quelque 
sorte,  les  règles  qui  s'imposent  à  ceux  qui  se  risquent  à  écrire  des 
biographies.  Il  insiste  avant  tout  sur  le  choix  du  sujet,  et  écarte  jus- 
tement les  vivants  puisque  la  mort  n'est  que  la  conclusion  de  la  vie, 
et  que  les  derniers  instants  d'une  carrière  peuvent  modifier  l'aspect 
sous  lequel  un  homme  se  présentera  devant  la  postérité,  arbitre 
suprême.  Il  faut  encore  que  le  personnage  choisi  ait  marqué  par 
son  caractère  ou  par  ses  actes.  Passant  à  l'exécution  de  l'œuvre,  il 
explique  que  la  biographie  a  son  terrain  à  part  et  bien  délimité, 
que  ce  n'est  pas  de  l'histoire  ;  celle-ci  offre  une  certaine  analogie 
avec  la  mécanique,  la  biographie  tiendrait  plutôt  de  la  chimie  ; 
et  il  compare  l'historien  à  un  homme  qui  regarderait  de  loin 
une  foule  avec  une  lunette,  et  le  biographe  à  un  observateur  qui  exa- 
minerait à  la  loupe  un  seul  individu.  La  biographie  ne  doit  rien  sacri- 
fier à  la  morale  ;  mais  elle  n'est  pas,  comme  le  voudraient  nombre  de 
modernes,  l'humble  servante  de  la  biologie  et  de  l'anthropologie.  Les 
deux  principaux  écueils  sont  la  longueur  et  l'idolâtrie.  M.  L.  entend 
évidemment  parler  de  cette  fiiror  biographicus.,  qui,  selon  Macaulay, 
menace  aussi  sûrement  les  biographes  que  le  goitre,  les  bergers  des 
Alpes.  En  résumé  M.  Lee  conseille  d'ecrjre  «  avec  une  exactitude 
scrupuleuse,  une  parfaite  franchise,  une  sympathie  sagace,  une  con- 


d'histoirk  f.t  de  littérature  437 

cision  résolue  »,   Voulani  indiquer  quelques  modèles,  il   loue    Plu- 

tarque,  mais  accorde  la  palme  à  la  Life  0/ Johnson  de  Boswell  qu'il 

tient  pojr  la  meilleure  de  toutes  les  biographies. 

A.   BiovKS. 


—  Dans  l'utile  collection,  Klciiie  Texte  fitr  Vorlcsun^en  iiini  Ucbungcn,  publiée 
sous  la  direction  tic  M.  H.  Lietzmannn,  M.  R.  Wunsch  a  édité,  avec  introduction 
et  commentaire  critiques  et  liistoriques,  un  choix  de  formules  de  malédiction  et 
un  morceau  important  du  Papyrus  de  la  Bibliothèque  nationale,  Suppl.  gr.  574 
Antike  Fhichtafebt,  et  Ans  einem  gricdiischen  Zaïiberpapyriis  ;  Bonn,  Marcus, 
ic)ii  et  1912;  deux  in-12  de  3i  pages).  Texte  des  premiers  siècles  de  notre  ère. 
Les  formules  de  malédiction  ont  cié  choisies  parmi  celles  qui  attestent  connais- 
sance du  judaïsme  ou  du  christianisme.  La  plus  curieuse,  si  l'on  en  pouvait 
exactement  fixer  la  lecture  et  la  date,  serait  la  tablette  de  Mégare  où  M.  W.  a  cru 
pouvoir  restituer  le  nom  de  Jésus  comme  nom  «  hébreu  »  d'incantation,  à  côte 
d'Althée,  Coré,  Hécate.  —  A.  L. 

—  M.  S^  l'%;RARks  {La  durée  de  Vannée  biblique;  Paris,  Durlacher,  1912:  in-8°j 
24  pages)  pense  que  Tannée  hébraïque  au  temps  d'Abraham  était  de  sept  lunai- 
sons; pareillement  au  temps  de  l'exode;  qu'on  ne  sait  à  quelle  époque,  antérieure 
à  Esdras,  l'année  luiii-solaire  fut  adoptée.  La  thèse  a  l'avantage  de  réduire  les 
vies  trop  longues  des  patriarches,  mais  il  est  très  malaisé  de  voir  sur  quoi  elle  se 
fonde.  —  A.  L. 

—  Le  Petit  lexique  hébreu-français  de  M.  J.  Marie  (Paris,  Lecoffre,  191  2  ;  in-S», 
44  pages)  est  un  recueil  de  huit  cents  mots  hébreux  environ,  les  plus  usuels,  qui 
sont  groupés  d'abord  d'après  le  sens,  puis  par  ordre  alphabétique.  L'ouvrage, 
coordonné  à  1  excellente  Grammaire  hébraïque  abrégée  de  M.  J.  Touzard,  est  des- 
tiné aux  commençants,  et  il  leur  sera  vraiment  utile.  —  A.  L. 

—  On  admet  qu'entre  autres  manuscrits  des  Septante,  ceux  qui  sont  désignés 
par  19  (ou  b)  et  108  contiennent,  pour  les  livres  historiques  de  l'Ancien  Testa- 
ment, le  texte  de  Lucien.  M.  Hautsch  ne  considère  pas  cette  opinion  comme 
démontrée  en  ce  qui  concerne  l'Octatcuque,  et  dans  un  article  intitulé  Der 
Lukiantext  des  Oktateiich,  Berlin,  Weidmann,  1910,  28  p.  (AJitteil.  des  Septua- 
ginta-Vnternehmens,  Heft  i;  extr.  des  jSachrichten  d.  K.  Gesellscli.  d.  Wiss.  pi 
Gôttingeii,  philol.-hist.  Klasse,  1909,  p.  5i8-543),  il  compare  les  leçons  de  ces 
manuscrits  (ainsi  que  du  manuscrit  w,  qui  en  est  très  voisin)  avec  les  citations  des 
Pères  de  l'école  d'Aniioche,  Diodore  de  Tarse,  Théodore  de  Mopsueste,  et  princi- 
palement Chrysostome  et  Théodoret,  qui  représentent  la  recénsion  de  Lucien.  Il 
résulte  de  cet  examen  que  les  variantes  de  ces  citations,  pour  la  Genèse  et  les 
autres  livres  du  Pentateuque,  sont  beaucoup  plus  souvent  en  désaccord  qu'en  con- 
cordance avec  ces  manuscrits,  et  il  en  est  de  même  pour  le  livre  de  Josué.  Pour 
les  Juges  et  Ruth,  M.  Hautsch  observe  en  outre  que  Théodoret  ne  fournit  pas  de 
variantes  qui  soient  particulières  aux  manuscrits  considérés.  La  conclusion, 
semble-t-il,  se  dégage  d'elle-même,  à  savoir  que  ces  manuscrits  ne  représentent 
pas  le  texte  de  Lucien  pour  les  huit  premiers  livres  de  l'Ancien  Testament.  —  My. 

—  Un  élève  de  M.  Sp.  Lainbros,  M.  Kuatzis,  a  publié  il  y  a  quelque  temps  un 
ouvrage  qu  il  n'est  pas  inutile  de  signaler.  Le  titre  en  est  Oî  'PaoûÀ,  'Pi\,  'PiXat, 
àz^  TT,;  è;j.'.pavtaîù)î  aùxwv  [Jî/p-  ~où  'ïi)>0Jî  toO  it,'  alwvo;  (1080- 1800  [j..  X.).  C'est  un 
volume  de  80  pages  (Kirchham,  impr.  Schmcrsow,  1909)  qui  porte  comme  sous- 
titre   'l3-0Qty.r,   aovoypa-f  îa  ;   l'auteur  y  a  rangé  chronologiquement   tous   les   Grecs 


^38  REVUE    CRITIQIK 

qu'il  a  pu  dccdiivrir  poriant  le  imm  Je  Raoul  ou  Rhalis  (il  réclame  pour  le  nom 
l'onhographc  avec  une  seule  /},  ci  sur  lesquels  il  a  réuni  tous  les  renseignements 
possibles  puises  soit  dans  les  textes  publiés,  soit  dans  des  sources  manuscrites. 
IMusieurs  étaient  déjà  connus,  les  uns  par  leurs  alliances  avec  les  familles  impé- 
riales byzantines,  d'autres  par  leur  nMc  politique  ou  militaire,  quelques  autres 
encore  par  leurs  goûts  littéraires;  mais  il  serait  imprudent  de  vouloir  les  faire 
remonter  i\  une  souche  unique,  ci  la  plupart  n'ont  entre  eux  de  commun  que  le 
nom,  leurs  liens  de  famille  étant  inconnus  ou  indiscernables.  Ce  n'est  pas  là,  à 
proprement  parler,  une  monographie;  cependant  le  livre  a  sa  valeur  comme  con- 
tribution à  ia  prosopographie  byzantine  et  néogrccquc.  —  Mv. 

—  Dans  le  dernier  des  \olumes  de  VArcliiv  de  Wœlfliin  (XV,  1909,  p.  79), 
M.  Birt  avait  défendu  la  forme  etqitis  comrc  ecqtiis.  11  a  suggéré  ce  sujet  de  thèse 
à  l'un  de  ses  élèves  de  Marbourg  (Franc.  Guuenler  :  De  Ecquis  sive  etquis  pro- 
nominc  quaestiones  orthographicae,  108  p.  in-S").  M.  Gr.  croit  à  la  force  de 
démonstration  des  listes;  il  en  fournit  ici  de  très  précises  :  pour  chaque  passage, 
statistique  des  leçons  des  mss.  et  des  éditions;  à  la  fin, table  générale  et  relevé  des 
données  des  mss.  classés  suivant  leur  âge  et  leur  valeur;  appareil  sans  doute  très 
savant;  la  question  comportait-elle  ce  déploiement  d'érudition  :  Le  passage  est  si 
facile  de  ecquis  à  etquis  ou  réciproquement,  et  il  est  constaté  tant  de  fois,  aussi 
bien  dans  les  mauvais  mss.  que  dans  les  bons,  qu'on  est  assuré  de  n'aboutir  qu'à 
peu  de  chose.  Les  raisons,  tirées  de  la  métrique,  surtout  ce  qui  concerne  le  vers  de 
Lucrèce  (V,  i2i3,  p.  98  en  haut)  me  parait  sans  valeur,  les  mots  ecquae  sit  n'y 
formant  qu'un  seul  groupe.  —  Conclusion  :  Etquis  est  la  forme  primitive  et  nor-- 
maie;  elle  a  vieilli  assez  vite,  et  par  assimilation  est  devenue  ecquis.  Dans  l'écri- 
ture la  décomposition  {et  quis)  et  les  fautes  [liaec  quis)  se  sont  multipliées.  L'au- 
teur de  la  thèse  est  d'avis  qu'il  convient  de  conserver  ecquis  quand  la  tradition  le 
donne,  mais  d'écrire  etquis  quand  telle  est  la  forme  donnée  par  les  mss.  et  que  «  le 
mot  conserve  un  sens  à  la  fois  indéfini  et  interrogatif  ».  J"ai  bien  peur,  qu'avec 
cette  réserve,  nous  ne  soyons  embarqués  dans  des  embarras  sans  tin.  —  Pourquoi 
à  propos  du'Donat  cité,  p.  5i,  avoir  fait  la  confusion,  ou  tout  au  moins  laisser  le 
lecteur  confondre  Tibérius  Donat  avec  Ailius?  —  E'.  T. 

—  En  dehors  de  ses  articles  dans  les  Studi  storici  de  E.  Pais,  le  professeur 
Alberto  Pirro,  de  l'Université  de  Naples,  avait  déjà  donné,  sur  l'histoire  de  Naples 
ancienne,  deux  plaquettes  (Jovane,  Salerne,  igoS  et  1907)  Falero  e  Napoli,  et 
Palepoli  e  Napoli.  Il  revient  sur  le  sujet  :  Nuovo  Contributo  alla  Storia  e  Topogvafia 
di  Napoli  Greca  [chez  le  même  éditeur,  42  p.  in-S",  1912).  Les  travaux  de  salu- 
brité entrepris  dans  la  ville  nouvelle  ont  indirectement  servi  à  nous  faire  con- 
naître plus  clairement  le  plan  de  la  ville  ancienne.  Il  s'agissait  surtout  de  retrou- 
ver la  direction  des  longs  murs  montant  de  la  mer  à  une  porte  et  aux  murailles  de 
l'ancienne  ville;  disposition  par  laquelle  on  expliquait  le  nom  de  Phalères  qu'a 
donné  Lycophron  à  l'ancienne  Naples.  Comme  il  arrive  toujours  en  pareil  cas,  il 
s'agit  d'accorder  tant  bien  que  mal,  avec  le  résultat  des  fouilles,  les  hypothèses 
antérieures  des  savants.  M.  P.  croit  que  les  siennes  ont  été  confirmées  et  c'est  pour 
le  soutenir  qu'il  a  publié  sa  brochure.  —  E'.  T. 


AcADÉ.MiE  DES  l-NSCRiPTiONs  ET  BiiLLEs- LETTRES .  —  Séauce  du  3  mai  iqii.  — 
L'Académie  déclare  la  vacance  de  la  place  de  membre  ordinaire  naguère  "occupée 
par  M.  Philippe  Berger,  décédé.  —  L'élection  est  remise  après  Tété,  et  la  date  eii 
sera  tixée  uhérieurement. 

M.  Franz  Cumont,  correspondant  étranger,  commente  une  épiiaphe  métrique 
découverte  à  Madaure  en  Afrique.  Le  dernier  vers,  resté  inexpliqué,  souhaite  au 


d'histoire  et  de  littérature  439 

mort  de  gagner  le  «  séjour  des  âmes  pieuses  »  où  les  défunts  festoient  [dcciim- 
bunt).  Il  exprime  les  croyances  sur  la  vie  d'outre-tombe  répandues  par  les  mys- 
tères de  Bacchus  :  les  bienheureux  participaient  à  un  festin  éternel,  largement 
arrosé  de  vin.  —  MM.  Salomon  et  Théodore  Reinach  présentent  quelques 
observations. 

Le  P.  Scheil  annonce  que,  grâce  aux  indications  de  M.  Gustave  bchlumberger, 
il  a  pu  retrouver  la  tablette  inédite  qui  contient  le  plan  descriptif  du  grand 
temple  Esagii  de  Babylone.  Cette  tablette  avait  passé  un  instant  sous  les  yeux  de 
G.  Smith,  iors  de  son  dernier  voyage  en  Orient.  Après  ST)  ans  d'éclipsé,  elle  repa- 
raît. En  argile  brun  clair,  de  o  m.  18  de  haut  sur  o  m.  08  de  large,  avec  36  lignes 
de  face  et  ib  de  revers,  neuf  de  ses  paragraphes  sur  onze  contiennent  la  superficie 
-des  cours  et  sanctuaire,  le  nombre,  les  noms,  l'orientation  des  portes  et  chapelles, 
et  enfin  les  trois  dimensions  de  chacun  des  sept  étages  de  la  Tour  à  degrés  (sauf 
pour  le  6',  et  cette  lacune,  signalée  aussi  par  G.  Smith  dans  sa  relation  sommaire, 
prouve  que  c'est  bien  la  même  tablette  qu'il  a  examinée).  On  a  all'aire  à  une  copie 
exécutée  à  Ourouk  par  le  scribe  Kâ  bdsunu  d'après  un  exemplaire  de  Borsippa. 
On  sait  par  Pline  et  par  Strabon  que  les  derniers  foyers  d'études  en  Chaldée 
furent  précisément  Babylone,  Sippar,  Ourouk  et  Borsippa.  Le  temple  d'Esa^il, 
achevé  par  Nabuchodonosor,  menaçait  ruine  depuis  Xerxès.  Un  scribe  archéo- 
logue voulut  posséder  le  relevé  des  mesures  et  la  description  complète  du  monu- 
ment; ses  confrères  de  Borsippa  lui  en  fournirent  le  moyen,  en  l'année  83  du  roi 
Séleucus.  Mieux  qu'aucune  fouille,  cette  tablette  permettra  enfin  une  restitution 
scientifique  du  plan  d'un  des  édifices  les  plus  célèbres  du  monde. 

M.  Jullian  annonce  que  la  commission  du  concours  des  Antiquités  nationales,  a 
décerné  les  médailles  et  mentions  suivantes  : 

!'•<"  médaille  :  MM.  Jadart,  Demaison  et  Givelet,  Répertoire  archéologique  de 
l'arrondissement  de  Reims;  —  2^  médaille  :  M.  V.  Mortet,  Recueil  de  textes  relatifs 
à  l'histoire  de  l'architecture  ;  —  3''  médaille  :  M.  Sauvage,  L'abbaye  de  Saint-Mar- 
tin de  Troarn\  —  4"  médaille  :  M.  Vidal,  Benoit  XII;  lettres  communes. 

!■■«  mention  :  MM.  Chappée  et  Denis,  Archives  du  Cogner;  —  2°  mention, 
^L  Gadare,  Documents  sur  l'histoire  de  T Université  de  Toulouse;  —  3"  mention  : 
M.  Artonne,  Le  mouvement  de  i3i4  et  les  chartes  provinciales  de  i3i  5;^  ^^  men- 
tion :  M.  \'erlagnet,  Cartulaire  de  Silvanès ;  —  3^  mention  :  M.  Legras,  Le  bour- 
gage  de  Caen. 

M.  CoUignon  donne  lecture  du  rapport  de  |a  commission  du  prix  Prost,  qui  a 
décerné  les  récompenses  suivantes  : 

I»  5oo  fr.  à  M.  Gavet,  pour  le  Diarium  Universitatis  Mussipontanae  (1572- 
,-(3^^):  _  2^  5oo  fr.  à  la  Bibliographie  lorraine  publiée  par  les  Annales  de  l'Est  de 
Nancy,  sous  la  direction  de  M.  Robert  Parisot;  —  3°  200  fr.  à  la  revue  Le  Pays 
lorrain  et  à  la  revue  La  Lorraine  illustrée,  publiées  sous  la  direction  de 
M.  Charles  Sadoul. 

M.  Antoine  Thomas,  d'après  une  communication  de  M.  le  D''  R.  L.-G.  Ritchie, 
maître  de  conférences  à  l'Université  d'Edimbourg,  annonce  la  découverte,  dans  la 
Bibliothèque  universitaire  de  cette  ville,  de  deux  feuillets  de  parchemin  retirés 
d'une  reliure,  qui  sont  le  seul  débris  conservé  d'un  poème  en  langue  d'oïl  sur  Phi- 
lippe Auguste,  inconnu  jusqu'ici  des  historiens.  Les  feuillets  ne  se  suivent  pas  : 
le  premier  contient  128  vers  (octosyllabes  accouplés  deux  à  deux)  relatifs  aux 
suites  immédiates  de  la  bataille  de  Bouvines;  le  second,  qui  a  un  vers  de  plus, 
raconte  les  événements  qui  amenèrent  Louis,  fils  de  Philippe-Auguste,  à  renoncer 
définitivement  à  la  couronne  d'Angleterre.  M.  Ritchie  a  établi  que,  pour  la  plus 
grande  partie,  ces  deux  fragments  n'étaient  qu'une  versification  servile  de  la  chro- 
nique CM  prose  de  Guillaume  le  Breton,  mais  M.  Thomas  fait  remarquer  que  les 
conclusions  de  M.  Ritchie  ne  s'appliquent  pas  à  la  fin  du  deuxième  fragment,  où 
le  poète  parle  des  relations  personnelles  de  Philippe-Auguste  avec  le  régent  d'An- 
gleterre, Guillaume  le  Maréchal,  d'une  manière  tout  à  fait  indépendante  de  sa 
source  ordinaire  et  de  toutes  les  sources  connues.  Cette  constatation,  qui  aug- 
mente l'intérêt  de  la  trouvaille  faite  à  Edimbourg,  ne  peut  qu'aviver  les  regrets 
que  cause  la  disparition  du  poème  entier. 

M.  Paul  Foucart  achève  la  lecture  d'un  mé-moire  qu'il  a  rédigé,  en  collaboration 
avec  M.  Georges  Foucart,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres  d'Aix-Marseille,  sur 
les  drames  mythiques  d'Eleusis.  Lors  des  Grands  Mystères,  on  représentait  dans 
l'enceinte  du  temple,  où  les  initiés  seuls  avaient  accès,  deux  épisodes  de  la_  vie  de 
Déméter  :  le  rapt  et  le  retour  de  Coré  et  le  mariage  sacré  de  Zeus  et  de  Déméter. 
Ces  représentations  n'avaient  rien  de  commun  avec  l'art  scéniquc  ;  les  rôles 
n'étaient  pas  joués  par  des  acteurs,  mais  par  les  prêtres  portant  le  costume  des 
dieux  et  les  identifiant.  C'était  moins  un  spectacle  qu'un  acte  liturgique.  Les  expli- 
cations proposées  jusqu'ici  ne  sont  pas  satisfaisantes.  On  comprendra  mieux  la 
portée  de  ces  cérémonies  en  les  rapprochant  des  drames  liturgiques  qui  tenaient 
une  très  grande  place  dans  la  religion  des  Egyptiens.  Dans  leurs  croyances,  les 
dieux  bons,  protecteurs  de  l'Egypte,  qui  vivaient  dans  le  ciel,  y  étaient  en  lutte 
avec  les  esprits  mauvais.  Ils  triomphaient  de  leurs  ennemis,  et  alors  l'abondance 


4^.0  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE     LITTÉRATURE 

et  l'ordre  rcpnaicni  dans  la  vallée  du  Nil.  Mais  les  elTets  de  leur  victoire  allaient 
s'alVaiblissaiir,  et  il  était  nécessaire  de  les  renouveler,  l-cs  prêtres  crurent  qu'en 
reproduisant  dans  certaines  cmiditions  ce  qui  s'était  passé  aux  temps  mytholo- 
giques, ce  qui  se  passait  sur  terre  devait,  grâce  aux  influences  magiques,  se  réper- 
cuter dans  le  ciel  et  entraîner  le  succès  des  dieux  bons,  qui  assurait  la  prospé- 
rité de  ri'"gyptc.  S'inspirani  de  cet  exemple,  les  fondateurs  des  mystères  prescri- 
virent de  repéter  à  MIeusis  les  deux  actes  accf)mplis  par  i)cmétcr  :  sa  venue  à 
ICIeusis  et  son  union  avec  /.eus.  Si  les  rites  avaient  été  soia-ncusement  observés, 
l'effet  infaillible  était  de  renouveler  pour  un  nouveau  cycle  les  deux  bienfaits  accor- 
dés par  la  déesse  :  l'abondance  et  l'initiation.  —  MM.  Salomon  Reinach,  Maurice 
Croisct  et  Mouché-Lcclercq  présentent  quelques  observations. 

ACADKMIF.     DES    iNSCRtPTIONS   ET    BkI.I.KS-I  .KTTRIvS.    —  SéaUCC    dit    10    mai    If)I2.   —    ' 

M.  Henri  (2ordier  communique  une  lettre  de  M.  de  Gironcourt,  datée  de  Kidal, 
2  mars  191  2.  .\1.  de  Gironcourt  annonce  qu'il  a  procédé  à  l'exploration  du  Tilemsi 
et  de  son  rebord  occidental  pour  tenter  de  reconnaître  l'aire  d'extension  des  ins- 
criptions dont  il  a  récemment  signalé  l'existence  à  l'Académie.  Dans  cette  vallée, 
il  a  relevé  trois  nécropoles  possédant  quelques-unes  des  pierres  qu'il  étudie,  ana- 
logues comme  matière  et  gravure  à  celles  du  Niger,  mais  où  la  forme  des  carac- 
tères est  moins  parfaite  et'dont  l'usure  superficielle  est  plus  prononcée.  A  l'Ouest, 
il  a  encore  trouvé  quelques  pierres  gravées,  mais  plus  grossières.  Plus  au  N.,  il  a 
rencontré,  sur  des  sépultures  à  enceinte  ovalaire,  quelques  stèles  inscrites  ;  là  aussi, 
il  a  trouvé  de  nombreux  dessins  et  écritures  tifinar.  Il  est  actuellement  auprès  des 
entassements  de  granit  répandus  sur  l'Adrar  (au  point  de  vue  épigraphique,  des- 
sins d'animaux  et  légendes  tifinar  sans  grand  intérêt),  et  il  espère  découvrir 
quelques  nécropoles.  Une  première  journée  a.  Adrar  lui  a  déjà  permis  de  relever 
une  douzaine  de  stèles  assez  mal  gravées. 

Le  P.  Scheil  annonce  que  M.'Stcphen  Langdon,  professeur  d'assyriologic  _à 
Oxford,  a  découvert,  parmi  les  documents  de  NilTer  qu'il  vient  d'étudier  au  Musée 
impérial  de  Gonstantinople,  une  belle  tablette  contenant  toute  la  section  des  lois 
sur  la  famille  du  Code  de  Hammurabi.  I>a  suscription  est  ainsi  conçue  :  Quatrième 
grande  tablette  du  texte  biu  Anu  Sirum  (c'est  la  f''  ligne  du  Code  et  son  titre), 
transcrit  et  révisé  par  le  scribe  Bêlibni,  époque  de  Samstc  iluna  fils  de  Hammurabi. 
Au  lieu  que  les  fragments  de  duplicata  connus  jusqu'ici  sont  dûs  à  Assurbanipal  et 
à  son  dilettantisme  archéologique,  cette  nouvelle  copie  est  contemporaine  de  Ham- 
murabi m-^me  et  constitue  une  preuve  palpable  de  la  diffusion  du  Code  par  l'ar- 
gile, afin  que  tout  Babylonien  pût  être  censé  connaître  la  loi. 

M.  Louis  Havet  traite  du  muv  putus,  «  petit  garçon  »,  qui  est  connu  par  des  glos- 
saires et  que  Scaliger  a  restitué  dans  un  vers  du  Catalcpton  virgilien.  Il  restitue 
lui-môme  ce  mot  dans  le  prologue  des  Mùncchmes  de  Plante,  vers  40  [puto  au  lieu 
de  huic),  et  son  diminutif  dans  un  vers  des  Silves  de  Stace  [putulos  au  lieu  de 
fumilos). 

M.  François  Thureau-Dangin  lit  la  traduciion  d'une  inscription  cunéiforme  qui 
relate  l'expulsion  des  Gouti,"  peuple  qui,  d'après  un  texte  étudié  par  le  P.  Scheil, 
avait  envahi  la  Babylonie  vers  le  milieu  du  troisième  millénaire.  Le  libérateur  de 
la  Babylonie  a  noin  Outou-Khegal;  il  capture  le  roi  des  Gouti,  Tirigam,  et  fonde, 
une  dynastie  dont  le  siège  est  Érech.  Cette  nouvelle  dynastie  prend  rang  avant  la 
dynastie  d'Our  et  comble  une  lacune  dans  la  série  des  dynasties  babyloniennes. 

M.  Adrien  Blanchet  expose  les  événements  qui  amenèrent  la  proclamation  de 
Postume,  fondateur  en  238  p.  C.  d'un  empire  gaulois  qui  eut  16  années  d'exis- 
tence. Postume  avait  été  salué  empereur  par  ses  soldats  à  la  suite  d'une  victoire 
sur  les  Francs  qui  venaient  de  piller  plusieurs  villes  romaines  des  bords  du  Rhin. 
Cette  révolte  militaire  se  produisit  lorsque  Postume  harangua  ses  troupes  au  sujet 
du  butin,  qui  était  réclamé  par  Silvanus,  gouverneur  de  Cologne,  au  nom  de  l'em- 
pereur Gallien.  Des  médaillons  de  bronze  de  Postume,  inexpliqués  jusqu'ici, 
représentent  la  scène  !de  l'allocution;  ils  peuvent  être  considérés  conime  les 
premiers  monuments  relatifs  aux  Francs,  qui  venaient  de  faire  leur  apparition 
dans  l'histoire. 

M.  Pottier  lit  une  note  de  M.  Albertini,  membre  de  l'Ecole  française  d'Espa- 
gne, sur  un  lion  ibérique  conservé  au 'Musée  de  Madrid  et  trou\'é  dans  la  province 
de  Cordoue.  Cette  note  fait  ressortir  le  caractère  héraldique  et  oriental  de  cette 
sculpture  qui  s'ajoute  à  la  série  déjà  connue  des  monuments  de  l'Espagne  préro- 
maine étudiés  par  M.  Pierre  Paris  dans  son  ouvrage  sur  V Espagne  primitive. 

M.  Morel-I''atio  annonce  que  la  commission  du  prix  de  Lagrange  a  décidé  de  ne 
pas  décerner  le  prix  cette  année. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 

Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 

N»  23  —  8  juin  —  1912 


Ununad,  Grammaire  hébreue  et  Introduction  à  la  lecture  de  l'Ancien  Testament. 
—  E.  de  Marsay,  Les  livres  d'ICsthcr  et  de  Judith.  —  Fiebig,  Histoire  de  la  reli- 
gion et  philosophie  de  la  rciii;iL)n;  Ethique;  Les  prophètes.  —  Zurhellen,  La 
religion  des  prophètes.  —  Boxai.:.,  L'évolution  de  la  science  et  de  la  religion. — 
\'ai.knsin,  .lésiijS-Christ  et  l'étude  comparée  des  religions.  —  Vacandard,  Etudes 
de  critic]ue  et  d'histoire  religieuse,  111.  —  Tixeront,  Histcjirc  des  dogmes  dans 
l'antiquité  chrétienne,  111.  —  Fucns,  Révélation  et  évolution.  —  Hunzinoer,  Le 
miracle.  —  Troelisch,  La  perfection  du  christianisme.  —Navarre  et  Vai.entin, 
Les  chefs-d'œuvre  de  la  littérature  grecque.  —  Nassal,  Denys  d'Halicarnasse  et 
Cicéron.  —  Xénophon,  Scripla  minora,  p.  Thalheim  et  Rûhl.  —  G.  Michaut., 
Histoire  de  la  comédie  romaine,  1.  —  Stout,  Les  gouverneurs  de  Mésie.  — 
Grikfith,  Sir  Perceval.  —  Toldo,  Les  sources  et  imitations  des  Fables  de  la 
Fontaine.  —  Driault,  .\usterlit7.  et  la  fin  du  Saint-Empire.  —  Book,  Etudes 
critiques.  —  Wickman,  M'""  de  Staël  et  la  Suède.  —  Académie  des  Inscriptions. 


Hebraische    Grammatik,   von   A.   Ungnad.   Tûbingen,    Mohr,    1912;    in-8,    xii- 

201  pages. 
Praktiscne   Einfûhrung  in  die  hebraische  Lekture  des  Alten  Testaments, 

von  A.  Ungnad.  Tûbingen,  Mohr,  1012;  in-8,  iv-63  pages. 

Ces  deux  ouvrages  se  complètent  l'un  l'autre.  Tous  les  deux 
attestent,  avec  la  science  de  leur  auteur,  son  expérience  de  l'enseigne- 
ment. Tous  les  deux  sont  exempts  de  prétentions.  Il  s'agit  de  livres 
qui  veulent  enseigner  l'hébreu  à  des  étudiants  qui  l'ignorent.  Pas  de 
grammaire  comparée  des  langues  sémitiques;  pas  d'hypothèse  sur  les 
origines  lointaines  et  les  rapports  de  ces  langues.  Exposé  clair,  bien 
ordonné,  de  la  phonétique  et  de  la  morphologie  hébraïques.  La  gram- 
maire est  aussi  complète  qu'elle  pouvait  l'être  étant  donnée  sa  desti- 
nation. Le  livre  d'exercices  lui  est  coordonné;  il  sera  surtout  utile  à 
ceux  qui  voudraient  apprendre  l'hébreu  sans  maître,  parce  qu'il  leur 
permettra  d'aborder  tout  de  suite  le  texte  biblique,  de  s'initier  au 
vocabulaire  tout  en  taisant  de  la  grammaire  appliquée,  de  trouver 
intérêt  dès  le  début  à  une  étude  dont  l'aridité  se  trouve  ainsi  atténuée 

très  heureusement. 

A.  L. 

De  l'authenticité  des  livres  d'Esther  et  de  Judith,  par  E.  de   Marsay.  Paris, 

Geuthncr,   191  i  ;  in-8,  41  pages. 

Peut-être  est-il  un  peu  tard  pour  venir  au  secours  d'Esther  et  de 
Judith,  M.  de  Marsay  y  apporte  son  érudition  et  sa  bonne  volonté. 

Nouvelle  série  LXXIJI  «3 


442  REVUE    CRITIQUE 

Le  point  de  dopait  do  s(in  plaidoyer  en  faveur  d'Esther  est  un  peu 
inquiétant  :  «  Si  ce  livre  est  faux,  comment  expliquez-vous  et  son 
existence  et  la  fête  »  de  Pourcim?  —  Ce  qu'il  y  a  de  clair  ici  est  pré- 
cisément que  le  récit  a  été  conçu  en  explication  de  la  fête;  les  légendes 
de  ce  genre-là  pullulent  dans  Thisioire  des  religions.  La  fêle  de 
Pourcim  a  existé  avant  la  légende;  fête  païenne  adoptée  par  les  Juifs; 
légende  païenne  aussi  probablement,  adaptée  à  la  fête  devenue  juive. 
Le  seul  embarras,  dans  rinsuHisancc  de  notre  information,  est  de 
déterminer  l'origine  et  le  sens  de  la  fête  et  du  mythe  païens,  d'où 
procèdent  la  fête  et  la  légende  juives.  Pour  sauver  Esther,  M.  de  M. 
la  mutile  :  Elsther  n'aurait  été  qu'une  concubine  d'Assuérus.  Le  texte 
dit  qu'elle  était  «  reine  ».  A  quoi  bon  estropier  ce  conte  pour  en  tirer 
une  histoire  qui  ne  sera  jamais  vraisemblable?  —  L'histoire  de  Judith 
se  serait  passée  au  temps  des  Juges,  quand  les  Israélites  obéissaient  à 
«  un  grand  prêtre  ».  Inutile  d'insister. 

A.  L. 


Religionsgeschichte    und   Religionsphilosophie,   von    P.    Fiebig.    Tûbingcn, 

Mohr,  19  12;  in- 12,  44  pages. 
Ethik,  von  P.  Fiebig.  Tiibingen,  Mohr,  1912;  in- 12,  36  pages. 
Die  Propheten,  von  P.  Firhig.  Tûhingen,  Mohr,  191  i  ;  in-12,  20  pages. 
Die  Religion  der  Propheten,  von  O.  Zurhei.len.  Tûbingcn,  Mohr,  191 1  ;   in-12, 

104  pages. 

Les  petits  volumes  de  M.  Fiebig  ressemblent  quelque  peu  à  des 
catéchismes;  ils  sont  destinés  au  grand  public  ei  aux  élèves  des  écoles 
supérieures.  Celui  qui  concerne  l'histoire  et  la  philosophie  générale 
des  religions  est  substantiel  et  clair.  L'exposé  historique  est  très 
sommaire,  généralement  exact.  On  peut  contester  cependant  que  le 
totémisme  soit  un  trait  commun  des  cultes  primitifs;  il  est  vrai  que 
M.  P.  confond  le  totémisme  avec  le  culte  des  animaux;  mais  cette 
circonstance  ne  fait  qu'aggraver  son  erreur.  Dans  le  paragraphe  con- 
cernant «  la  religion  des  Grecs  ei  des  Romains  »,  il  n'y  a  pas  une  ligne 
pour  l'ancienne  religion  de  Rome.  M.  F.  a  une  conception  toute 
psychologique  de  la  religion,  qu'il  se  représente  à  peu  près  comme 
la  catégorie  de  l'idéal,  mais  un  idéal  gros  de  réalité.  Il  montre  ou 
du  moins  il  affirme  la  supériorité  du  christianisme  sur  toutes  les 
autres  religions,  et  celle  du  protestantisme  libéral  sur  toutes  les 
autres  formes  du  christianisme.  Mais  le  protestantisme  libéral  est 
jusqu'à  présent  quelque  chose  d'assez  mal  défini.  Cette  philosophie 
de  la  religion  est  une  profession  de  foi. 

M.  F.  n'hésite  pas  à  esquisser  l'histoire  de  la  moralité  humaine 
depuis  les  origines;  mais  il  s'en  tient  aux  lignes  extérieures  et  n'arrive 
pas  toujours  à  être  clair.  Il  renvoie  en  note  une  observation  qui 
aurait  dû  être  le  point  de  départ  de  son  exposé  :  religion  et  morale 
sont  étroitement  liés  chez  les  primitifs,  et  les  tabous  ont  la   même 


d'histoire    Et    DE    LITTÉRATURE  .    44^ 

autoritc  que  les  préceptes  moraux.  Peut-être  faudrait-il  dire  que  les 
uns  et  les  autres  no  se  distinguent  pas  et  que  la  morale  primitive  se 
définit  surtout  dans  les  tabous.  La  morale  de  Jésus  est  présentée  avec 
les  atténuations  et  interprétations  coutumières  du  protestantisme 
libéral.  Après  l'histoire  vient  la  critique  sommaire  des  divers  systèmes 
d'éthique,  puis  l'exposé  très  logiquement  déduit  d'un  système  d'idéa- 
lisme moral  qui  est  d'une  haute  inspiration,  la  partie  essentielle  et 
la  meilleure  de  ce  petit  traité. 

Ce  que  M.  F.  dit  des  prophètes  israélites  est  moins  bien  ordonné. 
Série  de  notes  où  l'auteur  s'est  attaché  à  taiie  ressortir  les  principaux 
enseignements  et  le  caractère  des  prophètes.  Les  notices  commencent 
avec  Samuel  sans  qu'il  ^oii  rien  dit  des  origines  plus  ou  moins  pro- 
bable de  l'institution   prophétique  en   Israël. 

M.  Zurhellen  apporte  une  série  d'homélies  sur  les  prophètes,  qui  se 
résument  dans  cette  idée  :  le  règne  de  Dieu  est  le  sens  plus  profond  de 
toute  l'évolution  terrestre  et  de  toutes  les  luttes  humaines.  Là  est  bien 
l'idée  fondamentale  du  prophétisme  Israélite,  et  M.  Z.  en  fait  valoir 
avec  beaucoup  d'éloquence  les  différents  aspects.  Par  ailleurs,  son 
livre  échappe  à  notre  compétence. 

A.  L. 


L'évolution  de  la  science  et  de  la  religion,  par   G.  E.    Boxall.   Paris,  Fisch- 

bacher,   kjii  ;  in-12,  xiii-3(jo    pages. 
Jésus-Christ   et    l'étude    comparée    des    religions,   par   A.    Valensin.    Paris, 

LecotîVe.   1912;  229  pages. 
Etudes  de  critique  et  d'histoire  religieuse,  par  E.Vacandard.  Troisième  série. 

Paris,  Lecortre,  1912  ;  in-12,  878  pages. 

Peut-être  n'était-il  pas  urgent  de  traduire  en  français  l'ouvrage  de 
M.  Boxall.  L'auteur  a  des  clartés,  clartés  un  peu  troubles,  sur  toutes 
sortes  de  choses,  et  il  les  produit  en  une  série  de  chapitres  qui  ne  sont 
guère  mieux  coordonnés  entre  eux  qu'ils  ne  sont  en  eux-mêmes  régu- 
lièrement construits  :  les  origines  du  roi  et  du  prêtre,  le  développe- 
ment du  cerveau,  premières  notions  religieuses,  origines  de  la  civili- 
sation, la  race  blonde  et  la  race  brune,  les  théories  de  la  création, 
genèse  du  christianisme,  etc.  Une  critique  de  détail  ne  conduirait  à 
rien  moins  qu'à  écrire  une  encyclopédie.  Pour  donner  une  idée  de  ce 
livre  un  peu  incohérent,  citons-en  quelques  petits  morceaux.  «  Si  la 
science  est  vraie,  la  religion  de  nos  pères  doit  disparaître,  car  elle 
est  en  contradiction  avec  les  lois  naturelles  qui  doivent  servir  de  base 
à  la  religion  nouvelle  »  (préface,  p.  xm).  «  Jésus  était  très  avancé  sur 
son  siècle  et  avait  une  connaissance  profonde  de  la  nature  humaine  » 
(p.  289).  «  Une  des  nécessités  les  plus  urgentes  est  la  transformation 
des  lois  du  mariage  et  de  celles  qui  concernent  la  propriété,  ainsi  que 
de  celles  qui  règlent  les  rapports  des  sexes.  De  nouvelles  lois  devraient 
être  projetées  par  d'habiles  physiciens,  physiologistes,  sociologues  et 


444  REVUE    CRITIQUE 

les  savants  qui  étudient  la  nature  humaine  »  (p.  294).  A  quand  ce  con- 
cile qui  fondera  «  la  religion  nouvelle  »? 

Les  conférences  de  M.  Valensin  sont  une  œuvre  dogmatique  et  apo- 
logétique dont  il  serait  inutile  de  discuter  les  conclusions.  Le  ton  de 
l'auteur  est  très  modéré  ;  la  critique  doit  donc  lui  être  indulgente.  Sa 
thèse  générale  est  que  l'échec  du  syncrétisme  païen  et  le  triomphe  du 
christianisme  prouvent  la  transcendance  absolue  et  la  vérité  de  celui- 
ci,  la  fausseté  radicale  de  celui-là.  Question  mal  posée.  Le  christia- 
nisme aussi  est  à  sa  manière  un  syncrétisme,  mélange  d'éléments  juifs 
et  d'éléments  païens,  avec  une  certaine  prédominance  des  premiers 
dans  l'économie  interne  de  la  foi  et  dans  l'organisation  sociale  des 
croyants.  La  puissante  originalité  de  ce  syncrétisme  et  son  esprit 
exclusif  lui  ont  permis  de  vaincre  le  syncrétisme  bâtard,  tiottant,  inor- 
ganique, des  cultes  païens.  M.  V.  est  assez  bien  informé.  Son  horizon 
a  la  largeur  que  sa  théologie  lui  permet  d'avoir. 

Toujours  bien  documentées,  les  «  études  »  de  M.  Vacandard  sont 
d'une  critique  éveillée,  généralement  sûre,  tant  qu'un  dogme  de 
l'Eglise  ne  vient  pas  à  la  traverse.  Des  quatre  morceaux  qui  consti- 
tuent la  «  troisième  série  »,  le  dernier,  sur  la  question  du  meurtre 
rituel  chez  les  Juifs,  est  peut-être  le  meilleur.  Le  sujet  n'est  pas  neuf,  et 
M.  V.  ne  se  flatte  pas  d'avoir  eu  grand  mérite  à  découvrir  que  cette 
accusation  du  meurtre  rituel  n'a  aucun  fondement;  mais  la  question 
est  bien  posée,  bien  déduite,  et  la  psychologie  des  accusateurs  est  bien 
saisie.  La  première  dissertation  a  pour  objet  l'origine  des  fêtes  de 
Noël  et  de  l'Epiphanie.  Il  ne  semble  pas  que  M.  V.  oppose  des  rai- 
sons très  solides  à  l'opinion  de  M.  Duchesne  touchant  la  manière 
dont  on  aura  déduit  la  date  du  25  décembre,  pour  la  nativité,  de  celle 
du  25  mars,  admise  pour  la  passion  du  Christ.  La  date  de  la  passion 
était  la  plus  facile  à  fixer  d'abord  en  partant  de  la  donnée  de  Luc,  m, 
I,  et  des  indications  évangéliques  concernant  les  derniers  jours  de 
Jésus;  le  25  mars  aurait  été  choisi  à  cause  de  sa  co'incidence  avec 
l'équinoxe  officiel  du  printempset  parce  quec'étair,  croyait-on,  l'anni- 
versaire de  la  création  du  monde.  Peut-être  convient-il  d'ajouter  que 
c'était  le  terme  du  deuil  d'Attis  et  l'anniversaire  de  sa  résurrection. 
Dans  sa  seconde  dissertation,  sur  le  culte  des  saints,  M.  "V.  polémise 
contre  M.  P.  Sainiyyes  {Les  saints  successeurs  des  dieux;  Paris,  1907), 
et  l'on  peut  dire  qu'il  a  raison,  dans  une  certaine  mesure  et  en  géné- 
ral, non  tout  à  fait  contre  la  thèse  de  M.  S.,  mais  contre  la  fausse  per- 
pective  où  celui  l'a  placée,  semblant  oublier  que  la  plupart  des  per- 
sonnages honorés  par  l'Église  ont  existé  et  que  leur  culte  n'est  pas  un 
simple  transfert  de  rites  païens  à  des  noms  chrétiens  ou  christianisés. 
Mais  si  la  thèse  de  M.  S.  prête  à  certaines  critiques,  celle  de  M .  V. 
pourrait  bien  être  contestable  aussi,  et  même  en  son  principe.  Le  culte 
des  martyrs,  des  reliques,  des  images,  n'a  pas  été,  généralement  par- 
lant, un  emprunt  direct,  brutal,  systématique,  aux  cultes  païens;  mais 


IC 

c 
m 


d'hisioirk   i-:t   dl   littkraturk  445 

il  procède  d'une  mentalité  analogue  à  celle  qui  soutenait  ces  cultes, 
—  il  n'y  a  pas  plus  lieu  d'en  faire  grief  au  christianisme  que  de  nier 
ce  qui  est  évident;  —  et  celle  mentalité  est  aussi  ancienne  que  la  pré- 
dication de  l'Évangile  dans  le  monde  païen;  c'est  elle  qui  a  fait  le 
chrisiianisme  en  créant  d'abord  le  culte  et  la  divinité  de  Jésus.  Les 
textesque  M.  V.  ciie  avec  le  plus  de  contiance  sont  décisifs  contre  lui. 
Il  allègue,  par  exemple  (p.  182),  Jean  Damascène  :  «  Les  saints  étaient 
remplis  de  l'Esprit  divin.  Après  leur  mort,  cette  grâce  demeure  atta- 
chée non  seulement  à  leur  âme,  mais  à  leur  corps  enseveli  dans  le  tom- 
beau, à  leurs  saintes  images.  »  Cette  vertu  divine  inhérente  aux  reli- 
ques, aux  noms,  aux  images,  est-elle  chose  si  différente  du  paganisme 
c  plus  vulgaire?  Il  serait  enfantin  de  se  représenter  le  christianisme 
omme  un  énorme  et  heureux  plagiat  des  cultes  qu'il  a  supplantés; 
ais  c'est  se  faire  aussi  une  très  fausse  idée  de  son  caractère  que  de 
se  le  figurer  comme  ne  devant  rien  à  ce  qui  l'a  précédé,  ne  ressem- 
blant à  rien,  transcendentalement  supérieur  à  tout.  Quelque  équivoque 
se  remarque  aussi  dans  la  troisième  étude,  sur  Timmaculée  conception 
de  Marie.  On  a  d'abord  fêté  la  conception  comme  telle,  sans  penser 
plus  loin,  en  tant  qu'événement  heureux  pour  l'humanité;  les  Grecs, 
qui  célébrèrent  cette  fête  les  premiers,  s'inquiétant  fort  peu  du  péché 
originel,  trouvaient  tout  naturel  d'honorer  la  conception  de  la  mère 
de  Dieu.  En  Occident,  la  théorie  augustinienne  du  péché  originel 
ne  pouvait  manquer  de  faire  objection,  objection  théologique  à 
laquelle  les  théologiens  trouvèrent  moyen  de  répondre.  M.  V.  a  l'air 
de  raisonner  comme  si  la  croyance  à  l'immaculée  conception  avait  été 
clairement  impliquée  dans  la  fête.  Visiblement,  la  fêle  de  la  conception 
a  existé  d'abord,  et  c'est  la  fête  qui  suscita,  qui  nécessita  en  quelque 
manière  la  croyance  à  la  conception  immaculée;  la  théologie  dut 
suivre  et  servir  la  dévotion. 

Alfred    Loisy. 

J.  TixERONT,  Histoire  des  Dogmes  dans  l'antiquité  chrétienne.  111.  La  fhi 
de  l'dge patiistiqiie  (430-480),  in-12,  583  pp.  Paris,  Gabalda,  1912.  Prix  3  fr.  5o 
(Bibliothèque  de  renseignement  de  l'histoire  ecclésiastique). 

Le  dernier  volume  de  l'histoire  des  dogmes  de  M.  Tixeront  res- 
semble à  ses  deux  aînés.  L'auteur  se  reconnaît  et  s'oriente  fort  bien 
dans  le  dédale  parfois  très  compliqué  du  nestorianisme,  du  mono- 
physisme  et  du  monothélisme,  du  semipélagianisme  et  de  l'adoptia- 
nisme,  qu'il  a  particulièrement  étudiés,  ainsi  que  dans  celui  des  diffé- 
rents dogmes  ecclésiatiques  qu'il  passe  également  en  revue.  Il  vise  à 
éire  exact  et  objectif  dans  la  mesure  du  possible  et  il  fait  ainsi  mainte 
observation  qu'une  orthodoxiemoins  attachée  aux  textes  eût  évitée.  Il 
constate  par  exemple  que  Nestorius  «  proclame  sincèrement  l'unité 
personnelle  de  J.-C.  »;  qu'on  comprendrait  imparfaitement  les  attaques 
dirigées  contre  lui  «  si  l'on  ne  tenait  compte,  en  même  temps  que  des 


^.^ô  REVUE    CRITIQtJE 

divergences  doctrinales,  de  l'antipathie  violente  qui  divisait  les  deux 
partis    en    présence    »;   que   la  C(jncepiion    ci   le    langage  de   Cyrille 
«  n'étaient   pas  sans  défauts   »;   tjue    chez   Ini   riuinianiic    du   Christ 
paraît  «  effacée  et  comme  sacrifiée  »;  qu'à  s'en  tenir  aux  «  mots  »  il 
est  monophysite;  que  la  doctrine  christologique  de  Sévère  d'Antioche, 
le  principal  représentant  du  monophysisme,  se  borne  à  "  reproduire 
en  en  précisant  certains  traits  w  celle  de  l'évêque  d'Alexandrie;  que  la 
question  des  Trois   chapitres   fut  une   «   malheureuse  affaire  »,  où  la 
théologie  des  Antiochicns,    reçue  à  Chalcédoine,   «  paya  les  frais  du 
rapprochement  »;  que  certaines  des  théories  de  saint  Augustin,  «  celle 
de  la  distribution  de  la  grâce,  par  exemple,  et  celle  de-  la  prédestina- 
tion, étaient  bien  trop  violentes,  au  moins  dans  leur  expression,  pour 
ne  pas  soulever  de  légitimes  répugnances  »;    que  l'évêque  d'Hippone 
«  avait  admis  la  prédestination  absolue,  ante  praevisa  mérita  vel  démé- 
rita, soit  pour  les  élus  soit  pour  les  réprouvés  »;   qu'encore  dans  la 
dernière  période  de  l'âge  patristique  la  liste  des  sacrements  comprend 
simplement  le  baptême,  la  confirmation  et  l'eucharistie;  que  l'organi- 
sation  de    la    pénitence  privée,   dont    on   rencontre    en    Occident  les 
«  premiers  vestiges  »  chez  saint  Augustin,  fut  «   ébauchée  çà  et  là   » 
dans  le  courant  des  v^  et  vi^  siècles  et  vient  en  très  grande  partie  de 
pratiques  monacales;  qu'à  cette  époque  rextrême-onction  se  présente 
simplement  comme  un  «  usage  reçu   »;   que  l'ordre  est  en  beaucoup 
d'endroits  réitéré  à  ceux  qui  l'ont  reçu  des  hérétiques;  que  le  mariage 
est  «  ordinairement  bénit  par  l'Eglise  »  sans  qu'il  y  ait  sur  ce  point  de 
loi  absolue  et  formelle  »,  Malgré  tout  le  théologien  se  montre  cons- 
tamment  à  côté   de   l'historien  et   l'amène  à  prendre  parti  pour  les 
doctrines    qui    ont   prévalu  contre  celles  qui  ont  été  condamnées,   à 
forcer  pour  cela  le  sens  de  certains  textes  et  à   affaiblir  celui  de  cer- 
tains autres.   M.   Tixeront   déploie   en  ce    genre  d'apologétique  une 
habileté    d-iscrète   qui    atténue  la   portée    des  constatations   les    plus 
gênantes.  Nestnrius  «  proclame  >>  bien  l'unité  personnelle  du  Christ, 
mais  «  il  n'en  a  pas  l'intelligence  vraie  et  profonde  »;  Cyrille  einploie 
bien  le  langage  des  Monophysites,  mais  s'il  ne  s'accorde  pas  «  verba- 
lement »  avec  le  concile   de  Chalcédoine,  «  on  ne  peut  du  moins  lui 
reprocher  d'être  avec  lui  en  désaccord  de  pensée  «;  les  Monophysites 
sévériens  restaient   fidèles  à  son  enseignement,  mais  «  l'histoire,  en 
admettant  qu'ils  pensaient  juste,  est  bien  obligée   de   regretter  leur 
entêtement  et  leur  rébellion  »;  Augustin  a  soutenu  des  doctrines  trop 
violentes  «  au  moins  dans  leur  expression  »,  et  en  particulier  la  pré- 
destination absolue,  mais  il  sauvegarde  «  l'essentiel  des  droits  de  la 
nature  »  et  son  enseignement  a  un   «   caractère    largement  humain  »; 
saint  Grégoire  fait  preuve  dans  ses  Dialogues  d'une  crédulité  extrême, 
mais  il  ne  faut  voir  là  que  «  l'honnête  délassement  d'un  esprit  fatigué 
des  affaires  »;  le  pape  Gélase  dit  en  propres  termes  de  l'eucharistie  : 
«  Esse  non  desinit  substantia  vel  natura  panis  et  vini  »,  mais  ces 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  447 

paroles  «  peuvent  s'excuser»,  si  l'on  remarque  qu'il  «  transcrit  sim- 
plement dans  un  ouvrage  de  polémique  et  sans  y  prendre  garde  (!)des 
considérations  qui  ne  sont  pas  siennes».  Avec  de  pareils  procédés 
d'interprétation  il  n'est  pas  de  théologien  qu'on  ne  puisse  à  son  gré 
tirer  à  l'orthodoxie  ou  faire  verser  dans  l'hérésie;  seulement  il  n'y  a 
plus  alors  d'histoire  véritable.  Le  livre  de  M.  Tixerontest  plutôt  une 
apologie  historique  du  dogme,  et  n'échappe  point,  malgré  la  science 
de  l'auteur  et  sa  sincérité,  aux  défauts  de  ce  genre  d'ouvrages.  11  n'en 
est  pas  moins,  par  l'étendue  et  la  précision  de  ses  renseignements,  un 
instrument  de  travail  très  précieux  pour  tous  ceux  qui  étudient  l'évo- 
lution de  la  pensée  chrétienne,  et  on  ne  peut  que  regretter  qu'une 
œuvre  analogue  n'existe  pas  pour  le  Moyen  Age  et  pour  les  temps 
modernes. 

Prosper  Alfaric. 

E.  l'uciis,  Offenbarung  und  Entwickelung,    .S"   \111-37    pp.   Tûbingen,   Mohr, 

191  2.  Prix  :  I  M. 
M.  HuNziNGiiR,    Das  Wunder,   8"   i65    pp.,   Leipzig,    Quelle    und   Mayer,    iqiî. 

Prix  :  ^  M. 
E.  Troeltsch,   Die   Absolutheit  des    Christenturas  und   die    Religionsges- 

chichte.  Zweite  Auflage,  8°  xxvii-i3o  pp.,  Tûbingen,  Mohr,  1912.  Prix  3  M. 

1.  L'évolution  qui  se  montre  dans  la  nature  et  dans  l'histoire  ne 
ruine-t-elle  pas  les  enseignements  de  la  révélation  qui  veut  tout 
expliquer  par  Dieu  et  se  présente  comme  absolue?  Non,  répond 
M.  E.  Fuchs,  car  un  idéalisme  bien  compris  nous  amène  à  attribuer 
une  âme  commune  aux  phénomènes  naturels  afin  de  les  comprendre, 
et  à  considérer  les  idées  successives  que  les  hommes  ont  eues  de  la 
divinité  comme  de  simples  formes  sous  lesquelles  se  manifeste  de 
mieux  en  mieux  la  même  vérité.  Tout  cela  aurait  besoin  de  preuves  et 
ne  va  pas  sans  de  graves  difficultés.  M.  Fuchs  promet  de  l'établir 
d'une  façon  plus  solide  dans  un  gros  ouvrage  qu'il  prépare  depuis  de 
longues  années  et  où  il  fera  ressortir  le  rôle  joué  dans  son  idéalisme 
par  l'imagination.  Ce  dernier  détail  n'est  pas  de  nature  à  bien  nous 
rassurer. 

II.  Jusqu'ici  philosophes  et  théologiens  considéraient  le  miracle 
comme  un  fait  qui  déroge  aux  lois  de  la  nature.  Mais,  dit  M.  Hun- 
zinger,  professeur  à  Erlangen,  si  on  le  considère  de  ce  point  de  vue 
purement  rationnel,  on  ne  pourra  le  défendre  contre  le  rationalisme 
qui  soutient  qu'une  telle  dérogation  n'est  jamais  démontrable  ni  même 
concevable.  Voyons  plutôt  en  lui  un  phénomène  religieux  par  lequel 
Dieu,  qui  agit  en  tout  être  et  en  toute  occasion,  se  révèle  directement 
à  nous  pour  nous  amener  à  croire  en  lui,  et  nous  le  soustrairons 
ainsi  à  toutes  les  attaques  des  savants,  puisqu'il  sera  dès  lors  pure- 
ment individuel  et  transcendant.  Nous  devrons  seulement  pour  en 
sauvegarder  la   possibilité    maintenir   fermement  les  données  essen- 


448  REVUE    CRITIQUE 

liellcs  de  la  tradition  évangéli>.]Lic,  la  passion  du  Christ  et  sa  résur- 
rection, qui  sont  la  condition  indispensable  et  Tobjet  essentiel  de 
notre  foi  chrétienne.  On  voit,  remarque  à  ce  propos  M.  Hunzingei, 
qui  volontiers  se  met  en  scène,  «  quelle  large  place  je  laisse  à  la  cri- 
tique )'.  Hélas!  la  critique  est  tellement  exigeante  qu'elle  ne  s'en 
contente  point,  et  qu'elle  conteste  résolument  la  résurrection  de  Jésus, 
quand  elle  ne  va  pas  Jusqu'à  mettre  en  doute  sa. passion.  Avec  un 
optimisme  déconcertant,  le  professeur  d'Erlangcn  estime  au  con- 
traire qu'elle  n'a  réussi  qu'à  mettre  mieux  en  relief  l'absolue  trans- 
cendance du  Christ  et  de  son  ccuvre.  Il  admet  sans  aucune  difficulté, 
non  seulement  les  récits  les  plus  extraordinaires  de  l'Évangile,  mais 
celui  du  buisson  ardent  et  tous  ceux  en  général  qui  dans  la  Bible  ont 
un  caractère  religieux.  Les  concessions  qu'il  fait  au  rationalisme  n'en 
sont  que  plus  significatives.  Pour  qu'il  rejette  si  catégoriquement  la 
conception  traditionnelle  du  miracle,  celle-ci  d(jit  être  bien  peu 
tenable.  Celle  qu'il  propose  de  lui  substituer  ne  l'est  pas  davantage. 
D'abord  elle  se  condamne  par  sa  nouveauté  même,  car  on  n'a  plus  à 
parler  de  miracle  si  on  n'admet  plus  ce  qui  a  toujours  été  désigné  par 
ce  nom,  mais  seulement  une  sorte  de  grâce  illuminante  qui  est 
donnée  en  vue  de  la  foi.  De  plus  elle  se  heurte  à  toutes  les  difficultés 
que  soulève  la  doctrine  générale  de  la  grâce  et  de  la  providence. 
M.  Hunzinger  en  a  effleuré  une  :  Si  Dieu  agit  en  nous  et  hors  de 
nous,  comment  s'expliquent  l'existence  du  mal  et  celle  du  péché?  Un 
tel  problème,  avoue-t-il,  est  impossible  à  résoudre.  On  ne  saurait 
mieux  dire. 

III.  M.  Troeltsch,  professeur  de  théologie  à  Heidelberg,  publiait 
en  iqoi  une  conférence  très  remarquée,  où  il  s'attachait  à  montrer 
que  le  christianisme  est  la  plus  parfaite  des  religions  mais  non  la  reli- 
gion absolument  parfaite  Sa  publication,  dont  la  Revue  a  alors  rendu 
compte,  a  provoqué  de  nombreux  commentaires  et.  de  longues 
répliques.  Elle  paraît  maintenant  en  seconde  édition,  sans  modifi- 
cations notables.  Les  problèmes  ont  beaucoup  changé  au  cours  des 
dernières  années.  Elle  n'a  donc  plus  la  même  aciualiié,  mais  elle  reste 
un  document  de  premier  ordre  pour  tous  ceux  qui  s'intéressent  à 
l'évolution  actuelle  du  protestantisme  libéral. 

Prosper  Alfaric. 

N.4VARRE   et  Valentin,   Los  chefs-d'œuvie    de  la   littérature  grecque.  Paris, 
Hachette,  191 1,  viii-834  p.  Prix  :  5  fr, 

On  ne  lit  plus  guère  le  grec  aujourd'hui  ;  il  n'est  môme  pas  bien  sûr 
qu'on  le  lise  beaucoup  dans  des  traductions,  et  l'on  ne  se  tromperait 
peut-être  pas  beaucoup  en  affirmant  que  pour  un  grand  nombre  de 
personnes  la  littérature  grecque  se  réduit  à  une  liste  de  noms.  Il  serait 
désirable  qu'on  en  stjt  davantage,   et  que  tout  esprit  cultivé  connût 


d'histoire  et  de  littérature  449 

au   moins  ce  que  les  écrivains  grecs   nous  ont  laissé  de  plus  remar- 
quable. C'est  ce  qu'ont  Judicieusement  pensé  M.  Navarre,  professeur 
au  lycée  Charlemagne  à   Paris,   et  M.    Valeniin,  professeur  au  lycée 
de  Grenoble  ;  ils  ont  cru,  avec  raison,   (aire  œuvre  utile  en  réunissant 
en  un    même   volume  la  traduction    des   meilleurs  passages    choisis 
dans  les  ouvrages  des  anciens  Grecs  '  ;  et   lorsque  c'est  nécessaire, 
des  analyses  succinctes  des  parties  omises  relient  ces  morceaux  les 
uns  aux  autres,  permettant  de  la  sorte  au   lecteur  de  se  faire  une  idée 
de  l'ouvrage  dans   son    entier.  C'est  ainsi  que  nous  avons  dans    ce 
volume  des  morceaux  d'Homère,  d'Hésiode,  des  poètes  lyriques  et 
dramatiques,    des  historiens,    des  philosophes  et  des  orateurs,   que 
suivent,   pour  compléter  le  tableau  d'ensemble,  quelques  extraits  des 
principaux   alexandrins,    de    Plutarque   et    de    Lucien.    On   ne    peut 
qu'applaudir    à    l'idée    qui    a    inspiré    les    jeunes    professeurs;    leur 
«  ouvrage  de  large  vulgarisation  »  (p.  vi)  pourra  certainement  servir 
à  faire  connaître  les  plus  belles  pages  de  la  littérature  grecque,  et  en 
même  temps  à  la  présenter  dans  la  continuité  de  son  développement. 
Je  dois  cependant  leur  adresser  quelques  critiques;  c'est  mon  rôle.  Je 
ne  m'explique  pas,  d'abord,   pourquoi   ils  n'ont  retenu,   de  la  longue 
période  qui  suit  l'époque  alexandrine,   que   Plutarque  et  Lucien,  et 
pourquoi  ils  n'ont  pas  compris,  dans  leurs  extraits,  quelques  passages 
d'autres  auteurs  qui   sont  loin  d'être  méprisables.  Ne  pensent-ils  pas 
qu'ils  auraient  mieux  atteint  leur  but,  qui  était,  nous  disent-ils  (p.  vi), 
de  présenter  du  génie  grec  «  un  tableau  aussi  complet  que  possible  », 
en  donnant  au  lecteur   quelques    pages   de  Strabon,  d'Arrien    et   de 
Dion  Chrysostome,  pour  ne  citer  que  ceux-là?  Leur  livre,  déjà  gros, 
eût-il  été  trop  volumineux?  Il  était  facile  d'élaguer  ailleurs.  Mais  je 
ne  sais  pourquoi,   en  dehors   de  Lucien   et  de   Plutarque,  il  semble 
qu'il  n'y  ait  plus   rien  dans   la   littérature  grecque  après  l'alexandri- 
nisme.  On  peut  toutefois,  à  la  rigueur,  justifier  cette  manière  de  faire  ; 
mais  j'ai  à  exprimçr  un  autre  desideratum  plus  grave.  MM.  N.  et  V. 
semblent  ignorer  totalement  les  récentes  découvertes  qui  ont  rendu  à 
la    lumière    tant   de  choses   intéressantes   pour  l'histoire    des   lettres 
grecques.  Dans  l'introduction  à  la  poésie  lyrique  (p.    164  sv.),  le  nom 
de  Timothée  n'est  même  pas  prononcé;  nous  avons  de  Bacchylide,  ce 
qui  ne  laisse  pas  de  surprendre,  seulement  la  traduction  d'un   frag- 
ment ancien  d'une  quinzaine  de  lignes,  et  de  Ménandre,  chose  plus 
étonnante,  rien  du  tout  \  Enfin   les  jeunes  professeurs  se  sont  quel- 
quefois insuffisamment  documentés  pour  la  rédaction  des  brèves  noti- 
ces qui  accompagnent  le  nom  de  chaque  auteur.  Je  ne  parle  pas  de 

1.  Les  auteurs  de  ces  traductions  sont  indiqués  au  fur  et  à  mesure. 

2.  Voici  ce  qui  est  dit  de  Bacchylide  p.  182  :  «  Par  les  fragments  de  ses  odes,  on 
peut  juger  qu'il  traitait  les  mêmes  genres  que  Simonide  et  de  la  même  manière  ». 
Quant  à  Ménandre,  «  il  ne  reste  de  lui  que  des  fragments  trop  dispersés  et  trop 
courts  »  (p.  402}. 


^5o  REVl'K    CRITIQUE 

phrases  comme  celle-ci,  p.  iSi  :  «  Simonide  vécut  successivement  à 
Athènes,  à  Larisse  et  en  Thessalie  »,  qui  est  sans  doute  un  lapsus 
pour  '<  et  à  Larisse  en  Thessalie  »  ;  mais  Pindare  n'est  pas  mort 
en  456;  Lvsias  n'est  pas  né  en  432,  et  ce  n'est  pas  en  Sicile  qu'il 
suivit  les  leçons  de  Tisias;  Isocrate  n'est  pas  mort  en  334.  Il  ne  faut 
pas  dire,  p.  565  :  «  les  sophistes,  cette  espèce  de  rhéteurs  étrangers,  la 
plupart  du  \cmps  asiatiques,  Proiagoras,  Gorgias,  Prodicos,  Hippias  »; 
et  surtout  il  serait  à  désirer  qu'on  se  débarrassât  une  bonne  fois  de  ce 
perpétuel  Er  VArménien,  qui  a  vraiment  la  vie  tenace  '. 

My. 


Franz  Nass.m,,  ^stetisch-rhetorische  Beziehungen  z-wischen  Dionysius  von 
Halicarnass  und  Cicero  (Diss.  inaug.  Tubiiigue)..Tubinguc,  Heckenhauer, 
1910  ;  X-169  p. 

Cette  dissertation  inaugurale  a  une  portée  plus  étendue  que  son 
titre  ne  le  donne  à  entendre.  Le  sujet  par  lui-même  ne  manque  pas 
d'intérêt,  quoique  les  théories  de  Denys  et  de  Cicéron  sur  l'art  ora- 
toire aient  été  étudiées,  analysées,  discutées  déjà  bien  souvent;  mais 
une  étude  comparative  des  systèmes  du  rhéteur  grec  et  de  l'orateur 
latin  n'avait  pas  encore  été  poussée  si  loin  dans  le  détail  ;  le  travail  de 
M.  Nassal  sera,  à  ce  point  de  vue,  très  utile.  Il  est  divisé  en  deux 
parties  :  dans  l'une,  qui  se  tient  dans  le  domaine  de  la  technique, 
M.  N.  compare  les  principes  de  Denys  et  ceux  de  Cicéron  :  définiiion 
de  la  rhétorique  ;  invention  et  ordonnance  générale  ;  choix  et  dispo- 
sition des  mots  ;  le  rythme  ;  les  trois  genres  de  style.  Dans  la  seconde, 
l'objet  de  la  comparaison  sont  les  jugements  portés  par  l'un  et  par 
l'autre  sur  les  écrivains  grecs  antérieurs,  poètes,  historiens,  orateurs, 
philosophes.  Au  cours  de  ce  parallèle,  dans  lequel  sont  signalées  de 
très  nombreuses  concordances  entre  la  technique  et  l'esthétique  litté- 
raire de  Denys  et  de  Cicéron,  M  .  N.  a  été  amené,  à  diverses  occasions, 
à  se  demander  si  les  deux  auteurs  n'avaient  pas  usé  d'une  source 
commune  ;  et  cette  hypothèse  se  précisa  pour  lui  grâce  à  une  remarque 
qui  peut  être  fertile  en  conséquences.  On  sait  que  Cicéron,  dans  ses 
écrits  postérieurs,  et  particulièrement  dans  VOrator,  a  souvent  com- 
plété, modifié  ou  rectifié  les  vues  qu'il  avait  exposées  dans  le  de 
Oratorc.  Or  c'est  précisément  dans  ÏOrator  que  se  constate  d'une 
manière  frappante  l'accord  de  Cicéron  avec  les  jugements  énoncés 
par  Denys.  Une  influence  de  l'un  sur  l'autre  étant  nécessairement 
exclue,  l'explication  de  ce  fait  serait,  suivant  M.  N.,  que  Cicéron 
aurait   utilisé    un  traité  sur  la  composition  et    le  stvle  ',  paru   dans 


1.  Lire  pp.  2,  200,  201,  402,  5o5,  576,  Zeiixis,  Pratinaft,  Néophroii,  Susarion, 
Halimonte,  Nausikydès,  pour  Lenxis,  Gratinas,  Néophion,  Sii^arioii,  Halinunte, 
Natisidycès.  Le  fils  d'Eschyle  se  nommait  Bion  et  non  Dion  (p.  201). 

2.  Conjecture,  nous  dit  M.  Nassal,  déjà  mise  en  avant  par  J.  Mûller,  Dcfigiiris 
qucBStiones  criticœ,  Diss.  Greifswald,  1880. 


d'histoire  et  de  littérature  45  I 

rintervalle  de  neuf  ans  qui  sépare  VOfator  du  de  Oratore,  écrit 
d'actualité  compose  par  un  Grec  au  fort  de  la  lutte  entre  l'atticismc  et 
l'asianisme;  et  l'auteur  en  serait  Cécilius  de  Calacté.  Quant  à  Denys, 
rien  ne  s'opposerait  à  ce  qu'il  en  eût  eu  connaissance.  L'hypothèse  est 
séduisante;  mais  elle  n'est  peut-être  pas  indispensable,  et  M.  N.  en 
sent  lui-même  la  fragilité.  Ce  que  nous  savons  de  la  vie  de  Cécilius 
se  réduit  à  peu  de  chose;  le  premier  auteur  qui  parle  de  lui  est 
Denys,  son  contemporain,  et  il  serait  téméraire  d'affirmer  que  vers  5o 
un  de  ses  écrits  ait  pu  e.xercer  une  influence  sérieuse  sur  Cicéron. 
Avant  d'aller  plus  loin,  il  faudrait  établir  la  chronologie  ;  et  jusqu'ici, 
malgré  d'assez  nombreuîies  recherches,  on  n'est  arrivé  sur  ce  point  à 
aucune  certitude.  M.  Nassal,  il  est  vrai,  considère  comme  plus  vrai- 
semblable que  Cécilius  est  plus  ancien  que  Denys.  Quoi  qu'il  en  soit, 
sa  dissertation  est  faite  avec  beaucoup  de  soin  et  d'une  documentation 
très  précise  ;  elle  révèle  de  nombreux  détails  intéressants  à  la  fois 
pour  l'histoire  de  la  rhétorique  et  pour  celle  de  la  littérature. 

Mv. 


Xenophontis  Scripta  minora.  Fasc.  prior  ;  post  Ludovicum  Dindorf  éd. 
Th.  Thalheim.  Leipzig,  Teuhner,  iqio,  xvr-234  P-  Fasc.  posterior,  post 
L.  Dindorf  éd.  Fr.  Ruehl  ;  accedunt  Simonis  de  Rc  equestri  quae  supersuiit. 
r.eipzig,  Teubner,    1912;    xxiv-200  p.   {Bibl.  script,  gr.   et    rom.  Teiibneriana). 

Les  Scripta  minora  de  Xénophon,  publiés  en  un  volume  par 
L.  Dindorf  dans  la  bibliothèque  teubnérienne,  sont  remplacés  main- 
tenant par  deux  volumes.  Le  premier,  contenant  VEconomiqiie,  le 
Banquet,  Hiéron,  Agésilasci  V Apologie,  est  publié  par  M.  Thalheim  ; 
le  second  contient  la  République  des  Lacédémoniens,  la  République 
des  Athéniens,  \es  Revenus,  VHipparchikos,  VEquitation  et  le  Cr"^'- 
gétique,  auxquels  l'éditeur,  M.  Rtihl,  a  ajouté  ce  qui  reste  du  Hep- 
'[•nTztx^^de  l'Athénien  Simon.  Les  deux  éditeurs  ont  eu  à  leur  disposi- 
tion, outre  leur  propre  collation  des  principaux  manuscrits,  celles  de 
K.  Schenkl,  qui  leur  furent  libéralement  communiquées  par  son  fils. 
Les  préfaces  de  chaque  volume  analvsent  brièvement  les  manuscrits 
de  chaque  opuscule  et  leurs  rapports  mutuels,  et  indiquent  quels  sont 
les  meilleurs  fondements  du  texte.  M.  Th.  est  amené  ainsi  à  dire 
quelques  mots  sur  un  point  intéressant.  Il  n'y  a  pas  de  difficulté  pour 
VEconomique  et  le  Banquet;  mais  la  question  est  plus  compliquée 
pour  les  autres  écrits  du  premier  volume.  Kalinka  a  cru  pouvoir 
démontrer  que  le  Muiinensis  143,  qui  contient  entre  autres  œuvres 
de  Xénophon  le  Hiéron  et  V Apologie,  mérite  une  grande  confiance, 
parce  qu'il  dérive,  selon  lui,  d'un  manuscrit  ancien  où  il  a  puisé 
d'excellentes  leçons.  M.  Th.,  qui  fonde  le  texte  sur  le  Vaticanus  i3?3, 
estime  au  contraire  que  ces  bf)nnes  leçons  ne  sont  que  des  corrections 
dues  au  copiste,  et  il  donne  un  exemple  frappant  de  la  manière  dont 
celui-ci  procédait,    ce   qui    autorise  à  supposer   que  le   Mutinensis, 


452  RKVUt     CR1T1QUI-. 

comme  les  autres  manuscrits,  est  un  (.icrivé  direct  ou  indirect  du 
Vaticanus.  M.  Riihl,  lui  aussi,  a  louche  ceiic  question,  à  propos  de  la 
République  iies  Athéniens,  et  se  prononce  dans  le  même  sens.  Pour 
les  traités  contenus  dans  le  second  volume,  on  sait  dans  quel  état  de 
corruption  ils  nous  sont  parvenus;  mais  des  découvertes  heureuses 
ont  rendu  plus  facile  la  lâche  de  l'éditeur,  en  ce  qui  concerne  les 
écrits  relatifs  à  la  chasse  et  à  l'art  équestre.  M.  R.  a  retrouvé  le 
manuscrit  de  VHipparchikos  (contenant  aussi  V Equitation  et  le  Cyné- 
gétique) dont  s'est  servi  Courier  (V,  'Vaticanus  989),  notablement 
supérieur,  et  la  science  italienne  a  mis  en  juste  lumière  la  haute 
valeur  d'une  nouvelle  source  pour  le  lUp'.  'Ir-iy.?;;  et  le  Cynégétique^ 
un  manuscrit  de  Vienne  (W).  M.  l^.,  il  est  vrai,  montre  par  des 
exemples  précis,  et  d'une  façon  inaiiaquable,  que  W  ne  doit  pas  être 
suivi  sans  prudence  lorsqu'il  est  seul  à  fournir  une  leçon;  mais  ce 
manuscrit,  malgré  ses  fautes  parfois  étranges,  a  vraiment  renouvelé 
le  texte,  au  point  que  l'édition  donnée  par  Tommasini  du  de  Re 
equestri  a  pu  être  appelée,  comme  le  note  M.  Ruhl,  presque  une 
seconde  édition  princeps.  Dans  les  deux  volumes,  l'appareil  critique 
est  sobre,  ne  donnant,  parmi  les  lectures  des  manuscrits,  que  celles 
qui  peuvent  servir  à  l'étude  et  à  l'histoire  du  texte,  et  parmi  les 
conjectures  modernes,  que  celles  qui  ont  quelque  valeur  et  ne  sont 
pas  dues  à  une  trop  fertile  imagination.  En  somme,  cette  nouvelle 
édition  rendra  d'utiles  services  et  sera  appréciée  de  tous;  on  regrettera 
toutefois  que  le  second  volume  ne  soit  pas  pourvu  d'un  index  autre 

que  celui  des  noms  propres. 

My. 


G.  MicH.\uT,   Histoire  de  la  comédie  romaine.  —  I.  Sur  les  tréteaux  latins. 

Paris,  Fontemoing,  vi  -|-  435  pages  in-16,  1912 

M.  Gustave  Michaut,  dont  les  beaux  travaux  sur  la  littérature 
française  sont  bien  connus,  vient  de  donner  le  premier  volume  d'une 
Histoire  Je  la  comédie  romaine.  C'est,  pour  lui,  moins  une  innovation 
qu'un  retour  en  arrière  :  il  a,  pendant  dix  ans,  enseigné  la  littérature 
latine  à  Fribourg,  et  n'a  pas  cessé  de  s'y  intéresser.  Ramené,  par  ses 
recherches  sur  les  origines  de  la  comédie  française,  à  l'histoire  du 
théâtre  latin,  il  a  repris  et  publié  ce  qu'il  avait  autrefois  préparé.  S'il 
semble  craindre  que  les  latinistes  ne  trouvent  qu'il  est  «  devenu  un 
profane  »,  c'est  par  excès  de  modestie,  caria  lecture  de  ce  premier 
volume  le  montre  au  contraire  très  solidement  et  très  précisément 
documenté  sur  tous  les  travaux,  anciens  ou  récents,  français  ou 
étrangers,  qui  sont  relatifs  aux  choses  dramatiques  romaines.  Une 
connaissance  sûre  des  textes  et  des  commentaires  modernes,  une 
logique  claire  et  ferme  dans  la  discussion,  une  modération  pleine  de 
bon  sens  dans  les  questions  difficiles,  telles  sont  les  qualités  qui  feront 
de  Sur  les  tréteaux  latins  un  ouvrage  extrêmement  utile  à  consulter, 


D  HISTOIRE    Er    DK    LirrF.RATURE  •  453 

autant   qu'agréable   à   lire,    pour  tous   ceux  qu'intéresse  riiistoire   du 
théâtre  à  Rome. 

En  voici  un  bref  résumé.  Dans  l'introduction,  sur  les  Romains  et 
la  comédie,  M.  Michaut  entreprend  de  prouver  que  la  comédie  a  eu  à 
Rome  une  vie  florissante,  et  il  le  démontre  assez  heureusement, 
encorequ'il  fasse  un  peu  trop  fl  de  l'autorité  de  Quiniilien. 

Il  examine  ensuite  les  origines  indigènes  de  la  comédie  romaine, 
les  vers  fescennins  et  la  sature;  il  reprend,  après  Jahn,  l.eo,  Hen- 
drickson,  la  critique  du  célèbre  récit  de  Tite-Live,  sans  lui  dénier  du 
reste  toute  valeur,  et  en  admettant  que,  s'il  n'y  a  pas  eu  de  sature 
dramatique  à  proprement  parler,  il  a  pu  v  avoir  au  moins  des  sortes 
de  divertissements  à  demi  théâtraux. 

Puis,  il  passe  en  revue  la  comédie  romaine  et  ses  différentes 
formes  :  palliata.  atellane,  mime.  .le  signalerai,  comme  particulière- 
ment bien  conduites,  les  discussions  sur  l'acteur  spécial  Prologus 
(dont  M.  Michaut  arrive  à  nier  l'existence),  —  sur  la  question  des 
cantica  (pour  lui,  les  lettres  DV  et  MMC  désigneraient,  non  des 
scènes  tout  entières  en  deverbia  ou  en  cantica,  mais  des  scènes  où  il 
va  des  deverbia  ou  des  cantica);  —  sur  la  question  de  savoir  si 
l'atellane  était  Jouée  à  Rome  en  osque  ou  en  latin  (c'est  à  cette 
dernière  hypothèse  qu'il  se  range  avec  raison). 

Vient  en^n  un  chapitre,  on  ne  peut  plus  complet,  sur  Vorganisa- 
tion  légale  et  matérielle  du  théâtre.  La  partie  la  plus  curieuse  est 
celle  où  M.  Michaut  reprend  le  problème,  tant  de  fois  débattu,  des 
adjudications  de  179  et  174  avant  J  .-C.  D'après  lui,  ces  adjudications 
ne  visaient  que  des  baraquements  en  bois,  non  des  édifices  de 
pierre;  les  mots  scaenam  aedilibns  praetoribiisqite  praebendam  ne 
concernent  pas  une  installation  définitive,  mais  une  fourniture  renou- 
velée pour  chaque  célébration  de  jeux.  Cette  interprétation,  contraire 
à  celle  de  Ritschl  et  de  M.  Fabia,  me  paraît  d'autant  plus  séduisante 
que  le  pluriel  praetoribiis  s'explique  ainsi  beaucoup  mieux. 

Le  livre  est  d'une  impression  nette  et  agréable  ',  et  joliment  orné 
d'illustrations  à  la  fois  documentaires  et  amusantes;  il  fait  le  plus 
grand  honneur  à  la  maison  qui  l'a  édité. 

Un  dernier  mérite  vaut  la  peine  d'être  signalé  :  on  sent  maintes 
fois,  au  cours  des  discussions,  que  les  opinions  de  M.  Michaut 
s'appuient  sur  des  comparaisons  utilement  et  discrètement  établies 
entre  le  théâtre  romain  et  le  nôtre.  Déjà,  par  conséquent,  dans  ce 
premier  volume,  sa  science  de  latiniste  bénéficie  de  sa  compétence  en 
littérature  française.  On  ne  peut  douter  que  cet  avantage  n'apparaisse 
encore  mieux  dans  les  volumes  ultérieurs,  où  il  sera  traité  du  théâtre 


I.  J"ai  cependant  relevé  quelques  huucs  :  p.  24,  Œlins  Stilo;  p.  14S,  chefs- 
dœuvres;  p.  202,  Niebhur;  p.  3gb,  cité  au  lieu  de  cités-,  p.  398,  centre  central 
au  lieu  de  centre  initial  ;  p.  449.  acteur  au  lieu  de  acteurs. 


4S4  RF.VUI     CRITIQUE 

hiiin,  non  plus  sous  son  aspect  icchniiiue,  mais  dans  son  développe- 
ment liitcraire.  Il  csi  à  souhaiici    que  M.  Micliaut  ne   nous   les  fasse 

pas  trop  aiicndic. 

René  Pichon. 


Sclatic  lùlgar  Stoi  1,  The  Governors  of  Moesia.    Princeton,    1911,   in-H*  xii   et 

^)7  P  • 

Dissertation  présentée  à  1" Université  de  Princeton  en  igiopourTob- 
tention  du  titre  de  docteur  en  philosophie,  cet  opuscule  est  conçu 
suivant  le  plan  habituel  :  une  introduction  mentionnant  en  peu  de 
mots  l'histoire  administrative  de  la  province,  la  série  chronologique 
de  tous  les  gouverneurs,  les  textes  à  l'appui  étant  transcrits  en  entier 
à  la  suite  de  chaque  nom  ;  enfin  un  index  alphabétique  de  ces  person- 
nages. Le  travail  est  soigné  et  sera  utile  comme  répertoire. 

R.  C. 

Rcpinald  II.  (îriffuh,  Sir  Perceval  of  Galles,  A  study  of  the  sources  of  the 
legend.  The  University  of  Chicago  Press,  U.  S.  A.  (.Ih.  Staufler,  Leipzig). 
in-8°  de  1 3 1  pp. 

L'étude  de  M.  Griffiih  renferme  une  comparaison  minuiieusedu 
poème  anglais  Sir  Perceval  {SP}  et  des  passages  de  Chrestien  (C)  de 
Wolfram  [W],  de  Peredur  {Pd)  et  du  pseudo-Ghresticn,  qui  racontent 
les  mêmes  aventures.  La  méthode  par  laquelle  M.  G.  combat  l'hypo- 
thèse que  SP  dérive  du  poème  de  C  consiste  à  montrer  qu'il  y  a  des 
correspondances  entre  SP  et  l'une  et  l'autre  des  versions  du  moyen 
âge  qui  ne  se  laissent  pas  expliquer  par  cette  hypothèse  '.  M.  G.  lui- 
même  considère  que  SP  et  des  parties  de  W  et  de  Pd  dé'rivent  d'une 
source  secondaire  indépendante  de  la  source  de  C.  Il  fait  remonter 
cette  source  secondaire  et  le  poème  de  C  à  une  source  commune. 

En  étudiant  les  épisodes  dont  se  compose  SP,  M.  G.  rapporte  des 
traits  analogues  de  conies  recueillis  dans  la  tradition  populaire  gaé- 
lique par  Gambell  eic.  Il  s'en  sert  pour  appuyer  sa  thèse  de  la  façon 
suivante  :  le  fond  de  ces  contes  et  du  poème  de  C  repose  sur  la 
même  série  d'éléments  narratifs.  Des  poèmes  de  la  même  époque  que 
C  {SP,  Pd,  W)  révèlent  une  série  analogue;  aucun  des  textes  médié- 
vaux ne  peut  avoir  été  la  source  de  cette  série.  SP  en  contient  plus 
que  l'ensemble  des  textes  français.  Il  est  donc  impossible  que  SP  soit 
dérivé  de  ceux-ci.  Les  incidents  constitutifs  de  l'histoire  de  Perceval 
appartiennent  à  un  fonds  de  tradition  primitive  dont  les  versions 
orales  sont  les  survivances  populaires,  et  dont  SP  garde  plus  de 
traits  primitifs  que  C . 

Pour  donner  une  valeur  solide  à  ces  séries  d'éléments  dont  se  com- 


I.  Miss  M.  Rh.  Willianns,  Essai  sur  la  composition  du  roman  gallois  de  Père  dur 
(Paris,  1909).  termine  son  étude  de  W  et  de  Pd  par  une  conclusion  semblable 
(p.  81-93). 


d*histoirb:   kt   de   littératukk  45  5 

posent,  d'après  l'analyse  de  M.  G.,  les  fonds  piimiiils  des  épisodes, 
il  aurait  lallu  avoir  à  sa  disposition  plus  de  versions  populaires.  De 
celles  dont  il  se  sert  pour  sa  comparaison,  on  ne  peut  tirer  de  con- 
clusions sûres.  Son  e.xposé  soutient  bien,  du  reste,  la  t-lièse  depuis 
longtemps  avancée  par  beaucoup  de  critiques    arthuriens,   à  savoir 

que  C  n'est  pas  la  source  de  SP  '. 

Gertrude  Schoepperle. 


ToLDo   (Pietro  ,  Fonti   e  propaggini  italiane  délie  Favole  del  La  Fontaine. 
Extr.  du  Gioni.  stor.  délia  lelt.  ttjl.  \\>\.  LIX,  iyi2,  in-8  de  kkj  p. 

Si  un  jour  notre  littérature  classique  est  aussi  étudiée  dans  les 
Universités  italiennes  que  la  littérature  classique  italienne  l'est  dans 
les  Universités  françaises,  on  le  devra  pour  une  bonne  part  à  M.  P.  T. 
qui  s'y  est  consacré  et  qui  nous  donne,  non  pas  seulement  des  esquisses, 
mais  des  livres.  L'Académie  Française  a  récemment  couronné  son 
ouvrage  sur  la  fortune  de  Molière  en  Italie.  C'est  par  manière  de 
délassement  qu'il  nous  offre  aujourd'hui  un  simple  article,  d'ailleurs 
étendu  et  neuf.  D'une  part  il  énumère  les  inspirateurs  italiens  de 
La  Fontaine,  moins  encore  pour  en  refaire  le  compte  que  pour  mettre 
en  garde  contre  le  penchant  à  voir  une  imitation  dès  qu'il  y  a  ren- 
contre ;  d'autre  part,  il  donne  le  catalogue,  plus  malaisé,  des  Italiens 
qui  ont  imité  La  Fontaine  (il  relève  jusqu'aux  imitateurs  en  dialectes), 
ou  qui  ont  résisté  à  la  tentation;  il  termine  par  la  liste  des  traductions 
complètes  ou  partielles  des  fables  de  La  Fontaine  en  italien.  Il  ne  se 
borne  pas  à  composer  de  simples  tableaux;  il  cite,  il  discute,  il 
indique  même  des  vues  fines;  par  exemple,  il  avance  que  l'esprit 
gaulois  n'aurait  pas  sans  l'étude  des  modèles  italiens  donné  à  La  Fon- 
taine la  grâce,  le  scepticisme  tempéré  qui  forment  un  des  charmes  de 
son  oeuvre.  Il  appartenait  à  M.  T.  de  justifier  cette  assertion  en 
montrant  que  l'élégance  de  Marot  n'aurait  peut-être  pas  suflfi  à  former 
La  Fontaine  si  Arioste  ne  s'en  fût  mêlé.  Dans  la  deuxième  partie  du  tra- 
vail, il  aurait  été  intéressant  de  faire  voir  que  la  plupart  des  imita- 
teurs italiens  de  La  Fontaine  n'ont  au  contraire  cherché  à  lui  prendre 
que  des  détails;  qu'ils  ne  se  sont  pas  souciés  d'apprendre  de  lui  à 
fonder  leurs  récits  sur  l'observation  de  la  vie  ;  il  faut  arriver  à  Gasp. 
Gozzi  pour  retrouver  un  conteur  philosophe.  M.  T.  a  été  formé  par 
des  méthodes  sévères  :  il  aime  par  dessus  tout  les  faits  positifs;  mais 
un  homme  aussi  modeste  et  aussi  judicieux  peut  sans  témérité 
s'espacer  sur  la  critique  littéraire  proprement  dite.  Toutefois,  n'ou- 
blions pas  qu'il  ne  voulait  aujourd'hui  que  nous  donner  un  article 
destiné  à  une  Revue  d'érudition  et  rcmercions-Ie  de  nous  avoir 
montré  quel  long  souvenir  le  bonhomme  a  laissé  aux  Italiens. 

Charles  Dejob. 

I.  Il    entraine  trop   souvent  le   lecteur  dans    des  discussions   dont   il    aurait   pu 
savoir  d'avance  qu'on  ne  pouvait  rien  eu  tirer. 


436  REVUK    CRITIQUE 

KJmiaiJ   Dhiaiit,  Austerljtz   et  la   fin   du   Saint-Empire    (1804-180G).   Paris, 
ALjin.    11J12,  iii   S",  4<)2  p.,  7  tr. 

Ce  volunic  est  la  suite  des  travaux  Je  M.  Dr.  sur  Napoléon  et 
riîurope.  Après  la  p.>litiquc  orientale  et  la  politique  italienne  de 
l'Empereur,  l'auteur  étudie  sa  politique  allemande  depuis  son  avène- 
ment au  irtHie  jusqu'à  la  veille  diéna.  Le  livre  est  divisé  en  trois 
parties  :  Le  sacre,  i<So4,  c'est-à-dire  les  conditions  européennes  de 
la  fondation  de  l'Empire,  l'attitude  des  puissances,  le  couronnement, 
rinrtuence  de  la  dii;nité  nouvelle  piise  par  Napoléon  sur  sa  politique 
italienne.  Aiislc'rlil:^,  /cS'oi,  c'est  la  tormaiion  du  royaume  d'Italie, 
les  préliminaires  de  la  troisième  coalition,  la  mission  de  Novosiltsof, 
la  rupture  avec  l'Autriche,  les  traités  de  Schônbrunn  et  de  Presbourg, 
l'alliance  imposée  à  la  Prusse  par  le  traité. de  Pans.  Llié>-itage  du 
Saint-Empire,  iSoO,  c'est  la  substitution  par  Napoléon,  à  l'ancien 
empire  germanique  qu'il  a  détruit,  du  nouveau  grand  empire  qu'il 
veut  fonder,  non  en  France  seulement,  mais  en  Italie  ei  en  Allemagne, 
voire  au  delà.  L'étude  des  négociations  franco-anglaise  et  franco- 
russe  de  1806,  de  l'affaire  du  Hanovre  et  de  la  rupture  avec  la  Prusse 
termine  l'ouvrage. 

Dans  ce  volume  comme  dans  les  précédents.  M.  D.  s'est  propose 
d'abord  de  donner  un  récit  suivi  des  opérations  diplomatiques,  en  insis- 
tant surtout  sur  la  politique  française,  et  ensuite,  de  préciser,  autant 
que  possible,  la  pensée  directrice  de  Napoléon,  ses  vues  d'avenir,  le 
plan  définitif  qu'il  entreprenait  de. réaliser  par  la  négociation  et  par  la 
guerre.  Comme  dans  les  autres  volumes  aussi,  son  récit  est  appuvé 
presque  en  totalité  sur  les  documents  des  archives  des  Affaires  étran- 
gères. Ces  pièces  sont  très  abondantes,  pleines  d'intérêt,  et  il  n'en  a 
encore  été  fait  que  peu  d'usage.  M.  D.  les  a  lues  de  très  près,  il  en  a 
tiré  un  exposé  très  suivi,  très  intéressant,  nourri  de  textes  démons- 
tratifs et  illustré  parfois  d'anecdotes  plaisantes.  Cependant,  l'infor- 
mation reste,  pour  ainsi  dire,  unilatérale.  Nous  n'avons  ici  qu'un 
côté  des  négociations.  Dès  qu'une  circonstance  heureuse  fournit  à 
M.  D.  la  contre  partie,  les  documents  prussiens  par  exemple,  soit 
qu'ils  aient  été  interceptés  par  Napoléon  et  se  trouvent  dans  nos 
archives,  soit  qu'un  recueil  imprimé  en  rende  l'accès  facile,  le 
récit  devient  plus  complet,  plus  animé,  les  figures  des  souverains  et 
des  diplomates  plus  nettes,  plus  vivantes.  Heureusement,  les  publi- 
cations de  textes  sont  déjà  nombreuses,  et  M.  Dr.  en  a  profilé  partiel- 
lement. Les  mémoires  de  Hardenberg,  ceux  de  Czartoryski,  les 
volumes  de  Tratchevsky  dans  la  collection  d'histoire  de  Russie,  le 
Preussen  iind  Frankreich  de  Bailleu  lui  ont  fourni  beaucoup  de 
textes  importants.  Mais  d'autres  lui  ont  échappé,  notamment  :  pour 
la  Prusse,  la  correspondance  de  Frédéric-Guillaume  111  avec  Alexan- 
dre, publiée  aussi  par  Bailleu;  pour  la  Russie,  les  archives  Voronzof, 
les  lettres  de   Sirogonof  et  de  Razoumovski   utilisées  par  le  grand- 


d'histoire    Kl     UF,    LITTERATURE  ^5  J 

duc  Nicolas  ei  par  Vassilchikof  ;  pour  l'Anj^leterre,  la  correspondance 
de  Fox,  le  dernier  volume  paru  des  papiers  de  Grenville,  les  leiires 
de  Yarmouth  et  de  Lauderdale  publiées  dans  la  Parlementary  his- 
tory  ;  pour  rAllemagne,  les  mémoires  de  Monigelas,  les  souvenirs 
de  François  de  Bray,  surtout  le  lome  V  du  recueil  de  Obser  conte- 
nant toute  la  correspondance  de  Charles-Frédéric  de  Bade  et  de  ses 
ministres,  sans  compter  les  ouvrages  historiques,  en  particulier  la 
récente  Histoire  de  la  Confédération  du  Rhin  de  Bitterauf.  En  1910 
a  paru  à  Berlin,  sur  la  crise  diplomatique  de  1806,  une  excellente 
brochure  de  deux  cents  pages,  dont  l'auteur,  M.  Heymann,  avait 
utilisé  les  sources  imprimées  que  nous  venons  de  signaler,  et  visité 
en  outre  les  dépôts  d'archives  de  Berlin  et  de  Paris.  Elle  aurait 
sûrement  fourni  à  M.  D.  un  moyen  de  compléter  utilement  son  récit 
du  rapprochement  franco-anglais  et  des  rapports  de  Napoléon  avec 
la  Prusse.  A  la  vérité,  le  travail  des  écrivains  qui  en  France  s'occupent 
de  l'histoire  diplomatique  du  premier  Empire,  est  rendu  singulière- 
ment difficile  par  l'absence  de  tout  recueil  de  documents  d'archives. 
Il  faut  passer  tant  d'heures  à  parcourir  et  à  analyser  les  pièces  les 
plus  importantes,  qu'on  est  entraîné  naturellement  à  y  voir  le  prin- 
cipal élément  d'information,  et  à  faire  moins  de  cas  des  sources  d'une 


autre  origine. 


La  partie  générale  du  livre  de  M.  D  ne  prête  à  aucune  réserve  de 
ce  genre.  On  se  rappelle  que  dans  ses  précédentes  études,  il  avait 
essayé  d'expliquer  par  des  projets  de  grand  empire  italien  et  méditer- 
ranéen l'extension  des  conquêtes  et  la  politique  dominatrice  que 
d'autres  ont  expliquées  soit  par  la  rivalité  franco-anglaise,  soit  par 
une  contradiction,  posée  dès  1795,  entre  les  vcjlontés  de  l'Europe 
et  le  dogme  français  des  frontières  naturelles.  Ici,  nous  sommes  au 
nœud  de  la  question,  car  c'est  après  Austerlitz  que  la  puissance  de 
Napoléon  lui  permit  pour  la  première  fois,  soit  de  faire  la  paix  géné- 
rale s'il  en  avait  envie,  soit  de  prétendre  ressusciter  l'empire  de 
Charlemagne  et  même  l'Empire  romain.  M.  D.  prouve  clairement, 
semble-t-il,  que  l'ambition  impériale  seule  empêcha  la  paix,  comme 
déjà  seule  elle  avait  consolidé  la  troisième  coalition,  si  lente  à  se 
former  et  si  mal  assurée.  Sa  thèse  s'oppose  ici  à  celle  d'Arthur  Lévy 
et  de  Sorel,  et  les  textes  dont  elle  est  appuyée  paraissent  trancher  le 
débat.  Il  faut  louer  M.  D.  de  ne  pas  avoir  poussé  trop  loin  son 
raisonnement,  et  de  n'avoir  pas  prétendu  retrouver  tout  entière, 
arrêtée  en  termes  précis,  la  grande  pensée  de  Napoléon.  Les  conclu- 
sions de  ses  ouvrages  antérieurs  étaient  plus  nettes  sur  ce  point.  En 
étudiant  le  sujet  de  plus  près,  l'auteur  s'est  aperçu  qu'il  faut  être  très 
prudent  dans  ces  essais  de  reconstruction;  l'Empereur  n'était  rien 
moins  qu'un  homme  à  systèmes;  il  a,  suivant  son  tempérament  et  les 
circonstances,  beaucoup  varié  sur  les  objets  de  son  ambition. 
M.  Driault  a  donc  cru  devoir,  non  appuyer  le  trait,  mais  au  contraire 


458  RKVUi:    CRITIQUE 

ailcMnicr  ses  hypoihosos,  y  ajouicr  des  réserves  expresses.  Ce  scrupule 
est  assez  rare,  luJiiie  chez  les  meilleurs  historiens,  pour  être  signalé 
avec  réloge  quil  mérite. 

R.   G. 


FrcJrik   Bôôk,    Studier   och    Strœtïâg  i    Dikten    och    historiea.    Siockhulin, 
1'.  A.  Noistcdi  et  Suiicr,   r<jii. 

Ce  livre  est  un  recueil  d'articles  qui  ont  paru  dans  le  journal  de 
Stockholm  Svenska  Dagblad,  dont  M.  B.  est  le  critique  littéraire  atti- 
tré. Comme  ce  journal  est  un  de  ceu.x  qui  ont  en  Suède  le  plus  fort 
tirage,  du  moins  parmi  ceux  qui  s'occupent  de  littérature,  nous 
pouvons  juger  en  raccourci,  par  ce  recueil  d'articles,  des  goûts  du 
public  suédois. 

La  littérature  française  est  assez  bien  représentée  dans  ce  livre,  à 
côté  des  littératures  du  Nord.  Mettons  à  part  l'article  sur  Charlotte 
Corday  ;  l'histoire  de  la  Révolution  intéresse  toujours  et  Charlotte 
Corday  semble  au.x  Scandinaves  une  des  figures  les  plus  représenta- 
tives de  cette  époque,  s'il  faut  en  croire  aussi  G.  Brandes.  Si  nous 
trouvons  un  article  sur  Manon  Lescaut,  à  propos  du  livre  de  Pierre 
Heinrich  :  Prévost  de  la  Louisiane,  c'est  que  M.  B.  dans  son  Histoire 
du  rofuan  suédois  qui  date  de  quelques  années  déjà,  a  eu  l'occasion 
d'étudier  la  destinée  du  livre  de  Prévost  en  Suède  et  les  imitations 
qu'il  a  suscitées  :  tout  ce  qui  touche  Prévost  l'intéresse  donc  particu- 
lièrement. Mais  le  chaptitre  essentiel  du  livre,  celui  qui  en  est  le  centre 
aussi  bien  par  l'importance  que  par  la  disposition  à  l'.intérieur  du 
livre,  est  l'étude  sur  Maurice  Barrés. 

Si  M.  B.  constate  une  évolution  dans  la  pensée  de  Barrés,  de  l'in- 
dividualisme au  nationalisme,  il  note  avec  soin  comment  ceci  résulte 
de  cela  et  il  est  heureu.x  de  constater  que  ce  nationalisme  littéraire  et 
politique  s'appuie  sur  une  doctrine  philosophique.  Ce  choi.x  de  Bar- 
rés n'est  pas  fortuit  :  nous  y  retrouvons  la  trace  des  préoccupations 
habituelles  de  M.  B.  qui  rompt  des  lances  presque  journellement  en 
Suède  en  faveur  du  nationalisme  littéraire  de  Heidenstam  ou  de 
Selma  Lagerlôf,  contre  le  naturalisme  de  Strindberg  qui  n'est  pas 
évidemment  purement  Scandinave. 

M.  B.  exagère  l'influence  de  M.  Barres  lorsqu'il  assure  qu'on  peut 
la  retrouver  chez  tous  les  jeunes  de  notre  époque.  Elle  a  été  grande 
sans  doute,  mais  sur  la  génération  qui  était  à  l'Université  entre  1890 
et  1895  :  ce  sont  les  hommes  mûrs  de  maintenant.  Quant  aux  jeunes, 
ceux  qui  ont  aujourd'hui  entre  vingt-cinq  et  trente  ans,  ils  ont  subi 
d'autres  influences  plus  fortes  que  celles  de  M.  Barrés.  Et  cela  ne 
veut  pas  dire  qu'ils  ne  lisent  pas,  qu'ils  n'estiment  pas  Barrés,  mais 
bien  souvent  plutôt  pour  son  style  que  pour  ses  idées. 

Virgile  Pinot. 


d'histoirk   et  de   littp:rature  459 

Johannes  WicKMAN,  M™''  de  Staël  och  Sverige  (l'idragtill  M'"*  de  StafUs  biogra- 
phi,  hufvudsa  kligen  efter  hittills  iiir\ckta  origmalhaiidskriftcr).  Lund,  Glcerup, 
191 1 ,  in-S". 

Cette  thèse  de  l'Université  de  Lund  manque  d'unité.  La  première 
partie  :  M.  et  M'"''  de  Staël,  traite  de  questions  bien  connues  déjà.  A 
part  quelques  détails  nous  n'y  trouvons  rien  d'essentiel  que  nous  ne 
sachions.  Remarquons  néanmoins  que  M.  W.  sait  être  juste  :  il  n'ac- 
cable pas  M.  de  Staél,  il  ne  défend  pas  de  parti  pris  M'"^  de  Staël.  Les 
deux  autres  parties  sont  plus  intéressantes,  mais  se  rattachent  mal  à 
la  première.  La  troisième,  M"^*  de  Staël  à  Stockholm,  ne  nous  apporte 
pas  encore  les  clartés  désirables  sur  la  mission  politique  de  M"*  de 
Staël;  cependant  M.  W.  a  fait  usage  des  dépêches  de  Baudissin, 
secrétaire  de  la  légation  danoise  à  Stockholm,  et  elles  nous  révèlent 
quelque  peu  les  idées  de  M"""  de  Staël  relativement  à  la  politique  de 
181 1'. 

Tout  l'intérêt  du  livre  se  concentre  sur  la  deuxième  partie  :  «  M""®  de 
Staël  et  Brinckman  »  parce  qu'elle  est  fondée  sur  une  correspondance 
inédite  de  M™"  de  Staël  à  Brinkman,  conservée  aux  archives  privées 
de  Trolle-Lungby  (80  lettres  environ). 

Brinkman  eut  l'occasion  de  connaître  M"'  de  Staël  lorsqu'il  fut 
nommé  secrétaire  de  l'ambassade  de  Suède  à  Paris.  Leurs  relations 
furent  d'abord  loin  d'être  amicales,  mais  ils  apprirent  vite  à  se  con- 
naître et  à  s'estimer;  leur  correspondance  va  de  1798,  car  même  à 
Paris,  ils  échangèrent  quelques  billets,  jusqu'à  181  3.  D'après  un  billet 
de  M'"^  de  Staël,  M.  W.  a  cru  pouvoir  affirmer  que  les  connaissances 
littéraires  de  Brinkman  auraient  été  mises  à  profit  par  M™^  de  Staël 
pour  son  livre  De  la  Littérature.  Malheureusement  cette  indication 
reste  trop  vague.  Peut-être  M.  W.  pourra-t-il  trouver  quelque  préci- 
sion à  ce  sujet  lorsqu'il  aura  les  lettres  de  Brinkman  à  M™"  de  Staël  et 
qu'il  nous  donnera  l'édition  complète  de  cette  correspondance. 

La  bibliographie  est  quelquefois  un  peu  courte.  M.  W.  n'a  pas 
connu  les  deux  ouvrages  de  M.  Edouard  Herriot  :  M'"^  Récamier  et 
ses  amis  et  Un  ouvrage  inédit  de  M"""  de  Staël  :  les  fragments  d'écrits 
politiques.  L'article  de  M.  Charles  Joret,  Madame  de  Staël  et  r hellé- 
niste d'Ansse  de  Villoison  [Rev.  Iiist.  littér.  de  la  Fr.,  oct.-déc.  1908) 
lui  aurait  aussi  fourni  une  utile  indication  '. 

Virgile  Pinot. 


Académie  des  Inscriptions  et  Bellles-Lettres.  —Séance  du  i  j  mai  1Ç12.  — 
M.  le  comte  Paul  Durrieu  annonce  que  la  commission  du  prix  Fould  a  décidé  de 
partager  ce  prix  de  la  manière  suivante  :  3, 000  fr.  à  M.  Georges  Durand,  L'église 
abbatiale  de  Saint-Ricquier  ;  —  1,000  fr.  à  M.  Lauer,  Le  ratais  du  Latran  ;  — 
800  fr.  à  M.  Paul  Denis,  pour  son  ouvrage  sur  Ligier  Ridiier;  —  800  fr.  à  M.  Morin 
Jean,  pour  son  livre  intitulé  :  I.e  dessin  des  animaux  en  Grèce;  —  5oo  fr.  à 
M.  Hourticq,  pour  son  Histoire  de  l'art  en  France. 

I.  Lorsqu'il  s'agit  de  caractériser  le  Directoire,  il  vaut  mieux  invoquer  une  autre 
autorité  que  Gaston  Boissier  :  La  conjuration  de  Catilina. 


460  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

M.  (lharics  Jorct  moiiirc  la  siiigulicrc  nicthodc  sui\ic  par  Pline  dans  la  compo- 
sition lie  son  Histoire  naturelle  et  les  dilVicultcs  qu'il  a  ainsi  préparées  aux  com- 
mentateurs, en  particulier  à  ceux  des  livres  qui  traitent  de  la  botanique.  Puisant 
à  loulcb  les  sources  connues  ou  inconnues,  passant  quelquefois  sans  transition  de 
la  description  inachevée  d'une  plante  toute  dilVérentc,  sauf  à  revenir  plus  loin  à 
la  première  alors  désignée  sous  un  autre  nom,  il  semble  avoir  pris  plaisir  à 
dérouter  ses  interprètes.  Deux  exemples  mettent  le  fait  en  évidence.  Au  ch.  64 
du  1.  XXI.  il  donne  il'après  Thécjphrasle  la  desciiption  abrégée  de  la  lapfia,  la 
bardane,  description  si  obscure  que  plusieurs  botanistes  ont  cru  qu'il  s'agissait 
(.lu  grallcron.  l.itlrc  lui-même  s'y  est  trompé.  .\u  ch.  116  du  I.  XXIV,  Pline 
indique  d'abord  une  propriété  médicinale  curieuse  d  une  plante  qu'il  appelle 
philautliropos,  puis  il  s'interrompt  brusquement  pour  exposer  d'après  une  source 
inconnue  l'ctnplui  dans  le  traitement  du  cancer  et  dans  les  maladies  des  porcs  de 
la  lappa  canaria.  plante  qui  n'est  autre  sans  doute  que  la  bardane,  mais  que  les 
commentateurs  ont  pris  les  uns  pour  une  espèce  de  galiet,  les  autres  pour  une 
ombellifère,  d'autres  même  pour  le  chiendent.  Revenant  ensuite,  au  I.  X.W'll, 
ch.  i5,  h  la  plante  phiLtntliropos  qu'il  appelle  maintcuiuit  apariue,  il  en  fait  cette 
fois,   d'après  Dioscoride.  une    description  détaillée    assez   claire   qui   montre    que 


s 


cette  plante  au  double  nom  n'est  autre  que  le  gratteron.  On  voit  par  ces  exemple 

au'il  faut  lire  Pline  avec   déhance  et   ne  se    prononcer    sur  l'identité    des  plantes 
ont  il  parle  qu'après  avoir  comparé  les  descripli<.)ns   trop  stiuvent   fragmentaires 
qu'il  en  donne  et  les  noms  parfois  si  divers  qu'il  leur  attribue. 

M.  Maxime  Collignon  donne  lecture  d'une  étude  sur  l'ancien  Parthénon.  Les 
fouilles  poursuivies  sur  l'.Xcropole.  de  i8<S5  â  18.S8,  les  travaux  de  .M.  iJoerpfeld 
et,  plus  récemment,  les  recherches  de_M.  Hill  ont  résolu  une  question  longtemps 
discutée  et  permettent  de  prendre  une  idée  plus  exacte  du  temple  dont  les  pre- 
mières assises  ont  occupé,  entre  les  deux  guerres  médiques,  l'emplacement  du  Par- 
thénon actuel.  C'est  celui  qu'on  peut  appeler  le  second  Parthénon  primitif  et  sur 
l'histoire  duquel  insiste  M.  Collignon. 

Ac.\DÉ.MiE  DES  l.NscRiPTioNs  ET  Bei.les-Lettres. —  Scauce  dit  24  mai  I  g  l 'j . — 
M.  le  comte  Paul  Durrieu  présente,  de  la  part  de  M.  Louis  Karl,  professeur  à 
Budapest,  des  photographies  de  miniatures  représentant  sainte  Elisabeth  et  prises 
dans  des  mss.  des  xv*  et  xvi''  siècles  conservés  au  .Musée  Britannique  lAdd.  Mss. 
18.  857,  19.  416  et  24.   i53). 

Le  P.  Scheil  annonce,  au  nom  de  la  commission  du  prix  Saintour.  que  ce  prix 
a  été  distribué  de  la  manière  suivante  :  i  .000  fr.  à  M.  l'abbé  Nau,  pour  ses  publi- 
cations sur  Jean  dWntioclic  et  Nestorius  ;  —  5oo  fr.  à  M.  Clément  Huarl  pour  ses 
Textes  persans  relatifs  à  la  secte  des  Horoufis  ;  —  5oo  fr.  à  M.  Emile  Amar  pour 
sa  traduction  du  Fak'ri;  —  5oo  fr.  à  M.  Joseph  Halévy,  pour  son  Précis  d'allogra- 
phie  assyro-habylonienne  ;  —  5oo  fr.  à  .M.  Ed.  Huber  pour  l'ensemble  de  ses  travaux 
d'archéologie   et  philologie  indo-chinoises. 

M.  Morel-Faiio  entretient  l'Académie  d'une  lettre  inédite  de  Marguerite  d'York, 
tante  des  enfants  d'Edouard  IV  clandestinemcni  mis  à  mort  sur  l'ordre  de  leur 
oncle  le  duc  de  Gloucester,  le  futur  Richard  111.  Cette  lettre  recommande  à  la 
reine  Isabelle  de  Castille  l'imposteur  f^erkin  Warbeck,  qui  s'était  fait  passer 
pour  le  second  fils  d'Edouard  et  qui  tint  ce  rôle  jusqu'en  l'année  1499  où  il  fut 
condamné  et  pendu.  La  lettre  en  question  prouve  que  Marguerite  eut  une  part  pré-, 
pondérante  dans  cette  mystification  qui  occupa  toute  l'Europe  et  que  la  complicité 
de  divers  souverains,  tels  que  l'empereur  Maximilien  et  le  roi  Jacques  d'Ecosse, 
contribua   à  faire  durer  pendant  dix  ans   environ. 

L'Académie  procède  à  l'élection  d'un  membre  de  la  commission  des  Ecoles 
françaises  de  Rome  et  d'Athènes.   —  M.    Maurice    Prou  est  élu. 

M.  Glotz  appelle  l'attention  sur  l'indice  chronologique  que  peuvent  fournir  dans 
l'histoire  grecque  les  prix  de  certaines  denrées,  particulièrement  des  métaux.  Il 
prend  pour  exemple  le  plomb.  Le  cours  ordinaire  de  ce  métal  est  de  2  drachmes 
par  talent  (5  fr.  40  les  100  kil.).  Cependant,  à  deux  reprises,  on  constate  une 
hausse  de  100  à  i5o  0/0  dans  les  comptes  de  l'Erechtheioa  à  Athènes '5  drachmes) 
et  dans  ceux  de  la  Tholos  à  Epidaure  (4  drachmes  2  oboles).  Un  prix  anormal 
s'explique  facilement  l'année  de  TErechtheion  (409-408)  :  depuis  l'occupation  de 
Décélie  par  les  Spartiates  et  la  fuite  des  esclaves,  les  mines  du  Laurion  étaient 
fermées;  le  plomb  se  fait  rare,  comme  l'argent,  et  la  hausse  du  plomb  [annonce 
ainsi  le  monnayage  exceptionnel  de  l'or  en  407  et  du  bronze  en  406.  La  hausse 
que  signalent  les  comptes  de  la  Tholos  tient  également  à  une  catastrophe  poli- 
tique d'Athènes  et  s'accompagne  aussi  d'une  frappe  d'or.  La  seule  date  qui  puisse 
convenir,  c'est  l'année  de  Chéronée  (338-337).  Or  la  hausse  du  plomb  s'est  pro- 
duite la  21'=  année  des  travaux  de  la  Tholos.  Comme  ces  travaux  ont  duré  3o  ans, 
ils  se  placent  entre  338-357  ^^   329-328.  —  M.  Théodore  Reinach  présente  quel- 


ques observations. 


Léon   Dorez. 

L' imprimeiir-géranx  :  Ulysse  Rouchon. 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N«  24  —  15  juin.  —  1912 

SciiMiDT,  L'historiographie  dans  l'Ancien  Testament.  —  Leumann-Haupt,  Le  culte 
juif  sous  les  Perses,  les  Grecs  et  les  Romains.  —  Holtzmann,  Les  origines  du 
Nouveau  Testament.  —  Kittel,  Histoire  du  peuple  d'Israël,  L  —  La  religion' 
dans  l'histoire  et  le  présent,  III.  —  Marmoustein,  Chrétiens  et  gnostiques  dans 
le  Talmud  et  le  Midrasch.  —  ,1.  Martin,  Thomassin.  —  Ce  qu'on  a  fait  de 
l'Kglise.  —  Deonna,  L'archéologie,  sa  valeur,  ses  méthodes,  111.  —  SETâLà,  Kul- 
lervo-Hamlct.  —  Publications  de  la  Société  suédoise  des  belles-lettres  de  Fin- 
lande. ~  Cruyplants  et  Aerts,  Dumouricz  dans  les  Pays-Bas  autrichiens.  — 
Laimerre,  La  campagne  des  émigrés  en  1792.  —  G.  Hulot,  La  manœuvre  de 
Laon.  —  Roger  de  Damas,  Mémoires,  par  .1.  Ra.mbaud.  —  P.  de  Pindray,  L'action 
en  déclaration  de  paternité  naturelle.  —  Hill,  La  Calprenède  en  Angleterre.  — 
Académie  des  inscriptions. 


Die   Geschichtsschreibung  im  Alten  Testament,  von    H.  Sciimidt,  Tùbingen, 

Mohr,  igii;  in-12,  56  pages. 
Der  jûdische  Kirchenstaat  in  persischer,  griechischer  und  rômischer  Zeit, 

von  C.  F.    Lehmann-Haupt.  Tiibingcn,  Mohr,   igii  ;  în-12,48  pages. 
Die  Entstehung  des  Neuen  Testaments,  von  H.  Holtzmann.  Tùbingen,  Mohr, 
191 1;  in-12,  44  pages.  Zweite  AuHage. 

Trois  petits  volumes  de  la  collection  des  Religionsgeschichtliche 
Volksbiicher. 

Le  premier  est  excellent.  M.  Schmidt  s'est  inspiré  des  idées  de 
M.  Gunkel  sur  les  origines  et  l'évolution  de  la  littérature  hébraïque, 
mais  il  domine  parfaitement  son  sujet  et  il  sait  le  traiter  de  la  façon 
la  plus  vivante.  On  peut  en  apprendre  plus,  dans  cette  brochure  de 
vulgarisation,  sur  l'historiographie  hébraïque,  ses  débuts,  son  carac- 
tère et  ses  transformations,  que  dans  beaucoup  de  gros  manuels 
bibliques.  On  est  un  peu  étonné  cependant  de  voir  citer  Gen.  xiv,  la 
victoire  d'Abraham  sur  Codorlaomor,  comine  un  morceau  très  ancien  • 
il  y  a  dans  ce  récit  des  éléments  qui  remontent  très  haut,  mais  qui  ont 
chance  de  n'appartenir  pas  à  la  tradition  Israélite,  et  le  rapport  avec 
Abraham  semble  avoir  été  imaginé  tardivement.  En  tout  cas,  ce  récit 
ne  se  présente  pas  du  tout  dans  les  mêmes  conditions  que  l'histoire 
de  Gédéon  et  d'Abimelech,  ou  bien  la  mort  de  Saiil  à  Gelboé,  avec 
lesquelles  M.  S.  a  cru  pouvoir  le  comparer. 

Plus  sèche,  moins  originale  est  la  brochure  de  M.  Lehmann-Haupt. 
C'est,  du  reste,  un  bon  exposé  des  faits.  Est-ce  à  raison  de  l'affinité 
qui  existait  entre  la  religion   de  Zoroastre  et  le  mosaisme  qu'Arta- 

Nouvelle  série   LXXIII  24 


462  RKVLE    CRITIQUE. 

xerxès  I  favorisa  les  réformes  d'Esdras  et  de  Néhémie?  Tout  le  monde 
le  dit,  mais  personne  n'en  sait  rien.  Il  paraît  certain  que  le  règne  de 
la  Loi  s'introduisit  par  l'autorité  des  rois  de  Perse  :  cela  peut  résulter 
simplement  du  crédit  dont  jouissaient  les  chefs  de  la  colonie  juive  de 
Babylone,  qui  présentaient  la  Loi  d'Esdras  comme  la  forme  légitime 
et  traditionnelle  du  culte  juif.  Du  moins,  M.  L  -H.  aurait  dû,  semble- 
t-il,  n'affirmer  pas  sans  quelque  réserve  que  la  doctrine  de  Zoroastre, 
tout  récemment  élaborée,  était  devenue  sous  Darius  religion  de  l'État. 
Le  regretté  H.  Holtzmann  avait  pu  revoir  avant  sa  mort  cette 
seconde  édition  des  pages  très  suggestives  qu'il  a  écrites  sur  les  ori- 
gines du  Nouveau  Testament.  Il  explique  fort  bien  comment  le  chris- 
tianisme primitif,  déjà  en  possession  de  livres  sacrés  qu'il  tenait  du 
judaïsme,  se  trouva  pourvu  d'écrits  à  lui  propres  qui  acquirent  peu  à 
peu  la  même  considération  que  les  Ecritures  anciennes  et  formèrent 
un  recueil  parallèle,  aussi  autorisé.  A  la  tin,  H.  explique  sommaire- 
ment l'attitude  du  protestantisme  à  l'égard  du  canon  traditionnel. 

Alfred  LoiSY. 


Geschichte  des  Volkes  Israël,  von  R.  Kittel.  I  Band,  zweite    Auflage,   Gotha, 
Perthes,  1912;  in-S",  xii-bôj  pages. 

Œuvre  de  première  importance,  entièrement  renouvelée  dans  cette 
seconde  édition,  grâce  aux  découvertes  archéologiques  des  dernières 
années.  L'analyse  des  sources  bibliques  n'a  pu  faire  de  grands  pro- 
grès, mais  leur  commentaire  et  l'histoire  ancienne  de  la  Palestine  en 
ont  réalisé  de  considérables. 

La  première  partie  du  volume,  où  il  n'est  pas  question  de  la  Bible 
ni  d'Israël,  est  un  remarquable  exposé  de  l'histoire  de  la  Palestine,  ou 
plutôt  de  ce  qu'on  en  sait,  depuis  l'âge  de  pierre  jusqu'au  xiii'  siècle 
avant  Jésus-Christ.  Selon  M.  Kittel,  vers  25oo,  la  migration  amorite 
envahit  la  Palestine  par  le  nord;  mais  d'autres  Sémites  longtemps 
auparavant  Savaient  précédée,  ce  premier  tiot  sémitique  ayant  diî 
être  dans  le  même  rapport  avec  l'ancien  empire  d'Accad,  fondé  par  le 
vieux  Sargoii,  que  la  migration  amorite  avec  le  premier  empire  baby- 
lonien ;  à  la  première  couche  de  population  sémitique  se  rattache- 
raient les  Cananéens.  Les  Habiri  d'El-Amarna  doivent  être  les 
Hébreux,  c'est-à-dire  le  groupe  sémitique  auquel  se  rattache  Israël. 
L'usage  des  sacrifices  humains  pour  les  fondations  de  villes  ou  de 
maisons  ne  peut  plus  être  contesté.  Il  est  probable  que  les  cada- 
vres de  nouveau-nés  enfouis  dans  des  jarres  sur  les  lieux  de  culte 
sont  aussi  des  débris  de  sacrifices  humains,  l'offrande  des  premiers- 
nés,  que  la  Bible  dit  avoir  existé  dans  l'antiquité  cananéenne  et  qu'elle 
accuse  les  Israélites  d'avoir  imités. 

On  ne  peut  pas  se  dissimuler  que  la  tradition  biblique  s'adapte 
assez  mal  au  cadre  que  lui  fournit  maintenant  l'histoire  mieux  con- 


d'histoiri:  et  de  littérature  463 

nue  de  lOrient.  L'on  ne  sait  plus  trop  que  faire  des  patriarches,  et 
Moise  lui-même  est  d'un  placement  difficile.  On  avait  mis  naguère 
quelque  confiance  en  Codorlaomor,  qui  a  un  si  beau  nom  élamite 
(Kudur-L-agamar)  :  M.  K.  nous  avertit  que,  si  Codorlaomor  a  existé, 
ce  fut  au  XXI''  ou  xx«  siècle  avant  notre  ère,  et  que,  si  Abraham  a 
existé,  ce  fut  au  xvi^ou  au  xV  siècle.  Mais  c'est  pour  sauver  Abraham 
que  M.  K.  le  rapproche  de  Moïse;  Melchiscdech  lui  serait  un  meil- 
leur garant  que  Codorlaomor.  Tout  cela  est  bien  conjectural.  L'anec- 
dote de  Melchiscdech  est  fort  tendancieuse,  et  le  rapport  de  ce  person- 
nage avec  Abraham  est  sujet  à  caution.  En  ce  qui  regarde  l'exode, 
Moïse  et  Josué,  M.  K.  retient  le  plus  qu'il  peut  de  la  tradition 
biblique.  Il  déclare  nettement  que  le  séjour  d'Israël  en  Egypte  et 
l'exode  ne  sont  attestés  que  par  cette  tradition,  mais  il  admet  que 
celle-ci  était  déjà  toute  formée  au  temps  des  Juges  et  qu'elle  doit  être 
substantiellement  exacte.  Des  tribus  Israélites  seraient  venues  s'éta- 
blir en  Egypte  vers  le  temps  d'Aménophis  IV;  Ramsès  II  serait  le 
pharaon  de  l'oppression,  et  Mernephtah  celui  de  l'exode;  si  Merne- 
phtah  connaît  alors  un  Israël  en  Palestine,  c'est  qu'une  partie  seule- 
ment des  tribus  avait  émigré;  les  Égyptiens  qui  poursuivaient  Israël 
furent  noyés  dans  un  flot  de  marée  montante;  Moïse  conduisit  sa 
troupe  à  Cadès,  et  le  Sinaï  de  l'alliance  n'était  pas  loin  de  là;  Moïse 
fut  le  prophète  d'une  nouvelle  religion  qu'on  peut  qualifier  d'héno- 
théisme  moral  ;  il  promulgua  le  décalogue  comme  loi  du  pacte  entre 
lahvé  et  Israël;  il  a  pu  recueillir  en  Egypte  quelque  écho  des  idées 
du  pharaon  réformateur  Aménophis  IV,  et  se  trouver  ainsi  orienté 
vers  une  plus  haute  idée  de  la  divinité;  du  reste  l'action  d'un  génie 
religieux  tel  que  Moïse  n'est  explicable  que  par  une  iinmittelbare 
Beruhrung  Gottes;  le  personnage  de  Josué  est  historique,  et  pareille- 
ment le  fond  des  récits  relatifs  aux  débuts  de  la  conquête  de  Canaan. 
Construction  faite  avec  des  possibilités  :  on  ne  peut  pas  démontrer 
péremptoirement  qu'elle  soit  fausse;  bien  moins  encore  peut-on 
prouver  qu'elle  soit  vraie.  M.  K.  concède  le  caractère  légendaire  de  la 
tradition  biblique  sous  ses  formes  les  plus  anciennes;  il  en  prend  et 
il  en  laisse;  mais  il  l'altère  gravement  en  la  corrigeant,  et  d'abord  en 
supprimant  le  vague  de  la  perspective,  élément  essentiel,  puisqu'il 
atteste  le  défaut  de  souvenirs  précis.  Parmi  les  conclusions  ci-dessus 
énoncées,  il  n'en  est  guère  qui  ne  prête  à  objection  sérieuse.  Le  par- 
tage d'Israël  en  deux  groupes,  dont  l'un  demeure  en  Palestine  pen- 
dant que  l'autre  va  en  Egypte,  est  arbitraire  et  artificiel,  eu  égard 
à  la  tradition  biblique,  et  sans  le  moindre  appui  en  dehors  de  la 
Bible.  Si  Abraham,  Moïse,  les  Juges  se  touchaient  de  si  près,  la  tradi- 
tion biblique  devrait  avoir  plus  de  consistance  et  de  continuité  ;  les 
légendes  patriarcales  n'auraient  pas  l'air  de  doubler  mythiquement 
Moïse  et  la  conquête  de  Canaan;  Moïse  lui-même  devrait  se  ratta- 
cher mieux  à  ce  qui  le  précède  et  à  ce  qui  le  suit.  Les  Israélites  ont 


/J.64  RKVUE    CRITIQUE 

quelque  temps  séjourné  aux  environs  de  Cadès,  et  c'est  là  sans  doute 
que  se  sera  formée  l'association  des  tribus  dans   le  culte  de  lahvé; 
mais  en  quoi  consistait  alors  le  culte  de  lahvé?  Moïse  Taura-t-il  fondé 
sur  des  principes  conçus  par  lui-même?  La  tradition  ne  fait  aucune- 
ment de  lui  un  génie  religieux;  elle  fait  intervenir  lalivé,  qui  prend 
Moïse  pour  organe  de  sa  révélation  et  de  ses  volontés.  Moïse  n'a  pas 
dû  inventer  ni  le  nom   ni   le  dieu;  mais  nul  ne  peut  dire  ce  qu'était 
lahvé  avant  d'être  adopté   et  quand   il  lui   adopté   par   Moïse  et   par 
Israél.  L'attribution  du  décalogue  à  Moïse  est  bien  incertaine,  cl  l'es- 
prit du  iahvisme  ancien  n'y  répond  guère.  Ce  que  Moïse  a  dû  insti- 
tuer est  une  tradition  de  culte  plutôt  qu'un  enseignement  moral  et  un 
système  de  préceptes.  Par  exemple,  la  coutume  de  ne  pas  représenter 
lahvé  peut  remonter  aux  origines  de  son  culte,  sans  qu'on  ait  besoin 
de  supposer  un  commandement  formel  ;  le  commandement  sera  venu 
plus  tard,  en  aide  à  la  coutume  violée.  Quant  à  l'influence  d'Améno- 
phis  IV  sur  la  pensée  Israélite,   il  faut  bien  avouer  qu'elle  n'a  pas 
laissé  la  moindre  trace  dans  la  tradition  biblique,  l'ancien  lahvé  ne 
ressemblant  pas  du  tout  à  un   soleil   panthée.   lahvé   paraît  ne   rien 
devoir  à   la   spéculation    théologique;    c'est    un    dieu    sauvage,    peu 
sociable,  actif,  fort,  Jaloux,  juste  à  sa   manière.  Que  la  foi  en  un  tel 
dieu  n'ait  pu  être  que  le  produit  d'une  révélation,    rien   n'est   moins 
évident.  Et  qu'il  ait  fallu  un  génie  religieux  pour  la  concevoir,  cela 
non  plus  ne  crève  pas  les  yeux.  L'existence  d'une  forte  personnalité 
pour  créer  le  lien  des  tribus  dans  le  culte  de  lahvé  n'a  rien  que  de 
vraisemblable;   mais    un  grand   penseur  n'était  pas   nécessaire  pour 
cela  ;   un  homme  de  toi  ardente,  ayant  le  tempérament  de  son  dieu,  y 
suffisait. 

Alfred  Loisy, 

Die  Religion  in    Geschichte  und  Gegeavvrart.  Dritter  Band  ;  von  Hesshus  bis 
Lytton.  Tûbingcn,  Mohr,   1912;  in-4,  xu-2448  pages. 

Les  précédents  volumes  de  celte  encyclopédie  religieuse  ont  été 
signalés  dans  cette  Revue.  Nos  lecteurs  en  connaissent  la  valeur  et 
l'esprit.  De  telles  publications  défient  l'analyse.  Disons  que  les  articles 
continuent  d'être  rédigés  avec  le  même  soin.  Signalons  les  remar- 
quables articles  bibliques  de  M.  H.  Gunkel  :  Hiobbuch  (pour  des 
raisons  d'ordre  surtout  littéraire,  M.  G.  fait  remonter  ce  livre  au 
temps  de  Jérémie,  sauf  les  discours  d'Elihu  et  d'autres  additions 
moins  considérables),  falive  (étymologie  incertaine,  la  réplique  d'Ex, 
m,  14  :  «  Je  suis  qui  je  suis  »,  n'étant  qu'un  jeu  d'esprit  populaire), 
-Jacob  und  Esau,  Immanuel,  eic;  de  M.  Gressmann,  Hohcslied  (le 
Cantique  n'est  pas  un  recueil  de  chansons  nuptiales,  mais  de  chan- 
sons d'amour  et  d'un  amour  peu  idéaliste;  ces  chansons  sont  écrites 
dans  la  langue  du  iir  siècle  avant  notre  ère,  mais  certains  morceaux 
peuvent  être  très  anciens);  de  M.  W.  Boussex,  Johannesevangelium 


d'histoire  et  de  littérature  465 

(aucune  valeur  historique;  tout  se  résume  dans  la  formule  :  «  Le  Verbe 
s'est  fait  chair  »  ;  la  question  de  composition  est  secondaire,  le  même 
esprit  dominant  tout  le  travail  rédactionnel);  de  MM.  Heitmuller 
et  Baumganen,  Jésus  Christiis,  qui  acte  aussi  publié  à  part.  Articles 
importants  sur  divers  sujets  :  Katholi^ismus  et  Kirchengeschich- 
tsschreibung  (Kôhler);  Kirchenbaii  (en  Allemagne;  Rauch),  Kirchen- 
reclii  (^Meydenbauer),  eic,  etc.  Nombreuses  notices  biographiques  de 
contemporains.  Il  v  a  tant  de  demeures  dans  le  purgatoire  du  «  moder- 
nisme »  que  ce  serait  justice  de  n'y  point  jeter  pêle-mêle  des  hommes 
tels  que  M.  L.  Laberthonnière,  qui  n'est  pas  du  tout  hérétique,  avec 
des  gens  qui  ont  fait  bon  marché  de  l'orthodoxie.  Moi  aussi  je  suis 
qualirié  «  moderniste  français  «,  et  je  n'en  suis  pas  plus  fier.  On  eût 
bien   mieux  fait  de   dire   que   je   suis  rédacteur   à  la   Revue   critique 

depuis  vingt-trois  ans. 

Alfred   Loisv. 

Die  Bezeichnungen  fur  Christen  und  Gnostiker  im  Talmud  und  Midrash, 

von  A.  Marmorstein.  Chez  l'auteur,  Skotschau  (Silésie  ,  19  10  ;  in-S",  83  pages. 

Recueil  et  discussion  de  textes  rabbiniques  qui  se  rapportent  ou 
peuvent  se  rapporter  aux  chrétiens  et  aux  gnostiques.  Les  textes  ne 
sont  ni  très  nombreux  ni  très  significatifs;  on  peut  même  se 
demander  quelquefois  si  le  rapport  indiqué  par  M.  Marmorstein  est 
bien  réel.  La  contribution  apportée  à  l'histoire  des  polémiques 
anciennes  entre  juifs  et  chrétiens  n'en  est  pas  moins  appréciable.  Il 
est  assez  curieux  de  voir,  par  exemple,  comment  les  docteurs  juifs 
répondaient  à  la  prétention  qu'affirmaient  les  chrétiens  d'être  le  véri- 
table Israël.  Dieu  a  fait  écrire  la  Loi,  qu'on  a  traduite  en  grec  et  que 
les  païens  peuvent  lire,  mais  la  tradition  non  écrite  est  restée  depuis 
Moïse  en  ia   possession   des  seuls  Juifs,  qui  par  conséquent  sont  le 

vrai  Israël. 

A.  L. 

Thomassin,  par  J.  Martin,  Paris,  Bloud,  191 1  ;   in-12,   127   pages. 

L'oratorien  Thomassin  (ibig-ibgS)  a  été  dans  une  certaine  mesure 
historien  des  dogmes  chrétiens;  du  moins  a-i-il  touché,  rassemblé, 
analysé  les  documents  de  leur  histoire.  Il  mérite  bien  la  petite  étude 
que  M.  Martin  lui  a  consacrée  :  notice  sobre,  érudite,  avec  résumé  de 
ses  principaux  ouvrages  et  de  ses  doctrines.  Il  va  sans  dire  que 
M.  M.,  qui  a  Vimprimatur  ecclésiastique,  se  contente  d'exposer  som- 
mairement les  conclusions  de  son  auteur  et  n'entre  pas  dans  la  dis- 
cussion des  problèmes  délicats  que  soulève  l'histoire  des  dogmes. 

A.  L. 

Ce  qu'on  a  fait  de  l'Eglise,  Paris,  Alcan,   191  2  ;  in- 16,  xxin-554  pages. 

Livre  anonyme,    écrit  par  un   groupe   de  prêtres  et    de   laïcs   qui 


466  REVUE    CRITIQUK 

souffrent  profondcmcni  de  la  situaiion  que  rKglisc  caiholique  s'est 
laite  à  elle-niCMiie  cl  qui  leur  paraît  dangereuse  surtout  pour  elle. 
Leur  langage  est  très  digne,  mais  si  triste,  si  triste,  qu'on  les  croirait 
par  avance  désabusés  sur  le  résultat  que  peut  avoir  leur  criort  de  sin- 
cérité. Ce  n'est  pas,  en  effet,  quand  l'épiscopat  français  n'est  plus 
qu'un  grain  de  poussière  sous  le  pied  du  pape,  quand  la  moindre 
velléité  d'indépendance  intellectuelle  devient  une  hérésie,  quand,  par- 
tout, dans  l'ordre  politique  aussi  bien  que  dans  l'ordre  religieux,  les 
catholiques  n'ont  plus  à  pratiquer  qu'une  seule  vertu,  l'obéissance, 
que  l'on  peut  parler  utilement  de  réforme  et  de  liberté.  Aussi  bien 
nos  auteurs  ne  font-ils  guère  que  déplorer  les  maux  grandissants. 
Modernes  Jérémies,  assis  parmi  les  ruines  de  leurs  espérances  et  de 
leur  idéal,  ils  nous  redisent,  un  peu  longuement  peut-être,  des  choses 
déjà  connues.  Ils  sont  très  documentés.  Ils  le  sont  presque  trop;  car 
l'exposé  qu'ils  font  des  questions  est  un  peu  touffu  pour  l'objet  qu'ils 
ont  en  vue.  Ils  trouvent  néanmoins  beaucoup  de  lecteurs,  puisque 
l'ouvrage  en  est  à  sa  cinquième  édition.  Il  aurait  eu  encore  plus  de 
succès  si  sa  forme  était  moins  pesante.  La  logique  du  plan  n'est  pas 
très  apparente  :  on  l'aura  conçu  tel  qu'il  fallait  pour  dire  tout  ce 
qu'on  avait  sur  le  cœur,  .^près  une  «  humble  supplique  à  S.  S.  Pie  X  », 
que  S.  S.  sans  doute  ne  lira  pas,  et  qui  ne  lui  plairait  guère,  on  nous 
parle  de  la  conquête  romaine  (développement  du  pouvoir  pontifical), 
de  la  vie  intellectuelle  et  de  la  vie  morale,  des  instrumenta  regni 
(congrégations  romaines,  ordres  religieux,  presse  cléricalei,  du  moder- 
nisme et  de  la  séparation.  Tout  ce  qu'on  nous  dit  là  est  vrai  histori- 
quement (pas  toujours  cependant  :  par  exemple,  quoi  qu'en  disent 
nos  auteurs,  la  conduite  de  Pie  VI  dans  l'affaire  de  la  constitution 
civile  du  clergé  fut  à  peu  près  la  même  que  celle  de  Pie  X  dans  l'af- 
faire de  la  séparation;  il  n'y  avait  pas  lieu  d'opposer  un  pape  à  l'autre; 
tous  les  deux  avaient  droit  au  même  jugement,  la  politique  ayant  joué 
le  même  rôle  dans  leurs  décisions,  et  l'avis  de  l'épiscopat,  inspiré  par 
l'intérêt  de  la  religion,  ayant  été  pareillement  négligé);  c'est  sagement 
pensé;  les  bonnes  intentions  sautent  aux  yeux  du  lecteur,  qui  com- 
patit au  martyre  qu'on  lui  laisse  entrevoir.  Mais  il  y  a  au  moins  une 
vérité  qui  semble  avoir  échappé  à  ces  derniers  militants  d'un  catholi- 
cisme libéral  :  c'est  que  l'essentiel  de  ce  qu'ils  déplorent  se  justifie  par 
les  principes  d'une  théologie  qu'ils  n'ont  pas  cessé  d'admettre. 

Alfred  Loisv. 


W.  Deonna,  L'archéologie,  sa  valeur,  ses  méthodes.  Tome  III  :  Les  Rythmes 

artistiques.  Paris,  Rcnouard,  H.  Laiircns.  éd.    !9i2). 

M.  Deonna  s'est  proposé,  dans  ce  livre,  de  démontrer  que  «  l'évo- 
lution artistique  se  déroule  partout  suivant  un  rythme  semblable  », 
que   «  ces  éternels  recommencements  de  l'art  sont   nécessités  par  la 


d'histoire    et    de    LITTERATURE  467 

forme  même  de  l'esprit  humain  et  par  les  circonstances  sociales  dans 
lesquelles  il  vit  »  (p.  25j.  Sans  doute,  reconnaît  M.  D.,  cette  opinion 
n'est  point  nouvelle,  mais  comme,  jusqu'ici,  on  ne  l'a  émise  d'ordi- 
naire qu'en  passant,  soit  pour  élargir,  en  manière  de  conclusion,  l'ho- 
rizon d'une  étude  particulière,  soit  pour  donner  plus  de  piquant  à  une 
critique,  il  est  bon  de  l'ériger  enfin  en  vérité  indiscutable,  en  l'ap- 
puyant, comme  le  veut  M.  Poitier,  sur  «  des  analyses  de  détails,  bien 
conduites  et  consciencieusement  faites  ». 

M.  D.  bornera  son  enquête  à  la  civilisation  européenne.  Dans  cha- 
cune des  «  quatre  périodes  »  de  celte  civilisation  (quaternaire  paléo^ 
lithique,  égéenne,  grecque  et  romaine,  chrétienne),  l'art  poursuit 
«  une  évolution  complète  avec  progrès,  grandeur  et  décadence  » 
(p.  45);  et  dans  chaque  période  et  progrès,  celte  grandeur,  celte  déca- 
dence se  reproduisent  avec  des  caractères  analogues.  Si  on  laisse  de 
coté  l'âge  quaternaire,  où  cciie  marche  se  laisse  moins  prouver  que 
prévoir,  on  peut  établir  les  correspondances  suivantes  : 

néolithique  =■  géométrique  =  début  du  moven  âge. 

vie  s.  av.  J.-C.  =  xii^  s.  après  J.-C. 

V*"  s.  =    XIII''  s. 

iv""  s.  ;=  xiv''  s. 

apogée  de  l'art  minoen  =  art  hellénistique  =  xv^  s.  =  xviii''  s. 

Entre  l'art  minoen  et  l'art  hellénistique.  MM.  Riegl  [Wien.  Jahres- 
hefte,  IX,  1906,  p.  19)  et  S.  Reinach  [Rev.  Et.  Gr.,  1908,  p.  18-20) 
avaient  déjà  relevé  des  ressemblances  que  M.  D  complète  et  précise. 
Si  frappantes  qu'en  soient  au  premier  abord  les  ditïérences,  leurs 
«  tendances  spirituelles  sont  semblables  >■>  (p.  io5)  :  l'artiste  crétois  et 
l'artiste  «  alexandrin  »  sont  unis  sinon  par  l'identité  des  procédés,  du 
moins  par  la  communauté  des  goûis.  Ce  qui  plaît  à  l'un  et  à  l'autre, 
c'est  le  réalisme  de  la  vie  journalière;  animaux  dans  leurs  attitudes 
les  plus  «  instantanées  »,  —  foules  grouillantes,  —  scènes  de  genre  (ou 
qui  nous  semblent  telles),  —  paysages,  —  corps  virils  aux  muscula- 
tures sèches  et  nerveuses,  —  corps  féminins  délicats  et  souples,  d'une 
grâce  maniérée  et  quelque  peu  sensuelle.  C'est  à  ce  goût  pour  l'ob- 
servation directe  que  l'art  minoen  doit  d'avoir  échappé  à  la  loi  de 
«  fronuiliic  »  qui  pèse  sur  tous  les  arts  à  leurs  débuts;  et  s'il  y  a 
échappé,  c'est  qu'il  n'est  plus  un  art  de  primitifs.  Mais  on  peut  aller 
plus  loin  et  se  demander  si  les  ressemblances  entre  «  Minoens  »  et 
Hellénistiques  sont  dues  au  seul  fait  que  les  deux  périodes  en  sont 
«  arrivées  au  môme  degré  de  leur  évolution  respective  »  ou  s'il  ne 
s'agit  pas  de  «  survivances  à  travers  les  siècles  de  qualités  propres  »  à 
l'art  minoen  (p.  io5)?  C'est  à  cette  dernière  opinion  que  M.  D.  se 
range;  car  la  plupart  des  traits  qui  caractérisent  l'art  hellénistique 
remontent  à  l'art  ionien,  et  l'art  ionien,  «  la  démonstration  n'est  plus 
à  faire  »,  est  «  l'héritier  direct  de  l'art  égéen  »  (p.  120). 

M.  D.  passe  ensuite  à  la  comparaison  de  l'art  grec  et  de  l'art  chré- 


468  REVUE    CRITIQIK 

tien.  11  va  sans  dire  que  ce  sera  la  partie  essentielle  de  son  livre. 
Qu'on  examine  ces  deux  ans  au  berceau,  l'art  grec  jusqu'au  v^  s.,  l'art 
chrétien  jusqu'au  xiii"  s.  Leur  analogie  apparaît  si  forte,  dans  l'en- 
semble et  dans  les  détails,  que  l'on  pourrait,  pour  les  caractériser  l'un 
et  l'autre,  s'exprimer  dans  les  mêmes  termes  :  matière  rebelle,  outil 
maladroit,  asservissement  instinctif  et  fatal  à  de  nombreuses  conven- 
tions. Toute  celte  partie  du  livre  de  M.  1).  est  excellente.  L'auteur 
des  «  Apollons  archaïques  »  analyse  avec  non  moins  de  justesse  et  de 
pénétration  les  «  saints  primitifs  »  ;  et  il  établit  jusque  dans  les  moin- 
dres détails  leur  parenté  fraternelle. 

«  Au  sortir  de  ces  deux  périodes  initiales,  l'artiste  s'est  forgé  non 
seulement  une  technique  semblable,  mais  encore  un  idéal  tout  pareil 
qui  sort  logiquement  des  essais  antérieurs  »  ip.  iq3).  Au  reste,  «  c'est 
devenu  un  lieu  commun  que  de  rapprocher  l'art  gothique  de  celui  du 
x"  s.  grec  ».  L'une  et  l'autre  époque  se  caractérisent  de  même  :  pro- 
grès dans  la  correction  et  dans  le  goût,  rejet  des  conventions  archaï- 
ques, rupture  avec  la  rigidité  frontale,  et  surtout  tendance  à  un  idéal 
de  gravité,  de  sérénité,  de  simplicité  noble  et  austère.  Tout  en  pui- 
sant sa  substance  dans  la  réalité^  l'art  ne  s'abaisse  pas  jusqu'au  réa- 
lisme ;  l'artiste  s'élève  au-dessus  des  contingences;  il  néglige  le  por- 
trait, il  est  malhabile  à  rendre  la  laideur,  la  vieillesse,  les  formes 
enfantines  ou  féminines.  C'est  l'homme  seul,  dans  la  plénitude  de  sa 
force  adulte,  qui  l'intéresse,  au  point  que,  inconsciemment,  il  virilise 
tout  être  humain.  11  a  recours  au  symbole,  quand  il  pourrait  s'inspi- 
rer de  l'actualité  et  de  l'histoire.  Par  là,  les  êtres  que  sa  pensée  crée 
pour  illustrer  et  exaller  la  foi  collective,  participent  de  l'éternelle  jeu- 
nesse de  cette  foi.  L'art  grec  du  v^  s.  et  l'art  chrétien  du  xiii%  soumis 
à  la  double  tradition  de  la  religion  et  de  l'art,  sont  «  rationalistes, 
spéculatifs,  idéologues  »  (p.  256). 

M.  D.  poursuit  sa  minutieuse  et  attentive  enquête  sur  les  arts  pos- 
térieurs :  le  iv°  s.  grec  et  le  xiv^  s.  chrétien  sont  surtout  caractéiisés 
par  la  renaissance  du  réalisme,  par  la  recherche  de  l'expression,  par 
l'humanisation  des  types  divins;  l'art  hellénistique  et  celui  des  xv% 
XYi"^  et  xviii^s.  par  l'exagération  de  ces  mêmes  tendances. 

Et  voici  les  conclusions  d'une  étude  qui  embrasse  quelque  trente 
siècles  d'art. 

«  L'homme,  a  dit  Renan,  conquiert  ses  résultats  par  oscillations  ». 
C'est  une  loi  qui,  dans  l'art,  se  vérifie  sans  conteste.  Au  sortir  de  ses 
premiers  tâtonnements,  l'art  est  idéaliste  ;  puis  il  devient  réaliste; 
puis  idéaliste  de  nouveau;  et  ainsi  de  suite  dans  un  perpétuel  va-et- 
vient,  sans  qu'on  puisse  dire  à  quel  moment  il  est  supérieur,  sans 
qu'il  soit  juste  de  considérer  le  réalisme  comme  une  dégénérescence, 
l'idéalisme  comme  un  apogée. 

Il  ne  reste  plus  à  M.  D.  qu'à  répondre  à  la  question  qu'il  s'était 
posée  au  début  de  V Archéologie,  sa  valeur^  ses  méthodes  :  «  Qu'est-ce 


d'histoire  et  de  littérature  469 

que  Tarchéologie  ?  Quel  est  son  bui  ?  »  [.'archéologie  doit  perdre  son 
caractère  mesquin  d'étude  poiniillcusc  ci  inutile,  fermée  aux  pro- 
fanes; comme  l'histoire  dont  elle  est  une  des  faces,  elle  doit  avoir  un 
but  actuel,  une  fonction  sociale  :  nous  «  faire  mieux  comprendre  le 
présent  »,  ce  présent  si  plein  de  passé.  Inversement,  l'étude  des  phé- 
nomènes artistiques  modernes  éclairera  d'un  jour  singulier  ceux  du 
passé,  et  du  plus  lointain  passé.  Cette  liaison  entre  le  passé  et  le  pré- 
sent, l'archéologie,  dans  son  domaine,  l'établit  d'une  façon  péremp- 
toire  :  l'art,  comme  la  civilisation  tout  entière,  se  balance  au  gré  d'un 
Bux  et  d'un  reflux,  et  évolue  dans  des  cycles  fermés.  En  archéologie, 
comme  en  histoire,  il  faut  abandonner  la  théorie  du  progrès,  «  aujour- 
d'hui bien  morte  ».  L'art  «  n'est  pas  produit  au  hasard  des  volontés 
individuelles  »,  mais  il  est  «  toujours  assujetti  à  un  déterminisme 
constant,  amenant  les  mêmes  résultats,  à  des  siècles  d'intervalle,  sui- 
vant un  rythme  que  nous  avons  pu  fixer  »  (p.  535). 

Tel  est,  en  résumé,  le  contenu  des  Rythmes  artistiques,  si  tant  est 
qu'on  puisse,  en  quelques  pages,  en  résumer  535  si  pleines  de  subs- 
tance, si  nourries  de  faits  et  d'idées. 

Il  est  dommage  qu'un  livre  si  intéressant  (je  dirai  tout  à  l'heure 
tout  le  bien  qu'il  en  faut  penser)  donne  parfois  l'impression  d'une  hâte 
fébrile,  qui  se  trahit  par  des  négligences  d'expression,  par  des  répéti- 
tions inutiles  (c'est  ainsi  que  l'art  hellénistique  est  étudié  à  trois 
reprises,  pour  aboutir  chaque  fois  aux  mêmes  conclusions).  .le  crois 
que  la  thèse  de  M.  D.  n'aurait  perdu  de  sa  solidité  apparente  que  pour 
gagner  en  souplesse,  si  elle  avait  été  plus  mûrie  et  plus  méditée  par 
endroits. 

Certaines  de  ses  opinions  ne  sont  pas  suffisamment  motivées. 
P.  21  :  «  Michel-Ange  retrouve  même  inconsciemment  l'ancien 
canon  du  v  s.  »  (Cf.  aussi  p.  265).  Ceci,  à  coup  sûr,  n'est  point  vérifié 
par  des  œuvres  comme  la  Nuit,  ou  le  Moïse,  dont  les  têtes  frappent  par 
leur  petitesse  plus  que  «lysippéenne  ».  —  P.  507  :  pour  Michel-Ange, 
«  comme  pour  un  Grec  du  v^  siècle,  l'homme...  calme  comme  un 
dieu...  ».  Calmes,  les  œuvres  de  Michel-Ange  ?  Ces  œuvres,  tourmen- 
tées de  passion  auxquelles  l'artiste  n'a  parfois  donné  des  attitudes 
tranquilles,  que  pour  faire  éclater  par  contraste  toute  la  flamme  de 
leur  vie  intérieure?  Malgré  le  dédain  de  Michel-Ange  pour  les  traits 
individuels,  malgré  son  culte  exclusif  de  la  beauté  virile,  n'est-il  pas 
en  opposition  d'esprit  intime  avec  les  sculpteurs  grecs  du  V  s.  ?  Et, 
même  pour  ce  qui  est  du  résultat  plastique,  ne  conviendrait-il  pas 
mieux  d'évoquer,  à  son  propos,  l'art  pergaménien,  si  cet  art  eût  été 
plus  sincère  et  profond?  —  P.  i33  :  «  Dans  les  reliefs  et  les  pein- 
tures, c'est  aussi  le  règne  de  la  figure  campée  de  face,  position  qui 
précède  celle  de  la  figure  vue  de  profil  et  qui  se  voit  dans  l'archaïsme 
grec,  comme  à  toutes  les  époques  d'incapacité  technique  ».  Ce  juge- 
ment est  trop  absolu  puisque  dans  des  arts  comme  ceux  de  l'Egypte, 


4-0  RF.Vl'K    CRITIQUE 

de  l'Assyrie  ou  de  la  Chaldée,  et  dans  l'art  grec  archaïque'  même  la 
figure  de  profil  règne  presque  uniquement  dès  l'origine.  —  P.  307  : 
«  Vers  les  xi'-xiii'^  s.,  l'art  byzantin  s'élève  à  la  même  hauteur  idéale 
que  l'art  grec  du  v"^  s.  »  Franchement,  cette  imagerie  maladroite, 
gauche,  guindée  mérite-t-elle  l'honneur  de  voisiner  en  si  noble  com- 
pagnie ?  Et  n'est-ce  pas  confondre  la  rigidité  avec  la  noblesse,  le 
manque  de  vie  avec  la  sérénité,  le  hiératisme  avec  la    grandeur?  Etc., 

etc. 

Minuties  que  toutes  ces  critiques?  —  Mais  c'est  que  l'ouvrage  de 
M.  D.  est  empli  de  menues,  très  menues  observations.  Cette  méthode, 
en  l'espèce,  était  nécessaire.  Nous  n'avons  qu'à  regretter  qu'il  ne  l'ait 
pas  poussée  plus  loin  encore,  pour  en  tirer  toutes  les  conséquences. 
Car  nous  n'aurions  ))as  à  lui  reprocher  d'avoir  parfois  donné  à  sa 
thèse  une  allure  schématique  et  dogmatique,  d'avoir  poussé  à  l'ex- 
trême certains  balancements  symétriques,  généralisé  témérairement, 
dans  certains  cas,  et  sacrifié  la  variété  des  phénomènes  artistiques  à 
la  rigueur  un  peu  artificielle  de  ses  classifications. 

Par  exemple,  dire  que  le  xiii"  s.  est  un  siècle  d'idéalisme,  cela  est 
vrai  d'une  manière  générale  ;  mais  fallait-il  négliger  ce  filet  de  réalisme 
qui  s'infiltre  alors  dans  les  plus  nobles  oeuvres  ?  Des  statues  comme  le 
saint  Joseph  et  la  sainte  Anne  de  Reims,  comme  la  Vierge  de  la  Porte 
dorée  d'Amiens,  comme  saint  Martin,  saint  .lérôme,  saint  Grégoire, 
saintThéodore  de  Chartres,  comme  le  vieillard  chauve  blotti  sous  une 
archivolte  de  la  cathédrale  de  Reims,  etc..  sont  plus  ou  moins  des 
oeuvres  réalistes.  Le  même  réalisme  éclate  aussi  dans  les  scènes  fami- 
lières ou  bibliques  auxquelles  prennent  part  des  personnages  en  cos- 
tumes contemporains,  dans  le  décor  végétal  et  floral,  vraie  «  nature- 
morte  »  de  pierre,  dans  certaines  figures  de  gargouilles,  grimaçantes  et 
caricaturales  comme  des  statuettes  hellénistiques.  —  Inversement,  on 
constate  qu'à  l'aube  du  xvi«  s.  qui  est,  d'après  M.  D.,  letriomphedu  réa- 
lisme, les  tendances  idéalistes  ne  sont  pas  mortes  :  à  preuve  les  effigies 
tombales  des  Poncher,  de  Roberte  Legendre  qui  sont  si  peu  des  por- 
traits(voirau  contraire  ce  que  dit  M.D.  de  la  statuaire  funéraire,  p.  370 
et  suiv.).  Et  M.  D.  (p.  5o6)  n'y  a  pas  suffisamment  insisté.  —  Dans  l'art 
des  xv^-xv^  s.,  dit  M.  D.  «  le  réalisme  triomphe  »  (p.  324).  Mais, 
pour  grouper  sous  cette  formule  la  plupart  des  artistes  du  Quattro- 
cento et  de  la  Renaissance  italienne  et  française,  il  faut  élargir  le  sens 
du  mot  réalisme,  au  point  qu'il  se  confonde  en  partie  avec  idéalisme. 
—  Le  partage  de  l'histoire  de  l'art  en  tranches  séculaires  a  cet  incon- 
vénient que  telle  période  comme  la  civilisation  byzantine  (dont  M.  D. 
ne  parle  qu'incidemment)  n'entre  pas  dans  ces  cadres  trop  étroits,  ou 
que  certaines  définitions  d'une  époque  s'appliquent  non  moins  à 
d'autres  (en  un  sens,  les  arts  du  vi*  s.  grec  et  du  xii^  s.  chrétien  sont 
non  moins  <f  rationalistes,  spéculatifs  et  idéologues  »  que  ceux  du 
v=  et  du  xni=). 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  47  I 

La  thèse  de  M.  D.  eût  été  irréprochable,  à  mon  avis,  s'il  eût  noté 
autre  chose  que  ce  balancement  monotone  et  automatique  du  réa- 
lisme et  de  l'idéalisme.  Ce  sont  en  réalité  deux  courants  éternels  du 
flot  artistique,  qui  coulent  bord  à  bord,  se  mêlent  parfois,  s'étendent 
alternativement  aux  dépens  l'un  de  l'autre,  sans  que  l'un  d'eux  dis- 
paraisse entièrement.  «  La  vie  se  moque  de  la  logique  »,  a  dit  M.  D. 
lui-même  (Revue  Ethn.  et  Soc.  191  i,  p.  41)-  J'ai  peur  qu'ici  la 
logique  de  M.  D.  n'ait  pas  tenu  suffisamment  compte  de  la  vie. 

11  aurait  été  bon  aussi  de  chercher  à  savoir  si  certaines  ressem- 
blances ne  sont  pas  dues  à  des  survivances  ou  à  des  imitations. 
Sans  doute  M  .  D.  a  fait  cette  enquête  pour  l'art  hellénistique,  qu'il 
rattache  aux  vieilles  traditions  «  minoennes  »  par  l'intermédiaire  de 
rionisme  ;  mieux  encore,  il  a  consacré  à  cette  question  tout  un  cha- 
pitre du  tome  II  [Les  lois  de  l'Art).  Mais  par  les  corrections  qu'elle 
peut  apporter  à  la  théorie  des  «  recommencements  »,  la  théorie  des 
«  survivances  »  et  des  «  imitations  »  était  non  moins  à  sa  place  dans 
le  tome  111. 

Le  même  esprit  systématique,  je  le  retrouve  enfin  dans  cette  opi- 
nion que  l'art  «  n'est  pas  produit  au  hasard  des  volontés  indivi- 
duelles ».  Cela  revient  à  dire  que  l'artiste ji'est  qu'une  quantité  négli- 
geable, que  le  milieu  social  et  le  courant  artistique  sont  tout.  Sans 
doute,  nul  ne  conteste  que  l'artiste  ne  soit  pour  une  part,  —  mettons, 
si  l'on  veut,  pour  une  part  très  grande,  —  modelé  par  des  forces  tra- 
ditionnelles ou  collectives.  Mais  il  reste  son.  caractère  et  son  génie,  et 
dans  l'ceuvre  qu'il  produit,  il  y  a  bien  la  marque  de  quelque 
«  hasard  »,  du  hasard  qui  lui  a  donné  ce  caractère  et  ce  génie.  Les 
grands  artistes  sont  plus  que  de  simples  noms,  plus  que  de  simples 
spécimens  d'une  époque,  plus  que  de  simples  jalons  d'une  évolution. 

Je  voudrais  qu'on  ne  se  méprît  pas  sur  la  portée  des  critiques  qui 
précèdent,  et  qu'on  ne  mesurât  pas  leur  importance  à  l'étendue  que  je 
leur  ai  donnée.  Replacées  en  marge  de  ce  gros  livre,  elles  se 
réduisent  en  somme  à  peu  de  chose  et  je  n'ai  désiré  rien  dire  de  plus 
que  ceci  :  un  complément  correctif  —  quelque  chose  comme  des 
Exceptions  à  la  règle  des  oscillations,  serait  le  bienvenu.  A  cette 
réserve  près,  il  ne  faut  pas  ménager  les  éloges  à  M.  D.,  d'abord  pour 
le  plaisir  qu'on  a  éprouvé  à  lire  bien  des  pages  excellentes  où, 'dans  un 
style  alerte  et  clair,  se  manifeste  une  intelligence  très  vive  et  très 
lucide,  ensuite  et  surtout  pour  le  profit  que  chacun  peut  en  tirer. 
Trop  souvent  les  archéologues,  même  quand  ils  passent  d'études 
particulières  à  une  généralisation  doctrinale,  pèchent  par  myopie  et 
par  timidité.  Trop  souvent  le  public  qui  s'intéresse  à  leurs  études 
emporte  de  la  lecture  d'une  Histoire  de  l'art  l'impression  que  l'art, 
éternellement  changeant,  ne  repasse  jamais  par  les  mêmes  routes. 
M.  D.  a  opéré  la  réaction.  A  coups  répétés  d'observations,  d'analyses, 
de  comparaisons,  presque  toujours  exactes,  souvent  neuves,   en    pui- 


472  RKVDE    CRITIQl  E 

sani  dans  sa  vaste  et  sûre  érudition  les  exemples  les  plus  variés,  il 
impose  à  notre  esprit  cette  idée  qu'il  est  dangereux  de  s'attacher  aux 
fluctuations  et  aux  différences  et  que  la  tâche  de  l'archéologue  doit 
être  au  contraire  de  ramener  à  l'unité  la  complexité  des  phénomènes 
artistiques.  Un  tel  livre  était  nécessaire;  et  il  faut  féliciter  M.  D.  de 
l'avoir  écrit. 

F.  CoiîRBV. 


E.  N.  SETâLâ  :  Kullervo-Hamlet.  Ein  sagenvergleichender  Versuch.  Hclsingfors 
et  Leipzig.  Separatabdruck  aus  dcn  «  Fiunisch-Ugrischen  Forschungen  »,  III, 
VII,  X.  ini  I.  VI- 197  pp. 

Les  origines  de  la  légende  d'Hamlet.  Quelles  qu'elles  puissent  être, 
M.  Setiila  établit  qu'elle  offre  une  singulière  ressemblance  avec  la 
légende  de  KuUervo  dans  le  Kalevala.  Dans  les  deux  c'est  le  même 
motif  du  fratricide  vengé  par  le  fils  de  la  victime,  lequel,  ne  songeant 
qu'aux  moyens  d'arriver  à  son  but,  semblait,  dans  la  vie  ordinaire,  par- 
faitement dépourvu  de  tout  esprit,  et  que  son  oncle,  cependant,  avait 
cherché  à  faire  disparaître,  afin  de  s'assurer  l'impunité  de  son  crime  : 
tentatives  que  le  prétendu  idiot  a  toujours  su  rendre  vaines.  Com- 
ment s'expliquer  cette  ressemblance?  On  sait  que  Shakespeare  s'est 
inspiré  pour  sa  tragédie  d'un  drame  composé  par  l'un  de  ses  prédé- 
cesseurs d'après  un  récit  des  «  Histoires  tragiques  «  de  Belleforest 
[ibjo),  lequel  aurait  été  lui-même  tiré  de  la  «  Geste  des  Danois  »  de 
Saxo  Grammaticus.  D'où  le  chroniqueur  danois,  lui,  tenait-il  ce  récit, 
qu'il  amplifie  d'ailleurs  d'éléments  nouveaux?  D'une  source  danoise, 
sans  doute,  inconnue  et,  vaisemblablement,  d'un  conte  islandais  de 
Brjdm  l'idiot,  qui  a  donné  naissance,  plus  tard,  à  la  saga  d'Amlodha 
ou  Ambalessaga.  Or,  Detter  a,  d'autre  part,  essayé  de  démontrer  que 
ce  nom  d'Amlodhi  n'est  qu'une  traduction  du  latin  Brutus.  Effective- 
ment, il  y  a  entre  la  légende  d'Hamlet  et  l'histoire  de  Brutus  de  trou- 
blantes coïncidences.  Saxo  a  dû  connaître  celle-ci.  Que  lui  a-t-il 
emprunté?  Mais  le  motif  d'Hamlet  se  retrouve  aussi  dans  l'Iran,  et 
les  Celles,  d'après  Fr.  York  Powell,  ne  l'auraient  pas  davantage 
ignoré.  Le  «  Lai  d'Aveloc  le  Danois  »,  selon  Gollancz,  nous  en  four- 
nirait une  preuve  suffisante.  Les  Finnois,  de  leur  côté,  ont  fait  de  cet 
Hamlet  un  des  héros  de  leur  Kalevala.  En  effet,  les  aventures  de 
KuUervo  sont  très  sensiblement  les  mêmes.  Les  mêines  aussi  celles 
du  Kalevipveg  des  Esthoniens.  En  outre,  M.  Setalâ  démontre  que  les 
noms  mêmes  des  personnages  correspondent.  Ne  s'ensuit-il  pas  que 
ces  chants  épiques  des  Esthoniens  ont  dû  venir  de  la  Finlende  pro- 
prement dite,  où  le  thème  en  aurait  été  importé  par  les  Scandinaves? 
Cela  semble  fort  vraisemblable.  M.  Seiiila  a  donné  là  un  curieux  cha- 
pitre de  la  vie  d'une  des  plus  célèbres  légendes  qu'il  y  ait.  Mais  la 
naissance  même  de  cette  légende  demeure  dans  la  nuit. 

Léon  Pineau. 


d'histoire  et  de  littérature  47? 

Skrifter  utgivna  av  svensha  Litteratursallskapet  i  Finland,  Hclsingfors. 

La  Société  suédoise  des  Belles-Lettres  de  Finlande  a  publié  en  ces 
dernières    années    plusieurs   ouvrages    particulièrement    susceptibles 
d'intéresser  des  lecteurs  étrangers.  Par  exemple,  la  très  complète  bio- 
graphie par  M.  G.  Schybergson  de  Henrik  Gabriel  Porthan  (I,  xni- 
281  pp.,  1908,  II,  575,  pp.  191 1),  à  l'occasion  du  centième  anniver- 
saire, le  16  mars  1906,  de  la  mort  de  ce  professeur  à  l'existence  aussi 
calme  qu'occupée  et  qui  tint  une  place  prépondérante  dans   la  vie 
intellectuelle  de  son  pays  pendant  le  dernier  tiers  du  xviii=  siècle.  Ses 
travaux  sur  l'ethnologie,  l'archéologie,  la  mythologie,  le  folk-lore,  la 
langue  demeurent  l'une  des  principales  sources  à  consulter  pour  qui 
veut  étudier  les  origines  et  la  mentalité  du   peuple  finlandais.  Cette 
biographie,   très  riche,  très  documentée,  précieuse  surtout  pour  les 
résumés  qu'elle  donne  d'ouvrages  difficiles  à  se  procurer,  se  trouve 
heureusement  complétée  par  un  recueil  de  Lettres  de  Porthan  [Brev 
fran  H.  G.  Porthan  till  samtida)  dont  je  n'ai  eu  que  le  1"  vol.  entre 
les  mains   [Del  2  :   Supplementband,   19 12,   viii-iSg  pp.)  —  Et,  à  ce 
propos,  pourquoi  toutes  les  publications  de  la  Société   ne  sont-elles 
donc  pas  dans  le  même  format?  —  En  deux  volumes  aussi  et  aussi 
pour  un  centenaire  Jenny  af  Forselles  a  donné  le  recueil  des  œuvres 
suédoises   d'Elias    Lônnrot   {Elias    Lonnrots   svensha    Skrifter^    I, 
355   pp.,  II,  xxx-58o  pp.,    1908-1911)  comprenant  ses  remarquables 
études  sur  le  folk-lore  finnois  :   médecine  magique,   ballades-rimes, 
proverbes,  devinettes  et  sur  l'origine  et  la  composition  du  Kalevala, 
cette  antique  épopée  née  en  plein  xix^  siècle.    Le  deuxième  volume 
contient  surtout  des  lettres,  notes  de  Journal,  descriptions  de  voyages  : 
autant  d'inappréciables  documents  pour  l'histoire  de  la  Finlande  pen- 
dant  la    première    moitié  du    siècle   dernier.    Des   index    des   noms 
propres  en  facilitent  le  maniement.  N'empêche  qu'un   index  général 
analytique  alphabétique  y  serait  encore  le   bienvenu.   Dans  le  genre 
du  catalogue  que  Alex.  Boldt  a  établi  des  travaux  de  la  Société  elle- 
même  [Generalregister  till  svenska  Litteratursàllskapets  i   Finland 
Forhandlingar   i885-igog.  Helsingfors,  igii,  727  pp).    Catalogue 
bien  utile  aussi  et  pratique  celui  de  la  littérature  suédoise  en  Finlande 
et  des  études  écrites  en  langues  étrangères  par  des  auteurs  finlandais 
ou  éditées  en  Finlande,  {Katalog  ojver  den  sv.  Litteraturen  i  Finland 
sami  arbeten  pa  fràmmande  Sprak,  igoG-igo i .  Helsingfors,  igi2, 
368 pp.)  Catalogues  d'après  lesquels  on  peut  juger  de  l'activité  vrai- 
ment étonnante  de  cette  Société.   Aussi   est-on  heureux  de    pouvoir 
faire  un  peu  plus  ample  connaissance  avec  l'Académie  d'Abo,  qui  en 
est  le  siège  :  ce  dont  nous  donne  l'occasion  un  volume  de  G.  Heinri- 
cius  au  moins  pour  les  années  de  1808  à  1828  {Skildringar  fran  Abo 
Akademi   1808-1828.  Helsingfors,  191  i,   xii-2i3  pp.)  Je  signalerai 
enfin  dans  le  dernier  volume  paru  \Studier  i  nordisk  Filologi  utgivna 
genom  Hugo  Pipping,  ///,  Helsingfors,  191  i)  un  très  intéressant  tra- 


474  RKVUE    CRITIQUE 

vail  de  L.  Fr.  Liifflor  sur  une  chanson  qui  se  trouve  dans  la  Aus  saga 
bogsvcigis  et  qu'il  appelle,  à  juste  litre,  une  des  plus  belles  perles  de  la 
vieille  poésie  lyrique  islandaise,  ainsi  qu'un  nouvel  essai  d'interpré- 
tation de  la  mystérieuse  inscription  runique  de  Rok  par  Hugo  Pip- 
ping,  cette  inscripti'on  si  importante  pour  l'histoire  des  caractères 
runiques,  dont  Rolf  Nordenstreng  se  demande  ce  qu'elle  peut  bien 
signifier. 

Léon  Pineau. 

La  Belgique  sous  la  domination  française  {[-q2-\Hib).  Dumouriez  dans  les  ci- 
devant  Pays-Bas  autrichiens  par  le  major  Eugène  Cruyplants,  ouvrage 
écrit  en  collaboration  a\cc  M.  Winiiiid  Akrts  d'après  les  Mémoires  du  général 
Dumouriez,  les  études  de  M.  Arthur  C^huquct,  de  Tlnslitut,  les  documents 
inédits  tirés  des  archives  du  ministère  de  la  guerre  de  la  République  fran- 
çaise, etc..  etc.  Bruxelles,  .\lbert  de  Bocck,  191  2.  Deux  vol.  in-8",  872  p.,  i3  fr. 
(avec  cartes  et  portraits). 

Nous  avons  quelques  embarras  à  parler  de  cette  vaste  publication. 
Notre  nom  y  revient  si  souvent,  dès  la  couverture,  et  il  est  si  fré- 
quemment cité,  non  sans  éloge,  que  c'est  presque  faire  une  réclame 
pour  nous  même  que  de  l'annoncer  ici.  Notre  devoir  est  pourtant  d'en 
dire  impartialement  tout  le  mai  —  peu  de  mal  —  et  tout  le  bien,  beau- 
coup de  bien  —  que  nous  en  pensons.  Les  deux  auteurs  (l'ouvrage  a 
été  composé,  comme  l'indique  le  titre,  par  le  major  Cruyplants,  mort 
depuis,  en  collaboration  avec  M.  Winand  Aerts),  les  deux  auteurs 
ont  consacré  le  premier  volume  à  l'année  1792  et  le  second  à  l'année 
1793.  Le  sujet  est  ainsi  nettement  divisé.  Mais  l'ouvrage,  par  ce  qu'il 
a  d'un  peu  décousu  et  flottant,  a  plutôt  l'air  d'un  recueil  de  documents 
que  d'un  livre  d'histoire.  Le  récit,  qui  foisonne  de  citations,  indiquées 
ou  non  (presque  tout  notre  travail  y  a  passé),  n'est  souvent  qu'une 
marquetterie,  et  il  faudrait  des  guillemets  dans  toutes  les  pages  et  des 
références  au  bas  de  chacune.  Il  v  a  quelques  répétitions,  et  il  n'est 
pas  rare  qu'on  trouve  deux  fois  la  même  citation  (p.  102  et  2o5,  208 
et  210.  Il  y  a  des  digressions  et  des  épisodes  étrangers  au  sujet.  A 
quoi  bon  raconter  le  10  août  et  le  siège  de  Lille?  A  quoi  bon  insister 
tellement  sur  le  club  des  jacobins?  A  quoi  bon  reproduire  l'inexacte 
tirade  que   Kugo   prête  à  Danton  dans  son  ijqJ}  '.  Il  y  a  entîn  des 

I.  Ce  tableau  tracé  par  Hugo  est  curieux,  saisissant;  mais  il  fourmille' d'erreurs  : 
Servan  entrebaille  la  porte  de  la  France  au  rui  d'Espagne.  Servan  ne  fut  pas 
traître.  Wurmser  presse  Kléber.  Non,  puisque  Wurmser  est  sur  la  frontière 
d'Alsace  et  que,  comme  dit  Hugo  plus  loin,  Kléber  est  à  Mavence.  Chancel  défend 
Valenciennes  et  Ferrand  défend  Condé.  C'est  le  contraire  :  Chancel  défend 
Condé,  et  Ferrand,  Valenciennes.  Meunier  défend  Mayence.  Meusnier  (et  non 
Meunier)  défendait  Mayence  en  second,  sous  les  ordres  de  D'Oyré.  DHarville  trahit 
à  Aix-la-Chapelle,  Moreton  trahit  a  Bruxelles.  Ni  d'Harville  ni  Moreton  n'ont 
trahi,  et  d'Harville  était  à  Namur,  non  à  Aix-la-Chapelle.  Valence  trahit  à  Bréda. 
Oncques  Valence  ne  fui  à  Bréda.  Neinlly  trahit  à  Limboiirg.  Neuilly  n'a  pas 
trahi  à  Limbourg.  Meusnier  est  mort,  voilà  Kléber  seul.  Kléber,  comme  Meusnier, 


d'histoire  et  de  littérature  475 

contradictions,  et,  par  exemple,  en  deux  endroits,  à  propos  du  même 
événement,  les  auteurs  écrivent  que  Dumouriez  dit  faux  (p.  255)  et 
qu'il  dit  vrai  (p.  359).  Mais  ces  deux  volumes  sont  pleins  de  ren- 
seignements précieux.  MM.  Cruyplanis  et  Aeris  ont  consacré  de 
bonnes  et  utiles  pages  à  l'armée  autrichienne  et  à  ses  généraux,  aux 
régiments  nationaux  des  Pays-Bas,  à  l'armée  brabançonne  de  i  790  et 
à  ses  chefs,  aux  forces  militaires  dont  disposaient  les  Liégeois  et  à 
leurs  otliciers  (il  y  a  là,  sur  le  personnel,  nombre  de  détails  tirés  de 
nos  archives).  Ils  ont  essayé  de  reconstituer  l'histoire  des  corps  belges 
et  liégeois  qui  combattaient  sous  nos  drapeaux  et,  comme  ils 
s'expriment,  fait  quelques  amplifications,  —  nous  ajouterons  même 
de  très  notables  et  considérables  amplifications  —  à  notre  aperçu.  Ils 
ont  retracé  «  l'odyssée  des  soldats  belges  de  l'an  II  »  et  on  trouvera 
p.  734-7Q4  une  liste  avec  exposé  de  services,  qui  montre  quel  large 
appoint  les  Belges  ont  apporté  aux  armées  françaises.  Ils  donnent 
une  notice  biographique  de  la  plupart  des  généraux  français  qui 
figurent  dans  leur  récit  et  l'on  remarquera  ce  qu'ils  disent  de  la 
«  queue  »  de  Dumouriez  et  des  complices  et  amis  du  général  traduits 
au  tribunal  révolutionnaire.  Du  reste,  ils  traitent  Dumouriez  avec 
une  juste  indulgence  et  les  pages  qui  terminent  leur  ouvrage  et  qui 
plairont  aux  lecteurs  français,  prouvent  que  beaucoup  de  Belges  et 
de  Hollandais  luttaient  avec  nous  à  Waterloo  '. 

A.  Chuquet. 

Docteur    A.   Lapierre.    Campagne    des    émigrés   dans    l'Argonne    en    1792. 

Sedan,  Geniii,  191 1.  In-S»,  141   p. 

L'histoire  des  corps  d'émigrés  en  1  792  a  été  racontée  dans  ses  grandes 

est  sous  les  ordres  de  D'Oyré  (et,  en  outre,  d'Aubert-Dubayet).  Brunswick  arbore 
le  drapeau  allemand  sur  toutes  les  places  qu'il  prend.  En  1793,  il  ne  prit  aucune 
place,  etc. 

I.  P.  2,  lire  1866  et  non  jSôy  —  p.  24  les  auteurs  ne  citent  qu'un  appel  à  la 
désertion;  on  en  connaît  au  moins  deux  autres  —  p.  214  lire  La  Rozière  et  non 
La  Ri:^ièi-e  et  rectifier  la  date  de  la  nomination  de  colonel  (24  mars  1772)  —  p.  237 
Arthur  Dillon  était  cousin,  et  non  frère  de  Théobald  —  p.  260  Lanoue  ne  vint 
pas  de  Flandre  dans  l'Argonne  —  p.  262  le  prince  de  Ligne,  colonel,  n'était  pas  le 
«  général  »  de  l'ennemi  —  p.  263  ce  n'est  pas  Hohenhohe,  c'est  Massenbach,  son 
chef  d'état-major,  qui  se  présenta  au.x  avants-postes  —  p.  264  Mirarida  n'était 
pas  Péruvien  —  id.,  lire  Yvron  et  non  Hyron  —  p.  266  les  colonnes  ne  «  s'élan- 
cèrent »  pas  sur  les  Prussiens  —  p.  288  cette  affaire  des  bataillons  se  nomme 
art'aire  de  Reihel,  et  non  affaire  de  Sedan  —  p.  33  i  Valenciennes  ne  fut  pas  investi 
par  i5o,ooo  coalisés  —  p.  36i  dans  la  trop  longue  notice  sur  Bertèche  il  fallait 
citer  notre  Ecole  de  Mars-  et  notre  travail  sur  Bertèche  (Etudes  d'histoire,  II)  — 
p.  379  le  conventionnel  Duquesnoy  n'était  pas  à  Lille  lorsque  Macdoaald  livra 
De  Vaux —  P- 4'9  Malus  avait  été  remplacé  par  Ronsin,  mais  non  par  Pick, 
Mosselman,  Cerfberr,  Salambier  qui  n'appartenaient  pas  à  l'administration  de  la 
guerre  —  p.  453  Hesse  se  prénommait  Constantin  et  non  Constant  —  p.  666  Quan- 
tin  n'a  pas  péri  sur  l'échafaud;  il  devint  général  —  p.  801  Dumouriez  est  mort  à 
Turville  Park  et  non  à  Turkville  Park  en  1823,  et  non  en  1824. 


476  REVLE    CRITIQUE 

lignes.  M.  Lapicrre  vient  de  la  narrer  dans  le  détail,  et,  grâce  à  de 
vastes  lectures  et  à  des  recherches  patientes  dans  les  archives  publiques 
de  Paris  cl  de  Champagne,  il  a  réuni,  qu  peu  s'en  faut,  tous  les  docu- 
ments qui  concernent  cet  épisode.  Son  récit  est  d'ailleurs  aussi  atta- 
chant que  complet.  Les  sources  ne  sont  pas  toujours  exactement  indi- 
quées i^notamment  au  chapitre  vu,  p.  61-67)  et  on  s'étonne  de  trouver 
si  peu  sur  les  mesures  prises  par  Breteuil  en  pays  conquis  :  Breteuil 
n'a  pas  seulement  rétabli  les  corps  administratifs,  emprisonné  les 
patriotes,  supplié  le  roi  de  châtier  V^arennes  et  tenté  de  négocier  avec 
Dumouriez;  il  a  fait  réinstaller  à  Verdun  l'évèque,  les  chanoines  et 
les  curés  réfraciaires,  chasser  à  Verdun  et  à  Longwy  les  prêtres  dits 
intrus,  et  défendre,  par  l'organe  de  Lucchesini,  le  14  septembre,  à  la 
population  de  tenir  des  clubs  et  de  se  permettre  des, propos  séditieux. 
Il  y  a  aussi,  çâ  et  là,  dans  le  livre  de  M.  Lapierrc,  quelques  exagéra- 
tions de  patriotisme  local.  Il  nomme  l'affaire  de  la  Croix-aux-Bois 
une  bataille.  11  dit —  à  la  date  du  i3  septembre  —  que  «  les  femmes 
se  jetaient  avec  leurs  faucilles  sur  les  envahisseurs  »,  que  «  la  grande 
forêt  retentissait  des  hymnes  de  guerre  et  cachait  un  paysan  armé  der- 
rière chaque  chêne  »  (p.  42)  et  plus  loin,  d'après  Carlyle,  il  écrit 
encore  que  c  dans  la  grande  forêt  où  gémissait  l'éternelle  averse,  les 
chants  de  guerre  retentissaient  '  ».  Mais  le  récit  se  tient;  il  a  été  com- 
posé avec  soin  et  avec  amour;  il  renferme  une  foule  de  petites  parti- 
cularités inédites,  de  menus  faits  intéressants,  et  M.  Lapierre,  dont  il 
faut  louer  la  studieuse  ardeur  et  le  profond  savoir,  a  ainsi,  comme  il 
s'exprime,  greffé  son  rameau  sur  le  vieux  tronc  de  l'histoire,  réuni 
aussi  impartialement  que  possible  en  un  faisceau  tous  les  éléments  de 

la  question  ''. 

A.  Chuquet. 

1 .  Quelques  audaces  de  style  et  phrases  de  roman  :  «  Verdun  se  livrait  à 
Tétranger  comme  une  fille  »  (p.  3o);((reau  hypocrite  des  marécages  »  (p.  33);  «  sa 
voix  résonne  comme  une  ardente  claironnée  »  (p.  37);  «  La  nouvelle  entre  en  eux 
comme  une  lame  de  poignard...  Tout  sombrait  sous  le  vent  furieux  du  destin. 
Cette  atroce  pensée  noyait  leur  raison...  Leur  marche  avait  été  une  splendide  ran- 
donnée »  (p.  go). 

2.  Lire  p.  22,  23,  76,  98,  Deprez  et  non  Despre^,  p.  26  (et  bj)  Wallis  et  non 
Willis,  p.  53  Légat  et  non  Lecat,  p.  65-66  Kœhler  et  non  Keelher,  et  Massenbach 
au  lieu  de  Massembach,  p.  86,  89  et  93  Manstein  et  non  Mansteti.  —  P.  10  lire 
l'empereur  d'Allemagne  et  non  l'empereur  d'Autriche  —  p.  14  lire  le  20  avril  et 
non  le  10.  —  P.  3o  Marceau  n'a  pas  «  remis  les  clefs  de  la  citadelle  »  au  roi  de 
Prusse,  —  p.  35  Dumouriez  prévoyait,  mais  ignorait  la  capitulation  de  Verdun 
lorsqu'il  alla  occuper  l'Argonne,  —  p.  36  Miranda  n'était  pas  le  4  septembre  au 
Morthomme;  il  n'arriva  que  le  i  i  au  camp  français,  —  p.  63  ce  n'est  pas  Goethe 
qui  a  dit,  et  Goethe  n'aurait  jamais  dit,  qu'au  lendemain  de  l'orage,  les  Prussiens 
étaient  »  sales  comme  des  truies  sortant  de  leur  bauge  »;  ce  mot  est  de  Laukhard, 
—  p.  86  il  n'y  eut  pas  d'entrevues  entre  Dumouriez  et  le  roi  de  Prusse,  et  Frédéric 
Guillaume  reçut  du  général,  non  pas  du  Champagne  et  des  fruits,  mais  du  pain 
blanc,  du  café  et  du  sucre,  —  P-  91  est-il  exact  de  dire  que  Dumouriez,  dans  la 
dernière  semaine  de  septembre,  «  erre  d'un  poste  à  l'autre,  combine  de  faux  mou- 


D  HISTOIRE    ET     DE    LITTERATURE  477 

Capitaine    G.  Hui-or.    La  manœuvre    de    Laon.  i^aiis,  Chapelet,     iyi2.  In-S», 

207  p.  (avec  cartes). 

M.  Hulot  a  voulu  étudier  ce  que  pensa  Napoléon  pendant  dix-huit 
jours  de  1814,  du  23  février  au  12  mars,  ce  qu'il  sut  de  ses  adversaires 
et  les  décisions  qu'il  prit.  On  voit  donc  Napoléon  se  jeter  sur  les 
derrières  de  Bliiclier  et  jusqu'au  4  mars,  c'est  la  logique  qui  dicte  ses 
mouvements;  la  v<  manœuvre  »  repose  sur  une  hase  certaine.  Mais 
ensuite,  à  dater  du  4  mars,  l'Empereur  méprise  ses  ennemis;  il  croit 
qu'ils  le  laisseront  passer  l'Aisne  en  deux  points  distants  d'une  journée 
de  marche  et  qu'ils  ne  l'empêcheront  pas  de  concentrer  ses  colonnes  à 
Laon.  Il  méconnaît  la  situation  réelle;  son  jugement  est  faussé,  dit 
l'auteur  qui  prononce  même  à  ce  sujet  les  mots  de  «  présomption  »  et 
d'  «  entêtement  »  —  il  voit  les  choses  telles  qu'il  les  désire  et  il  croit 
en  déroute  un  adversaire  deux  fois  plus  fort  que  lui  et  qu'aucune 
défaite  n'a  encore  entamé.  Par  suite,  il  échoue.  Toutefois,  le  second 
jour  de  la  bataille  de  Laon,  malgré  la  déroute  d'Athies,  il  tient  en 
échec  les  alliés  victorieux  par  son  attitude  menaçante  et  par  ses  atta- 
ques répétées;  c'est  Condé  à  Nôrdlingen.  Ce  simple  exposé  montre 
ce  que  vaut  ce  travail,  et  nous  pouvons  dire  que  l'étude  de  M.  Hulot 
sur  ce  fragment  de  campagne  dont  il  discute  toutes  les  phases  jour  par 
jour  et  heure  par  heure,  est  très  bien  faite  et  fort  instructive  '. 

A.  Chuquet. 

Damas  (Le  comte  Roger  de),  Mémoires  (1787-1808)  publiés  et  annotés  parJacq. 
Rambaud.  Introd.  par  Léonce  Pingaud.  Paris,  Pion,    1912.   In-S"  de  xxvin-487  p. 

Une  jeunesse  brillante,  éblouissante,  étourdie,  qui  mûrit  tout  d'un 

vements  pour  tromper  ses  troupes  même  »  ?  ^  P.  93  «  Aux  conditions  du  mani- 
feste (du  28  septembre)  Dumouriez  répondit  par  d'autres  exigences  :  la  reconnais- 
sance de  la  République,  l'abolition  de  la  royauté  et  la  suppression  de  la  noblesse». 
Il  n'y  a  rien  de  tout  cela  dans  la  réponse  de  Dumouriez  ;  il  dit  simplement  que 
la  trêve  est  rompue,  qu'on  ne  traite  pas  ainsi  un  peuple  souverain  et  que  son  armée 
accueillera  le  manifeste  avec  indignation.  —  P.  gb  «  aucune  retraite  historique  ne 
fut  plus  pitoyable  »  Et  1812  ?  —  Id.  On  nous  dit  que  l'aller  a  été  «  une  splendide 
randonnée»  et,  p.  97,  nous  lisons  que  «  recommencèrent  les  longues  chevauchées, 
monotones  et  fatigantes  ».  —  Id.  «  D'autres  gagnèrent  Verdun  »  :  phrase  obscure; 
tous  devaient  gagner  Verdun  pour  échapper;  il  fallait  dire  :  «  d'autres,  prenant 
les  devants,  gagnèrent  Verdun  ».  —  P.  gG,  le  mot  du  roi  de  Prusse  à  Monsieur 
n'est  pas  authentique  pas  plus  que  celui  de  Clerfayt  p.  g?.  —  P.  io3,  peut-on  dire 
qu'après  le  mouvement  de  retraite  des  alliés,  la  situation  de  Dumouriez  était  «  in- 
certaine »?  —  P.  104  «  Carra,  commissaire  à  Sainte-Menehould,  fait  paraître...  »; 
il  fallait  dire  :  «  Carra,  commissaire  de  la  Convention,  fait  paraître  à  Sainte- 
Menehould...  »  —  P.  121  «  Les  oiseaux  de  proie  les  plus  redoutables  étaient  les 
vivandières  et  les  filles  de  joie  ».  Celte  phrase  qui,  hélas  !  est  de  moi,  bien  qu'elle 
ne  soit  pas  entre  guillemets,  détone  k  cet  endroit  ;  elle  s'applique  aux  femmes  qui 
accompagnaient  l'armée  prussienne  et  qui  pillèrent  nos  paysans  ;  mais  on  ne  pou- 
vait la  citer  à  propos  des  émigrés.  —  Que  l'auteur  nous  pardonne  ces  chicanes  qui 
prouvent  avec  quelle  attention  et  quel  intérêt  nous  l'avons  lu. 

I.  P.   loS  Bussy  était  capitaine  et  non  lieutenant;  cf.   nos  Etudes  d'Iiistoire,  III, 
p.    193. 


478  RFUE    CRITIQUE 

coup,  puis  se  replie  sur  clle-môme,  pi)ur  ne  pas  dire  s'étiole  :  telle  est 
la  vie  de  R.  de  Damas,  dont  les  présents  Mémoires^  intelligemment 
résumés  par  M.  L.  Pingaud,  savamment  annotés  par  M.  J.  Rambaud, 
contiennent  la  partie  la  plus  intéressante. 

Kn  1787,  à  22  ans,  la  conversation  en  France  devenant  trop  grave 
pour  lui,  il  va  otîrir  ses  services  à  Catherine  11  contre  les  Turcs, 
enlève  un  vaisseau  amiral,  montre  un  coup  d'œil  égal  à  sa  valeur  et  à 
son  endurance,  revient  un  instant  chez  nous  en  1789,  sert  un  peu 
partout  dans  les  rangs  des  émigrés,  se  réservant  toujours  des  saisons 
de  repos,  de  plaisirs,  comblé  de  titres,  de  décorations,  de  pensions, 
tendrement  attache  à  ses  parents,  mais  peu  empressé  de  venir  partager 
leurs  périls  ou  combattre  la  Révolution  là  où  il  croyait  qu'on  l'au- 
rait le  plus  efficacement  combatiue,  c'est-à-dire  en  France  même.  Il 
lui  faut  des  emplois  en  vue,  une  cour  entre  deux  campagnes  mili- 
taires et  plusieurs  maîtresses  de  qualité  à  la  fois. 

Subitement,  il  devient  sérieux  :  il  s'attache  de  cœur  à  la  reine  Caro- 
line de  Naples  et  à  son  mari.  Il  entreprend  de  toute  son  àme  la  réor- 
ganisation de  leur  armée;  il  soutfre  pour  eux  de  l'égoïste  ambition 
d"A.cton,  de  l'insolence  de  Nelson,  de  la  perHdie  des  Russes  et  des 
Anglais.  Rien  ne  le  rebute,  ni  l'injustice  du  ministre,  ni  l'incapacité 
de  ses  auxiliaires,  ni  la  mollesse  de  ses  subordonnés.  Il  est  patient, 
adroit,  souple,  prévoyant.  Rien  ne  lui  coûte  pour  essayer  de  sauver 
l'honneur  de  la  couronne  ;  il  y  travaille  jusque  dans  ses  disgrâces 
momentanées. 

A  ce  moment  où  il  a  joint  aux  qualités  d'un  général  celles  d'un 
ministre,  on  croirait  qu'à  défaut  des  Bourbons  de  Naples  une  autre 
puissance  (car  tous  les  cabinets  le  connaissent)  va  se  l'approprier  :  il 
s'éclipse  pourtant  de  la  scène  à  41  ans,  La  coalition  ne  fait  plus  rien 
de  lui  et  la  Restauration  guère  davantage.  Ses  17  dernières  années 
s'écoulent  dans  le  repos. 

Il  tranche  néanmoins  parmi  les  émigrés  autant  par  sa  foi  intacte  en 
l'institution  monarchique  que  par  ses  talents.  Il  ne  déclame  pas 
contre  les  révolutionnaires  non  seulement  parce  qu'il  est  homme 
d'action  plus  que  de  paroles,  mais  parce  que  les  idées  des  novateurs 
ne  lui  paraissent  même  pas  offrir  matière  à  la  discussion.  Jamais  il 
ne  prononce  les  noms  des  philosophes  du  xvme  siècle  qu'il  tient  sans 
doute  pour  plus  ennuyeux  encore  que  dangereux.  Il  ne  distingue  pas 
entre  les  modérés  et  les  jacobins.  La  Fayette  ne  lui  paraît  qu'un  ambi- 
tieux. Il  se  complaît  à  montrer  l'abnégation  de  l'armée  de  Condé 
(p.  241  sqq.,  25o  sqq,,  258);  il  sait  que  le  comte  de  Provence  est 
gourmand,  que  le  comte  d'Artois  se  plie  inal  aux  circonstances,  mais 
glisse  sur  leurs  faiblesses  et  admire  la  dignité  qu'ils  gardent  dans  fin- 
fortune.  Cette  foi  pleine  dans  l'ancien  régime  s'explique  :  quand  on 
est  comme  lui  un  bon  colonel  à  22  ans,  lorsqu'à  cet  âge  on  sait  péné- 
trer   le   caractère   d'un    Potemkin    ou    d'une    Catherine    II,    lorsque 


D  HISTOIRE    F,T    DE    LITTERATURE  479 

d'autre  part  on  voit  une  tsarine  offrir  sans  inconvénient  pour  son 
empire  l'exemple  d'une  prodigieuse  immoralité  (p.  108-9),  employer 
impunément  des  hommes  médiocres  jusque  dans  des  emplois  supé- 
rieurs, limiter  l'intrigue  aux  sphères  subalternes,  suffire  à  tout  par 
son  intelligence  et  par  sa  volonté,  on  s'accommode  aisément  de  l'aris- 
tocratie et  du  pouvoir  absolu. 

Seulement  Damas  a  trop  peu  causé  dans  les  salons  français  pour 
savoir  bien  écrire.  Du  moins,  il  note  des  détails  saisissants  (p.  86,  les 
morts  déposés  sur  la  glace  d'un  fleuve  ;  p.  i  i5-6,  les  commodités  que 
se  donnent  les  officiers  russes  ;  p.  iiti-j,  les  chevaux  russes  mis  au 
pâturage  à  quatre  pas  de  l'ennemi);  il  caractérise  spirituellement  la 
fatuité  de  Galonné  (p.  170),  les  artifices  d'Acton  (p.  367-9^,  de  Bruns- 
wick (p.  189-190)  ;  il  démêle  que  le  Russe  est  plus  porté  à  imiter  qu'à 
créer  (p.  112  ;  il  discerne  le  point  faible  des  généraux  autrichiens 
(p.  134-9).  Peut-être  sa  plus  belle  page  est-elle  celle  où  il  dépeint  l'ad- 
mirable instruction  militaire  de  l'armée  prussienne  (p.  192),  ces  qua- 
lités qu'on  retrouvera  dans  les  soldats  de  Molike  et  qui  ne  peuvent 
être  surpassées  que  par  l'élan  et  l'esprit  d'initiative  du  troupier  fran- 
çais des  bonnes  époques. 

Et  dire  que  la  vie  d'un  homme  si  bien  doué  n'a  presque  servi  à  rien  ! 

Charles  Dejob. 


P.  de  PiNDRAv,  De  l'action  en  déclaration  de  paternité  naturelle  sous  l'An- 
cien Régime.  Rennes,  1909,  88  pages,  in-S  raisin. 

Cette  action  fut  une  création  originale  de  notre  ancienne  jurispru- 
dence. Les  Parlements  l'élaborèrent  dans  le  silence  de  la  loi,  en  fai- 
sant largement  état  des  circonstances  concrètes.  A  la  fin  du  xvi*  siècle, 
les  grandes  lignes  de  cette  construction  se  dessinent  avec  netteté. 

Une  présomption  sert  de  fondement  à  cette  procédure.  On  consi- 
dère qu'entre  les  auteurs  de  l'enfant  existait  un  pacte  légitime  d'union 
ultérieure,  pour  inexécution  duquel  la  mère  demande  réparation.  La 
justice  accordera  des  aliments  pour  l'enfant,  des  dommages-intérêts 
pour  la  mère. 

L'intérêt  scientifique  de  l'ouvrage  paraît  résider  dans  les  précisions 
qu'il  pose  sur  la  condamnation  provisionnelle.  On  sait,  en  effet,  qu'à 
cette  matière  se  rattache  la  maxime  Creditur  virgini  praegiianti,  dans 
laquelle  les  civilistes  voulaient  voir  l'expression  lapidaire  de  notre 
ancienne  jurisprudence.  A  les  en  croire,  l'affirmation  même  invrai- 
semblable de  la  mère  eût  suffi  pour  entraîner  une  condamnation  de 
l'homme  ainsi  visé. 

Mais  nos  vieux  Parlements,  si  pratiques,  n'ont  jamais  émis  une 
doctrine  aussi  dangereuse  pour  l'ordre  public  et  l'honneur  des  parti- 
culiers. La  déclaration  de  la  fille-mère  entraînera  seulement  unecon- 


480  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRK     KT     UK     LITTÉRATDRE 

damnation  provisionnelle  quant  aux  aliments.  Toutefois  cette  mesure 
urgente  ne  pr<?iugera  en  rien  la  décision  à  intervenir  sur  le  fonds. 

Pierre  Labordp:rie. 


—  M.  11.  W.  Hill  a  publié  dans  les  Ihiiversity-  of  Nevada  Sttidies  (vol.  II,  ?  et 
III,  2,  ioi(i-;9iii  une  étude  sur  les  emprunts  faits  par  la  tragédie  héroïque  de  la 
Restauration  en  Angleterre  aux  romans  de  La  Calprenède  {La  Calpreuàde's 
Romances  and  tite  Restoration  Draina).  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  parler 
utilement  de  ce  travail  dont  la  deuxième  partie  seule  nous  est  parvenue  ;  lauteur 
y  relève  de  très  étroites  analogies  dans  les  situations,  les  caractères  et  mdme  le 
style  chez  le  romancier  et  les  dramaturges  anglais  Dryden,  Pordage,  Lee,  Cooke, 
M'  Bchn  et  Filmer.  —  L.  R. 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettrks.  —  Séance  du  3i  Mai  79/-.  — 
M.  Babelon  communique  une  lettre  de  M.  Toutain  annonvant  de  nouvelles 
découvertes  archéologiques  faites  sur  le  plateau  d'Alise-Sainte-Reine  par  la 
Société  des  sciences  de  Semur.  On  a  mis  au  jour  un  hypocaustc  dont  tous  les 
appareils  sont  conserves,  une  habitation  gallo-romaine  avec  des  débris  de  toute 
sorte,  et  surtout  des  substructions  gauloises  sur  lesquelles  s'est  élevée  la  ville 
gallo-romaine.  Ces  substructions  achèvent  de  démontrer  qu'un  oppidum  gaulois 
existait  sur  le  plateau  d'Alésia  avant  la  conquête  de  .Iules  César. 

M.  Henri  Omont  fait  une  communication  sur  un  résumé  politique  de  l'histoire 
des  rois  de  France  rédigé  au  temps  de  Louis  XII.  11  s'agit  d'un  petit  ms. 
qui  vient  d'être  ofl'ert  à  la  Bibliothèque  nationale  par  M.  le  baron 'de  Faviers,  et 
qui  a  sans  doute  été  exécuté  au  lendemain  de  l'avènement  de  Louis  Xll  et  pour 
justifier  son  accession  à  la  couronne. 

M,  Bernard  HaussouUier  annonce,  au  nom  de  la  commission  du  prix  Delalande- 
Guérineau,  que  ce  prix  a  été  partagé  de  la  manière  suivante  :  800  fr.  à  M.  Mau- 
rice Brillant,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Les  secrétaires  athéniens;  — 400  fr. 
à  M.  François  Sagot,  auteur  de  La  Bretagne  romaine. 

M.  le  comte  Paul  Durrieu  entretient  l'Académie  d'un  livre  d'Heures  de  la 
Bibliothèque  nationale  (ms.  lat.  11  56  A)  qui  a  appartenu  au  bon  roi  René.  Le 
ct)rps  de  ce  volume  est  orné  de  miniatures  remarquables.  M.  Durrieu  établit  que 
celles-ci  ont  dû  être  exécutées  entre  14^4  et  1488.  Il  indique  d'autre  part  que  ces 
miniatures  sortent  du  même  atelier  que  les  peintures  de  plusieurs  autres  très 
beaux  mss.  tels  que  les  Grandes  Heures  de  Rolian  (ms.  lat.  9471  de  la  même 
Bibliothèque)  et  les  Heures  à  l'usage  d'Angers  de  l'ancienne  collection  Hamilton, 
aujourd'hui  chez  M.  Martin  Le  R.oy.  Entin,  M.  Durrieu  expose  que  l'atelier  en 
question  a  dû  avoir  son  principal  siège  d'activité  à  Angers,  mais  travaillait  pour 
Troyes  en  Champagne,  et  qu'il  est  vraisemblable  que  parmi  ses  chefs  se  trotJ- 
vaient  des  peintres-enlumineurs  du  nom  de  Lescuier,  peut-être  d'origine  pari- 
sienne, que  l'on  sait  avoir  opéré  simultanément  à  Angers  et  à  Troyes,  et  dont  le 
plus  brillant  représentant  fut  Adenot  Lescuier,  enlumineur  en  titre  de  la  reine 
Jeanne  de  Laval,  seconde  femme  du  roi  René.  —  M.  Perrot  présente  quelques 
observations. 

M.  Maurice  Prou  donne  lecture  d'une  notice  de  M.  Joseph  Poux,  archiviste  du 
département  de  l'Aude,  sur  une  vue  de  Carcassonne  faussement  attribuée  à  l'an 
1467  et  qui  a  servi  de  fondement  à  la  restauration  récente  des  couvertures  des 
tours  de  l'enceinte  delà  cité.  M.  Poux  établit  que  ce  dessin,  conservé  au  Dépar- 
tement des  Estampes  de  la  Bibliothèque  nationale,  ne  paraît  pas  être  antérieur  au 
xvii*  siècle,  et  qu'en  tout  cas  la  légende,  d'une  formule  singulière  et  qui  ne  se  réfère 
pas  au  dessin,  a  été  découpée  d'un  document  de  1462(61  non  1467)  et  collée  sur 
ce  dessin. 

L'Académie  procède  à  l'élection  de  la  commission  des  Comptes.  —  MM.  Héron 
de  \'illefosse  et  Omont  sont  élus. 

M.  F'ottier  fait  une  communication  sur  les  Thcriclea  pocula.  — MM.  Perrot  et 
Théodore  Reinach  présentent  quelques  obserxations. 

Léon    Dorez. 

[.'imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 

Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  t*eyriller,  Rouchon  ei  Gamon 


REVUE     CRITIQUE 


D'HISTOIRE     ET      DE     LITTÉRATURE 


N"  25  —  2Z  juin  —  1912 


H.  BAUiiR,  Les  temps  en  scniitiquc.  —  Hunger,  L'urmée  assyrienne.  —  Cosquin, 
Le  conte  du  chat  et  de  la  chandelle.  —  Marçais,  Textes  arabes  de  Tanger.  — 
L.  ScHMiDT,  Histoire  des  Germains,  II.  i.  — -G.  Wagner,  Monastères  d'Alsace. 
—  Parisot,  Tables  des  Annales  de  l'Est  et  des  Annales  de  l'Est  et  du  Nord.  — 
Prutz,  La  fausse  Pucclle  d'Orléans.  —  Calvin,  L'Excuse  de  M.  de  Palais,  p. 
Cartikr.  —  Registres  du  Conseil  de  Genève,  IV.  —  La  maison  du  cardinal  de 
Richelieu,  p.  Delociik.  —  Correspondance  du  chevalier  de  Sévigné  et  de  Chris- 
tine de  France,  p.  Lemoink  et  Saulnier.  —  Saint-Hilaire,  Mémoires,  IV,  p. 
Lecestre.  —  Dierauer,  Histoire  de  la  conFédcralion  suisse,  I\'.  —  Bates,  Tou- 
ristes de  1600.  —  Delattre,  Les  fairies  dans  la  poésie  anglaise.  —  Correspon- 
dance de  Benoit  XIV,  p.  E.  de  Heeckeren.  —  Académie  des  Insci'iptions. 


H.  Bauer,  Die  Tempora  im  Semistischen,  ihre  Entstehung  und  ihre 
Ausgestaltung  ia  der  Einzelsprachen  ;  Bcitrâgc  zur  Assyriologie,  VIII,  1, 
?3  p.  in-S".   Leipzig,  Hinrichs,   i()io,  3  m.    5o. 

M.  Bauer  estime  que  rimparfait  séniiiique  est  une  forme  plus 
ancienne  que  le  parfait  :  i"  parce  qu'il  est  plus  voisin  de  l'impératif 
qui  est  une  des  formes  les  plus  anciennes  et  les  plus  tenaces;  2°  parce 
qu'il  présente  une  plus  grande  vaiiéié  de  vocalisation.  11  en  résulte 
qu'il  n'exprimait  primitivement  aucune  idée  de  temps  subjective 
(passé,  présent,  futur)  ni  objective  faction  accomplie  ou  en  train  de 
s'accomplir).  La  forme  apocopée  jaqhil  est  antérieure  à  la  forme 
jaqtiilu.  Le  parfait  qatala  a  été  formé  d'abord  par  Taddition  d'un 
pronom  personnel  au  nom  d'agent;  mais  on  l'a  tiré  ensuite  directe- 
ment de  l'imparfait,  sans  l'intermédiaire  du  nom  d'agent.  Les  formes 
qatila  et  qatula  sont  tirées  d'adjectifs  ;  la  nuance  attachée  à  la  forme 
qatula  (état  durable)  appartenait  sans  doute  primitivement  à  quelques 
adjectifs  de  forme  qatul  et  c'est  par  analogie  qu'elle  a  été  étendue  à 
toutes  les  formes  qatula.  La  forme  qatila  est  dérivée  d'adjectifs  de  la 
forme  qatil  ou  de  noms  d'agents  de  verbes  comme  bala\  sama'  et  il 
n'y  a  pas  lieu  de  chercher  une  distinction  logique  entre  cette  forme 
et  la  forme  qatala. 

Le  nom  d'agent  peut  se  référer  soit  à  une  action  faite  une  fois  et 
parfaite,  soit  à  [\nc  action  durable  ou  répétée.  Dans  la  forme  verbale 
tirée  de  ce  nom  d'agent,  l'une  ou  l'autre  de  ces  signiHcations  devait 
prévaloir  exclusivement  ;    en    sémitique    occidental    c'est  le    sens  du 

Nouvelle  série  LXXIII  23 


,82  REVUE    CRITIQIK 

parfait  qui  a  fini  par  l'emporter  ((/j/a/t?;;  on  sémitique  oriental,  c'est 
le  sens  du  présent  (ass.  ikasad).  La  forme  jaktiil  qui,  primitivement, 
n'exprimait  aucune  idée  de  temps,  a  pris  la  fonction  laissée  disponible 
par  la  forme  qatal  :  elle  a  exprimé  le  présent  en  scmiiiquc  occidental, 
le  parfait  en  sémitique  oriental  (ass.  ilisitd).  Comme  le  participe 
présent,  le  nom  verbal  conjugué  qatala  exprime  non  seulement  le 
présent  réel,  mais  aussi  l'imparfait  (Romulo  régnante)  et  le  futur 
(I  am  going  lo  morrow).  M.  Bauer  repousse  donc  la  théorie  de  Driver 
suivant  laquelle  l'hébreu  ne  connaît  que  deux  aspects  de  l'action 
(parfaite  et  imparfaite).  Il  arrive  ainsi  à  expliquer  le  rcMe  du  vav 
conversif  et  certains  emplois  des  temps  en  hébreu  d'une  manière  bien 
plus  satisfaisante  que  ses  devanciers.  Sa  théorie  est  également  vérifiée 
en  assyro-babylonicn,  en  arabe  et  en  araméen.  L'auteur  en  conclut 
qu'au  point  de  vue  de  l'emploi  des  temps,  il  n'y  a  pas  de  différence 
fondamentale  entre  les  langues  sémitiques  et  les  langues  indo- 
germaniques. 

G.    FOSSKY. 

C.  F.   Lehmann- Haupt,  Die    historische    Semiramis   und    ihre  Zeit,    mit    3o 

Abbildungen.  Tûbingen.  Mohr,  1910.  i  vol.  76  p.  in-iS''. 

Plusieurs  statues  de  Nabii  découvertes  à  Nimriid  par  Rassam 
étaient  consacrées  au  dieu  pour  la  vie  d'Adad-iiirdri  (819-783)  et  de 
la  «  dame  du  palais  »  Sammuramat^  que  l'on  a  de  bonne  heure  iden- 
tifiée avec  la  Semiramis  des  auteurs  grecs.  Une  stèle,  découverte  par 
l'expédition  allemande  à  KaVat-Sirgdt,  porte  une  inscription  de 
Sammin-amat  «  dame  du  palais  ^)  de  Samsi-Adad,  roi  d'Assyrie, 
mère  de  Adad-nirdri,  roi  d'Assyrie,  belle-fille  (?)  de  Sulmanu-asarid. 
Cette  reine  parait  donc  avoir  joué  un  rôle  politique  jusque  sous  le 
règne  de  son  fils.  M.  Lehmann  croit  en  trouver  le  souvenir  dans  la 
tradition  rapportée  par  Ctésias,  suivant  laquelle  Ninyas,  fils  de 
Semiramis,  aurait  attenté  aux  jours  de  sa  mère  qui,  prévenue,  lui 
aurait  pardonné  et  aurait  renoncé  au  pouvoir.  Les  Mèdes  et  les  habi- 
tants de  l'Arménie,  qui  jouent  un  rôle  important  dans  le  récit  de 
Ctésias  sont  les  adversaires  les  plus  redoutables  des  rois  d'Assyrie  à 
l'époque  de  Samsuramat ;  c'est  à  cette  époque  que  les  populations 
ourartiennes  ou  chaldiques  font  leur  apparition  en  Arménie.  M.  Leh- 
mann, qui  a  parcouru  le  pays  chaldique  en  1898/99  et  recueilli  un 
grand  nombre  de  documents  encore  ignorés,  a  réuni  sous  une  forme 
populaire  les  principaux  traits  de  la  légende  de  Semiramis  pour  les 
comparer  à  ce  que  l'archéologie  et  l'histoire  nous  apprennent  des 
luttes  de  l'Assyrie  contre  le  pays  de  Van  où  une  tradition  encore 
vivante  a  attaché  le  nom  de  Semiramis  à  maint  monument.  Si  la 
légende  fait  du  mari  de  Semiramis  le  premier  roi  d'Assyrie,  alors 
que,  à  l'époque  du  Samsi-Adad,  le  royaume  d'Assyrie  avait  plus  de 
huit  siècles  d'existence,  c'est  que  la  légende  est  née  dans  un  pays  qui 


d'histoiru  kt  de  littérature  483 

est  entré  pour  la  première  lois  en  comaci  avec  l'Assyrie  sous  le  règne 
de  Samsi-Adad  ou  de  son  tils.  El  en  effet  le  premier  choc  sérieux 
entre  Ls  Mèdcs  et  les  Assyriens  eut  lieu  sous  Adad-Nirdri  et  nous 
savons  que  c'est  au  folU-lore  mèdo-perse  que  Ctésias  a  emprunté  les 
principaux  traits  de  sa  légende  de  SJ'miramis.  Les  Arméniens,  qui, 
venus  de  l'Ouest,  remplacèrent  les  Ourariiens,  apportèrent  en  Armé- 
nie la  légende  de  Sémiramis. 

C.    FOSSKY. 


J.  Hu\(;i:n,  Heerwesen  uncl  Kriegfiihrung   der  Assyrer  auf  der  Hôhe  ihrer 

Macht,  mit  9    Abbildunge  i.    Der  ultc    Oiioiu,  xii,  4    :  Leipzig,    Hinrichs,  191 1, 

40  p.  in-8°. 

M.  Hunger  a  résume  en  quelques  pages  nos  connaissances  sur 
l'armée  du  dernier  empire  assyrien  II  étudie  successivement  l'origine 
de  l'armée,  la  charrerie  et  les  enseignes,  la  cavalerie,  l'infanterie 
composée  principalement  d'archers,  les  armes  des  différents  corps, 
les  troupes  spéciales  correspondant  au  génie  et  au  train  modernes,  le 
campement,  la  fortification  et  le  siège,  les  troupes  de  la  garde,  les 
divisions  et  subdivisions  de  l'armée,  le  rôle  du  roi  en  campagne,  les 
officiers  des  différents  grades,  la  tactique  sur  laquelle  nous  sommes 
fort  mal  renseignés,  le  pillage,  le  traitement  des  prisonniers  et  la 
cruauté  des  Assyriens,  qui  est  justement  célèbre,  mais  qui  fut  pour- 
tant dépassée  par  celle  de  Ménahem,  roi  d'Israël  (II  Rois,  xv,  16).  Le 
sujet  est  un  des  plus  importants  de  l'histoire  assyrienne  et  M.  Hunger 
l'a  fort  convenablement  présenté  au  grand  public  auquel  est  destinée 
la  série  des  publications  de  VAlte  Orient. 

C.   FoSSEY. 

Emmanuel  Cosquin,  Le  Conte  du  Chat  et  de  la   Chandelle,  Paris,  Champion, 

iii-8",  191  2,  Ml  pp. 

Ce  travail  est  une  importante  contribution  à  l'étude  des  sources 
orientales  des  contes  européens  médiévaux.  Avec  l'élégante  précision 
dont  il  est  coutumier,  E.  C.  montre  cominent  cet  épisode  de  Salo- 
mon  et  Marcolfe  a  pour  origine  un  conte  hindou.  1!  étudie  incidem- 
ment d'autres  thèmes,  notamment  l'amusant  conte  de  l'honnête 
femnij  et  des  galants,  qui  a  franchi  le  seuil  de  la  Comédie  Française, 
avec  Barberine;  le  texte  arabe,  cité  p.  70,  est  à  la  p.  264  de  l'édition 
Van  Vloten. 

M.  G.  D. 


W.  Mauç.o.s,  Textes  arabes  de  Tanger  :  transcription,  traduction  annotée, 
glossaire.  Paris,  Leroux,  1911,  xvii-5o4  pp.  in-S^  écu  (Bililioth.  Ecole  Lang. 
Or.    \'iv.  t.    IV;. 

Un  livre,  tel  que    celui-là,   est   un  signe  des  temps  nouveaux,  une 

espérance  pour  l'avenir.  Et  cela  n'est  point  inutile,  car  si  l'on  regarde 


484  REVUE    CRITIQUK 

en  nrricre,  on  n'a  pas  lieu  d'eue  fier  de  ce  qu'a  fait  jusqu'ici  l'érudi- 
tion française  sur  le  terrain  de  la  linguistique  arabe  maghrébine.  Pen- 
dant longtemps,  c'est  vers  l'hisioire,  la  géographie  et  le  droit  que 
s'étaient  portés  tous  les  efforts  intelligents  ;  l'étude  de  l'arabe  parlé  en 
Afrique  du  Nord,  comme  celle  de  la  vie  locale,  était  restée  à  l'écart 
des  idées  et  des  méthodes  qui  renouvelaient  l'érudition  européenne. 
La  sociologie  maghrébine  a  tout  à  coup  regagné  le  terrain  perdu  avec 
Douité.  Bel,  Desiaing,  Biarnay,  d'autres  encore.  René  Basset  et  ses 
élèves  ont  fait  de  la  dialectologie  berbère  une  science  bien  française. 
Mais,  à  part  quelques  publications  honorables,  les  travaux  relatifs  à 
la  dialectologie  arabe  maghrébine  étaient  restés  d'une  lamentable 
médiocrité.  Dans  certains  milieux,  il  est  toujours  convenu  qu'il  existe 
un  dialecte  arabe  maghrébin  unique,  parlé  de  Gabès  à  Mogador, 
arabe  classique  corrompu,  qu'il  faut  étudier,  faute  de  mieux,  pour 
pouvoir  entrer  en  relations  avec  les  indigènes.  On  fait  des  grammaires 
selon  la  méthode  de  Lhomond,  métissée  des  théories  mal  comprises 
de  l'arabe  classique  :  et  ce  sont  elles  qui,  répandues  à  travers  l'Afrique 
française,  ont  rendu  «  les  plus  grands  services  »,  en  enseignant  aux 
apprentis  arabisants  des  notions  inexactes  et  incompréhensibles.  — 
Cette  langue  commune  qu'exposent  les  manuels  d'arabe  parlé,  elle 
existe  sans  doute,  mais  malheureusement  elle  n'est  parlée  par  aucun 
indigène  dans  la  vie  quotidienne  :  c'est  une  sorte  de  sabir  arabe  qui 
s'est  largement  développé,  semble-t-il,  pour  servir  de  truchement 
entre  les  indigènes  demi-lettrés  et  les  Européens.  Et  les  manuels  si 
répandus  en  Algérie  et  en  Tunisie  ont  contribué  à  fixer  cette  pauvre 
langue  de  bureaux  arabes  et  de  communes  mixtes  :  c'est  ce  qui 
explique  son  imprécision  et  sa  banalité. 

Ce  n'est  point  là  la  véritable  langue  populaire  :  celle  où  l'on  doit 
retrouver  toute  la  couleur  et  toute  la  souplesse  d'un  idiome  de  beaux 
parleurs,  de  faiseurs  de  bons  mots,  de  poètes  :  celle  qui  ne  saurait 
avoir  rien  perdu  de  la  richesse  des  vieux  dialectes  dont  l'amalgame  fît 
l'arabe  dit  classique.  Or,  cette  langue  populaire  n'est  pas  unique  : 
comme  en  Arabie  à  l'époque  de  Mahomet,  elle  se  diversifie  selon  les 
conditions  locales  imposées  par  la  géographie,  par  l'histoire,  par  l'état 
social,  tout  en  gardant,  sur  toute  l'étendue  du  territoire  maghrébin 
des  traits  communs  et  une  certaine  unité. 

C'est  à  déterminer  ce  qui  fait  cette  unité  et  ce  qui  conditionne 
d'autre  part  cette  diversité,  que  doit  s'appliquer  la  linguistique,  et 
Marçais  est,  en  Erance,  le  premier  qui  en  ait  appliqué  les  méthodes 
à  l'étude  des  parlers  maghrébins.  Il  a,  dans  cette  branche  de  l'ara- 
bisme,  conquis,  en  quelques  années,  une  autorité  européenne  :  mais 
si  je  suis,  pour  ma  part,  heureux  de  trouver  si  souvent  son  nom  dans 
le  Grundriss  de  Brockelmann,  on  peut  tout  de  même  regretter  qu'il 
soit  à  peu  près  seul  à  y  représenter  l'érudition  française.  Admirable- 
ment  préparé   par    une    forte  culture  générale   et   spécialisé  par  de 


d'histoire  et  de  littérature  485 

solides  études  d'arabe  classique,  Marçais  a  commencé  par  s'iniiier  à 
fond  à  la  connaissance  d'un  dialecte  citadin,  celui  de  Tlemcen,  qu'il  a 
décrit  dans  un  livre  qui,  pour  être  un  début,  garde  aujourd'hui  toute 
sa  valeur  '.  11  s'est  attaqué  ensuite  à  l'étude  d'un  dialecte  campagnard 
oranais,  celui  des  Oulàd  Brahim  '\  auquel  il  a  consacré  un  ouvrage 
où  se  précisait  sa  méthode  et  où  s'atlirmait  sa  connaissance  chaque 
jour  accrue  de  la  linguistique  arabe  classique  et  dialectale.  Enfin, 
son  aiiention  s'est  portée  sur  un  dialecte  citadin  très  altéré,  celui  de 
Tanger. 

L'ouvrage,  que  publie  aujourd'hui  l'École  des  Langues  Orientales, 
comprend  tout  d'abord  un  recueil  de  récits  familiers  en  dialecte  tan- 
gérois  :  le  four,  la  fête  de  'Ancra,  le  jeu  de  toupie,  la  vie  des  tolbas, 
et  des  chansons  enfantines.  D'une  façon  générale,  il  est  impossible  de 
reconstituer  la  prononciation  exacte  d'un  texte  dialectal  écrit  en  carac- 
tères arabes  :  en  face  de  ce  texte,  M.  a  donc  donné  une  transcription 
dans  l'alphabet  conventionnel,  légèrement  modihé,  qu'il  avait  em- 
plovée  pour  ses  travaux  précédents  ;  les  linguistiques  ne  sont  point 
parvenus,  en  etîet,  à  se  mettre  complètement  d'accord  sur  un  système 
de  transcription,  et  il  parait  peu  probable  que  les  tentatives  faites  en 
ce  sens  aient,  dans  l'avenir,  meilleur  succès  que  dans  le  passé.  La 
transcription  de  M.,  surtout  celle  qu'il  a  adoptée  pour  les  voyelles, 
est  poussée  jusqu'à  un  raffinement  qui  ne  va  point  sans  quelque 
cruauté  pour  le  lecteur  qui  n'a  point,  tout  proche  de  lui,  un  sujet 
parlant. 

Ces  textes  ne  sont  point  seulement  intéressants  par  la  langue  ;  la 
traduction,  alerte  et  précise,  qu'en  donne  M.  et  qu'il  éclaire  de  notes 
abondantes,  est  une  contribution  importante  à  l'étude  de  la  vie  maro- 
caine :  ils  intéresseront  donc  tous  ceux  qui  s'occupent  de  la  sociologie 
maghrébine. 

L'auteur  y  a  joint  un  «  lexique  »,  qui  s'étend  sur  trois  cents  pages 
de  petit  texte,  et  qui  est  la  partie  principale  de  l'ouvrage.  Comme 
il  l'avait  déjà  fait  dans  son  «  supplément  au  dictionnaire  de  Beaus- 
sier  »  (Alger,  ipoS  :  Recueil  de  l'Ecole  des  Lettres  d'Alger)  et  dans 
son  article  sur  les  «  euphémismes  »  du  Recueil  Nôldeke,  M.  verse  là 
une  partie  des  documents  dialectaux  qu'il  réunit  sans  cesse  sur  les 
parlers  maghrébins,  et  il  les  éclaire  par  ce  que  nous  savons  de  l'his- 
toire de  la  langue  classique,  et  par  la  comparaison  avec  les  dialectes 
orientaux  qui  commencent  à  être  méthodiquement  étudiés.  Les 
«  articles  »  de  ce  lexique  sont,  pour  une  bonne  part,  de  petits  «  mé- 
moires »,  pleins  de  documents  nouveaux  et  d'ingénieuses  et  solides 
observations. 

1.  Le  dialecte  arabe  parlé  à  Tlemcen,  Paris,  1902,  Leroux,  325  pp.  in-8"  (Publ.  Ec. 
Lettres  Alger,  t.  XXVl). 

2.  Le  dialecte  arabe  des  Ulâd  Brahim  de  Saida.  Paris,  1908.  Champion,  210  pp. 
iii-8°  (Mém.  Soc.  Linguistique  de  Paris). 


4.86  RKVtri..    CRITIQUK 

Visité  par  les  Arabes  de  Ui  premièit.-  inv;\sion,  Tanger  était  un  vieux 
port  punique  hasaidé  en  pays  berbère;  étape  préférée  du  passage 
d'Afrique  en  l^spagne,  elle  vit  passer  les  Arabes  et  les  Berbères  allant 
à  la  conquête  des  pays  du  Nord;  c'est  par  son  port,  ou  non  loin  de 
lui,  qu'Almoravides,  Alni'jliadcs  et  Mérinides  traversèrent  le  détroit 
pour  défendre  et  con^jucrir  la  iciie  musulmane  menacée;  c'est  par 
elle  que  vinrent,  ou  rc\inreni  au  Maroc,  les  Maures  d  Andalousie 
après  la  défaite  et  la  persécution;  les  Portugais  et  les  Anglais  y  cam- 
pèrent, avant  que  les  hasards  de  la  politique  internationale  ne  lui  aient 
préparé  un  superbe  avenir  de  cité  cosmopolite,  où  le  dialecte,  amou- 
reusement étudié  par  Marçais,  tendra  peu  à  pou  vers  le  joyeux  jar- 
gon de  Cagayous.  Si  Ton  se  souvient  de  ces  grandes  lignes  de  l'his- 
toire de  Tanger,  on  prévoit  sans  peine  un  dialecte  citadin,  très 
influencé  par  l'andalou,  très  pénétré  aussi  par  le  berbère  et  par 
respagnol,  très  altéré  par  la  vie  multiple  et  ouverte  de  la  cité. 

L'étude  des  dialectes  marocains,  qui,  avant  le  travail  de  Marçais, 
n'avaient  été  touché  que  par  quelques  mains  germaniques  assez 
légères,  et  dont  depuis  douze  ans,  la  «  Mission  scientifique  du  Maroc» 
n'a  pas  encore  trouvé  le  temps  de  s'occuper,  précisera  la  place  que  le 
■parler  langérois  occupe  dans  la  géographie  linguistique  du  Maghreb  : 
dès  à  présent  on  aperçoit  que  Tanger  forme  groupe  avec  Fez  et  Tiem- 
cen  et  que  les  caractères  généraux  des  trois  dialectes  sont  semblables; 
il  est  facile  de  l'expliquer  par  la  coexistence  en  ces  trois  villes  d'élé- 
ments arabes  et  berbères  analogues,  mêlés  sous  une  condition  sociale 
identique  :  TIemcen  seulement  est  plus  isolée  de  l'élément  andalou, 
sur  lequel  d'ailleurs  les  documents  faisaient  un  peu  défaut.  M.  les  a 
fort  accrus  en  dépouillant  Maqqari  et  ce  charmant  Ibn  Guzman 
dont  l'accès  est  malheureusement  si  diflicile. 

Mais,  ces  vagues  indications,  Marçais  évite  de  les  donner,  et  ce  n'est 
que  sur  le  terrain  solide  des  détails  qu'il  étend  et  élargit  ses  conclu- 
sions. On  sent  qu'il  attend  avec  patience  que  l'exploration  linguistique 
du  Maghreb  soit  plus  avancée.  L'ouverture  définitive  du  Maroc  à 
l'expansion  française  et  les  heureux  changements  survenus  dans  le 
personnel  tunisien  permettent  d'espérer  qu'elle  se  poursuivra  désor- 
mais légulièremenî  et  que  l'enquête  sociologique  niarcheia  du  même 
pas.  Marçais  est  seul  capable  de  diriger  les  efforts  des  jeunes  linguistes 
et  d'en  coordonner  les  résultats. 

M.  G.  D. 

Prof.  !)'■  Ludwig  Schmidt,  Geschichte  der  deutschen  Staemme  bis  zum 
Ausgang  der  Voelker-wanderung.  II,  i.  Berlin,  WeiJmann,  1911,  93  p..  S". 
Prix  :  3  tV.  -jb. 

C'est  le  cinquième  fascicule  de  l'ouvrage  de  M.  L.  Schmidt,  dont 
nous  avons  parlé  déjà  à  plusieurs  reprises,  et  qui  paraît  dans  les 
Qiiellen  und  Forschungen  ~jir  alten  Geschichte  iiiui  Géographie,  diri- 


d'histoire  et  de  littérature  487 

gces  par  M.  W.  Sic'!;liii,  prolesscur  de  geugraphic  liisiorique  à  l'Uni- 
versité de  Berlin  '.  l.a  nouvelle  livraison  comprend  quatre  chapitres 
du  prciiiicr  livio  du  tome  deuxième:  l'auteur  v  a  i^roupé  ce  qu'on  sait 
des  peuplades  se  rattachant  à  la  branche  in^évonne  ilngwaeonen, 
comme  il  écrit  lui-même).  Dans  le  premier,  il  nous  raconte  l'histoire 
des  Cimbres.  des  Teutons  et  des  Ambrons,  ainsi  que  leurs  courses 
lointaines  depuis  le  .lutland  jusqu'en  Espagne  et  en  Italie.  Dans  le. 
second  il  s'occupe  des  Angles  et  des  Warnes,  originaires  tous  deux 
du  Schleswig  actuel,  et  qui  ont  dirigé  leurs  pas  vers  la  Néerlande, 
la  Bretagne  et  la  Germanie  centrale.  Le  troisième  chapitre  est  consacré 
aux  Chauqucs,  logés  entre  l'Iims  et  l'Elbe,  et  siunoui  aux  Saxons, 
occupant  d'abord  le  Holsiein,  mais  qui  essaiment  au  loin,  les  uns 
descendant,  à  travers  la  Normandie,  jusqu'à  l'embouchure  de  la  Loire, 
et  les  autres  s'établissant  en  Westphalie  et  en  Thuringe.  M.  S.  a  joint 
à  ces  Germains,  dans  un  dernier  chapitre,  les  Frisons  et  les  Ampsiva- 
riens,  habitant  entre  TEms  et  les  régions  que  couvrit  plus  tard  le 
Zuvdersée,  mais  qu'il  estime  être  plutôt  d'origine  Scandinave. 

L'auteur  nous  décrit  avant  tout,  naturellement,  les  courses  vaga- 
bondes de  toutes  ces  peuplades,  a  travers  l'Europe  occidentale  ou 
centrale,  durant  les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne,  courses 
volontaires  vers  la  conquête  ou  le  butin,  fuites  obligées  devant  un 
adversaire  plus  puissant.  Mais  il  a  réuni  en  même  temps  tout  ce  que 
l'on  sait  de  leur  état  social,  de  leurs  coutumes  et  de  leurs  lois;  il 
continue  à  nous  retracer,  autant  que  le  permet  la  pauvreté  des  témoi- 
gnages venus  juqu'à  nous,  un  tableau  de  cette  Germanie  belliqueuse 
toujours  en  mouvement  qui  devait  hanter,  comme  un  cauchemar,  les 
gouvernants  de  Rome,  jusqu'au  jour  où,  toutes  les  barrières  étant 
rompues,  ils  furent  submergés  par  le  Hot  des  envahisseurs. 

Il  est  douteux  que  iM  .  Schmidt  rencontre  sur  tous  les  points  de  son 
exposé  minutieux  l'assentiment  absolu  des  nombreux  érudits  qui  se 
sont  occupés  déjà  et  s'occupent  encore  des  origines  germaniques;  il  y 
a  la  bien  des  détails  sur  lesquels  une  nouvelle  discussion  reste  néces- 
saire; mais  l'auteur  a  le  mérite  d'avoii'  remis  la  plupart  de  ces  petits 
problèmes  au  point  et  ceux-là  même  qui  ne  seraient  pas  disposés  à 
accepter  toujours  sa  solution  personnelle  lui  seront  reconnaissants 
de  ses  efforts  ci-itiques. 

E. 


Untersuchungen  liber  die  Standesverhaeltnisse  Elsaessischer  Kloester  von 

Geors    \Va(;nhr.    Strassburg,  Heitz    u.   Mundel,    191  i,    vu,    87    p.   in-S".    Prix  : 
4  f.  40. 

Dans  ce  mémoire  qui    est  probablenuiit   un   travail  de    «  Séminaire 
historique  »,    M.  (î.  Wagner  s'est  proposé  d'exaiiiiner  la  question  de 


I.  Cf.  Revue  Critique,  2  février  191  p. 


^^88  REVUE    CRITIQUE 

la  provenance  sociale,  si  je  puis  dire,  des  différentes  individualités 
que  nous  rencontrons  dans  les  monastères  d'Alsace  au  moyen-âge, 
abbcs,  moines,  fonctionnaires,  tenanciers  et  serviteurs,  et  de  s'enqué- 
rir de  leur  condition  légale  comme  nobles,  hommes  libres  ou  serfs  '. 
Comme  exemples  et  types  de  sa  démonstration,  il  a  choisi  un  couvent 
d'hommes,  l'abbave  bénédictine  de  Murbach,  et  un  couvent  de  femmes, 
l'abbaye  de  Hohenbourg  ou  de  Sainte-Odile  '.  I.c  sujet  en  lui-même 
ne  manquait  pas  d'intérêt,  mais  il  exigeait  une  netteté  de  vues  ci  une 
fermeté  de  pensée  qui  ne  sauraient  être  le  partage  d'un  débutant  dans 
la  science  et,  pour  le  dire  franchement,  nous  avons  trop  peu  d'élé- 
ments pour  qu'on  puisse  le  traiter  avec  succès.  L'auteur  a  certaine- 
ment mis  beaucoup  de  zèle  à  réunir  les  matériaux,  très  éparset  forcé- 
ment incomplets,  de  son  étude,  mais  on  doit  regretter  qu'il  n'ai  pas  su 
rendre  son  exposé  un  peu  plus  lucide.  On  se  perd  dans  ses  innombra- 
bles remarques  de  détail  '  et  pourtant  ses  données  restent  si  frag- 
mentaires qu'on  ne  peut  asseoir  là  dessus  un  système  quelque  peu 
solide  *.  Je  me  bornerai  donc  à  dire  que,  d'après  M.  W.,  les  véritables 
serviteurs,  les  Haiisbeamten  de  Murbach  auraient  été  des  serfs  dirigés 
par  un  moine;  qu'à  côté  d'eux,  on  voit  apparaître  des  serviteurs  supé- 
rieurs, soit  comme  sculteti  administrateurs]  soit  comme  milites 
(défenseurs  militaires)  de  l'abbaye,  et  former  au  xii^  siècle  la  classe 
des  ministeriales  qui,  s'émancipani  peu  à  peu,  finissent  par  se  faufiler 
dans  les  rangs  de  la  vraie  noblesse,  portent  comme  elle  le  nom  de 
chevaliers  et  la  remplacent  peu  à  peu  \  Telle  fut  assurément  la  marche 
générale  des  choses  dans  la  constitution  de  cette  aristocratie  de 
second  choix,  mais  il  n'y  a  là  aucune  révélation  nouvelle. 


I.  Il  s'appuie  surtout  sur  l'ouvrage  de  M.  A.  Schulte,  Der  Adel  iind  die  deuts- 
che  Kirche  im  Mittelalter,  igio. 

1.  M.  W.  était  évidemment  libre  de  choisir  les  types  qu'il  préférait;  mais  il 
faut  bien  faire  observer  qu'il  a  pris  deux  couvents  tout  à  fait  exceptionnels,  d'un 
exclusivisme  aristocratique  si  tranché  qu'on  n'en  peutlrien  conclure  pour  les  autres 
monastères  d'Alsace. 

3.  Il  faut  ajouter  que  la  confusion  s'augmente,  pour  le  lecteur,  de  ce  que  toutes 
les  notes  et  renvois  sont  rejetés  à  la  fin  du  travail. 

4.  Ainsi  l'auteur  croiï  que  jusqu'au  xivf  siècle  il  fallait  être  de  sang  noble  pour 
parvenir  à  la  dignité  abbatiale  à  Murbach,  et  nous  sommes  assez  tenté  de  lui  don- 
ner raison,  au  moins  pour  les  trois  derniers  siècles  du  moyen-âge.  Mais,  en  fait, 
nous  n'en  pouvons  rien  savoir,  M.  W.,  avouant  lui-même  qu'on  ignore  parfaite- 
ment d'où  venaient  la  plupart  des  abbés  de  Murbach  qui  ont  succédé  à  Sainl-Pir- 
min.  Le  premier  abbé  de  sang  ministériel  aurait  été  octroré  par  le  pape  à  l'abbaye 
en  I  354. 

5.  Cette  confusion  très  volontaire  entre  le  edelfreies  et  le  iinfreies  Rittevtiim  fut 
bientôt  si  générale  qu'on  voit  au  xviie  et  au  xviii«  siècle  beaucoup  de  familles  se 
targuant  de  leur  vieille  noblesse  alors  qu'elles  ne  furent  jamais  de  vraie  noblesse 
libre. 


d'histoire    et    de    LITTÉRATllRE  489 

Tables  alphabétiques  et  nicthoJiqiies  des  Annales  de  l'Est  (1897-1904)  cl  des 
Annales  de  l'Est  et  du  Nord  (1903-1909)  par  Robert  Parisot,  professeur 
d'histoire  de  l'Est  à  la  faculté  des  lettres.  Paris  et  Nancy,  Berger-l-evrault, 
i()ii,  -5  p.  iu-S".  Prix  :  'î  fr. 

Nous  voudrions  appeler  raiieniion  de  ceux  de  nos  lecteurs  qui 
s'occupent  de  l'histoire  des  départements  du  nord  et  de  l'est,  sur  un 
très  utile  instrument  de  travail  que  leur  fournit  M.  Robert  Parisot, 
professeur  d'histoire  à  l'Université  de  Nancy.  Ce  sont  les  Tables 
alphabétiques  et  méthodiques  des  Annales  de  VEst  (1897- 1904)  et  des 
Annales  de  VEst  et  du  Nord  (1905-1909).  Elles  font  suite  à  un  pre- 
mier répertoire,  consacré  en  1896  au  dix  premiers  volumes  des 
Annales  par  «  l'un  de  leurs  plus  dévoués  collaborateurs  »,  comme 
l'appelle  M.  Parisot,  M.  Théodore  Schœll,  professeur  au  lycée  de 
Chartres,  dont  les  initiales  sont  bien  connues  des  lecteurs  de  \dL  Revue 
Critique.  Il  est  regrettable  que,  «  pour  des  considérations  d'ordre 
budgétaire  »,  on  n'ait  pu  refondre  en  un  seul  ces  deux  répertoires,  ni 
conserver  les  rubriques  plus  multipliées  par  M.  Schœll.  Mais  du 
moins  on  retrouvera  facilement,  grâce  à  ces  tables  alphabétiques  et 
méthodiques  les  renseignements  désirés  sur  les  nombreuses  études 
originales  et  les  articles  plus  nombreux  encore  de  bibliographie  lor- 
raine et  flamande  donnés  dans  ces  deux  recueils  aujourd'hui  défunts, 
du  moins  dans  leur  forme  ancienne,  par  les  professeurs  de  Nancy  et 
de  Lille  et  leurs  collaborateurs.  M.  P.  mérite  toute  notre  reconnais- 
sance pour  avoir  consacré  son  temps  et  son  savoir  à  rétablissement 
de  ces  tables,  qui   représentent  une  petite  bibliographie  lorraine  et 

flamande  pour  les  douze  dernières  années. 

R. 

Die  falsche   Jungfrau  von  Orléans,  1436-1457,   von    Hans  Prutz,    Mûnchcn, 
G.  Frantz,   iqi  i,  48  p.  8°. 

Ce  mémoire  a  été  lu  par  M.  Hans  Prutz  à  l'Académie  royale  de 
Bavière,  dans  sa  séance  du  i""  juin  191  1 .  Il  résume  d'après  les  sources 
contemporaines  '  et  d'après  les  travaux  de  J.  Quicherat  [Procès  de 
Jeanne  d'Arc,  tome  Vi  et  Lecoy  de  la  Marche  (le  Roi  René)  l'histoire 
de  cette  jeune  fille  qui  apparaît  en  mai  1436  à  La-Grange-aux- 
Ormes,  près  de  Metz,  affirmant  être  la  Pucelle  échappée  au  bûcher 
de  Rouen.  Reconnue  comme  telle  par  les  frères  même  de  Jeanne  et  de 
nombreux  seigneurs  lorrains,  elle  accompagne  le  comte  Ulric  de 
Wurtemberg  dans  une  campagne  contre  Cologne,  est  excommuniée, 
mais  épouse  bieniùt  après,  sous  la  protection  de  la  duchesse  Elisabeth 
de  Luxembourg,  le  chevalier  Robert  des  Armoises,  dont  elle  a  plu- 
sieurs enfants.  Devenue  veuve,  elle  se  rend  a  Orléans,  oi^i  elle  est 
d'abord   fort  bien  reçue  "",    puis   soupçonnée  d'imposture,   figure  en 

1.  Surtout  la  chronique  du  doyen  de  Saint-Thiébaut,  à  Metz. 

2.  Il  y  avait  évidemment  une  ressemblance  physique  étonnante  entre  la   future 
Mme  des  Armoises    et  la  jeune    paysanne    de    Domré.my,  sans    quoi  elle  n'aurait 


^qO  REVUE    CRITIQUE 

Anjou  comme  capitaine  d'une  companuic  au  service  du  maréchal 
Cjilles  de  Rais  et  guerroie  plus  lard.  scmble-t-il,  en  Italie.  On  retrouve 
sa  trace,  beaucoup  plus  tr.rJ,  dans  une  Iciirc  de  pardon  du  roi  René, 
datée  de  i4?7;  a  ce  moment  Mme  des  Armoises  résidait  à  nouveau 
dans  l'Anjou,  avant  renoncé  depuis  longtemps,  sans  doute,  à  person- 
nitier  la  libératrice  d'Orléans.  M.  Pruiz  nous  donne  dans  son  étude 
l'exposé  simple  et  lucide  de  ce  fait  divers  de  notre  histoire,  que  la  lit- 
térature historique  allemande  n'avait  encore  jamais  examiné  en 
détail;  il  donne  une  explication  plausible  du  succès  initial  de  cette 
aventurière  hardie,  mais  sans  répondre  absolument  à  toutes  les  ques- 
tions de  motifs  ou  de  complicité  '  que  suscite  l'apparition  de  cette 
fausse  Pucelle.  Les  travailleurs  au  courant  des  dernières  recherches 
faites  en  PVance  n'y  trouveront  rien  de  bien  nouveau. 

R. 


L'Excuse  de  Noble  Seigneur  Jacques  de  Bourgogne,  seigneur  de  Falais  et 
de  BréJam  par  Jean  Calvin,  réimprimée  sur  l'unique  exemplaire  de  l'édition 
de  Genève  1548  avec  une  introduction  par  Alfred  Cartier,  2''  édition,  revue  et 
augmentée.  Genève,  A.  JuUien,  uji  i,  LXXl,  49,  iv  pages  gr.  iii-8". 

Parmi  les  opuscules  du  réformateur  de  Genève  dont  les  exemplaires 
ont  été  détruits  par  les  persécutions  et  le  temps,  il  n'en  est  pas  de  plus 
rare  que  cette  Excuse  ou  apologie  pour  M.  de  Falais  que  M.  Alfred 
Cartier  vient  de  rendre  déliniiivemenr  à  l'histoire  religieuse  et  à  l'iiis- 
toire  littéraire  dans  une  élégante  et  savante  édition.  Les  éditeurs  stras- 
bourgeois  des  Opéra  Calvini  avaient  cherché  en  vain  ce  texte  dans 
toutes  les  bibliothèques  de  l'Europe  et  avaient  diî  se  résigner  finale- 
ment à  donner  la  traduction  latine  de  l'opuscule,  laquelle  n'est  pas  de 
Calvin  et  qui  ne  subsiste  aussi  qu'en  très  peu  d'exemplaires.  M.  Car- 
tier a  découvert  l'exemplaire  unique  de  ['Excuse  dans  un  recueil  de 
pièces  du  xvi^  siècle  qui  fait  partie  de  la  bibliothèque  plus  célèbre 
que  connue  (parce  que  à  peu  près  inaccessible)  de  la  famille  Tronchin, 
à  Bessinges,  près  Genève.  Il  l'avait  fait  paraître  déjà  en  1896  dans 
la  Bibliothèque  d'un  curieux,  créée  par  M.  x\lphonse  Lemerre  à  Paris, 
mais  il  avait  dû  se  résigner  à  la  suf^pression  d'un  assez  grand  nombre 
de  notes  et  de  citations  pour  ne  pas  dépasser  les  limites  qu'on  lui 
avait  assignées.  Dans  cette  nouvelle  édition,  Vapparatus  criticus  est 
complet  et  nous  y  trouvons  non  seulement  une  page  de  prose  calvi- 
nienne  digne  de  figurer  à  côté  de  l'Epitre  dédicatoire  h  François  !«•■ 


pas  osé  \-ivie   si  longtemps  et  si  familièrement  dans  ces    milieux  bourgeois  d'Or- 
léans où  tout  le  monde  avait  connu  et  approché  la  Pucelle. 

I.  On  reste  en  suspens  entre  rh\pollièsc  d'une  aventurière  hardie  trompant  les 
naïfs  chevaliers  de  l.urrainc,  el  celle  ti'uii  truquage  organise  par  ces  mêmes  sei- 
gneurs très  peu  naïfs,  \oulant  exploiter  les  sentiments  d'enthousiasme  populaire 
éveillés  dans  les  populations  par  les  hauts  faits  de  Jeanne,  au  profit  d'une  action 
militaire  plus  efficace  contre  les  princes  rhénans. 


d'histoirp:  et  de  littérature  49' 

dans  Vfnstitution  chrcslicnnc  (p.  x:cxv),  mais  encore  une  notice,  aussi 
complète  qu'elle  peut  l'être  dans  l'état  actuel  de  ces  recherches  spé- 
ciales, sur  le  personnage  au  nom  duquel  Calvin  rédigea  cette  apo- 
logie présentée  à  l'empereur  Charles-Quint.  Cet  arrière  peiit-fils  de 
Philippc-le-Bon,  était  le  desccnJant  légitime  d'un  des  nombreux 
bâtards  du  grand  duc  d"(Jccidcnt,  un  seigneur  brabançon,  admis  dans 
l'intimité  de  la  famille  royale  (p.  mi)  et  qu'on  appelait  généralement 
M.  de  Falais  d'après  l'une  de  ses  terres  aux  Pays-Bas.  Il  avait  fait  ses 
études  cà  Louvain,  y  était  entré  en  contact  avec  les  idées  de  la 
Réforme,  et  après  avoir  épousé  Yolande  de  Brederode  déjà  gagnée  à 
la  foi  nouvelle,  il  était  entré  en  relations  avec  Calvin  ;  puis,  dénoncé 
comme  anabaptiste,  il  avait  quitté  la  terre  natale  à  la  tin  de  i54'3  ou 
au  début  de  1544,  s'était  retire  d'abord  auprès  de  l'archevêque  de 
Cologne,  Hermann  de  Wied,  suspect  déjà  d'hérésie,  et  ensuite  à 
Strasbourg,  où  il  rencontra  le  réformateur,  en  1545.  11  y  résidait 
quand  Charles-Quint  le  fit  sommer  d'expliquer  sa  conduite  et  de 
revenir  aux  Pays-Bas,  et  sur  scju  lefus,  le  déclara  coupable  de  rébel- 
lion et  prononça  la  conhscaiion  de  ses  biens.  Après  la  défaite  de  la 
ligne  de  Smalkalde,  Strasbourg  n'était  plus  un  asile  sûr;  M.  de  Falais 
se  transporta  d'abord  à  Bàle,  puis,  afin  d'être  plus  près  de  Calvin, 
s'établi'.  à  Veigy,  terre  bernoise  du  Chablais,  mais  acheta  en  mèrne 
temps  une  maison  à  Genève,  où  ce  grand  seigneur,  maladif,  séjour- 
nait parfois  sans  entrer  en  contact  avec  la  démocratie  de  la  cité.  L'ar- 
rivée de  Tex-moine  parisien  Jérôme  Bolsec  que  Falais  installa  comme 
médecin  à  Veigy  même,  mit  iin  aux  bons  rapports  entre  lui  et  le 
réformateur.  Bolsec  s'étant  mêlé  à  des  polémiques  sur  la  prédesti- 
nation, fut  arrêté  et  son  patron  se  heurta  à  un  refus  quand  il  inter- 
vient en  faveur  du  prisonnier,  d'ailleurs  fort  peu  recominandable. 
Jacques  de  Bourgogne  eut  encore  maille  à  partir  avec  Calvin  à  propos 
d'une  autre  bête  noire  du  réformateur,  le  savant  et  pieux  Sébastien 
Castellion,  auquel  il  marqua  ses  légitimes  sympathies,  ce  qui  amena 
la  rupture.  Dans  une  lettre  hautaine  et  cassante,  Calvin  écrivait  à 
M.  de  Falais  :  «  Je  vous  laisse  à  vos  délices  ».  Et  il  efface  de  ses 
Commentaires  à  VEpitre  aux  Corinthiens,  la  dédicace  au  seigneur 
fîamand.  Il  fut  dorénavant  pour  le  réformateur  et  ses  amis  un  adver- 
saire et  le  bouillant  Farel  qui  avait  appelé  jadis  Falais  «  une  œuvre 
admirable  du  Seigneur  >;  déclare  maintenant  qu'il  forme  avec  Servet 
et  Bolsec  une  «  trinité  digne  de  régner  aux  enfers  ».  On  comprend 
que  M.  de  Falais  se  soit  dégoûté  du  séjour  en  Suisse;  il  résidait 
encore  à  N'eigv,  en  i554,  un  an  après  le  supplice  de  Servet,  mais  il 
disparait  ensuite;  on  a  découvert  récemment  qu'il  avait  épousé  en 
secondes  noces  une  Zcelandoise,  l^lisabeih  de  Rvmerswaal.  et 
M.  Cartier  suppose,  avec  vraisemblance,  qu'il  sera  retourné  aux 
Pays-Bas  après  l'abdication  de  Charles-Quint  et  qu'il  y  est  mort 
avant  la  venue  du  duc  d'Albc,  sans  qu'on   puisse  préciser   la  date  de 


402  REVUE    CRITlQUfc. 

sa  lin  '.  Il  est  mort  en  t(jui  cas  <■  lidclc  aux  croyances  pour  lesquelles 
il  avait  sacrifié  sa  fortune,  sa  position  et  le  repos  de  sa  vie  » 
(p.  Lxxi)  '.  On  ne  peut  que  remercier  vivement  réditeur  d'avoir  si 
bien  commenté,  si  abondamment  annoté  ce  document  de  haute 
valeur,  en  même  temps  qu'il  faisait  connaître  au  i^rand  public  un  per- 
sonna£;e  qui  méritait  certes  qu'on  le  connût. 

R. 


Registres  du  Conseil  de  Genève,  publiés  par  la  Société  d'histoire  et  d'archéo- 
logie de  GenLVj.  Tome  1\'.  Genèse,  Kûndig,  191  i,  IX,  Syo  p.,  gr.  in-8».  Prix  : 
20  f"r. 

Cela  nous  fut  une  agréable  surprise  de  recevoir  ce  nouveau  volume 
des  Registres  du  Conseil  de  Genève  au  moment  où  nous  venions  à 
peine  d'annoncer  ici  le  tome  III  \  Nous  serions  encore  plus  satisfaits 
si  l'on  pouvait  espérer  dorénavant  recevoir  chaque  année  un  cadeau 
pareil  et  voir  ainsi  cette  entreprise  si  utile  avancer  enfin  d'une  allure 
un  peu  plus  rapide  ;  la  préface  nous  annonce  que  le  cinquième  volume 
est  en  préparation  ;  qu'il  vienne  rejoindre  bientôt  ses  aines  sur  les 
ravons  de  nos  bibliothèques  !  C'est  M.  Emile  Rivoire  qui  a  soigné  la 
publication  de  ce  tome  IV,  qui  représente  les  volumes  1  i  et  12  des 
registres  originaux,  et  embrasse  en  ses  5  5o  pages  une  période  de  cinq 
années  seuleinent  (du  6  février  1487  au  5  février  1492),  durant  les- 
quelles Amédée  Favier  (1487-1491)  et  Guillaume  de  la  Crose  (1491- 
1492)  furent  les  secrétaires-rédacteurs  du  Conseil.  Outre  de  nom- 
breuses affaires  particulières,  questions  économiques,  etc.,  deux 
affaires  surtout  occupent  le  Conseil  durant  cette  période,  une  querelle 
avec  le  duc  de  Savoie  pour  des  subsides  que  Genève  lui  refuse,  et  la 
double  élection  de  Claude  de  Seyssel  et  d'Antoine  Champion  comme 
évêque  de  la  cité,  le  pape  Innocent  VIII  se  prononçant  en  faveur  de 
ce  dernier.  Inutile  d'entrer  dans  plus  de  détails  *;  nous  avons  dit  à 
plusieurs  reprises  déjà  le  soin  avec  lequel  ces  textes  sont  édités  et 
annotés  par  les  érudits  genevois  auxquels  la  Société  d'histoire  a  conûé 
le  soin  de  mettre  au  jour  ces  témoins  authentiques  du  passé  ;  il  n'y  a 
qu'à  leur  souhaiter  de  continuer  ainsi. 

R. 


1.  C'est  en  Hollande  qu'on  avait  retrouvé,  dès  le  xviii<=  siècle,  les  originaux  des 
lettres  de  Calvin  à  M.  de  Falais,  qui  furent  publiées  à  Amsterdam,  en  1744. 
(Vo)-.  les  Prolégomènes  du  tome  X  des  Opéra  Calviiu). 

2.  Si  Bayle  le  fait  revenir  au  catholicisme  c'est  uniquement,  comme  le  montre 
M.  Cartier  (p.  lxx),  par  suite  de  la  fausse  interprétation  d'un  passage  de  la  \'ie 
de  Calvin  de  Colladon. 

3.  Voy.  R.  Cf.,  19  février  iqi2. 

4.  On  pourra  cueillir  dans  ce  nouveau  volume  de  nombreux  et  curieux  détails  de 
mœurs  :  on  n'a  qu'à  se  reporter  à  l'index  pour  les  rubriques  mulieres  Uibricae, 
poenae,  vinum,  etc. 


d'histoire  et  de  littérature  493 

Maximin  Dklociie,  La  Maison  du   Cardinal   de   Richelieu,   document    incdit. 
Paris,  Honoré  Champion,  10 '2,  5.*^6  p.,  gr.  in-S°.  Prix  :  ?o  f'r. 

L'éditeur  a  trouve  '  ce  <(  Compte  de  Tannée  i63g  de  la  despence  de 
Monscii^neur  le  Cardinal  duc  de  Richelieu  »  registre  in-folio,  incom- 
plet de  plusieurs  feuillets,  qui  n'est  pas  le  registre  original,  mais  une 
copie  authentique,  paraphée  par  Le  Maslc,  Tun  des  secrétaires  de 
Richelieu,  le  18  mars  1640,  «  pour  estre  mis  dans  le  trésor  des 
archives  de  Monseigneur  ».  Autour  de  ce  document,  qui  n'occupe 
dans  le  beau  volume  de  M.  Dcloche  que  les  pages  495-556,  celui-ci  a 
groupé,  non  pas  en  notes  et  commentaires  au  bas  des  pages,  mais  dans 
une  série  de  chapitres  narratifs,  tous  les  détails  que  ses  recherches 
érudites  lui  ont  permis  de  réunir  sur  ce  qu'il  appelle  «  la  Maison  du 
Cardinal  »  et  ce  qu'on  pourrait  appeler,  d'un  terme  plus  large,  la  vie 
privée  du  ministre  de  Louis  XIII  \  Après  tout  ce  qu'on  a  déjà  écrit 
sur  le  grand  cardinal  comme  politique,  administrateur  ou  théologien, 
M.  D.  a  su  réunir  encore  bien  des  traits  inconnus,  bien  des  détails 
curieux,  pour  mieux  caractériser  le  personnage  peu  sympathique, 
mais  singulièrement  puissant  que  lut  Richelieu.  Nous  étudions  avec 
lui  le  luxe  et  le  faste  dont  il  entoure  sa  personne,  les  membres  de  sa 
famille  et  de  sa  «  domesticité  »,  comme  on  disait  alors,  ses  confesseurs, 
ses  secrétaires,  ses  pamphlétistes  à  gages.  L'auteur  nous  fait  participer 
à  ses  charités,  à  ses  aumônes,  énumère  ses  pensionnaires,  ses  méde- 
cins et  ses  apothicaires,  ses  maîtres  d'hôtelet  ses  pages,  passe  en 
revue  ses  gardes  à  cheval,  ses  mousquetaires,  ses  écuries.  Il  nous  le 
montre  grand  amateur  de  bâtisses  à  Rueil  et  ailleurs,  nous  fait  con- 
naître ses  jardiniers,  ses  fournisseurs  de  linge  de  table  et  de  vaisselle 
plate,  ses  banquiers  et  ses  notaires;  nous  le  voyons  dans  son  intérieur 
quotidien,  nous  l'accompagnons  dans  ses  voyages  ;  bref  après  avoir 
étudié  le  livre  de  M.  D.  nous  sommes  admirablement  documentés  sur 
le  cadre  extérieur  dans  lequel  s'est  déroulée  l'existence  brillante  et 
agitée  du  cardinal;  nous  le  sommes  si  bien  que  nous  n'avons  plus 
besoin  d'étudier  le  texte  même  de  ces  comptes  qui  ont  fourni  les  pre- 
miers matériaux,  j'allais  dire  le  prétexte  de  cette  minutieuse  étude.  Si 
Ton  n'est  pas  toujours  absolument  d'accord  avec  certaines  apprécia- 
tions de  l'auteur,  nul  ne  lui  marchandera  les  éloges  mérités  pour  un 
travail  aussi  consciencieux  et  complet  '. 

R. 

1.  Nous  avons  en  vain  cherché  dans  le  volume  de  M.  D.  l'endroit  où  se  trouve 
actuellement  ce  registre.  Est-il  dans  un  dépôt  public  ou  entre  les  mains  d'un 
particulier  ? 

2.  Sauf  pourtant  le  chapitre  des  amours  du  cardinal,  sur  lesquelles  la  chro- 
nique scandaleuse  du  temps  n'a  pas  eu  autant  de  réticences  que  l'auteur,  qui 
refuse  d'aborder  ce  chapitre. 

i.  Quelques  petites  observations  de  détail.  P.  102,  Henri  de  Cîondi  n'était  pas 
archevêque  mais  évêque  de  Paris.  —  P.  04,  lire  Séguiran  pour  Seguirait.  — 
P.   i35,  sur  Fancan  je  ne  vois  pas  citée  la  dernière  étude  de  M.  G.  Fagniez  dans  la 


4P4  REVUE  critiqi;e 

Correspondance  du  chevalior  do  Sévigaé  et  do  Christine  de  France, 
duchesse  de  Savoie,  publiée  pour  la  Sociélé  de  l'histoire  de  l'rnnce  par  Jean 
I.KMoiNi;  et  I''ix'doric  S.xi'i.NiEn.  Paris,  RciiouarJ  (i.aurciis)  1911,  lA'll,  S.to  p.. 
in-.S".  Prix  :  y  IV. 

licnaud  do  Sévignc,  l'oncle  Je  la  marquise,  n'était  t^ucre  connu  jus- 
qu'ici que  comme  un  bravo  scddai  qui  se  battit  en  Allemagne,  on 
Franche-Comté,  on  iialie,  quitta  le  service  en  1646  avec  le  grade  de 
maréchal  de  camp,  se  jota  dans  les  troubles  de  la  Fronde,  h  la  suite 
de  son  allié,  le  coadjuteur  de  Retz,  et  passa  les  dernières  années  de  sa 
vie  dans  la  société  des  pieux  solitaires  de  Pf)rt-Royal-des-Ghamps  où 
il  est  mort  dans  sa  soixante-dixième  année,  on  1676. 

Grâce  à  MiM.  .1.  Lcmoino  et  Saulnier  nous  apprenons  à  le  con- 
naître ici,  comme  nuitvellisle.  Il  avait  épousé  on  ii)3i  une  veuve, 
M""  do  La  Vergue  idont  la  tille  devint  comtesse  do  La  Fayette  et  l'au- 
teur do  la  Princesse  de  Clèves)  qui  était  on  relations  avec  Madame 
Royale,  la  duchesse  douairière  (Christine  do  Savoie  et  pondant 
quelques  années  1 165  i-ir)35),  le  chevalior  fut  un  des  correspondants 
attitrés  do  la  tille  de  Henri  IV.  Les  lettres  [(.)~  ou  tout  qui  sont  repro- 
duites ici,  d'après  les  originaux  aux  archives  do  Turin,  ne  présentent 
pas,  à  viai  dire,  un  grand  intérêt  politique;  ce  n'était  pas  un  officier 
en  disgrâce  qui  pouvait  raconter  des  secrets  d'Eiat  ;  mais  les  événe- 
ments du  jour  V  sont  racontés  non  sans  agrément  et  l'histoire  y  gla- 
nera quelques  traits  caractéristiques.  Les  éditeurs  ont  mis  en  tète  de 
leur  volume  une  notice  très  détaillée  sur  le  personnage  lui-même,  qui 
nous  le  montre  comme  le  type  de  a  l'honnéie  homme  n  de  son  temps 
et  le  rend  très  sympathique,  encore  que  sa  spirituelle  nièce  semble 
s'être  assez  peu  intéressé  au  vieillard  retiré  du  monde.  Ils  ont  suffi- 
samment annoté  le  texte  de  la  correspondance  et  y  ont  joint  une  quin- 
zaine de  pièces  justificatives,  relatives  principalement  à  la  biographie 
du  chevalier. 

R. 


Mémoires  de  Saint-Hilaire,  publies  pour  lu  Société  de  l'hisioirc  de  France  par 
Léon  Lecestru.  Tome  quatrième.  Paris,  Rcnouaid  (Laurcns'l,  191  1,404  p., 
in-80.  Prix  :  0  fr. 

Nous  avons  déjà  parlé  à  plusieurs  reprises  '  de  la  publication  de 
M.  Lecestre,  ce  qui  nous  permettra  d'être  bref.  Ce  quatrième  volume 
des  Mémoires  de  Saint-Hilaire  embrasse  les  années  1704-1706,  la 
campagne  d'Allemagne  (1704),  avec  les  mémorables  défaites  du  Schel- 
lenberg  et  de  Hœchstaedt,  la  campagne  de  Vendôme  en  Piémont,  celle 

Revue  historique  (igi  i).  —  P.  249,  il  est  permis  de  croire  que  Pair  de  la  chanson 
O  beau  soleil  n'a  pas  été  «  composé  entiùremenl  «  par  Louis  XIIL  —  On  x'oiidrait 
aussi  voir  citer  moins  souvent  des  sources  aussi  peu  sûres  que  les  Mémoires  de 
Pontis. 

I.  Voy.  pour  le  tome  I,  R.  Cr.  i?  juin  1904  ;  tome  II,  R.  Cr.  21  septembre  1907; 
'ome  111,  R.  Cr.  i3  janvier  igio. 


D'HlSTOIRli    KT    l>K     LIT  TÎ^R A TURE  495 

de  Villerov  en  Flandre  ;  celle  de  Villars  en  Alsocc  et  dans  le  mar- 
graviat de  Bade  (i  joS),  etc.  I. 'éditeur  s'est  eflorcé  d'ajouter  partout 
au  texte  du  général  d'artillerie  les  notes  explicatives  nécessaires;  mais 
pour  bien  des  localités,  le  bon  Saint-Hilaire  en  a  tellement  maltraité 
les  noms  qu'il  est  impossible  de  les  identifier  '  ;  pour  d'autres  loca- 
lités, qui  turent  pendant  deux  siècles  françaises  et  qui  l'étaient  au 
moment  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  on  ne  voit  pas  pour- 
quoi l'éditeur  adopte  la  giaphie  allemande,  substituée  depuis  1870  à 
l'orthographe  française  ~.  On  trouve,  en  appendice,  une  série  de 
L'tires  a'dressées  par  Saint-Hilaire  au  ministre,  soit  pour  affaires  de 
service,  soit  pour  solliciter  le  cordon  rouge,  etc.,  relatives  aux  années 
I  705-1706  '. 

R. 


Geschichte  der  Schweizerischen  Eidgenossenschaft  von  Johannes  Dierauer. 
N'iertcr   BanJ.  Golha,   F.  A.  I^erthes,   1912,  X\'II,  55i   p.  in-8°.   Prix  i5  fr. 

Ce  quatrième  volume  de  VHisloire  de  la  Suisse  de  M.  J.  Dierauer  ' 
raconte  l'histoire  générale  des  cantons  helvétiques  depuis  le  moment 
des  insurrections  rurales  de  i653  contre  les  oligarchies  urbaines, 
jusqu'à  la  destruction  de  l'antique  confédération  des  Treize  Can- 
tons, amenée  par  l'intervention  des  armées  de  la  république  française 
en  1798.  L'auteur  expose  de  la  façon  sobre,  que  nous  avons  caracté- 
risée déjà,  les  péripéties  les  plus  importantes  de  l'histoire  extérieure 
et  de  l'histoire  interne  des  Eidgenossen  durant  ce  siècle  et  demi, 
sans  se  perdre  dans  les  détails  de  i'hisioire  particulière  des  cantons. 
Nous  appelons  l'attention  sur  les  chapitres  où  sont  racontés  les  rap- 
ports de  la  Suisse  avec  Louis  XIV,  avant  et  après  la  révocation  de 
l'Édit  de  Nantes  et  les  querelles  confessionnelles  si  vives  des  cantons 
protestants  et  catholiques  jusqu'à  la  proclamation  dQ  parité,  en  1712. 
Signalons  aussi  le  tableau  nullenient  trop  sévère  des  agissements  des 
oligarchies  patriciennes  de  Berne,  Bàle,  Fribourg,  etc.,  au  xviii'=  siècle 
et    des   abus    trop    nombreux    que    leur   système    de   gouvernement 

1.  P.  10  |.,  il  faut  lire  Stahlingen  pour  StuUengeii;  p.  127  Beiiihcim,  p.  Benheim  ; 
p.  128  «  l'ilc  de  Dalonde  »  est  le  village  de  Dalhundcn,  sur  la  rive  gauche  du  Rhin, 
autrefois  sur  une  ile,  dont  les  terrains  ont  été  remblayés  depuis.  P.  i3i,  1.  Rin- 
gendorf  Cl  Dauendorf  pour  Ringeldorf  qx.  Datvciidorf;  p.  134,  Mundolsheim,  p. 
Mandelsheim.  —  P.  65,  la  localité  non  identifiée  par  M.  L.  serait-elle  le  château 
de  Sandsee  près  de  Raiisbonne? 

2.  Pourquoi  écrire  Siil:{,  Ingweilev,  Bischivciler  pour  Soult::^,  Ligwiller,  Bisclnvil- 
lev  ? 

3.  Comment  un  oflîcier  en  activité  de  service  en  1704,  avait-il  pu  «  passer  au 
service  de  France  avec  les  troupes  weimariennes,  c'est-à-dire  au  plus  tard  en 
iG3q?  C'est  du  père  sans  doute  que  M.  1..  veut  parler,  l^.  337.  Les  Erffa  étaient 
de  vieille  noblesse  thuringienne  et  la  famille  existait  encore  au  milieu  du  xviir  siè- 
cle. L'un  d'eux  était  Kriegsrai  et  inourui  en   1660;  c'est  probablement  son  (ils. 

4.  \'oy.  sur  le  tome  III  la  R.  Ci:   du  G  mai  1907. 


49^»  RKVUK    CRITIQUE 

«  pairinical  »  autorisait  au  déuiincni  des  couches  populaires,  ainsi  que 
celui  des  premières  tentatives  faites  au  nom  de  ces  dernières,  pour 
se  soustraire  à  ce  joug  humiliant  '.  Le  réveil  des  esprits,  dès  le  milieu 
du  siècle  ',  prépara  rèmancipaiion  politique  à  laquelle  devaient  for- 
cément aspirer  les  «  sujets  »  de  Berne,  une  fois  que  la  Révolution  eut 
éclaté.  Depuis  i  7-'^<),  et  surtout  depuis  \-j[)i,  les  regards  sont  tournés 
vers  la  France,  avec  l'espoir  d'un  secours,  pour  les  uns,  avec  crainte 
d'une  attaque,  pour  les  autres.  Le  Club  helvétique  à  Paris  devient  un 
fover  d'agitation  révolutionnaire,  des  mouvements  se  produisent  dans 
le  Valais,  le  'r>';;genbourg,  le  pays  de  Vaud,  sur  les  bords  du  lac  de 
Zurich;  ils  sont  réprimés  plus  ou  moins  facilement,  plus  ou  moins 
brutalement  par  les  gouvernants.  Mais  après  le  i8  fructidor,  quand 
le  Directoire  se  décideàa  exploiter»  la  Suisse,  comme  il  dépouille 
l'Italie,  il  favorise  de  nouveaux  soulèvements  en  se  mettant  d'accord 
avec  les  chefs  démocratiques,  Ochs,  de  Bàle  et  Laharpe,  du  pays  de 
Vaud.  La  république  du  Léman  est  proclamée  en  janvier  1798, 
Brune  et  Schauenbourg,  marchent  contre  Fribourg  et  Soleure,  qui 
se  soumettent,  tandis  que  Berne  seule  essaie  de  lutter  et  voit  ses 
efforts  brisés  par  les  rencontres  de  Frauenbrunnen  et  de  Grauholz. 
Le  5  mars  Brune  entre  à  Berne;  le  12  avril,  la  République  helvé- 
tique une  et  indivisible  est  proclamée;  un  Directoire  est  nommé,  dont 
la  liberté  d'allures  est  singulièrement  paralysée  d'ailleurs  par  les  exi- 
gences des  généraux  et  des  agents  diplomatiques  français,  et  la  rapa- 
cité de  quelques-uns  d'entre  eux.  M.  Dierauer,  en  racontant  la  catas- 
trophe de  la  vieille  Constitution  suisse,  fait  preuve  partout  d'un  désir 
d'impartialité  complète.  Sans  approuver  naturellement  l'intervention 
de  la  France. dans  les  affaires  intérieures  de  son  pavs,  il  accorde  qu'il 
y  avait  dans  l'état  bien  des  choses  pourries,  que  la  Révolution  laissa, 
malgré  tout,  intacts  les  germes  d'où  sortit  plus  tard  un  état  politique 
plus  équitable  et  plus  parlait.  Nous  espérons  que  l'auteur  nous  don- 
nera encore  un  dernier  volume,  dans  lequel  il  racontera  le  passé  le 
plus  récent  de  son  pays,  de  1798  à  nos  jours,  passé  si  riche  en 
exemples  et  en  leçons  pour  les  démocraties  contemporaines. 

R. 

E.-S.  Bâtes.  ~  Touring  in  1600,  a  Study  in  the  Development  of  Travel  as  a 
Means  of  Education,  London,  Constable,  hjii,  in-S",  417  pp.  12  s.  6  d. 

Les  Anglais  ont  toujours  passé  pour  grands  voyageurs  :  au  début 
du  xvii<=  siècle,  ils  avaient  l'audace  de  pousser  jusqu'à  Constantinople 


1.  On  ne  s'explique  pas  qu'en  parlant  de  Samuel.  Henzi,  de  Berne  (174g),  du 
pasteur  Henri  Waser  de  Zurich  (1780),  du  major  Abraham  Davei,  de  Cully  (1723), 
l'auteur  n'ait  pas  suivi  l'ordre  chronologique,  en  parlant  de  ces  trois  victimes, 
inëgalem.ent  intéressantes,  des  oligarchies  cantonales. 

2.  La  création  de  la  Société  helvétique  en  1762,  est  un  lait  d'inipoitance  dans  l'his- 
toire de  ce  réveil  de  la  conscience  nationale  et  de  la  liberté  de  penser  en  Suisse. 


D  HISTOIRE     r.T    DE    LITTHRATURE  497 

et  en  Moscovie,  de  plus  hardis  encore  visitaicni  l'Irlande.  Ceux  de 
ces  touristes  héroïques  qui  avaient  le  bonheur  de  revenir  dans  la 
mère-patrie,  écrivaient  généralement  une  <(  relation  »  de  leurs 
voyages.  C'est  à  l'aide  de  ces  récits  que  M.  E.  S.  Raies  a  pu  écrire  un 
livre  ton  iniéressani.  l{n  i3qi,  a  vingt-cinq  ans,  Fynes  Moryson 
quille  l'Angleterre,  erre  à  travers  l'Allemagne,  les  ]\tys-Bas,  le  Dane- 
mark, la  Pologne,  l'Auirichc,  la  Suisse  cl  Tlialie;  revenant  quatre 
ans  après,  il  est  dépouillé  par  des  voleurs  et  rentre  dans  le  pays  natal 
en  si  piètre  accoutrement  qu'on  le  prend  pcjur  un  jésuite  et  qu'on 
l'emprisonne.  Ses  aventures  remplissent  un  imposant  in  folio.  Inutile 
d'ajouter  qu'il  trouva  de  nombreux  imitateurs.  Les  grands  seigneurs 
débutaient  dans  la  vie  par  un  «  tour  »  en  lùirope.  Les  voyageurs 
étaient  si  nombreux  qu'il  fallut  écrire  des  guides  à  leur  intention. 
M.  B.  aualvse  ceux  que  lisaient  les  contemporains  de  Shakespeare. 
Venaient  ensuite  les  manuels  de  conversation,  car,  en  1600,  à  part 
l'Allemagne  ei  l'Irlande,  où  presque  tout  le  monde  comprenait  le 
latin,  le  touriste  était  tenu  de  parler  la  langue  du  pays  qu'il  visitait. 
L'auteur  fournit  ensuite  des  détails  abondants  sur  les  moyens  de 
communication  et  de  transport,  les  auberges,  les  lettres  de  crédit  et 
ne  manque  pas  de  nous  renseigner  sur  les  voyages  chez  le  grand 
Turc  et  le  pèlerinage  de  Jérusalem. 

Le  livre  représente  une  somme  de  travail  considérable  comme  en 
témoigne  l'imposante  bibliographie.  On  regrette  seulement  que  l'au- 
teur n'ait  pas  toujours  su  se  borner.  Ayant  à  sa  disposition  quantité 
de  matériaux  ',  il  a  voulu  tout  utiliser,  d'où  un  entassement  de 
menus  faits  qui  produit  quelque  confusion  dans  l'esprit  du  lecteur. 
M.  B.  cède  aussi  à  la  tentation  du  style  «  pittoresque  »,  et  tombe 
dans  la  vulgarité.  Tout  le  développement  sur  le  «  congrès  des  hôte- 
liers )>  avec  des  réminiscences  inattendues  de  Flaubert  et  la  traduc- 
tion en  latin  de  cuisine  '  de  phrases  d'argot  anglais  contemporain,  est 
dans  un  goût  détestable.  Il  y  aurait  aussi  beaucoup  à  dire  sur  la  com- 
position du  livre. 

Les  illustrations  —  au   nombre  d'une  trentaine  —  sont  fort  bien 

choisies.  On  voit  avec  plaisir  un  reçu  de  la  main  de  Rabelais,  une 

lettre    de    sir    Henry    Woiton    dont    l'histoire    est    curieuse,    et    des 

estampes  de  Callot. 

Ch.  Bastide. 

Floris  DicLATTRE,  Euglish  Fairy  Paetry  from  the  Origins  to  the  seventeenth 
Century,  London,  Frowde,  1912,  in-8°,  234  p. 

La  reine  des   fées,   Mab,   est  bien   connue,   grâce  au  Songe  d'une 

1.  Outre  les  récits  des  voyageurs  anglais,  il  a  consulté  les  relations  des  voya- 
geurs tlainands,  italiens,  espagnols,  français;  il  a  lu  les  manuscrits  du  Musée  bri- 
tannique, de  la  Bodléienne,  de  la  Bibliothèque  de  Tournai. 

2.  Ista  capit  biscottum,  «  She  takes  the  cake  »,  p.  273. 


498  REVLE    CKHIQUK 

tuiil  if  été.  On  a  jui  ^c  dcinnnJer  poir  quoi  elle  ressemble  si  peu  aux 
fccs  de  nos  légendes.  (Quelle  est  cette  population  lilliputienne  d'elfs 
ou  do  i;nonies  sur  laquelle  elle  rèyne,  qui  hantent  les  prés  et  les  bois 
et  interviennent  avec  tant  de  malice  dans  la  vie  des  hommes?  Grâce 
à  M.  Delatire,  nous  ue  confondrous  plus  les  elfs,  goblins  et  kobolds 
du  nord  avec  Puck  qui  est  d'origine  celtique  et  Morgane  la  Française 
et  nous  saurons  que  las/airies  de  Shakespeare  perpétuent  le  souvenir 
de  la  race  naine  qui  occupait  THurope  avant  la  venue  des  Aryens. 
Mais  en  mêlant  les  fées  à  ses  fantaisies  dramatiques,  Shakespeare  n'a 
fait  que  reprendre  un  thème  littéraire  déjà  traité  par  les  poètes  du 
moyen  âge  et  par  quelques  dramaturges  du  xvi'=  siècle.  Il  peut  donc 
être  intéressaiu  d'en  rechercher  le  développement  et  c'est  ce  que 
M.  D.  a  fait  avec  une  précision  d'information  à  laquelle  il  n'y  a  rien 
à  redire.  Son  étude  contient  six  chapitres  :  définition  des  elfs  eijairies, 
le  rôle  des  fairics  dans  la  poésie  du  moyen  âge,  les  fairies  au  temps 
d'Elisabeth,  le  Songe  d'une  nuit  i.T été,  les  fairies  dans  la  littérature 
postérieure  à  Shakespeare,  enrin  dans  la  poésie  anglaise  de  Drayton 
à  Herrick.  On  trouvera  en  appendice  le  très  curieux  poème  intitulé 
Description  du  roi  et  de  la  reine  des  fairies,  i  in  primé  à  Londres 
en  i635. 

C'est  l'analyse  littéraire  qui  tient  naturellement  la  plus  grande 
place  dans  le  travail;  mais  l'auteur  s'est  demandé  jusqu'à  quel  point 
Shakespeare  et  ses  contemporains  crovaient  à  l'existence  des  fairies. 
Puisque  Palissy  et  Ambroise  Paré  se  figuraient  qu'il  existait  des 
génies  qui  hantaient  les  grottes  et  les  forêts,  un  simple  homme  de 
lettres  pouvait  bien  montrer  quelque  crédulité  à  l'endroit  des  little 
people,  dont  les  bonnes  gens  de  Stratford-on-Avon  devaient  souvent 
parler.  Il  semble  que  Tauteur  dramatique  ait  partagé  la  foi  des 
plus  illustres  savants  de  son  temps,  d'un  Bacon  et  d'un  Burton. 
Quelques  années  plus  tard,  cette  foi  n'était  plus  aussi  vivace  et  le 
thème  littéraire  dégénérait  en  artifice  ;  aussi  bien  M.  D.  s'arrête  au 
seuil  du  xviii'^  siècle,  sans  vouloir  pousser  son  étude  jusqu'à  Pope  et 
les  fées  de  la  Boucle  de  cheveux  enlevée,  ^a  conclusion  mentionne 
bien  Thomas  Hood  et  quelques  autres,  mais  elle  omet  Kipling,  donr 
le  Puck  of  Pook's  /////reprend,  sans  succès  d'ailleurs,  le  vieux  thème 
de  Layamon.  C'est  avec  raison  que  M.  D.  rend  le  puritanisme  respon- 
sable de  la  mort  des  fairies.  Comme  le  christianisme  avait  tué  le 
Grand  Pan,  ainsi  l'esprit  de  la  Réforme  fit  disparaître  Obéron,  la 
reine  Mab  et  toute  leur  aimable  suite. 

Ch.  Bastide. 

Correspondance   de    Benoit   XIV   avec    introduction,  notes  et  table  par  Emile 
de  Heeckeren.  Paris,  Pion,   1912,  2  vol.  in-8  de  c-36j  et  582  p.  20  francs. 

Le  titre  de  cette  publication  est  trop   général  :  elle  renferme  seule- 
ment les  lettres  au  card.  de  Tencin,  archevêque  de   Lyon   et  ne  com- 


D  HISTOIRE    ET    DK    LITTÉRATURE  499 

prend  pas  les  lettres  de  Tcncin  qui  ont  disparu;  elle  fait  néanmoins 
grand  honneur  à  Benoit  XIV.  On  savait  bien  qu'il  fut  un  pape  éclairé, 
de  mœurs  pures  malgré  les  propos  salés  qu'il  ne  se  permettait 
qu'entre  Italiens  et  qui  ne  tirent  pas  à  conséquence,  mais  on  verra  de 
plus  ici  que  son  esprit  et  son  cœur  étaient  exclusivement  occupés  de 
ses  devoirs.  Dans  cette  volumineuse  correspondance  de  14  ans  (1742- 
56)  où  il  s'épanche  tous  les  8  jours  en  pleine  liberté,  il  badine  quelque- 
fois, mais  on  ne  surprend  pas  chez  lui  une  seule  préoccupation  qui 
ne  soit  chrétienne.  Il  embrasse  tous  les  besoins  de  l'Eglise,  de  l'Italie, 
de  son  Etat,  les  besoins  temporels  comme  les  autres,  et  souffre,  sans 
jamais  désespérer,  quand  il  n'y  peut  pourvoir.  Etranger  aux  intérêts 
de  famille,  de  parti,  il  fait  face  à  tout  dans  la  mesure  du  possible.  II 
n'aperçoit  pas  très  bien  le  progrès  de  l'incrédulité,  mais  il  veille  aux 
mœurs  du  clergé  autant  qu'à  l'autorité  et  à  l'orthodoxie  de  l'Eglise; 
il  contient  les  jansénistes,  surveille  les  Jésuites,  les  missionnaires, 
le  zèle  excessif,  les  jalousies;  il  défend  de  son  mieux  ses  sujets  contre 
le  prétendant  Charles  Edouard  qui  le  récompense  de  son  appui  par 
d'étranges  indélicatesses,  contre  les  Autrichiens  et  les  Espagnols  qui 
se  font  la  guerre  à  ses  dépens,  enfin  contre  les  souverains  et  les 
ambassadeurs  qui  en  prennent  à  leur  aise  avec  un  souverain  sans 
armée. 

Au  reste,  l'éditeur,  dans  une  introduction  étendue,  a  fort  bien  carac- 
térisé la  tolérance  non  dépourvue  de  fermeté  de  Benoît  XIV  ;  il  a  très 
bien  jugé  cette  vaste  correspondance  extraite  par  lui  partie  des  Ar- 
chives des  Affaires  Étrangères  de  France,  partie  des  Archives  du  Va- 
tican. Il  a  dit  avec  raison  qu'elle  est  moins  instructive  encore  sur  les 
grandes  questions  du  temps  que  sur  mille  détails  relatifs  à  l'État 
ecclésiastique.  Peut-être  n'en  résultait-il  pas  la  nécessité  d'une  publi- 
cation à  peu  près  intégrale  de  ces  lettres;  mais,  à  y  pratiquer  des  sup- 
pressions considérables,  on  eût  privé  les  érudits  d'une  foule  de  parti- 
cularités curieuses  et  utiles.  Seulement  deux  omissions  graves  dimi- 
nuent les  services  qu'on  pouvait  attendre  de  ces  lettres.  D'abord 
M.  H.  les  a  beaucoup  trop  sobrement  commentées  et  à  peu  près  uni- 
quement avec  des  documents  français,  ce  qui  peut  suffire  quand  il 
s'agit  des  luttes  du  pape  avec  nos  gallicans,  mais  non  dans  la  plura- 
lité des  cas,  puisque  d'ordinaire  il  s'agit  d'événements  qui  se  passent 
en  Italie  et  où  des  Italiens  aujourd'hui  oubliés  mais  alors  assez  en  vue 
sont  en  scène.  M.  H.  n'est  pas  italianisant;  c'est  bien  son  droit  et 
Benoît  XIV  le  remerciera  même  peut-être  de  la  faute  d'impression  qui 
dissimule  une  de  ses  gaillardises  ;  il  n'y  a  pas  non  plus  grand  mal  à 
ce  que  M.  H.  croie,  en  dépit  de  Segneri,  que  la  prédication  en  était 
encore  en  Italie  à  la  gesticulation  ridicule,  aux  mots  grossiers  et  aux 
images  indécentes  de  nos  moines  de  la  Ligue.  Mais  il  n'en  reste  pas 
moins  que  le  cominentaire  de  plus  de  la  moitié  des  lettres  de  Be- 
noît XIV  est  encore  à  faire  et  que    probablement    la    tâche   ne  sera 


5oO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

jamais  achevée,  précisément  [larce  que  la  moitié  en  est  faite.  Secon- 
dement, M.  H.  nous  donne  un  index  onomastique;  mais  la  très  juste 
conception  qu'il  s'est  faite  de  l'intérêt  de  cette  correspondance  appe- 
lait, en  outre,  un  index  analytique  auquel  les  intelligents  sommaires 
de  sa  table  des  matières  ne  sauraient  en  aucune  façon  suppléer.  Les  let- 
tres de  Benoit  XIV  fournissent  quantité  de  détails  ressortissant  à  des 
catégories  très  diverses  dont  chacune  peut  intéresser  spécialement  tel 
érudit.  Sans  doute  le  noinbre  de  ces  catégories  est  arbitraire,  mais  il 
eût  fallu  signaler  les  principales  pour  éviter  à  qui  ne  s'intéresse  qu'à 
l'une  ou  à  l'autre  une  course  hasardeuse  à  travers  onze  cents  pages.  .le 
citerai  les  rivalités  de  communautés  religieuses,  les  élections  de 
généraux  d'Ordres,  les  questions  d'étiquette,  les  théâtres,  les  mas- 
ques, la  médecine  avec  mention  spéciale  pour  la  vaccine,  l'adminis- 
tration du  Comtat-Venaissin.  C'est  redire,  en  même  temps,  tout  ce 
qu'enseignent  ces  deux  gros  volumes. 

Charles  Dejou. 


.VcADKMiK  DES  INSCRIPTIONS  ET  Belles-Lettres.  — Séauce  du  7  juin  igi2.  — 
L'Académie  procède  au  vote  pour  l'auribution  du  prix  Gobert.  Le  premier  prix 
est  décerné  à  M.  F.  Brunot,  pour  son  Histoire  de  la  Litiguc  française  \  le  second 
à  M.  P.  de  V'aissière,  pour  son  livre  intitule  :  Récits  du  temps  des  troubles 
au  A' TV"  siècle.  De  quelques  assassins. 

M.  F.  de  Mély  étudie,  dans  les  Très  riches  Heures  du  duc  de  Berry  conservées 
au  Musée  Condé  de  Chantilly,  la  page  représentant  les  signes  du  zoviiaquc  dessi- 
nés sur  deux  corps  féminins  qu'Eugène  Miintz  jugeait  inspirés  de  statues  antiques, 
mais  dont  il  n'avait  pu  découvrir  le  modèle.  i\l.  de  .Mély  rapproche  ces  ligures  du 
célèbre  groupe  des  Grâces  de  la  Librairie  du  Dôme  de  Sienne.  Deux  des  Grâces 
sur  trois  ont  encore  leurs  lètes.  Découpant  leurs  corps  dans  la  photographie  et 
les  superposant  comme  ils  le  sont  dans  la  peinture  de  Chantilly,  il  inontre  que 
celle-ci  est  une  copie  exacte  de  la  partie  la  mieux  conservée  du  groupe,  qui  était 
déjà  connu  au  commencement  du  xv»  siècle.  Ce  serait  Ui  une  nouvelle  preuve  de 
la  présence  d'artistes  italiens  à  la  cour  du  duc  de  Berry,  car  la  technique  des 
corps  des  deux  femmes  est  complètement  différente  de  f'idéal  flamand  de  celte 
époque.—  AL  le  comte  Paul  Durricu  et  M.  Salomon  Rcinach  présentent  quelques 
observations. 

M.  Eugène  Cavaignac  fait  une  communication  sur  l'organisation  de  l'aimée 
Spartiate  d'après  Xénophon.  —  MM.  Théodore  Reinach,  Dieulafov  et  Alfred  Croi- 
set  présentent  quelques  observations. 

Léon  Dore/C. 


L' imprimeur-gérani  :  Ulysse  Rouchon. 


LE  PUY-EN-VELAV .   —  IMPRIMERIE  PEYRILLER,    ROUCHON  ET  GA.MON. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  26  —  29  juin.  —  1912 

Théophraste,  Ilepl  Xsçswî,  p.  A.  Mayer.  —  Excerpta  de  Virtutibus,  II,  p.  Roos.  — 
Weinberg,  La  loi  de  Notker.  —  Bockhoff  et  Singer,  L'Apollonius  de  Henri  de 
Neustadt.  —  M.  Marti,  L'Avenir  de  Dieu,  de  Henri  de  Neustadt.  —  Lestrade, 
Les  Huguenots   en  Comminges.  —  Westcott,  Nouvelles  poésies  de  Jacques  I. 

—  Feuillerat,  L'Arcadie  de  Sidney.  —  Delattre,  Robert  Herrick. —  Vulliod, 
M"""  Gottsched  et  Bougeant.  —  Clergeac,  Les  évèques  de  Gascogne.  —  Muthe- 
sius,  Gœthe  et  Charles-Alexandre.  —  Lauvrière,  Edgar  Poe.  —  Regnard,  His- 
toire d'Angleterre  1875-1910.  —  Jusserand,  Ce  qu'il  faut  attendre  de  Shakspeare. 

—  A.  Stern,  Histoire  de  l'Europe  1830-1848,  II  à  111.  —  E.  Dupont,  Le  Mont  Saint- 
Michel  inconnu.  —  Pottet,  Histoire  de  Saint-Lazare.  —  L.de  Chauvigny,  Le  fils 
de  Laclos.  —  Descartes,  fvléditations,  p.  Gûttler.  —  Gillouin,  La  philosophie 
de  Bergson.  —  Frischeisen-Kœhler,  Science  et  réalité.  —  Petzoldt,  Le  pro- 
blème du  monde.   —  Académie  des  inscriptions. 


Theophrasti  n£pt  As^ew;  libri  fragmenta  col legit,  disposuit,  prolegomenis  instruxit 
A.  Mayer.  Leipzig,  Teubner,  1910;  Lii-229  p.  [Bibl.  script,  gr.  et  rom.  Teub- 
neriana). 

Ce  que  M.  Mayer  s'est  proposé,  ce  n'est  pas  seulement  de  recueillir 
et  de  mettre  en  ordre  les  fragments  du  Dspl  Aéçstoc;  de  Théophraste  ; 
ces  fragments  sont  peu  nombreux  et  en  eux-mêmes  assez  peu  impor- 
tants. Il  a  voulu  encore  retrouver  l'ensemble  de  la  doctrine  exposée 
dans  l'ouvrage,  et  il  l'a  cherchée  dans  les  écrits  des  rhéteurs  grecs  et 
latins,  Cicéron,  Denys  d'Halicarnasse,  Quintilien,  Démétrius,  qui  ont 
eu  entre  les  mains  le  traité  original  ou  tout  au  moins  des  extraits.  Il  a 
donc  réuni  les  passages  qui  lui  ont  semblé  reproduire  la  doctrine  de 
Théophraste,  et  les  a  disposés  méthodiquement,  en  insérant  à  leur 
place,  cela  allait  de  soi,  les  fragments  qui  nous  ont  été  transmis  avec 
le  nom  de  l'auteur.  Il  était  nécessaire  que  M,  M.,  avec  cette  concep- 
tion de  son  travail,  justifiât  l'origine  théophrastéenne  des  théories 
exposées  dans  les  extraits  qu'il  a  recueillis  ;  c'est  ce  qu'il  a  fait  d'une 
part  dans  la  préface,  où  il  détermine  ce  qui  appartient  à  Théophraste 
dans  la  technique  de  chacun  des  auteurs  qui  ont  pu  utiliser  son  livre, 
et  d'autre  part  dans  l'annotation,  où  les  détails  sont  plus  amplement 
commentés.  En  outre,  pour  atteindre  à  une  plus  grande  précision, 
M.  M.  a  étendu  ses  recherches  jusqu'aux  oeuvres  de  rhétorique  anté- 
rieures à  Théophraste,  où  celui-ci  peut  avoir  puisé,  à  savoir  celles 
d'Aristote  et  d'Anaximène  de  Lampsaque.  Quant  à  la  disposition  des 
morceaux,  elle  devait  observer  l'ordre  même  du  traité  de  Théophraste  ; 

Nouvelle  série  LXXIII  26 


502  REVUE    CRITIQUE 

or  cet  ordre,  comme  le  démontre  brièvement  M.  M.,  ne  peut  taire 
l'objet  d'un  doute  ;  le  llipl  Ai;£i.j;  traitait  successivement  de  quatre 
sujets  :  ~z.z\  Ti'.tov  ÀÔyoi»  yapT/,T/',p»-jv,  T.zp\  Èy.XoYT,;  «ivofjLdtTOJv,  T.tp\  7jM6i(TEa>; 
ôvoiJiâTtov,  r.îol  '.oewv.  C'est  donc  sous  ces  quatre  titres  que  les  extraits 
sont  ranges.  On  voit  que  l'ouvrage  de  M.  Mayer  donne  plus  que  son 
titre  ne  promet;  c'est  plus  que  les  fragments  du  Ikpî  Aiçcox;;  en  réalité, 
c'est  la  substance  même  du  traité  que  ces  extraits,  dans  leur  disposition 
régulière  et  leur  suite  probable,  reconstituent  pour  le  lecteur. 

Mv. 


Excerpta  historica  )ussu  imp.  Constantini  Porphyrogeniti  confccta  edideruni 
l," .  IMi.  Boisscvaiii,  C.  de  Boor,  Th.  Buitncr-Wobst,  vol.  Il  pars  II.  Excerpta  de 
^'i>■tl(tibus  et  I'jïjis,  pars  II,  recensuit  et  praefatus  est  A.  G.  Roos,  usus  collationc 
codicis  Peiresciaiii  a  Th.  Bùttner-Wobst  confecta.  Berlin,  Weidmann,  1910; 
XVI-416  p. 

On  n'ignore  pas  que  Th.  Biittner-Wobst  n'a  pu  mettre  la  dernière 
main  à  l'édition  des  Excerpta  de  Virtutibus.,  dont  la  première  partie 
seulement  parut  sous  son  nom  (1906),  après  sa  mort.  M.  Roos,  qui 
avait  alors  assumé  la  tâche  d'éditeur  (V.  Revue  du  27  février  1908), 
termina, -quatre  ans  plus  tard,  le  travail  commencé,  en  publiant  la 
seconde  partie,  qui  contient  les  extraits  des  auteurs  suivants  :  Héro- 
dote, Marcellinus  (Vie  de  Thucydide),  Thucydide,  Xénophon,  Denys 
d'Halicarnasse,  Polybe,  Appien  et  Dion  Cassius.  Le  manuscrit  de 
Peiresc,  dont  la  collation  faite  par  Biittner-Wobst  a  été  à  la  disposi- 
tion de  M.  R.,  n'est  pas  le  seul  qui  serve  à  établir  le  texte  ;  B.-W. 
avait  déjà,  dans  la  première  partie  (préf.  p.  xxix  svv.),  reconnu  que 
Suidas  devait  être  considéré  comme  l'équivalent  d'un  manuscrit;  les 
observations  de  M.  R.  et  son  appareil  critique  renseignent  pleine- 
ment sur  ce  sujet.  Cet  appareil  est  disposé  suivant  une  méthode  diffé- 
rente de  celle  du  premier  volume,  et  analogue  à  celle  que  suivit 
M.  Boissevain  dans  la  publication  du  de  Sententiis.  Il  est  divisé  en 
plusieurs  parties  :  une  première  donne  les  variantes  des  sources,  le 
Peirescianus  et  Suidas  ;  une  seconde,  les  leçons  des  principaux  manus- 
crits, lorsque  les  œuvres  nous  sont  parvenues  ;  en  troisième  lieu  on 
trouve  les  conjectures  modernes  les  plus  importantes  ;  enfin  dans 
une  quatrième  série  de  notes  sont  signalés,  le  cas  échéant,  les  chan- 
gements introduits  par  l'excerpteur  dans  le  texte  original.  La  collec- 
tion est  maintenant  complète,  conformément  au  plan  indiqué  dans  la 
préface  du  tome  premier  des  Excerpta  de  Legatiotiibiis  (p.  viii),  et 
tout  en  rendant  hommage  au  travail  et  à  la  science  de  chacun  des  édi- 
teurs, Boissevain,  de  Boor,  Biittner-Wobst,  ce  dernier  suppléé  par 
Roos,  il  n'est  que  juste  de  remercier  tout  spécialement  M.  de  Boor, 
qui  a  pris  l'initiative  de  cette  importante  publication,  et  qui  y  a  con- 
tribué pour  sa  large  part. 


d'histoire    et    de    LITTERATURE  5o3 

Sprache  und  Dichtung,  Forschungen  zur  Linguistik  und   Literaturwissenschaft 

hgb.  von  Dr.  Harry  Maync  und  Dr.  S.  Singer.  Tiibingen,  J.  C.  B.  Mohr  : 
3.  Heft  :  Zu  Notkers  Anlautsgesetz.  von  Dr.   Isracl  Wkinrrrg.  191  i,  2  m. 

6.  Hett  :  Heinrichs  von  Neustadt  Apollonius  von  Tyriand  und  seine  Quel- 
len.  Ein  Reitrag  zur  mittelhochdeutschen  und  byzantinischen  Literaturge- 
schichte,  von  A.  BoGKnoFF  und  S.  Singer.    191  i,  2,40  m. 

7.  Heft  :  «  Gottes  Zukunft  »  von  Heinrich  von  Neustadt.  Quellenforschungen 
von  Martiia  .M.\rti.   1911,4  m, 

La  loi  de  Notker  pourrait,  si  nous  arrivions  à  en  pénétrer  le  sens,  nous 
éclairer  sur  un  problème  essentiel  de  l'ancien-haut-allemand,  à  savoir 
la  valeur  phonétique  des  sons  transcrits  alternativement,  b,  d,  g  Qip,  t, 
k.  M.  Weinberg  essaye,  après  bien  d'autres,  d'interpréter  cette  loi.  Il 
a  pris  le  temps  et  la  patience  de  faire  des  statistiques  complètes,  qui 
donnent  à  ses  essais  d'explication  un  solide  point  d'appui.  Le  résul- 
tat nouveau  et  important  de  ces  statistiques  est  la  preuve  que,  au 
début  de  la  phrase,  on  trouve  en  certains  écrits  de  Notker,  —  au  lieu 
des  j»,  ^  A-  réguliers  dans  la  plupart  des  œuvres  —  b,  d,  g  après  une 
sonore.  Cette  constatation  a  fourni  à  M. Weinberg  un  moyen  de  déter- 
miner la  chronologie  des  œuvres  de  Notker,  celles  où  paraissent  ces 
b,  d,  g  étant  les  dernières  dans  l'ordre  de  date.  Puis,  elle  donne  de  la 
vraisemblance  à  la  thèse  d'après  laquelle  la  différence  des  p,  t,  k  et 
des  b,  d^  g  serait  une  plus  grande  intensité  articulatoire  des  premiers 
sons.  M.  W.  fortifie  aussi  l'opinion  qui  veut  que  les  jc,  t,  k  du  début 
de  la  phrase  représentent  des  mi-fories,  sortes  de  moyen  terme  entre 
les  6,  d,  g  e:  les  p,  t,  k  en  toute  autre  position.  La  discussion  n'est  pas 
close  par  ces  recherches  ;  il  y  a  aussi  de  l'arbitraire  dans  les  hypo- 
thèses de  M.  Weinberg.  Pourtant  le  problème  est  mieux  posé  et  il 
semble  qu'on  approche  de  la  solution. 

M.  Singer  a  publié  en  1906  la  première  édition  complète  des 
œuvres  du  poète  viennois  Henri  de  Neustadt.  Au  cours  de  son  travail 
ont  surgi  des  questions  et  des  difficultés  dont  il  n'a  pu  donner  alors  la 
solution  définitive.  Avec  M.  Bockhoff  il  vient  de  compléter  son 
enquête.  Le  but  de  l'étude  des  deux  savants  a  été  de  mettre  en  lumière 
l'originalité  de  Henri  dans  son  Apollonius  de  Tyr.  Pour  cela,  il  a 
fallu  déterminer  d'abord  laquelle  des  versions  de  ce  roman  si  répandu 
au  moyen  âge  a  servi  de  modèle  au  poète  allemand,  puis  en  quelle 
mesure  il  s'est  écarté  de  son  texte.  Enfin,  comme  le  poème  de  Henri 
contient  des  passages  assez  importants  inconnus  à  V Apollonius  latin, 
il  a  été  nécessaire  de  chercher  à  quels  auteurs  s'est  adressé  ici  notre 
poète.  Toutes  ces  études  ont  été  faites  avec  attention  ;  toutes  ont 
donné  des  résultats  appréciables,  même  lorsque  l'identification  des 
noms  géographiques  ou  historiques  n'aboutit  pas  :  la  négative  est 
alors  une  affirmation,  puisqu'elle  démontre  que  Henri  en  a  pris  à  son 
aise  avec  la  géographie  et  l'histoire. 

C'est  encore  de  Henri  de  Neustadt  qu'il  est  question  dans  le  livre 
de   M"«    Marti.    Élève     peut-être,    collaboratrice    certainement,    de 


504  REVUE    CRITIQUE 

M.  Singer,  M""  M.  a  fait  également  sur  la  Gottes  Zukiinft  de  Henri 
une  étude  de  sources,  et  a  mesuré  Tindépendance  de  ce  poète  vis-à-vis 
de  SCS  originaux.  Le  poème  religieux  et  philosophique  de  Henri  dépend 
surtout  de  VAnticlaudien  d'Alain  de  Lille,  de  la  Légende  dorée,  de  la 
Vita  bcatae  Mariae  rhythmica,  du  sermon  (faussement  attribué  à 
saint  Bernard)  De  Vita  et  Passione  Domini,  de  Thomilie  De  Maria 
Magdaïena  d'Origène,  et  du  Compendium  theologicae  veritatis  d'Al- 
bert le  Grand.  Mais  M"''  M.  fait  voir  que  le  poète  allemand  s'est  sou- 
vent livré  à  sa  fantaisie  et  qu'il  a  marqué  de  sa  personnalité  l'œuvre 
mise  en  vers  par  lui. 

Après  ces  deux  livres  consacrés  à  interpréter  l'œuvre  de  Henri  de 
Neustadt,  il  semble  qu'il  ne  reste  plus  grand  chose  à  apprendre  sur 
les  sources  de  l'un  des  minores  poetae  de  l'Allemagne  médiévale. 

F.    PiQLET. 


Les  Huguenots  en  Comminges  (nouvelle  série).  Documents  inédits  publiés... 
par  l'abbé  Jean  Lestrade.  Paris,  H.  Champion;  Auch,  L.  Gocharaux,  1910-191 1, 
2  fasc.  in-8°  de  xii-356  pages.  (.Vrchives  historiques  de  la  Gascogne...  "2^  série, 
fasc.  14  et  i5) 

En  procédant  au  dépouillement  et  à  l'inventaire   des  Archives  des 
États  de  Comminges  à  Muret,  M.   l'abbé   Jean    Lestrade  a    retrouvé 
toute  une  série  de  documents  sur  les  guerres  religieuses  du  xvi*"  siècle, 
qui  complètent  avec  avantage  le   recueil  déjà    publié  il  y  a   quelques 
années.  Il  se  borne  à  présenter  les  lettres,   délibérations,   procès-ver- 
baux,   etc.    tels  qu'ils  sont,    en  les    accompagnant  d'une  sommaire 
explication  qui  aide  à  les  comprendre.  Pour  ce   nouveau  volume,  il 
a  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  toute  une  collection  de  pièces  iné- 
dites sur  Biaise  de  Monluc,  notamment  une  lettre  de  Charles  IX  qui 
dut  faire  l'orgueil  de  ce  vaillant  serviteur  de  la  monarchie.  11  publie 
encore   des  correspondances    des  lieutenants-généraux  de   Guyenne 
Jean  de    la  Valette,  le  maréchal  de   Matignon  et  le  marquis  de  Vil- 
lars.  A  ce  propos,  il   remarque  que   ces  derniers   personnages  sont- 
peut-être  trop  relégués  dans  l'ombre   et  il   souhaite    de  voir  former 
un  recueil  de   leurs  ordonnances  qui  serait  précieux   pour  l'histoire 
locale.  Je  suis  heureux  de   pouvoir  lui  annoncer   que  la  correspon- 
dance du  maréchal  de  Matignon  ne  tardera  pas  à  être  mise  au  jour, 
autant  que  possible  intégralement.    Sans  doute    le  fonds  d'archives 
qui  la  conserve  souffre  de  grandes  lacunes  ;   mais  les  ouvrages  tels 
que  ceux  de    M.  l'abbé  Lestrade,   s'ajoutant  à   ceux   de  MM.   Cabié, 
Gébelin  et  autres,  aideront  à  les  combler.  Il  est  donc  très  satisfaisant 
de  voir  les  historiens   locaux,  grâce    au  concours  que  leur  apportent 
les  Sociétés  savantes  et  les  associations  comme  celle  des  Archives  his- 
toriques de  la  Gascogne,  consacrer  leur  temps  et  leur  science  à  de  tels 
travaux.  Ils  font  une  œuvre  extrêiTiement  utile  et  on  doit  leur  en  être 
fort  reconnaissant.  Les  fascicules  de  M.  l'abbé  Lestrade  se  présentent 


d'histoire  kt  de  littérature  5o5 

d'ailleurs  dans  les  meilleures  conditions  ;  les  documents  sont  très 
correctement  publiés,  ils  sont  accompagnés  de  notes  précieuses:  des 
tables  chronologiques  et  analytiques  permettent  enfin  de  les  utiliser 
le  plus  facilement  du  monde. 

L.-H.  Labande. 


New  Poems  by  James  I  of  England,  éd.  A. -F.  Westcott  New  York,  Columbia 

University  l'ress,  uj  i  i ,  iii-So,   121  pp.  i  d.  5o. 
The  Arcadia,   premier   volume  des  Œuvres  de   Sir    Philip  Sidney  (éd.   Albert 

Feuillerat)  Cambridge,  University  Press,  1912,  in-i2,56g  pp.  4  s.  6  d. 

Ces  deux  éditions  critiques  sont  excellentes.  La  première  contient 
les  poésies  inédites  de  Jacques  I'^''  conservées  au  Musée  britannique  et 
la  seconde  réimprime  d'après  l'édition  de  090  le  roman  pastoral  de 
Sidney  intitulé  VArcadie.  On  lira  avec  intérêt  les  vers  suivants  de 
Jacques  l^""  adressés  à  son  ami  : 

O  divin  du  Bartas,  disciple  d'Uranie 
L'honneur  de  nostre  temps,  poète  du  grand  Dieu 
Tes  saincts  vers  doux-coulants  pleins  de  douce  manie 
Distillés  des  hauts  cieux  volent  de  lieu  en  lieu 
Comme  esclairs  foudroyants  du  grand  esprit  tonnant 
Postillonent  tonnants  du  levant  au  ponant. 

Il  est  dommage  que  M.  Westcott  n'ait  pas  imprimé  en  appendice  les 
lettres  du  roi  écrites  en  français  qui  se  trouvent  dans  le  même  manus- 
crit. Nous  connaissons  l'invitation  qu'il  adressa  à  du  Bartas  en  158-; 
il  aurait  été  bon  de  publier  les  lettres  à  du  Plessis-Mornay  et  à  du 
Moulin.  Sans  doute  les  œuvres  de  Jacques  I"  ont  eu  moins  d'in- 
fluence que  celle  de  sir  Philip  Sidney.  M.  Feuillerat,  le  distingué 
professeur  de  l'université  de  Rennes,  qui  est  connu  par  une  étude  sur 
Lyly,  a  eu  la  patience,  pour  préparer  une  édition  définitive  de  VAr- 
cadie^ de  coUationner  les  quatorze  éditions  in-folio  publiées  de  i  SgS  à 
1674,  Grâce  à  la  munificence  de  l'Université  de  Cambridge,  les  étu- 
diants auront  à  leur  disposition  pour  une  somme  modique  le  résultat 
de  ce  travail  de  Bénédictin.  Et  l'on  sait  que  l'on  retrouve  des  rémi- 
niscences de  V A7-cadie  dans  toute  la  littérature  anglaise  du  xvn"  siècle 
et  jusque  dans  les  pamphlets  politiques  de  Milton. 

Ch.  Bastide. 

Floris  Delattre,  Robert  Herrick,  contribution  à  l'étude  de  la  poésie 
lyrique  en  Angleterre  au  dix-septième  siècle.  Paris,  Alcan,  19 12,  in-8», 
570  pp,  12  fr. 

Robert  Herrick  est  un  poète  attardé  du  siècle  d'Elisabeth  qui. 
méconnu  de  son  temps,  oublié  pendant  tout  le  xvii°  siècle,  fut  décou- 
vert et  mis  en  honneur  par  les  romantiques.  Il  est  l'auteur  d'un 
recueil  de  vers  publié  en  1648  sous  le  titre  de  Les  Hespérides .  On  y 


5o6  REVUE    CRITIQUE 

trouve,  comme  chez  la  plupart  des  poètes  de  la  Renaissance  anglaise, 
mêlées  à  beaucoup  de  tatras,  quelques  pièces  absolument  exquises. 
Nul  n'a  chantd  avec  plus  d'art  et  de  grâce  le  printemps,  la  jeunesse, 
l'amour.  Détail  piquant  :  cet  épicurien  était  prêtre  de  l'Eglise  angli- 
cane. On  connaissait  fort  peu  de  chose  de  sa  vie,  car  ses  contempo- 
rain n'ayant  su  discerner  son  mérite,  ne  s'étaient  guère  occupés  de 
lui.  Grâce  à  de  longues  et  patientes  recherches  dans  les  archives, 
M.  Delaiire  a  réussi  à  mettre  de  la  clarté  dans  ces  ténèbres.  Après 
une  jeunesse  qu'on  devine  orageuse,  Herrick  se  réfugia  dans  les 
ordres.  Il  fut  aumônier  de  Buckingham,  ce  qui  n'était  pas  fait  pour  le 
rendre  sérieux,  et  alla  ensuite  se  terrer  dans  une  cure  de  campagne, 
où  il  né  cessa  de  regretter  la  capitale.  Son  exil  se  termina  au  bout  de 
dix-huit  ans,  d'une  façon  inattendue  :  il  fut  chassé  de  son  église  par 
les  puritains.  Il  est  probable  que  le  retour  à  Londres  lui  causa  une 
profonde  déception  ;  le  règne  des  puritains  succédant  à  la  brillante 
époque  des  Stuarts,  était  peu  propice  aux  poètes  et,  quand  Charles  II 
revint  enfin  en  1660,  làge  empêchait  Herrick  de  goûter  pleinement 
aux  fêtes  de  la  Restauration.  Il  retourna  donc  parmi  ses  paysans,  se 
remit  à  les  baptiser,  les  marier  et  les  enterrer,  et  mourut  très  vieux, 
clergyman  respectable  et,  nous  voulons  le  croire,  bien  dévot. 

M.  D.  Ta  comparé  à  La  Fontaine.  Les  deux  épicuriens  ont  en  effet 
quelques  traits  communs.  Mais  c'est  plutôt  aux  meilleurs  de  nos 
petits  poètes  du  xviii^  siècle  que  Herrick  fait  penser.  Son  œuvre 
évoque  souvent  l'abbé  poudré  et  élégant,  disciple  d'Anacréon,  et  dont 
les  vers,  gaillards  à  Toccasion,  divertissent  les  belles.  Le  sentiment  de 
la  nature  est  chez  Herrick,  M.  D.  l'a  démontré,  assez  artificiel,  et 
nos  petits  poètes,  on  commence  à  s'en  apercevoir,  savent  être  exquis 
quelquefois. 

La  thèse  de  M.  D.  comprend  trois  parties  :  l'homme,  le  poète, 
l'écrivain.  On  appréciera  particulièrement  dans  la  deuxième  partie  les 
chapitres  sur  les  femmes  et  l'amour  et  le  pittoresque  féminin.  C'est 
en  chantant  Julia,  Anthéa,  Lucia,  Corinna  et  d'autres  encore,  et  non 
pas  en  rimant  les  actions  de  grâces  des  Noble  Numbers,  pieux  appen- 
dice d'un  recueil  peu  chaste,  que  Herrick  est  vraiment  original.  Il 
excelle  à  peindre  une  chevelure  trempée  de  rosée,  une  gorge  que  cache 
à  peine  la  mousseline,  une  robe  volant  à  la  brise.  Il  ne  faut  pas  lui 
demander  de  brosser  un  tableau,  il  ne  réussit  que  la  miniature.  Inu- 
tile de  chercher  chez  lui  des  éclats  de  passion  ;  païen  et  voluptueux; 
il  voit  dans  Julie  uniquement  la  beauté  physique  et  les  roses  dont  il 
couronne  sa  maîtresse,  ont  plus  d'âme  qu'elle. 

Comme  tous  les  disciples  des  Alexandrins,  et  comme  les  Alexan- 
drins eux-mêmes,  Herrick  est  qn  imitateur.  Profondément  pénétré 
d'Anacréon  et  de  Théocrite,  lecteur  assidu  d'Horace  et  des  poètes 
erotiques  latins,  Herrick  traduit,  paraphrase,  ou  adapte  ses  modèles. 
Les  poètes  latins  modernes  ne  lui  sont  pas  moins  familiers.  C'est  dans 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  :>0J 


leurs  œuvres  oubliées  que  le  commentateur  d^s  Hespérides  ira  donc 
chercher  l'une  des  «  sources  »  du  poète  anglais.  Cette  partie  de  sa 
tâche,  M.  D.  s'en  est  acquitte'  avec  beaucoup  de  conscience.  Il  n'a  pas 
moins  bien  étudié  le  style  et  la  versification  de  son  auteur.  Le  livre 
se  complète  par  des  appendices  —  pièces  inédites  et  bibliographie  — 
un  index  analytique  et  la  reproduction  en  photogravure  de  l'unique 
portrait  de  Herrick.  Les  nombreuses  pièces  de  Herrick  qui  ont  été 
citées,  sont  traduites  en  une  prose  rythmée  d'un  effet  très  heureux. 

En  résumé,  la  thèse  de  M.  Delattre  est  un  excellent  travail  où 
l'auteur  a  su  se  monter  érudit  sagace  autant  qu'artiste  délicat.  Aussi 
la  Sorbonne  lui  a-t-elle  accordé  sa  plus  haute  récompense  '. 

Ch.  Bastide. 

A.    VuLLioD,   La  Femme  Docteur.  M">'=   Gottsched    et   son  modèle    français 
Bougeant  ou  Jansénisme  et  Piétisme.  Paris,  Fontemoing,  19 12.  In-8",  323  p. 

M.  Vulliod  a  consacré  sa  petite  ou  seconde  thèse  de  doctorat  à  la 
traduction  [Die  Pietisterei  im  Fischbeinrocke  oder  die  doctormàssige 
Frau)  que  fit  M'"*  Gottsched  d'une  pièce  du  Père  Bougeant,  La  femme 
docteur  ou  la  théologie  tombée  en  quenouille. 

Il  donne  le  texte  français  et  la  traduction  allemande  sur  deux  pages, 
en  regard  l'une  de  l'autre,  et  il  annote  texte  et  traduction.  Les  notes 
de  la  traduction  sont  justes,  instructives,  et  prouvent,  non  seulement 
une  profonde  connaissance  de  la  langue  et  de  l'époque,  mais  une 
grande  finesse  d'esprit  et  de  goût  \  M.  V.  ne  manque  pas  de  relever 
les  platitudes  et  les  pauvretés  de  cette  traduction. 

I.  Peu  de  remarques  de  détail  :  P.  loi,  l'  "  homme  de  Mr.  Dell  »,  plutôt  le 
«  domestique  »  (man);  p.  iSy,  la  citation  de  Selden  n'est  pas  une  épigramme,  c'est 
une  simple  allusion  à  la  théorie  du  contrat;  p.  35G,  n'y  a-t-il  pas  une  faute  d'im- 
pression dans  la  phrase  :  «  l'élan  enthousiaste  plutôt  »,  dont  la  construction  paraît 
bizarre  ?  —  Ajouter  à  la  bibliographie  R.  T.  Kerlin,  Tlieocritus  in  English  Litera- 
(în-e  (thèse  de  Yale,  1910);  s'il  ne  fournit  que  de  maigres  renseignements  sur 
Herrick  imitateur  de  Théocrite,  il  cite  en  revanche  l'ode  à  Herrick  publiée  en  1884 
par  le  poète  américain  Clinton  Scollard.  —  Le  livre  était  probablement  déjà  sous 
presse  quand  a  paru  le  petit  volume  de  Ch.  J.  Sembower  sur  Charles  Cotton, 
l'ami  de  Herrick.  —  P.  54g,  ajouter  English  Extracts,  Paris  (Laisney),  1892  : 
Blossoms;  Lugné-Philipon,  New  English  Reciter,  1907  :  Fair  Daftbdils. 

2.  P.  io3  Mucker,  pour  signifier  "  sournois  »  puis  «  faux  dévot  »,  a  passé  d'abord, 
non  par  le  sens  de  «  grondeur,  bourru  »,  mais  par  le  sens  de  «  grondeur, 
boudeur  »  —  p.  108  «  la  Constitution  »,  c'est  ici  qu'il  fallait  mettre  la  note 
de  la  p.  iio  et  dire  que  ce  mot  désigne  partout  la  Bulle  Unigenitus  —  p.  ii8 
il  fallait  remarquer  que  les  barbiers,  les  «  fraters  »  se  tenaient  pour  un  peu  méde- 
cins —  p.  129  icii  verstehe  mich  wohl  n'est  pas  un  «  évident  gallicisme  »  —  p.  i3i 
on  oublie  de  noter  que  M™-  Gottsched  traduit  «  curateur  »  par  Gevollmàchtigter 
(elle  entend  évidemment  «  qui  a  une  procuration  »,  cf.  p.  2  i3  et  291)  et  qu'elle 
eût  mieux  fait  de  traduire  par  Curator,  PJleger  ou  Reclitsbeistand  —  p.  i33  et 
3i5  M™"  Gottsched  traduit  <•  brouillons  »  pav  Schmieralieii,  qui  signiherait  ici, 
d'après  M.  V,,  des  mauvais  écrits,  des  bousillages  ennuyeux  et  pédantesques;  il 
fallait  dire  qu'elle  a  pris  le  mot  «  brouillon  »  au  sens  de  Concept,  et,  par  suite,  de 


5o8  RKVOl.    CRITIQLF. 

On  lui  reprochera  toutefois  de  n'avoir  pas  ramassé,  condensé  toutes 
ces  notes  et  de  n'avoir  pas,  dans  son  introduction,  résumé  et  précisé 
en  quelques  lignes  les  défauts  qu'il  reproche  à  M"'"  Gottsched  dans 
son  commentaire  :  par  exemple,  qu'elle  ne  rend  pas  la  vivacité  pitto- 
resque et  l'agrément  de  certaines  expressions;  qu'elle  efface  des  méta- 
phores et  atténue  des  locutions  (ne  traduit-elle  pas  «  j'ai  de  furieux 
soupçons  »  par  «  il  est  très  vraisemblable?  »;  qu'elle  outre  maintes 
choses  et  prête  une  singulière  violence  aux  exclamations  et  aux 
apostrophes  des  personnages;  qu'elle  fait,  par  instants,  des  additions 
maladroites;  qu'à  d'autres  instants,  elle  abrège  et  supprime  —  et  il  me 
semble,  ce  que  M.  V.  n'a  pas  noté,  que  la  fin  de  la  pièce  offre  des 
traces  très  visibles  de  fatigue  et  de  laisser  aller  :  évidemment  M"""  Gott- 
sched est  lasse,  elle  brusque  et  écourte. 

L'introduction  se  lit  avec  profit.  M.  V.  nous  trace  le  portrait  de 
M""  Gottsched  d'après  les  lettres  d'Adelgonde  Kulmus  à  M'»^  de 
Runkel;  il  apprécie  très  bien  son  caractère,  son  esprit  avisé,  ingé- 
nieux, pénétrant  ;  il  montre  qu'elle  était  mesurée  et  sage  et  que,  par 
suite,  elle  détesta  les  piétistes  comme  elle  détestait  les  athées;  il  con- 
jecture avec  raison  qu'elle  avait  de  secrets  griefs  contre  les  faux  dévots 
et  les  tartufes. 


Geschmiere,  tandis  qu'il  signifie,  comme  plus  loin,  M^irrkopf  ou  Stôrefried  (cf. 
p.  142  «  prêtres  brouillons  »  rendu  au  reste  par  Pietisten  et  p.  314)  —  p.  iSy  une 
note  n'était  peut-être  pas  inutile  au  mot  eifrig  qui  traduit  «  emporté  »,  et  il  fallait 
dire  que  M"''  Gottsched  a  traduit  inexactement  «  méditer  et  savourer  »  par  genies- 
sen  —  p.  i55  noter  que  «  faisant  quelques  pas  avec  action  »  n'est  pas  rendu 
par  gan:^  ersclirocke»  (de  même  p.  161  «  assez  bien  apparenté  »,  liât  gan^  liiibsche 
Frcunde)  —  p.  211,  M""  Gottsched  traduit  «  malin  »  par  /e/c/;//er//g-,  qui,  ici,  a 
le  sens  de  «  prompt,  vif,  alerte  »,  et  non,  comme  dit  M.  V.  d'  «  espiègle  »  —  p.  2i3 
Scluift  n'est  pas  du  tout  »  imprécis  »;  le  mot  signifiait  alors  convention,  acte, 
et  il  était  synonyme  de  Contract  —  id.  Meinung  avait  alors  le  sens  d'  <■  inten- 
tion »  —  p.  2i5  il  y  a  peut-être  «  faux  sens  d'expression  »  lorsque  M""'  Gottsched 
traduit  «  charitable»  par  gewissenhaft,  mais  le  mot  n'est  pas  mal,  et  il  veut 
dire  que  Dorise  à  qui  sa  sœur  a  détendu  de  penser  à  Eraste,  observe  cette  défense 
avec  scrupule  et  bonne  foi.  —  P.  217,  note  4,  cette  note  sur  le  mot  Gottseligkeit 
aurait  dû  figurer  plus  haut  p.  211  où  le  mot  est  déjà  employé  —  p.  218-219 
M'""  Gottsched  n'a  pas  traduit  le  mot  expressif  «  dédommagez-vous  »  (non  plus 
p.  224  que  la  phrase  «  éclaircir  vos  frivoles  soupçons  »)  —  p.  227  noter  que 
«  incessamment  »  est  mal  traduit  par  noch  heute  et  donner  un  bon  point  à 
M""  Gottsched  pour  avoir  rendu  «  mis  en  poudre  »  par  iinter  die  Banck  dispiitirt 
—  p.  277  M.  V.  trouve  que  arm  iind  von  schlechten  Leuten  qui  traduit  «  sans 
bien  et  sans  famille  »  est  une  outrance  d'expression;  cette  traduction  nous  semble, 
au  contraire,  exacte  (littéralement  0  pauvre  et  issu  de  petites  gens  »  et  c'est  ainsi 
que  M"'^  Gottsched  traduit  plus  loin,  p.  296  «  a  de  la  naissance  et  du  bien  »  par 
ist  reicli  und  von  giitem  Hanse)  —  p.  279  pourquoi  ne  pas  noter  <•  mérite  »  rendu 
inexactement  par  Gottesfiircht  (et  cependant  traduit  plus  loin  p.  287  par  Ver- 
dienste)':  —  p.  287  noter  dans  cette  page  que  la  traductrice  a  oublié  la  fin  de  la 
phrase,  non  seulement  dans  la  deuxième  tirade  de  Gléante,  mais  dans  la  première 
(«  'Vous  l'obstinerez,  etc.)  »  —  p.  3i3  peut-être  fallait-il  blâmer  Einsicht  au  sens 
de  «  Rùcksicht  »,  considération. 


d'histoirk  et  de  littérature  5o9 

On  comprend  donc  qu'elle  ait  traduit  la  comédie  satirique  du 
Père  Bougeant  parue  à  Lyon  en  1730.  M.  V.  fait  voir  que  la  Femme 
docteur  réunissait  aux  yeux  de  Gottschcd  et  de  sa  femme,  de  celle  que 
le  professeur  appelait  son  adroite  amie,  die  geschickte  Freundin,  les 
conditions  qu'exigeait,  selon  les  deux  époux,  la  comédie  allemande, 
cette  comédie  qu'ils  voulaient  acclimater  à  Leipzig. 

La  pièce  leur  otîrait,  en  outre,  un  intérêt  spécial.  Gottsched  avait 
pris  nettement  parti  pour  Wolf  contre  le  piétisme.  Au  lieu  de  peindre, 
comme  Bougeant,  le  milieu  janséniste,  le  traducteur  allemand  ne 
pouvait-il  représenter  les  Collegia  pietatis,  les  confréries  des  piétistes 
allemands,  des  disciples  de  Spener  et  de  Francke?  Ces  Sonderlinge, 
ces  étranges,  ces  singuliers  personnages  (et  non,  comme  traduit 
M.  V.,  ces  fantasques)  ne  se  ressemblaient-ils  pas,  qu'ils  fussent  à 
Paris  ou  en  Allemagne? 

M™®  Gottsched  traduisit  donc  en  1735  et,  sans  se  nommer,  publia 
en  1736,  à  Leipzig  —  non  à  Rostock,  comme  porte  le  titre  de  l'ou- 
vrage —  la  pièce  du  P.  Bougeant.  La  traduction  était,  ainsi  que  le 
prouve  M,  V.,  destinée  à  être  lue,  non  à  être  jouée,  et  M.  V.  insiste 
avec  beaucoup  de  compétence  sur  les  procédés  de  M™"  Gottsched 
et  de  son  mari.  Gottsched  recommandait  dans  la  traduction  le 
Zurichten.  —  M.  V.  dit  «  l'assaisonnement  »,  mais  je  crois  qu'il 
vaut  mieux  dire  «  l'apprêt,  la  préparation,  l'accommodement  ».  Il 
fallait,  selon  Gottsched,  préparer,  apprêter,  accommoder  à  l'allemande 
les  pièces  étrangères,  substituer  des  noms  propres  nationaux  aux 
noms  propres  exotiques,  mettre  la  scène  en  Allemagne  au  lieu  de  la 
laisser  en  France  ou  en  Angleterre,  transposer  ainsi  l'œuvre  et  lui 
donner  Tair  et  l'allure  d'un  produit  indigène,  original,  né  sur  le  sol 
germanique. 

Aussi  M'"'^  Gottsched  dit-elle  qu'elle  veut  appliquer  à  la  situation 
de  l'Allemagne  l'affabulation  de  l'auteur  français.  Elle  transporte  la 
scène  de  Paris  à  Kônigsberg.  Elle  germanise  les  noms  de  personnes 
et  les  noms  d'endroits;  elle  trouve  des  équivalents  allemands  aux  titres 
des  ouvrages  français  et  aux  termes  qui  font  allusion  à  des  cabales  et 
à  des  points  de  doctrine.  Géronte  et  sa  femme  Lucrèce  deviennent 
M.  Glaubeleicht  et  M"'"  Glaubeleichtin;  Dorimène,  Bélise  et 
M"«  Baudichon  la  quêteuse,  Frau  Zankenheim,  Frau  Seufzer  et 
Frau  Bettelsack.  L'ofïicier  Cléante  devient  le  colonel  Wackermann"; 
Bertaudin,  le  magister  Scheinfromm  ;  La  Bertaudinière,  M.  de 
Muckersdorff ;  Eraste,  Liebmann  ';  Gilotin  le  colporteur,  Jacob;  la 
mère  Sainte-Sibille,  Frau  Plappegern  ;  l'abbé  Brutal,  Herr  Unge- 
stum,  etc. 

Ces  transpositions  sont  toutefois  l'unique  mérite  de  M""^  Gottsched. 
On  a  fait  grand  fracas  de  l'épisode  de  M™e  Ehrlich   ou,  comme  dit 

I.  Liebmann  manque  à  la  table  des  acteurs. 


5lO  REVUE    CRITIQUE 

M.  V.,  de  M"''  Loyal  '  que  M™''  Gotisched  a  substituée  à  M»"'  d'Har- 
pignac  la  plaideuse,  de  M""^  Loyal,  cette  femme  du  peuple  qui  s'ex- 
prime en  dialecte  populaire.  Voilà,  a-t-on  dit  avec  admiration,  la 
langue  qu'on  parle  encore  à  Kônigsberg  sur  le  Pont-aux-Poissons  et 
à  Dan/.ig  sur  le  marché  aux  choux  !  Le  morceau  a  été  jugé  savoureux 
et  la  rigure  de  M'"'^  Loyal  regardée  presque  comme  un  chef-d'œuvre. 
Nous  sommes  d'avis,  avec  M.  V.,  que  M'"'  d'Harpignac  avait  son 
importance  dans  la  pièce  et  qu'elle  précisait  le  rôle  de  Frondebulle 
et  de  Braillardin.  Mais  M™«  Loyal  est  grossière,  triviale;  elle  parle 
trop  longuement,  et  la  querelle  qu'elle  fait  à  Scheinfromm  nous  dis- 
trait et  nous  éloigne  de  l'action. 

Au  reste  cette  appropriation,  si  piquante  et  curieuse  qu'elle  soit 
parfois,  est,  ainsi  que  s'exprime  très  bien  M.  V.,  un  travestissement, 
une  déviation.  M"^«  Gottsched  amalgame  le  jansénisme  et  le  piétisme 
et  tient  l'un  et  l'autre  pour  des  «  nouveautés  »,  des  «  rêveries  »,  des 
«  fantaisies  mystiques  ».  Elle  croit  que  les  jansénistes  sont  des  faux 
dévots  comme  le  Bertaudin  du  Père  Bougeant  et  que  les  piétistes 
sont  ou  des  fourbes  ou  des  dupes.  Elle  n'a  pas  su  dépeindre  le  pié- 
tisme comme  Bougeant  a  su  dépeindre  le  jansénisme,  avec  finesse, 
en  usant  de  nuances  et  de  réserves.  Elle  n'a  pas  vu  que  le  jansé- 
nisme pouvait  s'allier  à  des  mœurs  frivoles  et  que  le  piétisme  est, 
en    revanche,  tout  rigorisme. 

Bref,  M""*"  Gottsched  n'a  pas  donné  dans  sa  traduction,  comme 
a  dit  Schlenther,  une  «  preuve  de  talent  ».  Elle  n'a  pas,  selon 
une  autre  expression  de  Schlenther,  «  innové  avec  bonheur  »  ni 
«  utilisé  une  forme  étrangère  pour  y  verser  un  contenu  national  »  ni 
«  établi,  par  delà  Bougeant,  un  plus  étroit  contact  avec  Molière  ». 
Elle  n'a  pas,  comme  prétend  Waniek,  tracé  «  une  image  de  la  vie 
humaine  •>  et  déployé  «  une  force  d'intuition  et  de  création  vraiment 
poétique  ».  Elle  n'a  pas,  comme  écrivait  récemment  Buchwald,  «  en 
se  rattachant  par  un  faible  lien  à  une  satire  française,  dirigé  une 
attaque  aussi  spirituelle  que  courageuse  contre  la  fausse  dévotion  des 
sectaires  de  Halle  ».  Quelles  exagérations  ! 

Elle  aurait  dû  traduire  Bougeant  et  non  pas  tenter  de  l'adapter. 
Comment  rendre  l'original  par  d'exactes  et  authentiques  équivalences  ? 
Comment  «  accommoder  »  Kônigsberg  à  Paris,  et  la  vie  de  la  Prusse 
royale  à  celle  de  la  Régence  ?  Comment  dérouler  un  tableau  des 
mœurs  allemandes  en  le  calquant  sur  un  tableau  des  mœurs  pari- 
siennes ?  M°»'  Gottsched,  comme  dit  M.  Vulliod  à  la  fin  de  son 
introduction  si  sagace,  si  soignée  et  si  solide.  M"'  Gottsched  voulut 
garder  l'édifice  dont  elle  ne  connaissait  qu'imparfaitement  et  le  plan 

I.  Je  dis  M"»»  Loyal  et  non,  comme  M.  V.,  M""'  Loyale;  il  s'agit  de  traduire 
Frau  Ehrlichin  ;  or,  cette  dame  est  la  femme  de  M.  Ehrlich,  et,  comme  nous  tra- 
duirons Ehrlich  par  Loyal,  la  femme  de  M.  Loyal  s'appellera  Loyal  et  non 
Loyale, 


d'histoire  et  de  littérature  5  I  I 

et  le  détail  ;  elle  se  contenta  d'appliquer  à  cette  construction  une 
façade  hétéroclite  et  elle  crut,  la  pauvre  I  nous  donner  le  change  par 
un  placage  superficiel  de  corniches  et  de  trumeaux  '. 

A.  Chuquet. 

Chronologie  des  archevêques,    évéques  et  abbés  de   l'ancienne   province 
ecclésiastique    d'Auch    et    des    diocèses     de    Condom    et    de    Lombez 

(1300-1801),  publiée...  par  l'abbé  A.  CLt:Rc,E.\c,...  Paris,  II.  Champion;  Auch, 
L.  Cocharaux,  igi2.  In-8°  de  xix-2r4  pages.  (Archives  ihistoriques  de  la  Gas- 
cogne... 2«  série,  fascicule  i6.) 

Voici  un  des  ouvrages  qui  rendront  certainement  le  plus  de  services 
aux  historiens  ayant  à  s'occuper  de  la  Gascogne  ou  de  prélats  de  cette 
région.  On  sait,  pour  peu  que  l'on  ait  consulté  la  Gallia  christiana, 
combien  sont  défectueuses  les  anciennes  chronologies  et  combien  il 
est  parfois  difficile  d'arriver  à  la  vérité.  Toute  une  recherche  fasti- 
dieuse est  maintenant  épargnée  par  M.  l'abbé  Clergeac.  Il  a  fait 
commencer  ses  listes  au  début  du  xiv^  siècle,  car  c'est  à  partir  de 
cette  époque  que  le  pape  se  réserve  de  plus  en  plus  la  nomination 
des  évéques  et  des  abbés.  C'est  par  conséquent  dans  les  archives  du 
Vatican,  les  recueils  de  bulles,  les  livres  des  obligations  et  paiements, 
les  registres  des  actes  consistoriaux,  les  livres  de  comptes  et  de  quit- 
tances, qu'il  a  fallu  principalement  puiser  les  éléments  de  la  chrono- 
logie nouvelle.  M.  l'abbé  Clergeac  n'y  a  pas  manqué;  il  a  complété 
son  information  avec  les  archives  locales,  les  documents  conservés  à 
la  Bibliothèque  nationale  et  les  publications  des  divers  érudits.  On 
peut  dire  que  maintenant  les  listes  de  prélats  pour  les  évêchés  et 
abbayes   de  la  Gascogne  sont  établies  d'une  façon  définitive. 

Une  bonne  table  alphabétique  complète  le  volume  et  permet  de 
retrouver  facilement  non  seulement  les  noms  des  personnages  cités, 
mais  encore  les  localités  dont  il  a  été  question.  L'ordre  est  bien  établi, 
mais  pourquoi,  puisque,  avec  toute  raison,  l'auteur  a  classé  dans  la 
lettre  L  les  noms  composés  avec  Le,  La,  Les,  a-t-il  mis  dans  le  G 
le  nom  de  La  Garde,  dans  le  7"  ceux  de  La  Tour,  etc.?  Pourquoi 
n'a-t-il  pas  appliqué  la  même  règle  pour  les  mots  composés  avec  Du  ? 

L.-H.  Labande. 

Karl  MuTiiEsius,  Gœthe  und   Karl   Alexander,  Weimar,    Bfihlau,   igio.   In-H", 
VI  et  1 16  p.  2  fr.  3o. 

Ce  livre  de  M.  Muthesius  sur  Gœthe  et  Charles-Alexandre,  grand- 
duc  de  Weimar,  est  plein  de  détails  intéressants  et  il  offre  une  lecture 
agréable.  On  voit  d'abord  Charles-Alexandre  «  salué  par  le  génie  », 
élevé   par  Soret  «    sous  les  yeux  du   poète  »,   avec  les  petits-fils  de 

I.  A  noter  encore,  dans  cette  introduction,  reloge  des  qualités  du  P.  Bougeant; 
sa  pièce  offre  des  traits  tout  à  fait  dignes- de  Marivaux,  et  notamment  le  portrait  de 
cette  Angélique  si  fine  et  qui   mêle   si  joliment   l'ironie   à  l'émotion. 


5  1  2  REVUE    CRITIQUE 

Gociho.  Wolfgang  et  Walther,  et,  à  l'âge  de  quatorze  ans,  s'inclinant 
avec  respect  devant  le  grand  écrivain  à  son  lit  de  mort.  Puis,  Charles- 
Alexandre  répand  autour  de  lui  le  culte  de  Gœthe,  et  sa  vie  est, 
comme  dit  M.  Muthesius,  une  vie  dans  l'esprit  de  Goethe,  in  Gœthes 
Geiste.  Il  veut  organiser  une  fondation  Goethe,  une  Gœthe-Stiftimg, 
et  c'est  Liszt  qui  recommande  et  prône  l'entreprise  dans  une  brochure 
en  français  :  De  la  fondation  Gœthe  à  Weimar  :  la  fondation  aura  à 
Wcimar  un  édifice  magnifique;  elle  couronnera  des  œuvres  qui  seront 
sa  propriété,  des  œuvres  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture  et  de 
musique^  chaque  art  à  son  tour,  et  ce  sera,  comme  au  temps 
des  jeux  olympiques,  pour  les  écrivains  et  les  artistes,  une  brillante 
occasion  de  se  faire  connaître.  La  fondation,  comme  on  sait,  ne  devait 
se  réaliser  que  de  nos  jours.  Ce  fut  encore  Charles-Alexandre  qui  fit 
élever  le  monument  Gœthe-Schiller.  L'inauguration  eut  lieu  le  3  sep- 
tembre 1857,  le  jour  anniversaire  de  la  naissancede  Charles-Auguste. 
La  maison  princière  de  Weimar  avait  souscrit  pour  6.700  thalers; 
Napoléon  III  et  deux  princes  français  donnèrent  2.600  francs;  et  on 
recueillit  à  Milan  44  thalers,  et  à  Berlin...  un  thaler. 

A.   Chuquet. 

Lauvrière,  Edgar  Poe,  Paris,  Bloud,   1912.  In-S»,  25o  p.  2  fr.  5o. 

La  collection  «  Ecrivains  étrangers  »  publiée  par  la  maison  Bloud, 
s'enrichit  rapidement.  Le  dernier  volume  paru  est  une  biographie 
d'Edgar  Poe.  M.  Lauvrière,  déjà  connu  par  une  thèse  sur  le  même 
auteur,  était  tout  désigné  pour  se  charger  de  ce  travail.  Malgré  ses 
dimensions  réduites,  ce  petit  livre  contient  une  biographie  très  com- 
plète. Inutile  d'ajouter  que  c'est  une  biographie  écrite  au  point  de  vue 
pathologique.  M.  Lauvrière  n'a  point  jugé  à  propos  de  modifier  les 
conclusions  de  sa  thèse,  mais  il  a  très  consciencieusement  ajouté  à  la 
vie  du  poète  certains  détails  que  les  critiques  américains  ont  récem- 
ment révélés.  On  retrouvera  d'autre  part  les  qualités  de  style  et  de 
composition  qu'on  a  pu  apprécier  en  lisant  le  volume  de  M.  Lau- 
vrière sur  Alfred  de  Vigny.       -  q^^    q 

A.  Regnard,  Histoire  de  l'Angleterre  depuis   1875  jusqu'à  l'avènement  de 
Georges  V.  Paris,  Alcan.  (Bibliothèque  utile).  In-i8,   192  p.  o  fr,  60. 

Ce  manuel  d'histoire  contemporaine  de  l'Angleterre,  et  dont  nous 
avons  sous  les  yeux  la  deuxième  édition,  rendra  beaucoup  de  services. 
C'est  un  exposé  clair,  succinct  et  impartial.  Peu  de  remarques  à  faire  : 
p.  145,  la  vaccine  n'est  plus  obligatoire  en  Angleterre;  p.  147,  le 
paragraphe  sur  le  bill  d'éducation  de  1870  est  rédigé  de  façon  à  faire 
croire  que  la  loi  est  encore  en  vigueur,  d'ailleurs  la  loi  de  1902  n'est 
pas  mentionnée;  p.  i58,  le  rôle  du  «  grand  jury  »  est  mal  défini,  rien 
n'est  dit  des  «  jurys  spéciaux  ».  Ce  ne  sont  là  que  des  vétilles. 

Ch.  B. 


d'histoire  et  de  littérature  5i3 

J.J.  JcssERAND,  What  to  expect  of  Shakespeare,  London,  Frowde.  In-S",  24  pp. 
Rien  de  plus  intéressant  que  cette  conférence  faite  par  M.  Jusserand 
devant  la  British  Academy.  C'est  une  vigoureuse  synthèse  de  ce  que 
nous  savons  de  la  vie  de  Shakespeare,  de  ses  idées,  de  ses  ambi- 
tions. Ce  qu'on  retire  de  son  œuvre  à  laquelle  il  a  si  peu  pensé  lui- 
même,  c'est  le  profit  que  procure  la  fréquentation  des  plus  grands 
artistes.  Dans  son  expression  la  plus  haute,  l'art  se  confond  avec  la 
morale.  Un  drame  shakespearien  ne  remue  pas  seulement  les  specta- 
teurs, il  doit  les  rendre  meilleurs,  car  il  est  un  effort  vers  un  idéal. 
M.  Jusserand  inaugure  de  la  façon  la  plus  heureuse  la  série  des  con- 
férences sur  Shakespeare  que  la  British  Academy  se  propose  de 
demander  chaque  année  aux  critiques  les  plus  éminents. 

Ch.  B. 


Alfred  Stern.  Geschichte  Europas  von  1830  bis  1848.  T.  II  et  111,  Stuttgart  et 
Berlin,  Cotta,  191 1,  in-S",  456  et  640  p.,  9  mk.  et  12  mk.  5o. 

Ces  deux  volumes  complètent  la  seconde  partie  de  la  Grande  His- 
toire de  l'Europe  de  i8i5  à  xS-ji  entreprise  par  M.  Stern,  (le  t.  P""  a 
paru  en  igoS).  La  valeur  de  cet  important  travail  tient  surtout  aux 
recherches  étendues  de  l'auteur;  M.  St.  ne  s'est  pas  contenté  de 
résumer  les  travaux  historiques  parus,  ni  même  de  mettre  en  œuvre 
les  documents  publiés  ;  il  a  visité  de  nombreux  dépôts  d'archives  ;  à 
Berlin,  Vienne,  Francfort,  Cassel,  Copenhague,  Berne,  Florence, 
etc.,  il  a  parcouru  les  correspondances  diplomatiques  et  il  en  a  fait 
usage,  non  seulement  pour  le  récit  des  négociations,  mais  pour  l'his- 
toire politique  intérieure  et  même,  à  l'occasion,  pour  l'histoire  éco- 
nomique des  divers  états.  On  regrettera  qu'il  n'ait  rien  cherché,  ou 
rien  pu  voir  à  Londres  ni  à  Pétersbourg,  notamment  pour  l'étude  de 
r  c(  entente  cordiale  »  et  des  relations  anglo-russes  en  1839-40.  Il 
n'est  pas  moins  vrai  que  les  textes  très  nombreux  cités  par  M.  St., 
apportent  une  assez  grande  quantité  de  détails  nouveaux  (p.  ex.  sur 
le  mouvement  carliste  et  la  révolution  de  la  Granja)  et  beaucoup  de 
témoignages  décisifs  sur  des  points  controverses  (p.  ex.  l'histoire  du 
mariage  du  duc  d'Orléans  avec  la  princesse  Hélène  de  Mecklem- 
bourg,  le  rapprochement  franco-autrichien  de  1847  à  propos  de  la 
Suisse,  etc.  . 

Tout  en  laissant  la  première  place  au  récit  des  événements  poli- 
tiques et  militaires,  comme  il  est  naturel  dans  une  histoire  de 
l'Europe  —  qui  n'est  pas  l'histoire  des  états  européens  —  M.  St.  n'a 
négligé  ni  l'histoire  économique,  ni  l'histoire  sociale,  ni  même  l'his- 
toire littéraire,  dans  la  mesure  où  les  écrivains  ont  agi  sur  le  dévelop- 
pement des  doctrines  politiques  et  la  conduite  des  gouvernements, 
Ainsi  la  Jeune  Allemagne  de  1830-1840,  le  mouvement  néo-catho- 
lique, le   chartisme    anglais,  la    renaissance    de   la    Hongrie   et   des. 


5  r4  RKVUE    CRITIQUE 

peuples  slaves,  le  «  régime  Nicolas  »  en  lUissie  sont  étudiés  dans 
leurs  traits  essentiels  et  parfois  dans  leurs  détails  les  plus  caractéris- 
tiques. L'ouvrage  de  M.  St.  représente  des  lectures  immenses  et  un 
travail  souvent  très  délicat  de  critique  et  de  mise  au  point.  Il  y  a,  for- 
cément, quelques  lacunes  d'information,  quelques  détails  contes- 
tables ip.  ex.  sur  la  Révolution  de  février),  mais  on  n'en  trouve  pas 
qui  fassent  tache. 

D'une  façon  géné)-ale,  ces  volumes  sont  très  supérieurs  à  tous  les 
récits  généraux  qui  ont  paru  jusqu'ici;  pour  le  règne  de  Louis-Phi- 
lippe en  particulier,  M.  St.  a  plus  d'une  fois  l'occasion  de  compléter 
ou  de  corriger  Hillebrand  et  M.  Thureau-Dangin,  bien  qu'il  renvoie 
souvent,  avec  raison,  à  leurs  ouvrages. 

Le  lecteur  français  s'intéressera  spécialement  aux  témoignages  de  la 
politique  personnelle  du  roi  Louis-Philippe  ;  on  y  voit  à  merveille 
combien,  dès  1834,  il  évolue  rapidement  du  libéralisme  apparent  des 
premières  années  au  système  conservateur  et  répressif  de  Metternich, 
sans  gagner  pour  cela  les  bonnes  grâces  du  chancelier  autrichien,  ni 
surtout  celles  du  tsar,  qui  parla  toujours  du  roi  des  Français  en  termes 
méprisants,  et  même  grossiers  (II,  273,  le  mariage  du  duc  d'Orléans 
est  qualifié  de  «  cochonnerie  »  par  Nicolas  1er).  Qn  a  cependant  l'im- 
pression que  dans  ces  conversations  avec  les  diplomates  étrangers, 
où  il  se  montrait  singulièrement  rétrograde,  Louis-Philippe  était 
peut-être  plus  soucieux  de  désarmer  des  méfiances  persistantes  que 
d'exprimer  ses  préférences  secrètes.  C'est  le  seul  point  où  la  critique, 
par  ailleurs  très  avertie  de  l'auteur,  semble  quelquefois  en  défaut. 
Le  plus  souvent,  M.  St.,  fidèle  à  la  méthode  de  Ranke,  dont  il  est 
l'élève,  s'abstient  de  juger,  et  laisse  parler  les  faits.  Si  ses  pré- 
férences apparaissent  parfois,  c'est  lorsque  le  patriotisme  allemand 
est  en  jeu,  par  exemple  à  propos  du  mouvement  francophobe  de 
1840,  et  ce  n'est  jamais  qu'en  termes  très  modérés,  avec  des  arguments 
à  l'appui  (II,  413-414). 

L'ouvrage  contient,  en  appendice,  des  documents  justificatifs, 
notamment  des  rapports  de  diplomates  français,  Bois-le-Comte  et 
Bombelles,  un  intéressant  témoignage  du  rôle  joué,  dans  les  événe- 
ments de  Naples  en  1848,  par  un  ancien  fonctionnaire  français, 
Dupont,  et  plusieurs  mémoires  ou  lettres  de  Metternich  non  publiés 
dans  le  recueil  imprimé  par  son  fils,  et  relatifs  surtout  aux  affaires 
d'Orient  en  1846-47  et  aux  vues  de  la  Russie  sur  Constantinople. 

R.  G. 


Etienne  Dupont.  Le  Mont  Saint-Michel  inconnu,  d'après  des  documents  inédits. 
Paris,  Perrin  et  C'",  iqi2.  ln-80  de  320  pages. 

Est-il  bien  si  inconnu  que  l'auteur  veut  bien  le  dire,  le  Mont  Saint- 
Michel  dont  parle  M.  Etienne  Dupont  ?  Certes,  celui-ci  a  étudié,  à  pro- 


d'histoire  et  de  littérature  5i5 

pos  de  la  célèbre  abbaye,  les  questions  les  plus  diverses,  depuis  les  œu- 
vres liitéraires  composées  au  Mont,  depuis  les  manuscrits  copiés  par 
les  moines,  jusqu'aux  hôtelleries  accueillant  les  visiteurs  et  pèlerins  ;  il 
nous  a  parlé  des  miracles  opérés  dans  l'abbaye  et  des  cloches,  des 
guerres  contre  les  Anglais  et  des  prisonniers  qui  vécurent  dans  les 
célèbres  cachots  du  Mont,  des  donations  consenties  aux  religieux  en 
Angleterre  par  Guillaume  le  Conquérant  et  de  leurs  relations  désa- 
gréables avec  Madame  de  Chartière,  femme  d'un  gouverneur  au 
xvii<=  siècle,  etc.  Le  récit  se  lit  fort  agréablement,  mais  combien  en 
est  mince  la  trame!  Comme  les  recherches  vraiment  originales  de 
l'auteur  ont  été  peu  étendues!  On  pourrait  presque  avancer  qu'il  n'a 
prétendu  qu'écrire  un  recueil  d'anecdotes  historiques  présenté  sous 
une  forme  aimable.  Un  petit  fait  révélé  par  un  chroniqueur,  comme 
par  exemple  le  séjour  au  Mont  Saint-Michel  de  Tiphaine  Raguenet, 
femme  de  Bertrand  du  Guesclin,  lui  donne  l'occasion  d'écrire  un 
chapitre  sur  l'astrologie  pratiquée  par  les  religieux.  Il  ne  peut  se 
baser  que  sur  la  présence  de  quelques  rares  manuscrits  dans  la  biblio- 
thèque du  Mont,  et  encore  cela  ne  signifie  pas  grand'chose,  puisque  de 
tels  livres  se  trouvaient  partout  au  moyen  âge.  N'importe,  M.  Etienne 
Dupont  a  bâti  son  chapitre  tant  bien  que  mal.  Il  n'a  du  reste  fait  que 
répéter  ce  que  l'on  avait  déjà  dit,  avec  plus  ou  moins  de  vérité,  sur 
la  première  femme  de  du  Guesclin,  et  l'on  peut  se  demander  où 
furent  ici  ses  documents  inédits.  On  pourrait  en  dire  autant  pour 
d'autres  pages,  et  l'auteur  lui-même  s'en  est  bien  rendu  compte, 
puisque  dans  une  note  de  sa  préface  il  annonce  que  son  livre  n'ap- 
prendra rien,  sans  doute,  «  à  une  douzaine  de  michéliens  très  érudits  »  ; 
mais,  ajoute-t-il,  «  ce  n'est  pas  à  eux  que  ce  volume  s'adresse  ».  A  la 
bonne  heure,  nous  voici  avertis.  Ne  cherchons  donc  pas  ici  un  recueil 
de  documents  et  une  étude  historique  approfondie,  contentons-nous 
de  respirer  avec  plaisir  le  parfum  de  ce  «  bouquet  de  fleurettes  »,  que 
M.  E.  Dupont  a  «  déposé  en  hommage  filial  au  pied  de  la  célèbre 
montagne  ». 

L.-H.  Labande. 

Eugène  Pottet.  Histoire  de  Saint-Lazare  (1122-1912).  Paris,  Société  française 
d'imprimerie  et  de  librairie,  1912.  In-i6  de  xi-340  pages. 

M.  Eugène  Pottet  a  étudié  la  maison  de  Saint-Lazare  de  Paris 
beaucoup  moins  en  historien  qu'en  fonctionnaire  dé  la  Préfecture  de 
police.  Ce  n'est  pas  tant  le  passé  qui  l'intéresse  que  le  présent;  de 
toutes  les  personnes  qui  ont  vécu  depuis  le  xii'-  siècle  dans  les  bâti- 
ments de  Saint-Lazare,  c'est  la  population  actuelle  qu'il  connaît  le 
mieux.  Il  aurait  d'ailleurs  pu  fort  bien  supprimer  de  son  livre 
la  partie  historique  et  se  contenter  de  considérer  Saint-Lazare  comme 
maison  d'arrêt  et  de  correction  ou  infirmerie  spéciale.  Les  pages  qui 
concernent  les   lépreux  et  les  missionnaires  à  Saint-Lazare  ne   sont 


5  l6  REVUE    CRITIQUE 

pas  seulement  exirômement  réduites;  bien  qu'elles  aient  été  inspi- 
rées par  quelques  monographies  particulières,  désignées  d'une  façon 
insuffisante  (il  est  évident  que  M.  Poitet  n'était  pas  préparé  à 
écrire  des  livres  historiques),  elles  sont  encore  mal  composées  et 
présentées  sans  ordre.  L'auteur  a  deux  chapitres  sur  Saint-Lazare 
pendant  la  Révolution  et  la  Commune  de  Paris,  mais  comme  son 
livre  ne  suit  pas  un  plan  régulier,  il  les  a  intercalés,  le  premier 
entre  le  chapitre  sur  le  régime  pénitentiaire  et  les  reformes  projetées 
et  celui  qui  est  relatif  aux  détenues  de  droit  commun,  le  second  entre 
ceux  qui  concernent  la  réglementation  de  la  prostitution  et  les  cri- 
tiques adressées  par  la  presse  au  Saint-Lazare  de  nos  jours.  On 
voit  combien  tout  cela  est  défectueux.  M.  Eugène  Pottet  a  égale- 
ment consacré  quelques  pages  à  la  biographie  des  prisonniers  les  plus 
célèbres  de  Saint-Lazare  sous  la  Révolution,  mais  elles  paraissent 
plutôt  empruntées  à  des  dictionnaires  comme  le  Larousse  que  rédi- 
gées d'après  des  recherches  personnelles.  Il  faut  faire  exception  pour 
les  documents  sur  Fouquier-Tinville,  extraits  des  Archives  natio- 
nales qui  sont  intercalés  en  hors  d'oeuvre.  Si  le  côté  historique 
est  faible,  la  partie  que  j'appellerai  administrative  du  livre  de 
M.  Pottet  est  plus  sérieusement  documentée  et  rendra  plus  de  ser- 
vices, mais  quel  dommage  qu'elle  ne  soit  pas  présentée  avec  un  plus 
grand  souci  de  la  composition  ! 

L.-H.  Labande. 

Le  fils  de  Laclos,  carnets  de  marche  du  commandant  Choderlos  de  Laclos 
(an  XIV-1814),  publiés  avec  une  préface  et  des  notes  par  Louis  de  Ghauvigny. 
Paris,  Fontemoing,   1912.  In-S»,  264  p.,  5  francs. 

Ces  carnets  de  marche  méritaient  d'être  publiés,  et  le  volume  qui 
les  reproduit  est  très  joliment  exécuté,  orné  de  douze  gravures  hors 
texte  en  noir  et  en  couleur  —  à  signaler  et  à  louer  le  pastel  de  Laclos, 
les  deux  pastels  de  M"»^  de  Laclos  (Soulange  Duperré)  et  la  miniature 
de  M"«  Pourrat. 

Etienne  de  Laclos,  l'auteur  de  ces  Carnets,  fils  du  célèbre  Laclos  et 
de  Soulange  Duperré,  a  fait  les  campagnes  de  1 8o5  et  de  1 806  en  Alle- 
magne et  celles  de  1809  ^  18 12  en  Espagne  et  en  Portugal  et  il  était 
chef  de  bataillon  adjoint  à  l'état-major  général  du  6*^  corps  d'armée 
lorsqu'il  mourut,  frappé  d'une  balle  à  la  tête,  le  18  mars  1814,  à 
Berry-au-Bac.  Il  y  a  de  tout  dans  ses  carnets  :  une  prière  très  belle  et 
vraiment  admirable  composée  par  la  femme  du  général  Beaumont 
pour  ses  fils  qui  sont  à  l'armée,  une  chanson  de  cavaliers  assez  leste, 
des  visites  aux  filles  —  que  j'aurais  supprimées  «  sans  vergogne  »  tout 
comme  Etienne  de  Laclos  les  raconte  —  des  listes  de  mots  allemands 
et  polonais  que  le  jeune  Laclos  apprenait  par  cœur,  etc.  Ce  sont,  en 
somme,  de  simples  notes  destinées  à  servir  plus  tard  de  mémento. 
Quelquefois  pourtant  l'otîicier  entre  dans  le  détail.  Il  dépeint  Napo- 


d'histoire  et  de  littérature  5  17 

léon  et  décrit  Berlin,  Postdam,  Danzig.  Il  consacre  quelques  pages  à 
l'entrevue  de  Tilsit,  et  on  conçoit  qu'il  n'aurait  pas  donné  à  ce  moment 
sa  place  pour  dix  louis,  car  il  voit  la  garde  russe  qui  fait  «  la  céré- 
monie la  plus  extraordinaire  »  pour  relever  les  postes;  il  voit  le  camp 
des  Kalmouks,  «  farouches,  barbares,  hideux  »  ;  il  voit  Alexandre, 
grand  et  bel  homme  à  la  figure  distinguée  qui  «  doit  faire  le  bonheur 
de  ses  sujets  »,  le  grand-duc  Constantin  qui  paraît  vif  et  emporté,  le 
roi  de  Prusse  qui  a  l'air  contrit.  Et  quel  cri  touchant  échappe  à 
Laclos  le  28  juin  1807  (cp.  p.  118)  :  «  O  bienfaisante  paix!  Viens, 
terminer  les  maux  de  ces  innocents  et  paisibles  habitants  que  la  guerre 
a  affreusement  lésés.  Moi,  jeune  militaire,  j'ai  longtemps  désiré  que 
la  guerre  se  prolongeât  pour  obtenir  de  l'avancement  dans  ma  car- 
rière; mais  hélas!  je  ne  puis  plus  longtemps  désirer  ce  qui  fait  le 
malheur  de  millions  d'âmes.  » 

L'éditeur,  M.  L.  de  Chauvigny,  a  joint  à  ces  carnets  une  corres- 
pondance qui  renferme,  entre  autres  pièces  intéressantes,  trois  lettres 
de  Marmont  et  plusieurs  lettres  de  M"^«  Pourrat  à  M™«  de  Laclos. 

Il  annote  parfois  les  carnets  et  il  donne  sur  nombre  de  personnages 
des  notices  complètes  qu'il  a  tirées  des  archives.  Toutefois,  il  aurait 
dû  identifier  avec  plus  de  soin  les  noms  de  lieux;  quelques-uns  ont 
été  restitués;  beaucoup  sont  estropiés'. 

Sa  préface,  d'un  style  vif  et  alerte,  pittoresque  et  imagé,  se  lit  avec 
agrément  et  profit.  On  y  remarquera  ce  que  M.  de  Ch.  nous  raconte 
des  débuts  d'Etienne  de  Laclos  qui  fut  protégé  par  Alquier  et  par 
Marmont.  Quel  roman  y  a-t-il  sous  certaines  lettres  d'Alquier?  Evi- 
demment, Alquier  a  aimé  M™"  de  Laclos.  Il  invite  Soulange  Duperré, 
après  la  mort  de  son  mari,  à  venir  le  rejoindre  en  Italie  :  «  Ah!  Sou- 
lange, si  je  pouvais  passer  ma  vie  avec  vous!  »,  et  M.  de  Ch.  ajoute 
qu'il  y  eut  sans  doute  en  Italie,  entre  Alquier  et  Laclos,  «  un  drame 
intime.  » 

Nous  ne  sommes  pas  d'accord  avec  M.  de  Ch.  lorsqu'il  qualifie  le 
général  Beaumont  de  «   fameux  maître  »  —  Beaumont  ne  fut  pas  un 

I .  L'erratum  de  ces  noms  serait  trop  long  et  nous  le  tenons  à  la  disposition  de 
l'éditeur  Voici  seulement  quelques  observations  sur  d'autres  points.  P.  39-40  il 
fallait  écrire  Wintzingerode  et  non  Vinsingorod  et  ajouter  que  ce  personnage  n'était 
pas  «  commandant  en  chef  ».  —  P.  52  lire  Baraguey  et  non  Baragiiay.  —  P.  64 
Belliard  n'était  pas  «  chef  d'état-major  de  Dumouriez  ».  —  P.  gb  lire  (dans  la  note 
sur  Marulaz)  Zeiskam  et  nonZieskamm. —  P.  cSy  l'expression»  diligence  d'eau  «qui 
semble  étonner  l'éditeur,  était  alors  usitée.  —  P.  i5i  il  fallait  mettre  en  note  que 
Laclos  se  trompe  en  écrivant  »  le  général  Wallenstein-Tilly  »,  puisqu'il  y  a  un  général 
Wallenstein  et  un  général  Tilly,  et,  par  suite,  imprimer  à  la  table  (où  il  faut  lire 
p.  i5i  et  non  pas  p.  i63),  non  pas  Wallenstein-Tilly,  mais  Wallenstein,  quitte 
à  mentionner  plus  haut  Tilly,  entre  Thévenot  et  Tinel.  —  P.  187  (et  table),  lire 
Canuel  et  non  Cannel).  —  P.  193  (et  table)  lire  Monnier  et  non  Mounier  et  ajouter, 
pour  plus  de  clarté,  que  cela  se  passait  à  Ancône.  —  P.  21g,  221  et  table,  lire, 
non  pas  Ramon,  mais  Ramond.  — Table,  lire,  non  Xaxier,  p.  23o,  mais  Xavier, 
p.  23l  . 


5  I  8  REVUE    CRITIQBE 

grand  cavalier,  un  «  magister  cquiium  »  et  son  rôle  an  1796  ne  lui  fait 
pas  honneur.  Nous  croyons  aussi  que  M.  de  Ch.  exagère  un  peu 
quand  il  dit  que  Laclos  fîls  connut  Oudinot  et  Murât,  qu'une  cer- 
taine faveur  s'attachait  à  ce  nom,  que  tous  ces  hommes  qu'il  approcha 
«  apercevaient  derrière  lui  comme  une  ombre  plus  grande  qu'eux  », 
ou  bien  quand  il  retrouve  dans  les  notes  du  (ils  «  une  certaine  parenté 
desprit  avec  le  père  »,  ou  bien  quand  il  juge  que  Marmont  n'eut  jamais 
plus  de  talent  qu'en  1814  '. 

Mais  nous  approuvons  M.  de  Ch.  lorsqu'il  s'élève  contre  la  réputa- 
tion d'immoralité  faite  à  Laclos.  Le  livre  de  cet  homme  qui  ne  fut 
peut-être  pas  aussi  «  Valmont  »  qu'on  l'a  dit,  est,  selon  M.  de  Ch.,  à 
peine  plus  perrtde  que  les  Mensonges  de  Bourget,et  Laclos  n'a  pas  été 
«  l'homme  noir  »  que  représente  Michelet,  ni  aussi  diabolique  qu'on 
se  le  figure  d'ordinaire.  M.  de  Chauvigny  nous  le  montre  éducateur, 
stimulant  son  fils  moins  par  des  sévérités  que  par  «  une  lettre  de  change 
tirée  sur  son  cœur  »,  cherchant  avant  tout  à  lui  donner  «  santé,  pro- 
bité et  quelque  instruction  »,  lui  proposant  Franklin  pour  modèle  et 
regrettant  que,  sous  la  Révolution  et  à  cause  de  la  Révolution,  son 
enfant  n'ait  pas  «  assis  ses  connaissances  premières  sur  des  bases  suf- 
fisantes »,  grondant  Etienne  qui  fait  des  dettes  et  les  payant  sur  le 
champ  parce  qu'il  y  a  là  une  question  de  principe  «  avec  laquelle  il 
est  impossible  à  un  honnête  homme  de  transiger  ». 

Terminons  par  ce  mot  de  Laclos  que  cite  M .  de  Chauvigny.  «  Mon 
fils,  dit  un  jour  Laclos,  désire  souvent  m'avoir  écrit;  mais  il  préfère 
toujours  aller  courir  ou  s'amuser  à  l'action  de  m'écrire.  C'est  le  sujet 
des  reproches  qu'on  peut  faire  à  tant  de  gens  :  tous  désirent  savoir  et 
très  peu  désirent  apprendre  ». 

A.  Chuquet. 

—  M.  GùTTLER  a  publié  une  deuxième  édition  des  Méditations  métaphysiques 
de  Descartes  [Meditationes  de  piima  philosophia.  Avec  une  Introduction  histo- 
rique, des  notes  et  un  portrait.  Beck,  Munich,  igi2,  xii-269  p.  5  M.),  d'après  la 
deuxième  impression  d'Amsterdam  et  la  première  traduction  française.  Le  texte 
de  la  deuxième  édition,  parue  chez  Henry  Le  Gras  en  1661,  figure  en  regard  de 
l'original  latin,  avec  ses  préfaces,  son  appendice  et  la  confrontation  des  4  traduc- 
tions de  la  l'e  Méditation  et  de  l'appendice.   Rappelons  que  la   première   édition 

I.  Que  l'éditeur  me  pardonne  l'observation  suivante.  11  dit  p.  3o  :  «  Tels  étaient 
les  aînés  qui,  suivant  l'expression  un  peu  emphatique  du  colonel  Boudin,  du  144% 
mandaient  à  Laclos  qu'il  était  de  leur  choix  ».  Il  s'agit  d'une  lettre  que  Boudin 
écrit  à  Laclos  fils  en  avril  i8i3.  Or,  les  «  aînés  »  que  cite  l'éditeur,  Marulaz.  Mau- 
petit,  Ludot,  Clément,  alors  tous  généraux,  ne  mandent  rien  à  Laclos,  et  pour 
cause,  puisqu'ils  n'appartiennent  pas  au  144°  de  ligne.  C'est  le  colonel  du  144^, 
Boudin,  qui  regrette  que  Laclos  soit  nommé  dans  son  régiment  chef  de  bataillon 
à  la  suite,  et  non  pas  chef  de  bataillon  en  pied,  et  l'expression  dont  Boudin  se 
sert,  n'est  pas  «  un  peu  emphatique  «  ;  il  «  désirait  »  Laclos;  donc  Laclos,  comme 
il  dit,  était  «  de  son  choix  »,  et  il  n'y  a  pas  dans  ces  derniers  mots  la  moindre 
emphase. 


d'histoire  et  de  littérature  Sig 

de  M.  Gûttler  date  de  1901  et  est  par  conséquent  postérieure  à  celle  de  M.  Thou- 
venez  (1898).  —  Th.  Sch. 

—  M.   René  Gillouin  a  réuni  en  volume  ses  articles  de  la  Revue    de  Paris  sur 
La  philosophie  de  M.  Henri  Bergson  {Grasset,  igiijVi-iSy  p.  In-i8,  3  fr.  5o),  qui 
lui  apparaît,  à   lui  aussi,  comme  «   la  matrice  de  toute    philosophie  future  »,   et 
dont  "  la  suprême  originalité  »  est  de  «  donner  à  la  notion  d'intuition  un  contenu 
positif  et  rigoureusement  déterminé  »  (p.  32.  Cp.  dans  la  Revue  du  Mois  de  mai 
i'ne  méprise  sur  l'Intuition  bergsonienne  par  Julien  Benda)  et  de  mettre  en  pleine 
lumière  la  valeur  métaphysique  de  l'instinct  (p.   41),  tandis  que  la   «  thèse   capi- 
tale »  (p.  76)  du  nouvel   Evangile  est  d'établir  «   une  différence  radicale   entre   le 
temps,  milieu  homogène  vide,  et    la   durée,   substance  même   de  notre  vie  inté- 
rieure ».  D'autre  part,  «  l'idée  de  tension  »  lui  permet  «  de  lever  l'opposition  de  la 
quantité  à  la  qualité,   comme  celle  d'extension   l'opposition    de  l'étendu    à    l'iné- 
tendu  I)  (p.   108).  Le  fait  de  rattacher  la  vie  à  l'ordre  de  l'esprit   et  non  pas  seule- 
ment à  celui  de  l'intelligence,  <■  qui  n'est  que  la  partie  de  l'esprit  appropriée   à  la 
matière  et  moulée  sur  elle  »  (p.  124),  permet  à  M.  Bergson  «  de  dépasser  à  la  fois 
les  deux  théories  de  la  vie  entre  lesquelles  jusqu'à  lui  se  partageaient   les  philo- 
sophes,  le   mécanisme   et   le    finalisme    ».    Bien    plus,  son  explication  de  la   vie, 
«  synthèse  des  principales  doctrines  occidentales,  rejoint  encore  et  sait   intégrer, 
en  ce  qu'elle  a  de  meilleur,  la  pensée  de  l'Orient  »  (p.  177).  Bref,  «  depuis  Platon, 
nul  philosophe  n'a  écrit  cette  langue  si  claire  et  si  pure,  où  la  vigueur  de  la  rai- 
son s'orne  de  toutes  les  grâces  de  la  poésie  »  (p.  4).  C'est  donc  en  disciple  enthou- 
siaste et  convaincu  que  M.  G.  nous  introduit  dans  cette  «  métaphysique  positive  », 
à  laquelle  il    n'ose   faire  qu'en   terminant   un    seul  et  timide    reproche,    celui    de 
11   n'accorder  pas   l'importance   qui    revient    au   problème  du  mal    »  et    de  n'avoir 
«    pas   le    son    tragique  de  ces    doctrines    »    qui,    bouleversant  et   transformant 
l'homme,  «  vont  le  plus  avant  dans  les  profondeurs  de  l'être  »  (p.   i83).  Ne  serait- 
ce  pas  là  précisément  une  des  raisons  du  succès  mondain   de  cette  doctrine  qui 
riatte  si  discrètement   notre    orgueil  en    restaurant  la  distinction    surannée  entre 
l'àme  et  le  corps  et  en  nous  séparant  «  du  reste  de  l'animalité  »  (p.  171),  nous  qui 
seuls  avons  «  sauté  l'obstacle  »  opposé  par  la  matière  à  l'élan  de  la  vie  ?  — ,Th.  Sch. 
—  Un  disciple  de  Dilthc}',  M.  Max  Frischeisen-Kœhler,  étudie  et  veut  prouver, 
à  son  tour,  dans  la  collection  de    Wissenschaft  und   Hypothèse  (XV),  le  caractère 
objectif  de  la  réalité  :  Wissenschaft  und  Wirklichkeit  (Teubner,  Leipzig  et  Berlin, 
191 2,    vm-478  p.    8   M.).  En   scrutant  les  assises   philosophiques   des  sciences,  il 
entend  donner  au  Réalisme  critique  une  nouvelle  base.  Son  chapitre  essentiel  est 
le  deuxième  de  la  deuxième  partie  :  Le  Moi  et  le  monde  extérieur  ;  il  y  démolit  le 
solipsisme  et  critique  le  monisme  expérimental  en    maintenant   l'unité  de  l'expé- 
rience, mais  en  postulant  la  variété  des  modes  de  conscience,  dans  lesquels  le  rap- 
port [Erlebnisbe:{ieliung)  du  Moi  au  monde  extérieur  prend  une   place  éminenie, 
rapport  qui,  loin  d'être  une  simple  relation  dans  le   connexus  de  la  connaissance, 
lui  procure  seul  son  objet  et  sa  valeur  et  crée  ainsi  une  dualité  rebelle  à  toute  exi- 
gence d'unité  de  la  science.  Le  chapitre  suivant  et  dernier  développe  la  notion   de 
la    réalité    empirique,   discute  l'agnosticisme  et   la  conception   exergétique  de  la 
nature  et  précise  le  degré  de  réalité  des  phénomènes  sensibles.  Ce  livre  n'est  pas 
d'une  lecture  aisée,  mais  on  y  trouvera  une  appréciation  motivée   des  principales 
opinions  émises  sur  le  sujet  par  les  voix  les  plus  autorisées.  —  Th.  Sch. 

—  Tandis  que  la  i'^  édition  (1900)  du  Weltproblem  de  M.  J.  Pktzoldt  avait 
paru  dans  la  collection  AusNatur  und  Geisteswelt,  la  2«  (Teubner,  1912,  xii-210  p. 
3  M,)  figure    sous  le  n"   14  de    celle   de    Wissenschaft   und  Hypothèse,  qui  a  été 


520  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE     LITTÉRATURE 

introduite  par  les  deux  principaux  ouvrages  de  M.  H.  Poincaré.  Le  sous-titre  du 
W'eltfroblem,  a  savoir  :  vom  Staudptinikte  des  relativistischen  Positivismus  ans 
historisch  kristisch  dargestellt  et  le  fait  qu'il  est  dédié  à  M.  Mach,  en  proclament 
assez  haut  la  tendance,  qui  est  de  défendre,  sans  réserve,  le  point  de  vue  positi- 
viste de  MM.  Schuppc,  Mach  et  Avenarius,  et  de  considérer  toute  l'histoire  de  la 
philosophie  comme  une  suite  d'égarements  provoqués  par  la  notion,  toute  imagi- 
naire, de  substance  et  interrompus  seulement  par  les  tentatives  relativistes  incom- 
plètes et  incomprises  de  Protagoras  et  de  Hume.  Cette  2*  édition  est  enrichie 
surtout  des  !?§  85-87,  "l^i  veulent  éclairer  la  valeur  actuelle  des  mathématiques  et 
de  la  physique  pour  la  théorie  de  la  connaissance.  Au  reste,  on  coimaît  les  grandes 
qualités  du  style  de  l'auteur  de  VEinfûlinoig  m  die  Philosophie  der  reinen  Erfah- 
riing:  il  écrit  avec  beau»t)up  de  verve  et  n'est  jamais  pédant  ni  ennuyeux  ni 
obscur.  On  pourra  trouver  son  point  de  vue  outré  ou  trop  absolu  et  suivre  tout 
de  même  avec  fruit  et  intérêt  ses  brillants  et  vivants  développements.  Son  allure 
entraînante  et  convaincue  nous  rappelle  celle  d'André  Lefèvrc  dans  sa  Philoso- 
phie de  la  Bibliothèque  des  sciences  contemporaines  (1879),  avec  plus  de  profon- 
deur peut-âtre  et  aussi  une  imagination  plus  variée.  —  Th.  Son. 


Académie  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  14  juin  igi2.  — 
M.  Henri  Cordier  est  délégué  pour  représenter  l'Académie  à  l'inauguration  du 
monument  élevé  à  Boulogne-sur-Mer  à  la  mémoire  du  D'  Hamy. 

M.  Héron  de  Villefosse  présente,  au  nom  du  R.  P.  Jalabert,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  Beyrouth,  une  note  sur  une  inscription  latine  récemment  découverte 
dans  cette  ville.  Ce  texte  concerne  un  tribun  de  la  légion  VII  Claudia,  C.  Valerius 
Rufus,  originaire  de  Beyrouth,  qui  fut  envoyé  à  Chypre  avec  un  détachement  de 
cette  légion  pour  participer  à  la  répression  d'une  révolte  des  Juifs  si  nombreux 
dans  cette  île.  Cette  révolte  était  la  conséquence  de  soulèvements  analogues  qui 
venaient  de  se  produire  en  Cyrénaïque  et  en  Egypte.  En  116-117,  les  Juifs  de 
Chypre  sous  la  conduite  d'Artémion  avaient  mis  tout  le  pays  à  feu  et  à  sang.  La 
ville  de  Salamine  fut  entièrement  saccagée  par  les  insurgés.  La  nouvelle  inscrip- 
tion apporte  un  renseignement  précieux  pour  l'histoire  de  cette  insurrection  en 
faisant  connaître  le  nom  et  la  carrière  d'un  des  officiers  qui  contribuèrent  à  l'étouf- 
fer. 

M.  Jullian  donne  lecture  de  son  rapport  sur  le  Concours  des  Antiquités  natio- 
nales. 

M,  Bernard-Haussoullier  communique  une  inscription  de  Delphes.  C'est  un  traité 
d'assistance  judiciaire  conclu  au  iii^  s.  a.  C.  entre  Delphes  et  Pellana,  ville 
d'Achaie.  M.  Haussoullier  restitue  deux  fragments  relatifs  à  la  formation  des  tri- 
bunaux. —  MM.  Perrot  et  Théodore  Reinach  présentent  quelques  observations. 

Léon  Dorez. 


IS imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon 


» 

4 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET   DE   LITTÉRATURE 


II 

Nouvelle  série.  —  Tome  LXXIV 
QUARANTE-SIXIÈME     ANNÉE 


» 


REVUE  CRITIQUE 


D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


RECUEIL  HEBDOMADAIRE 


Directeur  :    M.  Arthur  GHUQUET 


QUARANTE-SIXIEME  ANNEE 


DEUXIEME    SEMESTRE 


Nouvelle    Série.   —   Tome    LXXIV 


's^/^^ijp'^^t^&^te^^ 


PARIS 
ERNEST    LEROUX,  ÉDITEUR 

28,    RUE    BONAPARTE,     28,    VI« 
191  2 


ANNEE     1912 


TABLE    DU    DEUXIEME    SEMESTRE 


TABLE   ALPHABETIQUE 

pages 

Abboti,  Le  peuple  de  Rome  (R.  C.) 247 

Abercius  (Vie  d'),  p.  Nissen  (P.  de  L.) 128 

Abousir  el  Meleq  (Textes  grecs  d')  —  Jean  Maspero 387 

Abry,  Atjdic  et  Crouzet,  Histoire  illustrée  de  la  littérature 

française  (L.  Roustan) 453 

Adher,  Le  Comité  des  subsistances  de  Toulouse  (A.  Mathiez).  174 

Adorjan,  Destinées  et  carrières  (L  K.) i38 

Albin,  Le  coup  d'Agadir  [A.  Biovès) 56 

Alfonsi  (Pierre),  Disciplina  clericalis,  p.  Hilka  et  Sœderhjelm 

(E.) 282 

Ancona  (d'),  Articles  sur  Dante  (Ch.  Dejob) 358 

André  (l'apôtre),  Actes  apocryphes,  p.  Flamion  (A.  Dufourcq)  367 

—  (A.  Loisy) 367 

Andrews,  Littérature  anglaise,  2'' éd.  (Ch.  Bastide) 410 

Apelt,  Pries  et  Hegel  (Th.  Sch.) jj 

Arbois  (d'j  de  Jubainville,  Traduction  du  Tâin  bô  Cûalngé, 

ni  (G.  Dottin) 489 

Archimède,  p.  Heiberg,  I  (My) 246 

Archivio  Glottologico,  XVir(E.  B.) î8o 

Arnaudin,  Chants  populaires  de  la  Grande  Lande,  I  (L.  Pi- 
neau)    378 

Arnauné,    Le  commerce  extérieur  et  les  tarifs    de  douane 

(H.  Hr) 236 

Arnheim,  La  cour  de  Frédéric  (L.  Roustan) 171 

Arnold  (M.  L.),  Les  SoliloquesdeShakspeare  (Ch.  Bastide).  91 

Arréat,  Génie  individuel  et  contrainte  sociale  (Th.  Sch.).  .  36o 

Arvanitopol'los,  Un  trésor  ihessalien  (A.  de  Ridder)  ....  41 

Aster,  Grands  penseurs  (L.  R.) 3i5 


VI  TABLE    DICS    MATIERES 

Al'hert,  Scnlis  (H.  de  Curzon) 355 

AuERHACH,   InsiiLictions  des  Ambassadeurs  de  PVancc   près 

la  Diète  (R.) 254 

Augé-Laribk,    L'évolution    de    la    France    agricole    (Henri 

Hauser) 5  18 

Aus  DKH  Fi'ente(H.),  L'esthctiquc_de  Humboldi  (Th.  Sch.).  359 

Aynard,  Londres  (H.  de  Curzon) ly- 

Beaumker,  L'Alsace  au  moyen  âge  (R.) 287 

Baier,  Les  provisions  papales  (L. -H.  Labande) 89 

Balthasar,  La  querelle  des  Franciscains  (L.-H.  Labande).  89 

Barcza,  Le  droit  de  suffrage  en  Hongrie  (I .   K.) 139 

Bartscherer  (M"'),  Le  jeune  Gœthe  (L.  R.) 1 1 

Bastide,  Anglais  et  Français  du  xvii"  siècle  (A.  Biovès)  .  .  47 

Baudrillart,  Histoire  de  France  (E.) 257 

Baumgarten,  Sermons  (A.  L.) 499 

Bavaroises  (Archives)  de  la  Guerre,  XXI  (A.  Chuquet)  ...  413 

Beaumont  et  Fleicher,  p.  Waller,  X  (Ch  .   Bastide) 411 

Bellangé,  Spinoza  et  la  philosophie  moderne  (Th .  Sch.)..  79 

Bellissima,  Corpusculum  inscripiionum  latinarum  (C.)\  .  .  336 

Bentron,  Textes  kanouris  (R.  Basset) 402 

Berlière  (dom),  Suppliquesd'Innocent  IV  (L -H.  Labande).  6 

Berzeviczy  (A.  de),  Béatrix  d'Aragon  (l.  Kont) i3o 

Biasotti,  Diaconies  romaines 

—  Sainte-Marie-Majeure  (L.-H.  L.) 336 

Bibliographie  lorraine  (L.  R.) 173 

BissiNG,  Le  Kaî  des  anciens  Egyptiens  (G.  Maspero) 326 

BissiNG,  Vases  préhistoriques  (G.  Maspero] 341 

Bloch  et  A.  Tuetey,  Le  Comité  de  mendicité  (A.  Mathiez).  174 

Blondel,  Les  embarras  de  l'Allemagne  (A.  Waddington).  .  394 
Boeser,   Les  tombeaux    memphites    du    Musée    de   Leyde 

(G.  Maspero) i85 

B01GEY,  Le  massif  des  Béni  Snassen  (A.  Biovès) 35  r 

Bonn,  La  tâche  coloniale  de  l'Allemagne  (B.  A.) 100 

Borchardt,  Le  portrait  de  la  reine  Teje  (G.  Maspero) 161 

Bouard  (de),   Les  actes  des  notaires   du    Châielet  de  Paris 

(L.-H.  Labande) 284 

BouRGiN  (G.  et  H  .  ).  Le  socialisme  français  (A.  Biovès) ....  279 

BoYssoN  (de),  La  loi  et  la  foi  (A.  L.) i52 

Brackman.  La  province  de  Salzbourg  et  l'évéché  de  Trente 

(L.-H.  Labande) 5 

Brakman,  Miscella  (E.  T.) 439 

Bramis,  Histoire  de  Waldens,  p.  Imelmann  (Ch.  B.) 459 

Brandstetter,  Le  verbe  (A.  Meillet) 247 

Bratli,  Philippe  II  (R.) 23  i 

Bréhier,  L'Auvergne  (H,  de  Curzon) 37 


TABLE     DES    MATIERES  VII 

pages 

Bresslau,  Le  millénaire  de  rindépciidance  allemande  (E.)  .  262 

Bresslau,  Manuel  de  diplomatique,  j."  éd.  (H.  Pirenne)  .  .  ,  332 

Brillant,  Le  charme  de  Florence  (A.  Biovès) 356 

Brouilhet,  Précis  d'économie  politique  (E.  d'Eichthal)  .  .  .  296 

Brummer,  Vitae  Virgilianae  (Em.  Thomas) 390 

Brunhes,  La  géographie  humaine,  2'' éd.  (B.  A.) 481 

Bruston,  L'eschatologie  de  Jésus  (A.  L.) i52 

Brutails,  Les  vieilles  églises  de  la  Gironde  (L.-H.  Labande).  292 

Bûchner  (W.),  Le  Faust  de  Gœthe  (L.  R.) 11 

BrcK,  Les  dialectes  grecs  (My) 21 

BuDGE,  Textes  bibliques  en  dialecte  thébain  (G.  Maspero).  .  143 

Buisson  (F.l,  La  foi  laïque  (L.  Roustan) 218 

Buland  (M.),  La  notion  du  temps  dans  le  drame  clisabéthain 

(Ch.  Bastide) 91 

Burgersdijk  (librairie),  son  Catalogue  (H.  P.) 357 

Byzantines  (Chroniques),  XV  (My) 199 

Caddan,  La  Cathédrale  de  Tarbes  (L.-H.  Labande) 64 

Gagnât   (R.),   La  frontière   militaire   de   la   Tripolitaine   à 

l'époque  romaine  (M.  Besnier) 281 

Galonné  Beaufaict  (A.  de),  Études  Bakango  (B.  A.)  ....  479 

Capart,  Abydos  (G.  Maspero) 244 

Carnarvon   Carter,  Cinq  ans  de  fouilles  à  Thèbes  (G.  Mas- 
pero)   .  204 

Casper  (P.),  Lettres  de  Golbéry  (A.  Chuquet) 3 12 

Caussy,  Voltaire  seigneur  de  village  (L.  R.) 1 10 

Cavaignac   [Eugène),   Histoire  de  l'antiquité.    H,  Athènes, 

480-330  (Gustave  Glotz) 5o2 

Cézard,  Métrique  sacrée  des  Grecs  et  des  Romains  (My)  .  .  446 

Chambolle,  Retours  sur  la  vie  (Ch.  Dejob) 76 

—  (Ch.-H.  Pouthas) 373 

Chéradame,  La  Crise  française  (Ch.  Dejob) 98 

Chevreux  et   Vernier,   Les   archives  de   Normandie   et   la 

Seine-Inférieure  (L.-H.  Labande) 26 

Chiappelli,  Figures  modernes  (Ch.  Dejob) 200 

Chiappelli,    Lexique  des  abréviations  latines  et  italiennes 

(V.  Cournille) 191 

Chinard,  L'exotisme  américain  dans  la  littérature  française 

du  xvi'=  siècle  (J.  Plattard) 406 

Choses  et  mots,  HI  et  IV  (A.  M.). 5oo 

Christensen,  La  politique  et  la  morale  des  masses  (Th.  Sch.).  20 

Cicéron,  Philippiques,  p.  Sternkopf  (E.  Thomas) io5 

Claretie  (Léo),  Feuilles  de  route  en  Roumanie,  la  Rouma- 
nie intellectuelle  contemporaine  (E.  Bourciez) 478 

Clédat,  Dictionnaire  étymologique  de  la  langue  française 

(E.  Bourciez) ,  .  .  •  47^ 


Vril  TABLK    mes    MATIKRES 

pages 

CocHiN  (H.l,   Lamartine  ci  la  Flandre  (Ch.  II.  Pouihas)  .  .  .  372 

Cœdès,  Tcxics  grecs  ci  latins  sur  rcxirOmc  Orient  1  My)  ...  25 

Collas,  Valcntinede  Milan  (L.   IL  Labande) 287 

CoLsoN,  Organisme  économique  et  desordre  social  (  Henri 

Hauser) 375 

CoMMAiLLK,  Guide  aux  ruines  d'Angkor  (H.  de  Curzon)  ...  37 

Comte,  Pages  choisies  (Th.  Sch.) 79 

Congrès  (12*)  des  historiens  allemands  (L.  R.) 219 

Coulomb,  Les  Borders  sous  le  règne  d'Elisabeth  (A.  Biovès).  29 
CouLON,  Inventaire  des  sceaux  de  la    Bourgogne  (Paul   Le 

Cacheux 5 16 

CouNsoN,  La  pensée  romane  (F.  Baldensperger) 117 

CouNSON,  Lettre 220 

Crawkoot  et  GRiFKiTH,Méroë  (G.  Maspero) 144 

Cristiani,  Du  luthéranisme  au  protestantisme  (Th.  Sch.).  .  38 

Croiset  (M.),  Observations  sur  la  légende  d'Ulysse  (My)  .  .  loi 
Crum   et    Steindorkf,    Documents    coptes    du    vin«    siècle 

(G.  Maspero) 383 

CsEREP,  Pelages  et  Étrusques  [E.  T.) 119 

CuRY  et  BoERNER,    Histoirc   de  la   littérature    française  (L. 

Roustan) 4^3 

Curzon  (H.   de),  Un  théâtre  d'idées  en    Espagne  (A.  Chu- 

quet) 59 

Dalmate  (Bulletin  d'archéologie),  XXXIII  —  M.  B 120 

Dauzat,  La  philosophie  du  langage  (E.  Bourciez) 121 

Dehérain  (H.),  Dans  l'Atlantique  (A.  Biovès) 347 

Deimel,  Chronologie  assyro-babylonienne  (C.  Fossey).  .  .  .  364 
Delafarge,  La  vie  et  l'œuvre  de  Palissot. 

—  L'affaire  de  l'abbé  Morellet  en  i79o(L.  Roustan) 433 

Delaporte,  Catalogue  des  cylindres  et  cachets  orientaux  de 

la  Bibliothèque  Nationale  (C  Fossey) 201 

Delaunay,  Vieux  médecins  sarthois  (L.  R.) ii3 

Delbruck,  Monuments  grecs  du  Latium  (A.  de  Ridder)  .    .  389 

Deloncle,  Statut  international  du  Maroc  (Ch.  H.  Pouthas).  374 

Dembinski,  Le  génie  politique  de  Catherine  II  (A.  Chuquet).  i5 
Denis  (L.-G.j,  Cartulaire  de  l'abbaye  de   Saint-Sauveur  de 

Villeloin  (L.-H.  Labande) 8 

Depitre,  La  toile   peinte  en   France  au   xviii^  siècle  (Henri 

Hauser) 43o 

Dibelius,  LesEpitres  de  Paul  (A.  Loisy) 148 

Dictionnaire  des  antiquités  grecques  et  romaines,  46  ....  260 

Diehl  (Ch.),  Manuel  d'art  byzantin  (My) io3 

Diehl(E.),  Inscriptions  latines  (V.  C.) 192 

DiMiER,  La  Basse    Normandie  (H.  Hz.) 237 

OiOBOUNiOTis,  Deux  écrits  d'Hippolyte  (A.  L.) i  5o 


I 


TABLE    DES    MATIERES  IX 

pages 

Diplomate  (Un),  France  et    Suisse  (A.  Riovès) 233 

DoBiACHE-RojDKSTVENSKY  I A.),  Lu  vie   paioissialc  en  France 

au  xni<=  siècle  (L.-H.  Labande) 283 

DoDGSON,  Les  formes  verbales  du  Nouveau  Testament  bas- 
que (J.  Vinson) 490 

Drissmann,  Paul  (A- Loisy) 82 

Drouet,  L'abbé  de   Saint-Pierre  (C.-G.  Picavet) 449 

DuBREuiL,  La  vente  des  biens  nationaux  dans  les  Côtes-du- 

Nord  (A.  Mathiez) ,  846 

—  Le  régime  révolutionnaire  dans  le  district  de  Dinan  (A. 
Mathiez) 347 

DiicHESNE  (E.),  Le  Domostroï   (J.  Legras) 397 

—  Lermontov  (J,  Legras) 397 

DucHESNE  (H.  G.)    et    H.  de    Grandsaigne,    Le  château  de 

Madrid  (Eugène  Welvert) 495 

DuFF,  Imprimeurs  anglais  (Ch.  B.) 66 

DuFOURCQ,  Le  christianisme  et  l'organisation  féodale,  3«  éd. 

(Th.  Sch.) 38 

DuiNE,  La  Mennais(Marc  Citoleux) 435 

Dukmeyer,  Le   Diarium  de  Moscovie  (J.  L.) 396 

Durand  (A.),  Les  diocèses  de   Nîmes,  d'Uzès  et  d'Alais  à  la 

hn  de  l'ancien   régime  (L.-H.  Labande)    94 

Durrieu,  Michelino  da  Besozzo  (L.-H  .  L.).. 357 

DuTiL,  L'état  économique  du  Languedoc  à  la  fin  de  l'ancien 

régime  (A.  Mz) 196 

Ebeling,  Le  verbe  dans  les  lettres  d'El  Amarna  (G.  Fossey).  2 
Encyclopédie  des  sciences  philosophiques,  Logique,  I  (Th. 

Sch.) -j-^ 

Endle,  Les  Kacharis  (Jules  Bloch) 124 

EsQUER,  L'administration    civile  à  Alger  en    i83o  (A.  Ghu- 

quei) 4i5 

EucKEN,  Les  problèmes  de  la  philosophie  (Th.  Sch.) 78 

Eusèbe,  Chronique,  p.  Karst  (F.  Macler) 190 

Faguet,  Initiation  philosophique  (L.  R.) 3i5 

Faguet,  Les  amies  de  Rousseau  (Ch.  Dejob) 66 

Fagiet,  Rousseau   penseur  (Ch.  Dejob) 43  i 

Fankhauser,  Le  patois  de  Val  d'Hier  (E.  Bourciez) 178 

Faucigny-Lucinge  (Prince  de),   Le  mariage  de  Thomas  P"* 

de  Savoie  (L.-H.  Labande) 91 

Febvre  (L.),   Philippe  II  et  la  Franche-Comté  (R.) 264 

Febvre  (L.),  Réforme  et  Inquisition  en  Franche-Comté  (R.).  289 

Fedeles.  Alison  (Th.  Sch.) 79 

Ferrari,  Les  documents  grecs  de  droit  privé  de  l'Italie  mé- 
ridionale (My) 102 

FiDAo-JusTiNiANi,  Pierre   Leroux  (R.  G.) 58 


X  TABLE    DES    MATIERES 


pages 


FiEBiG,  Les  paraboles  de  Jésus  (A.  Loisy). 

—  Les  miracles  du  Nouveau  Testament  (A.  Loisy) 148 

FiEDi.KR,  Anthologie  allemande  (L.  Roustan) 35 

Finlande  (Sur  la  lutte  de  la)  et  de  la  Russie  (J.  Legras).  .  .  .  897 

P'isHER,  Capital  et  revenu  (E.  d'Eichthal) 295 

Flake,  Le  roman  français  et  la  nouvelle  (L.  Roustan).   .  .  .  453 

Flamini,  Anthologie  italienne  (Ch.  Dejob) 335 

Fleischmann,  Le  quartier  général  de  Napoléon  à  Waterloo.  .  59 
Fleischmann,  Lettres  d'exil  de  Joseph   Bonaparte  (A.  Chu- 

quet) 73 

Forbes,  Les  parlers  slaves  (J.  L.) 418 

Forbes,  Tolstoï  (J.  Legras) 438 

FoRMicHi,  Le  Buddhacarita  (Sylvain  Lévi) 482 

Fossey  ;G.)  et  G.  Longnon,  La  Haute  Normandie  (H.  Hr) .  3/8 

Fougères,  Athènes  (H.  de  Curzon) 354 

Frank  (C),  Etudes  sur  le  sacerdoce  babylonien,  I  (G.  Fossey).  322 

Frankenberg,  Les  odes  de  Salomon  (A.  Loisy) 343 

Frischlin,  Julius  redivivus,  p.  Janell  (L.  Roustan) 154 

Frommel,  Le  sentiment  religieux  dans  la   lyrique  moderne 

(L.  R.) • ^  34 

FucHs,  Théodore  de  Banville  (F.  Baldensperger) i  i5 

Funck-Brentano,    L'ancienne  France,  le    Roi    (L.-H.    La- 
bande) 62 

Gardonyi,  La  troisième  puissance  (L  K.) i39 

Garin,  Histoirede  Chevron,  II  (L. -H.  Labande) 28 

Gautherot,  L'Assemblée  Constituante  (A.  Mathiez) 14 

Gauthier  (H  .),  Le  livre  des  rois  d'Egypte  (G.  Maspero) .    .   .  162 
Gay  (Jules),  Le  mouvement  démocratique  et  les  catholiques 

français  (R.  G.) 58 

Gebhart,  Petits  Mémoires. 

—  Contes  et  fantaisies  (L.  R.  ) 1 1  3 

Genethliakon,  voir  Robert 444 

Gertz,  Vitae  sanctorum  danorum  (J.  D.)      399 

G1RODIE,  Martin  Schongauer  (L.-H.  Labande) 289 

Goblet  d'Alviella,    L'évolution   du  dogme   catholique  (A. 

Loisy) 368 

Godard,  Le  procès  du  neuf  thermidor  (A.  Mathiez) 67 

Goeters,  Le  poétisme  aux  Pays-Bas  (L.  R.) 3o8 

Gœthe,  Œuvres  complètes  p.  Von  der  Hellen,  Table  (A. 

Chuquet) 54 

Gombos,  La  frontière  orientale  d'Autriche  (I.  K.) 139 

GoMPERz,  Les  penseurs  delà  Grèce  (My) 237 

G00DSPEED,  Index  apologeticus  (P.  de  L.) i38 

Gradenwitz,  Preisigke,  Spiegelberg,  Une  affaire  égyptienne 

d'héritage  (G.  Maspero) 324 


TABLE    DES     MATIERES  XI 

pages 

Grapow,  Textes  égyptiens  (G.  Maspero) i68 

Grasset,  A  travers  laChaouiafA.  Biovès) 56 

Grierson,  Le  Kaçmiri  (Jules  Bloch) 122 

Griffith,  Karanôg  (G.  Maspero) 144 

Grober,  Les  tares  des  races  (Th.  Sch.) 80 

GuERLiN,  Chambord  (H.  de  Curzon) 197 

Gl'illou  et  Rkbillon,  Les  biens  nationaux  en  Ille-et-Vilaine 

A.  Mathiez) 174 

Guyot,  Le  Directoire  et  la  paix  de  l'Europe  (A.  Biovès).  .   .  212 

Habkrmann,  Le  projet  Stolypine  (J.  Legras) 897 

Hall,  Les  idylles  de  pêcheurs  (Ch .  Bastide) i  33 

Hamilton,  Lepays  de  Somalis  (René  Basset) 401 

Harnack,  Le  texte   païen   transcrit    par   Macarius    Magnés 

(A.  L  ) i52 

Harnack,  L'usage  privé  des    livres  saints   dans    l'ancienne 

Église  (A.  Loisy) 346 

Haumant,  Pouchkine  (J  .  L.) 399 

Hauvette,  Le  Sodoma  (H.  de  Curzon) 36 

Hayem  (J.),  Mémoires  et  documents  pour  servir  à  l'histoire 

du  commerce  et  de  l'industrie  en  France  (H.  Hauser).  .  .  519 

Hellmann,  Comment  étudie-t-on  l'histoire  ?  (L.-R.) 219 

Henderson,  La  ballade  (F.-B.) 118 

Heraeus,  Pétrone  (E.  Thomas) , 108 

Herczeg,  Byzance  (L-K.) ? 139 

Hermelinck,  La  Réforme  et  la  Contre-Réforme  (E.) 248 

Hoffmann  (H.),  Le  rationalisme  du  xviii^  siècle  (L.-R.).  .  .  319 

Hogarth,  Les  fouilles  de  Carchemisch  (C.  Fossey) 36 1 

Holbein  (H.  de  Curzon) 197 

HoLBRooK,  Portraits  de  Dante  (Henri  Hauvette) 169 

Holtzmann,    Théologie  du   Nouveau  Testament,  2*  éd.  p. 

Julicher  et  Bauer  (A.  Loisy) 364 

HoLZHAusEN,    Lcs   Allemands   en  Russie  en   181 2  (A.  Chu- 

quet) 52 

HoLZHAUsEN,  Mémoires  du  hussard  ThéodoreGoethe(A.  Chu- 

quet) 414 

HoussAYE,  léna  et  la  campagne  de  i8oô  (A.  Biovès) 70 

Hume,  La  cour  de  Philippe  IV  et  la  décadence  de  l'Espagne 

(R.) 270 

Humphrey,  Les  ouvriers  au  Parlement  (H.  Hr.) 236 

Hunt  (M.-L.),  Thomas  Dekker  (Ch.  Bastide) 91 

Huon  le  Roi.  Le  Vair  Palefroi,  p.  Langfors  (A.  Jeanroy).  .  491 

Jackson,  Waterloo  et  Sainte-Hélène  (A.  Chuquet) 73 

Jacobsthal,  Vases  de  Gœitingue  (A.  de  Ridder) 488 

Jacquier,  Décoration  égyptienne  (G.   Maspero) 382 

Janet  (C),  La  forme  des  icebergs 499 


Xn  TABLE    DES    MATIERES 

Jantzen,  La  peinture  du  xvn' siècle  aux  Pays-Bas(H.de  Cur- 

zon: 

Jastrow,  La  religion  de  l'Assyro-Babylonie  (C.  Fossey).  .  . 
Jelinek,  La  littérature  tchèque  contemporaine  (J.  Legras).  . 
JÉQUiER,  Les  monuments  égyptiens  de  Spaiato  (G.  Maspero). 

Jespersen,  Éléments  de  phonétique  (A.   Meillet) 

JiRECEK,  Histoire  des  Serbes,  I  (J  .  Lcgras) 

Joglkkar,  Açvaghosa  (Sylvain  Lévi) 

JoHNS,  L'ancienne  Assyrie  (C.  Fossey) 

JovY,  Six  lettres  de  Bossuet  (L.-R) 

JuNKER  (Henri),  Le  Frahany  i  pahiavîk  (R.  Gauthiot) 

JiiNKER  (Hermann),  Les  fouilles  de  Tourah  (G.  Maspero).  . 

Karl,  Etudes  sur  la  littérature  française  (L-K.) 

Karlgren,  Le  génitif  pluriel  en  serbe  (A.  Meillet) 

Kaposi,  Dante  en  Hongrie  (I.  K.) 

Kers,  La  danse  du  roi  égyptien  devant  la  divinité  (G.  Mas- 
pero)  

Kehr,  Actes  des  pontifes  romains,   V,  l'Emilie  ou'province 
de  Ravenne  (L.H.  Labande) 

Keki,  Michel  Trompa  (L-K.) 

Kerr,  Ben  Jonson  et  la  comédie  anglaise  (Ch.  Bastide).  .  . 

Kettner,  La  Fille  naturelle  (L.-R.) 

Klauber,  L'administration  assyrienne  (C.  Fossey) 

Klio,  Contributions  à   l'histoire  de  l'antiquité,  XI   (My) .  . 

KôRVER,   Stendhal  et   son   expression    des   mouvements  de 
l'àme  (F.  Baldensperger) 

Koffka,  Analyses  psychologiques  (Th.  Sch.) 

KoFiNK,  Les  idées  de    Lessing  sur  l'immortalité  (L.-R.).  .  . 

Kranz,  Index  des  Présocratiques  de  Diels  (F.  Bidez) 

Kraus  (C.  de).  Exercices  en  moyen-haut-allemand  (F. -P.).  , 

Krauss,  Archéologie  talmudique,  III  (A.-L.) 

KuGENER  et  CuMONT,  Recherchcs  sur  le  manichéisme  (A.-L.). 

Kulczyski,  Histoire  de  la  révolution  russe  (J.  Legras) 

KuRTH,  La  cité  de  Liège  au  moyen-àge  (L.-H.  Labande).  .  . 

Labourt  et  Batiffol,  Les  odes  de  Salomon  (A.  Loisy).  .  .  . 

Lachèvre,  Une  seconde  revision  des  œuvres  de  Théophile 
de  Viau  (L.-R  ) 

—  Unepremière  attaque  inconnue  de  Charles  Garnier  (L.-R.). 

Laferrière,  Jean  Duvergier  de  Hauranne  (A.  Gazier) 

Laguérenne  (H.  de),  Le  couvent  des  Ursulines  de  Mont- 
luçon  fL.-H.-L.) 

Lampakis,  Les  trois  premiers  chapitres  de  l'Apocalypse  (My). 

La  Perkièrk,  La  loi  de  dévolution  du  trône  dans  la  maison 
de  France  (L.-H.  Labande) 

Latouche,  Mélanges  d'histoire  de  Cornouaille(  L.-H.  Labande) 


pages 

356 
242 
3q8 

181 

461 

396 
482 
244 

499 
342 

226 

i39 

462 
i58 

3oi 

5 

i55 

9' 
1 1 

I 

3 

ii5 
359 
10 
88 
459 
421 
366 
399 
285 
343 


i35 
422 


46 


22' 


93 
62 


TABLE    DES    MATIERES  XUI 

pages 

Laurent,  Doléances  de  1789.   Marne,  III  (A.  Mathiez).  ...  175 

Lavvson,  Folklore  moderne  et  religion  ancienne  en   Grèce 

(My) 22 

Lecussan  (Jean  de),  Notre  droit  historique  au  Maroc  (A.  Bio- 

vès) 56 

Legrain,  Catalogue  des  cylindres  orientaux  de  la  Collection 

Cugnin  (C.  Fossey) 2o3 

Lehautcourt,  La  cavalerie  allemande  et  l'armée  de  Châ- 

lons  (A.  Chuquet) ,  .  55 

Lehmann  (Edv.),  Le  bouddhisme  (Svlvain  Lévi) 482 

Lehr,  La  Réforme  et  les  églises  réformées  dans  le  départe- 
ment actuel  d'Eure-et-Loir  (Th,   Sch.j    40 

-(R.) 275 

Lemm  (O.  de),  Mélanges  coptes  (G.   Maspero) 246 

Lemonnier,  L'art  français  au  temps  de  Louis  XIV  (L.-M.  La- 
bande) 

—  Procès-verbaux  de   l'Académie   royale   d'architecture,  I 

(L.-H.   Labande) 291 

Lénel,  Etudes  istro-vénitiennes  (M.-D.) 192 

Lépreux,  Gallia  typographica,   II.  Champagne  et   Barrois 

(L.-H.  Labande) 48 

Leroux-Cesbron,  Aux  portes  de  Paris  (H.  Baguenier  Desor- 
meaux   496 

Le  Roy,  Unephilosophie  nouvelle,  Henri  Bergson  (Th.  Sch.).  38o 
Lespinasse,  (R.   de).  Le  Nivernais  et  les  comtes  de  Nevers 

(L.-H.  Labande) 45 

Lesprand,  Les  derniers  jours  du  parlement  de  Metz; 

—  La  suppression  des  Récollets  de  Sierck; 

—  La  fin  de  l'abbaye  de  Wadgasse  (E.  W.) 3 10 

Lesquier,   Les   institutions  militaires  de  l'Egypte  sous  les 

Lagides  (Jean  Maspero) 385 

—  Papyrus  de  Magdola  (Jean  Maspero) 387 

Leumann,  L'iranien  oriental  (A.   Meillet) 211 

Leuze,  La  censure  romaine  (E.  T.) 438 

Levasseur,   Histoire  du  commerce  extérieur  de  la  France, 

2'  partie,  p.   A.  Deschamps  (E.  d'Eichthal) 492 

Lévy  (L.),  Le  Qoheleth  (A.-L.) 441 

LiEBMANN,  Kantet  les  Epigones  (Th.  Sch.) 78 

Lippert,  Cartulaire  de  Lubben,  I  (R.) 229 

Logos  III,  I  (Th.  Sch.) 358 

LuKACs,  Le  drame  moderne  (I,   Kont) i55 

Maccari,  Dionysus  minor  (My) 200 

—  Raphaël  et  l'antiquité  (My) 200 

—  Stichomythie  (My) 199 

Maciver-Woolley,  Buhen  (G.  Maspero) 146 


XIV  TABLE    DES    MATIERES 

pages 

Madelin,  La  Révolution  (R.    Giiyot) Bi 

Mancini,  Bolivar  (A.  BiovcN; 348 

Mansi;y,  Le  mon. le  slave  et  les  classiques  français  aux  xvic 

et  xvii*  siècles  (L.  Roustan) 464 

Marchand  (R.),  La  politique  intérieure  russe(A.  Biovès).  .  .  233 

Margoliouth,   Dictionnaire  de  Yaqoût,  IV  (M.-G.  D.).  .  .  .  38i 

Markowski,    Libanius  et  l'apologie  de  Socrate  (My) 21 

Martinowitch,  Karagueuze  (J.  L.) 397 

Masson  (Fred.),  Napoléon  à  Sainte-Hélène  (A.  Chuquet).  .  17 

Mathesil's,   Etudes  sur  le  parler  individuel   A.  Me.j 260 

Mathieu  (Cardinal!,  Œuvres  diverses  (L.   R.) 317 

Maugras,  Delphine  de  Sabran,  marquise  de  Custine  (A.  Chu- 
quet)   465 

Maugain,  Boileau  et  l'Italie  (Ch.  Dejobt 3  19 

Maury  (F.),   Nos    hommes    d'Etat  et  l'œuvre  de    réforme 

(A.    Biovès) 280 

Maxudianz,  Le  parler  arménien  d'Akn    F.  Macler) 189 

May,    La    lutte    pour  le   français  en    Lorraine   avant    1870 

(Ch.  Pfisteri i  36 

—  (L.  R.) 457 

Meillet,   Introduction   à   l'étude  comparative  des  langues 

indo-européennes  (R.  Gauthioti 341 

Merck,  Œuvres  et  lettres  choisies,  p.  Wolfk. 

—  Lettres  à  Charles-Auguste,  p.  GnaF  lA.  Chuquet) 412 

Merlin,  Les  installations  hydrauliques  en  Tunisie; 

—  Forum  et  église  de  Sufetula  '  M.   B.) 119 

Meusel,  Publications  sur  César  lE.  T.) 119 

Meyer  (E.),  Histoire  de  l'antiquité  iC.  Fossey) 221 

Meyer  (E.),  Les  trouvailles  d'Eléphantine  (C.  Fossey).  .  .  .  241 
Michel  (Ch.),  Recueil  d'inscriptions  grecques,  supplément, 

I  (André  Flamand) 61 

Michel  et  Migeon,  Le' Musée  du  Louvre    H.  de  Curzon).  .  354 

Michels,  Eléments  de  moyen-haut  allemand  (F.  P.) 439 

MiMS,  La  politique  coloniale  de  Colbert  (Henri  Hauser).  .  .  428 

Miraben,  La  fumée  divine  ou  opium  (Th.  Sch.) 358 

MoLLAT,  Les  papes  d'Avignon  (  L.-H.  Labande) 43 

Môller,   Paléographie  hiératique  (G.  Maspero) i65 

Monceaux,  Le  donatisme  i^P.  de  Labriolle) 329 

Monluc,  Commentaires,  I,  p.  Courteault  (R.) 23o 

More,  Nietzsche  1  L.  R.i 333 

Morel-Fatio,    Une   histoire  inédite    de   Charles-Quint  par 

un  fourier  de  sa  cour  (L.-H.  L.; 357 

Morgan  (Ch.),  Les  origines  du  roman  anglais  (Ch.  Bastide).  i32 

Mosher,  L'exemplum  dans  la  poésie  anglaise  (Ch.  Bastide).  409 

Mots  et  choses,  III  (A.   Me) 260 


TABLE    DES    MATIERES  XV 

pages 

Moulin,  Les  biens  nationaux  dans   les    Ronches-du-Rhône, 

IV  I  A.  Mathiez) i74 

MuLLEU   I  A.-V.!,    Les   sources    théologiques  de   Luther,    sa 

défense  contre   Denifle  et  Grisar  (Th.  Sch.) 379 

MuLLER  (N.i,  La  catacombe  juive  de  Monteverde  (A.  L.).  ..  499 

MuNCH,  Essais  sur  ]a  vie  allemande  (L.  Roustan) 277 

Narasu,  L'essence  du  bouddhisme  (Sylvain  Lévi) 482 

Naville,  La  poterie  primitive  en  Egypte  (G.  Maspero).  .  .  .  BSg 
Naville,  Les  papyrus  de  Kamara  et  deNesikhonsou  (G.  Mgs- 

pero) 14Ï 

Needon,  Le  recteur  Theill  (L.-R.) 262 

Nilsson,  Le  culte  d'Ichtar  (G.  Fossey) 243 

Nitzsch-Stephan,  Théologie  évangélique  (A.  L.) 499 

NoHL,  Catilinaires,  7®  éd.  (E.  T.) 119 

NoRTHUP,  Etat  de  la  philologie  moderne  (E.  B.)    180 

Nye  (Irène),  La  suite  des  idées  chez  Tite-Live  (E.  T.) 439 

Nyrop,  Quelques  métonymies  (E.  Bourciez) 42 

Octavius,  p.   Waltzing  (P.  de  Labriolle) 127 

Origines  diplomatiques   de    la  guerre    de     1870-187 1,    IV 

(R.  G.) 392 

OuLMONT,  Gringore  (F.  Plaitard) 193 

Padovani,  Littérature  française  (L.  Roustan) 453 

Palmieri,  Réponse  au  clergé  polonais  (J.  L.) 418 

Panzer,  Sigfrid  (F".   Piquet) 370 

Pascal,   Les  croyances  d'outre-tombe  dans  l'antiquité  clas- 
sique (A.  L.) 402 

Patelei,  Nouvelles  (I.  K.) i56 

Patterson,   Lyrique  religieuse  du  moyen-anglais  (Ch.  Bas- 
tide)   409 

Pereire,  Autour  de  Saint-Simon  (L.   R.) 3i3 

Perrod,   Bibliographie  franc-comtoise  (R.) 256 

Perroud,   Le  lyonnais  Gonchon  (A.  Chuquet) 16 

Persson,   Contributions  à    l'étude    des  langues  indo-euro- 
péennes (A.  Meillet) 486 

Peters,  Saint  François  d'Assise  (L.  R.) 3i8 

Pétrie,  Portraits  romains  et  Memphis  (G.  Maspero) 166 

Pfister  (O.),  Zinzendorf  (L.  R.) 3o8 

Pfli£iderer,  Le  christianisme  dans  la  philosophie  grecque 

2^  éd.  (A.   L.) 498 

Philipon,   Dictionnaire  topographique  du   département  de 

l'Ain  (L.-H.  Labande) 52 

PiCHON  (A.),  Fra  Angelico  (A.  de  Curzon) 197 

Pilsudski,   L'aino  (A.  Meillet) 484 

PiNÈs,  Histoire  de  la  littérature  judéo-allemande  (J.  Legras).  400 

PiRENNE,  Histoire  de  la  Belgique,    IV  (R.l 267 


XVI  TABLE    DES    MATIERES 

pages 

PiscHi-L,  Vie  du  Bouddha  (Sylvain  Lcvij 482 

PoiRii-.K,  L'olîîcicr,  le  haut  commandement  et  ses  aides  en 

Allemagne  [A.  Biovèsi 35  i 

PoLTHAS,  L'instruction  publique  à  Caen  pendant  la   Révo- 
lution (A.   Cliuquei). 3o 

Preusschen    et    Krugf.r,    Manuel    d'histoire   ecclésiastique 

(M.   D.) 129 

QuiBELL,  Fouilles  à  Saqqara  (Jean   Masperoi 208 

Quintilien,  X,  p.   Rôhl  (E.  Thomasi io5 

Rakoczday,  Egressy  et  son  temps    I.    Kontj iby 

Rasi,  Un  poème  latin  sur  Rome  (E.  T.) 438 

Rattay,  Le  manuscrit  d'Ostrach  (F.  Piquet) 422 

Ravasi,  Leopardi  et  M™'  de  Staël  (F.  B.l 114 

Reclus  (Maurice),  Ernest  Picard  (R.  G.) 493 

Regnault  de  Bealcaron,  Souvenirs  de  famille    A.  Biovès].  35o 

Reinecke  (Ch.),   Les  Nouvelles  de  Halm  (L.  R.) 33 

Reissinger,  Les  écoles  du  Palaiinat  (L.  R.) 25  i 

Reuss  (R.),  Histoire  d'Alsace  (A.  Chuquet) 469 

Reutter,  L'embaumement  (G.  Masperoi 384 

Revue  de  l'histoire  de  l'enseignement  en  Allemagne  (L.  R.).  25 1 

Reymond,  Le  Brunelleschi  (H.  de  Curzon) 3j 

RiCHARDsoN  (E. -G.),  Bibliothécaires  égyptiens  (G.  Maspero).  326 

Robert  ^C.j,  Travaux  offerts  par  ses  élèves  et  atnis  (My).  .  .  444 

R0BERTSON  (J.-G.),  Goethe  et  le  xix''  siècle  (F.  B.) 118 

Robertson  i^J.-G.),  Nathan  le  Sage  (L.  R.) 10 

RocHETTE,  L'alexandrin  chez  Victor  Hugo  (L.  R.) 1 1 1 

Rolland,  Vie  de  Tolstoï  (J.  Legras) 417 

Root,  La  Pensylvanie  et  le  gouvernement  anglais  (A.  Bio- 
vès)   29 

Rose,  Herford,  Gonner,  Sadler,  L'Allemagne  au  xix^  siècle 

(L.  R.) ^ 69 

RosENBERG,  Lcs  Ccnturics  (E.  Cavaignac! i25 

Rota,  L'Autriche  en  Lombardie    R.  G.) 372 

RoTT,  La  représentation  diplomatique  de  la   France  auprès 

des   cantons  suisses  IV,  2,  3   (R.) 23  i 

RûCKER,  Homélies  de  Cyrille  sur  Luc  (A.  L.) i3o 

RusiLLON,  Le  Tromba  (A.  L.) 443 

Sabatier  (P.),  L'orientation  religieuse  de  la  France  actuelle 

(A.  L.) ^ 369 

Sahr,  Extraits  du  xvi*^  siècle  allemand  (F.  P.) 499 

Saint-Léger  et  Lennel,   Histoires  de    Flandre    et  d'Artois 

(A.  Chuquet) 74 

Saintvves,  La  simulation  du  merveilleux  (Th.  Sch.) 78 

Saintyves,  Les  reliques  et  les  images  légendaires  (A.  L,).  .  .  442 

Sandwall,  Noms  propres  athéniens  (My^ ip 


TABLE    DES    MATIERES  XVII 

pages 

Sanson,    Répertoire  bibliographique  pour  la  période  révolu- 
tionnaire en  Seine-Inférieure,  I  (L.-H.   Labande; 49 

Sarrou,  La  jeune  Turquie  et  la  révolution  (A.  Biovès).  .  .  .  233 

Saulnier,  Le  cardinal  de  Bourbon  (H.  Hauser) 307 

Scandinaves  (Publications).  —  Léon  Pineau 459 

Scheil,  La  chronologie  rectifiée  de  Hanmourabi   (C.   Fos- 

sey) 363 

Schilling,  Sources  de  l'histoire  moderne  (L.  Roustan),  ...  34 

ScuLESiNGER,  Histoirc  du  symbole  (Z.) 4o3 

Schneider  (H.),  Jésus  philosophe  (A. -L.) i52 

ScHROEDER,  La  légende  de  don  Juan  (L.  R.) i  33 

ScHucHARDT,  Choscs  ct  mots  (E.  Bourciez) 42 

—  Nubien  et  basque  (A.  Meillet) 5oi 

Schulze  (G.),  Enesidème,  p.  Liebert  (L.  R.) 319 

ScHURÉ,  L'évolution  divine  (A.  L.) 406 

ScHWARTZ  (E.),  Le  catéchuménat  (P.  de  L.) i53 

ScHWARTz  (P.),  Les  écoles  secondaires  de  Prusse  (L.  R.)..  249 

ScRiBAN,  Orthographe  roumaine  (E.  Bourciez) j5 

See  et  Lesort,  Doléances  de  Rennes.  III  (A.  Mathiez).   ...  175 

Seillière,  Schopenhauer  (L.  R.) ..'...  333 

Séminaire  historique  de  Louvain,  Travaux  (L.  R.) 219 

Sethe,  La  légende  égyptienne  de  Toeildu  Soleil  (G.  Maspero).  182 
Sforza     et      Gallavresi,     Correspondance      de     Manzoni 

(Ch.  Dejob) 97 

Siciliani  (M™^).  (Ch.  Dejob) 319 

SiMONS,  Travaux  théologiques  (A.  L.) 499 

SiMONSFELD,  Chartcs  de  Barberousse  en  Italie  (E.) 228 

Smîth  (H.  E),  Pierre  Bayle  (Ch.  B.) 412 

SoRB,  La  doctrine  de  la  défense  nationale  (A.  Biovès).    .  .  .  35i 

SouBiES,  Almanach  des  Spectacles,  191 1  (A.  C.) 3i8 

SoLiBiES  et  H  .  de  Curzon,  Le  Faust  de  Gounod  (G.) 238 

Soulier,  Le  Tintoret  (H.  de  Curzon) 36 

SoiJZA  (de),  Du  rhythme  en  français  (E.  Bourciez) 81 

Spiegelberg,  Textes  démotiques  sur  tessons  (G.  Maspero).  33/ 

Stein  (A.),  Les  fonctionnaires  sous  Alexandre  Sévère  (C.)  .  370 
Stein  (H .),  Le  palais  de  justice  et  la  Sainte-Chapelle  à  Paris 

(H.  de  Curzon) 36 

Stein  (H.),  Pajou  (H.  de  Curzon) 173 

Steinmetzfr,  Le  Kudurru  de  Melisipak   (C.   Fossey) 2 

Stengf.l,  L'immunité  en  Allemagne  (E.) 261 

Sternberg,  Carducci  et  la  poésie  allemande  (Paul   Hazard).  139 

Strich,  Liselotie  et  Louis  XIV  (R.) 273 

Strothmann,  Les  Zaïdites(A.  L.) 498 

Struck,   Mistra  (My) 448 

Taylor,  La  prophétie  politique  en  Angleterre  (Ch.  Bastide).  409 


XVIII  TABLE    DES    MATIERES 

pages 

Terzaghi,  Synesius  (Th.  Sch.) jg 

ToBLKR,    Mélanges   de   grammaire    française,  V  (E.   Bour- 

ciez) 498 

THiiTER,  Souvenirs  de  campagne  (A.  Chuquei) 480 

TôNNiEs,  Hobbes   (Ch.  Bastidei 411 

TuKTEY  (L.),  Procès-verbaux  de  la  Commission  temporaire 

des  arts  (H.  de  Curzon) 355 

Uhlenbkck,  Les  Indiens  Blackfoot,  II  (A.  Meillci) 485 

Ungnad,  Papyri  araméens  d'Eléphantine   (C.  Fossey) 241 

Uzureau,   Liste    des   personnes  décédées   dans  les  prisons 

d'Angers  ; 

—  Les  Elections  et  le  cahier  du  tiers-état  d'Angers  (A.  Mz.).  96 

Vaissière(P.  de),  Quelques  assassins  fA.  Biovès) 263 

Van  WiJK  (N.),  Dictionnaire  étymologique   du  néerlandais 

(A.  Meillet) 463 

Varadi,  Le  monde  de  l'ancien  théâtre  hongrois    I.  Kont).  ..  idj 

Vari,   Les  Halieutiques  d'Oppien  (I.  K.) 140 

Vaujany,    L'école    primaire   en    France    sous   la    troisième 

République  (Ch.  Dejob) 335 

Veith,  César  (E.  T.) 438 

Vernier,  Doléances  de  l'Aube,  III  (A.  Mathiez) 175 

Vey,  Le  dialecte  de  Saint-Etienne  au  xviiie  siècle. 

—  Le  Ballet  forésien  de  i6o5  en  dialecte   de  Saint-Etienne 

(E.  Bourciez) 474 

ViALLATTE    et    Caudel,     Lh    vic     politique    dans    les    Deux 

Mondes  (A.  Biovès) 233 

Vietor,  La  prononciation  allemande  (F.  P.) 459 

ViGLiONE,  Ugo  Foscolo  en  Angleterre  (Paul  Hazard. 97 

ViGNAUD,  Histoire  critique  de  la  grande  entreprise  de  Chris- 
tophe Colomb  (B.  A.) 99 

ViNDRY,  Les  parlementaires  français  au  xvi^  siècle,  2  (H.Hr.)  .  3o8 

Viollet  (H.),  Fouilles  à  Samara  (C.  Fossey) 2o3 

Virgile,  Enéide,  1-6,  p.  Jahn  (E.  Thomas) io5 

VoLLMER,  Epitome  thesauri  latini,  I  (J.  D.) 299 

Vollmer,  L'inscription  d'Etting  (M.  B.) 119 

Vondrak,  Grammaire  du  vieux  slave,  2"  éd.  (A.  Meillet).  ...  210 
VoRETzscH,    Introduction    à    Tétude    du     vieux    français, 

1"  éd.  (A.  J.) 238 

Waddington  (a.),  Histoire  de  Prusse,  I  (R.) 253 

Walzel,  Etudes  sur  le  xwu"  et  le  xix^  siècle  (A.  Chuquet).  .,  4x5 
Ward  et  Waller,  Histoire  de  la  littérature  anglaise,  VIII. 

L'époque  de  Drvden    Ch.  Bastide) 64 

Wedkiewicz,  La  formation    des   périodes   hypothétiques  en 

italien  (E.  Bourciez) 1 


/  / 


Weidner,  De  l'astronomie  babylonienne  iC.  Fossey).  ....  323 


TABLE     DES     MATIERES  XIX 

page» 

Weill(R.),  Les  décrois  royaux  de  l'ancien  Empire  égypticMi 

(G.  Maspero) 222 

Weissbach,  Les  inscriptions  des  Achéménides  (G.  Fossey'/  .  32  i 

Welschinger,  Bisnnarck  (R.  G.) 43/ 

Wendland,  Paganisme  et  chrisiianisme  (A.  Loisy) 86 

Wessely,  Textes  grecs  et  coptes,  III  (G.  Maspero) 164 

Weulersse,  Le  mouvement  physiocratique  en  France  ; 

—  Les  manuscrits  de  Quesnay  et  du  marquis  de  Mirabeau 

(A.  Mathiez) '•  19^ 

White,  Le  Nouveau  Testament  hiéronymien  (A.  L.) i5o 

Wieland,  Œuvres,   I,  3,  7  ;  II,  3,  p.  Mauermann  et  Stadler 

iL.  R.J 9 

Wilhelm  et  DvROFF,  Actes  de  saint  Psotius  (Jean  Maspero).  5  16 

W1SSOWA,  Religion  et  culte  des  Romains   (R.  G.) 281 

WiTTE,  La  guerre  avec  le  Japon  (A.  Biovèsj 35 1 

WoRMs  (R.),    La   sexualité    dans    les   naissances    françaises 

(Th.  Sch.'i 36o 

Wright  (G. -H.   G.),    Histoire   de   la    littérature    française 

(L.   Roustan) 453 

Ylvisaker,     La    grammaire  des     Lettres     des    Sargonides 

(G.  Fossey) 362 

Yrondelle,   Le  collège  d'Orange  (L.-H.  Labande) gS 

YvoN,  Français  et  Anglais  au  xviii<^  siècle  (Gh.  B.) 40 

Zéliqzon  et  Thirion,  Textes  patois    recueillis  en   Lorraine 

(Eugène  Welvert) 3o5 

ZiELiNSKi,  Gicéron  dans  le  cours  des  siècles  (E.  T.) 391 

ZiMMERN     (H.),     Hymnes    et     prières     babyloniennes,      II 

(G.  Fossey) , 32i 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Bulletin  des  Séances 
du  21  juin  au  23  décembre  19 12  (Léon  Dorez). 


PERIODIQUES 


ANALYSES    SUR    LA    COUVERTURE    DES  N-  DU  2'    SEMESTRE    DE     19 12 


FRANÇAIS 

> 

Bulletin  hispanique. 

Bulletin  italien. 

Correspondance  historique  et  archéologique. 

Feuilles  d'histoire. 

Revue  Bleue. 

Revue  celtique. 

Revue  de  l'enseignement  des  langues  vivantes. 

Revue  de  philologie  française  et  de  littérature. 

Revue  des  études  grecques. 

Revue  des  sciences  politiques. 

Revue  d'histoire  littéraire  de  la  France. 

Revue  germanique . 

Revue  historique. 

ALLEMANDS 

Deutsche  Literatun^eitung. 
Literarisches  Zentralblatt. 
Zeitschrift  fur  katholische  Théologie. 


BELGES 


Revue  de  l'instruction  publique  (supérieure  et  moyenne)  en  Belgique. 


XXII  TABLE    DES    MATIERES 

HOLLANDAIS 

Muscutn. 

HONGROIS 

Idoralomtœrti^net. 
Ungarische  Rundschau. 

POLONAIS 

Bulletin  international  de  l'Académie  des  sciences  de  Cracovie. 


Le  Pay^çh-Velay.  —  Ii1iprim«rifl  Peyrlllef,  RoUchoti  et  Ôamort. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 

N°  27  —  6  juillet  —  1912 

Klauber,  L'administration  assyrienne.  —  Steinmetzer,  Le  l<udurru  de  Melisipak. 
—  Hbeling,  Le  verbe  dans  les  lettres  d"El-.\marna.  —  Klio,  Contributions  à 
l'histoire  de  l'antiquité,^  Xi .  —  Actes  des  pontifes  romains,  V,  l'Emilie  ou  pro- 
vince de  Ravenne,  p.  Kkur:  La  province  de  Sakbourg  et  l'évèchc  de  Trente, 
p.  Brackmann.  —  D.  Berlikre,  Suppliques  d'Innocent  IV.  —  L.-J.  Denis,  Car 
tulaire  de  l'abbaye  de  Villeloin.  —  Wieland,  (Euvres,  I,  3,  7;  II,  3,  p.  Mauer- 
MANN  et  STAni.ER.  —  KoKiNK,  Les  idécs  de  Lessing  sur  l'immortalité.  — J.-G. 
RoBERTSON,  Nathan  le  Sage.  — M""  Bartscherer,  Le  jeune  Goethe.  — W.  Bûch- 
.NTiR,  Le  Faust  de  Gœthe.  —  Kettner,  La  Fille  naturelle.  —  Gautherot,  L'As- 
.semblëe  constituante.  —  Dembinski,  Le  génie  politique  de  Catherine  IL  — 
Perhoud,  Le  lyonnais  Gonchon.  —  F.  Masson,  Napoléon  à  Sainte-Hélène.  ^- 
Sandwall,  Noms  propres  athéniens.  —  Christensen,  La  politique  et  la  morale 
des  masses.  —  Académie  des  Inscriptions. 


E.  Klauber.  Assyrisches  Beamtentum  nach  Briefen  aus  der  Sargonidenzeit  : 

Leipziger  seniitistische  StuJien,  \'.  3.  Leipzig,  Hinrichs,  1910,  i  vol.  128  p.  in-8, 
4  m.  20. 

Nous  savoiiS  encore  fort  peu  de  chose  sur  l'administration  baby- 
lonienne et  assyrienne.  De  beaucoup  de  fonctionnaires,  nous  ne  con- 
naissons guère  que  le  nom  et  il  en  est  fort  peu  dont  nous  puissions 
définir  exactement  les  attributions.  M.  Klauber  n'a  pas  entrepris  de 
nous  donner  un  traité  complet  sur  une  série  de  questions  encore 
pleines  d'obscurités.  Il  s'est  borné  à  étudier  une  douzaine  de  fonc- 
tions '  au  sujet  desquelles  il  a  réuni  les  renseignements  que  nous 
fournissent  les  lettres  de  l'époque  des  Sargonides,  sans  s'interdire 
d'ailleurs  d'utiliser  les  données  que  nous  possédons  pour  des  époques 
antérieures,  chaque  fois  que  cela  était  utile  pour  éclairer  son  sujet. 
Les  lettres  écrites  à  des  fonctionnaires  ou  par  des  fonctionnaires  ne 
nous  fournissent  pas  tous  les  renseignements  que  nous  pourrions  en 
attendre,  soit  en  raison  de  leur  laconisme,  soit  en  raison  de  l'obscu- 
rité des  passages  qui  seraient  les  plus  instructifs.  Mais  M.  Klauber 
paraît  en  avoir  tiré  tout  ce  qu'on  en  peut  tirer  dans  l'état  actuel  de  nos 
connaissances  en  assyrien,  et  son  livre  forme  une  très  utile  contribu- 
tion non  seulement  à  l'étude  des  institutions  mais  aussi  à  l'étude  de 
lalittérature  épistolaire.  Ceux  qui  aiment  à  saisir  la  persistance  des  lois 
historiques  remarqueront  que  le  sukallu,  simple  «  messager  »  à  l'ori- 

I.  Siikallu,  tiirtânit,  ndgirit,  raè-Bi-LUB,  rab-i\G,  vab-^iv,    ri^è-sE-oAR,  abarakkti 
amêl  SAG,  bel  pahàti,  mutir  pïiti,  saléu. 

Nouvelle  sc'rie  LXXIV  27 


2  REVUE    CRlTlQUIi 

gine  est  devenu  «  inspecteur  »,  «  procureur  »,  comme  le  «  minister  » 
s'est  élevé  aux  plus  hautes  fonctions  de  l'Etat,  ci  que  les  attributions 
très  limitées  du  rab-m-\.\}B  ou  <  grand  cchanson  »  ne  se  sont  guère 
moins  élargies  que  celles  du  maréchal  des  cours  européennes.  Les 
premiers  chapitres,  consacrés  au  roi  et  à  la  cour  et  à  des  vues  d'en- 
semble sur  la  nomination,  le  serment,  le  payement,  la  récompense  et 
le  châtiment  des  fonctionnaires,  sont  particulièrement  intéressants. 

C.    F'OSSKY. 


F.  Steinmetzer.  Eine  Schenkungsurkunde  der  Kœnigs  Melisichu.  —  E.  Ebe- 
LiNG.  Das  Verbum  der  El-Amarna-Briefe  :  Beitrage  zur  Ass)  riologic,  \11I, 
2  ;  79  p.  in-8».  Leipzig,  Hinrichs,  njio,  5  M. 

M,  Steinmetzer  corrige  sur  quelques  points  la  transcription  du 
kiidurru  de  Melisihu  (=  Melisipak]  donnée  dans  le  deuxième  volume 
des  Mémoires  de  la  Délégation  en  Perse.  Sa  traduction  marque  éga- 
lement un  progrès  et  son  commentaire  est  une  contribution  intéres- 
sante à  Téclaircissement  de  quelques  difficultés  :  il  est  fort  possible, 
par  exemple,  que  le  mot  niibattu,  qui  n'a  pas  encore  trouvé  son  expli- 
cation définitive,  signifie,  comme  le  propose  M.  S.,  «  veille  »  (de  fête). 
Un  travail  analogue  portant  sur  tous  les  kiidurru  serait  des  plus 
utiles.  A.  propos  des  symboles  divins  gravés  sur  ce  kudurru,  M.  S.  a 
repris  le  problème  de  Fidentification  magistralement  traité  par  Zim- 
mern,  et  appuvé  les  conclusions  de  son  prédécesseur  par  des  argu- 
ments qui  ne  manquent  pas  de  force.  Peut-être  trouvera-t-on  cepen- 
dant que  M.  S.  pousse  la  subtilité  un  peu  loin  quand  il  affirme  que 
dans  le  kiidurru  de  Mardiik- apal-iddiu  l'inscription  n'énumère  pas 
plus  de  divinités  qu'il  n'y  a  de  symboles  gravés  :  le  texte  énumère  en 
effet  45  noms  et  le  monument  présente  seulement  18  symboles.  La 
répartition  des 45  divinités  en  i3  groupes,  imaginée  par  M.  S.,  ne  me 
paraît  pas  résoudre  la  difficulté. 

L'étude  de  M.  Ebeling  sur  le  verbe  dans  les  lettres  d'El-Amarna 
fait  très  bien  ressortir  le  caractère  composite  de  ce  verbe.  A  côté  de 
formes  purement  assyriennes,  iksiid,  ikasad,kasid,  etc.,  on  trouve  un 
préiérh  jiksud  ei  jaksiid,  un  présent  jikasad,  un  parfait  luitala,  kaîila 
et  katula,  qui  attestent  Tinfluence  chananéenne.  Chose  plus  singu- 
lière, on  trouve  des  formes  masculines  tiksud  et  tikasad,  tiksudû  et 
tikasadû.  Ces  formes  ne  se  rencontrent  que  dans  les  lettres  écrites 
par  des  Chananéens,  mais  ni  l'hébreu  ni  le  phénicien  ne  présentent 
rien  d'analogue  et  le  fait  reste  inexpliqué.  Les  listes  des  différentes 
formes,  dressées  par  M.  E.,  paraissent  fort  complètes.  En  appendice, 
iM.  E.  a  proposé  une  traduction  nouvelle  pour  quelques  passages  dif- 
ficiles et  expliqué  par  des  rapprochements  avec  l'égyptien  quelques 
mots  ou  noms  propres  de  sens  obscur. 

C.  FOSSEY. 


D  HISTOIRE    ET    DK    LITTERATURE  5 

Klio,  Beitrage  zur  alten  Geschichte,  t.  XI  ;  Leipzig,  Dicteri^li  (Weichcr;,  igii  ; 

32  2    p .    ' . 

La  muiiic  des  articles    conicnus  dans  le  tome  XI  de  Klio,  onze  sur 
vingt-deux,  concernent  Thistoire  et  les  antiquités  romaines;  cinq  sont 
consacrés  à  Thistoire  et  à  l'archéologie  grecques;  quatre  traitent  plus 
particulièrement  de  géographie  et  de  toponymie  anciennes;  deux  enfin 
rentrent  dans  un  domaine  plus  spécial.  De  ces  deux   derniers  l'un  est 
dû  à  Kugler  {Der  Urspriing  der  babylonischen  Zahlensymbole  i5  = 
imnu    a  redits  y)  iind    i5o    =  sumélu   a  links  n   in    pythagoreischer 
Beleuchtiing,   fasc.    4),   qui   propose  une    curieuse  interprétation    de 
l'usage,  chez  les  Assyriens,  des  symboles  qui  signifient  quinze  et  cent 
cinquante  pour  exprimer    respectivement  à   droite    et  à  gauche;   et 
l'autre   à   Sundwall  [Zii   den   karischen  Inschri/ten   iind  den  darin 
vorkommenden  Namen,  4);  l'auteur  y  étudie  les  noms  propres  cariens 
fournis  par  les  inscriptions  écrites  dans  l'alphabet  épichorique,   et  en 
déduit  une  parenté   du  carien  avec   le  lycien;  mais  l'étude  du  carien 
n'est  pas  encore  sortie  de  la  période  de  tâtonnement,  la  valeur  phoné- 
tique de  plusieurs  signes  étant  encore  très  problématique.   —  Dans  un 
article  intitulé  Ae^dische,  besonders  kretische  Namen  bei  den  Etrus- 
kern    (fasc.    1),    Kannengiesser  étudie    la    toponymie    crétoise     par 
comparaison  avec  les  noms  étrusques  et  conclut   à  l'identité  de  nom- 
breux noms  de  lieux   dans   les  deux  pays  ;  c'est   une  raison    de  plus 
pour  donner  aux   Etrusques    une   origine  créto-carienne,    ou,   selon 
Fick,  hattide.     Sôlch    s'occupe  de  topographie  dans   deux  articles; 
dans  le  premier  [Ueber  die  Lage  von  Kaisareia   in  Bithynien,  3)   les 
témoignages  combinés  des  monnaies  et  des  textes   l'amènent  à  situer 
Césarée  Germaniké  de  Bithynie,  distincte  de  Césarée  Germanicia   en 
Commagène,  dans  le  voisinage  de  Pruse,  sur  la  rive  orientale   du  lac 
Daskylitis;  dans  le  second  {Modrene,  Modroi  und  Galliis,  ^)  il    dis- 
cute un   point  très    controversé,   l'identification    des    noms  de  lieux 
Modroi  et  Modréné  et  du  fleuve  Gallus,  en  s'appuyant   sur  Strabon  et 
surtout  sur  Ammien,  car  Strabon  a  commis  des  erreurs  sur  l'étendue 
de  la  Phrygie  Epictète;  les  listes  d'évéchés  byzantins  concordent  avec 
les  textes  anciens  pour  autoriser  la  conclusion  que   Modroi-Modréné 
est  une  seule  et  même  ville  (auj.  Moudournou)  et  que  le  Gallus  est  le 
Moudournou-Tchaï.  Beloch  [Znr  Karte   von  Griechenland,  4)  publie 
une   série  d'observations  de    détail    sur  la    topographie    de  la  Grèce 
ancienne;  il  défend  son  hypothèse  de  Psyttalie  =  Hagios    Georgios, 
place  le  mont  Dicté  de  Crète  à  l'extrémité  orientale  de  l'île,  à  l'est  de 
Praesos,  ne  voit  pas  Eleuthères  à  Gyphtokastro,  mais   là  où  les  cartes 
marquent  Œnoé,  qui  serait  dans  la    plaine  d'Eleusis  ou   sur    les  hau- 
teurs voisines,  etc.  ;  notons  encore  que  selon  lui  Démétrias  de  Magné- 
sie ne  serait  autre  que  Pagasœ,  ce  qui  est  fondé  sur  de  sérieux   argu- 

I.  Dans  le  courant  de  l'année  191 1,    M.  Lehmann-Haupt,  l'un  des  directeurs  de 
Klio,  a  été  appelé  à  professera  l'université  de  Liverpool. 


4  UKVUK    CKIIIQ;!!'; 

monts.  —  Passons  aux  choses  romaines  :    Heinen   a  dressé   une  lisic 
chronologique  des  cvénemenis,  à  Rome  ci  dans  les  provinces,    qui  se 
rapportent  au  culte  des  empereurs  et  des  membres  de  la  lamille  impé- 
riale, depuis  la    bataille  de  l'*harsale  jusqu'à  la  mon  d'Auguste  {Ztir 
Bcgrûndiing  des  rihnischcn  Kaiscrknltcs.   Chronologische  Uebersicht 
von  4S  V.  bis  14  11.  Clir.,  2),  et  Grafi'under  [Dcis  Aller  der  servianis- 
chen  Mauer  in  Rom,  i^  distingue  dans  les  ruines   du  mur  de  Scrvius 
deux    sortes  de  constructions,    faites   l'une  d'après    le  pied    romain, 
l'autre  d'après  le  pied  osque;  ce  fait,  ainsi    que  d'autres   indices,    par 
exemple  les  marques  des   tailleurs  de  pierre,  lui  fait    conclure  qu'il  y 
eut  deux  époques    principales   de  construction,    l'une   antérieure  aux 
décemvirs,  l'autre  postérieure   à  l'invasion    gauloise  en   2>~g.    Kornc- 
mann,  par  des  considérations  qui  fortifient  les  arguments  de   Enmann, 
démontre  qu'il  y  eut  à  Rome,  antérieurement  aux   Annales   maxinii 
de  Mucius  Sciievola,  une  rédaction  de  la  chronique  des   pontifes  [Die 
àlteste  Form  der  Pontijikalannalen,  2),  et  dans  un  second  article  [Die 
Alliaschlacht  iind  die  àltesten  Pontijikalannalen,    3j  il   retrouve  une 
tradition  qui  remonte  à  cette  antique  source;  c'est  la  tradition  relative 
à  la  bataille  de   l'Allia    et  à   la  prise  de  Rome,    seulement  trois  jours 
après,    par   les    Gaulois.    Tenney   Franck  [On   Rome's    conquest   of 
Sabiniim,    Picenum   and  Etruria,   3)    étudie  la  situation    des    pays 
italioies  après  la  conquête  romaine;  on  remarquera  son  argumentation 
relativement  à  la  Sabine;  il  y  montre  que,  contrairement   à  l'opinion 
reçue,  les  Romains  n'ont  pas  expulsé  la  majeure  partie  des  habitants, 
mais  qu'ils  se  sont  bornés  à  prendre  une   partie  du  territoire  comme 
indemnité  de  guerre;  du  reste,  Rome  semble,  au  moins  jusqu'après  la 
guerre  de  Pyrrhus,  n'avoir  ni  annexé  à  son  domaine  public,  ni  attribué 
àses  proprescitoyens  les  territoires  conquis.  Philipp  décrit  l'opération 
par  laquelle  Annibal  fit   franchir  le  Rhône  à  ses  éléphants  [Wie  liât 
Hannibal  die  Elefanten  iïber  die  Rhône  gesetit?  3);  essai  plutôt  sub- 
jectif, où  certains  détails  sont  insuffisamment  soutenus  par  les  textes. 
Kahrstedt  recherche  à  quelles  sources  a  puisé  Tite-Live  pour  l'histoire 
de  la  guerre  des  Romains  contre  Persée  [Ziim  Ausbruch  des  dritten 
romisch-makedonischen     Krieges,    4);    von   Premerstein    commence 
une  série  d'articles  isolés  se  rapportant  à  divers   événements  du  règne 
de  Marc-Aurèle  [Untersuchungen  r^ur  Geschichte  des  Kaisers  Marciis, 
/.,  3j;  etHohl,  dans  deux  longs  articles,  nous  communique  le  résultat 
de  ses  recherches  sur  l'un  des  auteurs  de  l'Histoire  Auguste  [Vopiscus 
und  die  Biographie  des  Kaisers  Tacitus,  I.  11.^  2-3);   l'un  est  relatif 
aux  sources  de  Vopiscus;  l'autre  donne  une    analyse  suivie  de  la  vie 
de  l'empereur  Tacite,   et  se  termine  par  cette   conclusion,  que  toutes 
les  biographies  de  l'Histoire  Auguste  seraient,  conformément  à  l'opi- 
nion  de  Dessau,  l'œuvre   d'un  faussaire  du    temps  de  Théodose;   ce 
faussaire  ne  serait  autre    que  Vopiscus    lui-même.    Enfin,  dans    un 
remarquable   article     \Ueber    die     jjnrtschaftlichen    und  politischen 


O  HlSlUlKb;    KT    DE    LITTERATURE  0 

VerJiàîtnisse  bei  den  Germanen  \ur  Zcit  des  C.  Julius  Caesar,  i), 
O.  Schalz  éiiidic,  dans  les  Commentaires  de  César,  les  passages  qui 
ont  trait  aux  mœurs  des  Germains  et  principalement  à  leur  manière 
de  vivre;  on  remarquera  tout  spécialement,  outre  la  finesse  de  Tana- 
Ivse  et  la  juste  interprétation  des  détails,  le  vit'  intérêt  que  prend 
l'auteur  à  son  sujet,  et  qu'il  sait  communiquer  au  lecteur.  —  (.es 
articles  d'histoire  et  d'antiquités  grecques  sont  les  suivants  :  Delphi- 
nios.  Beitràge  ^ur  Stadtgeschichte  von  Milet  iind  Athen,  fasc.  i,  par 
W.  Aly;  l'auteur  étudie  à  propos  du  Delphinion  de  Milet,  la  topogra- 
phie ancienne  de  Milet  et  d'Athènes;  ruinées  par  les  Perses,  les  deux 
villes  se  reconstruisirent  en  se  déplaçant,  l'une  vers  l'ouest  et  le  nord, 
l'autre,  Milet,  dans  la  direction  du  port.  Quant  au  dieu  Delphinios, 
il  n'a  rien  avoir  avec  le  dauphin  ;  a  Milet  comme  à  Athènes,  c'est  le 
dieu  de  la  source  de  la  ville  (cf.  Tilphosa).  Stiidien  ■{u  den  griechis- 
clien  Biinden,  fasc.  4,  par  S'voboda;  c'est  le  commencement  d'une 
suite  d'études  sur  les  ligues  grecques;  dans  l'une  est  confirmée  l'opi- 
nion que  les  assemblées  ordinaires  et  extraordinaires  de  la  ligue  éto- 
lienne  avaient  le  droit  de  décider  la  guerre;  on  notera  la  discussion 
d'un  passage  de  Tite-Live  (XXXV,  25,  3  svv.)  au  sujet  du  rôle  du 
stratège  étolien  à  l'assemblée.  The  Lmps  of  Denietrius  of  Phalerum 
and  their  Guardians,  fasc.  3,  par  Ferguson;  considérations  sur  les 
rapports  entre  les  lois  de  Démétrius  et  le  nzpl  vôixwv  de  Théophraste, 
et  sur  les  nomophylaques,  qui  jouirent  alors  d'une  influence  compa- 
rable à  celle  des  éphores  à  Sparte.  //  dominio  egi^iano  nelle  Cicladi 
sotto  Tolomeo  Filopatore,  fasc.  3,  par  Costanzi,  qui  se  propose  de 
démontrer  que  les  Cyclades  étaient  encore  sous  la  domination  de 
l'Egypte  pendant  le  règne  de  Ptolémée  Philopator.  Die  ScKlacht  am 
Granikos,  fasc.  2,  parLehmann;  c'est  un  article  qui  appelle  la  dis- 
cussion ;  le  récit  d'Arrien,  dit  l'auteur,  donne  une  idée  très  inexacte 
de  la  bataille  du  Granique;  ce  n'est  pas  une  description  fidèle  de  l'en- 
gagement, mais  essentiellement  un  éloge  des  actions  personnelles 
d'Alexandre  pendant  le  combat;  Diodore  est  bien  plus  digne  de  foi. 

My. 

Regesta  Pontificum  Romanorum.  Jubente  regia  Societate  Gottingcnsi  congessit 

Paulus  Fridolinus  Kehr  : 
Italia  pontificia.  Vol.  \'.   Aemilia  sive  provincia  Ravennas.    Bcrolini,   apud 

W'eidinar.nos,  i()ti.  In-S"  de  liv-534  pnges. 
Germania  pontificia.  Vol.  I,  pars  II.  Provincia  Salisburgensis  II  et  episcopatus 

Tridentinus,  auctore  Alberto    Brackmann.  Bcrolini,  apud  Weidmannos,    191 1. 

In-S",  paginé  i-xxxiv,  267-412. 

Dans  des  comptes  rendus  précédents,  j'ai  déjà  expliqué  le  plan  suivi 
par  M.  Kehr  et  ses  collaborateurs  pour  la  publication  des  Regesta 
pontificum  Romanorum.  Je  n'y  reviendrai  que  pour  en  louer  les  dis- 
positions. Car,  pour  chaque  province,  chaque  évêché,  chaque  établis- 
sement religieux  conservant  des  bulles  ou  lettrespontificalesantérieures 


6  REVUE    CRITIQUE 

au  xiii"  siècle,  on  possède  avec  leurs  ouvrages  une  bibliographie  com- 
plète, une  notice  succincte  sur  son  histoire,  des  indications  très  pré- 
cises sur  ses  archives.  Chaque  document  analysé  est  suivi  à  son  tour 
de  sa  bibliographie  (original,  copies,  éditions),  puis  de  notes  critiques 
ou  historiques.  La  seule  objection  qu'on  pourrait  élever,  c'est  dans  le 
mélange  des  pièces  fausses  avec  les  authentiques,  alors  qu'il  aurait 
peut-être  été  préférable  de    rejeter  les    premières  après  les  secondes. 

Le  volume  qui  contient  les  actes  des  pontifes  romains  et  de  leurs 
légats  concernant  l'Emilie  ou  province  ecclésiastique  de  Ravenne, 
est  particulièrement  important.  Les  archevêques  de  Ravenne  ont 
exercé  dans  le  haut  moyen  âge  une  telle  action,  les  papes  eurent  si 
fréquemment  à  intervenir  dans  leurs  atiaires  qu'il  n'est  pas  surprenant 
de  recueillir  à  leur  sujet  une  collection  abondante  de  lettres  et  de 
bulles.  Les  évèchés  de  Ferrare,  Bologne,  Modène,  Reggio,  Parme, 
Plaisance  furent  également  fort  riches.  Les  archives  de  tous  ces 
anciens  évèchés  ont  subi  dans  le  cours  des  âges  de  très  grosses  pertes  ; 
mais  on  a  conservé  assez  de  documents  pour  que  M.  Kehr  ait  retrouvé 
pour  la  province  le  texte  intégral  de  939  bulles  ou  lettres,  dont  341 
sont  représentées  par  des  originaux.  La  plus  ancienne,  authentique, 
est  une  lettre  du  pape  Zosime  à  Févêque  de  Ravenne  (3  octobre  418); 
mais  il  faut  attendre  jusqu'au  pontificat  de  Pascal  I,  pour  rencontrer 
dans  les  mêmes  archives  de  Ravenne  le  premier  original  sur  papyrus 
(i  I  juillet  819).  En  plus  de  ses  939  bulles,  l'éditeur  a  retrouvé  men- 
tion de  536  documents  aujourd'hui  perdus. 

Moins  importante  historiquement  et  moins  riche  fut  la  province  de 
Salzbourg,  pour  laquelle  M.  Brackman'n  achève  le  recueil  des  docu- 
ments pontificaux.  On  n'y  a  relevé  que  634  pièces  émanées  des 
papes  ou  de  leurs  légats,  y  compris  les  bulles  signalées  seulement  par 
des  chroniqueurs  et  historiens  ou  par  les  rédacteurs  des  documents 
de  date  postérieure.  J'ai  déjà  dit,  à  propos  du  premier  fascicule,  que 
la  plus  ancienne  lettre  authentique  était  de  599  et  qu'on  n'avait  pas 
d'original  avant  1070.  Ce  deuxième  fascicule  est  consacré  aux  évêchés 
de  Ratisbonne,  de  Freising  et  de  Neubourg.  Deux  appendices  pré- 
sentent les  actes  relatifs  au  duché  de  Bavière,  c'est-à-dire  adressés  aux 
évêques,  comtes  ou  fonctionnaires  du  pays,  puis  ceux  qui  ont  trait  à 
l'évêché  de  Trente  ;  on  sait  que  celui-ci,  qui  faisait  partie  jadis  de  la 
province  d'Aquilée,  est  aujourd'hui  rattaché  à  la  métropole  de  Salz- 
bourg. 

L.-H.  Labande. 


Suppliques  d'Innocent  IV  (1352-1362).  Textes  et  analyses  publiés  par 
D.  Ursmer  Berlière...  Rome,  M.  Bretschneider;  Bruxelles,  A.  Dewit;  Paris, 
H.  Champion,  1911.  In-8°  de  xxx-ggS  pages.  (Analecta  Vaticano-belgica. . . 
Vol.  V.) 

L'Institut  historique  belge  de  Rome  enrichit  chaque  année  le  monde 


d'histoire  et  de  littérature  7 

savant  d'un  volume,  qui,  de  première  importance  pour  les  anciens 
diocèses  de  Cambrai,  Liège,  Thérouanne  et  Tournai,  offre  encore  de 
multiples  documents  pour  les  autres  pays,  surtout  pour  la  France.  Son 
directeur  honoraire,  Dom  l^ .  Berlière,  après  nous  avoir  donné  les 
suppliques  de  Clément  VI  concernant  des  bénéfices  situés  en  Belgique 
ou  intéressant  des  Belges,  nous  offre  maintenant  la  suite  des  mêmes 
pièces  pour  le  pontificat  d'Innocent  VI.  Il  publie  le  texte  des  sup- 
pliques à  peu  près  en  entier,  il  ajoute  de  précieuses  notes  sur  les  per- 
sonnages dont  il  est  question,  fait  d'utiles  renvois  à  d'autres  documents. 
Il  ne  s'est  donc  pas  contenté  dètre  un  éditeur  ;  c'est  presque  le  rôle 
d'un  historien  qu'il  a  rempli  en  même  temps. 

Le  volume  qui  nous  fournit  le  texte  complet  ou  abrégé  de  1,859 
suppliques,  est  complété  par  une  très  copieuse  table  alphabétique  des 
noms,  avec  identification  des  localités  citées,  toutes  les  fois  que  cela  a 
été  possible.  Peut-être  l'auteur  aurait-il  pu  abréger,  en  remplaçant  par 
les  numéros  des  suppliques  les  renvois  à  d'autres  noms.  Je  m'explique. 
On  désire  connaître  les  renseignements  qui  se  trouvent,  par  exemple, 
sur  les  bénéfices  d'Albi.  Au  mot  Albi,  D.  Berlière  renvoie  à  tous  les 
clercs  ou  prélats  qui  les  ont  possédés,  sans  indiquer  un  seul  chiffre,  de 
telle  façon  que  l'on  est  obligé  de  recourir  au  nom  de  chacun  de  ces 
personnages. 

Il  y  aurait  un  certain  nombre  d'observations  à  présenter  sur  les 
identifications.  En  général,  les  noms  de  famille  sont  conservés  sous 
leur  forme  laane,  mais  pourquoi  en  avoir  traduit  d'autres  :  exemple 
Aigrefeuille  et  Ailliaco  [De]^  dans  la  même  colonne.  Ne  valait-il  pas 
mieux  adopter  une  règle  uniforme?  J'ai  remarqué  aussi  des  lacunes 
(les  noms  qui  sont  dans  les  notes  ne  sont  pas  toujours  dans  la  table)  ', 
des  renvois  à  des  articles  où  il  n'y  a  rien  (exemple  :  à  Bois,  renvoi  à 
Ville-au-Bois;  à  Ville-au-Bois,  il  n'y  a  qu'un  renvoi  à  Boscum  ;  à  Bos- 
ciim,  renvoi  à  Bois-les-Pargny  et  à  Ville-au-Bois;  ailleurs,  Karinthia, 
par  exemple,  renvoi  à  Aiistria  où  il  n'y  a  rien  sur  la  Carinthie,  etc.). 
On  relève  encore  des  hésitations  sur  le  classement  des  noms  composés 
avec  l'article,  exemple  :  Granges  (Lesi,  Le  Barbier,  Le  Crest,  Le  Sage, 
Leu  (Le),   Palud  (La)  ;  mieux  que  cela,  l'auteur  imprime  seulement 
Mans  pour  Le  Mans,  Puy  pour  Le  Puy,  etc.  Enfin  des  identifications 
et  des  noms  de  localités  sont  à  reviser.  Voici  quelques  rectifications  : 
le  nom  latin  de  Velleron  est  Avellero  et  non  Avelleron ;  à  Beauvais, 
corriger  en  Mello  et  Mouy  les  noms  écrits  Melly,  Moy;  le  mot  Cor- 
colesis  [De],  du  diocèse  de  Carpentras,  doit  être  mal  lu  ;  à  Cavaillon, 
remplacer  par    Velorgues  le  mot  Vellonge;  Castro  novo    [Johannes 


I.  Au  chef-lieu  du  diocèse,  D.  Berlière  indique  les  localités  ou  églises  du  même 
diocèse  pour  lesquelles  existent  des  documents;  le  relevé  n'en  est  pas  toujours 
complet.  Ainsi,  pour  Avignon,  manque  l'indication  des  églises  de  Saint-Remy, 
Sorgues  et  Tarascon;  pour  Valence,  l'indication  de  Saint-Ruf,  etc.  Au  diocèse 
d'Aix-en-Provence  est  mentionné  Sevelliectim,  qui  était  du  diocèse  de  Dax,  etc. 


g  REVim    CRITIQUE 

lie)  dc»it  ùivc  change  en  Castro  bono;    Combonaria,  Combonario   et 
Combornio,  c'est  le  même  nom  iComborn);  pourquoi  renvoyer  pour 
les  premiers    à    Tiirre?  Curtodone  est    à  remplacer  par  Curtcdonc . 
Klincouri-Sainic-Margueriic  (Oiseï  traduit  Sancla  Margareta  in  Cam- 
pania.  du  diocèse  de  Troyes,  ce  qui  est  impossible;  il  faut  Margcric. 
de  la  commune  de  Margerie-Hancourt,  Marne  ici".  Longnon,  Pouillcs 
de  la  province  de  Sens).  Lezouz  est  du  département  du  Puy-de-Dôme 
et  non  de  la  Haute- Loire;  le  nom  latin  est-il  Landosum  ou  l.audo- 
siim?  Les  deux  formes  sont  données.  Majaniim  est  à  corriger  en  Ma- 
sanum  ou   Ma^anum.  La    Motte,  diocèse  de  Ximes,  fait  partie  de  la 
commune    de    Saint-Gilles.    Moy,    indiqué     dans    la    table    comme 
faisant  partie  du  département  de  l'Aisne  et  du  diocèse  de  Beauvais, 
c'est   Mouy,   dans   l'Oise.   Oratorio  [De],  est    aussi    bien   Oroer  que 
Orrouy.    Pertuis  est   du  département  de  Vaucluse.  Pont-de-Sorgues 
est   aujourd'hui    Sorgues,    même  département.   Roquemaure   est  du 
département  du  Gard,  5.  Remigiiis  est  Saint-Remy,  chef-lieu  de  can- 
ton des  Bouchcs-du-Rhône.  Des  églises  du  diocèse  de  Soissons,  sup- 
primer Mello.  Talayrand,  Tallayrand,  c'est  Talleyrand.  Le  nom  latin 
deTarascon  est  Tharasco  et  non   Tharascon.  Teyssode  est  du  dépar- 
tement du  Tarn  et  non  du  Gard.  Ulno  à  corriger  en  Ulmo.  Valesium, 
c'est  le  Valois,  non  \c\a.\a\s,.\Valleyranica,  et  i-\^n\WaUeyrauica,  ào'n 
être  identifié  avec  Valérargues,  dans  le  Gard,  et  non  avec  Valleraugue 
dans  le  Gers,  etc. 

Avant  de  terminer  cet  article,  je  noterai  trois  suppliques  où  inter- 
viennent Arnaud  de  Cervole,  Froissart  et  Pétrarque.  Le  premier  en  a 
présenté  une  pendant  le  temps  qu'il  passa  dans  la  ville  d'Avignon  après 
sa  fameuse  campagne  de  Provence  (i  358;;  Jean  Froissart  demandait 
à  échanger  sa  chapellenie  de  Valenciennes  contre  un  canonicat  à 
Paris  (i36o);  enfin  Pétrarque  sollicitait  la  collation  d'une  église 
rurale  dans  le  diocèse  de  Teano,  qu'avait  résignée  en  sa  faveur  Louis 


Sanctus  de  Beeringen, 


L.-H.  Labande. 


.\rchives  du  Cogner  (J.  Chappée.  le  Mans),  série  H,  ^rt.  97.  Cartulaire  de 
l'abbaye  de  Saint-Sauveur  de  Villeloin,  publiée  par  l'abbé  L.-J.  Denis.  Paris, 
H.  Champion;  Le  Mans,  A.  de  Saint-Denis,  1911.  In-S"  de  xv-227  pages. 

La  belle  collection  de  documents  d'archives  que  M.  J.  Chappee  a 
réunie  au  Mans  s'est  enrichie  dernièrement  d'un  cartulaire  de  la  fin 
du  xiii''  siècle  contenant  les  actes  relatifs  à  l'abbaye  de  Villeloin. 
M.  l'abbé  Denis  s'est  chargé  de  les  publier.  Il  l'a  fait  avec  attention  ; 
cependant  ayant  eu  le  moyen,  par  la  planche  phototypique  qu'il  donne, 
de  contrôler  quelques  passages  de  son  texte,  je  me  suis  aperçu  de 
l'omission  de  deux  mots  avant  sententialiter  condempnamus,  à  la  fin 
de  la  charte  n°  XI .  J'ai  constaté  aussi,  là  et  ailleurs,  qu'il  traduit  sous 
la  forme  adjective    l'abréviation  du   nom   substantif  de  Villeloin.  De 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  9 

Viîlalup.  devient  toujours  Villalupensi  (au  n'  i,  voyez  abbatem  et 
conventuin  ViUeîiipensis).  Je  voudrais  bien  savoir  s'il  y  a  une  raison 
pour  cela.  Le  nom  de  la  localité  semble  avoir  toujours  été  Villalupae, 
pourquoi  ne  pas  le  conserver  dans  les  textes  du  xiii"  siècle  ? 

L'éditeur  a  écrit  en  tète  de  sa  publication  une  courte  préface  pour 
décrire  le  manuscrit,  exposer  son  plan  et  donner  une  notice  précise 
sur  la  généalogie  des  familles  qui  furent  en  relations  permanentes 
avec  les  moines  de  Saint-Sauveur.  Comme  il  a  eu  la  chance  de 
retrouver  quelques  originaux  de  ses  chartes  aux  archives  de  l'Indre  et 
de  rindre-et-Loire,  il  a  eu  rexcellcnte  pensée  de  les  coUationner  et  de 
relever  en  lête  de  chaque  document  ainsi  vérifié  (on  pourrait  critiquer 
cette  place)  les  variantes  qui  lui  ont  été  fournies.  J'aime  moins  les 
variantes  que  M.  l'abbé  Denis  s'est  cru  obligé  de  présenter  d'après  des 
copies,  alors  qu'il  avait  déjà  collationné  l'original.  Chaque  pièce  est 
précédée  d'une  analyse  suffisante  et  accompagnée  de  quelques  notes 
pour  les  identiticaiions  de  noms  de  lieu. 

En  tête  du  Canulaire,  un  prieur  du  wii^  siècle,  Pierre  Brunet, 
avait  composé  une  notice  sur  les  origines  de  l'abbaye.  Quoiqu'elle  fût 
sans  valeur,  M.  l'abbé  Denis  n'a  pas  cru  devoir  la  supprimer;  il  l'a 
donc  publiée  au  début  de  son  livre,  mais  en  avertissant  du  peu  de 
confiance  dont  elle  est  digne.  11  reconnaît  comme  faux  un  diplôme 
d'un  empereur  Louis,  confirmant  la  fondation  du  monastère.  Il  aurait 
pu  discuter  aussi  le  diplôme  de  Charles  le  Chauve,  qui  porte  la  date 
du  27  mai  85o,  car  ce  document  me   paraît  assez  suspect. 

L'éditeur  a  terminé  par  deux  bonnes  tables  :  une  table  chronolo- 
gique de  ses  documents  et  une  table  alphabétique  des  noms.  Les 
quelques  petites  réserves  que  j'ai  cru  devoir  faire  ne  m'empêchent  pas 
de  déclarer  que  son  œuvre  est  tout  à  fait  méritoire. 

L.-H.  Labande. 


Wielands  Gesammelte  Schriften.  Erste  Abteilung  :  3.  Band,  hergg.  von  Fritz 
HoMEYER.  Berlin,  Weidinann,  igto,  8",  p.  5 18,  mk.  10.  —  7.  Band,  hergg.  von 
Siegfried  Mauermann,  ibid.,  191 1,  p.  484,  mk.  g.  —  Zweite  Abteilung  :  3.  Band, 
hergg.  von  Ernst  Stadler,  ibid.,  191 1,  p.  625,  mk.   12. 

L'Académie  des  sciences  de  Berlin  continue  activement  la  publi- 
cation des  œuvres  complètes  de  Wieland  qui  a  été  déjà  annoncée  ici. 
Nous  avons  depuis  reçu  le  troisième  volume  donnant  la  suite  des 
œuvres  de  jeunesse  et  le  septième  qui  contient  des  contes  en  vers,  des 
poésies  et  différentes  œuvres  en  prose.  Dans  la  seconde  section,  celle 
des  traductions,  un  troisième  volume  est  venu  s'ajouter  aux  deux 
précédents  pour  compléter  le  Shakespeare  allemand  que  Wieland  fit 
paraître  de  1762  à  1766.  Ce  dernier  volume  reproduit  la  biographie 
de  Rowe  que  l'auteur  avait  jointe  à  sa  traduction  et  la  défense  de  son 
(Buvre  contre  la  critique  contemporaine  ;  il  nous  donne  aussi  l'intro- 
duction de  M.  Stadler  au  Shakespeare  de  Wieland.  C'est  le  résumé 


I  O  REVUE    CRITIQUE 

d'une  étude  très  fouillée  qu'il  a  publiée  à  part  et  dont  il  a  été  rendu 
compte  dans  la  Revue  en  S(in  temps.  Dans  les  dernières  pages  ont 
trouvé  place  les  variantes  de  la  première  édition  et  des  notes  très 
utiles  pour  juger  de  la  valeur  de  la  version  de  Wieland  ;  elles 
signalent  les  fautes  les  plus  graves,  ainsi  que  les  omissions  ou  les 
additions  du  traducteur. 

L.  R. 


Heinrich  Kofink,  Lessings  Anschauungen  iiber  die  Unsterblichkeit  und 
Seelen^vanderung.  Strasbourg,  Trûbner,  1912,8°,  p.  223,  mk.  6. 

.1.  G.  RoHERTsoN,  Lessing  Nathan  der  Weise.  Cambridge,  University  Press, 
1912,  in-i6,  pp.  32  et  27S.  Sh.  3.0o. 

I.  La  monographie  de  M.  Kofink  sur  la  conception  que  s'était  faite 
Lessing  de  l'immortalité  et  la  forme  originale  qu'il  a  donnée  à  l'an- 
tique théorie  de  la  métempsychose  est  une  importante  contribution 
à  l'étude  du  critique  philosophe  et  elle  éclaire  particulièrement  un  de 
ses  ouvrages  les  plus  commentés,  die  Eriiehwigdes  Menschengesch- 
lechts.  La  première  partie  du  travail  de  M.  K.  est  un  relevé  des  œuvres, 
opuscules  ou  passages  intéressant  les  idées  de  Lessing  sur  la  vie  de 
l'au-delà;  l'auteur  les  a  soumis  tous  à  un  examen  critique  des  plus 
scrupuleux,  discutant  la  date  de  la  composition,  l'origine  et  l'évolution 
des  pensées  qu'ils  renferment,  les  côtés  par  où  Lessing  s'inspire  des 
philosophes  contemporains,  de  Leibniz,  de  Bonnet,  de  Sulzer,  etc., 
et  ceux  par  où  il  s'en  éloigne.  Cette  recherche  attentive  de  la  pensée 
de  Lessing  a  même  amené  M.  K.  à  proposer  pour  un  passage  du 
commentaire  des  Philosophische  Aiifsdt^e  de  Jérusalem  une  lecture 
nouvelle  qui  offre,  en  effet,  un  sens  plus  satisfaisant.  Il  n'est  pas 
possible  de  suivre  M.  K.  dans  toutes  les  menues  déductions  de  son 
exposé  très  méthodiquement  présenté  et  de  l'enchaînement  le  plus 
rigoureux;  il  suffira  d'indiquer  que  Lessing  a  voulu  résoudre  le  pro- 
blème du  déterminisme  par  l'idée  d'une  transformation  des  âmes 
préexistant  de  toute  éternité  et  réservées  à  une  série  de  réincarnations  ; 
la  conception  du  retour  est  ainsi  mise  au  service  d'une  théodicée  par- 
ticulière plus  généreuse  que  celle  de  l'église  orthodoxe.  Le  système 
de  Lessing,  bien  qu'il  n'ait  jamais  réduit  ses  idées  en  système,  lui 
sert  à  expliquer  la  lenteur  des  progrès  de  l'humanité,  chaque  être 
devant  traverser  tous  les  degrés  d'un  état  inférieur  avant  de  parvenir 
à  la  perfection  suprême  à  laquelle  d'ailleurs  tous  sont  appelés  à  s'éle- 
ver. Dans  la  seconde  partie  de  son  étude,  M.  K.  recherche  les  motifs 
qui  ont  amené  Lessing  à  se  passionner  pour  ces  conceptions.  Il  s'est 
déjà  familiarisé  avec  elles  par  la  pratique  des  philosophes  qui  les 
avaient  embrassées  avant  lui,  comme  G.  Bruno,  van  Helmont;  il 
doit  beaucoup  à  Leibniz,  quoiqu'il  se  sépare  de  lui  sur  la  question  des 
peines  éternelles  ;  il  a  emprunté  aussi  à  Reimarus,  au  suisse  Bonnet, 
à  son  ami  Mvlius,  à   d'autres  encore.  Mais  la   raison   principale  doit 


d'histoire  et  de  littérature  I  f 


être  cherchée  dans  la  profonde  conviction  où  était  Lessing  de  la 
haute  valeur  de  la  personnalité,  de  la  nécessité  d'une  évolution  ascen- 
dante pour  le  genre  humain  ;  enfin  son  activité  inlassable  l'avait  natu- 
rellement conduit  cà  adopter  et  à  développer  d'une  façon  personnelle 
une  conception  qui  prolongeait  dans  une  perspective  indéfinie  l'effort 
de  l'individu  et  de  l'humanité.  La  savante  enquête  de  M.  K.  par  la 
sagacité  et  la  prudence  de  sa  discussion  aura  précisé  un  des  aspects 
les  plus  curieux  du  rôle  de  Lessing  dans  la  spéculation  du  dernier 
tiers  du  xviii"  siècle. 

IL  Dans  la  collection  anglaise  des  Pitt  Press  Séries  M.  Robertson 
a  publié  une  bonne  édition  du  Nathan  de  Lessing.  L'introduction  très 
complète  oriente  le  lecteur  sur  la  genèse  de  l'œuvre  déjà  connue, 
insiste  avec  raison  sur  les  sources  de  Lessing  qui  a  puisé  non  seulement 
dans  Boccace  mais  encore  dans  les  Gesta  Romanorum  la  parabole  des 
trois  anneaux  ;  elle  découvre  de  multiples  analogies  entre  la  pièce  alle- 
mande et  les  tragédies  philosophiques  de  Voltaire,  Zaïre  et  les  Giiè- 
bres,  signale  d'intéressants  rapprochements  entre  Nathan  et  le  drame 
bourgeois  de  Diderot,  et  pour  tout  ce  qui  touche  à  l'orientalisme  de 
la  pièce  relève  les  emprunts  faits  par  Lessing  aux  ouvrages  de  Marin, 
de  Marigny,  d'Herbelot,  de  Dopper,  etc.  Cette  double  enquête  sur 
les  influences  littéraires  subies  par  le  drame  et  l'information  histo- 
rique du  poète  représente  l'apport  nouveau  des  recherches  person- 
nelles du  critique.  Les  notes  sont  rejetées  à  la  fin  du  volume  (p.  i83- 
240);  celles  d'ordres  historique  sont  très  développées,  les  notes  lin- 
guistiques sont  plus  brèves,  mais  substantielles.  Partout  M.  R.  s'est 
appliqué  à  montrer  la  relation  de  la  pièce  définitive  avec  l'esquisse 
développée  qui  s'en  est  conservée  et  qu'il  a  eu  raison  de  reproduire 
en  entier  à  l'appendice.  Trois  index  terminent  l'édition  qu'on  ne  peut 
que  recommander  même  à  nos  étudiants. 

L.  R. 


Agnes  Bartscherer,   Zur  Kenntnis   des  jungen  Goethe.    Dortmund,  Fr.  Wilh. 

Ruhfus,  1912,  80,  p.  192,  mk.  4.30. 
Wilhelm  Bùchner,  Goethes  Faust.  Eine   Analyse  der  Dichtung.  Leipzig-Berlin, 

Teubner,    191 1,  8»,  p.   128,  mk.   2. 
Gustav    Kettnkr,    Goethes    Drama,  die   naturliche     Tochter.    Berlin,  Weid- 

mann,  1912,   8«,  p.   172,  mk.  3.40. 

L  Des  trois  études  qui  constituent  le  volume  de  M"''  Bartscherer, 
la  première,  la  plus  importante,  est  un  complément,  et  en  partie  une 
rectification  de  la  thèse  qu'elle  avait  soutenue  pour  démontrer  l'in- 
fluence capitale  de  Paracelse  et  des  Paracelsistes  sur  le  Faust  (V.  Revue 
du  24  décembre  191 1).  Elle  a  de  nouveau  accumulé  les  témoignages 
qui  doivent  à  ses  yeux  déterminer  notre  conviction]  pour  faire 
remonter  jusqu'à  l'année    1769  la  conception  première  du  Faust.    I^ 


1  2 


REVUE    CRITIQUE 


ne  faui  pas  attendre  jusqu'à  la  période  de  Strasbourg  et  expliquer  les 
sentiments    du     jeune    Stiirmer  par   l'action    qu'exercèrent    sur    lui 
Herder,  Hamann,  ou  la  philosophie  de  Spinoza,    ou   le  mysticisme 
de  Swedenborg.  Seulement  l'auteur  ne  revendique  pas  aussi  exclusi- 
vement le  personnage  de    Paracelse  comme  le  type  unique  dont  pro- 
céderait   Faust.    Dans  Morhof  dont   le   Polyhistor   était    familier    à 
Goethe,  dans  G.   Agrippa  qu'il  connut  directement  ou  par  les  poly- 
graphes  Brucker,  Gottfrid  Arnold,  Bayle,  etc.,  dans  van   Helmont  et 
dans  Welling  il  a  trouvé  les  traits  principaux  de  son  magicien,   et  en 
particulier  pour  l'attitude    hostile   que   prend    Faust  à  l'égard  de  la 
philosophie  traditionaliste,    de    la  théologie,  de  la  médecine,    de  la 
science  juridique  de  son  temps,  l'auteur  a   relevé  de  nombreux  pas- 
sages   qui     transparaissent   dans    le    poème.    Il   a   aussi    signalé  de 
curieuses  réminiscences  de  la  Tempête  de  Shakespeare,  autre  lecture 
de  jeunesse.    Gomme  pour  son   précédent  travail,  il  faut  concéder  à 
M"''  B.,  qui  semble  beaucoup  tenir  à  faire  de  Gœthe,  et  non  seule- 
ment du  jeune  Gœthe,  un  fervent  de  l'occultisme,  qu'elle  a  réuni  dans 
ce  nouvçau  chapitre  des  explications  plausibles  et  beaucoup  de  con- 
jectures hasardeuses;  la  fin  de  sa  démonstration   ne  va  pas  d'ailleurs 
sans  quelque  confusion.  Je  ne  peux  que  me  borner  à  mentionner  la 
seconde  dissertation  du  livre  qui  porte  sur  un    point  plus  restreint  : 
l'utilisation  dans   la  nuit  classique    de  Walpurgis,    et   aussi  dans  le 
poème  demeuré  fragment  des  Geheimnisse  d'un  chapitre  du  Polyhis- 
tor de  Morhof  intitulé  de  collegiis  secretis. 

La  troisième  de  ces  études,  si  elle  est  étrangère  au  Faust,  ne  nous 
fait  pas  du  moins  sortir  de  la  jeunesse  de  Gœthe.  Quand  il  était 
encore  étudiant  à  Leipzig,  Lessing  y  vint  aussi,  en  mai  1768.  Pour- 
quoi Gœthe  s'est-il  tenu  à  l'écart?  C'est  ce  problème  que  M"'  B.  a 
voulu  éclaircir,  et  en  examinant  les  raisons  de  l'éloignement  volon- 
taire du  jeune  poète,  elle  a  résumé  avec  intérêt  les  rapports  de  Gœthe. 
et  du  grand  critique.  Gœthe  alors,  encore  incertain  de  sa  voie,  était 
plus  tourné  vers  l'art  que  vers  la  poésie,  il  redoutait  de  plus  la  sévé- 
rité des  arrêts  de  Lessing,  il  le  regardait  comme  le  chef  de  l'école 
rationaliste,  tandis  qu'il  sentait  en  lui  le  romantique  s'éveiller  déjà, 
enfin  Lessing  lui  apparaissait  comme  l'adversaire  de  Winckelmann, 
le  plus  fidèle  disciple  d'Œser  qu'il  vénérait  comme  un  maître.  L'âge 
modifia,  et  profondément,  ces  premières  impressions  et  M"*^  B.  a 
montré  comment  les  jugements  de  l'auto-biographie  du  Gœthe  sexa- 
génaire doivent  être  rapprochés  des  sentiments  spontanés  et  complexes 
du  jeune  homme  pour  recevoir  une  juste  interprétation. 


IL  La  critique  qui  s'applique  depuis  si  longtemps  au  commentaire 
du  Faust  de  Gœthe  est  en  train  d'évoluer  :  après  avoir  porté  son 
effort  sur  les  contradictions  du  poènie  pour  les  expliquer  par  des  dif- 
férences de  dates  correspondant  à  des  transformations  intellectuelles, 


d'histoire  et  de  littérature  i3 

elle  voudiaii  à  présent  démontrer  au  eontraire  l'harmonie  de  l'œuvre, 
l'unité  du  plan,  la  concordance  des  parties.  Le  besoin  de  réagir 
contre  certains  excès  et  aussi  le  parti  nouveau  qu'on  pouvait  tirer  des 
esquisses,  des  scènes  ébauchées,  des  vers  abandonnés,  de  tout  ce 
qu'a  ramassé  de  paralipomcna  la  patience  des  derniers  éditeurs,  l'ont 
poussée  dans  cette  voie.  C'est  dans  celle-là  aussi  que  marche  M.  Buch- 
ner  et  s'il  parle  dans  le  sous-titre  de  son  étude  d'une  analyse  du 
poème,  ce  n'est  que  pour  en  établir  plus  sûrement  la  synthèse. 
Comnie  pour  tous  les  commentateurs  préoccupés  de  prouver  l'unité 
de  composition,  le  plan  primordial  lui  est  fourni  par  le  Prologue 
dans  le  ciel;  l'action  du  diable  et  l'évolution  de  Faust  qu'il  essaie 
d'entraver  sont  successivement  étudiées  ;  finalement,  par  l'amour  que 
symbolise  l'épisode  de  Marguerite,  par  l'attachement  aux  pensées 
élevées  et  durables,  figuré  par  l'union  de  F"aust  avec  Hélène,  c'est- 
à-dire  avec  la  beauté  et  avec  l'art,  et  par  la  généreuse  activité  de  la  fin 
de  sa  vie,  Faust  triomphe  de  ses  faiblesses  et  de  ses  erreurs,  il  s'est 
lentement  haussé  d'une  agitation  confuse  et  trouble  à  la  sérénité  et  à 
la  lumière.  Il  n'est  pas  possible  de  faire  tenir  dans  un  résumé  l'ana- 
lyse de  M.  B.,  il  faut  reconnaître  qu'il  a  fait  un  effort  louable  pour 
expliquer  les  contradictions  où  le  vieux  thème  mettait  Gœthe  en 
lui  imposant  certains  éléments  de  la  légende  indispensables  au  dérou- 
lement de  l'action,  mais  si  opposés  à  ses  propres  habitudes  de  pensée. 
Les  rapprochements  qua  faits  aussi  l'auteur  avec  tels  passages 
d'autres  œuvres  et  la  discussion  fréquemment  instituée  par  lui  sur  le 
sens  exact  des  mots  importants  (par  ex.  der  Schalk,  die  Miitter)  sont 
intéressants  à  lire  et  en  dehors  de  toute  thèse,  son  commentaire  res- 
tera utile,  pour  une  interprétation  du  second  Faust  surtout.  Mais  ces 
essais  de  conciliation  déguisent  souvent  les  diflficultés  plus  qu'ils  ne 
les  résolvent;  l'ancienne  explication  fondée  sur  le  parallélisme  de 
l'évolution  de  l'œuvre  accompagnant  celle  du  poète  nous  semblait 
aboutir  à  des  conclusions  plus  satisfaisantes. 

III.  Les  commentateurs  de  Gœthe  n'ont  pas  souvent  porté  leur 
attention  sur  la  Fille  naturelle^  et  M.  Kettner  en  consacrant  une 
étude  approfondie  à  cette  œuvre  si  froidement  accueillie  par  les  con- 
temporains et  depuis  jugée  non  sans  prévention,  a  comblé  une  lacune 
et  réparé  une  injustice.  La  Révolution  française  avait  préoccupé 
Gœthe  vivement,  mais  il  avait  plutôt  déguisé  sa  véritable  pensée  dans 
des  œuvres  légères  ;  la  Fille  naturelle  nous  livre  au  contraire  son 
jugement  sincère  sur  le  grand  événement  politique  qui  méritait  mieux 
que  quelques  parodies  sans  grande  portée.  M.  K.,  profitant  des 
recherches  de  M.  Brcal,  a  analysé  avec  soin  le  document  qui  fut  la 
source  principale  du  poète,  les  Mémoires  historiques  de  la  princesse 
Stéphanie-Louise  de  Jiourbon-Conti,  en  indiquant  le  parti  que  Gccthe 
en  avait  tiré,  et  comment  il  avait  transformé  une  matière  assez  vul- 


14  REVUE    CRITIQUE 

gaire,  plaidoyer  personnel  trop  évident,  pour  n'en  retenir  que  ce  qui 
lui  SL'mblaii  figurer  les  lois  les  plus  génifrales  d'un  bouleversement 
social  si  profond,  de  même  qu'il  idéalisa  les  personnages,  en  les 
dépouillant  de  tout  caractère  concret  et  historique,  pour  en  faire  les 
types  les  plus  abstraits  de  forces  ou  de  sentiments  en  conflit.  M.  K. 
s'est  arrêté  successivement  sur  chacun  d'eux,  en  les  rattachant  habi- 
lement à  ce  monde  réel  dont  le  poète  a  voulu  de  parti-pris  et  pour 
des  raisons  différentes  les  abstraire.  L'étude  de  la  Fille  naturelle 
comporte  de  plus  un  problème  délicat  :  celui  de  la  continuation  de 
l'œuvre.  Le  sujet  avait  été  à  l'origine  projeté  comme  trilogie  ;  Gœthe 
modifia  après  la  publication  de  la  pièce  son  plan  primitif  et  n'envi- 
sagea plus  qu'une  suite  dans  un  second  drame.  Nous  en  avons  le  scé- 
nario et  quelques  esquisses  de  scènes,  mais  la  façon  dont  se  sont 
entrecroisés  et  heurtés  les  divers  projets  de  distribuer  et  de  conduire 
le  développement  de  l'action  ne  permet  pas  toujours  de  se  représenter 
nettement  ce  que  furent  les  véritables  intentions  de  Gœthe.  M.  K.  qui 
a  suivi  très  attentivement  la  genèse  de  la  composition  du  premier 
drame,  s'est  appliqué  à  démêler  cette  substitution  d'un  plan  nouveau 
à  l'ancien  plan  et  il  a  tenté  d'après  les  indications  dont  nous  disposons 
une  reconstitution  satisfaisante  de  ce  que  devait  être  la  seconde 
partie  de  la  pièce.  Si  toutes  les  obscurités  ne  sont  pas  levées  (notam- 
ment pour  le  cinquième  acte),  ses  conjectures  paraissent  fort  judi- 
cieuses. 

L.  R. 

Gustave  Gautherot,  L'Assemblée  Constituante.    Le  Philosophisme  rdvohttion- 
naire  en  action.  Paris,  Beauchesne,  igi  i,  xv  et  540  p.  in-i6. 

On  connaît  l'ardeur  militante  de  M.  Gautherot.  Il  s'est  voué  avec 
passion  à  la  cause  de  la  Contre-Révolution.  Sa  chaire  de  l'Institut 
catholique  est  une  tribune  au  pied  de  laquelle  se  pressent  les  derniers 
tenants  du  trône  et  de  l'autel.  L'histoire  pour  lui  n'est  qu'un  thème, 
qu'un  cadre  pour  exposer  ses  idées  politiques  et  religieuses.  Le  livre 
qu'il  nous  donne  aujourd'hui  est  le  recueil  de  ses  principales  confé- 
rences. N'y  cherchons  pas  ce  qu'il  n'a  pas  voulu  y  mettre,  une  his- 
toire de  l'Assemblée  constituante.  Considérons-le  comme  une  satire 
violente  de  l'œuvre  de  la  grande  assemblée,  une  apologie,  plus  fou- 
gueuse et  plus  théâtrale,  qu'émue  de  la  reine  et  des  aristocrates,  une 
réfutation  parles  faits  de  ce  que  M.  Gautherot  appelle,  après  l'abbé 
Barruel  son  maître,  le  «  philosophisme  ».  N'y  cherchons  pas  de  faits 
nouveaux,  des  révélations  inédites.  M.  G.  se  borne  la  plupart  du 
temps  à  résumer  les  derniers  ouvrages  parus.  C'est  ainsi  que  pour  son 
chapitre  sur  les  origines  du  parti  républicain  il  m'a  fait  l'honneur  de 
puiser  0  largement  »,  dit-il,  dans  mon  récent  recueil  sur  le  club  des 
Cordeliers,  si  largement  qu'il  m'a  emprunté  toutes  ses  citations  et 
toutes  ses  références.  Son  chapitre  sur  le   féminisme  révolutionnaire 


d'histoire  et  de  littérature  i5 

est  de  même  un  résumé  du  livre  du  baron  de  Villiers  sur  les  clubs  de 
femmes,  son  chapitre  sur  la  dissolution  de  l'armée  royale  un  résumé 
du  livre  du  colonel  Hartmann  sur  les  officiers  de  l'armée  royale  et  la 
Révolution,  etc. 

M.  Gautherot  n'apprend  donc  rien  à  l'historien.  Il  l'étonné  en 
revanche  par  ses  partis  pris  passionnés  qui  lui  masquent  souvent  la 
physionomie  réelle  des  hommes  et  des  choses  '. 

Albert  Mathiez. 


Bronislas  Demuinski,  professeur  à  rUnivcrsitc  de   Leiiiberg,  Le  Génie  politique 
de  Catherine  II,  Mémoire   contemporain.   Paris,  Champion,  1912.  In-80,  4g  p. 

On  remerciera  M.  Dembinski  d'avoir  publié  ce  mémoire  intéressant 
de  ritalien  Piattoli  et  de  nous  avoir  donné  sur  l'auteur  du  mémoire 
d'amples  renseignements.  Ce  Piattoli  vivait  depuis  longtemps  en 
Pologne;  il  était  l'intime  ami  d'un  ministre  de  l'Electeur  de  Saxe,  le 
comte  Marcolini  ;  il  avait  fréquenté  Ignace  Potocki  et  le  roi  Stanislas- 
Auguste  dont  il  fut  quelque  temps  le  confident  et  il  écrit  que  son 
séjour  à  la  cour  royale  était  le  roman  de  sa  vie.  Môme  lorsqu'il  eut 
quitté  le  pays,  la  question  polonaise  le  préoccupa  vivement  et  il  disait 
que  tous  les  membres  épars  de  la  grande  et  vieille  famille  slave  devaient 
se  joindre  à  la  Russie,  devaient  s'allier  à  Alexandre  contre  Napoléon. 
Il  assistait  à  la  proclamation  solennelle  de  la  constitution  du  3  mai  et 
il  avait  cru  que  de  ce  jour  datait  la  renaissance  de  la  Pologne,  qu'en 
ce  jour  commençait  une  nouvelle  époque  :  magnus  ab  integro  saeclo- 
riim  ^  nascitur  ordo.  Lorsqu'il  vit,  un  an  plus  tard,  ce  «  grand  ordre  » 
renversé  par  la  confédération  de  Targowica,  qui  n'était  que  l'instru- 
ment de  la  Russie,  il  jeta  un  cri  de  désespoir.  De  là,  ce  «  mémoire  », 
commencé  en  1792  et  terminé  en  i7n4.  Il  présente  un  moment  cri- 
tique de  la  politique  européenne;  surtout,  il  analyse  la  politique  de 
Catherine  à  l'égard  de  la  Pologne  et  de  la  France  révolutionnaire. 
Piattoli  oppose  l'empereur  Léopold  à  la  «  Sémiramis  du  Nord  », 
oppose  le  «  grand  système  fédéraiif  '>  de  Léopold  à  la  politique  russe 
«  digne  d'une  âme  atroce  »  ;  il  assure  que,  si  Léopold  «  pacifique  par 
sentiment  et  par  principe  »,  avait  vécu,  la  guerre  n'aurait  pas  éclaté, 
que  Louis  XVI  régnerait  encore,  que  Catherine  ne  serait  que  l'impuis- 
sante protectrice  de  quelques  rebelles  ;  il  montre  la  tsarine  soutenant  à 
la  fois  les  émigrés  français  qui  veulent  rétablir  la  monarchie  et  détruire 
l'anarchie  en   France  et  les  émigrés  polonais  (les  chefs  de  la  confédé- 

1.  P.  37,  n.  i,«M.  Aulard  appartient,  comme  on  sait,  à  la  Franc-maçonnerie», 
M.  Gautherot  sait  mal.  M.  Aulard  n'a  jamais  appartenu  à  la  Franc-maçonnerie  ; 
—  p.  114  où  M.  Gautherot  a-t-il  emprunté  cette  histoire  de  brigands  :  Rotondo 
essayant  de  poignarder  la  reine  en  juillet  1790?  —  p.  169.  M.  G.  entend 
Barnave  acclame  par  20,000  individus  qui  assiégeaient  T Assemblée  !  —  p.  171.  La 
Terreur  fit  200,000  victimes  !  —  p.  417,  au  lieu  de  Haïti,  lire  Taiti,  etc. 

2.  Et  non  saeculorum. 


10  RKVUE    CRITIQTK 

ration  du  Targouica;   qLii   veulent  dciruiie    la  monarchie  et    rétablir 

l'anarchie  en   l^ologne  ;  il  croit  que,  si  Catherine  avait  eu  un  véritable 

génie,  si  elle  avait  reconnu  la  constitution  du  !>  mai,  si  elle  avait  traité 

avec  la  Pologne,  elle  eût   d'un   même  coup  sauvé  la  vie  et  le  trône  de 

Louis  XVI,  rendu  la  Silésie  à  l' Autriche,  «  réduit  la  Prusse  aux  sables 

du  Brandebourg');   il   reproche  à  Catherine  d'avoir   rompu   les  liens 

de  la  parenté  slave  en  livrant  la  Pologne  à  la  Prusse.  Catherine,  dit 

Piattoli,  aurait  dû  «  annoncer  à  tous  les  peuples  esclavons  qui  forment 

la  nation   polonaise,  que,  puisqu'ils  voulaient  enfin   renoncer  à  cette 

funeste  oligarchie  qui,  sous  le  nom  de  liberté,  les  avait  avilis  depuis 

plusieurs  siècles,  elle  se  hâterait  de  seconder  leurs  efforts  généreux, 

et  qu'elle   leur  offrirait  le   prince  Constantin,  afin  de  réunir  ainsi  des 

nations  que  leur  origine,  leur  langue,  leurs  mœurs,  et  en  grande  partie 

leur  religion  appelaient  à  se  rapprocher.  N'était-ce  pas  préparer  à  la 

Russie  le  plus  vaste  et  le  plus  puissant  des  Empires,  et  en  même  temps 

le  plus  glorieux  et  le  plus  durable  ?  » 

A.  Chuquet. 

Ch.  ^sic)  Perroud.  Le    Lyonnais  Gonchon.  lu-So,    20  p.  (Extrait  de   la  «  Revue 
d'histoire  de  Lyon  »,  fabC.  111.  191  2). 

M.  Claude  Perroud  complète  sur  plusieurs  points  la  notice  de 
Fournel  qu'il  juge  bien  superficielle,  bien  incomplète,  et,  à  notre  grand 
regret,  lui-même,  «  pressé  par  l'espace,  »  ne  fait,  de  son  propre  aveu, 
qu'esquisser  le  personnage  et  son  rôle,  à  l'aide  de  quelques  docu- 
ments qu'il  a  trouvés.  Nous  signalerons  surtout  dans  cette  étude  une 
curieuse  facture  des  livres  fournis  à  Gonchon  lorsqu'il  alla  comme 
colporteur  dans  les  départements  envahis,  une  lettre  à  Roland,  du 
12  décembre  1792,  qui  prouve  que  notre  «  patriote  »  était  plus  lettré 
qu'on  ne  l'avait  cru  jusqu'ici,  et  les  détails  qui  concernent  ses  missions 
de  1795  à  Lyon  et  de  1796  dans  la  Haute-Loire.  M.  Perroud  nomme 
justement  Gonchon  le  girondin  du  faubourg  Saint-Antoine  et  il  le 
juge  sincèrement  épris  de  la  Révolution,  naïf,  enthousiaste,  hâbleur, 
avisé  au  besoin,  et  toujours  humain.  P.  12  ce  fut  Sibuet,  et  non  Gon- 
chon, qui  se  rendit  avec  Gadolle  à  Ostende  et  dans  la  Flandre  litto- 
rale ;  Gonchon  n'est  venu  que  plus  tard.  Le  25  février  1793,  lorsque 
les  Bruxellois  s'assemblèrent  à  Sainte-Gudule  pour  émettre  leur  vœu 
sur  la  forme  de  gouvernement,  Gonchon  prononça  «  un  discours 
patriotique  dont  le  but  était  de  les  éclairer  sur  leurs  vrais  intérêts  », 
Le  8  mars  suivant,  à  Tournai,  lorsque  le  peuple  révolté  tira  des  coups 
de  fusil  par  les  fenêtres  sur  les  volontaires  et  dépava  les  rues  et  les 
cours,  Gonchon,  qu'on  prenait  pour  un  commissaire  de  la  Conven- 
tion, fut  assailli  et  houspillé;  on  lui  arracha  sa  cocarde;  il  dut,  le 
pistolet  au  poing,  se  frayer  un  chemin  à  travers  la  foule,  ei  il  se  hàia 
de  dénoncer  ce  mouvement  contre-révolutionnaire,  excité,  disait-il, 
par  les  prêtres  et  les  moines. 

A.  Chuquet. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  17 

l'rcJcric  .Masson,  de  rAcadéiiiie   tiiuiv'aisc.   Napoléon  à  Sainte-Hélène,  1815- 
1821.  Paris,  OllendorlV,   19 12.  I;i-8",  5oo  p.  7  tr.  5o. 

M.  Masson  détermine  d'abord,  dans  ce  nouvel  ouvrage,  pourquoi 
Napoléon  a  cherché  un  asile  sur  le  Bellérophon  et  comment  les 
Anglais  ravaicm.  attiré.  Le  2  août  181  5,  les  alliés,  constatant  qu'il  est 
en  leur  pouvoir,  ont  confié  sa  garde  à  TAnglcierre.  Mais  il  était  venu 
libre  à  bord  du  Bellérophon;  le  capitaine  Maitland  et  4'amiral  Hotham 
ravaicni  accueilli  et  traité  comme  un  hôte  ;  il  ne  se  considérait  donc  • 
pas  comme  prisonnier,  et  voilà  le  fait  capital.  Les  Anglais  ont,  abusé 
de  leur  force  et  Napoléon  résiste  à  cet  abus.  Hôte  de  l'Angleteric,  il 
eût  admis  l'incognito  ;  prisonnier  et  convaincu  que  sa  captivité  est  une 
iniquité,  il  revendique  son  titre,  et  jusqu'au  bout  il  veut  être  l'Empe- 
reur. De  là,  sa  conduite  à  Sainte-Hélène  ;  il  ne  sort  pas  de  chez  lui; 
((  en  restant  chez  lui,  dit  un  de  ses  compagnons,  —  que  M.  Masson 
ne  cite  pas  —  il  conserve  sa  dignité;  il  est  toujours  Empereur  et  ne 
saurait  vivre  autrement  ». 

Puis,  M.  Masson  fait  défiler  devant  nous  les  personnages  qui  sui- 
vent l'Empereur  sans  en  excepter  un  seul,  sans  laisser  dans  l'ombre 
le  moindre  des  figurants;  l'honnête  Bertrand,  toujours  mécontent  de 
lui-même  parce  qu'il  est  toujours  partagé  entre   scmi   dévouement  à 
l'Empereur  et   son  amour   pour   sa  femme  qui    s'ennuie    à   Sainte- 
Hélène  plus  encore  qu'à  l'ile  d'Elbe  ;  Moniholon  qui,  dans  la  détresse 
où  il  est,  avait  tout  à  gagner  s'il  suivait  l'Empereur,  et  M™^  de  Mon- 
tholon,  coquette,   intrigante,   prête   à   tout;    Go'urgaud,  orgueilleux, 
ombrageux,  violent,  brutal  ;  Las  Cases  qui  ne  venait  que  pour  com- 
poser son  Mémorial  et   associer  son  nom   à  celui  de  l'Empereur;  le 
mystérieux  Piontowski    qui   n'était  qu'un   chevalier  d'industrie;   les 
deux  prêtres  si  «  ternes  »,  Buonavita  et  Vignali  ;  le  inédecin  Antom- 
marchi,  présomptueux,   faiiiilier,  inexact,  négligent,  aussi  dépourvu 
de  scrupules  que  de  science;  Cipriani  qui  constitua,  pour  ainsi  dire, 
le  service  des   renseignements;    Marchand   qui  entoura   l'Empereur 
des   soins   les    plus  attentifs  et   les  plus  délicats;   Saint-Denis,  Pier- 
ron,  etc. 

M.  Masson  passe  ensuite  au  geôlier,  à  celui  que  Napoléon  a 
nommé  le  sbire,  i'argousin  et  même  le  bourreau,  et,  à  l'aide  de  notes 
fournies  par  des  Anglais  et  des  articles  que  des  officiers  du  temps 
consacrèrent  à  leur  camarade  Lowe,  il  retrace  la  carrière  et  fait  le  por- 
trait du  gouverneur  de  l'île.  Le  lieutenant-général  Lowe,  ancien 
colonel  des  Corsican  Rangers,  était  l'homme  de  l'emploi  :  strict 
observateur  des  règlements,  intègre,  austère,  mais  ignorant  tout  du 
monde  —  le  mot  est  de  Wellington,  raide,  manquant  de  formes, 
dénué  de  tact.  Du  reste,  aux  yeux  de  M.  Masson,  Lowe  n'est  qu'un 
agent  d'exécution,  et  M.  Masson  vise  plus  haut;  il  montre  derrière 
Lowe  le  ministère  anglais  et  surtout  lord  Bathurst,  le  secrétaire 
d'Etat  à  la  guerre  et  aux  colonie?.  Sir  Hudson  Lowe  fut  quelquefois 


l8  REVUE    CRITIQUE 

rcprimaiidc  par  son   gouverncniciu,  non   paice  qu\\  ciail  fidèle   à  la 
consigne,  mais  parce  qu'il  s'en  relàchaii. 

A  cette  sorte  d'exposition  succède  le  drame.  M.  Masson  raconie 
dans  tous  ses  incidents  la  lutte  entre  Napoléon  ei  Lowc,  et  alors 
reparaissent  les  personnages  qui  lorment  les  entours  de  l'Empereur. 
Ces  personnages,  on  les  voit  livrés  à  l'oisiveté,  dévorés  par  l'ennui  et 
se  jalousant  les  uns  les  autres.  Bertrand  vit  un  peu  à  l'écart,  entre  sa 
lemme  et  ses  enfants.  Mais  Las  Cases,  humilié  et  offensé  par  Gour- 
gaud  et  Montholon  qui  le  traitent  de  jésuite,  Las  Cases  qui  a  terminé 
son  journal  et  qui  compte  sur  un  immense  succès  de  librairie,  Las 
Cases  qui  entrevoit  la  possibilité  de  s'ériger  devant  l'Europe  en  avo- 
cat du  prisonnier,  saisit,  provoque  peut-être  l'occasion  de  se  faire 
renvoyer.  Après  Las  Cases,  Gourgaud,  brouillé  avec  Montholon  à 
qui  il  envoie  un  cartel,  quitte  Sainte-Hélène  et,  pour  être  réintégré 
dans  l'armée  royale  avec  son  grade  de  maréchal-de-camp,  il  assure  au 
gouvernement  de  Londres  que  Napoléon  n'est  pas  malade  :  Las  Cases 
vient  justement  de  déclarer  tout  haut  que  le  séjour  de  l'Empereur  à 
Sainte-Hélène  compromet  sa  santé;  après  le  témoignage  de  Gour- 
gaud, le  congrès  d'Aix-la-Chapelle  adopte  des  résolutions  destinées  à 
légitimer  et  à  resserrer  la  captivité  '. 

Une  étude  de  la  maladie  de  Napoléon  et  de  ses  progrès  termine  le 
volume.  En  mars  1817  s'est  produit  un  dérangement  d'estomac,  puis 
une  enflure  aux  jambes  accompagnée  d'éruption,  et  en  août,  cette 
enflure  s'est  aggravée.  Le  chirurgien  de  la  marine  O'Meara  diagnos- 
tique une  hépatite  chronique.  Mais  O'Meara  excite  la  défiance  de 
Lowe  —  et,  en  effet,  il  a  reçu  de  l'Empereur  un  bon  de  cent  mille 
francs  —  Aussi  est-il  rappelé  par  le  ministère,  renvoyé  de  la  marine 
lorsqu'il  a  déclaré  que  la  vie  de  Napoléon  est  en  danger,  et  au  mois 
de  janvier  18 19  il  publie  un  factum  contre  Lowe.  Les  successeurs 
d'O'Meara  sont  Verling  que  Napoléon  refuse  de  recevoir;  Siokoe  qui 
voit  l'Empereur,  qui,  lui  aussi,  diagnostique  une  hépatite  et  qui  est, 
lui  aussi,  rayé  des  cadres  de  la  marine;  puis  l'ignorant  Antommarchi. 
L'Empereur  se  décourage.  M™^  Bertrand  désire  partir  et  il  ne  veut 
plus  la  voir.  M™'=  de  Montholon  part  sous  prétexte  d'une  maladie  de 
foie,  mais  Montholon,  qui  guette  des  millions,  n'a  garde  d'accompa- 
gner sa  femme,  et  l'Empereur  hnit  par  le  nommer  7non  fils.  Pour- 
tant, Napoléon  jardine  et  essaie  de   prendre   de  l'exercice.  Mais   en 

I.  Quels  qu'aient  été  les  torts  de  Gourgaud  (et,  dit  M.  Masson,  «  peut-être 
ctait-il  sous  l'empire  de  ceitaines  excitations  momentanément  délirantes  et  émit- 
il  alors  des  allégations  qui  dépassaient  sa  pensée  »j  il  avait,  ce  semble,  raison  de 
dire  que  Napoléon  n'était  pas  malade.  M.  Masson  reconnaît  (p.  4.19)  que  dans  les 
premiers  mois  du  séjour  de  Napoléon  à  Sainte-Hélène  l'affection  du  t'oie  a  été 
«  relativement  bénigne  »,  qu'elle  eût  »  cédé  à  une  cure  d'eaux  »  et  que,  même 
aggravée  par  l'absence  d'exercice  et  par  une  hygiène  détestable,  elle  n'inspirait  de 
craintes  sérieuses  ni  à  Bertrand  ni  à  Montholon, 


d'histoire  et  de  littérature  19 

septembre  1820  ses  forces  diminuent  et  il  tombe  bientôt  dans  un  tel 
état  d'atonie  que  M'"'  Bertrand  suspend  son  départ.  Le  chirurgien 
anglais  Arnolt  est  appelé  le  2  avril  1821  et  constate  une  inliammation 
d'estomac.  Le  5  mai,  Napoléon  meurt.  L'autopsie  révèle  qu'il  avait 
un  squirre  à  l'estomac  et  que  sa  vie  même  a  été  prolongée  par  le  gon- 
flement du  foie  qui  obturait  la  perforation. 

Voilà,  en  raccourci,  le  livre  de  M.  Masson,  et  il  faudrait  citer 
encore  la  description  de  l'île,  du  «  décor  »  où  l'historien  situe  son 
héros  et  qu'il  a  fait  revivre  d'après  les  documents  iconographiques  et 
autres  qu'il  s'est  procurés,  citer  aussi  les  pages  consacrées  aux  der- 
niers Jours  de  Napoléon  et  au  testament  —  ce  testament  dont  l'exécu- 
tion fut  accompagnée  d'étranges  péripéties,  de  péripéties  que  M.  Mas- 
son rapportera  peut-être  un  jour  «  sans  aucune  complaisance,  quelque 
graves  que  soient  les  faits  qui  seront  ainsi  mis  au  jour.  » 

Ce  livre  se  tient  et  il  est  sincère,  véridique,  plein  de  détails  et  pour- 
tant clair,  bien  ordonné,  courant  au  but;  pas  d'emphase,  pas  de  di- 
gressions, parfois  de  l'émotion,  et  l'auteur  convient  que  plus  d'une 
fois  sa  plume  a  tremblé  dans  sa  main;  mais  il  s'efforce  de  ne  donner 
que  des  faits,  les  faits  que   les  pièces   imprimées  et   manuscrites  lui 

fournissent  '. 

A.  Chuquet. 

J.  SuNDWALL.  Nachtrâge  zur  Prosopographia  attica  (Extr.  des  Finska  Vetens- 
kaps-Societetens  Fôrhandlingar,  LU,  igog-igio).  Helsingfors,  libr.  académique, 
1910;  177  p. 

Il  y  a  près  de  dix  ans  que  la  Prosopographia  attica  de  Kirchner  est 
terminée,  et  dans  cet  intervalle  un  nombre  considérable  de  nouveaux 
noms  propres  athéniens  ont  été  connus.  Deux  articles  du  BCH  ont 
singulièrement  enrichi  ces  listes,  l'un  de  Colin,  la  Théorie  athé- 
nienne à  Delphes  (1906),  l'autre  de  Roussel,  les  Athéniens  mentionnés 
dans  les  inscriptions  de  Délos  (1908),  ce  dernier  contenant  un  cata- 
logue par  ordre  alphabétique.  A  son  tour,  M.  Sundwall  a  dressé  et 
publie  dans  le  présent  volume  une  liste  aussi  complète  que  possible 
de  tous  les  noms  propres  athéniens  qui  se  rencontrent  dans  les  ins- 
criptions publiées  depuis  le  travail  de  Kirchner,  et  même  dans  des 
inscriptions  inédites  qu'il  a  vues  au  musée  national  d'Athènes.  L'ou- 
vrage forme  ainsi  un  complément  à  la  Prosopographia  attica,  dont  les 
indications  sont  parfois  rectifiées,  et  ne  peut  manquer  d'être  bien 
accueilli  par  les  historiens  et  les  archéologues.  M.  S.  nous  informe 
que  cette  nouvelle  prosopographie  est  le  résultat  de  recherches  prépa- 
ratoires à  un  ouvrage  qu'il  projette  sur  le  nombre  des  enfants^et  l'âge 

I.  P.  S.  Il  se  pourrait  que  la  commission  provisoire  eût  nommé  Beker  parce 
qu'elle  croyait  qu'il  avait  été  disgracié  en  i8og.  —  P.  90,  Dillon  n^a  pas  «  sauvé  la 
France  de  l'invasion  ».  —  P.  g5,  il  est  certain  que  Napoléon  pensait  à  faire  de 
Flahaut  son  grand  maréchal,  parce  qu'  «  il  lui  fallait  un  homme  aimable  pour 
cela  i>.  —  P.  134,  lire  Yvan  et  non  Imn. 


JO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET      DE    LITTÉRATURE 

du  mariage,  ainsi  que  sur  le  choix  du  ncjm  et  sa  transmission  héré- 
ditaire dans  les  familles  chez  les  anciens  Athéniens.  On  peut  juger  de 
retendue  et  de  l'importance  de  sa  documentation  :  ces  Nachtrage 
comprennent  au-delà  de  25oo  noms. 

M  Y. 


—  La  Politik  und  Massenmoral  (Teubncr,  191  2,  vi-211  p.,  'i  M.  de  M.  Arthur 
CiiRisTKNSEN  vcut  absorbcT  et  prolonger  les  études  de  MM.  G.  Le  Bon  et  G.  Tarde 
.sur  la  p.svchologic  dos  foules  et  ébaucher  une  sorte  de  philosophie  de  la  poli- 
tique, C|ui  peut  fournir  eu  incine  temps  d'excellentes  contributions  à  la  psycho- 
logie sociale.  Le  passage  où  il  expose  le  modo  de  suggestionabilitc  et  la  mentalité 
des  masses  et  spécialement  de  la  masse  souveraine,  ainsi  la  psychologie  parlemen- 
taire, est  très  curieux  et  ne  manque  pas  de  piquante  actualité.  Il  étudie  encore 
successivement,  avec  beaucoup  de  bonne  humeur,  les  théories  politiques  idéales 
et  réalistes,  la  morale  d'Etat  et  l'opinion  publique,  le  sentiment  national,  la  pai.x 
universelle,  la  tyrannie  des  majorités,  la  corruption  parlementaire,  le  terrorisme 
électoral,  le  syndicalisme,  le  système  corporatif,  etc.  pour  finir  par  un  essai  de 
morale  sociale.  Il  a  l'air  d'être  très  au  courant  des  vicissitudes  de  notre  politique 
intérieure  et  lui  emprunte  quantité  d'exemples  qui  animent  et  même  égayent 
singulièrement  son  récit;  c'est  ainsi  qu'une  série  de  pages  (149-155)  s'occupe  de 
M.  Raymond  Poincaré,  d'autres  discutent  et  apprécient  les  avis  de  nos  principaux 
journaux,  de  M.  M.  Paul  et  Anatole  Leroy-Beaulieu,  Marcel  Prévost,  voire  de  Vol- 
taire, Rivarol  et  La  Rochefoucaud.  Bref,  l'auteur  est  un  homme  averti,  qui  ne  se 
paye  pas  de  mots,  n'a  pas  d'illusions  sur  la  nature  humaine,  connait  toutes  les 
misères  de  la  situation  politique  et  sociale  actuelle  et  sait  conserver  tout  de  même 
et  communiquer  sa  foi  en  un  progrès  relatif  et  son  honnêteté  native.  —  Th.  Scii. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  21  juin  igi2.  — 
M.  Théodore  Reinach  communique,  au  nom  de  M.  Arthur  Hunt,  !a  moitié  d'un 
drame  satyrique  de  Sophocle,  les  Dépisteurs  [icliueiitai),  retrouvée  récemment  dans 
un  papyrus  d'Oxyrhynchus  Egypte).  Le  sujet  est  tiré  du  mythe  de  l'enfanee 
d'Hermès  :  le  vol  des  vaches  d'Apollon  et  l'invention  de  la  lyre  en  fournissent  les 
principaux  épisodes.  A  côté  des  deux  divinités,  on  voit  apparaître  la  nymphe  Kyl- 
léné,  nourrice  d'Hermès,  les  Satyres,  qui  forment  le  chœur,  lancés  à  la  poursuite 
du  voleur  divin,  enfin  leur  père,  le  vieux  Silène.  Les  400  vers  conservés  offrent, 
en  même  temps  que  bien  des  énigmes,  des  beautés  de  premier  ordre  ;  par 
exemple  les  scènes  comiques  où  s'ébattent  les  Satyres  «  limiers  »,  puis  leur  dia- 
logue, en  vers  alternés,  avec  la  nymphe,  où  la  lyre  est  décrite  sous  la  forme  d'une 
devinette  dont  s'est  inspiré  Euripide.  Le  texte  complet  doit  paraître  prochaine- 
ment à  Oxford.  —  M.  Pottier  présente  quelques  observations. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur-gêranx  ;  Ulysse  Rouchon. 


LE  PUy-EN-VELAY.  —  IMPRIMERIE  PEYRILLER,  ROUCHON  ET  GAMON. 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N'  28  —  13  juillet.  —  1912 

. , , 

Bl'ck,  Les  dialectes  grecs.  —  Markowski,  Libanius  et  l'apologie  de  Socrate.  — 
Lawson,  Folklore  moderne  et  religion  ancienne  en  Grèce.  —  Cœdès,  Textes 
grecs  et  latins  sur  l'Extrême-Orient.  —  Chevreux  et  Vernier,  Les  archives  de 
Normandie  et  de  la  Seine-Inférieure.  —  Garin,  Histoire  de  Chevron,  II.  — Root, 
La  Pensylvanie  et  l'Angleterre.  —  Coulomb,  Les  Borders  sous  Elisabeth.  — 
G.-L.  PouTHAS,  L'instruction  publique  à  Caen  pendant  la  Révolution,  I.  — 
Madelin,  La  Révolution.  —  C.  Reinecke,  Les  nouvelles  de  Halm. —  Frommel,  Le 
sentiment  religieux  dans  la  lyrique  moderne.  —  Schilllng,  Sources  de  l'histoire 
moderne.  —  Fiedler,  Anthologie  allemande.  —  Stein,  Le  Palais  de  justice  et 
la  Sainte-Chapelle.  —  Hauvette,  Le  Sodoma.  —  Soulier,  Le  Tintoret.  —  Rev- 
.MOND,  Brunelleschi.  —  Bréhier,  L'Auvergne.  —  Commaille,  Angkor.  —  Dufourcq, 
Le  christianisme  et  l'organisation  féodale,  3"  éd.  —  Cristiani,  Du  luthéranisme 
au  protestantisme.  —  Leur,  La  réforme  et  les  Eglises  réformées  en  Eure-et-Loir. 
—  Académie  des  inscriptions. 


C.  D.  BucK.  Introduction  to  tbe  study  of  the  Greek  dialects.  Grammar,  selec- 
ted  inscriptions,  glossary.  Boston,  New  York,  Chicago,  London,  Ginn  and  Com- 
pany, igio;xvi-32o  p. 

L'ouvrage  de  M.  Buck  est  divisé  en  deux  parties,  après  une  intro- 
duction où  les  dialectes  grecs   sont   brièvement  classés  d'abord   en 
groupes  principaux,  puis  en  subdivisions.  La  première  partie,  Gram- 
maire des  dialectes,  étudie  successivement  les  phénomènes  dialectaux 
qui  nous  sont  connus  par  les  monuments  épigraphiques  ;  il  va  de  soi 
que  les  textes  littéraires  ne  sont  pas  laissés  de  côté.  Ici  chaque  dia- 
lecte n'est  pas  considéré  à  part;  les  faits  sont  groupés  suivant  leur 
nature  grammaticale,  selon  qu'ils  rentrent  dans  l'ordre  de  la  phoné- 
tique, de  la  flexion,  de  la  composition  et  de  la  dérivation,  de  la  syn- 
taxe, ce  qui  permet  de  suivre,  dans  l'ensemble  des  dialectes,  les  modi- 
fications d'un  même  son  et  d'une  même  forme,  ainsi  que  les  différen- 
ces syntaxiques.  M.  B.  a  complété  d'heureuse  manière  cette  première 
partie,  en  reprenant  à  part  chaque  groupe  et  chaque  dialecte,  pour  en 
résumer  les  traits  caractéristiques;  c'est,  pour  ainsi  dire,  la  synthèse 
après  l'analyse.  L'ouvrage  se  terminerait  ici  qu'il  serait  déjà  très  utile; 
mais  M.  B.  ne  s'est  pas  arrêté  à  la  théorie,  et  il  a  ajouté  une  seconde 
partie,  Choix  d'inscriptions,  partie  pratique  contenant   i  i3  numéros, 
où  chaque  dialecte  est  représenté  par  quelques-uns  de  ses  textes  les 
plus  importants  ;  ils  sont  accompagnés  de  notes  explicative^,  et  sui- 
vis  d'un  glossaire,    ce   qu'ont    négligé,   en    général,    les    auteurs   de 

Nouvelle  série   LXXIV  28 


22  RKVCK    CRITIQUE 

recueils  analogues  ;  un  glossaire  est  en  cffci  indispensable.  Pour  cha- 
cune des  inscriptions,  M.  B.  indique  le  lieu  d'origine,  la  date,  et  les 
ouvrages,  grandes  collections  et  recueils  spéciaux,  où  elles  sont 
publiées;  mais  il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  mentionner  leur  première 
publication  ;  c'est  une  lacune  que  l'on  regrettera,  car  il  est  souvent 
bon,  et  quelquefois  nécessaire,  pour  l'étude  d'un  texte  épigraphique, 
de  se  reporter  à  sa  première  édition,  qui  est  généralement  accompa- 
gnées de  notes  et  de  commentaires  utiles  à  consulter.  Enfin  des 
tableaux  synoptiques  permettent  de  saisir  rapidement  la  distribution 
des  phénomènes  dialectaux  les  plus  importants,  ainsi  que  les  rela- 
tions des  dialectes  entre  eux,  et  une  carte  en  couleurs  en  représente 
la  répartition  géographique  '.  Après  ce  qui  vient  d'éire  dit,  il  n'est 
pas  besoin  de  longues  phrases  pour  apprécier  l'ouvrage  de  M.  Buck  ; 
il  est  simple,  bien  disposé,  sans  développements  superflus,  et  d'une 
doctrine  sûre  et  correcte;  c'est  un  livre  qui  devrait  être  entre  les 
mains  de  tous  les  étudiants  en  langues  classiques.  .le  crains  toutefois 
que  son  prix  relativement  élevé  (i5  fr.  60)  ne  le  rende  peu  accessible  à 
leur  bourse,  souvent  légère. 

Mv. 


Markowski,  De   Libanio    Socratis  defensore.  Breslau,  M.  et  H.    Marcus,  1910, 
VIII- 196  p.  (lÎTCsl.  philol.  Abhandl.,  fasc.  40). 

11  s'agit  principalement,  dans  cette  dissertation,  des  sources  aux- 
quelles a  puisé  LJbanius  pour  composer  son  Apologie  de  Socrate. 
Le  travail  est  consciencieux,  et  on  ne  peut  que  louer  M.  Markowski 
du  soin  qu'il  a  apporté  dans  son  analyse.  Il  a  voulu  d'abord  reconsti- 
tuer l'accusation,  et  rechercher  si  Libanius  s'était  servi,  pour  la  réfuter, 
des  Mémorables  de  Xénophon,  ou  de  V Apologie  de  Platon,  ou  encore 
du  discours  composé  par  Lysias  en  réponse  au  libelle  de  Polycrate. 
Or  c'est  précisément  l'accusation  de  Polycrate  que  Libanius  s'est 
attaché  à  combattre,  et  c'est  aux  griefs  articulés  dans  ce  discours  que 
répond  le  défenseur  de  Socrate  qu'il  met  en  scène.  La  démonstration 
est  probante;  et  bien  que  l'opinion  soutenue  par  M.  M.  ne  soit  pas 
nouvelle  (cf.  Foerster,  Libanii  opéra,  V,  p.  i  svv.),  il  n'était  pas  inutile 
qu'elle  fût  confirmée  par  de  sérieuses  raisons.  A  la  fin  de  cette  partie, 
M.  M.  relève  un  certain  nombre  de  passages  de  Platon,  dans  le 
Gorgias,  le  Méuon,  le  Banquet,  où  l'on  peut  voir  des  allusions  à 
l'accusation  de  Polycrate.  M.  M.  n'en  est  pas  resté  là;  il  a  voulu 
savoir  encore  où  Libanius  avait  pris  les  détails  qu'il  donne  sur 
Socrate  et  ses  contemporains,  sur  la  mythologie  et  l'histoire  d'Athènes, 
ainsi  que  les  passages  moraux  et  philosophiques  qui  se  trouvent  çà  et 
là  dans  sa  déclamation  ;  il  établit  donc  une  longue  série  de  parallèles 

I.    M.  Buck,  qui  donne  les   références  à  la  seconde  édition  du  recueil  de  Solm- 
sen,  a  néglige  de  noter  que  son  inscription  n°  38  s'y  trouve  sous  le  n»  11. 


d'histoire  et  de  littérature  23 

instruciit's  entre  Libanius  et  les  écrivains  antérieurs,  d'où  il  conclut 
que  Libanius  doit  ses  renseignements,  suivant  les  cas,  h  l'un  ou  à 
l'autre  de  ces  auteurs.  Il  ne  faudrait  pas  toutefois  conclure  trop  hâti- 
vement à  l'imitation  directe  ;  si  elle  est  évidente  en  certains  passages, 
dans  d'autres,  au  contraire,  rien  n'empêche  de  penser  que  Libanius 
suit  des  traditions  littéraires  ci  historiques  familières  à  tous  les  érudits 
de  son  temps,  et  qu'il  n'a  donc  pas  empruntées  à  un  auteuj-  déter- 
miné ;  je  dois  dire  que  M.  M.  en  fait  quelquefois  lui-môme  l'observa- 
tion. Ici  en  réalité,  la  dissertation  est  terminée,  et  ce  qui  suit  a  plutôt 
le  caractère  de  notes  :  i)  énumération  des  passages  de  V Apologie  où 
se  rencontrent  des  expressions  de  Platon,  de  Démosthène,  d'Isocrate, 
de  Thucvdide,  de  Xénophon  ;  2)  citations  de  l'Apologie  et  des  traités 
de  technique  oratoire,  pour  montrer  que  Libanius  s'est  conformé  aux 
principes  de  la  rhétorique;  3)  date  de  la  déclamation  (362)  ;  4)  dessein 
de  Libanius  en  composant  l'ouvrage;  ce  fut,  dit  M.  M.,  pour  appuyer 
Julien  dans  sa  lutte  contre  le  christianisme;  hypothèse  qui  n'est  pas 
démontrée  ;  5)  quelques  citations  de  V Apologie  où  l'on  peut  découvrir 
de  vagues  allusions  à  la  vie  et  aux  opinions  du  rhéteur.  Les  dernières 
pages  (172-178),  relatives  à  la  déclamation  connue  sous  le  titre  De 
Socratis  silentio,  ne  sont  autre  chose  qu'un  commentaire  de  cette 
note  de  Foerster  [Libb.  opp.,  V,  p.  i23j  :  «  Quamquam  in  dictione 
imprimisque  verborum  coUocatione  nonnulla  sunt  insolita  quœ  dubi- 
tationes  de  authentia  declamationis  moveant,  tamen  eam  a  Libanio 
praesertim  adulescente  scribi  potuisse  negare  nolo.  » 

My. 

John  Cuthberg  Lawson.  Modem  greek  folklore  and  ancient  greek  religion. 

A  study  in  survivais.  Cambridge,  University  Press,  19 10;  X11-G20  p. 

On  a  tenté  souvent  de  rattacher  les  croyances  et  les  superstitions 
des  populations  grecques  modernes  aux  rites  et  aux  usages  religieux 
de  la  Grèce  ancienne,  et  M.  Lawson  n'est  pas  le  premier  qui  ait  cher- 
ché dans  le  folklore  moderne  des  survivances  d'antiques  traditions.  Il 
le  fait  cependant,  dans  le  présent  volume,  d'une  façon  plus  complète; 
il  ne  se  borne  pas,  en  effet,  à  constater  des  analogies  ;  il  suit  pas  à  pas 
l'évolution  d'une  même  croyance,  en  étudie  les  transformations  à  tra- 
vers les  siècles,  et  s'efforce  d'en  distraire  les  éléments  étrangers  dus 
au  contact  avec  d'autres  races,  de  telle  sorte  qu'il  ne  reste  plus  qu'une 
chaîne  ininterrompue  d'anneaux  essentiellement  grecs;  d'où  s'impose 
la  conclusion,  à  ses  yeux,  que  telle  ou  telle  tradition,  dont  l'existence 
est  nettement  attestée  dans  la  Grèce  d'aujourd'hui,  doit  être  considé- 
rée comme  un  vestige,  plus  ou  moins  populairement  déformé,  d'une 
tradition  antique.  Et  s'il  en  est  ainsi,  comme  M.  L.  essaie  de  le 
démontrer,  les  croyances  populaires  des  diverses  régions  de  la  Grèce, 
conséquences  d'un  atavisme  certain,  héritage  transmis  à  travers  une 
longue  suite  de  générations,  ne   peuvent  manquer  de  jeter  quelque 


24  RICVUIC    CKIllQUK 

luniicre,  au-delà  mcnic  des  textes  que  nous  possédons,  sur  les  con- 
ceptions   religieuses    des   temps  anciens,   car    elles  en    sont  la  suite 
nécessaire  et   le  prolongement  indéniable.   M.    L.  a  fait  son  enquête 
avec  la  plus  entière    bonne   toi,    suivant    le  plus   rigoureux   objccti- 
visnic  ;  il  a  voyagé  dans  la  plus  grande  partie  de  la  Grèce  continen- 
tale et  insulaire,  notant  les  coutumes,  recueillant  les  légendes,  écou- 
tant, et  provoquant  au  besoin,  les  récits  des  paysans;  et  pour  que  sa 
documentation   fût   plus  riche,   il   a  eu   soin  de  ne   négliger  aucune 
source  écrite,  depuis  les  auteurs  anciens  jusqu'aux  chercheurs  con- 
temporains qui,  comme  B.  Schmidt  et  Poliiis,  Vallindas  et  Th.  Bent, 
ont  étudié  la  vie  du  peuple  grec,  jusqu'aux  recueils  de  chants  popu- 
laires, Fauriel  et  Passovv  ;  il  a  utilisé  les  témoignages  d'écrivains  du 
moyen  âge  comme  Pscllus  et  Léon  Allatius;  il  a  compulsé  les  rela- 
tions des  voyageurs,  et  les  monuments  figurés  eux-mêmes  ne  sont  pas 
restés  en  dehors  de  ses  investigations.  Servi  par  cette  vaste  érudition, 
M.  L.  a  composé  un  ouvrage  du  plus  haut  intérêt.  Après  une  intro- 
duction  dans   laquelle  il    insiste  sur  la  valeur   spéciale  du   folklore 
moderne  pour  l'étude  des  idées  religieuses  anciennes,  et  où  il  passe 
rapidement  en  revue  les  traits  qui  lui  paraissent  être  des  survivances 
des  traditions  helléniques  et  païennes,  il  consacre  un  long  chapitre  à 
rechercher,  dans  les  usages  et  dans  les  superstitions  des  paysans,  ce 
qui  se  rattache  à  la   religion  antique,  et  comment  plusieurs  dieux  de 
l'Olympe,  de  même  que  certains   êtres   mythologiques,  Charon,  les 
nvmphes,  les  lamies,   les  gorgones,   les  centaures  et  en  général   les 
divinités  inférieures  qui  peuplaient  les  montagnes,  les  forêts  et  les 
fleuves,  se  sont  transformés,  par  une  lente  évolution  qui  n'est  pas 
sortie  du  sol  grec,  en  différentes  espèces  de  génies,  d'esprits,  de  lutins 
et  de  farfadets,  bienfaisants  ou  malfaisants,  désirés  ou  redoutés,  ayant 
leurs  noms  et  leurs  attributions  propres,  et  dans  lesquels  l'observa- 
teur peut  retrouver  assez  facilement  leurs   prototypes   anciens.   On 
notera  tout  particulièrement  dans  ce  chapitre  la  discussion  de  M.  L. 
sur  le  nom  et  la  nature  des  Kallikant:{ari,  dans  lesquels  il  reconnaît 
les  descendants  des  Centaures.  Jusqu'ici,  tout  en  reconnaissant  Tin- 
lérêt   qui     s'attache    à    cette    première    moitié    du    volume,    où   l'on 
trouvera  de  nombreuses  traditions  populaires  recueillies  par  M.  L. 
lui-même,    le   lecteur    familiarisé   avec    les    choses  grecques  pourra 
remarquer   que   M.    L.    n'est    sorti   qu'en    de    rares    occasions    d'un 
domaine  déjà  exploré  par  d'autres  ;  aussi  bien  ne  sont-ce  là,   pour 
ainsi  dire,  que  les  approches  d'un  sujet  plus  grave.  M.  L.  va  mainte- 
nant s'élever  à  des  considérations  plus  hautes,  en  recherchant  dans 
les  coutumes  et  les  croyances  du  peuple  grec  comment  l'homme  et  la 
divinité   entrent    en    relations    par  le   moyen    de   la    divination,   des 
songes,  des  présages,  des  oracles  et  des  sacrifices;  en  analysant  les 
superstitions  relatives  à  l'état  de  l'àme  et  du  corps  après  la  cessation 
de  la  vie  terrestre,  dans  un  remarquable  chapitre  sur  les  vrykolakes, 


OHISTOllU      KT    DK     LITIKKAÏURE  25 

vampires  ei  revcnanis  ;  en  étudiant  les  divers  modes  d'obtenir  la  dis- 
solution du  corps,  la  crémation  et  l'inhumation,  et  le  résultat  de  cette 
dissolution,  représentée  non  comme  une  séparation  complète  et  déti- 
niiive  du  corps  cl  de  l'àmc,  mais  au  contraire  comme  le  seul   moyen 
ellicace  d'amener  leur   nouvelle  réunion  dans   un  autre    monde  ;   en 
s'ert'oroant   enlin,   dans   un  dernier  chapitre  qui    n'est   pas   le   moins 
curieux  de  l'ouvrage,  de  ninnircr  que  la   mort,  aussi  bien  d'après  la 
littérature  ancienne  que  d'après  les  chants  populaires  médiévaux  et 
modernes,  a  été  conçue  par  la  race  hellénique  comme  une  sorte  de 
mariage  avec  le  divin;  que  les  rites  du   mariage  et  les  rites  des  funé- 
railles ont  de   tout   temps  affirmé  une  analogie  entre  la   mort  et  le 
mariage;  et  que  la  plupart  des  légendes  relatives  aux   mystères  ren- 
ferment un  motif  commun,  l'idée  que  la  mort  est  pour  l'homme  l'en- 
trée dans  un  état  bienheureux  d'union  ctïective  avec  ses  divinités.  Je 
n'ai  pu  que  signaler  brièvement  le  développement  général   de  l'ou- 
vrage de  M.  L.;   à  chaque   instant  apparaît  l'idée    qui  l'a  inspiré,   à 
savoir  que  les  usages,  les  croyances,  les  superstitions  populaires  de 
la  Grèce  moderne  se   rattachent  plus  ou  moins  visiblement  à  d'an- 
tiques traditions  ;  remontant  même  à  la  préhistoire,  et  que  la  religion 
des  anciens  Hellènes  a  laissé  de  nombreuses  traces,  malgré  d'inévi- 
tables modifications  dues  surtout  au  christianisme,  dans  l'esprit  de 
leurs  descendants.  Je  ne  dirai  pas  que  l'on  sera  toujours  d'accord  avec 
M.  !..;  les  rapprochements  qu'il  fait  entre  les  usages  anciens   et  les 
coutumes  modernes  sont  parfois  forcés  et  reposent  sur  une  interpré- 
tation   des   textes   qui    n'est   pas   toujours   satisfaisante  ;    nombre   de 
superstitions  populaires,  qui  appartiennent  au   patrimoine  commun 
de  l'humanité,  sont  peut-être  trop  facilement  présentées  comme  des 
survivances  du  vieux  fond  hellénique;  les  derniers  chapitres,  malgré 
leur  grande  portée  philosophique  et  religieuse,  font  une  laige  part  à 
l'interprétation  hypothétique,  et  l'on  y  sent  que  l'auteur  est  dominé 
par  son  système  plutôt  qu'il  ne  le  domine  lui-même.  Mais  ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  de  discuter;  l'ouvrage  est  extrêmement  suggestif;  tout 
y  est  d'une  lecture  attachante,  et  ceux  même  qui  connaissent  peu  le 
peuple  grec  y  trouveront  à  la  fois  plaisir  et  profit;  à  plus  forte  raison 
ceux  qui  ont  parcouru  la  Grèce,  qui  ont  vécu  au  milieu  du  peuple  des 
campagnes,  et  qui  ont  pu  constater  par  eux-mêmes  ce  que  M.  Lawson 
a  si  bien  observé. 

Mv. 


Textes  d'auteurs  grecs  et  latins  relatifs  à  l'Extrême-Orient  depuis  le  iv  siècle 
a\  ant  .l.-C.  jusqu'au  xiV  siècle,  recueillis  par  G.  Cœdès.  Paris,  Leroux,  1910; 
XXXII- icSy  p. 

Ce  volume  est  le  premier  d'une  collection  intitulée  Documents  his- 
toriques et  géographiques  relatifs  à  V Indochine  publiés  sous  la  direc- 
tion de  MM.  H.  Cordier  et   L.  Finot.  Il  contient  les  textes  grecs  et 


20  REVUE    CRITIQl  K 

latins,  anciens  et  médiévaux,  qui  concernent  l'orient  transgangétiquc 
et  particulièrement  le  pays  des  Sères,  où  l'on  s'accorde  aujourd'hui  à 
voir  la  Chine  ou  tout  au  moins  les  régions  voisines.  On  approuvera 
sans  doute  M.  Cœdès  de  les  avoir  réunis;  les  orientalistes  lui  en 
sauront  gré.  Ce  n'est  pas  qu'ils  soient  tous  d'un  grand  intérêt;  il  en 
est  au  contraire  beaucoup  qui  n'ont  aucune  valeur  historique  ou  géo- 
graphique, tels  les  passages  des  poètes  latins  où  le  nom  des  Sères  est 
seulement  prononcé.  Quelques-uns  cependant  fournissent  des  ren- 
seignements j>lus  précis,  et  ce  sont  eux  qui  nous  éclairent,  quoique 
d'une  façon  le  plus  souvent  assez  vague,  sur  les  premières  relations 
entre  l'occident  et  des  nations  jusqu'alors  inconnues  ou  réputées  fabu- 
leuses; par  exemple  les  extraits  de  Pline,  de  Ptolémée,  d'Ammien 
Marcellin,  de  Procope,  de  Cosmas  et  de  Théophylacte.  M.  C.  a 
disposé  ces  textes  par  ordre  chronologique,  et  bien  que  bon  nombre 
de  ces  auteurs  ne  fassent  que  répéter  sans  contrôle  ce  qu'ils  ont  lu 
dans  leurs  prédécesseurs,  on  peut  voir  ainsi  comment  les  connais- 
sances sur  ces  pays  lointains,  leur  situation  géographique  et  leurs 
habitants,  se  sont  développées  et  coordonnées  jusqu'à  atteindre  un 
certain  degré  de  précision.  Du  reste,  M.  C.  a  épargné  à  ses  lecteurs 
la  peine  d'extraire  de  ces  documents  ce  qu'ils  renferment  d'intéressant; 
il  a  fait  lui-même  ce  travail,  et  dans  une  introduction  instructive  il 
résume  les  renseignements  fournis,  en  signalant  les  notions  nouvelles 
ajoutées  successivement  par  chaque  texte  aux  faits  antérieurement 
connus.  Ces  morceaux  sont  traduits  en  français;  mais  je  dois  dire  que 
M. Cœdès  ne  semble  pas  s'être  piqué  d'une  rigoureuse  exactitude;  il  eût 
mieux  fait,  à  mon  avis,  de  reproduire  le  texte  seul  de  certains  mor- 
ceaux, car  il  est  impossible,  même  à  la  critique  la  plus  bienveillante, 
de  ne  pas  relever  des  erreurs  comme  celles  qu'on  lira  en  note  '. 

My. 

Les  Archives  de  Normandie  et  de  la  Seine-Inférieure.  Etat  général  des  fonds. 
Recueil  de  t'ac-siinilés  d'écritures  du  xi'^  au  xviii"  siècle  accompagnés  de  trans- 
criptions, par  Paul  Chevreux,...  Jules  Vernier,...  Rouen,  imp.  Lecerf  fils,  igti. 
ln-4°,  de  xvi-48  pages  et  de  60  planches  avec  transcriptions  et  table  non  pagi- 
nées. 

A  l'occasion  des  fêtes  du  Millénaire  normand,  M.  Paul  Chevreux, 

I.  P.  160  TaûxT|V  5î  Xpurry  (il  s'agit  de  l'ile  de  Chrysé)  /sotôvt.tov  q  nTo)vîij.aT6; 
<sTi<y.  «  Ptolémée  parle  de  cette  Chersonèse  d'or.  »  P.  i5i  Beselehel  docta  quœ 
(vêla)  neverat  arte  peritus  «  que  la  docte  B.,  habile  en  cet  art,  avait  tisses.  »  On 
notera  surtout  la  traduction  d'un  passage  d'Héliodore,  p.  114:  Ta  -r:ç/0-:cTay;j.iva 
TOÔ;  TO'j  'l'oia-o'j  è'-repaTTOv  xal  to-j»;  Î^T.oa;  wT-sp  -rpoxiôX'j]xa  stvai  y.al  Trpoajziî^î'.v  twv 
iXîfâvTiov  y.axaTv'.'SùvTî;. . .  M.  C.  néglige  la  phrase  qui  précède,  szîî...  ot  BAsixausî 
xi-cifiaBov,  prend  Hydaspe,  le  roi  des  Ethiopiens,  pour  un  fleuve,  et  traduit  «  tous 
ceux  qui  avaient  été  rangés  du  côté  de  l'Hydaspe  tirent  en  sorte  de  servir  de  rem- 
part et  de  bouclier  aux  Sères  qui  avaient  abandonné  leurs  éléphants  ».  —  L'erratum 
corrige  seulement  une  quinzaine  de  fautes,  ce  qui  n'est  qu'une  bien  faible  partie 
des  corrections  à  faire,  surtout  dans  les  textes  grecs. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  2/ 

ancien  archiviste  de  la  Seine-1  nterieure,  actuellement  inspecteur  géné- 
ral des  Bibliothèques  et  Archives,  et  M.  Jules  Vernier,  son  succes- 
seur aux  Archives  de  la  Seine-Interieure,  ont  pris  Theureuse  initiative 
de  mettre  en  lumière  le  dépôt  qui  avait  été  et  reste  confié  à  leurs 
soins.  Après  une  courte  introduction  k  sur  l'origine  et  le  développe- 
ment des  Archives  départementales  »,  ils  ont  imprimé  <>  l'état  géné- 
ral de  tous  les  fonds  qui  les  composent  »,  avec  «  la  table  des  réper- 
toires et  inventaires  imprimés  ou  manuscrits  >).  Inutile  d'insis- 
icr  sur  l'intérêt  déjà  bien  connu  et  fort  apprécié  de  ces  pagesi  Mais 
ce  qui  rend  le  volume  particulièrement  précieux,  ce  sont  les  repro- 
ductions, en  planches  phototypiques,  de  60  documents  originaux  ou 
pages  de  documents,  qui  constituent  la  gloire  de  leurs  Archives.  Ce 
sont  naturellement  les  chartes  les  plus  anciennes  qu'ils  ont  eu  d'abord 
la  pensée  de  présenter  ainsi  :  37  de  leurs  planches  sont  consacrées  aux 
pièces  antérieures  au  xiii'^  siècle,  9  à  celles  du  xiii'=,  2  seulement  à 
celles  du  xiv*',  etc.  Les  deux  dernières  montrent  la  fin  (avec  les  signa- 
tures) du  procès-verbal  sur  les  limites,  divisions  et  subdivisions  du 
département  de  la  Seine-Inférieure,  rédigé  le  i^''  mai  1790;  puis  les 
signatures  des  membres  du  Conseil  général  du  département  qui  ont 
assisté  à  la  séance  du  14  décembre  1791.  Mais  nous  avions  la  bonne 
fortune  de  lire  sur  les  planches  précédentes  une  longue  lettre  de 
Pierre  Corneille  à  Jacques  Goujon  du  i'""  juillet  1641,  une  procura- 
tion donnée  et  signée,  le  3  novembre  1643,  par  les  comédiens  et  comé 
diennes  de  TlUustre  Théâtre  (Molière,  Madeleine,  Geneviève,  Cathe- 
rine et  Joseph  Béjart,  etc.),  enfin  le  début  d'un  compte  présenté  par 
Pierre  Corneille  en  qualité  de  trésorier  de  la  fabrique  de  Saint-Sau- 
veur de  Rouen  pour  l'année  it)5i-i652.  Je  signalerai  encore  parmi 
les  documents  postérieurs  au  moyen  âge  le  testament  du  cardinal 
Georges  d'Amboise  (3i  octobre  1509),  et  la  première  page  illustrée 
de  miniature  du  Chartrier  écrit  au  xvi"  siècle  pour  l'église  Saint-Ma- 
clou  de  Rouen.  Que  dire  maintenant  des  chartes  plus  anciennes,  si 
ce  n'est  qu'elles  ont  toutes  la  plus  grande  importance  au  point  de  vue 
historique  et  qu'elles  oftVent  une  variété  non  moins  précieuse,  depuis 
les  donations  du  comte  Richard  aux  abbayes  de  Saint-Ouen  et  de 
Saint-Wandrille,  depuis  le  diplôme  du  roi  Robert  II  en  faveur  de 
Jumièges  (1027),  jusqu'aux  pièces  émanées  de  la  chancellerie  de 
saint  Louis?  Une  part  relativement  forte  a  été  faite  aux  diplômes 
d'Henri  II  d'Angleterre,  dont  le  regretté  M.  L.  Delisle  avait  entrepris 
la  publication. 

Un  pareil  recueil  offre  d'autre  part  de  très  beaux  spécimens  d'écri- 
ture pour  la  région  normande  depuis  le  début  du  xi^  siècle.  A  plus 
d'un  titre  par  conséquent,  il  mérite  d'être  signalé  à  l'attention  des 
érudits. 

L.-H.   Labande. 


28  REVLli    CRIIIQUE 

Joseph  CiARiN.  En  Savoie.  Une  paroisse  et  une  communauté  rurales  avant  la 

Révolution.     Histoire    Je    <;iic\i<iii,    lomc    II...     l';iri>,    il.     (".haiiipidii,     ii)i2. 
lu-  it)  de  \-bbf)  pa^cs. 

M.  Joseph  Gariii  nous  prcscnic  lmi  un  cpais  volume  la  suiic  de 
rHistoire  de  Chevron,  doni  nous  avons  eu  Toccasion  de  signaler  le 
commencement.  Ce  lomc  11  esi  consacré  à  la  paroisse  et  à  la  com- 
mune. L'auteur  remonte  bien  pour  son  récit  aux  époques  les  plus 
lointaines  du  moyen  âge,  mais  ce  n'est  vraiment  qu'à  partir  du 
xvn«  siècle  qu'il  possède  une  suite  copieuse  de  documents.  Pour  la 
période  antérieure,  il  procède  plutôt  par  induction  et  comparaison  ; 
il  a  par  conséquent  recours  à  des  hypothèses  qui  ne  sont  peut-être 
pas  toutes  très  solides,  principalement  quand  il  recourt  à  des  autorités 
comme  Beaumanoir,  qui  sont  bien  lointaines  pour  la  Savoie. 

H  s'est  attaché  avec  raison  à  reconstituer  le  milieu  social  dans 
lequel  ont  évolué  les  habitants  de  Gemilly  et  de  Mercury  avant  la 
Révolution;  comme  il  a  écrit  plus  pour  les  gens  du  pays  que  pour  les 
érudits,  il  n'a  pas  craint  de  s'arrêter  à  des  détails  d'institutions,  dont 
il  emprunte  le  résumé  à  des  ouvrages  d'intérêt  général.  Je  citerai 
dans  cet  ordre  d'idées  le  chapitre  du  régime  féodal  du  xi''  au 
xiv*"  siècle,  où  se  trouvent  donnés  des  renseignements  sur  la  condi- 
tion des  terres  et  des  personnes,  les  redevances  et  obligations  féo- 
dales, le  gouvernement  seigneurial  et  la  vie  des  paysans.  Pour  ce  cha- 
pitre, les  archives  locales  ne  fournissaient  que  de  rares  docunients. 

La  partie  relative  à  la  paroisse  paraîtra  peut-être  un  peu  longue, 
mais  on  ne  se  plaindra  pas  d'y  trouver  plus  de  40  pages  sur  l'in- 
struction publique  et'  les  écoles  du  pavs,  principalement  depuis  le 
xv!""  siècle.  Dans  la  seconde  partie  qui  concerne  la  communauté  des 
habitants,  on  notera  d'une  façon  spéciale  les  chapitres  sur  rétablisse- 
ment du  cadastre  au  xww^  siècle,  les  affranchissements  de  serfs  opé- 
rés à  la  veille  de  la  Révolution,  la  vie  de  famille  et  la  situation  éco- 
nomique des  habitants.  Ce  sont  là  des  sujets  du  plus  haut  intérêt  et 
il  faut  féliciter  M.  Joseph  Garin  de  les  avoir  abordés.  Si  de  pareilles 
études  pouvaient  être  multipliées  sur  différents  villages  de  chacune  de 
nos  anciennes  provinces  françaises,  on  en  serait  fortement  aidé  pour 
la  connaissance  intime  du  passé. 

Dans  ce  deuxième  volume,  il  n'est  rien  dit  de  l'assistance  aux 
pauvres,  de  l'organisation  des  secours  aux  malades  et  infirmes.  Est- 
ce  quïl  n'était  pas  possible  de  trouver  quelques  documents  à  cet 
égard?  Est-ce  que  les  registres  de  délibérations  municipales  ne  four- 
nissent pas  d'indications?  D'habitude,  dans  le  Sud-Est  de  la  France, 
les  communautés  s'occupaient  de  leurs  pauvres,  elles  payaient  un 
médecin  et  un  chirurgien.  En  était-il  de  même  en  Savoie? 

L.-H.  Labande. 


D  HlSTOIRi:    KT    DE    LITTKRATURK  29 

The  Relations  of  Pennsylvania  with  the  British  Government,  1 696-1  jG.t,  by 

W'infVcJ  TexlL-r    Rour,  l' iii\  LTsii  y   ot'  l'emisylvaiiia,   i()i2.   in-12,  iv   01422    p. 
The  Administration  of  the  English  Borders  during  the  reign  of  Elizabeth, 

by  (Charles  .\.  Coulomb,  U  11  i vc rsity  of  Pennsylvania,  k)  i  1,  in-i  2,  i  36  p.,  7  f""-  5o. 

En  exposant  les  relations  de  l'Angleterre  et  de  la  Pensylvannie  de 
1696  à  1765,  M.  Root  a  fait  ressortir  les  causes  éloii^nées  de  l'insurrec- 
tion américaine.  Sans  doute  l'histoire  de  la  I"'cnsylvanie  présente  cer- 
tains caractères  propres  qu'elle  tient  de  William  Penn  et  des  quakers, 
mais  à  cela  près  elle  offre  la  plus  grande  analogie  avec  celle  des  autres 
colonies  :  ce  n'est  qu'une  longue  querelle  entre  la  métropole,  qui  pré- 
tend exploiter  les  établissements  lointains  dans  son  seul  intérêt,  et  les 
colonies  qui  luttent  contre  ses  prétentions  égoïstes,  et  qui  se  refusent 
d'autre  part  à  assumer  une  part  équitable  dans  les  charges  d'intérêt 
général.  M.  R.  commence  son  étude  non  à  la  concession  de  la  charte 
accordée  à  William  Penn  en  1681,  mais  au  premier  essai  de  réforme 
colonial  tenté  pour  augmenter  l'autorité  du  gouvernement  central. 
L'année  1696  fut  marquée  par  la  création  du  Board  of  Trade,  qui, 
sans  avoir  tous  les  pouvoirs  d'un  véritable  ministère,  resta  chargé  des 
affaires  coloniales  pendant  presque  tout  le  xviu^  siècle.  Sa  principale 
mission  fut  d'assurer  à  la  métropole  le  monopole  du  commerce  dans 
les  établissements  d'outre  mer.  On  sait  que  toutes  les  nations  euro- 
péennes appliquaient  le  même  régime  aux  colonies  et  qu'en  France  on 
le  désignait  sous  le  nom  de  «  l'Exclusif».  Les  Américains  ne  s'y  sou- 
mirent jamais  complètement,  et  le  Board  of  Trade  fut  incapable  d'em- 
pêcher leur  négoce  avec  les  colonies  étrangères  voisines,  même  en 
temps  de  guerre.  D'autres  confîits  naquirent  des  pouvoir  législatifs 
reconnus  aux  Assemblées  coloniales  parles  chartes  :  les  lois  votées  au 
delà  de  l'Atlantique  devaient  être  approuvées  à  Londres,  mais  les 
colons  très  attachés  aux  principes  du  gouvernement  autonome,  regim- 
bèrent toujours  contre  l'intervention  du  Conseil  Privé,  et  bien  des 
lois  cassées  par  lui  furent  votées  derechef,  et  appliquées  pendant  des 
années.  L'élément  quaker  qui,  sans  l'emporter  numériquement  dans 
la  province,  conservait  néanmoins  une  influence  dominante  dans 
l'Assemblée,  contribua  à  augmenter  le  nombre  de  ces  heurts  :  il  rejeta 
les  mesures  favorables  à  l'Eglise  anglicane  proposées  par  la  minorité 
à  l'instigation  des  fonctionnaires  royaux;  comme  il  répugnait  à  la 
prestation  du  serment  que  la  législation  anglaise  imposait  aux  juges, 
aux  jurés,  aux  témoins,  il  engagea  à  ce  sujet  de  longues  disputes  qui 
suspendirent  par  instant  le  cours  de  la  justice.  Enfin  comme  les  qua- 
kers condamnaient  toute  guerre,  offensive  ou  défensive,  ils  refusèrent 
obstinément  les  subsides  en  hommes  et  en  argent  que  les  ministres 
réclamaient  pour  soutenir  les  luttes  répétées  contre  la  France.  La  plu- 
part des  autres  colonies  rivalisèrent  de  mauvais  vouloir  avec  la  Pensyl- 
vanie  dans  cette  cause  nationale,  même  lorsqu'il  s'agit  de  la  conquête 
du  Canada.  L'expérience  de  la  guerre  de  Sept  ans  convainquit  le  gou- 


3o  RE^UE    CRITIQUE 

vcrncment  britannique  de  la  nécessite  d'établir  une  union  entre  les 
diverses  provinces  pour  les  arracher  à  leurs  vues  étroites  et  égoïstes, 
et  obtenir  leur  concours  pécuniaire  et  militaire  dans  la  défense  de 
l'empire.  L'application  maladroite  de  ces  principes  équitables  entraina 
le  soulèvement  contre  la  métropole.  On  aurait  pu  aisément  prévoir 
cette  scission  en  observant  l'attitude  des  colons,  toujours  impatients 
du  joug,  jaloux  de  leurs  prérogatives,  assoiffés  d'indépendance.  La 
narration  savante  et  documentée  de  M.  Root  n'est  d'un  bout  à  l'autre 
que  l'histoire  de  «  la  lutte  des  forces  de  la  démocratie  contre  la  cen- 
tralisation et  l'impérialisme  ». 

M.    Coulomb   a    écrit    une  bonne    thèse   sur    l'administration  des 
Borders  anglais  sous  le  règne  d'Elizabeth.  Ces  marches,  mal  déter- 
minées puisque  des  districts  entiers  étaient  contestés  entre  les  deux 
rovaumes,  parcourues  sans  cesse  par  des  pillards,  habitées  en   partie 
par  des  clans  qui  se  déclaraient  à  leur  guise  sujets  des  Stuarts  ou  des 
Tudors,  jouissaient  pourtant  d'une  administration  plus  perfectionnée 
qu'on  ne  l'a  cru  jusqu'ici.  M.  C  établit  en  effet  que  la  reine  ei  ses 
ministres  s'en  occupèrent  fréquemment,  et  il  rapporte  d'intéressants 
détails  sur  les  pouvoire  des   Warden^  gardiens  ou  gouverneurs,  sur 
les  conférences   périodiques    que  ces  personnages  tenaient  avec  les 
représentants  du  roi  d'Ecosse  pour  régler  les  différends  de  frontières, 
sur  la  distribution  de    la  justice  et  le   fonctionnement  des  tribunaux 
spéciaux,  sur  les  mesures  prises    contre  les   incursions   des  brigands 
écossais,  enfin  sur  les  finances.    L'avènement  de  Jacques  Stuart  sur 
le  trône  d'Angleterre   mit  fin    à  un  régime   désastreux  pour  les  habi- 
tants, mais  ils   avaient  trouvé  déjà  quelques  soulagements   grâce  au 
zèle  des  conseillers  d'Elizabeth. 

A.    BiovÈs. 


C.  PouTHAs,  proviseur  honoraire  au  Lycée  Malherhes,  L'instruction  publique 
à  Caen  pendant  la  Révolution.  Première  partie.  De  la  destruction  de  l'Uni- 
versité à  lEcole  Centrale  du  Calvados  1791-1797.  Caen,  Jouan,i9i2.  In-8o,i  i3  p. 

Dans  ce  travail  qui,  nous  l'espérons,  sera  continué,  M.  Pouthas 
retrace  les  destinées  de  l'instruction  publique  à  Caen,  de  1791  à  1797. 
L'Université  est  détruite  :  ses  professeurs,  prêtres  pour  la  plupart,  ont 
refusé  de  prêter  le  serment  constitutionnel.  Mais  elle  n'est  pas  légale- 
ment détruite;  elle  s'éteint,  elle  s'évanouit,  et  une  ombre  d'enseigne- 
ment existe  encore.  C'est  ainsi,  nous  dit  M.  P.,  qu'il  y  a  encore  une 
chaire  de  droit,  qu'il  y  a  encore  un  Collège  de  médecine,  et  le  Collège 
constitutionnel,  le  Collège  du  Mont,  dit  plus  tard  Collège  de  la  Mon- 
tagne, est  provisoirement  maintenu.  M.  P.  nous  présente  les  protes- 
seurs  de  ce  Collège  et  nous  donne  sur  eux  d'intéressants  détails  ;  il 
nous  décrit  leur  éiat  d'esprit,  nous  raconte  quelles  furent  les  exagé- 
rations de  leur  zèle  républicain,  nous  expose  comment  le  Collège  finit 
par  dépérir.  \'ient  alors  l'Ecole  Centrale  du  Calvados.  L'auteur  nous 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE 


3l 


renseigne  aussi  complètement  que  possible  sur  l'organisation  du  Jury 
central  qui,  dans  le  choix  des  maîtres,  montra  et  des  lumières  et  de 
l'indépendance  ;  de  nouveau,  il  fait  défiler  devant  nous  les  professeurs, 
rappelle  leurcarrière,  apprécie  leur  compétence.  On  trouve  dans  cette 
partie  du  récit  nombre  de  détails  curieux  sur  les  inévitables  discussions 
et  rivalités  entre  les  professeurs  ainsi  qu'entre  le  Jury  et  l'Administra- 
tion centrale;  M.  P.  fait  voir,  en  passant,  combien  la  passion  politique 
envenimait  ces  luttes.  Le  travail  que  nous  annonçons,  est  donc  plein 
de  faits  ;  il  a  été  composé  avec  le  plus  grand  soin  et  nous  ne  ppuvons 
que  louer  ici  les  patientes  et  ingénieuses  recherches  de  M.  Pouthas. 
Son  étude  est  une  des  meilleures  études  que  nous  ayons  et  sur  l'ins- 
truction publique  dans  une  ville  de  province  pendant  la  Révolution  et 
sur  la  formation  de  ces  Ecoles  Centrales  auxquelles  s'attache  le  nom 
de  Lakanal  —  dont  les  mérites,  dit  justement  l'auteur,  ont  été  quel- 
que peu  exagérés  —  et  auxquelles  Stendhal-Beyle,  leur  disciple,  a 
voué  un  si  reconnaissant  souvenir. 

A.   Chuquet. 


L.  Madelin,  La  Révolution.  Paris,  Hachette,  191 1,  in-S",  578  p.,  5  fr. 

Ce  livre  fait  partie  de  la  collection  a  l'histoire  de  France  racontée  à 
tous  »  publiée  sous  la  direction  de  M.  Fr.  Funck-Brentano.  Il  ne 
s'agit  cependant  pas  d'un  manuel  élémentaire.  «  Tous  »,  en  la  cir- 
constance, c'est  le  grand  public,  qui  demande  aux  récits  historiques 
de  le  distraire  autant  et  plus  que  de  l'instruire,  et  il  semble  que  le 
«  cadre  »  du  volume  ait  été  établi  en  vue  de  cela.  L'avant  propos 
indique  bien  que  M.  M.  a  entendu  faire  une  place  à  l'histoire  des 
négociations,  de  la  guerre,  du  commerce,  de  la  société  etc.,  mais  à 
lire  le  livre,  on  s'aperçoit  qu'il  n'y  a  guère  là  qu'une  promesse.  En  fait, 
c'est  avant  tout  d'histoire  politique  qu'il  s'agit,  et  le  même  avant- 
propos  nous  révèle  qu'  «  on  «  avait  engagé  l'auteur  à  s'y  tenir  stricte- 
ment. Il  semble  aussi  que  1'  «  on  »  soit  intervenu  pour  restreindre  ou 
pour  supprimer  tels  développements  que  l'auteur  jugeait  utiles,  et 
qu'il  nous  dit,  à  plusieurs  reprises,  être  aux  regrets  de  ne  pouvoir  faire 
(p.  ex.  sur  les  assignats).  De  crainte  de  rebuter,  sans  doute,  un  lecteur 
probablement  moins  frivole  qu'on  ne  pense,  on  a  réduit  à  très  peu  de 
chose  l'histoire  militaire  (sauf  Valmy  et  la  campagne  de  Bonaparte  en 
Italie)  l'histoire  économique  et  sociale  ;  on  a  supprimé  l'histoire  mari- 
time et  coloniale,  et  renvoyé,  sous  un  prétexte,  au  volume  suivant 
toute  l'histoire  de  la  législation  et  des  institutions  de  la  Constituante 
aussi  bien  que  de  la  Convention  et  du  Corps  législatif.  Même  l'histoire 
politique  est  ramenée  surtout  à  l'histoire  des  assemblées  et  des  chefs 
de  parti,  avec  péripéties  dramatiques,  tandis  que  l'histoire  de  l'opi- 
nion (hors  de  Paris  spécialement)  l'histoire  de  la  presse,  etc.,  sont 
négligées.  Il  fallait  signaler  ces  lacunes;  je  ne  crois  pas  qu'il  soit  juste 


32  RKVL'K    CKMlyl'iï. 

d'y  insister,  car  ce   n'est  probablcincni  pas  M.  M.  qui   en  est  respon- 
sable. 

Une  histoire  de  la  Révolution,  même  un<:  histoire  poliiique,  n'avait 
pas  besoin  pour  être  utile  d'être  un  travail  original.  M.  M.  n'y  prétend 
pas.  11  nous  avertit  franchement  que  son  livre  est  fait  uniquement 
d'après  les  sources  imprimées  et  les  travaux  des  historiens.  Toutes  les 
sources  et  tous  les  travaux  ?  On  ne  sait  trop.  L'ouvrage,  sans  doute 
pour  demeurer  o  lisible  »,  n'a  pas  une  note,  de  sorte  que  l'auteur, 
qui  veut  rendre  à  chacun  le  sien,  très  loyalement,  doit  citer,  louer  ou 
critiquer  ses  devanciers  dans  le  texte  même.  Nous  ne  sommes  avertis 
desdocumenis  et  ouvrages  emplovés  que  par  de  très  succinctes  biblio- 
graphies, limitées  —  par  principe  évidemment  —  aux  ouvrages  fran- 
i^ais.  C'est  une  réaction  préméditée  contre  l'abus  des  méthodes  dites 
«  scientifiques  ».  Elle  paraîtra  sans  doute  excessive,  comnic  beaucoup 
de  réactions. 

Certainement,  M.  M.  a  préparé  son  travail  de  la  façon  la  plus 
sérieuse.  On  le  sent. à  le  lire,  pour  peu  qu'on  ait  la  pratique  des  textes 
contemporains.  Il  n'a  dû  apporter  dans  son  étude  aucune  idée  pré- 
conçue, qualité  méritoire  de  la  part  d'un  auteur  qui,  croyons-nous, 
n'est  pas  étranger  à  la  politique  militante.  II  y  apporte  seulement, 
comme  tout  le  monde,  des  tendances;  les  siennes  sont  celles  d'un 
libéral  quelque  peu  conservateur,  et  sympathique  au  catholicisme, 
quoiqu'il  dise  ne  pas  croire  aux  miracles  (p.  3  17),  mais  elles  ne  font 
jamais  tort  à  l'équité  de  son  jugement,  et  il  rend  justice  aux  hommes 
dontla  conduite  politique  lui  est  le  plus  odieuse,  ce  qui  est,  en  somme, 
une  rare  impartialité  (v.  p.  ex.  les  pages  sur  le  Comité  de  Salut  public). 
Il  a  le  souci  d'être  exact  et  de  mettre  au  point  les  légendes  ;  il  y  insiste 
au  besoin  (v.  le  chapitre  sur  le  14  juillet),  quelquefois  avec  un  peu 
d'excès,  mais  il  est  visible  que  c'est  seulement  par  intérêt  pour  ce  qu'il 
croit  être  la  vérité.  Je  lui  reprocherais  pourtant  d'être  trop  volontiers 
afÎTirmatif,  par  exemple  sur  la  pychologie  des  Conventionnels  en  géné- 
ral. Pour  savoir  vraiment  l'opinion  qu'ils  représentaient,  il  faudrait 
savoir  combien  de  votants  primaires  ont  nommé  les  électeurs  qui  les 
élurent,  et  quelle  était  l'opinion  de  ces  votants.  Là  est  probablement 
la  clé  de  bien  des  actes  imputés  —  en  bien  ou  en  mal  —  aux  Conven- 
tionnels. Etaient-ils  les  représentants  d'une  majorité,  ou  d'un  quart, 
ou  d'un  dixième  de  la  nation?  On  n'en  sait  rien  encore.  Et  tant  de 
choses,  aussi  nécessaires  à  savoir,  sont  ignorées  dans  l'histoire  de  la 
Révolution,  qu'on  aimerait  à  rencontrer  par  endroits,  sous  la  plume 
de  M.  M  ,  quelques  réserves  et  quelques  témoignages  de  doute.  Je  n'en 
ai  guère  relevé  qu'un;  c'est  à  propos  de  Louis  XVII. 

On  a  reproché  souvent  aux  historiens  d'à  présent  de  mal  écrire. 
M.  M.  s'est  toujours  efforcé  de  ne  pas  mériter  ce  reproche.  Il  soigne 
le  style,  et  on  ne  saurait  trop  l'en  louer.  La  vérité  ne  gagne  rien  à  être 
exprimée  en  charabia.  Mais  il  me  semble  qu'on  pourrait  bien  écrire 


d'histoirk  et  i)I-;   i.ittératl'RE  3? 

avec  plus  de  simplicité.  Les  litres  de  chapitres  sentent  parfois  un  peu 
le  roman  ou  la  chronique  de  jourmil  [Les  «  ventres  creux  »  contre  les 
«  ventres  pourris  »);  certaines  pages  sont  écrites  avec  un  souci  de  l'effet 
littéraire  qui  fait  tort  au  fond  du  récit,  et  qui  entraîne  l'auteur  à  citer 
des  détails  inutiles  ou  à  ne  voir  que  la  surface  des  choses  (v.  le  cha- 
pitre sur  la  société  sous  le  Directoire).  La  recherche  de  l'originalité 
se  traduit  par  des  néologismes  (une  place  en  délabre;  la  salle  hoii- 
lait;  l'Europe  se  préparait  à  nous  assauter),  des  archaïsmes  inutiles, 
des  trivialités  voulues,  des  tours  de  phrase  singuliers  (Danton  :  «cette 
àme  de  lave  jetait  des  flammes  pures  par  dessus  d'horribles  écumes  ») 
ou  d'une  solennité  un  peu  théâtrale  :  (i3  vendémiaire  :  «  les  députés 
entendirent  le  bruit  d'une  violente  canonnade  :  c'était  Bonaparte  qui 
entrait  dans  l'histoire  »). 

Si  je  relève  tout  cela,  c'est  parce  qu'on  pouvait  l'éviter  facilement. 
11  serait  fâcheux  et  injuste  de  juger  sur  ces  petites  imperfections  un 
ouvrage  qui  témoigne  à  la  fois  des  meilleures  qualités  d'esprit  et  d'un 
travail  aussi  honnête  qu'étendu  et  approfondi.  S'il  en  faut  encore  une 
preuve,  j'ajouterai  volontiers  qu'ayant  cherché  avec  soin,  pour  faire 
mon  métier,  les  erreurs  matérielles,  j'en  ai  trouvé  fort  peu,  et  moins 
encore  de  vraiment  notables  '. 

R.  G 

Charlotte    Reineckk,    Studien    zu    Halms  Erzâhlungen    und   ihrer   Technik. 

Tûbingen,  Mohr,  1912.  In-cS»,  p.  62,  nik.   2,5o. 

Cette  étude  sur  les  nouvelles  de  Halm  est  un  sujet  d'assez  mince 
importance.  L'œuvre  dramatique  du  poète  est  aujourd'hui  justement 
oubliée;  Mlle  R.  estime  que  celle  du  romancier  a  plus  de  valeur  et 
qu'il  n'était  pas  inutile  d'en  analyser  les  origines  et  la  technique.  Elle 
a  trouvé  dans  Cervantes,  dans  la  Mandragola  de  Machiavel  et  surtout 
chez  les  romantiques  Kleist,  Arnim,  Hoffrnann  divers  motifs  emprun- 
tés par  Halm  et  combinés  avec  beaucoup  de  liberté  et  parfois  un  cer- 
tain bonheur.  Pour  les  trois  nouvelles  que  l'auteur  analyse,  die  Mar- 
\ipan-Lise,  die  Freundinnen  et   das  Haus  an  der   Veronabriicke^   les 

I.  Pérignon  n'a  )amais  servi  à  la  Grande  Armée,  et  parmi  les  généraux  sortis 
des  volontaires,  il  ne  faut  pas  oublier  Jourdan  (p.  25i);  le  traité  de  Campoformio 
ne  nous  a  pas  donné  la  rive  gauche  du  Rhin;  il  prévoit  même  la  restitution  des 
territoires  prussiens  (p.  5o2)  ;  Brune  n'a  pas  trouvé  22  millions  à  Berne  ;  ce  chiflre 
est  le  total  de  ce  qu'on  a  tire  du  pays  en  deux  ans,  contributions  comprises 
(p.  307);  il  n'y  a  pas  de  traité  franco-batave  en  l'an  VI  (ibid).;  Frédéric-Guil- 
laume II  est  mort  quelques  jours  avant  le  Congrès  de  Rastatt  (p.  5i6);  Treilhard 
ne  tut  pas  exclus  du  Directoire  parce  que  l'Assemblée  qui  l'avait  élu  était  caduque 
(p.  522),  mais  parce  qu'il  était  inéligible  aux  term.es  de  l'art.  i36  de  la  Constitu- 
tion de  l'an  111.  Il  n'est  pas  du  tout  certain,  il  est  même  tout  à  fait  invraisemblable, 
le  tirage  au  sort  étant  public,  qu'on  ait  «  arrangé  »  l'exclusion  de  tel  ou  tel  Direc- 
teur, ['"rançois  ou  Reubell(pp.  497  et  32  i). 

l.es  fautes  d'orthographe  des  noms  propres  sont  assez  nombreuses.  La  plus 
étonnante  est  TheruvTgne  île  Marcuurt  (p    242.) 


34  REVUE    CRITIQUE 

procédés  de  composition  et  le  style  assez  peu  original  de  rauteur  ont 
été  soii^neusement  mis  en  lumière.  La  monographie  de  Mlle  R. 
pourra  du  moins  compléter  ce  que  nous  savons  de  l'inHuence  des 
romantiques  dont  le  prolongement  jusque  dans  la  seconde  moitié  du 
xix*  siècle  (les  nouvelles  étudiées  ont  été  composées  de  1 856  à  1 864)  ne 
laisse  pas  de  surprendre. 

L.    R. 


Ouij  Frommel,  Das  Religiôse  in  der  modernen  Lyrik.  (Tùbingen,  Mohr,  lyi  i, 
in-8",  p.  71,  Mk.  1.20). 

Après  une  courte  revue  de  la  place  que  tient  le  sentiment  religieux 
dans  Gœthe  et  chez  divers  romantiques,  M.  Otto  Frommel  s'arrête 
avec  plus  de  détail  sur  les  principaux  représentants  de  la  lyrique  con- 
temporaine, R.  Dehmel,  Momhert,  Hoffmannsthal,  Rilke,  Stefan 
George.  Ils  ont  tous  subi  l'influence  de  Nietzsche,  aspirent  à  une  reli- 
gion dont  Dieu  est  absent,  mais  leur  tendance  commune  à  vouloir 
réaliser  par  l'art  un  idéal  de  vie  plus  noble  et  plus  pur,  ne  diffère  pas 
tellement,  à  travers  tout  leur  mysticisme,  de  la  plupart  des  sollicita- 
tions que  l'àme  reçoit  directement  de  la  foi  chrétienne.  A  côté  de  ces 
lyriques  qui  ne  parviennent  à  la  religion  que  par  le  détour  de  l'art, 
M.  F.  a  caractérisé  quelques  autres  représentants  modernes  de  la  pure 
tradition  chrétienne,  G.  Schuler,  Knodt  et  Philippi;  ceux-ci,  d'un 
talent  d'ailleurs  inférieur,  n'offrent  pas  à  Tanalyse  le  même  intérêt  et 
ils  n'ont  pas  non  plus  pour  la  renaissance  du  romantisme  dans  l'Alle- 
magne moderne  la  même  importance.  C'est  en  effet  le  mérite  du  bref 
examen  de  M  .  Frommel  d'éclairer  un  des  aspects  de  l'orientation  nou- 
velle de  la  pensée  allemande. 

L.  R. 


Max  Schilling,  Quellenbucli  zur  Geschichte  der  Neuzeit.  4.  Verbesserte  und 
erweiterte  Auriage.  Berlin,  Weidmann,   i()i2,  in-'^o,  p.  ô'b,  mk.  6,80. 

H. -G.  FiEDLER,  Das  Oxforder  Buch  deutscher  Dichtung.  vom  12.  bis  zuin  20. 
Jahrhundert.  O.xford,  Universitâts-Verlag,  191  i,  in-i6,  p.  525.  Fr.  7,5o. 

I.  Le  Qiiellenbuch  de  M.  Schilling  a  prouvé  par  le  succès  de  quatre 
éditions  (la  première  remonte  à  1884)  qu'il  était  un  auxiliaire  utile  de 
l'enseignement  historique  dans  les  écoles  secondaires  d'Allemagne. 
L'auteur  y  a  réuni  une  foule  de  documents  que  les  élèves  n'auraient 
ni  le  loisir,  ni  la  sagacité,  ni  peut-être  le  dcsir  de  découvrir  eux- 
mêmes  :  ce  sont  des  textes  de  lois,  de  constitutions,  d'édits,  de  traités 
les  plus  importants,  puis  des  relations  contemporaines  sur  les  grands 
événements,  des  lettres  des  principaux  acteurs,  et  même  des  poésies 
populaires  reflétant  quelque  fait  saillant;  en  un  mot  un  choix  de  témoi- 
gnages directs  illustrant  l'évolution  historique  de  l'Allemagne  depuis 
la  Réforme  jusqu'à  nos  Jours  et  rangés  dans  un  ordre  strictement 
chronologique.  Sur  le  choix  même  de  ces  pièces  on   pourra  différer 


d'histoire  et  de  littérature  35 

d'avis  avec  l'auteur  et  juger  que  l'histoire  politique  et  surtout  militaire 
de  l'Allemagne  a  pris  dans  son  recueil  une  place  trop  exclusive,  que 
dans  un  livre  qui  prétend  embrasser  tout  le  passé  national  la  part  de 
la  Prusse  s'est  élargie  au  point  de  faire  presque  oublier  tous  les  autres 
États  de  l'Empire.  On  regrettera  encore  que  la  variété  qui  règne  dans 
le  premier  chapitre  consacré  à  la  Réforme,  où  l'histoire  économique 
et  celle  des  mœurs  sont  représentées  à  côté  de  l'histoire  religieuse, 
ne  se  rencontre  pas  aussi  ou  bien  faiblement  dans  les  chapitres  sui- 
vants; elle  n'eût  cependant  pas  nui  à  l'action  que  le  livre  s'est  visible- 
ment proposé  d'exercer  sur  les  jeunes  consciences  en  exaltant  le  sen- 
timent patriotique  et  l'amour-propre  national.  Enfin  il  semblera  que 
M.  Sch.  eût  pu  s'adresser  parfois  à  des  ouvrages  moins  vieillis  :  ainsi 
les  lettres  de  Frédéric  à  Voltaire  ne  sont  pas  citées  d'après  la  dernière 
édition  Koser-Droysen  ;  ainsi  les  documents  intéressant  la  Révolution 
et  le  premier  Empire  sont  encore  puisés  dans  Thiers.  Malgré  ces 
réserves,  le  livre  reste  un  bon  instrument  de  travail.  Il  serait  à  souhai- 
ter qu'un  de  nos  professeurs  d'histoire  établit  pour  nos  propres  élèves 
un  recueil  analogue  ;  celui  ci  mérite  en  tout  cas  d'être  signalé  à  l'at- 
tention des  maîtres  chargés  chez  nous  de  l'enseignement  de  l'alle- 
mand '. 

II.  C'est  pour  les  étudiants  anglais  que  M.  Fiedler  a  publié  son 
anthologie  formée  à  peu  près  exclusivement  de  poésies  lyriques  et  de 
ballades,  en  faisant  à  l'occasion  une  petite  place  au  genre  didactique. 
Quelques  morceaux  des  Minnesànger  sont  entrés  dans  le  recueil, 
mais  en  traduction  (pourquoi  ne  pas  donner  les  originaux  avec 
quelques  notes?);  une  part  assez  large  a  été  faite  avec  raison  aux 
Volkslieder;  les  classiques  et  les  lyriques  de  la  première  moitié  du 
xix"  siècle  sont  le  plus  abondamment  représentés,  mais  les  tout  mo- 
dernes ont  été  aussi  accueillis.  C'est  donc  un  recueil  aussi  complet 
que  l'espace  limité  dont  disposait  l'auteur  pouvait  le  permettre. 
Cependant  l'absence  de  quelques  noms  surprendra  :  j'y  ai  vainement 
cherche  les  deux  Schlegel,  Tieck,  Kleist,  Arndt,  Schenkendorf,  Hoff- 
mann von  Fallersleben  et  chez  les  contemporains  Cari  Busse  et  Chris- 
tian Wagner.  La  liste  s'allongerait  beaucoup  s'il  fallait  à  ces  noms  en 
ajouter  de  moindres,  mais  qui  n'étaient  pas  sans  titres.  M.  F.  répon- 
drait avec  raison  qu'il  devait  choisir  et  nous  ne  le  chicanerons  pas 
davantage.  Quelques  notes  très  sobres  terminent  le  volume  ;  elles  se 
bornent  à  de  brefs  détails  sur  l'origine  du  morceau  cité,  à  des  rappro- 

I.  P.  i68,  il  fallait  indiquer  que  Compigni  est  Compiègne  ;  p.  218,  Bossuet  fut 
cv(}que,  et  non  archevêque  de  Meaux  ;  p.  295,  un  vers  omis  rend  le  début  de  la 
tirade  inintelligible;  p.  352,  Cassel  est  mis  pour  Castel;  p.  410-412,  on  devait 
avertir  que  les  pages  citées  des  Mémoires  de  Metternich  sont  une  traduction  du 
français;  p.  32  r,  lire  I.admirault,  et  non  AdHiivault.  Enfin  il  ne  manque  pas  dans 
les  textes  français  de  nombreuses  fautes  légères. 


36  RKVUb     CRITIQUK 

chciiiciiLs  avec  ^.k•^  iiiiiiaiions  anglaises  et  à  Texplicaiion  de  quelques 
pariicularitcs  d'expression.  M.  G.  Hauptmann  a  mis  une  courte  pré- 
face soulignani  le  caractère  populaire,  au  bon  sens  du  mot,  de  ce 
recueil,  et  c'est  un  éloge  qu'il  mérite  en  effet. 

L.    ROUSTAN. 


Henri  Stein  :  Le  Palais  de  justice  et  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  Notice  his- 
torique Cl  nrchcolugiquc,  l'aris.  Longuet,  in-12,  prix  :  3  fv.  —  Henri  Hac- 
VETTE  :  Le  Sodoma.  —  Gustave  Souiier  :  Le  Tintoret  ;  Marcel  Reymoni)  : 
Brunelleschi,  r.\rciiitecture  de  la  Renaissance  Italienne,  Paris,  Laurens  (l-es 
Grands  artiste^  .'  v"l.  in-^S"  à  2  tr.  5o.  —  L.  Bu i';ni i£ u  :  L'Auvergne,  Paris, 
Laurens  (Anthologies  illustrées  ;  Les  Provinces  françaises),  in-(S<'.  Piix  :  3  iV.  — 
J.  CoMMAii.i.E  :  Guide  aux  ruines  d'Angkor,   Paris,  Hachei;c,  in-i,S.   Prix  rei. 

Ce  n'est  certes  pas  la  première  lois  que  le  Palais  de  Justice  et  sur- 
tout la  Sainte  Chapelle  font  l'objet  d'une  élude  historique,  mais  jamais 
cette  étude  n'avait  été  basée  sur  autant  de  recherches  aux  sources 
originales,  étendue  par  des  explorations  aussi  judicieuses  et  intéres- 
santes dans  tous  les  alentours  de  la  question,  élucidée  d'ailleurs  avec 
plus  de  goût  artistique.  Cette  «  notice  »,  ce  «  guide  »  est  une  mono- 
graphie tout  à  tait  remarquable,  très  complète,  très  vivante,  actuelle 
et  pratique  tout  en  évoquant  surtout  les  générations,  l'histoire  et  l'art 
du  passé.  On  ne  renseigne  à  fond  sur  un  édifice  qui  est  aussi  une 
institution  (car  c'est  bien  le  cas  ici)  qu'en  faisant  surgir  l'histoire  à 
travers  l'actualité,  en  expliquant  le  moderne  par  l'ancien.  La  vie 
s'éveille  ainsi  pas  à  pas  devant  le  visiteur...  ou  le  lecteur  qui  se 
souvient.  De  toutes  façons,  ce  beau  travail  rendra  donc  beaucoup  de 
services.  M.  H.  Stein  a  d'ailleurs  tout  fait  pour  en  faciliter  le  con- 
trôle ou  le  développement.  La  bibliographie,  l'indication  des  sources, 
la  documentation  abondent;  il  n'y  a  pas  moins  de  26  photogra- 
phies et  une  dizaine  de  vignettes,  avec  trois  planches  de  plans;  enrin 
une  table  alphabétique  termine  l'ouvrage.  II  nous  faudrait  beaucoup 
de  monographies  de  ce  genre,  et  celle-ci  fait  le  plus  grand  honneur  , 
à  celui  qui  l'a  écrite. 

—  C'est  un  maitre  des  plus  attachants  que  le  Sodoma,  et  l'on  com- 
prend, à  pénétrer  un  peu  avant  dans  son  œuvre,  qu'il  puisse  être 
l'objet  d'une  étude  aussi  chaude  et  éloquente  que  celle  de  M.  Hau- 
vette.  On  ne  voit  guère,  parmi  les  peintres  de  la  grande  époque  ita- 
lienne, d'artistes  mieux  doués  que  ce  maître  de  Sienne  du  côté  delà 
beauté  humaine,  de  la  grâce  et  du  charme  dans  l'expression  des 
formes.  Mais  il  est  trop  certain  qu'il  faut  le  chercher,  et  que  cette 
recherche  est  grosse  de  déceptions  :  tant  d'œuvres  ont  été  détruites  et 
si  peu  sont  visibles,  sans  parler  de  toutes  celles  qu'on  lui  attribue  à 
ton...  C'est  assez  dire  l'utilité  et  la  nouveauté  d'études  comme  celle- 
ci,  que  complètent,  à  l'ordinaire,  24  bonnes  reproductions  photo- 
graphiques. 

—  Le  Tintoret  n'a  pas  été  beaucoup  plus  étudié.  Bien  que  moins 


D'hISTOIRK    Ef    DK    LITTr.BATURE  3/ 

c'icvées  dans  le  sens  de  la  beauté  ariisiique,  son  teuvre  ci  sa  personna- 
liié  sont  encoie  Ju  plus  vif  et  même  du  plus  neuf  intérêt.  Car,  à  part 
les  modèles  qu'il  s'était  choisis  et  dont  il  procède,  il  y  a  chez  lui  un 
novateur  des  plus  importants,  et  il  est  indispensable  de  le  bien  mettre 
en  lumière.  On  ne  s'y  était  qu'assez  mal  appliqué  jusqu'ici.  M.  G. 
Soulier,  qui  occupe  une  chaire  d'histoire  de  l'art  à  l'Institut  français 
de  Florence,  a  étudié  depuis  de  longues  années,  sur  place,  le  maître 
dont  il  résume  ici  le  caractère,  et  l'e.xamen  de  ses  dessins,  en  particu- 
lier, lui  a  permis  de  reconstituer  de  la  façon  la  plus  ingénieuse  son 
originalité  d'artiste,  sa  méthode  de  travail  et  la  haute  portée  de  son 
influence  sur  l'avenir. 

—  A  propos  et  autour  de  Ih-unellcschi,  c'est  toute  la  Renaissance 
architecturale  italienne  qu'a  passée  en  revue  M.  M.  Reymond,  entre 
1420  et  i486,  avec  un  art  d'évocation  très  vivant  et  qui  sait  caracté- 
riser en  peu  de  mots.  Le  mélange  de  formes  antiques  renouvelées 
et  de  formes  chrétiennes  conservées  mais  tournées  vers  la  grâce  et  le 
charme,  est  évidemment  une  chose  tout  à  fait  remarquable  dans  cette 
éclosion  de  beauté,  et  des  plus  intéressantes  à  mettre  en  relief.  De 
bonnes  photographies  et  plusieurs  tableaux  par  ordre  chronologique 
et  par  noms  de  lieux  aident  singulièrement  ici  le  lecteur  à  se  recon- 
naître au  milieu  de  ces  quelque  i  uo  monuments,  œuvres  de  3o  artistes 
(architectes  ou  sculpteurs,  car  l'un  ne  va  guère  sans  l'autre;  et  les 
chapelles,  les  chaires,  les  tombeaux  font  partie  intégrante  des  églises). 
Parmi  eux  Brunelleschi,  Michelozzo,  Alberii  rayonnent  entre  tous, 
et  c'est  à  ces  artistes  magnifiques,  gloire  de  Florence,  de  Rome,  de 
Venise...,  que  le  fin  critique  a  consacré  ses  pages  les  plus  éloquentes. 

—  J'ai  déjà  signalé  le  début  de  cette  nouvelle  collection,  publiée  sous 
la  direction  de  M.  Henry  Marcel,  qui  se  propose  de  faire  connaître 
les  provinces  françaises,  non  seulement  par  une  évocation  actuelle  de 
leurs  caractèies  typiques  et  spéciaux,  ou  par  leur  histoire  dans-l'en- 
semble  de  nos  chroniques,  mais  encore  par  le  jugement,  l'impression, 
le  goût  personnel  des  écrivains  qui  en  ont  parlé.  Après  la  Touraine, 
voici  le  tour  de  V Auvergne,  i^'étude  de  M.  L.  Bréhier,  professeur  à  la 
Faculté  des  Lettres  de  Clermont-Ferrand  est  fort  étendue  et  intéres- 
sera beaucoup  :  le  sol,  les  habitants,  l'activité  sociale  dans  l'histoire 
et  dans  sa  pérennité,  tout  est  niis  en  relief  avec  compétence  et  couleur, 
sans  compter  une  profusion  d'excellentes  petites  photographies.  Pour 
l'anthologie  qui  suit  et  dont  les  éléments  sont  distribués  selon  le 
même  plan,  elle  est  curieuse,  caractéristique,  avec  des  textes  de  pro- 
verbes, de  chansons...,  mais  tout  de  même  bien  peu  de  pages  d'écri- 
vains, trop  d'extraits  de  revues  ou  de  journaux  modernes  :  il  faudra 
veiller  à  cela,  ce  n'est  plus  le  sens  vrai  de  ce  genre  d'anthologie. 

—  Voici  enfin  un  petit  guide  qui  sans  doute  piquera  bien  des  curio- 
sités, excitera  bien  des  envies,  mais  sera  surtout  fcuilleié  par  les  ama- 
teurs de  voyage  dans  un  fauteuil.    Un  guide  aux  Ruines  d'Angkor,  il 


38  REVOE    CRITIQDE 

n'est  pas  donne  à  tout  le  monde  de  le  consulter  sur  place.  Aussi 
M.  Commaille  l'a-t-il-conçu  et  développé  de  fa^'on  à  en  faire  un  vrai 
récit  descriptif,  un  inventaire  complet,  historique,  archéologique, 
artistique,  élucidé  de  154  gravures  et  de  3  plans,  auquel  vraiment  ne 
manque  rien  de  ce  qui  peut  faire  connaître  ces  palais,  ces  temples,  ces 
maisons,  ces  bas-reliefs,  toute  une  extraordinaire  floraison  d'art  cam- 
bodgien, à  la  fois  à  ceux  qui  ont  la  chance  de  s'y  promener  et  à  ceux 
qui  ne  la  concevront  jamais  qu'en  imagination.  Bien  entendu,  un  bon 
résumé  historique  précède  l'itinéraire  proprement  dit. 

Henri  de  Curzon. 

—  Le  t.  VI  Ju  Passé  ■chrétien  de  M.  Dufourcq  et  t.   I^'  de  VHistoire  de  l'Eglise 
du  XI"  au  xvm'  siècle,  à  savoir  Le  Christianisme  et  l'organisation  féodale,  a  paru 
en  3'  édition  (Bloud,  191 1;  in-i6»  de  438  p.  3  fr.  5o),  refondu,  si  nous  en  croyons 
le  titre  (mais  nous   avons  cherché  en  vain   l'indication  des   parties   spécialement 
refondues)  et  embrasse,  en  3  chap.,  la  période  de  104g  à  i  3oo  ;  1°  La  résurrec- 
tion du  christianisme,   Grégoire  VII  et  S.   Bernard;  2°   L'organisation  de  la  chré- 
tienté, Innocent  III  et  S.  François;  3»  Progrès  et  problèmes,  S.  Louis,  S.Thomas, 
Olivi.  On  connaît  la   tendance  et  la  manière  de  \L  D.  :  dans  le  fond,  parti   pris 
apologétique;  dans  la  forme,   style  pompeux  et  mise  en  scène  de  tout  l'appareil 
scientifique;  beaucoup  d'érudition    et    vue  claire  de    tous   les   détails  partout  où 
l'intérêt  de  l'Eglise  n'est  point  en   jeu.    L'avertissement   qui    introduit   ce  volume 
nous  rappelle   que  ce  dernier  «  et  les  2    suivants  forment  le  livre   IV  et    dernier 
d'une  histoire  générale  de  la  religion  judéo-chrétienne  »  qui  comprend  les  époques 
orientale  (histoire  comparée  des  religions  païennes  et  de  la  religion  juive  jusqu'à 
Alexandre  le  Grand),  syncrétiste  (fondation  de  l'Eglise  jusqu'aux  Sévères),  médi- 
terranéenne et  occidentale.  Durant  les  7  siècles  de  cette  dernière  époque,  «  l'Oc- 
cident   ravit    à    l'Orient   le    rôle   de    i'""  collaborateur    de  Dieu   dans    l'apothéose 
humaine....   La  pensée  chrétienne  parvient  mieux   qu'Aristote  à  pénétrer  les  éni- 
gmes de  la  nature,  à  mesurer  la  force  de  la  raison,  à  entrevoir  quelque  chose  des 
mystères  de  Dieu  ».  Le    présent  volume  en  particulier  veut    montrer   «  comment 
toutes  les  résurrections  qui  constituent  la  trame   de  l'histoire   chrétienne   féodale 
préludent  à  cette  grande  époque....  comment  la  Science  est  fille  de  la  Théologie, 
et   de    la    Théologie  la  plus  intransigeante,  à  savoir  l'Augustinisme   ».  Ces  lignes 
suffisent  à  révéler  la  mentalité  historique  de  l'auteur,  qui  entend  tout  simplement 
accaparer  l'histoire  entière  au  profit  et  à  la  gloire  de  l'Eglise.  —  Th.  Sch. 

—  M.  Léon  Cristiani,  l'interprète  français  du  P.  Denifle,  étudie  l'évolution  de 
Luther  de  ib\-j  à  1328  (Du  Luthéranisme  au  Protestantisme,  Bloud,  191 1,  gr. 
in-S"  de  xxi-403  p.  7  fr.  5o)  pour  confirmer  le  mot  fameux  de  Harnack  :  «  La 
Réforme  se  conclut  dans  une  contradiction  »,  et  montrer  Luther  passant  de  l'Eglise 
invisible  et  du  sacenloce  universel  à  une  Eglise  d'Etat  et  à  une  nouvelle  auto- 
rité doctrinale.  Son  ><  point  de  départ,  le  centre  de  son  activité...  fut  la  préoccu- 
pation du  salut  ».  Cette  «  idée  fixe  qui  domine  sa  vie  toute  entière  et  fit  de  lui 
l'un  des  hommes  les  plus  passionnes  qu'on  ait  jamais  vus  »  lui  fit  découvrir  la 
justification  par  la  toi  seule.  <i  doctrine  de  son  invention  »  qu'il  prêcha  «  en  la 
donnant  comme  de  S.  Paul  et  du  Christ  lui-même  ».  Ainsi  il  «  devenait  consciem- 
ment ou  non,  le  prisonnier  de  son  rôle...  C'est  le  sort  de  tous  les  inventeurs... 
Les  conséquences  imprévisibles  de  leur  découverte  sont  pour  eux  des  chaînes  ». 


d'histoirk  et  de  littérature  39 

La  très  intéressante  introduction,  ii  lai^uclie  nous  empruntons  ces  lignes,  porte 
aussi  les  curieuses  traces  d'une  prot'omle  inHuence  bergsonienne,  comme  le  prouve 
ce  passage  :  "  La  durée  n'est  pas  une  forme  vide  où  se  déroulent  les  existences. 
Elle  fait  partie  des  événements  et  contribue  essentiellement  à  les  faire  ce  qu'ils 
sont.  Un  raccourci  historique  est  nécessairement  inexact.  Il  ne  reproduit  pas  ce 
progrès  lentement  et  sourdement  réalisé  dans  une  âme  qiii  est  en  marche  sans  le 
savoir  et  qui  change  insensiblement  d'heure  en  heure...  Un  incident  sans  impor- 
tance provoque  parfois  les  manifestations  les  plus  décisives.  Il  3'  a  là  comme  une 
sorte  de  sommation  psychologique  <>.  C'est  nous  qui  soulignons  cette  oppression, 
tant  elle  nous  parait  heureuse  cl  frappante.  Ces  petites  citations  suffisent  à 
révéler  la  valeur  du  livre,  qui  n'est  un  travail  ni  de  manœuvre  ni  de  parti  pris, 
malgré  VImpvimatui-  inévitable  et  toujours  un  peu  agaçant  ;  il  aboutit  à  cette 
conclusion  ;  Luther  a  réellement  fondé  une  nouvelle  religion,  en  modifiant  la 
conception  traditionnelle  des  rapports  entre  l'homme  et  Dieu.  Comme  «  Erasme 
l'a  fort  bien  vu,  la  grande  nouveauté  du  Luthéranisme,  c'est  la  négation  de  la 
liberté  humaine...  L'accord  de  cette  liberté  avec  l'immutabilité  divine  est  le  grand 
mystère  de  la  doctrine  catholique...  Luther  n'y  vit  qu'une  contradiction.  Au  lieu 
de  tenir  les  deux  bouts  de  la  chaîne,  il  sacrifia  résolument  la  liberté  ».  Et  ici  M.  C. 
fait  encore  une  remarque  psychologique  qui  nous  semble  mériter  d'être  retenue 
plus  peut-être  pour  sa  portée  générale  que  particulière  : 

«  Chez  Luther  plus  que  chez  d'autres,  l'intelligence  n'était  guère  qu'un  avocat 
fertile  en  ressources  et  capable  de  revêtir  d'une  armature  d'arguments  une  doc- 
trine qui  était  le  fruit  de  ses  expériences  intimes  ».  (C'est  d'ailleurs  là  encore  une 
réflexion  inspirée  par  Bergson).  L'auteur  voit  «  le  point  faible  de  la  théorie  nou- 
velle dans  le  déterminisme  universel  »  qui  efface  la  distinction  du  bien  et  du 
mal  et  qui  d'ailleurs,  pour  être  logique,  «  aurait  dû,  comme  Spinoza,  laisser  de 
côté  la  Bible,  suivre  une  méthode  rigoureusement  mathématique  et  professer  le 
panthéisme.  Mais  Luther  n'était  pas  un  logicien...  c'était  un  tempérament  tour- 
menté »,  altéré  de  paix  et  de  sécurité  »,  guidé  «  par  les  exigences  de  cette 
logique  du  sentiment  qui  n'a  rien  à  voir  avec  la  logique  intellectuelle  ».  Ces  con- 
sidérations fort  justes  n'empêchent  cependant  pas  M.  C.  d'accorder  «  qu'il  y 
avait  quelque  chose  de  grand  à  dire  :  la  seule  manière  de  servir  Dieu,  c'est 
d'avoir  en  lui  une  confiance  illimitée,  ou  en  d'autres  termes  de  le  laisser  être 
Dieu  ».  Mais,  comme  c'était  à  prévoir,  «  la  pensée  de  Luther  fut  interprétée  dans 
son  plus  mauvais  sens  »,  et  l'auteur  reconnaît  de  bonne  grâce  que  le  réforma- 
ieur  "   fut  le  premier  à  en  souffrir  ». 

Bref,  cet  ouvrage  a  de  la  valeur  et  est  d'autant  plus  recommandable  que  cette 
valeur  est,  pour  ainsi  dire,  rendue  très  accessible  et  utilisable  par  un  Index  chro- 
nologique des  ouvrages  de  Luther  (avec  indication  des  pages  où  ils  sont  cités), 
une  table  alphabétique  des  matières  et  noms  propres  et  une  liste  d'errata  si  cons- 
ciencieusement dressée  que  nous  n'en  trouvons  qu'un  seul  à  y  ajouter  :  p.  xviii, 
dern.  1.,  lire  :  de  roccamisme.  N'oublions  pas  de  mentionner  aussi  l'excellente 
notice  bibliographique,  ses  appréciations  motivées  sur  Bœhmer,  Denifle,  Grisar  et 
ses  indications  sur  les  éditions  générales,  les  principales  collections  de  sources  et 
les  dernières  biographies  ;  cependant  sa  note  finale  (p.  xxi)  nous  réservait  une  sur- 
prise :  elle  renvoie  à  une  liste  rectificative  de  documents  et  de  dates  à  la  fin  du 
volume  où  nous  l'avons  cherchée  en  vain.  Ce  lapsus  doit  tenir  à  des  circons- 
tances indépendantes  de  la  volonté  de  l'auteur  qui  montre  partout  ailleurs  la  plus 
scrupuleuse  exaciitudc.  —  Th.  Scii. 


^.O  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    El     DE    LITTÉRATURE 

—  M.  Henry  Leur,  déjà  connu  par  ses  travaux  sur  les  armées  et  la  marine 
huguenotes,  vient  d'érirc  sur  La  Reforme  et  les  Kf;liscs  réformées  dans  le  dépar- 
tement actuel  d'Eure-et-Loir  [i 5  23-1  qi  i)  un  fort  beau  volume  ;Fischbachcr, 
iyi2,  vi-SgS  p.)  illustré  de  24  gravures,  d'une  grande  carte  indiquant  toutes  les 
églises  anciennes,  lieux  d'exercice  ou  d  assemblée  et  centres  secondaires  d'autre- 
fois, plus  de  pièces  annexes  donnant  les  noms  de  i32  chefs  de  famille  protestants 
domicilica  à  Chartres  entre  i3G2  et  1  390,  de  ceux  de  Dangeau  en  iGSq  avec  leurs 
contributions,  de  ceux  de  l'arrondissement  de  Hrcux  en  1812,  des  régiments  (en 
grande  partie  protestants)  qui  ont  travaille  à  l'aqueduc  de  Maintenon,  des  per- 
sonnes ayant  abjure  à  S.  Pierre  de  Dreux  en  ii").S5,  de  tous  les  pasteurs  ayant 
fonctionne  en  Eure-et-Loir,  enfin  le  recensement  de  la  population  protestante  de 
l'arrondissement  de  Chartres  en  181  5  et  de  celle  de  tout  le  département  en  1820. 
Les  points  saillants  du  récit  sont,  surtout  le  siège  de  i568,  puis  celui  de  iSgi, 
l'histoire  de  l'église  de  Dangeau,  les  «  travaux  du  Roy  à  Maintenon,  la  Révocation 
et  les  dragonnades  (il  y  eut  600  à  1,200  départs  et  2,5oo  à  3, 000  concessions 
durables,  soit  la  proportion  moyenne  sur  l'ensemble  du  territoire),  enfin  la  guerre 
de  1870,  d'après  le  journal  de  M"»"  Bost,  la  femme  du  pasteur.  Aujourd'hui  le 
département  renferme  à  peine  900  protestants,  soit  i/3oo  de  la  population  totale, 
un  peu  moins  qu'il  y  a  un  siècle  ;  mais  c'est  surtoul  leur  habitat  qui  a  changé,  la 
diminution  se  faisant  sentir  particulièrement  à  la  campagne,  où  certains  groupes 
anciens  ont  tout  à  fait  disparu  après  avoir  survécu  à  toutes  les  persécutions  ;  en 
ceci  encore,  l'Eure-et-Loir  représente  bien  la  moyenne  du  pays.  En  1820,  Char- 
tres, Châteaudun  et  Nogent-le-Rotrou  ne  renfermaient  pas  un  seul  protestant  ; 
aujourd'hui,  elles  contiennent,  avec  Dreux,  un  bon  quart  du  total.  Remercions 
M.  L.  de  cette  utile  monographie,  dont  l'équivalent  devrait  se  trouver  dans  cha- 
cun de  nos  départements  pour  préparer  les  matériaux  de  l'histoire  future  et 
épargner  aux  historiens  la  recherche  des  menus  faits,  si  nécessaires  pourtant  à 
la  généralisation  finale.  —  Th.  Sch. 

—  A  signaler  les  deux  articles  de  M.  Paul  Yvon  sur  Les  Français  et  la  Société 
anglaise  au  xviii"  siècle,  Les  Anglais  et  la  Société  française  au  xviu''  siècle  (Paris, 
Didier,  i5  pp.,  19  pp.).  Ce  sont  de  très  utiles  contributions  à  l'histoire  des  rap- 
ports des  deux  peuples  à  une  époque  où  une  foule  de  goûts  communs  tendaient 
à  annuler  les  effets  de  leur  rivalité  politique.  —  Ch.  B. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  28  juin  igi  2  — 
M.  Homo,  chargé  de  cours  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Lyon,  fait 
une  communication  sur  la  topographie  urbaine  et  l'indication  du  domicile  dans 
la  Rome  ancienne.  L'indication  précise  du  domicile  était  une  nécessité  absolue 
pour  les  grandes  villes  de  l'antiquité,  comme  elle  l'est  pour  les  grandes  villes 
modernes.  Divers  documents  permettent  de  comprendre  comment  le  problème 
avait  été  résolu  dans  la  ville  d'un  million  d'habitants  qu'était  la  Rome  impériale. 
Ce  sont  en  particulier  les  colliers  d'esclaves  fugitifs,  dont  les  indications  les  plus 
constantes  sont  la  mention  de  la  région,  qui  correspondait  à  Rome  aux  arrondis- 
sements des  grandes  villes  modernes,  ei  surtout  celle  du  quartier  (viens).  Les  rues 
ne  portaient  pas  de  plaques  indicatrices  ;  les  maisons  n'étaient  pas  numérotées;  on 
y  suppléait  par  divers  expédients  :  calcul  du  nombre  des  maisons,  indication  d'un 
signe  caractéristique  quelconque  on  du  nom  du  propriétaire.  —  MM.  Maurice 
Croiset,  Cagnat,  Haussoullier,  Perrot  et  Cuq  présentent  quelques  observations. 

M.  le  baron  de  Grûneisen  lit  une  note  sur  le  prétendu  nimbe  rectangulaire  et  le 
portrait  d'Apa  Jérémic. 

Léon  Dorez. 

IJ" imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 

Le   Puy-en-Velay.  -     Imprimerie  Peyriller  ,Rouclion  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N°  29  —  20  juillet  —  1912 

Arvanitopoulos,  Un  trésor  thessalien.  —  Nyrop,  Quelques  métonymies.  — 
SciiuciiARDT,  Choses  et  mots.  —  Mollat,  Les  papes  d'Avignon.  —  R.  de  Les- 
piNASSE,  Le  Nivernais  et  les  comtes  de  Nevers,  H.  —  Bastide,  Anglais  et  Fran- 
çais du  xvii°  siècle.  —  Lépreux,  Gallia  typographica,  II.  —  Sanson,  Répertoire 
bibliographique  pour  la  période  révolutionnaire  en  Seine-Inférieure.  —  Pnii.i- 
poN,  Dictionnaire  topographique  de  l'Ain.  —  Holzhausen,  Les  Allemands  en 
Russie.  —  Gœt[ie,  Edition  du  .lubilé,  Table,  p.  Von  der  Hei.len.  —  Leiiaut- 
couRT,  La  cavalerie  allemande  et  l'armée  de  Chàlons.  —  Grasset,  A  travers  la 
Chaouïa.  —  Albin,  Le  coup  d'Agadir.  —  J.  de  Lécussan,  Notre  droit  historique 
au  Maroc.  —  Fidao-Justiniani,  Pierre  Leroux.  —  J.  Gay,  Le  mouvement  démo- 
cratique et  les  catholiques  français.  —  H.  de  Curzon,  Un  théâtre  d'idées  en 
Espagne.  —  Fleischmann,  Le  quartier  général  de  Napoléon  à  Waterloo.  — 
Académie  des  Inscriptions. 


Arvanitopoulos,  Un    trésor     thessalien.     Extr.    des    Athenische    Alitteilungen, 
XXXVIl,   1912,  p.  73-118,  pi.  II-VII,  fig.  1-14. 

A.  a  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  à  Karditsa  (Metropolis)  un 
petit  trésor  d'orfèvrerie  dont  l'importance  ne  le  cède  qu'à  peine  aux 
stèles  peintes  de  Pagasai.  La  tombe,  dont  il  forniaii  le  mobilier  funé- 
raire, avait  é^é  violée,  mais,  quoique  des  objets  aient  disparu, 
l'ensemble  a  le  grand  intérêt  d'être  antérieur  aux  trésors  de  Bosco 
Reale,  d'Hildesheim  et  de  Berthouville  :  A.  le  date  approximative- 
ment du  II"  siècle,  d'après  la  manière  dont  Athèna  Itonia  est  repro- 
duite sur  un  bouton  de  vêtement  et  l'on  peut  accepter  sa  thèse,  que 
d'autres  remarques  tendraient  à  contirmei".  A.  essaie  de  déterminer  la 
part  qui,  dans  la  trouvaille,  est  d'importation  et  celle  qu'il  faut  attri- 
buer à  l'orfèvrerie  locale.  A  la  première  appartiendraient  à  coup  sûr 
les  deux  pièces  capitales  de  la  découverte,  une  pyxis  et  un  alabastron, 
tous  deux  décorés  de  reliefs.  La  boîte  à  parfums  est  coiffée  d'un 
couvercle  conique,  en  éteignoir,  que  décorent  des  guirlandes  et  des 
masques  et  que  surmonte  une  tête  de  pavot;  sur  la  paroi,  des  Ménades 
s'opposent  par  paires  :  deux  viennent  de  déchirer  les  chairs  d'une 
biche,  les  deux  autres,  pleines  de  l'ivresse  dionysique,  renversent  en 
arrière  leurs  têtes  extasiées.  Le  bas  du  vase  est  malheureusement 
brisé,  tandis  que  l'alabastron  est  presque  intact.  Des  Eros  musiciens 
y  volent  en  frise  au-dessus  du  sujet  principal,  qui  montre  Dionysos 
enfant,  debout  sur  les  genoux  d'une  nymphe  assise  :  une  deuxième 
nymphe,  placée  derrière  le  dieu,  le  soutient  de  ses  mains  et,  de  l'autre 
côté,  un  Silène,  nu  et  barbu,  regarde  la  scène  et  s'appuie  au  tronc 
d'un  arbre.  Les  draperies   seules  sont  dorées,  tandis  que  le  champ 

Nouvelle  série  LXXIV  Su 


42  '  REVUK    CRITIQUE 

Cl  les  chairs  conservent  le  ton  mat  de  l'argent  :  le  fond,  par  contre,  est 
dore'  dans  la  frise  d'Eros  et  les  deux  guirlandes  qui,  haut  et  bas, 
bordent  le  champ  sont  l'une  dorée,  l'autre  sans  couverte.  Ces 
nuances  subtiles,  qui  devaient  mettre  en  valeur  les  parties  essentielles, 
font  honneur  au  goût  raflRné  de  l'orfèvre. 

A.  de  RiDDER, 


Kr.  Nyrop,  Études  sur  quelques  métonymies  (Extrait  du  Bulletin  de  l'Académie 
royale  des  sciences  et  des  lettres  de  Danemark,  1911,  3)  in-8  de  26  pages. 

U.  ScHucHARDT,  Coso  6  parolc  (Extrait  de  la  Rassegna  Contemporanea,  I\',  i  i). 
Rome,  191 1  ;  in-8  de  lo  pages. 

Dans  cette  brochure  M.  Nyrop  nous  donne  vraisemblablement  par 
avance  un  chapitre  détaché  du  tome  IV  de  sa  Grammaire  historique 
de  la  Laiigue  française^  qu'il  est  en  train  de  préparer.  Ce  chapitre  est 
fort  intéressant.  Il  y  est  question  des  phénomènes  de  contiguïté  et  du 
glissement  qui  peut  s'opérer  dans  le  sens  des  mots,  en  tant  qu'ils  s'at- 
tachent à  des  représentations  simultanées  ou   du   moins  successives. 
Comment  faut-il  classer  ces  changements  compris  en  général  sous  le 
nom   de    métonymie?   L'auteur  avoue  que  c'est    fort  difficile.  A  tout 
prendre,  c'est  la    loi   même  d£   ce  glissement  qu'il   faudrait  arriver  à 
pouvoir  formuler,  au  moins  pour  une  langue  et  une  époque  donnée. 
Mais  nous  n'en  sommes  pas  là  encore.  Au  lieu  de  cela,  ce  que  nous 
retrouvons  en  somme  ici,  ce  sont  toujours  des  subdivisions  logiques 
assez   semblables    à   celles   que    Darmesteter   proposait   déjà    il    y   a 
quelque  vingt-cinq  ans,  et  qui  venaient  du    reste   en  droite  ligne  du 
Traité  des  tropes  de  Du  Marsais.  Je  trouve  même  qu'en  se  servant  de 
têtes  de  paragraphes  comme  Pars  pro  toto,  Continens  pro  contento, 
etc.,  M.  N.  a  donné  à  son  étude   un  parl'um  décidément  un  peu  sco- 
lastique.  Mais  où  il  se  relève,  c'est  par  le  choix   des   exemples  :  ces 
exemples    sont    nombreux,  très    variés,    nouveaux   en    partie,    et  ils 
prouvent  avec  quelle  diligence,  avec  quelle  pénétration  bien  informée 
l'histoire  de  la  langue  a  été  fouillée  dans  tous  les  sens.  Çà  et  là  seu- 
lement on  voudrait  des  précisions  de  dates  plus  grandes.   Voici  deux 
ou  trois  des  observations  que  j'ai  faites  au  cours  de  ma  lecture.  Au 
§  20  l'histoire  du  mot  bureau  et  de  son    développement  sémantique 
est  vraiment  trop  incomplète.  De  plus  le  terme  de  grisette  y   est  cité 
au  sens  d'  «  étoffe  grise  »  avec  un  exemple  de  Dancourt  à  l'appui,  et 
il  y  est  question  d'un  «  développement  ultérieur  »   :    mais  il  ne  faut 
pas  oublier  que  dès  la  fin  du  wu^  siècle  le  mot  pouvait  désigner  une 
«  jeune  fille  du  peuple  »,  et  qu'on  le  trouve  avec  ce  sens  notamment 
chez  Regnard  en  1694.  Au  §   3i,  comme  sobriquets  appliqués    aux 
gens  d'après    les    paroles    qu'ils    répètent    souvent,   sont  cités    Vous 
n'ave\  rien  pour  les  douaniers,  et  //  ny  en  a  pas  pour  les  gérants  de 
magasins  :  comme  expression  de  ce  genre,  bien  plus  répandue  même 
que  les  autres,  il  serait  bon    d'ajouter  ici  le   M'as-tu   vu  devenu  si 


d'histoire  et  de  littérature  43 

célèbre  au  Café  des  Variétés,  et  qui  depuis  longtemps  s'applique  aux 
acteurs  et  concurrence  cabotin.  Entin  au  §  38  et  dernier,  il  est  dit  que 
le  verbe  embrasser  n'a  plus  de  nos  jours  «  que  le  sens  de  donner  un 
baiser  »  :  cela  dépend,  car,  au  figuré  du  moins,  l'ancienne  valeur  du 
mot  qui  était  celle  du  lat.  amplecti^  s'est  au  contraire  très  bien  con- 
servée dans  des  expressions  comme  embrasser  une  carrière,  embras- 
ser rhori\on  du  regard.,  etc.  Ce  sont  là  de  très  petites  lacunes,  et  que 
fera  disparaître  une  révision  attentive. 

A  la  sémantique  également  se  rattache  le  bref  opuscule' de  M. 
Schuchardt  intitulé  Cose  e  parole  :  c'est  une  communication  qui  a  été 
lue  au  premier  Congrès  d'Ethnographie  italienne.  Là,  en  quelques 
pages  lumineuses,  l'éminent  linguiste  de  Gratz  a  posé  le  problème  de 
l'appellation  des  choses,  démêlé  à  larges  traits  les  liens  étroits  et  sub- 
tils qui  s'établissent  entre  les  mots  d'une  part  et  les  objets  qu'ils  ser- 
vent à  dénommer  tant  bien  que  mal.  Il  y  donne  quelques  exemples 
curieux,  insiste  sur  la  nécessité  d'avoir  une  figuration  exacte  des  objets 
pour  suivre  les  transformations  de  sens  subies  par  les  mots;  il  ajoute 
enfin  quelques  conseils  sur  la  mise  en  œuvre  des  richesses  séman- 
tiques que  présentent  en  abondance  les  dialectes,  spécialement  ceux 
d'Italie.  On  aura  plaisir  et  profit  à  méditer  un  peu  des  pages  si  for- 
tement pensées. 

E.    BOURCIEZ. 


Les  Papes  d'Avignon  (1305-1378),  par  G.  Mollat.  Paris,  J.  Gabalda  et  C'S 
1912.  In-i8  de  423  pages.  (Bibliothèque  de  l'Enseignement  de  l'histoire  ecclé- 
siastique.) 

Le  savant  éditeur  des  Lettres  communes  de  Jean  XXII  et  de  tant 
d'autres  publications  sur  la  papauté  au  xiv'^  siècle,  était  parfaitement 
désigné  par  sa  compétence  pour  écrire  ce  volume  sur  les  papes  d'Avi- 
gnon. Les  limites  qui  lui  étaient  imposées  l'ont  contraint  à  ne  s'ar- 
rêter qu'aux  principaux  faits  et  bien  souvent  à  ne  donner  que  des 
aperçus  généraux.  Il  aurait  été  donc  fort  admissible  qu'il  se  soit  con- 
tenté d'utiliser  les  fort  nombreux  ouvrages  qui  depuis  le  xvii^  siècle, 
mais  surtout  depuis  une  vingtaine  d'années,  ont  été  écrits  sur  le  sujet. 
Il  a  fait  mieux  que  cela  :  on  sent  presque  partout  qu'il  a  été  aux 
sources,  on  constate  qu'il  a  vérifié  les  textes,  qu'il  en  a  apporté  de 
nouveaux,  enfin  qu'il  a  fait  une  œuvre  originale,  et  non  pas  seule- 
ment de  simple  vulgarisation.  C'est  la  principale  et  très  grande  qua- 
lité de  son  livre. 

Son  volume  est  divisé  en  trois  parties.  Dans  la  première,  il  con- 
sacre un  chapitre  à  présenter  chacun  des  sept  papes  qui  siégèrent  à 
Avignon,  à  noter  les  circonstances  de  leur  élection,  à  dépeindre  leur 
caractère  et  leurs  habitudes,  à  caractériser  leur  gouvernement,  leur 
conduite  vis-à-vis  des  membres  de  l'Eglise,  surtout  du  clergé  séculier 
et  régulier;  pour  les  derniers,  à  raconter  leur  retour  en   Italie.   La 


44  REVUE    CRITIQUE 

seconde  partie  permet  dVtudicr  les  relations  des  papes  avec  les  puis- 
sances L^rangùres.  C'est  d'abord  avec  les  villes  et  «  tyrans  »  de  l'Italie, 
ei  l'on  sait  combien  les  rapports  furent  dilliciles,  avec  quelle  obstina- 
TJon  les  anciens  Etats  pontificaux  entretenaient  des  sentiments  hos- 
tiles, quelle  énergie  il  fallut  aux  Icgats  poniiticaux  comme  du  Pouget 
et  Albornoz  pour  triompher  des  intrigues  et  des  violences  des  Vis- 
conti,  des  Florentins  et  des  préfets  de  Rome.  C'est  ensuite  le  rôle 
joué  par  les  papes  dans  les  ariaires  du  royaume  de  Naples,  surtout 
pendant  le  règne  si  tourmenté  de  la  reine  Jeanne.  Le  chapitre  con- 
cernant la  papauté  et  l'Empire  n'est  pas  moins  rempli  de  faits;  on 
connaît  la  lutte  interminable  qui  poussa  Louis  de  Bavière  contre  les 
papes,  lutte  qui  s'entretint  par  la  protection  donnée  par  l'Empereur 
aux  fraticelles  et  par  la  création  d'un  schisme.  Il  n'est  donc  pas  éton- 
nant que  le  récit  en  soit  très  mouvementé.  Avec  les  rois  de  France, 
les  papes  éprouvèrent  moins  de  difficultés,  mais  ils  eurent  à  débattre 
avec  eux  ces  terribles  questions  du  procès  de  Boniface  N'III  et  de  la 
suppression  des  Templiers  iM.  l'abbé  Mollat,  ouvrant  de  nouveau 
le  dossier  de  cette  fameuse  affaire,  conclut  à  l'innocence  de  l'Ordre); 
ils  eurent  à  satisfaire  leurs  exigences  d'argent,  à  intervenir  dans  la 
guerre  avec  Edouard  III  pour  essayer  de  rétablir  la  paix,  à  résister 
enfin  à  leurs  sollicitations  trop  grandes  et  trop  intéressées.  Et  c'est  en 
général  ce  qu'ils  ont  fait;  M.  l'abbé  Mollat  montre  qu'ils  gardèrent 
beaucoup  mieux  leur  indépendance  que  ce  qu'on  avait  cru  jusqu'ici. 
Avec  l'Angleterre,  les  papes  et  leurs  légats  éprouvèrent  aussi  pas  mal 
de  soucis,  mais  cela  provenait  de  l'abus  de  l'attribution  des  béné- 
fices à  des  non  résidents,  de  la  multiplicité  des  impôts  qui  faisaient 
franchir  le  détroit  à  l'argent  anglais  ;  M.  l'abbé  Mollat  note  très  judi- 
cieusement le  sentiment  de  la  population,  qui  tend  à  s'affranchir  de 
la  papauté  et  qui  fait  prévoir  la  facilité  avec  laquelle  s'opérera  la 
scission  au  xvi"  siècle.  Quelques  pages  sont  enfin  consacrées  aux  rela- 
tions des  papes  avec  les  rois  d'Aragon,  de  Majorque  et  de  Castille. 
Pour  être  complet,  il  aurait  fallu  examiner  leur  conduite  non  seule- 
ment vis-à-vis  des  peuples  Scandinaves,  mais  encore  dans  les  affaires 
d'Orient  ;  je  suis  surpris  de  constater  que  M.  l'abbé  Mollat  n'ait  rien 
dit  du  concours  apporté  par  eux  aux  chréiiens  qui  combattaient 
contre  les  musulmans,  notamment  au  roi  de  Chypre. 

La  dernière  partie  donne  un  petit  mais  vivant  tableau  de  la  vie  à 
Avignon  pendant  le  séjour  des  papes,  elle  expose  ce  qu'était  la  cour 
pontificale,  énumère  les  fonctionnaires  et  officiers  qui  en  faisaient 
partie,  fait  apercevoir  le  luxe  qui  y  régnait,  le  train  de  maison  des 
cardinaux  Mais  la  partie  la  plus  importante  est  consacrée  aux  grands 
organismes  :  chambre  apostolique,  chancellerie  (avec  indication  de 
tous  les  bureaux),  tribunaux  (consistoire,  tribunaux  cardinalices, 
audience  des  causes  du  palais,  audience  des  lettres  contredites)  ;  puis 
au  système  de  fiscalité  perfectionné   par   les  papes  d'Avignon  pour 


d'histoire  et  de  littérature  45 

remplir  un  trésor  qui  se  vidait  trop  facilement.  Enfin  un  dernier 
chapitre  est  relatif  à  la  centralisation  de  l'Eglise  romaine  sous  les 
papes  du   xiV  siècle. 

Ainsi  qu'on  le  voit,  les  sujets  abordés  sont  nombreux  et  tous  de 
première  importance.  Ils  ont  été  traités  avec  clarté  et  surtout,  je  le 
répète,  avec  une  sûreté  d'infcM-mations  tout  à  fait  remarquable, 
M.  Tabbé  Mollat  a  volontairement  laissé  de  côté  les  questions  d'art, 
il  n'a  môme  pas  parlé  de  la  construction  du  palais  apostolique  d'Avi- 
gnon :  c'était  là  le  domaine  réservé  à  un  autre  auteur.  J,'aurais 
souhaité  qu'il  ait  indiqué  comment  les  papes  étaient  venus  à  Avi- 
gnon, dit  quelles  raisons  leur  avaient  fait  choisir  cette  ville,  marqué 
l'installation  toute  provisoire  de  Clément  V,  noté  le  changement  qui 
s'opéra  à  l'avènement  de  .lean  XXII,  Il  n'y  a  pas  un  mot  là-dessus; 
il  me  paraît  pourtant  que  le  lecteur  y  aurait  trouvé  quelque  intérêt. 
Mais  je  ne  veux  pas  finir  sur  celte  légère  critique  '  ;  car  je  tiens  encore 
à  féliciter  M.  l'abbé  Mollat  d'avoir  mené  à  bien  une  œuvre  difficile, 
pour  laquelle  il  était  submergé  de  documents  et  dont  il  fallait  savoir 
dégager  rapidement  des  conclusions  précises.  Je  tiens  encore  à 
signaler  son  excellente  bibliographie,  qui  est  appelée  à  rendre  de 
véritables  services. 

L.-H.   Labande. 


Le  Nivernais  et  les  comtes  de  Nevers.  !I.  Maisons  de  Donzy,  de  Bourbon,  de 
Flandre  (1200-1384J,  par  René  de  Luspinasse,...  Paris,  H.  Champion,  1911. 
!n-S"  de  548  et  vi  pages. 

Cette  histoire  du  Nivernais  et  des  comtes  de  Nevers,  dont  la  Revue 
critique  n'a  reçu  que  le  deuxième  volume,  cause  à  la  lecture  une 
désillusion  :  on  s'attendait  à  mieux,  étant  donné  l'auteur.  Elle  n'est 
que  le  développement  d'une  collection  de  fiches  classées  chronolo- 
giquement; si  l'on  veut  obtenir  des  renseignements  sur  une  institu- 
tion, un  monastère,  les  monnaies  en  cours,  les  devoirs  féodaux,  on 
est  obligé  de  parcourir  tout  le  livre.  Il  y  a  là  un  défaut  de  compo- 
sition qui  saute  aux  yeux.  Sans  doute,  le  volume  de  M.  R.  de  Les- 
pinasse  restera  comme  ouvrage  de  consultation,  car  on  y  trouve  mis 
en  œuvre  une  grande  quantité  de  documents,  mais  il  aurait  été  bon 
qu'il  suivit  un  ordre  et  qu'il  devint  ainsi  d'une  lecture  agréable. 

La  documentation  est  abondante,  ai-je  dit,  encore  faut-il  faire  des 
réserves,  car  l'auteur  semble  s'être  trop  borné  aux  archives  locales, 
auxquelles  il  a  ajouté  des   pièces  prises  soit  aux  Archives,  soit  à  la 

I.  Quelques  peiitcs  remarques  encore  :  que  l'auteur  relise  la  fin  de  la  page  44, 
il  ne  dit  pas  dans  quelle  ville  se  trouve  la  chapelle  du  palais  archiépiscopal  où 
eut  lieu  le  baptême  des  statuettes  de  cire.  —  P.  25i,  est-ce  bien  au  xiv«  siècle 
qu'il  taut  parler  de  maréchaussée?  —  P.  3o8,  la  salle  de  théologie  au  Palais  des 
papes  se  trouvait  sous  et  non  dans  la  dernière  travée  orientale  de  la  salle  de 
l'Audience. 


46  REVUi:    CRITIQUE 

Bibliothèque  nationale.  Je  crains  même,  d'après  certaines  citations, 
que  plusieurs  de  ces  dernières  n'aient  pas  clé  prises  directement  à  la 
source.  D'autre  part,  il  ne  semble  pas  connaître  les  éditions  de  textes 
qui  ont  été  faites  ces  dernières  années,  ni  les  principaux  ouvrages 
historiques  récents  d'intérêt  général  qui  fournissent  d'amples  détails 
sur  le  Nivernais  et  les  comtes.  Il  y  a  même  un  recueil  qu'il  est  extraor- 
dinaire qu'il  ignore,  étant  donné  qu'à  partir  de  1290  les  comtes  de 
Nevers  ont  été  aussi  comtes  de  Rethel  :  c'est  le  Trésor  des  chartes  du 
comté  de  Rethel,  dom  les  deu.x  premiers  volumes  parus  en  i()02  et 
1904  lui  auraient  présenté  des  textes  de  premier  ordre.  Il  utilise  gran- 
dement VInventaire  des  titres  de  Nevers,  dressé  au  xvii*  siècle  par 
l'abbé  de  Marolles,  mais  dans  l'édition  du  comte  de  Soultrait.  II  n'est 
certainement  pas  sans  s'être  rendu  compte  des  erreurs  de  noms  ou  de 
dates  qui  pullulent  dans  cette  œuvre.  S'il  avait  tenu  aussi  en  mains  les 
manuscrits  de  l'abbé  de  Marolles,  il  aurait  puisé  sur  les  comtes  du  xiv^ 
siècle  d'autres  renseignements  que  ceu.x  qui  sont  publiés  par  le  comte 
de  Soultrait.  Je  pourrais  parler  aussi  des  chroniques,  auxquelles  M.  R. 
de  L.  n'a  fait  que  des  emprunts  trop  discrets.  Le  résultat  de  tout  ceci, 
c'est  que  le  récit  des  faits  accomplis  pendant  le  xiii'  siècle  remplit 
400  pages,  tandis  celui  des  événements  du  xiV  est  contenu  dans  140. 
Les  40  années  qui  ont  précédé  la  mort  du  comte  Louis  III  sont  par- 
ticulièrement écourtées. 

L'histoire  du  Nivernais  et  des  comtes  a  de  telles  ramifications  avec 
la  grande  histoire  et  celle  des  provinces  voisines  qu'on  regrettera 
qu'elle  n'ait  pas  été  envisagée  avec  une  hauteur  de  vues  suffisante.  Je 
le  répète,  c'est  une  succession  de  faits  grands  ou  petits  que  ne  relie  pas 

un  ordre  logique  '. 

L.-H.  Labande. 


Henry  de  Laguérenne...  Notes  et  souvenirs  relatifs  à  l'ancien  couvent  des 
Ursulines  de  Montluçon  (1643-1909).  Paris,  H.  Champion;  Montluçon^ 
A.  Herbin,  191 1.  In-8°  de  142  pages. 

Grâce  à  une  ancienne  chronique  des  religieuses  de  ce  monastère, 
M.  H.  de  Laguérenne  a  pu  écrire  une  étude  très  documentée  et  pleine 

I.  On  pourrait  faire  tout  ie  long  du  livre  un  certain  nombre  d'observations  de 
détail  ;  ainsi,  par  exemple,  p.  327,  pourquoi  écrire  le  «  comte  de  Grandprest  », 
quand  l'auteur  sait  que  le  nom  s'écrit  Grandpré  ?  Grandpré  aurait  pu  être  mieux 
identifié,  c'est  un  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Vouziers.  Pour  le 
comte,  au  lieu  de  renvoyer  à  VArt  de  vérifier  les  dates,  pourquoi  pas  au  P.  An- 
selme, ou  mieux  à  la  Notice  Iiistoriqiie  sur  la  maison  de  Grandpré,  publiée  par 
Anatole  de  Barthélémy  dans  la  Revue  de  Champagne  et  de  Brie,  t.  IX,  p.  214 
et  224  ;  t.  X,  p.  33  à  38  ?  Pourquoi  le  pape  Honorius  III  est-il  devenu  Honoré  III 
(p.  546)  ?  Pourquoi  l'auteur,  qui  connaît  bien  son  métier,  laisse-t-il  des  dates 
comme  celle-ci  :  avril  1342,  vendredi  a'Ç'vks  Judica  me  (p.  38i)?  Voici  mieux  comme 
inadvertance  :  «  Jean  XXII  fut  pape  à  Avignon  de  iSiy  à  1329  »  et  M.  R.  de  L. 
cite  de  lui  une  bulle  d'octobre  i3t6  (p.  429);  il  était  facile  de  corriger  les 
années  de   pontificat  en   i3i6-i334;  etc. 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  47 

de  traits  amusants  sur  les  Ursulines  de  Montluçon.  Leur  histoire 
n'est  pourtant  pas  tellement  mouvementée,  qu'elle  mérite  un  long 
récit.  Mais  l'auteur,  qui  semble  connaître  parfaitement  toutes  les 
anciennes  familles  du  pays,  a  profité  de  la  rencontre  des  différentes 
religieuses  qui  firent  profession  dans  le  couvent,  pour  donner  des 
notices  succinctes  sur  leur  parenté.  De  telle  façon  que  son  livre  sera 
utile  à  plus  d'un  égard  à  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  locale.  Il 
aurait  pu  cependant  donner  une  description  plus  détaillée  des  bâti- 
ments, qui  depuis  la  Révolution  jusqu'en  1909,  ont  été  affectés  à 
divers  usages  publics  et  ont  servi  notamment  de  mairie  :  cela  aurait  été 
facile  et  avantageux  puisqu'ils  sont  maintenant  rasés.  On  aurait  sou- 
haité aussi  que  les  citations  de  sources,  surtout  au  début,  fussent  plus 
précises. 

L.-H.  L. 

Charles  Bastide.  Anglais  et  Français  du  XVII"  siècle,  Paris,  Alcan,  1912,  in- 
16,  XII  et  302  p.,  4  fr. 

M.  Bastide  s'est  proposé  de  recueillir  des  renseignements  sur  la  vie 
des  Français  qui  se  risquaient,  au  xvii«  siècle,  à  traverser  la  Manche; 
mais  il  est  trop  modeste,  et  la  série  de  ses  études  constitue  une  pré- 
cieuse contribution  à  l'histoire  des  rapports  des  deux  peuples.  Il 
traite  les  sujets  les  plus  divers  en  variant  très  habilement  ses  effets  et 
sa  façon  selon  le  cas.  C'est  avec  humour  qu'il  nous  entraîne  à  la  suite 
des  voyageurs  qui,  sous  Louis  XIV,  s'aventuraient  jusqu'à  Londres, 
et  qu'il  conte  les  périls  du  chemin.  Il  raille  plaisamment  leur  incapa- 
cité, ou  plutôt  leur  paresse  à  apprendre  l'idiome.  Nos  voisins  étaient 
plus  avancés,  et  M.  B.  reproduit  quelques  morceaux  écrits  en  fran- 
çais par  des  insulaires;  entre  autres  une  scène  de  Shakespeare  qui 
montre  le  poète  assez  à  son  aise  avec  notre  langue.  De  découvertes 
récentes,  M.  B.  conclut  que  le  grand  dramaturge  dut  très  probable- 
ment cette  connaissance  à  des  réfugiés  chez  qui  il  logea  pendant 
quelques  années.  D'ailleurs  les  Londoniens  du  xvii''  siècle  enten- 
daient assez  couramment  le  français,  puisque  M.  B.  a  retrouvé  un 
journal  hebdomadaire,  les  Nouvelles  ordinaires  de  Londres,  rédigé 
tout  entier  dans  cette  langue,  et  qui  parut  au  moins  de  i65o  à  1657. 
Après  en  avoir  donné  quelques  extraits  intéressants  :  la  bataille  de 
Dunbar,  celle  de  Worcester,  la  fuite  du  roi  Charles  II,  il  écrit  une 
biographie  instructive  de  l'éditeur  de  cette  feuille,  Guillaume  du 
Gard,  un  ami  de  Milton,  et  sans  doute  encore  un  réfugié.  La  partie 
principale  du  livre  est  assurément  celle  où  l'auteur  étudie  l'influence 
politique  des  Huguenots  en  Angleterre.  M.  B.  connaît  admirable- 
ment son  sujet;  il  a  vécu,  on  peut  dire  dans  la  familiarité  des  exilés, 
surtout  dans  celle  de  Bayle  et  de  Jurieu,  dont  il  admire  le  caractère 
et  le  talent  tout  en  avouant  qu'il  leur  a  manqué  le  passeport  que  la 
postérité  exige  :  les  grâces  du  style.  Ils  ont  importé  en  Grande-Bre- 


^g  REVUK    CRITIQUE 

tagne  Tosprit  critique,  le  principe  du  libre  examen  qui  conduisit  à  la 
liberté  civile,  celui  du  sacerdoce  universel,  germe  de  l'égalité.  Jusqu'à 
la  révocation  de  TKdit   de   Nantes,  les  réformés  français  professaient 
la  doctrine  d'obéissance   absolue   aux   rois;    persécutés,   chassés   de 
leur  pays,   ils  dévoilèrent   promptemeni   ^<    le   révolutionnaire  qui    se 
cache  en  toiii  calviniste  ».  Bayle,  champion  des  modérés,  chercha  en 
vain  à  contenir  le  tloi  ;  .Uiricu,  au  contraire,  alla  si  loin  qu'il  serait 
peut-être   devenu    républicain    s'il    n'avait    été    aumônier    du   prince 
d'Orange.  Le  trait  caractéristique  chez  les  uns  et  les  autres  fut  tou- 
jours l'amour  de  la  liberté  intellectuelle,  et  ce  penchant  ne  resta  pas 
étranger  à  Téclosion  en  Angleterre  du  rationalisme.  Des  deux  études 
qui  terminent,   Tune  est  consacrée  au  traducteur  de    Locke,    Pierre 
Geste,  dont   M.  B.  cite  une  curieuse  correspondance  avec  une  réfu- 
giée d'Amsterdam  ;  l'autre  au  traducteur  de  Daniel  de  Foe,  Themi- 
seul  de  Saint  Hyacinthe,  assez  pauvre  hère  à  qui  ses  querelles   avec 
Voltaire  ont  valu  une  faible  notoriété.  Mais  en  suivant  les  péripéties 
de  l'existence  de  ces  deux  réfugiés,  on  acquiert  une  idée  assez  nette 
de  ce  que  fut  celle  de  leurs  pareils.  C'est  d'ailleurs  l'impression  géné- 
rale que  laisse  la  lecture  de  cet  excellent  ouvrage  :   M.  Bastide,  par 
quelques  exemples  bien  choisis  et  bien  traités,  fait  parfaitement  con- 
cevoir  ce   que    furent   les    relations    entre    Français    et   Anglais    au 

xvii*  siècle. 

A.  BiovÈs. 

Gallia  typographica  ou  répertoire  biographique  et  chronologique  de  tous 
les  imprimeurs  de  France  depuis  les  origines  de  l'imprimerie  jusqu'à  la 
Révolution,  par  Georges  Lépreux.  Série  départementale,  tome  11.  Provinces 
de  Champagne  et  de  Barrois.  Paris,  H.  Champion,  191 1.  In-8"  de  Sgi  et 
132  pages. 

J'ai  déjà  eu  l'occasion,  à  deux  reprises  différentes,  de  dire  tout  le 
bien  qu'il  fallait  penser  de  l'entreprise  de  M.  Georges  Lépreux,  dont 
l'activité  ne  craint  pas  la  perspective  d'une  vingtaine  de. volumes  sur 
une  même  matière.  J'ai  indiqué  aussi  le  plan  adopté  pour  la  rédaction 
des  notices  individuelles  d'imprimeurs  et  pour  la  présentation  des 
documents  sur  les  typographes  d'une  région;  je  n'y  reviendrai  donc  pas. 

Le  volume  actuel  concerne  les  provinces  de  Champagne  et  de  Bar- 
rois,  ou  plus  exactement  les  départements  des  Ardennes,  de  l'Aube,  de 
la  Marne,  de  la  Haute-Marne  et  de  la  Meuse.  Dans  cette  vaste  région, 
il  n'y  a  guère  que  les  villes  de  Troyes  et  de  Chàlons-sur-Marne  qui 
puissent  présenter  une  presse  en  exercice  avant  l'achèvement  du 
xv^  siècle;  c'est  aussi  Troyes  qui  compta  le  plus  grand  nombre  d'im- 
primeurs jusqu'à  la  Révolution.  La  petite  localité  de  Longeville- 
devant-Bar  s'inscrit  en  troisième  lieu,  avec  un  atelier  typographique 
installé  dès  i5o2;  Reims  n'a  d'imprimeurs  qu'à  partir  de  i55i  ;  Sedan 
en  eut  bientôt  après  (1  565)  et  se  fit  une  spécialité  d'éditions  des  ou- 
vrages protestants. 


d'histoire  et  de  littérature  49 

M.  Georges  Lépreux,  dans  les  quelques  pages  d'introduction  à 
chaque  département,  expose  à  grands  traits  l'histoire  de  l'imprimerie 
dans  les  ditférentes  villes  et  critique  les  ouvrages  précédemment  écrits 
sur  le  sujet.  Les  meilleurs,  auxquels  il  sait  rendre  justice,  gagnent 
par  son  travail,  car  il  n'en  est  pas  auxquels  il  n'ajoute  soit  des  docu- 
ments précieux,  puisés  principalement  aux  Archives  nationales,  soit 
l'indication  de  diverses  impressions,  que  ses  recherches  dans  les  fonds 
de  la  Bibliothèque  nationale  lui  ont  permis  de  découvrir.  Les  histo- 
riens et  bibliographes  apprécieront  donc  grandement  l'etîort  qu'il 
donne  et  applaudiront  aux  résultats  qu'il  obtient.  Il  est  inutile' de  lui 
souhaiter  la  bonne  continuation  de  son  œuvre  :  il  y  met  une  telle 
ardeur  qu'on  ne  peut  que  l'admirer. 

L.-H.  Labande. 


Victor  Sanson,.  . .  Répertoire  bibliographique  pour  la  période  dite  «  Révolu- 
tionnaire »,  1789-1801,  en  Seine-Inférieure.  Tome  1  :  le  département; 
tome  II  :  Rouen,  le  Havre;  tome  111  :  les  communes  [première  partie].  Paris, 
H.  Champion,  s.  d.,  3  vol.  in-8°,  paginés  i  à  796. 

Le  Répertoire  bibliographique  entrepris  par  M.  l'abbé  Victor 
Sanson  pour  la  Seine-Inférieure  de  1789  à  1801,  doit  être  accueilli 
avec  faveur  par  tous  ceux  qui  veulent  posséder  des  moyens  d'investi- 
gation sûrs  et  précis.  Il  représente  beaucoup  de  recherches,  il 
donne  lieu  de  supposer  que  son  auteur  y  a  passé  beaucoup  de  temps 
et  n'a  pas  plaint  sa  peine.  Il  n'est  pas  terminé  :  le  tome  IV  compren- 
dra la  fin  des  communes  du  département  et  le  tome  V  la  bibliographie 
concernant  les  personnes.. 

Peut-être  devra-t-on  reprocher  à  M.  l'abbé  V.  Sanson  un  défaut  de 
plan.  Il  s'est  trouvé  fort  embarrassé  pour  débuter.  Avait-il  à  com- 
prendre dans  son  Répertoire  les  fonds  d'Archives  et  les  recueils  de 
documents  manuscrits  qui  peuvent  être  conservés  dans  les  Biblio- 
thèques publiques?  Il  ne  Ta  pas  trop  su,  car  tantôt  il  a  fait  des  renvois 
à  de  tels  fonds  ou  à  de  tels  manuscrits,  tantôt  non;  il  faut  recon- 
naître qu'en  général  il  ne  s'en  préoccupe  pas.  Mais  il  fallait  s'arrêter  à 
la  résolution  ferme  de  n'indiquer  que  les  imprimés. 

Les  imprimés  se  divisent  pour  chaque  matière  en  deux  grandes 
catégories:  les  ouvrages,  factums,  arrêtés,  etc.,  publiés  de  1789  a 
1801,  puis  les  ouvrages  (ce  que  M.  l'abbé  Sanson  appelle  travaux) 
édités  depuis  cette  époque.  N'aurait-il  pas  fallu  indiquer  d'abord  les 
premiers,  puis  les  seconds?  Le  contraire  a  été  fait  dans  le  Répertoire. 

Il  y  avait  à  se  demander  si  ceux  de  la  seconde  catégorie  qui  sont 
d'un  intérêt  général,  soit  parce  qu'ils  concernent  la  France  tout 
entière,  soit  parce  qu'ils  racontent  l'histoire  d'un  pays,  d'une  institu- 
tion depuis  les  origines  jusqu'après  la  Révolution,  devaient  être  men- 
tionnés. Là  encore  l'auteur  s'est  trouvé  perplexe.  Il  s'est  borné  à 
mentionner  les  principaux  ouvrages  concernant  la  France  ou  la  Nor- 


5o  REVDF    CRITIQUE 

mandie  aux  temps  révolutionnaires;  mais  il  semble  d'autre  part  avoir 
recueilli  tous  ceux  qui,  iraiiani  d'un  sujet  local  déterminé,  ont  eu 
l'occasion  de  dire  au  moins  i]uclqucs  mots  sur  Tépoque  révolution- 
naire, comme  par  exemple  l'Histoire  du  Parlement  de  Rouen,  les 
Histoires  de  l'archevcché  de  Rouen,  les  récits  de  voyages,  etc.  Il  y  a 
là  certainement  une  exagération  :  le  «  Guide  du  chemin  de  fer  de 
Paris  au  Havre  »,  malgré  la  description  qu'il  donne  des  pays  tra- 
versés, n'a  rien  à  faire  ici.  Pourquoi  aussi  le  livre  de  Célestin  Hip- 
peau  :  Le  Gouvernement  de  Normandie...  d'après  la  correspondance 
des  marquis  de  Beuvron  et  des  ducs  d^Harcourt}  La  mesure  aurait 
dû  être  radicale  :  tous  les  ouvrages  de  ce  genre,  qui  n'ont  pas  de  cha- 
pitres spéciaux  consacrés  à  la  Révolution,  devaient  être  écartés. 
Devaient  aussi  être  laissés  de  côté  les  voyages  et  descriptions  anté- 
rieurs à  la  Révolution,  les  cartes  et  plans  publiés  avant  1789  ou  après 
1801  (il  y  en  a  de  marqués  dans  les  3  volumes).  Je  n'insisterai  pas 
davantage  sur  ce  point. 

M.  l'abbé  Sanson  cite  pour  le  Conseil  général  et  le  Directoire  du 
département,  l'administration  des  districts,  l'administration  munici- 
pale de  Rouen  (tome  II)  tous  les  actes,  décrets,  arrêtés,  proclama- 
tions, etc.,  qui  en  sont  émanés  ;  mais  comme  les  titres  ne  disent  rien, 
il  explique  succinctement  l'objet  de  ces  arrêtés,  décrets,  etc.  Puis,  dans 
les  différents  chapitres  qui  sont  intéressés  par  de  pareils  documents 
(affaires  militaires,  subsistances,  etc.)  il  donne  à  nouveau  l'indication 
de  ces  mêmes  actes.  Il  est  ainsi  amené  à  transcrire  une  seconde  fois 
des  pages  entières.  C'aurait  été  beaucoup  plus  simple  pour  lui  de  ne 
pas  porter  ces  articles  aux  administrations  d'où  ils  émanaient  ;  mieux 
que  cela,  il  aurait  dii  numéroter  tous  les  articles  de  sa  bibliographie 
et  au  chapitre  Conseil  général  indiquer  seulement  :  Arrêtés  du  Con- 
seil général  de  la  Seine-Inférieure  :  Affaires  militaires,  voir  n°s  tant  et 
tant;  Assistance  publique,  voir  n°s,..  ;  Commerce,  voir  no^...,  etc.  En 
une  page  il  condensait  la  matière  de  3o  des  actuelles. 

Continuerai-je  mes  observations?  Je  les  abrège.  L'auteur  réserve 
pour  le  tome  V  les  monographies  sur  les  différents  personnages  ; 
pourquoi  en  a-t-il  marqué  dans  les  trois  qui  nous  sont  aujourd'hui 
présentés?  Exemple,  t.  I,  p.  129,  les  articles  sur  l'abbé  d'Anfernet  de 
Bures  et  sur  l'abbé  Baston  ;  t.  II,  p.  377,  ceux  sur  Boïeldicu  ;  p.  384, 
sur  Collot  d'Herbois,  etc. 

Il  a  groupé  dans  le  tome  I  la  bibliographie  relative  au  clergé  du 
département;  mais  pourquoi  n'a-t-il  pas  réservé  pour  le  volume  de 
Rouen  doté  d'un  chapitre  sur  l'Histoire  religieuse,  tout  ce  qui  con- 
cerne les  établissements  eccJésiastiques  de  cette  ville  ?  Pourquoi  a-t-il 
imprimé  dans  le  tome  I  et  répété  dans  le  tome  III  les  articles  parti- 
culiers à  l'abbaye  de  Fécamp  ?  Etc.  Un  plan  bien  réglé  aurait  empêché 
les  redites  et  mieux  coordonné  les  renseignements. 

L'auteur   n'est  pas  bien  fixé  non  plus  sur  la  disposition  des  noms 


d'histoire  et  de  littérature  5i 

qui  se  composent  avec  un  ariicle  ;  il  écrit  tantôt  La  Querière  (De)  et 
Querière  (De  la).  La  première  forme  est  seule  à  conserver.  Pourquoi 
substitue-t-il  au  mot  Idem  le  barbarisme  Dito,  qui  n'appartient  à 
aucune  langue?  T.  I,  p.  5i,  et  t.  II,  p.  286,  quelle  est  celte  Revue  à 
laquelle  il  est  fait  des  renvois? 

Il  est  temps  maintenant  d'indiquer  très  rapidement  les  subdivi- 
sions du  Répertoire.  Le  tome  I''"  débute  par  l'indication  des  princi- 
pales sources  générales  ;  elle  aurait  pu  être  supprimée  sans  grand 
inconvénient,  notamment  la  liste  des  périodiques  et  revues,  pluisque 
leurs  articles  intéressant  la  période  révolutionnaire  sont  mentionnés 
ailleurs  à  leur  place.  Vient  ensuite  la  bibliographie  relative  au  dépar- 
tement tout  entier  :  1°  renseignements  généraux  ;  2°  histoire  politique 
(Etats  généraux,  élections,  cahiers,  Conseil  général,  représentants  du 
peuple,  etc.);  3"  histoire  religieuse  diocésaine;  4"  histoire  militaire; 
5°  histoire  judiciaire  ;  6"  histoire  financière  ;  7°  histoire  économique 
et  sociale;  B°  instruction  publique,  sciences;  9°  imprimerie,  jour- 
naux, almanachs  (beaucoup  d'articles  auraient  pu  être  distribués 
encore  aux  localités). 

Le  tome  II  est  consacré  aux  villes  de  Rouen  et  du  Havre.  Voici 
les  séries  de  Rouen  (à  beaucoup  près  les  plus  importantes)  :  1°  his- 
toire politique  et  administrative  ;  2°  histoire  religieuse  (ou  plutôt 
histoire  des  monuments  et  des  paroisses  ;  des  articles  du  tome  I 
auraient  dû  venir  enrichir  cette  partie);  histoire  militaire  (garde  natio- 
nale, conscription,  etc.)  ;  4°  histoire  économique  et  sociale  (subsis- 
tances, commerce,  foires  et  marchés,  etc.)  ;  5°  vie  intellectuelle  et 
artistique  (sociétés  savantes,  bibliothèques]  ;  6°  vie  publique  (théâtres, 
fêtes,  etc.);  y^  topographie  et  monuments  (pourquoi  n'avoir  pas  fait 
passer  cette  série  en  tête?). 

Pour  les  autres  communes  du  département,  classées  alphabétique- 
ment, le  tome  IV  du  répertoire  donne  la  première  moitié  des  notices 
qui  les  concernent  (de  A  à  J).  Ici  la  méthode  est  modifiée.  L'auteur 
mentionne  tout  d'abord  la  bibliographie  révolutionnaire,  en  y  ajou- 
tant l'indication  des  fonds  d'archives  (ce  qu'il  n'avait  pas  fait  précé- 
demment), puis  il  ajoute,  en  plus  petits  caractères,  la  bibliographie 
des  autres  époques.  Ce  complément  est  infiniment  plus  important 
que  la  partie  qui  aurait  dû  être  la  principale  ;  c'est  ainsi  que  pour 
Fécamp,  le  Répertoire  contient  4  pages  et  demie  à  peine  de  notices 
révolutionnaires,  composées  en  gros  caractères,  tandis  que  la  biblio- 
graphie autre  rempJit  plus  de  8  pages  en  petit  texte. 

Malgré  tout,  l'œuvre  de  M.  Victor  Sanson  aura  une  grande  utilité. 
C'est  le  fruit  d'un  labeur  aride,  il  ne  faut  donc  pas  se  montrer  ingrat; 
il  y  a  lieu  de  savoir  beaucoup  de  gré  à  ceux  qui  ont  le  courage  d'en 
entreprendre  de  semblables. 

L.-H.   Labande. 


5i  REVUE    CRITIQUK 

Dictionnaire  topographique  du  département  de  l'Ain,  comprenant  les  noms 
lie  lici:  jincicns  cl  inoJcriics,  rcvlii;c  (\ir  M.  lUoiiuici  Piiii.ri'os,. ..  P. iris,  imp. 
nat.,  njii.   ln-8"  de  cxxxhi-.SîS  pages. 

Le  Dictionnaire  topographique  que  nous  présente  M.  Edouard  Phi- 
lipon,  comptera  certainement,  avec  celui  que  le  regretté  M.  Longnon 
a  rédigé  pour  la  Marne,  comme  un  des  meilleurs  de  la  collection 
publiée  sous  la  direction  du  Comité  des  travaux  historiques.  L'auteur, 
déjà  bien  connu  par  ses  études  philologiques,  a  utilisé  pour  ses 
ouvrages  non  seulement  les  textes  historiques,  mais  encore  les 
données  de  l'archéologie.  Il  a  donc  réuni  en  sa  personne  des  compé- 
tences diverses  qu'on  trouve  rarement  ensemble.  Aussi  son  volume 
revêt-il  une  importance  particulière. 

On  sait  le  plan  des  Dictionnaires  topographiques,  l'introduction 
qui  est  imposée  aux  auteurs  pour  faire  connaître  la  géographie 
ancienne  du  département,  ses  subdivisions,  son  état  physique.  M.  Phi- 
lipon  s'est  moins  appliqué  à  k  description  du  pays  et  à  sa  formation; 
par  contre,  il  a  recherché  avec  une  méthode  très  siire  ce  que  les  noms 
du  département  de  IWin  dénoncent  comme  souvenirs  des  peuplades 
pré-celtiques,  ibères  ou  ligures,  des  Celtes,  etc.  C'est  une  partie  abso- 
lument neuve. 

Dans  le  cours  de  son  Dictionnaire,  il  a  multiplié  les  renseigne- 
ments sur  l'histoire  des  localités,  indiqué  par  quelles  mains  ont  passé 
les  tiefs,  mentionné  les  découvertes  archéologiques,  signalé  les  monu- 
ments qui  en  valent  la  peine. 

Si  l'on  reconnaît  d'autre  part  que  les  documents  utilisés  par  lui 
ont  été  extrêmement  nombreux,  qu'il  a  eu  soin  de  n'omettre  aucune 
source  d'information,  il  faudra  avouer  que  l'éloge  donné  ci-dessus  à 
son  œuvre  est  tout  à  fait  mérité. 

L.-H.  Larande. 


Paul  HoLznAUSEN,  Die  Deutschen  in  Russland  1812.  Leben  und  Leiden  auf 
der  Moskauer  Heerfahrt,  Berlin,  Morawe  und  ScheiTelt,  1912.  In-8",  xxxiii  et 
i55  p.  +  264  p. 

Nous  devons  déjà  à  M.  Holzhausen  nombre  de  publications  utiles 
sur  la  Révolution  et  l'Empire,  et  tout  récemment  une  excellente  édi- 
tion des  Mémoires  de  Henri  de  Roos. 

Voici  qu'il  nous  donne  un  gros  et  instructif  livre  en  deux  tomes, 
un  des  meilleurs  livres  et  des  mieux  faits  qu'ait  suscités  la  fête  du  cen- 
tenaire russe,  un  livre  sur  les  Allemands  en  Russie  dans  Vannée 
1812. 

L'entreprise  était  délicate,  difficile.  Nul  encore  ne  Tavait  tentée,  nul 
n'avait  essayé  de  faire  un  récit  d'ensemble  sur  les  contingents  alle- 
mands qui  combattirent  en  181 2  dans  l'armée  de  Napoléon.  Il  y  avait 
beaucoup  d'études  spéciales,  beaucoup  de  travaux  de  détail  ;  mais  il 
fallait  les  condenser,  les  résumer,  et  c'est  à  quoi  M.  H.  a  réussi. 


d'histoire    et    de    MTrÉRATURE  53 

Ses  matériaux  étaient  abondants,  et  plus  abondants  qu'on  ne  croi- 
rait, car  il  ne  s'est  pas  contenté  de  l'imprimé  pourtant  si  considérable, 
des  articles  perdus  dans  de  vieilles  revues,  des  brochures  et  brochu- 
rettes  qui  d'ordinaire  échappent  à  l'attention  du  chercheur;  il  a 
trouvé  de  l'inédit,  des  journaux,  des  lettres,  de  petits  mémoires, 
grâce  à  ses  patientes  recherches  dans  les  archives  d'Allemagne,  et 
particulièrement  cà  Munich.  Et  tous  ces  matériaux,  il  a  su  les  mettre 
en  (vuvre  d'une  fai^on  très  remarquable  dans  une  narration  continue. 

Sa  publication  comprend  deux  volumes  réunis  en  un  seul  de  quatre 
cents  pages. 

Le  premier  volume,  intitulé  Sous  les  drapeaux  de  Napoléon  vers 
Moscou,  contient  les  chapitres  suivants  :  introduction  sur  les  sources 
et  les  contingents  allemands  — les  débuts  de  l'invasion  —  Smolensk 

—  les  ailes  de  la  Grande  Armée  (les  Bavarois  sur  le  Dvina,  les 
Prussiens  en  Courlande,  les  Saxons  en  Volliynie)  —  La  Moskova  — 
Moscou  —  Taroutino  —  Macdonald,  Victor  et  Schwarzenberg. 

Le  second  volume,  intitulé  Le  chemin  de  la  Passion  de  la  Grande 
Armée,  est  ainsi  divisé  :  De  Moscou  à  Smolensk  —  de  Smolensk  à 
la  Bérésina  —  le  passage  de  la  Bérésina  —  de  la  Bérésina  à  Vilna 

—  Vilna  —  de  Vilna  à  Kovno  —  Yorck  et  les  Saxons. 

J'ai  abrégé  ces  titres  de  chapitres  qui  parfois  sont  un  peu  longs  et 
emphatiques  —  c'est  le  seul  reproche  que  je  ferai  à  l'auteur. 

Tout  cela  se  suit,  se  tient,  s'enchaîne,  et  chaque  chapitre  est  très 
bien  ordonné  et  composé  ;  chaque  chapitre  forme  un  tout  à  la  fois 
solide  et  attachant.  Les  témoignages  des  Allemands  qui  ont  fait  et 
raconté  la  campagne  y  sont  réunis,  et,  autant  que  possible,  M.  H. 
laisse  la  parole  à  ces  braves  soldats.  Mais  ces  témoignages  n^  s'accu- 
mulent pas,  ne  s'étendent  pas  outre  mesure;  ils  ne  se  pressent  pas 
pêle-mêle  et  confusément;  ils  se  présentent  à  nous  clairement  et  avec 
ordre. 

Beaucoup  de  ces  témoignages  sont  fort  intéressants,  saisissants 
même  et  poignants,  aussi  poignants,  aussi  saisissants,  aussi  intéres- 
sants qu'ils  sont  véridiques,  et,  dans  son  introduction,  M.  H.  les  a 
passés  rapidement  en  revue. 

Il  n'est  pourtant  pas  complet,  et  il  ne  pouvait  l'être.  Et  qui  le 
serait?  La  littérature  de  l'année  1812,  comme  la  littérature  de  maint 
autre  sujet,  est  infinie  et  «  sans  bords  »  ;  il  est  impossible  de  la  maî- 
triser. Mais  M.  H.  est  du  petit  nombre  de  ceux  qui,  dans  les  matières 
dont  ils  traitent,  parviennent  à  être  aussi  complets  que  le  permet  l'in- 
firmité humaine  et  qui,  ainsi  que  Gœthe  s'exprime  à  peu  près,  sans 
tout  apporter,  apportent  néanmoins  assez  de  choses  pour  nous  satis- 
faire et  nous  satisfaire  amplement. 

M.  Holzhausen  est  d'ailleurs  comme  son  maître,  le  regretté  HCiffer, 
impartial.  Il  aime,  il  admire  Napoléon,  mais  il  ne  dissimule  pas  ses 
fautes.  Il   met   en    relief  les  généraux  et  officiers  allemands   qui    se 


54  REVUE    CRITIQUE 

signalèrent  par  leur  dévouemcni  et  leur  esprit  de  sacrifice,  et  il  est 
d'avis  que  les  soldats  de  cette  nation  ont  eu  dura;it  la  retraite  plus 
d'égards  pour  leurs  chefs  que  les  soldats  français,  car  rAllemand  a  le 
sentiment  de  l'autorité,  a  dans  le  sang  la  crainte  respectueuse  des 
supérieurs;  mais  il  reconnaît  que  les  Français  eurent  plus  d'initia- 
tive et  plus  d'ardeur,  qu'en  eux  l'esprit  de  la  Grande  Armée  et  son 
enthousiasme  pour  l'Empereur  brillaient  d'un  plus  pur  éclat  (II, 
p.  41-42).  Il  loue  l'énergie  des  Russes  et  l'acharnement  de  leur 
résistance  ;  mais  les  atrocités  que  les  Cosaques,  les  paysans  et  les 
juifs  ont  commises  envers  les  prisonniers,  révoltent  son  âme.  Il  n'a 
pu  s'empêcher  d'intituler  un  de  ses  chapitres  les  horreurs  de  Vilna  et 
de  dire  que  les  Russes  infligèrent  aux  Russes  et  aux  Allemands 
tombés  dans  leurs  mains  un  traitement  cruel,  affreux,  effroyable, 
abominable  —  et  il  a  raison. 

Ces  pages  sur  «  le  sort  des  prisonniers  »  servent  de  conclusion,  et, 
comme  le  reste,  elles  sont  pleines  de  détails.  Mais  il  ne  faut  pas 
oublier  deux  appendices  qui  seront  fort  profitables,  la  liste  des 
sources  et  l'index  des  noms  cités. 

Souhaitons  à  ce  bel  et  grand  et  précieux  ouvrage  tout  le  succès  qu'il 
mérite. 

A.   Chuqi'et. 


Gœthes  sâmtliche  Werke.  Jubilâumsausgabe  in  vierzig  Bânden.  Register,  von 

Eduard  vox  der  Hellen.  Stuttgart  und  Berlin,  Cotta,   1912,  in-8°,  vni  et  423  p. 

Nos  lecteurs  se  souviennent  peut-être  de  l'article  que  nous  avons 
consacré  jadis  à  la  grande  édition  de  Goethe  en  quarante  volumes, 
l'édition  du  jubilé,  entreprise  par  la  maison  Cotta. 

Le  directeur,  le  matiager  de  l'entreprise,  M.  Edouard  von  der 
Hellen,  vient  de  publier  la  table  des  matières,  le  «  Register  »  de  cette 
édition  :  423  pages  serrées  en  deux  colonnes  ! 

Cette  table  mérite  d'être  annoncée  à  part.  C'est  un  grand  travail, 
aussi  neuf  et  original  que  vaste,  et  qui  sera  fort  utile. 

L'auteur  v  indique  tous  les  personnages,  tous  les  lieux  mentionnés 
par  Gœihe,  et  même  les  personnages,  les  lieux  auxquels  Gœthe  a 
pensé,  sans  les  nommer! 

Il  y  indique  toutes  les  assertions  de  Gœthe  sur  de  grands  et  impor- 
tants sujets.  C'est  ainsi  qu'à  Mensch  il  nous  apprend  où  se  trouve  le 
mot  de  Gœthe,  que  l'homme  est  l'étude  proprement  dite  de  l'huma- 
nité; qu'à  Recht  il  nous  apprend  où  se  trouve  le  mot  u  le  droit  qui  est 
né  avec  nous  ». 

II  n'a  pas  ménagé  les  renvois.  Gœthe  a  dit  :  «  On  ment  en  allemand 
quand  on  est  poli  »  ;  M.  von  der  Hellen  cite  le  mot  en  trois  endroits 
de  son  «  Register  »,  à  Langue  allemande,  à  Mentir  et  à  Politesse. 

Il  cite  même  dans  le  «  Register  »  les  introductions  et  les  notes  de 


d'histoire  et  de  littérature  5  5 

l'édition  du  jubilé,  et  il  a  bien   fait,  car  elles  renferment  souvent  des 
éclaircissements  précieux. 

On  ne  peut  que  féliciter  et  remercier  M.  von  der  Hellen  de  ce 
labeur  prodigieux.  Sa  peine  a  été  grande.  Mais  combien  ce  «  Regis- 
ter  »  rehausse  la  valeur  de  l'édition  du  jubilé  et  combien  de  Gœthéens 
—  ils  sont  aujourd'hui  légion  —  le  consulteront  «  pour  voir  ce  qu'un 
sage  avant  eux  a  pensé  »,  :;^u  schauen  nuis  vor  uns  ein  %peiser  Mann 
gedacht\  Gœthe  n'est-il  pas  universel  et  n'a-t-il  pas  touché  à  toutes 
les  questions? 

A.  Chuquet. 


Pierre  Lehautcourt,  La  cavalerie  allemande  et  l'armée  de  Châlons,  19- 
26  août  1870.  Paris,  Berger-Levrault,  igi2.  In-8%  71  p.,  2  fr. 
En  s'aidant  du  livre  de  Cardinal  de  Widdern  sur  l'emploi  et  la 
conduite  de  la  cavalerie,  le  général  Palat  (Pierre  Lehautcourt),  a, 
dans  les  pages  que  nous  annonçons,  étudié  dans  le  plus  grand  détail 
ce  que  firent  au  mois  d'août  1870  les  divisions  de  cavalerie  allemande 
chargées  de  découvrir  l'armée  de  Châlons.  Si  incompétent  que  Ton 
soit  en  ces  matières,  on  suit  avec  intérêt  l'exposé  de  Lehautcourt.  On 
y  voit  que  la  cavalerie  allemande  dont  les  hommes,  comme  les  che- 
vaux, étaient  excellents,  fut  mal  employée.  Les  chefs  manquaient 
d'initiative,  d'allant,  et  ils  eurent  rarement  la  hardiesse,  la  décision 
dont  leurs  subalternes  donnèrent  fréquemment  des  preuves.  Ce  ne  fut 
pas  la  cavalerie  allemande  qui  fit  la  lumière,  du  23  au  26  août,  sur 
les  effectifs  et  les  mouvements  des  Français  ;  ce  fut  la  presse  française, 
et  les  escadrons  prussiens  furent  moins  utiles  que  les  gazettes  de 
Paris;  l'indiscrétion  de  nos  journaux  suppléa  aux  défaillances  du 
service  d'exploration.  Non  pas  que,  si  les  journaux  avaient  gardé  le 
silence,  le  succès  de  la  marche  aventureuse  de  Mac-Mahon  eût  été 
assuré.  Mais  l'armée  de  Châlons  aurait  été  talonnée  de  moins  près; 
elle  aurait  pu  se  dégager  plus  aisément,  elle  aurait  gagné  du  temps, 
peut-être  vingt-quatre  heures.  De  tous  ces  faits  il  résulte  que  la 
direction  des  divisions  de  cavalerie  doit  revenir  au  commandant 
d'armée  et  même  au  généralissime,  car  les  instructions  que  la  cava- 
lerie allemande  reçut  alors,  furent  données  par  les  deux  princes  qui 
commandaient  la  IIP  et  la  1V'=  armée;  c'est  Moltke  qui  aurait  dû  les 
donner,  puisqu'il  possédait  seul  l'ensemble  des  renseignements, 
puisqu'il  connaissait  seul  le  but  qu'il  fallait  atteindre  et  les  dispo- 
sitions qu'il  fallait  prendre  ;  aussi,  «  dès  la  tension  extrême  de  la 
situation,  prit-il  en  mains  la  conduite  directe  de  certains  corps  d'armée 
et  de  la  cavalerie,  et  il  aurait  dû  agir  de  la  sorte  beaucoup  plus  tôt; 
il  se  serait  évité  la  période  d'incertitude  et  de  doute  angoissant  qu'il 
traversa  du  24  au  26  août  ».  Cette  étude  de  M.  Lehautcourt  est  donc 
digne  d'attention,  comme  tout  ce  que  publie  le  laborieux  et  savant 


36  REVUE    CRITIQUE 

auteur  des  quinze  volumes  de  V Histoire  de  la  guerre  itS'jo-i,S'ji  qui, 
à  lui  seul,  a  lait,  et  bien  mieux,  ce  que  n'a  pu  faire  toute  une 
section. 

A.   Chuquet. 


Capitaine  Grasset,  A  travers    la  Chaouïa,  Paris,   Ilachcite,  lyii,  in-i(j,  232  p., 

ill.  et  cartes,  4  fr. 
Pierre  Albin,  Le  coup  d'Agadir,  Paris,  Alcan,   1912,  in-iT),  III  et  39G  p.,  3  fr.  .^o. 
.Ican  DF  Lkcussan,  Notre  droit  historique  au  Maroc,  Paris,  Daragon,  1912,  in-18, 

64  p.,  I   franc. 

M.  Grasset  raconte  la  campagne  de  la  Chaouïa  depuis  le  massacre 
du  3o  juillet  1907  jusqu'à  l'expédition  contre  Azcmmour  qui  acheva 
la  pacification  de  la  région.  Son  récit  est  détaillé  et  vivant;  les  mili- 
taires y  relèveront  des  réflexions  instructives;  le  reste  du  public,  tout 
en  acquérant  une  connaissance  plus  approfondie  de  ces  contrées  dont 
il  a  tant  entendu  parler,  sentira  croître  sa  confiance  en  nos  troupes. 
Mais  ce  livre  est-il,  comme  dit  l'auteur,  un  journal  de  route?  Cette 
dénomination  ne  semble  pas  justifiée.  Si  l'on  sent  bien  que  M.  G.  a 
été  témoin  oculaire,  on  ne  se  douterait  guère  qu'il  a  été  aussi  acteur  : 
impossible  de  deviner  le  point  où  il  se  battit  tel  jour,  et  le  corps  où 
il  servait,  et  les  opérations  auxquelles  il  a  pris  part.  N'en  déplaise  à 
sa  modestie,  s'il  avait  donné  quelques  indications  permettant  de  le 
suivre,  il  aurait  augmenté  l'intérêt  et  même  la  valeur  documentaire 
de  sa  narration,  d'ailleurs  consciencieuse  et  loyale.  Trop  discipliné 
pour  blâmer  ses  chefs,  M.  G.  signale  pourtant  les  fautes  commises.  Il 
est,  en  somme,  sévère  pour  le  général  Drude,  trop  attaché  aux  vieilles 
traditions  de  l'armée  d'Afrique,  trop  timide,  et  il  admire  le  général 
d'Amade  sans  réserve.  La  partie  de  l'ouvrage  qui  retiendra  particuliè- 
rement l'attention  des  camarades  de  M.  G.  est  celle  où  il  étudie  la 
façon  de  combattre  des  Chaouïas,  la  tactique  à  adopter  contre  eux,  les 
résultats  obtenus  par  nos  armes  nouvelles,  les  conséquences  de  l'ap- 
plication du  nouveau  règlement  sur  le  service  en  campagne.  Dans  les 
appendices  il  retrace  rapidement  l'histoire  du  pays  avant  l'occupation 
française,  et  fournit  des  notions  sur  l'orographie,  l'hydrographie,  la 
géologie,  le -climat,  les  productions,  le  commerce.  Les  cartes  rendront 
des  services;  par  malheur  les  noms  qui  y  figurent  ne  sont  presque 
jamais  conformes  à  ceux  imprimés  dans  le  texte  '.  L'auteur  qui  a 
écrit  l'un  et  dessiné  les  autres,  aurait  dû  adopter  une  orthographe  et 
s'y  tenir. 

Le  sujet  choisi  par   M.  Albin   piquera  la  curiosité,  car  l'émotion 
soulevée  l'année  dernière  par  l'envoi  d'un  navire  allemand  à  Agadir, 


I.  Ex.:  Oued  el  Meliah,  Oued  Neffifik,  Sidi  Djebli,  Ouin  er  Rbea,  Fedala.  Sidi 
Ahmed  el  Madjoub,  Souk  el  Tnin,  Rfakha  dans  le  texte;  et  Ouled  Meliah,  Ouled 
Nefifik,  Sidi  Jcbli,  Oum  er  Rbia,  Fedhala,  Sidi  Mohamed  el  Madjoub,  Souk  el 
Tnine,  Rafkra,  sur  la  carte. 


d'histoirk  et  de  littérature  5j 

n'est  pas  encore  oubliée.  M.  A.,  dcbutant  comme  un  romancier,  nous 
peint  d'abord  de  pied  en  cap  un  diplomate  germain  que  Ton  considère 
aussitôt  comme  le  deiis  ex  machina.  Ce  n'est  qu'un  comparse.  Ainsi 
dès  les  premières  pages  on  a  un  avant  goût  d'un  procédé  cher  à  l'au- 
teur qui  se  complaît  particulièrement  aux  portraits  politiques.  S'il  ne 
réussit  pas  toujours  dans  cet  art  difficile,  il  y  rencontre  du  moins  l'oc- 
casion de  fournir  des  renseignements  précis  sur  maints  personnages. 
Après  avoir  exposé  comment  éclata  l'affaire  d'Agadir,  il  jette  un  coup- 
d'œil  sur  le  passé,  et  résume  l'histoire  des  relations  de  la  France  et 
de  l'Allemagne  depuis  1870.  II  se  borne  à  en  tracer  les  grandes  lignes, 
mais  comment  peut-il  passer  sous  silence  la  politique  astucieuse  de 
Bismarck  pendant  les  événements  de  1882  et  la  crise  égyptienne?  A 
partir  de  la  conférence  d'Algésiras,  il  entre  dans  les  détails.  Il  n'ap- 
porte pas  de  révélations  sensationnelles,  mais  explique  clairement  ce 
que  furent  l'accord  du  8  février  1909  et  les  différentes  combinaisons 
financières  imaginées  pour  adoucir  l'Allemagne  en  associant  ses 
nationaux  à  l'exploitation  économique  du  Maroc,  du  Congo,  et  même 
des  gisements  miniers  de  l'Ouenza  en  Algérie.  Selon  M.  A.  la  mau- 
vaise humeur  teutonne  fut  excitée  par  l'échec  de  ces  différentes  com- 
binaisons, échec  en  grande  partie  imputable  au  cabinet  Monis  qui 
s'appliqua  constamment  à  prendre  le  contre-pied  de  la  politique  du 
cabinet  Briand.  Pourtant  MM.  Caillaux  et  Messimy,  qui  paraissent 
avoir  usurpé  la  direction  principale  des  affaires  étrangères,  cherchèrent 
à  leur  tour  des  combinaisons  de  nature  à  satisfaire  Berlin;  et  c'est  ici 
que  M.  A.  place  la  première  intervention  dans  la  coulisse  du  fameux 
M.  Pondère,  négociateur  secret  de  M.  Caillaux.  Dans  le  commentaire 
d'événements  aussi  récents,  il  n'est  pas  toujours  aisé  d'échapper  aux 
passions  des  partis,  et  il  faut  louer  M.  A.  de  ses  efîoris  manifestes  pour 
rester  impartial  ;  il  tente  de  ne  pas  se  montrer  trop  dur  pour  M.  Cail- 
laux, et  cependant  il  ne  peut  s'empêcher  de  rendre  justice  à  M.  de 
Selves,  ce  qui  revient  à  condamner  la  conduite  du  président  du  con- 
seil. Quant  à  la  convention  du  4  novembre  191 1,  M .  A.  n'ose  la  con- 
sidérer comme  le  prélude  de  la  liquidation  de  la  querelle  franco- 
allemande,  et  l'expérience  acquise  dans  ces  dernières  années  légitime 
sa  prudence.  A  la  tin  de  l'ouvrage  l'auteur  insère  cette  convention 
avec  les  pièces  annexes  ;  il  y  joint  les  passages  de  la  convention  franco- 
anglaise  du  8  avril  1904  relatifs  au  Maroc,  le  traité  secret  et  l'accord 
secret  franco-espagnols  des  3  octobre  1904  et  i"  septembre  1905.  Il 
faut  le  remercier  de  réunir  ainsi  des  pièces  capitales  difhciles  à  décou- 
vrir dans  le  fatras  des  journaux  et  publications  ofhcielles. 

Maintenant  quelle  est  la  valeur  de  l'ouvrage  de  M.  A.?  Il  cite  ses 
sources  :  ce  ne  sont  en  résumé  que  les  discours  et  les  rapports  pro- 
noncés devant  les  différents  parlements,  les  articles  et  nouvelles 
publiés  dans  les  feuilles  officieuses.  Çà  et  là,  il  laisse  entendre  que 
tel  fait,  telle  tendance  lui  ont  été  signalés  par  des  personnages   bien 


58  REVUE    CRITIQUE 

renseignés,  mais  il  ne  les  nomme  pas.  11  n'a  cvidcmmcni  pas  eu 
communication  des  noies,  dépêches,  lettres  destinées  à  demeurer 
longtemps  encore  enfouies  dans  les  archives  secrètes.  Son  livre  n'a 
donc  pas  de  valeur  documentaire;  mais  ne  serait-il  pas  vain  de  lui  en 
tenir  rigueur?  M.  Albin  nous  donne  tout  ce  que  nous  étions  en 
droit  d'exiger  de  lui  :  un  précis  clair  et  intéressant  de  cette  troublante 
artaire,  autant  qu'on  peut  la  connaître  pour  le  moment. 

M.  de  Lécussan  est  un  adversaire  convaincu  et  ardent  de  toute  notre 
politique  marocaine.  Il  y  voit  une  déchéance  de  la  France.  Pour 
démontrer  que  notre  pays  a  été  le  premier  au  Maroc,  il  glane  chez 
les  vieux  chroniqueurs  et  aussi  dans  les  vieilles  chartes  toute  une 
série  de  faits  épars  dans  notre  histoire  nationale  de  Charlemagne  à 
M.  Thiers.  11  conte  tout  cela  dans  un  style  imagé  et  truculent  qui  ne 
messied  pas  à  certaines  de  ces  aventures  dignes  des  chansons  de  geste. 
Mais  quand  il  aborde  les  événements  contemporains,  on  est  surpris, 
choqué  par  ses  violences,  ses  intempérances  de  langage.  Il  confesse 
que  «  l'amertume  bouillonne  dans  l'écritoire  »,  et  son  raisonnement, 
pour  être  excessif,  n'en  contient  pas  moins  une  part  de  vérité. 
L'Angleterre  nous  a  cédé  le  Maroc,  qui  ne  lui  appartenait  pas,  contre 
des  concessions  très  réelles  en  Egypte,  à  Terre-Neuve  et  ailleurs. 
L'Allemagne,  alléchée,  a  réussi  un  marché  analogue,  et  les  morceaux 
qu'elle  nous  a  arrachés  seront  peut-être  les  premières  assises  de  l'em- 
pire africain  qu'elle  rêve  de  construire  à  nos  dépens.  L'Espagne  se 
refuse  à  partager  les  frais  de  l'entente  franco-allemande,  et  pourtant  si 
nous  avions  évacué  Fez,  Casablanca, Oudjda,  elle  aurait  dû,  elle,  aban- 
donner El-Kçar,  Larache,  le  Rif.  «  1902, 1904,  iqoS,  1906,  1907,  1909, 
191 1.  Duperie  à  sextuple  détente  »!  Telle  est  la  conclusion  de  l'au- 
teur. Nous  avons  payé  très  cher  pour  un  Maroc  internationalisé  où 
nous  n'aurons  qu'un  rôle,  «  celui  du  bon  gendarme,  peu  ou  point 
payé,  mais  comblé  de  considérations  internationales  ».  Au  fond  M.  de 
Lécussan   n'a  pas  si  grand  tort. 

A.  BiovÈs. 


FiDAO-JusTiNiANi.  Pierre  Leroux.  1912,  iii-i6,63  p.  o  fr.  60. 
Jules  Gay,  Le  mouvement  démocratique  et  les  catholiques  français  de  1830 
à  1880.  19 12.  In-8",  64  p.  o  t'r.  60. 

Dans  la  petite  collection  Science  et  Religion  que  publie  la  librairie 
Bloud,  la  série  intitulée  «  Philosophes  et  penseurs  »  s'est  augmen- 
tée récemment  d'un  fascicule  consacré  à  Pierre  Leroux,  et  dû  à 
M.  Fidao-Justiniani.  C'était  d'abord  un  article  demandé  à  l'auteur 
par  Brunetière  pour  la  Revue  des  Deux-Mondes,  où  il  a  paru  en  1906. 
Bien  que  «  remaniée  et  mise  au  point  »,  l'étude  de  M.  F.  ne  paraît 
pas  pouvoir  rendre  beaucoup  de  services  comme  ouvrage  de  vulgari- 
sation ;  la  partie  biographique  est  presque  absente,  la  partie  historique 
réduit  l'œuvre  de  Leroux  à   trois  idées  (réfutation    de   l'éclectisme, 


d'histoire  et  de  littérature  5q 

nécessité  d'une  synthèse  religieuse  et  religion  de  la  solidarité)  qui 
pourraient  être  exposées  plus  clairement,  et  la  conclusion  est  plus 
polémique  que  critique. 

Dans  la  série  «  Questions  historiques  >>,  M.  Jules  Gay  a  réuni  sous 
le  titre  ;  Le  Mouvement  démocratique  et  les  catholiques  français  de 
i8So  à  iiSSo  quatre  conférences  populaires  faites  par  lui  en  1910  et 
qui  pouj-raient  être  un  modèle  du  genre.  Elles  ne  visent  ni  à  l'origi- 
nalité, ni  à  la  profondeur;  mais  l'information  est  suffisante,  }e  plan  et 
le  style  parfaitement  nets  et  intelligibles  pour  le  lecteur  le  moins  cul- 
tivé, et  les  appréciations  paraîtront  pleines  de  modération  et  d'équité 
à  tous  les  lecteurs  de  bonne  foi,  même  à  ceux  qui  ne  partagent  pas  les 

convictions  de  l'auteur. 

R.  G. 

Henri  de  Curzon.  Un  théâtre  d'idées  en  Espagne.  Le  théâtre  de  José  Echega- 
ray.  Elude  analytique.  Paris,  Fischbacher,  1912,  In-8",  144  p. 

De  même  que  Guthner  dans  son  travail  sur  Calderon,  de  même 
M.  Henri  de  Curzon,  dans  cet  utile  travail  sur  José  Echegaray,  a 
voulu  faire  simplement  une  «  étude  analytique  ».  Il  laisse  à  d'autres 
les  fioritures  de  l'essai  littéraire  et  critique,  d'un  essai  qui,  en  somme, 
—  sur  un  écrivain  que  nous  ignorons  tous  —  ne  nous  apprendrait 
rien.  Il  nous  fait  connaître  l'œuvre  d'Echegaray;  il  analyse  ses 
soixante  drames  ou  comédies  selon  l'ordre  chronologique  ;  il  accom- 
pagne chaque  analyse  d'une  courte  appréciation  et  d'une  brève  notice 
sur  le  succès  obtenu  par  la  pièce...  et  à  nous  de  conclure.  Et  nous 
conclurons  avec  M.  H.  de  Curzon,  que  ce  théâtre,  surtout  documen- 
taire, mérite  d'être  étudié  comme  document  ;  qu'Echegaray  —  homme 
de  science  et  homme  politique  —  est,  avant  tout,  un  observateur; 
qu'il  fait  mouvoir  trop  souvent  de  pures  abstractions  ;  qu'il  a  toutefois 
beaucoup  d'imagination  et  d'audace  '. 

A.  Chuquet. 


Hector  Fleischmann,  Le  quartier  général  de  Napoléon  à  Waterloo.  Paris,  Les 
amis  de  Waterloo,  56,  rue  Michel-Ange.  1912.  In-8°,  Sg  p. 

Le  soir  du  17  juin  181 5,  Napoléon  établit  son  quartier  général  à  la 
ferme  du  Caillou.  C'est  sur  cette  ferme  que  M.  Fleischmann  nous 
donne  tous  les  renseignements  qu'il  a  pu  recueillir  (notamment  d'après 
une  brochure  rarissime  de  Boucqueau,  fils  du  propriétaire  d'alors).  Il 
réfute  en  passant  une  légende  qui  place  ailleurs,  dans  la  chaumière  du 
jardinier  Aubry,  le  séjour  de  l'Empereur,  et  il  publie  quelques  docu- 
ments :    l'état  estimatif  des  pertes  que   Boucqueau   prétendit   avoir 

I.  La  pièce  El  Gladiator  di  Ravena,  composée  en  trois  jours,  est  évidemment 
insignifiante  ;  elle  ne  nous  otiVe  qu'une  imitation  de  l'allemand  ;  soit  dit  en  pas- 
sant, l'auteur  allemand  s'appelle  Halm  et  non  Hahn,  et  il  faut  lire  sans  doute 
(p.  20),  non  pas  le  grand  Teutobiirg,  mais  le  vainqueur  de  Teutoburg. 


6o  REVUK    CRITIQUE    d'hISTOIRK    ET    DE    LITTÉRATURE 

cssuvces  (Boucqueau  évaluait  ces  pertes  à  38,ooo  francs),  Fannonce 
de  la  vente  du  CaiIKtu  à  la  lin  de  i8i(j,  l'acte  de  vente  de  la  ferme,  ce 
que  devinrent  les  meubles  du  logis,  l'hisKjire  de  la  voiture  de  Napo- 
léon perdue  à  Waterloo.  On  lit  avec  intérêt  le  récit  des  destins  du 
Caillou  :  détruit  en  i8i5,  vendu  par  Boucqueau  au  sieur  Aubry  qui 
le  rétablit  tel  qu'il  était  auparavant  et  en  lit  un  estaminet,  passé  aux 
mains  du  garde  particulier  Désiré  François,  il  fut  acquis  en  1869  par 
l'architecte  Coulon  qui  le  suréleva  d'un  étage  et  en  iqoS  par  la  com- 
tesse de  Villegas  qui  a  transformé  la  chambre  où  coucha  Napoléon  en 
un  «  émouvant  musée  »,  en  «  un  vaste  et  silencigux  reliquaire  que  gar- 
nissent des  armes,  des  estampes  anciennes  et  où,  dans  un  cercueil  de 
verre,  un  grognard  dort  le  suprême  sommeil.  Il  est  là  qui  dort  nu,  le 
soldat  de  l'ancienne  guerre,  parmi  les  sabres  retrouvés,  les  boulets 
déterres,  les  obus  perdus.  Attend-il  son  heure  pour  se  réveiller  au 
grand  coup  de  clairon  triomphal  des  résurrections,  empoigner  le  tron- 
çon de  l'épée  et  courir  au  rendez- vous  des  fantômes  de  la  plaine?  » 

A.  Chuquet. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  dit  5  juillet  ig.12.  — 
M.  Antoine  Thomas  donne  des  indications  sur  cjuelques  gloses  relevées  par 
M.  J.  Loth  dans  un  ms.  de  Sedulius  conservé  à  la  Bibliothèque  d'Orléans  sous  le 
n»  3o2  et  que  M.  Lindsay  avait  signalé  à  M.  Loth.  11  y  a  là  neuf  gloses  bretonnes 
inédites  et  quelques  autres  gloses  dont  l'apparentement  linguistique  reste  à 
déterminer.  Le  mot  critx  se  trouve  sous  la  forme  crox,  ce  qui  concorde  avec  les 
formes  diverses  des  idiomes  celtiques  qui  remontent  toutes  à  un  o  et  non  à  un  11. 

M.  Cordier  rend  compte  de  l'inauguration  du  monument  éle\'c  à  la  mémoire 
du  D""  Hamy,  à  Boulogne-sur-Mer. 

M.  Heuzey  fait  une  communication  sur  Pline  et  les'astrologues  chaidéens.  Pline 
l'ancien  donne  les  noms  de  trois  collèges  ou  sectes  astrologiques  de  l'ancienne 
Ghaldée.  Ces  noms,  d'apparence  grecque,  sont  de  l'époque  des  Séleucides;  mais 
leur  forme  hétéroclite,  due  en  partie  au  mauvais  état  des  manuscrits,  les  rend 
difficilement  explicables.  M.  Heuzey  propose,  sous  toutes  réserves,  plusieurs  cor- 
rections, qui  tendraient  à  les  rattacher  à  divers  systèmes  d'orientation  adoptés 
par  les  astrologues  chalde'ens,  certaines  sectes  se  tournant  vers  le  midi  et  obtenant 
ainsi  l'Orient  moyen,  d'autres  vers  le  soleil  levant  qui  leur  donnait  un  Orient 
moyen,  d'autres  enfin  établissant  leur  orientation  par  des  calculs  et  des  traces 
graphiques. —  MM.  Dieulafoy  et  Bouché-Leclercq  présentent  quelques  observations. 

M.  Joulin  lit  un  mémoire  sur  les  âges  protohistoriques  dans  l'Europe  barbare. . 
Selon  lui,  aux  vi«  et  v"'  siècles,  la  civilisation  du  Haiistatt  s'est  répandue  dans  toutes 
les  contrées  de  l'Europe  centrale  et  occidentale  avec  des  types  industriels  com- 
niuns,  d'autres  qui  varient  suivant  les  contrées  et  des  emprunts  de  diverse  nature 
faits  aux  civilisations  supérieures.  La  distribution  géographique  de  nombreux 
établissements  de  toute  sorte  créés  à  cette  époque  appuie  la  thèse  de  D'.\rbois  de 
Jubainville  sur  l'étendue  de  l'empire  celtique.  Au  commencement  du  iv«  siècle,  la 
civilisation  de  la  Tène  s'est  substituée  à  celle  du  Haiistatt  dans  toutes  les  contrées 
halstattiennes.  Elle  est  caractérisée  par  de  nouveaux  types  industriels  communs, 
par  d'autres  qui  varient  d'un  pays  à  l'autre  et  par  des  emprunts  de  diverse 
nature  faits  à  la  civilisation  hellénique.  C'est  dans  la  péninsule  hispanique  et 
dans  le  Sud  de  la  Gaule  que  l'influence  hellénique  a  été  la  plus  grande.  — 
MM.  Salomon  Rcinach,  .Pottier,  Perrot  et  Dieulafoy  présentent  quelques 
observations. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeiir-gérani  :  Ulysse  Rouchon. 


LE  PUY-EN-VELAY.  —  IMPRIMERIE  PEYRILLER,    ROUCHON  ET  GAMON. 


REVUE    C  K  lï  ! Q U  E 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  30  —  27  juillet.  —  ,    1912 

Ch.  MiciiKi,,  Recueil  d'inscriptions  grecques,  Supplément,  I.  —  Latouche,  Mélan- 
ges d'histoire  de  Cornouaille.  —  Funck-Rrentano,  Le  Roi.  —  Caddat,  La  cathé- 
drale de  Tarbes.  —  Ward  et  Wallkr,  Histoire  de  la  littérature  anglaise,  VIII, 
L'époque  de  Dryden.  —  Duff,  Imprimeurs  anglais.  —  Faguet,  Les  amies  de 
Rousseau.  —  Godard,  Le  procès  du  neuf  thermidor.  • —  Gonner  et  Sadler,  L'Al- 
lemagne au  XIX'  siècle.  —  Houssave,  léna.  —  Joseph  Bonaparte,  Lettres  d'exil, 
p.  Fi.EiscHMANN.  —  Jackson,  Watcrloo  et  Sainte-Hélène,  trad.  Brouwet.  — 
Saint-Léger  et  Lennel,  Histoires  de  I-'landre  et  d'Artois.  —  Scriban,  Orthogra- 
phe roumaine.  —  Chambolle,  Retours  sur  la  vie.  —  Apelt,  Fries  et  Hegel.  — 
Encyclopédie  des  sciences  philosophiques,  Logique,  I.  —  Saintyves,  La  simu- 
lation du  merveilleux.  —  Liebmann,  Kant  et  les  Epigones.  —  Euckkn,  Les  pro- 
blèmes de  la  philosophie.  —  Fedeles,  Alison.  —  Terzaghi,  Synesius.  —  Pages 
choisies  de  Comte.  —  Bellangé,  Spinoza  et  la  philosophie  moderne.  —  Grober, 
Les  tares  des  races.  — Académie  des  inscriptions. 


Recueil  d'inscriptions  grecques,  pan  Charles  Michel.  Supplément.  Fascicule  I. 
Paris,  Leroux,  1912,  viii-i2i-3  p.  in-S". 

En  1896,  M.  Charles  Michel  a  publié  un  Recueil  d'inscriptions 
grecques.  Plus  maniable  et  moins  coûteux  que  la  Sylloge  de  Ditten- 
berger,  le  «  Michel  »  est  devenu  le  livre  de  travail  dans  tous  les  sémi- 
naires d'épigraphie.  Mais  le  choix  avait  été  un  peii  trop  limité. 
Depuis  1896,  bien  des  textes  utiles  ont  été  mis  au  jour.  M.  Michel 
entreprend  de  compléter  son  volume  par  un  second.  Dans  le  premier, 
il  suivait  un  ordre  logique.  Dans  le  second,  il  suivra  un  ordre  géo- 
graphique. Nous  avons  dans  ce  premier  fascicule  les  inscriptions  de 
l'Attique.  Elles  sont  classées  d'après  les  rubriques  du  premier 
volume.  On  y  remarquera  deux  textes  inédits,  un  fragment  du  décret 
déjà  connu  pour  le  poète  comique  Amphis  (n°  1468  C)  et  un  décret 
des  Paraliens,  de  la  seconde  moitié  du  iv^  siècle,  dont  la  stèle  a  été 
rendue  par  les  fouilles  sous-marines  de  Mahdia  (n"  i5i7)  ;  les  publi- 
cations antérieures  ont  été  dépouillées  avec  un  soin  admirable.  Aussi 
ce  fascicule  supplée  heureusement  le  Corpus.  On  y  trouvera  des 
textes  tout  récemment  publiés  [n"''  1459,  1479,  1483,  1497,  i5i4, 
etc.).  Le  commentaire  se  borne  le  plus  souvent  à  discuter  la  lecture; 
cependant  il  contient  aussi  des  renseignements  sur  des  points  très 
particuliers  et  paraît  un  peu  plus  fréquent  que  dans  le  Recueil.  Beau- 
coup de  restitutions  sont  dues  à  des  amis  de  l'auteur,  surtout  à 
M.  A.  Wilhelm,  de  Vienne.  Quand  la  restitution  est  de    M.   Michel, 

Nouvelle  série  LXXIV  3o 


62  REVUE    CRITIQUE 

aucune  indication  n'est  faite,  ce  qui  peut  tromper  à  première  vue  ;  car 
il  faut  savoir  l'histoire  de  chaque  inscription  pour  reconnaître  la  part 
de  M.  Michel.  Cette  part  est  considérable.  On  pourra  s'en  convaincre 
en  examinant  les  n°''  1446,  1447,  1458,  i528,  i56i,  i562,  etc.  Le 
supplément  est  tout  à  fait  digne  du  Recueil,  dont  l'éloge  n'est  plus  à 
faire. 

André  Flamand. 


Mélanges  d'histoire  de  Cornouaille  (v-xi'  siècle),  par  Robert  Latouche... 
Paris,  H.  Champion,  191 1.  In-8»  de  12.S  pages.  (Bibliothèque  de  l'École  des 
Hautes-Études,   192»  fascicule.) 

L'étude  critique  très  serrée  que  M.  Robert  Latouche  a  rédigée  sur 
quelques-uns   des   plus  anciens  textes   de  l'histoire  de  Cornouaille, 
présentés  par  le  Cartulaire  de   Landevenec,  a  eu  pour   résultat    de 
reconnaître    les    quelques   documents  qui   doivent    être   tenus   pour 
authentiques  et  de  bien   marquer  les  faits  très  rares  accomplis  avant 
le  xi"  siècle  dont   l'existence  est  certaine.  A  vrai  dire,  il  ne  reste  pas 
lourd  :    la  vie   de  saint  Guénolé,  dont   les   récents   historiens  de  la 
Bretagne  s'étaient  inspirés  pour  leurs  récits,    est  dépourvue,  après 
l'examen  qui  en  est  fait,  de  trop  de  valeur  pour  fournir  des  renseigne- 
ments sur  le  saint  lui-même  et  sur  la  fondation  de  l'abbaye  de  Lande- 
venec. La  vie  de  saint  Idunet,  écrite  vers  la  fin  du  ix«  siècle,  ne  vaut 
pas  mieux  :  ce  personnage  légendaire  avait   été  identifié  faussement 
avec  Ethbin,  compagnon  de  Guénolé.  Sera-t-on  plus  heureux  avec  les 
chartes  et  notices  que  contient  encore  le  Cartulaire  de  Landevenec, 
écrit  pour  la  partie   principale  dans  la  seconde  moitié  du  xi«  siècle? 
M.   Latouche,  après  avoir   démontré  l'authenticité,  récemment  con- 
testée, de  la  donation  de  différentes  églises  et  divers  revenus  par  Alain 
Barbe-Torte  aux  moines  de  l'abbaye  (qSb-pSa),  puis  de  la  concession 
aux  mêmes  par  un  certain  Moïse  d'un  lieu  appelé  «  Tref-Neuved  »  en 
Broerec,  expose   comment  ces  deux  actes  ont  servi  à  fabriquer   les 
faux,  au  nombre  de   trente-six,  dont  se  compose  à   peu  près  le  reste 
du  Cartulaire.    Les    vingt-trois   actes   où    intervient  le   fabuleux    roi 
Grallon  sont  à   rejeter  entièrement.   M.    R.   Latouche   indique  avec 
précision  par  quels  procédés  le  faussaire  les  a  composés.  En  résumé, 
après  cette  critique  sévère,  il  faut  se  résigner  à  ne  plus  savoir  grand'- 
chose  sur  l'émigration  accomplie  de  Grande-Bretagne  en  Cornouaille 
et  sur  les   premiers  siècles   qui  suivirent  cet  exode  :  trois  pages  suf- 
fisent à  l'auteur  de  ce  volume  pour  noter  tout  ce  qu'il  faut  considérer 
comme  certain. 

L.-H.  Labande. 

L'Ancienne  France.  Le  Roi,  par  Frantz  Funck-Brentano.  Paris.  Hachelte  et  C', 
1912.  In-8°  de  400  pages. 

M.  Funck-Brentano  a  mis  comme  épigraphe  à  son  livre  les  paroles 


d'histoire  et  de  littérature  63 

de  M"  F.  Labori  sur  la  monarchie  française,  qui  avait  reçu  en  dépôt 
«  la  grandeur,  la  gloire,  la  puissance  et  la  majesté  nationales  »  et  sur 
la  joie  «  noble  et  salutaire  »  qu'on  éprouve  à  saluer  cette  institution 
morte,  qui  a  «  si  longtemps  gardé  le  patrimoine  commun  de  la  gran- 
deur française  ».  C'est  celte  joie  que  veut  susciter  en  nous  l'auteur  du 
livre  sur  le  Roi.  Il  y  a  réussi,  car  son  ouvrage  est  du  plus  haut  inté- 
rêt, on  prend  un  goût  très  vif  à  le  lire  et  on  y  retrouve  le  charme  qui 
caractérise  les  autres  publications  de  M.  Funck-Brentano. 

Il  développe  cette  idée  qu'au  milieu  de  l'anarchie  des  x''  et  xi*  siè- 
cles, la  nation  française  s'est  créée  avec  la  royauté  ;  le  roi,  représen- 
tant l'ordre,  la  paix,  la  justice,  attirait  à  lui  tous  ceux  qui  souffraient 
et  qui  avaient  besoin  de  protection.  Mais,  d'autre  part,  il  vivait  au 
milieu  de  sa  famille  naturelle,  avec  ses  clients  ou  nourris,  ses  fidèles, 
ses  serviteurs,  il  exerçait  une  autorité  paternelle  absolue  sur  cet  entou- 
rage. Quand  son  pouvoir  s'agrandit,  quand  ses  domaines  s'accrurent, 
il  ne  perdit  jamais  ce  caractère  de  père  de  famille,  il  garda  ses  attri- 
butions du  premier  jour,  le  rôle  de  ses  serviieurs  et  de  ses  conseil- 
lers intimes  s'éleva  jusqu'à  devenir  une  institution  d'Etat.  Jusqu'aux 
derniers  temps  de  la  monarchie  on  retrouve  cette  conception  primi- 
tive que  les  sujets  du  roi  sont  sa  grande  famille,  qu'ils  ont  à  toute 
heure  le  droit  de  le  voir  et  de  recourir  à  lui.  Lui-môme  peut  dispo- 
ser de  leurs  personnes  et  de  leurs  biens  ;  de  lui  seul  découle  la  jus- 
tice, les  intendants  des  provinces  sont  les  régisseurs  de  ses  propriétés, 
etc.  Il  a  un  pouvoir  absolu  sur  tout  et  sur  tous,  il  ne  dépend  de  per- 
sonne, il  est  aussi  le  représentant  de  Dieu  sur  la  terre.  Cependant, 
même  le  plus  mauvais  a  une  haute  conception  de  ses  devoirs,  il  sait 
qu'il  ne  sera  pas  damné  s'il  ne  forfait  pas  à  la  justice  et  s'il  a  pitié  du 
pauvre  peuple.  En  fait,  son  absolutisme  est  tempéré,  soit  par  la  tra- 
dition et  la  coutume,  soit  par  les  libertés  et  franchises  locales,  soit 
par  l'indépendance  que  gardent  ses  représentants,  même  les  procu- 
reurs nommés  par  lui  auprès  des  iribunau.'c,  soit  par  l'initiative  que 
prennent  ses  conseillers,  secrétaires  d'Etat,  ministres,  dont  les  charges 
sont  héréditaires;  même  cet  absolutisme  est  tellement  limité,  que  la 
royauté  arrive  à  n'être  plus  qu'un  pouvoir  représentatif,  le  roi  qu'une 
solennelle  image  vénérée  et  contemplée  par  la  foule. 

Il  est  impossible  d'indiquer  ici  en  quelques  lignes  les  idées  que 
développe  M.  F"unck-Brentano,  dans  une  série  de  chapitres,  plus 
séduisants  les  uns  que  les  autres.  Son  livre  commence  par  l'exposé 
des  violences  de  toute  sorte  qui  troublaient  la  société  à  l'avènement 
des  Capétiens,  il  se  clôt  par  le  récit  de  la  grande  peur  qui  saisit  pres- 
que toute  la  population  française  quelques  jours  après  la  prise  de 
la  Bastille,  présage  de  la  chute  prochaine  de  la  royauté.  Le  roi  venant 
à  manquer,  la  France  tremble  sur  ses  bases.  De  même  les  régences 
avaient  été  marquées  par  des  agitations  pénibles. 

Je  ferai  peut-être  la  remarque  que  parfois  le  tableau  est  trop  beau, 


64  REVUE    CRITIQUE 

par  exemple  quand  lauieur  déclare  que  les  gens  du  xvii«  et  du 
xvMi"  siècle  payaient  beaucoup  moins  d'impôts  que  nous.  Ce  serait  à 
vérifier,  mais  en  admettant  que  ce  soit  vrai,  combien  ils  pesaient  plus 
lourdement,  que  de  misères  entraînait  le  système  adopté  pour  leur 
perception  1  A  cet  égard,  il  me  paraît  que  notre  condition  actuelle  est 
bien  préférable. 

L.-H.   Labandk. 


Monographie  de  la  cathédrale  de  Tarbes,  par  Louis  Caddau....  Paris,  H.  Cliam- 
pion  ;  Tarbes,  J.   l.csbordes,   1911.  In-8"  de  224  pages. 

Dans  sa  monographie  sur  la  cathédrale  de  Tarbes,  M.  Caddau  a 
présenté  des  renseignements  techniques  très  précieux  sur  les  rema- 
niements opérés  depuis  la  fin  du  xiT  siècle  dans  les  différentes  parties 
de  ce  monument.  Malheureusement,  son  livre  pêche  par  la  compo- 
sition et  n'est  pas  d'une  consultation  aussi  facile  que  Ton  souhaiterait. 
La  partie  historique  ne  paraît  pas  suffisamment  étudiée;  je  sais  bien 
qu'il  n'existe  plus  guère  de  documents  sur  la  cathédrale,  mais  il  me 
semble  que  ceux  qui  ont  subsisté  auraient  pu  être  examinés  d'un  peu 
plus  près  et  surtout  mieux  coordonnés.  M.  Caddau,  en  sa  qualité 
d'architecte  des  monuments  historiques,  était  tout  à  fait  qualifié  pour 
donner  une  description  archéologique  parfaite;  mais,  je  ne  sais  com- 
ment, on  n'arrive  pas,  en  le  lisant,  à  avoir  rapidement  une  idée  nette 
des  principales  époques  qui  ont  marqué  leur  empreinte  sur  l'édifice. 
Il  emploie  aussi  des  termes  qui  ne  sont  plus  de  mise,  par  exemple  il 
continue  à  appeler  ogive  l'arc  en  tiers  point  des  fenêtres.  Il  a  aug- 
menté les  pages  de  son  volume  par  des  hors  d'oeuvre  qui  auraient  pu 
être  laissés  de  côté,  comme  tout  le  chapitre  sur  les  chanoines  et  les 
évêques  concordataires. 

Malgré  cela,  je  reconnais  sans  peine  que  son  livre  restera  pour  les 
constatations  techniques  qu'il  a  été  à  même  de  faire  et  pour  l'indi- 
cation des  travaux  de  restauration  qu'il  a  conduits  en  grande  partie. 
Assurément,  la  cathédrale  de  Tarbes  n'est  pas  un  monument  bien 
merveilleux;  elle  méritait  pourtant  qu'on  s'en  occupât  :  plusieurs  des 
remarques  faites  par  M.  Caddau  (notamment  au  sujet  de  ia  construc- 
tion des  piles  de  la  coupole)  avaient  besoin  d'être  consignées.  C'est 
maintenant  fait. 

L.-H.  Labande. 


The  Cambridge  History  of  English  Literature,  edited  by  A.-W.  Ward  and 
A.-R.  Waller,  vol.  VIII  (The  Age  of  Dryden),  Cambridge,  University  Press, 
1912,  in-8",  5  I  5  pp.,  9  s. 

Le  huitième  volume  de  la  monumentale  histoire  littéraire  qu'édite 
l'Université  de  Cambridge  comprend  seize  chapitres  sur  une  époque 
où  trois  ou  quatre  noms  seulement  se  détachent,  ceux  de  Dryden,  de 
Butler,  de  Locke,  peut-être  de  Congreve.  C'est  dire  que  les  auteurs 


d'histoire  et  de  littérature  65 

secondaires  sont  étudiés  avec  une  aitcntion   minutieuse.  On  a  profité 
aussi  de  ce  que  Tcpoquc  manquait   un  peu  de  grandeur  pour  revenir 
en    arrière  et    combler  les  lacunes  des  volumes  précédents,  d'où  un 
chapitre  sur  les  quakers  qui  aurait  dû  se  trouver  au  septième  tome  et 
une  étude  sur  les  légistes  dont  l'auteur  remonte  aux  lois  d'Ethelbert, 
Deux  grands  faits  dominent  l'époque  de  la  Restauration  :   l'influence 
de  la  littérature  française  et  l'avènement  de  l'esprit  scientifique.  Ils 
sont  tous  deux  exposés  de  façon  fragmentaire  ou  insuffisante.  .Ainsi 
le  professeur  Schelling  analyse  au  chapitre  V  la  part  de  Molière  dans 
le  théâtre  de  la  Restauration,  à  M.  Bartholomew  est  échue  la  tâche  de 
parler  au  chapitre  VII  de  Corneille  en  Angleterre,  enfin   M.  Tilley, 
dans  le  dernier  chapitre,  parle  de  Boileau  et  des  critiques.   Ce  que 
le  docteur  Shipley  dit  du  progrès  des  sciences  est  sans  doute  intéres- 
sant et  exact,  mais  ce  n'est  pas  tout  à  fait  ce  qu'on  attendait.    Le  tra- 
vail curieux  qui  s'accomplissait  dans  les  esprits  sous  l'empire  de  ces 
nouvelles  préoccupations,  il  n'en  parle  pas.  Il  agit   à  la   façon  d'un 
historien  de  la  littérature  au  xix'^  siècle,  qui,  se  bornant  à  raconter  la 
vie  de  Darwin,  ne  songerait  pas  à  déterminer  l'action    des   théories 
darwiniennes  sur  la  pensée  contemporaine.  Pas  un  mot  non  plus  sur 
les  rapports  entre  l'esprit  scientifique  et  le  latitudinarisme  ;  des  allu- 
sions seulement  au  problème  de  l'autorité  ;  rien  sur  l'exégèse  biblique. 
On   sent  l'inconvénient  de  la  méthode    suivie   par  les  auteurs  de 
cette  compilation     Les  éditeurs   ont  fait  appel  surtout  à  des   spécia- 
listes qui  se    sont  consacrés  à  l'étude   de  telle  période,  de  tel  genre, 
de  tel  auteur.   Les    volumes  d'essais    composés  dans   ces  conditions 
ont  les  qualités  d'excellentes  analyses,  on  n'y  cherchera  pas  la  moindre 
tentative  de  synthèse.  —  Ajoutons  quelques  remarques  de  détail  faites 
au  cours  de  la  lecture  :  p.  i8o,   la   traduction  du   Cid  par  Rutter  est 
représentée  devant  Charles  L''  et  la  reine    Henriette  «   avant  lôSy  »; 
p.  371,   la  date  donnée  est  i638,   «  un  peu  plus  d'une  année  après  la 
publication   en   France  ».  Or  la  la  version  de  Rutter  est  du  26  jan- 
vier i63j  (vieux  style),  lire  par  conséquent  16 38,  et  corriger  la  date 
de  la  représentation  donnée   p.   i8o-,  p.  262,  lire  «   the  chevalier  de 
Gramont  »  ;  p.   354,   le   chimiste  en  question  s'appelait  Le  Febure ; 
p.  385,  pourquoi   Pierre  Antonius  Motteux?  il   fallait  dire  Antoine; 
p.  445,  ajouter  qu'un    manuscrit  de  la  pièce   de  Rochester  est  à   la 
Bibliothèque    nationale,  la   pièce   aurait  été   imprimée   à  Anvers  en 
1684;    p.    5o6,    ajouter  à  l'index,    Motteux   P.   A.  433;  on  consul- 
tera avec  fruit  la  bibliographie  des  œuvres  de  Dryden  due  à  M.  H.-B. 
Wheatley,  elle  comble  une  lacune  ;  en  revanche  la  bibliographie  du 
chapitre  XIV  est  indigente,  le  catalogue  des  œuvres  imprimées  de 
Locke  s'arrête  aux  Lettres  publiées  par  T.   Forster  en   i83o,  les  deux 
volumes  de  Lord  King  ne  figurent  qu'à  litre  de  biographie,  aucune 
mention  n'est  faite  de  la  publication,    récente  celle-là,  des  Lettres  à 
Tliqynard,  des  Lettres  à  Grcevius,  les  fragments  publiés  par  H.  Fox 


66  REVUE    CRITIQUE 

Bournc  et  par  A.-C.  1^' raser  sont  passes  sous  silence,  il  manque  enfin 
une  indication  sur  les  lettres,  etc.,  encore  manuscrites  qui  sont  nom- 
breuses; la  bibliographie  des  ouvrages  critiques,  commentaires,  etc., 
est  volontairement  incomplète,  nous  n'y  insisterons  donc  pas;  à  la 
bibliographie  du  chapitre  XV  il  manque  le  livre  de  Lecky  ;  p.  454,  il 
fallait  rappeler  le  thèse  de  M.  F.  Grenslet  sur  Glanvill  ;  si  l'on  songe 
que  les  éditeurs  ont  ajoute  au  volume  une  page  de  corrections,  on  se 
persuadera  qu'il  faut  une  deuxième  édition  pour  mettre  au  point  cet 
ouvrage.  —  En  terminant,  félicitons  M.  Whibley  d'avoir  tenté  une 
réhabilitation  de  Rochester  :  il  v  avait  là  de  quoi  amuser  un  ironiste. 

Ch.   Bastide. 


E.  Gordon  Diff,  The  English  Provincial  Printers,  Stationers  and  Bookbin- 

ders  to  1557.  Cambridge,  Universiiy  Press,    iiji2,  iii-18,    i31i  pp.  4  s. 

Ancien    professeur  de    bibliographie  à  l'université  de  Cambridge, 
M.  Gordon  Duff  connaît  admirablement  l'histoire  de  l'imprimerie  en 
Angleterre.   Aussi  a-t-il  étudié  dans  une  série  de  conférences  (San- 
dars  Lectures)  faites  en    191  i,   les  premiers  imprimeurs  établis  dans 
les  provinces.  La  première  conférence  est  consacrée  aux  imprimeurs 
d'Oxford,  la  seconde  à  ceux  de  Saint-Albans,  York,  Hereford,  la  troi- 
sième à  ceux  d'Oxford  ideuxième  époque)  et  Cambridge,  la  quatrième 
à  ceux  d'Ipswich,  Canterbury,  Exeter,  etc.  Les  renseignements  qu'il 
apporte,  inédits  pour   la  plupart,  sont  du  plus  haut  intérêt.   On  se 
persuadera  à  parcourir  ce  petit  livre  si  plein  de  faits,  que  les  presses 
anglaises  sont  restées  longtemps  tributaires  de  nos  presses  de   Paris 
et  de    Rouen.   Remercions   M.  G.    D.    d'avoir  apporté  sa  pierre  au 
monument  qu'on  doit  élever  à  la  mémoire  de  François  Regriault,  de 
Goupil  et  de  leurs  moins  illustres  confrères.    Quatre  illustrations  — 
documents  bibliographiques  précieux  —  accompagnent  le  texte  et  le 
complètent.  On  consultera  avec  fruit  les  appendices. 

Ch.  B. 


Faguet  (Emile).  Les  amies  de  Rousseau.  Paris,  Sié  fr.  d'imp.  et  de  libr.  [1912]. 
In-80  de  425  p. 

M.  F.  étudie  MM''*  de  Warens,  de  Larnage,  d'Épinay,  d'Houdetot, 
de  Verdelin,  de  Luxembourg,  de  Créqui,  de  Boufflers,  de  la  Tour, 
et  quelques  autres,   note   les  caractères  divers  de  ces  liaisons,   l'in- 
fluence  qu'elles  ont  eue    sur   la  formation   de    son   caractère.    C'est 
d'elles,  dit-il  par  exemple,  qu'il  avait  appris  que  toute  personne  qui 
s'intéressait  à  lui  était  tenue  de  le  défrayer;  je  crois  que  Rousseau 
était  prédisposé  à  le  penser,  vu  qu'il  avait  en  lui  le  germe  de  la  servi- 
lité comme  celui  de  la  fierté;  Saint-Marc  Girardin  disait  spirituelle- 
ment à  propos  de  lui  qu'un  homme  de  cœur  peut  devenir  l'esclave  de 
celle  qu'il  aime,  mais  non  son  domestique  ;  Jean  Jacques  était  orgueil- 


d'histoire  et  de  littérature  67 

leux  faute  de  dignité.  On  remarquera  en  levanche  la  hardiesse  péné- 
trante avec  laquelle  M.  F.  discute  son  témoignage  sur  la  complexiou 
de  M"""  de  Warens,  la  manière  dont  il  explique  pourquoi  il  fut  aimé 
des  femmes,  et  surtout  depuis  la  Nouvelle  Héloïse.  Les  lecteurs  les 
plus  superficiels  seront  cette  fois  obligés  de  reconnaître  à  la  précision 
du  détail  qu'il  serre  les  faits  comme  un  érudit  et  que  les  personnes 
même  obscures  l'attachent,  à  l'occasion,  autant  que  les  idées;  on 
verra  d'ailleurs  par  la  préface  que  les  découvertes  des  fureteurs  ne  lui 
échappent  pas  et  qu'il  sait  les  provoquer.  Les  gens  qui  savent  le 
mieux  leur  xvm''  siècle  trouveront  à  ses  citations  l'attrait  de  la  nou- 
veauté. 

Rousseau,  il  est  vrai,  ne  sort  pas  grandi  de  son  enquête;  sans 
doute,  à  certains  égards,  on  l'y  voit  meilleur  que  ses  contemporains; 
sa  gourmandise,  comme  le  dit  M.  F.,  n'est  pas  la  goinfrerie  de  Dide- 
rot; il  est  moins  intrigant  que  Voltaire  (que  M.  F.  a  le  tort  d'appe- 
ler un  scéléi'at)  ;  mais  J.  J.  n'a  rien  gagné  à  vivre  avec  ces  femmes 
plus  généralement  encore  dissolues  que  spirituelles  ;  quelques-unes 
ont  eu  pour  lui  une  affection  sincère,  point  sensuelle  ni  calculatrice, 
car  ces  grandes  dames  soignaient  les  auteurs  plus  qu'elles  ne  les 
courtisaient  et,  dans  ce  cas,  M.  F.  le  fait  valoir  avec  une  charmante 
délicatesse  ;  mais  au  total  c'était  un  vilain  monde,  si  vilain  que  quand 
M.  F.  v  rencontre  une  femme  qui  n'a  eu  qu'un  amant,  il  est  tout  près 
de  la  tenir  pour  honnête,  oubliant  la  noble  et  victorieuse  défense 
qu'il  a  prise  ailleurs  de  la  vraie  morale  contre  la  morale  des  conces- 
sions à  la  pluralité. 

Pourquoi  ne  nous  peindrait-il  pas  dans  leur  iniiniité  ceux  de  nos 
grands  écrivains  qui  ont  eu  un  foyer  respectable,  dont  les  faiblesses  ne 
furent  que  des  folies  de  jeunesse  ou,  si  l'on  veut,  des  manteaux  de 
cour  qu'ils  laissaient  à  la  porte  de  leur  maison?  Il  n'y  a  pas  pour  lui 
de  sujets  rebattus;  ce  livre  en  est  une  nouvelle  preuve.  Sa  critique 
demeurerait,  on  peut  en  être  sûr,  libre  et  perspicace,  et  cette  fois 
viendrait  en  aide  à  sa  philosophie  politique. 

Charles  Dejob. 


André  Godard,  Le  procès  du  neuf  thermidor.    Paris,   Bloud,   191 2,   xxxii   et 

?26  pages  in- iG. 

Jamais  encore  depuis  Louis  Blanc  et  Ernest  Hamel,  Robespierre  et 
son  groupe  n'ont  été  jugés  avec  plus  d'intelligente  sympathie  que  par 
l'auteur  de  ce  livre  qui  est  un  démocrate  chrétien.  M.  Godard  a  été 
séduit  par  ce  qui  fut  l'essentiel  dans  la  vie  de  Robespierre,  l'apostolat 
moral  et  social,  la  poursuite  du  bien  public.  Il  a  été  non  moins  vive- 
ment frappé  par  la  laideur  de  ses  adversaires,  le  crime  de  ses  vain- 
queurs. Et  il  s'est  dit  que  le  mot  de  Cambacérès  à  Napoléon  :  «  Sire, 
c'est  un  procès  jugé  mais  non  plaidé  »  était  profondément  vrai.  Il 
nous  donne  aujourd'hui  ses  premières  conclusions  qui   seront  suivies 


6g  REVDE    CRITIQUE 

d'auires  :  Robespierre  n'a  pas  ctô  Tauieur  de  la  continuation  de  la 
Terreur,  la  loi  de  prairial  n'a  fonctionné  qu'aux  mains  de  ses  enne- 
mis, c'est  pour  avoir  voulu  arrêter  les  boucheries  qu'il  a  été  renversé; 
loin  d'être  un  fauteur  d'anarchie,  il  voulait  organiser  la  république 
pour  la  faire  durer,  etc.  Sur  tous  ces  points,  je  suis  d'accord  avec 
M.  Godard,  j'ajoute  qu'il  a  écrit  des  pages  d'une  haute  inspiration 
comme  celles  où  il  montre  que  les  violences  de  l'époque  révolution- 
naire ne  doivent  pas  en  bonne  justice  retomber  sur  des  individus  iso- 
lés, mais  sur  les  groupes  et  les  ambiances. 

Mais  M.  Godard,  écrivain  nerveux  et  élégant,  penseur  probe,  n'est 
pas  un  historien  de  profession.  Son  livre  n'est  qu'une  réunion  d'ar- 
ticles détachés  où  les  répétitions  abondent.  Il  ne  soucie  pas  de  la 
chronologie  et  nulle  part  il  ne  nous  donne  un  tableau  d'ensemble  de 
la  politique  robespierriste.  Ses  références  sont  incomplètes,  son  infor- 
mation parfois  vieillie,  d'où  des  jugements  contestables. 

Je  crains  que  M.  Godard  se  laisse  emporter  à  son  insu  par  ses  par- 
tis pris  confessionnels  quand  il  croit  à  l'influence  prépondérante  que 
la  franc-maconnerie  aurait  exercée  sur  les  hommes  et  sur  les  choses 
de  la  Révolution.  S'il  est  certain  que  Robespierre  se  fît  beaucoup 
d'ennemis  en  s'opposant  à  la  déchristianisation  violente,  si  ce  fut  une 
des  raisons  de  sa  chute,  c'est  une  supposition  toute  gratuite  d'imagi- 
ner que  la  franc-maçonnerie  a  comploté  sa  perte.  Lui-même  était 
probablement  franc-maçon,  mais  M.  Godard  distingue  les  bons  et  les 
mauvais  francs-maçons  1  J'ai  montré  ailleurs  '  que  la  politique  reli- 
gieuse de  Robespierre  n'eut  rien  de  réactionnaire.  Le  philosophe  chez 
lui  condamnait  toutes  les  religions  positives,  le  législateur  consentait 
à  les  laisser  vivre  provisoirement  par  opportunité  et  par  nécessité 
sociale. 

M.  Godard  croit  encore  à  l'ascendance  britannique  de  Robespierre 
(p.  189).  Il  attribue  à  Hébert  un  jugement  que  Robespierre  a  porté 
sur  Léonard  Bourdon  (p.  gS),  il  admet  la  légende  d'un  Robespierre 
qui  excite  la  risée  du  barreau  et  se  fait  siffler  à  la  Constituante  pour 
ses  méchants  discours  (p.  192),  il  s'imagine  faussement  qu'il  ne  prit 
aucune  part  à  l'insurrection  du  10  août  dont  il  fut  l'inspirateur  et  le 
guide  (p.  189),  il  situe  en  juin  1793  le  célèbre  discours  de  Danton  sur 
l'audace  qui  est  du  2  septembre  1792,  il  se  trompe  quand  il  doute  du 
suicide  de  Le  Bas  et  de  celui  de  Robespierre  %  etc. 

J'ai  peine  à  admettre  que  Saint-Just  et  Payan  aient  été  les  mauvais 
génies  de  Robespierre  (p.  71),  que  Saint-Just  notamment  l'ait  poussé 
au  terrorisme  (p.  i36).  Enfin  M.   Godard   n'a  pas  vu  les   véritables 

1.  Robespierre  et  la  déchristianisation  dans  les  Annales  re'vohttionnaires,  t.  II 
(1909),  pp.  32i-5i3  ;  Robespierre  et  le  Culte  de  l'Etre  suprême,  ibid.,  t.  III  (1910), 
pp.  209-238. 

2.  Voir  à  ce  sujet  Tétude  de  M.  Aulard,  Robespierre  et  le  gendarme  Méda,  dans 
Études  et  leçons  sur  la  Révolution  française,  1^"  série. 


d'histoire  et  de  littérature  69 

raisons  de   la   brouille    entre    Robespierre    et   Danton.    Les  dessous 

financiers  de  la  Terreur  lui  échappent. 

Quoi  qu'il  en  soit,  en  dépit  de  ses  lacunes,  de  ses   erreurs,  de    ses 

exagérations,  ce  livre,  je  le  répète,  est  un  ouvrage   consciencieux  et 

sincère  qui  mérite  de  retenir  l'attention.  Souhaitons  qu'il  ait   bientôt 

une  suite. 

Albert  Mathiez. 


Germany  in  the  Nineteenth  Century.  Five  Lectures  by  J.  H.  Rose,  C.  H.  Her 
FORD,  E.  C.  K.  GoNNER  and  M.  E.  Sadler.  Manchester,  University  Press,  191  2, 
In-8°,  pp.  21  et  142.  Sh.  2,60. 

Il  ne  manque  pas  en  Angleterre  et  en  Allemagne  de  bonnes  volontés 
désireuses  d'atténuer  les  malentendus  qui  s'élèvent  entre  les  deux 
pays.  La  publication  du  présent  volume  est  due  à  une  de  ces  louables 
intentions  et  le  nom  de  lord  Haldane  qui  en  a  écrit  la  préface,  symbo- 
lise heureusement  ce  désir  de  conciliation.  Les  auteurs  des  cinq  con- 
férences dont  le  livre  se  compose  se  sont  donc  donné  pour  tâche 
d'éclairer  impartialement  le  grand  public,  après  leurs  auditeurs  uni- 
versitaires, sur  le  développement  de  l'Allemagne  au  dernier  siècle. 
M.  Rose  a  présenté  un  aperçu  fidèle  et  naturellement  très  bienveil- 
lant de  l'histoire  politique  et  de  la  formation  de  l'Empire,  et  appelé 
résolument  l'œuvre  de  Bismarck  «  un  gain  pour  l'Angleterre  ».  L'évo- 
lution intellectuelle  et  littéraire  a  été  traitée  avec  plus  d'ampleur  (deux 
conférences  ont  été  consacrées  au  sujet)  et  plus  d'originalité  par 
M.  Herford.  Cette  esquisse  dans  sa  brièveté  est  intéressante  et  la 
meilleure  de  toutes  celles  du  recueil.  Au  lieu  de  se  borner  à  une 
sèche  revue  en  suivant  l'ordre  chronologique,  l'auteur  a  voulu  déga- 
ger les  principes  nouveaux  qui  lui  ont  paru  avoir  commandé  au 
xix*"  siècle  le  développement  de  l'Allemagne  en  orientant  ses  poètes, 
ses  historiens,  ses  savants,  ses  philosophes  dans  des  voies  nouvelles  : 
l'amour  de  la  science,  le  respect  du  fait,  le  sens  du  primitif  et  la 
compréhension  des  origines,  la  notion  d'évolution,  le  culte  de  l'idée, 
telles  ont  été  à  ses  yeux  les  sources  génératrices  des  conquêtes  de 
l'Allemagne  moderne.  L'histoire  de  son  développement  économique 
ne  devait  pas  manquer  dans  ce  livre  ;  c'est  la  question  brûlante  entre 
les  deux  pays.  M.  Gonner  l'a  traitée  sans  parti-pris,  en  suivant  surtout 
Sombart,  et  il  a  bien  caractérisé  le  passage  d'une  Allemagne  agricole 
à  l'Allemagne  industrielle  de  nos  jours.  Enfin  la  dernière  conférence, 
celle  de  M.  Sadler,  a  été  réservée  à  l'histoire  de  l'éducation  ;  il  a  fait 
surtout  un  parallèle  du  développement  pédagogique  de  l'Allemagne 
et  de  l'Angleterre,  avec  de  grandes  louanges  à  l'adresse  de  la  politique 
scolaire  de  la  Prusse  et  des  regrets  voilés  pour  la  timidité  que  son 
propre  pays  a  mise  à  emprunter  les  bienfaits  d'institutions  modèles. 
Ces  courts  aperçus  auront  le  mérite  de  familiariser  les  lecteurs  anglais 
avec  les  titres  de  supériorité  de  leurs  concurrents.  Le  but  poursuivi 


-O  REVUE    CRITIQUE 

par  les  auteurs  et  le  cadre  étroit  d'une  oeuvre  de  vulgarisation  leur 
interdisaient  les  critiques  ;  ils  auraient  pu  néanmoins,  sans  que  l'éloge 
perdit  de  sa  valeur,  indiquer  quelques  réserves  '• 

L.  R. 


H.  HoussAYE,  léna    et  la    campagne    de   1806.    Introduction    par  L.    Madelin. 
Paris,  Pcrrin.  1912,  in-8-,  i.xiir  et  274  p.,  cartes,  7  fr.  5o. 

I.  L'historien  de  /cV/7  ci  iS'i5  a  voulu,  avant  de  mourir,  se  don- 
ner la  consolation  de  raconter  une  des  campagnes  glorieuses  de  l'épo- 
pée impériale.  M.  Madelin  nous  apprend  comment  Houssaye  fut 
amené  à  choisir  celle  de  1 806  qu'il  considérait  comme  la  page  la  plus 
étonnante  de  nos  annales  militaires.  Ce  n'était  pas  un  terrain  vierge  : 
de  nombreux  écrivains  français  et  allemands  l'avaient  déjà  détriché  ; 
et  après  les  savants  travaux  de  Von  Hôpfner,  Lettow-Vorbeck,  Von 
der  Goltz,  Foucart  et  Bonnal,  Houssaye  ne  pouvait  songer  qu'à  com- 
pléter, condenser  ses  prédécesseurs,  et  il  se  résigna  à  ne  faire  qu'une 
œuvre  de  vulgarisation  destinée  au  grand  public. 

Il  a  écarté  de  son  récit  à  peu  près  tout  ce  qui  n'appartient  pas  à 
l'histoire  militaire.  Mais,  s'il  a  consacré  son  premier  chapitre  aux  pré- 
liminaires de  la  guerre  franco-prussienne,  il  a  trop  brièvement  men- 
tionné les  causes  de  la  rupture,  et  a  passé  complètement  sous  silence 
la  tentative  de  rapprochement  entre  la  France  et  l'Angleterre.  C'est  la 
perspective  d'une  paix  possible  avec  Londres  qui  amena  Napoléon  à 
vouloir  reprendre  le  Hanovre  aux  Prussiens.  Frédéric  Guillaume  III 
n'avait  accepté  l'électorat  qu'avec  la  plus  mauvaise  grâce  et  presque 
par  contrainte,  mais  il  lui  en  coûtait  maintenant  de  s'en  dessaisir. 
Houssaye  aurait  donc  dû  renoncer  à  exposer  les  causes  de  la  guerre, 
ou  s'efforcer  de  les  indiquer  toutes  en  quelques  pages. 

Après  nous  avoir  amenés  à  la  veille  des  hostilités,  Houssaye 
esquisse  le  tableau  de  l'Etat  major  prussien,  et  insiste  justement  sur 
la  confusion  qui  régnait  à  Erfurt  et  à  Weimar,  et  sur  les  discordes 
intestines  qui  frappaient  de  stérilité  toutes  les  combinaisons  des 
généraux  ennemis.  On  regrettera  qu'il  nait  pas  connu  directement  la 
relation  de  Gentz  :  elle  lui  aurait  fourni  des  détails  précieux  sur  ces 
instants  où  le  sort  de  la  Prusse  se  préparait. 

Houssaye  est  plutôt  indulgent  pour  Brunswick,  et,  tout  en  blâmant 
son  indécision,  il  semble  l'approuver  d'avoir  résolu  un  mouvement  en 
avant  au  lieu  de  chercher  une  position  d'attente  jusqu'à  l'arrivée  des 
Russes.  Pourtant,  le  jugement  de  Napoléon  est  tout  opposé  :  «  Le  duc 
de  Brunswick  est  un  sot  général  à  mes  yeux;  il  croyait  que  je  serais 
sur  la  défensive,  et  il  prit  l'offensive,  « 

I.  Deux  légers  lapsus:  p.  xvii,  Heine  est  mort  en  i856,  non  en  /<*^.^/  :  écrire 
p.  21,  iSgb,  non  i~g5. 


d'histoire  et  de   littérature  71 

Les  combats  de  Schleiiz  et  do  Saalfcld,  !a  bataille  d'Iéna  sont  pré- 
sentés avec  toute  la  concision  élégante,  la  clarté  et  l'entrain  qui  firent 
lesuccès  de  l'auteur.  11  laisse  entendre  que  le  14  octobre,  h  10  heures 
du  malin,  si  le  prince  de  Hohenlohe,  au  lieu  d'attendre  Ruchel,  avait 
marché  avec  décision  sur  Vierzehnheiligen,  il  aurait  eu  une  chance  de 
rendre  la  victoire  douteuse.  La  faute  commise  par  le  général  prussien 
est  manifeste  ;  mais  qu'aurait-il  pu  contre  les  sages  dispositions  de 
Napoléon?  «  Si  Lannes  avait  été  battu,  explique  l'Empereur,  lu  garde 
aurait  tenu  assez  pour  donner  à  Soult  et  à  Augcreau  le  temps  de 
déboucher  <■>,  et  ainsi  eut  été  réalisée  de  toute  façon  la  manœuvre 
conçue. 

L'exposition  de  la  bataille  d'Auerstiidt  est  moins  soignée.  Hous- 
saye  s'est  contenté  trop  souvent  de  consulter  les  travaux  antérieurs, 
sans  remonter  aux  sources  mêmes.  De  là  quelques  inexactitudes  :  par 
exemple,  il  attribue  la  conduite  coupable  de  Bernadotte  à  la  haine  et 
à  la  jalousie  qu'il  nourrissait  contre  Davout  ;  c'est  bien  conforme  au 
caractère  du  prince  de  Ponte  Corvo,  mais  Napoléon  lui  attribue  un 
grief  particulier  dans  l'occasion  :  «  Bernadotte  voulait  avoir  la  tête  de 
colonne  sur  Davout.  »  De  plus,  l'Empereur,  à  Sainte-Hélène,  ne  s'est 
pas  contenté  de  dire  qu'il  songea  un  instant  à  envoyer  Bernadotte 
devant  un  conseil  de  guerre,  et  il  fallait  citer  ces  mots  vraiment 
curieux  :  «  J'aurais  dû  faire  fusiller  Bernadotte  ;  je  me  repens  de  ne 
pas  l'avoir  fait,  mais  il  est  venu  pleurer  chez  Berthier.  » 

L'auteur  commet,  en  outre,  quelques  confusions  gênantes  :  il  place 
(p.  127;  le  village  de  Hassenhausen  à  i5  kilomètres  de  Dornburg; 
c'est  de  Naumburg  évidemment.  — Dans  la  longue  note  (p.  127-129) 
où  il  discute  la  question  de  savoir  si,  comme  Thiers  l'afhrme,  Davout 
connaissait  la  présence  de  l'armée  du  roi  et  de  Brunswick  devant  lui, 
il  y  a  des  erreurs  plus  graves.  Davout  était  le  i3  à  Naumburg,  com- 
ment aurait-il  écrit  à  Berthier  qu'  «  une  reconnaissance  faite  à 
10  heures  du  matin  prouverait  que  l'ennemi  occupe  toujours  léna  et 
qu'il  rallie  ses  forces  à  Eckartsberga  »?  Berthier  seul  aurait  pu  ren- 
seigner le  chef  du  3''  corps  sur  ce  qui  se  passait  à  léna.  —  Plus  loin, 
dans  la  même  note,  Houssaye  dit  que  Bernadotte,  en  agissant  comme 
il  l'a  fait,  aurait  commis  un  crime,  s'il  avait  été  averti  de  l'approche 
vers  Dornburg'  de  la  principale  armée  prussienne.  C'est  encore  vers 
Naumburg  qu'il  faut  lire. 

Là  s'arrête  Houssaye,  la  mort  ne  lui  a  pas  laissé  le  temps  de  racon- 
ter la  poursuite,  de  terminer  ce  qu'il  appelait  une  bataille  de  trente- 
neuf  jours.  Répétons-le,  il  voulait  écrire  un  ouvrage  de  vulgarisa- 
tion, et  il  s'est  borné  à  résumer  les  auteurs  militaires;  il  n'a, en  somme, 
rien  apporté  de  nouveau.  Si  ce  récit  n'est  pas  indigne  de  son  noble 
talent  etde  son  ardent  patriotisme,  il  n'en  restera  pas  moins  toujours 
l'auteur  de  iSi^ex  de  18 15,  et  l'œuvre  nouvelle  n'ajoutera  pas  grand 
chose  à  sa  réputation. 


72  REVUE    CRITIQUE 


II.  Sur  le  désir  de  la  famille  et  des  amis  du  maître,  M.  Madelin 
s'est  chargé  de  pousser  l'histoire  de  la  campagne  de  Prusse  jusqu'aux 
capitulations  de  Blucher  et  de  Kleist  que  Houssaye  avait  marquées 
comme  les  bornes  de  son  livre  C'est  une  lâche  ardue  que  de  reprendre 
la  plume  tiède  encore  d'un  mort  si  regrette  et  si  éminent.  Comme 
pour  mieux  montrer  la  difficulté,  M.  M.  s'est  appliqué  à  évoquer  dans 
son  introduction  la  vie  et  l'œuvre  de  Houssaye.  Dans  sa  chaude 
amitié,  dans  sa  vive  reconnaissance,  il  a  peint  un  beau  portrait  de 
l'écrivain,  de  l'homme,  du  patriote. 

Après  les  éloges  mérités  qu'il  prodigue  à  son  maître,  il  s'étonnerait 
justement  que  l'on  tente  une  comparaison  entre  eux,  et  si  l'on  ne  peut 
s'empêcher  de  regretter  légèrement  la  forme  claire,  précise,  concise 
des  premiers  chapitres,  on  rendra  néanmoins  justice  aux  qualités  du 
continuateur.  Le  récit  que  fait  M.  M.  de  la  poursuite,  de  la  rafle  de 
l'armée  vaincue,  selon  une  expression  qu'il  affectionne,  est  vif  à 
souhait. 

Il  ne  conçoit  peut-être  pas  toute  l'importance  stratégique  de  cer- 
tains mouvements,  et  il  ne  parle  qu'incidemment  du  passage  de  l'Elbe 
par  les  corps  français.  Napoléon  tenait  cette  opération  pour  capitale  : 
«  Si  Davout  ne  s'était  pas  emparé  du  pont  de  "Wittenberg,  les  suites 
d'Iéna  n'auraient  pas  été  aussi  grandes.  » 

Il  s'étend  sur  l'occupation  de  Berlin  et  sur  les  sentiments  de  la  po- 
pulation prussienne  ;  ne  s'esl-il  pas  ainsi  écarté  du  cadre  tracé  par 
Houssaye? 

Dans  l'histoire  même  de  la  fuite  éperdue  on  relève  quelque  flotte- 
ment. Il  écrit  (p.  217)  que  Blucher  se  dirige  vers  le  nord-ouest,  igno- 
rant la  catastrophe  de  Prenzlow  et  comptant  sans  doute  gagner  Stet- 
tin.  C'est  vers  le  nord-est  que  marche  Blucher  ;  un  simple  coup  d'œil 
sur  la  carte  le  prouve. 

Enfin,  il  y  a  dans  l'orthographe  des  noms,  des  fautes,  des  varia- 
tions qui  trahissent  beaucoup  de  négligence  dans  la  revision  des 
épreuves  '. 

A.    BiovÈs. 


I.  Lire  au  lieu  de  C^ar,Scharnhost,  Warnliagen,  Genty,  Riichel,  Blucher,  Treil- 
liard,  Cotiroiix,  Bia-ke,  Mollendorf,  Huffeland,  Schiilembowg,  Hœtickel,  Meitiner, 
Villiers,  Koller,  des  Taillis,Tsar,  Scharnhorst,Varnhagen,  Gentz,  Rûchel,  Blucher, 
Treillard,  Conroux,  Bourke,  Mollendorf,  Hufeland,  Schulenbourg,  Henckel,  Môr- 
ner,  Villers,  Kôhler,  Dutaillis.  Lire  au  lieu  de  Neufchdtel,  Cospedaer,  Ekavs- 
berg,  Wissensee,  Holle,  Wittinberg  et  Wittemberg,  Tangermunde,  Travemuiide, 
Neuchatel,  Cospeda,  Eckarisberg,  Weissensee,  Halle,  Wittenberg,  Tangermunde, 
Travemiinde.  —  P.  88  il  n'y  avait  pas  de  corps  Suchet.  —  p.  11 5,  ne  faut-il  pas 
lire  plutôt  :  jet:^t  ^u  Kapellendorf  ?  —  p.  1 18,  pourquoi  dire  le  Colimaçon  au  lieu 
de  la  Schnecke  ?  —  p.  t35,  il  n'y  avait  pas  de  division  Grange,  mais  une  division 
d'Orange.  —  p.  i85,  pourquoi  accoler  le  nom  de  Hardenberg,  même  entre  paren- 
thèses, 2i\i.\  Mémoires  diin  homme  d'état  dont  chacun  connaît  les  auteurs?  — 
p.  204,  peut-on  dire  assauter  une  ville  ? 


d'histoire  et  de  littérature  73 

Le  roi  Joseph  Bonaparte.  Lettres  d'exil  inédites,  publiées  par  Hector  Fleisch- 
MANN,  d'après  les  documents  originaux  appartenant  à  M.  le  baron  de  Mencval. 
Paris,  Charpentier  et  Fasquclle.  1912.  ln-8»,  317  p.  3  fr.  5o. 

L'introduction  du  livre,  très  fouillée  et  faite  avec  soin,  est  consacrée 
à  «  M.  de  Meneval  et  les  Napoléon  «  ;  M.  Fleischmann  retrace  la 
carrière  de  Joseph  (j'aurais  voulu  qu'il  cite  ici  le  mot  d'aménité  qui 
revient  toujours  dans  les  récits  des  contemporains  lorsqu'ils  nous 
parient  du  caractère  de  Joseph)  ainsi  que  celle  de  Meneval,  puis,  il 
publie,  en  l'accompagnant  de  sommaires  et  de  notes,  la  correspon- 
dance des  deux  personnages  de  1825  à  1844.  Dirons-nous  avec  lui 
qu'elle  est  «  pareille  aux  conques  marines  où  retentit  le  sanglot  des 
mers  captives  »  et  que  «  résonne  ici  le  fracas  lointain  de  l'Empire, 
l'éclat  de  ses  fanfares  de  gloire  et  comme  l'écho  même  des  grandes 
vagues  qui  battirent  le  rocher  d'où  la  légende  napoléonienne,  les 
mains  pleines  de  lauriers  et  de  cyprès,  s'élança  vers  l'immortalité  des 
mers  humaines  »  ?  En  tout  cas,  ces  lettres,  d'ailleurs  commentées  avec 
diligence  et  exactitude,  nous  renseignent  sur  le  napoléonisme  de 
Joseph  ;  on  le  voit  toujours  désireux  de  servir  la  cause  des  idées  napo- 
léoniennes, écrire  au  duc  de  Reichstadt,  suivre  d'un  œil  attentif  la 
marche  de  l'esprit  public  en  France,  rassembler  toutes  les  publications 
qui  traitent  de  l'Empire  et  de  l'Empereur,  protester  contre  Norvins 
qui  l'appelle  le  «  faible  Joseph  »,  collaborer  au  recueil  intitulé  Bour- 
vienne  et  ses  erreurs,  quitter  les  États-Unis  pour  s'établir  à  Londres 
et,  de  là,  non  seulement  défendre  la  mémoire  de  son  frère,  et  répandre 
la  légende  d'un  Napoléon  pacifique  et  libéral  ',  mais  s'occuper  de  ses 
neveux,  du  comte  Léon  (dont  le  beau-père  de  Meneval  avait  la 
tutelle^)  et  de  Louis-Napoléon  dont  il  blâma  les  tentatives  téméraires, 
régler  des  différends  de  famille  (notamment  avec  Caroline),  etc.  \ 

A.  Ghuquet. 


Lieutenant-colonel  Basil  Jackson.  Waterloo  et  Sainte-Hélène,  notes  et  souve- 
nirs d'un  officier  d'état-major,  édités  par  R.-C.  Seaton.  Traduit  de  l'anglais  par 
Em.  Brouwet.  Paris,  Pion,  1912.  In-8°,  xxi  et  280  p.  3  fr.  5o. 

Ce  livre  méritait  d'être  traduit,  et  le  traducteur  nous  semble  s'être 
fort  bien  acquitté  de  sa  tâche;  son  Introduction  est  faite  avec  savoir, 
avec  goût,  et  il  apprécie  justement  Jackson,  l'auteur  de  ces  Mémoires 

1.  K  Vous  savez,  écrit-il  à  Meneval  (p.  209),  combien  le  culte  de  Napoléon  doit 
être  fervent  dans  la  postérité  »;  cette  lettre  est  une  des  plus  remarquables  du 
volume. 

2.  Voir  la  lettre  'p.  25i)  où  il  rompt  tous  rapports  avec  Léon. 

3.  P.  42,  l'éditeur  est  bien  sévère  envers  Taine  («  ces  journaux  anglais  écri- 
vaient l'histoire  à  peu  près  à  la  manière  de  feu  M.  Hippolyte  Taine  »);  p.  11 3, 
lire  sans  doute  Mounier  et  non  Monnier;  p.  126  et  r33,  Maingarnaud  et  non  Main- 
gernaud;  p.  137,  ce  Chambure  doit  être  le  Chambure  du  siège  de  Danzig  ;  p.  171, 
Pozzo  di  Borgo  est  né  à  Alata  et  non  à  Alatre. 


74  REVUE    CRITIQl'E 

republics  on    i()o3  par  M.  Scaton    Ce  Jackson  ajoute  à  ce  que  nous 
connaissons  de  Waicrloo  nonibrc  Je   détails  curieux  ;  il  a  porté,  le 
I  5  juin  au  soir,  l'ordre  de  concentration  ;  il  a  vu,  le  16,  la  (in  du  com- 
bat ;  il  a,  le  17,  à  Genappe,  mis  un  peu  d'ordre  dans  la  retraite;  il  a, 
le  18,  accompagné  Wellinj^ton  ;  il  a,  le  19,  porté  de  nouveau  un  ordre, 
celui  de   marcher  en  avant.  Entre  temps   il  s'est  rendu   deux   fois  à 
Bruxelles  et  il  dépeint  les  scènes  de  panique  que  provoqua  la  fausse 
nouvelle  du  triomphe  des  Français.  Il   a   fait  un  assez  long  séjour  à 
Paris  et  il  assista,  sur  la  place  du  Carrousel,  à.  Penlèvement  des  che- 
vaux de  Saint-Marc.  Le  passage  le  plus  notable  peut-être,  dans  cette 
première  partie  de  son  récit,  c'est  le  passage  sur  Wellington,  suivant 
de  sa  lorgnette  les  mouvements  de  l'ennemi,  allant  partout,  et  partout 
rétablissant  le  combat,  plein  de  confiance  dans  l'issue  de  la  lutte  et 
montrant  une  grande  assurance,  mais  avouant  plus  tard  qu'il  crut, 
par  quatre  fois,  la  bataille  perdue.  A  côté  de  Wellington  se  dessinent 
quelques  vaillants  hommes,  Barnes,   Ellis,  Lloyd,  Picton,  Torrens, 
Uxbridge.  Les  Anglais  ont,  sans  doute,  toujours  le  beau  rôle  ;  mais 
Jackson  n'a  pas  une  grande  sympathie  pour  les  Prussiens  qu'il  nous 
représente  comme  des  pillards' et  des  voleurs.   De  Waterloo  il  nous 
mène   à  Saint-Hélène  où  il  suivit  Lowe.  Il  parlait  couramment   le 
français  et  il  fut  admis  dans  l'intimité  des  Bertrand,  des  Montholon  et 
même  de  Gourgaud  ;  mais  Napoléon  (dont  il  a  dessiné  un  remarquable 
portrait  qui  hgure  en  tête  de  ce  volume)  ne  le  reçut  qu'une  fois.  Tout 
ce  qu'il  dit  de  l'Empereur  et  de  ses  compagnons  mérite  d'être  lu.  C'est 
ainsi  qu'il  juge  Gourgaud  «  vaniteux  et  un  peu  fou  «  ;  selon  Jackson, 
le  général,    après  s'être  tourné  contre  Napoléon,    comprit  qu'il    ne 
serait  quelqu'un  que  s'il  était  avec  éclat  l'homme  de  l'Empereur  et  il 
revint  alors  sur  ses  dires  (p.   igi  et   196-197).  Plus  tard,  en  France, 
Jackson  a  vécu  chez  Montholon,  et  ce  dernier  lui  expliqua  la  politique 
de  Longwood,  l'assura  que  même  un  ange  descendu  du  ciel   n'aurait 
pu  plaire  comme  gouverneur  à  Napoléon  et  à  sa  suite  (p.   199)-  Jack- 
son fait  naturellement  un  grand  éloge  de  Hudson   Lowe  qu'il  tient 
pour   un   homme  «  sortant  de  l'ordinaire  »  (p,  249)  et  qui  lui  semble 
avoir  été  la  victime  des  gens  de  Longwood  (p.  214).  On  remarquera 
dans  l'appendice  l'adresse  de  félicitations  et  de  remerciements  votée 
par  la  municipalité  de  Marseille  à  Fîudson   Lowe  quand  les  troupes 
anglaises  s'éloignèrent  de  la  ville  en  1 8 1  5  et  le  rapport  de  Jackson  au 
gouverneur  lorsque  Gourgaud  quitta  Sainte-Hélène  '. 

A.  Chuquet. 

Notre  pays  à  travers  les  âges,  Histoires  de  Flandre  et  d'Artois,  recueillies 
pai-  MM.  A.  DE  Saint-Léger  et  F.  Lennel,  préface  de  M.  Peltier.  Lille,  Robbe, 
191  2.  In-S".  260  p.  (avec  gravures). 

MM.  de  Saint-Léger  et  Lennel  ont  fait  là  un  excellent  recueil  d'his- 
I .  P.  129  et  i3o,  lire  Marchant  et  non  Marchand. 


d'histoire  kt  de   littérature  75 

loirc  locale  et  les  écoliers  de  Flandre  et  d'Artois  qui  le  liront,  sui- 
vront ainsi  les  destins  de  leur  pavs  natal  à  travers  les  àg<îs.  Les  mor- 
ceaux,  courts,    bien   choisis,  rangés  selon    Tordre   chronologique  ', 
offrent  une  lecture  facile  et  intéressante.  Tous  les  aspects  de  la  contrée 
se  présentent  à  nous.   M.  Demangeon  inaugure   le  volume   par  un 
tableau   géographique    et    le    termine   par   un    tableau    économique. 
Chaque  époque  a  sa  part,  et  son  caractère  essentiel  se  dégage.  Nombre 
d'auteurs,  les  plus  divers  et  les  plus  connus,  ont  eié  mis  à  contribu- 
tion :  Giry  (l'abbaye  de  Saint-Bertin,  la  Gilde  de  Saint-Omer),  Van- 
derUindere  (la  loi  de   Prisches),  Henri   Malo  (le  comté  de  Boulogne, 
Jean-Bart),    Luchaire    (la    bataille    de    Bouvines),    Guy    (Arras    au 
xin''  siècle),  Richard  (La  comtesse    Mahaut),   Pirenne  (la  bataille  de 
Cassel,  les  iconoclastes),  Lennel  (Calais  et  Edouard  III,  Calais  et  le 
duc  de  Guise),  Saint-Léger  (le  vœu  du  faisan,  les  Hurlus),  duc  d'Au- 
male  (Lens,   les   Dunes),   Sagnac  (les  classes  sociales,   les  cahiers  de 
1789),   L.    Legrand  (Senac  de    Meilhan),  J.-A.   Paris   (Robespierre), 
Chuquet  (Wattignies),   Lecesne   (Arras  sous   la  Terreur),  Faidherbe 
(Bapaume),  etc.,   etc.   Nous  félicitons  les  éditeurs  de  ces  Morceaux 
choisis  et  nous  souhaitons  qu'il  y  ait  partout  en   France  de  pareils 
tableaux  de  la  petite  patrie  et  de  semblables  recueils  où   enfants  et 
hommes  mûrs  trouveront  une  suite  de  récits  et  de  réflexions  sur  l'es- 
prit de  leur  région,  sur  ses  institutions,  sur  le  rôle  qu'elle  a  joué  dans 
les  grands  événements  de  l'histoire  générale  '.    . 

A.  Chuquet. 


A.  ScRiBAN,  Ortografia  romîneasca.  Jassy,  I.  V.  lonescu,  191  2  ;  in- 16  de  40  pages. 
Dans  cet  opuscule  où  il  expose  comment  on  peut  rendre  d'une 
façon  simple  et  rationnelle  les  divers  sons  de  la  langue  roumaine  lit- 
téraire, M.  Scriban  cherche  à  réagir  contre  les  règles  orthographiques 
assez  compliquées,  et  d'ailleurs  pleines  de  contradictions,  qui  ont  été 
données  en  1904  par  l'Académie  de  Bucarest.  Je  crois  qu'il  a  grande- 
ment raison.  Tout  ce  qui  pourra  faciliter  l'accès  de  cette  langue  si 
intéressante  en  soi,  mais  parfois  un  peu  déconcertante,  sera  le  bien- 
venu. Ainsi,  par  exemple,  pourquoi  écrire  tantôt  i  tantôt  d  {Romin  ou 
Roman)  un  son  qui  est  identique  dans  tous  les  cas?  L'adoption  uni- 
forme du  signe  /'  est  tout  indiquée,  et  finira  bien  par  s'imposer  tôt  ou 
tard.  D'autre  part  l'Académie  n'a-t-clle  pas  commis  un  véritable  abus 
de  pouvoir  et  même  une  sorte  de  falsification  en  recommandant  d'or- 

1 .  Il  ne  faudrait  pas  abuser  des  points  de  suspension,  ni  même  en  user,  et  mieux 
vaut  donner  à  la  jeunesse  scolaire  l'impression  d'un  récit  continu  et  suivi. 

2.  Lire  p.  272,  d'Aoust  et  non  d'Ai'oust.  Dire  p.  269,  que  Christine  ne  vint  pas 
«  jouir  des  horreurs  commandées  par  son  frère  »  (François  11)  ni  «  en\-oyer  de  sa 
main  quelques  boulets  rouges  <>  ;  ajouter  que  son  mai  i  était  duc  de  SaKe-7'csclieii  ; 
une  note  était  indispensable  en  ce  passage  ou  bien  il  fallait,  pour  parer  à  l'erreur, 
le  supprimer. 


76  REVUE    CRITIQUE 

ihographier  dormiam  une  forme  d'imparfait  qui  se  prononce  en  réa- 
lité lYormt'am?  Ou  encore  d'écrire  l'/o/z/  un  adjectif  qui  se  fait  entendre 
vioï?  Sur  tous  ces  points  et  sur  bien  d'autres,  M.  S.  est  absolument 
dans  le  vrai  :  je  le  reconnais  d'autant  plus  volontiers  que  les  prin- 
cipes ici  préconisés  sont  en  gros  ceux  que  j'ai  suivis  moi-même,  il  y  a 
quelques  années,  lorsque  j'ai  eu  à  faire  intervenir  le  roumain  dans 
mes  Eléments  de  linguistique  romane.  Il  y  a  pourtant  un  cas  d'une 
importance  assez  grande,  à  propos  duquel  l'auteur  se  montre  plus 
radical  qu'on  ne  l'avait  été  jusqu'ici,  et  que  je  n'avais  osé  l'être  moi- 
même  :  c'est  le  cas  des  substantifs  masculins  en  ii  pourvus  de  l'article. 
Puisque  une  ancienne  forme  omiilu  a  perdu  successivement  à  la  finale 
d'abord  u,  ensuite  /,  pourquoi  par  une  sorte  de  demi-mesure  l'écrire 
omul,  et  non  pas  omu  qui  s'opposerait  suffisamment  au  substantif  om 
sans  article?  Et  cette  règle,  M.  S.  a  commencé  par  l'appliquer  dans 
son  opuscule  (sauf  quelques  exceptions,  comme  poporul  au  bas  de  la 
p.  14,  qui  doivent  être  des  coquilles  typographiques)  :  il  a  pour  lui  la 
logique,  et  sa  façon  de  voir  finira  sans  doute  par  l'emporter,  mais  non 
sans  quelques  résistances  sans  doute,  car  on  lui  objectera  peut-être 
bien  qu'après  une  telle  réforme,  si  omu  s'oppose  encore  suffisamment 
à  om,  en  revanche  les  mots  du  type  socru  n'auront  plus  rien  qui  dis- 
tingue même  à  l'œil  la  forme  articulée  de  l'autre.  Je  ne  vois  pas  trop 
pourquoi,  se  posant  résolument  en  réformiste,  l'auteur  a  conservé 
dans  son  texte  la  graphie  traditionnelle  de  pentru,  puisque  cette  pré- 
position, comme  il  le  dit  lui-même  à  la  p.  27,  se  prononce  soh  pintru 
en  Moldavie,  soii  pintru  dans  une  partie  de  la  Valachie.  11  est  vrai 
que  ceci  nous  amènerait  à  une  question  plus  générale  encore  et  plus 
grave  que  les  autres,  la  plus  grave  de  toutes  à  vrai  dire,  et  qui  explique 
dans  une  certaine  mesure  les  hésitations  orthographiques.  Cette  ques- 
tion mettrait  en  jeu  l'unité  même  de  la  langue  roumaine  littéraire, 
parce  qu'il  y  a  en  réalité  pour  la  prononciation  deux  usages  encore 
parfois  assez  distincts,  celui  de  la  Valachie  et  celui  de  la  Moldavie. 
Lequel  doit  faire  autorité?  celui  de  Bucarest  évidemment,  et  M.  Scri- 
ban,  précisément  parce  qu'il  réside  à  Jassy,  n'a  pas  trop  soulevé  la 
question  :  il  m'appartient  encore  moins  d'y  intervenir.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  est  à  souhaiter  que  cette  petite  brochure,  suggestive  et  nette,  se 
répande  largement  dans  son  pays  d'origine,  et  qu'elle  y  attire  l'atten- 
tion sur  des  réformes  qui  sont  devenues  utiles  —  je  dirais  presque 
nécessaires. 

E.   BOURCIEZ. 


Chambole  (A.),  Retours  sur  la  vie.  Paris,  Plon-Nourrit,  19 12,  in-8"  de  iv-344p. 
M.  C.  avait  surtout   écrit  ces  Mémoires  posthumes  pour  lui-même 
et  pour  sa  famille,  mais  il  a  joué  un  certain  rôle  dans  les  affaires,  il  a 
signé  la  protestation  des  journalistes  en  i83o,  collaboré  au  National,        I 


d'histoire    et    de    littérature  ']'] 

dirigé  le  Courrier  Français,  le  Siècle,  l'Ordre  ;  il  a  longtemps  siégé  à 
la  Chambre;  il  comptait  sous  Louis-Philippe  parmi  les  chefs  de 
l'opposition  constitutionnelle  et  Louis  Napoléon  lui  a  fait  l'honneur 
de  Tarrêter,  puis  de  l'exiler,  lors  du  Coup  d"Etat.  Il  a  donc  su  et  vu 
bien  des  choses.  On  le  consultera  utilement  sur  l'organisation  du 
National,  sur  le  caractère  de  Carrel  (p.  67-8,  91 -5),  sur  les  suites  du 
trioniphe  de  la  Coalition  en  1839  (p.  i  56-162),  la  jeunesse  d'Auguste 
Blanqui  (p.  169-170),  sur  les  variations  de  Lamartine,  sur  Balzac 
(p.  188-190),  Villemain  (p.  206-7),  Cousin  (p.  207  sqq.),  sur  l'obsti- 
nation de  Louis- Philippe  à  refuser  toute  concession  (p.  218-228). 
Chambolle  écrit  sans  éclat,  mais  avec  une  simplicité  peu  fréquente 
chez  les  journalistes.  Surtout,  il  règne  dans  tout  le  volume  un  air 
de  probité,  de  gravité  qui  concorde  avec  l'estime  témoignée  à  l'auteur 
par  ses  adversaires  mêmes.  Suivent  un  certain  nombre  de  lettres 
émanées  des  principaux  personnages  du  temps,  de  Thiers  en  particu- 
lier dont  C.  fut  l'ami  fidèle.  L'éditeur,  qui  est  son  fils,  a  malheureu- 
sement négligé  de  donner  un  index  qui  eût  été  indispensable  ;  il  eût 
pu  consulter  à  la  Bibliothèque  nationale  un  exemplaire  du  Courrier 
Français  oii  les  articles  sont  suivis  de  la  mention  manuscrite  du  nom 
des  auteurs,  et,  à  la  Bibliothèque  V.  Cousin,  des  lettres  touchantes  de 
son  père  au  fondateur  de  l'éclectisme. 

Charles  Dejob. 


—  Die  Beliandhing  der  Geschichte  der  Philosophie  bei  Fries  iind  bei  Hegel  (Gœt- 
tingue,  X'andenhoeck  et  Ruprecht,  igr  i,  27  p.  i  M.).  Extrait  des  Abhandliingen  der 
Fries" sclien  Scinde  N.  F.  IV,  i)  est  un  discours  prononcé  à  Gœttingue  le  7  juin  191 1 
par  M.  Otto  Apelt,  qui  y  poursuit  l'œuvre  de  réhabilitation  ou  de  résurrection  de 
Fries  méconnu  et  y  tâche  spécialement  de  remettre  en  plein  jour  la  valeur  de 
Tradition,  Mysti^ismus  und  gesiinde  Logik  oder  ilber  die  Geschichte  der  Philoso- 
phie, livre  qui  va  être  réédité  et  dans  lequel  Fries  développa,  dès  1810,  mais  avec 
beaucoup  plus  de  modestie,  de  mesure  et  de  prudence  la  pensée  (v.  p.  i5)  que 
Hegel  lancera  dans  le  monde  avec  grand  fracas  23  ans  plus  tard  par  son  Cours  sur 
l'histoire  de  la  philosophie.  L'auteur  termine  par  un  très  curieux  parallèle  entre 
les  tempéraments  et  les  méthodes  contraires  des  deux  philosophes  et  y  puise  cette 
réflexion  générale  fort  juste  que  toute  l'histoire  de  la  philosophie  semble  se  réduire 
à  une  lutte  entre  deux  tendances  contraires  :  celle  qui,  oublieuse  des  limites  de 
l'esprit  humain,  les  franchit  dans  une  folle  présomption,  et  celle  qui,  les  recon- 
naissant humblement  et  s'y  arrêtant  prudemment,  ne  demande  que  le  possible; 
inutile  de  dire  que  c'est  la  première  de  ces  tendances  qui  jouit  toujours  des  faveurs 
publiques  et  qui  semble,  à  première  vue,  l'emporter  sur  l'autre,  surtout  aux  yeux 
d'une  jeunesse  étourdie  et  trop  sûre  d'elle.  Or,  dans  notre  cas,  c'est  Hegel  qui  la 
représente,  tandis  que  Fries  est  le  positiviste  raisonnable.  —  Th.  Sch. 

—  \J Encyclopaedie  der  pJiilosophiscJien  Wissenschaften  publiée  par  M.  Arnold 
RuGE  sous  les  auspices  de  M.  Windciband,  a  commet.  [\inQ  Logik  (Mohr,  igi2. 
vni- 275  p.,  7  M.)  qui  se  compose  des  travaux  suivants  :  P.  1,  Windklband  :  Die 
Prin^ipien  der  Logik  ;  p.  61,  Josiah  Royce  (Cambridge)  :  Prin:{ipien  der  Logik  (tra. 


jS  RliVUK     CRITIQUK 

iJuit  parF.din.  Schwcilzcr)  ;  p.  il^y,  L.  Couiukat  :  J)ic  J'riu^ipicn  der  Logik  (irad. 

par   Violet  Plinkc);    p.  20.2,    Bcnccl.   Crocb  :  Die  Aufgabc  dcr  Lugik  [tr-dd.  Ach. 

Malavnsi)  ;  p.  juj,  1"cJ.  liNuiyuKs  (Bologne,  :  Die  Problème  der    Logi k  l^trad.  Karl 

Hiichlcr);  p.  24^,  Nik.  Losskij  (l'ctcrsbourg)  ;  Die  Umgestaltung  des  Bewusstseins- 

begrijfs  in  der  moderueu    Erkentitnlstlieovie   iind    Une    Bedeiittiiig  fUr  die  Logik 

(trad.  par  l'auteur).  La  Logique  s'y   trouve  ainsi   envisagée  sous  toutes  ses  faces, 

par  M.  Windelband  dcsoncuté  formel  (Phénoménologie  du  savoir,  méthodologie, 

théorie  de  la  connaissance),  par  M.  Royce  comme  Ordninigswissetischa/t  {les  types 

d'ordre  et  leur  genèse  logique),  par   M.   Couturat,  on  le  devine,  au  point  de  vue 

linguistique  et  grammatical,  par  M.  Enriques  dans  ses  rapports  avec  la  pensée  et 

la  réalité,  etc.  Cela  donne  un  ensemble  imposant,  varié  dans  ses  parties  où  chaque 

collaborateur  a  pu  choisir  sa  spécialité,  doubler  sa  compétence    et  compléter  son 

voisin,  et  pourtant  très  cohérent  dans  son  unité.  (J'cst  une  œuvre  aussi  belle  dans 

sa  conception  que  dans  sa  réalisation.  —  Tu.  Scii. 

—  M.  P.  Saintvves  continue  ses  études  de  psychologie  religieuse  dans  La  simula- 
tion du  »ien'^///t'».v  (Flammarion,  1912,  X111-J87  p.,  3  fr.  5o.   Préface  du  D'' Pierre 
Janet),  «  sujet  oîi  l'on  contemple  sans  cesse  une  humanité   laide  ou  misérable  »  et 
qui  "  n'est  point  fait  pour  réjouir  ».  Qu'on  en  juge  par   l'indication  des  matières  : 
Mobiles  et  fréquence  des    maladies   simulées.   Exploitation  de  la  pitié  et  du  mer- 
veilleux.  Névrosés   et  hystériques.   Mythomanie  spiritc    et  occultiste.  Pseudo-mé- 
diums et  faux  démoniaques    Impostures   mystiques.  Maladies  de  la   personnalité. 
Simulation  des  guérisons  miraculeuses  et  leur    diagnostic   rétrospectif.  Rôle  de  la 
fraude  dans  la  formation  des  croyances,  etc.    Cela  sufBt  pour  juger  du  monde  ou 
M.  S.  veut  bien  nous  introduire,  et  qui  n'est    pas   aussi  différent  de  l'autre  qu'on 
voudrait  bien   se  l'imaginer;  nous    le  côtoyons   à  chaque    instant  et  que    de  fois, 
hélas,  nous  en  faisons  partie  sans    nous  en   douter!    Parmi    les  cas  étranges  que 
M.  S.  fait  défiler  sous  nos  \-eux  surpris,  un  des  plus   surprenants,  et  d'ailleurs  le 
plus  détaillé,  est  celui  du  Belge  P.  de  Rudder,   dont  «  c'est  bien  la  jambe  gauche 
qui  a    été   fracturée,    mais   la  jambe    droite  qui  a  été   guérie  miraculeusement  » 
(p.  34g).  M.  S.  rappelle  aussi,  fort  à  propos,  qu'  «  il  est  de  bon  ton  aujourd'hui  de 
traiter  avec  dédain,  sinon  a\ec  pitié,  ceux  qui  pensent  qu'il  y  a  lieu  de  reprendre 
l'étude  du  rôle  de  la  supercherie  et  du  mensonge  dans  la  formation  des  croyances  » 
(p.  'iy'i)  et  que  »  depuis  que  les  convenances  se  sont  mêlées  de  surveiller  la  pensée 
philosophique    et  scientifique,  on  a  inventé    ou    restauré    nombre   de    miracles   », 
bref  qu'  «  il  faut  être    très    hardi  aujourd'hui    pour  rire   de  ce   qui   est  ridicule  » 
(p.  376).  —  Tn.  ScH. 

—  Otto  LiEBMANN,  mort  le  14  janvier  dernier,  avait  autorisé  une  réédition  de  son 
étude  critique  de  jeunesse  Kant  iind  die  Epigonen  parue  en  iS65,  et  qui  mainte- 
nant a  revu  le  jour  par  les  soins  de  M.  Bruno  Baucu  (Berlin,  Reuther  et  Reichard, 
19 12.  ,xiii-24o  p.  4  M.),  enrichie  d'un  Avant-propos  et  d'un  Appendice  nécrolo- 
gique. Les  Epigones  dont  il  s'agit  ici  sont  les  idéalistes  Fichte,  Schelling  et  Hegel, 
le  réaliste  Herbart,  "  l'empirique  »  Fries  et  le  «  transcendant  »  Schopenhauer.  L'au- 
teur avait  25  ans  et  était  «  privat-dozent  »  à  Tubingue,  quand  il  écrivit  ce  livre, 
qui  fut  assez  remarqué  dans  le  monde  philosophique  par  la  hardiesse  juvénile  de 
ses  critiques  ;  celle  qu'il  adressait  à  Kant  portait  sur  la  "  chose  en  soi  ».  Scho- 
penhauer, qui  était  alors  dans  toute  sa  gloire,  y  est  aussi  assez  malmené.  — 
Th.  Sch. 

—  La  4"  (et  en  même  temps  5^  (édition  des  Haiiplprotleme  der   Religionsphilo- 
sophie  der   Gegemvart   (Berlin,    Reuther   et    Reichard.    191 2,    182    p.    3   M.)    de 


d'histoire  et  de  littérature  79 

M.  EucKEN  est  augmentée  d'un  appendice  sur  la  philosophie  et  la  psychologie 
religieuses,  sur  l'importance  et  la  fécondité  de  cette  dernière,  mais  aussi  sur  ses 
bornes  et  notamment  sur  son  impuissance  à  fonder  la  conviction  religieuse  ;  ce 
n'est  que  si  elle  se  contente  de  la  deuxième  place  qu'elle  pourra  être  d'un  grand 
secours  pour  résoudre  le  problème  de  la  vérité  religieuse.  C'est  une  réponse  aux 
prétentions  pragmatistes.  —  Rappelons  que  la  3^  édition  n'est  que  de  1909,  qu'il 
en  a  paru  des  traductions  anglaise,  française,  italienne  et  russe,  enfin  que  d'autres 
traductions  encore  vont  paraître.  —  Th.   Se». 

—  C'est  une  «  Inauguraldissertation  »  de  la  faculté  de  philosophie  de  Munich 
que  le  Versttch  tibev  Alison's  Aestlietik,  Darstellung  iind  Kritik  (Munich,  Heller, 
191 1,  79  p.)  par  M.  C.Fedeles,  de  Jassy,  qui  essaie  de  dégager  et  d'apprécier  les 
théories  esthétiques  renfermées  dans  les  Essays  on  tlie  nature  and  principles  of 
taste  (Edinbourg,  1790)  d'AHson  et  complétées  par  Francis  Jeffrey  [Eddnbttrg 
Review  de  mai  181 1).  C'est  l'esthétique  associationniste,  opposée  à  celle  d'imita- 
tion du  classicisme  franco-anglais  des  xyii»  et  xvm''  siècles,  et  prélude  de  celle  du 
xix"  siècle,  que  M.  F.  appelle  Einfiihlungsàsthetik .  Ajoutons  que  le  livre  d'AHson 
fut  traduit  dès  1792  en  allemand,  puis  en  français,  atteignit  une  6«  édition  (Edinb. 
1825)  et  influença  fort  Reid,  Dugald  Stewart  et  sir  W.  Hamilton.  Alison  (1757- 
1839)  était  le  hls  du  bourgmestre  d'Edimbourg,  fut  pasteur  épiscopal  et  père  de 
l'auteur  de  l'Histoire  de  l'Europe  depuis  la  Révolution  française.  —  Th.  Son. 

—  M.  Nicolas  Terzaghi  (.Milan)  a  inséré  au  premier  n°  du  Didaskaleion  (Turin, 
Librairie  internationale,  19 12)  consacré  à  l'étude  philologique  de  l'ancienne  littéra- 
ture chrétienne,  un  petit  article  (p.  11-29)  préparatoire  à  une  nouvelle  édition  des 
œuvres  de  Synésius  de  Cyrène,  qui  mourut  évêque  de  Ptolémaïs  (le  Tolometa 
actuel^  vers  43 1  et  chercha  à  concilier  le  platonisme  et  le  christianisme.  — 
Th.  ScH. 

—  La  librairie  positiviste  de  la  place  de  la  Sorbonne  a  édité  des  Pages  choisies 
d'Auguste  Comte  (191 2  ;  387  p.)  avec  une  Notice  sur  la  vie  et  la  doctrine  de  Comte 
cl  des  Commentaires  reliant  les  divers  morceaux,  qui  forment  quatre  groupes  : 
Philosophie  des  sciences  (leur  classification,  objet,  méthode,  position  encyclopé- 
dique et  valeur  éducative).  Sociologie  dogmatique  (méthode,  position  encyclopé- 
dique, décadence  des  anciens  systèmes  politiques,  crise  sociale,  nouvelle  politique, 
statique  sociale  ou  théorie  de  l'ordre  et  dynamique  sociale  ou  théorie  du  progrès) 
et  historique  (les  3  états).  —  Morale  et  éducation.  —  Positivisme  religieux  (mis- 
sion de  la  sociologie,  théorie  générale  de  la  religion,  culte  et  dogme  positivistes, 
organisation  du  régime  positif).  Ce  recueil  forme  donc  un  ensemble  qui  présente, 
en  raccourci,  un  exposé  continu  du  positivisme.  —  Th.  Sch. 

—  Quoique  les  travaux  récents  sur  Spinoza  «  aient  contribué  à  lui  restituer  sa 
vraie  physionomie  »,  M.  Ch.  Bellangé  a  estimé  qu'  «  il  reste  à  nous  en  faire  une 
plus  complète  idée  d'ensemble  et,  dans  le  détail,  à  dissiper  plus  d'une  obscurité; 
peut-être  même,  en  ce  qui  concerne  sa  conception  de  l'infini,  par  exemple,  qui 
continue  et  dépasse  celle  de  Nicolas  de  Cuse  et  de  Bruno,  et  sa  théorie  des  phi- 
rimae  ideae  (p.  70)  qui  précède  la  théorie  des  petites  perceptions  leibnizienne,  ne 
lui  a-t-on  pas  attribué  tout  ce  qui  lui  appartient  ».  Son  5pf«0f^  et  la  philosophie 
moderne  (Didier,  191 2,  400  p.)  comprend  une  théorie  de  la  connaissance  et  une 
théorie  de  la  substance  (cosmologie);  la  i'"«  partant  de  la  psychologie  comme 
science  dépendante  pour  marquer  les  rapports  du  système  spinoziste  avec  les 
autres  systèmes,  étudier  la  connaissance  au  point  de  vue  cosmique,  l'activité  men- 
tale et  l'automatisme,  l'idée,  la  connaissance  imaginative,  rationnelle  et  intuitive; 


8o  REVUE    CRITIQUE     d'hISTOIRE     ET    OK     LITTÉRATURE 

la  2"  partant  de  la  physique  ancienne  et  moderne  pour  suivre  révolution  de  l'idée 
de  Dieu  et  du  concept  de  sul-istancc,  examiner  les  modes  nature  naturante  et 
nature  naturéC;,  le  devenir  et  le  déterminisme,  l'univers  (physique  ci  comme 
pensée)  et  aboutir  au  tableau  général  de  la  p.  388,  qui  n'est  pas  donné  comme 
définitif,  puisque  l'on  pourrait  en  imaginer  d  autres,  <■  plus  probants  et  qui  résu- 
meraient mieux  encore  le  présent  ouvrage,  en  montrant,  question  par  question,  le 
chemin  fait  par  la  philosophie  jusqu'à  Spinoza  et  depuis  lui  ».  —  Th.  Sch. 

—  C'est  une  contribution  médicale  à  lotude  de  la  dégénérescence  que  fournit 
le  D""  Grober  (léna)  dans  Die  Beliandinng  àer  Rasscnschàden  (Teubner,  191 2, 
I  M.  ;  extrait  du  t.  IX  de  VArchivfilr  Rassen-und  Gesellscliaftsbiologie,  p.  49-86)».  Il 
expose  plusieurs  cas,  suivis  pendant  une  dizaine  d'années,  croit  à  la  possibilité 
d'enrayer,  dans  une  certaine  mesure,  la  fatalité  héréditaire  et  termine  par  des 
conseils  pratiques  de  prophylaxie  et  de  thérapeutique.  Son  titre  est  un  peu  équi- 
voque :  il  semble  annoncer  une  étude  sur  les  tares  communes  à  une  race  et  ne 
s'occupe  que  de  transmission  familiale.  Mais  le  régime  qu'il  recommande  est  fort 
sensé  et  conforme  à  la  nature;  il  nous  rappelle,  entre  autres  choses,  que  la  mode 
et  l'habitude  jouent  un  rôle  néfaste  dans  notre  mode  d'alimentation  et  préconise 
en  tout  un  retour  à  la  vie  simple.  Il  a  déjà  traite  ce  sujet  à  un  point  de  vue  ditTé- 
rent  dans  le  mc-me  Archiv  (I,  1904^  en  étudiant  la  Bedeutung  der  Ahnenta/el  filr 
die  biologische  Erblichkeitsforschung .  —  Th.  Sch. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  dti  1 2  juillet  1 1()2.  — 
M.  Dieulafoy  lit  une  communication  du  R.  P.  de  Jerphanion  rendant  compté  de  la 
mission  accomplie  en  Cappadoce  pendant  l'été  et  l'automne  de  igii.  Après  avoir 
visité  une  première  fois  les  chapelles  souterraines  en  1907,  il  a  -préparé  la  publi- 
cation intégrale  des  peintures  qu'il  y  a  photographiées.  Il  a  découvert,  en  outre, 
un  grand  nombre  de  monuments  nouveaux, entre  autres  une  chapelle  très  ancienne 
qui  peut  remonter  au  vin'  siècle.  Il  a  surtout  trouvé  des  inscriptions  qui  per- 
mettent de  dater  du  règne  de  Nicéphore  Phocas  x'  s.)  les  plus  importantes  d'entre 
ces  peintures  et  d'établir  pour  l'ensemble  une  chronologie  plus  rigoureuse. 

M.  Millet  indique  l'importance  scientifique  des  résultats  obtenus  par  le  P.  de  Jer- 
phanion. Il  montre,  par  l'étude  de  quelques  thèmes  iconographiques,  comment 
ces  peintures  permettent  de  mieux  distinguer  dans  l'art  byzantin  deux  traditions. 
L'une,  s'inspirant  de  l'idéal  antique,  fut  suivie  de  préférence  par  Constantinople  ; 
l'autre,  réaliste,  appartient  à  la  Syrie  et  à  la  Mésopotamie.  En  Cappadoce,  les 
peintures  les  plus  anciennes,  vers  le  ix"  siècle,  dépendent  de  la  tradition  orientale. 
Mais  vers  la  fin  du  x*",  au  moment  où  la  puissance  byzantine  s'étend  jusqu'à 
l'Euphrate  et  à  l'Arménie,  la  tradition  de  Constantinople  l'emporte  en  Cappadoce. 

M.  Cagnat  lit  une  note  de  M.  René  Basset,  correspondant  de  l'Académie,  sur 
une  mission  accomplie  dans  la  Grande  Kabylie  par  M.  Boulifa,  répétiteur  de  ber- 
bère a  la  Faculté  des  lettres  d'Alger.  M.  Boulifa,  qui  est  lui-même  un  Berbère,  a 
pu  pénétrer  dans  des  endroits  peu  fréquentés  et  y  a  trouvé  des  inscriptions  latines 
et  libyques,  notamment  la  tombe  d'un  vétéran  et  celle  d'un  médecin. 

M.  Chavannes  étudie  divers  documents  historiques  que  M.  Jacques  Bacot  a  rap- 
portés de  ses  deux  missions  de  1907  et  de  1909  aux  confins  de  la  Chine  et  du 
Tibet.  Une  chronique  manuscrite  des  chefs  indigènes  de  Li-Kiang,  à  l'extrême 
Ouest  du  Yun-nan,  permet  de  reconstituer  l'histoire  de  cette  ligne  de  princes 
locaux  depuis  le  xiii<=  siècle  p.  C.  jusqu'à  la  fin  du  xviii".  Deux  inscriptions  chi- 
noises, l'une  de  1548,  l'autre  de  i56i,  qui  ont  été  photographiées  par  M.  Bacot  à 
Che-Kou,  au  pied  occidental  de  la  boucle  que  le  Kin  cha  Kiang  forme  au  Nord 
de  Li-Kiang,  célèbrent  les  victoires  des  chefs  indigènes  de  Li-Kiang  sur  les  Tibé- 
tains. En  analysant  ces  documents,  M.  Chavannes  montre  comment  les  Chinois 
s'y  sont  pris  pour  mener  à  bien  leur  politique  d'assimilation  à  l'égard  des  popula- 
tions non-chinoises  du  Yun-nan. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 

Le  Puy-eii-Velay .  —  Imprimerie  Peyriller  ,Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N°  31  —  3  août  —  1912 

R.  de  SouzA,  Du  rythme  en  français.  —  Drissmann,  Paul.  —  Wendland,  Paga- 
nisme et  christianisme.  — Kranz,  Index  des  Présocratiques  de  Diels. — "  Bal- 
TtrASAR,  La  querelle  des  l'ranciscains.  —  Baier,  Les  provisions  papales.  —  Fau- 
ciGNY-LuciNGE,  Le  mariage  de  Thomas  de  Savoie.  —  M.-L.  Hunt,  Dckker.  — 
Abnoi.d,  Les  soliloques  de  Shakspeare.  —  Buland,  La  notion  du  temps  dans  le 
drame  clisabcthain.  —  M.  Kerr,  Ben  Jonson  et  la  comédie  anglaise.  — La  Per- 
riJ';re,  La  loi  de  dévolution  du  trône  dans  la  maison  de  France.  —  A.  Durand, 
Les  diocèses  de  Nimes,  d'Uzès  et  d'Alais  à  la  fin  de  l'ancien  régime.  —  Yron- 
DELLE,  Le  collège  d'Orange.  —  Uzureau,  Liste  des  personnes  décédées  dans  les 
prisons  d'Angers;  Les  Elections  et  le  cahier  du  tiers-état  d'Angers.  —  Vjglione, 
Ugo  Foscolo  en  Angleterre.  —  Sforza  et  Gallavresi,  Correspondance  de  Man- 
zoni.  —  Chéradame,  La  crise  française.  —  Vignaud,  Histoire  critique  de  la 
grande  entreprise  de  Christophe  Colomb.  —  Bonn,  La  tâche  coloniale  de  l'Alle- 
magne. —  Académie  des  Inscriptions. 


Robert  de  Souza,  Du  Rythme  en  français.  Paris,  H.  Welter,  1912  ;  un  vol.  in-8, 
de  io3  pages. 

Ce  petit  livre  est  un  opuscule  de  combat,  et  qui  ne  laisse  pas  d'être 
assez  intéressant  malgré  le  style  souvent  un  peu  tendu  dans  lequel  il 
est  écrit.  Je  ne  dis  pas  que  les  idées  maîtresses  en  soient  toujours 
faciles  à  saisir,  ni  surtout  qu'on  puisse  y  acquiescer  sans  réserve. 
M.  Robert  de  Souza  esta  la  fois  un  poète,  mais  aussi  un  technicien 
très  averti,  très  épris  de  son  art,  et  qui  veut  créer  de  la  beauté  ryth- 
mique à  l'aide  d^une  poétrie  nouvelle  —  car  il  rejette  comme  amphi- 
bologique et  banal  le  terme  de  «  poétique  »,  et  préfère  emprunter 
celui  dont  usaient  déjà  les  Rhétoriqueurs  du  xv^  siècle.  Le  fondement 
de  cette  poétrie,  ou,  si  l'on  préfère,  son  point  de  départ,  c'est  que  «  le 
mouvement  verbal  est  d'abord  une  succession  de  longues  et  de 
brèves  ;  et  les  preuves  expérimentales  sont  faites  qu'en  français  comme 
en  latin  deux  brèves  équivalent  à  peu  près  à  une  longue  »  (p.  11). 
Gomme  d'autre  part  la  quantité  et  l'intensité  sont  inséparables,  il  s'en- 
suit que  Vaccent  de  durée  est  V  accent  fondamental  du  français.  Je 
n'aime  pas  beaucoup  cette  expression  âi'accent  de  durée,  mais  il  y  a 
du  vrai  d'ailleurs  dans  ces  considérations.  Seulement  ce  qui  distingue 
la  quantité  en  français,  c'est  qu'elle  est  moins  inhérente  qu'elle  ne 
l'était  en  latin  à  des  syllabes  fixes,  et  peut  se  déplacer  suivant  le  mou- 
vement de  la  phrase  :  c'est  là  précisément  ce  qui  crée  le  rythme.  Mais 
n'y  a-t-il  pas  dans  cette  mobilité  de  l'accent  un  peu  ce  qu'avait 
entrevu  déjà,  il  y  a  quelque  vingt-cinq  ans,  Pierson,  guidé  par  la 
seule  finesse  de  son  oreille?  Quoi  qu'il  en  soit,  pour  M.  de  S.,  il  y  a 

Nouvelle  se'rie  LXXIV  3i 


8-2  REVUE    CRITIQUE 

eu  Jans  la  poésie  française  moderne  seulement  six  vrais  créateurs  de 
rvthme,  et  qui  sont  Ronsard,  La  Fontaine,  Racine,  André  Ciiénieri 
Victor  Hu^o,  Verlaine.  Quant  à  la  formule  de  l'art  nouveau,  c'est 
bien  entendu  le  vers  libre,  libre  jusqu'à  un  certain  point,  puisqu'il 
doit  se  plier  au  contraire  à  des  mouvements  rythmiques  assez  com- 
plexes. On  en  trouvera  des  exemples  analysés  ici,  et  je  ne  veux  pas 
entrer  dans  le  détail,  quoique  la  notation  des  syllabes  en  longues  ou 
brèves  m'y  paraisse  dans  quelques  cas  sujette  à  contestation.  D'ail" 
leurs  dans  ce  système  il  ne  semble  pas  y  avoir  de  différence  foncière 
entre  le  vers  et  la  prose  :  cette  dernière,  pour  être  artistique,  doit  obéir 
à  des  impulsions  rythmiques  qui  la  rapprochent  du  vers,  et  inverse- 
ment. L'opuscule  se  termine  par  plusieurs  appendices  qui  montrent 
que  M.  de  S.  s'est  tenu  très  au  courant  des  progrès  de  la  phonétique, 
et  spécialement  de  la  phonétique  expérimentale  :  il  en  parle  non  point 
en  simple  amateur,  mais  en  habitué  de  laboratoire.  Comme  d'autre 
part  il  n'a  aucune  attache  officielle,  il  juge  les  choses  très  librement, 
et  non  sans  vivacité  parfois.  11  critique  sévèrement  le  bruit  qu'on  a 
fait  autour  d'une  prétendue  découverte  de  la  photographie  de  la 
parole,  les  confusions  oii  certains  sont  récemment  tombés  en  attri- 
buant à  des  appareils  de  synthèse  les  qualités  d'un  appareil  d'analyse. 
En  revanche,  il  proclame  bien  haut  la  sûreté  des  méthodes  employées 
par  l'abbé  Rousselot,  les  progrès  qu'elles  ont  réalisés,  et  il  trouve 
qu'en  France  on  n'y  a  pas  toujours  suflisamment  rendu  justice.  C'est 
assez  mon  avis. 

E.   BoURCIEZ. 


Pauius.    Eine    kultur-und    religionsgeschichtlichc    Skizze,    von    A.     Deissmann, 
Tubingen,  Mohr,  191 1  ;  in-S",  x-202  pages. 

Ce  livre  est  écrit  d'enthousiasme.  Il  provient  de  conférences  que 
l'auteur  a  données  à  Upsal  en  19 10,  et  l'on  s'en  aperçoit  :  c'est  une 
prédication  ardente  et  brillante,  même  un  peu  éclatante.  Mais  si  la 
forme  est  plus  qu'oratoire,  presque  lyrique,  le  fond  ne  laisse  pas 
d'être  solide.  Il  est  fâcheux  seulement  que  le  simple  critique  soit 
exposé  à  perdre  patience  dans  le  travail  qui  s'impose  à  lui  pour  rame- 
ner à  de  justes  proportions  les  personnes  et  les  choses. 

Passons  sur  une  assertion  à  laquelle  on  se  heurte  dès  le  début  et 
qui  n'a  guère  de  sens  pour  l'historien  :  Jésus  et  Paul  ne  seraient  pas 
premier  et  second;  Jésus  serait  incomparable  dans  l'histoire  humaine, 
et  Paul  serait  le  premier  dans  cet  Unique.  —  Vue  de  foi  ;  mirage  qu'a 
laissé  dans  l'esprit  des  protestants  libéraux  le  dogme  de  la  divinité  du 
Christ. 

M.  D.  développe  avec  une  certaine  complaisance  une  idée  plus 
juste,  à  savoir,  que  Paul,  qui  est  devenu  le  père  de  la  théologie  chré- 
tienne, n'est  pas  précisément  un  théologien.  Mais  il  s'avance  peut- 
être  beaucoup  en  faisant  de  lui  un  héros  de  la  piété,  pour  qui  le 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE 


83 


Christ  a  plus  de  signirication  que  la  christologie,  et  Dieu  même  que 
la  doctrine  sur  Dieu.  Sans  doute  le  mystique  chez  Paul  domine  le 
théologien  ;  mais  on  doit  avouer  aussi  que  son  esprit  a  été  terrible- 
ment actif  au  service  de  la  foi  qui  le  possédait.  Quantité  de  mystiques 
ont  été  plus  calmes  de  pensée,  plus  vraiment  contemplatifs  et  n'ont 
pas  transformé  h  ce  point  l'objet  de  leur  croyance.  L'intelligence  de 
Paul  fourmille  d'idées  qui  ne  servent  pas  seulement  à  lui  fournir  un 
thème  d'adoration  ;  elles  lui  servent  d'abord  à  constituer  son  Evan- 
gile, c'est-à-dire  la  foi  qu'il  prêche  aux  païens  et  qu'il  a  bien  l'air 
d'opposer  plus  ou  moins  à  l'enseignement  des  premiers  apôtres,  c'est- 
à-dire,  au  lond,  à  l'Évangile  de  Jésus,  comme  une  vérité  plus  parfaite. 
Voilà  l'homme  :  non  seulement  mystique,  mais  visionnaire;  non 
seulement  croyant,  mais  missionnaire  ;  moins  purement,  moins  sim- 
plement enthousiaste  que  ne  le  fut  Jésus;  certainement  agitateur  reli- 
gieux de  plus  grande  envergure,  esprit  plus  fiévreux,  plus  ouvert 
aussi  à  tous  les  courants  de  la  pensée  religieuse  en  dehors  des  cercles 
juifs  palestiniens  ;  attaché  à  son  Christ,  oui,  plus  qu'à  sa  christologie, 
mais  à  un  Christ  que,  par  cette  christologie,  lui-même  s'était  fait. 
M.  D.  a  raison  de  dire  que  Paul,  homme  du  peuple,  était  un  puissant 
esprit.  Mais  il  faudrait  ajouter  que  l'équilibre  de  cet  esprit  n'était 
point  parfait;  que  l'ardeur  du  sentiment  et  de  l'imagination  mystiques 
dominait  l'intelligence  et  qu'elle  l'a  influencée  dans  le  principal  de 
son  activité  intérieure  et  extérieure,  dans  sa  conversion  d'abord,  puis 
dans  l'enseignement  qu'il  a  donné  au  nom  du  Christ.  Les  faits  sont 
là  :  Paul  a  été  converti  par  une  vision  ;  il  se  glorifie  de  celle-là  et 
d'autres  encore  ;  c'est  à  cette  source,  on  l'oublie  trop  souvent,  qu'il 
rattache  et  sa  foi  et  son  enseignement  ;  il  lui  arrivait  même  de  «  parler 
en  langues  »,  c'est-à-dire  que,  dans  le  transport  de  son  enthousiasme, 
il  en  venait  parfois  à  ne  plus  savoir  ce  qu'il  disait.  Le  génie  religieux 
de  Paul  n'est  pas  indépendant  de  ces  accidents,  qui  l'ont  fait  et  gardé 
chrétien.  On  ne  devrait  point  parler  de  sa  faiblesse  corporelle  comme 
de  son  unique  infirmité;  mais  surtout,  quand  il  s'agit  d'expliquer  sa 
conversion  et  son  rôle  historique,  on  devrait  tenir  compte  de  cette 
mentalité  qui  est  bien  plutôt  celle  des  cultes  païens  de  mystères  que 
celle  du  judaïsme  authentique  de  ce  temps-là. 

Pour  M.  D.,  la  vie  religieuse  de  Paul  serait  une  série  d'expériences 
profondément  réelles,  à  commencer  par  sa  conversion.  Ces  sortes 
d'expériences  où  la  vision  se  mêle  sont  bien  sujettes  à  caution.  Les 
premiers  croyants  de  Jésus  l'ont  vu  ressuscité  parce  que  leur  foi  a 
réclamé  la  résurrection  du  Christ.  Le  cas  de  Paul  est  différent  :  sa 
vision  lui  a  donné  la  foi.  Sauf  que  l'appel  se  fait  dans  un  songe, 
Apulée,  au  xr-  livre  de  ses  Métainorphoses,  décv'ii  un  cas  analogue: 
Isis  se  révélant  à  un  de  ses  élus  pour  le  convier  au  bienfait  de  l'ini- 
tiation ;  et  la  déesse  avertit  de  même  le  prêtre  qui  recevra  le  candidat, 
comme  le  Christ,  dans. les  Actes,  prévient    Ananie  de  ce  qu'il  devra 


84  RKVUE    CRITIQUIC 

faire  pour  l'aul.  Que  les  rcciis  des  Actes  ci  celui  d'Apulée  aient   été 
arrangés  sur  un  type  convenu,   le  parallélisme   des  situations  n'en  est 
pas  moins  frappant.  Paul  a  été  appelé   à  la  foi  du  Christ  comme  on 
était  appelé  à  l'initiation   dans    certains   mystères  païens.   Certes,  sa 
conversion   a   été  préparée,  mais  tout  autrement  peut-être  qu'on  ne 
l'imagine  d'ordinaire.  Bien  peu  satisfaisante  est  la  préparation  qu'in- 
dique  M.   D.  :  expérience  d'une  âme  affamée  de  la  justice  qu'elle  ne 
trouvait  pas  sous  la  Loi,  —  thème  cher  aux  théologiens  protestants, 
mais  dont  ils  abusent  passablement,   l'expérience  dont  il   s'agit  étant 
pour  une  grande  part  une  argumentation  de  Paul  chrétien  contre  les 
juifs   et  les  judaisants,   non   un   sentiment    net,    une   conviction  for- 
mée   qu'aurait   eus   Paul    avant    sa    conversion;    —    l'influence    du 
prophétisme  ancien,  qui    l'aidait    à   comprendre  l'Evangile,   —    que 
pourtant  il  ne  comprenait  pas  avant  sa  conversion,  et  que  selon  beau- 
coup de  théologiens  libéraux,  il  n'aurait  pas  même  compris  après;  — 
enfin  le  contact  spirituel  avec  Jésus  et  la  tradition    de   son  Évangile 
dans  les  disciples  que   Paul  a   d'abord  persécutés,  —  c'est-à-dire  les 
relations  avec  des  personnes  dont  Paul  déclare  positivement  qu'il  ne 
leur  doit  rien  de  l'Evangile  qu'il  prêche.   —  Ces  trois  raisons  n'ex- 
pliquent   évidemment    pas    la    conversio'n    de    Paul  à    un    Sauveur 
divin    qui    lui  donne  pour   mission  de   prêcher  aux   païens  le  salut 
par  la  foi  en  ce    Christ,  sans  les    œuvres  de  la    Loi.   Si  l'on   admet 
qu~e  le  Christ  s'est  manifesté  lui-même  à  son  apôtre,  il  n'y  a  pas  de 
difficulté,  ou  plutôt  il  n'y  a  pas  d'explication.  Et  M.  D.  n'en  donne 
pas  quand  il  dit  que   Paul  a   eu  l'expérience  du  Christ-esprit.  Car 
la   question    revient    :    qu'est-ce  que   cette  expérience,   et  comment 
Paul  y  a-t-il  été  conduit?  On  nous  a  souvent  présenté  un    Paul  plus 
ou  moins  moderne,  habile  théologien,  qui   aurait  construit  peu  à  peu 
sa  christologie  et  toute  sa  doctrine  sous  la  pression  des  événements, 
après  qu'il  se  fut  converti.  Paul  dit  expressém'ent  le  contraire,  et,  bien 
que   lui-même  ne  se  rende  pas  compte  du  mouvement  de  sa  pensée 
depuis  sa  conversion  jusqu'au  temps  où  il  écrivait  ses  Epîtres,  il  n'a 
pas   dû  se  tromper  radicalement  sur  les  origines  de  sa  foi.  Le  grand 
mérite  de  M.  D.    est   de  montrer  Paul    tel    qu'il  se   donne;  ainsi  le 
comprend-il  mieux  que  ceux  qui   altèrent  son  témoignage.   Mais  le 
problème  reste  :  d'où  vient  la  foi  de  Paul? 

A  cette  question  les  effusions  pathétiques  de  M.  D.  n'apportent  pas 
de  réponse.  11  lui  arrive  bien  de  dire  que  l'ouvrage  de  M.  Reitzcns- 
tein.  Die  hellenistischen  Mysterienreligionen  (Leipzig,  19 10),  fournit 
des  termes  de  comparaison  pour  expliquer  certaines  locutions  et 
même  certaines  idées  pauliniennes.  Mais  il  ne  va  pas  plus  loin.  11  se 
contente  de  prouver  longuement  —  ce  qui  n'a  rien  d'inutile  pour  les 
théologiens,  —  que  les  idées  de  Paul  ne  sont  pas  coordonnées  en 
système,  que  ce  sont  des  formes  ou  des  aspects  de  sa  foi,  des  impres- 
sions vivantes  avec  lesquelles  on  a  construit  plus  tard  des  théories. 


d'histoiri".  et  de  littérature  85 

Ccuc  thèse  renferme  une  grande  part  de  vérité;  mais  elle  comporte 
aussi  une  grande  lacune.  M.  D.  soutient  que  le  langage  de  Paul  était 
intelligible   pour  les  simples  gens  à   qui  il  s'adressait.  Ce  langage  et 
les  idées  qu'il  traduit   ne  sont  donc  pas  l'expression    rigoureusement 
personnelle  d'expériences  qui    auraient  été  particulières  à  Paul,  ou 
même  aux  seuls  chrétiens,  aux   païens  convertis  à  la  foi  de  Paul.  Or, 
si  Paul  réussit  à  se  faire  entendre  des  païens,  n'est-ce  point  parce  que 
d'abord  il  a  conçu  lui-même  en  païen  le  salut  qu'il  leur  prêche?  En 
fait,  la  religion  qu'il  leur  annonce  ressemble  en  ses  lignes  essentielles 
aux  cultes  de  mystères  qui  commençaient  alors  la  conquête  du  monde 
romain.  Premièrement  c'est  une  sorte  d'assurance  pour  l'immortalité 
bienheureuse,  ce  que  n'étaient  pas  les  anciens  cultes  nationaux,  ce  que 
n'était  pas  même  le  judaïsme  officiel,  mais  ce  qu'étaient  les  religions 
de  mystères.  De  plus,  comme   dans  la  plupart  de  ces   mystères,  la 
garantie  d'immortalité    se    fonde  sur  l'union,   l'on  peut  dire    même 
ridentitication  mystique  à  un  être  divin  en  forme  humaine,  souffrant, 
mourant  et  ressuscitant;  par  le    rite  d'initiation,  le  baptême,  et  aussi 
dans  le  repas  de  communauté,   qui  est  devenu  pour  Paul,  en  même 
temps  qu'un  acte  de  communion  au  Christ  immortel,   une  représen- 
tation commémorative  de   sa  mort,  on  participe  à  son  épreuve,  on 
s'unit  à  son  trépas,  pour  lui  être  associé  dans   son   immortalité  (se 
rappeler  comment  Paul  prouve  aux  Corinthiens  la  résurrection  future 
des  chrétiens  par  le  fait  accompli  de  la  résurrection  de  Jésus).  Enfin 
dans  la  religion   de  Paul  comme  dans  les  cultes -de  mystère,  on  est 
sauvé  par  la  grâce  divine,  et  en  même  temps  par  la  foi,  par  la  foi  au 
dieu   qui  sauve,  qui  sauve  par   la  mort.   Toutes    ces   idées  que  Paul 
rabbinise  quelque  peu,  tout  en  accentuant  leur  portée  morale,  cons- 
tiiucni  son  Évangile,  la  matière  de  ses  révélations,  de  ses  visions.  A 
qui  la  dùii-il  ?  Pas  au  rabbinisme,  car  cela  ne  vient  pas  du  judaïsme, 
et  c'est  même  tout  autre  chose  que  l'Évangile  de  Jésus.  Paul  n'aurait- 
il  pas  connu  certains  cultes  de  mystères,   de    façon  à  se  pénétrer  de 
leur  esprit    dès    avant  sa  conversion,   à  concevoir  le  Messie  sur  le 
tvpe  des  dieux  de  mystère,  et  cette   circonstance  môme,  n'explique- 
rait-elle pas,  en  quelque  manière,  sa  conversion,  aussi  sa  vocation? 
Car  ces  cultes  de  mystères  offraient  le  salut  à  tout  venant,  tandis  que 
rÉvangile  de  Jésus  ne  s'adressait  qu'aux  Juifs.  En  tout  cas,   ce  n'est 
pas  assez,  pour  expliquer   la  carrière  de  Paul  et  sa  mentalité,  de  le 
présenter,  comme   fait  M.  D.,  en   juif  nourri    de  la  version  de  Sep- 
tante   et  imbu  de  son  esprit.    Tout  bien  considéré,  le  miracle  qui  a 
fait  de  Paul  un  fidèle  et  un  apôtre   de  Jésus,  ce  n'est  pas  l'éblouisse- 
ment  qui  l'a  renversé  sur  le  chemin  de  Damas,  c'est  l'éclair,  jaillissant 
en  son  cerveau,  qui  lui  a  fait  voir  dans  le  crucifié  du  Golgotha,  dans 
le  Christ  des  apôtres  galiléens,   l'être   divin  qui  était  venu  sauver  le 
monde    par  sa  mort.  Et  l'on  peut  trouver  que  cette  idée-là  porte  sa 
marque  d'origine.  Alfred  Loisy. 


86  RKVUK    CRITIQI  E 

Die  hellenistisch-rœmische  Kultp.r  in  ihren  Be/.iehlingen  zum  Judentum 
und  Christentuin.  Die  urchristlichen  Literaturformen.  von  1^.  Wkndi  and 
(llandhitch  ^"'"  '^'t'"'""  'J'csta))ic>il,  Baïui  I,  2-'S,.  Zwcitc  Autlage.  'rùbingcn, 
Mohr,  i(ji2-,  gr.  in-H,  X-44S  pages. 

Ce  livre  esi  tout  autre  chose  qu'une  simple  récdition.  La  partie  déjà 
publiée,  celle  qui  correspond  au  prciuicr  liire,  a  ctc  refondue,  notam- 
ment en  ce  qui  regarde  les  rapports  du  christianisme  avec  les  mystères 
païens,  et  une  partie  nouvelle  très  importanic,  une  histoire  de  la 
composition  des  livres  du  Nouveau  Testament  et  de  ses  apocryphes,  a 
ctc  ajoutée. 

Sur  les  rapports  du  christianisme  avec  les  religions  de  mystère 
M.  W.  n'est  pas  très  explicite,  ou  plutôt  il  demeure  très  circonspect. 
Son  idée  d'une  gnose  païenne,  représentée  par  la  théologie  des  mys- 
tères, les  oracles  chaldaïques  et  hermétiques,  les  écrits  de  Plutarque 
et  ceux  des  néoplatoniciens,  est  parfaitement  juste;  mais  peut-être 
n'ena-t-il  pas  tiré  tout  le  parti  possible  ;  car  il  ne  détermine  pas  aussi 
bien  la  relation,  très  réelle  pourtant,  du  christianisme  avec  cette 
gnose,  que  celle  des  gnostiques  plus  ou  moins  chrétiens  avec  ces  cou- 
rants de  paganisme  mystique.  Il  nous  dit  bien  que  Paul  a  connu  le 
vocabulaire  et  les  idées  des  religions  syncrétistes,  des  cultes  orientaux 
hellénisés,  et  il  définit  fort  heureusement  le  moyen  de  cette  influence 
sur  l'esprit  de  Paul  :  pas  d'emprunt  mécanique,  accidentel,  réfléchi, 
mais  transformation  spontanée  de  tout  un  ensemble  de  sentiments  et 
d'idées  dans  une  conscience  pénétrée  de  l'atmosphère  des  religions 
dont  il  s'agit.  Rien  n'est  plus  vrai.  Mais  ce  n'est  pas  toute  la  vérité. 
On  nous  parle  toujours  de  conscience  religieuse  comme  si  Paul 
n'avait  été  qu'une  conscience,  et  même  une  conscience  moderne,  voire 
protestante.  On  néglige  trop  l'intelligence  mobile  et  pénétrable,  l'ima- 
gination sensible  et  surexcitée,  le  cerveau  inquiet  et  en  travail,  capa- 
bles d'opérer  parfois  très  vite  (témoin  le  fait  de  la  conversion)  les  plus 
déconcertantes  évolutions.  Dans  ce  qu'on  appelle  expérience  religieuse 
de  Paul  part  est  à  faire  très  grande  à  ce  mouvement  d'une  pensée 
fébrile,  prompte  à  s'assimiler  même  —  on  pourrait  presque  dire  : 
d'abord  —  ce  qu'elle  combat.  Cette  extrême  mobilité  d'un  esprit 
visionnaire,  qui  doit  servir  à  expliquer  le  fait  capital  de  la  vie  de 
Paul,  à  savoir  sa  conversion,  pourrait  également  expliquer  certains 
éléments  de  sa  doctrine  et  même  de  sa  conscience  religieuse,  par 
exemple  sa  conception  de  l'universalité  du  salut  et  le  sentiment  de 
sa  propre  vocation  auprès  des  païens. 

Ni  de  l'une  ni  de  l'autre  il  ne  semble  qu'on  ait  donné  jusqu'à  pré- 
sent d'explication  satisfaisante.  M.  W.,  qui  accentue  peut-être  plus 
que  de  raison  l'universalisme  de  l'Evangile,  reconnaît  pourtant  que 
la  prédication  de  Jésus  avait  un  double  aspect  et  qu'elle  pouvait 
aboutir  à  une  rechute  dans  le  judaïsme  aussi  bien  qu'à  la  victoire  de 
la  tendance  universaliste  qu'elle  portait  en  soi  ;  Paul  aurait  déterminé 


d'histoire  et  de  littérature  87 

la  direction  de  l'avenir.  Mais  comment  Paul  a-t-il  été  amené  à  prendre 
cette  direction?  Ce  n'est  ceriainemcnt  pas  pour  avoir  perçu  dans 
l'Évangile  de  Jésus  l'élément  universel  qu'y  discerne  M.  W.  Chacun 
sait  que  l'Apôtre  ne  prétend  pas  le  moins  du  monde  fournir  une  inter- 
prétation correcte  de  ce  que  le  Christ  a  pu  enseigner.  Selon  lui,  c'est 
le  Christ  immortel  qui  lui  a  révélé  l'économie  de  salut  qu'il  prêche, 
et  c'est  au  même  Christ  qu'il  rapporte  sa  vocation.  Osera  t-on  le  con- 
tredire sur  ce  point  essentiel?  On  est  si  bien  habitué  à  le  contredire 
discrètement  qu'on  a  fini  par  ne  plus  s'en  apercevoir.  Or  c'est  là  que 
gît  le  mystère  de  la  conversion  :  ce  fut,  —  qu'on  me  pardonne  le  jeu 
de  mots,  —  la  conversion  à  un  mystère,  à  cette  religion  même  du 
salut  acquis  à  tous  par  la  mort  du  Christ  et  par  la  foi  à  ce  Christ 
mort  et  ressuscité.  C'est  cette  idée-là  que  Paul  prétend  avoir  eue  dès 
le  commencement  et  ne  devoir  pas  aux  premiers  fidèles  de  Jésus. 
Comme  il  ne  la  doit  pas  davantage  au  judaïsme,  ne  la  devrait-il  pas 
aux  mvstères  païens,  et  sa  conversion  n'aurait-elle  pas  consisté  dans 
l'application  qu'il  a  faite  au  Christ  des  principes  qui  caractérisaient 
les  cultes  de  mystères,  salut  proposé  aux  croyants  de  toute  nation  qui 
participeraient  par  la  foi  et  les  rites  de  l'initiation  aux  aventures  mys- 
tiques, parfois  à  la  mort  et  à  la  résurrection  d'un  être  divin  ?  Il  est 
bien  difficile  de  ne  point  l'admettre,  et  conséquemment  de  ne  point 
placer  l'influence  des  mystères  à  l'origine  même  du  christianisme, 
dans  la  conversion  de  l'homme  qui  a  contribué  plus  que  personne  à 
faire  de  l'Évangile  une  religion,  et  une  religion  universelle,  au  lieu 
d'une  petite  secte  sans  avenir  dans  le  judaïsme  où  elle  était  née.  La 
pression  des  événements  ne  rend  pas  suffisamment  compte  de  l'évolu- 
tion du  christianisme  primitif;  car  la  prédication  aux  païens  ne  fut 
pas  une  nécessité  du  christianisme  naissant,  et  Paul  lui-même  a  com- 
pris la  chose  tout  autrement.  Il  serait  au  moins  risqué  de  soutenir 
qu'il  a  imaginé  sa  théorie  de  l'universalité  du  salut  pour  justifier  les 
missions  déjà  faites  par  lui  et  les  conversions  accomplies  chez  les 
païens,  quand  lui-même  dit  clairement  le  contraire.  On  n'a  pas  lieu 
d'alléguer  contre  ce  témoignage  formel  celui  des  Actes,  où  il  semble 
toujours  que  Paul  ne  prêche  aux  païens  qu'après  avoir  été  chassé  par 
les  Juifs.  M.  W.  nous  apprend  à  suspecter  ici  le  point  de  vue  systé- 
matique des  Actes. 

Dans  la  seconde  partie  de  son  livre,  partie  qui  est  de  tout  point 
excellente,  et  originale  en  beaucoup  d'endroits,  M.  W.  discute  en 
eff'et  la  valeur  historique  des  Actes  et  réagit  avec  beaucoup  de  netteté 
contre  les  apologies  naguère  publiées  par  M.  Harnack.  Il  relève  très 
finement  les  lacunes  des  Actes,  les  doubles  récits,  les  partis  pris  de 
l'auteur,  le  caractère  fictif  du  ch.  xv,  concernant  l'assemblée  de  Jéru- 
salem, qui  fait  double  emploi  avec  xi,  ig-So,  et  contredit  l'Épître  aux 
Galates,  le  caractère  de  convenu  qui  domine  tout  et  qui  ne  permet  pas 
d'attribuer  à  l'œuvre  un  but  de  conciliation  entre  des  tendances  diver- 


88  REVUE    CRITIQUE 

gcntes  qui  nuraieni  alors  existe  dan's  l'Église,  mais  qui  provient  de 
ce  que  les  anciens  disscniinionis  avaicni  perdu  lout  intérêt  et  l'on 
pourrait  dire  toute  signillcation.  L'idée  do  faire  composer  les  Actes 
avant  la  mort  de  Paul  est  qualifiée  tout  bonnement  de  «  monstrueuse  » 
par  M.  W.,  et  le  terme  ne  paraît  pas  trop  fort.  La  combinaison  des 
sources  a  dû  être  aussi  mécanique,  arbitraire,  superficielle,  dans  les 
Actes  que  dans  le  troisième  Évangile,  et  elle  ne  donne  pas  de  meil- 
leurs résultats.  Que  l'auteur  des  Actes  ne  soit  pas  le  même  que  celui 
du  journal  de  voyage  (Wirbericht),  c'est  ce  qui  résulte  des  interpola- 
tions rédactionnelles  pratiquées  dans  ce  document  et  qui  ne  s'accor- 
dent pas  avec  leur  contexte.  M.  W.  cite  en  particulier  les  interpola- 
tions qui  se  trouvent  dans  le  récit  de  la  tempête  (xxvii,  9-11,2  1-26),  et 
aussi  XX,  17-38,  morceau  rapporté  par  le  rédacteur  soucieux  de  loger 
en  cet  endroit  un  beau  discours  de  Paul  aux  anciens  de  l'Eglise 
d'Éphèse.  La  source  disait  que  Paul,  pour  ne  pas  perdre  de  temps, 
avait  passé  Éphèse  ;  il  perd  beaucoup  plus  de  temps  en  s'arréiant  à 
Milet  et  en  y  faisant  venir  les  Hdèles  éphésiens.  Le  rédacteur  des 
Actes  n'est  pas  un  disciple  de  Paul,  et  le  livre  est  bien  postérieur  à  la 

mort  des  apôtres. 

Alfred  LoisY. 


Die  Fragmente  der  Vorsokratiker,  von  H.  Dif.ls  ;  2'«  Aufl.  II  2  :  Wortindex 
verfasst  von  W.  Kranz,  nebst  cincm  Nachtrâg  zum  ganzen  Werk  von  H.  Diels. 
Berlin,  Weidinann,  1910,  xiv  et  684  p.,  in-8°,  10  mk. 

Dans  la  série  des  lexiques  spéciaux  qui  préparent  lentement  le  Thé- 
saurus graecus  de  l'avenir,  on  remarquait  surtout  jusqu'ici,  pour  ce 
qui  concerne  la  philosophie,  l'admirable  Index  aristotelicus  d'Her- 
mann  Bonitz.  Les  Vorsokratiker  nous  valent  un  «  Wortindex  »  qui 
dépasse  le  monument  laissé  par  l'éditeur  d'Aristote,  tant  à  cause  des 
multiples  ressources  créées  parce  répertoire  nouveau,  qu'à  raison  des 
difficultés  surmontées  pour  le  construire. 

Ici,  en  effet,  tout  se  complique  singulièrement.  Ce  n'est  pas  d'un 
seul  auteur  qu'il  faut  inventorier  le  vocabulaire,  et  les  textes  si  divers, 
d'Heraclite  ou  d'Empédocle,  d'Archytas  ou  de  Démocrite,  qu'il  faut 
mettre  sous  forme  d'articles  de  dictionnaire,  se  présentent  souvent 
dans  un  état  d'indécision  et  de  flottement  où  les  ciseaux  du  lexico- 
graphe se  manient  avec  peine.  Jusqu'où  va,  dans  l'extrait  d'un  préso- 
cratique, la  reproduction  littérale  ?  Où  commence  le  remaniement  et 
la  paraphrase?  Il  est  souvent  bien  difficile  de  le  déterminer,  et  il  faut 
cependant  prendre  un  parti,  fût-il  très  provisoire,  car,  vu  l'impor- 
tance des  fragments  pour  l'histoire  de  la  langue,  il  ne  suffit  pas  ici  de 
faire  une  table  alphabétique  des  sujets  traités.  Il  faut  dresser  en  même 
temps  un  index  de  la  grécité  de  chacun  des  auteurs. 

Toutes  les  difficultés  ont  été  résolues  de  façon  pratique  et  simple. 
La  grécité  des  présocratiques  est  analysée,  et  celle  de  leurs  doxo- 


d'histoire  et  de  littérature  89 

graphes  est  écartée  :  en  effet,  elle  figure  déjà  dans  les  tables  des  Doxo- 
graphi  graeci  de  Diels.  Dans  les  renvois,  si  le  chiffre  de  la  ligne  est 
imprimé  en  caractères  gras,  il  indique  une  citation,  donc  une  donnée 
sûre.  L'astérisque  marque  les  mots  reconstitués  par  conjecture.  Des 
signes  variés  font  voir  où  est  Tauthentique,  où  est  le  douteux,  le  faux, 
et  ce  qui  n'appartient  qu'à  une  imitation  littéraire  d'un  auteur.  Quand, 
pour  un  des  mots  repris  à  l'index,  le  relevé  des  emplois  se  borne  à  un 
choix  de  passages,  l'article  est  précédé  d'une  croix  de  S.  André,  etc. 

Pour  prendre  un  exemple  parmi  les  articles  qui  étaient  les  plus  dif- 
ficiles à  compose!-,  on  trouve,  au  mot  àfjo,  d'abord  les  particularités 
grammaticales,  puis  les  rubriques  suivantes  :  «  Elément  —  Gott  — 
Kosmos,  Meteora  —  Mensch,  Secle  —  Verschiedenes  ».  Il  faut  admi- 
rer vraiment  l'ingénieuse  et  savante  ordonnance  d'article  comme  ôsoi;, 
(fûai;,  etc. 

Ce  lexique  peut  rendre  des  services  aux  chercheurs  dans  les 
domaines  les  plus  divers.  Que  l'on  étudie  l'apologie  du  paganisme 
chez  ses  derniers  défenseurs  par  exemple,  on  retrouvera  aisément  ici 
le  point  de  départ  des  explications  philosophiques  du  polythéisme  et 
de  la  mythologie.  Que  l'on  s'attache  à  refaire  l'histoire  des  rapports 
de  l'Hellénisme  avec  l'Orient,  cet  index  aidera  à  découvrir  les  pre- 
mières traces  de  l'astrolâtrie  chez  les  Grecs.  Chaque  article  est  d'ail- 
leurs fait  de  main  de  maître.  J'y  vois  notés  jusqu'aux  emprunts  dûs 
par  un  philosophe  à  un  autre  :  par  exemple,  au  mot  àXXÔTpto;,  le  lec- 
teur est  averti  qu'Empédocle  B  45  imite  Parmén'ide  B  14. 

Deux  ans  ont  suffi,  à  peu  près,  à  M.  W.  Kranz  pour  nous  donner 
cet  inappréciable  instrument  de  travail.  C'est  une  belle  preuve  d'intel- 
ligence et  d'endurance,  et  c'est  peu,  si  l'on  songea  la  valeur  du  résul- 
tat obtenu.  Quant  à  l'auteur  des  «  Vorsokratiker  »  qui  a  dirigé  la 
composition  de  cette  dernière  partie  de  son  œuvre,  on  savait  (jepuis 
longtemps  quelle  est  sa  puissance  de  travail  et  sa  maîtrise  '. 

J.   BlDEZ, 

Geschichte  des  Armutstreites  im  Franziskânerorden  bis  zum  Kouzil  von. 
Vienne,  von  D'  P.  Karl  Balthasar.  —  Papstliche  Provisionen  fur  niedere 
Pfriinden  bis  zum  Jahre  1304,  von  D''  Hermann  Baier.  —  Mûnster-i-W., 
AschendortTschc  Verlagsbuchhandlung,  191 1.  2  vol.  in-S"  de  284  et  ^42  pages. 
(Vorreformationsgeschichtliche  Forschungen,  Bd  vi  et  vu.) 

La  collection  des  Vorreformationsgeschichtliche  Forschungen  pu- 
bliée par  M.  Heinrich  Finke  vient  de  s'enrichir  des  deux  volumes 
dont  le  titre  est  transcrit  ci-dessus.  Tous  les  deux  traitent  des  pré- 
liminaires des  grandes  questions  qui  allaient  agiter  le  xiv^  siècle  et 
créer  les  plus  vives  préoccupations  aux  papes  français.  D'abord  la 
querelle  des  Franciscains  :  faut-il,  suivant  à  la  lettre  les  prescriptions 

I.  Il  y  a  eu,  dans  l'impression  da  volume,  bien  peu  d'inadvertances.  Au  mot 
a'.pio),  col.  25,  1.  23,  il  faut  lire  sans  doute  :  Hcrakl.  B  2g. 


go  REVUE    CRITIQUE 

du  fondateur  de  l'ordre,  que  les  religieux  délaissent  toute  espèce  de 
biens,  ne  vivent  que  du  produit  de  leur  travail  manuel  et  des  aumônes 
rctj'ues  de  la  charité  publique?  Ou  bien  les  moines  ayant  fait  profes- 
sion de  pauvreté  peuvent-ils  habiter  des  couvents,  qui.  par  leur  dota- 
tion, assurent  leur  existence?  On  conçoit  l'importance  du  sujet,  étant 
donné  que  Tordre  des  Frères  Mineurs  s'étendait  déjà,  à  la  monde  saint 
François,  sur  la  catholicité  tout  entière.  La  politique  des  papes  a  été  de 
le  discipliner,  de  contenir  ses  excès  de  zèle  et  d'avoir  autorité  sur  lui  : 
le  moyen  d'y  parvenir  était  de  favoriser  le  relâchement  de  la  règle 
primitive  et  de  permettre  aux  religieux  de  posséder  en  communauté. 
Mais  un  vif  mouvement,  secondé  par  des  écrivains  de  talent,  s'oppo- 
sait à  cette  modirtcation  de  la  règle  primitive;  les  Spirituels  s'agitèrent 
contre  l'action  des  papes;  leur  parti,  renforcé  par  l'élection  à  la  dignité 
de  général  du  provençal  Raimond  Gaufridi,  eut  le  tort,  pour  résister 
à  la  papauté,  de  faire  cause  commune  avec  des  hérésiarques;  il  ne 
manqua  pas  d'attirer  par  là  les  foudres  de  l'Eglise.  Le  procès  en  cour 
de  Rome  allait  commencer  lorsque  Raimond  Gaufridi  mourut  (i3  lo). 
Il  était  réservé  à  Jean  XXII  de  mener  une  lutte  vigoureuse  contre  les 
Spirituels. 

C'était  aussi  Jean  XXII,  qui,  par  nécessité,  allait  donner  une  plus 
grande  extension  aux  réserves  apostoliques  et  aux  collations  par  le 
souverain  pontife  des  bénéfices  jusque-là  attribués  par  d'autres  per- 
sonnes. Ce  n'est  pas  lui,  pas  plus  que  son  prédécesseur  Clément  V, 
qui  inaugura  ce  système  d'augmenter  les  ressources  du  trésor  ponti- 
fical. Le  D'  H.  Baier,  au  moyen  des  registres  du  xiii^  siècle,  a  pu 
suivre  les  origines  et  l'évolution  du  système  qui  devait  plus  tard  sou- 
lever tant  de  protestations.  Il  commence  son  étude  au  pontificat 
d'Honorius  III  et  il  expose  comment  petit  à  petit  les  papes  trouvèrent 
le  moyen  de  pourvoir  de  revenus  bénéticiaux  leurs  parents,  les  fonc- 
tionnaires de  leur  chancellerie,  leurs  familiers,  leurs  chapelains,  les 
clercs  au  service  de  leurs  cardinaux,  enfin  ceux  qu'ils  avaient  des 
raisons  particulières  de  favoriser  de  tels  avantages.  Les  légats  qui  les 
représentaient  agirent  selon  les  mômes  inspirations;  ils  prirent  l'habi- 
tude de  concéder  des  provisions  dans  l'étendue  des  provinces  sou- 
mises à  leur  autorité  ;  ils  n'eurent  que  trop  la  tendance  à  profiter  des 
pouvoirs  à  eux  attribués  et  il  fallut  de  bonne  heure  limiter  le  nombre 
des  bénéfices  dont  ils  pouvaient  disposer.  Les  appendices  placés  par 
le  D'"  Baier  à  la  fin  de  son  ouvrage  permettent  de  suivre  le  dévelop- 
pement des  réserves  :  ils  donnent  la  liste  des  bénéfices  concédés  par 
les  papes  du  xiii«  siècle  et  de  toutes  les  personnes  qui  se  les  firent 
attribuer. 

Les  publications  des  D''*  Karl  Baithasar  et  Hermann  Baier  sont 
donc  toutes  les  deux  intéressantes  pour  l'histoire  générale  ;  elles 
méritent  l'estime  des  érudits. 

L.-H.  Labandk. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  9I 

Le  prince  de  Faucigny-Lucinge.  Un  point  d'histoire  controversé.  1177-1233. 

Le  mariage  de  Thomas  I''',  comte  de  S;uoic  a\'cc  iVlai-t;ucriic  de  l''aucigny. . .  — 
Paris,  H.  Daragon,   191  i.  in-8"  de  i63  pages. 

L'auteur  du  présent  volume  veut  arriver  à  démontrer  que  Margue- 
rite de  Faucigny  est  bien  la  femme  qui  donna  à  Thomas  I",  comte 
de  Savoie,  tous  ses  enfants  et  qui  devint  ainsi  l'aïeule  de  la  plupart  des 
rois  de  l'Europe  occidentale  :  Béatrix  de  Savoie,  sa  fille,  eut,  en  effet, 
de  son  mariage  avec  Raimond  Bérenger  V,  comte  de  Provence,  celles 
qui  épousèrent  les  rois  de  France,  d'Angleterre  et  de  Naplei,.  Tho- 
mas II,  son  Hls,  fut  de  son  coté  l'ascendant  de  la  maison  actuellement 
régnante  en  Italie.  Les  raisons  des  historiens  qu'il  combat,  en  parti- 
culier de  'Wurstemberger,  auteur  d'un  volumineux  ouvrage  sur  Tho- 
mas II,  ne  sont  vraiment  pas  solides.  Mais  lui-même  ne  sait  pas 
défendre  sa  thèse  avec  assez  d'autorité.  11  se  perd  dans  de  longues 
explications  inutiles;  en  pareil  sujet,  il  suffit  de  citer  une  série  de 
documents  bien  clairs  et  bien  authentiques  :  cela  réfute  tout,  sans 
qu'il  soit  besoin  de  revenir  constamment  sur  les  mêmes  choses. 
D'ailleurs,  son  instruction  historique  est  fort  arriérée  ;  on  a  besoin 
de  vérifier  la  date  de  la  publication  de  son  livre  pour  s'assurer  qu'il 
ne  l'a  pas  écrit  il  y  a  cinquante  ans.  Il  ne  connaît  rien  ou  presque  rien 
des  ouvrages  modernes;  veut-il  étudier  la  chronique  d'Aubry  de 
Trois-Foniaines,  il  non  connaît  que  le  texte  publié  par  Leibnitz  ; 
veut-il  apprécier  sa  valeur,  il  ne  s'appuie  que  sur  l'autorité  du  P.  Le 
Long.  Un  coup  d'œil  Jeté  sur  la  Bibliographie  du  chanoine  U.  Che- 
valier aurait  tôt  fait  de  le  renseigner.  Quant  aux  textes  qu'il  donne 
en  pièces  justiticatives,  ils  sont  farcis  de  fautes,  que  je  veux  bien  croire 
typographiques;  on  lit  par  exemple  :  semper  de  beol  inviolabilitiis 
permanere .  . .  filii  mei  Amedum  et  Aimo  laudevarunt . . .  (p.  i5i), 
cartem  pour  cartam,  Kalandar  pour  Kalendas  (p.  i52J,  etc.  C'est 
donc  un  ouvrage  à  reprendre. 

L.-H  .   Labande. 


Mary  Leland  Hunt,  Thomas  Dekker,  New-York,  Columbia.University  Press, 
igi2,  in-8°,  212  pp.    i  d.  25. 

Morris  Le  Roy  Arnold,  The  Soliloquies  of  Shakespeare,  New-Yortc,  Colum- 
bia  University  Press,  1911,  in-8°,  178  pp.   i   d.  23. 

Mable  Buland,  The  Présentation  of  Time  in  the  Elizabethan  drama  ,  Yale 
Studies  in  Englishj,  New-York,  Holt,  1912,  in-8'',  354  PP-i  '  '■1-  5o. 

Mina  Kerr,  Influence  of  Ben  Jonson  on  English  Comedy  (i  598-1642),  New- 
York,  Appieton  (University  of  Pennsylvania),  1912,  in-16,  i3i  pp. 

Ces  quatre  mémoires,  portant  tous  sur  la  même  époque  de  la  litté- 
rature anglaise,  prouvent  combien  le  xvi"  siècle  attire  encore  l'atten- 
tion. Le  meilleur  contient  une  biographie  complète  de  Dekker.  L'au- 
teur de  la  Vierge  Martyre  est  une  figure  attachante;  tendre  plutôt 
que  fort,  Dekker  fut  le  peintre  des  situations  pathétiques;  ses  œuvres 
de  prose,  moins  connues  que  son  théâtre,  sont  intéressantes  comme 


g2  REVUE    CRITIQUE 

études  de  mœurs  et  iDiit  pressentir  Defoc.  Il  valait  la  peine  de  réu- 
nir les  rcnseit^ncments  épars  dans  les  livres  sur  cet  auteur  de  second 
plan,  dij^ne  cependant  d'C'ire  remis  en  honneur.  On  pourrait  soutenir, 
sans  risquer  l'accusaiion  du  paradoxe  que  Dekker  lui  le  plus  puriiain 
des  contemporains  de  Shakespeare.  Il  est  piquant  de  constater  que 
ses  scrupules  religieux  ne  l'cmpiîchèreni  pas  d'écrire  de  nombreuses 
comédies. 

La  monographie  de  M.  Arnold  est  divisée  en  six  chapitres  :  origine 
et  caractères  du  soliloque;  les  soliloques  de  Shakespeare  :  leurs 
sources;  le  soliloque  servant  à  l'exposition;  le  soliloque  accompa- 
gnant l'action  ;  le  monologue  cf)mique;  la  révélation  des  pensées  et 
des  sentiments.  On  apprendra,  non  sans  surprise,  que  Cymbeline 
l'emporte  par  le  nombre  des  soliloques  (24  au  total,  430  vers)  et  que 
Coriolan  vient  au  bas  de  la  liste  (4  au  total,  3t)  vers  '). 

Les   contemporains  de   Shakespeare  connaissaient    la  théorie  des 
unités.  Si  le  grand  poète  dramatique  a  négligé  de  s'y  conformer,  ce 
n'est  certainement  pas  par  ignorance.  Le  D""  Buland  a  voulu  recher- 
cher comment  Shakespeare  et  les  élisabéthains,  tout  en  refusant    de 
condenser  l'action  en  une  journée  de  vingt-quatre  heures,    compre- 
naient la  notion  du  temps.  On  a  signalé  depuis  longtemps  la  contra- 
diction qui  règne  à  ce  sujet  dans  certaines  pièces  de  Shakespeare.  A 
une  première  série  de  citations  d'Othello  qui  permet  de  croire  à  une 
action  dont  la  durée  ne  dépasse  pas  trente-six  heures,  on  peut  oppo- 
ser des  allusions  à  un  intervalle  de  temps  beaucoup  plus  prolongé, 
s'étendant  à  plusieurs    mois.    Cette  contradiction    est-elle   due    à    la 
négligence  de  l'auteur  ou  à  son  désir  de  créer  une  double  illusion, 
celle  d'une  intrigue  rapide,  mais  non  ramassée  au  point  d'être  invrai- 
semblable? Après  une  enquête  minutieuse,  qui  porte  non  seulement 
sur  le  théâtre  de  Shakespeare  mais  sur  un  grand  nombre  de  pièces  de 
ses  prédécesseurs  et  de  ses  successeurs,  le  docteur  B.  incline  à  croire 
à  l'absence  de  calcul  chez  l'auteur  dramatique.  Les  chiffres  donnés 
dans  les  appendices  sont  à  signaler  :  on  y  apprend  que,  si  l'action 
dans  le  Gorbodiic  de  Sackville  (i56i)  dure  environ  sit  semaines  et 
vingt-quatre  ans  dans  le  Faust  de  Marlowe  (i588)  ;  elle  ne  dure  que 
sept  jours  dans  The  White  Devil  de  Webster  (1611)  et  de   trente-six 
heures  à  une  semaine  dans  les  pièces  de  Beaumont  et  Fletcher  (1608- 
16 17).  Chez  ces  derniers  on  sent  l'influence  de  Jonson. 

On  sait  que  .lonson  prenait  volontiers  des  allures  de  chef  d'école. 
Il  présidait  un  cénacle  de  poètes  qu'il  appelait  ses  «  Hls  ».  lia  exercé 


I.  Quelques  fautes  à  relever  :  p.  46,  due  to  Shakespeare  {to  omis);  p.  16, 
Comtesse  d'Escarbagnncs;  p.  96  raissonant;  p.  170,  rAmour  médicin;  p.  171, 
Le  biirgeois  gentilhomme.  11  est  regrettable  que  l'auteur  n'ait  pas  ajouté  à  sa 
thèse  une  bibliographie.  Le  sujet  a  été  traité  à  difTérents  points  de  vue  dans  des 
Mémoires  ou  des  articles  de  revue.  A  la  rigueur  il  aurait  suffi  de  transcrire  les 
notes  au  bas  des  pages  pour  aVoir  une  liste  très  suffisante  d'autorités. 


d'histoire  et  de  littérature  93 

une  influence  certaine  sur  le  ihcàtre  et  en  particulier  la  comédie.  Il 
inspira  en  quelque  sorte  à  ses  successeurs  la  règle  des  unités  ;  il 
prêcha  le  souci  du  style  et  de  Ja  composition;  sa  théorie  des 
u  humeurs  »  l'ut  généralement  adoptée.  M""  Mina  Kcrr  donne  des 
éclaircissements  sur  ces  différents  points.  Son  mémoire  a  le  mérite 
d'être  clair  et  bref.  Après  une  introduction  qui  précise  le  caractère  de 
la  comédie  jonsonienne,  trois  chapitres  (action  de  Jonson  sur  ses 
contemporains;  Naihaniel  Field  et  Richard  Burnc  ;  les  «  fils  de  Jon- 
son »)  épuisent  à  peu  près  le  sujet. 

Les  travau.\  de  «  séminaire  »  que  nous  venons  d'analyser  sont  une 
nouvelle  preuve  de  l'activité  des  universités  américaines  et  particu- 
lièrement de  Yale  et  de  Columbia.  Les  étudiants  n'y  préparent  pas 
seulement  des  examens,  ils  écrivent. 

Ch,   Bastide. 

Henri  de  i.a  Perrière.  Le  Roi  légitime.  La  loi  de  dévolution  du  trône  dans  la 
Maison  de  France.  Parus,  H.  Daragon,   19 10.  In-S"  de  167  pages. 

Quelles  sont  les  lois  fondainentales  qui,  sous  l'ancien  régime, 
réglaient  la  succession  au  trône,  tel  est  l'objet  "du  livre  de  M.  Henri  de 
la  Perrière.  La  royauté  était  héréditaire,  elle  n'appartenait  qu'au  fils 
aîné  ou  à  ses  descendants  mâles,  les  femmes  et  leurs  enfants  étaient 
exclus,  le  roi  devait  être  catholique,  il  ne  pouvait  enlever  ses  droits  à 
celui  qui  devait  lui  succéder,  car  il  existait  une  substitution  immémo- 
riale, entin  l'héritier  du  trône  devait  être  français,  né  en  légitime 
mariage  comme  tous  ses  ascendants.  Mais  la  qualité  de  prince  de 
sang  ne  se  perdait  pas,  si  un  membre  de  la  famille  souveraine  rece- 
vait un  trône  à  l'étranger;  il  conservait  donc,  malgré  sa  nouvelle 
nationalité,  tous  ses  droits  éventuels  à  la  couronne  de  France,  car  il 
n'appartenait  à  personne  de  les  lui  enlever.  Lui-môme  pouvait  y 
renoncer,  mais  il  n'avait  pas  qualité  pour  priver  ses  descendants  de 
leurs  droits. 

Cette  dernière  question  a  été  fort  agitée  à  la  fin  du  règne  de 
Louis  XIV,  lorsque  le  duc  d'Anjou  fut  nommé  roi  d'Espagne.  C'est 
sous  la  pression  de  l'Angleterre  que  Louis  XIV  spécifia,  au  traité 
d'Utrecht,  que  son  petit-fils  et  ses  descendants  seraient  exclus  de  la 
succession.  Cette  promesse  était  contraire  aux  lois  fondamentales  du 
royaume,  inême  au  sentiment  du  roi  et  de  son  entourage  ;  les  événe- 
ments montrèrent  aussi  que  Philippe  V  ne  se  considéra  pas  lié  par 
elle.  Le  testament  de  Charles  II  avait  spécifié  que  les  couronnes 
de  France  et  d'Espagne  ne  pouvaient  être  portées  par  la  même 
personne  :  si  le  cas  s'était  présenté  que  Philippe  V  fût  appelé  au 
trône  de  France,  il  aurait  dû  ou  abdiquer  en  Espagne  ou  renoncer 
formellenient,  mais  seulement  pour  lui-même,  à  ses  droits  qui  pas- 
saient à  son  fils  aîné.  L'intérêt  que  voit  M.  de  la  Perrière  à  expliquer 
celte  thèse,  c'est  de  démontrer  que  le  représentant  actuel  de  la  monar- 


04  REVUE    CRITIQUE 

chic  légitime  française  n'est  pas  le  duc  d'Orlcans,  mais  don  Jaime. 
Toute  la  question  est  de  savoir  si  la  clause  du  traité  d'Utrccht,  plu- 
sieurs fois  confirmée  solenncllcinciii  dans  le  cours  du  xviu"^  siècle,  est 
valable.  Cela  peut  se  discuter. 

L'ouvrage  est  solidement  établi  ;  il  est  à  regretter  cependant  que 
les  références  soientsi  pauvrementindiquces.il  y  a  bien  une  biblio- 
graphie à  la  fin  du  volume,  mais  on  y  trouve  des  articles  comme 
«  Monumenta  Germaniae  historica.  Hanovre,  puis  Berlin,  in-4°  », 
ou  bien  «  Patrologiae  cursus  completus,  par  Migne.  Paris,  i856, 
in-4°  »,  ou  encore  «  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes.  Mercure 
français  »  etc.  Cela  est  tout  à  fait  insuffisant.  On  peut  relever  aussi 
quelques  petites  erreurs  historiques;  ainsi  l'assemblée  qui  élut  Hugues 
Capet  ne  se  tint  pas  à  Senlis  au  '3  juillet  987  (plus  loin,  l'auteur  se 
contredit  en  rapportant  l'élection  au  i'''juin);  la  réunion  de  Senlis 
doit  se  placer  à  la  Hn  de  mai  ;  l'élection  eut  lieu  à  Noyon  le  i"''  juin  et 
le  sacre  à  Reims  le  3  juillet.  M.  de  la  Perrière  aurait  trouvé  ces  dates 
dans  Les  derniers  Capétiens  de  F.  Lot,  ouvrage  qu'il  a  cependant  uti- 
lisé, quelquefois  sans  le  dire. 

L.-H.  Labandk. 

Chanoine  Albert  Durand.  État  religieux  des  trois  diocèses  de  Nimes,  d'Uzès 
et  d'Alais  à  la  fin  de  l'ancien  régime.  Nimes,  imp.  générale,  191 1.  In-8'  de 
36o  pages. 

Dans  cet  ouvrage,  admirablement  documenté,  composé  avec  soin 
et  présenté  d'une  façon  des  plus  intéressantes,  l'auteur  s'est  proposé 
de  montrer  quelle  fut,  pendant  les  années  qui  précédèrent  la  Révolu- 
tion, la  situation  des  autorités  religieuses  et  des  établissements  ecclé- 
siastiques dans  les  pays  qui  ont  formé  le  département  du  Gard  (h  peu 
près  l'ancienne  sénéchaussée  de  Nimes).  Ainsi  par  exemple,  après 
avoir  donné  quelques  notes  biographiques  sur  les  derniers  évéques  de 
Nimes,  Uzès  et  Alais,  il  a  exposé  quelle  était  l'étendue  de  leurs 
domaines,  la  somme  de  leurs  revenus,  l'organisation  de  leurs  tribu- 
naux pour  la  justice  criminelle  et  pour  les  matières  ecclésiastiques; 
il  a  montré  comment  ils  administraient  leur  diocèse,  quels  rapports 
ils  avaient  avec  les  représentants  du  pouvoir  central,  quel  était  leur 
rôle  administratif  dans  leur  diocèse,  etc.  Il  a  énuméré  les  chapitres  et 
collèges  de  chapelains,  compté  leurs  revenus,  déterminé  la  mission 
qu'ils  s'étaient  imposée,  caractérisé  leurs  relations  avec  les  évoques. 
Il  a  pénétré  les  secrets  de  l'administration  paroissiale,  mis  en  reliet 
les  pratiques  et  habitudes  religieuses  de  la  population,  dont  la  fer- 
veur était  entretenue  par  des  missions  ou  par  l'émulation  des  confré- 
ries ;  il  a  considéré  la  condition  des  curés  et  vicaires,  indiqué  les 
sources  de  leurs  revenus,  marqué  de  traits  accentués  les  sympathies 
ou  les  antipathies  qu'ils  récoltaient  dans  leur  ministère.  Il  a  porté  le 
même  regard  sur  les  couvents  et  abbayes,  soupesé  leurs  ressources, 


d'histoire    iil     UE    LITTÉRATURE  "  9  5 

montré  la  difficulté  du  recrutement  des  religieux,  le  relâchement  de 
leur  discipline,  la  défense  qu'ils  ont  eue  à  opposer  aux  conclusions  de 
la  Commission  des  réguliers.  M.  le  chanoine  Durand,  en  véritable 
historien,  ne  prétend  pas  dissimuler  les  tares  ;  il  fait  bien  remarquer 
la  décadence  des  ordres  monastiques,  la  déviation  du  but  que  s'étaient 
proposé  les  fondateurs,  etc.  Il  n'est  donc  pas  un  laudator  temporis 
acti.  Cela  ne  lui  donne  que  plus  de  force  et  d'autorité  pour  signaler 
le  rôle  éminemment  bienfaisant  assumé  par  l'Église  dans  les  domaines 
de  l'éducation  et  de  la  charité.  Les  œuvres  d'assistance  émanaient 
toutes  d'un  sentiment  religieux  ;  elles  étaient  particulièrement  nom- 
breuses et  efficaces.  L'instruction  des  classes  rurales  était  aussi  orga- 
nisée beaucoup  mieux  qu'on  ne  le  suppose  d'habitude.  Il  y  avait  des 
écoles  partout,  sauf  peut-être  dans  quelques  hameaux  ;  elles  étaient 
obligatoirement  fréquentées  par  des  enfants  qui  n'avaient  aucune  rede- 
vance à  payer. 

Le  livre  de  M.  le  chanoine  Durand  est  un  modèle  à  proposer  pour 
sa  documentation  et  pour  le  ton  simple,  précis  et  impartial,  dont  il 
expose  les  résultats  de  son  enquête.  L'auteur  se  propose,  nous  dit-il, 
de  continuer  ses  études  et  de  s'occuper  de  l'histoire  religieuse  du 
département  du  Gard  sous  la  Révolution.  On  peut  être  persuadé  qu'il 
fera  preuve  des  mêmes  qualités  d'historien. 

L.-H,  Larande. 

Histoire  du  collège  d'Orange  depuis  sa  fondation  jusqu'à  nos  jours  (1573- 
1909  ,  par  Anioine  Yrondei.le,...  Paris,  H.  Champion,  1912.  Jn-8"  de  xv-?52  p. 

La  plus  grande  partie  de  ce  livre  est  consacrée  aux  événements  (si 
ce  mot  n'est  pas  trop  gros)  accomplis  au  collège  d'Orange  au  xix«  siè- 
cle et  pendant  les  premières  années  du  xx^.  Pour  la  période  anté- 
rieure, deux  chapitres  :  le  premier  raconte  l'histoire  du  collège  depuis 
sa  fondation  en  i  SjS  par  le  comte  Louis  de  Nassau,  prince  d'Orange, 
jusqu'en  1703,  époque  où  la  principauté  fut  définitivement  annexée  à 
la  France  ;  le  deuxième  a  trait  au  xvin''  siècle.  Il  est  incontestable  que 
l'auteur,  M.  Yrondelle,  s'est  appliqué  à  connaître,  jusque  dans  les  plus 
petits  détails,  les  fastes  du  collège  où  il  a  professé  pendant  une  dou- 
zaine d'années,  il  a  exploré  très  attentivement  les  archives  locales,  il  a 
été  admis  à  compulser  les  dossiers  modernes  de  l'Université  ;  je  ne 
crois  pas  qu'on  puisse  être  plus  complet.  Je  me  permettrai  cependant 
une  observation  :  un  historien  doit  garder  plus  de  justice  dans  l'appré- 
ciation des  faits  et  montrer  moins  de  partialité.  Tant  que  le  collège 
d'Orange  est  sous  la  direction  des  maîtres  imposés  par  les  Princes, 
avec  une  prédominance  très  marquée  de  l'élément  pro^testant,  l'auteur 
estime  à  peu  près  parfaits  la  direction  qu'il  reçoit  et  l'enseignement 
qui  y  est  donné.  Dès  qu'il  se  trouve  sous  l'influence  du  catholicisme, 
la  louange  devient  plutôt  difficile  et  s'atténue  très  vivement  devant 
les  critiques.  C'est  un  procédé  un   peu   simplet  qui    peut  être  admis 


()()  1<I.\  I   I      CRITIQUE 

en  poliiic|uc,  mais  i]ui  plait  moins  dans  un  livre  d'histoire.  Sans 
doute,  il  est  intéressant  de  voir,  dans  un  pays  sr)umis  à  des  autorités 
protestantes,  des  enfants  huguenots  ci  catholiques  s'asseoir  sur  les 
mômes  bancs  et  écouter  les  leç(jns  de  professeurs  des  deux  religions; 
assurément  les  persécutés  sont  aussi  toujours  sympathiques.  Mais 
est-ce  qu'en  France,  au  ww^  siècle,  on  ne  trouvait  pas  non  plus  orga- 
nisé cet  enseignement  mixte?  Même  pour  Orange,  après  la  réunion  à 
la  France  et  le  triomphe  du  catholicisme,  l'auteur  de  V Histoire  du 
Collège  ne  cite-t-il  pas  celte  phrase  typique,  extraite  d'une  pièce  olli- 
cielle  :  «  Orange  est  un  pays  où  il  y  a  beaucoup  de  protestants  qui 
envoient  leurs  enfants  aux  écoles...  »  Or,  il  ne  pouvait  v  avoir  que 
des  écoles  catholiques.  Mais  leur  religion  y  était  si  bien  respectée 
qu'on  souhaite  de  nouvelles  fondations  pour  en  ramener  «  beaucoup 
à  la  foi  ».  A  la  rin  de  son  volume,  M.  Yrondelle  n'aurait-il  pas  pu 
proposer  aux  jeunes  élèves  du  collège  d'Orange,  qui  sont  des  Fran- 
çais, d'autre  stimulant  à  leur  zèle  que  le  désir  de  plaire  à  S.  M.  l'Em- 
pereur et  Roi  Guillaume  II  ?  Il  semble  que  cela  est  un  peu  déplacé.  Il 
y  a  ainsi  quelques  fautes  de  goût  et  de  mesure.  C'est  regrettable.  Car 
en  général  VHistoire  du  collège  d'Orange  est  un  très  bon  livre. 

L.-H.   La  BANDE. 


UzuREAu,  Listes  des  personnes  décédées  dans  les  prisons  d'Angers.  Angers, 

Grassin,   i(ji2.  55  p.  in-8'. 
—  Les  Élections  et    le    cahier    du   tiers-état  de  la  ville  d'Angers    (1789). 

Angers,  Grassin,  Sc)  p.  t;r.  in-S". 

M.  l'abbé  Uzureau  a  dressé,  d'après  les  registres  de  l'état  civil,  les 
listes  des  personnes  dccédées  dans  les  prisons  d'Angers  pendant  la 
Terreur.  Il  a  fait  précéder  ces  listes  dune  brève  étude  sur  chaque  pri- 
son. La  plupart  étaient  mal  tenues  et  l'hygiène  y  laissait  fort  à  désirer. 
Le  total  des  décès  est  de  1,020  dont  71 1  femmes  et  2>oq  hommes. 

Il  publie  en  même  temps  le  très  intéressant  cahier  du  Tiers-Etal  de 
la  ville  d'Angers  en  1789  en  le  faisant  précéder  d'une  introduction  sur 
les  élections.  Quiconque  douterait  du  degré  de  maturité  politique  où 
était  arrivée  la  bourgeoisie  au  xv!!!""  siècle  n'a  qu'à  lire  ce  document. 
Le  Tiers  demandait  d'abord  et  avant  tout  une  Constitution,  une 
«  Chartre  »  qui  donnerait  à  la  nation  toute  la  puissance  législative, 
établirait  des  États-Généraux  réunis  de  droit  tous  les  deux  ans,  votant 
seuls  l'impôt,  pouvant  faire  le  procès  des  ministres  sans  que  le  roi 
put  en  aucun  cas  leur  faire  grâce.  Défense  était  faite  aux  députés  de 
voter  aucun  impôt  avant  que  la  Constitution  ait  été  arrêtée.  Les  biens 
des  abbayes,  prieurés,  chapitres,  collégiales,  bénéfices  simples,  etc. 
seraient  vendus  pour  payer  les  dettes  de  l'Etat.  Une  nouvelle  circons- 
cription des  paroisses  permettrait  d'égaliser  les  revenus  des  cures.  On 
rétablirait  le  pragmatique  de  Charles  VIL  On  supprimerait  les  ordres 


D  HISTOIRE    IVr    OK    LITfKRATUBK  97 

mendiants,  on  interdirait  de  prononcer  des  vccux  de  religion  avant 
'3o  ans  pour  les  hommes,  25  pour  les  femmes,  etc.,  etc.  Il  faut  lire  ce 
cahier  d'Angers.  C'est  un  des  plus  instructifs  que  je  connaisse. 

A.  Mz. 

Franccsco  Vk.iionk.  Ugo  Foscolo  in  Inghilterra  (Saggi).  (latanin,  1910,  332  pp., 
in-80. 

M.  Viglione,  connu  par  d'autres  études  sur  Foscolo,  nous  a\^porte 
une  foule  de  documents  nouveaux.  11  a  étudié  de  près  les  papiers  con- 
servés à  la  bibliothèque  Labronica,  de  Livourne;  et  cette  étude  lui  a 
permis  de  jeter  une  vive  lumière  sur  la  vie  du  poète  exilé  après  1814. 
La  troisième  partie  de  son  travail  (Scriiii  politici)  et  surtout  la  seconde 
(Scritii  liiterari)  montrent  que  Tédiiion  I.emonnier  est  à  refaire  entiè- 
rement, pour  ce  qui  concerne  les  écrits  publiés  ou  esquissés  en  Angle- 
terre. La  première  partie  enrichit  singulièrement  la  biographie  du 
poète.  Le  séjour  à  Londres,  les  démêlés  avec  les  libraires,  les  colères, 
les  querelles,  les  injures,  les  jugements  des  tribunaux;  les  folles 
dépenses,  quand  la  lortune  semble  sourire,  puis  les  dettes,  et  la  pri- 
son :  tout  cela  forme  un  drame  passionnant.  La  psychologie  de  Fos- 
colo, qui  tient  de  la  pathologie,  donne  matière  à  un  roman  qui  est  un 
roman  vrai. 

La  mise  en  ceuvre  est  inégale.  De  trop  longues  citations  en  anglais 
et  en  français  donnent  au  texte  italien  un  aspect  bariolé,  qui  suffirait 
à  indiquer  le  manque  de  fusion.  L/accessoire  et  l'essentiel  sont  déve- 
loppés avec  la  même  complaisance;  un  parti-pris  très  marqué  en 
faveur  de  Foscolo  transforme  parfois  le  récit  en  plaidoyer.  Ce  qui 
manque  le  plus,  c'est  une  connaissance  précise  des  milieux  et  de 
répoquc  :  la  vieille  Angleterre,  peinte  comme  fond  du  tableau,  ferait 
mieux  ressortir  la  physionomie  du  poète.  Il  faudrait  un  peu  plus  de 
maturité,  en  somme,  pour   faire    de  ce  livre  déjà  si   intéressant   et   si 

curieux  un  livre  excellent. 

Paul  Hazard. 

Sforza  (Giov.)  et  Gallavresi  (Gius.).  Carteggio  di  Alessandro  Manzoni,  l'^vol. 
(i8o3-i8'2 1),  Hoepli,  18 12.  In-S"  et  ix,  610  p.  6  fr.  5o. 

Ce  l'^i'vol.  contient  285  lettres  y  compris  celles  qu'échangèrent 
des  parents  ou  amis  de  Manzoni.  Au  riche  fond  précédemment 
recueilli  par  M.  S.,  les  deux  associés  ont  ajoute  tout  ce  qu'ils  ont  reçu 
des  héritiers  de  P'auriel,  d'Eust.  Degola,  de  Pietro  Bambilla,  de 
l'amateur  Ern.  Gnecchi  et  de  plusieurs  autres  donateurs,  tout  ce 
qu'ils  ont  trouvé  à  notre  Institut.  Cette  correspondance  n'offre  pas 
pourtant  partout,  il  s'en  faut,  un  égal  intérêt  :  Manzoni  a  mené  une  vie 
strictement  privée;  par  prudence,  par  goût,  il  s'est  aussi  peu  mêlé 
que  possible  aux  événements,  même  littéraires;  il  vivait  pour  l'amitié 
et  la  méditation.  Ses  lettres  et  celles  qu'on  lui  adresse  ne  sont  donc  le 


98  REVUE    CRITIQUK 

plus  souvent  que  des  épancliemenis  imimes  qui  nous  apprennent  très 
peu  de  choses.  Cepcnlaiu  on  trouvera  dans  les  pages  inédites  des  dé- 
tails nouveaux  sur  le  mariage  qu'on  veut  lui  faire  contracter  dans  la 
famille  de  Tracy,  sur  la  conversion  de  sa  femme.  D'ailleurs,  Manzoni 
est  un  écrivain  plein  de  grâce  ci  de  malicieuse  finesse,  même  lorsqu'il 
parle  notre  langue;  le  genre  épistolaire  lui  réussit  mieux  qu'à  la 
plupart  de  ses  compatriotes  :  il  y  porte  trop  d'abondance  et,  dans  ses 
années  de  jeunesse,  un  peu  de  gaucherie,  maison  écoute  avec  plaisir 
ce  spirituel  causeur.  Puis,  M.  G.  éclaire  la  biographie  des  correspon- 
dants de  Manzoiii  ;  pour  ceux  d'entre  eux  qui  furent  nos  compatriotes,  , 
je  doute  qu'un  Français  de  France  eût  pu  annoter  plus  richement  le 
volume.  De  nombreux  portraits  se  mêlent  au  texte  iManzoni  jeune  et 
vieux.  Franc.  Melzi,  'Sophie  de  Condorcet,  Fauriel,  Carlo  Botta, 
Vinc.  Monti,  etc.)  ;  un  copieux  index  le  termine. 

Charles  Dkjob. 

CiiÉRADAME  (André),    La  crise   française,  faits,    cause,   solution.    Paris,    Pion, 
1912.  In-8<>  et  VIII,  702  p. 

La  première  panie  de  ce  livre  était  naturellement  la  moins  malaisée 
à  traiter,  mais  M.  G.  l'a  traitée  avec  une  variété  d'aperçus,  une  préci- 
sion, une  sobriété  des  plus  remarquables.  Il  ne  donne  que  des  faits 
établis  par  des  enquêtes  contradictoires,  par  des  personnes  bien  pla- 
cées pourvoir  le  secret  des  choses  et  intéressées  à  notre  prospérité. 
Ainsi  c'est  par  la  plume  de  M.  R.  Poincaré  qu'il  explique  comment 
les  faveurs  à  distribuer  font  oublier  aux  ministres  la  discussion  des 
affaires  générales  et  abandonner  à  chacun  d'eux  la  décision  des  plus 
importantes  affaires;  ce  sont  nos  amis  d'Angleterre  qui  s'offrent  à 
désabuser  ceux  qui  croient  notre  flotte  réparée  par  le  seul  fait  qu'on 
l'a  passée  solennellement  en  revue.  Les  conséquences  du  rachat  de 
l'Ouest,  la  fabrication  des  poudres,  la  propagande  pour  l'anarchie  et 
contre  l'armée,  les  scandales  de  finance  sont  exposés  avec  lucidité.  Il 
y  aurait  plus  à  discuter  sur  les  causes  et  les  remèdes.  L'auteur  accuse 
avec  raison  les  intrigues,  les  coteries,  1  intolérance  du  niDnde  poli- 
tique, les  placements  anti-patriotiques  de  capitaux  français,  l'impru- 
dence des  diplomates  improvisés;  mais  il  ne  va  pas  jusqu'au  fond  des 
choses;  il  ne  voit  pas  les  torts  du  grand  public.  Ce  ne  sont  pas  les 
politiciens  qui  font  l'opinion,  ils  l'exploitent  ;  les  écrivains  et  leurs 
lecteurs  y  ont  plus  de  part.  Or  ce  que  peignent  chez  nous  les  premiers 
encouragés  par  les  seconds,  c'est  la  vie  de  plaisir,  la  révolte  contre  le 
devoir,  les  défaillances  de  la  volonté.  Le  bourgeois  honnête  qui  veut 
qu'on  renforce  l'autorité  dans  la  société,  l'énervé  sur  les  bancs  du 
jury  et  veut  qu'on  l'énervé  sur  les  bancs  de  l'école  et  dans  les  conseils  ' 
de  guerre  ;  il  professe  naïvement  que  la  vie  privée  des  hommes  publics  j 
ne  regarde  personne,  sans  s'apercevoir  de  quoi  naissent  les  prévari-  j 
cations  ;  l'armée  serait  plus  respectée  si  les  ofïiciers  montraient  davan-    i 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  99 

tage  leur  uniforme  et  s'ils  n'avaient  pas  obtenu  la  stabilité  des  garni- 
sons. M.  C.  répcic.  avec  plus  de  précision,  les  doléances  du  public 
contre  les  politiciens,  mais  les  Parlements  valent  ce  que  valent  les 
nations. 

Beaucoup  des  remèdes  qu'il  propose  sont  excellents.  Il  voit 
l'imminence  d'une  lutte  pour  laquelle  l'Allemagne  multiplie  chaque 
jours  ses  moyens  de  provocation  et  ses  chances  de  victoire  ;  il  montre 
que  nous  serons  peut-être  seuls,  du  moins  au  début,  à  soutenir  le 
choc,  que  les  premières  hostilités  pourront  nous  être  défavoraMes, 
mais  ne  s'en  effraie  pas  et  indique  toutes  les  chances  assurées  à  notre 
sang-froid.  Les  changements  qu'il  souhaite  dans  notre  Constitution 
l'amélioreraient,  mais  pour  cela  il  faudrait  refaire  l'esprit  public  tout 
entier,  le  foyer.  M.  C.  compte  trop  sur  les  dispositions  nouvelles  qui 
semblent  poindre  dans  la  jeunesse.  La  pluralité  des  électeurs  com- 
prend les  hommes  au-dessus  de  trente  ans;  c'est  à  ceux-ci  qu'il  fau- 
drait demander  de  se  refaire  eux-mêmes.  —  Un  index  facilite  l'usage 
de  ce  livre  vraiment  utile  et  opportun. 

Charles  Dejob. 


Henry  Vignaud,  Etudes  sur  la  vie  de  Christophe  Colomb.  Deuxième  série. Histoire 
critique  de  la  grande  entreprise  de  Christophe  Colomb.  Tome  I,  1476- 1490. 
xxxiu  +  7o3  p.  Totne  11,   1491   1493.  xix  +  703,   p.  Paris,  Welter,  191 1,  3o  fr. 

Il  semble  que  le  grand  et  passionnant  procès  historique  qui  s'est 
déroulé  autour  de  Christophe  Colomb  puisse  être  désormais,  sinon 
jugé  en  dernière  instance,  mais  examiné  sur  pièces,  grâce  au  dossier 
constitué  par  M.  Henry  Vignaud  dans  ses  Etudes  sur  la  vie 
de  Christophe  Colomb.  Cette  Histoire  critique  justifie  à  mer- 
veille l'épithète.  Tous  les  éléments,  tous  les  documents,  tous  les 
témoignages  qui  éclairent  ce  que  M.  V.  appelle  la  légende  colom- 
bienne sont  interrogés  avec  une  rare  maîtrise  du  sujet.  Sans  doute, 
M.  V.  nie  que  le  Nouveau  Monde  ait  été  découvert  en  vertu  d'une 
conception  théorique  dont  le  manifeste  aurait  été  la  lettre  de  Tosca- 
nelli.  Mais  si  Colomb  s'est  prévalu  d'un  è/z^_^  scientifique  (le  mot  est 
américain),  M.  V.  professe  qu'il  a  eu  l'intuition  ou  la  notion  de  terres 
nouvelles,  signalées  par  un  «  pilote  sans  nom  »,  mystérieux  initiateur 
auquel  M  V.  accorde  toute  créance.  Ces  terres  inconnues,  Colomb 
ne  les  a  jamais  identifiées  avec  l'Inde.  Mais  il  les  a  cherchées  par  pré- 
méditation :  il  n'a  pas  été  un  aventurier,  un  découvreur  de  hasard. 
Voilà  son  titre  d'honneur.  On  ne  saurait  analyser  l'œuvre  de  M.  V. 
trop  puissante  et  trop  riche  !  une  table  des  matières  bien  ordonnée  per- 
met de  s'orienter.  On  n'osera  dans  l'enseignement  faire  état  des  con- 
clusions de  M .  V.  tant  que  la  controverse  ne  sera  pas  close. 

B.  A. 


100  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

M.-J.    Bonn,   Die   Neugestaltung    unserer  kolonialen    Aufgaben.  Tubingen, 
Muhr.   iiji  I,  4H  y>. 

M.  J.  Bonn,  professeur  à  ['Université  et  directeur  de  l'Ecole  supé- 
rieure de  commerce  de  Munich,  a  exposé  dans  une  harangue  acadé- 
mique, à  l'occasion  du  oo»  anniversaire  du  Prince  Régent,  les  ten- 
daiTCcs  et  nécessités  de  la  politique  coloniale  de  rAllemagne.  Le 
domaine  colonial  n'apparaît  jusqu'ici  dans  l'économie  et  la  fortune 
de  l'Empire  que  comme  un  facteur  insigniliant  ;  en  attendant  la  mise 
en  valeur  par  les  chemins  de  fer,  les  capitaux,  l'exploitation  des  mines 
d'or  et  de  diamant,  que  l'Allemagne  place  les  produits  de  son  indus- 
trie dans  les  centres  de  consommation  sur  les  marchés  capables  de  les 
payer,  par  voie  pacilique  autant  que  possible,  autrement  s'il  le  faut- 
Mais  que  l'Allemand  du  Sud,  le  Bavarois  reste  tranquille  à  l'ombre  de 
son  drapeau  blanc-bleu  et  sous  l'œil  paterne  de  ses  dynastes! 

B.  A.  ■ 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  iC)  juillet  igi2  .  — 
M.  Héron  de  Villefosse  annonce  une  intéressante  découverte  épigraphiqué  récem- 
ment faite  sur  le  territoire  de  Bourbon-Lancy  et  qui  lui  a  été  signalée  par  M.  Max 
Boirot.  Dans  une  tranchée  ouverte  près  du  chevet  de  l'église  Saint-Martin,  on  a 
trouvé  une  plaque  votive  en  marbre  blanc  consacrée  à  Borvo  et  à  Damona,  les 
dieux  de  lu  source  bienfaisante.  On  sait  tout  l'intérci  du  noni  divin  Borvo,  d'ori- 
gine gauloise  ;  ce  dieu  préside  aux  sources  thermales  en  Gaule.  Cet  ex-voto  est 
malheureusement   imcomplet;  il   a  pour  auteur  un  Gaulois  appelé  Suadorix. 

M.  Henri  Gordier  comnience  la  lecture  d'un  mémoire  sur  les  dernières  recher- 
ches relatives  à    l'Amérique. 

M.  RenéPichon  discute  et  commente  quelques  textes  latins  de  Tite  Live,  de 
Suétone  et  de  Juvénal,  relatifs  à  l'histoire  de  l'atellane.  —  MM.  Salomon  Reinach 
et  Maurice  Croiset  préseritent  quelques  observations. 

M.  Anziani,  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome,  présente  les  photographies 
d'une  amphore  corinthienne  sortie  de  la  nécropole  de  Bord-Djedid  à  Garthage. 
Il  rappelle  que  c'est  le  seul  vase  de  ce  genre  qu'aient  livré  les  tombeaux  carthagi- 
nois, et  montre  par  un  examen  détaillé  que  c'est  un  produit  de  second  ordre,  qui 
devait  plaire  aux  Africains  par  son  ornementation  surchargée.  —  M.  Perrot  pré- 
sente quelques  observations. 

Léon  Dorez. 


L' imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 


Le  Puy-eii-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


R  EVUE    CRlTiQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

^ ^ . — . U  .  ... — ^ 

N»  32  —  10  août.  —  :1912 

M.  Croiset,  Observations  sur  la  légende  d'Ulysse.  —  Ferrari,  Les  documents 
grecs  de  droit  privé  de  l'Italie  méridionale.  —  Diehl,  Manuel  d'art  byzantin.  — 
Cicéron,  Philippiques,  p.  Sternkopf.  — Enéide,  i-6,  p.  Jahn.  —  Quintilien,  X, 
p.  RôHL.  —  Heraeus,  Pétrone.  —  Caussy,  Voltaire  seigneur  de  village.  — 
RocHETTE,  L'alexandrin  chez  Victor  Hugo.  —  Delaunav,  Vieux  médecins  sar- 
thois,  2.  —  Gebhart,  Petits  mémoires;  Contes  et  fantaisies.  —  S.  Ravasi,  Leo- 
pardi  et  M™*  de  Staël.  —  Kôrver,  Stendhal  et  son  expression  des  mouvements 
de  l'àme.  —  M.  Fuchs,  Théodore  de  Banville.  —  Counson,  La  pensée  romane. 
—  J.-G.  RoBERTsoN,  Gœthe  et  le  XX'  siècle.  —  Henderson,  La  ballade.  — 
Cserep,  Pelasges  et  Etrusques.  —  Meusel,  Publications  sur  César.  —  Nohl,  Cati- 
linaires,  y  éd.  —  Merlin,  Les  installations  hydrauliques  en  Tunisie;  Forum  et 
églises  de  Sufelula.  —  Vollmer,  L'inscription  d'Etting.  —  Bulletin  d'archéo- 
logie   dalmate,  XXXIII.  —  Académie  des  inscriptions. 


Maurice  Croiset,  Observations  sur  la  légende  primitive  d'Ulysse.  Paris,  Impr. 
Nationale,  1910;  46  p.  (Extr.  des  Mém.  de  FAcad.  des  Iiiscr.  et  Belles-Lettres, 
t.  XXXVIIL  2=  partie,  p.  171-214). 

Les  quelques  pages  dans  lesquelles  M.  Maurice  Croiset  étudie  le 
personnage  d'Ulysse  ne  peuvent  manquer  d'attirer  l'attention  des  hel- 
lénistes et  de  ceux  en  particulier  qui  s'occupent  de  l'histoire  des 
poèmes  homériques.  Simples  observations,  si  l'on  s'en  rapporte  au 
titre  ;  mais  le  lecteur  s'aperçoit  vite  qu'elles  ont  une  portée  considéra- 
ble. Il  ne  s'agit  de  rien  moins,  en  effet,  que  de  l'origine  de  la  légende 
d'Ulysse  et  par  suite  de  la  manière  dont  se  sont  formés  les  éléments 
principaux  de  l'Odyssée.  Ce  n'est  pas  qu'en  pareille  matière  on  puisse 
se  flatter  d'arriver  à  la  certitude  ;  mais  ceci  du  moins  est  certain 
qu'entre  plusieurs  hypothèses  également  vraisemblables  c'est  celle  qui 
explique  le  plus  de  faits  et  qui  les  explique  de  la  façon  la  plus  objec- 
tive qui  doit  être  préférée.  Or  dans  la  clarté  des  développements  de 
M.  C;  ce  qu'on  ne  peut  méconnaître  est  précisément  l'objectivité  de 
l'argumentation.  11  n'est  pas  une  de  ses  conclusions  qui  ne  repose  sur 
des  faits  attestés  par  les  textes,  et  la  part  de  l'interprétation  person- 
nelle y  est  réduite  au  minimum.  C'est  là,  en  somme,  la  vraie  méthode 
critique,  meilleure  et  plus  sûre,  pour  le  dire  en  passant,  que  les  athé- 
tèses  arbitraires,  les  combinaisons  transcendantes  et  les  fantaisies 
quiniessenciées  dont  les  poèmes  homériques  ont  trop  souvent  été 
victimes.  Je  ne  dis  pas  pour  cela  que  les  résultats  de  l'étude  de  M.  C. 

Nouvelle  série  LXXIV  33 


I02  REVUE    CRITIQUE 

ont  lous  le  môme  degré  de  vraisemblance;  cependant  il  me  paraît  cer- 
tain, plus  encore  qu'auparavant,  qu'il  est  vain  de  vouloir  chercher 
l'Ithaque  d'Homère  ailleurs  que  dans  l'Ithaque  actuelle;  il  est  égale- 
ment vraisemblable,  sinon  vrai,  qu'Ulysse  n'est  point  un  ancien  dieu 
mythique,  mais  que  c'est  un  héros  de  l'histoire  primitive,  et  que  la 
légende  des  prétendants  «  n'a  été  incorporée  à  celle  d'Ulysse  qu'assez 
tardivemexit  ».  Il  me  semble  plus  discutable,  d'autre  part,  que  le  rôle 
d'Ulysse  comme  inventeur  de  stratagèmes  et  comme  favori  d'Athéné 
se  soit  dessiné  seulement  «  dans  la  période  immédiatement  antérieure 
à  rOdyssée  ».  Cette  amitié  entre  le  héros  et  la  déesse,  dit  M.  C.  ', 
«  ne  s'était  guère  manifestée  dans  l'Iliade  elle-même.  Elle  avait  donc 
pris  son  développement  dans  les  chants  postérieurs  ».  Cette  conclu- 
sion n'est  pas  inattaquable.  Si  cette  protection  spéciale  d'Athéné,  qui 
se  montre  si  fréquemment  dans  l'Odyssée,  est  peu  visible  dans  l'Iliade, 
c'est  d'abord  qu'Ulysse  n'a  pas  dans  ce  poème  un  rôle  extrêmement 
saillant  (je  ne  parle  pas,  bien  entendu,  des  parties  certainement  posté- 
rieures, comme  la  Dolonie  et  les  'AOXa),  ensuite  et  surtout  qu'il  y  a 
peu  d'occasions  où  Aihéné  puisse  intervenir  en  sa  faveur.  Cependant 
il  arrive  une  fois  qu'il  se  trouve  dans  une  circonstance  critique  ;  au 
chant  XI,  435  svv. ,  il  est  blessé  par  Sôkos,  et  le  poète  ne  manque  pas 
d'ajouter  «  mais  Athéné  empêcha  la  blessure  d'être  mortelle  »,  On 
peut  faire  une  remarque  analogue  au  sujet  de  la  ruse  et  des  stratagèmes 
d'Ulysse.  Dans  le  même  épisode  de  l'Iliade,  Sôkos  lui  adresse  la 
parole  en  ces  termes,  v.  430  :  w  'Oo'jjîj  TCoXjaive,  rA^wi  iz  'rfiï  -novoio.  Or 
on  est  d'accord,  je  pense,  pour  considérer  le  chant  XI  dans  son 
ensemble,  et  ce  passage  en  particulier,  comme  appartenant  à  l'Iliade 
primitive.  Cela  ne  prouve  pas,  sans  doute,  que  la  légende  d'Ulysse 
fut  très  développée  au  temps  où  naquit  l'Iliade  ;  mais  cela  prouve  tout 
au  moins  qu'à  cette  époque  même  le  héros  était  déjà  nettement  carac- 
térisé comme  fertile  en  ruses  et  comme  protégé  d'Athéné.  Ces  deux 
traits  du  personnage,  si  largement  accusés  dans  l'Odyssée,  remonte- 
raient donc  encore  plus  haut  que  ne  le  pense  M.  Croiset, 

My. 

Giannino  Ferrari,  I  documenti  greci  medioevali  di  diritto  privato  dellltalia 
méridionale,  e  loro  attinenze  cou  quelli  byzantin!  d'Orienté  e  coi  papiri  greco- 
egizii.  Leipzig,  Teubner,  1910;  vii-148  p.    (S>".  Arcliiv,  fasc.  4). 

Le  litre  indique  très  nettement  quel  est  le  sujet  de  ce  travail,  et  l'in- 
troduction le  détermine  encore  avec  plus  de  précision.  M.  Ferrari,  se 
limitant  strictement  au  droit  privé  médiéval,  s'est  placé  plus  particu- 
lièrement au  point  de  vue  de  la  rédaction  formelle  des  documents  qu'il      j 

I .  M.  Croiset  cite  à  ce  propos  les  vers  Od.  Xlil,  3  14-3  1 5,  où  cette  amitié  est  rap- 
pelée par  Ulysse  lui-même  ;  on  ajoutera  qu'elle  l'est  d'une  manière  encore  plus 
formelle  au  chant  IH,  221-222,  où  Nestor  dit  à  Tclëmaque  où  yoép  irw  ïôov  tooe  Ôeoù; 
àva'favSà  '.pt>>EÛvTaî,  w?  xsJvw  (Ulysse),  dtva»avôà  Traplaxa-ro  na>>Xà<;  'A6tivT|. 


d'histoirk  et  Di:  littérature  io3 

cludie,  ei  qui  sont  de  irois  sortes  :  les  documents  de  Tltalie  méridio- 
nale, antérieurs  aux  constitutions  de  MelH  ;  les  documents  byzantins 
orientaux;  les  papyrus  gréco-cgyptiens.  Les  actes  qui  reninnt  dans  le 
cadre  de  ce  travail  sont  les  actes  d'adoption,  les  testaments,  les  contrats 
de  mariage,  et   principalement  les  actes  d'aliénation  de  biens  immeu- 
bles, ventes,  donations,  échanges,  partages,  qui  sont  de  beaucoup  les 
plus  nombreux.  Avec  la  plus  scrupuleuse  minutie,  M.  F.  en  décrit  la 
forme,  en  analyse  le  contenu,  et  compare  entre  eux,  au  point  de  vue 
de  leur  structure,  les  documents  des  trois  groupes  qu'il  a  établivs,  fai- 
sant ainsi,  pour  les  documents  grecs  de  l'Italie  méridionale,  des  recher- 
ches analogues  à  celles  qui  ont  été  faites  pour  les  documents  latins.  Le 
formulaire  des  actes  grecs  de  l'Italie  méridionale,  ainsi  que  cela  résulte 
des  analyses  de  M.  Ferrari,  est   identique  à  celui  des  actes  byzantins 
d'Orient  de  même   époque,  et  procède  du  /E-.pÔYpaçov,  qui,  en  Egypte, 
à  partir  de  la  Hn  du  iv"  siècle,  a  été  la  forme  prépondérante  des  con- 
trats  privés.  Ces  études  seront  appréciées  des  juristes,  car  elles  font 
pénétrer  dans  la  pratique,  et  mettent  en  lumière  des  rapports  et  des 
usages  juridiques  que  la  législation    ne  fait  pas  connaître,  et  qui  ne 
sont    pas   pour   c^la  moins  intéressants  pour  l'histoire   générale   du 
droit. 

Mv. 

Ch.  DiEHi.,  Manuel  d'art  byzantin.  Paris,  Picard,  1910;  xii-837  p. 

Il    ne   manque   pas  d'ouvrages  sur  Byzance;  déjà  avant  la  fin  du 
siècle   dernier   des  articles   et  des  livres  remarquables  avaient  prouvé 
que,  si  pendant  longtemps  on  avait  presque  délaissé  les  études  byzan- 
tines,  on   commençait  néanmoins    à   comprendre  que   cette    longue 
période   qui  suivit  l'avènement  de  Justinien  était  loin  d'être  négli- 
geable,  et  qu'il   s'y  était  développé   une    civilisation    florissante,   où 
toutes  les  branches  de  la   littérature  et  de  l'art  étaient  brillamment 
représentées.   L'art  surtout,  dans  ces   dernières   années,  a  attiré  les 
regards;   l'architecture,  la  peinture,  l'orfèvrerie,  le  travail  de  l'ivoire 
et  des  émaux  ont  été  l'objet  d'excellentes  monographies,  dont  le  but 
était  non  seulement  d'étudier  la  technique  des  artistes  et  l'évolution 
des  styles,  mais  encore  de  rechercher  les  origines  et   les  sources  de 
l'art  byzantin,  d'en  découvrir  les  prolongements,  et  de  préciser  l'in- 
fluence qu'il  a  exercée  sur  la  culture   occidentale.  Mais  tous  ces  tra- 
vaux, à  part  un  petit  nombre,  étaient  à  peine  connus  du  public  lettré; 
les   uns  étaient  trop   spéciaux    pour    susciter  son    intérêt;    d'autres, 
écrits  en  des  langues  étrangères,  lui  étaient  difficilement  accessibles  ; 
d'autres  encore  étaient  disséminés  dans  des  revues  où  ils  n'attiraient 
pas  suffisamment  son  attention.  Il  était  réservé  à  M.  Diehl  de  remé- 
dier à  cet  état  de  choses;   qui  d'ailleurs  pouvait  mieux  que  lui  entre- 
prendre cette  tâche,  puisqu'il  est  un  de   ceux  qui,  en  France,  ont  le 
plus  contribué  au  relèvement  de  ces  études,  et  dont  les  travaux  anté- 


104  REVUE    CRITIQUE 

rieurs  nous  ont  le  mieux  initiés  à  la  vie  byzantine?  Il  a  donc  composé 
ce  MiViuel  d'art  byzantin.  Le  titre  est  modeste,  ce  qui  le  rend  inexact. 
C'est  un  manuel  sans  doute,  en  ce  sens  qu'on  y  trouve  des  renseigne- 
ments sur  toutes  les  manifestations  de  l'art  à  Byzancc  et  dans  l'empire 
pendant  dix  siècles,  et  que  c'est  une  synthèse  de  tout  ce  qui  a  été 
écrit  sur  ce  sujet.  Mais  c'est  tout  autre  chose  qu'un  simple  répertoire 
des  connaissances  acquises;  M.  1).  ajoute  sa  note  personnelle.  Il 
puise  aux  bonnes  sources  et  sait  en  extraire  ce  qu'elles  ont  de  substan- 
tiel; mais  son  rôle  ne  se  borne  pas  là  :  il  analyse,  il  compare,  il  juge. 
Il  décrit  les  monuments  les  plus  importants  et  qui  sont  comme  les 
tvpes  des  genres;  mais  aussi  il  expose  les  résultats  de  ses  propres 
réflexions  et  les  conclusions  que  lui  ont  suggérées  ses  propres  recher- 
ches. Il  a  préféré  nous  présenter  l'ensemble  de  Tart  byzantin  dans  ses 
périodes  successives,  plutôt  que  d'étudier  en  chapitres  séparés  l'évo- 
lution de  chaque  genre;  le  caractère  historique  de  son  ouvrage  n'en 
est  que  mieux  accentué.  Qu'il  s'agissede  constructions  grandioses  ou 
d'ivoires  délicatement  sculptés,  de  fresques  monumentales  ou  d'enlu- 
minures de  manuscrits,  de  compositions  en  mosaïque  ou  de  travaux 
d'orfèvrerie  et  d'émaillerie,  M.  D.  considère  les  monuments  à  leur 
époque  et  dans  leur  ambiance,  rapproche  les  unes  des  autres  les 
diverses  productions  de  l'art,  en  explique  les  caractères  par  les  goûts 
des  différents  âges  de  la  civilisation  byzantine;  il  en  suit  l'évolution, 
progrès  ou  décadence,  au  cours  des  circonstances  politiques,  sociales 
et  religieuses  qui  leur  ont  imprimé  ces  caractères;  si  bien  que  son 
oeuvre,  dépassant  ce  qui  en  fut  peut-être  l'inspiration  première,  je 
veux  dire  une  simple  idée  de  vulgarisation,  a  pris  un  aspect  plus 
scientifique  et  est  devenue  une  véritable  Histoire  de  Part  byzantin  '. 
Et  cet  heureux  résultat  n'était  pas  possible  sans  une  abondante  variété 
et  une  richesse  spéciale  d'information,  jointes  à  un  goût  très  sûr  et  à 
une  connaissance  approfondie  de  l'histoire  et  des  mœurs. 

Suivant  donc  chronologiquement  les  destinées  historiques  de 
l'empire,  M.  D.,  après  un  premier  livre  où  il  expose  les  origines  de 
l'art  byzantin,  ce  qu'il  doit  aux  influences  syriennes,  égyptiennes, 
anatoliennes,  et  comment  Constantinople  est  devenue  le  centre  d'où 
rayonna  toute  la  culture  artistique,  aborde  l'étude  des  monuments  de 
l'époque  de  Justinien,  dans  un  livre  intitulé  Le  premier  âge  d'or, 
qu'il  prolonge  jusqu'à  la  querelle  des  images;  cette  période  s'étend 
du  vi"  au  ix=  siècle.  Dans  le  troisième  livre  [Le  second  âge  d'or)  nous 
assistons  à  la  renaissance  artistique  qui  eut  lieu  sous  les  empereurs 
macédoniens,   et  M.  D.  nous  conduit  jusqu'à  la  fin    du  xii''  siècle, 

I.  Il  est  fort  possible  qu'en  m'exprimant  ainsi  j'apprécie  inexactement  l'idée 
d'où  est  sorti  ce  bel  ouvrage;  mais  aucun  lecteur  ne  se  méprendra  sur  le  titre, 
surtout  s'il  a  lu  la  préface,  où  M.  Diehl  nous  dit  lui-même  que  «  le  présent  livre 
est  moins  un  manuel  qu'une  histoire  de  l'art  byzantin  »;  et  l'on  sait  qu'une  préface, 
le  plus  souvent,  est  écrite  en  dernier  lieu. 


I 

1 


d'histoire  kt  de  littérature  io5 

jusqu'au  moment  critique   où    la  conquête  latine  «  semblait  devoir 
ruiner  pour  toujours   la  civilisation   et  l'art  byzantins  ».  Enfin  dans 
un  quatrième  livre  sont  étudiés  les  caractères  d'une  nouvelle  renais- 
sance, qui  se  produit  surtout  dans  les  provinces,  au  xiv«  siècle;  c'est  la 
dernière  évolution,  que  M.  D.  suit  jusqu'aux  dernières  manifestations 
de  la  décoration  et  de  la  peinture,  au  milieu  du  xvi''  siècle,  dans  les 
couvents  de  la  Montagne  Sainte.  Chaque  livre  a  son  unité  propre,  et 
fqrme  comme  un  tableau  de  toutes  les  branches  de  l'art  à  la  période 
qu'il  embrasse,  architecture,  peinture  et  mosaïque,  industrie  des  tissus, 
sculpture,  orfèvrerie  et  émailleric;  tableau  vivant  et  coloré,  rehaussé 
encore    par    de    nombreuses    illustrations   (il    n'y  a   pas   moins    de 
420  figures)  qui  mettent  sous  les  yeux  mêmes  du  lecteur  les  monu- 
ments les  plus  suggestifs;   et  chaque  livre,  en   même  temps,  s'ouvre 
par  quelques  considérations  qui  dépeignent  l'époque  dont  il  s'agit  et 
indiquent  ses   rapports  avec  les  autres  époques,  tandis  que  dans  le 
cours  de  l'ouvrage,  à  chaque  fois  que  cela  est  nécessaire,  une  ou  deux 
phrases  brièvement  caractérisques  résument  l'impression  qui  se  dégage 
de  la  lecture.  L'unité  de  l'ensemble  n'est  donc  pas  moins  visible  que 
celle  de  chaque  partie  ;   et  ce  qui    la  rend  saillante,  ce  qui  oblige  le 
lecteur,  pour  ainsi  dire,  à  ne  pas  s'attarder  sur  les  détails  de  technique 
et  de  style  qui  lui  sont  prodigués,  c'est  que  M.  D.  le  rappelle  toujours 
à  une  idée  fondamentale  qui  domine  tout  l'ouvrage.  Il  a  voulu  mon- 
trer, en  effet,  que  l'art  byzantin  n'était  pas  enfermé  dans  des  formules 
étroites  et  dans  des  conceptions  rigides,  et  que  c'est  une  grave  erreur 
de  le  considérer  comme  dépourvu  de  souplesse  et  figé  dans  une  sorte 
d'immobilité  hiératique.  Il  n'en  dissimule  pas  les  défauts,  son  attache- 
ment servile    au   passé,  son   insuffisance  d'effort  créateur,  son   goût 
stérile  pour  la  répétition   et  la  copie;   mais  il  explique  ces  défauts  et 
en  dévoile   les  causes,  et  montre,  par  de  nombreux  exemples,  que  cet 
art  a  été  trop  accusé  de  manquer  d'originalité  et  d'invention,  qu'il  a 
su  se  renouveler,  qu'il  a  évolué  vers  un  idéal  auquel  il  a  parfois  atteint, 
et  qu'il  est  une  chose,  après  tout,  qu'il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue  : 
c'est  que  sous  ses  empereurs   Byzance  a  été  le  foyer  de  la  culture 
artistique,  et  qu'elle  «  a  exercé  une  action  considérable  sur  tout  l'art 
du  moyen  âge,  en  Orient  aussi  bien  qu'en  Occident  ». 

My. 

I.  Ciceros  Ausgewâhlte  Reden,  Forsctzung  der  Halmschen  Sammlung.  Achter 
Band.  Die  dritte,  vierte,  tûnfte  und  scchste  Philippische  Rede.  Erklârt  von 
Wilhelm  Sternkopf,   120  p.    1912.   i  m.  20  pf. 

II.  Vergils  Gedichte.  Erklârt  von  Th.  Ladewig,  G.  Schaper  und  P.  Deuticke. 
Zweiles  Bândchen  :  Buch  I-VI  der  jEncis.  Dreizehnie  AuHage  bearbeitet  von 
Paul  Jaiin,  340  p.  igi2.  3  m.  20. 

m.  M.  F"abii  Quintiliani  Institutionis  oratoriae  liber  decimus.  Erklârt  von  E.  Bon- 
nell.  Sechstc  AuHage  von  D^  H.  Rôhl,  Geh.  Regierungsrat,  Kgl.  Gymnasialdi- 
rektor  a.  D.  98  p.  1912.  i  m.  20. 

Trois  nouveaux  Weidmann    intéressants  :  un    fascicule    nouveau 


lo6  RKVOh.  CRinyï  i: 

destine  à  compléter  la  série  do  Ciccron  de  Halm  ;   deL'.x  anciens  fasci- 
cules repris  par  de  nouveaux  éditeurs  et  profondément  modifiés. 

I.  .le  commence  par  lun  de  ces  derniers,  l.es  quatre  premières 
éditions  du  livre  X  de  Quiniilien  avaient  été  publiées  dans  la  collec- 
tion par  Bonnell  ji85i  et  suiv.);  la  cinquième  par  Meister  en  1882; 
voici  la  sixième  confiée  à  M.  Rôhl.  Qu'on  me  permette  de  rappeler 
que  M.  R.  a  donné  récemment  chez  Freytag  le  dialogue  de  Tacite  '/ 
M.  R.est  un  ancien  directeur  de  gymnase;  on  sent  ici  partout,  dans  les 
notes,  qu'il  a  l'habitude  de  renseignement  et  ne  perd  jamais  de  vue  les 
nécessités  pratiques.  Sans  doute,  pour  le  texte,  il  manquera  forcément 
ici  les  sources  nouvelles  que  M.  Radermacher  nous  a  fait  connaître 
pour  les  six  premiers  livres;  il  faudra  attendre,  pour  le  livre  X,  qu'il 
ait  publié  son  second  volume  dans  la  bibliothèque  de  Teubner.  M.  R. 
se  réfère  plusieurs  fois,  pour  des  changements  au  texte,  à  deux  Mit- 
theilungen  qu'il  a  publiées  l'an  dernier  dans  la  Wochenschrift,  n'^  ^\ 
6146;  à  des  articles  de  Kiderlin,  dans  les  Bliitter  fCir  das  Gymn.  de 
1887  et  de  88,  et  de  M.  Bonnet  dans  la  Revue  de  philologie  de  1887  ^^ 
dans  les  Neue  Jahrbiicher  de  1  889. 

A  la  fin  un  appendice  qui  n'a  guère  plus  de  deux  pages.  Je  com- 
prends mal  qu'on  s'y  reporte  à  la  cinquième  édition,  ce  qui  est  incom- 
mode et  peu  scientifique.  Je  ne  sais  pas  non  plus  pourquoi  M.  R.  a 
conservé  les  titres  de  chapitres  dont  l'authenticité  est  si  douteuse. 

II.  Le  nouvel  éditeur  du  Virgile,  M.  Paul  Jahn,  est  connu  par  des 
programmes  sur  l'imitation  de  Théocrite  dans  Virgile  (Berlin,  1897-    ' 
99);   par  une  recension  des  travaux  sur  Virgile  (1901-1904)  dans  le    ; 
Bursian  de  1906,  enfin  par  de  nombreux  articles  de  revues.  Sa  com- 
pétence sur  tout  ce  qui  touche  à  Virgile  est  indiscutable. 

Ceux  qui  ont  pratiqué  l'ancien   Ladewig  le  reconnaîtront  à   peine  '. 
sous  sa  nouvelle  forme;  le   nombre  des   pages  (en  gros  70  de  plus)  a  ' 
augmenté  surtout  à  l'Anhang;  il  me  semble  aussi  que  la  méthode  et  la  i 
doctrine  s'est  modifiée,  malgré  le  désir  qu'on  avait  de  garder  le  carac-  '■ 
tère  traditionnel  du  livre.  Pour  les  leçons  et  pour  la  ponctuation,  pres- 
que aucun  changement.  L'effort  a  porté  cette  (ois  sur  les  rapproche-  ; 
ments  de  Virgile  avec  ses  originaux,  avec  ses  autres  ouvrages  ou  autres  ' 
parties  du   poème,  et    aussi    avec   ses    contemporains.    Comme    les  , 
travaux  et  les  vues  de  P.  Jahn  ont  de  l'originalité  surtout  en  ce  qui 
concerne  les   Bucoliques   et  les  Géorgiques,  c'est  dans  la  refonte  du 
tome   I   que   l'on  sentira  plus   fortement  sa    marque.  Il  est  fait  sans  : 
doute  telle  allusion  rapide  ''  aux  changements  que  le  poète  a  apportés  j 


! 


1 .  Voir  la  Revue  au  Bulletin  de  191  i ,  II,  p.  1^  16. 

2.  Par  ex.  App.  aux  v.    i  et  59  du  livre  V  :  ce  sont  là  d'ailleurs   des  notes  des   • 
éditeurs  précédents.  '  i 


I 


d'histoire  et  de  littérature  107 

au  plan  de  son  œuvre;  mais  ce  n'est  pas  là  le  vrai  but  du  commen- 
taire; celui-ci  vise  plutôt  à  comparer  entre  eux  les  vers  ou  parties  de 
vers  que  nous  avons,  vers  qui  se  répondent  comme  les  notes  ou  les 
échos  d'un  concert.  J'avoue  que  ce  plan  ne  me  paraît  pas  irrépro- 
chable, et  je  trouve  que  M.  J.  a  subi  à  l'excès  l'influence  du  P.  Roiron 
dont  il  fait  grand  éloge.  Que  Virgile  se  répète  beaucoup,  voilà  long- 
temps qu'on  l'a  vu.  Mais  dans  une  édition  classique,  à  quoi  bon  ces 
rapprochements  continuels  qui  ne  servent  pas  toujours,  il  s'en  faut, 
à  dégager  sûrement  le  sens? 

Servius  est  nommé  dans  quelques  notes  ;  mais  je  ne  vois  nulle  part 
d'indication  générale  sur  les  scolies  ni  sur  les  travaux  récents  dont 
elles  ont  été  l'objet.  Que  cela  soit  inutile  dans  le  détail,  pour  des 
élèves,  je  l'admets;  mais  ici  il  s'agit  d'étudiants  initiés  à  des  études 
qu'ils  pourront  poursuivre  :  comment  laisser  à  la  base  une  telle 
lacune  ? 

J'aurais  voulu  une  liste  complète  et  exacte  des  abréviations;  celle 
qui  était  autrefois  à  la  fin  du  tome  I  ne  suffit  plus  et  je  ne  trouve  pas 
tout  dans  celle  qui  est  en  tête  de  l'Appendice  '. 

III.  Pour  le  troisième  fascicule,  noter  la  modification  du  titre;  il 
s'agit  ici  d'une  addition  à  l'œuvre  de  Halm,  autrement  d'un  volume 
VIII  qui  va  suivre  les  autres.  J'en  admettrais  volontiers  le  principe, 
sauf  à  voir  ce  que  donnera  l'expérience  qui  n'est  pas  sans  m'inspirer 
quelque  crainte. 

Sur  les  événements  de  la  période  des  Philippiques,  l'éditeur,  un  de 
nos  meilleurs  Cicéroniens,  est  des  plus  compétents  ;  il  a  publié  sur  le 
sujet  des  études  auxquelles  ici  il  se  réfère  ^. 

Les  troisième  et  quatrième  philippique  servent  à  proposer  et  à 
défendre  les  premiers  actes  d'hostilité  déclarée  de  Cicéron  contre 
Antoine  et  les  mesures  qu'il  fait  prendre  en  ce  sens  par  le  sénat.  La 
cinquièm.e  et  la  sixième  nous  placent  au  début  du  consulat  d'Hir- 
tius  et  de  Pansa  :  Cicéron  critique  le  projet  d'une  ambassade  et 
appuie  la  proposition  d'honneurs  et  de  récompenses  particulières  à 
décerner  à  Octave  et  à  ses  troupes.  Nous  sommes  engagés  dans  le 
drame  qui  va  terminer  la  carrière  de  l'orateur. 

La  base  du  texte  est  prise,  comme  il  était  naturel,  dans  l'édition  de 

1.  Pourquoi  aucune  remarque  sur  les  formes  de  déclinaison  :  I,  1  i3,  Oronten, 
et  surtout  :  I,  i  20,  Oron^j  'gén.i  ?  —  P.  i  i,  au  début  du  dernier  vers,  lire  Inierea. 
—  Sur  IV,  127,  1.  6,  lire  Hyme«aeus;  toute  la  note  et  aussi  celle  de  l'appendice 
(du  Ladewig  remanié,  me  parait  entortillée  et  obscure.  Pour  Texplication  du 
vers  difficile  IV,  244  :  liimina  morte  résignât  (note  et  appendice),  heureux  les 
étudiants  s'ils  y   voient  clair.  —  En  haut  de  la    p.  202,  lire  at/oUitur! 

2.  Philologus  de  1 90  i  :  Ciceros  Briefwechsel  mit  D.  Brutus  und  die  Senatssitzung 
von  20  Dezember44;  Hermès,  igoS  :  Zu  Cicero  ad  fam.  XI,  6;  Hermès,  1912  : 
Die  lex  Antonia  agraria  ;  enhn  il  annonce  un  prochain  article  de  la  même  revue  : 
Die  Vtrteilung  der  rœmischen  Provinzen  vor  dem  Mutineniischen  Kriege). 


I08  REVUE    CRITIQUE 

Clark.  L'iniroduction  a  été  rédigée  avec  soin.  Tout  y  est  cohérent  et     j 
précis  ;  la  distinction  est  taite  nettement  entre  ce  qui  est  sûr  et  ce  que 
nous  ignorons.  Il  ne  pouvait  y  avoir  pour  ces  discours,  qui  s'y  réfèrent 
constamment,  une  meilleure  base. 

Mais  je  dois  avouer  que  la  lecture  n'a  pas  diminué  mes  doutes. 
Comme  thèmes  d'enseignement,  ces  textes  valent-ils  la  deuxième 
Philippique  et  ceux  qui  sont  consacrés  par  la  tradition  et  notamment 
les  Caiilinaires?  La  revue  ininterrompue  des  ruses,  des  violences, 
des  crimes  d'Antoine,  après  la  mort  de  César,  n'est-elle  pas  un  sujet 
peu  agréable,  monotone  et  qui  n'est  guère  profitable  à  aucun  égard  ? 
L'argumentation  se  perd  le  plus  souvent  en  minuties;  utiles  je  le 
veux  sur  le  moment,  de  telles  lectures  n'ont  pour  nous  qu'un  intérêt 
médiocre.  Pour  le  ton,  on  se  croirait,  hélas  !  transporté  dans  nos  polé- 
miques quotidiennes.  Nous  verrons  ce  qui  résultera  de  celte  expérience 
qu'après  tout  il  était  bon  de  tenter. 

Emile  Thomas. 


Petronii  Saturae  et  liber  Priapeorum  rec.  Franciscus  Buecheler  ediiionem  quin- 
tam  curavit  Guilelmus  Heraeus.  Adjectae  sunt  Varronis  et  Senecae  Saturae 
similesque  reliquiae.  Berlin,  Weidmann,  MDCCCCXII,  3  m.  40. 

La   mort   de    Buecheler    (le   3    mai    1908)  a    contraint  les    Weid- 
mann   de    chercher     à   qui    confier    la     réimpression    du     Pétrone    ^ 
auquel   Buecheler  avait  su  donner   une  forme  presque  parfaite.   Le    { 
choix  de   M.  W.   Heraus   était  tout  indiqué  par  ses  travaux   et  ses 
publications  sur  la  langue  de  Pétrone  (1899),   sur  la  langue  familière    | 
et  sur  les  gloses  latines.  C'est  à  la  compétence  particulière  du  nouvel 
éditeur  que   le  livre  doit  de  s'être   enrichi  de   maintes  petites  notes    1 
qu'on  sera  heureux  de   lire  au  bas  des  pages. 

Une  difficulté  se  présentait  d'abord  à  M.  H.  sur  la  méthode  à  . 
suivre.  Dans  quelle  mesure  convçnait-il  de  renouveler  l'ancien  livre?  | 
Très  sagement  M.  H.  a  compris  qu'il  eût  été  inopportun  de  trans- 
porter ici  les  modifications  profondes  que  Léo  a  faites  au  Perse  et  au 
Juvénal.  En  ce  qui  concerne  Pétrone,  nous  n'avons  eu  jusqu'ici  rien 
qui  rappelle  même  de  loin  la  découverte  du  fragment  d'Oxford.  Nous 
restons  pour  le  texte  au  même  point  de  vue,  avec  la  même  base  cri- 
tique. M.  H.  a  donc  conservé  pieusement  le  cadre  de  l'ancien  livre; 
Buecheler  va  continuer  encore  à  exposer  ses  vues  à  la  première  per- 
sonne, les  notes  de  M.  H.  se  distinguant  des  autres  par  l'addition  de 
son  nom  '. 

Le  nouveau  livre  a  près  de  3o  pages  de  plus  que  le  précédent,  l'aug- 
mentation portant  surtout  sur  les  Index.  Les  additions  très  clair- 
semées de  M.  H.,  consistent  en  références  à  des  publications  récentes 

I.  L'inconvénient  est  cependant  que  dans  telle  note  où  il  n'y  a  ni  pronom,  ni 
nom  propre  (par  ex.  p.  21.  24,  sur  permittitis),  il  faut  utie  recherche  pour 
apprendre  que  la  remarque  n'est  pas  de  Buecheler,  mais  du  nouvel  éditeur. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  I OQ 

(Léo,  Audollent,  etc.),  en  renvois  à  d'autres  parties  du  Satiricon,  en 
réminiscences  évidentes  ou  probables,  auxquelles  s'est  laissé  aller  le 
romancier  (elles  sont  signalées  ici  avec  beaucoup  plus  de  précision 
qu'on  ne  l'avait  fait  :  ainsi  pour  Virgile,  Horace,  l'Anthologie,  etc.); 
enfin  en  textes  divers  qui  peuvent  justifier  la  leçon  traditionnelle. 
Nombreux  renvois  au  Cotyus  des  Gloses,  à  celui  des  Inscriptions 
latines;  à  l'Anthologie,  aux  Carmina  Epigfaphica,à  Isidore;  aussi  à 
des  publications  récentes  :  Lôfstedt,  Wackernagel.etc.  qui  ont  modifié 
nos  idées  sur  la  langue  familière  et  sur  celle  de  la  dernière  période. 
Quelques  conjectures  de  Siewert  sont  insérées  passim.  A  noter  aussi 
le  relevé  d'orthographes  singulières.  Pas  ou  peu  de  changements  dans 
les  Fragmenta,  dans  le  Conspectus  Satiirarum;  quelques  additions  ou 
corrections  dans  les  Carmina  Priapea.  Dans  l'apparat  de  ces  poèmes, 
Nonius  est  donné  plus  complètement  avec  les  explications  du  com- 
pilateur. Dans  les  Ménippées,  conjectures  assez  nombreuses  de 
M.  H.  ;  renvois  au  Lucilius  de  Marx,  à  W.  Schulze,  lat.  Eigennamen, 
etc.  Dans  VApocolocyntosis,  peu  de  changements  ;  renvois  à  des 
articles  de  revues,  et  mention  de  quelques  conjectures.  L'index  des 
Proverbia  Glossemaia  a  deux  pages  de  plus.  Celui  des  Priapea  est 
de  même  un  peu  augmenté.  En  tête  des  Ménippées  est  ajouté  un 
Conspectus  Saturarum  particulier  à  ce  recueil  (2  p.). 

Partout  M.  H.  garde  son  indépendance  et  il  arrive  que  dans  les 
remarques  même  de  Buecheler,  il  glisse  des  restrictions.  M.  Novâk  a 
communiqué  ses  conjectures  (environ  une  douzaine)  au  nouvel  éditeur 
qui  en  a  inséré  plusieurs  dans  le  texte. 

Bref,  le  nouveau  livre  reste  dans  la  ligne  de  ceux  de  Buecheler;  il 
les  continue  avec  d'utiles  compléments  '. 

Emile  Thomas. 

I.  P.  202,  i8g,  renvoi  utile  à  Ribheck,  mais  il  n'eiit  pas  fallu  supprimer  l'aver- 
tissement :  Ennium  ont.  libri.  —  Je  n'ai  jamais  bien  compris  pourquoi,  dans  les 
petites  éditions  (mais  non  en  1862),  Buecheler,  au  chapitre  V,  a  supprimé  la  vir- 
gule après  meatii,  ce  qui  ajoute  encore  à  la  lourdeur  et  à  l'obscurité  du  passage. 
—  Je  ne  comprends  pas  pourquoi  M.  H.,  comme  auparavant  Buecheler,  i33,  au 
V.  6  maintient  la  leçon  semperjlaviits  qui  pour  le  mètre  est  impossible.  —  Je  suis 
d'accord  avec  M.  H.  sur  l'emploi  des  formes  modernes  pour  les  noms  des  savants; 
mais  dans  le  passage  du  système  de  Buecheler,  qui  les  mettait  tous  en  latin,  au 
système  nouveau,  se  sont  glissées  des  inconséquences  :  pourquoi  p.  io3,  12,  Pal- 
me)n<5  r  pourquoi  ne  pas  écrire  partout  Pithou,  Turnèbe,  H.  Etienne,  Juste- 
Lipse  etc.?  —  Le  reqtiire  de  Biicheler,  p.  62  sur  le  v.  10  est  bien  peu  clair,  et  je 
m'étonne  que  M.  H.  l'ait  repris  plusieurs  fois  à  son  compte  (p.  i53,  p.  196,  p.  2i5, 
p.  23  i).  —  P.  2  1,23  :  je  trouve  que  la  note  sur  morae  vobis,  entortillée  et  obscure, 
aurait  dû  être  remaniée. —  Très  heureuse  conjecture  d'après  laquelle,  à  la  fin  du 
chapitre  26,  les  mots  :  itsque  hoc  seraient  une  indication  du  copiste  pour  marquer 
le  bout  de  sa  tâche.  —  A  noter  que  la  mesure  de  la  ligne  dans  l'archétype  de  L 
est  établie  par  des  fautes  dont  l'origine  est  très  nette  :  mots  du  début  de  la  ligne 
placés  ou  répétés  à  faux  (p.  :6,  i  ;  p.  18,  i3;  p.  bj,  10;  p.  73,  ij  p.  73,  26);  je 
trouve  comme  nombres  de  lettres  à  la  ligne  :  40,  42,  43,  47  et  49.  Je  ne  vois  rien 
d'analogue  dans  H.  —  Outre  la  réminiscence  de  Sénèque  que  j'ai  signalée    p.  58, 


I  10  REVUE    CRITIQUE 

Fcriiniul  (^\^Issv,  Voltaire   Seigneur  de   village.  Ouvr.ii^c  illustré  de   trois  por- 
traits lie  Voltaire  et  de  quatre  caries.  Paris,  Hachette,  1912,  in-16.  F'r.  3.5o. 

Parmi  les  éludes  qui  nous   iiionircnt   Jans  Voltaire  l'homme  d'af- 
faires et  le  financier,  celle  que  vient  de   lui  consacrer  M.  Caussy  sera 
des  plus  remarquées  ',  Elle  est  piquante  à   souhait,  comme  le  sont 
loutcs  les  recherches  de  cet  ordre  pour  Voltaire  ;  mais  surtout  elle  a 
réuni  une  foule  de  documents  intéressants  et  fourni  sur  le  petit  pays 
de  Gex  une  monographie  fouillée  et  précise  qui  forme  le  cadre  indis- 
pensable à  la  dernière  période  de  l'existence  du  patriarche  de  Ferney. 
C'est   de    l'acquisition    des   terres    de    Ferney   et  de    Tourncy    dont 
nous   entretient   d'abord   M.  C,  des  négociations  laborieuses  et  des 
démarches  infatigables  que  Voltaire  multiplie  auprès  de  Choiseul  et 
de  son  entourage  pour  obtenir    le  maintien  des  privilèges  attachés  à 
sa  nouvelle  propriété  ;  il  ne  réussit  pourtant  qu'à  se  faire  donner  un 
brevet  personnel.  La  terre  de  Tourney  réclama  de  sa   fertile  ingénio- 
sité plus   de  ressources  encore,  et  le  récit   de  ses   démêlés   et  de  ses 
procès   avec  son   âpre  bailleur,  le  président  de  Brosses,  est  des  plus 
instructifs.    La  question   des  dîmes  inféodées  au  domaine  de  Ferney 
entraîna  Voltaire  dans  de  non  moins  épineuses  querelles  avec  le  curé 
de  Moëns  qui  en   réclamait  la  restitution,  et  comme  avec  de  Brosses 
la  lutte  finit  par  une  transaction.  C'est  à  toutes  ces  chicanes  que  nous 
devons  les  abondants  documents  dont  M.  C.  a  parfois  presque  exclu- 
sivement composé  ses  chapitres.  Mais  il  nous  a  montré  aussi  l'activité 
de  Voltaire  dans  son  village,  les   transformations  qu'il  y  apporta,  les 
émigrants  qu'il  y  appela,  les  tnodestes   monuments  dont  il  l'embellit, 
avec  la  fameuse  église  et  la  comédie  qu'y  donna  le   philosophe,  ce 
qu'il  fit  pour  la  culture  et  l'élevage,  puis  encore  ses  œuvres  de  bien- 
note,   je    crois    reconnaître    dans    plus   d'un    trait    du    Satiricon    la   parodie    de 
remarques   graves    de  Sénèque;    ainsi,   au    sujet    du     prix   du    temps,    Sénèque 
(Ep.  I,  2)  dira  :  quem  mihi   dabis  qui   ....  intellegal  se    cotidie  mori  ;   de  même, 
Trimalcion  aura  chez  lui  une  horloge  et  un  sonneur  de  trompette  en  livrée  (ch.26)  : 
ut  subinde  sciât  quantum  de  vita  perdiderii.  Sénèque  (Ep.  V,  ô)  veut  que  le  sage 
ne  dépende    pas  du  luxe,  qu'on  sache    user  de   vaisselle    d'argent   comme  si  elle 
était  d'argile  :  Trimalcion  (^4,  3)  tait  l'application  pratique  du  précepte  quand    il 
commande  de  rejeter  aux  ordures  la  paropsis  tombée  que  l'esclave  avait  ramassée. 
—  Noter  chez  les  deux  auteurs  l'emploi  répété  de  mimus,  celui  de  manum  inicio, 
àeexcutere  {=  dispicere);  l'emploi  emphatique  de  wjg-fniSi'Pétrone.  83,  nescio  quid 
magnum   promittens  |;Eumolpius]  ;  Sénèque,   Q    N.,  VII,   3i  :  Xztàq  magna  prove- 
niunt;  Ep.  29,  2  fin  :  magnus  vir...)  etc.—  Le  dénoûment  du  festin  chez  Trimalcion 
(ch.  78,  4  :  putate  vos   ad  parentalia  mea  in\  itatos  esse)  est  tout  à  fait   semblable 
à  l'anecdote  de  Pacuvius  (Ep.  XII,  8  :  cum...  illis  funebribus  epulis  sibi  parenta- 
verat).   Et  encore  la    pensée  qui   suit  dans  Sénèque  revient,   eu  d'autres  termes, 
dans  un  fragment  isolé  :  ch.   99,1. 

I.  M.  C.  qui  cite  les  travaux  de  ses  devanciers,  aurait  dû  mentionner  celui  de 
M.  Rossel,  \'o!taire  créancier  du  Wurtemberg  (Paris,  1909).  11  contient  quelques 
détails  sur  Ferney,  en  particulier  sur  le  chiffre  des  maisons  bâties  par  Voltaire; 
il  y  en  avait,  d'après  une  lettre  de  Rosé,  83  d'achevées  et  18  en  construction,  à  la 
date  de  1776. 


D  HISTOIRE    KT    DE    LITTERATURE  I  I  I 

faisance,  où  le  capitaliste  avisé  ne  se  sépare  Jamais  du  philanihrope, 
enfin  toutes  les  formes  pittoresques  de  sa  popularité  au  milieu  des 
habitants. 

Dans  la  seconde  moitié  du  volume  Voltaire  tient  moins  de  place. 
L'auteur  a  voulu  nous  donner  une  idée  nette  de  l'organisation  admi- 
nistrative et  financière  et  de  la  vie  économique  du  pays  de  Gex  ;  ces 
renseignements  puisés  surtout  dans  les  archives  de  TAin,  étaient 
indispensables  pour  se  rendre  un  compte  exact  de  la  conduite  de 
Voltaire,  de  ses  intentions  et  de  ses  elîorts.  Grâce  à  cette  étude  nous 
connaissons  les  personnages  officiels  qui  furent  ou  les  tenants  ou  les 
adversaires  du  patriarche,  en  première  ligne  le  subdélégué  Fabry. 
L'histoire  de  la  province  de  Gex  est  aussi  celle  de  nos  rapports  avec 
Genève,  rapports  d'ordre  surtout  économique. 

Le  projet  d'établir  à  Versoix  un  port  rival  de  Genève  échoua,  mais 
Voltaire  s'y  était  intéressé  avec  ardeur  et  il  fut  indirectement  pour 
Ferney  l'origine  de  la  manufacture  de  montres  qui  prépara  l'avène- 
ment de  Besançon  ;  tout  cet  épisode  a  été  longuement  conté  par  M.  G. 
Il  nous  a  donné  aussi  beaucoup  de  détails  sur  une  tentative  plus 
curieuse  encore  et  où  Voltaire  joua  un  rôle  plus  actif  :  la  séparation 
du  pays  de  Gex  du  régime  fiscal  du  royaume.  En  1775  Turgoty  sup- 
prima les  fermes  en  leur  substituant  une  contribution  générale  de 
'3o,ooo  livres;  les  difficultés  soulevées  par  l'impôt  de  remplacement 
donnèrent  beaucoup  de  mal  au  patriarche  octogénaire  et  lui  firent 
rechercher  l'alliance  inattendue  des  curés.  On  saura  gré  à  M.  C.  de 
nous  avoir  présenté  de  son  Seigneur  de  village  un  portrait  si  vivant 
et  si  spirituel  et  de  nous  avoir  expliqué  avec  tant  de  clarté  le  jeu 
souvent  complexe  de  la  vie  administrative  et  économique  d'un  petit 
pays  qui  par  ses  origines  et  le  voisinage  de  la  frontière  suisse  formait 
une  province  assez  différente  de  celles  de  l'ancienne  France  '. 

L.  R. 

Auguste  RocHETTE,  L'Alexandrin  chez  Victor  Hugo.   Paris,   Hachette,  191 1, 

in-S",  p.  6o5.  Fr.  i  2. 

Consacrer  un  compacte  volume  de  six  cents  pages  à  l'étude  de 
l'alexandrin  chez  V.  Hugo  pourra  sembler  excessif.  Il  faut  se  hâter 
d'ajouter  que  les  copieuses  listes  d'exemples  indispensables  aux 
démonstrations  de  l'auteur  ont  enflé  singulièrement  l'ouvrage.  Mais 
si  l'on  songe  sur  quelle  masse  énorme  de  vers  devait  porter  son 
enquête  et  quelle  infinie  variété  de  procédés  elle  devait  embrasser,  on 
sera  moins  surpris  de  ses  vastes  proportions.  M.  Rochette  a  commencé 
par  établir  la  nature    de  la  période  rythmique  dans  Hugo,  le  batte- 

I.  P.  24,  le  traité  d'Aarau  est  daté  par  erreur  de  i654;  p.  i  58,  une  fabrique 
déversa  soie!  p.  200,  l'expulsion  des  Jésuites  est  datée  de /j^J  au  lieu  de  1764; 
p.  217,  la  dernière  ligne  doit  être  reportée  au  bas  de  la  p.  2r6.  ' 


I  12  REVUE    CRITIQUE 

ment  intérieur  inconsciemment  suivi  par  le  poète  en  pensant  ses 
vers,  et  il  conclut  qu'il  n'a  jamais  connu  qu'une  mesure  binaire  de 
six  temps  avec  un  point  de  repère  plus  ou  moins  marqué  à  l'hémis- 
tiche. M.  R.  n'admet  pas,  à  l'encontre  de  certains  critiques,  l'exis- 
tence de  vers  ternaires  dans  Hugo,  et  sur  cette  question  délicate  sa 
discussion  ne  va  pas  sans  quelque  subtilité.  La  partie  peut-être  la 
plus  substantielle  de  son  travail  est  celle  où  sont  étudiés  les  rapports 
do  la  syntaxe  et  du  rythme,  la  façon  dont  la  pensée  se  modèle  sur  le 
schéma  rythmique,  ou  plus  souvent  encore  s'en  écarte  et  varie,  en 
vue  d'effets  artistiques  différents,  la  mesure  métrique  fondamentale. 
Ces  rapports  de  symétrie,  et  plus  encore  les  rapports  d'asymétrie  par 
prolepse,  rejet  et  syllepse,  sont  nombreux  et  complexes,  et  on  ne  sau- 
rait entrer  ici  dans  le  détail  de  l'exposé  de  M.  R.  Après  les  avoir 
étudiés  en  eux-mêmes,  l'auteur  les  reprend  encore  comme  moyens 
d'expression  et  signale  avec  une  abondance  extrême  d'exemples  les 
intentions  évidentes  du  poète  et  celles  plus  cachées  où  l'on  n'a  voulu 
voir  que  des  licences.  Deux  autres  parties  sont  consacrées  au  rôle  des 
éléments  acoustiques  du  vers,  à  l'accent,  puis  aux  voyelles  et  aux 
consonnes,  une  dernière  enfin  à  la  rime.  C'est  de  toutes  ces  minu- 
tieuses analyses  celle  qui  donne  le  plus  l'impression  de  virtuosité  que 
laisse  l'œuvre  de  Hugo,  ainsi  disséquée  par  un  métricien.  M.  R.  nous 
parle  souvent  du  travail  spontané  de  l'inspiration  chez  son  poète,  il 
a  même  essayé  de  le  surprendre,  il  a  écrit  sur  la  première  élaboration 
mystérieuse  de  l'œuvre  poétique  de  pénétrantes  remarques,  il  nous  a 
souvent  fait  entrer  par  l'étude  des  manuscrits  dans  ce  domaine  obscur 
où  l'on  touche  aux  limites  du  subconscient;  et  pourtant  de  toutes 
les  recherches  du  critique,  de  ses  classements,  de  ses  schémas,  de 
ses  statistiques,  on  garde  comme  l'obsession  que  Hugo  fut  plutôt  un 
prodigieux  virtuose  qu'un  poète. 

Mais  quelque  appréciation  qu'on  porte  sur  son  œuvre,  la  partie 
que  vient  d'en  étudier  M.  R.,  le  plus  considérable  de  beaucoup,  bien 
qu'envisagée  à  un  point  de  vue  très  spécial,  gagnera  certainement 
d'être  mieux  connue  par  ce  commentaire  fait  avec  autant  de  science 
que  de  goût,  et  tous  ceux  qui  entreprendront  de  saisir  un  nouvel 
aspect  du  poète  auront  à  tenir  compte  de  son  étude.  Lhistoire  même 
de  notre  versification  en  recevra  une  heureuse  contribution  ;  à  propos 
de  chaque  innovation  qu'il  signale  dans  Hugo,  M.  R.  a  eu  soin  de  le 
rattacher  à  ses  devanciers,  aux  classiques  dont  il  relève  plus  qu'on 
ne  pense,  comme  aussi  il  a  suivi  chez  Hugo  lui-même  l'évolution  de 
telle  tendance  ou  de  tel  procédé.  Son  livre  a  plus  que  l'importance 
d'une  étude  de  métrique  isolée,   il  intéresse  aussi  l'histoire  de  notre 

poésie. 

L.   R. 


i 


d'histoire  et  de  littérature  1  I  3 

Df  Paul  Delaunay,  Vieux  médecins  sarthois,  2"  série.  Le  Mans,  de  Saint-Denis, 
191 2,  8",  p.  204  (Extrait  Je  la  Revue  liisto)-iqiie  et  archéologique  du  Maine, 
igoô-K)!  2). 

Oïl  doit  au  D'  Delaunay  plusieurs  monographies  sur  l'histoire  de 
la  médecine  en  France.  Il  ouvre  la  nouvelle  série  de  ses  Vieux  méde- 
cins sarthois  avec  Patrice  Vauguion  (1674- 1748),  médecin  au  Mans 
dès  1706  et  doyen  de  sa  compagnie  depuis  1733  II  a  tenu  à  nous  le 
faire  connaître  directement  par  ses  Mémoires;  mais  ceux-ci  n'inté- 
ressent guère  que  la  vie  professionnelle  et  sont  surtout  remplis  de 
détails  sur  les  démêlés  ordinaires  qui  mettaient  aux  prises  docteurs, 
chirurgiens  et  apothicaires.  Le  second  de  ces  médecins  appartient  à 
l'histoire  littéraire  ;  c'est  le  poète  et  humaniste  Jacques  Peletier.  11  a 
déjà  fait  l'objet  de  nombreux  travaux  qu'a  suivis  en  partie  M.  D., 
mais  en  insistant  davantage  sur  le  médecin  et  le  Manceau  ;  c'est 
aussi  à  ce  double  titre  qu'il  revendique  pour  Peletier  la  paternité  de 
la  plupart  des  contes  attribués  d'ordinaire  à  Bonaventure  des  Périers. 
La  part  principale  du  volume  a  été  réservée  à  Jean  Verdier  (1735- 
1820),  figure  curieuse  de  médecin  pédagogue,  à  la  fois  juriste,  philo- 
logue, journaliste,  qui  dirigea  de  1776  à  i8p3,  au  milieu  de  beaucoup 
de  traverses,  d'orages  et  d'interruptions,  une  institution  étrange,  à 
demi  Académie,  à  demi  maison  de  santé,  où  les  innovations  heureuses 
voisinaient  avec  les  paradoxes  et  les  lubies  ;  un  long  procès  embrouillé 
avec  Butîon  et  ses  héritiers  amena  la  ruine  de  l'institution.  D'Alem- 
bert  et  Diderot  honorèrent  Jean  Verdier  de  leur  appui  et  il  eut  des 
élèves  illustres,  tels  que  Desgenettes  et  Talma.  Par  sa  tentative  il 
mérite  une  place  dans  l'histoire  du  mouvement  pédagogique  de  son 
temps  et  il  appartient  encore  au  siècle  philosophique  par  sa  coUabo- 
l'ation  à  l'Encyclopédie  pour  la  seconde  édition.  Verdier  devait  aussi 
jouer  un  rôle  dans  la  Révolution  et  approcher  la  famille  royale  à 
titre  de  comptable  du  Temple.  M.  D.  en  puisant  abondamment 
dans  les  documents  d'archives,  a  fait  revivre  pour  nous  avec  beaucoup 
d'intérêt  une  des  physionomies  les  plus  originales  de  sa  province. 
Les  dernières  pages  consacrées  à  ses  deux  autres  confrères,  Verdier- 
Heurtin,  le  tils,  et  Verdier  du  Clos,  le  frère  cadet  de  Jean  Verdier,  ne 
nous  présentent  au  contraire  que  des  figures  effacées,   qui  ne  peuvent 

compter  que  pour  l'histoire  locale. 

L.  R. 


Emile  Gebhart,  Petits  Mémoires,  Paris,  Bloud,  1912,  in-i6,  p.  289.  Fr.  3,5o. 
Emile  Gebhart,  Contes  et  Fantaisies.  Ibid,,  p.  3o8.  Fr.  3,5o. 

I.  Ce  ne  sont  pas  des  Mémoires,  même  Petits^  que  nous  offrent  les 
éditeurs  du  regretté  Emile  Gebhart,  mais  simplement  une  série  de 
courts  articles  publiés  de  1892  à  191 1  dans  les  Débats,  dans  le  Gati' 
lois,  ailleurs  encore,  et  dans  lesquels  les  souvenirs  personnels  tiennent 
juste  assez  de  place  pour  prétendre  à  ce  titre.  On  y  trouvera  une  évo- 


l  14  REVUE    CRITIQUE 

cation  cmue  ou  plaisante  du  Nancy  de  l'étudiant,  d'amusants  croquis 
du  séjour  à  l'Ecole  d'Athènes  et  du  monde  grec  dans  la  note 
moqueuse  d'About,  et  surtout  les  impressions  que  laissèrent  au  jeune 
voyageur  et  plus  tard  à  l'érudit  fidèle  des  pèlerinages  assidus  dans 
cette  Italie  qui  devint  son  champ  d'études;  un  des  derniers,  il  en  a 
pénétré  le  charme  intime  avant  le  bouleversement  des  transforma- 
tions modernes.  Pise,  P'iorence,  l'Ombrie,  la  Toscane  et  avant  elles 
toutes  Rome,  où  Gebhart  fut  l'hôte  de  la  villa  Médicis,  forment  le 
cadre  ordinaire  de  ces  souvenirs,  dont  le  récit  se  mêle  d'anecdotes 
savoureuses  et  de  traits  piquants  d'observation.  Sur  les  routes  étran- 
gères, Gebhart  fit  parfois  d'intéressantes  rencontres,  !e  cardinal  Lavi- 
gerie  à  Rome,  Renan  à  Athènes,  et  il  lui  arriva  d'être  le  témoin  de 
petites  révolutions  politiques,  comme  la  chute  du  roi  Othon  et  la 
vaine  tentative  de  Garibaldi  dans  l'automne  de  1867.  Ses  anciens 
lecteurs  reliront  avec  plaisir  ces  pages  remplies  d'humour  et  de  fine 
malice  et  les  nouveau.x  remercieront  les  éditeurs  de  les  leur  avoir  si 
commodément  présentées. 

II.  Le  second  volume  que  les  éditeurs  ont   établi   d'une  manière 

analogue   est  aussi  un  aimable  recueil,  encore  plus  varié,   bien  que 

parfois  on  eût  pu  éviter  de  tirer  du  même  sac  double  mouture.    De 

nouveau    la    plupart  de  ces  Fantaisies,    et    même  les  Contes,  nous 

transportent  dans   l'Italie  familière  à  l'auteur,    surtout   dans  l'Italie 

mystique    du    moyen  âge  ou  l'Italie  ardente  de  la   Renaissance.  Les 

détails  pittoresques  et  curieux  qui  se  sont  offerts  par  surcroît  à  l'érudit 

au  milieu  de  ses  graves  recherches  et  aussi  les  traits  de  mœurs  notés 

au    cours  de  fréquents  voyages   et  de  séjours   répétés  ont  fourni  la 

matière    de    ces    pages   spirituelles,    souvent    ironiques,    mais  sans 

cruauté.    A   feuilleter  les   trente   morceaux  qui  composent  cet  autre 

recueil,  comme   les  fragments  autobiographiques  du  précédent,  on 

goûtera  une  fois  de  plus  le   talent  si  souple  et  si  varié   de  l'historien 

de  la  Renaissance  italienne. 

L.  R. 

Sofia  Ravasi,  Leopardi  et  Madame  de  Staël.  Milano,  Tipografia  sociale  (Paris, 

Champion),  1910;  in-S"  de  11?  pages. 

Le  premier  point  de  contact  visible  entre  la  pensée  de  M™^  de  Staël 
et  celle  de  Leopardi,  c'est  le  fameux  article  De  l'esprit  des  traductions 
qui  ouvrait,  comme  un  manifeste,  la  Biblioteca  italiana  du  i*""  jan- 
vier 1 8  1 6,  et  la  réponse  —  non  insérée  et  publiée  il  y  a  quelques  années 
—  que  fit  à  ce  manifeste  le  jeune  poète  de  Recanati.  Mais  sa  propre 
évolution,  démentant  son  attitude  défiante,  le  rapprochera  en  1819- 
21  de  plusieurs  des  idées  de  son  adversaire  :  Corinne  a  une  grande 
part  dans  cette  modification,  que  précisent  d'autres  œuvres  de  M™'  de 
Staël,  et    que   M"'    Ravasi   éclaire  de  comparaisons  en  général  pro- 


d'histoirk  kt   de  littérature  I  I  b 

bantes  sur  l'isolement  du  génie,  le  eontraste  entre  le  passé  et  le  pré- 
sent, la  relativité  du  goût  littéraire.  Ailleurs  —  la  vieillesse,  la  mort, 
les  ruines  —  il  est  bien  difficile  d'isoler,  parmi  des  informateurs 
nombreux,  l'auteur  de  V Allemagne;  il  y  faudrait  tout  au  moins  une 
précision  qui  apporte  révidence.  Mais  c'est,  en  tout  état  de  cause,  une 
étude  intéressante,  qui  sait  chercher  dans  l'intime  des  personnalités 
la  raison   suprême  des   manifestations  poétiques  et  qui  tire  ainsi  un 

parti  utile  de  la  recherche  des  dépendances 

^  F.  B.   ^ 


Cari  KûRVER,  Stendhal  und  der  Ausdruck  der  Gemiitsbewegungen  in  sei- 
nen  Werken  (Beihefte  zur  Zeitschrift  fur  romanische  Philologie,  35).  Halle, 
Niemeyer,  1912;  in-8°  de  146  pages. 

C'est  une  sorte  de  répertoire  systématique  des  mouvements  de  l'âme 
et  de  leur  expression  dans  l'œuvre  de  Stendhal  ;  l'étude  de  l'auteur, 
autant  que  celle  de  ses  ouvrages,  peut  assurément  tirer  parti  de  ces 
groupements  nouveaux,  éclairés  principalement  à  la  lumière  de  la 
psychologie  de  Wundt.  Mais  je  comprends  difficilement  pourquoi 
l'amour  n'occupe,  dans  ce  tableau,  qu'une  place  timide  et  comme 
incidente,  à  la  fin  du  chapitre  de  l'orgueil  :  n'est-ce  pas  à  propos  de 
ce  mouvement  de  l'àme  —  ou  du  corps  —  que  le  «  beylisme  »  se  lais- 
sait le  plus  nettement  surprendre  et  définir?  D'autre  part,  la  philoso- 
phie implicite  de  Stendhal,  autant  que  son  art  de  romancier,  se  trouve 
en  cause  dans  un  grand  nombre  de  ces  cas  où  joie  et  douleur,  orgueil, 
colère,  sont  mis  en  mouvement  par  lui,  et  c'etit  été,  semble  t-il,  un 
sérieux  appoint  que  de  rappeler  quels  sont  ses  maîtres  en  ces 
théories  '.  De  bonnes  remarques  sur  l'importance  du  rire  dans  ces 
livres  qui  ne  sont  point  du  genre  comique,  sur  la  psychologie 
ethnique,  si  l'on  peut  dire,  à  laquelle  Stendhal  ne  cesse  pas  de  se 
référer,  des  rattachements  intéressants  de  l'œuvre  à  l'homme  contri- 
buent à  dégager  l'intérêt  surtout  documentaire  —  et  presque  scienti- 
fique —  des  recueil^  d'observations  et  de  confessions  déguisées 
publiés  par  ce  médiocre  artiste. 

F.   Baldensperger. 


Max  Fucus,  Théodore  de  Banville;  contributions  à  l'histoire  de  la  poésie 
française  pendant  la  seconde  moitié  du  xix"  siècle.  Paris,  Ed.  Cornely, 
191  2;  iu-8"  de  X11-52S  pages. 

Travail  d'analyse  et  qui  veut  l'être  ;  «  déterminer  le  sens  des  œuvres 
essentielles,  découvrir  les  intentions  cachées  du  poète  »  paraissant  à 


I.  On  s'attendrait,  par  exemple,  à  trouver  un  commentaire  de  la  fameuse 
«  cristallisation  »,  un  rappel  de  l'importance  de  Lavater  au  début  du  xix"  siècle, 
sans  parler  des  survivances  condillacieniies.  En  dehors  de  nombreuses  coquilles, 
voici  les  errata  les  plus  fâcheux  :  p.  32,  écrire  s'il  ne  lui  donne  pas  de  l'argent, 
p.  57  //  vit  s'éteindre;  p.  S ■\  c'est  me  commander...;  p.  94  ou  se  tuer  d'ici  là. 


1  l6  REVUK    CRITIQUE 

l'auteur,  à  bon  droit,  le  service  le  plus  urgent  t]ue  l'histoire  littéraire 
puisse  rendre  à  la  mémoire  de  Banville,  M.  Fuchs  s'est  à  peu  près 
interdit  tout  ce  qui  ressemblerait  trop  à  un  essai  de  groupement,  de 
coordination,  de  synthèse  et  d'apparentement.  Sachons  lui  gré  de  sa 
discrétion,  puisqu'elle  nous  vaut  les  choses  excellentes  qui  la  com- 
pensent, un  soigneux  dépouillement  des  pages  innombrables  publiées 
en  feuilletons  par  le  poète  des  Exilés,  une  étude  prolongée  de  la 
métrique  de  Banville  ',  et,  tout  au  long  du  volume,  1'  «  explication  » 
attentive  et  sympathique  des  pièces  et  des  piécettes  échappées  à  ce 
charmant  esprit. 

Regrettons  pourtant  que  ni  par  la  biographie,  ni  par  l'indication 
des  influences,  cette  activité  explicative  ne  se  trouve  point  en  général 
facilitée  ou  renforcée  :  on  dirait  qu'à  part  sa  naissance,  son  hérédité 
et  le  fait  qu'il  était  jeune  en  1840,  il  ne  s'est  rien  passé  dans  la  vie  de 
Banville  qui  ne  soit  de  la  stricte  littérature.  Et  quant  aux  encou- 
ragements que  son  propre  génie  pouvait  recevoir  de  certains  modèles, 
quant  aux  incitations  qui  orientaient  sa  manière  dans  des  directions 
nouvelles,  j'ai  peur  que  M.  F.,  très  au  fait  quand  il  s'agit  de  Ronsard 
ou  de  poésie  grecque  et  latine,  ne  soit  tenté  de  passer  trop  vite  sur 
Shakespeare  et  Heine,  sur  Louis  Ménard  et  A.  Maury  :  du  moins 
nous  donne-t-il,  en  ces  matières,  des  suggestions  plutôt  que  des 
résultais,  sans  la  netteté  dans  la  conjecture  qui  détermine  l'évidence. 
Le  fantaisiste  amer  de  ïlntej^me^io,  en  particulier,  en  dépit  des 
pages  84,  188,  220,  409,  n'apparaît  pas  dans  sa  pleine  valeur  de  poète 
dont  Banville  «  entendait  en  lui  les  vers,  rythmés  par  les  battements 
même  de  son  cœur  ».  La  façon  très  plausible  dont  M.  F.  entend  les 
Idylles  prussiennes  (Prussien  voulant  dire,  au  gré  de  Banville,  tout 
autre  chose  qu'Allemand)  aurait  même  trouvé  un  supplément  de 
justirication  dans  cette  influence  du  «  Prussien  libéré  »  que  Banville 
mettait  si  haut,  immédiatement  après  Victor  Hugo.  Et  ainsi  — 
comme  pour  la  question  de  l'hellénisme  où  le  livre  de  M.  Canat 
répond  à  point  d'interrogation  de  M.  F.  —  l'analyse  se  passe  diffi- 
cilement d'un  peu  de  synthèse,  puisqu'il  est  possible  que  le  point  à 
analyser  soit  précisément  l'intersection  de  quelques  données  synthé- 
tiques qu'il  ne  faudrait  pas  négliger  ". 

L'essentiel  restait  assurément  de  présenter  sous   son  jour  le  plus 

1.  P.  81,  le  rythme  à'Ibo  n'y  est  pas  encore,  à  cause  du  second  vers.  Il  y  a,  à 
propos  de  la  rime  funambulesque,  des  remarques  bien  justes  ;  il  eût  été  assez 
indiqué  d'y  ajouter  l'étude  des  conditions  faites  à  la  pensée  par  la  nécessité  de 
rimer  richement,  puisque  déjà  'W.  Tenint  écrivait  en  son  chapitre  iv  que  «  la  rime 
riche  favorise  la  pensée,  loin  de  lui  nuire.  »  Un  rappel  de  la  rime  inspiratrice  des 
Espagnols  ne  nuirait  pas,  cf.  Le  Genùï, ^Januel  BietO)i  de  Los  flerreros,  p.  21 5. 

2.  Ecrire  Pellissier  p.  vu,  note  2,  Beecher-Stowe  p.  i  55,  AssoUant,  p.  2o3,  Creu- 
zer  p.  400.  Le  signalement  de  la  brochure  de  Grein  ne  signifie  rien  à  moins 
d'ajouter  ;'p.  3i  i,  note  i)  Realgymnasium  :{u  Xeiinkirchen.  Ajouter  surtout  E.  Mon- 
tégut,  En  Bourbonnais,  à  la  bibliographie  succincte  de  la  page  4. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  II7 

équitable  une  (vuvre  papillotante  pour  laquelle  on  est  aisément  injuste  : 
en  insistant  sur  le  divorce  social  cl  moral  qui  séparait  la  poésie  et  la  vie 
courante,  sur  les  raisons  qu'avait  une  liiie  nature  d'artiste  de  s'irriter 
de  cette  discordance  et  d'en  laisser  le  contrecoup  diriger  son  inspi- 
ration, M.  F",  remet  au  point  bien  des  jugements  cruels  ou  dédaigneux. 

F.  Baldensperger. 

Albert  Counson,  La  Pensée  romane;  essai  sur  l'esprit  des  littératures  dans 
les  nations  latines.  Livre  I  (Bibliothèque  de  la  Société  d'Etudes  morales  et 
juridiques,  t.  II).  Louvain,  Uystpruyst-DIeudonné,  Paris,  Beauchesne,  1911; 
in-i  2  de  3/1  pages. 

C'est  une  idée  généreuse  que  M.  Counson  veut  réaliser  dans  ce 
livre,  et  l'épigraphe  ciiique  siuim,  avec  son  air  de  devise  intrépide,  en 
symbolise  sans  doute  la  secrète  intention  :  définir,  dans  l'apport  col- 
lectif des  civilisations  occidentales,  ce  qui  revient  aux  Romans,  et 
extraire  du  legs  intellectuel  que  notre  âge  tient  de  multiples  donateurs 
la  part  spécifique  de  ces  peuples  «  d'origines  disparates,  de  race  inex- 
tricable, unis  par  la  communauté  de  langage  ».  Car  M.  Counson 
fonde  nettement  sur  les  affinités  linguistiques  l'afiparentement  des 
groupes  qu'il  range  sous  1'  «  unité  romane  »,  et  dont  il  veut  déter- 
miner le  génie  et  l'influence  intellectuelle.  C'est  même,  à  vrai  dire,  du 
postulat  avancé  dès  la  page  7,  que  s'autorise  une  synthèse  qu'on 
acceptera  ou  qu'on  rejettera,  selon  qu'on  admettra  ou  non  cette  pro- 
position :  «  On  peut  parler  d'une  pensée  romane  dont  les  productions 
se  propagent  de  province  en  province,  à  travers  les  Alpes,  la  Médi- 
terranée, les  Pyrénées  et  la  Loire  ».  J'avoue  que,  pour  mon  compte, 
j'hésiterais  à  conclure  aussi  vite,  de  la  diffusion  de  l'idiome  cà  l'iden- 
tité de  la  pensée  ;  une  langue  n'est  pas  une  forme  si  rigide  qu'elle  ne 
s'accommode  de  variétés  d'esprits  sufiisanies  pour  créer  d'amples  dis- 
parates :  jamais  Rodenbach  et  Verhaeren  ne  paraîtront  tout  à  fait  les 
I  compatriotes  cérébraux  de  Mtstral  ou  de  Carducci.  Mais,  comme 
toutes  les  très  vastes  synthèses,  celle-ci  ne  saurait  ni  se  vérifier,  ni  se 
j  réfuter  pleinement.  Acceptons-la,  sans  trop  y  croire,  comme  le 
!  cadre  ingénieux  où  un  «  romaniste  »  fait  entrer  la  multiple  expérience 
qu'il  a  retirée  de  ses  explorations,  et  sachons-lui  gré  d'avoir  retenu 
au  passage  tous  les  traits  de  civilisation  (de  civilisation  fixée  par  la 
littérature,  tout  au  moins)  qui  lui  ont  semblé  communs  à  toutes  les 
familles  de  la  grande  tribu  romane. 

La  conception  même  du  livre  amenait  son  auteur  à  s'inquiéter 
spécialement  des  persistances,  des  survivances  qui  prolongent,  bien 
I  au-delà  de  la  Renaissance,  des  phénomènes  «  romans  »  :  recherche 
I  intéressante,  souvent  trop  poussée  quand  des  manifestations  du  génie 
]  celtique  ou  germanique  sont  annexées  et  divulguées  par  les  monu- 
i  ments  romans  (p.  109,  256,  261)  ou  que  des  identités  un  peu  fati- 
I    diques  [p.  i5o,   i58,  etc.)  doivent  marquer  une  sorte  de  mouvement 


I  l8  REVUE    CRITIQUE 

cyclique  dans  rimérieu-r  de  ccitc  Romanic  immanenic;  recherche 
utile,  si  M.  Counson  s'asircini,  dans  la  suite  de  son  œuvre,  à  saisir, 
au  moment  où  ils  s'inscrivent  dans  les  langues  et  les  littératures,  des 
instants  décisifs  de  ce  qu'il  appelle  la  «  pensée  romane  ».  Ce  volume- 
ci,  avec  SCS  chapitres  consacrés  au  substraium  juridique,  pédago- 
gique, religieux  de  la  Romanie,  à  la  chevalerie  française,  à  la  cour- 
toisie, à  Tesprii  franciscain  et  à  la  littérature  du  principal,  accueille 
en  réalité,  pourvu  qu'elles  aient  été  fixées  dans  des  œuvres  de  langue 
romane,  des  manifestations  assez  variées  du  moyen  âge  occidental.  11 
est  neuf,  comme  le  dit  justement  son  auteur,  «  en  ce  que  la  pensée 
romane  est  envisagée  successivement  dans  ses  préoccupations  essen- 
tielles et  dans  ses  manifestations  internationales  »  :  mais  est-il  aussi 
assuré  dans  ses  résultats  qu'il  est  original  dans  sa  disposition  '  ? 

F.  Baldensperger. 

J.-G.  RoBERTsoN.  Gœthe   and    the    twentieth   century.  Cambridge  University 

Press.  In-8",  191 2. 
Henderson.  The  ballad  in  literature.  Id. 

Signalons,  dans  la  collection  des  Cambridge  Maniials  of  Science 
and  Literature  (University  Press)  deux  volumes  de  vulgarisation  qui 
intéressent  la  littérature  générale. 

M.  J.-G.  Robertson  consacre  à  Gœthe  une  étude  qui  n"est  pas  stric- 
tement fidèle  à  son  titre  {Gœthe  and  the  tiuentieth  century)  puisqu'elle 
consiste  surtout  en  une  biographie  succincte  et  un  examen  des  œu- 
vres :  les  quatre  derniers  chapitres  cependant,  et  la  conclusion,  con- 
sidèrent les  parties  vivantes  et  les  éléments  caducs  du  <<  message 
gœthéen  »,  non  pas  à  la  façon  des  livres  similaires  de  Bôlsche  ou  de 
Huch,  mais  à  la  lumière  du  développement  de  la  pensée  et  de  la 
société  modernes  après  Gœthe,  et  avec  toutes  les  réserves  et  les  limi- 
tations qu'entraîne  ce  point  de  vue. 

M.  Henderson  résume  [The  Ballad  in  Literature)  l'état  actuel 
des  questions  qui  touchent  à  ce  genre  de  poésie,  prend  parti  contre 
les  derniers  partisans  de  la  création  «  anonyme  et  collective  »  des 
anciennes  ballades,  et  signale  en  passant  les  prolongements  qu'ont 
eus  des  recueils  comme  celui  de  Percy  sur  le  développement  de  la 
littérature.  La  partie  polémique  et  critique  peut  sembler  trop  impor- 
tante, s'il  s'agit  vraiment  de  «  manuels  »  destinés  au  grand  public. 

F.    B. 


I.  11  ne  faut  pas  attendre  jusqu'en  1825  (p.  2)  pour  trouver  un  emploi  systéma- 
tique, en  français,  de  l'adjectif  rowa»  ;  le  sens  de  classique  reste  lié,  en  dépit  de 
l'utilisation  scolaire,  à  la  signification  latine  de  «  meilleur  dans  sa  classe  » 
(p.  56);  le  juron  est-il  vraiment  (p.  129)  une  sorte  de  reviviscence  ancestrale  ?  On 
sait  que  Waldseemûlier  (p.  192)  rétablit  lui-même  —  mais  trop  tard  —  le  nom 
de  Colomb  sur  les  cartes  de  i5i3.  Lire  Cosmographiae  à  cette  page,  trovatori 
p.  246,  note. 


d'histoire  et  de  littérature  I  I  9 

—  Nous  avons  reçu  de  M.  J.  Cserkp,  professeur  d'histoire  de  la  littérature 
romaine  à  Budapest,  une  brochure  intitule'e  :  de  Pelas^is  Etruscisque  quid  fabu- 
lis  heroicis  ac  priscis  nominibus  doceamur  (^o  p.  gr.  in-8"  Lainpel,  Budapest,  i  kr. 
20).  C'est  l'histoire  de  ces  anciens  peuples  reconstituée  presque  uniquement  par 
les  noms  des  anciens  héros  et  par  leurs  généalogies;  autant  dire  le  mythe  des 
mythes.  Dans  le  sommaire  final,  M.  Cs.  s'attend  au  reproche  de  «  témérité  »; 
j'avoue  que,  dans  la  critique  de  sa  méthode  et  de  sa  brochure,  j'irais  certes  beau- 
coup plus  loin,  ou  même  comprendrais-je  beaucoup  mieux  s'il  ne  s'agissait  que 
d'un  jeu  ou  de  quelque  gageure.  Encore  aurais-je  souhaité  que  le  jeu  fî\l  plus 
amusant.  —  E.  T. 

—  Depuis  que  j'ai  signalé  le  compte  rendu  des  publications  sur  César  par 
M.  Meusei.  (Bulletin  du  27  avril  dernier,  p.  333),  l'auteur  a  poursuivi  son  travail 
et  il  vient  de  le  terminer  en  une  cinquantaine  de  pages;  en  dehors  des  traduc- 
tions des  commentaires  en  allemand  (HornefFer)  et  en  anglais  (Holmes  et  Long),  je 
relève  une  analyse  du  livre  de  Bloch,  dans  l'histoire  de  Lavisse  ;  des  articles  sur 
Martin  Bang  (Die  Germanen  im  rômischen  Dienst  bis  zum  Regierungsantritt  Cqns- 
tantins);  sur  la  seconde  édition  de  la  conquête  de  Holmes;  sur  Sihler,  sur  Sahée  ; 
sur  les  auteurs  qui  ont  étudié  la  campagne  des  Helvètes  et  celle  d'Arioviste 
(Frôhiich,  Stolle)  et  ceux  qui  ont  traité  de  la  bataille  de  Paris  en  52  (Sieglerschmidt), 
de  celles  d'Alesia  (Lange)  et  de  Pharsale  (Kromayer,  Holmes)  etc.  — r  E.  T. 

—  Le  professeur  bien  connu  de  Berlin,  D'  Herm.  Nohl  à  qui  la  librairie  Teub- 
ner  a  confié  le  soin  de  revoir  les  Cicérons  annotés  de  Richter,  repris  après  lui 
par  Eberhard,  arrive  au  tour  des  Catilinaires.  Les  voici  en  7' édition;  la  6*  d'Eber- 
hard  était  de  1897.  Le  texte  est  remis  au  courant  d'après  Clark;  le  commentaire 
a  été  très  remanié  et  surtout  allégé.  Beaucoup  de  soin  et  une  très  grande  correc- 
tion dans  tout  ce  que  j'ai  lu.  De  très  bons  repères  pour  suivre  le  plan  des  discours. 
—  É.T. 

X 

—  M.  A.  Merlin,  directeur  des  Antiquités  et  Arts  de  Tunisie,  publie  le  IV»  et 
dernier  fascicule  du  tome  11  de  VEnquête  sur  les  installations  hydrauliques  en 
T'uMisie  (Tunis,  Imprimerie  Rapide,  1912).  Il  contient:  une  note  de  M.  Hégly, 
ingénieur  des  ponts  et  chaussées,  surSbeitla;  une  note  de  MM.  Collet  et  de  Smet 
sur  l'émissaire  d'El-Alia;  quelques  indications  sur  la  culture  de  Majen-en-Drej,  et 
une  série  d'annotations  à  la  carte  au  So.ooo",  par  les  officiers  des  brigades  topo- 
graphiques. De  nombreux  croquis  éclairent  le  texte.  A  l'index  des  notices  du 
tome  II,  par  noms  d'auteurs,  est  joint  un  très  utile  index  lopographique,  par 
ordre  alphabétique  des  noms  de  localités.  —  M.  B. 

—  Le  5«  fascicule  des  Notes  et  documents  publiés  par  la  Direction  des  Anti- 
quités et  Arts  de  Tunisie  est  intitulé  :  Forum  et  églises  de  Sufetuld,  par  A.  Merlin 
Paris,  Leroux,  1912,  in-4",  48  p.  5  pi.  et  11  fig.).  Le  directeur  du  Service  y  expose, 
avec  son  habituelle  précision,  les  résultats  des  travaux  entrepris  depuis.  1906  à 
Sbeitia:  déblaiement  du  Forum,  avec  son  entrée  monumentale,  ses  portiques  et 
ses  piédestaux  de  calcaire  chargés  d'inscriptions;  déblaiement  de  l'église  du  prê- 
tre Severus,  de  l'église  de  l'évcque  Bellator  et  de  la  chapelle  de  l'évoque  Jucun- 
dus;  restauration  de  l'arc  de  triomphe.  L'une  des  planches  donne  le  plan  général 
deSbcitla  et  l'état  des  ruinesàla  fin  de  igii.  —M.  B. 

—  M.  F.  VoLLMER,  dans  les  Bulletins  de  l'Académie    des    sciences    de    Bavière 


I20  REVUE    CRITIQUE    DHISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

(1910,  n*  14),  avait  signalé  sous  ce  titre,  Die  Umdeiitung  dites  Rômersteitis,  l'exis- 
tence à  Etting,  près  d'Ingolstadt,  au  temps  de  la  contre-rcformation,  d'une  épita- 
phe  latine  païenne  prise  pour  l'inscription  funéraire  d'un  saint.  De  nouveaux  docu- 
ments lui  permettent  de  donner  une  suite  à  sa  première  étude  (mdme  recueil, 
191  i.n"  i3\  de  préciser  les  origines  du  culte  des  Sancti  Exules  à  Etting  et  de 
reconstituer  le  texte  \éritablc  de  l'épitaphe;  elle  concernait  un  <i«f/icariKS  appelé 
Herennius  Secundus.  —  M.   B. 

—  Le  XXXiIl«  volume  du  Bullettino  d'archeologia  e  storia  dalmata,  année  1910, 
contient,  comme  toujours,  une  série  d'intéressants  articles,  qui  témoignent  de 
l'activité  inlassable  et  heureuse  de  Mgr  Bulic.  Citons  en  particulier  :  le  compte- 
rendu  de  fouilles  ertectuées  en  190901  1910  dans  une  nécropole  païenne  de  Salona, 
au  lieu  A'\X  Hortus  Metrodori;  la  publication  de  nombreuses  inscriptions  inédites; 
des  études  sur  le  voyage  de  Dioclétien,  de  Ravenne  à  Nicomédie,  en  3o4,  sur  la 
légende  de  Dioclétien  en  Dalmatie  et  dans  le  Monténégro,  sur  un  sphinx  du  palais 
de  Dioclétien  à  Spalato  ;  des  notices  sur  les  estampilles  sigillées,  lampes  de  terre 
cuite,  pierres  gravées,  etc.,  récemment  entrées  au  musée  de  Spalato;  un  article  de 
G.  Alacevic  sur  le  gouvernement  de  Marco  Betnbo,  de  Venise,  comte  de  Spalato, 
en  i352-  1354.  V'^ingt-quatrc  planches  hors  texte  illustrent  le  volume.  —  M.  B. 


Académie  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  26  juillet  igi2. — 
M.  Alfred  Merlin,  directeur  des  antiquités  de  la  Tunisie,  expose  des  découvertes 
récemment  survenues  à  Thuburbo  Majus.  Dans  les  ruines  de  cette  ancienne  ville, 
on  a  reconnu  les  restes  de  deux  temples  dédiés,  sous  la  domination  romaine,  à  des 
divinités  puniques  demeurées  en  honneur  avec  des  noms  latins  :  l'un  est  consacré 
à  Baal-Saturne;  l'autre,  qui  a  fourni  de  curieux  ex-voto,  à  Tanit-Cérès.  A  l'époque 
chrétienne,  celui-ci  fut  converti  en  église;  dans  un  des  tombeaux  aménagés  autour 
de  cette  église,  on  a  recueilli  de  beaux  bijoux  en  or. 

M.  Charles  Diehl  lit  une  notice  sur  une  princesse  de  Trébizonde  qui  vivait  au 
xv«  siècle.  On  la  désigne  en  général  sous  le  prénom  de  Catherine,  et  sans  doute 
ce  nom  lui  est  venu  du  titre,  mal  compris,  sous  lequel  les  contemporains  la 
mentionnent  :  Despina  Katoun  (la  princesse).  En  réalité,  elle  se  nommait,  d'une 
manière  beaucoup  plus  byzantine,  Théodora  Comnène.  Ceci  montre  combien  dans 
l'histoire  byzantine,  pour  les  grandes  comme  pour  les  petites  choses,  bien  des 
points  demeurent  encore  obscurs. 

Léon  Dorez. 


L' imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


LE  PUY-KN-VELAV.   —  IMPRIMERIE    PBYRILLPR,  ROUCHON  BT  GAMON. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 

N^  33  —  17  août  —  1912 


Dauzat.  La  philosophie  du  langage.  —  Grierson,  Le  Kaçmiri.  —  Endle,  Les 
Kacharis.  —  Rosenberg,  Les  centuries.  —  Octavius,  p.  Waltzing.  —  Vie 
d'Abercius,  p.  Nisse.n.  —  Preusschen  et  Kruger,  Manuel  d'histoire  ecclésiasti- 
que, I.  —  A.  de  Berzeviczy,  Béatrice  d'Aragon.  —  Gh.  Morgan,  Les  origines  du 
roman  anglais.  —  Hall,  Les  idylles  de  pécheurs.  —  Schrœder,  La  légende  de 
don  Juan.  —  May,  La  lutte  pour  le  français  en  Lorraine  avant  1870.  —  Ed.-J. 
G00DSPEED,  Index  apolûgeticus.  —  Adorjan,  Destinées  et  carrières.  —  Kari,, 
Etudes  sur  la  littérature  française.  —  Gardonyi,  La  troisième  puissance.  — 
Herczeg,  Byzance.  —  Gombos,  La  frontière  orientale  d'Autriche.  —  Barcza, 
Le  droit  de  suffrage  en  Hongrie.  —  Vari,  Les  Halieutiques  d'Oppien.  — 
Académie  des  Inscriptions. 


A.  Dauzat,  La  Philosophie   du  Langage.  Paris,  E.  Flammarion,  1912;    un  vol. 
in- 18  de  3  3  i  pages. 

Publié  dans  la  Bibliothèque  de  Philosophie  scientifique  dirigée  par 
le  D'"  G.  Le  Bon,  ce  livre,  ainsi  que  le  dit  l'auteur,  dans  sa  courte 
Introduction,  s'est  proposé  de  «  dégager,  pour  le  grand  public,  les 
résultats  acquis  et  les  principes  directeurs  qui  dominent  aujourd'hui 
la  science  du  langage  ».  Il  est  évident  que,  pour  remplirce  programme 
d'une  façon  complète,  il  eût  été  bon  de  ne  pas  trop  rester  confiné 
dans  le  domaine  des  langues  romanes,  et  même  de  pouvoir  par  moment 
s'élever  au-dessus  de  l'horizon  indo-européen  :  M.  Dauzat  l'a  assez 
rarement  fait,  et  si  l'on  peut  le  regretter,  il  serait  injuste  aussi  de  le 
lui  reprocher.  En  sommeil  n'a  voulu  parler  que  de  ce  qu'il  connaît 
bien;  de  là  une  parenté  assez  étroite  entre  ce  livre  et  la  Vie  du  langage 
publiée  par  lui  en  1910,  ou  même  la  Langue  française  d'aujourd^hui 
qui  date  de  1908.  Cependant  —  disons-le  bien  vite  —  l'auteur  a  eu  le 
talent  de  ne  point  se  répéter,  tout  en  exposant  des  idées  sensiblement 
identiques  ;  il  a  même  acquis  dans  le  maniement  des  faits  et  des 
exemples  allégués  une  incontestable  virtuosité,  et  si  c'est  là  de  la  vul- 
garisation, elle- est  en  tout  cas  d'ordre  assez  distingué.  Le  public 
pourra  donc  lire  ces  chapitres  écrits  dans  un  style  aisé  et  d'une  façon 
courante,  sans  que  rien  peut-être  y  réveille  beaucoup  son  attention, 
mais  sans  que  rien  non  plus  vienne  le  choquer  ou  le  heurter.  C'est  à 
peine  si  çà  et  là  quelques  formules,  échappées  sans  doute  à  une  rédac- 
tion un  peu  rapide,  pourraient  prêter  à  discussion  —  car  si  on  les 
prenait  au  pied  de  la  lettre,  elles  seraient  susceptibles  d'induire  en 
erreur  des  lecteurs  inexpérimentés.  Etait-il  bien  utile  par  exemple,  à 
la  p.  121,  de  dire  :  La  France,  dès  Clovis,  a  acquis  son  unité'  poli- 
Nouvelle  série  LXXIV  33 


122  REVUE    CRITIQUE 

tique,  et  qu'est-ce  qu'une  unité  de  ce  genre,  à  propos  de  laquelle  il  faut 
immédiatement  faire  toutes  sortes  de  réserves?  Des  faits  exposés 
p.  257  on  pourrait  inférer  que  le  provençal  était  la  langue  courante 
en  Poitou  au  xii^  siècle  :  il  est  plus  probable  qu'il  n'y  a  jamais  été 
usité  que  comme  idiome  littéraire,  et  encore  dans  une  certaine  classe 
de  la  société. 

Le  livre  est  divisé  en  quatre  parties  :  I.  Les  caractères  généraux  du 
langage.  —  II.  [.es  évolutions  du  langage.  —  III.  L'histoire  des  idées. 
—  IV.  Les  Méthodes,  et  cette  dernière  partie  est  assez  développée, 
soulevant  d'ailleurs  des  questions  annexes  de  pédagogie  grammati- 
cale qui  sont  de  nature  à  intéresser  le  public.  Voilà  un  plan  parfaite- 
ment acceptable,  quoiqu'on  pût  évidemment  en  concevoir  pas  mal 
d'autres,  et  distribuer  peut-être  les  matières  d'une  façon  moins  lâche. 
Les  idées  exposées  sont  elles  aussi  parfaitement  orthodoxes:  j'entends 
orthodoxes  du  point  de  vue  des  néo-grammairiens,  car  la  théorie  du 
progrès  dans  le  langage  est  combattue  ici,  battue  en  brèche  à  maintes 
reprises  et  avec  beaucoup  de  vivacité.  Mais  il  faudrait  s'entendre  un 
peu  à  ce  sujet.  Car  enfin  un  des  arguments  que  M.  D.  emploie  contre 
elle,  consiste  à  dire  :  «  On  ne  voit  pas  qu'on  ait  progressé  depuis  le 
grec  de  Sophocle  et  de  Platon  »  (p.  168).  Je  suis  tout  à  fait  de  cet 
avis  :  seulement  la  question  serait  aussi  de  savoir  si  le  grec  dont  a  pu 
se  servir  Solon  était  déjà  aussi  parfait  que  celui  qu'a  écrit  plus  tard 
Platon.  J'estime  pour  ma  part  que  chaque  langue  a  des  périodes 
de  décadence,  et  que  chacune  d'elles  probablement  n'atteint  que  pour 
un  court  espace  de  temps  le  point  de  perfection  où  elle  était  capable 
d'arriver.  Il  y  a  quelque  chose  après  tout  qu'on  peut  appeler  le  génie 
de  la  langue  grecque,  ou  le  génie  de  la  langue  française.  Et  si  cette 
expression  paraît  un  peu  trop  mystique,  je  dirai  que  toute  grande 
langue  évolue  en  fonction  d'un  groupe  social,  qu'elle  reflète  en  somme 
les  caractères  psychiques  et  la  fortune  politique  du  peuple  qui  la 
parle.  C'est  pour  cela  que,  au  risque  d'être  taxé  de  rétrograde,  je  ne 
puis  pas  convenir  que  le  français,  par  exemple,  ait  eu  à  tous  les 
moments  de  sa  durée  la  même  valeur  intrinsèque,  ni  le  même  degré 
d'intelligibilité  ou  de  beauté.  Le  français  qu'on  parlait  sous  Charles  VI 
valait-il  celui  qu'on  parlait  sous  Louis  XIV  ?  Ce  sont  des  questions 
qui  entraîneraient  loin,  mais  de  la  solution  desquelles  il  ne  faudrait 
pas  non  plus,  sous  prétexte  de  science,  bannir  tout  élément  esthé- 
tique. Car  si  l'on  prend  au  pied  de  la  lettre  la  théorie  qui  nie  tout 
progrès  possible,  on  en  arriverait  sans  doute  à  quelque  conclusion 
platement  utilitaire,  et  à  déclarer,  je  suppose,  qu'un  sabir  quelconque 
ou  encore  l'anglais-pigeon  doit  être  placé  sur  le  même  rang  que  nos 
grandes  langues  littéraires.  Pour  ma  part  je  n'y  consens  pas. 

E.    BOURCIEZ. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  123 

CiRiERSoN  (George  A.).  A  manual  of  the  Kashmiri  language  ;  vol.I  :  grammar 
and  phrase-book,  i5g  p.;  vol.  11  Kashmiri-english  vocabulary,  211  p.;  2  vol. 
in-i6,  Oxford,  Clarendon  Press,  191  i,  12  sh. 

Le  kaçmiri  est  parlé  par  un  million  d'hommes  dans  la  vallée  du 
Cachemire  ei  les  montagnes  qui  l'environnent.  C'est  une  langue 
indienne,  mais  fort  différente  d'aspect  des  langues  plus  connues  de 
l'Inde  gangétique.  Cinq  siècles  de  domination  musulmane  y  ont 
rendu  l'apport  persan  et  arabe  particulièrement  important  dans  le 
vocabulaire;  surtout,  l'isolement  du  parler  au  milieu  des  montagnes, 
l'absence  de  littérature  écrite,  le  voisinage  de  dialectes  encore  moins 
civilisés  sont  autant  de  causes  qui  ont  contribué  à  maintenir  au  kaç- 
miri un  aspect  original  et  à  en  rendre  l'étude  difficile.  Ce  n'était  pas 
une  mince  tâche  que  d'en  faire  tenir  une  bonne  grammaire,  de  nom- 
breux textes  et  un  riche  vocabulaire  en  deux  volumes  élégants  et  prêts 
à  tenir  sans  difficulté  dans  les  poches  du  voyageur. 

Car  c'est  avant  tout  au  touriste  que  l'auteur  prétend  avoir  pensé  en 
écrivant  ce  manuel.  Il  admet  cependant  que  des  «  étudiants  plus 
sérieux  »  pourront  aussi  y  trouver  quelque  profit.  Et  en  effet  les  philo- 
logues, quoique  l'auteur  ne  semble  réclamer  leur  suffrage  qu'en 
second,  seront  pleinements  satisfaits  du  livre.  Ce  n'est  pas  en  vain 
que  M.  Grierson  applique  depuis  de  nombreuses  années  la  méthode 
linguistique  à  l'étude  des  langues  indo-aryennes,  dont  il  donne  dans 
le  monumental  «  recensement  linguistique  de  l'Inde  »  '  une  descrip- 
tion si  complète,  si  précise  et  souvent  si  neuve;  et  qu'il  a  en  même 
temps  concentré  son  effort  sur  certaines  d'entre  elles,  comme  celles 
du  Behar  et  précisément  le  kaçmiri.  Car  la  lente  et  minutieuse  prépa- 
ration du  présent  manuel  a  été  précédée  de  l'édition  d'une  grammaire 
indigène  du  kaçmiri  ;  elle  est  allée  de  pair  avec  la  publication  de  plu- 
sieurs travaux  consacrés  à  l'étude  comparative  des  dialectes  monta- 
gnards avoisinants,  avec  l'édition  du  premier  texte  littéraire  hindou 
en  kaçmiri  qui  sera  imprimé  (le  Çivaparinaya  de  Ràzdàn)  et  la  prépa- 
ration d'un  dictionnaire  kaçmiri  complet.  On  ne  saurait  donc  s'éton- 
ner de  voir  dans  le  Manuel  les  exigences  plus  raffinées  du  philologue 
satisfaites  autant  que  les  besoins  momentanés  du  touriste. 

Les  phrases  rangées  en  forme  de  dictionnaire  qui  forment  les  textes 
ont  été  recueillies  par  M.  Grierson  lui-même  de  la  bouche  d'indigènes, 
et  contrôlées  depuis  par  plusieurs  témoignages;  la  transcription  en 
est  pour  la  première  fois  donnée  dans  un  système  uniforme.  C'est 
d'après  ces  textes,  c'est-à-dire  d'après  la  langue  réelle  et  vivante,  qu'est 
composé  le  vocabulaire  qui  occupe  tout  le  second  volume. 

La  grammaire  proprement  dite,  fondée  elle  aussi  sur  les  textes,  porte 
la  trace  du  même  esprit  critique  et  systématique.  La  plupart  des  soi- 
disant  irrégularités  qui  encombraient  l'étude  Jusqu'ici  se  sont  évanouies 


I.  Linguistic   Siirrey  of  India;  onze  volumes   ont  paru.    Cf.    Rev.    crit.,    igoS, 
p.  184. 


I  24  REVUE    CRITIQUE 

du  jour  OÙ  M.  Giierson  définissait  avec  précision  les  lois  de  raltéiation 
des  phonèmes  sous  l'inHuence  des  phonèmes  voisins.  Celles-ci  étaient 
d'autant  plus  difficiles  à  déterminer  qu'elles  dépendent  très  souvent  de 
la  présence  de  voyelles  brèves,  tellement  brèves  qu'il  leur  arrive  d'échap- 
per à  l'audition  ;  par  exemple  le  a  initial  de  andar  «  dedans  »  s'assour- 
dit sous  l'influence  de  Va  ultra-bref  intérieur  de  andara  «  hors  de  »;  et 
c'est  la  seule  présence  de  il  ultra-bref  final  qui  détermine  le  change- 
ment d'aspect  du  mot  rat  «  nuit  »  au  pluriel  riitsii.  Ainsi  sous  l'article 
intitulé  modestement  «  alphabet»,  non  seulement  l'auteur  définit  sa 
transcription  avec  une  exactitude  minutieuse  et  nouvelle,  mais  il  est 
amené  à  donner  une  phonétique  systématique  dont  l'intelligence 
éclaire  et  simplifie  la  morphologie  tout  entière.  Autre  simplification 
dite  à  la  même  méthode  :  on  a  coutume  dans  les  grammaires  des 
langues  indiennes  de  dénombrer  sous  le  nom  de  cas  des  juxtaposés 
de  noms  et  de  posipositions;  en  rcaYné  bagas  andar  nesx  pas  plus  un 
locatif  que  le  frafiçais  dans  le  jardin  auquel  il  correspond;  M.  Grier- 
son  a  rompu  avec  cette  habitude  empirique  et  a  du  coup  considéra- 
blement allégé  l'exposé  de  la  déclinaison.  On  ne  peut  dire  que  son 
succès  soit  aussi  évident  pour  le  verbe;  mais  d'un  système  compliqué 
on  ne  peut  faire  un  exposé  simple;  et  ici  c'est  la  grammaire  histo- 
rique seule  qui  aurait  sans  doute  pu  porter  un  secours  efficace  à  la 
grammaire  descriptive.  Telle  quelle,  la  grammaire  de  M.  Grierson 
dépasse  à  peine  cinquante  pages;  et  il  peut  se  vanter  à  juste  litre  de 
l'avoir  faite  à  la  fois  plus  complète  et  plus  courte  —  ajoutons  plus 
exacte  —  que  tous  ses  prédécesseurs. 

Nous  en  avons  assez  dit  pour  marquer  l'importance  de  l'ouvrage 
et  la  reconnaissance  due  à  l'auteur.  S'il  est  vrai  que  l'éditeur,  même 
en  combinant  la  clientèle  des  touristes  et  des  philologues,  ne  peut 
compter  sur  des  bénéfices  sérieux,  nous  devons,  avec  l'auteur,  remer- 
cier aussi  et  féliciter  la  maison  qui  a  assumé  la  charge  de  la  publica- 
tion. 

Jules  Bloch. 

Endle  (Rev.  Sidney).  The  Kacharis,  With  an  introduction  by  J.-D.  Anderson,  Lon- 
don,  Macmillan  et  C°,  191 1;  in-8,  XIX-12S  p.,  index,  i  pi.  carte,  12  pi.  phol., 
4  pi.,  chromos,  8  sh.  6  d. 

Les  Kacharis  appartiennent  à  ces  peuplades  Boro  qui  semblent 
avoir  jadisoccupé  tout  l'Assam  et  furent  refoulées  dans  les  montagnes. 
Tandis  que  les  Goros  étaient  encore  récemment  des  chasseurs  de 
têtes,  et  que  les  Chutiyas  restaient  fameux  par  leurs  sacrifices 
humains,  leurs  congénères  Kacharis  sont  de  paisibles  cultivateurs  qui 
mènent  une  vie  douce  et  décente,  tout  à  fait  selon  le  cœur  d'un  mis- 
sionnaire. Le  Rev.  Endle,  qui  évangélisa  cette  région  pendant  près  de 
quarante  ans,  a  décrit  avec  complaisance  leur  existence  laborieuse, 
leur  système  d'irrigation  où    se   manifeste   leur  esprit   de  solidarité, 


d'histoire  et  de  littérature  125 

leurs  tissages  de  soie,  leurs  procédés  de  pèche  et  de  chasse;  mais  la 
plus  grande  partie  du  livre  est  consacrée  à  l'étude  de  leur  organisa- 
tion sociale  et  religieuse,  de  leur  langue  et  de  leur  folk-lore  :  sur  ce 
point  de  notables  enrichissements  sont  dûs  à  l'adjonction  de  contes 
fournis  par  l'éditeur,  M.  Anderson, 

Parmi  les  clans  que  l'auteur  énumère,  plusieurs,  sinon  la  plupart, 
comme  le  veut  l'auteur,  sont  d'origine  totémique.  Mais  ce  qui  est  par- 
ticulièrement instructif  c'est  la  coexistence  des  groupes  sociaux  d'ori- 
gine diverse.  A  côté  de  clans  où  la  parenté  des  membres  avec  le"  tigre 
ou  la  sangsue  se  constate  à  des  rites  caractéristiques,  on  en  trouve 
d'autres  d'origine  professionnelle  comme  ceux  du  sésame  ou  du 
fleuve  (pêcheurs),  et  enfin  d'autres  portant  des  noms  sanskrits  [svarga, 
basumati,  brahma),  dont  les  membres  naturellement  vivent  plus  ou 
moins  de  la  religion.  L'hindouisme  a  d'ailleurs  introduit  outre  les 
brahmanes  ou  quasi-brahmanes,  un  certain  nombre  de  divinités, 
notamment  des  divinités  de  village.  Il  est  permis  de  soupçonner  que 
là  ne  s'arrête  pas  l'apport  de  l'Inde;  pour  l'époque  ancienne,  la  ques- 
tion est  provisoirement  insoluble,  et  l'on  ne  saurait  se  plaindre  qu'elle 
n'ait  pas  été  soulevée.  Mais  sur  les  transformations  sociales  actuelles 
peut-être  aurait-on  pu  souhaiter  davantage  que  n'en  dit  l'auteur,  et 
il  vaudrait  mieux  analyser  les  résultats  de  l'influence  bengalie  et  de 
l'influence  anglaise  que  de  se  borner  à  regretter  la  corruption  grandis- 
sante du  <(  bon  sauvage  »  par  la  civilisation.  En  tout  cas  le  livre  du 
Rev.  Endle  aie  mérite  de  décrire  la  vie  traditionnelle  de  la  peuplade 
qu'il  étudie  sans  idées  préconçues,  sinon  celles  naturelles  à  un  mis- 
sionnaire, et  souvent  avec  des  détails  pittoresques  et  bien  observés. 

Jules  Bloch. 


A.  RosENBERG,  Untersuchungeo.  zur    rômischen  Zenturienverfassung,   Ber- 
lin, 191 1  (93  p.,  in-S"). 

Cet  ouvrage  semble  être  sorti  de  l'école  de  M.  Ed.  Meyer.  Il  est 
intéressant  comme  méthode.  L'auteur  ne  s'attarde  pas  sur  le  terrain 
juridique,  où  Mommsen  n'a  laissé  qu'à  glaner.  En  revanche,  il  insiste 
sur  les  questions  de  statistique,  avance  dans  la  voie  indiquée  par 
M.  Beloch,  et  y  rencontre  chemin  faisant  la  matière  de  maintes  obser- 
vations importantes. 

Dans  le  premier  chapitre,  M.  R.  s'attache  à  démontrer  que  la 
première  organisation  centuriate  remonte  à  la  première  moitié  du 
iv«  siècle  (p.  21).  Il  est  difficile,  malgré  tout,  d'admettre  que  le  mot 
centurie  n'ait  pas,  à  un  moment  quelconque,  désigné  un  groupe 
d'une  centaine  d'hommes,  et  que  le  chiffre  des  85  centuries  de 
juniores  (sinon  celui  des  40  centuries  de  juniores  de  la  i"  classe) 
n'ait  pas  répondu,  au  v^  siècle,  à  l'effectif  normal  de  l'armée  romaine. 

Dans  le   second  chapitre,   M.  R.,  après   avoir    établi  que  le  cens 


I2Ô  RF.VUE    CRITIQUE 

n'avait  jamais  pu  être  déiini  par  un  capital  foncier,  montre,  à  l'aide 
d'analogies  modernes,  qu'il  faut  supposer  le  cens  de  la  r*  et  celui 
de  la  5'  classe  beaucoup  plus  élevé  qu'on  ne  le  faisait  au  temps  de 
Mommscn  '.  Dans  un  Exkurs  (p,  02),  il  fait  remarquer  que  la 
1"  classe  correspondait  beaucoup  plutôt  aux  \-t.i'.:,  qu'aux  reugitcs 
athéniens.  11  traite  ensuite  des  accensi  velati,  des  prolétaires  et  capite 
censi  :  je  ne  puis  croire  (p.  43)  qu'Aulu-Gelle  ait  inventé  le  chiffre  de 
375  as  pour  déhnir  cette  dernière  catégorie. 

Chapitre  sur  les  sex  suffragia  :  je  préfère  l'opinion  admise  dans  les 
derniers  ouvrages,  d'après  laquelle  le  chiffre  de  1800  chevaliers  n'au- 
rait été  atteint  qu'au  temps  des  guerres  samnites. 

Le  chapitre  sur  les  curies  et  centuries  met  bien  en  relief  le  tardif 
développement  de  l'influence  réelle  des  assemblées  populaires. 

Le  chapitre  sur  la  réforme  de  l'organisation  centuriate  est  plein 
d'observations  intéressantes.  J'ai  dit  ailleurs  (Journal  des  Savants 
191  i)  pourquoi  et  comment  la  réforme  me  paraissait  avoir  été  certai- 
nement étendue  aux  classes  inférieures  (contre  la  p.  82).  M.  R.  me 
paraît,  sur  ce  point,  résister  très  faiblement  au  témoignage  de 
Polybe  VL  14  (p-  841,  à  celui  de  Cicéron,  de  lege  agr.  H,  2,  4  (p.  86). 
Sur  les  centuries  du  Corpus  IV,  200,  et  les  «  tribus  »  du  1"  siècle, 

il  a  peut'être  raison . 

E.  Cavaignac. 


M.  Minucii  Felicis  Octauius  recognouit  et  commentario  critico  intruxit  Joh. 
P.  WaltzinGj  Lipsiae  in  aedibus  B.  G.  Teubneri  MGMXII.  Prix  :  broché  i  M.  : 
relié  1  M,  40. 

En  moins  de  trente  années,  la  librairie  Teubner  a  confié  à  trois 
éditeurs  différents  le  soin  de  publier  V Octauius  ;  à  M.  Baehrens  en 
1886,  à  M.  Hermann  Bœnig  en  1903,  à  M.  J.  P.  Waltzing  en  1912. 
A  travers  ces  trois  éditions,  on  peut  suivre  utilement  le  travail  de  la 
critique  autour  de  ce  libellus  aureus. 

On  sait  que  VOctauius  ne  nous  est  parvenu  que  par  un  seul  ms.  le 
Parisinus,  n"  1661,  celui-là  même  qui  contient  Vadu.  Nationes  d'Av- 
nobe.  Le  ms.  de  Bruxelles  n'est  qu'une  copie  du  Parisinus.  Or  le 
texte  de  Parisinus,  transcrit  par  un  copiste  évidemment  très  ignorant, 
foijrmiUe  de  fautes. 

Avec  une  intrépidité  surprenante,  Baehrens  corrigeait  de  son  cru 
non  seulement  les  passages  certainement  altérés,  mais  ceux-là  même 
dont  le  sens  général  n'avait  pas  l'heur  de  lui  plaire.  Ainsi  au  ch.  11, 
Minucius  Félix  écrit  :  «  Au  point  du  jour,  nous  nous  dirigions  vers  la 
mer  en  suivant  le  rivage  :  la  brise  qui  soufflait  doucement  regaillar- 
dissait  nos  membres  et  nous  éprouvions  un  extrême  plaisir  à  sentir  le 
s^ble  céder  mollement  sous  nos  pas  [ut  et  aura  adspirans  leniter  mem- 

I.  Il  «  risque  »  (p.  3o)  la  supposition  que  les  chevaliers  et  la  i^"  classe  étaient 
identiques.  Il  y  a  longtemps  que  Belot  l'a  démontré. 


d'histoire  et  de  littérature  127 

bra  uegetaret  et  ctim  eximia  iiolitptatc  molli  uesttgio  cedens  harena 
subsideret  .  Baehrens  corrige  ainsi  :  «  ...  uegetaret  cum  eximia  uolup- 
tate  et  molli,  etc..  «  vu  que,  déclare  cet  homme  grave,  «  de  sentir  le 
sable  céder  sous  ses  pas  peut  bien  faire  plaisir  à  des  enfants,  mais 
nullement  à  des  gens  sérieux  »  (p.  xvi).  Que  parmi  ses  i  5o  ou  160  con- 
jectures, il  y  en  ait  d'amusantes  ou  d'ingénieuses,  la  chose  n'a  rieri 
pour  surprendre.  Mais  était-ce  là  de  la  critique  sérieuse  ?  —  J'ajoute 
que  Baehrens  fournissait  trop  libéralement  dans  sa  préface  la  preuve 
d'une  étrange  lourdeur  d'esprit.  Sous  prétexte  que  Minucius  Félix  a 
minimisé  \e  dogme  dans  son  opuscule,  et  qu'il  s'est  tenu  dans  l'ordre 
des  affirmations  philosophiques  les  plus  générales,  Baehrens  voyait 
en  lui  un  hérétique  tout  édulcoré  et  prudent;  il  l'appelait  «  un  pré- 
curseur des  Strauss  et  des  Renan  ».  Paradoxe  trop  criant  poiir  qu'il 
soit  utile  de  le  réfuter. 

L'édition  de  Bœnig  avait  une  autre  allure.  Point  d'élucubrationS 
morales  et  littéraires,  mais,  dans  l'introduction,  un  classement 
méthodique  des  fautes  du  manuscrit;  dans  le  texte,  une  discrétion 
relative  en  matière  de  conjectures  personnelles,  un  choix  attentif  des 
corrections  les  plus  judicieuses  parmi  celles  qui  avaient  été  déjà  pro- 
posées; des  indications  précieuses  sur  les  sources  de  Minucius  Félix; 
enfin  un  Index  grammatical  soigneusement  rédigé.  Le  progrès  était 
sensible. 

M.  E.  Norden,  tout  en  rendant  pleine  justice  au  travail  de  Bœnig, 
formula  une  double  critique  dans  un  article  des  Gott.  Gel.  An\.  dô 
1904,  p.  293  et  s.  Il  reprocha  à  Bœnig  de  n'avoir  tenu  presque  nul 
compte  de  la  question  des  «  clausules  »,  et  il  lui  démontra  que  beau- 
coup des  corrections  qu'il  avait  acceptées  étaient  inutiles,  qu'en  maint 
endroit  le  texte  du  manuscrit  pouvait  et  devait  être  maintenu. 

L'article  de  M.  Norden  a  exercé  une  influence  manifeste  sur  l'es- 
prit de  M.  Waltzing.  Ayant  revu  de  ses  propres  yeux  le  manuscrit 
de  Paris  et  la  copie  de  Bruxelles,  M.  W.  a  achevé  de  se  convaincre 
que,  si  on  élimine  les  fautes  d'orthographe  et  les  bévues  certaines  du 
copiste,  le  texte  traditionnel  est  ordinairement  acceptable,  pour  peu  que 
l'éditeur  se  soit  familiarisé  avec  la  latinité  du  second  siècle.  C'est 
ainsi  que  sa  toute  récente  édition  est  infiniment  plus  respectueuse  de 
ce  texte  que  celle  de  Baehrens  —  cela  va  de  soi  —,  mais  aussi  que 
celle  de  Bœnig.  L'évolution  de  la  critique  sur  l'Octauius  s'est  donc 
faite  depuis  trente  ans  dans  un  sens  déplus  en  plus  conservateur. 

M.  W.  était  mieux  préparé  que  nul  autre  à  s'acquitter  digne- 
ment de  la  tâche  que  la  librairie  Teubner  lui  a  confiée.  Dès  1903  il 
publiait  une  édition  de  l'Octauius  où  il  condensait  dans  les  notes 
tout  le  travail  critique  antérieur.  Depuis  lors  il  a  constamment  suivi 
les  nombreux  travaux  dont  Minucius  Félix  a  été  l'objet;  il  y  a  per- 
sonnellement coopéré  par  ses  propres  recherches,  il  a  orienté  de  ce 
côté  ses  élèves.  C'est  à  son  texte  —  dont  il  est  permis  de  louer  l'im- 


128  REVUE    CRITIQUE 

pression  typographique  si  agréable  et  si  nette  —  qu'il  faudra  se  référer 
désormais.  M.  W.  a  cité  avec  plus  d'ampleur  encore  que  Bcenig  les 
sources  où  a  probablement  puisé  Minucius  Félix  et  les  imitations 
qui  ont  été  faites  de  VOctaiiius  par  les  auteurs  chrétiens  postérieurs. 
Il  n'a  pas  osé  ranger  Tertullicn  parmi  les  sources  de  Minucius.  Il 
faut  bien  pourtant  accepter  cette  filiation  comme  acquise,  maintenant 
que  la  thèse  si  remarquablement  soutenue  jadis  par  notre  Massebieau 
et  reprise  par  M.  Monceaux  nous  revient  d'Outre-Rhin  avec  la  docte 
estampille  de  M.   Richard  Hcinzc! 

M.  W.  ayant  publié  récemment  une  petite  grammaire  et  aussi  un 
lexique  de  Minucius  Félix  dans  la  Collection  belge  des  Classiques 
latins  comparés  n'a  pas  cru  devoir  recommencer  ce  travail  pour  la 
Collection  Teubner.  En  un  certain  sens,  c'est  dommage,  et  cette 
omission  fera  que  beaucoup  de  gens  continueront  à  se  servir  de 
Bœnig,  pour  l'ample  Index  grammatical  qu'il  a  joint  à  son  édition  '. 

Pierre  de  Labriolle. 


Th.  NisSEN.  S.  Abercii  Vita,  Leipzig,  1912;  prix  :  3  M.  20. 

Tout  ce  qui  touche  Abercius  intéresse  les  archéologues  et  les  his- 
toriens de  l'antiquité,  depuis  environ  trente  ans  que  l'attention  a  été 
ramenée  sur  ce  personnage  par  les  brillantes  découvertes  de  W.  Ram- 
say  en  Phrygie.  M.  Th.  Nissen,  qui  a  déjà  publié  dans  \a  Bibliotheca 
Teubneriana,  il  y  a  deux  ans,  l'inscription  d'Abercius,  en  collabora- 
tion avec  M.  Willy  Ludtke  {Die  Grabschrijt  des  Aberkios,  1910), 
vient  de  donner  à  la  même  collection  une  édition  nouvelle  de  la  Vie 
de  saint  Abercius.  Cette  Vie  nous  est  parvenue  en  trois  recensions. 
La  première  a  été  conservée  dans  le  Cod.  Parisinus  n°  1540,  du  x''  ou 
xi^s,,  dans  le  Cod.  Mosquensis  379,  s.  xi,  dans  le  Cod.  Hierosolymi- 
tanus  de  la  biblioth.  patriarchale,  n°  27,  s.  xi  ou  xii,  enfin  dans  une 
traduction  russe  dont  M.  Nissen  s'est  attaché  précédemment  à  mon- 
trer la  grande  importance  {Die  Grabschrift,  p.  22  et  s.).  La  seconde 
figure  dans  le  ms.  n"  i  10  du  fond  Coislin  :  elle  avait  déjà  été  publiée 
en  i833  par  Boissonnade  dans  ses  Anecd.  Graeca,  V,  .462  et  s.  La 
troisième,  due  à  Siméon  Metaphraste,  a  paru  dans  les  BoUandistes 
[Acta  SS.,  Oct.  tom.  IX  [i858],  p.  485  et  s,)  et  dans  la  Patrol. 
grecque,  t.  CXV,  121 2  et  s.,  d'après  le  ms,  1484  de  la  Bibl.  nat.  De 


I.  g  II,  I,  citer  parmi  les  imitations  Saint  Jérôme,  Ep.  lxxix,  6  ad  Salumam(P.l.. 
xxu,  728)  à  propos  de  la  jeune  sœur  de  Nebridius  :  «  Garrulaatque  balbutiens,  lin- 
guae  offensionc  fit  dulcior  ».  Pour  xiv,  i  homo  Plautinae  prosapiae,  renvoyer  à 
Harnack,  Mission  iind  Ausbr.  des  ChristenUtms,  z""  éd.  1,  SSg  et  à  d'Aiès,  Etudes, 
numéro  du  5  avril  19 10,  p.  85.  On  notera  qu'à  partir  du  §  xxi,  4.  W.  a  modifié 
l'ordre  de  quelques  chapitres  conformément  aux  vues  qu'il  avait  exposées  dans 
le  Musée  belge  de  1906,  p.  83-io8.  C'est  là,  ce  me  semble,  une  transposition  bien 
audacieuse.  Il  eût  mieux  valu  garder'  la  disposition  habituelle,  et  signaler  en  note 
ou  en  appendice  celle  à  laquelle  M.  W.  accorde  ses  préférences. 


d'histoire  et  de  littérature  I  29 

CCS  trois  recensions,  c'est  la  première,  les  travaux  d'Ehrhard  l'ont 
prouve,  qui  reproduit  le  plus  tidèlement  la  forme  originelle  des  Actes 
d'Abercius.  M.  Nissen  les  donne  toutes  trois  avec  un  apparat  critique 
très  soigné  et  un  excellent  index.  Cet  opuscule  rendra  de  grands  ser- 
vices à  la  science  hagiographique.  Il  fournit  une  base  nouvelle  aux 
recherches  relatives  à  Abercius  et  à  la  fameuse  inscription  reproduite, 
comme  on  sait,  dans  la  Vie,  et  qui  a  certainement  fourni  au  bio- 
graphe plusieurs  des  épisodes  romanesques  qu'il  met  au  compte  de 
révèque  d'Hiéropolis.  Notons  p.  xxi-xxiv  un  utile  supplément  biblio- 
graphique aux  répertoires  d'Ul.  Chevalier,  de  Dom  Leclercq,  etc. 

P.  de  L. 

Handbuch  der  Kircbengeschichte  tûr  Studierende  in  Verbindung  mit  G.  Fic- 
ker,  H.  Hermelink,  E.  Preuschen,  H.  Stephan,  herausgegeben  von  Gustav  Kru- 
GER,  Erster  Tcil.  Das  Altcrtum,  bcarbeitet  von  E.  Preuschen  u.  G.  Krûger, 
Tûbingcn,  Mohr,  191 1.  xiv-295  p.  in-S».  Prix  :  5  Mk. 

Voici  entin  un  manuel  d'histoire  ecclésiastique  qui  n'est  ni  protes- 
tant ni  catholique  ni  anti  quelque  chose,  qui  est  simplement  une 
œuvre  scieniitique.  J'en  juge  du  moins  par  ce  premier  volume.  Les 
noms  des  auteurs  étaient  déjà  une  garantie.  La  pratique  du  livre  fait 
la  preuve. 

Le  plan  est  original   et  ne  pouvait  être  conçu  que  par  des  hommes 
du  métier.  Après  une  introduction,  deux  parties  :  i"  Christianisme  et 
-Eglise  dans  l'Empire  romain  jusqu'à  la  fin  du  m''  siècle,  par  M.  Preus- 
chen ;  2''  L'Eglise  d'Empire  fde  la  fin  du  iii'^  siècle  au  commencement 
du  vii''j,par  M.  Kriiger.  La  première  partie  a  trois  sections  :  1°  L'Em- 
pire romain     et    ses     religions    (la  civilisation    de    l'hellénisme,    le 
judaïsme,  Jésus  et  le  christianisme  primitif)  ;  2''  L'origine  de  l'Eglise 
le  christianisme  dans    les    communautés  :  documents,    situation  et 
extension,   foi  et   mœurs,  constitution,  culte,  rapports  avec  l'Etat  et 
avec  le  monde,  littérature  de  polémique;  le   christianisme  hors  des 
communautés;     judéo-christianisme,    gnose,    montanisme;    l'Eglise 
catholique  :  les  «  normes  »  et  leur  exposé,  les  débuts  de  la  primauté 
romaine)  ;  3"  le  catholicisme  primitif  (l'Eglise  et  le  monde,  la  vie  inté- 
rieure). La  deuxième  partie    se  subdivise   d'après  les  deux  phases  de 
l'histoire  de  l'Eglise  d'Empire  :  Apogée  (Empire  et  Eglise,  constitu- 
tion de  l'Eglise,   maîtres    et  enseignement,  vie  ecclésiastique,  expan- 
sion hors  du  domaine  gréco-romain);  Décadence,  en  Orient  (Byzance, 
l'Eglise  byzantine,  les  luttes  dogmatiques,  les    Eglises  séparées),  en 
Occident  (la  papauté  et  la  séparation  de  Byzance,  la  vie  ecclésiastique. 
Eglise  et  Etat  dans  les  monarchies  ariennes,  l'Eglise  franque,  l'Eglise 
dans  les  îles  britanniques).  Si  l'on  compare  ce  plan,  si  clair  et  si  com- 
préhensible, à  celui  d'autres  livres,  on  verra  déjà  qu'il  réalise  un  pro- 
grès. Les  grandes  divisions  s'imposaient  ;  mais  dans  les  subdivisions 
et  dans  la  distribution  de  la  matière  se  révèle  surtout  sa  supériorité. 


1  ?0  REVUE    CRITIQUE 

Chaque  paragraphe  comprend   trois  parties  :  d'abord  la  bibliogra- 
phie générale  du  sujet;  puis,  un  exposé,  assez  court,  en  gros   texte; 
enlin,  tout  le  détail,  en  petit  texte,  avec  des  subdivisions  numérotées. 
Les   chitlVes  se  retrouvent   dans  le  résumé  qui  fait  la  seconde  partie. 
Ce  détail    est   admirable  de  sobriété,  de    précision   et   de  plénitude. 
Chaque  numéro  est  suivi  de  sa  bibliographie  particulière.  Prenons  au 
hasard  le  i;  m»,  Happons  de  l'iîglisc  avec  l'Etat  romain  païen  et  avec 
la  société  contemporaine.  Après    la   bibliographie  et  le  résumé,  nous 
trouvons  en  petits  caractères  les  points  suivants,  chacun  suivi  de   sa 
bibliographie  :  i"  situation  sociale    notamment  accusations  contre  les 
chréiicnsi  ;  2"  situation  légale  des  chrétiens  i  fondement  juridique  des 
persécutions),  3°  Néron,   4"  Domiiien,  3°   Trajan,  6°  Hadrien,  7"  les 
Antonins,  8°  Actes  des  martyrs,  9°  Commode. 

La  bibliographie  est  tout  à  fait  complète.  Une  lacune  sensible  était 
jusqu'ici  le  manque  d'une  bibliographie  de    l'histoire   ecclésiastique. 
Le  manuel  de  M.  Krùger  comble  cette  lacune.  M.  K.  est  un  des  rares 
savants  allemands  qui  est  au  courant  de  tout  ce  qui  paraît  hors  d'Alle- 
magne. Travaux  français,  anglais,  hollandais  ont  ici  leur  place,  aussi 
bien  que  les  allemands.  On  verra  dans  ce  volume  paru  en  191 1  l'in- 
dication d'articles  français  publiés  la  même  année.  Peut-être  de  temps 
en  temps,  y   a-t-il   excès.    Etait-il    utile   de    citer    les    fantaisies  d'un 
Hochart  (p.  64)?  Les  références  sont  très  exactes  et  les  litres  français 
correctement  reproduits.    J'y  ai    prêté    une    attention  particulière  et 
voici  tout  ce  que  j'ai  trouvé  :  l'article  de  M.  Hem  mer  sur  la  Didachè 
a  paru  dans  la  Revue  d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  et  non  pas 
dans  la  Revue  d'histoire   des   religions    (p.    48,*^  5,  i3);le  nom  de 
M.  Vessereau,  auteur  d'une  thèse  sur  Ruiilius  Namatianus,  est  estro- 
pié (p.    145;  §  25,  7). 

Le  livre  est  au  courant,  parfois  presque  trop.  Car  il  accueille  une 
hypothèse  que  le  temps  n'a  pas  laissé  mûrir,  comme  celle  du  jésuite 
Brewer  sur  la  date  de  Commodien  (p.  137). 

L'impression  est  très  nette,  quoique  très  serrée  ;  mais  elle  est  en 
caractères  gothiques,  même  pour  les  citations  latines!  Dans  un  livre 
savant,  ce  retour  à  un  système  fâcheux  est  peu  louable.  L'index  ne 
contient  que  les  noms  de  personnes  ;  cela  n'est  pas  toujours  sufïisant. 
Ces  critiques  ne  sont  pas  bien  graves.  L'ouvrage  est  de  première 
valeur,  et  dans  un  temps  où  nos  universités  s'ouvrent  à  l'histoire 
impartiale  du  christianisme,  il  peut  rendre  en  France  les  plus  grands 
services. 

M.    D. 


Albert  dk  Berzeviczv,  Béatrice  d'Aragon,  reine  de  Hongrie  (1457'1508). 
Tome  11.  Paris,  Champion,  igi2.  2Ç)b  p.  in-i(")  (Tome  IV  de  la  Bibliothèque 
hongroise). 

Avec  ce  volume  là  biographie  de  la  reine  Béatrice  est  terminée.  Le 


d'histoire  et  de  littérature  i?i 

premier  volume  (V.  Revue  critique,  191 1,  n°  46)  a  retracé  son  éduca- 
tion et  les  neuf  premières  années  de  son  mariage  avec  Mathiâs  Coi*- 
vin.  Ce  mariage  étant  resté  sans  enfant,  le  roi  voulut  assurer  le  trône 
à  son  bâtard,  Jean  Corvjn.  C'est  alors  qu'on  vit  les  premiers  symp- 
tômes de  cet  «  antagonisme  latent  »  que  l'auteur  nous  décrit,  d'après 
dés  documents  inédits  et  avec  des  détails  inconnus  jusqu'ici  des  his- 
toriens hongrois.  Mathias,  pour  donner  à  son  fils  un  peu  de  lustre, 
le  fiança  avec  Bianca-Maria,  de  la  maison  des  Sforza,  mais  les  intri- 
gues de  la  reine  firent  échouer  ce  projet.  Le  roi  pensa  alors  à  un  autre 
établissement  pour  son  fils,  mais  la  mort  l'en  empêcha.  Dans  les  cinq 
dernières  années  de  sa  vie,  l'influence  italienne  devint  tout  à  fait  domi- 
nante en  Hongrie.  La  reine,  malgré  l'opposition  momentanée  du 
pape,  put  faire  agréer  son  neveu  Hippolyte  d'Esté  qui  n'avait  que 
sept  ans,  comme  archevêque-primat  de  Strigonie  (Esztergom),  la  plus 
haute  dignité  ecclésiastique  du  royaume.  Avec  Hippolyte  d'Este 
arriva  toute  une  cour  de  lettrés  et  de  courtisans.  L'élément  hongrois, 
mécontent  du  luxe  déployé  par  les  Italiens  à  la  Cour  de  Bude,  s'ir- 
rita encore  davantage  et  toute  sa  haine  s'amassa  contre  la  reine.  Le 
grand  prédicateur  de  l'époque,  Pelbart  de  Temesvdr,  dofit  les  5er- 
mons  étaient  répandus  dans  toute  l'Europe,  tonne  contre  ce  luxe 
effréné,  ces  mœurs  relâchées.  Bonfini,  l'historien  des  Magyars,  qUi 
vint  alors  en  Hongrie,  et  d'autres  humanistes  italiens  voient  les 
choses  différemment.  Bonfini  dit  que  depuis  l'arrivée  de  Béatrice 
«  Mathias  a  introduit  des  éléments  italiens  dans  les  mœurs  scythiquès 
de  son  peuple,  qu'il  a  purgé  la  Hongrie  des  coutumes  rustiques, 
qu'il  s'efforçait  même  d'en  faire  une  seconde  Italie  ».  Naldus  Nal- 
dius  espérait  que  lorsque  Mathias  aurait  un  fils  (de  Béatrice)  il  ferait 
de  son  royaume  une  autre  Italie.  Cœlius  Calcagnini  loue  Béatrice 
d'avoir  «  adouci  les  mœurs  sauvages  d'un  roi  qui  avait  été  élevé 
parmi  des  barbares  ».  Quelques  humanistes  hongrois  exceptés,  la 
grande  majorité  des  seigneurs  ne  pouvait  se  rendre  compte  de  l'action 
bienfaisante  que  la  Culture  de  la  Renaissance  exerçait  sur  leur  pays. 
Ils  ne  voyaient  que  les  intrigues  de  lâ  reine  et  ces  «  barbares  >»  lui 
firent  sentir  qu'à  l'occasion  ils  pouvaient  être  aussi  fihs  et  aussi  rusés 
que  les  Italiens.  Après  la  moft  du  roi  (6  avril  1490),  la  reine  commit 
l'imprudence  de  faire  trop  vite  des  avances  au  prétendant  Wladislas, 
déjà  roi  de  Bohême,  que  les  États  de  Hongrie  voulaient  élire  roi. 
Voyant  que  les  partisans  de  Béatrice  étaient  encore  assez  nombreu'x 
et  qu'ils  pourraient  retarder  l'élection,  les  seigneurs  imaginèrent  Une 
ruse  peu  digne  de  gentilshommes.  Avec  la  connivence  du  pleutre 
Wladislas,  ils  promirent  à  la  reine  de  faciliter  son  mariage,  si  elle 
renonçait  au  trône  en  faveur  de  son  futur  mari.  La  reine  le  promit  et 
la  cérémonie  eut  lieu  dans  une  pièce  retirée  du  château  de  Budê. 
L'évêque  Bakôcz,  celui-là  même  qui  devait  succéder  à  Hippolyte 
d'Esté  comme  archevêque-primat  de  Strigonie  et  devenir  le  concur- 


1  32  RIilVUE    CRITIQUE 

rem  de  Léon  X  au  conclave,  bcnii  le  mariage,  mais  après  la  cérémonie 
W'iadislas  disparut  et  ne  voulut  plus  voir  la  reine.  Un  document  très 
curieux  acquis  tout  récemment  par  le  Musée  national  hongrois, 
raconte  en  détail  ce  mariage.  C'est  un  acte  notarié  que  la  reine  fit 
dresser  deux  ans  après  cette  cérémonie  pour  prouver  à  la  Diète  hon- 
groise que  son  mariage  fut  conclu  selon  les  rites  et  devait  être  consi- 
déré comme  valable.  On  voit  par  ce  document  '  que  Wladislas 
emprunta  même  des  sommes  assez  importantes  à  Béatrice,  sommes 
qu'il  ne  lui  a  jamais  rendues. 

Pendant  tout  le  reste  de  sa  vie,  la  malheureuse  reine  s'efforça  de 
faire  reconnaître  la  validité  de  son  mariage.  Elle  envoie  requête  sur 
requête  à  Rome  et  aux  différentes  cours  italiennes,  le  procès  traîne 
jusqu'en  i  5oi  lorsque  le  pape  Alexandre  VI,  écoutant  les  conseils  de 
la  Cour  de  France  et  ceux  de  Venise,  annula  le  mariage,  ce  qui  per- 
mit au  roi  de  Hongrie  d'épouser  Anne  de  Foix,  nièce  de  Louis  XI  '. 
Béatrice  se  retira  alors  à  Naples  ;  sa  famille  était  en  partie  exilée,  en 
partie  dans  la  misère.  La  France  et  les  Aragon  d'Espagne  avaient 
conquis  Naples  et  les  princesses  vivaient  de  modestes  apanages.  Les 
derniers  efforts  de  la  reine  tendirent  à  obtenir  sa  dot  du  roi  de  Hon- 
grie, mais  ni  elle,  ni  ses  héritiers  n'ont  rien  reçu.  Elle  mourut  en 
I  5o8  et  fut  enterrée  dans  l'Église  de  Saint-Pierre-le-Martyr,  où  l'on 
voit  encore  son  tombeau. 

Toutes  les  péripéties  de  cette  vie  mouvementée  sont  racontées  par 
M.  de  Berzeviczy  d'une  façon  très  attrayante.  Il  nous  a  tracé  un 
tableau  très  vivant  de  la  Renaissance  en  Hongrie,  tableau  dont  chaque 
trait  s'appuie  sur  des  documents  jusqu'ici  inconnus.  Il  serait  à  sou- 
haiter que  son  exemple  fût  suivi  par  d'autres  historiens  hongrois  dont 
les  beaux  travaux  restent  inconnus  à  cause  de  l'ignorance  où  l'on  est 
de  la  langue  magyare. 

I.    KONT. 

Charlotte  E.  Morgan,  The  Rise  of  the  Novel  of  Manners,  A  Study  of  English 
■  Prose  Fiction  between  1600  and   1740,   New-York.  Columbia  University 
Press,  191 1,  in-S",  271  pp.,  i  d.  bo. 

Excellente  étude  sur  les  origines  du  roman  en  Angleterre.  Le  livre 
est  divisé  en  quatre  parties  :  romans  d'aventures  et  romans  pica- 
resques, le  roman  de  1 600  à  1 700,  le  roman  de  i  700  à  1 740,  le  roman 
populaire  :  Bimyan  et  Defoe.  Pendant  tout  le  xvii^  siècle,  l'Angleterre 
subit  l'influence  continentale  pour  s'en  émanciper  dans  la  première 
moitié  du  xviir.  De  1700  à  1740,  tout  annonce  Richardson  :  on 
trouve  de  nombreux  romans  écrits  sous  forme  de  lettres,  traitant  un 

1.  M.  Berzeviczy  en  a  donné  l'analyse  et  le  commentaire  dans  la  Budapesti 
S^emle,   1912,  févr. 

2.  Le  récit  du  voyage  de  la  princesse  française  et  de  sa  réception  à  Bude  nous 
est  conservé  dans  un  manuscrit  de  la  Bibl.  nat.  fonds  français  90,  et  fut  publie 
par  Le  Roux  de  Lincy  dans  la  Bibl.  de  FÉcolc  des  Chartes,  t.  XXII  (1861). 


d'histoire  et  de  littérature  i33 

thème  que  Paméla  rendra  célcbre,  rinnoccncc  et  la  vertu  aux  prises 
avec  le  vice  élégant.  A  la  thèse  proprement  dite  développée  en  une 
centaine  de  pages  succèdent  des  appendices  précieux,  c'est  une  ana- 
lyse de  la  Parthenissa  de  Roger  Boyle,  une  bibliographie  chronolo- 
gique des  romans  et  collections  de  romans  parus  de  i(3oo  à  1740,  une 
liste  des  réimpressions.  —  J'ajoute  quelques  remarques  que  M""  Ch.- 
E.  M.  pardonnera  :  p.  48  et  ailleurs,  l'auteur  écrit  tantôt  Portugese 
et  tantôt  Portugtiese;  p.  j3  n.,  lisez  :  Si  je  lui  faisois...;  p.  86,  corri- 
gez :  lÔyS;  p.  149,  Le  Socialisme;  p.  i5i,  mariage;  p.  201,  deux 
brochures  parues  en  1689  :  Amours  of  Messalina  et  Love  Letters 
between  Polydorus  and  Messalina  sont  à  peine  des  contes,  mais  de 
véritables  pamphlets  politiques;  p.  23o,  lisez  :  V Entretien  et  p.  232  : 
Le  paysan  jjaryenw.  — Sans  rien  apporter  de  vraiment  nouveau  sur 
un  sujet  déjà  souvent  traité,  l'auteur  a  su  faire  œuvre  utile  à  force  de 

conscience  et  de  précision. 

Ch.  Bastide. 


Henry  Marion  Hall,  Idylls  of  Fishermên,  a  History  of  the  Literary  Species, 

New-York,  Columbia  University  Press,  1912,  in-i6,  216  pp.,  i  d.  3o. 

A  côté  des  bergers,  le  poète  bucolique  place  quelquefois  des 
pêcheurs.  On  se  rappelle  la  vingt-unième  idylle  de  Théocrite  où  la 
condition  du  travailleur  de  la  mer  est  décrite  de  façon  à  en  faire  sen- 
tir la  tristesse  et  le  cHarme.  Partant  de  Théocrite,  M.  H.  M.  Hall  a  eu 
l'idée  d'étudier  ce  thème  littéraire  à  travers  les  siècles.  Traité  assez 
souvent  dans  l'antiquité,  il  fut  repris  à  la  Renaissance  par  Sannazar. 
Imité  en  Espagne  et  en  France,  Sannazar  finit  par  trouver  des  conti- 
nuateurs en  Angleterre  :  c'est  Spenser,  c'est  Fletcher,  c'est  Donne, 
c'est  Drayton.  Shakespeare  et  Milton,  génies  universels,  n'ont  pas 
omis  de  parler  de  la  mer  et  des  pêcheurs.  Ni  dans  Pericles,  ni  dans  le 
Paradis  reconquis  on  ne  trouvera  cependant  de  trace  d'influence  ita- 
lienne. L'auteur  passe  ensuite  rapidement  sur  lexviii<=  siècle  et  signale 
au  xix*"  V Antiquaire  de  Sir  Walter  Scott  et  Gra\iella  de  Lamartine. 
—  P.  43,  je  ne  sais  pourquoi  M.  H.  M.  H.  s'obstine  à  traduire  Mosella 
par  Meuse;  p.  93',  corrigez  :  Hardy,  la  Pastorale;  pp.  94  et  95,  les 
noms  de  Delille  et  de  Brizeux  n'ont  pas  trouvé  grâce  devant  les  impri- 
meurs américains;  p.  195,  lisez  :  iS'id  et  non  / 6"/ 6';  l'erreur  est  répé- 
tée, p.  210;  p.  202,  lisez  :  Lemerre  et  plus  loin  :  quelques  autres; 
p.  2o3,  corrigez  encore  ;  Brizeux;  p.  210,  l'éditeur  de  Saint-Amant 
est  Livet. 

Ch,  Bastide. 


Theodor  Schrœder,  Die  dramatischen  Bearbeitungen  der  don  Juan-Sage  in 

Spaniei),  Italien  und   Frankreich  bis  auf   Molière    einschliessiicii.  Halle    a.  S., 
Niemeycr,  1912,  in-S»,  p.  225.  Mk.  8. 

Le  sujet  de  M.  Schrœder  a  été  déjà  traité,  et  avec  une  grande  abon- 


1^4  REVUK    CRITIQUE 

dancc  d'information,  par  M.  Gendarme  de  Bévotte  en  1906.  Si  M.  Sch. 
a  cru  devoir  le  reprendre  après  lui,  c'est  que,  tout  en  rendant  le  plus 
i^rand  hommage  à  la  science  de  son  prédécesseur,  il  diffère  sur  plu- 
sieurs points  de  ses  conclusions  ;  ce  sont  ces  divergences  que  je  vou- 
drais ici  surtout  signaler.  Le  travail  de  M.  Sch.  est  très  méthodi- 
quement divisé  :  il  passe  successivement  en  revue  les  œuvres  drama- 
tiques suscitées  par  la  légende  de  don  Juan  en  Espagne,  en  Italie,  en 
France,  en  s'arrctant  après  Molière.  Chacune  de  ces  trois  parties  est 
consacrée  aux  éditions  des  pièces,  à  leur  analyse  détaillée,  aux  auteurs 
et  enfin  aux  sources.  Des  problèmes  souvent  compliqués  se  posent 
fréquemment  au  cours  de  son  enquête.  Dès  le  début  il  s'est  demandé 
à  qui  appartient  le  Burlador.  La  critique  l'a  jusqu'ici  attribué  à 
Tirso,  quoique  avec  des  hésitations;  M.  Sch.  penche  pour  Calderon, 
et  s'il  n'apporte  pas  de  preuves  décisives,  il  a  rendu  moins  probable 
encore  la  paternité  de  Tirso.  Dans  les  chapitres  des  sources,  les  plus 
importants  du  livre,  il  s'est  appliqué  avec  le  plus  grand  soin  à  démê- 
ler ces  fils  embrouillés.  Je  passe  sur  la  série  des  origines  reconnues 
au  don  Juan  espagnol.  Une  des  principales  nouveautés  de  la  démons- 
tration de  M.  Sch.  est  qu'il  revendique  la  pièce  italienne  de  VAteista 
fitlminato  comme  une  des  sources  du  Burlador  \  il  lui  serait  anté- 
rieur et  serait  né  entre  1600  et  1620  d'une  importation  de  la  légende 
espagnole  en  Italie.  Cette  question  de  priorité  est  capitale  dans  la  dis- 
cussion des  autres  problèmes  qui  se  posent  dans  la  suite  pour  établir 
les  relations  des  diverses  versions  dramatiques  de  la  légende. 

Dans  la  seconde  partie  il  est  question  dé  l'Italie.  M.  Sch.  adopte 
aussi  une  date  différente  pour  Cicognini;  il  le  fait  mourir  en  i65o,  au 
lieu  de  1660,  ce  qui  permet  de  reculer  la  date  de  sa  propre  adapta- 
tion. Il  insiste  sur  l'étroite  dépendance  où  se  trouve  Cicognini  à 
l'égard  du  Burlador,  ou  de  sa  forme  plus  ancienne  le  Tan  largo  me 
lo  fiâiSy  ou  encore  de  VAteista,  et  restreint  ainsi  plus  encore  que 
M.  de  Bévotte  sa  part  d'originalité.  Pour  le  scénario  de  la  comédie 
italienne  qui  nous  a  été  conservé,  il  adopte  à  quelques  détails  près 
les  conclusions  de  son  prédécesseur. 

Les  versions  françaises  de  la  légende  avant  Molière  sont  représen- 
tées par  la  pièce  de  Dorimon  et  celle  de  Villiers  portant  le  même  titré 
de  Festin  de  Pierre.  Pour  M.  Sch.  celui  de  Villiers  est  une  traduction 
libre  de  la  pièce  perdue  de  Giliberto,  tandis  que  Dôrimon  s'est  ins- 
piré aussi  du  Burlador  et  de  la  commëdia  delV  arte.  M.  Sch.  a  étudié 
à  cette  place  les  rapports  du  Convitato  de  Giliberto  avec  les  formes 
italiennes  ou  espagnoles  de  la  légende.  Le  dernier  chapitre  de  l'étude 
est  consacré  au  don  Juan  de  Molière.  L'auteur  établit  de  plus  grandes 
concordances  avec  Dorimon  qu'avec  de  Villiers.;  Molière  a  encore 
utilisé  le  scénario  des  comédiens  italiens.  Mais  a-t-il  connu  aussi  le 
Burlador  ?  M.  Sch.  le  pense  et  il  a  réuni  des  arguments  en  faveur  de 
la  possibilité  d'une  représentation  de  la  pièce  par  les  comédiens  espa- 


d'histoire  et  de  littérature  i35 

gnols  venus  en  France  en    1660.  Au  contraire,  Molière  n'aurait  pas 
connu  la  pièce  de  Cicognini,  mais  il  a  pu  s'inspirer  de  VAteista. 

Toute  cette  longue  discussion  sur  les  origines  et  les  transforma- 
tions du  thème  de  don  Juan  est  sans  doute  épineuse;  l'enchevêtre- 
ment des  sources  est  si  complexe  qu'il  peut  prêter  à  dçs  conjectures 
fragiles.  On  trouvera  du  moins  chex  M.  Sch,,  même  si  on  ne  devait 
pas  adopter  toutes  ses  conclusions,  un  exposé  très  complet  de  toutes 
les  données  du   problème  avec  les  différentes  interprétations  qu'il  a 

reçues. 

L.  R. 

Frédéric  Lachèvrr,  Une  seconde  révision  des  Œuvres  du  poète  Théophile 
de  Viau,  publiée  en  i633  par  Esprit  Aubert,  chanoine  d'Avignon.  Paris,  Cham- 
pion, 191 1.  In-8',  p,  147. 

—  Une  première  attaque  inconnue  de  Claude  Garnier,  le  dernier  tenant  de 
Ronsard,  contre  Théophile  de  Viau.   Paris,  Leclerc,  191  i,  in-8',  p.  2g. 

I.  M.  F.  Lachèvre,  qui  nous  a  si  abondamment  renseignés  sur  le 
procès  de  Théophile,  vient  de  nous  apporter  un  curieux  document  sur 
la  popularité  du  poète  dont  les  œuvres  ont  eu  au  xvir  siècle  au 
moins  88  éditions  contre  16  qu'on  relève  pour  Malherbe.  Cette 
preuve  nouvelle  et  assez  inattendue  est  tirée  d'une  publication  que 
fit  en  i633  un  chanoine  d'Avignon,  Esprit  Aubert.  A  l'exemple  de 
l'évêque  de  Belley,  Pierre  Camus,  qui  avait  introduit  dans  son  Alexis, 
en  les  remaniant  dans  un  sens  édifiant,  de  nombreux  passages  de 
Théophile,  Aubert,  qui  s'était  abrité  derrière  toute  sorte  de  privilèges 
et  de  recommandations,  fit  paraître  les  œuvres  du  poète  libertin, 
diversement  groupées  et  modifiées  non  sans  beaucoup  de  candeur  et 
de  gaucherie.  C'est  cette  édition  d'un  auteur  condamné  pour  impiété, 
entreprise  par  un  homme  d'église  pour  la  plus  grande  gloire  de  la 
religion  que  M.  L.  a  soumise  au  plus  scrupuleux  examen.  Il  a  com- 
mencé par  nous  renseigner  sur  l'éditeur  et  établir  sur  quelles  éditions 
le  chanoine  avignonnais  avait  travaillé;  ce  sont  celles  de  1621  et  de 
1623.  Puis  il  a  relevé  tous  les  passages  et  toutes  les  expressions  modi- 
fiés par  le  nouvel  éditeur,  signalé  les  morceaux  non  corrigés  et  qui 
furent  incriminés  au  procès,  noté  enfin  tous  les  fragments  ou  les 
pièces  entières  supprimés  par  Aubert,  ainsi  que  tout  ce  qui  se  trouve 
de  nouveau  dans  son  édition  et  qui  manque  dans  l'édition  Alleaume 
de  i855  ;  parmi  ces  inédits  tout  n'est  pas  d'ailleurs  de  Théophile  et 
M.  L.  a  restitué  ces  morceaux  à  leurs  auteurs  respectifs,  de  même 
qu'il  a  ajouté  dans  un  supplément  les  pièces  ignorées  d'Aubert  et 
d'Alleaume.  Cette  publication  d'une  édition  fort  rare  (on  n'en  con- 
naît que  trois  exemplaires)  faite  avec  tout  le  soin  dont  M.  L  est  cou- 
tumier,  sera  une  précieuse  contribution  à  notre  connaissance  de  Théo- 
phile et  à  l'histoire  du  libertinage  au  xvii'=  siècle. 

II.  Parmi  les  adversaires  de  Théophile  M.  L.  avait  été  amené  dans 


l36  REVUE    CRITIQUE 

son  expose  du  procès  à  s'occuper  de  Claude  Garnier,  l'admirateur  et 
l'éditeur  de  Ronsard  que  le  pocte  liberiin  n'avait  guère  ménagé.  Il 
n'avait  rencontre  qu'une  riposte  de  Garnier  contre  le  prisonnier  de  la 
Conciergerie  à  la  date  de  mars  1624.  Mais  un  autre  factum  s'est 
retrouvé,  plus  ancien,  de  juillet  1623  :  c'est  le  Satj'rique  français  \  une 
erreur  d'attribution  et  de  date  dans  le  Dictionnaire  de  Barbier  avait 
empêché  M.  L.  de  le  remarquer  plus  tôt  et  de  l'insérer  à  sa  place  dans 
sa  vaste  enquête.  Il  nous  en  donne  aujourd'hui  de  copieux  extraits  et 
cite  en  entier  les  deux  pièces  dirigées  contre  Théophile.  Cette  petite 
communication  complétera  heureusement  le  chapitre  consacré  dans 
le  second  volume  du  Procès  aux  rapports  de  Théophile  avec  Claude 

Garnier. 

L.  R. 

Gaston  May.  La  lutte  pour  le  français  en  Lorraine  avant  1870,  Paris  et 
Nancy,  Berger  Levrault,  191  2.  In-S»,  214  pages  avec  une  carte  (forme  le  fasci- 
cule i",  26"  année  des  Annales  deVEst). 

Une  partie  du  duché  de  Lorraine  qui  fut  cédé  en  ijSj  à  Stanislas 
Leszczinski  et  réuni  à  la  France  en  1766,  était  connue  sous  le  nom 
de  Lorraine  allemande,  parce  que  les  habitants  parlaient  exclusi- 
vement un  dialecte  germanique,  intermédiaire  entre  celui  d'Alsace 
et  celui  de  Luxembourg.  Quelles  mesures  prit  le  gouvernement  fran- 
çais de  1737  à  1870  pour  répandre  dans  ce  pays  la  connaissance  de  la 
langue  française?  C'est  ce  que  M.  May  nous  expose.  L'ancien 
Régime  ne  fit  rien  ;  il  ne  s'occupait  pas  des  écoles  et  l'édit  de  Stanis- 
las, du  27  septembre  1748,  ordonnant  de  rédiger  les  actes  et  contrats 
en  langue  française,  devint  bientôt  lettre  morte.  La  Convention,  à  la 
suite  de  la  mission  de  Le  Bas  et  Saint-Just  dans  l'Est,  décida  qu'un 
instituteur  de  langue  française  serait  établi  dans  chaque  commune 
allemande  ;  mais  ce  ne  fut  qu'une  manifestation  de  parade,  et  le 
décret  ne  fut  jamais  exécuté.  Avant  de  se  séparer,  la  Convention  vota 
la  loi  du  25  octobre  1795,  établissant  dans  chaque  canton  une  ou 
plusieurs  écoles  primaires  ',  mais  elle  laissa  aux  administrateurs 
départementaux  le  soin  d'en  déterminer  les  circonscriptions  et  de  faire 
les  règlements  intérieurs.  Ces  écoles  fonctionnèrent  mal;  les  admi- 
nistrateurs de  la  Meurthe  et  de  la  Moselle  ne  trouvèrent  pas  pour  la 
Lorraine  allemande  d'instituteurs  capables  d'enseigner  le  français.  Mais 
du  moins  au  xix''  siècle  des  efforts  sérieux  furent  faits  pour  propager  la 
connaissance  de  notre  langue.  Les  préfets  et  sous-préfets,  sous  les  di- 
vers régimes  qui  se  sont  succédé,  ont  montré  la  nécessité  de  substituer 
le  français  au  patois  germanique  à  l'école  et  comme  langue  courante, 
et  fort  remarquables  sont  les  rapports  que  présenta  à  ce  sujet  le  sous- 
préfet  de  Sarrebourg  Chambeauen  1 853  et  1854.  Les  conseils  généraux 

1.  Les  écoles  de  Saint-Just  devaient  se  juxtaposer  aux  écoles  allemandes   sub- 
sistantes :  les  écoles  primaires  organisées  à  la  fin  de  1795  se  substituaient  à  elles. 


d'histoire  et  de  littérature  i37 

et  les  conseils  d'arrondissement  ont  exprimé  de  nombreux  vœux  en 
faveur  de  l'enseignement  du  français;  mais  ces  vœux  sont  demeurés 
trop  souvent  platoniques.  L'administration  universitaire  a  toujours 
déployé  un  zèle  très  grand,  surtout  à  partir  de  iHbo,  et  il  faut  rendre 
Justice  à  certains  fonctionnaires  modestes  qui  ont  lutté  avec  énergie- 
pour  le  français,  ainsi  Creutzer,  inspecteur  primaire  à  Sarrebourg 
de  1857  a  i8b6,  Maggiolo,  inspecteur  d'Académie  à  Nancy  de  1866 
à  1869,  puis  recteur  de  Nancy,  Hanriot,  inspecteur  d'Académie  à 
Metz  de  i863  à  1870.  Peut-être  eussions-nous  préféré  à  cette  divisiori 
par  administration  ou  par  corps  que  suit  M.  May  des  divisions  chro- 
nologiques, nous  permettant  de  mesurer  les  progrès  faits  sous  chaque 
régime,  premier  Empire,  Restauration,  Gouvernement  de  juillet, 
second  Empire.  En  tout  cas,  contrairement  à  ce  que  l'on  dit  en  géné- 
rai, le  gouvernement  français  n'a  pas  montré,  au  xix"  siècle,  une  indif- 
férence coupable  ;  il  a  cherché  à  propager  en  Lorraine  allemande 
comme  en  Alsace  la  langue  française.  Mais  il  s'est  heurté  des  deux 
côtés  des  Vosges  à  l'opposition  du  clergé  des  campagnes,  chez  les 
protestants  comme  chez  les  catholiques.  L'allemand  était  la  langue 
du  catéchisme  et  du  prêche  ;  le  français  celle  d'écrits  contraires  à  la 
religion  et  corrupteurs;  les  curés  et,  en  certains  endroits,  les  pasteurs 
ont  lutté  pour  le  maintien  de  la  première,  combattu  la  propagation 
de  la  seconde.  Pourtant,  en  1870,  des  résultats  très  satisfaisants 
avaient  été  atteints  dans  la  Meurthe,  grâce  au  concours  apporté  à 
l'administration  académique  par  des  évéques  intelligents  de  Nancy, 
Mgr.  Darboy  et  Mgr.  Lavigerie.  La  plupart  des  garçons  de  l'école 
comprennent  et  parlent  le  français;  les  filles  elles-mêmes,  dont 
l'instruction  a  été  livrée  trop  longtemps  aux  sœurs  de  Saint-Jean-de- 
Bassel,  se  piquent  d'honneur  à  imiter  les  garçons;  les  élèves  de  l'école 
parlent  entre  eux  français  dans  la  rue.  M.  May  a  pu  intituler  un  de 
ses  chapitres  :  le  triomphe  du  français  dans  la  Meurthe;  et  si  un 
historien  faisait  une  pareille  enquête  sur  l'Alsace,  il  constaterait 
les  mêmes  progrès.  Le  signataire  de  ces  lignes  a  appris  à  l'école 
primaire  du  village  des  notions  de  français  assez  poussées  et  a  été 
condamné  parfois  à  payer  une  amende  de  cinq  centimes,  quand 
il  était  surpris  dans  la  rue  parlant  patois  allemand  avec  un  petit 
camarade.  Au  département  de  la  Meunhe  M.  May  oppose  le  départe- 
ment de  la  Moselle  où,  au  contraire,  le  français  aurait  «  échoué  », 
Mgr  Dupont  des  Loges,  évêque  de  Metz  depuis  1843,  ne  seconde 
point  l'autorité  académique;  il  laisse  ses  vicaires  généraux  protester 
contre  la  prééminence  attribuée  au  français  dans  les  écoles  des  pays 
allemands  ;  en  avril  1869,  les  habitants  du  département  envoient  une 
pétition  à  l'Empereur  en  faveur  de  la  langue  allemande,  tout  en 
protestant  de  leur  loyalisme  ;  ils  terminent  par  ces  mots  :  «  Jamais, 
non  jamais  la  Prusse  ne  régnera  sur  les  provinces  allemandes  (.sic)  du 
nord-Est  de  la  France   ».   Le  gouvernement   recula  et  rapporta   en 


1?8  REVUE    CRITIQUE 

juillet   i86u  le  programme  en  taveur  du  Iranv'ais  que  le  conseil  dépar- 
temental de  la  Moselle  avait  élaboré  le  29  mars  i865  '. 

Tout  ces  faits  n'avaient  été  exposés  jusqu'à  présent  dans  aucun 
ouvrage,  même  dans  les  écrits  d'histoire  locale  :  M.  Gaston  May  a  tiré 
toute  la  matière  de  son  livre  de  documents  d'archives  inédits  :  quel- 
ques rapports  imprimés  des  inspecteurs  n'avaient,  croyons-nous  bien, 
jamais  été  consultés  avant  lui.  Pourtant  combien  ce  sujet  est  attachant 
et  quelles  rcHcxions  il  t'ait  naître!  Et  M.  May  l'a  traité  de  la  façon  la 
plus  attachante. 

Ch.  Pfister. 


Edgard  J.  Goobspeed,  Index  apologeticas  siue   clauis    lustini  martyris  ope- 
rum  allorumque  apologetarum  pristinorum.  Leipzig,  Hinrichs,  1912.  7  mark. 

M.  Edgard  .1.  Goodspeed,  à  qui  l'on  doit  déjà  un  Index  patristieus, 
aine  clauis  patriim  apostolicorum  operum  (Lips.  1907)  a  fait  entrer 
dans  cet  Index  apologeticus  tous  les  mots  employés  par  saint  Justin, 
Quadratus,  Aristide,  Tatien,  Méliton,  Athenagoras,  d'après  les  meil- 
leures éditions,  et  en  indiquant,  à  l'occasion,  les  leçons  des  princi- 
paux mss.  Grâce  aux  lexiques  de  Preuschen,  de  Cremer,  de  Zorell, 
grâce  aussi  aux  diligents  travaux  de  M.  J.  Goodspeed,  le  vocabulaire 
des  écrivains  ecclésiastiques  grecs  des  deux  premiers  siècles  est  désor- 
mais aisé  à  connaître.  On  remarquera  toutefois  que  le  classement  de 
M,  G.  est  purement  grammatical  :  il  classe  les  formes,  non  pas  les 
acceptions.  C'est  un  gros  effort  qu'il  s'est  épargné.  Soyons  lui  du 
moins  reconnaissants  de  celui  qu'il  a  réalisé  :  le  bienfait  en  est  indis- 
cutable. 

P.    DE  L. 


M.  Andor  Adorjan  vient  4e  réunir  sous  le  titre  :  Destinées  et  Carrières  [Sorsok 
es  pâlydk.  Budapest,  Franklin,  1912,  189  p.  in-i6),  une  vingtaine  d'études  litté- 
raires qui  se  rapportent  presque  toutes  à  l'histoire,  à  la  vie  sociale  ou  littéraire 
de  la  France.  Écrites  à  propos  de  récentes  publications,  ces  études  témoignent 
d'une  grande  sympathie  pour  les  hommes  et  les  choses  de  notre  pays.  Nous  y 
trouvons  des  portraits   intéressants  de  Zola,  du  jeune  Renan,  du  peintre  Cézanne, 

I.  M,  May  imprime  p.  igS  «  29  mars  i865  »,  p.  2o3  «  19  mars  ».  —  Nous  avons 
le  soupçon  que  M.  May  a  un  peu  exagéré  la  différence  entre  les  deux  départements 
de  laMeurthe  et  de  la  Moselle.  M.  Maggiolo  dont  les  rapports  lui  ont  servi  pour  la 
Meurthe  était  de  nature  très  enthousiaste,  très  optimiste,  et  c'est  un  facteur  dont 
il  faut  tenir  compte;  n'a-t-il  pas  vanté  dans  ses  écrits  l'excellence  des  écoles  lor- 
raines sous  l'ancien  Régime  ?  Hanriot,  dans  la  Moselle,  était,  ce  semble,  plus  froid, 
plus  pondéré,  voyait  mieux  les  difficultés  réelles.  En  tout  cas,  combien  il  est 
regrettable  que,  par  suite  de  l'organisation  administrative  de  la  France,  l'on  n'ait 
point  groupé  toutes  les  écoles  de  la  Lorraine  dite  allemande,  qu'on  n'y  ait  point 
pl^cé  des  inspecteurs  primaires  comme  Creutzer,  sachant  bien  le  français  et 
connaissant  la  langue  locale,  et  qu'on  n'ait  point  engagé  la  lutte  pour  le  français 
par  des  mesures  identiques  ! 


d'histoire  et  de  littérature  i3g 

de  Scarron,  du  Marquis  de  Sade,  de  M'i"  George,  d'Alfred  de  Musset,  de  George 
Sand,  de  maître  Laukhard  qui  a  combattu  en  1792  dans  Farmée  de  Brunswick), 
de  Lamarck,  d'Henriette  Stieglitz  (d'après  l'ouvrage  d'Ernest  Seillière),  puis  des 
pages  sur  les  causes  de  la  mort  de  Rousseau,  sur  le  comte  d'Orsay,  des  notes  sur 
Balzac,  sur  M"">Firmiani,  sur  \'erlaine  et  sur  Catulle  Mendès.  On  voit  que  M.  Ador- 
jân  suit  attentivement  le  mouvement  littéraire  en  France  et  qu'il  est  très  habile  à 
présenter  au  grand  public  la  quintessence  des  recherches  françaises.  —  I.  K. 

—  M.  Louis  Karl  a  réuni  également  ses  Etudes  sur  la  littérature  française 
{Fraucia  irodalmi  tanulmdnyok.  Budapest,  Benkô,  s.  d.  [1912],  95  p.  in-S»),  mais 
ce  sont  des  essais  qui  intéresseront  plutôt  ceux  qui  s'occupent  du  moyen  âge  et 
du  folklore.  Ces  études  ne  brillent  pas  par  le  charme  du  style  comme  celles  de 
M.  Adorjân.  Les  recherches  de  M.  Bédier  ont  inspiré  les  pages  sur  les  «  Routes 
des  pèlerins  et  les  légendes  »  avec  le  sous-titre  :  «  Le  manuscrit  du  Pseudo- 
Calixte  »  et  une  remarque  malveillante  à  l'adresse  de  Gaston  Paris;  «  Ipomedon  » 
et  «  Un  épisode  de  la  légende  de  Marie-Madeleine  »  rentrent  dans  le  domaine  du 
folklore  ;  «  la  figuration  de  sainte  Elisabeth  dans  quelques  manuscrits  du  British 
Muséum  »,  «  Jeanne  d'Arc  et  la  poésie  »  (à  propos  de  l'ouvrage  de  M.  Hanotaux, 
dont  M.  Karl,  en  bibliographe  consciencieux,  nous  donne  l'année  de  naissance), 
une  étude  d'ensemble  sur  Rabelais,  sont  les  principaux  essais,  bourrés  de  notes, 
de  cette  brochure  dans  laquelle  nous  trouvons  encore  trois  notices  sur  Helvétius, 
Holbach  et  Auguste  Comte  destinées  probablement  à  l'Encyclopédie  philosophique 
que  l'on  prépare  en  ce  moment  en  Hongrie.  —  I.  K. 

—  La  Bibliothèque  hongroise  vient  de  s'enrichir  de  deux  nouveaux  volumes.  Le 
tome  VI  nous  donne  la  traduction  d'un  roman  de  Géza  Gardonyi  :  La  troisième 
puissance  (Paris,  Champion,  1912,  xiv-143  p.  in- 16).  On  n'a  traduit  jusqu'ici  que 
quelques  nouvelles  de  cet  écrivain,  considéré  comme  un  des  chefs  de  la  Jeune 
Hongrie.  Le  public  français  pourra  maintenant  juger  le  romancier  qui  nous  expose 
ici  ua  cas  de  conscience  très  intéressant.  L'Introduction  donne  un  aperçu  des  œu- 
vres du  fécond  écrivain  qui  a  remporté  aussi  des  succès  au  théâtre.  Le  tome  VH 
nous  apporte  une  pièce  de  François  Herczeg  :  By.:^ance  (ibid.,  xxi-143  p.;  que  la 
critique  hongroise  considère  comme  un  des  chefs-d'œuvre  du  théâtre.  L'auteur 
nous  y  montre  la  Cour  de  Byzance  à  la  veille  de  la  prise  de  la  ville  par  les  Turcs 
en  1453.  C'est  un  tableau  puissant  de  la  décadence  byzantine.  Cette  traduction 
est  également  précédée  d'une  notice  sur  les  autres  pièces  et  romans  de  M.  Herczeg. 
-LK. 

—  M.  F.  Albin  Gombos  établit  dans  une  dissertation  très  savante  {Es^revételek, 
etc.  Budapest.  Athenaeum,  191 1,  34  p.  in-S"),  la  frontière  orientale  de  la  province 
d'Autriche  —  Ostarrichi  —  telle  quelle  existait  en  976.  Cette  province  était  alors 
une  dépendance  de  la  Bavière;  Othon  II  l'avait  donnée,  en  976,  à  Léopold  I  de  la 
maison  des  Babenberg.  Puis,  M.  Gombos  discute,  à  l'aide  de  tous  les  documents 
publiés  jusqu'aujourd'hui,  les  causes  du  conflit  entre  le  royaume  de  Hongrie  et 
son  voisin  allemand,  en  io3o,  et  qui  a  fini  par  la  défaite  des  Germains.  Finale- 
ment, il  tente  une  réhabilitation  du  roi  Pierre,  dit  le  Vénitien,  successeur  de  saint 
Etienne.  Cette  partie  de  son  étude  ayant  paru  également  en  allemand  dans  la 
Ungarische  Rundschau  (1912,  fasc.  2),  il  suffira  de  renvoyer  les  historiens  à  cette 
revue.  —  I.  K. 

—  La  réforme  électorale  occupe  beaucoup,  en  ce  moment,  les  esprits  en  Hon- 


140  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

gric.  Une  grande  quantité  de  brochures  et  d'études  a  paru  ces  dernières  années  sur 
cette  question.  M.  tmeric  Barcza  qui,  depuis  quelques  années,  fait  la  bibliogra- 
phie des  grands  problèmes  sociaux  —  cniigration,  banques  et  douanes  —  a  con- 
sacre une  brochure  à  la  Bibliographie  du  droit  de  suffrage  en  Hongrie  {Biblio- 
graphia  juris  electionis  Itungaricae .  Budapest,  Franklin,  191 2,  5i  p.  in-8").  Les 
48  premières  pages  donnent  un  résume  très  exact  des  principales  études  parues 
dans  les  dix  dernières  années;  les  brochures  et  les  articles  publiés  en  français,  en 
allemand  et  en  anglais  sont  simplement  énumérés. 

—  M.  R.  \'ari  vient  de  publier  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  hongroise  le 
2«  fascicule  de  ses  Etudes  sur  les  Halieutiques  d'Oppien  (Budapest,  1912,70  p., 
in-8°).  Après  avoir  donné  la  description  de  tous  les  manuscrits  et  son  opinion  sur 
les  différentes  éditions  et  traductions,  il  aborde  dans  ce  fascicule  la  question  de 
l'établissement  du  texte  et  donne  d'abord  (p.  4-3o~,  les  gloses  du  Vindobonensis 
philol.  Gr.  i33et  traite,  ensuite,  des  gloses  qui  se  sont  glissées  dans  le  texte  même 
des  Halieutiques.  Cette  seconde  partie  s'étend  à  tous  les  manuscrits  d'Oppien  et 
propose  plusieurs  corrections  à  ce  texte  si  difficile.  —   I.  K. 


Académie  dhs  Inscriptions  kt  Bellks-Lettres.  —  Séance  du  2  aox'it  igi2.  —  La 
séance  publique  annuelle  de  l'Académie  est  fixée  au  i3  novembre. 

M.  Bernard  Haussoullier  montre,  dans  une  seconde  lecture,  l'originalité  et  la 
nouveauté  du  traité  inédit  entre  Delphes  et  Pellana  qu'il  a  précédemment  com- 
muniqué à  l'Académie.  11  insiste  sur  un  certain  nombre  de  termes  de  droit 
nouveaux. 

M.  Gagnât  lit  une  note  de  M.  Constans,  élève  de  l'Ecole  normale  supérieure, 
sur  les  puissances  tribuniciennes  de  l'empereur  P^ron.  Cet  empereur,  en  l'an  60 
p.  C,  ajouta  une  unité  au  nombre  réglementaire  de  ses  années  de  règne.  M.  Cons- 
tans attribue  ce  changement  à  l'apparition  d'une  Comète,  phénomène  qui,  selon 
la  croyance  populaire,  annonçait  un  changement  de  règne.  En  ajoutant  une  unité  à 
ses  puissances  tribunices,  l'empereur  commençait  un  nouveau  principat  et  détour- 
nait ainsi  la  menace  céleste. 

M.  Edouard  Cuq  lit  une  note  sur  un  nouveau  vice-préfet  du  prétoire  d'après  une 
inscription  de  Souk-el-Abiod. 

Léon  Dorez. 


L'imprimeur-gérant  :  Ulysse   Rouchon 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N»  34  —  24  août.  —  1912 


Naville,  Les  papyrus  de  Kamara  et  de  Nesikhonsou.  —  Budoe,  Textes  bibliques 
en  dialecte  thébain.  —  Griifitii,  Karanôg.  —  Crawfoot  et  Grifi-itii,  Mëroe.  — 
Maciver-Wooi.i.ky,  Buhen.  —  DinEMus,  Les  Epitres  de  Paul.  —  Fieiîig,  Les 
paraboles  de  Jésus;  Les  miracles  du  Nouveau  Testament.  —  White,  Le  Nou- 
veau Testament  hiéronymien.  —  Diobouniotis,  Deux  écrits  d'Hippolyte.  — 
Rlicker,  Homélies  de  Cyrille  sur  Luc.  —  Harnack,  Le  texte  païen  transcrit  par 
Macarius  Magnés.  —  De  Boysson,  La  loi  et  la  foi.  —  Bruston,  L'eschatologie  de 
Jésus.  —  H.  ScHNEmER,  Jésus  philosophe.  —  E.  Schwartz,  Le  catéchuménat.  — 
Frischlin,  Julius  redivivus,  p.  Janell.  —  Lukacs,  Le  drame  moderne.  —  Keki, 
Michel  Tompa.  —  Patelei,  Nouvelles.  —  Varadi,  Le  monde  de  l'ancien  théâtre 
hongrois.  —  Rakodczay,  Egressy  et  son  temps.  —  Kaposi,  Dante  en  Hongrie. 
—  Sti-rmuerg,  Carducci  et  la  poésie  allemande.  —  Académie  des  inscriptions. 


E.  Naville,  Papyrus  funéraires  de  la  XXP  Dynastie.  1.  Le  Papyrus  hiéro- 
glyphique de  Kamara,  et  le  Papyrus  hiératique  de  Nesikhonsou  au 
Musée  du  Caire,  précédés  d'une  Introduction,  Paris,  E.  l^croux,  1912,  in-S", 
ii-!-î8  p.  et  XXX  pi.  en  phototypie. 

C'est  le  commencement  d'un  recueil  qui  contiendra,  en  facsimilés, 
les  principaux  manuscrits  du  Livre  des  Morts  que  nous  possédons  de 
la  XXP  Dynastie.  Comme  Naville  le  dit  dans  la  preTace,  ils  présentent 
un  grand  intérêt  «  parce  qu'ils  sont  d'une  époque  de  transition  ».  Ils 
marquent,  en  effet,  le  moment  où,  renonçant  à  l'emploi  de  l'écriture 
hiéroglyphique  pour  ce  genre  d'ouvrages,  les  scribes  commencèrent  à 
les  copier  en  hiératique.  Naville  pense  que  celte  petite  révolution 
dans  la  routine  religieuse  de  l'Egypte  tint  à  ce  que  l'hiératique  était 
compris  par  plus  de  gens  que  l'autre  :  les  scribes  savaient  mieux  ce 
qu'ils  écrivaient  ainsi,  et  les  personnes  qui  avaient  reçu  de  l'instruc- 
tion étaient  mieux  à  même  de  tout  lire  et  de  tout  comprendre.  Il  a 
raison  en  partie,  mais  je  crois  que  d'autres  motifs  entrèrent  en  jeu, 
dont  le  plus  puissant  fut  l'économie.  Les  manuscrits  hiéroglyphiques, 
disposés  en  colonnes,  renfermaient  à  surface  égale  beaucoup  moins 
de  matière  que  les  hiératiques  :  les  caractères  y  étaient  plus  larges, 
plus  clairsemés,  et  par  suite  les  textes  y  couvraient  plus  d'espace. 
C'étaient  des  exemplaires  de  luxe,  qui  formaient  des  rouleaux  énormes 
lorsqu'on  y  transcrivait  par  aventure  l'ensemble  des  chapitres.  L'hié- 
ratique au  contraire,  permettait  de  serrer  les  lettres,  les  lignes  contre 
les  lignes,  et  une  seule  de  ses  pages  tient  souvent  plus  de  substance 
que  deux  ou  trois  pages  d'hiéroglyphes.  Les  dévots  pouvaient  se  pro- 

Nouvelle  série  LXXIV  34 


142  REVUE    CRITIQUE 

curer  la  toialiic  do  l'ouvrage  pour  un  prix  fort  inférieur  à  celui  que 
coulaient  les  exemplaires  à  la  mode  ancienne,  et  ce  qui  était  un 
avantage  pour  leur  bourse  en  était  un  également  pour  le  bien-être  de 
leur  vie  future.  Ajoutons  que  l'hiératique  adopté  par  les  libraires  des 
morts  n'était  ni  la  cursivc  très  rapide  des  documents  de  la  vie  privée, 
ni  l'onciale  des  livres  de  bibliothèque  :  il  est  entre  les  deux,  et  s'il 
atteint  rarement  à  l'élégance  de  la  seconde,  il  ne  tombe  jamais  dans 
l'incorrection  de  la  première. 

Les  deux  Livres  des  Morts  par  lesquels  la  collection  débute  sont 
conservés  au  Musée  du  Caire,  et  ils  proviennent  de  la  trouvaille  de 
Dëîr-el-Baharî  :  celui  de  Kamarà,  la  reine  de  Panotmou  I"'",  est  en 
hiéroglyphes,  et  celui  de  Nesikhonsou  est  en  hiératique.  Ils  sont  l'un 
et  l'autre  des  spécimens  excellents  de  leur  espèce,  et  l'examen  des 
facsimilés  montre  combien  le  choix  a  été  heureux.  Ils  ont  été  réduits 
assez  sensiblement,  mais  ils  sont  si  nets  et  si  soignés  que  la  réduction 
n'enlève  rien  à  la  clarté  ni  à  la  légibilité  des  textes  :  les  planches, 
exécutées  d'après  d'excellentes  photographies  d'Emile  Brugsch, 
rendent  pleine  justice  aux  originaux.  Je  regrette  seulement  que  l'édi- 
teur n'ait  pas  songé  à  publier  en  couleurs  deux  des  vignettes  les  plus 
intéressantes  :  c'eût  été  une  joie  pour  les  amateurs  de  belles  minia- 
tures. La  scène  des  funérailles,  au  livre  de  Kamara,  et  celle  du  juge- 
ment de  l'art  sont  des  merveilles.  Nulle  part  la  ligne  n'est  plus  pure, 
ni  l'alliance  des  tons  plus  délicate  ;  ce  sont  des  compositions  d'un  sen- 
timent et  d'une  harmonie  exquise.  Et  qu'on  se  garde  de  voir  dans 
cette  appréciation  l'indulgence  d'un  égyptologue  pour  le  peuple 
auquel  il  a  consacré  sa  vie.  Chaque  fois  que,  montrant  le  Musée  du 
Caire  à  un  peintre  ou  à  un  sculpteur,  je  l'ai  mis  face  à  face  avec  ces 
deux  petits  tableaux,  il  est  demeuré  frappé  d'admiration,  et  les  der- 
nières résistances  qu'il  opposait  encore  à  la  séduction  de  l'art  égyp- 
tien, après  avoir  vu  le  Chéphrên  et  le  Chéîkh-el-Beled,  se  sont  éva- 
nouies. Les  vignettes  de  Nesikhonsou,  sans  l'approcher  à  celles  de 
Kamarâ,  ont  pourtant  fort  bonne  tournure.  Ce  sont  là,  il  est  vrai,  des 
volumes  destinés  à  des  femmes  de  très  haut  rang,  à  une  reine  en  titre 
et  à  la  parente  d'un  grand  prêtre  d'Amon  :  ils  ont  dû  être  exécutés  par 
les  meilleurs  peintres  du  temps.  Il  y  a  toutefois  dans  nos  musées  assez 
de  papyrus  illustrés  d'un  bon  dessin  et  d'une  couleur  assez  savante, 
mais  provenant  de  simples  particuliers,  pour  prouver  que  les  ateliers 
secondaires  de  Thèbes  conservaient  intactes  les  traditions  de  l'école. 

Les  notices  que  Naville  a  jointes  aux  planches  donnent  l'indication 
des  chapitres  et  des  observations  très  brèves,  mais  toujours  topiques, 
sur  les  variantes  et  sur  les  fautes  qu'on  y  trouve.  Le  plan  général 
qu'il  s'est  tracé  pour  sa  publication  excluait  les  longues  dissertations 
sur  les  points  de  détail,  mais  Naville  possède  à  fond  son  Livre  des 
Morts  :  la  connaissance  complète  qu'il  en  a  se  manifeste  à  chaque  ligne. 

G.  Maspero. 


d'histoire  et  de   littérature  143 

E.  A.  Wai.lis  BiDGE,  Coptic  Biblical   Texts   in  the  Dialect  of  Upper  Egypt, 

Londres,  Britisli  Muséum,    nji2,  in-8",  i.xxxv-349  p.  et   10  pi.  phototypie. 

Les  trois  textes  bibliques  en  dialecte  ihébain  que  le  D""  Budge  publie, 
sont  ceux  du  Deutéronome,  de  Jonas  et  des  Actes  des  Apôtres.  Seul 
Jonas  est  à  peu  près  complet  :  il  ne  lui  manque  que  deux  ou  trois 
mots  et  quelques  lettres  par  ci,  par  là.  Les  deux  autres  renferment 
des  lacunes  assez  considérables  : 

Pour  le  Deutéronome,  ch.  1,  i-38;  ch.  11,  20-iv,  38;  ch.  viii,  3- 
ix-i  ;  ch.  XIII,  18-XIV,  17;  ch.  xvm,  1  i-xix,  i  ;  chap.  xx,  6-xxii,  2; 
ch.  XXVI,  1  i-xxvii,  26,  plus  quelques  versets  aux  folios  36  et  45  ; 

Pour  les  Actes,  ch.  xxiv,  ij-xxvi,  32;  ch.  xxvit,  7-9,  17-21,  27-29, 
et  des  fragments  de  versets  dans  les  endroits  mangés  par  les  vers  du 
f°  87  à  la  tin  du  manuscrit. 

Le  manuscrit  est  sur  papyrus.  Il  est  dans  l'onciale  ferme  et  bien 
dessinée  du  premier  âge  copte,  et  rien  qu'à  le  voir  on  est  porté  à  lui 
attribuer  une  haute  antiquité.  Cette  impression  est  précisée  par  deux 
observations  précieuses  de  MM.  Kenyon  et  Bell.  Une  prière  en  lan- 
gue et  en  caractères  coptes,  mais  tracée  en  un  type  grec  cursif,  a  été 
attribuée  paléographiquement  par  M.  Kenyon  au  iv"  siècle  après  J.-C. 
et  vers  le  milieu  de  ce  siècle.  D'autre  part  la  reliure  du  volume  ren- 
fermait des  fragments  dont  seize  d'actes  notariés  en  grec  :  Bell  les 
ayant  examinés  de  près  déclare  qu'ils  datent  de  la  première  moitié  du 
iV  ou  de  la  deuxième  moitié  du  111*=  siècle.  Cette  seconde  remarque 
n'a  qu'une  valeur  relative,  car  les  vieux  papiers  de  cette  nature  peuvent 
avoir  été  employés  par  les  relieurs  un  siècle  ou  plus  après  le  moment 
où  ils  ont  été  écrits.  La  première  est  plus  convaincante  :  si,  comme 
la  grande  expérience  de  Kenyon  en  ces  matières  nous  convie  à 
l'admettre,  la  prière  finale  ne  peut  avoir  été  ajoutée  au  texte  que  vers 
35o,  il  est  évident  que  celui-ci  doit  avoir  été  copié  au  moins  quelques 
années  plus  tôt.  On  voit  quelles  conséquences  la  découverte  de  notre 
papyrus  entraîne  pour  l'histoire  des  versions  coptes  de  la  Bible  et  de 
j  la  diffusion  du  Christianisme  en  Egypte.  Budge,  rassemblant  les 
données  que  nous  possédons  jusqu'à  ce  jour,  montre  que  la  traduc- 
tion des  Livres  saints  fut  commencée  aux  environs  de  Tan  200  et  que, 
dès  la  fin  du  iii^  siècle,  les  solitaires  de  la  Thébaide  faisaient  un 
usage  journalier  de  certains  des  écrits  ainsi  traduits.  Le  manuscrit  du 
Musée  Britannique,  tout  en  étant  le  plus  ancien  des  volumes  de 
l'Ecriture  thébaine  dont  on  puisse  fixer  la  date,  n'était  certainement 
que  la  copie  d'un  manuscrit  antérieur  :  le  choix  étrange  des  morceaux 
prouve  qu'il  avait  été  écrit  non  pour  une  église,  mais  pour  ou  par  un 
particulier  en  vue  de  son  utilité  personnelle. 

Le  texte  a  été  transcrit  par  Budge  avec  un  soin  scrupuleux.  On  y 
distingue  certaines  habitudes  graphiques  et  grammaticales  qui  en 
recommanderont  l'étude  aux  coptologues.  Ajoutons  que  l'exécu- 
tion  matérielle   est   excellente   et  que    le    volume   ne  coûte  pas  un 


11^.  Rr.VUK    CRITIQt'K 

prix    trop    élevé  ,    ce    dont    tout    le    monde    sera    reconnaissant    à 

rédiieur. 

G     Maspi!;uo. 


1'.  1.1.  Uriiiit»,  Karanôg  Iniine  le  t.  \'l  tic  \'I:'cklcv  Ji.  Coxe  Junior  Expédition 
(0  ,\'m6m,  entreprise  sous  les  auspices  de  rrnivcrsité  de  Pensylvanie),  Philadel- 
phie, University  Muséum,    i<)m.  in-.|"  x-iSi   p.    XXX  planches  en    phototypic. 

J.  \V.  Crawi  ooT,  the  Island  of  Meroë,  cl  1'.  1.1.  Ciriikith,  Meroitic  Inscrip- 
tions, r.iri  1.  —  Soba  to  Dangcl  (forme  le  XlXi'i  Mémoire  de  VArcliœologicai 
Siirvey  of  I''gypt),  Londres,  Kct^an  Paul,  Quariich,  Asher,  Frowde,  191  i,  iu-4", 
viii-94  p.  et  XXXV  planches  en  phototypie. 

Bien  que  ces  deux  volumes  appartiennent  à  deux  séries  différentes, 
je  les  ai  réunis  dans  un  même  article  :  ils  formciu  en  etfet  les  deux 
parties  d'un  même  sujet,  le  déchitîrement  des  inscriptions  méroi- 
tiques.  Dans  Karanôg,  les  fouilles  de  l'Expédition  Coxe  ont  fourni  les 
matériaux,  dans  the  Island  ofMcroë  ce  sont  celles  du  Gouvernement 
soudanais.  J'ai  rendu  compte  l'an  dernier  de  ce  que  Maciver  avait  fait 
à  Karanôg,  et  je  n'y  reviendrai  pas;  il  suffit  de  rappeler  qu'il  est  sorti 
de  cette  localité  nombre  de  tables  d'otiVandes  avec  des  textes  en  démo- 
tique de  Méroé.  Dans  le  second  ouvrage,  M.  Crawfoot  décrit  les  sites 
explorés  et  il  en  résume  l'histoire,  puis  M.  Griffith  s'attaque  aux  ins- 
criptions surtout  hiéroglyphiques  nouvellement  et  anciennement  con- 
nues qui  y  ont  été  copiées 

M.  Griffith  a  mis  en  tête  de  son  mémoire  sur  Méroé  un  tableau  où 
sont  indiquées  les  formes  principales  des  deux  alphabets  avec  les 
valeurs  qu'il  leur  attribue.  Ses  premiers  essais  sur  la  matière  sont 
épars  dans  plusieurs  ouvrages  et  articles  antérieurs,  notamment  dans 
Meroûy  the  City  of  the  Ethiopians,  1909-1910,  qui  contient  les  résul- 
tat des  fouilles  de  Garstang  et  de  Sayce  ;  c'est  toutefois  dans  Karanôg 
que  sont  accumulées  les  observations  les  plus  a.honàs.niQs,.  YJ Introduc- 
tion., dans  ses  vingt-six  pages,  montre,  au  premier  chapitre,  les  équi- 
valences entre  les  signes  hiéroglyphiques  et  les  démotiques,  ainsi  que 
leur  son  ;  au  second,  l'âge  et  les  différents  styles  de  l'écriture;  au  troi- 
sième, les  particularités  de  la  langue,  phonologie,  vocabulaire,  infle- 
xion, genres,  nombre.  «  Sans  être  décisives,  ses  analogies  avec  le 
«  Nubien  tant  dans  la  structure  de  la  phrase  que  dans  le  le.\ique  sont 
«  suffisamment  frappantes  pour  qu'il  vaille  la  peine  de  les  mentionner. 
«  Elle  semble  être  agglutinative,  sans  genre,  avec  un  mécanisme  de 
«  postpo&iiions  et  de  suffixes  pour  suppléer  au  manque  de  flexion .... 
«  Il  paraît  certain  que  les  voyelles  propres  aux  idiomes  sémitiques  font 
«  défaut  et  que  le  système  vocalique  est  fort  simple...  Jusqu'à  présent 
«  on  ne  peut  apporter  la  preuve  indiscutable  que  les  sons  o  et  ou  exis- 
«  tassent.  L'écriture  indique  que  les  mots  consistaient  surtout  en  syl- 
«  labes  ouvertes  commençant  par  une  consonne.  Qu'il  y  eût  aussi  des 
«  syllabes  fermées,  cela  résulte  des  transcriptions  grecques,  Ergamé- 
«  nés,  Kandaké,  mais  il  n'est  pas  démontre  que  deux  sons  voyelles  se 


d'histoire  et  de  littérature  145 

«  suivissent  directement,  sans  interposition  de  consonne...  On  dis- 
«  tingue  parmi  les  postpositions  :  i>'  z,  //,  pour  le  Vocatif,  2"  -/,  -// 
«  pour  un  mot  ou  une  phrase  suivis  d'un  autre  mot  qu'il  qualiHc... 
«  Pluriel,  Icb;  3"  -k\  -léwi  ;  comme  copule  (?)  ou  pour  donner  un  sens 
M  emphatique  (?)  Pluriel,  lebaku'i;  4"  -.v  pour  le  génitif  suivant  le  nom 
«  duquel  il  dépend...  ;  5"  -te  pour  le  locatif...  »  Ces  postpositions 
peuvent  se  combiner  entre  elles.  «  Il  ne  semble  y  avoir  aucune  dis- 
«  tinction  de  genre  sur  les  documents  où  il  est  question  d'hommes  ou 
«  de  femmes  pris  individuellement.  Les  formes  du  pluriel,  telles  qu'on 
«  les  observe  dans  les  phrases  descriptives  des  stèles  funéraires,  sont  " 
pour  les  postposiiions  ci-dessus  énoncées  -leb^  leb[a)k{a)ivi,  -teb  et 
-teb\a)k[a)wi,  dont  la  partie  commune  eb  doit  marquer  le  nombre. 
«  -Eb  ou  -b  est  l'indice  le  plus  essentiel  du  pluriel.  II  se  pourrait  que 
«  la  finale  -ab  qu'on  rencontre  dans  les  patronymiques  ou  dans  les 
«  noms  de  tribus  par  toute  la  Nubie,  de  la  première  cataracte  au  Nil- 
«  Bleu,  fut  apparentée  à  ce  -b,  -eb  »  . 

Ces  points  établis,  M.  Griffith  passe  à  l'étude  des  inscriptions  funé- 
raires, et  il  examine  successivement  les  éléments   dont  elles  se  com- 
posent, l'invocation  initiale,   le  nom    et   la  détinition    des    personnes 
auxquelles  le  monument  est  consacré,  les   phrases  qui  servent  à  noter 
la  filiation    paternelle    et    maternelle,    les   mentions    accessoires,   les 
titres,  enfin  la  formule  terminale  de  bénédiction,  après  quoi  il  dresse 
le  catalogue  des  inscriptions    et  il  les  traduit    autant    que    possible, 
c'est-à-dire,  il  transcrit   les  noms   et  la  généalogie,   sans   aborder  le 
reste    des   formules.    Quelques  exemples  feront  comprendre  ce  que 
sont  ces  iraduciions.  D'après  le  déchiffrement  la  stèle  n°  1  2  de  Kara- 
nog  aurait   appartenu    à  «  l'honorable  (?)  Wèshakhasheye,    vraiment 
«  né  de  Meiewishiye,  vraiment  engendré  du  shalkhash  Azikhali,  appa- 
«  rente   à   shashérs,    apparenté  à  shalkhashs,   appartenant  au  grand 
«  mete  de  Shimai  ».  Sur  la  stèle  n°    17,   il   serait  question  de  «  Tapé- 
«  khizat,    né    de    Mali-Takhize,  engendré    du    shalkhash    d'Amanap 
«  Qè<\è\\  ymareperi  dans  Shimalê,  apparenté  au /^ag^ar  et  chef  du  clan  (?), 
«  apparenté  au  second  du   clan    (?),    apparenté   à  Shétanakar,  appa- 
«  rente  h.  pestes^  second  (?)  appartenant  aux   femmes   du  roi  (?),  malé- 
«  mar.ç  dans  Naléte,  shatama\e\  du  pesté ^  a.\)\)a,\'en\.é  à  belêbêkes    ». 
Cela  rappelle,  comme  intérêt,  les  traductions  des  épitaphes  étrusques, 
et  l'on  hésite  à  se  prononcer  sur  la  valeur  de  données  aussi  incom- 
plètes. J'ai  tâché  d'exposer  dans  les  termes  employés  par  M.  Griffith 
ce  que  sa  longue  étude  lui  a  enseigné  du  langage,  et  je  souhaite  que 
cette  notice  trop  courte  incite  quelques-uns  de  nos  lecteurs  à  ouvrir 
Karanàg  et  à  étudier  les  originaux.  Je  ne  sais  ce  qu'en  penseront  ceux, 
qui  auront  le    courage  de    l'entreprendre,  mais    je  suis  certain  qu'ils 
rendront  plciue  justice  au  soin  avec  lequel  Griffith  a  copié  les  inscrip- 
tions, à  la  patience  avec  laquelle  il  les  a  disséquées,  à  la  persévérance 
qui  a  présidé  à  ses  recherches.  q    M.\spero. 


140  REVUE    CRITIQUE 

Ma.  i\  I  u-\\  •.cl  1.1  V.  Buhen  forme  les  tomes  VII  et  \lll  île  l'Eckley  B.  Coxe 
Junior  Expédition  to  Nubia,  entreprise  sous  les  auspices  de  1  Université  de 
Pcnsylvanie),  Philadelphie,  Univcrsity  Muséum,  uji  i,  in-4",  t.  I,  Text,  x-243  p. 
T.  II,  Plates,  IX  p.  <)6  planches  et  7  plans. 

Ces  deux  volumes  coniicnncnt  les  résultats  des  dernières  fouilles 
exécutées  par  Randal   Maciver  et  par  Léonard  WooUey,  aux  frais  de 
M.  Eckley   B.  Coxe  junior,  pour  le  compte  du   Musée  Égyptien  de 
l'Université  de  Pensylvanie.   Elles  ont  duré  deux  années,  de   1909  à 
191  I,  sur  le  site  d'une  ancienne  ville  égyptienne,  Bouhanou,  la  Boôn 
des  géographes   gréco-romains,   près  d'Ouady-Halfali .    Lorsque    les 
Egyptiens  arrivèrent  en  conquérants  à  la  seconde  cataracte,  vers  le 
temps  de  la  X«  ou  de  la  XI^  dynastie,    ils  trouvèrent    là   un  village 
nubien  qu'ils  colonisèrent  et  dans  lequel  ils  bâtirent   un  temple.   Le 
dieu  du  pays,  et  en  général  de  la  Nubie  méridionale  depuis  Mahar- 
raka  ou   Derr,  était  un  dieu  faucon,  de  nature  analogue  à  l'Horus 
égyptien,  s'il  n'était  pas  l'original  de  cet  Horus  que  la  légende  d'Ed- 
fou  amenait  du   Sud   avec  sa  garde  de   forgerons    :    ils   l'adorèrent 
comme  Horus  de  Bouhanou,  comme  ceux  d'Ibsamboul  et   d'Ibrim 
sous  le  nom  de  leur  localité.  Il  ne  reste  plus  rien  aujourd'hui  des  édi- 
fices de  la  XIl^  dynastie,  mais  ceux  que  les  souverains  de  la  XVIII'^ 
construisirent  sur  leurs  arases  sont  en  assez  bon  état,  et,  depuis  Cham- 
pollion,  ils  ont  attiré  l'attention   des  savants;  toutefois  ils  ne  furent 
déblayés  vraiment  que  depuis  1905,  l'un  d'eux  par  les  ordres  du  Gou- 
verneur Général  du  Soudan,  Sir  Reginaid  Wingate,  l'autre  par  l'ex- 
pédition américaine. 

Le  temple  du  Nord  est  le  plus  vieux.  11  est  en  partie  l'œuvre  pro- 
bable d'un   des   premiers  vice-rois  de  la  seconde  époque  thébaine, 
Touraî,  qui  débuta  assez  modestement  sous  Ahmôsis.  Les  débris  en 
furent  employés  plus  tard   comme  matériaux  dans  le  dallage  d'une 
cour  et  ils  portent  les  cartouches  d'Ahmôsis  et  de  sa  mère  Ahhat- 
pou  pe.  Il  fut  détruit  en  effet  trois  générations  plus  tard  et  remplacée 
sous  Aménôthès  II  par  un  des  bâtiments  plus  grands  où  les  Pharaons 
desXVIII«,  XIX'  et  XX=  dynasties  inscrivirent  leurs  cartouches.  Ils 
le  cèdent  pourtant  en  intérêt  à  ceux  du  Sud,  qu'élevèrent  Thoutmô- 
sis   II   et  sa  sœur  Hatchopsouîtou,   puis  que  Thoutmôsis  111  rema- 
nia pour  diminuer  le  rôle  historique  de  celle-ci.  La  sculpture  y  est 
d'une    bonne  facture,   s'il    faut   en   juger    d'après   les    photographies 
reproduites  sur  les  planches,  toutetois  sans  originalité  :  c'est  l'œuvre 
consciencieuse  d'un  praticien  habile  plutôt  que  d'un  artiste.  Les  ins- 
criptions ne  diffèrent  que  par  le  titre  du  dieu  de  celles  qu'on  lit  dans 
les  sanctuaires  de  TÉgvpte,   mais  les  graffiti  tracés  sur  les  murs   à 
diverses  époques  forment  un  ensemble  précieux  pour   l'histoire  du 
deuxième  empire   thébain.    Ils  avaient  déjà    été  copiés  en  partie    et 
publiés  par  Sayce,  il  y  a  quinze  ans,  mais  d'autres  sont  sortis  de  terre    : 
avec  des  stèles,  qui  ont  été  traduites  et  commentées  abondamment    : 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  I47 

par  Blackmann  pour  Maciver.  I.es  rois  et  surtout  les  grands  fonction- 
naires que  leurs  fonctions  amenaient  à  Bouhanou,  après  avoir  fait 
leurs  dévotions  à  l'Horus  local,  gravaient  leur  image  et  une  formule 
de  prières  sur  une  portion  de  surface  non  décorée,  pilier  ou  mur  : 
nous  y  voyons  détiler  tour  à  tour  Sataou,  Harouî,  Sétouî,  Piaîyi  et 
d'autres,  avec  les  dates  et  le  nom  des  Pharaons  qu'ils  servaient,  Ram- 
sès  P''  et  Ramsès  II,  Ménéphtah,  Ramsès  III,  Ramsès  IV.  Si  Ton 
veut  se  rendre  compte  du  prix  que  ces  mentions  accidentelles 
peuvent  avoir  pour  l'histoire,  il  me  suffira  de  rappeler  qu'on  y  a  ren- 
contré pour  la  première  fois  le  nom  de  Ramsès-si-phtah  que  porta, 
quelques  mois  durant,  au  début  de  son  règne,  le  prince  que  nous  con- 
,  naissions  uniquement  sous  le  noni  de  Siphtah-Ménéphtah. 

Les  fouilles  du   village  n'ont  rendu  que  peu  d'objets  de  l'époque 
1  méroitique  ;  celles  des    nécropoles    ont  fourni  des  matériaux  nom- 
breux pour  la  connaissance  de  la  vie  civile  et  des  usages  funéraires. 
j  Les  tombes  les  plus  anciennes  remontent  à  la  XIP  dynastie,  mais  il  y 
1  avait  aussi  deux  grands  cimetières  de  la  XVIII"  et  quelques  sépul- 
!  tures  des  âges  postérieurs.  Aucune  des  tombes  ne  saurait  être  compa- 
I  rée  pour  l'étendue  à  celles  de  l'Egypte  :  les  chambres  sont  taillées 
i  rudement  dans  le   roc,  sans  décor  de  bas-reliefs  ni  de  tableaux,  et  le 
mobilier  est  pauvre.  Toutefois,  comme  les  voleurs  d'antiquités  ont 
i  exploité  les  cantons  de  la  seconde  cataracte  moins  complètement  que 
;  ceux   de  l'Egypte   propre,    beaucoup   d'entre   elles   étaient   intactes. 
j  M.  Maciver,  qui  était  imbu  des  idées  en  cours  depuis  une  quinzaine 
j  d'années  sur  la  classification  de  la  poterie  égyptienne,  a  été  surpris  de 
j  voir  combien  peu  la  théorie  s'y  accorde  avec  la  réalité.  J'ai  protesté 
dès  les  premiers  jours  contre  l'attribution  aux  époques  archaïques  des 
vases  mi-noir  et  rouge,  et  l'on  en  a  trouvé  récemment  dans  des  tom- 
beaux postérieurs  à  la  XIP  dynastie.  M.  Maciver  a  dû   reconnaître 
que  les  œnochoés  noirs  à  décor  ponctué  qu'on  réputait  caractéris- 
tique de  la  domination  des  Hyksôs  n'étaient  pas  rares  en  Nubie,  dans 
I  la  seconde  moitié  de  la  XVIII«  dynastie,  dans  la  XIX^  et  dans  la  XX. 
I  J'ai  pensé  toujours  qu'il  y  avait  quelque  imprudence  à  déduire  des 
règles  générales,  applicables  à  l'Egypte  entière,  d'observations  faites 
après  six  mois  de  fouilles  sur  tel   ou  tel  point  particulier,  et  je  n'ai 
jamais  accepté  comme  authentiques  les  tables  de  chronologie  rigou- 
reuse  où  sont   notées  l'apparition   et  la  disparition  des  types  céra- 
miques. Les  fouilles  de  Maciver  et  d'autres  prouvent  combien  j'ai  eu 
raison  de  me  montrer  réservé. 

La  Nubie  n'est  pas  épuisée  tant  s'en  faut,  et,  si  on  l'explore  conve- 
nablement, je  suis  certain  qu'elle  donnera  beaucoup  encore.  Je  vou- 
jdrais  qu'il  se  trouvât  un  homme  ou  une  institution  assez  riche  pour 
i  continuer  l'œuvre  de  M.   Eckley   B.   Coxe   junior,   et  pour  charger 
I  Maciver   d'une   expédition    nouvelle   :    la   connaissance  qu'il   a   des 
hommes  et  des  lieux  rendrait  le  succès  certain.         q    Maspero. 


148  REVUE    CRITIQUE 

Die  Briefe    des   Apostels   Paulus   an  die  Kolosser,    Epheser.  an   Philemon 

crkiari  von  M.    Dibki.hs,   llandbiidi  ^inii   .\einii   '/csljnwnl.     III,    2.   'l'ubingcn 

Mohr,   1912;  gr.   in-S"  78  p;)!;es. 
Die   Gleichnisreden  Jesu  iin  l.iclitc  Jor  rabbiiiischcn    Gleichnissc  des  neutcsta- 

incnilichcn  Zcitaltcrs,  von  P.  I'ii'.uk..  Tubingcn.  Mnbr,  1012  ;  iii-H  xii-284  P^S^S- 
JUdische  Wundergeschichten  der  neutestamentlichen  Zeitalters  umcr  bcson- 

dere    Beriicksichtigung  ihres    Vcrhâltnisses    zum  Neucn    Testament,  bearbciict 

von  P.  FiEBiG,  Tûbingen,  Mohr,  191  i,  in-S»,  viii-108  pages. 

Le  commentaire  de  M.  Dibelius  est  une  œuvre  érudite,  remarqua- 
ble surtout  par  un  choix  de  citations  d'anciens  écrits  surtout  religieux, 
tant  païens  que  chrétiens,  intéressante  pour  la  comparaison  du  lan- 
gage des  Épîires  avec  celui  des  mystères  païens.  Certains  rapports  de 
détail  sont  très  curieux,  là  même  où  naguère  Ton  n'aurait  pas  songé  à 
en  chercher,  par  exemple  dans  l'Épitre  à  Philemon,  à  l'endroit  où  Paul 
parle  de  son  <>  fils  »  Onésime,  dont  il  est  devenu  «  père  >^  dans  sa  pri- 
son. L'ordre  supérieur  des  initiés  au  mystère  de  Mithra  était  celui 
des  pères,  observe  fort  à  propos  M.  D.  ;  et  Apulée,  dans  ses  Métamor- 
phoses ;xi,  25),  appelle  son  père  le  prêtre  qui  l'a  initié  aux  mystères 
d'Isis.  M.  D.  ne  semble  pas  regarder  comme  décisives  les  objections 
qui  ont  été  faites  contre  l'authenticité  de  l'Epître  aux  Colossiens;  il 
abandonne  l'Epître  aux  Éphésiens,  à  raison  du  rapport  particulier  de 
dépendance  où  elle  se  trouve  à  l'égard  de  celle  aux  Colossiens. 

M.  P.  Fiebig  a  mêlé,  dans  son  étude  sur  les  paraboles,  des  per- 
sonnes et  des  questions  qu'il  aurait  sans  doute  mieux  fait  de  ne  point 
associer  de  si  près.  Il  réfute,  ou  il  a  l'intention  de  réfuter  les  conclu- 
sions générales  de  M .  Jùlicher  sur  le  caractère  des  paraboles,  aussi 
certaines  de  ses  interprétations  particulières,  et  il  réfute  pareillement 
M.  A.  Drews  qui  a  pensé  démontrer  que  les  paraboles  de  Jésus  étaient 
toutes  apocryphes  et  imitées  des  paraboles  rabbiniques.  Ces  deux 
auteurs  et  leurs  thèses  sont  très  différents,  bien  que  le  même  sujet  ait  j 
été  solidement  traité  par  l'un  et  qu'il  ait  été  exploité  par  l'autre.  Et 
pour  ce  qui  est  des  questions,  M.  F.  se  propose  d'établir,  contre  : 
M.  Jùlicher,  qu'il  y  a  de  l'allégorie  dans  plusieurs  paraboles  authenti-  ' 
ques,  comme  il  veut  prouver  contre  M.  Drews  l'authenticité  de  ces 
paraboles;  mais  il  entend  prouver,  parla  même  occasion,  et  toujours 
à  la  lumière  des  paraboles  rabbiniques,  que  les  rédactions  synopti- 
ques des  paraboles  sont  fondées  sur  une  tradition  orale  qu'elles  expri- 
ment immédiatement.  M.  Jùlicher  omet  toujours,  et  pour  cause,  de 
signaler  ce  rapport  immédiat.  Mais  M.  F.  ne  se  lasse  pas  de  répéter 
que  Jùlicher  a  négligé  d'expliquer  telle  ou  telle  divergence  des  évan- 
gélistes  par  l'évolution  de  la  tradition  orale.  Jùlicher  se  comporte 
ainsi  parce  qu'il  lui  paraît  évident  que,  si  la  traduction  orale,  en  der- 
nière analyse,  supporte  nos  Évangiles,  la  rédaction  de  ceux-ci  procède 
de  sources  écrites  et  que  les  divergences  s'expliquent  le  plus  souvent 
par  les  préoccupations  et  intentions  diverses  ou  le  style  des  rédac- 
teurs. Le  commentateur  est  en  face  de  combinaisons  rédactionnelles, 


d'histoire  et  de  littérature  149 

et  toute  la  science  rabbinique  de  M.  P.  ne  suffit  pas  à  remettre  sur 
ses  pieds  l'hypothèse  de  ht  iradiiion  orale,  qu'il  n'admet  du  reste 
qu'en  partie. 

Car  c'est  au  nom  de  sa  science  rabbinique,  dont  il  a  donné  d'excel- 
lentes preuves,  que  M.  F.  morigène  les  exégètes  de  son  pays.  Il  aurait 
pu,  sans  nul  inconvénient  pour  la  part  de  vérité  contenue  dans  sa 
thèse,  le  prendre  d'un  peu  moins  haut  avec  M.  Julicher,  un  maître 
dont  l'exégèse  allemande  a  d'autant  plus  lieu  d'être  Hère  que  ceux  de 
son  mérite  semblent  se  faire  moins  nombreux.  M.  F.  pense  que  la 
connaissance  de  l'ancienne  littérature  rabbinique  est  utile  à  l'intelli- 
gence des  Evangiles  synoptiques  et  du  Nouveau  Testament  en  géné- 
ral, et  il  a  raison  de  le  penser;  mais  il  argumente  à  peu  près  comme 
si  cette  intelligence  dépendait  entièrement  de  cette  connaissance,  et  il 
a  ton,  attendu  que,  si  l'Evangile  de  Jésus  est  en  affinité  étroite  avec  le 
judaïsine  de  son  temps,  aucun  livre  du  Nouveau  Testament  ne  nous 
a  gardé  cet  Evangile  en  sa  forme  native,  tous  les  écrits  du  Nouveau 
Testament,  sans  aucune  exception,  et  d'abord  les  écrits  évangéliques, 
représentant  cet  Évangile  en  forme  plus  ou  moins  hellénisée. 

Le  principal  mérite  du  travail  de  M  F.  est  d'avoir  montré,  contrai- 
rement à  ce  qu'avait  cru  pouvoir  avancer  M.  Julicher,  que  les  para- 
boles de  Jésus  sont  apparentées  aux  paraboles  rabbiniques,  et  qu'un 
même  fonds  traditionnel  pourrait  en  plus  d'une  occasion  avoir 
fourni  la  matière  des  unes  et  des  autres.  Jésus  n'a  pas  inventé  la  para- 
bole ni  tous  les  thèmes  paraboliques  dont  il  s'est  servi;  il  a  adapté  le 
genre  et  plus  d'un  thème  déjà  existant  à  l'objet  de  son  enseignement. 
Ici  M.  F.  complète  utilement  les  belles  études  de  M.  Julicher.  Mais  il 
lui  cherche  de  mauvaises  chicanes  quand,  à  propos  de  presque  toutes 
ses  paraboles  rabbiniques,  il  essaie  de  prouver  que  les  paraboles  peu- 
vent comporter  une  part  plus  ou  moins  considérable  d'allégorie.  Ce 
qui  apparaît  véritablement,  en  certains  endroits,  et  ce  qui  peut  servir 
à  expliquer  certaines  paraboles  évangéliques  comme  le  Semeur,  c'est 
que  la  parabole,  sansdevenir  pour  cela  un  récit  symbolique,  peut  être 
développée  d'une  façon  un  peu  artiticielle,  en  vue  de  son  application. 
La  fable  est  moins  bien  venue:  c'est  tout  ce  qu'on  en  peut  dire. 
L'authenticité  de  dévelo[)pements  allégoriques  comme  on  en  trouve 
dans  la  parabole  du  Festin,  ou  de  paraboles  allégoriques  comme  celle 
des  Vignerons  meurtriers,  n'est  aucuneinent  garantie  par  là.  Bien 
moins  encore  est  garantie  l'authenticité  de  la  parole  (Ma/'c,  iv,  11-12) 
sur  le  mystère  du  règne  de  Dieu  qui  est  présenté  aux  Juifs  en  paraboles 
pour  qu'ils  n'y  comprennent  rien. 

M.  Drews  est  beaucoup  mieux  traité  par  M.  F.  que  les  exégètes; 
lui,  du  moins,  a  reconnu  l'importance  des  paraboles  rabbiniques,  puis- 
qu'il les  allègue  contre  l'authenticité  des  paraboles  évangéliques  et 
l'existence  de  Jésus.  Cependant  il  n'a  pas  fait  assez  attention  aux 
dates,  les  paraboles  des  rabbins  étant  moins  anciennes   que   celles  de 


(  50  REVOE    CRITIQUE 

l'Évangile,  ni  à  l'objet  des  paraboles,  celles  des  rabbins  concernant 
surtout  l'explication  de  textes  scriptuaircs,  tandis  que  celles  de  Jésus 
sont  en  rapport  avec  sa  prédication.  H  n'y  a  pas  à  nier  l'originalité 
relative  des  paraboles  évangéliques.  Elles  ont  été  conservées  d'abord 
par  la  tradition  orale,  mais  celles  des  rabbins  aussi,  et,  à  ne  considé- 
rer que  l'attestation,  Fauihenticité  des  paraboles  rabbiniques  ne 
serait  pas  plus  sûre  que  celle  des  paraboles  évangéliques.  En  ce  qui 
regarde  la  forme,  les  paraboles  de  Jésus  ont  un  naturel  et  une  fraî- 
cheur que  n'ont  pas  les  paraboles  rabbiniques,  qui  sentent  l'école. 
M.  F.  conclut  que  les  paraboles  évangéliques  n'ont  pu  être  inventées  : 
conclusion  légitime  pour  l'ensemble,  mais  discutable  pour  telle  ou 
telle  que  M.  F.  entend  sauver  avec  le  bloc. 

C'est  contre  M. Drews  qu'est  dirigé  l'autre  écrit  de  M.  F.;  mais  il  con- 
tient surtout  une  intéressante  collection  de  miracles  pris  dans  la  tradi- 
tion rabbinique  et  dans  Josèphe,  pour  la  comparaison  avec  les  miracles 
du  Nouveau  Testament.  Les  analogies  ne  manquent  pas,  mais  elle  ne 
sont  pas  très  frappantes.  11  est  évident  que  les  Juifs  des  premierssiè- 
cles  de  notre  ère  étaient  familiarisés  avec  les  miracles.  M.  F.  observe 
avec  beaucoup  de  raison  que  les  miracles  attribués  aux  rabbins  ne 
prouvent  pas  que  ceux-ci  n'aient  point  existé;  il  en  va  de  même  pour 
Jésus.  Parmi  ces  miracles,  les  uns  et  les  autres  attestent  le  prestige 
dont  leurs  auteurs  prétendus  ont  Joui  auprès  de  leurs  contemporains. 
Jésus  lui-même  a  cru  à  ses  miracles  de  guérison;  il  a  pratiqué  l'exor- 
cisme sans  employer  l'incantation.  Ce  trait  n'a  rien  que  de  naturel  en 
son  temps  et  prouve  plutôt   contre  que    pour  l'hypothèse    mythique. 

Alfred   Loisy. 


Novum  Te stamentum  Latine  secunJum  eJitionem  sancti  Hieronymi  ad  codicum 
manuscriptorum  hdem  recensueiunt  7  J.  Wordswokth  et  H.  .1.  White.  Editio 
minor,  curante  H."^  J.  White.  Oxford,  Clarendon  Press,  1911;  in-i6,  xx- 
620  pages. 

Hippolyts  Schrift  ûber  die  Segnungen  Jacobs.  von  C.  Diobolniotis  und 
N.  Beïs.  —  Hippolyts  Danielcommentar  in  Handschrift  n°  b-j3  des  Meteo- 
ronklosters,  von  C.  Diobonioutis,  mit  \'or\\ort  von  G.  N.  Bonwetsch,  Leipzig, 
Hinrichs,  iqii  ;  in-<*^",    iv-6o  pages. 

Die  Lukas  Homilien  des  hl.  Cyrillus  von  Alexandrien,  von  A.  Rcicker,  Bres- 
lau,  Goerlich,  191  i  ;  in-8°,  102  pages. 

L'on  saura  gré  à  M.  White  d'avoir  publié  une  «  petite  édition  »  du 
Nouveau  Testament  hiéronymien.  Le  texte,  jusqu'à  l'Épitre  aux 
Romains  inclusivement,  est  celui  delà  grande  édition  qu'ont  donnée 
les  mêmes  savants.  Pour  les  autres  livres,  le  texte  a  été  déterminé 
d'après  les  principaux  manuscrits.  L'apparat  critique  fournit  l'indica- 
tion des  variantes  notables  tant  des  manuscrits  que  des  éditions  sex- 
tine  et  clémentine.  Les  endroits  parallèles  de  l'Ecriture  ont  été  indi- 
qués en  marge.  Excellent  instrument  de  travail.  Prix  modéré  :  2  sh., 
sur  papier  ordinaire. 


d'histoire  et  de  littérature  i5i 

M.  Diobouniotis  publie  un  écrit  d'Hippolyte  dont  on  connaissait 
une  version  arménienne  et  une  version  géorgienne.  Dans  le  ms.  grec 
de  Meteoraoù  M.  Beis  l'a  découvert,  il  est  attribué  à  Irénée.  C'est 
l'ouvrage  que  Jérôme  cite  comme  une  explication  des  «  bénédictions 
d'Isaac  »,  et  Procope  de  Gaza  comme  une  explication  des  «  bénédic- 
tions de  Jacob  ».  L'ouvrage  contient  en  effet  le  commentaire  des 
bénédictions  d'Isaac  et  de  celles  de  Jacob.  Nul  doute  sur  l'authenticité 
de  cet  écrit. 

Le  même  manuscrit  contient  des  morceaux  notables  du  commen- 
taire d'Hippolyie  sur  Daniel.  La  découverte  a  son  importance,  quel- 
ques-uns de  ces  morceaux  n'étant  connus  jusqu'à  présent  que  dans  la 
version  slave;  aussi  à  raison  de  l'ordre  dans  lequel  sont  rapportés  les 
visions,  et  des  variantes  que  présente  le  texte  nouveau  pour  les  par- 
ties déjà  connues.  M.  D.  publie  le  texte  des  fragments  qu'on  ne  possé- 
dait pas  jusqu'à  présent  en  grec,  indique  la  disposition  générale  de 
l'écrit  et  les  variantes  qu'il  présente  par  rapport  à  l'édition  de 
Berlin.  L'explication  de  Suzanne  vient  entre  les  chapitre  i  et  ii  de 
Daniel. 

Les  écrits  exégétiques  de  Cyrille  d'Alexandrie  ont  eu  moins  de  crédit 
queses  écrits  théologiques.  Les  homélies  sur  Luc,  à  l'exception  de  trois, 
ne  se  sont  conservées  en  grecque  dans  les  extraits  des  Chaînes;  mais 
elles  subsistent  en  syriaque,  Payne  Smith  les  a  publiées  en  i858, 
d'après  deux  mss.  du  musée  britannique  où  il  y  avait  des  lacunes.  Un 
supplément  a  été  donné  en  1874,  par  W.  Wright,  d'après  un  ms.  de 
Nitrie.  M.  RCicker  édite  quelque  nouveaux  fragments  d'après  un  ms. 
de  Berlin  (cod.  Sachau  220).  Il  semble  que  la  version  syriaque  ait  été 
faite,  au  vi^  ou  au  vir  siècle,  en  vue  de  lectures  liturgiques.  M.  R. 
étudie  la  tradition  des  Homélies  dans  la  littérature  byzantine  et 
indique  la  marche  à  suivre  pour  tirer  parti  des  Chaînes,  en  utilisant 
la  version  syriaque  pour  le  contrôle  des  citations.  Il  dresse  le  tableau 
de  contrôle  pour  les  fragments  publiés  dans  Migne  (t.  72).  Dans  ces 
homélies,  Cyrille  polémise  souvent  contre  Nestorius;  M.  R.  en  con- 
clut qu'elles  ont  dû  être  écrites  vers  43oou  plus  tard.  Il  expose  l'inté- 
rêt que  peuvent  présenter  à  divers  titres  ces  instructions  pastorales.  Il 
cite,  par  exemple,  un  passage  où  Cyrille  tonne  contre  les  gens  de 
médiocre  foi  qui  recourent  à  la  magie  et  invoquent  dans  leurs  incan- 
tations le  dieu  Sabaoth  :  il  n'est  pas  permis,  s'écrie-t-il,  de  donner 
ainsi  au  démon  un  nom  qui  n'appartient  qu'à  Dieu.  Sans  doute 
n'avait-il  pas  une  connaissance  directe  de  ce  fonnulaire  plus  que  sus- 
pect. Pour  les  citations  bibliques,  le  traducteur  syrien  ne  s'est  pas 
servi,  du  moins  intentionnellement,  des  versions  qui  avaientcours  dans 
sa  langue;  il  les  traduit  lui-même  comme  le  texte  de  Cyrille,  en  sorte 
que  son  témoignage  peut-être,  à  l'occasion,  plus  sûr  que  celui  des 
Chaînes.  Il  va  sans  dire  que  le  texte  biblique  de  Cyrille  est  alexandrin 
et  apparenté  de  très  près  à  celui  du  ms.  Sinaïiique.  Pour  finir,   M.  R. 


I  52  REVUK    CRITIQUE 

étudie  la  mcihode  exégétiqiio  de  Cviillo.  —  Travail  solide,   où  aucun 
aspect  du  sujet   n'a  été  iiéj^lii^é. 

A.  L. 


Kritik  des  Neuen  Testaments  von  einem  griechischen  Philosophen  des  3 
Jahrhunderts,  von  A.   Haunxck.  Lcip/.i}^,  I  linrichs,    1911:  in-8,iv-i3o  pages. 

Il  s'agit  de  l'ouvrage  polémique  contenu  dansV A pocriticus  de  Maca- 
rius  Magnes.  M.  Harnack  consacre  à  cet  ouvrage,  fort  curieux  à 
beaucoup  d'égards,  une  pénétrante  étude.  Notice  sur  l'œuvre  de  Ma- 
carius  Magnes.  Reproduction  du  texte  des  questions  ou  objections  du 
païen,  avec  traduction  allemande.  M.  H.  établit  que  l'œuvre  de  Ma- 
carius  n'a  que  l'apparence  d'un  dialogue,  et  que  les  objections  du 
païen  sont  prises  d'un  livre  contre  les  chrétiens  dont  il  est  facile  de 
reconstruire  le  plan,  bien  que  Macarius,  en  le  transcrivant  textuelle- 
ment, y  ait  fait  des  coupures.  Ce  Macarius  écrivait  dans  la  dernière 
"moitié  du  iv"  siècle,  vers  ^(jo;  l'auteur  qu'il  réfute  vivait  après  la  per- 
sécution de  Dèce  et  avant  Constantin,  dans  la  seconde  moitié  du 
iti"  siècle.  Après  d'autres,  M.  H.  pense  que  cet  auteur  est  Porphyre, 
et  ses  raisons  semblent  concluantes.  Toutefois  le  livre  que  Macarius 
avait  en  mains  ne  portait  pas  le  nom  de  Porphyre,  et  ce  n'est  pas  le 
grand  ouvrage  de  Porphyre  contre  les  chrétiens.  C'en  serait  un 
extrait,  compilé  durant  les  dernières  luttes  du  paganisme  contre  le 
christianisme,  avant  l'avènement  de  Constantin.  Le  commentaire 
donné  par  M.  H.  aux  objections  du  «  philosophe  païen  »,  l'analyse 
qu'il  fait  de  ses  idées  religieuses  sont  du  plus  haut  intérêt.  Il  lui  sait 
presque  gré  d'être  plus  favorable  au  Christ  qu'aux  apôtres  et  aux 
évangélistes,  qui  sont  parfois  supposés  avoir  altéré  l'enseignement  de 
Jésus  et  cousu  de  légendes  sa  biographie.  Cette  attitude  prouve  peut- 
être  moins  le  sens  critique  de  Porphyre  que  le  crédit  acquis  malgré 
tout  au  fondateur  présumé  du  christianisme  par  le  progrès  de  sa  reli- 
gion. Les  citations  néotestamentaires  méritent  attention  :  elles  repré- 
sentent un  texte  occidental,  et  ce  doit  être  aussi  pour  avoir  connu  le 
Nouveau  Testament  en  sa  forme  romaine  que  le  païen  cite  l'Apoca- 
lypse de  Pierre  et  paraît  ignorer  l'Épître  aux  Hébreux. 

______  A.  L. 

La  Loi  et  la  Foi,  Etude  sur  saint  Paul  et  les  judaïsants,  par  A.  de  Boysson.  Paris, 

Bioud,  I9i2;in-i2,  viii-?;i9  pages. 
L'eschatologie  de  Jésus-Christ,  parC.  Bruston.  Paris,  Fischhachcr,  191 1,  in-8", 

3i  pages. 
Jésus  als  Philosoph,  von  H.  Sciineidkr.  Leipzig,  llinrichs,  njri  ;  in-8°,   48  pages. 

Les  questions  concernant  saint  Paul  et  ses  rapports  soit  avec  le 
christianisme  primitif  et  judiiïsant,  soit  avec  les  religions  païennes, 
spécialement  les  cultes  de  mystères,  sont  à  l'ordre  du  jour,  et  sans 
doute  elles  ne  sont  pas  près  d'être  toutes  résolues.  Elles  sont  bien  loin 


d'histoire  et  de  littérature  i53 

d'être  seulement  posées  dans  l'ouvrage  de  M.  de  Boysson.  L'auteur 
suit  les  méthodes  d'exégèse  les  plus  conseivairices  ;  il  admet  la  pleine 
authenticité  de  toutes  les  Epitres  attribuées  à  saint  Paul,  y  compris 
l'Épitre  aux  Hébreux;  il  admet  la  parfaite  historicité  des  Actes  des 
Apôtres,  et  il  concilie  ce  livre  avec  l'Epitre  aux  Galates  par  des  pro- 
cèdes qui  n'ont  rien  de  neuf  même  au  point  de  vue  de  l'exégèse  catho- 
lique. Il  concilie  tout,  même  la  théologie  de  Paul  avec  l'Evangile  de 
Jésus  :  le  Christ  et  Paul  auraient  prêché  et  demandé  la  même  foi. 
M.  de  B.  ne  tenant  aucun  compte  des  travaux  critiques  dont  les  con- 
clusions dérangeraient  le  cadre  fixé  par  l'orthodoxie  à  son  exégèse,  il 
est  inutile  de  les  résumer  ici  pour  les  lui  opposer. 

M.  Bruston  est  tout  à  fait  mécontent  des  exégètes  qui  prennent  à 
la  lettre  ce  que  Jésus  a  dit  ou  ce  que  les  évangélistes  lui  font  dire  tou- 
chant le  prochain  avènement  du  règne  tie  Dieu,  le  grand  Jugement,  la 
fin  du  monde,  la  résurrection  des  morts.  Jésus  ne  croyait  pas  à  la  fin 
prochaine  du  monde,  rnais  à  la  durée  indéfinie  du  ciel  et  de  la  terre; 
il  enseignait  que  chaque  homme  est  jugé  à  sa  mort  et  ressuscite  à  ce 
moment-là  pour  l'éternité.  Ceux  qui  disent  le  contraire  sont  de  parti- 
pris.  M.  B.  proteste. 

«  Jésus  de  Nazareth,  écrit  M.  Schneider,  est  un  des  plus  grands  pen- 
seurs de  l'humanité.  Comme  Confucius,  Bouddha,  Socrate,  Kant,  il 
apparaît  au  sommet  d'une  civilisation  »  etc.,  etc.  Pour  se  faire  une 
telle  idée  du  Christ,  il  faut  (évidemment)  écarter  de  ce  qui  nous  est 
donné  coi^me  son  enseignement  tous  les  éléments  pétriniens,  pau- 
liniens,  mythologiques;  qui  y  ont  été  introduits.  Sans  se  dissimuler 
que  sa  thèse  ne  recueillera  pas  l'assentiment  de  tous,  M.  S.  s'applique 
à  dégager  la  pensée  qui  fait  de  Jésus  un  grand  philosophe.  Il  spiritua- 
lise  encore  plus  que  M.  Bruston  le  règne  de  Dieu,  il  le  fait  tout  inté- 
rieur, si  intérieur  qu'il  supprime,  je  crois,  la  vie  future.  La  demande  du 
pain  quotidien  dans  l'Oraison  dominicale  est  une  concession  aux 
disciples,  etc.,  etc.  Grandes  ou  non,  ce  sont  ses  pensées  que  M.  S. 
prête  au  Christ. 

A.  L. 


E.  ScHWARTz,  Bussstufen  und   Katechumenatsklassen    (Schriftcn    der    Wiss. 
Ges.  in  Strassburg,  7  Heft,  Strassburg,  Tiùbner,  1911  . 

M.  Schwartz  esquisse  d'abord  une  courte  histoire  de  la  pénitence 
post-baptismale  depuis  Hermas.  Le  sujet  demanderait,  pour  être 
traité  avec  les  nuances  requises,  des  discussions  fort  délicates  aux- 
quelles M.  S.  n'a  pas  le  temps  de  s'arrêter  :  aussi  cette  première  partie 
laisse-t-elle  une  impression  plutôt  défavorable.  Mieux  vaut  ne  rien 
dire  que  de  dire  trop  peu.  La  seconde  partie,  qui  constitue  l'objet 
propre  du  travail,  est  beaucoup  plus  attachante.  iM .  S.  y  caractérise 
les  quatre  classes  de  pénitents  dans  l'Eglise  grecque  et  il  montre  que 


I  54  REVUE    CRITIQUE 

l'idée  qui  a  présidé  à  ceitc  organisation  est  la  même  que  celle  qui 
déterminait  les  modalités  du  caiéchuménat  :  d'où  le  parallélisme 
des  deux  institutions  en  leurs  diverses  étapes. 

P.    DE   L. 


N.  Frisciimni's.  Julius  redivivus  hcrggcb.  von  Walther  Jancll.  Mit  Einleitungen 
von  W.  Haull,  Cl.  Rœthc.  W.  Jancll.  Berlin,  Wcidmann,  igi2,  in-i6,  pp.  91,  i53. 
Mk.  .S. 

La  collection  des  Lateinischc  Litteratur-Denkmiiler  publiée  sous  la 
direction  de  M.  Max  Herrmann  a  réimprimé  d'après  l'édition  de  1589 
le  Julius  redivivus  de  N.  Frischlin.  Cette  comédie  de  l'humaniste 
souabe  qui  eut  dès  son  apparition  un  vif  succès,  comme  d'ailleurs 
l'ensemble  de  son  œuvre  dramatique,  méritait  d'être  rendue  accessible 
aux  érudits,  et  il  faut  remercier  M.  Jancll  de  l'avoir  fait  avec  tout  le 
soin  désirable.  Une  bonne  introduction  pour  laquelle  il  s'est  adjoint 
deux  collaborateurs,  renseigne  suflisamment  le  lecteur  sur  la  carrière 
si  mouvementée  de  Frischlin  (c'est  la  part  de  M.  Hauff);  sur  le  carac- 
tère et  la  valeur  de  son  théâtre,  un  excellent  chapitre  approfondi, 
précis  et  juste  dont  s'est  acquitté  M.  Rœihe  avec  beaucoup  de  bonheur; 
enHn,  sur  les  mérites  de  Frischlin  comme  philologue,  que  l'éditeur 
s'est  réservé  lui-même  de  nous  présenter.  Il  est  difficile  après  le  vaste, 
érudit  et  consciencieux  travail  de  Strauss  de  dire  du  nouveau  sur 
Frischlin.  Cependant  les  auteurs  de  la  présente  édition  se  sont  de 
nouveau  référés  aux  copieux  documents  des  archives  de  Stuttgart;  ils 
ont  découvert  ailleurs  quelques  pièces  originales  et  mis  en  meilleure 
lumière  certains  détails,  surtout  pour  tout  ce  qui  intéresse  les  sources 
de  Frischlin.  Une  liste  de  variantes  et  des  notes  brèves  sont  jointes  au 
texte.  (Je  ne  sais  pas  pourquoi  la  préface  au  lecteur  que  donnent  les 
éditions  ordinaires  n'a  pas  été  conservée). 

L.     ROUSTAN. 


A  modem  dràma  fejlôdésénck  tôrténete  (Histoire  du  développement  du 
drame  moderne)  par  Georges  Luk.^cs.  Budapest,  Franklin,  191 1.  2  vol.  xvi-496, 
548  p.  in-i6. 

Dans  ces  deux  volumes  couronnés  et  édités  par  la  Société  Kis/aludy, 
nous  avons  l'effort  très  louable  d'un  jeune  amateur  du  théâtre  qui  a 
suivi  avec  beaucoup  d'attention  le  mouvement  dramatique  contem- 
porain en  Europe,  qui  a  lu  énormément  de  traités  d'esthétique,  sur- 
tout des  traités  allemands  de  la  jeune  école.  Son  ouvrage  renferme 
des  observations  très  justes,  quelquefois  très  hardies,  des  jugements 
de  jeune  esthète  qui  connaît  aussi  bien  le  Théâtre  libre  que  la  Frète 
Buhne.  M.  Lukâcs  s'est  fait  un  idéal  du  drame  moderne;  cet  idéal  est 
le  drame  bourgeois,  non  pas  celui  de  Diderot,  mais  celui  qui  reflète 
les  aspirations  de   notre  société  et  dans  lequel  la  langue  est  en  har- 


d'histoire  et  de  littérature  i55 

monie  parfaite   avec  le  fond.  Selon   lui,  l'Allennagne  serait  beaucoup 
plus  près  de  cet  ide'al  que  la  France. 

Le  premier  livre  est  purement  dogmatique  et,  par  endroits,  assez 
obscur;  les  livres  suivants,  sur  lesquels  nous  n'insistons  pas,  traitent 
du  drame  classique  allemand  depuis  Lessing  jusqu'à  Gœthe  et  Kleist, 
du  drame  à  tendance  sociale  des  Français,  de  Hebbel  et  d'Ibsen,  du 
naturalisme  au  théâtre,  du  drame  paysan  (Anzengruber),  des  écrivains 
du  «  Théâtre  libre  »  et  de  la  u  Freie  Buhne  »  ;  de  l'impressionisme 
et  du  naturalisme  lyrique  [Maeterlinck,  d'Annunzio)  de  Hauptmann, 
et  Hofmannsthal  et  de  la  jeune  école  allemande.  Le  dernier  chapitre 
(II,  p.  494-53ij  résume  les  tendances  du  théâtre  hongrois.  Il  ne  faut 
pas  y  chercher  des  appréciations  basées  sur  une  étude  approfondie. 
Ce  sont  plutôt  les  observations  d'un  journaliste  qui  juge  de  l'activité 
d'un  Grégoire  Csiky  en  deux  pages  et  qui  jongle  avec  des  paradoxes. 
Ces  pages  ne  nous  apprennent  rien  sur  le  théâtre  de  la  Jeune  Hongrie 
où  tant  de  beaux  talents  se  sont  manifestés,  talents  qui  n'ont  pas 
encore  trouvé  un  juge  impartial  (excepté  Janovics  pour  Csiky).  Ce 
qui  a  plu,  sans  doute,  dans  l'ouvrage  de  M.  Lukâcs,  au  jury  de  la 
Société  Kisfaliidy,  c'est  l'étude  d'ensemble  sur  le  théâtre  étranger 
depuis  Lessing  jusqu'à  nos  jours,  tant  en  Allemagne  qu'en  France  et 
en  Norvège;  les  opinions  d'un  homme  qui  a  vu  et  lu  énormément  et 
qui  reste  intéressant  malgré  les  pages  paradoxales  où  il  établit  sa 
théorie  '. 

L     KONT. 

Tompa  Mihâly  (Michel  Tompa)    par    Louis   Kéki.    Budapest,    Franklin,    191 2. 
192  p.  in-i6. 

Cette  étude  a  obtenu  le  prix  Széher  au  concours  de  la  Société 
Kisfahidy .  Dans  un  cadre  assez  restreint,  elle  nous  donne  une  image 
assez  fidèle  du  poète  (1817-1868)  qu'on  a  considéré  longtemps,  avec 
Petôfi  et  Arany,  comme  l'initiateur  d'une  poésie  nouvelle  qui  prend 
son  inspiration  dans  l'àme  populaire.  La  critique  de  nos  jours  ne  peut 
placer  Tompa  au  même  niveau  que  ses  deux  grands  contemporains, 
mais  elle  reconnaît  en  lui  le  poète  qui,  pendant  la  triste  époque  de  la 
réaction  autrichienne  (1849-1867),  a  su  le  mieux  exprimer,  dans  ses 
poésies,  les  angoisses,  puis  les  espoirs  de  tout  un  pays.  Tompa  n'est 
pas  un  poète  dont  l'horizon  intellectuel  soit  bien  large;  il  a  passé 
presque  toute  sa  vie  dans  d'humbles  presbytères  de  village.  La  vie 
intense  et  communicative  d'un  centre  littéraire  lui  a  manqué.  Sa 
mélancolie  et  sa  tristesse,  causées  par  la  perte  de  ses  enfants,  influent 
sur  ses  allégories  et  sur  ses  contes.  L'auteur  nous  donne  les  ren- 

I.  L'exclusion  de  Rostand,  parce  que  épigone  de  Victor  Hugo,  nous  semble 
arbitraire;  les  citations  allemandes,  françaises  et  anglaises  auraient  dû  être  tra- 
duites; L  192  écrire  :  sentimentale,  p.  Soy  Meilhac,  p.  1^47,  il  y  a  deux  fautes 
dans  la  citation  française  ;  IL  p.  285,  écrire  Vare?jnes. 


I  50  RKVl  !•:    CKITIQDF. 

scigncmcnts  les  plus  sûrs  sur  son  cducaiion  au  collège  des  réformés 
de  Sàrospaïak,  sur  ses  années  de  préceptorat,  et  il  appuie  surtout  sur 
la  genèse  de  ses  poésies,  sur  leur  ordre  chronologique  ce  qui  est  très 
important  chez  Tompa,  car  dans  sa  jeunesse  il  était  encore  sous  Tin- 
Huencc  de  ce  lyrisme  sentimental  et  fade  qui,  avant  Petôfi,  était  la 
marque  de  Técolc  de  Bajza,  Ce  n'est  que  peu  avant  la  Révolution  de 
1848  qu'il  s'émancipa  de  cette  inHuence  et  créa  les  œuvres  qui  lui 
assurent  une  place  éminente  dans  la  littérature.  M.  Kéki  le  carac- 
térise également  comme  orateur  de  la  chaire;  il  retrouve  dans  ses 
sermons  des  vues  sur  l'homme  et  sur  la  nature  qui  expliquent  cer- 
taines de  ses  poésies.  Les  chapitres  où  il  trace  le  portrait  de  l'homme 
et  de  l'écrivain,  son  commerce  épistolaire  avec  Arany,  sont  d'excel- 
lents résumés, 

I .     KONT, 


Elbeszélések  i Nouvelles)  par  Etienne  Peti^l.ei,  avec  une  biographie  de  l'auteur 
par  F.  GvALui.  Kolozsvar  et  Budapest,  1912  (Singer  et  VVolfner).  2  vol.  li  et 
284,  274  p.,  in-8". 

Parmi  les  écrivains  de  la  Jeune  Hongrie,  Etienne  Petelei  (i852- 
1910)  occupe  une  place  à  part.  Né  et  élevé  dans  cette  marche  de  l'Est, 
la  Transylvanie,  qui  a  donné  naissance  h  tant  de  poètes  et  de  roman- 
ciers illustres,  la  capitale  de  la  Hongrie  ne  l'a  jamais  attiré.  Il  y  a  fait 
ses  études  universitaires,  puis  il  est  rentré  aussitôt  en  Transylvanie. 
Il  V  resta  toute  sa  vie,  consacrant  le  meilleur  de  son  temps  à  un  journal 
de  Kolozsvar  et  fondant  la  Société  littéraire  transylvaine  (1888)  qui 
publie  aujourd'hui  ces  deux  volumes.  Dans  ses  romans  et  dans  ses 
nouvelles  [Les  d'oix,  Pour  une  femme,  Jetti,  Des  Nuages,  Hommes 
de  la  campagne,  La  vie,  Ma  rue)  il  se  fait  le  peintre  de  la  vie  rustique, 
des  petits  propriétaires  et  des  humbles  de  sa  contrée.  C'est  le  peuple 
des  campagnes  et  des  petites  villes  qui  l'attire.  Ses  peintures  sont 
empreintes  d'une  grande  tristesse,  car  il  se  plaît  surtout  à  évoquer  le 
côté  sombre  de  l'existence.  L'étude  de  M.  Gyalui  qui  a  travaillé  sous 
sa  direction  comme  journaliste  et  qui  est  actuellement  bibliothécaire  à 
l'Université  de  Kolozsvar,  met  très  bien  en  relief  ses  qualités.  Cette 
étude  est  la  plus  complète  que  l'on  ait  consacrée  jusqu'à  aujourd'hui  à 
Petelei  et  aucune  Histoire  de  la  littérature  hongroise  ne  pourra  la 
négliger.  Elle  est  puisée  aux  meilleures  sources  et  donne  un  aperçu  de 
toutes  les  oeuvres  de  l'écrivain  et  le  caractérise  comme  styliste. 
M.  Gvalui  fait  ressortir  la  ressemblance  entre  certaines  nouvelles  de 
Petelei  et  de  Gorki.  C'est  que  la  vie  rustique  en  Transylvanie  offre 
beaucoup  de  traits  communs  avec  celle  de  la  Russie.  Petelei  a  d'ail- 
leurs écrit  la  plupart  de  ses  nouvelles  dix  ans  avant  l'apparition  de 
Gorki. 

L     KONT. 


I 


o'HISrOIRK    KT    DE    LITTÉRATURE  I  Sj 

Régi  magyar  szinészvilàg    I  ,c  inoiuie  lic  riincicn  théâtre   hongrois)  par  Auioine 

\'\RAt>i.  —  l'.u.lnpest,   l'ranklin,  i()  i  i .   484  p.,  in-16. 
Egressy  Gâbor  es  kora   (Gabriel  Egrcssy  et  son   temps)  par  Paul  Rakodczav. — 

Biuiapcst,  Singer  et  Wolfner,  igt  i,  65o  et  ôi  1  p.,  gr.  in-S». 

M.  Vâradi  est  surtout  connu  comme  pocte  et  dramaturge,  mais  en 
qualité  d'ancien  directeur  du  Conservatoire  de  Budapest,  il  s'intéresse 
toujours  à  l'histoire  du  théâtre  hongrois.  Il  ne  faut  pas  chercher  dans 
le  volume,  que  la  Société  Kisfahidy  a  édité,  une  étude  systématique 
sur  ce  sujet.  Ces  trente  essais  sont  des  causeries  charmantes  à  propos 
de  l'ancien  théâtre  d'après  les  mémoires,  les  journaux  et  les  imprimés 
delà  fin  du  xvmT  et  du  début  du  xix^  siècles.  Toute  l'époque  héroïque 
du  théâtre  naissant  est  peinte  sur  le  vif,  cette  époque  de  luttes  et  de 
misères  de  1700,  année  de  la  première  représentation  en  magyar^  jus- 
qu'à l'ouverture  du  Théâtre  national  à  Pest  en  1837.  Quelles  batail- 
les contre  les  comédiens  allemands,  maîtres   de    la  place,  mieux  ins- 
tallés,  plus    soutenus    par    la    bourgeoisie    que    les    pauvres    acteurs 
hongrois!  Et  pourtant  c'est  c\  cette  époque  que  se  formèrent  les  plus' 
grands  artistes  dont  le  souvenir  vit  toujours  dans  l'histoire  du  théâtre. 
—  Une  bonne  partie  des  essais  de  M,  Vâradi  se  rapporte  au  théâtre  de 
Bude  que  Joseph   II  ht  aménager  pour  les  fonctionnaires  allemands 
qu'il  avait  transférés  de  Vienne    et  de    Presbourg   à   Bude.    C'est  le 
célèbre  Kempelen,  l'inventeur  du   joueur  aux   échecs   mécanique,  qui 
avait  transforiDé   l'église  des    Carmélites  en  théâtre   —   Ubi  missae 
nitnc  cu'issae  — théâtre  qui  fut  abandonné  plus  tard  à  la  troupe  hon- 
groise.   Nous  pouvons   suivre    avec    M.  Vâradi    les    débuts    de  cette 
troupe  puis,  à  partir  de  1790,  ses  pérégrinations  à  travers  le  pays,  car 
le   premier  essai  d'un  théâtre    stable  ayant  échoué,  «  les  prêtres  de 
Thalie  »    furent  forcés  de  parcourir   la  province  où    quelques  muni- 
cipalités se  montrèrent   plus  hospitalières  que   la  capitale,   alors  fon- 
cièrement allemande.   Ce  n'est   qu'après   i83o  qu'une  troupe  perma- 
nente put  s'établir  à  Bude.  Dans  cette  troupe  jouait  leTalma  hongrois, 
Gabriel  Egressy  (1808-1866). 

C'est  à  lui  et  à  son  temps  qu'un  professeur  d'école  primaire  supé- 
rieure, M.  Rakodczay  vient  de  consacrer  deux  volumes  compacts 
dont  nous  avons  transcrit  le  titre.  Ce  qu'il  faut  louer  ici,  c'est  le  soin 
méticuleux  avec  lequel  l'auteur  a  fait  des  recherches  dans  les  archives 
du  théâtre  où  Egressy  a  passé,  pour  ainsi  dire  toute  sa  vie.  Grâce  à 
ces  recherches,  il  a  pu  nous  donner  de  nombreux  détails  inédits  sur 
les  pièces  dans  lesquelles  il  a  joué  et  nous  raconter  sa  vie  au  jour  le 
jour.  Le  dépouillement  des  organes  de  la  presse  contemporaine  est 
tait  également  avec  beaucoup  de  minutie;  nous  y  voyons  des  polé- 
miques très  ardentes  entre  Egressy  et  les  critiques.  Ce  qu'il  faut,  par 
contre,  blâmer  dans  cet  ouvrage  ce  sont  les  hors-d' œuvre.  M.  Rakod- 
czay  se  croit  obligé  de  donner  la  biographie  de  presque  tous  les  per- 
sonnages avec  lesquels  Egressy  était  en  contact  ou  qui  ont  exercé  une 


l58  REVUE    CRITIQUE 

influence  sur  lui.  Exemple  :  Egressy  va,  en  i836,  à  Vienne  pour  voir 
le  jeu  d'ensemble  au  liurgthcater.    Longues  biographies  des  acteurs 
allemands!  En  1843,   il  vient  pour  quelques  mois  à  Paris  où  il  assiste 
surtout  aux  représentations   du   théâtre  frani;ais.    Longue  biographie 
de  Rachel.   Egressy    a    formé  un   bon   acteur,  aujourd'hui   oublié    : 
Bolnai.    Vie    détaillée  de  ce    Bolnai,  et    ainsi    de  suite.  Toutes  ces 
digressions   ont   enfle    l'ouvrage    outre    mesure.   La    colère    et    l'in- 
dignation  de    l'auteur  contre   ceux    qui  ont   osé    critiquer    Egressy 
nous    semblent    aussi     inutiles.     Pourquoi     cette    longue    diatribe 
contre    Paul    Gyulai   et  toute  sa  carrière  de   critique    dramatique  et 
littéraire?  Même  Jean  Arany  n'échappe  pas   au   blàme  ni  parmi  les 
écrivains    contemporains,    M.    Joseph   Bayer,  l'historien  du    théâtre 
hongrois,    M.   Rado,  le  traducteur  en   vers.    D'autres  digressions  — 
comme  celles  contre  l'opérette  —  seraient  encore  à  relever,  mais  nous 
aimons  mieux  terminer  par  un  éloge  pour  le  travail  très  considérable 
que  cette  biographie  a  dû  coûter  à  l'auteur.  Il  a  très  bien  mis  en  relief 
ce  que  le  culte  de  Shakespeare  en  Hongrie  doit  à  Egressv,  ce  que  de 
nombreux  écrivains  dramatiques  doivent  à  sa   collaboration  intelli- 
gente, ce  que  son  poème  didactique  sur  l'Art  théâtral  qui  a  précédé 
de  dix  ans  celui  de  Samson,  a  d'original.   Cet  acteur  a  créé  358  rôles 
et   fut  l'ami  de  presque  tous  les  grands  écrivains  :   Petôfi  et  Arany 
lui  ont  adressé  des  poésies  grâce  auxquelles  il  vivra  toujours  et  cette 
énorme  biographie  sera  un  monument  digne  de  sa  brillante  carrière. 
Ce  n'est  pas  d'Egressy  que  l'on  pourra  dire  que  la  postérité  ne  tresse 
pas  de  couronnes  au  comédien. 

L'ouvrage   est    dédié   au  fils  d'Egressy,   également    acteur,    qui  a 
fourni  de  nombreux  renseignements  à  l'auteur  '. 

I  .     KONT . 

Dante  Magyarorszâgon    Dante  en  Hongrie)  par  Joseph  Kaposi.  Budapest,  191 1, 

37?  p.  g r.  in -8°. 

Le  livre  de  M.  Kaposi  est  une  contribution  savante  à  ce  que  les 
Italiens  appellent  «  la  fortuna  di  Dante  »,  c'est-à-dire  à  l'histoire  du 
culte  de  Dante  en  Hongrie.  A  vrai  dire  ce  culte  ne  commence  guère 
que  dans  la  seconde  moitié  du  xix^  siècle.  C'est  alors  que  François 
Csâszâr  inaugure  cette  série  d'études  et  de  traductions  dont  la  biblio- 
graphie complète  nous  est  donnée  dans  ce  volume  (p.  345-36oj,  mais 
dans  les  siècles  précédents  on  n'ignorait  pas,  en  Hongrie,  le  poète  de 

I.  Nous  comprenons  dans  un  ouvrage  de  ce  genre  les  abréviations  des  titres  de 
journaux  et  de  revues,  mais  un  simplet  pour  Egressy,  Sh  pour  Shakespeare  sont 
un  peu  gênants  pour  le  lecteur.  I,  p.  297.  On  attendrait,  au  lieu  de  Casimir 
Delavigne,  plutôt  Ponsard  (réaction  contre  le  romantisme);  p.  3o7,  il  est  exagéré 
de  dire  que  Corneille  et  Racine  sont  oubliés  depuis  Rachel  ;  p.  409,  Czakô  ne 
s'est  pas  tué  au  domicile  de  Csengery,  mais  au  bureau  de  rédaction  du  Pesti 
Hirlap . 


d'histoire  et  de  littérature  i59 

la  Divine  Comédie.  Nous  savons  que  Dante,  très  attaché  à  Ciiarles 
Martel,  fils  de  Ciiarles  II  (le  Boiteux)  de  la  maison  d'Anjou  et  de 
Marie,  issue  de  la  maison  des  Arpad,  mentionne  dans  deux  endroits 
de  son  poème  la  Hongrie  (Par.  VIll,  64  et  suiv.,  XIX,  142  et  suiv.). 
C'est  avec  le  commentaire  très  copieux  de  ces  deux  passages  que 
M.  Kaposi  ouvre  la  série  de  ces  études.  Les  commentateurs  de  Dante 
pourront  y  trouver  leur  profit.  Le  chapitre  sur  les  trois  manuscrits  de 
Dante  conservés  en  Hongrie,  n'est  pas  moins  intéressant.  Ces  trois 
manuscrits  sont  :  1°  la  traduction  latine  de  la  Divine  Comédie  que 
Giovanni  da  Serravalle  a  faite  pendant  le  concile  de  Constance  et 
dont  i!  dédia  un  exemplaire  à  l'empereur  Sigismond,  roi  de  Hongrie. 
Ce  manuscrit  est  conservé  à  la  bibliothèque  de  l'archevêché  d'Eger 
{Agria  en  latin,  Erlau  en  allemand)  '  ;  2°  le  manuscrit  de  la  Divine 
Comédie  qui  appartenait  au  xv=  siècle  à  la  Corvina  ;  il  fut  transporté 
avec  d'autres  trésors  du  palais  de  Mathias  Corvin  à  Constantinople 
et  restitué  par  le  sultan  Abdul-Azziz  à  la  Hongrie  en  1877.  C'est 
une  copie  assez  mauvaise,  mais  le  manuscrit  est  remarquable  par  ses 
miniatures;  3°  le  manuscrit  de  l'ouvrage  De  Monarchia.  Les  biblio- 
graphes apprécieront  les  descriptions  minutieuses  de  ces  manuscrits, 
la  dédicace  inédite  jusqu'ici  de  Serravalle  (p.  5  5-58)  qui  ne  se  trouve 
ni  dans  le  manuscrit  du  Vatican,  ni  dans  celui  du  British  Muséum, 
ainsi  que  la  description  des  incunables  de  Dante  qui  se  trouvent  à 
Budapest. 

M.  Kaposi  a  réuni  également  les  rares  données  que  nous  avons  sur 
Dante  dans  la  Hongrie  des  xvi",  xvii^  et  xviii«  siècles  et  apprécie  à  leur 
juste  valeur  les  études  et  les  traductions  de  Csàszâr,  de  Bâlinth,  de 
Angyal,  de  Csicsâky,  de  Szasz  et  de  Papp.  Un  commerce  de  vingt-cinq 
ans  avec  son  auteur  lui  a  permis  de  se  tenir  au  courant  des  moindres 
publications  et  on  peut  dire  que  l'ouvrage  ne  laisse  rien  à  désirer  sous 
ce  rapport.  Un  index  très  détaillé  facilite  les  recherches  \ 

L    KONT. 


Dott.  Federico  Sternberg,  La  poesia  neo-classica  tedesca  e  le  Odi  barbare  di 
G.  Carducci.  Trieste,  Mosettig,  1910,  182  pp.  in-8. 

L'auteur  déclare  que  Carducci  reflète  en  lui  toute  l'àme  de  la  litté- 
rature au  xix^  siècle  :  et  à  ce  propos,  il  nous  fait  en  dix  pages  l'histoire 
des  lettres  européennes.   Pour  montrer  l'influence  de  la  poésie  néo- 

1.  Et  non  pas  «  en  Bohême,  dans  la  bibliothèque  du  lycée  d'Eger  »  comme  le 
dit  M.  Jean  Guiraud. 

2.  En  vue  d'une  seconde  édition,  nous  signalons  à  M.  Kaposi  les  fautes  suivantes 
dans  la  transcription  des  titres  français.  P.  10,  écrire  Hauvctte;  p.  i58.  Comédie 
infernale;  p.  iSg,  Comédie  Française;  p.  186,  Sainte  Elisabeth;  p.  226,  Nouve/ 
essai;  p.  248,  le  doute;  p.  25 1,  Revue  internationale  (dans  lu  citation  de  cette 
page,  il  y  a  encore  d'autres  fautes);  p.  326,  Noha«t. 


l6o  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

classique  allemande  sur  les  Odi  barbare,  il  établit  en  principe  que  les 
poètes  allemands  lisent  les  vers  anciens  suivant  l'arsis  et  la  thésis, 
tandis  que  les  Italiens  ne  sont  sensibles  qu'à  l'accent.  Rien  d'éton- 
nant, dès  lors,  h  ce  qu'il  aboutisse  (après  un  cours  de  poésie  italienne 
et  un  autre  de  poésie  allemande)  à  cette  conclusion,  que  l'influence 
de  la  poésie  allemande  sur  Carducci  n'est  «  ni  profonde,  ni  complète, 
et  permet  seulement  de  rapprocher  çà  et  là  les  mètres  barbares  du 
schème  métrique  des  anciens  ».  Dans  une  seconde  partie,  l'auteur 
disserte  sur  Klopstock,  Goethe,  Schiller,  Holderlin,  et  Platen,  pour 
montrer  entre  ces  écrivains  et  Carducci  quelques  analogies  de  pensée 
ou  de  forme.  L'étude  de  M.  Azzolini  sur  un  sujet  du  même  genre 
(G.  Carducci  iind  die  deutsche  Literatur,  Tiibingen,  19 lo)  n'était 
point  parfaite  :  elle  était,  en  tout  cas,  nettement  supérieure  à  ce  livre 
creux. 

Paul  Hazard. 


Académie  dks  Inscriptions  et  Bklles-I.ettrks.  —  Séance  du  g  août  igi2.  — 
M.  Léger,  président,  annonce  la  mort  de  M.  Albert  Martin,  correspondant  de 
l'Académie  depuis  igoo,  professeur  de  littérature  grecque  à  la  Faculté  des  lettres 
de  rUnivcrsité  de  Nancy. 

M.  Léon  Dorez  lit  une  note  sur  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  l'institut 
contenant  des  poésies  et  un  beau  portrait,  sans  doute  exécuté  à  Rome  en  1472,  de 
l'humaniste  véronais  Leonardo  Montagna. 

M.  Mispoulet  signale  deux  diplômes  militaires  découverts  en  Thrace,  en  1911. 
L'un  de  2?7,  de  Maximin  le  Thrace,  est  relatif  aux  cavaliers  de  la  garde  person- 
nelle de  l'empereur,  et  l'autre,  de  71,  à  la  flotte  de  Misène.  Le  dispositif  de  ce  der- 
nier n'est  pas  le  même  que  celui  de  la  plupart  des  diplômes  connus;  il  y  a  une 
mention,  avant  la  date,  qu'on  ne  retrouve  pas  ailleurs;  enfin,  ce  qui  est  aussi  sans 
exemple,  le  nom  du  commandant  de  la  flotte  est  omis.  L'addition  parait  être  une 
interprétation  personnelle  du  copiste,  tandis  que  l'omission  doit  être  attribuée  à 
sa  négligence.  Il  n'y  a.  en  effet,  aucun  motif  de  ne  pas  rétablir  dans  le  texte  le  nom 
de  Lucilius  Bassus,  commandant,  en  69,  des  deux  flottes  de  Misène  et  de  Ravenne 
et  qui  se  trouve  dans  deux  autres  diplômes  du  3  avril  71.  Le  nombre  exceptionnel 
des  diplômes  accordés  aux  flottes  italiennes,  qui  ont  joué  un  rôle  important  dans 
la  lutte  de  69  entre  \'itellius  et  Vcspasien,  montre  que  les  empereurs  usaient  de 
ce  moyen  pour  récompenser  non  seulement  les  services  militaires,  mais  encore 
les  services  politiques  de  l'armée. 

Léon  Dorez. 


L' imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N°  35  —  31  août  —  1912 

RoRciiARDT,  Le  portrait  de  la  reine  Teje.  —  H.  Gautiiikr,  Le  livre  des  rois 
d'Lgypte.  —  WiissELv,  Textes  grecs  et  coptes,  ilL  —  Moller,  Paléographie 
hiératique.  —  Pétrie,  Portraits  romains  et  Memphis.  —  Grapow,  Textes  égyp- 
tiens. —  Hoi.BRooK,  Portraits  de  Dante.  —  Arniieim,  La  cour  de  Frédéric.  — 
Bibliographie  lorraine.  —  Stein,  Pajou.  —  Adher,  Le  Comité  des  subsistances 
de  Toulouse.  —  Guillou  et  Rebili.on,  Les  biens  nationaux  en  Ille-ct-Vilaine.  — 
Moulin.  Les  biens  nationaux  dans  les  Bouches-du-Rhône,  IV.  —  Bi.och  et 
TuETEY,  Le  Comité  de  mendicité.  —  Laurent,  Doléances  de  1789,  Marne,  IIL  — 
Vernier,  Doléances  de  l'.Aubc,  IIL  —  See  et  Lesoht,  Doléances  de  Rennes,  IIL 
—  Wedkiewicz,  La  formation    des   périodes    hypothétiques    en  italien.  —  P'ank- 

•  UAUSER,  Le  patois  de  Val  d'IUiez.  —  Archivio  Glottologico,  XVII.  —  Northup, 
Etat  de  la  philologie  moderne. 


L.  lioRcuAUDT,  der  Portratkopf  der  Kônigin  Teje,  im  Bcsitz  von  D^  James  Simon 

(18  Wisscnschaftliche  Ver(;iliéntlichung  der  Deutschen  Orientgcselischaft),  mit  4 
Hcliogravùren,  i  Doppellichtdruck  und  42  Abbildungen  im  Text,  Leipzig, 
J.  C.  Iliarichs'sche  Buchhandlung,  191  i,  in-4°,  3o  p. 

La  très  remarquable  tête  de  femme  qui  fait  l'objet  de  ce  mémoire 
fut  acquise,  en  1905,  au  Caire,  par  Borchardt  lui-même.  Des 
recherches  minutieuses  lui  fournirent  la  preuve  qu'elle  provenait  de 
Médinét-Ghoràb,  qui  est  à  l'entrée  de  la  gorge  du  Fayoum.  Il  y  avait 
eu  là,  dans  les  derniers  temps  de  la  XVIII^  dynastie,  un  groupe  de 
gens  riches  attachés  de  près  à  la  personne  d'Aménôthès  III  puis 
d'Aménôthès  IV,  et  partisans,  au  moins  pendant  un  temps,  de  la 
réforme  religieuse  et  politique  tentée  par  ce  dernier  :  c'est  en  effet 
dans  cette  même  localité  qu'avait  été  découvert  en  1900,  par  les  fouil- 
leurs  illicites;  le  tombeau  dit  de  Touti,  dont  Chassinat  publia 
naguères  les  pièces  principales  '.  La  tête  James  Simon  appartenait  à 
une  statuette  qui  fut  détruite  dès  l'antiquité,  employée  probablement 
comme  bois  à  brûler  par  les  habitants  du  village.  Je  n'entreprendrai 
pas  de  la  décrire  :  ceux  des  lecteurs  de  la  Revue  qui  ne  pourraient  se 
procurer  le  présent  volume  pourront,  en  se  reportant  à  la  petite  pho- 
tographie que  j'en  ai  communiquée  à  la  Revue  de  l'Art  ancien  et 
moderne  '  constater  que  Borchardt  n'exagérait  pas  beaucoup  lorsqu'il 
la  proclamait  l'œuvre  capitale  de  la  sculpture  égyptienne  sur  bois, 
au  moins  sous  le  second  empire  thébain.  Ce  n'est  pas  que  la  femme 

1 .  Une  tombe  inviolée  de  la  X  VIII'  Dynastie  découverte  aux  environs  de  Médi- 
nét-el-Glioràb  dans  le  Fayoum  dans  le  Bulletin  de  l'Institut  français  d'Archéologie 
Orientale,  lyoi,  t.  1,  p.  223-234   et  pi.   1-111. 

2.  Revue  de  l'Art  Ancien  et  Moderne,  t.  XXVIII,  p.  241  sqq. 

Nouvelle  série  LXXIV  35 


102  REVUE    CRITIQUE 

qu'elle  représente  fût  belle  :  mais  rarement  un  artiste  de  n'importe 
quel  pavs  a  su  donner  plus  complète  qu'ici  l'impression  de  la  vérité 
Cl  de  la  vie. 

La  base,  qui  portait  une  inscription,  ayant  disparu,  nous  ne  savons 
plus  directement  qui  était  la  personne  représentée.  Les  traits  nous 
engageaient  suffisammcni  à  reconnaître  en  elle  une  femme  de  la 
parenté  d'Aménôthès  IV,  mais  était-ce  la  mère,  l'épouse,  une  des 
filles  ou  quelque  cousine  à  un  degré  éloigné  ?  Borchardt  pense  que 
c'est  la  mère,  la  reine  Tiyi  de  romantique  mémoire,  et  il  le  démontre 
par  la  comparaison  avec  les  portraits  authentiques  que  nous  possé- 
dons de  la  reine  ou  de  son  tils  Aménothès  IV  et  des  autres  membres 
de  la  famille.  L'argumentation  est  très  forte  et  je  ne  serais  pas  étonné 
qu'il  en  fût  ainsi  :  je  me  demande  pourtant  si  l'hypothèse  que  j'avais 
émise,  et  d'après  laquelle  nous  aurions  ici  l'image  de  quelque  petite- 
fille  ou  petite  nièce  de  Tîyi,  n'offre  pas  une  solution  possible  égale- 
ment de  la  question.  La  tête  du  Musée  du  Caire,  qui  est  si  singulière, 
offre  des  caractères  que  je  ne  trouve  qu'affaiblis  sur  la  tête  James 
Simon  :  ce  peut  être  parti-pris  de  l'artiste,  qui  voulut  idéaliser  légè- 
rement son  modèle,  mais  ce  peut  être  aussi,  comme  pour  les  phy- 
sionomies de  Sétouî  I",  de  Ramsès  II  et  de  Ménephtah,  le  résultat  de 
l'usure  que  les  types  familiaux  subissent  en  se  transmettant  de  géné- 
ration en  génération.  Je  laisserai  donc  la  question  indécise  pour  le 
moment  tout  en  confessant  que  la  solution  de  Borchardt  a  grand 
chance  d'être  la  bonne. 

J'ai  vu  avec  plaisir  qu'il  se  refuse  à  croire  que  Tîyi  fût  une  Sémite 
et  qu'il  la  tient  pour  nubienne.  Il  y  a  longtemps  que  j'ai  protesté 
contre  l'identitîcation  qu'on'  faisait  d'elle  avec  une  fille  d'un  prince 
syrien,  et  contre  les  conclusions  politiques  et  religieuses  qu'on  pré- 
tendait tirer  de  sa  prétendue  origine.  Ses  portraits  authentiques  m'ont 
toujours  paru  présenter  les  signes  des  races  qui  peuplent  le  désert 
entre  le  Nil  et  la  Mer  Rouge,  et  la  momie  de  sa  mère  Touîyou,  à 
laquelle  elle  ressemble  beaucoup,  a  les  formes  et  la  physionomie 
d'une  Ababdéh  ou  d'une  Maazéh.  Borchardt,  pour  mieux  placer  son 
héroïne,  a  été  obligé  de  rassembler  ce  que  nous  savons  de  positif  sur 
elle,  et,  comme  moi  naguères,  il  est  contraint  de  dire  que  c'est  peu  de 
choses  :  son  mémoire,  qui  sera  précieux  pour  tous  ceux  qui  s'inté- 
ressent à  l'histoire  de  l'art,  aura  contribué  ainsi  à  débarrasser  l'histoire 
de  l'Egypte  d'un  des  romans  qui  l'encombrent. 

G.  Maspero. 


Henri  Gauthier,  Le  Livre  des  Rois  d'Egypte.  Recueil  de  titres  et  de  proto- 
coles royaux,  suivi  d'un  index  alphabétique,  t.  11,  fasc.  2%  de  la  tin  de  la 
Xllle  à  la  fin  de  la  XV^III»  Dynastie.  Le  Caire,  Institut  français  d'Archéologie, 
1912,  in-4»,  173-428  p. 

L'œuvre  a  marché  vite,  aussi  vite  que  le  permettent  les  difficultés 


d'histoire  et  de  littérature  i63 

de  l'exécuiion  maicricllc.  Ce  n'a  pas  été  petite  affaire  que  composer 
cette  masse  d'hiéroglyphes,  arrangée  de  vingt  façons  diverses  selon 
la  forme  des  documents  :  la  façon  dont  s'en  sont  lires  les  ouvriers  de 
rinstiiut  français  est  tout  à  leur  honneur  ainsi  qu'à  celui  du  directeur 
qui  les  a  dressés.  Il  y  a  çà  et  là  des  fautes  d'impression,  mais  peu  et 
aucune  qui  soit  grave.  M.  Gauthier  apporte  à  corriger  ses  épreuves  le 
même  soin  qu'à  accumuler  et  à  classer  ses  matériaux. 

L'époque   dont    il    traite  ici   nous  est  mieux  connue  que  la  précé- 
dente et  nous  y  rencontrons  moins  d'incertitudes  ;  les  documents  y 
sont  beaucoup  plus  nombreux  et  ils  se  contrôlent  souvent    l'un  par 
l'autre.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  toutes  les  généalogies  des  branches 
de  la  famille  royale  soient  reconstituées  ne  varietiir .  On  n'a  qu'à  par- 
courir les  notes  fort  détaillées  qui  s'étagent  vers  le  bas  de  chaque  page 
pour  comprendre    combien    il   nous  y   reste  d'obscurité    à  dissiper. 
Même  la  série  des  Pharaons  n'est  pas  assurée,  et  tel  savant,   non  des 
moindres,   se   refuse  à  croire  que  Thoutmôsis    I^''  soit  le  fils  de  son 
prédécesseur  Aménôthès  I<^^  Je  ne  doute  pas  qu'il  le  soit,  et  Gauthier 
partage   cette   opinion,    mais    nous    différons  sur  d'autres  points.  Il 
rejette,  par  exemple,   l'avis  des  premiers  Egyptologues  qui  tenaient 
le  second  successeur   d'Aménôthès  ïV,  Touatànkhamânou,  pour    un 
fils  d'Aménôthès    III.  Il  lui  semble  que,   dans  l'inscription  du   lion 
conservé  au    Musée  Britannique,    le  terme  l'ère,   par  lequel   celui-ci 
est  désigné,    n'implique   pas   la  filiation    directe,   mais  qu'il  signifie 
ancêtre  de  façon  vague  :  il   n'admet    pas  d'ailleurs   que  le  pharaon 
ait  épousé  la  tille  de  son  frère,  sa  propre  nièce.  Cette  dernière  obser- 
vation ne  me  touche  pas,  car  je  ne  vois  guère  pourquoi  les  Egyptiens 
qui   épousaient  leur  sœur  n'auraient  pas  épousé   leur  nièce,    même 
quand  elle  était  beaucoup  plus  jeune  qu'eux  :  il  s'agissait,  dans  le  cas 
présent,    de   légaliser   une    accession    au  trône,    et   la  raison   d'Etat 
recommandait  ce  mariage.    Le  premier  argument  est  meilleur   et  il 
repose  sur  des  faits  réels,  mais  à  lui  seul  il  n'entraîne  pas  la  convic- 
tion  :  si  les  Pharaons  appelaient /7ère  un    ancêtre  lointain,  ils  don- 
naient le  même  nom  à   leur   père  réel,  et  comme  ici  rien  ne  prouve 
qu'il  faille  adopter  la  signification  la  plus  vague,  il  est  au  moins  pru- 
dent de  ne  pas  écarter  absolument  la  signification  la  plus  précise.  La 
sculpture  contemporaine  aurait  fourni  à  Gauthier  un  renseignement 
précieux,  s'il  avait  songé  à  en  consulter  les  œuvres.  Tous  ceux  qui 
les  ont  étudiées,  et,  en  dernier  lieu,  Borchardt  dans  son  mémoire  sur 
le  portrait  de  la  reine  Tîyi,  ont  été  frappés   de  la  ressemblance  qui 
existe  entre   le  buste  en  granit  de  Touatànkhamânou  au  Caire  et  la 
statuette  d'Aménôthès  IV  au  Louvre.  Il  y  a  entre  les  deux'plus  qu'une 
affinité  d'atelier;    elles  ont    le   même   menton,   les  mêmes  lèvres,  le 
même  nez,  les   mêmes   yeux,    avec    moins  d'exagération  ou,  si  l'on 
veut,    de   dégénérescence,   chez  Touatànkhamânou   que   chez  Amé- 
nôthès.  Lorsqu'on   a  vu  l'air  de  parenté  charnelle  des  deux  monu- 


164  RF.VIJE    CRITIQUE 

menis,  on  ne  s'avisera  pas  d'aliînncr,  comme  Gauthier  le  fait,  que 
Touatûnkhamilnou  n'était  pas  issu  de  sang  royal,  et  l'on  se  prend  à 
penser  que  ceux-là  pourraient  bien  avoir  raison  qui,  interprétant  lit- 
léralement  l'inscription  du  lion,  l'acceptent  pour  lîls  d'Aménô- 
thès  111  et  frère  d'Aménothès  IV. 

Je   relèverai  encore    deux  assertions  qui  sont    plus  qu'aventurées. 
J'avais  classé  parmi  les  fils  de  Thoutmôsis  1^''  un  certain  Amanma- 
sou,  dont  le  nom  est  inentionné  dans  un  cartouche,  sur  un  monument 
de  l'an  IV  de  ce  Pharaon  :   Pétrie  avait  contesté  cette  interprétation 
comme  contradictoire  à  l'ensemble  des  calculs  de  nature  particulière 
sur  lesquels  il  établit  sa  chronoloi^ie,  et  il  avait  conjecturé  que  cet 
Amanmasou   était   frère  de  Thoutmôsis.    Ici   encore,    le  sens   vague 
du  mot  père  a  influé   beaucoup   sur  l'opinion    de   Gauthier,    et  il   a 
négligé  le  fait  qui  s'oppose  à  ce  que  Pétrie  ait  raison.  Amanmasou 
s'xmhnXe  fils  aine  et  général  des  troupes  de  son  père.  Gauthier  conçoit- 
il  un  frère  du  Pharaon  déclarant  qu'il  esi  fils  aîné,  et  s'attribuant  ainsi 
des  droits  à  la  succession  au  détriment  des  enfants  de  ce  frère?  Pen- 
dant le  règne  d'un  roi,  il   n'y  avait  prince  possédant  le  rang  de  fils 
aîné  que  le  fils  aîné  de  ce  roi  :  c'est  pour  cela  qu'Amanmasou  se  disant 
fils  aîné  et  général  des  troupes  de  son  père  en  l'an  IV  de  Thoutmôsis  I""", 
je  l'ai  cru  et  je  le  crois  encore  le  fils  —  non  le  frère  —  de  Thoutmôsis. 
Ici,  il  n'y  a   que  demi-mal  ;  ce  qui   est    grave,  c'est  d'identifier  une 
reine  Makerîya  ou  Kamarîya  de  la  XXI*"  dynastie  avec  Hatchapsouî- 
tou    I^''    qui    portait    ce   prénom.   L'erreur  est  aussi  forte  que    celle 
qui  confondrait  le  roi-prêtre  Manakhpirrîya  avec  Thoutmôsis  III  parce 
qu'il  avait  pour  nom  le  prénom  de   ce  dernier.   Gauthier  s'est   laissé 
tromper  par  la  ressemblance  des  noms  et  les  monuments  condamnent 
son    hypothèse;  non-seulement  les  cercueils  et  le  papyrus  funéraire 
de  Makerîya  sont  dans  le  style  la  plus  pur  de  la  XXI%  mais  sa  momie 
et  celle  de  l'enfant  qui  l'accompagne  présentent  la  technique  de  cette 
époque.  C'est  un  passage  à  corriger  dans  la  prochaine  édition. 

On  ne  rendra  jamais  assez  justice  à  ceux  d'entre  nous  qui  se 
dévouent  à  des  tâches  aussi  longues  et  aussi  fastidieuses  que  celle  de 
ce  Livre  des  Rois.  C'est,  par  les  noms  propres,  le  squelette  de  l'his- 
toire d'Egypte  :  rien  qu'en  utilisant  les  renvois  bibliographiques 
répandus  à  profusion  dans  l'ouvrage,  le  premier  venu  pourra  pendant 
quelques  années  établir  cette  histoire  sous  sa  forme  vivante,  presque 
sans  recherches  personnelles. 

G.  Maspero. 


Cari  Wesselv,  Griechische  und  Koptische  Texte   theologischen  Inhalts    III 

(forme  le  tome  XII  des  Stiidien  r;ni-  Pciluaographic   itiid  Papj'ritskinide),  Leipzig, 
E.  Avenarius,  19 12,  in-4'',  247   p. 

M.  Wessely  annonce  en  une  seule  ligne,  au  bas  de  la  page  qui  sert       j 
de  Table  des  Matières  à  ce  volume,  que  son  manuscrit  était  achevé 


d'hISIOIRK    et    DK    LITTKRATURE  l65 

avant  l'apparition  de  Tcdiiion  anglaise  du  Nouveau  Testament  en  dia- 
lecte thébain.  Il  n'a  pas  cru  que  la  publication  d'un  texte  suivi  nous 
rendît  inutile  celle  des  pages  isolées  provenant  d'autres  exemplaires, 
et  il  a  eu  raison.  Sans  m'occupcr  des  fragments  grecs,  où  je  n'ai  rien 
à  voir,  ni  des  questions  théologiques,  auxquelles  je  suis  étranger,  il 
m'est  agréable,  comme  à  tous  ceux  qui  étudient  la  grammaire  et  le 
lexique  du  copte,  de  noter  les  variantes  des  divers  manuscrits  sur  un 
même  texte  :  ce  sont,  en  ce  qui  concerne  le  côié  purement  philologi- 
que, des  éléments  précieux  pour  une  édition  critique.  M.  Wessely  a 
employé  ici  le  système  qui  lui  a  si  bien  réussi  pour  les  volumes  anté- 
rieurs, copie  cursive  avec  reproduction  rapide  des  lettres  ornées  et  des 
fleurons  marginaux,  et,  pour  chaque  manuscrit,  quelques  lignes  de 
fac-similé  en  caractères  évidés,  dessinés  très  soigneusement.  Le  tout 
est  très  clair  et  se  lit  sans  fatigue  pour  l'œil,  malgré  la  finesse  de  l'au- 
tographie. 

G.  Maspero. 


G.  MoLLER,  Hieratische  Palaeographie.  Die  /Egyptischc  Buchschrift  in  ihrer 
Entwicklung  von  der  V'ten  Dynastie  bis  zur  Romischen  Kaiserzeit.T.  III;  Von  der 
XXIten  Dynastie  his  zum  lïlten  Jahrhundert  nach  Chr.,  Leipzig,  Hinrichs'sche 
Buchhandlung,  1912,  petit  in-fo,  15-72  p.   et  XI  pi.  en  phototypie. 

Le  troisième  volume  de  la  paléographie  de  MôUer  a  suivi  de  près 
les  deux  piemiers  et  il  est  plus  intéressant  encore  qu'ils  ne  l'étaient, 
s'il  est  possible.  Cette  dernière  saison  de  l'écriture  cursive  égyptienne 
est  moins  connue  que  les  précédentes,  car  peu  d'Egyptologuesont  eu  la 
patience  d'étudier  les  manuscrits  de  l'époque  grecque  et  romaine,  funé- 
raires pour  la  plupart  et  dont  le  contenu  est  des  plus  ennuyeux.  J'ai 
indiqué,  il  y  a  longtemps,  la  cause  principale  des  changements  qu'on 
remarque  dans  les  types  graphiques  de  l'Egypte  mourante,  la  substi- 
tution au  calame  à  grosse  pointe  de  calâmes  à  pointe  de  plus  en  plus 
fine,  et  la  tendance  à  des  tracés  de  plus  en  plus  rapides  que  produisit 
cette  modification  du  calame.  On  en  suit  fort  exactement  les  effets  d'une 
j  époque  à  l'autre,  dans  les  exemples  que  Môller  a  recueillis  de 
chaque  signe.  Le  plan  est  d'ailleurs  le  même  que  celui  des  volumes 
qui  l'ont  précédé,  des  observations  générales  sur  la  technique  des 
époques  étudiées,  la  description  des  papyrus  choisis  comme  docu- 
ments, des  tableaux  contenant  des  formes  de  chaque  caractère,  enfin 
des  fac-similés  oi^i  sont  reproduites  une  ou  deux  pages  des  papyrus. 
Comme  toujours  l'exécution  matérielle  est  excellente  :  les  signes 
sont  dessinés  avec  une  netteté  et  une  fermeté  que  les  scribes  égyptiens 
auraient  admirée.  Je  ne  reprocherai  pas  à  Môller  de  ne  pas  avoir  uti- 
lisé les  collections  de  Paris,  de  Turin  ou  du  Caire  :  il  était  naturel 
que,  voulant  ne  donner  que  des  modèles  scrupuleusement  fidèles,  il 
les  tirât  par  préférence  des  Musées  qu'il  avait  le  plus  fréquentés  et 
qui  lui  étaient  de  l'accès  le  plus  facile.  Je  me  bornerai  à  regretter  qu'il 


l66  REVUE   CRITIQUE 

ail  nci;ligc  voloniaircmeiit  cciiains  niaïuiscriis  du  temps  des  Antonins, 
où  l'hiciaiiquc  offre  un  aspect  linéaire  des  plus  étranges,  ainsi  quel- 
ques-uns de  ceux  du  Livre  que  Lieblein  appelait  :  Que  mon  âme  fleu- 
risse. J'aurais  aimé  également  qu'il  eût  introduit,  comme  dernier 
terme,  les  formes  hiératiques  d'une  maladresse  insigne  qu'on  rencon- 
tre éparses  dans  les  papyrus  démoiiques,  dits  gnostiques.  Ce  sont  là 
des  omissions  sans  gravite,  et  je  n'insisterai  pas  non  plus  sur  plusieurs 
questions  d'âge,  qui  demanderaient  une  analyse  technique  impossible  ^ 
dans  celte  Revue  :  je  dirai  seulement  qu'à  mes  yeux  les  Maximes  d'Ani 
sont  de  la  XXVh'  dynastie  plutôt  que  de  la  XXI«,  et  que,  d'une  manière 
générale  MiUler  se  laisse  aller  à  vieillir  un  peu  trop  divers  manuscrits. 
Peut-être  rectifiera-t-il  quelques-uns  de  ses  jugements  d'ici  à  la  pro- 
chaine édition  :  il  ne  le  ferait  pas,  que  son  ouvrage  n'en  demeurerait 
pas  moins  l'un  des  plus  utiles  qu'on   ait  publiés  dans  ces  dernières 

années. 

G.  Maspero. 


Flinders  Pétrie,  Roman  Portraits  and  Memphis  (IV)  (British  School  of  Archaeo- 
logy  in  Fvgypt   and  Egyptian   Research  Account,   XVIIth  Year,  191 1),  Londres,    j 
B.  Quaritch   191 1,  in-4'',  26  p.  et  XXXV  pi.  dont  quatre  en  couleurs.  ' 

Le  site  de  Memphis  n'a  pas  rendu  cette  année  ce  que  Pétrie  en 
espérait;  par  contre  Hawara  lui  a  fourni  une  fois  de  plus  la  matière 
d'un  gros  volume.  Le  site,  étant  des  plus  riches,  est  aussi  de  ceux 
que  les  marchands  d'antiquités  ont  exploité  le  plus  sauvagenient  :  on 
ne  saura  jamais  combien  de  monuments  et  d'objets  précieux  les  hon- 
nêtes gens  de  Gizéh  y  ont  détruits,  pour  exécuter  les  commandes  que 
leur  font  les  amateurs  d'antiquités  égyptiennes.  Il  est  donc  de  ceux 
que,  ne  pouvant  les  défendre  efficacement,  je  désire  voir  s'épuiser  le 
plus  promptement  possible,  et  quand  Pétrie  nous  le  demanda  après 
Steindorff,  j'eus  grand  plaisir  à  le  lui  concéder.  L'Egypte  pharao- 
nique n'a  pas  tiré  beaucoup  d'avantage  de  ses  fouilles,  l'Egypte  ro- 
maine en  a  presque  exclusivement  profité. 

L'une  des  habitudes  propres  aux  gens  du  Fayoum,  dans  le  i"  et  le 
II*  siècles  de  notre  ère,  consistait  à  plaquer  sur  leurs  momies,  au  lieu 
du  masque  en  bois  sculpté  et  peint  des  autres  localités,  un  panneau 
sur  lequel  leur  portrait  était  peint  à  la  cire.  Quelques-uns  de  ces 
petits  tableaux  sont  excellents,  et  nous  en  possédons  un,  entre 
autres,  au  Musée  du  Caire,  celui  d'un  jeune  homme  au  teint  frais  et 
à  la  chevelure  vigoureuse,  qui  rappelle  la  manière  de  certain  Florentin 
du  XV'  siècle.  Ceux  de  191 1  ne  valent  pas  en  général  ceux  que  Pétrie 
avait  recueillis  en  1888,  et  d'ailleurs  ils  n'éiaient  pas  dans  les  mêmes 
conditions.  Les  momies  auxquelles  les  premiers  appartenaient  étaient 
déposées  chacune  dans  son  caveau,  celles-ci,  au  contraire,  étaient 
enterrées  par  tas,  en  plein  sol,  sans  que  la  moindre  superstructure, 
chapelle,  monument,  même  une  simple  stèle,  marquât  leur  place.  On 


d'histoire  et  de  littérature  167 

constate,  en  les  examinant  minutieusement,  qu'une  bonne  part  du 
dommage  qu'elles  uni  subi  ne  provicni  pas  de  ce  mode  de  sépulture  : 
elles  avaient  été  gâtées  avant  qu'on  les  enfouît,  leurs  ornements 
avaient  été  brisés,  leurs  dorures  enlevées,  salies,  ternies  par  les  mou- 
ches, les  couleurs  écaillées  ou  les  panneaux  entamés  à  coups  d'ins- 
trument tranchant  ;  enfin,  des  enfants  avaient  dessiné  de  grossières 
caricatures  sur  le  linge  qui  enveloppait  les  pieds  de  l'une  d'elles. 
Pétrie  en  conclut  qu'avant  d'aboutir  au  cimetière,  on  les  avait  gar- 
dées dans  les  familles,  probablement  dans  l'atrium,  où  les  enfants 
jouaient,  où  la  poussière  tombait  sur  elles,  et  où  les  domestiques  les 
heurtaient  en  faisant  le  ménage,  autant  de  causes  qui  justifieraient 
l'état  de  dégradation  dans  lequel  elles  nous  sont  parvenues.  Elles  y 
demeuraient  tant  qu'elles  inspiraient  delà  piété  ou  qu'elles  éveillaient 
un  souvenir  chez  les  survivants,  l'espace  d'une  ou  deux  générations 
peut-être,  après  quoi  on  les  reléguait  à  la  nécropole  par  demi-dou- 
zaine à  la  fois,  on  les  mettait  en  terre,  et,  comme  personne  ne  se  sou- 
ciait plus  d'elles,  on  ne  plaçait  sur  la  fosse  aucun  signe  de  reconnais- 
sance. C'est  là  une  des  solutions  du  problème  :  il  y  en  a  une  autre 
non  moins  vraisemblable  à  mon  gré.  Les  Égyptiens  pauvres  ou  de 
demi- fortune,  à  qui  les  moyens  manquaient  d'acquérir  pour  eux  ou 
pour  les  leurs  une  tombe  personnelle,  confiaient  leurs  momies  à  des 
choachytes,  qui  s'engageaient  à  les  entretenir  décemment  et  à  célé- 
brer les  offices  des  morts  en  leur  honneur  aux  jours  de  fête  régle- 
mentaires, moyennant  une  redevance  annuelle.  Lorsque  les  descen- 
dants disparaissaient  à  leur  tour  ou  qu'ils  cessaient  de  payer,  ces 
entrepreneurs  se  débarrassaient  des  non-valeurs  qui  restaient  à  leur 
compte  en  les  ensevelissant  quelque  part.  C'est  ainsi  qu'en  1884  et 
i885,  je  découvris  dans  la  montagne  d'Akhmîm  plusieurs  milliers  de 
momies  du  temps  des  Antonins  et  des  Sévères,  que  les  choachytes  de 
Panopolis  avaient  entassées,  comme  des  rebuts,  dans  de  vieilles 
tombes,  dans  des  puits,  dans  les  failles  du  rocher,  dans  le  sable. 
J'incline  à  croire  que  les  momies  d'Hawara,  celles  de  cette  année  du 
I  moins,  ont  eu  pareille  fortune  :  le  séjour  chez  les  choachytes  expli- 
querait les  dégâts  qu'elles  ont  subi  plus  naturellement  encore  que  le 
séjour  dans  la  maison  familiale. 

Flinders  Pétrie  a  saisi  l'occasion  qui  s'offrait  de  discuter  les  ques- 
tions que  soulève  la  découverte  de  ces  portraits,  les  moyens  de  les 
restaurer,  la  technique  de  l'exécution,  l'époque  à  laquelle  ils  remon- 
tent et  la  manière   dont  on  les  encastrait  dans  le  maillot.    Il  essaie 
d'évaluer  leur  âge  d'après  les  détails  de  la  toilette,  et,  à  ne  considérer 
i  que  la  coiffure,  il  estime  que  les  plus  anciens  nous   amèneraient  au 
I  temps  des  premiers  Flaviens,  le  plus  moderne  au  règne  de  Commode, 
{avec  cette  réserve  toutefois  que,  la  mode  se  propageant  lentement  du 
j  centre  à  ce  coin  perdu  de  l'empire,  la  coiffure  flavienne  a  pu  n'être 
î  adoptée  au  Fayoum  qu'un  certain  temps  après  qu'elle  avait  cessé 


l68  REVUE    CRITIQUE 

d'd'tre  ponde  h  Rome.  C'est  robservnti'>n  que  j'avais  faite  il  y  a  trente 
ans,  sur  les  momies  d'Akhmim,  mais  Pétrie  me  paraît  aller  trop  loin 
lorsqu'il  admet  que  la  mode  d'Mawara  était  en  retard  sur  celle  de  la 
cour  impériale  d'une  di/ainc  d'années  pour  les  hommes  et  d'une  géné- 
ration environ  pour  les  femmes.  L'annone  faisait  de  l'Egypte,  malgré 
l'éloignemeni,  une  des  provinces  qui  avaient  ks  rapports  les  plus 
rapides  avec  la  capitale,  ci,  quand  on  sait  avec  quelle-  prestesse  les 
fellahs  d'aujourd'hui,  descendants  directs  des  fellahs  antiques,  cir- 
culent d'un  bout  de  la  vallée  à  l'autre,  on  ne  trouvera  pas  de  difficulté 
à  supposer  que  la  mode  romaine  n'employait  pas  autant  d'années  que 
Pétrie  le  suppose  à  pénétrer  dans  tous  les  cantons.  Les  dates  qu'il  ■ 
obtient  par  sa  méthode,  de  loo  à  i  5o  A.  D.  pour  les  portraits  les 
meilleurs,  de  i  5o  à  200  pour  les  médiocres,  de  280  à  25o  pour  les  ! 
mauvais  ne  sont  donc  pas  nécessairement  exactes,  et  je  suis  assez  dis- 
posé à  les  diminuer  de  dix  à  vingt  ans  ou  plus  selon  les  cas.  Cette 
question  se  relie  d'ailleurs  à  la  question  d'origine  :  les  portraits 
étaient-ils  exécutés  pendant  la  vie  de  la  personne  qu'ils  représentent, 
ou  après  sa  mort  et  pour  décorer  sa  momie?  Pétrie,  étudiant  avec  sa 
minutie  ordinaire  l'aspect  matériel  et  l'état  de  sa  trouvaille,  conclut 
qu'ils  étaient  peints  durant  la  vie,  qu'on  les  encadrait  et  qu'on  les 
pendait  au  mur  de  la  maison,  puis  qu'on  les  prenait  au  moment  des 
funérailles  pour  les  lacer  dans  le  maillot  de  la  momie.  Qu'il  en  ail 
été  ainsi  pour  plusieurs,  je  le  crois  voloniieis,  puisqu'aussi  bien  on 
en  connaît  qui  ont  un  cadre,  mais  j'imagine  que  ce  devait  être  l'ex- 
ception. J'ai  de  la  peine  à  admettre  que  celui  des  deux  époux  qui  sur- 
vivait, ou  à  son  défaut  les  enfants,  consentissent  régulièrement  à  se 
séparer  de  l'image  qui  maintenait  leur  mort  présent  auprès  d'eux  et  à 
la  cacher  dans  un  tombeau.  Il  leur  était  aisé  d'en  obtenir  des  copies, 
soit  de  l'artiste  même  à  qui  ils  la  devaient,  soit  d'un  autre  peintre  du 
crû  :  c'est,  à  mon  avis,  ce  qui  eut  lieu  le  plus  souvent.  Les  cas  oîi 
un  panneau  carré  a  été  retaillé  et  ses  angles  abattus  pour  l'ajuster  au  i 
maillot  s'expliqueraient  alors  si  l'on'  songe  que  les  momies  de  la  • 
seconde  trouvaille,  soit  qu'elles  eussent  séjourné  dans  l'atrium 
domestique  ainsi  que  Pétrie  le  veut,  soit  qu'elles  eussent  été  entrepo- 
sées chez  un  choachyte,  avaient  souffert  pendant  leurs  années  de 
transition  entre  l'embaumement  et  l'enfouissement  final  :  on  réparait 
les  plus  endommagées  ei,  comme  la  rcfeciion  était  assez  sommaire, 
nous  n'avons  pas  lieu  de  nous  étiDnner  si  les  peintures  ou  les  masques 
sculptés  ont  été  maltraités  par  les  ouvriers  qu'on  chargeait  de  l'exé- 
cuter, 

G.  Maspi'.ro. 

Hermann  Grai>o\v,  >^gyptische  Texte,  in-H»,  34  p. 

C'est  un  tirage  à  part,  sans  indication  d'éditeur  ni  de   provenance,   i 
mais  il  contient  un  choix  de  textes  égyptiens  généralement  bien  tra- 


d'histoire  kt  de  littérature  169 

duits,  et  j'ai  tenu  à  aiiiicr  sur  lui  l'atieniion  de  nos  lecteurs.  La 
source  principale  et  Tendroii  où  le  texte  se  trouve  sont  indiqués  en 
têie  de  chaque  morceau.  Il  y  a  peu  de  notes,  mais  elles  sont  aux  bons 
endroits  et  claires  dans  leur  brièveté.  Je  ferai  à  l'auteur  le  reproche 
d'être  timide,  et  de  laisser  trop  de  lacunes  dans  son  interprétation. 
Cela  a  le  double  inconvénient  de  rendre  le  développement  de  la  pen- 
sée égyptienne  diHicile  à  saisir  pour  le  lecteur  qui  n'est  pas  du  mé- 
tier, et  de  laisser  croire  que  le  sens  des  autres  passages  est  assuré,  ce 
qui  n'est  pas  toujours  le  cas.  Il  y  a  dans  la  littérature  égyptienne  bien 
des  endroits  dont  la  signification  est  douteuse  encore  :  il  y  en  a  peu 
qui  soient  si  incompréhensibles  qu'on  ne  puisse  se  livrer  sur  eux  à 
quelque  conjecture.  Les  Egyptologues  de  la  seconde  génération, 
Rougé,  Chabas,  Devéria,  Brugsch,  Birch,  Goodwin  ne  craignaient 
pas  de  risquer  l'hypothèse,  sans  s'abuser  toujours  sur  sa  valeur,  mais 
ils  savaient  qu'une  tentative  de  l'un  d'eux,  même  malheureuse,  aidait 
souvent  l'autre  à  dégager  le  sens  véritable.  Je  voudrais  que  les  Egyp- 
tologues de  la  génération  présente  eussent  la  même  audace  :  avec  les 
moyens  dont  ils  disposent  et  que  nous  n'avions  pas,  ils  réussiraient, 
l'un  poussant  l'autre,  à  résoudre  la  plupart  des  difficultés  qui  les  arrê- 
tent. Si  j'en  puis  juger  par  la  brochure  présente,  M.  Grapow  est  de 
ceu.K  qui  seraient  le  mieux  armés  pour  agir  de  la  sorte. 

G.  Maspero. 


Richard  T.  Hulbrook.  Portraits  of  Dante,  from  Giotto  to  Raffael  :  a  critical 
study  with  a  concise  iconography.  —  Londoii  (Ph.  Lee  Warner)  et  Boston-New- 
York  (Houghton  Mifflin),  1911;  in-4'',  xix-263  pages  ;  nonnbreuses  illustrations 
(21  sh .  . 

Ce  beau  volume  est  un  éloquent  témoignage  du  très  grand  amour  et 
de  la  consciencieuse  étude  dont  l'œuvre  et  la  personne  de  Dante  sont 
l'objet  en  Amérique.  Le  problème  abordé  par  M.  R.  T.  Holbrook  est 
des  plus  délicats;  car  si  la  physionomie  traditionnelle  de  Dante,  telle 
que  l'a  détinie  l'art  de  la  Renaissance,  est  bien  connue,  c'est  une 
entreprise  presque  désespérée  de  vouloir  retrouver  sur  quoi  elle  repose 
et  quelles  garanties  de  ressemblance  elle  présente.  Le  savant  profes- 
seur américain,  qui  s'est  déjà  fait  connaître  par  un  travail  sur  «  Dante 
et  le  règne  animal  »  (1902),  apporte  au  service  de  cette  enquête  toute 
la  rigueur  de  méthode  que  comportent  le  contrôle  des  témoignages, 
la  discussion  des  théories  formulées  par  les  divers  historiens  et  aussi 
la  comparaison  des  «  textes  »  qui  sont  ici  des  représentations  plas- 
tiques. M.  H.  a  fait  de  son  mieux  pour  que  cette  rigueur  fût  aussi 
grande  que  possible  ;  on  trouvera  dans  son  livre  un  exposé  complet 
de  l'état  de  la  question;  on  aura  aussi  le  grand  plaisir  et  le  profit  très 
réel  d'y  pouvoir  examiner  une  riche  série  de  belles  reproductions;  par 
une  heureuse  disposition,  iM.  H.  a  constamment  rapproché  sur  une 
même  planche  deux  ou  trois  portraits  de  Dante,  ce  qui  facilite  grande- 


IJO  REVUE    CRITIQUE 

rncni  les  comparaisons;  nous  voyons  ainsi  quatre  fois  le  célèbre  buste 
de  Naples,  cinq  fois  le  «  masque  Torrigiani  »  conservé  aux  Offices, 
tous  deux  sous  des  angles  ditiérenis,  et  jusqu'à  onze  fois  le  prétendu 
portrait  par  Giotto,  sous  chacune  des  formes  où  il  nous  a  été  conservé, 
y  compris  la  criminelle  restauration  qui  l'a  détruit  à  tout  jamais.  Par 
cela  seul  le  livre  de  M.  H.  présente  un  grand  intérêt  et  une  incontes- 
table utilité.  Ce  n'est  pas  sa  faute  si  la  matière  qu'il  traite  ne  permet 
pas  d'espérer  qu'il  en  ressorte  une  conclusion  positive.  La  malheu- 
reuse fresque  du  Bargello  est-elle  réellement  de  Giotto?  est-ce  bien  là 
que  se  voyait  le  portrait  de  Dante  dont  nous  parlent  A.  Pucci  et 
F.  Villani?  M.  T.  H.,  très  consciencieux,  nous  offre  tous  les  moyens 
d'en  douter  une  fois  de  plus.  Cependant  concédons-lui  provisoirement 
qu'il  a  raison,  et  que  Giotto  a  peint  à  cette  place  le  portrait  du  poète, 
entre  i334  et  i336,  soit  plus  de  trente  ans  après  l'exil  de  Dante;  il 
n'en  reste  pas  moins  que  ce  portrait  représenterait  un  Dante  jeune, 
qui  nous  reporte  à  l'époque  de  la  Vita  Niiova.  Est-il  très  naturel  que 
vers  i335  on  pensât  à  ce  Dante-là  plutôt  qu'à  celui  de  VEnferl  Et  si 
Giotto  a  eu  cette  fantaisie,  s'il  a  peint  vers  i  335  le  Dante  de  i  290,  son 
œuvre  n'a  donc  pu  être  qu'une  idéalisation,  charmante  et  précieuse 
assurément,  mais  dépourvue  de  toute  valeur  documentaire.  —  En 
présence  d'un  aussi  mince  profit  historique,  je  retire  à  M.  Holbrook 
ma  concession  provisoire,  et  je  retiens  surtout  du  témoignage  for- 
mel de  Filippo  Villani  (dans  le  texte  latin,  qui  seul  lui  appartient)  que 
le  Dante  de  Giotto  était  sur  bois. 

C'est  ce  portrait  cependant  que  M.  H.  voudrait  nous  donner  pour 
la  source  de  tous  les  autres.  Ici  je  ne  puis  que  partager  le  scepticisme 
déjà  exprimé  par  un  distingué  critique  d'art  américain,  M.  F.  Jewett 
Mather,  dans  la  Romanic  Revieip  (vol.  III,  n.  i,  p.  118  et  suiv.)  :  la 
ressemblance  avec  des  portraits  postérieurs  est  trop  lointaine;  les 
détails  du  costume  (la  coiffure)  diffèrent  essentiellement,  et  enfin  ce 
personnage  mêlé  à  beaucoup  d'autres,  dans  une  fresque  d'une  chapelle 
peu  accessible  au  public,  n'était  guère  en  état  de  s'imposer  à  l'atten- 
tion des  admirateurs  du  poète.  M.  xMather  attache  plus  d'importance 
au  dessin  à  la  plume  du  cod.  Palat.  320,  et  se  montre  dispose  à  y  voir 
une  copie  tardive  du  portrait  exécuté  vers  1 332  par  Taddeo  Gaddi  à 
Santa  Croce,  et  depuis  longtemps  détruit.  Il  m'est  diflficile  de  com- 
prendre l'enthousiasme  et  les  illusions  qu'a  pu  soulever  le  dessin  du 
cod.  Palat.  32o;  la  dernière  hypothèse  dont  il  vient  d'être  l'objet  est 
un  pur  acte  de  foi,  qui  se  prête  mal  à  la  discussion. 

En  réalité,  il  existe  des  œuvres  remarquables  ou  caractéristiques  de 
la  seconde  moitié  du  xv''  siècle,  qui  attestent  dès  ce  moment  la  forma- 
tion définitive  du  type  classique  de  Dante  :  ce  sont  l'admirable  buste 
en  bronze  du  Musée  de  Naples,  la  miniature  du  cod.  Riccard.  1040, 
et  divers  moulages  connus  sous  le  nom  de  «  masques  ».  Il  va  sans  dire 
que  ces  masques  n'ont  pas  été  moulés  sur  le  visage  du  poète  mort; 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  I7I 

mais  ils  offrent  le  très  grand  intérêt  de  dériver  de  quelque  œuvre 
perdue,  dont  le  bronze  de  Naples  lui-même  pourrait  bien  n'ôtre 
qu'une  réplique.  Pour  le  dire  en  passant,  il  est  surprenant  que  M.  H. 
ait  seulement  reproduit  et  étudié,  parmi  ces  masques,  celui  que  le 
marquis  Torrigiani  a  offert  au  musée  des  Offices  :  ce  plâtre  peint 
a  été  retouché,  et  en  tout  cas  empâté  par  la  couleur  ;  c'est  donc  un 
reflet  estompé  de  ce  buste  primitif  que  nous  voudrions  tant  connaître. 
Le  moulage  ancien,  jadis  en  possession  de  Kirkup,  et  passé  depuis 
entre  les  mains  de  M.  Alessandro  D'Ancona,  qui  vient  d'en  faire  don 
à  la  ville  de  Florence  {La  Maschera  di  Dante  donata  al  Comune  di 
Firenze  dal  Sen.  A.  D'Ancona;  Florence,  in-S",  3  photogr.),  paraît 
à  cet  égard  plus  intéressant  :  certains  traits  de  la  physionomie,  fron- 
cement des  sourcils,  poches  des  paupières,  plis  de  la  joue  à  la  hauteur 
des  narines  et  au  coin  des  lèvres,  y  sont  d'un  réalisme  plus  accentué. 
Ce  sont  bien  les  mêmes  traits  que  le  bronze  de  Naples,  mais  celui-ci 
imprime  à  la  physionomie  une  plus  grande  expression  de  volonté,  qui 
parachève  la  création  artistique. 

Je  n'ajouterai  pas  mon  hypothèse  à  tant  d'autres,  sur  le  modèle  sup- 
posé dont  paraissent  dépendre  bronze,  moulages  et  miniature  ;  notre 
grand  désir  de  le  faire  remonter  à  quelque  artiste  contemporain  du 
poète  ne  doit  pas  nous  faire  perdre  de  vue  que  nous  ne  savons  positi- 
vement rien  à  ce  sujet. 

Henri  Hauvette. 

Fritz  Arnheim,  Der  Hof  Friedrichs  des  Grossen.  Erster  Teil  :  der  Hof  des  Kron- 
prinzen.  (Geschichte  des  Preussischen  Hofes,  herausgegeben  von  Georg  Schus- 
ter.  2.  Band).  Berlin,  Voss,  1912,  in-S»,  p.  285. 

Depuis  le  livre  de  Vehse  (i85i-58),  encore  populaire  malgré  son 
information  suspecte,  on  ne  possédait  aucun  ouvrage  sur  la  cour  de 
Prusse.  M.  Schuster,  archiviste  du  Preussisches  Hausarchiv,  a  voulu. 
combler  cette  lacune,  en  publiant  une  histoire  plus  sérieuse,  sans  com- 
mérages ni  anecdotes  controuvées,  et  en  raison  de  la  commémoration 
!  de  la  date  de  1712,  il  a  inauguré  sa  publication,  qui  comprendra  trois 
volumes  et  ira  de  1688  à  1888  par  un  volume  sur  la  cour  de  Frédé- 
ric II  confié  à  M.  Arnheim.  L'auteur  ne  nous  donne  encore  que  la 
première  partie,  jusqu'à  l'avènement  de  Frédéric.  Sur  la  jeunesse  du 
prince  héritier  les  travaux  abondent  :  Preuss,  et  plus  près  de  nous, 
MM.  Koser,  Droysen,  Bratuscheck,  Bêcher  etc.,  chez  no'us,  M.  La- 
visse,  de  nombreuses  publications  de  correspondances  et  de  mémoi- 
res, les  études  du  Hohen:(ollern-Jahrbuch  lui  offraient  une  mine 
inépuisable  de  renseignements  ;  il  s'est  aussi  fréquemment  adressé 
aux  contemporains  bien  en  situation  pour  tout  voir  et  entendre  :  Lehn- 
dorff,  Fassmann,  Seckendorff,  Bicifed,  etc.  Il  a  voulu  néanmoins 
ajouter  à  toutes  ces  sources  une  petite  part  d'inédit  :  les  lettres  de  la 
margrave,  de  Bayreuth,  plus  sincères  que  ses  fameux  Mémoires,  celles 


IJ2  REVUE    CRITIQUE 

de  la  Juchcssc  Charloiic  Je  Brunswick,  une  auire  sœur  du  roi,  les 
archives  de  Diisseldortf,  celles  de  Siockholni  et  dilTérents  documents 
de  famille  lui  ont  permis  d'apporter  quelques  détails  inponnus.  L'in- 
formation du  livre  est  donc  abondante  ci  a  été  soumise  à  un  contrôle 
sérieux  ;  M,  A.  avait  à  faire  justice  de  tant  de  fables  et  il  a  rejeté  tous 
les  récits  suspects.  Sur  la  mise  en  oeuvre  de  ces  matériaux  il  y  aurait 
des  réserves  à  faire.  M.  A.  nous  donne  plutôt  un  répertoire  de  notices 
biographiques  qu'une  véritable  histoire  delà  cour  de  Prusse;  seul 
Tordre  alphabétique  est  remplacé  par  Tordre  chronologique.  Les 
parents  du  roi,  ses  six  sœurs  et  ses  trois  frères,  tous  les  personnages, 
gentilshommes,  officiers,  artistes  ou  beaux-esprits,  qui  l'ont  tour  à  tour 
approché  à  Berlin,  à  Ktistrin,  à  Neuruppin  ou  à  Rhcinsberg,  défilent 
devant  nous,  et  l'auteur  suit  leurs  destinées  jusqu'à  leur  mort,  nous 
faisant  repasser  ainsi  vingt  fois  les  trois  guerres  de  Silésie  ;  souvent 
même  il  ajoute  une  notice  complémentaire  pour  les  proches  ou  les 
descendants  de  Tun  et  de  l'autre,  et  chacun  d'eux  reçoit  comme  un 
petit  éloge  académique  où  toutes  les  faveurs  royales,  les  avancements, 
les  grades,  les  distinctions  sont  soigneusement  mentionnés.  Quant  à 
la  vie  même  de  cette  cour,  elle  est  traitée  plus  rapidement  et  avec  des 
traits  trop  généraux,  ou  bien  l'auteur  s'attarde  à  des  détails  insigni- 
fiants, oiseux,  quelquefois  puérils;  elle  nous  apparaît  trop  à  distance, 
elle  manque  de  relief.  Nous  n'en  vovons  pas  non  plus  assez  les  dessous; 
les  espionnages  du  roi  Frédéric-Guillaume  sont  qualifiés  de  sollicitude 
paternelle,  les  galanteries  du  Kronprini  de  jeux  d'esprit  ou  d'atîec- 
tions  platoniques.  Dieu  sait  pourtant  si  les  brouilles  sont  fréquentes 
dans  les  amitiés  du  prince  et  plus  tard  du  roi  ;  son  caractère  autori- 
taire et  son  humeur  satirique  les  expliquent  en  gros,  mais  nous  aurions 
aimé  pénétrer  davantage  sa  vie  intime  avec  ses  familiers,  bref,  rece- 
voir une  histoire  moins  officielle  et  voir  l'auteur  déployer  dans  ce 
sujet  les  qualités  de  souplesse  et  de  profondeur  qu'il  exigeait.  J'adres- 
serai encore  à  M  .  A.  un  autre  léger  reproche.  ^La  langue  de  cette  cour 
était  presque  exclusivement  le  français,  même  l'allemand  qu'on  y 
parlait  est  habillé  en  français;  pourquoi  ne  pas  laisser  aux  fréquentes 
citations  qui  coupent  le  récit  leur  forme  originale?  La  traduction  en 
allemand  des  vers  de  Frédéric,  de  Voltaire  ou  d'autres  est  du  plus 
déplorable  effet  ;  des  citations  fidèles  n'auraient  arrêté  aucun  lecteur 
et  elles  n'auraient  pu  qu'ajouter  au  tableau  un  peu  plus  de  couleur 
locale.  Malgré  son  intérêt  si  dispersé  et  son  défaut  de  composition,  le 
livre  plaira  au  grand  public  auquel  il  s'adresse,  et  en  raison  même  de 
ce  défaut,  il  sera  d'un  maniement  commode  pour  nous  renseigner  sur 
l'entourage  de  Frédéric  avant  l'avènement  au  trône.  Un  appendice 
donne  l'indication  des  sources  principales  et  signale  les  emprunts  iaits 
aux  documents  inédits.  L'ouvrage  est  en  outre  orné  d'une  agréable 
reproduction  de  quelques  portraits  et  d'une  vue  de  Rheinsberg  dûs  a 
des  artistes  contemporains.  j^_  Roustan. 


d'histoire  et  de  littérature  173 

Bibliographie  Lorraine  1910-1911.  Revue  du  Mmivcineut  intellectuel,  nrtisti- 
que  et  économique  Ac  lu  Région  {Annales  de  l'Hst,  25''  année,  fasc.  3).  l'aris- 
Nanc\',  Beiger-Levrault,    191  r,  in-S°,  p.    i35. 

Le  3=  fascicule  des  Annales  de  l'Est  a  été  consacré  à  une  bibliogra- 
phie lorraine  pour  les  années  1910-191  i,  en  remontant  parfois  un  peu 
au-delà  de  ces  dates.  C'est  le  second  répertoire  que  publie  la  Revue 
depuis  sa  transformation.  Comme  le   précédent,   il   donne  un  compte 
rendu    lidclc  de   tous  les    ouvrages,  recueils    de   documents,    éludes, 
monographies  et  articles  intéressant  non  seulement  la  Lorraine  fran- 
çaise, mais  aussi  la  Lorraine  annexée  et  l'Alsace.  Pour  celle-ci  d'ail- 
leurs une  heureuse  innovation  lui  a  fait  réserver  un  chapitre  spécial, 
et  un   des    plus   Hdèles  collaborateurs   des  Annales,   M.    Keuss,  s'est 
chargé  de  la  rédaction  du  Bulletin  alsatique  qu\  ne  pouvait  être  confié 
à  une  plume  plus  qualifiée.  C'est,  je  pense,  cette  contribution   qui  l'a 
empêché  d'accepter  d'annoncer  ici  la  seconde  Bibliographie  Lorraine, 
comme  il  avait   fait  la  première.  M.  Reuss,  ayant  dû  embrasser  dans 
son  compte  rendu  les  années  1908  cà  1910,  lui  a  donné  un'=' forme  plus 
resserrée,  mais  il  a  su  rester  complet  et  substantiel  malgré   ce  cadre 
étroit.   Les  autres  collaborateurs  de  la  première  Bibliographie  Lor- 
raine ont  conservé  leurs  attributions  :  la  géographie  à  M.  Auerbach, 
l'archéologie  à  M.  Grenier,  l'histoire  à  M.  Parisot  qui  a  laissé  à  M.  le 
capitaine  Tournés   le  province  de  l'histoire  militaire;  le  mouvement 
économique  a  été  présenté  par   M.   Brocard,  le  mouvement  littéraire 
contemporain  par  MM.  Collignon  et  Estève.  Cette  bibliographie  avec 
son  fidèle  dépouillement  des  périodiques,  son  classement  systéinati- 
que  des  rnatières,  son  copieux  index  sera  un  commode  instrument  de 
travail  pour   les  chercheurs,    à  la  condition  de   maintenir  intacts  les 
droits  de  la  critique,  ce  qui  n'est  pas  toujours  aisé  à  un  organe  régio- 
nal chargé  de  juger  les  travaux   de  l'érudition  locale.  Les  collabora- 
teurs de  la  Bibliographie  lorraine  nous   ont  paru  concilier  leur  indé- 
pendance   de    critiques    avec     les    obligations    de    la    confraternité 
littéraire. 

L.    R. 


Henri  Stein,   Les  Grands   Sculpteurs  français  du   XVIIP    siècle,    Augustin 

Pajou.  Paris,  E.  Lévy,  gr.  in-S"   de  450  p.  avec  166  reproductions. 

On  n'avait  encore  rien  écrit  sur  Pajou  1  N'est-ce  pas  de  quoi  sur- 
prendre, à  une  époque  surtout  où  les  œuvres  de  ce  grand  artiste  sont 
plus  recherchées  que  jamais  par  les  collectionneurs?  C'est  que, 
d'abord,  toute  la  curiosité  des  biographes  et  des  critiques  s'est  con- 
centrée sur  quelques-uns  des  plus  fameux,  parmi  nos  maîtres  de  la 
sculpture  française  du  xviii'^  siècle,  et  qu'il  en  reste  beaucoup,  et  plus 
qu'on  ne  croit,  dont  la  vie  ci  le^  (jcuvres  aiiendeni  un  historien.  Et 
puis  Augustin  Pajou  a  vraiment  été  méconnu;  on  ne  s'est  pas  rendu 
compte  de  l'importance  de  son  génie  dans  l'évolution  de  l'art,  on  n'a 


174  REVUE    CRITIQUE 

pas  cherché  à  reconstituer  sa  carrière  de  production  pour  en  dégager 
le  caractère  de  ce  génie  original;  on  s'est  borné  à  le  juger  sur  deux 
ou  trois  (ouvres  connues  et  l'on  a  passé  rapidement  devant  lui  comme 
devant  tant  d'autres.  Or  il  n'est  pas  comme  tant  d'autres  et  méritait 
qu'on  le  dit.  C'est  à  quoi  M.  Henri  Stein  s'est  appliqué. 

La  tâche  n'était  pas  aisée,  on  s'en  apercevra  tout  de  suite.  C'est 
même  un  peu  l'excuse  des  historiens  de  l'art  et  des  critiques  d'occa- 
sion :  l'œuvre  de  Pajou  est  extrêmement  disséminée,  et  pour  en  parler 
en  connaissance  de  cause,  pour  le  reconstituer  même  sur  le  papier, 
entin  pour  la  révéler  à  nos  yeux,  dans  sa  suite  éloquente  par  de  fidèles 
et  nombreuses  reproductions,  il  fallait  une  patience,  une  ingéniosité 
et  une  critique  peu  communes.  Sa  biographie,  d'autre  part,  devait  cire 
entièrement  dressée  sur  pièces  originales.  Aussi  bien  M.  Stein,  ne  se 
posant  nullement  en  critique  d'art,  ne  voulant  pas  profiter  de  l'occa- 
sion pour  se  livrer  à  un  plaidoyer  en  règle,  étayé  de  considérations 
vagues,  a  surtout  tenu  à  exposer  les  faits,  à  fixer  les  dates,  à  déter- 
miner les  (X'uvres,  à  mettre  en  lumière  les  textes  utiles  et  intéressants. 
Son  livre  comporte  i66  reproductions  de  statues,  bustes,  bas-reliefs 
de  Pajou  ;  mais  à  quelles  recherches,  et  combien  variées  et  lointaines, 
n'a-t-il  pas  fallu  se  livrer  pour  les  trouver  d'abord,  les  faire  photo- 
graphier ensuite  !  Son  livre  renferme  encore  72  pièces  justificatives, 
lettres  de  Pajou,  ou  à  lui  adressées,  mémoires  de  travaux  exécutés, 
brevets...,  toutes  inédites,  puisées  dans  les  Archives  publiques  ou 
particulières.  Enfin,  bien  entendu,  un  catalogue  de  l'œuvre  a  été 
dressé,  mais  combien  n'était-il  pas  délicat  à  établir,  tant  de  pièces 
ayant  été  manifestement  pastichées  ! 

Enfin  M.  Stein  tenait  à  faire  œuvre  d'historien,  et  pensait  qu'il  ne 
pouvait  mieux  servir  la  cause  de  Pajou  mal  connu  qu'en  l'évoquant 
dans  son  milieu,  dans  son  temps,  parmi  ceux  qu'il  fréquenta  et  qui 
l'estimèrent.  C'est  ce  qui  donne  de  la  vie  et  de  l'homogénéité  à  son 
beau  travail,  où  l'on  sent  comme  une  longue  familiarité  avec  celui 
qui  en  est  l'objet.  Nous  ne  saurions  trop  l'en  féliciter.  —  Le  volume 
est  d'ailleurs  fort  bien  présenté  et  les  reproductions  sont  excellentes. 

Henri  de  Curzon. 


Collection  de  documents  inédits  sur  l'histoire  économique  de  la  Révolution  fran- 
çaise, publiée  par  le  Ministère  de  l'Instruction  publique  (en  vente  à  la  librairie 
Ernest  Leroux). 

1.  —  J.  AunER,  Le  Comité  des  subsistances  de  Toulouse,  12  août  1 793-3  mars 
J795,  correspondance  et  délibérations,    1912,  xi.iii-411  p.  £^r.  in-8. 

2.  —  Adolphe  Glullou  et  Armand  Rebii.i.on.  Département  d'Ille-et- Vilaine. 
Documents  relatifs  à  la  vente  des  biens  nationaux,  Districts  de  Rennes 
et  Bain,  191  i,  Lxxixet774p.   gr.  in-8. 

3.  —Paul  Moulin,  Département  des  Bouches-du-Rhône.  Documents  relatifs 
à  la  vente  des  biens  nationaux,  t.  IV,  191 1.  58i  p.  gr.  in-8. 

4.  —  Camille  Bloch   et   Alexandre   Tuetey,  Procès-verbaux   et  rapports   du 


d'histoire  et  de  littérature  175 

Comité  de  mendicité  de  la  Constituante,  1790-1791,  191  i,  i-x  ci  S47  p.  gr 
in-8. 

5.  _  Gustave  Lai  rknt,  Département  de  la  Marne.  Cahiers  de  doléances 
pour  les  États  généraux  de  1789,  1. 111,  Bailliages  de  Sézanne  et  Châtillon- 
sur-Marne  réunis,  2'  partie,  Chàtillon-sur-Marne.  1911,  ccxxiii  et  504  p.  gr. 
in-«. 

6.  —  .1.  J.  \'f.rnier,  Département  de  l'Aube,  Cahiers  de  doléances  du  bailliage 
de  Troyes  et  du  bailliage  de  Bar-sur-Seine  pour  les  États  généraux  de 
1789,  t.   111,  igi  I,  LXix  et  61  7  p.  gr.  in-8. 

7.  —Henri  Ske  et  André  Lesort, Département  d'IUe-et-Vilaine,  Cahiers  de  doléan- 
ces de  la  sénéchaussée  de  Rennes  pour  les  Etats  généraux  de  1789.  t.  III, 
Evêcliés  de  Saint-Malo  et  de  Saint-Bvieiic,  191 1,  835  p.  gr.   in-8. 

I .  Une  publication  du  genre  de  celle  qui  a  été  confiée  à  M.  Adher 
manifeste  d'une  façon  significative  le  manque  de  direction  dont  souffre 
le  comité  de  l'histoire  économique  de  la  Révolution.  Certes,  le  pro- 
blème de  l'alimentation  d'une  grande  ville  pendant  la  Terreur  est  un 
sujet  intéressant  mais  qui  demandait  à  être  traité  dans  toute  son 
ampleur.  La  commission  ici  avait  un  modèle  à  suivre,  l'excellente 
monographie  que  M.  Charles  Porée  a  consacrée  aux  subsistances 
dans  l'Yonne  pendant  la  Révolution.  Mais,  pour  écrire  des  études 
sérieuses,  complètes,  critiques,  il  faut  des  compétences  d'abord,  des 
recherches  longues  et  désintéressées  ensuite.  Il  est  beaucoup  plus 
simple  de  choisir  quelques  dossiers  ou  quelques  registres  dans  les 
archives  et  de  les  reproduire  plus  ou  moins  textuellement  en  les 
reliant  par  des  commentaires  décousus  et  incohérents  qui  ne  peuvent 
tenir  lieu  d'une  étude  critique,  mais  qui  font  de  l'effet  quand  ils  sont 
pourvus  de  nombreuses  références. 

M.  Adher,  .ayant  trouvé  aux  archives  de  Toulouse  deux  registres 
l'un  de  correspondance,  l'autre  des  délibérations  du  comité  puis  du 
bureau  qui  furent  chargés  de  veiller  à  l'approvisionnement  de  la 
ville  pendant  la  Terreur,  en  a  proposé  la  publication  à  la  com- 
mission qui  l'a  acceptée.  Il  faut  bien  que  la  commission  dépense  les 
crédits  qui   lui  sont  alloués. 

Pour  que  la  publication  de  M.  Adher  fût  vraiment  utile,  il  aurait 
fallu  qu'elle  embrassât  non  seulement  la  ville  de  Toulouse,  le  centre 
de  consommation,  mais  les  communes  rurales,  les  centres  de  produc- 
tion. L'éditeur  n'a  fait  aucune  recherche  dans  les  archives  des  cam- 
pagnes. Il  ne  connaît  les  archives  nationales  que  par  procuration, 
n'ayant  pas  fait  lui-même  le  voyage  de  Paris. 

Chose  plus  grave,  la  publication  n'est  conçue  qu'au  point  de  vue 
administratif.  L'éditeur  croit  avoir  assez  fait  quand  il  nous  a  décrit 
le  fonctionnement  du  comité  et  qu'il  a  analysé  ses  principales  délibé- 
rations. Mais  comment  ses  mesures  ont-elles  été  accueillies  par  les 
populations,  par  celles  de  villes  et  celles  des  campagnes?  Ont-elles 
discrédité  ou  fortifié  la  République?  C'est  ce  dont  il  ne  se  soucie  pas. 
Le  négociant  Groussac,  qui  dirigea  le  bureau  des  subsistances,  périt 
quelques  années  plus  tard  assassiné  par  des  ennemis  politiques.  Cet 


1^-6  REVITR    CRITIQUE 

assassinai  eut-il  pour  cause  sa  gestion  administrative?  M.  A.  ne  la  pas 
recherché.  L'iiistoiie  économique  ne  devient  intéressante  que  si  elle 
explique  rhisioire  sociale  cl  l'histoire  politique.  On  glanera  dans  ce 
recueil  des  renseignements,  il  est  impossible  d'en  tirer  des  con- 
clusions. 

2.  La  commission  a  enfin  reconnu  que  l'analyse  de  tous  les  procès- 
verbaux  des  ventes  de  biens  nationaux  rempliiait  d'innombrables 
volumes.  Les  deux  premiers  recueils  de  la  série,  ceux  de  MM.  Char- 
létN  et  Moulin  embrassaient  le  cadre  du  département.  Les  plus  récents, 
ceux  de  MM.  Schwab,  Marion,  Caudrillier  et  Benzacar,  Guillou  et 
Rebillon,  se  meuvent  dans  le  cadre  du  district.  MM.  Guillou  et  lle- 
billon  ont  choisi  dans  l'I Ile-et-Vilaine  deux  districts-types,  un  dis- 
trict urbain,  Rennes,  un  district  rural,  Bain. 

Leur  publication  est  très  soignée.  Ils  ont  disposé  leurs  analyses 
commune  par  commune,  mais  en  distinguant  les  ventes  des  biens  de 
première  origine  (clergé)  et  celles  des  biens  de  seconde  origine  (émi- 
grés). 

Les  décomptes  de  l'époque  impériale  et  les  dossiers  de  l'indemnité 
du  milliard  ont  été  judicieusement  utilisés.  Des  tableaux  bien  com- 
pris donnent  la  liste  des  propriétaires  dépossédés  et  la  liste  des  acqué- 
reurs et  soumissionnaires.  L'introduction  m'a  paru  claire,  précise,  un 
peu  sèche.  Les  conclusions  confirment  sur  plus  d'un  point  les  travaux 
de  MM  .  Marion  et  Dubreuil. 

3.  Le  recueil  de  M.  Paul  Moulin  est  terminé  avec  ce  quatrième 
volume  qui  contient  de  nombreuses  pièces  jusiiHcatives  en  annexes. 
Certaines  sont  très  intéressantes.  L'index  alphabétique  est  commun 
aux  quatre  volumes. 

4.  MM.  Camille  Bloch  et  Tuetey  ne  se  bornent  pas  à  transcrire  les 
registres  des  procès-verbaux  du  comité  de  mendicité  de  la  Consti- 
tuante, ils  réimpriment  aussi  ses  rapports  déjà  reproduits  à  leur  date 
dans  les  Archives  parlementaires^  dont  du  nioins  ils  s'abstiennent 
de  médire.  Les  annotations  sont  nombreuses,  l'introduction  assez 
longue  contient  un  historique  du  Comité,  des  notes  biographiques 
sur  ses  membres,  un  aperçu  de  son  fonctionnement  et  de  son  œuvre, 
une  description  des  archives  qu'il  a  laissées.  La  publication  est 
pourvue  d'un  bon  index. 

5.  Les  cahiers  du  bailliage  de  Chàtillon-sur-Marne,  qui  forment  le 
tome  III  des  cahiers  de  la  Marne  publiés  par  M.  Gustave  Laurent, 
sont  précédés  d'une  importante  préface  qui  n'occupe  pas  moins  de 
228  pages  et  qui  est  consacrée  d'une  part  à  l'histoire  administrative  et 
économique  des  deux  bailliages  de  Chàtillon  et  de  Sézanne  et  de 
l'autre  au  récit  des  opérations  électorales.  On  y  trouve  des  données 
précises  sur  les  impôts,  droits,  redevances  seigneuriales  perçus  en 
Champagne,  sur  les  cultures,  notamment  celle  de  la  vigne,  sur  les 
industries,   notamment  celles  de   la  bonneterie,  de  la  filature,  de  la 


D  HISTOIRE    KT    I)K    LITTKRATURK  I77 

tannerie.  M.  Laurent  a  bien  montre  que  le  fait  capital  du  xvni''  siècle 
fut  l'élévation  de  la  classe  des  parlementaires  qui  succéda  partout  à  la 
classe  des  anciens  seigneurs.  Les  annotations  sont  toujours  aussi 
abondantes  et  aussi  critiques. 

6.  Le  tome  troisième  et  dernier  des  cahiers  des  bailliages  de 
Troyes  et  de  Bar-sur-Seine  publiés  par  M.  J.-.T.  Vernier  est  précédé 
d'une  copieuse  introduction  qui  renferme  un  récit  de  la  campagne 
électorale  et  une  analyse  des  principaux  vœux  des  cahiers.  La  table 
des  matières  qui  termine  la  publication  est  une  table  analytique  qui 
m'a  paru   bien  faite. 

7.  Le  tome  1 1 1  des  cahiers  de  Rennes,  publiés  par  MM.  Henri  Sée  et 
André  Lesort,  est  conçu  sur  le  mC-me  plan  que  les  précédents  et  annoté 
avec  le  même  soin. 

Albert  Mathikz. 

St.  Wedkikwicz,  Materialien  zu  eiuer  Syntax  der  italienischen  Bedingungs- 
saetze  (Bcihcfte  zur  Zeitschrit't  Fur  romanische  Philologie.  XXXI).  Halle, 
M.  Niemeyer,  igi  i  :  in-H"  de  x-i  12  pages. 

Voici,  sous  un  titre  vraiment  bien  modeste,  une  excellente  contri- 
bution aux  études  de  syntaxe  italienne,  ou  pour  mieux  dire  romane. 
Ce  sont  des  matériaux,  si  l'on  veut,  qui  sont  ici  fournis,  mais  des 
matériaux  de  choix,  et  disposés  avec  un  soin  sufïisant.  L'auteur  n'a 
pas  seulement  dépoiv-illé  attentivement  les  anciens  textes  italiens,  il  a 
tenu  compte  aussi  de  nombreux  faits  dialectaux,  introduit  des  compa- 
raisons constantes  avec  les  autres  langues  romanes,  parfois  même  avec 
des  usages  slaves  ou  germaniques.  Il  en  résulte  un  livre  oii  la  forma- 
tion des  périodes  hypothétiques  en  Italie  est  mise  en  bonne  lumière. 
Après  quelques  remarques  préliminaires  d'un  caractère  général,  M.  W. 
a  passé  en  revue  les  conjonctions  les  plus  usitées  dans  la  protase  de  la 
période  conditionndle,  et  puisque  aussi  bien  se  est  par  excellence  la 
particule  dont  on  se  sert  en  ce  cas,  il  n'y  avait  pas  grand  chose  à  en 
dire.  Mais  on  lira  au  contraire  avec  intérêt  ce  qui  est  exposé  ici  (p.  25- 
29)  à  propos  de  l'emploi  de  ove  en  italien,  et  des  particules  locales 
similaires  ailleurs  ;  en  somme  ubi  pouvait  déjà  en  latin  servir  dans  ce 
cas,  comme  il  ressort  d'une  phrase  telle  que  celle  de  Salluste  :  Ubi 
socordiae  te  tradiJeris,  nequidquam  deos  implores^  et  c'est  là  une 
construction  qui  s'est  continuée  ensuite,  qui  est  d'une  certaine  fré- 
quence notamment  en  ancien  français.  On  pourrait  se  demander  si, 
venant  après  cela,  l'étude  des  périodes  hypothétiques  où  il  n'y  a  pas  de 
conjonction  est  vraiment  à  sa  place  :  la  vérité  c'est  que  c'est  par  là  sans 
doute  qu'il  eût  fallu  commencer,  si  l'on  voulait  suivre  un  ordre  chro- 
nologique rigoureux  ;  c'est  par  un  emploi  temporel  et  modal  que  la 
pensée  s'est  d'abord  fait  jour,  et  l'emploi  des  particules  n'a  été  qu'un 
procédé  postérieur  et  accessoire  pour  lui  donner  plus  de  clarté  ou 
d'intensité.  Quoi  qu'il  en  soit,  M.   W.  a  très  bien  délimité  les  trois 


I  78  REVUE    CRITIQDE 

constructions  essentielles  qui  sont  possibles  lorsqu'on  se  passe  de  con- 
jonction ;  de  plus  il  a  bien  fait  ressortir  la  rareté  en  italien  moderne  du 
type  qui  correspond  à  notre  phrase  tu  me  le  dirais,  je  ne  le  croirais 
pas  :  c'est  là  un  type  qui  en  Italie  a  été  déclinant,  tandis  qu'il  occupe 
une  place  importante  dans  la  stylistique  du  rrani;ais  contemporain. 

Le  chapitre  le  plus  développé  de  l'ouvrage  est  naturellement  celui 
qui  a  trait  à  l'emploi  des  temps  et  des  modes  du  verbe  (p.  46-1  12).  A 
propos  do  l'hypothèse  réelle,  M.  W.  a  eu  à  faire  remarquer  que  le 
futur  après  se  déjà  répandu  en  ancien  italien  reste  encore  très  possible 
aujourd'hui.  Mais  c'est  surtout  dans  la  structure  de  la  période  irréelle 
que  la  complexité  s'accroît,  et  que  l'auteur  a  pu  faire  ses  constatations 
les  plus  intéressantes  :  je  ne  puis  ici  ni  les  discuter,  ni  même  les  signa- 
ler toutes  dans  l'ordre  où  elles  se  présentent.  Vers  la  Hn  du  mémoire, 
par  exemple,  il  a  été  indiqué  avec  raison  qu'un  type  se  avevo-davo 
(donc  avec  l'imparfait  de  l'indicatif  dans  les  deux  membres)  s'est 
constitué  vers  l'époque  de  Boccace,  et  est  encore  très  florissant  de  nos 
jours.  D'autre  part,  l'ancien  type  du  latin  impérial  si  habuissem-dedis- 
sem  semble  avoir  été  plus  vivace  en  Italie  qu'on  ne  le  croyait  généra- 
lement, et  cette  remarque  a  bien  son  prix  :  c'est  surtout  dialectalement 
au  Nord  qu'il  s'est  conservé,  on  le  trouve  dans  les  textes  de  la  Lom- 
bardie,  et  il  y  a  là  par  conséquent  un  usage  qui  rejoint  celui  des  idiomes 
rhétiques.  Mais  ce  n'est  pas  tout,  car  une  autre  question  est  liée  à 
celle-là.  Que  le  remplacement  de  dedissem  par  dare-habui  dans  l'apo- 
dosc  ait  donné  naissance  au  type  italien  par  excellence,  voilà  qui  va 
de  soi  et  ne  saurait  faire  difficulté.  Seulement  on  doit  se  demander 
de  plus  si  dare-habuissem  y  a  existé  concurremment  à  un  moment 
donné,  comme  certains  l'ont  admis,  et  si  c'est  de  la  sorte  que  s'expli- 
quent quelques  formes  de  conditionnel  telles  que  cantaress  qu'on  ( 
relève  en  Milanais  et  ailleurs.  La  question  reste  obscure,  même  après 
les  bonnes  remarques  qu'a  faites  ici  M.  "Wedkie.wicz  ;  il  n'arrive,  je 
crois,  qu'à  des  probabilités,  et  admet  pour  sa  part  des  actions  analo- 
giques en  effet  possibles.  On  lira  avec  fruit  cette  discussion,  ou  plutôt 
le  livre  tout  entier,  comme  je  l'ai  déjà  dit. 

E.    BOURCIEZ. 


Fr.  Fankhauser,  Das  Patois  von  Val  d'Illiez  (Unterwallis).  Halle,  Ehrhard  Kar- 
ras,   191 1;  in-8»  de  223  pages. 

Celte  étude  qui  est  une  dissertation  de  l'Université  de  Berne,  a  déjà 
paru  dans  les  tomes  II  et  III  de  la  Revue  de  dialectologie  romane  : 
elle  méritait  d'y  figurer  par  le  soin  avec  lequel  elle  a  été  faite,  je  dirai  î 
même  par  la  nouveauté  de  quelques-uns  de  ses  résultats.  La  région 
explorée  est  la  vallée  de  la  Vièze,  la  dernière  vallée  importante  qui  se 
trouve  sur  la  rive  gauche  du  Rhône  avant  que  le  fleuve  pénètre  dans 
le  lac  Léman.  Il  y  a  là  trois  centres  qui  otîrent  quelque  intérêt, 
d'abord  Val  d'Illiez,  puis  Champéry  et  Troistorrents  :  or  c'est  essen- 


d'histoire  et  de  littérature  179 

tiellement  sur  ces  deux  derniers  que  nous  avaient  été  donnés  quelques 
détails  linguistiques  précis,  dans  le  Glossaire  de  Bridel  qui  est  déjà 
ancien,  puis  surtout  dans  le  Petit  Atlas  phonétique  du  Valais  de  Gil- 
liéron.  M.  Fankhauser  a  donc  bien  fait  de  reprendre  la  question,  et 
de  l'cxami^ier  dans  son  ensemble.  Il  a  commencé  par  exposer  les 
conditions  topographiques  et  historiques  de  la  vallée  de  la  Vièze  : 
peut-être  l'a-t-il  fait  un  peu  longuement  (p..  4-18)  et  avec  un  certain 
luxe  de  détails,  étant  donné  qu'il  n'avait  qu'à  puiser  dans  un  livre 
connu  de  A.  de  Claparède,  paru  à  Genève  et  qui  en  est  à  sa  3*  édi- 
tion. Lorsqu'il  arrive  à  l'étude  linguistique  proprement  dite,  on  pour- 
rait sans  doute  aussi  lui  reprocher  de  n'avoir  eu  recours  de  parti-pris 
qu'au  témoignage  de  gens  âgés  d'au  moins  soixante  ans  :  le  désir 
d'atteindre  de  la  sorte  un  patois  «  plus  pur  »  est  vraiment  quelque 
chose  de  chimérique,  et  ce  dont  on  se  prive  en  procédant  ainsi  c'est 
de  surprendre  l'idiome  dans  son  évolution  actuelle.  Mais  à  cela  près, 
et  en  tant  qu'elle  représente  l'état  du  patois  de  Val  d'Illiez  vers  1860 
l'étude  est  intéressante  et  assez  bien  conduite,  prouve  aussi  que  l'au- 
teur a  des  connaissances  étendues  sur  les  parlers  de  la  région  franco- 
provençale.  C'est  la  phonétique  surtout,  et  dans  la  phonétique  le 
traitement  des  voyelles  qui  présentent  les  traits  saillants.  Rien  déplus 
spécifique  notamment  que  la  diphtongaison  de  Vi  accentué  libre  qui 
aboutit  à  oy  (dans  amoj^,  partoy  =  amicum,  partire)  à  Val  d'Illiez 
tandis  qu'il  reste  intact  dans  les  localités  voisines  :  on  a  aussi  du 
reste  ay^  ou  ey  dans  certaines  conditions  {nerœy,  ferey=  nutrire, 
ferire).  L'importance  toute  particulière  du  fait  n'a  point  échappé  à 
M.  F.,  il  y  est  revenu  (p.  5  i  suiv.)  pour  indiquer  les  autres  points  du 
domaine  roman  où  on  en  a  signalé  d'analogues,  et  fixer  à  celui-ci  une 
date  approximative  (entre  1820  et  1866).  Mais  je  ne  vois  pas  qu'il  ait 
cherché  à  déterminer  nettement  le  processus  :  on  a  dû  avoir  une  série 
iy^  ey,  œy,  oy,  avec  certains  arrêts  conditionnés  par  la  nature  des 
consonnes  précédentes.  Quoique  offrant  çà  et  là  quelques  détails  spé- 
ciaux, le  traitement  des  autres  voyelles  et  celui  des  consonnes  est  en 
somme  d'accord  avec  l'allure  ordinaire  des  parlers  franco-proven- 
çaux. On  remarquera  dans  les  paragraphes  consacrés  à  Vu,  les  diver- 
gences que  peut  amener  la  finale  du  mot,  et  comment  par  exemple  à 
un  participe  masculin  ^er<i«  correspond  ici  un  féminin  perdiva  (avec 
l'accent  sur  a).  J'ai  quelque  peine  à  me  figurer  la  prononciation  d'un 
mot  comme  fome  (fumât),  où  l'o  étant  déjà  nasalisé,  le  m  serait  en 
outre  redoublé  :  M.  F.  a  représenté  ces  consonnes  allongées  m,  n,  r, 
en  les  surmontant  d'une  petite  barre  horizontale,  mais  il  a  négligé  de 
l'indiquer  dans  son  tableau  des  signes  à  la  p.  26.  La  morphologie  du 
patois  de  Val  d'Illiez  est  beaucoup  moins  développée  que  ne  l'était  la 
phonétique,  car  elle  tient  en  quinze  ou  vingt  pages  :  il  semble  cepen- 
dant que  l'essentiel  y  ait  été  dit,  mais  comme  ces  formes,  de  l'aveu 
même  de  l'auteur  (p.  148,  note  i),  reposent  uniquement  sur  le  témoi- 


l8o  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRK    ET    DE    LITTÉRATURE 

gnage  d'un  seul  sujet,  on  peut  se  demander  si  Tcnsemble  en  est  tout 
à  l'ait  silr,  Malj^ro  cela  cotte  étude,  complétée  par  un  petit  recueil  de 
Textes,  par  divers  appendices  comparatifs  et  un  double  index,  a  évi- 
demment coulé  de  la  [leine  et  du  temps  à  M.  i^'anidiauser  :  elle  lui 
lait  honneur  en  somme  par  les  résultats  déjà  obtenus,  et  permet  d'au- 
gurer favorablement  de  ses  travaux  ultérieurs. 

K.    BOURCMCZ.  ! 


Archivio     Glottologico    Italiano.     Wll,    puniafa    2.    pp.     i47-2<SS.    Torino, 
E.  Lœschcr,  10  i  1 . 

L' Archivio  fondé  en  1873  par  Ascoli,  et  où  l'illusire  linguiste  a 
donné  la  plupart  de  ses  travaux  relatifs  aux  idiomes  romans,  pour- 
suit sa  publication  intermittente;  sous  l'habile  direction  de  M.  Goi- 
dànich  il  n'a  point  dégénéré,  et  se  consacre  de  plus  en  plus  au  défri- 
chement en  tous  sens  des  dialectes  italiens.  Le  cahier  que  j'ai  sous  les 
yeux  renferme  deux  études  importantes  :  l'une  due  à  M.  G.  Malagoli, 
est  la  continuation  d'une  Phonologie  du  dialecte  de  Novellara  (Heg- 
gio)  ;  l'autre  qui  commence,  sous  la  signature  de  M.  B.  Terracini,  est 
relative  au  Parler  d'Usseglio  (Piémont).  Ce  fascicule  est  complété 
par  diverses  variétés,  notamment  par  des  étymologies  souvent  inté- 
ressantes de  M.  Angelico  Prati,  et  une  note  sur  le  vocalisme  de  buono, 
bello  ei  bene  en  proclise  dans  le  toscan  —  note  curieuse,  où  M.  Goi- 

dànich  a  fait  preuve  de  sa  sagacité  habituelle. 

^  "^  E.  B. 


Clark  S.  Ncjktiiup,  The  présent  bibliographical  status  of  Modem  Philology. 

The  University  of  Chicago  Press,   iqi  i  ;  in-8"  de  42  pages. 

Cette  brochure,  imprimée  pour  le  compte  de  Bibliographical  So- 
ciety of  America,  cherche  à  montrer  comment  on  pourrait  coordon- 
ner d'une  façon  systématique  les  divers  travaux  de  bibliographie  exé- 
cutés depuis  le  milieu  du  xix<^  siècle  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en 
France;  il  en  résulterait  évidemment  que  beaucoup  de  peine  et  de 
tâtonnements  seraient  épargnés  aux  travailleurs.  L'opuscule  de 
M.  Clark  S.  Northup  est  précédé  d'un  Plan  de  Bibliographie  pério- 
dique dû  à  M.  Christian  Bay,  et  suivi  d'analyses  de  lettres  écrites  par 
les  Professeurs  qui  représentent  dans  les  Universités  des  Etats-Unis 
les  études  relatives  aux  diverses  langues  modernes.  On  ne  saurait  nier 
qu'il  n'y  ait  dans  ces  desiderata  de  la  justesse  et  une  entente  du  côté 
pratique  ou  utilitaire  des  choses  :  mais  que  leur  réalisation  —  si  elle 
était  possible  —  fût  un  gage  certain  pour  les  futurs  progrès  de  la  lin- 
guistique et  de  la  littérature,  c'est  une  autre  question. 

E.  B. 

IJ" imprimeur-gérant  :  Ulysse    Rouchon 


Le   l'uy-eu-Velay.   —   Imprimerie  Pcyriller,  Roucliou  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  36  —  7  septembre.  —  1912 

Jéquier,  L,es  monuments  égyptiens  de  Spalato.  —  Seteie,  La  légende  égyptienne 
■  de  Toeil  du  Soleil.  —  Boeser,  Les  tombeaux  memphites  du  Musée  de  Leyde.  — 
Maxudianz,  Le^' parler  arménien  d'Akn.  —  La  Chronique  d'Eusèbe,  p.  p.  Karst. 
—  Cappelli,  Lexique  des  abréviations  latines  et  italiennes.  —  E.  Diehl,  Inscrip- 
tions latines.  —  Lénel,  Etudes  istro-vénitiennes.  —  Oulmont,  Gringore.  — 
Weulersse,  Le  mouvement  physiocratique  en  France;  Les  manuscrits  de  Ques- 
nay  et  du  marquis  de  Mirabeau.  —  Dutil,  L'état  économique  du  Languedoc  à 
la  fin  de  Fancien  régime.  —  Aynard,  Londres.  —  Guerlin,  Chambord.  — 
A.  PicHON,  Fra  Angclico.  —  Holbein. —  Chroniques  Byzantines,  XV.  —  Mac- 
cari,  Stichomythie;  Dionysus  minor  ;  Raphaël  et  l'antiquité.  —  Chiapelli, 
Figures  modernes. 


G.  JÉQLiER,  Les  Monuments  Egyptiens  de  Spalato  (Dalmatie),  Extrait  de  Spa- 
lato, le  palais  de  Dioclétien  par  E.  Hébrard  et  Jacques  Zeiller,  Paris,  Ch.  Massin, 
igi  2,  in-f»,    10  p.  et  i  pi. 

1d.,  La  Sfinge  nel  Peristilio  del  Palazzo  di  Diocleziano  a  Spalato  (Estratto 
dalBulletino  di  Archeologia  e^toria  Dalmata,  igio,  p. 174-179),  Spljet,  Narodna 
Tiskara,  1912,' in-S»,  7  p.  et  3  pi. 

Les  deux' brochures  sont  les  deux  rédactions  différentes  d'un  même 
mémoire  :|ritalienne  ne  comporte  point  de  scènes  hiéroglyphiques  et 
les  mots'égyptiens  y^sont  transcrits  en  caractères  latins  ;  la  française 
donne  les  textes  originaux,  et  elle  est  plus  développée. 

Les  monuments  égyptiens  décrits  sont  au  nombre  de  trois,  le  grand 
sphinx,  placé  dans  le  péristyle  du  palais  de  Dioclétien,  le  petit  sphinx 
sans  tête  et  une  tête  de  sphinx  du  Musée.  La  tête  est  anonyme,  et  le 
petit  sphinx  date  d'Amènôthès  III,  mais  les  inscriptions  tracées  sur  la 
base  ne  contiennent  que  des  formules  sans  intérêt  :  le  grand  Sphinx 
a  perdu'Ies  cartouches  du  roi  qu'il  représentait,  et  il  porte  sur  la  base 

"  une  liste  géographique  endommagée,  qui  est  un  extrait  assez  long  de 
celles  de  Thoutmôsis  III.    La  portion  relative  aux  pays  du  midi  est 

■  détruite,  à  trois  noms  près,  et  il  ne  reste  que  vingt-six  noms  de  la 
portion  relative  aux  pays  du  Nord.  Jéquier  les  lit  et  il  les  identifie,  un 
peu  d'après  les  travaux  de  Mariette  et  de  Max  Muller,  un  peu  d'après 
les  miens.   Quelques-unes  de  ses  identifications  ne  me  paraissent  pas 

'  correspondre  suffisamment  aux  formes  que  lés  noms  prennent  lors- 
qu'on les  remet  en  caractères  sémitiques.   Ainsi  le  n°  g,  Aqidoiia,  ne 
peut  être  laqdeâm  de  Juda,  le  second  terme  àm  manquant  dans  l'Egyp- 
tien. Le  n°  37,  Ashoushkhen^  n'a  de  commun  qu'une  seule  lettre  avec 
Nouvelle  série  LXXIV  36 


l82  REVUE    CRITIQUE 

î 

la  Shakhatzîm  d'Issakhar,  ce  qui  ne  suffit  pas  à  Justifier  le  rapproche- 
ment. Le  n°  38,  Ranama,  ne  saurait  être  comparé  à  la  Nimrah  de 
Juda  que  si  l'on  intervertit  l'ordre  des  lettres,  ce  qui  est  inadmissible,  j 
Nous  savons  aujourd'hui  que  les  scribes  thébains  pratiquaient  eux-  ' 
mêmes  l'écriture  cunéiforme  usitée  en  Syrie,  ou  qu'ils  avaient  des  col- 
lègues syriens  qui  la  connaissaient  d'enfance.  Ils  pouvaient  donc  tra- 
duire ou  se  faire  traduire  signe  à  signe  les  noms  asiatiques,  et  il  n'est 
guère  probable  qu'ils  se  soient  permis,  au  cours  de  ce  travail,  les 
fantaisies  d'inexactitude  qu'on  leur  prête  en  proposant  des  identifica- 
tions du  genre  de  celles  que  je  viens  d'indiquer.  Je  me  hâte  d'ajouter 
que  ce  sont  les  seules,  et  que  pour  le  reste  Jéquier  s'est  montré  fort 
prudent.  Ses  deux  mémoires,  sans  nous  révéler  un  document  capital 
pour  la  géographie,  nous  fournissent  un  bon  élément  d'étude  en  plus 
de  ceux  que  nous  possédions  déjà  :  ils  sont  les  bienvenus. 

G.  Maspero. 


KuRT  Sethe,  Zur  Alteegyptischen  Sage  vom  Sonnenauge  da*  in  der  Fremde 

•war  (forme  le  troisième  fascicule  du  t.  V  des  Untersuchiingen  :[ur  Gescliichte 
und  Alterthumskitnde  jEgyptens).  Leipzig,  J.  C.  Hinrichs'sche  Buchhandlung, 
19  lo,  in-4"',  x-40  p. 

Le  mémoire  de  Sethe  lui  a  été  suggéré  par  la  lecture  de  celui  que 
Junker  publia,  l'an  dernier,  sur  VExode  d' Hathor-Tefnut  hors  de  la. 
Nubie.  Ainsi  qu'il  a  été  dit,  Junker  avait  reconstitué,  par  le  moyen  de 
textes  dispersés  dans  les  temples  gréco-romains,    cette   merveilleuse 
histoire  de  la  déesse  rentrant  victorieuse  dans  son  pays  d'origine  : 
c'était  pour  lui  une  œuvre  d'une  seule  venue,  dont  le  fond   ne  s'était 
altéré  que  très  peu  dans  les  diverses  localités.  Le  dieu  Râ  avait  une 
fille  Tefênît,  une  lionne  féroce  qu'il  avait  reléguée  dans  le  désert  ara-  , 
bique,  entre  El-Kab  et  la  Mer  Rouge.  Sur  ses  vieux  jours,  pressé  par  i 
ses  ennemis,  il  l'appela  à  son  aide,  et  comme  elle  ne  connaissait  pas 
l'Egypte,  il  l'envoya  chercher  par  son  fils  Shou  que  Thot  accompa- 
gnait. Ils  se  déguisèrent  en  singes,  et  parvenus  à  son  gîte,  Thot  lui  j 
persuada  par  de  beaux  discours  qu'elle  devait  les  suivre  dans  la  lutte  ' 
contre  Typhon.  Ils  la  ramenèrent  donc  à  Philae  avec  une  escorte  de 
cynocéphales,  ils  y  célébrèrent  des  fêtes  en  son  honneur,  puis  ils  l'em- 
barquèrent sur  le  Nil  :  elle  rejoignit  le  Soleil  au  milieu  de  la  joie  uni- 
verselle. Sethe  pense  qu'il  y  a  là  non  pas  un  morceau  homogène,  mais 
un  assemblage  de  traits  empruntés  à  d'autres  mythes,  et  il  essaie  d'en 
retrouver  les  origines. 

Ils  se  seraient  assemblés  autour  d'un  concept  très  ancien,  celui  des 
yeux  d'Horus  le  ciel,  l'œil  droit  qui  est  le  Soleil  et  l'œil  gauche  qui 
est  la  Lune.  Par  une  confusion  assez  naturelle  entre  le  ciel  et  le  Soleil, 
l'astre,  qui  d'abord  était  l'œil  du  ciel,  serait  devenu  l'œil  du  Soleil,  . 
l'Œil  de  Râ,  et  comme  le  mot  œil  est  du  féminin  en  égyptien,  l'Œil  1 
de  Râ  se  serait  incarné  dans  le  corps  d'une  déesse  qui  est  en  même 


d'histoire  et  de  littérature  i83 

temps  la  déesse  du  feu,  puis  d'une  uroeus  qui,  enroulée  autour  du  dis- 
que solaire,  crachait  la  flamme  contre  ses  ennemis.  Rà  l'aurait  dépê- 
chée en  Nubie  pour  y  combattre  les  rebelles  qui  menaçaient  sa  royauté, 
et  il    l'aurait  accueillie  triomphalement  lorsqu'elle   revint  après  les 
avoir  anéantis.  C'est  autour  de  ce  thème  antique   de  l'Œil  du  Soleil 
séparé  de  son  maître  pour  aller  à  l'étranger,  que  se  seraient  groupés 
des  épisodes  empruntés  à  des  concepts  similaires,  et  le  tout  mêlé  aurait 
prêté   aux    mythologues  des  basses  époques  égyptiennes   la  matière 
d'une  ou  de  plusieurs  de  ces  chroniques  fabuleuses   auxquelles  ils  se 
complaisaient.  L'addition  la  plus  importante   est  celle  qui   assimila 
l'œil  du  Soleil  à  la  fille  du  Soleil,  Tefênît-Tafnout,  et  qui   métamor- 
phosa l'urasus  en  une  lionne.  En  effet,  grâce  à  cette  identification  les 
déesses-lionnes  se  fondirent   dans  les  déesses-uraeus,  et  ce  que  l'on 
croyait  des  unes  fut  attribué  également  aux  autres,  à  Philae,  à  Bou- 
gam,à  Esnèh,  à  Thèbes,  à  Dendérah,  à  Thinis,  à    Béni-Hassan.  La 
plus  populaire  de  ces  associations  et  la  plus  riche  en  conséquences  fut 
celle  qui  alla  Tefênît  à  Hathor  de  Dendérah.  Hathor  y  gagna  de  deve- 
nir l'œil  du  Soleil,  mais  elle   donna  à   celui-ci    et  par  conséquent  à 
Tefênît  son  cycle  de  légendes,  y  compris  celles  qui  la  faisaient  origi- 
naire du  Pouânît  ou  qui  la  mettaient  en  rapport  avec  Byblos  de  Phé- 
nicie.  Ces  éléments  ne  se  pénétrèrent  jamais  assez  complètement  pour 
constituer  l'ensemble  homogène  que  Junker  avait  cru  retrouver. 

Telle  est  la  thèse  de  Sethe  dans  sa  généralité  :  j'aurais  trop  à  faire 
d'en  détailler  les  points  secondaires.  Jusqu'à  présent,  il  pense  avoir 
déterminé  cinq  formes  du   mythe  :  chacune  d'elles  représenterait  un 
moment  particulier  dans  le  développement.  i°  D'abord,  à  Héliopolis, 
aux  temps  anté-historiques.  l'Œil  du  Soleil  est  l'astre  proprement  dit, 
l'œil  du  dieu  solaire  :  on  dit  que  cet  Œil  part  à  l'étranger,  peut-être 
en  Nubie,   quand  le  ciel  se  couvre  de  nuages  et  qu'il  revient  après 
que  ses  rayons  ont  dissipé  l'obscurité.  2°  Un  peu  plus  tard,  mais  tou- 
jours dans  les  temps  anté-historiques,  à  Bouto,  l'Œil  est  considéré 
comme  étant  l'uraeus  enflammée  qui  protège  le  soleil,  et,  par  suite  le 
roi  et  son  pays  de  Basse-Egypte.  Le  mythe  se  répandit  à  Bégéh,  à 
Kom-Ombo,  à  Dendérah  :  la  déesse  y  est  censée  revenir  de  la  Nubie 
vers    Rà,   d'elle-même,  après  avoir  abattu   les  ennemis,  et  elle   est 
accueillie  en  fête  par  Thot  dans  la  localité  où  elle  s'établit.  3°  L'Œil 
est  une  flamme  qui  veille  sur  le  roi  de  la  Haute-Egypte,  peut-être  par 
opposition  à  l'uraeus  de  Bouto  ;  elle  sort  de  Séhel,  elle  s'empare  de 
l'Egypte  entière,  puis  elle  escalade  le  ciel  afin  de  s'y  réunir  au  Soleil. 
La   légende    est   postérieure   à   la   réunion    des   deux    royaumes   par 
Menés  :  née  à  Éléphantine,  elle  a  gagné  Dendérah,  Thèbes  et  El- 
Kab,  probablement  en  se  contaminant  avec  celle  des  déesses  de  ces 
deux  cités.  4°  L'Œil  est  Tefênît,  la  lionne  fille  de  Râ,  la  patronne  de 
Léontopolis  près  d'Héliopolis  :  Shou  va  la  prendre  en  Nubie,  pour 
qu'elle  le  débarrasse  de  ses  ennemis.  On  relève  les  traces  de  cette  ver- 


184  REVUE    CRITIQUE  -  ^ 

sion  dès  la  première  dynastie,  mais  elle  est  certainement  antérieure,  j 
Elle  a  gagne  Bcgèh,  Kom-Ombo,  El-Kab,  Esnèh,  Thèbes,  Dendérah,  j 
Thinis,  Spéos  Artémidos  et  Memphis.  5.  L'Œil  est  Hathor,  mais  | 
cette  version  n'apparaît  qu'assez  tard  dans  les  âges  historiques.  Elle  a  j 
Dendérah  ou  Kousie  pour  lieu  d'origine,  et  elle  a  eu  grand  succès  en  ! 
Egypte  et  en  Nubie.  La  déesse  y  vient  soit  de  Ryblos,  soit  surtout  du  ' 
Pouanit  et  du  désert  Arabique,  avec  une  armée  de  singes  chantants  et  ' 
dansants,  qu'on  prétendit  plus  tard  avoir  été  commandée  par  Shou  et  \ 
par  Thot  transformés  en  cynocéphales.  Voilà  en  gros  les  cinq  posi- 
tions que  M.  Sethe  assigne  au  mythe,  contre  l'opinion  de  Junker. 

Il  a  fort  ingénieusement  trié  les  documents,  et  l'analyse  à  laquelle 
il  les  a  soumis  a  prouvé  qu'il  avait  raison  de  ne  pas  en  admettre 
l'homogénéité.  Il  est  certain  qu'il  y  a  eu  là  des  lais  successifs  d'idées, 
dont  beaucoup  peuvent  être  ramenées  à  leur  première  origine  et 
qu'ils  se  sont  déposés  sur  le  concept  d'une  déesse  protectrice  du 
soleil;  mais  cette  déesse  est-elle  uniquement  l'Œil  de  Rà?  Sethe  a  été 
influencé  par  les  théories  qui  représentent  les  dieux  comme  les  forces 
de  la  nature  et  leurs  actions  comme  l'interprétation  du  jeu  de  ces 
forces.  L'exil  de  la  déesse  et  son  retour  victorieux  symboliseraient 
pour  lui  la  lutte  du  soleil  contre  les  nuages  et  son  triomphe  sur  eux. 
Quand  on  a  vécu  langtemps  en  Egypte,  on  n'est  guère  disposé  à  se 
contenter  de  cette  explication  :  les  nuages  y  sont  trop  rares  et  trop 
fugitifs  pour  que  les  Égyptiens  aient  jamais  pu  s'imaginer  qu'ils 
mettaient  sérieusement  en  danger  la  domination  du  Soleil.  Il  me 
semble  qu'à  tenir  compte  simplement  des  textes  allégués,  deux 
déesses  au  moins  ont  contribué  pour  une  part  égale  à  former  la 
légende,  une  déesse-serpent  dans  le  Nord,  une  déesse-flamme  dans  le 
Sud.  Le  soleil  est  à  la  fois  vivifiant  et  meurtrier  :  sa  lumière  tue,  lors- 
qu'on s'expose  à  elle  imprudemment  pendant  les  heures  mauvaises 
du  jour.  Toutefois,  il  est  trop  loin  de  nous  pour  abattre  ses  victimes 
directement,  de  sa  propre  main  :  il  les  atteint  soit  par  un  trait  de  flamme 
qui  alors  devient  un  être  indépendant,  soit  par  le  jet  du  serpent  qui 
personnifie  la  mort,  l'uraeus,  d'où  la  déesse  flamme  de  Bégéh,  et  la 
déesse  Uraeus  de  Bouto.  L'énergie  malfaisante  du  Soleil  créa  donc  ta 
légende  des  déesses,  exécutrices  de  ses  volontés,  qui  frappent  ses 
ennemis.  Plus  tard  seulement,  on  songea  à  faire  d'elles  les  yeux  du 
dieu  et  à  les  assimiler  à  l'œil  d'Horus,  Horus  [Harou],  le  ciel,  est 
par  calembourg  une  face  {harou)  divine,  dont  le  Soleil  et  la  Lune 
sont  les  deux  yeux.  D'autre  part  le  Soleil,  en  tant  qu'être  à  forme 
humaine,  a  ses  deux  yeux  qui  tuent  :  d'où,  l'identification  des  déesses 
.qui  tuent  pour  le  soleil  avec  l'œil  du  Soleil,  et  comme  le  Soleil  est  I 
lui-même  l'œil  d'Horus,  avec  l'Œil  d'Horus.  Gomment  cette  légende 
de  l'Œil  d'Horus,  propre  d'abord  à  Horus  l'aîné,  Haroêris,  s'ap- 
pliqua par  la  suite  à  Horus  fils  d'Isis,  Harsiêsi,  et  se  combina  avec  la 
jradition  qui  amenait  celui-ci  d'Ethiopie  avec  ses, forgerons,  on  lima- 


d'histoire  et  de  littérature  i85 

ginera  aisément  si  on  lit  à  Edfou  le  récit  des  guerres  d'Horus  contre 
Typhon;  l'œil  d'Horus  qui  sortit  de  Nubie  pour  défendre  Râ  me 
paraît  être  un  doublet  féminin  de  l'Horus  qui,  parti  d'Ethiopie,  con- 
quit l'Egypte  à  son  père  Rà-Harmakhis  sur  les  armées  de  Set. 

Le  mémoire  de  Sethe  est  suggestif.  Non  seulement  il  nous  fournit 
un  bon  exemple  de  la  manière  dont  on  peut  désariiculer  un  mythe 
égyptien  et  ramener  chacun  des  membres  à  son  origine,  mais  il  nous 
force  à  méditer  sur  d'autres  mythes  et  à  nous  demander  s'il  ne  serait 
pas  bon  de  leur  infliger  le  même  traitement.  Il  sera  utile  et  par  les 
résultats  qu'il  produit  déjà,  et  par  ceux  qu'il  ne  manquera  pas  de  faire 
produire  à  bref  délai. 

G.  Maspero. 


Beschreibung  der  .^Egyptischeri  Sammlung  des  Niederlândischen  Reichs- 
museums  der  Altertûmer  in  Leidea.  —  Die  Denkmàler  des  Neiien  Reiclies, 
/s'e  Abteilung,  Grdber,  von  D' P.  A.  A.  Boeser,  [.a  Haye,  Martin  NijhofF,  1912, 
petit  in-f»,  11  p.,  XXXVIII  pi.  en  phototypie  et  10  vignettes  intercalées  dans  le 
texte. 

Ce  volume  est  de  beaucoup  le  plus  intéressant  de  ceux  qui  com- 
posent la  Description  des  collections  égyptiennes  entreprise  par  les 
autorités  du  Musée  de  Leyde  :  il  contient  les  notices  et  la  reproduc- 
I         tion  en   phototypie  d'une  demi-douzaine   de  tombeaux   Memphites, 
remontant  au  second  âge  thébain.  La  planche  XXXVIII  nous  montre 
j         l'aspect  que  présente  l'un  d'eux,  celui  de  Patonoumhabi,  qui  a  été 
'  reconstruit  partiellement  au  moyen  des  fragments  qui  en  furent  ache- 

tés par  la  Hollande,  pendant  la  première  moitié  du  xix^  siècle  :  les 
autres  planches  portent  le  fac-similé  des  fragments  séparés,  et  le  tout 
forme  un  ensemble  des  plus  précieux  par  la  conservation  des  monu- 
ments et  par  leur  nature.  Ces  tombes  memphites,  bâties  pour  la  plu- 
part sur  les  sables  qui  avaient  recouvert  les  mastabas  des  anciennes 
dynasties,  étaient  visibles  encore  en  partie  aux  temps  romains,  mais 
elles  furent  dépecées  et  employées  comme  matériaux  par  les  derniers 
païens,  puis  par  les  moines  :  nous  en  avons  retrouvé  des  débris  consi- 
dérables dans  les  ruines  du  Couvent  de  Saint-Jérémie  à  Sakkarah. 
Celles  qui  ne  disparurent  pas  alors  furent  exploitées,  après  l'expédi- 
tion de  Bonaparte,  par  les  marchands  d'antiquités,  et  elles  achevèrent 
de  périr  :  c'est  à  peine  s'il  nous  en  reste  une  demi-douzaine  sur  le 
front  de  la  nécropole,  encore  sont-elles  mutilées  de  façon  lamentable. 
L'art  funéraire  memphite  de  l'âge  auquel  elles  appartiennent  nous 
est  donc  assez  peu  connu  :  autant  nous  sommes  familiers  avec  l'art 
des  cimetières  thébains,  autant  nous  ignorons  celui-ci,  faute  de  docu- 
ments en  nombre.  C'est  une  fortune  pour  le  Musée  de  Leydc  d'en 
posséder  tant  de  pièces,  et  M.  Boeser  s'est  acquis  des  droits  à  notre 
reconnaissance  en  les  mettant  à  notre  disposition. 

Deux  d'entre  elles  offrent  pour  l'histoire  proprement  dite  un  intérêt 


l86  REVUE    CRITIQUE 

spécial,  celle  de  Paionoumhabi  et  celle  d'Harmhabi.  Le  nom  seul  de 
Paionoumhabi  nous  en  enseigne  la  date  :  il  n'a  pu  être  donné  qu'à  un 
individu  qui  mourut  sous  le  règne  de  Khouniaionou,  ou  peut-être,  vers 
la  fin  du  règne  d'Aménôthès  III.  Rien  n'v  a  été  retouché  lorsque  la 
réaction  se  produisit  contre  les  doctrines  hérétiques,  et  de  fait  on  ne 
voit  pas  ce  que  l'orthodoxie  la  plus  scrupuleuse  aurait  pu  y  effacer,  si 
ce  n'est  le  nom  du  maître  composé  avec  celui  du  dieu  suspect  Atonou. 
La  réforme,  qui  fut  surtout  politique,  n'avait  pas  modifié  les  croyances 
relatives  à  l'autre  monde  :  les  dieux  qui  présidaient  aux  destinées  des 
morts,  Osiris,  Isis,  Nephthys,  Horus  et  ses  quatre  enfants,  Anubis 
n'avaient  pas  souffert  dans  leur  culte.  Le  tableau  de  la  planche  XI I  nous 
montre  le  paradis  osiriaque  dessiné  de  la  même  manière  qu'il  l'est 
dans  les  exemplaires  thébains  du  Livre  des  Morts,  et  le  rituel  de  l'en- 
terrement ne  comporte  aucune  cérémonie  originale  :  Khouniatonou 
n'avait  pas  les  mêmes  raisons  d'en  vouloir  aux  divinités  mcmphites 
qu'aux  thébaines,  et  Atonou  ne  sévit  pas  dans  le  Nord  de  l'Egypte 
avec  la  même  violence  que  dans  le  Sud.  Ce  qui  subsiste  ici  du  tom- 
beau d'Harmhabi  (pi.  XXI-XXV)  nous  en  est  une  preuve  nouvelle. 
On  pense  aujourd'hui  que  celui-ci  est  identique  au  Pharaon  Harm- 
habi,  l'Harmaïs  des  listes  grecques  :  gouverneur  de  Memphis,  il 
s'y  prépara  son  hypogée,  mais  ce  qui  aurait  été  suffisant  pour  le  parti- 
culieiMie  fut  plus  digne  du  souverain,  et  il  alla  reposer  àThèbes  dans  la 
syringe  splendide  que  Th.  Davis  découvrit  il  y  a  trois  ans.  Les  dieux 
mentionnés  dans  ces  inscriptions  memphites  sont  les  dieux  ordinaires, 
et  le  nom  d'Amon  s'y  rencontre  sans  qu'on  ait  songé  à  le  marteler.  Je 
suis  convaincu  que,  si  l'on  notait  tous  les  indices  de  ce  genre  qui 
subsistent,  on  serait  vite  amené  à  croire 'que  la  révolution  religieuse 
toucha  à  peine  la  plupart  des  cités  égyptiennes. 

Considérés  comme  œuvres  d'art  les  fragments  publiés  dans  ce  fas- 
cicule sont  d'une  homogénéité  remarquable.  Ils  appartiennent  tous 
au  même  siècle,  d'Aménôthès  III  à  Ramsès  II  au  plus  tard,  et  l'inter- 
valle de  temps  qui  sépare  les  plus  anciens  des  plus  récents  n'est  pas 
assez  long  pour  que  le  faire  de  l'école  ait  pu  changer  beaucoup.  En 
les  étudiant  de  près,  on  ne  tarde  pas  à  se  convaincre  que,  par  la  com- 
position et  l'exécution,  ils  se  rattachent  directement  aux  œuvres  ana- 
logues de  l'âge  des  Pyramides.  Sans  doute  le  relief  y  est  un  peu  plus 
haut  que  celui  des  mastabas  soignés  de  la  V^  et  de  la  VI«  dynastie,  et 
l'infiuence  thébaine  s'y  trahit  par  une  certaine  sécheresse  des  contours, 
mais  si  l'on  prend  les  scènes  isolément  et  qu'on  en  superpose  le  détail  à 
celui  des  scènes  plus  anciennes,  on  y  distingue  les  caractères  essentiels 
de  l'école,  et  surtout  la  tendance  à  arrondir  les  formes  et  à  idéaliser 
les  traits  du  visage.  Qu'on  examine,  par  exemple,  le  tableau  (pi.  XIII) 
où  Mariri  reçoit  l'hommage  de  l'orfèvre  Ouïs  et  les  présents  des 
siens  :  hommes,  femmes,  animaux,  accessoires  du  culte,  tout  y  rap- 
pelle l'art  plus  ancien.  Il  y  a  des  différences  réelles  et  on  les  sent, 


d'histoire  et  de  littérature  187 

mais  l'air  de  famille  est  indiscutable.  Et  d'autre  part,  tous  ceux  qui 
ont   admiré  les  superbes  bas-reliefs  saites  du  Caire  et  d'Alexandrie  ne 
pourront   s'empêcher  de  remarquer  combien  ils   ressemblent   à   ces 
memphites   du  second  âge  thébain.  Il   est  évident  pour  moi  que  ce 
qu'on  a  voulu  appeler  la  renaissance  saite  ne  fut  pas  un  retour  prémé-' 
dite  vers  le  passé  lointain.  Les  traditions  de  Pccole  antique  s'étaient 
maintenues  assez  vivantes  dans  les  ateliers  Ramessides  pour  que  les 
sculpteurs  du  temps  des  Psammétique  n'aient  eu  qu'à  s'inspirer  d'elles 
directement  :  on  le  comprend  de  reste,  quand  on   regarde  les  monu- 
ments de  M.  Boeser.   Les  Saites  ajoutèrent  des  éléments  nouveaux, 
l'étude  plus  précise  des  modelés  du  crâne,  le  rendu  plus  conscient  des 
effets    de    l'âge   ou    de  la  maladie  :  pour  le  gros,    leur  style    est    le 
résultat  nécessaire  du  style  antique,  développé  et  légèrement  altéré  à 
travers  les  siècles  par  le  contact  avec  les  autres  écoles  égyptiennes,  sur- 
tout avec  l'école  thébaine. 

Les  scènes  de  vie  paradisiaque  procèdent  de  celles  des  mastabas. 
C'est  (pi.  XVIII)  la  culture  du  lin,  la  récolte  du  blé  et  son  chargement 
à  dos  d'àne,  le  labour,   les   semailles,  que    le    mort    surveille    à  la 
façon  d'autrefois.   Les  discours  des  ouvriers  sont  pourtant  un   peu 
plus  variés  et  plus  nombreux.  Un  convoyeur,  qui  pousse  devant  lui 
l'ànesse   du  tombeau  de  Ti   et  son  ânon,  dit  en   se   moquant  à  un 
camarade  :  «  J"ai  transporté  deux  cent  deux  sacs  de  millet,  tandis  que 
«  tu  étais  assis  »  à  ne  rien  faire,  à  quoi  l'autre  lui  répond  :  «  J'étais 
«  occupé  à  apporter  de  la  bière  »  pour  les  ouvriers.  En  revanche  la 
représentation  des  funérailles,  qui   ne  commença  à  se  détailler  que 
sous  la  VP  Dynastie,  atteint  le  même  développement  que  dans  les 
hypogées  thébains.  On  y  voit  (pi.  XVI)  la  momie  arrosée  de  l'eau 
lustrale    par   le   prêtre  et  saisie  par   Anubis,  le  deuil  de  la    famille 
(pi.    XV),  les  pleureuses,  le   mort    conduit   à    sa  demeure    dernière 
par  les  hommes,  et  les  discours  des  assistants,  leurs  exclamations, 
leurs    dialogues     convenus     sont    gravés   au-dessus    de  leurs  têtes. 
Chez    Patonoumhali,    la    scène   du    repas    (pi.    VI-VII)    est   rendue 
avec  une  rare  habileté  :  la  figure  du   maître  est  à  peu  près  détruite, 
mais  le  groupe  de  musiciens   qui    jouent  devant  lui  est  entièrement 
conservé.   Le  harpiste  est  aveugle,   et  l'air  qu'il    chante    n'est  autre 
que    la  vieille    Lamentation    du    roi  Antou/,  un  des    morceaux  les 
mieux  connus  de  la  littérature  égyptienne.  Ici  encore  l'influence  thé- 
baine domine  :  c'est  à  Thèbes  que  furent  composés  et  ordonnés  les 
poncifs  des  scènes  nouvelles,  et  c'est  de  Thèbes  que  vient  le  chant 
d'Antouf.  Grâce  aux  tombeaux  de  Leyde  et  à  d'autres  qui  sont  inédits 
pour  la  plupart,  l'histoire  du  décor  de  la  chapelle  et  les  idées  qui  s'y 
rattachent  se  précise  et-  se  complète.  Ce  grand  Livre  Je  formules  et 
d'images  a  été  rédigé  pour  la  première  fois  autour  d'Héliopolis  :  les 
Memphites  de  l'ancien  Empire  l'ont  recueilli, diversitié, élargi,  fixédans 
les  mastabas  contemporains  de  Téti  et  de  Pioupi  à  Sakkarah.  Importé 


l88  REVUE    CRITIQUE 

à  Thèbes,  il  s'y  est  développé  selon  les  concepts  que  les  progrès  de  la 
pensée  religieuse  avaient  introduits  dans  l'esprit  du  peuple  et  des 
théologiens  thébains,  puis  il  est  revenu  à  Memphis  et  il  y  a  produit 
cette  sorte  d'édition  nouvelle  du  Livre  dont  M.  Boeser  nous  donne 
des  lambeaux  :  on  peut  imaginer,  d'après  ce  que  nous  en  possédons 
au  Musée  du  Caire,  ce  qu'il  devint  à  l'époque  saite  dans  l'Egypte  du 
Nord.  Une  fois  de  plus  l'examen  des  monuments  figurés  nous  prouve 
combien  est  fausse  l'idée  qu'on  se  faisait  naguères  encore  de  l'immo- 
bile Égyptienne,  et  il  nous  permet  de  déterminer  par  les  variations 
de  la  forme  plastique  l'évolution  des  croyances  relatives  à  la  vie 
d'outre-tombe. 

Je  regrette  de  ne  pas  pouvoir  aller  plus  loin,  faute  d'espace.  J'aurais 
aimé,  analysant  les  tableaux  où  Harmhabi  amène  à  Pharaon  des  pri- 
sonniers ou  des  transfuges  étrangers  (pi.   XXI-XXII,  XXIV)  attirer 
l'attention  sur  la  rare  perfection  avec  laquelle  le  sculpteur  memphite 
a  saisi,  non  sans  ironie,  les  types  étrangers.  II  y  a  là  de  gros  Sémites 
massifs,  pansus,  barbus,  chevelus,  busqués,  que  les  soldats  trament 
devant  le  maître  avec  une  joie  moqueuse  :  on  y  sent  déjà  la  haine  et 
le  mépris  que  l'Egyptien  moderne  a  pour  le  Syrien  notre  contempo- 
rain. L'intention  caricaturale  est  plus  accentuée  et  plus  lourde  qu'elle 
ne  l'est  dans  les  tableaux  similaires  à  Thèbes.  Il  est  fâcheux  qu'au 
moment  où  ces  tombeaux  furent  démolis  pour  les  Consuls  Généraux 
qui   amassaient  des  collections,  les  entrepreneurs  chargés  de  l'opé- 
ration  ne  se  soient  pas  entendus  pour  les  répartir  entre  eux,  de  telle 
façon  que  tous  les  morceaux  de  chacun  d'eux  fussent  maintenus  dans 
un  même  lot,  mais  qu'ils  aient  été  distribués  au  hasard,  si  bien  qu'à 
présent  il  y  en  a  dans  trois  ou  quatre  endroits  différents,  à  Londres, 
à  Florence,  à  Vienne,  comme  à  Leyden.  Beaucoup  furent  oubliés  sur 
place  et  n'ont  été  recueillis  que  près   d'un   demi-siècle  ou  d'un  siècle 
plus  tard  par  Mariette  ou  par  moi.  Espérons  qu'un  jour  il  se  trouvera 
quelqu'un  pour  les  rassembler  dans  une  même  publication,  et  pour 
les  reconstituer  autant  qu'il  est  possible  maintenant.  Tout  y  sera  pré- 
cieux pour  nous.  M.  Boeser  a  reproduit  (pi.  XXXVII)  d'assez  grande 
taille  une  simple  colonne  d'inscription.   Chacun   des  signes  qu'elle 
contient  est  gravé  avec  un  soin  et  une  maîtrise  merveilleuse  :  il  y  a 
là  une  image  d'âme,  un  faucon  à  tête  humaine,  et  des  hommes  ou 
des  femmes,  qui  sont  de  véritables  merveilles  de  gravure.  On  conçoit 
quel  service  il  nous  rendra,  celui  qui  réunira  ce  qui  subsiste  encore 
de  monuments  où  même  les  lettres  et  les  syllabes  de  l'écriture  sont 
de  vrais  objets  d'art. 

Les  planches  sont  très  nettes,  d'une  encre  un  peu  terne  parfois  mais 
qui  est  venue  légère  au  tirage,  et  d'une  tonalité  fine.  Elles  n'ont  subi 
aucune  de  ces  retouches  indiscrètes  qui  déparent  tant  d'ouvrages  de 
plus  haute  prétention,  et  quand  on  les  observe  de  près,  on  y  sent  la 
main  de  l'ouvrier  ancien  et  on  n'y  sent  qu'elle  :  malgré  la  réduction, 


d'histoire  et  de  littérature  189 

on  y  peut  étudier  la  facture  presque  aussi  sûrement  que  si  on  avait 

l'original  sous  les  yeux.  Le  texte  de  M.  Boeser  est  très  sobre,  mais  il 

comprend  tout  ce  qui  est  indispensable  à   l'intelligence  de   chaque 

sujet,  et,  ce  qui  n'est  pas   fréquent  aujourd'hui,  une   bibliographie 

abondante,  où  les  premiers  égyptologues  ne  sont  pas  oubliés  au  profit 

des  plus  récents  de  telle  ou  telle  école.  11  n'y  a  qu'à  le  féliciter  lui,  et 

le  musée  qui,  sans  être  des  plus   riches  qu'il  y  ait  en   Europe,  n'a 

jamais  hésité  à  dépenser  largement  toutes  les    fois    qu'il    s'est    agi 

d'œuvres  utiles  à  notre  science. 

G.   Maspero. 


Le  parler  arménien  d'Akn  (quartier  bas),  par  M.  Maxudianz,  vardapet  (archi- 
mandrite) d'Etchmiadzin.  Docteur  de  l'Université  de  Paris.  Paris,  P.  Geuthner, 
1912.  In-S",  X1-146  pages. 

C'est  un  honneur  pour  la  jeune  école  linguistique  de  Paris,  et  pour 
M.  Meillet  en  particulier  (le  livre  lui  est  dédié)  d'attirer  chez  nous  les 
jeunes  savants  étrangers  en  quête  de  méthodes  scientifiques. 

Après  le  travail  de  M.  Adjarian  sur  la  Classification  des  dialectes 
arméniens  (Paris,  1909),  en  voici  un,  plus  spécial,  mais  qui  n'en  a  pas 
moins  sa  réelle  valeur.  M.  Maxudianz  étudie  le  parler  d'Akn,  sa  ville 
natale;  il  le  fait  en  parfaite  connaissance  de  cause,  et  en  appuyant  ses 
résultats  sur  des  observations  qu'il  put  faire  à  Paris  même,  auprès 
de  personnes  également  originaires  d'Akn.  Ce  dialecte  se  range  parmi 
les  vingt  et  un  dialectes  occidentaux  que  M.  Adjarian  classifie  sous  la 
branche  de  ge. 

Après  une  introduction,  que  nous  regrettons  de  voir  si  brève,  par- 
tant incomplète,  l'auteur  étudie  successivement  la  phonétique,  la 
morphologie  et  les  mots  empruntés,  dans  le  dialecte  en  question.  Un 
appendice  relatif  au  parler  du  quartier  haut  d'Akn  termine  le  volume. 

L'auteur  donne,  d'une  façon  générale,  des  renseignements  précis, 
mais  un  peu  secs  ;  s'il  a  fait  des  découvertes  intéressantes,  voire 
importantes,  il  ne  sait  pas  ou  ne  veut  pas  les  mettre  en  valeur  ;  et 
c'est  regrettable,  autant  pour  son  ouvrage  lui-même  que  pour  ses 
lecteurs. 

Akn  (en  turc  Eguine)  est  en  dehors  des  grands  chemins  et  a  con- 
servé fidèlement  le  vieux  parler;  les  détails  intéressants  ne  font  pas 
défaut,  mais  ils  sont  épars  dans  l'ouvrage  et  on  aura  quelque  peine  à 
les  retrouver;  l'auteur  semble  aussi  ne  pas  s'être  soucié  de  mettre  en 
lumière  ce  que  son  étude  apporte  de  nouveau  dans  la  question. 
Enfin,  si  le  parler  d'Akn  s'est  conservé  pur,  il  possède  peut-être  des 
formes  qui  sont  plus  anciennes  que  l'arménien  classique  ;  c'eût  été  un 
chapitre  intéressant  à  écrire  dans  un  livre  de  ce  genre. 

Si,  dans  un  travail  de  pure  science,  de  linguistique  en  particulier, 
on  doit  avant  tout  priser  la  sobriété,  il  n'en  reste  pas  moins  que 
quelques  considérations  d'ordre   plus   général,  quelques   développe- 


IQO  REVUE    CRITIQUE 

mcnts  étendus  et  comparatifs  sur  le  parler  étudié  ne  seraient  pas  de 
purs  hors-d'œuvre.  J'avoue,  pour  ma  part,  que  j'aurais  aimé  rencon- 
trer dans  le  livre  de  M.  Maxudianz  une  étude,  si  brève  fut-elle,  qui 
situât  le  parler  d'Akn  par  rapport  à  l'arménien  classique  d'une  part, 
par  rapport  aux  autres  dialectes  arméniens  d'autre  part.  11  semble 
qu'il  n'eût  pas  été  impossible  à  l'auteur  de  terminer  par  une  conclu- 
sion, très  sobre  cela  va  de  soi,  renfermant  quelques  considérations 
d'un  ordre  à  la  fois  comparatif  et  historique.  C'eût  été  très  précieux 
pour  ceux  qui,  n'étant  pas  linguistes  de  profession,  s'intéressent 
néanmoins  à  la  philologie  et  à  l'histoire  du  peuple  arménien. 

Cette  étude  nous  sera  peut-être  donnée  plus  tard  par  M.  Maxu- 
dianz lui-même,  qui  entend  bien  ne  pas  s'arrêter  là  dans  ses 
recherches  scientifiques  sur  les  dialectes  arméniens. 

F.  Macler. 


4 


EusEBius  Werke  fûnfter  Band.  Die  Chronik  aus  dem  armenischen  ûbersetzt, 
mit  textkritischem  Commentar  herausgegeben  im  Auftrage  der  Kirchenvâter- 
Commission  der  Kônigl.  Preussischen  Akademie  der  Wissenschaftén,  von 
D' Josef  Karst...  Leipzig,  J.-C.    Hinrichs,   191  i.  In-8°,  lvi-3  19  pages. 

Il  a  fallu  près  de  cent  ans  pour  avoir  enfin  une  édition  maniable  de 
la  célèbre  Chronique  d'Eusèbe,  qui  va  du  commencement  du  monde 
à  la  20*  année  du  règne  de  Constantin.  Et  c'est  à  M.  Karst,  Privat- 
dozent  à  l'université  de  Strasbourg,  que  nous  sommes  redevables  de 
cette  utile  publication. 

En  1818,  l'édition  arméno-latine  de  cet  ouvrage  provoqua  parmi 
les  Mekhitharistes  de  Venise  de  graves  et  pénibles  dissentiments,  à 
la  suite  desquels  le  savant  Zohrab  sortit  de  la  congrégation.  Il  se 
retira  à  Milan  où,  avec  la  collaboration  d'A.  Mai,  bibliothécaire  à 
l'Ambrosienne,  il  faisait  paraître  une  traduction  latine  de  la  Chro- 
nique d'Eusèbe. 

La  même  année,  paraissait  à  Venise  une  autre  édition  du  même 
ouvrage,  comprenant  le  texte  arménien  et  une  nouvelle  traduction 
latine,  avec  de  nombreuses  notes,  par  les  soins  du  P.  Aucher. 

Mais  ces  éditions  n'étaient  pas  suffisantes  et  une  nouvelle  traduc- 
tion fut  jugée  nécessaire;  elle  fut  donnée  à  Berlin,  en  1866  et  1875, 
par  les  soins  de  H.  Petermann  et  A.  Schône. 

A  son  tour,  M.  Karst  complète  et  parfait  l'œuvre  de  ses  devanciers 
en  basant  sa  traduction  et  l'ensemble  de  son  travail,  non  .plus  sur  un 
seul  texte,  mais  sur  deux,  le  manuscrit  G,  de  Jérusalem,  datant  du 
xiii^-xiv^  siècle,  et  le  manuscrit  E,  d'Etchmiadzin,  qui  est  de  la  même 
époque  que  G.  Ces  deux  manuscrits  sont  généralement  d'accord  ; 
mais  E  semble  meilleur  que  G,  et  c'est  précisément  ce  dernier 
qu'avaient  surtout  utilisé  les  premiers  éditeurs.  Ces  manuscrits  sont 
indépendants  l'un  de  l'autre  et  dérivent  tous  deux  d'un  original 
commun,  écrit  en  majuscules,  et  qui  est  actuellement  perdu. 


d'histoire  et  de  littérature  191 

Dans  une  savante  introduction,  M.  Karst  passe  successivement  en 
revue  les  manuscrits,  les  vieilles  éditions;  il  étudie  très  attentive- 
ment la  question  d'un  prototype  grec  ou  syriaque  ayant  servi  de 
base  à  la  version  arménienne.  Puis  il  donne  la  traduction  allemande 
de  la  Chronique,  où  l'auteur  traite  successivement  des  Assyriens,  des 
Hébreux,  des  Egyptiens,  des  Grecs  et  des  Romains.  L'ouvrage  se 
termine  par  un  appendice  critique  très  important  et  un  index  des 
noms  propres  qui  rendra  de  grands  services. 

Il  y  a  tout  lieu  de  féliciter  M.  Karst  d'avoir  mené  à  bonne  fin  une 
entreprise  aussi  difficile,  et  la  Commission  des  Pères  de  V Eglise  de 
l'Académie  royale  de  Berlin  d'avoir  facilité  la  publication  de  ce 
volume  en  l'introduisant  dans  sa  collection  des  Griechischen  Christ^ 
lichen  Schriftsteller  der  ersten  drei  Jahrhunderte. 

F.  Macler. 


Lexicon  abbreviaturarum,  Dizionario  di  abbreviature  latine   ed  italiane, 

usate  nelle  carte  e  codici  specialmente  de  medio  evo  riprodotte  con  oitre  14000 
segni  incisi,  con  l'aggiunta  di  une  studio  suUa  brachigrafia  medioevale,  un 
prontuario  di  sigie  epigrafiche,  l'antica  numerazione  romana  ed  arabica  ed  i  segni 
indicanti  monete,  pesi,  misure,  etc.  Per  cura  di  Adriano  Cappelli,  20  éd.  Hoe- 
pli  (Manuali  Hoepli),  à  Milan,  1912,  lxviii,  5i3   p.,  in-12.  Prix  :  8  1.  5o. 

Le  titre  du  manuel  de  M.  Cappelli  est  un  peu  long.  Je  l'ai  transcrit 
d'un  bout  à  l'autre  parce  qu'il  annonce  exactement  le  contenu  du 
volume.  Quiconque  l'a  lu  sait  exactement  ce  qu'il  peut  trouver  dans 
ce  lexique.  On  voit  qu'il  remplacera,  et  avec  avantage,  le  volume,  bien 
connu  autrefois  en  France,  de  Alphonse  Chassant.  Il  peut  aussi  dis- 
penser de  recourir  au  Cours  d'épigraphie  latine  de  M.  Cagnat,  pour 
les  sigles  des  inscriptions.  En  fait,  il  comprend  trois  parties  :  l'intro- 
duction, le  lexique  d'abréviations  des  mss.,  le  lexique  d'abréviations 
épigraphiques.  L'introduction  est  un  traité  pratique,  exposant  les 
divers  systèmes  employés.  Elle  est  suivie  de  six  planches,  cinq  actes 
ou  chartes,  et  une  page  d'un  ms.  du  xv»  s.  Les  abréviations  des  mss. 
sont  reproduites  en  gravure  excellente;  les  sigles  épigraphiques,  en 
caractères  d'imprimerie.  L'exécution  matérielle  du  volume  est  tout  à 
fait  digne  de  la  maison  Hoepli.  Une  bibliographie  assez  étendue  ter- 
mine le  volume,  qui  sera  surtout  apprécié  par  l'utilité  de  tous  ces  ren- 
seignements pratiques.  C'est  un  livre  qui  suggérera  les  lectures  à  ceux 
qui  savent.  Ceux  qui  ne  savent  pas  prendront,  à  le  parcourir,  l'habi- 
tude de  s'en  passer.  Une  grande  supériorité  sur  Chassant  est  l'indica- 
tion de  la  date  de  l'abréviation  et,  s'il  y  a  lieu,  du  genre  d'écriture 
(wisigothique,  lombarde)  ou  du  caractère  du  document  (abréviations 
juridiques).  Parla,  M.  Cappelli  apportée  la  paléographie  une  contri- 
bution vraiment  scientifique. 

V.   COURNILLE. 


t^3  REVDE    CRITIQUE 

Inscrlptiones   latinae.    Collcgii    l>nestus    Diehl.    lionnae,    Marcus    et   Weber, 
MCMXll.  xxxix  p.  cl  .^n  pi.  ill-4^  Prix  :  G  Mk.  cartonne. 

Parallèlement  à  la  coUeciion  Kleine  Texte,  M.  Lietzmann  publie 
une  série  d'atlas,  Tabulae  in  usiim  scholarum,  dont  le  présent  recueil 
est  le  n"  4.  M.  Diehl  a  réuni  en  5o  planches  le  fac-similé  d'environ 
800  inscriptions  latines,  depuis  la  vieille  inscription  du  forum  jusqu'à 
l'épitaphe  de  Nicolas  V(-{-  1455).  Sauf  quelques  inscriptions  anciennes 
provenant  de  Délos  et  de  Delphes,  tous  ces  monuments  appartiennent 
à  l'Italie,  spécialement  à  Rome  et  au  Latium.  On  y  peut  suivre  dans 
cette  région  l'histoire  de  l'écriture  lapidaire.  Les  textes,  que  certaines 
raisons  excluaient  des  planches,  sont  donnés  dans  la  notice  (inscrip- 
tion de  la  fibule  et  de  «  Duenos  »,  textes  en  cursive).  Les  notices  sont 
très  sobres,  renvoient  aux  grandes  collections,  indiquent  la  nature  et 
la  provenance  des  documents,  les  datent.  Les  textes  les  plus  difficiles 
sont  transcrits,  excepté  ceux  que  M.  Di^hl  a  publiés  ailleurs  dans  un 
de  ses  recueils.  Pour  quelques-unes  des  inscriptions  du  moyen  âge, 
des  renvois  au  commentaire  de  Duchesne  sur  le  Liber  Pontiji.calis 
n'eussent  pas  été  inutiles.  Les  planches  sont  bonnes  et  généralement 
bien  lisibles.  Parfois,  quand  tout  un  panneau  de  musée  nous  est 
donné,  la  loupe  est  indispensable  (pi.  24  .  En  somme,  bon  recueil,  fort 
utile,  et  «  dont  le  prix  défie  toute  concurrence  ».  Sa  limitation  topo- 
graphique fait  désirer  d'autres  atlas,  pour  les  provinces,  l'Afrique 
surtout. 

V.C. 


Walter  Lenel,  Venezianisch-Istrische  Studien  (Schriften  der  wissenschaftlichen 
Gesellschaft  in  Strassburg,  Heft  9).  Strasbourg,  Trûbner,  igi  i,  xiv-igy  p.  et 
3  pi.  in-4°.  Prix  :  10  Mk.  5o.- 

En  568,  les  Lombards  envahirent  le  nord  de  l'Italie.  L'évêque 
d'Aquilée,  Paulin,  s'enfuit  sur  le  territoire  appartenant  encore  à  l'Em- 
pire, à  Grado.  La  querelle  des  trois  chapitres  détermina  un  schisme. 
Quand  l'évêque  Sévère  mourut  à  Grado  en  607,  ce  fut  un  tenant  zélé 
du  cinquième  concile,  Candidianus,  qui  lui  succéda.  Les  évéques  de 
l'obédiance  lombarde  s'émurent  et  nommèrent  un  patriarche 
d'Aquilée,  Jean,  La  lutte  était  ouverte  entre  les  deux  sièges,  et  com- 
pliquée par  le  schisme.  Le  schisme  fut  bientôt  écarté,  sous  l'influence 
des  Lombards  et  par  l'intermédiaire  du  pape  Serge.  Aquilée  fut  de 
nouveau  en  communion  avec  Rome,  par  suite  sous  sa  dépendance. 
Cependant  les  deux  archevêques  subsistaient  en  face  l'un  de  l'autre. 
Leur  rivalité  dura  pendant  le  moyen  âge.  Elle  s'appuya  de  titres. 
Chaque  siège  eut  un  dossier,  où  les  pièces  fausses  n'étaient  pas  rares. 
La  lutte,  plus  ou  moins  vive,  des  Allemands  et  des  Italiens,  les  inter- 
ventions des  empereurs,  les  querelles  du  sacerdoce  et  de  l'Empire  enve- 
nimèrent ou  compliquèrent  le  débat.  M.  Lenel  a  voulu  l'examiner  de 
près.  Il  étudie  d'abord  la  question  de  droit  et  le  fond  du  litige  entre 


d'histoire  et  de  littérature  193 

Grado  et  Aquilée,  puis  l'opposition  de  l'élément  allemand  et  de  l'élé- 
ment italien  dans  l'histoire  de  l'Istrie  au  moyen  âge.  Dans  la  pre- 
mière partie  de  son  mémoire,  il  examine  surtout  la  valeur  des  pièces 
et  des  traditions;  il  rétablit  l'ancien  catalogue  des  évéques  de  Grado. 
Un  des  documents  les  plus  importants  est  le  texte  appelé  Chronicon 
Gradense  contenu  dans  le  ms.  Vat.  Urb.  440.  C'est  ce  texte  que 
reproduisent  en  partie  les  planches  du  volume.  L'ouvrage  de 
M.  Lenel,  très  approfondi,  est  indispensable  pour  l'histoire  des  ori- 
gines de  l'Etat  de  Venise. 

M.  D. 

Charles  OuLMONT.  Pierre  Gringore.  Paris,  H.  Champion,    191 1,  in-S»,  xxxii-383 
pages.  Prix  :  7  fr.  5o. 

Gringore  est  de   nos  jours  Jugé  bien  diversement  par  la  critique 
érudite.  M.  Henri  Guy,  qui  lui  a  consacré  un  des  chapitres  les  plus 
brillants  de  son  Histoire  de  la  poésie  française  au  xvi'  siècle,  voit  en 
lui  non  le  poète,  l'esthète  ou  le    philosophe   qu'ont  dépeint  sous  le 
nom  de  Gringoire  Victor  Hugo    et  Théodore  de  Banville,  mais  un 
a  Joseph    Prudhomme  cuirassé    de  proverbes,  un  fonctionnaire    qui 
reflète  l'opinion  de  ses  chefs,  un  modèle  de  circonspection,  un  débi- 
tant de  denrées  poétiques  rivé  à  son  comptoir  '  ».  M.  Oulmont,  qui  a 
pris  Gringore   comme  sujet  de  thèse  de  doctorat  ès-lettres,  n'est  pas 
éloigné  de  préférer  le  Gringore  réel   <(  type  du   poète  français  de  la 
bourgeoisie  à  la  veille  de  la  Renaissance  »  au  Gringoire  légendaire  des 
Romantiques.  «  C'est  un   classique  à  qui  l'art  a  manqué  «  dit-il,  en 
concluant   son   ouvrage.    Malheureusement  cette    formule  ne    s'ap- 
plique   point   à   la    physionomie    du    personnage    telle  qu'elle  appa- 
raît dans  l'étude  de  M.  Oulmont.  Sans  doute,  Gringore  a  pris  pour 
devise  Raison  par  tout  et  il  aime  «  la  sagesse  »,  l'ordre  clair  et  simple  \ 
Mais  les  idées  morales  et  religieuses   qu'il  emprunte  à  cette  Raison 
sont  «  banales,  traditionnelles  »  ;  c'est  la  «  morale  du  passé,  très  rétré- 
cie  par  la  pensée  bourgeoise  '  ».  D'observation  psychologique,  il  n'en 
a  pas,  quelque  complaisance  que  M.  Oulmont  apporte  à  en  découvrir 
jusque  dans  la  sentence  de  Balletreti,  approuvant    la  fringante  Dou- 
blette  de  tromper  son  mari  vieillard  '.  Singulier  «  classique  »,  que  ce 
versificateur  à  qui  font  défaut  et  le  sens  de  l'art  et  le  réalisme  psycho- 
logique  et  l'originalité  dans  l'observation  des  mœurs,  bref,  presque 
tous  les  éléments   que  l'on  a  coutume  de  comprendre  dans  la  défini- 
tion du  «  classicisme  »!  —  A  vrai  dire,  les  qualités  de  Gringore  sont 
surtout  absence  de  vices.  Il  se  distingue  des  Rhétoriqueurs  par  la  clarté 
et  l'ordre  de  ses  compositions.  Mais  il  n'est  simple  et  clair  que  parce 


1.  P.  279. 

2.  Pierre  Gringore,  p.  33o. 

3.  Op.  cit.,  p.  202. 

4.  Op.  cit.,  p.  296.     . 


194  REVUE    CRITIQUE 

qu'il  a  peu  d'idées,  peu  d'observations  personnelles  et  moins  de  vir- 
tuosité verbale  que  les  poètes  de  son  temps.  Quant  à  sa  raison,  elle 
n'est  véritablement,  suivant  le  mot  de  M.  Guy,  qu'une  «  épaisse  pru- 
dence plébéienne  ». 

L'ouvrage  de  M.  Oulmont  se  recommande  par  l'intérêt  de  certaines 
enquêtes  sur  la  vie  et  l'œuvre  deGringore.  Il  sera  établi  désormais 
que  Gringore  est  d'origine  normande  et  non  lorraine,  comme  on  l'a 
cru  longtemps.  Sa  vie  a  été  reconstituée  par  M.  Oulmont  à  l'aide  de 
documents  dont  beaucoup  étaient  inédits,  ou  étaient  restés  inaperçus 
jusqu'à  présent.  Le  chap.  vi  :  L'opinion  publique  de  i5oo  à  i5i5 
d'après  la  littérature  du  temps  est  un  excellent  commentaire  des 
œuvres  de  circonstance  de  Gringore.  Le  chap.  iv  :  Les  sources  directes 
de  Gringore  présente  une  enquête  très  minutieuse  sur  les  œuvres  que 
le  poète  a  traduites,  paraphrasées  ou  imitées. 

On  regrettera  seulement  que  M.  Oulmont  ait  volontiers  cédé  à  la 
tentation  de  limiter  trop  étroitement  le  domaine  de  ses  recherches, 
et  de  s'arrêter  trop  vite  dans  ces  recherches  mêmes.  Ainsi,  p.  68,  il  nous 
dit  qu'il  «  ne  lui  appartient  pas  de  définir  l'instruction  »  d'un  bour- 
geois du  premier  quart  du  xvi<"  siècle,  qui  était  celle  de  Gringore.  De 
qui  attendrait-on  cette  déhnition,  sinon  d'un  érudit  qui  étudie  la  lit- 
térature française  de  1450  à  i55o?  —  De  même,  p.  214,  est-il  vrai  que 
les  faits  de  l'histoire  de  France  entre  i  5oo  et  1 5 1  5  soient  si  complexes 
qu'il  ne  fût  pas  «  loisible  »  de  les  détailler  dans  une  étude  sur  les  poé- 
sies de  circonstance  de  Gringore?  —  P.  29,  était-il  impossible  de 
déterminer  à  quelle  année  se  rapporte  ce  quantième  du  «  22  octobre  » 
de  la  première  édition  du  Chasteau  de  Labour  ?  etc. 

Avec  des  efforts  soutenus  plus  patiemment  et  avec  une  attention  plus 
diligente  dans  la  rédaction,  M.  Oulmont  n'eût  pas  manqué  non  seule- 
ment de  combler  ces  lacunes,  mais  encore  de  purger  son  livre  d'inexac- 
titudes, d'imprécisions  et  même  de  contradictions  qui  en  diminuent 
l'autorité.  Ainsi,  p.  29  et  suiv.,  M.  Oulmont  nous  donne  une  biblio-^ 
graphie  chronologique  des  œuvres  de  Gringore,  mais  il  omet  de  nous 
dire  s'il  suit  l'ordre  chronologique  de  publication  ou  l'ordre  chrono- 
logique de  composition.  En  constatant,  p.  38,  que  le  n°  X,  VEspoir 
de  paix  est  donné  après  la  Chasse  du  cerf  des  cerfs,  no  IX  «  qu'il  pré- 
pare et  annonce  »,  nous  supposons  que  l'ordre  suivi  est  celui  de  la 
publication.  Or,  voici  que  s'insère,  entre  deux  poèmes  publiés  en  i  5 1 2 
et  I  5  14,  la  Vie  de  Mgr  Sainct  Loys  qui  a  été  publiée  pour  la  première 
fois  en  1877  par  Montaiglon  et  Rothschild.  Grave  défaut  de  méthode. 
—  P.  37-38,  VEspoir  de  paix  nous  est  présenté  comme  «  plus  modéré 
dans  le  ton  »  que  la  Chasse  du  cerf  des  cerfs  :  par  une  criante  contra- 
diction, p.  264,1a  Chasse  devient  «  une  sorte  d'escarmouche,  timide, 
embarrassée,  confuse  et  VEspoir  de  paix,  un  ultimatum.  » 

P.  25,  la  question  de  la  condamnation  des  Heures  de  NostreDame. 
traduites  en  français  par  Gringore,  est  exposée  d'une  manière  à  peine 


d'histoire  et  de  littérature  195 

intelligible.  Par  qui  maître  Guillaume  du  Chesne  a-t-il  été  mandé  ? 
Devant  qui  «  a-t-il  déclaré  que  la  faculté  aborre  tout  essai  »  de  traduc- 
tion et  euHn  quel  est  cet  «  on  »  qui  a  délibéré  sur  le  cas  ?  M.  Oulmont  ne 
nous  le  dit  pas.  Il  s'est  contente  de  résumer  une  dissertation  de  M.  E. 
Picot  sur  Pierre  Gringore  et  les  Comédiens  italiens.  Il  ne  s'est  pas 
reporté  aux  textes  et  aux  documents.  Il  ignore  par  exemple  la  relation 
queDuplessis  d'Argentré  donne  de  cette  même  affaire  [Collectio  jiidi- 
cioriim  de  novis  erroribiis,  t.  II,  p.  6)  et  il  confond  les  attributions  de  la 
Sorbonne  avec  celles  du  Parlement  sur  le  fait  des  prohibitions  de  livres. 

P.  87-93,  dans  son  étude  sur  la  traduction  des  Heures,  M.  Oulmont 
a  eu  le  tort  d'oublier  les  déclarations  de  Gringore  sur  l'esprit  de  cette 
traduction.  Ce  n'est  pas  une  traduction  que  le  poète  a  voulu  faire  : 
c'est  une  paraphrase  destinée  à  mettre  en  évidence  le  «  sens  spirituel  » 
du  texte  original,  conformément  à  l'opinion  des  «  gens  lectrez  ».  Il 
n'est  aucune  des  additions  ou  interprétations  que  M.  Oulmont 
reproche  àGringore  dont  on  ne  puisse  trouver  l'origine  dans  les  gloses 
des  Psautiers  du  xvi*  siècle.  Gringore  a  donc  voulu  se  mettre  en  règle 
avec  l'orthodoxie,  et,  à  ce  propos,  il  est  intéressant  de  constater,  ce  que 
M.  Oulmont  ne  remarque  nulle  part,  qu'il  n'y  a  pas  dans  toute  l'œuvre 
de  Gringore,  si  riche  en  critiques  contre  les  prêtres  et  les  moines,  une 
seule  satire  des  théologiens,  de  la  scolastique  ou  de  la  Sorbonne  '. 

II  serait  aisé  de  relever  d'autres  lacunes  et  d'autres  erreurs  dans  le 
travail  de  M.  Oulmont.  La  rédaction  et  les  incorrections  typogra- 
phiques accusent  un  laisser-aller  désobligeant  pour  le  lecteur.  Trop 
souvent  aussi  on  a  l'impression  que  l'auteur  s'est  contenté  de  tra- 
vailler sur  des  ouvrages  de  seconde  main  au  lieu  de  recourir  aux 
documents  originaux.  Ces  défauts  dans  la  méthode  d'investigation  et 
ces  négligences  dans  l'exposition  expliquent  la  sévérité  de  l'accueil 
que  trouva  cette  thèse  de  doctorat  auprès  du  jury  de  Sorbonne.  Con- 
sultée avec  circonspection,  elle  ne  laissera  pas  de  fournir  d'utiles 
renseignements  sur  l'œuvre  de  Gringore  et  M.  Oulmont  rendrait  un 
service  appréciable  aux  lettrés  et  aux  érudits,  s'il  donnait  suite  au 
projet  qu'il  annonce  à  deux  reprises  (p.  60  et  63,  note),  de  publier  une 
édition  critique  des  œuvres  de  Mère  Sotte. 

Jean  Plattard. 

Georges  Weulersse,  Le   mouvement  physiooratique  en   France   de  1756  à 

1770,  2  vol.  gr.  in-8°  de  xxxiv-Giy  p.  et  768  p.  Paris,  F.  Alcan,  1910. 
Le  même,  Les  manuscrits  économiques  de  François  Quesnay  et  du  marquis 
de  Mirabeau  aux  archives  nationales,  Inventaire,  Extraits  et  notes.  Paris,  Paul 
Geuthner,  1910,   i5o  p.  in-8. 

M.  Weulersse  aurait  pu  comme  beaucoup  d'autres  se  borner  à  étu- 

I.  A  signaler,  p.  3o3,  une  erreur  de  M.  Oulmont  sur  le  sens  du  mot  magister, 
qu'il  traduit  par  maître  d'école.  Magister  noster,  en  abrégé  M.  N.  est  le  titre  que 
l'on  donnait  alors  aux  docteurs  de  la  Faculté  de  théologie.  Cf.  Rabelais,  Gargan- 
tua, ch.  XVII  et  suivants  :  «  Nostre  Maistre  Janotus  de  Bragmardo.  » 


196  REVUE    CRITIQUE 

dier  à  nouveau  les  doctrines  des  physiocrates  et  essayer  de  les  réduire 
en  un  sysiùnie  plus  ou  moins  bien  agencé.  La  simple  lecture  de  leurs 
écrits  lui  aurait  permis  d'écrire  une  thèse  courte   et  charpentée  qui 
aurait  été  d'autant   plus  louée  qu'elle  aurait  été  plus   légère   de  nou- 
veautés. Mais  M.  W.  est  un   historien.  Il  a  considéré  le  mouvement 
physiocratique  comme  une  résultante  à  la  fois  et  comme  un  point  de 
départ.  Une  résultante.  Il  était  amené  par  là  à  rechercher  ses  antécé- 
dents.   Il  est    remonté  jusqu'à   Law  et  à    Colbert.    Il    a    reconstitué 
ensuite  le  milieu  où  l'école  a  pris  naissance  et  s'est  développée.  Il  en 
a  retracé    l'histoire   avec    minutie,  année    par   année,  livre  par  livre, 
homme  par  homme.  Celte  chronique  annalistique  lui  a   demandé  de 
nombreuses  pages.  C'est  seulement  après    ce  préambule  historique 
qu'il  a  défini  le  programme  des  physiocrates,  leur  programme  écono- 
mique d'abord.  Il  l'a  décomposé  en  ses  principales  thèses  :  producti- 
vité exclusive  de  l'agriculture,  supériorité  de  la  grande  agriculture, 
bon  prix   des  grains,   bon   marché  des  produits  de    l'industrie.  Cette 
analyse  précise  a  demandé    encore    beaucoup  d'espace.    Un    second 
volume  a  été  nécessaire  pour  l'exposé  de  l'autre  partie  du  programme 
des  physiocrates,  la  partie  politique  et  philosophique,  pour  l'étude  de 
leur  influence  et  des  critiques  qui  leur   ont  été  faites  de  leur  vivant 
même.  Ayant  ainsi  conçu  son   sujet  en  historien,  M.    W.  n'a   laissé 
dans  l'ombre  aucun  problème  important,  il  a  visé  à  les  épuiser  tous  et 
en  somme  il   y  a  réussi.  Sa   conclusion  générale    qui  n'occupe   pas 
moins  de  cinquante  pages,  est  un  morceau  remarquable,  aussi  forte- 
ment pensé  que  bien  écrit. 

Dans  sa  thèse  complémentaire  M.  W.  a  dressé  l'inventaire  des  car- 
tons M  778  à  M.  785  des  archives  nationales.  Ces  cartons  renferment 
des  papiers  de  Quesnay  et  de  son  disciple  Mirabeau,  l'Ami  des  hom- 
mes, brouillons,  lettres,  articles,  notes.  Dans  une  seconde  partie, 
M.  W.  a  publié  ceux  de  ces  papiers  qui  lui  ont  paru  les  plus  impor- 
tants. J'aurais  voulu  qu'il  nous  apprît  dans  sa  préface  comment  ces 
documents,  dont  l'authenticité  n'est  pas  douteuse,  sont  parvenus  aux 

archives  nationales. 

Albert  Mathiez. 


Léon  DuTiL,  L'état  économique  du  Languedoc  à  la  fin  de  l'ancien  régime, 
1750-1789.  Paris,  Hachette,  191 1.  xxiv  et  962  p.  gr.  in-8°. 

Ce  gros  volume  intéresse  autant  l'économie  politique  et  la  statis- 
tique que  l'histoire  proprement  dite.  C'est  un  inventaire  détaillé  de 
l'agriculture,  de  l'industrie  et  du  commerce  dans  une  de  nos  grandes 
provinces,  à  la  fin  du  xviii"  siècle.  Avec  la  régularité  d'un  statisticien, 
l'auteur  passe  successivement  en  revue  la  culture  des  terres,  les 
grains,  la  vigne,  les  cultures  fruitières  et  industrielles,  les  pâturages 
et  les  fourrages,  les  animaux,  —  puis  le  travail  industriel,  les  draps, 
la  soie,  la  bonneterie,   les   toiles,   les  cotonnades,  les  tanneries,  les 


d'histoire  rt  de  littérature  '1$7 

mines,  les  verreries,  les  salines,  —  puis  encore  les  transports  par  eau 
et  par  terre,  les  ports, les  foires  et  marchés,  le  commerce  des  céréales, 
des  vins,  des  tissus,  etc.  La  documentation  semble  abondante  et  il  est 
certain  que  M.  D.  a  fourni  une  somme  de  travail  considérable  pour 
réunir  les  éléments  de  cette  statistique. 

La  mode  est  aujourd'hui  à  l'histoire  économique  et  à  l'histoire 
locale.  Des  livres  comme  celui-ci  sont  de  nature  à  guérir  de  cet 
engouement.  Qu'apportent-ils  de  nouveau  à  l'histoire  générale?  Rien 
ou  presque  rien.  M.  Dutil  constate  qu'en  Languedoc  les  intendants 
propagent  les  nouvelles  méthodes  agricoles,  conseillent  les  prairies 
ariirtcielles,  comme  ailleurs,  on  le  savait  ;  qu'on  pousse  aux  défriche- 
ments, comme  ailleurs;  qu'en  Languedoc  comme  partout  en  France 
on  retrouve  à  la  fin  du  xv!!!*^  s.  le  travail  en  jurande  à  côté  du  travail 
libre  et  du  travail  privilégié  ip.  274);  que  «  les  jurandes  languedo- 
ciennes ne  paraissent  avoir  aucune  originalité  »  (p.  283);  que  l'organi- 
sation industrielle  en  Languedoc  «  ne  présentait  aucun  caractère  par- 
ticulier »  (p.  870);  qu'on  y  trouvait  «  des  spécimens  de  beaucoup 
d'industries  pour  la  plupart  sans  grande  importance  »,  ainsi  qu'en 
bien  des  régions  (p.  896],  etc.  Était-il  nécessaire  d'écrire  900  pages 
bourrées  de  références  pour  mettre  en  lumière  des  vérités  de  cet 
ordre  ?  L'histoire  locale  n'est  qu'un  exercice  de  dilettante,  que  matière 
à  curiosité  pure,  si  elle  ne  doit  rien  apporter  de  nouveau  à  l'histoire 
générale,  j'entends  à  l'explication  du  mouvement  politique  et  social. 
L'histoire  économique,  si  elle  n'aboutit  pas  à  des  conclusions  sociales, 
si  elle  n'élargit  pas  ou  n'approfondit  pas  les  explications  historiques 
habituelles,  n'est,  elle  aussi,  qu'un  jeu  assez  vain.  C'est  une  enquête 
sans  but,  un  rapport  sans  conclusion.  J'aurais  compris  que  M.  Dutil 
recherchât  dans  quelle  mesure  l'état  économique  du  Languedoc  a 
influé  sur  le  mécontentement  des  classes  qui  feront  la  Révolution,  il 
aurait  ainsi  écrit  une  thèse,  c'est-à-dire  qu'il  aurait  cherché  à  démon- 
trer, à  expliquer  quelque  chose,  il  aurait  fait  œuvre  d'historien.  Mais 
il  s'est  défendu  de  vouloir  toucher  à  l'histoire  sociale!  Ainsi,  il  a  étu- 
dié les  choses  et  non  les  hommes,  il  s'est  arrêté  aux  conditions  de 
l'histoire,  sans  aborder  l'histoire.  Son  livre,  si  estimable  soit-il,  n'est 
qu'un  cadre,  un  cadre  d'où  les  passions  humaines  sont  absentes,  un 
cadre  vide. 

A.  Mz. 


J.  Aynard  :  Londres  (Les  Villes  d'Art  célèbres).  Paris,  H.  Laurens,  in-S";  prix  4  fr. 
—  H.  GuERLiN  :  Le  Château  de  Chambord  (Petites  monographies  des  grands 
édifices  de  la  France),  Paris,  H.  Laurens,  in-12;  prix  2  fr.  —A.  Pichon  ;  Fra 
Angelico  (Les  Maîtres  de  l'Art),  Paris,  Pion,  in-S";  prix  3  fr.  5o.  —  Holbein, 
L'Œuvre  du  Maître  en  252  reproductions  (Nouvelles  collections  des  Classiques 
de  l'Arty,  Paris,  Hachette,  in-80  rel.  ;  prix  12  fr. 

La  collection   des   Villes   d'Art   s'est    enrichie    d'un   volume    sur 


198  REVUE    CRITIQUE 

Londres,  œuvre  de  M.  Joseph  Ainard.  Même  en  y  joignant  Hamp- 
ton-Court  et  Windsor,  il  serait  un  peu  difficile  à  la  capitale  de  l'An- 
gleterre de  justifier  ce  beau  titre  de  ville  d'art  si  ses  seuls  monuments 
devaient  entrer  en  ligne  de  compte.  Mais  Londres  est  aussi  un  foyer 
d'art  pour  les  collections  qu'elle  abrite,  et  il  est  à  peine  besoin  de 
prévenir  que  l'auteur  de  celte  très  attrayante  étude  a  tout  particuliè- 
rement insisté  sur  elles,  depuis  les  plus  anciens  restes  de  l'antiquité 
jusqu'aux  joyaux  de  la  peinture  moderne.  Il  a  rendu  service  ainsi, 
car,  en  dehors  des  Guides,  on  ne  possédait  guère  de  renseignements 
sur  les  richesses  de  ces  galeries  d'art  de  Londres.  Il  les  a  d'ailleurs 
situées  dans  l'histoire  plus  qu'il  n'en  a  fait  une  étude  critique  en 
règle.  La  ville,  au  surplus,  renferme  quelques  monuments  qui  ont 
leur  prix  et  jalonnent  ses  annales  d'une  façon  très  intéressante;  il 
était  utile  de  les  évoquer  eux  aussi  dans  leur  milieu  moderne,  surtout 
avec  la  personnalité  d'idées  qui  distingue  l'auteur  du  livre.  —  164 
reproductions  photographiques  excellentes  en  sont  l'indispensable 
complément. 

Le  Château  de  Chambord  forme  le  texte  du  17=  volume  de  la  série 
des  «  Petites  monographies  des  grands  Édifices  de  la  France  »  qui 
déjà  nous  a  promené  dans  ceux  de  Couci,  de  Rambouillet  et  d'Anet. 
Celui  de  Chambord  est  sans  rival  en  son  genre,  d'une  ampleur  de 
conception  et  d'une  perfection  d'exécution  qui  rendent  on  ne  peut 
plus  intéressante  la  minutieuse  visite  que  M.  Henri  Guerlin  nous  fait 
faire.  Celui-ci  ne  s'est  pas  seulement  piqué  de  décrire,  avec  goût,  mais 
de  conter,  avec  documents  d'archives  à  l'appui  ;  c'est  du  reste  le  plan 
communément  adopté  pour  ces  utiles  et  agréables  monographies. 
Aussi  discute-t-il,  à  l'occasion  et  fait-il  vraiment  œuvre  de  critique. 
41  reproductions  appuient  heureusement  son  dire. 

Le  Fra  Angelico  de  M.  Alfred  Pichon  est  une  très  belle  étude  d'âme 
en  même  temps  que  d'art.  On  sent  que  le  critique,  après  s'être  entouré 
d'une  documentation  très  neuve,  après  avoir  fait  la  place  de  ce  travail 
sans  précédents  en  France,  s'est  vraiment  épris  de  son  sujet.  Il  en 
parle  avec  chaleur  et  avec  harmonie.  La  personne  du  saint  artiste, 
comme  son  œuvre,  dégage  une  lumineuse  beauté,  et  l'intérêt  était 
grand,  le  résultat  neuf,  de  les  monter  pénétrées  l'une  par  l'autre. 
Cette  monographie,  pensée  avec  un  goût  très  artistique,  est  d'ailleurs 
basée  sur  de  nombreux  documents,  et,  pour  admirer  avec  éloquence, 
la  critique  ne  perd  pas  ses  droits.  C'est  une  étude  vivante  et  souve- 
rainement attachante  que,  celle-ci.  24  reproductions  et  de  bonnes 
tables  des  œuvres  la  complètent  utilement. 

Holbein  devait  prendre,  et  sans  tarder,  la  place  qui  lui  est  due 
parmi  les  «  Classiques  de  l'art  »,  je  veux  dire  dans  cette  précieuse  col- 
lection d'albums  de  planches  qui  racontent  toute  l'œuvre  de  l'artiste 
simplement  en  la  reproduisant.  On  ne  saurait  rendre  plus  de  services 
avec  plus  de  discrétion  dans  le  commentaire.  Une  introduction  bio- 


d'histoire  et  de  littérature  199 

graphique  et  critique  de  quelque  25  pages  (toujours  anonyme;  pour- 
quoi ?)  donne  sur  la  vie  de  Tartistc  et  son  génie  les  renseignements 
indispensables,  et  quelques  reproductions  de  dessins  font  une  sorte 
de  spécimen  des  œuvres  non  comprises  dans  le  volume.  Des  éclaircis- 
sements, plus  de  20  pages,  terminent  celui-ci  et  fournissent  tous  les 
renseignements  désirables  sur  chacune  des  pièces  reproduites  par  la 
photographie,  état,  date,  histoire...  On  ne  peut  vraiment  demander 
plus  et  le  soin  avec  lequel  les  divers  éléments  sont  constitués  ici 
mérite  de  sérieux  éloges.  Les  planches  cette  fois  sont  au  nombre  de 
252.  Des  tables  chronologiques,  et  selon  les  sujets  des  oeuvres,  et  leur 
situation  actuelle,  terminent  judicieusement  le  volume. 

H.  de  Curzon. 


—  Le  fascicule  4  du  tome  XV  (1908)  des  Chroniques  Byzantines  {Vii^antijskij 
Vremennik)  contient  la   partie  bibliographique   et  la   table  des  nnatières.    —  Le 
tome  XVII  (rgio)  contient  la   première   partie  d'un  mémoire  de  M.  Loparev  (en 
russe),  où  sont  examinées  de  nombreuses  Vies  de  saints  de  Constantinople,  des 
viii«  et  IX*  siècles;  une  longue  introduction  expose  les  caractères  propres  aux  Vies 
et  aux  Martyres,  fait  la   théorie  de  la  composition  des  Vies,  et  traite  de  divers 
points  de  critique  hagiographique.  M.    Krasnojen   étudie  l'histoire  de  la  Sûvo^''-; 
xavovojv  d'Etienne  d'Éphèse,  et  M.  Touraiev  publie  des  observations  critiques  lais- 
sées par  Bolotov  sur  une  chronique  d'Ethiopie,  dont  il  donne  ensuite  le  texte  et  la 
traduction  (en  russe).  M.  Kurtz  publie,  avec  une  introduction  (en  russe),  le  texte 
grec  de  deux  discours  funèbres  composés  l'un  par  Eustathe,  métropolite  de  Thes- 
salonique,  l'autre  par  Constantin  Manassès,  à  l'occasion  de  la  mort  de  Nicéphore 
Comnène,  petit-fils  de  Nicéphore  Bryenne.  Ce  sont  deux  intéressants  spécimens 
de    l'éloquence  byzantine   au  xii«  siècle,    remplis    de   réminiscences    des  auteurs 
anciens.  Dans  la  seconde  monodie,  dont  le  texte  est  très  mutilé,  M.  K.  lit  p.  Sog, 
1.  I  tô  xatà  xoù<;  v6upoff-rca5=t;  dcTpâxTOuç  a-coi/dv  et  annote  «  atoi/ôv  quid  sit  nescio  »; 
il  faut  lire  eijïtoxov,  ainsi  que  l'indique  le  contexte,  et  pour  les  mots  qui  précèdent 
comparer  Sophocle,  Pliil.  290.  On  notera  dans   la  partie  Communications  la  des- 
cription d'une  partie  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  du  patriarcat  à  Constanti- 
nople, par  Papadopoulos-Kéramefs,  et  la  suite  du  travail  de  Khaviaras  sur  les  anti- 
quités et  inscriptions  chrétiennes  de  l'île  de  Symé.  Ce  tome  XVII  est  accompagné 
d'un  supplément  (191 1  ;  iv-368  p.)  qui  contient  les  actes  grecs  du  couvent  de  Chi- 
landari  au  Mont-Athos,  publiés  par  le  P.   Louis  Petit.  Ces  actes,  dont  la   plupart 
sont  du  XIV»   siècle,   ont  une  grande   valeur,  cela  se  conçoit,   pour  l'histoire   du 
monastère;  mais  ils  ont  une  autre  importance.  Ce  sont  des  chrysobulles  impé- 
riaux,  des   jugements,   des   actes  d'achat  et  de  vente,  etc.,   très  instructifs  pour 
l'étude  de  l'administration   byzantine  et   pour  l'histoire  du  droit  grec  au  moyen- 
âge.  L'historien  et  le  jurisconsulte  y  trouveront  du  profit,  et  ceux  qui   s'occupent 
de  l'histoire  de  la  langue  pourront  y  faire  d'intéressantes  observations.  —  Nous  ne 
pouvons  parler  du  tome  XVI  (1909),  qui  ne  nous  est  pas  parvenu.  —  Mv. 

—  Nous  avons  reçu  les  trois  brochures  suivantes  de  M.  L.  Maccari.  Stichomy- 
thica  (Urbin,  typ.  Arduini,  191  i  ;  14  p.);  à  propos  de  la  scène  de  reconnaissance 
de  la  Périkeiroménè,  qui  est  stichomythique,  M.    M.  recherche  si  cette  forme  de 


^06  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRF,    UT    DE    LITTÉRATURE 

dialogue,  qui  semble  propre  à  la  tragédie,  n'a  pas  été  employée  par  la  comédie 
grecque,  en  dehors  d'Aristophane;  il  conclut  que  la  stichomythie  subit  certaines 
modifications,  mais  qu'elle  subsista  plus  longtemps  que  nous  ne  le  croyons.  — 
Dionysus  minor,  Prccfatio  (Pisauri,  ex  typ.  Federici,  1912,  xu  p.);  observations 
toutes  générales  sur  le  Daos  de  Legrand  et  sur  le  premier  chapitre  des  Studies  in 
Menauder  de  Wright,  relativement  à  la  manière  dont  la  comédie  nouvelle  se  com- 
porte à  l'égard  des  dieux,  surtout  quand  ils  sont  pris  à  témoin.  —  L'Antichità 
classica  neW  opéra  di  Raffaello  (Extr.  de  la  Rassegna  Na3[iouale,  fasc.  16  janvier 
1912;  16  p.);  lecture  faite  au  palais  ducal  d'Urbin  le  28  mars  «  dell'  anno  cor- 
rente  »,  dit  un«  note;  entendons  191  i  (Le  28  mars  est  la  date,  selon  Vasari,  de  la 
mort  de  Raphaël;  mais  d'autres  le  font  naître  le  6  avril,  et  l'on  sait  qu'il  mourut  le 
jour  anniversaire  de  sa  naissance);  M.  M.  y  montre  que  Rapha£l,  avant  de  venir  à 
Rome,  était  assez  indifférent  à  l'égard  de  l'antiquité  classique,  mais  que  cependant 
plus  tard  le  contact  perpétuel  avec  les  monuments  antiques  n'a  pas  été  sans 
influence  sur  son  œuvre.  —  My. 

—  Sous  le  titre  de  Figure  moderne  (Àncône,  Puccini.  1912;  3  fr.)  M.  Alessan- 
dro  Chiappelli  a  réuni  une  douzaine  de  courts  morceaux  qu'il  avait  publiés  dans 
divers  périodiques  et  qui  roulent  sur  Rugg.  Bonghi,  G.  Bovio,  Emm.  Gianturco, 
Felice  Tocco,  Ed.  Zeller,  E.  Hartmann,  Herbert  Spencer,  Tolstoï  et  quelques 
autres.  M.  Henri  Bergson  y  représente  la  France  et  il  y  est  étudié  avec  plus  de 
sérieux  que  le  titre  de  l'article  (//  filosofo  di  moda)  ne  le  ferait  croire.  Plusieurs  de 
ces  morceaux  ont  été  presque  improvisés  pour  une  circonstance;  mais  les  impro- 
visations d'un  des  philosophes  les  plus  en  vue  de  l'Italie  contemporaine  ont  leur 
prix,  d'autant  que  M.  G.  a  connu  intimement  quelques-uns  des  personnages  (V. 
p.  ex.,  p.  34-5  sur  le  désintéressement  de  Bovio),  et  il  en  est  même  où  l'auteur 
embrasse  tout  le  système  du  penseur  qu'il  étudie.  —  Charles  Dejob. 


L' imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 

N"  37  —  14  septembre  —  1912 

Delaporte,  Catalogue  des  cylindres  et  cachets  orientaux  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale. —  Legrain,  Catalogue  des  cylindres  orientaux  de  la  collection  Cugnin.  — 
H.  VioLLET,  Fouilles  à  Samara.  —  Carnarvon  et  Carter,  Cinq  ans  de  fouilles 
à  Thèbes.  —  Quibell,  Fouilles  à  Saqqara.  —  Vondrak,  Grammaire  du  vieux 
slave,  2°  éd.  —  Leumann,  L'iranien  oriental.  —  Guyot,  Le  Directoire  et  la  paix 
de  l'Europe.  —  12"  Congrès  des  historiens  allemands.  —  Travaux  du  Séminaire 
historique  de  Louvain.  —  Hellmann,  Comment  étudie-t-on  l'histoire? —  Let- 
tre de  M.  Counson. 


L.  Delaporte,  Catalogue   des   cylindres  orientaux  et   des  cachets  assyro- 
babyloniens,  perses  et  syro-cappadociens  de  la  Bibliothèque  nationale  ; 

ouvrage  accompagné   d'un    album  de  40  planches.  Paris,  Leroux,  1910.  i    vol. 
384  p.  in-8". 

La  collection  de  cylindres  et  de  cachets  orientaux  conservée  à  la 
Bibliothèque  nationale  est  une  des  plus  importantes  qui  existe  :  elle 
ne  comprend  pas  moins  de  65o  numéros.  En  outre,  formée,  pour  la 
plus  grande  partie,  à  une  époque  oîi  les  faussaires  n'exerçaient  pas 
leur  habileté  fur  ce  genre  d'objets,  elle  offre  des  garanties  excep- 
tionnelles d'authenticité.  M.  Delaporte  a  donc  rendu  un  véritable 
service  à  l'histoire  de  la  glyptique  orientale  en  classant  et  en  décrivant 
cette  collection.  Ses  descriptions  sont  exactes  et  les  tables  dont  il  les 
a  fait  suivre  facilitent  les  recherches  et  les  rapprochements;  l'illus- 
tration, très  nette,  remplit  vraiment  son  office  :  elle  dispense  les  tra- 
vailleurs de  l'examen  des  originaux.  La  classification  est  ce  qui  me 
■  paraît  le  plus  contestable  dans  le  travail  de  M.  Delaporte  et  c'en  était 
d'ailleurs  la  partie  la  plus  difficile.  Dans  les  cylindres  assyro-babylo- 
niens,  M.  Delaporte  distingue  trois  grandes  classes  :  cylindres  de 
Sumer  et  d'Akkad,  cylindres  assyriens  et  cylindres  néo-babyloniens. 
Dans  la  première  classe,  qui  comprend  tous  les  cylindres  babyloniens 
depuis  les  origines  jusqu'à  la  fondation  du  second  empire  babylo- 
nien (625  av.  J.-C),  c'est-à-dire  3o3  numéros,  il  n'établit  qu'une 
seule  subdivision  fondée  sur  l'origine  et  la  date,  celle  des  intailles  de 
style  cassite  (i5  numéros);  tout  le  reste  est  réparti  entre  vingt-neuf 
groupes,  d'après  les  sujets  représentés.  Le  premier  inconvénient  d'un 
pareil  principe  de  classement  est  de  rapprocher  des  œuvres  de  style 
aussi  différent  que  le  sont  par  exemple  les  numéros  i  et  2,  Cet  incon- 
vénient n'est  pas  compensé,  comme  on  pourrait  le  croire,  et  comme 
l'a  sans  doute  espéré  M.  Delaporte,  par  la  suppression  de  l'arbitraire 

Nouvelle  série  LXXIV  3? 


202  RKVUE    CRITIQUE 

ei  du  subjectif  que  l'on  peut  redouter  dans  un  classement  fondé  sur  la 
chronologie  ou  une  répartition  par  fabriques  ou  écoles.  Je  suis  au 
contraire  frappé  de  voir  avec  quelle  facilité  on  pourrait  faire  passer 
un  même  cylindre  dans  plusieurs  des  classes  imaginées  par  M.  Dela- 
porte.  Ainsi  le  n"  21 3,  rangé  dans  la  XXI  V<=  section,  celle  du  «  Per- 
sonnage à  la  masse  d'armes  »,  pourrait,  au  même  titre  que  les  n°'  i2'3 
et  140,  être  rangé  parmi  les  «  Présentations  >>.  Le  n"  210,  classé  lui 
aussi  parmi  les  «  Personnages  à  la  masse  d'armes  »,  aurait  tout  aussi 
légitimement  trouvé  sa  place  dans  la  section  réservée  à  «  Giigames  et 
Eabani  ».  Enfin,  pour  ne  pas  multiplier  les  exemples,  les  numé- 
ros 225  à  228,  placés  sous  la  rubrique  <i  Déesses  guerrières  »,  auraient 
pu  être  considérés  comme  des  variantes  du  «  Personnage  à  la  masse 
d'armes  ».  Et  la  difficulté  d'un  classement  par  sujets  ne  vient  pas  seu- 
lement du  fait  que  souvent  plusieurs  sujets  sont  représentés  sur  un 
même  cylindre,  comme  c'est  le  cas  pour  le  numéro .2 10,  mais  aussi  de 
ce  que,  très  souvent,  nous  pouvons  hésiter  sur  l'interprétation  du 
sujet  représenté.  Et  cela  m'amène  à  formuler  le  second  regret  que 
m'inspire  le  travail  de  M.  Delaporte  ;  c'est  qu'il  ait  été  si  réservé,  je 
pourrais  même  dire  si  timide,  dans  l'interprétation,  ou  plutôt  qu'il 
l'ait  presque  complètement  négligée,  pour  se  borner  à  une  pure  des- 
cription. De  tant  de  problèmes  que  posent  ces  représentations  presque 
toujours  énigmatiques,  il  n'en  a  abordé  aucun.  Ainsi  trouvant  dans 
les  numéros  74  et  -jb  «  un  être  fantastique  formé  d'un  buste  humain 
uni  à  un  corps  d'oiseau  »,  il  ne  s'est  pas  demandé  s'il  n'y  aurait  pas  là 
un  souvenir  de  la  légende  du  dieu  Zu.  Je  ne  lui  reprocherai  pas 
d'avoir  accepté,  sans  la  discuter,  l'appellation  de  Giigames  et  d'Ea- 
bani  pour  deux  figures  à  propos  desquelles  j'ai  fait  des  objections 
qu'il  n'ignore  pas  (p.  vi);  car  en  l'employant  il  me  donne  l'occasion 
de  formuler  une  nouvelle  objection  :  il  est  en  effet  obligé  (n°  242)  de 
reconnahrenEvx  Eabani,  ce  qui  est  absolument  contraire  à  la  légende 
et  prouve  bien  que  le  prétendu  Eabani  est  un  génie  sans  rapport 
aucun  avec  le  texte  où  l'on  a  voulu  retrouver  son  nom.  M.  Delaporte 
accepte  encore,  pour  désigner  un  objet  d'ailleurs  diflScile  à  définir,  le 
nom  de  «  bâton  de  mesure  »;  je  souhaite  que  ce  nom  soit  plus  clair 
pour  lui  que  pour  moi.  Assurément  s'il  avait  essayé  un  classement 
chronologique  ou  une  interprétation  de  scènes  encore  obscures  ou 
des  symboles  qui  les  accompagnent,  M.  Delaporte  se  serait  exposé  à  . 
de  nombreuses  erreurs;  mais  nul,  sauf  peut-être  M.  Ward,  n'était 
mieux  que  lui  préparé  par  ses  travaux  antérieurs  à  vaincre  la  difficulté  , 
et  c'est  parfois  une  façon  fort  utile  de  servir  la  science  que  d'avoir  le  1 
courage  de  se  tromper.  ! 

C.   FOSSEY.  i 

I.  P.  XII,  au  lieu  de  Sirpula,  lire  Sirpurla  ou  mieux  Lagas  ;  ib.,  n.  4,  au  lieu  de  l 
Grotenfeld,  Grotefend;  p.  xvi,  une  vente  n'est  pas  un  acte  unilatéral;  p.  11,  Tin-  j 
terprétation  du  texte  du  n"    10  aurait    pu    être  donnée   comme   douteuse;    p.  29,   i 

t 


d'histoire  et  de  littérature  2o3 

L.  Lkorain,  Catalogue  des  cylindres  orientaux  de  la  collection   Louis  Cu- 

gnin, ouvrage  accompagné  de  six  planches  hors  texte,  i  vol.  11-54  p.  in-4".  Paris, 

Champion,  k)  1  1 . 

Des  71  cylindres  catalogués  par  M.  Legrain,  aucun  n'apporte  d'élé- 
ment nouveau,  mais  M.  Legrain  a  essaye  de  les  classer  chronologi- 
quement, sans  toutefois  justilier  d'une  manière  assez  explicite  ses 
attributions.  P.  S,  n.  2,  M.  L.  dit  que  le  nom  de  kaiuiakès  «  nous 
aurait  été  conservé  par  la  tradition  grecque  »;  je  ne  vois  pas  la  rai- 
son de  cette  forme  dubitative.  P.  12  il  écrit  :  «  tous  trois  regardent 
dans  le  même  sens,  qui  serait  «  vers  l'est  »,  d'après  l'empreinte  »,  il 
ne  doit  pourtant  pas  ignorer  que  les  Babyloniens  ne  s'orientaient  pas 
en  se  tournant  vers  le  nord  ;  l'empreinte  du  numéro  i  5  est  d'ailleurs 
mal  coupée  :  le  dieu  devrait  apparaître  entre  les  deux  divinités  qui 
lui  ouvrent  les  portes.  P.  i5,  n"  20,  au  lieu  de  «  diadème»,  il  faut  sans 
doute  lire  «  emblème  ».  P.  41,  n°  64,  je  ne  comprends  pas  comment  un 
cylindre  assyrien  peut  être  d'époque  présargonique.  Les  remarques 
que  M.  Legrain  a  jointes  à  ses  descriptions  auraient  gagné  à  être  réu- 
nies dans  la  préface. 

C.    FOSSEY. 


H.  N'ioLLET,  Fouilles  à  Samara  en  Mésopotamie.  Un  palais  musulman  du 
ix"  siècle.  Extrait  des  Mémoires  présentés  par  divers  savants  à  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles-Lettres;  tome  XII,  2°  partie.  Paris,  Klincksieck,  1911, 
I  vol.  35  p.  in-4''  et  XXIII  pi. 

M.  Viollet  a  pu  pratiquer  quelques  fouilles  dans  les  ruines  d'un 
château  construit  au  début  du  ix«  siècle,  par  Al-Miitasim,  fils  de 
Harun-ar-Rasid ,  à  Samara.  Ces  travaux  qui  n'étaient  guère  plus 
qu'une  reconnaissance,  lui  ont  cependant  permis  de  faire  quelques 
constatations  intéressantes.  Ainsi  «  les  vantaux  des  portes  devaient 
pivoter  autour  de  leurs  gonds  encastrés  dans  une  sorte  de  crapaudine 
placée  à  la  base  »,  comme  chez  les  Babyloniens.  On  retrouve  à  Samara 
des  fragments  de  décoration  identiques  à  ceux  de  la  mosquée  à'Ibn- 
Tunlu  et  des  églises  coptes,  ce  qui  est  très  important  pour  l'histoire 
des  origines  de  l'art  arabe.  Les  mosaïques,  qui  comportent  l'emploi 
de  verre  et  de  nacre,  ont  dû  être  exécutées  par  des  artistes  grecs. .La 
présence  de   briques  émaillées  permet  de  supposer  que  les  ateliers  de 

n"  55,  l'ornement  n'est  pas  formé  de  huit  lentilles^  p.  7^,  75  et  io3,  lire  protome 
au  lieu  de  prodrome  et  prodome  ;  p.  78,  n"  i36,  noter  la  forme  conique  de  l'ex- 
trémité inférieure  du  personnage  central  ;  p.  1 13,  n"  195  et  passiin,  il  n'y  a  aucune 
raison  pour  transcrire  Un  IM  (il  faudrait  au  moins  MUR  ou  une  autre  des  lectures 
données  dans  CT  xxiv)  et  lire  Ibni-Ramman,  à  côté  de  Ibiq-Adad  (p.  1 14)  ;  p.  118, 
en  bas,  au  lieu  de  uiiii  lire  mu.  Les  reproductions  des  numéros  i ,  1 1 ,  et  40  auraient 
pu  être  coupées  d'une  manière  plus  heureuse.  M.  Delaporte  a  eu  l'excellente  idée 
dedonner  une  liste  des  cylindres  royaux  et  empreintes  datées;  on  s'étonne  de  ne 
pas  y  voir  figurer  les  numéros  196,  i38  et  225  de  son  Catalogue.  La  publication 
de  l'ensemble  de  ces  cylindres  et  empreintes  datées  est  fort  désirable;  ce  serait  la 
meilleure  base  d'un  essai  de  classement  chronologique. 


204  RKVL'K    CRITIQUE 

la  Perse  musulmane  du  ni''  siècle  ont  simplcnicnl  continue  une  tradi- 
tion babylonienne  ijui  ne  s'était  jamais  perdue.  M.  Viollet  a  noté  judi- 
cieusement l'artiHcc  ingénieux  employé  dans  la  fabrication  de  ces  bri- 
ques pour  que  le  mortier  n'apparaisse  pas  en  façade.  Les  six  semaines 
passées  à  Samara  par  M.  VioIlct  ont  été  bien  employées. 

C.  FossicY. 


Carnakvhn  et  r.AitTiH.  Five  years  Exploration  at  Thebes,  a  Record  of  work 
done  1907-1911  by  thc  Maki,  m-  Caunarvon  aiid  IIowauu  Cartir,  with 
Chapters  by  !•'.  11.  GrilVith,  George  Lcgraiii,  Georg  Môllcr,  Percy  E.  Ncwberry 
and  W.  Spiegelberg,  Oxford,  Im-o\vJc,  i<ji'.2,  petit  in-H»,  xii-200  p.  avec  79  pi.  et 
lin  frontispice. 

La  recherche  a  été  longue,  mais  elle  a  enlin  abouti  et  les  résultats  en 
ont  été  satisfaisants.  Autant  que  je  puis  le  voir,  les  ruines  que  le  comte 
de  Carnavon  a  déblayées  ne  sont  autres  que  celles  des  propylées  qui 
annonçaient  les  monuments  funéraires  de  Déîr  el  Baharî.  Les  Pharaons 
de  l'âge  memphite  avaient  l'habitude  de  construire  à  la  lisière  des 
terres  cultivées,  vers  Textréniité  Ouest  de  leur  ville  royale,  une  cha- 
pelle ou  plutôt  un  portail  monumental,  d'où  partait  une  chaussée, 
elle  menait  à  la  chapelle  funéraire  proprement  dite  et  à  la  pyramide 
où  leur  momie  devait  reposer.  Lorsque  le  thébain  Mantouhatpou 
bâtit  son  mastaba-pyramide  au  fond  du  vallon,  il  suivit  leur  exemple, 
et  il  installa,  en  face  de  Karnak  sa  ville  royale^  une  sorte  de  reposoir 
en  briques  qui  tint  lieu  des  propylées  memphites.  La  reine  Hatchap- 
souîtou,  venant  plusieurs  siècles  après  lui  et  s'installant  dans  le  repli 
nord  de  son  vallon,  édiHa  sur  le  reposoir  un  bâtiment  en  beau  cal- 
caire, qui  annonça  l'entrée  de  l'avenue  par  laquelle  on  montait  au 
temple.  Lord  Carnarvon  a  retrouvé  les  dépôts  de  fondation  qui 
établissent  les  droits  de  la  reine  sur  le  monument,  et  çà  et  là,  les 
restes  des  niurailles  de  briques  antérieures  apparaissent  à  travers  sa 
fouille.  Les  bâtiments,  placés  dans  un  creux,  sombrèrent  peu  à  peu 
sous  les  remblais  à  partir  de  la  XXI^  dynastie.  A  l'époque  gréco- 
romaine,  un  village  assez  misérable,  le  prototype  du  village  d'aujour- 
d'hui, s'élevait  sur  le  tas  :  il  s'appelait  Thi-nab-ounoun,  l'ezbéh  de 
Nab-ounoun,  en  transcription  grecque  eivaSoùvov.  On  devait  s'attendre 
à  rencontrer  là  un  peu  de  tout,  et  de  fait  lord  Carnarvon  en  a  tiré 
des  objets  de  la  XIL  dynastie  comme  de  la  XVII  L,  de  la  XX<^  et  du 
temps  des  Ptolémées. 

Ce  sont  naturellement  les  tombeaux  qui  lui  ont  le  plus  rendu.  Le 
plus  intéressant  est  celui  d'un  certain  Téti-kaî  prince  royal  et  chef  du 
pays  du  midi,  qui  était  en  relation,  de  parenté  peut-être,  avec  la  reine 
Ahmasi-Naftéra,  feinme  d'Ahmôsis.  Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer 
ici  combien  ce  nom  dcTéti,  que  nous  tenons  pour  caractéristique  des 
siècles  memphites,  est  répandu  à  ce  moment  :  l'arrière-grand-mère 
d'Ahmôsis  était  uneTéti-shara,  un  prince  révolté  contre  Ahniôsis  s'ap- 


d'histoirk  et  de  littérature  2o5 

pelaitTéti-ànou,  unTcii,  baron  de  Nafroiisi,rii  de  l'opposition  à  Kamô- 
sis,  le  prédécesseur  d'Ahmôsis,  et  la  plupart  des  personnages  alliés  à 
notre  individu  sont  des  Téti-ànkhou,  Téti-me-rîya,  Teii-sanbi  et  ainsi 
de  suite.  Les  Pharaons  de  la  XVI II'  dynastie  prétendaient-ils  des- 
cendre de  la  VI*"?  Je  crois  en  avoir  relevé  divers  indices.  En  tout  cas, 
notre  Téii-kaî  jouit  de  quelque  influence  au  début  du  second  empire 
thébain.  Son  tombeau,  peint  mais  non  sculpté,  est  d'un  modèle 
connu,  intcimédiaire  entre  le  type  des  hypogées  de  la  XII<=  dynas- 
tie et  celui  des  hypogées  de  laXVIII^  Les  photographies  d'après 
lesquelles  les  planches  ont  été  établies  sont  petites  et  parfois  peu 
lisibles.  Elles  nous  permettent  pourtant  de  reconnaître  que  la  partie 
principale  du  dccor  représentait  en  raccourci  la  pompe  des  funé- 
railles, avec  les  danseurs,  les  baladins  à  coiffure  bizarre,  le  transport 
du  •tikanuu,  les  comparses  sans  bras  enfermés  dans  une  manière  de 
caisse  haute,  les  jardins  mortuaires,  les  barques,  les  coffres,  les  deux 
obélisques,  bref  le  cérémonial  usité  dans  le  Sud  et  dont  on  voit  les 
images  à  El-Kab  aussi  bien  qu'à  Thèbes.  Une  inscription  tracée  en 
hiéiaiique  dans  le  champ  rappelle  le  passage  d'un  scribe  Paganoun, 
peut-être  celui  qui  surveilla  les  travaux.  Le  dessin  est  rapide,  mais 
juste,  et  plusieurs  des  sujets  sont  traités  plus  librement  qu'ils  ne  le 
furent  par  la  suite  :  il  y  a  (pi.  V,  D)  un  âne  d'une  allure  assez  gauche 
maisqui  n'a  rien  de  conventionnel.  En  résumé,  voilà  un  spécimen  à 
peu  près  intact  d'architecture  et  de  décoration  funéraire  à  cet  âge  de 
transition,  où  les  traditions  du  premier  empire  thébain  se  sont  déjà 
modiriées  sans  que  celles  du  second  empire  soient  déjà  formées  com- 
plètement. Je  souhaite  que  lord  Carnarvon  en  découvre  d'autres  de 
ce  genre  aussi  bien  ou  mieux  conservés. 

Beaucoup  des  hypogées  mis  au  jour  en  1909,  1910  et  iqm  avaient 
été  creusés  pour  des  gens  de  la  XI*^,  XII"  ou  XIII''  dynasties;  pillés, 
selon  l'usage,  lorsque  la  famille  à  laquelle  ils  avaient  appartenu  s'étei- 
gnit ou  cessa  de  les  surveiller,  «ils  avaient  été  réemployés  sous  la 
XVIi'^  et  la  XVIII''  dynasties,  et  dans  bien  des  cas  violés  encore  sous 
les  Bubastites  ou  sous  les  Perses.  On  y  avait  entassé  à  diverses 
reprises  des  cercueils  en  assez  grand  nombre,  cercueils  rectangulaires 
à  couvercle  plat  ou  arrondi,  cercueils  anthropoides,  et  parmi  eux 
sept  cercueils  de  l'espèce  appelée  par  Mariette  richi,  les  «  emplu- 
més  ».  La  facture  en  est  grossière,  les  eaux  d'infiltration  les  ont 
pourris,  les  fourmis  blanches  les  ont  rongés  :  ce  sont  d'assez  piètres 
pièces  de  musée,  mais  qui  n'en  ont  pas  moins  leur  valeur  documen- 
taire. Une  fois  déplus,  les  partisans  de  ce  qu'on  appelle  la  chronolo- 
gie longue  et  la  chronologie  courte  en  sont  venus  aux  mains  dans 
ces  dernières  années,  et  l'un  des  arguments  invoqués  par  les  seconds 
contre  les  premiers  est  tire  Je  la  ressemblance  que  Mariette  observa 
naguère,  entre  l'appareil  funèbre  de  la  XL  dynastie  et  celui  de  la 
XVII'\  11  a  perdu    beaucoup  de  sa  valeur,   depuis    que   Steindorff  a 


200  REVUK    CRITIQUE 

ddmontrc  que  plusieurs  des  Pharaons  Aniouf  classes  primitivement 
dans  la  XI'  dynastie  doivent  êiie  reportés  à  la  Xllh'  :  l'intervalle  de 
temps  entre  les  cercueils  diminue  ainsi  de  plus  de  deux  siècles  et 
demi  ou  même  de  trois  siècles.  Cela  dit,  il  faudrait  encore,  avant  de 
se  prononcer,  savoir  combien  de  temps  pouvait  durer  les  modes 
funéraires.  Les  deux  trouvailles  de  Déir-el  Baharî  nous  ont  prouvé 
que  les  cercueils  anthropoïdes  à  fond  jaune,  avec  ligures  et  hiéro- 
glyphes polychromes,  ont  été  en  faveur  depuis  le  milieu  de  la  XX* 
jusque  vers  le  milieu  de  la  XXII«^dynastie,  pendant  près  de  deux  siècles. 
Les  cercueils  à  fond  blanc  et  à  bandes  bleues  ou  noires  ont  été  en 
usage  pendant  toute  la  XVI II'"  dynastie.  Pourquoi  la  mode  des 
cercueils  ricliis  n'aurait-elle  pas  duré  autant?  S'agissant  d'un  sys- 
tème tel  que  celui  de  la  chronologie  courte,  qui  se  fîatte  d'établir  des 
dates  Icrmcs  à  quatre  ans  près,  l'argument  tiré  d'eux  se  retourneYait 
contre  ceux  qui  l'invoquent  :  les  deux  cents  années  environ  qui 
s'écoulèrent  entre  l'avènement  de  la  XVI 11=  dynastie  vers  i58o  et  les 
Aniouf  de  la  XI  ll'^  nous  mènerait  jusque  vers  1780,  ce  qui  est 
pour  eux  la  date  finale  de  la  XII*'  dynastie,  et  reléguerait  hors  temps 
une  bonne  moitié  de  la  XIII«.  Notons  donc  la  ressemblance,  mais 
n'en  tirons  pas  de  conséquence  rigoureuse  :  s'il  y  a  un  sujet  sur  lequel 
il  convient  de  se  montrer  prudemment  sceptique,  c'est  la  chronolo- 
gie des  temps  qui  précédèrent  le  second  empire  thébain,  courte  ou 
longue. 

Quelques  objets  de  prix,  une  statuette  en  électrum,  un  collier  de 
perles  émaillées  avec  figure  de  ka  en  émail  bleu,  un  cotîret  en  ivoire, 
des  répondants,  tranchent  sur  la  masse  des  outils,  meubles,  débris 
de  toute  espèce.  J'y  joindrai  volontiers  les  rares  papyrus  démotiques 
et  les  ostraca,  surtout  les  tablettes  d'écolier,  chargées  de  textes  en 
écriture  hiératique.  L'une  d'elles,  qui  à  elle  seule  représente  les  diver- 
tissements d'un  mort,  portait  sur  une  de  ses  faces  un  damier  dessiné 
à  l'encre,  et  au-dessus  les  premières  lignes  des  Enseignements  de 
Phtahhotpoii .  Le  texte  du  vieux  livre  Memphite  était  déjà  altéré  en 
plus  d'un  endroit  :  les  scribes  y  avaient  remplacé  quelques  mots 
tombés  en  désuétude  par  des  termes  nouveaux,  et  ils  en  avaient 
modifié  les  tournures  vieillies.  La  comparaison  de  cette  version 
moderniste  avec  le  texte  le  plus  ancien  du  Papyrus  Prisse  est  pour 
nous  donner  une  leçon  excellente  de  critique  verbale.  C'était  d'ailleurs, 
même  au  gré  d'un  Osiris  revenu  des  futilités  de  ce  monde,  une  lecture 
un  peu  attristante;  aussi  le  même  écrivain  a-t-il  copié  au  verso  le 
commencement  d'un  récit  plus  passionnant.  On  y  raconte  les  événe- 
ments qui  se  seraient  passés  sous  le  règne  de  Kamôsis,  et  qui  auraient 
'amené  la  soumission  à  ce  Pharaon  des  petits  princes  égyptiens  qui  se 
partageaient  la  vallée  ainsi  que  la  défaite  des  Hyksôs  d'Avaris.  Gri- 
ffith  a  sommairement  analysé  et  traduit  ce  document,  lui  attribuant 
un  caractère    historique.  J'avoue  que,  l'étudiant  au  moment  de   la 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  20/ 

découverte,  j'avais  été   frappe  de   l'analogie  qu'il  offre  avec  l'histoire 
de  Saknounriya,  dont  le  Papyrus  Sallicr  l  a  gardé  le  début,  et  que  je 
l'ai  dès  lors  considéré  comme   un  roman   iiistorique.  Je  viens  de  le 
relire,   et  cette  seconde  étude   m'a  coniiimé    dans    mon    impression 
première.  Avons-nous  ici  un  conte  populaire  ou  seulement  un  exercice 
de  narration  fleurie  tel  qu'on   en  faisait   dans  les  écoles?  Je   penche 
vers  cette  dernière  hypothèse,  et  je  pense  que,  la  rédaction   n'étant 
pas  très  postérieure  aux  éléments  eux  mêmes,  elle  pourra  être  employée 
par  les  historiens,  discrètement.   Les  autres   lahleiies    ou    sont  trop 
endommagées  pour  qu'il  soit  facile  d'en  tirer  un  sens  suivi,  ou  ne  sont 
que  des  notes  rapidement  jetées.   J'en    excepterai    un   curieux  petit 
texte  de  cinq  lignes  dont  Môller  a  signalé  l'originalité.  Il  me  semble 
que  c'est  un  enfant  qui  parle  et  qui  proteste  contre  sa  mère  nourrice. 
«  S'il  n'y  avait  pas  de  nourrice,  dit-il,  mon  cœur  serait  bien  heureux 
«  avec  moi.  Si  un  enfant  sort  au  village  et  qu'il  rentre  pleurant,  vois, 
«  la  nourrice  est  contente  disant  :  «  Tu   pleures  [parce  que   tu  as  été 
«  mauvais]  très  certainement.   Celui  dont  tout  le  monde   chante   la 
«  louange   [rien   n'est  facile]   comme  de  le  savoir,  car  son  cœur  est 
«joyeux!   »   Les  lacunes  m'empêchent  naturellement  de  garantir  le 
sens,  mais  l'interprétation  que  je  propose  s'adapte  assez  convenable- 
ment aux  bouts  de  phrase  intacts.  L'enfant  ne  peut  pas  aller  traîner 
dans  les  rues  et  rentrer  pleurant,  que  la  nourrice  ne  tire  de  ses  larmes 
la  preuve  qu'il  a  été  méchant  :  celui  qui  a  été  sage  au  dehors,  cela  se 
voit  tout  de  suite  à  sa  gaieté  lorsqu'il  revient  à  la   maison.  'Vraiment 
ces  nourrices  sont  bien  fatigantes  avec   leur    morale  perpétuelle,  et 
comme  l'on  conçoit  que  l'enfant  voudrait  qu'il  n'y  en  eût  plus. 

Je  ne  sais  pas  pourquoi  tant  des  nôtres  s'imaginent  qu'un  livre  bien 
soigné  d'exécution  matérielle  ne  peut  pas  être  un  livre  savant  :  un 
papier  fort  et  qui  durera,  une  composition  élégante,  un  tirage  égal  et 
net  les  mettent  de  mauvaise  humeur  et  les  font  crier  au  luxe  inutile.  En 
voici  un  pourtant  à  qui  sa  belle  tournure  ne  retirera  rien  de  la  valeur 
scientifique.  Les  coUaborate-urs  y  ont  été  nombreux,  mais  peut-être  les 
Egyptologues  de  métier  n'ont-ils  pas  tiré  autant  de  parti  qu'ils  auraient 
pu  des  matériaux  qui  leur  avaient  été  confiés  :  on  souhaiterait  que 
leurs  notices  fussent  plus  longues  et  plus  complètes.  En  revanche,  le 
récit  des  fouilles  et  la  description  des  fonds  divers,  qui  sont  dus  à 
lord  Carnarvon  et  à  M.  Carter,  sont  bien  ce  qu'ils  devaient  être.  Tout 
ce  qu'il  est  nécessaire  de  connaître  pour  bien  apprécier  la  position, 
l'âge  et  l'importance  des  monuments  y  est  dit  sans  longueur  et  sans 
trop  de  brièveté.  Les  planches  sont  bonnes.  Toutefois  j'ai  marqué 
plus  haut  que  celles  sur  lesquelles  les  peintures  du  tombeau  de  Téti- 
kaî  sont  reproduites  me  paraissaient  trop  molles.  Les  autres  sont 
d'une  netteté  heureuse  pour  les  yeux  de  qui  les  consultera,  et  l'hélio- 
gravure qui  sert  de  frontispice  au  volume  fait  sortir  par  le  contraste 
entre  la  noirceur  du  fond  et  la  clarté  de  la  figure  l'effet  lumineux  de 


2o8  REVUE    CRITIQUE 

Toriginal,  sa  pose  raidc,  son  niodclc  un  peu  sommaire  et  la  longueur 
de  ses  formes. 

G.  Maspero. 


J.-E.  Qi'iiiKi.i,,  Excavations  at  Saqqara    1908-9,  1909-10    (Service  des  anti- 
quités lie  ri".gypte},  Le  Caire    i'j\2;  vii-i3i  pages.  iii-4",  N(j  planches. 

Ce  quatrième  volume  des  Fouilles  de  Saqqara  nous  donne  les  der- 
niers documents,  inscriptions,  peintures,  et  ruines  architecturales,  mis 
au  jour  par  M.  Quibcll  sur  le  site  de  l'ancien  couvent  d'Apa  Jéré- 
mie.  Grâce  au  plan  patiemment  dressé  par  l'auteur,  et  aux  renseigne- 
ments qui  guident  le  lecteur  à  travers  ce  fouillis  de  petites  salles  en 
brique  crue  ou  en  pierre,  on  peut  croire  à  présent  que  le  vieux  monas- 
tère a  livré  presque  tout  ce  qu'il  avait  à  livrer.  Son  histoire  pourra  se 
reconstituer,  au  moins  dans  ses  grandes  lignes,  et  nous  obtiendrons 
ainsi  quelques  jalons  pour  servir  à  la  classification  chronologique 
des  oeuvres  de  l'art  copte. 

La  dernière  inscription  datée  est  de  l'an  844.  La  fondation  aurait  eu 
lieu,  pense  M.  Quibell,  aux  environs  de  l'an  5oo.  Je  crois  pourtant 
que  certains  morceaux  de  sculpture  et  même  de  peinture  attestent  une 
époque  antérieure.  Le  monastère  de  Saint-Jérémie  dont  parle  Jean  de 
Nikious,  et  qui  aurait  été  fondé  par  un  contemporain  de  l'empereur 
Anastase,  n'est  probablement  pas  celui  de  Saqqara,  si  on  examine  le 
texte  de  près.  D'une  part  la  ville  de  «  Menouf  »,  qui  en  était  voisine, 
ne  désigne  pas  Memphis,  en  général,  dans  la  Chronique  éthiopienne  : 
c'est  plutôt  Onoupliis.  D'autre  part  ce  couvent  était  situé  «  dans  la 
province  d'Alexandrie  »,  c'est-à-dire  dans  l'éparchie  d'Egypte  !'«, 
tandis  que  Saqqara  ou  Memphis  est  en  Arcadie.  Rien  n'empêche  donc 
de  penser  .que  le  monastère  fouillé  par  M.  Quibell  remonte  beaucoup 
plus  haut  dans  le  v=  siècle  :  et  de  fait  il  y  a  ramassé  une  notable  quan- 
tité de  petites  monnaies  de  bronze  de  cette  époque,  malheureusement 
illisibles.  L'époque  la  plus  brillante  de  la  communauté  pourrait  avoir 
été  la  première  moitié  du  vu"  siècle  avec  la  fin  du  vi^  :  du  seul  règne 
d'Héraclius  il  a  été  trouvé  127  monnaies,  sur  21  3  d'époque  byzantine. 
Une  partie  de  la  décoration  sculpturale  semble  bien,  en  effet,  dater 
de  ce  même  temps.  Le  pilier  n°  i  de  la  planche  XXXVII  porte  en  bas- 
relief  un  buste  du  Christ  entouré  de  deux  anges,  lequel  est  curieuse- 
ment analogue  aux  effigies  monétaires  des  empereurs  Phocas  ou 
Héraclius. 

Les  peintures  publiées  ici  ne  sont  pas  aussi  importantes  que  celles 
dont  le  tome  III  nous  avait  présenté  les  reproductions.  Il  en  est  une 
toutefois  qui  mérite  de  retenir  l'attention  :  dans  le  sacrifice  d'Abraham 
(pi.  V  et  XII),  le  bélier  destiné  à  la  substition  est  représenté  attaché  à 
l'arbre.  La  même  particularité  s'observe  dans  une  fresque  de  la  nécro- 
pole de  Khargch  (Grande  Oasis).  Elle  répond  à  une  tradition  littéraire 
répandue  chez  les  Coptes  (O.  von   Lcmm,  Kleine  Kopt.  Stud.,  n'^  53 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTERATURE  209 

(1908),  p.  22),  et  peut-èirc  à  une  idée  ihéologique.  Le  plan  architec- 
tural, l'usage  des  principales  salles  et  des  dispositions  parfois  énigma- 
tiques  qu'on  y  rencontre^  a  cié  élucidé  fort  heureusement  par  l'auteur, 
qui  était  seul  à  pouvoir  le  faire,  puisque  les  morceaux  les  plus  remar- 
quables, trop  exposés  à  la  rapacité  des  marchands  d'antiquités,  ont  dû 
être  transportés  au  Musée  du  Caire.  Les  planches  nombreuses 
annexées  à  cette  publication  en  sont  d'autant  plus  précieuses. 

Comme  dans  la  livraison  précédente,  les  inscriptions  grecques  et 
coptes  put   été    éditées    par    sir    H.   Thompson.    Elles    forment   un 
ensemble  de  400  textes  (en  comptant  les  ostraca],  dont  l'étude  histori- 
que serait  sans  doute  féconde  en  résultats  intéressants.  Naturellement, 
celles  qui  portent  date   sont  rares,   mais  la  comparaison   des  noms 
propres  entre  eux  en  augmenterait  sans  doute  le  nombre.  Il  en  est 
deux  qui  offrent  un  intérêt  spécial  :  le  n"  226,  qui  nous  donne  l'énu- 
mération   des   fêtes  observées   par  les    moines,    avec  le  tableau   des 
rations  de  vin  qu'on  distribuait  lors  de  chacune  en  signe  de  réjouis- 
sance ;  —  et  le   n°  265,   nouvelle  liste   de  patriarches  d'Alexandrie, 
avec  l'indication  de  leurs  années  de  pontificat.  Ce  fragment  contient 
notamment   les  noms  des  patriarches  du  vi*^  et  du  vn^  siècle,   dont  la 
chronologie  est  si  douteuse.  Il  serait  donc  d'une  importance  histo- 
rique capitale,  si  malheureusement  il  n'était  évident  que  le  scribe  son 
auteur  était  fort  ignorant.  Ainsi,  il  assigne  41  ans  d'archiépiscopat  à 
Théodose,  ce  qui  placerait  son  élection  en  525,  sous  Justin  I^''  :  l'er- 
reur  n'est  guère   que   d'une   douzaine   d'années.  Cette  liste  est  sans 
doute  une  copie  maladroite  faite  sur  un  document  meilleur,  comme 
le  prouve  la  faute  AHMinPIOC  pour  AHMHTPIOC-  H  sera  peut-être 
utile  de  noter  ici  quelques  remarques  intéressant  le  texte  ou  le  sens 
des  inscriptions  publiées  ; 

No  169.  L'expression  TTIGOT  NTAIÀKONIA  est  traduite  par  «  the 
father  of  the  service  »,  ce  qui  n'est  pas  bien  net.  Ce  titre  est  peut-être 
l'équivalent  du  grec  otaxovrj-:-/;;,  et  signifierait  «  le  père  qui  s'occupe  des 
pauvres  ».  Le  mot  oiax.ovfa,  au  vi"  siècle,  signifie  aussi  «  l'ensemble 
des  biens  d'un  monastère  ».  Nous  pourrions  donc  encore  avoir 
affaire  à  l'économe,  ou  à  une  sorte  d'intendant. 

N"  220.  La  véritable  forme  du  nom,  en  grec,  est  'A^évioç,  qui  se  ren- 
contre dans  les  papyrus  byzantins  du  Caire  (n°  67139,  III,  recto,  21), 
et  dans  ceux  de  Londres  (tome  IV,  n"  141 2,  1.  277). 
N°  3i5.  Peut-être  rECOPn's  :  c<i.  n^  339,  c)  eniC(-''-^J^os). 
N"  33  I.  Lire  ;i,ovdc!^ov  et  non  aovayôv.  C'est  ce  mot  (pour  [i.ovxCwv)  qui 
a  sans  doute  causé  la  faute  -.vj  pour  ô.  Lire  aussi  Memfeos  et  non 
Membeos  \  le/ latin  affecte  une  forme  assez  analogue  dans  les  papy- 
rus du  VI'-  siècle.  Ces  deux  corrections  expliquent  les  anomalies  paléO' 
graphiques  relevées  par  l'éditeur. 

N°  344,  b  :  lire  YnONOT(>^?'-^^0-  —  ^  :  AIGMOY---  n'est  pas  une 
incorrection  pour  TIMO  0GOC]  :  c'est  le  grec  St'  £|-toO.  La  pierre  ne 


2  10  REVUE    CRITIQUE 

porte  pas  trace  de  lacune.  Après  GA(^/.'-"Os),  on  distingue  un  petit  7. 
—  ^^  :  MAPIO  :  'ii*-'  MAPKO  C)  '•  c'est  en  réalité  un  graffito  distinct. 
Toutes  ces  inscriptions  sont  donc  éci  ites  en  langue  grecque,  et  doivent 
s'ajouter  à  celles  que  signale  l'éditeur  dans  son  avant-propos. 

N°  359,^1:  au  lieu  de  «  Caius  Pliilopator  »,  lire  à  la  (in  Tïapà  toO  ■/.■jp':o<j 
(pour  Tfi)  xup£t[j),  formule  ordinaire  des  proscynèmes.  Le  milieu  cache 
peut-être  la  formule  -/.x'.  to'j,-  o!X(o'j;),  pour  xôjv  oîàojv,  mais  je  n'ai  pas  vu 
l'original. 

N"  359,  b  :  Aphrodite  est  le  nom  de  la  dcdicante. 

N°  366,  recto.  Les  mots  KAIGICG  NAN  KYPION  doivent  se  couper 
ainsi  :  -Aa;  eU 'ivav  x'jp'.ov;  c'est  un  Iragment  de  profession  de  foi  ortho- 
doxe (qu'on  retrouve  textuellement  dans  le  svmbole  du  V<=  concile 
œcuménique). 

N°  394.  Stvtyvl  est  sans  doute  mis  pour  a'.À'.vvl .  —  Enfin,  dans  le 
curieux  graffito  arabe  daté  de  349  (pi.  68),  le  nom  du  pèlerin  n'est  pas 
Hassan  Abou  Mohammed,  mais  Abou  Mohammed  tout  court.  Le 
premier  mot  est  le  verbe  hadliara,  «  est  venu  ici  »,  correspondant  au 
T.XOov  des  graffiti  grecs. 

Jean  Maspero. 

W.   VoNDRAK,  Altkirchenslavische    Grammatik,    2°  édit.    Berlin   (Weidmann), 
igi2,  in-8",  xviii-656  p. 

Cette  seconde  édition  est  en  grande  partie  un  livre  nouveau,  et  un 
livre  très  supérieur  à  l'édition  précédente.  Ayant  publié  une  chresto- 
mathie  du  vieux  slave,  M.  Vondrâk  s'est  dispensé  d'ajouter  des  spéci- 
mens de  textes  à  sa  grammaire;il  a  d'autre  part  beaucoup  accru  les 
dimensions  du  volume  qui  a  entièrement  perdu  son  caractère  primitif 
de  manuel  élémentaire. Telle  question  qui,  comme  celle  des  jers,  était 
résumée  en  quelques  pages,  en  occupe  maintenant  plus  de  cent.  Et  le 
profit  qu'on  en  retirera  est  grand;  car  personne  n'a  plus  étudié  les 
anciens  textes  slaves  que  M.  Vondrâk,  il  les  connaît  dans  le  détail,  et, 
c'est  précisément  grâce  à  ses  statistiques  et  à  ses  observations  minu- 
tieuses qu'il  a  fait  œuvre  utile. 

M.  V.  s'est  intéressé  de  manière  très  inégale  aux  divers  problèmes. 
La  phonétique  et  la  graphie  ont  retenu  la  meilleure  part  de  son  atten- 
tion ;  M.  V.  y  consacre  plus  de  3oo  pages,  et  c'est  là  qu'on  trouvera 
le  plus  le  résultat  de  recherches  personnelles.  La  morphologie  occupe 
moins  de  200  pages,  et  la  syntaxe  une  soixantaine.  La  question  de 
l'aspect  qui  domine  tout  le  verbe  slave  est  résumée  en  trois  pages,  et 
l'emploi  du  génitif-accusatif,  qui  est  l'un  des  traits  les  plus  originaux 
du  slave,  est  indiqué  en  quinze  lignes,  sans  un  seul  renvoi  aux  travaux 
publiés,  pas  même  aux  plus  récents,  comme  ceux  de  M.  Tomson.  On 
se  demande  même  si  M.  V.  a  lu  certains  travaux  publiés  sur  la  ques- 
tions; ainsi,  il  enseigne  que  les  génitifs  mené,  tebe,sebe  servent  d'accu- 
satifs accentués,  sans  rappeler  la  remarque,  sur  laquelle  M.  Berneker 


d'histoire    et    de    littérature  211 

a  spécialement  insisté,  que  cet  usage  est  d'une  extrême  rareté  en  vieux 
slave. 

Les  indications  sur  la  préhistoire  des  formes  citées  sont  peu  person- 
nelles. La  parenthèse  de  la  p.  -]-]  où  sont  cités  stada  et  ryba  demeu- 
rera inintelligible  à  presque  tous  les  lecteurs.  L'affirmation  de  la 
p.  i85  que  la  préposition  [■{  a  perdu  un  jer  final  est  gratuite;  ce  jer 
n'est  pas  écrit  dans  les  textes,  et  l'étymologic  montre  qu'il  n'a  jamais 
existé:  le  lituanien  a  [$■{  et  le  latin  ex\  il  n'y  a  trace  d'une  voyelle 
finale  nulle  part. 

L'un  des  mérites  et  Tune  des  originalités  de  la  nouvelle  édition  de 
la  grammaire  de  M.  Vondrdk,  c'est  que  les  plus  anciens  textes  n'y 
sont  pas  seuls  considérés;  surtout  dans  la  partie  relative  à  la  phoné- 
tique et  à  la  graphie,  il  est  tenu  compte  des  textes  slavons  postérieurs 
de  Bulgarie,  de  Serbie  et  de  Russie.  Et  ceci  est  excellent.  Mais  cet 
élargissement  devrait  avoir  pour  contre-partie  nécessaire  une  rigou- 
reuse précision  dans  la  définition  du  vieux  slave.  D'après  ce  qu'en- 
seigne M.  V.  lui-même,  le  Suprasliensis  représente  un  type  —  ou 
pkuot  des  types  —  de  langue  postérieurs  et  aberrants  par  rapport  aux 
manuscrits  glagolitiques  de  l'Évangile  et  du  Psautier;  il  n'est  donc 
pas  légitime  de  poser,  p.  429,  kamy  comme  forme  du  nominatif  du 
thème  kamen-\  cette  forme  n'apparaît,  en  effet,  que  dans  le  Supras- 
liensis, et  les  manuscrits  glagolitiques  recourent,  pour  le  nominatif,  à 
l'ancienne  forme  d'accusatif.  Du  reste,  même  dans  le  Suprasliensis, 
il  n'y  a  pas  ici  de  distinction  entre  nominatif  et  accusatif;  kamy  y  est 
accusatif  aussi  et  plus  souvent  que  nominatif.  Le  principe  général 
de  la  confusion  du  nominatif  et  de  l'accusatif  au  singulier  de  tous 
les  substantifs  masculins  est  absolu  en  vieux  slave;  et  il  aurait  été  bon 
de  le  mettre  en  évidence. 

On  ne  devra  donc  pas  demander  à  l'ouvrage  de  M.  V.  des  pro- 
portions exactes,  des  doctrines  générales  fermes  :  mais  on  y  admirera 
en  revanche  l'extrême  abondance  de  faits  précis,  puisés  dans  les  textes, 
une  grande  connaissance  du  sujet  et  une  appréciation  judicieuse  des 
données  philologiques.  Qui  voudra  s'initier  au  vieux  slave  et  en  pren- 
dre une  idée  d'ensemble  continuera  de  se  servir  du  Handbiich  de 
M.  Leskien,  mais,  si  l'on  veut  pousser  les  recherches  plus  avant,  il 
sera  indispensable  d'y  joindre  la  grande  grammaire  de  M.  V. 

A.  Meillet. 


E.  Lrumaxn,  Zur  nordarischen  Sprache  und  Literatur.  Voibemerkungen  und 
vicr  Aufsatze  mit  Glossar.  Strasbourg  '  K.  Trûbner',  1912,  iii-S",  viii-147  p. 
[Schriften  der  Wissenschaftlichen  Gesellschaft  in  Strassburg,  Heft  x). 

Depuis  que  M.  E.  Leumann  a  établi,  dans  le  Journal  de  la  Société 
asiatique  allemande^  l'existence  parmi  les  textes  rapportés  d'Asie  cen- 
trale d'un  groupe  de  textes  en  une  langue  indo-iranienne,  aucune  étude 


2  12  REVUE    CRITIQUE 

n'avait  paru  sur  la  question.  Seul,  le  brillant  déchitîreur  des  alphabets 
hindous  d'Asie  centrale,  M.  Hôrnle  avait  publié  quelques  textes  de  cette 
langue  avec  leurs  correspondants  sanskrits,  dans  le  Journal  de  la 
Société  asiatique  anglaise,  mais  sans  entrer  dans  le  détail  et  sans  fixer 
exactement  la  valeur  des  signes.  M.  l.eumann  publie  maintenant,  à 
défaut  d'un  exposé  d'ensemble  qui  serait  prématuré,  un  travail  étendu 
où  il  examine  toutes  les  questions  qui  se  posent,  en  l'état  actuel  de  l'in- 
terprétation. 11  discute  avec  soin  et  indique  avec  une  grande  vraisem- 
blance la  valeur  des  signes.  Il  fournil  le  sens  d'un  assez  grand  nombre 
de  mots,  d'une  manière  qui  semble  définitive  pour  beaucoup.  ^En 
somme,  il  fournit  une  base  aux  recherches  ultérieures.  Sur  un  point, 
M.  Leumann  a  été  trop  prudent  :  la  langue  en  question  n'est  pas  de 
r  «  aryen  du  Nord  »,  c'est  proprement  de  l'iranien,  et  il  Ta  vu  lui- 
même;  les  emprunts  au  sanskrit  dont  les  textes  fourmillent  n'y  chan- 
gent rien  ;  on  peut  donc  appeler  cette  langue  <>  iranien  oriental  », 
avec  M.  Pelliot  et  M.  Gauthiot.  En  revanche,  pour  les  étymologies, 
M.  Leumann  a  été  trop  aventureux,  et  aussi  sans  doute  pour  le  rap- 
prochement  imprévu  entre  la  métrique  de  textes  en  iranien  du  type 
le  plus  altéré,  où  le  nom  du  pied,  est  réduit  à  pd  par  exemple,  et  la 
métrique  homérique.  L'étymologie  de  quantité  de  mots  est  évidente  : 
j'sama-  «  terre  »  (prononcer  :[ama),  ysdnua  «  genou  »  (prononcer 
\dnua),ysâra  (c'est-à-dire  \àra)  «  mille  »  et  tant  d'autres  sont  des  mots 
iraniens  bien  connus;  mais  il  est  hardi  de  couper /rj'z/.y/î- «  entendre  », 
py-ush-.  Sous  dasta  «  main  »,  il  aurait  été  bon  de  dire  que  tous  les 
parlers  iraniens  ont  emprunté,  on  ne  sait  pourquoi,  cette  forme  au 
perse;  l'Avesta  presque  seul  a  gardé  la  forme  \asta-  qui  devrait  être 
celle  de  tous  les  parlers  autres  que  celui  du  Sud-Ouest  ;  il  est  remar- 
quable que  r  «  iranien  oriental  »  ait  un  emprunt  au  perse  aussi  carac- 
térisé, 

A.  Meîllet. 


Raymond  Guyot,  Le  Directoire  et  la  paix  de  l'Europe  des  traités  de  Bâle  à 
la  deuxième  coalition  (1795-1799).  Paris,  Aican,  191 1,  956  p.,  i5  fr. 

En  1903,  après  l'apparition  du  tome  V  de  Sorel,  M.  Guyot  rendit 
justice  aux  mérites  de  cet  ouvrage,  mais  s'appliquant  à  en  signaler 
les  lacunes,  les  erreurs  imputables  à  une  documentation  insuffisante, 
il  conclut  que  l'on  pourrait  encore  étudier  utilement  la  politique  exté- 
rieure du  Directoire.  Le  livre  qu'il  publie  aujourd'hui,  et  qu'il  médi- 
tait dès  lors  sans  doute,  Justifie  cette  assertion.  Disons  tout  de  suite 
le  soin  et  le  zèle  avec  lesquels  il  a  préparé  son  ouvrage  :  non  seule- 
ment il  a  dépouillé  les  nombreux  recueils  imprimés  récemment  à 
l'étranger,  utilisé  les  richesses  de  nos  dépôts  d'archives,  mais  encore 
il  a  fouillé  ceux  des  pays  étrangers  dont  la  politique  fut  étroitement 
mêlée  à  la  nôtre  pendant  cette  période.  Il  n'a  pu  parcourir  l'Europe 
entière,  mais  il  a  été  bien  aidé  dans  sa  tâche,  et  le  butin  rapporté  est 


d'histoire  et  de  littérature  2i3 

magnifique,  considérable,  trop  considérable  peut-être,  car,  dans  le 
désir  louable  de  ne  rien  négliger,  il  a  produit  un  volume  compacte, 
d'une  lecture  parfois  un  peu  difficile,  et  dont  la  masse  imposante 
découragera  bien  des  gens.  De  sa  longue  et  méticuleuse  étude  M.  G. 
a  tiré  des  conclusions  nouvelles,  importantes,  qui  renverseraient  pas 
mal  d'idées  établies  si  elles  se  trouvaient  complètement  justifiées. 

D'abord  il  a  conçu  de  l'estime,  de  l'admiration  même,  pour  ce 
Directoire  généralement  décrié  et  méprisé.  Ne  dit-il  pas  (p.  55)  que 
ce  régime  «  eut  tôt  fait  d'introduire  dans  le  gouvernement  central  les 
habitudes  de  méthode,  d'ordre  et  de  régularité  que  le  Consulat  n'eut 
qu'à  suivre  et  dont  on  a  continué  de  lui  attribuer  le  mérite?  »  Ce 
jugement  paraît  risqué;  sans  rappeler  ici  la  situation  intérieure  au 
moment  du  i8  brumaire,  nous  emprunterons  à  M.  G.  un  argument 
sérieux  tiré  du  tableau  peint  par  lui  de  l'état  de  la  France  au  commen- 
cement de  1 797  (p.  325)  :  les  finances  ruinées,  le  budget  refusé  par  les 
Conseils,  le  gouvernement  acculé  aux  pires  expédients,  obligé  de 
vendre  à  bas  prix  les  forets  domaniales,  les  biens  nationaux  de  la 
Belgique,  les  diamants  de  la  couronne,  les  cloches  des  églises, 
jusqu'au  papier  monnaie  nouvellement  émis  ;  l'insécurité  croissante, 
les  chauffeurs  maîtres  sur  les  routes,  le  pouvoir  exécutif  discrédité!  A 
cette  époque  au  moins,  l'œuvre  du  Directoire  ne  s'honorait  pas  des 
méthodes  qu'il  lui  prête. 

M.  G.  a  résolu  de  se  limiter  uniquement  à  l'histoire  diplomatique, 
et  il  glisse  si  rapidement  sur  l'histoire  intérieure  qu'il  n'insiste  jamais 
sur  les  secousses  périodiques  qui  ébranlèrent  le  Directoire,  et  eurent 
de  graves  repercussions  sur  sa  politique  extérieure.  Cette  politique, 
d'après  l'auteur,  fut  personnifiée  par  Reubell,  dont  il  trace  un  por- 
trait très  soigné,  et  pour  qui  il  ne  dissimule  pas  ses  préférences.  Il 
donne  une  preuve  de  partialité  pour  son  héros  quand,  allant  chercher 
dans  un  rapport  secret  à  lord  Grenville  des  détails  sur  les  Directeurs, 
il  omet  le  passage  oi^i  Reubell  est  représenté  «  sans  talents,  très  opi- 
niâtre ».  Reubell  fut  un  honnête  homme,  il  vit  juste  souvent,  mais 
malgré  l'obstination  qui  est  comme  le  trait  distinctifde  son  caractère 
—  il  est  têiu  comme  un  Alsacien  —  il  s'écarta  assez  souvent  des 
principes  politiques  que  M.  G.  lui  attribue. 

Selon  M.  G.,  les  premiers  Directeurs  ne  furent  pas  choisis  pour 
leurs  opinions  sur  la  politique  extérieure.  Partisans  des  liinites  natu- 
relles, aucun  n'en  aurait  pourtant  fait  la  condition  sine  qua  non  de  la 
paix.  Pour  amener  l'Autriche  à  renoncer  aux  Pays-Bas,  ils  recher- 
cheront l'alliance  prussienne;  sous  l'impulsion  de  Reubell,  anglo- 
phobe (p.  3o5)  qui  ne  croit  pas  à  la  sincérité  de  l'Angleterre,  ils 
réclameront  outre  mer  le  slalu  quo  ante  belliiin,  enfin  ils  renonceront 
aux  entreprises  de  propagande  en  Allemagne  et  en  Italie.  «  C'est  là 
toute  la  politique  du  Directoire  jusqu'à  l'ouveriure  de  la  campagne 
d'Italie  »  (p.  i23).  Comment  M.  G.  concilic-t-il  ce  qu'il  dit  de  la  pro- 


! 


2  14  REVUE    CRITIQUE 

pa^andc  avec  Tcnvoi  de  Salvador  au  delà  des  Alpes  (p.  140)?  Avec  le 
plan  d'insurrection  expédié  à  lionaparie  fp.  i65)?  Avec  la  mission 
que  rt\()it  Cacault  «  de  suivre  les  opérations  à  concerter  avec  les 
patriotes  piémontais  »?  Sans  doute  le  Directoire  abandonna  le  projet 
de  révolutionner  Turin  et  Milan  quand  il  eut  découvert  la  complicité 
des  meneurs  italiens  dans  la  conspiration  de  Babeuf,  mais  la  propa- 
gande était  si  bien  dans  ses  idées  que,  vers  floréal  an  IV,  Poterat  fut 
invité  à  former  dans  l'Allemagne  du  Sud  une  véritable  république, 
à  y  organiser  des  gardes  nationales  et  des  assemblées  représenta- 
tives (p.  209).  i 

M.  G.  rejette  sur  Bonaparte  la  responsabilité  de  la  reprise  de  la 
propagande  révolutionnaire  qui  contribua  si  puissamment  à  empêcher 
la  paix  en  excitant  les  alarmes  des  monarchies  européennes.  Cette 
conclusion  nous  paraît  exagérée.  La  propagande  était  dans  la  nature 
même  de  la  Révolution,  et  un  gouvernement  qui  comptait  La  Revel- 
lière  parmi  ses  membres,  ne  devait  jamais  renoncer  à  porter  le  nouvel 
évangile  aux  nations  étrangères.  D'ailleurs,  M.  G.  incrimine  la  poli- 
tique imposée  par  Bonaparte  au  Directoire.  La  clef  de  la  paix  géné- 
rale, assure-i-il,  était  en  Lombardie  :  pour  désarmer  l'Autriche,  il 
fallait  lui  rendre  le  Milanais;  pour  obtenir  sa  renonciation  aux  Pays- 
Bas,  il  fallait  lui  accorder  des  compensations  dans  la  vallée  du  Pô; 
on  aurait  encore  trouvé  dans  l'Italie  conquise  les  éléments  d'une 
transaction  avec  l'Espagne  qui,  en  échange  d'un  agrandissement  au 
duc  de  Parme,  aurait  cédé  la  Louisiane  destinée  à  satisfaire  l'appétit 
de  l'Angleterre.  Bonaparte  ruina  ces  projets  en  fondant,  malgré  le 
Directoire,  des  républiques  en  Italie.  Tous  les  malheurs  de  la  France 
découlent  de  «  l'erreur  initiale  qui  a  fait  créer  au  delà  des  Alpes,  sous 
la  protection  française,  une  république  turbulente  et  envahissante 
avant  que  la  paix  du  continent  fût  assurée,  et  la  République  française, 
maîtresse  de  ses  nouvelles  limites  »  (p.  784).  Certes,  il  faut  blâmer  le 
mépris  de  Bonaparte  pour  ses  instructions,  ainsi  que  ses  perpétuelles, 
désobéissances.  Mais  —  répondrons-nous  à  M .  G.  —  Bonaparte  n'avait- 
il  pas  d'excuses?  Les  moyens  qu'on  lui  fournissait  pour'continuer  sa 
triomphante  campagne  étaient  si  médiocres  qu'il  fut  obligé  d'utiliser 
les  ressources  des  provinces  conquises,  et  il  pensa  qu'en  tondant  un 
état  à  sa  dévotion,  contraint  par  son  origine  et  ses  aspirations  à 
associer  toutes  ses  forces  à  celles  de  son  défenseur,  il  en  tirerait  plus 
de  services.  En  formant  une  république  en  Lombardie,  il  suivit,  en 
somme,  l'exemple  que  ses  prédécesseurs  lui  avaient  fourni  dans  le  nord 
puisque  la  république  batave  constituait  déjà  un  état  protégé  situé 
au-delà  des  limites  naturelles.  Au  surplus,  le  Directoire  n'était  pas 
si  opposé  en  principe  à  l'émancipation  de  l'Italie  :  Carnot  favorisa 
longtemps  les  plans  de  Bonaparte  l'p.  207)  et  ne  changea  d'attitude 
que  sous  la  pression  de  l'opinion  publique;  La  Revellière  et  Barras 
étaient  acquis  à  la  cause  italienne,  et  Reubell  lui-même  s'y  rallia  pour 


d'histoire  et  de  littérature  21  5 

s'assurer  l'appui  de  La  Revellière  dans  la  crise  prévue  entre  le  Direc- 
toire et  les  Conseils  (p.  33 1).  Quant  aux  mobiles  de  Bonaparte  à 
Léoben,  M.  G.  v  discerne  la  volonté  de  signer  seul  la  paix  pour  s'en 
réserver  le  mérite  et  la  gloire,  et  le  désir  de  garder  Milan  pour  s'y 
exercer  au  pouvoir  et  s'y  révéler  législateur  et  homme  d'état  (p  36o). 
Il  suppose  que  son  esprit  conçut  dès  lors  «  le  plan  du  futur  empire 
méditerranéen  et  italien  dont  l'établissement  définitif  deviendra  en 
peu  d'années  l'objectif  suprême  de  ses  ambitions  »  (p.  498).  M.  G., 
qui  prend  toujours  vivement  parti  pour  le  pouvoir  civil  dans  ses 
conflits  avec  le  militaire,  qui  est  si  uniformément  sévère  pour  les 
généraux,  en  particulier  pour  Napoléon,  qu'on  pourrait  le  soup- 
çonner, sinon  d'antimilitarisme,  du  moins  d'antibonapartisme,  va 
dans  sa  haine  pour  le  futur  empereur  j  usqu'à  le  traiter  (p.  492)  de 
«  chef  italien  qui  se  ménage  dans  la  P'rance  une  alliée  et  garde  les 
voies  pour  être  défendu  par  elle».  L'envie  qui  le  tient  de  démontrer  que 
l'inHuence  néfaste  de  Bonaparte  empêcha  la  réalisation  de  la  politique 
«  égoïste,  mais  nationale  de  l'an  IV  »,  l'entraîne  donc  un  peu  loin. 

Le  point  capital  de  la  thèse  de  M.  G.  porte  sur  la  possibilité  d'une 
paix  générale  entre  1795  et  1799  sur  la  base  de  la  conservation  des 
conquêtes  par  la  France  et  du  maintien  de  son  régime  républicain. 
M.  G.  admet  que  le  Directoire  désirait  la  fin  de  la  guerre,  et  il  n'exa- 
mine pas  si  un  gouvernement,  qui  ne  se  maintenait  que  par  une  succes- 
sion de  coups  d'état  pour  lesquels  l'aide  de  l'armée  lui  était  indis- 
pensable, pouvait  se  risquer  à  mécontenter  les  chefs  et  les  soldats  en 
interrompant  leur  carrière.  Comment  le  Directoire  eût-il  trouvé  le 
moven  de  nourrir,  de  rendre  à  la  vie  civile  ces  centaines  de  milliers 
de  citoyens?  Depuis  longtemps  cette  difficulté  avait  été  pressentie  : 
«  Dès  la  fin  de  décembre  1792,  le  gouvernement  regarde  la  guerre 
comme  une  nécessité;  Dumouriez  dit  que  c'est  épuiser  la  France  que 
de  rester  chez  soi  ;  Clavière,  qu'on  doit  s'entretenir  dans  l'état  de  guerre 
et  que  le  retour  des  soldats  perdrait  tout;  Roland,  qu'il  faut  faire 
marcher  les  armées  aussi  loin  que  les  porteront  leurs  jambes,  ou  sinon 
qu'elles  reviendront  couper  la  gorge  aux  ministres  '.  »  Les  Directeurs 
conçurent  assurément  des  craintes  analogues,  mais  l'auteur  n'y  songe 
pas. 

En  revanche,  notre  principal  adversaire,  l'Angleterre,  désirait-elle 
sérieusement  la  paix?  Sorel  s'était  prononcé  pour  la  négative;  M.  G. 
a  entendu  reviser  cette  sentence.  Il  a  étudié  à  fond  les  documents  des 
archives  de  Londres  et  de  Paris  en  les  comparant  aux  pièces  contenues 
dans  les  recueils  imprimés,  et  il  est  arrivé  à  la  conclusion  que  la 
Grande  Bretagne  se  serait  un  instant  résignée  à  concéder  à  la  France 
ses  frontières  naturelles.  Il  faut  louer  le  talent,  la  conscience  avec  les- 
quels il  a  examiné  ces  nombreux  papiers. 

I.  Arthur  Chuquet,  Jemappes,  p.  68. 


2l6  REVUE    CRITIQUE 

On  ne  relève  dans  sa  documentation  que  de  légères  inexactituds  : 
d'après  lui  (p.  qS)  en  août  1795,  Wickham  aurait  averti  lord  Grenville 
et  l'ambassadeur  anglais  à  Vienne  que  Thugui  cherchait  à  s'entendre 
avec  la  France  pour  un  échange  entre  la  Belgique  et  la  Bavière  ;  or, 
dans  les  lettres  citées  ',  WicUiiam  dit  seulement  au  «  Foreign  Secre- 
tary  »  que  les  Autrichiens  n'ont  passcricuseniciu  l'intention  d'attaquer 
les  Français  sur  le  Rhin,  et  à  sir  Morton  Edcn  que  le  changement 
d'attitude  de  Barthélémy  semble  révéler  un  rapprochement  entre  Paris 
et  Vienne.  En  outre,  M.  G.  se  met  en  contradiction  (p.  288)  avec  les 
Diaries  de  Malmesbury  en  spécifiant  que  ce  plénipotentiaire  partit  le 
16  octobre  1796  ;  en  réalité  lord  Malmesbury  quitta  Londres  le  i5,  et 
Douvres  le  18;  de  même  (p.  3o2).  Malmesbury  sortit  de  Paris  non  le 
20,  mais  le  21  décembre  '.  Pour  la  deuxième  mission  de  ce  lord, 
M  .  G.  affirme  que  sa  désignation  rencontra  une  vive  opposition  chez 
certains  collègues  de  Piit,  et  pourtant,  le  11  juin  1797,  Malmesbury 
lui-même  écrivait  à  sir  Gilbert  Eliiott  :  «  le  Conseil  a  décidé  à  l'una- 
nimité que  ce  serait  moi  »  •'*.  On  voit  par  ces  quelques  exemples  que 
M.  G.  ne  se  trompe  jamais  gravement,  et  que  ses  erreurs  sont  vénielles. 

Pour  en  revenir  au  fond  de  sa  thèse,  il  convient  que  la  pierre 
d'achoppement  rencontrée  par  la  première  mission  de  Malmes- 
bury fut  la  question  des  Pays-Bas  que  l'Angleterre  ne  consen- 
tait à  aucun  prix  à  laisser  à  la  France.  Mais  il  pense  que  l'année 
suivante,  lors  des  conférences  de  Lille,  Pitt  se  serait  résigné  à 
nous  abandonner  la  côte  jusqu'à  Anvers.  Il  insiste  longuement  sur 
les  divisions  que  les  résolutions  du  ministre  dirigeant  suscitèrent 
dans  le  cabinet  de  Saint-.Iames.  L'opposition  restait  très  forte, 
ayant  à  sa  tète  le  ministre  des  affaires  étrangères  et  le  roi  lui-même. 
Néanmoins  la  crise  que  traversait  la  Grande  Bretagne  sans  allies  sur 
le  continent,  avec  des  finances  très  ébranlées,  menacée  du  soulèvement 
de  l'Irlande,  privée  de  ses  flottes  par  l'insurrection  de  ses  rnarins, 
était  telle  que  la  résignation  de  Pitt  se  comprend.  Pourquoi,  alors, 
l'insuccès  des  conférences  de  Lille?  M.  G.  l'attribue  uniquement  aux 
intrigues  coupables  des  modérés,  de  Maret  et  de  Talleyrand  en  parti- 
culier, et  à  celles  de  Barras,  qui  inspirèrent  aux  Anglais  l'espoir  d'ob- 
tenir une  paix  beaucoup  plus  avantageuse,  et  lircnt  rebrousser  chemin 
à  Pitt.  M.  G.  a  raison  de  condamner  sévèrement  les  intrigues  de 
Talleyrand  et  de  ses  amis,  de  les  qualitierde  véritable  trahison;  mais, 
selon  sa  tendresse  habituelle,  il  innocente  trop  Reubell  et  les  futurs 
fructidoriens.  Le  ministère  britannique,  pour  faire  accepter  un  traité 
à  l'opinion  publique,  voulait  conserver  quelques-unes  de  ses  conquê- 
tes d'outre  mer,  et  la  France,  ayant  signé  la  paix  avec  l'Autriche,  et 
gardant  toutes  ses  acquisitions  sur  le  continent,  prétendait  cependant 

1.  Correspondence  of  Wickham,   I,    i52-i55. 

2.  Diaries,  III,  267,  366. 

3.  Malmesbury,  ouv.  cité,   III,  37t. 


d'histoire  et  de  littérature  217 

exiger  de  rAngleterrc  la  restitution  de  ses  colonies  et  même  de  celles 
de  ses  alliées.  M.  G.  insinue  que  Reubell  et  ses  ainis  auraient  fini  par 
accorder  des  concessions  aux  dépens  de  la  Hollande  et  de  l'Espagne; 
ils  travaillèrent  en  effet  ces  puissances  ;  mais  ils  n'arrivc'rent  à  rien 
avant  le  18  fructidor;  et  alors  ils  se  montrèrent  plus  intransigeants  que 
jamais.  Une  part  considérable  leur  revient  donc  dans  la  rupture  des 
conférences  de  Lille. 

D'ailleurs  la  paix  signée  eùt-cllc  été  durable,  définitive?  Il  est  per- 
mis d'en  douter.  «  Piit,  a  dit  Sorcl,  négociait  pour  être  populaire,  et  il 
ne  finissait  rien  parce  qu'il  était  homme  d'état.  »  L'Angleterre  a  tou- 
jours redouté  par  dessus  tout  la  réunion  de  la  Belgique  à  la  France; 
elle  n'eilt  supporté  ce  malheur  que  provisoirement,  pour  respirer  et 
se  procurer  le  loisir  de  former  une  nouvelle  coalition.  Canning  se 
signalait  parmi  les  plus  ardents  partisans  de  la  paix,  mais  il  écrivait  à 
Ellis  le  i3  juillet  1797  :  «  Pour  moi,  j'ajourne  mes  espoirs  d'honneur 
et  de  bonheur  pour  mon  pays  au-delà  de  la  tombe  de  notre  puissance 
politique  et  militaire  que  vous  êtes  en  train  de  creuser  à  Lille.  Je 
crois  en  notre  résurrection,  et  c'est  mon  seul  réconfort  '.  »  La  résur- 
rection,voilà  ce  que  l'Angleterre  eiit  attendu  pour  reprendre  toutes  ses 
prétentions,  et  la  paix  de  Lille  n'etàt  été  qu'une  trêve  comme  le  fut  la 
paix  d'Amiens  1  M.  G.  se  contente  de  prouver  que  la  paix  avec  l'An- 
gleterre fut  possible  un  instant  ;  il  n'examine  pas  ce  qu'elle  aurait 
valu,  ce  qu'elle  aurait  duré.  Nous  lui  opposerons  quelques  lignes 
adressées  au  Directoire  vers  cette  époque  par  un  patriote  prussien  : 
«  Les  victoires  que  vous  avez  l'emportées  sur  terre  ne  compensent  pas 
les  pertes  que  vous  avez  faites  sur  mer  ;  votre  liberté  n'est  qu'une 
chimère  tant  que  vous  n'aurez  pas  dompté  le  lion  britannique,  et  ce 
combat  à  outrance  ne  finira  que  sur  les  ruines  de  l'un  ou  l'autre 
état  '.  » 

Après  l'échec  des  pourparlers  de  Lille,  M.  G.  estime  que  tout 
n'était  pas  encore  perdu  :  que  l'on  conclût  la  paix  à  Rastatt,  que  l'on 
triomphât  de  la  répugnance  de  la  Prusse  à  démembrer  publiquement 
le  Saint  Empire,  qu'on  lui  fît  garantir  les  acquisitions  de  la  France, 
et  Ton  consolidait  l'œuvre  extérieure  de  toute  la  Révolution,  on 
empêchait  une  coalition  nouvelle.  «  Il  n'y  avait  rien  là  qu'on  ne  pût 
essayer  avec  quelque  chance  de  succès  à  condition  de  rassurer  la 
Prusse  et  l'Europe  sur  les  dangers  de  la  propagande  »  (p.  715)  ;  mais 
jamais  le  roi  de  Prusse  ne  se  résigna  à  l'alliance  de  la  France  révo- 
lutionnaire, et  le  Directoire  lui  niême  s'abandonna  au  torrent.  On  le 
voit  clairement  dans  les  affaires  de  Suisse  et  de  Rome  que  M.  G. 
nous  conte  en  détail.  Il  réhabilite  Rapinat,  beau-frère  de  Reubell,  et 
fait  éclater  l'innocence  de  ce  commissaire  calomnié.  Il  blàmc  (p.  609) 

1.  Malmcsbury,  ouv.  cit.,   111,  19S. 

2.  Sclireiben  eines   reisenden  pretissisclioi  Patiioten  an   das  ftaiiy.  Diicctoritim, 
0  messidor,  VI,  p.  5o. 


2l8  REVUIC    CRITIQUE 

la  conduite  à  Rome  du  Directoire,  qui  «  voulait  faire  lui-même,  par 
rinternicdiaire  de  trois  hommes  de  conriance,  ce  qu'il  regrettait 
apparemment  d'avoirlaissé  faire  à  Bonaparte  en  i>ombardie  ».  11  établit 
la  grave  responsabilité  de  l'armée  dans  les  troubles,  les  désordres  et 
les  dilapidations  dont  Rome  fut  la  victime.  p]nfin,  quand  il  parle  de 
l'expédition  de  Championnci  à  Naplcs,  il  se  prononce  avec  sa  rigueur 
accoutumée  dans  le  conHit  entre  le  général  et  les  commissaires  civils. 
Son  réquisitoire  est  serré,  probant,   mais  dépourvu  d'indulgence. 

Au  début  de  mars  1799,  il  juge  l'histoire  diplomatique  du  Direc- 
toire finie,  et  il  s'nrréte  au  début  de  la  deuxième  coalition.  Sans  doute 
fatigué  lui-même  de  la  longueur  de  son  effort,  effrayé  de  la  masse 
de  son  ouvrage,  il  abrège  cette  dernière  partie,  évoquant  souvent  d'un 
seul  mot  des  événements  importants  comme  le  massacre  de  Rastatt 
et  la  sortie  de  Reubell  du  Directoire,  et  cette  hâte  donne  malheu- 
reusement à  certains  passages  des  allures  de  manuel. 

Nous  avons  signalé  les  points  sur  lesquels  M.  Guyot  ne  nous  con- 
vainc pas  En  particulier,  nous  croyons  qu'il  n'a  pas  réussi  à  démolir 
le  majestueux  édifice  de  Sorel  en  en  sapant  la  principale  assise.  Néan- 
moins nous  ne  saurions  diminuer  le  prix  de  cet  ouvrage  si  conscien- 
cieux, dont  la  documentation  admirable  fera  désormais  une  source 
très  précieuse  '. 

A.  BiovÈs. 

I.  Quelques  petites  erreurs  :  p.  7,  M.  G.  ne  cite  pas  parmi  les  auteurs  présumés 
des  Mémoires  tirés  des  papiers  d'un  homme  d^état,  Michaud  qui  les  avait  composés 
pour  une  bonne  part.  —  P.  80,  il  ne  dit  pas  que  Cacault  avait  fait  en  Allemagne 
un  long  séjour  pendant  lequel  il  s'était  lie  avec  Lessing.  —  P.  i25,  Dumouriez  n'a 
livré  aux  Autrichiens  que  quatre  députés  et  non  cinq.  — P.  143,  Sieyès  n'a  pu 
demander  à  la  République  de  Gênes  le  territoire  de  Menton  qui  dépendait  de 
la  principauté  de  Monaco. —  P.  38i,  peut-on  avoir  confiance  en  Moreau  de  Jonnès 
dont  les  Aventures  ont  été  jusqu'ici  surtout  utilisées  par  des  romanciers  comme 
Capendu? —  P.  4?4,  Mme  Grand  était  Française  cl  non  Anglaise.  —  P.  443,  M.  G. 
ne  donne  aucun  renseignement  sur  Potter,  candidat  malheureux  à  Cambridge  et  à 
Colchester, propriétaire  de  la  manufacture  de  porcelaine  de  Chantilly  et  d'autres 
usines  à  Montereau  et  à  Forges,  mort  en  Angleterre  en  18 17.  —  P.  396,  l'entrepre- 
neur des  vivres  que  cite  M.  G.,  se  nomme  Collot  et  non  Gaillard.  —  P.  604,  le 
général  Duphot  ne  suivit  pas  Joseph  Bonaparte  ;  le  sabre  au  clair,  il  se  mit  à  la 
tête  des  révolutionnaires  romains  et  fut  tué,  non  par  le  poste  du  Pont  Saint-Sixfe 
mais  par  celui  de  la  Porte  Settimiana  que  commandait  le  caporal  Marinelli. — 
P.  81  3,  Brémond  était  non  seulement  ministre  de  la  guerre,  mais  en  même  temps 
ministre  de  la  marine  et  ministre  des  affaires  étrangères  de  la  République  romaine. 
—  P.  826,  Lacombe  Saint  Michel  ne  s'est  pas  engagé  dans  l'artillerie,  il  y  entra 
comme  lieutenant  en  1772  et  devint  capitaine  en  1779.  —  Quelques  fautes  dans 
l'orthographe  des  noms:  p.  i32,  212  Bischofswerder,  p.  i83  Borgheto,  p.  221 
Canstatt,  p.  539  Léger,  p.  540  et  68g  Lichtenstein,  p.  362  Bentliein,  p.  627  Godo- 
gno,  p.  644  Hentsi,  p.  690  Malascliowski,  p.  696  Baragiiay^  p.  742  à'Ivernoy, 
p.  85o  Kohler,  p.  934  Luc  d'Havre  pour  Bischoffswerder,  Borghetto,  Cannstatt, 
Léger,  Liechtenstein,  Bentheim,  Codogno,  Henzi,  Malachowski,  Baraguey,  Diver- 
nois,  Kohler,  duc  d'Havre.  —  Des  références  inexactes  :  au  Dropmore,  p.  106  : 
ni,  p.  /2'~,  non  127.  P.   211  :  III,  14S,  non   16S.    Aux  Diaries  de   Malmesbury, 


d'histoire  et  de  littérature  219 

—  Le  12'  congrès  des  historiens  allemands  qui  s'est  tenu  à  Brunswick  en 
191 1,  a  publié  un  compte  rendu  de  ses  séances  :  Bcricht  ilber  die  1 2 .  Versammlung 
deutsclier  Historiker  ,«  BraiDischweig.  iLeipzig,  Dunckeret  Humbiot,  191 1,  in-80, 
pp.  55,  mk.  1.40).  On  y  trouvera  un  résumé  succinct  des  neuf  conférences  faites 
par  divers  membres  et  de  la  discussion  dont  elles  ont  été  suivies.  Les  délégués 
des  instituts  pour  les  publications  d'histoire  locale  ont  également  tenu  à  Brunswick 
deux  séances  consacrées  à  étudier  les  questions  de  la  reproduction  photographique 
des  documents  et  d'éditions  scientifiques  de  plans  des  villes  de  la  Basse-Saxe. 
Une  double  liste  des  membres  du  congrès  et  de  ceux  de  l'association  des  histo- 
riens allemands  dans  l'année  191 1  est  jointe  à  ce  compte  rendu.  —  L.  R. 

—  Le  Rapport  sur  les  travaux  du  séminaire' historique  de  l'Université  catho- 
lique de  Louvain  pendant  l'année  igio-1911  (Louvain,  van  Linthout,  1912,  in-8°, 
p.  89)  contient  le  compte  rendu  de  diverses  études,  les  unes  trop  brièvement 
caractérisées  pour  être  mentionnées  ici,  les  autres  présentées  avec  plus  de  détails. 
Parmi  ces  dernières  il  faut  signaler  les  recherches  du  P.  Vykoukal  sur  les  sacra- 
mentaires,  avec  une  copieuse  bibliographie  fp.  35-5o),  celles  de  M.  Smolders  sur 
les  statuts  des  prémonlrés;  de  plus  la  continuation  d'un  travail  du  P.  Lechat 
sur  les  catholiques  anglais  réfugiés  aux  Pays-Bas  pendant  le  règne  d'Elisabeth, 
et  d'un  autre  de  M.  Gits  sur  la  politique  religieuse  de  Joseph  II  dans  les  Pays- 
Bas  autrichiens.  —  L.  R. 

—  La  conférence  de  M.  Siegmund  Hellmann,  Wie  studiert  man  Gescliichte  ? 
(Leipzig,  Duncker  et  Humblot,  191 1,  in-8°,  p.  70,  mk.  i.5o)sera  la  bienvenue  de 
tous  les  étudiants,  sans  distinction  d'origine,  qui  se  sont  tournés  vers  les  sciences 
historiques.  Pour  les  relations  de  l'histoire  politique  avec  les  disciplines  connexes, 
histoire  du  droit,  de  l'économie  politique,  liée  elle-même  à  celle  de  la  technique, 
sociologie,  philologie,  littérature,  histoire  de  la  civilisation,  M.  H.  les  a  nettement 
esquissées  et  illustrées  par  quelques  exemples.  Il  a  ensuite  abordé  la  question 
de  la  spécialisation  inévitable  dans  le  vaste  champdes  études  historiques,  mais  en 
soulignant  le  non  moins  indispensable  contact  que  l'apprenti  historien  doit  garder 
avec  une  portion  assez  complète  du  domaine  de  l'histoire  où  le  portent  ses  préfé- 
rences. Sur  la  méthode  de  travail  de  l'historien,  critique  des  documents,  lecture 
des  textes,  utilisation  des  différentes  ressources,  bibliothèques,  archives,  musées,  et 
même  sur  l'enseignement  que  lui  offre  la  réalité  contemporaine  dont  il  a  le  devoir 
de  suivre  la  vie  politique  en  spectateur  attentif,  M.  H.  a  donné  de  sages  conseils 
souvent  recueillis  chez  les  plus  grands  maîtres  et  que  l'étudiant  aura  profit  à 
méditer.  De  précieuses  notes  sont  jointes  à  la  conférence  ;  elles  se  rapportent  aux 
questions  touchées  par  l'auteur  au  cours  de  sa  rapide  esquisse  et  qui  ont  fait 
l'objet  de  discussions  approfondies  dans  des  ouvrages  de  longue  haleine;  il  les 
cite,  les  apprécie  d'un  mot  bref,  en  signalant  leurs  mérites,  leurs  défauts  ou  leurs 
lacunes.  Un  autre  complément,  plus  important  encore,  est  l'appendice  bibliogra- 
phique qui  constitue  la  seconde  partie  de  la  brochure  (p.  37-68).  Ce  répertoire 
est  forcément  incomplet,  mais  son  mérite  est  justement  d'être  un  choix  et  d'appe- 
ler l'attention  de  l'étudiant  sur  les  livres  essentiels,  qu'il  s'ag-isse  de  recueils  de 
sources,  d'exposés  généraux  ou  d'ouvrages  spéciaux  appartenant  soit  au  domaine 

p.  207  :  III,  2g6,  non  276  ;  p.  41  5,  111,  367-368,  le  journal  du  7  juillet  ne  se  trouve 
pasà  la  place  indiquée,  ni  ailleurs,  M.  G.  aurait  pu  renvoyer  aux  p.  382  et  sui- 
vantes. —  P.  391,  la  phrase  citée  liberavi  anhnam  meam  n'est  pas  dans  la  lettre 
d'acceptation  de  Malmesbury,  mais  on  la  lit  (111,  p.  372)  dans  une  lettre  privée  à  sir 
Gilbert  Elliott. 


220  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

de  l'histoire  proprement  dite,  soit  à  celui  des  sciences  historiques  auxiliaires,  ou 
encore  de  ces  vastes  travaux  dus  à  la  collaboration  de  plusieurs  savants.  On  est 
heureux  de  constater  que  de  cette  sélection  M.  H.  n'a  pas  exclu  les  ouvrages  écrits 
par  d'autres  que  par  ses  compatriotes.  Pour  le  débutant  que  l'abondance  des 
outils  mis  à  sa  disposition  risque  de  jeter  dans  l'embarras,  il  importe  de  marquer 
les  plus  sûrs  et  les  plus  maniables.  A  ce  titre  le  répertoire  dressé  par  M.  H. 
mérite  d'ôtre  recommandé  à  nos  propres  étudiants.  —  L.  R. 


Lettre  de   M.  Counson. 

A  l'intéressant  article  que  M.  Baldensperger  a  bien  voulu  consacrer  à  la  Pensée 
Romane  (lo  août  191  2,  p.  117-118),  la  courtoisie  de  la  Revue  Critique  me  permet- 
tra d'ajouter  les  observations  et  détails  que  voici  : 

1°  L'épigraphe  cuique  suum  est  la  devise  de  toute  la  collection  :  "  Bibliothèque 
d'études  morales  et  juridiques  »,  dans  laquelle  a  paru  La  Pensée  Romane.  Ce  n'est 
pas  que  je  n'aie  rappelé  [Pensée  Romane,  p.  io5)  et  que  je  n'apprécie  la  formule 
d'Ulpien  et  des  Institutes  :  suum  cuique  tvibuere.  Mais  la  meilleure  manière  de 
l'appliquer  est  d'en  reporter  le   mérite  à  la  collection  qui  l'arbore. 

2°  [Rev.  Cv.,  p.  118,  n.  i).  Le  passage  relatif  au  mot  voman  est  une  citation  de 
M.  Salomon  Reinach,  qui  a  écrit  :  «  c'est  en  1825  qu'Arcisse  de  Caumont  a  dési- 
gné sous  le  nom  de  roman  l'art  qui  domina  dans  l'occident  de  l'Europe  après 
Chariemagne  ».  —  Le  mot  roman,  lui-même,  est  aussi  vieux  que  la  littérature 
française;  seulement,  sa  spécialisation  philologique  n'est  généralement  reçue  que 
depuis  le  xix"  siècle  ;  et  jusqu'en  191 2,  un  excellent  et  docte  écrivain  français, 
M.  Baldensperger  lui-même,  met  encore  le  mot  lomaniste  entre  guillemets. 

3°  Le  mot  d'Ulpien  restitué  à  la  «  Bibliothèque  d'études  morales  et  juridiques  », 
et  le  romanisme  d'Arcisse  de  Caumont  à  M.  S.  Reinach  {Apollo,  5^  éd.,  p.  io5), 
que  reste-t-il  du  titre  de  «  pensée  romane  »  ?  Une  généralisation  d'une  témérité 
grande  si  on  la  considère  en  elle-même,  fort  commune  si  on  la  compare  à  celles 
dont  nous  usons  tous  les  jours.  Nous  parlons  couramment  de  «  littérature  fran- 
çaise »,  et  nous  y  comprenons  la  Chanson  de  Roland  et  les  Lettres  persanes,  Mira- 
beau et  Maeterlinck.  Quel  élément  commun  permet  de  grouper  de  telles  dispara- 
tes ?  La  langue  écrite  et  parlée.  La  synthèse  ainsi  construite,  la  corrélation  du 
langage  et  de  la  pensée,  est-elle  légitime,  ou,  pour  mieux  parler,  est-elle  commode  ? 
Oui  sans  doute,  puisqu'il  y  a  des  dictionnaires  français,  qu'ils  rendent  des  services, 
et  qu'ils  ne  seraient  pas  ce  qu'ils  sont  s'il  n'y  avait  pas  eu  de  «  littérature  fran- 
çaise ». 

40  [R  C,  p.    118,  n.   i).  Le  juron  n'est  pas,  en  etfet,  une  reviviscence  ancestrale 

—  les  influences  ancestrales  relèvent  de  la  biologie,  et  M.  Le  Dantec  en   a  traité. 

—  Mais  le  jureur,  dans  son  émoi,  profère  les  mots  que  lui  suggère  non  le  raison- 
nement, mais  Vliabitude  ;  il  a  la  simplicité  d'âme  des  enfants  et  des  sauvages  — 
sans  que  les  enfants  ni  les  sauvages  soient  ses  ancêtres. 

5°  Toutes  ces  questions  de  mots  (dont  vous  excuserez  la  longueur)  ne  sont  point 
vétilles,  puisque  (comme  l'a  dit  le  plus  grand  penseur  de  France),  «  tous  les  mots 
dont  nous  disposons  pour  parler  des  choses  ne  peuvent  exprimer  que  des  pen- 
sées ». 

A.   Counson. 


V imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Piiy-en-Velay.    -    Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N°  38  —  21  septembre.  —  1912 

E.  MiiVKR,  Histoire  de  l'antiquité.  —  R.  Weill,  Les  décrets  royaux  de  l'ancien 
F^inpire  égyptien.  —  H.  Junker,  Les  fouilles  de  Tourah.  —  Lampakis,  Les  trois 
premiers  chapitres  de  l'Apocalypse.  —  Simonsfei.d,  Chartes  de  Barberousse  en 
Italie.  —  Lii'PERT,  Cartulaire  de  Lûbben,  I.  —  Monluc,  Commentaires,  I,  p. 
CouRTEAULT.  —  Bratli,  Philippe  II.  —  Rott.  La  représentation  diplomatique 
de  la  France  auprès  des  cantons  suisses,  IV,  2,  ?.  —  R.  Marchand,  La  politique 
intérieure  russe.  —  Uxv  Diplomate,  France  et  Suisse.  —  Sa-rron,  La  Jeune-Tur- 
quie et  la  Révolution.  —  \'iallate  et  Caudel,  La  vie  politique  dans  les  Deux 
Mondes.  —  Arnauné,  Le  commerce  extérieur  et  les  tarifs  de  douane.  —  Hum- 
piirey.  Les  ouvriers  au  Parlement.  —  Dimier,  La  Basse  Normandie.  —  Gomperz, 
Les  penseurs  de  la  Grèce.  —  Soubies  et  H.  de  Curzon,  Le  F'aust  de  Gounod.  — 
Voretzsch,  Introduction  à  l'étude  du  vieux  français,  2"  éd.  —  Académie  des 
Inscriptions. 


E.  Mever.  Histoire  de  l'antiquité.  Tome  premier.  Introduction  à  l'étude  des 
sociétés  anciennes  (évolution  des  groupements  humains)  traduit  par  M.  David. 
Paris.  Geuthner,  19 12,  i  vol.  vin-284  p.,  in-S». 

Il  est  superflu  de  présenter  longuement  au  public  lettré  V Histoire 
de  r  Antiquité  de  M.  Eduard  Meyer.  Le  succès  de  l'œuvre  est  attesté 
par  trois  éditions  parues  en  moins  de  trente  ans  et  tous  les  orienta- 
listes en  reconnaissent  la  légitimité.  Une  érudition  à  laquelle  aucun 
texte  important  n'a  échappé,  une  connaissance  toujours  à  jour  de 
tous  les  travaux  publiés  dans  les  domaines  si  étendus  de  l'Orient  et 
de  l'antiquité  classiques,  et,  par  dessus  tout,  une  pensée  puissante  qui 
ne  se  laisse  jamais  étouffer  par  l'accumulation  des  faits  mais  sait  les 
dominer,  les  grouper,  en  montrer  renchaînement,  et  garder  à  son 
service  un  véritable  talent  d'exposition,  telles  sont  les  qualités  par 
lesquelles  M.  E.  Meyer  s'est  assuré  une  place  de  tout  premier  rang 
parmi  les  historiens  de  l'antiquité  orientale.  Il  n'est  spécialement  ni 
égyptologue,  ni  assyriologue,  ni' hébraisant  et  pourtant  il  a  publié 
sur  la  Chronologie  égyptienne,  sur  les  Sémites  et  les  Sumériens,  sur 
l'origine  du  Judaïsme  des  travaux  qui  feraient  honneur  à  tous  les 
spécialistes.  C'est  dire  que,  à  la  différence  de  tant  d'autres,  son  His- 
toire n'est  pas  du  tout  une  compilation.  Il  faut  donc  remercier 
l'éditeur  Geuthner  qui  a  entrepris  de  nous  donner  une  traduction 
française  de  la  troisième  édition,  en  cours  de  publication,  et  s'est 
assuré,  pour  chaque  volume,  la  collaboration  d'un  traducteur  com- 
pétent. 

Le  premier  volume,   qui  vient  de  paraître,  est  une  introduction  à 

Nouvelle  série   LXXIV  38 


222  REVUE    CRITIQUE 

l'étude  des  sociétés  anciennes  divisée  en  trois  parties  :  révolution 
politique  et  sociale,  l'évolution  intellectuelle,  Thistoire  et  la  science 
historique.  L'esprit  philosophique  et  critique  de  l'auteur  s'y  montre 
par  une  foule  d'idées  intéressantes  qu'il  est  impossible  de  relever  ici. 
Notons  seulement  que  M.  E.  Meyer  se  méfie  également  des  excès 
du  totémisme  (p.  1 19),  des  fantasques  imaginations  de  la  mythologie 
astrale  (p.  126),  et  de  l'opinion  qui  fait  dériver  du  culte  des  morts 
la  croyance  aux  dieux  vivants  (p.  i3i)  et  signalons  à  ceux  qui  croient 
que  la  civilisation,  la  morale  et  l'Etat  reposent  sur  la  religion  et  la 
croyance  aux  dieux,  les  pages  146-152  où  il  a  fortement  réfuté  cette 
erreur. 

La  traduction  de  M,  David  est  fidèle  :  je  dirai  volontiers  qu'elle 
l'est  trop.  La  phrase  de  M.  Meyer  est  périodique,  souvent  chargée  de 
parenthèses  qui  l'alourdissent  et  il  est  impossible  de  l'habiller  à  la 
française  sans  en  modifier  un  peu  la  conformation.  Je  souhaite  que 
les  traducteurs  des  volumes  suivants  se  pénètrent  de  cette  idée  et  ne  se 
croient  pas  obligés  de  calquer  la  phrase  allemande  '. 

C.     FOSSEY. 


Raymond  Weilu,  Les  Décrets  Royaux  de  l'Ancien  Empire  Egyptien.  Etude 
sur  les  décrets  royaux  trouvés  à  Koptos  au  cours  des  travaux  de  la  Société 
française  des  Fouilles  archéologiques  (campagnes  de  1910  et  191  0  et  sur  les 
documents  similaires  d'autres  provenances,  Paris,  P.  Geuthner,  1912,  11  i  p.  et 
12  pi.  dont  4  en  phototypie. 

M.  Weill  publie,  traduit  et  commente  les  décrets  qu'il  avait  trouvés 
à  Coptos  en  19 10,  pendant  les  fouilles  entreprises  en  commun  avec 
A.-J.  Reinach.  Il  en  donne  les  textes  en  transcription  linéaire,  en  pho- 
tographie, en  impression  hiéroglyphique,  et  les  rapprochant  des 
documents  du  même  genre  que  l'on  connaissait  déjà,  il  les  élucide 
de  façon  très  satisfaisante.  La  découverte  marche  si  vite  que  d'autres 
monuments  sont  sortis  de  terre  depuis  lors,  très  mutilés  malheureu- 
sement, d'abord  des  morceaux  de  décrets  provenant  de  Coptos  même 
et  qui,  volés  au  cours  ou  à  la  suite  des  travaux,  sont  apparus  brus- 
quement sur  le  marché  de  Louxor,  décrets  de  Pioupi  II  et  d'un 
autre  Pharaon,  qui,  si  je  lis  bien  ce  qui  reste  de  son  nom  d'Horus, 
est  Nafarkaouhorou  de  la  VIII^  dynastie,  ensuite  des  débris  qui 
semblent  avoir  appartenu  à  un  décret  de  la  V«  dynastie.  Il  est  ques- 
tion dans  l'inscription  de  Nafarkaouhorou  d'une  princesse  Nabit, 
dont  je  ne  saurais  dire  encore  si  elle  était  contemporaine  du  souve- 

I.  P.  2,  1.  5  du  petit  texte  :  «  Tout  langage  que  nous  puissions  reconstruire  ».  — 
P.  25,  1.  7-8  :  Trogodytes.  —  P.  85,  1.  20,  lire  :  de  mainte  coutume.  —  P.  86,  1.  7  : 
<i  ridée  de  nationalité  {Nationalitdt)  »,  parenthèse  inutile.  —  P.  177,  1.  26  et  27  : 
leur,  leurs.  —  P.  182,  1.  7,  lire  :  la  forme  où  ils  se  réalisent.  —  P.  240,  1.  i  :  «  dès 
aussitôt  après  son  apparition  »  est  sans  doute  un  mot  à  mot  de  Toriginal  allemand 
que  je  n'ai  pas  sous  les  yeux;  «  dès  son  apparition  »  aurait  suffi. 


d'histoire  et  de  littérature  223 

rain  ou  antérieure.  Je  regrette  que  M.  Weill  n'ait  rien  eu  de  tout 
cela  :  il  y  aurait  rencontré  plusieurs  de  ses  formules,  et  son  recueil  en 
aurait  été  plus  complet.  Disons  bien  vite  qu'il  n'y  aurait  rien  appris 
de  nouveau  ;  les  renseignements  qu'il  en  aurait  tirés  auraient  unique- 
ment contirmé  ce  que  ses  propres  monuments  lui  avaient  appris. 

Comme   beaucoup    des    actes    juridiques    que   nous  possédons  de 
l'empire  memphite,  la  plupart  de  ceux-ci  se  rapportent  à  l'entretien 
ou  à  la  constitution  de  tpakfs,   fondés  près  d'un  temple,  ici  le  sanc- 
tuaire  du  dieu   Mînou  de  Coptos,  au  bénéfice  d'un  Pharaon  et  pour 
assurer   la  perpétuité  de  son  culte.    Les  wakfs  formaient  une  vraie 
personne  civile,   à  laquelle  le  donateur  assignait,  avec  un  nom,  des 
domaines  que  leur  affectation  spéciale    exonérait    des    charges  affé- 
rentes à  la  propriété  ordinaire.    Ils  étaient   exempts  d'impôts  et  de 
charges,  ou  plutôt  les  impôts  et  les  revenus  en  étaient  appliqués  exclu- 
sivement aux  besoins  du  dieu  et  du  mort  auxquels  ils  avaient  été  attri- 
bués. Ils  ne  devaient  au  fisc  pharaonique  ni  la  capitation,  ni  les  corvées 
pour  la  réfection  des  canaux  et  des  digues,  ni  les  réquisitions  pour 
les  travaux  de  l'agriculture,  pour  la  rentrée  des  contributions,  pour  le 
transport  des  pierres,  ni  les  prestations  dues  aux   messagers  et  aux 
employés  royaux  qui  les  traversaient.  Les  gens  qui  les  peuplaient  ne 
pouvaient  en  être  retirés  que  dans  le  cas  où  un  individu,  les  récla- 
■  mant  comme  sa  chose,  établissait  légalement  par  écrit  la  validité  de 
ses  droits  :  ils  étaient   les  serfs  du  yvakf,  et,  en  cette  qualité,  nul,  ni 
Pharaon  lui-même,  n'était  autorisé  à  les  distraire  de  leurs  occupa- 
tions normales  aux  champs  ou  à  la  ville.  Leurs  enfants  recevaient  en 
échange  de  leurs  services  une  part  du  revenu,  nous  dirions  un  salaire 
proportionné   à  celui  de  leurs  parents.  Il  était  d'ailleurs  défendu  au 
na\ir  du  w^aAy  d'appeler  des  gens  du  dehors  pour  faire  la  moisson,  ou 
de  les  admettre  au  bénéfice  des  répartitions  qui  avaient  lieu  aux  fêtes 
célébrées  en  l'honneur  du   dieu   patron  et  du   fondateur   :  les  serfs, 
supportant  les  charges,  devaient  seuls  bénéficier  des  privilèges  qui  les 
compensaient.  Toutes  les  conditions  ne  sont  pas  énoncées  dans  nos 
chartes  :  il  y  en  avait  de  droit  courant  qui  n'avaient  pas  besoin  d'être 
indiquées   expressément,   au    moins   sur  les  stèles  de  surface  néces- 
sairement restreinte  par  lesquelles  on  commémorait  la  fondation  des 
luakfs.  Aussi  les  documents  ne  sont-ils  pas  aussi  longuement  déve- 
loppés l'un  que  l'autre  :  assez  souvent,  on  n'y  déchiflVe  que  les  clauses 
qui  stipulaient  les  points. principaux  des  intentions  exprimées  par  le 
donateur.    Il   ne  faut  pas  nous  dissimuler  d'ailleurs  que,  telles  pré- 
cautions qu'on  prît  pour  assurer  la  durée  de  ces  contrats,  la  plupart 
d'entre  eux  devenaient  caducs  au  bout  de  peu  de  temps.  Si  un  Pha- 
raon ou  un  seigneur  sans  scrupule  ne  dépouillait  pas  du  même  coup 
le  fondateur  et  le  dieu,   le  dieu   lui-même   oubliait  le  fondateur  et  il 
accaparait   pour  ses  propres  besoins  la  part  de  celui-ci.   Les  souve- 
rains dévots  essayaient  par  intervalles  de  remédier  à  ces   abus  :  ils 


•>24  REVUE    CRITIQUE 

icnouvclaicni  le  rescrii  anicricur,  ils  cii  confirmaient  ou  ils  en  ampli- 
fiaient les  données,  et  ils  le  remettaient  en  vigueur.  Une  des  pièces 
de  M.  W'eill  contient  une  sorte  de  satisfecit  décerné  par  Nafar- 
kaouliorou  à  un  otiicier  qui  avait  bien  administré  son  wakj  de 
(2optos.  Une  autre  me  parait  contenir  un  rescrit  d'Ouazkariya  (IX* 
ou  X''  dynastie),  à  l'etlet  de  continuer  le  walif  de  l'un  de  ses  prédé- 
cesseurs, Pioupi  11. 

M.   Weill  a  eu  du  mérite  à  traduire  ces  pièces  comme  il  l'a  fait.  Il 
n'avait  guères  pour  l'y  aider  que  les  essais  préliminaires  de  Moret  et 
de  Borchardt  sur  quelques  documents  analogues,  et  bien  que  ceux-ci 
fussent  déjà  très  louables,  toutes  les  difficultés  n'y  étaient  pas  résolues. 
J'ai  noté  i,-à  et  là  de  ces  méprises  singulières  qu'on  rencontre  dans  ses 
ouvrages  précédents,  comme  d'avoir  méconnu  le  titre  sacerdotal  iat- 
natar,  mari-natar  «   le  père  du  dieu,  ami  du  dieu  »  et  de  l'avoir  tra- 
duit <c  l'aimé  de  la  divinité  »   et  «  l'aimé  de  la  déesse  et  du  dieu  '  », 
mais  le  cas  est  rare  heureusement.  Un  reproche  plus  sérieux  serait  de 
n'avoir  pas  toujours  serré  d'assez   près  la  phrase    égyptienne   et  de 
s'être  contenté  de  iradactions  un  peu  vagues  dont  le  rapport  avec  l'ex- 
pression de  l'original  n'est  pas  évident  du  premier  coup  d'œil  ;   tou- 
tefois comme  le  plus   souvent,   elles  sont   exactes  dans  le  gros,  l'in- 
convénient   n'est    réel  que  pour  TEgypiologue  qui   désirerait  savoir 
minutieusement  par  quelle  analyse  de  grammaire  elles  ont  été  obte- 
nues. En  somme,  la  valeur  de  chacune  des  pièces  a  été  déterminée  de 
la  façon  la  plus  claire,  et  les  conséquences  qu'on  peut  déduire  d'elles 
pour  la  connaissance  du  droit  religieux  et  civil  ont  été  exposées  avec 
soin.  Les  formules  ont  été  décomposées  heureusement,  et  le  lien  par 
lequel  chacun  des  membres   se  rattache  aux  autres  pour  former  la 
longue  période  du  style  juridique  a  été  mis  en  évidence  avec  beaucoup 
de  clarté.  Ce  qui  frappe  quand  on  les  lit,  c'est  le  long  passé  de  légis- 
lation   raisonnée   que  ce    formulaire    suppose.    J'ai  pensé  toujours, 
depuis  la  découverte  du  Code  (iei/a;72;«oz<;-tTZ'/,que  les  Egyptiens  avaient 
possédé  une  jurisprudence  aussi  savante  que   celle  des   Babyloniens, 
mais   tandis  que  les  Babyloniens  employant  la  pierre  ou   la  brique 
avaient  assuré   une  presque  indestructibiliié   à  leurs  lois,  les  Codes 
Egyptiens,  tracés  sur  cette  matière  fragile  qu'est  le  papyrus,   avaient 
péri  très  probablement  sans  retour  :  nous  n'arriverions   qu'à  en  réta- 
blir des  parties  par  le  moyen  des  actes  officiels  gravés  sur  pierre.  Cette 
hypothèse  se  justifie  de  jour  en  jour,  et  la  bonne  fortune  qu'ont  eue 
MM. Weill  et  Reinach  à  Copios  nous  confirme  dans  l'idée  que  l'Egypte 
n'était  pas  moins  docte  en   jurisprudence  que  la  Babylonie,  dès  l'âge 
memphite.  Il  a  fallu   des  hommes  d'affaires  ou  des  légistes  instruits 
par  une  longue  tradition   des  finesses  du  métier  pour  rédiger   aussi 
habilement,  pour  enchaîner  avec  tant  de  précision  les  clauses   de  ces 

I.  P.  59,  82-83-84. 


d'histoire  et  dk  littérature  225 

chartes  consiiiuiives.  Aujourd'hui  encore,  le  tellah  et  le  bourgeois 
égyptien  ont  l'esprit  juridique,  même  poussé  jusqu'à  la  chicane,  et 
nul  ne  s'entend  mieux  qu'eux  à  composer  une  n'akjïéh  qui  lie  solide- 
ment les  personnes  ou  les  établissements  en  faveur  de  qui  elle  est 
écrite  :  c'est  une  qualité,  —  et  souvent  aussi  un  défaut,  —  qu'ils  ont 
hérité  de  leurs  ancêtres  pharaoniques. 

Et  ceci  m'amène  à  dire  par  quels  endroits  je  suis  tenié  de  ne  pas  m'ac- 
corder  avec   M.   Weill,  et  avec  la  plupart  des  Egyptologues  dans  la 
conception  qu'ils  se  font  des  personnes  mentionnées  et  des  matières 
abordées  dans  ces  décrets.   Depuis  quarante-cinq  ans  à  peu  près  que 
le  Code  Civil  a  été  promulgué  en  Egypte,  son  application  n'a  pas  été 
sans  modifier  l'esprit  du  peuple,  et  l'on  commence  à  prévoir  l'instant 
où  rien    ne   subsistera  de  ce  qui   fut  le  statut  personnel  des  Egyp- 
tiens et  la  constitution  de  la  société  aux  siècles  passés  :  on  n'aura  plus 
pour  les  étudier  que  les  volumes  de  la  Description  de  VEgypte,  et  les 
ouvrages  qui  l'ont  complétée.  Les  Egyptologues  n'ont  pas  vécu  assez 
dans  les  provinces  pour  s'y  être    familiarisés   avec  le  peuple  et  ses 
manières  de  penser  ou  de  vivre  :  ils  se  figurent  presque  invinciblement 
un  état  social  semblable  au   nôtre,  et,  machinalement,  ils  interprètent 
les  textes   antiques  selon  les   conceptions  européennes.   Voici,  pour 
l'exemple,  deux  mots,  maroii  et  sarou,  qui  y  reviennent  fréquemment. 
J'avais  traduit  saroii  par  notables  et  Moret  avait  adopté  cette  traduc- 
tion, mais  par  la  suite  Edouard  Meyer,    s'appuyant  sur  une  inscrip- 
tion de  Déîr-Gebraouî,  dans  laquelle  un  personnage   se  vante  d'avoir 
attiré  chez  lui  les  marou  d'autres  nomes,  si  bien   qu'ils  devinrent  des 
sarou,  avait  déclaré  que  les  sarou  étaient   la   classe  des  propriétaires 
libres.  M.  Weill  se  range  à  cet  avis,  et  commentant  d'autres  passages 
qui  complètent  celui-ci,  il  en  vient  à  considérer  les  sarou  comme  les 
juges  de  l'homme  libre  en  général  et  constituant  «  une  sorte  d'arbi- 
«  trage  communal,  fonctionnant  en  permanence  dans  la  localité  avec 
u  l'assentiment  et  sans  doute  avec  le  concours  des    autorités  supé- 
«  rieures  :  cela  est  tout  à  fait  analogue  à  ce  qui  a  existé   en  Egypte  à 
«  toute  époque  ».  Par  contre,   les  marou  «  forment  la   classe  sociale 
«  immédiatement  inférieure  »,  et   «   ne  peuvent  être  que  les  tenan- 
a  ciers,  ceux   qui   vivent  sur  les  terres  prises  à  ferme  et  qu'ils  font 
«  valoir  ».  C'est  à  peu  près  cela,  et  pourtant,  qui  entendra  les  asser- 
tions de  M.  Weill  dans  le  même  esprit  qu'il  les  a  entendues  lui-même, 
n'aura  pas  la  vision  précise  de  ce  qui  se    passait    dans  l'Egypte  des 
Pharaons.  Sans  entreprendre  ici  une  démonstration   qui  serait  trop 
longue,  je  dirai,  que  dans  ce  pays  féodal  où  le  sol  entier  appartenait 
au  maître,  roi,   dieu,   baron,   cette  distinction  entre  propriétaires  et 
fermiers  n'était  pas  ce  que  nous  imaginons  :  les  particuliers  tenaient 
leur  droit  du  maître  qui  pouvait  les  dépouiller  à  tout  moment.  Qui- 
conque n'était  pas  maitre  à  un  titre  quelconque,  sacerdotal,  militaire, 
'■  !  princier,  royal  était  un  marou,  mais   entre  les  marou,  certains  par 


2'20  RKVUK    CRITIQUE 

leur  naissance,  par  leurs  alliances,  par  leur  fortune,  par  leur  sagesse 
par  leur  âge,  avaient  acquis  une  autorité  sur  les  gens  parmi  lesquels 
ils  vivaient  :  c'était  ceux-là  qu'on  appelait  les  savon,  les  méchéikh  de 
l'Egypte  présente.  Qqs  saroii  étaient  les  vieillards  et  les  notables  qui 
s'assemblaient  aux  portes  du  village  les  Jours  de  marché,  et  devant 
lesquels  on  plaidait  les  affaires  privées  de  la  communauté.  Ils  étaient 
par  leur  position  les  intermédiaires  entre  leurs  concitoyens  moindres 
et  les  pouvoirs  établis,  mais  sans  que  cela  eût  rien  d'officiel  :  quand 
ils  faisaient  défaut,  d'autres  les  remplaçaient  e/2  saroii  [niti  me-saroii). 
Il  n'y  a  là  .ni  la  rigueur  hiérarchique,  ni  l'organisation  officielle 
qu'Edouard  Meyer  et  après  lui  M.  Weill  ont  supposé  avoir  existé. 

Lisons  donc  le  mémoire  de  M.  Weill  avec  cette  restriction,  et  ne 
marchandons  pas  l'éloge  aux  bonnes  choses  dont  il  est  plein.  M. Weill, 
qui  s'est  formé  presque  seul,  éprouve  quelquefois  de  ces  défaillances 
que  des  savants  moins  bien  doués  mais  dressés  par  leurs  maîtres  aux 
finesses  du  métier  ne  ressentent  que  rarement.  Il  y  en  a  moins  dans 
ce  volume  qu'il  n'y  en  avait  dans  les  précédents  :  encore  un  effort 
et  dans  le  prochain  mémoire,  il  n'y  en  aura  plus  du  tout. 

G.  Maspero. 


Hermann  Jlnker,  Bericht  iiber  die  Grabuugen  der  K.  Akademie  der  Wis- 
senschaften  in  Wien,  auf  dem  Friedliof  in  Turah,  Winter  1909-1910, 
(forme  le  premier  fascicule  du  t.  LVI  des  Denksckviften  der  K.  A.  der  Wissens. 
in  Wien,  Pliilosophisch-Historische  Klasse).  Vienne,  A.  Holder,  191  2,  in-4°,  vii- 
99  p.  5i  planches,  i  plan  et  88  vignettes  dans  le  texte. 

C'a  été  un  début  des  fouilles  autrichiennes  en  Egypte  et   un  début 
particulièrement  heureux.  Les   cimetières  explorés  par  le  D""  Junker 
appartiennent  à  cet  âge  archaïque  dont  nous  soupçonnions  l'existence 
il  y  a  vingt  ans,  sans  la  connaître  encore  par  des  monuments  certains. 
Le  nom  royal  découvert  dans  les  plus  anciens  est  celui  du  Pharaon 
Scorpion,  qui  serait  le  prédécesseur  immédiat  de  Menés  et  le  dernier 
des  souverains  qui  régnèrent  sur  la   Haute-Egypte  seule.  Je  ne  m'y 
oppose  pas,  et  il   est  fort  possible  qu'il  en  ait  été  ainsi,  mais  l'assu- 
rance avec  laquelle  Pétrie,  Sethe  et  d'autres  ont  classé  ces  personnages, 
selon  les  indices  très  instables  que  l'étude  des  nécropoles  nous  fournit, 
m'a  toujours  surpris,  et  sans  repousser  les  conclusions  auxquelles  ils 
arrivent,  J'ai  préféré  attendre  pour  les  accepter  fermement  que  d'autres     1 
documents  vinssent  les  confirmer.  La  découverte  de  Junker  me  laisse     ' 
aussi  perplexe  que  devant,  et  je  me  borne  à  constater  d'une  manière 
générale  qu'elle  nous  reporte  aux  premiers  siècles  de  la  monarchie, 
soit  que  le  prince  Scorpion  ait  précédé  Menés,  soit  qu'il  l'ait  suivi  :  l'ave-    | 
nir  nous  fournira  peut-être  les  moyens  d'introduire    plus   de   préci- 
sion dans  la  chronologie  de  ces  temps  lointains. 

L'ouvrage  de   Junker  n'est  pas    de    ceux  dont  on   rend  compte  en 
quelques  lignes  :  il  est  tout  de  détails  minutieusement  observés.  La 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  227 

description  des  tombeaux  y  est  d'une  exactitude  irréprochable,  et  des 
vignettes  semées  dans  le  texte  ou  des  planches  remédient  à  ce  qu'elle 
pourrait  avoir  de  moins  bien  défini  sur  certains  points.  On  y  voit  les 
morts  couchés  dans  leur  trou  ou  dans  leur  caveau  de  briques,  entourés 
de  leur  propriété  funéraire,  pots  en  terre  dans  les  plus  anciens,  pots 
en  albâtre  chez  les  plus  récents,  ceux  qu'on  peut  attribuer  à  la  pre- 
mière, à  la  seconde  ou  à  la  troisième  dynastie.  Les  cinq  cent  quatre- 
vingt-deux  tombes  qui  furent  ouvertes  l'une  après  l'autre  sont  énu- 
mérées  et  le  contenu  indiqué  sommairement  :  à  lire  le  mémoire  avec 
attention,  on  se  trouvera  aussi  bien  renseigné  que  si  Ton  avait  assisté 
à  la  fouille.  Une  assez  longue  étude  a  été  consacrée  aux  squelettes 
par  le  D""  Derry,  et  elle  a  confirmé  les  données  archéologiques  par 
l'anthropologie.  Junker,  frappé  par  l'identité  des  formes  qu'il  a  décou- 
vertes et  de  celles  que  Morgan,  Pétrie,  Rcisner  ont  observées  dans  les 
tombes  du  Saîd,  en  tire  cette  conclusion  que,  de  la  première  cataracte 
aux  carrières  de  Tourah,  la  population  de  la  vallée  et  sa  civilisation 
était  une  :  j'y  souscris  d'autant  plus  volontiers  que  je  l'ai  toujours 
pensé.  J'irai  même  plus  loin,  et  j'ajouterai  qu'elle  n'était  pas  une  dans 
le  royaume  du  Sud  seulement  mais  dans  la  plus  grande  partie  du 
royaume  du  Nord.  Bien  que  nous  ne  possédions  pas  encore  de  cime- 
licre  héliopolitain  vraiment  antérieur  à  l'époque  historique,  la  diffu- 
sion des  doctrines  religieuses  d'Héliopolis  sur  la  vallée  entière,  dès 
avant  Menés,  prouve  assez  l'homogénéité  de  la  population  civilisée 
du  Delta  et  de  celle  du  Saîd.  Il  ne  peut  y  avoir  de  doute  qu'au  sujet 
des  tribus  réfugiées  dans  les  marais  de  la  côte  :  peut-être  celles-là  con- 
tenaient-elles encore  des  éléments  non  assimilés  à  la  masse  de  la 
nation. 

G.   Maspero. 


G.  LampakIs.  0'.  Értà  àaTs'pô;  rr,?  'Azo'/.a>>'j'}£(o;,  t'iTOi  '.jTopta,  ipv.TZ'.x,  |i.vïitx£ra,  xai  vûv 
xa-:â7Txa''.î  tûv  i-icxà  £X7c7*T|atwv  tt,?  'Acia;,  'E9ÉTOU,  SjiûpvTi^,  nspyâfjiou,  ©uaxsipuv,  Sxp- 
Sîwv,  <l>i)>a5£>v'f ïîa;  y.aî  Aaoo'.y.cîa;,  ~ap' fi  Ko).07Jxl  vtal  Upi-o'}.'.^.  Athènes,  Tzavcllas, 
1909;  r'.^yG  p. 

Ce  livre  se  présente  comme  une  interprétation  historique  des  trois 
premiers  chapitres  de  l'Apocalypse.  Selon  l'auteur,  tout  ce  que  saint 
Jean  a  prédit  aux  sept  églises  d'Asie  (les  sept  astres)  s'est  accompli  à 
la  lettre  :  Smyrnc  et  Philadelphie  vivent  et  fleurissent  sur  leur  empla- 
cement antique;  Pergame  et  Thyatire  subsistent  encore,  mais  sont  à 
quelque  distance  de  leur  ancienne  situation;  Ephèse  ruinée  se  relève 
à  peine;  Sardes  et  Laodicée  sont  entièrement  détruites;  ce  sont  deux 
astres  éteints.  Parti  de  Paimos,  M.  Lampakis  a  visité  successivement 
les  sept  villes  ;  il  dit  bien  quelques  mots  sur  les  ruines  et  sur  les 
monuments  antiques;  mais  ce  qui  l'intéresse  surtout,  ce  sont  les 
monuments  chrétiens,  les  souvenirs  des  premiers  temps  du  christia- 
nisme, et  le  développement  des   communautés  orthodoxes.  Chaque 


228  REVUE    CRITIQUE 

chapitre,  consacre  à  l'une  des  sept  villes,  porte  en  épigraphe  les  ver- 
sets de  l'Apocalypse  qui  la  concernent,  et  s'ouvre  par  un  résumé  his- 
torique où   M.  L.  cite  brièvement  les   impressions  des  explorateurs 
modernes,  suivi  de  la  description,  bien  imparfaite,  de  quelques  ruines 
antiques;  il  se  termine  par  de  longs  développements  sur  les  églises  et 
les  chapelles,    ruinées   ou  non,    agrémentés   de    réflexions    pieuses, 
d'élans  de  dévotion  et  d'anecdotes  personnelles  dont  la  naïveté  fait 
quelquefois  sourire   même  ceux  qui  savent  combien  les  Grecs  sont 
attachés  à  leurs  croyances  religieuses.  Un  exemple  montrera,  mieux 
que  tout  ce  que  je  pourrais  dire,  quel  est  le  ton  général  de  l'ouvrage  : 
«   Au  moment  où  je  photographiais  ces  ruines  (le  temple  de  Zeus  à 
Pergamc\  un  prêtre  se  trouvait  là  ;  à  ma  prière,  il  monta  au  sommet, 
symbolisant  en   quelque   sorte   le  trophée  victorieux  du  Sauveur,  et 
ainsi  j'ai  photographié  le   représentant  de  Jésus,   foulant  aux   pieds 
l'erreur  de  la  religion  ancienne  (p.  276)  ».  M.  L.  ne  nous  fait  grâce 
d'aucune  des  allocutions  qui  furent  prononcées  par  lui  ou  par  d'autres 
à  son  arrivée  et  à  son  départ,  d'aucune  des  cérémonies  religieuses  aux- 
quelles il  assista,  d'aucune  des  réflexions  qu'il  écrivit  et  même  que  sa 
main  écrivit  pour  ainsi  dire  toute  seule,  obéissant  à  je  ne  sais  quelle 
mystique  influence  (p.  11 3).  Le  volume  est  illustré  de   nombreuses 
figures,  esquisses   et   photographies,   médiocres  pour  la  plupart.  En 
somme,  l'ouvrage  a  été  composé  à   un  point  de  vue  beaucoup  plus 
religieux  que  scientifique  '  ;   le  lecteur  y  trouvera    quelques  détails 
intéressants  sur  les  communautés  grecques  d'Asie-Mineure  ;  il  verra 
combien  l'idée  grecque   est  demeurée   vivace  dans  ces  populations, 
dans  celles,  cela  s'entend,  qui  pratiquent  l'orthodoxie  ;  mais  l'archéo- 
logue  glanera    peu    d'observations   utiles    dans    ce   récit    confus   et 
dépourvu  de  critique.  Remarquons  toutefois  que  M.  Lampakis  a  pris 
soin  de  relever  toutes  les  inscriptions   modernes,   même  en  langue 
turque,   qui  se  trouvent  dans  les  églises,  et  qu'il  rapporte  quelques 
traditions  populaires  dont  le  folkloristc  pourra  faire  son  profit. 

My. 


Urkunden  Friedrich  Rotbarts  in  Italien,  sechste  Folge,  von  Henry  Simonsfeld. 

Mûnchen,  Akademic  der  Wissenschaficn  yFrantz)   igri,  43  p.  8". 

Dans  ce  mémoire  extrait  des  Sit\iingsberichte  de  l'Académie  royale 
de  Munich,  M.  Simonsfeld  rend  compte  d'une  série  nouvelle  de  cin- 
quante-sept nouveaux  diplômes  et  chartes,  relatives  à  l'histoire  de 
Frédéric  I  Barberousse,  qu'il  a  découverts  ou  retrouvés  au  cours 
d'un  récent  voyage  scientifique  en    Italie,  dans  les  archives  de  Ber- 


I.  Cf.  les  aciions  de  grâces  (Eù/apistiat  T.atôv  sU  xôv  Kûpiov)  rendues  au  Seigneur 
vers  l;i  fin  du  volume  (p.  437-439),  où  M.  Lampakis  remercie  Dieu  d'avoir  permis 
qu'il  visitât  les  sept  villes,  et  affirme  de  nouveau  l'exactitude  des  prédictions  de 
l'Apocalypse. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  229 

game,  Bologne,  Brescia,  Lodi,  Milan,  Modène,  Parme,  Pavie,  Plai- 
sance, Turin,  Verceili  et  Vérone.  Cette  série  fait  suite  à  cinq  fasci- 
cules analogues  que  le  savant  éditeur  a  publiés  sous  le  même  titre,  de 
1905  à  1909.  Il  a  publié  en  leur  entier  les  textes  inédits  et  relevé  les 
variantes  dans  les  documents  qui  avaient  été  mis  au  jour  précédem- 
ment. 

E. 


Urkundenbuch  der  Stadt  Liibben.  I  r^)and  :  Die  Lubbener  Stadtbt'icher  i382- 
i526,  herausgegeben  von  Wai.di-mau  Lippert.  Dresden,  von  Baenschstiftung, 
191 1,  LUI,  233  p.  4". 

Liibben  est  une  petite  ville  prussienne  d'environ  7000  âmes,  située 
dans  la  régence  de  Francfort-sur-l'Oder,  et  a  fait  partie  jadis  du 
margraviat  de  la  Basse-Lusace.  Les  Etats  provinciaux  ont  voté,  il  y 
a  quelques  années,  la  publication  d'un  Cariulaire  général  des  localités 
de  la  région  et  un  premier  volume,  renfermant  le  Cartulaire  du  cou- 
vent de  Neu\elle,  a  été  publié  en  1897.  Le  second  volume  de  la  collec- 
tion inaugure  le  Cartulaire  de  la  ville  de  Liibben  et  renferme  les 
recueils  officiels  des  Actes  (contrats,  comptes  communaux,  règle- 
ments, etc.)  de  la  municipalité,  tels  qu'ils  ont  été  compilés  au  cours 
des  siècles.  De  ces  Stadtbiiclier,  le  premier  embrasse  les  années  i382- 
1473,  le  second,  les  années  1473- 1  526,  avec  des  additions  qui  le  pro- 
longent, chronologiquement,  jusqu'en  i588;  inais  les  Etats  provin- 
ciaux, dans  le  programme  tracé  pour  ces  publications,  ont  fixé  comme 
date  terminale  officielle  l'année  i526.  L'éditeur,  M.  Waldemar  Lip- 
pert,  a  fait  précéder  ces  textes  '  d'une  introduction  d'une  quarantaine 
de  pages,  qui  traite  des  Stadtbilcher  de  la  Basse-Lusace  en  général  et 
de  ceux  de  Lùbben  en  particulier  ;  il  analyse  et  décrit  les  différents 
manuscrits,  en  apprécie  l'importance  au  point  de  vue  juridique  et  la 
valeur  scientifique,  avec  une  compétence  bien  connue  de  ceux  qui 
s'occupent  de  l'histoire  de  la  région  saxonne  et  de  celle  de  la  maison 
de  Wettin.  On  ne  trouvera  presque  rien  dans  ce  volume  pour  l'his- 
toire politique  générale  de  TAllcmagne  à  cette  époque  et  peu  de 
chose  même  pour  l'histoire  provinciale,  l'importance  de  la  cité  étant 
trop  mince  pour  fournir  grands  matériaux  aux  narrateurs  modernes; 
mais  on  y  peut  étudier  de  près  les  conditions  économiques  de  la  vie 
privée  d'une  petite  localité  vers  la  fin  du  moyen-âge;  on  y  suit  faci- 
lement les  intérêts  particuliers  des  bourgeois,  leurs  affaires  indus- 
trielles et  commerciales  ;  on  est  mis  au  courant  de  leurs  emprunts 
et  de  leurs  rentes,  de  leurs  testaments  et  de  leurs  héritages  et  l'on 
pourra  recueillir  dans  le  volume  de   M.  L.  plus  d'un  détail  intéres- 


I.  Ces  textes  ne  sont  pas  d'ailleurs  eniiércinent  inédits;  ils  ont  été  utilisés  déjà 
par  les  historiens  locaux,  par  exemple  par  .1.  W.  Neumann,  Aan?,  ?,on  Histoire  de 
Liibben  (184O-1857). 


23o  REVDE    CRITIQUE 

sani  pour  l'histoire  du  droit  local  et  de  la  civilisation  saxonne  de  la 
fin  du  xiV  au  conimencemeni  du  xvi"  siècle  '. 

A  la  Hn  de  ce  volume  se  trouvent  un  appendice  géographique  sur 
les  lieux  dits  des  environs  de  Lubben  (p.  189-208)  et  à  Liibben  même, 
ainsi  qu'une  table  des  matières  et  des  noms  de  personnes. 

R. 

Commentaires  de  Biaise  de  Monluc,  marcclial  tic  France,  édition  critique 
publiée  et  annotée  par  Paul  Courtiîault,  professeur  à  l'Université  de  Bordeaux. 
T.  I,  Paris,  A.  Picard  et  fils,   191 1,  XIX,  423  p.  8°,  carte.  Prix  :  10  fr. 

Souvent  réimprimés  depuis  que  Florimond  de  Raemond  les  mit  au 
jour  en  \b()2,\QsCommentaires  de  Biaise  de  Monluc  ont  été,  de  notre 
temps,  étudiés  surtout  dans  l'édition  qu'en  a  donné  M.  Alphonse  de 
Ruble,  de  1864  ^  1867,  d'après  deux  transcriptions,  Tune  complète, 
l'autre  fragmentaire,  d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale 
(fonds  français  5oii),  provenant  de  la  bibliothèque  du  président 
J.-J.  de  Mesmes.  En  comparant  ces  textes  avec  Timprimé  original, 
M.  de  Ruble  a  constaté  que  Florimond  de  Raemond  avait  fait  cer- 
taines coupures  et  changements  au  manuscrit  ;  ces  changements  s'ex- 
pliquent aisément  par  le  fait  que  Monluc,  au  moment  de  sa  mort 
(1577)  ne  pouvait  prévoir  que  l'hérétique  roi  de  Navarre  deviendrait 
un  jour  roi  de  France  et  qu'il  a  donc  parlé  de  lui  en  termes  qui  sem- 
blèrent risqués  au  premier  éditeur.  D'ailleurs  ces  deux  manuscrits 
représentent  une  rédaction  antérieure  à  celle  de  l'édition  originale. 
De  1571  à  1576,  Monluc  a  beaucoup  ajouté  à  ses  dictées  primitives. 
On  constate  aussi  beaucoup  de  retouches  de  style  dans  le  texte  de 
Florimond  de  Raemond,  dont  on  ne  sait  au  juste  si  elles  proviennent 
du  parlementaire  bordelais  ou  s'il  faut  les  attribuer  au  maréchal  lui- 
même.  En  tout  cas,  M.  de  Ruble  a  constitué  un  singulier  textiis 
receptus  avec  les  éditions  précédentes  (dont  celle  de  Buchon)  et  les 
textes  de  la  Nationale,  «  amalgame  perpétuel,  impossible  à  contrôler, 
du  texte  de  la  vulgate  et  des  manuscrits  »  (p.  xiv).  M.  Courteault, 
dont  la  thèse  de  doctorat  [Monluc  historien,  étude  critique  sur  le 
texte  et  la  valeur  des  Commentaires,  Paris,  1907),  a  été  si  justement 
remarquée,  était  appelé,  plus  que  tout  autre,  à  nous  donner  de  ce 
récit  si  souvent  cité,  si  souvent  lu  même  encore  aujourd'hui,  grâce  à 
la  vivacité  gasconne  du  narrateur,  une  édition  vraiment  critique  avec 
les  variantes  des  différents  manuscrits. 

Le  premier  volume  de  l'édition  de  M.  Courteault  vient  de  paraître 
dans  la  Collection  de  textes  pour  servir  à  Vétude  et  à  renseignement 
de  Vhistoire.  Il  comprend,  outre  le  «  Préambule  à  Monseigneur  », 
les  deux  premiers  livres  des  Commentaires,  consacrés  aux  campagnes 

I.  Je  citerai,  comme  exemple  (p.  174  et  suiv.)  les  pièces  relatives  au  procès  fait 
à  un  nommé  Eisenfûrer,  sa  femme  et  sa  fille  Anna,  pour  actes  de  sorcellerie  et 
fabrication  de  philtres  bien  malpropres. 


d'histoire  et  de  littérature  23  I 

d'Italie  (i52i-i553;  et  s'arrête  en  septembre  i553,  au  retour  de 
Monluc  en  France.  L'éditeur  a  joint  au  texte  des  notes  substantielles 
et  abondantes  et  nous  souhaitons  qu'il  mène  rapidement  son   utile 

travail  à  bonne  fin. 

R. 


Charles  Bratli,  Philippe  II  d'Espagne,  Etude  sur  sa  vie  et  son  caractère, 
préface  de  M.  Baguenault  de  Puchesse,  correspondant  de  l'Institut  Paris, 
Honoré  Champion,  19 12,  3oo  pages  in-8%  portraits. 

Nous  avons  rendu  compte*  de  l'original  danois  de  M.  Bratli  dans 
la  Revue  critique  du  3o  juin  19 10  et  signalé  les  recherches  conscien- 
cieuses de  l'auteur  dans  les  dépôts  d'archives  et  parmi  les  sources 
imprimées,  peu  connues  ou  très  oubliées  de  l'Espagne  d'alors.  Nous 
avons  caractérisé  également  l'apologie  hardie  qu'il  y  fait  de  Philippe  II, 
d'après  les  procédés  à  la  mode,  employés  par  tant  de  «  réhabilita- 
tions »  contemporaines.  Il  est  donc  inutile  d'y  revenir  plus  longue- 
ment ici.  Peu  de  personnes  en  France  étant  capables  de  lire  un 
ouvrage  écrit  en  danois,  on  comprend  que  le  livre  du  savant  de 
Copenhague  ait  été  traduit  dans  notre  langue.  M.  Baguenault  de 
Puchesse  a  mis  à  cette  traduction  anonyme  quelques  pages  d'intro- 
duction, 011  il  fait  la  part  très  large  aux  circonstances  atténuantes 
pour  certains  actes  du  monarque  ',  sans  oser  pourtant  approuver 
jusqu'au  bout  l'apologie  du  savant  danois  et  son  admiration  quasi- 
ment aveugle  pour  Philippe  II  \ 

R. 

Edouard  Rott,  Histoire  de  la  représentation  diplomatique  de  la  France  auprès 
des  cantons  Suisses,  de  leurs  alliés  et  de  leurs  confédérés.  Totne  IV 
(1626-1635),  deuxième  partie  :  L'affaire  de  la  Valteline,  III«  partie  (i633-i635). 
Paris,  Félix  Alcan,  191 1,  432  p.  in--4".  Prix  :  8  fr. 

Ce  nouveau  demi-volume  de  l'ouvrage  de  M.  Edouard  Rott  sur 
l'histoire  de  la  diplomatie  française  en  Suisse,  termine  le  qua- 
trième tome  de  cette  importante  publication  qui  n'intéresse  pas  seu- 
ment  la  politique  de  la  France  et  celle  des  cantons  helvétiques,  mais 
encore,  et  très  directement,  l'histoire  des  Etats  de  la  péninsule  ita- 
lienne, celle  de  l'Espagne  et  celle  du  Saint-Empire.  Nous  avons,  à 
plusieurs  reprises  déjà,  signalé  les  mérites  du  grand  ouvrage  de 
M.  Rott  \  l'abondance  extraordinaire  de  matériaux  nouveaux,  réunis 
par  lui  dans  tous  les  dépôts  d'archives  de  l'Europe,  la  lucidité  d'une 

1.  C'est  ainsi  qu'il  déclare  «  admissible  »  la  prime  offerte  et  donnée  pour 
l'assassinat  du  prince  d'Orange,  et  admet  que  la  mort  «  peu  naturelle  »  de  don 
Carlos  fut  une  «  mesure  de  précaution  »  jugée  nécessaire  par  les  contemporains. 

2.  Tandis  que  M. Bratli  célèbre  en  Philippe  l'excellent  père  de  famille  et  l'homme 
d'intérieur,  l'auteur  de  l'introduction  accorde  qu'il  avait  «  nombre  de  maîtresses  », 
etc. 

3.  Voy.  R.  Cl-,  du  22  avril  1907  et  du  22  décembre  191Ô. 


232  REVUE    CRITIQUE 

exposition  qui  ne  s'embrouille  jamais  dans  le  labyrinthe  de  ces 
contestations  qui  renaissent  sans  cesse,  la  sérénité  calme  avec  laquelle 
il  juge  les  conflits  politiques  et  religieux  du  temps,  la  connaissance 
parfaite  qu'il  a  des  plus  petits  détails  de  son  sujet.  Ce  sujet  (du  moins 
celui  des  derniers  tomes)  est  en  apparence  restreint  ;  mais  en  réalité, 
depuis,  qu'à  la  (in  du  xvr  siècle,  s'est  posée  la  question  de  la  Valte- 
line  et  des  Grisons,  il  embrasse  l'une  des  questions  les  plus  brûlantes 
de  la  politique  du  jour  et  devient  d'un  intérêt  majeur  pour  l'Europe 
occidentale  tout  entière. 

Le  présent  demi  volume  n'embrasse  que  les  deux  années  écoulées 
depuis  le  printemps  i633  jusqu'à  l'entrée  des  troupes  françaises,  aux 
ordres  de  Rohan,  dans  la  vallée  de  l'Adda,  en  avril  i635.  C'est  à  ce 
moment  que  commencent  les  hostilités  directes  entre  la  France  et  la 
maison  d'Autriche.  La  politique,  si  souvent  tortueuse,  de  Richelieu, 
se  montre,  dans  les  affaires  des  Grisons  et  de  la  Valteline,  par  moments 
plus  maladroite  qu'on  n'est  disposé  d'ordinaire  à  l'admettre  de  la  part 
d'un  génie  politique  de  premier  ordre.  C'est  contrairement  aux  sages 
avis  de  Rohan  (qu'au  fond  du  cœur  il  ne  cesse  de  considérer  comme 
suspect)  qu'il  laisse  pénétrer  les  Espagnols  du  cardinai-infant  à 
travers  la  Valteline  et  c'est  donc  le  cardinal  en  personne  qui  est  res- 
ponsable, en  définitive,  de  la  défaite  des  armes  protestantes  à  Noerd- 
lingen  (sept.  1634),  défaite  si  nuisible  tout  d'abord  à  la  France. 
Quand  on  suit  les  alternatives  de  disgrâce  et  de  rappel  au  service  par 
lesquelles  passe  le  duc  de  Rohan,  les  avanies  indiscrètes,  les  manque- 
ments de  parole  que  lui  infligent  les  diplomates  de  Louis  XIII  accré- 
dités en  Suisse  et  près  des  Ligues,  on  s'étonne  vraiment  que  le 
dernier  chef  des  huguenots  ait  consacré  jusqu'au  bout  son  zèle  et  ses 
talents  à  la  cause  royale,  alors  qu'on  faisait  si  peu  pour  encourager 
un  sujet  désormais  si  fidèle. 

Il  est  vrai  de  dire  que  la  situation  intérieure  des  cantons  helvé- 
tiques rendait  malaisée  l'observation  d'une  ligne  de  conduite  détermi- 
née, toujours  la  même.  Les  dissensions  confessionnelles  entre  les 
confédérés  étaient  continuelles  et  le  plus  souvent  aiguës  ;  les  instruc- 
tions des  envoyés  de  la  couronne  parfois  vagues,  parfois  même  contra- 
dictoires. On  devait  à  la  fois  lutter  contre  l'influence  espagnole, 
prépondérante  à  Lucerne  ',  mais  on  se  défiait  également  des  cantons 
protestants,  et  nombre  des  personnages  accrédités,  passagèrement  ou 
à  poste  fixe,  à  Soleure  et  à  Coire,  étaient  plutôt  favorables  à  une 
politique  franchement  catholique  '. 

1.  Le  comte  Carlo-Emmanuele  Casati,  qui  y  fut  représentant  de  Philippe  IV 
d'Espagne,  de  162g  à  164?,  était    un  adversaire  aussi  habile  que  peu  scrupuleux. 

2.  Quelques-uns  de  ces  diplomates  ont  d'ailleurs  pris,  à  certains  moments,  une 
attitude  plutôt  indépendante  des  ordres  de  leur  cour,  à  moins  qu'on  ne  veuille 
admettre  qu'ils  agissaient  en  vertu  d'injonctions  secrètes  et  qu'on  se  réservait  de 
les  désavouer  ensuite,  les  circonstances  étant  changées. 


d'histoire  et  de  littérature  233 

Le  volume  se  termine  par  une  triple  table,  très  détaillée,  table  des 
matières  (p.  241-293),  tabie  ^e.*f  }wms  de  lieux  (p.  294-326;,  des  noms 
de  personnes  (p.  327-432),  qui  facilite  énormément  les  recherches 
dans  cet  amas  de  faits  si  touffu. 

R. 


Les  grands  problèmes  de  la  politique  intérieure  russe,  par  René  Marchand, 
Paris,  Alcan,   191  2,  in-i6,  xxxi  et  265  p.,  plans,  'î  fr.  5o. 

Deux  Républiques  (France  et  Suisse),  par  un  I^iplom atk,  Paris,  Berger- 
Le\rault,   i()i2,  in-12,  xf  et  ?i2  p.,  !^  fr.  5o. 

La  Jeune-Turquie  et  la  Révolution,  par  A.  Sarron,  Paris,  Berger-Lcvrault, 
i()i2,  in- 1(3,  vil  et  ^hS  p.,  !^  fr.  3o. 

La  vie  politique  dans  les  Deux  Mondes,  5'  année  (l'^f  octobre  igio-So  sep- 
tembre iQ!')'  publiée  SOUS  la  direction  de  A.  Viai.late  et  M.  Caudei.,  Paris, 
Alcan,   19 12,  in-8°,  652  p.,   10  fr. 

En    France   on  suit  avec  intérêt  la  transformation  de  l'autocratie 
russe  en  monarchie  constitutionnelle  :  mais  en  général  on  y  connaît 
assez  mal  la  véritable  situation  de  l'empire,  et  on  accueillera  avec 
faveur  le  livre  de  M.  Marchand,  correspondant  du  Figaro  à  Saint- 
Pétersbourg.  Celui-ci,  familiarisé  avec  le  pays  par  un  séjour  déjà  long, 
a  tenté  non  d'écrire  un  ouvrage  d'ensemble  sur  la  Russie,  mais  d'étu- 
dier quelques  problèmes  importants  de  politique  intérieure.  Le  pre- 
mier est  la  question  agraire  :  comme  le  dit  M.  M.,  le  cas  de  la  Russie 
est  particulièrement  intéressant  et  instructif. puisque  c'est  un  exemple 
saisissant  de  la  faillite  du  collectivisme  dans  une  société  moderne  et 
du  danger  des  utopies  sociales.  I^a  responsabilité  de  la  création  de  la 
propriété  collective   en  Russie  incombe  aux  réformateurs  de    1861, 
imbus  de  théories  philosophiques,  et  désireux  de  prévenir  avant  tout  la 
formation   d'un    prolétariat    rural.  Donc,  lors  de  l'émancipation  des 
serfs,  les  terres  qui  leur  étaient  destinées,  furent  remises  aux  com- 
munes et   morcelées  à  l'infini  afin    que  chaque   paysan   possédât  un 
échantillon  égal  de  toutes  les  bonnes  et  les  mauvaises,  et  l'on  arriva  par- 
fois à  diviser  des  champs  en  bandes  d'un  mètre  de  largeur  sur  plusieurs 
kilomètres   de  longueur.  Les  cultivateurs,  possesseurs  précaires  du 
sol,  reculèrent  devant  les  travaux  d'amélioration  parce  qu'ils  n'avaient 
pas  la  perspective  de   recueillir  eux-mêmes  les  fruits  de  leur  labeur. 
L'agriculture  souffrit  cruellement  et  la  misère  devint  générale.  Un  des 
premiers  soins  du  nouveau  gouvernement  fut  d'offrir  aux  paysans  la 
faculté  de  transformer  leur  possession  en  propriété  et  de  combattre  le 
morcellement  exagéré.  Les  lois  du  9  novembre  1906  et  du  14  juin  1910 
y  pourvurent.  M.  M.  en  explique  le  fonctionnement  et  en  commente 
les  heureux   résultats.    Il   expose  ensuite  la   réforme    des    tribunaux 
locaux,  l'organisation  du   village,  du  canton   ou   voloste,  et  enfin  du 
district  administré  par  un  zemstvo.  La  principale  critique  à  faire  à 
cette  belle  organisation  provinciale,  c'est  d'être  fondée  sur  la  distinc- 
tion des  classes;  mais  déjà  le  Parlement  étudie  les  moyens  de  donner 


2  34  REVUE    CRITIQUE 

pour  bases  au  recrutement  des  assemblées  locales  la  propriété  immo- 
bilière. Des  zemsivos,  M.  M.  est  amené  à  traiter  la  question  polonaise, 
et,  malgré  son  admiration  pour  le  grand  ministre  Stolypine,  il  con- 
damne sa  politique  nationaliste,  injuste  et  rétrograde.  Il  démontre 
qu'au  contraire  dans  la  question  finlandaise  tous  les  torts  sont  du 
côté  des  habitants  du  grand  duché  qui  se  refusent  égoïstemcnt  à  traiter 
leurs  compatriotes  russes  sur  le  pied  de  l'égalité .  Il  résume  et  loue  la 
reconstitution  de  l'armée  et  de  la  marine  opérée  de  concert  avec  la 
Douma  parle  général  SoukhomlinotT  et  Tamiral  Grigorovitch.  Enfin 
il  passe  en  revue  l'œuvre  de  la  troisième  Douma,  et  constate  que  cette 
assemblée  a  rempli  sa  tâche  et  réalisé  un  progrès  décisif.  Pendant 
que  ces  pages  s'imprimaient  l'assassinat  de  Stolypine  a  fourni  à 
M.  Marchand  l'occasion  de  rappeler  la  carrière  et  l'œuvre  de  ce  grand 
homme  d'état,  dont  le  successeur,  M.  Kokovtsoff,  suivra  les  traces. 
Un  diplomate  en  activité  et  qui  conserve  l'anonymat,  publie  une 
étude  comparative  sur  la  France  et  la  Suisse;  en  réalité  il  s'occupe 
presque  uniquement  de  la  seconde  pour  laquelle  il  ne  dissimule  pas 
sa  sympathie.  Il  explique  ses  préférences  en  disant  que  la  Suisse  a 
des  mœurs  républicaines  que  la  France  n'a  pas  encore.  Il  admire  la 
constitution  démocratique  des  cantons  qui  se  gouvernent  par  le 
Landsgemeinde,  assemblée  du  peuple  en  laquelle  réside  tous  les  pou- 
voirs, et  qui  offre  la  plus  grande  analogie  avec  celle  des  républiques 
antiques.  Il  reconnaît  d'ailleurs  que  cet  organisme  ne  saurait  fonc- 
tionner d'une  manière  satisfaisante  que  dans  de  toutes  petites  com- 
munautés. Il  se  déclare  partisan  convaincu  du  référendum  et  met  en 
évidence  les  avantages  de  ce  recours  au  peuple  sans  en  atténuer  les 
inconvénients.  Il  porte  aux  nues  la  simplicité,  la  tolérance,  les  mœurs 
des  Suisses;  mais  cette  simplicité  n'est  trop  souvent  que  de  la  gros- 
sièreté; le  conseil  que  l'auteur  donne  à  ses  compatriotes  (p.  127),  non 
de  supprimer  la  liberté  d'enseignement,  mais  de  la  suspendre  Jusqu'au 
jour  où  la  nation  française  sera  unie  dans  quelque  forme  de  gouver- 
nement, inspire  quelque  méfiance  sur  sa  façon  de  concevoir  la  tolé- 
rance ;  quant  aux  mœurs  enfin,  il  confesse  que  le  vice  existe  en  Suisse 
sous  toutes  ses  formes,  mais  qu'il  est  discret,  qu'il  a  la  pudeur  de  se 
cacher.  Le  diplomate  convient  aussi  que  la  liberté  individuelle  décroît 
tous  les  jours  en  Helvétie;  que  les  gouvernements  peuvent  user  et 
abuser  du  droit  d'inquisition  chez  le  particulier  ;  que  celui-ci  n'a 
souvent  d'autre  ressource  pour  corriger  le  caractère  vexatoire  de 
l'impôt  que  de  frauder,  licence  qu'il  s'accorde  sans  scrupules  d'ailleurs. 
Qu'avons-iious  donc  tant  à  envier  a  nos  voisins?  Peut-être  de  ne  pas 
connaître  les  divisions,  les  luttes  de  classes.  La  population  suisse 
semble  se  composer  uniquement  d'une  bourgeoisie.  C'est  assurément 
un  grand  avantage,  mais  non  dépourvu  de  péril  :  les  Suisses,  réfrac- 
taires  aux  travaux  grossiers  ou  pénibles,  manquent  de  gens  de  bras 
et  recourent  aux  ouvriers  étrangers  qui,  un  jour  ou  l'autre,  consti- 


1 


d'histoirk  et  de  littérature  23  5 

tueront  un  prolétariat  singulièrement  dangereux  pour  l'existence 
nationale.  D'autre  pan  l'industrialisme  a  tue  4e  rèvc,  presque  la 
pensée  de  l'Helvétie  (p.  269)  ;  la  Suisse  recherche  le  succès  et  non  la 
gloire,  la  fortune  et  non  les  hautes  conceptions.  Taine  a  comparé  la 
société  à  une  forêt  qui  ne  vaut  que  par  ses  arbres  de  hautes  futaies, 
il  y  en  a  très  peu  dans  la  Suisse  contemporaine. 

Les  fonctions  que  remplit  depuis  plusieurs  années  le  capitaine  Sar- 
ron,  commandant  dans  la  gendarmerie  ottomane,  lui  ont  facilité  la 
connaissance  de  la  Turquie  ;  sa  situation  lui  a  permis  de  suivre  de 
très  près  l'es  prodromes  et  le  développement  de  la  révolution  ;  son 
témoignage  semble  donc  précieux.  Servant  en  Macédoine,  il  a  pu  fré- 
quenter le  3"'  corps  d'armée,  celui  qui  constitua  la  principale  force 
des  Jeunes-Turcs,  celui  qui  fut  le  véritable  destructeur  de  l'ancien 
régime.  On  était  donc  en  droit  d'attendre  de  lui  des  renseignements 
intéressants  sur  les  origines  et  les  tendances  du  fameux  Comité 
Union  et  Progrès  ;  mais,  ni  en  exposant  les  préparatifs  de  la  révolu- 
tion, ni  en  racontant  la  proclamation  de  la  constitution,  il  n'apporte 
du  nouveau  ou  de  l'inédit.  En  vérité,  l'histoire  de  la  réaction  et  des 
combats  qui  entraînèrent  la  chute  définitive  d'Abdul  Hamid  est  un 
peu  plus  substantielle.  Il  termine  par  un  résumé  rapide  et  un  peu 
lâché  des  débuts  de  l'ère  constitutionnelle  et  des  lois  votées  durant 
les  trois  premières  sessions  du  Parlement  turc.  Il  ne  tarit  pas  d'éloges 
sur  le  compte  du  mouvement  jeune-turc,  et  son  admiration  pour  le 
comité  Union  et  Progrès  lui  cache  tous  les  défauts  d'un  régime  qui  a 
substitué  à  la  tyrannie  d'un  seul  celle  d'un  parti  et  d'une  société  plus 
ou  moins  occulte.  Les  événements  actuels  :  l'élection  de  la  Chambre 
sous  la  pression  éhontée  du  comité,  l'indignation  qu'elle  a  suscitée 
partout,  la  rébellion  des  Albanais,  la  naissance  de  la  ligue  militaire, 
l'arrivée  au  pouvoir  d'un  cabinet  hostile  aux  jacobins  turcs,  lui  don- 
nent de  cruels  démentis.  On  ne  lui  reprochera  pas  seulement  son 
défaut  de  perspicacité,  la  picveniion  de  ses  jugements,  mais  encore 
l'absence  de  détails  nouveaux.  Les  témoins  oculaires  ne  sont  pas  tou- 
jours et  nécessairement  des  observateurs  profonds  et  utiles, 

MM.  Viallate  et  Caudel  publient  pour  la  cinquième  fois  leur  fasci- 
cule annuel  sur  la  vie  politique  dans  les  deux  mondes.  Pour  celui-ci 
comme  pour  les  précédents  ils  ont  groupé  les  collaborateurs  les 
mieux  qualifiés,  et  le  résultat  obtenu  fait  le  plus  grand  honneur  à 
tous.  L'événement  qui  a  dominé  la  vie  de  l'Europe  pendant  les  douze 
mois  qu'embrasse  ce  livre,  fut  le  conflit  franco-allemand  relatif  au 
Maroc.  Les  auteurs  lui  ont  accordée  la  place  exigée  par  son  impor- 
tance, mais  auaun  n'a  parlé  des  négociations  secrètes  de  M.  Caillaux. 
Cela  montre  assez  que,  quelle  que  soit  la  confiance  que  mérite  en 
général  cet  ouvrage,  on  n'y  trouve  pas  tout,  et  qu'il  ne  faut  y  chercher 
qu'un  icsumé  impartial  des  principaux  faits  de  l'année. 

A.  BiovÈs. 


236  RKVUE    CRITIQUE 

Aug.  Abnaum;.  Le  Commerce  extérieur  et  les  tarifs  de  douane.  Puris,  !•'.  Alcan, 
191  1 .  ln-8°,  iii-33("'  \\ 

11  est  fâcheux  que  les  économistes  soient  si  dédaigneux  de  l'histoire 
antérieure  au  xviir  siècle.  Ecrire  que  le  «  système  protecteur  a  été 
fondé  en  France  par  Colbert  »  est  déjà  assez  hardi,  même  avec  les 
correctifs  dont  on  accompagne  cette  affirmation.  Mettre  Montchré- 
tien  (le  Traité  esi  de  161  5)  après  Sully  (les  Economies  parurent  plus 
de  20  ans  plus  tard),  oublier  la  personnalité  si  curieuse  et  l'œuvre  de 
Laffemas  est  plus  grave.  Il  ne  semble  pas  non  plus  qu'il  soit  aujour- 
d'hui permis  de  parler  de  Colbert  en  ignorant  les  travaux  de  M.  Mas- 
son,  ni  du  système  mercantile  anglais  sans  connaître  ceux  de 
M.  Cunningham. 

Dans  l'étude  sur  la  réfutation  du  mercantilisme  par  les  écono- 
mistes du  xviiie  siècle,  si  un  chapitre  est  consacré  à  Quesnay,  Gour- 
nay,  beaucoup  plus  important  à  cet  égard,  n'est  pas  nommé,  et  au- 
cune allusion  n'est  faite  à  son  rôle  si  important  au  Conseil  de 
commerce.  Turgot,  mentionné  comme  minisire,  ne  l'est  pas  comme 
théoricien.  Suivant  la  tradition  de  l'école,  tout  l'honneur  de  la  cam- 
pagne est  reporté  à  Hume  et  à  Adam  Smiih. 

A  partir  du  traité  de  1786,  l'ouvrage  prend  un  caractère  histo- 
rique plus  marqué.  Cependant,  le  système  continental  est  bien  super- 
hciellement  étudié  (aucune  allusion  à  des  travaux  comme  ceux  de 
M.  Schmidt  ;  la  seule  source  citée  est  Thiers),  et  l'on  ne  parle  pas,  sans 
doute  parce  que  cela  serait  gênant  pour  la  théorie,  des  résultats  indus- 
triels du  blocus. 

On  lira  avec  beaucoup  plus  d'intérêt  l'histoire,  plus  récente,  des 
tarifs  de  1881 ,  de  1892  et  de  191  o.  Ici,  M.  A.  se  trouve  sur  un  terrain 
qu'il  connaît  à  fond.  II  y  a  là  un  exposé  de  la  législation  de  la  marine 
marchande  qui  montre  fort  bien  comment  une  protection  mal  enten- 
due se  retourne  contre  le  protégé.  Encore  l'auteur  n'a-t-il  fait 
qu'effleurer  la  question  du  monopole  du  pavillon. 

H.  Hr, 


i 


A.  \V.  HuMPHREv.  A  history  of  labour  représentation.  Londres,  Constable,  191 2. 
In-8",  XX1-199  p. 

Faire  représenter  au  Parlement  les  ouvriers  par  des  ouvriers,  c'est 
une  idée  qui  a  eu  pour  initiateur  Stuart  Mill,  pour  protagoniste 
George  Holyoake,  et  qui  commence  à  se  réaliser  lors  de  l'élection  de 
1868.  Elle  aboutit  successivement  à  la  création  d'un  Labour  group 
dans  le  sein  du  parti  libéral  après  la  troisième  réforme  électorale,  puis 
à  la  création  d'un  Labour party.  M.  A.  W.  H.,  qui  écrit  cette  histoire 
avec  l'ardeur  d'un  néophyte,  prévoit  comme  terme  prochain  de  ce 
mouvement  le  triomphe  d'un  parti  spécifiquement  socialiste. 

H.  Hr 


d'histoire  ht  de  littérature  237 

Guides  artistiques  et  pittoresques  des  Pays  de  France,  publiés  sous  la  direc- 
tion de  L.  l)iMii:i<.  1.  i.:i  Basse  Normandie  par  !..  Dimier  el  R.  Gobillot.  Paris, 
Delagravc,  s.  d.  In-i8,  5o9  p.  Une  carte  et  des  plans.  Index. 

Ces  guides  ne  ressemblent  à  aucun  de  nos  Joanne  et  de  nos  Baedeker. 
Ce  sont  vraiment  les  compagnons  des  curieux  de  sites,  d'histoire  et 
d'art,  qui  s'en  vont  sur  les  routes  comme  il  faut  y  aller,  à  pied,  et  qui 
veulent  comprendre  les  pays  qu'ils  traversent.  On  trouvera  dans  ce 
premier  volume  de  la  collection  une  description  de  Caen,  une  descrip- 
tion de  la  tapisserie  de  Bayeux,  un  Mont-Saint-Michel,  un  Saint- 
Helier,  et  surtout  le  sentiment  de  ce  que  sont  encore  aujourd'hui  ces 
petites  unités,  campagne  de  Caen,  Bessin,  Bocage,  pays  d'Auge, 
Houlme,  Merlerault,  etc.  Le  style,  un  peu  traînant,  d'une  préciosité 
archaïque,  est  un  charme  de  plus  pour  le  flâneur  que  n'emporte  pas 
le  tourbillon  du  tourisme  ultra-moderne.  Ne  demandons  pas,  au 
reste,  aux  auteurs,  de  la  sérénité  dans  leurs  jugements. 

H.  Hr. 


Th.  Go.MPERZ,  Les  Penseurs  de  la  Grèce,  Histoire  de  la  philosophie  antique.  III. 
L'ancienne  Académie  ;  Aristote  et  ses  successeurs  :  Théophraste  et  Straton  de 
Lampsaque.  Traduction  de  Aug.  Reymond.  Première  et  deuxième  édition.  Lau- 
sanne, Payot;  Paris,  Alcan,   19 10  ;  vi-Sqo  p. 

Voici  le  troisième  et  dernier  volume  des  Griechische  Denker,  tra- 
duit en  français  par  M.  Reymond.  Il  s'ouvre  par  un  chapitre  sur  l'an- 
cienne Académie,  et  est  ensuite  consacré  à  Aristote  et  à  ses  succes- 
seurs, Théophraste  et  Straton.  L'œuvre  du  Stagirite  est  envisagée 
sous  toutes  ses  faces,  et  il  n'est  pas  une  de  ses  théories  qui  ne  soit 
exposée  avec  une  ampleur  de  vues  et  une  sûreté  de  critique  auxquelles 
peu  de  savants  ont  atteint.  Pour  M.  Gomperz,  Aristote  est  «  le  clas- 
sificateur,  le  penseur  qui  passe  en  revue  et  qui  ordonne  le  monde  des 
phénomènes  »  ;  c'est  en  ne  perdant  jamais  ce  point  de  vue  qu'il  expose 
les  doctrines  aristotéliciennes,  et  cette  conception  générale  de  l'acti- 
vité du  grand  philosophe  est  particulièrement  sensible  dans  les  trois 
chapitres  où  est  étudiée  la  Rhétorique.  Ce  n'est  pas  toutefois,  pour 
dire  mon  goût  personnel,  cette  pénétrante  analyse  des  théories  psy- 
chologiques, morales,  scientifiques  et  littéraires  d'Aristoie  qui  m'a 
paru  le  plus  attachante  ;  ce  qui  m'a  le  plus  séduit,  ce  sont  les  cha- 
pitres consacrés  à  Théophraste,  où  l'originalité  de  ses  conceptions  sur 
le  monde  végétal  est  mise  en  pleine  lumière,  et  où  la  personnalité 
même  de  «  cet  homme  aimable  et  digne  de  vénération  »  est  si  finement 
caractérisée.  La  traduction  de  M .  Reymond  est  faite  avec  la  même 
maîtrise  que  celle  des  volumes  précédents  ;  lucide  et  coulante,  serrant 
de  près  le  texte  allemand,  elle  est  avec  cela  d'une  forme  et  d'une 
allure  si  françaises  qu'elle  donne  souvent  l'illusion  d'un  écrit  original. 

Mv. 


238  REVUE    CRlTIQrK 

—  MM.  Albert  Soudies  et  Henri  uk  Curzun  ont  publié,  sur  le  Faust  de  Gounod, 
un  travail  plein  de  documents  nouveaux  et  parfois  assez  inattendus  :  soit  qu'ils 
établissent  la  première  fortune  du  célèbre  opéra,  dont  on  a  souvent  dit,  à  tort, 
qu'il  ne  lut  apprécié  que  sur  le  lard  ;  soit  qu'ils  analysent,  avec  citations,  le 
livret  original,  lequel  fut  considérablement  modifie  avant  la  première  représen- 
tation et  dont  on  ne  soupçonnait  même  plus  l'existence  ;  soit  enfin  qu'ils  suivent 
d'année  en  année  son  exécution  par  un  tableau  chronologique  de  tous  les  inter- 
prètes. De  cuiieuses  reproductions  ajoutent  au  prix  du  volume  (Paris,  Fischbachcr, 
éd.  gr.  in-8".  Prix  :  '^  fr.).  —  G. 

—  M.  G.VoRETZscH  nous  envoie  la  4''  édition  de  son  Einfilhning  in  das  Studium 
der  altfran-^œsiscliot  Spraclie  pim  Selbstuiiterriclit  filr  den  Anfaengcr,  Halle, 
191 1,  in-S",  xvi-336  p.  La  Revue  critique  a  rendu  compte  dès  son  apparition  i  1902, 
1,  329)  de  cet  excellent  manuel,  dont  le  succès  a  été  vraiment  prodigieux,  et  tenu 
les  lecteurs  au  courant  des  perfectionnements  qui  y  ont  été  apportés  dans  les  édi- 
tions successives  (1904,  I,  453;  1907,  11,  238).  La  nouveauté  de  celle-ci,  accrue 
d'une  trentaine  de  pages,  consiste  dans  un  Index  méthodique  (p.  333-6),  rendu 
vraiment  nécessaire  par  le  plan  même  de  l'ouvrage,  et  dans  l'adjonction  d'une 
cinquième  partie  (p.  279-97),  comprenant  des  extraits,  avec  notices  et  notes,  des 
plus  anciens  monuments  de  la  langue.  Cette  partie  a  été  détachée  de  VEinftihrung 
in  das  Studium  der  altfr.  Literatur  du  même  auteur,  où  elle  était  en  effet  moins 
à  sa  place  qu'ici  (les  serments  et  le  fragment  àQ  Jonas  paraissent  ici  pour  la  pre- 
mière fois).  Dans  la  partie  bibliographique,  on  appréciera  surtout  la  mise  à  jour 
(p.  308-14)  de  la  «  littérature  »  grammaticale,  de  plus  en  plus  abondante  et  dis- 
persée. On  s'étonne  que  M.  V.  ait  oublié  d'y  mentionner  la  dernière  édition  de  la 
Phonétique  de  M.  Bourciez  (1907)  et  d'y  faire  figurer  les  Eléments  de  linguistique 
romane  du  même  auteur,  qui  peut  rendre  de  grands  services  même  aux  étudiants, 
s'il  en  est,  qui  s'intéressent  exclusivement  à  l'ancien  français.  —  A.  .1. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. —  Séance  du  16  août  Jgi2.  — 
M.  Henri  Cordier  donne  lecture  de  lettres  qu'il  a  reçues  de  M.  de  Gironcôurt,  en 
mission  dans  la  Boucle  du  Niger.  Dans  une  lettre  du  18  mars  (puits  d'Aghellou, 
Adrar  des  Iforas),  M.  de  Gironcôurt  raconte  son  entrevue  avec  Baye,  le  «"  saint  » 
réputé  érudit  de  l'Adrar  avec  lequel  aucun  Européen  n'avait  encore  pu  prendre 
contact.  Ce  personnage  lui  a  fourni  d'assez  nombreux  renseignements  sur  l'his- 
toire de  ces  régions  et  lui  a  permis  de  dresser  l'inventaire  de  ses  anciens  mss. 
Dans  une  lettre  du  17  avril  (Gao),  l'explorateur  rapporte  qu'il  a  pu  obtenir  du 
même  marabout  28  écrits  (i38  pages),  dont  une  très  belle  copie  d'un  tarikh  dit 
«  Fatachokar  »,  et  acquérir  grâce  à  lui  un  gros  nis.  qui  serait  le  «  Tarikh  Taraif  » 
du  cheik  Sidi  Mohammed.  Aux  alentours  de  la  ville  ruinée  d'Es-Souk,  il  a 
recueilli  environ  200  inscriptions  réparties  sur  huit  emplacements  de  nécropoles 
et,  entre  l'Adrar  et  le  Niger,  une  centaine  d'autres,  éparses  en  sept  nécropoles. 
Une  troisième  lettre,  datée  de  la  mare  de  P^ombalgo,  annonce  que  M.  de  Giron- 
court  a  obtenu  de  Mohammed  Ouguinatt,  chef  des  Kel  es-Souk,  deux  notes  assez 
longues  sur  l'histoire  des  Touareg  et  des  Sourais  ;  de  Gao  à  Ansango,  il  a  estampé 
60  stèles.  Enfin,  d'après  une  quatrième  lettre,  du  i"'  juin  i,Labzenga),  il  a  recueilli 
chez  les  Kel  es-Souk  une  vingtaine  de  généalogies  et,  de  retour  au  tleuve,  il  a 
abordé  l'étude  des  i65  stèles  gravées  qu'il  a  mises  au  jour  dans  les  nécropoles  de 
Bentia  ;  il  a  étendu  ses  recherches  aux  vestiges  de  l'ancienne  ville  de  Koukya,  où 
il  a  pu  recueillir  d'intéressants  objets. 

M.  Gagnât  donne  lecture  d'une  note  de  M.  Philippe  Fabia  sur  l'exploration 
archéologique  de  Fourvière  et  sur  les  premiers  résultats  de  la  campagne  d'été 
19 12,  dans  l'ancien  clos  des  Minimes.  La  première  tranchée,  ouverte  dans  la  par- 
tie la  plus_  élevée  du  clos,  a  remis  au  jour  les  vestiges  d'un  édifice  romain.  Les 
sondages  faits  ensuite  ont  prouvé  qu'il  n'était  pas'  isolé  :  les  vestiges  retrouvés 
jusqu'ici  ne  sont  que  ceux  de  maisons  privées.  Le  remblai  donne  surtout  des  mor- 
ceaux de  peintures  murales  aux  couleurs  admirablement  variées,  vives  et  fraîches, 
avec  des  tessons  de  poterie,  particulièrement  de   poterie  rouge  sigillée.  Parmi  les 


d'histoire    et    de    LITTERATURE  239 

vestiges  du  premier  édifice  explore,  il  faut  signaler  le  sol  de  deux  salles  conti- 
giiôs,  dont  l'une  la  plus  grande  avait  un  pavé  en  mosaïque,  l'autre  un  pave  en 
marbre  de  diverses  couleurs.  i,a  salle  pavée  en  mosaïque  mesurait  plus  de 
5o  mètres  carrés.  Son  pavement,  conserve  en  très  grande  partie,  se  composait 
d'une  large  bordure  blanche  en  très  gros  cubes  et  d'une  mosaïque  proprement 
dite,  d'environ  2D  mètres  carrés.  Sur  cette  mosaïque,  artistiquement  inférieure  à 
celle  de  Bacchus  et  des  Saisons  découverte  l'été  dernier,  on  voit  rangés  huit 
animaux.  Dans  le  rectangle  central,  un  personnage  dillorme,  un  croc  dans  la 
main  droite,  chevauche  tjn  éléphant  nain;  il  est  accompagné  d'une  inscription 
qui  pourrait  se  lire  SYG  LIBYS  ou  LIBYCVS),  Syg  étant  le  nom  barbare  du 
personnage  et  Lybis  ou  Lvbiciis  la  désignation  de  sa  patrie.  On  a  sans  doute  là  le 
portrait  ou  la  caricature  d'un  bestiaire  contemporain,  d'une  célébrité  de  l'arnphi- 
théàtre,  comme  on  voit  souvent,  sur  les  médaillons  des  poteries  gallo-romaines, 
les  figures  et  les  noms  des  gladiateurs  et  des  auriges  en  vogue. 

.\cadi';mie  df.s  Inscriptions  et  Bki.i.es-Lkttres.  — Séance  du  23  août  /g  12.  — 
M.  Perrot,  secrétaire  perpétuel,  signale  dans  la  correspondance  une  note  de  M.  le 
comte  Bcgouen  sur  une  grotte  ornée  de  gravures  et  de  peintures  préhistoriques 
découverte  par  lui  à  Mohtesquieu-Avantès  (.\riège).  —  Cette  note  est  renvoyée  à 
M.  Salomon  Reinach. 

M.  Rlie  Berger  entretient  l'Académie  d'un  document  relatif  à  des  affranchisse- 
ments de  serfs  par  la  régente  Blanche  de  Castille,  vers  i23o  ou  1202.  C'est  dans 
ses  domaines  particuliers,  dans  la  chàtellcnie  de  Pierrefonds,  que  Blanche  a  pro- 


.oguc„  r r  „. - 

rot,  Viollet  et  Babelon  présentent  quelques  observations. 

M.  Pognon,  consul  général  de   France,  rappelle  que,  d'après  une  tablette  assy- 


roi  était  non  pas  Cliouqarkib,  mais  ('hoiidourkib.  Cependant,  selon  lui,  Uioiidour- 
kip  ne  peut  pas  plus  être  un  nom  d'homme  que  Choitkarkip  \  il  pense  que  les 
trois  caractères  clinu^  doiir,  kip  doivent  être  lus  idéopraphiquement,  et  il  juge 
impossible  d'indiquer  comment  se  prononçait  en  réalite  le  nom  du  dernier  roi  de 
la  dynastie  de  Sargon  l'ancien. 

m'.  Gagnât  lit  une  note  de  M.  Alfred  Merlin  sur  les  fouilles  exécutées  à  Althi- 
buros  (Medeina).  en  Tunisie.  Commencées  en  igo8  et  interrompues  depuis  quatre 
ans,  ces  fouilles  ont  été  reprises  au  printemps  dernier.  Le  déblaiement  du  forum, 
qui  avait  été  réalisé  en  bonne  partie,  a  été  poursuivi  ;  on  a  dégagé  le  côté  N.-O. 
de  la  place,  qui  était  bordé  d'une  série  d'édicules  rectangulaires  ouvrant  sur  le 
portique;  la  plupart  sont  assez  dégradés;  cependant  trois  sont  facilement  recon- 
naissables  au  Nord.  Le  plus  grand  était  un  sanctuaire  de  Minerve.  En  saillie 
contre  le  mur  du  fond,  au  milieu,  s'élevait  une  base  au  pied  de  laquelle  on  a 
trouvé  une  statue  en  marbre  blanc  de  la  déesse.  Sur  l'attique  de  la  porte  triom- 
phale se  trouvait  une  inscription,  dédiée  à  l'empereur  Commode  entre  i85  et 
igi,  et  dont  trois  fragments,  se  rattachant  à  une  autre  déjà  insérée  dans  le  Cor- 
pus (\'ni,  1825)  ont  été  recueillis  dans  le  voisinage.  Tout  près  de  l'escalier  qui 
mène  à  un  édifice  non  encore  dégagé  contigu  au  Capitole,  on  a  déterré  la  partie 
supérieure  d'un  piédestal  qui  avait  été  dédié  à  Caracalla  en  197  et  qui  provient 
sans  doute  du  forum.  Près  de  l'angle  sud  du  forum,  on  a  recueilli  une  cpitaphe 
chrétienne.  A  3o  mètres  environ  du  même  angle,  on  a  rencontré  un  grand  monu- 
ment que  l'on  est  en  train  d'exhumer;  il  se  pourrait  que  ce  fût  un  château  d'eau. 

.\c.\ijÉ.mie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  3o  août  igi2.  — 
M.  Henri  Cordier  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  de  Gironcourt  (Sinder,  22  juin), 
où  l'explorateur  annonce  qu'il  a  mis  la  main  sur  une  importante  collection  de  mss. 
appartenant  au  marabout  songhoy  Isufi  Alilou  (livre  des  Askias,  histoires  du  Sou- 
dan, des  pays  haoussas,  histoire  des  Peuls).  Il  procède  à  la  copie  de  ces  mss., 
avec  Isufi  et  quatre  scribes. 

M.  Joseph  Déchelette,  correspondant  de  rAcadémie,  communique  une  note  sur 
les  fouilles  de  M.  le  marquis  de  Cerralbo  à  Torralba  (province  de  Soria),  en  Cas- 
tille. Ces  fouilles  ont  amené  d'importantes  découvertes,  encore  inédites,  sur  l'âge 
du  fer.  Elles  ont  porté  principalement  sur  trois  nécropoles  celtibériques  et  sur  une 
ville  fortifiée  que  l'inventeur  identifie  avec  Arcobriga  fPtolémée,  II,  6,  57). 
M.  Déchejette  insiste  particulièrement  sur  les  sépultures  d'Aguilar  de  Anguita, 
située  à  .îo  kil.  environ  de  Bilbilis  la  patrie  de  Martial,  et  rappelle  que  le  poète, 
célébrant  les  ressources  de  sa  ville  natale,  la  dit  renommée  par  ses  chevaux  et 
par   ses  eaux  :  les  fers  et  les    mors   trouvés  dans  la    nécropole    d'Aguilar   prou- 


240  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

vent  combien  cette  réputation  était  justifiée.  Martial  vante  aussi,  à  plu- 
sieurs reprises,  rexcellence  du  ter  de  liilL-iiiis  et  la  qualité  des  eaux  du  Salon 
(Jalon)  |M3ur  la  trempe  des  armes;  Pline  et  Justin  corroborent  ce  témnignage,  qui 
est  pleinement  contirmé  par  les  trouvailles  faites  dans  les  régions  immédiatement 
voismcs.  Apres  avoir  exposé  les  résultats  principaux  de  ces  fouilles,  M.  Déchcletle 
conclut  que.  sans  mécomiaitrc  l'originalité  de  la  culture  ibérique,  il  croit  que 
dans  sa  formation  l'on  doit  attribuer  aux  intlucnces  helléniques  une  part  considé- 
rable, surtout  h  partir  du  vi"  siècle,  c'est-à-dire  immédiatement  après  le  grand 
mouvement  de  la  colonisation  grecque. 

M.  Salomon  Reinach  entre  dans  quelques  détails  sur  la  nouvelle  grotte  ornée 
de  gravures  et  de  pciiilures  préhistoriques  qui  a  été  découverte  par  M.  le  comte 
hcgouen  à  Montesqnieu-Avaniès  (Ariègc).  Les  animaux  tigurés  sont  le  bison,  le 
cheval,  le  mammouth,  peut-être  un  carnassier;  il  y  a  des  images  de  petits  che- 
vaux avec  des  flèches,  gravées  sur  leurs  lianes,  procédé  magique  dont  on  connaît 
déjà  des  exemples  et  qui  avait  pour  objet  d'assurer  une  chasse  heureuse.  Les  des- 
sins de  la  nouvelle  grotte  présentent  des  particularités  de  style  qui  ne  s'étaient  pas 
encore  rencontrées.  —  M.  Reinach  annonce  ensuite  qu'il  vient  de  terminer  un 
recueil  de  gravures  au  trait  d'après  toutes  les  œuvres  d'art  connues  de  l'àgc  du 
renne. 

M.  Emile  Châtelain,  au  nom  de  la  commission  du  prix  Brunet,  donne  lecture  du 
rapport  sur  le   concours  de  cette  année. 

M.  le  V>'  Capitan  communique,  en  son  propre  nom  et  en  celui  de  M.  Peyrony, 
une  note  sur  les  trois  squelettes  humains  fossiles  récemment  découverts  à  la 
Ferrassie  et  au  Cap  Blanc  (Dordognej. 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettrks.  —  Séance  du  6  septembre  if)i^. 
—  y,.  Noël  Valois,  vice-président,  annonce  la  mort  de  Théodore  M.  Gotnperz,  corres- 
pondant étranger  de  l'Académie  depuis   1893. 

M.  Héron  de  Villefosse  communique,  au  nom  du  R.  P.  Delattre,  un  rapport  sur 
l'exploration  des  dépendances  de  la  grande  basilique  de  Damous-el-Karita.  Ces 
dépendances  comprenaient  deux  chapelles  et  plusieurs  chambres  occupées  par  des 
sépultures.  Le  P.  Delattre  y  a  découvert  des  sarcophages,  plusieurs  inscriptions 
chrétiennes,  des  mosaïques  et  divers  objets.  Dans  une  tranchée,  creusée  à  l'opposé 
du  chemin  de  Sidi-bou-Saïd,  il  a  trouvé  un  édifice  circulaire  de  9  à  i  .t  mètres  de 
diamètre  dans  lequel  il  put  pénétrer  par  la  partie  supérieure.  La  suite  des  fouilles 
lui  montra  bientôt  la  disposition  d'une  salle  exactement  ronde,  entourée  de  16  co- 
lonnes de  granit.  Entre  les  colonnes  se  trouvaient  de  hautes  niches  descendant 
jusqu'à  la  mosaïque.  Cet  important  monuinent  paraît  avoir  été  d'abord  un  baptis- 

•  i ,;      .,1.,.-      .„..l      ...,      .-U„„.^ll.>     « ^     ,,„..     ,J.,f  t  ;  .-..1  fJ/^ii       ^  ;  lï/âf/Jn  fr. 


un  savant  russe  au  roi  d'Italie.  M.  de  Ricci,  à  l'aide  de  catalogues  anglais,  retrace 
l'histoire  des  d  feuillets  manquants  dont  il  a  retrouvé  plusieurs  chez  des  collec- 
tionneurs anglais.  —  MM.  Salomon  Reinach,  Henri  Omont  et  Paul  Meyer  pré- 
sentent quelques   observations. 

Léon  Dorez. 


L'imprimeur -gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprirnerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 

N"  39  —  28  septembre  —  1912 

Unginad,  Papyri  araméens  d'Eléphantine.  —  E.  Mevkr,  Les  trouvailles  d'Eléphan- 
tinc.  —  Jastrow,  La  religion  de  rAssyro-Babyloiiic.  —  Nilsson,  Le  culte  d'Ich- 
tar.  —  JoHNS,  L'ancienne  Assyrie.  —  Capart,  Abydos.  —  O.  de  Lemm,  Mélanges 
coptes.  —  Archimèdc,  p.  Heiberg,  l.  —  Abbott,  Le  peuple  de  Rotne.  —  Brands- 
TETTER,  Le  verbe.  —  Hermelinck,  La  Réforme  et  la  Contre-réforme.  — 
ScHWARTZ,  Les  écoles  secondaires  de  Prusse.  —  Reis^ingkr,  Les  écoles  du  l'ala- 
tinat.  —  Revue  de  l'enseignement. —  Needon,  Le  recteur  Theill.  — A.  Wadding- 
TON,  Histoire  de  Prusse,  I.  —  Auerbaci?,  Instructions  des  ambassadeurs  de 
France  près  la  Diète.  —  Perrod,  Bibliographie  franc-comtoise.  —  Baudrii.i.art, 
Histoire  de  France.  —  Mots  et  choses,  III.  —  Matiiesius,  Etude  sur  le  parler 
individuel.  — Dictionnaire  des  antiquités  grecques  et  romaines,  46.  —  Académie 
des  inscriptions. 


A.  Ungnad,  Aramâiscbe  Papyrus  aus  Elephantine,  kleine  Ausgabe  unter  Zu- 
grundelegung  von  Eduard  Sachau  Ërstausgabc  :  Hilfshiichcr  zur  Kunde  des 
Alten  Orients,  4  Baiid.  Leipzig,  Hinrichs,  191 1,  vn-119  p.  iii-8". 

E.  MEVER,Der  Papyrusfund  von  Elephantine.  Dokumente  eincr  jùdischen  Ge- 
mcinde  aus  der  Perserzeit  und  das  iilteste  erhaltene  Buch  der  Weltlitefatur. 
Leipzig,  Hinrichs,  1912,  i  vol.,  128  p.  in-8°,  2  M.    ■ 

La  collection  de  papyri  et  d'ostraka  araméens  découverte  à  Ele- 
phantine au  cours  des  années  1906-1908  a  été  publiée  par  M.  Sachau 
avec  tout  l'appareil  que  comporte  l'importance  de  ces  documents.  A 
côté  de  cette  édition,  d'un  prix  peu  accessible  au.x  bibliothèques  pri- 
vées, la  librairie  Hinrichs  en  publie  une  autre,  d'aspect  beaucoup 
plus  modeste,  mais  qui  suffira  aux  besoins  de  la  plupart  des  savants. 
Les  textes  sont  donnés  en  caractères  hébreux  ;  M.  Ungnad  a  soigneu- 
sement distingué  les  restitutions  certaines  de  celles  qui  laissent  place 
à  quelque  doute,  et  marqué  l'importance  et  la  nature  des  lacunes.  Il 
a  Joint  à  son  édition  quelques  fragments  découverts  avant  1906  et 
qui  ne  se  trouvent  pas  dans  l'édition  de  Sachau.  Son  commentaire, 
sohre  et  précis,  résume  bien  les  éclaircissements  que  l'on  peut  actuel- 
lement fournir  pour  l'intelligence  de  ces  textes.  Un  glossaire  alpha- 
bétique réunit  les  mots  araméens  inconnus  à  l'araméen  biblique. 

M.  E.  Meyer  a  exposé  avec  une  grande  maîtrise  les  faits  révélés  par 
les  documents  d'Eléphantine,  les  conclusions  qui  en  ressortent  et  les 
problèmes  nouveaux  qu'ils  posent.  Il  y  trouve,  en  les  rapprochant 
de  ce  que  les  Chroniques  nous  ont  conservé  des  mémoires  d'Esdras 
et  de  Néhémie,  les  matériaux  avec  lesquels  on  peut  essayer  de  recons- 
truire l'histoire  des  origines  du  judaïsme.  Le  judaïsme  est  une  créa- 
tion de  l'empire  perse.  C'est  seulement  parce  que  les  Juifs  de  Baby- 

Nouvelle  série  LXXIV  3g 


242  REVUE    CRITIQUE 

lonie,  Esdras  et  Néhémie,  ont  réussi  à  obtenir  l'appui  du  roi  des  Perses 
qu'ils  ont  pu  imposer  aux  Juifs  de  Jérusalem  et  de  Judée  leur  réforme 
religieuse.  La  critique  moderne  avait  à  tort  suspecté  rautlicnticité 
des  textes  relatifs  à  Esdras  et  à  Néhémie.  Cette  authenticité  est  con- 
firmée d'une  manière  éclatante  par  les  textes  découverts  à  Eléphan- 
tinc.  On  y  trouve  entre  autres  copie  d'un  édit  de  Darius  II  contenant 
les  prescriptions  relatives  à  la  fête  des  azymes.  Il  n'y  est  pas  fait  men- 
tion de  l'agneau  pascal  qui,  conformément  aux  prescriptions  du  Deu- 
téronome,  ne  pouvait  plus  être  immolé  qu'au  temple  de  Jérusalem. 
Rien  n'avait  paru  plus  suspect  aux  critiques  que  l'étendue  des  pou- 
voirs donnés  à  Esdras  par  le  firman  d'Artaxerxès  I  et  la  connaissance 
exacte  du  culte  juif  qu'on  n'était  guère  disposé  à  attribuer  à  un  roi 
Perse.  Le  texte  d'Éléphantine  nous  fait  voir  ce  roi  entrant  dans  des 
détails  tout  aussi  minutieux  et  légiférant  pour  toute  la  diaspora  con- 
formément à  l'esprit  du  code  sacerdotal. 

Le  fait  que  la  colonie  militaire  juive  d'Éléphantine  avait  élevé  un 
temple  à  Jahvé  atteste  qu'elle  est  antérieure  à  l'année  621,  date  de  la 
promulgation  du  Deutéronome  qui  supprima  tous  les  lieux  de  culte 
autres  que  le  temple  de  Jérusalem.  11  ne  servirait  à  rien  d'objecter 
qu'Éléphantine  était  bien  loin  de  Jérusalem  (Ungnad),  car  la  même 
observation  vaudrait  pour  beaucoup  de  communautés  juives  qui,  pas 
plus  en  orient  qu'en  occident,  n'ont  songé  à  se  construire  un  sanc- 
tuaire moins  éloigné  que  celui  de  Jérusalem.  On  trouve  d'ailleurs  à 
Eléphantine  plus  d'un  trait  qui  nous  révèle  la  persistance  d'un  état 
de  la  religion  antérieure  la  réforme  de  621.  Jahvé  est  le  dieu  par 
excellence,  mais  non  le  seul  :  h  côté  de  lui  trônent  Asim-Bet'el  et 
Anat-Bet'el. 

Je  ne  puis  pas  résumer  ici  toutes  les  idées  que  M.  Meyer  a  déve- 
loppées à  propos  d'autres  questions,  comme  par  exemple  la  destruc- 
tion du  temple  d'Éléphantine,  sa  reconstruction  et  l'interdiction  des 
sacrifices  sanglants,  l'origine  du  roman  d'Achîqar  et  ses  rapports  avec 
la  sagesse  de  Salomon  et  les  fables  d'Ésope  et  de  Babrius.  Le  livre  de  , 
M.  E.  Meyer  est  de  ceux  qu'il  faut  avoir  lus. 

C.    FOSSEY, 


M.  Jastrow.  Aspects  of  religious  belief  and  practice  in  Babylonia  and  As- 
syria.  American  lectures  on  the  history  of  religions;  ninlh  séries  with 
54  illustrations  and  a  map  and  chronological  lists  of  the  rulers  of  Babylonia 
and  Assyria.  New-York,  Putnam,  191 1,  i  vol.  xxv-471  p.  in-8°. 

Une  rapide  esquisse  de  l'histoire  de  l'Assyro-Babylonie,  ou  plus 
exactement  des  grandes  migrations  qui  l'ont  peuplée  et  de  leurs 
apports  successifs,  sert  d'introduction  au  livre  de  M.  Jastrow.  Ensuite 
viennent  des  chapitres  sur  le  panthéon,  les  deux  systèmes  de  divina- 
tion les  plus  importants  (hépatoscopie  et  astrologie),  les  temples,  la 
magie  et  le  culte,  les  idées  sur  la  vie  future,  la  morale  et  le  code  de 


d'histoire  et  ok  littérature  243 

Haniiiuiiabi.  M.  Jastrow  reconnaît  aujourd'hui  rcxistence  d'un 
peuple  sumérien  et  de  dieux  sumériens,  au  sujet  de  laquelle  il  se 
montrait  iort  sceptique  dans  la  première  édition  de  sa  Religion  0/ 
Bab]-loniiJ  and  .liwj'r/a  (  1898)  ;  il  admet  une  langue  sumérienne  et 
objecte  seulement  que  le  svHabairc  cunéiforme  contient  des  élé- 
ments sémitiques  et  que  certains  textes  religieux  écrits  en  sumérien 
ont  pu  être  composés  par  des  Sémites,  deux  points  que  les  suméri- 
sanis  ont  accordé  depuis  longtemps.  Toutefois  M.  Jastrow  n'est  peut- 
être  pas  arrivé  à  la  vérité  par  la  meilleure  voie.  Car  il  part  de  l'exis- 
tence d'un  peuple  sumérien,  attestée  suivant  lui  par  les  monuments 
figurés  (thèse  de  M.  E.  Meyer ')  pour  aflirmer  l'existence  d'une  langue 
sumérienne  en  Babylonie.  La  thèse  de  M.  Meyer  est  discutée  et  la 
conclusion  qu'en  tire  M.  Jastrow  (p.  8)  des  moins  assurées  :  il  y  a  en 
Bulgarie  un  peuple  tartare  mais  point  de  langue  tartare.  —  A  noter 
encore  que  les  taureaux  à  face  humaine  du  palais  d'Assyrie  n'ont  rien 
à  faire  avec  Enlil  (p.  75)  :  ce  sont  des  représentations  des  bons  génies 
[sédii  ou  lamassii)  ;  que  l'extispicine  babylonienne  n'était  pas  fondée 
uniquement  sur  l'examen  du  foie  (p.  i55);  que  la  forme  Zu-En  (pour 
En-zu)  ne  se  rencontre  pas  et  que,  étymologiquement,  Sin  n'a  rien  à 
faire  avec  En-zu  (p.  211);  que  les  symboles  des  kudurru  ne  sont  pas 
les  signes  du  zodiaque  (p.  219-230J.  P.  375,  M.  Jastrow  aurait  pu 
rappeler  que  le  rapprochement  entre  Gilgames  et  Ecclésiaste,  IX, 
7-9,  a  été  fait  avant  lui  par  M .  H.  Grimme  :  0L2,  VIII,  432-438.  Au 
reste  le  livre  de  M.  Jastrow  marque  un  progrès  sensible,  surtout  au 
point  de  vue  de  l'ordonnance  et  de  la  concision  et,  de  ses  trois 
ouvrages  sur  la  religion  babylonienne,  c'est  celui  que  je  recomman- 
derais le  plus  volontiers. 

G.    FOSSEY. 


Archives  d'études  orientales,  publiées  pai  J.  A.  Lundell.  Vol.  2.  Etudes  sur 
le  culte  d'Ichtar  par  Nils  Nilsson.  —  Upsala,  Appelberg,  et  Paris,  Leroux, 
I  vol.  20  p.,  in-S". 

M.  Lundell,  professeur  de  langues  slaves  à  Upsala,  a  accepté  la 
direction  d'une  publication  nouvelle,  les  Archives  d'études  orientales, 
où  doivent  paraître  des  travaux  sur  les  langues  de  l'Europe  orientale, 
de  l'Asie  et  de  l'Afrique,  sur  les  religions  et  les  traditions  populaires. 
La  langue  de  la  rédaction  est  le  français.  On  admettra  aussi  l'anglais 
et  l'allemand  :  les  ouvrages  en  langues  Scandinave,  italienne  et  russe 
seront  accompagnés  d'un  résumé  en  français.  Est-ce  le  prélude  d'un 
retour  à  l'ancien  usage  qui  ne  reconnaissait  que  deux  ou  trois  langues 
scientifiques?  Il  faudrait  s'en  féliciter,  car  la  recherche  scientifique 
étant  pratiquée  sur  tous  les  points  du  globe,  si  chaque  savant  persiste 

I.  Cont'ormcnient  à  celte  thèse,  M.  Jastrow  aurait  dû  reconnaître  dans  les  «  têtes 
noires  »  [salmat  kakkadii  les  Sémites  et  non  les  Sumériens  (p.  70,  n.  3);  cf. 
Sumevier  iind  Semiten,  p.  2  3. 


244  REVUE   CRITIQUE 

à  vouloir  écrire  dans  sa  langue,  la  bibliogiapliie  d'un  sujet  quelconque 
deviendra  bieniôt  un  véritable  Babel  où  d'excellents  travaux  seront 
enfouis  et  ignores. 

Les  premiers  cahiers  des  Archives  orientales  sont  consacrés  à  des 
Etudes  phonologiques  sur  le  dialecte  arabe  vulgaire  de  Beyrouth  par 
M.  E.  Mattsson  (i)  aux  Débuts  de  la  cartographie  du  Japon^  par 
M.  E.W.  Dahlgren  (4),  à  des  Etudes  sur  le  culte  d'Ichtar,  par  N.  Niis- 
son  (2).  Ce  travail  sur  Istar  est  le  dernier  chapitre  d'une  thèse  où 
l'auteur,  mort  prématurément,  étudiait  la  déesse  dErech  dans  l'épopée 
de  Gilgames,  l'Hiéroduleet  l'Etranger.  La  singulière  coutume  décrite 
par  Hérodote  et  qui  obligeait  toute  Babylonienne  à  se  prostituer  une 
fois  en  sa  vie  à  un  étranger  dans  le  temple  d'Istar  y  est  étudiée  et 
comparée  aux  usages  plus  ou  moins  similaires  d'autres  peuples.  Les 
différentes  explications  qu'on  en  a  proposées  sont  énumérées  et  cri- 
tiquées. M.  Nilsson  compare  notamment  le  rôle  de  l'étranger  à  celui 
du  prêtre  auquel  chez  plusieurs  peuples  on  confie  la  défloration  de  la 
femme  pour  assurer  sa  fécondité  :  l'étranger  est  supposé  doué, 
comme  le  prêtre,  d'un  certain  pouvoir  magique.  Ainsi  s'expliqueraient 
les  paroles  que  l'étranger  prononçait  en  jetant  sa  pièce  de  monnaie 
sur  les  genoux  de  la  Babylonienne  :  «  J'implore  pour  toi  la  déesse 
Mylitia  »  (=  muallittu^   celle  qui  aide  à  enfanter). 

G.  FossEV. 

C.    H.   W.   Johns.    Ancient    Assyria.    Cambridge,    University    Press,    i     vol., 
175  p.,  in-i2. 

M.  Johns  a  résumé  en  i5ô  pages  l'histoire  de  l'Assyrie  depuis  les 
origines  jusqu'à  la  chute  de  Ninive.  Ce  précis,  publié  dans  une  biblio- 
thèque de  vulgarisation,  pourra  néanmoins  servir  d'aide-mémoire  aux 
orientalistes  car  il  est  exact  et  à  jour.  Je  m'étonne  toutefois  de  voir 
Opis  placée  sur  la  carte  au  confluent  de  l'Adhem  et  du  Tigre.  Winck- 
1er  a  démontré  qu'il  fallait  chercher  celte  ville  aux  environs  de  Séleucie 

et  de  Ctésiphon. 

G.    FOSSEY. 


Jean  Capart,  Abydos,  le  Temple  de   Séti  I'^   Etude  générale,  1892,  Bruxelles, 
Rossignol  et  Van  den  Bril,  10-4»,  42  p.,  5o  pi.  et  i  plan  en  phototypie. 

Le  volume  de  Gapart  sur  Abydos  procède  de  la  même  conception 
que  son  choix  de  monuments.  Il  s'agit  pour  lui  de  fournir  aux  Egyp- 
lologues  et  aux  savants  du  dehors  des  reproductions  peu  coûteuses 
des  documents  relatifs  à  l'histoire  de  l'art,  stèles,  statues,  tombeaux  et 
temples.  D'un  côté  en  effet  les  collections  de  planches  dessinées  à  la 
main  ou  ne  prétendent  pas  exprimer  exactement  le  style  des  objets 
reproduits,  ou  le  faussent  par  trop  souvent,  comme  c'est  le  cas  pour  les 
Denkmàler  de  Lepsius,  ou  ne  le  conservent  qu'à  moitié  comme  dans 
le  Tell-Amarna  de  Davies,  et  d'autre  part   les   recueils  de   photogra- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  24D 

vures  ou  de  phototypies,  comme  le  Voyage  dans  la  Haute-Egypte  de 
Mariette  et  les  Denkmaler  der  ^Egyptischen  Skulptiir  de  Bissing,  sont 
d'un  prix  qui  les  fait  inabordables  au  gros  des  étudiants.  Des  ouvrages 
à  bon  marché,  tels  que  cet  Abydos,  permettront  à  tous  ceux  que  l'art 
égyptien  intéresse  de  se  procurer,  sans  peine,  les  moyens  de  l'appré- 
cier par  eux-mêmes. 

Peut-être  Capart  cxagère-t-il  les  difficultés  qu'il  y  a  à  étudier  posé- 
ment le  temple  de  Sétouî  I".  Depuis  six  ou  sept  ans,  le  Service  des 
Antiquités  possède  au  voisinage  une  cahute  sans  prétentions,  où  non 
seulement  Lefebvre  mais  d'autres  personnes  ont  séjourné  a  volonté  : 
pourvu  qu'on  amène  avec  soi  un  domestique  arabe  capable  de   faire 
un  peu  de  cuisine,  on    peut   passer  là    quelques    jours   et  au  besoin 
quelques  semaines.  La  raison  pour  laquelle  ces  ruines  ont  été  négli- 
gées par  les  Egyptologues  est  moins  l'éloignemeni  des  hôtels,  que  la 
répugnance  à  s'attarder  dans  des    monuments  où   l'on    n'a   plus   la 
chance  de  découvrir  des  inscriptions  historiques   ou   des   objets  de 
Musée.  A  de  rares  exceptions  près,  notre  école   actuelle   s'occupe  de 
philologie,  d'archéologie,  d'histoire  politique  ou   religieuse  plus  que 
d'histoire  de  l'art,   et  les  bas-reliefs  admirables  de   Sétouî  I^^  ou  de 
Ramscs  II  parlent  moins  à  son  esprit  que  des  stèles  ou  des  papyrus 
mal  écrits  mais  remplis  de  dates  ou  de  faits.  On  a  copié  plusieurs  fois 
tout  ou  partie  du  tombeau  de  Sétouî  l*^'"  :  on  a  négligé  jusqu'à  présent 
d'en  publier  par  la    photographie    les    dessins  et  les    bas-reliefs    de 
manière  à  les  rendre  dans  toute  leur  beauté.  Ce  sera,  je  l'espère,  une 
des  entreprises  prochaines  de  Capart,   et  qui   sera  plus  difficile  que 
celle  d'Ahydos,  mais  aussi  utile.  Le  texte  ne  contient  qu'une  descrip- 
tion rapide  des  salles,  où  sont  mêlées  des  remarques  ingénieuses  et 
fines,   sur  les  motifs  qui  ont  déterminé  les  Egyptiens  à  choisir  les 
motifs  de  la  décoration  murale  et    à  les  combiner   de  telle  manière 
plutôt  que  de  telle  autre.  Les  planches  ne  sont  pas  toutes  aussi   bien 
venues  l'une  que  l'autre  :  sans  parier  des  déformations,  assez  légères 
du  reste,  que  l'emploi  d'un  appareil  de  dimensions  médiocres  et  par- 
fois le  manque  de  recul  ont  infligées  à  plusieurs  d'entre   elles,  d'au- 
tres sont  troubles  et  manquent  de  netteté.  Pourtant  la  plupart  sont 
fort  bonnes  et  elles  produisent   en   petit  l'impression  de    l'original, 
ainsi  le  Sétouî  allaité  par  Maout  (pi.  XIV),  les   Nils  porte-offrandes 
(pi. XV),  le    Sétouî    posant   la   couronne    sur     le     front    de  Tàmou 
(pi.  XXVI),  le  Sétouî  offrant  le  vin  à   Isis  (pi.  XXXVI)  ou  préparant 
l'autel  pour  Harendotês  (pi.  XLI).  Je  regrette  de  ne  pas  voir  le  tableau 
où  Sétouî  vient  à  la  rencontre  d'Osiris  accompagné  des  déesses,  qui 
est  le  chef-d'œuvre  des  artistes  de  l'école  thébaine  à  cette  époque.  N'y 
aura-t-il  pas  bientôt  un  second   volume   où    nous  trouverons  ce  qui 

manque  à  celui-ci  ? 

G.  Masi'Ero. 


246  REVUE    CRITIQUE  | 

O.  i>K  I.KMM,  Koptische  Miscellen,  <:vi-cviii,  cix-cxiii,  cxiv-cxx  (trois  extraits  du 
Bulletin  de  i Ac.iAémic  des  Sciences  de  St-Pètersàouig,  1  g  i  i-j  f)  1  2),  St-l'ctcrs- 
bourg,  lyi  1-1912,  in-H",  24-39-28  p. 

Les  trois  fascicules  nouveaux  dos  Koptische  Miscellen  contiennent 
surtout  des  corrections  apportées  à  des  textes  publics  par  d'autres 
savants,  aux  versions  sahidiques  de  la  Dormitio  Maria' {'^  CVl),  aux 
Coptic  tcxls  on  St-Thcodore  thc  General  \^  CVil,  GIX]  et  aux  frag- 
ments de  la  Vita  S.  Matlnvi  Pauperis  ^  CXj  de  Winstedt,  aux  (.Euvres 
de  Schenoudi  \^  CXVIIl,  CXIX)  d'Amélineau.  On  y  trouve  également 
quelques  pages  inédites  d"un  discours  de  St-Athanasc  {§  CXIII',  mais 
ce  qui  en  fait  l'intérêt  principal  pour  les  Egyptologues,  ce  sont  les 
études  parfois  assez  développées  qui  ont  été  consacrées  à  des  mots 
inconnus  ou  mal  interprétés  jusqu'à  présent,  à  hloolé  dans  le  sens  de 
bercer  [%  CM II),  au  verbe  bôsh  et  à  ses  dérivés,  mettre  à  nu,  dévêtir, 
dépouiller  (>^  CXIV),  à  saate  pluriel  de  sot  qui  signilie  saletés,  excré- 
ments (S  CXVI),  au  Thébain  sôpé  forme  de  sôbé  T.,  subi  M.,  qui 
marque  Vourlet  d'un  vêtement  ou  le  liteau  d'une  pièce  d'étoffe 
(§  CXVIl).  La  note  sur  la  locution  thébaine  térrompé,  térompé 
(§  CXII),  transcription  de  l'ancien  égyptien  tanou-ranpit,  tanranpi, 
tenrompé,  comme  le  memphitique  en-tenrompi,  chaque  année,  est 
particulièrement  instructive.  L'assimilation  de  n  à  r-l,  qui,  rare  dans 
le  thébain  ordinaire,  est  fréquente  dans  le  thébain  ancien,  explique 
comment  les  formes  en  hr  de  la  ■/.o-vr^  raniesside,  telle  que  banrou, 
sont  devenues  en  copte  bol-bôl-bél  :  la  voyelle  intercalée  entre  n  et  r 
de  tanouranpit  étant  atone  s'est  amuie,  mais  elle  existait  à  l'origine  ; 
nous  devons  en  déduire  que,  dans  les  mots  du  type  banrou,  la  voyelle 
que  l'orthographe  de  n  semble  indiquer,  existait  de  même  réellement, 
et  qu'ils  se  prononçaient  bânourou,  avec  accent  sur  ba.  Cette  observa- 
tion nous  oblige  à  écarter  l'hypothèse  d'après  laquelle  nr  n'aurait 
été  dans  ces  formes  qu'une  graphie  destinée  à  noter  une  prononcia- 
tion particulière  du  signe  ra-rou.  C'est  bien  une  troisième  radicale 
que  cet  n-nou  marque,  mais  comment  s'est-elle  introduite  dans  des 
racines  où  les  textes  antérieurs  à  laXII*^  dynastie  nous  montrent 
qu'elle  n'existait  pas  à  l'origine  ? 

G.  Maspero. 


Archimedis  opéra  omnia  cum  commentariis  Eutocii  iterum  edidit  J.  L.  Heiberg, 
Volumen  I.  Leipzig,  Teubner,  1910;  xii-445  p.  [Bibl.  script,  grcvc.  et  rom.  Teiib- 
neriana). 

La  première  édition  des  œuvres  d'Archimède,  par  M.  Heiberg,  a 
paru  il  y  a  déjà  trente  ans.  Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  comment  le 
savant  professeur  de  Copenhague  a  été  amené  à  en  donner  une 
seconde  édition.  Ce  n'est  pas  seulement  parce  que  V.  Rose  a  décou- 
vert un  secours  critique  d'une  haute  importance,  l'interprétation 
latine  de  Guillaume  de  Moerbeke;  c'est  surtout  parce  qu'un  nouveau 


d'histoire  et  de  littérature  247 

manuscrit  a  été  connu,  un  palimpseste  du  Patriarcat  grec  de  Jérusa- 
lem, transporté  depuis  à  Constaniinople,  où  M.  H.  put  Tétudier.  Ce 
manuscrit,  fort  mutilé,  contient  en  effet,  outre  des  parties  de  traités 
d'Archimède  déjà  publiés,  plusieurs  œuvres  inédites  plus  ou  moins 
complètes  :  le  Traité  des  corps  flottants,  connu  jusqu'ici  seulement 
par  une  traduction  latine,  le  Stomachion,  et  VEphodique,  dont  M.  H. 
a  donné  dans  ï Hermès  le  texte  grec,  et  qui  fut  immédiatement  tra- 
duit en  français  par  M.  Th.  Reinach  (1907).  Une  édition  nouvelle, 
comme  le  dit  avec  raison  M.  H.,  semblait  donc  non  seulement  dési- 
rable, mais  absolument  nécessaire.  Les  traités  nouveaux  ne  sont  pas 
publiés  dans  ce  premier  volume,  qui  contient  les  deux  livres  de  la 
Sphère  et  du  Cylindre,  la  Mesure  du  Cercle,  et  les  Conoïdes  et  Sphé- 
roïdes. Le  texte,  qu'accompagne  en  regard  une  traduction  en  latin, 
est  établi  sur  des  manuscrits  que  M.  H.  doit  décrire  dans  les  prolé- 
gomènes du  troisième  volume  ;  il  est  pourvu  de  notes  critiques  et 
de  notes  explicatives  où  M.  H.  essaie  de  retrouver  les  expressions 
mêmes  d'Archimède  ;  car  les  traités  de  la  Sphère  et  de  la  Mesure  du 
Cercle  ont  subi  de  la  part  du  transcripteur  un  certain  nombre  d'alté- 
rations, au  point  qu'il  est  difficile  de  restituer  le  texte  original  ;  on 
notera  d'ailleurs  que  ces  traités. ont  perdu  leur  forme  dorienne,  et  que 
les  termes  mathématiques  n'y  sont  pas  ceux  qu'Archimède  a  dû 
employer  ;  la  forme  originale  a  été  parfois  conservée  dans  le  commen- 
taire d'Eutocius. 

My. 


Frank  Frost  Abbott,  The   common  people  of  ancient  Rome,  New  York,  191  r, 
à  la  librairie  Scribncr  et  fils,  290  p.,  in-80. 

Ce  livre  est  une  série  d'articles  de  vulgarisation  qui  se  rapportent 
tous  plus  ou  moins  à  la  vie  des  classes  inférieures  à  l'époque  romaine. 
M.  Abbot  a  successivement  exposé  ce  qu'était  le  latin  populaire,  la 
poésie  populaire,  telle  que  nous  la  connaissons  par  les  épitaphes  et 
les  ex-votos,  le  roman  réaliste  dont  le  type  est  le  Satiricon,  ce  qu'on 
peut  savoir  du  prix  de  la  vie  (édit  de  Dioclétien),  ce  que  les  classes 
pauvres  devaient  à  la  munificence  des  riches  (édifices  élevés  à  Rome 
et  dans  les  villes  de  province),  comment  fonctionnaient  les  corpora- 
tions ouvrières.  Le  livre  se  termine  par  une  étude  sur  C.  Scribonius 
Curio,  ami  de  Cicéron,  et  G.  Matins,  ami  de  César.  L'auteur  est  au 
courant  de  l'état  actuel  de   la  science  sur  toutes  ces  questions;  son 

volume  sera  lu  avec  intérêt. 

R.  C. 


R.  Brandstetter,  Das  Verbum,  dargestellt  auf  Grund  einer  Analyse  der  bcstcn. 
Texte  in  vierundzwanzig  indonesischen  Sprachcn.  Lucerne  (Haag),  191 2,  in-8°, 
70  p.  {R.  Brandstetters  Monographien  ^î/r  Indonesischen  Spracliforschung,  IX). 

Un   linguiste   peut  rarement    faire    une    lecture    aussi    savoureuse 


24S  REVUE    CRITIQUE 

que  l'est  celle  de  la  brochure  de  M.  Brandstetter.  En  162  petits  para- 
graphes, dont  presque  chacun  offre  une  formule  précise,  appuyée 
d'un  ou  deux  exemples  lumineux,  l'auteur  expose  tous  les  traits 
essentiels  du  système  verbal  indonésien  :  structure  des  formes  et 
emploi  des  formes.  I.e  travail  repose  sur  un  examen  direct  de  textes 
que  l'on  possède  en  une  vingtaine  d'idiomes  indonésiens  apparte- 
nant aux  portions  les  plus  diverses  du  vaste  domaine  couvert  par 
ces  langues;  et  en  même  temps,  M.  Brandstetter  tire  parti  des 
formes  plus  ou  moins  anciennes,  là  où  l'on  en  possède,  à  Java  et  à 
Madagascar;  pour  Bornéo,  il  recourt  à  une  langue  religieuse  qui 
présente  des  particularités  intéressantes  pour  le  comparatiste  et  que 
le  dayak  ne  connaît  pas.  M.  Brandstetter  pose  ainsi  peu  à  peu,  avec 
une  méthode  excellente,  avec  une  rare  clarté  et  une  singulière  fer- 
meté de  doctrine,  la  grammaire  comparée  des  langues  indonésiennes, 
dont  quelques  savants  comme  M.  Kern  avaient  indiqué  la  portée,  mais 
que  personne  n'avait  constituée.  L'auteur  annonce  trois  nouvelles 
brochures,  dont  l'une  sera  relative  à  la  syntaxe  et  l'autre  à  la  phoné- 
tique comparée  du  groupe  indonésien.  On  en  attendra  la  publication 
avec  la  plus  vive  impatience. 

A.    MEILLt:T. 


Handbuch  der  Kirchengeschichte  fiir  Studierende,  herausgegeben  von 
Gustav  Krûger.  Teil  III  :  Reformation  und  Gegenreformation,  bearbeitct  von 
Lie.  Heinrich  Hcrmelink.  Tubingcn,  Mohr  (P.  Sicbeck),  191 1,  xiii-328  p.  8", 
Prix  :  6  fr.  25. 

Ce  nouveau  manuel  d'histoire  ecclésiastique  fait  son  apparition 
d'une  façon  quelque  peu  bizarre.  Le  quatrième  volume,  traitant  des 
temps  modernes,  a  paru  le  premier,  en  1909,  rédigé  par  M.  H.  Ste- 
phan  ;  maintenant  c'est  le  troisième  qui  voit  le  jour,  consacré  à  la 
période  de  la  Réforme  et  de  la  Contre-réformation  par  M.  H.  Her- 
melinck.  Les  deux  premiers  tomes  de  l'ouvrage  Antiquité  q\  Moyen- 
dge)  paraîtront  plus  tard  seulement. 

Imprimé  en  caractères  très  fins,  en  lignes  très  serrées  ',  le  volume 
de  M.  Hermelinck,  contient,  en  un  espace  assez  restreint,  des  indica- 
tions abondantes  pour  l'histoire  religieuse  du  xv!""  et  du  xviT  siècle  ^ 
et  s'il  devait  encourir,  au  point  de  vue  des  détails,  un  reproche, 
c'est  plutôt  celui  d'en  fournir  en  trop  grand  nombre  que  trop  peu. 
Peut-être  aussi  fait-il  une  place  trop  considérable  à  l'histoire  géné- 
rale de  cette  période.  Le  livre  est  bouiré  de  faits,  de  noms  propres,  de 
chiffres  divers,  placés  tous  un  peu  sur  le  même  plan  ;  c'est  un  bon 
manuel  pour  des  savants  expérimentés,  désireux  de  vérifier  rapide- 

1.  En  outre  l'auteur  a  supprimé  les  points  et  les  virgules  entre  les  noms  et  pré- 
noms des  auteurs  dans  les  notes  bibliographiques  très  abondantes,  ce  qui  les 
rend  très  fatigantes  à  déchift'rer. 

2.  Pour  cerlains  chapitres  le  récit  s'étend  assez  souvent  dans  le  xviii'  siècle. 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  249 

ment  une  donnée  quelconque  de  Thisioire  ecclésiastique,  mais  il 
me  semble  moins  propre  à  être  utilisé  par  des  étudiants,  surtout  débu- 
tants, qui  auront  quelque  peine  à  se  reirouvcr  dans  ce  fouillis  de 
renseignements  très  utiles  à  coup  sûr,  mais  qui  n'ont  pas  tous  pour- 
tant la  même  importance.  Si  l'Allemagne  tient  naturellement  la  plus 
large  place  dans  ce  volume,  on  ne  peut  dire  cependant  que  les  autres 
pays  de  l'Europe  soient  négligés  ou  qu'il  y  ait  des  lacunes  notables 
dans  l'exposition  des  luttes  confessionnelles  du  temps.  C'est  à  peine 
si  çà  et  là  les  préoccupations  religieuses  ou  politiques  de  l'auteur  l'en- 
traînent h  des  affirmations  contestables  '  ;  mais  le  nombre  des  fautes 
d'impression  —  en  admettant  que  le  typographe  soit  le  coupable  et 
non  pas  l'auteur  lui-même  —  est  assez  considérable  \  Le  style,  d'un 
laconisme  voulu,  est  parfois  émaillé  de  locutions  qui  jurent  avec  la 
gravité  de  l'histoire  '' ;  l'on  regrettera  aussi  que  M.  H.  n'ait  joint 
à  son  volume  qu'une  table  des  noms  de  personnes,  en  négligeant  d'y 
ajouter  une  table  des  noms  de  lieux,  au  moins  aussi  nécessaire. 

E. 


Paul  ScHWARTz.  Die  Gelehrtenschulen  Preussens    unter  dem  Oberschulkolle- 

gium    (1787-1806]  und   das   Abiturientencxamen.   2.  Band,  Berlin,  Weidmann, 

1911,80,  p.   549,  mk.  14;  3.  Band,ibid.,  191  2,  p.  648,  mk.  16,  80  {Momtmenta 

Germanica  Paedagogica,  vol.  48  et  5o). 
K.  Reissinger,  Dokumente  zur  Geschichte  der  humanistischen  Schulen  der 

Bayerischen  Pfalz,  2,  Band.  Ibid.,   191  r.  S"  p.  666,  mk.  17  (Même  collection, 

vol.  49). 
Zeitschrift  fiir  Geschichte  der  Erziehung  und  des  Unterrichts  (Neue  Folge 

der  Mitteilungen  der  Gesellschaft  fin-  deiitsche  Eviiehungs-und  S chtil geschichte), 

Erster  Jahrgang '4  Hefte).   Ibid..  1911,8".,  p.  814. 
R.  Needon,  Die  Lectionum  Praxis  des  Magisters  Johannes  Theill   [Beitràge 

:{iiy  Geschichte  der  Er^ieliung  und  des  Unterrichts  in  Sachsen).  Ibid.,  191 1,  8°, 

pp.  2G  et  I  10. 

I.  J'ai  annoncé  dans  la  Revue  du  i3-20  octobre  1910  le  premier 
volume  de   l'ouvrage  de  M,   Schwartz.    La  seconde  moitié  en   était 

1.  Ainsi  p.  92,  on  n'a  pas  besoin  d'être  un  «  cynique  falsificateur  »  de  la  con- 
duite de  Luther,  pour  désapprouver  sa  conduite  dans  la  guerre  des  Paysans.  On 
se  demande  aussi  pourquoi  l'auteur  affirme  (p.  iSg)  que  Genève  était  «  alle- 
mande d'origine  ». 

2.  P.  27.  André  Proies  n'est  pas  mort  en  i563  mais  en  i5o3.  — P.  3i.  Léon  X 
n'a  pu  accorder  d'indulgences  en  i53o  puisqu'il  est  mort  en  i52i.  —  P.  121.  Ce 
n'est  pas  en  154-  que  Martin  Bucer  se  rendit  en  Angleterre,  mais  en  i54g. — 
P.  iby.  Gérard  Roussel  ne  fut  pas  évéque  d'Oléron  mais  d'Oloron.  —  P.  210. 
Henri  le  Balafré  et  son  frère  le  cardinal  de  Guise  ne  furent  pas  assassinés  «  dans 
un  accès  de  rage  »  mais  avec  préméditation.  —  P.  211.  Ramus  ne  s'appelait  pas 
Pierre  de  Ramée  mais  Pierre  La  Ramée.  —  P.  239.  L'exposé  chronologique  de  la 
Guerre  des  Evèques  est  erroné.  —  P.  285.  Le  prénom  de  M.  Erdmannsdoerfer 
est  Bernard  et  non  Benno.  —  P.  287.  Ce  n'est  pas  Ferdinand  //  mais  Ferdi- 
nand III  qui  est  mort  en  1657,  etc.,  etc. 

3.  Par  exemple  p.  285,  où  il  est  question  des  «  coups  de  pied  que  Louis  XIV 
distribuait  partout  >>, 


250  REVUE    CRITIQUE 

constituée  par  une  revue  des  différentes  écoles  secondaires  après  la 
reforme  de  VAbitiirient.  Cette  revue  est  continuée  dans  les  deux  nou- 
veaux volumes  consacrés  aux  provinces  de  Poméranie,  de  la  Nouvelle 
Marche,  de  la  Marche  Electorale,  pour  le  second,   et  aux  autres  par- 
ties de  la  monarchie  prussienne,  pour  le  troisième.  Comme  pour  les 
écoles  de  la  région  orientale,  l'auteur  donne  sur  chaque  établissement 
de    minutieux  renseignements   fournis    par    les  dossiers  du    Conseil 
supérieur  de  l'Enseignement  :  situation  au  moment  de  l'introduction 
de  VAbitiirient,    personnel,   fréquentation    scolaire,    discipline,   pro- 
grammes des  études,  horaires,  livres  classiques,  rapports  des  maîtres 
sur  leur  enseignement,  parfois  aussi  rapports  d'inspection  (ceux  de 
Meierotto  et  de  Gedike  sont  des  modèles),  propositions  de  réformes, 
etc.;   puis,  année  par  année,  en  général  de  1789  à   1806,  comptes- 
rendus  détaillés  de  l'examen  écrit  et  oral  de  VAbitiirient,  avec    des 
fragments  de  copies  des  élèves  et  des  tableaux  d'ensemble  de  tous  les 
candidats  pour  la  période  en  question.  Il  se  rencontre  parfois  dans  ces 
listes  des  noms  illustres  :  je  signale  pour  la  session  de  mars  1792  du 
Friedrichswerder-Gymnasium  ceux  de  Tieck  et  de  Wackenroder,  qui 
ont  obtenu  tous  deux  des  certificats  très  flatteurs.  Il  y  aurait  dans  cette 
masse  de  pièces  originales   bien    des    détails  curieux   à   relever,   en 
dehors  de  ce  qui  touche  à  l'histoire  de  l'éducation.  On  est  par  exemple 
frappé  de  l'intérêt  porté  jusqu'au  fond  de  la  Poméranie  ou  du  Brande- 
bourg aux  événements  contemporains  de  la  Révolution  française  et 
de  l'Empire  naissant  ;  on  n'est  pas  moins  surpris  de  l'ignorance  de  sa 
propre  littérature  dans  laquelle  cette  jeunesse  semble  vivre.   C'est  à 
peine  si  Wieland,  Goethe  et  Schiller  sont  nommés  et  plus  rarement 
encore  Lessing  ou   Herder;  mais  innombrables  sont  les  traces  qu'a 
laissées  le  rationalisme,  V AiifklàKung .  A  cet  égard,  Tenquête  de  l'his- 
torien offre  un  intéressant  reilet  du  siècle  philosophique  et  de  l'in- 
fluence exercée  par   nos    écrivains  sur  l'Allemagne  contemporaine; 
parmi  les  auteurs  français  le  plus  en   honneur  il   faut  mettre  en  pre- 
mière ligne  Voltaire  et  Fénelon  :  la  Henriade  et  le  Télémaqiie  se  dis- 
putent les  honneurs  de  la  traduction.  M.  Sch,  a  terminé  cette  série 
de  monographies  des  Gelehrtenschulen  prussiennes  en  reproduisant  la 
correspondance   échangée    entre  les  commissions   d'examen    ou    les 
autorités  scolaires  et  le  Conseil  supérieur  qui  veillait  avec  une  atten- 
tion inlassable  sur  le  bon  fonctionnement  de  la  réforme,  relevant  l'in- 
dulgence coupable  des  examinateurs  ou  le  choix  inopportun  des  ques- 
tions posées.  Enfin  les  derniers  chapitres  étudient  deux  autres  genres 
d'épreuves  qui  se  rattachent  à  VAbitiirient.   L'une  était  l'examen  que 
subissaient  les  Kantonistes,  c'est-à-dire,  les  fils  de  bourgeois  ou  de 
paysans  astreints  au  service   militaire  et  réclamés  par  le  régiment  de 
leur  canton;  certains  voyaient  dans  les  études  universitaires  au  moyen 
d'échapper  à  cette  charge,  et  un  examen  subi  vers  la  treizième  année 
devait  décider  s'ils  étaient  aptes  ou  non  à  continuer  les  études  clas- 


d'histoire    et    de    LITTERATURE  2DI 

siques  pour  éviter  rcnrôlcmeni  par  la  qualité  d'étudiants.  L'autre 
épreuve  était  celle  qui  attendait  à  l'Université  les  jeunes  gens  qui 
s'étaient  présentés. sans  être  munis  de  leur  certiticat  de  maturité;  de  ce 
coté  aussi  la  négligence  ou  l'hostiliic  des  professeurs  risquaient  de 
compromettre  les  efforts  du  Conseil  supérieur.  Un  triple  index  de 
5o  pages  permettra  de  tirer  tout  le  parti  convenable  des  riches  docu- 
mente si  patiemment  réunis  par  M.  Schwartz. 

II .  Ce  sont  aussi  des  dossiers  scolaires  qu'a  dépouillés  M.  Reissin- 
ger.  Les  pièces  qu'il  avait  déjà  fournies  dans  un  premier  volume 
(V.  Revue  du  8  juillet  191  i),  à  la  suite  de  son  histoire  des  écoles 
secondaires  du  Palatinat  bavarois,  se  rapportaient  aux  instituts  épis- 
copaux  de  Spire.  Le  second  volume  nous  donne  celles  qui  sont  rela- 
tives aux  établissements  laïques  soit  du  duché  de  Deux-Ponts,  soit  de 
la  ville  impériale  de  Spire.  Il  y  a  en  tout  dans  les  deux  volumes  i23 
pièces,  allant  de  q83  à  18  10,  et  beaucoup  sont  d'une  étendue  consi- 
dérable. Pour  la  plupart  ce  sont  des  règlements  scolaires,  des  rapports 
d'inspection,  des  programmes  d'études,  des  consultations  demandées 
à  des  éducateurs  éminents  du  temps,  comme  au  théologien  strasbour- 
geois  Marbach  en  i558,  à  Gesner  en  1754;  ce  sont  aussi  des  nomina- 
tions de  maîtres,  des  compositions  d'examen  de  candidats  à  une  chaire, 
des  certiticats  scolaires,  des  devoirs  d'écoliers,  des  discours  solennels 
qu'en  quittant  l'établissement  les  élèves  prononçaient  en  hébreu,  en 
grec,  en  latin,  en  français,  en  prose  ou  en  alexandrins  allemands. 
Tous  ces  documents  ont  été  édités  par  M.  R.  avec  un  grand  scrupule  ' 
(était-il  indispensable  de  respecter  toutes  les  bizarreries  orthogra- 
phiques des  originaux  ?),  et  si  petit  que  soit  le  domaine  qu'ils  concer- 
nent, leur  importance  pour  l'histoire  de  l'éducation  en  Allemagne  est 
essentielle.  On  y  glanerait  aussi  bien  des  renseignements  d'ordre  éco- 
nomique ou  littéraire.  Ainsi  la  pièce  56  sur  l'organisation  de  l'internat 
de  l'école  de  Hornbach  est  pleine  de  détails  précieux  sur  la  vie  maté- 
rielle du  temps;  à  titre  d'exemple  du  second  cas,  les  prospectus  de 
Bahrdt,  le  fondateur  du  philanthropinum  de  Heidesheim,  éclairent  le 
personnage  immortalisé  par  Goethe  et  le  surnom  qu'il  en  a  gardé  de 
«  Bahrdt  au  front  de  fer  »  ne  surprend  plus  après  la  lecture  de  ces 
rodomontades.  Il  faut  remercier  M.  R.  du  zèle  qu'il  a  déployé  à  nous 
rendre  facile  l'accès  de  tous  ces  documents. 

III.  L'ancien  Bulletin  de  la  Gesellschaft  fur  deulsche  Er:{iehungs- 
iind  Schulgeschichte  a  pris,  après  vingt  ans  d'existence,  un  nouveau 
titre  et  est  devenu  une  Revue  de  VHistoire  de  VEducation  et  de  l'En- 
seignement. La  direction  se  propose,  en  restreignant  la  place  faite  à 
l'histoire  purement  locale,  de  coordonner  davantage  les  recherches 
dans  le  champ  de  la  pédagogie    historique  et  d'étendre  les  études  de 

I.  P'crire  p.  333"  Dumarsais,  et  non   Damarsais. 


252  REVUE    CRITIQUE 

son  domaine  h  rantiquitc  et  aux  pays  autres  que  TAllcmagne  ;  elle 
fournira  ainsi  des  matériaux  à  une  discipline  encore  à  naître,  la  science 
de  l'histoire  comparée  de  renseignement. 

Nous  avons  reçu  les  quatre  fascicules  qui  constituent  le  premier 
volume  de  la  Revue  transformée.  Ils  contiennent  plusieurs  articles 
d'un  grand  intérêt,  mais  je  ne  puis  que  signaler  les  plus  importants. 
Parmi  les  publications  de  documents,  M.  G.  Schuster  nous  donne  des 
instructions  du  margrave  Christian  de  Brandenbourg-Bayreuth  pour 
l'éducation  de  ses  deux  rtls,  de  i63o  et  1637  (p.  69-85];  M.  R.  Stiebitz, 
des  règlements  scolaires  de  1667  et  167 1  pour  le  comté  de  Schwarz- 
bourg-Rudolstadt,  inspirés  du  Schitlmethodus  (1643)  du  duc  Ernest 
de  Gotha  et  d'un  esprit  tout  moderne  (p.  274-292);  M.  M.  Schneider, 
une  instruction  du  surintendant  Fergen  de  Gotha,  écrite  en  1698  pour 
son  fils  étudiant  en  droit  à  Giessen  (p.  39-46);  enfin  M.  A.  Schnizlein, 
diverses  pièces  tirées  des  archives  de  Rothenburg  sur  la  Tauber, 
allant  du  xvi«  au  xvm^  siècle  et  relatives  surtout  à  la  discipline  scolaire 
(p.  196-205).  Parmi  les  études,  qui  s'appuient  d'ailleurs  aussi  sur  des 
documents  originaux,  je  citerai  celle  de  M.  P.  Schwartz  (p.  134-195) 
sur  la  politique  scolaire  de  la  Prusse  dans  les  provinces  polonaises 
acquises  en  1793  et  1795;  c'est  un  précieux  complément  à  son  vaste 
travail  sur  les  écoles  prussiennes  dont  il  a  été  déjà  question.  M.  R.  Bit- 
terling  (p.  206-222)  a  étudié  en  détail  le  dépôt  des  manuscrits  de  Frô- 
bel  que  possède  Berlin  et  tout  ce  qui  se  trouve  réuni  ou  dispersé 
ailleurs.  M.  F.  Kammradt  (p.  233-273)  a  soigneusement  analysé  les 
idées  de  Tieck  sur  l'éducation  et  présenté  ainsi  un  aspect  assez  peu 
connu  du  romantisme  allemand.  Une  contribution  à  l'histoire  de  la 
pédagogie  étrangère  est  due  à  M.  B.  Barth  (p.  3-32),  qui  a  recherché 
les  rapports  de  la  philosophie  de  Montaigne  avec  ses  opinions  pédago- 
giques. Je  dois  enfin  mentionner  un  excellent  article  nécrologique  du 
secrétaire  de  la  Revue,  M.  Max  Herrmann  (pp.  99-1  19),  à  la  mémoire 
d'Alfred  Heubaum,  qui  dirigea  quelque  temps  la  publication  des 
Monumenta  Germaniœ  Paedagogica  et  par  sa  Geschichte  des  deiit- 
schen  Bildiingsxpesens  s'était  acquis  un  nom  mérité  dans  l'histoire  de 
la  pédagogie.  Des  comptes  rendus  critiques  et  de  courts  rapports  sur 
l'activité  des  différents  groupes  de  là  Société  pour  VHisloire  de  VEdu- 
cation  en  Allemagne  accompagnent  chacun  des  fascicules  et  un  index 
général  termine  le  dernier.  Nous  souhaitons  à  la  Revue  ainsi  renou- 
velée et  élargie  le  succès  qu'elle  a  rencontré  auprès  du  public  sous 
son  ancienne  forme. 

IV.  La  publication  de  M.  Needon  est  une  annexe  à  la  précédente 
Revue.  Elle  a  été  tirée  d'un  manuscrit  des  archives  du  gymnase  de 
Bautzen.  C'est  un  journal  que  le  recteur  de  l'école  Johannes  Theill  a 
tenu  de  1642  à  1679,  année  de  sa  mort,  et  où  il  relate,  avec  quelques 
autres  menus  faits,  la  vie  scolaire  de  sa  Ratsschule,  principalement 


d'histoire    et    de    LITTÉRArURE  253 

les  ouvrages  expliqués  dans  sa  classe,  les  examens,  les  exercices  reli- 
gieux, auxquels  pariicipaient  maîtres  et  disciples,  et  surtout  les  vale- 
dictoria'  orationex,  les  discours  d'adieux  prononcés  par  les  élèves  à 
leur  sortie  de  l'école,  en  présence  d'auditeurs  de  marque.  Un  appen- 
dice du  manuscrit  donne  pour  la  même  période  des  détails  sur  les 
congés  et  les  réjouissances  scolaires,  en  particulier  sur  la  fête  de  saint 
Grégoire,  qui  était  roccasion  à  Bautzen  comme  ailleurs  de  cavalcades 
et  de  travestissements  allégoriques.  Une  érudite  introduction  de  l'édi- 
teur nous  renseigne  sur  la  carrière  de  Thcill,  sur  son  arrivée  à  Baut- 
zen (l'acte  de  nomination  est  intégralement  reproduit!,  sur  ses  col- 
lègues et  sur  ses  efforts  pour  relever  l'école  qui  avait  eu  beaucoup  à 
souff'rir  pendant  la  guerre  de  Trente  ans. 

L.  R. 


Albert  Waddington,  correspondant  de  l'Institut,  professeur  à  l'Université  de  Lyon, 
Histoire  de  Prusse,  tome  I.  Des  origines  à  la  mort  du  Grand-Électeur.  Paris, 
Plon-Nourrit,  191 1,  xii-394  p.  8»,  cartes  et  portrait.  Prix  :  7  fr.  5o. 

Le  nouvel  ouvrage  de  M.  Albert  Waddington  s'ouvre  par  quelques 
considérations  générales  sur  ce  que  j'appellerais  volontiers  \a  philoso- 
phie de  Vhistoire  de  Prusse.  En  historien  impartial,  M.  W.  rend  plei- 
nement justice  aux  eff'orts,  couronnés  de  succès,  des  Hohenzollern, 
pour  faire  sortir  quasiment  du  néant,  un  royaume  aujourd'hui  si 
puissant;  mais  il  n'est  pas  de  ces  âmes  naïves  qui  ont  créé  de  nos 
jours  la  légende  d'une  dynastie,  préoccupée,  dès  le  xvii^  et  le 
xviii"  siècle,  des  intérêts  supérieurs  de  l'Allemagne,  et  qu'aurait  animée 
un  esprit  de  patriotisme  germanique  qui  manquait  à  la  plupart  des 
Allemands  (p.  xii).  Il  constate  —  sans  leur  en  faire  un  reproche  — 
qu'ils  eurent  au  cours  des  siècles,  «  une  politique  purement  égoïste  »; 
jamais  d'ailleurs  les  vrais  fondateurs  d'empires  n'en  ont  eu  d'autre, 
si  l'on  y  regarde  de  près.  Dans  le  premier  livre,  l'auteur  nous 
esquisse  rapidement  les  destinées  de  la  Marche  de  Brandebourg, 
depuis  les  origines  jusqu'à  l'avènement  de  l'Electeur  George  Guil- 
laume en  161  g,  en  cent  vingt  pages  environ.  Dans  le  second  livre  il 
retrace  le  passé  de  la  Prusse  proprement  dite  sous  le  gouvernement 
de  l'Ordre  teutonique,  et  puis  sous  ses  ducs  héréditaires  jusqu'à 
l'extinction  de  la  branche  des  Hohenzollern  de  Kœnigsberg.  Avec  le 
troisième  livre  nous  entrons  enfin  dans  l'histoire  générale  et  nous 
assistons  à  la  première  ébauche  de  l'Etat  brandebourgeois-prussien  à 
travers  toutes  les  péripéties  de  la  guerre  de  Trente  Ans  et  de  la  guerre 
du  Nord  (1619-1660),  aux  misères  des  débuts  de  Frédéric-Guillaume, 
le  Grand  Electeur,  et  à  ses  premiers  succès.  M.  W.  reconnaît  les 
mérites  hors  ligne  de  ce  prince,  vrai  fondateur  de  la  Prusse  moderne, 
qui  savait  ce  qu'il  voulait  et  qui,  pour  atteindre  au  but,  employait  la 
ruse  et  l'équivoque  quand  la  force  n'était  pas  de  son  côté,  mais  sans 
plier  jamais  dans  la  tourmente  plus  qu'il  n'était  indispensable.  L'au- 


254  REVUE    CRITIQUE 

leur  n'a  fait  que  résumer  ici,  en  révisant  les  données  de  son  premier 
récit,  les  deux  volumes  du  grand  ouvrage  qu'il  a  consacré  récemment 
à  Frédéric-Guillaume.  Le  quatrième  livre  s'occupe  de  l'administra- 
tion intérieure  du  Grand-Electeur,  de  1660  à  1688,  et  le  cinquième 
de  sa  politique  extérieure  durant  le  même  laps  de  temps.  L'alliance 
avec  la  France  ne  lui  ayant  valu  que  des  déboires  après  le  traité  de 
Saint-Germain  (1679),  il  l'abandonne  in  petto  dès  l'époque  de  la 
trêve  de  Ratisbonne  (1684)  pour  l'alliance  avec  l'Empereur  et  les  Pro- 
vinces-Unies ;  mais  il  est  trop  peu  satisfait  de  l'attitude  de  ses  nou- 
veaux amis  pour  ne  pas  rester  tout  d'abord  dans  une  réserve  prudente 
à  l'égard  de  Louis  XIV,  et  c'est  seulement  sous  l'impulsion  d'une 
indignation  d'ordre  confessionnel  qu'il  marque  la  rupture  définitive 
avec  ce  monarque,  en  promulguant  l'édii  de  Potsdam  (8  nov.  i685) 
en  faveur  des  religionnaires  fugitifs.  En  Jugeant  l'ensemble  de  ce 
règne  de  près  d'un  demi-siècle,  et  tout  en  y  signalant  des  procédés 
politiques  regrettables  et  des  défauts  personnels  choquants,  M,  W.  a 
raison  d'en  déclarer  les  résultats  «  grandioses  »  (p.  56 1).  D'un  Elec- 
toral absolument  ruiné,  d'un  duché  vassal  de  la  Pologne,  il  a  fait  un 
Etat  presque  centralisé,  fondé  sur  deux  assises  solides,  une  bureau- 
cratie diligente  et  une  armée  considérable.  «  L'intérêt  direct  du  Bran- 
debourg a  été  la  règle  unique  de  sa  conduite  >;  (p.  563),  mais  celle-ci 
a  profité  en  définitive  à  l'Allemagne  moderne  et  l'exemple  qu'il  a 
donné,  suivi  avec  une  énergie  tenace  par  ses  successeurs,  a  fini  par 
rendre  cet  Etat,  si  débile  dans  les  sables  de  la  Marche,  redoutable  à 
tous  ses  voisins.  Ce  sera  le  sujet  d'un  second  volume  que  nous  espé- 
rons prochain  '.  j^ 


1 


Recueil  des  instructions  données  aux  ambassadeurs  et  ministres  de  France 
depuis  les  traités  de  Westphalie  jusqu'à  la  Révolution  française.  XVII I. 

Diète  Germanique,  avec  une  introduction  et  des  notes  par  Bertrand  Al'erbach, 
professeur  à  l'Université  de  Nancy.  Paris,  F.  Alcnn,  19 12,  xcviii,  400  p..  gr.  S". 
Prix  :  20  fr. 

Le  nouveau  tome  des  Instj'iictions  aux  ambassadeurs  de  France, 
qui  vient  de  s'ajouter  à  la  série  déjà  considérable  des  volumes  de  cet 
important  recueil,  n'est  certes  pas  l'un  des  moins  intéressants  de  la 
collection,  encore  que  la  Diète  Germanique  n'ait  été  ni  au  xvii%  ni 

I.  Il  n'y  a  point  d'observations  de  détail  de  quelque  importance  à  faire  sur  une 
matière  que  l'auteur  possède  si  bien.  Pour  lui  montrer  avec  quelle  attention  j'ai  lu 
son  volume,  j'ajoute  ici  quelques  errata  pour  une  édition  prochaine.  P.  io3,  lire 
Andreae  pour  A>idraea.  —  P.  iig.  Vers  1600,  Strasbourg  netait  plus  du  tout  «  un 
milieu  moins  attaché  à  la  lettre  du  luthéranisme  «.  A  ce  moment,  la  plus  stricte 
orthodoxie  luthérienne  avait  effacé  le  souvenir  de  la  large  tolérance  qui  avait 
existé  dans  cette  ville  libre  un  demi-siècle  auparavant.  —  P.  i  2  i.  11  n'y  a  pas  eu  de 
Diète  à  Ratisbonne  en  1617,  mais  seulement  une  réunion  de  quelques  princes  et 
Etats.  La  dernière  Diète  impériale  fut  convoquée  en  lôi?  et  se  sépara,  sans  abou- 
tir. —  P.  507,  on  confond  Ent^lieim,  près  Strasbourg,  avec  Ensisheim  dans  la 
Haute-Alsace. 


d'histoirk  et  oe  littérature  255 

surtout  au  xviii''  siècle,  un  centre  d'action  politique  bien  considérable. 
Mais  c'était  l'arène  classique  où  les  Etats  du  Saint-Empire  romain 
essayaient  leurs  forces,  au  détriment  les  uns  des  autres,  tandis  que, 
par  suite  d'une  vieille  tradition,  la  diplomatie  française  s'ingéniait  à  y 
créer  des  courants  d'opinion  hostiles  à  la  maison  d'Autriche  et  favo- 
rables à  l'inHuence  des  Bourbons,  voire  même  à  une  certaine  hégé- 
monie de  la  France,  sous  les  couleurs  du  vif  intérêt  ressenti  par  elle 
pour  la  <i  liberté  germanique  ».  Cette  politique,  qui  avait  généralement 
assez  bien  réussi  au  xvi'-'  siècle  et  dans  la  première  moitié  du  xvu'', 
remporta  quelques  derniers  succès  après  les  traités  de  Westphalie, 
grâce  aux  diplomates  habiles,  formés  à  l'école  de  Mazarin,  MM.  de 
Vautorte  et  Robert  de  Gravel,  qui  représentèrent  successivement 
Louis  XIV  à  Ratisbonne.  Mais  déjà  sous  M.  de  Verjus,  l'influence 
française  est  en  baisse,  puisque  l'ambition  du  monarque,  de  plus  en 
plus  apparente,  etTraie  ses  voisins  et  indispose  même  les  anciens  par- 
tisans de  la  France  à  mesure  que  ses  usurpations  et  ses  attaques  contre 
les  États  immédiats  de  l'Empire  deviennent  plus  fréquentes.  La 
méfiance  augmente  quand  il  renonce  toujours  plus  ouvertement  aux 
alliances  protestantes  d'autrefois,  sans  inspirer,  pour  cela,  plus  de 
confiance  aux  États  catholique  de  l'Allemagne.  Le  point  culminant  de 
la  prépotence  française  est  marqué  par  là  trêve  de  Ratisbonne  (1684). 
Puis  s'ouvre  la  guerre  de  la  succession  du  Palatinat,  se  forme  la  coali- 
tion européenne  sous  la  direction  de  Guillaume  d'Orange,  s'engage  la 
grande  lutte  pour  la  succession  d'Espagne,  et  au  cours  de  tous  ces 
événements  les  conditions  de  l'équilibre  européen  sont  modifiées, 
trois  Électeurs  du  Saint-Empire  (Brandebourg,  Saxe  et  Hanovre] 
ceignent  des  couronnes  royales,  et  quand,  à  la  mort  de  Louis  XIV,  la 
F'rance  songe  à  faire  occuper  enfin  de  nouveau  le  poste  de  résident  à 
Ratisbonne,  la  Diète  germanique  elle-même  est  devenue  une  parlotte 
insignifiante,  puisque  c'est  avec  les  cours  de  plus  en  plus  émancipées 
des  États  dominants  dans  l'Empire  que  l'on  négocie  désormais.  Aussi 
ne  voyons-nous  plus  que  des  personnages  plus  ou  moins  insignifiants 
occuper  désormais  ces  fonctions.  MM.  de  Gergy,  de  Chavigny,  de 
La  Noue,  etc.,  assistent,  sans  instructions  bien  précises,  aux  discus- 
sions monotones  de  ce  corps  falot,  qui  représente  de  moins  en  moins 
l'Allemagne  vivante,  jusqu'au  moment  où  la  querelle  des  princes  pos- 
sessionnés  en  Alsace  amène  la  rupture  entre  la  France  révolution- 
naire et  le  Saint-Empire  romain. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  cette  fois  à  analyser  plus  en  détail  les 
instructions  émanées  du  Cabinet  de  'Versailles,  puisque  nous  savons 
que  le  savant  doyen  de  la  faculté  des  lettres  de  Nancy  qui  a,  de 
longue  date,  entrepris  l'étude  des  menées  de  la  diplomatie  française 
en  Allemagne  ',  termine  en  ce  moment  un  autre  volume,  dans  lequel, 

I.  Nous  rappelons  son  ouvrage,  La  diplomatie  française  et  la  Cour  de  Saxe 
{1648-1680),  l^aris,  1888,  8". 


256 


REVUE    CRIïK/UE 


exploitant  la  riche  source  des  Archives  des  Affaires  étrangères,  il 
racontera,  plus  en  détail,  et  d'une  façon  plus  individuelle,  les  péripc- 
péties  de  la  politique  franv^aisc  vis-à-vis  du  Saint-Empire,  dans  les 
années  i653à  1792,  telle  qu'il  la  résume  ici,  dans  une  introduction 
très  suggestive  déjà,  et  riche  en  détails  nouveaux.  Nous  reviendrons 
alors  sur  les  travaux  de  M.  Auerbach,  fruit  d'un  long  et  souvent 
pénible  labeur  à  travers  les  dépèches  de  nos  diplomates,  les  grimoires 
latins  des  jurisconsultes  germaniques  et  les  procès-verbaux  allemands, 
trop  souvent  soporifiques,  de  la  haute  assemblée  elle-même.  Bornons- 
nous  à  dire,  pour  le  moment,  que,  sur  le  fond  même  de  son  travail, 
nous  sommes  à  peu  près  partout  d'accord  avec  l'auteur,  soit  qu'il  juge 
la  politique  de  Louis  XIV,  soit  qu'il  apprécie  raiiiiude  des  princes 
d'Allemagne,  et  nous  ne  nous  scandalisons  pas  le  moins  du  monde 
de  ce  que  M.  A.  n'a  pas  toujours  parié  des  arcanes  de  la  diplomatie 
avec  le  respect  pieux  qu'affectent  volontiers  les  initiés  de  la  «  car- 
rière »  '.  j^ 


Maurice  Pf.rrod,  Répertoire  bibliographique  des  ouvrages  franc- comtois 
imprimés  antérieurement  à  1790.  l'aiis,  lli>noré  Chainpion,  11J12,  382  p., 
gr.  8».  Prix  :  16  fr. 

Tout  répertoire  bibliographique  consciencieusement  établi  mérite 
des  éloges,  car  c'est  toujours  un  travail  fastidieux  et  pénible  de  le 
dresser  et  nul  de  ceux  qui  l'entreprennent  ne  peut  jamais  se  flatter 
d'être  absolument  complet.  Celui  de  M.  Perrod  se  présente  comme 
une  œuvre  de  longue  patience  et  Ton  voit  bien  qu'il  n'a  reculé  devant 
aucun  labeur  pour  l'enrichir.  ,Ie  ne  suis  aucunement  outillé  d'ailleurs 
pour  rechercher  s'il  y  a  des  lacunes  sérieuses  dans  ce  catalogue  de 
dimensions  respectables  '  ;  pour  prouver  à  M.  Perrod  tout  l'intérêt 

1.  Pour  satisfaire  à  notre  devoir  de  critique  et  pour  montrer  à  l'auteur  avec 
quelle  attention  nous  avons  parcouru  son  volume,  nous  notons  ici  quelques 
menues  corrections  de  détail.  —  P.  63,  Antoine  Schott  n'est  pas  mort  à  Colmar. 
M.  X.  Mossmann  a  fait  réimprimer  en  1878  le  sermon  funèbre  prononcé  lors  des 
obsèques  du  diplomate  saxon,  à  Katishonne,  par  le  pasteur  Zimnier  en  i685. 
P.  i3i,  lire  Paderborn  p.  Paderbos)i.  —  P.  170,  1.  liilicis  p.  Inliers.  —  P.  243, 
1.  Durcklieim  p.  Tttrckhcim.  —  P.  347,  Dn  lapsus  de  plume  a  fait  citer  par  l'au- 
teur HotVmann,  L'Alsace  au  xviii'^  traduit  par  Ingold;  c'est  édité  qu'il  faut  lire.  — 
Gérard  de  Rayneval  n'était  pas  de  Marnioutier  {Mattismiaister),  mais  de  Masevaux 
{Maasmiinster).  —  D'autres  eirata  (que  nous  ne  mentionnerons  donc  pas  ici)  sont 
relevés  sur  une  feuille  volante  jointe  au  volume. 

2.  M.  P.  déclare  —  ce  qui  est  regrettable,  à  mon  avis  —  avoir  laissé  de  côte  les 
factums  et  mémoires  judiciaires  imprimés  dans  lesquels  l'histoire  provinciale 
puise  souvent  des  renseignements  bien  curieux  pour  les  biographies  des  notabi- 
lités locales,  et  pour  l'histoire  des  mœurs  et  qui  l'emportent  en  intérêt  sur  une 
foule  de  productions  théologiques  et  autres,  citées  ici.  —  Pour  certains  noms,  il  y 
a  très  probablement  des  oublis.  Ainsi  pour  Claude  Goudimel,  il  est  difficile  de 
croire  qu'il  n'y  a  pas  eu  plus  d'éditions  de  ses  Psaumes  que  celles  indiquées 
p.  162,  et  les  pamphlets  politiques  de  Mathieu  tic  Mourgues  doivent  avoir  été 
plus  souvent  imprimés  qu'il  n'est  dit  p.  248. 


d'histoire  et  de  littérature  257 

avec  lequel  j'ai  parcouru  son  ouvrage,  je  me  permettrai  seulement  de 
lui  présenter  quelques  observations  sur  sa  méthode  de  travail,  qui  ne 
me  semble  pas  toujours  conséquente.  Ainsi  p.  91  (n"  5i3)  on  lit  : 
«  Coppel,  le  P.  Elisée,  carme  déchaux,  Oraison  funèbre  du  roi  Sta- 
nislas (vers  I  j65i  ».  Puis,  à  la  p.  1  '3  i  (sous  le  n°  794),  nous  trouvons  : 
«  Elisée,  Jean-François  Elisée  Copel,  Oraison  funèbre  de  Stanislas, 
Besançon,  1706)).  — Ailleurs  les  ouvrages  de  G.  de  Saint-Amour 
figurent  sous  quatre  rubriques  différentes  :  au  n"  925  sous  Flacius 
lllyricus  ;  au  n'^  io5i  sous  Guillaume  de  Saint  Amour;  au  n"  2189 
sous  Saint-Amour,  J.  V.  de;  au  n'^  2354  sous  Vêtus.  Jean.  Les  tragé- 
dies de  Mairet  figurent  d'abord  p.  216,  puis  nous  retrouvons  l'auteur 
p.  324,  sous  Sophonisbe  ;  pourquoi  les  séparer?  l^ourquoi  encore  le 
Masson  du  n°  1459  est-il  séparé  du  n»  2375  ?  Il  en  est  de  même  des 
écrits  de  Nonnotte  (nos  5^2  et  820)  '. 

Les  fautes  d'impression  ne  manquent  pas  "  et  les  titres  allemands 
sont  généralement  mutilés;  l'auteur  aurait  dû  faire  relire  ses  épreuves 
par  quelqu'un  qui  sût  l'allemand,  surtout  celui  du  xvii"  siècle'.  Mais 
ces  critiques  de  détail  ne  doivent  pas  nous  rendre  injuste  pour  le  tra- 
vail consciencieux  de  M.  Perrod.  Il  nous  laisse  entrevoir  une  suite 
à  son  travail,  une  Bibliographie  francomtoise  de  1790  à  nos  jours; 

elle  sera  la  bienvenue  '. 

R. 

Alfred  Baudrili.art,  Recteur  de  Tlnstitut  catholique  de  Paris,  docteur  ès- 
lettres.  Histoire  de  France,  publiée  avec  la  collaboration  de  J.  Martin,  profes- 
seur à  l'Ecole  Massillon.  —  Cours  moyen,  certificat  d'études.  Paris,  Bloud  et 
Comp.  s.  dat.  (1911-.')  IV,  328  p.   iS»,  illustré.  Prix  :   1  fr.  60. 

M.  Baudrillart  trouve  détestables  les  manuels  scolaires,  mis  entre 
les  mains  de  la  jeunesse  primaire  par  les  soins  de  l'enseignement  offi- 
ciel ;  il  a  voulu  en  publier  un  qui  répondît  à  ses  préoccupations  reli- 
gieuses et  pédagogiques  personnelles,  et  c'est  de  cet  effort  qu'est  né  le 

r.  Je  remarque  aussi  que  l'abbé  Lambert  meurt,  à  la  même  page  (p.  196),  à 
Paris  et  à  Lons-le-Sannier.  P.  210,  il  ne  suffisait  de  dire  que  M.  Pribram  cite  les 
pamphlets  du  baron  de  Lisola;  le  bibliographe  devrait  énumérer  la  Saitce  an 
Verjus  et  les  autres  satires  ou  brochures  polémiques  du  diplomate  impérial. 

2.  P.  127,  au  lieu  de  Diinvocll  de  Fiilt^,  il  faut  lire  Diirwell  de  Soult^.  —  P.  129, 
1.  Kirchlieim  p.  Kirchcm.  —  P.  1006,  1.  rhétorique  p.  rhéthorique.  —  p.  igS, 
1.  Zetpieri  p.  Zetneri.  — P.  Vij,  1.   /  7<S'<y  p.   ij38. 

3.  P.  ri6,  lire  Pliilosophisclies  p.  Pliilosophischen.  —  P.  iSy,  1.  Gespraecli  p. 
Gesprach.  —  P.  1(17,  I.  Kriegsleufteii  p.  Kriegsleusten.  —  P.  214,  1.  Cathechetisch 
p.  Catliaclictiscli.  —  P.  248,  1.  Dienst  p.  Dients.  —  P.  282,  1.  Preischri/t  p.  Preis- 
clifrit.  —  P.  299,  1.  gcgeben  p.  gegelen.  —  P.  353,  1.  Iiochseliges  p.  lochseliges, 
etc. 

4.  11  y  a  déjà  quelques  numéros  qui  dépassent  1790;  ainsi  p.  iii,  M.  P.  parle 
de  l'abbé  Descharrières  mort  comme  aumônier  au  Lycée  de  Strasbourg  en  1824. 
La  plupart  de  ses  écrits  ne  sont  pas  énumérés,  comme  postérieurs  à  1790;  mais 
pourquoi  mentionne-t-il  les  Observations  sur  les  aiicieinies  forti/ications  de  Stras- 
bourg, qui  n'ont  paru  qu'en  1818? 


2  58  RKVUK    CRiriQUE 

prcscni  vt)lunu',  doiii  la  prcMacc  annonce  que  les  ailleurs  ne  soni  pas 
neutres  niais  prétendcni  être  impartiaux,  ei  qu'en  >•  leur  qualiié  de 
catholiques  et  d'hisioriens  »,  ils  diront  u  en  toute  circonstance  la 
vérité  ».  On  peut  mettre  en  doute  que  tout  y  soit  «  mis  a  la  portée 
des  jeunes  intelligences  «  '  ;  on  trouvera  vieillotte  la  méthode  des 
questionnaires  avec  réponses  ',  et  l'assurance  que  «  l'illustration  ne 
donne  rien  à  la  fantaisie  »  et  qu'elle  est  »  tout  à  lait  documentaire  » 
étonne  un  peu  quand  on  constate  que  la  plupart  des  «  images  »  de 
cette  histoire  de  France  sont  empruntées  à  MM.  Mélingue,  J.-J.  Lau- 
rens,  Ary  Schclfer,  Bordes,  Yvon,  Luc-Olivier  Merson,  Puvis  de  j 
Chavannes,  Horace  Vernct,  Delacroix,  etc.,  etc.,  qui  furent  et  sont  de  ' 
grands  artistes  mais,  en  partie  du  moins,  des  archéologues  médiocres  '. 

Pour  le  fond,   il  est  inutile  de  s'y  arrêter  longtemps,  puisque  nous  ! 

connaissons  la  tendance  des  auteurs  qui,  dès  la  préface,  ont  pris  soin 
d'accentuer  leur  «  qualité  de  catholiques  w.  Tout  y  est  raconté, 
autant  que  possible,  à  la  plus  grande  gloire  de  l'Eglise.  Si  celle-ci 
«  au  moyen  âge,  avait  de  grandes  richesses  »  elle  en  «  faisait  généra- 
lement un  noble  usage  »  (p.  34).  Si  l'évêque  Cauchon  est  stigmatisé 
comme  «  abominablement  perrtde  »,  si  les  juges  de  Jeanne  d'Arc 
sont  qualifiés  de  «  bourreaux  »,  nous  n'apprenons  pas  que  le  Saint- 
Siège  approuva,  toutau  moins  tacitement,  la  sentence,  mais  seulement 
que  «  le  pape  Pie  X  a  déclaré  bienheureuse  »  la  suppliciée  de 
Rouen  (p.  80).  Si  la  Réforme  s'est  produite,  c'est  parce  que  «  beau- 
coup de  particuliers  n'étaient  pas  fâchés  de  se  soustraire  à  certaines 
règles  que  l'Eglise  leur  imposait  »  et  parce  que  l'Eglise  avait  de 
grands  biens  dont  les  princes  désiraient  s'emparer,  et  que  beaucoup 
de  rois  voulaient  cominander  aux  âmes,  ce  à  quoi  l'Eglise  mettait 
obstacle  »  (p.  i  19-120).  —  Les  guerres  de  religion  furent  assurément 
très  douloureuses;  mais  «  il  est  beau  cependant  d'avoir  le  courage  de 

1.  Quand  on  leur  dit,  par  exemple  que  les  Albigeois  «  détruisaient  le  christia- 
nisme et  menaçaient  la  société  »  (p.  43)  ou  qu'on  leur  raconte  que  «  Louis  XIV 
avait  trop  longtemps  vécu  sans  tenir  compte  des  lois  de  la  morale  »  (p.  178), 
M.  B.  croit-il  \Taiment  qu'un  enfant  de  10-12  ans  comprendra  quelque  chose  à 
ce  style  noble?  Et  quand  on  lui  a  fait  savoir  que  Henri  III  «  se  parfumait  comme 
une  femme  et  vivait  entouré  de  jeunes  seigneurs  qui  s'habillaient  avec  coquet- 
terie »  (p.  i33),  il  s'étonnera  sans  doute  qu'on  appelle  cela  de  «  très  grands  vices». 

2.  Cette  façon  surannée  de  fourrer  dans  la  cervelle  des  élèves  les  faits  essentiels 
de  l'histoire,  en  outre  qu'elle  en  fait  des  perroquets,  a  le  grave  inconvénient  de 
prendre  beaucoup  de  place  dans  un  si  petit  volume.  Assurément  il  faut  interroger 
les  enfants  sur  ce  qu'ils  ont  appris,  mais  l'interrogation  doit  se  faire  spontané- 
ment, par  la  libre  initiative  du  maître,  s'adaptant  à  la  capacité  de  celui  qu'il 
questionne  et  non  d'après  un  schéma  fixé,  une  fois  pour  toutes,  par  un  auteur 
qui  ne  connaît  pas  les  élèves  en  vue  desquels  il  formule  son  questionnaire. 

3.  Cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  n'y  ait  que  des  reproductions  de  peintres  modernes; 
dans  le  volume  de  M.  B.,  il  y  a  beaucoup  d'illustrations  et  certainement  c'est  un 
des  points  dignes  d'éloges  que  cette  abondance  de  figurations  qui  rendent  plus 
saisissable  pour  l'intelligence  puérile  les  hommes  et  les  choses  du  passé. 


f 

d'histoire  et  de  littérature  259 

verser  son  sang  pour  ce  que  l'on  croit  »  (p.  i23)  '.  Les  Jansénistes 
ne  sont  pas  mieux  traités  que  les  huguenots;  ils  «  affichent  une 
morale  sévère  »  (ce  qui  implique  qu'ils  sont  des  hypocrites]  et  ils 
poursuivent  les  Jésuites  «  d'une  haine  mortelle  »  parce  que  ceux-ci 
sont  «  les  plus  fermes  défenseurs  de  la  vérité  catholique  »  (p.  180). 

Toute  l'histoire  moderne  et  contemporaine  est  abordée  dans  le 
même  esprit.  Sans  doute  on  trouve  de  très  sages  réflexions  sur  «  les 
inconvénients  du  pouvoir  absolu  «  (p.  i  14)  ;  il  y  est  même  question 
de  Voltaire  et  de  Rousseau,  sans  épithètes  vengeresses  de  la  foi 
menacée,  mais  la  période  de  1789  à  1799  est  racontée  avec  un 
manque  de  sympathie  visible  '  et  si  l'on  ne  manque  pas  de  signaler 
que  Bonaparte  «  assista  lui-même  à  une  solennité  religieuse,  rompant 
avec  l'impiété  des  gouvernements  révolutionnaires  »  (p.  234)  nous 
n'apprenons  pas  qu'il  ait  imposé  à  l'Eglise  de  France  les  articles 
organiques.  La  troisième  république  n'est  pas  mieux  partagée  que  la 
première.  Les  enfants  éduqués  d'après  notre  manuel,  sauront  que  les 
premiers  ministres  républicains  de  Mac-Mahon  «  ne  tardèrent  pas  à 
effrayer  les  conservateurs  et  les  catholiques  »  (p.  289)  et  que,  dès 
1880,  Jules  Ferry  «  commença  laguerre  contre  les  catholiques  »  (291); 
mais  on  se  demande  s'ils  pourront  rien  comprendre  au  récit  de  l'Af- 
faire (p.  297-298)  qui  est  un  modèle  d'escamotage  prestement  exé- 
cuté \  —  La  presse  bien  pensante  ne  cesse  de  se  plaindre  des  «  odieux  » 

1  manuels  qui  envahissent  nos  écoles  publiques;  il  y  a  eu  certaine- 
ment de  regrettables  exagérations,  relevées  dans  certains  d'entre  eux, 
parfois  même  d'assez  grossières  erreurs.  Mais  quand  on  constate  ce 
que  l'on  entend,  dans  le  camp  opposé,  par  les  belles  promesses  de 

1  «  dire  en  toute  circonstance  la  vérité  »,  on  ne  peut  s'empêcher  de 
penser  que,  demeurant  eux-mêmes  dans  une  maison  de  verre,  cer- 
tains seraient  mieux  avisés  s'ils  mettaient  moins  de  zèle  à  casser  les 
vitres  d'autrui. 

E. 

1.  Et  le  sang  d'autrui,  est-il  aussi  beau  de  le  verser,  «  pour  ce  qu'on  croit  »  ? 
—  Les  Ligueurs  sont  pour  M.  B.  des  «  patriotes  bons  Français  mais  bons  catho- 
liques »  (p.  i33);  mais  son  impartialité  leur  permet  d'enseigner  que  Coligny  «  se 
servait  du  prétexte  de  la  religion...  l'our  s'assurer  des  honneurs  et  des  pensions» 
(p.  \2'i).  En  parlant  de  la  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  il  affirme  avec  la  même 
impartialité,  que  Louis  XIV  ne  fit  que  <<  suivre  l'exemple  des  princes  protestants 
persécuteurs  des  catholiques  »  (p.  170).  11  serait  bien  embarrassé  de  citer  le  sou- 
verain contemporain  qui  chassa  de  son  pays  cent  mille  catholiques  et  dragonna 
les  autres  jusqu'à  ce  qu'on  les  eût  traînés  au  prêche. 

2.  A  cette  occasion  défendons  le  pauvre  La  Réveillère-Lepeaux  contre  l'accusa- 
tion d'avoir  inventé  une  religion  nouvelle  (le  théophilanthropisme)  «  où  l'on  nom- 
mait Dieu  l'Etre  Suprême  »  (p.  3i4).  M.  B.  a  sans  doute  oublié  pour  un  instant 
que  VEtre  Suprême  date  de  Robespierre  et  d'un  temps  où  le  futur  Directeur 
n'avait  pas  encore  grand  chose  à  dire. 

3.  Signalons  encore  l'ironie  discrète  avec  laquelle  l'auteur  caractérise  de  «  can- 
dide »  la  doctrine  de  la  Souveraineté  nationale,  «  encore  en  honneur  aujour- 
d'hui ». 


200  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

—  Le  second  fascicule  de  W'ùiter  nud  Saclieu,  vol.  III  (Hcidelberg,  191  2,  chez 
C.  Winicr)  renferme  un  grand  article  de  M.  Mcringer  sur  le  poêle  et  ses  diverses 
formes;  la  partie  linguistique  de  cet  article  se  compose  seulement  de  quelques 
observations  sur  l'ctymologic  du  mot  allemand  kacliel.  Le  fascicule  est  complété 
par  une  série  de  notes,  parmi  lesquelles  on  remarque  d'excellentes  observations  de 
M.  \'asmer  sur  des  mots  russes  empruntes  à  largot.  —  A.  Me. 

—  Un  savant  tchèque,  M.  Vilem  M.\tiiesii;s,  a  public  en  191 1,  à  Prague,  dans 
les  publications  de  l'Académie,  une  étude  de  24  pages  in-8»,  intitulée  d'une  manière 
un  peu  énigmatique  :  O  potencialnosti  jevu  ja^rkovvch.  11  s'agit  en  réalité  des 
variations  que  comportent  les  cléments  linguistiques  dans  le  parler  d'un  individu 
donne,  et  notamment  de  l'autonomie  des  mots.  L'auteur  a  une  grande  lecture, 
mais  n'apporte  pas  de  faits  nouveaux.  —  A.  Me. 

—  Nous  avons  reçu  le  46"  fascicule  du  Dictionuaire  des  antiquités  grecques  et 
romaines,  de   Daremberg   et   Sagi.io,  continué  par  MM.  Pottier  et  Lafaye;  t.  V, 
i>«  partie,   pp.  1-68.  Il  contient,  outre  le  discours  de  M.  0.\io.nt  et  une  notice  de 
M.  PoTTiER  (avec  portrait  en  héliogravure)  sur  M.  Edmond  Saglio,  mort  le  7  décem- 
bre 191 1,  les  articles  suivants  :  tabella,  tabellarius,  tabula,  tabularium,  tabularius, 
talus,  tessera  (G.  Lafaye);  tabellariae  leges  (Humbertet  Lécrivain);  tabellio,  tabu- 
lae  novae,  talio,  taxatio  télé,  télonai,  tergiversatio,  terminus  molus,  testimonium 
falsum,  testimonium,  testis  (Ch.  Lécrivain;';  taberna,  tabernaculum.  tcnsa  i thcnsa), 
tentorium,  tetrarchia,  textrinum  (V.  Chapot)  ;  taenia,  Tages,  tagetici  libri  (E.  Sa- 
glio);  tagos,  tamias,   tamieion  (Alb.   Martin);    tainaria,  tamyneia,  tauria,  tauro- 
cholia,  taurokathapsia,  tauropolia,  taurophonia  (E.  Cahen):  talca,  temenos,  tem- 
plum  (A.  Sorlin-Dorigny)  ;  talentum,  ternio,  tetartemorion.  tetrachalcus  lE.  Babe- 
lon)  ;  tetrassarion,  tetrastater,   tetrobolon    (E.   Babelon   et   F.  Lenormant);   tapes 
(M.  Besnier);  taurii  ludi,  tentipellium,  tessarakostaion  (E.  S.);  taurobolium  (Espé- 
randieu);   taxiarchoi  (A.    Krebs);    tector,  tectorium,   tectum,    tegula   (A.   Jardé); 
Telchines,     Telcsphorus     (G.     Darier)  :     Tcllus      mater,     Terminus,    terminalia 
(J.  A.  Hild);  telum  (R.  Gagnât);  terebra   (Héron   de  Villefosse);   terminatio,   ter- 
mini,  territorium  (J.  Toutain);  teruncius  (F.  Lenormant);  testamentum  (L.  Bcau- 
chet   et  Ed.  Cuq);    testudo   (A.  Jacob  et  E.  S.);   Téthys  (A.  Legrand)  ;  tetrapolis 
(G.  Glotz);  tettix  (A.  Boulanger). 


'  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  — Séance  du  j3  septembre  rprs. 
—  Le  R.  P.  Scheil  présente  un  poids  babylonien,  de  tous  le  plus  ancien,  puisqu'il 
est  daté  du  roi  Ouroukaghina  (vers  2800  a.  G.).  C'est  un  poids  de  i3  sicles,  soit 
d'un  quart  de  mine.  Au  peser,  il  représente  119  gr.  3o  centigr.,  soit  pour  la  mine 
entière  le  total  de  447  gr.  20  centigr. 

M.  Gagnât  communique  une  note  dans  laquelle  M.  Merlin,  directeur  des  Anti- 
quités de  la  Tunisie,  étudie  et  discute  certaines  opinions  récemment  émises  sur 
l'emplacement  du  champ  de  bataille  de  Zama.  Dans  des  ouvrages  parus  dernière- 
ment, on  a  proposé  de  fixer  le  lieu  de  cette  rencontre  fameuse  soit  au  S.  de  Sidi 
Youssef,  sur  la  frontière  tuniso-algérienne,  soit  aux  environs  du  Kef.M-  Merlin 
démontre  tout  ce  que  ces  théories  ont  d'hypothétique  et  conclut  qu'en  réalité,  dans 
l'état  actuel  de  la  documentation,  il  ne  semble  pas  possible  délocaliser  exactement 
l'endroit  où  s'est  produit  ce  combat  qui  marqua,  par  la  défaite  d'Hannibal,  la  fin 
de  la  seconde  guerre  punique,  en  202  a.  G.  —M.  Glermont-Ganneau  présente 
quelques  observations. 

M.  Noël  Valois  lit  une  étude  sur  les  sermons  prononcés  par  le  pape  Jean  XXII 
devant  le  collège  des  cardinaux. 

Léon  Dorez. 

L" imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le   Puy-en-Velay.   —    Imprimerie  Peyriller,  Rouclion  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N»  40  —    5  octobre.  —  1912 


Stengel.  L'Immunité  en  Allemagne.  —  Bresslau,  Le  millénaire  de  l'indépen- 
dance allemande.  —  P.  de  Vaissière,  Quelques  assassins.  —  L.  Febvre,  Phi- 
lippe II  et  la  Franche-Comté.  —  Pirenne,  Histoire  de  la  Belgique,  IV.  —  Hume, 
La  cour  de  Philippe  IV  et  la  décadence  de  l'Espagne.  —  Strich,  Lisclotte  et 
Louis  XIV.  —  Lehr,  La  Réforme  et  les  églises  réformées  en  Eure-et-Loir.  — 
MûNCH,  Essais  sur  la  vie  allemande.  —  F.  Buisson,  la  foi  laïque.  —  G.  et  H. 
BouRGiN,  Le  socialisme  français.  —  F.  Maury,  Nos  hommes  d'Etat  et  l'œuvre 
de  réforme. 


Edmund  Ernst  Stengel,  Die  Immunitaet  in  Deutschland  bis  zum  Ende  des 
11.  Jahrhunderts.  Teil  I.  Diplomatik  der  deutschen  Immunitaetsprivilegien 
von  g.  bis  Ende  des  ii.  Jahrhunderts.  Innsbruck,  Wagner,  igio,  XXXVI,  ySi  p. 
grand  in-S». 

L'auteur,  professeur  agrégé  à  l'Université  de  Marbourg,  a  conçu  le 
projet  d'un  grand  travail  sur  V Immunité  en  Allemagne  durant  les 
premiers  siècles  du  moyen  âge,  dont  le  premier  volume  si  compacte, 
de  près  de  huit  cents  pages,  n'est,  à  vrai  dire,  que  l'introduction.  Pour 
arriver  à  des  résultats  plus  solides,  M.  Stengel  a  cru  devoir  établir 
préalablement  la  diplomatique  détaillée  de  tous  les  privilèges  royaux 
d'immunité,  à  lui  connus,  du  ix^  au  xi^  siècle,  c'est-à-dire  étudier  les 
formules  ou  les  modèles  d'après  lesquels  les  diplômes  d'immunité  de 
cette  époques  ont  été  dressés  ;  de  fixer,  pour  ainsi  dire,  leur  état  civil, 
afin  de  pouvoir  établir  ensuite,  pour  chacune  de  ces  formules,  la 
valeur  et  le  sens  réel  qu'elle  comporte  dans  le  «  style  »  des  notaires 
royaux,  à  une  date  précise.  C'est  un  travail  aussi  lon^  que  délicat. 
Aussi  ne  peut-on  que  louer  le  courage  et  la  patience  de  l'auteur  qui, 
depuis  des  années,  étudie  la  matière  ',  en  suivant  les  traces  de  Théo- 
dore de  Sickel,  qui,  voilà  cinquante  ans  déjà,  analysait  dans  ses  Bei- 
traege  ^ur  Diplomatik  les  lettres  d'immunité  et  de  protection  des 
premiers  Carolingiens  jusqu'à  la  mort  de  Louis-le-Débonnaire. 

C'est  par  le  formulaire  du  fils  de  Charlemagne  que  M.  St.  com- 
mence ses  recherches  ";  puis  il  étudie  les  documents  analogues  éma- 
nant des  derniersCarolingiens.  Le  troisième  chapitre  est  consacré  aux 
auteurs  des  privilèges  d'immunité,  du  x"  au  xi"  siècle  et  nous  fournit 

1.  Une  preiïiière  étude  de  M.  St.  [Grundherrschaft  und  Immunitaet)  paraissait, 
dès  1004,  dans  la  Zeitschrift  der  Savigny-Stiftitng. 

2.  bans  les  appendices,  on  trouvera  (p.  397-G58)  la  reconstruction  complète  du 
formulaire  d'immunités  de  Louis-le-Débonnaire,  d'après  quatre-vingt-dix-neuf 
diplômes  et  formules  réunis  par  l'auteur. 

Nouvelle  série   LXXIV  40 


202  REVUE    CRITIQUE 

une  longue  liste  des  notaires  royaux  de  cette  époque.  Le  quatrième 
chapitre  traite  des  modèles  suivis  die  Vorlage),  et  l'auteur  y  montre 
comment  parfois  ces  formules  sont  transportées  dans  d'autres  régions 
et  combien  elles  sont  dépendantes  les  unes  des  autres  '.  Le  cinquième 
chapitre  s'occupe  des  analogies  entre  les  lettres  d'immunité  et  les 
bulles  pontificales.  Dans  le  sixième  chapitre  [Giiederung  und  Formu- 
liening)  M.  St.  étudie  très  en  détail  la  terminologie  des  diplômes  et 
fixe  le  sens  précis  des  mots  pour  la  langue  du  moyen  âge;  dans  le 
septième,  il  traite  des  diplômes  dans  lesquels  l'immunité  proprement 
dite  est  combinée  avec  d'autres  privilèges  (protection  royale,  fran- 
chise de  péages,  dîmes,  droits  électoraux,  etc.).  Le  huitième  et  dernier 
chapitre  est  consacré  aux  immunités  spéciales  (Teilimmunitaet),  aux 
diplômes  où  le  notaire  royal  a  mentionné  plus  particulièrement  telle 
partie  du  domaine  ecclésiastique,  telle  parcelle  plus  éloignée  du  centre, 
plus  exposée  par  conséquent  à  quelque  attaque,  pour  lui  procurer 
comme  un  surcroît  de  protection.  Il  y  est  traité  aussi  des  immunités 
relatives  aux  banlieues  des  villes  et  aux  donations  forestales. 

Nous  devons  nous  borner  à  ce  résumé  très  sommaire  du  volumi- 
neux travail  de  M.  Stengel.  On  ne  saurait  analyser  et  discuter  ici  dans 
ses  détails  un  travail  d'érudition  juridique  tout  autant  qu'historique, 
pour  l'étude  approfondie  duquel  il  faudrait  une  compétence  spéciale 
qui  nous  manque.  Mais  nous  pouvons  dire  que  c'est  un  travail  fait 
avec  un  soin  consciencieux  et  qui  doit  inspirer  confiance  à  ceux  qui 
l'utiliseront  à  leur  tour.  L'auteur  mérite  d'autant  plus  d'éloges  pour 
ses  patientes  recherches  qu'il  a  dû  se  dire,  dès  le  début,  qu'il  ne  serait 
lu  que  par  un  petit  nombre  de  spécialistes. 

On  fera  bien  de  ne  pas  négliger  les  Errata  et  Additions  (p.  701-71 1) 
assez  nombreux,  ce  qui  ne  saurait  étonner,  vu  le  nombre  effrayant 
des  chiffres,  renvois  et  citations  donnés  par  l'auteur.  Le  catalogue 
des  seules  citations  de  diplômes  remplit  près  de  quarante  pages 
(p.  713-751)  % 

E. 


Das  tausendjaehrige  Jubilaeum  der  deutsohen  Selbststaendigkeit  von  Harry 
Bresslau,  Strasbourg,  Trûbner,  1912,   16  p.  gr.,  in-S».  Prix  :  i  fr.  5o. 

Les  professeurs  de  l'Université  de  Strasbourg  ont  fondé  en  1906 
une  Société  pour  l'avancement  des  sciences  en  Alsace-Lorraine;  ce 
Fere/n,  qui  ne  comprend  guère  que  des  immigrés,  a  fait  paraître  déjà 
plusieurs  publications  relatives  soit  aux  antiquités  égyptiennes,  soit 

1.  M.  St.  a  traité  en  détail  (p.  ôSy-ôôS),  le  cas  de  Strasbourg,  Altaich,  Prum,  où 
il  montre  combien  les  privilèges  de  ces  deux  dernières  abbayes  sont  dépendants  de 
celui  de  Strasbourg. 

2.  Les  localités  françaises,  auxquelles  sont  octroyés  des  diplômes  d'immunité, 
cités  dans  ce  volume,  &oxiX  Besançon,  Cambrai^  Dijon,  Épinal,  Luxeuil,  Reims, 
Sainte-Claude,  Saint-Denis,  Saint-Dié,  Seriones,  Toid  et  Verdun. 


d'histoire  et  de  littérature  263 

aux  liitératures  orientales,  etc.  C'est  à  la  dernière  assemblée  générale 
de  l'association,  le  i"'-  juillet  191  i,  que  M.  Harry  Bresslau,  profes- 
seur d'histoire,  a  fait  la  conférence,  reproduite  ici,  sur  le  millénaire 
de  Vindépendance  allemande,  qu'il  Hxe  au  10  novembre  911.  C'est  à 
cette  date  que  les  grands  de  la  Francie  orientale,  de  la  Saxe  et  de  la 
Souabe,  élurent  le  duc  Conrad  de  Franconie,  comme  chef  d'une 
Allemagne  indépendante  de  l'empire  carolingien,  dont  les  derniers 
représentants  existaient  encore  dans  la  Francie  occidentale  et  consti- 
tuèrent ainsi  un  nouvel  état  au  centre  de  l'Europe.  M.  B.  raconte  à 
cette  occasion  comment,  dès  1843,  le  roi  de  Prusse,  Frédéric-Guil- 
laume IV,  avait  voulu  organiser  la  célébration  du  millénaire  du  traité 
de  Verdun,  et  fêter  à  cette  date,  le  jour  de  naissance  de  l'Allemagne 
moderne.  Mais  l'indifférence  marquée  de  l'Autriche  et  l'opposition 
catégorique  des  quelques  autres  ctats  de  la  Confédération  germanique 
fit  échouer  ce  projet,  qui  ne  trouva  guère  d'écho  partiel  qu'en  Prusse. 
C'est  un  chapitre  assez  curieux  de  Thistoire  de  l'esprit  public  en  Alle- 
magne, vers  le  milieu  du  xix^  siècle,  raconté  d'après  des  documents  en 
partie  inédits. 

E. 


De  quelques  assassins,  par  Pierre  de  Vaissière,    Paris,  Emile  Paul,  19 12,  in-S", 
X  et  409  p.,  7  fr.  5o. 

M.  de  Vaissière  partage  son  temps  entre  l'histoire  de  la  Révolution 
et  celle  de  la  fin  du  xvi"^  siècle.  Cette  dernière  époque,  qu'il  appelle 
«  l'âge  héroïque,  luxurieux  et  sanglant  »,  a  pour  lui  un  attrait  particu- 
lier, et  il  se  complaît  particulièrement  à  l'étude  de  personnages  tenant 
plus  de  la  bête  de  proie  que  de  l'homme.  Dans  son  nouveau  volume 
il  s'attache  successivement  à  Poltrot  de  Méré,  Maurevert,  Besme, 
Henri  III  et  ses  Quarante-cinq,  enfin  Jacques  Clément  ;  il  reconstitue 
habilement  l'existence  de  ces  assassins,  la  genèse  et  l'exécution  des 
crimes  qui  leur  ont  valu  leur  triste  célébrité.  Il  entrevoit  une  inter- 
prétation nouvelle,  et  s'élève  contre  les  historiens  qui  ont  considéré 
!  celte  série  de  meurtres  comme  «  une  sorte  de  drame  dont  le  nœud 
aurait  été  la  rivalité  des  deux  puissantes  familles,  les  Guise  et  les 
Chatillon  ».  Il  découvre  une  effroyable  unité  entre  eux  et  pense  que 
le  lien  pourrait  bien  être  l'exécrable  politique  des  derniers  Valois. 
Pour  lui,  l'acteur  principal  serait  donc  Catherine  de  Médicis  qui, 
pour  régner,  applique  des  procédés  italiens,  s'efforce  de  profiter  dans 
son  intérêt  exclusif  et  égoïste  des  divisions  des  partis,  et  cherche  à 
lancer  les  catholiques  contre  les  protestants,  les  Guise  contre  les 
Chatillon,  pour  détruire  les  uns  et  les  autres,  et  établir  son  pouvoir 
incontesté  sur  les  ruines  de  tous.  Ainsi  il  soupçonne  Poltrot  de  Méré, 
meurtrier  du  conquérant  de  Calais,  d'avoir  été  l'instrument,  non  de 
Coligny,  mais  celui  de  la  reine  mère.  Celle-ci,  débarrassée  d'un  rival 
qui  l'annihilait  depuis  la  mort  d'Henri  II,  comptait  rejeter  la  respon- 


264  RKVUE    CRITIQUE 

sabiliic  du  crime  sur  l'amiral  ci  les  reformés  qu'elle  abandonnerait  à 
la  vengeance  des  Lorrains  et  dont  elle  se  déferait  ainsi.  M.  de  V.  ne 
présente  à  l'appui  de  sa  thèse  qu'un  document  d'une  authenticité  très 
douteuse,  et  en  somme  il  semble  bien  que  Poltrot  ne  fut  qu'un  fana- 
tique dont  la  parente  et  les  relations  avec  les  chefs  de  la  conspiration 
d'Amboise  expliquent  suHisamment  la  conduite.  Catherine,  dit 
l'auteur,  ayant  échoué  en  partie  dans  sa  combinaison  machiavélique, 
essaya  de  la  reprendre  en  août  1572.  11  s'agit  alors  de  faire  tuer 
Colignypar  Charles  de  Louviers,  seigneur  de  Maurevert,  dans  l'espoir 
que  les  nombreu.x  huguenots,  alors  réunis  dans  la  capitale,  venge- 
raient leur  chef  sur  les  Guise  et  fourniraient  aux  forces  royales  l'occa- 
sion, sous  prétexte  de  rétablir  l'ordre,  de  tomber  sur  les  adversaires 
affaiblis.  Le  coup  de  Maurevert  manqué,  la  reine  et  le  duc  d'Anjou 
«  se  rendent  compte  qu'ils  sont  sur  le  point  d'être  débordés  par  les 
fureurs  des  deux  factions  que  leur  projet  primitif  a  été  de  mettre  aux 
prises  »  et  ils  se  jettent  dans  les  bras  des  catholiques  les  poussant  à 
attaquer  leurs  rivaux.  L'assassinat  de  l'amiral  par  Jean  Yanowitz,  dît 
Besme,  commença  le  massacre  de  la  Saint-Barthélémy  dont  les  résul- 
tats déçurent  encore  Catherine  en  laissant  les  Lorrains  trop  puissants. 
Désormais  la  vieille  reine  passe  la  main  à  Henri  III,  son  fils  préféré 
et  son  élève,  qui,  fidèle  à  ses  leçons,  s'efforce  d'abattre  les  tètes  trop 
hautes,  et  ce  sont  les  meurtres  de  Blois.  M.  de  V.  n'est  pas  toujours 
impartial,  il  reconstitue  avec  précision  les  détails  de  ces  sanglantes 
journées,  mais  il  ne  cache  pas  ses  préférences  pour  les  Guise  :  »  On 
a  beaucoup  déclamé  contre  le  gouvernement  de  la  ligue.  Celui-là  sut 
du  moins  ce  qu'il  voulait  :  le  maintien  et  le  triomphe  de  la  religion 
traditionnelle  ;  sa  volonté,  il  sut  l'imposer  à  Henri  IV  avant  de  l'accep- 
ter pour  roi  ».  Jacques  Clément  ne  pouvait  être  représenté  comme  un 
instrument  de  la  politique  que  l'auteur  croit  démêler  depuis  le  siège 
d'Orléans.  Le  crime  du  moine  fut,  dit-il,  la  punition  et  l'expiation 
des  fureurs  et  des  rancunes  amassées  par  les  fautes  des  derniers 
'Valois. 

Nous  laisserons  à  M .  de  "Vaissière  toute  la  responsabilité  de  l'expli- 
cation de  ce  drame  en  quatre  actes,  mais  nous  constaterons  volontiers 
que  son  livre  bien  documenté,  agréablement  illustré,  contient  des 
détails  nouveaux  et  intéressants  sur  l'existence  et  le  caractère  de  ces 
quelques  assassins,  ainsi  que  sur  ceux  de  leurs  victimes  et  de  leurs 

inspirateurs. 

A.  BiovÈs. 


Lucien  Febvre,   Philippe  II  et  la  Franche-Comté.  Étude   d'histoire  politique, 
religieuse  et  sociale.  Paris,  H.  Champion,  1912,  i.vi,  S07  p.  Gr.  ln-S°.  Prix  :  i5fr. 

Le  livre  de  M.  Lucien  Febvre  est  une  thèse  de  doctorat  récemment 
soutenue  devant  la  faculté  des  lettres  de  Paris  et  qui  a  valu,  à  juste 
titre,  à  son  auteur  une  mention  très  honorable.  Ce  n'est  pas  précisé- 


d'histoire  et  de  littérature  205 

ment,  comme  le  titre  pourrait  le  faire  croire,  une    histoire  complète 
des  rapports  du  monarque  espagnol  avec  ce  qui  lui  restait  delà  vieille 
Bourgogne.  Elle  n'est  pas  complète  au  point  de  vue  chronologique, 
puisque  M.   Febvrc  s'arrèie  longtemps  avant  la  mort  de  Philippe  II  ; 
elle  n'est  pas  complète  non  plus,  au   point  de  vue  des  faits,  puisque 
l'auteur  se  refuse  à   «  inventorier  successivement,  dans  une  série  de 
chapitres  méthodiquement  juxtaposés  tous  les  faits    intéressants  de 
tous  les  ordres  qui  se  sont  manifestés,  un   demi-siècle  durant  »  dans 
les  limites  de  la  Franche-Comté.  Mais  s'il  ne  l'a  pas  fait,  c'est  qu'il 
ne  l'a  pas  voulu,  son  but  étant  autre.  Il  considère  sa  province  comme 
une  «  individualité   politique    »,  comme  une  «    personne   historique 
collective   >.,  dont  il  entend  retracer  la  physionomie  dans  «  une  des 
périodes  les  plus  vivantes  de  son  histoire  ».   Tâche  séduisante  à  coup 
sûr,  et  dont  M.  ¥.  s'est  acquitte  avec  beaucoup  de  science  et  de  talent, 
mais  très  dilHcile  aussi,    car  il   semble  bien  que    la  Franche-Comté 
n'ait   eu    jamais  d'  «  individualité    ■>    propre,   puisque,  française    de 
langue,  espagnole  par  héritage,  elle  a  toujours  oscillé,  sous  la  domina- 
tion des   Habsbourgs,   entre  deux    types  de  formation  politique  très 
distincts,  ainsi  que   l'auteur   le   reconnaît   lui-même,  celui  du   petit 
État  pariiculariste  et  quasi   féodal,   s'inspirant  des  idées   du   moyen 
âge  et  celui  de  la  province  d'un  grand  empire,  se  perdant,  plus  ou 
moins   récalcitrante,    il   est  vrai,   dans    le  cadre  centralisateur  de    la 
monarchie  espagnole.  La  Franche-Comté  fut  travaillée  ainsi,  en  sens 
inverse,  par  les  forces  agissantes  et  les  traditions  du  terroir  et  par  la 
volonté  impérieuse  d'un  souverain,  de  moins  en  moins  disposé  à  lais- 
ser leur  liberté  d'allures  à  des  sujets  qu'il  regardait  volontiers  comme 
des  rebelles,  dès  qu'ils  ne  se  soumettaient  pas  aveuglément  àses  arrêts. 
Les  mouvements  intérieurs  de  ce  microcosme  comtois    devaient 
être  d'autant   plus  accentués,   qu'au   dehors,  grâce  à   sa    situation  de 
quasi  neutralité  entre  le  France,  l'Empire  et  les  Cantons  helvétiques, 
elle  était,  ou  semblait  du  moins  à  l'abri  des  attaques  de  ses  voisins. 
Quand   Philippe  II  succède  à  Charles  Quint  dans  la  Comté   (i556)  ' 
la  vie  politique  et  sociale  est  agitée,  l'on   peut  dire  bouleversée,  par 
les   conflits  violents  entre   l'absolutisme  royal  et  les  libertés  provin- 
ciales, entre  la  noblesse  et  la  bourgeoisie,  entre  l'Eglise  menacée  dans 
sa  toute  puissance  et  les  idées  de  la  Réforme  qui  s'infiltrent  dans  le 
pays.  C'est  en  s'appuyant  sur  un  apport  formidable  de    documents 
manuscrits  et  imprimés  '  que  M.  F.   aborde  l'étude  détaillée   de  cette 


1.  Philippe  II  ne  fait  son  apparition  dans  le  livre  de  M,  F.  qu'assez  tard,  ce  qui 
s'explique  fort  bien,  puisque  ce  n'est  pas  lui,  mais  la  Franche-Comté  elle-même 
qui  forme  le  centre  de  l'ouvrage. 

2.  L'auteur  a  donné  le  relevé  de  ses  sources  dans  son  introduction,  p.  xv-lvi. 
Signalons  seulement  son  dépouillement  plus  intensif  du  fonds  de  Granvelle  à  la 
bibliothèque  de  Besançon,  après  Charles  Weiss  et  Poulet-Piot,  et  celui  des 
Archives  du  Parlement  de  Dùle. 


2bt)  RKVUE    CRITIQUE 

siiuation  si  troubice.  Dans  la  proiiiicrc  partie  de  son  travail,  il  nous 
expose  l'état  du  pays  à  la  veille  de  l'avcnement  de  Philippe.  Son  récit 
s'ouvre  par  une  description  idéographique  très  vivante  des  différentes 
régions  de  la  Franche-Comté,  suivie  d'un  aperçu  rapide  sur  l'histoire 
de   la    province    depuis   les     temps    lointains   des   Séquanes   jusqu'à 
Charles-Quint.  Il  décrit  ensuite  les  rouages  administratifs,  le  gouver- 
nement lointain  de  Bruxelles,  le  gouvernement  local  assez  impuissant, 
aux  prises  avec  le  Parlement  très  agissant  dans  les  affaires  intérieures, 
avec  les  Etats,  jaloux  de  leurs  droits  politiques,  plus  ou  moins  pré- 
caires, tantôt  contestés  par  la  couronne  et  tantôt  par  la  cour  suprême. 
Une     noblesse    ambitieuse,     une    bourgeoisie    remuante     et     riche 
inquiètent  les  représentants  du  roi,  ces  Perrenot  de   Granvelle,  détes- 
tés des  chefs    de  l'aristocratie  locale  ',   qui   voient   dans  les   robins 
parlementaires    des    adversaires    encore    plus   dangereux    pour    leur 
influence  et  leurs    fortunes.   Une   troisième    partie    nous   montre   le 
contre-coup,   dans    la  Comté,    de   la    révolution    des    Pays-Bas,    les 
troubles    politiques  qui   agitent  le  pays,    le  passage   du  duc   d'Albe 
(i566),  celui  du  duc  Wolfgang  de  Deux-Ponts  (1569).  Dans  la  qua- 
trième partie,    nous   assistons   aux    progrès   de  l'absolutisme,  après 
quelques  essais  de  réformes  dans  l'Église,  l'Université,  le  Parlement. 
Les  Ordonnances  d'avril  i586  marquent  latin  des  luttes  intérieures,  la 
soumission,  plus  ou  moins  résignée,  à  l'absolutisme  égoïste  de  l'hôte 
de  l'Escurial  '.   La  Franche-Conité    n'est  plus  seulement   exploitée, 
elle  est  sacrifiée  aux  principes  régulateurs   de  la  politique  de   Phi- 
lippe  II;   désormais  elle  ne   sera  plus  pour  l'Espagne  qu'une   route 
d'étapes,  conduisant  d'Italie  vers  les  Flandres,  route  sans  cesse  par- 
courue  par   des  soudards   indisciplinés    jusqu'au    moment     où   elle 
devient,  au  cours  de  la  guerre  de  Trente  Ans,  un  champ  de  bataille 
perpétuel. 

Dans  ce  vaste  tableau  politique  et  social  de  la  Franche-Comté 
durant  la  seconde  moitié  du  xvi^  siècle,  il  y  a  peut-être  quelques  idées 
maîtresses,  théoriquement  discutables,  comme  l'affirmation  de  la  pré- 
dominance absolue  des  facteurs  économiques  dans  la  vie  des  peuples 
sur  les  facteurs  intellectuels  et  religieux.  Il  peut  sembler  aussi  que  ce 
soit  une  entreprise  bien  hardie  d'expliquer  un  pareil  processus  histo- 
rique pour  une  époque  «  où  l'on  n'a  le  recours  possible  d'aucune 
donnée  statistique  »  (p.  xii),  alors  qu'il  serait  serait  déjà  fort  difficile 
de  le  faire  pour  l'histoire  contemporaine  avec  nos  dossiers  adminis- 
tratifs. M.  F.  n'a  pas  craint  pourtant  de  nous  décrire  un  état  de 
choses  économique  et  social,  «  dont  l'interprétation,  à  chaque  ins- 


1.  Un  des  épisodes  les  plus  curieux  du  livre  c'est  l'espèce  de  duel  à  mort  qui 
remplit  toute  cette  période,  entre  les  Perrenot,  natifs  d'Ornans  et  Simon  Renard, 
de  Vesoul  ;  on  croirait  lire  l'histoire  d'une  vendetta  corse. 

2.  A  ce  moment,  dit  l'auteur,  «  disparut  aussi  le  sentiment  de  confiance  joyeuse 
en  l'avenir  qui  animait  les  Comtois  d'autrefois  »  (p.  768). 


d'histoire  et  de  littérature  267 

tant,  soulève  des  problèmes  impossibles  à  résoudre  )'.  Cette  réserve 
faite,  nous  constatons  qu'il  a  réuni  dans  son  livre  une  quantité 
énorme  de  faits,  et  — ■  chose  plus  rare  !  —  il  ne  s'y  est  pas  perdu  ;  il  a 
su  les  grouper,  les  éclairer  les  uns  par  les  autres,  en  tirer  des  tableaux 
très  vivants  et  très  précis  à  la  fois.  On  ne  sait  ce  qu'on  doit  le  plus 
louer  dans  le  travail  du  professeur  de  Besançon,  la  patience  à 
dépouiller  tant  de  dossiers  particuliers,  le  talent  de  disposer  les  maté- 
riaux réunis  par  un  labeur  prolongé  en  un  récit  attrayant,  les  conclu- 
sions d'une  portée  générale  que  l'auteur  sait  tirer  des  faits.  Nous 
citerons,  comme  exemples,  le  tableau  de  l'appauvrissement  des  sei- 
gneurs territoriaux,  alors  «  qu'à  travers  les  mailles  trop  larges  du 
filet  féodal  les  réalités  de  la  vie  économique,  souple  et  fuyante, 
glissent,  s'évanouissent,  s'échappent  à  leur  aise  »  (p.  227)  et  celui  des 
sources  de  la  richesse  bourgeoise,  «  fondant  sur  la  misère  paysanne 
l'édifice  laborieux  et  patient  de  sa  fortune  »  (p.  25 1)  '. 

11  n'y  a  presque  rien  à  noter,  comme  corrections  de  détail  \' 

R. 

Histoire  de  la  Belgique  par  Henri  Pirenne,  professeur  à  l'Université  de  Gand. 
Tome  IV  :  La  révolution  politique  et  religieuse.  Le  règne  d'Albert  et  Isabelle. 
Le  régime  espagnol  jusqu'à  la  paix  de  Munster  (1648).  Bruxelles,  H.  Lamertin, 
igi  I,  vii-495  p.  in-8". 

Nous  avons  déjà  parlé  jadis  du  vol.  III  de  V Histoire  de  Belgique, 
de  M.  Pirenne,  à  propos  de  la  traduction  allemande  de  son  ouvrage  '  ; 
c'est  du  tome  IV  de  l'édition  originale  que  nous  avons  à  rendre  compte 
aujourd'hui.  Il  est  consacré  aux  quatre-vingt  années  qui  s'écoulent 
entre  le  début  de  la  révolte  néerlandaise  et  la  signature  des  traités  de 
Westphalie.  Époque  glorieuse  pourles  Pays-Bas  réunis  d'abord  tous 
ensemble  contre  la  tyrannie  espagnole,  mais  glorieuse  surtout  pour 
les  Provinces-Unies  du  Nord  qui  surent  conserver  leurs  "libertés  et 
devenir  une  nation,  alors  que  les  provinces  méridionales,  un  instant 
associées  à  la  rébellion  commune,  s'effraient  de  leur  propre  audace  et 
préfèrent  retourner  sous  un  Joug  qui  conserve  leur  foi  mais  les  endort 
d'un  sommeil  délétère  dont  la  Révolution  française  seule  parviendra 
plus  tard  à  les  retirer.  Quand  on  compare  l'histoire  de  la  Hollande 

1.  de  paysan  comtois,  on  aurait  voulu  le  voir  autrement  que  comme  «  victime  » 
de  l'oppresseur  noble  et  de  l'usurier  bourgeois;  on  aurait  désiré  le  rencontrer 
chez  lui,  dans  sa  vie  quoditienne.  11  y  a  là  un  chapitre  qui  manque  à  ce  tableau 
général  de  la  société  franc-comtoise  au  xvi"  siècle.  L'Eglise  aussi  n'y  figure  que 
très  incidemment,  dans  le  chapitre  sur  les  poursuites  contre  les  hérétiques. 

2.  P.  3o,  il  est  dit  que  Maximilien  I  devint  empereur  le  19  août  I4g3;  il  serait 
plus  exact  de  fixer  son  couronnement  (dont  dépendait  alors  le  titre  impérial)  au 
4  février  i5o8.  —  P.  72,  le  siège  de  Saint-Dizier  est  de  i >44  et  non  de  i .^64.  — 
P.  472,  lire  Toiissain  pour  Toussaint  et  Htitten  pour  Hûttcn.  —  P.  482,  1.  dix 
pour  deux.  —  P.  743,  1.  1 58o  p.   ibS-j. 

3.  Voy.  Revue  critique  du.  23  décembre  1907. 


268  REVUE    CRITIQUE 

au  xvii=  siècle,  avec  celle  de  la  Belgique  à  la  même  époque,  les  con- 
trastes sont  frappants  et,  pour  un  patriote  belge,  qui  ne  serait  pas 
ultrainoniain,  ils  ne  peuvent  être  que  douloureux  ;  mais  cette  histoire 
de  la  Belgique  de  Philippe  II,  d'Albert  et  d'Isabelle  n'en  est  pas  moins 
des  plus  instructives  et  le  savant  professeur  de  Gand,  tout  en  se 
renfermant  dans  son  rôle  d'historien,  a  su  nous  en  présenter  les  ensei- 
gnements dans  un  style  sobre  et  précis,  et  d'autant  plus  impressif  qu'il 
fuit  tous  les  effets  de  rhétorique  et  se  contente  de  bien  établir  et  bien 
grouper  les  faits.  Tandis  que  les  provinces  du  nord,  plus  énergiques, 
finissent  par  s'émanciper  du  joug  espagnol,  et  par  jouer  un  rôle  mar- 
quant dans  la  politique  européenne,  celles  du  sud,  qui  d'abord  avaient 
lutté  avec  la  môme  vaillance  pour  les  vieilles  franchises  brabançonnes 
et  flamandes,  se  soumettent  dévotement  aux  anciens  maîtres  ou  aux 
nouveaux,  passant  du  stupide  Mathias  au  fourbe  Anjou,  d'Alexandre 
Farnèse  à  l'archiduc  Albert,  jusqu'au  moment  où  se  réalise  l'entière 
restauration  de  la  puissance  d'Espagne  et  de  l'Église  catholique.  Les 
Belges,  à  demi  ruinés,  «  considèrent  maintenant  leurs  concitoyens 
calvinistes  du  nord  comme  des  étrangers,  et  se  sentant  incapables 
de  défendre  contre  eux  leur  territoire  et  leur  foi  religieuse,  ils  s'a- 
bandonnent désormais  à  la  protection  du  roi  »  (p.  217).  La  cession 
des  Pays-Bas  espagnols  aux  -<  infants  »  Albert  et  Isabelle,  dont  l'union 
devait  rester  stérile,  n'était  d'ailleurs  qu'un  «  expédient  »,  et  ce  système 
bâtard  du  «  gouvernement  des  archiducs  »  qui  prend  fin  dès  i633, 
cache  mall'action  du  roi  d'Espagne  qui,  de  Madrid,  le  tient  en  bride, 
dès  le  premier  jour,  par  l'épée  de  Spinola.  Les  Etats  généraux  dissous 
en  1634,  n'ont  été  rappelés  à  l'existence  qu'en  1788,  et  dès  lors  c'est 
de  nouveau  le  roi  d'Espagne  qui  commande  directement  à  Bruxelles. 
Mais  comme  c'est  un  souverain  «impuissant  et  discrédité  »,  laBelgique 
future  risque  fort  d'être  absorbée  par  la  France,  durant  la  guerre  de 
Trente  Ans.  Ce  qui  la  sauva,  ce  fut  la  crainte  qu'éprouva  la  république 
des  Provinces-Unies,  de  voir  les  Français  s'établir  sur  ses  propres 
frontières.  Malgré  Mazarin,  les  Hollandais  accordèrent  la  paix  à  leurs 
ennemis  héréditaires  après  80  ans  de  guerre,  et,  pour  obtenir  cette 
paix,  «  les  commissaires  espagnols  sacrihèrent  sans  pitié  la  Belgique 
aux  exigences  des  Provinces-Unies  »  (p,  287).  De  tous  les  efforts 
gigantesques  faits  par  la  couronne  d'Espagne,  de  Philippe  II  à 
Philippe  IV,  un  seul  résultat  subsiste,  «  la  restauration  et  la  victoire 
définitive  du  catholicisme  »  ;  mais  l'historien  constate  que  «  les  pro- 
vinces n'ont   échappé   à  l'hérésie  qu'au  prix  de  la  ruine  »  (p.  288  '). 

I.  M.  P.  a  placé  ici  un  chapitre  latéral,  si  je  puis  dire,  sur  Tévéché  dé  Liège 
qui,  depuis  qu'un  Witteisbach  en  occupe  le  siège,  est  plus  étroitement  rattaché 
au  Saint-Empire;  ce  chapitre  intéressera  parles  détails  donnés  sur  l'alliance 
entre  Liège  ei  la  France  au  cours  de  la  guerre  de  Trente  Ans.  L'auteur  est,  je 
crois,  le  premier  à  faire  remarquer  FinHuence  de  l'élément  protestant  dans  les 
révolutions  liégeoises  du  temps  (p.  32o  et  suiv.}. 


d'histoire  et  de  littérature  269 

Cette  décadence  se  marque  d'une  façon  visible  dans  la  partie  du 
volume  consacrée  au  tableau  de  la  Civilisation  des  Pays-Bas  catho- 
liques. «  I. 'appauvrissement,  l'incertitude  du  lendemain,  les  désastres 
de  la  guerre  tarissent  toutes  les  sources  de  la  vitalité  du  pays. .  .  Il  se 
réfugie  dans  la  religion.  L'Eglise  seule  entretient  encore  un  mouve- 
ment intellectuel  qui  finira  bientôt  par  s'arrêter  lui-même  au  milieu 
de  l'atonie  universelle  »  (p.  335).  Rien  d'étonnant  à  cela;  Vintelli- 
gence  des  villes  avait  pris  le  chemin  de  l'émigration  vers  les  Pays-Bas 
libres  ',  et  les  masses  indifférentes  et  dociles,  travaillées  par  un  clergé 
innombrable,  dirigé  lui-même  par  un  épiscopat  presque  aussi  nom- 
breux que  celui  d'Italie,  sont  d'une  obéissance  à  toute  épreuve.  Les 
écoles  dominicales,  les  missions,  les  catéchismes  de  persévérance  ont 
fait  alors  de  la  Belgique  «  une  véritable  place  de  guerre  spirituelle  » 
(p.  359) '.  L'organisaiion  politique  du  pays  n'est  pas  moins  déplo- 
rable. Il  n'y  a  plus  nulle  liberté;  «  on  en  est  revenu  en  somme  au 
point  où  l'on  était  à  l'époque  d'Albe  et  de  Requesens  «  (p.  391)  ;  un 
Conseil  d'État  nul  ;  un  Conseil  privé  qui  seul  fonctionne  au  service 
du  pouvoir  absolu  ;  plus  d'États-Généraux  ;  quelques  États  provin- 
ciaux sans  importance,  sauf  ceux  du  Brabant  ;  une  situation  finan- 
cière déplorable,  «  les  ressources  du  gouvernement  ne  parvenant 
jamais  à  couvrir  ses  dépenses  ».  La  misère  est  également  grande  dans 
les  villes  et  les  campagnes  ;  Anvers,  qui  avait  eu  plus  de  cent  mille 
habitants,  n'en  a  plus  que  cinquante-sept  mille  en.  1 645 ,  tout  un  demi- 
siècle  après  le  sac  de  la  ville;  dans  certaines  localités  le  quart  des 
maisons  tombe  en  ruines,  les  gens  meurent  de  faim  ;  le  déclin  écono- 
mique est  constant,  universel.  Les  tristes  gouvernements  qui  se  suc- 
cèdent, rois,  archiducs  ou  gouverneurs  généraux,  ne  songent  à 
procurer  à  leurs  sujets  que  la  félicité  du  paradis  catholique  sans 
faire  aucun  effort  pour  leur  rendre  ici-bas  la  terre  secourable  et  la  vie 
aisée,  comme  jadis.  Pourtant  si  la  Belgique  d'alors  avait  eu  quelque 
homme  d'État  véritable,  quelques  hommes  d'énergie,  elle  aurait  pu 
redevenir,  après  les  guerres,  un  «  champ  d'action  incomparable  » 
pour  de  grandes  entreprises  commerciales.  Avec  l'argent  employé  à 
bâtir  des  églises,  à  doter  des  couvents,  des  collèges  de  jésuites,  à 
mettre  en  scène  des  processions  fastueuses,  on  aurait  facilement  pu 
créer  une  flotte  belge.  L'industrie  était  un  peu  moins  délaissée  que  le 

1.  Nous  avons  rendu  compte  ici,  il  y  a  quelques  années,  du  livre  si  instructif  de 
M.  J,  Eggen  sur  V Influence  des  Pays-Bas  méridionaux  siii-  la  Néerlande  septen- 
trionale. 

2.  11  est  un  seul  point  sur  lequel  je  ne  suis  pas  entièrement  d'accord  avee  l'au- 
teur; c'est  quand  il  déclare  "  que  la  liberté  scientifique  et  la  tolérance...  furent  éga- 
lement odieuses  aux  protestants  et  aux  catholiques  (p.  447).  Cela  n'est  vrai  que 
pour  le  xvi«  siècle  et  une  partie  du  xvii»  siècle,  et  encore  pas  d'une  façon  absolue. 
Mais  il  y  a  toujours  cette  dilférence  considérable,  que  c'est  du  protestantisme 
qu'est  sortie,  dès  le  xvii«  siècle,  et  que  s'est  développée, dans  les  pays  acquis  à  la  Ré- 
forme, la  liberté  scientifique  que  condamne  encore  aujourd'hui  l'Eglise  catholique. 


270  REVUE    CRITIQUE 

commerce,   mais  elle  avait    quitte  les  villes  pour  les    campagnes,  et 
l'agriculture  elle-même,  encore  intense  dans  les  Flandres,  n'est  plus 
florissante  comme  par  le  passé.  La  science  »  n'est  plus  qu'une  «  police 
intellectuelle  pour  sauvegarder  l'orthodoxie  ».   On  voit  le  vieux  Juste 
Lipse  revenir  dans  le  giron  de  l'Eglise  et  chanter  les  Vierges  miracu- 
leuses; Van   Helmont  est  dénoncé  comme  hérétique;   les  historiens 
sont  réduits  à  faire  de  l'érudition  médiévale,  et  presque  tous  sont  des 
clercs  ou  des  jésuites.  M.  P.    s'extasie  un  peu  trop  —  ou  bien  est-ce 
de  l'ironie?  —  sur  «  l'extrême  fécondité  »  des  Révérends  Pères,  dont 
«  la  production  littéraire  a  de  quoi  surprendre  l'imagination  »  (p.  452). 
Que   reste-t-il  de  leurs  écrits?  En  quoi  ces  polygraphes  infatigables 
ont-ils  fait  avancer  l'esprit  humain?  Et  quanta  la  littérature  profane, 
elle  est  morte  et  bien  morte,   émasculée   par  les  clercs;  la  Belgique 
laïque  n'a  plus  de  voix,  plus  même,  dirait-on,  le  regret  d'être  muette. 
Quant  aux  beaux  arts,  «  dominés  par  l'Eglise  et  associés  par  elle  au 
triomphe  de  la  Contreréformation  »,  ils  sont  bientôt  victimes  de  la 
décadence  générale.  Rubens,   qu'on  «  a  appelé  avec  raison  le  peintre 
par  excellence  de  la  Contreréforme  »,  n'est  pas  encore   atteint  dans 
son  génie;   ses  élèves,  Jordaens,    Van  Dyk,  Snyders,  Téniers,  sont 
encore  de  grands  artistes  ;   mais  il  est  curieux  et  triste   à  la  fois  de 
constater  avec  quelle  rapidité  leurs  élèves  à  eux,  ont  été  pris  «  de  cet 
engourdissement  de   l'activité  nationale,  au  milieu  duquel  devaient 
bientôt    s'obscurcir,   puis  s'éteindre,  les    dernières   lueurs  de  l'art  » 
(p.  468). 

On  le  voit,  le  nouveau  volume  du  savant  historien  de  Gand  est  d'une 
lecture  attrayante  et  suggestive.  Il  ne  fera  pas  seulement  mieux  con- 
naître le  passé  de  la  Belgique  à  ses  compatriotes  et  aux  étrangers.  Sans 
avoir  quitté  le  terrain  purement  scientifique,  le  brillant  exposé  de 
M.  Pirenne  est  de  nature  à  faire  réfléchir  ceux  des  Belges  d'aujour- 
d'hui qui  n'ont  pas  encore  renoncé   docilement    à   toute  liberté  de 

penser. 

R. 


Martin  Hume,  professeur  à  l'Université  de  Cambridge,  Lacour  de  Philippe  IV  et 
la  décadence  de  l'Espagne  (1621-1665),  trad.  de  l'anglais  par  J.  Condamin 
et  P.  Bonnet.  Paris,  Perrin  et  C'°,  1912,   ix-5i2   p.   in-8°,  avec  portraits.  Prix  : 

7  fr.   5o. 

M.  Martin  Andrew  Hume  compte  parmi  les  vétérans  delà  littérature 
historique  relative  à  l'Espagne  du  xvi'  et  du  xvu*  siècle.  Il  est  bien 
connu  comme  éditeur  des  Calendars  of  Spanish  State  Papers  et  par 
une  série  de  volumes  consacrées  au  passé  de  la  péninsule  ibérique  '. 
Il  avait  projeté,  nous  dit-il,  une  histoire  complète  du  règne  de  Phi- 
lippe   IV,   qui   marque  «   la   décadence    finale  »  de    la   monarchie  de 

I.  Nous  rappellerons  seulement  quelques-uns  de  leurs  titres  The year  after  the 
Armada.,  Queens  of  Spain,  Spanish  influence  in  cnglisli  littérature,  etc. 


d'histoire  et  de  littérature  271 

Charles-Quint  ;  il  y  a  renoncô,  sous  prétexte  que  le  goût  du  public  ne 
s'accommode  plus  de  la  «  grande  histoire  »,  vraisemblablement  aussi 
parce  qu'il  a  senti  combien  mesquin,  presque  ridicule,  fut  le  person- 
nage qui  devait  tigurer  au  centre  de  son  récit  et  qu'il  ne  serait  guère 
possible  de  lui  gagner  les  sympathies  des  lecteurs.  M.  Hume  a  donc 
réduit  son  récit  à  un  tableau  de  la  cour  de  Philippe  IV,  tableau  brossé 
d'ailleurs  de  main  de  maître,  mais  avec  une  indulgence  que  d'aucuns 
trouveront  imméritée.  On  sent  à  chaque  page  la  connaissance  parfaite 
des  hommes  et  des  choses  d'Espagne,  que  l'auteur  a  acquise   par  ses 
longs  séjours  dans  le  pays,  par  la  pratique  constante  des  archives  de 
Simancas  et  des  bibliothèques  de  Madrid,  et  de  leurs  richesses  iné- 
dites, comme  aussi  par  celle  des  dépèches  des  diplomates  anglais  du 
temps;  on   est  étonné  seulement  de  la  mansuétude  presque  souriante 
avec  laquelle  il  traite  ce  triste  souverain  et  son  triste  entourage.  C'est 
le  premier  historien  qui  nous  entretient,  avec  autant  de  détails  exacts 
et  précis,  de  la  mentalité  du  «  Roi  Planète  »,  des  mœurs  de  sa  cour, 
et  de  sa  capitale,  «  le  laid  et  malpropre  Madrid  »  qu'il  appelle  quelque 
part  «  le  foyer  phosphorescent  de  la  décadence  d'une  grande  nation  ». 
Quand  Philippe  IV  naquit  en  i6o5  et  fut  baptisé  sur  les  mêmes  fonts 
qui  avaient  servi  jadis  pour  le  baptême  de  S.  Dominique,  le  fonda- 
teur de   la   Sainte    Inquisition,  l'Espagne   était  déjà  bien  malade.  Le 
pieux   et   inerte    Philippe  III,  son    père,  et   le  tout-puissant  duc   de 
Lerme,  son  ministre,  épuisaient  le  sang  de  ses  provinces  pour  nourrir 
les  folies   et  les   vices  de  la  cour  et  des  grands;  pourtant  l'Espagne 
faisait  encore  figure  dans  le  monde  et  l'ombre   de  sa  puissance  d'au- 
trefois inspirait  encore  quelque  respect  à  l'Europe.    Mais   quand  le 
vieux  roi  eut  «  enjambé  l'abîme  qu'il  avait  tant   redouté  de  frafichir, 
aimé  et  respecté  d'un  peuple  qu'il  avait  ruiné  par  son   incapacité   » 
(p.  39),  le  nouveau  monarque,  incapable  et  fainéant  comme  lui,  accé^ 
léra  la  chute  de  la  monarchie  tant  par  ses  défauts  que  par  les  quelques 
«  qualités  »  que  ses  flatteurs  admiraient  en  lui.  Il  chassa  le  favori  tout 
puissant  de  son  père,  mais  pour  le  remplacer  par  un  autre,  plus  inca- 
pable et  plus  orgueilleux.  Si  «  le  clan  des  Sandoval  fut  écrasé  sous  la 
botte  de  fer  des  Guzman  »,  les  malheureux  sujets  n'y  gagnèrent  rien  ; 
le  comte-duc  d'Olivarès  fut  plus  néfaste  encore  à  l'Espagne  que  le  duc 
de   Lerme,   parce  qu'il  voulut  faire   de  la  haute  politique  en  même 
temps  qu'il  devait  subvenir  aux  dépenses  de  la  cour,  «  la  plus  amusée 
et  la  plus  perverse,  dit  M.  H.  (avec  quelque  exagération  sans  doute), 
depuis  celle  d'Héliogabale  »  (p.  45).  S'il  fallait  en  croire  la  chronique 
scandaleuse  du  temps,  le  jeune  roi,  au  teint  pâle,  aux  cheveux  roux, 
à  l'œil  trouble,  à  la  lèvre  pendante,  à  la  physionomie  glacée,  n'était 
pas  un  des  moins  débauchés  de  cette  cour,  et  sa'femme  Isabelle  était, 
elle  aussi,  '«insatiable  dans  la  recherche   du   plaisir  »  (p.  1 35).  L'au- 
teur, qui   cependant   lui    veut  du  bien,  peint   Philippe  comme   «  un 
libertin  sans  conviction,  un   voluptueux  qui,  par  la   force  de  l'habi- 


272  REVUE    CRITIQUE 

tudc,  recherchait  les  saiisfaciions  sensuelles  longtemps  après  qu'elles 
avaient  cessé  d'être  pour  lui  un  plaisir,  puis  les  expiait  dans  des  ago- 
nies de  remords  où  son  âme  devenait  un   enfer  organise  '  »  (p.   160). 
Seuls,  les   beaux-ans   et    les  lettres  jetèrent  quelque  lustre  sur  cette 
décadence  et  cette  »  course  à  Tabime  »  que  la  chute  d'Olivarès,  rem- 
placé à  son  tour  par  don  Luis  de  Haro,  ne  parvint  pas  à  enrayer.  Le 
nouveau   premier  ministre  partageait  l'influence  qu'il  exerçait  sur  la 
personne  royale  avec  une  religieuse,  sœur  Marie,  du  couvent  de  Tlm- 
maculée  Conception   d'Agréda,  qui   le   régenta   jusqu'à   sa  mort,  lui 
donnant  non  seulement  des  conseils  politiques  et  lui  prêchant  vaine- 
nement  d'ailleurs  la  vertu,  mais  lui  enjoignant  aussi  de  procréer  des 
héritiers  pour   la  couronne  d'Espagne  ^  La  Paix   des  Pyrénées   vint 
trop  tard  et  dura  trop  peu  pour  que  les  maux  de  cette  longue  guerre 
de  quarante  ans  pussent  être  réparés.   La  banqueroute  des  finances 
espagnoles  était  si   complète  que  les  pâtissiers  madrilènes   refusaient 
de  livrer  plus  longtemps  à  crédit  à  la  pauvre  reine  les  tartelettes  qu'elle 
affectionnait  tant  (p.  433).   Et  cependant,  alors  que  les  soldats  men- 
diaient et  les  peuples  mouraient  de  faim,  «  il  ne  s'écoulait  guère  de 
semaines  où  l'on  n'eût  à  enregistrer  deux  ou  trois  fêtes  magnifiques, 
des  combats  de  taureaux,  des  mascarades  et  des  tournois  >>  (p.  452)  '. 
Un  prince  qui  vivait  si  follement  en   gaspillant   avec    tant   d'insou- 
ciance les  dernières  ressources  d'un  pays  aux  abois  était  bien  certai- 
nement un  très  mauvais  roi  ;  pourtant  M.  H.  trouve  moyen  de  s'api- 
toyer sur  lui  ;  après  avoir  raconté  sa  mort  (18  sept.  i665)  :  il  s'écrie  : 
«  Il  assista  au  cours  de  son  règne  à  une  décadence  morale  qu'il  fut 
impuissant  à  arrêter  et  à  une  ruine  nationale  que  ne  purent  conjurer 
ses  prières  ferventes.  Et  ainsi  toute  son  existence  fut  une  vie  de  mar- 
tyre. »    Il  semble  que  Philippe  IV  ait   été  un    martyr  à   bien   bon 
compte  ! 

Très  au  courant  des  choses  d'Espagne,  M.  H.  est  parfois  moins 
bien  informé  pour  d'autres  chapitres  de  l'histoire  générale  de  l'époque; 
on  trouvera  en   note  quelques  corrections  de  détail  à  ce  sujet  '.   Le 

1.  On  comprend  que  les  remords  de  ce  dévot  devaient  être  grands,  quand  on 
apprend  qu'il  alla  jusqu'à  séduire  une  religieuse  dans  son  couvent  même;  mais 
après  chaque  accès  de  repentir,  «  il  cessait  de  faire  des  efforts  pour  être  vertueux  », 
comme  le  dit  l'auteur  par  un  joli  euphémisme. 

2.  Le  malheureux  roi  tâchait  bien  d'obéir,  mais  il  était  si  pourri  que  ses  enfants, 
à  peine  nés,  mouraient  bientôt.  M.  H.  nous  raconte  des  choses  bien  singulières 
sur  cette  sœur  Marie  d'Agréda;  mais  les  contemporains  de  la  reine  Isabelle  II  ont 
vu,  eux  aussi,  une  nonne  régenter  la  couronne  d'Espagne. 

3.  L'auteur  revient  souvent,  au  cours  de  son  récit,  «  sur  l'épouvantable  licence 
des  mœurs  qui  s'étalait  dans  la  capitale»  (p.  42g).  Etait-elle  vraiment  plus  grande 
qu'à  Londres,  ou  à  Paris  ou  à  Rome?  Il  serait  en  tout  cas  intéressant  de  savoir  si 
cette  corruption   morale  s'étendait  également  aux  provinces. 

4.  P.  29.  11  n'est  nullement  prouvé  que  \e  fanatique  Rava.i\\a.c  (ùl  fou.  —  P.  "iy. 
Jacques  I''"'  ne  voulait  pas  «  assurei-  le  Palatinat  »  à  son  gendre  Frédéric,  mais  le 
luifaire  rendre,  ce  qui  n'est  pas  la  même  chose.  —  P.  67,   il  est  question   d'un 


d'histoire  et  de  littérature  273 

style  de  l'écrivain  anglais,  autant  qu'on  peut  en  juger  par  une  traduc- 
tion, est  par  moments  un  peu  fantasque  et  les  images  manquent  de 
suite  '  ;  çà  et  là  de?  fautes  d'impression  ou  d'inattention  ',  mais  ou 
demeurant  c'est  un  livre  qu'on  lit  avec  intérêt  ;  il  apprendra  bien  des 
choses  aux  historiens  qui  s'occupent  du  xvii"  siècle. 

R. 


Liselotte  und  Ludwig  XIV  von  D'  Micha2l  Strk.ii.  Mûiichcn  uiui  Berlin,  Olden- 
bourg, 191 2,  I  54  p.,  8",  f;ic-simi!c.  Prix  :  6  fr.  2?. 

On  abuse  un  peu  trop,  en  Allemagne,  de  la  personne  et  de  la  prose 
inédite  de  la  bonne  princesse  palatine  Elisabeth-Charlotte,  devenue 
Madame,  duchesse  d'Orléans.  Je  ne  crois  pas  qu'on  se  doute  chez  nous 
de  tout  ce  qu'on  y  a  mis  au  jour,  depuis  un  quart  de  siècle,  en  fait  de 
correspondances  exhumées  des  archives,  de  Lettres  choisies,  de  dis- 
sertations historiques,  de  pièces  de  théâtre,  de  poèmes  en  langage 
classique  ou  en  dialecte  ^  On  a  fait  de  cette  femme  douée  d'un  grand 
bon  sens  et  même  d'un  certain  esprit,  mais  parfois  aussi  bien  brutale 
et  vulgaire,  comme  un  type  symbolique  de  toutes  les  vertus  alleman- 
des et  comme  un  repoussoir  pour  la  cour  «  corrompue  »  de  Louis  XIV  \ 
Aussi  que  de  lettres  absolument  insignifiantes  imprimées  sous  ce  pré- 
texte, que  de  tirades  «  patriotiques  »  resassées  à  l'infini,  quelle  ava- 
lanche d'élucubrations,   dont  la  plupart  absolument  inutiles,  depuis 

«  Grand-Electeur  »,  titre  qui  n'existait  pas  en  Allemagne.  —  P.  144,  Richelieu  fait 
envahir  la  Valteline  par  des  «  troupes  suisses  et  françaises  ».  Il  s'agit  de  merce- 
naires à  la  solde  de  la  France.  —  P.  233,  Tilly  est  appelé  le  meilleur  général  de 
l'empereur;  il  n'était  pas  le  général  de  Ferdinand  II  mais  de  la  Ligue  catholique. 
—  P.  234,  Tilly  ne  fut  pas  «  tué  à  îngolsiadt  »,  il  y  mourut  des  blessures  reçues  à 
la  bataille  du  Lech.  —  P.  274.  L'Electeur  de  Saxe  ne  s'appelait  piiS  Jean-Frédéric , 
mais  Jean-Georges.  —  P.  273,  la  bataille  de  Noerdlingen  ne  fut  pas  gagnée  «  en 
octobre  1634  »  mais  le  5-6  septembre.  —  P.  299.  Les  Français  ne  «  perdaient  pas  (en 
1637),  l'Alsace  »;  malgré  l'invasion  de  Gallas,  ils  y  conservaient  une  série  de 
places  fortes. —  P.  390.  L'Espagne  n'a  nullement  <<  apposé  sa  signature  au  bas  du 
traité  de  Munster  »,  en  octobre  1648. 

1.  Ainsi  nous  v'oyons(p.  23i)  Gustave-Adolphe  «  entrer  dans  la  lice,  commeun 
météore,  se  ranger  du  côté  de  la  France,  et  tout  balayer  devant  lui! 

2.  P.  233,  on  lit  que  le  cardinal-infant  emprunta  «  aux  Fucars  »  240.000  ducats. 
L'auteur  ou  les  traducteurs  ne  semblent  pas  connaître  le  vrai  nom  des  célèbres 
banquiers  d'.\ugsbourg,  les  Fiigger.  —  P.  274.  Le  nom  d'Axel  Oxenstierna  est 
suivi  des  deux  dates  i383-i584;  à  la  place  de  ce  dernier  chiffre  il  faut  lire  1654. — 
P.  3  12,  1.  Sofala  p.  Solfala. —  P.  484,  un  même  diplomate  anglais  est  appelé  Sir 
Richard  Fansliawe  et  p.  485  lord  Fansliave  :  sa  femme  lady  Fransliave  (p.  482). 
P.  434,  et  passim  1.  maréchal  de  Gramont  p.  Grammont. 

3.  Dès    1909  M.  Helmolt  publiait  à  Leipzig  une  Liselotte-DibliograpJiie . 

4.  Sous  ce  rapport,  l'auteur  du  présent  volume  est  parmi  les  plus  raisonnables. 
11  avoue  ne  pas  comprendre  qu'on  ait  fait  de  la  princesse  une  héroïne  favorite  du 
peuple  allemand,  pour  le  seul  fait  d'avoir  soupiré  après  sa  soupe  à  la  bière  et  sa 
choucroute  et  pour  avoir  parlé  avec  dégoût  des  ragoûts  parisiens. 


274  REVUE    CRITIQUE 

Schiller  jusqu'à  Mf""^  Arvcdc  Barinc  '.  En  venant  après  tant  d'autres, 
M.  Sirich  n'a  pas  voulu  se  borner  à  repéter  ce  qui  avait  été  dit  déjà 
tant  de  fois;  il  a  fait  de  louables  efforts  pour  renouveler  le  sujet.  11 
est  venu  en  France  se  livrer  à  des  recherches  personnelles,  pour 
retrouver  dans  les  Archives  de  M.  le  duc  de  La  Trémoïlle  des  corres- 
pondances inédites,  et,  sur  divers  points,  il  nous  apporte  des  éclair- 
cissements sur  l'histoire  de  «  Liselotte  ».  Un  premier  chapitre 
s'occupe  de  la  littérature  afférente  à  Madame;  un  second  est  intitulé 
Louis  XIV,  Liselotte  et  M"^'^  de  Sévigné.  On  sait  que  dans  une  de  ses 
lettres,  la  spirituelle  et  médisante  marquise  dit  que  la  princesse  de 
Tarente  insinuait  que  Liselotte  était  amoureuse  de  son  royal  beau- 
frère.  Là  dessus,  l'auteur  entreprend  un  long  panégyrique  de  son 
héroïne,  pour  montrer  qu'un  pareil  égarement  de  la  princesse  pala- 
tine est  absolument  impossible,  et  qu'il  n'y  a  là  qu'une  calomnie 
méprisable.  On  n'a  qu'à  jeter  un  regard  sur  les  portraits  de  Madame 
pour  donner  raison  à  M.  S.  quand  il  proteste  contre  l'existence  de 
relations  coupables  entre  le  roi  et  la  seconde  duchesse  d'Orléans; 
lui-même  a  négligé  pourtant  —  par  courtoisie  sans  doute  —  de  men- 
tionner la  raison  la  plus  topique  qu'il  aurait  pu  donner  pour  défendre 
Louis  XIV  et  sa  belle-sœur,  c'est  que  le  monarque  avait  à  sa  disposi- 
tion, sinon  toutes,  du  moins,  la  plupart  des  belles  femmes  de  sa  cour, 
et  que  Madame  était  assurément  l'une  des  plus  laides  qui  s'y  trou- 
vaient. J'accorde  volontiers  la  «  pureté  de  l'àme  »  de  Liselotte  {die 
Reinheit  ihrer  Seele)  proclamée  par  M.  Jakob  Wille  ;  mais  cela  n'em- 
pêche pas  que  sa  plume  ne  le  soit  pas  toujours  et  qu'elle  raconte  de 
très  vilaines  choses  en  termes  fort  crus.  Il  faut  toute  l'absence  de  sens 
critique,  de  la  part  d'un  poète  comme  M.  de  Wildenbruch,  pour  faire 
de  cette  massive  personne,  si  haute  en  couleur,  un  «  bouton  de  rose, 
germant  dans  la  forêt  des  contes  de  fées  germaniques  »  (p.  32). 

La  troisième  partie  du  travail  de  M.  S.  est  la  plus  intéressante  ;  il  y 
aborde  directement,  et  très  en  détail,  l'examen  des  rapports,  tantôt 
courtois  et  même  affectueux,  tantôt  plus  que  froids,  qui  ont  existé 
entre  le  roi  et  la  duchesse  d'Orléans,  de  1671  à  171  5.  Je  ne  crois  pas 
qu'on  ait  jamais  étudié  d'aussi  près  cette  question,  que  l'auteur  traite 
avec  un  discernement  et  une  critique,  méritant  des  éloges.  Il  distin- 
gue une.'  période  d'attente  (i  671-1682),  une  période  d'étrangement 
(1682-1701),  puis,  après  la  mort  de  Monsieur,  une  espèce  de  réconci- 
liation et  une  période  de  rapports  courtois  et  polis  (1701-1710)  ;  enfin, 
après  les  grands  deuils  de  famille,  une  période  cordiale  (171 1-1715), 
qui  se  prolonge  jusque  longtemps  après  la  mort  de  Louis  XIV,  que 
la  princesse  pleure  à  chaudes  larmes  (p.    145).   Elle  parlait  encore  en 

I.  Je  crains  bien  que  ce  dernier  livre  de  notre  spirituelle  et  regrettée  compatriote 
n'ait  fait  beaucoup  de  mauvais  sang  outre-Rhin,  où  on  Ta  trouvé  insuffisamment 
respectueux  pour  la  princesse.  Notre  auteur  relève  avec  amertume  certains  de  ses 
jugements. 


D  HISTOIRE    KT    DE    LITTERATURE  27D 

1722,  à  nu  gentilhomme  allemand,  du  <(  Grand  Roi  que  j'ai  si  cordia- 
lement aimé  »  (p.  140'.  —  M.  Strich  a  trouvé  aux  Archives  Etrangères 
de  Paris  une  lettre  de  Madame,  adressée  à  son  beau-frère  et  datée  de 
Saint-Cloud,  24  mai  i685  ',  lettre  assez  longue  (p.  63-77)  et  dans 
laquelle  elle  présente  son  apologie,  au  sujet  des  accusations  qui  ont  été 
portées  contre  elles  dans  le  cabinet  royal.  Quelque  prolixe  qu'elle 
soit,  cette  pièce, d'ailleurs  curieuse,  ne  nous  fournit  pas  tous  les  élé- 
ments matériels  suffisants  pour  comprendre  nettement  le  motif  de  sa 
disgrâce,  M.  S.  l'explique  par  des  paroles  inconsidérées  et  brutales 
lancées  par  l'orgueilleuse  princesse  contre  M™=  de  Maintenon,  qu'elle 
regardait  toujours  encore  comme  une  individualité  subalterne  de  l'en- 
tourage de  la  Montespan,  alors  qu'elle  régnait  déjà  sur  le  cœur  de 
Louis  XIV  '.  Elle  aurait  donc  encouru  le  courroux  royal  par  un  de 
ces  excès  de  langage  que  lui  reprochaient  ses  propres  parents,  et  aux- 
quels elle  se  laissait  constamment  aller  dans  sa  correspondance,  bien 
qu'elle  sût  fort  bien  que  Louvois  la  faisait  surveiller  de  près.  On  com- 
prend, qu'à  un  moment  donné,  le  roi  en  ait  eu  assez  et  l'ait  mis  un 
peu  rudement  en  quarantaine.  Peut-être  y  a-t-il  eu  encore  autre  chose, 
mais  nous  n'en  savons  rien.  En  tout  cas  le  mémoire  de  M.  Strich  est 
une  contribution  intéressante  pour  l'histoire  intime  de  la  cour  de 
Louis  XIV  '. 

R. 


La  Réforme  et  les  Eglises  réformées  dans  le  département  actuel  d'Eure- 
et-Loir  (1523-1911),  par  Henri  Lehr,  pasteur  à  Chartres.  Paris,  Fischbachcr, 
191  2,  VI,  5g5  p.,  8",  cartes  et  planches. 

Nous  avons  déjà  parlé  ici  des  travaux  de  M.  Henri  Lehr  sur  l'his- 
toire de  la  Réforme  en  France,  à  l'occasion  d'un  de  ses  volumes  (  Vie 
et  Institutions  militaires,  igoi),  publiés  dans  la  série  des  Protestants 
d'autrefois  du  regretté  Paul  de  Félice  '.  Pasteur  à  Chartres,  M.  Lehr 
a  été  tout  naturellement  amené  à  faire  des  recherches  spéciales  sur  le 
passé  huguenot  du  pays  chartrain  et  le  présent  ouvrage  est  le  fruit  de 
ses  fouilles  consciencieuses  et  prolongées  à  travers  les  dépots  d'archives 
et  les  procès-verbaux  des  communautés  réformées  elles-mêmes.  On  y 
trouvera  tous  les  renseignements  que  l'auteur  a  pu  réunir,  depuis  les 


1.  C'est  soit  dit  en  passant,  —  l'unique  lettre  de  la  princesse  à  Louis  XIV  que 
l'on  connaisse  ;  il  est  vrai  que  cette  épistolière  acharnée  vécut,  toujours  à  ses  côtés, 
ou  du  moins  dans  son  voisinage. 

2.  M.  S.  déclare  d'ailleurs  fort  sensément  que  les  jugements  de  Madame  sur  les 
hommes  et  les  choses  sont  souvent  tellement  partiaux  qu'ils  ne  sauraient  avoir 
aucune  valeur  pour  la  critique  (p.    117). 

3.  F'.  1  I,  il  y  a  une  faute  d'impression  évidente  ;  le  passage  e'ni  als  weib  wie  icli 
doit  être  corrigé  en  ein  alts  iceib  wie  icii. 

4.  Voy.  Revue  Critique,  du  5  mai  1902. 


27b 


REVUE    CRITIQUE 


premières  dissidences  au  xvi'^  siècle  '  jusqu'au  lendemain  de  la  sépa- 
ration de  IKt^lise  et  de  l'Etat. 

Après  une  courte  introduction  (i523-i559j,  la  première  partie  de 
l'ouvrage  retrace  les  vicissitudes  des  Églises  réformées  du  territoire  f 
jusqu'à  la  promulgation  de  l'I'^dit  de  Nantes;  les  quatre  premiers 
chapitres  sont  consacrés  à  la  paroisse  de  Chartres,  les  huit  autres 
aux  petites  Eglises  du  pays  chartrain,  Dreux,  Nogent-le-Rotrou,  Cha- 
teaudun,  etc.  La  deuxième  partie  reprend  l'historique  de  ces  mêmes 
groupements  sous  l'Edit  de  Nantes  (i  SgS-iôSSi  ;  la  troisième  partie 
retrace  leurs  épreuves  en  un  tableau  d'ensemble,  depuis  la  Révocation 
jusqu'à  la  Révoluiion.  L'auteur  suit  les  uns,  parmi  les  religionnaires, 
sur  les  chemins  de  l'exil  '  ;  il  essaie  de  constater  le  nombre  des  autres 
qui  réussirent  à  échapper,  tout  en  restant  au  pays,  à  la  conversion 
durable  et  définitive.  M.  L.  très  prudent  dans  la  fixation  de  ces  chiffres,  .| 
forcément  hypothétiques,  estime  qu'en  1790,  lors  de  la  formation  du 
département  d'Eure-et-Loir,  il  pouvait  s'y  trouver  «  un  maximum  de 
1200  âmes,  légèrement  supérieur  au  total  actuel  des  protestants 
(p.  477),  et  que,  de  i65o  à  1790,  la  population  réformée  du  pays  avait 
décru  «  au  moins  des  trois  quarts  ».  —  La  quatrième  partie  expose, 
d'après  des  documents  désormais  abondants,  l'histoire  contemporaine, 
de  la  Révolution  à  1906,  la  création  d'une  première  paroisse  officielle 
à  Marsauceux  en  1807,  paroisse  dont  le  culte  se  célébrait  encore  dans 
une  grange  en  18 19.  En  1827,  le  pasteur  Née  desservait,  à  lui  seul, 
cinquante-six  communes,  et,  pour  vivre,  sa  femme  devait  ouvrir  une 
boutique  à  Dreux.  La  Restauration,  le  gouvernement  de  Juillet,  et  la 
seconde  République  ne  firent  rien  pour  les  «  disséminés  »  de  la  région, 
et  c'est  en  juin  1870  seulement  qu'un  décret  impérial  constituait 
officiellement  la  paroisse  de  Chartres,  dont  le  temple  ne  fut  inauguré 
qu'en  1887.  Aujourd'hui  les  quatre  associations  cultuelles  du  dépar- 
tement '>  ne  comptent  pas  beaucoup  plus  de  900  protestants  »  (p.  549); 
l'émigration  des  petites  villes  et  des  campagnes  vers  Paris  et  sa  ban- 
lieue en  a  beaucoup  absorbé  dans  le  cours  des  dernières  cinquante 
années. 

Ce  passé,  si  soigneusement  reconstitué  par  M.  L.,  n'est  pas  préci- 
sément riche  en  faits  d'importance  majeure  ni  en  caractères  héroïques. 
Il  s'agit  en  somme  de  modestes  groupes,  quasi  ruraux,  qui  n'eurent 
aucun  centre  commun  ni  grande  activité  intellectuelle,  et  dont  le 
passé  ne  nous  est  que  bien  incomplètement  connu. 

L'auteur  a  fait  le  possible  pour  tirer  de  sa  documentation  si  frag- 
mentaire un   récit  vivant  et  suivi.  Peut-être  aurait-il  mieux  valu  se 


1.  On  peut  prendre  comme  point  de  départ  de  la  crise  religieuse  dans  le  pays 
chartrain^  le  procès  en  hérésie  intenté  en  i323  à  Rouland  Greslet. 

2.  L'auteur  estime  que  le  nombre  des  émigrants  de  la  région  qui  franchirent  les 
frontières  du  royaume  fut  de  600  tout  au  moins,  au  début,  et  peut  avoir  atteint  le 
double  de  ce  chifire. 


d'histoire  et  de  littérature  277 

résigner  franchement  à  écrire  une  série  de  monographies  paroissiales, 
les  unes  plus  déiaillées  grâce  aux  matériaux  réunis,  les  autres  plus 
sommaires,  sauf  à  résumer  les  résultats  généraux  de  son  enquête  dans 
un  chapitre  final.  En  revenant,  quatre  fois  de  suite,  dans  les  diffé- 
rentes parties  de  son  livre  aux  mêmes  localités,  pour  les  quitter 
ensuite  de  nouveau,  il  éparpille,  si  je  puis  dire,  Tattention  du  lecteur, 
sans  réaliser  pourtant  l'unification  véritable  de  son  sujet.  M.  L.  n'a 
pas  seulement  raconté  l'histoire  du  passé  de  ces  communautés  réfor- 
mées qu'il  a  étudiées  de  si  près,  avec  tant  de  sympathie;  on  trouvera 
dans  son  volume  des  détails  intéressants  pour  l'histoire  tout  à  fait 
contemporaine,  tels  les  extraits  du  Journal  de  M™^  S.  Bost,  la  femme 
du  pasteur  de  Chartres,  relatifs  à  la  guerre  de  1870-1871 . 

R. 

Wilhelm  Mûncii,  Zum  deutschen  Kultur-  und  Bildangsleben.  Fiinfte  Samm- 
lung  vermischter  Aufsâtze.  Berlin,  W'cidinann,  1912.  In-S",  p.  33S.  Mk.  6,5o. 

Ferdinand  Buisson,  La  Foi  laïque.  Extraits  de  discours  et  d'écrits  (1878-1911). 
Paris,  Hachette,  1912,  in-i6,  p.  '^36.  Fr.  3,5o. 

I.  L'auteur  de  ce  recueil  d'articles  variés  n'est  pas  un  inconnu  pour 
les  lecteurs  de  la  Revue.  M.  Miinch  est  actuellement   un  des  pédago- 
gues  les  plus  écoutés  en  Allemagne.   Un  des  traits  essentiels  de  sa 
pédagogie,  qui  était  la  marque  commune  de  ses  précédents  volumes 
et  justifie  le  titre  du  nouveau,  c'est  le  souci  de  suivre  les  effets  de  l'édu- 
cation sur  la  culture,  d'étudier  les  transformations  de  celle-ci  et   de 
rapprocher  sans  cesse  la  culture  nationale  des  cultures  voisines.  Tout 
pédagogue  est    par    métier   psychologue.    Il   y  a  dans    le   recueil  de 
M.  M.  beaucoup  d'articles  de  psychologie  :  sur  les  âges  de  la  vie,  sur 
le  prétendu  bonheur  de  l'enfance,  sur  les  types   d'écoliers,  etc.  Une 
riche  et  longue  expérience  (M  .   M.  a  été  longtemps  inspecteur)  lui  a 
fourni  en  abondance  les  observations  dont  sont  nourris  ses  analyses 
et  ses  portraits  ;  peut-être  souhaiterait-on  y  surprendre   plus  souvent 
sous  les  généralités  la  trace  des  faits  concrets  et  des  souvenirs  précis. 
Le  rôle  des  maîtres,  non   moins  que  le  caractère  des  élèves,  a  attiré 
l'attention  de  l'auteur  :  sur  l'art  d'enseigner  avec  intérêt,  sur  le  degré 
de  considération  accordé  au  professeur  dans  la  société  moderne,  sur 
le  devoir  qu'il  a  de  ne  pas  sacrifier  l'éducateur  au  savant  M.  M.  a  écrit 
beaucoup  de  sages  remarques  et  mis  en  garde  contre  bien  des  erreurs. 
Dans  certains  de  ses  articles  les  conseils  sont  exclusivement  pédago- 
giques, comme  ceux  qui  traitent  de  la  préparation  des  professeurs  de 
langues  vivantes,  de  leur  enseignement,  de   l'étude  du   vocabulaire  ; 
d'autres  examinent  les  rapports  de  l'enseignement   secondaire   avec 
l'enseignement  supérieur  ou  revendiquent  les  droits  de  la   pédagogie 
au  titre   de  science  représentée   officiellement  dans   les   Universités. 
Dans  cet  ensemble  si  varié  de  sujets  les  lecteurs  (et    le    livre   mérite 
d'en  trouver  hors  d'Allemagne)  prendront  le  plus  d'intérêt  aux  réfle- 
xions de  l'auteur  sur  la  question  du  progrès  dans  la  civilisation  con- 


27^  RKVDE    CRITIQUE 

temporaine,  sur  les  emprunts  que  se  font  les  unes  aux  autres  les 
nations  modernes  dans  le  domaine  de  l'éducation,  sur  le  degré  de 
pénétration  réciproque  de  leurs  langues,  sur  la  formation  de  leur 
idéal  classique  et  la  consécration  des  auteurs  qui  pour  elles  le  repré- 
sentent, enrin  sur  révolution  ci  la  psychologie  du  Berlin  actuel  '.  l.a 
plupart  de  ces  derniers  articles  et  un  chapitre  final  d'aphorismes  sont 
nouveaux  ;  les  autres  avaient  paru  au  cours  des  dernières  années  dans 
différentes  revues.  Mais  on  lira  ou  relira  les  uns  et  les  autres  avec  le 
même  plaisir;  on  y  trouvera  à  la  fois  un  tableau  fin  et  nuancé  de  la 
vie  intellectuelle  de  l'Allemagne  d'hier  et  le  reflet  de  ses  dernières 
transformations  notées  fidèlement  par  un  observateur  clairvoyant  et 
indulgent. 

II.  Le  livre  de  M.  Buisson,  comme  le  recueil  de  M.  Miinch,  bien 
qu'avec  moins  de  variété,  est  aussi  l'image  d'une  culture  particulière 
et  il  aurait  pu  porter  un  titre  analogue.  L'ensemble  des  quarante-cinq 
morceaux  que  l'auteur  a  réunis  sous  celui  plus  expressif  de  Foi 
laïque,  discours,  allocutions,  conférences,  lettres  ouvertes,  articles  de 
journaux,  représente  comme  un  raccourci  de  la  réorganisation  de 
notre  enseignement  primaire  depuis  les  lois  Ferry.  L'ancien  direc- 
teur au  ministère  de  l'Instruction  publique,  comme  le  professeur  de 
Sorbonne  et  plus  tard  le  député  de  Paris,  ont  été  trop  intimement 
associés  à  cette  œuvre  de  constitution  et  de  défense  pour  qu'on  ne 
Juge  pas  naturel  que  M.  B.  mette  sous  les  yeux  du  public  dans  ce 
qu'il  appelle  son  dossier  près  d'un  demi-siècle  d'histoire  de  notre 
politique  scolaire.  On  sait  avec  quelle  vivacité  cette  œuvre  a  été  atta- 
quée, depuis  les  premières  protestations  des  monarchistes  et  de 
l'Église  jusqu'aux  récentes  querelles  des  manuels  scolaires,  et  il  n'est 
pas  surprenant  que  la  polémique  tienne  une  large  place  dans  ces 
pages.  Mais  même  les  adversaires  seront  forcés  de  rendre  justice  à  la 
loyauté  de  pensée  et  à  la  franchise  de  ton  de  cet  apôtre  de  la  laïcité. 
Ses  amis  politiques  et  tous  les  amis  de  l'école,  même  ceux  qui  ont 
retenu  moins  bien  que  lui  les  leçons  du  Vicaire  savoyard,  de^Con- 
dorcet  et  d'Edgar  Quinet,  ou  qui  sont  moins  habitués  à  vivre  exclu- 
sivement dans  l'air  pur  et  subtil  des  principes  et  des  théories  et  ne  le 
suivent  pas  jusqu'au  bout  de  son  fervent  spiritualisme,  même  ceux-là 
seront  heureux  de  pouvoir  embrasser  dans  l'étendue  d'un  seul  volume 
le  long  et  constant  effort  de  l'administrateur  et  de  l'homme  politique 
et  d'y  trouver  la  preuve,  s'ils  en  avaient  douté,  de  la  ferme  unité  de 
convictions  qui  relie  le  premier  jusqu'au  dernier  de  ces  articles  et  à 
laquelle  M  .  Raymond  Poincaré  a  rendu  un  juste  hommage  dans  sa 
Préface.  Pour  les  lecteurs  étrangers,  moins  au  courant  de  nos  débats, 
le  livre  aura  encore  le  mérite  de  résumer  avec  intérêt  un  des  aspects 
de  notre  Kiilturkampf. 

L.   ROUSTAN. 

I.  P.  283,  la  date  du  livre  de  Karl  Scheffler  est  à  rectifier. 


d'histoire  et  de  littérature  279 

Georges  et  Hubert  Bourgin,  Le  socialisme  français  de  1789  à   1848.  Paris. 

Hachette,  I9i2,in-i6,  vui  et  1 1 1  p. 
François  Maurv,  Nos  hommes  d'État  et  l'œuvre   de   réforme,    Paris,  Alcan, 

1912,  in-i6,  281  p.,  3  fr.  3o. 

Dans  la  collection  publiée  sous  la  dircciion  de  M.  L.  Cahen, 
MM.  G.  et  H.  Bourgin  se  sont  chargés  de  l'histoire  du  socialisme 
français  de  1789  à  1848.  On  connaît  par  différents  fascicules  parus  le 
procédé  adopté  :  laisser  autant  que  possible  la  parole  aux  contempo- 
rains, découper  dans  leurs  ouvrages  les  passages  les  plus  frappants  et 
les  réunir  par  quelques  mots  d'explication.  Pour  MM.  B.,  appartient 
à  l'histoire  du  socialisme  tout  ce  qui  a  trait  à  la  critique  générale  du 
désordre  social,  à  la  lutte  des  classes,  au  régime  de  la  propriété,  aux 
droits  égaux  des  individus  à  l'existence,  à  la  conception  d'une  société 
collectiviste  ou  communiste  supprimant  l'exploitation  de  l'homme  par 
l'homme.  On  conçoit  combien  le  champ  devient  vaste,  combien  il  est 
aisé  de  découvrir  dans  les  écrits  et  les  discours  des  tirades  que  l'on  peut 
qualifier  de  socialistes.  Dès  lors  le  choix  devenait  difficile,  et  ce  n'est 
pas  en  empruntant  une  vingtaine  de  lignes  à  Marat,  Robespierre,  Dan- 
ton ou  Saint-Just  que  l'on  prouvera  sans  réplique  leurs  tendances  socia- 
listes. La  part  réservée  aux  théoriciens  est  plus  considérable  ;  mais 
trois  pages,  même  extraites  avec  bonheur  des  oeuvres  de  Saint-Simon, 
Fourier,  Proudhon  ou  Cabet,  ne  sauraient  donner  qu'une  idée  bien 
vague  des  conceptions  de  ces  penseurs.  Une  place  presque  aussi  impor- 
tante est  accordée  aux  inconnus,  et  les  articles,  les  interrogations,  les 
procès-verbaux  de  sociétés  secrètes  sont,  semble-t-il,  plus  intéressants, 
plus  caractéristiques  des  progrès  du  socialisme  que  les  courts  passages 
empruntés  à  des  ouvrages  célèbres.  Tout  cela  est  lié  d'une  façon  assez 
lâche  par  de  brèves  notices  ne  contenant  le  plus  souvent  que  des  rensei- 
gnements sommaires  sur  la  biographie  et  la  bibliographie  des  auteurs 
cités.  Cette  anthologie  ne  justifie  guère  en  somme  la  prétention  qu'elle  a 
de  «rendre  le  passé  plus  vivant  et  l'étude  de  l'histoire  plus  attrayante  ». 

Le  livre  de  M.  Mauryest  formé  d'articles  parus  dans  la  Revue  bleue 
qui  ont  conservé  leur  intérêt  angoissant  et  dont  la  réunion  accroîtra 
l'effet  sur  le  public  qui  aura  plus  d'une  leçon  à  en  tirer.  L'auteur  n'est 
pas  un  pessimiste,  mais  il  s'efforce  de  déterminer  les  périls  de  l'heure 
présente,  et  le  tableau  trop  vrai  qu'il  fait,  est  impressionnant.  Il 
montre  le  parlementarisme  incapable  d'accomplir  sa  tâche,  absolu- 
ment inférieur  aux  devoirs  traditionnels  de  Justice  et  d'administration 
qui  incombent  à  tout  gouvernement  digne  de  ce  nom.  Faiblesse, 
incohérence,  népotisme,  favoritisme,  désordre,  gaspillage  sont  les 
traits  de  ce  régime.  Si  les  classes  dirigeantes  s'obstinent  dans  leurs 
querelles  intestines  sans  profit  et  sans  honneur,  si  elles  ne  savent  pas 
réprimer  le  mal  et  assurer  une  condition  meilleure  aux  salariés^,  elles 
s'éveilleront  quelque  jour  vaincues  et  dépossédées.  «  La  nation,  infi- 
niment lasse,  déçue  déjà  par  un  cycle  sanglant  d'expériences  révolu- 
tionnaires et  de  restaurations  monarchiques  et   impériales,  désem- 


28o 


REVUE    CRITIQUE    d'HISTOIRE     KT     1>E     LITTÉRATURE 


parée,  ne  sait  à  qui  se  vouer.  I.a  perspective  d'une  Commune  déma- 
gogique, suivie  après  de  terribles  convulsions  d'une  dictature  —  ou  de 
l'invasion  —  paraît  être  la  seule  qui  lui  reste  »  (p.  120).  M.  M.  estime 
que  le  cas  n'est  pas  incurable,  et  que  pour  guérir  il  suffirait  d'instau- 
rer un  certain  idéal  de  grandeur  nationale  et  de  justice,  d'imposer  le 
respect  de  la  loi  visant  des  fins  résolument  collectives,  de  contenir 
l'excès  des  appétits  individuels.  Pour  cela  il  est  indispensable  d'adop- 
ter la  représentation  proportionnelle.  Le  régime  actuel  amène  au 
pouvoir  «  les  médiocres,  sinon  les  pires  »  ;  il  faut  dégager  des  rangs 
des  citoyens,  par  une  organisation  électorale  entendue,  une  véritable 
élite  élective  qui  saura  enrtn  faire  prédominer  les  intérêts  généraux. 

La  France  a-t-elle  des  guides  pour  la  conduire  dans  cette  voie  ? 
M.  M.  reproche  à  nos  leaders  parlementaires  d'avoir  en  général  plus 
de  talent  que  de  caractère,  mais  il  ne  les  croit  pas  incapables  de  la 
tâche.  Il  passe  en  revue  quelques-uns  de  nos  grands  politiques  : 
d'abord  Gambetta,  persuadé  que  la  démocratie  réconcilierait  les 
classes,  opérerait  l'alliance  du  prolétariat  et  de  la  bourgeoisie,  mais 
qui  mourut  trop  tôt  pour  son  œuvre  ;  ensuite  le  clairvoyant  M.  Ribot, 
chef  du  parti  républicain  conservateur,  acquis  lui  aussi  aux  nécessités 
de  la  réforme  sociale;  M.  Poincaré  qui  a  tous  les  talents  et  qui  est 
resté  si  longtemps  en  réserve;  M.  Deschanel  qu'une  méchante  fée 
semble  écarter  du  pouvoir;  M.  Briand  pour  qui  l'auteur  ne  paraît 
avoir  qu'une  médiocre  sympathie  et  qu'il  compare  même  au  héros  de 
Machiavel  ;  M.  Caillaux,  technicien  très  sûr,  réaliste  avisé,  logicien 
des  finances,  mais  qui  a  «  très  accentué  le  défaut  de  notre  époque  où 
le  développement  excessif  de  l'intelligence  est  compensé  par  certaine 
fièvre,  certaine  dureté  dans  l'action,  une  impatience  cynique  d'abou- 
tir». M.  M.  accueille  avec  une  joie  nullement  dissimulée  l'avènement 
du  cabinet  Poincaré  dont  il  attend  l'accomplissement  de  la  réforme 
électorale  et  sociale.  Sans  essayer  d'esquisser  l'ensemble  de  cette 
besogne,  il  en  énumère  quelques  points  et  s'applique  particulièrement 
à  signaler  les  obstacles  de  la  route  et  les  dangers  du  mouvement  syn- 
dicaliste. Il  y  a  dans  ces  pages  une  fine  analyse  psychologique  des 
créateurs  et  des  chefs  de  ce  mouvement,  Ferdinand  Pelloutier, 
Emile  Pongei,  Victor  Griflfuelhes.  Ces  derniers  professent  publique- 
ment qu'une  minorité  résolue  conquiert  tous  les  pouvoirs  et  possède 
tous  les  droits,  et  ils  jugent  que  pour  triompher,  l'essentiel  est  que  les 
milices  syndicales  soient  pénétrées  d'un  esprit  insurrectionnel  intré- 
pide. Le  péril  réside  vraiment  dans  l'audacieuse  initiative  d'une 
bande  de  militants  qui  a  pour  elle  la  force  et  le  prestige  de  la  violence 
en  face  d'une  autorité  gouvernementale  énervée,  annihilée.  Pour 
remonter  la  pente,  la  substitution  de  la  représentation  proportionnelle 
au  régime  actuel,  suffira-t-elle?  C'est  la  question  qui  se  pose  après  la 
lecture  de  l'ouvrage  de  M.  Maury.  A.  BiovÈs. 

L' imprimeur- gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 

N"  41  —  12  octobre  —  1912 

WissowA,  Religion  et  culte  des  Romains,  -r-  Cagnat,  La  frontière  militaire  de  la 
Tripoiitaine.  —  Pierre  Alfonsi,  Disciplina  clericalis,  p.  Hilka  et  Soederhjelm. 
—  O.  DoBiACiiE-RojDESTVENSKY,  La  vic  paroissiale  en  France  au  xiii«  siècle.  — 
A.  de  BoûARD,  Les  actes  des  notaires  du  Châtelet  de  Paris.'  —  Kurth,  La  cité 
de  Liège  au  moyen  âge.  —  Baeumker,  L'Alsace  au  moyen  âge.  —  Collas,  Valen- 
tine  de  Milan.  —  Girodie,  Martin  Schongauer.  — Febvre,  Réforme  et  Inquisi- 
tion en  Franche-Comté.  —  Lemonnier,  L'art  français  au  temps  de  Louis  XIV; 
Procès-verbaux  de  l'Académie  royale  d'architecture,  I.  —  Brutails,  Les  vieilles 
églises  de  la  Gironde.  —  Fisher,  Capital  et  revenu.  —  Brouilhet,  Précis  d'éco- 
nomie politique.  —  Epitome  thesauri  iatini,  p.  Vollmer,  L  —  Vitae  sanctorum 
danorum,  p.   Gertz.    —  Académie  des  inscriptions. 

G.  WissowA,  Religion  und  Kultus  der  Rômer  (2"  édition)  Munich,  1912,  in-8° 
612  pages;  Beck,  éditeur. 

On  sait  le  succès  mérité  qu'a  rencontré  auprès  des  savants  le 
volume  que  M.  Wisso'wa  a  consacré  à  la  religion  romaine  dans  le 
Handbuch  d'iwan  Muller.  L'auteur  vient  d'en  donner  une  seconde 
édition,  rendue  nécessaire  par  tous  les  travaux  publiés,  toutes  les 
découvertes  de  détail  survenues  depuis  quelques  années.  Le  plan 
général  du  traité  n'a  point  été  modifié  ;  la  division  en  quatre  parties  : 
coup  d'œil  général  sur  la  religion  romaine;  les  Dieux;  le  culte  (fêtes, 
jeux,  prêtres,  calendrier,  temples)  a  été  conservée,  ainsi  qu'il  était 
naturel;  comme  il  était  naturel  aussi,  les  subdivisions  n'ont  point 
été  modifiées,  sauf  pour  certains  détails  [Junon  séparée  de  Jupiter 
et  rapprochée  de  Genius  ;  Neptune  placé  parmi  les  indigetes  et  non 
plus  parmi  les  divinités  d'influence  grecque,  par  exemple).  Les 
changements  apportés  à  la  présente  édition  sont  tous  de  détail  et  de 
mise  au  point.  Est-il  utile  d'ajouter  que  M.  W.  a  apporté  à  ces  réfec- 
tions la  science  et  le  soin  dont  il  est  coutumier  ?  La  quantité  des 
additions  est  donnée  par  le  nombre  même  des  pages  qui  s'est  accru 
de  quatre-vingt. 

R.  C. 

R.  Cagnat,  La  frontière   militaire  de   la   Tripoiitaine  à  l'époque  romaine, 

1912.  In-80. 

C'est  dans  le  tome  XXXIX  des.  Mémoires  de  l'Académie  des  Ins- 
criptions (19 12)  que  M.  René  Cagnat  a  fait  paraître  cet  important 
travail,  accompagné  d'une  carte  hors  texte  et  de  deux  planches  de 
photographies,    sur    La  frontière   militaire    de    la     Tripoiitaine  à 

NouTiUe  série  LXXIV  41 


282  REVUE    CRITIQUE 

Vépoque  romaine.  Il  y  niet  au  point,  après  vingt  ans  écoulés,  l'un 
des  chapitres  de  son  Armée  romaine  S  Afrique.  En  1892  on  connais- 
sait fort  mal  les  vestiges  antiques  de  la  région,  d'accès  difficile,  qui 
s'étend  depuis  le  Chott  Djerid  jusqu'au  fond  de  la  grande  Syrte. 
Grâce  aux  explorations  et  aux  publications  des  officiers  du  sud  tuni- 
sien, de  P.  Blanchet,  de  P.  Gàuckler,  de  M.  de  Mathuisieulx,  il  est 
possible  maintenant  d'identifier  quelques-unes  au  moins  des  stations 
du  limes,  dont  l'Itinéraire  d'Antonin  nous  avait  conservé  les  noms 
et  dont  les  ruines  ont  été  en  partie  reconnues  et  fouillées.  On  sait  de 
quels  éléments  se  composait  le  système  défensif  des  Romains  :  le 
long  de  la  falaise  montagneuse  que  suivait  la  route-frontière,  une 
série  continue  de  grands  camps  reliés  par  des  petits  postes  ;  dans  les 
vallées  et  les  lieux  de  passage,  un  fossé  et  un  mur,  marquant  la  sépa- 
ration matérielle  du  monde  romain  et  du  monde  barbare;  sur  les 
grandes  voies  de  caravanes  qui  se  dirigeaient  vers  le  sud,  des  fortins 
occupés  par  de  la  cavalerie;  en  arrière  du  limes,  dans  l'intérieur  du 
pays  pacifié,  des  places  militaires  et  des  fermes  fortifiées  destinées  à 
servir  de  réduits  en  cas  d'invasion  ou  de  soulèvement.  Tout  était 
combiné  à  merveille  pour  tenir  en  respect  les  Gétules  de  l'est  et  les 
Garamantes  du  sud.  M.Besnier. 

Die  Disciplina  clerioalis  des  Petrus  Alfonsi,  das  aelteste  Novellenbuch  des 
Mittelalters,  nach  allen  bekannten  Haiidschriften  herausgegeben  von  Alfons 
HiLKA  u.  Werner  Soederhjelm.  Heidelberg,  Winter,  191 1,  xv,  5o  p.,  18».  Prix  : 
I  fr.  5o. 

La  Disciplina  clericalis  que  publient  MM.  Hilka  et  Soederhjelm, 
forme  le  premier  fascicule  d'une  Collection  de  textes  latins  du  moyen 
âge.  L'opuscule  de  Tespagnol  Pierre  Alfonsi,  qui  porte  ce  titre,  pré- 
sente un  certain  intérêt  pour  l'histoire  comparée  des  littératures, 
puisqu'il  est  un  des  premiers  textes  où  l'écho  des  traditions  orientales 
s'est  répercuté  au  sein  de  l'Europe  chrétienne  du  moyen  âge.  L'auteur, 
Rabbi  Moïse  Sephardi,  se  convertit,  et  eut  l'honneur  d'être  le  filleul 
du  roi  Alphonse  I  d'Aragon  (1106),  dont  il  était  le  médecin.  Son 
recueil  fut  répandu  de  bonne  heure  dans  la  chrétienté  et  les  éditeurs 
en  signalent  dans  l'introduction  une  soixantaine  au  moins  de  manus- 
crits plus  ou  moins  complets  (voir  p.  ix).  De  bonne  heure,  le  recueil 
fut  traduit  en  français,  en  espagnol,  en  italien,  en  allemand,  soit  en 
prose,  soit  plus  tard  en  vers.  Dans  ce  dernier  pays,  certaines  des 
historiettes  d'Alfonsi  ont  été  imitées  par  Boner  et  Steinhoevel,  et  l'on 
en  retrouve  la  trace  jusque  dans  la  littérature  islandaise.  Quelques 
unes  des  anecdotes  et  fables  coUigées  par  Alfonsi  (il  y  en  a  trente- 
quatre  en  tout),  n'ont  d'ailleurs  absolument  rien  d'oriental  '. 

E. 

I.  Par  exemple  le  n"  j,  l'histoire  du  prêtre  qui  étant  entré  dans  une  auberge  est 
arrêté  avec  les  voleurs  qui  y  buvaient,  et  pendu,  tout  innocent  qu'il  était. 


d'histoire  et  de  littérature  283 

La  Vie  paroissiale  en  France  au  XIII«  siècle  d'après  les  actes  épiscopaux, 

par    Olga    Dobiache-Rojdicstvensky.    Paris,    A.    l'icard    et    hls,    lyii.    In-8°   de 
191  pages. 

Cet  ouvrage  comprend  deux  parties  :  1°  les  sources  de  Thistoire 
intime  des  paroisses  au  xiii'  siècle  :  recueils  conciliaires  (critique  de 
celui  de  Mansi  qui  n'est  ni  original,  ni  complet  pour  cette  époque), 
statuts  édictés  dans  les  synodes  diocésains,  ordonnances  particulières 
des  évèques,  procès-verbaux  des  visiteurs  ecclésiastiques;  2°  Texposé 
de  ce  que  fut  la  vie  paroissiale,  telle  que  nous  la  montrent  les  docu- 
ments ci-dessus  indiqués. 

Dans  Tune  et  l'autre  partie  l'auteur  a  tait  un  sérieux  travail  de  cri- 
tique. M'"^  Dobiache-Rojdestvensky,  après  avoir  dressé  la  liste  des 
statuts  synodaux  imprimés  ou  manuscrits,  a  dégagé  de  ces  textes  le 
fonds  commun  qui  a  été  inspiré  par  les  conciles  généraux  et  par  les 
Pères,  qui  s'applique  par  conséquent  à  l'Eglise  universelle  ;  elle  a 
retenu  pour  son  étude  les  préceptes  originaux,  ceux  qui  concernent 
particulièrement  les  diocèses  de  France.  Les  statuts  personnels  des 
évêques  qu'elle  a  retrouvés  ne  constituent  pas  une  longue  liste  :  peut- 
être  aurait-elle  pu  en  indiquer  davantage  si  elle  avait  étendu  ses 
recherches  à  un  plus  grand  nombre  de  recueils  de  textes  du  xiii^  siècle; 
Je  me  rappelle  par  exemple  en  avoir  vu  dans  les  Cartulaires  publiés 
par  la  Société  historique  de  la  Gascogne.  Dans  tous  les  cas,  elle  a 
fourni  des  indications  précieuses  sur  les  synodes  et  les  ordonnances 
qui  y  étaient  promulguées  par  les  évêques. 

Elle  a  très  bien  vu  que  ce  que  cherchaient  les  prélats  du  xiii^  siècle, 
c'était  la  conservation  intacte  de  l'unité  paroissiale  :  toutes  les  per- 
sonnes vivant  dans  une  paroisse,  bien  groupées  autour  du  curé  qui  les 
connaît,  qui  leur  administre  seul  les  sacrements,  qui  écarte  les  indi- 
gnes et  les  excommuniés,  qui  pourchasse  l'hérésie,  qui  défend  son 
troupeau  contre  les  mauvais  bergers,  prédicateurs  errants,  fauteurs 
d'hérésie,  etc.  C'est  aussi  parce  que  le  curé  doit  trouver  dans  la 
paroisse  sa  subsistance  ;  il  jouit  des  biens  attribués  à  son  église,  reçoit 
les  «  louables  coutumes  »  qu'on  lui  accorde  lors  de  l'administration 
des  sacrements,  touche  la  dîme  et  les  prémisses.  Et  cela  lui  est  d'au- 
tant plus  nécessaire  qu'il  a  lui-même  à  faire  face  à  de  nombreuses 
obligations,  à  payer  procurations,  décimes,  etc.  Malgré  la  protection 
qu'il  trouve  auprès  de  ses  supérieurs  hiérarchiques,  les  encourage- 
ments, les  ordres  mêmes  qu'il  reçoit,  il  lui  est  difficile  d'écarter  de  sa 
paroisse  la  rude  concurrence  que  lui  font  les  religieux  Franciscains 
ou  Dominicains,  il  lui  est  parfois  impossible  de  résister  aux  violences 
des  laïques  :  de  là  bien  souvent  son  embarras,  lorsqu'il  lui  faut  obser- 
ver les  sentences  d'excommunication  portées  contre  des  paroissiens 
trop  puissants.  Placé  dans  un  milieu  grossier,  d'une  instruction  peu 
développée,  il  se  laisse  gagner  par  le  siècle  ;  trop  souvent  il  vit  comme 
ses   paroissiens  ;   ivrogne,    querelleur,    il   a   fréquemment  femme   et 


284  REVUE    CRITIQUE 

enfants  et  il  songe  à  transmettre  à  sa  famille  les  biens  de  l'Église. 
M""  Olga  Dobiache-Rojdcsivensky  a  brossé  de  son  caracièrc  et  de  son 
genre  de  vie  un  tableau  plein  de  relief,  haut  en  couleur  et  qui  paraît 
parfaitement  exact. 

L.-H.  Labande. 


Études  de  diplomatique  sur  les  actes  des  notaires  du  Châtelet  de  Paris,  par 

A.    DE    BoÙARD.  Paris,  H.  Champion,   njio.  I11-8'   de    xv-191    pages    'i86''  t'asc. 
de  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Hautes-Études). 

Cet  ouvrage  se  compose  en  réalité  de  deux  parties  :  après  quelques 
pages  préliminaires  sur  l'origine  des  actes  notariés,  sur  l'authenticité 
et  la  force  exécutoire  qu'on  leur  a  reconnues,  puis  sur  l'organisation 
de  la  juridiction  gracieuse  dans  le  nord  de  la  France,  l'auteur  détaille 
tout  d'abord  les  actes  législatifs  qui  ont  été  édictés  concernant  les 
notaires  du  Châtelet  de  Paris  et  la  rédaction  de  leurs  actes  ;  il  montre 
comment  de  simples  clercs  du  prévôt  de  Paris,  ils  se  sont  peu  à  peu 
élevés  à  la  situation  qu'ils  occupaient  à  la  fin  de  l'ancien  régime,  com- 
ment à  coup  d'argent,  ils  sont  parvenus  à  maintenir  leurs  privilèges,  à 
ne  pas  se  laisser  absorber,  à  conserver  leurs  minutes,  à  sceller  eux- 
mêmes  les  actes,  à  limiter  le  nombre  de  leurs  offices.  Voilà  toute  une 
première  partie  purement   historique. 

La  seconde  est  beaucoup  plus  diplomatique  puisqu'elle  a  trait  à 
rétude  des  caractères  et  du  style  des  lettres  de  prévôt  au  xin*^  siècle, 
puis  des  actes  rédigés  au  nom  des  notaires  :  minutes,  grosses  et  bre- 
vets. Étayée  par  une  série  de  38  pièces  justificatives,  la  rédaction  de 
M.  de  Boiiard,  dans  tout  ce  qui  concerne  les  actes  des  notaires  du 
Châtelet,  paraît  à  peu  près  définitive.  Mais  ce  que  j'ai  qualifié  de  pré- 
liminaires appellerait  plus  d'une  observation  et  susciterait  plus  d'une 
rectification.  Et  cela  parce  que  l'auteur  n'a  pas  examiné  une  quantité 
assez  suffisante  de  textes  du  nord  comme  du  midi  de  la  France.  Je 
me  permets  en  particulier  de  lui  signaler  les  trois  volumes  du  Trésor 
des  chartes  de  Retliel  (dont  les  2  premiers  avaient  paru  en  1904),  où 
il  aurait  trouvé  des  actes  scellés  avec  les  sceaux  particuliers  des  deux 
notaires.  La  sigillographie  du  même  Trésor  qui  paraîtra  prochaine- 
ment exposera  comment  les  tabellions  de  cette  partie  de  la  France 
apposaient  au  bas  de  la  double  queue  supportant  le  sceau  et  le  contre- 
sceau  de  la  juridiction,  sur  un  même  gâteau  de  cire  verte,  les  deux 
sceaux  obligatoires.  Si  M.  de  Bouard  avait  compulsé,  d'autre  part,  les 
actes  notariés  de  la  région  avignonnaise,  il  aurait  modifié  en  plus  d'un 
endroit  ce  qu'il  dit  à  propos  des  contrats  du  midi.  Il  aurait  constaté 
qu'à  Avignon,  par  exemple,  au  temps  de  la  commune,  le  notaire  ins- 
crivait en  tête  des  actes  les  noms  des  consuls  ou  du  podestat  en  exer- 
cice et  qu'il  mentionnait  la  présence  de  deux  curiales  pour  l'établie- 
sement  du  contrat  :  deux  consuls,  ou  (sous  le  régime  des  podestats) 
un  ou  deux  Juges,  ou  un  ou  deux  clavaires,  ou  un  ou  deux  syndics. 


D*HIST01RE    ET    DE    LITTÉRATURE  ^85 

Après  Tabolition  de  la  commune,  le  notaire  nomma  en  tête  des  actes 
les  seigneurs  de  la  ville  i  Alfonse  de  Poitiers  et  Charles  d'Anjou), 
puis,  pendant  plusieurs  années,  les  huit  personnages  qualifiés  de  laii- 
.iatores  instrumentoriim  dont  deux  devaient  être  présents.  Cette  insti- 
tution de  laudatorcs  instrumentorum  lui  aurait  certainement  inspiré 
des  remarques  intéressantes  et  lui  aurait  fourni  des  éléments  d'appré- 
ciation pour  certaines  dispositions  législatives  prises  dans  le  nord  de 

la  France  à  la  fin  du  xiii'^  siècle. 

L.-H.  Labande. 


La  Cité  de  Liège  au  moyen  âge,  par  Godetroid  Kurth.  Paris,  A.  Picard  et  lils, 
1910,  1  vol.  in-80  de  LXxi-323,  346  et  418  pages. 

Depuis  de  longues  années,  M.  Godefroid  Kurth  étudie  l'histoire 
liégeoise  et  publie  dans  diverses  revues  le  résultat  de  ses  éludes.  Nul 
n'était  mieux  qualifié  que  lui  pour  entreprendre  l'ouvrage  qu'il  nous 
a  présenté  dernièrement  en  trois  volumes.  Se  préoccupant  le  moins 
possible  des  princes-évêques  et  seulement  dans  la  mesure  où  ils  furent 
en  relations  avec  leurs  sujets,  il  a  retracé  les  fastes  de  la  cité  depuis 
ses  origines  jusqu'à  la  catastrophe  de  1468  qui  semblait  devoir  l'anéan- 
tir. C'est  seulement  au  xi^  siècle  que  Liège  prit  une  véritable  impor- 
tance, mais  ses  institutions  municipales  ne  se  développèrent  pas 
avant  la  fin  du  siècle  suivant.  Dès  les  premiers  temps,  les  citadins 
commencèrent  la  lutte  contre  le  pouvoir  absolu  du  prince-évéque  ; 
conduits  d'abord  par  l'aristocratie  locale,  ils  eurent  à  se  débattre 
contre  le  clergé,  revendiquant  ses  privilèges,  puis  contre  l'échevinage, 
émanation  du  prince,  dont  ils  voulaient  s'affranchir.  Au  xiii*  siècle, 
la  prospérité  de  la  ville  amena  l'avènement  des  métiers  à  la  vie  pu- 
blique. Fortement  organisés,  ils  écartèrent  promptement  le  patriciat 
du  gouvernement  de  la  ville,  ou  plutôt  ils  obligèrent  les  patriciens 
à  se  faire  inscrire  sur  leurs  rôles  pour  pouvoir  accéder  aux  fonctions 
publiques. 

Les  Liégeois,  ayant  les  yeux  fixés  sur  les  villes  impériales  libres,  se 
proposèrent  bientôt  pour  objectif  de  les  imiter  et  de  s'ériger  en  répu- 
blique indépendante.  Mais  leurs  princes-évêques,  choisis  presque  tous 
dans  les  familles  les  plus  puissantes,  ne  se  laissèrent  pas  dépouiller 
aussi  facilement  qu'on  aurait  pu  le  supposer  :  pendant  près  de  deux 
siècles,  ils  résistèrent  avec  une  énergie  tenace,  s'alliant  souvent  aux 
pires  ennemis  de  leur  peuple,  tandis  que  les  citadins  de  Liège  for- 
maient des  confédérations  avec  les  autres  villes  de  la  principauté.  Les 
excès  démagogiques  des  Liégeois  les  perdirent  :  leurs  libertés  fail- 
lirent une  première  fois  sombrer  dans  les  premières  années  du 
xv«  siècle;  elles  furent  toutes  abolies  après  la  vengeance  atroce  que 
Charles-le-Téméraire  lira  de  leur  haine  pour  son  cousin  Louis  de 
Bourbon,  évêque  de  Liège,  et  de  leur  affection  pour  le  roi  Louis  XL 

Le  récit  des  événements    multiples  qui    marquèrent   une  histoire 


286  REVUE    CRITIQUE 

aussi  agitée  est  présenté  par  M.    G.  Kurth   avec  le  plus  grand  souci 
d'exactitude  et  d'impartialité.  Mais  il  parait   bien  souvent  se  laisser 
entraîner  par  ses  impressions  et  si  les  pages  qu'il  écrit  y  gagnent  en 
pittoresque  et  en  attrait,  il  n'est  pas  aussi  certain  qu'il  garde  une  par- 
faite mesure.  Les  documents  qu'il  a  utilisés  sont  pour  ainsi  dire  tous 
d'origine  locale  ;  les  archives  du  pays  ont  été  pourtant  détruites  en 
grande  partie  au  milieu   de  tous  les  bouleversements;  l'auteur  a  été 
obligé  d'y  suppléer  en  une  certaine  mesure,  soit  par  la  comparaison 
avec  ce  qui  passa  dans  d'autres  villes,  soit  par  des  hypothèses  suggé- 
rées par  des  récits  d'annalistes.  Heureusement   les  chroniqueurs  ont 
laissé  sur   Liège  des  pages  très  copieuses,  mais  ils  n'indiquent  pas 
toujours  ce  que  l'on  voudrait  savoir  et  leurs  œuvres  reflètent  les  pas- 
sions du  jour.  Peut-être  aurait-on  pu  trouver  ailleurs  le  moven   de 
rectifier  leurs  erreurs  ou  de  réparer  leur  oublis.  Il  ne  semble  pas  que 
M.  Kurth  ait  assez  tenté  cette  recherche  :  j'en  vois  surtout  la  preuve 
dans  les  derniers  chapitres  de  son  ouvrage  où  il  est  question  des  rela- 
tions de  Liège  avec  les   rois  Charles  VII  et  Louis  XI.  Les  archives 
françaises,  mieux  explorées,  lui  auraient  peut-être  permis  de  mieux 
apprécier  le  rôle  de  la  France.  De  même,  je  me  suis  étonné  que  les 
archives  du  Vatican  n'aient  pas  été   mises  davantage  à  contribution. 
La  rédaction  semble  avoir  été  assez  hâtivement  faite.  Dans  sa  pré- 
cipitation l'auteur  passe  rapidement  sur  les  origines  des  institutions 
qui  ne  sont  pas  expliquées  ou  qui  le  sont  bien  longtemps  après  qu'elles 
ont  été   montrées  en   exercice.  Je  citerai  notamment  la  question  de 
l'origine  et  des  fonctions  de  l'avoué  qui  reste  non  tranchée.  De  même 
certains  termes  sont  employés,  tous  particuliers  à  Liège,  sans  qu'il  en 
soit  donné  d'abord  la  signification,  tellement  M.  Kurth  suppose  son 
lecteur  averti  :  nous  ne  découvrons  qu'à  la  page   i38  du  tome  II  la 
signification  du  mot  Vinàve,  que  l'on  trouve  dans  le  tome  I  ;  l'Anneau 
du  Palais  dont  il  est  question  p.   i25  du  t.   II,  n'est  expliqué  qu'à  la 
p.  10  du  t.  III,  etc.  On  devine  plus  tard,  mais  sans  être  bien  sûr  d'être 
dans  le  vrai,  ce  que  doivent  être  les  droits  de  hauteur  du  prince- 
évêque,  signalés  p.  86  et  127  du  t.  II. 

Cette  hâte  dans  la  rédaction  n'a  pas  été  sans  amener  quelques 
erreurs  tout  à  fait  involontaires  :  lorsque  la  ville  de  Liège  fit  obédience 
au  pape  d'Avignon  (c'était  en  iBggj,  ce  ne  fut  pas  à  Clément  VII, 
comme  il  est  dit  p.  18  du  t.  III,  mais  à  Benoît  XIII.  A  plusieurs 
reprises,  il  est  question  du  roi  d'Allemagne  au  lieu  du  roi  des  Ro- 
mains; M.  Kurth  dit  même,  p.  109  du  t.  I,  que  Liège  entra  dans  le 
droit  public  du  «  royaume  ».  C'est  une  impropriété  de  terme  dont  il 
n'est  pas  sans  se  rendre  compte.  Quel  était  aussi  ce  «  président  du 
conseil  de  Toulouse  »,  qu'il  fait  intervenir  p.  209  du  t.  III? 

Sa  langue  n'est  pas  toujours  d'un  français  correct.  Je  sais  bien 
qu'il  utilise  des  expressions  locales  (encloîtres,  mettre  le  Palais 
ensemble  pour  recevoir  l'assemblée  dite  le  Palais,  etc.),  mais  il  en  est 


d'histoire    et   de    LITTERATURE  287 

d'autres  qui  n'auraient  pas  dû  figurer  dans  un  livre  aussi  bien  écrit, 
comme  par  exemple  l'enceinte  muraillée  (t.  I,  p.  i  lo  ;  t.  II,  p.  53),  le 
pouvoir  édictal  (t.  II,  p.  47),  le  sens  obvie  (t.  II,  p.  214),  la  guerre  inex- 
piable(t.  I  II,  p. 79,  pour  implacable),  les  verbes  comminer  (t.  II,  p.  270; 
t.  III,  p.  34)  et  instiguer  (t.  III,  p.  198),  etc.  Il  est  probable  qu'une 
correction  plus  attentive  des  épreuves  aurait  fait  disparaître  ces  taches. 
11  n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'ouvrage  de  M.  Kurth  sur  la  cité  de 
Liège  au  moyen  âge  est  plein  d'intérêt  et  de  vie.  Tous  ceux  qui  s'in- 
téressent aux  institutions  communales,  à  l'essor  des  métiers  et  cor- 
porations ouvrières,  au  développement  de  la  vie  politique  dans  les 
villes,  à  l'étude  des  mouvements  d'une  démagogie  non  contenue  par 

les  lois,  le  liront  avec  le  plus  grand  profit. 

L.-H.  Labande. 

Der  Anteil  des  Elsass  an  den  geistigen  Be-wegungen  desMittelalters,  Rede... 

am  27   .lanuar  iyi2   gehalten    von  D'    Glemens    Baeumker,    ord.    Professer   der 
Philosophie.  Strassburg,  Ed.  Heitz,  1912,  69  p.  in-8°.   Prix  :  2  fr.  5o. 

Dans  ce  discours  académique,  prononcé,  à  l'occasion  de  l'anniver- 
saire impérial,  dans  la  grande  salle  des  Actes  de  l'Université  de  Stras- 
bourg, M.  Clément  Beaumker,  professeur  de  philosophie,  a  retracé 
à  grands  traits  le  tableau  de  la  participation  de  l'Alsace  au  développe- 
ment de  la  culture  générale  du  moyen  âge.  Ce  n'est  pas  un  exposé 
systématique  ;  l'orateur  fait  passer  devant  nos  yeux,  en  une  espèce  de 
cinéma  scientifique  et  littéraire,  les  silhouettes,  artistement  découpées, 
d'une  série  de  personnages,  plus  ou  moins  célèbres,  qui,  sur  le  sol 
alsacien,  marquèrent  dans  le  domaine  de  la  poésie,  de  la  pensée  phi- 
losophique et  religieuse,  depuis  Ermoldus  Nigellus,  l'exilé  aquitain 
du  IX*  siècle,  et  Manegold  de  Lautenbach,  le  polémiste  du  xi«,  jusqu'à 
Gotfrit  de  Strasbourg  et  Gonthier  de  Pairis,  au  xui*  siècle.  Il  s'est 
naturellement  arrêté,  de  préférence,  aux  philosophes  scolastiques, 
Ulric  Engelberti,  Hugues  Ripelin,  Thomas  de  Strasbourg,  et  aux 
grands  mystiques,  Tauler,  maître  Eckart,  Rulmann  Merswin,  etc. 
Son  étude,  d'une  allure  très  littéraire,  fait  ressortir  très  impartiale- 
ment l'influence  française,  grandissante  du  xii"  au  xiii^  siècle,  dans  le 
double  domaine  de  la  poésie  chevaleresque  et  de  la  spéculation.  Les 
vingt  dernières  pages  contiennent  une  centaine  de  notes  critiques  sur 

la  littérature  du  sujet. 

R. 

Emile  Collas.  Valentine  de  Milan,  duchesse  d'Orléans.   Paris,  Pion-Nourrit 
et  C'«,  191  I.  ln-8°  de  441  pages. 

M.  Emile  Collas  a  consacré  à  la  biographie  de  la  malheureuse 
femme  de  Louis  d'Orléans  un  livre  compacte  qui  ne  manque  pas  d'in- 
térêt. Il  l'a  même  écrit  avec  un  certain  charme  littéraire  et  il  vise  à 
intéresser  le  grand  public  autant  que  les  érudits.  Il  a  donc  rapporté 
de  multiples  anecdotes  qui  donnent  une  note  très  pittoresque  à   son 


288  RKVUE    CRITIQUE 

récit.  Môme,  le  souci  qu'il  a  d'agrémenter  son  ouvrage  de  pages  amu- 
sâmes l'entraîne  à  des  hors-d'œuvre  qu'il  aurait  pu  fort  bien  négliger 
sans  nuire  à  l'intérêt  de  son  livre  :  je  signalerai  par  exemple  le  cha- 
pitre m  intitulé  «  l'histoire  de  Jean  le  Mercier  et  de  Colette  la 
Buquette»).  D'autres  histoires  de  sorcellerie  n'avaient  pas  davantage 
leur  place  ou  sont  trop  longuement  racontées. 

Il  ne  faut  pas  non  plusdissimulci-  que  M.  Collas  fait  une  large  part 
dans  son  volume  à  Louis  d'Orléans.  Les  lecteurs  trouveront  même 
qu'il  est  beaucoup  plus  fréquemment  question  de  sa  personne,  de  ses 
actes,  de  ses  goi^ts,  de  ses  plaisirs  que  de  Valentine  'Visconti.  L'au- 
teur se  trouvait,  il  faut  le  dire,  grandement  aidé  par  l'excellent  livre 
de  M .  Jarry  sur  la  vie  politique  du  duc  ;  il  a  puisé  aussi  dans  maintes 
publications  de  ces  dernières  années  la  trame  de  son  récit  '.  Est-ce  à 
dire  qu'il  n'ait  pas  eu  recours  aux  documents  originaux,  aux  pièces 
d'archives?  Nullement.  Il  a  puisé  grandement  dans  les  manuscrits 
de  la  Bibliothèque  nationale  et  les  dossiers  des  Archives,  il  a  pris 
bien  des  renseignements  dans  les  comptes.  Mais  il  aurait  pu  faire 
mieux,  contrôler  davantage  les  récits  des  chroniqueurs  auquel  il  s'at- 
tache trop  par  moments,  sans  bien  savoir  auquel  en  cas  de  désaccord 
il  faut  donner  la  préférence.  Ses  recherches  auraient  donc  gagné  à 
être  plus  étendues  et  plus  critiques.  Plus  complètes,  elles  l'auraient 
sans  doute  dispensé  plus  d'une  fois  de  se  laisser  aller  à  émettre  des 
impressions  purement  personnelles. 

Plusieurs  de  ses  opinions  auraient  besoin  aussi  d'être  rectifiées  ; 
quand  il  oppose  par  exemple  le  luxe  de  la  cour  de  Milan,  le  goût  pour 
les  arts  que  l'on  avait  en  Italie  à  ce  qui  existait  en  France  à  la  fin  du 
xive  siècle.  Il  était  bon,  il  y  a  une  dizaine  d'années  encore,  d'affirmer 
que  l'Italie  était  en  avance  sur  la  France;  aujourd'hui  on  réfléchirait 
davantage  à  soutenir  ce  sentiment.  M.  Collas  a  encore  des  étonne- 
ments  qui  se  seraient  dissipés  s'il  avait  pratiqué  davantage  l'époque  où 
vécut  Valentine  de  Milan,  comme  ceux  qu'il  a  pour  la  vie  dissolue 
des  princes  et  l'admission  des  bâtards  au  foyer  conjugal.  La  femme 
de  Louis  d'Orléans  n'avait-elle  pas  été  disposée  à  une  large  tolérance 
par  ce  qu'elle  avait  vu  dès  son   enfance  à  la  cour  de  son  père? 

Quand  j'aurai  ajouté  que  les  citations  de  sources  par  M.  Collas 
sont  souvent  trop  incomplètes,  je  reviendrai  encore  sur  l'intérêt  que 
l'on  prend  à  la  lecture  de  son  livre.  Il  a  présenté  de  son  héroïne  une 
belle  figure,  très  noble,  très  sympathique,  peut-être  pas  toujours  extrê- 
mement juste,  mais  toujours  très  attachante.  Il  mérite  certainement 
qu'on  lui  tienne  grand  compte  de  son  effort  \  l  -H    Labande. 

1 .  S'il  avait  pu  utiliser  le  très  bon  livre  de  M.  Pierre  Champion  sur  Charles 
d'Orléans,  il  aurait  certainement  marché  en  quelques  endroits  d'un  pas  plus  ferme 
et  il  aurait  évité  quelques  petites  erreurs. 

2.  Il  est  bien  prématuré  de  parler  de  Carmélites  au  xiv«  siècle  :  l'ordre  Carme- 
Utarum  auquel  s'intéressait  la  reine  Blanche  (voir  p.  69)   était  celui  des  Carmes. 


d'histoire  et  de  littérature  289 

Martin  Schongauer  et  l'art  du  Haut-Rhin  au  XV"^  siècle,  par  André  Gmo- 
DiK,...  l'aris,  Plon-Nourrit  et  C''^',  s.  d.  In-H»  de  25o  pages.  (Les  Maîtres  de  l'Art). 

L'ouvrage  de  M.  Girodie  se  recommande  par  des  qualités  toutes 
spéciales.  Il  présente,  sous  une  forme  concise,  le  tableau  au  xv=  siècle 
de  toute  Taciivité  artistique  de  la  région  rhénane,  dont  les  principaux 
centres  étaient  Colmar,  Thann,  Strasbourg  et  Bàle.  Il  expose  les  con- 
ditions économiques  dans  lesquelles  l'art  s'y  est  développé,  les 
influences  religieuses,  mystiques  même  qui  l'ont  influencé,  les  rela- 
tions qui  ont  existé  entre  les  peintres  etgraveurs  de  ce  pays  et  ceux  de 
la  Bourgogne,  des  Flandres,  de  Cologne  et  de  l'Italie.  Il  étudie  leurs 
productions,  les  vitraux,  les  rétables  ou  autels,  les  gravures  sur 
cuivre,  les  dessins  qu'ils  nous  ont  laissés.  Il  détermine  enfln  la  part 
d'originalité  qu'il  faut  y  reconnaître. 

Après  un  chapitre  consacré  aux  prédécesseurs  de  Martin  Schon- 
gauer, Hans  Tiffenthal,  Hans  et  Conrad  Witz,  Gaspard  Isenman,  le 
maître  ES,  etc.  M.  André  Girodie  aborde  le  sujet  principal  de  son 
livre.  Avec  érudition,  il  analyse  les  oeuvres  du  «  beau  Martin  », 
reconnaît  les  impressions  qu'elles  ont  subies.  Un  dernier  chapitre  est 
consacré  à  l'influence  que  cet  artiste  célèbre  a  exercée  ;  M.  Girodie, 
avec  un  sens  critique  des  plus  aigus,  montre  comment  les  ateliers  de 
Colmar,  Augsbourg,  Bàle,  Strasbourg  ont  réagi  les  uns  sur  les  autres, 
combien  l'enseignement  de  l'école  du  Haut-Rhin  a  été  profitable  aux 
Holbein  et  aux  meilleurs  maîtres  de  leur  temps,  même  à  Albert 
Durer. 

Ce  n'est  pas  tout  :  le  livre  de  M.  Girodie  contient  encore  un  essai 
de  catalogue  chronologique  des  principaux  artistes  originaires  du 
Haut-Rhin  et  des  œuvres-types  de  l'art  de  cette  région  au  xv"  siècle; 
puis  une  bibliographie  critique  fort  détaillée.  Tout  cela  est  excellent 
et  voici  tout  un  monde  d'art,  qui  nous  est  maintenant  connu  autant 
que  les  documents,  peu  nombreux  hélas,  l'ont  permis  '. 

L.-H.  Labande. 

Lucien  Fkbvre,  Notes  et  documents  sur  la  Réforme  et  l'Inquisition  en 
Franche-Comté.  Extraits  des  Archives  du  Parlement  de  Dôle.  Paris,  Honoré 
Champion,  1912,  336  p.  in-S".  Prix  :  7  fr.  5o. 

L'histoire  de  la  Réforme  en  Franche-Comté  n'a  Jamais  encore  été 
l'objet  d'une  enquête  plus  approfondie  et  l'on  pouvait  croire  que  sur 
ce  sol,  en  apparence  peu  propice  aux  nouveautés  religieuses,  elle 
n'avait  pas  réussi  à  prendre  racine.  La  thèse  de  M.  Lucien  Febvre, 
naguère  encore  pensionnaire  de  la  fondation  Thiers,  aujourd'hui 
professeur  à  la  faculté  des  lettres  de  Besançon,  nous  montre  pourtant 

I.  Je  n'aime  pas  beaucoup  l'expression  de  «  pays  vogéso-rhénan  ».  De  même  le 
«  cadre  à  ogive  »,  signalé  p.  194  me  paraît  être  d'une  langue  archéologique  mau- 
vaise. Le  saint  Cedon  qui  est  cité  à  la  même  page  aurait  dû  être  appelé  Sidoine 
ou  Sidonius,  nom  sous  lequel  il  est  universellement  connu. 


290  REVUE    CRITIQUE 

qu'à  un  moment  donné,  les  adeptes  de  la  foi  nouvelle  furent  relative- 
ment assez  nombreux  dans  le  pays  et  qu'il  fallut  toutes  les  rigueurs 
de  la  justice  espagnole  et  de  l'Inquisition  pour  y  étouffer  le  souvenir 
d'une  période,  assez  courte  il  est  vrai,  où  la  Comté  ne  fut  pas  exclusi- 
vement «  un  pays  de  catholicisme  ardent  »,  comme  dit  l'auteur.  Mais 
i.  un  voile  d'oubli  »  s'est  étendu  depuis  sur  ces  manifestations  d'une 
mentalité  religieuse  différente  de  celle  qui  prédomine  aujourd'hui. 
En  réunissant  les  matériaux  de  sa  thèse  principale  sur  Philippe  II  et 
la  Franche-Comté,  en  parcourant  les  dossiers  de  l'ancien  Parlement 
de  Dôle,  M.  Febvre  a  retrouvé  aux  Archives  départementales  du 
Doubs  les  matériaux  inédits  de  ce  second  ouvrage  (procédures, 
arrêts,  correspondances  officielles)  et  en  a  fait  surgir  tout  un  chapitre 
nouveau  de  l'histoire  de  la  Réforme  au  wi*"  siècle,  et  des  moyens 
efficaces  employés  pour  en  écraser  les  progrès.  L'auteur  ne  s'est  point 
appliqué  à  nous  donner  un  récit  littéraire;  comme  l'indique  son 
titre  même,  ce  sont  des  notes  et  des  documents  classés  dans  l'ordre 
chronologique  et  géographique  ',  qui  embrassent  les  années  1524  a 
iSjS  environ  ^  Une  fois  commencées,  les  poursuites  judiciaires  ne 
s'arrêtent  plus  jamais  entièrement  jusqu'à  l'absolue  extinction  de 
l'hérésie,  mais  il  y  a  des  moments  d'accalmie,  suivis  de  crises  plus 
violentes,  comme  au  moment  du  passage  du  duc  d'Albe  (i  567).  Après 
l'écrasement  du  protestantisme  à  Besançon  (iSyS)  ses  adhérents  dis- 
paraissent aussi  du  reste  de  la  Franche-Comté.  M.  F.  a  retrouvé, 
pour  la  période  comprise  entre  les  deux  dates  indiquées  plus  haut, 
les  dossiers,  plus  ou  moins  complets,  de  304  procès.  Sur  ce  nombre, 
139  (donc  près  de  la  moitié)  se  sont  terminés  par  une  j  sentence 
de  bannissement  par  défaut,  c'est-à-dire  que  les  accusés  avaient  pu 
se  soustraire  à  temps  à  leurs  juges  et  au  supplice  \  Vingt-six  con- 
damnations à  mort  seulement  ont  été  prononcées,  ce  qui  prouve  que 
les  Magistrats  n'étaient  pas  impitoyables  *.  D'ailleurs,  en  bien  des 
cas,  l'accusation  d'hérésie  était  renforcée  par  d'autres  inculpations, 
comme  pour  mieux  assurer  la  punition  de  l'accusé  \  On  voudrait  que 

1.  Les  Documents  sont  groupés  dans  la  deuxième  partie  du  volume.  !ly  en  a  de 
très  intéressants  comme,  par  exemple,  l'interrogatoire  de  Hugues  Cousin,  en 
1571  sur  son  frère  Gilbert  Cousin  (p.  245-254). 

2.  Le  premier  martyr  de  la  foi  nouvelle,  Crespin  Petit,  est  décapité  en  1537. 

3.  La  proximité  de  la  frontière  suisse  explique  la  facilité  avec  laquelle  les  incul- 
pés se  mettaient  à  l'abri  ;  on  se  dédommageait  en  prononçant  la  confiscation  de 
leurs  biens. 

4.  Certains  conseillers  au  Parlement  furent  même  incriminés  eux-mêmes 
d'hérésie  par  un  frère  cordelier,  Claude  Montribon  [tbjo)  ;  il  reçut  une  semonce 
officielle  pour  avoir  été  si  hardi. 

5.  Ainsi  dans  le  procès  de  J.  Meignier,  d'Orgelet,  on  le  voit  accusé  «  d'actes 
dérisoires  du  Saint-Sacrement  »,  d'avoir  «  chanté  des  psaumes  de  David  en 
français  »,  d'avoir  donné  des  coups  de  poing  à  sa  femme  enceinte  et  d'avoir  acca- 
paré des  grains  (p.  208).  Un  autre  hérétique  est  accusé  en  outre  d'avoir  fabriqué 
de  la  fausse  monnaie  (p.  235);  un  troisième  a  «  rompu  et  mis  en  pièces  un  crucifix 


d'histoire  et  de  littérature  291 

les  procès-verbaux  fussent  parfois  un  peu  plus  explicites;  ainsi  il 
n'est  presque  jamais  dit  quels  étaient  les  livres  «  contre  notre  Sainte 
Foy  »,  que  l'on  condamnait  au  bûcher.  Mais  malgré  ces  lacunes,  que 
M.  F.  est  le  premier  à  regretter,  son  ouvrage  est  des  plus  instructifs 
et  l'on  doit  le  remercier  vivement  d'avoir  eu  la  patience  d'étudier  à 
ce  point  de  vue  les  registres  du  Parlement  de  DôIe  et  de  les  avoir 
commentés  dans  un  esprit  aussi  large  que  critique. 

R. 


Henry  Lemonnier,  L'Art  français  au  temps  de  Louis  XIV    1661-1690).  Paris, 

Hachette  et  C'%  191 1.  In-i6  de  x-354  pages. 
Procès-verbaux  de  l'Académie   royale  d'architecture,   1671-1793,  publiés 
pour  la  Société  de  l'histoire  de  l'art  français,  par  M.  Henry  Lemonnier.  Tome  I, 
1671-1681.  Paris,  J.  Schemit,  191  i     In-8°  de  lxiii-352  pages. 

L'ouvrage  solidement  établi  que  M.  Henry  Lemonnier  a  consacré 
l'an  dernier  à  l'histoire  de  l'art  français  au  temps  de  Louis  XIV, 
comptera  parmi  les  meilleurs  que  l'on  possède  sur  notre  art  natio- 
nal. Il  est  divisé  en  trois  parties  :  1°  les  hommes  (le  gouvernement 
des  arts  et  les  artistes)  ;  2°  la  doctrine  (les  académies  et  l'esprit  d'auto- 
rité, les  maîtres  et  les  modèles,  les  théories  dans  la  peinture,  la  sculp- 
ture et  l'architecture)  ;  3°  les  œuvres  (influence  des  modes  et  du  goût, 
monuments  d'architecture,  la  sculpture  à  Paris  et  "Versailles,  la  pein- 
ture monumentale). 

M.  Lemonnier  a  très  finement  analysé  les  théories  et  les  produc- 
tions des  artistes  du  xvii^  siècle  ;  il  a  montré  quel  était  leur  idéal,  quels 
étaient  les  modèles  qu'ils  se  proposaient  d'imiter  (l'antiquité  romaine 
vue  à  travers  les  ouvrages  italiens),  mais  il  a  su  en  même  temps  fort 
bien  dégager  ce  que  leur  propre  tempérament  apportait  d'originalité 
à  leurs  imitations.  Il  est  même  fort  instructif  de  considérer  comment 
les  architectes,  par  exemple,  doués  d'une  longue  expérience,  experts 
dans  leur  art,  transformaient,  sans  presque  s'en  rendre  compte,  les 
conceptions  qu'ils  puisaient  ailleurs.  Quoi  qu'ils  aient  fait,  ils  impri- 
maient à  leurs  constructions  un  goût  français  qui  se  différenciait 
notablement  de  l'italien.  Les  maîtres  du  temps  de  Louis  XIV  perfec- 
tionnaient l'art  qu'ils  recevaient  ;  ils  le  renouvelèrent  et  ils  relevèrent 
à  un  tel  rang  qu'ils  l'imposèrent  à  l'Europe  tout  entière. 

Si  les  analyses  de  M.  Lemonnier  sont  extrêmement  poussées,  les 
renseignements  qu'il  donne  sur  chacun  des  artistes  du  temps  de 
Louis  XIV  et  sur  ses  principales  œuvres,  méritent  d'être  notés.  11  fait 
naturellement  une  très  large  place  à  Le  Brun,  qui,  grâce  à  la  faveur 
royale,  grâce  à  la  position  éminente  qu'il  occupa,  exerça  une  sorte  de 


de  bois  étant  en  sa  maison  «  et  en  méTnc  temps  il  a  «  dérobé  un  escu  et  un  teston 
en  la  bource  de  Cécile  »  (p.  3o5),etc. 

P.  65.  L'érudit  bibliothécaire  de  la  Société  de    l'histoire  du  protestantisme  fran- 
çais ne  s'appelle  pas  Nathan  mais  Nathanaël. 


292  REVUE    CRITIQUE 

régence  sur  tous  les  arts;  mais  il  sait  aussi  mettre  en  lumière  tous  ses 
collaborateurs  et  ses  rivaux,  les  Mignard,  Pierre  Pugei,  Coyzevox, 
Girardon,  les  Le  Vau,  Claude  Perrault,  François  Blondel,  etc.  Les 
pages  qu'il  a  écrites  sur  les  travaux  exécutés  au  Louvre,  aux  Tuileries, 
à  Versailles,  celles  où  il  a  discuté  la  part  qui  doit  revenir  à  chaque 
artiste,  resteront  aussi  comme  définitives  dans  leurs  conclusions. 

Il  s'était  préparé  à  écrire  ce  volume  de  V Art  fraricais  au  temps  de 
Louis  XIV  par  l'édition  des  procès  verbaux  de  l'Académie  royale 
d'architecture,  dont  il  nous  a  présenté  dans  le  même  temps  le  tome  \. 
Ces  docu.ments  sont  de  toute  importance  si  l'on  veut  se  rendre 
compte  des  sentiments  et  des  préoccupations  des  architectes  qui 
entrèrent  dans  la  nouvelle  Académie  fondée  en  1 671.  Se  proposant 
d'abord  pour  but  la  définition  de  ce  qu'on  nomme  bon  goût,  puis 
l'étude  et  l'explication  des  livres  de  Vitruve,  de  Scamozzi,  de  Vignole, 
de  Serlio,  de  Philibert  de  l'Orme,  etc.,  ils  furent  entraînés  à  exposer 
leurs  propres  vues  sur  l'art  qu'ils  pratiquaient  ;  ils  eurent  aussi  très 
rapidement  à  sortir  du  domaine  des  spéculations  et  des  théories,  et 
furent  invités  à  donner  leur  avis  sur  des  travaux  effectués  à  Versailles, 
à  Paris  ou  dans  d'autres  villes  de  France  ;  ils  dirigèrent  même 
quelques  enquêtes  techniques,  dont  ils  consignèrent  le  résultat  dans 
leurs  registres.  Leurs  procès-verbaux  sont  donc  essentiels  à  connaître 
pour  l'historien  du  xvii^  siècle. 

L'éditeur  en  a  fait  précéder  le  texte  d'une  très  savante  introduction 
où  il  a  présenté  l'historique  de  l'Académie  d'architecture,  des  notices 
biographiques  sur  les  premiers  académiciens  et  un  aperçu  de  leurs 
travaux.  Il  me  peimettra  de  rectifier  ce  qu'il  a  écrit  sur  Pierre  Mignard, 
dont  «  presque  toutes  les  œuvres,  dit-il,  se  trouvent  dans  le  comtat 
de  Provence  »,  c'est-à-dire  à  Avignon,  Montmajour,  Roquefort  (?). 
Ni  Avignon,  ni  Montmajour  ne  se  trouvent  dans  le  comté  Venaissin, 
La  liste  des  monuments  dont  il  fut  l'architecte  est  aussi  singulière- 
ment sujette  à  caution  :  on  pourra  la  rectifier  après  le  Répertoire  que 
M.  l'abbé  Requin  va  incessamment  publier. 

L'-H.  Labande. 


Jean-Auguste  Brutails,  Les  vieilles  Eglises  de  la  Gironde.  Ouvrage  illustré  de 
près  de  400  gravures  dont  16  planches  hors  texte  en  phototypie...  —  Bordeaux, 
Feret  et  fîls,   1912.  In-4"  de  xii-3o2  pages. 

Un  ouvrage  d'archéologie  médiévale  signé  de  M.  Brutails  ne  peut 
laisser  indifférentes  les  personnes  qui  s'occupent  des  mêmes  études. 
Celui  qui  vient  de  nous  être  présenté  retiendra  leur  attention  et  méri- 
tera leur  suffrage.  Car  il  est  d'une  très  grande  iinportance  pour  la 
région  du  sud-ouest  de  la  France. 

Le  titre  qui  lui  est  donné  indique  qu'il  n'y  est  pas  seulement 
question  des  édifices  d'une  époque  déterminée.  M.  Brutails  a  examiné 
toutes  les  églises  qui  ont  été  construites  dans  la  Gironde  avant  la  fin 


d'histoire  et  de  littérature  293 

de  l'ancien  régime  ;  mais  comme  la  très  grande  majorité  est  de  style 
roman,  c'est  surtout  l'architecture  des  xi=et  xu"  siècles,  du  xii"  plutôt, 
qui  est  ici  étudiée.  En  dehors  de  quelques  monuments,  dont  la  cons- 
truction a  été  entreprise  par  les  architectes  des  âges  suivants,  l'art 
gothique  ne  s'y  manifesta  que  par  des  remaniements  plus  ou  moins 
considérables,  que  par  des  restaurations  de  parties  ruinées,  que  par 
des  agrandissements.  Quant  aux  époques  postérieures,  elles  ont  rela- 
tivement peu  construit.  Le  livre  de  M.  Brutails,  je  le  répète,  em- 
brasse donc  toute  la  période  comprise  entre  le  xi^  siècle  (des  monu- 
ments mérovingiens  ou  carolingiens  il  n'existe  plus  que  des  vestiges 
insignifiants)  et  le  xYia*^. 

II  est  divisé  en  deux  parties  :  d'abord  une  suite  de  monographies 
assez  courtes,  mais  très  précises  et  documentées,  d'après  une  soixan- 
taine d'éditices  du  département  :  église  primatiale  et  son  clocher, 
églises  Sainte-Croix,  Saint-Michel,  Sainte-Eulalie  et  Saint-Seurin  de 
Bordeaux,  cathédrale  de  Bazas,  église  de  Blasimon,  de  Francs,  de 
Langoiran,  de  la  Sauve,  de  Saint-Emilion,  d'Uzeste,  de  Vertheuil, 
etc.  Tous  les  types  sont  représentés  dans  cette  série  :  c'est  ce  qui  a 
permis  à  l'auteur  de  donner  des  notices  extrêmement  variées  etsurtout 
de  déterminer  les  remaniements,  parfois  désastreux,  opérés  dans  le 
siècle  dernier. 

La  deuxième  partie  est  de  beaucoup  la  plus  importante  :  elle  expose 
ce  que  fut  l'architecture  religieuse  en  Gironde.  Un  chapitre  que 
j'appellerai  préliminaire  indique  les  «  causes  »  de  celte  architecture, 
la  nature  du  sol,  ses  carrières,  ses  forêts,  la  répartition  du  territoire 
entre  divers  diocèses,  les  grands  événements  historiques  qui  ont 
influencé  la  construction,  enhn  la  condition  sociale  et  la  formation 
des  maîtres  d'œuvre,  les  ressources  mises  à  leur  disposition.  Nous 
entrons  dans  le  vif  du  sujet  avec  l'étude  du  plan  des  églises  giron- 
dines :  il  est  en  général  fort  simple;  on  eut,  pour  les  monuments  les 
moins  riches,  une  nef  terminée  à  l'est  par  une  abside;  les  autres,  à 
l'époque  romane,  présentèrent  pour  la  plupart  une  abside  et  deux 
absidioles,  un  transept  et  une  nef;  rares  furent  celles  qui  furent  dotées 
de  bas-côtés  ou  de  déambulatoire.  Dans  la  campagne,  les  dévia- 
tions d'axe,  les  irrégularités  sont  assez  fréquentes,  mais  sans  que  le 
symbolisme  y  soit  pour  quelque  chose.  Beaucoup  de  nefs  sont  restées 
sans  voûte,  avec  leur  loiture  portée  par  des  charpentes  que  cachent 
assez  souvent  des  lambris  ;  pour  celles  qui  sont  couvertes  en  pierres, 
on  adopta  de  bonne  heure  la  voûte  en  berceau  surbaissé,  en  fer-à- 
cheval,  en  plein  cintre  ou  en  arc  brisé;  on  la  soutint  au  moyen  de 
doubleaux  d'un  tracé  plus  au  moins  régulier.  D'autres  systèmes  de 
voûte  (en  dehors  des  culs-de-four  pour  les  absides)  furent  usités  à 
l'époque  romane  ;  si  l'on  ne  trouve  qu'une  fois,  à  la  base  d'un  clocher, 
la  coupole  sur  trompes,  la  coupole  sur  pendentifs  fut  assez  fréquem- 
ment usitée  ;  elle  fut  même  substituée  à  d'autres  voûtes  plus  anciennes. 


294  REVUE    CRITIQUE 

La  croisée  d'ogives  fut  importée  dès  le  milieu  du  xn'  siècle  :  elle  fut 
imaginée  d'abord  comme  couvre-joints,  comme  moyen  de  consolida- 
tion des  clochers  ébranlés  par  la  sonnerie  des  cloches,  comme  décor 
de  la  voûte,  mais  surtout  comme  support  des  claveaux. 

Je  n'entrerai  pas  davantage  dans  le  détail  des  différents  chapitres  : 
quil  suffise  de  marquer  que  tous  les  membres  de  la  construction  sont 
étudiés  avec  une  grande  abondance  de  détails,  que  l'auteur  de  l'ou- 
vrage possédant  les  connaissances  techniques  que  l'on  sait,  a  expliqué 
chacun  d'eux  avec  une  précision  tout  à  fait  remarquable,  et  les  a 
analysés  avec  une  perspicacité  non  moins  digne  d'éloges.  Il  ne  néglige 
en  effet  aucune  partie  de  l'édifice  :  les  supports,  les  ouvertures,  les 
clochers  et  cryptes,  font  l'objet  d'autant  de  chapitres.  Un  autre  est 
consacré  à  la  fortification  des  églises,  qui  a  été  imaginée  en  général 
après  coup,  pendant  la  guerre  de  Cent  Ans  ou  les  guerres  de  religion. 
Plusieurs  autres  le  sont  à  la  décoration  ;  celle-ci  est  parfois  fort  abon- 
dante :  certains  édifices  ont  le  pourtour  extérieur  de  leurs  absides 
très  richement  orné  avec  des  groupes  de  colonnes  engagées,  des 
séries  d'arcades,  des  cordons  ou  des  corniches  supportées  par  des 
corbeaux  sculptés  ;  d'autres  églises  ont  des  portraits  aux  voussures 
multiples  chargées  de  figures  humaines  d'animaux,  de  rinceaux,  de 
feuilles  stylisées,  d'ornements  géométriques,  etc.  Partout  on  trouve 
encore  des  chapiteaux  de  diverses  formes.  Pourtant  l'iconographie 
des  églises  girondines  n'est  pas  très  abondante;  si  les  motifs  tirés  de 
la  faune  et  de  la  Hore  ou  les  combinaisons  des  formes  géométriques 
sont  des  plus  répandus,  les  sculpteurs  n'ont  présenté  que  peu  de 
sujets  tirés  de  l'Ecriture.  A  l'époque  romane  proprement  dite,  ils  n'ont 
produit  que  trop  souvent  des  œuvres  maladroites.  Mais  il  est  vrai  de 
dire  qu'on  avait  aussi  recours  pour  la  décoration  des  édifices  à  la 
peinture.  11  n'a  subsisté  que  peu  de  fresques  des  xii'^  et  xiii«  siècles, 
mais  on  sait  qu'il  y  en  eut  un  assez  grand  nombre.  Même  dans  les 
églises  les  plus  pauvres,  on  avait  recouvert  les  parements  intérieurs 
d'enduits  avec  les  motifs  décoratifs  extrêmement  simples. 

11  n'est  pas  possible  d'indiquer  ici  même  sommairement  comment 
fut  appliqué  le  décor  sculpté  :  il  faut  lire  l'ouvrage  de  M.  Brutails.  Il 
est  plus  utile  d'exposer  les  conclusions  auxquelles  il  est  arrivé.  Le 
classement  chronologique  lui  a  paru  diflficile,  faute  de  documents 
précis,  car  d'une  part  il  y  a  lieu  de  se  défier  des  impressions  d'ar- 
chaïsme que  produisent  certains  monuments  mal  construits  ou  dégra- 
dés et  d'autre  part  les  formes  romanes  et  gothiques  ont  persisté 
bien  plus  longtemps  qu'on  ne  s'imaginerait  :  ainsi  la  façade  romane 
de  Francs  est  de  i6o5  et  la  porte  gothique  de  Saint-Michel- Lapujade 
date  de  1640.  C'est  dire  qu'il  faut  se  montrer  prudent.  Les  rappro- 
chements que  l'on  a  tentés  avec  d'autres  édifices  du  nord  de  la  F'rance 
sont  également  sujets  à  caution,  puisque  la  plupart  de  ces  édifices  sont 
assez   mal    connus    Cependant    M.  Brutails  est  fondé  à  attribuer  au 


d'histoire  et  de  littérature  295 

XI*  siècle  la  crvpte  et  le  porche  occidental  de  Saint-Seurin  de  Bor- 
deaux et  des  portions  d'autres  monuments.  Mais  c'est  aux  xii'  et 
xin'  siècles  qu'il  rapporte  la  plupart  des  belles  constructions  de  style 
roman  qui  ont  couvert  la  terre  girondine. 

A  quelle  école  d'architecture  fallait-il  les  rattacher?  C'est  encore 
une  autre  question  bien  délicate.  Pour  la  trancher,  l'auteur  du  livre 
que  j'analyse  a  établi  la  répartition  géographique  des  différents  types  ; 
il  a  reconnu  que  la  rég-on  où  dominent  les  formes  les  plus  riches, 
sinon  les  plus  originales,  était  le  territoire  compris  entre  la  Dordogne 
et  risle.  La  géographie  architecturale  ne  correspond  pas  avec  la 
géographie  ecclésiastique;  les  constructions  élevées  par  une  famille 
monastique,  sauf  par  les  Hospitaliers  et  les  Templiers,  ne  se  res- 
semblent pas  davantage.  L'influence  anglaise  fut  nulle  ou  à  peu  près. 
Bordeaux,  la  capitale,  ne  fut  pas  un  foyer  d'art  :  les  courants  vinrent 
du  dehors.  Il  y  a  bien  eu  des  imitations  de  décors  orientaux,  de 
formes  usitées  surtout  en  Auvergne,  en  Périgord,  dans  le  haut  pays  de 
la  Garonne,  mais  c'est  surtout  avec  les  Charcutes,  l'Anjou  et  le  Poitou 
que  les  constructeurs  girondins  eurent  des  affinités.  Les  caractères 
essentiels  de  leurs  édifices  se  retrouvent  même  plutôt  dans  les  deux 
Charente  et  se  distinguent  assez  des  formes  poitevines  pour  caracté- 
riser une  école  qui  embrasserait  le  Bordelais,  l'Angoumois  et  la 
Saintonge. 

Tel  est,  sommairement  analysé,  l'ouvrage  de  M.  Brutails.  Ecrit 
dans  une  langue  technologique  très  riche  et  très  claire,  illustré  de 
fort  nombreuses  photographies,  de  croquis  et  de  plans  multiples,  il 
est  appelé  à  servir  grandement  la  science  archéologique.  Peut-être 
aurait-on  pu  désirer  une  autre  division  :  1°  étude  et  explication  de 
l'architecture  et  des  formes  romanes;  2"  art  gothique;  3°  construc- 
tions des  xvii«  et  xviiie  siècles.  A  la  réflexion  pourtant,  on  se  rend 
compte  des  raisons  qui  ont  poussé  M.  Brutails  à  ne  pas  l'adopter  :  les 
styles  se  pénètrent  trop  et  ne  permettent  pas  une  classification  aussi 
rigoureuse. 

L.-H.  Labande. 

De  la  nature  du  capital  et  du  revenu  par  Irving  Fisher,  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Yale,  trad.  par  Savinien  Bouyssy.  Giard  et  Brière  éd.  191 1,  in-S»,  1, 
475  p. 

l,a  notice  —  annonce  jointe  par  l'éditeur  français  au  volume  de 
M.  Irving  Fisher,  assure  que  ce  livre  «  est  d'une  lecture  facile  ».  Je  ne 
suis  pas  de  son  avis.  L'auteur  entre,  au  sujet  du  capital  et  du  revenu, 
dans  des  distinctions  bien  subtiles  et  qui  ne  me  paraissent  pas  con- 
duire à  des  conclusions  très  fécondes.  La  grande  distinction  à  laquelle 
il  aboutit  entre  le  capital  et  le  revenu,  que  l'un  est  le  «  stock  de 
richesse  existant  à  un  moment  précis  »  tandis  que  le  second  est  «  un 
mouvement   de. services  pendant  une    certaine    période  de  temps  », 


296  REVUE    CRITIQUE 

cette  distinction  ne  laisse  pas  dans  l'esprit  une  clarté  suffisante  pour 
justifier  une  démonstration  en  près  de  400  pages  de  texte,  sans  compter 
huitappendices  avec  formules  mathématiques.  L'auteur  semble  atta- 
cher beaucoup  d'importance  h  sa  thèse  que  le  mot  capital  est  employé 
pour  désigner  le  revenu  anticipé,  revenu  qui  consiste  en  un  courant 
de  services  ou  de  valeur.  «  Si  c'est  la  valeur  que  l'on  a  en  vue,  le  rap- 
port de  causalité  ne  va  pas  du  capital  au  revenu,  mais  du  revenu  au 
capital.  Il  ne  va  pas  du  présent  au  futur  mais  du  futur  au  présent.  En 
d'autres  termes  la  valeur  du  capital  est  la  valeur  escomptée  du  revenu 
attendu  ».  L'auteur  ajoute  que  les  «  fluctuations  de  cette  valeur  capital 
seront,  toute  chance  mise  de  côté,  égales  aux  déviations  du  revenu 
par  rapport  aux  bénéfices  et  réciproquement  ;  tandis  que  si  l'on  tient 
compte  de  la  chance  il  y  aura  en  plus  de  ces  fluctuations,  d'autres 
fluctuations  qui  refléteront  les  changements  successifs  que  l'on  peut 
prévoir  dans  le  revenu  futur  ». 

Ce  sont  là  les  dernières  lignes  du  livre.  On  peut  juger  par  elles, 
qu'au  moins  dans  la  traduction,  le  lecteur  se  heurte  à  quelques  diffi- 
cultés de  compréhension  '.  La  puissance  d'analyse  de  l'auteur  est 
incontestable,  ainsi  que  son  érudition  qui  lui  permet  d'opposer  les 
unes  aux  autres  beaucoup  de  définitions  plus  ou  moins  défectueuses 
dues  aux  divers  économistes,  ce  qui  est  la  portion  la  plus  accessible 
de  son  ouvrage.  De  plus  l'auteur  est  familier  avec  les  méthodes  de  la 
comptabilité  commerciale  et  il  en  tire  beaucoup  d'exemples  et  de 
déductions.  Celle  qu'il  applique  à  la  question  de  la  taxation  qui 
«  devrait  imposer  toute  la  propriété  une  fois  et  aucune  propriété  plus 
d'une  fois  »  est  intéressante,  en  ce  qu'elle  constate  que  par  la  confu- 
sion entre  les  méthodes  d'inventaires  suivant  qu'on  tient  ou  non 
compte  des  droits  des  véritables  propriétaires,  le  législateur  arrive 
souvent  à  frapper  deux  fois  la  même  chose  :  par  exemple  un  chemin 
de  fer  et  les  actions  ou  obligations  de  cette  même  entreprise.  En 
général  ses  observations  sur  la  taxation  des  revenus  sont  instructives; 
mais  je  ne  vois  pas   le  législateur  allant  les  chercher  dans  des  pages 

d'un  caractère  aussi  abstrait. 

E.  d'Eichthal. 

Ch.  Brouilhet,  professeur  d'Economie  politique    à  la   Faculté   de   Lyon.  Précis 
d'Economie  politique,  i  vol.  grand  in-4<',  i,  820  p. 

Le  cercle  que  M.  Brouilhet  a  voulu  parcourir  est  immense.  Cette 
immensité  contraste  un  peu  avec  le  titre  qu'il  a  donné  à  son  volume  : 

1.  L'auteur  pose  comme  principe  p.  i23  «  qu'une  bonne  définition  doit  toujours 
être  utile  à  l'analyse  scientifique,  et  être  d'accord  avec  l'usage  populaire  et  ins- 
tinctif. «  Il  ne  me  semble  pas,  au  moins  dans  la  traduction,  avoir  toujours  rempli 
la  seconde  condition.  Je  relève  quelques  erreurs  dans  la  traduction  :  Rent  s'appli- 
quant  à  une  maison  signifie  loyer  et  non  rente.  Log  veut  dire  tronc  ou  grume  de 
bois  et  non  poutre;  stranded  à  la  côte  et  non  à  la  rue.  Le  traducteur  emploie  le  mot 
frange  d'une  façon  incompréhensible  pour  un  lecteur  français. 


d'histoire  et  de  littérature  297 

«  Précis  d'Economie  politique  ».  C'est  plutôt  le  Manuel,  tel  que  le 
conçoivent  les  professeurs  allemands  —  et  actuellement  beaucoup 
de  professeurs  français  —  c'est-à-dire  une  sorte  d'encyclopédie  de  la 
matière  professée.  Ici,  il  s'agit  sous  le  nom  d'Economie  politique 
d'une  foule  de  sujets  qui  sont,  si  on  le  veut,  de  l'Economie  appliquée, 
mais  qui  pourraient  et  devraient  être  traités  chacun  dans  un  ou  plu- 
sieurs volumes  séparés.  J'avoue  ne  pas  même  bien  apercevoir  les  rai- 
sons logiques  de  l'ordre  dans  lequel  l'auteur  a  rangé  ces  sujets  si 
divers  sans  tenir  aucun  compte  des  divisions  habituelles  des  traités  : 
la  population,  les  forces  économiques,  les  dépenses  et  l'épargne,  les 
institutions  sociales,  l'agriculture,  les  mines,  les  villes,  l'industrie,  le 
commerce,  les  transports,  la  monnaie  et  les  prix,  le  crédit,  capital  et 
travail,  le  parasitisme  social  et  les  doctrines  économiques,  l'économie 
politique  comparée;  ce  sont  là,  dans  l'ordre  suivi  par  l'auteur,  les 
titres  généraux  de  ses  chapitres  divisés  ensuite  en  un  grand  nombre  de 
subdivisions.  Ils  ont  un  peu  l'air  d'avoir  été  pour  leur  répartition  tirés 
au  sort  dans  un  chapeau  '.  Le  fait  d'avoir  pu  traiter,  en  les  connais- 
sant sous  plusieurs  de  leurs  faces,  un  aussi  grand  nombre  de  sujets, 
prouve  chez  l'auteur  une^grande  facilité  d'assimilation.  Il  y  joint  une 
facilité  d'affirmation  parfois  un  peu  déconcertante.  Le  nom  même 
qu'il  donne  à  sa  méthode  préférée  «  le  socialisme  juridique  »,  n'éclaire 
pas  beaucoup  le  lecteur,  d'autant  que  de  son  aveu  même  le  mot  socia- 
lisme n'est  pas  employé  là  dans  son  sens  habituel.  «  C'est,  écrit-il,  un 
effort  scientifiquement  très  intéressant  pour  interpréter  les  formules 
juridiques  parles  situations  économiques  auxquelles  elles  correspon- 
dent, et  réciproquement  les  situations  économiques  par  les  formules 
juridiques  qui  les  résument  ». 

Pour  que  la  méthode  ftàt  vraiment  «  intéressante  »,  il  faudrait  que 
les  juristes,  en  faisant  de  l'économie  politique,  se  plaçassent  tout 
d'abord  à  un  point  de  vue  vraiment  économique,  ce  qu'ils  ne  font 
presque  jamais.  Le  point  de  vue  juridique,  c'est-à-dire  de  répartition 
suivant  des  droits  à  formuler,  s'impose  à  eux  de  suite,  préalablement 
à  celui  de  la  production  de  la  richesse  générale  qui  est  le  premier  dont 
se  préoccupe  l'esprit  économique  —  et  qui  doit  logiquement  précéder 
les  problèmes  de  la  répartition  :  car  comment  partager  ce  qui  n'exis- 
terait pas?  Vérité  banale  que  les  réformateurs  sociaux  perdent  trop 
souvent  de  vue.  Par  exemple,  le  rôle  de   l'entrepreneur  sous  ce  rap- 

I.  L'auteur  dit  bien  dans  une  note  (p.  141)  que  «  s'il  aborde  l'étude  des  institu- 
tions sociales  avant  l'examen  du  mécanisme  de  la  vie  économique,  ou  productive, 
c'est  1°  qu'il  faut  s'occuper  de  l'homme  d'abord  et  delà  richesse  ensuite  ;  2"  que 
la  direction  donnée  à  nos  dépenses  par  les  institutions  conditionne  la  vie  écono- 
mique ))  :  mais  il  faut  observer  1°  que  ce  sont  là  de  simples  affirmations  sans 
démonstrations  et  auxquelles  on  pourrait  facilement  opposer  des  affirmations 
contraires  ;  2»  que  cette  tentative  de  justification  du  plan  de  l'auteur  vient  après 
qu'il  a  consacre  déjà  trois  chap.  et  [40  pages  à  des  matières  diverses  autant  écono- 
miques que  sociales. 


2^8  REVUE    CRITIQUE 

port,  échappe  presque  complètement  à  M.   B.  Ses   fonctions  d'initia- 
teur, d'organisateur,  de  combinateur  pour  ainsi  dire  ne  lui  apparais- 
sent pas  comme  une  des  conditions  essentielles  de  la  production,  et  il 
n'est  pas  loin  d'en  faire  soit  un  simple  fonctionnaire,  soit  un  de  ces 
parasites   capitalistes   auxquels,  par  un  abus   des    métaphores   dans 
lequel  il  tombe  souvent,  il  fait  une  si  grande  place  dans  l'organisme 
social  actuel.  Les  métaphores  entraînent  plus  d'une  fois  l'auteur  dans 
des  théories  qui  prêtent  au  pittoresque  de  l'expression,  mais  qui  ont 
bien  peu   de  rapports  avec  la    réalité   des  faits.  Nous   en    avons  un 
exemple    dans   l'assimilation  d'une  bonne    partie  du  capitalisme  au 
parasitisme  biologique,  qui  a  été  très  étudié  dans  ces  derniers  temps 
et  a  révélé  bien  des  phénomènes  curieux  en  histoire  naturelle,  mais 
qui  ne  prouvent  rien  en  économie  politique  sociale.  Un  autre  exemple 
est  le  recours  aux  images  et  aux  définitions  de  la  guerre  pour  expli- 
quer l'échange  sur  les  marchés  commerciaux.  L'auteur  voit   partout 
des  vainqueurs   et   des   vaincus,  la  vaillance  personnelle  ou   conta- 
gieuse, et  la  peur  :  le  prix  est  une  victoire  accordée  à  ceux  qui  ont  le 
plus  de  confiance  dans  leurs  forces,  etc.  Cela  rappelle  les  raisonne- 
ments des  protectionnistes  qui  ne  parlent  que  du  joug  de  l'étranger, 
de  l'invasion  des  marchés,  du  tribut  payé  à  l'industrie  hors  frontières, 
etc.  et  ne  prouve  pas   plus.    C'est  encore  un   indice  de  l'absence  du 
sens  économique  proprement  dit,  cette  confusion  des  choses  de  la 
force  avec  celles  de  l'échange  —  produits  ou   services  —  dont  l'es- 
sence est  d'être  avantageux,  plus  ou  moins  avantageux,  mais  avanta- 
geux tout  de  même  aux  deux  parties  en  présence,  ce  qui  ne  se  réalise 
pas  dans  le  combat  à  main  armée.  M.  B.,  lui,  voit  toujours  un  spolié 
et  un  spoliateur.  L'organisation  économique  vue  sous  cet  angle  exige 
naturellement  un  constant  appui  des  faibles  par  l'Etat  qui  apparaît 
dès  lors  comme   un   éternel  et  nécessaire  arbitre.  Pour  qu'il  puisse 
remplir  ces  fonctions  d'une  façon  à  peu  près  satisfaisante,  M.  B.  est 
obligé,  comme  tous  les  Etatistes,    de  faire  abstraction  de  la  nature 
réelle  de  l'État,  surtout  de  l'Etat  populaire,  et  de  lui   attribuer  des 
caractères  d'activité,  d'impartialité,  de  justice  qu'il  n'a  pas.  Les  pages 
où  il  prétend  répondre  aux  objections  des  libéraux  contre  les   enva- 
hissements de  l'Etat  touche-à-tout,  incompétent   et  brouillon,  sont 
parmi  les  plus  faibles  du  livre,  et  cette  faiblesse  compromet  les  con- 
clusions de  tout  l'ouvrage. 

Celles  qui  s'appliquent  au  chapitre  spécial  des  rapports  du  capital 
et  du  travail  prêtent  à  bien  des  critiques.  L'auteur  tranche  par  exemple 
avec  une  assurance  déconcertante,  en  une  note  de  huit  lignes,  la  ques- 
tion de  savoir  si  la  grève  est  une  rupture  ou  une  simple  suspension 
du  contrat  de  travail.  L'auteur  n'admet  même  pas  la  discussion  sur  ce 
point  :  «  La  grève  est  simplement  une  suspension  parce  que  telle  est 
l'intention  des  parties  »,  C'est  peut-être  souvent  l'intention  de  celle 
des  parties  qui  déclare  la  grève,   mais  non  de  l'autre   qui  souvent 


d'histoire  et  de  littérature  299 

cherche  à  embaucher  ou  à  s'embaucher  ailleurs.  Mais  l'auteur  n'ad- 
met pas  cela  :  «  Les  patrons  ne  demandent  qu'à  reprendre  le  même 
personnel  ».  «  Ce  n'est  cependant  pas  ce  qui  se  passe  dans  bien  des 
cas,  lorsque  la  liberté  du  travail  est  suffisamment  protégée.  Mais  la 
liberté  du  travail  apparaît  à  l'auteur  une  niaiserie  en  temps  de  grève. 
Ici  les  images  de  la  guerre  reviennent  sous  sa  plume.  Il  revoit  de  nou- 
veau le  champ  de  bataille  avec  ses  vainqueurs,  ses  vaincus,  et  les  vio- 
lences nécessaires  delà  guerre.  «  11  est  impossible  de  ne  pas  considé- 
rer la  grève  comme  un  acte  de  guerre.  On  ne  la  fait  pas  avec  des 
âmes  de  moutons.  La  grève  ouvrière  cherche  à  être  la  ruine  du  pa- 
tron »...  (Comment  concilier  cetie  assertion  avec  l'affirmation  que  les 
grévistes  ne  cherchent  qu'à  rentrer  chez  le  patron  ?).  L'État  qui  était 
pour  M.  B.  le  grand  arbitre  nécessaire  des  intérêts,  l'appui  des  fai- 
bles, devient  tout  à  coup  incapable  d'aucune  défense  des  non-grévistes 
qui  refusent  de  suivre  les  meneurs.  «  Le  geste  protecteur  de  l'Etat 
n'a  qu'une  valeur  de  symbole  :  devant  des  grévistes  résolus  et  orga- 
nisés, les  non  grévistes  sont  hors  d'état  de  se  défendre.  Il  ne  faut  pas 
leur  laisser  croire  qu'ils  seront  efficacement  placés  sous  la  tutelle  de 
l'État.  La  grève  nous  transporte  dans  le  domaine  de  la  guerre,  donc 
en  dehors  de  celui  du  droit  ». 

La  solution  d'avenir  aperçue  plutôt  qu'étudiée  par  M.  B.  est  la 
constitution  d'organes  collectifs  de  location  de  la  main  d'œuvre 
moyennant  des  contrats  collectifs,  solution  qui  a  déjà  été  proposée 
par  des  économistes  ultra  libéraux  comme  M.  Yves  Guyot,  ce  que 
M.  B.  dans  son  dédain  pour  l'école  libérale  omet  de  rappeler.  Il  est 
très  possible  qu'il  se  fasse  à  l'avenir  dans  cette  voie  des  transforma- 
tions intéressantes  du  marché  de  la  main  d'œuvre;  le  difficile  sera 
dans  le  contrat  collectif  de  respecter  la  liberté  de  ceux  qui  ne  vou- 
dront pas  y  adhérer  :  mais  ce  sont  là  difficultés  qui  ne  touchent  pas 
beaucoup  en  général  les  économistes-juristes  de  l'école  de  M.  B. 
Celui-ci  n'aborde  même  pas  le  problème. 

E.  d'Eichthal. 


—  La  librairie  Teubner  nous  envoie  le  i^"  fascicule  de  ÏEpitome  tliesaui-i  latini, 
adornavit  et  auxiliantibus  compluribus  edidit  Fr.  Vollmer.  Vol.  I,  fasc.  i ,  a-aedilis, 
confecerunt  Fr.  Vollmer  et  E.  Bickkl,  iSg  col.  gr.  in-4°.  Prix  :  2  mk.  le  fasc. 
Les  souscripteurs  ne  paieront  que  i  mk.  5o,  s'ils  envoient  leur  adhésion  avant  le 
3i  décembre  191 2.  Cet  ouvrage  parait  être  à  la  fois  un  éclaircissement  et  une 
mise  au  point  des  matériaux  accumulés  dans  le  grand  Thésaurus.  Il  est  conçu 
avec  une  intelligence  remarquable  des  besoins  du  public  savant.  Sa  disposition 
est  excellente  et  pratique.  On  prévoit  quatre  volumes  maniables.  Le  seul  point 
noir  est  que  cette  publication  ne  peut  que  suivre  le  grand  Thésaurus.  Il  en  est 
au  D.  Quand  en  verrons-nous  la  fin  ?  h' Epitome ,  qui  pourrait  rendre  tant  de 
services,  sera  forcé  de  marcher  du  même  pas.  Nos  arrière-neveux  auront  bien 
des  facilités.  —  J.  D. 

—  M.  M.  Cl.  Gertz,  nous  a  envoyé  :  Om  den  nyc  udgave  af   Vitae  Sanctorum 


3oO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

danorum  (Oversigt  over  det  kgl.  Danske  videnskabernes  selskabs  forhandiinger, 
1912,  n»  3,  p.  169-21  i).  Il  est  fâcheux  qu'aucun  résumé  dans  une  langue  plus 
accessible  que  le  danois  ne  donne  une  idée  de  cet  article  aux  hagiographes  qui  ne 
sont  pas  polyglottes.  —  1).  S. 


Académie  des  Inscru'tions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  20  septembre  igi2. 
—  M.  Héron  de  Viilefosse  communique  une  lettre  où  M.  le  commandant  Espéran- 
dieu,  correspondant  de  l'Académie,  annonce  la  découverte  d'une  clôture  en  pierres 
sèches  ayant  l'aspect  d'un  reirancheinent,  au  lieu  dit  la  Croix-Saint-Charles,  à 
Alise-Sainic-Rcinc.  M.  Fî^spérandicu  pense  que  ce  doit  dire  l'ouvrage  de  défense 
dont  il  est  question  dans  les  Commentaires  de  César  (livre  Vlf^  ch.  69).  — 
M.  Héron  de  \'illefosse  insiste  sur  l'intérêt  de  cette  constatation  et  rappelle  qu'au 
dernier  Congrès  des  Sociétés  savantes  M.  le  D""  Epery  avait  émis  des  nypothèses 
qui  se  trouvent  ainsi  confirmées. 

M.  Charles  Diehl  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  Ebersolt  qui  a  exploré  un 
quartier  de  Constantinople  voisin  de  Sultan-Ahmed  et  dévasté  par  un  récent 
incendie.  Il  y  a  trouvé  un  certain  nombre  de  débris   de  l'antique  Palais  impérial. 

M.  Charles  Diehl  annonce  qu'il  y  a  quelques  semaines,  près  d'un  village  du 
gouvernement  de  Poltava  (Russie  méridionale),  deux  jeunes  garçons  découvraient 
par  hasard  un  trésor  d'objets  précieux,  vases  d'argent  et  d'or,  armes,  bijoux,  etc., 
comprenant  plus  d'une  centaine  d'objets  et  qui  constitue  une  des  plus  belles  col- 
lections d'orfèvrerie  ancienne  qui  aient  été  retrouvées.  A  l'exception  de  quelques 
détournements,  presque  toute  la  collection  a  été  sauvée  parles  soins  de  la  Com- 
mission archéologique  impériale  et  elle  ne  tardera  pas  à  entrer  au  Musée  de  l'Er- 
mitage. M.  Diehl,  fait  brièvement  connaître  les  pièces  principales  qui  composent 
ce  trésor,  vases  et  coupes  d'or  et  d'argent  relevées  de  sculptures  en  relief,  vaisselle 
précieuse,  bijoux,  armes  et  harnachements  de  chevaux,  plaques  d'or  non  travaillé. 
Parmi  ces  objets,  les  uns  se  rattachent  à  l'art  chrétien,  et  certains  peuvent  remon- 
ter au  IV*  et  au  ve  siècle  ;  le  plus  grand  nombre  est  d'art  sassanide,  par  exemple  la 
magnifique  coupe  d'argent  au  centre  de  laquelle  figure  un  roi  perse  à  cheval. 
Aucune  pièce  ne  semble  postérieure  au  milieu  du  vii<=  siècle  ;  des  monnaies  d'or 
trouvées  avec  le  trésor  portent  l'effigie  de  l'empereur  Héraclius  (638-641).  Il  est 
donc  probable  que  ce  trésor  provient  de  quelqu'un  de  ces  chefs  de  peuples  noma- 
des bulgares  ou  avars  qui  erraient  alors  dans  les  steppes  de  la  Russie  du  Sud  et 
qui  plus  d'une  fois  se  mirent  au  service  de  l'empire  perse  pour  ravager  le  pays 
byzantin. 

M.  Raymond  Weill  rend  compte  des  travaux  qu'il  a  exécutés  en  Egypte  pendant 
la  saison  de  fouilles  1911-1912.  A  Tounah,  nécropole  de  la  ville  d'Hermopolis  en 
Haute-Egypte,  il  a  été  dégagé  une  partie  de  ce  champ  funéraire  très  étendu,  notam- 
ment le  cimetière  de  l'époque  du  Nouvel  Empire  (xvi"  au  xii"  siècle  av.  J.-C.)  ;  les 
to.mbeaux  explorés  ont  fourni  des  objets  de  mobilier  funéraire  en  abondance,  sar- 
cophages, vases,  figurines,  etc.  Le  plus  important  des  objets  rapportés  est  un  beau 
sarcophage  de  granit  à  couvercle  anthropoïde,  complètement  inscrit  et  décoré, 
dont  le  poids  total  est  de  4000  kilogr. 

A.  Zaouièt  El-Maietin,  d'autre  part,  M.  Weill  a  misa  découvert,  sous  les  cons- 
tructions d'une  ville  d'époque  grecque,  les  ruines  d'une  pyramide  de  l'époque 
memphite  ancienne  (vers  3ooo  av.  J.-C);  la  sépulture  intérieure,  protégée  contre 
les  déprédations,  depuis  l'antiquité,  par  les  constructions  susjacentes,  est  sans 
doute  intacte,  et  il  sera  procédé  à  son  ouverture  au  cours  de  la  campagne  du  pro- 
chain  hiver. 

M.  Seymour  de  Ricci  communique  les  photographies  d'une  collection  de  tapis- 
series gothiques  récemment  acquise  par  M.  Pierpont  Morgan.  Ces  tapisseries  pro- 
viennent du  château  de  Knole  (comté  de  Kent)  qui  appartint  aux  archevêques  de 
Cantorbéry  et  aux  rois  d'Angleterre  et  où  elles  étaient  conservées  depuis  quatre  siè- 
cles.Elles  datent  de  la  belle  époque  de  la  tapisserie  flamande,  entre  1480  et  i520. 
On  y  reconnaît  des  scènes  sacrées  et  profanes,  l'Ecce  Homo,  sainte  Véronique  pré- 
sentant la  sainte  face  à  l'empereur  Vespasien,  Enée  et  Didon,  le  jugement  d'Othon, 
des  scènes  de  romans  médiévaux. 

Léon  Dorez. 


U imprimeur-gérant  :  Ulyssk  Rouchon. 


Le  Puy-eu-Velay.  —    Imprimerie  Peyriller,  Rouchou  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N'  42  —  19  octobre.  —  1912 

Keks,  La  danse  du  roi  égyptien  devant  la  divinité.  — Zéliqzon  et  Thiriot,  Textes 
patois  recueillis  en  Lorraine.  —  Saulnier,  Le  cardinal  de  Bourbon.  —  Vindry, 
Les  parlementaires  français  au  xvi"  siècle,  II.  —  Goeters,  Le  piétisme  aux 
Pays-Bas.  —  O.  Pfister,  Zinzendorf.  —  Lesprand,  Les  derniers  jours  du  parle- 
ment de  Metz;  La  suppression  des  Récollets  de  Sierck;  La  fin  de  l'abbaye  de 
Wadgassc.  —  P.  Casper,  Lettres  de  Golbéry.  —  Pkrkire,  Autour  de  Saint- 
Simon.  —  Fagukt,  Initiation  philosophique.  —  Aster,  Grands  penseurs.  — 
Cardinal  Mathieu,  Œuvres  diverses.  —  Souries,  Almanach  des  Spectacles,  191 1. 
—  Peters,  Saint  François  d'Assise.  —  H.  Hoffmann,  Le  rationalisme  du 
XVIII'  siècle.  —  G.  ScHULZE,  Aénésidème,  p.  Liebert.  —  Maugain,  Boileau  et 
l'Italie.  —  Dejob,  M"""  Siciliani.  —  Académie  des  Inscriptions. 


Hermann    Kei:s,    Der    Opfertanz    des    segyptischen    Kônigs,    19 12,    Leipzig, 
J.-C.  Hinrichs'sche  Buchhnndiung,  in-8",  vu-292  p.  et  7  pi. 

Il  y  a  trente  ans  passés,  je  proposais  comme  sujet  de  thèses,  aux 
jeunes  gens  qui  suivaient  les  cours  de  l'Ecole  des  Hautes  Études, 
l'examen  et  l'interprétation  des  poses,  gestes  et  mouvements  qui  carac- 
térisent les  personnages  dans  les  représentations  religieuses  et  funé- 
raires :  tout  en  effet  y  est  réglé  comme  dans  un  de  nos  ballets,  à  tel 
point  que,  s'il  subsiste  dans  un  tableau  détruit  quelques  traits  suffi- 
sants pour  indiquer  la  silhouette  du  roi  et  son  attitude,  nous  pouvons 
déterminer  la  cérémonie  à' certains  détails  secondaires  près.  Ceux 
de  mes  auditeurs  que  l'idée  intéressa  renoncèrent  à  la  poursuivre,  et 
le  temps  m'a  manqué  depuis  lors  pour  coordonner  et  pour  publier 
les  notes  que  j'avais  recueillies  à  l'appui.  M.  Kees  a  consacré  son  long 
mémoire  à  une  des  scènes  qui  avaient  attiré  le  plus  mon  attention, 
celle  qui  représente  la  course,  ou  si  l'on  veut,  la  danse  du  roi  devant 
la  divinité.  Il  en  a  distingué  et  défini  minutieusement  quatre  types  : 
la  course  à  l'oiseau,  la  course  au  vase,  la  course  à  la  rame,  et  enfin  la 
course  du  Habisadou.  Disons  tout  de  suite  que  la  course  à  l'oiseau 
est  la  moins  fréquente  :  on  en  trouve  quelques  exemples  sur  les 
monuments  de  la  XVIIP  dynastie  et  sous  les  Ptolémées,  aucun  dans 
l'intervalle,  ce  qui  permet  à  M.  Kees  de  supposer  qu'elle  serait 
tombée  en  désuétude  vers  le  début  des  temps  Ramessides,  pour  ne 
reparaître  qu'à  titre  archaïque  vers  le  milieu  de  l'époque  macédo- 
nienne. Il  est  possible,  mais  tant  de  temples  ont  été  détruits  qu'un 
défaut  sur  les  débris  de  ceux  qui  subsistent  ne  suffit  pas  à  prouver 
la  perte  d'un  rite.  Le  roi  devait  courir  vers  une  déesse,  en  lui  présen- 

Nouvelle  série  LXXIV  42 


?02  REVUE    CRITIQUE 

lani  un  oiseau  de  la  main  gauche,  tandis  que  de  la  main  droite  il 
appuyait  à  son  épaule  trois  sceptres,  celui  de  vie  surmonté  d'un  ibis, 
celui  de  stabilité  surmonté  d'une  chouette  ou  plutôt  d'un  faucon, 
celui  de  force  surmonte  d'un  vautour.  La  légende  décrit  sans  rien 
expliquer  :  «  Prends  ta  course  pour  la  déesse  »,  que  la  déesse  soit 
Hathor  ou  Maout,  ou  une  autre.  M.  Kees,  remarquant  que  l'oiseau 
est  très  probablement  un  oiseau  Khou,  et  que  la  déesse  s'appelle  aussi 
Kliouit^  IJxlwuît,  considère  la  cérémonie  comme  figurant  l'offrande 
faite  à  Hathor  de  son  propre  symbole  et  de  sa  vertu  principale.  Or 
Khouît,  Ikhouît,  est  l'urœus  enflammée  qui  couronne  Rà,  le  soleil  et 
qui  le  garde  contre  ses  ennemis.  Elle  est  d'abord  comme  une  sœur 
de  l'Œil  de  Râ,  puis  elle  se  confond  avec  celui-ci,  et  par  conséquent, 
elle  s'identifie  de  même  que  lui  avec  Hathor.  Il  semble  donc  que  la 
course  à  l'oiseau  ait  eu  pour  effet  de  conférer  à  la  statue  de  la  déesse 
le  pouvoir  défenseur  du  souverain  et  destructeur  de  ses  adversaires, 
qui  lui  accroissait  de  sa  qualité  d'urœus,  œil  et  protectrice  du  soleil. 
Autant  la  course  à  l'oiseau  est  d'occurrence  rare  sur  les  monuments, 
autant  la  course  au  vase  et  la  course  à  la  rame  s'y  rencontrent  sou- 
vent. Elles  s'appareillent  perpétuellement,  presque  toujours  sur  le 
linteau  des  portes,  ce  qui  a  conduit  la  plupart  des  savants  à  les  ranger 
parmi  les  épisodes  des  fêtes  de  la  fondation  de  l'édifice  où  on  les  voit. 
Dans  les  tableaux  les  plus  anciens  qui  nous  en  soient  parvenus 
jusqu'à  présent,  ceux  de  la  XIT  dynastie  et  des  commencements  de 
la  XVni",  le  Pharaon  coureur  lève  de  la  main  gauche  l'espèce 
d'équerre  qu'on  appelait  hapît,  et  de  la  droite  il  appuie  à  l'épaule 
une  longue  rame-gouvernail  décorée  de  diverses  manières,  et  c'est 
la  course  à  la  rame  ;  ou  bien  il  tient  de  chaque  main  un  vase  hasou, 
dans  lequel  il  apporte  l'eau  fraîche  au  dieu.  A  partir  d'Aménô- 
thès  ni,  le  sens  des  deux  cérémonies  et  l'intelligence  des  deux 
types  vont  s'effaçant  peu  à  peu.  Le  symbole /m/"/?  n'est  plus  compris, 
il  se  déforme,  et  l'on  finit  par  voir  Ramsès  II  courir  tenant  le  vase 
d'une  main  et  la  rame  de  l'autre,  accomplissant  ainsi  les  deux  opéra- 
tions du  même  coup.  Une  confusion  semblable  s'établit  entre  la 
course  à  la  rame  ou  au  vase  et  la  course  de  habi-sadou^  si  bien  que 
sous  les  Ptolémées  leurs  attributs  se  mêlent  dans  les  mains  du 
Pharaon.  La  course  au  vase  a  le  moins  souffert  de  ces  contamina- 
tions, mais  la  course  à  la  rame  est  devenue  méconnaissable  :  l'équerre 
s'est  métamorphosée  en  un  fouet,  celui  qui  caractérise  la  course  de 
habi-sadon,  puis  la  rame  n'est  plus  qu'un  bâion  assez  court,  un  peu 
plus  épais  à  une  extrémité  qu'à  l'autre,  mais  qui  n'en  conserve  pas 
moins  le  nom  hapî\t].  Il  résulte  de  l'examen  auquel  M.  Kees  s'est 
livré,  qu'à  l'exception  de  la  course  au  vase,  tous  les  tableaux  qui 
représentent  une  course  perdirent  leur  sens  primitif,  dès  que  la 
tradition  qui  les  maintenait  encore  au  début  de  la  XVIIP  dynastie 
eut  disparu.  La  course  au  vase  était  à  l'origine,  et  elle  demeura  tou- 


d'histoire  et  de  littérature  3o3 

jours,  l'un  des  prcliminaircs  de  la  libation.  On  apportait  au  dieu 
l'eau  fiaîclie  pour  qu  il  la  bût,  et,  afin  qu'il  la  reçut,  on  la  versait 
devant  lui.  Si  le  roi  courait  en  accomplissant  ce  devoir,  c'est  qu'il 
devait,  pour  en  assurer  l'efficacité,  tourner  autour  de  l'image  du  dieu 
alin  de  consacrer  le  liquide  au.K  quatre  maisons  du  monde  :  les  quatre 
parois  de  la  salle  où  la  fonction  avait  lieu  étaient  l'objet  de  son  hom- 
mage l'une  après  l'autre.  Comme  une  partie  de  l'eau  ainsi  offerte 
était  employée  à  la  puriricaiion  qui  précédait  tout  acte  nouveau  du 
sacrifice,  l'idée  de  purihcation  s'attacha  à  la  course  et  y  prédomina 
par  la  suite.  La  course  à  la  rame  n'appartient  pas  à  la  série  des  actes 
sacriflciels,  et  c'est  surtout  pour  des  motifs  de  symétrie  décorative 
qu'elle  a  été  accouplée  si  souvent  à  la  course  du  vase,  à  partir  de  l'âge 
Ramesside  :  le  roi,  accourant  avec  son  vase,  faisait,  de  la  façon  la 
plus  heureuse,  pendant  au  roi  accourant  avec  sa  rame,  lorsqu'on 
affrontait  les  deux  scènes  l'une  à  l'autre  sur  le  linteau  des  portes. 
Toutefois  l'association  est  entièrement  artificielle.  Si  Pharaon  s'ap- 
prochait du  dieu  une  rame  gouvernail  et  un  objet  de  la  forme  liapit 
aux  mains,  c'était  pour  obéir  au  vieil  usage  qui  voulait  que  le  matelot 
en  s'embarquant  et  en  débarquant  prît  avec  lui  son  équipement 
propre  :  se  rendant  au  temple  pour  y  honorer  les  dieux,  il  montrait 
par  là  qu'il  était  prêt  à  monter  dans  leur  barque  divine  et  à  la  manœu- 
vrer. Le  rite  se  troubla  au  cours  des  âges  et  des  éléments  nouveaux 
s'y  introduisirent,  jusqu'à  un  taureau  qui  court  auprès  du  souverain  : 
c'est  de  ces  développements  d'idées  par  jeux  de  mots,  —  ici  entre  le 
nom  Hapi  du  taureau  et  le  nom  hapî[t]  de  la  rame-gouvernail,  — 
comme  on  en  rencontre  tant  en  Egypte. 

Pour  compléter  l'explication  de  ces  trois  scènes,  il  reste  à  indiquer 
la  valeur  de  certaines  figures    accessoires    qui  y  jouent  un   rôle,  et 
d'abord  celle  de  la  déesse Marît,  qui  est  à  l'ordinaire  une  des  suivantes 
du  dieu  Nil.  Lorsque  le  roi  a  présenté  l'eau  ou  la  rame,  le  dieu  le 
remercie  et  la  déesse  est,  pour  ainsi  dire,   l'image  de  la  bienvenue 
divine;  elle  lève  les  mains,  elle  les  frappe  l'une  contre  l'autre,  et  elle 
crie  :  «  Viens,  apporte  !  Viens,  apporte!  »  C'est  le  geste  des  musicien- 
nes qui  suivaient  les  processions  et  qui  agrémentaient  de  leurs  chants 
le  cérémonial  ;  Marît  les  incarne  toutes  à  elle  seule,  et  en  la  plaçant  à 
côté  du   dieu,  le  dessinateur  a  marqué   la   présence  des  chœurs  du 
temple.  M.  Kees  a  dégagé  du  symbolisme  qui  l'obscurcissait,  le  motif 
pour  lequel  les  Egyptiens  lui  assignèrent  cet  emploi  :  elle  avait  sur  la 
tête  en  guise  de  coiffure  les  bouquets  de  lotus  et  de  papyrus  des  deux 
Egyptes,  et  les  musiciennes  se  paraient  dans  l'exercice  de  leurs  fonc- 
tions de  couronnes  ou  de  chapeaux  de  fleurs.  M.  Kees  se  demande 
ensuite  jusqu'à  quel  point  ces  courses  diverses  peuvent  s'appeler  des 
danses,  et  il   conclut    aussitôt   à    l'affirmative  ;  après  avoir  étudié  les 
tableaux  qui  nous  montrent  et  la  danse  de  guerre  et  les  cabrioles  du 
peuple  en  joie  pendant  les   fêtes,  il  démontre  que  les  mouvements 


3o4  REVUE    CRITIQUE 

rythmes  du  souverain,  lorsqu'il  apporte  l'oiseau,  eau  ou  a  rame, 
constituent  une  véritable  danse  rituelle.  Il  analyse  enfin  le  groupe  de 
signes  singuliers  qui  sont  gravés  d'ordinaire  derrière  l'image  du  roi, 
mais  ici.  pour  saisir  et  pour  apprécier  ses  raisons,  il  faudrait  recourir 
aux  signes  eux-mêmes  :  je  me  bornerai  à  dire  qu'il  est  arrivé  presque 
sur  tous  les  points  à  des  conclusions  fort  différentes  de  celles  aux- 
quelles Jéquier  était  parvenu,  dans  le  curieux  article  qu'il  consacra 
naguères  à  ce  sujet  [Recueil,  1905,  t.  XXNII,  p.  170  sqq.). 

La  course  de  habi-sadou  nous  est  connue  par  des  documents  qui 
remontent  à  la  première   dynastie,  et  les  représentations  s'en  divisent 
en  deux  groupes.  Dans  le  plus  ancien,  et  jusque  sous  Thoutmôsis  III, 
le  roi  court,  mais   il  ne  paraît    pas  avoir  de  but   précis  à  sa  course. 
Dans   le  plus  récent,  à    partir   de  Thoutmôsis  III,  la   cérémonie   se 
modèle  sur  le  type  des  autres  courses,  et,  comme  dans  celles-ci,  le  roi 
se  dirige  vers  une  divinité.  PZvidemment,  le  rite  est  le  même  dans  les 
deux  cas,  et  l'examen  des  insignes  dont  le  Pharaon  est  orné  peut  seul 
nous  renseigner  sur  son  objet.  L'un  d'eux  est  le  fouet  nommé  nakha- 
khoii,  mais  que  doit-on  penser   de  l'autre  ?  C'est    quelque  chose  de 
court  et  d'épais,  un  peu    plus   large   aux   extrémités  qu'au  milieu,  et 
dont  les  deux  bouts  dépassent  de  quelques  centimètres  à  peine  la  main 
qui    le  serre.  Comme  cela  échange  assez  souvent  avec  un   bâtonnet 
par  la  suite   des  temps,  M.  Kees  le  croirait  volontiers  un  sceptre  de 
forme  très  ancienne.  Je  préférerais  y  voir  une  de  ces  ai;mes  archaïques 
qui  devinrent  des  insignes  de  pouvoir  aux  âges  historiques,  lésa  bre  de 
bois  sakhimou,  la  masse  à  tête  de  pierre  blanche  ou-{ou,  le  fouet  d'armes 
uakhakhou;  ce  serait   une  sorte  de  gros  coup  de  poing  fait  d'un  os  de 
bœuf  ou    d'une  pierre   dure,    analogue  dans   ce    dernier   cas,   à    ces 
énormes    marteaux  de   silex    que   Schweinfurth    et   Seton    Karr    ont 
recueillis  dans  la  nécropole  ihébaine,  et  qui  servaient  encore  à  creuser 
les  hypogées  sous  le  second  empire  thébain.  On  le  remplaça  plus  tard 
par  le  bâtonnet,  sans  doute   faute  de  savoir  ce  qu'il  était  à  l'origine. 
Il  s'agirait  donc  ici   d'une  course  que  le  Pharaon   exécuterait  après 
avoir  reçu  d'un  dieu  ces  emblèmes  de  sa  royauté,  et  comme  elle  avait 
lieu  durant  la  fête  de  habi-sadou,  M.  Kees  est  amené  à  rechercher  ce 
qu'est  cette  fête,  afin  de  déterminer  la  place  que  la  course  y  occupait 
et  la  signification  qu'on  lui  prêtait.  Il  est  conduit  par  un  ensemble  de 
considérations  très  ingénieuses  à  déclarer,  d'abord  que  l'édifice  où  l'on 
courait  était  la  chapelle  des  âmes  de  Nekhen,  l'Hiéracônpolis  du  Saîd. 
Or,  ces  esprits  de  Nekhen  avaient  pour  père  et  pour  représentant  le 
grand  dieu   Ouapouaîtou   à  museau   de  chacal  ou  de  loup,  le  vain- 
queur des   deux    mondes,  celui   qui   marche   à  la  tête  des  dieux.  La 
course  du  roi  aurait  donc  pour  objet  d'aller  recevoir  d'Ouapoaîtou,  et 
sous  ses  directions,  dans  la  chapelle  de  Nekhen,  les  insignes  de  l'an- 
tique royauté  du  Sud.  Elle   serait,  comme  la  fête  elle-même,  origi- 
naire du  midi  de  l'Egypte,  et  elle  commémorerait  jusqu'à  un  certain 


d'histoire  et  de  littérature  3o5 

point  le  triomphe  du  royauine  mciidional  sur  celui  du  Nord;  elle 
aurait,  dans  le  principe,  été  exécutée  en  Thonneui-  des  seuls  dieux 
de  Nekhcn,  principalement  du  dieu  loup  ou  chacal.  On  la  dansa  par  la 
suite  devant  ceux  du  royaume  septentrional,  et  on  la  confondit  par- 
fois avec  les  autres  courses,  notamment  avec  celles  du  vase  et  de  la 
rame  :  ces  modifications  postérieures  avaient  jusqu'à  présent  empêché 
les  savants  de  discerner  la  nature  véritable  du  rite. 

J'ai  résumé,  aussi   fidèlement  qu'il   m'a   été   possible,  la   thèse  de 
M.  Kees,  non  sans  omettre  nombre  de  détails  dont  plusieurs  ont  leur 
valeur  dans  sa  démonstration  ;  mais  il  m'aurait  fallu,  pour  en  faire 
sentir  l'intérêt,  entrer  dans    des  considérations  par    trop  techniques 
pour  les  lecteurs  de   cette  Revue.  Tout  ne  me   paraît  pas  également 
certain  dans  la  démonstration,  et  peut-être  telles  opinions  antérieures 
que  l'auteur  rejette  devront-elles  être  reprises,  lorsqu'on  étudiera  plus 
à  fond  quelques-uns  des  sujets  abordés  ici.  Je  crois  pourtant   que, 
dans  l'ensemble,  M.  Kees  sera  approuvé  de   la  plupart  des  Egypio- 
logues  qui   s'intéressent  à  ces  questions  si  obscures    encore  des  rites 
égyptiens,  de  leurs  origines,  et  de  leur  histoire.  Les  scènes  figurées  et 
les  inscriptions  ont  été  recueillies  avec  un  soin  minutieux  et  traitées 
avec   beaucoup   d'habileté.  L'exposition  est   claire,  la  démonstration 
est  bien  conduite,  et  je  regretterai   seulement  que  M.  Kees  n'ait  pas 
réparti  au  bas  des  pages  les  textes  cités  et  les  notes  explicatives;  rien 
n'est  plus  incommode  que  d'être  obligé  à  chaque  instant  de  quitter 
l'endroit  où  l'on  est,  pour  aller  chercher  une  référence  à  la   fin  du 
volume.  Je  crois  que  c'est  le  premier  ouvrage  que  M.  Kees  publie,  du 
moins  le  premier  ouvrage  important  :  il  lui  assure  une  bonne  place 
parmi  les  Egyptologues  de  la  génération  nouvelle. 

G.  Maspero. 


L.  ZÉLiQzoN  et  G.  Thiriot,  Textes  patois  recueillis  en  Lorraine.  Metz,    1912, 
in-8,  XII  et  477  pages. 

La  première  impression,  en  ouvrant  ce  livre,  ne  laisse  pas  que 
d'être  pénible  :  il  se  présente  à  nous  comme  une  œuvre  française, 
s'il  en  lut,  et  il  est  publié  par  une  société  d'histoire  allemande  avec 
des  subventions  d'un  ministère  prussien.  Mais  alors  quelle  contradic- 
tion !  Tandis  que  l'administration  allemande  traque  en  Alsace-Lor- 
raine la  langue  française  avec  la  sauvage  et  ridicule  rigueur  que  l'on 
sait,  comment  expliquer  qu'elle  patronne  une  publication  de  textes 
français,  imprimés  à  Metz,  non  seulement  pour  les  philologues,  mais 
aussi  (suivant  les  propres  termes  des  éditeurs)  pour  le  grand  public, 
œuvre  surtout  de  vulgarisation?... 

L'étude  des  paKjis  lorrains  —  nous  autres  nous  aurions  dit  messins 
ce  qui  n'est  pas  du  tout  la  même  chose,  et  à  plus  d'un  point  de  vue  — 
cette  étude,  dis-je,  n'est  pas  nouvelle,  et  l'on  eiàt  souhaité  que  les  édi- 


3o6  REVUE    CRITIQUE 

tours  de  ce  dernier  recueil,  puisque  aussi  bien  ils  s'adressent  égale- 
ment aux  philologues,  consacrassent  un  chapitre  ou  au  moins  quel- 
ques pages  préliminaires  à  l'étude  critique  des  travaux  de  leurs  nom- 
breux devanciers  :  ils  eussent  ainsi  sans  doute  et  encore  mieux  jusiiHé 
leur  entreprise,  et  peut-être  nous  auraient-ils,  chemin  faisant,  con- 
vaincus de  l'exactitude  de  leur  titre.  Car,  au  fait,  y  a-t-il  un  patois 
messin?  Lorsqu'on  s'est  un  peu  familiarisé  avec  la  graphie  imaginée 
pour  des  textes  destinés  à  être  parlés  et  non  écrits,  ce  prétendu  patois 
apparaît  comme  du  français  à  peine  déformé  par  des  prononciations 
locales,  farci  seulement  de  loin  en  loin  de  quelques  mots  ou  locutions 
venus  on  ne  sait  trop  d'où. 

On  pourrait  encore  reprocher  aux  éditeurs  de  n'avoir  pas  indiqué 
ce  qui,  dans  leur  recueil,  est  proprement  messin  et  ce  qui  est  em- 
prunté aux  langues  et  littératures  populaires  des  autres  parties  de  la 
France,  de  l'Europe  et  du  monde.  Ils  l'ont  fait  pour  les  trima\us  et 
les  daymants  ;  cela  allait  de  soi,  étant  donné  le  caractère  purement 
local  de  ces  productions.  Mais  combien  de  leurs  contes,  récits,  chan- 
sons, rondeaux,  etc.,  se  retrouvent  ailleurs  que  dans  le  pays  de  Metz, 
et  combien  cette  étude  de  littérature  comparée  eût  agrandi  le  cercle 
de  leurs  lecteurs! 

Mais  ce  sont  là  critiques  de  pédants,  critiques  un  peu  déplacées  ici 
et  sur  lesquelles  il  serait  cruel  et  inconvenant  de  s'appesantir,  alors 
qu'à  d'autres  égards,  cet  ouvrage  est  vraiment  digne  d'éloges.  Et  en 
effet,  quelle  que  soit  la  richesse  de  la  bibliographie  des  patois,  chants 
et  poésies  populaires  du  pays  messin,  et  bien  qu'un  assez  grand 
nombre  de  pièces  admises  dans  le  présent  recueil  aient  déjà  été  impri- 
mées, même  plusieurs  fois^  MM.  Zéliqzon  et  Thiriot  paraissent  avoir 
été  chercher  directement  sur  place  toutes  celles  qu'ils  ont  pu  se  pro- 
curer encore,  sans  l'intermédiaire  du  livre.  Cette  méthode  est  la 
bonne,  la  meilleure  en  pareille  matière.  Mais  si  vous  songez  qu'à 
toutes  les  causes  qui  précipitent  partout  la  disparition  des  patois  et 
des  vieilles  coutumes  populaires  locales,  il  faut  ajouter  celles  qui 
empruntent  tant  de  force  aux  procédés  de  germanisation  en  vigueur 
depuis  quarante  ans  dans  le  pays  messin,  vous  apprécierez  mieux  les 
difficultés  de  la  tâche  que  ces  conscienceux  éditeurs  se  sont  imposée. 

Leur  moisson  faite,  il  leur  a  fallu  battre  en  grange,  je  veux  dire 
d'abord  imprimer  en  signes  conventionnels  destinés  à  frapper  les 
yeux,  des  pièces  composées  pour  frapper  seulement  les  oreilles,  puis 
faire  passer  ces  parlers  dénués  de  culture  dans  le  langage  littéraire  : 
double  travail  dont  le  premier  est  bien  ardu  et  le  second  bien  délicat. 
En  général  cependant  la  traduction  est  très  littérale,  elle  respecte 
pieusement  le  texte,  même  fautif,  lui  laissant  ainsi  toute  sa  saveur, 
tout  son  goût  de  terroir.  Mais  pourquoi  faut-il  que,  p.  171,  texte  et 
note  3,  on  ait  traduit  :  dons  dobes  (deux  doubles,  sous-entendu  liards) 
par  deux  doubles  pfennigs!  Est-il  une  plus  fâcheuse  erreur? 


d'histoire  et  de  littérature  3o7 

Mais,  Je  le  répète,  c'est  là  une  exception,  peut-être  unique.  Et  s'il 
nous  était  permis,  à  nous,  Fran*;ais  du  pays  de  Metz  séparés  de  leur 
petite  patrie,  d'apprécier  enfin  ce  livre  à  notre  point  de  vue  particu- 
lier, nous  ne  pourrions  e]u'adresser  aux  auteurs  l'expression  émue  de 
notre  reconnaissance.  En  faisant  repasser  sous  nos  yeux  ces  contes 
dont  beaucoup  ont  bercé  notre  petite  enfance,  ces  trimaios  que  nous 
avons  encore  entendu  chanter  dans  les  preniiers  jours  du  mois  de 
mai,  ils  ont  réveillé  en  nous  l'écho  d'un  passé  bien  cher,  beaucoup 
plus  aboli  pour  nous  que  le  passé  ne  l'est  généralement  pour  tous. 
Ce  n'est  pas  seulement  sur  les  plages  de  Bretagne  que  l'on  entend 
parfois,  le  soir,  sonneries  cloches  de  la  ville  d'Ys... 

Eugène  Welvert. 

Eugène  Sai  i.NiKR,  Le   rôle  politique   du   cardinal  de  Bourbon  (Charles   X) 

1523-1590.   Paris,    H.   Champion     Biblioth.    de   l'École    des    Hautes-Études, 
fasc.  193),  1912.   In-8",  v-324  p.  Avec  un  portrait  et  un  fac-similé. 

Le  «  roi  de  la  Ligue  »  n'apparaît  guère  dans  notre  histoire  que 
comme  un  fantôme.  On  sait  vaguement  que  ce  vieillard  fut  reconnu 
comme  roi  par  Mayenne  et  par  l'Union,  en  attendant  que  pût  se  poser 
ouvertement  la  candidature  lorraine  ;  qu'il  fut  prisonnier  de  son 
neveu  Henri  ;  qu'il  rendit  à  ce  dernier  le  service  de  disparaître  durant 
le  premier  siège  de  Paris. 

Les  patientes  recherches  menées  par  M.  S.  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale, aux  Archives  (K  et  X  la  )^  à  Florence,  au  Vatican,  à  Rouen, 
n'aboutissent  pas  à  faire  de  «  Charles  X  »  un  grand  homme.  Il  appa- 
raît comme  un  être  faible  et  crédule,  vaniteux,  balloté  entre  son  désir 
de  défendre  la  religion  catholique  et  son  attachement  à  la  race  des 
Bourbons,  également  incapable  de  Jouer  un  rôle  et  d'y  renoncer.  Ce 
qui  fait  l'intérêt  du  travail  de  M.  S.,  c'est  de  nous  révéler  que  Charles 
appartient  à  l'histoire  avant  la  date  de  son  éphémère  et  ridicule 
royauté.  II  est  lieutenant-général  de  Paris  en  062.  Dans  les  pre- 
mières querelles  entre  Guise  et  Bourbon,  il  semble  d'abord  se  ranger 
du  côté  des  siens  ;  mais,  après  Poissy,  nous  le  voyons  de  plus  en  plus 
subir  l'ascendant  du  cardinal  de  Lorraine,  comme  plus  tard  il  se 
laissera  mener  par  Henri  de  Guise.  Quelques  mots,  recueillis  par 
M.  S.  dans  les  chroniqueurs,  permettent  de  croire  qu'il  y  eut  à  plu- 
sieurs reprises  et  Jusqu'au  bout  chez  ce  Bourbon,  des  velléités  bour- 
bonniennes.  Mais  ces  velléités  ne  l'empêchèrent  pas  d'être  englobé 
dans  la  catastrophe  de  Blois;  il  fut  prisonnier  de  Henri  HI  avant  de 
l'être  de  Henri  IV. 

M.  S.  nous  apporte  donc  de  précieux  renseignements  (voy.  ses 
24  pièces  Justificatives)  sur  l'histoire  de  la  maison  de  Bourbon  '  et  sur 

I.  Notamment  sur  la  conduite  très  équivoque  de  Condé  en  i564-i565  (voir 
p.  49-53)  et  ses  intrigues  avec  les  Lorrains. 


3o8  REVDE    CRITIQUE 

l'histoire  de  la  Lij^ue.  Il  est  curieux  qu\)n  ne  trouve  chez  lui  pas 
môme  une  allusion  à  la  thèse  soutenue  par  M.  Daviilé.  On  souhaite- 
rait que  le  livre  eût  été  écrit  d'un  si\  le  plus  soit;né  '. 

Henri  Hauser. 

FIcury  Vindry,  Les  Parlementaires   français   au   XVI'  siècle.  Tome   second 
(Tasc.   II)   :    Parlement  de    Toulouse.  Paris,  11.  Champion,  i(ji2    In-8",  133-284  p. 

Nous  avons  déjà  dit  quels  services  rendaient  les  précieux  réper- 
toires de  M.  FI.  Vindry.  On  sait  le  rôle  joué  par  le  Parlement  de 
Toulouse  (auquel  il  faut  ajouter  le  Parlement  royaliste  de  Béziers  et 
la  Chambre  de  l'Edii  de  Castres).  Quelques  notices  h  signaler  parti- 
culièrement :  Daffis,  Duranti,  Coras,  de  Belloy  ;  cette  dernière  toute 
chaude  d'une  amusante  passion  guisarde.  Et  comme  on  éprouve  un 
malin  plaisir  à  prendre  en  défaut  —  quandoque  bonus...  —  l'impec- 
cable érudit  qu'est  M.  FI.  V.,  je  lui  signalerai  une  négligence  dans 
sa  notice  sur  du  Fresne-Canaye  (p.  164),  et  je  le  renverrai,  pour  la 
preuve,  à  mon  Voyage  du  Levant  de  Philippe  du  Fresne-Canaye. 
Voilà  ce  que  c'est  que  de  se  Her  à  Moréri  ! 

H.  Hr. 


WilhelmGoETERS.  Die  Vorbereitung  des  Pietismus  in  der  Reformierten  Kirche, 
der  Niederiande  bis  zur  labadistichcn  Krisis  1G70.  Leipzig,  Hinrichs,  191 1,  in-8" 
p.  3oo.   iVlk,  7. 

Oskar  Pfistkr.  Zinzendorfs  Frômmigkeit  im  Lichte  Lie.  Gerhard  Reichels  und 
der  Psychanalyse.  Zurich,  l'riclv,   i9ii,in-8o,  p.   28. 

I.  L'étude  de  M.  Goetcrs  traite  un  épisode  intéressant  pour  les  des- 
tinées de  Téglise  réformée  des  Pays-Bas  et  se  rattachant  étroitement 
à  l'histoire  générale  du  piéiisme.  L'auteur  n'a  d'ailleurs  voulu  que 
compléter  et  rectifier  sur  certains  points  les  travaux  de  ses  prédéces- 
seurs, Goebel,  Heppe  et  Ritschl,  les  historiens  de  cette  forme  particu- 
lières du  sentiment  religieux.  M.  G.,  par  ses  recherches  actives  dans 
les  bibliothèques  de  Hollande  et  d'Allemagne,  par  un  dépouillement 
consciencieux  de  l'abondante  littérature  polémique  contemporaine  et 
l'examen  des  procès-verbaux  des  synodes  a  fourni  une  monographie 
précise  et  sûre.  Elle  se  divise  en  deux  parties  :  avant  et  après  l'arrivée 
de  Labadie  en  Hollande.  L'auteur  a  caractérisé  les  efforts  du  parti 
religieux  qui,  surtout  dans  les  provinces  de  Zélande  et  de  Frise,  tra- 
vaillait à  renouveler  la  vie  spirituelle  par  un  retour  aux  enseignements 
de  la  primitive  église;  il  a  analysé  les  rapports  de  ce  mouvement  avec 
le  puritanisme  anglais  et  les  tendances  analogues  dans  des  groupes 
étrangers  au  calvinisme;  il  a  surtout  mis  en  lumière  les  doctrines 
théologiques   particulières  aux   initiateurs  de    la  réforme,   Amesius, 

I.  Négligence  dans  la  correction  des  épreuves  :  p.  5i,  <>  deux  hommes,  qui 
s'étaient  vouéj  une  haine...  »  P.  223  :  «  l'autorité  que  le  duc  de  Mayenne  et  le 
conseil  s'étaient  attribué*  », 


d'histoire  et  de  littérature  3o9 

Voetius,  W.  et  J.  Teellinck,  Saldcnus,  Lodenstein,  et  les  a  suivis 
dans  les  luttes  qu'ils  engagèrent  contre  le  cartésianisme  et  le  coccéja- 
nisme.  La  seconde  partie  est  entièrement  réservée  au  rôle  de  Labadie 
dans  l'église  hollandaise.  II  est  court,  n'ayant  duré  que  de  1666  à 
1669,  mais  très  rempli.  Ses  prêches,  ses  conférences  bibliques,  ses 
catéchisations,  ses  instructions,  ses  écrits,  ses  projets  et  ses  essais  de 
rénovation  du  calvinisme  sont  soigneusement  analysés,  toutes  les 
formes  de  son  activité  religieuse  exposées  en  leur  place.  La  résistance 
obstinée  à  l'autorité  des  synodes  le  conduisit  par  degrés  jusqu'au 
séparatisme  absolu.  Quand  il  quitte  Middelbourg  pour  Amsterdam 
en  1670,  Labadie  n'est  plus  que  le  chef  d'une  secte  dans  un  pays  où 
l'individualisme  religieux  et  la  tolérance  des  gouvernants  les  faisaient 
éclore  avec  une  rare  richesse  ;  il  n'appartient  plus  dès  lors  à  l'his- 
toire de  l'église  réformée  et  M.  G.  n'a  eu  qu'à  résumer  brièvement 
la  Hn  de  sa  carrière.  Mais  le  profond  subjectivisme  dont  il  avait 
marqué  la  doctrine  de  Calvin,  en  venant  s'ajouter  aune  série  de  ten- 
dances de  même  nature,  devait  rester  longtemps  attaché  à  la  vie  reli- 
gieuse de  son  époque,  même  si  elle  ne  revêtait  pas  la  forme  quasi 
monacale  et  communiste  qu'avait  donnée  à  sa  petite  chapelle  le  chef 
mystique  et  impérieux  du  labadisme.  Malgré  son  objet  très  spécial, 
le  travail  de  M.  G.  ne  saurait  manquer  d'intéresser  par  quelque  côté 
l'histoire  générale,  si  l'on  considère  qu'il  se  rapporte  à  une  période 
où  la  théologie  se  mêlait  intimement  à  toutes  les  manifestations  de  la 
vie  intellectuelle,  politique  et  sociale. 

II.  La  brochure  dont  j'ai  noté  plus  haut  le  titre  nous  ramène  à  une 
des  gloires  un  peu  compromettantes  du  piétisme.  Dans  un  article  de 
la  Schjfei^.  Theolog.  Zeitschrift,  publié  en  tirage  à  part,  M.  Pfister  a 
répliqué  à  la  critique  qu'avait  faite  de  son  livre  M.  Reichel  dont  j'ai 
signalé  le  volume  (V.  Revue  du  22  déc.  191 1).  M.  P.  maintient  toute 
ses  affirmations  et  reprend  quelques  uns  de  ses  plus  forts  arguments 
en  faveur  d'une  explication  de  la  piété  de  Zinzendorf  par  un  état 
sexuel  anormal.  Le  débat  est  délicat,  scabreux,  presque  répugnant,  et 
les  deux  adversaires  ne  sont  pas  près  de  s'entendre,  car  l'un  juge  en 
médecin,  l'autre  en  théologien  ou  en  philologue.  Il  faudrait  à  l'appui 
de  l'une  ou  l'autre  thèse  des  preuves  différentes  puisées  ailleurs  que 
dans  l'interprétatirDn  des  passages  incriminés.  La  démonstration  de 
M.  P.  dans  la  critique  de  M.  Reichel  nous  avait  paru  parfois  outrée; 
en  revenant  à  la  charge,  l'auteur  a  pressé  un  peu  plus  fort  quelques 
uns  des  textes  que  son  contradicteur  n'avait  pas  à  son  sens  suffisa- 
ment  discutés,  et  il  a  infirmé  sa  tentative  de  réfutation.  Mais  il  fau- 
drait connaître  son  premier  travail  pour  se  prononcer  en  connais- 
sance de  cause.  Il  reste  quela  piété  de  Zinzendorf,  quelles  qu'en  soient 
les  origines  troubles,  est  d'une  extravagance  déconcertante. 

L.  R. 


3lO  REVUE    CRITIQUE 

Abbc  1*.  Lesprand,  Les  derniers  jours  du  Parlement  de  Metz  (Extrait  de  1^4w5- 
trasic,  n"  i  3).  Metz,  1912,  in-N,  32  pngcs. 

Après  avoir  fait   passer  sous  nos  yeux  les  derniers  actes  du  parle- 
ment de  Metz,  son   adhésion   à  la  campagne   de  remontrances  des 
autres  cours  souveraines,  ses  refus  d'enregistrer  les  nouveaux  impôts, 
ses  mesures  pour  soulager  la  misère  causée  par  le  rude  hiver  de   1788 
et   pour  réprimer  les   mouvements  populaires,  l'auteur  nous  montre 
cette  compagnie  englobée  dans  le  discrédit   général  qui    enveloppe 
alors  toutes  les  institutions  publiques.  Vainement  les  magistrats  com- 
mencent-ils par  donner  dans  les  idées  nouvelles  :  seigneurs  féodaux 
et  titulaires  des  premières  charges  judiciaires  du   royaume,  ils  sont 
suspects,   jalousés   par  les    avocats,   les   procureurs,   les    robins   que 
ronge  le   virus  égalitaire.  De  son  côté,  l'Assemblée  nationale  ne  les 
redoute  pas  moins,  précisément  (chose  bizarre)  à  cause  de  leur  oppo- 
sition  récente  au  pouvoir  royal.  Les  parlements  vont-ils  continuer? 
Adoptant  la   proposition  d'Alexandre  de  Lameth  et  de  Thouret,  elle 
décrète,  le  3  novembre  1789,  que  les  parlements  resteront  en  vacances 
jusqu'à  la  réorganisation   générale  des  tribunaux.  Le  parlement  de 
Metz  proteste  contre  ce  décret,  sous  prétexte  que  le  roi,  qui  cepen- 
dant Ta  sanctionné,  n'est  pas  libre,  et  il  ne  l'enregistre  que  provisoi- 
rement. L'affaire   est  portée  à  l'Assemblée  nationale  et  donne  lieu  à 
un  important  débat  où  prennent  part  le  vicomte  de  Mirabeau,  Rar- 
nave,  Barère,  Rcederer,  député  de  Metz  et  conseiller  audit  parlement, 
Emmery,  aussi  député  de   Metz,  et  le  baron  de  Menou.  L'Assemblée 
décrète,  le  17  novembre,  que  les  membres  révoltés  du  parlement  vien- 
dront à  sa  barre  faire  amende  honorable  et  recevoir  un  blâme  public. 
Mais  dès  le  20  novembre,  la  chambre  des  vacations,  revenant  sur  la 
délibération,   décide  d'enregistrer  purement  et  simplement;    le    22, 
les  autres  chambres  adhèrent  à  cette  capitulation.  La  municipalité  de 
Metz,  bien  qu'épurée  nouvellement,  soutient  son  parlement  et  envoie 
une  adresse  à  l'Asseniblée,  implorant  son  pardon.  Le  25  novembre, 
l'Assemblée  annule  son  décret  du  17.  Ainsi  finit  cette  affaire  qui  avait 
soulevé  beaucoup  d'émotion  non  seulement  à  Metz,  mais  à  Paris  et 
dans  tous  le  royaume.  Mais  la  soumission  du  parlement  messin  ne  le 
ressuscita  pas.  Il  avait  été  remplacé  par  une  chambre  n'ayant  d'autre 
attribution  que  d'expédier  les  affaires  courantes.  Cette  chambre  elle- 
même  disparut  le  28  septembre  1790,  au  grand  regret  de  la  population. 
Telle  est  l'histoire  des  derniers  jours  du  parlement  de  Metz.  M.  Les- 
prand nous  la  raconte  avec  une  simplicité  dont  il  faut  le  louer,  mais 
non  sans   une  secrète  émotion,  comme  il  convient  lorsqu'on  voit  les 
révolutions  démolir  en  quelques  jours  des  institutions  qui  avaient  été 
pendant  des  siècles  les  pierres  d'angle  d'une  cité. 

E.   W. 


d'histoire  kt  de  littérature  3ii 

Abbé  p.  Lesprand,  Suppression  du  couvent  des    Récollets   de  Sierck.  Metz, 
191  I,  in-S",  32  pages  lavec  son  plan^. 

Cette  étude  n'est  qu'un  opuscule,  encore  trop  long  de  moitié. 
Au  lieu  de  reproduire  textuellement  d'interminables  délibérations 
municipales  ou  de  districts,  il  eût  été  beaucoup  plus  avantageux  pour 
le  lecteur  d'en  extraire  la  substance  et  de  la  commenter.  Ah  !  les 
impitoyables  érudits  !  impitoyables  et  maladroits.  Comme  on  les 
lirait  d'avantage  s'ils  mettaient  un  peu  plus  d'eux-mêmes  dans  leurs 
travaux!  Quoi  qu'il  en  soit,  l'histoire  qui  se  dégage  de  ces  textes 
juxtaposés  ne  manque  pas  d'intérêt.  Elle  nous  fait  assister,  autour 
d'un  humble  couvent  de  moines  aux  trois  quarts  allemands,  à  une 
lutte  qui,  pour  être  celle  de  presque  toute  la  France  à  cette  époque, 
ortre  partout  des  épisodes  locaux  des  plus  variés.  Ici,  nous  sommes 
sur  l'extrême  frontière  de  la  Lorraine  allemande,  au  début  de  l'inva- 
sion de  1792,  et  nous  voyons  entrer  en  scène  un  homme,  Nicolas 
Hentz,  qui  n'allait  pas  tarder  à  se  rendre  célèbre,  tant  à  la  Convention 
qu'aux  armées,  par  sa  brutale  et  cruelle  énergie.  Le  couvent  des 
Récollets  de  Sierck  était  voué  à  la  disparition;  mais  il  ne  se  laissa  pas 
supprimer  sans  combat.  On  ne  peut  que  savoir  gré  à  M.  l'abbé 
Lesprand  d'avoir  exhumé  des  archives  de  Sierck,  de  Thionville  et  de 
Metz  les  documents  où  se  heurtent,  dans  une  mêlée  qui  faillit  devenir 
tragique  pour  quelques-uns  d'entre  eux,  les  assaillants  et  les  défen- 
seurs de  cette  maison. 

E.  W. 


Abbé  P.  Lesprand,  Les  derniers  jours  de  l'abbaye  de  Wadgasse.  Metz,  191 2, 
in-S»,  79  pages. 

Cette  nouvelle  étude  mérite  les  mêmes  critiques  et  les  mêmes 
compliments  que  la  précédente.  Il  s'agit  cette  fois  d'une  très  vieille 
abbaye  de  Prémontrés  assise  sur  les  bords  de  la  Sarre  dans  les  envi- 
rons de  Sarrelouis  qu'un  traité  d'échange  avec  le  prince  de  Nassau 
avait  attribuée  à  la  France  en  1766,  mais  sous  la  réserve  de  respecter 
les  droits,  privilèges,  exemptions  et  immunités  qu'elle  tenait  de  son 
fondateur  et  de  la  maison  de  Nassau.  Lorsqu'il  fut  question  d'appli- 
quer à  cette  abbaye  les  lois  de  l'Assemblée  constituante  sur  la  nationa- 
lisation des  biens  d'Eglise,  cette  réserve  du  traité  d'échange  fut 
naturellement  mise  à  profit  par  les  moines  et  les  représentants  du 
prince  de  Nassau.  Mais  bien  qu'elle  eût  donné  lieu  à  des  débats  aussi 
longs  que  mouvementés,  elle  n'empêcha  pas  l'inexorable  adjudication 
des  bâtiments  de  l'abbaye  et  de  toutes  ses  dépendances,  qui  eut  lieu 
en  l'an  III.  Si  le  récit  de  cette  mince  affaire  est  beaucoup  trop  long, 
elle  prouve  du  moins  que  son  auteur  aime  profondément  son  pays, 
qu'il  en  a  exploré  et  qu'il  en  connaît  minutieusement  les  archives. 
Des  monographies  de  ce  genre  sont  des  pierres  d'attente  pour  l'histoire 
de  la  Révolution  dans  l'ancien  département  de  la  Moselle,  histoire 


3l2  REVUE    CRITIQUE 

qui  est  encore  à  écrire  et   dont   le  futur  auteur  est  assuré  d'avance  de 

la  gratitude  de  ses  compatriotes  d'au-delà  et  d'en-deça  de  la  nouvelle 

frontière. 

E.  W. 


Paul  Caspf.r,  Neuf  lettres  inédites  de  Philippe  de  Golbéry  (Tirage  à   part  de 
\a  Revue  d'Alsace,  p.    i^jo-HS-j,  scplcmbrc-octobrc   n)i2). 

En  préparant  une  thèse  sur  Guillaume  Schlegcl  et  les  Français, 
M.  Paul  Caspcr  a  trouvé  à  la  bibliothèque  de  Dresde  quelques  lettres 
inédites  que  Philippe  de  Golbéry  adressait  au  grand  critique  en 
i832,  i833  et  1834. 

Golbéry  connaissait  personnellement  Schlegel.  Il  l'avait  vu  en 
1825  à  Bonn  où  il  venait  traduire  Niebuhr,  et  ce  qui  donne  une  idée 
de  la  minutie  de  Golbéry  autant  que  du  style  obscur  et  laborieux  de 
Niebuhr,  c'est  qu'au  lieu  de  traduire  d'emblée  le  texte  allemand,  notre 
Alsacien  en  faisait  d'abord  une  traduction  interlinéaire.  Présenté  par 
Welcker,  Golbéry  passa  avec  Schlegel  une  demi-heure  inoubliable. 
Chargé  en  i832  de  composer  un  articlesur  les  deux  Schlegel  dans  la 
Biographie  des  Contemporains,  puis  entraîné  par  son  sujet  et  se  lais- 
sant aller  à  faire,  outre  cet  article,  une  vaste  notice  et,  comme  il  dit, 
un  grand  travail  —  qui  parut  dans  la  Nouvelle  Revue  germanique  de 
i832  et  de  i833  — il  demanda  à  Schlegel  des  détails  biographiques  et 
bibliographiques,  et  c'est  de  ces  particularités,  de  ces  «  données  chro- 
nologiques »  et  autres  que  traitent  les  lettres  publiées  par  M.  Casper. 
Mais,  dans  ces  lettres,  Golbéry  nous  dit  davantage.  11  exprime  pour 
Schlegel  son  admiration,  à  vrai  dire,  excessive.  Que  de  jouissances  il 
assure  devoir  à  l'écrivain,  au  philologue,  au  poète  !  Combien  le  fran- 
çais de  Schlegel  est  pur  et  correct  !  Quel  savoir  universel  se  déploie 
dans  ses  études  et  traductions  de  toute  sorte!  Quelle  grâce  et  quelle 
élévation  dans  ses  pièces  de  vers!  Quel  chef  d'œuvre  convaincant  que 
le  Cours  de  littérature  dramatique  !  Il  invite  Schlegel  dans  son  châ- 
teau d'Alsace  «  au  pied  des  Vosges  en  face  du  Rhin  et  des  monts 
Abnoba  ».  Il  annonce  à  Schlegel  une  visite  prochaine,  un  «  pèleri- 
nage »  à  Bonn.  Elevé  à  Goblenz  où  il  resta  plus  de  quinze  ans,  et  dis- 
ciple de  Gœrres,  Golbéry  regarde  comme  une  autre  patrie  «  ce  beau, 
ce  bienheureux  pays,  où  il  a  laissé  tant  d'amis  et  d'où  il  a  emporté 
tant  de  souvenirs  ».  Il  veut  le  montrer  à  M""^  de  Golbéry  —  tille  de 
Merlin  de  Thionville  —  et  il  désire  pousser  jusqu'à  Mannheim  pour 
voir  la  grande-duchesse  Stéphanie,  «  condisciple  de  sa  femme  et  sa 
voisine  de  campagne  ».  Mais  les  événements  viennent  à  la  traverse  ; 
sa  fille  tombe  malade  à  Constance,  son  beau-père  se  meurt  à  Paris, 
lui-même  doit  présider  les  assises,  juger  des  concours;  il  devient 
député,  entre  «  dans  la  politique  parlementaire  »,  et  en  i832,  en  i833, 
en  1834,  il  exprime  ses  regrets  à  Schlegel.  A  ses  excuses  se  mêlent 
des  consolations  et  des  encouragements.  C'est  à  ce  moment  que  Heine 


d'histoire  et  de  littérature  3i3 

critique  Schlegel  et  son  tVcrc  dans  VEurope  littéraire.  Golbéry 
s'élève  contre  ces  attaques  qu'il  traite,  par  deux  fois  «  d'imperti- 
nences ».  Il  refuse  de  collaborer  à  VEurope  littéraire.  Il  écrit  au 
journal  que  lorsqu'on  compare  au  petit  Poucet  des  hommes  du  mérite 
de  Schlegel,  c'est  qu'on  a  envie  de  se  faire  ogre  et  que  MM.  de  Schlegel 
ont  emporte  les  bottes  de  sept  lieues  !  Il  qualifie  les  Français  de  gobe- 
mouches  :  quoi  !  ils  s'imaginent  «  qu'ils  ont  la  quintessence  de  la  lit- 
térature allemande  parce  qu'un  juif  de  Dusseldorf  élève  chez  eux 
une  tribune  de  laquelle  il  jette  des  ordures  à  ses  compatriotes!  Il  ne 
rogne  plus  d'écus,  mais  il  rogne  toujours  et  s'adresse  aux  médailles 
que  le  monde  avait  frappées  en  l'honneur  des  grands  hommes!   » 

Nous  tirons  des  lettres  de  Golbéry  cet  exposé  que  M.  Casper 
aurait  pu  nous  faire  lui-même.  Mais,  en  son  maigre  avant-propos, 
M.  G.  se  contente  de  remarquer  dans  les  lettres  l'esprit  alsacien 
d'avant  1870,  la  sympathie  de  Golbéry  pour  la  science  d'Outre- 
Rhin  et  ses  relations  avec  les  savants  allemands,  la  conscience  scru- 
puleuse qu'il  apporte  dans  ses  travaux,  etc.  [sic).  C'est  tout,  et  cet 
etc.  assez  cavalier,  dispense  M.  G.  d'insister. 

M.  G.  a  annoté  les  lettres  avec  exactitude  et  avec  zèle.  Son  com- 
mentaire, toutefois,  pouvait  être  plus  fourni.  La  note  sur  Niebuhr 
dont  Golbéry  a  traduit  quelques  volumes,  est  vague,  et  on  voudrait 
trouver  des  éclaircissements  sur  certains  points,  par  exemple  sur  le 
château  de  Golbéry  et  sur  les  œuvres  de  Schlegel  dont  le  magistrat 
alsacien  cite  les  titres. 

Tout  cela,  avant-propos  et  notes,  aurait  étoffé  la  publication  de 
M.  G.  qui  aurait  pu  l'intituler  Golbéry  et  Schlegel. 

La  lecture  des  lettres  de  Golbéry  est,  parait-il,  difficile,  et  M.  G. 
n'a  pu  tout  déchiffrer.  Nous  lui  proposons  de  lire  (lettre  I)  au  lieu 
éCexcité^  «  irrité  »  («  irrité  de  vos  attaques  »  vaut  bien  mieux  qu'  «  ex- 
cité de  vos  attaques  «)  et  (lettre  III),  au  lieu  de  devant  moi  «  à  sou- 
tenir »  («  j'ai  une  horrible  corvée  à  soutenir  »)  '. 

Gela  dit,  complimentons  et  remercions  le  jeune  éditeur  de  cette  pu- 
blication qui  ravive  le  souvenir  de  ce  que  fut  en  son  temps  l'alsacien 
Golbéry.  Nous  ne  nommerons  pas  Golbéry  avec  M.  Gasper  un  grand 
jurisconsulte  et  un  célèbre  archéologue;  mais  il  fit  honneur  à  l'Alsace 
et  à  la  France,  et  pour  prendre  une  de  ses  expressions  (lettre  I), 
nous  dirons  que  ses  lettres  à  Schlegel  nous  donnent  un  brillant  reflet 
de  son  âme. 

Arthur  Ghuquet. 

Alfred  Pereire,  Autour  de  Saint-Simon.  Documents  originaux.  Paris,  Champion, 
1912,  in-i6,  p.    237.  Fr.  3.5o. 

M.  A.  Pereire,  qui  possède  dans  ses  archives  de  famille  des  papiers 

I.  P.  378,  Nacke  alla  «  prendre  des  nouvelles  »;  mieux  valait  dire  «  recueillir 
des  renseignements  »  —  p.  38 1,  lire  «  mourait  »  et  non  mourrait, 


3  14  REVUE    CRITIQUE 

de  Saint-Simon,  légués  à  son  granJ'pcie  Isaac  Pcreire  par  Henri 
Foiirnel,  vient  de  publier  sur  le  sociologue,  en  les  accompagnant  de 
brèves  éludes,  quelques  documents  inédits.  Le  plus  important  inté- 
resse les  premiers  rapports  de  Saint-Simon  avec  Auguste  Comte;  ce 
sont  les  deux  lettres  dites  anonymes  de  Comte  à  son  ami,  déjà 
publiées,  il  est  vrai,  en  1882,  mais  d'après  une  copie.  M.  P.  nous 
livre  l'original  dont  il  décrit  minutieusement  le  manuscrit  qu'il  date 
d'avril  ou  mai  18 18.  Il  donne  ces  lettres  pour  un  projet  d'article  de 
journal  demeuré  sans  suite  ;  c'était  dans  la  pensée  des  deux  collabo- 
rateurs des  Cahiers  de  l'Industrie,  après  l'écliec  du  III«  volume  et  au 
moment  de  la  publication  du  IV'',  une  polémique  imaginaire  destinée 
à  servir  de  réclame.  L'hypothèse  ne  nous  paraît  pas  d'accord  pleine- 
ment avec  le  fond  des  lettres  ;  d'un  autre  côté  celui-ci  répond  si  bien 
aux  idées  de  Comte  à  cette  date  et  aux  objections  ordinaires  qu'il 
faisait  à  son  ami  qu'il  est  difficile  de  croire  à  un  simple  jeu  de  sa 
part.  M.  P.  nous  a  fourni  du  moins  dans  son  introduction  de  pré- 
cieux renseignements  sur  les  débuts  littéraires  de  Saint-Simon  ;  il 
nous  communique  la  liste  des  souscripteurs  qui  avaient  accepté  de 
contribuer  à  l'impression  des  Cahiers  de  l Industrie  et  il  nous  donne 
encore,  d'après  la  minute  originale,  l'accord  intervenu  entre  Saint- 
Simon  et  Comte  pour  fonder  un  nouveau  journal,  la  Politique,  en 
1819.  Le  second  document  est  une  notice  biographique  de  Saint- 
Simon,  mais  riche  en  digressions;  aussi  n'a-t-elle  pas  été  intégrale- 
ment reproduite.  Elle  est  due  à  un  secrétaire  du  philanthrope  qui  fut 
à  son  service  de  1814  à  18 18;  M.  P.  n'a  pas  su  découvrir  le  nom  de 
cet  inconnu,  ce  qui  ne  doit  pourtant  pas  être  impossible.  En  dehors 
de  l'annonce  de  cette  seconde  pièce,  M.  P.  a  joint  à  sa  publication 
deux  autres  articles,  l'un  sans  grande  importance  sur  Saint-Simon 
réclamant  en  18 14  une  alliance  avec  l'Angleterre,  et  un  autre  sur 
^es  frères  Pereire.  Celui-là  seul  est  inédit,  les  trois  autres  avaient 
déjà  paru  dans  des  journaux  ou  revues.  M.  P.  a  suivi,  non  sans 
quelques  redites,  Emile  et  Isaac  Pereire  dans  leurs  rapports  avec 
Saint-Simon  qu'ils  connurent  par  Olinde  Rodrigues,  et  aussi  dans 
leur  rôle  de  journalistes  et  d'économistes.  L'article  est  trop  court  et 
trop  peu  précis  pour  nous  donner  une  idée  juste  de  ce  qu'ont  voulu 
ou  fait  les  Pereire  à  côté  ou  en  dehors  de  Saint-Simon.  Une  biblio- 
graphie et  un  index  terminent  le  volume  qui  représente  une  contribu- 
tion modeste,  mais  non  sans  valeur,  à  l'étude  du  Saint-Simonisme  '. 

L.  R. 


I.  Ecrire  p.  47,  Fourier  ;  p.  io5,  couches;  p.  170,  invite,  au  lieu  de  Fourrier, 
souches,  indique;  ajouter,  p.  93,  après  sic  :  le  résumé;  p.  gS  et  96,  le  ms.  est 
distraitement  reproduit;  p.  78  et  85,  Saint-Simon  est  donné  comme  un  cousin  du 
duc,  et  p.  104,  comme  un  petit-neveu. 


d'histoire  et  de  littérature  3i5 

Emile  Fagi  ET.  Initiatiori   philosophique.  Paris,  Hachette,    1912,  in-iG,  p.    172. 

I"r.  2. 
Grosse  Denker  hcrnusgegeben  von  K.  von  Astku.  Leipzig,  Quelle  et  Meycr,  sans 

date  (lyi  1).  2  vol.  in-S",  pp.  384  et  3Si.  MK.  14. 

I.  En  demandant  à  M.  Faguci  de  résumer  pour  les  débutants  l'his- 
toire de  la  philosophie,  on  pouvait  être  sûr  qu'il  en  donnerait  un 
aperçu  complet  et  limpide,  si  étroit  que  fût  le  cadre  proposé.  De 
pareils  livres  valent  autant  par  ce  qu'ils  ne  disent  pas  que  par  ce 
qu'ils  disent.  M.  F.  a  su  pour  chaque  époque,  pour  chaque  système, 
pour  chaque  penseur  enfermer  en  un  court  développement  les  prin- 
cipaux traits  qui  les  caractérisent,  sans  négliger  de  montrer 
les  liens  qui  unissent  une  spéculation  à  l'autre;  c'est  un  schéma 
rudimentaire,  mais  net.  Toute  érudition  a  été  bannie  de  ce  volume; 
il  n'v  a  point  de  références,  point  de  citations,  mais  souvent 
des  formules  ingénieuses,  piquantes  qui  fixent  un  portrait  ou  gra- 
vent un  système  dans  la  mémoire.  Sans  doute  on  pourra  trouver 
que  tel  ou  tel  philosophe  n'a  pas  été  présenté  au  lecteur  avec  l'am- 
pleur qu'il  méritait:  Leibniz  est  vraiment  sacrifié,  et  le  nom  de  la 
monadologie  n'est  pas  môme  prononcé  à  son  sujet;  Fichte,  Schelling 
sont  à  peine  caractérisés,  et  Schopenhauer  et  Nietzsche  avaient  droit 
à  quelques  paragraphes  de  plus;  peut-on  éviter  en  parlant  du  dernier 
de  ne  pas  mentionner  le  surhomme?  D'une  façon  générale  l'éthique 
dans  le  manuel  de  M.  F.  a  été  plus  longuement  et  mieux  traitée  que 
la  métaphysique.  Ces  quelques  remarques  ne  touchent  en  rien  à  la 
valeur  du  livre,  et  malgré  ou  à  cause  de  sa  brièveté,  cette  histoire  de 
la  philosophie  in  nuce  rendra  service  aux  étudiants  dont  elle  excitera 
plus  qu'elle  ne  satisfera  la  curiosité  '. 

II.  Comme  le  modeste  volume  de  M.  Faguet,  le  gros  ouvrage 
publié  par  M.  von  Aster,  en  collaboration  avec  d'autres  philosophes, 
se  propose  d'initier  le  grand  public  à  l'histoire  de  la-  philosophie. 
Seulement  dans  un  cadre  beaucoup  plus  vaste  il  a  été  possible  de 
présenter  de  chacun  des  grands  penseurs  une  esquisse  qui  n'était  pas 
réduite  à  quelques  lignes  et  qui,  sans  prétendre  à  donner  d'un  système 
philosophique  une  idée  entière,  ne  Ta  pas  du  moins  trop  mutilé.  En 
vingt  chapitres  d'étendue  à  peu  près  égale  les  auteurs  ont  pu  embrasser 
toute  l'histoire  de  la  spéculation,  car  bien  qu'ils  n'aient  voulu  étudier 
que  les  aspects  les  plus  originaux,  ils  ont  eu  garde  cependant  de  ne 
pas  négliger  toutes  les  tentatives  moins  hardies  de  leurs  devanciers, 
quand  il  s'en  est  rencontré,  de  même  qu'ils  ont  signalé  avec  attention 

I.  P.  4,  Pylhagore  est  mort  et  non  pas  né  vers  5oo;  il  est  né  en  58o  à  Samos,  et 
non  pas  dans  Vile  d'Elée  ;  p.  5,  pourquoi  Xénophanc  est-il  toujours  appelée  Xénophe 
p.  137,  Cousin  avant  i8îo  était  moins  près  de  Hegel  que  de  Schelling.  Ecrire  p.  b-j 
fondèrent;  p.  74,  chancelier;  p.  i  20,  de  faire;  p.  i38,  à  tout;  p.  143,  peut;  au  lieu 
àc  fondirent,  chevalier,  déclare,  étant,  pour.  La  lecture  des  épreuves  et  même  la 
rédaction  trahissent  à  la  tin  une  certaine  précipitation. 


3l6  RF.VITE    CRITIQUE 

tous  les  aspects  divers  d'un  nicnic  problème  chez  des  philosophes 
différents  et  aux  époques  les  plus  distantes.  Ce  ne  sont  donc  pas  vingt 
monographies  isolées,  mais  comme  une  histoire  suivie  de  l'effort  de 
la  pensée  humaine  depuis  Thaïes  jusqu'à  Nietzsche.  Chacun  des 
auteurs  a  présenté  son  philosophe  d'une  manière  différente,  les  uns 
donnant  davantage  un  exposé  systématique  de  la  doctrine  du  maître 
dans  ses  diverses  parties,  métaphysique,  logique,  morale,  politique 
ou  sociologie,  les  autres  s'aitochant  plutôt  à  révolution  intellectuelle 
du  philosophe  et  suivant  les  transformations  essentielles  de  sa  pensée. 
Il  est  des  cas,  pour  saint  Augustin,  Schelling,  Schopenhaucr,  par 
exemple,  où  ce  procédé  s'imposait  ;  pour  les  anciens  au  contraire  la 
méthode  historique  eût  été  moins  à  sa  place;  néanmoins  l'essentiel 
de  la  biographie,  de  la  genèse  des  œuvres  et  du  développement  intel- 
lectuel n'a  pas  été  laissé  dans  l'ombre.  Il  est  difficile  d'exposer  un 
système  philosophique  sans  y  mêler  une  part  de  critique,  il  est  dan- 
gereux pour  un  résumé  qui  s'adresse  au  grand  public  de  faire  cette 
part  trop  grande  :  les  auteurs  du  présent  ouvrage  me  semblent  s'être 
tenus  dans  une  juste  mesure  en  ne  signalant  que  les  objections  les 
plus  graves  que  soulève  au  passage  la  discussion  d'un  système. 

On  ne  peut  songer  à  analyser  l'un  après  l'autre  les  vingt  chapitres 
de  ces  deux  volumes.  D'ailleurs  les  collaborateurs  choisis  par  M.  v.  A. 
se  sont  fait  pour  la  plupart  connaître  par  des  publications  dans  le 
domaine  même,  souvent  pour  l'auteur  même  qu'on  leur  demandait 
de  caractériser  brièvement  ;  il  faudrait  donc  renvoyer  à  ces  travaux 
pour  éclairer  le  lecteur  sur  le  point  de  vue  de  l'historien,  et  la  courte 
bibliographie  qui  termine  chacune  des  monographies  signale  ce  com- 
plément d'information.  Mais  à  défaut  d'un  compte  rendu  précis,  il  sera 
permis  d'indiquer  l'économie  de  l'ouvrage.  M.  A.  Fischer  a  traité  de 
la  philosophie  avant  Socrate,  en  insistant  sur  Thaïes,  Anaximandre, 
Pythagore  (sur  lui  d'excellentes  pages),  Xénophane,  Heraclite,  Par- 
ménide,  Empédocle,  Anaxagore,  Démocrite.  M.  R.  Richier,  plus 
rapidement  et  de  façon  moins  rigoureusement  scientifique,  de  Socrate 
et  des  sophistes.  MM.  P.  Natorp  et  F.  Brentano  ont  parlé  avec  plus 
d'ampleur  et  en  discutant  davantage  les  interprétations  modernes, 
de  Platon  et  d'Aristote;  mais  l'exposé  est  parfois  abstrus.  La  phi- 
losophie hellénistique  et  romaine,  c'est-à-dire,  les  stoïciens,  les 
sceptiques,  les  néo-platoniciens,  a  été  étudiée  par  M.  A.  Schmekel; 
le  moyen  âge  chrétien  par  M.  M.  Baumgariner  dans  saint  Augustin 
et  saint  Thomas  d'Aquin,  et  la  Rena'ssance  par  M.  R.  Hônigswald 
dans  G.  Brimo.  Le  Descartes  de  M.  M.  Frischeisen-Kôhler  termine  le 
premier  volume.  Dans  le  second  on  doit  à  M  .  O.  Baensch  l'étude  de 
Spinoza  et  à  M.  W.  Kinkel  celle  de  Leibniz.  L'éditeur  lui-même  a 
pris  pour  lui  dans  un  même  chapitre  Locke  et  Hume.  Les  grands 
systèmes  allemands  viennent  ensuite  :  Kant  est  présenté  par 
M.  P.  Menzer,  Fichte  par  M.  F.  Medikus,  Hegel  par  M.  H.  Falken- 


d'histoire  et  de  littérature  3  17 

"stcin  ;  de  Schelling  M.  O.  Braun,  qui  prcparaii  alors  son  édition  des 
Lettres  et  une  étude  d'après  les  manuscrits,  a  tracé  une  vivante  carac- 
téristique avec  quelques  détails  inédits.  M.  R.  Lehmann  a  étudié 
pour  sa  part  deux  philosophes,  Schopenhauer  et  Herbart,  les  jugeant 
parfois  sévèrement.  L'avant-dernier  chapitre  de  M.  A.  Pfiinder  sur 
Nietzsche,  trop  réduit  à  la  manière  d'un  résumé  scolaire,  est  le  moins 
satisfaisant  et,  ce  qui  est  bien  imprévu,  le  plus  pâle. 

On  attend  comme  conclusion  à  un  ouvrage  de  ce  genre  un  chapitre 
sur  l'orientation  de  la  philosophie  contemporaine;  il  ne  manque  pas, 
et  c'est  un  des  doyens  de  la  philosophie  allemande,  M.  W.  Windel- 
band,  qui  l'a  écrit.  Il  n'est  pas  sans  dédain  pour  certaines  formes  qu'il 
juge  peu  philosophiques  de  la  spéculation  moderne,  comme  la  psycho- 
logie expérimentale,  les  poèmes  de  Nietzsche,  le  pragmatisme,  mais 
il  est  plein  d'espoir  pour  l'avenir,  et  la  faveur  dont  jouissent  aujour- 
d'hui le  néokantisme  et  l'hégélianisme  nouvellement  interprété  lui  est 
un  gage  d'un  renouveau  prochain  dans  les  études  philosophiques.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  qu'au  cours  de  cette  revue  de  systèmes  différents, 
l'idéalisme  a  rencontré  les  plus  vives  sympathies,  et  que  toutes  ces 
esquisses,  si  variés  que  soient  les  points  de  vue  des  auteurs,  ont  un 
trait  commun  :  l'importance  attribuée  aux  recherches  du  domaine  de 
la  métaphysique  et  surtout  au  problème  de  la  connaissance  ;  ce  que 
M.  Faguet  a  trop  négligé  tient  ici  la  première  placé  '. 

L.    ROUSTAN. 

Cardinal  Mathifu,  Œuvres  diverses.  Mélanges  historiques  et  littéraires.  Sermons 
Discours  de  circonstance.  Paris,  Champion,  1912,  in-8°,  pp.  20  et  504.  Fr.  6. 

Les  Œuvres  diverses  du  cardinal  Mathieu  forment  comme  une 
suite  à  ses  Œuvres  oratoires  publiées  en  19 10.  En  mettant  à  part  les 
deux  études  qui  ouvrent  le  volume,  toutes  deux  présentées  à  l'Acadé- 
mie de  Stanislas,  l'une  sur  un  prédicateur  irlandais  contemporain,  le 
P.  dominicain  Burke,  l'autre,  dont  l'érudition  est  forcément  dépassée, 
sur  le  Dolopathos,  ce  recueil  latin  bien  connu  de  contes  du  xii'  siècle 
dû  à  un  moine  de  l'abbaye  de  Haute-Seille  ;  en  retranchant  celle  qui 
le  termine,  dans  laquelle  l'auteur  a  élucidé  un  incident  des  rapports 
diplomatiques  du  gouvernement  de  Louis  XVIII  avec  le  Saint-Siège 
à  propos  de  la  nomination  d'un  auditeur  de  Rote  :  tout  le  reste  du 
livre  est  constitué  par  un  mélange  varié  de  discours  et  de  sermons. 
Il  y  a  des  allocutions  de  mariage,  que  des  noms  célèbres,  ceux  de 
Taine,  Paul  Dubois,  Duruy,  Nisard,  feront  remarquer;  il  y  a  des 
oraisons  funèbres,  entre  autres  celle  de  Mac-Mahon,  émue  et  chaude, 
toute  pleine  de  ce  patriotisme  qui  ne  vibre  jamais  à  faux  ;  il  y  a  beau- 
coup de   discours  de  circonstance  prononcés  à  Angers,   à  Toulouse 

I.  L'exécution  typographique  de  l'ouvrage  est  excellente  et  la  reproduction  de 
quelques  portraits  de  philosoplies  très  satisfaisante  ;  mais  le  temps  où  les  livres 
allemands  étaient  sans  fautes  d'impression  semble  à  peu  près  passé. 


3i8 


REVUK    CRITIQUE 


OU  à  Rome  ci  qui  rappellent  soit  les  iiuérèis  religieux  défendus  par 

le  prélat,  soit  les  étapes  de  sa  brillanie  ean  ièrc  ;  il  y  a  entin  un  groupe 

considérable  d'instructions  religieuses  adressées,  de  1880  jusque  vers 

1890,  aux  jeunes  élèves  des  dominicaines  de  Nancy  :  on  y  trouve  une 

éloquence  plus  familière  et  une  direction  éclairée  et  affectueuse  de  la 

jeunesse.    Plus  d'un    lecteur  sera  peut-être  surpris  de  rencontrer  le 

cardinal  Mathieu  dans  le  voisinage  du  délicat  auteur  du   Traité  de 

r Education  des  filles. 

L.  R. 


Albert  Soubiks,  Almanach  des  Spectacles.  Année  191 1. Paris,  Flammarion.  19 12. 
Ce  nouveau  volume  —  le  volume  41  —  de  V Almanach  des  Specta- 
cles, joli,  comme  toujours,  et  orné,  cette  année,  d'une  eau-forte  de 
Delzers  —  le  château  des  Loufoques  (qu'on  nous  pardonne  de  citer  ce 
mot  dans  l'austère  Revue)  —  renferme  le  résumé  fidèle  de  l'année 
^héàtrale  :  spectacles  de  Paris,  de  la  banlieue  et  de  la  province,  biblio- 
graphie, membres  de  la  critique,  etc.  On  y  relèvera,  entre  autres  par- 
ticularités intéressantes,  la  liste  des  pièces  le  plus  souvent  représentées 
sur  les  scènes  parisiennes  {Papa,  au  Gymnase,  297  représentations; 
Le  mariage  de  M"''  Beulemans,  aux  Bouffes-Parisiens,  196;  Les 
bleus  de  l'amour,  à  l'Athénée,  161  ;  La  Veuve  joyeuse,  à  l'Apollo  et 
L'oiseau  bleu,  au  théâtre  Réjanc,  160;  La  reine  de  Golconde,  slux 
Folies-Dramatiques,  et  La  Femme  et  le  Pantin,  au  théâtre  Antoine, 
i36;  La  Vie  parisienne,  aux  Variétés,  i33;  Le  Tour  du  monde  en 
80  jours,  au  Châtelet,  120;  Au  pays  de  Manneken-Pis,  à  Déjazet, 
116;  La  Gamine,  a  la  Renaissance,  1 1 1  ;  Aimé  des  femmes,  au  Palais- 
Royal,  104;  Le  Train  de  8  heures,  k  l'Ambigu,  iû3;  Le  Tribun, 
au  Vaudeville,  88,  etc.  La  tâche  de  M.  Soubies  est  utile,  et  il  faut 
l'encourager  à  la  poursuivre;  il  ne  se  contente  pas  de  nomenclaturer 
les  pièces  indiquées  dans  les  recueils  imprimés  de  la  Société  des 
auteurs  et  dans  le  recueil  —  si  peu  connu  —  de  la  Société  des  compo- 
siteurs et  éditeurs  de  musique  ;  il  lit  attentivement  les  journaux,  et  le 
butin  qu'il  y  trouve  est  parfois,  souvent  même,  de  grand  intérêt. 
Félicitons  le,  par  conséquent,  de  son  labeur  dont  nous  profitons,  et 
remercions  le  de  son  infatigable  patience. 

A.  Ch. 


—  Dans  une  brochure  de  la  collection  populaire  des  Religionsgeschichtliche 
Volksbiiclier  M.  Ulrich  Peters  a  raconté  la  vie  de  saint  François  d'Assise  {Fran:^ 
von  Assisi.  Tûbingen,  Mohr,  1912,  in-i6,  p.  42.  Mk,  o,5u),  mais  en  séparant  les 
traits  légendaires  des  faits  acquis  ou  ne  gardant  que  la  signification  de  la  légende^ 
Il  a  exposé  la  jeunesse  dissipée  du  saint,  sa  conversion,  le  succès  croissant  de  sa 
prédication,  sa  respectueuse  soumission  aux  volontés  du  pape,  la  formation  de  la 
famille  franciscaine,   devenue  contre  le  gré  du    fondateur  et   par   une   extension 


d'histoire  et  de  littérature  3 19 

fatale  l'ordre  mendiant  des  Frùres  mineurs.  M.  P.  a  terminé  par  une  caractéris- 
tique de  la  piété  naïve  et  joyeuse  du  poverello  d'Assise.  Sa  brochure  n'est  rien  de 
plus  qu'une  modeste  œuvre  de  vulgarisation,  mais  elle  a  su  utiliser  les  meilleures 
sources.  —  L.  R. 

—  Un  autre  fascicule  de  la  même  collection,  dû  à  la  plume  de  M.  Heinrich 
Hoffmann,  traite  do  VAiifkldning  (Ibid.,  p.  48),  le  mouvement  rationaliste  du 
xvin<=  siècle.  L'auteur,  après  l'avoir  caractérisé,  en  a  passé  en  revue  les  divers 
effets  dans  les  ditlérents  domaines  de  la  science,  de  la  politique,  du  droit,  de  la 
morale,  de  l'éducation  et  surtout  de  la  religion.  Un  second  chapitre  suit  le  déve- 
loppement historique  de  VAufkldrung  en  Hollande,  en  France,  en  Allemagne. 
M.  H.  a  montré  les  causes  qui  ont  favorisé  le  rationalisme,  les  formes  particu- 
lières qu'il  a  revêtues  chez  chaque  peuple  et  les  influences  qu'il  a  subies  ou  exer- 
cées; ici  également  il  a  tenu  à  souligner  le  point  de  vue  religieux.  L'auteur  n'a 
voulu  donner  qu'un  résumé  très  succinct  d'une  étude  souvent  abordée,  mais, 
faite  par  un  théologien,  cette  esquisse  aura  le  mérite  de  présenter  aux  lecteurs  un 
aspect  du  rationalisme  qui  leur  est  moins  familier.  —  L.  R. 

—  Sur  l'initiative  d'un  de  ses  membres,  M.  Menzer,  la  Kantgesellschaft  a  entre- 
pris la  réimpression  des  ouvrages  philosophiques  importants  pour  l'histoire  des 
idées  au  xvii"  et  xviii"  siècles,  mais  qui,  disparus  du  commerce,  sont  devenus 
d'une  rareté  les  rendant  peu  accessibles.  Cette  publication,  destinée  à  favoriser 
les  études  kantiennes,  sans  s'interdire  d'en  dépasser  le  domaine,  débute  par 
VAenésidème  de  G.  Schulze  publié  sans  nom  d'auteur  en  1792  et  dirigé  contre 
Reinhold,  en  fait,  contre  Kant,  dont  Reinhold  avait  introduit  la  philosophie  à 
l'Llniversité  d'Iena.  M.  A.  Liebert  s'est  chargé  de  cette  première  réimpression  qui 
reproduit  scrupuleusement  l'original  :  Aenesidemus  oder  iiber  die  Fiindamente 
dev  von  dem  Herrn  Professai-  Reinhold  in  lena  gelieferten  Elementar-PInlosophie 
von  G.  E.  Schulze  (Berlin,  Reuther  et  Reichard,  igi  i,  in-8°,  p.  35  i,  mk.  5).  M.  L. 
a  ajouté  à  la  fin  du  volume  de  brèves  notes  et  une  très  courte  notice  sur  Schulze 
qui  fut  à  Gôttingue  un  des  premiers  maîtres  de  Schopenhauer.  11  faut  signaler  aux 
amis  des  études  kantiennes  cette  innovatioJi  que  les  philologues  également  ne 
verront  pas  avec  déplaisir,  puisqu'elle  leur  facilitera  l'accès  d'anciens  textes  inté- 
ressants aussi  pour  l'histoire  de  la  langue.  — :  L.  R. 

—  M.  Gab.  Maugain  vient  de  tirera  part  un  article  sur  Boileau  et  l'Italie  paru 
dans  les  Annales  de  VUniv.  de  Grenoble.  11  y  prouve  que  Boileau  lisait  les  poètes 
italiens  dans  le  texte  et  qu'il  leur  a  très  peu  emprunte;  il  résume  et  examine  les 
griefs  articulés  contre  lui  à  leur  sujet;  mais  la  partie  la  plus  neuve  de  son  travail 
est  celle  où  il  montre  qu'au  fond  la  doctrine  et  le  talent  de  Boileau  ont  plu  en 
général  aux  Italiens  (p.  73-84)  et  que  leurs  réformateurs  du  xviii<^  siècle  se  sont 
souvent  inspirés  de  lui  (p.  S4-95).  De  plus,  M.  M.  nous  donne  la  liste  des  éditions 
ou  traductions  soit  partielles  soit  totales  de  Boileau  en  Italie.  On  remarquera  que 
ses  œuvres  poétiques  ont  eu  seules  l'honneur  d'y  ctre  imprimées  ou  traduites  et 
que  des  deux  versions  totales  l'une  a  été  commandée  par  Murât.  —  On  recon- 
naîtra une  fois  de  plus  dans  cette  brochure  la  grande  connaissance  que  M.  M. 
possède  de  la  critique  italienne  du  xviii''  siècle.  —  Charles  Dejob. 

—  Comme  les  progrès  de  la  science  dépendent  en  partie  des  facilites  oflértes 
aux  débutants,  il  n'est  pas  mauvais  de  rappeler  que  nos  jeunes  italianisants 
trouvent  dans  un  des  salons  les  plus  distingués  de  Florence  un  accueil  bienveil- 
lant, maternel.  M"""  Sicimani,  en  procurant  cette  année  à  trois  d'entre  eux  tombés 


320  REVUE    CRiTlQUI;;    d'hISJOIRE    KT    UK    LITTÉRATURE 

assez  dangereusement  nialadcs,  soit  l'admission  immédiate  dans  un  hôpital  où  sa 
sollicitude  a  veillé  sur  eux,  soit  des  consultations  gratuites  de  médecins  éminents, 
a  puissamment  contribué  à  les  guérir.  En  retour,  nos  boursiers,  sur  l'initiative 
de  M""  Thérèse  Gay,  professeur  d'anglais  au  lycée  de  Bourg,  qui  est  une  des 
habituées  de  M">°  Siciliani,  lui  ont  otlert,  avec  un  superbe  bouquet  et  des  dis- 
cours en  vers  et  en  prose  vraiment  réussis,  les  insignes,  enrichis  de  diamants,  de 
la  décoration  académique  que  notre  ministère  lui  a  naguère  conférée.  Acquitter 
notre  dette  envers  M'""  Siciliani  serait  dillicile  ;  mais  c'est  du  moins  un  devoir  et 
un  plaisir  de  le  proclamer.  —  Charles  Dkjoh. 


AcADÉ.MiK  DES  INSCRIPTIONS  ET  Belles-Lettriîs.  — Sémice du  27  septembre  if)i  2. 
—  M.  Se}niour  de  Ricci  annonce  qu'il  a  découvert  à  Saint-Pétcisbourg  :  i°  au 
Cabinet  des  médailles,  un  bronze  autrefois  attribué  à  Cius  en  Bithyn'ic  et  qui 
est,  en  réalité,  d'un  prince  galate  inconnu,  Bithorix  ;  2°  dans  la  collection  de  pho- 
tographies du  Musée  des  ans  décoratifs,  une  tenture  de  Beaunc  portant  les  ini- 
tiales de  Nicolas  Robin  et  de  Guigonne  de  Salins,  qui  ne  paraît  pas  avoir  encore 
été  signalée. 

Dans  son  compte  rendu  des  fouilles  de  Délos,  M.  Th.  HomoUe,  directeur  de 
l'Ecole  française  d"Athènes,  signale  la  découverte,  faite  par  M.  Avegan,  d'une  belle 
tête  en  bronze  plus  grande  que  nature  et  appartenant  à  l'art  romain.  Cette  tète 
est  vivante,  eSpressive,  énergique  et  fine  tout  à  la  fois,  parfaite  au  point  de  vue 
technique,  d'une  magnifique  patine;  les  yeux  d'émail  sont  très  beaux.  — Dans  le 
quartier  environnant  le  Stade,  on  a  mis  au  jour  une  maison  contenant  un  autel 
tout  orné  de  peintures.  —  Dans  le  déblaiement  du  vieux  Serapeion,  on  a  trouvé  une 
inscription  qui  en  raconte  la  fondation  par  un  personnage  venu  d'Egypte  et 
auquel  le  dieu  avait  ordonné  de  lui  élever  un  temple  à  Délps  dans  un  endroit  par 
lui  désigné.  Cette  découverte  est  de  premier  ordre  :  elle  indique  le  début  du  culte 
privé  et  la  résistance  de  la  population  et  des  autorités.  —  L'Aphrodision  décou- 
vert à  quelques  mètres  de  là  est  reconnaissable  par  la  présence  d'objets  désignés 
dans  les  inventaires.  Le  Théâtre  est  entièrement  déblayé.  On  a  mis  au  jour  la 
cavea  de  la  scène  et  les  murs  majestueux  qui  la  soutiemient  tout  autour,  les 
grands  escaliers,  les  citernes  colossales  placées  en  arrière  de  la  scène  et  les  cons- 
tructions attenantes  qui  ont  peut-être  appartenu  aux  artistes  dionysiaques.  —  La 
Palestra  est  un  bâtiment  d'une  très  belle  construction  et  très  solide.  11  a  pour 
cette  raison,  et  aussi  par  sa  situation  auprès  de  l'anse  de  Scardana,  servi  d'appui, 
de  bastion  et  de  tète  au  mur  de  Triarius,  élevé  en  hâte  pour  résister   aux  pirates. 

M.  Maspero  donne  lecture  d'un  mémoire  de  M.  Perdrizet^  intitulé  :  «  Questions 
d'archéologie  alexandrine.  » 

M.  Salomon  Reinach  présente  des  photographies  et  un  facsimilé  d'un  bracelet 
en  or  pesant  iio  grammes,  et  qui  a  été  acheté  à  .Madrid  par  M.  Ignace  de  Bauer. 
M.  Reinach  explique  les  difficultés  techniques  vaincues  par  l'orfèvre  ibérique,  et 
signale  l'analogie  qui  existe  entre  ce  bijou  et  le  couvre-oreilles  de  la  dame 
d'Elche.  Ces  objets  paraissent  appartenir  à  la  fin  du  premier  âge  du  fer,  c'est-à-dire 
au  v  siècle  avant  l'ère  chrétienne,   ou  au  début  du  siècle  suivant. 

Le  P.  Scheil  communique  un  texte  babylonien  nouveau,  de  2400  a.  C,  qui  lui 
permet  de  formuler  les  conclusions  suivantes.  1°  11  existait  en  Babylonie  de 
grandes  palmeraies  de  douze  hectares  environ.  2°  On  évaluait  volontiers  la  super- 
ficie non  par  mesures  agraires,  mais  par  chirt'res  d'arbres.  3"  On  employait  la 
fécondation  artificielle  du  dattier  femelle,  et  les  pieds  mâles  étaient  cultivés  à  part. 
40  L'évaluation  du  rendement  se  faisait  par  séries  d'arbres,  non  au  poids,  mais  au 
volume  des  fruits.  5"  Le  maximum  du  rendement  allait,  pour  certains  pieds,  à 
io5  kilogrammes  ou  à  141  litres  environ.  6"  La  comptabilité  en  cette  matière  était 
tenue  avec  rigueur  et  précision,  selon  les  procédés  les  plus    rationiiels. 

Léon  Dorez. 
L'imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouch.on  et  Gamon 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 

N°  43  —  26  octobre  —  1912 

WKissnAcii,  Les  inscriptions  des  AclTemcnides.  —  Zimmkrn,  Hymnes  et  prières 
babyloniennes,  II.  —  C.  Frank,  Etudes  sur  le  sacerdoce  babylonien,  I.  — 
Wkidnkr,  De  l'astronomie  babylonienne.  —  Gradenwitz,  Preisigkk,  Spiegel- 
BERG,  Une  ati'aire  égyptienne  d'héritage.  —  E.-C.  Riciiardson,  Bibliothécaires 
égyptiens.  —  Bissing,  Le  Kaî  des  anciens  [égyptiens.  —  Moncicaux,  Le  donatisme. 
—  Bresslau,  Manuel  de  diplomatique,  2«  éd.  —  Seillièrk,  Schopenhauer.  — 
More,  Nietzsche  —  Vaujanv,  L'école  primaire  en  F"rance  sous  la  troisième 
République.  —  Flamini,  Anthologie  italienne.  —  Bellissima,  Corpusculum  ins- 
criptionum  lalinarum.  —  Biasotti,  Diaconies  romaines;  Sainte-Marie-Majeure. 


F. -H.  Weissbach,    Die    Keilinschriften   der  Achâmeniden  :   Vorderasiatische 
Bibliothek.    i  vol.  in-8°,  lxxxiv-iGo  p.  Leipzig,  Hinrichs,  191 1. 

M.  Weissbach  a  réuni  en  un  volume  toutes  les  inscriptions  aujour- 
d'iiui  connues  des  Perses  Achéménidcs.  Comme  on  le  sait,  la  plupart 
de  ces  inscriptions  sont  rédigées  en  trois  langues,  perse,  élamite  et 
babylonienne.  C'est  la  première  fois  que  les  trois  versions  de  l'ensem- 
ble de  ces  textes  sont  ainsi  réunies  (transcription  et  traduction).  La 
disposition  adoptée  par  M.  Weissbach  est  fort  heureuse  et  permet  de 
confronter  constamment  les  trois  versions  et  la  traduction  allemande. 
M.  Weissbach  n'ignore  rien  des  recherches  de  ses  devanciers  et  il  a 
lui-même  contribué  à  établir  plus  d'une  lecture  douteuse  et  à  inter- 
préter plus  d'un  passage  difficile.  En  appendice  M.  Weissbach  a 
donné  le  cylindre  d'Antiochus  I  Soter,  en  babylonien,  qui  reste  un 
monument  unique  et  n'aurait  pu  être  mieux  placé  dans  la  collection 
de  textes  relatifs  à  l'orient  ancien  que  doit  former  la  Vorderasiatische 
Bibliothek.  L'introduction  contient  une  bibliographie  fort  complète 
et  déjà  longue  de  ces  documents  qui  ont  été  l'objet  de  tant  de  travaux, 
et  une  étude  sur  la  question  de  la  transcription  en  général,  et  en  parti- 
culier du  babylonien,  de  l'élamite  et  du  vieux  perse.  Je  recommande 
cette  étude  aux  fauteurs  de  transcriptions  nouvelles,  et  l'ouvrage 
entier  à  tous  les  historiens  de  l'Orient  classique. 

C.    FOSSEY. 


H.  ZiMMERN,  Babylonische  Hymnen  und  Gebete,  zweite  Aus-wahl  :  Der  Alte 

Orient,  XIII,  i.  Leipzig,  Hinrichs,   191  i,  '^2  p.,    in-S". 

Le  second  choix  d'hymnes  et  de  prières  babyloniennes  traduites  par 
M.  Zimmern  fait  suite  à  un  premier  recueil  publié  dans  la  même  col- 


322  REVUE    CRITIQLE 

Iccùon  de  VAlte  Oriciil  (\H  ,.  Il  coiiiiciu  des  hymnes  l\  Siii,  Adad, 
Ellil,  Tamu-{,  IàtiX)\  Nabû,  Samas  et  quelques  maximes  de  sagesse. 
Débarrassé  de  tout  appareil  philologique,  il  sera  le  bienvenu  auprès 
de  ceux  qui  s'intéressent  à  la  Babylonie  sans  avoir  pénétré  les  arcanes 
de  l'écriture  cunéiforme.  Le  nom  de  M.  Zimmern  leur  sera  une  suffi- 
sante garantie  de   rexaciitude  des  traductions. 

C.   FOSSEY. 


C.  Frank,  Studien  zur  Babylouischen  Religion.  1  Baiul.  Strasbourg,  Schlesier 
et  Schweikhardt,  1911,   1  vdl.   xiri-287  p.,  in-80. 

Nous  sommes  encore  fort  mal  renseignés  sur  le  sacerdoce  babylo- 
nien, et  c'est  à  peine  si  nous  entrevoyons  quelles  pouvaient  élre  les 
attributions  spéciales  des  nombreuses  classes  de  prêtres  et  de  prêtresses 
dont  les  noms  paraissent  dans  les  textes.  M.  Frank  a  le  premier 
essayé  de  réunir  et  de  scruter  les  indications  éparscs  et  souvent  obs- 
cures que  nous  possédons  sur  ce  sujet;  il  a  réussi  à  préciser  en  plu- 
sieurs points  des  notions  encore  vagues  et  en  quelque  sorte  constitué 
un  important  chapitre  de  l'histoire  de  la  religion  babylonienne.  Je  ne 
crois  pas  qu'il  ait  augmenté  la  valeur  de  son  travail  en  y  joignant  la 
transcription  et  la  traduction  d'une  douzaine  de  textes  qui  n'ont  pas 
tous  un  rapport  étroit  avec  le  sujet  traité  et  qui  paraissent  choisis 
assez  arbitrairement.  Ils  seront  un  peu  perdus  entre  les  deux  disserta- 
tions qu'ils  séparent.  Mais  ce  n'est  là  que  le  moindre  inconvénient. 
En  traduisant  des  «  morceaux  choisis  »,  on  se  prive  volontairement 
d'un  des  plus  puissants  moyens  d'interprétation  :  la  comparaison.  Si, 
par  exemple,  au  lieu  de  prendre  au  hasard  deux  fragments  de  17  et  73 
lignes  dans  la  série  Summa  i\bii,  M.  Frank  avait  étudié  toute  la  série, 
il  aurait  certainement  reconnu  que  kutallii  ne  signifie  pas  le  «  dos  » 
mais  «  l'occiput  »  (p.  141),  que  irrii  signifie  intestins  (p.  140',  que 
uiiui  est  du  féminin  (p.  1 14),  que  du-du  doit  se  lire  ittalak  (ira)  et  non 
kliri  (Bèstand  p.  146,  40),  qu'il  faut  Ure  talla-kà-at  (la  route)  et  noii 
u\nu  îâ-ka-ta  (dsLS  Ohr  klein  ist  ib.  41);  sanarnma  (second)  et  non 
ma;îWii  (irgend  ein,  ib.  1.  4);  taktit  paie,  fin  du  règne  et  non  labar 
j?a/é"(quine  peut  pas  signifier  :  Fall  der  Herrschaft,  (p.  147,  14); 
bit  béîi-Sa,  la  maison  de  son  propriétaire  et  non  bit  en-sa  (p.  162). 
Je  suis  surpris  que  M.  Frank  affirme  que  le  li-dur  est  un  organe 
double,  simplement  à  cause  d'un  texte  où  Ton  trouve  li-dur  imiiti  et 
Li-DiiR  siimêli  (p.  141);  pareilles  locutions  se  rencontrent  pour  birku, 
«  pénis  ».  P.  145,  28,  je  ne  crois  pas  que  er  ù-tu  puisse  se  lire  tdl'it 
ali  (die  Jugend  der  Stadt)  mis  bien  al  alitti,  la  ville  de  l'accouchée. 
P.  147,  25,  au  lieu  de  miLiltim  kiillati  gi-is-lii-u  ibassi,  où  gislû 
n'est  qu'un  barbarisme  inintelligible,  lire  mUyittim  tiir  gi-mil-lii-u 
ibassi,  il  y  aura  défaite  et  revanche.  Je  suis  surpris  que  M.  F'rank, 
qui  a  comparé  les  textes  sa-sa-sa  issi  et  sa-sa-sa  ibakki  (p.  142-143)  et 
traduit  correctement  le  second  passage  (die  Leibcsfrucht  wimmert),  ait 


d'histoire  et  de  littérature  323 

traduit  le  premier  «  die  LeibesiVucht  sich  entfernt  •>,  faisant  ainsi 
venir  issi  de  nisû;  n'est-il  pas  plus  naturel  de  le  faire  venir  de  sasû, 
a  crier  »?  La  comparaison  avec  CTXXVII,  9,  20  et  suiv.  aurait 
sans  doute  permis  à  M.  P'rank  de  découvrir  le  sens  exact.  — 
La  seconde  dissertation  de  M.  Frank  est  consacrée  au  temple  sumé- 
rien, sujet  aussi  peu  connu  que  le  précédent  et  sur  lequel  les  fouilles 
nous  ont  apporté  fort  peu  de  lumière.  C'est  donc  surtout  à  l'aide  des 
textes  que  l'auteur  a  essayé  de  déterminer  le  plan  du  temple  et  de  ses 
annexes,  les  statues  et  emblèmes  des  dieux,  les  animaux  vivants  atta- 
chés au  culte,  et  les  animaux  divins  plus  ou  moins  fantastiques  dont 
les  images  étaient  déposées  dans  les  temples,  les  instruments  de  culte, 
les  cérémonies,  les  fêtes  et  la  musique.  Une  liste  des  temples  consa- 
crés à  chaque  divinité  termine  cette  étude  que  complètent  quatre  appen- 
dices sur  le  temple  élamite,  l'existence  incontestable  de  bibliothèques 
dans  les  temples,  le  secrétariat  des  temples  (e-dub),  les  instruments  de 
musique.  —  Les  animaux  sacrés  et  le  culte  des  animaux  forment  l'objet 
de  la  troisième  dissertation  de  M  .  Frank  qui  a  le  premier  attiré  l'atten- 
tion sur  cet  aspect  de  la  religion  babylonienne.  M.  Frank  n'accepte 
pas  d'ailleurs  les  théories  totémistes,  mais  affirme  que  tous  les  dieux 
babyloniens,  principaux  ou  secondaires,  ont  été  conçus  et  représentés 
dès  les  temps  les  plus  anciens  sous  la  forme  humaine.  Les  animaux 
dont  M.  Frank  étudie  le  rôle  dans  le  culte  sont  le  lion,  le  chien  ",  le 
taureau,  le  bélier,  le  bouc,  le  cheval,  l'âne,  l'aigle,  le  faucon,  le  cor- 
beau, le  coq,  le  scorpion  et  la  tortue,  le  serpent.  Ce  n'est  là  qu'un 
choix  et  il  faut  souhaiter  que  le  second  volume  des  Etudes  de 
M.  Frank  nous  donne  bientôt  la  suite  des  observations  qu'il  a  recueil- 
lies à  ce  sujet. 

C.     FOSSEV. 

Ernst  Weidner,  Beitrâge  zur  babylonischen  Astronomie  mit  einer  Stern- 
Karte  und  6  Abbildungen  im  Text  :  Beitrâge  zur  Assyriologie  und  semitis- 
chen  Sprachwissenschatt,  \'lll.  4.  Leipzig,  Hinrichs,  1911;  loo  p.  in-8°. 

M.  Weidner  n'admet  aucune  des  identifications  proposées  par  Jen- 
sem,  Hominel  et  Winckler  pour  les  expressions  astronomiques  «  che- 
min d'Anu  »,  «  chemin  d'Enlil  »,  «  chemin  à'Ea  ».  S'appuyant  sur 
des  textes  en  partie  inconnus  à  ses  devanciers,  il  démontre  que 
les  Gémeaux  et  le  Scorpion  appartiennent  au  «  chemin  d'Enlil  »,  que 
le  (.'.  chemin  d'Ea  »  est  aux  environs  du  Sagittaire  et  du  Capricorne, 
que  le  Taureau  appartient  au  «  chemin  d'Ajiu  »,  et  que  le  soleil  est 
six  mois  dans  le  «  chemin  d'Enlil  »  et  trois  mois  dans  chacun  des 
deux  autres  «  chemins  ».  Il  en  conclut  que  le  «  chemin  d'Enlil  »  cor- 

I.  Pour  donner  un  exemple  du  rôle  joue  dans  le  culte  par  les  animaux  citons 

les    cérémonies  dans  lesquelles    les    a  chiens  furieux    »    à'Istar  sont    conduits  au 

fleuve   la   nuit,    tournés   vers   l'est    et  couverts    de    toile    blanche;    la    cérémonie 
commence  au  lever  du  jour. 


324  REVUE   CRITIQLK 

respond  à  six  constellations  du  Zodiaque,  des  Gdmcaux  au  Scorpion  ; 
le  «  chemin  d'Ea  »  à  trois  constellations,  du  Sagittaire  au  Verseau  ; 
le  «chemin  d'Ami  »  aux  trois  dernières,  du  Poisson  au  Taureau. 
Ce  système  a  dû  être  conçu  à  l'époque  où  le  soleil,  à  Tcquinoxe  du 
printemps,  se  trouvait  aux  environs  de  a  et  r,  des  Gémeaux,  c'est- 
à-dire  vers  4500  av.  notre  ère. 

Les  termes  agii  et  a^haru  sont  l'objet  de  la  seconde  enquête  de 
M.  Wcidner.  ï*o\iv  agi},  M.  Kuglcr  a  proposé  en  1907  la  traduction 
«  lumière  cendrée  »  '  que  M.  Wcidner  accepte,  mais  non  pour  tous 
les  cas.  Agii  tasrihti  signifie,  d'après  lui,  «  la  pleine  lune  »  ;  agïi,  en 
certains  cas,  «  une  couronne  »  (de  nuages,  etc.i  entourant  la  lune.  Le 
soleil  et  Vénus  peuvent  aussi  avoir  un  agù.  Les  q\karé  sont  les  parties 
de  la  lune  visibles  avant  et  après  une  éclipse  totale. 

La  troisième  contribution  de  M.  Weidner  est  consacrée  à  l'étude 
du  texte  n°  III  de  Virolleaud,  Astrologie  Chaldéenne,  Sin,  qui  est 
transcrit,  traduit  et  ingénieusement  commenté.  L'interprétation  de 
M.  Jastrow  est  rectifiée  sur  beaucoup  de  points.  M.  Weidner  a  par 
surcroît  dressé  l'index,  qu'aucun  traducteur  ne  devrait  négliger. 

Enfin  M.  Weidner  propose  une  hypothèse  sur  l'origine  du  système 
sexagésimal  en  usage  chez  les  Babyloniens.  Ce  système  dériverait  d'une 
division  de  la  voûte  céleste  en  six  secteurs  de  3o  degrés.  Comme  le 
diamètre  apparent  de  la  lune  d'après  l'estimation  des  Babyloniens 
était  de  3o  minutes,  chaque  secteur  équivalait  à  60  fois  le  diamètre 
de  la  lune. 

Ces  problèmes  sont  trop  difficiles  pour  que  personne  puisse  se  flat- 
ter d'en  donner  une  solution  complète  et  définitive.  Mais  il  y  a  en 
tout  cas  beaucoup  de  détails  à  retenir  dans  le  travail  de  M.  Weid- 
ner \ 

C.   FOSSEY. 


O.  Gradenwitz,  F.  Preisigke,  W.  Spiegelberg,  Ein  Erbstreit  aus  dem  Ptole- 
maeischen  ./Egypten,  Griechische  und  Demotische  Papyri  der  "Wissent- 
schaftlichen  Gesellschaft  zu  Strassburg  i.  Els.,  1912,  Strasbourg.  Karl. 
J.  Trûhner,  in-8»,  63  p.  et  4  pi.  en  photot}pie.  —  Prix  :  6  Marks  [-j  fr.  5o). 

L'avertissement  placé  en  tête  du  mémoire  nous  raconte  une  vieille 
histoire,  bien  connue  de  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  des  papyrus 
égyptiens.  Des  paysans,  procédant  à  l'extraction  du  sébakh  ou  fouil- 
lant sans  autorisation  sur  le  site  des  villes  antiques,  y  découvrent  un 
dépôt  qu'ils  se  partagent  et  qu'ils  vendent,  soit  à  un  touriste,  soit  à 
un  marchand  de  profession  :   les  lots,  dispersés  par  les  hasards  du 

1.  Je  l'avais  proposée  dès  1900,  dans  RHR,  à  propos  des  Reports  de  Thompson. 

2.  P.  36,  1.  10  :  au  lieu  de  ulabbar,  lire  ultabbar  (cf.  p.  44,  22).  —  P.  44,  1.  9  se 
restitue  :  eridte  liplipsin[a  inaddâ].  —  P.  5o,  14  et  16  :  au  lieu  de  ma-gal,  lire  dan- 
nis  (Leip.  sem.  St.  V,  6.).  —  P.  74,  ia-ad-dar  ne  peut  pas  être  une  contraction 
pour  aùadar. 


d'histoire  et  de  littérature  325 

commerce,  arrivent  par  morceaux  aux  musées  européens,  et  ce  n'est 
qu'après  de  patientes  recherches  que  les  savants  finissent  par  recons- 
tituer l'ensemble  de  la  trouvaille.  Les  pièces  relatives  à  l'affaire 
d'héritage  dont  se  sont  occupés  MM.  Gradenwitz,  Preisigke  et  Spie- 
gelhcrg,  recueillies  originairement  à  Gébéleîn  en  Thébaidc,  se  sont 
réparties  entre  Berlin,  Gicssen,  Heidelbcrg,  Londres,  Strasbourg,  et 
peut-être  s'en  est-il  égaré  dans  les  collections  privées  :  la  plupart  sont 
en  grec,  quelques-unes  en  démotique,  et  pour  l'une  de  celles-ci,  tan- 
dis que  l'original  égyptien  appartient  à  Strasbourg,  la  traduction 
grecque  reste  à  Giessen. 

L'affaire  est  assez  embrouillée.  Un  certain  Panas,  dit  Apollônios 
et  fils  de  Nékhouris,  avait  eu  trois  enfants,  un  fils  Paménôs  dit  Her- 
mocratès,  et  deux  filles  Kalibis  et  Taménôs,  auxquels  il  légua  ses 
biens,  sis  à  Gébélîn  et  dans  les  environs.  Le  mari  de  Kalîbis,  Patous 
dit  Kallimêdcs,  profita  par  la  suite  de  certaines  circonstances,  mal 
déterminées  encore,  de  la  succession,  pour  essayer  de  dépouiller  son 
beau-frère  Paménôs  et  sa  belle-sœur  Taménôs  ainsi  que  leurs  héri- 
tiers, d'une  portion  des  terres  qui  leur  revenaient  sur  l'héritage  com- 
mun. Il  semble  que  la  liquidation  de  celui-ci  dût  présenter  quelques 
difficultés,  car  les  hoirs  Paménôs  et  les  hoirs  Taménôs  avaient  com- 
mencé les  uns  contre  les  autres  une  action,  qui  fut  close  assez  rapide- 
ment par  un  arrangement  à  l'amiable  :  mais  ils  ne  purent  s'entendre 
avec  Patous.  Il  serait  trop  long  d'entrer  dans  le  détail  de  la  cause  :  le 
différend  porte  sur  deux  fonds  de  terre,  l'un  de  dix  l'autre  de  trente- 
cinq  aroures,  et  les  documents  conservés  à  Strasbourg  intéressent 
surtout  ce  dernier.  Porté  en  dernier  ressort  devant  l'épistratège  de  la 
Thébaïde,  il  fut  tranché  par  celui-ci,  en  l'an  37  de  Ptolémée  Ever- 
gète  II  :  Paious  dut  renoncer  à  ses  prétentions  sur  les  trente-cinq 
aroures  et  sur  le  prix  que  la  vente  en  avait  produit.  M.  Gradenwitz  a 
traité  de  la  marche  du  procès  et  des  points  de  droit  qu'il  touchait. 
MM.  Preisigke  et  Spiegelberg  ont  publié  et  commenté  le  premier  les 
papyrus  grecs,  le  second  les  papyrus  démotiques  de  Strasbourg.  II 
est  résulté  de  cette  triple  collaboration  un  très  instructif  et  très 
curieux  mémoire,  auquel  Je  ne  saurais  adresser  qu'un  reproche  :  les 
auteurs  ont  été  trop  brefs,  et,  puisque  aussi  bien  leur  œuvre  s'adresse 
à  des  égyptologues  et  à  des  hellénistes  qui  ne  sont  pas  tous  nécessai- 
rement des  juristes  et  des  paléographes,  j'aurais  aimé  qu'ils  dévelo- 
passent  certaines  notions  de  déchiffrement  ou  de  procédure  qu'ils  se 
sont  contentés  d'indiquer  brièvement.  J'ajouterai  que  j'ai  pris  un 
intérêt  spécial  à  la  partie  qui  avait  été  confiée  à  Spiegelberg  :  les 
observations  qu'il  a  jointes  à  la  transcription  et  à  la  traduction  des 
pièces  renferment  des  suggestions  utiles  sur  la  prononciation  et  sur 
la  grammaire  de  l'égyptien  à  l'âge  ptolémaique. 

G.  Maspero. 


320  REVUE    CRITIQUE 

K.    CisiiiNC     RiciiARDSON,   Some    old    Egyptian   Librarians,     191,    New-York, 
Charles  Scribner's  Sons,  în-18",  9!^  p. 

La  plus  grande  pariic  de  cet  amusant  petit  volume  est  remplie  par 
le  texte  d'une  conférence  faite,  le  28  septembre  191  i,  h  la  réunion  de 
\di  Ncu'-York  Library  Association.  L'auteur  déclare  dans  sa  Préface 
qu'il  a  utilisé  pour  son  sujet,  non  pas  les  textes  orij^inaux  eux-mêmes, 
mais  des  traductions   empruntées  aux   œuvres  des  savants  les   plus 
compétents,  et  il  cite  plus  loin  comme  ayant  été  sa  source  principale 
les   Aucient  Records  de    Breasted.  On    ne   s'étonnera   donc   pas   de 
retrouver  chez   lui    l'écho  des   théories    les    plus   intransigeantes  de 
l'école  berlinoise,  sa  chronologie  trop  réduite,  ses  trois  Sésostris  de 
laXII®  dynastie,  et  d'autres  détails  de  ce  genre.  Il  a  de  plus  rangé, 
parmi  les  bibliothécaires  dont  il  a  cru  pouvoir  constater  l'existence  en 
Egypte,  des  personnages  qui  auraient  été  bien  étonnés  de  s'entendre 
ainsi  qualifier.  11  a  été  victime  de  la  même  erreur  de  perspective  qui, 
il  y  a  quelques  années,  conduisait  les  archéologues  à  intituler  archi- 
tectes tous  les  Intendants  des  travaux  du  roi.  confondant  une  fonc- 
tion administrative    exercée   dans   les    bureaux  avec    un    métier  qui 
menait  son   homme  sur  les  chantiers  :  les  hauts  officiers  de  la  cou- 
ronne de  qui    leurs  inscriptions  disent   qu'ils    possédaient    tous  les 
secrets  des  temples,  ou  qu'ils  avaient  accès  à  tous  les  écrits  mysté- 
rieux et  à  tous  les  livres  divins.^  devaient  à  leur  dignité  et  à  leur  édu- 
cation le  privilège   de  connaissances  étrangères  au  peuple,   mais  ils 
n'étaient  pas  les  gardiens  des  bibliothèques  où  ils  pouvaient  pénétrer. 
Il  y  aurait  donc  beaucoup  de  coupes  sombres  à  opérer  dans  la  liste 
que  M.  Richardson  a  dressée,  et  peut-être  quelques  noms  nouveaux  à 
insérer.  Sa  conférence,  écrite  d'un  style  alerte  et  familier,   avec  des 
allusions  aux  hommes  et  aux  choses  de  l'Amérique  contemporaine, 
n'en  est  pas  moins  très  agréable  à   lire  :   elle  a  retenu   un  moment 
l'attention  du  public  sur  nos  études,  et,  si  elle  a  éveillé  chez  quelques- 
uns  des  auditeurs  le  désir  de  s'y  initier,  nous  aurions  mauvaise  grâce 
à  y  chicaner  une  date  ou  à  y  critiquer  un    fait  inexactement  rapporté. 

G.  Masi*ero. 


I 


Fr,  W,  von  BissiNG,  Versuch  einer  neuen  Erklarung  des  Ka'i  der  Alten 
Agypter  (extrait  des  Sit^ungsberichte  de  l'Académie  de  Munich},  191 1, 
Munich,  in-S",  i  5  p. 

Ce  petit  mémoire  a  pour  objet  de  démontrer  que  l'auteur  a  eu  raison 
naguères,  dans  un  article  du  Recueil  (1903,  t.  XXV,  p.  182),  de  dire, 
du  kd  des  Egyptiens  «qu'il  sortait  pour  jouir  des  offrandes,  kdoii  »  :  le 
nom  de  la  survivance  humaine,  lu  par  lui  kdi,  serait  un  nisbé  de  A*aoM, 
et  il  dériverait  de  kd,  la  nourriture,  l'offrande.  «  C'est  »  donc  «  cette 
«  partie  de  l'homme  qui  dépend  de  la  nourriture,  qui  le  rend  capable 
«  de  prendre  la  nourriture  et,  à  ce  point  de  vue,  le  principe  de  vie,  la 
«  force  vitale.  Le  kdi  n'a  point  de  préexistence,  —  car  l'homme  avant 


d'histoire  et  de  littérature  327 

«  qu'il  ne  naisse  ne  prend  aucune  nourriture.  Le  kdi  apparaît  au  même 
«  moment  de  la  naissance,  il  grandit  avec  l'homme  et,  en  grandissant, 
«  il  modifie  sa  forme  extérieure.  Toutefois,  après  la  mort,  il  continue 
«  à  vivre  sépare  du  corps,  tant  qu'il  possède  un  corps  d'appui,  momie 
«  ou  statue,  et  qu'il  reçoit  l'offrande.  C'est  pour  cela  que  les  plus 
«  anciens  prêtres  des  morts  s'appellent  les  Serviteurs  du  kdi,  pour 
«  cela  que  toutes  les  prières  et  toutes  les  oflVandcs  s'adressent  à  lui, 
«  pour  cela  qu'on  lit  sur  les  plus  vieilles  stèles  qui  marquent  le  lieu 
«  où  l'on  doit  faire  l'offrande  aux  morts,  Kdi  de  N.  N.  ou  Kdi  du 
«  Lumineux  N.  N.  Et,  comme  le  kai  reçoit  l'offrande,  peut-être  est- 
«  ce  pour  cela  qu'on  écrit  son  nom  avec  deux  bras  qui  s'étendent  vers 
«  elle  afin  de  la  saisir...  Les  morts  ont  de  tout  temps  su  qu'ils  ne 
«  pouvaient  recevoir  l'offrande  nécessaire  à  prolonger  leur  vie  que  par 
«  l'intermédiaire  du  A\n  :  il  a  dû  en  être  de  même  des  dieux  à  l'ori- 
«gine.  Les  dieux  possédaient  en  effet  plusieurs  kdis  et  de  môme,  par 
«  conséquent,  le  roi,  qui  était  leur  image  sur  terre.  Il  en  résulte  que  le 
«  kdi  doit  être  quelque  chose  qui  peut  être  commun  aux  dieux  et  aux 
«  souverains  vivants  ou  morts.  Pour  l'homme  naif  qui  se  figurait 
«  qu'un  être  divin  était  obligé  de  prendre  de  la  nourriture,  les  dieux 
«  ne  pouvaient  faire  autrement  que  de  posséder  un  ou  plusieurs 
«  démons  de  ce  genre  ».  Ils  en  possédaient  en  effet,  et  le  dieu  Râ  en 
détenait  quatorze  à  lui  seul,  dont  «les  noms  conviennent  bien  à  des 
«  êtres  qui  assurent  l'alimentation  et  l'entretien  de  la  divinité,  tandis 
«  qu'ils  seraient  en  partie  des  plus  bizarres  appliqués  à  des  doubles, 
«  à  des  âmes  ou  à  des  esprits  protecteurs  des  moris  ».  Et  main- 
tenant «avons-nous  le  droit  d'imaginer  le  kaî  comme  un  dieu  ?  Que 
«  ce  terme  se  soit  fort  affaibli  par  la  suite,  et  que  bien  souvent  on  ait 
«  à  peine  eu  conscience  de  la  divinité  du  kaî,  il  le  faut  concéder. 
«  Mais,  d'autre  part,  qui,  autre  qu'un  dieu,  reçoit  une  offrande,  et 
«  vers  qui,  si  ce  n'est  vers  un  dieu,  vient-on  avec  des  prières  ?  ». 

J'ai  eu  souvent  l'occasion  de  parler  du  ka  ou  kai  égyptien,  et  j'ai 
essayé  de  le  définir  un  double,  mais  non  pas  en  partie  d'après  Lepage- 
Renouf,  comme  Bissing  le  pense  :  la  conférence  où  j'en  exposai  la 
théorie  à  Lyon,  en  septembre  1878,  est  de  six  mois  antérieure  à  la 
lecture  que  Lepage-Renouf  fit  à  la  Société  d'Archéologie  Biblique 
de  Londres,  et  j'ai  quelques  raisons  de  croire  qu'elle  ne  fut  pas  sans 
influence  sur  elle.  Le  terme  que  j'employai  alors,  et  que  je  per- 
siste à  employer  pour  traduire  le  mot  ka,  est  l'expression  exacte  d'un 
fait  matériel  dont  Steindorff  seul  jusqu'à  présent  a  contesté  partielle- 
ment la  réalité  :  l'être  ainsi  désigné  est,  dans  les  représentations  que 
nous  possédons  de  lui,  la  contrepartie  minutieuse  du  personnage 
auquel  il  est  attaché,  et  il  le  double  à  tous  les  instants  de  la  vie  et  de 
la  mort,  enfant  si  le  personnage  est  un  enfant,  homme  ou  femme  si 
celui-ci  est  un  homme  ou  une  femme.  En  l'appelant  double,  je  ne  fais 
qu'indiquer  son  apparence  sensible,  et  je  ne  préjuge  rien  de  sa  nature 


328  REVUE    CRITIQUE 

iniime  ni  de  son  origine  M.  de  Bissing  admet  ces  points  importants, 
mais  il  va  plus  loin  que  je  n'allais  alors,  en  ce  qu'il  affirme  :  i°  que  le 
ka  n'existait  pas  avant  la  naissance  de  son  homme,    mais  qu'il  se  pro- 
duit à  l'instant  précis  où  celui-ci  vient  au  monde;  2"  qu'il  est  un  dieu; 
3"  qu'il  est  le  dieu  par  qui  son  homme  s'alimente.    Je  ne  saurais    lui 
accorder  tout   cela.    J'ai  récemment,    dans    un    article    de   la  revue 
Memnon,  montré    contre  Steindorff,   par  le    moyen   des  tableaux  de 
Louxor    et   de    Déîr-el-Bahari,   que  le  ka  était  fabriqué  par  le   dieu 
créateur  dans  le  sein  de  la  mère,  en  même  temps  que  le  corps  auquel 
sa  destinée  le  liait   et  de  la   même   pâte   que    celui-ci:    je    renvoie  le 
lecteur  à  cet  article,  l'espace  me  manquant    ici   pour  en   résumer  les 
données.    La   raison   alléguée   par   Bissing  et  d'après  laquelle  le   ka, 
étant  un  dieu  de  l'alimentation,  ne  peut  exister  qu'après  que  l'homme 
est  né,  l'homme  encore  à  naître  ne  recevant  pas  de  nourriture,   ne  me 
paraît  pas  décisive.   Sans  être  grands  clercs  en  physiologie,  les  Égyp- 
tiens n'ignoraient  pas  que  l'embryon  humain  se  nourrit   dans  le  sein 
maternel,  et,   comme  le  peuple  le  dit  d'instinct,   que  toute  mère  en 
mangeant  nourrit  deux  vies  :  leur    ka,  une  fois  formé   avec  le  corps, 
s'alimentait  et  alimentait  celui-ci  aux  dépens  de  la  femme  qui  le  por- 
tait, et  cela  jusqu'à  l'heure  de  l'accouchement.  Je  substituerai  donc  à  la 
première  proposition    de  Bissing   une  proposition    contraire:    le   ka 
existe  et  commence  ses  fonctions  caractéristiques,   dès  avant  la  nais- 
sance du  corps  qu'il  suivra  désormais    dans  la    vie  et  dans   la  mort. 
Je  ne  soulèverai  pas  d'objections  contre  les  deux  autres  propositions. 
J'admets,  et  j'ai  toujours  admis,  que  le   double  tient  de   la  nature  du 
dieu,  mais  je  n'irai  pas  jusqu'à  prétendre  comme   Bissing   et    comme 
Steindorff,  que  pour  cela  il  ne  forme  pas  un  des  éléments  constitutifs 
de  la  personne  humaine  ou  divine,  au  même  titre  que    l'àme-oiseau, 
le  bai,  par  exemple.  J'ai  indiqué,  dans  mon  article   de  Memnon,  que 
l'âme-oiseau  est  un  dieu  elle  aussi,  ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'être  un 
des  éléments  constitutifs  de  cette  personne  :  si    la  qualité   divine    ne 
lui  enlève  pas  cette  propriété,  elle  ne  doit    pas  non  plus  l'enlever  au 
double.  Que  ce    facteur  divin  soit  celui    qui  fournit  à  la    nourriture 
de  l'homme,  Bissing   l'a    prouvé,   et  ici    encore   je  renverrai    à  mon 
mémoire  de  Memnon,  où  j'ai  cité  plusieurs  des  représentations  figurées 
qui  ne    nous   permettent  pas   d'en    douter.  Je    tiens  également  pour 
établi  que  le  nom  égyptien    du  double  est   étroitement  apparenté  au 
nom  kdou  de  la  nourriture  et  de  l'offrande,  et  je  suis    porté  à  penser 
qu'il  a  signifié  le  nourrisseur,  le  nourriciei%  ainsi  que  le  veut  Bissing, 
mais  je  me  garderai  de  dire  avec  lui  que  ce  nourricier  est  le  principe 
dévie,  la  force  vitale,    «  das  Lebensprincip,   die  Lebenskraft  ».  Les 
Egyptiens  n'en   étaient  pas  au    stade  de   l'abstraction,  mais  où    nous 
voyons  des  principes  et  des  forces  abstraites,  ils  apercevaient  des  êtres 
matériels  produisant  des  actes  :  c'est  commettre  un  véritable  anachro- 
nisme et  altérer   l'histoire  de   la    pensée   humaine  que  de  parler  de 


d'histoire  bt  de  littérature  32g 

principe  vital  où  ils  parlaient  du  tVoz/^/e.  Retenons  donc  une  partie  des 
idées  de  Bissing,  et  la  combinant  avec  la  conception  courante,  disons 
que  le  ka  est  un  double,  un  dieu  à  l'image  de  chaque  individu  qui, 
créé  avec  son  homme  dans  le  sein  maternel,  l'accompagne  pour  veiller 
sur  son  alimentation,  tant  que  le  corps  ou  la  copie  du  corps  auquel 
il  est  attaché  subsiste  dans  la  vie  et  dans  la  mort. 

G.    Maspero. 

Histoire  littéraire  de  l'Afrique  chrétienne  depuis  les  origines  jusqu'à  l'invasion 
arabe,  par  Paul  Monceaux,  professeur  au  Collège  de  l'rance  et  à  l'école  des 
Hautes-Etudes.  Tome  quatrième  :  Le  Donatisme.  Paris,  Ernest  Eeroux,  191 2. 
Prix  :  10  fr. 

Le  grand  ouvrage  dont  M.  Paul  Monceaux  poursuit  depuis  dix  ans 
la  publication,  comprend  actuellement  quatre  volumes  :  TertuUien  et 
les  Origines  ;  Saint  Cyprien  et  son  temps  ;  le  iV  siècle,  dWrnobe  à 
Victorin  ;  le  dernier  tome  paru  est  consacré  au  Donatisme. 

Je  ne  sais  si,  en  France,  l'on  a  toujours  reconnu  comme  il  conve- 
nait ce  que  cette  œuvre  considérable  représente  de  forte  et  saine 
érudition.  En  tous  cas,  elle  a  conquis  à  l'étranger  l'estime  des  juges 
les  mieux  qualifiés.  Qu'on  se  reporte  aux  travaux  de  Adolf  Harnack, 
spécialement  au  tome  II  de  sa  Chronologie  der  altchristlichen  Litera- 
tiir,  et  l'on  y  verra  avec  quelle  déférence  les  opinions  de  M.  Mon- 
ceaux y  sont  citées  et  discutées  par  l'illustre  professeur  de  Berlin. 

Je  bornerai  mon  examen  au  volume  qui  a  pour  objet  le  Donatisme. 
Schisme  africain,  «  exclusivement  africain  »,  et  qui  suscita  tant  d'écrits 
de  polémique,  le  Donatisme  avait  sa  place  marquée  dans  une  Histoire 
littéraire  de  V Afrique  chrétienne.  Son  dossier  est  d'une  remarquable 
ampleur.  Autant  il  est  malaisé  de  connaître  à  fond  les  mouvements 
hétérodoxes  ou  schismatiques  qui  se  développèrent  aux  deux  premiers 
siècles  lie  gnosiicisme  ou  le  montanisme,  par  exemple),  faute  d'une 
documentation  suffisante,  autant  les  investigations  sur  l'histoire  du 
Donatisme,  en  dépit  de  quelques  lacunes  regrettables,  sont  facili- 
tées par  la  richesse  des  sources  parvenues  jusqu'à    nous. 

Une  telle  variété  de  documents  —  écrits  donatistes  ou  antidona- 
tistes,  pièces  ofificielles  émanant  des  empereurs,  des  gouverneurs  afri- 
cains, des  commissaires  impériaux,  procès-verbaux  de  conférences  et 
de  conciles,  suppliques  aux  pouvoirs  publics,  inscriptions,  etc.,  — 
est  un  bienfait  pour  l'histoire;  mais  elle  crée  à  l'historien  un  sérieux 
embarras,  quand  il  s'agit  de  dominer  cette  immense  matière,  de  la  dis- 
cipliner, et  delà  faire  entrer  dans  un  exposé  cohérent  et  méthodique. 

M.  Monceaux  a-t-il  réussi  à  triompher  de  cet  ordre  de  difficultés? 
Je  crois  qu'à  lire  son  livre,  non  point  au  hasard  des  chapitres,  mais 
d'une  seule  teneur,  on  s'apercevra  qu'il  souffre  de  certains  vices  de 
composition. 


3?0  REVUE    CRITIQUE 

Pcndirant  lout  de  suiic  au  vif  de  son  sujci,  M.  M.  déroule  d'abord 
les  péripéties  du  Donatisme,  ses  premières  origines  (p.  8-25),  ses 
vicissitudes  avant  saint  Augustin  (p.  25-52),  au  temps  d'Augustin 
(p.  52-97),  après  Augustin  (p.  97-108),  jusqu'aux  derniers  sursauts  de 
sa  longue  agonie  dans  TAfriquc  vandale  et  byzantine.  11  dit  là  tout 
l'essentiel  ;  il  analyse  les  faits  dans  l'ordre  chronologique  et  caracté' 
rise  chacun  d'eux. 

11  marque  ensuite  l'extension  du  Donatisme,  selon  les  époques  ;  il 
décrit  l'organisation  des  Églises  donaiistes,  et  définit  l'esprit  propre  à 
ce  grand  mouvement  (p.  109-192).  Viennent  après  cela  deux  longs 
chapitres  où  il  analyse  par  périodes  les  documents  donatistes  ou  rela- 
tifs au  donatisme  (p.  193-320),  et  spécialement  les  Actes  conciliaires 
—  il  n'y  eut  pas  moins  de  54  conciles  de  part  et  d'autre,  en  3o5  et 
596  —  (p.  321-436).  Un  dernier  chapitre  est  consacré  à  l'épigraphie 
donatiste. 

Or,  comme  l'ouvrage  s'ouvre  par  un  exposé  d'ensemble  où  n'est 
omis  aucun  événement  de  quelque  portée,  le  lecteur  a  le  léger  déplai- 
sir de  lire  à  nouveau,  dans  les  morceaux  qui  suivent,  certains  récits 
qu'il  connaît  déjà,  des  anecdotes  qui  se  répètent,  des  actes  qui  font 
double  emploi  '.  Bien  plus,  pour  peu  que  sa  mémoire  soit  fidèle,  il 
s'aperçoit  que  l'interprétation  des  mêmes  faits  est  parfois  nuancée  de 
façon  toute  différente,  d'un  passage  à  l'autre.  Ainsi,  p.  1 15,  le  gram- 
mairien Victor  est  présenté  comme  le  type  de  ces  chrétiens  naïvement 
ou  cyniquement  indifférents  qui  devenaient  donatistes  «  presque  sans 
s'en  apercevoir  »  ;  p.  239,  nous  retrouvons  le  même  personnage,  nou- 
velle allusion  est  faite  à  ses  aveux  devant  le  consulaire  Zénophiius, 
mais  M.  Monceaux  lui  prête  cette  fois  les  traits  d'un  rusé  compère  qui 
«  joue  la  naïveté  «  et  «  se  croit  obligé  de  mentir  pour  sauver  la  face  ». 

Je  n'aurai  pas  le  pédantisme  de  prétendre  montrer  à  l'auteur  com- 
ment il  aurait  dû  aménager  son  plan;  mais  il  est  certain  que  l'écono- 
mie de  l'ouvrage  est  un  peu  gâtée  par  ces  fâcheux  duplicata. 

Je  ferais  quelques  réserves  d'un  autre  ordre  sur  le  dernier  chapitre 
du  livre.  M.  Monceaux,  qui  connaît  aussi  bien  qu'homme  au  monde 
l'archéologie  de  l'Afrique  du  Nord,  a  pensé  —  et  il  est  le  premier  à 
avoir  pris  cette  initiative  —  qu'il  y  aurait  lieu  de  distinguer  dans  l'épi- 
graphie chrétienne  de  cette  contrée  un  domaine  â  part,  dont  il  observe 
à  juste  titre  qu'il  était  «  presqu'inconnu  jusqu'ici  »  :  à  savoir  l'épigra- 
phie donatiste  ou  aniidonatiste.  Il  est  singulièrement  intéressant,  à  la 
suite  d'un  guide  de  cette  compétence,  d'entendre  «  répercutés  sur  la 
pierre,  les  propos  populaires  et  quotidiens  où  se  résument  les  aspira- 
tions ei  les  griefs  des  schismatiques,  comme  les  répliques  de  leurs 
adversaires  ».  Au  surplus,  M.  M.  reconnaît  que  la  discrimination  des 
inscriptions  spécifiquement  donatistes  est  fort  malaisée,  et  que  c'est 

I.  Cf.  p.  5  et  196  ;  21  et  200;  22,  n.  401  219;  29  et  198  ;  3i  et  1S4;  32  et  124; 
33  et  160J  49  et  128;  58  et  354  ;  7^  et  293  ;  1 15  et  239  ;  i58  et  453  ;  175  et  177  etc. 


d'histoire  et  de  littérature  33  I 

seulement  «  par  cxccpiion  »  que  ces  documents  trahissent  leur  origine 
sectaire.  Il  me  semble  que,  sur  quelques  points,  il  y  a  lieu  de  se  mon- 
trer plus  sceptique  encore  qu'il  ne  veut  l'cire.  Ainsi  il  range  dans  le 
groupe  des  inscriptions  «  sûrement  donatistes  »  toutes  celles  où 
figure  la  devise  coutumière  du  parti  :  Dca  laudes  (p.  439).  Mais  le 
moyen  de  croire  que  les  catholiques  africains  eussent  totalement 
renoncé  à  cette  formule,  pour  Tunique  raison  que  les  dissidents  en 
avaient  fait  leur  cri  de  guerre?  Un  procès-verbal  inséré  parmi  les 
sermons  de  saint  Augustin  '  ne  nous  montre-t-il  pas  le  peuple  d'Hip- 
pone  clamant  dans  rÉglisc,  Deo  laudes,  au  récit  d'une  guérison  mira- 
culeuse? Le  critérium  est  donc  bien  douteux.  Pareillement,  p.  452, 
M.  Monceaux  revendique  pour  le  donatisme  une  inscription  d'Hen- 
chir  El-Guis,  sous  prétexte  que  le  mot  mundus  (pur)  y  figure,  mot 
«  inconnu  de  Tertullien  »  et  qui,  comme  l'idée  qu'il  représente,  «  est 
donatiste  ».  Or  mundus  se  rencontre  chez  Tertullien  au  moins  dans 
cinq  passages,  —  Je  n'ai  pas  poussé  la  vérification  :  Adu.  Nationes,  I, 
V  (Reiff-Wissowa,  p.  65,  1.  20);  de  Pudic,  vt,  16;  xix,  i3;  xx,  10; 
de  Penit.,  11,  6  (dans  la  coll.  Hemmer-Lejay).  Voilà  déjà  une  raison 
sérieuse  de  douter  que  ce  terme  ait  été  presque  étranger  au  latin 
«  d'Eglise  ». 

Ces  remarques  n'ont  point  pour  objet  d'ébranler  la  solidité  d'un 
chapitre  où  il  y  a  tant  d'incontestable.  Elles  ne  visent  qu'à  faire  com- 
prendre sur  quel  mince  résidu  de  faits  certains  une  enquête  de  ce 
genre  peut  opérer. 

Dans  son  ensemble  l'ouvrage  est  très  attachant.  On  y  voit  à  plein 
comment  une  question  qui  aurait  pu  être  réglée  assez  vite  avec  un  peu 
de  bonne  volonté  —  la  question  des  pénalités  à  infliger  aux  fidèles  et 
aux  clercs  «  tombés  »  durant  la  persécution  de  Dioclétien  —  se  com- 
pliqua, s'empoisonna  de  querelles  de  personnes,  de  jalousies  épisco- 
pales,  du  mécontentement  des  populations,  etc.,  au  point  de  devenir 
pour  des  siècles  le  souci  désolant  de  toute  une  province.  Cette  terrible 
affaire  du  Donatisme.  M.  M.  l'a  instruite  avec  une  conscience,  une 
sérénité  qui  donnent  grand  poids  à  ses  jugements.  Peut-être  vou- 
drait-on çà  et  là  un  peu  plus  d'approfondissement  des  doctrines  théo- 
logiques intéressées  dans  ces  débats.  M.  M.  est,  en  cette  matière, 
d'une  discrétion  excessive.  Mais  là  où  il  reprend  ses  avantages,  c'est 
dans  l'exposé  des  faits,  dans  l'analyse  des  états  d'esprit,  dans  la  des- 
cription vivante  et  pittoresque  des  épisodes  de  la  lutte,  spécialement 
de  ces  interminables  colloques  où  catholiques  et  donatistes  s'épou- 
monnaient  sans  résultat.  Tout  cela  est  d'une  méthode  parfaitement 
sage  et  d'un  art  parfois  fort  divertissant  (cf.  p.  247,  289,  294,  etc.). 

M.  M.   ne  veut  pas  reconnaître  dans  le  parti  de    Donat  un   parti 

I.  Sermo  CCCXXIII,  III,  4  (P.  L.,  xxxvui,  14+6)  :  «  Et  cum  haec  dicerel  Augus- 
tinus,  populus..  clainarc  coepit  «  Deo  gratias  I  Deo  laudes  \  » 


332  RKVUK    CRITIQUE 

d'opposition  sociale  et  politique,  et  il  estime  que  les  critiques  qui  le 
considèrent  comme  tel  interprètent  arbitrairement  des  données  d'ail- 
leurs certaines.  «  En  réalité,  a(Tirme-t-il,  le  Donatisme  ne  visait  pas  si 
haut,  ni  si  loin.  Pour  transformer  ces  "  rebelles  »  en  loyaux  sujets  de 
l'Empire,  il  eût  sulli  d'une  constitution  iiniu-riale,  proclamant  que 
l'Église  de  Donat  représentait  seule  en  Afrique  l'Eglise  universelle, 
l'Eglise  catholique.  Mais  cette  loi  n'a  pas  été  promulguée  :  jusqu'au 
bout,  le  Donatisme  est  resté  l'éternel  proscrit,  »  (p.   toi). 

Quant  au  rôle  joué  par  la  secte  dans  l'Afrique  chrétienne,  M.  M. 
déclare  sans  ambages  qu'il  fut  «  malfaisant  ».  Dégradé  par  une  mino- 
rité de  violents,  «  l'idéal  évangéliquc  de  l'Eglise  des  «  Saints  »  deve- 
nait trop  souvent,  dans  la  réalité,  une  école  de  haine,  de  pillage  et  de 
meurtre.  »  (p.  170).  Le  christianisme  local,  la  civilisation  africaine 
subirent,  du  fait  de  la  «  folie  fratricide  du  donatisme  »,  d'irréparables 
désastres. 

Dans  un  prochain  volume,  M.  M.  traitera  des  œuvres  littéraires 
provoquées  par  la  polémique  donatiste  et  antidonatiste.  Cette  vaste 
étude  une  fois  achevée,  les  travaux  antérieurs  sur  la  question  du 
Donatisme  seront,  ou  peu  s'en  faut,  relégués  dans  l'oubli  '. 

Pierre  de  Labriolle. 


Harry  Bresslau.  Handbuch  der  Urkundenlehre  fur  Deutschland  und  Italien. 

Tome  I.  2«  édition.  Leipzig,Veit  et  C,    1912.   xviii-746  pages  in-H".  Fr.    22,  5o. 

Il  est  inutile  de  recommander  la  seconde  édition  d'un  ouvrage 
qui,  dès  son  apparition  en  1889,  s'est  imposé,  comme  celui-ci,  à 
l'estime  des  spécialistes.  La  nécessité  d'une  édition  nouvelle  —  fait 
bien  rare  sinon  unique  dans  la  «  littérature  diplomatique  »  —  atteste 
d'autant  plus  éloquemment  la  valeur  du  Handbuch  de  M.  Bresslau 
qu'il  n'est  pas  destiné  à  l'enseignement,  mais  s'adresse,  comme  on  sait, 
aux  savants.  Le  nom  de  l'auteur  suffit  à  garantir  l'excellence  du  rema- 


I.  Je  note  encore  ici  quelques  observations  de  détail.  P.  iSy  :  ces  formules 
«  nous  et  le  Saint-Esprit  »  et  autres  semblables  n'ont  qu'une  portée  médiocre. 
Elles  étaient  de  style  dans  les  protocoles  conciliaires  :  cf.  Leitnkr,  die  biblisclie 
Inspiration,  Fr.  i.  B.  1896,  p.  191  et  s.  ;  —  P.  i65.  «  Jusqu'au  temps  d'Augustin, 
l'Afrique  n'a  pas  produit  de  véritables  théologiens  ».  Voilà  une  affirmation 
quelque  peu  étrange  de  la  part  d'un  savant  qui  a  écrit  un  gros  volume  sur  Ter- 
tuUienl  —  P.  166  :  «  On  ne  peut  nier  que  le  principe  adopté  par  les  Donatisles 
[relativement  aux  conditions  de  validité  des  sacrements]  fût  conforme  à  l'esprit  de 
l'Evangile  et  des  communautés  primitives.  »  On  aimerait  à  voir  cette  opinion 
étayée  de  quelques  références.  —  M.  Monceaux  ne  fait  aucune  allusion,  ce  me 
semble,  à  l'hypothèse  ingénieuse  proposée  par  Dom  Chapman  {Rev.  Béiiéd.,  1909, 
p.  i3  et  s.)  au  sujet  de  la  distinction  des  deux  Donats.  —  Les  revues  qui 
s'occupent  de  l'histoire  de  la  sténographie  ont  beaucoup  à  prendre  dans  l'ouvrage 
de  M.  M.  :  cf.  p.  421  et  s.  —  Je  signale  aussi  la  très  précieuse  liste  chrono- 
logique des  documents  donatistes  ou  relatifs  au  donatisme,  qui  est  dressée  à  la 
fin  du  livre  (p.  487-510). 


d'histoire  et  de  littérature  333 

niement  auxquel  le  travail  a  ctc  soumis.  Le  plan  général  est  resté  le 
mè-me  que  précédemment.  On  y  retrouvera  les  neuf  chapitres  si  bien 
ordonnés  et  si  substantiels,  intitulés  :  1.  Objet  et  déHnition  de  la 
diplomatique;  11.  Histoire  de  la  diplomatique;  III.  Analyse  et 
classification  des  actes;  IV.  Transmission  manuscrite  des  actes  ;  V. 
Les  Archives  ;  VI.  La  chancellerie  des  empereurs  romains  et  des 
papes;  VII.  La  chancellerie  des  rois  d'Italie,  des  rois  francs,  des 
rois  et  empereurs  allemands;  VllI.  Autres  chancelleries  et  scribes 
en  Allemagne  et  en  Italie;  IX.  Les  actes  diplomatiques  comme 
moyens  de  preuve  juridique  au  moyen  âge. 

Aucune  page  de  la  rédaction  primitive  n'a  été  laissée  sans  change- 
ments, et  il  est  superflu  de  dire  que  M.  Bresslau  a  soigneusement 
utilisé  les  travaux  si  nombreux  qui,  depuis  l'apparition  de  son  livre, 
ont,  en  tant  de  points,  enrichi  et  précisé  nos  connaissances.  L'exposé 
des  généralités  de  la  science  et  des  principes  de  la  méthode  ne  pou- 
vait être  modifié  en  rien  d'essentiel.  Mais  l'auteur  a  su  incorporer  à 
son  œuvre,  sans  rien  lui  faire  perdre  de  sa  clarté,  les  résultats  des 
innombrables  monographies,  catalogues  ou  éditions  d'actes,  consa- 
crés, durant  le  dernier  quart  de  siècle,  à  la  diplomatique  des  papes, 
des  empereurs,  ou  des  rois  d'Italie.  On  admirera  particulièrement, 
dans  les  chapitres  relatifs  aux  archives  et  aux  chancelleries,  le  parti 
qu'il  en  a  tiré  et  le  tact  critique  avec  lequel  il  les  a  mis  en  œuvre.  D'un 
bout  à  l'autre  de  l'ouvrage  se  révèle  la  compétence  d'un  maître  con- 
naissant à  fond  toutes  les  questions  dont  il  traite,  ayant  lu  tous  les 
travaux  qu'il  cite  et  s'étant  fait  sur  chacun  d'eux  une  opinion  person- 
nelle. M.  Biesslau,  dans  cette  seconde  édition  comme  dans  la  pre- 
mière, a  écarté  toute  polémique  :  il  se  contente  de  signaler  en  note, 
avec  la  conscience  légitime  de  l'autorité  qui  s'attache  à  ses  jugements, 
les  conclusions  qu'il  rejette. 

Cette  nouvelle  édition  du  Handbuch  sera  accueillie  avec  une  satis- 
faction d'autant  plus  vive  que  la  préface  annonce  l'apparition  pro- 
chaine du  second  volume  que  tous  les  diplomatistes  attendent  depuis 
si  longtemps. 

H.    PiRENNE. 


Ernest  Seillikre,  Schopenhauer  (Collection   des   Grands  Ecrivains   étrangers). 

Paris,  Bloud,  191  i,  in-16,  p.  240.  Fr.  2,5o. 
Paul  Elmer  More,    Nietzsche.    Boston    et   New-York,    Houghton    Mifflin,    J912, 

in-16,  p.  87.  Sh.  I . 

I.  Sous  une  forme  concise  le  Schopenhauer  de  M.  Seillière  est  un 
exposé  clair,  vivant  et  aussi  une  critique  impitoyable  du  philosophe 
de  la  volonté.  Cette  esquisse  pourrait  se  lire  comme  un  chapitre 
d'une  des  dernières  études  de  l'auteur  ;  elle  vient  en  tout  cas  prendre 
sa  place  naturelle  dans  son  tableau  du  mal  romantique.  Peut-être 
eût-il  convenu  pour  une  œuvre  de  vulgarisation  de  ne  pas  considérer 


334  REVUE    CRITIQUE 

un  penseur  Je  l'iniporiance  de    Schopcnhauer   sous  l'angle  toujours 
étroit  d'une  théorie  particulière.  M.  S.  a  commencé  par  nous  présen- 
ter l'homme  en  quelques  pages  savoureuses,  et  il  a  donne  de  l'adoles- 
cent sullisant  et  irritable,  comme  du  sexagénaire  égoïste,  maussade  et 
quinteux,  un  portrait  animé,  en   se  bornant  à  grouper  les  traits   les 
plus  familiers  de  cette  biographie  si  nue.  11  y  en  a  un   que  je  regrette 
qu'il  ait  négligé,  tant   il   est  signitkaiif"  :   le  dosent  de   1820  à  Berlin 
s'obstinant  à  choisir  pour  son  cours  les  mêmes  heures  que  le  maître 
Hegel  et  restant  naturellement  sans  auditeurs.  M.  S.  a  réservé  la  part 
principale    de  son  étude  à  l'œuvre  de  Schopenhaucr.  Elle  est  pour 
lui  née  de  son  tempérament  d'impulsif  et  du   milieu  romantique  où 
se  forma  le   penseur  ;    elle  devait  donc   faire  une  place  essentielle  à 
l'instinct"  et  aboutir  à  une  divinisation   du    subconscient,   en   substi- 
tuant la    volonté  aveugle  à  l'intelligence   consciente   comme  loi  du 
monde.  C'est  l'œuvre  d'un  mysticisme  outré  et  il  n'est  pas  surprenant 
que  la  morale  de  Schopenhaucr  ait  fait  des  emprunts  au   mysticisme 
chrétien,  car  M.  S.  ne  veut  pas  que  nous  soyons  dupes  de  l'étiquette 
indienne  qu'elle  porte.  L'auteur  a  très  bien  exposé  la  genèse  de  l'éthique 
schopenhauerienne,  de  son  pessimisme,  de  sa  rédemption  parla  pitié, 
de  son  ascétisme,  tout  en  soulignant  avec   malice  les  contradictions 
flagrantes  entre  le  système  du  solitaire  de  Francfort  et  sa  propre  con- 
duite. D'ailleurs  une  des  raisons  de  la  fortune  de  cette  philosophie 
tenait  au  caractère  personnel  dont  elle  était  marquée  et  M.  S.  a  eu  un 
soin  constant  de  mettre  en  pleine  lumière  l'originale  individualité  de 
l'auteur  avec  ses  paradoxes  et  ses  boutades.  Un  dernier  chapitre  est 
destiné  à  faire  comprendre  comment  les  théories  de   Schopenhaucr 
ont  favorisé  les  différentes  formes  du   mysticisme   romantique,   par 
son  esthétique,  par  son  idéal  social  (c'est  ici  moins  apparent),  sa  con- 
ception de  l'amour  et  sa  classification  des  races.  Comme  s'il  avait  eu 
quelque  remords  d'avoir  fait  servir  trop  exclusivement  la  philosophie 
de  Schopenhaucr,  de  môme  qu'ailleurs  Stendhal  et  Fourier  dont  il  a 
cherché    toutes  les  occasions  de  le  rapprocher,   à  expliquer  un  des 
renouvellements  du  mal  romantique,  M.  S.  dans  sa  conclusion  recon- 
naît les  «  quelques  concessions  qu'a  faites  le  philosophe  à  une  vue  plus 
rationnelle  du  monde  ».  En  résumé  l'impression  dernière  que  gardera 
le  lecteur  sera  celle  d'une   philosophie  qui  s'est  mise   sans  cesse    en 
contradiction  avec  elle-même.  S'il  essaie   de  profiter  de   l'excellente 
notice   bibliographique  '  que  l'auteur  a   eu  raison   de   joindre  à  son 
étude,   il  pourra  se  faire  de   Schopenhaucr  une  idée  plus  dégagée  de 
tous  ces   multiples  liens  avec  le   romantisme   sous    lesquels    M.    S. 
Ta  trop  enchaîné  \ 

1.  Il  faudrait  y  ajouter  au  moins  deux  études  un  peu  plus  récentes,  celles  de 
R.  Lehmann  (1894)  ci  de  .1.  Volkelt  (1900). 

2.  Ecrire  p.  23,  Wolf  ;  p.  26,  Meyer  ;  p.  iSg,  Nettesheim  ;  p.  176,  vornehm,  au 
lieu  de  Wolff,  Mejer,  Netîeshein,  vornliem;  et  pourquoi  adopter  cette  graphie  sin- 
gulière qui  transforme  Bûrger  en  Buevger? 


d'histoire  et  de  littérature  335 

II.  Le  petit  livre  de  M.  More  n'est  qu'un  court  aperçu  de  la  morale 
de  Nietzsche.  L'auteur,  après  une  brève  notice  biographique,  a  voulu 
montrer  la  place  que  vient  prendre  la  théorie  du  surhomme  dans  le 
conflit  des  deux  morales  de  l'inte'rèt  et  de  l'altruisme,  tel  surtout  quMl 
s'est  développé  en  Angleterre  avec  Hobbes,  Mandeville,  Hume,  d'une 
part,  et  Adam  Smith,  de  l'autre.  Son  exposé  et  sa  discussion  de  la 
pensée  de  Nietzsche  sont  plus  que  sommaires,  et  seulement  pour  des 
lecteurs  américains  ignorant  tout  de  lui  ils  peuvent  avoir  la  valeur 
d'une  introduction  très  générale. 

L.   ROLSTAN. 


Vaujanv  (Joseph  ,  L'école  primaire  en  France  sous  la  troisième  République. 
Paris,  Perrin,  uji2.  In-N  dc\i'i-'.>^vT  p.  1^  fr.  5o. 

Ce  livre  écrit  pour  établir  que,  dans  nombre  d'écoles  communales, 
le  maître  vise  à  combattre  la  foi  en  Dieu  et  en  la  patrie,  est  animé  d'un 
esprit  élevé  et  suppose  des  lectures  étendues,  mais  manque  d'ordre, 
de  proportion,  de  concision.  L'auteur  y  insiste  beaucoup  trop  sur  des 
doctrines  que  tout  le  monde  connaît  ;  il  recommence  sans  cesse  à 
définir,  à  discuter  les  vues  philosophiques  ou  politiques  des  législa- 
teurs de  l'école  laïque,  les  diverses  manières  de  concevoir  la  neutralité, 
à  montrer  que  la  neutralité,  même  sincère,  qui  accommode  fort  bien 
les  positivistes,  ne  peut  agréer  également  aux  spiritualisies.  Aussi  ne 
fait-il  que  toucher  à  la  partie  vraiment  intéressante,  c'est-à-dire  aux 
faits  de  l'heure  actuelle.  A  peine  consacre-t-il  quelques  pages  aux 
Manuels  franchement  hostiles  à  l'esprit  religieux  (p.  i68  sqq.),  aux 
procès  intentés  aux  prélats  qui  les  ont  signalés  (p.  286  sq.),  aux 
projets  destinés  à  écarter  de  l'enseignement  les  ecclésiastiques  sécu- 
liers (p.  192  sqq.),  à  fonder  le  monopole  de  l'État  (p.  197-9);  à  peine 
fait-il  la  comparaison  avec  les  autres  Etats  où  l'école  confessionnelle  est 
favorisée  (p.  33o).  Son  langage  reste  toujours  modéré,  grand  mérite, 
si  l'on  songe  au  ton  habituel  des  théoriciens  qu'il  combat  ;  mais  le 
défaut  de  méthode  affaiblit  la  portée  du  livre. 

Charles  Dejob. 


Flamini  (Francesco).  Antologia  délia  critica  e   dell'  erudizione.  Naples,  Per- 
rella,  1913.  In-S"   de  vii-1146  p.  4   fr. 

M.  F.,  le  docte  successeur  à  Pise  de  M.  D'Ancona,  fait,  dans  ses 
travaux,  la  part  des  débutants  et  des  gens  du  monde.  On  sait  qu'il  a 
composé  un  très  bon  manuel  de  littérature  italienne  ;  aujourd'hui  il 
nous  donne  un  choix  de  morceaux  critiques  sur  cette  même  littéra- 
ture. Il  explique  dans  sa  préface  en  quoi  son  recueil  diffère  de  celui 
de  M.  L.  Morandi.  Il  ne  s'agit  plus  cette  fois  de  nous  donner  les 
pages  les  plus  pénétrantes  qu'aient  inspirées  les  chefs-d'œuvre  de 
l'Italie,  mais  d'une  sorte  d'histoire  suivie  de  la  littérature  nationale 
qui  embrasse  la  discussion  des  problèmes  que  se  posent  les  érudits, 


336  REVUK    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    I.ITTICRATTIRE 

des  rapports  avec  la   production  ctrangcrc,  de  la   contribution  de  la 
littcraiarc  populaire  ou  dialectale. 

On  aperçoit  le  danger  de  ce  plan  :  il  laui   pour  l'execuier  accueillir 
des  pages  où  il  y  a  quelquefois  plus  de  science  que  de  style,  qui  sen- 
tent rimprovisation  sans  donner  toujours  Tidée  qu'avec  plus  de  loisir 
l'auteur  ail  mieux  lait.   Mais   M.   F.   a    lait   tout  le   possible  pour   y 
parer.  D'abord  il  a  très  largement  fait  la  part  des  grands  hommes  sur 
lesquels  il   n'avait  à  recourir  qu'à  des  plumes  d'élite  :  il   accorde  à 
Dante  6j  pages.   Puis,  il  a  en  somme  surtout   fait  appel  aux  maîtres 
de  l'heure  présente,    renforcés   de   quelques  étrangers  de  distinction 
(Muntz,  M.  H.  Cochin,  'VVesselofsky,  Spingarn).  Parmi  les   écrivains 
qu'il  fait  juger  devant  nous,  il  y  en  a  plus  d'un  qu'on  s'étonnera  bien- 
tôt de  rencontrer  dans  cette  galerie  d'honneur;  mais  il   fallait  tenir 
compte  de  la  vogue  actuelle.  Au  total,   cette    histoire  littéraire  offre 
l'originalité  d'avoir  été  rédigée  par  des  hommes  dont  chacun  avait  fait 
une  étude  spéciale  de  son  auteur.  La  tentative  valait  la   peine  d'être 
essayée  par  un  savant. 

Charles  Dejob. 


—  La  plaquette  intitulée  Corpuscuhim  inscriptionum  latinarum  (in-8"  Sienne, 
191 1)  par  M.  J.  Bellissima,  professeur  de  lettres  anciennes  au  lycée  de  Sienne, 
n'intéresse  ni  les  épigraphistes  latins,  ni  même  les  historiens;  c'est  un  recueil 
d'inscriptions  latines  composées  par  l'auteur  en  ditTérentes  circonstances,  surtout 
pour  des  amis  morts. —  C. 

—  M.  Giovanni  Biasiotti  a  publié  l'an  dernier  à  Rome  deux  très  intéressantes 
brochures  historiques.  La  première  est  intimlée  Le  Diaconie  cardinali^ie  e  la 
diaconia  «  S.  Viti  in  Macello  »  (In-8»  de  47  pages);  elle  expose  ce  que  furent 
pendant  les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne  les  diaconies  romaines,  quel  rôle 
était  afl'ecté  aux  dignitaires  ecclésiastiques  placés  à  leur  tête,  comment  elles  se 
transformèrent  et  comment  leur  siège  fut  transféré  pour  la  plupart  dans  des 
monuments  publics  anciens.  Dans  une  seconde  partie,  l'auteur  présente  les  docu- 
ments que  l'on  possède  sur  le  monastère  et  l'église  de  S.  Vito  in  Macello  qui 
furent  attribués  à  l'un  des  cardinaux  diacres  de  l'Eglise.  —  La  seconde  brochure, 
qui  a  pour  objet  La  Basilica  Esquilina  di  S.  Maria  ed  il  pala:[:{0  apostolico  apud 
S.  Mariam  Majorem  (In-S",  de  33  pages)  résume,  mais  d'une  façon  critique, 
l'histoire  de  la  basilique  de  Sainte-Marie-Majeure  et  du  palais  annexe.  Les  deux 
publications,  solidement  documentées,  montrent  comment  sur  ce  champ  merveil- 
leux qu'est  la  ville  de  Rome,  l'antiquité  se  continue  dans  les  temps  modernes. 
Elles  seront  lues  avec  fruit  par  tous  ceux  qui  étudient  les  monuments  de  la  Ville 
éternelle.  —  L.  H.-L. 

V imprimeur- gér ant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  l'uy-eu-Velay.  —   Imprimerie  Peyriller,  Rouclion  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  44  —  2  novembre.  —  1912 


Si'iEc.Ei.iiKRc,  Textes  dcmotiques  sur  tessons.  —  Navii.i.h,  La  poterie  primitive  en 
Egypte.  —  BissiNG,  Vases  préhistoriques.  —  Mkii.let,  Introduction  à  l'clude 
comparative  des  langues  ind(^-eiiropéennes,  3«  éd.  —  Le  Frahang,  p.  Junkkr.  — 
L.\BOURT  et  Ba  rii-KOL,  Les  odes  de  Salomon.  —  Frankf.nherg,  Les  odes  de  Salo- 
mon.  —  l^uuRKiiiL,  La  vente  des  biens  nationaux  dans  les  Côtes- du-Nord;  Le 
régime  révolutionnaire  dans  le  district  de  Dinan. —  Dehérain,  Dans  l'Atlantique. 

—  Mancini,  Bolivar.  — Regnault  de  Beaucaron,  Souvenirs  de  famille.  — Sorb, 
La  défense  nationale.  — Poirier,  L'officier  en  Allemagne.  —  Witte,  La  guerre 
avec  le  Japon.  —  Boigev,  Le   massif  des  Béni  Snassen.  —  Fougères,  Athènes. 

—  Michel  et  Migeon,  Les  sculptures  du  Louvre.  —  Aubert,  Senlis.  —  L.  Tuetey, 
Procès-verbaux  de  la  Commission  temporaire  des  arts,  I.  —  Jantzen,  La  pein- 
ture hollandaise  au  xvn«  siècle.  —  Brillant.  Le  charme  de  Florence.  —  Dur- 
RiEu,  Michelino  de  Besozzo.  —  Morel-Fatio,  Histoire  de  Charles-Quint  par  un 
fourrier  de  sa  cour.  —  Catalogue  de  la  librairie  Burgersdijk  et  Niermans.  — 
D"Ancona,  Variétés  historiques  et  littéraires.  —  Miraben,  La  fumée  antitoxique. 

—  Logos,  m,  i.  —  KoFFKA,  Analyses  psychologiques.  —  H.  aus  der  Fuente, 
L'esthétique  de  Humboldt.  —  R.  VVorms,  La  sexualité  dans  les  naissances  fran- 
çaises. —  L.  Arrkat,  Le  génie  individuel. 


\V.  Spiegelberg,  Deinotische  Texte  auf  Krugen  (forme  le  5^  fascicule  des 
Demotisclie  Studien),  1912.  Leipzig,  J.  C.  Hinrichs'sche  Buchhandlung,  Texte 
in-4",  81   p.  et  Atlas  in-f"  de  6  pi.  —  Prix  :  36  marcs,  45  fr. 

Comme  le  papyrus  coûtait  assez  cher  en  Egypte,  on  utilisait  dans 
les  écoles  et  même  dans  les  maisons  ou  dans  les  bureaux  d'adminis- 
tration et  dans  les  ateliers,  des  éclats  de  calcaires,  des  galets  ou  des 
tessons  dépôts  afin  d'y  écrire  des  brouillons  de  lettres,  des  quittances, 
des  memoranda  de  dépenses  ou  des  devoirs  d'écoliers.  Spiegelberg  a 
reconstitué,  avec  des  fragments  conservés  à  Berlin  et  à  Strasbourg, 
trois  cruches  en  terre  sur  la  panse  desquelles  de  jeunes  Egyptiens, 
qui  vivaient  à  la  fin  du  premier  ou  au  commencement  du  second 
siècle  après  Jésus-Christ,  avaient  copié  des  récits  en  forme  de  lettres 
familières  ou  officielles.  Sa  restitution  comporte  encore  bien  des 
lacunes  et  la  traduction  suivie  est  presque  impossible  :  pourtant  le 
sens  ressort  parfois  assez  clair  des  phrases  qui  subsistent. 

La  cruche  A,  qui  est  la  plus  complète,  portait  quatre  lettres.  Il 
s'agissait,  dans  la  première,  du  magicien  Houî-horou,  qui  avait  été 
enfermé,  nous  ne  savons  pour  quelle  raison,  dans  la  prison  d'Élé- 
phantine.  Pendant  le  temps  que  les  oiseaux  migrateurs  reviennent  en 
en  Egypte,  deux  d'entre  eux  à  qui  il  avait  donné  la  vie,  lui  voulurent 

Nouvelle  série  LXXIV  44 


338  REVUE    CRITIQUE 

rendre  visiic.  et  apprenant  où  il  était,  ils  se  rendirent  auprès  de  lui 
sans  tarder.  Ils  lui  conseillèrent  d'écrire  son  histoire  sur  deux  rouleaux 
de  papyrus  qu'ils   prendraient  avec  eux  et  qu'ils  laisseraient  tomber 
dans  la  cour  d'audience  du  Pharaon.  Ils  le  (irent  comme  ils  l'avaient 
dit  et  l'histoire  s'arrête  sur  ce  point.  Les  deux  lettres  suivantes  sont 
de  teneur  assez  obscure.  La  première  semble  traiter  un  sujet  proposé 
dans  quelque  école  de  rhéteur,  l'homme  emprisonné  pour  un  crime 
dont  on   l'accuse  faussement  et  qui  essaie  de  se  disculper  :  celui-ci, 
qu'on   poursuivait  pour   le   meurtre   de   son  hls,  expose  que  l'enfant 
n'était  pas  de  lui  mais  seulement  de  sa  femme,  et  que  celle-ci  l'avait 
tué  afin  de  se  débarrasser  de  lui.  La  quatrième  lettre  est  soi-disant 
adressée  à  Pharaon  par  un  chéîkh  qui  arrive  d'Arabie,  cl  qui  requiert 
le  prince  de  vouloir  bien  entendre  le  conte  de  l'hirondelle.  L'hiron- 
delle, avant  niché  sur  une  plage,  avait  coutume  de  confier  ses  petits  à 
la    mer,   lorsqu'elle    partait    pour    leur   aller   chercher   pâture,    tant 
qu'enfin,  un  Jour,  le  flot  en   furie    ne  songea  plus  au  dépôt  qui  lui 
était  confié  et  enleva  la  couvée.  L'hirondelle  pour  se  venger  vida  la 
mer  avec  son  bec  et  combla  le  lit  avec  le  sable  du  rivage.  Telles  sont 
les  lettres  de  la  cruche  A  :  il  n'y  en  a  que  deux  sur  la  cruche  B,  dont 
la  première,  qui  n'est  pas  trop  mutilée,   renferme   une  version  très 
abrégée  de  l'histoire   de  Si-Osiri,  le  fils  de  Satni-Khàmoîs.  On  y  lit 
comment  il  naquit  de  la  princesse  Mahît-ouaskhît,  comment  celle-ci 
l'envoya  à  l'école,  et  comment  le    maître  donna  le  fouet  à  son  élève. 
La  seconde  lettre,  dont  le  texte  continuait  sur  la  cruche  C,  contient 
une  plainte  d'un  Syrien  contre  les  habitants  d'une  ville  qui  l'auraient 
maltraité,  mais  tant  de  lacunes  l'interrompent  qu'on  n'aperçoit  pas 
quelle  est  la  nature  du  dommage.  En  résumé  la  plupart  de  ces  petits 
récits  excitent  notre  curiosité  plus  qu'ils  ne  la  satisfont.  .l'imagine 
pourtant  qu'on  peut  supposer  dans  celui  d'entre  eux  où  il  est  ques- 
tion de  Houî-horou,  le  commencement  d'un  de  ces  romans  à  tiroirs 
qui  sont  si   fréquents  dans  la  littérature  arabe  et  hindoue  :  la  lettre 
de    Houî-horou  provoquait    probablement    une    enquête,    au    cours 
de  laquelle  les  ennemis  du  sorcier  racontaient  une  histoire  pour  justi- 
fier la  mesure  d'emprisonnement  prise  contre  lui,  tandis  qu'il  répon- 
dait à  chacun  d'eux  par  une  histoire   contraire  destinée  à  prouver 
qu'on  devait  lui  rendre  la  liberté.  D'autre  part,  le  pasteur  Jacoby  a 
signalé  à  Spiegelberg,  dans  le   Pantchatantra,  un  coi>te  analogue  à 
celui  de  l'hirondelle  et  de  la  mer.  L'Egypte  est-elle  en   cela  tributaire 
de  l'Inde  ou  l'Inde  de  l'Egypte?  Il  est  difficile  de  rien  dire  en  l'état 
actuel  de  la  science.  Je  rappellerai   seulement  que  j'ai  signalé,  il  y  a 
trente  ans,  au   Musée  de  Turin,   un   fragment  d'une    version  de   la 
fable  des  Membres  et  de  l'Estomac  qui  fut  écrit  sous  les  Ramessides, 
à  Thèhes,  vers  le  xr  ou  le  xii*^  siècle  avant  notre  ère. 

L'édition  de  Spiegelberg  est  excellente  :  il  a  défini  fort  bien  la  date 
et  la  nature  des  textes,  la  traduction  ainsi  que  la  transcription  sont 


d'histoire  et  de  littérature  339 

ce  qu'elles  pouvaient  être,  considéré  le  mauvais  état  des  manus- 
crits, et  le  Glossaire  est  une  contribution  précieuse  à  l'étude  du 
démotique.  Ici  pourtant,  il  me  semble  qu'en  essayant  de  rétablir 
l'orthographe  hiéroglyphique  des  mots  Spicgclberg  n'a  pas  toujours 
réussi  à  retrouver  les  originaux  de  certains  signes  :  c'est  un  sujet  que 
je  reprendrai  plus  tard  dans  une  de  nos  revues  égyptologiques. 

G.  Maspero. 

I\.  Navili.k,  La  poterie  primitive  en  Egypte  (I\xtrnit  de  V Anthropologie,  1912, 
I.  XXIIl.p.  ?  i3-32o),  1912.  Paris,  Masson,  in-S",  8  p. 

Ce  ne  sont  que  huit  pages,  mais  elles  valent  plus  que  beaucoup  de 
longs  mémoires.  Elles  correspondent  à  une  idée  que  je  conçus  dès  le 
moment  que  l'étude  des  premières  dynasties  et  de  leurs  monuments 
fut  abordée  par  les  Égyptologues  :  la  facture,  la  couleur  et  les  formes 
de  la  poterie  égyptienne  ne  sont  pas  liées  exclusivement  à  chacune 
des  périodes  de  l'histoire  de  l'F.gypte,  mais  elles  sont  indépendantes 
de  celles-ci,  et  leur  présence  dans  un  tombeau  ne  nous  oblige  pas  à  le 
rapporter  à  telle  ou  telle  d'entre  elles,  [^es  premiers  vases  mi-rouges 
et  noirs  qui  aient  été  découverts  l'ont  été  par  moi,  à  Gébéléîn  et  à 
Khizàm,  au  nord  de  Thèbes,  dans  des  sépultures  de  la  XI^  et  dans 
une  chapelle  de  la  VI''  dynastie  et  je  les  avait  classées  comme  étant 
contemporaines  de  la  fin  de  l'Empire  Memphite  et  du  commencement 
du  premier  empire  thébain.  Lorsque  M.  de  Morgan  et  après  lui 
Flinders  Pétrie,  les  rencontrant  dans  les  nécropoles  archaïques,  vou- 
lurent faire  d'elles  la  propriété  des  temps  antérieurs  à  Menés  ou  de 
l'âge  thinite,  leur  découverte  me  porta  non  pas  à  renier  l'opinion  que 
ma  propre  trouvaille  m'avait  inspirée,  mais  à  l'étendre  et  à  déclarer 
que  ce  genre  de  poterie  s'était  perpétué  à  travers  les  siècles,  jusque 
sous  la  X'VIIl<=  dynastie,  au  moins  dans  certaines  parties  de  la  vallée, 
et  les  fouilles  de  ces  dernières  années  ont  montré  que  je  n'avais  pas 
tort.  L'erreur  persiste  pourtant,  et  elle  est  d'autant  plus  regrettable, 
qu'elle  a  fourni  des  éléments  à  une  chronologie  de  monuments  archaï- 
ques où  il  n'y  a  pas  d'inscriptions  permettant  d'assigner  une  date  à 
peu  près  certaine.  Comme  elle  se  complique  d'autres  erreurs,  dues 
à  cette  hâte  de  généralisation  intuitive  qui  a  gâté  les  travaux  les  meil- 
leurs qui  aient  été  exécutés  dans  ce  coin  de  notre  domaine,  on  imagi- 
nera aisément  avec  quelle  réserve  il  convient  d'admettre  ce  qui  a  été 
dit  et  écrit  sur  l'histoire  la  plus  ancienne  de  l'Egypte. 

Le  présent  mémoire  est  intéressant  en  ce  qu'il  nous  fournit  un 
exemple  certain  de  la  persistance  des  types  de  la  poterie  à  travers  les 
âges.  C'est  au  village  de  Bené-Mansour,  l'antique  Abydos,  que 
Naville  constata  pour  la  première  fois  l'existence,  à  côté  d'une  qualité 
de  pots  fabriqués  au  tour  par  les  hommes,  d'espèces  très  inférieures 
modelées  à  la  main  par  les  femmes.  J'avais  naguère  remarqué  la  dis- 
tinction aux  villages  de  Nafs-Achmounéîn  et  de   Méchéikh  dans  la 


340  REVUE    CRITIQUE 

Moyenne  Egypte  :   je  dirai   aujourd'hui  que  l'usage  est  général,  au 
moins  dans  la  Vallée  proprement  dite,  car  il  n'a  pas  été  encore  observé 
dans  le  Delta.  Naville  donne  une  raison   très  vraisemblable  de  rem- 
ploi du  tour  par  les  hommes  seuls  :  le  potier,  assis,  le  place  entre  ses 
jambes  écartées,  et  la  nécessité  de  cet  écartement  suffit  pour  interdire 
aux  femmes  le  maniement  décent  de  l'instrument.  La  fabrication  à  la 
main  leur  permet  de  préparer  des  ustensiles  variés,  qu'elles  saupou- 
drent de  paille  hachée  ou   d'une   poussière  schisteuse  avant  de  les 
mettre  au  four  :  ils  servent  de  préférence  à  la  cuisson  des  aliments, 
et  les  gens  du  pays  prétendent  que  la  soupe  aux  lentilles  y  prend  meil- 
leur goi^t  que  dans  les  marmites  tournassées.  Quelques  mois  de  ser- 
vice  leur    impriment  un    cachet    d'antiquité,  et   lorsqu'elles  ont    été 
ébréchées  puis  jetées  au  rebut,  il  serait  souvent  difficile  de  les  distin- 
guer de  leurs  similaires  des  âges  archaïques,  n'était  leur  poids  qui  est 
plus  grand.  Naville  conclut  de  ces  observations,  et  je  l'approuve  com- 
plètement, qu'au  lieu  de  préjuger  que  la    présence  de  poteries    à   la 
main  dans  un  tombeau  marque  un  degré  inférieur  de  civilisation  ou 
une  recherche  d'archaïsme,  on  doit  simplement  se  dire  qu'on   a  sous 
les  yeux  l'œuvre  des  femmes  d'autrefois  :  ces  poteries  grossières  peu- 
vent s'y  trouver  à  côté  de   vases  plus  élégants,  des   vases   rouges  et 
noirs  fabriqués  au  tour,  et  le  mélange  des  deux  espèces  s'explique, 
pour  ces  temps  reculés  comme  pour  l'âge  présent,  par  des  différences 
d'emploi,  les  unes  étant  destinées  à  la  cuisine,  les  autres  étant  réser- 
vées à  la  table  dans  bien  des  cas.  Le  fait  seul  de  rencontrer  quelque 
part  des  vases  à  la  main  ne  nous  donne  aucune  indication  chronolo- 
gique, et  il  en  est  de  même  de  la  diversité  des  galbes  et  des  formes. 
Un  coup  d'œil  au  marché  des   villages   modernes  suffit  à  démontrer 
quelle  abondance  de  galbes  et  de  formes  ces  fabrications  féminines 
affectent  dans  un  même  canton,  et   la  diversité  augmente  quand  on 
passe  d'une  province  à  l'autre.  Les  touristes  ne  peuvent  s'empêcher 
de  noter  que  la  céramique  d'Assiout  et  celles  de  Kénéh  ou  d'Assouân 
ont  des  caractères  très  distincts  :  quand  on  parcourt  les  campagnes, 
on  voit  les  distinctions  se  multiplier  presque  de  ville  à  ville.    Il  en 
était  de  même  sous  les  Pharaons  ou  avant  eux.  Je  ne  sais  si  l'on  réus- 
sira jamais  à  établir  des  règles  précises  pour  rattacher  à  telle  ou  telle 
dynastie,  dans  telle  ou  telle  localité,  certaines  de  ces  formes  locales, 
et  pour  en  suivre  le  développement  :   je  m'assure  que  celles  qu'on  a 
voulu  établir  jusqu'à  présent  ne  tiennent  pas,  et  qu'elles  risqueraient 
de  tromper  souvent  les  savants  qui  se  fieraient  à  elles  seules  pour 

déterminer  l'âge  d'une  nécropole.  n    \/i 

^  ^ Cj.  Maspero. 

R.  W.  DE  BissiNG,  Praehistorische  Tœpfe  aus  Indien  und  aus  ^gypten  (Ex- 
trait des  Sitpmgsbericlite  de  l'Académie  des  Sciences  de  Munich,  191 1,  6'  fasc), 
191 1.  Munich,  in-S".  22  p.  et  3  pi. 

M.  de  Bissing  voulut,  lorsqu'il  écrivit  ce  mémoire,  mettre  en  garde 


d'histoire  et  de  littérature  341 

les  archéologues  qui,  placés  devant  certains  produits  des  céramiques 
antiques  de  l'Inde  et  de  l'Egypte,  seraient  tentes  de  conclure,  de  la 
grande  ressemblance  qu'elles  présentent,  à  l'inHuence  de  l'un  des 
deux  pays  sur  l'autre.  Après  avoir  marqué  les  traits  par  lesquels  on 
peut  les  rapprocher,  il  détermine  très  habilement  ceux  par  lesquels 
on  doit  les  séparer,  et  il  conclut  qu'il  y  eut  là  bien  certainement, 
éclosion  indépendante  de  formes  similaires,  dans  des  régions  qui 
n'avaient  aucun  rapport  l'une  avec  l'autre  au  temps  où  ces  genres  de 
poterie  y  étaient  employés.  Je  me  rappelle  avoir  été  fort  frappé  jadis 
des  analogies  qu'un  premier  examen  me  portait  à  établir,  entre  des 
vases  découverts  dans  des  tombeaux  péruviens  et  d'autres  qui  prove- 
naient de  l'Egypte  :  une  étude  plus  minutieuse  ne  tarda  pas  à  me 
démontrer  qu'il  n'y  avait  là  que  des  apparences,  et  ce  ne  fut  pas  un 
médiocre  désappointement  pour  l'amateur  qui  avait  attiré  mon  atten- 
tion sur  ce  point.  S'il  y  a  aujourd'hui  encore  quelques  personnes  qui 
entretiennent  l'illusion  de  rapports  très  anciens  entre  les  civilisations 
premières  de  l'Inde  et  de  l'Egypte,  le  petit  écrit  de  M.  de  Bissing  pro- 
duira sur  elles  une  impression  aussi  désagréable,  mais  je  ne  vois 
guère  commentelles  pourront  en  repousser  les  conclusions.  La  démons- 
tration est  en  effet  fort  claire,  et  les  planches  placent  très  heureuse- 
ment sous  les  yeux  du  lecteur  les  pièces  principales  de  la  controverse. 
Chemin  faisant,  l'auteur  touche,  dans  son  texte  et  surtout  dans  ses 
notes,  à  des  questions  sur  lesquelles  il  émet  son  avis  succinctement, 
et  qu'on  aimerait  le  voir  traiter  avec  le  développement  qu'elles  méri- 
tent, sur  la  provenance  de  l'étain  et  des  encens  en  Egypte,  sur  la 
patrie  du  froment  et  qui  le  cultiva  le  premier.  Je  recommande  la  lec- 
ture de  cette  brochure  à  tous  ceux  qui,  n'étant  pas  Égyptologues,  sont 
curieux  de  connaître  les  renseignements  que  l'Egypte  nous  fournit 
sur  ces  matières. 

G.  Maspero. 

A.  Meillet,  Introduction  à  l'étude  comparative  des  langues  indo-euro- 
péennes, 3"  éd.  augm.  et  corr.,  Paris,  Hachette,  1912,  xxvi  -1-  5o2  p.  (prix  : 
10  fr.). 

La  Revue  Critique  a  rendu  compte  soigneusement  de  V Introduc- 
tion de  M.  A.  Meillet  lors  de  sa  première  apparition  et  lors  de  sa 
seconde  édition.  L'objet  de  l'ouvrage  n'a  pas  changé  et  ses  traits 
essentiels  sont  restés  pareils  :  nous  ne  pouvons  donc  y  revenir  ici. 
Mais  il  est  de  notre  devoir  strict  de  relever  que  le  livre  de  M .  M.  est 
proprement  devenu  classique  puisqu'il  atteint  une  troisième  édition 
française,  alors  qu'il  est  traduit  depuis  déjà  quelque  temps  en  alle- 
mand et  depuis  peu  en  russe. 

Cette  troisième  édition  de  Vlntroduction  présente  d'ailleurs  des 
additions  et  des  changements.  Elle  compte  une  quarantaine  de  pages 
de  plus   que  la  précédente;  bien  des  détails  sont  modifiés,  remis  à 


p 

342  REVUE    CRITIQL'E  i 

jour.  Bref,  le  livre  est  au  courani  ci  il  a  mcme  cté  tenu  compte  de  la 
nouvelle  lan^^ue  indo-europcenne,  le  «  lokharien  »,  dont  les  décou- 
veries  d'Asie  Centrale  ont  révclc  l'cxisiencc. 

On  remarquera  surtout  que  l'exposé  de  la  méthode  et  aussi  le 
point  de  vue  de  Tauteur  en  général  ont  été  sensiblement  renouvelés. 
S'il  est  vrai  que  V Introduction  a  toujours  présenté  côte  à  côte,  joints 
et  comme  se  pénétrant,  les  faits  précis  et  les  idées  générales,  il  n'en 
reste  pas  moins  que  dans  cette  troisième  édition  la  grammaire  et  le 
développement  de  l'indo-européen  apparaissent  plus  que  jamais 
comme  un  cas  spécial  d'une  linguistique  générale  dont  on  n'attend 
guère  que  l'exposé  systématique  et  rationnel.  Va  parce  que  l'on  per- 
çoit nettement  que  cette  linguistique  générale  repose  sur  des  faits  très 
nombreux  et  très  variés,  on  sent  combien  le  livre  est  profond  et 
nourri  jusqu'à  travers  les  moindres  phrases. 

Voici  quelques  additions  à  l'errata  :  p.  74,  1.  8  du  bas  lire  vlr^ou»; 
pour  véou;  ;  p.  jy,  I,  i  il  faut  lire  représentait  0  et  Je  la  gutturale; 
p.  96,  tableau,  1.  i,  lire  ïr,  iir  au  lieu  de  ïn,  un;  p.  98,  la  note  2°  se 
rapporte  aussi  au  cas  de  è  {«)  ;  p.  99,  i.  16,  lire  (E-jy-aTÔv  ;  p.  327,  1.  4, 
lire  àirr^ypa  pour  aTC/i'jpoc;  p.  385,  1.  8  du  bas  Vneforha  «  épicéa  ». 

R,  Gauihiot. 

The   Frahang  i  Pahlavik  edited   by   Heinrich  Junker,    Heidelberg    1912,    Cari 
Wintcr's  Univcrsitatsbuchhandlung,  xu  +   128  p.,  prix  5  M.  20. 

L'édition  courante,  ou  mieux  la  seule  édition  d'allure  scientifique 
que  l'on  eût  Jusqu'ici  du  Frahang  i  pahlavik  était  celle  de  Haug  et 
Jamaspji  Asa  (1870).  Elle  était  fort  imparfaite  d'ailleurs  et  M.  Junker 
a  pu  écrire  justement  en  tête  de  sa  nouvelle  édition  qu'après  la  publi- 
cation du  mémoire  de  M.  G.  Salemann  (en  1878)  Ueber  eine  Parseu' 
handschrift  der  K.  œffentlichen  Bibliothek  ■{u  St-Petersbourg  «  con- 
fidence in  Haug's  édition  was  thoroughly  shaken  ».  Mais  l'édition 
d'un  texte  pehlvi  se  heurte  à  tant  de  difficultés  diverses,  en  partie 
imprévues,  que  Ton  n'osait  trop  espérer  une  réédition  du  Frahang  et 
qu'il  faut  louer  grandement  M.  J.  de  l'avoir  entreprise. 

Il  a  eu  pour  cela  à  sa  disposition  tout  un  lot  de  manuscrits  venant 
de  l'Inde,  que  les  Parsis  ont  eu  l'intelligence  et  la  générosité  de  lui 
communiquer.  Mais,  ainsi  qu'il  convient  en  matière  de  moyen  per- 
san deux  manuscrits  connus  par  ailleurs  lui  sont  restés  inacces- 
sibles. Ce  qui  est  plus  surprenant  et  ce  que  M.  J.  n'explique  pas 
(p.  vi),  c'est  qu'il  n'a  pas  eu  connaissance  directe  des  deux  manuscrits 
du  fonds  Anquetil  et  que  l'excellent  K'^  de  Copenhague  n'a  pu  être 
consulté  par  lui  qu'au  moment  où  son  travail  était  déjà  sous  presse. 
Ce  second  texte  au  moins  valait  bien  un  voyage. 

L'édition  de  M.  J.  remplacera,  sauf  bien  entendu  pour  ce  qui  est 
des  essais  de  Haug,  l'édition  de  1870.  Elle  est  faite  selon  les  habi- 
tudes correctes  des  philologues  occidentaux  :  description  des  manus- 


d'histoire  et  de  littérature  343 

crits,  classement,  comparaison,  rcsiituiion  de  la  forme  la  plus 
ancienne  se  suivent  correctement.  Après  le  texte  et  les  variantes, 
M.  J.  a  ajouté,  ainsi  e]u'il  convient,  un  lexique  de  tous  les  mots  du 
Fraliang,  avec  commentaire  à  l'occasion,  et  un  index  des  mêmes 
vocables  en  transcription  latine. 

N'ayant  entre  les  mains  qu'une  très  faible  partie  de  ses  instruments 
de  travail,  Ion  ne  peut  se  prononcer,  en  général,  que  sur  la  manière 
de  procéder  de  l'auteur  et  ses  résultats  d'ensemble  :  tous  deux  parais- 
sent justes.  M.  J.  a  eu  raison  de  distinguer  avec  soin  les  additions  en 
parsi  et  en  pàzcnd  du  texte  pelilvi,  de  prendre  ce  dernier  pour  base, 
de  revenir  au  groupement  des  mots  d'après  leur  sens. 

l^cut-ètre  la  linguistique  de  l'auteur  n'cst-elle  pas  toujours  très 
sûre.  Il  semble  qu'il  fasse  trop  bon  marché  de  l'opinion  de  Darmes- 
teter  sur  le  pehlvi  et  qu'il  fasse  quelque  violence  à  la  phrase,  pour- 
tant très  nette  de  M.  Salemann  sur  le  même  sujet  (p.  14  et  i5).  Sur- 
tout qu'il  aboutit  à  introduire  les  termes  de  étéogramme  (mot  iranien) 
et  de  hétérogj'amine  (idéogramme  ou  cryptogramme),  qui  ne  peuvent 
pourtant  se  rapporter  qu'à  des  graphies,  et  non  à  des  articulations. 
Voici  un  autre  exemple  :  M.  J.  parle  de  nax^âr  «  chef  militaire  » 
qu'il  rapproche  de  l'emprunt  iranien  en  arménien  naxarar.  Celui- 
ci  a  été  expliqué  par  M.  Meillet  comme  une  forme  refaite  sur 
pers.  "sdraoâra,  sàlàr,  par  M.  Andréas  par  le  nom  propre  attesté  chez 
Ammien  Nohodares ;  mais  il  est  en  fait  le  correspondant  correct  d'un 
*nax''a^àr  arsacide,  ou  persan  du  Nord,  dont  la  forme  persane  pro- 
prement dite  s'est  retrouvée  dans  les  textes  deTourfan  nwxwjT  et  est 
citée  par  M.  J.  lui-même  (cf.  Bartholomae,  I.  ¥.,  Beiheft,  p.  43, 
n.   I  ;  iMeillet,  M.  S.  L.,  t.  17,  p.  245). 

Mais  c'est  un  travail  philologique  au  premier  chef  que  M.  J.  a 
entrepris;  et  il  l'a  mené  à  bonne  (in,  malgré  son  aridité. 

R.  Gauthiot. 

Les  Odes  de  Salomon,  Traduction  française  et  introduction  historique,  par 
J.  Labourt  et  P.  BATiiFof.,  Paris,  Lecoffre,  191 1  ;  in-S",  vui-i23  pages. 

Das  Verstândais  der  Oden  Salomos,  von  W.  Frankknberg,  Giessen,  Tupelmann, 
1911  ;  in-8°,  io3  pages, 

Le  travail  de  MM.  Batiffol  et  Labourt  sur  les  Odes  de  Salomon  est 
digne  de  tout  éloge.  On  peut  négliger  la  petite  préface,  toute  pleine 
d'onction,  où  le  P.  Lagrange  conclut  de  l'unité  des  Odes  de  Salomon 
à  celle  de  l'Apocalypse.  La  traduction  des  Odes  est  de  M.  Labourt; 
elle  est  très  soignée  ;  on  a  voulu  la  faire  littérale  ;  pendant  qu'on  y 
était,  on  aurait  dû  marquer  le  parallélisme,  qui  est  constamment 
observé  dans  ces  pièces  lyriques.  L'introduction  historique  est  de 
M.  Batiffol  ;  elle  est  très  solide  et  documentée.  M.  B.  a  eu  une  hypo- 
thèse originale  au  sujet  de  l'auteur  :  l'attribution  viendrait  de  ce  que 
celui-ci  aurait  voulu  se  faire  passer  pour  Salomon  et  serait  entré 


^4 


REVUE    CRITIQUE 


dans  le  personnage  du  plus  sage  dos  rois,  arin  de  prophétiser  à  l'ins- 
tar de  David  et  de  parler  mC-me  au  nom  du  Christ,  comme  on  crovait 
que  David  l'avait  fait  dans  certains  Psaumes.  La  conjecture  est  ingé- 
nieuse et  séduisante.  Mais  il  semble  que,  si  elle  était  vraie,  le  faux 
Sa^omon  aurait  dû  se  désigner  plus  clairement  à  l'aiteniioii  du  lecteur. 
Aucun  trait  spécial  ne  suggère  l'identification  que  propose  M.  B. 
Un  prophète  chrétien  n'avait  pas  besoin  de  remonter  jusqu'à  David 
et  Salomon  pour  parler  au  nom  du  Christ.  Saint  Paul  ne  dit-il  pas 
que  le  Christ  vit  en  lui,  et  le  voyant  de  l'Apocalypse  n'écrit-il  pas 
pour  le  Christ  aux  sept  Eglises  ?  L'auteur  du  quatrième  Évangile  parle 
constamment  au  nom  de  Jésus.  L'adjonction  des  Odes  aux  Psaumes 
dits  de  Salomon  a  bien  pu  ne  se  faire  que  dans  la  tradition.  M.  B.  tient 
à  bon  droit  pour  l'unité  d'auteur  et  il  combat  l'hypothèse  de  M.  Har- 
nack  sur  l'origine  juive  des  Odes,  avec  interpolations  chrétiennes. 
La  christologie  des  Odes  se  ramènerait  à  «  une  théophanie  docète  », 
et  leur  sotériologie  à  «  l'illumination  par  la  connaissance  >>  ;  leur  chris- 
tianisme n'aurait  «  rien  de  gnostique  »  ;  ce  serait  «  un  mysticisme 
d'essence  grecque,  provenant  du  milieu  où  le  quatrième  Évangile 
s'est  produit  »;  et  ce  mysticisme  en  marge  de  la  grande  Église  serait 
celui  que  combat  Ignace  d'Antioche  »;  on  pourrait  «  le  localiser  en 
Syrie,  en  Asie  peut-être  encore,  et  le  dater  de  la  période  100-120  ». 
Mais  tout  cela  est  fort  conjectural  ;  et  comme  M.  B.  en  convient,  il  est 
inutile  d'insister. 

Les  Odes  ayant  été,  selon  toute  vraisemblance,  composées  en  grec, 
M.  Frankenberg  a  pris  à  tâche  d'en  reconstituer  le  texte  primitif. 
Dans  sa  préface,  il  observe  assez  justement  que  l'on  a  beaucoup 
exagéré  l'importance  d'un  document  qui  ne  jette  pas  grande  lumière 
sur  les  origines  chrétiennes,  sur  la  tradition  concernant  Jésus,  sur  la 
composition  du  quatrième  Évangile.  Mais  il  pourrait  bien  tomber 
dans  un  autre  excès  quand  il  n'y  découvre  aucune  originalité,  aucune 
beauté.  Et  il  s'avance  beaucoup  en  affirmant  que  les  Odes  sont  une 
œuvre  purement  littéraire,  sans  aucun  rapport  avec  le  service  religieux 
d'un  communauté  particulière,  et  s'adressant  à  l'Eglise  dans  le  sens 
mystique.  M.  F.  ne  semble  pas  avoir  considéré  sa  traduction  grecque 
comme  un  essai  plus  ou  moins  hypothétique,  simplement  utile  pour 
l'intelligences  des  Odes;  le  texte  qu'il  a  voulu  rétablir  sert  de  base  à 
l'interprétation  particulière  qu'il  entend  donner  de  cette  œuvre  pour 
nous  pleine  d'obscurités.  Par  des  rapprochements  tires  des  anciens 
auteurs  chrétiens,  il  croit  pouvoir  soutenir  que  le  symbolisme  des 
Odes  est  tout  psychologique,  si  l'on  peut  dire,  et  concerne  l'action  du 
Logos  dans  les  âmes.  Point  de  vue  systématique  et  trop  exclusif. 
A  lire  l'Ode  xlii,  où  est  décrite  la  descente  du  Christ  aux  enfers, 
on  ne  se  douterait  pas  que  les  morts  délivrés  par  le  Fils  de  Dieu  soient 
les  facultés  de  l'âme  ;  et  même  après  lecture  du  commentaire  de  M.  F., 
il  est  permis  de  n'en  être  pas  convaincu.   De  même  pour  le  fameux 


d'histoirk  et  de  littérature  343 

passage  de  TOde  iv,  sur  le  temple,  qui  a  induit  M.  Harnack  à  penser 
que  Fauteur  était  juif.  On  a  pu  faire  toutes  sortes  d'hypothèses  sur  ce 
temple,  les  uns  y  voyant  le  paradis,  les  autres  TEglise,  d'autres  la 
société  des  saints  du  ciel  et  de  la  terre;  mais  que  ce  lieu  saint  «  qu'on 
ne  peut  changer  de  place  »,  qui  a  été  «  désigné  avant  que  les  lieux 
fussent  créés  )>,  soit  l'àmedu  fidèle,  on  ne  lavait  pas  soupçonné. 
M.  F.  le  dit.  On  conçoit  qu'il  ait  pu  découvrir  le  même  symbolisme 
partout  ;  mais  on  croira  difficilement  qu'il  ait  retrouvé  la  véritable 
clef  des  Odes  de  Salomon. 

Alfred  Loisy. 


Ueber  den  privaten  Gebrauch  der  heiligen  Schriften  in  der  alten  Kirche, 

von  A.  Haunack,  Leipzig,  Hinrichs,   i<ji2  ;  in-8',  vii-i  1 1  pages. 

M.  Harnack  trouve  un  triple  intérêt  à  la  question  de  l'usage  privé 
des  Livres  saints  dans  l'ancienne  Église  :  d'abord,  c'est  matière  à  dis- 
cussion, depuis  la  Réforme,  entre  catholiques  et  protestants;  ce  fut, 
dans  la  polémique  entre  Goeze  et  Lessing,  un  débat  qui  n'a  pas  été 
clos;  enfin,  étant  donné  le  secret  gardé  sur  les  livres  sacrés  dans  les 
cultes  de  mystères,  il  n'est  pas  indifférent  de  savoir  si  l'Eglise  des  pre- 
miers siècles  les  a  imités.  Il  y  aurait  une  quatrième  raison  qui  voudrait 
mieux  que  ces  trois  :  l'importance  réelle  du  sujet.  C'est  cette  raison 
qui  fait  la  valeur  scientifique  de  l'étude  que  M.  H.  vient  de  consacrer 
au  problème  dont  il  s'agit.  L'éminent  historien  a  montré,  par  un 
ensemble  de  témoignages  bien  commentés,  que  la  lecture  des  Livres 
saints  tant  de  l'Ancien  que  du  Nouveau  Testament  n'était  soumise  à 
aucune  restriction  dans  les  premiers  siècles  du  christianisme  ;  par  la 
même  occasion,  il  fait  voir  comment  celte  lecture  était  pratiquée. 

Après  cela,  il  n'était  pas  autrement  nécessaire  d'insister  sur  ce  que 
l'Église  romaine  a  innové  quand  elle  a  restreint  l'usage  des  Écritures. 
L'Éslise  romaine  en  a  fait  bien  d'autres.  Le  changement  dans  sa 
manière  de  traiter  la  Bible  est  en  rapport  avec  l'ensemble  de  son  évo- 
lution et  n'a  peut-être  pas  en  soi  l'importance  énorme  que  les  protes- 
tants sont  naturellement  tentés  de  lui  attribuer.  M.  H.  s'est  offert  aussi 
un  facile  triomphe  en  démontrant  par  la  publicité  des  Livres  saints 
que  le  christianisme  ne  pouvait  pas  être  un  culte  de  mystère.  Il  n'est 
pas  question  de  considérer  le  christianisme  comme  un  culte  absolu- 
ment semblable  à  celui  de  la  Grande  Mère,  d'Isis  ou  de  Mithra,  mais 
de  savoir  si  le  christianisme  ne  doit  pas  quelque  chose  et  beaucoup 
aux  cultes  de  mystères.  Les  écrits  du  Nouveau  Testament  sont  ici 
hors  de  cause  :  ils  n'ont  pas  été  rédigés  pour  contenir  un  exposé 
authentique  de  la  doctrine  chrétienne  et  des  rites  chrétiens. 

Alfred  Loisy. 


346  REVUE    CRITIQUE 

Léon  DuBRKiii.,  docteur  es  lettres,  La  vente  des  biens  nationaux  dans  le 
département  des  Côtes  du-Nord,  1790-1830.  l'aris.  11.  Ch;iinpiuii,  nji-i, 
wm  et  70.^  p.  gr.  in-S".  1  fi  IV.  —  Le  régime  révolutionnaire  dans  le  dis- 
trict de  Dinan,  25  nivôse  an  11-30  floréal  an  III.  l'aris,  M.  Champion, 
iQia.cxxiii  et  i83  p.  in-80  raisin,  7  l'r.  5o. 

La  thèse  principale  de   M.    Dubreuil  csi  la   meilleure  étude  que  je 
connaisse,  la  plus  cumplèie  et  la  plus  critique  sur  ce  sujet  difficile  de 
la  vente  des  biens  nationaux.  Sans  doute,   M.  Dubreuil  a  beaucoup 
protité  de  Texcellent  livre  de  M.  Mariun   paru  il  y  a  trois  ans,  mais  il 
y  a  aussi  beaucoup  ajouté.   Avec  une  précision   minutieuse  il   a  mis 
en  relief  la  corrélation  étroite  et  continuelle  entre  le  mouvement  poli- 
tique et  les  ventes.  On  savait  déjà  que  la  grande  majorité  des  acqué- 
reurs étaient  des  bourgeois,  hommes  de  loi, ou  négociants,  mais  ce 
qu'on  ignorait,  c'est  que  ces  acquéreurs  tenaient  de  si  près  au  nouveau 
régime.  Dans  les  Côtes-du-Nord,  les  membres  des  diverses  adminis- 
trations ont  accaparé  pour  eux  seuls  la  plus  grande  part  des  biens  du 
clergé  et  des  biens  des  émigrés.  Ceci  ressort  nettement  des  constata- 
tions de  M.  Dubreuil.  Gela  apparaîtrait  mieux  encore  s'il  avait  pris 
soin  de  grouper    dans  un   tableau  d'ensemble   les  acquisitions  des 
fonctionnaires    révolutionnaires    en    regard  des   autres.     A  un    seul 
moment,  les  biens  nationaux  échappèrent  à  la  classe  des  bourgeois 
tricolores,  pendant  les  deux  premières  années  du   Directoire,  quand 
les  royalistes  déguisés  s'emparèrent  des  élections.   Alors,  les    nou- 
veaux administrateurs  favorisèrent  les  achats  des  parents  d'émigrés 
qui  rachetèrent  la  moitié  des  biens  mis  en  vente.  On  comprend  que 
les  révolutionnaires  exclus  des  enchères  aient  poussé  au  coup  d'Etat 
du    18  fructidor  qui  leur  rendit  la   haute   main    sur    la   riche  proie 
convoitée. 

On  savait  déjà  que  dépuis  le  9  thermidor  les  biens  nationaux 
s'étaient  vendus  à  vil  prix,  pour  une  bouchée  de  pain.  Les  tableaux 
de  M.  Dubreuil  accumulent  les  faits  précis  à  l'appui  de  cette  conclu- 
sion. Des  domaines  furent  vendus  en  Tan  IV  pour  des  sommes  infé- 
rieures à  leur  revenu  annuel  (p.  279). 

On  soupçonnait  que  les  spéculateurs  avaient  fait  des  affaires  d'or. 
Ce  soupçon  devient  ici  une  certitude.  Dès  la  chute  de  Robespierre 
les  agioteurs  accaparent  les  ventes,  après  le  18  fructidor  ils  réus- 
sissent à  écarter  complètement  des  enchères  les  simples  particuliers. 
«  Le  métier  de  procurateur  commence  à  s'établir  d'une  matière 
sérieuse  ;  il  est  de  plus  en  plus  rémunérateur  et  nous  verrons  bientôt 
le  secrétaire  général  de  l'administration  lui  même,  Claude  Le  Gorrec, 
se  faire  le  représentant  rétribué  de  la  compagnie  Chevalier  et  inter- 
venir en  cette  qualité  dans  le  plus  grand  nombre  des  ventes,  tout  au 
moins  à  titre  d'enchérisseur.  Déjà  se  constitue  entre  les  fondés  de 
pouvoir  cette  espèce  d'association  occulte  qui  s'efforcera  d'imposer 
son  entremise  à  tous  les  enchérisseurs  et  que  nous  verrons  en  l'an  VII 
se  venger  de  ceux  qui  dédaignaient  ses  offices  en  faisant  monter  les 


d'histoire  et  de  littérature  347 

enchères  à  un  prix  exorbitant  »  (p.  337).  C'est  l'âge  d'or  des  bandes 
noires. 

A  lire  ce  livre  un  peu  ardu  mais  suggestif,  on  comprend  mieux 
pourquoi  la  Révolution  a  échoue.  Elle  est  devenue  de  plus  en  plus  la 
chose  d'une  caste,  d'une  bande.  Le  peuple  s'est  peu  à  peu  retiré  d'elle. 
Les  paysans  n'ont  pas  acheté  le  cinquième  de  la  propriété  ecclésias- 
tique mise  en  vente,  ils  n'ont  pour  ainsi  dire  rien  acquis  de  la  pro- 
priété nobiliaire.  «  Il  est  à  craindre,  dit  M.  D.,  que  les  cultivateurs, 
surtout  ceux  de  l'est  (du  département),  n'aient  connu  de  la  Révolution, 
si  l'on  en  excepte  l'abolition  du  régime  féodal,  que  les  réquisitions 
d'hommes,  d'animaux  ou  de  choses,  et  la  crise  financière  due  au  dis- 
crédit du  papier-monnaie  parce  qu'ils  devaient  les  subir  »  (p.  638). 
Sous  la  plume  d'un  historien  de  gauche  ces  lignes  prennent  une 
gravité  singulière  '. 

En  guise  de  thèse  complémentaire,  M.  Dubreuil  a  publié  un 
registre  de  correspondance  du  district  de  Dinan  pendant  l'époque  de 
la  Terreur  12  5  nivôse  an  II,  3o  floréal  an  III),  Le  registre  contenait 
surtout  des  comptes  décadaires.  J'ai  signalé  il  y  a  dix  ans  déjà  l'intérêt 
historique  de  ces  précieux  comptes  décadaires"  et  Je  ne  suis  pas  surpris 
devoir  que  M.  D.  confirme  ici  mes  prévisions.  Il  reconnaît  que  ce 
qui  fait  l'intérêt  de  sa  publication,  ce  sont  précisément  ces  «  comptes- 
rendus  analytiques  de  la  décade  »  (p,  xviii).  Rédigés  avec  beaucoup 
de  soin  et  de  précision  pendant  la  Terreur,  ils  étaient  dépouillés  avec 
soin  par  les  agents  du  Comité  de  Salut  public  qui  les  annotaient.  Ils 
constituent  une  mine  de  renseignements  de  toute  sorte. 

De  l'importante  introduction  de  M.  D . ,  je  ne  veux  retenir  que  cette 
constatation,  c'est  que  l'administration  du  district  fut  infiniment  plus 
ferme,  plus  probe,  plus  habile  sous  la  Terreur  proprement  dite 
qu'après  le  9  thermidor.  Les  thermidoriens,  ici  comme  partout,  ne 
surent  que  gaspiller  et  désorganiser  \ 

Albert  Mathiez. 

Henri  Dehérain,  Dans  l'Atlantique,  Paris,  Hachette,  1912,   in-i6,  viii  et  243  p., 
5  cartes,  3  fr,  5o. 

M.  Dehérain  continue  avec  succès  ses  explorations  dans  l'histoire 
de  l'Afrique,  et  on  le  suivra  dans  son  nouvel  ouvrage  avec  d'autant 
plus  de  plaisir  qu'on  y  retrouvera  les  qualités  appréciées  dans  les  pré- 

1 .  Faute  de  s'être  reporté  au  compte-rendu  que  j'ai  donné  du  livre  de  M,  Marion 
dans  la  Revue  critique,  M.  D.  croit  encore  que  Marie-Antoinette  spécula  sur  les 
biens  nationaux  (p.  6i3).  M.  D.  ignore  les  études  de  M.  Vermale  sur  la  vente  des 
biens  nationaux  parues  dans  les  Annales  Révolutionnaires.  Sa  bibliographie  prête 
à  la  critique.  Fondé  de  pouvoir  se  disait  en  ce  temps-là  procurateur  et  non,  comme 
M.  D.  Yécv'w,  procureur . 

2.  Dans  deux  articles  de  la  Revue  d'histoire  moderne,  t.  IV  et  t,  V. 

3.  Je  ne  comprends  pas  que  M.  D.  se  serve  du  terme  de  démocrates  pour  qua- 
lifier les  thermidoriens.  Pourquoi  ne  pas  conserver  les  termes  de  l'époque? 


348  REVDE    CRITIQIE 

ccdcnts  :  la  sûreté  de  l'information,  riicureuse  utilisation  des  docu- 
ments,   enlin   la   clarté  et  l'élégance  de    la    narration.    M.    D.  étudie 
Sainte- Hélène  avant  le  j(jur  où  cette  île  acquit  la  célébrité  comme 
prison  de  Napoléon.  Sa  position  sur  la  route  des  Indes,  les  ressources 
qu'elle   offrait   aux  navires,   attirèrent  sur   elle   l'attention  des   deux 
grands  peuples  navigateurs  du  xvii=  siècle;  mais  les  Anglais  y  devan- 
cèrent les  Hollandais,  et  surent  conserver  malgré  eux  cette  position. 
Parmi  les  gouverneurs  qui  s'y  succédèrent,  M.  D.  a  relevé  le  nom 
d'un  huguenot  français,  Etienne  Poirier,  et  a  esquissé  la  carrière  de 
ce  réfugié  qui  eut  le  cruel  devoir  de  défendre  l'île  contre  ses  anciens 
compatriotes.    Pour    développer   les    cultures   à    Sainte-Hélène,    les 
Anglais  y  importèrent  des   noirs,  et  l'auteur  nous  donne  des  détails 
curieux  sur  l'existence  de  ces  esclaves.  Situé  plus  au  sud  que  Sainte- 
Hélène,  mais  encore  sur  la  route  des   navires,  le  petit  archipel  de 
Tristan  da  Cunha  fut  occupé  par  les  Anglais  pendant  la  captivité  de 
Napoléon.  L'empereur  mort,  la  garnison  rappelée,  quelques  soldats 
colonisèrent  l'île  principale  où  subsistent  encore  leurs  descendants. 
M.  D.  a  raconté  le  premier  l'histoire  de  la  petite  population  qui  vit 
dans  ces  îles,  isolée  du  reste  du  monde,  sans  lois  et  sans  gouverne- 
ment. Le  volume  se  termine  par  une  biographie  développée  du  natu- 
raliste Auguste  Broussonet,  membre  de  l'Institut  et  député  à  la  Légis- 
lative. Chassé  de  France  par  la  Terreur,  Broussonet  se  réfugia  au 
Maroc  «  comme  pays  allié  de  la  France  et  ne  renfermant  aucun  Fran- 
çais ennemi  de  la  patrie.  »   Radié  de  la  liste  des  émigrés,  mais  ruiné 
par  la  Révolution,  il  obtint,  le  i5  mai  1797,  la  place  de  vice-consul  à 
Mogador,  et  y  cumula  ses  fonctions  diplomatiques  avec  une  mission 
scientifique  de  l'Institut.  Moins  d'un  an  après,  la  peste  l'obligea  à  quit- 
ter Mogador  et  à  se  retirer  aux  Canaries  où  il  continua  ses  recherches 
botaniques.  Les  aventures   de   ce  savant  égaré  dans  la  politique  ne 
manquent  pas  de  saveur. 

A.  Biovî;s. 

Jules  Mancini  :  Bolivar  et  l'émancipation  des  colonies  espagnoles,  des  ori- 
gines à  1815,  Paris,  Perrin,  1912,  in-8»,  606  p.,  carte,  7  tV.  5o. 

La  vie  de  Bolivar,  dit  M.  Mancini,  sert  de  cadre  à  la  révolution 
américaine  dont  il  est  le  principal  protagoniste;  et  il  s'autorise  de 
cette  conception  pour  mettre  son  livre  sous  le  patronage  du  Libéra- 
teur bien  que  celui-ci  ait  joué  un  rôle  effacé  et  secondaire  jusqu'à  la 
fin  de  18 12  (p.  442).  M.  M.  recherche  d'abord  les  causes  de  la  révolte, 
et  remonte  jusqu'à  la  conquête  pour  retrouver  chez  les  autochtones 
les  germes  de  l'esprit  d'indépendance.  L'administration  déplorable  et 
tyrannique  des  Espagnols,  les  excès  de  l'Inquisition,  l'incapacité  des 
gouverneurs  aliénèrent  la  population,  surtout  les  créoles,  fiers  de 
leurs  richesses,  et  ulcérés  du  mépris  que  leur  témoignaient  leurs 
frères  européens.  Les  réformes  tentées  par  les  ministres  de  Charles  III 


d'histoire  et  de  littérature  349 

ne  satisfirent  pas  les  colons  et  leur  révélèrent  des  horizons  inconnus. 
L'expulsion  des  Jésuites,  qui  avaient  travaillé  avec  succès  au  bien 
erre  et  à  riiistruction  des  habitants,  fut  une  des  plus  lourdes  fautes 
commises  (p.  66).  De  fréquentes  révoltes,  en  particulier  celles  des 
Comiineros  et  de  Tupac-Amaru,  trahissaient  l'impatience  avec  laquelle 
les  Américains  supportaient  le  joug.  M.  M.  insiste  avec  raison  sur 
l'influence  que  les  philosophes  exercèrent  sur  les  classes  éclairées,  et 
il  cite  le  cas  de  Bolivar  lui-même,  élevé  selon  les  préceptes  de  VEmile 
par  un  personnage  qui  n'était  que  «  la  caricature  de  Jean-Jacques  » 
(p.  1  19  .  11  y  avait  donc  à  la  fin  du  xviu^  siècle  une  élite  acquise  aux 
idées  libérales,  et  d'autant  plus  pressée  de  les  appliquer  que  l'exemple 
des  Etats-Unis  sollicitait  son  émulation,  stimulait  ses  espoirs.  La 
Révolution  française  excita  son  enthousiasme,  et  la  traduction  de  la 
déclaration  des  droits  de  l'homme  par  Narina,  eut  chez  elle  un  grand 
retentissement;  mais  la  masse  du  peuple  restait  insensible,  et  refusait 
de  suivre  les  patriotes,  les  Procerès,  dans  la  voie  qu'ils  lui  mon- 
traient. Enfin,  survinrent  les  événements  de  Bayonne,  l'usurpation 
de  Napoléon.  Les  créoles '•riches  et  instruits,  affiliés  aux  sociétés 
secrètes,  s'emparèrent  de  la  direction  du  mouvement  et  profitant  de 
la  crise  terrible  où  se  débattait  l'Espagne,  ils  proclamèrent  l'indépen- 
dance. Ainsi  fut  créée  la  première  république  du  Venezuela.  Le 
général  Miranda,  le  Précurseur,  en  fut  le  principal  personnage,  mais 
se  heurta  aux  jalousies  et  aux  discordes  des  Procerès.  M.  M.  convient 
que  la  proclamation  de  l'indépendance  avait  été  prématurée,  que  le 
peuple  était  parfaitement  incapable  de  mettre  en  pratique  la  Consti- 
tution «  où  les  rêveries  du  Contrat  social  et  les  leçons  de  l'Esprit  des 
lois  se  mêlaient  aux  doctrines  de  l'Amérique  du  nord  ».  Quant  au 
zèle  des  Vénézuéliens  pour  défendre  leur  liberté,  qu'on  en  juge  par  la 
façon  dont  il  fallut  recruter  les  légions  républicaines  (p.  379)  :  «  la 
majeure  partie,  arrachés  de  force  à  leurs  occupations  agricoles, 
avaient  été  conduits  à  Caracas,  les  menottes  aux  mains  ».  Malgré  la 
faiblesse  de  leurs  ressources,  les  généraux  espagnols  renversèrent 
aisément  la  république  de  Venezuela,  et  Miranda,  livré  par  ses  lieute- 
nants, alla  terminer  sa  carrière  dans  les  prisons  de  Cadix.  Bolivar 
n'avait  pas  joué  un  rôle  bien  honorable  dans  cette  aventure,  et  c'est 
en  vain  que  M.  M.  veut  l'excuser.  Le  triomphe  des  Espagnols,  absor- 
bés par  leur  lutte  contre  les  Français,  fut  de  courte  durée.  Sur  de 
nombreux  points  du  continent,  des  groupes  de  patriotes  se  mainte- 
naient. Bolivar,  réfugié  à  Carthagène,  entra  au  service  de  la  Nouvelle 
Grenade,  et  se  lança  avec  une  poignée  de  braves  à  la  délivrance  de  sa 
patrie.  Son  audace,  sa  ténacité,  sa  fortune  lui  permirent  de  rentrer  à 
Caracas  et  d'y  rétablir  la  republique.  Il  est  désormais  le  chef  du  parti 
de  l'Indépendance,  le  Libérateur.  Mais  les  Espagnols,  soutenus  par 
une  grande  partie  de  la  population,  ne  renoncent  pas  encore  à  l'em- 
pire, et  la  guerre  prend  le  caractère  de  violence  et  de  cruauté  fré- 


35o  REVUE    CRITIQUE 

qucnt  dans  les  luttes  intestines.  Des  deux  côtés  on  achève  les  blessés, 
on  extermine  les  prisonniers,  on  brûle  les  villes,  on  massacre  les 
habitants.  Bolivar  trouve  moyen  de  se  faire  remarquer  au  milieu  de 
toutes  ces  horreurs  :  de  sang  froid,  il  donne  Tordre  de  tuer  un  millier 
de  captifs  détenus  depuis  plus  d'une  année  dans  les  prisons  républi- 
caines, et  parmi  lesquels  on  trouve  surtout  des  marchands  ou  bour- 
geois suspects  de  fidélité  à  leur  ancien  souverain,  des  vieillards  décré- 
pits, hors  d'état  de  tenir  une  arme,  même  de  marcher  et  que  l'on 
portera  au  supplice  sur  des  fauteuils  (p.  541).  Malgré  M.  M.,  l'his- 
toire n'absoudra  pas  facilement  Bolivar  de  ce  crime,  qui,  d'ailleurs, 
fut  inutile  :  les  Espagnols  renversèrent  de  rechef  la  république,  et  le 
Libérateur,  menacé  du  sort  que  lui-même  avait  infligé  à  Miranda,  dut 
fuir  sa  patrie. 

M.  Mancini  racontera  sans  doute  plus  tard  comment  Bolivar 
secoua  définitivement  les  chaînes  de  l'Amérique;  dans  son  présent 
volume,  un  peu  compacte  et  désordonné,  écrit  trop  souvent  avec 
emphase,  il  ne  réussit  pas  à  établir  le  Libérateur  sur  le  piédestal  qu'il 
lui  destinait.  Son  parti  pris  est  trop  manifeste,  et  son  admiration 
pour  l'Amérique  et  les  Américains,  démesurée.  Ne  parle-t-il  pas  de 
ces  «  vingt  républiques  qui  grandissent  sous  les  regards  enfin  séduits 
de  rUnivers  »,  sans  réfléchir  que  ces  louanges  aux  pays  administrés 
par  le  président  Castro  et  ses  émules  paraîtront  exagérées! 

A.  BiovÈs. 


Regnault  de  Beaucaron,  Souvenirs  de  famille.    Paris,  Pion,  191 2,  in-8°,  480  et 
425  p. 

La  famille  de  M.  Regnault  de  Beaucaron  a  Joué  un  rôle  honorable, 
mais  modeste;  elle  ne  compte  aucun  personnage  ayant  marqué  dans 
son  temps,  aucun  auteur  de  mémoires  ou  de  souvenirs;  on  ne  sait 
même  si  elle  a  conservé  des  livres  de  raison  ;  et  cependant  M.  de  B., 
qui  avait  déjà  tiré  de  ses  archives  un  volume  de  souvenirs  anecdo- 
tiques,  en  publie  deux  nouveaux  avec  pour  sous-titre  :  Voyages  et 
Agriculture.  Pour  les  remplir,  il  a  utilisé  toutes  les  correspondances 
familiales,  empruntant  même  à  ses  alliés  et  à  ses  amis;  il  n'a  pas 
craint  d'allonger  encore  son  texte  par  des  commentaires,  qui  n'ont 
pas  toujours  le  mérite  de  l'inédit,  comme,  par  exemple,  les  explica- 
tions fournies  (I,  167-168)  sur  la  différence  existant  entre  le  Desaix, 
tué  à  Marengo,  et  le  Dessaix,  surnommé  le  Bayard  de  la  Savoie.  Ses 
petits-enfants,  à  qui  il  destine  ses  ouvrages,  s'y  complairont  sans 
doute,  mais  les  lecteurs  ordinaires  ne  seront  que  trop  souvent  déçus 
dans  leur  curiosité  légitime.  Après  une  agréable  causerie  sur  le  passé 
de  M.  de  Maricourt,  qui  sert  de  préface,  nous  citerons  des  lettres 
écrites  de  l'île  de  Bourbon  auxxvn®  et  xviii^  siècles,  lettres  contenant 
quelques  notions  sur  l'existence  des  colons  et  sur  leurs  cultures.  Une 


d'histoire  et  de  littérature  35 I 

autre  correspondance  nous  conduit  à  Saint-Domingue,  et  nous  fait 
assister,  d'un  peu  loin  maliieureusement,  à  la  terrible  révolte  des 
noirs,  aux  excès  de  Toussaint  Louvcnurc  et  de  ses  lieutenants,  enfin 
à  la  dernière  résistance  des  Français  dans  la  partie  espagnole  de  l'île. 
On  remarquera  encore  un  récit  de  Musset  Pathay  qui  se  trouvait  sur 
les  derrières  de  l'armée  pendant  la  campagne  de  Marengo,  et  qui  se 
pique  de  ne  même  pas  nommer  le  général  Bonaparte  ;  les  aventures 
d'un  gendarme  d'ordonnance,  engagé  à  la  fin  de  1806,  amputé  et 
retraité  après  Eckmiihl.  Avec  la  Restauration,  les  archives  plus  four- 
nies permettent  à  l'auteur  de  reconstituer  la  vie  qu'on  menait  alors  à 
Sens  et  à  Tonnerre.  On  suit  ensuite  ses  ancêtres,  devenus  très  voya- 
geurs, en  Suède,  Finlande,  Russie,  Angleterre,  Irlande,  Italie,  jus- 
qu'au Mexique  et  au  Canada,  mais  surtout  dans  tous  les  coins  de  la 
France.  Il  y  a  dans  cette  partie  des  détails  piquants  et  instructifs  sur 
la  façon  dont  on  voyageait  alors,  mais  M.  de  Beaucaron  conserve 
tout,  sans  discernement,  jusqu'à  une  banale  relation  d'excursion  en 
Bretagne  en  1881.  Aussi  l'histoire  ne  glanera-t-elle  dans  ces  gros 
volumes  que  de  rares  miettes. 

A.  BiovÈs. 


Capitaine  Sorb,  La  doctrine  de   la  défense   nationale,  Paris,  Berger-Levrault, 

igi2,  in-8°,  416  p.,  7  fr.  5o. 
Jules  Poirier,  L'officier,  le  haut  commandement  et  ses  aides  en  Allemagne, 

Paris,  Chapelet,   191  2,  in-12,  XXV  et  252  p.,  3  fr.  3o. 
Comte  WiTTE,  La    guerre   avec  le  Japon,  Déclarations    nécessaires,   Paris, 

Berger-Levrault,   igi  i,  in-80,  77  p.,  2  fr.  5o. 
Docteur  Boigey,  Le  Massif  des  Béni    Snassen,  Paris,    Delagrave,    1912,  in-8», 

80  p.,  grav. 

Le  capitaine  Sorb  a  entrepris  de  résoudre  «  le  problème  de  la  guerre 
et  de  la  mise  en  œuvre  de  toutes  les  ressources  organisées  en  vue  de 
notre  défense  nationale  ».  La  tâche  était  ardue,  mais  la  nécessité 
d'une  doctrine  de  défense  nationale  s'impose,  et  celte  doctrine,  qui  ne 
peut  être  établie  qu'avec  la  collaboration  des  Affaires  étrangères,  de  la 
Guerre,  de  la  Marine,  des  Colonies,  des  Finances,  doit  être  conçue 
dès  le  temps  de  paix  pour  prévenir  toute  surprise  en  cas  de  conflit 
soudain.  M.  S.  est  amené  par  la  situation  politique  de  l'Europe  à  exa- 
miner l'éventualité  d'une  lutte  entre  la  Triple  alliance  et  la  Triple 
entente,  ou  plus  exactement  entre  l'Allemagne  et  la  France.  On  n'a 
que  des  hypothèses  sur  le  plan  médité  par  nos  adversaires;  mais  l'au- 
teur estime  que  les  considérations  logiques,  appuyées  sur  les  idées 
exprimées  parles  écrivains  militaires  allemands,  et  sur  des  faits  incon- 
testables comme  le  tracé  des  voies  ferrées,  le  nombre  et  l'emplace- 
ment des  quais  de  débarquement,  le  système  des  fortifications,  per- 
mettent une  quasi-certitude.  11  déduit  de  ces  données  que  les  armées 
allemandes  tenteront  un  grand  mouvement  débordant  par  leur  droite, 
en  violant  la  neutralité  de  la  Belgique  et  du  Luxembourg,  incapables 


352  REVUE    CRITIQUE 

de  la  défendre.  L'armée  française  ne  saurait  attendre  sur  ses  positions 
le  résultat  de  la  manœuvre  ennemie  :  la  défensive  absolue  est  con- 
damnée par  toutes  les  écoles.  Battra-t-elle  en  retraite?  Se  retirera-!- 
elle  sur  une  position  reculée  pour  prolonger  la  guerre?  Beaucoup  de 
gens  en  France  préconisent  cette  lactique  qui,  si  elle  réussit,  per- 
mettra à  nos  alliés  russes,  dont  la  mobilisation  sera  forcément  lente, 
d'entrer  en  ligne  et  d'opérer  une  puissante  diversion  ;  à  nos  amis 
anglais  de  nous  envoyer  un  contingent  important;  elle  nous  donnera 
enfin  les  bénéfices  de  notre  supériorité  financière.  M.  S.  s'acharne 
contre  cette  conception  de  la  guerre  :  avec  les  armées  modernes  aux 
effectifs  énormes  et  inexpérimentés,  il  serait  insensé  de  rompre  le 
combat,  de  manoeuvrer  en  retraite.  Donc,  pour  différer  la  bataille 
décisive,  on  devra  reculer  rapidement  avant  de  s'être  laissé  accrocher  ; 
ce  recul  qui  ressemblera  à  une  fuite,  déprimera  malgré  tout  le  moral 
de  l'armée  et  de  la  population,  livrera  à  l'ennemi  de  riches  provinces 
dont  il  s'appropriera  les  ressources.  L'auteur  croit  qu'il  faut  tenir 
ferme  dès  le  début  et  préparer  une  riposte  opportune.  Il  se  défend 
d'écrire  un  roman  sur  la  guerre  de  demain,  mais  succombe  à  la  ten- 
tation d'opposer  des  plans  à  ceux  attribués  à  l'ennemi.  Il  y  a  là  une 
longue  suite  de  pages  que  l'absence  de  carte  rend  presque  inintelli- 
gibles, et  qui  ressemblent  beaucoup  à  un  exercice  de  Kriegspiel. 
Que  les  spécialistes  apprécient  les  mouvements  préconisés  par  le  capi- 
taine S.  ;  nous  accepterons  seulement  le  principe  posé  par  lui,  à  savoir 
que  le  sort  de  la  campagne  dépendra  essentiellement,  sinon  unique- 
ment, des  opérations  initiales  des  armées  de  caserne  mobilisées.  La 
victoire  aura  pour  conséquence  la  désorganisation  totale  du  vaincu. 
Dans  ces  conditions,  quel  appui,  quels  services  faut-il  attendre  de  nos 
alliés,  de  nos  amis,  de  notre  flotte,  de  nos  troupes  noires?  M.  S.  exa- 
mine successivement  ces  points  capitaux.  Les  Russes  doivent  entrer 
en  campagne  le  plus-tôt  possible  pour  retenir  dans  l'Est  de  gros  con- 
tingents allemands;  l'auteur,  qui  excuse  au  point  de  vue  russe  le 
remaniement  des  garnisons  de  Pologne,  compte  néanmoins  sur  notre 
état  major  pour  convaincre  nos  alliés  de  la  nécessité  d'une  prompte 
offensive.  Il  n'a  que  très  peu  de  confiance  dans  l'aide  de  l'Angleterre, 
et  conseille  de  retarder  la  transformation  de  l'entente  à  l'alliance  jus- 
qu'au jour  où  la  Grande  Bretagne  disposera  d'une  armée  sérieuse.  Il 
se  leurre  même  de  l'illusion  que  la  France  pourrait  conserver  la  neu- 
tralité dans  un  conflit  anglo-allemand.  De  la  marine  britannique,  il 
n'espère  pas  grand  secours  puisque  les  coups  décisifs  se  porteront 
sur  terre.  Quant  à  notre  flotte,  elle  ne  nous  rendra  que  de  bien 
minimes  services,  et  M.  S.  n'exige  même  pas  d'elle  qu'elle  assure  la 
sécurité  de  nos  transports  sur  la  Méditerranée,  parce  que  cette  mer 
est  relativement  si  restreinte  que  l'ennemi,  même  vaincu,  pourrait 
l'infester  de  torpilles  et  l'interdire  ainsi  à  nos  convois  de  troupes. 
Notre  flotte  serait  donc  inutile  ou  impuissante  ;  mais  le  capitaine  n'ose 


d'histoire  et  de  littérature  353 

tirer  toutes  les  conséquences  de  cette  conclusion  audacieuse  :  il  recon- 
naît d'autre  part  que  notre  marine  ne  pourrait  défendre  l'Indo-Chine 
contre  les  Japonais,  qu'elle  aurait  beaucoup  de  peine  à  tenir  tête  aux 
escadres  britanniques,  et  il  conclut  pourtant  que  la  France,  puis- 
sance coloniale,  ne  saurait  se  passer  d'une  forte  marine.  Le  capitaine 
Sorb  ne  craint  donc  pas  d'affronter  les  questions  les  plus  diverses  et 
les  plus  étendues.  Nous  n'avons  signalé  que  quelques-unes  de  ces 
solutions;  si  certaines  sont  discutables,  toutes  méritent  cependant  de 
retenir  l'attention  de  nos  hommes  d'état,  de  nos  généraux,  et  de  l'opi- 
nion publique  '. 

M  .  Poirier  publie  une  nouvelle  édition  de  son  étude  sur  l'officier 
allemand.  On  y  trouvera  des  renseignements  très  abondants  sur  le 
recrutement  de  ces  officiers,  leur  instruction  générale  et  leur  prépa- 
ration spéciale.  M.  P.  loue  surtout  les  travaux  ayant  pour  but  le  per- 
fectionnement de  l'instruction  professionnelle,  et  y  voit  une  raison 
de  supériorité  des  officiers  allemands  sur  leurs  camarades  français;  il 
attribue  (p.  loi)  le  mal  «  à  ce  mauvais  génie  qui  s'appelle  l'ancien- 
neté »,  à  l'avancement  à  l'ancienneté  qui  ôte  à  nos  officiers  le  courage 
de  travailler.  II  y  a  là  quelque  exagération,  mais  l'auteur  effleure  à 
peine  cette  question  importante.  II  explique  sommairement  le  fonc- 
tionnement des  caisses  de  prêts  et  des  fonds  de  secours  alimentés  par 
la  prévoyance  du  gouvernement  impérial.  II  donne  des  détails  sur  le 
corps  de  l'Etat  major  et  sur  celui  de  l'AdJutantur,  tous  deux  recrutés 
parmi  les  anciens  élèves  de  l'Académie  de  guerre.  Depuis  1907,  date 
de  la  première  édition,  des  règlements  avaient  modifié  la  vie  et  la 
situation  des  officiers  allemands  ;  avec  la  nouvelle,  on  connaîtra  tous 
les  changements  survenus  jusqu'à  la  fin  de  191 1. 

En  ses  savants  travaux  sur  la  guerre  russo-japonaise  le  général 
Kouropatkine  s'était  efforcé  d'atténuer  les  fautes  commises  par  le 
ministère  de  la  guerre.  Dans  ce  plaidoyer  pro  domo,  il  avait  pris  à 
parti  son  ancien  collègue,  le  ministre  des  finances.  Celui-ci,  le 
comte  Witte,  a  voulu  prouver  à  son  tour  qu'il  n'avait  jamais  lésiné 
sur  les  crédits  demandés  ;  que  son  intervention  dans  les  questions  de 
chemins  de  fer  avait  été  conforme  aux  intérêts  généraux  et  même 
militaires  ;  et  qu'enfin  Kouropatkine  n'était  pas  resté  aussi  étranger 
qu'il  le  disait  à  la  création  du  port  de  Dalny  si  utile  aux  Japonais. 
M.  W.  établit,  avec  documents  à  l'appui,  que  au  moins  dans  la  qua- 
trième partie  de  son  ouvrage  intitulée  le  Bilan  de  la  guerre,  le  géné- 
ral Kouropatkine  n'a  pas  toujours  respecté  les  faits.  La  brochure  a 
été  traduite  par  M.  Duchesne. 

Nous  ne  possédons  encore  que  de  vagues  notions,  non  seulement 
sur  le  Maroc,  mais  même  sur  les  régions  limitrophes  de  l'Algérie.  On 
accueillera    donc  très   favorablement   le    travail    soigné    du    docteur 

I.  Pourquoi  le  capitaine  S.  s"obstine-t-il  à  appeler  le  colonel  M angin,  3/oMg'în  ? 


354  REVUE   CRITIQUE 

Boigey,  qui  a  profité  d'un  séjour  dans  le  massif  des  Boni  Snassen, 
situé  sur  la  rive  droite  de  la  Moulaya,  pour  étudier  à  fond  la  géo- 
graphie, la  géologie  et  l'ethnographie  de  cette  contrée.  H  a  rapporté 
en  particulier  des  observations  très  intéressantes  sur  cette  population 

qui  a  conservé  presque  pur  son  sang  berbère. 

A.  Biovks. 


G.  FoucftRKS,  Athènes  (Les  villes  d'art  célèbres).  Paris,  H..  I.aurens,  in-S".  Prix  : 

^  fr.  Anilrc  Micm:i,  et  Gaston  Migeon,  Le  Musée  du  Louvre:  Sculptures  et 

objets  du    moycn-àgc,  etc.  (Les    Grandes   liisiilulioiit;    de    Frauccj.  ibid .,  111-8". 

—  M.  AuBERT,  Senlis  (Petites  monographies  des  grandes  édifices  de  la  France). 
Ibid  .  iii-12.  Prix:  2  fr.  —  Procès-verbaux  de  la  Commission  temporaire 
des   Arts,    t.     I,    publ.    par    Louis    Tuimkv.     Paris,    Imp"     Naiioiuilc,    in-S". 

—  IL  Jant/i;n,  Niederlandische  Malerei  im  17  .lahrhundcrt  ;Aus  Natur  und 
Geistcswelt).  Leipzig,  Teubncr,  iii-i8. 

Athènes  manquait  encore  à  la  collection  des  «  Villes  d'art  célèbres»; 
mais  nous  u'avons  pas  perdu  à  attendre,  car  M.  Gustave  Fougères 
en  préparait  la  monographie,  et  nous  savons  déjà  depuis  assez  long- 
temps si  l'auteur  de  l'excellent  Guide-Joanne  de  Grèce  possède  à  lond 
son  sujet  et  devait  le  traiter  avec  compétence,  avec  passion,  avec  vie. 
Cette  vie,  il  l'a  évoquée  d'autant  plus  heureusement  que  depuis  une 
période  encore  bien  récente  les  fouilles  ont  renouvelé  en  quelque  sorte 
l'histoire,  avec  l'aspeci  de  ces  monuments  admirables  où  semble 
palpiter  encore  l'àme  grecque.  Le  passé  s'est  ainsi  mêlé  au 
présent,  s'animani  encore  de  se  voir  un  peu  survivre.  Comme  le  dit 
justement  l'érudit  professeur,  «  que  l'Athènes  de  notre  xx<=  siècle  soit 
encore  presque  aussi  grecque  qu'au  temps  de  Démosthène,  voilà  le 
phénomène  unique  de  l'histoire,  la  répétition  du  miracle  antique  !  » 
C'est  assez  dire  qu'ici  il  ne  se  borne  pas  à  une  étude  historique  et 
archéologique  de  l'Athènes  antique,  étude  sociale  d'ailleurs  en  même 
temps  qu'esthétique  ;  il  en  retrace  les  vicissitudes  aux  différentes 
époques  modernes  et  insiste  sur  les  traces  qu'elle  y  a  laissées,  qu'on 
y  retrouve  toujours;  il  en  chante  la  beauté  féconde,  il  la  situe  dans  sa 
«  campagne  »  entre  Eleusis,  Daphni,  le  Pentélique,  le  Pirée,  Sala- 
mine...  Et  jusqu'à  168  photographiesdirectes  apportent  une  contri- 
bution précieuse  à  cette  étude  descriptive.  C'est  assurément  le  premier 
ouvrage  français  consacré  à  ce  beau  sujet,  mais  il  est  détiniiif  en  son 


genre 


Snv  \q  Musée  du  Louvre,  dans  la  collection  des»  Grandes  Insti- 
tutions de  France  »,  nous  avons  déjà  signalé  l'histoire  et  la  descrip- 
tion du  département  des  Peintures  et  Dessins.  Voici  celles  du 
département  des  Sculptures  du  moyen  âge,  de  la  Renaissance  et  des 
temps,  modernes,  et  du  département  des  objets  d'art,  des  mêmes 
époques;  et  comme,  selon  le  plan  de  cet  ensemble  de  monographies, 
ce  sont  les  conservateurs -mêmes  qui  se  sont  chargés  de  nous  en  par- 
ler, à  peine  est-il  besoin  de  dire  que  la  promenade  à  travers  les  salles 


d'histoire  et  de  littérature  .         355 

ne  saurait  être  conduite  d'une  plus  intéressante  façon.  M.  André 
Michel  a  suivi  l'Iiistoiic  de  son  dépôt  depuis  la  Révolution,  Lenoir 
et  le  musée  des  Monuments  français,  et  montré  comment  il  se  trouve 
être  de  formation  si  récente,  au  moins  pour  les  époques  anciennes, 
si  longtemps  méconnues  et  si  essentielles  dans  l'évolution  de  notre 
domaine  artistique.  M.  Gaston  Migeon  n'a  pas  décrit  avec  moins  de 
goût  les  belles  collections  confiées  à  ses  soins  et  dont  le  développe- 
ment est  plus  récent  encore,  puisque  le  département  des  objets  d'art 
n'est  issu  de  celui  des  sculptures  que  depuis  1893.  Il  a  d'ailleurs 
insisté  sur  le  caractère  historique  dont  bon  nombre  d'entre  eux  sont 
revêtus,  puisqu'ils  témoignent  encore  du  goût  de  collectionneur  qui 
a  de  tout  temps  animé  nos  souverains  ou  nos  princes,  et  suivi  les 
autres  à  travers  les  collections  particulières  qui  les  avaient  recueillis. 
L'une  et  l'autre,  ces  départements  sont  appelés  à  s'enrichir  chaque 
jour,  mai-s  le  moment  était  bien  venu  de  jeter  un  coup  d'œil  d'ensem- 
ble sur  les  étapes  parcourues  pour  arriver  au  beau  résultat  dont  nous 
jouissons  aujourd'hui.  106  photographies  ont  été  placées  entre  ces 
pages. 

Senlis  a  une  cathédrale  qui  n'est  peut-être  pas  parmi  les  plus  impor- 
tantes de  France,  mais  dont  la  flèche  est  particulièrement  gracieuse  et 
élancée,  dont  le  portails  est  précieux  entre  tous  pour  ses  sculptures, 
dont  enfin  le  contraste  et  la  juxtaposition  des  styles  du  xj!*"  et  du 
xvi*"  siècle  sont  féconds  en  études.  Aussi  a-t-elle  été  plus  d'une  fois 
étudiée,  et  d'abord  par  M.  Aubert,  en  une  belle  monographie  dont  le 
petit  volume  est  l'essence.  Le  visiteur  y  puisera  des  notions  précises, 
exposées  avec  goût.  Il  remerciera  encore  l'auteur  de  l'avoir 
conduit  par  la  main,  au  sortir  de  cet  édifice,  en  lui  faisant  connaître 
lout  le  reste  de  la  ville,  églises  et  hôtels.  39  reproductions  et  un  plan 
viennent  à  point  à  l'appui. 

La  collection  des  Documents  inédits  relatifs  à  la  Révolution  de 
1789  vient  de  s'enrichir  d'un  nouveau  volume,  début  de  série,  avec 
les  Procès-verbaux  de  la  Commission  temporaire  des  Arts,  dont  la 
première  séance  eut  lieu  le  i*"'  septembre  1793  et  dont  les  travaux 
nous  sont  données  ici  in  extenso  jusqu'au  3o  frimaire  an  III.  Précédé 
d'une  introduction  et  de  notices  biographiques  sur  les  membres  de 
cette  Commission,  élucidé  par  de  nombreuses  notes,  ce  document 
peut  rendre  de  vrais  services,  et  sa  publication  fait  honneur  au  zèle  et 
à  la  curiosité  historique  de  M.  Louis  Tuetey,  qui  en  a  été  chargé.  Il 
importe  essentiellement,  au  surplus,  que  ces  éditions  de  procès-ver- 
baux soient  conçues  de  la  sorte.  II  y  a  là,  sinon  du  bavardage,  car  la 
rédaction  est  plutôt  sèche  et  ne  relate  que  le  résultat  des  discussions, 
s'il  en  fut,  au  moins  une  profusion  de  petites  nouvelles,  de  petits  ren- 
seignements, de  petites  occupations  et  préoccupations,  qui  ne  garde 
encore  quelque  intérêt  que  si  on  les  fait  revivre  un  peu  dans  leur 
ambiance  et  en  les  expliquant.  La  Commission  partagée  bientôt  en 


356 


REVUE    CRITIQCE 


5  sections  (Histoire  naturelle,  Physique,  Mécanique,  Peinture  et 
autres  arts  plastiques),  Bibliographie  (et  Géographie,  Archéologie  et 
Musique),  tint  ses  séances  jusqu'en  nivôse  an  IV  (fin  de  l'année  1795). 
Tous  ses  papiers  sont  conservés  aux  Archives  Nationales.  Un  second 
volume  suivra  de  près  celui-ci  et  comprendra  la  fin  des  procès-verbaux 
et  la  table  générale,  qui  sera  précieuse. 

Le  373'  petit  volume  (97  p.)  de  la  collection  Ans  Natur  iind  Geis- 
teswelt  est  consacré  à  \a  peinture  des  Pays  Bas,  Hollande  et  Belgi- 
que au  XVII^  siècle^  et  a  pour  auteur  le  D""  Hans  Jantzen,  privât 
docent  à  Halle.  Ce  n'est  pas  une  histoire,  c'est  une  étude  personnelle, 
comparative,  esthétique,  des  morceaux  saillants  et  significatifs  qui  peu- 
vent caractériser  les  différents  genres  de  cet  art  et  montrer  comment 
les  peintres  les  ont  composés  :  peinture  d'histoire,  portrait,  genre, 
intérieur,  paysage,  marine,  église,  nature  morte.  De  bonnes  tables, 
37  petites  reproductions  comme  références,  et  du  goût,  rendent  ce 
livre  intéressant. 

H.  DE  CURZON. 

Maurice  Brillant,  Le  charme  de  Florence,  Paris,  Bloud,   1912,  in- 16,  290  p., 
3  fr.  5o. 

Il  faut  de  l'audace  pour  parler  de  Florence  après  tout  ce  qui  a  été 
dit  et  écrit  sur  la  Cité  des  fleurs,  et  pourtant  M.  Brillant  entreprend 
de  raviver  notre  admiration  pour  cette  ville  et  ses  trésors  artistiques. 
Il  croit  que  les  cultures  françaises  et  toscanes  sont  sœurs,  avant  pour 
caractères  communs  le  tact  et  la  sobriété,  mais  la  florentine  est  plus 
sensible,  plus  mélodieuse,  plus  colorée.  Les  Français  s'enrichiront 
donc  en  assimilant  cette  culture  qui  complétera  la  leur.  Pour  cela 
qu'ils  étudient  seulement  les  fresques,  les  tableaux,  les  statues  impré- 
gnés de  grâce  florentine.  Ce  n'est  pas  dans  les  galeries  des  Ufïizi  ou 
du  palais  Pitti  que  l'auteur  nous  conduit;  il  prétend  surtout  nous 
faire  savourer  les  œuvres  éparses  de  ceux  qu'il  a  choisis  pour  maîtres  : 
Lippi,  Botticelli,  Ghirlandaio,  Gozzoli  ;  ce  sont  eux,  dit-il,  qui  ont  le 
mieux  réussi  à  unir  la  pensée  chrétienne  à  la  forme  humainement 
belle.  A  ces  peintres  il  préfère  encore  les  sculpteurs,  leurs  contempo- 
rains, qu'il  place  même  au  dessus  des  Grecs  qui  ne  se  sont  point 
«  pénétrés  de  cette  tendresse  charmante,  de  cette  vie  de  1  ame  et  de 
l'esprit,  de  ce  rêve  délicat  »  que  les  Florentins  doivent  au  christia- 
nisme. Nous  objecterons  à  M.  B.  qu'il  exagère  un  peu  cette  influence, 
que  Botticelli  lui-même  y  échappe  dans  son  Mars  et  Vénus,  son  Prin- 
temps, son  Mariage  de  Vénus,  et  dans  tant  d'autres  fantaisies  néo- 
paiennes.  Dès  le  temps  de  Laurent  le  Magnifique  l'antiquité  poly- 
théiste et  sensuelle  avait  repris,  à  visage  découvert,  la  lutte  contre  le 
moyen  âge  chrétien  et  mystique  bien  démodé.  Mais  l'amour  que  Flo- 
rence inspire  à  M.  B.  est  si  sincère  qu'il  en  devient  contagieux,  et 
l'auteur  nous  promène  sans  fatigue  à  travers  les  petites  villes  de  la 


d'histoire  et  de  littérature  357 

Toscane,  les  rues  et  les  églises  de  Florence,  et  jusque  sur  les  collines 
des  environs.  Le  charme  de  ce  pays  est  si  réel,  si  persistant,  que  ceux 
qui  l'ont  goûté  seront  heureux  d'en  retrouver  le  parfum  dans  l'aimable 

livre  de  M.  Brillant. 

A.  BiovÈs. 


—  Dans  un  mémoire  intitulé  Michelhw  da  Beso^^^o  et  les  relations  entre  l'art 
italien  et  l'art  français  à  l'époque  du  ràgne  de  Charles  VI  (extrait  des  Mémoires 
de   TAcadémie   des    Inscriptions   et   belles-lettres,  t.   XXXVIil,    2'   partie;    Paris, 
libr.  C.  Klincksieck,    191 1,   in-4"  de  29   pages  et  V  planches),  M.  le  comte   Paul 
DuRRiEU,  membre  de   l'Institut,  considère  les  rares  miniatures  qui   puissent   être 
attribuées  à  Michelino  de  Molinari,  du   village  de  Besozzo.   Il   en  est  une  qu'il  a 
peinte  au  début  du  ms.  lat.  5888  de  la  Bibliothèque  nationale  et   qui   représente 
l'Entrée   au  ciel  du  duc  Jean-Galéas  Visconii.  Or,  la  disposition  adoptée  est  la 
même  que  celle  du  Couronnement  de   la  Vierge  dans  une  page  célèbre  des  Très 
Riches  Heures  du  duc  Jean  de  Berry.  On  sait  que  les  peintres  et  miniaturistes  de 
la  France  et  du  nord   de  l'Italie  avaient  des  relations  nombreuses  au  début    du 
xv«  siècle.  Où  lut  donc  inventé  le  thème  du  Couronnement  de  la  Vierge,  celle-ci, 
entourée  d'un  groupe  d'anges,  étant  agenouillée  aux  pieds  du  Seigneur  qui  la  bénit, 
thème  imité  par  Michelino  de  Besozzo?  .M.  le  comte  Durrieu  établit  d'une  façon 
irréfutable  qu'il  a  été  imaginé  par  les  artistes  français  et  qu'il  leur  a  été  emprunté 
par  les  italiens.  Sa  démonstration,  très  documentée   et  fort  savamment  conduite, 
soulève  un  certain  nombre  d'autres  questions  intéressantes  pour  l'histoire  de  l'art; 
la  solution  en  est  sommairement  indiquée.  —  L.-H.  L. 

—  M.  A.  Morel-Fatio  a  publié  dans  le  t.  XXIX  des  Mémoires  de  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres  et  à  part  dans  une  brochure  in-4°  de  40  pages  (librai- 
rie C.  Klincksieck,  191  i)  une  notice  détaillée  sur  une  histoire  inédite  de  Charles- 
Quint  par  un  fourrier  de  sa  cour.  Le  manuscrit  original  en  était  entré  dernière- 
ment à  la  Bibliothèque  nationale.  L'auteur  est  à  peu  près  certainement  Hugues 
Cousin,  originaire  de  Nozeroy  dans  le  Jura;  après  avoir  servi  avec  honneur  dans 
les  armées  de  Charles-Quint  et  pris  part  aux  campagnes  de  Hongrie  (i532),  de 
Tunis  (i535),  de  Provence  (i536),  de  Dalmatie  (iSSg),  après  avoir  passé  plusieurs 
années  en  captivité  à  Constantinople,  il  avait  été  anobli  par  l'Empereur  avec  ses 
frères  en  i535.  Son  œuvre  consista  à  prendre  la  traduction  française  par  Robert 
le  Prévost  de  l'ouvrage  écrit  par  l'allemand  Jean  Sleidan,  De  statu  religionis  et 
reipublicae,  Carolo  Quinto  Caesare,  commentarii  et  à  développer  le  récit  des  évé- 
nements auxquels  il  avait  assisté.  La  part  qui  lui  incombe  personnellement  a 
donc  toute  la  valeur  d'un  document  de  première  main.  —  L.-H.  L. 

—  La  librairie  Burgersdijk  et  Niermans  à  Leydc  vient  de  publier,  en  un  élégant 
catalogue  rédigé  en  français,  la  liste,  avec  prix  marqués,  des  ouvrages  d'occasion 
qu'elle  possède  dans  le  domaine  de  la  philologie  et  de  l'archéologie  classique  ainsi 
que  dans  les  domaines  voisins.  Le  volume  se  compose  de  548  pages  et  comprend 
16,441  numéros,  qui  tous  existent  réellement  à  cette  librairie  comme  livres  d'oc- 
casion. —  H.  P. 

—  M.  Âlessandro  D'Ancona  vient   de   réimprimer  ses   célèbres  articles  sur  les 
précurseurs  de  Dante,  sur  Béatrix,  sur  le  De  Monarchia,  sur  les  chants  VII  et  VIII 


358  RF.VfK    CRITIQITK 

du  Purgatoire,  le  XXV'II"  ilii  Paradis,  sur  le  vrai  portrait  de  Dante  par  Giotto,  sur 
le  masque  tic  Dante  et  y  ajoute  ijucliiucs  supplcnicnts  et  correctiotis.  F-c  volume 
édité  par  Sansoni  de  Florence  (5  tV.)  est  très  soif;né  et  orne  de  c|uclques  belles 
illustrations.  L'auteur,  dans  une  courte  préface,  tire  une  cruelle  et  légitime  ven- 
geance d'une  sottise  de  feu  Uuvio,  en  l'extrayant  île  la  correspondance  de  Crispi  : 
Bovio  a  eu  un  jour  le  malheur  d'appeler  M.  D'A.  un  pédant  qui  >t'a  pas  su  entendre 
la  voix  de  Dante.  Si  jamais  homme  a  prouvé  qu'on  pouvait  joindre  beaucoup 
d'esprit  à  beaucoup  de  science,  c'est  bien  celui  qui  nous  a  donné  ses  charmâmes 
Varietà  storiclie  e  letterarie  ;  si  jamais  homme  a  su  entendre  la  voix  de  Dante, 
c'est  bien  celui  qui  a  rétabli  la  croyance  à  l'existence  réelle  de  Béatrix;  car  la  plus 
sûre  des  preuves  était  ici  l'accent  du  poète  où  l'on  reconnaît  l'homme  qui  déguise 
quelquefois  son  amante  en  abstraction,  mais  n'est  jamais  dupe  du  costume  dont  il 
l'habille.  —  Charles  Dkjob. 

—  La  section  VI  [Hygiène)  de  \' Encyclopédie  internationale  d'assistance,  pré- 
voyance, hygiène  sociale  et  démographie  dirigée  par  le  D""  A.  Marie  et  éditée  par 
Giard  et  Briére  a  publié  La  lutte  anti-toxique,  La  fumée  divine  [opium)  (1912,  in- 
18  de  283  p.,  plus  une  carte  des  principaux  centres  de  production  et  de  commerce 
de  l'opium  et  14  gravures  chinoises  représentant  d'une  façon  saisissante  les  méfaits 
de  ce  narcotique  :  4  fr.)  par  M.  G.  Miraden,  avec  une  préface  du  D'  R.  Millant, 
auteur  de  La  Drogue  (19 10),  où  M.  M.  a  trouvé  la  légende  chinoise  de  l'origine  de 
l'opium  qu'il  reproduit  comme  Introduction.  Sa  f*^  partie  retrace  l'historique  de 
la  consommation  de  l'opium;  sa  2"  partie  en  décrit  les  effets  ;  la  3'  en  raconte  la 
culture,  la  préparation,  le  commerce,  la  régie,  les  essais  d'interdiction  ;  enfin  l'ap- 
pendice emprunte  au  Times  le  détail  des  neuf  résolutions  adoptées  par  la  Com- 
mission internationale  de  l'opium  (février  1909)  et  transmises  par  les  délégations 
présentes  à  leurs  gouvernements  respectifs.  Rappelons  à  ce  propos  que  la  lutte 
engagée  depuis  1906  contre  la  culture  du  pavot  par  le  gouvernement  impérial  chi- 
nois a  é:é  interrompue  par  la  Révolution  qui  en  a  autorisé  de  nouveau  la  culture. 
Ajoutons  d'autre  part  que  l'auteur  a  vu  de  ses  yeux,  en  Extrême-Orient,  les  ravages 
de  la  fumée  nocive  et  a  pu  ainsi  réunir  contre  elle  le  plus  gros  faisceau  d'armes 
défensives.  —  Th.  Son. 

—  Le  i»""  fascicule  du  t.  111  du  Logos  (Mohr,  1912, 120  p.  4  M.)  comprend  les  arti- 
cles suivants  :  P.  1,  A.  Meinong  (Graz)  :  Fur  die  Psychologie  und  gegen  den  Psy- 
chologismus  in  der  allgemeinen  Werthcorie.  Cette  notice  sur  la  théorie  générale 
des  valeurs  a  été  présentée  au  Congrès  de  philosophie  de  Bologne  et  veut  com- 
pléter le  chapitre  VIII  de  l'ouvrage  de  l'auteur  Vber  Annahmen  (Leipzig,  1902; 
2'  éd.  1910,  où  le  ch.  \'1I1  est  devenu  le  ch.  IX).  C'est  M.  M.  d'ailleurs  qui  a,  en 
quelque  sorte,  introduit  le  débat  sur  ce  sujet  dans  ses  Psychologisch-ethische  Un- 
tersucJiungen  ^ur  Werttheorie  (Graz,  1894),  débat  qui  a  trouvé  sa  conclusion 
provisoire  dans  le  livre  magistral  de  M.  W.  M.  Urban,  Valuation,  its  nature  and 
laws  (Londres,  1909).  L'auteur  a  encore  traité  ce  sujet  dans  deux  articles  :  Uber 
Werthaltung  und  Wert  {Archiv  fur  System.  Philosophie,  I,  iSg.'r)  et  Uber  Urteils- 
gefahle,  rvassie  sind  und  was  sie  nichi  sind  [Archiv  fiir  die  gesamte  Psychologie  (VI, 

jqo5).  P.    i5,  G.  SiMMEL,  Die    ^^'ahrheit  und  das  Individuum.  Aus  einem  Gœ- 

thebuch.  Contribution  à  l'étude  des  théories  psychologiques  de  Goethe,  et  examen 
de  différentes  affirmations  de  ce  dernier,  dont  la  plus  remarquable  est  celle-ci  : 
«  Quand  on  est  d'accord  avec  soi,  on  l'est  aussi  avec  les  autres  »  (p.  27).  — P.  29, 
Max   Frischeisen-Kôhler   (Berlin)    :    Wilhelm  Dilthey   als  Philosoph.  Analyse  du 


d'histoire    et    OE    LITTKRATl'RE  359 

système  de  ce  philosophe  berlinf>is  mort,  on  se  le  rappelle,  en  automne  191 1. 
Les  points  examinés  ici  sont  la  Phénoménologie  lic  la  métaphysique  ;  la  doc- 
trine de  la  Selbstbesitiniiiif^,  base  de  tout  le  système;  la  théorie  de  la 
W'elt^insclijuiing,  la  Grundlci^uug  der  GvistcswissensclKi/teii,  la  poétique  et  la 
pédagogie.  —  P.  >i).  H.  Grat  Kevsicrling,  Djs  W'esen  der  IntiiHinn  und  ihre  Rolle 
in  der  Philosophie.  Critique  de  l'intuition  bergsonnienne.  Le  philosophe  estho- 
nicn  démolit  rarlisiiquc  ou  artificielle  construction  de  son  collègue  parisien, 
auquel  il  reconnaît,  selon  la  distinction  de  Pascal,  plus  d'esprit  de  finesse  que 
d'esprit  géométrique  (p.  78).  La  conclusion  aboutit  à  l'impossibilité  d'une  philo- 
sophie intuitive.  —  P.  80,  Ernst  FiicRsiiARD  (Berlin^  :  Die  Struktur  der  fran^ôsis- 
chen  Geistes.  Etude  consciencieuse,  objective  et  sereine  de  la  mentalité  française, 
groupement  national  des  traits  principaux  de  notre  caractère  national,  mais,  en 
somme,  rien  de  bien  nouveau  sur  le  Modevolk,  comme  Kant  nous  appelait.  Ce- 
pendant on  notera  quelques  citations  heureuses  qui  résument  bien  nos  tendances 
fondamentales  :  révolution  au  lieu  d'évolution,  l'étiquette  d'un  sac  est  plus  impor- 
tante que  son  coiitenu,  manie  des  généralisations  et  mépris  des  faits,  simplifica- 
tion à  outrance,  déification  de  la  Raison,  «  impossible  n'est  pas  français  »,  nature 
spéciale  de  la  coquetterie  française,  etc.  —  P.  i83,  Marianne  Weber,  Atitovitàt 
und  Aiitouomie  in  die  Ehe.  L'auteur  à'Ehefrau  und  Mutter  in  der  Rechtsent- 
nnckliing  (1907)  développe  ici,  sous  une  forme  très  noble,  son  haut  idéal  du  mariage, 
idéal  qui,  d'ailleurs,  n'a  rien  d'utopique  et  est  fort  réalisable  pour  ceux  qui  ont 
l'expérience  de  la  vie  et  la  maîtrise  d'eux-mêmes.  A  noter  sa  remarque  judicieuse 
sur  l'influence  salutaire  exercée  par  le  puritanisme  au  point  de  vue  du  rapport  des 
deux  époux  (p.  106).  —  P.  i  i5,  Noti:^en  :  Comptes  rendus  d'E.  Lask,  Die  Logik 
der  Philosophie  u.  die  Kategorienlehre  (Tubingue,  fgii);  de  Fr.  Glndolf,  5/j^- 
kespeare  und  der  deutsclie  Geist  (Berlin,  igii)  ;  de  la  4«  édition  de  la  Logique  de 
SiGW.ART  ;  enfin,  une  appréciation  de  la  valeur  actuelle  de  la  philosophie  de  Ficute, 
à  propos  du   I  T0'=  anniversaire  de  sa  naissance  (rg  mai).  —  Th.  Scn. 

—  N.  K.  KoFFKA  a,  pendant  un  an  et  demi  f  igog-rgio)  poursuivi  de  méticuleuses 
expériences  aux  instituts  psychologiques  de  Wùrzbourg  et  de  Francfort,  sous  les 
auspices  de  N.  Oswald  Kûlpe,le  chef  de  l'éeoîe  dite  de  Wùrzbourg.  Ces  expérimen- 
tations duraient  chaque  fois  une  heure,  deux  fois  la  semaine;  leurs  résultats  sont 
consignés  avec  le  détail  le  plus  minutieux  dans  Zur  Analyse  derVorstellungen  und 
ihrer  Geset^e.  Eine  ex  péri  m  eut  elle  Untersiichung  (Quelle  et  Meyer,  Leipzig,  1912,  x- 
392  p.,  12  M.  3o).  Le  ch .  11  [Visuelle,  akustomotorische,  komplexe  Vorslelhmgen 
u.  Typenpsychologie]  a  paru  dè>  l'été  de  igii  comme  thèse  à  l'université  de  Gies- 
sen.  Les  10  personnes  (dont  2  dames)  qui  se  sont  successivement  soumises  à  ces 
épreuves  sont  nommées  p.  23  et  la  méthode  employée  est  exposée  p.  18  et  suiv. 
—  Th.  Scn. 

—  Le  3"  et  dernier  fascicule  du  t.  IV  des  Philosophische  Arbeiten  de  Cohen  et 
Natorp  a  pour  auteur  M.  Hans  ai_'s  der  Fuentf.  et  pour  sujet  Wilhelm  von  Hum- 
boldts  Forscliungcn  iiber  Asthetik  (Toepelmann,  Giessen,  igi2,  p.  161  à  304, 
4  M.  40).  Le  personnage  est  bien  choisi  pour  étudier,  à  travers  ses  idées,  l'esthé- 
tique du  classicisme  allemand.  II  réunit,  pour  ainsi  dire,  en  lui,  les  courants  éma- 
nés de  Kanf,  Gœlhe  et  Schiller.  Une  introduction  historique  marque  ses  rapports 
intellectuels  avec  ces  trois  coryphées  de  la  pensée  allemande  de  son  temps  ;  puis 
une  f"^  partie  étudie  les  principes  de  son  esthétique,  tandis  que  la  2^  en  montre 
l'application  dans  les  ditlércnts  arts,  —  Th.  Scn. 


360  REVUE    CRITIQllK    d'hISTOIRK     KT    DK     LITTÉRATURE 

—  Le  irXLIX  de  la  Hibliothèqtte  sociologique  internationale  donne  un  ouvrage 
de  son  directeur,  M.  René  Worms,  sur  La  sexualité  dans  les  naissances  françaises 
((îiard  et  Hrièrc,  i<)i2,  237  p.  in-S»,  3  francs),  c'est-à-dire  sur  les  causes  qui 
déterminent  le  sexe  des  enfants  à  naître.  Après  avoir  indique  le  problème  et  les 
données,  c'est-à-dire  avoir  posé  la  question  et  éclairé  les  sources  (statistiques  et 
travaux  scientifiques),  Tauteur  explique  la  loi  fondamentale  de  la  supériorité  des 
naissances  masculines  et  la  concilie  avec  le  phénomène  général  de  la  supériorité 
des  existences  féminines  par  la  constatation  de  la  plus  grande  mortalité  des 
màlcs.  La  production  de  ces  derniers  —  c'est  là  l'essai  d'interprétation  particulier  à 
M.  W .  —  serait  déterminée  par  une  nutrition  défectueuse  et  leur  excès  ne  serait 
donc  pas  un  bon  signe  pour  une  nation,  au  point  de  vue  biologique.  La  baisse  de 
la  masculinité  constatée  au  cours  du  xix"  siècle  chez  les  enfants  nés  vivants  en 
F"rance,  s'expliquerait  alors  par  les  progrès  de  la  richesse  publique  et  serait  liée  à 
d'autres  phénomènes  concomitants,  tels  que  la  baisse  de  la  natalité,  spécialement 
infantile,  et  de  la  morii-natalité.  Une  4<=  partie  étudie  les  influences  physiques  du 
lien  et  du  moment  de  la  conception,  les  influences  organiques  des  parents  et  ancê- 
tres, les  influences  psychiques  et  sociales.  Un  Appendice  donne  et  commente  le 
tableau  des  naissances  par  sexe  dans  la  commune  de  Wimereux  depuis  sa  sépa- 
ration de  Wimille  (juin  1899),  commune  placée  dans  des  conditions  ethniques  aussi 
voisines  que  possible  de  la  moyenne  française.  —  Th.  Sch. 

—  La  même  Bibliothèque  publie  dans  sa  série  in-iS"  fF)  le  Génie  individuel  et 
Contrainte  sociale  (i3i  p.  2  fr.)  par  M.  Lucien  Arrkat.  Etudiant  les  rapports  de 
la  psychologie  individuelle  avec  la  psychologie  sociale,  en  d'autres  termes  cher- 
chant à  résoudre  le  problème  de  la  dépendance  réciproque  du  génie  individuel 
et  de  l'activité  sociale,  l'auteur  s'est  heurté  à  la  doctrine  de  la  contrainte  sociale, 
énoncée  par  M.  Durkheim  et  0  appliquée  sinon  étendue  par  ses  disciples  »,  et  l'a 
acceptée  en  ses  termes  généraux,  c'est-à-dire  en  ce  sens  qu'  «  un  fait  social  se 
reconnaît  au  pouvoir  de  coercition  externe  qu'il  exerce  ou  est  susceptible  d'exer- 
cer sur  les  individus  »;  mais  tentant  d'y  ramener  la  science,  la  morale  et  l'esthé- 
tique, bref  tous  les  faits  de  la  vie  sociale,  il  a  «  abouti  à  des  conclusions  qui 
semblent  inacceptables  et  font  sentir  le  besoin  d'y  apporter  au  moins  des  tempé- 
raments ».  Discuter  ces  conclusions  et  reprendre  la  question  ainsi  posée,  tel  est 
l'objet  de  la  brochure  que  nous  signalons  et  qui  montre  par  quelles  relations 
secrètes,  les  doctrines  excessives  de  l'inconscience  et  de  la  contrainte  sociale  se 
trouvent  liées  aux  excès  de  l'individualisme  qu'elles  semblent  contredire. 
—  Th.  Sch. 

L'imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


I 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET     DE     LITTÉRATURE 

N°  45  —  9  novembre  —  1912 

HoGARTH,  Les  fouilles  de  Carchemisch.  —  \'lvisaker,  La  grammaire  des  Lettres 
des  Sargonides.  —  Scheil,  La  chronologie  rectifiée  de  Hammourabi.  —  Deimel, 
Chronologie  assyro-babylonicnne.  —  Holtzmann,  Théologie  du  Nouveau  Testa- 
ment, 2'  éd.  p.  JûLicuER  et  Bauer.  —  WiEGAND,  HistoIre  des  dogmes.  —  Kuge- 
NER  et  CuMONT,  La  123°  homélie  de  Sévère  d'Antiochc  ;  L'inscription  de  Salone. 

—  Flamion,  Les  Actes  apocryphes  de  l'apôtre  André.  —  Goblet  d'Alviella, 
L'évolution  du  dogme  catholique.  —  P.  Sabatier,  L'orientation  religieuse  de  la 
France  actuelle.  —  A.  Stein,  Les  fonctionnaires  impériaux  sous  Alexandre 
Sévère.  —  Panzer,  Sigfrid.  —  Rota,  L'Autriche  en  Lombardie.  — H.  Cochin, 
Lamartine  et  la  Flandre.  —  Chambolle,  Retours  sur  la  vie.  —  Deloncle,  Statut 
international  du  Maroc.  —  Colson,  Organisme  économique   et  désordre  social. 

—  Fossey  et  LoNGNON,  La  Haute-Normandie.  —  Arnaudin,  Chants  populaires  de 
la  Grande-Lande,  L  —  A.-V.  Muller,  Défense  de  Luther  contre  Denifle  et  Gri- 
sar.  —  Le  Roy,  Bergson. 


D.  G.  HoGARTH.  Hittite  problems  and  the  Excavation  of  Carchemisch  (from 
the  Proceedings  of  the  British  Academy,  vol.  V),  i5  p.,  in-8">.  London,  Frowde. 
1912. 

Le  British  Muséum  a  repris  au  printemps  de  191 1  les  fouilles  de 
Jerablus  (Syrie  du  Nord)  sur  le  site  probable  de  la  ville  hittite  de 
Carchemisch.  Des  recherches  avaient  déjà  été  pratiquées  en  ce  lieu 
dans  les  années  1876  et  1880,  et  d'excellentes  raisons  faisaient  dési- 
rer qu'elles  fussent  continuées.  Seules  les  fouilles  pourront  nous 
apprendre  si  les  Hittites  étaient  établis  en  Syrie  avant  l'invasion 
venue  de  Cappadoce  sous  le  règne  de  Subbitiiliiima  (xiv«  siècle),  quel 
était  le  lien  ethnique  entre  les  Hittites  et  les  gens  de  Mitani,  quelle 
est  la  part  des  influences  hittites  dans  la  civilisation  de  l'Asie  anté- 
rieure, etc.  Enfin  si  une  inscription  bilingue  doit  quelque  Jour  nous 
donner  la  clef  des  hiéroglyphes  hittites,  c'est  bien  dans  la  Syrie  du 
nord,  au  point  de  rencontre  des  civilisations  assyrienne  et  hittite, 
qu'on  peut  espérer  la  découvrir.  —  Les  ruines  de  Jerablus  com- 
prennent deux  parties,  une  acropole  et  une  ville  basse.  Les  fouilles 
récentes  ont  reconnu,  au  sud  de  l'acropole,  un  temple  d'époque  ro- 
maine, du  style  de  Baalbek,  près  d'une  plateforme  en  briques  crues, 
à  la  manière  assyrienne,  qui  paraît  remonter  au  vin<=  siècle.  Au  nord, 
on  a  découvert  une  base  de  colonne  flanquée  de  deux  lions  et  un 
autel  portant  une  inscription  hittite,  qui  semblent  marquer  l'empla- 
cement d'une  forteresse  ou  d'un  palais  hittite  de  la  dernière  période. 
Nouvelle  série  LXXIV  4» 


302  REVUE    CRITIQUE 

De  nombreuses  tombes  om  été  également  découvertes  sur  l'acropole; 
elles  sont  malheureusement  prcsques  dépourvues  de  mobilier. 
M.  Hogarth  les  fait  remonter  au  xi^  ou  au  xii=  siècle  et  les  considère 
comme  les  premières  tombes  hittites  mises  à  jour.  Un  grand  escalier 
de  pierre  qui  conduisait  de  l'extrémité  sud  de  l'acropole  à  la  ville 
basse  avait  été  partiellement  dégagé  par  les  premières  fouilles;  il  l'a 
été  cette  fois  complètement  et  dans  les  environs  on  a  trouvé  treize 
reliefs  représentant  des  chars  de  guerre,  des  soldats  à  pied,  des 
divinités  monstrueuses;  l'un  d'eux  porte  une  longue  inscription 
en  relief  au-dessus  de  trois  tètes  barbues  et  seize  mains  coupées.  Les 
inscriptions  hittites  ou  fragments  découverts  atteignent  le  nombre 
de  quatre-vingt-dix.  Cette  première  campagne  a  établi  que  Jerablus 
a  été  occupée  bien  avant  l'arrivée  des  Hittites  et  a  permis  de  distin- 
guer trois  périodes  dans  la  céramique  et  la  sculpture,  M.  Hogarth 
croit  déjà  pouvoir  conclure  qu'il  y  a  eu  des  Hittites  ou  tout  au  moins 
une  inriuence  hittite  en  Syrie  avant  la  conquête  des  Hittites  venus  de 
Boghaz-Keni,  que  cette  conquête  n'a  pas  eu  d'influence  durable  et 
qu'elle  a  été  suivie  d'une  période  d'influence  assyrienne,  préparant  la 
conquête  assyrienne.  Les  représentations  religieuses  rappellent  celles 
de  la  Cappadoce,  mais  on  y  remarque  deux  éléments  inconnus  en 
Cappadoce,  la  déesse  nue  et  le  géni  barbu,  à  pieds  de  taureau,  saisis- 
sant un  rameau  de  palmier  ';  M.  Hogarth  croit  que  ces  motifs  sont 
originaires  de  Mésopotamie  '.Le  heaume  à  crête  que  portent  certains 
soldats  des  bas-reliefs,  et  des  (-  verres  à  Champagne  »  trouvés  dans  les 
tombes  de  l'acropole  font  au  contraire  songer  à  des  influences  Cre- 
toises et  rhodiennes  ou  chypriotes.  Les  résultats  de  cette  campagne 
sont  encourageants  et  justifient  tous  les  sacrifices  que  le  British  Mu- 
séum pourra  consentir  pour  poursuivre  les  recherches, 

G.   FOSSEY, 

s.  C.  Ylvisaker.  Zur  babylonischen  und  assyrischen  Grammatik  ;  eine  Unter- 
suchung  auf  Grund  der  Briefe  aus  der  Sargonidenzeit.  Leipziger  semitistische 
Sfudien  V,  6.  i  vol.  iv-88  p.,  in-8".  Leipzig,  Hinrichs,  1912. 

On  a  depuis  longtemps  remarqué  que  les  lettres  assyriennes  et 
babyloniennes  contiennent  un  grand  nombre  de  formes  grammati- 
cales inconnues  aux  textes  historiques  et  juridiques.  Affranchies  du 
formulaire  traditionnel  dans  lequel  ceux-ci  sont  régulièrement  coulés, 
elles  nous  présentent  une  image  plus  exacte  de  la  langue  à  l'époque 
de  leur  rédaction  ;  ^lles  doivent  notamment  permettre  de  préciser  les 
nuances    qui    distinguent    l'assyrien    du    babylonien.    Pourtant    ce 

1.  Il  est  reconnu  aujourd'hui  que  le  prétendu  palmier,  qui  figure  sur  les  bas- 
reliefs  assyriens  en  face  du  génie  ailé,  est  en  réalité  un  cep  de  vigne  et  le  spathe 
une.  grappe  de  raisin. 

2.  M.  Delaporte  {Catalogue  des  cylindres  orientaux,  p.  xv-xvi  et  xxi)  croit  au 
contraire  que  la  femme  nue  des  cylindres  babyloniens  est  un  motif  d'origine  hittite. 


d'histoihk  et  de  littérature  363 

domaine  si  riche  n'avait  pas  encore  été  exploité  d'uiTc  manière  métho- 
dique. M.  Vlvisaker  a  étudié  au  point  de  vue  de  la  phonétie]ue  et  de 
la  morphologie  les  974  lettres  publiées  dans  les  neuf  premiers 
volumes  de  Harper  :  Assj^rian  and  babylonian  letters.  Deux  volumes 
de  ce  recueil  ont  paru  depuis  que  M.  Ylvisaker  a  rédigé  son  travail 
et  d'autres  paraîtront  encore,  mais  il  n'est  pas  vraisemblable  qu'ils 
apportent  beaucoup  de  faits  nouveaux.  C'est  maintenant  du  côté 
de  la  syntaxe  qu'il  faudra  porter  l'etlbri,  car  M.  Vlvisaker  s'est  borné 
sur  ce  point  à  quelques  remarques  disséminées  dans  la  morpho- 
logie. 

11  est  impossible  de  relever  ici  toutes  les  particularités  signalées 
par  M.  Ylvisaker.  Notons  seulement  que,  à  la  différence  du  babylo- 
nien, l'assyrien  de  l'époque  des  Sargonides  emploie  encore  régulière- 
ment les  désinences  casuelles  et  qu'il  vocalise  la  première  radicale  de 
l'impératif  et  du  permansif,  au  piel  et  au  safel,  en  a  et  non  en  ii  : 
kammiis  au  lieu  de  kummiis.  Le  livre  de  M.  Ylvisaker  sera  un  instru- 
ment très  utile  pour  l'étude  de  textes  souvent  difficiles.  L'utilité  en 
sera  encore  rehaussée  par  les  corrections  aux  lectures  de  Harper  réu- 
nies dans  les  dix  dernières  pages. 

C.  Fosse  Y. 


ScHKiL,  La  chronologie  rectifiée  du  règne  de  Hammourabi.  Extrait  des 
Mémoires  de  VAcade'mie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  tome  XXXIX  ;  Paris, 
Klincksieck,  19 12  ;   12  p.  in-4'. 

Les  Babyloniens  ne  se  sont  jamais  élevés  à  la  conception  grecque 
et  moderne  de  l'ère.  Plusieurs  systèmes  de  comput  des  années  leur 
en  ont  tenu  lieu.  A  l'époque  de  la  première  dynastie,  les  années 
étaient  désignées  par  un  événement  important  :  avènement  d'un  roi, 
la  prise  d'une  ville,  la  réparation  d'un  temple  ou  le  curage  d'un  canal. 
Comme  l'ordre  relatif  de  ces  événements  devait  s'oublier  rapidement, 
on  avait  été  amené  à  dresser  des  listes  des  noms  d'années.  Plusieurs, 
de  ces  listes  nous  sont  parvenues  et  nous  pouvons,  grâce  à  elles,  rap- 
porter à  une  date  précise  les  actes  datés,  par  exemple,  de  l'année  où  fut 
creusé  le  canal  Hammurabi-Hegal  (neuvième  année  de  Hammiirabi). 
Mais  ces  listes  sont  souvent  mutilées.  C'est  le  cas  notamment  pour 
celles  qui  nous  renseignent  sur  la  chronologie  de  la  première  dynas- 
tie et  particulièrement  du  règne  de  Hammiirabi  :  les  noms  des  années 
35  à  43  ont  presque  entièrement  disparu  et  n'avaient  pu  être  restau- 
rés que  d'une  manière  assez  hypothétique  par  M.  Pœbel  [Bab.  Expé- 
dition ofthe  Univ.  of.  Pennsylvania,W\,  2)  d'après  les  formules  rele- 
vées dans  les  actes.  Une  liste  nouvelle  publiée  par  le  P.  Scheil  rectifie 
les  restitutions  de  M.  Poebel  de  la  manière  suivante  :  les  années  35, 
36,  3/,  41,  deviennent  respectivement  les  années  42,  41,  35,  36;  la 
seconde  formule  de  l'année  38  est  rapportée  à  l'année  3y,  les  formules 


364  RICVDK    CRITIQUE 

auriLuices  aux  unnccs  40  et  42  soin  des  désignations  particulières  à 
certains  districts  (?).  La  première  fornuiie  attribuée  à  l'année  38,  les 
formules  des  années  3(j  et  43  sont  exactes. 

C.   H'OSSKV. 

A.  Di:iMi-i.  S.  .1.  Veteris  Testament!  Chronologia  monumentis  babylonico. 
Assyriis  illlistrala  :  ScripUi  poutiticii  instiluii  biblici.  Koiiie,  IJictschneidcr. 
1912  ;  124  p.  in-8". 

Dans  une  première   partie,  M.  Deimel  a  réuni  les  textes  qui  con- 
tiennent les  données  sur  la  chronologie  assyro-babylonienne  :  canon 
des  éponymes,  canon  de  Ptolémée,  listes  de  rois,   chroniques,   indi- 
cations diverses  dans  les  inscriptions  royales  ;  un  appendice    donne 
la    liste  des   souverains,  en  caractères  cunéiformes  et    en   transcrip- 
tion'.  Il  n'y  a  là  ni  fait  nouveau   ni  interprétation  nouvelle;  mais  il 
peut  être  commode  pour  certains  historiens  de  trouver  ces  matériaux 
réunis.  La  seconde  partie  est  consacrée  à  la  chronologie  de  l'ancien 
Testament.  L'auteur  renonce  à   résoudre   les  contradictions  internes 
du  livre  des  Rois  et  celles  qu'on  a  relevées  entre  les  textes  bibliques 
et  les  textes  cunéiformes;  il  admet  que  les  nombres  donnés  pour  les 
règnes  des  rois  d'Israël  et  de  Juda  ne  peuvent  pas  être  exacts.  Mais 
on  est  assez  surpris  de  le  voir  affirmer  qu'il  n'y  a  pas  de  contradiction 
entre  les  deux  passages  de  la  Genèse  qui  attribuent  au  déluge   l'un 
une  durée  de  40  Jours,  l'autre  une  durée  de  i5o  jours,  et  que  la  con- 
tradiction existe  seulement  pour  ceux  qui  voient  dans  le  récit  une  com- 
pilation de  plusieurs  sources  (pp.  87-88].  La  conclusion  est  empruntée 
à  saint  Jérôme  :  «  Relege  omnes   et  veteris  et  novi  Testamenti  libros 
et  tantam  annorum  reperies  dissonantiam  et  numerorum  inter  Judam 
et   Israël,  id   est,  inter  regnum   uirumque    confusum,   ut   huiusmodi 
haerere  quaesiionibus  non   lam    studiosi  quam  otiosi    hominis  esse 
videatur.  »  C'est  aussi   mon  avis;   mais  on  peut   alors  se    demander 
pourquoi  l'auteur  s'est  donné  la  peine  d'écrire  la  seconde  partie   de 
son  livre.  —  La  langue  n'est  pas  d'une  qualité  à  faire  souhaiter  le 
retour  au   latin  comme  langue   savante  \ 

C.  FOSSEY. 

Lehrbuch  der  neutestamentlicheu  Théologie,  von  H.-J.  Holtzmann,  Zweite 
Autiage,  herausgegeben  von  A.  Jûlicher  und  W.  Bauer.  Tùbingen,  Mohr,  191 1  ; 
deux  in-8,  xx-SSg  et  xv-6i5  pages. 

Dogmengeschichte  der  alten  Kirche,  von  F.  WiiiCAND,  Leipzig,  Quelle,  1912; 
in-8,   vni-141  pages. 

On  saura  gré  à  MM.  Jûlicher  et  Bauer  du  soin  et  de  la  prompti- 
tude avec  lesquels  ils  ont  mené   à   bonne  fin   la  seconde  édition  de 

•■ ^ « ■ 

1.  Les  quatre  premiers  souverains  d'Assyrie,  nommés  p.  58,  manquent  dans  cette 
liste. 

2.  Un   seul   exemple  :  ftincta  contactus    inter   rcges   Assyrios  et    reges  populi 
elccti 


d'histoirf.  et  de  littérature  365 

l'œuvre  de  Holtzmann.  Cette  cdiiion  avait  été  préparée  par  Fauteur 
lui-même,  qui  se  tenait  fort  exactement  au  cdurant  de  toutes  les  publi- 
cations en  rapport  avec  son  sujet,  même  de  celles  qui  étaient  écrites 
en   français.  L'ouvrage  a  donc   été  revu   et  retouché  en  maint  détail. 
Il  ne  semble  pas  néanmoins  que  les  opinions  de  l'éminent  exégète  sur 
les  points  les  plus  importants  de  la  théologie  néotestamentaire  aient 
été  grandement  moditices.    I^ar  exemple,   en  ce   qui  regarde  la  der- 
nière cène,  H.  maintient  Tauthenticité  des  paroles  :  «  Ceci  est  mon 
corps  )),  «  Ceci  est  mon  sang  »,  bien  qu'il  écarte  comme  paulinienne 
ridée   de   mort    expiatoire,  et  aussi  celle  de   nouvelle  alliance,  aussi 
incompatible  que  la  première  avec  la  perspective  qu'ouvre   la  parole 
authentique  :  «Je  ne  boirai  plus  devin  que  dans  le  royaume  de  Dieu.  » 
Mais  on    ne  voit  plus,    dans    ces  conditions,   la    raison  des  paroles 
solennelles  sur  le  corps  et  le  sang.  S'il  s'agit  de  signitier  que  Jésus  va 
mourir,  mieux  vaudrait  le  dire  sans  image,  car  l'image  a  presque  l'air 
d'un  jeu  d'esprit  assez  déplacé.  L'on  fait  une  hypothèse  toute  gratuite 
et  Ton  aplatit  sans  motif  l'idée   paulinienne  en  supposant  que  Jésus 
aurait  eu  subitement  la  pensée  d'une  mort  qui  cimenterait  l'union  de 
ses  disciples  et  qui   ainsi  leur  serait  utile.    La   critique  allemande  ne 
semble  pas  prête  à  reconnaître  que  le  vieux  récit  qui  est  à  la  base  de 
Luc,  xxii,  i5-i8,  est  aussi  à  la  base   de  Marc,  xiv,  22-25,  et  que  les 
paroles  concernant  le  corps  et  le  sang  du  Christ  y  sont  surajoutées. 
De  même,   pour   ce  qui  concerne  la  conversion  de  Paul  et  sa  doc- 
trine, H.  s'en  lient  aux  explications  tirées  de  la  tradition  juive  et  des 
expériences   religieuses   de   l'Apôtre  ;   s'en    rapportant    toutefois    au 
■  témoignage   de  celui-ci,  il  admet  que  le  sentiment  de  sa  vocation  pour 
•  l'évangélisation  des  gentils  est  aussi  ancien  que  sa  conversion.    Reste 
.  à  savoir  quelles  expériences  intimes  auraient  pu  créer  dans  l'esprit  de 
Paul   l'idée  du   Christ  sauveur  universel  par  le  moyen  de  sa  mort, 
et  celle  du  salut  par  la  foi  à  ce  Christ  sans  les  œuvres  de  la  Loi.  Le 
livre  de  H.  n'en  demeure  pas  moins  le  monument  scientifique  le  plus 
achevé   qu'il  fût   possible  de  construire    sur   la  base  fournie   par  le 
Nouveau  Testament  et  les  littératures  juive  et  chrétienne.  La  compa- 
raison des  religio.ns  païennes,  spécialement  des  cultes  de   mystères, 
pourra  conduire  à  des  résultats  nouveaux;    mais  l'exégèse  de  H .  a 
été  si  prudente  et  pénétrante  que  ses  conclusions  seront  sans  doute 
plus  souvent  complétées  que  contredites  par  les  progrès  ultérieurs  de 
la  critique. 

L'ouvrage  de  M.  Wiegand  est  un  abrégé  de  l'histoire  des  dogmes, 
clair  et  bien  ordonné,  avec  docuinentation  suffisante  et  renseigne- 
ments bibliographiques.  L'exposé  historique  s'arrête  à  la  théologie 
de  Grégoire  le  Grand.  Entendant  par  dogme  la  définition  officielle  de 
la   croyance,    l'auteur    fait  naitre  le   dogme  chrétien   au  concile    de 

•  Nicée  et  dans  les  conciles  orientaux   qui  ont  suivi  ;  il  consacre   un 

•  chapitre  au  développement  du   dogme  en  Occident  sous  l'influence 


366  REVUE    CRITIQUE 

d'Augustin.  Il  va  sans  dire  que  ces  deux  chapitres  sur  l'histoire  du 
dogme  en  Orient  et  en  Occident  sont  précédés  d'un  autre  consacré  à 
la  préhistoire  du  dogme,  depuis  les  Pères  apostoliques,  et  d'une 
introduction  sur  les  «  présupposiiions  historiques  »  du  dogme,  à 
savoir  la  philosophie  et  la  religiosité  païennes,  le  judaïsme,  Jésus  et 
la  prédication  chrétienne  primitive.  Ainsi  la  «  révélation  du  Nouveau 
Testament  »  est  présupposée  à  l'histoirt  de  la  croyance,  elle  n'y  est 
pas  comprise.  II  semble  pourtant  que  cette  révélation  n'est  indépen- 
dante ni  du  judaïsme,  ni  du  paganisme,  et  que  la  préhistoire  du 
dogme,  —  puisque  préhistoire  il  y  a,  —  commence  bel  et  bien  dans  le 
Nouveau  Testament.  Les  spéculations  pauliniennes  et  johanniques 
sont  le  commencement  de  l'évolution  qui  aboutit  aux  définitions  des 
conciles  et  à  la  théologie  d'Augustin. 

Alfred  Loisy. 


Recherches  sur  le  manichéisme.  II.  Extrait  de  la  cxxiii'^  homélie  de  Sévère 
d'Amioche.  III.  L'inscription  de  Salone;  par  M.  A.  Kvgener  et  F.  Cumont, 
Bruxelles,  Lamertin,    1912;  gr.  in-S,  pp.  83-177. 

Les  Homélies  de  Sévère  d'Amioche  ne  se  sont  conservées  qu'en 
syriaque.  La  I23«  contient  d'importants  extraits  d'un  livre  de  Mâni 
qui  développait  une  cosmogonie.  II  va  sans  dire  que  Sévère  ne  citait 
Màni  que  pour  le  réfuter.  L'édition  et  la  traduction  des  fragments  de 
Mâni  et  de  sa  réfutation  par  Sévère  sont  dues  à  M.  Kugener  ;  le  com- 
mentaire est  de  M.  Cumont.  Le  texte  méritait  les  soins  qu'y  ont 
donnés  ces  deux  savants.  On  y  voit  comment  les  deux  principes  for- 
maient à  l'origine  deux  mondes  voisins  mais  tout  à  fait  distincts, 
celui  de  la  lumière  et  celui  des  ténèbres,  l'arbre  de  vie  ou  l'arbre  bon, 
et  l'arbre  de  mort  ou  l'arbre  mauvais.  Une  agitation  qui  se  produisit 
dans  le  monde  ténébreux  lit  découvrir  à  ses  habitants  le  monde  de  la 
lumière  et  le  leur  fît  désirer  ;  le  dieu  de  la  lumière  n'avait  rien  qui  lui 
donnât  prise  sur  le  monde  des  ténèbres  pour  le  détruire  ;  il  laissa 
donc  envahir  une  partie  de  la  lumière  par  les  ténèbres,  afin  d'acquérir 
le  moven  d'atteindre  l'ennemi  de  tout  bien  et  de  préparer  sa  ruine  : 
ainsi  naquit  le  monde  où  nous  vivons.  Sévère  ne  dit  pas  à  quel  livre  de 
Mâni  il  emprunte  ses  citations.  M.  G.  démontre  que  Titus  de  Bostra 
et  Théodoret  ont  puisé  à  la  même  source  que  Sévère;  mais  ils  ne 
nomment  pas  non  plus  le  livre,  comme  s'ils  craignaient  de  le  faire 
connaître  à  des  gens  trop  curieux.  On  a  supposé  gratuitement  que 
c'était  le  livre  des  Mystères,  mentionné  par  Épiphane  ;  M,  C.  pense 
qu'il  s'agit  plutôt  du  Traité  des  Géants.  Une  citation  de  Basilide,  à 
la  fin  des  Acta  Archelai,  permet  d'affirmer  que  cette  cosmogonie  a  été 
empruntée  par  Màni  aux  doctrines  du  mazdéisme  contemporain. 

Une  petite  inscription,  trouvée  à  Salone,  importe  à  l'histoire  du 
manichéisme;  elle  provient  de  la  tombe  de  «  Bassa,  vierge,  lydienne, 
manichéenne  «  ;  elle  est  antérieure  au  v'  siècle  et  sans  doute  appar- 


d'histoire  et  de  littérature  367 

tient  à  un  temps  où  la  secte  n'était  point  persécutée.  M.  C.  note  que 
la  qualité  de  «  vierge  »  indique  probablement  une  situation  privi- 
légiée dans  l'Kglise  de  Màni  ;   Bassa  était  une  <(  élue  ». 

A.  L. 

Les  Actes  Apocryphes  de  l'apôtre  André;  les  actes  d'André  et  de  Mathias,  de 
Pierre  et  d'André  et  les  textes  apparentes  par  .1.  1'"i.amion  S.  T.  L.  Louvain- 
Paris,  191 1.  in-8°,  de  xvi-33o  pages. 

M.  Flamion  a  étudié,  avec  la  plus  minutieuse  attention,  les  travaux 
de  Lipsius,  ceux  de  Bonnet  et  les  miens;  et  il  prétend  restituer  la 
légende  primitive  du  frère  de  Pierre  —  tâche  que  Harnack  juge  impos- 
sible, avec  beaucoup  de  sens.  —  Il  croit  la  retrouver,  essentiellement, 
dans  le  texte  de  Grégoire  de  Tours,  et  aussi  dans  la  Landatio  et  le 
Martyr.  I  graec .  (hymne  à  la  croix)  :  elle  daterait  de  milieux  chré- 
tiens plaionisants  de  la  fin  du  m'  siècle,  tandis  que  les  gestes  d'An- 
dré et  de  Mathias  auraient  pour  patrie  un  monastère  d'Egypte,  au 
Y*"  siècle  '.  Ces  conclusions  sont  très  acceptables.  Pourtant,  notre 
auteur  prend  comme  point  de  départ  le  texte  latin  de  la  lettre  des 
prêtres  d'Achaie  et  il  en  cherche  le  rédacteur  dans  le  groupe  auquel 
j'ai  rattaché  Vitus,  Cécile^  Agathe,..  .  ".  Pareille  théorie  me  paraît 
très  douteuse.  La  pseudo-lettre  a  pu  être  utilisée  par  Vitus;  mais  elle 
se  rapproche  davantage  de  Censiirinus,  de  la  version  mélitonienne  du 
Transitas  Mariae  et  de  la  recension  parisienne  du  Décret  de  Gélase  '; 
elle  devait  refouler  une  édition  manichéenne  des  gestes  de  l'apôtre; 
peut-être  date-t-elle  des  environs  de  520.  Quant  à  l'hymne  à  la  croix, 
j'accepte  la  conclusion  de  M.  F.,  dont  l'analyse  m'a  paru  fort  intéres- 
sante. Mais  je  regrette  qu'il  fasse  tant  d'accueil  à  la  théorie  allemande 
et  montre  dans  nos  textes  de  purs  romans  ;  ils  constituent,  à  mon 
sens,  non  pas  du  tout  une  littérature  romanesque,  mais  une  littéra- 
ture polémique,  dont  les  pointes  ont  été  peu  à  peu  émoussées  par  de 
successives  retouches;  ils  visaient,  non  à  charmer  l'imagination  du 
lecteur,  mais  à  répandre  certaines  idées  et  à  en  combattre  certaines 
autres  '. 

A.  DUFOURCQ. 

Les  Actes  apocryphes  de  l'Apôtre  André,  par  J.  Flamion.  Paris,  Picard, 
191 1  ;  gr.  in-S°,  xvi-33o  pages. 

Étude  critique  des  Actes  d'André  en  leur  diverses  formes.  Première 

1.  Trois  parties  :  I.  Les  textes  :  i.  occidentaux;  2.  byzantins.  —  II.  Les  actes 
primitifs,  i .  Le  martyrium-source  ;  2.  Les  hagiographcs  byzantins;  3.  Grégoire 
de  Tours.  —  lil.  Les  actes  dWndré  et  Mathias. 

2.  Etude  sur  les  Gesta  Martyrum  romains,  tome  H,  p.  182-210. 

3.  Étude  G.  M.  R.,  tome  IV,  p.  324-344. 

4.  Que  dire  de  la  langue  qu'écrit  M.  F.?  Qu'on  en  juge.  «  Ces  chapitres  viennent 
de  la  forme  donnée  à  la  passion  de  l'épistolier,  aussi  bien  que  des  préoccupations 
moralisantes  et  édifiantes  qui  l'ont  amené  à  faire  une  passion  digne  d'être  lue  à 
l'office  avec  la  tradition  sur  S.  André  »,  p.  43. 


368  REVUE    CRITIQUE 

partie,    discussion  des  textes  byzantins  ;   deuxième   partie,  recherche 
et  reconstitution  hypothétique  des  Actes  primitifs  d'André,  d'où  pro- 
cèdent directcmcni  ou  indireciement  les  textes  précédemment  étudiés  ; 
troisième    partie,    complémentaire,    examen    des    légendes    indépen- 
dantes des  Actes  primitifs,  Actes  d'André  et  de  Mathias,  de  Pierre  et 
d'André,  et  textes  apparentés.  Le  travail  est  très  solide,  l'analyse  des 
textes  est  très  pénétrante,  leur  comparaison  judicieuse.  Mais  Texposé 
ne  pèche  point  par  excès  d'ordre  et  de  lucidité;  les  conclusions  sont 
éparses  dans  tout  le  livre,  et  l'auteur  n'a  pas  pris  soin  de  les  résumer 
en  quelques  pages  qui  permettraient  de  saisir  d'un  seul  coup  d'œil  la 
filiation  des  textes  et  les  résultats  d'ailleurs  importants  auxquels   il 
est  arrivé.  On  nous  permettra  de  ne  point  suppléer   ici  à  cette  omis- 
sion.   Disons  seulement  que,  d'après  M.  F.,  les  Actes  primitifs  com- 
prenaient et  le  récit  des  pérégrinations  apostoliques  d'André  et  celui 
de  son  martyre  ;  ils  faisaient  voyager  l'apôtre  depuis  le  Pont  jusqu'en 
Achaïe.  C'est  en  Achaïe  même  qu'a  dû  être  composé  ce  pieux  roman. 
Car  il  s'agit  d'une  création  purement  fantaisiste,  composée  à  l'imita- 
tion des  «  romanciers  grecs  ».  L'hagiographe  dépendrait  du  mouve- 
ment néoplatonicien  ,  «  il  suppose  Ploiin  »  ;  il  vivait  dans  la  seconde 
moitié  du  111'^  siècle  et  il  a  échappé  à  l'infîuence  de  la  gnose.  Une  dis- 
cussion plus  claire  de  ce  dernier  point  n'aurait  pas  été  superflue. 

A.  L. 


L'évolution  du  dogme  catholique,  par  Félix  Goblet    d'Alviella.   I.    Les  ori- 
gines. Première  partie.  Paris,  Nourry,  1912  ;  gr.  in-8,  xni-347  pages. 

C'est  une  tâche  considérable  que  celle  dont  s'est  chargé  M.  F.  Goblet 
d^Alviella.  L'œuvre  comprendra  plusieurs  volumes  ;  celui  qui  nous 
est  donné  concerne  les  origines  du  dogme,  le  commencement  des 
origines.  Préface  de  M.  Salomon  Reinach.  L'auteur  écrit  dans  son 
introduction  :  «  Puisque  le  dogme  se  dit  immuable,  infaillible, 
expression  parfaite  et  évidente  de  la  vérité  éternelle,  et  qu'il  ne  pos- 
sède aucune  de  ces  qualités,  il  renferme  donc  un  principe  d'erreur.... 
La  science  a  donc  pour  devoir  de  le  combattre.  La  science  le  fait  sans 
partialité  et  sans  haine,  uniquement  parce  qu'il  s'agit  d'une  erreur.  » 
ïl  s'agit  donc  d'une  histoire  qui  n'est  pas  exempte  d'arrière-pensée 
polémique.  Cependant  le  premier  devoir  de  la  science  est  d'être 
elle-même,  d'être  de  plus  en  plus  la  vérité.  L'objet  de  l'histoire  n'est 
pas  de  contredire  et  de  réfuter  la  théologie,  mais  de  montrer  ce  qui 
fut.  Pas  n'est  besoin  de  vouloir  prouver  que  les  dogmes  ne  sont  pas 
immuables  ;  il  suffit  d'exposer  comment  ils  se  sont  formés.  La 
démonstration  sera  d'autant  plus  efficace  qu'ells  n'aura  pas  été 
cherchée. 

M.  G.  d'A.  est  bien  informé;  il   fonde  son  analyse  de  l'histoire  et 
des  doctrines  du  Nouveau   Testament  sur  les  travaux  critiques  les 


d'histoire  et  de  littérature  369 

plus  récents,  et  l'on  ne  pcui  pas  le  blâmer  d'avoir  été  éclectique 
dans  son  choix.  Mais  l'équilibre  de  sa  synthèse  en  souffre  peut-cire 
sur  certains  points.  Par  exemple,  en  ce  qui  regarde  la  carrière  de 
Jésus,  les  emprunts  qu'il  fait  à  mon  commentaire  des  Evangiles 
synoptiques  ne  s'accordent  pas  avec  l'idée,  qu'il  prend  ailleurs,  d'un 
Jésus  qui  n'aurait  pas  eu  de  prétention  messianique.  L'Évangile  n'a 
pour  moi  de  sens,  et  mon  commentaire  ne  tient  que  dans  l'hypothèse 
contraire.  Si  Jésus  n'a  point  été  condamné,  sur  son  propre  aveu,  au 
supplice  de  la  croix,  comme  prétendant  à  la  royauté  messianique, 
c'est  son  existence  même  qui  devient  problématique.  On  ne  peut  pas 
faire  de  lui  un  doublet  de  Jean-Baptiste.  Les  disciples  de  Jean  ne 
l'ont  pas  dit  ressuscité,  ils  ne  l'ont  pas  proclamé  Christ,  même  quand 
l'exemple  des  disciples  de  Jésus  les  y  invitait.  L'unique  raison 
qu'eurent  les  apôtres  de  penser  que  Jésus  était  entré  dans  la  gloire 
messianique  par  la  résurrection  est  qu'ils  croyaient  d'avance,  avec 
Jésus  lui-même,  qu'il  entrerait  dans  cette  gloire  par  l'avènement  du 
règne  de  Dieu.  Jean  avait  annoncé  surtout  le  jugement  de  Dieu; 
Jésus  annonçait  le  règne,  le  triomphe  des  justes,  où  sa  place  était 
marquée.  A  mon  humble  avis,  «  la  science  »,  si  désireuse  qu'elle 
puisse  être  de  «.  combattre  l'erreur  »,  ne  peut  pas  affirmer  comme 
choses  certaines,  ainsi  que  le  fait  M.  G.  d'A.,  que  Jésus  ne  s'est  pas 
cru  Messie,  et  que  l'apôtre  Pierre  n'est  jamais  venu  à  Rome. 

Alfred  Loisy. 


L'orientation  religieuse  de  la  France  actuelle,  par  P.  Sabatier.  Paris,  Armand 

Colin,  iq  I  I  ;  in- 18,  3 20  pages. 

Sujet  difficile,  mais  que  nul  ne  pouvait  traiter  avec  plus  de  compé- 
tence, d'entrain  et  de  confiance  que  M.  Paul  Sabatier.  Son  livre  aurait 
pu  s'intituler  tout  aussi  bien  la  Désorientation  religieuse.  A    ne  con- 
sidérer que  les  faits,  c'est  même  ce  dernier   titre  qui   conviendrait  le 
mieux.  Mais  par  dessus  les  faits  l'auteur  étend  comme  un  transparent 
lumineux    son   indéfectible   espérance.    Les    réalités    seraient  plutôt 
sombres.  M.  S.  établit  assez  péremptoirement  que  les  Églises,  suivant 
avec  trop  de  logique  leurs  propres  voies,  ont  perdu  le  nord,  et  que 
nul    jusqu'à  maintenant  ne  peut  se  flatter  d'avoir   retrouvé  la  bous- 
sole qu'elles  ont  égarée.  Mais  M.  S.  n'en  réussit  pas  moins  à  signaler 
de  ci  de  là,  un  peu  partout,  des  efforts  qu'il  voit  converger  dans  une 
direction    qui    lui   paraît   être   celle   de  l'avenir.  La   religion   future, 
n'existant  encore  qu'à  l'état  d'idéal,  est  par  conséquent  plus  belle  qu'elle 
ne  sera  jamais   si  elle  s'affirme  dans  le  monde  réel.  La  critique  du 
catholicisme  officiel  et  du  protestantisme,  dans  l'ouvrage  de  M.    S., 
pourrait  bien  être  plus  solide  que  ses  prévisions.  Du  moins  l'auteur 
croit-il   à  l'avènement    de  l'idéal  nouveau   comme  les    anciens    pro- 
phètes croyaient  à  l'avènement  du  règne  de  Dieu.  Mais  ces  chose-là 


370  REVUE    CRITIQUE 

n'arrivent  jamais  aussi  prompteincnt  ni   aussi  pleinement  que  l'an- 
noncent les  voyants. 

A.  L. 


Arth.  STKiN,Die  Kaiserlichen  Verwaltungsbeamten  unter  Severus  Alexan- 
der.  Prag.  i<ji2  (Extrait  du  Jaliresbciiclit  1  >/ 1  :j  der  I  deiitsclicn  Staatsreal- 
schule  tn  Prag.)  21  p.  in-80. 

Ce  petit  mémoire  contient  le  nom  de  tous  les  fonctionnaires 
d'ordre  équestre  connus  qui  ont  vécu  sous  Alexandre  Sévère,  depuis 
les  préfets  du  prétoire  juqu'aux  procurateurs  de  provinces,  avec  la 
mention  et,  autant  que  possible,  la  date  des  charges  qu'ils  ont  exer- 
cées. La  Prosopographia  imperi  romanii  de  Berlin  rendait  le  travail 
facile  ;  le  mérite  de  l'auteur  est  de  l'avoir  complétée  au  moyen  des 
inscriptions  parues  depuis  quelques  années. 


Studien  zur  germanischen  Sagengeschichte,  von  D"^  Friedrich  Panzf.r,  Pro- 
fesser an  der  Akademie  zu  Frankfurt  a.  M.  II.  Sigfrid.  Mûnchen,  Beck,  19 12. 
In-8",  x-282  pp..  8  m. 

Parmi  les  tentatives  faites  pour  découvrir  l'origine  et  le  sens  des 
grandes  épopées  germaniques,  il  en  est  une,  toute  récente,  qui  n'a  pas 
eu  la  fortune  qu'elle  méritait.  C'est  celle  dont  l'auteur  le  plus  qua- 
lifié est  M.  Panzer.  Ce  distingué  germaniste  s'applique  depuis  plu- 
sieurs années  à  démontrer  que  les  légendes  conservées  dans  les 
poèmes  les  plus  glorieux  des  Germains,  Beowulf,  Giidrun,  Nibe- 
liingenlied,  sont  la  version  héroïque  de  contes  populaires  encore  en 
circulation  de  nos  jours.  Après  avoir,  dans  deux  imposants  volumes, 
tenté  la  preuve  de  son  opinion  pour  les  légendes  de  Beowulf  et  de 
Gudrun,  il  s'essaye  aujourd'hui  à  la  faire  pour  la  légende  de  Siegfried. 

Ce  n'est  pas  le  Nibelungenlied  qui  sert  de  point  de  départ  à  M.  P. 
pour  ses  investigations.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  montrer  surpris. 
Tout  le  monde  sait  que  le  célèbre  poème  moyen-haut-allemand  est 
une  rédaction  «  courtoise  «  de  l'antique  légende.  M.  P.  a  pensé 
trouver  la  forme  la  plus  primitive  du  récit  dans  le  Lied  vom  hiimen 
Seifrid.  Ce  poème  populaire  est  beaucoup  plus  récent  que  le  Nibe- 
lungenlied, mais,  comme  le  fait  voir  M.  P.  la  rédaction  que  nous  en 
possédons  est  le  remaniement  d'un  texte  datant  du  xiii^  siècle.  Une 
minutieuse  comparaison  de  ce  Lied  avec  le  conte  —  aux  multiples 
variantes  —  de  Jean  de  VOurs  '  a  convaincu  M.  P.  que  la  légende 
est  la  mise  en  œuvre  poétique  du  conte.  Ainsi  M.  P.  dépasse  les  cri- 
tiques anciens  qui,  avec  les  Grimm,  avaient  reconnu  la  parenté  de  la 
légende  de  Siegfried  avec  certains  contes  allemands,  qu'ils  appelaient 

I.  J'adopte  ce  titre  qui  est  celui  de  l'une  des  variantes  françaises,  afin  de  rester 
tout  près  du  titre  allemand,  Bàrensohn. 


d'histoire  et  de  littérature  371 

«  Siegfriedmaerchen  »,  mais  croyaient,  à  Tinverse  de  M.  P.  que  c'était 
le  conte  qui  s'inspirait  de  la  légende.  Par  contre,  M.  P.  détruit  une 
opinion  universellement  admise.  On  a,  depuis  Grimm,  cru  que  la 
légende  de  Siegfried  et  le  conte  de  la  Belle  au  Bois  Dormant  avaient 
une  commune  origine,  qui  serait  un  mythe  indo-européen.  M.  P.  nie 
toute  identité  de  la  légende  et  du  conte.  Ceci  concorde  avec  sa 
théorie  d'après  laquelle  —  il  est  sur  ce  point  d'accord^avcc  la  plupart 
des  critiques  actuels  —  la  mvthologie  n'aurait  aucune  part  dans  la 
formation  des  légendes  germaniques.  Avec  lui,  nous  croyons  que  la 
solution  du  problème  des  origines  des  épopées  germaniques  est  «  non 
dans  le  ciel,  mais  sur  la  terre  ». 

La  légende  de  Siegfried  n'est  pas  une.  C'est  un  complexe  où  se 
démêlent  —  dit  M.  P.  —  trois  parties.  La  première,  qui  est  aussi  la 
plus  importante,  est  l'histoire  de  la  libération  de  la  vierge  ravie  par 
un  monstre  :  cette  histoire  fait  le  fond  presque  entier  d\x~^  Lied  von 
hiirnen  Seifried  et  de  Jean  de  VOurs.  La  seconde,  qui  se  lit  dans  le 
Nibeliingenlied  et  d'autres  documents  surtout  norrois,  est  l'aventure 
d'un  héros  qui  par  son  courage  et  sa  force  conquiert  et  dompte  la 
fiancée  récalcitrante,  c'est-à-dire  l'aventure  qui  soumet  Brunhilde  à 
Siegfried,  puis  à  Gunther.  Selon  M.  P.  cette  partie  de  la  légende  de 
Siegfried  est  la  version  poétique  d'un  conte  répandu  aujourd'hui  en 
Russie,  mais  disparu,  ou  inconnu  aux  folkloristes,  dans  l'Europe 
occidentale.  Enfin,  la  troisième  partie  de  la  légende  de  Siegfried,  la 
mort  du  héros,  aurait  pour  origine  un  conte  dont  le]  sujet  est  l'invul- 
nérabilité conditionnelle  d'un  mortel  privilégié. 

Il  faut  quelque  bon  vouloir  et  un  esprit  prêt  à  ne  s'étonner  de  rien 
pour  suivre  docilement  l'argumentation  de  M.  P.  Parmi  les  rappro- 
chements qu'il  établit  il  en  est  qui  apparaissent  convaincants  ;  d'autres 
sont  moins  persuasifs.   Voici  un  exemple.  Dans  deux  textes  différents 
M.  P.  constate  que  le  héros  triomphe  de  la  fiancée  récalcitrante  en  la 
frappant  de  verges.  Cette  analogie  lui  suffit  pour  affirmer  le  rapport 
de  dépendance  de  ces  deux  textes.  C'est  peut-être  un  argument  chan- 
celant. D'une  part,  le  trait  n'est  pas  caractéristique;  d'autre  part  il  est 
aisément  amené  par  la  situation,  et  la  concordance  remarquée  peut, 
en  fin  de  compte,  n'être  qu'une  simple  coïncidence.  Mais  il  faut  dire 
que  ces  points  faibles  sont  assez  rares  dans  le  travail  de  M.  P.,  dont 
la   méthode  devient   de  plus  en   plus   sévère  et  dont   les  déductions 
offrent   moins  de    prise  à  la    critique  aujourd'hui  que  dans  ses  pre- 
mières oeuvres.    L'érudit  germaniste  aura  d'ailleurs  eu   le  mérite  de 
faire   prévaloir  quelques  idées   justes  dont    ne  se  préoccupaient  pas 
assez  les  philologues  de  l'ancienne  école,  et  ses  études  auront  renou- 
velé toute  une  branche  de  la  philologie  germanique  en  montrant  la 
valeur  du  conte   populaire  que  l'on  a  jusqu'ici   trop^  traité  en  Cen- 
drillon. 

F.   Piquet. 


372  REVUE    CRITIQUE 

Prof.  Kttorc  Rota.  LAu8trii\  in  Lombardia  e  la  preparazione  del  movimento 
democratico  cisalpine.  Milan,  Soc.  Dame  .Migliicri,  ia-8",  191 1,  295  p.,  3  lire 
(Bili|.  stor.  dcl  Risorgimcnto,  série  VI,  vol.    ir)). 

Les  états  de  ritalic  du  Nord,  cl  la  Lombardic  spécialement,  ont 
accepté  et  supporté,  plus  aisément  que  tous  les  autres  pays  «  affran- 
chis »  par  nos  armées  de  1792  à  1801,  les  désagréments  et  les 
charges,  souvent  écrasantes,  de  l'intervention  française.  Les  Milanais 
ont  même  collaboré  de  bon  C(eur  à  une  œuvre  entreprise  par  des 
mains  étrangères,  et  donné  libéralement  ce  qu'on  réclamait  d'eux  : 
argent,  trésors  artistiques  et  soldats.  A  quoi  tient  cette  particularité, 
qui  étonna  les  Français  eux-mêmes?  M.  R.  estime  que  la  seule  expli- 
cation acceptable  est  dans  l'aversion  profonde  des  habitants  de  la 
Lombardie  pour  la  domination  autrichienne,  aversion  telle  que  tout, 
même  le  despotisme  des  agents  du  Directoire,  même  l'avidité  fiscale 
d'un  Haller,  semblait  préférable  au  retour  des  tedeschi.  Le  bâton 
autrichien  seul  a  fait  ce  miracle  de  mettre  un  Visconti  et  un  Serbel- 
loni  à  la  tête  d'une  république  démocratique  milanaise.  Le  danger 
autrichien  passé,  tout  ce  qui  séparait  dans  le  nord  de  l'Italie  la  popu- 
lation en  classes  distinctes  et  traditionnellement  hostiles  a  reparu  peu 
à  peu,  et  la  fragilité  de  l'état  lombard  est  apparue  tout  de  suite. 

L'auteur  n'a  pas  conduit  son  étude  au-delà  de  1797,  ce  qui  ne  per- 
met pas  de  vérifier  si  son  explication  rend  bien  compte  du  mouve- 
ment et  de  l'évolution  des  partis  après  la  crise  des  «  treize  mois  »  et 
le  retour  victorieux  des  Français  à  Milan.  Mais  l'étude  qu'il  a  faite, 
d'après  la  littérature  imprimée  et  les  archives  milanaises,  de  la  légis- 
lation autrichienne  (en  matière  politique  et  économique),  des  rela- 
tions intellectuelles  franco-milanaises  au  xviii^  siècle  et  de  l'agitation 
révolutionnaire  en  1794-96  semble  donner  raison  à  sa  thèse.  Les  faits 
qu'il  cite  ne  sont  pas  tous  nouveaux,  mais  ils  sont  bien  choisis  et  mis 
en  valeur,  avec  seulement  parfois  un  peu  trop  de  recherche  dans  le 
style  et  trop  d'expressions  imagées.  Le  chapitre  sur  la  fascination 
exercée  par  le  Paris  de  la  fin  de  l'ancien  régime  sur  les  Milanais  de  la 
classe  éclairée  est  sans  doute  le  plus  neuf  et  le  mieux  venu.  Peut-être 
M.  R.  aurait-il  pu  essayer  de  noter  avec  un  peu  plus  de  précision  le 
sentiment  vrai  de  la  population  milanaise  lors  de  l'arrivée  en  1796 
des  troupes  victorieuses  de  Bonaparte.  Les  principaux  témoignages 
que  nous  en  avons  sont,  ou  un  peu  suspects,  ou  trop  vagues;  il  y 
aurait  eu  intérêt  à  en  faire  une  critique  plus  serrée.  L'ouvrage  n'en 
est  pas  moins  agréable  à  lire,  et  utile.  Un  index  alphabétique  ou  une 
bonne  table  analytique  ne  l'auraient  pas  déparé,  au  contraire. 

R.  G. 


-Henry  Cochin,  Lamartine  et  la  Flandre,  Paris,  Pion,  19 12,  in-S»,  p.  xix-442. 

Ce  livre  s'appuie  sur   une  documentation  considérable   et  solide; 
dépouillement  des  œuvres  et  des  mémoires  relatifs  à  la  monarchie  de 


d'histoire  et  de  littérature  373 

Juillet  et  à  Lamartine  —,  longs  fragments  inédits  du  Manuscrit  de 
ma  mère  — ,  Iciires  inédites  nombreuses  de  l.amariinc  dont  26  sont 
publiées  en  appendice  avec  des  notes  biographiques  sur  les  amis  du 
député,  sur  la  composition  du  corps  électoral  — ,  documentation  spé- 
ciale dont  des  échantillons  (profession  de  foi,  rapports  administra- 
tifs...) figurent  en  fin  du  volume.  Il  se  présente  de  manière  aimable  : 
écrit  avec  entrain,  alerte,  plein  d'anecdotes,  à  la  fois  minutieux  et 
attachant.  Plusieurs  résultats  s'en  dégagent. 

D'abord  dés  précisions  sur  la  biographie  électorale  et  les  opinions 
politiques  du  poète.  Sa  candidature  esquissée  pour  une  élection  par- 
tielle à  Dunkerque  en  nov.  i83o  sous  le  patronage  des  Saint-Simoniens, 
organisée  à  Bergues  en  mai  i83i  sans  succès,  reprise  pendant  le 
voyage  en  Orient  à  la  fin  de  i832,  réussit  au  mois  de  Janvier  i833, 
puis  en  1834,  enfin  en  1837  :1e  nombre  de  voix  allait  croissant.  Peut- 
être  M.  C.  s'exagère-t-il  la  valeur  de  ce  siège  pour  Lamartine  :  il  reste 
pour  lui  un  pis  aller  qu'il  abandonne  dès  qu'il  est  slir  de  Mâcon.  — 
M.  C.  nous  présente  un  Lamartine  original  :  bon  enfant,  candidat 
attentif,  député  aux  petits  soins,  hrQÏ  xrhs  politicien.  Ses  opinions  sont 
et  restent  nettement  légitimistes  mais  en  même  temps  nationales  :  il  se 
présente  comme  1'  «  homme  social  »,  travaillant  à  la  conservation  de 
l'ordre  et  très  libéral,  acceptant  jusqu'en  1839  de  collaborer  avec  le 
Gouvernement  de  juillet  qu'il  déteste,  puis  désespérant  de  lui  et  le 
combattant  à  outrance  après  la  coalition.  C'est  la  période  conserva- 
trice qu'étudie  M.  Gochin. 

A  côté  de  cet  appoint  appréciable  à  la  biographie  et  à  la  psychologie 
de  Lamartine,  on  trouvera  dans  le  livre  en  question  :  un  tableau  coloré 
des  mœurs  (ch.  3)  et  de  la  vie  économique  (ch.  6)  et  politique  (ch.  6 
et  9)  de  la  Flandre  sous  Louis-Philippe  ;  —  des  renseignements  nom- 
breux, précis,  vivants  sur  la  préparation  des  élections,  la  recherche, 
généralement  difficile,  des  candidats,  le  choix  du  lieu  de  scrutin, 
l'administration,  bref  sur  la  «  cuisine  »  électorale  du  gouvernement 
d'abord  hésitante  et  timide,  puis  pressante  et  ouverte.  Ce  livre  pennet 
de  suivre  l'action  du  gouvernement  dans  les  provinces  sous  Louis- 
Philippe  ;  comme  tel,  en  dehors  de  ses  qualités  littéraires,  en  dehors 
de  sa  valeur  pour  l'histoire  de  Lamartine,  il  offre  un  réel  intérêt  pour 

l'histoire  générale. 

Charles-H.   Pouthas. 


A.  Chambolle,  Retours  sur  la  vie.  Paris,  Pion,  191  2,  in-80,  pp.  v-544. 

Ces  mémoires  offrent  un  double  intérêt  :  leur  qualité  littéraire  : 
un  style  simple  et  rapide,  des  portraits  vivement  brossés,  des  anec- 
dotes abondantes  et  amusantes  (je  recommande  particulièrement  les 
pages  91  et  suivantes  où  la  physionomie  de  Casimir  Périer  s'enlève 
avec  tant  de  relief  et  de  pittoresque),  leur  valeur  documentaire  ; 
ChamboUe,  journaliste  de  talent  d'abord  au  Courrier  Français  et  au 


374  REVUE    CRITIQUE 

NatioriiU,  puis  rédacteur  en  chef  du  Siècle  de  1837  à  1849,  fondateur 
enfin  et  directeur  de  V Ordre  (1  849-185 1  )  et  députe  intègre  de  la  Ven- 
dée (1838-1848),  de  la  Mayenne  eif  1848  et  de  la  Seine  (  1849-1851), 
signataire  de  la  protestation  des  journalistes  du  27  juillet  i83o,  exilé 
après  le  2  décembre,  fut  très  intimement  lié  avec  Odilon  Barrot  et 
Thicrs.  Ils  sont  un  document  sur  les  opinions  à  la  fois  libérales  et 
sages  des  partis  d'opposition  constitutionnelle  sous  la  monarchie  de 
juillet.  On  y  trouvera  de  plus  un  certain  nombre  de  renseignements 
tout  à  fait  neufs  :  détails  qui  montrent  bien  la  timidité  et  presque  le 
remords  des  auteurs  de  la  Révolution  de  Juillet  pp.  71-86),  récit  des 
efforts  pour  constituer  en  1837  un  grand  parti  d'opposition  libérale 
(p.  i35  et  p.  142),  des  divisions  au  sein  de  la  Coalition  en  1839 
(p.  i5i  sqq.),  surtout  ceci  à  propos  de  .la  Réforme  qui  est  une  révéla- 
tion :  démarches  de  62  conservateurs  dissidents  près  de  Guizot  (fin 
de  1846  ou  début  de  1847)  pour  lui  demander  des  concessions  libé- 
rales (pp.  22  1-223)  et  quasi-conspiration  des  princes  pour  se  désoli- 
dariser de  la  politique  de  leur  père  et  prendre  l'initiative  d'une  réforme 
(pp.  225-6).  Depuis  son  exil,  retiré  de  la  vie  publique,  Ch.  n'est  plus 
à  même  d'apporter  grand'chose  de  nouveau  à  l'histoire:  à  noter  poui^- 
tant  le  récit  d'une  conférence  chez  Thiers  le  7  ou  8  septembre  1870 
où  celui-ci  combat  la  rentrée  des  princes  d'Orléans  en  France  (p.  402). 
La  publication  de  lettres  inédites  complète  ces  souvenirs  :  parmi 
celles-ci,  il  y  en  a  de  tout  à  fait  remarquables  de  Thiers  sur  la  crise 
orientale  de  1840  (pp.  5o5-5o9)  et  sur  les  mariages  espagnols  (p.  Sog). 
Voilà  donc  une  utile  contribution  à  l'histoire  du  xix^  siècle. 

Charles-H.  Pouthas. 


Léon  Deloncle,  Statut  International  du  Maroc  (Collection  diplomatique  n°  i  ), 
Paris,  Lechevalier,  1912,  in-i6,  pp.  347. 

Idée  heureuse  que  de  vouloir  réunir  les  textes  qui  établissent  la 
situation  juridique  du  Maroc  dans  le  droit  international.  Mais  il  faut 
à  un  recueil  de  ce  genre  deux  qualités  .  être  clair,  être  complet.  Ce 
volume  de  M.  D.  n'a  ni  l'une  ni  l'autre. 

Il  n'est  pas  clair  :  l'ordre  de  publication  des  textes  est  mauvais 
pour  n'être  franchement  ni  logique  (des  textes  de  nature  très  diffé- 
rente :  actes  signés  entre  le  Maroc  et  la  France,  actes  signés  entre 
deux  puissances  européennes  relativement  au  Maroc,  actes  internatio- 
naux, figurent  sous  des  rubriques  communes  ;  les  rubriques  ne  contien- 
nent pas  tous  les  textes  qui  leur  reviennent,  ainsi  le  régime  des  Con- 
fins), ni  historique  malgré  la  division  en  3  périodes  :  avant  Algésiras, 
Algésiras,  après  Algésiras  ;  (ainsi  aux  différents  chapitres  de  l'Acte  de 
1906  sont  joints  les  règlements  applicatifs  s'étendant  jusqu'à  l'heure 
actuelle).  Résultat  :  la  physionomie  des  textes  disparaît  complètement  ; 
peut-on  se  faire  une   idée  de  l'Acte  d'Algésiras  si  minutieux,  si  déve- 


d'histoire  et  de  littérature  375 

loppé,  ligotant  si  étroitement  avec   ses  i2'3  articles  notre  action,  lors- 
qu'il est  amputé  de  son  préambule  et  morcelé  en  7  morceaux  isolés? 

Il  n'est  pas  complet;  ce  livre  était  composé  en  août  191  i.  Depuis 
lors,  des  événements  sont  survenus,  des  textes  nouveaux  ont  été 
publiés  qui  ont  complété  notre  documentation  et  transformé  la  con- 
dition du  Maroc.  Les  voici  :  traité  secret  franco-anglais  du  8  avril 
1904  communiqué  par  les  gouvernements  le  24  novembre  191  i,  traité 
secret  franco-espagnol  du  3  octobre  1904  publiée  par  \c  Matin  du 
8  novembre  191  i  (on  trouvera  ces  3  documents  dans  les  rapports 
Long  Chambre  n*^  1921  ou  Baudin  Sénat  1912  n"  244),  traité  de 
Protectorat  du  3o  mars  19 12  (rapport  Long  Chambre  n"  1994  ou 
Baudin  Sénat  n"  268).  D'ailleurs  à  la  date  même  où  était  composé  le 
recueil,  certains  actes  étaient  connus  qui  n'y  Hgurent  pas  :  toute  la 
série  des  7  traités  de  commerce  marocains,  l'arrangement  franco-espa- 
gnol sur  le  programme  de  la  conférence  i"^  septembre  1903,  le  traité 
franco-anglo-espagnol  de  1907  garantissant  le  statu  quo  territorial, 
l'arrangement  financier  franco-marocain  du  21  mars  19 10,  accords 
de  mars  igi  i  sur  les  féformes  chérifiennes. 

Ce  livre  devançait  le  moment  où  il  était  possible  :  à  l'heure  actuelle 
il  faudrait  encore  attendre  le  traité  franco-espagnol,  le  règlement  de 
Tanger,  les  accords  internationaux  à  venir  pour  l'abrogation  des  tri- 
bunaux consulaires. 

Charles-H.   Pouthas. 


C.    CoLscN.  Organisme  économique  et  désordre   social.   Paris,  Flammarion 
(Bibliothèque  de  philosophie  scientifique),   iyi2.   ln-12,  364  p. 

M.  Colson  est  un  penseur  vigoureux.  L'expérience  des  grandes 
entreprises,  le  goût  et  le  don  du  raisonnement  mathématique,  l'indé- 
pendance d'esprit  donnent  à  ce  qu'il  écrit  une  singulière  valeur.  On 
n'en  éprouve  pas  moins  un  certain  malaise,  en  face  de  ce  dyptyque 
où  il  a  cherché  à  figurer  d'une  part  l'harmonie  économique  (le  mot 
d'organisme,  comme  le  dit  très  bien  M.  C.  lui-même,  est  dangereux), 
de  l'autre  le  désordre  social. 

Sur  bien  des  points,  les  démonstrations  de  M.  C.  paraîtront  con- 
vaincantes. 11  saisit  à  bras  le  corps  les  conceptions  inconsciemment 
«  réalistes  »  de  l'école  sociologique.  Dans  la  permanence  des  phéno- 
mènes sociaux,  où  l'école  voit  un  caractère  spécifique,  M.  C.  ne 
découvre  qu'une  simple  application  de  la  loi  des  grands  nombres. 
On  pourrait  dire,  renversant  les  propositions  de  M.  Durkheim,  que  ce 
qui  est  véritablement  sociologique  dans  le  fait  social,  c'est  la  variation, 
la  permanence  étant  purement  d'essence  mathématique.  —  M.  C.  se 
livre  également  à  une  analyse  serrée  de  ce  que  l'on  peut  appeler  la 
«  mystique  »  du  socialisme.  11  oppose  à  Karl  Marx  une  théorie  rela- 
tiviste  de  la  valeur.  Il  renverse  quelques-unes  des  idoles  de  la  tribu, 


3-6  REVDE    CRITIQUE 

par  exemple  ceiic  idée  bizarre  ci  lu-rasic  que  le  travail  serait  en  quan- 
tité limitée  et  que,  par  conséquent,  en  tète  du  décaloguc  où  s'inscrira 
la  morale  des  producteurs,  devrait  rigurer  une  nouvelle  obligation,  le 
devoir  de  la  sous-production.  Malthusianisme  industriel,  qui  menace 
de  se  répandre   depuis  l'Australie  jusqu'aux   antipodes  de   ce  conti- 
nent, et  qui  irait  directement  à  l'encontre  de  la  civilisation.  — Signa- 
lons  au   passage    quelques    pages    non    moins    fortes,   par    exemple 
(p.   16-17)  sur  l'orientation  à  donner  à  l'enseignement,  sur  l'abus  des 
bi  —  tri    —   et  quadrilurcations,  «  et  cet  amas  de  prétendues   con- 
naissances   pratiques,   qui    enlèvent    au    travail   de   la    jeunesse    une 
grande  partie  de  son  efficacité  ».  —  De  même  il   sera  bien   difficile 
de  ne  pas  souscrire  aux  plaintes  que  M.   C,  en   homme  averti,  nous 
fait  entendre  sur  la  diminution  du  rendement  des  services  publics,  et 
surtout  sur  la  baisse,  dans  certains  corps  de  fonctionnaires,  du  dévoue- 
ment professionnel.  Il  n'est  personne  qui,  assistant  à  une  réunion  de 
fonctionnaires,   — -  fût-elle  de  l'ordre   le  plus  élevé  —  ne  se  soit  cru 
parfois  dans  un  syndicat  d'épiciers  ou  de    balayeurs,  tant  les  ques- 
tions de  «  ventre  >-  y  priment  toutes  les  autres'. 

Mais  s'il  y  a  d'excellentes  choses  dans  le  livre  de  M .  C,  on  esii- 
niera  sans  doute  qu'il  yen  a  trop.  Il  semble  qu'en  3  5o  pages  il  ait 
voulu  nous  donner  sa  confession,  le  résumé  de  toutes  ses  expériences, 
sa  conception  générale  de  l'homme  et  de  la  vie. 

Cette  conception  est  à  la  fois  optimiste  et  pessimiste.  Tout  est 
bien,  dirait  volontiers  M.  C,  sortant  de  la  main  de  la  nature,  c'est-à- 
dire  du  libre  jeu  des  luis  économiques  ;  tout  est  mal,  sortant  du  cer- 
veau des  réformateurs  sociaux.  Resterait  à  expliquer  —  puisqu'en 
définitive  c'est  des  faits  que  proviennent  les  doctrines  —  comment 
l'harmonie  économique  engendre  le  désordre  social.  Est-ce  que, 
fatalement,  le  progrès  trouverait  sa  limite  en  soi-même  ?  Alors  c'est 
une  conclusion  résolument  pessimiste  qu'il  faudrait  tirer  du  spectacle 
de  l'histoire. 

Optimiste,  M.  C.  l'est  sans  hésitation  lorsqu'il  loue  les  institutions 
patronales,  y  compris  les  économats  ;  lorsqu'il  admet,  ici-bas,  l'exis- 
tence d'une  sorte  de  a  justice  dans  la  répartition  des  biens  »  ;  lorsqu'il 
écrit  cette  phrase  :  «  la  base  des  droits  de  chacun  dans  les  biens  pro- 
duits, c'est  la  part  qu'il  a  prise  à  leur  production  »,  phrase  complétée 
par  celle-ci  :  «  Les  détenteurs  actuels...  ne  puisent  dans  leur  posses- 
sion aucun  droit  propre  ;  mais  ils  usent  des  droits  que  leur  ont  trans- 
mis leurs  auteurs  ».  J'entends  bien  comment  un  producteur  a  pu 
légitimement  disposer  de  la  partie  non  consommée  des  produits  de 
son  travail  (mais  alors  pourquoi,  p.  i32,  lui  enlever  le  droit  d'exhéré- 
dation  ?)  ;  je  vois  moins  bien  comment  ce  droit  du  testateur  crée  un 
droit  à  l'héritier,  même  ab  intestat.  Et  M.  C.  ne  le  voit  pas  près  bien 
lui-même,  puisque,  s'engageant  dans  une  voie  que  les  conservateurs 
purs  trouveront   dangereuse,  il  arrête  à  un  certain  degré  le  droit  des 


d'histoirk  kt  de  littérature  377 

collatéraux.  C'est  dire  que  riicriiage  n'a  d'autre  jusiiricaiion  que  son 
utilité  sociale  actuelle  —  actuelle,  et  par  conséquent  changeante. 

M.  C.  oppose  (p.  42)  à  toutes  les  révolutions  passées,  souvent  bien- 
faisantes malgré  leurs  violences,  toute  révolution  future  possible, 
nécessairement  malfaisante.  Pourquoi  vouloir  arrêter  l'histoire? 
Assurément  une  révolution  nouvelle  serait  une  violation  de  la  pro- 
priété. Mais  est-ce  que  l'histoire  est  autre  chose  qu'une  série  de  vio- 
lations de  la  propriété  ?  On  a  violé  la  propriété  des  patriciens,  lors- 
qu'on les  a  privés  du  droit  d'enchaîner  leurs  débiteurs.  On  aurait 
violé  la  propriété  d'un  industriel  athénien,  tel  le  père  de  Démos- 
thène,  si  l'on  avait  affranchi  ses  esclaves  armuriers,  c'est-à-dire  son 
capital.  On  a  bien  violé  la  propriété  des  planteurs  des  Antilles, 
comme  celle  des  corporations  de  métiers,  comme  celle  de  l'Eglise, 
comme  celle  des  seigneurs  terriens.  On  pourrait  dire  que  l'histoire 
des  progrès  de  la  civilisation,  c'est  l'histoire  des  viols  successifs  de  la 
propriété.  Si  le  fait  de  l'appropriation  est  un  fait  essentiel  et  perma- 
nent, les  formes  de  la  propriété  sont  transitoires.  Pourquoi  la  forme 
actuelle,  le  capitalisme  industriel,  échapperait-elle  au  sort  de  ses 
devancières  ? 

Au  candidat  à  la  succession  du  capitalisme,  à  savoir  au  syndica- 
lisme, M.  C.  reproche  deux  choses.  La  première,  c'est  d'être  inutile. 
L'amélioration  du  sort  des  ouvriers,  dit-11,  se  serait  produite  d'elle- 
même,  en  vertu  de  l'action  des  lois  économiques.  Ce  n'est  pas, 
cependant,  ce  que  l'on  constate  en  étudiant  l'histoire  économique  des 
quatre  derniers  siècles. 

M.  C.  ne  tient  pas  compte  de  la  résistance  opposée  par  le  milieu  à 
la  hausse  normale  des  salaires  dans  toutes  les  époques  de  non- 
liberté  de  coalition  et  de  non-intervention.  C'est  une  remarque  faite 
par  un  économiste  aussi  pondéré  que  feu  Levasseur  :  dans  les  périodes 
d'accroissement  du  stock  métallique,  les  salaires  croissent  moins  vite 
que  les  prix,  moins  vite  par  conséquent  que  ne  les  ferait  croître  le 
libre  jeu  des  lois  économiques.  Turgot  l'avait  dit  avant  Levasseur. 
C'est  qu'à  tout  moment  il  existe,  formelle  ou  tacite,  consciente  ou 
non,  une  coalition  des  employeurs;  la  coalition  des  employés  et 
l'action  des  lois  positives  ont  pour  objet  de  rétablir  l'équilibre. 

M.  C.  reproche  ensuite  au  syndicat  (et  sans  faire,  d'ailleurs,  une 
place  à  part  au  syndicat  de  fonctionnaires)  sa  malfaisance.  Il  le  consi- 
dère comme  un  élément  de  désordre  social,  comine  une  cause  de 
recul  vers  la  barbarie.  Assurément,  les  événements  actuels  semblent 
lui  donner  raison.  Mais  n'oublie-t-il  pas  ceci?  Actuellement  une  mino- 
rité, organisée  en  un  petit  nombre  de  fédérations  puissantes,  est  en 
face  d'une  masse  amorphe,  qu'elle  domine  et  qu'elle  écrase;  mais 
lorsque  cette  masse  sera  également  répartie  entre  d'autres  associa- 
tions, l'équilibre  ne  s'établira-t-il  pas  entre  les  intérêts  rivaux?  Dans 
un  Parlement  syndical^  des  transactions  s'imposeraient  entre  groupes 


3ji>  RKVDE    CRITIQUE 

sociaux  comme,  dans  le  Parlemeni  poliiique  d'aujourd'hui,  entre 
partis.  — Fata  viam  invcnicnt.  Dans  une  société  nouvelle,  le  besoin 
d'ordre  qui  est  coni^éniial  à  riionime  ferait  aussi  de  Tliarmonie  avec 
de  la  discorde.  Il  me  semble  que  cette  vue  devrait  plaire  à  l'opti- 
misme de  M.  C. 

Un  livre  qui  soulève  de  tels  problèmes  est  tout  le  contraire  d'un 
livre  inutile.  Nous  ne  saurions  trop  conseiller  aux  lecteurs  qui 
veulent  se  donner  le  temps  de  réfléchir  la  lecture  de  celui  de  M.  C. 
On  abuse  souvent  de  ce  mot  :  les  livres  «  qui  font  penser  ».  Celui-ci 
en  est  un. 

Henri  Hauser. 

Guides  artistiques  et  pittoresques  des  Pays  de  France,  publiés  sous  la  direc- 
tion de  L.  DiMiER.  La  Haute-Normandie,  par  G.  Fossey  et  G.  Longnon. 
Paris,  Delagravc,  s.  d.  [1912].  ln-8»,  692  p.  Une  carte  et  des  plans.  Index. 

Nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  les  caractéristiques  de  cette  nouvelle 
collection  (voy.  Revue  du  21  sept.  1912).  On  sait  que  ces  guides 
ignorent  délibérément  les  chemins  de  fer,  les  hôtels,  etc.  Ce  nouveau 
volume  contient  un  exposé  de  l'histoire  de  la  Normandie,  et  un 
exposé  de  l'art  normand  :  il  se  classe  donc,  logiquement,  avant  la 
Basse-Normandie,  précédemment  parue.  A  signaler  l'important  mor- 
ceau sur  Rouen,  où  la  ville  est  décrite  con  amore,  Dieppe,  le  Havre. 
Il  y  a,  hélas  !  quelque  chauvinisme  à  dire  du  Havre  :  «  le  second  des 
ports  de  France  et  l'un  des  premiers  de  l'Europe  ».  Cela  fut.  —  On 
s'étonne,  dans  une  collection  destinée  à  reproduire  la  physionomie 
des  pays  de  France,  qu'il  soit  fait  si  peu  de  place  à  la  géographie 
physique,  surtout  lorsqu'il  s'agit  de  «  pays  »  aussi  nettement  carac- 
térisés que  le  Caux  ou  le  Bray.  —  Le  parti  adopté  pour  les  renvois 
rend  certains  plans  (ceux  des  quartiers  de  Rouen)  pratiquement  inuti- 
lisables. —  Le  style,  à  force  de  préciosité  archaïque,  est  contourné  et 
bizarre.  P.  58  :  «  La  Normandie  de  l'unité  française,  plus  que  celle 
des  ducs  y  est  concernée  ».  —  Les  auteurs  tiennent  à  commettre  l'aga- 
çant solécisme  (il  date,  si  mes  souvenirs  ne  me  trompent,  du  Cosmo- 
polis de  M.  P.  Bourget)  qui  consiste  à  orner  d'une  majuscule  les  adjec- 
tifs géographiques  :  «  l'unité  Française,  l'architecture  Normande  ». 

H.  Hr. 


F.  Arnaudin,  Chants  populaires  de  la  Grande-Lande,  t.  1,  Paris,  Champion, 
1912.  In-i2"de  LXXXVI-52I   pp.  Pr.  S  frs. 

Ce  recueil,  dit  l'auteur  dans  sa  préface,  est  le  résultat  de  «  patientes 
recherches  commencées  il  y  a  quelque  trente-cinq  ans,  d'abord  par 
amusement,  aux  veillées  de  mon  village  ou  en  voguant  sur  la  bruyère 
pour  la  simple  satisfaction  d'un  goût  personnel,  mais  qui  se  sont 
peu  à  peu  étendues,   en  prenant  un  but,  aux  villages  environnants, 


d'histoire  et  de  littérature  37g 

puis  à  la  Grande-Lande  ei  au  pays  de  Born  en  entier,  enfin  aux  loca- 
lités des  Petites-Landes  et  du  Marensin  les  plus  proches  ». 

\[  conùeni  \es  Chants  du  premier  âge  :  berceuses  et  amusettes,  et 
des  Chansons  de  danse  :  rondes  enfantines,  chansons  de  neuf,  chan- 
sons énumcratives,  chansons  facétieuses  et  burlesques,  chansons 
satiriques.  Chaque  texte  en  patois  est  traduit  en  français  et  accom- 
pagné de  la  mélodie.  Les  Chansons  d'amour  viendront,  nous  espé- 
rons que  ce  sera  bientôt,  dans  le  deuxième  volume.  Un  troisième 
Sera  consacré  aux  Chants  divers,  chants  des  moissonneurs,  com- 
plaintes antiques,  légendes  pieuses,  enfin  HM-m  Chants  nuptiaux.  C'est 
dire  la  variété  de  cette  nouvelle  gerbe  qui  vient  enrichir  le  folk-lore 
français.  Peut-être  n'aurions-nous  pas  rangé  les  fîeurs  qui  la  com- 
posent tout  à  fait  ainsi  que  l'a  fait  M.  Arnaudin.  Mais  ceci  est  une 
affaire  de  goût  et  de  méthode.  L'essentiel  est  que  les  traditions  qui 
nous  sont  ainsi  conservées,  aient  été  recueillies  avec  une  absolue 
sincérité,  le  scrupuleux  souci  de  la  plus  minutieuse  exactitude  Jusque 
dans  les  moindres  détails.  M.  Arnaudin  nous  l'affirme  et  l'on  s'en 
rend  compte,  de  reste,  à  la  simple  lecture.  «  C'est  pour  la  partie 
musicale  pareillement,  dans  toute  leur  pureté  originelle,  que  nos 
vieilles  chansons  sont  présentées  ici,  et  nettes,  inutiles  de  l'ajouter, 
de  la  plus  petite  retouche  ou  addition  personnelle,  telles  que  me  les 
ont  fournies  ceux  et  celles  —  imposante  en  est  la  liste  —  qui  les 
tiraient  des  plus  anciennes  sources  et  les  avaient  conservées  le 
mieux  ». 

Outre  son  intérêt  philologique  et  poétique,  cette  collection,  lors- 
qu'elle sera  achevée,  permettra  une  psychologie  du  paysan  landais 
que,  peut-être,  tenterons-nous  alors  d'esquisser. 

Léon  Pineau. 


—  L'ex-dominicain  Alph.  Vict.  Muller  a  écrit  Liithers  theologisclie  Qiiellen, 
Seine  Verteidigung  gegen  Denijle  wid  Giisar  (Tôpelmann,  Giessen,  19 12,  xvi- 
244  p.  5  M.)  pour  prouver  que  les  thèses  fondamentales  de  Luther  ne  furent  nul- 
lement inventées  par  lui,  mais  appartenaient  au  contraire  à  la  plus  authentique 
tradition  catholique  et  trouvèrent  même,  jusqu'à  son  époque,  des  défenseurs 
convaincus  au  sein  de  l'Église.  L'abbé  Turmel,  qui  passe  pour  l'un  des  plus 
grands  historiens  catholiques,  ne  dit-il  pas  dans  la  Revue  d'histoire  et  de  littéra- 
ture religieuse  (1902,  p.  527),  en  parlant  de  la  doctrine  du  «  De  nuptiis  »  :  elle 
avait  trouvé  un  asile  sous  le  cloître  des  Augustins  et  s'y  perpétuait  jusqu'au  jour 
où,  associée  à  des  colères,  à  des  rancunes  et  à  une  logique  à  outrance,  elle  servit 
à  allumer  dans  l'Eglise  un  immense  incendie  »  ?  Le  général  des  Augustins  Séri- 
pandus  et  les  théologiens  de  cet  ordre  qui  le  représentèrent  au  Concile  de  Trente, 
défendirent  les  mêmes  doctrines  que  Luther  sur  la  concupiscence  et  le  péché  ori- 
ginel, la  justice  parfaite,  la  justilication  par  la  foi  en  un  mot.  Denifle  et  Grisar 
avaient  attaqué  en  Luther  l'homme,  le  moine  et  le  théologien;  l'homme  a  été 
défendu  par  Walthcr  dans  Fiir  Luther,  wider  Rom  (Halle,    1906).  C'est  le  moine 


38o  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

et  le  théologien  que  prétend  réhabiliter  M.  M.  en  étalant  l'ignorance  de  Denifle  et 
même  sa  mauvaise  foi,  et  l'incompétence  absolue  de  Grisar  qui  ne  cesse  de  copier 
Denifle  que  quand  il  copie  les  critiques  des  théologiens  protestants  contre  Luther, 
et  quand,  dans  son  chapitre  sur  la  «  Religion  du  serf  arbitre  »,  il  reproche  au 
réformateur  des  doctrines  qui  aujourd'hui  encore  sont  considérées  comme  ortho- 
doxes par  une  partie  des  Dominicains.  Livre  intéressant,  plein  d'imprévu  et  de 
points  de  vue  nouveaux.  —Th.  Sch. 

Encore   un   livre   sur   Bergson   :    Une  philosophie  nouvelle.    Henri  Bergson 

(Alcan,  1912.  v-209  P-  in-iG";  2  fr.  5o.  Bibliothèque  de  philosophie  contempo- 
raine) par  M.  Ed.  Le  Roy,  qui  réunit  ici  ses  deux  articles  de  la  Revue  des  Deux- 
Mondes  (1"  et  i5  févr.  19 12)  sur  la  Méthode  et  la  Doctrine,  en  y  joignant  une  Pré- 
face (avec  un  extrait  de  la  lettre  que  M.  Bergson  lui  adressa  à  l'occasion  de  ses 
articles)  et,  en  plus  d'une  Conclusion,  sept  Explications  complémentaires  sur 
«  quelques  points  plus  importants  ou  plus  diflïciles  »  comparables  aux  «  centres  de 
relief  principal  où  se  doit  rassembler  la  lumière  de  l'attention  ».  M.  L.  veut  nous 
donner  «  simplement  quelque  chose  comme  un  guide  préliminaire  à  l'usage  de 
ceux  qui  voudraient  s'initier  à  la  philosophie  nouvelle  ».  Pour  lui,  cette  dernière 
«  comptera  aux  yeux  de  l'avenir  parmi  les  œuvres  les  plus  caractéristiques,  les 
plus  fécondes  et  les  plus  glorieuses  de  notre  époque  ».  Caractéristique,  elle  le 
sera  sans  doute,  mais  peut-être  pas  dans  le  sens  qu'on  lui  attribue  ici;  et  un  sou- 
rire seul  peut  répondre  à  cette  naïve  déclaration  que  «  la  révolution  qu'opère 
cette  oeuvre  égale  en  importance  la  révolution  Kantienne  ou  môme  socratique  ». 
Ne  rendons  pas  M.  Bergson  responsable  des  maladresses  de  ses  admirateurs; 
sans  être  «  désormais  le  point  de  départ  de  toute  philosophie  spéculative  »,  la 
sienne  nous  apporte  sinon  du  nouveau,  du  moins  une  manière  nouvelle  de  formu- 
ler d'antiques  vérités  et  nourrira  l'esprit  de  quelques-uns  de  nos  contemporains, 
en  attendant  qu'un  autre  système  le  remplace  pour  un  temps,  comme  les  couches 
de  feuilles  sèches  se  succèdent  et  se  recouvrent  dans  les  forêts  primitives. 
—  Th.  Sch. 


V imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-eu-Vel»y.  —   Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


R  £  V  U  h    u  i<  i  i  i  Q  U  E 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  46  —  16  novembre.  —  1912 


Margoliouth,  Dictionnaire  de  Yaqoût,  IV.  —  Jkquier,  Décoration  égyptienne.  — 
GuuM  et  Steindorff,  Actes  coptes  de  Djéme.  —  Reutter,  L'embaumement  égyp- 
tien. —  Le.squier,  Les  institutions  militaires  de  l'Kgyptc  [sous  les  Lagides.  — 
JouGLiET,  Papyrus  grecs,  II,  2-4.  —  Textes  grecs  d'Aboukir  el  Meleq.  —  R.  Del- 
BRûcK,  Monuments  hellénistiques  du  Latium,  H.  —  Vitae  \'ergi]ianae,  p.  Brum- 
-MER.  —  ZiELiNSKi,  Cicérou,  3«  éd.  —  Les  origines  diplomatiques  de  la  guerre 
de  1870,  4  et  5.  —  Blondel,  Les  embarras  de  rAliemagne.  — Jirecek,  Histoire 
des  Serbes,  I.  —  Dukmeyer,  Le  Diarium  in  Moscoviam,  II.  —  Duc:mesne,  Le 
Domostroï;  Lermontov.  —  Habermann,  Le  projet  Stolypine.  —  Pétition  du  Land- 
tag de  Finlande.  —  Finlande  et  Russie.  —  Martinovitch,  Karagueuze.  —  Jeli- 
nek, La  littérature  tchèque  contemporaine.  —  Haumant,  Pouchkine.  — 
KuLCZYSKi,  Histoire  de  la  révolution  russe.  —  Pinès,  Histoire  de^'la  littérature 
judéo-allemande. 


Yaqut's  Irshad   al-  Arib   ila   ma'rifat   al-Adib,   éd.   by    D.  S.  Margoliouth  : 
vol.  V.  Leyden.  Brill,  1911  (Gibb  Mémorial  séries,  vol.  VI,  3),   in-4°;  xii-5'.'O  pp. 

M.  Margoliouth  publie  le  quatrième  volume  du  dictionnaire  de 
Yaqoût,  qui  renferme  les  biographies  d'un  certain  nombre  de  per- 
sonnages dont  le  nom  commence  par  la  lettre  'ain.  Le  volume  précé- 
dent contenait  la  lettre  ha  :  une  partie  importante  de  Touvrage  manque 
donc  dans  les  manuscrits  connus,  et  l'éditeur,  dans  l'espoir  que  des 
documents  nouveaux  pouvant  surgir,  renouvelle  l'appel  qu'il  avait 
fait  en  tête  du  tome  troisième  :  il  est  à  souhaiter  qu'il  trouve  un  écho 
et  que  soit  complété  un  ouvrage  qui  fournit  un  apport  considérable  à 
l'histoire  de  la  littérature  arabe.  Comme  pour  les  précédents,  l'exécu- 
tion matérielle  du  nouveau  volume  est  quasi  parfaite.  Les  corrections, 
suggérées  par  l'éditeur,  sont  en  général  fort  Judicieuses.  —  Des 
notices  étendues  sont  consacrées  à  des  personnages  illustres,  tels 
qu'El  Kisai,  El  Baîhaqi,  etc.;  —  on  y  lira  toute  une  anthologie  de 
vers,  qui  en  sont  point  tous  des  jeux  d'un  esprit  pédantesque.  —  Les 
listes  des  ouvrages  attribués  à  chaque  auteur  fourniront  des  rensei- 
gnements bibliographiques   nouveaux  '. 

I.  Par  exemple,  pour  Abou  1  Faradj  el  Isfahâni  (p.  i5i  et  i52),  la  liste  de  Yaqoût 
complète  celle  de  Hadji  Khalfa  et  du  Fihrist,  qui  paraissent  avoir  omis  des 
ouvrages  importants  de  l'auteur  du  Kitâb  el  Agliâni.  Yaqoût,  d'autre  part,  ne  lui 
attribue  point  le  Ayan  el  Fours  de  H.  Kh.,  t.  I,  p.  365,  ce  qui  ne  permet  pas  de 
considérer  comme  résolu  le  petit  problème  posé  in  Ibn  Khalliqan,  tr.  de  Slane, 
t.  III,  p.  647,  note   II.  —  Yaqoût,  pour  les  titres  connus  de  H.  Kh.,  a  des  variantes 

Nouvelle  série   LXXIV  46 


382  RKVUE    CRITIQUE 

Enlin,  il  y  a  abondance  d'indications  piccicuses  pour  rétude  de  la 
société  arabe  :  — des  pages  bien  amusantes  sur  la  saleté  de  l'auteur  du 
Kitâb  cl  Aghàni  et  sur  la  tenue  qu'il  avait  à  table  (p.  i  5?  s.  i;  —  p.  242, 
l'anecdote  sur  le  poète  Ibn  Roumi  qui,  pendant  trois  jours,  ne  sort 
point  de  chez  lui,  au  risque  de  faire  mourir  sa  famille  de  faim  et  de 
soif,  plutôt  que  de  risquer  la  vue  néfaste  de  son  voisin  le  borgne  ;  — 
p,  260  le  cadi  qui  s'enivre,  mais  sans  appeler  de  son  vrai  nom, 
khamr,  le  vin  qu'il  baptise  successivement  de  six  ou  sept  autres 
vocables.  —  De  la  notice  consacrée  au  khalife  'Ali  (p.  262),  il  résulte 
que  Yaqoùt  ne  croit  pas  à  l'authenticité  du  divan  attribué,  dès  une 
époque  ancienne,  au  gendre  du  Prophète;  —  (p.  272)  il  faudrait 
quelque  effort  pour  s'intéresser  aux  jeux  de  mots  ineptes  qui  font 
dire  au  pauvre  savant  qui  les  écoute  :  «  Pourquoi  toutes  les  bêtes 
s'acharnent-elles  aujourd'hui  sur  moi  !  »  —  p.  347-375  :  très  impor- 
tante biographie  d'Abou  i  Fath.  visir  du  Bouide  Rokn  ed  daouleh. 

M.  G.  D. 


G.  JÉQuiER.  Décoration  Egyptienne,  Plafonds  et  frises  végétales  du  Nouvel 
Empire  thébain  ^1400  à  1000  av.  J.-C),  Paris,  Eggimann,  1912,  in-40,  p.  25-28 
et  pi.  VII-VIII,  XI,  XVI,  XXI-XXVI,  XXVIII-XXX,  XXXIII-XL. 

Je  rendais  compte  de  la  première  livraison  de  cet  ouvrage  l'an  passé, 
à  pareille  époque  :  la  seconde  a  suivi  la  première  au  bout  de  six 
mois.  Elle  contient  les  dernières  lignes  du  texte,  les  tables,  et  vingt- 
une  planches  en  couleur.  L'éditeur  a  fait  largement  les  choses  et  nous 
devons  lai  en  être  reconnaissant,  mais  il  avait  reçu  de  si  bons  élé- 
ments de  reproduction,  qu'il  aurait  été  inexcusable  de  nous  donner 
un  volume  médiocre.  Je  crois  que  les  personnes  qui  s'imaginent 
encore  que  l'art  de  l'Egypte  était  monotone,  seront  bien  étonnées  en 
parcourant  ce  recueil  :  elles  y  trouveront  une  variété  de  formes,  une 
richesse  de  coloris  et  une  fraîcheur  d'imagination  qui  les  porteront 
peut-être  à  craindre  que  M.  Jéquier  n'ait  agi  parfois  à  la  façon  de 
Prisse  d'Avenues,  et  que  ses  copies  ne  soient  par  endroits  de  belles 
infidèles.  Je  puis  les  rassurer  :  tout  y  est  rigoureusement  exact,  des- 
sins et  couleurs,  et  la  seule  liberté  que  M.  Jéquier  ait  prise  avec  ses 
modèles,  c'est  de  n'y  pas  tenir  compte  des  cassures  de  la  pierre  et  des 
manques  de  l'enduit  sur  lequel  les  motifs  étaient  peints.  11  a  eu  raison 
de  procéder  ainsi,  dans  un  livre  destiné  à  faire  connaître  non  pas 
l'état  actuel  des  monuments,  mais  les  types  de  décoration  végétale 
dont  les  Egyptiens  ornaient  les  plafonds.  Les  exemples  recueillis 
ici  proviennent  des  tombeaux  et  c'est  dans  les  tombeaux  en  effet  que 

intéressantes  :  udàbâ  l  ghtirabâ  au  lieu  de  àdàb  (I,  21 3),  el  ghilmân  el  miivglian- 
niin  (V,  127),  etc.  —  Quelle  raison  a  fait  préférer  par  l'éditeur  (p.  i5i  av.  dern. 
1.)  diyânât  à  diyâvât,  que  lui  donnait  son  second  manuscrit  et  qui  paraît  consacré 
par  H.  Kh.,  t.  III,  p.  240,  par  le  Fihrist  (p.  1 19)  et  par  le  manuscrit  de  Berlin  (Broc- 
kelmann,  G.  A.  Litt.,  t.  I,  p.  146)  ? 


d'hISTOIRK    et    DK    LlTnCRATUHK  383 

la  conservation  des  plafonds  est  meilleure;  mais  les  mêmes  poncifs 
étaient  usités  dans  les  palais  royaux  ei  dans  les  maisons  des  nobles  ou 
delà  classe  aisée  :  le  Musée  du  Caire  possède  des  fragments  ramassés 
dans  les  ruines  du  palais  d'Aménôthès  III,  à  Médinét-Habou,  qui 
procèdent  d'une  inspiration  aussi  puissante  et  aussi  féconde.  Je  crois 
me  rappeler  que  M.  Jéquicr  projette  de  publier  d'autres  séries  de 
motifs  empruntés  aux  nécropoles  thébaines  :  j'espère  qu'il  ne  laissera 
pas  tomber  ce  projet,  et  que  M.  Eggimann  lui  en  facilitera  l'exé- 
cution. 

G.  Masi^ero. 


W.  E.  Crlm  et  G.  Steindorff,  Koptische  Rechtsurkunden  des  achten  Jahr- 
hunderts  aus  Djème  (Theben),  i'^'-  Band  :  Texte  und  Indices  von  W.  E.  Crum, 
Leipzig, J.  C  llimichs'schc  Biichhandlunt;,  ii)i2,  in-4°,  iv-470  p.  Prix  :  56  f"r.  25. 

Les  deux  collaborateurs  se  sont  partagé  la  tache  :  Steindorff  s'est 
réservé  la  traduction  et  le  commentaire,  Crum  a  pris  pour  lui  ce  qu'il 
y  avait  de  plus  ingrat,  la  copie  et  l'établissement  des  textes  ainsi  que 
la  compilation  des  Index.  Il  s'est  acquitté  de  sa  besogne  avec  la  cons- 
cience voulue,  et  il  nous  a  donné  une  œuvre  dont  on  ne  saurait  trop 
le  remercier  et  dont  il  est  impossible  de  faire  valoir  l'importance 
dans  un  compte  rendu  rapide.  On  avait  publié  antérieurement  un 
certain  nombre  de  ces  mêmes  pièces,  mais  isolées,  et  souvent  avec 
des  erreurs  dans  le  déchiffrement  que  l'état  des  manuscrits  excusait, 
bien  qu'elles  fussent  de  nature  à  nuire  par  endroits  à  l'intelligence 
des  documents.  Le  présent  volume  renferme  tout  ce  qu'il  a  été  pos- 
sible jusqu'à  ce  jour  de  réunir  du  cartulaire  d'une  des  petites  villes 
qui  s'élevaient  sur  la  rive  gauche  du  Nil  en  face  de  Thèbes,  celle  de 
Djèmé,  et  la  comparaison  a  permis,  tout  en  comblant  beaucoup  des 
lacunes  que  plusieurs  d'entre  eux  présentent,  de  lire  sûrement  divers 
passages  demeurés  douteux  aux  premiers  éditeurs.  Nous  possédons 
maintenant,  grâce  à  Crum,  un  ensemble  d'actes  assez  fidèlement 
reproduits,  pour  que  les  juristes  de  profession  puissent  y  étudier  en 
toute  sécurité  certaines  portions  du  droit  copte-byzantin,  tel  qu'il  sub- 
sistait encore  un  siècle  ou  un  siècle  et  demi  après  la  conquête  arabe. 

Il  y  en  a  de  toute  espèce,  mais  surtout  des  actes  de  vente,  de  par- 
tage et  de  donation  et  des  testaments.  Le  corps  en  est  toujours  écrit 
en  copte,  et  il  n'en  pouvait  guère  être  autrement,  le  copte  étant  le 
langage  parlé  dans  la  plaine  thébaine,  mais  l'influence  des  coutumes 
administratives  de  l'empire  byzantin  était  si  forte  encore  que,  dans 
bien  des  cas,  la  formule  initiale  d'invocation  à  la  Sainte  Trinité,  et  la 
signature  du  notaire  sont  en  grec,  un  grec  plein  de  fautes,  il  est  vrai  : 
c'est  ainsi  qu'une  donation  d'enfant  faite  en  8i3  de  notre  ère  ss  ter- 
mine par  les  mots  îyw  a!3^a  aTra-r/ip  [j.ov  sXa  z'[ p7.'\i'(-t .  L'arabe  en  revanche 
ne  ligure  qu'en  tète  des  feuillets  dans  le  protocole  obligatoire.  La 
rédaction  est  verbeuse,  emphatique,  comme  celle  des  papyrus  byzan- 


384  REVUE    CRITIQUE 

lins,  Cl  il  semble  bien  que  les  formules  n'aient  été  à  Torii^ine  que  des 
traduciions  du  grec  :  des  développements  s'y  mêlent  pourtant  çà  et  là, 
qui  ont  été  ajoutes  par  les  scribes  coptes.  Autant  que  je  puis  voir, 
c'est  surtout  dans  les  donations  d'enfants  faites  aux  monastères  que 
les  éléments  coptes  prédominent  :  on  le  comprend  de  reste,  si  l'on 
songe  que  les  donations  de  ce  genre  semblent  être  devenues,  sous  la 
domination  musulmane,  beaucoup  plus  fréquentes  qu'elles  ne  l'étaient 
sous  celle  des  empereurs.  Environ  les  deux  tiers  des  pièces  —  quatre- 
vingt-quatre  sur  cent-vingt-trois  —  étaient  inédites  et  sont  mises  ici 
pour  la  première  fois  à  la  disposition  des  savants;  pour  le  reste,  Crum 
a  presque  toujours  collationné  lui-même  les  originaux. 

Les  Index  sont  des  plus  riches.  Comme  celui  des  mots  coptes  con- 
tient des  termes  inconnus  jusqu'à  présent  ou  des  expressions  juri- 
diques qui  ne  sont  pas  familières  au  plus  grand  nombre  des  lecteurs, 
je  regrette  que  Crum  n'y  ait  joint  aucune  traduction  :  il  aurait  pu  le 
faire  sans  que  cela  déflorât  le  commentaire  de  SteinJorff.  Rien  qu'à 
le  parcourir,  j'y  ai  noté  des  faits  précieux  pour  l'histoire  de  la  langue  : 
par  exemple,  a  pour  s  et  a  pour  0  ont  persisté  plus  longtemps  que  je 
ne  pensais,  au  moins  dans  l'usage  de  quelques  personnes.  Après  l'In- 
dex des  mots  coptes  celui  des  mots  grecs  est  le  plus  intéressant,  en 
ce  qu'il  nous  permet  de  vérifier  une  fois  de  plus  les  procédés  de 
déformation  par  lesquels  ces  mots  ont  passé,  à  l'entrée  dans  le  langage 
courant  des  Egyptiens.  Disons  pour  terminer  que  le  volume  entier 
est  autographié  ;  l'écriture  en  est  si  nette  que,  malgré  sa  petitesse,  elle 
est  partout  parfaitement  lisible.  Fond  et  forme  extérieure,  tout  est 
excellent. 

G.  Maspero. 


L.  ReuTTER,  De  l'Embaumement  avant  et  après  Jésus-Christ,  avec  analyses 
de  masses  résineuses  ayant  ser\  i  à  la  conservation  des  corps  chez  les  Anciens 
Egyptiens  elles  Carthaginois.  Paris,  Vigot,   1912,  xii-172  p. 

Les  procédés  de  l'embaumement  égyptien  ont  été  reconstitués  avec 
exactitude  médicale  et  archéologique,  en  dernier  lieu  par  le  D''  EUiot 
Smith  et  par  ses  collaborateurs.,  mais  on  connaît  assez  mal  encore  la 
nature  de  la  plupart  des  substances  qui  étaient  employées  par  les 
taricheuies.  Il  est  certain  qu'ils  se  servaient  de  résines,  mais  des- 
quelles plus  particulièrement?  C'est  ce  que  le  D''  Reutter  a  essayé  de 
déterminer  par  l'analyse  des  échantillons  que  je  lui  avais  envoyés,  et, 
après  avoir  étudié  ce  qui  concerne  l'Egypte,  il  est  passé  à  Carthage, 
grâce  à  la  complaisance  du  Père  Delattre.  Il  y  a  dans  l'ouvrage  où 
il  publie  ses  recherches,  des  descriptions  d'opérations  chimiques  et 
des  discussions  d'ordre  purement  technique,  dont  je  me  garderai  bien 
de  faire  part  aux  lecteurs  de  cette  Revue  :  il  est  probable  qu'ils  ne  les 
comprendraient  pas  mieux  que  moi.  Elles  ont  prouvé  suffisamment 
au  D""  Reutter  «  que  les  Anciens  utilisaient  pour  la  conservation  des 


d'hiSTOIRK    KT     I)K     I  ITTKRATURE  385 

«  cadavres  des  substances  melani^ées  provenant  soit  d'arbres  indi- 
«  gènes,  soit  d'asphalte  ou  de  baume  de  Judée,  soit  de  baume  tel  que 
a  le  styrax  dont  les  efieis  sont  antiputrides.  En  s'aidant  de  la  dessica- 
«  tion  favorisée  par  le  climat,  le  sol  et  pour  les  Egyptiens  du  natron, 
«  corps  déshydratant  par  excellence,  ils  parvenaient  à  embaumer  les 
«  corps  ».  Pour  plus  de  précision,  disons  que  Téchantillon  recueilli 
dans  le  sarcophage  d'un  certain  Hikaoumsaf,  d'époque  saïte,  com- 
prenait, avec  diverses  parties  de  subsiances  sans  valeur  antiseptique, 
des  débris  d'un  bois  aromatique,  probablement  un  genévrier,  Jutiipe- 
riis  Phœnicea,  Jiinipcrus  Oxycedriis  ou  Juniperus  Drupaceay  de  la 
Térébenthine  de  Chio,  de  la  résine  de  cèdre,  du  styrax  provenant  du 
Liquidambar  Orientali.s,  de  la  résine  d'Alep  et  du  mastic  Pistacia 
Lcntisciis.  11  va  de  soi  que  ce  sont  là  seulement  des  résultats  très  par- 
tiels :  les  substances  utilisées  par  les  prêtres  varièrent  grandement 
selon  les  époques,  et,  dans  une  même  époque  selon  les  localités. 
D'autres  analyses  pourront  amener  leurs  auteurs  â  des  conclusions 
ditférentes,  qu'il  faudra  accepter  sans  repousser  celles  qui  les  ont  pré- 
cédées. Les  Egyptiens  agissaient  empiriquement,  et  pourvu  qu'ils 
arrivassent  à  leur  fin,  qui  était  de  perpétuer  l'existence  du  cadavre, 
ils  ne  s'avisèrent  pas  d'employer  toujours  les  mêmes  matières  :  c'est 
ce  qu'on  ne  doit  jamais  oublier  quand  on  se  livre  à  des  études  du 
genre  de  celles  que  le  D''  Reutter  a  entreprises  si  heureusement. 

G.  Maspero. 


J.  Lesquier,  Les  institutions  militaires  de  l'Egypte  sous   les  Lagides.  Paris, 

Leroux,   191  i  ;  in-8",  xviii-383  pages. 

Un  ouvrage  sur  ce  sujet  doit  forcément,  dans  l'état  actuel  de  nos 
connaissances,  tenir  moins  et  plus  que  ne  promet  son  titre.  Étudier 
l'armée  ptolémaïque,  c'est  aborder  la  question  des  clérouques,  et  par 
elle  toute  une  portion  des  institutions  civiles,  de  l'administration,  de 
l'économie  du  pays.  D'autre  part  les  documents  conservés  concernent 
presque  tous  ces  mêmes  clérouques  :  la  description  de  l'armée  des 
Lagides  ne  peut  donc  encore  se  faire  qu'en  partie,  et  avec  peine.  Les 
divergences  d'opinion  qu'on  remarque  entre  les  divers  auteurs  qui 
l'ont  déjà  tentée,  témoignent  de  cette  difficulté. 

Les  trois  éléments  dont  l'armée  se  compose  sont  appelés  ici  :  indi- 
gènes, mercenaires  et  réguliers.  Ce  dernier  terme  n'est  peut-être  pas 
très  heureux,  puisque  ces  hommes  sont  en  principe  des  mercenaires 
étrangers,  payés  en  nature,  pour  ainsi  dire,  au  lieu  de  l'être  en  argent. 
Il  n'y  a  pas,  entre  les  deux  dernières  classes,  de  différence  indélébile  : 
car  il  existe  des  mercenaires  clérouques,  qui  sont  ainsi  devenus  de 
vrais  réguliers.  xVIais  cette  question  de  détiniiion  est  secondaire,  et  en 
pratique  la  distinction  devait  être  faite.  Le  trait  le  plus  caractéristique 
du  système  est  l'emploi,  de  plus  en  plus  fréquent,  des  indigènes  : 


386 


RICVUR    CRITIQUK 


d'abord  seulement  des  ,ui/i[xot,  classe  privilégiée  héritée  de  l'Egypte 
pharaonique,  puis  de  tous  sans  distinction.  Cependant  ce  troisième 
clément  reste  bien  distinct,  au  moins  en  théorie,  ei  ne  se  fondit  jamais 
dans  l'armée  régulière. 

Les  réguliers,  ce  sont  les  clérouques  ;  dès  la  page  3o,  c'est  à  eux 
que  se  consacre  l'attention  de  M.  Lesquicr.  C'est  la  partie  la  plus  déli- 
cate du  problème,  celle  où  les  hypothèses  jusqu'ici  émises  se  contre- 
disaient le  plus  violemment.  Entre  les  opinions  qui  représentent  les 
clérouques  comme  constituant  une  armée  active  ou  une  armée  terri- 
toriale, l'auteur  a  pu  avancer  une  thèse  qui,  ici  comme  dans  la  ques- 
tion des  x^;  ÈTTiYovfic;,  a  bien  des  chances  de  nous  donner  la  solution 
définitive.    Les  clérouques  sont  des  soldats   actifs  en  disponibilité. 
Pour  se  créer  une   armée  d'apparence  nationale,  les  Lagides  ont  eu 
recours,  à  un  expédient  :  des  mercenaires  étrangers  ont  été  attirés  et 
fixés  en   Egypte   par  l'octroi  de  la  jouissance  d'une  terre.  Dans  les 
intervalles  des  campagnes,  ils  cultivent  leur  yJà^po^,  contribuant  ainsi, 
par  les  colonies  qu'ils  forment,  à  la  diffusion  de  la  culture  grecque. 
Par  l'hérédité  de  la  tenurc  concédée,  les  Ptolémées  parvinrent  à  for- 
mer une  caste  militaire,  et  à  assurer  l'avenir  du   recrutement.  De  Là 
découle  une  nouvelle  et  ingénieuse  conception  des  x-^;  lTzi'{ovf,ç  :  ce 
sont  simplement  les  fils  des  clérouques;  l'ethnique  qui  précède  tou- 
jours cette  expression,  ne  fait  pas  corps  avec  elle.  Tous  les  fils  de  clé- 
rouque  reçoivent  une  éducation  militaire,  et  plus  tard  l'État  choisit 
entre  eux  le  mieux  qualifié,  à  son  gré,  pour  hériter  les  charges  et  les 
bénéfices  de  son  père. 

Sur  la  condition  sociale  et  juridique  de  ces  soldats-colons,  les  docu- 
ments sont  relativement  nombreux,  sinon  toujours  très  clairs. 

M.  Lesquier  a  retracé  en  détail  le  mode  de  leur  recrutement,  le 
mouvement  irrésistible  d'infiltration  qui,  vers  le  ii''  siècle,  pousse 
dans  leurs  rangs  des  indigènes,  sous  le  couvert  de  quelques  fictions 
légales;  l'évolution  importante  qui  les  transforme  peu  h  peu  en  pro- 
priétaires défait,  sinon  de  droit,  léguant,  cédant,  vendant  leur  tenure. 
Le  meilleur  éloge  qu'on  puisse  faire  de  toute  cette  partie  de  l'ouvrage, 
est  de  rappeler  que  M.  Jouguet,  dans  son  travail  sur  la  Vie  munici- 
pale dans  l'Egypte  romaine,  a  fréquemment  utilisé  la  thèse,  alors 
manuscrite,  de  M.  Lesquier. 

Reste  un  chapitre  consacré  au  commandement,  lequel  n'offre  rien 
de  bien  particulier  en  Egypte.  Il  y  a  aussi  une  autre  question,  que 
l'on  regrette  de  voir  exclue  d'un  traité  aussi  complet.  Un  tableau 
topographique  serait  nécessaire  pour  donner  au  lecteur  une  idée  nette 
de  ce  qu'était  l'armée  des  Lagides.  Les  clérouques,  par  définition 
même,  sont  une  troupe  intermittente.  Mais  les  mercenaires,  en  partie 
au  moins,  formaient  des  corps  permanents.  Pour  contenir  les  révoltes 
de  la  Thébaïde,  pour  repousser  les  incursions  libyennes  ou  nubiennes, 
pour  protéger  la    frontière  de   Syrie,  les  rois  avaient  dû   forcément 


d'histoire  et  de  littérature  387 

tracer  des  circonscripiions  miliiaiics,  établir  des  garnisons  fixes, 
construire  des  forteresses.  Comment  y  était  répartie  l'armée?  Il  est 
fort  probable  que  les  papyrus,  unique  source  de  renseignements,  ne 
nous  apprendraient  que  peu  de  chose  là-dessus.  Mais  la  question 
valait  d'être  posée,  dût-elle  n'obtenir  en  réponse  que  des  hypothèses. 
Une  conjecture,  même  aventurée,  proposée  par  quelqu'un  qui  a  étu- 
dié à  fond  les  institutions  militaires  du  pays,  aurait  eu  de  la  valeur, 
ainsi  que  l'effort  fait  pour  grouper  le  peu  de  renseignements  dispersés 
entre  les  papyrus  et  les  inscriptions.  Cette  lacune,  théorique  plus 
encore  qu'effective,  est  d'ailleurs  la  seule  qu'on  puisse  relever  dans  la 
thèse  de  M.  L.,  qui  réalise,  en  comparaison  des  travaux  antérieurs, 
un  progrès  dont  on  lui  doit  être  reconnaissant. 

Jean  Maspero. 


Institut  papyrologique  de  l'Université  de  Lille,  Papyrus  grecs  publics  sous 
la  direction  de  Pierre  Jouguet,  etc.,  tome  II,  fasc.  II-IV  :  Papyrus  de  Magdala, 
parJ.  Lesquier.  Paris,  Leroux,  1912,  iii-4°,  222  pages. 

Seconde  édition  des  pièces  publiées  par  MM.  Jouguet  et  G.  Le- 
febvre  en  1902-1903  dans  le  Bulletin  de  correspondance  hellénique 
(XXVI  et  XXVII).  M.  L.  a  pu  profiter  d'assez  nombreuses  interpré- 
tations et  corrections,  proposées  depuis  aux  textes  ;  et  lui-même  a  été 
assez  heureux  pour  leur  apporter  encore  d'utiles  améliorations.  Une 
préface  de  5o  pages  sur  la  nature,  la  forme  et  le  contenu  de  ces 
requêtes  au  roi,  la  traduction  et  les  notes  détaillées  qui  accompagnent 
chacune  d'entre  elles,  font  du  livre   une  œuvre   originale  appelée  à 


rendre  de  grands  services. 


Jean  Maspero. 


Aegyptische  Urkunden  aus  den  Kôniglichen  Museen  zu  Berlin  ;  Griechis- 
che  Urkunden,  I\'  Band,  XI-XII  Hcfte,  in-4».  Berlin,  Weidmann,  igii  et   19 12, 

^2-^2    p . 

La  riche  trouvaille  d'Abousir  el  Meleq  fait  encore  les  frais  du  fasci- 
cule XI  (n°'*  I  185-1209).  Toutes  les  pièces  publiées  ici  appartiennent 
au  i*^""  siècle  avant  notre  ère  ou  aux  premières  années  de  l'ère  chrétienne. 
Particulièrement  intéressants  sont  les  documents  intéressant  l'admi- 
nistration militaire  (i  i85,  i  186,  i  190),  qui  ont  trouvé  leur  explication 
détaillée  dans  l'étude  de  M.  Lesquier  sur  les  Institutions  militaires 
sous  les  Lagides.  Plusieurs  requêtes  adressées  à  des  stratèges  de  nome, 
une  au  préfet  d'Egypte  (i  198),  avec  la  réponse  de  ce  fonctionnaire; 
une  autre,  isolée  (1200)  à  un  autre  préfet  d'Egypte,  sont  à  signaler, 
ainsi  que  la  curieuse  correspondance  familiale  (1203-1209)  échangée 
entreune  certaine  Isidora  et  ses  proches.  Au  n"  1197,  I,  22,  il  faut 
peut-être  restituer  [-.iv.^iwi  z'jj%^<.cxo'j]\xvio'.  ; —  i  198,1.  i  i  :  joindre  îç-'j-kt,- 
ocTO'jTo;  pour  £?uî:r,pî-:o'jv-i;;  l'expression  ov-£;  t'i  tEpsiov  se  suffit  à  elle- 
même  et  se  retrouve  dans  la  réponse  du  préfet  à  la   requête  suivante 


388  KEVDE    CRITIQUE 

(i  i()o,    IJI.  I  I    ;     -    I2()5,  1.  6  :  on    pcui  songer  à   otà  [X]ciT'j[po];  pour 
îia-rJO'jj  :  cf.  plus  bas.  I.   17,    e-.,-   .Mivi'.;  pour  Mévoiv. 

La  fascicule  XII  termine  le  volume,  comme  dans  les  trois  tomes 
précédents,  et  contient  les  inde.x,  ainsi  que  deux  planches  en  héliogra- 
vure (papyrus  i()t)i,  1022  et   ii3S). 

Jean  Masprro. 

R.  Delbrikck,  Hellenistiche  Bauten  in  Latium,  11.  Un  vol.  in-4'',  pp.   1-190, 
avec  22    pi.  el  avec  35   et  84  fîg.  Strasburg,  1912.  Prix  :  58  marks. 

Malgré  le  grand  nombre  d'études  et  de  relevés  dont   les  monuments 
romains  ont  été  le  sujet  depuis  la  Renaissance  jusqu'à  nos  Jours,  l'ar- 
chitecture antique  de  l'Italie  est  peut-être,  de  toutes  les  disciplines, 
celle  que  nous  connaissons  le  plus  mal  et  de  la  façon  la  moins  pré- 
cise.   Il   y  en   a  deux  raisons   principales.   La   première  est   qu'on   a 
d'abord  cherché  dans  ces  édifices  des  modèles  qu'on  ne  s'est  pas  sou- 
cié d'étudier  en  eux-mêmes  et  d'une  manière  qui  fût  scientifique  : 
souvent   incompétents  par  ailleurs,   les  premiers  historiens  ont  ainsi 
confondu  pêle-mêle   les  époques  les  plus  diverses,  danger  auquel  ils 
étaient  d'autant  plus  exposés  qu'il  subsiste  de  très  rares  bâtiments  des 
premiers  temps  de  Rome  et  que  presque  aucun  d'eux  n'est  venu  jus- 
qu'à nous  sans  restauration.  Une  autre  difïiculté  venait  de  ce  que  les 
termes  de  comparaison  étaient  inaccessibles  aux  premiers  chercheurs 
et  c'est  à  peine  si  nous  commençons  d'en  connaître  quelques-uns  :  les 
monuments  hellénistiques  de  la  Grèce,  de  l'Asie  Mineure,  de  la  Syrie 
n'ont   été   que    tout    récemment   exhumés    et    partiellement    étudiés, 
encore   beaucoup   d'entre   eux   sont-ils    inconnus   et    la   date    même 
de  ceux  qu'on  a  pu  relever  est  souvent  incertaine  :  comment,  dans 
ces  conditions,  apprécier  la  part  d'influence  qu'ils  ont  pu  et  dû  exer- 
cer sur  les  constructions   romaines?    Et   combien  n'a-t-il    pas   dû    y 
avoir  jadis  d'intermédiaires  qui   ont  aujourd'hui  disparu   pour  tou- 
jours ou  qui  risquent  de  ne  se  révéler  que  très  tard  à  notre  curiosité? 
Faute  de  points  de  repère  fixes,  les  origines  de  l'architecture  romaine 
seront  longtemps  encore  mystérieuses.  Si  l'on   ne  peut  en  faire  l'his- 
toire, des  essais  comme  celui  de  D.  serviront  de  pierres  d'attente,  qui 
seront,    un    jour  ou   jamais,    remplacées    par    des    matériaux    plus 
durables. 

En  tête  de  cette  nouvelle  série  d'études,  l'auteur  a  placé  les  relevés 
de  divers  monuments  qui  tous  appartiennent  au  11'  siècle  avant  notre 
ère,  en  allant  de  la  fin  du  111^  au  début  du  i^'.  Ce  sont  le  sanctuaire  de 
la  Fortune  à  Préneste  d'après  les  nouvelles  fouilles  (D.  persiste,  p.  4, 
à  y  reconnaître  une  cour  centrale),  le  temple  de  Gabies,  les  deux 
temples  de  Tivoli,  le  temple  dorique  de  Cora  et  le  tombeau  de  Bibu- 
lus.  Après  ce  préambule  vient  un  chapitre  sur  la  technique  de  l'archi- 
tecture, p.  45-55  :  un  deuxième  chapitre,  plus  important,  étudie  cette 
même  technique  non  plus  dans  ses  procédés,  mais  dans  son  histoire, 


d'histoire  et  dk  littérature  389 

p.  55-1  12  et  distingue  i'appareiilat^e  en  picrnes  de  taille  et  la  construc- 
tion en  mortiers  divers.  Une  seconde  partie  est  consacrée  aux  «  formes 
artistiques  »;  ces  éléments  architectoniques  sont,  eux  aussi,  d'abord 
pris  en  eux-nicmes,  p.  i  i  2- 1 40,  puis  considérés  dans  leurs  origines  et 
dans  la  suite  de  leur  évolution,  p.  140-1  73,  qu'il  s'agisse  de  places,  de 
cours,  d'intérieurs,  de  décoration  murale,  de  la  construction  par  arcs, 
des  ordres  de  colonnades  ou  des  peintures  sur  parois.  Suivent  quatre 
pages  de  conclusion,  p.  174-177  et  un  intéressant  excursus  sur  les 
goûts  et  l'éducation  des  entrepreneurs  et  sur  l'influence  que  le  per- 
sonnel, surtout  syrien  qu'ils  employaient,  put  exercer  sur  la  forme  et 
sur  l'aspect  des  édirices. 

Dans  l'état  de  nos  connaissances,  il  semble  que  nous  puissions 
accepter  provisoirement  la  thèse  de  D.,  que  l'auteur  n'expose  pas 
d'ailleurs  sans  hésitation,  ni  sans  réserves.  Suivant  lui,  l'action  de  la 
Grèce  sur  l'Italie  s'est  d'abord  exercée  par  l'intermédiaire  de  la 
Grande-Grèce  et  de  la  Sicile,  puis  les  rapports  deviennent  directs  avec 
l'Asie-Mineure,  avec  l'Egypte  et  avec  la  Syrie,  l'époque  de  Sylla 
coïncidant  avec  l'apogée  de  l'influence  syrienne.  Pendant  toute  cette 
période,  les  constructeurs  ne  laissèrent  pas  d'employer  encore  les 
quelques  formes  d'art  qui  paraissent  proprement  indigènes,  ce  qui  ne 
veut  pas  dire  originales,  car  l'ordre  toscan  procéderait  de  la  Grèce 
archaïque  :  D.  en  cherche  la  preuve  à  Pompei  et  dans  cette  peinture 
significative  de  Boscoreale  qui  montre,  à  l'arrière-plan  de  fabriques 
plus  récentes,  une  colonnade  «  étrusque  »  d'ancien  style.  Mais  il  va 
sans  dire  que  ces  principes  rétrogrades  sont  comme  submergés  par 
l'afflux  des  motifs  hellénistiques.  On  remarquera  le  rôle  que  D.  attri- 
bue à  la  Syrie  et  la  tendance  actuelle  de  l'archéologie  à  ne  pas  exagé- 
rer la  part  de  l'influence  égyptienne;  je  souscrirais  volontiers  à  ces 
conclusions  si  je  ne  craignais  de  voir  remplacer  un  postulat  par  un 
autre;  il  faut  se  souvenir  en  effet  que  nous  connaissons  fort  mal  et 
indirectement  l'art  et  l'architecture  des  Séleucides  ;  seules  des  fouilles 
à  Antioche  feraient  la  luniière  sur  ce  point  et  décideraient  du  rôle 
qu'il  convient  d'attribuer  à  cette  capitale  dans  l'histoire  de  l'architec- 
ture hellénistique  et,  par  contre-coup,  de  l'architecture  romaine.  ïl 
serait  d'autant  plus  à  souhaiter  qu'on  ouvrît  des  chantiers  sur  les 
bords  de  l'Oronte  qu'on  aurait  chance  de  résoudre  du  même  coup  un 
second  problème  dont  l'intérêt  ne  le  cède  point  à  celui  du  premier, 
car  il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  des  origines  même  de  l'art  byzantin. 
La  doctrine  catégorique  de  M.  Strzygowski  et  ses  conclusions,  singu- 
lièrement plus  hardies  que  celles  de  M.  D.,  seraient,  en  même  temps 
que  le  système  de  ce  dernier,  soumis  au  meilleur-et  au  plus  impartial 
de  tous  ces  tribunaux,  à  la  preuve  par  le  fait  qui  donnera  le  coup  de 
grâce  aux  deux  hypothèses  ou  qui  les  consacrera  pour  jamais. 

En  attendant  ce  jour  lointain,  le  livre  de  D.  rendra  service  aux 
archéologues,  bien  qu'il  soit  malaisé  à  lire  et  alourdi  par  un  fâcheux 


<?Q0  REVUE    CRITIQUE 

appareil  scholastiquc.  On  noiera,  Jaiis  les  bonnes  tables  qui  ler- 
miiunt  le  volume,  d'assez  nombreuses  références  à  des  monuments 
de  rExtréme-Orieni  :  D.  a  tiré  bon  parti  de  la  thèse  de  Foucher  sur 
l'art  duGandara.  11  faut  le  louer  à  ce  propos  d'avoir  compris  le  profit 
que  les  études  antiques  pouvaient  tirer  de  ces  rapprochements  avec  les 
civilisations  de  l'Asie  centrale. 

A.   DE  RiDDER. 

Vitae  Vergilianae  recensuit  Jacobus  Brummer.  Bih.   Teubner,   i9i2,xxii-74    p., 
2  m. 

L'attention  des  savants  s'est  portée,  ces  dernières  années,  sur  les 
Vies  de  Virgile';  le  sujet  a  été  renouvelé  surtout  par  l'édition  spé- 
ciale d'Ernest  Diehl,  dans  la  collection  Lieizmann  (1911).  D'autre 
part  M.  VoUmer,  le  professeur  bien  connu  de  Munich,  avait  proposé 
à  l'un  de  ses  élèves  de  prendre  comme  sujet  de  thèse  une  nouvelle 
édition  de  la  vie  de  Virgile  de  Donat,  en  traitant  aussi  de  ses  sources  ; 
sujet  rude  sans  doute,  mais  pour  lequel  le  débutant  était  sûr  d'être 
guidé.  La  thèse  a  été  soutenue  et  voici  l'édition  qui  a  passé  dans  la 
bibliothèque  de  Teubner.  L'étude  sur  les  sources  de  la  Vita  de  Donat 
et  celle  qui  traitera  des  rapports  des  manuscrits  entre  eux,  doivent 
paraître  séparément  dans  le  Philologus. 

Le  travail  préparatoire  a  été  très  important  et,  ce  me  semble,  fait 
avec  soin.  Au  bas  des  pages  il  n'y  a  que  l'indication  sommaire  des 
conjectures  et  des  leçons  importantes.  Suit  Vapparatiis  plenus  qui 
remplit  à  lui  seul  18  pages.  Outre  ses  collations,  M.  Br.  avait  en 
main,  pour  plusieurs  manuscrits  de  la  vie  de  Donat,  des  reproduc- 
tions photographiques,  dontplusieurs  communiquées  par  M.  VoUmer. 

Il  y  a  dans  les  Vitae  secondaires  d'énormes  déformations  de  mots  ^ 
La  question  est  de  savoir  si  l'éditeur  n'aurait  pas  dû  d'emblée  les 
corriger,  en  notant  au  bas  les  lapsus  du  copiste  ou  du  grammairien. 
Il  est  vrai  que  les  grosses  méprises  du  rédacteur  sont  telles  qu'il 
serait  souvent  malaisé  de  voir  où  il  conviendrait  de  s'arrêter  dans  la 
correction. 

Nous  devons  être  particulièrement  reconnaissants  à  M.  Br.  d'avoir 
enfin  numéroté  ici  les  lignes  ;  la  notation  de  la  Vita  permet  désormais 
des  références  commodes  et  précises. 

J'ajoute  ci-dessous  quelques  desiderata  \ 

1.  Voir  les  articles  de  Norden,  Rh.  M.   1906  ;  de  Kroll,  Rh.  M.  191 1,  etc. 

2.  Par  ex.  p.  58,  68  Mebetis,  Vabeiis  sont  certainement  une  déformation  parles 
copistes  des  deux  noms  qui  suivent  ainsi  sous  une  forme  moins  incorrecte  :\'aviiis 
et  Mevius.  De  même  loyctis  pour  logicus  ;  creci  pour  graeci.  etc. 

3.  Pourquoi  deux  fois  la  reproduction 'du  même  stem  ma  :  p.  xi  et  xxiv  ?  —  P.  vi, 
^u  milieu,[poLir  l'article  de  Kroll,  lire  1909  (au  lieu  de  1906).  —  P.  4,  1.  i,  le  point 
final  manque  avant  inter.  —  P.  22.  1.  2,  lire  <^ono  ;  1.  3,  ceieritatem,  et  supprimer, 
1.  2,  la  virgule  après  eoruvi.  —  P.  40,  i3,  à  l'apparat  lire  [itx-ô;.  —  Quelle  idée 
d'avoir  reçu  au  texte  p.  40,  3o,  sanguiencm.    qui  n'est   que  la   fusion  des  deux 


( 


d'histoire  et  de  littérature  391 

M.  Br.  indique  qu'il  n'a  pu  examiner  un  manuscrit  de  Saint-Omer, 
n"  656,  XVI  s.,  contenant  le  Donatiis  auctus.  J'ai  vu  le  manuscrit.  La 
Viia  esi  refoulée  en  lignes  serrées,  au  dessus  et  au  dessous  d'un  texte 
des  Bucoliques,  au  recto  et  au  verso  du  f"  86,  plusdeux  lignes  en  haut 
du  t"  87.  Pas  de  suscripiion;  comme  titre  :  VITA  \'I RGILII  seciin- 
diim  Donatum.  Cette  vita  est  formée  de  fait  par  la  simple  juxtaposition 
de  la  Vita  du  Bernensis  (Diehl,  p.  44;  M.  Br.,  p.  66,  au  bas  :  Publius 
Virgilius  Maro  gcnere...  etc.;  jusque  y  compris  :  annos  L// ; 
variantes  sans  importance)  ;  suit  immédiatement  le  Donat  dans  la 
recensionque  donne  M.  Br.  d'après  CK  (p.  1  : pregnans  ejiis...  jusque 
p.  18  :  explanatio  in  ordinem  digeretur  [cod.  dirigeturj).  Le  texte  de 
cette  recension  est  ici  amélioré  en  quelques  passages  :  \'^,  occideretnr 
''pour  occidetur);  i32,  aiixit  (au  lieu  de.  hausit)  ;  226,  quos  convocavit 
et  non  canit)  dianae\  278,  per  iras  viros.  Il  n'y  a  dans  le  ms.  de  St 
Orner  aucun  des  intervalles  que  M.  Br.  laisse  entre  les  phrases  ou 
paragraphes  ;  ni  correction,  ni  revision.  Les  annotations  des  marges 
sont  des  extraits  de  gloses  et  de  scolies  qui  se  rapportent  aux  vers  du 
texte. 

Quoiqu'une  partie  importante  de  l'étude  entreprise  reste  encore 
inédite,  il  est  évident  que  l'édition  présente  dépasse  de  beaucoup  et 
par  bien  des  côtés  celle  qui  l'avait  précédée.  Le  travail  de  M.  Br., 
même  tel  quel,  suscitera,  je  pense,  plus  d'une  étude  et  réveillera  sur  un 
sujet  difficile  le  zèle  des  savants. 

Emile  Thomas. 


Cicero  im  Wandel  der  Jahrhunderte  von  Th.  Zielinski,  Prof.  a.  d.  Univ.  Sankt- 
Petersburg.   Driite  durchgesehcne  Auflage.  Teubner,   1912,  viii-Syo  p.  6  m. 

Les  deux  éditions  précédentes  du  Cicéron  de  M.  Zielinski,  profes- 
fesseur  à  Saint-Pétersbourg,  sont  de  1897  et  de  1908.  Celle-ci  n'a  pas 
été  augmentée,  mais  simplement  revue.  Le  succès  du  livre  s'explique 
par  plus  d'une  raison  ;  la  clarté,  la  facilité,  le  brillant  de  la  forme  y 
sont  sans  doute  pour  beaucoup  et  le  succès  est  très  mérité.  Cette  fois 
le  format  est  un  peu  plus  fort  ;  ce  qui  a  pu  compenser  la  diminution 
du  nombre  des  pages  {371  au  lieu  de  453). 

M.  Z.,  par  une  sorte  de  praeoccupatio  de  la  préface,  reconnaît  dans 
son  ouvrage  trois  lacunes  qu'il  résume  ainsi  :  Cicéron  au  moyen  âge 
(pour  celle-ci,  il  renvoie  au  livre  récent  de  Manitius)  ;  Cicéron  au 
xix"  siècle;  Cicéron  et  la  science  du  gouvernement.  Ce  franc  aveu  est 
tout  à  fait  d'accord  avec  une  impression  qu'on   garde  de  la  lecture: 

leçons  sanguinem  N  et  sanguine  P,  avec  i.  e.  écrit  au  dessus  de  la  dernière  syllabe? 
—  Dans  la  phrase  corrompue  de  la  p.  4?,  12G,  je  ne  sais  pourquoi  M.  Br.  a  sup- 
primé la  croix  que  Hagen  plaçait  devant  aramque.  —  P.  49,  au  vers  19,  lire  rctar- 
davi.  —  P.  54,  k  Favant-dernière  ligne,  Pavtliinope  est-il  exact  ?  —  De  même 
p.  55,47,  1'^  ■l'is.  a-t-il  loy-cam  (Diehl  logicam]'^  Aussi  1.  54,  Ba/cita  ?  —  P.  63,  19, 
lire  :  Oiestis  et.  —  P.  72,  70,  lire  pasctia. 


302  REVUE    CRITIQUE 

il  est  clair  que  M.  Z.  Jinniiic  son  siijci  ci  iiu'il  se  juge,  comme  aussi 
les  autres,  d'une  vue  pénétrante.  M.  Z.  a  voulu  et,  par  endroits,  a  pu 
écrire  en  beau  style.  J'ai  peur  que  ses  allusions  rapides  ne  soient 
comprises  que  de  ceux  qui  n'avaient  pas  besoin  de  son  livre  pour 
apprendre  à  connaître  Cicéron,  et  qu'elles  n'échappent  presque  entiè- 
rement à  tous  les  autres.  Ils  y  perdent  certes  beaucoup;  mais  quelle 
idée  peut  leur  rester  du  livre? 

Dans  les  remarques  beaucoup  d'extraits  d'auteurs  français,  de 
Tainc,  des  travaux  sur  le  xviii«  siècle  et  la  Révolution,  Concourt, 
etc. 

É.  T. 


Les  Origines  diplomatiques  de  la  guerre  de  1870-71.  Recueil  de  documents 
publié  par  le  ministère  des  affaires  étrangères.  Tome  IV  (191  i)  et  V  (1912), 
Paris,  iinpr.  Nationale;  Ficker,  éditeur,  in-8°,  403  et  462  p. 

Le  tome  V  du  grand  recueil  publié  par  le  ministère  des  affaires 
étrangères  va  du  i^""  aoiât  au  5  novembre  1864.  Il  se  rapporte  donc  à 
la  préparation  et  à  la  signature  de  deux  actes  diplomatiques  impor- 
tants :  la  convention  franco-italienne  du  i5  septembre  relative  à 
l'évacuation  des  états  pontificaux  par  l'armée  française,  et  le  traité  de 
paix  du  3o  octobre  entre  le  Danemark,  la  Prusse  et  rAutriche. 

Sur  la  convention  de  septembre,  les  documents  publiés  ne  nous 
apportent  aucune  révélation  ;  mais  on  y  trouvera  des  indications 
intéressantes  de  l'incertitude  qui  régnait,  dans  les  Conseils  de  Napo- 
léon III.  L'Empereur  cherche  à  rassurer  sur  les  conséquences  de 
l'évacuation,  d'abord  le  pape  lui-même,  qui  n'a  guère  d'illusions  (v. 
p.  i65  son  entretien  avec  M.  de  Sartiges,  notre  ambassadeur),  puis 
l'opinion  catholique  française  (v.  p.  33o  et  suiv.,  les  polémiques 
suscitées  pour  la  publication  d'une  dépêche  du  chevalier  Nigra  au 
général  La  Marmora).  Et  cependant  Napoléon  III  est  déjà  résigné  à 
l'inévitable.  Il  ne  saurait,  écrit  Drouyn  de  Lhuys  à  Turin  «  se  porter 
garant  pas  plus  de  la  perpétuité  de  l'état  actuel  des  choses  en  Italie 
que  du  pouvoir  temporel  de  la  papauté.  La  solution  de  ces  grandes 
questions  est  aux  mains  de  la  Providence  ».  On  sait  ce  que  cela  veut 
dire. 

Dans  ses  rapports  avec  la  Prusse  au  sujet  de  l'affaire  des  duchés, 
Napoléon   III,  après  comme  avant  le  traité  de  paix,  demeure  fidèle 

I.  Citations  et  renvois  ne  sont  pas  toujours  exacts  et  précis,  ce  qui  est  fâcheux 
dans  un  exposé  dense  de  fond  et  rapide  de  forme.  Pour  le  mot  Romania  employé 
par  Orose  (p.  89  et  307),  il  eût  fallu  indiquer  exactement  le  chapitre  (VII, 43)  sans 
oublier  la  réserve  :  ut  vulgaritev  loquar .  —  P.  3o6,  note\sur  la  p.  87,  je  ne  trouve 
pas,  dans  le  livre,  le  renvoi  à  Taine,  Essais;  mais,  ce  qui  est  plus  grave,  quelle 
peut  bien  être  sur  ce  point  l'autorité  de  Taine:  —  L'épigraphe  (17»/  coluere  colun- 
tur)  est  énigmatiquc  ;  elle  reste  obscure  même  après  l'explication  de  la  p.  148.  — 
Le  détail  de  la  table  lui-même  n'est  pas  toujours  clair  ni  exact. 


d'histoire  et  de  littérature  393 

à  sa  théorie  des  nationalités.  Quoiqu'il  y  insiste  avec  moins  d'énergie, 
il  n'en  persiste  pas  moins  à  faire,  ou  h  faire  faire  par  ses  ministres, 
des  déclarations  où  les  mots  et  les  idées  de  race  et  de  nationalité 
continuent  d'être  confondus  :  «  Si  nous  avons  suggéré  l'idée  de 
consulter  les  populations,  écrit  Drouyn  de  Lhuys  le  19  août,  c'est 
dans  la  pensée  d'éclaircir  des  doutes  qui  résultaient  de  la  confusion  ' 
des  deux  races.  . .  par  la  constatation  de  la  nationalité  de  chacune  » 
(p.  41). 

Parallèlement,  on  voit  naître  et  progresser  la  manœuvre  de  Bismarck 
qui  conduira  aux  entrevues  de  Biarritz  et  aux  négociations  de  Nikols- 
bourg.  Le  ministre  prussien,  dès  le  3  septembre  1864,  déclare  ouver- 
tement que  l'acquisition  du  Slesvig  et  du  Lauenbourg  n'est  qu'un 
point  de  départ,  et  que  le  temps  fera  le  reste.  Il  parle  déjà  ou  fait 
parler  à  notre  ministre  à  Francfort  d'une  future  alliance  franco-russo- 
prussienne,  qui  vaudra  à  Napoléon  III  la  Belgique  et  le  Rhin,  au 
tsar  les  principautés,  à  l'Italie  la  Vénétie,  à  la  Prusse  les  états  au 
Nord  du  Main.  D'autres  avertissements  sont  donnés.  De  Kiel, 
M.  Méroux  de  Valois  signale  d'inquiétants  propos  de  Journalistes 
prussiens  sur  l'Alsace,  et  il  rapporte  cette  prophétie  d'un  officier 
de  marine  russe  :  «  un  jour  viendra  où  nous  nous  mordrons  les  doigts 
d'avoir  laissé  M.  de  Bismarck  écraser  le  Danemark  et  s'emparer  de 
son  meilleur  port.  Peut-être  ne  serons-nous  pas  seuls  à  le  regretter.  » 
Ces  avis  sont  passés  inaperçus,  et  peut-être  ne  nous  frappent-ils 
aujourd'hui  que  par  la  justification  qu'ils  ont  reçue  plus  tard  des 
événements.  Toutefois,  d'une  manière  générale,  les  diplomates  du 
second  Empire  paraissent  avoir  bien  observé  et  signalé  le  péril  de 
loin.  L'optimisme  était  plutôt  le  fait  de  certains  militaires,  comme 
Bourbaki,  par  exemple.  Après  avoir  assisté  aux  manoeuvres  de 
Spandau  en  1864,  le  général  conclut  dans  son  rapport  (p.  265)  à 
l'infériorité  de  l'armée  prussienne  «  à  tous  les  points  de  vue  »,  et 
signale  que  «  les  services  des  ambulances,  des  vivres  et  des  transports 
ne  sont  nullement  organisés  »;  il  n'y  a  en  Prusse,  selon  lui,  qu'un 
«  simulacre  d'administration  militaire  ». 

Le  tome  V  (6  novembre  1864-27  février  i865)  correspond  à  une 
période,  moins  active.  Les  relations  franco-prussiennes  deviennent 
plus  intimes,  mais  il  n'en  paraît  pas  grand'chose  dans  la  correspon- 
dance, malgré  l'arrivée  à  Berlin  d'un  nouvel  ambassadeur  français, 
le  comte  Benedetti.  L'intérêt  principal  des  documents  publiés  se 
concentre  autour  de  deux  points  :  la  question  de  la  'Vénétie  et  le  rôle 
futur  des  duchés  de  l'Elbe  dans  la  Confédération  germanique.  Un  fait 
curieux,  sinon  imponant,  relatif  à  la  Vénétie,  nous  est  révélé  par  les 
correspondances  échangées  entre  Paris,  Londres  et  Vienne.  L'Italie 
avait  imaginé,  et  était  parvenue  à  faire  agréer  à  Londres  le  singulier 
projet  suivant  :  Victor-Emmanuel,  par  un  procédé  quelconque,  se 
rendrait    acquéreur    des    principautés    danubiennes,  et    les   offrirait 


394  RKVUE    CRITIQUE 

ensuite  à  rAuiriclic  CM!  ocliangc  des  pays  vénitiens.  Lord  Russell  ne 
paraissait  pas  douter  du  succès  de  cette  combinaison,  et  il  \-  trouvait 
l'avaniagc  d'être  débarrassé  du  prince  Couza,  qu'il  ne  pouvait  soutIVir. 
Napoléon  III  ne  lit  pas  d"objecti(jn  de  principe,  mais  TAuiriche  en 
lit,  et  les  'i'urcs,  consultés  par  Russell,  ne  voulurent  naturellement 
rien  entendre  fpp.  105-107,  '351). 

Quant  aux  duchés,  ils  l'ont  l'objet  de  longues  querelles,  de  plus  en 
plus  aigres,  à  la  diète  de  Franclort  et  entre  les  cabinets  allemands, 
où  l'on  voit  la  fameuse  triade  près  de  réussir  à  se  constituer  solide- 
ment (décembre  1864,  pp.  24oetsuiv.).  L'Europe  laisse  faire  et  suit 
les  événements  avec  curiosité,  mais  sans  inquiétude  apparente  :  la 
Russie  est  occupée  en  Asie,  la  France  commence  à  rêver  au  rôle  de 
terlius  gaudens,  et  l'Angleterre  déclare  par  la  bouche  de  lord  Napier, 
n'avoir  rien  à  faire  «  dans  la  querelle  de  deux  larrons  qui,  après  avoir 
pris  à  l'un  de  leurs  voisins  leur  part  de  ses  dépouilles,  s'en  disputent 
la  possession  »  (p.  402).  C'est  un  des  cas  où,  comme  disait  Met- 
ternich,  «  il  n'y  a  plus  d'Europe  », 

La  publication  continue  d'être  faite  avec  soin,  suivant  des  règles 
qui  ne  varient  guère  d'un  bout  à  l'autre.  On  remarque  toutefois,  au 
t.  IV,  que  pour  les  documents  déjà  insérés  aux  livres  jaunes,  et  qui 
sont  reproduits  ici,  on  a  pris  soin  de  signaler  les  coupures  qui  avaient 
été  faites.  Les  listes  d'agents  diplomatiques  qui  terminent  chaque 
volume  laissent  quelquefois  un  peu  à  désirer.  On  découvrira  avec 
surprise  que  le  baron  Ch.  Frédéric  de  Reinach,  décédé  le  21  février 
1871,  n'en  a  pas  moins  été  promu  ministre  plénipotentiaire  le  16  décem- 
bre 1872  (IV,  38o). 

R.  G. 


G.  Ri.oNDEL,  Les  embarras  de  l'Allemagne,  i    vol.    in- 12,  viii-3i6   p.,   Paris, 
Pion-Nourrit,   1912. 

Voici  un  volume  qui  vient  a  son  heure,  au  moment  où  les  divisions 
politiques,  un  certain  malaise  économique  et  les  préoccupations  que 
fait  naître  le  conflit  balkanique  créent  à  nos  voisins  une  situation  par- 
ticulièrement difficile.  Examinés  sans  parti  pris  et  très  objectivement, 
grâce  à  une  documentation  qui  repose  à  la  fois  sur  la  connaissance 
des  hommes  et  sur  celle  des  livres,  analysés  avec  une  clarté  et  une 
vigueur  d'expression  peu  communes,  les  embarras  de  l'Allemagne 
apparaissent  nettement  au  lecteur.  Nul  n'était  mieux  qualifié  pour  les 
mettre  en  relief  que  l'auteur  des  Etudes  sur  les  populations  rurales  de 
r  Allemagne,  de  L'essor  industriel  et  commercial  du  peuple  allemand^ 
et  de  tant  d'autres  travaux  approfondis  sur  les  pays  d'Outre-Rhin; 
nul  n'ei\t  mieux  réussi  à  faire  comprendre  la  complexité  des  pro- 
blèmes posés,  comme  aussi  les  chances  favorables  ou  défavorables 
de  ceux  qui  ont  à  les  résoudre.  Peut-être  irouvcra-t-on,  après  les 
éloges  qu'il  décernait  récemment  à  l'activité  allemande  dans  tous  les 


d'histoire  et  de  littérature  395 

domaines,  surtout  dans  le  domaine  économique,  que  M.  B.  évolue 
trop  brusquement  et  trop  loin  en  sens  contraire.  C'est  là  une  impres- 
sion que  j'ai  personnellement  éprouvée  à  la  lecture  de  ce  petit  livre, 
dont  le  pessimisme  me  semble  exagéré  :  l'Allemagne  dispose  de  forces 
et  de  ressources  immenses  qui  la  mettent  en  état  de  braver  encore 
bien  des  tempêtes,  habitudes  de  respect  et  de  discipline  que  la  «  poussée 
socialiste  »  a  seulement  ébranlées,  orgueil  de  l'œuvre  accomplie  et 
enthousiasme  pour  le  but  à  atteindre  (l'hégémonie  sur  tous  les  terrains), 
patience  et  ténacité  admirables  des  commerçants,  organisation  tou- 
jours puissante  de  la  bureaucratie  et  de  l'armée  '.  Je  crois  néanmoins 
qu'il  y  a  du  vrai  dans  la  thèse  nouvelle,  et  que  le  «  réalisme  »  blsmar- 
ckien,  poussé  à  ses  extrêmes  limites,  risque  d'aboutir  à  de  fâcheux 
résultats.  L'essor  inouï  pris  par  TAllemagne  il  y  a  quelques  années 
ne  paraît  pas  devoir  se  maintenir  indéfiniment;  il  se  produit  déjà  du 
flottement  dans  les  esprits,  du  relâchement  dans  les  caractères,  un  arrêt 
dans  la  marche  en  avant;  de  plus,  et  c'est  là  le  gros  danger,  la  recher- 
che du  bien-être  et  de  la  jouissance  immédiate  l'emporte  peu  à  peu 
sur  de  plus  nobles  raisons  de  vivre  et  de  lutter,  la  technique  étouffe  les 
vues  générales,  un  égoïsme  borné  chasse  le  vieil  idéalisme  germanique, 
parfois  trop  nuageux,  mais  qui  avait  sa  grandeur,  voire  ses  avantages  ; 
bref  tout  dégénère,  suivant  la  mot  de  l'anglais  Glarke,  en  «  un  maté- 
rialisme étroit  dans  la  vie  et  dans  la  pensée  »,  ce  qui  n'est  guère 
rassurant  pour  l'avenir,  ni  au  point  de  vue  moral,  ni  au  point  de  vue 
vue  politique,  ni  même  au  point  de  vue  économique. 

En  une  séiie  de  chapitres,  concis  et  solides  à  la  fois,  M.  B.  a  étudié 
successivement  :  la  constitution  impériale  et  ses  imperfections,  l'unité 
étant  malaisée  à  réaliser  avec  vingt-six  états  autonomes;  les  embarras 
financiers,  résultant  des.  besoins  croissants  du  gouvernement  impé- 
rial, qu'on  avait  omis  de  doter  des  ressources  nécessaires;  l'émiette- 
ment  étonnant  des  partis  politiques;  les  embarras  économiques 
provenant  pour  une  bonne  part  de  l'audace  aventureuse  de  spécula- 
teurs sans  capitaux;  les  défauts  de  la  législation  sociale  qui  a  tenté  en 
vain  de  faire  au  socialisme  sa  part  ;  les  préoccupations  des  moralistes,  . 
effrayés  de  la  ruine  des  antiques  vertus  chez  un  peuple  qui  perd  «  le 
regard  hiérarchique  »  ;  les  difficultés  qui  attendent  la  Prusse  dans 
l'accomplissement  d'une  réforme  électorale,  inévitable  aujourd'hui, 
le  mode  ancien  de  suffrage,  tout  féodal,  étant  un  anachronisme  au 
XX®  siècle  ;  les  redoutables  problèmes  que  soulève  la  clameur  des  natio- 
nalités opprimées  en  Pologne,  en  Schleswig  et  en  Alsace;  enfin  les 
soucis  résultant  de  la  politique  extérieure,  du  système  nouveau  des 
alliances  européennes,  des  complications  coloniales,  de  l'attitude 
haineuse  des  Anglais. 

I.  Les  dernières  réformes  ont  porté  l'armée  à  plus  de  700,000  h.  et  le  Welirve- 
rein  réclame  de  nouveaux  accroissements. 


396  REVUE    CRITIQUE 

On  pourrait  iinagiiiiji"  un  ordre  plus  rij;ourcux  dans  l'ciudc  de  ces 
diverses  questions,  qui  semblent  parfois  mal  classées;  on  ne  saurait 
rencontrer  ni  plus  de  compétence,  ni  plus  de  profondeur ',  ni  plus 
d'impartialité,  le  tout  sous  une  forme  agréable  et  claire,  et,  pour  tout 
dire,  bien  française. 

Albert  Waudington. 


Constantin  Jirecek.    Geschichte  der  Serben.  1"   Band.    i  vol.  iQ-8°,  xi-442   pp. 
Gotha,  F.  A.  Perthes,  njii. 

Cette  histoire  des  Serbes  écrite  par  le  savant  professeur  viennois 
fait  partie  de  la  grande  collection  de  Staatengeschichte  éditée  par 
Lamprecht.  Le  premier  volume  traite  des  origines  et  poursuit  Jus- 
qu'en 1371  .  Un  prochain  second  volume  terminera  l'œuvre. 

Ce  qui  fait  l'intérêt  de  cet  ouvrage  est  surtout  le  soin  qu'a  pris  M.  J. 
de  présenter  en  détail  ce  que  la  science  actuelle  connaît  de  l'organisa- 
tion intérieure  des  tribus  slaves  du  sud.  Tous  les  chapitres  qui  trai- 
tent de  la  presqu'île  balkanique  avant  l'immigration  slave,  puis  après 
cette  immigration  jusqu'au  ix«  siècle  environ,  présentent  un  très  réel 
intérêt  et  éclairent  d'une  manière  vive  toute  cette  période  assez  com- 
pliquée. D'ailleurs,  la  qualité  la  plus  frappante  de  ce  livre  est  la  sim- 
plicité du  style  et  la  limpidité  de  la  langue.  On  éprouve  à  cette  lecture 
une  sensation  de  paisible  objectivité  qui  fait  plaisir  \ 

Jules  Legras. 


Friedrich  Dukmeyer.  Korbs  Diarium  itineris  in  Moscoviam  und  Quellcn,  die  es 
ergânzen.  II"  Band.  356  pp.   Berlin,  Ebering,  1910,  12  marks. 

Ce  second  volume  poursuit  l'étude  des  questions  soulevées  par  le 
célèbre  Diarium,  entre  autres  une  critique  du  Schrciben  eines 
vornehmen  teutschen  Oj^^iers,  etc.,  ouvrage  anonyme  de  Neugebauer; 
l'exécution  des  Strelitz;  la  «  tragédie  »  de  la  famille  Mons,  etc.  Ce 
livre  est  rempli  de  citations  intéressantes.  Par  malheur,  c'est  le  type  du 
livre  inutilisable  :  une  jolie  typographie,  mais  rien  qui  saute  à  l'œil, 
et,  en  outre,  pas  de  plan,  pas  de  méthode,  pas  de  conclusions,  pas 
d'index.  C'est  l'idéal  de  la  confusion  :  c'est  le  contenu  d'une  boîte  de 
fiches  imprimé  sans  suite.  Et  c'est  dommage,  car  il  y  a  là  des  maté- 
riaux qui  attendent  l'ouvrier. 

J.  L. 

1.  Cinq  appendices  complètent  avantageusement  l'ouvrage,  et  donnent  d'utiles 
précisions  sur  les  progrès  de  la  criminalité,  les  syndicats  confessionnels,  les 
finances,  la  politique  commerciale,  le  caractère  du  peuple  allemand. 

2.  M.  J.  qui  connaît  les  langues  slaves,  traduit,  p.  134.  le  mot  koljeno  par 
genou.  Il  pourrait  ajouter  que  c'est  plutôt  par  le  sens  crusse)  de  «  anneau  de 
cbaîne  »  que  ce  mot  en  est  venu  à  signifier  tribu. 


d'histoire  kt  de  littérature  397 

E.   DucHESNE.    Le  Domostroï.     l'iaJ.   et    Commciuaire.    1     vul.    in-S»,    168   pp. 

Picard,  5  f. 
Id.  Michel  I.  Lermontov,   i  vol.  in-S».  478  pp.  Pion,  7  fr.  5o. 

M.  D.  a  traduit  le  texte  Konchine  du  Domostroi.  Nous  regrettons 
les  quelques  coupures  qu'il  y  a  faites,  non  certes  à  cause  de  leur  valeur, 
mais  parce  que  leur  absence  constitue  une  lacune.  Le  commentaire 
est  honnêtement  au  courant  de  la  question.  On  y  souhaiterait  plus  de 
vigueur  et  de  personnalité. 

L'étude  consacrée  à  Lermontov  est  consciencieuse  et  au  courant  : 
elle  sera  utile;  seulement,  le  séduisant  poète  y  apparaît  un  peu  dans 
une  espèce  de  grisaille  qui  le  banalise.  Il  faut  plus  que  du  savoir  pour 
parler  congrùment  d'un  poète  comme  celui-là. 

Le  chapitre  attendu  sur  la  forme  n'a  pas  la  clarté  et  la  méthode 
qu'on  pourrait  souhaiter.  C'est  précisément  parce  que  Lermontov  se 
reprenait  souvent  qu'il  était  intéressant  de  nous  montrer  vers  quel  but 
il  tendait  son  style.  M.  D.  s'est  contenté  d'énumérations  souvent 
curieuses,  d'ailleurs.  Quant  aux  pages  relatives  à  la  métrique,  disons 
tout  net  qu'elles  sont  manquces.  M.  D.  ne  semble  pas  être  rompu 
au.\  études  de  la  métrique  étrangère  moderne.  Il  ne  s'est  pas  demandé 
quelle  était  la  forme  dominante  chez  Lermontov,  quelles  sont  les 
formes  dérivées  et  d'où  venaient  les  influences,  toutes  questions  qui 
étaient  dignes  de  trouver  place  dans  une  thèse.  Non  seulement  ces 
questions  ne  sont  pas  touchées,  mais  ce  qui  est  dit  de  la  métrique 
contient  bien  des  erreurs.  Par  ex.,  p.  198  sq.  Borodmo  n'est  pas  écrit 
en  vers  de  5  iambes  incomplets,  mais  en  vers  de  4  iambes  à  rime 
féminine;  dans  le  Poète,  avant  de  songer  à  ce  que  M.  D.  appelle 
l'amphibraque,  il  convient  de  songer  à  l'alexandrin  ;  le  Vaisseau  fan- 
tôme n'offre  pas  les  complications  de  rythme  qu'on  lui  prête,  mais 
des  vers  iambiques  de  3  pieds,  avec  des  résolutions  anapestiques 
régulières  au  2=  et  3*^  pied,  et  des  rimes  masculines  et  féminines 
croisées. 

Ces  réserves  ne  nous  empêchent  pas  cependant  de  rendre  pleine 
justice  au  travail  de  M.  D.  et  de  souligner  le  service  qu'il  a  rendu  en 
rendant  accessible  à  notre  public  la  charmante  figure  du  malheureux 
poète  russe.  Son  livre  sera  donc  lu  avec  intérêt  et  avec  fruit. 

Jules  Legras. 


W.  Habkrmann.  Der  Stolypinsche  Gesetzentwurf.  i  vol.  in-S",  122  pp.  Leipzig, 

Duncker  et  Huiiiblut,  ■•>  ni.  20. 
Pétition  des  Finnlândischen  Landtags  vom  2G  mai  19 10,  i  vol.  in-8",  124  pp., 

ibid. 
Finnland  und  Russland.  Die  internationale   Conferenz.   i  vol.    in-S",    117   pp., 

ibid. 

Ces  publications   se  rapportent  toutes  à  la    lutte  constitutionnelle 
entre  la  Finlande  et  la  Russie.  La  première  contient  la  réponse  avec 


398  RKVUK    CRiriQUE 

ses  annexes  du  Landtag  finlandais  au  Tsar  à  propos  du  projet  de 
Stolvpine  ayant  pour  but  d'enlever  à  la  Finlande  le  contrôle  des  lois 
qui  la  concernent,  et  de  l'incorporer  plus  intimement  au  faisceau 
russe. 

La  deuxième  publication  contient  la  pétition  que,  vingt  jours  après 
cette  réponse,  le  Landtag  a  adressée  au  Tsar  pour  le  prier  de  ne  pas 
donner  suite  aux  projets  de  son  minisirc. 

La  troisième  brochure  eiiiin  contient  les  prcjcès-verbaux  de  la 
conférence  de  juristes  internationaux  réunis  à  Londres  du  26  février 
au  6  mars  19 10  pour  discuter  la  question  des  droits  de  la   Fjnlande. 

Ces  trois  volumes  sont  présentés  ici  en  traduction  allemande.  Il 
est  bon  de  les  lire  et  de  les  relire  avant  de  se  faire  une  opinion  sur 
cette  question  qui  met  en  regard  d'un  côté  le  droit  et  de  l'autre  la 
raison  d'Etat,  également  intransigeants  l'un  et  l'autre  mais  dont  le 
premier  est  singulièrement  plus  séduisant. 

J.  L. 


Martinovitcii.    Touretzki   Téatre  Karagueuze  (Le  théâtre   turc    Karagueuze). 

I   vol.  in-8»,  Saint-Pétersbourg,  igio. 

M.   M.   donne,   avec  une    intéressante  introduction  historique,   la 
traduction  de  trois  scénarios  du  guignol  Karagueu-{e. 

J.  L. 


H.  Jelinek.  La  littérature  tchèqvie  contemporaine,  i  vol.  in- 12,  366  pp.  Paris. 
Mei'cure  de  France,  1912,  3  fr.   5o. 

Ce  volume,  que  M.  E.  Denis  a  honoré  d'une  préface  généreuse, 
donne  plus  que  son  titre  ne  promet,  à  savoir  un  raccourci  de  l'his- 
toire littéraire  tchèque  depuis  la  Réforme.  M.  J.  n'a  pas  essayé  de 
faire  une  construction  arbitiaire  :  il  s'est  contenté,  en  professeur  qui 
sait  son  métier,  de  grouper  d'une  façon  claire  les  périodes  et  les 
genres.  Il  en  résulte  que  son  livre,  d'ailleurs  pourvu  d'un  index,  est 
de  ceux  qu'on  peut  consulter  souvent,  au  lieu  de  le  feuilleter  un  jour 
et  de  l'oublier  ensuite. 

Cette  histoire  est  captivante  :  elle  exprime  bien,  jusque  dans  le 
choix  des  citations  (dont  on  souhaiterait,  d'ailleurs,  le  ton  un  peu 
plus  varié),  le  caractère  de  cette  littérature  tchèque  indécise  encore, 
malgré  de  robustes  noms,  et  tournée  avec  une  obstination  piesque 
exclusive  vers  la  contemplation  historique  et  le  souci  de  l'asservisse- 
ment politique.  A  cet  égard,  ce  tableau  d'un  peuple  qui  pense  et  tra- 
vaille à  travers  tant  de  difficultés,  qui  veut  être  lui-même  en  face  de 
voisins  puissants  dont  la  personnalité  menace  de  l'écraser,  ce  tableau 
a  quelque  chose  de  tragique  et  de  réconfortant  tout  à  la  fois. 

Jules  Legras. 


d'histoire  et  de   littérature  3g9 

E.  Haumant,  Pouchkine,  i  vol.    in- 12,  232  pp.  et  2  portraits.  Paris,  Blond  et  C'% 
T  9 1  1 ,  2  fr. 

L'étude  de  M.  H.  sur  Pouchine  est  avant  tout  une  œuvre  de  vulga- 
risation :  elle  est  consciencieuse  et  aussi  complète  que  le  permettait  le 
cadre  restreint  de  la  collection.  L'ordre  en  est  agréable.  On  en 
apprécierait  davantage  la   rapidité,  si  le  style  y  était  plus  également 

surveillé. 

J.   L. 


L.  KuLczvsKi.  Geschichte  der  russischen  Révolution,  trad.  du  polonais  par 
M""' Schapire-Neurath.  2  vol.  in-S"  de  32o  et  535  pp.  Gotha,  igioet  1911, 
8  et  S  ink. 

Le  premier  volume  de  cette  histoire  de  la  révolution  russe  s'étend 
de  la  tin  du  xvni'^  siècle  jusqu'en  1870  environ  ;  le  second  se  termine 
avec  1886.  C'est  la  première  fois  que  les  mouvements  d'idées  liber- 
taires et  révolutionnaires  en  Russie  se  trouvent  exposés,  dans  un 
ouvrage  d'ensemble,  avec  pareil  détail  et  aussi  sérieuse  méthode.  Il 
faut  rendre  à  M.  K.  cette  justice  qu'il  s'est  efforcé  d'exposer  les  idées 
et  les  faits  avec  une  impartialité  absolue.  Cet  effort  a  eu  l'heureux 
effet  de  lui  donner  une  prudence  et  une  réserve  toutes  nouvelles  en 
pareille  matière.  En  effet,  les  documents  russes  sont,  d'ordinaire,  ou 
bien  entachés  de  parti-pris  gouvernemental,  ou  bien,  quand  ils 
émanent  de  révolutionnaires,  composés  avec  une  absence  totale  d'es- 
prit critique.  M.  K.  s'est,  lui  du  moins,  efforcé  de  ne  rien  affirmer 
sans  raison,  et,  quand  il  s'agit  de  bruits,  il  ne  manque  pas  d'en 
indiquer  l'origine. 

A  ce  souci  d'exactitude  scientifique  s'allie  chez  M.  K.  un  sérieux 
effort  de  construction  historique.  M.K.  s'efforce  de  montrer  comment 
les  bases  de  l'agitation  révolutionnaire  se  sont  peu  à  peu  élargies, 
depuis  l'affaire  des  Décembristes  jusqu'à  nos  jours,  à  mesure  que  les 
essais  de  mise  en  pratique  échouaient  les  uns  après  les  autres.  Il  ne 
s'agit  donc  pas  ici  de  l'histoire  purement  anecdotique  d'une  série  de 
mouvements,  mais  bien  d'un  travail  d'ensemble  qui  rattache  ces 
mouvements  les  uns  aux  autres. 

Ai-je  besoin  de  dire  que  cet  exposé  se  lit  avec  un  intérêt  qui  ne 
faiblit  pas?  M.  K.  possède  une  culture  étendue  qui  lui  permet  de 
suivre  sur  les  domaines  industriel,  agricole  et  littéraire  les  traces  de 
l'agitation  et  les  ramifications  de  la  révolte,  et  cette  variété  des  points 
de  vue  soutient  l'intérêt,  qui  menacerait  de  faiblir  à  partir  des  années 
quatre-vingts  par  suite  de  l'accumulation  des  détails  anecdotiques. 

En  résumé,  nous  avons  là  une  histoire  digne  de  ce  nom  des 
malaises  de  la  Russie  durant  le  siècle  dernier.  M.  K.  accorde  peut- 
être  çà  et  là  une  place  exagérée  à  l'élément  volonté  dans  les  mouve- 
ments révolutionnaires;  mais  il  a  du  moins  le  grand  mérite  de 
montrer  pourquoi  les  diverses  classes  sociales  sont  devenues  chaque 


400  REVUE    CRITIQUE    D  HISTOIRE    l'.T    DE    LITTERATURE 

jour  plus  accessibles  aux  iddes  avancées,  à  mesure  que  la  culture 
occidentale  creusait  plus  profondément  le  fossé  entre  l'ancienne  et  la 
nouvelle  Russie. 

Jules  Legras. 


M.  PiNfts,  Histoire  de  la    littérature    judéo-allemande,    i    vol.  in-S»,  582  pp. 
Paris,  191  I,  <S  francs. 

J'ai  eu  la  curiosité  de  comparer  au  livre  de  M.  Pinès  le  livre  de 
M.  Wiener  sur  le  même  sujet  '  :  j'ai  pu  constater  que  M.  P.  n'exagé- 
rait rien,  lorsqu'il  a  écrit  u  qu'il  devait  beaucoup  à  son  devancier  »! 
Il  lui  doit  en  effet  son  titre,  son  plan,  bon  nombre  de  ses  idées  et 
beaucoup  de  ses  développements.  Que  ne  l'a-t-il  suivi  jusqu'au  bout, 
et,  puisqu'il  prenait  la  peine  de  recopier  jusqu'à  sa  bibliographie,  que 
n'a-t-il  terminé,  lui  aussi,  par  un  index  des  matières,  au  lieu  de  se 
contenter  d'un  pauvre  index  des  noms  propres? 

Ces  réserves  faites,  on  lira  avec  curiosité  le  livre  de  M.  P.,  si  on  ne 
connaît  pas  l'autre.  On  regrettera  peut-être  que  les  textes  n'accom- 
pagnent pas  (comme  chez  M.  Wiener)  les  traductions  données;  mais 
on  rendra  hommage  au   travail  de   patiente  adaptation  du  traducteur. 

Une  importante  lacune  apparaît.  Naturellement,  elle  existe  chez 
M.  Wiener,  mais  là,  du  moins,  elle  pouvait  se  défendre,  puisque 
M.  Wiener  se  cantonnait  le  plus  possible  aux  Etats-Unis,  son  pays 
d'adoption.  Je  veux  parler  du  rôle,  de  l'organisation,  des  conditions 
de  vie  de  la  presse j^idish  dans  cette  Pologne  où  se  place  M.  Pinès. 
Il  semble  évident  que  le  centre  de  Vilna,  pour  ne  citer  que  celui-là, 
a  une  sérieuse  importance,  tant  par  ses  journaux  que  par  sa  littéra- 
ture à  deux  sous,  qui  a  une  grande  diffusion.  M.  P.  eût  trouvé  là  une 
occasion  de  faire  une  étude  vraiment  personnelle. 

M.  Andler  a  donné  pour  cette  thèse  d'université  une  préface  qui  en 
est  le  morceau  capital.  Il  y  a  là  quelques  vues  sur  l'origine  philolo- 
gique àiiyidish  qui  sont  extrêmement  intéressantes 

Jules  Legras. 

I.  The  history  of  Yiddish  literature  in  the  igth  century. 


L'imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-en-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon. 


REVUE    CRITIQUE 


D'HISTOIRE     ET      DE     LITTERATURE 


N"  47  —  23  novembre  —  1912 


Hamii.ton,  Le  pays  de  Somalis.  —  Bentox,  Textes  kanouris.  —  Pascal,  Les 
croyances  antiques  sur  l'autre  ivionde.  —  Schi.esinger,  Histoire  du  symbole.  — 
ScHURÉ,  L'évolution  divine,  du  Sphinx  au  Christ.  —  Chinard,  L'exotisme  amé- 
ricain dans  la  littérature  française  du  xvi°  siècle.  —  Tavi.or,  La  prophétie  poli- 
tique en  Angleterre.  —  Patterson,  Lyrique  religieuse  du  moyen-anglais.  — 
MosMER,  L'exempluin  tians  la  poésie  anglaise.  —  Andrews,  Littérature  anglaise, 
2«  éd.  —  Beaumont  et  Fletcher,  p-  Wai.i.ek,  X.  —  Tiinnies,  Hohbes.  —  Smith, 
Pierre  Bayle.  —  Merck,  (Euvres  et  lettres  choisies,  p.  Woi.kf.  —  Merck,  Lettres 
à  Charles-Auguste,  p.  CirAk.  —  Archives  bavaroises  de  la  Guerre,  XXI.  — 
Mémoires  du  hussard  'l'héodore  Gœthc,  p.  Holzhausen.  —  Esquer,  L'adminis-^ 
tration  civile  à  Alger  en  i83o.  —  VValzei,,  Etudes  sur  le  xvni«  et  le  xix'  siècle. 
—  Rolland,  Vie  de  Tolstoï.  —  Forbes,  Les  parlers  slaves.  —  Pal.mieri.  Réponse 
au  clergé  polonais.  —  .Académie  des  inscriptions. 


Angus    Hamilton,  Somaliland.    Londres,   Hutchinson   and   Co,    xv-366   p.   in-8*, 
avec  2  5  illustrations  et  une  carte. 

On  se  tromperait  si,  sur  la  foi  du  titre,  on  croyait  trouver  ici  une 
monographie  complète  du  pays  de  Somalis,  au  point  de  vue  ethno- 
graphique, géographique,  historique,  linguistique  et  économique. 
C'est  seulement  le  récit  de  la  lutte,  non  encore  terminée  aujourd'hui, 
que  les  Anglais  ont  eu  à  soutenir  contre  celui  qu'on  a  nommé  Mad 
Miillah  (le  mollah  fou).  On  sait  que  ce  personnage,  de  son  vrai  nom 
Mohammed  'Abd  Ullah,  originaire  des  Habr  Solaimàn,  fraction  des 
tribus  de  TOgadèn,  et  allié  par  son  mariage  aux  Dolbahantes,  com- 
mença sa  carrière  en  iSgS,  à  son  retour  de  la  Mekke,  De  nouveaux 
pèlerinages  lui  valurent  une  autorité  religieuse  qui  se  manifesta  en 
1899  par  des  expéditions  contre  les  tribus  soumises  aux  Anglais.  Pour 
se  défaire  de  lui,  le  gouvernement  britannique  conclut  un  accord  avec 
l'Ethiopie  et  Tltalie  :  celle-ci  autorisa  le  passage  des  troupes  an- 
glaises à  travers  son  territoire  :  la  première  envoya  un  corps  d'arméié 
dont  les  opérations  mal  combinées  avec  celles  du  corps  expédition- 
naire britannique,  ne  donnèrent  pas  les  résultats  attendus.  Le  livre 
de  M.  A.  H.  nous  présente  dans  le  plus  grand  détail  le  tableau  des 
quatre  campagnes  dirigées  contre  le  MuUah,  campagnes  signalées  par 
des  épisodes  sanglants,  comme  l'échec  de  Gumburu  :  les  deux  pre- 
mières dirigées  par  le  colonel  Swayne,  les  deux  dernières  par  le  géné- 

Nouvelle  série  LXXIV  47 


402  REVUE    CRITIQUE 

rai  Manning.  Finalement,  on  dut  se  contenter,  après  le  succès  de 
Jidbcli,  de  rejeter  le  MuUah  hors  du  territoire  britannique.  L'auteur 
a  suivi  les  colonnes  expéditionnaires  et  son  récit  se  fait  remarquer 
par  une  précision,  une  exactitude  et  une  abondance  de  détails  tout  à 
fait  remarquables.  Il  tranche  avec  les  publications  hâtives  et  superfi- 
cielles qu'a  suscitées  en  France  la  campagne  du  Maroc  et  où  la  suffi- 
sance des  auteurs  n'a  souvent  d'égale  que  leur  ignorance.  C'est  un 
document  important  pour  l'histoire  de  la  colonisation  anglaise  dans 
l'Afrique  du  Nord-Est  et  il  mérite  d'être  recommandé  à  ce  titre. 

René  Basset. 


P.  AsKKLL  Benton,  Kanurl  Readings.  Oxford,  LJniversity  Press,  191  i,   i  lo-vm  p. 
in-i6. 

Depuis  les  publications  de  Norris  en  i853,  Kœlle  en  1854  et  l'étude 
inachevée  de  Barth  dans  ses  Vukabiilarien,  le  kanouri  ilangue  du  Bor- 
nou)  n'a  pas  été  l'objet  de  travaux  originaux.  Le  petit  livre  de  M.  Ben- 
ton n'a  d'autre  prétention  que  de  servir  de  complément  à  ceux  de  Kœlle 
et  il  a  atteint  ce  but.  Il  contient  huit  textes,  transcrits  d'après  l'original 
en  caractères  arabes  publié  à  la  fin.  Mais  l'arabe  représente-t-il  bien 
les  sons  du  Kanouri  ?  Chacun  de  ces  textes  est  accompagné  d'une  tra- 
duction correcte  :  trois  sont  des  traditions  plus  ou  moins  légendaires 
(une  sur  les  Sau,  géants  qui  auraient  précédé  les  Kanouri  dans  le 
Bornou  ;  origine  des  noms  d'Afuno  et  de  Galadima  et  de  celui  de  la 
ville  de  Kamo)  ;  un  autre  est  une  variante  de  la  fable  bien  connue  de 
la  Part  du  Lion  '  ;  enfin  le  reste  comprend  une  lettre,  un  court  éloge 
de  la  patience,  où  abondent  les  mots  arabes,  la  traduction  du  Pater 
Noster  et  une  série  d'énigmes.  Viennent  ensuite  deux  glossaires 
anglais-kanouri  et  kanouri-anglais,  et  une  liste  fort  utile  des  préfixes 
et  des  suffixes  en  kanouri.  Les  textes  autographiés  en  caractères 
arabes  terminent  ce  volume  qui  mérite  un  bon  accueil. 

René  Basset. 


C.  Pascal,  Le  credenze    d'oltretombe    nelle  opère   litterarie    dellantichità 
classica.  Catania,  Battiato,  191  2  ;  deux  in-8",  xii-262  et  262  pages. 

Cet  ouvrage  se  lit  avec  plaisir  et  facilité.  C'est  un  exposé  clair  et 
bien  ordonné  des  croyances  antiques  sur  l'autre  monde,  fondé  prin- 
cipalement sur  les  œuvres  littéraires,  quoique  l'épigraphie  soit  mise 
de  temps  en  temps  à  contribution.  L'auteur  connaît  fort  bien  la  litté- 
rature antique  et  les  travaux  modernes  relatifs  au  sujet  qu'il  traite.  Il 
n'a  toutefois  esquissé  qu'un    tableau   dont   l'utilité   n'est  pas  niable 


I.  P.   17.  L'expression,  empruntée  à   Varahe,  Subchana  Allahi  ne  veut  pas  dire 
«  Dieu  sans  péché  »  mais  «  Louange  de  Dieu  ». 


d'histoire  et  »k  littérature  4(j3 

pour  la  vulgarisaiion.  mais  qui  ne  laii  pas  beaucoup  avancer  la 
science  des  religions  grecque  et  romaine.  L'origine  des  croyances 
n'csi  pas  discutée;  on  ne  montre  pas  leur  évolution  et  à  plus  forte 
raison  n'en  a-i-on  pas  rendu  compte.  On  ne  distingue  pas  assez 
nettement  ce  qui  appartient  aux  vieilles  croyances  populaires,  à  la  foi 
des  mystères,  aux  spéculations  philosophiques.  La  comparaison  des 
doctrines  orphiques  avec  la  croyance  chrétienne  à  la  résurrection 
et  la  croyance  catholique  au  purgatoire  est  quelque  peu  artificielle. 
La  crovance  à  la  réincarnation  des  âmes  jusqu'à  purilication  com- 
plète n'est  pas  la  résurrection  qu'enseignent  saint  Paul  et  l'Eglise 
chrétienne.  La  croyance  chrétienne  est  beaucoup  plus  simple;  l'idée 
d'une  purilication  après  la  mort  n'y  apparaît  qu'assez  tard.  M.  P.,  à 
la  fin  de  son  second  volume,  dit  que  saint  Justin  parle  de  la  régéné- 
ration chrétienne  par  le  baptême  ;  ce  n'est  pas  Justin  qui  en  a  parlé  le 
premier.  l,a  même  idée  s'e.\prime  très  nettement  dans  le  quatrième 
Évangile  et  déjà  dans  saint  Paul. 

A.  L. 


Geschichte    des  Symbols,   von  M.    Schlesinger.    Berlin,    Simeon,    191.2;   in-4*, 
vin-474  pages. 

Une  compétence  universelle  serait  indispensable  pour  critiquer  ce 
gros  volume,  qui  traite  de  l'histoire  du  mot  symbole,  de  la  physiolo- 
gie du  symbolisme,  de  son  histoire,  du  symbolisme  du  droit,  de  celui 
de  la  religion,  du  symbolisme  dans  l'art,  dans  la  littérature  et  dans 
la  vie.  L'icuvre  paraît  importante  ;  c'est  le  fiuit  d'une  vaste  lecture  et 
sans  doute  aussi  d'une  longue  réflexion.  Des  matériaux  considérables 
y  ont  été  exposés  en  bon  ordre.  Ce  qui  y  manque  le  plus  pourrait 
bien  être  une  définition  nette  de  ce  que  l'auteur  lui-même  entend  par 
symbole,  et  une  notion  claire  et  logique  de  la  chose. 

Il  y  a  symbole  et  symbole  :  le  symbolisme  inhérent  à  tout  exer- 
cice de  la  pensée  humaine  et  à  tout  langage  humain;  aussi  le  sym- 
bolisme inconscient  de  l'intelligence  enfantine  ou  inculte,  qui  pense 
en  images  et  qui  pourtant  ignore  la  métaphore,  parce  que  tout  rapport 
d'analogie  lui  est  une  sorte  de  participation  réelle  ;  enfin  le  sytnbo- 
lisme  conscient  et  réfléchi  qui  se  sert  des  iinages  pour  rendre  plus 
impressionnante  l'idée  qu'il  se  fait  des  choses.  M.  S.  a  bien  l'air  de 
mêler  un  peu  tout  cela.  Pcjurtant  ce  ne  peut  être  que  du  symbolisme 
réfléchi  qu'il  a  pu  vouloir  dire  que  son  siège,  au  point  de  vue  psycho- 
logique est  dans  les  centres  les  plus  élevés  du  cerveau  parce  qu'il 
comporte  une  sorte  de  chaîne  parallèle  à  l'association  d'idées  qu'il 
présuppose.  Au  premier  degré  de  la  connaissance,  ce  qui  est  pour 
nous  image  ne  suppose  pas  l'idée  abstraite  que  nous  y  mêlons  pour 
l'interpréter;  elle  la  remplace.  Ce  doit  être  faute  d'avoir  posé  dès 
l'abord  les  distinctions  nécessaires  que  M.  S.  en  vient  à  ne  pouvoir 


404  REVl'P    CRITIQI  F. 

se  prononcer  sur  la  question  du  symbolisme  primitif  de  la  religion 
grecque.  Pas  plus  qu'aucune  autre  mythologie  celle  des  Grecs  n'a 
commence'  par  un  symbolisme  conscient,  et  l'on  n'a  cherché  aux 
mythes  un  sens  spirituel  qu'après  s'être  élevé  au-dessus  de  la  menta- 
lité qui  les  avait  d'abord  conçus.  Pour  M.  S.  Héraclès  est  le  sym- 
bole de  l'esprit  hellénique,  tout  comme  Moïse  est  le  symbole  du  pro- 
phétisme  israéliie.  Mais  c'est  à  nous  seulement  que  Moïse  et  Héraclès 
apparaissent  ainsi  comme  des  types  représentatifs,  et  la  création  de 
ces  types  a  été  spontanée,  quel  que  soit  son  point  de  départ  dans 
l'histoire  ;  les  types  ont  été  compris  et  affirmés  comme  réalité. 

La  question    du   symbolisme  religieux    n'est  pas  posée  en  termes 
plus  nets  que  celle  du  symbolisme  en  général.  Il  semble  à  M.  S.  que 
ladivinité  soit  un  symbole,  un  idéal  créé  par  Thommepourson  besoin, 
selon   le   mouvement  de  son  propre  désir,  —   ce  qui   est  seulement 
une  partie  de  la  vérité,  —  et  il  en   infère  que  la  religion  tout  entière 
est  symbole.  Ce  n'est  qu'un  de  ses  aspects,  toutes  les  religions  histo- 
riques pouvant,   d'un  point  de  vue  philosophique,  être   considérées 
comme  des  formes  diverses  d'idéal  humain.    Mais  dans  leur  réalité 
vivante,  pour  leurs  adeptes,   et  en  tant  que   créations  originales  de 
l'humanité,  elles  sont  tout  autre  chose  que  des  symboles.  Un  objet 
concret  est  censé  correspondre  aux  croyances,  comme  une  efficacité 
réelle  est  supposée  dans  les  rites.  Le  symbolisme  inconscient,  inné  à 
la  pensée  religieuse  comme  à  toute  pensée   humaine,  et  qui  résulte, 
au  fond,   de  la  nécessité  naturelle  d'attribuer  une  valeur  objective  à 
nos  idées,  n'est  pas  le   même  que  le  symbolisme  en  vertu  duquel  on 
détourne  de  leur  signification  première  les  formules  et  les  rites  reli- 
gieux qui  ne  correspondent  plus  aux  aspirations  des  âges  nouveaux. 
L'interprétation  allégorique  et  chrétienne  du  culte  juif  dans  l'Épître 
aux  Hébreux  —  exemple  allégué  par  M.  S.  —  appartient  au  symbo- 
lisme, incontestablement;  mais  ce  symbolisme  artificiel,  qui  se  subs- 
titue à  la  signification  naturelle  et  historique  de  l'ancien  rituel  n'est 
pas  de  même  ordre  que  celle-ci  ;    elle   n'a  qu'une  valeur  de  spécula- 
tion, en  tant  du  moins  qu'on  la  considère  par  rapport  aux  rites  qu'elle 
concerne  ;  elle  vide  ceux  ci   de  leur  contenu  réel,   qu'elle  remplace 
par  un  contenu  purement  idéal .  Pour  l'auteur  de  l'Épître  aux  Hébreux, 
le  grand-prêtre  pénétrant  dans  le   Saint  des   saints  avec  le  sang  des 
victimes  le  jour  de  l'Expiation  est  le  Christ  ouvrant  aux  croyants  par 
sa   mort   et   sa  résurrection    la  voie   de    l'immortalité.  C'est    du  pur 
symbolisme  ;  mais  ce  symbolisme-là  diffère  essentiellement  de  celui 
qu'on  peut  trouver  dans  l'acte  du  grand-prêtre  accomplissant  la  puri- 
fication d'Israël,  le  sens  des   rites  se  confondent  ici  avec  l'idée  même 
de  l'effet  qui  leur  est  attribué,  c'est-à-dire  qu'il  ne  s'agit  pas  véritable- 
ment de   symbolisme,   de  signe  qui   par   lui-même  n'est  que  signe, 
mais  d'acte  eflficace  et  de  réalisme  mystique. 
Ce  que  dit  M.  S.  touchant  le  symbolisme  du  culte  Israélite  prête- 


d'histoire  et  de  littérature  4o5 

rait  à  des  remarques  analogues.  Le  sabbat  lui  paraît  être  le  symbole 
de  l'alliance  entre  lahvé  et  son  peuple.  Mais  ce  n'est  point  pour  cette 
raison  qu'on  l'a  pratiqué.  La  Bible  même  enseigne  que  Dieu  a  consa- 
cré le  sabbat,  se  l'est  réservé,  l'a  frappé  d'interdit  pour  le  travail 
humain.  11  ne  s'agit  pas  d'un  symbole  d'alliance,  et  l'on  peut  dire 
que  le  sabbat  est  gardé  pour  lui-même,  à  raison  du  caractère  sacré 
qu'on  y  suppose  attaché.  L'encens  qu'on  brûlait  était  autre  chose 
qu'un  symbole  de  la  bienveillance  divine.  Les  pains  sur  la  table  du 
sanctuaire  n'étaient  pas  un  symbole  des  dons  divins,  mais  une 
oft'rande  au  dieu,  et  c'est  pour  cela  qu'ils  étaient  sacrés.  Le  candé- 
labre aux  sept  lampes  était  pour  l'éclairage  du  sanctuaire,  et  si  les 
sept  lampes  avaient  de  plus  une  signification  mystique,  cette  signi- 
fication ne  concernait  pas  «  l'efficacité  de  la  parole  divine  ».  Les 
rites  des  sacrifices  ont  pu  être  interprétés  allégoriquement  par  les 
docteurs  dans  les  derniers  temps  ;  mais  durant  des  siècles  on  les 
avait  pratiqués  comme  étant  agréables  à  Dieu,  —  quoi  qu'en  aient 
pu  dire  les  prophètes,  —  et  les  sacrifices  dits  de  péché  n'étaient  pas, 
comme  le  suppose  M.  S.,  des  peines  religieuses  à  signification  sym- 
bolique ;  c'étaient  avant  tout  des  rites  de  purification  cultuelle, 
conséquemment  des  rites  efficaces,  non  de  purs  symboles,  et  ils  sont 
demeurés  tels  jusqu'à  la  fin.  On  ne  saurait  les  loger  dans  la  même 
catégorie  que  les  actions  symboliques  des  prophètes,  les  scènes  figu- 
rées de  la  littérature  apocalyptique,  l'interprétation  allégorique  de  la 
Bible  par  Philon,  l'interprétation  chrétienne  de  l'Ancien  Testament. 
M.  S.  s'est  excusé  de  traiter  en  détail  du  symbolisme  du  Nouveau 
Testament,  en  alléguant  que  d'autres  l'ont  fait,  —  il  semble  plutôt 
que  le  sujet  serait  à  reprendre  tout  entier,  surtout  pour  les  Évangiles, 
—  et  il  se  borne  à  indiquer  certains  points  de  détail  :  lavement  des 
pieds,  baptême,  paroles  de  l'institution  eucharistique,  paraboles  de 
Jésus.  Il  considère  le  lavement  des  pieds,  dans  le  quatrième  Evangile, 
comme  une  action  symbolique  de  Jésus  :  c'est  beaucoup  plus  sûre- 
ment un  récit  allégorique  de  l'évangéliste,  et  le  quatrième  Évangile 
tout  entier  se  présente  à  peu  près  dans  les  mêmes  conditions  que  le 
récit  du  lavement  des  pieds.  Le  baptême  n'est  pas  précisément  un 
symbole  mais  un  moyen  de  purification.  Le  sujet  de  l'eucharistie  esta 
peine  effleuré;  le  thème  est  pourtant  de  ceux  où  l'on  peut  apprendre 
beaucoup  sur  la  véritable  nature  du  symbolisme  religieux.  M.  S. 
témoigne  quelque  surprise  de  trouver  que,  pour  les  anciens  Pères  de 
l'Eglise,  symbole  et  réalité  ne  sont  point  choses  contradictoires.  Il 
aurait  pu  faire  la  même  constatation  dans  les  textes  du  Nouveau  Tes- 
tament qui  regardent  l'eucharistie.  Le  symbolisme  pur  peut, être  une 
satisfaction  de  l'esprit  théologique  ou  esthétique;  le  mysticisme  d'une 
religion  vivante  est  toujours  plus  ou  moins  réaliste. 

Z. 


406  REVUE    CRITIQUE 

Kdounrd  Sciiuhk,  L'évolution  divine.  Du  Sphinx  au  Christ,  l'aris,  Pcirin,  i(ji2  ; 
in-i2,  xv-441  pa[i[cs. 

S'adresse  «  à  tous  ceux  qui,  seiiiant  la  {^raviic  de  riicurc  présente, 
sont  résolus  à  marcher  vers  l'avenir  sous  la  bannière  de  Vésotérisme 
liclléno-chrétien  ».  Peut-être  v  aura-t-il  un  second  volume  intitulé  : 
Du  Christ  à  Lucifer.  Celui-ci  est  déjà  plein  de  choses  que  je  ne  me  crois 
pas  permis  de  résumer  dans  la  Revue  critique,  précisément  parce  qu'elle 
est  critique.  On  ne  discute  pas  avec  les  voyants,  et  M  S.  voit  tant  de 
choses  que  la  discussion  n'aurait  pas  de  rtn.  Cela  va  depuis  «  l'évolu- 
tion planétaire  »  jusqu'à  la  résurrection  du  Christ.  La  cosmogonie 
de  M.  S.  dépasse  par  la  richesse  de  la  fantaisie  tous  les  mythes  de  l'an- 
tiquité, toutes  les  gnoses  connues,  et  sa  façon  d'entendre  l'histoire 
fi'est  pas  moins  extraordinaire.  C'est  une  vision,  comme  la  cosmo- 
gonie, l-cs  lecteurs  de  celle  Revue,  étant  tous  cnirainés  dans  «  le  cou- 
rant luciférien  de  la  Science  »,  n'auraient  pas  pour  celle  révélation 
le  respect  qui  convient.  El  peut-être  penseraieni-ils  que  la  discipline 
intellectuelle  du  dogme  le  plus  étroit  est  encore  moins  dangereuse 
■pour  la  raison  et  le  sens  commun  que   la    «    voyance    »  de    «  l'ésoté- 

risme  ». 

A.    L. 


Gilbert  CiiiNARD,  L'exotisme  américain  dans  la  littérature  française  au 
XVI''  siècle,  (.f après  Rabelais,  Ronsard,  Montaigne,  etc.  Paris,  Hachette  et  C'% 
1911,   1   vol.  in-iG  lie  xvii  -f-   246  pages.  Prix  :   3  fr.  5(). 

Le  litre  de  ce  livre  a  le  défaut  de  ne  pas  indiquer  quel  en  est  l'in- 
térêt véritable.  En  fait,  ce  que  l'on  entend  par  exotisme,  c'est  soit  un 
état  de  sensibilité  dont  le  fond  est  le  regret  des  pavs  lointains,  soit 
■encore  une  manière  artistique  qui  tend  à  mettre^  en  relief  le  caractère 
pittoresque  des  régions  étrangères.  L'  «  exotisme  »  ne  se  rencontre 
guère  chez  les  écrivains  du  xvi''  siècle.  Ce  que  M.  Chinard  a  étudié 
dans  son  ouvrage,  ce  sont  lous  les  éléments  nouveaux  introduits  dans 
notre  littérature  au  xvi''  siècle  par  la  découverte  de  l'Amérique  : 
notions  de  cosmographie  et  de  géographie,  théorie  sur  la  bonté  natu- 
relle des  sauvages,  conception  du  relativisme  d'e  la  morale,  etc. 
Quelle  fut  à  cette  époque  l'influence  de  la  découverte  du  Nouveau 
Monde  sur  les  poètes  et  les  moralistes,  voilà  l'objet  de  ce  travail. 

M.  Chinard  prend  comme  résumé  des  conceptions  cosmographiques 
et  géographiques  avant  1492  l'Imago  Mundi  de  Pierre  d'Ailly.  Nom- 
breuses sont  les  légendes  qui  se  mêlent  à  certaines  données  précises 
dans  ce  livre  qu'étudia  et  annota  Christophe  Colomb  avant  d'entre- 
prendre son  grand  voyage.  Les  premières  relations  de  la  découverte 
de  l'Amérique,  les  lettres  de  Colomb  et  d'Améric  Vespuce,  les 
Oceani  Décades  de  Pierre  Martyr  d'Anghiera,  restent  hdèles  à  l'esprit 
du  moyen  âge  avide  de  merveilleux.  Colomb  cr(jii  à  l'existence  des 
Amazones  et  à  celle  des  indigènes  qui  sont  pourvus  d'une  queue,  etc. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  4O7 

Chez  Pierre  Martyr,  les  légendes  de  l'Eldorado  prennent  la  place 
occupée  dans  Marco-Polo  par  les  descriptions  de  Cipangu  la  Dorée. 
Ces  premières  relations  n'apportent  rien  de  neuf  dans  la  littérature. 
Elles  ne  font  que  prolonger  le  moyen  âge.  L'esprit  humain  n'a  pas 
I  encore  lait  un  dépari  entre  les  vieilles  légendes  et  les  nouvelles  acqui- 
sitions. 

Le  Bricf  récit  et  succinte  narration  de  la  navigation  de  Jacques 
Cartier  puplié  en  1545,  a  un  caiactère  tout  ditierent.  Relation 
simple  et  scientiHque,  c'est  un  )Ournal  de  route  exact  et  détaillé. 
Cartier  n"a  rencontré  ni  monstres,  ni  pygmées,  ni  griffons.  La  faune 
et  les  paysages  du  Canada  lui  rappellent  la  faune  et  les  paysages  de 
la  Normandie.  Les  sauvages,  tels  qu'il  les  dépeint,  sont  de  pauvres 
gens,  sans  morale  et  sans  religion.  Ni  poète,  ni  artiste,  il  se  contente 
de  dresser  un  «  routier  »,  pour  les  marins  qui  voudront  après  lui 
suivre  son  itinéraire. 

C'est  précisément  cette  route  comme  l'a  démontré  M.  Lefranc,  que 
Rabelais  fait  suivre  à  Pantagruel  dans  les  livres  IV  et  V  de  son  roman. 
Mais  le  romancier  ne  pouvait  s'accommoder  de  cette  indigence  d'élé- 
ments merveilleux.  S'il  a  gardé  l'itinéraire  réel  de  Cartier,  il  ne  s'est 
pas  fait  scrupule  d'y  introduire  des  fantaisies  et  des  singularités  con- 
formes au  goût  médiéval.  Par  une  des  tendances  les  plus  constantes 
de  son  esprit  Rabelais  a  été  incliné  à  prendre  dans  la  réalité  contem- 
poraine quelques  épisodes  et  l'itinéraire  général  delà  navigation  :  une 
nécessité  du  genre  qu'il  cultivait  l'a  contraifit  de  doter  son  roman 
d'histoires  fabuleuses  analogues  à  celles  de  Marco-Polo,  de  Pierre 
d'Ailly  ou  de  Pierre  Martyr. 

La  tentative  faite  par  Durand  de  Villegagnon  pour  établir  une  colonie 
protestante  au  Brésil  (i555)  excita  en  France  un  intérêt  plus  vif  que 
les  voyages  de  Cartier.  Elle  a  été  racontée  dans  deux  relations  princi- 
pales :  celle  du  cordelier  François  Thevet,  Singularité^  de  la  France 
antarctique  (i558)  et  celle  du  ministre  protestant  Léry  -.Histoire 
d'un  voyage  fait  en  la  terre  du  Brésil  (1578).  Ces  deux  personnages 
firent  partie  de  l'expédition.  M.  Chinard  a  montré  quelle  fut  la  popu- 
larité de  l'ouvrage  de  Thevet,  célébré  par  les  poètes  de  la  Pléiade.  Le 
bon  moine  voit  et  juge  en  homme  du  moyen  âge,  dénué  d'esprit  cri- 
tique, riche  de  préjugés  de  cordelier,  d'homme  d'Eglise  et  de  civilisé. 
Pour  lui,  les  sauvages  sont  des  brutes.  Mais  le  texte  de  sa  narration 
est  illustré  de  gravures  dessinées  par  des  artistes  formés  à  l'école  de 
l'Italie.  Elles  représentent  des  sauvages  aux  muscles  saillants  et  aux 
anatomies  puissantes  dans  le  style  des  Carrache,  des  sauvagesses  aux 
lignes  allongées.  Ces  figures  d'où  se  dégage  une  impression  de 
beauté  antique  et  d'harmonie  ont  peut-être  plus  fait  que  bien  des  dis- 
sertations pour  créci-  l'idée  de  l'homme  de  la  nature,  non  déformé  par 
la  civilisation. 

Tout  dilîérent  du  naif  Thevet  est  Jean  Léry  que  M.  Chinard  qua- 


408  REVUE    CRITIQUE 

lirtc  de  «  moralisie  voyageur  ».  Comme  Thcvei,  il  n'a  que  pitié  pour 
les  sauvae;cs  et  surtout  pour  les  sauvagcsses  qui  ne  consentent  à  porter 
des  vêtements  que  par  crainte  du  fouet  des  colons  ;  mais  il  ne  les  tient 
pas  pour  des  brutes.  Il  admire  le  dévoùment  des  sauvagcsses  à  leurs 
petits  :  il  s'indigne  à  peine  du  cannibalisme,  dont  il  connaît  les  rai- 
sons. 11  devance  Montaigne  et  parfois,  dans  ses  descriptions,  il 
touche  à  quelques-uns  des  thèmes  qn'illustrera  Chateaubriand. 

Villegagnon  avait  donc  échoué  dans  sa  tentative  de  colonisation. 
Colignv  cependant  ne  renonçait  pas  à  fonder  dans  le  Nouveau  Monde 
une  colonie  de  refuge  pour  les  Huguenots  persécutés.  En  1 562,  il 
envoya  le  capitaine  Jean  Ribaut,  de  Dieppe,  avec  un  petit  groupe 
d'aventuriers  occuper  un  point  du  littoral  de  la  Floride.  Après 
diverses  vicissitudes,  la  colonie  huguenote  fut  écrasée  par  les  Espa- 
gnols. Cette  expédition  fut  relatée  par  Le  Challeux  dans  un  Dis- 
cours de  Vhistoire  de  la  Floride  et  par  Chauveton  à  la  suite  de  sa 
traduction  de  l'ouvrage  de  l'italien  Benzoni,  Histoire  naturelle  du 
Nouveau  Monde  (1579).  Ces  relations  attiraient  l'attention  du  public 
moins  sur  la  découverte  des  terres  américaines  que  sur  les  atrocités  de 
la  colonisat'on  espagnole.  Au  même  moment,  on  traduisait  en  fran- 
çais la  Relation  de  la  destruction  des  Indiens  de  Las  Casas.  Il  ne 
semble  pas  d'ailleurs  que  l'on  se  soit  beaucoup  intéressé  à  la  ques- 
tion de  l'esclavage  des  Indiens.  Il  est  bien  vrai  que  Ronsard  a  écrit 
dans  son  Discours  contre  Fortune  une  sorte  de  proclamation  des 
droits  des  sauvages.  Mais  en  somme  quelque  curiosité  qu'excitât  à 
cette  époque  l'Amérique  et  ses  indigènes,  il  n'apparaît  pas  qu'avant 
Montaigne  les  problèmes  moraux  que  soulève  la  colonisation  aient 
troublé  la  conscience  d'aucun  écrivain. 

Montaigne  est  le  premier  qui  se  soit  appliqué  à  l'étude  de  ces  ques- 
tions. Attiré  d'abord  et  amusé  par  le  pittoresque  des  mœurs 
indiennes  [Essais^  chapitre  des  Cannibales  ,  il  est  arrivé  à  prendre  la 
défense  des  Indiens  contre  les  Européens,  (chapitre  des  Coches  .  Au 
catalogue  de  la  bibliothèque  américaine  de  Montaigne  dressé  par 
M.  Villey,  il  faut  ajouter  maintenant  la  traduction  de  Benzoni  par 
Chauveton.  Toutes  les  idées  exposées  au  début  du  chapitre  des  Can- 
nibales procèdent  directement  d'un  passage  de  Chauveton.  Si  Mon- 
taigne le  passe  sous  silence  ainsi  que  Jean  de  Léry,  c'est  que  les  expé- 
ditions de  Villegagnon  et  de  Jean  Ribaut  qui  avaient  eu  un  but 
religieux  plutôt  que  national  ne  lui  semblaient  pas  dignes  de  beau- 
coup d'intérêt  et  qu'en  principe  il  était  opposé  à  toute  entreprise  colo- 
niale. On  le  voit  bien  dans  le  chapitre  des  Coches. 

En  somme,  sur  les  sauvages  américains  deux  théories  ont  cours  au 
xvi^  siècle  :  l'une  considérant  les  indigènes  du  Nouveau  Monde 
comme  des  animaux  à  peine  supérieurs,  l'autre  voyant  en  eux  des 
êtres  plus  heureux,  plus  vertueux  et  plus  raisonnables  que  les  civili- 
sés.   Cette    seconde    conception  donnera  naissance  au   procès  de  la 


u'HISTOIRli    ET    DE    LITTÉRATURE  4O9 

civilisation  et  à  la  théorie  de  Thomme  de  la  nature  qui  seront  déve- 
loppés par  Rousseau  et  ses  disciples. 

On  peut  par    ce   résumé    juger   de  l'intérêt  de  l'élude  de  M.  Chi- 
nard.  Elle  appelle  toutefois  quelques  réserves  et  quelques  corrections. 

Le  ch.  V,  V Amérique  cl  le  grand  public  eût  gagné  à  nous  présenter 
un  plus  grand  nombre  de  témoignages  empruntés  aux  écrivains  du 
temps.  Certains  textes  du  Premier  Curieux  de  Ponthus  de  Tyard  et 
de  la  McissituJe  des  choses  de  Louis  Le  Roy   méritaient  d'être  cités. 

P.  188,  M.  Chinard  réclame  pour  Montaigne  l'honneur  d'avoir 
répandu  le  premier  les  idées  de  justice  et  d'humanité  en  matière  de 
politique  coloniale.  Il  oublie  qu'avant  lui,  Rabelais  avait  longuement 
disserté  sur  «  la  manière  d'entretenir  et  retenir  pays  nouvellement 
conquestés  »  au  ch.  I  du  Tiers  Livre  (1546).  P.  5o,  M.  Chinard 
réédite  une  erreur  commune  sur  la  date  du  Quart  Livre  de  Panta- 
gruel. La  première  édition  parut  en  1548  et  non  en  1547.  —  P-  5  3, 
Tantériorité  du  Pantagruel  sur  le  Gargantua  est  maintenant  incon- 
testable :  la  mention  des  iles  des  Perles  et  des  Cannibales  dans  l'épi- 
logue du  Pantagruel  est  donc  antérieure  à  celle  du  Gargantua  '.  — 
P.  55,  n.  I  .  Thélème  ne  saurait  être  le  château  de  Saint-Maur-les- 
Fossés  qui  n'existait  pas  en  i534  —  P.  84,  n.  2,  lire  Florence  au  lieu 
de  Rome  Le  passage  auquel  songe  M.  Gaffarel,  qui  confond  Thevet  et 
Tenaud,  est  le  ch.  XVI  de  Gargantua.  —  P.  106,  lire  Maurice  Scève, 
au  lieu  de  Maurice  de  Scève.  —  P.  149,  lire  i552,  au  lieu  de  i562.  — 
P.  216.  Benzoni  est  qualifié  d'espagnol  alors  qu'il  était  italien,  cf. 
p.  i63.  —  P.  36,  n.  I,  lire  i  545,  au  lieu  de  i5  1  5,  —  P.  XII,  lire 
1480  au  lieu  de  i58o.  —  P.  XVI,  lire  xvi''  siècle,  au  lieu  du  xv''.  — 
P.  44,  l'appréciation  de  M.  Chinard  sur  la  Cosmographie  de  Jean 
Alfonse  le  Saintongeois  se  trouve  confirmée  par  l'étude  que  M.  vSai- 
néan  vient  de  donner  à  la  Revue  des  Etudes  Rabelaisiennes  sous  le 
titre  :  La  Cosmographie  de  Jean-A If onse  Saintongeois  (19 12,  fasc.  I.). 
—  Sur  l'expédition  de  Jean  Ribaut,  il  a  paru  un  article  dans  le  Bulle- 
tin de  la  Société  d'histoire  du  protestantisme  français  de  juillet-août 
191  2  :  Les  massacres  de  la  Floride,  par  Paul  Besson,  p.  364-373. 

Jean  Plattard. 

Rupert  Tavlor.  The  Political  Prophecy  in  England,  New-York,  Columbia 
University  Press,  1911,111-80,  i65  pp.    i  d.   25. 

F.  A.  Patterson.  The  Middle  English  Penitential  Lyric,  New- York,  Colum- 
bia University  Press,  iyii,in-8",  2o3  pp.   i  d.  5o. 

J.  A.  MosHER,  The  Exemplum  in  the  Early  Religions  and  Didactic  Literature 
of  England,  New-York,  (Columbia  University  Press,  igi  i,  i3o  pp.   i  d.  25. 

Ces  trois  monographies  font  partie  de  la  collection  Studies  in 
English  publiée  sous  les  auspices  de  l'Université  Columbia. 

I.  J"ai  exposé  {Revue  des  Etudes  Rabelaisiennes),  V,  434  comment  cette  mention 
des  îles  Perles  et  des  Cannibales  ne  saurait  être  prise  pour  une  étape  d'itinéraire, 
mais  comme  le  théâtre  d'un  des  huit  ou  dix  exploits  distincts  que  Rabelais  se 
propose  de  prêter  à  Pantagruel. 


41  O  REVUE    CRITIQUE 

On  sait  la  fortune  que  rencontra  dès  le  moyen  âge  VHistoria 
rcgitin  liriliViniiV  de  GeDiircy  de  Monmouth.  Chronique  des  rois 
bretons  dont  Torii^inc  remonte  naturellement  à  Brutus,  ce  gros  livre 
devait  rendre  populaire  la  légende  d'Arthur  et  des  chevaliers  de  la 
Table  Honde.  Outre  d'innombrables  récits  merveilleux  qui  ont  ali- 
menté Tépopée  an  lui  rien  ne,  Geoft'rey  de  Monmouth  rapportait  de 
mystérieuses  prophéties  attribuées  à  l'enchanteur  Mei  lin.  (Quelle  est 
la  source  de  cette  partie  de  VHistoria  rcgum  Britanniae?  Pour  le 
professeur  Brandi,  les  prophéties  ont  été  forgées  de  toutes  pièces. 
C'est  contre  cette  opinion  que  M.  Rupert  Taylor  s'élève  en  s'effor- 
çant  de  prouver  qu'elles  sont  d'origine  galloise.  Son  principal  argu- 
ment, c'est  l'originalité  des  prophéties.  Il  n'y  a  rien  de  commun  entre 
elles  et  les  Oraciila  Sibyllina.  Or,  un  clerc  d'intelligence  moyenne, 
comme  Gcotîrey  de  Monmouth,  aurait  été  certainement  amené  à 
démarquer  les  oracles  de  la  Sibylle  auxquels  les  contemporains 
accordaient  la  même  autorité  qu'aux  livres  sacrés,  s'il  n'avait  eu  sous 
les  yeux  une  œuvre  originale.  Bien  entendu,  cet  original  est  distinct 
du  fameux  «  livre  breton  »  de  l'archidiacre  Walter  qui  n'a  jamais 
existé  que  dans  l'imagination  de  Geoffrey.  M.  R.  T.  cherche  ensuite 
à  mesurer  l'influence  littéraire  et  politique  des  prophéties  de  Merlin. 
Grâce  à  son  traducteur  latin,  le  sorcier  gallois  a  pu  influer  sur  les 
événements,  a  peut-être  changé  les  destinées  de  l'Angleterre.  Quel 
éloquent  témoignage  de  l'attrait  qu'exerce  le  merveilleux  ! 

La  thèse  de  M.  F.  A.  Patterson  est  une  édition  critique  d'un  cer- 
tain nombre  de  cantiques  et  de  poésies  sacrées  des  xiii«etxiv<=  siècles. 
Quelques-unes  de  ces  pièces  sont  inédites.  Dans  une  introduction 
intéressante,  l'éditeur  ramène  à  deux  les  sources  de  ces  effusions 
lyriques  :  la  liturgie  et  les  poésies  françaises  contemporaines.  Enfin  le 
volume  est  complété  par  des  notes  et  une  bibliographie. 

Par  Vexemplum  il  faut  entendre  le  récit,  l'anecdote,  la  fable  qui 
servent  d'éclaircissement  ou  de  preuve  à  l'appui  d'un  enseignement 
moral  ou  religieux.  On  en  trouve  déjà  dans  Alfred  le  Grand.  Au 
XII*  siècle  des  recueils  à'exempla  rédigés  en  latin  font  leur  apparition. 
Mais  c'est  surtout  à  la  venue  des  moines  franciscains  en  Angleterre 
qu'il  faut  attribuer  la  popularité  du  genre.  Les  exempla  abondent 
dans  la  littérature  homilétique  jusqu'à  la  veille  de  la  Réforme. 
M.  J.  A.  Mosher  a  fait  de  son  mieux  pour  traiter  d'une  façon  claire 
ce  sujet  assez  mince. 

Ch.    B.ASTIDE. 

La  deuxième  édition  du  précis  d'histoire  de  la  littérature  anglaise 
de  M.  E.-A.  Andrews  [A  Short  History  of  English  Litcraîuri\  Leipzig. 

I.  Quelques  fautes  ont  échappé  à  la  vigilance  de  l'auteur  :  p.  7>-j,  lisez  attribii- 
ted;  p.  88,  Histoire  littéraire  de  la  France.  La  table  des  matières  ne  renvoie  pas 
aux  pages,  ce  qui  ne  facilite  pas  les  recherches. 


d'histoire  et  de  littérature  411 

Berlin,  191 2,  in-8',  170  pp.  2  M.  20)  vient  de  paraître  chez  Teub- 
ner.  Nous  avons  déjà  rendu  compte  du  livre  qui,  sous  une  forme 
revue    ci    améliorée,  est  appelé    à    rendre    service  aux  étudiants. 

Ch.  B. 


BKAt'.MONT  AND  Fi.ETciiER .  Works  (cd .  A.   R.  Wai.i.er,  Vol.   X,  Cambridge,  Uni- 
versity  Press.  191  2,  in-S",  Sgo  pp.,  4  s.  6  d. 

En  i.)o5,  M.  Arnold  Glover  se  chargeait  d'une  édition  critique  de 
Beaumont  et  Fletcher.  Le  travail,  [uiblié  sous  les  auspices  de  l'Uni- 
versité de  Cambridge,  devait  comprendre  dix  volumes.  Interrompue 
un  moment  par  la  mort  prématurée  de  l'éditeur,  l'œuvre  fut  reprise 
et  continuée  par  M.  A.  R.  Waller.  Il  ne  s'agissait  pas  seulement  de 
réimprimer  le  second  in-folio,  mais  d'y  ajouter  les  variantes.  Il  n'a' 
pas  fallu  moins  de  sept  ans  de  labeur  patient  pour  mener  cette  entre- 
prise à  bonne  fin.  Avec  le  dixième  et  dernier  volume  qui  vient  de 
paraître,  on  a,  en  un  format  facile  à  consulter  et  accessible  à  tous,  une 
réimpression  complète  des  continuateurs  les  plus  célèbres  de  Shakes- 
peare. C'est  un  monument  digne  de  la  tragi-comédie  du  xvi*^  siècle 
qu'ils  ont  illustrée.  M.  A.  R.  W.  avait  annoncé  en  1906  qu'il  comp- 
tait préparer  un  supplément  contenant  des  notes  indispensables  à 
rinielligence  d'un  texte  qui  présente  beaucoup  de  difficultés.  Il  est 
regrettable  qu'il  soit  obligé  aujourd'hui  de  manquer  à  sa  promesse. 
Ces  notes,  ainsi  qu'une  réimpression  des  poésies  diverses  de  Beau- 
mont  et  Fletcher,  nous  les  devrons,  dit-il,  à  d'autres  mains.  Quelque 
doive  être  le  mérite  de  ce  supplément,  il  ne  pourra  faire  oublier  la 
dette  de  reconnaissance  que  tous  les  amateurs  de  la  littérature  anglaise 
ont  contractée  envers  M.  A.  R.  Waller.  Ceux-là  seuls  qui  ont  préparé 
une  édition  critique  se  rendent  compte  des  qualités  que  suppose  un 
aussi  prodigieux  travail. 

Le  dixième  volume  contient  les  pièces  suivantes  :  Thierry  and 
Theodoret^'The  Woman-Hater,  The  Honest  Man  s  Fortune,  Masque, 
Four  Plays  in  One. 

Ch.  Bastide. 


Ferdinand  Tônnies,  Thomas  Hobbes,  der  Mann  und  der  jDenker,  Zickleldt, 
Leipzig,  1912,  in-H",  ibo  pp.,  4  M. 

Dès  1889,  M.  Ferdinand  Tônnies  publiait  en  deux  volumes  des 
œuvres  inédites  de  Thomas  Hobbes  [The  Eléments  0/ La)j%  appen- 
dice et  Behemoth  or  the  Long  Parliament).  En  1896,  il  donnait  une 
biographie  du  philosophe.  Depuis  lors,  dans  la  revue  bien  connue 
Arclnvjur  Geschichte  der  Philosophie,  il  a  fait  paraître  les  lettres  de 
Hobbes  conservées  a  la  Bibliothèque  nationale  et  à  la  Bibliothèque 
bodléienne.  Aujourd'hui  le  savant  professeur  de  l'université  de  Kiel 
revient  encore  une  fois  sur  son  auteur  favori    et  nous  donne  en  un 


412  RKVUE    CRITIQUE 

petit  volume  très  solide  la  vie  Je  Hobbes  et  une  analvse  de  ses 
ouvrages.  La  première  partie  (der  Mann)  est  divisée  en  quatre  cha- 
pitres :  premières  années,  période  de  production  (1628-1660),  der- 
nières années  (1660-1679),  caractère.  I,a  seconde  partie  fder  Denker) 
est  un  exposé  de  la  pensée  de  Hobbes.  Notons  les  chapitres  sur  la 
logie]ue,  la  métaphysique,  la  physique,  l'anthropologie,  le  droit  natu- 
rel, l'Etat,  enfin  sur  l'influence  du  hobbisme.  Dans  ce  dernier  cha- 
pitre Rousseau  n'est  guère  que  mentionné.  —  Il  est  regrettable  que 
ce  volume,  indispensable  à  consulter,  soit  imprime  en  caractères 
gothiques.  Pour  les  étrangers  il  n'en  sera  que  plus  difficile  à  lire. 

Ch.  B. 


Horalio   E.    Smith,  The   Literary   Criticism  of  Pierre    Bayle,    Albany    N.   Y., 
Brandow  printing  co.,  191  2,  in-8,  1.14  pp. 

II  semble  étrange  à  première  vue  qu'on  puisse  découvrir  en  Pierre 
Bayle  un  critique  littéraire.  Ce  dialecticien  dépourvu  de  sensibilité 
n'a  jamais  goûté  un  vers  de  Racine  ou  une  fable  de  La  Fontaine. 
M.  H.-E.  Smith  a  cependant  tiré  le  meilleur  parti  possible  d'un  sujet 
de  thèse  bien  ingrat.  Il  examine  successivement  la  critique  de  Bayle 
en  ce  qui  concerne  les  livres  et  les  auteurs,  les  romans,  la  poésie,  le 
théâtre,  l'éloquence,  l'histoire,  l'érudition,  le  style,  les  anciens  et  les 
modernes.  Il  expose  ensuite  les  idées  de  Bayle  sur  la  critique,  et  ter- 
mine en  disant  quelques  mots  de  son  influence.  —  Je  ne  crois  pas  que 
M.  H.-E.  S.  ait  cité  un  curieux  passage  de  ÏAvis  aux  réfugiés  sur 
Milton.  Il  manque  un  index  des  noms  propres;  enfin,  la  correction 
typographique  laisse  quelquefois  à  désirer  (lisez  par  exemple  p.  i  34  : 

Opuscules). 

Ch.  B. 


Johann  Heinrich  Mercks   Schriften  und  Brief\p-echsel.  In  Ausvvahl  heraus- 

gegeben  von  Kurt  Wolff.    Leipzig,  Insel-Verlag.  1909.  Deux   vol.  In-8°,  XVI  de 

3o3  p.  +  298  p. 
Johann  Heinrich  Mercks  Briefe  an  die  Herzogin  —  Mutter  Anna  Amalia  und  an 

den  Herzog  Cari  August  von  Sachsen  Weimar,  herausgegeben  von  Hans  Gerhard 

GRâF.  Leipzig,  Insel-Verlag.  191 1,  in-8°  xxv  et  343  p. 

Ces  trois  volumes  sont  très  joliment  édités  par  la  librairie  dite  de 
nie  ou  Insel-Verlag  à  Leipzig. 

Dans  les  deux  premiers,  M.  Kurt  Wolff  publie  un  choix  des  écrits 
et  lettres  de  Merck.  L'introduction  est  courte,  et  M.  W.  a  tort  de 
rejeter  parmi  les  légendes  l'histoire  du  mariage  de  Merck  «  malheu- 
reux et  abreuvé  d'amertume  »;  rien  de  plus  vrai  que  cette  histoire 
dont  Herder  fait  mention  dans  ses  lettres  et  que,  plus  récemment, 
Haym  rappelait  dans  son  Herder  '.    Dirons-nous  aussi  que  la  liste 

I.  Cf.  p.  xiii.  De  même,  p.  ix,  le  Hess  mentionné  est  évidemment  le  conseiller 
intime  Hesse  qui  avait  épousé  une  Flachsland,  sœur  de  Caroline  Herder. 


d'histoire  et  de  littérature  41  3 

des  témoignages  de  Gœihe  sur  xVIerck  n'est  pas  complète,  et  qu'on 
nous  donne  vraiment  trop  pou  de  «  recensions  »  écrites  par  Merck? 
Mais  ce  c7io/-v  —  puisqu'on  voulait  publier  un  choix  —  est  bien  fait  : 
on  y  trouve  quelques  morceaux  inédits  ou  qui  paraissent  pour  la  pre- 
mière fois  en  leur  entier,  et,  si  M.  Wolti'  n'a  pas  recueilli,  à  notre 
avis,  tout  ce  qui  est  «  le  plus  capable  de  vivre  »,  on  aura  du  moins, 
en  lisant  ces  deux  tomes,  une  idée  de  ce  que  fut  Merck,  de  ce  que  fut 
cet  esprit  clair,  vigoureux,  mordant,  de  ce  Méphisio-Merck  qui  eut 
sur  Gœthe  une  si  grande  influence  '. 

M.  Griif  publie  les  lettres  de  Merck  à  la  duchesse  Amélie  et  à 
Charles-Auguste  de  Saxe-Weimar.  On  sait  que  Merck  passait  pour 
un  profond  connaisseur  en  fait  d'arts  et  pour  un  habile  homme  d'af- 
faires :  Charles-Auguste  l'avait  chargé  de  lui  acheter  des  dessins,  des 
gravures,  des  tableaux;  il  vantait  le  flair  de  Merck  et,  tout  en  se  gar- 
dant, non  sans  raison,  de  le  prendre  à  son  service,  il  l'invita  plusieurs 
fois,  le  traita  toujours  avec  bienveillance  et  le  secourut  dans  sa  détresse. 
Les  lettres  que  fait  paraître  M.  Graf,  traitent  donc  d'acquisitions  et 
d'envois  d'oeuvres  d'art;  mais  on  y  trouve  aussi  nombre  d'anecdotes 
et  de  potins  —  ce  que  les  Allemands  appellent  Klatsch  —  qui  plai- 
saient à  la  cour  de  Weimar.  La  plupart  de  ces  lettres  sont  inédites  et 
tirées  des  archives  de  Weimar.  M.  Griif  les  a  très  consciencieuse- 
ment éditées  et  accompagnées  d'un  commentaire  fort  soigné  et  fort 
minutieux. 

A.  Chuquet. 


Darstellungen  aus  der  Bayerischen  Kriegs  =  und  Heeresgeschichte,  hrsg. 
vom  K.  B.  Kriegsarchiv.  Heft  21.  Mûnchcii,  Lindauer  (Schripping),  1912.  In-S", 
i56  p.,  3  mark  5o. 

Ce  fascicule  —  le  XXP  —  des  travaux  publiés  par  les  archives  du 
ministère  de  la  guerre  bavarois,  traite  de  la  guerre  de  1812  :  il  est 
dédié  aux  treize  mille  Bavarois  qui  trouvèrent  la  mort  dans  la  cam- 
pagne de  Russie  et  qui,  eux  aussi,  selon  le  mot  du  roi  Louis  I", 
moururent  pour  la  délivrance  de  la  patrie. 

On  y  trouve  ;  1°  une  suite  de  notices  sur  les  généraux  de  l'armée 
bavaroise  dans  cette  campagne  (Deroy,  Siebein,  Raglovich,  Rechberg, 
Seydewitz,  Wrede,  Minucci,  Vincenti,  Beckers,  Preysing,  Lamotte, 

I.  Quand  aurons-nous  une  nouvelle  édition  des  lettres  si  intéressantes  publiées 
par  Wagner  en  i835,  i838  et  1847,  s'entend  de  toutes  les  lettres  et  dans  leur  texte 
intégral?  Lire,  dans  le  second  volume  de  M.  WollT  (lettres  de  et  à  Merck),  p.  8 
«  oublis  »  et  non  oublies;  p.  26  <•  mena  »  et  non  mèna\  p.  27  ligne  19  «  par  »  et 
non  pour:  p.  74  «  matinée  »  et  non  matinée;  p.  78  «  Pococuranti  »  et  non  j^oco- 
Curanti:  p.  i3i  «  couleur  de  puce  »  et  non  de  pouce;  p.  134  «  chacun  a  »  et  non 
chaquun  à;  p.  igS  «  well-wisher  »  et  non  well-withev;  p.  227  «je  trouvai...  qui 
m'accompagnèrent  »  et  non  je  trouvais...  qui  m'accompagnoienf,  p.  23o  »  magne- 
tibus  »  et  non  magnalibus. 


414  RKVDE    CRITIQUE 

Sirôlil,  Zoller)  ;  ces  notices,  pk-incs  de  dates  et  de  de'tails  précis,  sont 
dues  au  major  Frédéric  de  Furtcnbach. 

2°  Le  Journal  de  Preysing  durant  la  campagne;  il  ne  va  que  jus- 
qu'au 9  décembre  Me  général  avait  été  fait  prisonnier  le  2)  ;  il  offre  un 
saisissant  tableau  des  privations  et  des  combats  de  la  cavalerie  bava- 
roise sur  le  chemin  de  Vilna  à  Moscou  et  de  ses  souffrances  pendant 
la  retraite. 

3*^  Le  Journal  du  capitaine  Maillinger,  édité  par  M.  Paul  Holzhau- 
sen  qui  Ta,  dans  une  introduction  de  huit  pages,  très  bien  apprécié  à 
tous  égards.  On  y  remarquera  particulièrement  tout  ce  que  dit  Mail- 
linger de  la  situation  des  troupes  à  Poloisk,  de  leur  misère  et  de  leur 
reculade,  des  hôpitaux  de  Vilna,  du  maréchal  Gouvion  Saint-Cyr 
qu'il  a  vu  de  très  près  et  qu'il  estime  peu.  Nous  n'hésitons  pas  à  dire 
que  le  Journal  de  Maillinger,  bien  que  déjà  consulté  par  d'autres  et 
notamment  par  Krauss,  est  un  des  textes  les  plus  instructifs  et  les 
plus  précieux  qui  aient  paru  dans  l'année  du  centenaire  russe. 

A.  Chuqtjet. 


Eia  Verwaadter  Gœthes  im  russischen  Feldzuge  1812.  Aus  dem  Leben  eines 
sâchsischen  Husaren,  von  TheoJor  Gœthe,  bearbeitet  und  herausgegeben  von 
Paul  HoLZHAusEN.  Bcflin,  Morawe  et  SchelVelt,  1912.  In-8%  179  p. 

Un  parent  très  éloigné  du  grand  poète,  et  que  ledit  poète  ne  con- 
naissait pas,  Théodore  Gœthe,  a  fait,  comme  fourier  d'un  régiment 
de  hussards  saxon,  la  campagne  de  Russie,  et  il  a,  dit  M.  Holzhausen 
qui  publie  ses  Mémoires,  porté  dignement  son  nom.  Il  appartenait 
au  corps  que  Reynier  commandait  sous  les  ordres  supérieurs  de 
Schwarzenberg  et  il  a  raconté  ce  qu'il  a  vu  :  la  vie  du  soldat,  les 
marches  dans  les  forêts  et  les  marais  de  la  Lithuanie  et  de  la  Volhynie, 
les  périlleuses  chevauchées  qu'il  fit  parfois  pour  porter  un  message, 
les  combats  auxquels  il  assista,  les  souffrances  et  les  misères  qu'il 
essuya.  Il  nous  montre  ses  camarades  égorgeant  et  dépeçant  les 
moutons  et  les  porcs  des  paysans  de  la  Podiésie.  II  nous  raconte  l'his- 
toire du  pauvre  déserteur  Leidenfrost  —  un  nom  prédestiné  —  qui 
devient  fou  lorsqu'il  reçoit  sa  grâce.  Il  nous  décrit  l'aspect  du  champ 
de  bataille  de  Gorodeczna  et  la  place  où  la  brigade  Sahr  a  subi  le  feu 
des  Russes,  la  place  où,  au  lendemain  de  l'affaire,  il  chercha  son  frère, 
soldat  dans  un  régiment  d'infanterie,  et  le  trouva  mort.  Les  détails 
saisissants  abondent  :  le  froid,  les  maladies,  la  vermine,  etc.  On  com- 
prend qu'il  souhaite  de  reposer,  de  dormir  une  couple  d'heures  sous 
un  abri  quelconque,  fût-ce  dans  l'étable  à  cochons  qu'il  se  souvient 
d'avoir  vue  à  Artern,  sa  garnison,  en  un  coin  de  la  caserne.  Comme 
tant  d'autres  témoins  de  la  campagne,  il  retrace  l'aspect  lamentable  de 
sa  troupe  véiue  de  haillons.  La  hn  de  la  campagne  fut  affreuse.  Malade 
et  mêlé  aux   blessés,  transporté  sur  une  voiture  dont  les   cahots  lui 


d'histoire   i.t  de   littérature  415 

arrachaient  des  cris  de  desespoir,  abandonné  par  le  charreiier  à  l'ap- 
proche des  cosaques,  il  se  iraina  sur  les  roules,  de  village  en  village, 
et,  à  force  de  temps  ei  d'obstination,  non  sans  avoir  été  maltraité  et 
houspille,  il  finit  par  revenir  dans  la  patrie  où  personne,  hors  sa 
mère,  ne  le  reconnut.  M.  Holzhausen  a  très  bien  édité  ce  curieux 
récit. 

A.  Chuqukt. 


G.  EsQUER,  Les  débuts  de  l'administration  civile  à  Alger.  Le  personnel, 

Alger,  Jourdan,  1912.  lii-!S",  40  p. 

M.  Esquer  raconte  dans  cette  intéressante  étude  ce  que  fut  et  ce 
que  Ht  l'administration  civile  autonome  instituée  à  Alger  sous  le  nom 
d'intendance  civile  par  Casimir  Périer  et  qui  dura  du  i'^'"  décembre 
i83i  au  12  mai  i832.  Elle  devait  aboutir  à  un  échec  :  les  militaires 
la  jugeaient  inutile  et  l'intendant  civil,  Pichon,  indépendant  du  gou- 
verneur, entra  naturellement  en  conflit  avec  le  commandant  en  chef, 
qui  était  Savary,  duc  de  Rovigo.  L'auteur  nous  pailc  longuement  de 
Pichon,  lequel  est  nlus  connu  qu'il  ne  le  croit,  puisque  c'est  le 
Pichon  qui  était  chargé  d'affaires  aux  Etats-Unis  lorsque  Jérôme 
Bonaparte  épousa  Elisabeth  Patterson  (et  on  sait  que  Jérôme  le  prit 
en  Westphalie  à  son  service).  Il  expose  les  idées  de  Pichon  en 
matière  coloniale,  retrace  quelques  incidents  de  la  querelle  entre 
Pichon  et  Savary  et  présente  en  même  temps  les  fonctionnaires  de 
l'administration  civile.  Les  détails  qu'il  donne  sur  ces  personnages 
(les  enquêteurs  Fougeroux,  d'Escalonne  et  Cadet  de  Vaux,  les  inter- 
prètes Gérardin  et  Lauxerrois)  sont  curieux.  Il  n'oublie  pas  les  candi- 
didais  qui,  à  Alger  même,  attendaient  un  «  poste  confortable  »,  et 
nous  retrouvons  parmi  eux  de  vieilles  connaissances,  comme  Gas- 
pard Thierry,  comme  Krettly,  comme  Hamelin.  Finalement,  Pichon 
demanda  son  rappel  et  l'obtint;  il  fut  remplacé  par  Genty  de  Bussy 
que  Soult  plaça  sous  les  ordres  du  général  en  chef.  On  voit  que  ce 
travail  sera  lu  avec  profit  par  tous  ceux  qui  voudront  connaître  les 
premiers  représentants  de  l'administration  civile  et  de  la  colonisation 
officielle  à  Alger  '. 

A.  Chuquet. 


Vom  Geistesleben  des  18  und  19  Jahrhunderts,  Aufsiitze  von  OsUar  Walzel, 
Leipzig,  Insel-\'crlag,  ujii.   ln-80,  5H-j  p. 

M.  Oscar  Walzel  a  réuni  en  un  fort  volume  plusieurs  essais  qu'il 
avait  fait   paraître   dans  divers   recueils.    Les  uns  sont  de  véritables 

I.  La  note  sur  Esménard  devra  être  rectifiée  :  l'article  dont  on  parle,  fut  publié 
à  l'instigation  de  Savary  contre  Tchcrnychev  qui  n'était  pas  «  l'envoyii  de  Russie  », 
et  il  est  inexact  de  dire  que  l'académicien,  atl'ulé  par  la  disgrâce  de  Napoléon,  s'est 
suicidé  ;  il  succomba  à  un  accident  de  voiture. 


^.l6  Itl  VIK    iRITIQUE 

études;  les  autres  ne  sont  que  des  grands  comptes  rendus,  de  longues 
«  recensions  »;  tous  méritent  d'être  lus.  L'Idée  du  tragique  dans 
Lessing  :  Lessing  croit  que,  dans  la  tragédie,  le  spectateur  s'ideniiiie 
avec  le  héros  tout  en  ayant  conscience  qu'il  n'est  pas  ce  héros.  Schil- 
ler et  l'art  plastique  :  Revue  des  jugements  que  Scliiller  a  portés  sur 
la  sculpture  antique.  Schiller  et  le  romantisme  :  Traite  ce  sujet  inté- 
ressant avec  brièveté,  mais  avec  précision,  et  insiste  notamment  sur 
les  rapports  de  Schiller  avec  les  deux  Schlegcl  et  sur  les  formes 
romantiques  qu'il  adopta,  sur  les  idées  romantiques  qu'il  accueillit 
dans  ses  (leuvros.  Le  romantisme  d'après  Ricarda  Huch  :  Brillante 
appréciation  de  ce  brillant  ouvrage.  Gœthe  et  le  problème  de  la  nature 
de  Faust  :  Étude  originale;  le  type  de  Faust,  tel  qu'il  se  révèle  dans 
le  ('  Sturm  und  Drang  »,  dans  F  «  Urfaust  »,  dans  le  «  Fragment  », 
n'est  plus  le  môme  en  1800,  au  temps  de  Schiller  et  du  premier 
romantisme.  Clément  Brentano  et  Sophie  Mereau  :  Ce  que  fut  cette 
union  :  Brentano  n'était  pas  heureux,  mais  Sophie  fut  la  seule  femme 
qui  put  satisfaire  ses  aspirations  et  une  femme  comme  elle  pouvait 
seule  l'attacher.  Amélie  d'Imhoff  :  Intéressante  notice  sur  la  traduc- 
trice de  Tégner,  d'après  le  livre  d'Henriette  de  Bissing.  Les  Affinités 
électives  dans  le  cadre  de  leur  temps  :  Contient  une  foule  de  détails  et 
de  rapprochements;  en  somme,  le  roman  est  antiromantique;  Gœthe 
Ta  écrit  pour  réhabiliter  le  mariage  menacé  par  le  romantisme.  Le 
romantisme  rhénan  :  Le  Rhin  est  le  fleuve  du  romantisme,  et  ce  qu'il 
a  de  romantique,  il  le  doit  surtout  à  Frédéric  Schlegel,  à  Arnim,  à 
Clément  Brentano  et  à  Heine  qui,  sans  Brentano,  n'eut  pas  chanté  la 
Lorelei.  Zacharie  Werner  et  le  Rhin  :  Voyage  de  Werner  en  1809  sur 
les  bords  du  Rhin;  il  a  pris  à  Frédéric  Schlegel  ce  qu'il  dit  des 
tableaux  de  Cologne.  Le  Fortunat  de  Chamisso  :  L'étude  la  plus 
complète  sur  ce  fragment.  Lenau  :  Un  des  meilleurs  morceaux  du 
volume,  sinon  le  meilleur;  on  y  remarquera  surtout  les  pages  consa- 
crées à  Lenau,  peintre  de  la  nature  et  à  ses  devanciers  sur  ce 
domaine,  à  l'influence  de  Byron  sur  Lenau,  au  jugement  profond  que 
Grillparzer  portait  sur  le  poète.  Stendhal  et  la  maladie  romantique  : 
On  s'étonne  que  l'auteur  qualilie  Stendhal  de  Poet  et  de  Dichter, 
quelque  étendu  que  soit  en  allemand  le  sens  de  ces  deux  mots.  La 
correspondance  de  Herwegh  avec  sa  fiancée  :  Si  Herwegh  n'a  plus 
rien  produit  après  les  «  Chants  d'un  vivant  »,  c'est  qu'il  avait  peu  de 
profondeur,  c'est  qu'il  avait  des  allures  d'artiste  et  que  sa  nature  vani- 
teuse s'opposa  à  sa  mission  de  poète  de  la  liberté.  Freytag  et  le  duc 
Ernest  de  Cobourg  :  Le  duc  Ernest  fut  un  ami  véritable  pour  Frey- 
tag  et  il  jugea  mieux  que  lui  la  machine  politique  parce  qu'il  la 
voyait  de  plus  près.  Le  soir  de  la  vie  d'une  idéaliste  :  Sur  Malwida  de 
Meysenbug  dont  les  Mémoires  sont  un  notable  document  pour  l'his- 
toire du  temps.  Deux  Autrichiens  experts  dans  Vart  de  la  vie  :  Dans 
l'étude  sur  Malwida,  M.  Oscar  Walzel  a  parlé  d'Alexandre  de  Wars- 


d'histoire  et  de  littérature  417 

berg,  si  amoureux  du   Midi,  de   la  Grèce   et  de   la  vieille  Italie.  II 
revient   ici  sur  ce  groupe  d'Autrichiens,   de  dilettantes  délicats,  qui 
voulaient  et  qui  veulent  encore  donner  à  l'existence  de  la  noblesse 
autrichienne  comme  un  retiet  de  la  culture  de  la  Renaissance  et  des 
salons  littéraires  de  la  France  :  Heusenstamm,  Kami  de  Lenau,  Vil- 
1ers,  Hoyos,  le  comte  Lanckroronski,  qui  réussirent  à  «  unir  harmo- 
nieusement la  vie  et  Fart  ».  Deux  d'entre  eux,  Alexandre  de  Villers  et 
le  comte  Rodolphe   Hoyos  sont  Tobjet  d'une  étude  spéciale.  Villers, 
tils  d'émigré,  neveu  de  Charles  de  Villers,  est,  après  une  incroyable 
série  d'aventures,  après  une  vraie  vie  de  bohème,  devenu  diplomate, 
et  ses  lettres  ont  été  publiées  en  deux  volumes  par  Hoyos  sous  le 
titre  de  «  Lettres  dun  inconnu  ».  Les  Nouvelles  d'Autriche  de  Ferdi- 
nand de  Saar  :  Etude  pénétrante  sur  ce  nouvelliste  qui  ne  voulait  rien 
publier  qui  ne  fût  mûri,  limé  avec  soin  :  M.  Walzel  montre  que  ses 
nouvelles  reposent  toujours  sur  un  fond  de  réalité,  sur  quelque  chose 
de  vécu,  et  aussi  sur  le  «  moi  »  de  Saar,  sur  ses  propres  impressions 
et  souvenirs.  Marie  d' Ebner-Eschenbach  :  La  seule  étude  du  volume 
qui  soit  inédite;  elle  compte  quarante  pages,  et  c'est  un  digne  éloge 
de  cette  femme  que  l'Allemagne  regarde  Justement  comme  un  de  ses 
premiers  écrivains.  Les  thèses  d'Ibsen  :  Ibsen  a  prêché  l'action  ;  il  s'est 
plaint  que  les  hommes  oublient  d'agir  et  qu'ils  ne  se  dépensent  qu'en 
mots  ;  à  certains  égards,  il  a  été  ce  que  Gœthe  se  glorifiait  d'avoir 
été,  un  libérateur;  il  s'est  sans  cesse  efforcé  de  traiter  ce  sujet,  com- 
ment réaliser  une  grande   idée;   jamais  la   pensée  d'une  plus  noble 
humanité  ne  l'a  quitté.  Lafontaine  redivivus  :  A  propos  du  «  Chante- 
cler  »  de  Rostand,  mais  Rostand  est-il  le  «  véritable  successeur  de  La 
Fontaine  »?  Questions  scéniques  du  présent  :  Sur  la  forme  que  Fritz 
Schumacher  a  donnée  à  ia  scène  lorsqu'il  représenta  «  Hamiet  »  en 
1909  sur  le  théâtre  de  la  Neustadt  à  Dresde.  —  Ce  court  aperçu,  cette 
trop  brève  analyse  donnera,  nous  l'espérons,  une  idée  de  ce  volume 
attachant,  instructif,  suggestif;  il  y  a  dans  tous  les  essais  de  M.  "Wal- 
zel, particulièrement  dans  ceux  qui  concernent  Schiller,  Gœthe  et  le 
romantisme,  beaucoup  de  savoir  —  un  savoir  qui  se  montre  toujours 
à  propos  —  et  beaucoup  de  finesse. 

A.  Chuquet. 


Romain  Rolland,  Vie  de  Tostoï,  1  vol.  in-12".   2oJî  pp.  Paris,  Hachette,  2  f. 

L'enthousiasme  déborde  de  ce  généreux  livre  auquel  M.  R.  a  mis 
le  meilleur  de  son  cœur  et  de  son  intelligence;  et,  pourtant,  il  nous 
paraît  un  peu  qu'il  y  a,  entre  M.  R.  et  son  héros,  le  même  malentendu 
qu'entre  Olénine  et  Mariana  dans  Les  Cosaques.  La  rigueur  métho- 
dique de  M.  R.  assure  la  solidité  de  sa  construction  ;  mais  à  cette 
construction  si  solide  il  manque  un  je  ne  sais  quoi  qui  serait  la  défi- 
nitive étincelle. 


41  S  REVUE    CRITIQUE 

Kn  rcaliic,  M.  K.  a  procède,  dans  ces  nobles  pages,  comme  s'il 
s'agissait  d'étudier  un  Laiin  :  il  a  imu  déduit,  tout  expliqué  :  or,  un 
Slave  ne  se  déduit  pas,  de  là  vient  que  nous  avons  ici  l'image  d'un 
Tolstoi  un  peu  artificiel,  d'un  Tolstoï  retouché  par  le  bon  photo- 
graphe. Le  grand  écrivain  ne  saurait  être,  comme  il  l'est  trop  souvent 
ici,  isolé  de  son  milieu.  Il  ne  se  dresse  pas,  en  etîct,  en  dehors  de  la 
société  russe  comme  un  géant  qui  la  dépasse  ou  un  phare  qui  dirige 
sa  course.  Il  est  tout  simplement  un  pomiéchtchik  de  l'ancien  temps, 
très  russe,  très  original,  très  indiiférent  au  qu'en  dira-t-on,  très  intel- 
ligent, très  près  de  la  nature  —  mais  en  même  temps  très  naïf,  et  tant 
soit  peu  homme  de  lettres.  Doué  d'un  pouvoir  de  vision  qui  tient  du 
prodige,  il  a  créé  des  types  immortels.  Mais  c'est  faire  fausse  route 
que  vouloir  mettre  une  suite  logique  rigoureuse  dans  son  évolution  '. 

Nombre  de  détails  montrent  que  M.  R.  ne  saisit  pas  exactement,  à 
travers  les  livres,  la  réalité  de  telle  ou  telle  manifestation.  C'est  ainsi 
que,  p.  7,  il  parle  d\x  journal  de  Tolstoï,  et  ignore  que  Tolstoï  avait 
un  double  journal,  l'un  qu'il  montrait  aux  amis,  l'autre  qu'il  réser- 
vait, et  dont  une  partie  a  été  détruite.  P.  100  (note).  M.  R.  parle  de 
la  «  prédilection  de  grand  seigneur  »  de  Tolstoï  pour  le  cheval.  En 
réalité  toute  la  Russie,  riche  ou  pauvre,  a  pour  le  cheval  cette  prédi- 
lection :  le  cheval  est  là-bas  non  pas  un  luxe,  mais  un  indispensable 
outil. 

Ces  critiques  ne  diminuent  certes  pas  le  livre  si  sérieux  et  si  ardent 
de  M.  R  Ce  livre,  on  le  lira  pour  avoir  de  Tolstoï  une  vue  d'en- 
semble, mais  on  devra  le  baisser  d'un  ton,  ou  du  moins  en  prendre  les 
conclusions  avec  une  certaine  réserve  *. 

Jules  Legras. 


Nevill  FoRBF.s,  The   position  of  the  Slavouic  languages  at  the  présent  day. 

I  broch.  Oxford,  1910.  1  sh. 
P.  Aurelius  Palmieri,  Mobliamimus  et  Panpolonismus  eorumque  methodus 

polemica  et  coQsectaria.  i  broch.  Rome,    lyio. 

M.  Forbes  donne  ici,  en  des  pages  claires  captivantes  et  précises, 
la  position  géographique  des  parlers  slaves.  C'est  là  sa  leçon  d'ou- 
verture de  sa  chaire  d'Oxford. 

Le  P.  Palmieri,  à  la  suite  de  son  beau  livre  objectif  et  sincère  sur 
la  Chicsa  russa,  a  été  accusé    par    certains   membres  du  clergé  polo- 

1 .  Cf.  p.  109,  sq.,  l'influence  de  la  foi  sur  l'art  de  Tolstoï. 

2.  P.  184,  .M.  R.  écrit  :  «  11  était  moralement  isolé  parmi  les  siens.  Il  n'avait 
guère  que  sa  dernière  fille  et  son  médecin  pour  le  comprendre.  »  Nous  pouvons 
affirmer  à  M.  R.  qu'il  s'est  fait  là,  très  innocemment,  l'écho  d'une  calomnie  dont 
l'origine,  en  Russie,  est  une  question  de  gros  sous. 

P.  igo.  Nous  sommes  en  mesure  de  rectifier  comme  suit  la  reproduction  des  der- 
nières paroles  de  Tolstoï  :  «  Seulement  il  y  a  une  chose  que  je  vous  conseille  de 
vous  rappeler,  c'est  à  savoir  qu'il  y  a  sur  la  terre  une  infinité  de  gens  en  dehors 
de  Léon  Tolstoi,  or  c'est  du  seul  Léon  Tolstoï  que  vous  vous  occupez  tous!  » 


d'histoire  et  de  littérature  419 

nais  d'être  hérésiarque,  d'être  un  agent  payé  par  la  Russie.  Il  répond 
de  sa  meilleure  encre,  dans  une  brochure  qui  pétille  d'esprit  et  de 
logique  en  même  temps. 

J.   L. 


Académie  des  [nscriptions  et  Bei.ues-Lettres.  —  Séance  du  4  octobre 
igi2.  —  M.  Maspero  fait  son  rapport  annuel  sur  les  travaux  du  Service  des 
antiquités  d'Eg'ypte.  La  restauration  de  Karnak  a  été  continuée,  celle  de  Deiret 
Médinèh  a  été  achevée,  et  celle  du  temple  de  Hibib  poiissée  fort  loin.  Le 
déblaiement  du  pronaos  d'Ksnèh  a  été  terminé,  et  le  dégagement  des  por- 
tions méridionales  du  téméiios  d'Edfou  poussé  rapidement.  Mais  ces  travaux, 
qui  rentrent  dans  le  cadre  habituel,  sont  dominés  par  deux  événements  :  l'achè- 
vement des  travaux  de  relèvement  du  barrage  d'Assouân  et  la  promulgation 
d'une  nouvelle  loi  pour  la  protection  des  monuments  antiques  de  l'Egypte.  Le 
service  a  obtenu  tout  l'argent  qu'il  avait  demandé  pour  essayer  de  défendre  contre 
les  attaques  de  l'eau  lès  monuments  menacés  de  submersion  totale  ou  par- 
tielle. Ceux-ci  sont  prêts  depuis  deux  ans  à  recevoir  l'assaut,  et  la  publication  de 
leurs  inscriptions  cl  de  leurs  bas-reliefs  est  en  bonne  voie.  M.  Maspero  espère  qu'ils 
opposeront  une  force  de  résistance  suffisante  et  dureront  sans  trop  de  dom- 
mage jusqu'au  jour  où  l'on  reconnaîtra  enhn  le  danger  que  présente  pour  le 
pays  l'emmagasinement  dans  un  seul  bassin,  qu'un  accident  peut  vider  soudain, 
d'une  masse  d'eau  aussi  considérable.  —  Pour  la  conservation  des  antiquités,  la 
loi  qui  était  en  vigueur  depuis  quinze  ans  était,  de  l'aveu  de  tous,  insuffisante  ; 
mais  on  voyait  dans  le  régime  des  capitulations  un  obstacle  insurmontable  à  l'éta- 
blissement d'une  loi  plus  efficace.  En  1900  et  1901,  M.  Maspero  avait  préparé  un 
projet  dont  les  dispositions  s'appliquerait  d'abord  aux  seuls  nationaux,  sauf  à  les 
étendre  plus  tard  aux  étrangers  avec  l'approbation  des  puissances,  si  elle  pouvait 
être  obtenue.  Cette  loi  resta  en  route,  mais  M.  Maspero  continue  ses  efforts,  et  Lord 
Kitchener  a  enfin  obtenu  que  le  projet,  repris  et  élargi,  fût  adopté  par  le  Conseil 
législatif  et  promulgué  le  16  juin  dernier.  M.  Maspero  espère  avoir  trouvé  un 
moyen  de  faire  disparaître  l'inégalité  de  traitement  entre  les  indigènes  et  les  étran- 
gers consacrée  par  cet  acte  et  amener  le  gouvernement  à  corriger  la  nouvelle  loi 
sur  ce  point  important. 

Académie  des   Inscriptions  et  Belles  Lettres.  —  Séance  du  11  octobre  iQi^. 

—  M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  écrit  à  M.  le  Secré- 
taire perpétuel  qu'il  vient  d'allouer  une  idemnité  de  i,5oo  francs  à  M.  René  Basset, 
membre  de  la  Commission  internationale  de  publication  de  V Encyclopédie  de 
l'Islam. 

M.  Henri  Cordier  annonce  le  prochain  retour  de  M.  de  Gironcourt,  missionnaire 
de  l'Académie  dans   le  Niger. 

M.  Homolle  com.inunique  une  lettre  de  M.  Avezou,  relative  à  la  découverte 
dans  la  «  Vieille  Palestre  »,  explorée  par  M.  Picard  et  par  lui,  d'une  tête  de 
bronze  représentant  un  personnage  romain,  tête  énergique  et  fine  d'un  Romain 
d'une  quarantaine  d'années.  M.  Homolle  insiste  sur  la  rare  valeur  de  cette  œuvre 
vivante,  bien  faite  pour  justifier  le  renom  des  sculpteurs  gréco-romains  comme 
portraitistes,  et  qui  parait  dater    du  premier  siècle  a.  C. 

L'Académie  procède  à  l'élection  de  deux  commissions  chargées  de  proposer  des 
sujets  ou  des  programmes  de  prix  :  1°  pour  le  prix  ordinaire  à  décerner  en  igi5, 
dans  l'ordre  des  études  oiientales  ;  2°  pour  le  prix  Dclalande-Guérineau  à  décerner 
en  1914  et  pour  le  prix  extraordinaire  Bordin  à  décerner  en  igiS.  Sont  élus,  pour 
le  prix  ordinaire  :  MM.  Senart,  Barth,  Chavannes,  Cordier;  —  pour  le  prix 
extraordinaire  Bordin  et  pour  le  prix  Delalande-Guérineau  :  MM.  Senart,  Barth, 
Clermont-Ganneau,  Chavannes,  Scheil,  Cordier. 

M.  Salomon  Reinach  fait  une  communication  sur  le  bâton  de  Teyjat  et  les 
ratapas  à  l'âge  du  renne. 

M.  Moise  Schwab  fait  une  communication  sur  une  encyclopédie  rabbinique  du 
XIII*  siècle. 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du   1 8  octobre  IQ12. 

—  La  prochaine  séance  est  fixée  au  mercredi  23  octobre,  en  raison  de  la  séance 
annuelle  des  cinq  Académies  qui  aura  lieu  le  vendredi  25. 

M.  Morel-Fatio  fait  une  communication  sur  un  livre  d'une  importance  capitale, 
la  Véridique  histoire  de  la  conquête  du  Mexique  par  Bernai  Diaz  del  Castillo, 
l'un  des  compagnons  de  Cortès  ;  livre  auquel  José  Maria  de  Heredia  a  pour  tou- 
jours attaché  son  nom  par  la  traduction  qu'il  en  donna  de  1877  à  1887,  et  qui  est 


420  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

une  véritable  œuvre  d'art,  digne  pour  le  style  des  Commentaires  de  Monluc.  On 
sait  moins  qu'au  cours  de  ce  travail  Mcrcdia  eut  le  grand  mérite  de  chercher  et 
de  retrouver  en  (maicmala  le  manuscrit  autographe  de  Bernai,  dont  il  fit  photo- 
graphier un  tcuillct  (lui  orne  le  ijuatricme  volume  de  sa  traduction.  Grâce  à  ce 
fac-similé,  on  a  pu  se  rendre  compte  des  altérations  très  graves  qu'a  subies  le 
texte  de  la  V'ériJiqiic  histoire  dans  la  première  édition  de  16X2,  due  à  un  Père  de 
la  Merci,  et  qui  passèrent  dans  toutes  les  autres.  Une  vingtaine  d'années  après 
l'achèvement  de  la  traduction  d'Heredia,  un  crudit  mexicain  publia  à  Mexico  la 
Véridiqiie  histoire,  d'après  une  photographie  de  l'original  oiTèrte  à  son  gouverne- 
ment par  celui  du  Guatemala,  sans  dire  un  mot  des  intelligents  elT'orts  d'Heredia 
pour  mettre  en  valeur  et  rendre  accessible  le  manuscrit  de  Bernai.  M.  Morel-Katio 
prépare  une  étude  comparée  des  deux  versions  de  la  \'éridique  histoire,  dont  il 
communiquera  plus  tard  les  résultats  à  l'Acadétnie;  mais  il  n'a  pas  voulu  attendre 
plus  longtemps  pour  revendiquer  les  droits  méconnus  d'un  illustre  membre  de 
l'Institut  de  France.  Cette  revendication  est  d'autant  plus  justifiée  et  opportune 
qu'il  paraît  actuellement  en  Angleterre  une  traduction  anglaise  du  texte  authen- 
tique de  la  Vcridiquc  histoire,  p.'ir  M.  Alfred  Percical  Moudslay.  Ce  savant  améri- 
caniste  ne  suivra  pas  l'exemple  de  l'éditeur  mexicain;  il  reconnaîtra  loyalement  la 
priorité  des  recherches  et  de  la  découverte  de  l'auteur  des  Trophées. 

M.  Babelon  t'ait  une  communicotion  sur  le  mot  moue  ta,  «  monnaie  »,  et  ses  ori- 
gines. Il  démontre  que  moueta  était  primitivement  le  nom  d'une  vieille  divinité 
italiote,  Junon  Moneta,  qui  avait  son  temple  dans  Varx  ou  la  citadelle  du 
Capitole  à  Rome.  Cette  divinité  rustique  avait  l'oie  pour  symbole,  et  on  élevait 
des  oies  dans  une  dépendance  de  son  sanctuaire.  Ce  sont  ces  oies  dont  les  cris 
éveillèrent  l'attention  de  Manlius,  dont  la  maison  était  contigùe,  lorsqu'en  396 
a.  C.  les  Gaulois  voulurent  escalader  le  Capitole.  En  345  a.  C.,en  exécution  d'un 
vœu  du  dictateur  Camille,  on  agrandit  le  temple  de  Junon  Moneta  ;  mais  ce  fut 
seulement  longtemps  après,  en  269  a.  C,  qu'on  installa,  sur  l'emplacement  de  la 
maison  de  Manlius  démolie,  l'ateli'er  monétaire  qui  frappa  les  premiers  deniers 
d'argent.  Cet  atelier  était  une  annexe  du  temple,  et  il  fut  placé  en  cet  endroit  et 
mis  sous  la  protection  de  Junon  Moneta,  la  déesse  aux  oies,  parce  que  c'était  là, 
dans  le  trésor  du  temple,  à  l'abri  des  murs  de  la  citadelle,  qu'on  avait  amoncelé  les 
trésors  en  argent  de  la  République,  rapportés  de  la  prise  deTarente  et  de  la  con- 
quête de  l'Italie  méridionale.  C'est  ainsi  que  le  nom  de  la  déesse  Moneta  passa, 
dans  le  langage  populaire,  aux  produits  de  l'atelier  placé  sous  sa  protection,  puis  à 
l'atelier  lui-même. 

M.  Henri  Omont  communique  les  photographies  d'un  manuscrit  grec  du  xii'  siècle 
récemment  entré  à  la  Bibliothèque  nationale,  grâce  à  une  nouveile  libéralité  de 
M.  Maurice  Fenaille,  auquel  les  musées  et  les  bibliothèques  sont  déjà  redevables 
de  nornbreux  dons.  Ce  manuscrit  otTre  une  double  suite  d'illustrations  du  Nouveau 
Testament  (moins  l'Apocalypse)  et  du  Psautier.  Pour  les  Psaumes  et  les  Cantiques 
qui  les  suivent,  elle  est  différente  de  celle  qui  s'est  développée  à  Byzance  au 
IX'  siècle  ;  son  caractère  plus  réaliste  permet  de  la  rapprocher  de  celle  du  Psautier 
grec  752  de  la  Bibliothèque  V'aticane,  mais  la  composition  des  scènes,  l'art  avec 
lequel  certaines  figures  ont  été  traitées  semblent  tout  à  l'avantage  du  nouveau 
manuscrit. 

L'exposition  des  titres  des  candidats  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par 
suite  (Ju  décès  de  M.  Philippe  Berger  aura  lieu  dans  l'avant-dernière  séance  de 
novembre. 

Léon  Dorez. 


V imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon, 


Le   Puy-en-Velay.  —   Imprimerie  Peyriller,  Ronchon  et  Gamon. 


R  E  V  U  t    C  H  11  i  Q  U  E 


D'HISTOIRE    ET     DE    LITTÉRATURE 


N»  48  —  30  novembre.  —  1912 

Krauss,  Archéologie  taliiiudiquc,  ill.  —  Rattay,  Le  manuscrit  d'Ostrach.  — 
Laferrière,  Jean  Duvergier  de  Haiiranne.  —  Mims,  La  politique  coloniale  de 
Colbert.  —  Depitre,  La  toile  peinte  en  France  au  xviii«  siècle.  —  Faguet,  Rous- 
seau penseur.  —  Delafarge.  Palissot.  —  Duine,  La  Mennais.  —  Welsciiinger, 
Bismarck.  —   FoHii:;s,  Tolstoï.  —  Vkitii,  César.  —  Lauze,  La  censure  romaine. 

—  Rasi,  Uu    poème   latin    sur   Rome.  —    Brak.man,  Miscella.   —  Irène   Nvk,  La 
suite  des  idées  chez  Tite-Live.  —  Micmels,  Eléments  de  moyen-haut  allemand. 

—  .\cadémie  des  inscriptions. 


Talmudische  Archâologie,  von  (}.  Krauss,  Band  III.  Leipzig,  Fock,   1912,  grand 
in-S",  \11-49 1  pages. 

Dernier  volume  de  cet  important  ouvrage.  Il  y  est  traité  des  rela- 
tions de  société,  des  divertissements,  y  compris  les  fêtes,  de  l'écriture 
et  des  livres,  de  l'école.  .\  la  fin,  copieuses  tables  générales  (Sachre- 
gister,  Wortregister).  Nous  avons  déjà  dit  l'abondance  d'érudition  et 
l'exactitude  de  méthode  qui  caractérisent  cette  publication.  Les  cha- 
pitres concernant  l'écriture  et  l'instruction  offrent  un  particulier  inté- 
rêt. Peut-être  pourrait-on  demander  une  critique  un  peu  plus  sévère 
dans  l'emploi  de  certaines  données.  II  y  aurait  eu  dans  Jérusalem, 
quand  l'armée  de  Vespasien  vint  l'assiéger,  quatre  cent  quatre-vingt 
synagogues  ayant  chacune  sa  petite  école  pour  la  lecture  de  la  Bible 
et  son  école  doctorale  pour  l'interprétation  de  la  l,oi  :  quelle  popula- 
tion cela  suppose,  dit  M.  K.,  et  quel  zèle  pour  l'instruction!  Mais, 
pour  ce  qui  est  de  la  population,  son  chiffre  ne  doit  pas  être  en  pro- 
portion directe  avec  celui  des  synagogues. Celles-ci  ne  correspondaient 
pas  à  une  division  régulière  de  la  population  urbaine,  mais,  en  par- 
tie, à  des  groupements  d'un  autre  ordre  (il  est  question  Actes,  vi,  9, 
de  la  synagogue  des  Libertin!  et  de  celle  des  Ciliciens)  qui  pouvaient 
bien  n'être  pas  tous  considérables.  Béther,  le  dernier  refuge  des  Juifs 
dans  leur  révolte  au  temps  d'Hadrien,  aurait  eu  quatre  cents  syna- 
gogues, avec  quatre  cents  maîtres  ayant  chacun  quatre  cents  élèves  : 
chiffres  trop  ronds,  information  suspecte.  Il  n'en  reste  pas  moins 
que  l'instruction,  une  certaine  forme  d'instruction,  religieuse  et 
nationale,  était  très  répandue  et  très  suivie  à  l'époque  talmudiquc. 

A.   L. 

Nouvelle  série  LXXIV  48 


a 


A22  REVUE    CRITIQUE 

Die  Ostracher  Liederhandschrift  und  ihre  Stellung  in  der  Geschichte  des 
deutschen  Liedes.  Auf  Grund  der  handschriftlichcn  Liedersammlungen  des 
XVII.  und  XVIII.  .lahrhuildcrts  untersucht  von  Kurt  Rattav.  Halle  a  S.,  Nie- 
mcycr,  191 1.  In-S»,  xii-i3G  pp. 

Il  existe  peu  de  «  Cahiers  de  chansons  »  du  xviii<:  siècle  en  Alle- 
magne, surtout  dans  rAllemagnc  du  Sud.  L'un  de  ces  cahiers  trouvé 
dans  les  environs  d'Ostrach,  en  Hohenzollern,  est  conservé  à  1 
Bibliothèque  nationale  de  Stuttgart.  Il  offre  un  grand  intérêt  tant  h 
cause  de  son  origine,  qui  est  wurtembergeoise,  que  des  chansons 
inédites  qu'il  contient  et  surtout  des  mélodies  qui  y  sont  notées, 
chose  fort  rare.  M.  Rattay  s'est  imposé  le  devoir  de  publier  ce  cahier. 
Écrit  sans  doute  entre  1740  et  lybo  dans  une  école  de  couvent,  il  ne 
contient  pas  de  chansons  d'amour  mais  seulement  des  chansons  sati- 
riques, des  chansons  populaires  et  des  chansons  à  boire  et  pots  pour- 
ris. M.  Ratty  a  confronté  ces  productions  avec  les  chansons  connues 
par  d'autres  recueils  et  cette  contribution  à  l'histoire  du  lied  est  ins- 
tructive. Il  a  quelquefois  donné  l'explication  de  termes  obscurs.  On 
lui  aurait  su  gré  d'être  moins  ménager  de  ses  interprétations  '  et  de 
les  ranger  en  une  sorte  de  vocabulaire  alphabétique  à  la  fin  du  livre. 
II  aurait  ainsi  fourni  une  addition  —  qui  eût  été  la  bienvenue  —  au 
Dictionnaire  Souabe. 

F.  Piquet. 

J.  Laferrière,  Étude  sur  Jean  Duvergier  de  Hauranne,  abbé  de  Saint-Cyran 
(1581-1643),  un  vol.  in-8»  de  289  pages.  Louvain,  Bruxelles,  Paris  (Alphonse 
Picard),  1912. 

L'histoire  religieuse  du  xvii"  siècle  est  aujourd'hui  l'objet  de  travaux 
nombreux  et  variés;  mais  on  semble  s'intéresser  tout  particulièrement 
à  ce  qui  concerne  Port-Royal  et  le  jansénisme.  Les  études  relatives  à 
Pascal,  à  la  Mère  Angélique,  à  .lansénius  et  à  Saint  Cyran  se  multi- 
plient comme  à  plaisir,  et  l'ouvrage  que  vient  de  publier  un  professeur 
de  séminaire  canadien,  M.  Laferrière,  en  est  une  nouvelle  preuve.  Il 
y  aurait  lieu  de  se  féliciter  de  cette  activité,  si  les  lois  de  la  critique 
moderne  étaient  observées  par  les  nouveaux  historiens  ;  si  du  moins 
ils  s'inspiraient  toujours  de  l'adage  célèbre  :  Ne  quidfalsi  non  audeat 
historia.  Tel  n'est  pas,  malheureusement,  le  cas  de  M.  L.,  ancien 
étudiant  de  l'Université  de  Louvain,  et  disciple  enthousiaste  de 
«  M.  le  chanoine  Alfred  Gauchie,  Téminent  directeur  du  Séminaire 
historique  de  Louvain  «.  Muni  de  l'imprimatur,  M.  L.  est  en  règle 
avec  l'autorité  religieuse  :  un  certificat  en  bonne  et  due  forme  établit 
que  son  ouvrage  ne  contient  rien  qui  soit  contraire  à  la  foi  et  aux 
bonnes  mœurs;   mais  le  certificat  ne  dit  pas  si  les  assertions  de  l'au- 

I.  Je  doute  que  le  lecteur  allemand  comprenne  aisément  Fouter  diabel,  p.  89, 
Tôusseer,  p.  90  et  d'autres  expressions.  Je  ne  crois  pas  que  «  Nonnen-fûrz  », 
p.  28  soit  «  eine  Art  Konfekt  ».  C'est  la  traduction  de  «  pet  de  nonne  »  qui  est  le 
nom  français  du  beignet  soufflé  appelé  en  allemand  Windbeutel. 


n'HISrOIRK    KT    DK    LITTÉRATURE  423 

leur  sont  conformes  à  la  vcriié  historique,  et  c'est   ce  qu'il   peut   être 
bon  d'examiner  brièvement. 

M.  L.  dit  parfois  qu'il  voudrait  être  équitable  et  modéré  dans  ses 
jugements;  mais  dès  les  premières  pages  son  étude  tourne  au  réqui- 
sitoire, car  il  exècre  le  personnage  qu'il  étudie.  M.  L.  voudrait  faire 
connaître  à  la  postérité  le  véritable  Saint  Cyran,  que  ne  l'on  connaît 
pas  encore,  dit-il  en  propres  termes.  On  ne  lui  a  consacré  jusqu'ici  que 
«  deux  ou  trois  notices  sans  importance  »;  M  .  L.  entend  sans  doute 
par  là  les  deux  volumes  de  Lancelot,  les  cent  cinquante  pages  de  dom 
Clémencet  et  les  deux  cents  pages  in-quarto  des  Œuvres  d'Arnauld, 
sans  compter  les  gros  ouvrages  des  jésuites  Pinthereau,  Brisacier 
et  Rapin,  sans  compter  le  Port-Royal  de  Sainte-Beuve.  M.  L.  a-t-il 
donc  eu  entre  les  mains  des  di)cuments  inédits  dont  la  mise  en  œuvre 
lui  permettait  d'établir  sur  lies  bases  solides  des  conclusions  abso- 
lument neuves?  —  Point  du  tout.  Louvain  ne  lui  a  rien  fourni; 
Malincs  pas  grand  chose,  et  il  ne  parait  pas  avoir  trouvé  le  chemin 
de  la  Bibliothèque  Mazarine  ou  de  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal.  Ce 
qu'il  a  recueilli  à  la  Bibliothèque  Nationale  se  réduit  à  huit  ou  dix 
pages  de  nulle  importance  ;  les  manuscrits  dont  il  donne  la  liste  sont 
connus  depuis  longtemps,  et  ce  qu'ils  contiennent  a  été  imprimé  dès 
le  wiii*:  siècle. 

Le  livre  de  M.  L.  ne  saurait  donc  être  présenté  comme  un  ouvrage 
original  ;  il  est  de  seconde  ou  de  troisième  main  ;  il  se  traîne  à  la 
remorque  de  quelques  vieux  auteurs;  il  n'ajoute  rien  à  ce  qu'ont 
ressassé  les  jésuites  du  xv!!**  et  du  xvjii"  siècle,  et  il  se  contente  de 
rééditer  des  calomnies  dont  on  a  fait  justice  depuis  plus  de  deux 
cents  ans.  Un  examen  même  superficiel  de  sa  bibliographie  prouve 
que  M.  L.  connaît  bien  mal  la  plupart  des  ouvrages  auxquels  il 
renvoie.  Où  donc  a-t-il  rencontré  une  édition  des  Lettres  de  la  Mère 
Agnès  publiée  à  Utrechi  en  1742?  Il  confond  avec  les  Lettres  de  la 
Mère  Angélique,  qu'il  croit  imprimées  en  1740.  Il  renvoie  à  l'édition 
des  Œuvres  chrétiennes  et  spirituelles  de  Saint  Cyran  qui  fut  donnée, 
dit-il,  h  Paris,  en  1679,  par  Arnauld  d'Andilly.  Or  d'Andilly  était 
mort  depuis  cinq  ans,  et  les  quatre  petits  volumes  réédités  en  1679 
ont  paru  à  Lyon,  chez  Laurent  Aubin.  Il  y  a  plus,  cet  historien  qui 
veut  paraître  si  bien  documenté  ne  mentionne  même  pas  les  quarante 
trois  volumes  in-quarto  des  oeuvres  d'Antoine  Arnauld  (Paris-Lau- 
sanne, 1775-1783).  Il  ne  s'est  pas  servi  du  tome  XXIX  de  cette  admi- 
rable publication,  dont  les  Notices  historiques  sont  si  précises  et 
mettent  sur  la  voie  de  tant  de  découvertes. 

Mais  il  est  entendu  que  les  ouvrages  relatifs  à  Port-Royal  et  à  son 
histoire  sont  des  raretés  bibliographiques;  on  les  a  si  bien  recherchés 
pour  les  détruire  que  les  travailleurs  modernes,  même  ceux  de  Lou- 
vain, —  je  le  sais,  —  ne  parviennent  pas  t(;ujours  à  se  les  procurer.  Il 
n'en  est  pas  de  même  de  ceux  des  jésuites,  et  pourtant  M.  L.  ne  paraît 


424  REVUE    CRITIQUE 

pas  les  connaître  mieux  que  les  tiuires.  Il  parle  (page  23  i)  d'un  certain 
Colomb  (S.  J.)  auteur  d'une  Bibliothèque  janséniste  mise  à  l'index  par 
Benoît  XIV,  et  il  travestit  ainsi  le  nom  du  fameux  Père  Colonia, 
réédité  et  complété  par  le  non  moins  fameux  Père  Patouillet  '. 

Quant  aux  ouvrages  mêmes  de  Saint  Cyran,  dont  il  aurait  peut-être 
fallu  tenir  compte  dans  une  étude  de  ce  genre,  si  Ton  excepte  la  Ques- 
tion royale,  la  Théologie  familière,  la  réfutation  de  Garasse,  le  Petriis 
Aurelius,  dont  Saint  Cyran  n'est  décidément  pas  l'auteur,  et  quelques 
opuscules,  M.  L,  n'a  pas  pris  la  peine  de  les  étudier;  il  ne  s'est  pas 
attaché,  comme  il  aurait  dû  le  faire  en  prenant  pour  guide  le  savant 
bénédictin  dom  Clémencet,  aux  vingt-huit  ouvrages  dont  Duvergier 
de  Hauranne  est  certainement  l'auteur. 

Les  sources  du  travail  de   M.  L.,  ne  sont  pas  les   livres  de  Saint 
Cyran  lui-même,  ce  sont  les  pamphlets  composés  par  ses  pires  enne- 
mis, par  les  jésuites  Pinthereau  et  Rapin.  M,  L.  suit  à  la  trace  l'His- 
toire du  jansénisme  de  René  Rapin,  et  il  ne  s'est  même  pas  demandé 
quelle  peut  être  la  valeur  de  cette  élucubration.  11   n'a  pas  vu  que 
Rapin  n'est  que  le  metteur  en  œuvre  sans  critique  de  notes  venimeuses 
et  de  racontars  stupides    qu'il    s'est    fait    communiquer.   Quand  ses 
garants  ne  savent  rien,  il  n'en  sait  pas  davantage;  quand  ils  viennent 
à  lui  manquer,  il  s'arrête  tout  court,  à  la  date  de  1644,  ^ui  qui  est  mort 
en   1687.   Cet  ouvrage  mal  digéré,  très  mal  écrit  ^  ei  profondément 
malhonnête,  aurait  dû  être  rejeté  d'une  manière  absolue  par  un  auteur 
soucieux  de  la  dignité  de   l'histoire.  Du  moins   M.  L.  a  parfois  des 
scrupules;   il  avoue   même  à  l'occasion  que  son  auteur  s'est  trompé, 
notamment  au  sujet  du  conte  ridicule  de  Bourgfontaine.  Enfin  il  ne 
s'abaisse  pas  à  ramasser  les   vilenies  qui  déshonorent  le  P.  Rapin. 
Il  ne  représente  pas  Saint  Cyran  comme  un  goinfre  faisant  compa- 
raître le  cuisinier  de  ses  amis  quand  la  chère  n'est  pas  assez  bonne; 
comme  un  furieux  qui  frappe  à  coups  de  pied  et  à  coups  de  poing  le 
pauvre  qui  ose  lui  demander  l'aumône;  comme  un  libertin  qui  a  chez 
lui  une  servante  accorte  faisant  fonction  de  valet  de  chambre.  Cette 
réserve  est  louable  ;   mais  citer  à  tout  propos  comme  un   oracle  le 
religieux  qui  écrivait  tranquillement  de  telles  infamies,  n'est-ce  pas 
se  condamner  soi-même,  quand  on  écrit  l'histoire,  à  jouer  un  rôle 
assez  fâcheux? 

Il  résulte  de  ces  observations  et  de  quelques  autres  semblables  qui 
se  présentent  d'elles-mêmes  que  les  méthodes  de  travail  de  M.  L.  ne 


1.  Cette  bévue  a. pour  pendant  celle  qui  attribue  (p.  234)  à  un  certain  Foillo 
l'Histoire  de  Port-Royal  de  Jacques  Foiiillou.  Toute  la  bibliographie  de  M.  L. 
est  de  cette  force.  Est-ce  donc  ainsi  que  l'on  travaille  au  Séminaire  historique 
de  Louvain  ? 

2.  On  s'est  moqué  de  la  phrase  longue  des  Jansénistes,  qu'on  lise  Rapin,  ou 
simplement  la  première  phrase  de  son  histoire;  c'est  assurément  à  lui  que  revient 
la  palme. 


d'histoire  et  de  littérature  425 

sont  pas  bonnes,  et  que,  croyant  étudier  à  nouveau  Tabbé  de  Saint- 
Cyran,  il  ne  fait  que  présenter  à  ses  lecteurs  le  personnage  que  les 
jésuites  Pinthereau  et  Rapin  ont  calomnié  avec  la  rage  que  l'on  sait. 
Inutile  donc  de  suivre  pas  à  pas  le  nouveau  biographe,  de  relever 
une  à  une  ses  innombrables  erreurs,  de  réfuter  ses  assertions  qui 
n'ont  mèine  pas  le  mérite  de  la  nouveauté  ;  mieux  vaut  faire  voir  en 
peu  de  mots  ce  que  pourrait  donner  une  étude  sérieuse  et  honnête  de 
la  vie  et  des  ouvrages  de  Duvergier  de  Hauranne. 

Lorsque  le  célèbre  abbé  fut  incarcéré  par  ordre  de  Richelieu  en 
mai  i638,  on  saisit  chez  lui  deux  grands  coffres  de  manuscrits.  Ces 
papiers  furent  remis  à  ses  plus  mortels  ennemis  ;  ils  les  gardèren-t 
deux  ans,  et  s'efforcèrent  d'y  découvrir  des  hérésies  et  des  attentats 
contre  l'autorité  civile.  Vains  efforts,  on  ne  trouva  rien.  L'interroga- 
toire que  Lescot  fit  subir  au  prisonnier  durant  quinze  après-midi 
consécutives  aboutit  au  même  résultat,  si  bien  qu'en  dehors  des 
vilaines  imputations  de  Sébastien  Zamet,  Tévêque  délateur  bientôt 
réduit  au  silence,  il  n'y  a  pas  une  seule  ligne  de  Saint  Cyran  qui  ait 
pu  être  l'objet  d'une  condamnation,  soit  à  Rome,  soit  en  Sorbonne. 
Bien  plus,  quand  Arnauld  d'Andilly  publia  de  nouveau,  en  1672,  les 
Instructions  chrétiennes  tirées  des  deux  volumes  de  Lettres  de  M.  Jean 
du  Verger  (sic)  de  Hauranne,  abbé  de  Saint  Cyran  ',  ce  fut  de  la  part 
des  contemporains  un  concert  d'éloges  dont  l'écho  aurait  dû  venir 
jusqu'à  M.  L.  Dix-huit  évèques,  dont  quatorze  au  moins  n'étaient  pas 
suspects  de  jansénisme,  approuvèrent  l'ouvragé  en  termes  dithyram- 
biques. Ils  dirent  que  ces  Lettres,  datées  toutes  de  Vincennes,  étaient 
«  pleines  de  l'esprit  de  Dieu  »  (Gondrin)  ;  que  c'était  «  une  profonde 
et  abondante  mine  d'or  et  de  pierres  précieuses;....  que  tout  y  est 
utile,  orthodoxe,  saint  »  (Godeau).  L'évêque  de  La  Rochelle  disait  au 
début  de  son  approbation  :  «  L'amour  sincère  que  feu  M.  l'abbé  de 
Saint  Cyran  a  toujours  eu  pour  la  vérité,  et  son  zèle  désintéressé  pour 
la  gloire  de  l'Eglise  lui  avaient  acquis  l'affection  et  l'estime  de  tous 
ceux  qui  l'avaient  le  plus  particulièrement  connu.  »  L'évêque  de 
Meaux,  de  Ligny,  parlait  de  sa  doctrine  «  si  pure,  si  solide,  si  chré- 
tienne ».  Tous  enfin  exaltaient  l'homme  et  l'œuvre;  Rapin  vivait 
encore,  ni  lui  ni  ses  confrères  n'osèrent  broncher  alors  ;  ils  se  réser- 
vaient pour  nos  contemporains,  plus  faciles  à  tromper,  et  préparaient 
en  cachette  des  calomnies  "d'outre  toipbe. 

A  la  même  époque,  en  1670  pour  donner  la  date  précise^  parut 
sans  nom  d'auteur  un  autre  ouvrage  du  prisonnier  de  Vincennes.  Il 
est  en  deux  volumes  et  a  pour  titre  :  Considérations  sur  les  diman- 
ches et  les  fêtes  des  mystères  et  sur  les  fêtes  de  la  Vierge  et  des  Saints. 
La  lecture  de  ces  deux  volumes  réserverait  au  lecteur  bien  des  surpri- 
ses, et  elle  lui  ferait  connaître  un  Saint  Cyran  tout  autre   que  celui 

1.  Paris,  Pierre  Le  Petit,  avec  privilège  de  Sa  Majesté;  un  volume  in-8»  de 
374  pages. 


426  RK\  I  1:     »^KI  1  IQIJK 

(.luuii  Se  rcpicscnic  d'oidiiKiiic.  Liiuicur  des  Cousidcrations  pousse 
aussi  loin  que  possible  le  culie  passionné  de  la  Vierge  Marie;  il  parle 
de  ses  perfeciions  avec  amour  et  avec  enihousiasnic  ;  saint  Bernard 
seul  est  plus  dévot  à  Marie,  et  saint  Bernard  lui  refusait  le  titre 
d'immaculée,  tandis  que  Saint  Cvran  se  lient  à  cet  égard  sur  la 
réserve.  Le  culte  de  saint  Joseph  n'a  pas  de  propagateur  plus  zélé  ; 
Saint  Cyi"an  parle  avec  enthousiasme  de  saint  Dominique,  de  saint 
Thomas,  de  Tordre  si  saint  des  frères  prêcheurs,  et  c'est  la  plume  du 
célèbre  janséniste  qui  a  écrit  au  sujet  du  jésuite  François  Xavier  : 
«  Il  a  mérité  d'être  appelé  l'apôtre  des  Indes,  qui  est  un  titre  appro- 
chant de  celui  d'Apôtre  des  Gentils,  et  qui  ne  se  trouve  jamais  avoir 
été  communiqué  en  un  si  haut  degré  à  aucun  autre  prêtre  (tome  I, 
partie  II,  p.  12)  ».  Dans  ce  livre  comme  ailleurs,  comme  dans  les  Let- 
tres, on  voit  Duvergier  de  Hauranne  révérer  l'eucharistie  et  conseiller 
la  communion  fréquente,  celle  de  tous  les  huit  jours,  et  même, 
comme  on  peut  le  lire  dans  une  lettre  à  Le  Pelletier  des  Touches, 
celle  de  tous  les  Jours  '. 

Voilà  un  aperçu  de  ce  que  M.  L.  et  ses  inspirateurs  auraient  pu 
trouver  dans  les  ouvrages  imprimés  de  Saint  Cyran  lui-même  ;  mais  il 
y  a  d'autres  sources  auxquelles  on  n'a  pas  encore  puisé.  Au  premier 
rang  doivent  figurer  vingt-deux  lettres  autographes  adressées  par  Jan- 
sénius,  à  différentes  époques,  tantôt  à  M.  de  Haitze,  tantôt  à  l'abbé  de 
Saint  Cyran.  Elles  sont  inédites,  et  Pinthereau  ne  les  a  pas  eues  entre 
les  mains;  elles  serviraient  à  montrer  que  les  lettres  publiées  par  le 
jésuite  en  1654  sont  authentiques,  du  moins  dans  leur  ensemble.  A 
Ces  lettres  viendraient  se  joindre  quelques  lettres,  également  autogra- 
phes et  inédites,  d'ArnauId  d'Andilly  et  de  Martin  de  Barcos,  ces  der- 
nières écrites  durant  les  cinq  années  de  la  captivité  ".  Les  imprimés 
du  temps  seraient  égalemeat  précieux.  En  voici  un,  par  exemple,  qui 
date  de  1644,  un  an  après  la  mort  de  Duvergier  de  Hauranne,  et  qui 
donne  des  indications  assez  précises.  C'est  un  ouvrage  de  Godefroi 
Hermant  intitulé  Apologie  de  M.  Arnauld^  etc.  (un  vol.  in  quarto  de 
398  pages).  On  y  voit  (p.  84)  que  les  enneinis  de  Saint  Cyran  cachaient 
à  tous  les  yeux  le  procès-verbal  des  quinze  interrogatoires  que  Lescot 
fit  subir  au  prisonnier  un  an  après  son  incarcération.  Ce  procès-ver- 
bal établissait  la  parfaite  innocence  de  l'abbé  ;  il  le  justifiait  pleine- 
ment «  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  »;  et  pour  cette  raison  on 
le  tint  si  secret  que  le  premier  président  Mole  ne  put  jamais  en  avoir 
connaissance.  On  l'a  publié  cent  ans  plus  tard,  en  1740,  dans  le  célè- 
bre Recueil  d'Utrecht  (p.  1-140). 

On  voit  surtout  dans  cette  Apologie  la  parfaite  authenticité  d'une 

1 .  \'.  dans  le  recueil  de  1679,  tome  I,  p.  a'icj  et  suiv.  La  lettre  est  du  2  i  décembre 
1642.  Un  historien  équitable  aurait  dû    lire  et  discut;;r  cette  longue  lettre. 

2.  J'ai  toutes  ces  lettres  entre  les  mains,  et  je  me  propose  de   les  publier  sans  y 
changer  un  iota,  ce  que  n'a  certainement  pas  fait  le  Père  Pinthereau. 


d'histoire  et  de  littérature  427 

correspondance  entre  Saint  Cvran   et    M'""  de   Chantai,   authenticiic 
que  certains   modcines,  suivis   par  M.  1,..   ont  niée  avec  une  certaine 
audace  et  avec  une  grande  désinvolture.  Voici  le  passage,  imprimé  en 
1644,  deux  ans  à  peine  après  la  mort  de  la  sainte,  survenue  en  décem- 
bre 1641  :   «  La  bienheureuse  Mère  de  Chantail  isic)  ne  voulut  point 
sortir  du  monde  sans  rendre  une  visite  h  cette  maison  [le  monastère 
de  Port  Royal],  qui  est  consacrée  à  l'esprit  de   pénitence,  de  retraite, 
de  pauvreté,  de  charité  et  de  pai5c.  Elle  voulut  y  venir  reconnaître  les 
traces  des  bénédictions  extraordinaires  que   la  conduite  de  son  cher 
Ami  et  Consolatriir  ',  M.  l'abbé  de  Saint  Cyran,  qu'elle  appelait  tou- 
jours l'homme  de  Dieu,  y  avait  attirées  par  ses  instructions  lorsqu'il 
était  libre,  et  par  ses  prières  depuis  sa  détention  ;  et  elle  voulut  témoi- 
gner à  toutes  les  religieuses  de  son  ordre  combien  la  piété  de  l'abbesse 
de  ce  monastère,  propre  sœur  de  M.  Arnauld,  (à  qui  elle  a  ouvert  son 
cœur  autant  et  peut-être  plus  qu'à  aucune  religieuse  de  France,  comme 
le  savent  les  filles  de  la  Visitation),  et  la  vertu    de   toute   cette   sainte 
maison  leur  devait  être  vénérable  et  précieuse.  Lisez  la   vie   de  cette 
Mère  écrite  par  Mgr  i'évéque   du  Puy,    vous    trouverez  qu'il  dit  ces 
paroles  :  Cette  vénérable  Mère,  voulant  aussi  satisfaire  au  désir  que 
Madame  de  Port-Royal  lui   témoigna  de    la  voir  en  son  monastère, 
elle  y  demeura  deux  jours,  où  ces  deux  grandes   dmes  s'entretinrent 
avec  bénédiction,  et  une  joie  singulière  de  part  et  d'autre  ^  ». 

L'ouvrage  que  Martin  de  Barcos  publia  en  1668  pour  réfuter  celui 
d'Abelly,  ancien  évêque  de  Rodez,  n'est  pas  moins  catégorique.  Il  éta- 
blit que  l'interrogatoire  de  saint  Vincent  de  Paul,  la  seule  pièce  qui  fasse 
connaître  exactement  l'âge  du  saint,  innocentait  Duvergier  de  Hau- 
ranne  et  lui  était  on  ne  peut  plus  favorable.  Cet  interrogatoire  a  été 
public  par  Joachim  Colbert,  dont  la  probité  a  toujours  été  hautement 
reconnue,  et  il  l'a  donné  d'après  l'original,  revêtu  de  la  signature  du 
saint  ;  il  n'est  donc  pas  permis,  à  un  historien,  de  n'en  tenir  aucun 
compte  ^  Vincent  de  Paul  n'a  pas  fait  preuve  d'héroïsme  lors  de  l'ar- 
restation de  Saint  Cyran  ;  il  avait  peur  de  Richelieu  et  surtout  des 
jésuites,  et  il  craignait  avec  raison  pour  les  œuvres  admirables  aux- 
quelles il  se  dévouait  corps  et  âme.  Mais  du  moins  il  a  donné,  dès 
qu'il  a  pu  le  faire  sans  danger,  des  témoignages  publics  de  son  estime 
pour  Saint  Cyran.  Il  est  allé  des  premiers  le  congratuler  à  Vincennes 

1.  U  faut  noter  ce  mot  de  consolateur,  qui  fait  allusion  aux  souffrances  morales 
qui  ont  si  longtemps  torturé  S^  Chantai,  et  dont  elle  fit  la  confidence  à  Saint-Cyran 
et  à  la  Mère    Angélique. 

2.  P.  272.  On  lit  à  la  marge  la  petite  note  suivante  :  »  On  le  pourra  justifier 
quelque  jour  par  les  Lettres  de  cette  vénérable  Mère  ».  11  s'agit  de  celles  qui  ont 
été  publiées  en   1679  ^^  ^"    '742- 

3.  En  1730,  Colbert  prit  énergiquement  la  défense  de  Saint  Cyran  contre  son 
confrère  Beisunce,  qui  rééditait  les  calomnies  devenues  classiques;  je  trouve  dans 
sa  lettre,  qui  est  d'une  grande  vivacité,  beaucoup  des  arguments  que  j'ai  fait  valoir 
sans  l'avoir  lue.  M.  L.  ne  connaît  évidemment  pas  ce  document. 


428  REVUE    CRITIQUE 

au  sujet  de  sa  délivrance  prochaine  ;  il  s'est  rendu  au  domicile  de 
Saint  Cyran  mort  '  pour  jeter  de  l'eau  bénite  sur  son  cercueil  ;  il  a 
peut-être  assisté  à  ses  funérailles  solennelles.  Enfin  il  a  l'ait  plus  et 
mieux  ;  il  s'est  employé  avec  le  plus  grand  zèle  pour  faire  donner  au 
neveu  l'abbaye  de  l'oncle  ;  et  Barcos  devenu  abbé  de  Saint  Cyran 
affirme  (p.  29)  que  M.  Vincent  vint  en  personne  lui  annoncer  cette 
nouvelle,  et  lui  dire  ce  qu'il  avait  fait  pour  mener  la  chose  à  bien. 
Que  saint  Vincent  de  Paul  se  soit  ensuite  laissé  circonvenir  et  qu'il  lui 
soit  échappé  des  insinuations  vagues,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner, 
car  on  sait  que  ce  grand  saint,  qui  eut  par  excellence  le  génie  de  la 
charité,  n'était  pas  précisément  un  homme  de  génie. 

Il  y  aurait  donc  place  pour  une  nouvelle  étude  d'après  les  sources, 
et  de  cette  étude  l'illustre  Saint  Cyran  sortirait,  je  ne  dis  pas  justifié, 
c'est  chose  faite  depuis  deux  siècles  et  demi,  mais  grandi  encore,  si  la 
chose  était  possible.  On  lui  reconnaîtrait  peut-être,  malgré  les  protes- 
tations de  dom  Clémencet,  le.s  trois  défauts  que  lui  attribuait  Besoi- 
gne  :  une  tendance  manifeste  à  l'exagération,  une  certaine  prédisposi- 
tion au  mysticisme,  une  trop  grande  facilité  à  parler  de  soi  ;  mais  ces 
concessions  faites,  il  faudrait  bien  avouer  que  si  Duvergier  de  Hau- 
ranne  invoquait  journellement  dans  ses  prières  saint  François  de  Sales 
et  saint  Chantai,  la  mère  de  Chantai  n'avait  pas  tort  lorsque  prenant 
les  devants  elle  le  considérait  lui  aussi  comme  un  saint.  Il  y  aurait  loin 
de  ce  véritable  saint  à  l'intrigant  que  prétend  nous  montrer  à  l'œuvre 
le  nouvel  historien  de  Duvergier  de  Hauranne. 

A.  Gazier. 

Stewart  L.   Mims,  Colbert's   West  India    policy.  New   Haven,   Yale  University 
press  (Yale  Historical  studios,  t.  1),   1912.   In-S",  xiv-385  p.  Index. 

C'est  un  phénomène  curieux  que  l'intérêt  témoigné  depuis  quelque 
temps  par  les  Universités  américaines  pour  l'étude  des  origines  euro- 
péennes de  la  civilisation  du  Nouveau  Monde.  Voici  un  sujet  qui 
aurait  dû  tenter  un  de  nos  scholars^  puisque  les  documents  s'en  trou- 
vent en  France,  et  auquel  vient  d'être  consacré  le  premier  volume  de 
la  collection  historique  de  l'Université  Yale. 

M.  Stewart  L.  Mims  a  établi  avec  beaucoup  de  soin  la  bibliogra- 
phie de  son  sujet  (voy.  p.  341-364).  Il  ne  s'est  pas  contenté  de  la  por- 
tion des  Archives  coloniales  déposée  aux  Archives  nationales  ;  il  a 
utilisé,  dans  le  dépôt  de  la  rue  Oudinot,  les  fonds  Sénégal  et  Guyane 
de  la  série  C,  et,  dans  la  série  F,  les  documents  sur  les  compagnies. 
En  dehors  de  Paris,  il  a  surtout  fait  une  abondante  récolte  à  Nantes. 


I.  La  maison  de  Saint  Cyran  existe  encore,  suivant  toute  apparence;  elle  est 
dans  le  jardin  du  Luxembourg,  entre  l'Ecole  des  Mines  et  l'Orangerie  ;  c'est  une 
grande  construction  de  style  Louis  XIII  avec  une  énorme  toiture  en  tuiles  et  de 
hautes  cheminées.  Elle  était  bien  «  devant  les  Chartreux  >>,  et  on  la  distingue  très 
nettement  sur  les  plans  de  Gomboust  et  de  Turgot. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  429 

Il  a  pu  ainsi  construire  une  œuvre  en  grande  partie  neuve,  et  qui  sur 
certains  points  rectilie  les  assertions  de  Bonnassieux  et  de  Chemin- 
Dupontès. 

L'iiistoire  des  Antilles  françaises,  de  1664  à  1666,  apparaît  chez  lui 
comme  étant  essentiellement  l'histoire  des  révoltes  de  la  population 
contre  le  monopole,  qui  se  montre  incapable  de  satisfaire  aux  besoins 
les  plus  urgents.  Il  y  aura  encore  une  révolte  à  Saint-Domingue  en 
1670  :  les  habitants  voulaient  bien  obéir  au  roi,  non  à  la  Compagnie, 
et  réclamaient  le  droit,  pour  ne  pas  mourir  de  faim,  de  commercer 
avec  les  Hollandais.  Le  régime  des  compagnies  (du  moins  dans  les 
pays  à  population  européenne  comme  les  Antilles)  produit  donc  dès 
ses  débuts  des  résultats  absolument  néfastes. 

Colbert  est  amené  lui-même  à  restreindre  le  monopole  de  la  Com- 
pagnie, pour  sauver  au  moins  Tessentiel  du  système  :  réserver  aux 
seuls  Français  le  commerce  des  îles.  Dès  1668,  il  ouvre  une  brèche 
dans  la  muraille  de  l'exclusif,  sans  qu'on  puisse  noter  chez  lui  (M.  M. 
l'indique  très  finement)  un  changement  de  principes,  mais  seulement 
des  tâtonnements,  qui  s'expliquent  par  les  leçons  de  l'expérience.  De 
plus  en  plus  il  établit  la  liberté  commerciale  entre  Français,  en  res- 
treignant le  rôle  de  la  Compagnie  à  l'importation  des  esclaves,  du 
bétail,  des  salaisons.  Après  dix  ans  d'essais  infructueux,  la  Compa- 
gnie est  mise  en  liquidation,  et  seul  le  trafic  des  esclaves  échappe  au 
commerce  libre. 

Ce  commerce  libre  est  d'ailleurs  soumis  aux  règles  générales  du 
pacte  colonial.  Le  monopole  du  tabac  ruine  cette  culture  à  Saint- 
Domingue.  Pour  le  sucre,  au  contraire,  la  mission  de  Patoulet  en 
1679  a  pour  résultat  la  création  de  raffineries  dans  les  îles  mêmes. 
Les  colons  s'enrichissent  du  produit  du  rafîinage,  et  accroissent  ainsi 
leur  capacité  d'achat  des  produits  français.  Va-t-on  persévérer  dans 
cette  tentative  d'une  saine  économie  coloniale  ?  Hélas  !  Colbert  est  le 
prisonnier  des  rafïineurs  de  France  :  en  1682,  il  impose  un  droit  de 
S  fr.  par  quintal  de  100  1.  sur  les  rafîinés  coloniaux  (le  double  du 
droit  sur  les  sucres  bruts)  ;  en  1684,  il  prohibe  l'établissement  des 
raffineries,  malgré  les  protestations  de  Patoulet. 

Il  essaie  vers  1670  de  créer  un  commerce  intercolonial  en  faisant 
des  Antilles  un  marché  pour  les  cultures  vivrières  du  Canada,  mais  le 
Canada  n'est  alors  ni  un  producteur  suffisant  de  céréales  et  ie  bes- 
tiaux, ni  un  consommateur  suffisant  des  produits  des  tropiques.  Col- 
bert ne  réussit  pas  à  exclure  des  Antilles  le  bœuf  salé  irlandais. 

M.  M.  nous  paraît  indulgent  pour  Colbert  considéré  comme 
«  ministre  des  colonies  ».  Il  estime  que,  malgré  tout,  l'existence 
décennale  de  la  compagnie  a  favorisé  le  commerce  français  aux 
Antilles  contre  le  commerce  hollandais.  Il  constate  cet  heureux  résul- 
tat d'ensemble  :  plus  de  200  vaisseaux  français  abordant  annuelle- 
ment aux  Iles,  et  ce   trafic  contribuant  à  l'essor  de    Rouen,  de  Bor- 


43o  REVUE    CRITIQUE 

deaux,  de  Nantes.  M,  M.  ne  nous  en  donne  pas  moins  d'excellentes 
raisons  de  renoncer  à  la  légende  d'un  (2<)lbert  génial,  embrassant 
d'un  coup  d'œil  la  France  et  le  monde.  Ce  fui  un  bon  commis,  appli- 
que et  tCtu. 

Henri  Hausi.r. 


Edgard  DicpiTRE.La  toile  peinte  en  France  au  XVIII'  siècle.  Industrie,  com- 
merce, prohibitions.  Paris,  .Mnrcel  Rivière  et  C"  (Bibliothèque  d'histoire  éco- 
nomique), 1912.   lii-8°,  XV11-271  p.  4  gr.av.  dont  une  en  couleurs. 

L'  «  affaire  des  toiles  peintes  »,  qui  aboutit  à  l'édit  libérateur  du 
5  septembre  lySg,  est  un  des  faits  essentiels  de  l'histoire  économique 
du  xviii*  siècle.  Mais  si  l'on  en  a  retracé  très  souvent  les  derniers  épi- 
sodes, et  la  guerre  de  plume  qui  la  termina,  on  en  connaît  moins  bien 
les  origines,  qui  remontent  à  l'arrct  prohibitif  du  20  octobre  1686. 

M.  Depitre  a  retracé  cette  histoire  en  historien,  depuis  cet  arrêt 
jusqu'au  traité  de  1786  —  car  il  y  eut  un  refour  offensif  de  la  légis- 
lation prohibitionniste  en  1785.  Son  information  est  étendue  ;  on  la 
souhaiterait  cependant  plus  complète.  Bien  que  la  question  des 
étoffes  de  l'Inde  ne  soit  qu'une  partie  de  son  sujet,  il  est  regrettable 
qu'il  n'ait  pu  consulter  les  Archives  des  colonies  '.  On  s'étonne  qu'il 
n'ait  rien  demandé  à  Du  Fresne  de  Francheville,  ni  à  toute  la  littéra- 
ture relative  à  la  Compagnie  des  Indes  \  Je  crois  également  que  le 
fonds  Fm  de  la  Bibliothèque  nationale  aurait  dû  être  dépouillé. 

M.  D.  montre  fort  bien  que  le  problème  est  double.  La  législation 
inaugurée  en  i68ô  prohibe  à  la  fois  Vimportation  des  toiles  peintes 
d'Orient,  ou  indiennes  — ce  qui  est,  en  somme,  conforme  à  la  doctrine 
mercantiliste  —  et  \a,  fabrication  en  France  des  toiles  imprimées,  ou 
même  «  teintes  à  la  réserve  ».  Cette  dernière  interdiction  semble  un 
désaveu  de  la  politique  industrielle  de  Colbert.  M.  D.  recourt,  pour 
l'expliquer,  à  une  hypothèse  qui  nous  paraît  des  plus  risquées  :  dans 
le  préambule  de  l'arrêt,  il  démêle  «  une  allusion  voilée  et  confuse  »,  à 
l'exode  protestant .  Louvois  aurait,  en  rejetant  sur  les  toiles  peintes 
la  responsabilité  de  la  ruine  des  manufactures,  cherché  à  dissimuler 
les  difficultés  économiques  nées  de  la  Révocation  :  «  Il  était  plus 
politique  d'incriminer  la  toile  peinte  »  '.  Outre  que  cette  conjecture 
ne  s'appuie  que  sur  des  textes,  d'ailleurs  peu  probants,  de  1756  et 
1769,  elle  se  heurte  à  cette  objection  que  la  prohibition  n'est  pas  un 
fait  spécial  à  la  France  :  on  la  retrouve  non  seulement  en  Espagne  (où 
elle  peut  s'expliquer  par  l'imiiation  de  la  France^  mais  en  Prusse,  en 
Angleterre.  La  vraie  raison  est  que  l'on  reproche  à  l'industrie  de  l'im- 

1.  Le  ïonàs  Inde  est  resté  en  entier  rue  Oudinot. 

2.  Parmi  les   modernes,  i!  connaît  Kaeppelin,  mais  pas  Weber. 

3.  P.  29,  M.  D.  risque  une  autre  conjecture  :  cette  industrie  déplaisait  à  Lou- 
vois, en  tant  qu'industrie  protestante.  Mais  combien  d'industries  étaient  dans  le 
même  cas  .'Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  la  Révocation  a  transféré  l'impression  des 
toiles  à  l'étranger,  surtout  en  Suisse. 


d'histoire    et   de    LITTERATURE  4?  I 

pression  des  toiles  :  i''  de  faire  tort  aux  industries  textiles  déjà  exis- 
tantes; 2°  d'employer  tiop  peu  de  main-d"(BUvre  ;  3"'  de  n'ajouter  à  la 
matière  première,  sous  forme  de  travail  national,  qu'une  très  faible 
valeur  supplémentaire. 

Contre  cette  double  prohibition  vont  agir  trois  forces  :  i°  la  con- 
trebande, favorisée  par  l'existence  des  ports  francs  et  des  provinces 
réputées  étrangères.  Contrebande  à  main  armée,  illustrée  par  les 
exploits  de  Mandrin;  2°  les  progrès  de  l'industrie  du  coton,  qui  a 
besoin  de  trouver  un  débouché  pour  ses  produits;  3°  les  perfection- 
nements de  la  technique,  qui  permettent  d'abord  à  nos  toiles  teintes 
à  la  réserve,  puis  à  nos  toiles  imprimées,  de  rivaliser  avec  l'Orient  et 
avec  l'étranger,  l^a  mode  s'en  mêlant,  la  controverse  s'engage,  et 
devient  très  vite  une  bataille  générale  entre  la  réglementation  et  l'éco- 
nomie libérale.  M.  D.  retrace  les  hésitations  du  Conseil  du  com- 
merce, qui  abandonne  peu  à  peu,  et  par  fragments,  l'idéal  réglemen- 
taire. La  victoire  de  ijSg  n'est  donc  pas  l'œuvre  personnelle  et 
exclusive  de  Gournay  (dont  des  Cilleuls  a  eu  tort,  cependant,  de  nier 
le  mérite)  ou  de  tel  autre;  elle  s'annonce  dès  1746  au  moins. 

Quant  au  retour  momentané  à  la  prohibition  de  l'importation  en 
1785,  M.  D.  démontre  victorieusement  qu'il  ne  faut  pas  y  voir,  en 
dépit  des  apparences,  une  mesure  prohibitionniste.  C'est  un  moyen 
d'exercer  une  pression  sur  l'Angleterre,  pour  l'amener  à  traiter  avec 
nous.  —  On  regrette  d'avoir  à  relever  dans  cet  ouvrage  les  traces 
d'une  rédaction  hâtive  '. 

Henri  Hauser. 

Fagqet  (Emile), Rousseau    penseur,    Paris,    Société  franc,  d'impr.    et    de    libr., 
[1912].  In-80408  p.  3  t'r.  5o. 

M.  F.  a  pour  Rousseau  une  évidente  sympathie  :  voici  le  4*  volume 
qu'il  lui  consacre  et  un  5=  est  en  préparation.  Il  y  a  en  effet  entre  lui 
et  J.-J.  une  analogie  qu'il  serait  indiscret  mais  intéressant  d'appro- 
fondir. Comme  Rousseau,  ce  bourreau  du  travail  n'aime  pas  le  travail 
obligatoire,  les  études  régulières  ;  le  commerce  du  monde  lui  agrée 
encore  moins  qu'à  Rousseau  et  la  profession  de  littérateur  lui  inspire 
tout  aussi  peu  d'estime.  Il  y  a  seulement,  sur  ce  dernier  point,  une 
ditîérence  :  pour  J.-J.,  la  littérature  ce  sont  les  écrivains  de  son  temps, 
Voltaire  et  sa  livrée;  c'est  d'après  eux  qu'il  se  forme  l'idée  d'une  gent 
libertine  et  intrigante;  au  fond,  il  est  vraisemblable  que  la  m.ésestime 
de  M.  F.  pour  la  littérature  vient  de  ce  qu'il  a  vu  jadis  de  près,  comme 
critique  dramatique,  l'immoralité  des  productions  de  notre  temps; 
mais  jamais  il  n'attaque  le  théâtre  ni  le  roman  contemporains  ;  il 
aime  mieux  dire  que  la  littérature  est  essentiellement  corruptrice  et, 

I.  La  correction  des  épreuves  a  été  rapide  :  p.  xv,  Gal[l]iéra  ;  ib.,  groufli  (encore 
p.  23)  et  modeine,  pour  gvowtli  et  modem:  Ncii/chàtcl  pour  Ncucliâtel;  constam- 
ment Koeppelin  pour  Kaeppelin. 


^32  REVUE    CRITIQUE 

quand  il  en  veut  donner  un  exemple,  il  va  le  prendre,  on  s'en  sou- 
vient, dans  Molière  et  non  dans  Zola.  Dur  et  avec  raison  pour  nos 
poliiicicns,  dur  et  jusqu'à  l'injustice  pour  le  monde  enseignant  de 
notre  époque,  il  s'amuse  à  noire  littérature  d'imagination,  et  fait 
pénitence  sur  le  dos  de  Voltaire  au  lieu  de  combattre  des  corrupteurs 
plus  récents  et  par  suite  plus  bas,  plus  dangereux  pour  le  public. 

Cette  sympathie  pour  Rousseau  aide  M.  F.  à  démêler  ce  qu'il 
appelle  avec  hardiesse  son  exquis  bon  sens  et  le  lui  exagère.  Parce 
que  J.-J.  a  donné  quelquefois  d'excellents  conseils  et  mis  en  garde 
contre  ses  propres  doctrines,  il  ne  faudrait  pas  appeler  bon  directeur 
de  conscience  et  mettre  sur  la  ligne  des  François  de  Sales  et  des 
Fénélon  (p.  119- 120,  121,  212)  un  homme  qui,  même  dans  ses  meil- 
leurs moments,  flatte  l'orgueil  d'une  femme  pour  l'amener  à  vivre 
avec  elle-même  (p,  97),  qui  admire  les  voluptueux  calculs  de  la  sagesse 
de  Julie,  et,  de  l'aveu  de  M.  F.  a  connu  toutes  les  morales  sauf  celle 
du  devoir  (p.  io5),  c'est-à-dire  la  seule  véritable.  M.  F",  aurait  même 
pu  faire  remarquer  que  la  chimère  des  moralistes  d'aujourd'hui  qui 
croient  qu'une  bonne  législation  suffirait  à  préserver  du  vice  est  en 
germe  dans  l'arrangement  des  circonstances  extérieures  que  Rousseau 
n'a  d'ailleurs  pas  tort  de  recommander  à  l'individu. 

M.  F.  distingue  en  Rousseau  deux  hommes,  le  vrai  qui  est  d'une 
indépendance  farouche  et  anarchique,  l'autre  qui  est  volontiersdespote 
mais  n'apparaît  qu'à  certains  jours  :  ainsi  le  Contrat  Social  ne  serait 
qu'une  œuvre  de  jeunesse,  l'Emile  qu'une  opinion  accidentelle.  Certes 
J.-J.  s'est  contredit  souvent  ;  mais  les  deux  hommes  n'en  faisaient 
qu'un.  Un  anarchiste  est  un  despote  :  détruire  la  maison,  n'est-ce 
pas  une  manière,  et  la  pire,  d'y  faire  la  loi  ?  M.  F.  avoue  que  la  haine 
du  catholicisme  est  au  fond  même  du  cœur  de  Rousseau  (p.  36o  sqq)  ; 
il  aurait  pu  ajouter  que  Rousseau  la  porte  au  point  d'invoquer  contre 
les  catholiques  (p  367)  l'odieux  argument  qu'il  leur  reproche  à  bon 
droit  (p.  357)  d'invoquer  contre  les  hérétiques.  Au  surplus,  M.  F.  a 
parfaitement  montré  (p.  346)  que  Rousseau  ne  sait  même  pas  ce  que 
c'est  que  la  liberté. 

Il  taxe  Voltaire  d'étourderie,  mais  n'est-ce  pas  une  terrible  étour- 
derie  que  celle  de  J.-J.  revendiquant  les  droits  du  citoyen  sans 
s'être  demandé  qui  doit  être  citoyen,  de  sorte  qu'il  faut  toute  la 
dialectique  de^M.  F.  pour  établir  que  Rousseau  n'est  pas  réellement 
démocrate  et  ne  réclame  pas  le  suffrage  universel  ?  Rousseau  était-il 
même  complètement  sincère  ?  Aimait-il,  autant  qu'il  le  disait,  la  vie 
indépendante?  M.  F.,  par  instants,  montre  bien  que  non;  mais  il 
laisse  passer  (p.  321-2)  la  désinvolture  avec  laquelle  J.-J.,  dans  une 
même  année,  glorifie  et  nie  Tàge  d'or. 

Tout  cela  n'empêche  pas  le  livre  d'être  plein  de  vues  pénétrantes  : 
M.  F.  marque  comme  personne  les  effets  du  remords  chez  Rousseau, 
l'accent  que  ses  conseils  en  acquièrent  (p.  21,  22-3)  ;  il  montre  vigou- 


d'histoire  et  de  littérature  433 

reusement  que  le  communisme  exclut  la  fraternité  ip.  3io),  et  toute 
sa  partialité  pour  son  auteur  ne  l'empêche  pas  de  réduire  sa  bonté  à 
n'être  pas  méchant.  On  remarquera  aussi  la  finesse  des  discussions 
par  lesquelles  il  établit  la  date  de  quelques  ouvrages  de  Rousseau  ; 
il  eût  été  le  plus  sagace  des  érudits  si  la  nature, ne  l'avait  destiné  à  être 
le  premier  critique  de  sa  génération.  Même  quand  on  ne  se  rend  pas  à 
ses  idées,  on  se  rend  à  son  style  plein  d'éclat  et  d'imprévu.  Qu'on  me 
permette  d'en  donner,  pour  finir,  un  exemple  inédit  :  «  Tu  as  bien 
raison  »  écrivait-il  récemment  à  un  ami,  «  de  me  reprocher  d'avoir 
qualifié  Voltaire  de  scélérat.  Que  veux-tu  ?  Vn  mot  plus  fort  m'a 
manqué  ». 

Charles  Dejob. 

Daniel  DicLAFARGE.La  Vie  et  l'Œuvre  de  Palissot  (1730-1814).  Paris,  Hachette, 

1912,  in-80,  pp.  21  et  534.  Fr.   10. 
—  L'Affaire  de  1  abbé  Morellet  en  1790.  Ibid.,  1912,  in-S»  p.  79. 

I.  M.  Delafarge  qui  ne  s'est  fait  aucune  illusion  sur  l'originalité  de 
Palissot,  lui  a  consacré  néanmoins  une  longue  et  consciencieuse 
étude.  Il  a  jugé  que  si  l'œuvre  même  de  l'écrivain  est  médiocre, 
froide  et  justement  oubliée,  le  bruit  qu'elle  fit  et  la  lutte  contre  l'En- 
cyclopédie qu'elle  symbolisa  pour  les  contemporains  méritaient 
qu'elle  fût  attentivement  examinée.  On  donnera  raison  à  l'auteur  et 
on  lui  saura  gré  d'avoir  jugé  Palissot,  impartialement,  sans  l'accabler 
d'une  trop  facile  sévérité. 

M.  D.  a  suivi  en  neuf  chapitres  simultanément  l'homme  et  l'écri- 
vain dans  une  longue  carrière,  s'arrêtant  surtout  aux  œuvres  de 
théâtre  ou  de  critique  qui  engagèrent  Palissot  dans  des  querelles  où 
les  déboires  ne  lui  furent  pas  épargnés,  mais  dont  sa  vanité  retira 
de  larges  satisfactions.  Il  débute  en  1-53  dans  sa  comédie  des 
Tuteurs  par  des  allusions  à  Rousseau.  11  n'avait  encore  effleuré  que 
le  musicien  ;  dans  le  Cercle  il  s'en  prit  au  philosophe  qu'il  accusait 
d'insincérité.  Rousseau  dédaigna  le  trait  et  pardonna  généreusement. 
Le  satirique,  impatient  de  notoriété,  s'était  attaqué  presque  en  même 
temps  aux  théories  dramatiques  de  Diderot  qui  répliqua  ou  fit  répli- 
quer verteinent  par  Grimm  '.  Palissot  profita  alors  d'une  conjoncture 
favorable  pour  jouer  avec  plus  d'éclat  son  rôle  d'adversaire  de  la  phi- 
losophie qui  ne  pouvait  être  bien  sincère  pour  un  ami  aussi;  déclaré 
de  Voltaire.  Le  parti  de  l'Encyclopédie  était  assez  mal  vu  du  pouvoir 
pour  que  la  comédie  des  P/zf/o^o/^/ie^  bénéficiât  de  cette  hostilité.  La 
pièce  eut  un  vif  succès  et  le  scandale  se  prolongea  dans  une  longue 
polémique  que  M.  D.  nous  présente  en  détail.  Mais  la  défaveur  du 
parti  ne  dura   pas,  et  ce  revirement  de  l'opinion  publique  et  du  gou- 

I.  Le  calembour  allemand  sur  le  nom  de  Palissot,  ce  libraire  ingénieur  de  Liège 
baptisé  Bleichnarr,  est  aussi  uu  petit  argument  en  faveur  d'une  collaboration  de 
Grimm. 


434  REVUE    CRITIQUE 

verncment  ne  laisse  pas  de  paraître  assez  brusque;  il  est  vrai  qu'il  ne 
s'at^issaii  que  d'une  brouille  passagère,  comme  l'auteur  a  tenu  à  le 
souligner  par  les  conclusions  de  sa  thèse  complémentaire.  Palissot  vit 
donc  sa  pièce  suivante  des  M^/7r/'5e5  (1762),  nouvelle  adaptation  des 
Méncchmcs,  tomber  à  plat,  la  cabale  aidant  ;  quand  il  voulut  en  1764 
publier  sa  satire  terne  et  lourde  de  la  Duuciade,  qu'il  ne  se  lassera  pas 
d'amplifier  et  de  rééditer,  le  parti  fit  interdire  le  livre  et  exiler  l'au- 
teur. Il  emptîcha  aussi  la  représentation  des  nouvelles  comédies  de 
V Homme  dangereux  et  des  Courtisanes  ;  elles  ne  virent  la  scène  que 
beaucoup  plus  tard  et  modifiées  par  l'auteur.  Palissot  d'ailleurs 
s'efforça  de  se  rapprocher  des  Encyclopédistes;  sauf  pour  Diderot  et 
Marmontel,  il  atténua  beaucoup  de  ses  sévérités  passées  et  protesta  de 
son  admiration  pour  Rousseau  que  le  public  s'obstinait  à  identifier 
avec  le  Crispin  de  la  comédie  des  Philosophes,  marchant  à  quatre 
pattes  et  dévorant  une  laitue.  Ce  changement  d'attitude  ne  fut  pas  la 
seule  évolution  de  Palissot;  M.  D.  nous  le  montre  pendant  la  Révo- 
lution étalant  son  civisme  et  s'associant  aux  théophilanthropes  pour 
fonder  une  religion  épurée,  puis  sous  l'Empire  faisant  sa  cour  à 
Napoléon.  A  côté  de  ses  satires  et  de  ses  comédies,  ses  diverses 
œuvres,  comme  elles,  sans  cesse  rééditées  et  remaniées,  d'ailleurs 
souvent  simples  opuscules,  ont  été  étudiées  à  mesure  de  leur  appari- 
tion, confrontées  avec  les  jugements  de  la  critique  contemporaine  et 
suivies  dans  leurs  transformations;  la  valeur  de  son  édition  de  "Vol- 
taire a  été  aussi  exactement  appréciée.  Palissot  dont  la  critique  est 
souvent  superficielle  et  la  satire  rarement  exempte  de  prévention,  a  eu 
la  bonne  fortune  de  rencontrer  un  juge  de  l'attention  la  plus  scrupu- 
leuse, qui  ne  s'est  pas  lassé  de  réunir  et  de  discuter  toutes  les  pièces 
(les  documents  inédits  n'y  manquent  pas)  de  ses  longs  procès  litté- 
raires. Le  personnage  reste  mince,  malgré  son  débordant  amour- 
propre;  mais  le  débat  méritait  d'être  étudié  et  nous  devrons  à  M.  D. 
de  le  mieux  connaître  '. 


II.  Un  épisode  de  l'abondante  polémique  engagée  autour  de  la 
comédie  des  Philosophes  a  fourni  à  M.  D.  le  sujet  de  sa  thèse  complé- 
mentaire. Il  y  étudie  à  l'aide  de  documents  nouveaux  que  n'avait  pas 
connus  Delort,  le  dernier  historien  de  la  détention  des  philosophes  à 
la  Bastille,  les  raisons  de  l'arrestation  de  l'abbé  Morellet,  auteur  de  la 
Vision  de  Charles  Palissot,  et  celles  de  sa  libération  après  sept 
semaines  d'nne  captivité  sans  rigueur.  Avec  les  mêmes  qualités  de 
précision  et  de  prudence  qui  distinguent  sa  thèse  principale  M.  D.  a 
complété  et  rectifié  le  récit  que  nous  fait  Morellet  dans  ses  Mémoires 
de  ce  moment  de  son  existence.  Le  libelle  fut  uniquement  poursuivi 


I.  Puisque  M.  D.  cite  souvent  le  témoignage  de  Gœthe,  je  lui  signale  l'excellente 
étude  de  R.  Schlôsser  [Rameaus  Nejffe,  Berlin,  1900)  sur  la  traduction  annotée  que 
donna  Gœthe  du  dialogue  ;  il  y  est  abondamment  question  de  Palissot. 


b'mSrOlRh,    ET     UlC    LITTI-.RAIURK  4'3  5 

pour  les  injures  qu'il  contenait  CMuire  la  princesse  de  Robecq  ;  le 
piquant,  c'est  que  Malesherbes  qui  avait  reçu  l'aveu  du  coupable,  ne 
lit  rien  pour  le  faire  punir  et  s'employa  a  le  détendre,  après  avoir 
réclamé  quelques  jours  auparavant  du  lieutenant  de  police  les 
mesures  les  plus  sévères  contre  l'auteur  inconnu  du  factum.  Parmi 
les  hautes  interventions  qui  hâtèrent  la  mise  en  liberté  de  l'abbé,  il 
faut  mettre  en  première  ligne  celle  de  M""=  de  Luxembourg,  sollicitée 
par  Rousseau,  dont  Morellei  eut  le  tort  de  chercher  à  diminuer  les 
amicales  démarches.  Toute  cette  discussion  est  très  bien  conduite  et 
l'appendice  donne  les  pièces  qui  manquent  dans  le  dossier  réuni  par 
Delort. 

L.    RoUSTAiN. 


F.   DuiNK.   La   Mennais.  L'Homme  et  l'écrivain.  Pa^es  choisies.  Paris-Lyon. 

Emmanuel  N'itlc,  1912,  in-4",  34.S  p. 

Présentées  par  un  menaislen  aussi  distingué,  aussi  renseigné  que 
l'abbé  Duine,  ces  Pages  choisies  ont  d'abord  le  mérite  d'avoir  eu 
pour  les  trier  et  les  ordonner  un  écrivain  qui  a  lu  et  relu  l'œuvre 
entière  de  La  Mennais,  et  même  les  diverses  éditions  de  l'œuvre 
entière.  Pour  qui  connaît  cette  œuvre  considérable,  c'est  un  plaisir  de 
retrouver  ici  les  passages  qu'il  remarqua  ou  aurait  du  remarquer,  et 
il  garde  à  M.  D.  une  reconnaissance  analogue  à  celle  du  voyageur  qui 
arrive  au  faite  d'une  montagne  découvre  une  table  d'orientation.  Les 
Pages  choisies  de  La  Mennais  nous  font  songer  aux  Pages  choisies 
de  Chateaubriand  par  Victor  Giraud  '  qui  vit  dans  la  familiarité  de 
Chateaubriand  comme  M.  D.  dans  celle  de  La  Mennais.  Les  éditeurs 
se  décideraient-ils  à  ne  plus  demander  des  extraits  tju'à  ceux-là  qui 
sont  qualihés  pour  les  faire? 

Mais  nous  ne  signalons  pas  à  la  Revue  critique  l'ouvrage  de  M.  D. 
pour  la  seule  valeur  des  extraits;  nous  le  signalons  surtout  pour  son 
caractère  scientifique.  L'on  y  rencontrera  certains  renseignements 
qu'on  chercherait  vainement  ailleurs.  C'est  ainsi  que  le  livre  com- 
mence par  une  iconographie  et  une  bibliographie.  L'appendice  con- 
tient le  premier  testament  de  La  Mennais  (pièce  inédite);  des  notes 
précieuses  sur  les  dates  de  sa  première  communion  et  de  ses 
ordinations. 

Une  biographie  —  de  la  naissance  à  la  prêtrise;  les  années  de 
sacerdoce;  de  la  séparation  à  la  mort  —  apparaît  rigoureusement 
exacte,  et,  malgré  sa  sobriété,  vivante  et  attachante  ".  Indomptable  et 
aimant  à  s'exténuer  de  fatigue,  ayant  d'autre  part  «  une  passivité 
d'àme  mystique  et  faible  »   (p.  27);  un   instant  amoureux  et   roma- 

1.  Chateaubriand.  Pages  choisies  par  Victor  Giraud.  Hachette,  igii. 

2.  Cf.  enfance  de  Feli,  p.  22;  la  vie  à  la  Chênaie,  p.  34;  La  Mennais  et  Béran- 
ger,  p.  5i  ;  mort  de  L.  M.  p.  Sg. 


436  REVUE    CRITIQUE 

nesquc,  détendant  parfois  ses  nerfs  fatigués  dans  les  éclats  saccadés 
d'un  rire  convulsif  et  l'élan  d'une  gaieté  qui  allait  jusqu'à  la  plaisan- 
terie rabelaisienne;  secoué  par  des  colères  subites;  passant  avec  ses 
élèves  de  l'expansion  à  l'indifférence,  du  monologue  fougueux  au 
silence  tenace  —  «  les  excès  de  son  affection  ne  duraient  pas,  s'ils 

n'étaient  point  entretenus  par  le  charme  de  l'absence »  (p.  40)  — 

tantôt  enlevant  sa  longue  redingote  grise  pour  jouer  aux  barres  ou 
grimper  à  un  frêle  peuplier,  et  tantôt  se  jetant  avec  une  sorte  d'anéan- 
tissement sur  le  parquet  sonore  de  la  chapelle;  unissant  les  accents 
de  la  fureur  à  ceux  de  la  tendresse;  charitable  et  parfois  étrangement 
économe;  ayant  toujours  le  besoin  de  fuir  p.  55);  éperonné  par  le 
désir  de  faire  vite,  —  quod  facis  fac  citius,  était  sa  devise  (p.  42)  — 
douée  d'un  orgueil  exigeant  et  aussi  d'une  imagination  maladive  qui 
défigurait  les  hommes  et  les  époques  (p.  145),  tel  est  le  La  Mennais 
que  nous  présente  M.  D.;  et  l'on  comprend  qu'avec  cette  nature  exal- 
tée et  instable,  quand  il  se  heurta  au  Saint-Siège,  il  ne  put  se  ressai- 
sir. «  Atteint  dans  son  rôle  de  pasteur  des  peuples,  où  s'étaient  fon- 
dus en  une  flamme  de  gloire  son  orgueil  inflexible  et  sa  sensibilité 
suraigiie,  il  n'eut  pas  l'humilité  d'un  saint  ni  la  patience  d'un  grand 
politique  '  »  (p.  47). 

Les  notes  qui  accompagnent  les  extraits  doivent  être  remarquées. 
M.  Duine  le  plus  souvent  indique  les  variantes  des  éditions,  ce  qui 
permet  de  prendre  sur  le  vif  les  procédés  du  style  de  L.  M.  (Cf. 
p.  66).  Parfois  sont  citées  les  appréciations  contemporaines;  un 
article  de  Hugo  dans  la  Muse  française  [^.  jb]  un  compte  rendu  du 
Conservateur  littéraire  (p.  jj). 

Les  appréciations  personnelles  de  l'auteur  ont  un  rare  mérite.  Con- 
naissant l'œuvre,  la  vie  et  la  génération  de  L.  M.,  M.  D.  n'hésite  pas 
à  condenser  en  quelques  lignes  précises  un  résumé  de  ï Essai  (p.  3o), 
le  programme  de  V Avenir  (p.  5o);  une  déhnition  de  l'ultramonta- 
nisme  de  L.  M.  (p.  io5);  la  genèse  des  opinions  politiques  et  reli- 
gieuses de  L.  M.  (p.  106). 

Disons,  en  terminant,  que  le  monument  élevé  par  M.  D.  à  la  gloire 
de  L.  M.  ne  dissimule  point  à  ses  yeux  les  travaux  d'autrui.  C'est 
ainsi  qu'il  renvoie  «  à  l'admirable  bibliographie  épistolaire  que 
M.  Anatole   Feugère  a  jointe  à  son  volume,  —  volume  de  premier 

ordre,  —  intitulé  :  Lamennais  avant  VEssai  sur  V Indifférence »  Je 

pourrais  multiplier  les  preuves  de  cette  générosité,  j'en  ai  moi-même 
bénéhcié.  Qu'il  me  suffise  de  noter  ici  un  bel  exemple  de  charité 
littéraire. 

Marc  CiTOLEUx. 


1.  A  travers  toute  cette  biographie  apparaît,  à  peine  appuyé,  mais  très  sûr,  un 
parallèle  entre  les  deux  Malouins  Chateaubriand  et  La  Mennais,  particulièrement 
dans  leur  vieillesse.  Cf.  p.  52. 


d'histoire  et  de  littérature  437 

H.  WELSCHiNtiKR,  Bismarck  (1815-1898  .  Paris,  Alcan,  if)i2,   in-80,  xxviioGop. 

5  fr. 

M.  W.  a  publié  en  1902,  dans  la  petite  collection  in- 16  Ministres 
et  hommes  d'Etat,  une  courte  étude  sur  Bismarck  qui  est  aujour- 
d'hui épuisée.  Comme  depuis  dix  ans  un  grand  nombre  de  recueils 
de  documents  et  de  travaux  historiques  importants  ont  paru,  tels  par 
exemple  que  les  Mémoires  du  Prince  Clovis  de  Hohenlohe  où  l'im- 
portante biographie  de  Bismarck  (en  trois  volumes  in-8°)  due  à 
M.  Paul  Matter,  M.  W.  n'a  pas  cru  pouvoir  se  borner  à  rééditer, 
même  en  la  retouchant,  sa  première  étude.  11  l'a  retondue  et  aug- 
mentée de  plus  de  moitié,  en  y  ajoutant,  sous  forme  d'appendices, 
quelques  articles  publiés  par  lui,  à  différentes  époques,  dans  le  Jour- 
nal des  Débats  et  la  République  française.  Ce  n'en  est  pas  moins 
demeuré  un  ouvrage  de  haute  vulgarisation,  destiné  au  grand  public, 
et  dépourvu  de  tout  autre  appareil  d'érudition  qu'une  bibliographie 
sommaire.  M.  W.  y  a  développé  les  qualités  qu'on  lui  connaît,  et 
qui  assurent  le  succès  des  livres  de  ce  genre  :  clarté  de  l'exposition, 
emploi  des  procédés  descriptifs  et  pittoresques,  élimination  des 
détails  sans  intérêt  psychologique  ou  moral,  recherche  souvent  heu- 
reuse des  anecdotes  typiques  et  des  formules  frappantes. 

L'ouvrage  se  lit  aisément  ;  écrit  pour  ceux  à  qui  l'histoire  exté- 
rieure de  la  France  entre  i85o  et  1870  n'est  pas  encore  ou  n'est 
plus  familière,  il  a  les  plus  grandes  chances  de  laisser  à  ce  genre  de 
lecteurs  une  impression  vive  et  persistante.  Il  leur  donnera  sans 
doute  aussi  —  et  cela  est  infiniment  désirable  —  le  goût  d'étudier 
cette  partie  de  notre  passé,  d'en  pénétrer  davantage  les  détails  si  dra- 
matiques et  le  sens  profond.  A  cet  égard,  le  Bismarck  de  M.  W.  com- 
plète heureusement  sa  Guerre  de  iSjo. 

Dans  une  préface  assez  étendue,  l'auteur  a  cru  devoir  développer 
sa  conception  de  l'histoire.  Il  «  salue  en  elle  la  maîtresse  de  la  vie  », 
lui  demande  des  leçons  morales  autant  et  plus  que  politiques,  et  en 
profîtepour  dire  son  fait  à  la  «  jeune  et  détestable  école  »  de  l'histoire 
dite  scientifique.  Je  crains  qu'il  n'y  ait  là  quelque  injustice.  L'abus 
d'une  méthode  n'en  proscrit  pas  l'usage,  et  si  l'on  a  écrit,  ces  der- 
niers temps,  trop  de  livres  indigestes,  ennuyeux  et  mal  construits, 
c'est  souvent  faute  de  talent,  mais  c'est  aussi  par  une  réaction  néces- 
saire bien  qu'excessive  contre  le  genre  oratoire  qui  a  lui  aussi  ses 
inconvénients.  M.  W.  pour  son  compte  sait  s'arrêter  où  il  faut  dans 
l'emploi  de  la  rhétorique  ;  s'il  se  met  lui-même  en  scène  par  inter- 
valles, et  s'il  use  —  largement  —  des  procédés  tels  que  la  prosopopée 
ou  le  parallèle  à  la  Montesquieu,  du  moins  il  n'en  abuse  pas.  Mais 
d'autres  ont  été  moins  discrets,  et  ils  ont  créé  contre  cette  façon 
d'écrire  l'histoire  un  préjugé  tenace,  qu'il  sera  difficile  d'effacer.  Il 
est  bien  probable  que  là  comme  en  beaucoup  de  choses  in  média 
stat  virtus.   Préparer  son  livre  en  homme  de  science,  puis   l'écrire 


438  RKVUK    CRiriQl  K 

en  liomme  de  goùi,  c'csi  k-  mieux  assuronicni,  mais  c'est  le  plus  diffi- 
cile et  le  plus  rare  '. 

R.  G. 


Nevill  FoRBKs.  Tolstoï,   i  broch.  Oxford   i()ii.  '  sh. 

Ces  vingt-cinq  pages  sur  Tolstoi  contiennent  ce  qui  a  été  éciit  de 
plus  vrai,  de  plus  senti,  de  plus  juste  sur  le  grand  romancier.  On  se 
sent  en  présence  d'un  homme  qui  connaît  et  TolsKji  et  la  Russie,  et 
cela  repose  de  tous  ces  livres  vagues  et  artiriciels  qui  ont  paru  dans 
ces  dernières  années.  Chaque  ligne  de  cette  leçon  contient  une  idée, 
et  il  n'est  pas  un  mot  qui  soit  écrit  au  hasard.  On  aura  plaisir  à 
retrouver  ici  le  Tolstoi  vivant,  réel,  le  Tolstoï  russe,  que  ses  admi- 
rateurs ont  parfois  défiguré.  Cette  phrase  de  la  conclusion  ne  laisse 
aucun  doute  à  cet  égard  :  «  Tolstoi  possédait  tout  le  charme  et  toute 
la  terreur  des  éléments;  impulsif  et  allant  à  l'exirème,  il  n'a  jamais 
su  dominer  ses  instinctb;  il  n'a  jamais  eu  la  moindre  sensation  d'hu- 
mour: comme  une  hête  de  la  foret,  il  a  été  superbe  et  indevinablc  ». 

J.    Le  GRAS. 


—  Dans  une  collection  de  Quelle  et  Mcyer  à  Leipzig  (vol.  à  i  m.  25),  publiée  par 
le  privât  dozent  l'aul  Herre  (litre  :  Wissenscliaft  itnd  Bildung,  Ein^eldarsîeUiingen 
ans  allen  Gebieten  des  \\  issens)  vient  de  paraître  un  César  du  capitaine  G.  Veith, 
avec  portrait  et  groupe  de  petites  cartes.  L'inspiration  est  prise  délibérément  dans 
l'histoire  romaine  de  Moainisen.  Do  la  chaleur  et  des  idées;  mais  certainement 
trop  de  phrases,  et  je  crains  que  l'exposé  ne  reste  confus  pour  les  lecteurs  qu'il 
vise.  —  E.  T. 

—  Nous  avons  reçu  de  la  librairie  Niemeycr,  à  Halle,  un  livre  de  i56  p.  gr.  in-8°  : 
Zur  Gesdiiclitc  der  Rômisciten  Cciisur  du  Di-  Oscar  Leuze  à  Halle.  De  l'auteur  je 
connais  un  livre  sur  la  chronologie  romaine  (Tubingue,  1910);  plus  des  articles, 
dans  le  Philologits  et  dans  Klio,  sur  la  chronologie  romaine,  sur  les  questions 
touchant  à  la  première  guerre  punique,  légende  de  Métellus  l'aveugle,  l'annaliste 
Pison,  etc.  Le  sujet  ici  me  paraît  nettement  posé  :  il  s'agit  d'éclaircir  les  parties 
obscures  ou  contestables  de  l'exposé  magistral  de  Mommsen  sur  la  Censure.  Bonne 
table  des  matières  :  4  chapitres  :  intervalle  d'un  cens  à  l'autre;  divers  emplois  du 
mot  lustriini;  à  quelle  date  on  confia  au  censeur,  outre  la  confection  du  cens,  des 
fonctions  particulières;  durée  primitive  de  la  censure.  L'étude  est  très  soignée.  — 
É.  T. 

—  Les  vers  latins  fleurissent  toujours  en  Italie.  L'an  dernier,  un  concours  poé- 
tique avait  été  ouvert  pour  célébrer  l'anniversaire  de  la  fondation  de  Rome.  Le 
lauréat  ou  l'un  des  lauréats  a  été  le  professeur  de  Padoue,  M.  Pietro  Rasi  dont  j'ai 
signalé  plus  d'une  fois  les  publications.  Nous  avons  reçu  son  poème  en  distiques 
(164  V.).  A  côté  du  sujet  tout  indiqué  (description  de  la  Rome  primitive,  à  laquelle 

I.  Quelques  fautes  d'impression.  Il  faut  lire  Rosebery;  Sclilesivig  ou  Slesvig; 
farà  da  se  ;  Hamburger  Naclirichten,  au  lieu  de  Roseberrj-,  Schlesvig,  fara  da 
se,  Hamburger  Naclirichten.  11  est  parlé,  p.  232,  d'une  guerre /raHCO-rz/ssÊ"  dans  le 
sens,  un  peu  surprenant,  as  guerre  contre  la  France  et  la  Russie. 


d'histoire  et  de  littérature  439 

est  opposée  la  Rome  impériale,  puis  la  Rome  papale  sur  laquelle  M.  R.  passe  vite 
et  la  Rome  contemporaine),  on  trouvera  nommés  \'ictor  Emmanuel  et  Garibaldi  et 
tout  lecteur  notera  dans  le  poème  plus  d'un  vers  qui  mérite  d'être  goûté.  —  É.  T. 

—  J'ai  signalé  autrefois  des  recueils  de  conjectures  souvent  très  heureuses 
d'un  professeur  de  La  Haye,  M.  C.  Brakman  {Ammianea  et  AnuaaeiU,  Leyde, 
igog;  Annaeana  nova,  Velleiana,  Ad  scriptores  liist.  atig.,  Ad  Panegy^vicos 
latinos,  1910).  Cette  fois  le  savant  a  étendu  le  cercle  de  ses  lectures;  dans  les 
nouveaux  M'iscella  (Leyde,  Brill..  1012.  2  fr.),  les  passages  étudiés  sont  tirés 
d'Arnobe,  Valère-Maxime,  Florus,  Ovide,  Sénèque  le  tragique.  Suétone,  Minucius 
et  un  texte  de  l'Apologétique  de  TertuUien.  Tout  est,  comme  d'habitude,  très 
soigné  et  je  suis  moi-même  fort  étonné  d'avoir  à  relever  qu'il  faut  lire  p.  g  au 
milieu,  sur  IV,  37,  fin  de  la  première  phrase,  opinioH«Hi  ;  de  même  encore 
3  lignes  après.  —  É.  T. 

—  Un  professeur  de  l'Université  de  Yale,  le  D"  Mendell.  a  provoqué,  depuis  un 
an,  autour  de  lui,  des  études  sur  les  moyens  d'exprimer  la  suite  des  idées  chez 
les  historiens  latins.  En  191 1  a  paru  une  étude  de  M.  Clarence  W.  Mendell 
portant  sur  Tacite;  j'ai  le  regret  de  ne  pas  la  connaître.  Le  nouveau  livre  (Sentence 
connection  illustrated  chiely  from  Livy  by  Irène  Nye,  thèse  de  Yale,  1912,  191),  le 
texte  de  Tite-Live  (I,  XXI,  XXII  et  XXIII,  est  celui  de  Weissenborn  —  H.  J.  Muel- 
leri.  La  thèse,  à  part  les  préliminaires,  contient  deux  chapitres,  suivant  que  la 
liaison  est  marquée  par  une  répétition,  ou  suivant  qu'elle  n'est  exprimée  que 
d'une  manière  incomplète.  —  E.  T. 

—  M.Victor  Michels  a  publié,  voici  douze  ans,  un  Mittelhochdeutsches  Elemen- 
tarbitch  dans  la  collection  Germanische  Bibliothek  éditée  par  M.  Streitberg.  Une 
nouvelle  édition  de  ce  livre  est  devenue  nécessaire.  Elle  a  paru  récemment  (Hei- 
delberg,  Winter,  1912,  5  m.).  Les  mérites  de  la  i^"  édition,  qui  étaient  nombreux, 
se  retrouvent  dans  celle-ci,  avec  de  nouveaux.  Le  chapitre  relatif  à  la  syntaxe  a 
été  remanié  et  augmenté,  ainsi  que  celui  qui  a  trait  à  la  morphologie.  Le  débu- 
tant trouvera  ici,  présenté  sobremeut  et  clairement,  ce  qui  est  requis  pour  l'initia- 
tion rapide  à  la  grammaire  du  moyen-haut-allemand.  —  F.  P, 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  23  octobre  igi2. 
—  M.  le  marquis  de  Cerralbo,  membre  de  l'Académie  de  Madrid,  fait  une  com- 
munication sur  ses  fouilles  au  centre  de  l'Espagne,  en  pleine  Celtibérie,  qui  ont 
porté  sur  cinquante-deux  stations,  principalement  sur  celles  de  Torralba,  d'Agui- 
lar  d'Anguita  et  d'/Vrcobriga.  Les-  trouvailles  s'étendent  depuis  les  temps  préhis- 
torisques  jusqu'au  iii«  s.  p.  C.  —  M.  Salomon  Reinach  présente  quelques  obser- 
vations. 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  3o  octobre  jgi 2.  — 
M.  Edouard  Cuq  lit  un  mémoire  sur  une  Novelle  inédile  de  Justinien.  Cette 
Novelle,  que  vient  de  faire  connaître  un  papyrus  gréco-égyptien  du  Musée  du 
Caire,  publié  par  M.  Jean  Maspero,  est  relative  à  une  très  ancienne  institution  de 
la  Grèce,  sur  laquelle  on  ne  savait  rien  de  précis,  rà-rtoicf,pu^'.;.  Le  père  de  famille 
avait,  chez  les  Grecs,  le  droit  de  chasser  de  sa  maison  l'enfant  rebelle  à  son 
autorité  et  de  l'exhéréder.  Cette  institution,  qui  n'était  pas  en  harmonie  avec  l'or- 
ganisation de  la  puissance  paternelle  romaine  sous  l'Empire,  fut  proscrite  par 
Dioclétien.  Elle  persista  néanmoins  dans  les  pays  de  civilisation  grecque.  Justi- 
nien essaya  vainement  de  remettre  en  vigueur  le  rescrit  de  Dioclétien;  la  cou- 
tume fut  plus  forte  que  la  loi,  et  l'empereur  se  résigna  à  réglementer  une  ins- 
titution qu'il  n'avait  pu  supprimer.  Le  papyrus  du  Caire  contient  un  acte 
d'à-0/Cf,pj;i;,  rédigé  vers  l'an  539,  conformément  k  la  Novelle  de  Justinien.  L'acte 
devait  être  motivé  et  soumis  a  l'homologation  du  gouvernement  de  la  province 
après  une  enqucite  faite  par  le  défenseur  de  la  x()'>;j.r;.  Il  était  ensuite  notifié  au 
public  par  le  héraut  et  affiche  pendant  sept  jours  sur  la  place  publique.  L'acte 
était     irrévocable;    ses   effets    s'étendaient    aux   héritiers    éventuels   de     l'enfant 


440  REVUE    CRITIQUE    D  HISTOIRE    F.T    DE     LITTERATURE 

exclu  Ac  sa  famille.  —  MM.  Perrol  et  Théodore  Reinach  présentent  quelques 
ob.scivations. 

M.  le  comte  Bcgoucn  fait  une  coinniunicalion  sur  les  statues  d'argile  préhisto- 
riques de  la  caverne  de  Moutcsquicu-Avantès  (Ariègc).  —  M.  Salomon  Reinach 
insiste  sur  l'iinpurtance  exceptionnelle  de  ccili;  découverte  et  sur  les  moyens  de 
conserver  les  monuments  en  question. 

M.  lîabcloii  continue  la  lecture  de  son  mémoire  sur  .lunon  Moneta.  .Après  avoir 
démontré  que  cette  déesse  était  primitivement  une  divinité  italioïc  à  laquelle  les 
oies  du  (2apitole  étaient  consacrées,  il  réfute  l'opinion  récemment  émise,  suivant 
laquelle  le  mot  moueta  serait  la  iléformation  par  les  Romains  d'un  nom  carthagi- 
nois. C'est  au  contraire  la  vieille  déesse  italiote  Junon  Mfjncta  qui  donna  son  nom 
H  la  monnaie  parce  que  l'atelier  nu)néiaire  de  Rome  était  installé  dans  une  dépen- 
dance de  son  lemple.  hans  le  premier  siècle  de  IT^mpire  romain,  il  y  eut  deux 
ateliers  monétaires,  celui  de  Sénat  pour  le  bionze,  qui  demeura  au  Capitole,  et 
celui  de  rKmpcreur,  pour  l'or  et  l'argent.  Ce  dernier,  installe  dans  le  quartier  du 
mont  Cœlius,  était  sous  le  patronage  d'Apollon  Salutaris.  La  représentation  allé- 
gorique de  la  Monnaie,  à  partir  du  ii''  siècle  p.  C,  se  confond  avec  celle  d'^^i/ifti.v. 

A(:ADKMit;  Di:s  Inscru^tions  kt  Iîki.i.ks-Lkttrics.  —  Séance  du  S  novembre  igi2. 
—  M.  le  Secrétaire  perpétuel  donne  lecture  des  lettres  par  lesquelles  .VIM.  Paul 
Lejay,  Gustave  Glotz,  J.-R.  (Chabot,  Jean  Psichari,  Fr.  Thureau-Dangin  et  Léon 
Dorez  posent  leur  candidature  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par  suite 
du  décès  de  .M.  Philippe  Berger. 

M.  Cordier  annonce  le  retour  de  .M.  de  Gironcourt,  missionnaire  de  r.\cadcmie 
dans  le  Niger. 

M.  Homolle  communique  une  lettre  de  M.  Replat,  architecte  de  l'École  fran- 
çaise d'Athènes,  annonçant  la  découverte,  à  Delphes,  sur  l'emplacement  du  temple 
d'Athéna  Pronaia,  d'une  statue  archaïque  dite  de  la  Victoire.  La  trouvaille,  adve- 
nue à  l'ouverture  des  hostilités  en  Orient,  a  eu  un  grand  retentissement  à  Athènes 
et  dans  toute  la  Grèce,  comme  une  coïncidence  de  bon  augure.  Elle  n'est  pas 
sans  intérêt  archéologique.  La  figure,  qui  garde  encore  dans  l'attitude  et  la  drape- 
rie quelque  chose  de  la  raideur  archaïque,  rappelle,  à  part  la  ditTérence  du  style, 
l'iris  du  fronton  oriental  du  Parthénon.  C'est  comme  un  exemplaire  du  même 
type  antérieur  d'une  génération  environ. 

M.  .lullian  communique,  au  nom  de  MM.  Germain  de  Montauzan  et  Fabia,  pro- 
fesseurs à  l'Université  de  Lyon,  le  texte  et  le  commentaire  d'une  inscription 
récemment  découverte  à  Fourvière.  Datée  de  207  p.  C,  elle  fait  connaître  un 
vétéran  de  la  3o"=  légion  et  un  procurateur  impérial.  C'est  la  dédicace  d'un  petit 
autel  placé  dans  un  local  de  la  caserne  romaine,  la  schola  ou  salle  de  réunion  des 
optioites  ou  adjudants. 

M.  Bouchc-I,eclercq  fait  une  communication  sur  la  mort  d'Antiochus  lll  le 
Grand  et  la  tin  d'Antiochus  IV'  Epiphane.  —  M.  Théodore  Reinach  présente  quel- 
ques observations. 

M.  Jules  Toutain  expose  les  nouveaux  résultats  îles  fouilles  exécutées  sur  le 
Mont  Auxois  par  la  Société  des  sciences  de  Semur.  Les  fouilles,  que  dirige 
M.  V.  Pernet,  ont  mis  au  jour  une  construction  tout  à  fait  originale,  composée 
d'une  salle  rectangulaire  terminée  par  une  cella  et  renfermant  une  sépulture  de 
caractère  dolménique,  sépulture  qui  fut  probablement  transformée  en  lieu  de 
culte  à  la  fin  de  l'époque  gauloise  et  sous  l'Empire  romain.  Dans  un  angle  de 
cette  construction,  tout  près  de  la  sépulture  dolménique,  M.  V.  Pernet  a  découvert 
une  tète  en  bronze,  représentant  une  déesse,  Junon  ou  Diane,  de  caractère  et  de 
siyle  hellénique;  un  buste  en  bronze,  portrait  d'une  Gallo-romaine  du  1"  s.  p.  C, 
à  la  coitïure  très  curieuse,  etc.  Ces  bronzes  sont  dans  un  remarquable  état  de 
conservation.  —  MM.  Héron  de  ViUefosse,  Salomon  Reinach  et  CoUignon  présen- 
tent quelques  observations. 

L".\cadémie  procède  à  l'élection  de  deux  commissions,  chargées  de  dresser  :  la 
première,  une  liste  de  candidats  aux  places  vacantes  de  correspondants  étrangers  ; 
la  seconde,  une  liste  de  candidats  aux  places  vacantes  de  correspondants  fran- 
çais. Sont  élus,  pour  les  correspondants  étrangers  :  MM.  Senart,  Paul  Meyer, 
Alfred  Croiset  et  Collignon;  —  pour  les  corresp'ondants  français  :  MM.  Meyer, 
Héron  de  Villefosse,  Salomon  Reinach  et  Antoine  Thomas. 

L'Académie  a  décidé  de  proposer  pour  le  prix  ordinaire  à  décerner  en  igiS  le 
sujet  suivant  :  Le  genre  épistolaire  clie^  les  Assyro-Babyloniens  depuis  les  origines. 

Pour  le  prix  extraordinaire  Bordin  à  décerner  en  n)[5,  l'Académie  a  décidé  que 
le  prix  sera  décerné  à  un  ouvrage  imprimé  relatif  aux"  études  orientales;  de  même 
pour  le  prix  Delalande-Guérineau,  à  décerner  en  1914. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur-gératit  :  Ulysse  Rouchon. 

LE  PUY-EN-VELAV.   —  IMPRIMERIE  PEYRILLER,    ROUCHON  ET  GAMON. 


REVUE     CRITIQUE 


D'HISTOIRE     ET      DE     LITTÉRATURE 


N»  49  —  7  décembre  —  1912 


L.  Lkvy,  Le  Qoheleth.  —  Saintyves,  Les  reliques  et  les  images  légendaires.  — 
Rusii.LON,  Le  Tromba.  —  Eludes  offertes  à  C.  Robert.  —  Cézard,  Métrique 
sacrée  des  Grecs  et  des  Romains.  —  Struck,  Mistra.  —  Drouet,  L'abbé  de  Saint 
Pierre.  —  Abry,  Audic  et  Crouzet,  Histoire  illustrée  de  la  littérature  française. 
—  Wright,  Histoire  de  la  littérature  française.  —  P.adovani,  Littérature  fran- 
çaise. —  CuRY  et  Bœrner,  Histoire  de  la  littérature  française,  2*  éd.  —  Flake, 
Le  roman  français  et  la  nouvelle.  —  May,  La  lutte  pour  le  français  en  Lorraine 
avant  1870.  —  R.  Imulmann,  Johannes  Bramis.  —  Kraus,  Exercices  en  moyen- 
haut-allemand.  —  ViETOR,  La  prononciation  allemande.  —  Publications  Scandi- 
naves. —  Académie  des  inscriptions. 


Das  Buch  Qoheleth,  ein  Beitrag  zur  Geschichte  des  Sadduzâismus,  kritiseh 
untersucht,  ûbersetzt  und  erklârt  von  L.  Levv.  F^eipzig,  Hinrichs,  1912,  in-8°, 
i52  pages. 

Travail  rempli  de  vues  ingénieuses,  mais  parfois  conjecturales  et 
trop  subtiles.  M.  Levy  croit  pouvoir  maintenir  l'unité  de  TEcclé- 
siaste,  et  il  ne  semble  pas  que  ce  soit  sans  quelques  artifices  de 
logique.  Il  fait  large  l'influence  de  l'hellénisme,  mais  peut-être  sans 
préciser  exactement  le  caractère  de  cette  influence.  Par  exemple, 
dans  EccL,  m,  i5  :  "  Dieu  recherche  le  poursuivi  »,  M.  L.,  sans 
doute  avec  raison,  pense  qu'il  ne  s'agit  aucunement  du  soin  que  la 
Providence  a  des  persécutés,  mais  du  retour  des  choses  à  l'existence  : 
Dieu  ramène  ce  que  déjà  il  avait  amené.  Stoïcisme  et  palingénésie, 
dit  M.  L.  Un  peu  d'attention  au  contexte  montre  que  l'auteur  n'a  pas 
pensé  à  la  succession  de  cycles  ramenant  les  mêmes  êtres  jusqu'à  la 
conflagration  universelle,  mais  qu'il  développe  son  idée  :  rien  de  nou- 
veau sous  le  soleil  ;  ce  qui  arrive  ressemble  à  ce  qu'on  a  déjà  vu. 
Autant  il  paraît  évident  que  l'idée  de  i'Ecclésiaste  suppose  un  contact 
intime  avec  l'hellénisme,  autant  il  est  clair  qu'elle  ne  soutient  avec 
l'idée  stoïcienne  qu'un  rapport  d'analogie. 

Le  livre  aurait  été  écrit  vers  l'an  200  avant  notre  ère,  par  un  doc- 
teur, un  chef  d'école,  très  connu  en  son  temps,  et  comme  auteur  du 
livre,  la  fiction  littéraire  qui  fait  intervenir  Salomon  étant  de  pure 
forme  et  nullement  destinée  à  faire  illusion  sur  la  personnalité  de 
l'auteur;  c'était  ou  Sadoc  ou  Boéthos,  l'un  des  deux  disciples  que  le 
traité  Abotli  de  R.  Nathan  donne  à  Antigonc  de  Socho;  à  la  seconde 

Nouvelle  série  LXXIV.  49 


442  REVUE    CRITIQllE 

génération,  vers  140,  les  disciples  de  l'Ecclésiaste  formaient  déjà  un 
parti,  et  c'étaient  les  sadducéens.  —  Ces  conclusions  n'ont  guère  plus 
qu'une  valeur  de  symbole.  L'Ecclésiaste  a  dû  être  composé  vers 
l'époque  indiquée  ;  l'auteur  était  un  sage,  peut-être  un  docteur;  s'il 
n'est  pas  le  fondateur  du  sadducéisme,  il  est,  à  beaucoup  d'égards,  un 
de  ses  ancêtres  les  plus  directs;  si  le  livre  n'a  pas  été  l'évangile  du 
sadducéisme  naissant,  il  représente  assez  bien  l'esprit  et  les  tendances 
d'où  procède  le  sadducéisme.  Et  la  doctrine  de  l'Ecclésiaste  viendrait 
assez  naturellement  après  la  philosophie  que  résume  la  sentence  attri- 
buée par  la  tradition  à  Antigone  de  Socho  :  ne  pas  ressembler  aux  ser- 
viteurs qui  travaillent  pour  un  salaire,  craindre  Dieu  et  faire  le  bien 
sans  espoir  de  rétribution.  Façon  très  haute  et  très  religieuse  d'envisa- 
ger les  problèmes  de  la  justice  divine  et  de  l'immortalité,  que  l'Ecclé- 
siaste résoudra  comme  en  se  Jouant,  au  point  de  vue  d'une  sagesse 
séculière  qui  veut  garder  son  respect  à  la  foi  monothéiste. 

A.  L. 


Les  reliques  et  les  images  légendaires,  par  P.  Saintyyes.    Paris,    Mercure  de 
France,   191 2,  in-12,  334  pages. 

Recueil  d'études  sur  le  miracle  de  saint  Janvier,  les  reliques  du 
Bouddha,  les  images  qui  ouvrent  et  ferment  les  yeux,  les  reliques  cor- 
porelles du  Christ,  les  talismans  et  reliques  tombés  du  ciel.  Ce  sont 
des  sujets  fort  curieux.  Sur  le  miracle  de  saint  Janvier,  les  considéra- 
tions de  M.  S.  reviennent  à  dire  qu'un  examen  scientifique  de  la 
relique  fournirait  l'explication  du  prodige  :  rien  n'est  plus  vraisem- 
blable ;  mais,  en  attendant,  il  n'avance  guère  de  multiplier  les  conjec- 
tures. En  ce  qui  regarde  les  reliques  du  Christ,  M.  S.  a  recueilli  des 
indications  qui  ne  manquent  pas  d'intérêt  ni  même  de  piquant.  L'his- 
toire de  quelques-unes  de  ces  reliques  mériterait  peut-être  une  discus- 
sion plus  attentive,  car  il  importerait  de  savoir  dans  quelles  conditions 
elles  ont  été  inventées  et  quel  genre  de  culte  leur  a  été  rendu  ;  par 
exemple,  il  est  assez  significatif  qu'à  Vendôme,  où  l'on  gardait  une 
larme  du  Christ,  — une  des  larmes  versées  sur  Lazare!  —  il  se  faisait 
commerce  de  petites  larmes  en  verre  ou  en  argent  qui  guérissaient 
les  personnes  atteintes  de  maux  d'yeux.  La  dissertation  sur  les  talis- 
mans et  reliques  tombés  du  ciel  se  divise  en  trois  parties  qui  corres- 
pondent à  des  catégories  d'objets  passablement  différentes  :  reliques 
d'origine  météorologique  ou  censée  telle  ;  reliques  d'origine  liturgique, 
dont  les  variétés  sont  extrêmement  nombreuses;  reliques  d'origine 
apologétique.  Cette  dernière  rubrique  désigne  les  écrits  tombés  du  ciel, 
et  qui  servent  une  intention  de  ceux  qui  les  ont  supposés.  Il  y  a  ici  les 
simples  faux,  avec  lesquels  il  convenait  de  ne  pas  confondre  le  Coran 
ou   les   écrits  à   qui    l'on   a  attribué  après  coup  une  origine  céleste, 


d'histoirk  et  de  littf.kature  443 

comme  la  règle  de  saint  Pacôme  ou  de  ici  ordre  religieux  (M.  S.  aurait 
pu  ajouter  le  décalogue  et  même  la  Loi  de  Mo'ise  lout  entière).  Et 
ce  n'est  peut-être  pas  sans  quelque  ariitice  de  logique,  en  tous  cas  c'est 
dans  des  termes  assez  vagues  et  de  signiHcaiion  indécise  que  l'auteur 
en  arrive  finalement  à  rattacher  au  type  des  pierres  de  foudre  toutes 
les  légendes  concernant  des  objets  censés  venus  du  ciel,  à  raison  du 
«  reste  d'animisme  ou  de  dynamisme  sacré  »  qu'elles  renferment,  ou 
bien  parce  qu'elles  ont  plagié,  pour  autoriser  ou  promouvoir  un 
culte,  la  fable  des  pierres  tombées  du  ciel. 

A.  L. 


Un  culte  dynastique  avec  évocation  des  morts  chez  les  Sakalavcs  de  Madagascar. 
Le  "  Tromba  ».  par  H.  Ri'sili.on.  Introduction  par  R.  Ali.ikr.  Paris,  Alphonse 
Picard,  1912,  in-12,  193  pai;es. 

L'introduction  de  M.  .Allier  concerne  principalement  la  politique 
religieuse  de  l'autorité  coloniale  à  Madagascar.  Les  notes  de  M.  Ru- 
sillon,  missionnaire  évangélique,  ont  une  valeur  documentaire  ;  elles 
représentent  des  observations  faites  sur  place. 

C'est  un  culte  d'esprits  que  la  religion  malgache,  et  la  préoccupa- 
tion constante  des  esprits  a  pour  effet  différentes  formes  de  possession. 
La  part  d'aberration  mentale  qui  entre  dans  ce  culte  le  rend  très 
intéressant  pour  la  comparaison.  Même  les  réunions  communes 
pour  les  fêtes  annuelles  des  anciens  rois  défunts  s'accompagnent  de 
manifestations  de  ces  ancêtres  dans  les  personnes  présentes.  Et  le 
premier  venu,  en  temps  ordinaire,  peut  être  saisi  par  l'esprit  de 
l'ancêtre  royal  :  c'est  le  tromba.  Le  tromba  est  l'esprit;  mais  le  même 
mot  désigne  certaines  maladies,  qui  sont  causées  par  les  esprits,  il 
peut  désigner  le  malade,  il  désigne  aussi  le  traitement  qu'on  lui  fait 
subir,  et  qui  est  en  même  temps  «  le  service  »  qu'on  rend  à  l'esprit 
pour  obtenir  qu'il  lâche  le  patient.  Ce  sont  les  gens  débilités,  surtout 
ceux  qui  sont  atteints  de  fièvre  paludéenne,  qui  sont  pris  par  le 
tromba;  mais  il  y  a  contagion  dans  les  scènes  délirantes  auxquelles 
donne  lieu  «  le  service  ».  Très  important  est  le  rôle  du  fondy^ 
l'homme  qui  possède  un  tromba  suréminent,  un  esprit  guérisseur,  et 
qui  est  ainsi  qualifié  pour  soulager  les  possédés  vulgaires.  M.  B. 
nous  dit  que  le  fondy  et  son  assistant  interprète,  le  mpamoaka  — 
ordinairement  le  conjoint  du  fondy,  qui  peut  être  un  homme  ou  une 
femme,  —  à  la  ditï'erence  de  leurs  clients,  sont  gens  robustes,  d'esprit 
lucide  et  de  ferme  volonté.  Cependant  le  fondy  lui-même  est  un 
malade  guéri,  qui  est  ainsi  entré  en  possession  du  charme  de  guérison 
et  resté  dans  la  familiarité  de  l'esprit.  Il  est  fâcheux  que  M.  R. 
n'ait  pas  pu  nous  donner  plus  de  détails  sur  la  formation  du  fondy. 
Les  grands  fondy,  nous  dit-il,  ont  de  douze  à  seize  esprits.  Ce  ne 
peut   être   pour  avoir  passé  par   autant  de   maladies,  à   moins   que 


444  REVUE    CRITIQUE 

ce  ne  suit  par  quelque  ticiion  rituelle  sur  laquelle  il  serait  précieux 
d'être  renseigné.  Quant  au  procédé  d'initiation  qui  lait  du  malade 
guéri  un  médecin  guérisseur,  il  n'est  pas  sans  exemple.  L'on  n'est  pas 
surpris  d'apprendre  que  le  «  service  »  n'empêche  pas  certains  malades 
de  guérir,  que  même  il  en  guérit  quelques-uns,  mais  qu'il  l'ait  aussi 
beaucoup  de  victimes  qui  ne  lui  sont  pas  imputées.  M.  R.  pense  que 
les  fondy,  bien  que  gens  très  hardis,  ne  sont  pas  des  imposteurs.  11  va 
de  soi  qu'un  tel  culte  se  fonde  sur  une  foi  commune  à  tous;  mais 
cela  n'empêche  pas  sans  doute  les  fondy  de  poser  délibérément  beau- 
coup d'actes,  pour  eux  légitimes,  qui,  selon   notre  mentalité  et  notre 

moralité,  seraient  frauduleux. 

A.  L. 


Genethliakon,  (larl  Robkrt  zum  8  Mârz  1910.  Berlin, Weidmann,  1910;  viii-246  p. 

Dans  ce  volume,  offert  à  M.  C.  Robert  par  plusieurs  de  ses  amis  et 
anciens  élèves  à  l'occasion  de  son  soixantième  anniversaire,  sont  con- 
tenues huit  dissertations.  L'une  d'entre  elles  échappe  à  ma  compétence  : 
Betrachtungen  iiber  die  Deutung  und  Wertung  der  Lehre  Spino\as, 
par  B.  Erdntann.  Une  autre  appartient  au  domaine  de  la  littérature 
latine  :  Nœvius  iind  die  Meteller .  Selon  G.  Wissowa,  qui  reprend  une 
objection  déjà  formulée  en  i83i  par  Zumpt,  le  vers  fameux  Fato 
Metelli  Roma' Jiunt  con.sules  ne  peui  avoiv  été  écrit  qu'à  une  époque 
où  la  famille  Cascilia  était  illustre  ;  or  ceci  ne  put  avoir  lieu  qu'à  la 
fin  du  11°  siècle,  plus  de  deux  générations  après  la  mort  de  Nievius. 
Par  une  suite  d'intéressantes  combinaisons,  W.  en  vient  à  conclure 
que  ce  serait  un  de  ces  vers  anonymes  comme  il  en  courait  beaucoup 
dans  le  public,  attribué  plus  tard  à  Nœvius;  la  réponse  Dabiint  maJiim 
Metelli  Ncevio  poetœ  serait  un  vers  imaginé  par  Gœsius  Bassus  pour 
donner  un  modèle  de  vers  saturnien.  Ce  sont  là  d'ingénieuses  hypo- 
thèses, dont  la  première  seule  me  paraît  avoir  un  fondement  solide. 
—  Les  autres  dissertations  traitent  de  sujets  relatifs  à  l'antiquité 
grecque.  B.  Niese  [Drei  Kapitel  eleischer  Geschichte)  étudie  la  situa- 
tion politique  des  périèques  de  l'Elide  et  les  relations  entre  les  Eléens, 
les  Arcadiens  et  les  Lacédémoniens  ;  il  montre  ensuite  que  la  géogra- 
phie de  l'Elide  des  temps  homériques  ne  peut  se  déterminer  que  très 
approximativement;  et  dans  un  troisième  chapitre  il  recherche  ce 
qu'on  doit  entendre  par  Pise,  importante  question  sur  laquelle  les 
historiens  ne  sont  pas  d'accord,  et  qu'il  résout  à  l'aide  d'une  discussion 
aussi  serrée  qu'originale.  Le  nom  de  Pise  ne  désigne  pas  une  ville, 
mais  un  territoire,  sur  lequel  se  célébraient  les  Jeux  olympiques.  Pise 
et  l'Elide,  Eléens  et  Pisates  sont  identiques  ;  les  témoignages  des  his- 
toriens et  géographes  anciens  sont  discordants  et  souvent  d'une  histo- 
ricité douteuse,  en  particulier  l'exposé  qu'ils  font  d'une  lutte  entre  les 
Eléens  et  les  Pisates  au  sujet  des  jeux.   Pise  n'est  en  somme  que  le 


d'hISTOIRK     KT     de    LITIKRATURE  445 

nom  du  district  dans  lequel  était  située  Olympie.  —  Fr.  Bechtcl  com- 
munique ses  observations  sur  les  noms  de   personnes  du  quatrième 
volume  dc^  Iiisci-iplioncs  Crwca'  :Kgine  et  Argolide),  principalement 
sur  des  foriiies  nouvelles,  et  propose  ensuite  diverses  corrections  aux 
lectures  de    Frankcl  [Dir  Pcrsonennamcn  iin  viotcii  HcDide  der  Ins- 
criptioncs  Grœca.').  —  O.  Kern  s'appuie  sur  des  inscriptions  récem- 
ment découvertes  pour  essayer  de  trancher  une  question  assez  déli- 
cate, celle  du    lieu  d'origine   des   hymnes  orphiques  [Die  Herkiinft 
des  orphischcn   Hj^inncniuiclis).  Ces  hvmnes  auraient  été  composés 
en    Asie    Mineure    plutôt   qu'en    Egypte,    pour   une  association    de 
mystes.  dionysiaques.    L'argumentation    donne  à  cette   opinion   une 
grande  probabilité.  —  K.  Priichter  s'occupe  de  la  philosophie  néopla- 
tonicienne   et   de    son    développement    historique   (Richtungen    iind 
Schiilen   im  Neoplatonismus).    La   distinction    de  trois  écoles,  celle 
de    Plotin  et    Porphyre,  purement    philosophique,   l'école     syrienne 
de    Jamblique,    plus    ihéologique,     l'école   d'Athènes  avec    Proclus, 
qui    cherche   à   concilier  les  deux  iendances,  lui  paraît    insuffisante 
et  inexacte;   la  dernière  évolution,   en  pariiculcr,  qui  aurait   orienté 
l'école  d'Athènes   dans    une    direction    différente   de  celle   de  Jam- 
blique, est  pour  lui   très   contestable,  et  il  propose  les   subdivisions 
suivantes,  qui    sont  en    effet  plus  précises  :    i)    Plotin  et    Porphyre 
fondent    ie    néoplatonisme,    qui  se   dirige    ensuite    2j    dans  le    sens 
spéculatif  sous    Tintluence    de    l'exégèse    de   Jamblique,    d'une    part 
dans  l'école  syrienne,  d'autre  part  dans  l'école  d'Athènes;  3)  une  nou- 
velle orientation  se  produit  dans  le  sens  théologique  et  religieux  avec 
l'école  de  Fergame;  P.  distingue  enfin  4)  ce  qu'il  appelle  la  direction 
scientifique,    avec  les  philosophes  alexandrins  et  les  néoplatoniciens 
occidentaux.    —    E.    Meyer   s'occupe   de    cette   partie   des   Travaux 
d'Hésiode   oili  le  poète  décrit   les   cinq    âges  de  l'humanité  [Hesiods 
Erga  und  das  Gedicht  von  dcnfiinf  Menschengeschlechtern).  Hésiode 
ne  nous  expose  pas  un  développement  continu  des  âges,  dégénérant 
de  l'âge   d'or   à  l'âge  de  fer,  mais  deux  séries  parallèles  d'évolution, 
l'une  de  l'âge  d'or  à  l'âge  d'argent,  l'autre  de  l'âge  d'airain  à  l'âge  de 
fer,  avec  les  héros  intercalés  entre  les  deux  derniers;  dans  chaque  série 
la  race  la  plus  jeune  est  une  dégénérescence  de  l'autre,  et   ces  deux 
groupes  correspondent  le  premier  à  la  souveraineté  de  Kronos,  l'autre 
à  celle  de  Zeus.   Mais   comment   Hésiode    a-t-il   eu  cette    notion   de 
quatre  âges?  M.  l'explique  de  la  manière  suivante  :  Hésiode  connais- 
sait d'anciennes  légendes  relatives    à    Kronos  et  à  son  époque  bien- 
heureuse, l'âge  d'or,  en   contraste  avec  lequel   est   la  vie  des  hommes 
d'aujourd'hui;  et  celle-ci    est  caractérisée  par    le    fer.    Mais   Hésiode 
savait  aussi   qu'avant  le   fer  il  y  avait  un  temps  où    les  armes  et  les 
outils  étaient  d'airain,   d'où  la  série  or,  airain,  fer  ;  l'évolution  étant 
ainsi  caractérisée  par  les  métaux,  l'argent  ne  pouvait   manquer,   et  la 
vie  de  l'âge  d'argent  est  une  création  du  poète.  L'âge  des  héros  inter- 


446  REVUb.    CRITIQUE 

ronipi  la  suite  de  l'évoIuiiDii  Llcsccndanic,  parce  que  la  tradition  exi- 
geait   celle  iniercalation.  En  somme,   conclut    M.    après  avoir  com- 
menié  les  détails  du  texte,  Hésiode  a  voulu  montrer  que  l'âge  d'or  ne 
pouvait   produire  qu'une  race  dégénérée  et  ne   pouvant  subsister,  et 
d'autre  part  que  la  race  présente,  telle  que  Zeus  l'a  formée,  ne  sait  pas 
se  diriger  d'après  les  idées  d'ordre  et  de  justice,  mais  qu'elle  vit  sous 
le  règne  de  la  force  brutale,  du  mensonge  et  du  parjure,  produits  d'une 
culture   trop    développée;   et  cela  doit  la  conduire  aussi  à   sa    perte. 
La  morale  que  doit  en  lirer  Perses,  c'est  que  l'homme  doit  obéir  au 
sentiment  de  la  justice  et  de   l'honneur,  et  se  soumettre  à  la  noble  loi 
du   travail.    —  U.    Wilcken   commente  deux    fragments  sur  papyrus 
découverts  par  Flinders  Pétrie  à  Hawara  il  y  a  une  vingtaine  d'an- 
nées. Le  premier  éditeur,  Sayce,  avait  cru  y  reconnaître  une  descrip- 
tion des  murs  de  Syracuse,   provenant   d'une   histoire  perdue  de  la 
Sicile.  W.  avait  déjà  conjecturé,  de  son  côté,  que  ces   textes  apparte- 
naient à  une  périégèse  aitique.  Il  y  revient  ici,  après  avoir  étudié  l'ori- 
ginal même,  et  de  celte  étude,  qui  confirme  pleinement  ses  conjec- 
tures, est  sorti  le  présent  article  {Die  attische  Periegese  von  Hawara). 
Il  est  diflScile  de  trouver  une  restitution  aussi  heureuse  —  bien  qu'elle 
nesoit  que  partielle  —  et  un  commentaire  aussi  riche,  aussi  ingénieux 
et  aussi  sûr.   Nous  avons  là  une  brève  description  des  ports  du  Pirée 
et  des  longs  murs,  puis  l'auteur  arrive  à  Athènes  ;  mais  ici  le  fragment 
est  mutilé.    La  date  en  est,   selon  toute   vraisemblance,  le   début   du 
m"  siècle  ;    l'auteur    reste   anonyme,   mais  c'est    sans    doute   le    plus 
ancien  représentant  connu  de  ce  genre  de  littérature. 

My. 


Ë.  CiîzARD,  Métrique  sacrée  des  Grecs  et  des  Romains.    Paris,  Ivlincksieck, 

191  1  ;  viii-538  p. 

Les  anciens  nous  ont  laissé  assez  de  traités  de   métrique  pour  que 
la  science  moderne  ait  pu,  sans  trop  de  difficultés,  découvrir  les  lois 
qui  régissent  la  forme  extérieure  des  œuvres  poétiques  composées  par 
les  Grecs  et  par  les  Latins.   Les  pieds  et  les  mètres,  les  vers  et  leurs 
formes  variées,  les  divers  genres  de  composition  ont  été  l'objet  de  nom- 
breux travaux  ;  les  rythmes  de  l'épopée,  du  drame,  de  la  poésie  lyrique 
ont  été  analysés  dans  tous  les  sens,  et  nous  pouvions  croire  que  les 
notions  acquises  jusqu'à  ce  jour  en  matière  de  métrique  étaient,  à  part 
quelques  détails  encore  peu  clairs,  solidement  et  scientifiquement  éta- 
blies. M.  Cézard,   professeur  au  collège  de    Beaune,   a   changé  tout 
cela.  Tout  ce  que  nous  savons  est  erroné  ;  les  anciens  nous  ont  trom- 
pés,  et  volontairement;   et    cela    est    au   point   que    pas  un    savant 
moderne    n'a  pu  avoir  l'idée  de  sortir  de  l'ornière   où  nous   sommes 
enrayés  depuis  des    siècles.  Enfin   M.  G.  vint,  qui   découvrit   la  juste 
cadence,  reconnut  le  pouvoir  du  dimètre,  et  révéla  les  mystères  de  la 


d'histoire  et  de  littérature  447 

métrique  sacrée.  L'autre,  c'est  la  métrique  profane.  Avec  celle-ci,  tout 
n'est  que  trompe-l'iuil,  obscurité,  désordre  ;  avec  la  métrique  sacrée, 
tout  est  limpide,  tout  s'éclaire,  tout  est  ordonné.  Cette  métrique 
inconnue  de  la  science  actuelle  repose  sur  une  conception  nouvelle 
de  la  quantité,  du  pied  et  du  mètre,  ou  mieux  du  dimètre.  «  Le  dimèirc 
est  l'élcment  fondamental  de  tr)us  les  vers,  et  la  loi  suprême  de  la 
métrique  est  celle-ci  :  ])iins  tous  les  vers  clierehe^  le  dimètre  »  (ainsi 
souligné  par  M.  C).  On  se  demandera  peut-être  comment  M.  C.  a 
découvert  celte  «  loi  suprême  ».  Rien  de  plus  simple  :  «  Cette  loi  a 
son  origine  dans  la  nature  de  l'homme  et  dans  la  conformation  de 
l'organe  de  la  pensée.  »  Ceci  n'est  peut-être  pas  très  clair;  mais 
M.  C.  précise  :  «  Les  deux  hémisphères  du  cerveau,  exigeant  chacun 
un  mètre,  donnent  naissance  au  dimètre  ».  Or  le  dimètre  vaut  invaria- 
blement douze  temps,  car  le  pied,  dans  tous  les  vers,  a  une  valeur  de 
trois  temps,  l'anapeste  ainsi  que  l'iambe,  pieds  fondamentaux  d'où 
dérivent  tous  les  autres;  attribuer  à  un  pied  une  valeur  de  quatre 
temps,  par  exemple,  est  une  erreur  voulue  de  la  métrique  profane.  Il 
faut  par  conséquent  distinguer  les  longues  et  brèves  anapestiques 
(i  1/2  temps  et  3/4  de  temps,  et  les  longues  et  brèves  iambiques  (2  et 
I  temps),  dont  la  quantité  d'ailleurs  peut  varier  suivant  les  circons- 
tances; il  y  a  des  longues  de  3  temps  (que  M.  C.  apelle  macres),  de  6 
temps  [monomacres],  de  4  1/2  et  5  temps;  il  y  a  des  brèves  pyrrhiques 
de  1  1/2  temps,  des  brèves  pyrrhiques  irrationnelles  de  6/5  de  temps, 
et  même  des  brèves  iambiques  prolongées  de.  3  temps,  ce  qui  leur 
donne  une  valeur  de  4  temps.  Ceci  posé,  M.  C.  cherche  le  dimètre, 
et  il  le  trouve  partout  sans  peine,  grâce  à  ces  multiples  quantités, 
grâce  aussi  aux  pauses  de  plusieurs  temps  qui  interviennent  quand  il 
en  est  besoin.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'il  trouve  un  dimètre  dans 
cf>£ù,  «  qui  constitue  à  lui  seul  le  dimètre  grand  monomacre  (2  grmon), 
comprenant  un  monomacre  et  une  pause  de  six  temps  »,  ou  encore 
dans  l  î,  «  dimètre  grand  inonomacre  léger  (2  grmonlj,  dans  lequel 
le  premier  mètre  est  un  monomacre  composé  d'un  pyrrhique  et  d'une 
pause  de  trois  temps,  et  le  second  mètre  est  une  pause  de  six  temps  ». 
Telle  est,  dit  gravement  M.  C,  la  nécessité  du  dimètre  (p.  35). 

Entrer  dans  plus  de  détails  serait.  Je  crois,  inutile.  Toutefois,  on 
peut  se  demander  d'où  vient  cette  métrique  sacrée,  tellement  mysté- 
rieuse que  si  par  hasard  «  il  est  un  métricien  qui  nous  ait  donné 
quelques  renseigneinents  exacts,  il  n'a  pas  osé  se  faire  connaître  et  il 
a  gardé  l'anonymat.  »  M.  C.  a  sur  ce  sujet  des  connaissances  d'une 
étonnante  précision.  Je  cite  en  résumant.  La  métrique  sacrée  est  due 
à  Orphée,  qui  établit  les  règles  qui  maintiennent  la  distinction  des 
genres  (p.  5o).  Ces  règles,  il  les  imposa  toutes  au  genre  iambique,  et 
il  n'en  imposa  aucune  au  genre  anapesiique;  mais  il  lui  adressa  tout 
au  moins  l'invitation  très  pressante  de  faire  le  nécessaire  pour  se 
distinguer   du  genre   iambique    (p.  47).   C'est  que  les   circonstances 


448  REVUE    CRITIQUE 

étaient  critiques,  nous  dit  M.  C,  qui  connaii  mieux  que  personne 
l'histoire  de  ces  temps  recules.  Les  discordes  violentes  dont  les  poètes 
donnaient  alors  le  spectacle  étaient  devenues  un  scandale  public, 
qui  menaçait  de  jeter  dans  l'Ktat  un  trouble  profond.  Le  désordre 
devint  tel  que  les  chefs  de  l'Etat  résolurent  d'imposer  à  la  poésie  des 
règles  qui  fussent  obseivées  de  tous.  Ils  nommèrent  un  législateur, 
chargé  de  faire  ses  propositions,  lesquelles  seraient  discutées  contra- 
dictoirement  devant  un  aréopage  composé  des  poètes  les  plus  remar- 
quables et  des  représentants  les  plus  élevés  de  l'ordre  politique  et 
religieux.  Le  législateur  choisi  fut  Orphée  (p.  49).  Les  poètes  se 
défendirent  pied  à  pied,  mais  furent  toujours  battus  (p.  53),  et  la 
réforme  d'Orphée  fut  immédiatement  mise  en  vigueur  (p.  54).  Mais 
la  société  antique,  qui  était  essentiellement  aristocratique,  même  à 
l'époque  où  son  gouvernement  semblait  être  le  plus  démocratique, 
gardait  jalousement  la  connaissance  de  la  science  sous  toutes  ses 
formes  (p.  65);  on  fut  donc  obligé  d'inventer,  à  l'usage  des  non  initiés, 
une  métrique  profane,  laquelle  avait  pour  but  de  les  induire  en 
erreur  et  de  leur  cacher  la  véritable  connaissance  des  rythmes. 
Orphée,  en  sa  qualité  de  législateur,  fut  chargé  de  composer  cette 
métrique  (p.  66).  Aussi  Orphée  périt-il  assassiné  de  la  main  ou  à 
l'instigation  des  poètes  dont  il  avait  condamné  les  noms  à  un  éternel 
oubli  (p.  69).  M.  C.  ne  saurait  l'affirmer  ni  le  prouver,  mais  il  le 
croit  très  fermement.  La  connaissance  des  rythmes  était  réservée  aux 
initiés,  qui  étaient  tenus  de  garder  le  secret;  celui  qui  l'aurait  violé 
se  serait  exposé  à  une  action  judiciaire  très  grave  ;  exemple  Eschyle 
(p.  6g).  J'en  passe. 

M.  C,  on  le  voit,  possède  une  imagination  d'une  fertilité  singulière. 
Il  a  été  initié,  il  a  eu  connaissance  de  cette  métrique  sacrée  dont  les 
règles  étaient  soigneusement  cachées  aux  profanes,  et  il  n'a  pas  craint 
de  nous  la  révéler.  Bien  qu'à  notre  époque  il  n'ait  pas  à  redouter 
une  action  judiciaire,  il  convient  de  l'en  remercier;  car  sans  lui,  qui 
sait  combien  de  temps  encore  nous  serions  restés  dans  les  ténèbres  de 
l'erreur,  combien  de  temps  encore  nous  aurions  continué  à  ne  rien 
comprendre  à  la  poésie  ancienne  ?  On  ne  peut  nier  du  reste,  que  son 
livre  soit  intéressant;  mais  le  genre  d'intérêt  qu'il  suscite  n'est  cer- 
tainement pas  celui  sur  lequel  M.  Cézard  a  compté, 

My. 


Adolf  Struck,  Mistra.  Eine  mittelalteiiiche  Ruinenstadt.  Streifblicke  zur  Geschi- 
chte  und  zu  den  Denkmaelern  des  fraenkisch-byzantinischen  Zeitaliers  in  Morea. 
Mit  76  Abbildungen  und  Planskizzen.  Vienne  et  Leipzig,  A.  Hartieben,  1910; 
vin-164  P-  grand  in-8. 

Mistra,  fondée  par  G.  de  Villehardouin,  devint  rapidement  floris- 
sante sous  les  princes  francs;    elle  devint   ensuite   la    capitale  d'un 


d'histoire  et  de  littérature  449 

despotat  grec  dont  les  souverains,  les  Cantacuzènes,  les  Paléologues, 
et  ce  Constantin  Dragazès  qui  devait  cire  le  dernier  empereur  de 
Constantinople,  l'ornèrent  de  nombreux  édifices  civils  et  religieux, 
et  fut,  au  commencement  du  xV  siècle,  le  centre  d'une  sorte  de  renais- 
sance littéraire  et  philosophique,  grâce  à  l'inHuencc  d'un  homme  qui 
jouit  alors  d'une  très  grande  renommée,  Gémisthe  Piéthon.  Mais  cette 
prospérité  dura  peu;  la  conquête  turque  ruina  la  ville,  et  bien  qu'elle 
eût  repris  une  certaine  importance  sous  la  domination  de  Venise,  sa 
population  diminua  rapidement,  jusqu'au  moment  où  la  fondation 
d'une  nouvelle  Sparte,  sous  le  roi  Othon,  lui  porta  le  dernier  coup. 
C'est  aujourd'hui  une  cité  déserte,  mais  dont  les  murs  et  les  tours, 
les  maisons,  les  églises  et  les  couvents,  en  un  état  plus  ou  moins  bon 
de  conservation,  peuvent  donner  au  voyageur  une  impression  exacte 
de  ce  qu'était  une  ville  franque  de  la  Morée.  Il  n'y  a  guère  qu'une 
vingtaine  d'années  que  l'attention  s'est  portée  sur  Mistra;  l'antiquité 
seule,  dans  la  Grèce,  attirait  les  regards  des  explorateurs,  et  devant 
elle  s'effaçaient  les  souvenirs  du  moyen  âge.  Depuis  la  fin  du  siècle 
dernier,  les  recherches  et  les  travaux  de  plusieurs  savants,  en  parti- 
culier de  G.  iMillet,  ont  été  comme  une  révélation,  et  Mistra  com- 
mence à  être  mieux  connue.  Aujourd'hui,  c'est  M.  Struck,  membre 
de  l'institut  allemand  d'Athènes,  qui  nous  en  donne  une  très  intéres- 
sante monographie,  dans  un  volume  où  de  nombreuses  vues  photo- 
graphiques illustrent  une  description  détaillée,  faite  en  outre  très 
méthodiquement.  Je  ne  voudrais  pas  comparer  l'ouvrage  de  M.  S.  à 
un  guide;  il  n'en  a  ni  la  sécheresse,  ni  la  banalité  ;  et  cependant  c'est 
bien  un  guide  excellent  pour  ceux  qui  voudront  voir  et  apprécier 
Mistra  dans  ses  pittoresques  détails.  M.  S.,  suivant  un  itinéraire 
déterminé,  nous  fait  visiter  les  couvents  et  les  églises,  dont  il  étudie 
l'architecture  et  l'ornementation,  les  restes  du  palais  des  despotes  et 
de  la  citadelle,  et  nous  conduit,  en  montant  à  travers  les  ruines, 
jusqu'au  point  culminant  d'où  la  vue  s'étend  au  loin  sur  la  vallée  de 
l'Eurotas  et  sur  les  gorges  du  Taygète.  Cette  description  est  précédée 
d'une  cinquantaine  de  pages  dans  lesquelles  M.  Struck  retrace  rapi- 
dement les  principaux  événements  de  la  conquête  franque,  et  esquisse 
une  brève  histoire  du  despotat  de  Mistra,  de  telle  sorte  que  l'ouvrage 
possède  ce  double  intérêt,  d'éclairer  les  ruines  par  l'histoire,  et  de 
vivifier  l'histoire  par  les  monuments. 

My. 


I.  Joseph  Dr.iuet,  L'abbé  de  Saint-Pierre,  l'homme  et  l'œuvre,  Paris,  Cham- 
pion, 1912,  397  p. 

II.  Joseph  Drouet,  Annales  politiques  de  l'abbé  de  Saint-Pierre,  1658-1740, 
nouvelle  édition  coiiationnée  sur  les  exemplaires  manuscrits  et  imprimés  avec 
une  introduction  et  des  notes,  Paris,  Champion,    191  2,  399  p. 

I.  II  est  certain  que  l'abbé  de  Saint-Pierre  méritait  une  monographie 


450  REVUE    CRITIQUE 

d'ensemble,  qui  mît  en  lumière  son  rôle  de  précurseur.  La  difficulté 
était  seulement  de  ne  point  exagérer  la  valeur  et  la   nouveauté  de  ses 
idées,  de  ne  point  grandir  sa  personnalité  intellectuelle  et  morale.  En 
général  M.  Drouets'est  sufHsammeni  gardé  de  ce  danger.  Tout  au  plus 
jugera-t-on  qu'il  est  fort  indulgent   pour   les  Annales  politiques,  qu'il 
rapproche  trop   facilement  du  siècle  de  Louis  XIV,  et  qu'il  suit  de 
bien  près  M.   .Iules  I^emaitre  en  opposant  les  rêves  de  l'abbé,  trans- 
formés en  réalités  bienfaisantes  aux  «  déclamations  »  de  Rousseau  qui 
n'ont  fait  souvent  que  des  ruines.  Ni  l'abbé,  ni  Rousseau  ne  sont  res- 
ponsables des  applications  de  leurs  idées.  Peut-on  d'ailleurs  parler  de 
la  réalisation  des  idées  de  l'abbé  de  Saint-Pierre?   M.  Drouet  recon- 
naît   lui-même    qu'elles  ne    lui  sont  point    personnelles,   que   «    son 
mérite  a  consisté  à  prendre  un  peu  partout  des  idées  qui  avaient  été 
créées,  pour  les  creuser  et  familiariser  l'esprit  public  ».  Quant  à  l'ac- 
cord entre  certains  projets  formulés  par  l'abbé,  et  des  institutions  ou 
des   aspirations    modernes,    c'est    M.    Drouet   qui    l'établit    par    une 
méthode    factice,    et    avec    une   compréhensible,    mais    peu    rigou- 
reuse complaisance.  11   écrira  par  exemple  que  «  la   loi  de  1882  s'est 
inspirée  des  idées  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  en  mettant  au  programme 
de    l'enseignement    primaire    les    éléments   des    sciences    physiques, 
mathématiques  et  naturelles  ».    Sont-ce  les  idées  de  l'abbé  de  Saint- 
Pierre,  ou  celles  d'innombrables   éducateurs,  qui  avant  lui   ou  après 
les  ont  formulées    de  manière   plus  précise,   plus  définitive,   les  ont 
approfondies  davantage?  Le   procédé  est  commode,  donne  des  résul- 
tats tangibles  :  il  est  un  peu  dangereux. 

Ces  réserves  faites,  reconnaissons  l'utilité  et  l'intérêt  du  livre  de 
M.  Drouet.  Le  plan  en  est  très  simple,  l'homme,  l'œuvre;  la  docu- 
mentation en  partie  nouvelle.  M.  Drouet  a  consulté  les  manuscrits  de 
Saint-Pierre  qui  se  trouvent  aux  Archives  nationales  et  à  la  Biblio- 
thèque de  Rouen.  D'importants  inédits  lui  ont  été  communiqués  par 
M.  Tony  Genty,  et  lui  ont  permis  de  reconstituer  dans  le  détail  la 
vie  de  l'abbé.  Son  premier  chapitre  est  consacré  aux  années  de  jeu- 
nesse. Après  avoir  fait  de  médiocres  études,  l'abbé  de  Saint-Pierre 
vint  à  Paris  :  il  n'en  bougea  plus  guère.  M.  Drouet  nous  donne  de 
suffisantes  indications  sur  les  milieux  dans  lesquels  il  vécut.  Sa  vie 
ne  compte  guère  qu'un  seul  événement  :  son  exclusion  de  l'Académie 
française,  où  Fontenelle  l'avait  fait  entrer.  Est-ce  à  dire,  comme  le 
croit  M.  Drouet,  que  par  ses  attaques  contre  Louis  XI"V  il  ait 
'<  devancé  le  jugement  de  la  postérité  »,  et  n'est-ce  point  plutôt  Vol- 
taire qui  avait  raison  en  ses  appréciations.  Chassé  de  l'Académie 
française,  l'abbé  de  Saint-Pierre,  à  peine  entré  au  club  de  l'Entresol, 
fut  cause  de  sa  fermeture.  II  mourut  en  1743.  Dans  cette  biographie 
intéressante,  il  n'y  a  guère  à  relever  que  des  erreurs  de  détail  '  ou  des 

I.  Ex.  p.  22,  n.  I .  Le  livre  de  Lemoine  et  Lichtenberger,  où  il  est  question  de 
BouTdelot,  a  paru  non  chez  Hachette,  mais  chez  Champion. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  43  1 

affirmations  historiques  contestables.  P.  5,  M.  Drouet  exagère  l'in- 
dépendance  de  Bellefonds  «qui  seul  osa  tenir  tète  à  Louvois  ».  Belle- 
fonds  fut  un  favori  du  roi.  qui  multiplia  par  sa  propre  obstination  les 
disgrâces,  et  une  moins  belle  figure  sans  doute  que  ne  se  l'imagine 
d'après  Camille  Rousset  M.  Drouet.  P.  6  ii°  2  :  il  nesi  pas  du  tout 
prouve  qu'Horiense  Mancini  ait  refusé  d'épouser  Turenne,  ni  que 
Turenne  air  demandé  sa  main  à  Mazarin.  P.  19,  n.  i,  il  faudrait  aban- 
donner une  fois  pour  toutes  la  fameuse  division  par  Michelet  du  règne 
de  Louis  XIV  avant  et  après  la  fistule.  P.  83,  le  mot  de  M"""  de  Tencin 
sur  sa  ménagerie,  ses  bétes  n'est-il  pas  plutôt  de  M"i«  Geoffrin  ? 

Les  œuvres  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  sont  fort  nombreuses  : 
M .  Drouet  en  dresse  la  liste  en  appendice.  1 1  en  est  de  même  de  ses 
inventions  depuis  le  trémoussoir,  fauteuil  médical,  jusqu'à  la  paix 
perpétuelle  :  toutes  ne  sont  point  originales.  Comme  pacifiste,  il  con- 
tinue Emeric  Cruce  et  bien  d'autres  :  il  préconise  la  taille  proportion- 
nelle après  Boisguillebert,  la  poivsynodie,  alors  qu'elle  a  fonctionné. 
Au  premier  abord  il  semble  difficile  de  trouver  dans  ses  écrits  quelque 
idée  directrice.  M.  Drouet  nous  propose,  avec  justesse  semble-t-il,  la 
«  foi  au  progrès  indéfini  ».  L'abbé  de  Saint-Pierre  est  avant  tout  un 
«  progressiste  ».  M.  Drouet  proteste  contre  l'opinion  commune  qui 
fait  de  lui  un  «  utopiste  »  chimérique  :  il  le  considère  au  contraire 
comme  un  «  contemporain  égaré  au  xvm"  siècle  ».  Enfin  il  le  carac- 
térise encore  par  le  beau  nom  de  philanthrope. 

Il  est  probable  que  M.  Drouet  a  raison,  mais  ce  qui  a  beaucoup  nui 
à  l'abbé  de  Saint-Pierre,  ce  fut  d'être  un  brouillon  intellectuel,  et  un 
homme  à  idées  universelles.  M.  Drouet  nous  montre  qu'il  a  effleuré 
tous  les  domaines,  politique,  financier,  économique,  historique, 
pédagogique  —  :  la  multiplicité  de  ses  «  réformes  »  comme  le  peu  de 
valeur  littéraire  de  ses  écrits  l'ont  desservi.  Dans  le  livre  que 
M.  Drouet  lui  consacre,  peut-être  lira-t-on  surtout  avec  profit  le  cha- 
pitre sur  le  fameux  «  projet  de  paix  perpétuelle  ».  On  s'intéressera 
également  à  sa  «  taille  tarifée  »  et  aux  essais  — d'ailleurs  peu  heureux 
—  qui  en  furent  tentés  dans  quelques  généralités.  Partout,  même 
dans  les  théories  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  sur  la  littérature  et  les 
moeurs,  apparaissent  ses  préoccupations  morales,  et  son  désir  géné- 
reux de  travailler  à  l'amélioration  des  hommes.  Malheureusement  la 
vigueur  de  la  pensée  et  l'étendue  des  connaissances  ne  sont  point  en 
rapport  avec  la  beauté  des  intentions.  Aussi  ne  s'étonnera-t-on  point, 
que,  comme  le  montre  M.  Drouet  en  un  de  ses  derniers  chapitres, 
l'abbé  de  Saint-Pierre  ait  eu  fort  peu  d'influence  sur  ses  contempo- 
rains. Son  «  rabâchage  éternel  »,  comme  disait  Grimm,  a  beaucoup 
amusé  le  xviii"  siècle.  Ce  succès  de  ridicule  était  un  peu  injuste  : 
notre  époque  a  réparé  cette  erreur;  le  livre  de  M.  Drouet  aura  le 
grand  mérite  de  s'ajouter  à  d'autres  pour  nous  faire  mieux  connaître 
l'abbé  de  Saint-Pierre  :  l'auteur  de  la   Paix   Perpétuelle  a  eu  «   des 


452  REVUE    CRITIQUE 

lueurs    et    des   éclairs    qui    Font    t'ait    passer  pour    un    homme    de 
génie  > . 

II .  Les  éditions  imprimées  des  Annales  politiques  sont  toutes  pos- 
térieures à  la  mort  de  l'abbé  de  Saini-Pierre.  Pour  publier  à  nouveau 
cet  ouvrage,  M.  Drouet  a  utilisé  les  manuscrits  de  Rouen,  de  l'Arse- 
nal, de  Caen,  et  aucun  n'étant  complet,  l'édition  princcps  qui  est  de 
1757.  Les  Annales  politiques  ont  été  commencées  vers  1690,  termi- 
nées vers  1730,  puis  probablement  complétées  au  fur  et  à  mesure  des 
événements  jusqu'en  1740.  Il  suffit  de  les  lire  dans  l'édition  anno- 
tée '  et  pourvue  de  variantes  de  M.  Drouet,  pour  s'apercevoir  qu'elles 
n'ont  rien  de  comparable  ni  au  siècle  de  Louis  XIV,  ni  même  à 
rabrégé  chronologique  du  président  Hénault.  Ce  ne  sont  ni  de  l'his- 
toire, ni  des  souvenirs.  «  Comme  l'abbé  de  Saint  Pierre  etjt  pu  écrire 
des  A/cmo/re5  pleins  d'intérêt,  pleins  de  vie,  s'écrie  M.  Drouet,...  où 
auraient  passé  presque  tous  les  personnages  illustres  de  la  fin  du 
xvii"  siècle,  et  du  commencement  du  xviii^  siècle  !»  —  Ce  n'est  point 
ce  qu'il  a  fait.  Il  parle  peu  de  lui  et  de  ce  qu'il  a  vu  personnellement. 
Ses  qualités  d'historien  sont  médiocres.  Un  exemple  entre  mille.  Il 
attribue  la  guerre  de  1672  «  uniquement  au  plaisir  qu'éprouva  le  roi 
d'abattre  la  sotte  présomption  et  l'orgueil  des  Hollandais  ».  Ses  théo- 
ries sur  l'histoire  sont  curieuses  :  il  distingue  l'historien  du  chroni- 
queur :  <(  L'historien  montre,  par  des  réflexions  justes,  à  ceux  qui  doi- 
vent entrer  dans  les  affaires  publiques,  les  moyens  d'éviter  des  maux 
et  d'obtenir  des  avantages  pareils  à  ceux  qu'il  raconte.  »  Ce  qu'il  faut 
au  chroniqueur,  c'est  «  un  esprit  de  précision,  une  crainte  d'affirmer 
mal  à  propos,  une  attention  à  ne  pas  donner  comme  certain  ce  qui 
n'est  que  douteux,...  une  grande  exactitude  dans  les  citations,  toutes 
qualités  qui  ne  sont  pas  nécessaires  au  même  degré  à  l'historien.  » 
L'histoire  doit  donc  fournir  des  leçons  de  politique  et  de  morale. 

A  condition  de  ne  chercher  aucune  indication  sur  les  événe- 
ments, ni  aucune  vue  vraiment  historique  dans  les  Annales  poli- 
tiques, on  les  lira  dans  l'édition  de  M.  Drouet  avec  intérêt,  et  non 
sans  aniusement.  Les  Annales  ont  «  le  mérite  de  résumer  les  idées 
qui  hantèrent  le  cerveau  de  l'abbé  et  qu'il  faudrait  aller  chercher 
dans  les  trente  tomes  de  son  œuvre  ».  Il  y  est  surtout  parlé  de  ses 
projets  de  réforme.  Le  livre  n'eut  aucun  succès  en  son  temps,  malgré 
quelques  portraits  historiques  d'une  honnête  médiocrité.  Puisqu'il 
nous  évite  de  lire  les  autres  écrits  de  l'abbé  de  Saint-Pierre,  il  faut 
remercier  M.  Drouet  de  l'avoir  exhumé,  paré  de  notes  et  de  variantes, 
et  de  l'avoir  fait  précéder  d'une  substantielle  introduction. 

Camille-Georges  Picavet. 

I.  Les  notes  sont  parfois  insuffisantes.  Quelques  rectifications  du  texte  s'impo- 
saient, ex  :  3/"«  de  Kéroualle  au  lieu  de  M'i*  de  Kérouart. 


d'histoire  et  de  littérature  453 

E.  Abrv,  C.  Audic  et  p.  Crouzet,  Histoire  illustrée  de  la  Littérature  fran- 
çaise. Précis  méthodique,  ^24  illusiiaiions.  Paris,  hkiicr,  ii)i2,  8'  pp.  12  et 
664.  Fv.  3. 

C.  II.  Connu!  Wright,  A  History  of  French  Literature.  Oxford,  University 
Press,  191  2,  S"  p.  064. 

G.  Padov.ani,  Letteratura  francese  dalle  01  ii;iiii  ai  nosiri  giorni  cou  un'appendice 
sulla  storia  dclla  lingua  [Manuali  Hoepli,  269-270).  Milan,  Hoepli,  uj\'.\  in-18, 
p.   323.  Fr.  3. 

Camille  Cury  et  Otto  Boernkr,  Histoire  de  la  littérature  française  à  l'usage 
des  étudiants  hors  de  Fr.Tncc,  2c  édition  revue,  corrigée  et  considérablement 
augmentée.  Leipzig  et  Berlin,  Tcubncr,   1912.  S»  pp.   12  et  400.  Mk.  3. 

Otto  Fi,.\KE,  Der  franzôsische  Roman  und  die  Novelle.  Ihre  Geschichte  von 
den  Anfangen  bis  zur  Gegenwart  [Ans  Natur  und  Geistesivelt,  n°  377).  Ibid., 
1912,  80,  p.  i3o.  Mk.  1.25. 

I.  Nous  ne  manquons  pas  d'histoires  de  la  littérature  française 
parmi  lesquelles  il  en  est  d'excellentes;  celle  de  MM.  Abry,  Audic  et 
Crouzct  me  paraît  être  du  nombre.  Les  auteurs  ont  voulu  faire  un 
livre  scolaire,  un  précis,  mais  cette  intention  n'ote  rien  à  la  valeur  de 
l'ouvrage,  elle  lui  a  simplement  donné  son  cadre  et  sa  forme  exté- 
rieure. Leur  histoire  est  d'une  information  abondante  sans  confusion, 
d'une  documentation  précise  et  nette.  Elle  a  profité,  sans  en  être 
alourdie,  de  toutes  les  recherches  de  détail  de  l'érudition  moderne  et 
s'est  bornée  à  en  présenter  les  résultats  sous  une  forme  brève,  en 
caractérisant  le  plus  possible  les  auteurs  par  eux-mêmes  et  les  œuvres 
par  des  analyses  ou  des  citations  heureusement  choisies.  Un  aperçu 
de  l'évolution  de  notre  langue  ouvre  le  volume,  et  cinq  grandes  sec- 
tions, du  moyen  âge  au  xix^  siècle,  embrassent  l'histoire  des  produc- 
tions littéraires.  Chaque  époque  est  précédée  d'une  introduction  qui 
en  constitue  comme  le  cadre  politique  et  social  et  en  indique  l'orien- 
tation générale,  puis  successivement  en  divers  chapitres  sont  étudiés 
les  auteurs  principaux,  groupés  par  affinités  de  genre.  L'exposé  n"a 
pas  reculé  devant  une  uniformité  de  plan  qui  avec  ses  divisions  et 
subdivisions  facilitera  l'étude,  mais  a  su  respecter  la  variété  des 
manifestations  de  notre  vie  littéraire  :  esquisse  biographique  de  l'au- 
teur, énumération  de  ses  œuvres,  traits  saillants  de  son  caractère, 
son  esthétique  particulière,  étude  détaillée  de  son  œuvre  et  de  sa 
langue,  partout  appuyée  sur  des  textes  précis  ;  enfin  l'essentiel  de  sa 
personnalité  et  de  son  action  est  ramassé  dans  une  brève  conclusion, 
et  une  courte  notice  bibliographique  fournit  un  premier  complément 
d'étude.  D'un  auteur  à  l'autre,  d'une  période  à  l'autre  les  traits  mul- 
tiples qui  unissent  ou  séparent  les  hommçs  et  les  livres  ont  été  notés 
avec  soin.  Il  n'y  a  sans  doute  dans  ce  long  exposé  rien  qui  ne  soit 
connu,  la  matière  a  été  si  souvent  étudiée  qu'elle  n'otÎTc  plus  guère 
de  point  de  vue  nouveau,  mais  les  auteurs  ont  su  la  présenter  d'une 
manière  complète  et  attachante. 

Il  faut  bien  dire  un  mot  de  l'illustration,  puisqu'elle  constitue  la 
nouveauté  extérieure  de  cette  histoire.  Elle  concourt  de  son  côté  à  la 


454  REVDE    CRITIQUE 

documentation  du  livre.  M.  Crouzet  qui  s'est  chargé  de  cette  partie 
et  a  rédigé  les  substantielles  légendes  accompagnant  les  gravures,  n'a 
voulu  recourir  avec  raison  qu'à  des  documents  contemporains  :  por- 
traits, scènes  de  mœurs,  illustrations  des  éditions  originales,  fac-simi- 
lés des  auteurs  (j'aurais  souhaité  ceux-ci  plus  nombreux),  caricatures 
même,  il  a  groupé  d'abondants  et  _vivanis  témoignages  de  notre  his- 
toire des  lettres.  La  Bibliothèque  nationale  avant  tout,  mais  aussi 
d'autres  collections,  musée  Carnavalet,  musée  de  la  Comédie  fran- 
çaise, bibliothèques  de  Toulouse,  d'Oxford,  etc.  ont  été  mis  à  contri- 
bution. Les  illustrations  sont  en  général  d'une  bonne  exécution  ;  elles 
ont  parfois  le  défaut  d'être  trop  exiguës  et  de  laisser  perdre  alors  le 
détail.  Mais  je  ne  voudrais  pas  que  ce  mérite  du  livre,  parce  qu'il  est 
plus  nouveau  ou  plus  apparent,  fît  tort  à  ses  autres  qualités  et  qu'on 
ne  remarquât  de  cette  littérature  que  l'illustration  '. 

II.  L'histoire  précédente  s'adresse  surtout  à  nos  élèves,  celle  de 
M.  Wright  a  été  écrite  pour  des  étudiants  de  langue  anglaise.  Elle 
n'avait  pas  besoin  du  cadre  commode  des  divisions  et  subdivisions, 
elle  pouvait  se  passer  des  analyses  et  des  extraits,  mais  elle  a  tenu  à 
donner  de  l'évolution  littéraire  un  exposé  sans  lacunes  et  rigoureuse- 
ment enchaîné.  Aussi  a-t-elle  soigneusement  relevé  tout  ce  qui  se 
rapporte  aux  origines  d'un  genre,  tout  ce  qui  prépare  une  orientation 
diverse  des  esprits,  tout  ce  qui  explique  une  œuvre  avant  son  appari- 
tion ou  la  rattache  à  quelque  tradition  ou  tentative  du  passé.  Des 
auteurs  secondaires  et  des  genres  inférieurs  sont  traités  par  M.  W. 
avec  une  grande  abondance  de  détails,  alors  que  les  auteurs  de  la  Lit- 
térature illustrée  ont  dû  passer  outre  ou  se  borner  à  de  brèves  indi- 
cations. 

Le  plan  des  deux  livres  est  le  même  dans  ses  grandes  lignes,  étant 
d'ailleurs  celui  qui  s'impose.  C'est  dans  la  section  du  moyen  âge  que 
naturellement  l'érudition  tient  le  plus  de  place.  L'auteur  a  voulu 
résumer  les  résultats  des  dernières  recherches  sur  les  questions  d'ori- 
gine, donnant  sur  l'épopée,  le  roman  chevaleresque,  le  Renart,  les 
fabliaux,  les  hypothèses  de  Bédier,  Jeanroy,  Sudre  et  rappelant  aussi 

I.  J'ajoute  en  note  quelques  menues  remarques.  P.  147,  le  0  fier  Artaban  »  est 
un  personnage  du  roman  de  Cassandre,  non  de  Cléofdtre:  p.  19g,  il  fallait  nom- 
mer la  bulle  Unigenitusy  elle  fit  assez  de  bruit;  p.  3o2,  Huet  était  évêque 
d'Avranches,  non  de  Soissons,  il  avait  bien  été  nommé  à  Soissons,  mais  le  pape 
ne  confirma  pas  la  nomination;  p.  843,  le  Dialogue  de  Sylla  et  d'Eucrate  est  de 
1745,  non  i-;48  ;  p.  374,  le  XePeii  de  Rameau  a  été  publié  avant  i8gi,  déjà  en 
182 1  et  la  date  décomposition  est  1761,  non  ijô^  :  p.  38o,  l'encj'clopédie  anglaise 
de  Chambers  parut  en  1728,  non  en  i~2-\  p.  383,  le  titre  du  livre  de  Raynal  est 
incomplet;  p.  418,  le  Barbier  de  Sévi  lie  fut  d'abord  représente  en  1775,  non  1777; 
p.  433,  Robespierre  est  né  en  1758,  non  175g  et  p.  436,  C.  Desmoulins  est  mort 
S"  '794i  non  /  7p.?  ;  enfin  il  faut  lire  p.  23,  Lestine;  p.  359,  compliments  :  p.  38o, 
Sellius;  p.  431,  crotales:  p.  614,  Lefebvre.  au  lieu  de  Lesiive,  complément,  Sel- 
lins,  cratales,  Lefèvre. 


d'histoire    Kl     DE    LITTÉRATURE  455 

les  anciennes  explications.   1 1  ;i   piLScmc  de  la  scolasiiquc,  de  l'érudi- 
tion  et  de  rhumanisme  du   xiii"^  siècle   un  tableau  plus  juste  ou  plus 
Hattcur  que  celui  qu'on  est   habitué  à  rencontrer.   Le  xvr  siècle  est 
pour  lui  la  préparation  du  rationalisme  du  siècle  suivant  et  il  a  appro- 
fondi  en  ce  sens  les  théories  et  les  œuvres,    souligné  la  portée   de 
Ranius  et  expliqué  par  le  menu  la  formation  de  la  tragédie  classique. 
Le  xvii"  siècle,  qui  possède  les  préférences  avouées  de  Fauteur,  offrait 
moins  matière   aux    nouveautés,  mais   M.  W.  s'est  appliqué  à  bien 
séparer  et  caractériser  les  représentants  complets  du  classicisme  ;  et 
ici  encore   tout   ce   qui   a  été   préparation    des   œuvres   essentielles, 
comme  pour  les  prédécesseurs  de  Corneille  et  de  iMolière,  a  été  étudié 
avec  minutie.  Aux  philosophes  la  principale  place  a  été  faite  dans  le 
xviiie  siècle,  depuis  Bayle  jusqu'aux   moindres  contemporains  de  la 
Révolution.    Le  xix"   siècle  a  été  plus   sévèrement  jugé.    Déjà  pour 
Rousseau   M.  W.   avait  été  peu  indulgent,   soulignant   à  l'excès   la 
«    folie  »  ;   mais  il  est   plus  dur  encore   pour  Chateaubriand,   pour 
Hugo,  pour  le  théâtre  romantique  et  le  roman  naturaliste.  Nous  ne 
le  chicanerons  pas  sur  ces  appréciations  qui  d'ailleurs  sont  formulées 
partout  avec   beaucoup  de  réserve.  Ce  qu'on   demande  à  un  pareil 
livre,  c'est  qu'il  soit  d'une  information  abondante  et  sûre,  qu'il  ne 
néglige   pas  les  cntours  d'une  question  et  signale  les  attaches  loin- 
taines des  idées  et  des  œuvres.  M.  W.  Ta  fait  partout  avec  la  plus 
grande  attention.  Son  index  de  25  pages  avec  plus  de  2,000  noms  est 
déjà  une  preuve  extérieure  de  la  richesse  des  matériaux  accumulés  et 
pour    la   mise   en   œuvre    il   a   su   s'entourer    des    autorités   les   plus 
sérieuses,  comme  l'atteste  l'importante  bibliographie,  en  partie  cri- 
tique, jointe  à  son  livre  (p.  881-937),  et  je  n'aurais  dans  la  partie  spé- 
ciale correspondant  aux  divers  chapitres  de   l'ouvrage  que   peu   de 
livres  essentiels  à  signaler  pour  la  compléter. 

La  plupart  des  histoires  générales  de  la  littérature  s'arrêtent  à  la  frn 
du  xix'^'  siècle.  M.  W.  a  voulu  donner  au  moins  un  aperçu  des  ten- 
dances du  XX''  et  s'il  a  renoncé  à  ordonner  la  matière  assez  confuse  de 
notre  dernière  production  littéraire,  il  a  du  moins  dressé  un  réper- 
toire alphabétique  des  auteurs  contemporains  et  de  leurs  œuvres 
essentielles.  Même  sous  sa  forme  concise  cette  dernière  partie  sera 
utile,  et  dans  l'ensemble,  son  livre,  écrit  pour  les  étudiants  américains, 
leur  sera  un  précieux  instrument  de  travail.  Il  pourra  aussi  être  con- 
sulté par  les  nôtres  avec  fruit  sur  certains  points,  et  partout  ils  trou- 
veront signalés  plus  abondamment  qu'on  ne  l'avait  encore  fait  des 
rapprochements  de  notre  histoire  littéraire  avec  la  littérature  anglaise 
ou  américaine  '. 

-■■  —         .  .  -■..-,,  .-— — —  -    —  ■  ■  ■  ^ 

I .  P.  57,  Innocent  IVe&t  mis  pour  Innocent  IH;  ibid.,  les  dates  de  Villehardouin 
sont  en  général  données  1164-1219,  au  lieu  de  1  1 5o-i  2  1 2\  p.  436,  écrire  :  une 
morale  nue  apporte,  au  lieu  de  nous  apporte  ;  p.  3o8,  le  juif  du  procès  de  Vol- 
taire à  Berlin   s'appelle  Hirschel,  non  Hirscli  ;  p.  555,  Babœuf  fut  exécuté  en  1797, 


456  RlîVLK    LlUTIQUE 

III.  Le  manuel  de  M.  Padovanicsi  un  simple  livre  de  vulgarisation. 
Très  éloigné  d'avoir  la  valeur  des  deux  ouvrages  précédents,  il  ren- 
seignera sutlisumnvjnt  le  public  scolaire  italien  sur  notre  histoire 
littéraire.  L'auteur  s'est  arrêté  au.\  leuvres  principales,  il  a  brièvement 
mentionné  les  autres  et  rejeté  en  note  toute  la  partie  biographique. 
On  aurait  souhaité  souvent  plus  de  précision,  moins  d'épiihètcs  lau- 
datives  et  de  redondances  d'expression;  pourquoi  tant  de  mots  vides 
quand  la  place  est  si  mesurée?  Il  y  aurait  aussi  sur  la  manière  dont 
certains  auteurs  otii  été  présentés,  comme  Corneille,  Molière,  La 
Fontaine,  Rous'-cau,  bien  des  réserves  à  faire.  Toute  la  seconde  moitié 
du  xix"  siècle  et  le  chapitre  des  contemporains  ne  sont  guère  qu'une 
avalanche  de  noms  et  de  titres  d'ouvrages  :  au  moins  n'eût-il  pas  fallu 
les  estropier,  comme  il  est  trop  fréquemment  arrivé.  La  bibliogra- 
phie a  été  volontairement  écartée,  mais  on  n'aurait  pas  dû  renoncer 
à  l'indispensable  index  '. 

IV.  La  seconde  édition  du  livre  de  MM.  Cury  et  Boerner  offre 
quelques  compléments  de  détail,  en  particulier  pour  le  xix'=  siècle, 
sans  éviter  toutefois  le  défaut  ordinaire  de  ces  revues  hâtives,  la  sèche 
énumératioa  de  noms  et  d'œuvres.  Dans  l'ensemble  la  sévérité  de 
certains  jugements  a  été  adoucie;  parfois  même,  comme  pour  La 
Bruyère,  Lesage,  Zola,  les  auteurs  ont  retourné  leur  opinion.  Mais 
le  principal  changement  consiste  dans  la  forme  qui  était  vraiment 
trop  imparfaite.  M.  Berret,  qualifié  dans  la  préface  du  Docteur  cfEtat, 
a  fait  la  toilette  du  style  pour  les  xvn'  et  xviii'=  siècles  et  aussi  apporté 
dans  l'exposé  plus  de  précision  et  un  sens  des  nuances  qui  manquait 
trop  aux  deux  auteurs.  11  aurait  été  à  souhaiter  que  les  autres  parties 
eussent  été  aussi  scrupuleusement  revues;  les  germanismes  et  les 
vulgarités  d'expressions  y  sont  encore  trop  nombreux,  et  on  en  est 
d'autant  plus  surpris  que  l'un  des  deux  auteurs  est  Français  \ 


non  en  rjqfj:  p.  619,  Chateaubriand  écrit  de  Biionaparte;  écrire  p.  52,  Reims, 
p.  496,  Dutresny;  p.  927,  Benrubi;  p.  664,  masquer,  au  lieu  de  Rheims,  Diifresne, 
Bernubi,  marquer;  il  y  a  enfin  pp.  227,  457,  460,  466  et  701  des  vers  mal  cités  ou 
faux. 

1.  P.  128,  Descartes  n'est  pas  né  à  La  Flèche;  p.  i52,  les  dates  pour  M^^  de  Vil- 
ledieu  sont  1532-1692,  non  1640-1683  ;  p.  164,  on  ne  peut  appeler  les  comé- 
dies de  Regnard  des  vaudevilles;  p.  267,  Cirey  n'est  pas  près  de  Paris;  p.  3i4, 
Mnie  de  Tencin  est  née,  non  en  i63o,  mais  en  1682;  p.  35r,  M'""  de  Staël  ne 
s'est  pas  convertie  au  catholicisme;  p.  37g,  on  sait  que  le  Cromwell  de  V.  Hugo 
ne  tut  pas  représenté.  Que  de  noms  niai  transcrits  I  Bercheurè,  M^^^  Poulet,  Mère, 
Protélisas,  Mourion,  Pixéricourt,  M"»'  Testu,  Séru^ier,  etc.,  pour  Bersuire, 
M"°  Paulet,  Méré,  Protésilas,  Monrion,  Pi.\erecourt,  M""  Tastu,  Serurier;  de  même 
pour  les  titres  d'ouvrages  :  le  dernier  Abencerange,  l'Enfant  d'un  siècle,  Rouge 
et  noir,  les  Jeux  qui  s'ouvrent,  le  Repos  du  lion,  la  course  du  flambeau,  etc.,  etc. 

2.  P.  72,  Montaigne  ne  s'est  pas  largement  servi  du  gascon;  p.  226,  les  Lettres 
philosophiques  de  Voltaire  ne  parurent  pas  qu'en  anglais;  p.  282,  Lamartine  est 
aujourd'hui  bien  loin  d'être  oublié;  p.  370,  observation  singulière  sur  le  manque 


d'histoikk  kt   uk  littérature  457 

V.  M.  F"lakc  nous  offre  aussi  une  histoire  do  noire  littérature,  mais 
envisagée  dans  un  seul  genre,  le  roman  et  la  nouvelle.  Le  mot  est 
pris  naturellement  dans  son  acception  la  plus  large  et  l'étude  embrasse 
les  chansons  de  geste,  les  romans  de  chevalerie  et  les  fabliaux.  L'au- 
teur s'est  préoccupé  de  préciser  la  conception  française  du  roman  aux 
ditférents  moments  de  son  évolution,  l'effort  successif  des  romanciers 
pour  parvenir  à  une  forme  d'art  serrant  de  plus  en  plus  près  la  réalité. 
Comme  un  étranger  est  amené  à  illustrer  ce  point  de  vue  particulier 
par  un  rapprochement  fréquent  avec  les  habitudes  des  écrivains  natio- 
naux, c'est  dans  cette  comparaison  entre  les  idées,  les  sentiments,  les 
principes  littéraires  et  le  milieu  social  de  la  France  et  de  l'Allemagne 
que  réside  pour  nos  lecteurs  l'intérêt  de  cette  esquisse.  Elle  est  brève, 
puisqu'elle  devait  adopter  le  cadre  modeste  de  la  collection  où  elle 
paraît,  elle  a  omis  volontairement  beaucoup  de  noms,  mais  en  s'arrê- 
tant  assez  longuement  aux  œuvres  les  plus  représentatives  et  aux 
auteurs  les  plus  originaux  (Lesage  est  cependant  trop  sacrifié,  p.  66), 
elle  donne  de  l'évolution  d'un  des  aspects  essentiels  de  notre  litté- 
rature une  analyse  approfondie  et  bien  conduite.  Surtout  pour  le 
xix«  siècle  les  théories  littéraires  qui  ont  déterminé  une  orientation 
nouvelle  du  roman,  tour  à  tour  romantique,  naturaliste,  impressio- 
niste  ou  psychologique,  ont  été  caractérisées  d'une  manière  sobre, 
mais  précise  '. 

L,    ROUSTAN. 


Gaston  Mw,  La  lutte  pour  le  français  en  Lorraine  avant  1870,  Paris,  Berger- 

•    Lcvrault,  igiS,  in-8°,  214  p. 

La  substantielle  étude  de  M.  Mav,  presque  exclusivement  fondée 
sur  des  documents  d'archives,  offre  un  réel  intérêt  de  nouveauté.  Il  y 
a  d'abord  exposé  ce  qu'était  la  Lorraine  allemande,  c'est-à-dire,  dans 
l'ancien  département  de  la  Moselle  les  arrondissements  de  Thion- 
ville.  Sarreguemines  et  Metz,  et  pour  la  Meurthe  ceux  de  Sarrebourg 

de  plan  dans  les  volumes  de  critique  de  Sainte-Beuve;  p.  385,  le  Molièriste  a 
cessé  de  paraître  en  18S9.  Il  faut  écrire  p.  G7  isnel  (de  l'allemand  scliriell);  p.  91, 
154S;  p.  i83,  Nemours;  p.  22.0,  collège  de  Clermont;  p.  229,  son  Commentaire; 
p.  223,  l.auraguais  ;  p.  243,  Winzenried  ;  p.  273,  de  Barante  ;  p.  333,  de  Croisset; 
p.  348,  omnibus;  p.  383,  Gandar,  au  lieu  de  :  isiiel,  164H,  Namotirs,  lycée  Loiiis- 
le-Grand,  ses  Commentaires,  Laiiragais,  Win^iiiried,  Barante,  de  Croiset,  fiacre, 
Gaiidar.  —  Je  ne  peux  pas  relever  tous  les  germanismes  ou  les  fautes  de  français, 
mais  voici  un  échantillon  d'analyse  (il  s'agit  de  la  pièce  de  Richepin,  p.  332)  : 
«  un  chemineau  qui  retrouve  un  fils  naturel  issu  de  ses  amours  avec  une  jeune 
fïUe  qu'il  a  séduite,  l'aide  à  conquérir  celle  qu'aime  ce  fils  naturel  ». 

I.  P.  26,  Isengrin  n'est  pas  Voiirs  du  roman  de  Renart:  p.  44,  d'Urfé  est  né  en 
1567,  non  en  i56S;  écrire  p.  45,  Polexandre;  p.  56,  Secondât;  p.  112,  Coppée 
au  lieu  de  Polalexandre,  Secondât,  Coppé  ;  et  corriger  le  Ncveu.v  de  Rameau,  les 
Veillées  de  château,  le  maître  des  forges. 


^58  REVUE    CRITIQUE 

et  do  Cliàtcau-Salins,  compiciuint  les  uns  ci  les  autres  une  population 
très  fiaiisaisc  de  cœur,  mais  allemande  par  la  langue  ;  une  carte  d'après 
This  fixe  la  frontière  linguistique.  Nous  aurions  aime  recevoir  quel- 
ques précisions  sur  le  dialecte  parlé  dans  la  région,  mais   l'auteur  se 
contente   peu  scientifiquement  de  le  qualifier  d'après  les  rapports  de 
nos  administrateurs  de  «  jargon  germanique  »  ou  d'  '<  affreux  patois  ». 
Il  est  vrai  que  M.  M    ne  s'était  pas  propose  une  étude  linguistique  ou 
ethnographique;  il    a   voulu    simplement  exposer   les    efforts    tentés 
pendant  cent  ans  pour  réaliser  l'unité  nationale  par  la   langue  dans 
les  marches  de  l'Est.  Au   xviii"  siècle   les  ducs  de  Lorraine  se  mon- 
trèrent assez  indifférents  à  cette  question  ;  le  dernier  prit   cependant 
une  mesure  d'une  sage  prévoyance  :  ledit  de  1748,  œuvre  sans  doute 
de  la  Galaizière,  affirmait  nettement  la  nécessité  de  hâter  l'unité  poli- 
tique et  linguistique.    Les   assemblées  de   la  Révolution   eurent  une 
pleine  conscience  de  leur   devoir  de  rattacher  plus    étroitement   ces 
populations    à  la   France  et  au  nouveau  régime;  M.  M.  a  relevé  et 
commenté  les  divers  décrets  de  la   Constituante  et  de  la  Convention, 
les  rapports  de  Barère  et  de  Grégoire.  Mais  les  moyens  d'exécution 
et  le  personnel  nécessaire  manquaient,  et  les  administrateurs  dépar- 
tementaux, comme  plus  tard  les  préfets  du  Consulat  et  de  l'Empire  et 
dans  la  suite  les  représentants  du  pouvoir  central,  trouvèrent  devant 
eux  l'hostilité  ou  franche  ou  déguisée  du  clergé  local  qui  voyait  dans 
la  propagation  du  français  une  menace  pour  la  foi  religieuse  et  une 
diminution  de  son  autorité .  Les  mesures  ou  les  intentions  des  organes 
du  pouvoir  central  sous  les  divers  régimes  qui  se  succédèrent  jusqu'à 
la  chute  du  second  Empire,  le  rôle  des  assemblées  locales  en  général 
unanimes  à  soutenir  la  cause  du  français,  les  efforts  parfois  incohé- 
rents et  parfois  méthodiques  et  tenaces  de  l'administration  universi- 
taire ont  été  présentés  séparément.  Cet  examen  de  la  question  repris 
par  trois  fois  dans  l'étude  de  M.  M.  pourra  surprendre,   alors  que 
l'ordre  chronologique  eût  été  simple  à  suivre;  il  eût  en  tout  cas  évité 
à  l'auteur  beaucoup  de  redites.    11  a  voulu  sans  doute  conserver  à 
l'agent  le  plus  dévoué  de  la  lutte  pour  le  français  toute   son   impor- 
tance en  présentant  un  tableau  d'ensemble  de  son  activité.  Ce  furent 
en  effet  de  modestes  fonctionnaires,  comme  l'inspecteur  d'académie 
Maggiolo,   l'inspecteur  primaire  Creutzer,  qui  réussirent  par  l'intro- 
duction  d'une   méthode   d'enseignement    appropriée,  par    un   habile 
ménagement  des  autorités  religieuses,  à  assurer  le  triomphe  du  fran- 
çais dans  la  Meurthe;  pour  la  Moselle  l'échec  fut  à  peu  près  complet. 
En  lisant  la  consciencieuse  enquête  de  M.  M.  on  regrettera  avec  lui 
que  les  tentatives  de  tant  d'esprits  clairvoyants  n'aient  pas  été  mieux 
encouragées  par  les  pouvoirs  publics,  et  on  sentira  aussi  ce  que  pèse 
exactement  l'argument  que  les  vainqueurs  ont  tiré  de  la  langue  pour 
justifier  leurs  prétentions  sur  une  partie  de  la  Lorraine. 

L.  R. 


d'histoire  et  de  littérature  459 

Johannes  Bramis'  Historia    régis  Waldei,    hcrausgepcbcn    von   Rudolf  Imel- 

MANN,   Hoiiii,  Hiuistciii,    11)12,    in-8",  272    pp.  [Boiincr  Studien   zur    Englischen 
philologie,  IV). 

C'est  à  la  Bibliothèque  de  Corpus  Chrisii  Collège,  Cambridge, 
que  l'on  conserve  le  manuscrit  que  vient  d'éditer  M.  Rudolph  Imel- 
mann.  Le  Waldens  dont  Johannes  Bramis  raconte  les  exploits,  n'est 
autre  que  le  Waldef  ou  Waldeof,  héros  d'un  poème  anglo-normand 
et  sans  doute  aussi  d'un  poème  anglais  disparu.  Le  clerc  qui  a  rédigé 
en  un  latin  médiocre  l'histoire  du  roi  Waldcus  et  de  ses  fils,  connais- 
sait la  littérature  de  son  temps;  il  y  puisait  même  à  pleines  mains, 
ce  qui  permet  à  M.  R.-J.  d'écrire  un  copieux  chapitre  sur  les 
«  sources  »  de  son  auteur. C'est  ainsi  que  l'on  retrouve  chez  ce  lointain 
prédécesseur  de  Marlowe,  jusqu'à  l'histoire  de  Héro  et  de  Léandre. 
—  L'impression  est  bonne,  les  notes  de  l'éditeur  sobres. 

Ch.  B. 


—  M.  Cari  von  Kraus,  qui  est  un  des  plus  distingués  parmi  les  germanistes 
allemands  de  la  nouvelle  génération,  a  donné  dans  la  Germanische  Bibliothek, 
publiée  par  M.  Streitberg,  un  Mittelhochdeutsches  Uebtingsbuch  (Heidelberg, 
Winter,  1912,  3,  40  m.),  que  recommandent  de  nombreuses  qualités.  C'esi  un 
recueil  de  textes  du  moyen-haut-aliemand  destiné  aux  exercices  de  «  séminaire  ». 
L'auteur  s'est  proposé  de  mettre  l'étudiant  en  présence  de  textes  établis  exacte- 
ment d'après  certains  manuscrits,  et  non  de  «  vulgates  »,  qui  laissent  le  lecteur 
ignorant  des  conditions  de  transmission  des  œuvres  anciennes.  Grâce  à  ce  recueîl, 
il  sera  possible  de  faire  des  études  philologiques  très  précises  sur  la  langue  des 
auteurs  dont  les  œuvres  sont  reproduites  ici  en  extraits.  —  V.  P. 

—  Que  faire  pour  acquérir  une  prononciation  parfaite  de  l'allemand?  S'astreindre 
à  lire  le  Deutsches  LesebucJi  in  Laiitschrift  dont  M.  Wilhelm  Vietor,  le  phonéti- 
cien bien  connu,  publie  chez  Teubner  (Leipzig,  1912,  3  m.)  la  deuxième  partie. 
La  notation  graphique,  qui  est  celle  que  M.  Paul  Passy  a  mise  en  honneur, 
signale  toutes  les  difficultés  de  la  prononciation.  En  lisant  et  en  étudiant  les 
textes  transcrits,  on  est  assuré  de  ne  point  faire  d'erreur,  ni  de  qualité  ni  de 
quantité.  Il  est  entendu,  naturellement,  que  le  lecteur  du  livre  de  M.  Viëtor  sera 
préalablement  instruit  du  caractère  articulatoire  des  signes  employés  ici.  —  F.  P. 

Publications  Scandinaves.  —  D'AdoIt  Noréen  les  fasc.  2  du  vol.  III  et  6  du  vol.  V 
de  sa  «  Grammaire  du  suédois  moderne  w  (Vârt  Sprâk.  Gleerup  à  Lund.  Pr.  i  Kr.  25 
le  fasc.j.  Les  vol.  I  contenant  l'Introduction  générale,  II  la  phonétique  descriptive 
et  V  la  Sémantique,  sont  donc  maintenant  achevés.  —  Dans  les  «  Meddelanden 
frân  nordiska  Seminariet  >>  (Uppsala,  1912;.  MM.  Oskar  Lundberg  et  Hans  Sper- 
ber  publient  une  étude  très  documentée  sur  le  nom  de  lieu  «  Hârnevi  »,  qui  témoi- 
gnerait d'une  divinité  païenne  ignorée  des  mythes  eddiques  :  Hœrn,  qui  serait,  à 
ce  moment  de  son  dcxeloppemcnt,  la  déesse  de  la  terre  accouplée  au  dieu  de  la 
fécondité,  UU,  et  dont  le  culte  aurait  été  célébré  chaque  printemps  dans  un  champ 
sacré.  Mais  M.  H.  Sperber  estime,  d'après  l'étymologie  de  son  nom,  qu'elle  dut 
être  primitivement  la  «  déesse  du  lin  »  représentée  par  la  dernière  gerbe.  — 
M.  Torleiv  Hannaas  édite  dans  les  «  ^Eldre  norske    sprogminder  »  que  publie  la 


460  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

Commission  des  sources  âc  l'Histoire  de  la  Norvège  (Kristianiâ,  Grœndahl.  191 1) 

I,  le  commencement  d'une  petite  grammaire  norve'giciuie  et  un  Recueil  de  pro- 
verbes norvégiens  jusque  lii  inédits,  et  tioin  il  croit  que  le  manuscrit  doit  remonter 
à  1625.  Son  auteur,  inconnu,  eût  vécu  quelque  part  dans  la  région  de  Vcst-Agder; 

II,  Un  glossaire  du  'l'clemark  occidental  de  la  lin  du  xvii'  siècle  particulièrement 
précieux  pour  tuus  les  rcnSeigneinents  qu'on  y  trouve  sur  les  mœurs  et  coutumes, 
les  anciennes  croyances  et  la  vie  populaire  en  général.  —  Le  vol.  V  des  Islandica 
(Ithaca,  Ne\v-York,  191  2)  contient  la  Bibliographie  par  Halldôr  Hermannsson  des 
sagas  tnythiques  et  héroïques  connues  depuis  Rafn  sous  la  dénomination  com- 
mune de  «  Fornaldarsogur  »,  c'est-à-dire  des  sagas  dont  le  sujet  remonte  aux 
temps  antérieurs  à  la  fondation  du  royaume  de  Norvège  et  à  la  colonisation  de 
rislande,  mais  qui  n'ont  été  rédigées  que  dans  la  seconde  moitié  du  xiir  et  au 
commencement  du  xiv  siècle.  —  Dans  la  douzième  année  de  la  Revue  de  philolo- 
gie néo-suédoise  (Sprâk  och  Stil,  Uppsala,  19 12)  il  y  aurait  à  signaler  un  curieux 
article  de  A.  W.  Munthe  sur  a  Les  yeux  des  animaux  dans  leur  emploi  hguré  pour 
les  yeux  de  l'homme  »  chez  les  auteurs  suédois  contemporains;  une  étude  d'Oloj 
Gerdman  sur  «  L'allitération  vocale»,  de  Ruth  Hedvall  sur  «  Le  style  de  l'œuvre 
lyrique  de  Runcbcrg  ».  —  Le  CV^  vol.  des  publications  de  la  «  Svenska  Litiera- 
tursâllskapet  i  Finland  »  (Helsingfors,  1912)  donne,  outre  les  procès-verbaux  des 
séances  de  l'année  191  i,  différentes  études  dont  une  particulièrement  importante 
deV.  T.  Rosenqvist  sur»  Le  psautier  de  Lars  Stenbâk  »,  auquel  collaborèrent,  de 
i85i  à  i8(52,  Bengt  Olaf  Lille  et  J.  Lud.  Runeberg.  —Le  CVI«est  tout  entier  rempli 
par  des  extraits  de  la  «  Correspondance  entre  J.  Grot  et  P.  Pletnjov  »  (Helsing- 
fors, 1912),  tous  deux  professeurs  de  langue  et  littérature  russes,  le  premier  à 
l'Université  de  Helsingfors,  le  deuxième  à  celle  de  Saint-Pétersbourg.  Ces  extraits, 
qui  s'étendent  du  18  juin  1840  au  5  décembre  1842,  sont  une  véritable  mine  de 
^enseignements  sur  l'état  politique  et  littéraire  de  la  Finlande  à  cette  époque.  — 
Léon  Pineau. 


Académie  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  Séance  du  22  novembre  i  g  1 2 . 
—  M.  le  Secrétaire  Perpétuel  comiuunique  les  lettres  par  lesquelles  MM.  H. -Fran- 
çois Delaborde,  Fougères,  Ch.  Kohler,  Paul  Lejay,  Emile  Mâle,  Paul  Monceaux 
posent  leur  candidature  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par  suite  du  décès 
de  M.  Philippe  Berger. 

M.  Henri  Cordier  communique  le  télégramme  suivant  du  commandant  Tilhc, 
daté  de  N'  Guimi,  3i  octobre  :  «  Arrivée  Tchad  excellente  santé  après  4  mois 
voyage  Congo,  Oubanghi  et  Chari  ;  saison  des  pluies  causa  quelques  dégâts  à  mon 
matériel...   » 

M.  Cordier  communique  ensuite  une  lettre  du  commandant  E.  Devedeix,  daté 
d'Abouroi,  frontière  de  l'Ouaddai,  territoire  du  Tchad,  10  septembre.  Très  malade 
dès  son  arrivée,  l'explorateur  n'a  pu  encore  commencer  ses  recherches.  Il  a  fait 
fouiller  sans  résultat  le  Kaga  d'Ardibé  (amas  de  roches  et  de  grottes);  mais  il  en 
reste  plusieurs  autres  plus  importants  à  explorer,  surtout  la  grotte  d'Allah,  aux 
environs  d'Aouni. 

Léon  Dorez. 


L' imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon, 


Le  Puy-eu-Velay.  —  Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET     DE    LITTÉRATURE 

N"  50  —  14  décembre.  —  1912 

Jesperskn,  Eléments  de  phonétique,  —  Kaui.crkn,  Le  génélif  pluriel  en  serbe.  — 
Van  Wuk,  Dictionnaire  étymologique  du  néerlandais.  —  Mansuy,  Le  monde 
slave  et  les  classiques  français  aux  xvr  et  xvii«  siècles.  —  Maugras,  Delphine  de 
Sabran,  marquise  de  Custine.  —  Riiuss,  Hitoire  d'Alsace.  —  Cliîdat,  Diction- 
naire étymologique  de  la  langue  Française.  —  VEy,  Le  dialecte  de  Saint-Etienne 
au  XVII'  siècle.  —  Léo  Claretie,  La  Roumanie  contemporaine.  —  Calonna- 
Beaufaict,  Etudes  Bakango.  —  Von  TnilTER,  Souvenirs,  1870-71.  —  Académie 
des  inscriptions. 

O.  Jespersen  Elementarbuch  der  Phonetik,  Leipzig  et  Berlin  (chez  Teubner), 
1912,  in-8°,  V1-187  p. 

Ce  petit  livre  est  une  sorte  de  résumé  du  manuel  de  phonétique 
publié  par  Tauteur  ;  il  renferme  l'essentiel  de  ce  que  doivent  —  ou 
devraient  —  savoir  de  phonétique  toutes  les  personnes  qui  s'occupent 
de  langues,  soit  qu'elles  les  étudient  théoriquement  en  linguistes, 
soit  qu'elles  aient  charge  de  les  enseigner.  Les  langues  auxquelles 
des  exemples  sont  constamment  empruntés,  sont  l'allemand,  l'an- 
glais et  le  français,  de  sorte  qu'il  est  facile  à  tout  Européen  d'ob- 
server les  faits  cités;  l'auteur  ne  recourt  à  d'autres  idiomes  que  là  où 
Tune  au  moins  des  trois  langues  ne  fournit  pas  les  illustrations 
nécessaires. 

Le  nom  de  M.  Jespersen  est  trop  connu  pour  qu'il  y  ait  lieu  de  dire 
sa  haute  compétence  ;  il  se  rattache  à  l'école  anglo-scandinave  de  pho- 
nétique, mais  il  garde  sur  tous  les  points  une  grande  indépendance  de 
jugement.  Son  exp'osé,  toujours  clair  malgré  sa  densité  et  malgré  la 
masse  des  indications  données  sous  un  petit  volume,  provient  partout 
d'observations  et  de  réflexions  personnelles.  On  regrettera  l'absence 
de  toute  figure,  qui  donne  à  l'ouvrage  un  caractère  un  peu  abstrait; 
l'auteur  compte  que  le  lecteur  observera  par  lui-même  ;  mais  une 
représentation  des  organes  de  la  parole  et  des  figures  représentant  la 
position  de  la  langue  pour  les  différents  phonèmes  semblent  indis- 
pensables dans  un  précis  tel  que  celui-ci. 

M.  J.  se  place  surtout  au  point  de  vue  des  trois  langues  principales 
qu'il  cite;  ses  affirmations  sont  parfois  un  peu  trop  générales  et  pour- 
ront induire  en  certaines  erreurs  les  lecteurs  qui  ne  sont  pas  familiers 
avec  d'autres  langues.  Ainsi,  p.  89,  il  enseigne  que  les  diverses  classes 
de  consonnes  occlusives  qu'il  décrit  s'opposent  deux  à  deux  et  que 
chaque  langue  en  a  seulement  deux;  ceci  est  vrai  de  l'allemand,  de  l'an- 
glais et  du  français;  mais  le  grec  ancien  par  exemple  et  la  plupart  des 

Nouvelle  série  LXXIV  5o 


462  RI  VUE    CRIIIQIE 

parlers  de  l'arménien  moderne  ont  trois  séries  bien  distinctes  :  sourdes 
simples,  sourdes  aspirées  ci  sonores;  et  le  sanskrit  avait  quatre  séries. 
La  prononciation  aspirée  de  p,  t,  k  est  un  caractère  remarquable  des 
langues  germaniques;  mais  elle  n'est  pas  aussi  rare  en  dehors  de  ces 
langues  que  M.  J.  paraît  l'indiquer  :  sans  sortir  des  langues  indo- 
européennes, on  l'a  observée  en  toscan,  et  elle  est  courante  dans  les 
parlers  arméniens. 

M.  .1.  a  une  connaissance  profonde  des  langues  qu'il  utilise  :  il  cède 
trop  au  goût  de  certains  phonéticiens  pour  les  prononciations  vul- 
gaires quand  il  admet,  p.  79,  qu'une  prononciation  lé:{ariko  de  les 
haricots  est  générale  chez  les  gens  cultivés;  elle  me  choque  vivement, 
et  je  ne  l'ai  entendu  employer  dans  la  bourgeoisie  que  par  plaisanterie, 

Si  l'on  a  quelque  chose  à  regretter  dans  cet  excellent  petit  livre,  c'est 
que  tout  y  soit  mis  au  même  plan  et  que  les  choses  essentielles  n'y 
ressortent  pas  assez.  Une  prononciation  de  1'/  de  l'allemand  solch, 
qui  est  un  simple  accident  dû  au  ch  suivant,  occupe  exactement  autant 
de  place  que  1'/  normal  du  français  et  de  l'allemand,  qui  est  un  pho- 
nème de  première  importance  et  qui  a  une  existence  autonome.  Ce 
défaut  est  sensible  dans  les  trois  petites  esquisses  d'ensemble  des  pro- 
nonciations allemande,  anglaise  et  française  par  où  se  termine  le 
volume;  les  détails  en  sont  exacts;  mais  on  ne  voit  pas  qu'aucun 
caractère  soit  subordonné  à  un  autre,  ni  qu'aucun  apparaisse  plus 
important  que  les  autres.  Le  rôle  tout  différent  de  l'accent  d'intensité 
en  français,  d'une  part,  en  allemand  et  en  anglais,  de  l'autre,  est  l'un 
des  caractères  essentiels  qu'il  aurait  importé  de  mettre  en  évidence; 
la  prononciation  des  occlusives  sourdes  et  sonores  en  est  un  autre; 
au  contraire,  les  voyelles  nasales,  si  importantes  qu'elles  soient,  ne 
sont  qu'un  détail  et  pourraient  disparaître  sans  altérer  de  manière 
décisive  le  système  phonétique  du  français. 

A.  Meillet. 


4 


A.  Karlgren,  Sur  la  formation  du  génitif  pluriel  en  serbe.  Upsal  (chez  Appel- 
herg),igii^in-8°,bop. (Archives  d'études  orientales,  publiées  par  Lundel],vol.  III). 

Le  serbe  présente  au  génitif  pluriel  une  voyelle  longue  finale  qui 
ne  remonte  pas  au  slave  commun  et  qui  est  de  création  proprement 
serbe.  C'est  l'une  des  innovations  par  lesquelles  les  dialectes  slaves 
ont  tenté  de  résoudre  la  difficulté  où  les  mettait  l'amuissement  de  la 
voyelle  finale  qui  caractérisait  le  génitif  pluriel  slave  commun.  Après 
avoir  discuté  avec  soin  les  hypothèses  déjà  émises  et  avoir  montré 
qu'on  ne  saurait  s'y  tenir,  M.  Karlgren  propose  une  explication  entiè- 
rement neuve  et  très  ingénieuse  qui  ne  saurait  passer  pour  démontrée, 
mais  qui  a  le  mérite  d'être  admissible.  La  dissertation  est  correctement 
écrite  en  français,  et  les  faits  y  sont  exposés  d'une  manière  sobre  et 

méthodique. 

A.  Meillet. 


d'histoire  et  de  littérature  463 

N.   van    WuK,   Franck's    Etymologisch   Woordenboek   der   Nederlandsche 
Taal.  Tweede  Jruke.  La  Haye    chez.  M.  Nijhotl  ,  nj  ki-mji  2,  iii-S»,  xvi-Stjy  p. 

Le  dictionnaire  étymologique  du  néerlandais  dont  la  première 
livraison  a  déjà  été  annoncée  ici  a  tenu  les  promesses  du  début.  M.  van 
Wijk  est  arrivé  avec  une  remarquable  diligence  au  terme  du  grand 
travail  qu'il  avait  entrepris,  et  l'ouvrage  est  vraiment  réussi.  Bien  que 
paraissant  encore  sous  le  nom  de  l'auteur  d'un  dictionnaire  étymo- 
logique du  néerlandais  paru  en  1892,11  s'agit  en  réalité  de  l'œuvre 
personnelle  de  M.  van  Wijk. 

Le  dictionnaire  est  du  même  type  que  celui  de  M.  Kluge  pour 
l'allemand;  mais  il  en  est  aussi  indépendant  que  possible  et  repose 
sur  des  dépouillements  nouveaux.  L'auteur  y  indique  l'origine  des 
mots  les  plus  récents;  il  va  plus  loin  que  M.  Kluge  qui  ne  parle  pas 
de  mots  comme  Meter.  Mais,  pour  autant  qu'il  s'agit  de  vieux  mots 
germaniques,  il  donne  avec  soin  les  rapprochements  avec  les  autres 
langues  indo-européennes.  Les  articles  sont  précis,  clairs  et  laissent 
voir  nettement  les  opinions  de  l'auteur.  On  y  trouve  très  peu  de 
renvois  bibliographiques;  mais  toute  personne  au  courant  de  l'éty- 
mologie  des  langues  indo-européennes  verra  aisément  que  M.  v.  W. 
connaît  les  travaux  les  plus  récents  et  en  tire  parti.  Il  est  en  général 
très  prudent;  il  indique  souvent  plusieurs  possibilités  ou  s'abstient 
de  toute  indication;  parfois  même  on  peut  trouver  certaines  réserves 
excessives  ;  ainsi  à  propos  de  vaars,  on  ne  voit  pas  pourquoi  M.  v.  'W. 
doute  du  rapprochement  avec  le  sanskrit  prthiikas,  et  à  propos  de 
vaden,  pourquoi  il  met  un  point  d'interrogation  au  rapprochement 
avec  l'avestique  pavana. 

Le  principal  regret  qu'on  éprouve,  c'est  que  la  part  faite  à  l'éiymo- 
logie  indo-européenne  soit  peut-être  un  peu  trop  grande  aux  dépens 
de  l'histoire  proprement  dite  des  mots.  On  n'en  saurait  faire  grand 
grief  à  l'auteur  :  l'étymologie  indo-européenne  est  chose  à  peu  près 
faite,  et  où  l'on  peut  s'appuyer  sur  des  ouvrages  antérieurs;  au 
contraire  l'histoire  des  mots  supposerait  des  monographies  qui  n'ont 
pas  été  faites  pour  la  plupart.  Le  vocabulaire  des  langues  modernes 
de  l'Europe  pose  un  grand  nombre  de  problèmes  qui  sont  les  mêmes 
pour  beaucoup  de  ces  langues  et  que  l'auteur  du  dictionnaire  étymo- 
logique d'une  langue  particulière  ne  saurait  étudier  dans  le  détail. 
Les  recherches  sur  l'histoire  des  mots  du  vocabulaire  européen  depuis 
l'empire  romain  jusqu'à  l'époque  moderne  sont  très  difficiles  et  sup- 
posent des  connaissances  étendues;  mais  tant  qu'elles  ne  seront  pas 
faites,  les  auteurs  des  dictionnaires  étymologiques  en  seront  réduits, 
comme  M.  v.  W.,  à  donner  à  l'étymologie  indo-européenne  une  place 
un  peu  exccessive. 

Voici  quelques  critiques  de  détails  :  sous  vak,  M.  v.  W.  rappelle 
l'arménien  hoc;  mais  le  vocalisme  o  du  mot  arménien  reste  énigma- 
tique.   Sous  gouw,  il  cite,  peut-être   avec   raison,  arménien  gavai\ 


4t>4  REVUE    CRITIQUE 

avec  un  ;•  tinal  spécial  qu'on  transcrii  par  r  surmonté  d'un  point  ; 
une  faute  d'impression  en  a  tait  gavai.  Sous  sik,  il  était  inutile  de 
citer  le  russe  dikij  ;  et  surtout  il  ne  fallait  pas  citer  le  lituanien  dykas, 
qui  est  à  peu  près  sûrement  emprunté  au  slave. 

A.    MlClLLET. 


Abcl  M.\.ssi  Y,  Le  monde  slave  et  les  classiques  français  aux  xv!""  et  xvii""  siècles. 

Paris,  Champion,  191  2,  iii-8",  p.  493.  Fr.   10. 

La  série  des  quatorze  articles  de  ce  livre,  sans  doute  déjà  publiés 
dans  des  revues  (je  ne  vois  pas  d'autre  excuse  aux  abondantes  redites) 
présente  une  histoire  de  nos  relations  accidentelles  avec  la  Pologne, 
car  il  n'est  guère  question  que  d'elle.  Polonais  attirés  par  la  France  ou. 
Français  émigrés  en  Pologne,  M.  Mansuy  nous  les  a  fait  connaître, 
souvent  en  puisant  àdes  sources  inaccessiblesaux  non  slavistes.  Parmi 
les  premiers,  Jean  Kochanovski,  un  admirateur  de  Ronsard,  venu  à 
Paris  en  i556  pour  voir  son  héros,  et  qui  tint  à  venger  son  pays  des 
dédains  de  Desportes  ;  ensuite  les  Sobieski,  le  père  hôte  aussi  de 
Paris  en  16 10  et  les  deux  fils  en  1646-47  ;  le  journal  de  voyage  du 
premier  était  connu,  celui  du  précepteur  des  fils,  Gawarecki,  que  cite 
M.  M.,  paraît  assez  insignifiant.  Un  représentant  polonais  (son  nom 
est  pourtant  allemand)  de  la  poésie  légère  et  précieuse  du  xvn^  siècle 
est  André  Morsztyn,  traducteur  du  Cid,  qui,  en  i683,  vient  en  France 
et  s'y  fixe  sous  le  nom  de  comte  de  Châteauvillain.  Plus  nombreux 
et  plus  familiers  à  l'auteur  par  leur  orgine  sont  les  Français  qui 
devinrent  les  hôtes  de  la  Pologne.  D'abord  dans  le  groupe  d'Henri  III 
Desportes  qui  jugea  sévèrement,  mais  d'une  vue  juste,  les  nouveaux 
sujets  dé  son  roi  ;  puis  la  duchesse  de  Nevers,  Marie-Louise  de 
Gonzague,  devenue  reine  de  Pologne  en  1 645,  et  dans  son  train,  Saint- 
Amant,  l'admirateur  le  moins  réservé  des  Polonais,  qui  se  déguisa 
pendant  huit  mois  en  un  pittoresque  Saint-Amantsky.  La  France 
donna  encore  à  la  Pologne  une  seconde  reine  dans  Marie-Casimire 
de  la  Grange  d'Arquien,  qui  épousa  en  i665  Sobieski;  la  correspon- 
dence  amoureuse  du  vainqueur  des  Turcs  transformé  en  Céladon  est 
une  des  illustrations  les  plus  curieuses  de  la  persistance  de  nos  goûts 
et  de  nos  modes  littéraires  à  l'étranger.  De  tous  ces  personnages  et 
d'autres  encore  M.  M.  a  parlé  avec  d'amples  détails;  mais  s'il  s'est 
attardé  plus  que  de  raison  au  passé  de  ses  héros,  en  glissant  plus  vite 
que  nous  n'aurions  souhaité  sur  leur  nouvelle  vie,  il  faut  songer  que 
son  livre  s'adresse  aussi  au  public  polonais  qui  lui  saura  gré  de  toute 
cette  information  plus  neuve  pour  lui. 

En  dehors  de  ces  agents  directs  assez  rares  en  somme  d'une  influence 
intermittente  entre  Slaves  et  Français,  l'auteur  a  relevé  chez  nos 
classiques  quelques  passages  intéressant  la  Pologne,  et  il  les  a  com- 
mentés avec  une  minutie  ingénieuse,  pour  que  nous  puissions 
apprécier  la  véritable  valeur  d'une  documentation  qu'on  est  disposé 


D  HISTOIUK    El     1)1'.    l.irrKRA  I  IRE  40? 

à  juger  précaire,  tant  elle  porte  sur  des  ubjeis  lointains.  Ce  ne  sont 
souvent,  il  est  vrai,  que  de  minces  détails  qui  ne  valaient  peut-être 
pas  une  enquête  aussi  nourrie  :  quelques  mots  échappés  à  Rabelais, 
à  Montaigne,  à  Montluc,  à  Brantôme,  un  passage  d'une  fable  de  La 
Fontaine,  un  souvenir  dans  une  lettre  de  Racine  ont  servi  de  prétexte 
à  l'auteur  pour  nous  prouver  quelles  menues  précisions  se  cachent 
sous  des  affirmations  que  nous  aurions  laissé  passer  avec  inditierence. 
Tout  cela  est  instructit,  neuf  souvent,  toujours  piquant,  mais  eût 
gagné  à  être  resserré  et  Fauteur  a  vraiment  trop  battu  les  buissons. 
Pourquoi  nous  analyser  VAttiîa  de  Corneille  ?  J'aurais  compris  qu'il 
nous  parlcit  du  V\'iiceslas  de  Rotrou  que  j'ai  vainement  attendu  et 
avec  qui  nous  restions  du  moins  en  Pologne.  Les  plus  substantielles 
de  ces  études  sont  celles  qui  concernent  Pascal .  La  question  du  plagiat 
des  expériences  sur  le  vide  dont  on  accusa  le  P.  Valeriano  Magno  a 
été  examinée  avec  un  soin  scrupuleux  et  à  l'aide  de  documents  inédits.  : 
M.  M.  s'efforce  de  prouver  que  l'érudit  capucin,  d'ailleurs  autant 
diplomate  que  physicien,  a  dû,  malgré  ses  dénégations,  être  au  cou- 
rant des  expériences  de  Torricelli  et  qu'il  a  pu  être  assez  rapidement 
informé  de  celles  de  Pascal  à  Rouen  pour  essayer  de  prétendre  à 
l'antériorité  de  la  découverte.  La  question  très  embrouillée  n'est  pas 
entièrement  tirée  au  clair,  mais  ce  chapitre  où  l'auteur  a  bien  présenté 
l'entourage  savant  et  janséniste  de  Marie-Louise,  mérite  d'être  signalé 
à  l'attention  des  Pascalisants.  Un  autre  intéressera  les  Bossuetistes 
pour  l'histoire  des  tentatives  de  Bossuet  s'efîorçant  de  réaliser  l'unité 
de  l'Eglise  chrétienne.  Le  livre,  d'un  intérêt  si  varié,  plein  de  détails 
nouveaux,  trop  noyés  seulement  au  milieu  d'une  information  connue 
et  de  seconde  main,  est  écrit  avec  beaucoup  d'agrément,  mais  non 
sans  quelque  recherche,  et  il  ne  nianquera  pas  d'amuser  les  Po- 
lonais  '. 

L.     ROUSTAN. 

Delphine  de  Sabran,  marquise  de  Custine,  par  Gaston  Maugras  et  le  comte  P. 
DE  Croze-Lemercier.  Paris,  Pion,   r(ji2.  In-S",  III  et  bj6  p.  7  fr.  5o. 

Ce  gros  et  lourd  et  massif  volume  est  l'œuvre  de  M.  Maugras  plu- 
tôt que  de  M.  de  Croze,  mort  «  au  cours  du  travail  »,  et  M,  M.  n'a 
pas  réussi  à  fixer  la  physionomie  de  M"^'^  de  Custine  qui  reste  incer- 
taine et  vague. 

Ce  qu'il  fallait  nous  donner,  c'était,  non  pas   une  étude  soi-disant 


I.  P.  78,  d'Aubray  est  oublié  parmi  les  auteurs  de  la  Ménippée  ;  p.  i34,  sans 
doute  i63i,  au  lieu  de  /  ^^7,  Gustave-Adolphe  était  alors  mort  depuis  cinq  ansj 
p.  157,  que  signifie  Laumbourg  en  Prusse  royale  à  la  date  de  1646  ?  Lire  p.  96, 
Bâdecker  ;  p.  147,  je  la  fus  voir:  p.  168,  le  Neckar  ;  p.  171,  Varsovie;  p.  278, 
Schlôzer  ;  p.  369,  Julie  d'Angennes  ;  p.  401,  Montbéliard  ;  p.  424,  Saint-Jeun  de 
Losneaulieu  de  Bcdecker,  Jis,  Nectar,  Varmie,  Schloet^er,  Lucie.  Montlièliard, 
Losme.  Des  ouvrages  latins  et  des  vers  latins  mal  transcrits  ou  taux  (pp.  41,46, 
249,  282)  et  un  vers  français  faux,  p.  322. 


406  REVUE    CRITIQUE 

historique,  mais  une  pénétrante  étude  de  psychologie.  M""'  de  Cus- 
tine  touche  un  peu  à  la  grande  histoire  ;  elle  était  la  belle-fille  du  géné- 
ral —  et  il  lui  sera  beaucoup  pardonné  parce  qu'elle  assista  intrépi- 
dement son  beau-père  devant  le  tribunal  révolutionnaire  —  elle  fut 
une  des  prisonnières  de  la  Terreur, elle  aima  Chateaubriand. Toutefois, 
c'est,  avant  tout,  une  amoureuse,  et  l'on  aurait  dû  nous  la  présenter 
de  ce  point  de  \ue.  On  ne  voit  pas  assez  comment  cette  «  reine 
des  roses  »  va  de  passionnettc  en  passionnette  et  de  passion  en  pas- 
sion, comment  elle  arrive  quelquefois  à  se  donner  par  calcul,  com- 
ment elle  dédaigne  ceux  qui  l'aiment  sincèrement  pour  se  jeter  dans 
les  bras  de  ceux  qui  la  regardent  comme  un  jouet.  M.  M.  a  découpé 
la  vie  de  Delphine  en  tranches  symétriques  et  il  raconte  l'existence  de 
son  héroïne  uniment,  froidement,  platement,  sans  chaleur  ni  émotion, 
selon  l'ordre  des  temps.  Son  récit  se  déroule  comme  une  chro- 
nique et  ne  s'anime  que  vers  la  fin  lorsqu'il  vient  à  parler  de  M'"<=  de 
Varnhagen  dont  il  parle  trop  —  car  elle  tient  très  peu  de  place  dans 
la  vie  de  M"""  de  Custine  —  et  dont  il  n'eût  peut-être  pas  parlé  si  sur 
ces  entrefaites  n'avait  paru  le  volume  de  M.  Spenlé. 

L'ouvrage  n'est  guère  qu'un  recueil  de  lettres,  qu'une  suiie  de  cita- 
lions.  Encore,  ces  citations  sont-elles  d'une  incroyable  longueur.  Que 
de  lettres  il  eût  fallu  abréger  et  résumer  !  Que  d'épisodes  inutiles  il 
eût  fallu  supprimer  !  Il  semble  que  M.  M.  ait  voulu  à  tout  prix  dépas- 
ser ses  cinq  cents  pages  et  faire  coûte  que  coûte  un  Pion  à  7  fr.  5o. 

Ne  sait-il  pas  qu'un  historien  doit  non  seulement  chercher,  trou- 
ver, copier  des  documents,  mais  les  assembler,  les  ranger,  les  choisir, 
retrancher  le  superflu,  donner  l'essentiel? Ne  sait-il  pas  qu'il  faut  com- 
poser difficilement  un  facile  récit?  Ne  sait-il  pas  que  pour  un  pareil 
sujet,  il  faut  aussi  quelque  chose  de  fin,  de  délicat,  de  piquant  ?  ht 
peut-être,  en  s'appliquant,  M.  M.  aurait-il  eu  ces  qualités.  Mais  il  ne 
s'est  pas  appliqué,  et  nous  regrettons  vraiment  qu'il  n'ait  pas  mis  dans 
son  œuvre  plus  de  mesure  et  d'élégance,  plus  de  goût  et  d'agrément. 

Sa  prose  même  n'est  pas  très  attrayante  ni  même  très  correcte  et  soi- 
gnée. Il  dit  que  Delphine  *(  travaillait  la  peinture  »  (p.  371),  que,  «  cher- 
chant avec  conscience  l'âme  sœur,  elle  était  dans  un  état  d'àme  inquié- 
tant »  (p.  372),  qu'un  incident  «  coupa  court  à  la  carrière  de  Chateau- 
briand »  (p.  38 1). 

Chemin  faisant,  des  erreurs  petites  et  grandes. 

P.  3i.  Le  mari  de  Delphine  se  prénomme  habituellement,  non  pas 
François,  comme' l'a  cru  Sorel,  mais  Amand.  M.  M.  dit  toujours 
Armand,  mais  je  lui  assure  que  c'est  Amand  '. 

I.  Je  mets  en  note,  pour  l'édification  des  chercheurs,  le  peu  que  je  sais  sur 
Amand  de  Ciisiine.  Amand-Louis-Philippe-François  de  Custine  (je  n'ai  pas  la  date 
exacte  de  sa  naissance)  a  commencé  par  être  aspirant  au  corps  royal  (14  mars 
1781),  et  il  a  eu  la  permission  de  suivre  les  cours  de  l'Ecole  d'artillerie  à  Stras- 
bourg,  comme  plusieurs   jeunes  gens  de   qualité,  qui,   sans  se  destiner.au  corps 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATIRE  467 

P,  6?.  Le  5  octobre,  dit  M.  M..  la  populace  <(  massacre  les  gardes  »; 
mieux  valait  dire  «  des  gardes». 

P.  74.  11  est  impossible  que  le  «  Troubadour  »  soit  Victor  de  Bro- 
glie  qui  n'a  pas  émigré  à  Bruxelles  en  1790  et  qui,  ayant  été  guillotiné 
en  I  794,  n'a  pu  reparaître  à  Paris  en  18 14  (p.  471)  '. 

P.  i3o.  Au  20  juin,  le  peuple  aurait,  d'après  M.  M.  «  massacré  tout 
ce  qui  s'opposait  à  son  passage  »  ;  le  peuple  n'a  rien  massacré  et  il 
n'y  eut  pas  une  seule  victime  dans  cette  journée. 

P.  i33.  Dans  la  nuit  du  9  au  10  août,  la  Commune  a  été  proclamée, 
comme  dit  M.  M.;  mais  ce  n'est  pas  dans  cette  nuit  que  le  palais  est 
envahi  et  la  garde  suisse,  massacrée. 

P.  139.  Custine  ne  commandait  pas  encore  l'armée  du  Rhin  au 
I  5  octobre  1792. 

P.  164-165.  On  pourrait  croire  d'après  le  récit  de  M.  M.,  que 
Francfort  —  qui  fut  repris  le  2  décembre  1792  —  a  été  repris  en 
avril  1793. 

P.  i65 .  Il  est  inexact  de  dire  qu'au  1 7  mai  i  793,  à  Riilzheim,  Cus- 
tine fît  une  sortie  puisque  Custine  n'était  pas  dans  Mayence,  et  d'ail- 
leurs il  ne  fut  pas  «  écrasé  ». 

P.  166.  C'est  le  28  juillet  et  non  le  2J  qu'on  apprit  la  capitulation 
de  Mayence  et  le  i'^''  août,  et  non  le  28  juillet  qn'on  apprit  la  capitu- 
lation de  Valenciennes. 

P.  174.  Custine  ne  fit  pas  arrêter,  il  menaça  de  faire  arrêter  le 
docteur  (ou  plutôt  le  professeur)  Hofmann. 

P.   227.   Une   malencontreuse  virgule  fait   d'un  seul  homme,  Élie 
Lacoste,  deux  personnages,  Elie  et  Lacoste. 
P.  269.  Miranda,  né  à  Caracas,  n'était  pas  Péruvieti. 
P.  270.  Pourquoi  dire  le  malheureux  prince  de  Lambesc  '? 


royal,  y  commençaient  leur  éducation  militaire  et  y  obtenaient  même,  lorsqu'ils 
avaient  l'âge  exigé,  des  lettres  de  lieutenant  à  la  suite,  en  attendant  d'être  placés 
dans  l'infanterie  ou  la  cavalerie.  Lieutenant  en  second  à  la  suite  au  corps  royal  le 
22  janvier  1783,  Amand  de  Custine  devient  trois  ans  plus  tard,  le  8  février  1786^ 
capitaine  à  la  suite  au  régiment  de  la  Reine  cavalerie.  Il  obtient  alors  un  congé 
pour  voyager  et  il  en  fait  usage  «  pour  visiter,  comme  lui-même  l'a  dit,  en  1786 
et  1787  les  pays  militaires  de  l'Allemagne  et  du  Nord.  »  En  1788,  il  sert  à  Douai  et 
au  camp  de  Saint-Omer  comme  aide-de-camp  de  son  père.  Du  mois  de  juillet  i  789 
au  mois  de  mai  1790,  il  est  commandant  de  la  garde  nationale  de  Niederwiller. 

1.  Victor  de  Broglie  est,  en  effet,  colonel  de  Bourbonnais  (depuis  le  i"'  juillet 
1783)  lorsqu'il  est  nommé  député  du  bailliage  de  Colmar  et  Schlestadt  aux  États- 
Généraux  ;  secrétaire  de  la  Constituante  (10  novembre  1789),  président  de  l'assem- 
blée (14  août  1791),  il  est  envoyé  comme  maréchal  de  carnp  (28  novembre  1791) 
dans  la  5°  division  militaire  et  devient  le  28  janvier  1792  chef  de  l'état-major  de 
l'armée  du  Rhin  ;  destitué  le  17  août  1792,  il  est  condamné  à  mort  par  le  tribunal 
révolutionnaire  le  8  messidor  an  II  ou  26  juin  f  794. 

2.  Lire,  p.  v,  Assing,  p.  79,  Starhemberg,  p.  85,  86,  121,  173,  Luckner,  p.  174, 
Hofmann^  p.  5oi,  Schlosser,  et  non  Assiing,  Stahremberg,  Lùckner,  Hoffmayxn  et 
Schloffer. 


468  REVUE    CRITIQUE 

P.  378  et  ailleurs,  l'auteur  nous  dit  que  Delphine  était  pauvre, 
besogneuse,  qu'elle  se  dcbauaii  dans  les  soucis  d'argent,  qu'elle  obtint 
grâce  à  Fouché  une  grande  partie  de  ses  biens  confisqués,  qu'elle 
acheta  le  château  de  Fervaques,  quelle  fit  de  longs  et  coûteux, 
voyages;  mais  tout  cela  aurait  pu  cire  plus  clairement,  plus  ample- 
ment explique  et  le  lecteur  se  demande  ce  qu'elle  a  recouvre  du 
domaine  de  Niederwiller  et  des  28,000  livres  de  rentes  apportées  par 
Amand  de  Custine. 

P.  428  et  433,  Delphine  est-elle  morte  de  son  amour  pour  Chateau- 
briand ?  La  fin  de  sa  vie  fut-elle  «  troublée  par  les  regrets,  tourmen- 
tée par  la  jalousie  et  le  vain  espoir  de  ramener  un  jour  l'infidèle?  » 
M.  M.  nous  dit  lui-même  que  dès  1807  elle  se  résigne  à  l'inévitable 
(p.  427).  Il  croit  qu'en  181 1  elle  part  pour  distraire  sa  douleur. 
Non  :  elle  part  pour  guérir  son  fils  Astolphe  qui,  dit-elle,  «  par 
la  tournure  de  son  esprit  et  de  son  caractère  la  condamne  à  des 
larmes  éternelles  ».  En  181  2,  en  181  3,  elle  passe  de  très  beaux  jours 
à  Rome  et  à  Naples  :  elle  a  pour  compagnon  Koreff  ou  Ko,  le  «  bon 
docteur  »  qui,  lorsqu'il  s'éloigne,  laisse  un  vide  inremplissable, 
r  «  ami  «  dont  le  départ  fait  de  la  vie  de  Delphine  —  comme  elle 
s'exprirne  —  une  longue  et  sombre  nuit.  De  même,  en  1814,  en  181  5, 
et  plus  tard  encore,  c'est  le  sort  du  malheureux  Astolphe  qui  inquiète 
Delphine.  En  1816,  elle  rejoint  Astolphe  à  Francfort  et  y  retrouve 
Koreff.  Plus  tard,  elle  cherche  à  marier  Astolphe  et  à  l'occuper.  Si 
elle  revoit  quelquefois  Chateaubriand,  c'est  pour  l'intéresser  en 
faveur  d'Astolphe  et,  lorsqu'elle  meurt  en  1826,  c'est  qu'elle  a  su  le 
deshonneur  d'Astolphe,  ses  mœurs  inavouables  ;  c'est  qu'elle  a  vu 
mourir  sa  belle-fille  Léontine  de  Courtomer  et  son  petit-fils  Enguer- 
rand  ;  c'est  qu'elle  a  une  maladie  de  foie.  Peut-on  dire  avec  M.  M. 
qu'elle  meurt  d'être  abandonnée?  Peut-on  dire  qu'elle  avait  «  donné 
sa  vie  »  à  Chateaubriand? 

D'ailleurs,  M™^  de  Custine  est-elle  si  intéressante,  si  touchante? 
Est-elle  digne  de  sympathie?  Certes,  elle  chasse  de  race,  et  M.  M. 
remarque  que  Delphine  et  son  frère  Elzéar,  enfants  de  vieillard,  ont 
reçu  de  leur  père  «  un  sang  si  appauvri  que  tous  deux  manquaient 
complètement  d'équilibre  moral  »,  que  tous  deux  »  devaient  sitremeut 
à  la  fatalité  de  leur  naissance  des  états  nerveux  inexplicables,  de 
véritables  crises  morbides  »  (p.  4).  Mais  enfin,  et  après  avoir  exposé 
les  circonstances  atténuantes,  il  faut  bien  juger  Delphine  telle  qu'elle 
est,  et,  en  la  suivant  à  travers  le  livre,  nous  la  voyons  toujours  légère, 
frivole,  et  dans  le  malheur  se  plaisant  à  faire  des  conquêtes,  toujours 
un  peu  folle  et  convenant  elle-même  qu'elle  n'a  pas  le  sens  commun. 
Elle  essaie  de  souffler  un  amant  —  le  Troubadour  —  à  son  amie  la 
comtesse  Alex.  Elle  se  donne  à  Antoine  de  Lévis,  celui  qu'elle 
nomme  V Agréable.  Elle  va,  sous  le  nom  de  M"e  Justine,  passer 
quelques  jours  dans   une  auberge  du   Havre  avec   Grouchy  .qu'elle 


d'histoire  et  de  littérature  469 

nomme  le  Sigisbcf.  Elle  adore  dans  la  prison  des  Carmes  Alexandre 
de  Beauharnais  qui,  de  son  côté,  l'idolâtre,  sous  les  yeux  mêmes  de 
Joséphine,  et  qui  lui  «  fait  goûter  le  bonheur  à  l'ombre  de  l'écha- 
faud  ».  Elle  se  lie  avec  Boissy  d'Anglas,  avec  Fouché  qui  ont  pour 
elle,  nous  dit-on,  des  sentiments  très  vifs  et  lui  écrivent  des  lettres 
qu'il  a  fallu  détruire  (p,  296).  Et  cette  femme  à  la  tète  exaltée  (p.  89), 
cette  femme  qui  ne  peut  se  défendre  longtemps  (p.  233j,  cette  femme 
qui  a  été  la  maîtresse  d'un  Fouché  —  de  Chéché,  comme  elle  l'ape- 
lait  —  cette  femme  qui  allait  trouver  Chateaubriand  dans  sa  chambre 
d'hôtel  ',  cette  femme,  on  la  plaint,  on  s'apitoie  sur  elle,  on  gémit 
sur  sa  «  misère  morale  »,  sur  les  «  détresses  »  qu'elle  a  «  connues 
moins  par  sa  faute  que  par  celle  des  événements  (p  11)  !  »  Sa  mère  et 
son  frère  avaient  bien  raison  de  lui  souhaiter  un  peu  plus  de  fierté  et 
un  peu  plus  d'amour-propre  (p.  83  et  92)'. 

Arthur  Chuquet. 

Les  vieilles  provinces  de   France.    Rod.    Reuss,  Histoire    d'Alsace.   Paris, 
Boivin  (Furne),  1912.  ln-8°,  vu  et  371  p.  3  t'r.  5o. 

La  tâche  entreprise  par  M.  Rodolphe  Reuss  était  très  difficile. 
Comment  résumer  d'un  bout  à  l'autre  l'histoire  d'un  pays  qui  n'eut 
jamais  une  unité  politique?  M.  R.  a  réussi  pourtant  à  retracer  cette 
histoire  confuse  et  compliquée.  Il  a  su  raconter  clairement,  à  grands 
et  vigoureux  traits,  en  chapitres  denses  et  nettement  divisés,  l'exis- 
tence que  mena  l'Alsace  au  moyen  âge  et  au  xvi"  siècle  dans  les  cadres 
du  Saint-Empire  romain,  et,  ajoutons-ie,  il  présente  avec  une  com- 
plète impartialité  ce  lointain  passé  qui  n'est  pas  sans  grandeur.  Notre 
auteur  ne  se  borne  pas  à  narrer  les  faits,  et  l'effort  des  villes  pour 
s'émanciper  du  joug  épiscopal  ou  seigneurial,  et  le  triomphe  de 
l'élément  plébéien  dans  les  conseils  de  Strasbourg,  et  les  premières 
interventions  françaises,  la  Réforme,  la  guerre  des  paysans,  les 
guerres  religieuses  et  cette  guerre  de  Trente  Ans  qui  fit  en  Alsace  une 
énorme,  une  prodigieuse  consommation  de  vies  humaines.  Il  met 
en  relief  ce  que  fut  la  civilisation  alsacienne,  et,  ne  fut-ce  qu'en  passant, 
d'une  phrase  signifiante,  d'un  mot  expressif,  il  caractérise  les  histo- 
riens et  les  mystiques  de  Strasbourg  qui,  dès  le  xm«  siècle,  est  le 
centre  intellectuel  de  l'Alsace  ;  il  rappelle  les  artistes  et  les  architectes; 
il  salue  la  cathédrale  sirasbourgeoise,  le  Munster,  et  sa  façade  «  mer- 
veilleuse, aux  dentelures  infinies,  aux  niches  peuplées  de  saints, 
illuminée  par  les  rayons  du  soleil  couchant  ou  parle  fauve  éclat  des 
éclairs  »  ;  il  évoque  les  moralistes,  satiristes,  polémistes  du  xvi' siècle. 

1.  Et  Chateaubriand  parle  ensuite  —  est-ce  une  ironie  ?  —  de  «  la  sainte  appa- 
rition qui  le  visita  I   » 

2.  M.  Maugras  juge,  avec  raison,  stupéfiant  «  que  Delphine  ait  envoyé  à  son  frère 
les  lettres  de  ses  adorateurs  et  lui  ait  raconte  les  moindres  détails,  même  les  plus 
intimes,  de  son  ménage  «. 


470  RKVUK    CRITIQUE 

Avec  la  môme  fidélité,  et  peut-être  avec  plus  de  vivacité  et  de  sympa- 
thie M.  Rcuss  dépeint  l'Alsace  nouvelle  qui  naît  dans  le  dernier  tiers 
du  xvii*  siècle  et  qui  se  développe  dans  le  cours  du  xviii'  ;  il  montre 
comment,  pendant  la  Révolution,  pendant  cette  terrible  crise  qui 
bouleverse  tout,  au  milieu  des  douleurs  et  des  gloires,  l'Alsace 
s'associe  intimement  à  la  E^Vance  :  «  la  Révolution  a  fait  la  soudure; 
l'empreinte  de  cette  mémorable  époque  ditierencic  encore  aujourd'hui 
les  paysans  et  les  bourgeois  de  l'Alsace  des  paysans  et  des  bourgeois 
d'outre  Rhin  ».  On  sent  d'un  bout  à  l'autre  du  livre  que  l'auteur 
affectionne  profondément  l'Alsace  où  il  est  né;  on  sent  qu'il  aime  la 
France  à  laquelle  son  pays  natal  s'est  si  solidement  attaché;  mais  on 
sent  aussi  qu'il  aime  par  dessus  tout  la  vérité  et  qu'il  connaît  à  mer- 
veille son  sujet,  qu'il  l'a  fouillé  depuis  de  longues  années  et  qu'il  le 
maîtrise.  Ce  résumé,  ce  tableau  sommaire,  ce  modeste  travail,  comme 
le  nomme  le  modeste  auteur,  a  toutes  les  qualités  d'une  grande  œuvre 
historique,  et  ceux-mémes  qui  n'ignorent  pas  la  matière,  trouveront 
à  prendre  etàapprendre  dans  ces  brillants  raccourcis,  dans  ces  brefs  et 
lumineux  exposés,  dans  des  chapitres  substantiels  et  neufs  comme  la 
situation  économique  de  l'Alsace  à  la  fin  du  xviie  siècle,  comme  l'as- 
semblée provinciale  de  1787  et  1788.  Toute  la  partie  consacrée  à  la 
Révolution,  pleine  de  détails  précis  et  puisés  aux  sources,  est  vraiment 
excellente  '. 

A.  Chuquet. 


ï 


L.   Clédat,    Dictionnaire    étymologique    de    la    Langue   Française.    Paris, 
Hachette,   1912;  un  \ol.  in-i6,  de  ix-618  pages. 

M.  Clédat  vient  de  nous  donner  un  nouveau  dictionnaire  étvmolo- 
gique  qui  se  distingue  par  une  certaine  originalité,  et  qui  rendra  des 
services  à  l'enseignement  du  français,  mais  qui  aurait  pu  lui  en 
rendre"  je  crois,  de  plus  éminents  encore,  s'il  avait  été  conçu  sur  un 
plan  un  peu  différent.  L'auteur  s'est  expliqué  d'ailleurs  là-dessus,  et 
avec  beaucoup  de  franchise,  dès  les  premières  lignes  de  sa  préface  : 
venant  après  bien  d'autres,  il  n'a  pas  voulu  faire  la  même  chose 
qu'eux.  Depuis  quarante  ou  cinquante  ans  «  c'est  le  point  de  vue 
phonétique,  alors  nouveau,  qui  devait  prévaloir  dans  la  conception 
d'un  pareil  livre  »  ;  mais  aujourd'hui  il  n'en  est  plus  ainsi,  et  «  l'his- 
toire des  sons  doit  nécessairement  céder  le  pas,  dans  un  dictionnaire 
de  vulgarisation,  à  l'histoire  des  sens  »,  Voilà  le  point  de  départ. 
Eh  bien,  je  souhaite  fort  —  mais  je  n'en  suis  pas  certain  —  que  les 
lois  de  la  phonétique  historique  soient  aussi  familières  au  grand 
public  qu'a  l'air  de  l'espérer  M.  C.  ;  j'admets  même  (quoique  à 
regret)  que,  pour  abréger,  on  se  dispense  de  les  invoquer  d'une  façon 

I.  Lire  p.  247  et  257  Rûhl;  p.  25 1  et  261  Hésingue  ;  p.  268  Beaune  (pour  Riilil, 
Hesingen,  Banne;  p.  314  Strasbourg  avait  pour  gouverneur  en  1814,  non  pas 
Bourcier,  mais  Broussier. 


D  HISTOIRK    ET    DF.    LITTÉRATURE  47  I 

continue  et  systématique,  comme  le  faisaient  Braciiet  et  le  Diction- 
naire Général  :  mais  enfin,  si  l'on  n'indique  pas  les  lois  d'après  les- 
quelles s'est  formée  la  langue  française,  encore  ne  faui-il  pas  obs- 
curcir ou  fausser  l'idée  que  pouvait  s'en  faire  par  avance  le  lecteur, 
et  il  y  a  pour  cela  certaines  précautions  à  prendre.  Je  m'expliquerai 
tout  à  l'heure  à  ce  sujet. 

En  somme,  ce  qu'a  voulu  faire  M.  C,  c'est  montrer  avant  tout  la 
filiation  originelle  qui  existe  entre  nos  mots  français  :  et  cette  filia- 
tion —  qui  était  déjà  chère  aux  lexicographes  idéologues  de  la  fin  du 
xviii°  siècle  —  il  a  réussi  en  effet  à  l'établir  avec  dextérité,  avec  sûreté 
même,  mais  en  se  plaçant  un  peu  in  abstracto,  c'est-à-dire  en 
dehors  du  temps,  ou  tout  au  moins  en  dehors  de  la  période  romane 
proprement  dite.  Les  familles  de  mots  telles  qu'il  les  a  constituées, 
se  trouvent  établies  par  rapport  au  latin  plus  encore  que  par  rap- 
port au  français.  L'auteur  nous  parlait  dans  sa  préface  de  livre  élé- 
mentaire et  «  de  vulgarisation  »  :  mais  pour  en  faire  avec  fruit  la 
lecture,  j'estime  au  contraire  qu'il  faut  assez  bien  savoir  le  latin, 
voire  le  grec,  et  quelquefois  posséder  des  notions  de  linguistique 
indo-européenne.  A  chaque  instant  il  y  est  question  non  plus  d'éty- 
mologie  française,  mais  en  réalité  d'étymologie  latine,  et  des  relations 
que  les  mots  ont  pu  avoir  entre  eux  dans  un  passé  très  lointain  —  à 
une  époque  où  le  français  n'existait  pas  —  relations  dont  la  cons- 
cience avait  disparu  pour  les  Romains  eux-mêmes.  Ainsi  j'ouvre  le 
livre,  et  dès  la  seconde  page,  au  mot  abolir,  je  trouve  que  ce  verbe 
est  emprunté  du  latin  abolere  et  qu'il  contient  sans  doute  «  le  radical 
qui  se  trouve  dans  adolescent  »  :  c'est  en  effet  possible,  et  même 
probable;  mais  je  me  demande  en  quoi  les  considérations  de  ce  genre 
sont  tellement  «  élémentaires  »,  et  si  en  tout  cas  elles  ne  seraient  pas 
mieux  à  leur  place  dans  un  dictionnaire  étymologique  du  latin  que 
dans  un  dictionnaire  français.  En  procédant  de  la  sorte,  en  prenant 
systématiquement  son  point  de  départ  dans  le  latin,  ou  même  plus 
loin,  M.  C.  est  arrivé  à  créer  des  familles  sémantiques  qui  par  rap- 
port au  français  n'ont  aucune  existence  réelle,  et  à  grouper  ensemble 
des  mots  qui  sont  un  peu  surpris  de  se  voir  accouplés  :  ainsi  affable 
et  fantassin,  ou  bien  encore  stimuler  et  éteindre.  Je  sais  que  dans  les 
premiers  on  retrouve  le  radical/ari,  mais  qu'est-ce  que  cela  prouve? 
Et  pour  les  deux  autres,  il  n'est  même  pas  très  sûr  qu'ils  renferment 
un  élément  commun  :  en  tout  cas,  étant  donné  leur  sens,  stimulare 
et  extinguere  sont  des  mots  que  les  Latins  déjà  n'auraient  point 
songé  à  rapprocher.  Dès  lors  n'est-il  pas  un  peu  surprenant  que,  nous, 
sous  prétexte  d'étymologie  française,  nous  opérions  ce  rapproche- 
ment ? 

Du  plan  adopté  par  l'auteur,  il  résulte  forcément  que  certains  de  ses 
articles  sont  très  étendus,  par  exemple  celui  de  tenir,  surtout  celui  de 
faire  où  l'on  risquera  d'avoir  à  parcourir  cinq  ou  six  pages  compactes 


472  REVUK    CRITIQl'E 

avant  de  trouver  le  terme  désiré  :  je  ne  nie  pas  du  reste  que  les  divers 
mots  ne  s'y  succèdent  dans  un  v-rdre  parFaitemeni  logique,  et  que 
l'ensemble  n'offre  un  enchaînement  rigoureux.  Un  autre  inconvénient, 
c'est  que  les  mots  commençant  par  des  préfixes  dé-^  in-,  re-,  etc.  sont 
répartis  en  longues  colonnes  de  renvois  imprimées  en  caractères  plus 
petits,  coupées  quelquefois  par  des  lignes  d'un  autre  œil,  et  typogra- 
phiquement  tout  cela  n'est  ivis  très  agréable.  Mais  enfin  ce  sont  de 
petits  détails,  et  il  me  reste  quelques  objections  de  tond  plus  graves  à 
présentera  l'auteur.  Je  remarque  qu'il  y  a  souvent  dans  la  rédaction 
de  ses  articles  un  certain  flottement,  une  sorte  d'inégalité  :  et  j'entends 
par  là  que  le  type  latin  auquel  correspond  le  mot  français  est  donné 
tantôt  sous  sa  forme  classique,  tantôt  sous  sa  forme  populaire  ;  que 
les  types  grecs  sont  tantôt  supprimés,  tantôt  cités  seuls.  Ainsi  par 
exemple  :  «  Beurre,  latin  butyrum,  d'origine  grecque  »  ;  mais  en 
revanche  :  «  Thon,  grec  thimnon  »,  et  pourquoi  dans  ce  cas  n'avoir 
pas  indiqué  l'intermédiaire  latin  thynniisl  Ne  risque-t-on  pas  ainsi  de 
dérouter  un  peu  le  lecteur,  et  de  favoriser,  sans  le  vouloir,  un  retour 
à  ces  étranges  théories  qui  jadis  tiraient  le  français  directement  du 
grec?  Mais  ce  qui  est  bien  plus  grave,  ce  qui  risque  vraiment  d'em- 
brouiller les  idées,  et  ce  que  je  ne  puis  admettre  pour  ma  part,  c'est 
que  quelquefois,  un  peu  arbitrairement,  on  cite  le  type  vulgaire 
immédiat  d'où  procède  notre  mot  français,  et  que  par  ailleurs,  en 
général  du  reste,  on  n'en  fasse  aucune  mention.  Ainsi  comparez  la 
rédaction  de  ces  deux  articles  qui  à  la  lettre  F  ne  sont  pas  très  éloi- 
gnés :  «  Face,  latin  faciem  »,  et  d'autre  part  :  «  Figue,  vient  du  latin 
populaire  fica,  par  l'intermédiaire  du  provençal.  »  On  ne  peut  pas 
dire  que  l'auteur  ait  été  là  bien  inspiré,  en  supprimant  d'une  part 
facia  prototype  obligé  dt  face,  et  d'autre  part  le  classique  ficus  :  car 
enfin  il  ne  faut  pas  oublier  que  précisément/cicz'aest  une  forme  attestée 
et  qui  se  trouve  dans  les  bons  dictionnaires  latins,  tandis  qu'au  con- 
traire_^ca  est  un  type  hypothétique,  ce  qu'aucun  signe  n'indique  ici. 
Je  sais  qu'il  est  très  difficile  d'atteindre  du  premier  coup,  dans  une 
rédaction  de  ce  genre,  à  une  parfaite  homogénéité  ;  on  doit  cependant 
s'y  efforcer.  Au  fond,  le  grand  reproche  que  je  fais  à  M.  C,  c'est  de 
n'avoir  pas  dans  son  dictionnaire  distingué  systématiquement  l'élé- 
ment savant,  ou  d'emprunt,  peu  importe  le  nom  qu'on  lui  donne  : 
c'était  vraiment  là  un  point  capital,  étant  donné  le  public  auquel  il 
s'adresse.  Il  dira  —  et  il  l'a  dit  dans  sa  préface  —  que  ce  n'était  pas  là  . 
le  but  qu'il  avait  visé  :  mais  la  question  est  de  savoir  si,  sous  prétexte 
que  d'autres  l'ont  déjà  faite,  on  a  le  droit  dans  un  livre  de  ce  genre  de 
se  soustraire  à  cette  partie  de  la  tâche.  On  peut  assurément  ne  pas 
rappeler  d'une  façon  méthodique  les  lois  de  la  transformation  des 
mots  :  encore  faut-il  donner  les  formes  intermédiaires  qui  permet- 
tront au  lecteur  de  les  appliquer  dans  tous  les  cas  d'une  façon  régu- 
lière. Que  la  sémantique  prenne  le  pas  sur  la  phonétique,  soit  !  Mais 


d'histoire  et  de  littérature  4^3 

qu'est-ce  qu'une  sémantique  qui  n'a  de  fondements  que  sur  la  logique 
et  point  sur  riiistoire,  qui  ne  lient  aucun  compte  de  révolution  de  la 
langue,  c'est-à-dire  de  ce  qui  a  été  «  successif  >>,  et  qui  rapproche 
arbitrairement  les  faits  les  plus  distants  ?  Il  faut  toujours  situer  les 
choses  dans  le  temps  :  la  sémantique  n'a  rien  à  v  perdre,  elle  a  tout 
à  y  gagner.  Car  autrement,  comment  le  lecteur  un  peu  novice  s'y 
reconnaîtra-t-il,  et  que  pourra-t-il  tirer  de  tout  cela  sinon  des  connais- 
sances empiriques?  J'ouvre  encore  une  fois  ce  dictionnaire,  un  peu 
au  hasard,  et  par  exemple  à  la  p.  97  je  trouve  :  «  Ceindre,  latin  cin- 
gere  »,  puis  immédiatement  après  :  «  Célèbre,  latin  celebrem  ».  Voilà 
donc  deux  mots  qui  sont  exactement  sur  le  même  plan,  et  que  rien, 
au  point  de  vue  de  l'origine  indiquée,  ne  distingue  entre  eux.  Pardon, 
direz-vous,  l'un  est  un  terme  héréditaire,  l'autre  un  terme  d'emprunt. 
Mais  lequel  des  deux?  Et  comment  le  lecteur  se  tirera-t-il  d'affaire, 
s'il  ne  sait  par  avance  que  célèbre  est  signalé  seulement  chez  Rabelais, 
auquel  cas  il  n'aurait  guère  eu  besoin  d'ouvrir  le  dictionnaire,  ce  qui 
est  un  cercle  vicieux.  —  Je  ne  voudrais  pas  insister,  et  je  crois  avoir 
assez  fait  comprendre  ma  pensée.  Que  M.  C.  n'allègue  pas  que  des 
exigences  de  cette  sorte  eussent  indéfiniment  grossi  le  volume  :  il  y  a 
toujours  des  moyens  pour  abréger  les  choses.  Et  pourquoi,  par  exem- 
ple, ne  mettrait-on  pas  entre  les  mots  le  signe  de  l'égalité  ?  Une  rédac- 
tion «  Ceindre  =  lat.  cingere  »  serait  assez  conforme  à  la  réalité, 
puisque  aussi  bien  c'est  trop  peu  de  dire  ici  «  vient  du  latin  0,  et  qu'au 
fond  ceindre  c'est  encore  cingere  prononcé  d'une  façon  différente,  à 
la  française.  L'autre  formule  «  empr.  du  lat.  »  serait  réservée  aux 
mots  du  genre  de  célèbre,  et  une  fois  admise  la  convention  irait  de 
soi.  Je  ne  verrais  même  aucun  inconvénient  à  ce  qu'on  ajoutât  entre 
parenthèse  quelque  brève  mention  comme  (16^  s.),  et  cela  aurait 
l'avantage  de  fixer  un  peu  la  date  approximative  dé  l'emprunt.  A  cette 
question  d'une  détermination  rigoureuse  de  l'élément  originel  se  rat- 
tache aussi  celle  des  mots  germaniques  anciens  :  je  trouve  qu'ils  ont 
été  ici  trop  laissés  dans  l'ombre  ;  les  types  auxquels  ils  se  réfèrent  ne 
sont  point  allégués,  et  c'est  à  peine  si  l'on  rencontre  çà  et  là  quelques 
rapprochements  avec  l'allemand  moderne. 

Voilà  bien  des  critiques  sur  le  plan  de  ce  dictionnaire  :  Je  les  ai 
faites,  il  va  sans  dire,  en  vue  d'améliorations  qui  pourraient  être  intro- 
duites dans  les  éditions  ultérieures.  Avant  de  terminer,  je  liens  à 
rendre  hommage  à  la  sûreté  étymologique  dont  a  fait  preuve  l'auteur 
d'un  bout  à  l'autre,  au  soin  avec  lequel  il  a  dépouillé  les  travaux  les 
plus  récents.  Si,  à  cet  égard,  au  point  de  vuede  la  doctrine,  on  pouvait 
lui  reprocher  quelque  chose,  ce  serait  plutôt  un  excès  de  circonspec- 
tion, et  parfois  presque  un  peu  de  scepticisme.  Est-il  légitime,  par 
exemple,  qu'on  hésite  à  rattacher  notre  verbe  mener  au  lat.  minari 
«  menacer  »,  étant  donnée  la  phrase  souvent  citée  d'Apulée,  et  n'y 
a-l-il  pas  là  au  contraire  un  cas  bien  typique  de  l'évolution  des  sens? 


.}74  REVliE    CRITIQUE 

Je  conçois  qu'on  hésite  davantage  —  et  c'a  été  le  cas  du  Dictionnaire 
Gênerai  aussi  —  à  rapprocher  sortir  «  aller  hors  d'un  lieu  »  du'verbe 
lat.  sortiri  :  j'estime  pourtant  que  le  rappprochement  est  exact.  Assez 
rares  sont  en  somme  les  mots  où  je  me  trouve  en  desaccord  avec 
M.  Clédat  sur  la  question  étymologique  proprement  dite  :  en  voici 
trois  ou  quatre  que  j'ai  notés  au  cours  de  ma  lecture,  et  que  je  cite  un 
peu  au  hasard.  Je  ne  rattacherais  pas,  même  avec  un  «  peut-être  », 
encombrer,  au  mot  comble,  et  je  tiens  pour  une  origine  celtique.  —  Le 
mot  haricot  «  légume  »  doit  sans  doute  être  séparé  de  celui  qui  signifie 
«  ragoût  »,  et  l'étymologie  mexicaine  récemment  prônée  me  paraît 
assez  vraisemblable.  —  La  forme  du  mot  juillet  est  relativement 
récente,  puisqu'on  disait  au  moyen  âge  juignet  «  petit  juin  »  et  l'évo- 
lution s'est  évidemment  produite  sous  l'influence  du  \2i\\n  juliiis.  — A 
l'article /o.y.se,  et  à  la  suite  du  verbe  latin  fodere,  je  lis  que  «  un  nou- 
veau verbe  enté  sur  le  premier  a  "proành  fouiller  »;  ceci  n'est  pas  tout 
à  fait  exact,  et  entre  les  deux  il  y  a  eu  une  autre  forme.  La  vérité  c'est 
que  de  fodere  est  venu  d'abord  fodicare,  d'où  en  fr.  fouger  qui 
existe  encore  et  n'est  point  cité  ici  :  c'est  de  fodicare  qu'on  avait 
ensuite  dérivé  le  diminutif  non  2ines\é  fodiculare.  —  Enfin,  à  l'article 
île,  il  est  dit  :  «  Isolé,  qui  nous  vient  de  l'italien,  ne  se  rattache  pas  à 
seul  mais  à  île,  il  équivaut  à  «  île  »,  qui  est  comme  abandonné  dans 
une  île.  »  Ceci  est  spécieux.  Pour  être  historiquement  vrai,  il  faudrait 
ajouter  qu'en  latin  insula  signifiait  déjà  «  pâté  de  maisons  séparé  des 
autres  »,  que  chez  nous  le  mot  isolé  a  d'abord  été  exclusivement  un 
terme  d'architecture,  et  qu'à  la  fin  du  xv!!*"  siècle  l'expression  canirs 
isolés  faisait  encore  se  pâmer  les  précieuses  bourgeoises  mises  en 
scène  par  Boursault  dans  ses  iVfo^5  à  la  jnode.  Le  terme  ne  paraît  s'être 
généralisé  que  vers  1800. 

E.   BOURCIEZ. 


E.  Vny,  Le  dialecte  de  Saint-Étienne  au  xvn^  siècle.  Paris,  H.  Champion, 
191 1  ;  un  vol.  gr.  in-8°,  de  xxx-379  pages. 

E.  Vev,  Le  Ballet  Foresien  de  1605,  en  dialecte  de  Saint-Etienne,  suivi  d'ex- 
traits en  prose  de  la  «  Gazzette  Françoise  ».  Paris,  H.  Champion,  191  i  ;  un  vol. 
gr.  in-8°,  de  1 1  3  pages. 

La  thèse  de  M.  Vey  sur  le  dialecte  de  Saint-Etienne  au  xvii^  siècle 
est  un  ouvrage  qui  a  évidemment  coûté  de  la  peine  à  son  auteur,  qui 
atteste  des  recherches  longues  et  minutieuses,  et  qui  rendra  certains 
services,  mais  qui  aurait  pu  en  rendre  encore  davantage  s'il  avait  été 
conçu  sur  un  plan  un  peu  différent.  D'abord  le  livre  répond-il  exacte- 
ment à  son  titre?  Je  ne  le  pense  pas,  et  M.  V.  a  donné  en  un  sens 
bien  plus  que  ce  qu'il  semblait  annoncer  :  il  l'a  fait  malheureusement 
d'une  façon  un  peu  confuse  —  ou  diffuse  si  l'on  préfère  —  sans  maî- 
triser assez  le  sujet,  et  sans  que  sa  préparation  à  ces  études  dialecto- 
logiques  ait  été  par  avance  assez  rigoureuse.  De  plus,  il  a  été  un  peu 


d'histoire  et  dk  littkrattrr  475 

hypnotisé  par  les  textes  écrits,  et  ne  s'est  pas  assez  replacé  dans  les 
conditions  où  le  langage  vivant,  c'est-à-dire  parlé,  évolue  sur  un 
point  donné.  Ce  point  c'est  Saint-Etienne,  et  il  était  intéressant  en 
effet  de  l'étudier  pour  bien  des  raisons  :  avant  tout,  parce  qu'il  se 
trouve  à  peu  près  à  Tune  des  extrémités  de  ce  domaine  qu'on  est 
convenu  d'appeler  franco-provençal  ;  de  plus  parce  qu'il  y  avait  une 
sorte  de  solution  de  continuité  entre  les  recherches  de  M.  Dauzat 
portant  sur  l'Auvergne,  et  d'autre  part  les  travaux  qui  ont  été  faits  sur 
Lyon  et  la  Bresse  par  M.  Philipon,  sur  le  Dauphiné  par  l'abbé 
Devaux.  La  lacune  est-elle  comblée?  Oui  et  non,  quoique  ce  soit  là 
évidemment  ce  que  s'est  proposé  l'auteur.  Il  est  juste  de  reconnaître 
que  lorsqu'on  veut  étudier  historiquement  le  dialecte  de  Saint- 
Etienne,  on  se  trouve  dans  une  situation  assez  désavantageuse,  faute 
de  documents  locaux  anciens  :  pour  avoir  des  points  de  comparaison 
qui  se  rapportent  à  la  période  du  moyen  âge,  on  est  forcé  d'aller  les 
chercher  soit  dans  le  nord  du  Forez,  soit  au  sud-ouest  du  côté  de 
Saint-Bonnet-le-Chàteau.  D'autre  part  —  quoiqu'il  ne  l'ait  pas  dit  et 
qu'il  ait  conservé  malgré  tout  son  titre  —  M.  V.  a  bien  senti,  en 
cours  d'oeuvre,  que  le  dialecte  du  xvii«  siècle,  uniquement  attesté  par 
quelques  pièces  patoises  parfois  suspectes  et  dont  l'orthographe  est 
défectueuse,  ne  se  suffisait  pas  à  lui-même,  et  ne  suffisait  pas  non 
plus  aux  exigences  d'un  exposé  scientifique;  il  a  donc  été  amené  à 
prendre  son  point  d'aboutissement  dans  le  parler  contemporain,  mais 
il  ne  l'a  pas  fait  d'une  façon  assez  résolue  ni  assez  suivie,  il  a  allégué 
des  faits  qui  nous  transportent  parfois  bien  loin  de  Saint-Etienne,  à 
l'autre  extrémité  du  domaine  franco-provençal,  ou  même  en  dehors. 
En  revanche,  il  n'en  a  pas  connu  d'autres  qui  eussent  facilité  sa  tâche, 
notamment  ceux  qu'il  aurait  trouvés  dans  ÏAtlas  linguistique  de  Gil- 
liéron  et  Edmont  :  comment  se  fait-il  qu'il  ait  négligé  de  consulter 
une  source  aussi  capitale,  un  ouvrage  dont  il  se  trouve,  je  crois,  un 
exemplaire  dans  les  bibliothèques  de  tous  les  chefs-lieux  de  France? 
Il  dit  bien,  au  cours  de  sa  bibliographie,  qu'il  regrette  vivement  de 
n'avoir  pu  s'en  servir;  en  réalité,  ce  n'est  pas  là  une  excuse.  On 
pourrait  encore  noter  dans  cette  bibliographie  une  certaine  absence 
d'information  précise  (le  Grundriss  de  Groeber  et  le  Lateinisch-roma- 
nisclies  Woerterbuch  de  Koerting  n'y  sont  pas  cités  d'après  les  der- 
nières éditions),  ou  même  des  lacunes  (les  N eufranioesische  Dialekt- 
texte  éd'nés  en  1906  par  E.  Herzog  auraient  pu  être  consultés  avec 
fruit).  Mais  enfin  passons. 

Il  résulte  de  tout  cela,  de  l'emploi  d'une  méthode  souvent  flottante, 
ou  même  d'une  notation  qui  n'est  qu'à  moitié  phonétique  {ou  pour  u, 
etc.),  que  le  livre  de  M .  V.  ne  laisse  pas  toujours  au  premier  abord 
une  impression  très  nette.  Les  faits  y  sont  en  général,  mais  il  faut 
parfois  un  peu  les  y  chercher  :  et  surtout  ceux  qui  sont  relatifs  à 
Saint-Etienne,  c'est-à-dire  au  point  étudié,  ne  se  trouvent  pas  assez 


476  REVUE    CRITIQUE 

mis  en   relief  et  restent   un   peu  noyés  dans  l'ensemble.  Qu'il  y  ait 
d'abord  dans  l'exposé  des  inadvertances  assez  fréquentes,  on  pourrait 
le  prouver  sans   peine,    et  en  voici    quelques-unes  que  je  relève  au 
hasard.  Au  si  233,  il  est  dit  que  1'//  de  butyro  est  suivi  d'un  yod  :  mais 
où  est  ce  yod,  et  comment  cela  s'accorde-t-il  avec  le  «^'401  où  l'on 
constate  que  le  groupe  /;•  subit  à  Saint-Kticnnc  le  même  traitement 
qu'en  fiançais?  Au  i^  238  (qui  a  été   mal  numéroté  ,  le  mot  castanea 
est  indûment  place  à  côté  de  camino  ci  caballo,  c'est-à-dire  de  mots 
où  Va  iniiial  derrière  palatale  est  libre.  D'après  les  exemples  allégués 
au  v!  5oo,  il  me  paraît  bien  difficile  aussi  de  saisir  le  raisonnement  qui 
est  fait   à  cet  endroit  sur   une  distinction  entre  é  et  è.   Mais  ce  qui 
frappe  surtout  dans  celte  étude,  ce   qui  prouve  à  maintes   reprises 
combien  l'auteur  a  eu  de  difficulté  à  se  placer  à  un  point  de  vue  stric- 
tement phonétique,  ce  sont  çà  et  là  des  expressions  tantôt  singulière- 
ment gauches,   tantôt  tout  à  fait  défectueuses.  Ainsi,  au  §  388,  que 
signifie  «  t  intervocàlique  en  latin,  appuyé  en  roman  »?  Ce  n'est  pas 
le  /  qui  a  été  «  appuyé  »,  et  s'il  l'avait  été  à  un  moment  quelconque, 
il  ne  serait  pas  devenu  d  :  l'expression   est   inexacte.    En   voici,  au 
§  493,  une  qui  est  bien  plus  regrettable  encore  :  «  L'évolution  de  ce 
groupe  de  lettres  est  en  général  rendue  obscure...  »  Ceci  est  affreux, 
et  jusqu'à  quand  faudra-t-il  répéter  que  ce  ne  sont  pas  les  lettres  qui 
évoluent,  mais  les  sons!  L'expression  nous  choque  d'autant  plus  que 
précisément  le  passage  où  elle  se  trouve  était  intéressant,  que  la  dis- 
cussion n'était  pas  mal  menée,  et  qu'il  était  question  d'un  mouille- 
ment  de  //  final   auquel   on   n'a  pas  toujours  prêté  assez   attention, 
celui   qui,   sur    une    certaine  aire,    a  transformé  gallum   en  jay.   Je 
pourrais  ajouter  que  si  M.  V.  pèche  quelquefois  faute  d'avoir  un  sens 
phonétique  assez  aiguisé,  il  ne  semble  pas  posséder  non   plus  d'une 
façon  très  sûre  les  principes  de  la  philologie  romane,  ce  qui  lui  aurait 
évité  bien  des  recherches  faites  en  pure  perte.  Car  s'il  les  avait  mieux 
possédés,  il  ne   se  serait   pas  donné  le  stérile  plaisir  d'aller  parfois 
découvrir  dans  des  chartes  tardives  de  l'époque  carolingienne  cer- 
tains faits  qui  sont  attestés  déjà  pour  la  période  du   latin  vulgaire. 
Par  exemple,  il  n'y  a  rien  d'étonnant  (p.    112)  à  ce  qu'on  rencontre 
paor  en  vieux  lyonnais  ou  ailleurs,   puisque,  ainsi  que   le  constate 
l'auteur  lui-même  à  la  page  suivante,  cette  forme  sans   v  se  trouve 
déjà  dans  VAppendix  Probi.  11  n'est  pas  douteux  (^p.  6\)  (\uq  vecino 
pour  vicino  remonte  au  latin  vulgaire  ;  mais  il   ne  s'ensuit  pas  qu'on 
ait  eu  dès  la  même  époque  un  type  vesione  pour  visione,  et  les  condi- 
tions dans  lesquelles  ïi  initial  s'est  d'abord  affaibli  sont   bien  con- 
nues. A  propos  du  nom  de  nombre  vint  (p.   loi),  il   est  tout  à  fait 
chimérique  de  supposer  un  intermédiaire  vient  remontant  à  viginti  : 
on  sait  assez  que  la  forme  du  mot  était  déjà  venti  en  latin  vulgaire,  et 
que  dans  toute  la  Gaule  l'e  s'est  changé  en  i   sous  l'influence  de  la 
finale.  Enfin  bien  inattendue  est  à  la  p.  7  l'intervention  de  rogitus  ou 


d'histoire  et  de  littérature  477 

roitiis  pour  fOi^atiis,  considère  comme  forme  màconnaise  (!)  sous  pré- 
texte qu'on  le  trouve  dans  des  chartes  de  Cluny  :  il  est  pourtant  bien 
connu  que  ces  participes  forts  en  -itiis  s'étaient  développés  dans  le 
latin  parlé,  et  les  inscriptions  de  l'époque  impériale  en  font  foi.  C'est 
ce  que  J'appelle  ne  pas  être  assez  silr  de  son  commencement.  Mais  en 
voilà  suffisamment  sur  ces  menus  détails. 

J'ai  dit  que  les  discussions  de  M.  V.  sont  parfois  un  peu  confuses, 
qu'il  n'a  pas  toujours,  surtout  en  fait  de  phonétique,  pleinement  maî- 
trisé la  matière  ;  bref  que  l'impression  qui  en  reste  n'est  pas  très  nette. 
La  place  me  manque  un  peu  ici  pour  en  faire  une  démonstration  en 
règles.   On  en  trouvera  un  exemple  presque  dès  le  début  (§  90  suiv.), 
à  propos  des  infinitifs  en  -yar  et  des  participes  en  -yat,  et  c'est  là 
qu'intervient  le  fameux  rogitus  :  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  ces 
flexions  aboutissent  toutes  les  deux  à  -i  à  Saint-Etienne,  et  cette  éga- 
lité de  traitement  est  assez  spécifique  pour  la  région.  La  discussion 
sur  Vo  ouvert  n'est  pas  elle  non  plus  un  modèle  de  clarté  :  les  signes 
graphiques  employés  qui  sont  tantôt  ceux  des  auteurs  du  xvii''  siècle, 
tantôt  des    notations  plus  phonétiques  l'obscurcissent  encore,  et  on 
saisit  mal  pourquoi  des  mots  comme  grosso  et  osso  ont  été  rangés 
parmi  ceux  où  la  voyelle  est  libre.  Je  ne  dis  pas  que  cette  question  de 
Vo  fût  facile  :  je  me  plains  que,  malgré  le  tableau  synoptique  placé  à 
la  fin,  elle  ne  se  trouve  guère  élucidée.  J'aime   bien  mieux,  et  je  l'ai 
déjà  dit,  ce  qui  a  trait  (§  5o8)  au  traitement  de  //  final  :  il  y  a  là  des 
indications  qui  méritent  d'être  prises  en  considération,  seulement  il 
ne  faudrait  pas   pousser    aussi  loin  que  cela  a  été  fait,  le  parallèle 
avec  les  mots  gascons  du  type  betetch.  —  Maintenant  si  de  la  phoné- 
tique nous  passions  à  la  morphologie,  je  ferais  remarquer  que  M.  V. 
émet  sur  certaines  formes  des  hypothèses  bien  contestables,  qu'elles 
soient  de  lui,  ou  qu'il  les  fasse  siennes.  Je  doute  par  exemple  qu'un 
possessif  comme  noutron  représente  le  latin  noslriim  avec  m  finale 
conservée  et  l'explication  tentée  au  ^  646  ne  m'a  pas  convaincu  :  faute. 
de  mieux,  je  préfère  m'en  tenir  à  l'influence  du  singulier  mon  invo- 
quée par  M.  Meyer-Luebke.  Je  doute  également  (malgré  l'autorité  de 
M.  Philipon,  §  7t)7)  qu'une  première  personne  de  l'imparfait  comme 
je  fe\in{s)  reproduise  le  \-AU\-\facebam,  toujours  avec  m  conservé,  mais 
pourquoi,  voilà  ce  qu'on  ne  dit  pas,  et  qu'a  ici  à  voir  une  influence 
savante?  J'aimerais  encore  mieux  songer  tout  compte  fait  —  mais 
dans  des  conditions  qui  resteraient  à  examiner  —  à  une  réaction  pos- 
sible des  formes  du  pluriel  sur  le  singulier.  Enfin  la  fameuse  question 
des  présents  du  subjonctif  franco-provençaux  dits  seconds,  en  -ei'ie, 
est  ici  discutée  (§810  suiv.)  :  comme  une  forme  ameiie  correspond  à 
un  type  théorique  amesiam,  la  solution  proposée  consiste  à  le  tirer  de 
ame  [m]  -\- siam  (subjonctif  de  l'auxiliaire).  Même  lorsqu'on  n'a  rien  à 
y  substituer,  il  faut  opposer  une  fin  de  non-recevoir  à  une  solution  de 
ce  genre,  qui  n'est  donnée,  je  le  reconnais,  que  sous  toutes  réserves, 


4-8  REVUE    CRITIQUE 

mais  qui  choque  vraiment  trop  les  idées  qu'on  peut  se  faire  sur  révo- 
lution morphologique.  Tout  cela  prouve  que  M.  V.  n'a  peut-être  pas 
un  sens  linguistique  très  exercé.  Mais  les  réserves  une  fois  faites,  il 
convient  de  répéter  qu'il  a  beaucoup  travaillé;  il  s'est  attaqué  à  un 
sujet  qui  n'était  point  facile,  il  a  réussi  à  en  embrasser  l'ensemble 
grâce  à  des  efforts  méritoires  et  qui  ne  seront  pas  stériles.  Grossi  d'un 
lexique  qui  n'a  pas  moins  de  200  pages  et  qui  contient  un  dépouille- 
ment très  complet  des  textes  patois,  son  livre  offre  un  recueil  de 
matériaux  d'une  grande  richesse  ;  il  sera  consulté  avec  fruit,  et  si  l'in- 
terprétation des  faits  y  laisse  parfois  à  désirer,  on  y  trouvera  du  moins 
le  moyen  de  les  saisir  dans  leur  ensemble. 

L'auteur  nous  a  encore  facilité  la  tâche  en  éditant  à  part  le  plus 
ancien  texte  patois  de  Saint-Etienne,  qui  est  un  Ballet  Foresien  com- 
posé en  i6o5.  Il  l'a  fait  précéder  de  détails  intéressants  sur  les  autres 
poètes  locaux  du  xvii^  siècle,  les  Chapelon,  qui  ont  formé  une  sorte 
de  dynastie.  L'édition  de  ce  petit  poème  de  466  vers  est  faite  avec 
tout  le  soin  désirable,  accompagnée  d'une  traduction  française,  et 
suivie  d'un  glossaire.  Quant  au  ballet  lui-même  —  dont  les  entre- 
parleurs sont  trois  couples  de  bergers,  deux  jeunes  et  l'autre  vieux  — 
il  présente  une  grande  naïveté  scénique,  procédant  d'un  bout  à  l'autre 
par  petits  discours  qui  alternent  et  se  succèdent.  Le  style  en  est  par 
endroits  d'une  assez  franche  crudité,  et  certains  vers  font  un  peu  plus 
que  braver  l'honnêteté  :  mais  c'est  un  bon  texte  patois,  et  nous  ne 
pouvons  que  remercier  M.  Vey  de  l'avoir  mis  à  notre  disposition. 

E.    BOURCIEZ. 


Léo  Claretie,  Feuilles  de  route  en  Roumanie  :  La  Roumanie  intellectuelle 
contemporaine.  Paris,  E.  Sansot,  191  2;  un  vol.  in- 16,  de  269  pages. 

Ecrit  sans  prérentions  scientifiques,  et  d'une  façon  peut-être  un 
peu  rapide,  ce  livre  a  le  mérite  de  répondre  assez  bien  à  son  titre,  et 
serait  pour  le  grand  public  auquel  il  s'adresse,  une  initiation  très 
nécessaire  chez  nous.  Il  se  compose  de  trois  chapitres  qui  sont  d'un 
aspect  différent,  et  aussi  de  valeur  inégale.  Dans  le  premier,  l'auteur 
a  voulu  nous  mettre  au  courant  du  mouvement  intellectuel  de  la  Rou- 
manie, et  embrassant  à  la  fois  la  poésie,  le  roman,  le  théâtre,  l'his- 
toire, etc.,  il  a  dû  forcément  citer  beaucoup  de  noms,  noms  d'hommes 
ou  noms  d'œuvres  :  ce  qui  fait  que  nombre  de  ces  pages  tournent  à 
rénumération  pure  et  presque  au  catalogue  de  librairie.  Il  est  difficile 
d'ailleurs  de  faire  autrement,  lorsqu'on  parle  de  littérature  contem- 
poraine, qu'on  essaie  de  n'oublier  personne,  et  qu'on  manque  du 
recul  nécessaire  pour  opérer  un  triage  et  situer  les  choses  à  leur  rang. 
J'aime  bien  mieux  le  second  chapitre,  celui  où  M.  G.  nous  parle  de 
la  littérature  orale  populaire  des  Roumains  :  là,  après  quelques  détails 
intéressants  sur  la  façon  dont  ont  été  recueillies  ces  légendes  versi- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  4JC) 

fiées,  il  a  su  choisir  les  plus  typiques,  et  les  analyser  avec  goût,  sans 
altérer  ce  qu'elles  ont  de  naif  et  de  sauvage,  mais  en  les  encadrant 
dans  le  paysage  où  elles  sont  nées,  et  en  faisant  ressortir  l'état  d'âme 
qui  s'v  révèle.  Le  dernier  chapitre  est  consacré  à  un  examen  de 
l'œuvre  de  Carmen  Sylva,  et  quoique  ce  soit  peut-être  la  partie  du 
sujet  la  moins  ignorée  chez  nous,  on  ne  le  lira  pas  sans  profit.  —  Une 
légère  critique  pour  terminer.  M.  Claretie  a  souvent  estropié  les 
noms  des  auteurs  roumains  en  les  italianisant  à  outrance.  Pour  les 
mots  qu'il  a  eu  à  citer  dans  des  titres  d'ouvrages  ou  ailleurs,  il  s'est 
permis  une  orthographe  fantaisiste.  Pourquoi  par  exemple  écrire 
romanesc  l'adjectif  qui  se  prononce  rominesc?  Pourquoi  à  la  p.  94  y 
a-t-il  plusieurs  fois  la  forme  barbare  Viata  «  la  Vie  »,  au  lieu  _de 
Viat^a  qui  est  tout  indiqué,  si  l'on  ne  veut  pas  se  servir  du  t  pointé? 
L'auteur  semble  avoir  compté  sur  l'ignorance  des  lecteurs  français. 
Mais  que  diront  de  ces  négligences  les  Roumains  qui  certainement 
liront  son  livre  ? 

E.  BOURCIEZ. 


A.  DE  Galonné  Beaufaict,  Études  Bakaago.  Notes^de  sociologie^  coloniale. 
Postface  de  E.  Waxweiler,  professeur  à  l'Université  de  Bruxelles,  directeur  de 
l'Institut  de  sociologie  Solvay  (Liège,  Mathieu  Thone,  191 2,  gr.  in-S",  i52  p., 
19  vues  photogr.  dans  le  texte,  3  planches  hors  texte). 

L'on  ne  saurait  trop  louer  les  nations  qui  procèdent  à  l'inventaire 
méthodique  de  leurs  possessions  coloniales,  corps  et  biens  —  et 
âmes.  Et  c'est  peut-être  les  âmes  qu'il  importe  surtout  de  connaître  : 
elles  fournissent  l'explication  du  reste.  Les  Belges,  avec  leur  sens 
pratique,  ont  entrepris  une  série  d'enquêtes  ethnographiques  {Col' 
lection  des  Monographies  ethnographiques)^  publiée  par  Cyr.  Van 
Overbergh,  à  Bruxelles,  avec  le  sous-titre  :  Sociologie  descriptive 
('8  vol.  parus). 

Les  Etudes  Bakango,  pour  n'appartenir  pas  à  cette  collection, 
s'inspirent  de  la  même  méthode  de  sociologie  coloniale  que  M.  'Wax- 
weiler définit  dans  une  postface  dogmatique  et  d'une  littérature  raffi- 
née. M.  de  Galonné  Beaufaict  a  observé  scientifiquement  et  intelli- 
gemment (ces  deux  termes  ne  sont  pas  toujours  synonymes)  le  type 
Mokango  (au  pluriel  :  Bakango).  Les  Bakango,  peuplade  de  pêcheurs 
sur  les  rives  de  l'Uélé,  appartiennent  à  la  race  bantu;  mais  leur  mode 
d'existence  et  leur  habitat  les  a  différenciés  :  ainsi  le  mécanisme  de 
leur  idiome  se  ressent  de  la  nécessité  de  s'interpeller  à  longue  dis- 
tance entre  les  ilôts  rocheux  du  fleuve  ;  leur  case  [sanga)  n'a  point  le 
même  appareil  architectural  ni  le  même  style  que  celle  des  sylvicoles. 
L'outillage  de  pêche,  que  l'auteur  a  minutieusement  étudié,  est  mer- 
veilleusement adapté  au  régime  hydrographique,  aux  mœurs  des 
poissons;  le  travail  s'exécute  par  clans,  que  M.  de  G.  B.  appelle 
«   parentés   »  ;  ces  clans  sont   des  coopératives,  comprenant   quatre 


480  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    KT    DE    LITTÉRATURE 

adultes  au  moins.  Le  produit  de  la  pjchc  est  cchangé  par  troc  contre 
les  denrées  et  les  articles  indispensables;  des  routes,  des  chemins  de 
fera  voie  étroite,  inviteront»  l'Homme  de  l'Eau  »  à  augmenter  sa 
production,  à  adopter  des  procédés  nouveaux,  transformations  qui 
s'accomplissent,  au  dire  de  la  sociologie,  sous  l'intiuence  de  crises 
économiques  et  sociales.  Les  Bakango  sont  polygames,  parce  que  la 
mortalité  infantile  chez  eux  est  énorme  et  qu'il  faut  fabriquer  des 
travailleurs  :  l'aperçu  est  ingénieux.  M.  de  C.  B.  assure  que  le  gou- 
vernement colonial  se  les  est  aliénés  en  les  soumettant  à  des  chefs 
d'une  tribu  qu'ils  méprisent. 

B.  A. 


Gottlieb  von  Tiiater,  Moine  Feldzugserinnerungen  1870-71.   Munich,    Oscar 
Beck,  igi2.  In-8»,  229  p.  3  fr.  5o. 

Intéressants  Souvenirs.  L'auteur  arrive  à  Frœschwiller,  après  la 
bataille,  et  il  a  dès  lors  dépouillé  ce  qu'on  pourrait  nommer  sa  timi- 
dité bavaroise,  il  a  confiance,  il  marche  sous  le  «  commandement 
éprouvé  »  des  Prussiens  et  d'un  bout  à  l'autre  du  volume,  il  parle  des 
Prussiens  comme  ses  maîtres.  Il  assiste  aux  batailles  de  Beaumontet 
de  Sedan,  à  celle  de  Beaugency-Cravant  ;  il  cantonne  devant  Paris;  il 
voit  d'assez  près  la  Commune.  Son  récit  est  net,  chaud,  saisissant 
(voir  par  exemple,  le  passage  où  l'aumonier  de  la  division  apparaît 
soudain  sur  un  talus,  et  revêtu  de  son  étole,  donne  l'absolution  à  tous 
les  Bavarois  qui  passent  et  qui  se  signent  dévotement,  ménie  ceux  qui 
ne  sont  pas  catholiques).  Gottlieb  deThater,  alors  lieutenant,  aujour- 
d'hui général,  sait  apprécier  ce  qu'il  y  a  d'adresse  et  d'énergie  chez  les 
Français;  il  nous  juge  impartialement;  il  donne  surtout  de  curieux 
renseignements  sur  l'armée  bavaroise  et  on  sent  qu'il  a  écrit  ses 
Mémoires  avec  amour  ;  tous  ses  faits  et  gestes  d'alors  lui  sont  encore 
présents;  1870-1871,  voilà  sa  période  héroïque,  la  seule  où  il  valait 
la  peine  de  vivre,  et  depuis,  son  existence  lui  semble  plate  et  vul- 
gaire '. 

A.   Chuquet. 


Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  — Séance  du  2g  novembre  igi2. 
—  La  séance  a  été  tout  entière  consacrée  à  la  continuation,  en  comité  secret,  de 
l'exposition  des  titres  des  candidats  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par 
suite  du  décès  de  M.  Philippe  Berger. 

Léon  Dorez. 

1.  «  Verflachl  in  den  Alltag]».  Nous  avons  analysé  plus  longuement  ces  Mémoires 
dans  \^.  Revue  (ancienne  Revue  des  Revues)  du  i"  novembre  et  nous  reproduirons 
prochainement  cette  analyse  dans  la  ô^  série  de  nos  Etudes  d'histoire. 

L'imprimeiir-gêrant  :  Ulysse  Rouchon. 


LE  PUY-EN-VELAY.  —  IMPRIMERIE  PEYRILLER,  ROUCHON  ET  GAMON. 


REVUE     CRITIQUE 


D'HISTOIRE     ET     DE     LITTÉRATURE 


N»  51  —  21  décembre  —  1912 


Bruhniîs,  La  géographie  hiiir.aine,  2°  éd.  —  PisciiEr.,  Vie  du  Bouddha.  —  Ij'.mmann, 
Le  bouddhisme.  —  Narasu,  L'essence  du  bouddhisme  —  Jogleka.r,  Açvaghosa. 

—  FoRMiCHi,  Le  Buddhacarita.  —  Pilsudski,  L'aïno.  —  Uhlenbeck,  Les  Indiens 
Blackfoot,  H.  —  Persson,  Contribntions  à  l'étude  des  langues  indo-européennes. 

—  J.\consTiiAi.,  Vases  de  Gœttingue.  —  DWrbois  de  Jlbai.nville,  Traduction  du 
Tâin  bô  Cùalngc,  III.  —  Dodgson,  Les  formes  verbales  du  Nouveau  Testament 
basque.  —  Huon  le  Roi,  Le  Vair  Palefroi,  p.  Langfors.  —  Levasseur,  Histoire 
du  commerce  extérieur  de  la  France,  IL  —  M.  Reclus,  Ernest  Picard.  — 
DuciiESNE  et  Grandsaigne,  Le  château  de  Madrid.  —  Leroux-Cesbron,  Aux  por- 
tes de  Paris.  —  Tohler,  Mélanges  de  grammaire  française,  V.  —  PfleideRer, 
Le  christianisme  dans  la  philosophie  grecque,  2«  éd.  —  Strotii.mann,  Les  zaïdi- 
tes.  —  N.  MïiLLER,  La  catacombe  juive  de  Monteverde.  —  Baumgarten,  Ser- 
mons. —  SiMONS,  Travaux  théologiques.  —  Jovy,  Six  lettres  de  Bossuet.  — 
C.  Janet,  La  forme  des  icebergs,  —  Sahr,  Extraits  du  xvr  siècle  allemand.  — 
Choses  et  mots,  III  et  IV.  —  Académie  des  inscriptions. 


Jean  Brunhes.  La  géographie  humaine.  Deuxième  édition,  revue  et  augmen- 
tée. Avec  272  gravures  et  cartes  dans  le  texte  ou  hors  texte  (dont  66  nouvelles). 
Paris,  Félix  Alcan,  191 2,  xv-802  p.  Prix  :  20  fr. 

En  signalant  ici  (3o  septembre  191  i)  la  première  édition,  nous 
sollicitions  de  l'auteur  un  compendium  de  son  ouvrage  ;  cette  seconde 
édition  apporte  un  commencement  de  satisfaction  à  ce  vœu  :  en  dépit 
d'une  illustration  renforcée,  elle  est  réduite  d'une  quarantaine  de 
pages;  ce  que  M.  Brunhes  annonce  avec  une  aimable  contrition  : 
«moins  de  pages  et  plus  de  choses  ».  Le  second  terme  de  ce  pro- 
gramme s'entend  des  «  additions  explicatives  »,  que  M.  Brunhes 
laisse  aux  lecteurs  le  plaisir  de  découvrir.  Recherche  fructueuse  : 
car  elle  oblige  à  pénétrer  davantage  cette  œuvre  où  la  matière, 
pourtant  si  copieuse,  n'étouffe  pas  la  doctrine.  L'auteur  a  nourri  le 
chapitre  vm  (p.  534-45)  d'une  description  des  Baléares  ;  mais  ailleurs, 
il  a  précisé  ses  points  de  vue  en  réponse  à  quelques  critiques.  On  lui 
avait  reproché  par  exemple  de  ne  vouloir  point  faire  état  de  l'ethno- 
logie ;  il  atteste  (p.  566j  qu'elle  n'est  point  négligeable  et  qu'il  ne 
l'a  pas  dédaignée  de  parti-pris.  Plus  loin,  il  interroge  le  concept  des 
frontières  prétendues  naturelles  ip.  7321.  Enlin  à  quelques-uns  le 
champ  d'observation  de  M.  Brunhes,  que  d'autres  jugent  illimité,  a 
paru  trop  restreint  et  superficiel,  ne  dépassant  pas  le  «   visible  »   et  le 

Nouvelle  so'rie  LXXIV.  5i 


482  REVUE    CRITIQUE 

«  photographiable  ».  L'auteur  déclare  qu'il  n'exclut  pas  ces  «  facteurs 
impondérables  et  immatériels,  qui  font  la  vie  des  sociétés,  qui  font 
les  mœurs,  l'histoire,  la  civilisation...  »  Ces  éléments  ont  leur  place 
dans  le  cadre,  ou,  selon  l'expression  de  M.  B.,  «  dans  l'ordre  géogra- 
phique ». 

La  préface  est  encore  datée  de  Fribourg,  où  sans  doute  la  géogra- 
phie humaine  a  été  d'abord  professée.  Désormais  elle  entre  en  un 
contact  plus  immédiat  avec  les  étudiants  et  le  public  français,  puis- 
qu'une initiative  généreuse  l'a  domiciliée  au  Collège  de  France  et  lui 
a  procuré  la  consécration  officielle;  ce  qui,  en  notre  pays,  confère  à 
une  science  son  éminente  dignité. 

B.  A. 


R.  PiscHEL,  Leben  und  Lehre  des  Buddha.  2'*  Auflage.  Leipzig;  1910,  126  pp. 

(Aus  Natur  und  Geisies\\clt).  i   mk. 
Edv.  Lehmann,  Der  Buddhismus,  ais   Indische    Sekte,  als  Weltreligion.  Tùbin- 

gen  ;  Mohr.  igi  i,  274  pp.  5  mk. 
P.   Lakshmi  Narasu,  The  Essence  of  Buddhism.  2d  Edition,  Madras,  Varada- 

chariet  Co.  1912,  359  pp. 
K.  M.   JoGLEKAR,  Ashvaghosha's  Buddha-charita  iCantos  I-V).  Introduction, 

Notes    and   Translation.  With    a   Scholium   by    Dattatraya    Shastri    Nigudkar. 

Bombay;  Or'  Publishing  Company,    191 2,  2  Rs. 
C.  FoRMicHi,  Açvaghosa  Poeta  del  Buddhismo.  Bari  ;    Laterza  e  Figli,  19 12, 

408  pp.  (Biblioteca  di  Cultura  moderna).  5  L. 

Le  petit  volume  de  Pischel  sur  la  Vie  et  la  Doctrine  du  Bouddha  a 
été  rapidement  épuisé.  Il  méritait  son  succès.  P.  avait  réussi  à  con- 
denser dans  un  mince  opuscule  une  masse  énorme  de  faits,  tirés 
directement  des  sources,  clairement  exposés,  avec  une  sympathie  dis- 
crète qu'on  a  pourtant  taxée  d'exagération.  M.  Liiders,  le  successeur 
de  P.  à  l'Université  de  Berlin,  a  revu  la  seconde  édition;  son  inter- 
vention s'est  bornée  à  de  légères  retouches,  dans  les  cas  où  P.  lui- 
même  aurait  voulu  les  faire. 

M.  Lehmann  n'est  pas  un  indianiste;  il  enseigne  l'histoire  des 
religions  à  Berlin,  après  l'avoir  enseignée  à  Copenhague.  S'il  étudie 
le  bouddhisme,  c'est  surtout  pour  y  observer  Je  cas-type  d'une  reli- 
gion universelle;  son  attention  s'arrête  de  préférence  à  la  genèse  de  la 
doctrine,  à  la  disparition  du  bouddhisme  sur  le  sol  indien,  à  ses 
transformations  sur  un  sol  étranger,  La  critique  occidentale  peut,  en 
effet,  se  croire  plus  indépendante  en  face  d'une  religion  de  l'Extrême 
Orient  qu'à  l'égard  du  judaïsme,  du  christianisme,  même  du  maho- 
métisme  où  tant  de  préventions  risquent  de  fausser  le  Jugement.  Mais 
la  contre-partie,  et  qui  compense  lourdement  cet  avantage,  c'est  que 
le  monde  de  l'Inde  réclame  une  longue  initiation,  et  qu'on  peut  diffi- 
cilement se  flatter  de  l'avoir  compris.  Pischel  fondait  le  bouddhisme 
sur  le  sentiment  de  maitrî  (pâli  mettà)  où  il  retrouvait  Và-ft-nr^, 
«l'amour  »  chrétien.  M.  L.,  d'accord  avec  Oldenberg,  réduit  cette 


d'histoire  et  de  littérature  483 

vertu  à  une  «  bienveillance  »  indifférente.  Le  pessimisme  bouddhique 
a  défrayé  bien  des  travaux,  et  provoqué  nombre  d'anatlièmes  ;  c'est 
pourtant  du  bouddhisme  que  se  réclament  les  races  les  plus  sou- 
riantes de  la  terre,  les  Birmans  et  les  Japonais.  M.  L.  a  tracé  un 
tableau  honnête  et  loyal;  la  vie  active  et  pratique  du  bouddhisme  lui 
échappe  ;  il  ne  l'a  pas  étudié  en  fonction  de  l'histoire  indienne. 

Le  bouddhisme   ne   provoque  pas  moins   de  curiosité    dans  l'Inde 
qu'en  Occident;   il   est    naturel    qu'il  y   éveille  plus   de  sympathies, 
puisque  l'Inde  est  sa  patrie.  L'Essence  du  Bouddhisme,  par  M.  Lak- 
shmi  Narasu,   publié  à  Madras  en  1907,  atteint  déjà  sa  seconde  édi- 
tion. L'ouvrage  a  été  notablement  remanié  et  aiTipHHé;   l'auteur  a  eu 
l'heureuse  idée  de  l'illustrer  à  profusion  en  prenant  de  toutes  mains  : 
images  du  Bouddha,  des  saints;  scènes  peintes  ou  sculptées  ;  temples 
anciens  ou  modernes;  œuvres  d'art  de  l'Inde,  de  l'Indo-Chine,  de  la 
Chine,  du  Japon.  Le  lecteur  passe  en  revue  le  monde  bouddhique  du 
passé  et  du  présent,  et  se  sent  en  contact  avec  des  réalités.  C'est  là 
un  complément  avantageu.x,  car  le  livre  n'est  qu'un  exposé  de  doc- 
trine. M.  L.  N,  n'est  pas  un  bouddhiste  de  naissance  ;  il  est  venu   au 
bouddhisme  par  un  choix  voulu;  il  y  trouve  la  religion  de  la  raison, 
qu'il  avait  en  vain  cherchée  à  travers  les  civilisations.  Il  a   beaucoup 
lu,  connaît  la  plupart  des   travaux  européens,  et  quoiqu'il  se  défende 
modestement  d'être  un  sanscritiste,  il  cite  aisément  ses  textes  sans  les 
écorcher.  Dans  son   effort  pour  dégager  le  tréfonds  du  bouddhisme, 
il  plane  au-dessus  des  sectes  ;  sanscrit  et  pâli  fraternisent  chez  lui. 
Son  inspiration  tient  du  «  modernisme  »;  il  ne  se  soucie  pas  de  mar- 
quer une  à  une  les  étapes  des  dogmes  ;  il  applique  à  sa  façon  la  vieille 
formule  :  c<  Parole  bien  dite,  parole  du  Bouddha  >>  ;  et,  avec  les  maté- 
riaux pris  un  peu  partout  dans  l'immense  littérature  du  bouddhisme, 
il  construit  un  exposé  honnête  et  cohérent.  C'est  son  droit,  et  nul  ne 
peut  lui  reprocher  d'en  user,  quand  il  s'agit  d'un  acte  de  foi.  Mais  la 
critique  historique  a  d'autres  exigences. 

Açvaghosa  est  une  des  figures  les  plus  saillantes  du  bouddhisme 
indien  (je  n'ai  pas  rencontré  son  nom  chez  M.  Lehmann).  Poète, 
musicien,  philosophe,  il  a  marqué  partout  son  empreinte  fécondante. 
Les  fouilles  de  l'Asie  Centrale  viennent  de  le  révéler  comme  l'an- 
cêtre du  théâtre  indien  ;  le  Népal  a  rendu  récemment  une  épopée 
d'Açvaghosa  dont  le  titre  même  était  oublié.  Son  poème  sur  la  Vie 
du  Bouddha  (Buddhacarita),  longtemps  négligé,  n'est  imprimé  que 
depuis  vingt  ans  :  il  a  pris  rang  aujourd'hui  parmi  les  chefs-d'œuvre 
de  la  littérature  sanscrite.  La  tradition  du  texte  est  assez  pauvre  ;  on 
ne  disposait  jusqu'ici  que  de  manuscrits  népalais  de  basse  date  et 
dérivés  du  même  exemplaire,  M.  Joglekar  a  eu  la  bonne  fortune  de 
découvrir  trois  manuscrits  indépendants  dans  la  région  de  Bombay, 
où  personne  ne  s'attendait  à  les  rencontrer  ;  par  une  amusante  fantai- 
sie du  sort,  deux  d'entre  eux  appartiennent  à  des  Jainas,  qui  vénèrent 


aSa.  revue  critiquk 

dévoiemcnt  ces  textes,  écrits  pourtani  à  la  gloire  d'une  église  abhor- 
rée, mais  que  leur  pieuse  ignorance  tient  pour  orthodoxes.  {)n  des 
manuscrits  va  jusqu'au  vers  90  du  chant  XII;  un  autre  n'a  que  dix 
chants;  un  autre  enfin  n'a  pu  être  collaiionné  que  pour  les  deux 
premiers  chants.  A  l'aide  de  ces  matériaux,  M.  J.  a  préparé  une  nou- 
velle édition  ;  il  en  donne  les  chants  I-V  dans  le  premier  fascicule. 
Les  variantes  n'ont  qu'un  intérêt  médiocre;  elles  n'auraient  pas  sufli 
à  justifier  une  édition  nouvelle.  Les  notes  explicatives,  en  anglais, 
que  M.  J.  a  placées  à  la  suite  du  texte,  ne  dépassent  pas  non  plus  une 
honnête  médiocrité.  Toutefois  l'éditeur  a  eu  du  moins  une  heureuse 
idée;  il  a  demandé  à  un  pandit,  M.  Datiatreya  Shastri  Nigudkar, 
un  commentaire  en  sanscrit  sur  le  poème  d'Açvaghosa.  C'est  un 
spectacle  piquant  de  voir  un  savant  forme  par  les  écoles  brahma- 
niques s'attaquer  aux  difficultés  d'une  œuvre  bouddhique  ;  il  a  parfois 
d'heureuses  trouvailles,  par  exemple,  I,  i  5,  m âydpagateva  analysé 
en  ma yâ  ap'  «  comme  Ma  (:=  Çrï)  isolée  de  la  personne  du  roi  ». 
Mais  l'éditeur  et  le  commentateur  sont  trop  étrangers  aux  choses  du 
bouddhisme  pour  rendre  de  réels  services  à  l'interprétation.  .le  citerai 
seulement  la  lecture  cyiito'  thà  kâyât  piintât  qu'ils  ont  acceptée  sans 
sourciller  I,  ig.  M.  J.  annote  :  «  piisitât  =  wellnourished.  This  is 
certainly  not  a  very  happy  and  poetic  idea  ».  L'idée  appartient, 
hélas!  à  M.  J.  tout  seul.  Cowell  et  un  des  nouveaux  manuscrits  don- 
naient bien  imitât;  il  s'agit  des  dieux  Tusitas,  qui  doivent  de  toute 
nécessité  figurer  ici. 

Sous  un  titre  trop  large  et  qui  déborde  le  véritable  sujet,  M.  For- 
michi,  professeur  à  l'Université  de  Pise,  donne  une  version  italienne 
du  Buddhacarita,  avec  une  introduction  et  des  notes.  Admirateur 
enthousiaste  et  délicat  des  beautés  du  poème,  M.  F.  a  voulu  en 
ouvrir  l'accès  au  public  cultivé.  Mais  le  public,  en  Italie  comme  ail- 
leurs, sait  trop  peu  de  l'Inde  pour  entrer  de  plain-pied  dans  une 
œuvre  de  la  littérature  indienne.  M.  F.  a  donc  mis  devant  sa  traduc- 
tion une  Introduction  de  120  pages  où  il  analyse  et  commente  le 
Buddhacarita.  Mais  les  spécialistes  trouveront  aussi  leur  compte 
dans  le  livre  de  M.  F.  L'auteur  a  tenu  à  établir  solidement  son  texte 
avant  de  le  traduire;  il  a  passé  au  crible  l'édition  de  Cowell  et  les 
corrections  qu'ont  proposées  tant  de  savants  de  marque,  Boethlingk, 
Kielhorn,  Speyer,  etc.  :  ses  discussions,  toujours  courtoises,  marquent 
à  la  fois  un  érudit  et  un  artiste. 

Sylvain  Lévi. 

Bronislaw  Pilsudsri,  Materials  for  the  Study  of  the  Ainu  Language  and 
Folklore,  eJited  under  the  supervision  of  J.  Rozwadowski.  Cracow  (Spolka 
wydawnicza  polska),  1912,  in-S",  xxviii-342  p. 

Exilé  en  Sibérie  pendant  plus  de  dix-huit  ans  par  le  gouvernement 
russe,  un  Polonais  de  haute  culture,  M.  Pilsudski,  a  passé  quelques- 


d'histoire  et  de  littérature  485 

unes  dos  dornicrcs  années  de  son  séjour  force  en  Exirèmc-Oricni  dans 
Tilc  de  Sakhaline,  ci  il  en  a  proriié  pour  étudier  attentivement  les 
restes  de  la  population  amo,  qui  attirent  roriement  l'attention  des 
ethnographes.  Pour  pouvoir  faire  ses  observations  d'une  manière 
sûre  et  précise,  M.  P.  a  appris  la  langue  des  Ainos,  et  il  a  recueilli 
autant  de  leur  littérature —  naturellement  orale  — qu'il  Ta  pu.  Le  pré- 
sent volume,  édité  grâce  à  une  subvention  de  l'Académie  de  Gracovie, 
se  compose  essentiellement  de  27  contes,  publiés,  traduits  et  com- 
mentés, et  ce  n'est  qu'une  petite  partie  des  35o  textes  relevés  par 
l'auteur. 

On  possède  déjà  des  descriptions  de  la  langue  aino  ;  on  en  a  des 
grammaires  et  des  dictionnaires.  Mais  il  a  été  publié  peu  de  textes; 
or  on  sait  qu'on  ne  connaît  une  langue  que  si  l'on  en  a  des  textes 
étendus.  Les  textes  publiés  par  M.  Pilsudski  sont  excellents  au  point 
de  vue  lingo-iistique;  grâce  à  leur  extrême  variété,  on  y  trouve  des 
tvpes  de  phrases  de  toutes  sortes,  on  y  peut  observer  l'emploi  des 
formes  grammaticales  et  la  valeur  exacte  des  mots.  Un  commentaire 
abondant  fournit  toutes  sortes  de  renseignements  et  de  détails  sur  les 
formes  grammaticales  employées  et  sur  la  signification  exacte  des 
mots.  La  qualité  de  ce  commentaire  est  du  reste  garantie  par  le  nom 
de  l'éminent  linguiste  de  Gracovie,  M.  Rozwadowski,  qui  a  surveillé 
la  publication.  Les  contes  sont  précédés  d'une  description  phoné- 
tique de  la  langue  aïno,  pour  laquelle  M.  Pilsudski  a  pu  profiter  des 
indications  de  M.  l'abbé  Rousselot  qui  a  eu  occasion  d'observer  à 
Londres,  avec  M.  Pilsudski,  tout  un  groupe  d'Aïnos.  La  publication 
de  M.  Pilsudski  est  donc  précieuse  au  point  de  vue  linguistique. 

Elle  ne  l'est  pas  moins  pour  les  folkloristes  et  les  ethnographes  qui 
y  trouveront  des  documents  de  première  main,  recueillis  dans  des 
conditions  rares  d'exactitude  et  d'authenticité. 

En  permettant  cette  publication,  l'Académie  de  Gracovie  a  donc 
bien  mérité  des  linguistes  et  des  ethnographes;  il  est  à  désirer  que 
le  reste  des  matériaux  recueillis  par  M.  Pilsudski  ne  demeure  pas 
inaccessible  au  public  et  soit  édité  le  plus  tôt  possible. 

A.  Meillet. 


C.  C.  Uhlen'beck,  a  new  séries  of  Blackfoot  texts,  wiih  ihe  help  of  Joseph 
Tatsey,  collected  and  published  witli  an  english  translation  Amsterdam  (chez 
Joh.  Mùller},  1912,  in-S»,  x-264  p.  [VerliandelingeniSc  l'Académie  d'Amsterdam, 
afd.  Letterkunde,  n.  r.,  XIll,  i). 

L'éminent  linguistede  Ltyde,  M.  Uhlenbeck,  a  fait  un  second  séjour 
dans  la  réserve  des  Indiens  Blackfoot,  aux  Etats-Unis;  et,  sans 
attendre  d'avoir  pu  mettre  au  point  l'étude  grammaticale  détaillée 
qu'il  prépare,  il  s'empresse  de  mettre  à  la  disposition  du  public  les 
textes  qu'il  a  recueillis,  accompagnés  d'une  traduction  anglaise.  Soit 
qu'on  s'intéresse  à  la  langue,  soit  qu'on  s'occupe  des  mœurs  et  du 


486  REVUE   CRITIQUK 

folklore,  on  trouvera  dans  ce  recueil  des  matériaux  abondants, 
recueillis  sur  place  par  un  savant  soigneux,  et  l'on  remerciera  l'auteur 
de  la  diligence  avec  Jaquelle  il  fait  proliter  le  public  des  résultats  de 
son  enquête.  M.  Uhlenbeck  a  facilité  l'usage  de  son  recueil  par  un 
index  alphabétique,  et  il  y  a  ajoute  des  corrections  et  additions  à  sa 
précédente  publication  de  textes.  On  souhaitera  que  M.  Uhlenbeck 
donne  le  plus  tôt  possible  la  description  complète  de  la  langue  qu'il 
a  étudiée  sur  place. 

A.  Meillet. 


P.  Pehsson.  Beitraege  zur  indogermanischen  Wortforschung.  Upsal  (Aka- 
demiska  Bokhandcln),  et  en  commission  à  Leipzig  (chez  Harassowitz,  [1912], 
in-S",  viii-i  1 13  p.  (Skifter  utgifna  af  kungl.  humanistika  Vetenskaps-samfun- 
det  i  Uppsala,  Band  X). 

Depuis  son  ouvrage  bien  connu  et  souvent  cité  sur  les  élargisse- 
ments de  racines,  paru  en  i89i,M.  P.  Persson  n'avait  publié  que 
quelques  articles.  Mais  il  n'a  pas  cessé  depuis  de  réfléchir  sur  le  voca- 
bulaire des  langues  indo-européennes,  et  le  gros  ouvrage  qu'il  publie 
maintenant  apporte  le  résultat  de  longues  années  de  travail.  Il  se 
divise  en  deux  parties,  à  peu  près  égales,  d'abord  une  série  de  108 
notes  étymologiques,  puis  une  longue  étude,  intitulée  Zur  Frage 
nach  den  sogenannten  Wur\eldetenninativen.  Ces  deux  parties  se 
tiennent  étroitement;  les  étymologies  sont  pleines  de  discussions  sur 
des  questions  de  phonétique,  d'alternances  vocaliques  et  de  structure 
des  racines,  et  la  partie  générale  est  pleine  d'observations  étymolo- 
giques. On  aurait  grand  peine  à  utiliser  un  livre  aussi  touffu  si  un 
index  très  détaillé  des  matières  traitées,  qui  occupe  44  pages,  et  un 
index  des  mots  étudiés,  qui  occupe  3oo  colonnes,  ne  rendaient  les 
recherches  aisées. 

On  n'attend  pas  d'un  critique  qu'il  ait  une  opinion  sur  ce  qu'en- 
seigne M.  P.  Persson  à  propos  des  quelque  douze  mille  mots  qu'il 
cite  et  qui  appartiennent  aux  langues  indo-européennes  les  plus 
diverses.  Il  suffira  de  caractériser  d'une  manière  générale  la  méthode 
de  l'auteur.  M.  P.  Persson  ne  se  préoccupe  en  général  ni  de  suivre,  à 
Taide  de  données  historiques  et  philologiques,  l'histoire  des  mots 
qu'il  étudie,  ni  de  déterminer  la  valeur  précise  des  mots  par  l'énoncé 
des  réalités  qu'ils  désignent  ;  quand  il  lui  arrive,  surtout  pour  le 
latin  (qui  est  la  langue  dont  il  s'occupe  particulièrement),  de  donner 
des  passages  d'auteurs,  c'est  pour  fixer  le  sens  en  philologue  bien 
plus  qu'en  historien  qui  détermine  par  des  faits  précis  un  dévelop- 
pement, II  procède  en  principe  par  rapprochements,  et  son  travail  est 
de  caractère  à  peu  près  uniquement  comparatif. 

Mais  il  va  de  soi  que  des  rapprochements  si  nombreux  ne  sont  pas 
tous  solides.  En  fait,  M.  P.  se  contente  de  ressemblances  lointaines 


d'histoire  et  de  littérature  487 

de  sens  et  de  forme  pour  poser    un  rapprochement.  Soit  par  exemple 
le  mot  grec  0!,-  qui   désigne  une    plage  de   sable  au  bord  de  la  mer,  le 
bord  de  la  mer  en  général  ;  il  en  rapproche  le  lituanien  duja  «  grain 
dépoussière  »,  en  supposant  que  Oi;   repose  sur  un  ancien  'Oft;  et  tout 
le  groupe  de  v.  h.  a.  dûna  «  promontoire  »  ;  tout  ce  qu'il  y  a  de  com- 
mun entre  le  mot  grec  et  les  mots  rapprochés,  c'est  une  dentale  sonore 
initiale;   l'origine  Of-  est   possible,  mais  indémontrable;  quant  aux 
sens,    on    voit  qu'ils  sont  assez  éloignés.  Les    rapprochements  avec 
lesquels  opère  M.  P.  d'un    bout  à  l'autre  de  son  livre  et  sur  lesquels 
reposent  toutes  ses  démonstrations  ont  presque  toujours  ce  caractère 
d'incertitude.  Jamais  M.  P.  ne  semble  se  demander  si   l'on  est  obligé 
d'expliquer  tous  les  mots  d'une  langue  indo-européenne  donnée  par 
des    rapprochements  avec  d'autres  langues   indo-européennes,  si  des 
mots  comme  gr.  xôXa;et  »jXa;  par  exemple  ne  seraient  pas  des  emprunts. 
D'autre  part,  il   ne  fait  pas  assez  la   critique    des  faits  qu'il   utilise; 
ainsi,  voulant  montrer  que  dans  beaucoup  de  racines  il  y  a  des  for- 
mes en  -tz-,  en  -en-  et  en  -ei-,  il  se  sert  du  cas  de  sthà-«  se  tenir  debout  »; 
il  y  a   en  efl'et    une  racine   *sthcu-,   mais   elle    signifie  «  être    ferme, 
solide  »,  et  il  est  par  suite    douteux  qu'elle  soit    une  autre  forme  de 
*sthd-;  et  quant  à  *sthei-[ou  *sthâi-),  deux  thèmes  pourvus  de  sufiixes 
secondaires  comme  staje-  et  stoji-  du  slave  n'en  établissent  pas  l'exis- 
tence, et  le  stheman-  du  sanskrit  dont  M.  P.  fait  état  a  toutes  chances 
d'être  une  formation  proprement  indienne  faite  sur  sthii'a-  et  stheyas-  ; 
à  ces  faits  déjà  si  fragiles,  M.  P.  en    ajoute    d'autres  plus  incertains 
encore  en  admettant  que  sth-  et  st-  sont  deux  formes  de  même  origine 
et  admettent  d'être  rapprochées.  Pour  qui  pose  en  principe  qu'un  rap- 
prochement étymologique  ne  vaut  que  s'il  s'appuie  sur  un  ensemble 
complexe  de  concordances  de  forme,  de  sens  et  d'emploi  qui  excluent 
toute  rencontre  fortuite,  il  y  a  bien  peu  des  étymologies  proposées  ou 
admises  par  M.  P.  qui  puissent  être  considérées   comme  définitive- 
ment établies  et  comme  pouvant  servir   de  bases  à  la  démonstration 
d'une  théorie.  En  général  ces   rapprochements   sont  possibles;  mais 
indiquer  une  possibilité  n'est  pas  prouver. 

Le  livre  de  M.  P.  ne  perd  pas  pour  cela  son  utilité.  Là  où  une  seule 
étymologie  est  proposée,  les  étymologistes  sont  tentés  de  la  tenir 
pour  solide  jusqu'à  nouvel  avis  ;  montrant  d'autres  possibilités, 
M.  P.  qui  a  une  grande  connaissance  du  vocabulaire  indo-européen  et 
qui  sait  le  manier,  montre  du  moins  la  fragilité  de  bien  des  hypo- 
thèses. Il  critique  beaucoup  de  théories,  et  sa  critique  est  souvent 
judicieuse;  on  ne  pourra  plus  revenir  sur  les  théories  relatives  au 
vocalisme  indo-européen  sans  tenir  grand  compte  de  ses  observa- 
tions et  de  ses  discussions;  il  juge  toujours  par  lui-même,  et  son 
indépendance  fait  réfléchir.  Et  ceci  ne  l'empêche  pas  d'avoir  une 
grande  lecture  et  de  connaître  tout  ce  qui  s'est  écrit  depuis  trente  ans 
sur  le  vocabulaire   indo-européen.  On  ne  pourra  manquer  d'envisa- 


^88  REVUE    CRITIQUE 

ger  toujours  les  possibilités  indii.]uées  par  M.  P.,  et,  comme  son  pre- 
mier ouvrage,  celui-ci  sera  souvent  cite  ci  beaucoup  utilisé. 

A.  Meillict. 


P.  Jacobsthal,  Gôttinger  Vasen,  Mémoires  de  l'Acad.  de  Gôttingen,  XIV,  i.  Un 
vol.  in-4°,  p.  t-~(\  avec  'iH  fig.  et  22   pi.  Berlin,  Weidmann,  1912.  Prix  :   18  m. 

L'Université  de  Gœttingen  possède  un  petit  musée  d'antiquités  que 
lui  envieraient  beaucoup  de  nos  Facultés  françaises.  La  collection  des 
vases  peints  comprend  notamment  assez  d'exemplaires  intéressants 
pour  que  l'Académie  locale  ait  cru  bon  de  les  faire  connaître  au 
dehors.  M.  Jacobsthal,  auquel  elle  a  confié  ce  soin,  les  a  décrits  d'une 
manière  claire  et  précise  et  l'illustration  du  livre  eût  été  parfaite  si  le 
photographe  employé  avait  su  éviter  les  luisants  et  tirer  un  meilleur 
parti  des  «  écrans  liquides  ».  Telle  qu'elle  se  présente  à  nous,  la 
publication  rendra  d'utiles  services  parce  que  nous  n'aurons  jamais 
assez  de  documents  bien  reproduits  et  commentés  avec  exactitude.  — 
Je  noterai,  p.  6  et  suiv.,  un  certain  nombre  de  poteries  étrusques 
archaïques,  dont  deux  au  moins  paraissent  ionisantes.  P.  8,  sur  un 
tesson  de  même  origine,  paraît  un  démon  à  bec  d'oiseau  qui  se 
retrouve  sur  une  œnochoé  de  fabrication  attique  et  que  J.  a  justement 
rapproché  des  empreintes  de  Zakrô.  P.  12,  sur  un  fragment  à  figures 
noires,  Héraclès  portant  les  Kerkopes.  P.  i5,  petite  amphore  pana- 
thénaique  d'imitation,  avec  représentation  de  la  course  aux  flambeaux. 
P.  16,  17  et  69,  exemples  de  réparations  antiques.  P.  20,  coupe  à 
figures  rouges,  de  travail  négligé,  où  le  sujet  du  médaillon  est  emprunté 
à  l'un  des  tableaux  de  la  panse.  P.  43,  skyphos  à  figures  rouges  .et  à 
fond  estampé,  technique  qui  apparaît  ou  qui  réapparaît  dès  le  début 
du  V*  siècle.  P.  25,  beau  fragment  représentant  Héraclès  appuyé  sur 
la  massue,  que  J.  croit  de  travail  italien  et  qu'il  date  (peut-être  un 
peu  haut)  de  430  av.  J.-C.  P.  26-7,  phlyaque  et  vieille  femme, 
curieuse  scène  réaliste.  P.  29,  «  falisque  »  devrait  être  suivi  d'un 
point  d'interrogation. 

Un  appendice,  pp.  33-68,  traite  de  la  manière  dont  les  Grecs  ont 
représenté  les  scènes  de  banquets  ou,  plus  exactement,  les  person- 
nages couchés  sur  les  lits  d'apparat.  J.  montre  bien  que  les  peintres 
de  vases,  ne  disposant  que  d'un  espace  limité,  choisissent  les  traits 
essentiels  et  simplifient  par  nécessité  autant  que  par  goût.  Le  v^  siècle 
et  même  presque  tout  le  iV  sacrifient  les  détails  pittoresques  et  se 
contentent  d'images  ou  de  tvpes  symboliques  qui,  bien  qu'empruntés  à 
la  réalité,  ne  laissent  pas  que  d'être  en  grande  partie  conventionnels. 
Ainsi  le  convive  à  demi  allongé  gardera  longtemps  une  apparence 
géométrique  et  une  silhouette  uniforme,  que  les  potiers  reproduiront 
religieusement,  sans  se  soucier  d'indiquer  le  mouvement  et  les  con- 
tours des  jambes  sous  la  draperie  qui  entoure  comme  un  sac  le  bas  du 


D'HfSTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  489 

corps.  Andocide  serait  le  premier  à  rompre  sur  ce  point  avec  la 
tradition  et  d'audacieuses  ou  d'intdressantes  tentatives  sont  faites  à 
sa  suite  pour  donner  quelque  vérité  à  ces  ligures  à  demi  drapées. 
On  notera,  p.  5q  et  suiv.,  une  curieuse  petite  coupe  inédite  du  iîritish 
Muséum  :  .1.  serait  tenté  d'y  voir,  parmi  les  convives,  des  artisans  du 
Céramique,  dont  un  éiraiiger,  coitî'é  à  la  manière  des  Scythes  :  les 
trois  scènes  qu'on  y  voit  ligurccs  montrent  l'un  des  personnages 
chantant  et  les  paroles  que  prononcent  lun  d'eux  paraissent  emprun- 
tées à  un  ((  paroinion  »  de  Praxilla. 

A.    DE   RiDDER. 


Tàin  bô  Cùalngé.  Enlèvement  [du  Taureau  divin  et]  des  vaches  de  Cooley,  It? 
plus  ancienne  épopée  de  l'Europe  occidentale,  traduction  par  H.  d'Arbois  de 
JuBAiNviLLE.  Troisième  ct  demicrc  livraison.  Paris,  Champion,  1912,  gr.  in-8°, 
p.  igi-25o. 

Avec  cette  livraison  se  termine  la  publication  de  la  traduction  fran- 
çaise du  Tdin  bô  Cùalngé.  Les  deux  premières  livraisons  (Voir  Revue 
critique,  1909,  t.  1,  p.  46-47;  1910,  t.  Il,  p.  428-429)  conduisent  le 
récit  jusqu'à  la  fin  des  exploits  de  Cûchulainn,  qui  pendant  trois 
mois  a  arrêté  à  lui  seul  l'armée  de  la  reine  Medb.  Dans  la  troisième 
livraison,  les  guerriers  d'Ulster  qu'une  maladie  subite  avait  immobi- 
lisés commencent  à  venir  au  secours  de  Cûchulainn,  épuisé  par  ses 
nombreuses  blessures.  Enfin  l'armée  d'Ulster  est  réunie  sous  le  com- 
mandement du  roi  Conchobar.  La  bataille  décisive  s'engage.  Les 
hommes  de  Connaught  sont  repoussés  dans  leur  pays,  mais  ils  em- 
mènent à  Cruachan  le  taureau  de  Cùalngé,  cause  de  leur  expédition. 
Le  taureau  du  roi  de  Connaught  Ailill  lui  livre  un  combat  singulier. 
Le  taureau  de  Cùalngé  enlève  son  rival  sur  ses  cornes,  le  met  en 
pièces  et  en  disperse  les  débris  sur  l'Irlande.  Puis  il  s'en  retourne  en 
son  pays  de  Cùalngé,  et,  pris  d'une  fureur  subite,  après  avoir  massa- 
cré les  femmes  et  les  enfants  qu'il  rencontre  sur  son  passage,  il 
s'écrase  contre  une  colline. 

Les  détails  intéressant  l'histoire  des  idées  et  l'archéologie  de  l'an- 
cienne Irlande  ne  sont  pas  moins  nombreux  dans  cette  livraison  que 
dans  les  précédentes.  Cûchulainn  est  guéri  par  les  eaux  des  ruisseaux 
et  des  rivières  du  pays  de  Conaille  en  Murthemne  dans  lesquelles  les 
Tuatha  De  Danann,  sorte  de  fées,  ont  mis  des  plantes  médicinales 
(ch.  xxi).  Un  sorcier  guérit  Cethern  de  ses  blessures  en  le  tenant  trois 
jours  et  trois  nuits  dans  une  grande  jarre  remplie  d'une  sorte  de 
hachis  fait  de  la  chair,  des  os  et  de  la  peau  des  bestiaux  d'Ulster 
(ch.  xxii).  Il  est  dit  que  les  druides  ont  droit  de  prendre  la  parole 
avant  le  roi  fp.  210).  Quand  l'armée  d'Ulster  apparaît  sur  les  hau- 
teurs de  Slcmain  cii  Meaih,  le  roi  Ailill  se  fait  décrire  par  ses  con- 
seillers les  chefs  qui  dirigent  l'armée,  et  cette  longue  énumération 
(p.  220-232)  est  aussi  riche  en  détails   sur  le  costume  et  l'armement 


490  REVUE    CRITIQUE 

que  la  Togaiï  Bruidne  Dd  Dcrga  iVoir  Revue  critique^  iQoS,  t.  I, 
p.  84).  Beaucoup  d'épisodes  semblent  avoir  été  imaginés  pour  don- 
ner l'étymologie  d'un  nom  de  lieu  (par  exemple  p.  245-246  :  Crua- 
chan  Ac,Ath  Luain,  Atli  Troim,  Ath  Cliath). 

L'achèvement  de  la  traduction  du  Tdin  bô  Cûalngé  va  permettre  à 
tous  les  érudits  qui  ne  peuvent  lire  celte  épopée  dans  le  texte  gaé- 
lique d'en  entreprendre  l'étude.  C'est,  avec  la  Togail  Bruidne  Dd 
Dcrga,  le  monument  de  l'ancienne  littérature  irlandaise  qui  fournira 
aux  folkloristes  et  aux  archéologues  le  plus  de  documents.  D'autre 
part,  du  point  de  vue  littéraire,  le  Tdin  bô  Cilalttgc  VemporiQ  par  la 
composition  et  le  style  sur  les  autres  épopées.  On  peut  regretter  que 
cette  traduction  ne  soit  pas  absolument  complète  et  que  H.  d'Arbois 
de  Jubainville  en  ait  retranché  des  énumérations  de  noms  propres 
d'hommes  et  de  lieux  qui  peuvent  présenter  quelque  intérêt  pour 
l'histoire  et  la  géographie  de  l'Irlande  (par  ex.  p.  237).  Il  eût  été  bon 
aussi  que  l'édition  française  comprît  un  index.  Mais  on  sait  que  cette 
publication  est  la  dernière  de  l'éminent  celtistc  et  que  la  mort  l'a 
empêché  d'y  mettre  la  dernière  main  *. 

G.  DOTTIN. 


Verbi  Vasconici...  in  Novo  Testamento    adhibiti   formulas  composuit.  E.-S. 
DoDGsoN.  Oxoniae,  MCMXll,  in-8°  (ij),  200  p.  (St  Luc.) 

La  Revue  critique  s'est  occupée  plusieurs  fois  déjà  des  ouvrages  de 
M.  D.  La  présente  brochure  est  la  continuation  d'un  travail  d'analyse 
minutieuse  sur  les  formes  verbales  du  Nouveau  Testament  basque  de 
1571.  On  y  trouve  les  mêmes  défauts  que  dans  les  précédentes  publi- 
cations :  abréviations  trop  multipliées  et  confuses,  ordre  alphabé- 
tique un  peu  arbitraire,  réflexions  inattendues,  etc.  Mais  M.  D.  est 
un  de  ces  hommes  qui  ne  sont  pas  faciles  à  convaincre  de  leur  erreur 
et  qui  s'obstinent  envers  et  contre  tous  dans  les  fantaisies  de  leur 
esprit.  Il  persiste  à  appeler  Leizarraga  le  traducteur  du  xvi^  siècle, 
ancien  prêtre  catholique  que  tout  le  monde  appelait  et  à  toujours 
appelé  Liçarrague  comme  il  signait  lui-même.  Il  faudrait  donc  dire 
Homeros,  Virgilius,  Wîen,  il  Tasso,  par  exemple  et  non  Homère,  Vir- 
gile, Vienne,  le  Tasse.  M.  D.  s'avise  aujourd'hui  d'une  autre  propo- 
sition inattendue  ;  on  a  constaté  entre  les  divers  exemplaires  connus 
du  Liçarrague  deux  petites  différences  et  cela  suffit  au  basquisant  ama- 
teur pour  supposer  qu'il  y  a  eu  deux  éditions  du  livre  dans  la  même 
année;  outre  l'impossibilité  qu'il  y  avait,  à  la  fin  du  xvi^  siècle,  de 
publier  en  quatre  mois  deux  éditions  d'un  volume  de  plus  de 
iioo  pages,  il  n'est  même  pas  nécessaire  de  connaître  les  choses  de 
l'imprimerie,  pour  voir  que  les  différences  signalées  sont  des  change- 

I.  Signalons,  p.  .182,  I.  4,  une  faute  d'impression  :  attendit /70z/r  entendit. 


d'histoire  et  de  littérature  491 

ments  faits  par  l'auteur  lui-n-ièmc  en  composant  au  cours  de  l'impres- 
sion ou  des  accidents  survenus  pendant  le  tirage. 

Le  volume,  d'ailleurs  très  bien  imprimé,  contient,  comme  d'ordi- 
naire dans  ses  dernières  pages  un  certain  nombre  de  notes  et  de  docu- 
ments tout  à  fait  étrangers  à  Li^'arrague,  au  Nouveau  Testament,  au 
basque  et  à  la  science.  Il  est  revêtu  d'une  couverture  d'un  rouge 
éclatant  qui  fatigue  le  regard  et  est  dun  goût  douteux. 

Julien  ViNSON. 


HuoN  LK  Roi,  Le  «  Vair  Palefroi  »,  avec  deux  versions  de  la  «  Maie  Honte  »  par 
Huon  de  Cambrai  et  par  Guillaume,  fabliaux  du  xiii'  siècle  édités  par  Arthur 
Langkors.  Paris,  Champion,  1912;  in-i8  de  xv-68  p.. (Les  Classiques  français 
du  moyen  âge,  publiés  sous  la  direction  de  M.  Roques). 

Grâce  au  zèle  de  M.  Roques  et  de  ses  collaborateurs,  au  reste  sou- 
tenu par  la  faveur   du  public,   cette   collection,   dont  j'ai  expliqué  ici 
(191 1,   I,  148)   l'économie   et  le  but,  s'enrichit  très  rapidement:  au 
volume   que   j'annonçais   alors  (et   dont  une    réédition    est  devenue 
nécessaire)  sept  autres  sont  venus,  en  dix  mois,  s'ajouter.   Le  regretté 
Longnon  a  remplacé  sa   grande  édition  de  Villon,  devenue  introuva- 
ble, par  celle-ci,  qui  a  profité  des  recherches  et  des  trouvailles  faites 
par  lui-même  ou  par  d'autres  au   cours  des  vingt  dernières  années  ; 
c'est  un  signalé  service  que  ce  grand  travailleur  a  pu,  avant  de  mourir, 
rendre  à  ses  compagnons  d'étude.  MM.  Bédier  et  Faral  ont  repris,  eux 
aussi,  deux  travaux  déjà  anciens,  qu'ils  ont  estimé  pouvoir  améliorer, 
et  ont  republié,  avec  des  corrections   ou  additions   qui  sont  presque 
exclusivement  leur  œuvre  propre,  l'un  les  Chansons  de  Colin  Miiset, 
l'autre  le  Jez^  de  Courtois  d'Arras.    M.    Roques    a  republié,  avec  des 
notes  fort  instructives  et  ingénieuses,  cette  curieuse  et   souvent  énig- 
matique   Farce  du  Garçon  et  de   VAveugle,   dont  la   seule  édition, 
publiée  il  y  a  près  de  cinquante  ans,  était  perdue  dans  un  périodique 
peu  répandu  en  France.  Celle  du  Jeu  de  la  Feuillée  par  M.  Langlois. 
marque,  cela  va  sans  dire,  un  immense  progrès  sur  les  précédentes  '. 
Le  dernier  volume  paru  est  celui  dont  on  vient  de    lire   le   titre.    Le 
choix  de  M.  Langfors  s'est  porté  sur  cette    œuvre   médiocre,  où   un 
joli   sujet  a   été  gâché  par    un    plat  versificateur,    sans   doute  parce 
qu'elle  est  attribuée  à  ce  Huon  le   Roi  dont  il  avait  publié  les  œuvres 
authentiques  ;  mais  il  doute  lui-même  du  bien  fondé  de  cette  attribu- 
tion et  la  médiocrité  du  morceau  eût  pu  encore  ajouter  à  son  hésita- 
tion. Cette  édition,  précédée  d'une  précise  étude  de  langue,  marque, 
elle  aussi,  un  progrès  très  notable  sur  les  deux  précédentes.  J'eusse  été 
toutefois  plus  hardi  encore  que  M.    L.  à  l'égard  de  ce  texte,  conservé 
par  un  manuscrit  unique  et  médiocre,  et  je  l'aurais,  parfois,  entendu 

I.  A  ces  ouvrages  nouveaux   est  venue  s'ajouter  une  réimpression  de  la    Vie  de 
Saint  Alexis  de  G.  Paris. 


j^gZ  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE   ET    DE    LITTÉRATURE 

aiurement.  Au  v.  3i,  je  lirais  non  descendre  mais  destendre  :  l'auteur 
veut  «  desploicr  son  sens  »,  comme  il  le  dit  deux  vers  plus  loin.  —  63. 
Jocr  li  la  forclose  me  paraît  signifier  «  s'amuser  aux  bagatelles  de  la 
porte  »  \  forclose  désigne  spécialement  les  barrières  qui  entouraient  le 
champ  du  tournoi;  c'est  le  sens  qu'a  le  mot  dans  plusieurs  des  exem- 
ples où  Godefroy  traduit  par  «   finalement  »  la  locution  a  la  forclose. 

—  I02.  Le  père  de  la  jeune  fille  ne  voulait  pas  qu'elle  aimât  Guillaume, 
ne  que  de  lui  le  renomast.  L'expression  est  embarrassée,  mais  le  sens 
ne  peut  être  que  «  il  ne  voulait  pas  que  sa  fille  prît  le  nom  de  ce  che- 
valier et  le  transmit  à  ses  descendants  ».  —  529.  Les  acointances 
d'escu^f  d'espces  et  de  lances  sont  certainement  des  prouesses  d'armes 
(au  Gloss.  «  personnes  de  connaissance  »)  :  acointier  a  souvent  le 
sens  de  «  aborder  les  armes  à  la  main,  attaquer  ».  —  624-5.  En  rem- 
plaçant les  premières  personnes  par  des  troisièmes,  on  obtiendrait  un 
sens  excellent  et  on  écarterait  l'hypothèse  d'une  lacune.  —  716.  Je 
corrigerais  sans  hésitation  esmaïecnesmarie^  e5?Ma/ers'employant  sur- 
tout à  propos  de  l'esprit,  et  esmarie  étant  une  épithète  classique  de 
chiere  (ex.  dans  Godefroy).  —  1262.  Corr.  cil  en  cel.  —  Je  regrette 
au  Glossaire  l'absence  de  garison  au  sens  de  «  fief  »  (707),  de  mander 

—  «  demander  »  (733)  et  de  tendre  (58o)  dans  un  passage  obscur  et 
qui  exigerait  sans  doute  une  correction. 

A.    Jeanroy. 


Histoire  du  commerce  extérieur  de  la  France,  par  E.  Levassecr,  impartie,  de 
1789  à  nos  jours  avec  un  Avertissement  de  M.  A.  Deschamps,  i  vol.  in-S", 
869  p.  A.  Rousseau,  éd.  1912. 

L'inlassable  producteur  qu  'était  Emile  Levasseur  avait  laissé  en 
mourant  ce  dernier  volume  de  son  Histoire  du  commerce  de  la 
France,  presque  achevé  et  en  partie  imprimé.  M.  Auguste  Des- 
champs a  bien  voulu  se  charger  de  reviser  les  épreuves  et  de  coordon- 
ner certaines  parties  du  manuscrit.  Celui-ci  a  fourni  869  pages 
d'impression  grand  format,  plus  i3  tableaux  graphiques.  Levasseur 
ne  se  ménageait  pas  l'espace,  et  ne  ménageait  pas  les  yeux  de  ses 
lecteurs.  En  revanche,  il  leur  donnait  des  séries  de  documents  diffi- 
ciles à  retrouver  ou  à  rassembler  pour  la  comparaison,  et  en  tirait 
avec  une  rare  clarté  d'esprit,  et  une  sobriété  d'expression  qui  n'excluait 
pas  la  fermeté,  d'instructives  conclusions.  L'auteur,  dans  sa  Préface, 
a  lui-même  indiqué  la  méthode  et  l'ordre  qu'il  avait  suivis  dans  son 
vaste  ouvrage,  couronnement  d'une  longue  et  féconde  carrière  d'his- 
torien économiste.  Il  insiste  sur  «  le  danger  pour  l'historien  des  temps 
contemporains  d'être  accablé  sous  la  masse  énorme  des  documents  »... 
C'est  à  se  demander  si  la  rareté  de  ceux-ci  n'a  pas  été  une  des  condi- 
tions essentielles  delà  composition  de  nos  histoires  classiques.  Les 
histoires  futures  seront  probablement  des  résumés  généraux  très 
courts,  ou  des  histoires  partielles  et  limitées  dans  le  temps,  très  déve- 


d'histoire  et  de  littérature  493 

loppées,  qui  n'auront  que  des  groupes  restreints  de  lecteurs,  et   qui 
seront  plutôt  consultées  que  lues  par  le  public. 

Celui-ci  trouvera  dans  l'ouvrage  de  Levasseur  un  plan  excellent  qui 
l'aidera  à  se  reconnaître  en  des  matières  aussi  complexes  et  touffues. 
L'ordre  historique  est  d'abord  suivi  dans  la  numération  des  livres, 
puis  dans  chacune  de  ces  subdivisions  chronologiques  l'auteur 
aborde  tour  à  tour  la  législation  douanière  et  le  commerce  extérieur, 
la  monnaie,  les  banques,  la  viabilité,  le  développement  colonial,  le 
commerce  intérieur,  le  conHit  des  doctrines  économiques  sur  le  com- 
merce, des  vues  sur  les  principaux  clients  de  la  France,  la  comparai- 
son du  développement  du  commerce  français  avec  celui  des  pays 
étrangers.  «  La  diversité  de  ces  matières  qui  reparaissent  dans  cha- 
que livre,  écrit  l'auteur  dans  sa  Préface,  ne  rompt  pas  l'unité  de  la 
composition.  Ce  sont  en  quelque  sorte  les  organes  d'un  même  tout 
qui  concourent  à  une  vie  commune,  sont  liés  dans  leur  développe- 
ment et  dans  leurs  défaillances  par  une  étroite  solidarité.  Cette 
solidarité  existe  non  seulement  dans  la  vie  d'une  nation,  mais  elle  se 
manifeste  dans  les  relations  des  nations  commerçantes  entre  elles.  » 
Le  sentiment  profond  de  ce  lien  national  et  international  nécessaire 
à  la  prospérité  de  chaque  Etat,  a  inspiré  à  Levasseur  des  conclusions 
modérées  dans  la  forme  mais  fermes  dans  le  fond  sur  la  liberté  des 
échanges.  «  En  histoire,  la  place  appartient  surtout  aux  faits.  Après  les 
avoir  exposés,  l'auteur  doit  les  apprécier  et  en  tirer  un  enseignement. 
L'auteur  a  donc  une  opinion.  La  nôtre  s'inspire  de  la  doctrine  de 
l'école  libérale  :  sans  professer  une  application  absolue  de  cette  doc- 
trine à  tous  les  cas  de  l'administration  économique  de  la  Société, 
nous  pensons  que  dans  les  contrats  de  travail  et  d'échange  des 
citoyens  d'un  même  Etat  entre  eux,  elle  doit  avoir  pour  règle  la  liberté, 
réserve  faite  des  mesures  nécessaires  de  police;  et  que  quant  aux 
relations  internationales  la  politique  gouvernementale  doit  les  rendre 
le  plus  faciles  qu'il  est  possible  en  vue  de  l'extension  du  commerce 
extérieur  ». 

E.  d'Eichthal. 


Maurice    Reclus,    Ernest   Picard   (1821-1877).    Paris,    Hachette,    191 2.   in-i6, 
363  p.,  3  fr.  3o. 

L'ouvrage  de  M.  Maurice  Reclus  a  été  une  «  thèse  complémen- 
taire »  pour  le  doctorat  ès-lettres.  Pour  lui  conserver,  en  apparence, 
le  caractère  de  pure  érudition  qui  est  d'ordinaire  commun  à  tous  les 
travaux  de  ce  genre,  l'auteur  a  inscrit  sur  la  couverture  que  son  livre 
était  un  «  essai  de  contribution  à  l'histoire  du  parti  républicain  »,  et 
il  a  rempli  les  dernières  pages  d'une  importante  bibliographie,  modes- 
tement qualifiée  de  «  notice  sommaire  ».  Sous  ce  couvert  scientifique 
à  souhait,  les  lecteurs  trouveront  une  biographie  très  alerte,  point 
surchargée  de  notes  ni  d'appendices,  facilement  écrite  et  facile  à  lire; 


494  REVUE    CRITIQUE 

ils  ne  s'en  plaindront  pas.  Le  jury  de  la  faculté  ne  s'en  est  pas  plaint 
non  plus,  bonne  preuve  —  s'il  en  fallait  une  —  que  l'histoire  «  lisible  » 
n'est  pas  aussi  mal  vue  à  la  Sorbonne  que  de  mauvais  plaisants  l'ont 
prétendu . 

M.  R.  a  eu  la  bonne  fortune  de  pouvoir  utiliser  pour  son  travail 
tous  les  papiers  d'Ernest  Picard,  communiqués  par  ses  descendants, 
et  recueillir,  de  la  bouche  même  des  survivants,  des  témoignages  aussi 
précieux  que  précis.  Il  a  fait  usage  naturellement  des  recueils  impri- 
més, discours,  enquêtes  sur  le  gouvernement  du  4  septembre  et  sur 
le  18  mars,  Souvenirs  de  Thiers,  de  Jules  Favre,  etc.  Il  ne  paraît  pas 
avoir  essayé  de  tirer  parti,  ni  des  collections  d'autographes,  ni  des 
archives  publiques.  Les  fonds  récemment  versés  aux  Archives  natio- 
nales par  les  administrations  de  la  justice,  de  l'intérieur,  des  cultes 
ne  contenaient  peut-être  rien  de  notable  concernant  Ernest  Picardg 
en  dehors  de  ce  qui  a  déjà  été  vu  par  Tchernofî.  Il  aurait  été  utile  de 
nous  le  dire,  ne  fût-ce  que  d'un  mot.  C'est  la  seule  réserve  qu'ap- 
pelle une  documentation  par  ailleurs  très  neuve  et  très  étendue. 

Picard  fut,  comme  on  sait,  l'un  des  Cinq.  Encore  M.  Emile  Olli- 
vier  a-t-il  écrit:  «  en  réalité,  les  cinq,  c'étaient  nous  deux  ».  Ces  deux 
s'entendirent  d'abord  à  merveille  et  M.  R.  donne  sur  les  luttes  du 
parti  républicain  contre  l'Empire,  entre  i858  et  1867,  une  foule  de 
détails  intéressants,  que  la  plume  pourtant  féconde  de  M.  OUivier 
avait  négligés,  avec  ou  sans  intention.  Picard  s'était  fait  une  réputa- 
tion étendue  par  son  talent  oratoire  et  par  ses  mots  à  l'emporte-pièce  ; 
il  plaisait  aux  éléments  bourgeois  et  modérés  de  l'opposition  répu- 
blicaine par  ses  origines  et  par  sa  culture  intellectuelle  ;  mais  il  n'était 
pas  et  ne  pouvait  guère  devenir  populaire  à  proprement  parler.  Si  la 
démocratie  ne  l'effrayait  pas,  au  contraire,  le  peuple,  vu  de  près,  lin- 
timidait  quelque  peu  ;  son  attitude  au  4  septembre  et  au  moment  de 
l'invasion  de  l'hôtel  de  ville  le  3i  octobre  1870  en  fournissent  la 
preuve.  Le  point  capital  de  sa  carrière  politique  est  le  gouvernement 
de  la  défense  nationale.  M.  R.  y  a  insisté  longuement,  avec  raison, 
et  son  récit  apporte  des  détails  et  des  documents  qu'aucun  historien 
de  cette  époque  ne  pourra  négliger.  Signalons  spécialement  aussi  le 
rôle  de  Picard,  après  la  réunion  de  l'Assemblée  de  Bordeaux,  pour 
surveiller  et  réprimer  l'agitation  fédéraliste  du  Midi.  Toutes  les  pièces 
inédites  données  là-dessus  par  M.  R.  sont  capitales.  Elles  font  com- 
prendre l'urgente  nécessité  de  créer  en  France,  comme  on  l'a  fait 
depuis  longtemps  en  Angleterre,  cette  commission  historique  des 
manuscrits  réclamée  plusieurs  fois  déjà  par  nos  sociétés  historiques, 
et  qui  pourrait  garantir  de  la  destruction  ou  d'une  publication  peu 
scrupuleuse  les  papiers  privés  des  hommes  d'état  de  notre  époque. 
Quiconque  sait  combien  les  archives  publiques  sont  pauvres  en 
documents  de  ce  genre  pour  la  période  postérieure  à  1848  en  sen- 
tira la  nécessité.  Si  le  travail  de  M.  R.  peut  contribuer  à  ce  résultat, 


d'histoirk  et  de  littérature  495 

ce  n'est   pas  le  moindre   service  que  son   excellent    petit    livre   aura 
rendu  '. 

R.  G. 


Henri-Gaston  Duciiesne  et  Henry  dk  GRANosAitisi:,  Le  château  de  Madrid.  Paris, 
H.  Daragon,  191  2,  in-8,  253  p.,  gravures. 

Les  documents,  lectures  et  extraits  dont  l'assemblage  constitue  ce 
volume  nous  apprennent  que  le  château  de  Madrid,  situé  en  bordure 
du  bois  de  Boulogne  et  appelé  d'abord  pour  cette  raison  Château  de 
Boulogne,  doit  son  nom  définitif  au  souvenir  de  la  captivité  de 
P'rançois  I",  son  fondateur.  Cette  demeure  royale  eut  pour  architecte 
Pierre  Gadyer,  qui  en  fit  le  plan  et  en  commença  la  construction  en 
1528. 

L'œuvre  fut  continuée  et  poursuivie  sur  le  même  plan  jusqu'en 
1548  par  Gratien  et  Jean  François  père  et  Hls.  Fille  fut  terminée  par 
Philibert  Dclorme.  Jérôme  délia  Robbia,  aidé  de  son  frère  Luc, 
recouvrit  d'émaux  la  façade  des  deux  premiers  étages;  les  deux  der- 
niers furent  décorés,  suivant  le  même  système,  par  des  ouvriers  de 
Léonard  le  Limousin.  Ennemi  du  goût  italien,  Philibert  Delorme  se 
brouilla  avec  délia  Robbia  et  gâta  l'ordonnance  primitive  du  château 
en  bâclant  les  deux  derniers  étages.  Mais  Delorme  étant  tombé  en 
disgrâce  â  la  mort  de  Henri  II,  le  Primatice,  nommé  directeur  des 
bâtiments  royaux,  rappela  en  iSSg  délia  Robbia  qui  reprit  son 
travail  et  l'acheva  en  i566,  l'année  même  de  sa  mort. 

Au  point  de  vue  architecture,  les  deux  principales  caractéristiques 
du  château  de  Madrid,  c'est  d'abord  l'emploi  des  émaux  qui,  au  soleil, 
faisaient  briller  la  façade  de  mille  feux,  et  c'est,  d'autre  part,  au  pre- 
mier et  deuxième  étage,  une  galerie  couverte  qui  régnait  tout  autour 
de  l'édifice,  donnant  des  vues  variées  sur  le  bois  de  Boulogne,  la 
Seine,  les  coteaux  de  Saint-Gloud,  le  Mont  Valérien. 

Le  but  de  François  1-='",  en  bâtissant  ce  château,  avait  été  d'en  faire 
surtout  un  lieu  de  plaisance,  et  les  chroniqueurs  ont  célébré  à  l'envi 
les  fêtes  galantes  qu'il  donna  à  Madrid.  Henri  II  n'y  fit  pas  de  longs 
séjours,  ou  du  moins  n'ont-ils  pas  laissé  de  traces  marquantes.  Mais 
Charles  IX  y  vint  souvent,  si  l'on  en  juge  par  les  nombreuses  lettres 
patentes  qu'il  fit  expédier  et  dater  du  château  de  Madrid.  Quant  à 
Henri  III,  qui  n'avait  pas  des  goûts  ordinaires,  il  donna  au  château 
de  Madrid  des  combats  de  fauves.  Délaissée  par  Henri  IV,  cette  pro- 
priété passe  entre  les  mains  de  Marguerite  de  France,  troisième  fille 
de  Henri  II.  Sous  l'impulsion  d'Olivier  de  Serres  et  malgré  l'oppo- 
sition de  Sully,  elle  y  crée  une  grande  manufacture  de  soierie  et 
plante  dans  le  parc  trois  à  quatre  mille  mûriers.  Mais  cette  industrie, 
mal  dirigée,   ne  tarde    pas  à    péricliter.  Marguerite    reprend    Madrid 

I.  La  date  de  i85  i,  citée  en  note  pp.  12b  et  126,  ne  doit  pas  être  exacte. 


49O  REVUE    CRITIQUE 

pour  y  habiter;  elle  y  meun  en  101  5.  Le  roi  Louis  XIII,  grand  chas- 
seur, aimait  beaucoup  Madrid  ;  il  y  avait  installe  une  «  volerie  »  de 
faucons;  il  y  faisait  de  longues  séances.  A  sa  mort,  Madrid  commence 
à  décliner.  Rarement  visite  par  Louis  XIV,  sauf  les  jours  où  le  roi  va 
à  la  chasse  dans  le  bois  de  Boulogne,  le  château,  mal  entretenu,  se 
détériore.  Colbcrt  reprend  l'idée  d'Olivier  de  Serres  et  établit  à  Madrid 
une  manufacture  de  bas  de  soie  qui  ne  demande  qu'à  prospérer. 
Mais  les  bâtiments  se  dégradent  de  plus  en  plus,  le  directeur  meurt, 
la  fabrique  tombe. 

Les  parasites  profitent  de  l'abandon  de  Madrid  pour  s'y  faire  attri- 
buer des  logements  gratuits,  et  cet  état  de  choses  se  prolonge  jusqu'à 
la  chute  de  l'ancien  régime.  Le  dernier  locataire  fut  Dufour,  doyen  des 
maîtres  d'hôtel  de  Louis  XVI,  qui  ne  quitta  la  place  qu'à   la  fin  de 

1792- 

Plusieurs  fois  mis  en  vente,  l'ancien  château  de   François  I«'    fut 

adjugé  le  27  mars  1792  pour  271.000  francs  à  un  sieur  Le  Roi  qui, 
après  avoir  essayé  mais  en  vain  de  l'incendier,  le  fit  démolir.  Les  tapis- 
series, les  boiseries,  le  marbre,  le  plomb,  furent  vendus.  Les  émaux 
des  délia  Robbia,  livrés  à  un  maître  maçon,  furent  convertis  en 
ciment. 

Un  dernier  chapitre  est  consacré  à  ce  que  les  auteurs  appellent 
le  petit  Madrid,  c'est-à-dire  au.K  communs  du  château,  et  à  ses  hôtes 
dont  les  plus  notables  furent  l'avocat  Barbier,  M"'=  de  Charolais  et  la 
comtesse  de  Maurepas. 

.l'ai  dit  que  ce  livre  est  une  compilation.  En  tout  autre  rencontre, 
ce  serait  une  critique.  Ici  c'est  un  éloge,  car  si  le  texte  môme  de  l'ou- 
vrage avait  été  écrit  comme  la  préface,  il  eût  découragé  bien  des  lec- 
teurs. Dans  cette  préface,  en  effet,  les  auteurs  annoncent  qu'ils  se  pro- 
posent de  «  faire  tinter  à  nouveau  ce  nom  si  sonore  (Madrid)  qui 
fleure  Xo\M  à  la  fois  et  la  poudre  et  la  bergamote.  »  Plus  loin,  après 
nous  avoir  promenés  a  dans  ce  bois  de  Boulogne,  paré  comme  l'est 
une  fiancée  qui  se  dirige  vers  l'autel  »,  ils  nous  contient  que,  revenus 
à  eux  d'une  défaillance  causée  par  les  difficultés  à  vaincre,  ils  se  sont 
jetés  dans  Varène  et  ont  ramassé  le  glaive.  Enfin,  ayant  recueilli  les 
documents  «  qui  montrent  qu'rt  côté  de  l'amour  dont  la  folie  emplis- 
sait les  vastes  salles  du  château,  il  y  avait  toujours  une  idée  saine  qui 
planait  »,  les  auteurs  se  demandent  «  avec  angoisse  »  s'ils  ont  réussi  à 
mettre  en  relief,  etc. 

Quel  dommage  que  Boileau  soit  mort  ! 

Eugène  Welvert. 


C.   Lkroux-Cesbron.  Aux   Portes   de  Paris,  avec  14   illustrations,    i    vol.  in-8°. 
Paris,  Émile-Paul,  1912. 

M.  Leroux-Cesbron  est  un   artiste  doué  d'un  esprit  d'observation 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  497 

aiguisé  et  personnel.  Lors>.]u'il  commença  d'écrire,  il  publia  des  Sou- 
venirs d'un  maire  Je  village  où  se  déployaieni  déjà  ces  qualiiéset  qui, 
parce  qu'ils  étaient  véridiques,  quoique  présentés  sous  une  affabula- 
tion discrète,  ne  manquèrent  pas  de  produire  quelque  agitation  dans 
le  Landerneau  provincial  où  ils  avaient  été  cueillis  sur  le  vif.  Est-ce 
pour  cette  raison  ou  pour  d'autres,  de  moi  inconnues,  que  l'auteur 
abandonna,  pour  un  temps,  ce  genre  où  il  avait  si  bien  réussi  ?  Tou- 
jours est-il  que  depuis  une  dizaine  d'années,  au  moins,  il  s'est  con- 
tenté de  produire  sept  ou  huit  romans  non  dénués  de  mérite  assuré- 
ment, mais  qui,  h  nion  humble  avis,  n'atteignent  pas  à  la  hauteur  de 
son  premier  ouvrage. 

Il  revient  aujourd'hui,  sous  une  autre  forme,  à  sa  première 
manière  et  je  l'en  félicite  bien  sincèrement.  Son  dernier  livre  est  une 
série  de  jolis  tableaux  où  l'anecdote  est  habilement  et  heureusement 
mise  en  œuvre;  bien  racontée,  dans  un  style  agréable.  Cet  ensemble 
rappelle  à  ceux  qui  le  suivent  depuis  ses  débuts,  qu'avant  d'écrire,  il 
fut  un  dessinateur  aimable,  souvent  caustique,  à  la  plume  et  au 
crayon.  Ses  clironiques  historiques  intitulées,  cette  fois  :  Aux  Portes 
de  Paris,  se  rapportent  surtout  à  Neuilly.  Mais,  souvent,  elles  forcent 
ces  pauvres  fortifications  qu'on  se  dispose,  d'ailleurs,  à  niveler,  et 
elles  entrent  de  plein  pied,  très  joliment,  ma  foi,  dans  l'histoire  pari- 
sienne. Certains  chapitres  dépassent  de  beaucoup  la  portée  qu'ont, 
d'ordinaire,  de  telles  productions.  Les  deux  chapitres  sur  Fleuriau 
d'Armenonville,  capitaine  des  chasses  de  Louis  XIV  puis  garde  des 
sceaux  de  LouisXV,  et  sur  Marie-Antoinette  à  la  Muette,  nous  content 
allègrement  l'histoire  de  ce  délicieux  séjour  au  travers  du  xviii'=  siècle. 
Celui  sur  mon  compatriote  Baudard,  le  baron  de  Saint-James, 
«  l'homme  au  rocher  »  ainsi  que  l'avait  surnommé  Louis  XVI,  est 
une  étude  documentée,  sur  l'existe'nce  des  gros  financiers  parvenus, 
de  la  fin  de  l'Ancien  Régime,  pour  lesquels,  parfois,  tel  celui-ci,  la 
Roche-Tarpéienne  voisinait  par  trop  avec  le  Capitole.  L'étude  sur  la 
mort  du  Duc  d'Orléans,  fils  de  Louis-Philippe,  met  en  relief  l'intéres- 
sante figure  du  comte  de  Cambis,  son  écuyer.  Celle  sur  le  général 
Louis  de  Villiers  nous  initie  à  la  vie  aventureuse  et  non  sans  gloire, 
d'un  soldat  de  la  République  et  de  l'Empire  qui  pris,  sur  le  tard,  de  la 
monomanie  nobiliaire,  se  fit  vicomte  de  Villiers,  bien  qu'il  fut  né 
tout  simplement  Claude-Germain  Louis,  sans  plus. 

Tous  ces  récits  alertes  et  bien  trousses,  où  l'anecdote  est,  je  le 
répète,  toujours  agréablement  contée,  rendent  facile  et  agréable  la 
lecture  de  ce  volume  très  bien  documenté.  L'auteur  s'en  est,  du  même 
coup,  conquis  une  place  enviable,  à  côté,  tout  près,  des  maîtres  du 
genre. 

H.  Baguenier  Desormeaux. 


498 


REVDE    CRITIQUE 


A.  Toni.ER,  Vermischte  Beitraege  zur  franzoesischen   Grammatik  (5°  série). 
I.cipzig,  S.  Mil/cl,   i'ji2;  un  vol.  in-H,  de  x-5i.i.  pages. 

Cette  publication  posthume  a  eic  faite  par  les  soins  pieux  de 
M.  Rudolf  Toblcr,  et  elle  est  intéressante  assurément,  mais  il  ne 
faudrait  pas  non  plus  que  le  titre  adopté  pour  ce  gros  volume  de 
5oo  pages  induisit  en  erreur  ceux  qui  le  liront.  Dans  cette  cinquième 
série  des  Vermischte  Beitraege  on  ne  trouvera  rien  d'analogue  à  ces 
pénétrants  essais  qui  ont  fondé  jadis  la  gloire  de  l'auteur,  et  orienté  la 
syntaxe  vers  des  voies  nouvelles,  car  ce  serait  trop  peu  de  dire  que  les 
seules  études  romanes  en  ont  profité.  Ici  la  syntaxe  française  n'est 
représentée  que  par  huit  petites  notes  assez  brèves  :  la  locution  malgré 
qu'il  en  ait  est  examinée  avec  la  finesse  coutumière  ;  puis  vient  le  tour 
à  peine  si  elle  répondait  à  son  salut,  où  l'on  peut  bien  se  contenter  de 
voir  une  ellipse  de  cest;  et  il  y  a  encore,  par  exemple,  l'expression 
7uon  chéri  appliquée  en  français  moderne  à  des  femmes,  ce  qui  est 
bien  à  vrai  dire  un  point  un  peu  mince.  Le  tout  occupe  à  peine  trente 
pages.  Le  reste  du  volume,  le  volume  entier,  pour  mieux  dire,  est 
consacré  à  une  réédition  d'articles  choisis  parmi  ceux  que  Tobler  a 
semés  d'une  main  prodigue  dans  toutes  les  revues.  Il  y  en  a  trois 
qui  se  rapportent  à  des  étymologies  françaises;  puis  six  qui  ont  trait 
à  la  littérature  (parmi  lesquels  une  étude  de  près  de  cent  pages  sur 
l'ancienne  épopée  française).  Viennent  ensuite  une  dizaine  de  recen- 
sions, quelques-unes  très  importantes  d'ailleurs,  et  qui  se  réfèrent  à 
des  éditions  de  textes  français  ou  provençaux.  Enfin  les  dernières 
pages  du  volume  (pp.  481-514)  donnent  une  liste  longue  et  complète 
de  tout  ce  qu'a  publié  l'auteur,  livres  ou  articles  :  le  total  de  ces 
publications  atteint  le  chiffre  de  58 1,  et  commencées  en  1857  elles  se 
sont  poursuivies  annuellement  et  sans  interruption  jusqu'en  1910. 
Saluons  très  bas  ce  labeur  qui  a  duré  plus  d'un  demi  siècle,  mais 
n'oublions  pas  qu'en  somme  Adolf  Tobler  en  a  été  récompensé, 
puisqu'il  a  vu  triompher  ses  méthodes,  et  a  pu  se  dire  légitimement 
à  lui-même  qu'il  avait  fait  avancer  la  science. 

E.  BOURCIEZ. 


—  Seconde  édition,  conforme  à  la  première,  du  petit  livre  écrit  par  O.  Pfleide- 
RER  sur  la  préparation  du  christianisme  dans  la  philosophie  grecque  {Die  Vorbe- 
reitung  des  Christentums  in  der  griechischen  Philosophie.  Religionsgeschichtliche 
Volksbiicher,  îll,  i.  Tûbingen,  Mohr,  1912  ;  in-12,  64  pages).  Brèves  et  substan- 
tielles considérations  sur  la  théologie  orphique  et  la  philosophie  grecque  avant 
Socrate,  Socrate  et  Platon,  Aristote,  les  stoïciens,  Philon,  Plotin,  —  A.  L. 

—  De  M.  R.  Strothmann,  étude  sur  les  zaidites  {Kultus  der  Zaiditen  ;  Strass- 
burg,  Trûbner,  1912;  gr.  in-8,  76  pages).  Il  s'agit  d'une  branche  des  chiites  sub- 
sistant encore  actuellement  dans  le  Yémen.  L'auteur  discute  assez  longuement, 
et  non  sans  quelque  obscurité,  certaines  pariicularitcs  de  rituel  et  de  casuistique 
qui  distinguent  cette  secte.  — A.  L. 


d'histoire  et  de  littérature  499 

—  Seconde  et  dernière  partie  de  la  Théologie  évangélique  de  A.  B.  Nitzsch, 
publiée  en  troisième  édition  par  les  soins  ilc  M.  H.  Stkpiian  [Lehrbuch  der  evan- 
gelischen  Dogmatik.  Zweiter  Tcil  ;  Tùbingen,  Mohr,  hj  12,  gr.  in-8,  462-xxiv  pa- 
ges). Cette  partie  contient  la  dogmatique  spéciale  :  anthropologie,  théologie,  chris- 
tologie.  La  discussion  de  thèses  théologiques  est  en  dehors  de  notre  compétence. 

—  A.   L. 

—  Intéressante  relation  des  fouilles  que  M.  N.  Mùller  a  pu  exécuter  dans  la 
catacombc  juive  de  Monteverde  à  Rome,  et  de  leurs  résultats  [Die  jûdisclie  Kata- 
kombe  am  Monteverde  ^u  Rom;  Leipzig,  Fock,  1912;  in-8,  144  pages).  Les 
fouilles  n'ont  pu  être  complètes,  l'auteur  s'ctant  vu  refuser  depuis  1909  l'autori- 
sation de  les  poursuivre.  Il  nous  dit  ce  qu'il  a  fait  et  trouvé  en  1904-1906.  Une 
inscription  est  du  premier  siècle  de  notre  ère;  les  plus  récentes  semblent  être  du 
quatrième.  Les  épitaphes  fournissent  naturellement  des  renseignements  assez 
importants  sur  l'onomastique  juive  et  aussi  sur  l'organisation  des  Juifs  de  Rome. 

—  A.  L. 

—  Nous  ne  pouvons  que  signaler,  sans  émettre  de  jugement,  les  sermons  de 
M,  O.  Baumgarte.n  :  Jesuspredigten  (Tùbingen,  Mohr,  191 1  ;  in-8,  vii-228  pages). 
Ce  sont  sermons  universitaires,  prêches  à  Kiel.  —  A.  L. 

—  Echappent  aussi  en  grande  partie  à  notre  compétence  les  travaux  théologi" 
ques  publiés  sous  la  direction  de  M.  D.  Simons.  Le  fascicule  que  nous  avons  reçu 
contient  les  articles  suivants  [Theologische  Arbeiten  aus  dem  rheinischen  Wissen- 
schaftUchen  Prediger  Verein.  Neue  Folge,  i3  Heft.  Tùbingen,  Mohr,  19 12); 
F.  SiEFFERT,  Die  religiôsen  Grundlagen  des  christUchen  sittlichen  Lebens  ; 
O.  RiTscHL,  Friedrich  Sieffert;  J.  Hymmen.  Das  Verhàltnis  der  Bedeutung  des 
Wortes  Gottes  als  Gnadenmittel  :^u  seiner  Bedeiitityig  als  christlicher  Erkenntnis- 
quelle;  W.  Wolff,  Geschiche,  Idée  iind  Symbol  in  der  christUchen  Religion; 
P.  BocKMùHL,  Wo  ist  die  erste  Aiisgabe  des  Werkes  «  Der  Leeken  Wecinvyser  » 
{i554)  von  Johannes  Veluanus  gedruckt  ?  —  A.  L. 

—  M.  Ernest  Jovy,  à  qui  l'on  doit  déjà  de  si  précieuses  contributions  à  l'étude 
de  Bossuet,  vient  de  découvrir  aux  archives  de  Massa  dans  les  papiers  du  cardinal 
Cibo,  secrétaire  d'Etat  d'Innocent  XI,  six  lettres  de  Bossuet  qu'il  lui  adressa  de 
1678  à  1681  {Six  lettres  originales  de  Bossuet,  Paris,  Emile-Paul,  191 2,  in-8°, 
p.  25).  Les  trois  premières  sont  en  latin  et  se  rapportent  à  la  publication  de  l'Ex- 
position de  la  doctrine  catholique  et  à  l'envoi  de  la  lettre  au  pape,  De  Institutione 
Serenissimi  Delpliini.  Les  trois  autres,  en  français,  dont  deux  sont  inédites,  sont 
relatives  aux  démarches  du  prélat  qui  venait  d'être  nommé  à  l'évéché  de  Meaux  et 
sollicitait  du  pape  la  faveur  de  ne  pas  payer  Vannate.  A  ces  documents  originaux 
et  en  partie  inconnus,  M.  Jovy  a  joint  un  instructif  commentaire  et  signalé  les 
variantes  que  présente  le  texte  des  lettres  avec  l'édition  actuellement  en  cours  de 
publication  dans  la  collection  des  Grands  écrivains  français.  —  L.  R. 

—  M.  Charles  Jan'et,  prenant  texte  de  la  catastrophe  du  Titanic,  imagine  que 
les  saillies  émergées  et  visibles  des  icebergs  qui  se  décapent  et  se  brisent,  repo- 
sent sur  des  socles  qui  n'ont  pas  subi  la  môme  déformation  et  s'étalent  plus  large- 
ment sous  les  flots  :  les  icebergs  ne  garderaient  pas  les  contours  cylindriques 
qu'on  leur  suppose.  Les  navires  ont  donc  intérêt  à  observer   les  distances  [Sur  la 

forme  probable  de  la  partie  immergée  de  quelques  icebergs,  1912.  Limoges,  Ducour- 
tioux  et  Gant,  imprimeurs,  1 1  p,  5  fig.  dans  le  texte). 

—  Dans  la  collection  Gôschen  vient  de  paraître  en  seconde  édition  une  antho- 
logie des  écrivains  allemands  du  xvi»  siècle  {Deutsche  Literaturdenkmâler  des  16 
Jahrhunderts  III.  N"  36.  Berlin,  Leipzig,  Gôschen,  1912,  0,80  m.)   par  M.   Julius 


5o6 


REVUE    CRITrQOE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


Snhr.  Ce  petit  volume  contient  des  extraits  de  Rrant,  Ilutten,  Fischart,  du  Reineke 
Vos  et  quelques  fables.  Des  introductions  et  des  notes  facilitent  la  lecture  de  ces 
morceaux,  dont  le  choix  est  tout  à  fait  judicieux.  —  F.  P. 

—  Lu  revue  Wôrterund  Saclien,  dirigée  surtout  par  M.  Meringer  (chez  l'éditeur 
Winter,  à  Heidelberg^  continue  de  paraître,  toujours  aussi  sonnptueuscment 
éditée.  Nous  avons  reçu  la  tin  du  volume  I il  et  le  commencement  du  volume  IV, 
où  l'on  remarquera  surtout  une  longue  élude,  très  approfondie,  de  M.  H.  Va\\< 
sur  la  navigation  chez  les  anciens  Scandinaves  et  sur  tous  les  termes  relatifs  à  la 
navigation;  cette  élude,  qui  sera  précieuse,  rentre  remarquablement  bien  dans  le 
pnigrammc  de  Wôrter  iind  Saclien  ;  le  même  fascicule  renferme  une  étude  de 
géographie  linguistique  sur  le  nom  du  mais  et  de  la  pomme  de  terre  d'après 
VAtLis  de  M.  Gilliéron.  —  A.  M. 


Académie  des  Inscriptions  ht  Belles-Lettres.  —  Séance  du  6  décembre  igi 2. 
M.  Saiomon  Reinach  annonce  que,  grâce  aux  Comptes  rendus  de  l'ancienne  Aca- 
démie des  inscriptions,  M.  Besnier,  professeur  à  1  Université  de  Gaen,  a  pu  éta- 
blir qu'un  admirable  bas-relief  grcC  ilu  Musée  d'Aix,  dont  on  ignorait  la  prove- 
nance, a  été  découvert  vers  1705  dans  l'île  de  Rhénéc,  qui  servit  de  nécropole  à 
Délos. 

M.  Perrot,  secrétaire  perpétuel,  communique  une  lettre  de  M.  Léon  Dorez  qui 
retire  sa  candidature  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par  suite  du  décès 
de  M.  Philippe  Berger. 

L'Académie  procède  à  l'élection  d'un  membre  ordinaire  en  remplacement  de 
M.  Philippe  Berger,  décédé. 


MM. 


i" tour 

?.•  tour 

3*  tour 

4«  tour 

5«  tour 

Chabot 

2 

•      I 

0 

0 

0 

Delaborde 

5 

7 

3 

0 

0 

Fougères 

3 

2 

0 

0 

0 

Glotz 

4 

3 

0 

0 

0 

Kohler 

4 

0 

0 

0 

0 

h^)^y 

2 

0 

0 

0 

0 

Mâle 

3 

0 

0 

0 

0 

Monceaux 

5 

10 

II 

i5 

20 

Psichari 

3 

6 

1 1 

10 

6 

Thureau-Dangin 

4 

6 

10 

10 

9 

M.  Monceaux,  ayant  obtenu  la  majorité  des  voix,  est  déclaré  élu  par  M.  Léger, 
président.  Son  élection  sera  soumise  à  l'approbation  de  M.  le  Président  de  la 
République. 

M.  Paul  Fournier  commence  la  lecture  d'un  mémoire  consacré  à  l'étude  d'un 
groupe  de  collections  canoniques  de  l'Italie  méridionale.  Ces  collections  appar- 
tiennent à  une  époque  qui  va  du  ix«  au  xr"  siècle.  On  y  peut  constater  l'état  de  la 
législation  ecclésiastique  dans  cetie  région  pendant  la  période  antérieure  à  la 
réforme  de  Grégoire  VII.  M.  Fournier  étudie  d'abord  le  recueil  contenu  dans 
le  ms,  18  de  la  Vallicellana  de  Rome.  II  montre  que  ce  recueil  a  été  vraisembla- 
blement rédigé  entre  902  et  920  à  Naples,  à  Bénévent  ou  dans  les  environs  de  ces 
villes.  11  fait  apparaître  les  traces  d'inHuence  byzantine  qui  caractérisent  ce 
recueîL 

M.  Babelon  achève  sa  communication  sur  Moneta.  Après  avoir  démontré  qu'à 
Rome  il  n'y  eut  jamais  qu'un  Hôtel  des  Monnaies,  qui  frappait  à  la  fois  la  monnaie 
de  bronze  sénatoriale  et  la  monnaie  impériale  d'or  et  d'argent,  M.  Babelon  établit 
que  cet  Hôtel  des  monnaies,  installé  au  Capitule,  fut  abandonné  sous  Néron. 
Après  qu'il  eut  fait  incendier  Rome,  Néron  ht  bâtir  un  nouvel  Hôtel  des  Mon- 
naies, beaucoup  plus  vaste  que  l'ancien,  sur  le  mont  Cœlius,  dans  le  voisinage  de 
sa  Maison  Dorée.  A  partir  de  cette  époque  et  en  raison  de  ce  changement,  un 
nouveau  type  allégorique  de  la  Monnaie  paraît  sur  les  espèces  d'or,  d'argent  et  de 
bronze.  Ce  type  se  confond  avec  celui  de  l'Equité  et  représente  une  femme 
debout,  tenant  une  balance  et  une  corne  d'abondance. 

Léon  Dorez. 

L'imprimeur-gératit  :  Ulysse  Rouchon. 


Le  Puy-eu-VelayT  —   Imprimerie  Peyriller,  Rouchon  et  Gamon 


REVUE    CRITIQUE 
D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N»  52  —  28  décembre.  -  1912 

ScHucHARDT,  Nubicii  et  basque.  —  E.  Cavaignac,  Histoire  de  l'antiquité,  II,  Athè- 
nes. —  Wn.iiEi.M  et  DvROFF,  I.a  Passinn  de  saint  Psotius.  —  Coli.on,  inventaire 
des  sceaux  de  Bourgogne.  —  AuGii-LARimô,  L'évolution  de  la  France  agricole.  -^ 
Havkm,  Mémoires  et  documents  pour  l'histoire  du  commerce  et  de  l'industriô 
en  France.  —  Académie  des  inscriptions. 


H.  ScMucHARDT.  Nubisch  und  Baskisch,  Paris  ("chez  Geuthner  et  chez  Chatnpioh), 
igi2  (extrait  de  la  Revue  internationale  des  études  basques^  VI,  p.  267-284). 

Cette  brochure,  dédiée  au  célèbre  hamitisant  Léo  Reinisch  par 
M.  Schuchardt,  est  extraite  de  la  Revue  des  études  basques  qu'a  fondée 
et  que  dirige  M.  de  Urquijo  et  dont  M.  Lacombe  est  le  très  actif 
secrétaire.  On  peut  dire  que  cette  revue  a  apporté  aux  études  basques 
un  véritable  renouveau;  les  fantaisies  puériles  et  les  assertions  extra- 
vagantes qui  ont  tant  nui  au  progrès  de  la  linguistique  basque  en  sont 
bannies;  la  direction  s'est  efforcée  de  n'y  admettre  que  des  travaux 
faits  suivant  une  méthode  correcte;  sans  avoir  besoin  de  faire  des  cri- 
tiques vives  —  que  certaines  publications  méritent  trop — ,  elle  intro- 
duit par  son  exemple  le  bon  sens  et  la  rigueur  dans  un  domaine  où 
ils  ont  trop  longtemps  été  négligés.  La  revue  a  mérité  ainsi  une  bonne 
fortune  inappréciable  :  la  collaboration  d'un  maître  tel  que  M.  Schu- 
chardt. 

L'exposé  intitulé  Nubisch  und  Baskisch  est  remarquable  à  la  fois  par 
les  concordances  qui  y  sont  signalées  entre  deux  langues  aussi  éloi- 
gnées que  le  nubien  et  le  basque  et  par  les  considérations  générales 
que  M.  Schuchardt   présente  à  ce  propos. 

L'idée  générale  tient  à  tout  l'ensemble  de  recherches  que  poursuit 
depuis  longtemps  M. Schuchardt  sur  les  langues  mixtes  :  la  généalogie 
linguistique  est  chose  souvent  trompeuse  ;  chague  langue  contient 
des  éléments  qui  viennent  de  plusieurs  idiomes  différents.  Tous  les 
travaux  poursuivis  dans  les  dernières  années  ont  montré  combietî 
M.  Schuchardt  a  eu  raison  d'insister  sur  ces  mélanges  et  combien  les 
actions  et  réactions  des  langues  les  unes  sur  les  autres  sont  multiples 
et  complexes.  Maintenant  M.Sch.irait  jusqu'à  ne  plus  faire  de  distinc- 
tion radicale  entre  la  transmission  directe  des  langues  et  les  faits  d'em- 
prunt. Il  y  a  sans  doute  des  cas  limites  oi^i  il  est  malaisé  de  faire  un 
départ  exact.  Mais  les  sujets  parlants  n'ont-ils  pas  toujours  le  senti- 
ment et  la  volonté  de  parler  une  certaine  langue,  même  quand  ils  y 

Nouvelle  série  LXXIV  "  52 


502  REVUE    CRITIQUE 

introduiseni  le  plus  d'ciémcnis  dûs  à  une  autre  langue?  Et   n'a-t-on 
pas  alors  le  droit  de  tenir  les  deux  types  pour  bien  distincts  :  celui  de 
la  langue  où  s'introduisent  des  éléments  étrangers,  aussi  nombreux 
qu'on  le  voudra,  et  celui  de  la  langue  à  laquelle  on  emprunte?  11  y  a 
bien  là  deux  espèces  distinctes.  —  Il  est  vrai  que  les  deux  espèces  ne 
se  laissent  pas  toujours  distinguer  nettement  en  fait.  Là  où  il  existe 
un  système  grammatical  à  formes  multiples  et  très  détinios,  comme 
en  indo-européen,  en  sémitique,  en  caucasique  du  Sud,  en  finno-ou- 
gricn,  en    bantou,  en  indo-nésien  (malais),  etc.,  la  démonstration  est 
aisée  :  partout  où  il  subsiste  quelques-uns  des  éléments  essentiels  du 
système  ou  des  restes  de  ces  éléments,  on  est  en  présence  d'une  langue 
indo-européenne,    sémitique,  etc.,    et   les    éléments    de  vocabulaire 
venus  d'ailleurs  sont  des  emprunts.  Là  où,  comme  en  Extrême-Orient 
par  exemple,  on  est  devant  des  langues  où  les   formes  grammaticales 
d'un  aspect  défini  sont  rares,  il  est  permis  de  se  demander  si  les  ques- 
tions se  sont  posées  aussi  nettement  aux  sujets  parlants  et  par  suite  si 
le  linguiste  peut  les  poser  d'une  manière  aussi  absolue.  On  voit  com- 
ment, même  sans  aller  aussi  loin  que  M.  Sch.,  on  doit  reconnaître  à 
son  observation  une  grande  portée  :  il  ne   faut  pas  étendre  à  toutes 
les  langues  humaines  des  principes  de  classement  généalogique  rigou- 
reux qui  ne  valent  que  pour  certaines  conditions  définies,  d'ailleurs 
réalisées  le  plus  souvent  à  l'époque  historique. 

Partant  du  principe  que,  dans  une  langue  donnée,  on  peut  et  l'on 
doit  démêler  des  origines  multiples.  M,  Sch.  s'efforce  de  mettre  en 
évidence  certaines  concordances  entre  le  nubien  et  le  basque,  sans 
vouloir  conclure  de  là  que  le  nubien  et  le  basque  soient  deux  formes 
d'une  même  langue  commune,  comme  le  grec  et  le  latin  sont  deux 
formes  de  l'indo-européen  et  surtout  sans  contredire  à  l'existence  pos- 
sible de  concordances  du  basque  avec  d'autres  langues,  les  langues 
caucasiques  par  exemple.  Les  rapports  signalés  entre  le  nubien  et 
le  basque  sont  pour  la  plupart  frappants  ;  l'auteur  indique  les  nuances 
et  les  réserves  qu'il  faut;  et  l'on  peut  dire  qu'une  donnée  nouvelle 
vient  s'ajouter  à  celles  qu'on  avait  déjà  pour  la  solution  du  problème 
basque.  Grâce  à  M.  Schuchardt,  la  linguistique  basque  fait  enfin  des 
progrès  décisifs. 

A.  Meillet. 

Eugène  Cavaignac.  Histoire  de  l'Antiquité.  T.  II  :  Athènes  (480-330).  Paris, 
Fontemoing  et  C'«,  1912,  in-S",  xv-5i2  p. 

Les  lecteurs  français  et  les  étudiants  insuffisamment  familiarisés 
avec  les  langues  étrangères  ne  disposaient  jusqu'à  présent  d'aucun 
ouvrage  général  sur  l'histoire  de  l'antiquité  classique,  qui  fût  au  cou- 
rant des  études  récentes.  Il  y  avait  là  une  lacune  dont  il  fallait  se 
préoccuper.  Un  groupe  de  travailleurs  a  cru  que  le  mieux  était  de  tra- 
duire la   Geschichte  des  Altertums   d'Eduard  Meyer.  M.  Cavaignac 


d'hISTOIRK    tT    DlC    LITTÉRATURE  5o3 

a  préféré  entreprendre  un  ouvraj^e  orii^inal,  qui  comprendra  trois 
volumes,  lia  commencé  par  le  second,  qui  traite  de  la  période  clas- 
sique 48o-'33o  et  qui  a  pour  sous-titre   :  Athènes. 

Ce  volume  répond  donc  à  un  besoin  certain,  et,  tant  que  la  traduc- 
tion d'Kduard  Meyer  n'en  sera  pas  arrivée  au.>:  tomes  IV  et  V  de 
l'édition  allemande,  il  rendra  de  bons  services  au.x  «  monogloties  ». 
L'auteur  s'est  préparé  à  l'écrire  par  quelques  articles  d'érudition  et  par 
deux  études  austères  sur  les  finances  de  l'Attique  au  v^  siècle.  Il  con- 
naît bien  l'ensemble  de  son  sujet  :  il  sait  quelles  sont,  en  dehors  des 
questions  qu'il  a  fouillées  lui-même,  les  solutions  admises  et  les 
problèmes  débattus.  Le  récit  des  événements  est  précis,  rapide,  géné- 
ralement clair. 

J'aimerais  bien  pouvoir  insister  complaisamment  sur  ces  qualités; 
mais  elles  frappent  dès  l'abord  le  lecteur  et  n'exigent  pas  de  longue 
démonstration.  Si  ce  compte  rendu  peut  avoir  quelque  utilité,  c'est  à 
condition  de  signaler  les  points  sur  lesquels  les  opinions  de  l'auteur 
sont  sujettes  à  caution,  et  particulièrement  ceux  où  les  erreurs  com- 
mises ne  se  peuvent  révéler  qu'à  une  consultation  attentive  des 
documents. 

Le  premier  défaut  de  ce  livre,  c'est  l'esprit  dans  lequel  il  est  conçu. 
Sans  doute  il  ne  faut  pas  qu'un  ouvrage  d'histoire  soit  un  dithyrambe 
enthousiaste,  et  rien  n'est  fatigant  comme  la  louange  continue.  Mais 
l'excès  contraire  est  peut-être  plus  maladroit,  plus  injuste  à  coup  sûr. 
Si  l'on   n'entre  pas    en  sympathie   avec   les   gens   dont    on   parle,  on 
s'expose  a  ne  pas  les  comprendre  et  à  mal  interpréter  leurs  intentions. 
Or,  M.  C.  prend  à  l'égard  de  la  démocratie  athénienne  une  attitude 
non  pas  seulement  raide  et  désabusée,  mais  chagrine  et  agressive.  Dès 
qu'il  apprécie  le  régime,  les  termes  de  dénigrement  et  de  mépris  lui, 
viennent  spontanément  aux  lèvres.  Il  a  des  expressions  hostiles  qu'il 
répète  sans  se  lasser  :  on  les  voit  venir  quelques  lignes  d'avance.  Les 
«  aboycurs   démagogiques  »   de   la    p.    126  reparaissent   à    la    p.  i3i 
comme  «  aboycurs  de  la  Pnyx  »,  à  la  p.  3  16  comme  «  aboyeurs  de  la 
place  publique  »,  et  ils   ne  changent  guère  en  se  présentant,  p.    180, 
sous    forme  de    «    braillards  ».  Le    peuple,    c'est    ordinairement  «  la 
canaille  »  (cf.  p.  493)  et,  à  l'Héliée,  «   la  canaille  judiciaire  »  (p.  177, 
206).    .Les     pays   qui    suivent    de    plus    ou    moins    près    l'exemple 
d'Athènes  «  s'enlisent  dans  la  démocratie  »  (p.  70)  ou  même  «  se  sen- 
tent enlisés  par   le  flot  montant  »(p.   102).  Avec  un  pareil  préjugé,  il 
est  difficile  de  porter  sur  toutes  choses  un  jugement  calme  et  pondéré. 
Que,  pour   la    première   fois    dans   l'histoire  du  monde,  on  ait  tenté 
d'organiser  un  gouvernement  avec  quarante  mille  souverains  égaux  ; 
que  les  citoyens  tout-puissants  aient   eu   le  bon  sens  de  placer  long-, 
temps  à  leur  tête  les  descendants  des  grandes  familles  habituées  au 
maniement  des  affaires  politiques  et  de  confier  jusqu'à  la  fin  les  fonc- 


5  04 


REVUE    CRITIQUE 


lions  importantes  aux  gens  de  loisir,  bien  nés  ou  riches;  qu'ils  aient 
senti  avec  un  tact  surprenant  le  besoin  de  réfréner  Içs  passions  de 
Vecclesia  par  les  pouvoirs  donnés  à  la  boulé  et  de  contenir  l'arbitraire 
des  décrets  dans  la  limite  des  lois  par  la  graphe  parauotnôn  :  tout 
cela,  M.  C.  ne  veut  pas  ou  plutôt  ne  peut  plus  le  voir,  parce  qu'il 
s'est  mis  un  bandeau  sur  les  yeux;  tout  cela  n'est  pour  lui  que 
«  l'anarchie  politique  d'une  nation  qui  s'obstinait  à  faire  d'un  organe 
de  contrôle  comme  le  suffrage  populaire  un  organe  de  gouvernement  » 
(p.  I  57-1  58  ;  la  démocratie  est  encore  «  l'anarchie  »  à  la  p.  i  34).  Dans 
ce  spectacle,  qui  ne  manque  pas  de  grandeur,  il  ne  discerne  que  «  la 
puissance  d'avortement  de  la  démocratie  »  ip.  i58).  Ah!  on  n'accusera 
pas  M.  C.  de  se  faire  l'âme  du  peuple  qu'il  décrit,  ni  même  de  celui 
auquel  il  appartient. 

L'image   ainsi  déformée  de  la  démocratie  se  reflète  naturellement 
sur  toutes  les  parties  où   l'auteur  examine  ou  mentionne  une  institu- 
tion quelconque.  On  pense  s'il  a  beau  jeu  à  verser  le  blâme  sur  l'orga- 
nisation  financière  d'Athènes  :   il  la  connaît  bien,  et  elle  a  toujours 
été  défectueuse.   Encore  quelque  impartialité  sied-elle  à  la  critique. 
M.  C.  est  le  premier  à  poser  en  fait  qu'il  n'y  a  pas  eu  de  trésor  public 
sur  l'Acropole  avant  les  guerres  médiques;  il  admet  donc  qu'il  fallut 
créer  tout  d'un  coup  une  double  administration,  pour  la  cité  et  pour 
la  confédération;  et  il  s'étonne  que  le  peuple  athénien   ne  soit  pas 
arrivé  à  la  perfection  en  quelques  années,  mettons  même  en  un  siècle 
et  demi!  Ne  faudrait-il  pas  s'étonner  plutôt  de  la  rapidité  avec  laquelle 
les  progrès  s'accomplirent,  de    l'intelligence  pratique  qui  fit  vite  se 
détacher  les  unes  des  autres  les  administrations  spécialement  affectées 
à  la  recette,  à  la  trésorerie,   à  la  comptabilité,  au  contrôle  général? 
M.  C.  voit  dans  la  complexité  de  ces  administrations  une  tare  de  plus. 
Il  énumère  avec  sévérité  «  les  collèges  de   magistrats   financiers  qu'a 
multipliés  le  gaspillage  et  la  méfiance  démocratique  »  (p.   194).  Pour- 
tant, si  le  gaspillage  est  un  vice  —  et  il  faut  concéder  qu'en  certaines 
conjonctures  les  Athéniens  s'y  laissèrent  aller  trop  facilement  — ,  la 
méfiance  est  au  moins  le  commencement  de  la  vertu.  Je  ne  veux  pas 
examiner  si  10  apodectes,  10  logistes,  etc.,  c'était   trop  pour  un   État 
qui  renfermait  une  population  libre  de  plus  de  200.000  âmes  et  diri- 
geait un  vaste  empire;  je  constate  seulement  que  la  division  croissante 
du  travail  administratif  est  la  conséquence  nécessaire  du  progrès  poli- 
tique et  que,  pour  restreindre  les    dépenses  inutiles,   il  n'est  rien   de 
tel  qu'un  partage  logique  d'attributions  et  un  contrôle  bien  compris. 
Un  autre  reproche  renferme  une  contradiction  tout  aussi  singulière. 
M.   C.  s'apitoie  sur    le  sort  des   riches,    traités    en    suspects  par  le 
peuple.  Il  nous  montre  les  Trois-Cents  accablés  par  la  triérarchie  et 
les  Douze-Cents  fortement  grevés  par  les  autres  liturgies.  Il  devrait 
donc  (p.   202-2o3)  insister  sur  le  caractère  équitable  de   ïeisphora, 
puisqu'elle  était  répartie  entre  tous  les  citoyens  et  métèques  possédant 


d'histoire    et    DR    LITTÉRATURE  5o5 

au  moins  2.3oo  dr.,  et  qu'elle  pesait  sur  les  biens  modestes  des 
zeugites  comme  sur  les  gros  capitaux  des  deux  classes  supérieu- 
res. Eh  bien!  non;  l'eisphora  est  présentée,  avec  les  liturgies,  sur 
la  liste  des  mesures  vexatoires  prises  contre  les  riches.  Est-ce  à  dire 
que  limpôt  ne  pouvait  être  juste  qu'à  condition  d'écraser  les  thètes 
qui  ne  possédaient  rien  et  vivaient  au  jour  le  jour? 

A  l'égard  des  autres  institutions,  M.  C.  procède  de  même.  Ce  qu'il 
appelle  «  la  canaille  judiciaire  »  lui  semble  toujours  à  l'aftut  des  biens 
à  conrisquer.  Il  mentionne    à  ce  propos  certaines  pages  de  Boeckh, 
déjà  hautes  en   couleur,  et  ajoute  qu'il   faudrait   encore    charger  ce 
tableau   (p.   2o3).  Il  faudrait,  au  contraire,  dire   que   les   abus   de  la 
confiscation  sont  exceptionnels  et  datent   des  temps  troublés  où  les 
passions  politiques  se  satisfaisaient  patriotiquement  en  subvenant  à  la 
détresse  du   trésor.  Il   faudrait  ajouter  que  la  confiscation  remplaçait 
dans  le  droit  pénal  d'Athènes  les  peines  privatives  de  la  liberté,  qu'on 
déclarait  intolérables  pour  un  citoyen,  et  qu'elle  marqua  depuis  4o3 
un  progrès  notable  dans  les  mœurs  publiques  en  excluant  la  peine  de 
mort.  M  .  G.  n'est  pas  plus  tendre  pour  l'organisation  de  l'armée  et 
de  la   marine.  Il  est  certain  qu'au  iV'  siècle  les  Athéniens    n'ont  pas 
grand  goût   pour  le  service  militaire;  mais  de  là  à  soutenir  que  la 
cité  ne   fournissait  aux   stratèges   que    «    des    milices  poltronnes   et 
indisciplinées  »  (p.  199),  il  y  a  loin.  Quelle  preuve  péremptoire  justifie 
donc  cette  accusation?  Apollodore  raconte  que,  pour  ne  pas  désobéir 
aux  lois,  il  ne  consentit  pas  à  prendre  à  bord  de  son  navire  le  beau- 
frère  de  son  chef,  condamné  à  mort  par  contumace  :  peut-on  voir  là 
«  un  exemple  curieux  du  refus  d'obéissance  d'un  triérarque  et  d'un 
pilote  vis  à  vis  d'un   ordre   qu'ils  jugent  dangereux?   »   Il  n'est  pas 
jusqu'à  la  culture   athénienne   qui  ne   donne   prise  à  une  attaque  de 
M.  C.  Il  admire  le  développement  des  arts  au   siècle  de   Périclès;   il 
va  même  trop  loin,  quand  il  doute  (p.  206)  qu'il   y  eût  des  artistes 
médiocres  à  Athènes.  Mais  il  considère  comme  un  fait  normal  que  la 
supériorité   intellectuelle    suscitait  l'envie  démocratique.    Pour   tirer 
une  pareille  conclusion  de  la  condamnation  de  Socrate,  il  faut  oublier 
que  les  hostilités   furent  ouvertes  par  Aristophane  et  que  le  procès 
final  eut  lieu   sous  la   domination   du   parti  modéré.  Enfin,   M.  C. 
(p.    204)   relève,   comme  un   indice  de  la  corruption  croissante  des 
mœurs  au  iV  siècle,  cette  phrase  tirée  du  plaidoyer  contre  Nééra  : 
«  Nous  avons  des  épouses  pour  perpétuer  notre  nom,  des  concubines 
pour  nous  soigner,  et  des  courtisanes  pour  nous  divertir    ».   Mais 
cette  phrase,  pas  plus  qu'elle  n'a  été  «  prononcée  par  Démosthène  en 
pleine  tribune  »   puisqu'elle  a  été  écrite  par  Apollodore  en  vue  d'un 
procès  à   l'Héliée,  n'a,  rien   qui   caractérise  la  société  athénienne  de 
l'époque,  puisque  la  r.-xXl'r/.r]  a  des  droits  d'épouse  à  côté  de  la  oâ(jLap 
dans  le  code  de   Dracon  et  que  le  Digeste  fait  exactement  les  mêmes 
distinctions  que  l'orateur  incriminé.  Reste  que  M.  G.  y  voudrait  un 


5o6  REVDK    CRITIOUK 

pou  plus  d'  ><  hypocrisie  »;  mais  il  n'a  pas  la  prétention  de  substituer 
notre  moralité,  dont  la  supériorité  sur  ce  point  serait  à  démontrer,  à 
celle  de  toute  l'antiquité  grecque  et  romaine. 

Naturellement  les  antipathies  de  M.  C.  lui  dictent  aussi  parfois  des 
opinions  contestables  sur  les  personnages  et  sur  les  événements.  Sans 
doute  il   ne  tombe  pas  dans   les  mêmes  excès  où  se  complaît,   par 
exemple,  M.  Beloch  quand   il   ne  trouve  à  priser  dans  Périclès  que 
l'habileté  du  financier   et   la  stratégie  du  parlementaire.  Il  témoigne 
même  la  plupart  du  temps  à  l'égard  des  personnages  de  premier  plan 
d'une  impartialité   méritoire.  Cependant,  au   milieu  de  la  tourmente 
qui  se  déchaîne  dans  la  dernière  période  de  la  guerre  du  Péloponèse, 
il  ne  parvient  pas  toujours  à  conserver  son  sang-froid.  Quand  il  raconte 
les  débuts  d'Alcibiade,  il  nous  dit  :  «  Le  snobisme  et  la  badauderie  de 
ses  compatriotes  lui  permettaient  toutes  les  espérances,  que  ses  rares 
facultés  pouvaient  d'ailleurs  le  mettre  en  mesure  de  réaliser  »  (p.  134). 
Mais  le  snobisme  qui  mène  à  deviner  le  mérite  n'est-il  pas  un  heu- 
reux défaut?  Après  la  dernière  application  de  l'ostracisme,  c'est  bien 
aussi  une  vue  un  peu  courte  qui  en  fait  expliquer  la  disparition  par 
le  manque  «   de  sérieux  dans  les  mœurs  politiques  »  (p.  i36).  La  loi 
de  Glisthènes  avait  été  faite  pour  écarter  d'Athènes,  en  cas  de  besoin, 
les    parents  des    Pisistratides;    détournée   de   son   véritable    but    dès 
qu'elle  servit  à  décider  entre  les  chefs  de  parti,  elle  ne  correspondait 
plus,  au  bout  d'un   siècle,  aux   besoins  du  régime  parlementaire  qui 
s'était    perfectionné;    enfin,   trop  anodine  pour  les  vengeances  des 
oligarques  en  410  et  en  404,  elle  ne    pouvait    plus    être  remise   en 
vigueur  par  les  démocrates  triomphants.  Un  peu  plus  loin  (p.  137), 
M.  C.  attribue  les  procès  de   Protagoras  et  de  Diagoras  au  caractère 
agressif  des   superstitions   exotiques   apportées    par    les    métèques. 
Erreur  manifeste  :  Diagoras,  en  414,  fut  victime  d'une  réaction  natio- 
nale, et  Protagoras  fut  accusé  par  l'ot^cier  de  cavalerie  Pythodoros, 
qui   devait  être  un  des  Quatre-Cents.  Enfin,  les  mesures  énergiques 
prises  en  413   contre  les  sacrilèges   n'apparaissent  plus  comme  des 
mesures  de  salut  public,  mais  comme  des  actes  de  tyrannie  fantasque, 
du   moment  où   la   mutilation  des   Hermès  n'est  qu'une  «  gaminerie 
de  jeunes  aristocrates    échauffés  par  un  bon  repas   »  (p.    i5i).  On 
dirait  que  M.  C,  qui  voit  dans  l'histoire  d'Athènes  durant  tout  le 
IV*  siècle  une  «  Terreur  adoucie  »  (p.  197),  veut  trouver  une  Terreur 
pure  et  simple  dans  une  bonne  partie  de  la  période  précédente. 

Les  mêmes  préoccupations  se  font  jour  de  temps  en  temps  quand 
la  scène  se  passe  hors  d'Athènes.  Que  la  démocratie  s'établisse  à 
Patras,  du  coup  «  l'anarchie  devient  dangereuse  )^  (p.  134).  C'était 
plutôt  un  gouvernement  d'oligarchie  tempérée  que  celui  de  Thèbes, 
où  l'accès  des  magistratures  était  interdit  à  quiconque  avait  exercé 
un  métier  depuis  dix  ans,  et  M.  C.  reconnaît  que  cette  ville 
n'avait   pas   «   poussé    jusqu'au  bout  la  dangereuse   plaisanterie   de 


d'histoire  et  de  littérature  5o7 

la  souveraineté  populaire  ».  II  n'en  distingue  pas  moins  dans 
l'histoire  des  Théhains  «  tous  les  vilains  côtés  de  la  démocratie  »;  il 
y  flétrit  la  «  surenchère  de  flagornerie  démagogique  »  ;  il  y  dénonce, 
naturellement,"  l'aboyeur  de  place  publique  »  ^p.  3i6),  Au  fond 
M.  C.  est  Spartiate  de  cœur.  C'est  son  allaire,  et  nul  ne  niera  que 
Sparte  n'ait  apporté  de  très  hautes  et  très  nobles  vertus  au  florilège, 
moral  de  l'antiquité.  Mais  on  ne  peut  cependant  pas  raisonnablement 
regretter  que  toutes  les  constitutions  des  Grecs  n'aient  pas  reproduit 
le  même  modèle  et  que  tous  leurs  actes  n'aient  pas  été  inspirés  par 
la  même  politique.  On  ne  peut  surtout  pas  antidater  de  vingt-cinq' 
siècles  un  certain  idéal  de  liberté,  pour  déclarer  que  le  Grec  s'esti- 
mait libre,  mais  ne  l'était  pas  (p.  368).  Quant  à  s'itnaginer  que  «  touteS' 
les  aristocraties  »  sont  «  essentiellement  pacifiques  »  (p.  1 02),  c'est  une 
illusion  contre  laquelle  proteste  l'histoire  de  tous  les  temps. 

Un  autre  défaut  de  M.  C.  est  bien  plus  dangereux,  parce  qu'il  est 
moins  apparent  et  qu'au  contraire,  si  l'on  n'y  regarde  pas  de  très  près, 
on  lui  en  fera  compliment  comme  d'une  qualité  rare  et  d'un  mérite  bien 
personnel  :  je  veux  dire  son  goût  pour  les  chiffres.  Presque  tous  les 
travaux    préparatoires  qu'a  publiés  l'auteur  ont  porté  sur  l'histoire 
des    Hnances   et    sur   des  questions  de   population.   Lors  donc  qu'il- 
traduit  les  faits   éconoiniques  ou   démographiques  en   talents  et  en 
drachmes,  en   milliers  d'habitants  ou  en  kilomètres  carrés,  on  a  une 
tendance  naturelle  à  le  croire  sur  parole,  d'autant  que  lui-même  consi- 
dère volontiers  comme  acquises   les  conclusions  de  ses  recherchés^ 
antérieures  et  se   borne  parfois  à  nous  y  renvoyer;  on   lui  veut  du  • 
bien  de   préciser  ainsi  d'une  façon   moderne   les  formules  vagues  et 
nuageuses  qui  dissimulaient  et  consolaient  notre  ignorance.  Hélas!  • 
quand  on   essaie  de    refaire  après    M.   C.   le    travail    auquel   il  s'est  ' 
livré,   trop   souvent  on   éprouve   de    cruelles   déceptions.  Tantôt  les 
procédés  qu'il  imagine,  pour  trouver  les  chiffres  que  les  documents 
lui   refusent,  apparaissent  comme   illégitimes   et  forcés;    tantôt,    les 
calculs  opérés  sur  les   bases  qu'il  pose  ne   donnent  pas  les  résultats 
qu'il  annonce. 

Examinons  les  tableaux,  principale  originalité  du  chapitre  prélimi- 
naire, qui  nous  montrent  l'état  du  monde  ancien  dans  la  première 
moitié  du  v^  siècle. 

M.  C.  veut  d'abord  (p.  4-8)  évaluer  la  richesse  et  la  population  des  " 
19  satrapies  ou  nomes  de  l'empire  perse.  11  dispose  d'un  docu- 
ment capital,  la  liste  des  tributs  donnée  tout  au  long  par  Hérodote. 
Quand  on  a  une  base  comme  celle-là,  il  faut  s'y  tenir  le  plus  fidèle- 
ment possible.  Il  est  vrai  que  le  total  indiqué  par  l'historien  en  talents 
euboiques  présente  quelques  difficultés,  qu'il  n'est,  d'ailleurs,  pas 
impossible  de  résoudre.  Mais  l'essentiel,  c'est  de  rester  le  plus  près 
possible    de  données   si    précieusement    exactes.    Que   fait    cepen- 


5o8  REVUE    CRITIQUE 

dant  M.  C,  quand  il  dresse  la  liste  des  19  tributs  en  convertissant 
les  poids  babyloniens  en  poids  eiiboïques?  Il  commence  par  rempla- 
cer le  rapport  ^  par  ^.  Il  veut  simplifier, dit-il;  mais,  quand  on  fait  une 
opération  en  vue  d'en  employer  le  résultat  à  des  calculs  ultérieurs,  on 
ne  doit  pas  multiplier  d'avance  les  chances  d'erreur;  au  reste,  il  n'est 
pas  plus  compliqué  de  chercher  les  j^  que  les  3  de  200,  3oo,  etc. 
Ce  qui  est  plus  gênant  encore  dans  ce  premier  tableau  (p.  4-5),  c'est 
qu'il  s'y  glisse  des  lapsus  et  des  erreurs  de  calcul  qu'on  ne  peut  pas 
pr<;ndre  pour  des  fautes  d'impression.  Les  170  talents  babyloniens  du 
7""  nome  ne  font  pas  270  talents  eubo'iques,  mais   226,  si    l'on   admet 

le  rapport  3,  et  en  réalité  227.  Le  tribut  de  400  talents  babylo- 
niens, qui  est  converti  pour  le  i®'  nome  en  5'3o  talents  cuboiques  et 
qui  devrait  en  faire  52o,  se  trouve  tout  à  coup,  pour  les  i3<^  et  17"  no- 
mes, n'en  plus  représenter  que  5oo. 

Mais  vovons  l'usage  que  va  faire  l'auteur  de  la  liste  ainsi  obtenue. 
Pour  chiffrer  la  richesse  naturelle  de  chaque  nome,  il  rapporte  le 
montant  de  son  tribut  à  sa  superficie.  Pour  cela,  il  part  de  ce  postu- 
lat que,  dans  cet  immense  empire  composé  de  déserts  et  de  vallées 
prodigieusement  fertiles,  l'impôt  était  partout  assis  sur  le  sol  suivant 
une  règle  uniforme  ;  et  là-dessus  il  rapproche  les  chiffres  du  tribut, 
déjà  plus  ou  moins  légèrement  déformés,  de  mesures  superficielles 
qu'il  est  obligé  de  conjecturer  en  l'absence  de  toute  certitude  sur  les 
limites  des  nomes.  Admettons  cependant  le  système  ;  les  erreurs  déjà 
commises  font  boule  de  neige  :  sur  19  nomes  dont  on  nous  donne  le 
tribut  au  kilomètre  carré,  il  y  en  a  10  pour  lesquels  cette  moyenne  est 
inexacte.  De  plus,  quand  l'auteur  veut  faire  la  moyenne  générale,  au 
lieu  de  diviser  la  superficie  de  l'empire  par  le  total  des  tributs,  il 
divise  la  somme  des  moyennes  partielles  par  le  nombre  des  nomes, 
ce  qui  n'aurait  d'intérêt  que  si  les  nomes  avaient  tous  la  même  éten- 
due :  il  trouve  ainsi  8  drachmes  eubo'iques  par  kilomètre  carré,  au 
lieu  de  10. 

Non  content  —  ou  plutôt  trop  content  —  de  ces  résultats,  M.  C. 
entreprend  d'évaluer  la  population  libre  et  sédentaire  de  chaque 
nome.  Comment  s'y  prendre?  Pas  un  mot  là-dessus  dans  aucun 
document.  Qu'à  cela  ne  tienne  !  Nouveau  postulat  :  le  tribut,  qui 
était  partout  proportionnel  à  la  production  du  sol,  l'est  aussi  partout 
au  chiffre  de  la  population.  Soit.  Mais  quel  est  le  taux  par  tête? 
Qu'on  le  demande  à  l'Egypte.  Elle  paie  5  1/2  millions  de  drachmes. 
Elle  aura  7  millions  d'habitants  sous  les  Ptolémées  ;  elle  en  a  moins 
sous  Darius.  A  i  dr.  par  tête,  ce  serait  encore  trop  ;  à  i  1/2  dr.,  on 
arrive  à  3, 600, 000  habitants  pour  l'Egypte.  Voilà  qui  va.  Pourquoi  ? 
Parce  que  M.  C.  a  l'impression  que  cela  va,  et  c'est  tout.  Plaisons  lui 
encore  crédit.  En  réalité,  il  hésite  continuellement  dans  l'application 
du  taux  qu'il  a  choisi.  Il  tâtonne,  et   sur  les   18  résultats   auxquels  il 


d'histoire  et  de  littérature  509 

aboutit  (l'Egypte  mise  à  part},  je  n'en  trouve  que  ?  qui  soient  con- 
formes aux  règles  qu'il  s'est  posées.  Il  évalue  à  2,000,000  d'habitants 
la  population  de  cinq  nomes  :  celle  du  Kf  nome  qui  devrait  être  de 
1,600,000,  celle  du  3''  qui  devrait  être  de  1,900,000,  celles  du  i«''  et 
du  17"=  qui  devraient  être  de  2,100,000,  celle  du  4"  qui  devrait  être 
de  2,600,000.  Bref,  il  renonce  à  maintenir  le  taux  qu'il  avait  adopté. 
Mais  il  fait  mieux.  Dans  ses  conclusions,  quand  il  considère  les 
choses  de  haut  (p.  7).  il  reconnaît  à  l'Egypte  5, 000, 000  d'habitants. 
Alors  nous  revenons  au  taux  de  i  dr.,  et  tout  est  à  recommencer? 
C'est  assez  dire  que  la  faniaisic,  ou  du  moins  le  sentiment  personnel, 
tient  la  plus  grande  place  dans  ces  recherches  et  qu'en  tout  cas  le 
taux  de  I   1/2  dr.  par  habitant  n'a  aucune  valeur. 

On  pourrait  croire  que  pour  les  choses  de  Grèce,  qui  lui  sont  plus 
familières,  M.  C.  use  d'une  méthode  plus  prudente.  Malheureuse- 
ment il  n'en  est  rien.  Parcourons,  par  exemple,  le  tableau  de  la  con- 
fédération athénienne  en  454/3  (p.  iS-iq). 

Il  s'agit  avant  tout  d'établir  le  tarif  des  tributs.  La  tentative  n'est 
pas  chimérique  ;  car  la  liste  d"à-xo-/a(  que  nous  possédons  pour  l'an 
454/3  peut  être  complétée  par  celles  d'autres  années.  Mais  il  y  faut 
d'inlinics  précautions.  Reportons-nous  avec  M.  C.  à  son  ouvrage  sur 
le  l^résor  d'Athènes,  doni  i\  maintient  ici  les  conclusions.  Quand  il 
trouve  des  chitîres  exacts  dans  les  comptes  mêmes  de  454/3,  il  lui 
arrive  de  les  augmenter  sans  raison  apparente.  Il  fixe  le  tribut  de 
Lindos  à  10  talents,  au  lieu  de  8  talents  25oo  drachmes  ;  celui  d'Ab- 
dère  à  i5  t.,  au  lieu  de  12  t.  5  100  dr.  Il  sait  que  les  chiffres  d'une 
année  peuvent  être  élevés  anormalement  par  liquidation  d'arriérés  ou 
versement  d'avances,  et  c'est  ainsi  qu'il  réduit  fort  justement  le  chiffre 
donné  pour  Sermylia  ;  mais  souvent  aussi  il  manque  à  cette  règle.  Il 
maintient  pour  les  Érinéens  le  chiffre  de  453/2,  41 3o  dr.,  quand 
ceux  de  446/5  et  de  444/3  sont  de  1000  dr.  et  bien  qu'une  diminution 
à  ce  moment  soit  invraisemblable.  Pour  Stagire  il  s'en  tient  égale- 
ment au  chiffre  douteux  de  453/2,  un  talent,  quand  celui  de  1000  dr. 
se  retrouve  durant  dix  années  de  la  période  450-437  et  les  deux  années 
427-5.  Pour  Ténédos  il  va  chercher,  au  contraire,  le  chiffre  de  452/1, 
4  talents  3oo  dr.,  quand  il  n'aurait  qu'à  prendre  celui  de  453/2,  cer- 
tifié par  la  liste  de  450/49,  à  savoir  i  t.  3720  dr.  Encore  n'est-il  pas 
sûr  qu'il  ne  faille  pas  faire  subir  une  légère  diminution  aux  chiffres 
de  la  période  453-450,  lorsqu'on  s'en  sert  pour  l'année  454/3  ;  au 
moins  l'exemple  des  Lepsimandiens  invite-t-il  à  le  croire,  puisqu'ils 
paient  io3odr.  en  453/2,  1200  en  452/1,  i5oo  en  451/0  :  par  consé- 
quent, il  est  bien  risqué  de  les  taxer  pour  454/3  au  chiffre  le  plus 
élevé,  d'autant  que  leur  tribut  n'est  plus  que  de  1000  dr.  dans  la 
période  444-439.  M.  C.  a  raison,  en  général,  de  tenir  compte  des 
diminutions  accordées  par  Athènes  de  450  à  439  et  de  considérer  les 
chiffres  de  cette  période  comme  des  minima;  mais  il  devrait  se  rap- 


5lO  REVUE    CRITIQUE 

pclor  que  cette  règle  ne  vaut  pas  pour  les  villes  de  l'Asie  Mineure 
avant  446/5.  Il  ne  faut  donc  pas  porter  le  tribut  d'iù-ythrées  à  10  t.  en 
454/3,  sous  prétexte  qu'il  est  de  9  t.  33oo  dr.  en  450/49,  et  de  7  t. 
en  444/3;  il  est  plutôt  au-dessous  de  91.  qu'au-dessus,  et,  puisqu'en 
425,  année  où  les  tributs  seront  doublés,  il  s'élcvc'ra  à  12  t..  il 
convient  de  l'évaluer  pour  434/3  à  environ  6  t.  Entin,  c'est  un 
principe  juste  qu'à  partir  de  439  chaque  revision  du  tarif  amena  une 
augmentation,  jusqu'à  ce  qu'en  425  on  lût  arrive  au  double  du  total 
primitif;  et  même  ce  principe,  à  condition  d'être  appliqué  avec  tact, 
fournit  un  excellent  moyen  de  contrôle  pour  les  listes  antérieures. 
Mais  est-il  bien  légitime,  parce  qu'en  425/4  des  'KoptY,;  'X'ir^nnT^-  figu- 
rent parmi  les  tributaires  de  Carie  pour  6  t.,  d'inscrire  d'office  sur  la 
liste  de  454/3,  et  pour  la  somme  considérable  de  3  t.,  une  ville  dont 
on  ne  sait  absolument  rien  ?  Le  chiffre  de  5ooo  dr.  pour  les  riE?-.-?;;  h. 
Aîvoou  n'est-il  pas  entaché  d'arbitraire,  alors  qu'ils  n'ont  fourni  jus- 
qu'en 436/5  que  des  sommes  intimes,  trois  fois  100  dr.  et  une  fois 
280,  et  qu'il  a  fallu  évidemment  une  raison  extraordinaire,  qu'on  n'a 
pas  le  droit  de  reporter  sur  la  période  antérieure,  pour  qu'à  partir  de 
436/5  ils  aient  été  imposés  pour  des  sommes  de  5o6o  dr.,  4800  dr.  et 

I  t.  ?  Si  Eléonte  a  contribué  en  425/4  pour  100  dr.,  ce  n'est  certes 
pas  un  motif  suffisant  pour  fixer  à  5o  dr.  le  chitlVe  de  454/3  ;  mais, 
puisque,  dans  Tintervalle,  le  chiffre  de  100  dr.  se  retrouve  trois  fois, 
et  une  seule  fois  —  en  445/4 —  celui  de  3oo  dr.,  il  ne  faut  pas  choisir  ce 
dernier,  mais  indiquer  le  premier  comme  un  maximum.  Pour  Cos, 
nous  avons  trois  chiffres  certains  :  en  450/49,  3  t.  336o  dr.  ;  en  441/0, 
5  t.  ;  en  428/7,  3  t.  4465  dr.;  M.  C.  choisit  le  chiffre  de  441/0,  quand 
il  serait  cependant  conforme  aux  principes  qu'il  a  posés  de  préférer 
celui  de  4  50/49,  confirmé  par  celui  de  428/7. 

Sans  doute  je  cite  les  exemples  les  plus  caractéristiques;  mais  ils 
sont  assez  nombreux  déjà  (et  il  y  en  a  d'autres)  pour  que  M.  C.  soit 
mal  venu  à  déclarer  allègrement,  par  allusion  à  des  objections  qui  lui 
ont  été  faites,  que  «  ceci  n'affecte,  en  tout  cas,  qu'un  petit  nombre  de 
chiffres  ».  Ceci  suffit,  en  tout  cas,  à  mettre  en  pleine  lumière  la  ten- 
dance de  l'auteur:  il  gonfle  le  plus  possible  les  chiffres  des  tributs. 

II  arrive  ainsi  à  un  totf^l  de  52i  talents,  qu'il  arrondit  en  5  25  ;  sous 
prétexte  de  lacunes,  il  le  porte  à  55o;  55o,  c'est  presque  le  chiffre 
donné  quelque  part  par   Diodore,  56o;   56o,   c'est  tout  près  de   600 

talents  dont  parle  Thucydide  pour  l'an  431 et  M.  C.  s'arrête  à  ce 

dernier  chiffre.  En  réalité,  le  total  de  52 1  talents  s'effrite  en  partie, 
d'autant  plus  que  M.  C.  renonce  maintenant,  sans  explication  ni  aver- 
tissement, à  faire  figurer  sur  la  liste  la  moitié  presque  des  245  villes 
qu'il  y  avait  réunies  Jadis,  d'où  déduction  de  32  talents,  et  que  par 
manière  de  compensation  il  y  insère,  avec  des  chiffres  énormes  et 
purement  conjecturaux,  Samos,  Chios  et  Lesbos,  qui  n'ont  rien  à  y 
faire. 


d'histoire  et  de  littérature  5  I  1 

Voilà  la  hase  incertaine  et  fragile  sur  laquelle  M.  C.  prétend  t^tablir 
ses  calculs,  pour  déterminer  la  population  et  la  superficie  des  villes 
confédérées.  Rien  de  plus  simple:  il  suffit  d'appliquer  h  chaque  trihut 
le  rapport  de  i  1/2  dr.  par  tête  d'habitant,  qui  a  dû  être  emprunté  par 
les  Athéniens  au  cadastre  perse.  M.  C.  ne  se  dit  pas  que  Tlonie,  à 
elle  seule,  payait  au  grand  roi  52u  talents  euboiques,  tandis  qu'Aris- 
tide fixa  le  total  des  contributions  à  460  talents  pour  la  confédération 
tout  entière, et  que,  par  conséquent,  le  rapport  du  tribut  à  la  population 
n'a  pas  pu  être  le  même  dans  l'empire  perse  et  dans  la  ligue  de  Délos.  En 
traitant  des  données  hypothétiques  d'après  une  formule  manifestement 
fausse,  il  prétend  faire  surgir  du  néant  les  résultats  d'un  dénombrement 
qui  n'a  jamais  été  fait.  Intrépide,  il  va,  il  va.  Les  Lyciens, 40,000  habi- 
tants; Milet,  40,000  habitants;  Argilos, 41 ,000  habitants.  Quoi!  Argi- 
los  celte  bourgade  de  Thrace,  plus  peuplée  que  Milet  ou  que  toute  la 
Lycie  !  Oui,  et  elle  renferme  même  plus  de  cinq  fois  la  population 
d'Olynthe  ;  car  on  peut  supposer  qu'elle  payait  63, 000  dr.,  tandis  que 
Milet  et  les  Lyciens  n'en  payaient  que6o/)0oet01ynthe  i2,ooo.Colo- 
phon  et  Cnide  ont  chacune  12,000  habitants,  tout  comme  les  'Kopiï,; 
'V;jLy)77r;;,  etc.,  etc.  Mais  M.  C.  poursuit  plus  loin  ses  recherches.  Il 
sait  maintenant  que  la  confédération  enfermait  une  population  totale 
de  2  millions  d'habitants,  et  il  peut  mesurer  sur  une  carte  la  super- 
ficie du  domaine  fédéral;  il  évalue  ainsi  la  densité  kilométrique  de  la 
population  à  75.  Cette  moyenne,  il  a  le  courage  de  la  croire  valable 
pour  chaque  ville  en  particulier.  De  même  que  le  tribut  a  fixé  la  popu- 
lation, la  population  va  fixer  la  superficie  du  territoire.  La  Lycie 
mesure  5.600  k  c,  Milet  et  sa  banlieue  5oo,  Argilos  600,  tandis 
qu'Olynthe  n'en  saurait  posséder  que  100.  Même  quand  il  arrive  aux 
îles  dont  il  connaît  la  superficie  réelle,.  M.  C.  ne  s'arrête  qu'à  regret  : 
il  place  côte  à  côte  le  chiffre  que  lui  fournissent  ses  calculs  et  celui 
qu'il  trouve  dans  les  géographies.  Et  les  différences  qui  à  ce  moment 
se  manifestent   à  lui  ne  lui  dessillent  pas  les  yeux. 

Après  avoir  appelé  l'attention  sur  les  tendances  générales  de  l'ou- 
vrage, je  voudrais  signaler  quelques  taches  dans  le  détail. 

P.  22.  Le  théorikon  est  donné  comme  une  institution  démocratique 
du  ve  siècle.  11  est  dit  plus  justement,  à  la  p.  226,  n.  4,  que  cette  date 
n'est  pas  certaine,  et  à  la  p.  232,  n.  7,  qu'il  paraît  être  une  invention 
d'Agyrrhios. 

P.  84.  L'existence  de  magistrats  appelés  ^Evooîxac  repose  sur  une  res- 
titution peu  vraisemblable  :  la  juridiction  qui  leur  est  attribuée  appar- 
tenait, au  temps  de  Cratinos  et  d'Aristophane,  aux  va^j-coo-xa-.  qui  sont 
déjà  nommés  dans  le  décret  pour  Hestiaia  (IG,  I,  29). 

P.  84,  92.  Les  14,240  citoyens  qui,  d'après  le  texte  de  Philochore, 
prirent  part  à  la  distribution  de  444  ne  représentent  pas  toute  la  classe 
desthètes.  Le  nombre  des  thètes  n'a  donc  pas  progressé  en  14  ans  de 


5  12  REVUE    CRITIQUE 

14240  à  20000.  Il  faut  probablement  ajouter  aux  14240  les  prétendus 
4761) -a;£YYpa--'>'.,  dont  le  nombre  a  été  imaginé  de  toutes  pièces,  parce 
qu'on  croyait  à  un  total  de  19,000  tliètes  (19.000  —  14240  =  4760). 

P.  02,  n.  1.  Le  uEToîx'.'Jv  n'était  pas  d'une  drachme  par  tète,  mais 
de  12  pour  le  chef  de  famille,  et  de  6,  si  c'était  une  femme. 

P.  q3,  204,  348.  Ilest  probable,  en  effet,  que  l'esclavage  a  pris  de 
l'extension  au  iv«  siècle.  Mais  la  preuve  donnée  ne  vaut  rien.  Si  les 
esclaves  avaient  baissé  de  prix,  cela  prouverait,  non  que  la  demande 
était  plus  forte,  mais  que  l'offre  surabondait.  En  fait,  il  semble  bien 
qu'à  la  fin  du  v*  siècle  et  pendant  le  iv^  la  hausse  ait  été  constante. 
Les  pôlètes.  en  415,  n'inscrivent  pas  seulement  des  prix  de  170  et  180 
dr.,  mais  aussi  de  240  et  3oi;  malgré  les  guerres  continuelles,  les 
rançons  des  prisonniers  de  guerre  ont  une  tendance  à  augmenter. 
Pour  démontrer  la  thèse  de  l'auteur,  il  convient,  en  somme,  de  pren- 
dre le  coatre-pied  de  son  raisonnement. 

P.  129.  Si  la  situation  des  hilotes  est  peu  à  peu  devenue  tolérable, 
il  n'en  faut  pas  faire  honneur  aux  habitudes  patriarcales  des  Spartiates. 
La  loi  qui  les  attachait  à  la  glèbe  et  fixait  à  perpétuité  le  quantum  de 
la  redevance  les  laissait  en  mesure  de  profiter  de  tous  les  progrès  qu'ils 
réalisaient  dans  l'exploitation  de  leur  tenure  :  d'où  une  amélioration 
quasi  automatique  de  leur  sort. 

P.  190.  Comme  le  Perse  Otanès  ne  prévoyait  pas  les  discussions 
modernes  sur  la  R.  P.  et  le  système  majoritaire,  le  principe  qu'il 
exprime  dans  Hérodote  III,  80  :  sv  yào  tôj  toXXù)  ev.  -rà  riv-ra  ne  signifie 
nullement  :  «  la  majorité  équivaut  au  tout  »  (il  faudrait  au  moins 
7:XéovO,  mais  affirme  tout  simplement  la  souveraineté  populaire. 

P.  194.  Ce  n'est  pas  vers  365,  mais  en  378/7,  que  les  neuf  proèdres 
ont  enlevé  au  prytane  la  présidence  de  l'assemblée. 

P.  196.  Il  était  bon  de  mentionner,  à  côté  de  l'Aréopage,  les  autres 
tribunaux  du  sang,  Palladion,  Delphinion,  etc.,  où  siégèrent  d'abord 
les  éphètes  et  plus  tard  les   héliastes. 

P.  2o3.  M.  C.  veut  donner  un  exemple  de  procès  où  un  métèque 
risque  de  perdre  sa  fortune.  Il  cite  celui  0  où  nous  trouvons  impliqué 
le  fils  de  l'affranchi  Pasion  ».  C'est  Phormion  qui  est  défenseur  dans 
cette  affaire;  quant  au  fils  de  Pasion,  Apollodore,  il  est  citoyen, 
puisque  son  père  avait  déjà  reçu  le  droit  de  cité. 

P.  217.  Platon  est  du  dème  de  Kollytos;  mais  cela  ne  prouve  pas 
qu'il  y  soit  né. 

P.  225.  <<  Sur  les  comptes  de  l'Erechtheion,  on  est  étonné  de  la 
faible  rémunération  des  architectes  et  sculpteurs,  comparée  au  salaire 
élevé  des  manœuvres.  Au  iv«  siècle  d'ailleurs,  il  en  sera  encore  de 
même.  »  Dans  les  comptes  de  l'Erechtheion,  le  salaire  à  la  journée 
est  le  même  pour  tous,  architecte,  ouvriers  qualifiés  ou  simples 
manœuvres;  mais  il  y  a  des  travailleurs  payés  à  la  pièce,  conime  les 
sculpteurs,    et    il    est    difficile   d'apprécier    leur    rémunération.    Au 


d'histoire  et  de  littérature  5i3 

IV'  siècle,  la  hausse  des  salaires  est  générale,  et  en  même  temps  leur 
différenciaiion  :  les  manœuvres  ont  i  drachme  1/2,  les  ouvriers  qua- 
liHés  2  ou  2  1,2  ;  rarchiiecie  est  pavé  à  l'année. 

P.  227,  498.  La  littérature  peut  dédaigner  la  moyenne  comédie, 
dont  il  reste  si  peu  de  chose;  l'histoire  doit  y  attacher  une  grande 
importance.  C'est  la  comédie  sociale,  succédant  à  la  comédie  poli- 
tique. Le  poète  ne  prolonge  plus  sur  la  scène  les  discussions  de 
l'agora;  il  s'adresse  aux  gens  de  métier,  aux  métèques  plus  encore 
qu'aux  citoyens. 

P.  317.  A  la  liste  des  intellectuels  qu'a  produits  la  Béotie,  ajouter 
Cratès  de  Thèbes,  un  des  chefs  de  l'école  cynique. 

P.  325.  C'est  au  v''  siècle  que  la  mise  en  circulation  du  trésor  perse 
a  fait  baisser  la  valeur  de  l'or  de  14  ou  i  5  à  12  par  rapport  à  i  d'ar- 
gent. Au  iv"  siècle,  et  avant  même  l'expédition  d'Alexandre,  l'affluence 
de  l'or  a  fait  baisser  le  rapport  de  12  :  i  à  10  :  i. 

P.  33o,  n.  2.  M.  C.  croit  que  le  a>op[jiô<;,  mesure  de  capacité, 
équivalait  à  un  chargement  de  navire  et  pouvait  être  facilement  de 
5,000  médimnes  ou  même  de  8,000.  Mais  le  texte  même  qu'il  cite. 
Lys.  XXII,  5,  6,  nous  apprend  que  la  loi  défendait  aux  revendeurs 
d'acheter  en  une  fois  plus  de  5o  cfopijto'!.  Si  M.  C.  avait  raison,  le  légis- 
lateur aurait  pris  la  peine  d'intervenir  pour  défendre  aux  intermé- 
diaires d'acheter  plus  que  la  production  totale  de  l'Attique. 

P.  341.  Il  est  exagéré  de  dire  qu'au  iv«  siècle  l'importance  des 
temples  comme  établissements  de  banque  avait  presque  disparu.  Il 
suffit  de  se  rappeler  l'exemple  de  Délos. 

P.  341.  Les  calculs  sur  les  souscriptions  apportées  à  Delphes,  en 
vue  de  retrouver  les  revenus  des  villes  grecques,  caractérisent  une  fois 
de  plus  les  aspirations  de  M.  C.  vers  la  précision  arithmétique.  Mais 
là,  comme  ailleurs,  il  adopte  un  taux  arbitraire.  Nous  savons  que  ce 
taux  était  d'une  obole  ;  mais  sur  quelle  unité,  nous  l'ignorons.  M  „  C. 
opte  pour  le  statère  :  Apollon  Delphien  aurait  exigé  en  tout  1/6, 
quand  les  dieux  d'Eleusis  demandaient  1/600  ou  1/1200  de  la  récolte 
annuelle  et  qu'Athéna  même  se  contentait  de  1/60  du  tribut.  Et  puis, 
à  quels  chiffres  M.  C.  applique-t-il  un  taux  inusité?  A  des  acomptes 
irréguliers,  à  des  annuités  dont  le  nombre  nous  est  inconnu.  On  le  voit, 
dans  cette  tentative  tout  est  ruineux.  Enfin,  comment  les  2,478  drach- 
mes des  Phocidiens,  multipliées  par  12,  font-elles  56  talents?  Même 
si  l'on  convertit  les  valeurs  delphiques  en  valeurs  euboïques  (ce  que 
l'auteur  fait  sans   nous  en   prévenir),  on  n'arrive  qu'à  7  talents. 

P.  36o.  On  nous  dit  que  lors  du  procès  contre  Zcnothémis, 
Démosthènes  était  déjà  un  personnage  influent.  Le  procès  ayant  eu 
lieu  en  3  3o,  Démosthènes  l'était  depuis  longtemps. 

P.  367.  «  Il  y  a  douze  chambres  de  l'Héliée,  de  cinq  cents  membres 
chacune.  «Traduisez  :  «  Il  y  a  dix  sections  de  l'Héliée,  comprenant 
chacune  cinq  cents  membres  et  mille  suppléants.  » 


5  14  REVUE    CRITIQUE^ 

P.  469.  A  Tarente,  «  le  nombre  Jcs  fOics,  disait-on,  était  plus  nom- 
breux que  celui  des  jours  de  l'année  •.  La  plaisanterie  eût  été  un  peu 
lourde.  Le  mot  de  Strabon  (V,  '3,  4)  auquel  l'auteur  fait  allusion 
signitie  que  le  nombre  des  jours  fériés  dépassait  celui  des  jours 
ouvrables. 

P.  304.  <i  L'Académie...  était  tombée  aux  mains  de  Xénocratc, 
avant  de  passer  au  rustre  Speusippe.  »  Platon  eut  pour  successeur 
immédiat  son  neveu  Speusippe,  qui  dirigea  l'Académie  de  347  h  339, 
avant  Xénocrate.  (Qu'est-ce  qui  vaut  à  Speusippe  l'épithcte  de 
«  rustre»?  Est-ce  le  fait  d'avoir  associé  les  Grâces  aux  Muses  dans 
une  chapelle  élevc'e  au  milieu  des  jardins  ? 

P.  5o5.  Les  43.475  (et  non  les  43.372)  lignes  de  manuscrit  payées 
3  talents  reviennent,  non  pas  à  i5  oboles  la  ligne,  mais  à  2  1/2  obo- 
les. Aux  oboles  sont  malencontreusement  substituées  des  drachmes. 
Décidément,  jusqu'à  la  dernière  page,  M.  C.  aime  les  chiffres  d'un 
amour  malheureux. 

Je  signalerai  quelques  défauts  de  composition.  Il  faudrait  des  raisons 
bien  pressantes  pour  séparer  complètement  les  deux  chapitres  sur  l'art 
grec  et  sur  la  science  grecque,  en  mettant  dans  l'intervalle  une  cen- 
taine de  pages  avec  le  récit  des  événements  cle  435  à4o3. —  Le  livre  III, 
intitulé  «  les  Puissances  nouvelles  »  et  commençant  en  346,  devrait 
s'ouvrir  par  ces  considérations  sur  la  force  et  la  grandeur  de  la  Macé- 
doine qui  sont  rejetées  après  le  chapitre  sur  la  conquête  de  l'Asie  :  au 
lieu  d'un  «  retour  sur  les  antécédents  »,  comme  dit  l'auteur,  on  aime- 
rait mieux  une  explication  préalable  des  faits.  —  On  voudrait  bien  aussi 
une  conclusion  générale  à  la  fin  d'un  volume  comme  celui-là,  même 
s'il  doit  être  suivi  d'un  autre  ;  tout  ce  qu'on  trouve,  avant  de  clore  le 
livre,  ce  sont,  à  propos  d'Aristote,  des  notes  sur  le  commerce  des 
livres  :  c'est  un  peu  mince. 

L'exposition  présente  quelques  maladresses  ou  obscurités.  On  nous 
parle  à  plusieurs  reprises  de  syntriérarchie  et  de  synchorégie,  'sans 
nous  dire  ce  que  c'est  (p.  90,1 36);  l'explication  ne  vient  qu'à  la  p.  170 
pour  l'une,  et  à  la  p.  227  pour  l'autre.  — L'importance  du  décret  rendu 
par  Athènes  contre  Mégare  est  bien  mise  en  relief  (p.  loi,  120-122); 
mais  la  teneur  exacte  du  décret  n'est  donnée  nulle  part.  —  L'histoire 
de  l'eisphora,  telle  qu'elle  se  présente  à  la  p.  137,  est  incompréhen- 
sible. —  Le  mot  «  ennéakaidékaétéride  »,  que  l'auteur  emploie  souvent 
(voir  p.  Soi)  est  bien  désagréable,  même  pour  ceux  qui  le  compren- 
nent; les  autres,  en  tout  cas,  aimeraient  mieux  lire  «  cycle  de 
19  ans  ». 

La  bibliographie  est,  en  général,  telle  qu'il  convient  à  ce  genre 
d'ouvrage.  Peu  de  taches  à  relever.  En  voici  quelques-unes.  P.  22, 
n.  I  :  pour  la  loi  de  Gortyne,  il  ne  faut  plus  se  référer  au  commen- 
taire de  Dareste  dans  ï Annuaire  de  VAss.  des  Et.  gr.  1886,   mais  au 


D'HISTOIRt    lil     DE    LITTÉRATURE  5l5 

travail  complet  et  excellent  de  Dareste,  Haussoullier  et  Th.  Reinach 
dans  leurs  Inscr.  jurici.  gr.  P.  404:  puisque  le  travail  de  Birt,  Das 
antike  Buchn'esen,  est  vieilli,  mieux  valait  citer  la  2'  éd.  de  la  Palaeo- 
graphie  de  Gardthausen.  L'ouvrage  cité  p.  197,  n.  3,  est  de  1904,  et 
non  de  1907;  l'article  dont  il  est  question  p.  414,  n.  6,  a  paru,  non 
dans  la  Rev.  des  Et.  ^t.,  mais  dans  le  Bull,  de  corr.  hell.  P.  20, 
n.  3  :  écrire  Milchhôfer;  p.  223,  n.  2  écrire  Biichsenschutz. 

Nous  n'avons  guère  vérifié  les  références  aux  textes.  Notons  en 
passant  :  p.  223,  n.  2  :  Isocrate,  Antidose,  p.  194  (il  faudrait  ij  195). 
Mais  nous  tenons  à  signaler  une  pratique  que  nous  trouvons,  quant 
à  nous,  détestable.  Si  utile  que  soit  la  Prusopographia  de  Kirchner,  ce 
n'est  pas  une  raison  pour  la  substituer  en  toute  occasion  aux  sources 
directes.  Il  serait  vraiment  par  trop  commode,  dès  qu'un  nom  propre 
apparaît  dans  un  événement  historique,  de  se  justifier  par  la  note  : 
Kirchner,  s.  v.  M.  G.  ne  craint  pas  d'en  abuser,  soit  qu'il  parle  de 
missions  pareilles  à  celle  d'Eschine  et  de  Démosthènes  en  346,  soit 
qu'il  dépeigne  les  chefs  des  mercenaires  et  mentionne  les  vices  de 
Charès,  soit  qu'il  considère  la  vie  ei  l'influence  de  Socrate,  etc.,  etc. 
(voir  p.  198-206);  il  en  prend  si  bien  l'habitude,  qu'à  la  p.  202  la 
mention  familière  lui  vient  au  bout  de  la  plume  après  une  phrase  sur 
les  familles  riches  où  il  ne  se  trouve  pas  un  nom  propre. 

La  langue  est  la  plupart  du  temps  simple  et  de  bon  aloi  ;  souvent 
même  la  phrase  se  ramasse  sur  elle-même,  nerveuse,  énergique.  De 
loin  en  loin  (c'est  rarei  on  est  arrêté  par  des  obscurités  ou  des  lour- 
deurs, des  expressions  embarrassées  ou  impropres,  des  figures  discor- 
dantes et  heurtées  (p.  58,  59).  Des  mots  comme  «  insatisfait  »  (p.  61) 
et  surtout  ■<■  insûr  »  (p.  338),  sont  des  néologismes  «  indésirables  ». 
Certains  titres  :  «  Périclès  maître  »,  «  Athènes  comme  puissance  » 
choquent  les  habitudes  françaises.  «  Considérer  la  ville  comme 
traître  »  est  franchement  incorrect.  Les  effets  de  style  sont  assez 
souvent  des  anachronismes  voulus  (p.  79  :  »  le  régime  des  exposi- 
tions universelles;  p.  137  ;  «  battre  le  pavé  »  ;  p.  36  i  :  le  Marseillais 
Pythéas  «  jouit  toujours  d'une  réputation  de  Gascon  »)  ou  même  des 
trivialités  (p.  89,  Aspasie  est  «  une  drôlesse  prétentieuse  »  ;  p.  loi,  la 
démocratie"a  <<  un  aplomb  olympien  »;  p.  1 15,  la  Victoirede  Paionios 
est  «  cousine  germaine  »  de  la  Victoire  à  la  sandale;  p.  i35,  l'ostra- 
cisme qui  menaçait  Nicias  et  Alcibiade  tombe  sur  ^<  un  troisième  lar- 
ron ))). 


En  résumé,  le  volume  de  M.  C.  pourra  être  mis  aux  mains  des 
étudiants  qui  ne  lisent  facilement  ni  l'allemand  ni  l'anglais,  mais  sous 
la  condition  expresse  qu'on  y  cherche  les  faits  et  qu'on  en  élimine 
les  jugements,  qu'on  se  méfie  des  données  arithmétiques  dans  la 
mesure  même  où  l'auteur  tient  à  les  faire  accepter,   et  qu'on  prenne 


3l(")  RKVl'K    CRITIQUfc 

la  précauiiun  de  crayonner  sur  bon  nombre  de  marges  les  rectirica- 

lions  nécessaires  '. 

Gustave  Glotz. 


1  r.  WiLiiKi.M,  K.  hYHoii-,  Lateinische  Akten  des  heiligen  Psotius,  dans 
Mi'inchciicr  Muscmn,  Baïul   i,  llcti  2,  p.    1.S.S-214. 

M.Wiilielm  publie,  d'après  deux  manuscrits,  le  texte  malheureument 
incomplet  de  la  Passio  de  saint  Psotius  ou  Psaie,  et  de  ■son  compagnon 
Cailinique,  tous  deux  évoques  en  Thcbaide.  Le  récit  est  curieux  et 
valait  la  peine  J'cire  tiré  des  bibliothèques  où  on  l'avait  oublié 
jusqu'ici  (p.  186,  1.  22,  lire  «  vcredarius  »  au  lieu  de  «  sanctus  «).  Six 
fragments  d'une  rédaction  copte  des  mêmes  Actes  sont  traduits  en 
allemand,  à  la  suite  de  la  version  latine,  par  M.  Dyrotf.  Entin,  deux 
recensions  arabes  sont  déjà  connues,  conservées  dans  les  synaxaires 
jacobites.  La  tradition  copte  nous  est  parvenue  de  façon  trop  fragmen- 
taire pour  qu'on  puisse  juger  si  la  Passio  latine  en  est  une  traduction 
approchée.  La  comparaisori  avec  le  texte  arabe,  assez  fantaisiste,  est 
possible  et  intéressante.  Elle  montre  que  les  Actes  ici  publiés,  qui 
sont  infiniment  plus  simples,  ont  peut-être  une  certaine  valeur  histo- 
rique, que  M.  W.  fait  justement  ressortir. 

Jean  Maspero. 

Aug.  Coin. ON.  Inventaire  des  sceaux  de  la  Bourgogne,  recueillis  dans  les 
dépôts  d'archives,  musées  et  collections  particulières  des  départements  de  la 
Côte-d'Or,  de  Saône-et-Loire  et  de  l'Yonne  (ouvrage  publié  sous  les  auspices  du 
Ministère  de  l'Instruction  Pu'olique  et  des  Beaux- Arts,  et  de  la  Direction  des 
Archives,  et  accompagné  de  60  planches  en  phototypie).  Paris,  Leroux,  1912, 
in-fol .  xi.viii-366  p. 

Les  Archives  Nationales  possèdent  une  collection  d'empreintes  de 
sceaux  unique  au  monde.  Cette  collection  s'est  considérablement 
accrue  depuis  le  jour  où  Douët  d'Arcq  en  a  publié  l'inventaire.  Les 
missions  de  Demay,  en  particulier,  l'ont  enrichie  de  moulages 
recueillis  à  la  Bibliothèque  Nationale  et  dans  les  départements  for- 

I.  On  a  vu  plus  haut  par  plusieurs  de  nos  critiques  que  l'erratum  des  p.  xni-xv, 
quoique  assez  long,  est  tout  à  fait  insuffisant.  J'y  ajouterai  encore  :  p.  xiv  (préci- 
sément dans  l'erratum),  au  lieu  de  p.  3g2,  lire  Sgi  ;  —  p.  17,  Polichna,  9,000  dr. 
e.,  hve  6,000;  ib.  Cyme,  72,800  dr.  e.  ;  lire  72,000;  ib.  Mendè,  16,000  hab.,  lire 
32,000;  —  p.  20,  le   district   peuplée;  —  p.    37,  une  apogée;  —  p.  63,  atihénien  ; 

—  p.  79,  n.  4,  ail  lieu  de  encore,  lire  déjà  ;  —  p.  93,  n.  6,  Griesch.;  —  p.  102, 
l'armée  que  Sparte  a  porté;  —p.  118,  iv°  siècle,  lire  vi^;  —  p.  120,  mater,  lire 
mater  ;  — p.  128,  de  nouveaux:  accomplie  ;  —  p.  i33,  Ion)!ienne  ;  —  p.  147,  n.  4, 
Lièybéens  ,  —  p.  148,  Est,  lire  Ouest;  ib.  plus  de  un;  ib.  nous  l'avons  vu  (la 
Sicile)  vendre  du  vin,  lire   vue;   —  p.   iSi,  à  la  gaminerie,  lire  qu'à  la  gaminerie  ; 

—  p.  i56,  Salamnie,  lire  Salamine  ;  —p.  171,  n.  5,  le  diobélie;  —  p.  2o3,.  n.  2, 
cité  n.  2,  lire  cité  n.  i  ;  —  p.  206,  ne  parles  pas  ;  —  p.  233,  rhét/;curs  ;  —  p.  33.5, 
la  darique  (sous-entendu  stalère)  ;  —  p.  341,  n.  2,  le  taux  laissée  ;  —  p.  41  i,  au 
printemps  de  349,  lire  340;  —  p.  463,  n.  3,  Xénothémis,  //re  Zénothémis  ;  — 
p.  5oo,  quoiqu''\.\  en  soit. 


d'histoirk   et  Dt:  littérature  517 

mes  par  les  anciennes  provinces  de  la  Flandre,  de  l'Artois,  de  la 
Picardie  et  de  la  Normandie.  Mais  l'ttuvre  de  Demay  avait  été  mal- 
heureusement interrompue.  Elle  vient  d'être  reprise,  en  ces  dernières 
années,  sur  l'initiative  de  M.  Dejean,  directeur  des  Archives,  par  un 
érudit  particulièrement  compétent,  M.  Coulon.  De  1906  à  1908,  ce 
dernier  a  parcouru  les  trois  départements  de  l'ancienne  Bourgogne, 
la  Côte-d'Or,  la  Saônc-et-Loire  et  l'Yonne;  il  y  a  exploré  avec 
méthode  les  dépôts  d'archives,  les  musées,  les  collections  particu- 
lières, et  il  a  recueilli,  au  cours  de  ses  campagnes,  un  peu  plus  de 
1600  sceaux,  qui  portent  à  environ  54,000  le  nombre  des  fac-similés 
maintenant  réunis  au  palais  Soubise.  C'est  l'inventaire  de  ses  décou- 
vertes que,  sous  les  auspices  de  la  Direction  des  Archives,  M.  C.  pré- 
sente aujourd'hui  au  public. 

Cet  inventaire  est  une  oeuvre  scientifique,  dans  toute  l'acception  du 
mot.  On  ne  saurait  trop  louer  la  méthode  de  l'auteur,  son  érudition 
étendue,  sa  conscience,  qui  va  parfois  jusqu'au  scrupule.  Le  plan 
rappelle  celui  de  Demay  :  c'est  la  même  grande  division  en  deux 
groupes,  les  sceaux  laïques,  qui  se  répartissent  en  neuf  séries,  et  les 
sceaux  ecclésiastiques,  qui  en  comprennent  onze.  Chaque  sceau  fait 
l'objet  d'une  description  qui  met  en  relief  ses  caractères  particuliers. 
M.  C.  a  su  donner  à  ces  descriptions  toute  leur  valeur  en  identifiant 
exactement  le  personnage  ou  la  juridiction  dont  le  sceau  émane,  en 
analysant  et  en  datant  avec  précision  le  document  auquel  il  est  atta- 
ché. On  peut  se  fier  aux  indications  de  cet  inventaire,  ce  qui  est  l'es- 
sentiel ;  et  le  plus  souvent,  après  l'avoir  consulté,  on  peut  se  dispen- 
ser de  recourir  aux  originaux,  dont  la  conservation  est,  d'ailleurs, 
assurée  par  les  excellents  moulages  que  M.  C.  en  a  pris.  Quelques 
lapsus,  inévitables  dans  un  ouvrage  de  cette  importance,  ne  sauraient 
diminuer  le  mérite  de  l'auteur.  P.  xxxii,  il  est  bien  évident  que  l'in- 
signe de  la  Toison  d'Or  n'a  pas  été  créé,  en  1429,  par  Jean  Sans-Peur, 
mais  par  Philippe-le-Bon.  N°  89,  l'acte  auquel  est  appendu  le  sceau 
de  Béatrix  de  Chalon  n'est  pas  de  i32o,  mais  de  1220.  La  table  alpha- 
bétique, bien  que  dressée  avec  soin  et  susceptible  de  rendre  de  grands 
services,  renferme  quelques  inexactitudes  (le  sceau  d'Henri  I",  dit 
Beauclerc,  est  le  n°  i  i  et  non  le  n°  77).  Ces  petites  négligences  ne 
sont  pas  graves;  il  faut  savoir  gré  à  l'auteur  d'en  avoir  réduit  le 
nombre  le  plus  possible. 

La  préface  que  M.  C.  a  jointe  à  son  inventaire  sera  lue  avec  profit 
par  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  lart  du  Moyen  Age.  L'auteur  y 
signale  les  faits  nouveaux  que  l'examen  collectif  des  sceaux  de  la 
Bourgogne  apporte  à  l'histoire  générale  de  l'art  sigillaire  et  de  l'ico- 
nographie religieuse  et  civile.  Le  chap.  III,  dans  lequel  il  étudie  les 
spécimens  curieux  de  la  collection,  nous  apporte  une  foule  de  rensei- 
gnements intéressants  sur  les  dignitaires  et  les  artistes  de  la  cour  des 
ducs  de  Bourgogne,  et   montre  tout  le  parti  qu'on  peut  tirer  de  la 


5l8  REVUE    CRITIQUE 

sigillographie  pour  résoudre  la  quesiion.  encore  pendante,  des  ori- 
gines de  l'an  bourguignon.- [.e  chap.  V  n'est  pas  moins  neuf  :  M.  C. 
y  iraiie  des  ditTércnts  types  de  sceaux,  et  spécialement  de  l'iconogra- 
phie des  saints  de  la  Bourgogne,  d'après  les  sceaux  du  type  légen- 
daire. Il  y  a  là,  résumée  en  quelques  pages,  la  matière  d'un  livre  très 
attachant  :  l'esquisse  que  l'auteur  en  donne  nous  permet  déjà  d'entre- 
voir avec  quel  charme  délicat  les  artistes  de  l'école  bourguignonne 
ont  su  interpréter  la  légende  des  saints,  et  i]uel  intérêt  il  y  aurait  à 
rapprocher  ces  petites  compositions  des  œuvres  plus  vastes  où  leur 
génie  s'aHirme  dans  toute  son  ampleur  et  toute  son  originalité. 

La  Direction  des  Archives  a  voulu  rehausser  la  valeur  documen- 
taire de  cet  ouvrage  et  en  faire  en  même  temps  un  livre  de  luxe,  en 
l'accompagnant  de  60  belles  planches,  qui  reproduisent  en  phoioty- 
pie  le  quart  environ  des  sceaux  décrits.  Parmi  ces  400  spécimens, 
choisis  avec  goût,  il  en  est  d'un  dessin  charmant  et  d'une  rare  finesse 
d'exécution.  On  remarquera  les  sceaux  de  type  équestre  qui  portent 
les  n°'  79  (sceau  du  duc  Philippe  le  Bon,  1433),  116  (sceau  de 
Guigues,  comte  de  Nevers  et  de  Forez,  1 238),  147  (sceau  de  Jean,  sei- 
gneur de  Thil  et  de  Marigny,  1347)  ^Si  (sceau  de  Jean  de  Chàteau- 
villain,  1337);  ceux  qui  offrent  les  figures  en  pied  de  Marguerite, 
reine  de  Sicile  (1282,  n°  22),  de  Marguerite,  comtesse  de  Flandre 
(1374,  n"  93),  de  Jean  de  Chalon,  évêque  de  Langres  (r33i,  n°  958), 
etc.  ;  les  sceaux  des  cardinaux  Zarabella  et  Panciera  (141 6,  n"*  874  et 
875);  le  sceau  et  le  contre-sceau  de  la  ville  de  Cantorbery  (r36i, 
n°'  536  et  536  bis),  celui  de  la  Madeleine  de  Vézelay  (i345,  n°  1297), 
celui  de  Daniel,  évêque  élu  de  Cefalu  (i  157,  n"^  929  et  929  bis),  etc. 
Aucune  de  ces  reproductions,  d'ailleurs,  n'est  indiiïérente,  et  leur 
ensemble  complète  dignement  une  œuvre  magistrale,  conforme  aux 
traditions  scientifiques  du  palais  Soubise,  également  honorable  pour 
la  Direction  éclairée  qui  en  a  conçu  le  projet  et  pour  l'érudit  archi- 
viste qui  a  été  chargé  d'en  assurer  l'exécution. 

Paul  Le  Cacheux. 

Michel  Augk-Laribk.  L'évolution  de   la  France    agricole.  Paris,  Armand  Colin 
{Le  mouvement  social  contemporain;,  1912.  In-i8,  xvii-lio4p. 

M.  Augé-Laribé  n'est  pas  de  ceux  que  l'optimisme  aveugle.  Il  nous 
décrit  l'agriculture  tendant  de  plus  en  plus  à  devenir  une  industrie, 
en  dépit  desroutines  paysannes.  Industrialisée,  elledevient  capitaliste. 

S'il  n'y  a  pas,  comme  l'ont  cru  à  priori  les  marxistes  de  la  stricte 
observance,  concentration  de  la  propriété  rurale,  si  même  il  n'y  a 
pas  de  tendance  très  nette  à  la  concentration  des  exploitations,  il  n'en 
reste  pas  moins  que  la  campagne  se  vide  d'hommes,  moins  vite  en 
France  qu'en  Angleterre  ou  en  Allemagne,  assez  vite  tout  de  même. 
La  terre  ne  retient  plus  le  paysan,  et  Michelet  ne  récrirait  plus  Le 
Peuple. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  SlQ 

Dans  le  capitalisme  agraire  naît  l'association  agricole,  qui  n'a  pas, 
tant  s'en  faut,  donné  tous  ses  résultats,  ni  sous  la  forme  syndicale 
ni  sous  lu  forme  coopérative.  En  réaction  contre  ce  même  capita- 
lisme apparaît  le  socialisme  agraire,  peu  développé  encore,  et  assez 
inhabile  à  se  définir  lui-même.  Au  reste  l'association  agricole  se 
présente  surtout  comme  une  collection  d'égoismes. 

Somme  toute,  une  nouvelle  démocratie  rurale  se  forme,  très  ditîé- 
rente  de  l'ancienne  race  paysanne,  et  que  M.  A.-L.  ne  voit  pas  très 
en  beau,  ni  comme  groupe  moral,  ni  comme  élément  physiologique 
de  la  nation,  ni  comme  entité  politique.  Il  n'est  plus  tenté  de  dire  à 
la  Terre  :  Salve,  magna  parens  viriim  !  Et  ses  conclusions  seraient 
assez  décourageantes,  s'il  n'entrevoyait  la  formation  d'  «  un  type 
nouveau  de  paysan  »,  mieux  adapté  aux  conditions  nouvelles. 

Quoi  qu'on  pense  de  ces  conclusions,  il  reste  un  livre  solide, 
rempli  de  faits  bien  classés  et  intelligemment  interprétés,  sur  la  pro- 
duction et  la  technique,  sur  le  régime  de  la  propriété,  sur  les  mouve- 
ments delà  population,  etc.  Une  chose  manque,  cependant,  à  tous  les 
ouvrages  de  cette  jeune  collection  :  une  brève  bibliographie. 

Henri   Hauser. 


Mémoires  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  du  commerce  et  de  l'in- 
dustrie en  France,  publiés  sous  la  direction  de  Julien  Havem.  Paris,  Hachette, 
191 1.  In-S",  xii-253  p.  Préface  de  Paul  Delombre.  —  Deuxième  série,  ibid,,  1912. 
In-80,  viii-287  p.,  9  grav.   • 

M.  J.  Hayem  a  eu  deux  excellentes  idées  :  la  première,  c'est  de 
publier  dans  une  revue  commerciale  financière  des  études  d'his- 
toire économique  ;  la  seconde,  c'est  de  ne  pas  laisser  perdre  ses  études 
et  celles  de  ses  collaborateurs,  et  d'en  constituer  une  sorte  de  biblio- 
thèque. Nous  sommes  si  pauvres  de  documents  et  d'études  documen- 
taires en  matière  d'histoire  économique  que  nous  devons  saluer  avec 
satisfaction  l'apparition  de  cette  collection. 

C'est  faire  à  M.  H.  une  mauvaise  querelle  que  de  lui  reprocher 
l'absence  d'ordre  de  ces  deux  volumes.  Il  est  naturel  que  les  cher- 
cheurs se  dirigent  un  peu  dans  tous  les  sens  et  nous  apportent,  au 
courant  de  la  découverte,  le  produit  de  leurs  trouvailles. 

Ce  qui  est  plus  regrettable,  c'est  que  les  divers  collaborateurs  de 
M.  H.  ne  soient  pas  tous  également  bien  préparés  au  travail  qu'ils  ont 
entrepris.  Quelques-uns,  M.  Eugène  Guitard,  M.  Paul  Destray, 
M.  Georges  Mathieu,  M.  Emile  Isnard,  sont  rompus  aux  bonnes 
méthodes  :  leurs  études  sur  la  délimitation  du  bordeaux  et  le  com- 
merce des  vins  de  Bourgogne  sous  l'ancien  régime,  sur  l'industrie 
limousine  et  sur  la  soie  en  Provence  nous  seront  précieuses.  On  goû- 
tera également,  de  M.  H.,  le  mémoire  de  Tribert,  inspecteur  des 
manufactures  à  Orléans  de  1787  à  1791,  c'est-à-dire  à  la  veille  du 
jour  où  l'institution  allait    disparaître.    Il  y   a,  par  contre,  bien  de 


520  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE   ET   DE    LITTÉRATURE 

rinexpcriencc  dans  rarticle  de  M.  Clierrière  qui,  sous  prétexte  d'étu- 
dier la  lune  contre  l'incendie  sur  la  Seine,  nous  fait  une  histoire  des 
ports  de  Paris;  le  sujet  nous  est  suffisamment  connu  par  le  livre, 
plusieurs  fois  réédité,  do  M.  François  Maury,  et  il  serait  déplorable 
que  ces  études  devinssent  des  meubles  à  tiroirs. 

11  faudrait  également  apprendre  à  publier  correctement  les  textes. 
Ce  n'est  pas  nous  donner  le  Mémoire  de  l'iniendant  Jérôme  Bignon 
sur  la  généralité  d'Amiens  (il  s'agit  d'un  des  mémoires  de  1698)  que 
d'imprimer  d'abord  un  résumé  de  ce  mémoire  par  Boulainvillers,  et 
de  reproduire  seulement  le  texte  du  mémoire  pour  la  partie  relative 
aux  manufactures.  Ajoutons  que  l'éditeur  a,  ici,  employé  un  bien 
mauvais  copiste,  aux  yeux  de  qui  le  nom  assez  connu  de  Van  Robais 
se  transforme  en  un  inattendu  Naiirobois;  il  n'a  su  reconnaître  ni  Har- 
divilliers,  ni  Pisseleu,  ni  la  Thiérache,  ni  (p.  i  5o)  l'Authie,  etc. 

Les  auteurs  ne  sont  pas  toujours  très  au  courant  des  derniers  tra- 
vaux. Si  l'article  sur  la  navigation  et  le  commerce  de  la  Méditerranée 
à  la  tin  du  xvii^  siècle  connaît  le  premier  ouvrage  de  Masson  et  cite, 
mais  sans  les  avoir  utilisés  (il  aurait,  autrement,  reconnu,  p.  224,  dans 
Salles  le  port  de  Salé),  ses  Etats  barbaresqiies,  il  ignore  sa  si  impor- 
tante Compagnie  du  Corail.  Une  lecture  un  peu  plus  soigneuse  de 
G.  Martin,  Grande  industrie  sous  Louis  XV  (p.  332),  n'aurait  pas 
permis  de  considérer  comme  absolument  inédite  l'affaire  Van  Robais 
de  1715-1716  (t.  I,  p.  57).  Sur  cette  affaire,  en  dehors  de  f  12  des 
Archives  nationales,  il  faudrait  voir  c  149  des  Archives  de  la  Somme. 
—  Était-il  bien  utile  de  rééditer  la  «  fête  brésilienne  célébrée  à  Rouen 
en  i55o  »,  pièce  archiconnue  ? 

Avec  une  méthode  plus  stricte,  un  choix  plus  sévère  des  maté- 
riaux, une  bibliographie  mieux  tenue  à  jour,  la  collection  de  M.  J.-H. 
pourra  rendre  de  réels  services. 

Henri  Hauser. 


Académie  DES  Inscriptions  et  Belles-Lettres. — Séance  du  i3  décembre   1Q12.' 
—  M.  Paul  Monceau.x,   élu   membre  ordinaire   en    remplacement  de  M.  Phifippê 
Berger,  décédé,  est  introduit  en  séance. 

M.  Cuq  fait  une  seconde  lecture  de  son  mémoire  sur  l'à-axTipu;'.;. 

Léon  Dorez. 


L'imprimeur-gérant  :  Ulysse  Rouchon. 


LE  POY-EN-VELAY.  —  IMPRIMERIE  PEYRILLER,   ROUCHON  ET  GAMON. 


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t.  73-7/^ 

Revue  critique  d'histoire  et 
de  litt(5rature 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


GE.STECflERTO 
(ALFRED  HAFNER) 
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