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Full text of "Odilon Redon, peintre, dessinateur et graveur"

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ODILON 


ODILON    REDON 


ANDRÉ    MELLERIO 


ODILON  REDON 


Peintre,   Dessinateur  et  Graveur 


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H.    FLOURY,   ÉDITEUR 

2.    RUE    SAINT-SULPICE    &    4.    RUE    DE    CONDÉ 

PARIS    (VIO 
1923 


11  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  CENT  Exemplaires  sur  papier 
du  Japon,  numérotés  de  I  à  100  et  contenant  une 
épreuve  avant  la  lettre  de  la  couverture. 

Les  Cent  exemplaires  sont,  en  outre,  accompagnés  d'une 
suite,  sur  Vélin  du  Marais,  des  neuf  compositions 
originales  d'OoiLON  Redon,  pour  Les  Fleurs  du  Mal 
de  Ch.  Baudelaire. 


NE 


ODILON    REDON    (1914) 


INTRODUCTION 


Quand  nous  fut  confiée  la  tâche  de  rendre  à  Odilon  Redon  l'honneur 
que  sa  mémoire  et  son  art  étaient  en  droit  d'attendre,  nous  avons  éprouvé 
une  hésitation  compréhensible  devant  telle  responsabilité. 

Cependant,  la  pensée  s  est  imposée  à  nous  :  que  presque  trente  années 
d  amicales  relations  et  de  conversations  intimes  avec  l'artiste,  la  perpé- 
tuelle fréquentation  de  ses  œuvres,  aussi  d'antérieurs  travaux  à  leur  égard, 
nous  créaient  une  véritable  obligation. 

Mais  ce  qui  nous  a  rassuré  principalement,  c'est  que  d'abondants 
témoignages,  tant  publiés  qu'inédits,  demeuraient,  émanant  de  Redon 
lui-même.  De  plus,  fut  connue  et  approuvée  de  sa  bienveillante  attention, 
l  Etude  mise  par  nous  en  tête  d'un  précédent  Catalogue  de  ses  estampes. 
Avant  tout,  nous  nous  sommes  appuyé  scrupuleusement  sur  ces  documents 
authentiques,  d  autant  plus  précieux  que  la  voix  qui,  jadis  vivante,  pouvait 
parler  et  redresser  les  erreurs,  s  est  éteinte  dans  le  suprême  silence. 

Enfin,  la  femme  d'intelligence  et  de  cœur,  pendant  tant  d'années  sa 
compagne  inlassablement  dévouée,  a  bien  voulu  mettre  à  notre  disposition 
non  seulement  les  manuscrits  qu'elle  conserve  pieusement,  mais  par  .surcroît 
les  commentaires  de  sa  mémoire  personnelle.  Ici,  qu  elle  agrée  l  hommage 
de  notre   respectueuse  gratitude. 

Nous  remercions  aussi  bien  vivement  les  Musées,  ainsi  que  les  amateurs 
et  amis  de  Redon  qui  nous  ont  ouvert  libéralement  leurs  collections  —  plus 
encore,  ont  permis  des  reproductions,  lesquelles  sont  l  ornement  et  le 
complément  expressif  du  présent  livre. 

A  défaut  de  toutes  les  qualités  en  des  ordres  différents  d  idées,  qui  eussent 
été  requises  pour  mener  complètement  à  bien  une  semblable  tâche,  nous  y 
avons  apporté  du  moins  un  entier  labeur,  le  souci  de  la  méthode  et  la  sincé- 
rité de  l'émotion.  Notre  ambition  serait  satisfaite  si,  contribuant  à  une 
meilleure  compréhension  de  Redon,  nous  pouvions  davantage  le  faire  aimer 
et   admirer. 

A.  M. 


ABRÉVIATIONS 

EMPLOYÉES      DANS      LES      NOTES 
DE     CE     VOLUME. 


Od.  R.,  a  s.  m.    --=    Odilon    Redon.    A    Soi-Même.   Paris, 

H.  Floury.  1922. 
Letl.  d'Od.  R.  à  Edm.  P.    =    Lettre  d'Odilon  Redon  à  Edmond 

Picard  (13  juin   1894).      Reproduite    dans     L'Art    Moderne 

(Bruxelles).  23  août  1894. 
Letf.  d'Od.  R.à  A.  M.  =  Lettre  d'Odilon  Redon  à  André  Mellerio. 
Man.  de  R.  =  Manuscrits  de  Redon. 
A.  M.  Et.  s.  R.  ^=  André  Mellerio.  Odilon  Redon.  Société  pour 

l'Etude  de  la  Gravure  Française.  Paris,  1913.  Étude  sur  Redon. 
A.  M.  Préf.  d'Exp.  Od.  R.  -'^   André  Mellerio.  Préface  pour 

l'Exposition  Odilon  Redon  (Galeries   Durand-Ruel,   1894). 

A.  M.  Gaz.  d.  B.  A.  =^   André  Mellerio.   Odilon  Redon.  La 
Gazette  des  Beaux-Arts.  Aoiit-septembre    1920. 

App.  —  Appendice  du  volume. 


ODILON    REDON 

I 
L'HOMME   ET   SA   VIE 


Odilon  Redon  naquit  à  Bordeaux,  le  20  avril   1840. 

De  ses  origines,  voici  ce  qu'il  nous  a  fait  connaître  —  et  plus 
spécialement  de  son  père  :  '^  Né  dans  les  environs  de  la  petite 
ville  de  Libourne,  où  quelques  villages  et  maintes  familles  portent  notre 
nom,  il  était  parti  jeune  pour  la  Nouvelle-Orléans,  au  moment  des 
guerres  du  Premier  Empire,  fils  aîné  d'une  famille  aisée,  mais  appauvrie 
par  les  duretés  du  temps.  Son  ambition  était  d'y  acquérir  de  la  fortune 
pour  revenir  au  foyer  natal  afin  d'y  mettre  une  aisance  atteinte  ou  qui 
n'y  était  plus.  Il  nous  a  confié  bien  des  fois  qu'il  débarqua  là-bas  sans 
ressources  et  qu'il  dût  faire,  pour  parer  aux  besoins  matériels  immédiats, 
divers  métiers  d'expédient,  que  la  chance  toujours  accompagnait. 
Après  avoir  exploré  et  défriché  des  forêts,  il  devint  rapidement  posses- 
seur d'une  fortune  assez  grande.  Il  fut  colon,  il  eut  des  nègres  (1).  » 

C'est  alors  qu'il  épousa  une  créole  de  la  Nouvelle-Orléans,  dont  la 
famille  était  d'origine  française.  Il  devait  en  avoir  cinq  enfants,  qui 
furent  :  Ernest,  Odilon,  Marie,  Léo,  Gaston. 

Bertrand  Redon,  se  trouvant  à  la  tête  d'une  large  aisance  acquise 
par  son  intelligence  et  son  travail,  résolut  de  revenir  se  fixer,  avec  sa 
famille,  dans  son  pays  natal.  «  C'était  —  nous  dit  Redon  —  quelque 
cinq  ou  SIX  années  après  son  mariage,  moi  déjà  conçu  et  presque  à  naître, 
second  fruit  de  son   union.  Les  voyages  sur  mer  étaient  alors   longs 


(I)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  12.  Voir  :  App.  Note  I. 


et  hasardeux...  J'eusse  aimé,  par  le  hasard  ou  le  destin,  naître  au  milieu 
de  ces  flots...  un  lieu  sans  patrie  sur  un  abîme  (1).  » 

Du  chef  de  son  ascendance  maternelle  et  des  circonstances  précitées, 
ne  faut-il  pas  voir  chez  Redon,  bien  qu'issu  d'une  bonne  souche  de 
vieille    France,    quelque    mélange    d'Outre-Atlantique?  Et    qui    sait    si 


Coll    R.   B..   Winterthur 


Paysage   (Pastel). 


l'artiste  qui  illustra  Edgar  Poe  ne  sera  point  revendiqué  un  jour  par  les 
Américains  comme  un  peu  leur. 

A  Bordeaux,  Odilon  vint  au  monde  dans  un  logis  que  sa  famille 
occupait  26,  rue  des  Allées-d'Amour.  Mais  l'enfant  était  de  complexion 
peu  vigoureuse,  et  l'on  crut  même  qu'on  ne  pourrait  l'élever.  Il  fallut 
presque  immédiatement  l'envoyer,  à  peine  âgé  de  deux  jours,  en  nourrice 
à  la  campagne,  dans  les  Landes.  Quand  il  en  revint,  cette  faiblesse  native 
persista  pendant  toute   la   première   partie  de   son   enfance  :  "  J'étais 


(I)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  12. 


—       10      ^ 


Études   (Dessin  à  l'encre  de  Chine). 


—      II      — 


maladif  et  débile,  entouré  toujours  de  soins,  on  avait  prescrit  de  m'éviter 
les  fatigues  cérébrales  (1).  » 

L'atmosphère  familiale,  durant  les  séjours  à  Bordeaux  et  ceux 
passés  longuement  dans  la  propriété  rurale  de  Peyrelebade,  apparaît 
paisible,  ordonnée,  jouissant  du  confort  matériel.  Les  arts  y  étaient 
cultivés,  principalement  la  musique,  où  se  distinguait  déjà  Ernest,  le 
fils  aîné.  Pourtant,  si  Odilon  ne  connut  pas  les  âpretés  d'une  condition 
pauvre,  il  ne  trouvait  point  parmi  les  siens  ces  nuances  de  tendresse, 
ces  appels  à  l'expansion  qui  l'eussent  porté  à  se  librement  épanouir. 
Les  natures  sensibles  ont  des  délicatesses  raffinées,  d'impondérables 
besoins,  lesquels  réclament  davantage  que  les  soins  communs  d'une 
affection  ordinaire. 

Certes  il  vénérait  son  père,  il  l'aimait  aussi,  mais  avec  un  respect 
craintif,  et  en  quelque  sorte  distant  :  «  ...Il  m'apparaissait  comme  un 
être  impérieux,  indépendant  de  caractère  et  même  dur,  devant  qui 
j  ai  toujours  tremblé.  Bien  qu'aujourd'hui  à  lointaine  et  confuse  distance, 
et  avec  tout  ce  qui  reste  de  lui  dans  mes  yeux,  je  vois  bien  au  fond  des 
siens  qui,  facilement,  s'humectaient  aussi  de  larmes,  une  sensibilité 
miséricordieuse  et  douce  que  ne  réprimaient  guère  les  dehors  de  sa 
fermeté.  —  Il  était  grand,  droit  et  fier,  avec  beaucoup  de  distinction 
native  (2).  » 

Dans  une  lettre  écrite  douloureusement  après  la  mort  de  ce  père 
qui,  dans  le  fond,  porta  toujours  une  prédilection  secrète  envers  Odilon, 
celui-ci  déplorera  cette  sorte  de  malentendu  indéfinissable.  Ne  fut-ce 
point  pour  deux  âmes  tendres  par  nature,  mais  d'une  pudeur 
effarouchée,  se  masquant  chez  l'un  de  dureté  extérieure,  et  d'une 
retenue  froide  chez  l'autre,  l'obstacle  à  communier  en  pleine 
sympathie  ? 

Par  surplus,  sa  mère,  ayant  un  peu  de  la  frivolité  de  goûts  propre 
souvent  aux  créoles,  ne  possédait  ni  valeur  intellectuelle,  ni  caractère 
ferme.  D'ailleurs,  l'attrait  de  son  sentiment  la  portait  davantage  vers 
Ernest  qui,  plus  tard,  lorsqu'elle  fut  devenue  veuve,  continua  de  vivre 
à  ses  côtés. 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  16. 

(2)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  12. 


LA    COURONNE 
(Paslel) 


Peut-être  Léo  et  Marie  auraient-ils  pu  entretenir  avec  Odilon 
d  affectueuses  relations,  étant  d'une  nature  mieux  rapprochée  de  la  sienne, 
mais  tous  deux,    malheureusement,  moururent  relativement  jeunes. 

Entre  son  frère  Gaston,  le  dernier-né  de  la  famille  et  lui,  il 
n  exista  jamais  aucun  lien  de  sympathie.  En  outre,  tous  deux  menèrent 


Troupeau  dans  le  Médoc   (Peinture). 

leur  vie  en  des  milieux  bien  différents  et  même  hostiles  :  1  un  revêtu  des 
honneurs  officiels,  l'autre  dans  le  monde  des  artistes  libres. 

Enfin  il  y  avait  aussi  à  Peyrelebade  '•  un  vieil  oncle,  régisseur  alors 
du  domaine,  et  dont  la  physionomie  débonnaire  aux  yeux  bleus  tient 
grande  place  dans  les  souvenirs  de  mon  enfance  (1)  ». 

Mais  ce  fut  la  Nature  qui,  dès  le  premier  éveil  de  Redon,  le  saisit  et 
le  domina  pleinement,  le  marquant  d'une  ineffaçable  empreinte  :  "  Je 
fus  porté  en  nourrice  à  la  campagne,  dans  un  heu  qui  eut  sur  mon  enfance 


(I)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  13. 


1.3 


et  ma  jeunesse,  et  même  sur  ma  vie,  beaucoup  d  influence.  C  était 
alors  bien  désert  et  bien  sauvage;  les  lieux  ont  changé;  je  vous  parle  de 
ce  qui  fut.  On  y  allait  alors  en  diligence  et  même  en  voiture  à  bœufs, 
locomotion  monotone,  d'une  lenteur  paisible  et  engourdissante.  Mais 
l'esprit  libre,  les  yeux  dispos,  on  s'allongeait  sur  les  bancs  du  char  pour 
ne  plus  voir  que  le  déroulement  du  paysage,  doucement,  délicieusement, 
à  peine  remué  sur  place,  en  état  fixe  de  suggestive  contemplation. 


V>' 


Coll.   de   M""    Redon. 

Etudes   (Dessin  à  la  mine  de  plomh). 

«  On  traversait  ainsi  sans  bruit,  ni  les  surexcitations  d  un  voyage 
d'aujourd'hui,  et  même  sans  fatigue,  la  route  longue  et  triste  qui  s'allonge 
indéfiniment  de  Bordeaux  à  Lesparre,  droite  et  seule,  coupant  des 
landes  sans  fin  de  sa  ligne  uniforme  et  haute  de  beaux  peupliers.  La 
vue  s'y  étend  jusqu'à  l'horizon,  par-delà  des  genêts,  ainsi  que  sur  un  océan 
de  terre  :  un  infini... 

«  Dans  la  région  dont  je  vous  parle,  située  entre  les  vignes  du  Médoc 
et  la  mer,  on  y  est  seul.  L'océan,  qui   couvrait   autrefois  ces  espaces 

—    14    — 


LE   PAPILLON    BLANC 
(Peinture) 


déserts,  a  laissé  dans  l'aridité  de  leurs  sables  un  souffle   d'abandon, 

d'abstraction.   De  loin  en  loin,  un  groupe  de  quelques  pins,  faisant 

entendre  un  continuel  bruissement  de  tristesse,  entoure  et  désigne  un 

hameau  ou  quelque  parc 

pour  des  moutons.  C'est 

une  sorte  d'oasis  autour 

de  laquelle  de  tranquilles 

bergers   dessinent,  avec 

de  hautes  échasses,  leur 

étrange  silhouette  sur  le 

ciel.  Ces  petits  villages 

n  ont   point  d  églises. 

Partout     l'humanité 

qu  on  y  trouve  semble 

s  anéantir,    éteinte    et 

dissoute,    chacun     les 

yeux     navrés,      dans 

l'abandon  de  soi-même 

et  du  lieu. 

"  C'est  à  travers  ces 
arides  plaines  que  j'ai 
passé   la    première   fois 

enfant,  avant  l'éveil  de  ma  conscience,   presque  en  deçà  de  ma  vie, 
]  avais  deux  jours. 

«  Je  les  ai  traversées  bien  des  fois  depuis  :  les  bœufs  furent  remplacés 
par  des  chevaux,  ceux-ci  par  le  fer  dur  sur  les  voies  et  les  engins  du 
monde  moderne  —  je  ne  récrimine  pas.  il  reste  toujours  là  1  esprit  de 
l'espace  et  des  lieux  déserts,  et  le  bruissement  harmonieux  des  pins 
sous  le  vent  du  large,  et  les  bruyères,  et  le  silence  et  l'admirable 
éclat  de  la  lumière  dans  le  clair  azur. 

«  Sur  la  lisière  de  cette  lande,  longeant  le  beau  fleuve,  s'allonge, 
étroit  et  resserré  de  vignes,  le  Médoc,  avec  ses  résidences  nettes,  ses 
chemins   étroits,   son   luxe  de  culture  traditionnelle...   (1)  » 

Tel  est,  esquissé  en  large  fresque,  le  fond  du  décor  général.  Mais 


Titan   (Dessin  à  la 


Coll.    de    M Rcdo: 

lie  plomb). 


(1)  Od.  R„  .4  S.  A'/.,  p.  12  et  sur 


—      15 


un  site  plus  restreint  se  trouvait  davantage  connu  et  aimé  :  Peyrele- 
bade  (1).  Si  longtemps  la  propriété  familiale  des  Redon,  encore  leur 
foyer  central  après  la  mort  du  père,  et  jusqu'au  jour  où  la  vente  en 
devint  forcée  après  des  circonstances  douloureuses.  «  Un  ancien  domaine 
entouré  de  vignes  et  de  terres  incultes,  avec  de  grands  arbres,  des  genêts 
toujours,  des  bruyères  tout  près  du  château...  On  ne  voyait  au  delà  du 
seuil  que  des  terrains  vagues  garnis  de  ronces,  de  fougères,  et  des  restes 
de  larges  allées  plantées  d'ormeaux  et  de  chênes,  routes  abandonnées,  à 
demi-sauvages,  qu'on  réservait  autrefois  pour  le  service  de  tout  domaine  : 
un  reste  de  solennelle  grandeur,  décor  naturel,  sans  convention  et  sans 
lignes,  taillé  sans  pénurie  à  larges  coupes,  en  plein  bois  ou  forêt  vierge 
peut-être,  à  travers  des  terres  qu'on  ne  mesurait  pas  (2).  » 

C'est  là  que  l'enfant,  chétif  de  naissance,  isolé  moralement  parmi  les 
siens,  pousse,  moins  dru  sans  doute,  mais  aussi  spontanément  que  les 
sauvageons  issus  du  sol  fruste.  «  Les  sensations  reçues  et  dont  il  me  reste 
un  souvenir  lointain  sont  celles  de  mes  jeux  avec  les  petits  enfants 
de  la  maison,  au  milieu  desquels  on  me  laissait  fort  libre.  Période  confuse 
d  où  la  mémoire  me  sert  assez  mal,  et  qui  ne  refléterait  d'ailleurs  ici 
que  peu  de  chose,  sinon  les  ébats  éternels  de  l'enfance,  loin  des 
contraintes  de  la  ville  et  de  ses  gênes  (3).  » 

Peut-être  un  tempérament  plus  robuste  fut  ainsi  devenu  énergique, 
brutal  même.  Il  n'en  est  rien  pour  une  nature  sensitive  que  rebutent 
les  mouvements  violents,  et  qu'effraye  le  premier  apprentissage  com- 
mencé déjà  de  la  lutte  rude  pour  la  vie.  «  J'étais  tranquille,  point  batail- 
leur, inhabile  aux  entreprises  de  vagabondage  par  les  champs  où  les 
autres  me  conduisaient.  J'étais  plutôt  confiné  dans  les  cours  ou  le  jardin, 
et  occupé  de  jeux  paisibles  (4).  » 

Combien  il  importe  de  regarder  et  scruter  de  près  ces  impres- 
sions de  la  prime  enfance.  Et  qu'il  est  heureux  que  Redon  nous  ait 
conservé  et  si  bien  décrit  les  siennes!  C'est  qu'elles  sont  essentiellement 
révélatrices  d'une  personnalité,  source  même  de  sa  genèse.  Or,  cette 


(1)  La  propriété  de  Peyrelebade  était  située  à  peu  de  distance  de  Listrac  (Gironde).  Le  nom 
signifie  :  Pierre  levée,  —  sans  doute  en  raison  de  quelque  souvenir  mégalithique. 

(2)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  14. 

(3)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  15. 

(4)  Od.  r.,  a  s.  m.,  p.  13. 

—     i6     — 


Coll.  <lc  Dometv. 


La  Souffrance   (Pastel). 


émotion  devant  la  lumière,  cette  attirance  aussi  pour  les  coins  obscurs, 
suggestifs  de  la  rêverie  où  se  complaît  une  âme  reployée  en  sa  vie  inté- 
rieure, ne  sont-ce  pas  les  éléments,  tant  spirituels  que  matériels, 
qui   plus  tard  aideront  l'artiste  à  constituer  son  œuvre  ? 

Dans  cette  période  se  place  un  épisode 
imprévu  et  formant  contraste.  Vers  l'âge  de 
sept  ans,  Odilon  se  trouve  amené  à  Pans,  et 
y  fait  un  séjour  de  plusieurs  mois.  Là  encore 
ce  n'était  point  la  mère  qui  s'occupait  de  l'en- 
fant, mais  une  vieille  bonne  aimante  et  pleine 
de  soins.  Elle  l'emmenait  en  de  longues  pro- 
menades à  travers  la  grande  ville.  Mais  —  et 
le  fait  était  assez  inattendu,  elle  le  conduisit 
même  dans  les  Musées.  C'est  là  qu'il  put  con- 
templer pour  la  première  fois  des  œuvres  plasti- 
ques, et  qui  plus  est  les  chefs-d'œuvre  des 
maîtres.  Peut-être  alors,  dans  l'éveil  de  puis- 
sances latentes  et  insoupçonnées,  s'est  murmuré 
contusément  aux  profondeurs  de  cette  âme 
encore  inconsciente,  le  fatidique  :  "  Anch'io 
son   pittore  !  >' 

Cependant,  au  retour  dans  le  Médoc, 
quelques  années  se  continuent  dans  l'ambiance 
et  les  conditions  que  nous  avons  décrites. 
Mais  la  première  enfance  s'achève,  et  voici  qu'il  faut  songer  à 
éduquer  le  sauvageon.  Afin  de  ménager  sa  faible  constitution 
physique,  on  avait  attendu  et  l'on  s'y  prit  assez  tardivement.  Pour 
1  enfant  jusqu'alors  développé  en  pleine  liberté,  la  contrainte  des 
études  et  de  la  géhenne  scolaire  parut  une  torture  véritable,  dont  il 
garda  le  plus  pénible  souvenir  :  «  Je  fus  mis  tard  à  l'école,  à  onze  ans, 
je  crois.  Cette  période  est  la  plus  triste  et  la  plus  lamentable  de 
ma  jeunesse.  Externe  cependant  ;  mais  je  ne  me  vois  que  tardif 
aux  classes,  travaillant  avec  un  effort  qui  m'attristait.  Que  de 
larmes  j  ai  versées  sur  des  livres  d'ennui  que  l'on  me  prescrivait 
d  apprendre  mot  à  mot.  Je  crois  pouvoir  dire  que  de  onze  à  dix- 
huit   ans,   je   n'ai    ressenti   que   de   la   rancœur  d'études.  Elles  furent 


—     i8 


inégales,  sans  suite,  sans  méthode,  faites  dans  deux  pensions  de 
Bordeaux  (I).  » 

On  présumera  quels  fruits  devait  produire  une  éducation  ainsi 
donnée  et  reçue.  De  fait,  nous  pouvons  le  noter  ici,  l'esprit  grec  et 
latm  n'a  contribué  en  rien  à  la  formation  intellectuelle  de  Redon. 
Soit  dans  les  écrits  émanés  de  lui,  comme  au  cours  des  fréquents  entre- 
tiens que  nous  eûmes  ensemble,  il  ne  nous  souvient  pas  qu'il  ait  fait 
une  citation  des  auteurs  de  l'antiquité  classique,  ni  même  allusion 
à  leurs  œuvres. 

Comme  évé- 
nement à  cette 
époque  se  place  la 
première  commu- 
nion de  l'enfant. 
Plus  tard  il  en  a 
remémoré  les  in- 
fluences ressenties. 
Elles  paraissent 
bien  avoir  été  plus 
d'ordre  esthétique 
et  sensible,  que 
profondément  mo- 
rales ou  mystiques. 
«  La  grande  émo- 
tion est  à  l'heure 
de  ma  première 
communion,  sous 
les  voûtes  de  Saint- 
Seurin,  les  chants 
m'exaltaient...    Je 

fus  le  visiteur  radieux  des  églises,  le  dimanche,  ou  bien  je  m  appro- 
chais au  dehors  des  absides,  sous  l'attirance  irrésistible  des  chants  divins, 
j'allais  de  préférence  dans  les  quartiers  pauvres  de  la  banlieue  où  les 
temples  sont  populeux,  la  piété  plus  naturelle  et  vraie.  Ce  sont- là  des 


(I)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  16. 


19 


heures  dont  je  me  souviens  comme  ayant  ressenti  une  vie  à  son 
comble,  haute  et  suprême,  inouïe.  Etait-ce  par  l'art  ?  Etait-ce  de 
communion  avec  le  peuple  que  j'aimais  ?...  Les  chants  sacrés  me 
révèlent  entièrement  alors  un  infini  sans  mélange,  découvert  comme 
un  absolu  réel,  le  contact  même  de   l'au  delà  (1).    » 

Cependant  au  cours  des  années  de  ce  travail  infructueux  des  classes, 
Odilon  montre  déjà  un  don  natif,  et  qui  ne  tardera  pas  à  se  développer. 
Le  dessin  l'attire  et  il  y  réussit.  Tout  d'abord  par  des  manifestations 
spontanées  et  bien  rudimentaires,  suffisantes  cependant  pour  éveiller 
l'attention  de  son  entourage,  et  engager  à  le  pousser  dans  cette  voie. 

Au  sein  des  ténèbres  scolaires, 
c'est  le  rayon  qui  luit  et  déjà 
éclaire  une  voie  d'avenir.  «  Je  ne 
revivais  et  n'étais  heureux  que 
les  jours  de  sortie  durant 
lesquels  je  m'occupais...  (2)  »  On 
lui  avait  fait  prendre  des  leçons 
particulières.  "  J'ai  gardé  un 
souvenir  tendre  et  pieux  de  mon 
premier  maître  et  des  heures 
ferventes  d'étude  et  de  douceur 
passées  en  son  atelier...  entouré 
à  profusion  des  fleurs  d  un  jardin 
hors  ville,  dans  le  silence  de  la 
solitude,  et  sous  le  jour  d  une 
large  baie  donnant  lumière  à  la 
lisière  d'un  petit  bois  (3).  »  Puis 
c'était,  vers  sa  quinzième  année, 
cette  heure  aurorale  et  confuse 
de  l'éveil  ardent  de  notre  être, 
moment  décisif  où  se  dévoilent  nos  facultés,  où  s  orientent  nos 
inspirations,  et  peut-être  notre  destinée.  "  La  divine  adolescence  », 
ainsi  qu'il  l'exprime  si  bien. 


Coll    M    A    Lebiond 

Eve   (Peinture). 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m  ,  p.   16  et 

(2)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  16. 
U)  Od.  r.,  a  s.  m.,  p.  19. 


Cependant,  l'éduca- 
tion scolaire  sommairement 
faite  et  hâtivement  menée, 
a  pris  fin.  Maintenant 
l'enfant  n'est  plus,  et  le 
jeune  homme  doit  se 
préoccuper  d'une  carrière. 
Le  choix  lui  en  était  pour 
ainsi  dire  naturellement 
imposé  déjà  :  Odilon  sera 
artiste.  Dans  sa  famille,  s'il 
ne  trouve  point  un  assenti- 
ment spontané,  car  d'autres 
projets  avaient  été  formés 
à  son  égard,  du  moins  ne 
rencontre-t-il  pas  de  veto 

péremptoire,    ni    même  ; 

d  obstruction.      Le      père,  l 

doué  lui-même  d'une  per- 
sonnalité   forte,    avait    en 

quelque     sorte     le      respect  A    la    vieillesse    (Lithographie). 

de  celle  de  ses  enfants.  Et  (PUnche  tirée  de  laibum /.«  .\w.) 

ce  n  est  point  là  chose   si 

commune  !  Il  ne  se  contenta  donc  pas  d'un  acquiescement  de  tolérance, 

mais  accorda  encore  de  subvenir  aux  frais  matériels  que  devait  entraîner 

pour  un  temps  assez  long,  la  profession  choisie. 

Alors,  pendant  une  douzaine  d'années,  va  se  poursuivre  pour  Redon 
une  vie  que  l'on  peut  dire  véritablement  en  partie  double,  tantôt  en  sa 
région  native,  et  tantôt  à  Paris.  Nous  eûmes  l'occasion  jadis,  analysant 
l'existence  rurale  et  celle  des  grandes  villes,  de  proposer  cette  remarque  : 
«  Peut-être,  à  notre  époque,  seul  apparaîtra  fondamentalement  complet, 
l'homme  qui  comprend  et  goiàte  ces  deux  modes  de  vivre  en  ce  qu  ils 
ont  chacun  de  caractéristique  et  d'essentiel.  Pour  celui-là,  résulte  une 
complexité  qui  le  rend  supérieur  à  l'individualité  homogène...  mais 
bornée  à  la  compréhension  d'une  seule  de  ces  existences.  Et  certai- 
nement   l'inspiration   créatrice   de   l'esprit  que   nous   étudions   ici,   se 


nuance  d'influences  opposées,  provenant  directement  de  ses  séjours 
à  Paris  ou  à  la  campagne  (1).  » 

En  premier  lieu,  nous  envisagerons  son  existence  à  Bordeaux  et  à 
Peyrelebade,  car  elle  est  le  prolongement  naturel  des  commencements 
que  déjà  nous  connaissons.  «  Et  d'abord  il  faut  bien  tenir  compte  que 
l'artiste  originaire  d'une  campagne  vraie,  presque  d'un  pays  sauvage, 
en  a  toujours  gardé  le  souvenir  et  le  contact.  Ce  n'est  certes  point 
un  déraciné  de  cœur,  ni  même  de  fait.  Chaque  année,  tant  qu'il  l'a  pu, 
il  s'en  retourna  dans  le  Médoc,  sous  son  ciel  à  lui,  respirer  l'air  natal  (2).  » 
Cette  existence,  elle  était  «  calme,  toute  de  terroir  et  de  tradition  fami- 
liale, avec  ses  aspects  connus  et  ses  coutumes  anciennes.  N'était-ce 
point  elle  qui  avait  constitué  ses  premières  impressions,  marquant 
d'un  sceau  indélébile  sa  sensibilité  intime?  En  province,  Redon  ne  se 
retrouvait  pas  un  étranger.  Il  n'était  plus,  comme  à  Pans,  un  atome  infinité- 
simal perdu  dans  le  nombre  immense.  Mais,  il  redevenait  une  personnalité 
effective,  possédant  en  sa  sphère  déterminée  d'action,  une  autorité  morale, 
un  rayonnement  d'influence  respectée.  Puis  les  effluves  de  la  grande  na- 
ture, en  le  pénétrant,  le  pacifiaient  et  l'élevaient  à  des  hauteurs  sereines  (3)." 

D'autant  plus  qu'il  ne  vécut  jamais  à  la  campagne  qu'en  désinté- 
ressé. Nous  entendons  par  ce  terme  :  qu'aux  émotions  humaines,  d'ordre 
sentimental  et  esthétique,  il  n'eut  point  à  joindre  les  tracas  absorbants,  le 
matériel  souci  de  celui  qui  exploite  sa  terre.  C'est  là  ce  qui  donne  au  paysan 
souvent  ce  côté  farouchement  obstiné,  ce  je  ne  sais  quoi  de  presque  bestial, 
courbant  sans  rémission  ses  membres  au  labeur  sur  la  glèbe.  Comment 
avoir  le  temps,  ni  même  l'idée,  de  jeter  un  regard  de  pensée  ou  de  rêverie 
vers  les  lueurs  douces  de  l'aube  ou  les  splendeurs  du  couchant  ! 

Et  cet  amour  de  la  nature  vint  s'élargir  encore  pour  Redon.  Car 
il  ne  reste  plus  confiné  seulement  à  Peyrelebade,  en  son  coin  de  terre 
intime.  Voici  qu'il  fait  un  séjour  dans  les  Basses-Pyrénées,  à  Uhart-Mixe, 
près  de  Saint-Palais,  où  la  famille  de  son  ami  d'enfance  Henri  Berdoly, 
possédait  un  château  entouré  de  vastes  domaines.  Ce  fut  une  révélation 
pour  cette  âme  SI  sensible  aux  beautés  du  sol,  que  le  spectacle  soudain  de 


(1)  A.  M..  Et.  s.  R..  p.  31. 

(2)  A.  M.,  Et.  s.  R.,  p.  30. 

(3)  A.  M.,  Et.  s.  R.,  p.  30. 


—      22       — 


0- 


ces  hautes  montagnes  élevant  dans  un  ciel  bleu  leurs  sommets  aux  neiges 
étincelantes.  L'entassement  chaotique  des  rochers,  le  bruit  des  torrents,  la 

pureté  transpa- 
rente de  l'air  — 
tout  cela  1  em- 
plissait de  sensa- 
Z/'"''^.  tions    nouvelles 

et   profondes. 

Puis  aussi  les 

1/  êtres  qu'il  con- 

i''  templait  :    cette 

,!  race  des  Basques 

V  '  \  très  ancienne  en 

-^'  sesoriginesauto- 

\  chtones    encore 

,  '.  mystérieuses, 

~^  V  demeurée  si  par- 

.      j  ticulière  dans  sa 

langue     comme 
■^^  ses  usages,  et 

dont  les  femmes 
par  surplus  of- 
fraient un  type 
remarquable  de 

Coll     de   M""    Redon.  1  i    '  C        C 

Portrait   de   Déodat   de  Séverac    (Dessin   à  la  mine  de  plomh). 

une  excursion 
poussée  au  cirque  de  Gavarnie,  1  entraînait  plus  loin  à  travers  les  cimes 
escarpées,  jusqu'en  Espagne,  où  li  visita  Pampelune.  Les  émotions  alors 
éprouvées,  laissèrent  à  Redon  d'ineffaçables  souvenirs,  dont  la  trace 
devait  se  retrouver  dans  ses  œuvres... 

A  Bordeaux,  où  le  jeune  artiste  faisait  souvent  aussi  des  séjours 
durables,  se  continuaient  les  études  commencées  et  les  travaux  entrepris 
à  Pans.  Toutefois  il  jouissait  en  j^rovince  d'une  ambiance  plus  calme 
qui  lui  permettait  davantage  le  recueillement.  Il  avait  là  d'amicales 
relations,  notamment  son  ancien  professeur  de  dessin  qu'il  estimait  et 
ne  cessa  jamais  de  revoir  avec  affection. 


24 


Mais  deux  personnalités  entrèrent  alors  dans  son  cercle  intime, 
que  nous  devons  tout  particulièrement  signaler.  C'est  que,  à  des  titres 
différents,  elles  exercèrent  sur  la  formation  générale  de  Redon,  aussi 
bien  comme  homme  que  comme  artiste,  une  réelle  influence. 

La  première,  celle  qui  peut-être  eut  la  part  la  plus  grande  sous  ce 
rapport,  fut  le  botaniste  Armand  Clavaud.  D'une  complexion  originale 
et  vive,  il  appartenait  à  la  catégorie  rare  des  esprits  qu'on  peut  dire 
complets,  lesquels 
ne  se  contentent 
pomt  —  ce  qui 
pourtant  est  beau- 
coup déjà,  de  se 
montrer  mstruits 
et  actifs  dans  leur 
spécialité,  mais 
s'ouvrent  encore 
largement  à  toutes 
les  vues  humaines. 
De  semblables  in- 
tellectualités,  vi- 
sant à  l'encyclopé- 
die synthétique  se 
retrouvent  surtout 
au  Moyen-Age  et 
à  la  Renaissance. 
C  est  la  tendance 
qui  permet  d  a- 
grandir  et  de  mieux 
faire  fructifier  le 
champ  d'un  labeur 
particulier.  Ces 
hommes,  égaux  à 
leurs  pairs  dans  le 
cercle  donné  des  mêmes  observations,  leur  deviennent  supérieurs, 
parce  qu'ils  peuvent  et  savent  s'éclairer  de  la  comparaison 
avec  d'autres  domaines.  Ainsi  s'enchaînent  mutuellement  par  relation 


Le  bouquet  blanc. 


ces  éléments  si  variés  constituant  le  grand  tout  qu  on  appelle 
l'Univers. 

«  Clavaud  était  extraordinairement  doué.  Nature  de  savant  autant 
qu'artiste  (ce  qui  est  rare),  toujours  apitoyé  sur  les  révélations  du  micros- 
cope, toujours  à  ses  collections  d  herbiers  qu  il  visitait,  soignait  et 
classait  sans  cesse,  il  s  adonnait  encore  avec  passion  à  la  lecture  et  à 
des  recherches  littéraires,  avec  une  érudition  éclairée.  Ainsi  il  avait  pu 
former  dans  le  silence,  les  difficultés  et  l'isolement  de  la  vie  de  province, 
une  bibliothèque  qui  ne  comptait  que  les  chefs-d'œuvre,  ceux  des  lit- 
térateurs de  tous  les  temps.  Il  me  parlait  des  poèmes  indous,  qu'il  admi- 
rait et  adorait  par-dessus  tout,  et  qu'il  se  procurait  onéreusement,  en 
s  imposant  des  privations  dans  sa  pauvreté.  Très  avisé,  il  était  au  courant 
de  tout.  Lorsque  parurent  les  premiers  livres  de  Flaubert,  il  me  les 
désignait  déjà  avec  clairvoyance.  Il  me  fit  lire  Edgar  Poe  et  Baudelaire, 
Les  Fleurs  du  Mal,  a  1  heure  même  de  leur  émission.  Il  professait  pour 
Spinoza  une  admiration  quasi-rehgieuse.  Il  avait  une  manière  de  pro- 
noncer ce  nom  avec  une  sensibilité  et  une  douceur  dans  la  voix  qu'on 
ne  pouvait  entendre  sans  émotion  (1).  »  A  tant  de  points  de  vue,  pour 
Redon  prédisposé  à  la  pensée,  mais  de  culture  restreinte  et  si  mal 
ordonnée  dans  le  passé,  Clavaud  était  un  véritable  révélateur. 

Avec  une  incomparable  aisance,  ce  maître  vivant  et  passionné 
évoluait  à  travers  les  âges  littéraires,  depuis  les  chefs-d'œuvre  des  primi- 
tives civilisations,  en  passant  par  l'antiquité  classique  et  l'époque 
médiévale,  jusqu'au  Romantisme  moderne.  Il  appréciait  les  mani- 
festations les  plus  variées,  montrant  un  attrait  de  prédilection  pour 
Shakespeare,  cet  esprit  lui  aussi  tellement  universel.  Plus  haut  dans  les 
siècles,  les  recherches  sur  le  sanscrit,  les  Védas,  la  religion  bouddhique, 
retenaient  sa  curiosité  et  1  émouvaient  ardemment.  De  tous  ces  enthou- 
siasmes partagés  l'aspiration  de  Redon  se  formait,  et  plus  tard  il 
devait   en  retrouver  l'élan  dans  le  domaine  d'art  qui  fut  sien. 

Mais  la  littérature  n  était  point  le  seul  mode  d'esthétisme  dont  se 
préoccupa  Clavaud.  «  Dans  les  arts  plastiques,  il  goûtait  la  vision 
sereine  de  la  Grèce  autant  que  le  rêve  expressif  du  Moyen-Age.  Dela- 
croix, dont  la  peinture  rencontrait  encore  beaucoup  de  réfractaires,  était 


(I)  Od.  R„  a  s.  m.,  p.  19. 

—     26 


GERMINATION 

(Lithographie) 


défendu  par  lui  avec  véhémence;  et  j'entends  encore  la  démonstration 
qu'il  me  faisait  de  ce  sens  de  la  vie  et  de  la  passion  qu'il  y  sentait,  me 
parlant  de  l'irradiation  vitale  qui  s'épand  des  attitudes  de  ses  guerriers, 
amants  ou  héros  ;  de  la  vie 

passionnelle  qu'il  y  voyait         ■         '~ 

et  qu  il  comparait  au  génie 
de  Shakespeare,  me  disant 
qu  un  seul  mot  du  drama- 
turge anglais  dessine  immé- 
diatement et  en  entier  le 
personnage.  De  même 
chez  Delacroix  :  une  main, 
un  bras  aperçus  dans  un 
fragment  de  la  scène 
traduisent  aussi  toute  la 
personne  (I).  » 

L'intérêt  éprouvé  par 
Redon  était  tel  que  sou- 
vent, dès  son  retour  chez 
lui,  il  notait  avec  soin  les 
propos  et  les  jugements 
entendus  (2).  On  peut  con- 
cevoir la  capitale  influence 
que  put  exercer  une  intel- 
hgence  aussi  lucide  et  vaste  sur  la  personnalité  à  peine  naissante  du 
jeune  artiste.  Surtout  si  l'on  joint  aux  connaissances  variées  du  mentor 
et  à  sa  pensée  originale,  une  chaleur  d'attraction,  une  vivacité  de 
parole  et  son  courant  de  sympathie.  Leur  amitié,  même  lorsque  plus 
tard  ils  furent  séparés,  ne  cessa  jamais.  Et  la  mort  de  Clavaud,  survenue 
rapide  et  prématurément,  en  1890,  dans  de  pénibles  circonstances, 
fut  un  coup  cruellement  subi  :  ...Je  sentis  soudain  qu  un  appui 
me  manquait.  Sa  mort  me  laissa  un  malaise.  Je  fus  dans  un  litige,  litige 
douloureux  et  sans  issue  devant  l'inexorable.  Je  voudrais  maintenant 


Voici   la   bonne   dtesse,   I  idcunnc   ilcs   luoiitjgi 
(  Lithographie.  J 

(PLinche  lirée  de  l-a    TcnLilion   J,    Sa,nl-Anl«mf.) 


(1)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  20. 

(2)  Voir  ;  App.  Noie  2. 


lui  donner  ma  pensée  plus  résolue,  et  plus  sûre  qu'autrefois.  Il  ne  connut 
de  moi  que  la  sensibilité  d'un  être  flottant,  contemplatif,  tout  enveloppé 
de  ses  rêves.  Lui,  plus  âgé  que  moi,  dont  l'instruction  était  forte  et 


solidifiée  de  sciences,  malgré  son  idéalisme,  il  était  comme  un  bloc,  je 
1  écoutais  (1).  »  A  la  mémoire  de  son  ami  Armand  Clavaud,  Odilon 
Redon  a  dédié  l'album  intitulé  :  Songes. 

C  est  à  Bordeaux  encore,  qu'il  connut  un  curieux  et  intéressant 


(I)  Od.  R.,  a  s.  m.  p.  21. 


—     28 


personnage  :  le  graveur  Bresdin  (1).  L'arliste  vieilli  déjà  s'était  retiré 
dans  cette  ville,  après  une  existence  aventureuse  mêlée  de  complexes 
vicissitudes.  Pauvre,  chargé  de  famille,  il  y  menait  une  vie  solitaire  et 
pour  amsi  dire  ignorée,  tout  entière 
consacrée  à  son  art.  Pittoresque  figure, 
attachante  aussi  et  digne  de  sympathie. 
Ses  œuvres,  d'une  inspiration  naïve 
mais  d'une  exécution  compliquée, 
n'eurent  longtemps  qu'un  petit  cercle 
d'amateurs.  Depuis  un  certain 
nombre  d  années,  elles  paraissent 
jouir  d'un  regain  d'estime  légitime- 
ment mérité.  A  ce  résultat,  quelques 
écrits  de  Redon  sur  ce  sujet  ont 
pu  contribuer  (2).  Leurs  relations 
commencées  vers  1863  devinrent 
rapidement  intimes,  et  malgré  les 
interruptions  causées  par  l'éloigne- 
ment,  durèrent  jusqu'à  la  fin  de  la 
vie  de  Bresdin. 

Quelques  traits  puisés  dans  les 
souvenirs  de  Redon  évoquent  les  débuts  de  leur  liaison,  ainsi  que  la 
nature  de  leurs  rapports  :  «  Je  le  vis  à  Bordeaux  dans  une  extrême 
détresse  qu'il  oubliait  dans  un  labeur  forcené.  Sa  rue,  d'appellation 
ancienne,  ne  porte  plus  aujourd'hui  ce  nom  de  rue  Fosse-aux-Lions, 
qu  il  me  faisait  remarquer  en  plaisantant,  avec  un  sourire.  Elle  était 
proche  du  beau  cimetière  de  la  Chartreuse  que  je  traversais  quelque- 


C;oM.  de   M""    Redon, 

Etude   pour  "  Silence   ". 
i  Dessin   à  la  mine  de  plonth.) 


(1)  Le  littérateur  Champfleury  lui  créa  une  certaine  popularité  par  l'une  de  ses  œuvres, 
dont  il  l'avait  fait  le  héros  sous  le  surnom  bizarre  de  Chien-Caillou.  —  Voir  :  CnAMPFLEOfY, 
Chien-Caillou,  Paris,  E.  Dentu,  1882.  Le  titre  du  volume  provient  de  celui  de  la  première  des 
nouvelles  qui  composent  1  ouvrage.  Plus  récemment,  une  réédition  en  fut  faite  :  ClIAMPFLEURV, 
Qien-Cai7/ou.  (Nouvelle  illustrée  par  Paul   GllIGNEBAULl),  Paris.   H.   F1.0UKY.    1903. 

(2)  Voir  :  Odilon  Redon,  Rodolphe  Bresdin  :  Dessins  sur  pierre,  eaux-fortes,  dessins  originaux. 
La  Gironde,  10  janvier  1869.  -  A  une  date  ultérieure  :  Odilon  I^EDON,  Rodolphe  6r«</in  (1822-1883). 
Prélace  pour  V Exposition  rélrospeclive  d'œuvres  de  Bresdin,  organisée  par  M.  J.  Perrichon.  Salon 
d'Automne,  6''  Exposition,  1900.  On  pourra  aussi  consulter  utilement:  Robert  DE  MoNTESQUiOl), 
L'Inextricable  traceur,  Rodolphe  Bjesdin.   Paris.    H.    FlOURV,    1913. 


■^y 


fois  en  allant  chez  lui,  le  matin  à  la  première  heure.  C'était  au 
printemps.  Cette  saison,  à  Bordeaux,  a  des  douceurs  délicieuses  ; 
l'atmosphère  y  est  humide  et  chaude  sous  un  ciel  clair,  la  lumière 
limpide.  Je  ne  sais  si  c  est  le  recul  du  temps  qui  amplifie  ainsi 
les  impressions  de  la  jeunesse,  mais  nulle  part  et  jamais  je  n'ai  goûté 
si  fortement  la  vivifiante  souplesse  de  mes  marches  le  long  des 
petites  rues  solitaires  aux  trottoirs  étroits  qui  me  conduisaient  chez  lui. 
C'étaient  des  quartiers  à  demi  faits,  sans  agglomération  humaine,  où 
des  arbres  émergeaient  des  jardins  par-dessus  des  murs  bas  ou  des  palis- 
sades, où  des  fleurs  d'aubépine  tombées  sur  les  trottoirs,  et  que  je  foulais, 
me  plongeaient  dans  de  singulières  rêveries...  (1)  " 

Voici  maintenant  le  portrait  esquissé  de  Bresdin  :  "  C'était  un 
homme  de  moyenne  taille,  trapu  et  puissant,  les  bras  courts.  La  figure 
aux  yeux  clairs  et  fins.  Un  front  placide  et  haut  qu'aucune  ride  ne  rayait... 
Il  était  de  1822.  Et  le  petit  village  où  il  est  né  ne  lui  avait  mis  sous  les 
yeux,  en  son  enfance,  que  les  paisibles  tableaux  agrestes  de  la  campagne... 
Il  m  a  dit  que  sa  mère  était  du  monde  de  la  noblesse,  et  cette  origine 
expliquerait  peut-être  les  traits  disparates  du  caractère  qu'on  voyait 
en  lui.  Il  était  peuple  et  aristocrate.  Il  tenait  sans  doute  de  cette  naissance 
les  particularités  de  sa  nature  étrange,  fantasque,  enfantine,  brusque  et 
bonne,  subitement  repliée,  subitement  ouverte  et  enjouée...  Il  était 
pauvre  et  entouré  d'objets  bien  précaires,  mais  tout  ce  qu'il  touchait  de 
ses  belles  mains  fines  donnait  à  l'esprit  l'idée  d'une  chose  rare  et  pré- 
cieuse. Quand  il  travaillait,  ses  doigts  en  fuseau  semblaient  prolongés  de 
fluides  qui  les  liaient  à  ses  outils...  Des  mains  artistes.  Elles  révélaient 
bien,  comme  toute  sa  personne  d'ailleurs,  l'être  à  part  et  de  destination 
fatale,  l'être  prédestiné  que  doivent  faire  souffrir  sourdement,  douloureu- 
sement, les  heurts  journaliers  de  la  vie  ordinaire  contre  celle  de  sa 
dilection.  L'artiste,  cet  accident,  cet  être  que  rien  n'attend  dans  le  monde 
social,  sauf  l'amour  et  l'admiration  de  quelques  êtres,  au  hasard  des  affi- 
nités, l'artiste  est  bien  condamné,  quand  il  naît  sans  fortune,  à  subir 
toutes  les  duretés  du  désenchantement.  Mais  Bresdin,  par  un  don  naturel 
d  enjouement  et  d'allégresse,  portait  hautement  les  blessures  du  sort  : 
ses  dehors  à  qui  savait  voir  exprimaient  la  bonté  (2).  >' 

(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  131. 

(2)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  123  à  129. 

—     30     — 


LA   FLEUR    DU    MARECAGE 

(Lilhosralthic) 


Lorsque  Redon  écrivait  sur  les  soufïrances  qui  presque  toujours 
viennent  assaillir  un  véritable  artiste  dans  sa  vocation,  ces  lignes 
empreintes  de  mélancolie  profonde,  sans  doute  il  faisait  un  pensif 
retour  sur  lui-même.  Par  combien  de  points,  sa  propre  destinée  ne  se 
rapprocha-t-elle  pas,  surtout  en  certaines  périodes  cruelles,  des  traits 
âpres  qu'il  marquait  douloureusement,  hélas  !  et   si   justement. 

Mais  le  vieux  graveur  avait  aussi  des  particularités,  de  petites 
manies,  pourrait-on  dire,  oîi  l'on  retrouve  des  concordances  avec 
son  faire  artistique  :  «  Il  jardinait  volontiers  et  avec  la  minutie  d'un 
Chinois.  Subtil  en  tout  et  méticuleux,  il  apportait  là  sa  finesse,  sa 
délicatesse,  ses  curiosités  d'analyse  et  d'observation.  C'était  alors,  plus 
qu'à  tout  autre  moment,  qu'il  avait  l'esprit  alerte  et  qu'il  s'épanchait 
en  jets  de  paroles  subits  et  saisissants  qui  me  laissaient  pensif  (1).  » 

Que  de  longues  conversations  entre  eux  !  Non  comme  celles  avec 
Clavaud,  planantes  et  vastes  sur  les  sujets  les  plus  variés,  mais  davantage 
circonscrites  à  1  art  plastique,  spécialement  la  gravure,  sa  technique  et 
ses  maîtres.  D  ailleurs,  sans  préjudice  d'envolées  vers  la  rêverie  venant 
illuminer  souvent  ces  précisions  de  métier.  Redon,  par  surplus,  travaillait 
matériellement  sous  la  direction  de  ce  guide  d'une  expérience  si  avertie 
et  d'inspiration  sincère.  De  Bresdin  il  a  donné  plus  tard  une  effigie,  un 
peu  idéalisée,  dans  sa  belle  estampe  lithographique  :  Le  Liseur... 

Nous  1  avons  indiqué  précédemment,  une  autre  partie  de  l'exis- 
tence de  Redon  —  et  non  la  moindre,  se  passe  dans  des  conditions 
opposées,  en  un  heu  très  différent.  C'est  à  Pans  «  ce  grand  centre  civi- 
lisé, où  des  intelligences  vives  et  variées  subissent  l'excitation  émanée 
de  ce  rapprochement.  Ville  plus  prenante  encore  pour  les  caractères 
neufs  qui  lui  sont  arrivés  de  province  jeunes,  et  en  quelque  sorte  vierges 
de  toute  empreinte  brûlante.  Ceux-ci,  Pans  les  tue  ou  les  féconde  ! 
Si  peu  qu'on  éprouve  la  trépidation  ambiante,  même  cherchant  à 
s'en  abstraire,  sa  fièvre  nous  pénètre  toujours  par  une  sorte  d'endosmose. 
Apre  courant  de  production,  d'élan  à  vaincre  les  autres,  à  se  surpasser 
soi-même,  à  la  face  d'une  foule  nombreuse  et  où,  par  surcroît,  se  trouve 
une  élite.  De  là  découle  une  sorte  de  supériorité  pour  1  homme  qui  a 
connu,  partagé  et,  malgré  tout,  aimé  ce  mouvement   intense  (2)  ». 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  126. 

(2)  A.  M..  Et.  s.  R..  p.  30. 


31 


De  cette  influence  complexe  Redon  se  rend  compte,  et  l'avoue 
explicitement.  S'il  lui  arrive,  tandis  qu'il  est  à  la  campagne,  d'écrire  à 
un  ami  :  «  Je  m'oublie  un  peu  ici...  —  bientôt  quatre  mois  de  calme 
et  de  recueillement  absolu  ;  le  contraste  est  grand  après  l'existence 
de  Pans...  Si  n  était  nos  bonnes  causeries  qui  me  manquent  ici  pour  me 
ranimer  et  me  soutenir  un  peu,  j'aimerais  fort  la  solitude  entière  dont 
on  jouit  dans  ce  coin  retiré...  (I)  ».  D'autre  part  en  une  lettre 
postérieure  de  quelques  mois,  dans  laquelle  il  analyse  la  crise  de  for- 
mation personnelle  où  il  se  trouve,  nous  rencontrons  cette  constatation  : 
«  Mon  naturel  est  faible,  défaillant  :  je  le  reconnais  et  j'en  souffre.  Pans 
m  est  plus  salutaire  pour  soutenir  ma  volonté  de  chaque  jour,  celle  qui 
fait  la  vie.  Je  n  agis  ici  que  par  bonds  et  secousses,  et  ces  réveils 
intermittents  me  fatiguent  et  m'accablent  (2).  » 

Quelle  était  donc  l'existence  de  Redon,  à  cette  époque,  dans  la 
grande  ville  ?  Celle  d'un  jeune  homme  libre  partageant,  malgré  la 
spécialité  de  ses  travaux  d'artiste,  les  habitudes  courantes  des  étudiants 
en  droit  ou  en  médecine.  Plutôt  resserré  dans  ses  ressources,  il  n'en 
était  point  toutefois  dépourvu,  car  sa  famille,  sans  lui  permettre  de 
mener  larges  ébats,  lui  fournit  du  moins  toujours  le  nécessaire.  Au  reste 
Redon  ne  se  montre  point  dépensier,  il  est  ordonné  même.  Jamais  il  ne 
fît  partie  intégrante  de  la  bohème,  dont  Murger  poétisa  les  fantai- 
sistes mais  au  fond  assez  piètres  aventures.  D'autant  que  cette  période 
romantique  déclinait,  dernier  vestige  affaibli  des  temps  lointains  du 
Moyen-Age,  où  la  corporation  universitaire  formait  une  petite  cité 
avec   son  aspect,  ses  mœurs  et  ses  curiosités  particulières. 

D  ailleurs  si  Redon  fréquenta  le  quartier  latin,  il  ne  l'habitait  pas. 
C  est  à  Montparnasse  où  nichait  une  colonie  d'artistes,  faisant  pendant 
à  celle  des  Batignolles,  qu'il  avait  établi  ses  pénates.  Il  pouyait  là  jouir 
d  un  calme  relatif  au  sein  de  la  ville  agitée.  Il  aimait  cette  quasi-solitude, 
les  longues  flâneries  paisibles  dans  le  jardin  du  Luxembourg,  resté  beau 
encore  malgré  que  bien  diminué.  Cette  région  de  la  rive  gauche,  même 
après  son  mariage,  fut  longtemps  la  sienne.  Et  quand  plus  tard,  son 
existence    étant    avancée    déjà,    sa    notoriété   établie   et    ses    relations 


(1)  Man.  de  R.  Broujllon  non  daté  d'une  lettre  antérieure  à   1870. 

(2)  Man.  de  R.  Brouillon  d'une  autre  lettre. 


FLEURS 
(Pastel) 


s'élarglssant  le  forceront  de  traverser  les  ponts  et  d'aller  loger  sur  la 
rive  droite,  il  lui  semblera  accomplir  un  événement  grave,  presque 
symbolique  (j). 


Coll.   M.-A.   Lcbiond. 


La  Pensée   (Peinture). 


Nous  avons  dit  qu'il  n'existait  plus  de  véritable  cité  universitaire, 
mais  il  y  avait  toujours  le  groupement  nombreux  et  très  vivant  des 


(I)  L'influence  ressentie  a  été  notée  par  I  artiste:  Je  ne  saurais  vous  dire  le  tourment  profond 
que  me  cause  un  simple  déplacement,  un  changement  de  demeure...  Il  me  faut  pour  reprendre  vie 
et  goût  au  labeur  au  nouveau  gîte  où  je  vais  être,  du  temps,  beaucoup  de  temps,  des  saisons  mcmc.  ' 
Mon.  de  R.  —  Et  il  ajoute  cette  réflexion  empreinte  de  psychologie  :  Quitter  un  lieu  habituel 
participe  de  la  mort.  De  là  l'effroi  d'un  recommencement  ailleurs.  ■  D'". —  En  ce  qui  concerne  les 
divers  logis  habités  par  Redon,  voir  :  App.  Note  3. 


33 


étudiants,  qu'on  appelait,  à  1  époque  de  Napoléon  III,  la  jeunesse  des 
Ecoles.  Elle  était  bruyante  et  gaie,  privilège  naturel  de  son  âge, 
mais  de  plus  assez  effervescente  sous  le  rapport  des  manifestations 
politiques.  C'était  la  protestation  contre  le  système  autoritaire 
jusqu  à  la  compression,  qui  avait  succédé  aux  secousses  incohérentes 
de  1848,  et  se  continua  jusque  vers  la  fin  du  second  Empire.  Dans  les 
manuscrits  de  Redon  et  sa  correspondance  d'alors,  on  trouve  des  traces 
de  cette  ébuilition  qui  agitait  souvent  le  quartier  latin.  Mais  si  ses 
opinions  étaient  foncièrement  hostiles  au  régime,  sa  part  d'activité 
réelle  ne  paraît  point  avoir  été  grande.  Jamais  d'ailleurs,  au  cours  de  sa 
vie  entière,  les  intrigues  compliquées,  les  manœuvres  d'une  moralité 

parfois  SI  différente  de  l'honnêteté 
ordinaire  qui  constituent  trop  souvent 
le  fond  de  ce  qu'on  appelle  la  poli- 
tique, n'attirèrent  ou  même  ne  purent 
intéresser  cette  âme  élevée,  dont  la 
probité  était  souverainement  scru- 
puleuse. 

Redon  avait  parmi  ses  compa- 
gnons plusieurs  jeunes  gens  de  la 
région  bordelaise.  Entre  eux  ils 
aimaient  à  se  retrouver,  avec  1  accent 
de  là-bas,  leurs  souvenirs  familiaux, 
et  jusqu'à  de  pareils  goûts  culi- 
naires. Le  meilleur  ami  fut  Henri 
Berdoly,  celui-là  même  qui  l'invitait 
et  le  recevait  si  hospitalièrement  à 
Uhart  (1).  Alors  étudiant  en  droit, 
ensuite  avocat,  plus  tard  il  devint  sé- 
nateur. Etrange  contraste  qu'offrait 
avec  le  jeune  artiste  ce  bon  vivant, 
gaillard  et  inlassable  coureur  du  beau  sexe,  demandant  avec  exubérance  à 
la  vie  insoucieuse   tout    ce  qu'elle   peut  donner  de  jouissances  maté- 


Passage  d'une  âme  (Eau-for le). 


(I)  La  famille  Berdoly  était  propriétaire,  à  Bordeaux,  de  la  maison,  26,  rue  des  Allées-d'Amour 
où  naquit  Odllon,  et  dans  laquelle  demeurèrent  pendant  de  longues  années  les  Redon. 


—      34 


rielles.  Il  avait  connu  Redon  à  Bordeaux, 
dès  l'enfance,  s'était  pris  pour  lui  d'une 
affection  sincère  et  profondément  attachée, 
qui  ne  se  démentit  jamais.  Des  carrières 
très  différentes,  et  l'éloignement  de  rési- 
dences qu'elles  comportaient,  espacèrent 
plus  tard  leurs  relations,  mais  jusqu'à  la 
mort  de  Berdoly,  tous  deux  conservèrent 
fidèlement  le  souvenir  des  premières 
années. 

Certes  il  est  curieux  de  lire  les  lettres 
que  Redon  avait  voulu  garder  de  son  ami. 
Plus  intéressant  encore  serait  de  connaître 
celles  de  l'artiste  —  mais,  que  sont-elles 
devenues  ?  Le  joyeux  étudiant  se  peint 
lui-même  en  sincère  franchise.  Cependant, 
il  fait  en  outre  des  allusions  au  travers 
desquelles  on  entrevoit  aussi  le  portrait  de 
celui  auquel  il  écrit,  en  donnant  des  détails 
sur  leur  vie   d'alors.  Redon   apparaît,   — 

ce  sont  des  caractéristiques  marquées  dé)à  et  qui  ne  feront  que 
s'accentuer,  comme  un  être  foncièrement  plus  sage  et  pondéré  que  son 
entourage,  d'une  sensibilité  supérieure,  et  surtout  d'un  irrésistible 
penchant  à  la  rêverie.  De  là  une  physionomie  particulière,  disons  même 
originale  au  milieu  de  ses  compagnons  de  jeunesse.  Non  point  d  ailleurs 
qu'il  se  posât  en  misanthrope  morose.  Il  avait  à  l'occasion  la  gaîté 
franche  et  se  montrait  bon  camarade.  Mais  les  extériorités  bruyantes, 
chères  à  la  pétulance  juvénile,  loin  de  l'absorber  comme  les  autres,  lui 
causaient  plutôt  une  impression  de  futilité  et  de  vide.  N'est-ce  pas  là 
le  sentiment  définitif  dont  le  monde  ambiant,  davantage  expérimenté 
et  subi,  remplira  le  fond  de  son  âme  (1). 


Coll.  He  M"   R.doi 

Ornement  décoratif. 
(Dessin  à  l'encre  de  Chine.) 


(I)  Que  si  l'on  avait  la  curiosité  de  connaître  physiquement  Redon  à  cette  époque,  il  est 
un  document  qui.  malgré  sa  banalité  courante  et  son  côté  superficiel,  ne  laisse  pas  que  d'apporter 
quelques  indications.  C'est  le  signalement  énoncé  dans  un  passeport  à  lui  délivré  en  1862  par  la 
Préfecture  de  Bordeaux.  Il  en  fallait  alors  pour  circuler,  même  à  l'intérieur  du  pays.  Voir  le 
libellé  de  cette  pièce  :  App.  Note  4. 


35 


Cependant,  au  cours  de  ce  laps  de  temps,  Redon  ne  néglige  point 
les  occupations  ainsi  que  les  études  afférentes  à  sa  carrière  d  artiste. 

Nous  l'avons  vu,  son  père  n'avait  point  entravé  sa  vocation,  mais 
par  un  reste  de  prudence  bourgeoise,  il  avait  d'abord  mis  comme  condi- 


Coll.   de   M""    Redon. 

Etudes   (Dessin  à  ta  mine  de  plomh). 

tion  qu'elle  viserait  un  but  pratique  :  Odilon  devait  être  architecte. 
C'est  dans  ce  sens  qu'il  travailla  d'abord.  Mais  il  sentait  bien  que  ce 
n'était  point  là  sa  véritable  voie.  11  obtint,  alors  de  sa  famille  de  pou- 
voir se  consacrer  entièrement  à  la  peinture.  Toutefois,  derechef  on 
lui  imposa  la  traditionnelle  formation  de  l'atelier  académique.  Après 
un  essai  loyal,  mais  qui  resta  vain,  de  se  conformer  à  un  enseigne- 
ment SI  opposé  à  son  tempérament,  le  jeune  artisan  conquit  enfin  sa 
pleine  liberté.  Et  c'est  désormais  seul  qu'il  cherche,  dans  des  efforts 
confus  et  souvent  pénibles,  à  dégager  l'énigme  de  sa  personnalité  et 
de  son  avenir. 

A  cette  époque,  il  tenta  quelque  peu  d'écrire.  Non  qu'il  songeât  à 
sacrifier  au  démon  littéraire  celte  plastique  pour  laquelle  il  se  sentait  une 

-    36    -       , 


PROFIL    DE    LUMIERI 


vocation  arrêtée  et  sans  cesse  fortifiée  —  mais  par  idée  de  se  créer  en 
plus  un  autre  mode  d'expression  d'art.  Ces  premiers  essais,  demeurés 
dans  ses  manuscrits,  apparaissent  d'une  juvénilité  incertaine,  portant 
surtout  des  traces  d'influence  romantique.  Mais  leur  intérêt  est  de 
nous  faire  connaître  les  débats  intimes  qui  s'agitaient  alors  au  fond  de 
lui-même.  Car  ce  sont  moins  des  œuvres  liées  et  composées,  qu'une 
sorte  d  autobiographie,  répétée  sous  des  formes  variées,  de  ses  impres- 
sions et  sentiments,  ainsi  que  de  ses  vagues  aspirations.  Et  sa  tendance 
essentielle  se  manifeste  bien  dans  le  choix  de  ce  pseudonyme  par  lui 
adopté  :   //  rêve. 

Redon,  toutefois,  ne 
vivait  pas  en  complet  isolé 
de  ses  contemporains  d'art. 
Il  en  connut  plusieurs  et 
certains  même  notables, 
avec  lesquels  il  entretint 
quelques  personnelles  re- 
lations :  Corot,  principale- 
ment Chintreuil,  aussi 
Courbet.  Mais  sa  grande 
occupation  était  de  fré- 
quenter assidûment  les 
Musées.  C'est  là  qu'il  se 
mettait  en  communion  avec 
les  maîtres,  méditant  leur 
esprit,  analysant  aussi  leur 
métier  dont  il  pénétrait  les 
secrets  par  les  copies  atten- 
tives qu'il  faisait  de  leurs 
œuvres. 

Ainsi   se   passent   des 
années    assez   nombreuses 
de   lente   et   secrète   incu- 
bation, que  corroborent  des  études  faites  en  toute  liberté,  mais  avec 
intelligence  et  une  conscience  sérieuse.  En  outre  quelques  réalisations 
effectives,  modestes   d'ailleurs   et    peu  abondantes,   le  présentent   déjà 


Les    prêtresses    furent    en    attente     (Lithographie). 

(Planche  lircc  de  lalhum  La  \ml.) 


—     37 


au  public.  C  est  ainsi  qu'il  figure  au  Salon  officiel  de  1867,  dans  la  sec- 
tion de  gravure,  avec  une  petite  eau-forte  sous  ce  simple  titre  :  Paysage  (  I  ). 
A  Bordeaux,  où  se  tenaient  alors  des  expositions  régionales  importantes 
et  suivies,  il  se  manifestait  plus  amplement  par  des  œuvres  de  peinture. 
Et  même  son  Roland  à  Roncevaux  attirait  déjà  l'attention  grâce  à  des 
qualités  réelles  d'originalité  naissante  (2). 

Mais  nous  devons  signaler  très  particulièrement  une  série  d'articles 
de  critique  sur  le  Salon  de  1868,  écrits  par  Redon  pour  le  journal  La 
Gironde  (3).  Non  point  seulement  à  cause  de  la  valeur  de  leurs  jugements 
empreints  d'un  esprit  pénétrant  et  compréhensif,  qu'appuient  en  outre 
de  solides  considérations  techniques.  C'est  qu'à  notre  avis,  ils  montrent 
que  Redon  avait  pris  conscience  déjà,  au  moins  pour  les  principes  essen- 
tiels, de  l'art  si  personnel  qui  sera  le  sien,  lorsque  plus  tard  il  aura  trouvé 
le  mode  expressif  capable  de  rendre  plastiquement  son  inspiration. 
A  l'égard  de  notre  assertion  nous  considérons  comme  probantes  des 
affirmations  de  sa  part  telles  que  les  suivantes  :  "  ...Quelques-uns  veulent 
absolument  restreindre  l'art  du  peintre  à  ne  reproduire  que  ce  qu  il  voit. 
Ceux  qui  restent  dans  ces  limites  bornées  se  condamnent  à  un  idéal  infé- 
rieur. Les  maîtres  nous  prouvent  que  l'artiste  une  fois  en  possession 
de  son  langage,  une  fois  qu'il  a  pris  dans  la  nature  les  moyens  nécessaires 
d'expression,  est  libre,  légitimement  libre  d'emprunter  ses  sujets  à 
l'histoire,  aux  poètes,  à  son  imagination...  (4)  »  "  Tout  en  reconnaissant 
comme  base  la  nécessité  de  la  réalité  vue...  l'art  véritable  est  dans  la 
réalité  sentie.  (5)  >'  «  ...A  nous  maintenant  de  nous  livrer  à  notre  fantaisie, 
à  nous  de  créer  librement...  Les  imitations  épuisées  de  1  art  antique, 
depuis  longtemps  condamnées  par  leur  absence  de  vie,  doivent  faire 
place  au  règne  de  l'expression  de  Vaccent  moral...  embellir  toujours 
d'une  poésie  bienfaisante,  luxe  magnifique,  inépuisable  trésor  de 
l'imagination  humaine,  hors  de  laquelle  il  n'y  a  point  de  salut  (6).  » 


(1)  Plus  tard,  dans  son  œuvre,  elle  sera  dénommée  différemment  :  Le  Gué.  Elle  datait  d  ailleurs 
de   1863. 

(2)  A  lire   l'appréciation   favorable    de    FÉLIX   LÉAL,  Salon  Bordelais,    19*  Exposition  de  la 
Société  des  Amis  des  Arts.  La  Gironde.  14  mai  1870. 

(3)  La  Gironde,  numéros  des  19  mai,  9  juin  et  i*^'  juillet  1868. 

(4)  Dilo,   19  mai   1868. 
(3)  Dite.    9    iuin. 

(6)  Dilo,    2    août. 

-      38      - 


Roland   (Dessin  à  la  plume J. 


39 


A  cette  époque,  Redon  commence  à  n  être  plus  complètement  un 
débutant  mconnu.  Aussi  un  de  ses  amis,  l'architecte  A.  Carré,  n'hésite- 
t-il  pas  à  lui  confier  la  décoration  dune  chapelle  à  Arras.  Le  jeune  artiste, 
dont  c  est  la  première  composition  d'envergure,  accepte  le  travail, 
s'y  met  aussitôt  et  l'achève  rapidement. 


Nous  sommes  en  1870.  C'est  alors  que  «  brusquement  éclate  un 
événement  imprévu,  non  pas  afïérent  seulement  à  1  artiste,  mais  d  effet 
puissant  sur  la  société  et  le  pays  où  il  vit...  dont  le  retentissement  à 
vaste  portée  entraîne  chacun  et  tous  dans  son  orbe  perturbatrice. 
Date  qui  fait  dire,  bien  longtemps  encore  après  :  1  Année  de  la  guerre, 
—  comme  d'une  terrible  hégire,  dressée  sanglante  et  ineffaçable  (1)  ». 

Quelle  était  la  situation  de  Redon  au  point  de  vue  militaire,  et  dans 
quelle  mesure  prit-il  part  aux  événements  ? 

A  l'époque  du  second  Empire,  le  service  militaire  obligatoire  et 
égal  pour  tous  n'existait  point.  Après  le  recensement  et  le  tirage  au  sort 
des  conscrits,  se  trouvait  seulement  appelé  sous  les  armes  le  contingent 
reconnu  nécessaire.  Celui-ci  était  formé  avec  les  numéros  les  plus  bas. 
Les  autres  —  qu'on  appelait  les  bons  numéros,  demeuraient 
exonérés  de  tout  service.  Néanmoins  les  premiers  avaient  la  faculté  de  se 
racheter,  c'est-à-dire  de  trouver,  moyennant  une  somme  d  argent  qui 
variait  selon  l'offre  et  la  demande,  un  exempté  qui  voulût  bien  partir 
à  leur  place. 

Dans  les  conditions  de  recrutement  que  nous  venons  d  exposer, 
Redon  appelé  au  tirage  avec  sa  classe,  et  favorisé  d'un  bon  numéro  (2), 
n'avait  eu  par  conséquent  aucun  service  militaire  à  faire. 

C'est  le  19  juillet  que  l'Empire  déclarait  officiellement  la  guerre 
à  la  Prusse,  dans  des  circonstances  historiques  sur  lesquelles  nous  n  avons 
point  à  nous  étendre  ici.  Au  bout  d'un  mois  la  malheureuse  France 
avait  vu  se  consommer  sa  déchéance  militaire  et  perdait  sa  suprématie 


(1)  A.  M..  Et.  5.  R.,  p.  27. 

(2)  Il  était  porté  au  recensement  de  la  classe  1860  (2''  Arr'  de   la   Justice   de  Paix  de  Bor- 
deaux), tira  au  sort  le  3  mars  1861  et  eut  le  numéro  135,  non  compris  dans  le  contingent. 


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en  Europe.  Malgré  d'hércïques  efforts  et  de  sanglants  sacrifices,  une 
série  ininterrompue  de  revers  dus  à  des  négligences  antérieures,  à  l'in- 
suffisance du  haut  commandement  et  à  une  malchance  obstinée,  abou- 
tissait à  la  catastrophe  de  Sedan  (2  septembre).  Celle-ci,  après  la  reddition 
et  la  capture  de  Napoléon  III,  entraînait  la  chute  de  sa  dynastie  et  du 
régime  impérial.  Le  4  septembre  la  République  était  proclamée,  et  ses 
représentants  voulurent  continuer  la  lutte.  Gambetta  surtout  incarna 
cette  résistance  sans  issue  qui,  si  elle  paraît  insensée  au  regard  de  la 
froide  logique,  eut  du  moins  ce  suprême  effet  de  nous  relever  devant  le 
monde.  Les  souffrances,  supportées  jusqu'au  delà  de  l'extrême  limite, 
rendirent  moralement  à  la  France  la  grandeur,  que  lui  faisaient  perdre 
politiquement  ses  erreurs,  sa  légèreté  et  l'impéritie  de  celui  à  qui  elle 
avait  confié  sa   destinée. 

Le  nouveau  gouvernement  dit  de  Défense  nationale,  afin  d'atteindre 
son  but  de  combattre  à  outrance,  dut  faire  état  des  forces  totales  du 
pays.  Notamment  «  on  avait  appelé  sous  les  drapeaux  ce  qui  restait 
des  réservistes,  les  anciens  militaires  au-dessous  de  trente-cinq  ans, 
les  jeunes  gens  de  la  classe  de  1870,  tous  les  gardes  mobiles,  et  ceux  qu'on 
nomma  les  mobilisés  ou  les  vieux  garçons,  tous  les  gardes  nationaux 
célibataires  ou  veufs  sans  enfants,  au-dessous  de  quarante  ans  (1)  ». 
Redon,  à  peine  âgé  de  trente  ans  et  non  marié,  se  trouvait  donc  compris 
parmi  les  mobilisables,  et  fut  effectivement  appelé. 

C'était  pour  la  vie  que  menait  l'artiste,  avant  tout  intime  et  consacrée 
à  de  paisibles  études,  un  complet  bouleversement,  moral  aussi  bien  que 
matériel.  On  en  retrouve  le  contre-coup,  les  nuances  psychologiques  et 
la  noble  acceptation  dans  les  pages  qu'il  écrivit  alors,  seulement  pour 
lui-même,  sous  forme  d'abord  de  méditation  et  d'examen  de  conscience, 
puis  comme  journal  de  route. 

Avant  tout  domine  chez  lui  la  haute  appréciation  du  devoir  à 
remplir  —  le  Devoir,  cette  règle  suprême  qui  décide  sans  appel  pour 
un  caractère  véritable  et  une  âme  élevée.  «  L'heure  est  impérative... 
J'exposerai  mes  jours  pour  l'honneur  du  grand  nombre,  j  avancerai 
avec  confiance  (2).  »  Redon  avait,  dès  le  début,  ressenti  profondément 


(1)  A.  ChuquET.  (Histoire  générale  du  IV'-  siècle  à  nos  Jours,  par  E.  Lavisse  et  A.  Rambai'd). 
chap.   XXI.  La  Guerre  de   1870-1871.  (La  Défense  nationale),  p.  812. 

(2)  A/an.    de    R. 

—     41     — 


les  défaites  du  pays.  En  outre,  le  régime  impérial,  pour  lequel  la  jeunesse 
d  alors  dont  il  faisait  partie  ne  professait  guère  d'estime,  venait  de 
sombrer  dans  la  tourmente.  Il  ne  restait  donc  plus  que  la  Patrie  —  et  il 

I  aimait  d  une  passion  admirative  :  "  Tes  malheurs,  pauvre  France, 
comme  tes  succès,  ont  quelque  chose  d'extraordinaire.  L'Europe 
est  inquiète,  il  semble  que  tout  s'arrête,  comme  obscurci  par  la  pénombre 
où  tu  passes  (I).  »  C'est  qu'il  la  considère  comme  un  flambeau  du  monde, 
et  "  on  ne  peut  pas  tuer  la  lumière  (2)  ». 

Cependant  si  Redon  est  franchement  patriote,  il  ne  témoigne  point 
de  chauvinisme  puérilement  démonstratif.  Surtout  il  n'éprouve  aucun 
penchant  démesuré,  comme  certains  de  ses  jeunes  compagnons  d'armes, 
pour  la  gloriole  du  panache  et  des  grades,  sans  comprendre  la  lourde  et 
sérieuse  responsabilité  qu'ils  imposent.  Ce  qu'il  veut,  c'est  servir  modes- 
tement dans  le  rang  à  côté  des  humbles,  du  paysan  et  de  l'ouvrier,  qui 
donnent  leur  sang  simplement  et  sans  ambition  :  «  Après  de  mûres 
réflexions  ou  plutôt  sans  réflexion,  spontanément...  aisément,  je  me 
mets  dans  les  rangs  des  soldats.  —  Je  n'ai  point  de  génie  militaire.  Je  ne 
crois  pas  non  plus  être  sur  le  champ  de  I  action  à  la  hauteur  de  tout  ce 
que  demande  mon  espérance...  Je  reste  simple  soldat,  je  pars  simple 
soldat,  je  reviendrai,  s'il  plaît  à  Dieu,  simple  et   humble  soldat  (3).  » 

II  pourra  dire  dans  toute  la  sincérité  de  sa  conscience  :  «  Je  pars 
aujourd  hui  le  cœur  bien  léger  et  l'âme  souverainement  attendrie  (4).  » 

Puis  au  fond  de  lui-même  s  éveille  cette  attirance,  instinctive 
pour  tout  esprit  jeune,  vers  le  mystère  de  l'inconnu.  «  ...Quelque  chose 
me  pousse  d  ailleurs,  la  confuse  curiosité  de  voir  la  bataille;  le  danger 
stimule  l'âme,  allons-y.  Je  verrai  du  pays...  (5)  »  Et,  ce  qui  marque 
bien  son  caractère  de  penseur,  il  songe  qu'il  va  explorer  encore  de 
«  nouveaux  points  de  la  conscience  humaine  (6)  ».  A  peine  un  murmure 
lui  échappera-t-il,  car  son  abnégation  est  entière,  mais  elle  doit  revêtir 
parfois  une  forme  particulièrement  pénible  à  son  extrême  sensibilité  : 
«  Mes  compagnons  d'armes  sont  d'un  entrain  et  d'une  exubérance  de 


(1)  Mon. 

de  R. 

(2)  Man. 

de   R. 

(3)  Man. 

de   R 

(4)  Man. 

de   R. 

(3)  Man. 

de  R. 

(6)  Man. 

de  R. 

4-' 


tempérament  sans  mesure  :  ils  chantent,  ils  rient...  Au  milieu  de  tant  de 
bruit,  je  me  sens  ahuri,  fatigué.  Cela  n'est  pas  de  la  lourdeur,  de  la 
rudesse  de  la  tâche.  Ce  qui  m  écrase  et  m  abîme  est  de  ne  point  avoir  une 
heure,  un  instant,  où  je  puisse  me  recueillir  (  I  ).  »  Ainsi  le  sacrifice  consenti, 
le  même  en  apparence  et  pour  tous  égal,  devient-il  à  certains,  du  fait 
de  leur  nature,  davantage   ardu   et  aussi,  dirons-nous,  plus  méritoire. 

Donc  Redon  est 
appelé,  sommairement 
équipé,  et  à  peine  exercé 
il  est  désigné  pour  aller  en  -^ 

avant.  Le  voici  "  sous  l'uni- 
forme, sac  au  dos...  une  vie 
matérielle  énergiquement 
menée,  forcé  d'obéir  avec 
passivité  à  des  ordres 
péremptoires,  dont  on 
Ignore  souvent  la  portée.  Il 
faut  avoir  faim,  marcher, 
souffrir,  supporter  le 
contact  d'êtres  inférieurs, 
même  brutaux,  qui  parfois 
se  revêtent  d'héroïsme (2)". 
Le  corps  auquel  il  appar- 
tenait fut  presque  immé- 
diatement engagé  dans  la 
lutte  (3)  :  "  Ah  !  la  journée 
du  20  ou  22  décembre,  où 
je  me  suis  battu  près  de 
Tours,   à   Monnaie  (ou 

Monay).  Je  l'ai  dite  tout  entière  avec  toute  ma  curiosité  et  mon  exal- 
tation en  une  ou  deux  lettres  écrites  à  mon  frère  Ernest  Redon...  Ce 


tlle   t 


s,i  luictrine  une  éponge  foule  noire,  la 
couvre  de  baisers...  "  ( Lithographie). 

(Planche  liicc-  de  La    T.nlalio,,   d^   Suinl-Anloinc) 


(1)  Man.    de  R. 

(2)  A.  M..  El.  s.  R..  p.  2S.  .  ,    j    ,     ■    .    D  j 

(3)  L'Insuffisance  des  documents  qui  restent  sur  cette  période  de  la  vie  de  Kedon.  ne  nous 
a  pas  permis  d'Identifier  exactement  les  opérations  militaires  auxquelles  il  prit  part.  Sans  doute, 
celles  de  la  2-^  Armée  de  la  Loire,  dont  le  général  Chanzy  avait  reçu  le  commandement  en  cl.el  au 
commencement  de  décembre,  et  qui  manœuvra  dans  la  région  d'Orléans.  Tours  et  Le  Mans. 


—   a:,    - 


sont  des  impressions  sur  le  vif,  écrites  sur  le  coin  d'une  table  de 
cantine,  au  ralliement  quelques  jours  après  :  récit  de  deux  journées, 
que  je  voudrais  bien  relire  (1).  »  Pour  lui  quel  souvenir  inoubliable! 
Et  la  raison  en  est  sans  doute  que  «  dans  certaines  heures,  telles  celles 
du  combat,  il  est  possible  qu'il  se  produise  un  afflux  nerveux  décuplant 
la  personnalité,  lui  révélant  une  énergie  et  des  ressorts  qu'elle  ne  con- 
naissait point  en  elle-même.  Ou  bien  est-ce  encore  qu'un  voile  se  déchire 
devant  les  yeux  offrant  soudain,  dans  le  frisson  de  la  mort  qui  plane, 
des  aspects  nouveaux  donnant  leur  signification  véritable  et  très  haute 
aux  gestes  humains  (2)  >'.  Redon  sortit  de  la  mêlée  sans  blessure,  mais  dans 
un  tel  état  d'affaiblissement  physique  qu'il  dût  être  évacué  (3). 

Après  une  assez  longue  convalescence  passée  d'abord  à  Cherbourg, 
puis  à  Niort,  il  était  renvoyé  le  3  mars  de  cette  ville  pour  rejoindre  son 
dépôt  à  Bordeaux  (4).  Pendant  que  sa  santé  se  remettait  tant  bien  que 
mal,  ne  lui  permettant  plus  une  participation  active,  il  faisait  des 
démarches  pour  rester  encore  de  quelque  utilité,  en  entrant  dans  un 
service  auxiliaire.  Mais  la  paix  de  Francfort  survenait  (10  mai  1871) 
terminant    tristement    cette    guerre    désastreuse. 

Nous  avons  insisté  avec  quelques  détails  sur  cette  période  de  la  vie 
de  Redon,  car  elle  eut  en  lui  un  grand  retentissement.  Certainement 
«  plus  que  tout  autre  l'artiste  fortement  imaginatif  qu'il  était  se  trouvait- 
il  apte  à  vibrer  de  façon  complète  sous  des  émotions  si  diverses.  Peut- 
être  sur  le  moment  n'a-t-il  pas  analysé  le  détail  de  ses  sentiments,  lors- 
qu  il  était  ardent  acteur  du  drame  joué.  Mais  la  transformation  secrète  et 
profonde  opérée  en  lui,  il  put  s'en  rendre  compte  postérieurement. 
Dans  sa  voie  une  ligne  de  démarcation  s'était  tracée,  au  delà  de  laquelle 
il  se  trouvait...  changé,  comme  élevé  au-dessus  de  lui-même  (5)  ». 
D  ailleurs  il  en  eut  parfaitement  conscience  et  à  maintes  fois  le  constate 


(1)  Lettre  d'Odilon   Redon   à   André  Melterio  (Peyrelebade,   2   octobre    1898). 

Combien  il  est  à  regretter  que  la  correspondance  si  intéressante  de  Redon  à  ce  moment,  ait 
disparu,  lors  de  la  mort  de  son  frère  Ernest,  sans  que  l'on  ait  pu  savoir  ce  qu'elle  était   devenue. 

(2)  A.  M.,  Et.  s.  R.,  p.  27. 

(3)  Un  certificat  médical  de  l'autorité  militaire,  en  date  du  21    février   1871,  mentionne  : 
"  affaiblissement  général,  suite  de  fièvre  ". 

(4)  Sur  la  feuille  de  route  qui  lui  fut  alors  délivrée,  Redon  est  qualifié  :  '  Soldat  de  la  garde 
mobilisée   de   la   Gironde   ". 

(3)  A.  M  ,  El.  s.  R..  p.  28. 


44 


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AQUARELLE 


COLLEC.     A     '■' 


expressément  :  «  La  guerre,  un  moment  où  ma  vision  fut  comme  décu- 
plée (1).  "  Et  encore  :  "  La  vie  de  soldat  fui  pour  moi  d'un  grand  repos, 
elle  a  mis  fin  à  une  recherche  inquiète.  J'ai  eu  en  ce  moment  conscience 
de  mes  dons  naturels.  Les  momdres  croquis  ou  grifïonnements  que  j'avais 


Fantôme. 


laissés  dans  mes  cartons  prnent  un  sens  à  mes  yeux.  —  Et  c'est  ma  date 
véritable  du  vouloir  (2).  " 

Voilà    donc    dissipée    la    tourmente    qui,  saisissant    brusquement 


(1)  Lelt.    d'Od.    R.    à    A.    M.   (2   octobre    1898). 

(2)  Un.  dVd.  R.  à  Fdi:  p.  (15  juin  1894.) 


-4.5 


Redon,  l'avait  arraché  à  lui-même,  à  ses  reploiements  mtimes  et  à  ses 
rêveries  sans  but  défini,  pour  le  jeter  dans  une  vie  d  activité  intense  et 
aussi    de    réflexions    décisives. 

De  nouveau  il  vient  séjourner  à  Paris,  avec  des  retours  intermittents 
auMédoc  natal.  Mais  il  n'est  plus  l'adolescent,  m  même  le  jeune  homme 
de  naguère,  il  entre  maintenant  dans  la  plénitude  virile,  fortifiée  encore 
par  les  études  faites  et  les  événements  traversés,  Déjà  il  a  un  passé  vécu. 

Et  le  voici  qui  reprend  ses  travaux.  Dans  le  cercle  de  société 
qu'il  fréquente,  et  qui  va  s'agrandissant,  il  commence  à  tenir  une  certaine 
place.  Car  c'est  un  point  de  commun  que  Redon  eut,  dans  son  existence 
extérieure,  avec  Delacroix.  Comme  le  grand  peintre  qu'il  admirait,  il 
était  né  de  bonne  famille,  et  formé  tôt  aux  usages  de  la  société 
où,  sans  toutefois  s'y  absorber,  il  ne  se  déplaisait  point.  A  cette 
époque  on  le  voyait  fréquenter  le  salon  mondain,  mais  intellectuel 
aussi  et  artistique,  de  M"'°  de  Rayssac.  Il  rencontrait  là  Chenavard, 
Jeanmot,  d'autres  encore.  Il  échangeait  avec  ces  esprits  instruits  et 
portés  parfois  aux  théories,  des  conversations  susceptibles  de  1  inté- 
resser, de  le  faire  réfléchir,  même  de  l'inciter  à  la  discussion. 

Puis  aussi,  comme  dès  son  enfance,  et  ce  fut  toujours  ainsi  jus- 
qu'au bout  de  sa  vie,  la  musique  le  passionnait.  Il  était  1  assidu  des 
grands  concerts,  prenant  part  aux  manifestations  d'un  public  spécial 
et  d'élite  qui  applaudissait  les  œuvres  d'une  originalité  neuve. 

Mais  la  mort  de  son  père  survient.  Il  en  résulte  pour  son  existence 
un  notable  changement.  Pans  devient  alors  véritablement  sa  résidence 
principale  et  il  y  établit  son  domicile  stable.  La  propriété  de  Peyrelebade 
restée  indivise  entre  la  mère  et  les  enfants  se  trouvait  confiée  à  I  aîné 
des  fils  :  Ernest,  pour  une  gérance,  qui  d'ailleurs  fut  peu  heureuse. 
Redon  y  retournait  bien,  toutefois  en  des  séjours  espacés  et  moins  longs, 
où  ne  revivait  plus  entière  1  atmosphère  de  sa  jeunesse. 

Cependant,  en  même  temps  que  s'achevait  la  formation  de  sa 
personnalité  d'homme,  il  poursuivait  son  éducation  professionnelle 
d'artiste.  Mais  en  toute  liberté.  Si  l'enseignement  académique  avait  été 
pour  lui  un  achoppement  plutôt  qu'une  aide  et  une  direction,  il 
continuait  à  faire  de  longues  stations  dans  les  musées,  demandant  aux 
grands  Maîtres  —  les  seuls  pour  lui  désormais,  la  lumière  que  ne  lui 
avaient  point  dispensée  les  années  de  son  stérile  apprentissage. 

-     4''     -      . 


Puis  il  produisait  aussi,  et  cherchait  à  se  présenter  devant  le  public. 
Mais,  sous  ce  rapport,  la  scission  déjà  consommée  entre  sa  fiensée  et  le 


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La  Roue    (Lithographie). 

(?Unche  lirie  d<-  |-»lb„m   Oo,.!  U  «cVt.) 

monde  dit  o//rcie/  s'accentuait,  par  surplus,  dans  le  domaine  matériel. 
Ce   fut   la   méconnaissance  qu'il   rencontra  d'abord,  aggravée   bientôt 


-     47 


d  une  hostilité  voulue  et  persistante.  Les  quelques  dessins  ou  gravures 
qu'il  avait  pu  glisser  timidement  dans  les  sections  spéciales  moins 
encombrées,  furent  désormais  refusés.  Ainsi  vers  la  solitude  et  l'indé- 
pendance, qui  lui  étaient  chères  déjà,  se  voyait-il  rejeté  définitivement, 
et  brutalement  mêm.e.  S'il  en  résulta  pour  lui  des  heurts  et  des  souf- 
frances, ce  fut  incontestablement  un  grand  bien,  car  ainsi  put  être 
sauve  son  entière  originalité. 

Ces  difficultés  rencontrées  le  poussèrent  notamment  à  utiliser  le 
procédé  lithographique,  où,  très  vite,  il  devait  révéler  une  véritable 
maîtrise.  Son  premier  album  publié  date  de  1879.  Il  porte  ce  titre  émi- 
nemment   suggestif    :    Dans   le   Rêve. 

Entre  temps  il  accomplissait  quelques  voyages  ou  séjournait 
dans  des  contrées  diverses.  C'est  ainsi  qu'il  parcourut  «  la  Hollande... 
par  vénération,  comme  en  pèlerinage  aux  lieux  saints  où  vécut 
Rembrandt  (1)  ".  Puis  il  retournait  à  Uhart,  dont  les  sites  et  la  popu- 
lation basque  qui  l'avaient  dès  la  première  fois  surpris  et  enchanté 
ne  cessaient  point  de  l'attirer.  En  1877,  il  passait  un  été  à  Barbizon, 
tant  fréquenté  par  les  peintres  de  sa  génération,  et,  comme  eux,  il 
faisait  études  et  croquis  agrestes  dans  cette  belle  forêt  de  Fontainebleau, 
alors   plus   sauvage   et   solitaire... 

Cependant  l'âge  mûr  approchait  pour  Redon.  Malgré  qu'il  eût 
pris  conscience  de  sa  personnalité  comme  homme  et  comme  artiste, 
l'indécision  demeurée  dans  son  esprit  ne  cessait  point  de  le  tour- 
menter. C  était  comme  une  sorte  de  flottement  l'empêchant  d'arrêter 
définitivement  sa  ligne  directrice. 

Alors  se  produisit  I  événement  qui  devait  solidifier  son  existence  : 
le  mariage.  Epreuve  toujours  grave,  davantage  ardue  et  redoutable 
pour  un  artiste,  tant  sa  carrière  réclame  de  spécial  ménagement.  Le 
sort  se  trouve  jeté  qui,  selon  l'occurrence,  peut  rendre  l'avenir  meilleur 
ou   plus   néfaste  ! 

Mais  pour  une  nature  comme  celle  de  Redon,  un  double  écueil  se 
présentait.  S  il  rencontrait  un  caractère  pareil  au  sien,  il  risquait  d'aug- 
menter encore  ses  tendances  rêveuses,  et  de  sombrer  dans  I  inaction  du 
non-réalisé.  Par  contre,   un   être   tout   différent   et  de   plus   d'énergie 


(1)  Lell.  dVd.  R.  à  Edm.   P.  (15  iuln  1894) 
-      48      ■ 


s     I 


Coll.  Je  M   -   KcJ„ 


Portrait  de  M"""  0.  Redon    (Dessin  à  la  mine  de  plomh). 


49     — 


matérielle   ne   chercherait-il    pas,    méconnaissant   son    idéalisme,   à   le 
pousser  aux  besognes   lucratives  ou  vers  de  vains  honneurs. 

Or,  par  une  chance  difficile  à  espérer,  cette  exceptionnelle  réunion 
de  qualités  opposées,  Redon,  pour  son  bonheur,  la  rencontra.  Chez 
M"^^  de  Rayssac,  où  il  fréquentait  beaucoup,  il  avait  remarqué   une 


Coll.  de  M"'"    Redon. 


Etudes   (Dessins  à  l'encre  violelle). 


jeune  fille  venue  de  l'Ile  Bourbon  avec  sa  mère  et  sa  sœur.  Elle  se  nom- 
mait Camille  Faite  (1).  Nature  d'élite,  mêlant  au  respect  de  l'art  et  de 
l'intellectualité,  un  caractère  enjoué,  une  sensibilité  affectueuse,  en 
même  temps  qu'un  sens  net  et  pratique  de  la  vie. 

C'est  elle  que  Redon,  après  l'avoir  distinguée  et  appréciée,  épousait, 
à  Pans,  le  1^"^  mai  1880.  Il  écrira  plus  tard,  lui  rendant  un  plein  et 
conscient  témoignage  :  "  J'ai  trouvé  dans  M'"^'  Redon,  comme  un  fil 
sacré,  la  parque  de  vie,  qui  m'a  fait  passer  sans  mourir  les  heures  les 


(I)  Voir  les  renseignements  concernant  la  famille  Faite  :  App.  Note  5. 
—      50      — 


plus  tragiques...  Je  crois  que  le  oui  que  j'ai  prononcé  le  jour  de  notre 
mariage,  fut  l'expression  de  la  certitude  la  plus  entière  et  sans  mélange 
que  j'ai  ressentie...  (I)  » 

Nous  avons  tenté  jadis  d'esquisser  l'atmosphère  nouvelle  et  bien- 
faisante dont  fut  enveloppé  l'artiste  :  "  Certes,  au  milieu  d'épreuves 
diverses  et  répétées,  on 
peut  dire  que  Redon  n'a 
cessé  de  trouver  joie  et 
réconfort  dans  la  compagne 
de  sa  vie.  Celle-ci,  créole, 
originaire  de  l'Ile  Bour- 
bon (2),  n  avait  conservé  du 
lieu  de  sa  naissance  qu'un 
souvenir  de  ciel  ardent  et 
de  beaux  sites.  Elle  gardait 
aussi  certaines  habitudes 
nutritives,  tel  ce  fameux 
kari,  composé  d'un  riz 
relevé  de  piment  aigu  et 
coloré  de  jaune  safran. 
Mais  elle  n'avait  point 
l'apathique  nonchalance 
des  blanches  affadies  sous 
leciel  tropical.  Au  contraire 
déployant  une  activité 
continue,  elle  se  montrait 
dans  son  intérieur,  organisatrice  logique  et  vive.  De  plus  elle  accom- 
plissait au  dehors  maintes  courses  et  démarches  chez  les  marchands 
et  les  imprimeurs,  se  défendant  avec  lucidité  et  énergie  parmi  les  âpres 
questions  pécuniaires.  Elle  s'efforçait  d'épargner  à  son  mari  les 
obstacles  extérieurs  qui,  pour  les  natures  extrêmement  sensitives  et 
renfermées,  constituent  parfois  d'insurmontables  pierres  d'achoppement. 
Ainsi  l'artiste,  délivré  des  pertes  de  temps,  comme  des  contacts  ennuyeux 


Portrait  de  Jeun 


Cliché  H.  De  Bois 
Femme. 


(1)  Leil.   d'Od.   R.  à  A.  M.  (Peyrelebade.  2  octobre   18' 

(2)  A    la   Possession,   commune   de  Samt-Paul   (Réunion). 


et    des   SOUCIS    opprimants,    pouvait    s'absorber  tout   entier,   calme  et 
méditativement   laborieux,  dans  sa   sphère  supérieure  (1).  » 

Puis  ce  fut  la  paternité.  A  cet  égard,  Redon  a  laissé  dans  ses  manus- 
crits des  pages  d'une  analyse  lucide  et  infiniment  tendre.  Elles  ne  sont 
point  seulement  l'écho  de  sentiments  personnels,  mais  une  expression 
de  portée  plus  générale.  C'est  l'Hosannah  de  l'homme  qui  voit  se 
continuer  la  race  dont  il  est  issu,  la  fierté,  comme  aussi  1  impression 
de  devoir  que  ressent  l'être  puissant  et  vigoureux  envers  celui  faible 
et  débile,  auquel  il  a  donné  la  vie. 

«  Après  des  journées  d'appréhension  infinie,  d'inquiétudes  et  de 
troubles  incessants  (car  ]e  n'avais  jamais  vu  naître  autour  de  moi...), 
novice  enfin  de  cette  angoisse,  je  vis  naître...  mon  fils  Jean. —  Je  l'aimai 
d'emblée,  à  la  minute  même  de  sa  vie  que  je  sentais  fragile...  —  Qu  il  était 

peu  de  chose  et  humain.  Et  dans 
mon  cœur  quelle  pitié  !  —  Je  crois 
pouvoir  dire  que  tout  l'amour 
paternel  dépend  de  cet  instant 
suprême  où  nous  est  révélée  une 
vie  en  sa  condition  la  plus  pi- 
toyable. C'est  vraiment,  durant 
plusieurs  jours  et  des  mois,  1  in- 
fime faiblesse ...  —  Ce  fut  une 
joie.  Une  joie  forte  et  saine  et 
vraie.  Une  secousse  ressentie  aux 
entrailles,  comme  si  ma  force  lasse 
et  usée  eut  repris  nouvel  essor... 
La  conscience  de  cet  être  qui 
va  être,  cet  attachement  subit  et 
nécessaire  me  domina  entière- 
ment... Le  dévouement  spontané 
qui  naît  au  cœur  à  une  telle  heure 
nécessité.  On  ne  peut  pas  laisser 
éteindre  la  vie  ;  et  tout  en  le  nouveau-né  appelle  secours ...  — 
Ce   premier    mois...    de    Jean  me  donna  le   souci   calme   et    toujours 


Coll.   Gobln. 

Saint-Sébastien   (Pastel). 

est   une   chose   subie,    une   loi  de 


(1)  A. 


R..  p.  32. 


—     5^ 


PÉGASE 
(Peinture) 


présent  de   son  souffle.   La  maison   tout   entière  me  semblait   emplie 
d'un  mystère...  Puis  le  premier  sourire...  (1)  » 

Hélas  !  cette  joie  pure  et  si  profonde,  donnée  pour  un  temps  bien 
court,  lui  réservait  une  cruelle  épreuve.  Ce  petit  être,  tellement  chéri,  et 
sur  lequel  s'illusionnaient  déjà  tant  d'espérances,  fut  enlevé,  n'ayant 
que  quelques  mois  à  peine. 

Et  c'est  seulement  plusieurs  années  après,  qu'un  autre  fils  étant 
venu  —  et  qui  vécut,  compléta  la  trilogie  sainte  de  la  famille.  Existence 
normale  et  vraie  de  l'homme, 
SI  quelque  mysticisme  supérieur 
ne  le  réclame,  l'accaparant  tout 
entier.  Cette  nouvelle  paternité 
fut  d  abord  anxieuse,  combien 
remplie  de  soins  répétés, 
tant  le  passé  faisait  encore 
peser  de  crainte.  Jusqu'au 
jour  où,  dépassant  l'âge  de  son 
aîné  disparu,  le  second  enfant 
se  montra  de  croissance  vigou- 
reuse. Il  porta  le  nom  d'Ari  (2). 

Cependant,  après  son 
mariage,  Redon  commença  de 
déployer  une  activité  plus  pro- 
noncée. Cet  effort  résultait  en 
partie  de  la  quiétude  morale 
de  sa  vie  enfin  établie,  mais 
également  des  nécessités  maté- 
rielles provenant  de  ses  charges 
familiales. 

Puisque  le  monde  académique  le  repoussait,  sa  résolution 
était  prise.  De  même  que  sa  personnalité  avait  dû  se  former  seule, 
c'est  seule  aussi  qu'il  voulut  la  produire  devant  le  public.  A  cet  égard 
les  circonstances  ambiantes  devenaient  plus  propices.  Pareille  tentative 


^ 

wvr^  JSÊ^^KL 

■.'.-'.Ji^'.                                   -  ,-flÊÊM 

^B 

Des  Esseintes    (Lithographie). 


(1)  Man.  de  R. 

(2)  Ari-Robert,   né   en    \t 


53 


n'avait-elle  pas  été  accomplie,  et  avec  succès,  par  des  artistes  de 
talent  qu'un  ostracisme  injustifié  contraignait  à  présenter  leurs  œuvres 
en  dehors  des  manifestations   officielles. 

Alors,  coup  sur  coup,  Redon  fit  deux  expositions  particulières  :  la 
première  dans  les  salles  de  la  Vie  Moderne,  en  1881,  la  seconde  au 
journal  Le  Gaulois,  en  1882.  C'étaient  avant  tout  des  dessins,  et 
notamment  des  fusains.  Ces  manifestations  suscitèrent  immédiatement 
une  attention  mêlée  de  controverses.  Chez  une  grande  partie  du  public 
ce  fut  une  surprise  faite  d'incompréhension  et  d'hostilité,  tant  les 
œuvres  contemplées,  échappant  à  la  banalité  courante,  présentaient 
une  spéciale  originalité.  Par  contre  elles  valurent  à  l'artiste,  parmi 
des  esprits  intelligents  et  notoires,  une  sympathie  admirative  qui 
combattit  pour  lui. 

Au  rang  de  ces  clairvoyants  et  courageux  défenseurs,  proclamant 
en  Redon  une  véritable  et  très  personnelle  inspiration,  il  faut  citer  tout 
d'abord:  J.-K.  Huysmans  et  Emile  Hennequm.  Le  long  article  que 
ce  dernier  consacra  alors  à  Redon  est  certainement  la  première  étude 
développée  où  son  art  soit  saisi  compréhensivement  dans  ses  traits 
essentiels  :  «  Cet  artiste,  plus  original,  plus  nouveau,  d'un  talent 
plus  saisissant  que  nous  ne  l'espérions...  M.  Odilon  Redon  doit  être 
considéré  désormais  comme  un  de  nos  maîtres...  —  Cette  œuvre  est 
bizarre  ;  elle  touche  au  grandiose,  au  délicat,  au  subtil,  au  pervers, 
au  séraphique...  —  Seul  de  tous  nos  artistes,  peintres,  littérateurs  et 
musiciens,  il  nous  paraît  avoir  atteint  cette  originalité  absolue  qui 
aujourd'hui,  dans  notre  monde  si  vieux,  est  aussi  le  mérite  absolu. 
Assurément  M.  Odilon  Redon  n'est  fait  ni  pour  plaire  aux  masses,  ni 
pour  peindre  l'actualité...  Il  recherche  ardemment  en  art...  des  beautés 
inconnues,  l'étrangeté,  la  création,  le  rêve;  des  moyens  d  expression 
neufs,  précieux,  saisissants  (1).  » 

Cependant,  malgré  tant  d'impressions  contradictoires,  peut-être 
même  à  cause  de  leur  opposition  si  tranchée,  résultait  envers  Redon  un 
éveil  de  curiosité.  11  se  trouvait  très  discuté  certes,  mais  commençait 
à  être  connu.  En  outre,  non  seulement  il  produisait  de  nouveaux  dessins. 


(1)   Emile   Hennequin,  Odilon  Redon.  Dans    la   Revue  Littéraire  et  Artistique,  numéro   du 
4  mars  1882.  Au  sujet  de  cet  écrivam,  voir  :  App.  Note  6. 


54 


mais  ses  publications   lithographiques   se   continuant    (1)    diffusaient, 
par  la  multiplicité  des  épreuves,  plus  abondamment  son  nom. 


"  Gloire  et  louange  à  toi,  Satan... 

(Planche  tirée  de  Lfs  FIcms  du  Mal.) 


Puis  un  pays  qui,  souventes  fois,  salua  dès  la  première  heure   les 
manifestations  neuves  de  l'art  français  :  la  Belgique,  1  accueillait  effica- 


(1)  Après  Dans  le  Rêve,  qui  date  de  1879,  parurent  d'autres  albums  :  A  EJgar  Poe  (1882): 
Les  Ori'^ines  (1883),  témoignant  d'une  préoccupation  scientifique;  Hommage  à  Goi/a  (1885);  La  Nuil 
(1886).  —  Aussi  des  pièces  séparées  :  le  beau  Profil  de  Lumière  (1886).  et  en  1887  :  Jeune  fille, 
Christ,  Araignée. 


55     — 


cernent.  Ce  n'était  pas  assez  de  lui  ouvrir  avec  honneur,  à  Bruxelles, 
1  entrée  des  Expositions  des  XX,  restreintes  et  très  sélectionnées  (I). 
Voici  que  des  poètes  et  des  littérateurs  se  disputaient  à  l'envi  le  pri- 
vilège recherché  d'un  frontispice  de  lui  pour  leurs  œuvres  (2),  plus 
encore,  un  ensemble  d'illustrations  (3).  Même  l'un  d'eux,  Jules  Destrée, 
publiait  le  premier  Catalogue  de  ses  lithographies  (4).  Enfin  un  éditeur 
réputé  :  Deman,  lui  commandait  des  suites  entières  consacrées  à  Flaubert 
et  à  Baudelaire  (5).  On  peut  dire  qu'en  Belgique,  puis  aussi  en  Hol- 
lande (surtout  par  la  constante  action  du  vieil  et  fidèle  ami   Bouger), 

la  notoriété  de  Redon  fut  alors  établie 
plus  largement  qu'elle  ne  l'était  encore 
en  France. 

Ce  n  est  point  que,  dans  son  pays 
d'origine,  l'artiste  n'eut  rencontré  déjà, 
nous  l'avons  vu,  des  sincères  et  ardents 
admirateurs.  A  ces  esprits  d'élite  se 
joignaient  graduellement  des  amateurs 
convaincus,  heureux  de  posséder  les 
œuvres,  et  dont  plusieurs  devenaient, 
par  surcroît,  d  amicales  relations  pour 
leur  auteur.  Il  lui  arrivait  même  de  figurer 
—  oh  !  bien  modestement  toujours  et  seu- 
lement avec  quelques  estampes,  au  Salon 
des  Artistes  Français  en  1885,  1886  et 
1888.  En  somme  l'avenir  pour  Redon 
Les  Débâcles  (Liihographk).  paraissait  s'éclairer   d'espérance  ! 


(1)  Dès  1886,  et  les  années  qm  suivirent. 

(2)  Pour:  Emile  Verhaeren,  Les  5o(>s  (1888),  Les  ûeiâc/es  (1 889)  et  Les  Flambeaux  noiVs  (1890). 

—  Edmond  Picard,  £/Mo^/ire/)-e/-/l/i:sa  (1889).  —  Ywan  Gilkin,  La  Damnation  de  l'Artiste  {\SS9). 

—  Jules  Destrée,  Les  Chimères  (1889). 

(3)  Edmond  Picard,  Le  Juré,  monodrame  en  cinq  actes.  Sept  interprétations  originales  par 
Odilon  Redon  et  deux  portraits,  Bruxelles,  Veuve  Monnom,  M.D.CCC.LXXXVl. 

(4)  Jules  Destrée,  L'Œuvre  lithographique  de  Odilon  Redon  (Catalogue  descriptiO.  Bruxelles, 
Edmond  Deman,  M.D.CCC.XC.I. 

(3)  Tentation  de  Saint-Antoine,  Première  série,  texte  de  GuSTAVE  Flaubert.  Dix  lithographies 
et  un  frontispice  par  Odilon  Redon,  Bruxelles,  Deman,   1888. 

Charles  Baudelaire,  Les  Fleurs  du  Mal.  Interprétations  par  Odilon  Redon  (neuf  dessins, 
dont  une  couverture-frontispice  et  un  cul-de-lampe),  Bruxelles,  Deman  (1890).  (Tirage  par  le  procédé 
sur  cuivre  d'Evely). 


56 


Or,  c  est  vers  cette  époque  environ  que  nous  connûmes  l'artiste. 
On  nous  pardonnera  d'évoquer  ici  un  souvenir  personnel,  qui  demeurera 
toujours  gravé  —  et  pour  tant  de  motifs,  au  fond  même  de  notre 
mémoire. 

En  janvier  1889,  s'ou- 
vrait chez  Durand-Ruel, 
rue  Laffitte,  la  première 
Exposition  des  Peintres- 
Graveurs.  Visiteur  assidu 
des  galeries,  nous  nous 
rendîmes  à  cette  manifes- 
tation qui  promettait  d'être 
intéressante.  A  peine  entré, 
nos  regards  tombèrent  sur 
une  lithographie  portant 
ce  titre  :  La  Fleur  du  Ma- 
récage{\), et  qu'entouraient 
quelques  autres  estampes 
du  même  graveur  :  Odilon 
Redon.  Bien  que,  par  goût 
et  comme  écrivain  d'art, 
nous  fussions  assez  rensei- 
gné, le  nom  nous  était 
complètement  inconnu. 
D  emblée  nous  demeu- 
râmes frappé  et  conquis, 
tant  par  la  perfection 
technique  que  l'imprévu 
et  intense  effet  qui  se 
dégageait  de  ces  œuvres. 
Nous  pûmes  en  acquérir 
facilement,  car  les  prix 
étaient    alors    véritablement    infimes. 

Mais,  nous  voulûmes  plus  encore.  Remué  profondément  dans  notre 


ë 


d'homme  sur  un  corps  de  poisson...»  (Lithographie). 

(Planche  lirce  de  La   Ttnialion  de  Sainl-Anloine.) 


(\)  La  Fleur  du  Marécage,  une  tête  humaine  et  (rrs/c.  Planche  II  de  V Hommage  à  Goya. 


émotion  esthétique,  incité  en  outre  par  tant  de  nouveauté  originale,  nous 
voulûmes  connaître  l'artiste  lui-même.  Cependant  un  doute  inquiet  nous 
faisait  hésiter.  N'allions-nous  pas  au-devant  d'une  déception,  et  rencon- 
trant un  caractère  fantasque,  des  goûts  hétéroclites,  ne  regretterions- 
nous  point,  en  face  de  l'auteur,  de  n'être  point  demeuré  à  la  jouissance 
seule  et  si  complètement   passionnante  de  ses  œuvres  ? 

"  Combien  de  gens  se  sont  forgé  de  sa  personne  l'idée  la  plus 
cauchemardesque  et,  ajoutons  tout  de  suite,  la  plus  erronée.  Volontiers 
ils  lui  présument  l'aspect  de  ses  monstrueuses  créations.  Au  moral 
l'artiste  leur  semblerait,  pour  le  moins,  devoir  être  un  maniaque 
quelque  peu  délirant.  Quant  aux  occupations  capables  de  lui  complaire, 
on  envisage  le  spiritisme  et  l'occultisme,  sinon  la  magie  tout  à  fait  noire. 
Enfin  cet  évocateur  de  larves  et  de  terrifiantes  apparitions  est 
soupçonné  vivre  dans  quelque  pandémonium  fantastique. 

«Or,  en  prenant  l'absolu  contre-pied  de  ces  hypothèses...  on  aura 
la  très  exacte  vérité.  En  effet,  Redon,  né  ainsi  qu'élevé  bourgeoi- 
sement, comme  nous  l'avons  indiqué,  a  toujours  mené  1  existence  la 
plus  réglée.  Son  esprit  droit  et  scrupuleux,  ne  peut  entrevoir  les 
moindres  manques  de  délicatesse  dans  cette  mêlée  des  intérêts  — 
où  les  pires  choses,  hélas  !  sont  quotidiennes,  sans  éprouver  une 
stupeur  pleine  d'indignation.  D  une  pudeur  extrême  d  affection,  il 
s'est  caché  pour  rendre  à  des  amis  de  délicats   services...   (1)  " 

Tel  est  l'essai  de  portrait  que  nous  pûmes  tracer,  quand  d  amicales 
relations  nous  eurent  permis  de  connaître  amplement  celui  qui  en  était 
le  sujet.  Ajoutons  ce  complément  :  «  Redon  ne  fut  jamais  —  et  c'est  un 
fait  déroutant  pour  les  curieux  passagers,  l'homme  de  1  interview  à  tout 
venant,  non  plus  qu'un  caractère  à  fîeur  d'être,  facilement  saisissable. 
S'il  apparaît  de  prime  aspect  un  homme  doux  et  de  relations  polies, 
aux  manières  simples,  il  cache  un  fond  plus  complexe,  un  esprit  cultivé 
et  une  extrême  ténacité  en  art.  Sa  conversation,  sa  gaîté  même,  qui  est 
franche,  demandent  pour  s'épanouir  la  bonne  et  chaude  intimité. 
Là  seulement,  il  se  redresse,  comme  dans  une  légitime  et  consciente 
fierté  de  lui-même;  il  s'abandonne  à  parler,  émet  ses  inspirations, 
s'épanche  en  un  mot,  avec  une  entière  sincérité. 


(I)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  31. 


LE    MASQUE    DE    LA    MORT    ROUGI. 


«  L  homme  se  rend  sympathique,  il  attire  vers  sa  personne  par  une 
raison  claire  et  une  âme  généreuse.  On  s'intéresse  à  ses  jugements  très 
appuyés,  aussi  bien  qu'on  aime  son  enthousiasme  inébranlable  pour  les 
maîtres  anciens.  Il  retient  fortement  dans  son  orbe  par  l'amitié,  en  même 
temps  solide  et  affectueuse,  qu'il  témoigne  pour  les  intimes  que  le  temps 
a  triés  et  groupés  autour  de  lui.  Les  gens  férus  d'artificiel  et  de  singula- 
rité outrancière,  ont  passé  vite  chez  lui,  et  se  sont  écoulés  d'eux-mêmes. 
Par  contre  sont  demeurés  attachés  invinciblement  à  sa  personnalité 
saine  et  empreinte  de  noblesse,  ceux-là  qui  l'ont  véritablement  recherchée 
et  pénétrée.  Esprits  loyaux  et  convaincus,  qui  graduellement  ont  formé 
un  noyau  de  fidèles,  passionnés  de  l'homme  comme  de  l'artiste.  En 
même  temps  qu'ils  recueillaient  les  fruits  d  une  conversation  intellec- 
tuellement esthétique,  très  précise  au  point  de  vue  technique,  ils  ont 
éprouvé  le  réconfort  qui  vient  d'un  haut  caractère  entrevu,  sans  petitesse 
ni  compromission,  planant  dans  une  atmosphère  pure  (I).  " 

Que,  sans  doute,  on  sera  curieux  de  connaître  physiquement 
l'homme,  ainsi  que  le  cadre  dans  lequel  il  apparaissait.  A  cet  égard, 
nous  donnerons  trois  ou  quatre  brèves  descriptions  émanant,  à  quelques 
années  d'intervalle,  d'amis  différents. 

«  Odilon  Redon  habite  rue  de  Rennes,  au  premier  étage,  au  fond 
d'une  cour  silencieuse.  L'atelier,  éclairé  par  deux  larges  fenêtres,  est 
une  pièce  carrée  dont  les  rideaux  et  les  meubles  verts  tranchent  sur 
les  tentures  brunes.  Grand,  mince,  l'artiste  travaille  à  son  chevalet  ou 
devant  sa  table  de  lithographe.  Des  yeux  couleur  tabac  d'Espagne  et 
légèrement  divergents,  éclairent  sa  face  oblongue,  terminée  par  une  barbe 
en  pointe  d'un  brun  roussâtre.  Ayant  coutume  de  vivre  seul  et  médi- 
tatif... (2)  »  «  Je  trouvai  un  homme  d'une  trentaine  d'années  (3),  haut, 
mince,  pâle,  d'une  figure  intellectuelle  et  un  peu  ascétique  qui  me  parut 
s'exprimer  avec  le  calme,  le  choix  des  mots,  la  justesse  d  un  esprit 
solide   et   subtil   (4).  " 


(1)  A.  M..  Et.  s.  R..  p.  29  et  30. 

(2)  Triolet  (Emile  Hennequin).  (Au  haut  de   la   lorgnette).  Odilon    Redon.  Le  Gaulois. 
2  mars  1882. 

(3)  Redon  en  avait  exactement  près  de  quarante-deux,  étant  ne  en  avril   1840.  Sans  doute, 
il  paraissait  alors  plus  jeune  que  son  âge. 

(4)  Emile  Hennequin.  (Beaux-.Arts).  Odilon  Redon.  Revue Litlcraire  et  Artistique.  4  mars  1882. 


59 


Et  plus  tard,  en  Belgique,  on  le  représentait  comme  «  ne  se  dis- 
tinguant du  premier  venu  que  par  l'énergie  d'un  visage  placide  qu'anime 
un  regard  implacablement  décidé.  —  La  bonhomie,  la  bienveillance 
d'Odilon  Redon,  sa  vie  laborieuse  partagée  entre  son  art,  sa  femme  et  son 
fils,  tantôt  dans  le  rustique  asile  d'une  maisonnette  plantée  à  l'orée  de  la 
forêt  de  Fontainebleau,  tantôt  et  durant  la  grande  partie  de  l'année,  en 
ce  solitaire  appartement  de  la  rive  gauche  d  oui  artiste  ne  sort  guère  que 
pour  faire  une  promenade  méditative  —  presque  une  oraison  !  —  sous 
les  ombrages  du  Luxembourg,  étranger  au  Pans  qui  bout  à  ses  pieds, 
confiné  dans  son  rêve...  (1)  » 

Enfin  :  «  un  homme  d  une  cinquantaine  d'années,  le  front  largement 
découvert,  les  cheveux  grisonnants,  d'apparence  placide.  Le  parler  lent 
ne  rappelle  en  rien  la  vivacité  du  Midi  bordelais  d'où  il  est  issu,  une 
grande,  très  grande  modestie,  beaucoup  d'indulgence.  Parfois  seulement 
une  flamme  1  anime,  n  augmentant  qu'à  peine  la  vibration  de  sa  voix, 
quand  il  parle  d'une  œuvre  de  maître  ou  de  la  belle  épreuve  sur  Chine 
mirifique,  pas  celui  du  commerce,  le  vrai,  presque  introuvable.  —  C  est 
Odilon  Redon.  En  son  appartement  du  40  de  la  rue  d'Assas,  une  petite 
pièce  lui  sert  d'atelier.  Un  gros  bébé  blond  et  rose,  à  la  tête  forte,  aux 
cheveux  frisottants,  y  roule  perpétuellement,  bouleversant  les  cartons, 
cachant  la  clef  de  la  bibliothèque.  —  Voilà  l'homme,  paisible  et  paternel, 
très  doux...  (2)  » 

C'est  peu  de  temps  après  que  nous  eûmes  fait  la  connaissance, 
bientôt  affectueusement  intime,  de  Redon,  et  lorsque  luisaient  pour 
lui  quelques  légitimes  espérances,  que  commença  la  période  sans  doute 
la  plus  douloureuse  de  sa  vie.  Elle  devait  durer  plusieurs  années.  On 
eût  dit  que  les  épreuves  venues  de  côtés  et  dans  les  genres  les  plus 
divers,  s'unissaient  véritablement  pour  l'accabler.  Tout  esprit  un  peu 
superstitieux  n'aurait  pu  s'empêcher  d'être  frappé  en  voyant  s  abattre, 
et  sur  un  homme  qui  certes  ne  le  méritait  point,  un  tel  ensemble 
continu  de  souffrances. 

D'abord  Ihostilité  du  monde  officiel  se  manifestait  entièrement. 


(1)  Extrait  d'un  article  paru  dans  :  Y  Art  Moderne  (Bruxelles),  2  mars   1890. 

(2)  A.  M.  (André  Mellerlo),  Les  Artistes  à  l'atelier,    Odilon  Redon,    L'Art  dans  les  Deux 
Mondes,     4    juillet     1891. 

—      60      —         ■ 


Araignée   (  Lithographie J. 


—    6i 


Bien  compréhensible  d'ailleurs,  car  dans  cette  sphère  spéciale,  on  n  est 
pas  seulement  troublé  par  une  originalité  neuve,  mais  on  s'ofïusque 
également  de  rencontrer  une  personne  fière,  manquant  de  souplesse 
obséquieuse.  Puis,  il  faut  le  dire,  le  succès  comporte  à  sa  suite  des  avan- 
tages matériels,  auxquels  beaucoup  de  rivaux  avides  tiennent  avant 
tout,  et  dont  ils  se  considèrent  comme  frustrés.  Cet  ostracisme  avait 
revêtu  une  forme,  peut-être  la  plus  pénible  pour  un  artiste,  non  le  doute 
et  la  discussion,  mais  le  silence  obscur  et  voulu  sur  ses  œuvres. 

En  outre,  l'incompréhension  qui  régnait  dans  le  public  et  chez  la 
majeure  partie  des  critiques,  s'était  faite  agressive.  Les  dépréciations 
aveugles  et  les  plaisanteries  sans  pitié  se  multipliaient.  Redon  était 
à  tel  point  méconnu  que  les  ouvriers  typographes,  de  simples  manœuvres 
de  métier,  se  refusaient  parfois  à  sa  direction  et  prétendaient  lui  imposer, 
en  matière  de  technique,  leurs  vues  routinières  et  bornées. 

Or,  si  persévérant  et  certain  de  lui-même  que  soit  un  homme, 
si  plein  d'ardente  foi  en  ses  inspirations  que  demeure  un  réel  artiste, 
une  telle  atmosphère  de  contradiction  ne  laisse  point  à  la  longue,  d  exer- 
cer sur  lui  une  influence  déprimante.  La  lassitude  vient  de  1  effort  perpé- 
tuellement tendu  dans  une  lutte  de  tous  les  instants  et  qui  paraît  sans 
issue. 

Puis,  qui  ne  sait  aussi  qu'une  âme  haute,  susceptible  d'entreprendre 
et  de  soutenir  de  grandes  envolées,  s'épuise  péniblement  aux  obstacles 
mesquins  ?  Les  mille  coups  menus  mais  chaque  jour  répétés,  viennent 
à  bout  de  celui  que  n'aurait  point  abattu  un  revers  terrible  de  la 
destinée. 

D'autre  côté,  après  la  situation  sans  soucis  matériels  de  sa  jeunesse, 
puis  ensuite  l'aisance  même  provenant  de  l'héritage  paternel  :  »  voici 
que  des  revers  pécuniaires  avaient  surgi...  Il  en  résultait  une  diminution 
de  la  position  extérieure...  en  même  temps  que  la  nécessité  de  pourvoir 
immédiatement  par  soi-même  à  la  vie  quotidienne.  Toutes  épreuves 
plus  péniblement  ressenties,  quand  elles  succèdent  à  la  possession 
depuis  la  naissance  d'une  situation  indépendante  et  aisée.  D'autant  plus 
qu'une  honnêteté  très  stricte,  des  habitudes  de  ponctuelle  existence 
n'auraient  pu  s'accommoder  du  laisser-aller...  de  la  bohème  (I)  ». 


(I)  A.  M..  El.  s.  R..  p.  33. 


Collcctiun    <lc    Do 


LA    DÉSESPÉRANCE 
(Peinture  sur  bois) 


Ce  qui  rendait  cette  gêne  davantage  douloureuse,  c'est  qu'elle 
provenait  pour  majeure  partie  de  difficultés  en  famille.  La  propriété 
de  Peyrelebade,  plantée  beaucoup  en  vignes  et  déjà  diminuée  de  valeur 
à  cause  du  phylloxéra,  s'était  trouvée,  après  la  mort  du  père,  incon- 
sidérément gérée,  pour  ne  pas  dire  plus,  par  le  frère  aîné,  qui  en  avait 
assumé  la  charge.  Bien  des  illusions  furent  enlevées  à  l'âme  confiante 
de  Redon.  Le  coup  suprême  vint  le  frapper,  lorsqu'on  dût,  après 
ce  qu'il  qualifia  très  énergiquement  de  «  putréfaction  d'un  indivis 
familial  (I)  ",  procéder  à  la  licitation  forcée  du  domaine,  pour 
faire  face,  et  encore  insuffisamment,  à  une  situation  obérée.  Peyre- 
lebade !  le  heu  sacré  d'enfance,  si  plein  de  chers  souvenirs,  le  seul 
asile  où  se  retremper,  chaque  année,  au  sein  d'une  nature  solitaire  et 
pacifiante,  contre  les  irritantes  âpretés  de  la  lutte  artistique  !  Peyrele- 
bade passé  en  des  mains  étrangères,  c'était  un  lien  du  cœur,  combien 
puissant  et  salutaire,  qui  se  brisait  irrémédiablement  ! 

Nous  avons  vu  qu'après  la  mort  d'un  enfant  à  peine  apparu,  un 
autre  était  venu,  plein  de  vitalité.  Source  de  joie  sans  doute,  mais  aussi 
d  inquiétudes  journalières,  souvent  exagérées  même.  Ceux-là,  qui  ont 
eu  l'atroce  chagrin  de  perdre  leur  premier-né,  connaissent  seuls  ce 
qu'on  peut  ressentir  d'angoisses,  tant  que  le  petit  être  qui  suit  n  a 
pas  grandi,  et  pris  un  développement  avancé.  C'est  qu  ils  savent  par 
expérience,  que  cette  aube  de  vie  si  rayonnante  d  avenir  et  d  espérance 
peut  s'éteindre  brusquement.  Or  cela,  les  autres  parents,  malgré  les 
difficultés  éprouvées,  n'arrivent  même  point  à  se  I  imaginer,  tant 
c'est  chose  qui  paraît  contre  nature.  —  Et  puis,  pour  les  Redon,  c  était 
un  fils  unique  ! 

Nous  devions  faire  connaître  et  pénétrer  dans  leur  tréfond  tant 
d'éléments  divers  se  rencontrant  <  pour  meurtrir  infiniment  la  sensibi- 
lité si  délicate  de  Redon  (2)  ».  Car  ces  épreuves  n'affectèrent  pas  seu- 
lement son  existence  d'homme,  mais  eurent  aussi  leur  répercussion 
sur  son  art.  En  effet,  pendant  cette  fatale  période,  sa  presque  totale 
production  fut  consacrée,  quasi  symboliquement,  à  l'austère  blanc  et 
noir  de  l'estampe.  Tout,   moralement   et   matériellement,  l'y  poussait 


(1)  Man.   de  R. 

(2)  A.  M..  Et.  sur  R.,  p.  33. 


63 


—  on  pourrait  dire  presque  forcément.  Pourquoi  faut-il  que  nos 
jouissances  esthétiques,  comme  aussi  l'inspiration  profonde  d'un 
artiste  aient  trop  souvent  comme  cause  initiale,  le  ferment  de  sa 
douleur  ? 

Cependant,  même  au  cours  de  cette  longue  et  sombre  oppression, 
quelques  lueurs  ne  cessèrent  point  de  briller  pour  Redon,  lui  apportant 
au  moins  un  peu  de  ce  réconfort  que  donne  l'espoir  en  des  jours 
meilleurs. 

Tout  d  abord,  ses  lithographies  commençaient  à  se  répandre,  dif- 
fusant son  nom  et  sa  réputation.  Ses  dessins,  les  fusains  surtout,  peu 

à  peu  sortaient  de 
ses  cartons,  acquis 
par  des  marchands 
ou  des  collection- 
neurs. Aux  amis 
anciens  venaient 
s'en  joindre  de 
nouveaux,  formant 
un  groupe  de 
fidèles  qui  entou- 
raient Redon  de 
leur  admiration 
affectueusement 
dévouée.  C'étaient 
alors  chez  lui  : 
J.-K.  Huysmans, 
déjà  préoccupé 
d'une  conversion 
qui  devait  l'absor- 
ber tout  entier; 
Stéphane     Mallar- 

Cnll     M. -A.    Leblond  ,         , 

Portrait  de  M.  Marius  Leblond   (Sanguine).  me,     chef    reCOnUU 

de  l'abstrus  Sym- 
bolisme, par  ailleurs  d'une  conversation  si  limpide  et  pleine  de 
charme;  Ernest  Chausson,  musicien  d'un  talent  sérieux,  et  qu'en- 
leva trop   tôt  une   mort   accidentelle  ;   Ambroise   Vollard,    alors  à   ses 

-    64    - 


débuts   dans   le   commerce   des   tableaux;   le    peintre    Scbuffenecker  ; 
MM.  Maurice  Fabre,   Fayet,  Charles  Destrée,  Alain  d'Assay,  Robert 
de    Domecy,    Antoine     de    La     Rochefoucauld,     de     Gonet,     René 
Philippon  —  puis 
nous-même.  Aussi, 
une     femme    de 
cœur   ardent    et 

d'intelligence  i^?*--  ^■ 

cultivée,  d'origine 
russe.    M"""   Hols- 

tein.  Parfois  on  se  '. 

retrouvait    à    jour  '^ 

fixe,  en  d'intimes 
et  cordiales  réu- 
nions où,  tout  en 
prenant  une  tasse 
de  thé,  on  agitait, 
en  de  longues 
causeries,     d'inté- 

ressantes  questions  '■■•-. 

d'art. 

Plus    tard    ce 

fut  encore  l'entière  portrait  de  M.  Ary  Leblond  (Sansmnc). 

pléiade  des  jeunes 
artistes  formant  le  Mouvement  Idéaliste  :  Sérusier,  Maurice  Denis, 
Pierre  Bonnard,  Ed.  Vuillard,  K.-X.  Roussel,  Ranson.  Alors  venaient 
aussi  :  deux  littérateurs,  les  frères  Marius  et  Ary  Leblond;  le  pianiste 
Vines  ;  Parent,  violoniste  réputé;  le  D'  Sabouraud;  0.  Sainsère; 
Arthur   Fontaine;  le   peintre  Lerolle,  etc. 

Cependant,  en  1894,  un  coup  réel  avait  été  j)orté.  Profitant 
de  la  libérale  hospitalité  dont  MM.  Durand-Ruel  furent  toujours 
coutumiers  envers  les  peintres  audacieux  et  novateurs,  Redon  avait 
fait  (du  29  mars  au  14  avril),  dans  leurs  Galeries  de  la  rue  Laffitte, 
une  exposition  importante.  C'était  la  première  qui  présenta  un  ensemble 
de  son  œuvre  déjà  ample  et  fécond.  L'artiste,  comme  dans  toute  tenta- 
tive de  ce  genre,  risquait  une  forte  partie.  Sa  personnalité  en  ressortit 


Coll.   M    A.   Lclilond. 


cf/ 


affirmée  et  son  talent  abondamment   démontré.  Malgré   une  hostilité 
qui,  dans  le  gros  public,  ne  désarmait  point  :  "  la  curiosité...  fut  vive, 

mais  empreinte  cette 
fois  chez  plusieurs, 
critiques  ou  amateurs, 
d  intérêt  et  même  de 
sympathie  (I)  ». 
M''i.  Ainsi  le  courant 

|l;i,  I.  SI  âpre  devenait  moins 

I  ^j^  difficile  à  surmonter. 

Devant  la  force  inhé- 
rente à  toute  origina- 
lité vraie,  aussi  par 
la  persistance  calme 
mais  inébranlable  de 
1  artiste,  les  obstacles, 
,'  ,  '  lentement  il  est  vrai, 

^j  '  n'en     arrivaient     pas 

W«*  •  V  J  II 

moins  a  se  graciuelle- 
-^'  "  -  ment  aplanir. 

On    peut    dire 
i  que   c'est  dans    les 

environs  de  1900  que 
s'inaugura  pour  Re- 
don, et  à  tous  points 

Coll.   Sabourat.d.  j  ,  ,     ■ 

Portrait  de  M.   le  D'^   Sabouraud   (Sanguine).  ^^  ^ue.  Une  ère  Véri- 

tablement nouvelle. 
La  période  de  l'estampe,  dont  les  débuts  datent  de  1879,  se  clôture 
d  une  manière  générale  en  1899.  En  effet  les  œuvres  de  ce  genre  qui 
suivirent  —  -  et  encore  sont-elles  en  petit  nombre,  forment  une  série 
à  part  de  portraits. 

A  la  grande  exhibition  mondiale  de  V Exposition  universelle  une 
consécration  quasi-officielle  échoit  bien  légitimement  à  l'artiste.  En 
effet,   il    est    représenté    à  la    Centennale    Je   l'Art   Français  par  trois 


(I)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A..  p.  140. 

—     66 


/ 


r 


œuvres  :  d'abord  Profil  de  Lumière;  puis  une  pièce  extraite  de  l'album 
intitulé    :    Hommage    à    Goya,    et    une    autre  enfin  de  Y  Hommage    à 
Flaubert.  N'avait-il  pas  d'ailleurs  figuré  déjà  à  VExposition  générale  de 
la  lithographie  en  1891,  ainsi  qukV  Exposition  du  Centenaire  de  la  litho 
graphie  en  1 893  ? 

La  notoriété 
comme  aussi  la  si- 
tuation pécuniaire 
de  Redon  s  amé- 
lioraient sensible- 
ment, et  ne  cessaient 
de  progresser.  Même 
un  témoignage  hono- 
rifique en  marquait 
extérieurement  le 
degré,  imposant  au 
gros  public  sinon  la 
compréhension,  au 
moins  un  peu  plus 
de  retenue  dans  ses 
manifestations  d'iro- 
nie acerbe.  En  1903, 
à  la  suite  d'une  parti- 
cipation à  I  Exposition 
artistique  d'Hanoï 
(Indo-Chine),  Re- 
don était  fait  cheva- 
lier de  la  Légion 
d  honneur. 

Puis  c'était  l'Etat  qui,  au  cours  de  1904,  lui  achetait,  pour  le  Musée 
du  Luxembourg,  une  peinture  :  Les  Yeux  clos. 

En  outre  de  jeunes  artistes,  novateurs  eux  aussi,  venaient  à  lui, 
respectueux  de  son  caractère  et  admirateurs  de  son  talent.  L'expres- 
sion des  sentiments  qui  les  animaient  demeure  dans  un  tableau  de 
Maurice  Denis  :  L'Hommage  à  Cézanne,  où  Redon  occupe  une  place 
de  premier  plan. 


/. 


A 


'A' 


\ 


Portrait  de 


Coll.   A.  Par. 

A.  Parent   (Sangtiim). 


b^ 


Les  amateurs,  tant  en  France  qu'à  l'étranger,  se  multipliaient. 
Tandis  que  des  marchands  de  plus  en  plus  nombreux  et  importants  (I) 
s'occupaient  de  l'artiste,  achetant  ses  œuvres.  Il  pouvait  légitimement 
en  hausser  les  prix.  Ainsi  lui  devenait-il  loisible  d  assurer  aux  siens  une 
existence  suffisante,  qui  bientôt  confinait  même  à  l'aisance.  Enfin  il  sor- 
tait de  son  isolement  des  dernières  années  et,  comme  autrefois,  fréquen- 
tait le  monde.  Non  point  celui  frivole  et  dissipé,  dont  il  fut  toujours 
contempteur,  mais  une  société  choisie,  dont  les  réunions  de  bon  ton 
s'animaient  encore  de  la  présence  d'artistes,  de  littérateurs  et  de  musi- 
ciens. C'était  la  vieille  tradition  française  avec  tout  ce  qu'elle  comporte 
de  manières  affinées,  d'agrément  de  conversation,  et  aussi  d  intelli- 
gence sans   prétention. 

Du  changement  accompli  sous  tant  de  rapports,  il  existait  un  signe 
matériel  que  Redon  faisait  remarquer  en  souriant,  car  il  le  considérait 
comme  quasi-symbolique.  Il  avait  dû  quitter  la  paisible  rive  gauche 
dont  il  était,  depuis  ses  débuts  à  Paris,  l'hôte  fidèle  et  fervent,  pour  établir 
ses  pénates  plus  aisées  dans  un  quartier  avoisinant  l'Arc  de  Triomphe. 
Il  se  rapprochait  ainsi  du  centre  effervescent  d'activité,  où  1  appelaient 
davantage  ses  affaires,  ainsi  que  des  relations  plus  étendues.  Ce  ne  fut 
pas  toutefois  sans  une  émotion  sensible  mêlée  de  regret  intime  qu  il 
accomplît  cette  sorte  d'émigration.  Il  lui  semblait  se  ?éparer  sans  retour 
des  souvenirs  de  sa  jeunesse  rêveuse,  comme  aussi  des  longues  années 
de  travail  et  de  lutte,  presque  toute  une  vie  déjà  passée. 

Alors,  grâce  à  l'appoint  de  sa  nouvelle  position,  il  put  revoir  sa 
région  girondine,  en  passant  quelques  saisons  à  Royan  et  à  Saint-Georges 
de  Didonne.  Il  ne  se  lassait  point  d'y  contempler  1  immense  Océan, 
évocateur  des  hautes  pensées.  Combien  il  lavait  aimé  déjà,  pendant  un 
séjour  à  Morgat,  sur  la  baie  de  Douarnenez  en  «  la  douce  et  mélanco- 
lique Bretagne  (2)  »,  pays  des  landes  et  des  grèves  où  l'on  dirait  que 
"  dans  l'air  celtique,  il  s'est  accumulé  un  long  dépôt  de  1  âme  humaine, 
pleine  de  jours  et  de  temps,  comme  un  esprit  des  choses,  de  légende 
aussi  (3)  ».  Jadis  encore,  après  son  mariage,  il  était  retourné  auprès  de  la 


(1)  Voir  la  désignation  de  ces  marchands  à  VApp.  Note  7. 

(2)  Lellre  dOo.   R.  à  Edm.  P.  (13  juin  1894). 

(3)  Od.  r..  a  s.  m.,  p.   13. 

—     68     — 


forêt  de  Fontainebleau,  non  plus  à  Barbizon,  mais  à  Samois,  proche  de 
la  Seine.  Il  y  voisinait  avec  son  ami  Stéphane  Mallarmé,  villégiaturant 
à  Valvins,  où  le  poète  se  montrait  féru  de  sport  nautique.  La  fille  de 
ce  dernier,  Geneviève  (qu'on  appelait  familièrement  Vève),  fut  choisie 
comme  marraine,  l'avocat  belge  Picard  étant  le] parrain,  lorsqu'on 
baptisa  le  jeune  Ari. 


Cuil.   M  -A.   l.tblond. 


La  Mer  à  Morgot    (Peinture). 


Entre  temps,  Redon  faisait  aussi  quelques  voyages.  Il  retournait 
en  Belgique  et  en  Hollande,  pays  qui  l'entourèrent  toujours  d  une 
respectueuse  admiration,  où  de  fidèles  amitiés  l'accueillaient,  lui  et  les 
siens,  d'une  hospitalité  cordiale.  Puis  c'était  encore  Robert  de  Domecy 
qui  l'emmenait  en  sa  compagnie,  visiter  le  Nord  de  I  Italie.  Redon 
pouvait  contempler  à  Milan  la  sublime  Cène  de  Léonard  de  Vinci, 
goûter  le  charme  si  particulièrement  extraordinaire  de  Venise,  et,  dans 
Florence,  atmosphère  de  lumière  et  d'art,  pénétrer  l'âme  même  de 
la  Renaissance.  Plus  tard,  en  un  nouveau  voyage,  il  traversa  la  région 


69 


des  beaux   lacs,    clairs    miroirs    où    se  reflètent   les   hautes   cimes   des 
Alpes. 

Ainsi  pour  lui  la  vie  devenait  meilleure. 


C  est  alors,  sous  l'influence  de  ces  conditions  nouvelles  et  bien- 
faisantes, que  se  produisit  en  l'homme  âgé  déjà  qu'était  Redon,  un 
inattendu  et  curieux  rajeunissement.  On  eut  dit  comme  l'épanouisse- 
ment tardif  d'une  nature  longtemps  comprimée  par  l'hostilité  de  forces 

adverses,  et  qui,  enfin 
libérée,  pouvait  vivre  et 
œuvrer  en  toute  facilité  et 
joie. 

Voici  que,  soudaine- 
ment presque,  sa  produc- 
tion en  noir,  prépondérante 
depuis  tant  d'années, 
prenait  fin.  Et  de  façon 
SI  absolue  que,  lorsqu'en 
1913  nous  établissions  de 
concert  avec  lui  le  Cata- 
logue de  ses  estampes,  nous 
pouvions  lui  tenir,  mi- 
séneusement  mi- plaisan- 
tant, ce  propos  qui  l'amu- 
sait, mais  dont  il  recon- 
naissait la  justesse  :  "  Nous 
avons  connu  jadis,  vous  et 
moi,  un  Redon  graveur.  Il 
n'est  plus  et  rejjose...  sans 
doute  sous  une  pierre  lithographique.   " 

Maintenant  la  couleur,  la  séduisante  couleur,  qui  l'avait  attiré 
déjà  à  ses  débuts,  mais  alors  restrictivement  pratiquée,  le  ressaisissait, 
l'exaltait,  le  dominait  entièrement.  Et  pour  surplus,  il  voulait,  ne  se 
contentant  point  seulement  de  la  matière  huileuse,  manier  aussi  le  pastel. 


Coll    R 
Rose   (Peinture). 


—      70 


cette  poudre  impalpable  et  brillante,  qui  semble  ravie  aux  ailes  diaprées 
des  papillons. 

Nous  pouvons  certainement  attribuer,  pour  une  bonne  partie, 
cette  tendance  empreinte  d'une  activité  joyeuse,  à  l'aisance  matérielle 
enfin  conquise,  ainsi  qu  à  une  quiétude  morale  succédant  à  de  multiples 
et  douloureuses  épreuves.  Cependant,  à  l'examiner  de  près,  le  phéno- 
mène apparaît  plus  intimement  com- 
plexe. Redon  en  a  suggéré  une  expli- 
cation d'ordre  physiologique,  mais 
relevant  aussi  de  la  psychologie, 
qui  serait  intéressante  à  vérifier 
comme  portée  générale.  Dans  tous 
les  cas,  elle  demeure  valable  pour 
lui-même  d'après  son  témoignage 
exprès  et  conscient  :  "  Le  noir  prend 
surtout  son  exaltation  et  sa  vie, 
I  avouerai-je?  aux  sources  discrètes  et 
profondes  de  la  santé.  Du  bon  régime 
et  du  repos,  ou  disons  mieux,  de  la 
plénitude  de  la  force  physique  dépend 
la  sourde  ardeur  vitale  que  donnera 
le  fusain.   C'est  dire   qu'il   apparaîtra 

dans  sa  pleine  et  meilleure  beauté,  au  ,  ,  ,    ,)^  g^,, 

cœur  même  de  notre  carrière,  courte  I-lilette  nue. 

ou  longue,  il  est  un  épuisant,  plus  tard, 

dans  la  vieillesse,  quand  la  nourriture  s'assimile  moins.  On  pourra 
toujours,  à  ce  terme,  étaler  de  la  matière  noire  sur  une  surface,  mais  le 
fusain  reste  charbon,  le  crayon  du  lithographe  ne  transmet  rien;  c  est  en 
un  mot  que  la  matière  reste  à  nos  yeux  ce  qu'elle  paraît,  chose  inerte 
et  sans  vie;  tandis  qu'à  l'heure  heureuse  de  l'effervescence  et  de  la 
force  propices,  c'est  la  vitalité  même  d'un  être  qui  jaillira  d  elle,  son 
énergie,  son  esprit,  quelque  chose  de  son  âme,  le  reflet  de  sa  sensibilité, 
un  résidu  de  sa  substance  en  quelque  sorte  (I).  » 

Et,  notons-le,  combien  aussi  les  sujets  auxquels  s'attachera  I  artiste 


(I)  Od,   R..  a   s.  m.,   p.    119. 


,0^ 


désormais,  ne  sont-ils  point  eux-mêmes  complètement  changés!  Les 
monstres  et  la  terreur  qu'ils  engendrent,  la  douleur  des  faces  convulsées, 
ces  effrayantes  visions  du  chaos  primordial  et  d'une  création  bouillon- 
nante, tout  cela  s  évanouit  comme  un  pénible  et  térébrant  cauchemar  à 
)amais  disparu. 

A  présent,  ses  attirances  vont,  avec  une  préférence  presque  exclu- 
sive, à  la  femme,  à  l'enfance  et  aux  fleurs.  A  ce  qui,  dans  la  nature  et 
l'humanité,  brille  d  éclat  et  de  fraîcheur,  d'aube  douce  et  de  joie  légère. 
Toutes  les  clartés  jetant  sur  la  trame  obscure  du  monde  comme 
un  réseau  doré,  grâce  auquel  la  vie  peut  devenir  non  seulement  sup- 
portable, mais  encore  douée  d'attrait  et  de 
beauté. 

La  double  affection  pour  la  femme  et 
l'enfant,  Redon  n'avait  jamais  cessé  de  la 
ressentir,  même  pendant  l'époque  de  sa 
production  austère  et  la  plus  angoissée  (1). 
Dans  le  courant  de  la  vie  il  éprouvait  pour 
ces  êtres  de  faiblesse  et  de  charme  une  sensi- 
bilité voilée  de  respect,  et  qui  se  témoignait 
par  de  délicats  égards.  Mais  surtout  sa  prédi- 
lection était  marquée  envers  la  jeune  fille, 
où  l'ingénuité  première  se  mêle  à  la  naissante 
séduction  féminine  près  de  bientôt  épanouir. 
Rayonnement  fugitif  d'énigme  virginale,  qui 
toujours  fit  rêver  les  esprits  élevés,  et  battre 
les  cœurs  animés  d'une  pure  tendresse  ! 

Quant  aux  fleurs,  il  lui  était  loisible  de 
fréquemment  en  contempler  les  corolles  écla- 
tantes et  variées,  voire  même  de.  les  faire 
naître  et  de  scruter  leur  vie  intime.  En  effet, 
après  la  perte  si  cruelle  du  Peyrelebade  familial,  il  avait  pu  du  moins 
se  reconstituer  un  asile  champêtre  plus  stable  que  les  villégiatures 
annuelles  en  des  lieux  différents.  C'était   aux  environs  de  Pans,  non 


l'f 


Coll.   de   M""    Redon. 

Dessin  à  l'encre  violette. 


(1)  Voir  :  André  Mellerio,  La  Femme  et  l'Enfant  dans  l'œuvre  d'Odilon  Redon,  L'£srampe 
tl  l'Affiche,   13   février    1898. 


72 


loin  deVersailles,  dans  le  site  paisible  de  la  petite  et  pittoresque  vallée  de 
Jouy-en-Josas.  A  Bièvres,  il  disposait  depuis  1909,  d'une  villa  modeste, 
mais  commode  et  avec  un 
grand  jardin,  que  la  mort 
prématurée  de  sa  belle-sœur 
Juliette  Dodu,  avait  laissée 
vacante.  A  chaque  retour 
de  la  belle  saison,  Redon 
et  les  siens  venaient  s'y 
établir  pour  un  séjour  jdIus 
ou  moins  prolongé.  Au 
bout  de  la  propriété,  l'ar- 
tiste avait  fait  construire 
un  atelier  où  s'isoler,  et, 
dans  le  recueillement  de 
ce  décor  agreste  et  riant, 
rêver  et  travailler. 

Cependant,  la  majeure 
partie  de  son  temps,  se  pas- 
sait au  logis  confortable- 
ment aménagé,  qu'il  occu- 
pait maintenant  dans  une 
grande  avenue  parisienne, 
large  et  bien  aérée,  d'un 
calme  reposant  (1).  A  défaut  de  son  vieux  et  très  aimé  Luxembourg,  li 
retrouvait  au  parc  Monceau  un  coin  de  verdure  discret  et  ombragé,  où  diri- 
ger souvent  sa  promenade  méditative.  II  y  rencontrait  encore  des  enfants, 
et  aussi  des  oiseaux  (2).  Puis,  de  retour  au  logis,  il  se  livrait  à  son  labeur 
d'art,  non  point  fardeau  imposé,  mais  à  son  libre  gré,  et  dans  l'intime  joie 
de  produire.  De  bons  amis  le  venaient  voir  fréquemment,  l'entourant  de 
respect  et  d'affection.  Ce  sont  eux  qui  formaient  également  le  cercle  des 
quelques  réunions  mondaines,  d'une  élégance  aimable  et  sans  vain  apparat, 
qu'il  aimait,  et  où  l'on  goûtait  fort  son  affabilité  ainsi  que  l'intérêt  et  le 


leurs  dans  un  v 


(1)  Ce  fut  la  demeure  définitive  de  Redon  :   129,  avenue  de  Wagram. 

(2)  Voir  une  anecdote  à  cet  égard  :  App.  Note  8. 


73     — 


charme  de  sa  conversation.  Enfin,  quand  dans  notre  ville  au  ciel  souvent 
brumeux,  l'hiver  se  montrait  avec  persistance  revêche  et  gris,  l'artiste 
natif  d  un  pays  ensoleillé,  faisait  une  fugue  vers  le  Midi,  pour  lui  deman- 
_  der  cette   lumière  et  cette 

!  chaleur  qui  sont   l'essence 

même  de  la  vie. 

Ce  furent  pour  Redon 
^"S^  quelques  belles  années  — 

mSS^fc  comme   la    revanche   d'un 

/l«n  4»  m^  longetdurdestin,  enfin  lassé 

^i^_  .jR^  ^^  ^°"  injustice.  Au  bout 

^liwP^'^l^V^  d'une     existence     avancée 

i      lïï             nli^  déjà,  s  il  n'avait  plus  les  illu- 

I      's     '          /M'-W  sions   doucement  rêveuses 

i      i         ^'''     §  ^^  ^^  jeunesse,  il    goûtait 

i                    II                 1;  du  moins  le  sentiment  de 

'      \        '     ^/  \  force  d'un   idéal   mûri,    la 

'  \           "y  pleine  confiance  de  sa  puis- 

sance artistique  et  morale. 
'^  D'autant   qu'en  lui 

/'  résidait  un  esprit  de  pen- 

seur, meurtri  souvent  mais 
aussi  élevé  et  complété  par 
l'expérience  de  sa  carrière 
,_  ^        humaine.     Toujours     son 

«  L'Intelligence  fut  à  mol  !  Je  devins  le  Bouddha...    ■  âme    "   fut     Sincèrement     et 

(Planche  ,irée  l^ifZ^S.ol'j!  '^ain,  4„,o,„c  profoudément  spirîtualiste. 

Non  toutefois  qu'il  ait  cru 
devoir,  pendant  son  existence,  s'astreindre  à  l'observation  stricte  d'un 
dogme  au  rite  exactement  établi.  Si  l'intellectualité  transcendante  de  la 
sagesse  antique,  mêlée  de  stoïcisme,  ne  paraît  pas  l'avoir  essentiellement 
retenu,  il  montra  une  incessante  attirance  pour  la  pitié  miséricordieuse 
de  1  Evangile,    et  la  douceur  mystiquement  résignée  du  Bouddha  (1). 


(I)  Ses  fantaisies  d'ostéologie  eurent,  il  nous  le  dit  textuellement,  "  un  sentiment  quasi  chrétien 
pour  assise».  Leit.  d'Od.  R.  à  Edm.  P.  (15  juin  1894^  —  Quant  aux  effigies  du  Bouddha,  elles 
sont  nombreuses  dans  son  œuvre. 


—     74 


PAbL    StKLbILk 


l'IKRKI.    H(),N\  \Ki' 


malkicl:  uems 


(Lilhooraphics) 


Aussi  sa  philosophie  morale,  innée  si  l'on  peut  dire,  est-elle  empreinte  de 
sereine  clarté  et  de  sympathie  attendrie  pour  toute  souffrance  (I)». 

Or,  il  semblait,  en  sa  robuste  vieillesse,  que  cette  période  dût  se 
prolonger.  C'était  le  couronnement  victorieux  d'âpres  luttes  soute- 
nues et  des  pénibles  épreuves  courageusement  supportées.  Au  sein 
d'un  foyer  familial  heureux  et  paisible,  que  son  travail  ornait  d'ai- 
sance, entouré  d'amis  choisis  et  fidèles,  il  jouissait  enfin  d'une  noto- 
riété légitime,  s'accroissant  de  jour  en  jour... 

C  est  alors  que  le  coup  de  tonnerre  qui  ébranla  la  France,  l'Europe, 
et  l'on  peut  dire  le  monde  entier,  éclata  soudain.  En  août  1914,  avec  une 
rapidité  inconcevable,  dans  un  bouleversement  général  pareil  à  une 
catastrophe  géologique,  se  déchaînait  l'effroyable  lutte  qui  devait  être 
la  Grande  Guerre  ! 

La  guerre  !  Redon  était  de  ceux  qui  l'avaient  connue  —  et  plus, 
qui  1  avaient  faite.  Il  savait  tout  ce  que  ce  seul  mot  contient  d'horreurs 
multiples,  de  désarroi  moral,  de  sang  versé,  comme  aussi  de  haut 
devoir  et  de  mâle  effort.  Jamais  il  n'avait  cru  la  revoir.  Sa  pensée  si 
noble,  son  cœur  toujours  apitoyé  de  la  souffrance  humaine,  sa  confiance 
enfin  dans  les  progrès  d'une  civilisation,  hélas!  plus  apparente  que 
réellement  profonde,  ne  lui  permettaient  point  de  présumer  le  retour 
d  une  telle  barbarie.  D'autant  que  cette  fois,  il  n  en  allait  pas  seulement 
pour  la  France,  comme  dans  la  lutte  de  1870,  de  son  prestige  euro- 
péen et  d'une  situation  hégémonique,  mais  bien  de  son  existence  même 
en    tant  que  nation. 

Cependant,  il  y  avait  plus  encore  pour  Redon.  Si  personnellement, 
la  première  épreuve  s'était  trouvée  par  lui  durement  ressentie,  celle-ci 
s'annonçait  davantage  poignante.  Ce  n'était  plus  lui  qui  entrait 
dans  la  fournaise,  avec  au  moins  l'entrain  et  le  mouvement  de  1  action, 
mais  son  enfant,  sa  chair  vivante,  pour  qui  son  angoisse  ne  pouvait 
rien  !  Et  par  surcroît  un  fils  unique,  élevé  depuis  sa  naissance  avec 
tant  de  soins  inquiets,  aimé  passionnément  et  méritant  de  1  être  ! 

Pourtant  Redon  ni  sa  femme  n'eurent  un  moment  de  faiblesse, 
qui  eut  été  si  compréhensible.  Ils  maîtrisèrent  leur  émotion  profonde, 
la    refoulant    en    eux-mêmes,    par    crainte    d'amollir    le    courage    de 


(I)  A.  M..  Gaz.  des  B.-A.,  p.  143. 

—     75 


celui  qui  partait  avec  tant  de  volonté  et  de  conviction.  Mais  après 
la  séparation  d'An,  quel  vide  immense  à  leur  foyer  !  Et  cela,  ce  fut 
l'héroïsme  des  familles  françaises  ! 

C  est  à  Bièvres,  où  la  famille  s'était  installée  dès  les  beaux  jours, 
dans  le  repos  de  la  campagne,  que  la  tourmente  l'avait  saisie.  Les  parents 
y  restèrent,  vivant  avec  anxiété  les  premières  heures  fiévreuses  de  la 
guerre.  Dans  le  modeste  village  passait  la  ligne  de  Grande  Ceinture, 
mise  en  intense  activité  par  la  mobilisation,  et  oij  se  ressentait  le  contre- 
coup des  formidables  événements  accomplis  au  loin  :  trains  bondés  de 
soldats  partis  en  chantant  et  qu'on  acclamait,  puis  bientôt  convois  de 
blessés  et  de  prisonniers.  Chez  Redon,  l'artiste  ne  pouvait  rester  inactif, 
il  s  intéressait  à  ce  spectacle  mouvementé  sans  cesse  se  renouvelant, 
et  il  trouvait  moyen  d'en  faire  des  dessins. 

Cependant  le  cours  des  choses  se  précipitait.  Aux  éphémères  succès 
du  début  avaient  succédé  les  revers,  et  bientôt  de  redoutables  éven- 
tualités menacèrent  Pans  et  ses  environs.  Vers  la  fin  d'août,  Redon  et 
sa  femme,  emmenés  par  des  amis  avertis,  purent  s'éloigner  de  Bièvres 
et  aller  s  installer  à  Royan.  C'est  là  que,  pendant  plusieurs  semaines,  ils 
demeurèrent  tourmentés  d'inquiétude,  sans  recevoir  aucune  nouvelle 
de  leur  his.  Quel  soulagement  de  301e,  quand  enfin  leur  parvint  tardi- 
vement la  première  missive  ! 

Or,  la  glorieuse  victoire  de  la  Marne  avait  éclairci  l'horizon, 
sauvant  Pans  et  donnant  au  pays  de  grandes  espérances.  Redon  et  sa 
femme  purent  rejoindre  leur  foyer,  dans  la  capitale.  Lui  se  remit  au 
travail,  seul  effort  capable  de  le  distraire  des  angoisses  d'une  guerre 
si  terrible  dès  le  début,  et  qui  par  surplus  menaçait  d'être  longue. 
Ainsi  échappait-il  un  peu  à  l'incessante  préoccupation  des  destinées 
de  la  France  et  du  sort  de  l'enfant  qui  combattait  pour  elle  (I). 

Alors  commença  pour  les  Redon  cette  vie  intimement  douloureuse 
et  aussi  de  courage  endurant,  que  menèrent  les  familles  ayant  quelqu'un 
des  leurs  exposé  au  front.  Ceux-là  seulement  qui  ont  subi  l'épreuve  pour 
leur  compte,  peuvent  la  mesurer  dans  son  étendue  de  souffrance,  et  en 
pénétrer  jusqu'au  fond  la  véritable  agonie  morale.  L'esprit  comme 
le  cœur,  étaient  invinciblement  et  uniquement  concentrés  sur  la  lutte 


(1)  Au  sujet  d'Ari  Redon,  pendant  la  guerre,  voir  :  App.  Note  9. 
-      76      - 


LA    MORT  :    Mon  ironie  dépasse  foutes  les  autres  ! 
(Lithographie) 


lointaine  soutenue  sans  répit  par  ceux  qui  combattaient  pour  le  salut 
de  tous. 

La  correspondance  de  Redon  avec  Ari,  demeure  éminemment 
suggestive  de  cet  état  d  ame.  Que  de  force  de  caractère  dans  ces  encou- 
ragements virils  donnés  au  jeune  soldat  qui  se  bat  !  Mais  que  d'efïusions 
aussi  d  une  tendresse  infinie,  qui  cherche  à  se  contenir,  et  voudrait  se 
voiler  sous  l'apparent  souci  de  menus  détails  matériels.  Elle  éclate 
à  chaque  ligne  écrite  par  le  père  à  son  fils  dans  lequel  il  revit, 
devenu  un  homme  à  son  tour  et  de  plus  un  héros  qu'il  admire.  Enfin 
combien  de  hautes  pensées  sur  l'heure  présente,  et  pour  l'issue  finale 
quelle  confiance  soutenue  par  une  inaltérable  droiture  :  "...Les  idées  font 
d'invincibles  bataillons  (I)   ». 

Après  les  premières  semaines  d'alternative,  on  avait  renoncé  à  la 
croyance  dans  un  dénouement  proche,  si  sanglant  dût-il  être.  On  sup- 
puta ensuite  des  mois,  et  c'était  des  années  qu'il  fallait  compter  ! 
Alors  par  degrés  s'imposa  l'acceptation  résignée  d'une  lutte  démesu- 
rément longue,  dont  on  ne  pouvait  prévoir,  même  par  approxima- 
tion, la  date  ultime. 

Et  l'existence  se  continua  dans  la  vibration  quotidienne  des 
communiqués,  1  attente  sans  fin  avec  1  intermittente  consolation  des 
lettres  du  cher  combattant.  Puis  ce  furent  les  permissions,  la  joie 
ardente  et  presque  folle  de  se  revoir,  hélas  !  trop  vite  passée,  et  dès 
l'arrivée  même  obnubilée  déjà  par  la  poignante  pensée  du  prochain 
départ.  Ainsi  vécut  Redon,  se  réfugiant  dans  le  travail  de  son  art, 
seul  consolateur  possible.  Parfois,  malgré  tout,  en  ses  moments  de 
rêverie,  lui  souriait  l'espoir  intime  du  retour  de  son  fils  sain  et  sauf,  à 
l'heure  glorieuse  de  la  France  enfin  délivrée  et  triomphante  !  Cette 
double  joie,  si  profondément  méritée,  il  ne  devait  pas  1  avoir. 

Au  commencement  de  1916,  après  une  période  longue  sans 
nouvelles  d'Ari,  son  père  allait  voir  une  famille  amie,  où  il  pensait 
recueillir  sur  lui  au  moins  quelques  renseignements  indirects.  La  saison 
était  inclémente,  il  prit  alors  un  refroidissement  et  dut  s'aliter.  Le  mal 
qui  ne  paraissait  point  inquiétant  d'abord,  ne  tarda  pas  à  s  aggraver. 
Malgré  son  âge  avancé,  il  avait  alors  soixante-seize  ans,  telle  était  la 


(1)  Lellre  d'Od.  R.  à  son  fils  (Bièvres,   10  juillet   191  S). 

—    77    — 


robustesse  de  sa  constitution,  qu'elle  résista  assez  longtemps,  même 
avec  des  Intermittences  de  relèvement.  Puis  de  quels  soins  attentifs 
et  inlassés  n'était-il  pas  entouré  par  celle  qui  fut  la  compagne  de  toute 
sa  vie,  et  que  secondaient  en  outre  de  fidèles  amis.  Mais  vainement, 
—  et  le  6  juillet  sans  que  son  fils,  appelé  en  hâte  du  front,  pût  recevoir 
son  suprême  adieu,  il   s'éteignait  doucement. 

Malgré  les  anxiétés  de  l'heure  si  tourmentée,  ce  fut  une  foule 
nombreuse  qui  voulut  lui  rendre  le  témoignage  d'une  haute  estime  et 
d'une  admiration  sincère  (1).  De  tels  sentiments  s  avivaient  encore, 
pour  ceux  qui  l'avaient  approché  de  près,  d'un  intime  regret  au  pro- 
fond de  leur  cœur,  tant  étaient  forts  les  liens  d'affection  par  lesquels 
il  avait  su  les  attacher  et  les  retenir  à  sa  personne... 

Au  sommet  d'une  colline  dominant,  sous  le  ciel  clair,  les  campagnes 
pondérées  de  l'Ile-de-France,  s'étend  le  modeste  cimetière  de  Bièvres. 
C'est  dans  ce  dernier  asile  calme  et  solitaire  que,  son  existence  achevée, 
mais  son  œuvre  lui  survivant,  repose  l'homme,  1  artiste  et  le  penseur 
que  fut  Odilon  Redon. 


(I)   Les  obsèques  de   Redon  eurent  lieu  à  Paris,   dans  l'église  Saint-Charles-de-Monceau, 
puis  son  corps  fut  transporté  ensuite  à  Bièvres  pour  l'inhumation. 


78 


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II 

L'ARTISTE     ET    SON    ŒUVRE 


Nous  avons  vu  les  faits  qui  composent  la  trame  vitale  de  Redon. 
Elle  apparaît  en  somme  d  une  grande  simplicité,  sans  que  surgisse 
aucun  événement  particulièrement  dramatique  ou  extraordinaire. 

Mais  est-ce  bien  là  1  homme  tout  entier?  N'existe-t-il  pas  aussi  une 
sphère  intérieure,  où  se  meuvent  librement  nos  aspirations  secrètes, 
et  qu'anime  le  sentiment  des  activités  que  nous  aurions  souhaitées? 
Ce  rêve  qui  se  réaliserait  sans  les  obstacles  incessants  et  divers  du  monde 
matériel,  ne  doit-il  pas  compter  au  fond,  comme  le  vrai  but  pour  lequel 
chacun  de  nous  avait  été  essentiellement  créé?  Or,  cette  vie  cachée,  on 
peut  dire  que  Redon  l'a  intensément  vécue.  Recueillons-en  de  lui-même 
le  conscient  témoignage  :  "  C'est  dans  la  solitude  que  1  artiste  se  sent 
vivre  énergiquement,  en  profondeur  secrète,  et  que  rien  du  dehors 
mondain  ne  le  sollicite  et  ne  l'oblige  au  déguisement.  C'est  là  qu  li  se 
sent,  se  découvre,  qu'il  voit,  trouve,  désire,  aime,  et  se  sature  de  naturel 
aux  sources  initiales  de  l'instinct;  c'est  là,  plus  qu'en  tout  autre  heu 
social  que  lui  est  donné  le  pouvoir  de  s'exalter  purement,  et  d  illuminer 
de  son  esprit  la  matière  qu'il  ouvre  et  qu  il  déploie  (1).  " 

Cet  œuvre  de  l'artiste,  où  se  révèle  en  s'exténorisant  le  mystère 
des  forces  latentes  contenues  en  lui,  nous  allons  essayer  d  en  accom- 
plir l'exploration. 

Et  d'abord,  il  importera  de  connaître  l'enseignement  reçu  direc- 
tement par  Redon,  comme  aussi  la  voie  indépendante  qu  il  a  voulu  suivre 
pour  sa  formation  personnelle.  Nous  aurons  à  nous  préoccuper  corol- 
lairement  des  sources  où  parfois  son  inspiration  a  puisé.  Ensuite  nous 


(I)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.   121. 

--     79     — 


examinerons  en  détail  les  différents  modes  techniques  dont  il  a  fait 
usage,  nous  efforçant  de  les  caractériser  et  commenter. 

C'est  seulement  après  ce  double  travail  d'analyse,  que  nous  pour- 
rons tenter  une  synthèse  de  l'art  de  Redon,  en  montrant  les  assises  sur 
lesquelles  il  repose,  son  originalité  propre,  et  les  effets  frappants  qui 
en  résultent. 

Enfin  ne  devrons-nous  pas  situer  la  place  de  l'artiste  en  1  esthétique 
contemporaine,  et  proposer,  dans  la  mesure  du  possible,  un  jugement 
conclusif  ? 

L'ÉDUCATION  ET  LA  FORMATION  ARTISTIQUES 
DE  REDON 

A  cet  égard,  rappelons  tout  d'abord,  en  les  développant,  quelques 
détails  de  son  existence  :  "  Fort  jeune,  j'ai  dessiné;  à  onze  ans  j  obtenais 
un  prix  de  dessin  lorsque  je  ne  savais  guère  lire  (  I  )  ".  Non  seulement  dès 
son  enfance  il  a  griffonné  comme  tout  jeune  être,  peut-on  dire,  à  qui 
tombe  sous  la  main  un  crayon,  mais  encore  il  l'a  fait  avec  plus  de  suite 
et  de  réussite  déjà.  Au  cours  de  ses  médiocres  études,  où  il  peinait  sans 
goût  ni  résultats,  son  unique  succès  est  remporté  dans  la  branche  qui 
doit  devenir  la  vocation  de  sa  vie.  Ce  n'était  pourtant  encore  que  de 
bien  infimes  notions  qu'il  recevait,  et  fort  banalement  inculquées  : 
«  J'avais  copié  les  lithographies  d'alors  selon  les  premiers  modes 
de  la  hachure  (2).  " 

Mais  ultérieurement,  il  lui  sera  donné  un  enseignement  davantage 
développé,  et  notamment  de  plus  de  valeur.  Par  un  hasard  heureux,  celui 
qui  fut  appelé  à  devenir  vraiment  son  premier  maître,  sans  être  un 
grand  artiste,  possédait  du  moins  quelque  talent  et  connaissait  son 
métier.  Puis  surtout,  chose  rare,  sa  pédagogie  demeurait  soucieuse  de 
respecter  la  personnalité  chez  le  jeune  élève  qu'on  lui  avait  confié. 
Il  s'efforçait,  non  de  le  plier  à  de  rigides  théories  doublées  de  pratique 
routinière,  mais  bien  plutôt  de  l'aider  à  se  dégager  lui-même  en   lui 


(1)  Lett.  dOo.   R.  à  Edm.  P.  (13  juin  1894). 

(2)  Od.  r..  a  s.  m.,  p.   16. 


Étude   (Dessin  à  l'encre  de  Chine). 
—     8l      — 


ouvrant  les  vastes  horizons  de  l'art.  "  Vers  l'âge  de  quinze  ans,  on 
me  donna  pour  le  dessin  un  professeur  libre,  chez  qui  j  allais  travailler 
les  jours  de  sortie.  Il  était  aquarelliste  distingué  et  très  artiste.  Son 
premier  mot  —  je  m'en  souviendrai  toujours  —  fut  de  m'aviser  que  je 
l'étais  moi-même,  et  de  ne  me  permettre  jamais  de  donner  un  seul  trait 
de  crayon  sans  que  ma  sensibilité  et  ma  raison  ne  fussent  présentes. 


^0  A-^ 


.  ^=^^  ^ 


s-t,::  ■■■■ 


Morgat   (Dessin  à  la  mine  de  plomb). 


Coll.  de  M'"-  Redon. 


Il  me  fit  faire  des  études  qu'il  appelait  études  sur  nature,  où  je  ne  devais 
traduire  que  ce  qui  m'était  motivé  par  les  lois  de  la  lumière  et  de  la 
statique.  Il  avait  horreur  de  ce  qui  s'exécute  de  pratique.  Il  apportait 
dans  1  analyse  des  copies  qu'il  me  faisait  faire  un  sens  pénétrant  et  subtil 
des  procédés,  une  clairvoyance  à  les  décomposer  et  les  expliquer,  qui 
m  étonnaient  beaucoup  alors,  et  que  je  comprends  aujourd'hui.  Il 
possédait  des  aquarelles  des  maîtres  anglais  qu'il  admirait  beaucoup. 
Il  m  en  fit  faire  des  copies. 

"  Très  indépendant,  il  me  laissait  aller  à  mes  sympathies.  Il  considé- 
rait comme  un  bon  augure  les  frissons  et  les  fièvres  que  me  donnaient  les 

—    82    — 


toiles  exaltées  et  passionnées  de  Delacroix.  En  ce  temps-là,  il  y  avait 
en  province  des  expositions  ouvertes  à  des  envois  nombreux  des  grands 
artistes.  C'est  ainsi  que  je  pus  voir  à  Bordeaux  des  œuvres  de  Millet, 
Corot,  Delacroix,  les  débuts  de  Gustave  Moreau.  Mon  professeur  me 
parlait  devant  elles  en  poète  qu'il  était,  et  ma  ferveur  en  redoublait.  Je 
dois  à  mon  enseignement  libre  beaucoup  des  premières  poussées  de 


^5 


■ih 


Coll.  de  M"'   Redon. 

Etude  de  centaures   (Dessin  à  la  mine  de  plomb). 

mon  esprit,  les  meilleures  sans  doute,  les  plus  fraîches,  les  plus  décisives  ; 
et  je  crois  bien  qu'elles  valurent  pour  moi  beaucoup  mieux  que  l'ensei- 
gnement d'une  école  d'Etat  (1).   » 

Telle  était  la  substance  de  cette  initiation  intelligente,  et  par  cela 
même  féconde,  dont  les  principes  demeurèrent  indélébiles  dans  le 
souvenir  de  l'élève  devenu  homme  et  à  son  tour  artiste.  "  Je  ne  me  suis 
guère  départi,  depuis,  des  influences  de  ce  premier  maître  romantique 
et  enthousiaste,  pour  qui  l'expression  était  tout,  et  Veffet  une  attirance 


(I)  On.  R.,  A  S.  Al,  p.  17. 

-     83     — 


ou  subterfuge  d'art  indispensable.  C'est  avec  lui  que  j'ai  connu  la  loi 
essentielle  de  création;  j'entends  la  loi  de  constitution,  ses  mesures, 
ses  rythmes,  cet  organisme  d'art  qui  ne  peut  être  appris  par  règles  ni 
formules,  mais  qui  se  transmet  et  se  communique  par  la  communion 
du  maître  à  1  élève  ensemble  au  travail.  Le  bon  démon  me  prit  ainsi. 
Quand  ce  sens  me  fut  révélé,  j'eus  hâte  de  me  laisser  aller  à  la  joie  de 
m  épancher  en  des  esquisses.  Et  c'était  vraiment  par  un  effort  de  raison, 
de  devoir,  presque  de  vertu,  quand  il  fallait  me  mettre  objectivement 
à  l'étude;  je  préférais  tenter  la  représentation  des  choses  imaginaires  qui 
me  hantaient  et  où  j'échouais  infructueusement  au  début.  J  en  fis 
cependant  beaucoup  :  paysages,  batailles,  évocations  d'êtres  épars  dans 
des  plaines  rocheuses,  tout  un  monde  de  désespérance,  noires  fumées 
du    romantisme    qui    m'embrumaient    encore. 

«  Je  fis  aussi  des  dessins  d'après  des  estampes,  ceux-ci  avec  un 
réel  plaisir  (1).  » 

Et  ce  travail  plein  d'enthousiasme  s'accomplissait  dans  un  cadre 
autrement  seyant  que  la  sombre  géhenne  de  ses  études  classiques  si 
mornes  et  peu  fructueuses.  C'est  allègrement  qu'il  se  dirigeait  vers 
r  «  atelier  entouré  à  profusion  des  fleurs  d'un  jardin  hors  ville,  dans 
le  silence  de  la  solitude,  et  sous  le  jour  d'une  large  baie  donnant 
lumière  à  la  lisière  d  un  petit  bois  (2)  ». 

Ce  premier  maître  se  nommait  Gorin.  Il  ne  fut  point  notable  à  son 
époque,  et  n'a  guère  laissé  de  souvenir.  A  Pans,  où  il  avait  tenté  la 
fortune,  elle  ne  dut  pas  lui  être  propice,  car  il  avait  abandonné  sans 
esprit  de  retour  la  capitale  "  et  ses  fatigues  après  quelques  déboires  (3)  ». 
Puis  retiré  définitivement  à  Bordeaux,  il  partageait  son  temps  entre 
l'enseignement  et  un  labeur  sans  éclat.  Redon,  lors  de  ses  séjours  dans 
cette  ville,  ne  manquait  jamais  d'aller  voir  son  ancien  professeur, 
auquel  l'attachait  une  reconnaissance  mêlée  d'estime  et  d'affection. 

Ce  fut  certainement  pour  le  jeune  artiste  futur  une  bienfaisance  du 
destin  d'avoir  rencontré  à  ses  débuts  un  pareil  guide.  Entre  quinze  et 
dix-huit  ans,  à  l'heure  décisive  de  l'existence,  où  s'éveille  la  person- 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  18. 

(2)  Od.  R..A  S.  M.,  p.  19. 

(3)  Od.  r.,  a  s.  m.,  p.  19. 


-     84 


L'oeil,   comme   un   ballon   bizarre,   se  dirige  vers  I  iiiliiii...     tLithu^rupliic.) 

(Plancbt  tirée  de  lalbum  A  iVjor  Por) 


nalité,  il  put  de  la  sorte  acquérir  quelques  bases  solides.  Et  sur  celles-ci 
viendra  s  appuyer  son  effort,  lorsque  plus  tard,  s'évadant  d'un  stérile 
enseignement  officiel,  il  poursuivra,  solitaire  et  incertain,  l'acfiè- 
vement  de  son  entière  formation. 

Ainsi  que  nous  l'avons  vu,  si  la  famille  de  Redon  ne  mit  point 
d  opposition  à  sa  carrière  d'artiste,  elle  avait  imposé  tout  au  moins  un 
but  précis,  qui  lui  paraissait  susceptible  de  résultats  profitables  :  il 
devait  être  architecte.  De  là  pour  le  jeune  homme,  lorsqu'il  vint  à  Pans, 
la  nécessité  d'un  enseignement  spécial,  qu'il  suivit  d'ailleurs  réguliè- 
rement. «  A  dix-sept  ans  j'entrepris,  avec  peu  de  foi  et  seulement  au  gré 
de  mes  parents,  l'étude  de  l'architecture.  J'ai  travaillé  journellement  chez 
un  architecte  de  talent,  quelque  temps  aussi  chez  Lebas  (1).  J'ai  fait 
beaucoup  de  géométrie  descriptive,  des  masses  dépures,  toute  une 
préparation  en  vue  de  l'Ecole  dite  des  Beaux-Arts,  où  j'ai  échoué  dans 
les  examens  oraux  (2).  »  Entre  temps,  quelques  tentatives  aussi  "  de 
sculpture  durant  une  année  à  Bordeaux,  dans  l'atelier  particulier  du 
professeur  de  la  ville.  J'ai  touché  là  cette  matière  exquise,  douce  et 
souple  qu  est  la  terre  glaise,  en  m'essayant  à  des  copies  de  morceaux 
antiques  (3)  ». 

Alors  succéda  une  période  pénible  de  son  apprentissage  d'artiste. 
Ce  fut  1  essai  loyal  mais  douloureusement  infructueux,  de  se  conformer 
aux  méthodes  qu'imposait  la  pédagogie  officielle."  ...A  l'atelier  X.  (4),  je 
fis  un  grand  effort  dans  l'application  à  rendre  des  formes;  ces  efforts 
furent  vains,  inutiles,  sans  portée  ultérieure  pour  moi...  J'étais  mû,  en 
allant  à  1  Académie,  par  le  désir  sincère  de  me  ranger  à  la  suite  des  autres 
peintres,  élève  comme  ils  l'avaient  été  et  attendant  des  autres  l'appro- 
bation et  la  justice.  Je  comptais  sans  la  formule  d'art  qui  devait  me 
conduire,  et  j'oubliais  aussi  mon  propre  tempérament.  Je  fus  torturé 
par  le  professeur.  Soit  qu'il  reconnût  la  sincérité  de  ma  disposition 
sérieuse  à  1  étude,  soit  qu'il  vît  un  sujet  timide  de  bonne  volonté,  il 
cherchait  visiblement  à   m'inculquer  sa  propre  manière  de  voir  et  à 


(1)  Lf.bas  (Hippolyte),  architecte  français,  né  à  Paris  (1782-1867). 

(2)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  22. 

(3)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  22. 

(4)  C  était  l'atelier  du  peintre  Gérome. 

—     86     — 


LA  PREMIERE  CONSCIENTE  ni'  CHAdS 


faire  un  disciple  —  ou  à  me  dégoûter  de  l'art  même.  Il  me  surmena, 
fut  sévère;  ses  corrections  étaient  véhémentes  à  tel  point  que  son 
approche  à  mon  chevalet  éveillait  chez  mes  camarades  une  émotion. 
Tout  fut  vam. 

Il  me  préconisait  d'enfermer  dans  un  contour  une  forme  que  je 
voyais,  moi,  palpitante.  Sous  prétexte  de  simplification  (et  pourquoi?), 
il  me  faisait  fermer  les  yeux  à  la  lumière  et  négliger  la  vision  des  subs- 
tances. Je  n'ai  jamais  pu  m'y  contraindre.  Je  ne  sens  que  les  ombres, 
les  reliefs  apparents;  tout  contour  étant  sans  nul  doute  une  abstraction. 
L'enseignement  qu'on  me  donna  ne  convenait  pas  à  ma  nature.  Le  pro- 
fesseur eut  de  mes  dons  naturels  la  plus  obscure,  la  plus  entière  mécon- 
naissance. Il  ne  me  comprit  en  rien.  Je  voyais  que  ses  yeux  volontaires 
étaient  clos  devant  ce  que  voyaient  les  miens.  Deux  mille  ans  d'évolution 
ou  de  transformation  dans  la  manière  de  comprendre  l'optique  sont 
d  ailleurs  peu  de  chose  à  côté  de  l'écart  créé  par  nos  deux  âmes  contraires. 
J  étais  là,  jeune,  sensible  et  fatalement  de  mon  temps,  à  écouter  je  ne  sais 
quelle  rhétorique  issue  on  ne  sait  comment  des  œuvres  d'un  certain 
passé.  Ce  professeur  dessinait  avec  force  une  pierre,  un  fût  de  colonne, 
une  table,  une  chaise,  un  accessoire  inanimé,  un  roc  et  toute  la  nature 
inorganique.  L'élève  ne  voyait  que  l'expression,  que  l'expansion  du 
sentiment  triomphant  des  formes.  Impossible  lien  entre  eux  deux, 
impossible  union  ;  soumission  qui  eût  amené  1  élève  à  être  un  saint, 
ce  qui  était  impossible  (I).  » 

Or,  dans  cette  rébellion  qu'on  peut  dire  tout  instinctive,  rien 
qui  soit,  remarquons-le  bien,  prémédité  ni  consciemment  voulu.  Ce 
n'est  pas  à  plaisir  que  l'élève  résiste  et  se  redresse.  De  sa  part,  aucun  défi 
audacieux  et  insolent  d'un  orgueil  anarchique  :  "  Peu  d'artistes  ont  dû 
souffrir  ce  que  j'ai  vraiment  souffert  dans  la  suite,  doucement,  pa- 
tiemment, sans  révolte,  pour  me  ranger,  ainsi  que  les  autres,  dans  la  lignée 
ordinaire.  Les  envois  au  Salon  qui  suivirent  cet  enseignement,  ou 
plutôt,  cet  égarement  d'atelier,  eurent,  vous  le  pensez  bien,  le  même 
sort   que   mes    travaux    d'élève.    J'ai    persévéré    dans    cette    impasse 


(1)   Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  22.  —   Voir  sur   l'enseignement   professé   par  Gérome  :    App. 
Note  10. 

-      87      - 


trop  longtemps  ;  la  conscience  d'une  conduite  ne  m  était  pas  encore 
venue  (1).  " 

Cette  faculté  de  se  diriger  lui  vint  petit  à  petit,  grâce  à  la  puis- 
sance d'un  tempérament  qu'on  pouvait  comprimer  mais  non  réduire. 
Les  propensions  qui  étaient  vraiment  siennes  ne  cessèrent  jamais,  secrè- 
tement d'abord  puis  ouvertement,  de  s'affirmer  et  de  s  accentuer. 
Car  si  Redon  n'était  point  de  parti-pris  le  contempteur  de  toute  auto- 
rité, il  lui  semblait  ne  devoir  en  accepter  aucune  dépourvue  de  titre 
réel  et  légitime.  Il  possédait  la  force  simple,  toutefois  très  grande, 
des  âmes  qui,  dans  leur  profondeur,  sentent  une  foi  ardente  et  invin- 
cible, capable,  à  un  moment  donné,  de  prononcer  son  :  non  possumus 
sans  réplique.  Non,  en  toute  sincérité,  il  ne  pouvait  pas.  Et  un  élan, 
supérieur  même  à  son  effort  voulu  d'application,  1  empêchait  de  s  anni- 
hiler! De  plus  en  plus,  abandonnant  la  route  vulgaire  et  ingratement 
stérile,  le  voici  qui  s'engage  dans  sa  voie  véritable,  davantage  ardue 
certes,  mais  entièrement  à  lui.  «  On  m'a  fait,  par  cet  éloignement  où 
l'on  m'a  laissé,  distinct  des  autres  et  indépendant...  J'ai  été  amené  à 
l'isolement  où  je  suis  par  l'impossibilité  absolue  de  faire  autrement 
l'art  que  j'ai  toujours  fait.  Je  ne  comprends  rien  à  ce  qu'on  appelle  des 
concessions  ;  on  ne  fait  pas  l'art  qu'on  veut  (2).  » 

Plus  tard,  c'est  nettement  et  très  consciemment  qu'il  pourra  résumer 
ainsi  la  genèse  de  sa  personnalité  :  «  En  somme  je  me  suis  fait  seul, 
comme  j'ai  pu,  et  parce  que  je  ne  trouvais  pas,  dans  1  enseignement  que 
j'essayais  de  recevoir,  mon  vrai  régime  (3).  » 

Mais  déjà  quelques  idées  directrices,  pour  ainsi  dire  innées  en  lui, 
servent  de  phares  éclairants  à  cet  autodidactisme  involontaire.  Tout 
d'abord  il  a  le  sentiment  de  l'appel  mystérieux  d'en  haut,  qui  enfante 
et  justifie  une  vocation  irrésistible  :  «  On  ne  sait  point,  on  ne  saura 
jamais,  ce  qui  fait  que  celui-ci  devient  un  artiste,  cet  autre  un  finan- 
cier, ou  un  fonctionnaire,  bien  que  partis  ensemble,  auréolés  des 
mêmes  virtualités.  C'est  là  un  point  insondable,  irréductible.  La 
fortune    ou    la    pauvreté    n'y    sont    pas  un  obstacle  :   on  a  son   âme 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  24. 

(2)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  24. 

(3)  Od.  r..  a  s.  m.,  p.  22. 


partout;  on  dispose  d'une  matière  partout.  C'est  affaire  de  conduite 
intérieure,  hors  des  faiblesses  de  la  vanité  ou  des  égarements  de  l'orgueil. 
Il  y  a  des  artistes  de  génie  dans  la  misère,  il  y  en  a  d'autres  dans  l'opu- 


Un  étrange  Jongleur  I Lithographie)- 

(Planche  tirée  de  Y Hommagf  à  Goya.) 


lence.  La  fin  d'une  destinée  est  en  soi-même;  elle  suit  des  chemins 
cachés  que  le  monde  ne  sait  pas;  ils  sont  remplis  de  fleurs  ou 
d'épines  (1).  >' 


(I)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  26. 


89 


Or,  cet  élu,  à  quelles  marques  le  reconnaîtra-t-on,  et  en  quoi  sera- 
t-il  difïérent  des  autres  ?  «  L'artiste  est,  au  jour  le  jour,  le  réceptacle 
des  choses  ambiantes;  il  reçoit  du  dehors  des  sensations  qu'il  transforme 
par  voie  fatale,  inexorable  et  tenace,  selon  soi  seul.  Il  n'y  a  vraiment 
production  que  lorsqu'on  a  quelque  chose  à  dire,  par  nécessité  d  expan- 
sion   (I).    » 

Et  quand  Redon  aura  vécu,  œuvré  aussi  par  lui-même,  il  pourra  en 
toute  vérité,  se  rendre  ce  témoignage  :  "  Je  crois  avoir  eu  le  souci  de  la 
conduite  de  mes  facultés;  je  me  suis  cherché  avec  conscience  sous  les 
éveils  et  la  croissance  de  ma  propre  création,  et  dans  le  désir  de  la  pré- 
senter parfaite,  c'est-à-dire  entière,  autonome,  ainsi  qu'elle  devait 
l'être  pour  elle-même  (2).   " 

A  ses  tout  premiers  travaux,  sous  la  direction  de  Gorin,  le  jeune 
artiste  s'était  livré  beaucoup  et  avec  un  penchant  intime,  à  des  ébau- 
ches purement  Imaginatives.  Mais,  ses  forces  grandissant,  il  eut 
l'ambition  d'atteindre  aussi  l'expression  analytique  et  précise  du  monde 
objectif.  De  là  une  véritable  lutte  entre  deux  courants  opposés 
dont  il  ne  devait  que  bien  plus  tard,  dans  son  œuvre  mûrie,  opérer 
l'entière  synthèse.  Et  ce  lui  fut  un  pénible  dissentiment  d  aspirations, 
tant  il  est  difficile  de  s'équilibrer  entre  ces  pôles  extrêmes,  lorsqu'on 
prétend  tout  ensemble  s'appuyer  fortement  sur  l'un  et  1  autre.  Des 
essais  alors  tentés,  du  but  poursuivi  et  lentement  dégagé,  le  processus 
a  été  par  Redon  lui-même,  exactement  retracé. 

"  Qu'est-ce  qui  me  rendit,  au  début,  la  production  difficile  et  la  fit 
SI  tardive?  Serait-ce  une  optique  ne  concordant  pas  avec  mes  dons? 
Une  sorte  de  conflit  entre  le  cœur  et  la  tête?  je  ne  sais  (3).  "  "  ...  Avais-je 
un  tempérament  de  dessinateur  ou  de  peintre  (4)  ?  A  quoi  bon  le  chercher 
maintenant?  Le  discernement  assez  vain  qu'a  fait  la  pédagogie  de  ces 
deux  modes  importe  assez  peu.  Cependant,  par  analyse,  nous  les  dis- 
tinguons. La  pratique  du  dessin  me  vint  plus  tard,  appelée  par  la  volonté, 
lentement,    presque    douloureusement.    J'entends    ici,    par    dessin    le 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  24. 

(2)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  24. 

(3)  Od.  r.,  a  s.  m.,  p.  26. 

(4)  Nous  devrons  noter  que  ceci  fut  écrit  avant  la  dernière  période  de  la  vie  de  l'artiste,  où 
ses  qualités  de  peintre  éclatèrent  si  vivement. 


90 


pouvoir  de  formuler  objectivement  la  représentation  des  choses  ou  des 
personnes  selon  leur  caractère  en  soi.  J'yai  toujours  tendu  à  titre  d'exer- 
cice, et  parce  qu'il  est  néces- 
saire d  évoluer  dans  l'élément 
le  plus  essentiel  de  l'art  qu'on 
exerce;  mais  j'obéissais  aussi 
à  1  incitation  de  la  ligne  seule 
—  de  même  que  je  cédais  au 
charme  du  clair-obscur.  Je 
me  SUIS  encore  efforcé  de  réa- 
liser par  le  menu,  avec  la 
plus  grande  part  de  détails 
visibles,  et  avec  relief,  un 
morceau,  un  détail  fragmen- 
taire. C'était  l'étude  qui 
m  attirait  le  plus  sans  me 
préoccuper  de  son  utilité. 
Ces  fragments  m'ont  servi 
bien  des  fois  depuis,  à 
reconstituer  des  ensembles, 
et  même  à  en  imaginer. 
C'est  là  le  mystérieux  che- 
min de  l'effort,  et  du  pro- 
duit, dans  l'acheminement 
d'une  destinée,  il  est  quel- 
quefois décisif  et  très  déter- 
miné chez  les  uns;  il  fut 
souvent  troublé  et  inquiet 
chez  moi  ;  mais  jamais  je 
ne  perdis  de  vue  une  fin 
plus  haute  (I).  "  Et  il  affirme  derechef,  indiquant  même  la  date 
précise  de  cette  crise  intérieure  :  "  Mon  aptitude  contemplative  me 
rendit    douloureux    mes    efforts    vers  une   optique.   A   quel    moment 


Petite  Madone   ( Eau-forlc). 


(1)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  24. 


91 


suis-je  devenu  objectif,  c'est-à-dire  assez  regardeur  des  choses, 
assez  voyant  de  la  nature  en  soi,  pour  aller  à  mes  fins  et  m'ap- 
proprier  des  formes  visibles?  Ce  fut  vers  1865  (1).  »  Encore  cette 
évolution  obscure  et  longue  ne  se  termina-t-elle  qu'au  bout  de 
plusieurs  années,  et  sous  le  coup  d'événements  dont  nous  avons 
indiqué  tout  le  retentissement  dans  la  vie  de  l'artiste  :  «  Mon  ori- 
ginalité... parut  plus  tard,  après  trente  ans,  c'est-à-dire  après  la  guerre 
de  1870  (2).  » 

Mais  tandis  que  Redon  s'appliquait  avec  effort  et  persévérance 
à  discerner  ce  qu'il  sentait  bouillonner  en  lui  confusément,  il  ne  demeu- 
rait point  dans  une  oisiveté  inactive.  A  défaut  d  une  direction  vivante 
qu'il  ne  rencontrait  pas  chez  ses  contemporains,  il  en  recherchait  avi- 
dement une  autre,  plus  élevée  certes,  mais  difficile  à  saisir  et  à  suivre, 
SI  bien  doué  que  soit  un  artiste,  quand  il  est  jeune  encore  et  isolé.  C'est 
l'éducation  qui  émane  des  Maîtres  du  passé.  Dans  les  musées,  devenus 
pour  le  jeune  disciple  comme  des  sanctuaires,  il  se  livrait  à  de  longues 
contemplations  ainsi  qu  à  des  méditations  réfléchies  des  chefs-d'œuvre, 
afin  de  pénétrer  1  essence  même  de  leur  inspiration.  De  plus,  il  faisait 
avec  attention  et  scrupule  de  soigneuses  copies,  afin  de  mieux  analyser 
et  comprendre  toutes   les   ressources  techniques  du  métier. 

De  ces  gloires  vénérées,  il  en  est  trois  pour  qui  Redon  éprouva 
toujours  une  admiration  passionnée,  presque  un  culte  :  «  Léonard 
de  Vinci,  Rembrandt  et  Durer.  Grands  génies  qu'on  peut  creuser 
sans  cesse  plus  avant  sans  en  jamais  trouver  le  fond  ! 

«  Vinci  fut  dévoré  de  curiosités  intellectuelles.  Ses  énigmatiques, 
mais  cependant  très  réelles  figures,  d'un  fini  si  soigné,  demeurent 
fascinatrices.  N'a-t-il  pas  su  mettre  sur  des  lèvres  demi-closes  de  femme, 
un  sourire  mystérieux  et  divin  qui  fit  rêver  tant  de  générations...  Et 
ses  personnages  vivent  dans  le  sfiimato,  sorte  de  pénombre  subtile  qui, 
tout  ensemble,  les  révèle  et  les  dissimule.  —  ...Esprit  de  penseur 
avant  tout,  ce  Vinci  qui  fut  à  la  fois  —  et  savant  et  artiste. 

«  Rembrandt!  Chez  le  maître  hollandais,  quelle  profonde  humanité 
se  mêle  au  mystérieux  de  l'ambiance!  Lui  aussi  réfléchit  et  médite,  mais 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  25. 

(2)  Lell.  dVd.  R.  à  Edm.  P.  (13  juin  1894). 


—     92     — 


r^i^ 


ANGK    DECHU 


avec  quelle  émotion  grave,  tandis  que  joue  une  lueur  blonde  à  travers 
les  opacités  des  sombres  logis  d'Amsterdam.  Combien  apparaît  magi- 
quement sublimisateur  ce  rayon  de  soleil,  qui  fait  reluire  jusqu'à  des 
détritus  comme  transmués  en  pierres  précieuses.  Car  si  les  sujets  furent 
simples,  pris  tout  à  côté  de  l'artiste,  parfois  même  dans  l'humble  vulga- 
rité, ils  revêtent  l'empreinte  magnifiante  d'un  sentiment  biblique  et 
essentiellement  chrétien.  C'est  là  ce  qui  donne  une  vie  palpitante  au  clair- 
obscur  où  se  déroulent  en  péripéties  infiniment  nuancées  les  oppositions 
de  la  lumière  et  de  l'ombre.  Ainsi  luttent  ensemble  dans  un  duel  iné- 
luctable et  éternel,  le  Bien  et  le  Mal,  la  Science  et  l'Ignorance,  le  Beau 
et  la  Laideur.  Comme  on  révère  le  haut  pontife  d'une  religion  suprême, 
Redon  s'incline  devant  le  grand  artiste... 

«  La  trilogie  se  complète  par  un  homme  au  tempérament  concentré, 
ayant  parfois  de  puissantes  envolées  :  Albrecht  Diirer...  L'œuvre  célèbre  : 
la  Mélancolie.  C'est  une  figure  de  femme  assise,  et  gravement  rêveuse, 
tandis  qu  autour  d  elle  sont  amoncelés  des  objets  nombreux  et  dispa- 
rates, d  un  dessin  précis  et  incisif  comme  le  ciselé  d'une  armure.  On  y 
retrouve  ce  mélange  d  esprit  bien  allemand  où  voisinent  une  réalité 
terre-à-terre  et  la  songerie  éthérée.  Puis,  c  est  l'intérêt  profond  porté 
à  ce  mystère  final  de  la  mort  souveraine,  cachée  mais  toujours  présente 
sous  l'aspect  des  choses  les  plus  banales  et  familières  (I).  » 

Ajoutons  qu'à  côté  des  anciens,  un  maître  lui  aussi  parmi  les 
modernes  eut  le  privilège  d'émouvoir  profondément  Redon  et  de  con- 
tribuer à  sa  formation  :  c'est  Delacroix.  «  ...Ame  toute  de  mouvement 
et  de  fougue,  dont  la  passion  allait  jusqu'à  la  fièvre.  Cependant  très 
connaisseur  et  soucieux  des  ressources  techniques  de  l'art,  demeurant 
ordonné  même  dans  les  plus  grands  élans  de  son  imagination...  Esprit 
très  largement  compréhensif  et  qui,  dans  son  Journal,  apparaît  à  tous 
points  de  vue  comme  une  des  personnalités  éminentes  du  siècle  (2).  » 

Enfin,  il  est  un  artiste  dont  l'exemple  et  la  conversation  influèrent 
certainement  sur  Redon  —  c'est  Bresdin.  Nous  avons  vu  comment  se 
nouèrent  entre  eux  d'intimes  relations,  qui  furent  principalement  fré- 
quentes à  Bordeaux,  entre  1863  et  1870. 


(1)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  35  à  37. 

(2)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  37. 


—     93 


»  Bresdin  me  dit  une  fois,  sur  un  ton  d  autorité  douce  :  "  Voyez  ce 
"  tuyau  de  cheminée,  que  vous  dit-il  ?  Il  me  raconte  à  moi  une  légende. 
«  Si  vous  avez  la  force  de  le  bien  observer  et  de  le  comprendre,  ima- 
«  ginez  le  sujet  le  plus  étrange,  le  plus  bizarre,  s  il  est  basé  et  s'il 
«  reste  dans  les  limites  de  ce  simple  pan  de  mur,  votre  rêve  sera 
«  vivant.  L'art  est  là.  >'  Bresdin  me  tenait  ce  propos  en  1864.  J'en  note 
la  date  parce  que  ce  n'est  pas  ainsi   qu  on  enseignait  en  ce  moment-là. 

"  Je  me  déclare  heureux  aujourd'hui  d'avoir  entendu  jeune,  d'un 
artiste  très  original  et  entier  que  j  aimais  et  admirais,  ces  paroles  peu 
subversives  que  je  comprenais  si  bien,  et  qui  confirmaient  ce  que  je 
pressentais  moi-même.  Elles  donnent,  sous  une  forme  apparemment 
bien  simple,  les  préliminaires  du  haut  enseignement.  Elles  ouvrent  la 
vue  du  peintre  sur  les  deux  mondes  de  la  vie,  sur  deux  réalités  qu  il 
est  impossible  de  séparer  sans  amoindrir  notre  art  et  le  priver  de  ce 
qu  il  peut  donner  de  noble  et  de  suprême.  —  Les  artistes  de  ma  géné- 
ration, pour  la  plupart,  ont  assurément  regardé  le  tuyau  de  cheminée. 
Et  ils  n  ont  vu  que  lui.  Tout  ce  qui  peut  s'ajouter  au  pan  de  mur  par 
le  mirage  de  notre  propre  essence,  ils  ne  l'ont  pas  donné  (1).    ' 

Puis  c  était  la  manière  d'inculquer  de  tels  conseils,  non  pédante  et 
formaliste,  mais  si  libre  et  vivante  :  "  Le  naturel  de  ses  propos  donnait  de 
bons  avis  qu  on  recueillait  sans  les  fatigues  d'un  enseignement  grave. 
Tout  prenait  avec  lui  une  forme  légère  pour  vous  amener  à  réfléchir 
et  souvent  même  avec  un  sourire.  C'était  un  véritable  humour  (2).  >' 

Or  que  préconisait  encore  Bresdin?  "  Il  ne  comprenait  et  n'aimait 
pas  1  art  académique.  Il  s'indignait  qu'un  certain  maître  eût  parlé  de 
probité  a  propos  du  dessin  (3).  ""La  couleur,  c'est  la  vie  même,  disait-il, 
elle  anéantit  la  ligne  sous  son  rayonnement.  »  Et  l'on  sentait  que  ses 
convictions  sur  ce  point  ne  relevaient  que  de  lui  seul,  et  du  culte  qu'il 
portait  à  l'invention  naturelle,  instinctive  (4). 

De  semblables  souvenirs  amènent  Redon,  très  naturellement,  à 
exposer  ses  idées  sur  ce  que  doit  être  une  éducation  artistique  vrai- 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  126. 

(2)  Od.  R,  a  s.  m,  p.  129. 

(3)  Redon  fait  ici  allusion  au  mot  que  Ton  cite  souvent  de  la  part  d'Ingres  :  "  Le  dessin,  c'est 
la    probité    de    l'art.    ' 

(4)  Od.  r..  a  s.  m.-,  p.  129. 


94 


...^ell.  ■^. 


>     .'^^ 


PORTRAIT   DE   M.   O.   SAINSÈRE 


ment  féconde  :  "  Hélas,  comme  ce  que  j'écoutais  auprès  de  lui 
contrastait  avec  ce  qu'on  entendait  dans  les  écoles  !  Quel  enseigne- 
ment avons-nous  reçu?...  Est-il  possible,  au  cours  de  la  tournée  que  fait 
le  professeur  à  I  atelier,  parmi  les  élèves  devant  le  modèle,  est-il  pos- 
sible de  donner  à  chacun  la  bonne  parole,  la  fertile  parole,  celle  qui 
ensemencera  chaque  front  selon  sa  loi  particulière?  Non,  difficilement. 
En  tout  élève,  en  tout  enfant,  n'y  a-t-il  pas  un  mystère,  le  mystère 
surprenant  de  ce  qui  va  être?  Et  le  professeur  aura-t-il  le  tact  assez 
docile,  la  perspicacité  assez  fine  et  divinatrice  pour  mettre  en  floraison 
fertile  les  premiers  bégaiements  de  son  élève? 

«  Celui  qui  professe,  après  tout,  ne  veut  que  continuer  l'action  des 
maîtres,  mais,  hélas!  et  même  seulement  pour  la  transmettre,  il  n'a  pas 
leurs  procurations.  Il  se  les  octroie  bien  comme  il  peut,  tant  bien  que 
mal,  comme  le  grammairien,  par  l'analyse  de  belles  œuvres  du  passé 
que  le  temps  a  consacrées,  mais  il  n'acquiert  là  qu'une  expérience 
abstraite,  toute  en  formules,  où  il  manque  l'autorité  prenante  de  l'amour. 
Or  il  faut  aimer  pour  croire,  et  il  faut  croire  pour  agir  :  le  meilleur  ensei- 
gnement sera  donc  reçu  de  celui  seul  qui  aura  déjà  touché  l'apprenti 
d'une  sorte  de  révélation  créatrice,  issue  de  la  beauté  de  ses  propres 
œuvres. 

«  Il  n'en  est  pas  ainsi  aujourd'hui  (I).  " 

C'est  ainsi  pourtant  qu'il  en  fut  jadis,  et  —  nous  émettons  ce 
souhait  —  qu'il  peut  en  être  de  nouveau  dans  1  avenir.  Pour  ce  qui 
touche  Redon,  il  est  loisible  de  dire  que  l'enseignement  qu'il  indique 
comme  seul  profitable,  il  le  reçut,  sinon  d'une  façon  suivie  et  complète, 
au  moins  partiellement.  Et  cela  par  deux  fois  :  la  première,  à  ses 
débuts  avec  Gorin  ;  la  seconde,  quand  plus  âgé  déjà  il  en  pouvait 
mieux  profiter  encore,  de  la  part  de  Bresdin. 


Mais  cette  instruction,  en  quelque  sorte  limitée  à  la  sphère  d'un 
métier  spécial,  n'est  point  tout  ce  qui  contribue  à  former  la  personnalité 
entière  d'un  artiste.   Il  éprouve   des   curiosités,   subit   des  attractions. 


(I)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.   129. 

—     95 


ressent  des  jouissances  dans  des  domaines  différents,  et  celles-ci 
peuvent  influer  plus  ou  moins  directement  sur  son  œuvre. 

Or,  ce  iurent  pour  Redon,  nous  semble-t-il  :  la  Nature,  la  Musique, 
la  Science  et  la  Littérature. 

Au  premier  plan,  il  faut  mettre  la  Nature.  C'est  elle  qui  l'accueillit 
dès  son  entrée  dans  la  vie,  à  laquelle  il  revint  sans  cesse,  et  jusqu'au  bout 
de  son  existence.  Sublime  spectacle  où  les  lois  fondamentales  de  la 
cosmogonie  se  révèlent,  sous  des  apparences  infiniment  variées  !  Dès 
son  début  le  jeune  artiste  la  reproduisait  amoureusement  de  son 
pinceau  novice,  puis  il  en  fit  le  décor  imposant  où  surgissent  les  êtres 
de  sa  conception  fantastique,  et  elle  fîeurira  encore,  merveilleusement 
épanouie,  dans  la  dernière  période  de  peinture.  Il  ne  la  comprenait 
pas  impassible  et  détachée  de  nous,  mais  tout  humaine  et  mêlée  à  nos 
sentiments  les  plus  profonds.  S'il  la  connut  et  l'étudia  —  ses  dessins 
et  ses  croquis  le  témoignent,  jusqu'en  ses  intimes  et  menus  détails,  c'est 
surtout  dans  ses  grandes  lignes  qu'il  voulut  la  retenir  et  prétendit 
la  rendre.  Horizons  sans  fin,  onde  fluide,  ciels  aux  nuages  colorés, 
ondoyants  comme  notre  âme,  robustesse  vivante  de  l'arbre,  solidité  de 
la  roche  impénétrable  !  Mais  surtout  l'émouvait  le  rythme  périodique 
du  jour  et  de  la  nuit,  opposant  éternellement  l'ombre  et  la  lumière. 
A  ce  trésor  de  spectacles  contemplés  ont  contribué  tous  les  pays  qu'il 
a  connus,  stablement  ou  en  rapide  passage.  Ainsi  demeurent  dans 
son  souvenir,  les  landes  et  les  bois  du  Médoc  natal,  les  sites  hautains 
et  neigeux  des  Pyrénées,  la  grève  mélancolique  de  Bretagne,  et  ces 
paysages  fins  et  nuancés  de  l'Ile-de-France.  Ce  qu'ont  vu  ses  yeux  est 
passé  en  son  âme,  pour  s  exprimer  enfin  dans  son  œuvre. 

Et  l'influence  était  si  forte,  qu'elle  agissait  même  physiologique- 
ment.  En  effet,  Redon  émet,  à  propos  de  l'artiste  en  général,  cette 
remarque  certainement  émanée  de  son  expérience  particulière  :  "■  Je  dirai 
même  que  les  saisons  agissent  sur  lui  ;  elles  activent  ou  amortissent 
sa  sève  :  tel  effort,  tel  essai  tenté  hors  de  ces  influences,  que  les 
tâtonnements  et  l'expérience  lui  révèlent,  sont  infructueux  pour  lui, 
s  il  les  néglige  (I).  » 

Cette  Nature,  il  l'aima  tant,  y  trouva  un  tel  réconfort,  que  parfois 


(I)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  24. 

—     «6 


il  lui  vint  le  souhait  de  se  livrer  à  elle  tout  entier  et  sans  partage.  Non 
point  en  l'abîmement  intense  du  Nirvana  rêvé  sous  l'opprimante  fécon- 
dité tropicale,  mais  au 
sein  de  la  vie  calme  et 
laborieuse  de  nos  cli- 
mats plus  pondérés  : 
«  Quel  baume  eut  ja- 
mais sur  moi,  sur  mon 
esprit  et  même  sur 
mes  peines,  une  action 
plus  subite,  plus  bien- 
faisante que  l'herbe 
verte,  ou  le  contact  de 
tout  autre  élément  in- 
conscient. Quitter  la 
ville,  aller  aux  champs, 
approcher  d  un  village 
en  sa  tranquillité  rusti- 
que,  c'est  là  toujours 
que  ]  ai  senti  les  se- 
cousses d'un  petit  bat- 
tement de  cœur  qui 
m'ont  rendu  grave,  et 
que,  recueilli  subite- 
ment  dans  un    retour  Christ    (Lithographie). 

sur   moi-même,   j'ai 

balbutié,  distrait,  que  la  vérité  de  la  vie  était  de  vivre  là,  peut-être  (1)...» 
Mais,  dès  les  jeunes  années  de  Redon,  une  autre  attirance  fut  puis- 
sante également  sur  lui  :  la  Musique  :  '<■  Je  suis  né  sur  une  onde  sonore. 
Pas  un  souvenir  de  la  première  enfance  qui  ne  se  mêle  à  un  chant 
musical,  à  une  musique  de  qualité. — Plus  tard,  adolescent,  j  entendis  les 
œuvres  alors  peu  connues  de  Berlioz,  Schumann,  Chopin.  La  maison  de 
famille  en  était  remplie.  Elle  imprima  assurément  à  mon  âme  un  pli  (2).  » 


(1)  Letl.  d'Od.  R.  à  Edm.  P.  (13  juin  1894). 

(2)  D-". 


97 


On  peut  dire  plus  encore,  un  véritable  sillon  tracé  au  profond  de  lui- 
même.  Car  la  musique  ne  lui  apporte  pas  seulement  les  joies,  délec- 
tables déjà,  du  dilettante,  elle  avive  et  affine  sa  sensibilité,  enfin  elle 
constitue  pour  lui  une  incitation  féconde  et  sans  cesse  renouvelée  à 
produire  dans  l'art  plastique,  son  domaine  personnel. 

A  ses  premières  admirations  ressenties  pour  des  maîtres  classiques 
et  romantiques,  Redon  demeura  fidèle  toute  sa  vie,  avec  une  prédi- 
lection pour  Beethoven.  Par  la  suite,  sans  doute,  il  se  montra  sympa- 
thique envers  d'autres  écoles,  notamment  celle  de  Bayreuth,  mais 
toutefois,  paraît-il,  "  sans  s'abandonner  avec  une  très  profonde  émotion 
au  torrentueux  courant  wagnénen.  Cependant,  certains  personnages 
du  génial  dramaturge  lyrique  1  intéressèrent  vivement  :  ainsi  Parsifal  et 
Briinnhilde.  Durant  de  longues  années  Redon  fut  un  habitué  des  grands 
concerts.  Il  s'y  trouvait  en  contact  avec  d'excellents  amateurs,  dont  il 
partagea  la  lutte  en  faveur  d'admirations  audacieuses.  Puis  il  eut  pour 
ami,  le  fréquentant  souvent  et  familièrement,  un  musicien  sérieux  dont 
la  fatale  mort  accidentelle  fut  si  prématurée  :  Ernest  Chausson  (1).  « 
Nous  avons  dit  que  son  frère  aîné  fut  un  compositeur  bien  doué. 
Enfin  1  amour  de  1  artiste  pour  la  musique  s'étendait  même  en  amicale 
affection  aux  virtuoses  qui  nous  la  font  vivre  par  une  belle  exécution. 
C  est  ainsi  que  l'on  voyait  chez  lui  dans  l'intimité,  principalement  en 
la  dernière  période  de  sa  vie  :  le  violoniste  Parent,  le  pianiste  Vinès  et 
le  guitariste  Llobet. 

Mais  Redon  doit  plus  encore  à  VArt  céleste  (tel  est  le  titre  d'une 
estampe  où  il  représente  un  auditeur  religieusement  absorbé  en  les 
sons  entendus).  Car  pénétrant  dans  leur  mystère  son  but  et  ses  moyens, 
il  a  pu  concevoir  le  projet,  en  apparence  non  possible,  de  rivaliser  avec 
son  emprise  vague  mais  si  puissante  sur  les  âmes... 

En  ce  qui  concerne  le  penchant  pour  la  Science,  on  peut  dire  que, 
sous  ce  rapport,  1  artiste  suivait  bien  1  un  des  courants  généraux  qui  ont 
caractérisé  son  époque  :  "  Redon  semble  profondément  frappé  de  cette 
vision  du  Cosmos  et  de  l'Humanité,  telle  que  le  XIX''  siècle  l'a  évoquée. 
Grande  et  inquiétante  en  sa  vérité  découverte,  que  sans  cesse  la  science 


(I)  A.  M.,  El.  .s.  R.,  p.  38. 


ET    L'HOMME   PARUT. 
(Lithographie) 


cherche  à  élucider  ainsi  qu'à  étendre  (1).  Et  comme  chaque  époque 
accompht  sa  tâche  particuhère,  cet  espace  de  cent  ans  marquera  par  des 
caractéristiques  spéciales  dans  la  filière  ininterrompue  des  investigations 
de  l'esprit...  Ainsi  le  Préhistorique  et  la  Microbie,  si  l'on  y  ajoute  la 
théorie  de  l'Evolution  (2),  jetèrent  sur  l'énigme  mystérieuse  de  notre 
origine  des  lueurs  soudaines.  Notre  entité  apparut  pour  ainsi  dire  sous 
un   angle    nouveau...    (3)    " 

Le  grand  initiateur  en  cette  matière  fut  Clavaud,  dont  nous  avons 
signalé  déjà  la  pro- 
ronde influence  sur 
la  formation  de  la 
personnalité  intégrale 
de  Redon.  N'était-il 
pas  en  sa  spécialité,  un 
botaniste  notable  et 
de  valeur  originale. 
A  1  artiste  encore 
jeune,  le  savant  déjà 
mûri  exposait  ses 
observations  et  ses 
vues  d'hypothèse.  ■'  Il 
travaillait  dans  l'infi- 
niment  petit.  Il  cher- 
chait—  je  ne  sais  trop 
vous  dire  —  sur  les 
confins  du  monde 
imperceptible,  cette 
vie  intermédiaire 
entre  l'animalité  et 
la   plante,  cette   fleur 

Fleur  illuminée. 


(!)  On  peut  se  demander  quelle  curiosité  ressentirait  actuellement  Redon  envers  les  travaux 
d'un  Lebon,  sur  les  propriétés  de  la  matière  et  de  la  force,  ainsi  que  leur  identification  entrevue  — 
ou  bien  1  essai  de  synthèse  mathématique  de  l'Univers,  proposé  par  un  Einstein,  f'-t  quelles  œuvres 
plastiques  produirait-il  en  corrélation  ? 

(2)  A  laquelle  se  rattache  le  Darwinisme  avec  la  sélection  naturelle. 

(3)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  14. 


—     99 


ou  cet  être,  ce  mystérieux  élément  qui  est  animal  durant  quelques 
heures  du  jour  et  seulement  sous  l'action  de  la  lumière  (I).  » 

Ainsi  Clavaud  lui  ouvrait  d'immenses  horizons  sur  1  essence  même 
de  la  vitalité  et  ses  obscures  origines.  Il  lui  révélait  le  sens  profond  des 
lois  qui  régissent  la  matière,  lui  enseignant  aussi  ce  que  sont  la  méthode 
analytique  et  la  synthèse.  Par  là  s'agrandissait  pour  1  esprit  de  l'ar- 
tiste, la  portée  du  monde  extérieur  qui,  sublimé  ensuite  par  l'imagi- 
nation, devenait  en  quelque  sorte  infini 

Certainement- Redon  s'est  intéressé  à  la  Littérature.  Mais  l'influence 
ressentie  paraît  moins  capitale  et  décisive  que  les  trois  autres.  Non  pas 
qu'il  ne  fît  des  lectures  abondantes  et  variées  dont  il  retirait  un  véritable 
fruit.  Cependant,  contrairement  à  ce  que  d  aucuns  ont  pu  croire  —  et 
même  écrire,  l'action  exercée,  en  dehors  de  sujets  l'incitant  occasionnel- 
lement à  produire,  n  a  pas  influencé  essentiellement  l'inspiration  qui 
anime  son  œuvre  plastique.  C'est  plutôt  pour  la  formation  générale  de 
l'homme,  sa  culture  intellectuelle  —  et  ceci  d  ailleurs  n'est  point  négli- 
geable, que  sa  curiosité  des  livres  a  pu  servir. 

"  En  ce  qui  concerne  ses  goûts  littéraires,  Redon  se  montrait  prin- 
cipalement classique.  Toutefois,  parmi  les  maîtres  de  notre  passé,  il 
avouait  une  particulière  attirance  pour  ceux  dont  l'originalité  marquée 
s'accompagnait  d'une  langue  savoureuse  :  ainsi  Montaigne  (2)  et  Saint- 
Simon.  Mais  avant  tout  et  surtout  son  livre  de  chevet  fut  Pascal,  cet 
abîme  de  pensée,  si  l'on  peut  dire,  ce  visionnaire  logique,  qui  éprouve  et 
sait  nous  communiquer,  en  un  style  d'une  inimitable  profondeur,  le 
vertige  de  l'Infini.»  Ajoutons  que  «dans  le  siècle  dont  il  était,  Redon 
s  attacha  de  préférence  à  des  littérateurs  d'exception  :  Edgar  Poe,  som- 
nambule d'un  rêve  étrange,  mais  demeurant  toujours  clairvoyant  des 
exactitudes  scientifiques  de  la  vie  matérielle  ;  Baudelaire,  âprement 
ironique  et  tout  ensemble  douloureusement  exacerbé  ;  Flaubert  enfin, 
évocateur  en  phrases  sonores  et  imagées  des  prestigieuses  visions  de  la 
Tentation  de  Saint-Antoine  (3)  ». 


(1)  Od.    R.,    a    s.    m.,    p.    19.   —   Au  sujet  de  Clavaud,  voir  aussi  :  App.,  note  11. 

(2)  A  1  égard  de  l'auteur  des  Essaie,  faut-il  voir  chez  Redon  un  attrait  de  plus  provenant 
de  la  communauté  de  Terroir  En  effet,  le  grand  écrivain  né  dans  le  Périgord,  vécut  aussi  de 
longues  années  à  Bordeaux,  où  il  occupa  d'importantes  fonctions  municipales. 

(3)  A.    M.,    Gaz.   des   B.-A..    p.    143  et  144. 


'  A  travers  ses  longs  cheveux  qui  lui  couvraient  la  figure,  )'ai  cru  reconnaître  Ammonaria., 
(Lithographie.) 

(Planche    tirif    de    VHmnmagc  à  Fhukcil.) 


Dirons-nous  encore  l'intérêt  de  sympathie  qu'il  portait  aux  ten- 
tatives, vers  ou  prose,  de  la  jeune  littérature  contemporaine  qui,  sous  le 
nom  d'ailleurs  un  peu  vague  de  «Symbolisme»,  visait  au  raffinement  des 
sensations  et  au  renouvellement  du  verbe.  Le  grand  chef  reconnu  de 
l'Ecole  était  alors  Mallarmé,  intime  ami  de  Redon.  L'artiste  aimait  aussi 
Verlaine.  Il  feuilletait  les  œuvres  d'André  Gide,  d'Adrien  Remacle,  de 
F.  Hérold,  surtout  de  Remy  de  Gourmont  (l),et  suivait  le  mouvement 
de  publications  d'avant-garde,  telles  que  :  le  Mercure  de  France,  la 
Revue  indépendante,  la  Revue  blanche. 

Nous  ne  saunons  manquer  de  répéter  ici  une  observation  faite 
jadis  par  nous,  et  qu'il  est  loisible  de  vérifier  en  un  volume  récemment 
paru  (2)  :  •>  Qui  sait  si  l'auteur  de  Dans  le  Rêve,  ne  sera  pas  reconnu  lui- 
même,  et  légitimement,  comme  un  écrivain?  Pour  notre  part  nous  consi- 
dérons, outre  les  légendes  mises  par  lui  comme  un  piédestal  à  ses 
estampes,  qu  il  a  laissé  des  pages,  pouvant  être  confrontées  comme  élé- 
vation de  pensée  avec  le  Journal  de  Delacroix,  comme  réflexions  sur 
1  art  avec  la  critique  savante  et  raisonnée  de  Fromentin  (3).  " 

En  effet,  si  les  essais  restés  manuscrits  de  la  jeunesse  de  l'artiste 
apparaissent  hésitants,  confus,  portant  en  leur  esprit  comme  dans 
leur  forme  un  cachet  romantique,  il  n'en  fut  pas  de  même  par  la  suite  (4). 
Au  fur  et  à  mesure  des  expériences  de  la  vie,  sa  pensée  se  clarifiait  et 
se  haussait,  son  style  mûri  se  concentrait.  De  sorte  que  c  est  précisé- 
ment quand  Redon  abandonna  le  juvénile  dessein,  conçu  bien  fugi- 
tivement, d'être  littérateur,  qu'il  nous  paraît,  dans  les  pages  écrites 
seulement  pour  épancher  sa  méditation  ou  satisfaire  la  curiosité  de 
ses  amis,  mériter  vraiment  le  titre  d  écrivain. 


(1)  Pour  certains  d'enlre  eux.  comme  il  l'avait  fait  à  l'égard  de  ses  amis  de  Belgique, 
Redon  composa  des  frontispices.  Voir  :  Adrien  Remacle,  La  Passante  (roman  d'une  âme),  Paris. 
Bibliothèque  artistique  et  littéraire,  1892.  —  F.  Herold,  Chevaleries  senlimentales. 

(2)  Odii,on  Redon,  .4  Soi-Même  (Journal,  1867-1915).  Notes  sur  la  Vie,  l'Art  et  les  Artistes. 
(Introduction  de  Jacques  Morland).  Paris,  H.  Floury.   1922. 

(3)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A..  p.  144. 

(4)  Les  premières  pages  publiées  de  lui  qui  méritent  attention  sont  les  éludes  concernant  le 
Salon  de  1868,  parues  à  la  Gironde,  et.  dans  le  même  journal,  l'article  sur  Brcsdin,  en  1869. 


L'ŒUVRE    DE    REDON 


Après  1  étude  préliminaire  qui  vient  d'être  faite,  on  peut  aborder 
avec  plus  de  clarté  1  œuvre  même  de  Redon.  Nous  le  diviserons,  afin 
de  conduire  méthodiquement  notre  examen,  en  ses  diverses  parties 
techniques,  nous  efforçant  ainsi  de  mieux  pénétrer  et  comprendre 
chacune   d'entre   elles. 


LES    ESTAMPES 


N'est-ce  point  par  l'estampe  que  Redon  s'est  fait  connaître  d'abord, 
et  a  commencé  vraiment  de  se  répandre  parmi  le  public?  Elle  constitue 
dans  l'ensemble  de  sa  production,  et  surtout  pendant  la  maturité  de  son 
âge,  toute  une  floraison  éminemment  expressive  de  1  artiste,  tant  au 
point  de  vue  de  1  originalité  d'inspiration,  que  du  parfait  usage  des 
procédés  employés.  On  peut  donc  dire  que  si  elle  ne  représente  point 
la  totalité  de  son  art,  elle  en  contient  au  moins  les  caractéristiques 
essentielles. 

Nous  considérerons  l'estampe  chez  Redon,  successivement  selon 
ses  deux  modes  matériels  :  la  Gravure  et  les  Lithographies. 


§  I.  La  Gravure. 

C'est  avec  Bresdin  —  et  par  lui,  que  Redon  encore  jeune  fut  initié 
à  la  gravure. 

—     it>3     — 


Certes,  le  vieux  maître  était  passionnément  curieux  et  subtile- 
ment connaisseur  de  la  technique  sur  cuivre,  qu'il  pratiquait  assidûment. 
Non  seulement  il  en  avait  approfondi  les  ressources,  mais  il  savait  les 
utiliser  de  manière  très  personnelle.  Expert  en  les  cuisines  (c  est  le  terme 
d'argot  du  métier)  fort  compliquées  des  mordants,  il  déployait  également 
une  habile  dextérité  dans  les  tours  de  main  du  tirage  qu'il  effectuait 
lui-même.  Il  inculquait  encore  à  son  disciple,  et  lui  démontrait  par 
l'exemple,  ce  que  Rembrandt  prouva  si  magistralement  —  à  savoir 
qu'en  une  simple  planche  de  métal  taillée  directement  ou  creusée  à 
l'acide,  on  peut  enfermer  tout  un  monde  de  pensées  et  des  trésors  de 
sensibilité.  De  lui  émanait  «  le  goût  en  même  temps  que  la  science  des 
triturations  méticuleuses  et  richement  expressives  (1)  ». 

Redon  se  dit  alors  —  il  signe  même  expressément  :  Elève  de 
Bresdin  (2).  Mais,  bien  que  jeune  encore,  malgré  qu'admirateur  et 
affectueux  ami  du  maître,  il  laisse  déjà  percer,  presque  inconsciemment 
peut-on  croire,  sa  propre  personnalité.  Prenez  en  effet  une  gravure  de 
Bresdin,  et  mettez-la  à  côté  du  Gué,  essai  bien  modeste  du  débutant, 
tout  de  suite  le  contraste  frappera.  C'est  que  «  le  faire  de  l'élève  encore 
qu'incertain  et  gauche,  revêt  néanmoins  plus  de  force  et  d'ampleur 
que  les  raffinements  parfois  trop  poussés  de  son  maître  (3)».  En  effet, 
Bresdin  "  est  un  graveur  d'esprit  vraiment  curieux,  mais  dont  le  travail 
minutieux  se  complaît  surtout  en  le  fouillis  des  accessoires.  Cependant 
ses  compositions  fantaisistes  :  villes  irréelles,  forêts  grandioses  aux  ciels 
tourmentés,  lointains  naïfs  et  premiers  plans  pullulant  de  bizarres 
bestioles,  cette  imagination  vagabonde  put  inciter  le  jeune  artiste  à 
se  libérer  d'une  trop  exacte  reproduction  de  l'ambiance  réelle  (4)  ». 
C'est  là,  semble-t-il,  l'élément  essentiel  et  fécond  que  s'assimilera 
surtout  Redon. 

Assurément  l'originalité  de  ce  dernier,  pour  naissante  à  peine 
qu'elle  fût  alors,  existait  déjà  irréductiblement.  Même  si  son  sujet 
voisine  un  de  ceux  qu'a  traités  Bresdin  —  et  alors  plus   encore  peut- 


(1)  A.  M.,  Et.  s.  R..  p.  38. 

(2)  C'est  la  formule  respectueuse  qu'il  incise  dans  le  cuivre,  au  bas  d'une  de  ses  premières 
gravures    :    Le    Gué   (1865). 

(3)  A.   M.,   Ga::.  Jes   B.-A..  p.   146. 

(4)  A.   M..   Et.  s.   R.,   p.   37. 

—     104     — 


Sciapode   (Eau-forte). 


105 


être,  apparaît  la  difïérence  fondamentale  qui  les  sépare.  C'est  à  la 
simplicité  que  vise  Redon,  au  grand  efïet  large,  à  l'opposition  vigou- 
reuse du  clair-obscur.  Il  agence  sa  composition  nettement  et  avec 
clarté,  sobrement  aussi,  sans  s'arrêter  ni  se  compliquer  à  un  monde 
touflu,  si  séduisants  qu'en  soient  les  détails. 

D  ailleurs,  cette  incursion  dans  le  domaine  de  la  gravure  est  limitée 
en  grande  partie  aux  années  de  relations  intimes  entretenues  avec  Bres- 
din.  Redon  y  reviendra  au  cours  de  sa  carrière  d'art,  mais  de  façon 
toujours  restreinte,  et  qui  compte  peu,  du  moins  numériquement, 
dans  l'ensemble  de  son  œuvre  (1).  C'est  qu'une  autre  technique  de 
l'estampe  devait  l'attirer  plus  tard,  où  se  trouverait  le  mode  adéquat, 
tout  ensemble  fort  et  souple,  qui  convenait  le  mieux  à  son  inspiration. 


§  II.  Les  Lithographies. 


«  Les  lithographies  forment  la  plus  abondante  part  dans  la  pro- 
duction de  Redon.  Ce  sont  elles  qui,  se  dispersant  nombreuses —  près  de 
200  planches  tirées  à  25  ou  50  exemplaires,  quelquefois  100  et  au- 
dessus  (2),  ont  contribué  le  plus  à  répandre  son  nom  et  son  art,  lui  sus- 
citant par  degré  la  curiosité  étonnée,  l'attirance  involontaire,  et  enfin 
la  compréhension  admirative.  On  ne  sait  s'il  faut  louer  davantage 
I  extraordinaire  fécondité  d'inspiration  ou  bien  la  perfection  si  originale, 
avec  laquelle  fut  employé  le  procédé  graphique.  Sous  ce  dernier  rapport, 
ceux-là  mêmes  que  la  conception  surprend  et  déconcerte  ne  peuvent  s'em- 
pêcher de  rendre,  en  parfaite  sincérité,  un  hommage  au  maître  litho- 


(1)  Notons  cependant  un  fait  curieux.  Vers  la  fin  de  sa  vie,  en  1914,  à  Blèvres,  pendant  les 
premières  angoisses  de  la  guerre,  Redon  voulut  se  remettre  à  la  gravure.  L'austérité  du  noir  et 
blanc  lui  semblait-elle  convenir  aux  terribles  circonstances  alors  traversées  ?  Il  commença  un 
cuivre  qui,  non  entièrement  terminé,  était  assez  poussé  pour  qu'on  essayât,  après  sa  mort,  d'en 
tirer  des  épreuves.  Ce  ne  fut  d'ailleurs  possible  qu'à  très  petit  nombre.  En  voici  le  sujet  :  Dans 
I  obscure  profondeur  d'un  temple  dont  on  devine  le  vitrail  lumineux,  s'avance  un  personnage 
indéterminé,  d'une  expression  étrange  et  saisissante. 

(2)  Ce  dernier  chiffre,  d'ailleurs,  est  rare.  Les  bornes  où  se  limite  d'ordinaire  le  tirage  ont 
permis  de  lui  assurer  le  maximum  de  soins  et  une  belle  homogénéité. 

—     io6     — 


graphe  (1).  C'est  que 
Redon  connaît  à  fond 
les  ressources  de  la 
pierre,  mais  en  se  les 
appropriant  toutes, 
i!  prétend  non  s'y 
asservir,  mais  au 
contraire  les  dominer 
et  les  faire  concourir  à 
son  but  expressif  (2).  » 
Rappelons  que  : 
"  Pendant  dix  années 
de  sa  vie,  il  en  a  fait 
son  presque  unique, 
en  tout  cas  son  plus 
important  agent  d'ex- 
pression. Cet  œuvre... 
plus  que  les  peintures 
et  les  fusains  mêmes, 
a  contribué  durant 
cette  période  à  la  dif- 
fusion de  son  art... 
Chacune  de  ces 
estampes  a  été  col- 
lectionnée passionné- 
ment, jalousement  ;  nombre  de  pièces  sont  devenues  rares,  quelques- 
unes  quasi-introuvables!  C'est  en  somme  avec  elles  que  1  artiste  a,  sinon 
livré  ses  plus  retentissantes  batailles,  du  moins  pénétré  profondément 
dans  le  public.  Ce  sont  elles  qui  lui  ont  suscité  ses  admirateurs  et  ses 
amateurs,  comme  aussi  ses  adversaires  les  plus  passionnés  »  (3). 


tis|>iiP    (ie    i  .Mbu 
I  Lilhographie  ) . 


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l.cs    Uuv 


(1)  A  cet  égard,  demeure  typique  le  jugement  du  regretté  Henri  BoiCHOT  (La  Lilhosraphie . 
Paris,  Librairies-Imprimeries  réunies),  —  lorsqu'il  signale  de  l'artiste  ses  '  noirs  veloutés  ■'  (chapitre  V, 
La  Lithographie  contemporaine  en  France,  le  "  nouveau  jeu  ■',  p.  196).  Dans  le  même  ouvrage  figure 
à  la  page  203,  une  reproduction  du  Bouddha,  publié  par  Redon  en  VEslampe  originale  de  l'éditeur 
Marty. 

(2)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A.,  p.  146. 

(3)  A.  M.,  F.i.  s.  R.  p.  21. 


—     107 


Nous  constaterons,  fait  curieux  et  qui  vaut  d'être  noté,  que  ce 
furent  des  causes  occasionnelles  plutôt  qu'une  directe  volonté  d'art,  qui 
amenèrent  Redon  à  utiliser  le  procédé  sur  pierre  :  «  ...  je  puis  vous  dire 
pourquoi  j'ai  fait  de  la  lithographie  ;  c'est  que  j'avais  avant,  vainement 
essayé  de  produire  dans  les  salons  officiels  les  nombreux  fusains  que 
j'avais  crayonnés  et  qui  dormaient  dans  mes  cartons...  J'ai  donc  fait 
mes  premières  lithographies  j30ur  multiplier  mes  dessins  (1).  »  L'idée 
n'en  vint  qu'au  cours  d'une  rencontre  fortuite  :  "  Fantin-Latour  me 
donna  1  excellent  conseil  de...  reproduire  au  crayon  gras;  il  me  passa 
même  de  bonne  grâce,  une  feuille  de  papier  report,  pour  le  calque  (2).  » 
Mais  presque  aussitôt,  comme  ajoute  Redon  :  "  prenant  goût  au 
procédé  nouveau  que  j  essayais,  j'ai  fait  pour  le  terminer  (i7  s'a^//  ici 
de  son  premier  recueil  :  Dans  le  Rêve),  de  la  lithographie  de  jet  (3).  » 

CejDendant  il  nous  paraît  qu'à  ces  motifs  matériels,  il  faut  en  adjoindre 
d'autres,  et  ceux-là  dans  l'ordre  moral.  En  effet,  l'on  voudra  bien  consi- 
dérer que  la  période  de  1  estamjDe  a  correspondu  principalement  à 
cette  longue  suite  d  épreuves  que  nous  avons  signalée  dans  l'existence 
de  Redon.  Alors  :  "  tout  contribua  pour  que,  par  le  simple  blanc  et  noir 
de  la  pierre,  il  s  efforçât  de  traduire  le  poème  concentré  d'une  vie  reployée 
contre  1  hostilité  des  événements  du  dehors.  Et  c'est  à  ce  double  concours 
d  un  tempérament  d'artiste  et  de  contingences  spécialement  propres  à 
le  développer  que  se  doit  l'œuvre  particulier,  douloureux  et  profond, 
qu  un  autre  n  aurait  jjas  su  enfanter...  (4)  »  Ajoutons  que  lui-même 
ne  fut  plus  dans  la  possibilité  de  continuer  semblable  production, 
quand  les  circonstances  ambiantes  se  trouvèrent  changées.  Aux  années 
davantage  favorables  qui  suivirent  correspondit  lefHoraison  d'une 
couleur  lumineusement  sereine. 


(1)  Lcllrc  d'OJ.  R.  à  A.  M.  21  juillet  1898. 

(2)  D'".  Fantin-Latour  a  usé  pour  lui-même,  très  largement,  de  la  lithographie,  et  laissé, 
sous  ce  rapport,  un  œuvre  abondant  et  apprécié. 

D  autre  part,  il  est  à  remarquer  que,  bien  que  Bresdm  ait  produit  des  œuvres  par  ce  pro- 
cédé, Redon  ne  fit  jamais  à  ses  côtés  que  travailler  le  cuivre.  Le  vieux  graveur,  en  effet,  ne  fut  point 
véritablement  lithographe,  au  sens  complet  du  terme.  En  intitulant  d'ailleurs  les  œuvres  qu'il 
exécuta  par  ce  procédé  :  Dessins  sur  pierre,  il  indiquait  bien  son  but  de  ne  demander  uniquement  à 
celle-ci  que  la  transmission,  aussi  exacte  que  possible,  de  ce  qui  avait  été  conçu  en  dehors  et  sans 
souci  d  elle-même. 

(3)  Ldlre  d'Od.  R.  à  A.  M.,  21    juillet    1898. 

(4)  A.  M.,  Et.  s.  R.,  p.  33. 

—     io8     — 


Or,  dès  le  recueil  de  début  :  Dans  le  Rêve,  paru  en  1879,  Redon 

se  révélait  d'emblée  maître  en  la  matière  qu'il  employait  nouvellement. 

Tout  ce  qu  il  devait  développer  par  la  suite  se  trouvait  concentré  là,  comme 

dans  un  résumé  pré- 
ventif, et  sous  une 
appellation  très  sym- 
boliquement expres- 
sive. L'artiste  s'en  est 
bien  rendu  compte,  et 
toujours  a  conservé 
pour  ce  premier-né, 
si  complètement 
représentatif  de  son 
œuvre,  une  prédilec- 
tion spéciale  et  justi- 
fiée :  '  Cet  album  est 
peut-être  l'un  de  mes 
préférés,  parce  qu'il 
est  façonné  sans  aucun 
alliage  de  littérature. 
Le  titre  de  Dans  le 
Rêve  n'était,  en  quel- 
que sorte,  qu'une  clé 
d'ouverture   (I).  " 

Et  c'est  ici  le  lieu 
de  dissiper  une  erreur 
parfois  commise. 
D'aucuns,  en  effet, 
ont  voulu  voir  dans 
les  légendes  placées 
depuis  par  Redon 
sous  certaines  de  ses 

estampes,  une  préoccupation  intellectuelle  se  mêlant  à  la  plastique  pure. 

Mais  l'artiste,  en  commentant  le  fait,  s'est  chargé  de  remettre  toutes  choses 


^■r 

.-  .             .                         ;         i                                 '', 

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Sur  la  coupe   (Lithographie). 

(Planche  tirée  de  lalbum   Dans  le  «M 

1    r    ■ 

:  "v^ 

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V.— 

(1)  Lciirc  d'Od.  R.  à  A.  M..  21  juillet  1898. 

—     109     — 


au  point.  Dès  le  second  album  :  A  Edgar  Poe,  nous  dit-il,  «  ...je  vis  qu'on 
ne  touchait  pas  impunément  à  la  pierre  sans  être  amené  à  la  surcharger 
d  un  mot  d'écrit  :  tous  les  grands  lithographes  l'ont  fait(l)  ».  Cette 
remarque  est  fort  exacte  pour  les  Raflet,  les  Daumier,  les  Gavarni,  les 
Willette,  les  Forain  et  combien  d'autres,  chez  qui  souvent  le  mot  fait 
corps  avec  l'image,  l'explique,  et  la  complète  pour  ainsi  dire  nécessaire- 
ment. Cependant,  observe  encore  très  justement  Redon  :  <  ...Chez  moi 
tort  différemment  rien  de  contingent  (2).  »  Il  s'agit  là  comme  d'«un 
qualificatif  sur  une  sonate...  La  désignation  par  un  titre  à  mes  dessins  est 
quelquefois  de  trop  pour  ainsi  dire.  Le  titre  n'y  est  justifié  que  lorsqu'il 
est  vague,  indéterminé,  et  visant  même  confusément  à  l'équivoque  (3)". 
C  est  qu  un  but  est  intrinsèquement  poursuivi  :  «  Je  voudrais  vous 
convaincre  que  tout  ne  sera  qu'un  peu  de  liquide  noir,  huileux,  transmis 
par  le  corps  gras  et  la  pierre,  sur  un  papier  blanc,  à  seule  fin  de  pro- 
duire chez  le  spectateur  une  sorte  d'attirance  diffuse  et  dominatrice  dans 
le  monde  obscur  de  l'indéterminé,  et  prédisposant  à  la  pensée  (4).  » 

Ainsi  Redon  a  constaté  la  place  très  importante  que  tenait  l'es- 
tampe dans  son  œuvre,  et  il  a  voulu  nous  faire  connaître  également  les 
raisons  profondes  qui  l'y  ont  incité,  puis  longuement  retenu  :  «  J'ai... 
regardé  et  scruté  mes  noirs,  et  c'est  surtout  dans  les  lithographies  que 
ces  noirs  ont  leur  éclat  intégral,  leur  éclat  sans  mélange  (5).  "  L'artiste 
ajoute,  comme  s'exaltant  sur  la  haute  mission  réservée  à  l'opposition 
fondamentale  de  l'ombre  et  de  la  lumière  :  "  Le  noir  est  la  couleur  la  plus 
essentielle...  Il  faut  respecter  le  noir.  Rien  ne  le  prostitue.  Il  ne  plaît 
pas  aux  yeux  et  n'éveille  aucune  sensualité.  Il  est  agent  de  l'esprit  bien 
plus  que  la  belle  couleur  de  la  palette  ou  du  prisme  (6).  » 

A  ce  mode  austère,  mais  souverainement  expressif,  ne  convient  pas 
un  public  léger  ni  fugitivement  regardeur.  Quand  il  est  utilisé  par  un 
artiste  digne  de  ce  nom,  on  lui  doit  une  contemplation  longue  et  appro- 
fondie, presque  religieuse  :  »  ...  la  bonne  estampe  sera...  goûtée  plutôt 


(1)  Lettre  d'Od.  R.  à  A.  M..  21   juillet 

(2)  Û-". 

(3)  D": 

(4)  û'«. 

(3)  Od.  R..A  S.  M.,  p.  119. 
(6)  D'». 


en  pays  grave,  où  la  nature  au  dehors  peu  clémente  contraint  Ihomme 
à  se  confiner  chez  soi,  dans  la  culture  de  sa  propre  pensée,  ainsi  que  dans 


L_. 


Sainte  Thérèse   f Pointe-sèche). 


les  régions  du  nord,  par  exemple,  et  non  celles  du  midi,  où  le  soleil 
nous  extériorise  et  nous  enchante  (I).  »  De  cela  Redon  n  a-t-il  point 


(I)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  120. 


fait  la  plus  personnelle  expérience  :  '<  ...Ces  étranges  lithographies, 
souvent  sombres,  abstruses,  et  disons-le,  peu  séductrices  d'aspect, 
s  adressent...  à  des  esprits  de  silence,  et  même  ayant  encore  en  eux  les 
ressources  si  rares  de  l'ingénuité  naturelle  —  sorte  de  grâce.  Pour  dire 
ICI  toute  ma  pensée,  j'ai  toujours  cru  que  mon  public  était  loin  de  ces 
lieux,  ainsi  que  le  prouva  d'ailleurs  la  première  attention  qui  me  fut 
donnée  :  c  est  tout  d'abord  au  delà  de  la  frontière  qu'on  aima  et  rechercha 
mes  travaux  (I).  »  Mais  il  est  un  pays  oîi  l'artiste  fut  particulièrement 
compris  et  hautement  estimé.  "  Tant  de  difficultés  vaincues,  d'aussi 
étonnantes  réussites  n'ont-elles  pas  incité  les  admirateurs  hollandais 
de  Redon  à  le  qualifier  amicalement  de  :  Rembrandt  français  (2).  " 

Certainement  beaucoup  de  ses  effets  doivent  leur  puissance  au 
vigoureux  clair-obscur.  Mais  le  lithographe  sait  aussi,  quand  il  lui  plaît, 
varier  très  heureusement  le  faire  de  ses  estampes.  Quelques-unes 
sont  entièrement  traitées  dans  la  lumière,  tandis  que  d'autres  s'es- 
tompent de  toutes  les  gradations  du  gris.  Ce  qui  fait  que  si  l'on 
feuillette  d'affilée  cet  ensemble  abondant,  le  souple  changement  exclut 
la  monotonie  et,  par  sa  richesse  sans  cesse  renouvelée,  forme  un  trésor 
d  aspects   incomparablement  variés. 

Cet  œuvre  de  Redon,  il  nous  échut,  en  1913,  la  charge  difficile, 
1  honneur  aussi,  d'en  dresser,  grâce  à  la  Société  pour  l'Etude  de  la  Gravure 
Française,  le  Catalogue  complet  et  raisonné.  De  l'essai  de  classification, 
alors  tenté,  nous  devons  rappeler  ici  les  idées  principales. 

Tout  d  abord  nous  observions  une  démarcation  presque  entière- 
ment d  ordre  matériel,  mais  suscitant  quelques  réflexions  :  «  Les 
Pièces  séparées,  conçues  sans  aucun  rapport  entre  elles,  possèdent 
chacune  leur  autonomie  complète.  Les  Albums,  par  contre,  font  res- 
sortir un  autre  caractère.  Ce  sont  de  petites  entités,  où  la  liaison  intime 
des  diverses  parties  constitue  un  tout  organisé.  Comme  autant  de  micro- 
cosmes dans  l'ensemble  plus  vaste  de  l'œuvre  lithographique,  dont  ils 
partagent  d  ailleurs  les  caractères  essentiels. 

«  L  artiste  sait  composer  un  Album,  résultat  qu'on  n'atteint  point 
sans  difficultés.  Ne  faut-il  pas,  en  effet,  éviter  d'une  part  l'excessif  relâ- 


(1)  Oo.  R.  A  S.  M.,  p.   120. 

(2)  A,  M,,  Gaz.  desB.-A..  p.  130. 


Parsifal    (LilhographieJ. 


—      II',      — 


défectueux  d  >  illustration  »,  vous  ne  le  trouverez  pas  en  mes  catalogues. 
C  est  un  mot  à  trouver  :  je  ne  vois  que  ceux  de  transmission,  d'inter- 
prétation, et  encore, 
ils  ne  sont  pas  exacts 
pour  dire  tout  à  fait 
le  résultat  d'une  de 
mes  lectures,  passant 
par  mes  noirs  orga- 
nisés (I)  ".  —  De  là 
résulte  que  "si...  l'on 
établit  comparaison 
avec  1  ancienne  illus- 
tration, tenue  en  des 
limites  beaucoup  plus 
strictes,  on  admettra 
que  Redon  a,  dans  ce 
genre,  apposé,  comme 
dans  tout  ce  qui 
émane  de  son  initia- 
tive créatrice,  un 
sceau  lui  appartenant 
véritablement.  Les 
grands  noms,  les 
hautes  œuvres  :  litté- 
raires, symphoniques, 
picturales  même, 
invoquées  ou  évoquées,  sont  moins  les  causes  efficientes  de  la  produc- 
tion de  I  artiste,  que  d'occasionnelles  incitations  pour  lui  à  exprimer 
les  conceptions  personnelles  de  son  esprit.  Que  les  appellations  limi- 
naires ne  fassent  donc  point  illusion  (2)  ». 

Nous  écrivions  à  ce  sujet  :  «  Certes  Flaubert  fut  un  écrivain 
d  expressivité  tendant  à  susciter  des  impressions  plastiques.  Dans  son 
œuvre  existe  éminemment  une  vision  du  monde  extérieur  qu  il  trans- 


\ 


•\ 


Briinnhllde   (Lithographie). 


(1)  Lettre  d'Od.   R.   à   A.   M..   21    juillet 

(2)  A.  M..  Et.  s.  R.,  p.  9. 


1898. 


115 


forme  et  magnifie.  Sa  plume  sait  douer  les  objets  d'une  vie  colorée,  leur 
créer  une  atmosphère  d'ambiance  vibrante,  en  son  style  sonore,  imagé, 
parfois  grandiloquent.  Mais  de  telles  caractéristiques  s'appliquent  sur- 
tout à  ce  livre  si  spécial  :  La  Tentation  de  Saint- Antoine.  Amalgame 
confus  et  trouble,  d'une  étrange  attraction  prenante,  où  se  rencontre 
1  ossature  d  une  érudition  qui  veut  être  savante  et  précise,  en  même 
temps  que  s'ajoute  une  surabondance  inépuisable  et  toute  orientale 
d  évocation.  L  immense  désert  étend  ses  insondables  profondeurs  sous 
un  ciel  sans  fin  que  convulsé  l'agonie  du  couchant.  Décor  grandiose  où 
1  anachorète  mystique,  travaillé  par  le  jeûne  et  la  tentation,  dans  ses 
heures  de  fièvre  hallucinatnce,  subit  douloureusement,  curieusement 
aussi,  des  visions  chimériques  et  monstrueuses.  En  ce  pandémonium 
surgissent  les  formes  incroyablement  variées  des  divinités  du  Paganisme 
qui  finit,  prolongeant  son  écho,  et  luttant  encore  dans  les  multiples  hérésies 
détachées  du  Christianisme  naissant.  Celles-ci  pullulent,  équivoques  bour- 
geons tendant  à  accaparer  la  substance  même  du  dogme,  pour  nourrir  et 
épanouir  de  sa  moelle  vivante  leurs  pustuleuses  difformités.  D'innom- 
brables spectacles  se  succèdent,  des  fantômes  vagues  apparaissent,  se  con- 
densent un  moment,  puis  s'évanouissent  à  l'horizon,  en  un  baroque  et  in- 
interrompu défilé,  passionnant,  obsédant  parfois  jusqu'à  devenir  horrifiant. 

«On  pouvait  présumer  qu'un  tel  terrain  dût  être  propice  à  Redon  (I). 
Et  de  fait,  la  Tentation  de  Saint-Antoine  est  une  mine  qu'il  se  plaît  à 
creuser,  où  il  revient  sans  cesse,  comme  si  loin  de  l'épuiser,  il  la  retrou- 
vait à  chaque  fois  plus  richement  féconde.  Cependant,  les  impressions 
qu  il  en  éprouve  restent  intimement  siennes.  Il  les  exprime  par  ses 
moyens  personnels  et  dans  le  domaine  des  j^rocédés  purement  plastiques. 
Les  descriptions  précises,  aux  lapidaires  vocables  de  l'écrivain,  n'ont 
point  asservi  l'artiste.  Ce  poids,  qui  eut  écrasé  tout  autre,  lui  semble 
léger.  Il  demeure  original  avec  la  plus  entière  liberté. 

"  Que  SI  nous  envisageons  les  œuvres  d'autres  littérateurs  où  s'est 
complu  Redon,  nous  le  verrons  toujours  rester  lui-même,  identique  en 


(I)  Nous  connaissons  dans  quelle  occasion  l'artiste  se  trouva  induit  à  s'occuper  de  la  curieuse 
œuvre  littéraire  :  "  Quant  à  Flaubert,  ce  fut  mon  très  regretté  ami,  Emile  Hennequin,  qui  m'apporta 
la  Tenlalion  de  Saint- Antoine,  lorsqu'il  eut  vu  les  Origines.  Il  me  dit  que  je  trouverais,  dans  ce  livre, 
des  monstres  nouveaux.  J'ai  été  vite  séduit  par  la  partie  descriptive  de  cet  ouvrage,  par  le  relief  et  la 
couleur  de  toutes  ces  résurrections  d'un  passé  ".  Lettre  d'Oil.  R.  à  A.  M.,  21   juillet  1898. 


ses  facultés.  S'agit-il  de  Baudelaire  dont  les  raffinements  parfois  visent 
à   la   subtilité,   qui  ajoure  la   broderie  du   style  avec  un  sentiment  de 


/ 


/ 


>»^ 


Le  cirur  a  ses  raisons...  '  (Pasc.\l).  (De. 


ù  la  , 


Je  plnrnh.) 


1  artificiel  poussé  jusqu  à  l'aigu?  Le  dessinateur  n'en  mamtient  pas  moins 
hautement  la  simplicité  de  lignes  et  de  lumière,  les  fortes  oppositions 
essentielles  de  ses  effets  coutumiers.  Tout  autant  gardera-t-il  sa  large 
pitié  douloureuse,  quand  il  voisinera  l'Américain  Edgar  Poe,  mathé- 
matiquement déductif,   inexorable  en    sa  démonstration  de  I  horrible. 


Remémorons,  pour  constatation  semblable,  l'Apocalypse,  prophétie 
obscurément  mystérieuse  et  surhumame,  qui  inspira  l'un  de  ses  Albums. 
Puis  le  Juré,  œuvre  dramatiquement  conduite  de  l'avocat  et  écrivain 
belge  Picard  (1).  Aussi,  les  figures  évoquées  du  grand  cycle  musical 
de    Wagner    :    Brùnnhilde,   Parsifal...  (2)  '> 


^- 


'^       jAv^i-      ■«'"-i-^     ■^ 


Dessin  à  la  mine  de  plomb. 

Mais  un  projet  encore  plus  audacieux  hanta  l'esprit  de  l'artiste  : 
«  Quel  autre  que  Redon  eut  pu  seulement  concevoir  l'idée  d'une  illus- 
tration de  Pascal?  (3)  »  Ajoutons  d'ailleurs  qu'il  y  renonça  plus  tard  :  «  Je 


(1)  Il  y  a  lieu  d'ajouter  :  La  Maison  banlée,  Texte  de  Bulwer-Lytton  (Traduction  de  René 
Philippon).  —  Encore  les  planches  d'essai  pour  :  Le  Coup  de  Dés,  du  poète  Stéphane  Mallarmé. 

(2)  A.  M.,    Et.  s.  R..  p.  7  et  suiv. 

(3)  A.  M..  Gaz.  des  B.-A.  p.  143. 


—     iiS 


n  ai  fait  pour  les  Pensées  de  Pascal,  qu'apposer  une  phrase  de  cet  écrivain 
sur   l'une  de  mes  mines  de  plomb,    elle  s'adaptait  un  peu.  Je  doute 
que    je    donne   suite   à   mon    idée    d'en    produire   d'autres.   C'est   un 
texte  trop  abstrait,  pour  en  tirer  un  <<  blanc  et  noir  "  qui  y  corresponde, 
même    pour    moi   (I).  » 
Notons    cependant    que  : 
«  De   ce  projet   incomplè- 
tement  réalisé  demeu- 
rent  deux  dessins   à    la  "^      , 
mine    de    plomb.     «  Le                                                 ^^   ' 
silence    de    ces    espaces 
infinis...  »  est  entré,  par  le 
généreux  don  de  M.  Zuba- 
lofî,   au  Petit  Palais.    ><  Le 
cœur  a  ses   raisons...   »    se 
trouve   dans   notre  collec- 
tion (2).  » 

Nous  devrons  encore 
noter  qu'un  groupe  d'es- 
tampes, en  quelque  sorte 
posthumes  à  la  période  de 
pleine  floraison,  forme  un 
ensemble  particulier.  C'est 
"  toute  une  série  de  por- 
traits d  hommes,  exécutés 
sur  pierre,  en  noir,  bistre 
ou    sanguine,    de    1900    à 

1908.  L'effigie  s'y  impose  par  un  caractère  constant  de  simplicité  et 
d'expression.  Ce  sont  les  peintres  :  Bonnard,  Maurice  Denis, 
K.-X.  Roussel,  Sérusier,  Vuillard  ;  les  musiciens  Llobet  et  Ricardo 
Vines  ;  le  critique  d'art  Roger  Marx.  Puis  aussi  une  femme,  l'héroïne 


M"^'  Juliette  Dodu   (Lithographie). 


(1)  Lettre  d'Od.  R.  à  .A.  M..  21   juillet   1898. 

(2)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A.  p.  143. 

Nous  possédons  en  outre  la  préparation  au  crayon  lithographique  et  sur  papier  report,  établie 
par  Redon  daprès  le  second  de  ces  dessins,  en  vue  dune  estampe  sur  pierre  dont  le  tirage  ne  fut 
jamais   réalisé. 


119 


française  de  la  guerre  de  1870  :  M"'  Juliette  Dodu,  qui  était  la  sœur  de 
M-^Odilon  Redon  »(1). 

Enfin,  on  ne  saurait  être  complet  sans  mentionner  1  incursion, 
d'ailleurs  restreinte,  qui  fut  tentée  dans  le  domaine  de  1  estampe  en 
couleurs.  C'était  vers  1892,  la  chromographie  alors  très  en  faveur 
séduisait  nombre  de  bons  artistes,  et  l'on  pouvait  augurer  une  production 
aussi  féconde  qu'intéressante.  Mais  le  mouvement,  malgré  d'appréciables 
réussites,  s'arrêta  sans  avoir  donné  tout  ce  que  1  on  avait  espéré  (2). 
En  ce  qui  le  concerne  personnellement,  Redon  —  et  pourtant  ses  essais 
offrent  du  charme,  considérait  la  lithographie  comme  "  appauvrie 
par  la  couleur,  résultat  autre,  qui  anéantit  l'estampe  et  1  avoisine  à 
l'image  (3).  " 

Mais  il  est  un  point  selon  notre  estimation  à  envisager  très  parti- 
culièrement :  la  technique. 

C'est  que  la  matière  est  appelée  tout  ensemble  à  commander 
et  à  obéir.  Commander,  avons-nous  dit,  —  ce  terme  n'est  point  ici  stric- 
tement exact.  On  devra  entendre  qu'à  l'égard  du  substratum  il  existe 
des  lois  générales,  dont  les  applications  d'ailleurs  se  particularisent 
selon  les  éléments  divers  qui  sont  employés.  Bois,  cuivre  ou  pierre  ont 
leurs  possibilités  personnelles,  leurs  facilités  séductrices  même,  venant 
solliciter  l'artiste  et  lui  servir  d'auxiliaires.  Par  contre,  en  leur  essence 
résident  aussi  des  rédhibitions,  si  l'on  peut  dire,  aux  efforts  qui  ne 
tiennent  point  compte  de  leur  nature.  Ce  sont  des  propriétés  caracté- 
ristiques qu'il  faut  connaître  bien,  car  elles  constituent  la  base  sur 
laquelle  s'édifiera  l'œuvre  réalisée  extérieurement.  Mais,  une  fois  le 
grand  principe  observé,  l'artiste  créateur,  s'il  ne  peut  asservir  complè- 
tement la  substance,  doit  arriver  néanmoins  à  en  faire  une  compagne 
docile  et  fidèle.   Ce   n'est  que  par    elle  qu'il   peut  s'élever   au-dessus 


(1)  A.  M..  Gaz.  des  B.-A.  p.   149. 

A  cette  époque,  Redon,  de  plus  en  plus  absorbé  par  la  peinture,  n'usa  guère  encore  de 
la  lithographie  que  pour  multiplier  par  le  tirage  quelques-uns  des  portraits  originaux  à  la 
sanguine,  qu'il  fit  en  assez  grand  nombre.  Parmi  les  dessins  non  reproduits  sur  pierre,  nous  citerons  : 
le  D''  Sabouraud:  le  D''  Well;  le  Conseiller  d'Etat  et  amateur  d'art,  Olivier  Sainsère;  le  composi- 
teur Ernest  Chausson  ;  le  violoniste  A.  Parent  ;  deux  littérateurs,  les  frères  Marius  et  Ary  Leblond,  etc. 

(2)  Voir  :  André  Mellerio,  La  Lithographie  originale  en  couleurs  (Couverture  et  Estampe 
en  couleurs  de  Pierre  Bonnard).  Publication  de  V Estampe  et  l'Affiche,  1898. 

(3)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  120. 


LE    LISKUK 

(  Lithographie  t 


d  elle.  Et  mieux  il  respectera  les  liens  qui  le  retiennent,  pour  une  part 
du  moins,  inéluctablement  au  sol,  plus  il  aura  chance  d'envoler  haut  sa 
pensée  dans  le  ciel  de  l'idéal.  Profonde  et  mystérieuse  vérité,  impres- 
criptible destin  des  choses  ici-bas.  Si  l'esprit  pouvait  s'affranchir  de 
la  matière,  il  deviendrait  l'absolu,  il  serait  Dieu  ! 

Tout  cela,  combien  Redon  le  sait  et  le  comprend  intimement  : 
«  Je  crois  que  l'art  suggestif  tient  beaucoup  des  incitations  de  la  matière 
elle-même  sur  l'artiste.  Un  artiste  vraiment  sensible  ne  trouve  pas  la 
même  fiction  dans  des  matières  différentes,  parce  qu'il  est  par  elles 
différemment  impressionné  (1).  "Nous  ajouterons  corollairement  que, 
SI  une  inspiration  vient  animer  l'esprit  de  l'artiste,  l'intelligence  et 
le  tact  de  celui-ci  devront  s'efforcer  de  choisir  pour  la  réaliser,  des 
matériaux  d'une  nature  vraiment   adéquate. 

Cette  importance  du  suhstratum  a  tellement  frappé  Redon,  elle  lui 
paraît  si  capitale  qu'il  y  revient,  et  dans  des  termes  encore  plus  expli- 
cites :  «  Outre  les  dispositions  reçues  sous  l'influence  du  monde  et  du 
lieu  qui  l'entourent,  l'artiste  cède  aussi,  dans  une  certaine  mesure,  aux 
exigeants  pouvoirs  de  la  matière  qu'il  emploie  :  crayon,  charbon,  pastel, 
pâte  huileuse,  noirs  d'estampe,  marbre,  bronze,  terre  ou  bois,  tous  ces 
produits  sont  des  agents  qui  l'accompagnent,  collaborent  avec  lui,  et 
disent  aussi  quelque  chose  dans  la  fiction  qu'il  va  fournir.  La  matière 
révèle  des  secrets  ;  elle  a  son  génie  ;  c'est  par  elle  que  1  oracle  parlera. 
Quand  le  peintre  donne  de  son  rêve,  n'oubliez  pas  l'action  de  ces 
linéaments  secrets  qui  le  lient  et  le  tiennent  au  sol,  avec  I  esprit  lucide 
et  bien  éveillé  tout  au  contraire  (2).  >' 

Or,  qu'est-ce  donc  que  la  Lithographie?  Quelles  sont  ses  ressources 
et  ses  difficultés?  «  Le  crayon  gras  du  lithographe  opère  indirectement  : 
il  est  l'intermédiaire  qui  transmet  et  multiplie  l'ouvrage  (3).  »  Dans 
ces  conditions  l'avantage  est  de  donner,  comme  pour  tout  mode  de 
gravure,  un  certain  nombre  d'exemplaires  d'un  unique  original.  Par 
contre,  la  rançon  obligée  c'est  que  l'extériorisation  matérielle  de  1  (Euvre 
ne  s'opère  plus  aussi  directement  que  par  le  pinceau,  le  fusain  ou  la 


6  août    M 


(1)  Letti 

■e  d'Od. 

R. 

à  A 

.  M 

.,  16 

(2)  Od. 

R., 

A 

S. 

M.. 

p- 

123. 

(3)  Od. 

R., 

A 

S. 

M.. 

p- 

123. 

plume.  En  effet,  il  intervient  une  seconde  opération  :  le  tirage.  Par 
analogie,  on  pourra  voir  la  même  différence  qu'entre  le  livre  qui  va 
droit  de  l'auteur  au  lecteur,  et  la  pièce  de  théâtre  nécessitant  la  mise  en 
scène  et  le  jeu  des  acteurs.  Or,  davantage  il  existe  d'intermédiaires  entre 
le  jaillissement  de  la  sensibilité  créatrice  et  sa  définitive  expression, 
plus  il  y  a  crainte  d'atténuation,  voire  même  de  déformation. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  la  Lithographie,  voici  l'appré- 
ciation de  Redon,  très  à  retenir,  car  il  y  fut  un  maître.  La  pierre  «...  est 
impressionnable,  elle  subit  les  influences  les  plus  mobiles  et  variées 
du  temps.  S'il  pleut,  s  il  neige,  si  la  température  est  chaude  ou  froide, 
autant  de  conditions  décevantes  ou  heureuses,  fertiles  en  agréables  ou 
désagréables  surprises,  et  dictant  l'attitude  qu'il  faut  avoir  avec  elle 
quand  on  imprime  (1)  ».  Or,  nous  pouvons  le  dire  :  «  ...pour  rendre 
le  monde  intérieur  de  la  pensée,  notre  artiste...  a  su  trouver  une  plastique 
vibrante,  à  la  fois  souple,  sévère  et  profonde  (2)  ».  Puis,  comme  l'écri- 
vait si  justement  de  lui  un  critique  ami  :  "  Ajoutez  à  cette  haute  valeur 
idéale,  une  étonnante  maîtrise  d'exécution  qui  fait  paraître  toutes  ces 
lithographies  et  ces  fusains  plus  lumineux  et  plus  puissants  que  des 
eaux-fortes...  (3)  » 

Redon,  par  la  lithographie  "  a  su  s'exprimer  avec  abondance,  mar- 
quant toujours  le  procédé  qu'il  employait  de  son  sceau  personnel... 
la  matière  était  sévère,  plus  restreinte  même  sous  certains  rapports  que 
le  fusain,  car  elle  ne  pouvait  en  avoir  les  imperceptibles  et  vivantes 
nuances  d  original  direct,  sensible  au  moindre  frémissement  de  la 
main.  La  pierre  forme  un  intermédiaire  avec  lequel  on  doit  compter. 
Parfois  aussi,  elle  offre  des  séductions  matérielles,  grâce  à  ses  tours  de 
métier  appris,  ses  invites  au  laisser-aller.  C'étaient  d'autres  écueils  où 
Redon  eut  garde  de  ne  se  point  perdre...  S'il  acceptait  de  la  lithographie 
toutes  les  ressources  connues,  c'était  à  la  condition  de  les  utiliser 
avec  la  plus  extrême  indépendance,  et  en  leur  adjoignant  d'efficaces 
innovations  (4)  ». 

En  effet  :  "  La  pierre  était  traitée  non  en  maîtresse  au  grain  souverain. 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  124. 

(2)  A.   M..  Préf.  d'Exp.  dVd.  R..   1894. 

(3)  Emile  Hennequin,  Odilon  Redon.  Revue  Littéraire  et  Artistique,  4  mars 

(4)  A.  M.,  Et.  s.  R..  p.   19  et  20. 


^ 


plutôt  au  contraire  en  servante  souple  et  docile,  par  une  main  consciem- 
ment volontaire.  Et  toujours  dominait  l'émotion  ardente  de  l'artiste,  lui 
faisant  considérer  les  procédés  qu'il  connaissait  à  fond,  et  modifiait  sans  pré- 
jugé.jamais  comme 
un  but  de  virtuosité 
mais  ainsi  qu  un 
simple  intermé- 
diaire d'expression. 
—  Le  métier  chez 
Redon  est  extrê- 
mement curieux  et 
varié.  Choix  des 
papiers  de  Chine 
ou  autres,  charge- 
ment de  la  pierre 
à  noirs  redoublés, 
emploi  de  la  plume, 
coups  de  grattoir, 
et  le  reste.  L'ar- 
tiste a  usé  parfois, 
et  dans  des  condi- 
tions très  spéciales 
du  papier  report  (1). 
plaçant  la  feuille, 
pendant  le  travail, 
sur  des  surfaces 
lisses  ou  rugueuses 
destinées  à  pro- 
duire des  effets  très  différents  (2)  ».  A  ce  sujet,  voici  quelques  expli- 
cations complémentaires  :  «  Le  papier  report  est  excellent  pour 
l'improvisation.  Je  l'aime  beaucoup  parce  qu'il  obéit  mieux  que  la 
pierre...  celle-ci  ne  permet  guère  les  aventureuses   entreprises  de   ma 


Mq,lustu. 


(1)  C'est  un  papier  spécial,  sur  lequel  on  travaille  tilrectement  avec  le  crayon  lithographique. 
Puis,  le  dessin  ainsi  obtenu,  est  appliqué  par  pression,  reporte  sur  la  pierre,  où  il  se  fixe.  On  opère 
alors  le  tirage  dans  les  conditions  ordinaires. 

(2)  A.  M,  El.  s.  R..  p.  20. 


—      123 


fantaisie.  Le  papier  cède,  la  pierre  résiste.  Je  ne  la  comprends 
qu'après  le  premier  coup  de  feu,  après  les  chaudes  fumées  de  l'impro- 
visation initiale  et  sur  le  papier  (I).» 

Que  devait-il  résulter  de  telles  entreprises,  Redon  nous  1  expose  : 
«  Je  savais  ces  essais  façonnés  irrégulièrement,  hors  des  méthodes  habi- 
tuellement suivies  pour  le  travail  sur  pierre  :  mais  je  cherchais,  j'ai 
cherché.  Et  je  crois  avoir  mis  abandonnément,  et  sans  contrainte,  mon 
imagination  à  même  d'exiger  des  ressources  de  la  lithographie,  tout 
ce  qu'elles  pouvaient  donner.  Toutes  mes  planches,  depuis  la  première 
jusqu'à  la  dernière,  n'ont  été  qu'une  analyse  curieuse,  attentive,  inquiète 
et  passionnée  de  ce  que  contenait  de  pouvoir  d'expression  le  crayon  gras 
du  lithographe,  aidé  du  papier  (2)  et  de  la  pierre.  "  (3) 

Ces  innovations  audacieuses  ne  pouvaient  se  manifester  de  la 
part  d'un  artiste  inconnu,  dépourvu  de  prestige  et  d'autorité,  sans 
rencontrer  des  difficultés,  des  protestations,  voire  même  de  l'obstruc- 
tion :  "  Par  de  telles  façons,  non  seulement  Redon  causait  une  surprise, 
mais  encore  il  bouleversait  les  manouvriers  commerciaux,  ainsi  que  les 
reproducteurs  plus  ou  moins  habiles,  végétant  dans  les  arrière-fonds  des 
expositions  officielles...  Cette  saveur  profonde  des  blancs  et  des  noirs, 
d'une  vigueur  intense  égalant  l'eau-forte,  n'était  pas  plus  comprise  que 
les  nuancements  estompés  et  gradués  avec  une  suprême  finesse  (4)  ». 
Que  de  souvenirs  d'une  lutte  longuement  et  douloureusement  sou- 
tenue :  "  Vous  parlez...  des  lithographes  officiels.  Je  ne  connais  de  leur 
pensée  que  le  soin  qu'ils  ont  pris  de  m'éliminer  jadis  des  expositions  qu  ils 
organisaient.  Après  examen  fait  en  ma  maturité,  je  crois  pouvoir  dire 
qu'ils  ont  écarté  mes  meilleures  lithographies.  Ils  sont  copistes  d'ailleurs, 
je  ne  pouvais  donc  pas  traiter  mes  ouvrages  comme  ils  traitaient  les 
leurs.  C  était  impossible.  J'ai  vu  autrefois  quelques-uns  de  ces  litho- 
graphes à  l'imprimerie  Lemercier  ;  mais  nous  n'avons  guère  échangé  de 
propos  sur  nos  diverses  cuisines.  Nos  abords  étaient  d'ailleurs  tempérés 
par  une  atmosphère  assez  fraîche  qui  se  répandait  quand  j'approchais 


(1)  Lellre   dVJ.    R.  à    A.    M..    16    août    1898. 

(2)  C  est  encore  le  papier  report  auquel   Redon   fait   ici  allusion. 

(3)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  124. 

(4)  A.   M..  Et.  5.  R..  p.  20. 


—     124 


UN    MASQUE   SONNE   LE  GLAS   FUNÈBRE 
(Lithographie) 


d  eux  ;  je  sais  qu  ils  parlaient  du  "  grain  "  avec  quelque  mystère... 
—  Tous  les  lithographes  connaissent  et  traitent  avec  beaucoup  d'égard 
cet  élément  essentiel  d'une  bonne  pierre  ;  mais  le  résultat  qu'il  donne 
n'est  pas  le  but  (I).  " 

Or,  la  cause  de  ce  malentendu  était  profonde  et  devait  fatale- 
ment 1  amener  à  dégénérer  en  un  vrai  conflit  :  "  ...  Les  lithographes 
de  profession...  ont  tort  de  témoigner  contre  moi  qui  n'ai  jamais 
fait  ni  désiré  faire  leur  besogne.  Ils  ont  un  point  de  vue,  j'en 
ai  un  autre  (2).  "  Et  le  but  poursuivi  par  Redon,  le  voici  :  "  Je  n'ai  jamais 
le  souci  de  faire  donner  à  la  pierre  ce  qu'elle  a  en  soi,  mais  de  me 
transmettre  moi-même...  toutes  mes  planches  ne  sont  guère  qu'un 
dessin  transposé  et  multiplié,  avec  la  pierre  pour  humble  agent  de 
transmission  (3).  » 

On  peut  dire  que  cette  hostilité  s'étendait  du  haut  en  bas  du  monde 
lithographique.  Certainement,  si  elle  était  déjà  une  épreuve  morale- 
ment pénible  venant  des  confrères  de  l'estampe,  elle  constituait  un 
véritable  obstacle  de  la  part  des  ouvriers  de  métier  :  "  Mon  Dieu  !  ai-je 
souffert  dans  les  imprimeries,  ai-je  éprouvé  intérieurement  des  sursauts 
de  colère  à  la  constatation  de  la  confuse  incompréhension  que  1  im- 
primeur montrait  toujours  de  mes  essais  (4).  "  En  effet,  quiconque 
s'est  intéressé  un  peu  au  travail  lithographique,  ne  saurait  ignorer 
l'importance  réelle  du  tireur  (qu'on  ajDpelle  aussi  en  terme  technique  : 
.  essayeur).  C'est  l'ouvrier  déjà  élevé  en  grade,  connaisseur  de  son  métier, 
et  autant  que  possible  d'intelligence  adroite,  qui  procède  à  la  mise  en 
train  selon  les  conditions  jugées  par  lui  les  plus  favorables  à  reproduire 
le  dessin  original.  En  outre,  il  surveille  le  roulement  de  la  presse,  et 
remédie  aux  accidents  fortuits  :  "  ...  La  sensibilité  de  l'artiste  devra 
compter  aussi  (hélas)  avec  la  promiscuité  obligée  de  l'imprimeur.  On 
lui  confie  le  fruit  précieux  de  son  esprit,  il  le  faut  bien  ;  mais  rien  de 
bon,  rien  de  complet  ne  sera  possible  sans  la  collaboration  attentive  et 
soumise  de  cet  acolyte,  simple  opérateur,  dont  la  participation  est  pré- 
cieuse quand  elle  est  intuitive,  néfaste  et  déplorable  quand  elle  ne  pres- 


(1)  Od.    R.,  Lettre   o    A.    M..   16   aoCit    1898. 

(2)  Od.    R..   Lettre  à   A.   M.    16  août    1898. 

(3)  Lett.  lOd.  R.  à  Edm.  p..  15  juin  1894. 

(4)  Od.   r.,   a   s.   m.,   p.    124. 


123     — 


sent  ou  ne  devine  rien.  On  fait  avec  lui  une  union  temporaire  mal 
assortie,  où  il  faut  par  raison  s  entendre,  s'accorder.  Mais  on  ne  fait 
pas  œuvre  d'art  à  deux.  Il  faut  qu'il  y  en  ait  un  qui  se  ploie  (1).  " 

Or  Redon,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  tint  bon.  Il  déploya 
une  fois  de  plus  cette  fermeté  intérieure,  cette  patience  inébranlable, 
qui  toujours,  dans  sa  vie  d'artiste,  furent  contre  les  pressions  hostiles 
du  dehors,  sa  protestation  silencieusement  persévérante  et  finalement 
victorieuse. 

Parmi  les  imprimeurs  et  ouvriers  lithographes,  auxquels  il  eut 
affaire,  et  dont  certains  arrivèrent  à  lui  donner  satisfaction,  nous  cite- 
rons :  <|  Lemercier,  Becquet,  Duchâtel,  Clôt  si  adroit,  et  surtout  le  très 
expert  mais  bien  fantasque  Blanchard  (2).  "  A  titre  de  renseignement, 
ajoutons  encore  les  noms  suivants  :  Monrocq,  Furstein,  etc. 

«  Cependant,  il  est  une  considération  importante...  que  nous  devons 
faire  valoir.  Lorsque  Redon  vint  à  choisir  comme  moyen  d  expression 
la  Lithographie,  dans  quel  état  se  trouvait  celle-ci?  Il  faut  bien  le  cons- 
tater, ce  mode  artistique,  datant  du  commencement  du  XIX^  siècle,  et 
qui,  dans  sa  première  moitié,  fut  triomphant,  pour  ainsi  dire  prépon- 
dérant, avait  énormément  décru.  Tombé  généralement  à  des  besognes 
infîmes,  végétant  sans  notoriété,  il  ne  demeurait  guère  que  comme  une 
simple  utilité  commerciale,  quand  l'artiste  lui  apporta  un  mouvement  de 
réimpulsion...  —  Ce  procédé,  dans  ce  qu'il  a  d'original  et  de  puissant, 
lui  doit,  après  une  période  d'abaissement,  sa  rénovation,  nous  dînons 
presque  son  ressuscitement.  Depuis,  il  a  été  réemployé  souventes  fois, 
non  plus  mécaniquement  mais  expressivement,  par  de  véritables 
artistes...  (3)  » 

Certainement  on  sera  curieux  de  connaître  l'opinion  de  Redon  sur 
la  Lithographie  qu'il  a  tant  approfondie  et  aimée  —  comme  aussi 
l'avenir  qu'il  pensait  pouvoir  être  réservé  à  celle-ci  :  «  Je  suis  étonné  que 
les  artistes  n'aient  pas  donné  plus  d'expansion  à  cet  art  souple  et  riche, 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  123. 

(2)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A.,  p.  149. 

Au  sujet  des  imprimeurs  de  Redon,  on  pourra  consulter,  outre  ses  manuscrits  et  ses 
publications  :  Jeanne  Doin,  OJilon  Redon  {Mercure  le  France.  I'' juillet  1914),  p.  18,  —  et  AndrÉ 
Mellerio,  La  Lithographie  originale  en  couleurs,  p.  25  et  26. 

(3)  A.  M..  El.  s.  R..  p.  2!  et  22. 

—       126      — 


^^ 


Tète  cl'exp*ession    (Dessin). 


127      — 


obéissant  aux  plus  subtiles  impressions  de  la  sensibilité.  Il  faut  que  le 
temps  où  j  ai  vécu  ait  été  bien  préoccupé  d'imitation  et  de  naturalisme 
directs,  pour  que  ce  procédé  n'ait  pas  captivé  plus  souvent  les  esprits 
inventifs  de  fiction  et  tenté  de  les  conduire  à  déployer  les  richesses 
suggestives  qu  il  réserve.  Il  provoque  et  fait  apparaître  l'inattendu.  — 
Je  parle  ici  du  papier  dit  report  bien  plus  que  de  la  pierre  (1).  »  Et  sur 
ce  dernier  point,  il  insistait  :  "  Tout  l'avenir  de  la  lithographie  (s'il  y 
en  a)  gît  dans  les  ressources  encore  à  découvrir  du  papier,  qui  transmet 
si  parfaitement  sur  la  pierre  les  plus  fines  et  mobiles  inflexions  de 
l'esprit   (2).   » 

Néanmoins,  dans  les  conversations  que  nous  eûmes  plus  d'une 
fois  avec  1  artiste,  relativement  à  la  Lithographie,  —  qui  nous  a  toujours 
personnellement  intéressé,  et  pour  laquelle  nous  éprouvons  de  la  pré- 
dilection, —  il  nous  confiait,  qu'à  son  sentiment,  on  devait  redouter 
un  écueil  prochain.  Les  vieux  praticiens  disparaissaient,  et  l'on  ne 
voyait  plus  de  jeunes  se  former.  Aussi,  tenant  compte  de  l'importance 
du  tireur,  précédemment  exposée,  Redon  estimait  que  les  artistes 
futurs  qui  voudraient  reprendre  le  procédé,  rencontreraient  certai- 
nement de  ce  chef,  un  sérieux  obstacle  à  la  réalisation  matérielle  de 
leurs  œuvres  en  belles  épreuves. 


LES    DESSINS   :    FUSAIN,    PLUME,    CRAYON,    etc. 

Redon   a   beaucoup  et  passionnément   dessiné. 

Avant  tout  doit-on  mentionner  son  emploi  fréquent  du  fusain, 
grâce  auquel,  d'ailleurs,  il  commença  de  se  révéler  vraiment.  C'est  par 
lui  «  qu'il  connut  la  joie  des  premiers  enfantements  où  se  cherchait  et 
se  mûrissait  sa  personnelle  originalité  (3).  >'  Il  le  dit  :  «  Vers  1875,  tout 
m  arriva  sous  le  crayon,  sous  le  fusain,  cette  poudre  volatile,  impal- 
pable, fugitive  sous  la  main.  Et  c'est  alors  que  ce  moyen,  parce  qu'il 
m  exprimait    mieux,    me    resta.    Cette   matière    quelconque,    qui    n'a 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  124. 

(2)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.    125. 

(3)  A.  M..  Gaz.  da^  B.-A..  p.  150. 


—      128 


aucune  beauté  en  soi,  facilitait  bien  mes  recherches  du  clair-obscur 
et   de   l'invisible  (I).  » 

Ainsi  que 
nous  avons  eu 
1  occasion  déjà  de 
1  écrire  :  "  ...  les 
fusains  de  Redon 
sont  réellement 
uniques.  Ils  ont 
un  aspect  lointain 
et  mystérieux  qui 
suggère  l'infîni.  La 
matière  semble 
disparaître,  ou 
plutôt  elle  s'incor- 
pore intimement  à 
1  inspiration  pour 
former  une  vision 
intense.  Cette 
supériorité  ne  sera 
jamais  mieux  saisie 
qu'en  mettant  côte 
à  côte  les  œuvres  dv 
l'artiste  et  celles  des 
fusinistes  les  plus 
en  renom.  Pour  ob- 
tenir un  tel  résultat, 
il  faut  posséder  une 

forte  émotion  intuitive  des  êtres  et  des  choses,  l'exprimer  largement  et  par 
grandes  masses  de  clair-obscur,  où  passent  parfois  de  très  soujjles  nuancc- 
ments...  (2)  "  Certes  ■  "  du  simple  fusain  il  a  fait  un  évoquement  grandiose, 
avec  du  blanc  et  du  noir,  il  a  créé  vraiment  de  l'ombre  et  de  la  lumière  (3).» 


Pégase  blanc  ( Peinture j. 


(1)  Un.  lOd.  R.  à  Edm.  P..  13  juin  1894. 

(2)  A.  M.,  Et.  s.  R..  p.   19. 

(3)  A.  M.,  Préf.  d'Exp.  d'Od.  R..   1894. 


129 


Cependant,  pour  atteindre  un  tel  but  que  de  difficultés  à  vaincre  ! 
«  C'est  une  matière  mal  vue  chez  les  artistes,  et  négligée.  Que  je  le  dise 
pourtant,  le  fusain  ne  permet  pas  d'être  plaisant  :  il  est  grave.  On  ne  peut 
tirer  bon  parti  de  lui  qu'avec  le  sentiment  même.  Tout  ce  qui  ne  suggère 
rien  à  l'esprit  ne  vaut  rien  qui  vaille  avec  le  charbon.  Il  est  sur  la  lisière 
de  quelque  chose  de  désagréable,  de  laid.  Je  vous  le  dis,  c  est  la  matière 
qui  supporte  le  moins  la  négligence  du  déshabillé,  rien  n  est  à  tirer  d  elle 
seule.  Il  lui  faut  la  tenue,  elle  a  besoin  plus  que  toutes  les  autres  d'être 
élevée  à  la  dignité  d'expression.  Elle  exige  de  l'artiste  qui  l'emploie, 
à  la  minute  heureuse  où  l'agent  passionnel  fournit  une  égale  dose  de 
clairvoyance  et  de  logique,  un  tact,  un  goût  minutieux  toujours  en  éveil 
et  présent  (1).  " 

Certainement,  en  énonçant  tant  d'obstacles  divers,  Redon  a  dé- 
montré indirectement  et  sans  y  prendre  garde  toute  sa  maîtrise,  puisqu'il 
en  a  su  triompher.  Les  fusains  formaient  la  base  d  ensemble  des  deux 
premières  expositions  que  l'artiste  présenta  à  la  Vie  Moderne  en  1881  et 
au  Gaulois  en  1882.  Outre  la  constatation  faite  alors  de  la  savoureuse 
puissance  de  leur  clair -obscur,  venait  s'ajouter  encore  cette  juste 
remarque  :  "  ...Un  dessin  impeccable  qui  contraint  1  œil  à  accepter  les 
déformations  les  plus  bizarres  des  êtres  réels  et  l'on  conçoit  ce  que  de 
pareilles  œuvres  peuvent  susciter   d'admiration   (2).    » 

De  l'inspiration  de  ces  fusains  nous  n'avons  rien  à  dire  qui  la  diffé- 
rencie de  celle  des  lithographies,  dont  ils  furent  d'ailleurs  «  les  pro- 
dromes, souvent  même  la  source  initiale  (3)  ".  Tantôt  la  nature  avec  ses 
grands  ciels  et  ses  horizons  vastes,  forme  le  décor  de  fond.  Tantôt 
ce  sont  des  structures  monumentales,  tout  ensemble  fantastiques  et 
précises.  A  ce  dernier  effet  contribuèrent  les  travaux  de  géométrie  et  de 
dessins  linéaires  que  Redon,  encore  jeune  homme,  avait  dû  effectuer 
dans  un  but  bien  différent.  C'est  que  :  »  rien  n  est  perdu  d  une  étude... 
celles  que  je  fis  comme  aspirant  architecte  des  projections  des  ombres 
qu'un  professeur  éclairé  me  fit  faire  avec  une  attention  méticuleuse, 
appuyant  l'abstraction  de  la  théorie  et  des  démonstrations  sur  des  corps 


(1)  L'M.  d'Od.  R.  à  Edm.  p.,  15  juin  1894. 

(2)  Em.  Hennequin,  jam  cit. 

(3)  A.  M..  Et.  s.  R..  p.  19. 


—     130 


-T 

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^;v(jj|jï<jjg|5jj_. 


tangibles,  et  me  proposant,  dans  les  problèmes  à  résoudre,  des  cas 
spéciaux  d'ombres  projetées  sur  des  sphères  ou  autres  solides.  Cela 
m  a  servi  plus  tard  :  j'ai  plus  aisément  rapproché  l'invraisemble  du 
vraisemblable,  et  j'ai  pu  donner  de  la  logique  visuelle  aux  éléments  ima- 
ginaires que  j'entrevoyais  (1).   » 

Et  sur  ces  fonds,  qu'il  s'agisse  de  nature  ou  d'architecture,  c'est 
—  fusains  et  lithographies,  un  pareil  monde  multiple  et  divers,  les  mêmes 
formes  étranges,  jailhes  pour  ainsi  dire  du  néant  et  appelées  à  la  vie 
par  la   puissance  d'un   démiurge  créateur... 

En  ce  qui  concerne  le  côté  purement  technique,  quelques  remarques 
doivent  être  retenues  :  "  Redon  emploie  un  papier  tantôt  bleuâtre, 
tantôt  et  le  plus  souvent  jauni.  Par  un  fixatif,  mixture  à  lui  particulière, 
il  donne  à  ses  dessins  un  fondu  général  comme  doré  sourdement,  équi- 
valant à  cette  patine  d'ensemble  que  prennent  au  vieillissement  les 
peintures  de  Rembrandt  (2).  " 

On  a  voulu  parfois  comparer  Redon  à  deux  artistes  avec  lesquels 
nous  n  estimons  point  qu'on  puisse  lui  établir  d'affinités  véri- 
tables. «  Malgré  qu'on  en  ait  dit...,  et  bien  qu'un  album  lithogra- 
phique soit  dédié  à  Goya,  il  semble  que  ce  soit  un  simple  hommage 
plutôt  qu  un  rapprochement  effectif.  Les  tendances  satiriques  dans 
l'ordre  politique  et  religieux,  le  côté  réaliste  et  brutal  du  grand  Espa- 
gnol n'ont,  au  fond,  guère  de  rapport  avec  l'œuvre  de  notre  artiste. 
Dans  un  autre  ordre  d'idées,  il  ne  serait  pas  plus  loisible  d'établir 
comparaison  avec  un  dessinateur  plus  moderne,  Gustave  Doré.  De  celui- 
ci  les  effets  moyenâgeux  souvent  d'un  |:)ittoresque  indéniaf)le,  la  verve 
très  abondante  mais  j^arfois  se  répétant,  ne  sauraient  être  mis  en  parallèle 
avec  le  tempérament  moins  exubérant  et  plus  profond  de  Redon  (3)...  >' 

Notons  que  l'artiste  eut  toujours  la  haute  estime  du  dessin.  En  même 
temps  qu'il  regrettait  que  l'estampe  ne  fût  généralement  point  mise  à  sa 
juste  valeur,  il  ajoutait  :  »  Le  crayon  n'est  guère  plus  apprécié.  Il  y  a 
au  Louvre,  dans  les  galeries  des  dessins,  une  somme  d  art  bien  plus 
grande  et  plus  pure  que  dans  les  galeries  de  peinture  :  on  y  va  peu  ; 


(I)Od 

.  R. 

.  A  S. 

M.. 

P- 

22. 

(2)  A. 

M., 

El.  s. 

R; 

P- 

19. 

(3)  A. 

M., 

Et.  s. 

R; 

P- 

37. 

—    131    - 


on  visite  préférablement  les  tableaux.  C'est  que  le  plaisir  est  là.  Voilà 
le  clair  indice  de  I  analogue  indifïérence  qui  accueillera  toujours  en 
France  l'œuvre  de  l'artiste  qui  se  complaît  dans  l'austérité  du  noir  ())...« 

Non  seulement  c'est  un  œuvre  abondant  au  fusain  que  Redon 
a  laissé,  mais  encore  de  "  nombreux  croquis,  certains  très  poussés,  à 
la  plume,  au  crayon  noir,  à  la  mine  de  plomb,  à  la  sanguine.  L'artiste  ne 
pouvait  manquer  de  s'attacher  profondément  au  dessin,  ce  pain  des 
forts,  SI  l'on  nous  permet  de  dire.  Il  savait  par  expérience  tout  ce  qu'on  y 
met  d  impression  directe,  de  vision  analytique,  aussi  d'expression 
spontanée    (2).    « 

Cette  partie  presque  entièrement  ignorée  de  sa  production  n'a 
commencé  à  être  révélée  vraiment  que  depuis  sa  mort,  lorsque  des 
spécimens  sont  entrés,  les  uns  dans  l'asile  stable  des  grands  Musées, 
les  autres  en  des  collections  particulières.  Et  la  raison  de  cette  non- 
connaissance  antérieure  provient  de  ce  que  "  c'était  pour  lui  un  véri- 
table répertoire  où  il  allait  puiser  les  éléments  de  ses  compositions 
importantes.  Aussi,  de  son  vivant,  déroba-t-il  jalousement  ce  trésor 
précieux  à  la  curiosité  de  son  entourage  même  le  plus  fidèle,  tant 
il  craignait  de  s  attirer  l'obsession  d'un  amateur  trop  passionné  à  le 
vouloir  acquérir  (3).  " 


LA    PEINTURE    DE    REDON 

Nous  aurons  à  envisager  sous  cette  désignation  générale  :  la  peinture 
proprement  dite  et  les  pastels  —  puis  les  œuvres  décoratives. 

^  I.  Peinture  et  Pastels. 

"  ...  Redon  fut  peintre  aussi.  —  En  ce  domaine  de  son  art,  où  il 
affirme  également  une  personnalité  marquée,  deux  périodes  distinctes 
doivent  être  considérées  (4).  «  Elles  sont  nettement  séparées  l'une  de  l'autre 


(1)  Od.  R. 

,  A  S.  M.,  p. 

120. 

(2)  A.  M., 

Gaz.  des  B.-A., 

p.  151. 

(3)  A.  M.. 

Gaz.  des    B.-A.. 

p.  131. 

(3)  A.  M., 

Gaz.  des   B.-A., 

p.  151. 

132 


par  le  long  intervalle  d  années,  où  l'artiste  se  consacra  presque  uni- 
quement au  blanc  et  noir,  surtout  lithographique.  Mais  de  plus  elles 
apparaissent  différentes  d'inspiration,  d'aspect  et  de  métier.  La  première 
commence  aux  essais  de  jeunesse,  et  se  prolonge  encore  un  peu  après  la 
guerre  de  1870.  La  seconde,  par  contre,  est  afférente  à  la  dernière 
époque  d  existence,  lorsque  l'âge  mûr  était  déjà  fini.  On  peut  en  dater 
les  prodromes  caractérisés  aux  environs  de  1900.  Elle  se  poursuivra 
sans  interruption  jusqu'à  la  fin  de  la  vie  de  Redon. 

Au  début,  l'influence  certainement  ressentie  est  celle  du  roman- 
tisme, surtout  émanant  de  Delacroix.  Quoi  d'étonnant  d'ailleurs?  Si 
originale  que  soit  nativement  une  personnalité,  il  lui  faut  encore,  en  ses 
œuvres  naissantes,  se  chercher  par  tâtonnement,  en  un  mot  s'orienter. 
Elle  subira  fatalement  l'effet  de  ses  curiosités  et  de  ses  admirations, 
qui  souvent  sont  révélatrices  déjà  de  ses  tendances  profondes  bien  que 
confusément  inconscientes.  Les  attirances  éprouvées  alors  aideront  par 
degrés  l'artiste  à  s'éclairer  sur  ses  facultés,  jusqu  au  jour  où,  pleinement 
dégagé,  il  pourra  voler  de  ses  propres  ailes. 

Or,  sans  doute,  l'homme  vers  qui  Redon,  à  ses  premiers  com- 
mencements, se  sentait  entraîné,  auquel  il  devait  s'attacher,  et  cela 
presque  nécessairement  :  c'était  bien  Delacroix,  il  avait  contemplé 
ses  œuvres,  et  les  admirait  avec  une  émotion  passionnée.  Même, 
cherchant  à  pénétrer  plus  intimement  leur  esprit  et  leur  métier,  il 
en  faisait  des  copies.  Témoin  celle  peinte  d'après  une  Chasse  au 
lion  du  Musée  de  Bordeaux,  toile  superbe  du  grand  romantique,  et 
qui,  dans  un  incendie,  fut  malheureusement  détruite.  De  cette  première 
période  on  peut  citer  comme  typique  :  Roland,  toile  originale  du  jeune 
artiste,  laquelle  figura  à  l'exposition  du  Salon  Bordelais  en  1870.  Certes 
l'influence  se  constate,  mais  pourtant  Redon  n'est  point  servilement 
impressionné  par  Delacroix.  Comme  nous  l'avons  dit  au  sujet  de 
ses  premières  gravures  avec  Bresdin,  si  l'élève  respecte  ses  maîtres  et 
les  aime,  il  n'est  point  annihilé  dans  leur  orbe  puissant,  et  fait  preuve 
déjà  de  qualités  personnelles,  comme  de  recherches  indépendantes. 

A  cette  époque,  un  critique  d'art  se  montrait  perspicace,  lorsqu'il 
écrivait  :  «  Le  Roland  de  M.  Redon  avec  sa  couleur  sombre  voulue,  et 
qui  ne  messied  point  trop,  du  reste,  à  ce  sujet  qui  doit  avoir  dans  l'inten- 
tion bien  évidente  de  l'artiste  et  l'intérêt  de  l'histoire  et  la  saveur  de  la 

—     133     — 


légende  —  a  dans  ses  proportions  exiguës  une  grande  et  belle  allure 
qui  plaît...  petit  tableau,  fort  original...  (I)  »  Cette  appréciation  favo- 
rable est  d'autant  plus  intéressante  qu'elle  indique  bien  les  visées 
voulues  de  l'artiste,  en  même  temps  qu'elle  reconnaît  sa  personnalité 
comme  déjà  apparente. 

Mais  à  côté  de  sujets  de  même  ordre,  Redon  prenait  plaisir,  et 
nous  retrouvons  là  son  penchant  profond  pour  la  nature,  à  s'adonner  au 
paysage.  Après  la  guerre  de  1870,  il  y  revint  même  assez  fréquemment  : 
"  ...Vers  1865...  j  avais  un  ami  qui  m'initiait,  en  théorie  et  par  1  exemple, 
à  toutes  les  sensualités  de  la  palette.  Il  fut  pour  moi  comme  le  pôle 
opposé;  de  là  des  discussions  sans  fin.  Nous  faisions  ensemble  du 
paysage  où  je  m'efforçais  cependant  à  la  représentation  du  ton  réel. 
J'ai  réussi  des  études  à  ce  moment-là  qui  sont  sans  aucun  doute  de  la 
peinture,  incontestablement  (2).  "  Puis  encore  :  "  J'ai  fait  comme  les 
autres...  des  fonds  de  boîtes  en  Bretagne  ou  à  Barbizon  (3).  »  Si  quelque 
influence  se  démêle  dans  le  choix  de  valeurs  fines,  le  métier  simple  et 
sobre,  la  recherche  du  sentiment  poétique,  c  est  évidemment  celle  de 
Corot,  surtout  en  ses  toiles  d'Italie.  D'ailleurs  Redon  connut  person- 
nellement le  Maître  paysagiste  et,  sans  être  son  élève  direct,  reçut  de 
lui  au  moins  quelques  conseils. 

Cependant,  là  encore,  pour  peu  qu'on  y  regarde  assez  près,  l'origi- 
nalité se  fait  sentir.  Dans  les  œuvres  de  cette  époque  qui  nous  sont 
connues  :  «  L'artiste  montre  déjà  cette  tendance,  plus  tard  consciente 

et   pleinement   développée,    à   rechercher   dans   le    spectacle   offert 

à  ses  yeux,  moins  l'objet  d'une  reproduction  directe  et  précise, 
que  matière  à  épancher  ses  sentiments  intérieurs  et  sa  libre  fantaisie 
créatrice  (4).  »  De  la  nature  ce  qu'il  voudrait  rendre  avant  tout,  ce  n  est 
point  ce  qu'elle  dit  expressément,  mais  bien  plutôt  ce  qu'elle  peut 
laisser  deviner  de  son  mystère  intime  et  profond.  Seuls  les  grands 
intuitifs  perspicaces,  attentifs  à  soulever  le  voile  jaloux  des  apparences 
arrivent  à  en  pénétrer  l'essence  même. 


(1)  Félix  LÉai.,  Salon  Bordelais,  19'-'  Exposition  de  la  Société  des  Amis  des  Arts,  IV,  La  Gironde. 
14  mai   1870. 

(2)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.  25. 

(3)  Letl.  d'Od.    R.   à  Edm.  p.,  15  juin    1894. 

(4)  A.  M.,  Gaz.   des  B.-.i..  p.   151. 


134 


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Étuae  po.r  "Roger  e.   Angélique"   (Dc^m  ù  /Wrc  Je  Chine). 


Or  "...toute  cette  première  production  picturale  fut  par  Redon 
tenue  secrètement  réservée,  amsi  que  nous  l'avons  vu  agir  à  1  égard  de 
ses  dessms  (!)  ».  Et  cela,  pour  les  mêmes  raisons  :  "  Aussi  estimons-nous 
qu'il  y  a  là  des  parties  de  son  œuvre  qui  réclameront  un  examen  attentif 
et  approfondi  (2).  >'  Il  fut  loisible  de  le  commencer,  lors  de  quelques 
expositions  faites  récemment... 

Nous  en  venons  à  l'autre  courant  de  sa  peinture  :  "  Cette  seconde 
période,  très  différente,  est  beaucoup  plus  connue.  C'est  elle  qui  pendant 
les  dernières  années  de  l'artiste,  suscita  chez  un  public  nombreux  plus 
que  de  la  sympathie,  presque  un  engouement,  d'ailleurs  très  justifié. 
Cette  production  correspond  à  l'époque  enfin  rassérénée  de  sa  vie 
quand  on  constata  chez  lui,  au  lieu  de  la  normale  lassitude  de  1  âge, 
une  jouvence  de  la  sensibilité,  en  même  temps  que  de  la  vision  (3).  » 

De  cet  état  à  la  fois  moral  et  physique  «  nous  trouvons  le  témoi- 
gnage expressif  dans  une  peinture  et  des  pastels  rayonnant  de  clarté 
et  d'opulent  coloris.  Or,  choix  bien  corrélatif,  ce  qu'il  représente,  ce 
sont  des  sujets  de  grâce  et  d'élégance,  tout  ce  qui  est  jeune,  séduisant, 
empreint  de  fraîcheur  et  de  charme  :  la  femme,  1  enfant  et  les  fleurs. 
«  Rappelons  les  portraits  de  :  M""'  Bouger,  A.  de  La  Rochefoucauld, 
de  Gonet,  Fayet,  de  Cystria,  Odilon  Redon  ;  M' "  Simone  et  Yseult 
Fayet,  de  Gonet,  M"'  H...,  nièce  de  M.  Kapferer  ;  d'autres  encore. 
Aussi,  dans  leur  prime  éclat  de  vie  :  Marcel  Mellerio,  Jacques  Mithouard, 
le   jeune   Bernheim,    etc.   (4).    " 

Quant  aux  fleurs,  qu'il  eut  toujours  en  amour  et  admiration, 
il  pouvait  à  loisir,  dans  son  jardin  de  Bièvres,  contempler  leur  grâce  ingé- 
nue et  les  suivre  en  leur  développement.  Elles  se  revêtaient  à  ses  yeux 
qu'elles  charmaient  d'une  énigme  aussi  étrange  et  profonde  que  le 
visage  humain  —  mais  ne  vivent-elles  pas  aussi  ?  Et  «  ce  sont  de  rouges 
géraniums,  des  mimosas  d'or,  des  anémones  mauves  ou  d'un  violet  pour- 
pre, parfois  même  des  germinations  entièrement  féeriques.  Toute  cette 
flore  se  dispose  en  gerbes  épanouies,  d'où  l'élancement  des  tiges  vient 
aboutir  au  bouquet  d'artifice  savamment  irradié  des  corolles  éblouis- 


(1)  A.  M., 

Gaz.  des  B.-A.. 

P- 

131. 

(2)  A.  M., 

Gaz.  des  B.-A., 

,  P- 

151. 

(3)  A.  M.. 

Gaz.  des  B.-A.. 

P- 

132. 

(4)  A.  M., 

,  Gaz.  des  B.-A.. 

P- 

152. 

—    136    — 


Coltrcllon    dr    GonrI. 


QUADRIGE 
(Pastel) 


santés.  Mais  que  l'on  veuille  bien  y  regarder  de  près,  et  sous  l'aspect 
objectivement  rendu,  on  retrouvera  toujours  —  c'est  la  marque  iné- 
luctable de  Redon,  un  "  je  ne  sais  quoi  "  de  subtil,  mystérieux  reflet  de 
l'âme  même  des  êtres  et  des  choses  (1)  ". 

Cependant  il  s  évadera  plus  loin  encore,  en  un  pays  entièrement 
de  rêve  :  «  ...L'évocation  d'une  irréelle  et  prestigieuse  mythologie  oij 
dominent  les  Pégases  aux  allures  nobles  et  fières,  soudain  cabrés  comme 
pour  un  essor.  Maintes  fois  aussi  l'artiste  s'est  complu  dans  l'aventure 
de  Phaéton,  imprudent  conducteur  des  coursiers  du  soleil  qui  l'em- 
portent follement  à  travers  l'espace  empourpré  d'aurore  (2).  " 

Ne  faut-il  point  rappeler  ici  qu'envers  le  cheval,  Redon,  qui  le 
pratiqua  de  fait  et  passionnément  dans  sa  jeunesse,  éprouvait  et  conserva 
toujours  comme  artiste,  une  attirance  mêlée  de  curiosité  et  d'admiration. 
C  est  que,  dans  »  la  plus  noble  conquête  que  l'homme  ait  jamais  faite  » 
selon  1  expression  enthousiaste  d'un  naturaliste  qui  fut  également 
grand  littérateur  (3)  —  semblent  s'être  condensées,  en  des  muscles 
vigoureux  aux  mouvements  agiles  et  élégants,  toutes  les  forces  les  plus 
souples  de  la  vie.  Au  cours  du  mois  d'août  1914,  malgré  les  terribles 
préoccupations  de  l'heure  guerrière,  l'artiste  s'intéressait  encore  à 
dessiner  des  groupes  de  cavaliers  campés  momentanément  dans  le  village 
de  Bièvres. 

De  toute  cette  période  abondante  en  belles  peintures,  les  carac- 
téristiques de  l'apport  particulier  dû  à  Redon,  les  effets  cherchés  et  les 
heureuses  réussites,  entrevus  fragmentairement  jadis  à  des  expositions 
diverses,  apparaissaient  pleinement  dans  l'ensemble,  — posthume,  hélas! 
qu'on  put  réunir  aux  Galeries  Barbazanges,  en  1920.  Pour  une  partie  du 
public  ce  fut  certainement  une  véritable  révélation.  Mais  ceux-là  même 
qui  connaissaient  déjà  les  œuvres,  trouvèrent  un  enseignement  d  études 
ainsi  qu'un  surcroît  d'admiration  vérifiée,  devant  cette  fécondité  écla- 
tante et  variée. 


(1)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A.,  p.  152.  En  ce  qui  concerne  la  fleur  chez  Redon,  consulter 
notamment  :  AndrÉ  Salmon,  OJilon  Redon  (L'Arl  décoratif,  janvier  1913).  —  ArsÈNK  ALEXANDRE. 
Floralies  (Comœdia,  \"  novembre  1913).  —  JeaNNE  Doin,  Odilon  Redon  (Mercure  de  France. 
1"^  juillet  1914,  p.  19  et  suiv.). 

(2)  A.   M,   Gaz.  des  B.-A.,  p.   153. 

(3)  Buffon. 


137     — 


Que  SI,  et  c  est  une  juste  et  légitime  préoccupation,  on  s'intéresse 
au  métier  d  un  artiste  dont  bien  des  peintres  actuels  considèrent  inter- 
rogativement  la  production,  nous  donnerons,  à  titre  curieux,  un  ren- 
seignement susceptible  de  paraître  instructif.  C'est  une  indication, 
d  ailleurs  de  date  assez  ancienne,  que  nous  avons  recueillie  en  marge 
d'un  cahier  manuscrit  de  Redon,  perdue  qu'elle  se  trouvait  au  milieu 
de  notations  très  diverses.  Peut-être  lavait-il  seulement  copiée  pour 
mémoire  ? 

«   Une  bonne  palette. 

"  Blanc  de  plomb. 

«  Jaune  Mars. 

«  Ocre  jaune. 

«  Ocre  de...  (I),  terre  d'Italie  naturelle. 

«  Jaune  antimoine. 

«  Orangé  Mars. 

"  Sienne  brûlée. 

«  Rose  Mars. 

«  Ocre  rouge. 

«  Laque  fine. 

«  Violet  Mars. 

'<  Violet  de  cobalt  (2). 

«  Bleu  d'outremer. 

'<  Vert  émeraude. 

'<  Terre  verte. 

«  Terre  d'ombre  naturelle. 

«  Noir  de  pêche. 

"  Jaune  de  Naples  et  vermillon,  sans  mélange  aucun  de  blanc 
de  plomb  (3)  ». 

Ne  devons-nous  pas  —  puisque  nous  sommes  ici  en  examen  de 
questions  techniques,  signaler  le  probe  souci,  digne  des  vieux  maîtres 
d  autrefois,   qu'avait   Redon,   de  n'employer   :   couleurs  à  l'huile  ou  à 


(1)  Mot    Illisible. 

(2)  Celte    couleur   a    été    raturée   dans    l'original. 

(3)  A  la  suite  de  cette  dernière  mention,  Redon  avait  rajouté  au  crayon  :  "  Se  servir  du 
blanc  de  zinc  ». 

-      138      - 


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Coll.  de  M""  Rtdo 


Études  de  chevaux   (Dessin  à  la  mine  de  plomb). 


139 


leau,  et  pastel  également,  pour  ses  œuvres  que  des  matériaux  de 
premier  choix.  Il  ne  regardait  jamais  à  la  difficulté  de  se  les  procurer, 
non  plus  qu'au  prix  élevé  qui  en  résultait.  Tel  est  le  respect  qu'un 
artiste  vrai  aura  toujours  pour  ses  œuvres,  quand  il  y  a  mis  toute  son 
âme  et  son  talent,  afin  de  leur  assurer  le  maximum  de  perfection 
matérielle,  et  aussi  cette  durée  qu'il  souhaiterait  assurée  à  jamais.  Or 
Redon  sous  ce  rapport,  ne  voulait  se  fier  qu'à  l'expérimentation. 
C'est  pourquoi,  dans  son  atelier  de  Bièvres,  tout  isolé  au  fond  du 
jardin,  il  étalait  sur  du  papier  ou  sur  des  toiles,  les  éléments  colorés, 
puis  il  les  exposait  longuement  au  soleil  d'été.  Et  ce  n  était  qu  après 
la  certitude  entière  de  leur  pleine  solidité,  qu'il  les  employait.  Car 
il  savait  combien  l'altération  d'un  ton  risquait  de  détruire,  dans 
l'avenir,  toute  harmonie  d'ensemble  savamment  dosée  et  synthétique- 
ment  établie. 

Nous  n'avons,  à  l'égard  des  pastels,  point  d'autres  considérations 
à  développer  que  pour  la  peinture.  Ce  sont  sujets  semblables  :  »  Même 
inspiration  et  pareille  facture,  avec  plus  de  vivante  fraîcheur  encore 
SI  possible,  tenant  à  la  pureté  de  la  matière  employée  que  n  alourdit  aucun 
véhicule  étranger  destiné  à  la  fixer...  (I)  » 

§  II.  Œuvres  décoratives. 

Nous  indiquons  à  part  les  œuvres  réalisées  par  1  artiste  dans  le 
domaine  spécial   de   la   décoration. 

"  Redon  a  fait  quelques  ensembles  décoratifs.  D'abord  une  chapelle 
à  Arras,  qu'il  achevait  lorsqu'éclata  la  guerre  de  1870.  Ensuite,  pen- 
dant sa  dernière  période,  toute  une  pièce  avec  fîeurs  et  figures  allé- 
goriques au  Château  de  Domecy,  à  Sermizelles  (Yonne),  en  1900; 
une  loge  dans  le  salon  de  M"'  Chausson,  à  Pans  (2)  ;  la  décoration  de 
la   bibliothèque   de   l'ancienne   abbaye   de   Fontfroide,  dans  le   Midi, 


(1)  A.   M..   Gaz.  des  B.-A.,   p.    153. 

(2)  Dans  une  paroi  de  cette  vaste  pièce  consacrée  à  la  musique,  souvre  la  petite  loggia  en 
retrait,  comprenant  un  large  panneau  de  fond,  et  deux  autres  plus  étroits  sur  les  côtés.  Les  motifs 
ornementaux  se  composent  d'une  végétation  fleurie,  mi-réelle  et  mi-partie  idéalisée,  dans  le  même 
esprit  que  celui  où  Redon  exécuta  plusieurs  de  ses  œuvres  de  chevalet.  On  peut  considérer  cet 
ensemble  comme  caractéristique  de  la  conception  décorative  de  I  artiste. 

—      140      — 


devenue  la  propriété  de  M.  Fayet.  Ajoutons  des  paravents  pour 
M.  Sainsère,  M"""  de  Cystria,  prince  Bibesco,  etc..  (1)   ' 

Mais  «  une  mention  particulière  est  due  à  rameublement  entier  : 
fauteuils,  chaises  et  écrans,  commandé  et  exécuté  par  les  Gobelins. 
Avec  une  fantaisie  toute  moderne  de  création,  Redon  sut  néanmoins 
observer  ce  principe  fondamental,  trop  souvent  oublié  ou  négligé  de 
nos  jours,  que  décorer  un  objet  c'est  l'embellir  en  respectant  sa  desti- 
nation utilitaire,  et  sans  surcharge  alourdissante.  De  plus,  se  gardant 
également  des  séductions  matérielles  qu'ont  apportées  les  découvertes 
de  la  chimie  dans  la  teinture  mille  fois  nuancée  des  lames  et  des  soies, 
il  a  conservé  à  la  tapisserie  son  caractère  à  la  fois  solide  et  souple  de 
trame  tissée,  sans  viser  au  trompe- l'œil,  rival  de  la  peinture  de 
chevalet  (2)  ". 

Il  existe  également  de  l'artiste  quelques  beaux  cartons,  notamment 
pour  des  tapis,  mais  qui  n'ont  pas  encore  été  exécutés. 


(1)  A.  M..  Gaz.  des  B.-A..  p.  153. 

(2)  A.  M.,  Gaz.  Jss  B.-A..  p.  154. 


141 


142 


III 

L'ART     DE    REDON 


Nous  avons  montré  en  sa  genèse  la  formation  artistique  de  Redon, 
comme  aussi  les  mflucnces  qui  ont  pu  agir  sur  sa  personnalité.  Nous  nous 
sommes  ensuite  livré  à  une  analyse  détaillée  des  diverses  parties  de  son 
œuvre.  C'est  maintenant  seulement  que  nous  pouvons  tenter  un  essai 
de  synthèse.  Quel  est  dans  son  essence  même  l'art  de  Redon,  quelles 
en  sont  les  caractéristiques,  quel  est  enfin  le  but  poursuivi?  Et  comme 
corollaire,  nous  chercherons  à  définir  les  émotions  ressenties  au  contact 
de  son  inspiration,  ainsi  que  la  nature  de  l'admiration  qu'on  en  peut 
éprouver. 

L  art  de  Redon  :  "  Cette  seule  dénomination  éveille  tout  un  monde  ! 
—  Dès  le  premier  choc  on  est  désorienté,  emporté,  aussi  comme  hypno- 
tisé. C'est  qu'on  ne  trouve  pas  là  les  ressources  d'un  talent  plus  ou  moins 
expressif,  mais  bien  la  singularité  complète,  l'étrangeté  bouleversante 
du  non-vu,  sorte  de  rafale  formée  on  ne  sait  où  ni  comment,  et  nous 
courbant  sur  son  passage,  qu'on  le  veuille  ou  qu  on  lui  résiste.  Cette 
émotion  spontanée,  tous  la  ressentent  et  s'en  rendent  compte.  Les  uns 
la  proclament  laudativement,  admirant  la  main  qui  terrasse,  tandis  que 
les  autres  protestent,  se  rebellent  même  contre  cette  destruction  de 
leurs  habitudes  courantes.  En  sorte  que  par  leur  indignation  et  leurs 
critiques  les  plus  emportées,  ils  rendent  encore  un  involontaire  témoi- 
gnage au  tempérament  de  1  artiste. 

"  Que  si  l'on  veut  aller  plus  loin  que  cette  prime  impression,  puis- 
sante mais  vague...  ce  travail  que  peu  d'ennemis,  ou  même  d'amis  de 
l'œuvre  ne  tentent  d'ordinaire,  demeure  cependant  indispensable  pour 
en  posséder  la  compréhension,  Odilon  Redon  n'est  point  facile  à  pénétrer 
en  ses  replis  secrets.  Il  faut  à  cet  effet  apporter  un  esprit  sérieux  de 


143 


recherche,  en  même  temps  qu'une  âme  capable  d'éprouver,  au  moins 
à  quelque  degré,  le  frisson  qu'a  subi  l'artiste.  Nous  ajouterons  une 
contemplation  suffisamment  longue  et  réfléchie  de  l'œuvre...  (I)  » 

Avant  tout,  quel  but  s'est  proposé  l'artiste,  instinctivement  d'abord, 
puis  à  mesure  de  son  avance  dans  la  vie  et  de  son  mûrissement  intellec- 
tuel, avec  une  clairvoyance  consciente  et  des  moyens  perfectionnés, 
sans  cesse  plus  adéquats?  Nous  avons  de  lui-même  sur  ce  sujet  des 
déclarations  multiples  et  explicites,  de  nature  à  nous  éclairer. 

"  J'ai  fait  un  art  selon  moi  seul.  Je  l'ai  fait  avec  les  yeux  ouverts  sur 
les  merveilles  du  monde  visible,  et  quoi  qu  on  en  ait  pu  dire,  avec  le  souci 
constant  d'obéir  aux  lois  du  naturel  et  de  la  vie. —  Je  l'ai  fait  aussi  avec 
l'amour  de  quelques  maîtres  qui  m'ont  induit  au  culte  de  la  beauté... 
Je  croîs  avoir  cédé  docilement  aux  lois  secrètes  qui  m'ont  conduit  à 
façonner  tant  bien  que  mal,  comme  j'ai  pu  et  selon  mon  rêve,  des  choses 
où  je  me  suis  mis  tout  entier  (2).  »  —  «  ...Laissez-moi  vous  dire...  que  nulle 
forme  plastique,  j  entends  perçue  objectivement,  pour  elle-même,  sous 
les  lois  de  l'ombre  et  de  la  lumière,  par  les  moyens  conventionnels  du 
modelé,  ne  saurait  être  trouvée  en  mes  ouvrages.  Tout  au  plus  ai-je 
tenté  souvent,  au  début,  et  parce  qu'il  faut  autant  que  possible  tout 
savoir,  de  reproduire  ainsi  les  objets  visibles  selon  ce  mode  d'art  de 
l'optique  ancienne...  Mais  je  vous  le  dis  aujourd'hui,  en  toute  maturité 
consciente,  et  j  y  insiste,  tout  mon  art  est  limité  aux  seules  ressources 
du  clair-obscur  et  il  doit  aussi  beaucoup  aux  effets  de  la  ligne  abstraite... 
agissant  directement  sur  l'esprit.  L'art  suggestif  ne  peut  rien  fournir  ]/ 
sans  recourir  uniquement  aux  jeux  mystérieux  des  ombres  et  du  rythme 
des  lignes  mentalement  conçues  (3)  ». 

Mais  VOICI  une  définition  plus  développée  encore  et  dont  il  faut  peser, 
pour  ainsi  dire,  chaque  terme  :  "  L'art  suggestif  est  comme  une  irradiation 
des  choses  pour  le  rêve  où  s'achemine  aussi  la  pensée...  Disons...  qu'il 
est  croissance,  évolution  de  l'art  pour  le  suprême  essor  de  notre  propre 
vie,  son  expansion,  son  plus  haut  point  d'appui  ou  de  maintien  moral 
par  nécessaire  exaltation. —  Cet  art  suggestif  est  tout  entier  dans  l'art 


(1)  A.  M.,  El.  ..  R..  p.  5. 

(2)  Od.   R..  a  s.   m.,   p.    11. 

(3)  Od.   r..  a   s.   m.,   p.   26. 


—     144 


excitateur  de  la  musique,  plus  librement,  radieusement  ;  mais  il 
est  aussi  le  mien  par  une  combmaison  de  divers  éléments  rapprochés, 
de  formes  transposées  ou  transformées,  sans  aucun  rapport  avec  les 
contmgences   (1)   ».  A  cet  égard   rappelons  un    trait  caractéristique   : 


Tête  de  jeune  Fille. 

"  ...  La  musique,  Redon  l'a  toujours  et  passionnément  goûtée...  à  tel 
pomt  que,  venant  à  Pans,  il  se  qualifia  :  Peintre  symphonique.  Entendant 
de  la  sorte,  non  qu'il  cherchait  par  la  plastique  à  évoquer  la  sonorité, 
mais  bien  que  ses  œuvres,  en  une  compréhension  plus  large  et  profonde 


(1)  Od,  R.,  a  s.  m.  p.  27. 


145 


des  contingences,  tendaient  à  exprimer,  telle  la  musique,  le  monde  des 
sentiments   indéfinis  et    grandioses  (1)  ». 

C'est  l'imprévue  en  même  temps  qu  extraordinaire  audace  du  but 
que  se  proposait  Redon,  qui  certainement  a  dérouté  beaucoup  des  esprits 
prétendant  à  juger  son  œuvre  :  '  Toutes  les  erreurs  de  la  critique 
commises  à  mon  égard,  à  mes  débuts,  furent  qu  elle  ne  vit  pas  qu'il  ne 
fallait  rien  définir,  rien  comprendre,  rien  limiter,  rien  préciser,  parce 
que  tout  ce  qui  est  sincèrement  et  docilement  nouveau  —  comme 
le  beau  d'ailleurs  —  porte  sa  signification  en  soi-même...  Mes  dessins  --^ 
inspirent  et  ne  se  définissent  pas.  Ils  ne  déterminent  rien.  Ils  nous 
placent...  dans  le  monde  ambigu  de  l'indéterminé.  —  Ils  sont  une  sorte 
de  métaphore,  a  dit  Remy  de  Gourmont,  en  les  situant  à  part,  loin  de 
tout  art  géométrique.  Il  y  voit  une  logique  Imaginative.  Je  crois  que  cet 
écrivain  a  dit  en  quelques  lignes  plus  que  tout  ce  qui  fut  écrit 
autrefois   sur  mes  premiers  travaux  (2)  ». 

Et  comment  va  procéder  l'artiste  :  "  Imaginez  des  arabesques  ou 
méandres  variés  se  déroulant,  non  sur  un  plan,  mais  dans  l'espace,  avec 
tout  ce  que  fourniront  pour  l'esprit  les  marges  profondes  et  indéter- 
minées du  ciel;  imaginez  le  jeu  de  leurs  lignes  projetées  et  combinées 
avec  les  éléments  les  plus  divers,  y  compris  celui  d'un  visage  humain  ; 
SI  ce  visage  a  les  particularités  de  celui  que  nous  apercevons  quoti- 
diennement dans  la  rue,  avec  sa  vérité  fortuite  immédiate  toute  réelle, 
vous  aurez,  là,  la  combinaison  de  beaucoup  de  mes  dessins. 

Ils  sont  donc,  sans  autre  explication  qui  ne  se  peut  guère  plus  pré- 
cise, la  répercussion  d'une  expression  humaine,  placée,  par  fantaisie 
permise,  dans  un  jeu  d'arabesque,  où,  je  croîs  bien,  l'action  qui  en  déri- 
vera dans  l'esprit  du  spectateur  l'incitera  à  des  fictions  dont  les  signi- 
fications seront  grandes  ou  petites,  selon  sa  sensibilité,  et  selon  son 
aptitude  Imaginative  à  tout  agrandir  ou  à  tout  rapetisser  (3)  ». 

Cependant  la  nature  a  des  lois  essentielles  et  primordiales,  qu  on  ne 
saurait  transgresser.  Redon  qui  les  connaît,  en  formule  ainsi  ce  qu'elles 
ont  d'impératif  et  d'imprescriptible  :  "  ...  Tout  dérive  de  la  vie  univer- 


(1)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  23  et  26. 

(2)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  28. 

(3)  Od.  r.,  a  s.  m.,  p.  28. 


146 


—     147 


selle  :  un  peintre  qui  ne  dessinerait  pas  verticalement  une  muraille, 
dessinerait  mal,  parce  qu'il  détournerait  l'esprit  de  l'idée  de  stabilité. 
Celui  qui  ne  ferait  pas  l'eau  horizontale  ferait  de  même  (pour  ne 
citer  que  des  phénomènes  très  simples).  Mais  il  y  a  dans  la  nature 
végétale,  par  exemple,  des  tendances  secrètes  et  normales  de  la  vie 
qu'un  paysagiste  sensitif  ne  saurait  méconnaître  :  un  tronc  d  arbre, 
avec  son  caractère  de  force,  lance  ses  rameaux  selon  des  lois  d'expansion 
et  selon  sa  sève,  qu'un  artiste  véritable  doit  sentir  et  représenter. 

«  Il  en  est  de  même  de  la  vie  animale  ou  humaine.  Nous  ne  pouvons 
pas  bouger  la  main  sans  que  tout  notre  être  ne  se  déplace,  par  obéis- 
sance aux  lois  de  la  pesanteur.  Un  dessinateur  sait  cela.  Je  croîs  avoir 
obéi  à  ces  intuitives  indications  de  l'instinct  dans  la  création  de  certains 
monstres  (1)  ». 

Et  ceci  nous  amène  à  la  conception  que  Redon  se  fait  de  la 
manière  de  dessiner,  tout  au  moins  en  ce  qui  concerne  son  personnel 
usage  :  '<  il  y  a  un  mode  de  dessin  que  l'imagination  a  libéré  du  souci 
embarrassant  des  particularités  réelles,  pour  ne  servir,  avec  liberté, 
qu  à  la  représentation  des  choses  conçues.  J'ai  fait  quelques  fantaisies 
avec  la  tige  d  une  fleur,  ou  la  face  humaine,  ou  bien  encore  avec  des 
éléments  dérivés  des  ossatures,  lesquels,  je  crois,  sont  dessinés, 
construits  et  bâtis  comme  il  fallait  qu'ils  le  fussent.  Ils  le  sont  parce 
qu  ils  ont  un  organisme.  Toutes  les  fois  qu'une  figure  humaine  ne  peut 
donner  l'illusion  qu'elle  va,  pour  ainsi  dire,  sortir  du  cadre  pour  marcher, 
agir  ou  penser,  le  dessin  vraiment  moderne  n'y  est  pas.  On  ne  peut 
m  enlever  le  mérite  de  donner  l'illusion  de  la  vie  à  mes  créations  les 
plus  irréelles.  Toute  mon  originalité  consiste  donc  à  faire  vivre  humai- 
nement des  êtres  invraisemblables  selon  les  lois  du  vraisemblable,  en 
mettant,  autant  que  possible,  la  logique  du  visible  au  service  de  l'invi- 
sible (2)  ... 

Mais  n'existe-t-il  pas  un  prototype  d'une  telle  façon  d'agir, 
au  moins  pour  l'entière  liberté  de  l'imagination?  Il  semble  bien  que  nous 
le  rencontrions,  soit  provenant  du  sommeil  véritable,  ou  bien  comme 
état  de  veille  méditatif  et  absorbant,  dans  ce  qu'on  appelle  d'un  nom 


148 


(1)  Od. 

R., 

A 

S. 

M.. 

p- 

29. 

(2)  Od. 

R. 

A 

S. 

M., 

p- 

29. 

.^ 


LES    PAVOTS    NOIRS 


générique  :  le  rêve.  Et  de  celui-ci,  notre  artiste  se  réclame  d'ailleurs 
expressément.  Dès  sa  prime  enfance,  il  y  était  initié  déjà,  d'une  façon 
particulièrement  évocatrice  :  "  Mon  père  me  disait  souvent  :  "  Vois 
«  ces  nuages,  y  discernes-tu,  comme  moi,  des  formes  changeantes?  » 
Et  il  me  montrait  alors  dans  le  ciel  muable,  des  apparitions  d'êtres 
bizarres,  chimériques  et  merveilleux  (I).  »  Puis,  lors  de  ses  essais  litté- 
raires, presque  tous  restés  en  manuscrit,  Redon  ne  choisit-il  point  ce 
pseudonyme  significatif  :  //  rêve  (2)  ?  C'est  enfin  le  titre  de  son  premier 
album  lithographique  :  Dans  le  Rêve,  appellation  si  justement  symbo- 
lique, qu'elle  pourrait  servir  d'épigraphe  à  son  œuvre  entier. 

Nous  avons  jadis  tenté  une  définition  :  "  Là  règne  cette  apparente 
incohérence,  constituant  la  logique  particulière  de  l'état  de  sommeil, 
où  le  mécanisme  de  l'association  des  idées  fonctionne  en  toute  indépen- 
dance, sans  le  contrôle  régulateur  qui,  pendant  la  veille,  apprécie, 
élimine  et  coordonne.  Alors  1  imagination  vertiginée  évoque,  combien 
rapidement  et  avec  quelle  incroyable  fécondité,  les  aspects  les  plus  inat- 
tendus et  les  plus  divers.  Des  figures  multiples,  hétéroclites,  se  ren- 
contrent, se  séparent,  évoluent  de  façon  étrange  et  contradictoire.  Ces 
apparitions  se  silhouettent  sur  un  fond  confus  où  grouillent  d'innom- 
brables entités  pressenties  et  devinées  plutôt  qu'entrevues.  Parfois 
émerge  du  chaos,  selon  le  hasard,  ou  par  l'effort  quasi-automatique  de  la 
volonté,  une  forme  qui  vient  se  mettre  en  pleine  lumière,  envahissant 
le  champ  de  l'espace,  dominatrice  et  comme  obsédante.  La  liaison  attrac- 
tive des  êtres  et  des  objets  entre  eux  demeure  secrète,  fondée  souvent  sur 
des  analogies  si  ténues  et  si  lointaines,  que  l'esprit  pour  les  saisir  est 
obligé  de  faire  un  compliqué  travail.  Encore  cette  recherche  ne  peut- 
elle  s'effectuer  qu'en  des  méditations  ultérieures,  car  la  vélocité  fugi- 
tive et  l'intensité  des  sensations  n'en  laissent  ni  le  temps  ni  la  possibilité 
durant  l'action  du  Rêve  (3)  ». 

Que  si  nous  contemplons  l'œuvre  de  Redon,  et  cherchons  à  nous 


(1)  Od.  R.,  a  s.  m.,  p.   11. 

(2)  Ajoutons  un  détail  assez  piquant.  Après  1870.  dans  le  salon  de  M'""'  de  Rayssac,  où  Tartute 
fréquentait. quelques  personnes  amies, connaissant  son  irrésistible  penchant,  l'avaient,  par  plaisanterie 
sympathique,  qualifié  :  Le  Prince  du  Rêve.  Et  si  jamais  surnom  mérite  de  lui  rester,  certes  c'est  bien 
celui-là. 

(3)  A.  M.,  Et.  s.  R..  p.  10. 

—     149     — 


en  rendre  un  compte  exact,  nous  pourrons  vérifier  combien  ces  carac- 
téristiques s'y  retrouvent  amplement  et  à  un  degré  élevé  :  •<  C'est  comme 
un  drame  successif  qui  sort  des  limbes  pour  fixer  curieusement  nos  yeux 
et  impressionner  fortement  notre  esprit.  En  ce  travail  de  1  artiste,  comme 
dans  le  Rêve  que  nous  avons  décrit,  mêmes  prodromes  et  semblable 
évolution.  D'abord  des  noirs  profonds  s'amoncellent,  masse  sombre, 
trame  indéfinie,  où  demeurent  latentes  les  réserves  innombrables  des 
mirages  futurs.  Mais,  sur  ce  fond  d'horizon,  voici  que  soudain  émergent 
des  êtres.  Ils  s'organisent  fabuleusement  et  bizarrement  sous  des  clartés 
parues  au  ciel,  blanchissements  qui  traînent  en  zébrures  fulgurantes. 
Les  formes  se  multiplient,  permanent,  s'accentuent.  Figures  insolites 
qui  brusquement  s'imposent,  avec  une  incroyable  netteté,  aux  regards 
qu'elles  surprennent  et  fascinent,  sans  qu'ils  puissent  s'en  arracher. 
Ce  sont  bien  là  les  sautes  rapides,  les  accouplements,  invraisemblables 
de  pensées  lâchées  en  liberté  qui,  dépourvues  du  frein  de  la  raison, 
galopent  et  s'ébrouent  en  une  incessante  activité.  Des  objets,  extrê- 
mement disparates  d'essence,  s'appellent  et  se  groupent  entre  eux. 
Les  plus  légers  et  imperceptibles  points  d'un  contact  accidentel  suffisent 
à  leur  aimantation.  C'est  ainsi  qu'une  circonférence  éveillera  l'idée  d'un 
ballon,  qui  lui-même  suscitera  I  image  d'une  face  humaine  détachée, 
s  envolant  dans  l'espace  nocturne.  Et  toute  cette  étrange  ruée  se  préci- 
pite vers  l'inconnu  en  un  tourbillon  bouleversant  (I)  ». 

Mais  Redon  n'est  point  un  simple  hypnotique,  esclave  de  ses  visions. 
La  haute  raison  consciente  de  l'artiste  demeure  toujours,  bien  que 
secrètement  cachée  parfois,  la  souveraine  ordonnatrice  de  cet  inextri- 
cable chaos.  En  effet  "  ...  si  l'on  examine  de  près  ces  entités  extraordi- 
naires, personnifiées  et  représentées  par  des  apparences  plastiques,  on 
s  aperçoit  qu  elles  ne  sont  point  forgées  de  toutes  pièces  en  leurs  plus 
intimes  éléments.  Il  y  réside  —  et  c'est  là  un  terrain  de  forte  assise, 
un  fond  d  observations  multiples,  de  sensations  éprouvées  au  cours  de 
la  réalité...  Analysez  certaines  de  ces  physionomies  si  imprévues  et 
bizarres,  vous  serez  étonné,  malgré  les  transformations  subies,  de  leur 
ressemblance  avec  des   visages   rencontrés   dans   l'existence  ordinaire. 


(I)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  11. 

—     150 


C  est  que  les  plus  fantastiques  et  désordonnées  visions  du  Rêve  ont  leur 
début  premier  dans  des  matérialités  tangibles  à  l'état  de  veille.  Telles,  les 
complexes  et  innombrables  combinaisons  du  Kaléidoscope  rendent  pres- 
que méconnaissables  les  fragments  simples  dont  elles  sont  composées  (1)  ». 

Qu'on  veuille  bien  se  remémorer  la  vie  de  Redon,  et  maintes 
comparaisons  aussi  mtéressantes  qu'instructives  pour  la  compréhension 
vraie  de  son  art,  se  feront  en  quelque  sorte  d'elles-mêmes  :  "...  Dans  les 
sites  où  1  homme  a  résidé  longuement,  comme  ceux  où  il  a  vibré 
passagèrement,  nous  retrouvons  les  éléments  du  décor  que  l'artiste  a 
dressé.  Sous  l'aspect  dramatisé  par  l'imagination  qui  transpose  et 
magnifie,  1  œuvre  conserve...  les  réalités  extérieures  observées  et  expéri- 
mentées. Celles-ci...  sont  facilement  vérifiables  chez  Redon.  En  ses 
noirs  vigoureux  aussi  bien  que  dans  les  estampes  vaporeusement 
lumineuses,  réapparaissent  les  nuits  opaques,  les  brouillards  vespéraux 
ou  les  légères  brumes  matinales  que  l'artiste  contempla  avec  émotion, 
avant  de  les  rendre  féeriquement  (2).  Sur  cet  horizon  parfois  se  détache 
une  silhouette,  un  objet,  avec  cette  importance  envahissante  et  domi- 
natrice que  prennent  dans  la  nature,  aux  heures  de  songerie,  un  être 
humain,  quelque  arbre  isolé,  ou  même  un  simple  brin  d'herbe  considéré 
de  près.  Voilà  le  point  initial  d'où  le  rêve  prend  essor,  pour  planer  à 
son  gré.  Si,  dans  certains  paysages  de  Redon,  surgissent,  erratiques  et 
formidables,  des  blocs  de  rochers,  ou  bien  encore  de  grandioses  pans 
de  montagnes  aux  arêtes  quasi-géométriques  (3)  »,  c'est  que  ses  yeux 
n  oublient  point  qu'ils  ont  :  "  vu  le  Nord  de  l'Espagne.  Il  y  a  là  des  rocs 
brûlés  par  le  soleil,  des  sables  tristes,  des  solitudes  désolées  (4)  ». 

Combien  d'êtres  lamentables  et  de  mélancolie  profonde,  qu'ex- 
plique un  pays  sauvage,  se  rencontrent  parmi  la  population  des 
Landes  végétant  *  laide,  triste,  comprimée  entre  le  fîeuve  et  la  mer.. 
J'y  ai  vu  des  regards  en  détresse,  des  souffrances  réduites.  J'ai  entendu 
conter  des  légendes  superstitieuses  —  il  y  a  encore  là  des  sorciers  (5)  ». 


(1)  A.  M..  Et.  s.  R..  p.  12. 

(2)  N"a-t-il  point  dit  de  son  Médoc  natal  :     L'automne  y  est  toujours  superbe.  La  mer  et  1rs 
marais  v  font  le  ciel  et  les  brouillards  féeriques  '.  Lett.  d  Od.  R.,  à  Edm.  P.,  1894. 

6)  A.  M..  Et.  s.  R.,  p.  24  et  25. 

(4)  Uti.  dOd.  R.  à  Edm.  P.  13  juin  1894. 

(5)  D-. 

—     151     — 


Qui  n  évoquerait  dans  l'œuvre,  certaines  faces  navrées  aux  yeux 
démesurément  dilatés  par  la  douleur.  —  Et  si,  par  contre,  le  Profil  de 
lumière  vous  frappe  en  l'expression  intense  de  sa  silhouette  lumineuse, 

Redon  vous  dira  qu'en  Biscaye  "les  femmes  ont  un  grand  éclat  (1)  » 

Mais,  peut-être  s'intéressera-t-on  à  connaître  comment  l'artiste 
travaillait,  et  quelles  phases  traversaient  son  esprit  et  sa  main  avant 
de  parvenir  au  résultat  final. 

«  A  ce  propos, 
voici,  nous  paraît- 
il,  les  deux  occur- 
rences qui  se  peu- 
vent rencontrer. 

"Parfois, en  proie 
à  l'attirance  vague 
mais  inéluctable  de 
s'exprimer  exté- 
rieurement, 1  ar- 
tiste s  en  vient  à 
son  chevalet.  Que 
fera-t-il  au  juste,  ii 
ne  le  sait.  D  une 
main  incertaine  il 
crayonne  confusé- 
ment, dans  une 
prise  de  possession 
du  champ  vierge 
que  lui  livre  le 
subjectile.  Pour  lui 
c'est  une  satisfac- 
tion, un  premier 
soulagement  d'é- 
craser le  grain  du  crayon,  de  voir  la  matière  noire  se  masser. 
Comme    si  cette    simple   salissure  était  le   commencement    du  travail 


Coll.   M. -A.    Leblond. 

L'Enfant  prédestinée   (Peinture). 


(1)   Leit.   d'Od.  R.  à  Edm.  P..   15  juin   1894. 
—      152 


Collrction    Chu 


VIERGE   D'AURORE 

(Sansiiine) 


effectif.  Puis  l'artiste  cherche  à  augmenter  l'intensité,  la  diversité 
aussi  de  ce  premier  fond  ;  or,  voici  que  dans  cet  horizon  largement 
esquissé  apparaît  un  détail.  C'est  un  rien,  peut-être  même  l'œil  est-il 
joué,  mais  il  a  cru  entrevoir...  Cependant  la  main  de  l'artiste  accentue 
ce  que  le  regard  a  pensé  percevoir.  Bientôt  son  imagination  se  prend 
et  s'échauffe  à  ce  travail,  l'évocation  se  précise  et  s'amplifie  davantage, 
maintenant  les  contours  apparaissent.  Alors  se  présentent,  successive- 
ment sollicités,  les  trésors  de  sa  mémoire  enrichie  jadis  de  visions  et 
d'observations  réelles.  Ce  sont  des  sites  contemplés,  des  physionomies 
analysées,  de  simples  jeux  de  lumières  notés.  Ces  éléments,  empruntés 
directement  à  la  nature  matérielle  et  qui  viennent  fortifier  la  première 
esquisse,  donnent  un  point  d  appui.  Ainsi  se  construit  graduellement 
un  tout  complet  de  ces  parties  diverses,  provenues  souvent  de  points 
très  lointains.  L  art  les  enchaîne  par  une  logique  qui  lui  est  propre, 
les  subordonnant  entre  elles  pour  produire  un  effet  central. 

"Ad  autres  occasions,  le  chemin  suivi  semble  avoir  été  tout  diffé- 
rent. L'artiste,  au  hasard  de  la  vie,  rencontre  une  forme  dont 
l'aspect  l'attire  et  le  retient.  Son  esprit  subit,  sans  pouvoir,  dirait- 
on,  s'en  défendre,  une  invite  lancinante  et  impérieuse  à  la  reproduire. 
Lorsqu'il  se  trouve  à  son  chevalet,  il  n'éprouve  plus  la  sensation  vague 
que  nous  décrivions  tout  à  l'heure.  Mais  il  contemple  une  vision  déter- 
minée, dont  les  traits  précis  s'éclairent  en  une  silhouette  hallucinatrice. 
A  mesure  que  cette  obsession  qui  le  hante  se  traduit  plastique- 
ment,  il  jouit  d'un  sentiment  croissant  de  libération.  Cependant, 
le  fait  matériel  qui  éveilla  la  puissance  créatrice  de  l'artiste  ne  lui  suffit 
point.  Comme  autour  d'un  centre,  il  groupe  des  détails  accessoires, 
dresse  un  décor  de  fond,  établit  une  atmosphère  qui  agrandit  la 
scène  et  la  prolonge.  Mais  tout  ce  travail  aboutira  en  fin  de  compte,  à 
l'unité  de  l'effet. 

'<  De  sorte  que  ces  deux  manières  de  procéder,  opposées  en  leur 
marche  d'action,  produisent  des  résultats  identiques  aussi  bien  pour 
l'inspiration  générale  que  comme  aspect.  A  moins  de  révélations  émanées 
de  Redon,  on  ne  saurait  spécifier  quel  mode  fut  employé.  Ainsi  offrent-ils 
chacun  la  réunion  homogène  des  qualités  qui  caractérisent  I  artiste  (1)  «. 


(I)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  12  à  14. 

—     153 


Mais,  dans  ce  monde  indéterminé  du  rêve  si  multiplement 
diversifié  il  règne  à  travers  1  œuvre,  deux  courants  dont  la  synthèse 
forme  la  trame  substantielle  de  l'inspiration.  Pour  comprendre  le  premier, 

nous  nous  souviendrons  de 
l'impression  profonde  que 
causèrent  à  Redon  les  inves- 
tigations hardies  de  la  science 
au  XIX"  siècle,  quand  elle 
voulut  scruter  l'aube  même 
de  la  vie.  Les  Origines, 
n  est-ce  point  le  titre,  à 
cet  égard  bien  suggestif,  de 
l'un  de  ses  plus  anciens 
albums  lithographiques  ?  A 
un  haut  degré,  il  éprouva 
"  ces  frissons  nouveaux  » 
ressentis  par  la  génération 
d'alors  :  "  et  il  prétendit 
les  rendre  non  en  savant 
précis...  mais  en  artiste 
vibrant.  Il  ne  s'arrêta  point 
à  mesurer  les  dimensions 
exactes,  compter  les  pattes 
et  les  antennes,  mais  plutôt 
il  s'efforça  de  restituer  l'émo- 

(Planche  tirée   de  l'album  L«   Oi/s.ncs.)  .•  f  J  '„  '  J„ 

tion  proionde  émanée  de 
cette  Création  puissante.  Ne 
nous  fait-il  point  entrevoir  des  formes  rudimentaires  où  s'éveillent  les 
ébauches  d'organes,  tressauts  de  la  vie  boursouflant  la  matière  inerte, 
et  cherchant  à  s  en  dégager.  Ainsi  une  lave  ardente  soulève  et  crevasse 
l'écorce  terrestre,  qui  ne  peut  la  maintenir  tout  en  l'oppressant.  Appa- 
raissent encore...  des  essais  haletants  de  la  primitivité  hésitant  entre 
l'avortement  et  l'aboutissement.  Parfois,  il  semble  que  l'artiste  n'ait  pas 
voulu  définir  davantage  que  par  de  brèves  lignes  schématiques,  circon- 
férences ou  courbes  sinueuses,  les  organismes...  non  encore  formés.  Et 
tout  cela  inépuisablement  naît,  se  développe,    fait    luire    sur   le   fond 


■'i"4*.v4Wif««  < 


y  eut   peut-être   une   vision   première   essayée  dans 
la  fleur...   ••    (Lithographie.) 


154      — 


d  ombre  de  1  éternel  abîme  la  silhouette  accidentelle  qui  sera  leur  vie 
momentanée  (1)  ». 

Cependant,  voulant  plus  encore  '<  l'artiste,  comme  enivré  par  le 
spectacle  des  époques  primordiales,  ainsi  que  du  monde  microbique, 
en  est  arrivé,  parailélisant  avec  la  féconde  nature,  à  créer  lui  aussi  des 
monstres  (2)  ".  Et,  de  manière  telle  qu'il  parvient  «  à  donner  aux 
apparences  purement  Imaginatives,  dont  il  peut  revendiquer  la  totale 
paternité,  une  conformation  rationnelle,  qui  fait  que  si  elles  ne  sont 
pas,  elles  pourraient  être.  Machines  parfaitement  agencées,  pour 
l'action,  qu'une  étincelle  vitale  suffirait  à  mettre  en  branle  et  qui  fonc- 
tionneraient (3)  ».  C'est  ce  que  Redon  indique  fort  bien  :  "  La  pensée 
d  en  créer  à  ma  fantaisie  vint  bientôt.  Il  ne  s'agissait  plus  que  d'atro- 
phier, de  réduire  ou  développer  des  parts  de  l'être,  à  ma  guise.  Je  ne 
voudrais  pas  prononcer  le  mot  "  monstres  »,  mais  plutôt  ceux  de  fantaisie 
humaine  sur  le  clavier  de  l'ostéologie...  (4)  » 

Et  cette  dernière  définition  soulève  une  question  bien  intéressante, 
celle  de  la  Tératologie.  Les  tendances  de  la  science  moderne  sont 
actuellement  de  voir  dans  les  anomalies  du  type  habituel,  non  une 
déviation  à  un  plan  préconçu  de  la  nature,  mais  bien  une  action  normale 
des  forces  agissantes  qui,  ne  rencontrant  point  les  conditions  ordinaires 
d'ambiance,  aboutissent  de  ce  fait  à  un  résultat  différent  (5). 

Toutefois  l'artiste,  s'il  a  éprouvé  une  intense  curiosité  dans  ce 
domaine,  et  même  effectué  quelques  études  sous  ce  rapport,  n  a  jamais 
prétendu  —  et  nous  y  insistons  à  nouveau,  faire  de  la  science  pure. 
Comme  le  remarquait  excellemment  J.-K.  Huysmans,  il  y  avait  là  : 
«   un   nouveau  point  de  départ,  presque  une  issue  neuve,  elle  paraît 


(1)  A.  M.,  Et.  s.  R.,  p.  16. 

(2)  A.  M.,  Et.  s.  R..  p.  16. 

(3)  A.  M..  El.  s.  R.,  p.  16.  —  A  cet  égard,  voici  une  curieuse  anecdote  que  nous  tenons 
de  M""'  Odilon  Redon  : 

L'artiste  avait  adressé  en  hommage  à  Pasteur,  qu'il  ne  connaissait  point  personnellement, 
mais  pour  lequel  il  professait  beaucoup  d'admiration,  un  exemplaire  de  l'album  :  Les  Origines.  Le 
grand  savant  le  feuilleta  avec  curiosité.  Or,  quelque  temps  après,  comme  on  lui  avait  offert  une  table, 
œuvre  de  Carabin,  avec  sculptures  représentant  des  êtres  fantastiques,  il  lui  arriva  de  dire  :  Il  aiir.iit 
fallu  le  cravon  d'Odilon  Redon  pour  donner  la  vie  à  ces  monstres. 

(4)  Lit.  d'Od.  R.  à  Edm.  P..  15  Juin  1894. 

(5)  Voir  :  .4pp.  Note   12 


avoir  été  découverte  par  le  seul  peintre  qui  soit  maintenant  épris  du 
fantastique,  par  M.  Odilon  Redon  (1)  ».  Néanmoins,  par  ailleurs,  le 
subtil  critique  a  commis  une  erreur  vis-à-vis  de  ces  créations,  relevant 
de  la  seule  imagination,  sans  recourir,  comme  il  semble  le  croire,  au 
secours  du  microscope.  "  Non  —  (ainsi  nous  1  affirme  Redon),  — 
j'avais  en  les  faisant,  le  souci  plus  important  d  organiser  leur  struc- 
ture (2).»  Ce  sont  donc  les  libres  conceptions  de  son  esprit  que  l'artiste 
a  toujours  et  uniquement  rendues.  Telle  fut  sa  fécondité,  pour  ainsi 
dire  illimitée  et  tant  caractéristique,  qu'elle  nous  a  permis  d'avancer 
que  :  "  Si  l'on  affirme  littérairement  l'existence  d'un  monde  balzacien, 
on  peut  dire  que  plastiquement  fut  évoqué  un  monde  redonnesque  (3).  » 

Cependant,  il  est  un  autre  pôle  où  confine  cet  "  œuvre  grand  qui 
part  des  époques  primaires  pour  aboutir  au  mysticisme  suprême  (4).  » 
Et  l'auteur  lui-même  le  fait  remarquer,  lorsqu'il  assigne  à  ses  fan- 
taisies d'ostéologie  «  un  sens  quasi-chrétien  pour  assise  (5).  »  En  effet, 
à  côté  de  ces  êtres  monstrueux,  protagonistes,  pourrait-on  dire,  d  une 
épopée  darwinienne  ou  pasteunenne,  rayonnent  les  apparitions  d  une 
sphère  supérieure  :  «  Dans  des  faces  extasiées  éclatent  les  lueurs 
d'un  rêve  divin,  des  faces  de  martyrs  pour  qui  le  bûcher  devient  des 
roses  (6).  » 

Mais  le  sentiment  «  qui  chez  Redon  forme  la  base  continue  de  tout  : 
Ignorance,  bestialité,  perversité,  sublimité  —  c  est  la  souffrance.  Il  y  a 
dans  telles  de  ses  physionomies  un  summum  d'intensité  expressive  qui 
attire  et  qui  effraie  comme  un  vertige.  C'est  l'abîme  entrevu  à  travers 
la  prunelle  claire  des  yeux  dilatés.  Redon  nous  a  montré  la  Nature  inapte, 
ridicule  ou  terrible,  parfois  les  deux  ensemble  dans  ses  premiers  essais 
rudimentaires.  Puis,  parvenue  au  point  culminant  dans  la  face  humaine 
affinée,  où  frissonne  l'âme  prête  à  s'envoler  vers  un  degré  supérieur. 
Devant  une  telle  compréhension  de  la  misère  et  de  la  grandeur  de  notre 


(1)  J.-K.  HUYSMANS,  Certains,  Paris,  Tresse  et  Stock,  1889,  Le  Monstre,  p.  150. 

(2)  Od.  R..  a  s.  m.,  p.  29. 

(3)  André  Mellerio.  Lettre  publiée  parmi  celles  émanées  de  personnalités  diverses,  et  qui 
lurent  réunies  sous  le  titre  général  d'  ■  Hommage  à  Redon  ».  La  Vie,  numéros  des  30  novembre  et 
7    décembre    1912. 

(4)  A.  M.,  PréJ.  de  ÏExp.  R.,   1894. 

(5)  Letl.  d'Od.   R.   à  Edm.  P..  15  Juin  1894. 

(6)  A.  M.,  Préj.  de  l'Exp.  R.,   1894. 

—   156   — 


être,  involontairement  on  se  reporte  à  ces  Pensées  de  Pascal,  où  l'huma- 
nité douloureusement  analyse  cette  double  face  d'elle-même,  essayant 
de  sonder  à  la  fois  le  mystère  de  sa  basse  origine  et  celui  de  sa  haute 
destinée   (1).   » 

Aussi  combien  juste  apparaît  ce  jugement  bref,  mais  si  plein 
de  compréhension,  porté  par  un  admirateur  de  Redon  :  «  La  grandeur 
dans  1  effroi,  la  tristesse,  voilà  les  trois  sentiments  dominants  de  cet  art» 
en  y  adjoignant  "  la  simple...  la  bonne  pitié  (2).  » 


(1)  A.  M.,  Préf.  de  fExp.  R..  1894. 

(2)  Jules  DestrÉE,  L'Œuvre  lUhographiqut  de  Odilon  Redon.  A  Bruxelles,  cliez   Edmond 
Deman,    MDCCCXCI,    p.    78. 


157 


Cliché  Vollard. 


Tête. 


158 


IV 
ODILON    REDON 

SA   PLACE   DANS    L'ART    CONTEMPORAIN 
L'AVENIR  DE    SON   ŒUVRE 

«  Odilon  Redon  occupe  dans  l'art  contemporain  une  place  à 
part.  » 

Telle  est  1  affirmation  par  laquelle  nous  ouvrions  la  préface  de  sa 
première  Exposition  d'ensemble,  en  1894.  Elle  se  vérifie,  pensons- 
nous,  SI  l'on  veut  bien  prendre  la  peine  d'examiner  les  mouvements 
variés  qu  il  a  pu  voir  se  succéder  au  cours  d'une  vie  qui  fut  longue. 

Certainement,  nous  n'avons  point  à  faire  ici  une  histoire  esthétique 
de  la  fin  du  XIX'^  siècle  et  du  commencement  du  XX^.  Toutefois,  une  vue 
générale  et  quelques  notions  sommaires  sont  indispensables  pour 
situer  exactement  Redon,  et  comprendre  la  portée  de  son  œuvre. 

"  On  peut  dire  qu'en  France,  depuis  Louis  XIV,  secondé  par 
Lebrun,  et  la  fondation  de  1  Ecole  de  Rome,  il  y  a  tendance  à  une  centra- 
lisation officielle  directrice,  à  un  art  d  Etat.  Le  XVIII^  siècle  semble  y 
échapper  un  moment  avec  Watteau,  Boucher,  Chardin.  Mais  sur  la 
fin,  le  retour  préconisé  vers  l'antiquité  (la  copiant  sans  en  comprendre 
l'esprit,  la  faussant  même)  ramène  le  dogmatisme  (I).  Il  devient  tyrannie 
avec  David,  sous  l'Empire  qui,  renouvelant  Louis  XIV,  introduit  en 
peinture  l'autoritarisme  administratif.  Et  tout  le  Xix''  siècle  est  l'histoire 
de  l'indépendance  artistique  sans  cesse  revendiquée  par  des  générations 
nouvelles.  C'est  le  Romantisme  et  Delacroix,  ce  sont  les  Paysagistes 
de     1830.    La    lutte    se    continue    avec    Courbet,  Millet,  Manet,   qui 


(I)  En  adjoignant  à  ce  pseudo  gréco-ronnanisme  des  recettes  empruntées  aux  maîtres  italiens: 
mais  sans  conserver  la  flamme  qui  les  animait,  on  forgea  la  doctrine  factice  quel  on  dénomme  souvent  . 
Académisme. 


—     159 


engendrent   dans   une   suite   ininterrompue   de  talents    divers    et    de 
combats  identiques  :  Monet,  Pissarro,  Renoir,  Degas,  etc.  (1)." 

Lorsque  Redon, 
né  en  1840,  arrivait  à 
ses  vmgt  ans,  le  Ro- 
mantisme, commencé 
sous  la  Restauration , 
avait  complètement 
achevé  sa  carrière. 
Delacroix,  son  plus 
illustre  protagoniste, 
allait  mourir  en  1863. 
Nous  avons  dit  que 
notre  artiste  l'admirait 
passionnément  et  Té- 
tudiait  avec  conscience. 
Même,  en  ses  œuvres 
de  début,  on  perçoit  une 
part  d'influence  éprou- 
vée. Mais  aussi,  déjà  sa 
personnalité  naissante 
montrait  d'autres  ten- 
dances, et  qui  devaient 
de  plus  en  plus  s'accen- 
tuer. On  s'en  rendra 
compte  précisément  lorsque  certains  personnages  chers  aux  romanti- 
ques, tels  :  Méphistophélès,  Caliban,  Ophélie,  apparaissent  —  et  le  fait 
est  fréquent,  parmi  les  sujets  qu'affectionne  Redon.  Il  les  traite  d'une 
façon  tellement  différente,  qu'on  peut  affirmer  que  chez  lui  ceux-ci 
n  ont  vraiment  de  commun  que  le  nom. 

Au  Romantisme  avait  succédé  l'école  dite  des  Paysagistes  de 
1830.  Avec  ceux-là  il  semblait  que  Redon  fût  susceptible  d'avoir  des 
liens  plus  étroits.  N'aimaient-ils  point  la  nature,  ne  s'attachant  presque 


Le  Diable   f Lithographie). 

irce  de  ralijum  L'Apocalycse  de  SmnI-Jc, 


(I)  André   Mellerio.  L' Exposition  de    1900  et  l'Impressionnisme.  (Couverture   de  Ranson). 
Paris,   H.   Floury.    1900,   p.    13. 


Ifxj 


AQUARELLE 


Coii.f-c     A    Pai<[ 


exclusivement  qu'à  elle  ?  De  plus,  notre  artiste  «  approcha  l'un  de  ses 
maîtres  les  plus  justement  réputés...  et  reçut  même  de  lui  quelques 
conseils  (1).  »  Nous  avons  signalé  certaines  similitudes  de  métier  entre 
les  premières  toiles  de  Redon  et  les  paysages  faits  par  Corot  en 
Italie.  «  Enfin  une  amitié  sincère  1  unissait  avec  Chintreuil,  esprit  dis- 
tingué et  technicien  de  fines  valeurs.  Pourtant,  si  Redon  goûtait  en  eux, 
comme  chez  Rousseau,  Daubigny,  Dupré,  le  simple  et  grand  Millet,  un 
amour  loyal  et  vif  pour  la  nature,  il  ne  pouvait  partager  leur  état  d'âme  non 
plus  que  leur  vision,  dans  la  façon  de  la  comprendre  et  de  l'exprimer  (2).  « 

Mais  où  le  divorce  apparaît  absolu,  c'est  avec  le  Réalisme.  Redon 
connut  personnellement  "  Courbet,  duquel  le  séparait  d  ailleurs  un  véri- 
table abîme  intellectuel  (3)  ».  Il  eut  avec  lui  des  conversations  où  s'avivait 
l'antithèse  radicale  de  leurs  principes.  Non  pas  que  1  artiste,  jeune  alors, 
ne  rendît  lustice  à  la  saine  et  forte  peinture,  à  la  plénitude  de  métier 
du  Maître  d'Ornans.  Mais,  quelle  liaison  d'idées  pouvait  s'établir  entre 
le  pontife  du  dogme  réaliste  si  borné  en  des  limites  étroites,  et  1  ardent 
défenseur  du  rêve,  le  protagoniste  de  la  fantaisie  Imaginative  pour 
laquelle  était  réclamée  la  souveraine  prépondérance  ?  Car  telle  est 
bien  la  théorie  essentielle  soutenue  par  Redon,  en  ses  articles  de 
critique  publiés  de  1868  à  1870. 

Non  plus,  ne  s'indiquera  une  emprise  sur  lui,  quand,  après  Manet 
<<  s'instaurèrent  les  recherches  d'intensité  lumineuse  qui  sont  à  la  base 
même  du  groupement  de  beaux  peintres  qu'on  a  qualifiés  d'  «  impres- 
sionnistes ».  Et  le  fait  apparaîtra  d  autant  plus  frappant  que  Redon  se 
trouvait  être  de  leur  génération  —  bien  plus  :  qu'il  prit  part  matérielle- 
ment à  leurs  premières  manifestations  collectives  (4).  Toutefois  c'était 
l'indépendance  révoltée  contre  le  joug  oppresseur  de  lacadémisme  qui 
le  joignait  à  eux,  plutôt  que  les  tendances  admises  et  la  poursuite  d  un 


(1)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A.,  p.  134. 

(2)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A.,  p.  154. 

(3)  A.  M..  Gaz.  des  B.-A.,  p.  154. 

(4)  En  1886,  du  l*'  mai  au  15  juin  :  8^  Exposition.  —  Ce  fut  la  dernière  d'ailleurs  où 
s'affirmèrent  ensemble,  sinon  tous,  au  moins  un  bon  nombre  des  artistes  Impressionnistes. 

Nous  rappellerons  également  un  fait.  —  En  1884,  Redon  prit  une  part  assez  active  à  la 
formation  de  la  Société  des  Artistes  Indépendants.  Mais  le  principe  d'absolue  liberté,  base  de  cette 
association,  n'impliquait  aucune  théorie  d'esthétique,  ni  adhésion  quelconque  à  des  tendances 
déterminées. 

—      162      — 


but  identique  (I)  "■  Du  groupe,  il  se  séparait  nettement  »  par  une  tradi- 
tion plus  équilibrée,  par  son  goût  pour  le  dessin  pur,  aussi  pour  l'estampe 
lithographique,  mais  surtout  par  son  imagination  illimitément  libre  (2)  ». 
On  pourra  vérifier  ces  différences,  même  dans  la  dernière  période  pictu- 
rale de  Redon  où  le  rapprochement  aurait  dû,  semble-t-il,  très  facile- 


Frontispice  pour  Le  Mouvement  idéaliste  en  Peinture  (Lithographie). 

ment  s'effectuer.  Comme  chez  les  Impressionnistes  on  constate  bien  une 
palette  claire  et  joyeusement  éclatante,  mais  l'artiste  poursuit  moins  les 
vibrations  de  l'atmosphère  lumineuse  que  l'assise  d'une  composition, 
où  le  contraste  des  couleurs  s  harmonise  par  le  moyen  de  gradations 
subtiles.  Enfin  et  surtout,  insoucieux  de  l'effet  mobile  et  passager,  si 
séduisant  soit-il,  c'est  1  essence  même  de  la  vie  et  comme  une  âme  pro- 
fonde qu'il  veut  donner  à  ses  ffeurs,  d'un  aspect  absolument  particulier. 


(1)  A.  M,  Gaz.  des  B.-A..  p.  154 

(2)  A.  M.,  El.  s.  R.,  p.  42.  Au  sujet  de  l'Impressionnisme,  voir  :  App.,  note   13. 


—      163 


Cependant  un  dernier  essor  se  produisit  dans  les  arts  plastiques, 
vers  la  fin  du  xix''  siècle.  Très  différent  de  ceux  qui  l'avaient  précédé, 
il  est  loisible  même  de  dire  qu'il  prenait  comme  point  de  départ 
des  principes  opposés.  On  le  qualifia  de  Symbolisme  ou  Néo-Tradi- 
tionnisme.  Malgré  la  défectuosité  de  telles  dénominations,  peut  lui 
être  appliquée  encore  celle  —  dont,  pour  notre  part  personnelle, 
nous  avons  fait  usage,  de  :  Mouvement  Idéaliste  (I).  «  Il  ne  paraît  point 
contestable  que  1  œuvre  de  Redon  n  ait...  aidé  de  jeunes  artistes  à 
s  éclairer  eux-mêmes  sur  leurs  aspirations...  Mais  il  ne  fit  pas  partie 
effective  de  leur  groupe,  non  plus,  bien  qu  on  1  ait  cru  souvent  à  tort, 
de  la  petite  phalange  de  la  Rose-Croix  (2).  L'action  exercée  et  l'ensei- 
gnement direct  provinrent  de  la  vue  des  peintures  de  Cézanne  et  de 
Van  Gogh,  comme  aussi  des  théories  de  Gauguin.  L'auteur  de  Dans  le 
Rêve,  par  l'attraction  émanée  de  sa  personne  et  dans  d'amicales 
conversations,  a  surtout  rappelé  d'une  manière  générale  aux  Maurice 
Denis,  Sérusier,  Bonnard,  Vuillard,  K.-X.  Roussel,  le  souci  éternel  de 
1  idéal  et  la  haute  mission  qui  incombe  à  tout  véritable  artiste  (3).  » 

Or,  de  même  que  Redon  ne  peut  être  rangé  dans  les  groupements 
plus  ou  moins  exactement  établis  et  catalogués,  mais  du  moins  reconnus, 
on  ne  saurait  davantage  le  rapprocher  de  personnalités  particulières 
telles  que,  par  exemple  :  Puvis  de  Chavannes  ou  Carrière. 

N  est-ce  point  encore  vainement  qu'on  essaya  parfois  d'apparenter 
son  œuvre  à  diverses  manifestations  du  fantastique  à  travers  les  âges  ? 
Ainsi,  prenez  l'Art  Chinois  avec  ses  élucubrations  bizarres  et  difformes, 
par  ailleurs  curieusement  ornementales,  d'esprit  très  éloigné  de  notre 
conception  d  occidentaux.  Ou  bien  encore,  plus  près  de  nous,  les  cocas- 
series plaisantes,  mais  au  fond  bien  peu  terribles,  des  vieux  maîtres 
flamands  et  hollandais.  Quel  rapport  essentiel  peut-on  véritablement 
établir?  Plus  intéressante  certainement  serait  à  étudier  l'assertion  de 
M.  Jules  Destrée,  lorsqu'il  pense  trouver  quelque  rapprochement  avec 
1  inspiration    du    moyen-âge,    dont   la    foi    profonde    et    l'imagination 


(1)  i^u  sujet  du  Mouvement   Idéaliste,  voir  :  App..  note   14. 

(2)  Redon  n'a   cessé  d'insister  sur  ce  point  :  "  Je  n'ai  jamais  envoyé   aux  expositions  de  la 
Rose-Croix,  c'est  un   fait  certain.  Et  ce  fut  volontairement  et  consciemment  ".  Man.  de  R. 

(3)  A.  M.,  Gaz.  des  B.-A..  p.  155. 

—      164      — 


exaltée  enfantèrent,  dans  la  décoration  sculptée  des  cathédrales,  tout 
un  monde  étrange,  grouillant  d'une  vie  ardente  et  si  expressive. 
Quant  aux  assimilations  concernant  Goya  ou  Gustave  Doré,  nous 
avons  dit  précédem- 
ment ce  qu'il  fallait  en 
juger.  Enfin  les  œuvres 
d  une  archéologie  éru- 
dite,  aux  rutilances 
méticuleusement  do- 
sées, de  Gustave  Mo- 
reau,  ne  sont  point 
de  nature  comparable 
aux  libres  fantaisies  de 
mythologie  féerique, 
qu  on  rencontre  en  la 
dernière  période  de  no- 
tre artiste.  D'ailleurs, 
lorsque  tous  deux,  et 
seulement  vers  la  fin 
de  leur  vie,  se  connu- 
rent personnellement 
et  se  visitèrent,  ils 
«  causèrent  non  de 
théories  ou  de  hautes 
spéculations,  mais  uni- 
quement des  procédés 
de  la  peinture,  tant  ancienne  que  moderne  (1)   ». 

Ainsi,  le  voit-on  clairement  :  «  C'est  dans  sa   solitude  qu'il   faut 
admettre  et  comprendre  Redon  (2).  » 


Petit  prélat   (  Pointe  sèche J . 


Quelle  peut-être  dans  l'avenir  la  place  occupée  par  l'artiste  ? 
Tout  pronostic  de  rang  déterminé  et  de  dignité  définitive  demeure, 


(1)  A.  M.,  Et.  5.  R..  p.  38. 

(2)  A.  M.,  Gaz.  (/«  B.-A..  p.  156. 


i().î 


à  ce  sujet,  oiseux  autant  que  puéril.  Ce  que  pensera  et  jugera  la  postérité 
—  c'est  son  secret.  Mais  encore,  après  l'émotion  éprouvée  par  les  contem- 
porains, les  discussions  soulevées,  peut-être  aussi  les  explications  éluci- 
dantes que  nous  avons  tenté  de  présenter...  certains  faits  paraîtront- 
ils  acquis  (1). 

Redon  nous  semble  devoir  être  rangé  dans  la  catégorie  des  esprits 
qu'on  a  dénommés  :  Mystiques. 

«  Qu'on  nous  entende  bien  toutefois,  à  propos  de  ce  mot  qui,  pour 
les  uns,  possède  une  valeur  strictement  limitée  à  la  sphère  religieuse  (2), 
tandis  que  pour  les  autres,  il  constitue  une  sonorité  imprécise...  et  dont 
on  abuse  à  tort  et  à  travers.  Au  sens  large  où  nous  voulons  nous  placer, 
il  semble  que  le  Mysticisme  ne  soit  pas  autre  chose  que  le  sentiment  de 
l'Au  delà,  de  l'incompréhensible,  de  l'infini.  A  ce  point  de  vue,  tout 
être  humain  paraît  susceptible  de  partager,  au  moins  à  quelque  degré, 
si  infime  soit-il,  ce  frisson  intime  et  profond...  La  puissance  de  cette 
faculté  quand  elle  s'élève  au-dessus  de  la  moyenne  ordinaire,  son  impor- 
tance dans  la  formation  de  la  personnalité,  sa  répercussion  sur  les 
manières  d'être  ainsi  que  les  décisions  dans  la  vie,  voilà  ce  qui  constitue 
le  véritable  mystique.  Les  caractéristiques  en  seront  donc  1  intérêt 
porté  au  mystère  en  lui-même,  l'inquiétude  intense  qui  en  résulte,  la 
propension  à  s'en  préoccuper  avant  tout.  En  revanche,  plus  l'esprit 
est  vulgaire  et  étroitement  borné  aux  représentations  immédiates,  qui 
lui  sont  davantage  accessibles  et  où  il  se  complaît,  moins  il  a  le 
sentiment  de  l'infini  recouvert  pour  lui  d'un  voile  épais. 

On  peut  juger  par  là  que  les  esprits  réellement  mystiques  sont  peu 
nombreux.  Plus  rares  encore  se  comptent  les  artistes  capables  d  avoir 
exprimé  ces  hautes  aspirations.  De  telles  envolées  ne  semblent  appartenir 
qu'à  des  organisations  particulières,  dont  l'audace  choque  et  terrifie 
les  mentalités  ordinaires.  Mais  la  réussite  est  éminemment  ardue.  En 
effet,  la  réalité  objective  bien  observée  et  soigneusement  reproduite 
donnera  toujours  des  résultats  appréciables.  Par  contre,  si  l'on  tend  au 


(1)  A.  M.,  El.  s.  R.,  p.  46. 

(2)  A  I  égard  du  mysticisme  religieux,  on  peut  lire  un  livre  récent  de  M''"^  Albert  Farges  ; 
Les  Phénomènes  mqsliques  distingués  de  leurs  contrefaçons  humaines  et  diaboliques  (Traité  de  Théologie 
mystique  à  Tusage  </es  Séminaires,  du  Clergé  et  des  gens  du  Monde),  Pans,  3,  rue  Bayard,  1920. 

—     i66     — 


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y  ir 


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Le  Sphinx. 


Collection  Ani.  de  La  Rochefoucauld. 


-        167 


Mysticisme,  surtout  par  le  fantastique,  qui  est  la  transformation  ultime 
et  indéfinie  que  se  permet  un  tempérament  à  l'égard  des  matérialités 
visibles,  il  n'existe  point  de  milieu.  Ou  les  œuvres  produites  sont  élevées 
et  vraiment  impressionnantes,  ou  bien,  demeurant  froides  et  stériles 
conceptions,  elles  choquent  et  tombent  au-dessous  de  la  moyenne. 
C'est  le  domaine  de  l'art  où  se  peut  le  moins  supporter  le  défaut  d'inspi- 
ration et  de  sincérité. 

A  notre  pensée,  Redon  est  mystique  au  sens  que  nous  venons  de 
définir.  En  effet,  son  objectif  supérieur  et  sans  cesse  poursuivi  n'est-il 
pas  de  faire  surgir  l'inconnu  vague  que  nous  pressentons  sous  les  aspects 
contingents,  comme  une  énigme  d'absolu  résidant  au  fond  de  tout  être 
et  de  toute  chose.  Ce  fut  le  propre  de  l'artiste  de  s'exprimer  en  recourant 
à  des  moyens  entièrement  plastiques,  c  est-à-dire  par  l'emploi  des 
formes,  ainsi  que  1  énergique  puissance  du  clair-obscur  et  les  innom- 
brables gammes  diluées  de  la  lumière  (1). 

Peut-être  pensera-t-on  aussi  qu'en  la  fin  de  ce  XIX*^  siècle,  tourmentée 
«  par  la  recherche  des  origines  primaires,  hantée  par  l'aspiration  des 
perfectionnements  futurs,  faisant  de  ses  vices  une  litière  où  s'épanouit 
l'inguérissable  souffrance  —  cet  homme  s'est  rencontré  :  Odilon  Redon. 
Dans  sa  sérénité  de  penseur,  dans  son  imagination  d'artiste,  dans  ses 
secrètes  douleurs,  il  a  puisé  les  éléments  d'une  vision  haute,  qu'il  a 
formulée  sincèrement,  sans  théorie  préconçue.  Et  si  l'on  recherche 
jamais  dans  1  histoire  plastique  1  image  de  cette  époque  inquiète  et 
troublée...  partagée  entre  la  science  et  le  mysticisme,  ne  pouvant  pas 
plus  nier  les  découvertes  positives  de  l'une  qu'étouffer  l'ardente  aspi- 
ration de  l'autre,  n'est-ce  pas  à  l'œuvre  d'un  Redon  qu'il  faudra  en 
demander,  dans  une  synthèse  d'art  —  le  symbole  et  l'expression  (2)  ». 

Et  sur  lui  la  conclusion  s'imposera  que  "  comme  tout  véritable  et 
profond  artiste,  il  eut  le  don  de  retrouver  l'Humanité  à  travers  les  formes 
de  son  époque.  L'Humanité  !  essence  toujours  la  même  sous  le  pro- 
téisme  successif  d  aspects  sans  cesse  diversifiés.  Le  problème  qu'elle 
suscite  peut  sembler  reculer  plus  loin  ses  données  à  chaque  découverte 
conquise,  mais  il  reste,  au  fond,  identique  dans  son  angoisse  confuse 


(1)  A.  M„  El.  s.  R..  p.  44  et  suiv. 

(2)  A.  M.,  Pré/.  d'Exp.  d'Od.  R,   1894. 


—     i68     — 


et  troublante.  Vainement  en  la  forêt  épaisse  et  obscure  de  la  Vie,  des 
routes  neuves  sont  inlassablement  tentées  vers  la  clairière  lumineuse 
des  conceptions  définitives.  Toujours,  après  l'implacable  déception 
raillant  les  ambitions  vaincues,  et  ravivant  pourtant  une  inépuisable 
curiosité  d'espoir,  apparaît  sur  le  ciel  d'horizon,  sombre  et  rayé  de 
minces  clartés,  l'éternel  Sphinx  à  la  silhouette  imposante  et  énigmatique. 
Sonder  ce  mystère,  tout  au  moins  l'éprouver  et  chercher  à  faire  partager 
son  émotion.  Avoir  la  foi,  l'audace  et  la  force  d'un  tel  but,  malgré  les 
incompréhensions  et  souvent  les  huées  de  la  foule  grossière,  demeure 
certes  l'apanage  d'un  petit  nombre  d'esprits  d  élite. 

'I  Quelle  que  soit  la  place  réservée  par  l'avenir  à  l'œuvre  d'Odilon 
Redon,  ce  fut  le  partage  et  nous  dirons  la  gloire  de  l'artiste,  d'avoir 
lui  aussi  —  essayé  la  grande  tentative  (I)  ». 


(I)  A.  M.,  El.  s.  R..  p.  46. 


169     — 


Et  dans  le  disque  même  du  Soleil  rayonne  la  face 
de  Jésus-Christ...  "   (Lithographie.) 

(Planche  tiice  de  La  Tenlalwn  de  Sainl-Anloine.) 


Odilon  Redon  en   1894. 


APPENDICE 


(1)  D'après  les  actes  officiels,  son  prénom  exact  est  :  Bertrand,  —  porté  déjà  par  son  père. 

C'était  une  coutume  dans  la  famille  Redon  que  de  donner  aux  enfants,  lors  de  leur  baptême, 
un  autre  nom  que  celui  inscrit  à  l'état  civil.  Cette  seconde  appellation  demeurait  ensuite  la  seule 
usitée  au  cours  de  leur  existence. 

La  mère  de  Redon,  élevée  dans  une  famille  où  se  retrouvait  la  même  habitude,  avait  vu  son 
prénom  de  Marie  remplacé  par  celui  d'Odile  —  d'où  fut  emprunté  Odilon,  pour  son   second  fils. 

Au  sujet  de  cette  dernière,  voici  quelques  renseignements  plus  détaillés,  contenus  dans  un 
acte  authentique  : 

D'après  un  :  •  Extrait  du  Registre  des  Baptêmes  des  Blancs,  Livre  neuvième,  page  153,  n"  844 
de  l'Eglise  Cathédrale  et  Paroissiale  de  la  Nouvelle-Orléans  (Etats-Unis  d'Amérique,  Louisiane), 
fut  baptisée  le  16  novembre  1820,  Marie,  fille  légitime  de  Jean-Gabriel- Jérôme  CuÉRlN  et  d'Antoi- 
nette ChapUS,  natifs  de  France  et  résidant  à  la  Nouvelle-Orléans.  '  —  En  ce  qui  concerne  les  enfants  : 


171 


L'aîné,  Ernest,  né  à  la  Louisiane,  s'occupait  de  musique.  Il  liabita  Bordeaux,  où  il 
s'éteignit  assez  âgé. 

Marie,  restée  jeune  fille,  mourut  peu  après  1870;  ainsi  que,  vers  la  même  époque,  Léo,  qui 
était  médecin,  et  ne  se  maria    point. 

Le  dernier,  Gaston,  ancien  Prix  de  Rome,  et  architecte  connu,  ultime  survivant  de  la  famille, 
est  décédé  récemment  en  décembre   1921. 

(2)  Nous  donnons,  à  titre  d  exemple,  quelques  pensées  typiques  de  Clavaud  dont  Redon 
avait  été  particulièrement  frappé  et  qu  il  avait  transcrites,  par  habitude  déjà  de  faire  une  sorte  de 
journal  des  idées  et  des  faits  qui  le  frappaient  au  cours  de  sa  vie  : 

«  Le  beau  est  l'évolution  libre,  aisée  de   la  force  (force  considérée  ici  comme  bienfaisante). 

«  Le  laid  est  le  triomphe  de  l'obstacle,  ou  le  triomphe  de  la  force  malfaisante. 

«  Il  y  a  l'élément  statique  et  l'élément  dynamique  :  la  beauté  peut  être  calme  et  représenter 
le  repos  ou  bien  représenter  le  mouvement  et  la  vie. 

«  Si  je  dis  que  le  beau  est  le  libre  essor  de  la  vie,  la  définition  n'est  pas  rigoureusement  juste, 
parce  que  si  je  regarde  un  soleil  couchant,  une  belle  ligne  de  montagnes,  ces  objets  ne  sont  pas  vivants 
dans  la  parfaite  acception  du  mot  :  le  mot  force  convient  mieux  à  la  définition,  le  terme  est  plus  général. 

«  Le  sublime  est  une  évolution  de  la  force  bienfaisante  mêlée  à  lidée  de  réussite,  de  bien 
général,   de   justice. 

L  apothéose  (ou  faux  sublime)  est  l'essor  de  la  personne  humaine  dans  un  sens  personnel, 
égoïste,  limitée  dans  le  moi  :  c'est  du  pur  égoïsme. 

«  Le  sublime  est  de  I  altruisme  ;  l'apothéose  est  le  contraire. 

"  Il  y  a  une  subordination  dans  les  divers  modes  de  la  beauté.  Une  œuvre  d'art  est  d  autant 
plus  belle  qu'elle  a  d'importance  dans  la  durée  et  l'espace. 

"  La  grâce  est  la  beauté  en  mouvement.   "  Voir  :  Od.  R.,  A  S.  M.,  p.  21. 

(3)  Nous  avons  retrouvé  dans  les  manuscrits  de  Redon,  les  indications  suivantes  qu  il  avait 
groupées  sous  ce  titre  : 


MES  DIVERSES  DEMEURES 

72,  rue  d'Assas.   en   1872. 
104,  id.  nov.  1873. 

Boulevard   Montparnasse,   nov.    1874.    (Sans  indication  de  numéro.) 
76,  rue  de  Rennes,    juillet   1877. 

Rue  de  Rennes,   1880-1887.    (Sans  indication  de  numéro.) 
18,  rue  Saint-Romain,    1887-1890. 
40.  rue  d'Assas,    1890. 
27.  rue  de    Fleurus.    1892. 
10.  rue  du  Regard,  1893-1896. 
32.  avenue  Wagram,   avril  1895. 
129.  id. 

Redon  installé  en  dernier  lieu  à  cette  adresse,  mourut  là  en  1916. 

Certainement  il  serait  intéressant  d'écrire  au  sujet  de  l'artiste  une  étude  équivalente  à 
l'opuscule  documentaire  publié  récemment  par  M.-C.  PoiNSOT  et  G.-U.  LanCî  :  L'is  logis  de 
Huysmans,  Paiis,  La  Maison  Française  d'Art  et  d'Edition,  1919. 


(4)  PASSEPORT  DÉLIVRÉ  A  REDON  PAR  LA  PRÉFECTURE  DE  BORDEAUX,  EN  1862 

«  Le  s.  Redon.  Odilon-Jean-Bertrand,  profession  d'étudiant  architecte... 
Agé    de    22   ans. 
Taille  d  un  mètre  73  centimètres. 
Front  moyen. 
Sourcils  noirs. 
Yeux  hruns. 
Nez  moyen. 
Barbe  châtain. 
Menton  rond. 
Visage  ovale. 
1  eint  ordinaire. 
Signes    particuliers   néant.    » 

(3)  M""'  Faite  avait  eu  de  son  premier  mariage  une  fille  :  Camille,  —  et  un  fils,  brillant 
officier  de  marine,  qui  fut  tué  dans  la  défense  des  forts,  au  cours  du  siège  de  Paris. 

Devenue  veuve,  elle  eut  d'un  second  mariage,  une  autre  fille.  Celle-ci,  Juliette  Dodu, 
fut  connue  par  sa  conduite  héroïque,  quand  elle  n'était  que  simple  employée  des  Postes  à  Pithiviers, 
pendant  la  guerre  de  1870.  Deux  distinctions,  rares  pour  une  femme  :  la  Médaille  militaire  et  la  Légion 
d  honneur   récompensèrent   son   courage. 

(6)  Hennequin  était  un  esprit  intelligent,  très  cultivé,  de  tournure  scientifique  en  même  temps 
que  littéraire.  Il  promettait  beaucoup  par  la  valeur  de  ses  premières  publications,  lorsqu'il  fut  enlevé 
prématurément  et  d'une  mort  tragique.  Pendant  rété,'il  était  allé  voir  Redon,  avec  lequel  il  s'étai 
lié  intimement,  et  alors  en  villégiature  à  Samois,  non  loin  de  Fontainebleau.  Hennequin  voulu 
se  baigner  dans  la  Seine,  en  des  conditions  imprévoyantes,  et  se  noya  sous  les  yeux  mêmes  de  l'artiste, 
impuissant  à  le  sauver  malgré  tous  ses  efforts. 

Outre  de  nombreux  articles  écrits  dans  les  journaux  et  les  revues,  il  reste  d'EMiLC  Henne- 
quin, comme  principaux  ouvrages  : 

Traduction  d'EoGAR  PoE,  Conte  grotesques  (avec  une  vignette  par  Odilon  Redon),  Paris, 
P.   Ollendorff.    1882. 

La    Critique   scientifique.   Pans,   Perrin    et    C''.    1888. 

Ecrivains  francises.  Etudes  de  critique  scientifique  (Dickens,  Heine,  Tourguenef,  Poe, 
Dostoiewski,  Tolstoï),    Paris,    Perrin    et    C'',     1889. 

(7)  Comme  marchands  principaux  s'étant  occupé  de  Redon,  nous  devons  citer  :  DuMONT, 
quai  Malaquais  d'abord,  puis  ensuite  rue  Laffitte,  et  qui,  l'un  des  premiers,  mit  en  vente  des 
estampes  de  l'ariiste  ;  Van  Gogh,  frère  du  peintre,  et  directeur  de  la  succursale  de  la  Maison 
Goupil,  boulevard  des  Italiens  ;  Vanier,  quai  Saint-Michel  ;  Bailly,  à  la  librairie  de  I  Art 
Indépendant  ;  Ambroise  Vollard  ;  MM.  DuRAND-RuEL;  PelLET  ;  MoLINE.  Plus  tard  :  MM.  BernhEIM 
frères,  et  tout  notamment  J.  HessÈle. 

En  Angleterre  :  Gravel,  et  en   Hollande  :   DebgIS. 

(8)  Au  sujet  de  l'affection  de  Redon  pour  les  oiseaux,  voici  une  petite  anecdote  amusante. 
L'article  ci-dessous  (daté  manuscritement  :  4  janvier  1914),  fut  découpé  dans  un  journal  ou 

une  revue  dont  nous  ignorons  le  titre,  et  remis  à  Redon  : 


—     1/3 


L'AMI  DES  OISEAUX 

«  Chaque  jardin  de  Paris  a  son  ornithophile  ou,  si  Ton  préfère  une  expression  moins  pédante 
et  plus  jolie  :  son  ami  des  oiseaux.  On  connaît,  aux  Tuileries  et  au  Luxembourg,  maints  donneurs 
de  petites  miettes.  Et  les  moineaux,  chers  à  Coppée,  les  connaissent  mieux  que  nous. 

"  Le  Parc  Monceau  a,  lui  aussi,  son  porteur  de  pain  quotidien,  chargé  sans  doute  par  l'Eternel 
de  donner  la  pâture  à  qui  vous  savez.  Les  enfants  l'appellent  le  "  monsieur  décoré  "  et  accourent 
sitôt  qu'ils  voient  son  pardessus  fleuri  de  rouge  et  sa  cape  marron. 

«  Ils  Ignorent  (et  leurs  gardiennes  ne  savent  pas  davantage)  que  le  monsieur  décoré,  peintre 
charmant   de   fleurs  de   rêve,   est   M.   Odilon    Redon.    ' 

Et  l'artiste,  avec  cette  pointe  d'ironie  malicieuse,  dont  il  savait  user  finement  à  l'occasion, 
disait  que,  dans  sa  vie,  beaucoup  d'articles  l'étaient  venus  contrister,  quelques-uns  le  satisfaire  un 
peu,  mais  que  celui-là  seul   lui  avait  causé  un  plaisir  sans  mélange. 

(9)  Arl  Redon  était  alors  âgé  de  25  ans.  Il  avait  fait  son  service  militaire  dans  la  Section  des 
ballons  qu'organisait  le  colonel  (depuis  général)  Hlrschauer.  A  l'égard  de  l'aéronautique,  il  possédait 
donc  une  instruction  sérieuse  et  une  réelle  compétence.  C'est  dans  cette  arme  que,  parti  sergent, 
dès  le  deuxième  jour  de  la  mobilisation,  il  fit  toute  la  guerre,  se  distinguant  en  diverses  occasions, 
et  notamment  dans  les  dures  offensives  allemandes  de  la  première  moitié  de  1918.  11  revint  indemne, 
avec  le  grade  de  sous-lieutenant. 

(10)  Au  sujet  de  l'enseignement  pratiqué  par  Gérôme,  voici  quelques  détails  complémentaires, 
et  qui  feront  plus  pleinement  comprendre  en  quoi  il  devait  fatalement  répugner  à  toute  nature 
spontanée  et  indépendante  :  "  Gérôme  engageait  les  jeunes  gens  à  simplifier  leur  palette  ;  c  était  un 
avis  excellent  :  une  palette  trop  chargée  est  un  bagage  encombrant  qui  gêne  1  œil.  Mais  il  leur  pres- 
crivait aussi  de  faire  leurs  tons  d  avance  et  ceci  était  moins  bon.  C  est  devant  le  modèle  que  1  artiste 
doit  préparer  ses  tons,  au  moment  même  de  les  appliquer,  sinon,  il  ne  fait  rien  de  sincère  et  de  personnel. 
La  peinture,  selon  les  prescriptions  de  Gérôme,  n  est  plus  que  1  enluminure  à  la  manière  de  I  imagerie 
d  Epinal. 

"  Dans  le  programme  de  travail  hebdomadaire,  figurait  encore  la  confection  d  une  esquisse 
que  le  patron  corrigeait  avec  sa  conscience  habituelle.  Le  principe  n  était  pas  mauvais,  puisqu  il 
avait  pour  but  d'habituer  les  élèves  à  composer  un  tableau.  Cependant,  dans  la  pratique,  il  n  aboutissait 
qu'à  donner  naissance  à  une  quantité  de  compositions  conformes  au  goût  du  maître  et  dans  lesquelles 
la  recherche  archéologique  la  plus  puérile  tenait  une  place  prépondérante  ".  Georges  RlviÈRE,  Renoir 
et   ses   amis,  Paris,   H.    Floury,    1921,   p.   54. 

(11)  Nous  n'avons  certes  point  la  capacité  professionnelle  —  et  d  ailleurs  ce  n'est  pas  Ici  le 
heu,  pour  analyser    l'œuvre    d'Armand    Clavaud. 

Mais  peut-être  nous  saura-t-on  gré  de  donner  le  résumé  de  quelques  recherches  que  nous 
avons  effectuées  sur  ses  travaux,  à  la  Bibliothèque  du  Muséum,  à  Pans.  Nous  remercierons,  à  cette 
occasion,  M.  de  Nussac,  bibliothécaire,  de  ses  obligeantes  indications. 

Et  d  abord,  voici  par  l'un  de  ses  confrères,  le  porlrait  esquissé  du  savant  lors  de  sa  mort, 
survenue  dans  des  conditions  très  tristes  après  une  douloureuse  maladie.  "  Nommé  membre  titulaire 
le  17  février  1875...  la  Société  (Llnnéenne  de  Bordeaux)  avait  pu  apprécier...  les  qualités  brillantes 
de  ce  savant  distingué. 

"  M.  Clavaud  était  un  travailleur  infatigable,  un  observateur  consommé,  un  homme  d'un  savoir 
sûr  et  étendu.  Aussi  était-il  tout  désigné  comme  titulaire  de  la  chaire  municipale  de  botanique... 

"  Il  déploya  dans  cette  fonction  cette  clarté,  cette  méthode  et  en  même  temps  cet  humour  spécial 
qui  rendait  attrayants  les  sujets  les  plus  arides... 

"  Botaniste  par  goût,  il  avait  cette  qualité  maîtresse  qui  mène  aux  résultats  féconds  :  je  veux 
parler  du  feu  sacré.  Qui  de  nous  ne  l'a  vu  dans  ses  nombreuses  communications  à  la  Société,  alors 
qu  il  s'enfonçait  dans  ces  descriptions  si  sèches  par  elles-mêmes,  s'animer,  s'enflammer  et  faire  vivre, 

—      174      — 


SI  )e  puis  ainsi  dire,  ce  monde  qu'il  connaissait  si  bien.  Ce  n'étaient  pas  de  simples  et  banales  énumé- 
rations  de  caractères  qu'il  trouvait  dans  les  grandes  espèces  végétales  ;  c'étaient  en  quelque  sorte  des 
attributs  qui  faisaient  de  chaque  plante  une  personnalité  vivante.  Grâce  à  une  méthode  rigoureuse 
d'observation  sagace.  grâce  à  sa  conception  si  originale  de  l'espèce,  il  était  en  train  de  renouveler  la 
systématique  botanique  présentée  le  plus  souvent  dans  un  esprit  suranné  et  absolument  terre-à-terre. 

'  Sous  un  titre  modeste,  sa  Flore  Je  la  Gironde,  produit  de  longues  années  de  recherches... 
porte  le  cachet  d'un  esprit  véritablement  supérieur.  Ce  n'est  pas,  comme  on  pourrait  s'y  attendre, 
une  courte  énumération  des  plantes  rencontrées  dans  le  département,  mais  bien  une  revision  d'un 
ordre  bien  plus  élevé  de  la  plupart  des  familles  végétales  indigènes. 

"Son  œuvre  avançait...  Dans  nos  dernières  séances,  il  nous  faisait  part  de  ses  recherches  sur 
un  des  genres  les  plus  difficiles  à  étudier  du  règne  végétal,  le  genre  Callilrkhe,  et  nous  apportait  à 
l'appui  de  ses  observations,  une  quantité  de  planches  dessinées  par  lui-même  avec  ce  soin  méticuleux 
d'anatomiste,  cette  habileté  consommée  d'artiste,  qui  en  font  de  véritables  chefs-d'œuvre.  Tout  nous 
faisait  prévoir  également  un  travail  important  sur  les  Rubus. 

Malheureusement,  la  mort  a  tout  fauché...  ».  Acles  de  la  Société  Linnéenne  de  Bordeaux. 
Vol.  XLIV,  5''  série,  t.  IV,  1890.  Bordeaux,  J.  Durand,  1890.  Extraits  de  Procès-verhaux  des  séances  de 
la  Société...  (Séance  du  3  décembre  1890).  Discours  prononcé  aux  obsèques  de  M.  Clavaud  par  le 
Président   de    la   Société,    le   4   décembre    1890. 

L'ouvrage  principal  auquel  il  est  fait  allusion  fut  publié  comme  suit  :  Flore  de  la  Gironde, 
\"  fascicule,  Thalamiffores.  Actes  de  la  Société  Linnéenne  de  Bordeaux,  vol.  XXXV,  4''  série,  t.  V, 
Bordeaux,  Imp.  Durand,  1881,  p.  121  à  226,  planches  à  la  suite.  — 2""^  fascicule,  Cu/iciT/orcs  (1'^'  partie). 

—  D'°,  1884,  p.  461  à  583,  avec  4  planches.  —  Il  a  été  fait  également  un  petit  nombre  de 
tirages  à  part. 

On  retrouvera  dans  les  Actes  de  la  Société  Linnéenne  de  Bordeaux,  de  très  nombreuses  commu- 
nications de  Clavaud  sur  des  sujets  divers. 

(12)  Les  véritables  créateurs  de  la  Tératologie  comme  partie  spéciale  de  la  science  sont 
les  Geoffroy  Saint-Hilaire,  qui  lui  ont  consacré  de  nombreux  travaux  pendant  la  première  partie 
du  Xix"  siècle. 

Voir  notamment  :  Et.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  Philosophie  anatomique,  t.  II,  Des  monstruosités 
humaines.  Pans,  1822.  —  Id.,  Considérations  générales  sur  les  monstres.  Dictionnaire  classique  d  Histoire 
naturelle,  1826. 

Et  :  Isidore  Geoffroy  Saint-Hii^IRE,  Histoire  générale  et  particulière  des  .Anomalies  de  l'orga- 
nisation chez  l'homme  et  chez  les  animaux...  ou  Traité  de  la  Tératologie.  Pans.  J.-B.  Baillière,  t.  I,  1832. 

—  T.   II   et   III,   1336.  avec  atlas. 

On  consultera  utilement  un  livre  paru  au  cours  de  ces  dernières  années  :  E.  Rabaud  (Encyclo- 
pédie scienli/ique),  La  Tératogénèse,  Pans,  .4.  Doin  &  fils,  1914.  A  la  fin  du  volume,  un  abondant 
Index  bibliographique  mentionne  les  principaux  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  la  matière. 

('3)  Nous  avons  jadis  essayé  une  définition  de  I  Impressionnisme,  laquelle,  si  on  la  considère 
comme  acceptable,  fera  ressortir  la  séparation  bien  marquée  avec  les  tendances  et  l'art  de  Redon  : 
<i  ]J Impressionnisme  nous  paraît  :  la  revendication  de  la  libre  personnalité  de  l'artiste  en  dehors 
de  tout  contrôle  académique,  par  un  groupe  de  peintres  contemporains,  dont  la  plupart  se 
filient  à  l'école  des  Paysagistes,  dite  de  1830...  avec  l'apport  particulier  de  recherche  d'effets  plus 
lumineux  —  et  l'emploi  d'une  technique  appropriée  par  l'usage  d'une  palette  de  couleurs  pures  et 
la  division  des  tons.  »  A.  M.,  L'Exp.  de  1900  et  llmp.,  op.  cit.,  p.  3. 

A  tenir  compte  également  de  la  définition  d'ordre  plus  philosophique,  due  à  un  critique  très 
compétent  :  "  L'Impressionnisme,  dans  les  œuvres  qui  le  représentent  le  mieux,  c'est  une  peinture 
qui  va  vers  le  phénomène,  vers  l'apparition  et  la  signification  des  choses  dans  1  espace  et  qui  veut 
faire  tenir  la  synthèse  de  ces  choses  dans  l'apparition  d'un  moment.  '  G.  GefFROY,  La  Vie  Artistique, 
Paris,  Denlu,  1894,  troisième  série.  Histoire  de  TImpressionisme,  p.  8. 

—     1/5     — 


(14)  "  Comment  définjrons-nous  le  Mouvement   Idéaliste? 

La  tendance  d'artistes  cherchant  à  échapper  à  la  contingence  par  l'inspiration  et  le  mode 
d'expression.  En  d'autres  termes  :  tandis  que  le  rénlisle  prend  pour  but  final  de  reproduire  la 
nature  dans  la  sensation  directe  qu  elle  fait  éprouver,  —  1  idéaliste  ne  veut  y  voir  que  le  point  de 
départ  éloigné  de  son  œuvre.  Tout  réside  pour  lui  dans  la  transformation  cérébrale,  entièrement 
subjective,  que  lui  fait  subir  notre  esprit.  Il  ne  s'agit  plus  de  sensation,  c'est-à-dire  de  la  chose 
perçue  indépendamment  de  la  volonté,  mais  de  Vidée  que  nous  en  dégageons,  pur  concept  que 
l'artiste  cherchera  à  exprimer  uniquement,  sans  se  préoccuper  des  exactes  objectivités  qui  en  ont 
été  la  cause. 

L'oeuvre  d'art  actuelle,  a  dit  M.  G.-Albert  Aurier,  critique  autorisé  (Le  Symbolisme  en  peinture, 
Paul  Gauguin,  article  paru  dans  le  Mercure  de  France,  de  mars  18''l),  devra  être  : 

"   1°  Idéiste,   puisque   son   idéal   unique   sera   l'expression   de   l'idée; 

«  2"  Symboliste,  puisqu'elle  exprimera  cette  idée  par  des   formes  ; 

"  3°  Synthétique,  puisqu'elle  écrira  ces  formes,  ces  signes,  selon  un  mode  de  compréhension 
générale  ; 

•  4°  Subjeclii'e,  puisque  l'objet  n'y  sera  point  considéré  en  tant  qu'objet,  mais  en  tant  que 
signe  d'idée  perçu  par  le  sujet  ; 

'  3°  (C'est    une    conséquence)     Décoratiie...    " 

L  écrivain  ajoute  encore  à  ces  qualités,  pour  que  l'artiste  soit  complet  :  «  Le  don  d'Emotivité, 
non  point  certes  cette  émotivité  que  sent  tout  homme  devant  les  illusoires  combinaisons  passionnelles 
des  êtres  et  des  objets...  mais  cette  transcendantale  émotivité,  si  grande  et  précieuse  qui  fait  frissonner 
l'âme   devant    le   drame   ondoyant    des   abstractions    ■'. 

Nous  voici  en  présence  d'un  programme  idéaliste  bien  différent  du  réalisme  ».  AndrÉ  Mellerio, 
Le  Mouvement  Idéaliste  en  peinture,  H.  Floury,  Paris,   1896,  p.  9  et   10. 


-     1/6 


CATALOGUE 

DE    L'ŒUVRE  GRAVÉ   ET   LITHOGRAPHIE 
D'ODILON  REDON 


CATALOGUE 

DE    L'ŒUVRE    GRAVÉ    ET    LITHOGRAPHIE 
D'ODILON    REDON 


Nous  donnons  la  dimension  des  estampes  en  millimètres  et  par  des  chiffres  tenant 
uniquement  compte  de  la  partie  recouverte  par  le  dessin.  Le  premier  indique  la  Hauteur  ; 
le   second  la  Largeur. 

L  artiste  signe  habituellement  :  Odilon  Redon,  mais  cette  inscription  est  manus- 
crite et  tracée  au  crayon  sur  les  exemplaires  après  l'impression  effectuée,  sauf  rares  exceptions. 

Outre  le  tirage  officiel,  il  faut  tenir  compte  de  deux  exemplaires  exigés  par  le 
dépôt  légal  —  et  de  deux  autres  attribués  par  les  Imprimeurs  à  la  collection  de  leur 
maison.  Pour  chaque  planche  enfin,  la  moyenne  habituelle  des  essais  avant  lettre 
monte  de  quatre  à  sept  épreuves. 


L'ŒUVRE       GRAVE 


1.  CH.4PELLE    DES    PYRÉNÉES 

(H.  060,  L.  140).  Eau-forte.  Tirage  à 
3  épreuves  effectué  à  Bordeaux  (?). 
Cuivre  perdu.  [Vers  1861] 

2.  LE  GUÉ  (avec  petits  cavaliers)  (H.  1  35, 
L.  180).  Eau-forte.  Tirage  à  15  ou 
20  épreuves  effectué  à  Bordeaux  ;  et  à 
Paris,  chez  Delâtre.  Cuivre  perdu. 
[1865] 

3.  LES  DEUX  PETITS  CAV.4LIERS 
(H.  100,  L.  080).  Eau-forte.  Tirage  à 
quelques  épreuves  effectué  à  Pans. 
[1865] 

4.  LUTTE  DE  CAVALIERS  (H.  083, 
L.  120).  Eau-forte.  Tirage  à  30  épreuves 
effectué    à    Paris.    |1865] 

5.  BATAILLE  (H.  058.  L.  132).  Eau- 
forte.  Tirage  à  23  épreuves  effectué 
à  Paris.  [1865] 


6.  LA  PEUR  (H.  1 12.  L.  200).  Eau-forte. 
Tirage  à  30  épreuves  effectué  à  Pans. 
[1865] 

7.  CAVALIER  DANS  L'ATTENTE 
(H.  085.  L.  110).  Eau-forte.  Tirage 
d  essai  à  3  épreuves  effectué  à  Bordeaux. 
Cuivre  effacé.   [1866] 

8.  CAVALIER  D.4NS  LES  MON- 
T AGNES  (H.  085,  L.  113).  Eau-forte. 
Tirage  d'essai  à  3  épreuves  effectué  à 
Bordeaux.   Cuivre   effacé.    [1866] 

9.  CAVALIER  SOUS  UN  CIEL 
D'ORAGE  (H.  056.  L.  140).  Eau-forte. 
Tirage  d  essai  de  quelques  épreuves 
effectué  à  Bordeaux.  Cuivre  effacé.  [1866] 

10.  CAVALIER  GALOPANT  (H.  065. 
L.  135).  Eau-forte.  Tirage  d'essai  à 
3  épreuves  effectué  à  Bordeaux.  Cuivre 
effacé.    [Vers     1866] 


—      179 


11.  PAYSAGE  DE  MONTAGNES 
(H.  040,  L.  105).  Eau-forte.  Tirage 
d'essai  à  3  épreuves  effectué  à  Bordeaux. 
Cuivre  effacé.   [Vers    1866] 

12.  SAINT-JEAN-PfED-DE-PORT 
(H.  110,  L.  200).  Eau-forte.  Tirage  à 
4  épreuves  effectué  à  Bordeaux.  Cuivre 
effacé.   (1866] 

13.  CROQUIS  (H.  120,  L.  095).  Eau- 
forte.  Tirage  effectué  à  Paris,  dont 
épreuve  unique  dans  la  collection  Redon, 
[antérieurement     à     1870] 

14.  DAVID  (H.  095,  L.  055).  Eau-forte. 
Tirage  effectué  à  Paris  dont  3  épreuves 
dans  la  collection  Redon.  Cuivre  effacé. 
[Vers  1880] 

15.  TOBIE  (H.  155,  L.  120).  Eau-forte. 
Tirage  effectué  à  Paris,  dont  3  épreuves 
dans  la  collection  Redon.  Cuivre  effacé. 
[Vers  1880] 

16.  VISION  DE  RÊVE  (H.  090,  L.  105). 
Eau-forte.  Tirage  effectué  à  Paris,  dont 
2  ou  3  épreuves  dans  la  collection 
Redon.  [Vers   1880] 

\7.  MAUVAISE  GLOIRE  (H.  093, 
L.  050).  Eau-forte.  Tirage  à  20  épreuves 
effectué  à  Paris.  [1886] 

18.  GAIN  ET  ABEL  (H.  175,  L.  119). 
Eau-forte.  Tirage  à  20  épreuves  effectué 
à  Paris.   [1886] 

19.  PETIT  PRÉLAT  (H.  085,  L.  046). 
Pointe  sèche.  Tirage  à  30  épreuves 
effectué  à  Paris.  [1888] 

20.  PERVERSITÉ  (H.  160.  L.  126). 
Eau-forte.  Tirage  à  30  épreuves  effectué 
à  Paris.  [1891] 


21.  PASSAGE  D'UNE  AME  (H.  034, 
L.  053).  Eau-forte.  Frontispice  pour  un 
volume  de  :  Adrien  Remâcle.  La  Pas- 
sante, roman  d'une  âme.  Pans.  Biblio- 
thèque artistique  et  littéraire,  1892. 
Tome  XII.  Tirage  à  420  exemplaires 
(dont  400  sur  Hollande  et  20  sur  Japon 
Impérial).  Il  existe  quelques  épreuves  à 
part  du  frontispice  sur  grand  papier. 
Tirage  effectué  à  Paris.  [1891] 

22.  PRINCESSE  MALEINE  (connue 
aussi  sous  ce  titre  :  La  petite  Madone) 
(H.  119,  L.  064).  Eau-forte.  Tirage 
à  8  épreuves  effectué  à  Paris.   [1892] 

23.  ÉNIGME  (H.  085,  L.  082).  Pointe 
sèche.  Tirage  effectué  à  Paris,  dont 
1  épreuve  dans  la  collection  Redon.  [1892] 

24.  LE  LIVRE  (connue  aussi  sous  le 
titre  de  :  Sainte-Thérèse)  (H.  120,  L.  083). 
Pointe  sèche.  Tirage  à  20  épreuves 
effectué  à  Paris.  [1892] 

25.  SCI  APODE  (H.  190,  L.  140).  Eau- 
forte.  Quelques  épreuves  tirées  jadis 
à  Pans.  Depuis  1912,  la  planche  a  été 
rachetée  par  Artz  et  Debois,  éditeurs 
à  La  Haye,  qui  ont  publié  un  tirage  à 
39  exemplaires.  Le  cuivre  est  mainte- 
nant au  Cabinet  des  Estampes  d  Ams- 
terdam.    [1892] 

25  /./.s.  EX-LIBRIS  (H.  128,  L.  088). 
Eau-forte.  Premier  tirage  effectué  à 
Pans  vers  1893,  dont  1  épreuve  dans  la 
collection  Redon.  Depuis,  le  cuivre 
retravaillé  par  Redon  a  servi  de  frontis- 
pice pour  :  André  Mellerio.  Odilon 
Redon.  Société  pour  l'Etude  de  la  Gra- 
vure Française,  Paris  1913.  Tirage 
effectué  à  Pans,  par  A.  Porcabeuf, 
à  550  exemplaires  uniquement  réservés 
à  l'ouvrage  indiqué.   [1913] 


i8o 


L'ŒUVRE       LITHOGRAPHIE 


DANS  LE  RÊVE.  Dix  lithographies 
et  un  frontispice.  Album  tiré  à  25 
exemplaires.  Format  demi-colombier. 
Planches  sur  Chine  appliqué  et  une  cou- 
verture, imprimées  par  Lemercier  et 
C'',   à  Paris.  Pierres   effacées.   [1879] 

26.  Couverture-frontispice  (H.  302,  L.  223). 

27.  I.  Éclosion  (H.  328,  L.  257). 

28.  il.  Germirtalion   (H.    273,    L.    194). 

29.  III.  La  Roue  {H.  232.  L.  196). 

30.  IV.  Limbes  (H.  307,  L.  223). 

31.  V.  Le  Joueur  (H.  270,  L.  193). 

32.  VI.  Gnome  (H.  272,  L.  220). 

33.  VII.  Félinerie  (H.  268,  L.  203). 

34.  VIII.  Visior,  (H.  274.  L.  198). 

35.  IX.   Triste   montée   (H.    267.    L.    200). 

36.  X.  Sur    la    coupe    (H.    244.    L.     160). 

A  EDGAR  POE.  Six  lithographies  et  un 
frontispice.  Album  tiré  à  50  exemplaires. 
Format  quart  grand-colombier.  Planches 
sur  Chine  appliqué  et  une  couverture, 
imprimées  par  Lemercier  et  C'^,  à  Pans. 
Pierres  effacées.  [1882] 

37.  Couverture-frontispice.  Recto  (H.  322, 
L.  322).  Verso  (H.  165,  L.  115). 

38.  I.  L'Œil,  comme  un  ballon  bizarre  se 
dirige  vers  l'infini  (H.   262,    L.    198). 

39.  II.  Devant  le  noir  soleil  de  la  mélan- 
colie, Lénor  apparaît  (H.    168.  L.    127). 

40.  III.  Un  masque  sonne  le  glas  funèbre 
(H.  158,  L.  219). 

41.  IV.  A  l'horizon,  l'ange  des  certitudes, 
et,  dans  le  ciel  sorribre,  un  regard  interro- 
gateur (H.  272.  L.  208). 

42.  V.  Le  souffle  qui  conduit  les  êtres  est 
aussi  dans  les  sphères  (H.  273.  L.  209). 

43.  VI.  La  Folie  (H.  145.  L.  200). 


LES  ORIGINES.  Huit  lithographies  et 
un  frontispice.  Album  tiré  à  25  exem- 
plaires. Format  demi-jésus.  Planches 
sur  Chine  appliqué  et  une  couverture, 
imprimées  par  Lemercier  et  C'*^,  à 
Pans.  Pierres  effacées.   [1883] 

44.  Couverture-frontispice  (H.  305.  L.  225). 

45.  I.  Quand  s'éveillait  la  vie  au  fond  de  la 
matière  obscure  (H.  275.  L.  203). 

46.  II.  //  y  eut  peut-être  une  vision  pre- 
mière   essayée    dans    la    fleur    (H.    223, 

L.  172). 

47.  III.  Le  Polype  difforme  flottait  sur  les 
rivages,     sorte     de    cqclope     souriant     et 

hideux  (H.  213.  L.  200). 

48.  IV.  La  Sirène  sortit  des  flots,  vêtue  de 
dards  (H.  300.  L.  235). 

49.  V.  Le  Satyre  au  cynique  sourire  (H.  240. 

L.  207). 

50.  VI.  //  y  eut  des  luttes  et  de  vaines 
victoires  (H.  289,  L.  222). 

51.  VII.  L'Aile  impuissante  n'éleva  point 
la  bête  en  ces  noirs  espaces  (H.  295, 
L.  220). 

52.  Vlll.  Et  l'homme  parut,  interrogeant 
le  sol  doit  il  sort  et  qui  l'attire,  il  se  fraya 
la  voie  vers  de  sombres  clartés  (H.  280, 
L.  204). 

53.  CENTAURE  VISANT  LES  NUES 
(H.  298,  L.  256).  Pièce  d'essai,  n'ayant 
point  figuré  dans  l'Album  précédent. 
Reprise  ultérieurement  par  Redon,  elle 
devint  l'estampe  que  nous  décrivons 
ci-après  sous  le  N"  133. 

HOMMAGE  A  GOYA.  Six  lithographies. 
Album  tiré  à  50  exemplaires.  Format 
quart  grand-colombier.  Planches  sur 
Chine  appliqué,  imprimées  par  Lemer- 
cier et  C'*-',  à  Paris.  Pierres  effacées. 
[1885] 


i8i     - 


54.  I.  Dans  mon  rêve,  je  vis  au  ciel,  un 
visage  de  mystère  (H.  291,  L.  238). 

55.  II.  La  Fleur  du  marécage,  une  tête 
humaine  et  triste  (H.  275.  L.  205). 

56.  III.  Un  Fou  dans  un  morne  paysage 
(H.  226.  L.  193). 

57.  IV.  //  y  eut  aussi  des  êtres  embryon- 
naires (H.  238.  L.  197). 

58.  V.  Un  étrange  Jongleur  {H.  199.  L.  190). 

59.  VI.  Au  réveil,  j'aperçus  la  déesse  de 
l'Intelligible  au  profil  sévère  et  dur  (H.  276. 
L.  217). 

60.  L  ŒUF.  Pièce  d'essai  non  mise  dans 
l'Album  précédent. 

61.  PROFIL  DE  LUMIÈRE  (H.  340. 
L.  242).  [1888].  Tirage  à  50  exemplaire^ 
sur  Chine  appliqué,  par  Lemercier 
et  C'^.  à  Pans.  Format  demi-colombier. 
Pierre  effacée. 

LA  NUIT.  Dix  dessins  lithographiques. 
Album  tiré  à  50  exemplaires.  Format 
quart  grand-colombier.  Planches  sur 
Chine  appliqué  imprimées  par  Lemercier 
et  C''.  à  Paris.  Pierres  effacées.   [1886] 

62.  I.  A    la    Vieillesse   (H.    245.    L.    183). 

63.  II.  L'Homme  fut  solitaire  dans  un 
paysage  de  nuit  (H.  293.  L.  220). 

64.  III.  L'.4nge  perdu  ouvrit  alors  ses  ailes 
noires  (H.   258,   L.   215). 

65.  IV.  La  Chimère  regarda  avec  effroi 
toutes  choses  (H.  250.  L.   185). 

66.  V.  Les  Prêtresses  furent  en  attente 
(H.  287,  L.  212). 

67.  VI.  Et  le  Chercheur  était  à  la  recherche 
infime  (H.  276,  L.  181). 

es.  BRÏINNHILDE  (H.  118,  L.  100). 
(1886]  Planche  hors  texte  pour  la  Revue 
wagnérienne.  N°  VII.  8  août  1886. 
Impression  à  300  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Lemercier  et  C'**  à  Paris. 
Epuisé.  Quelques  épreuves  sur  Japon  et 
d'autres  sur  papier  blanc. 


69.  CIME  NOIRE  (H.  170,  L.  090). 
[1887].  Planche  hors  texte  pour  la  Revue 
indépendante.  N°  6.  Avril  1887.  Edition 
de  luxe.  Tirage  à  100  exemplaires  sur 
Japon  et  400  sur  Chine  appliqué,  par 
Lemercier  et  C'^,  à  Pans.  Pierre  effacée. 

70.  JEUNE  FILLE  (H.  300.  L.  224). 
[1887].  Tirage  à  25  exemplaires  sur 
Chine  appliqué.  Impression  par  Lemer- 
cier et  C'*".  à  Pans.  Format  demi-colom- 
bier.   Pierre   effacée. 

71.  CHRIST  (H.  330.  L.  270).  [1887] 
Tirage  à  25  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Lemercier  et  C'',  à  Pans. 
Format   demi-colombier.   Epuisé 

72.  ARAIGNÉE  {H.  260,  L.  215).  [1887] 
Tirage  à  25  exemplaires  sur  Chine 
appliqué,  par  Lemercier  et  C''\  à 
Pans.    Format   demi-colombier.  Epuisé. 

73.  MENU  POUR  LE  DINER  DES 
LITHOGRAPHES  FRANÇAIS  DU 
l'"'-  AVRIL  1887.  (H.  050,  L.  118). 
[1887]  Tirage  sur  Japon  à  quelques 
rares  exemplaires  par  Lemercier  et  C®, 
à   Pans. 

74.  L'IDOLE  (H.  162,  L.  094).  [1887] 
Frontispice  pour  :  Emile  Verhaeren. 
Les  Soirs.  Bruxelles.  Deman,  1888. 
Tirage  à  56  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Becquet,  à  Pans.  Pierre 
barrée. 

LE  JURE.  Sept  interprétations  originales 
par  Odilon  Redon  pour  :  Edmond 
Picard.  Le  Juré.  Monodrame  en  cinq 
actes.  Bruxelles.  Veuve  Monnom.  1886. 
Tirage  à  100  exemplaires  sur  Japon  dans 
le  texte  —  et  20  sur  Chine  appliqué 
hors  texte.  Impression  par  Becquet. 
à  Paris.  Les  20  exemplaires  hors  texte 
sur  Chine  ont  été  publiés  sous  couverture 
en  forme  d'Album  —  et  selon  les  indi- 
cations  ci-après   données.    [1887[ 


—     182 


75.  I.  Un  homme  du  peuple,  un  sauvage. 
(H.   183.  L.   136. 

76.  II.  Dans  le  dédale  des  branches  la 
blême  figure  apparaissait...  (H.  135, 
L.  098).  Signé  en  bas,  à  droite  •  Odilon 
Redon. 

77.  III.  Une  cloche  battait  dans  la  tour... 
(H.  205,  L.  154).  Signé  en  bas,  à  droite  : 
Odilon  Redon. 

78.  IV.  Par  la  fente  du  mur,  une  tête  de 
mort  fut   projetée   (H.    180,    L.    151). 

79.  V.  N y  a-t-il  pas  un  monde  invisible... 
(H.  218,  L.  169). 

80.  VI.  Dramatique  et  grandiose  avec  sa 
figure  de  prêtresse  druidique...  (H.  192, 
L.  143). 

81.  VII.  Le  rêve  s'achève  par  la  mort 
(H.  238,  L.  1 87).  Signé  en  haut,  à  droite  : 
Odilon  Redon. 

N.-B.  —  Le  portrait  de  Redon  par  lui- 
même  (H.  112,  L.  190)  annexé  à  l'illus- 
tration n  est  pas  une  lithographie  ori- 
ginale, mais  une  reproduction  sur  cuivre 
par  le  procédé  d  Evely,  d  un  croquis 
sommaire  de  1  artiste.  Il  existe  quelques 
épreuves  en  noir  et  un  très  petit  nombre 
en  sanguine  ou  en  bleu  de  Prusse. 

82.  DES  ESSEINTES  (H.  129.  L.  092). 
[1888]  Frontispice  hors  texte  pouvant 
être  joint  au  volume  de  J.-K.  HuYSMANS  : 
A  rebours.  Tirage  à  50  exemplaires  sur 
Chine   appliqué    par   Becquet,    à   Pans. 

TENTATION  DE  SAINT-ANTOINE. 
Première  série.  Texte  de  Gustave  Flau- 
bert. Dix  lithographies  et  un  frontis- 
pice. Paru  à  Bruxelles,  chez  Deman. 
[1888]  Tirage  à  60  exemplaires  (en  réa- 
lité 58  seulement)  sur  Chine  appliqué 
par  Becquet,  à  Pans.  Format  quart 
grand-colombier,  il  a  été  tiré  aussi 
quelques  épreuves  d'essai  sans  lettre, 
format  demi-colombier. 

83.  Couverture-frontispice  (H.  198,  L.  140). 


84.  I.  D  abord  une  flaque  d'eau,  ensuite  une 
prostituée,  le  coin  d'un  temple,  une  figure 
de  soldat,  un  char  avec  deux  chevaux 
blancs  qui  se  cabrent  (H.  291,  L.  208). 

85.  II.  C'est  le  diable,  portant  sous  ses 
deux  ailes  les  sept  péchés  capitaux... 
(H.  254,  L.  200). 

86.  III.  ...Et  un  grand  oiseau  qui  descend 
du  ciel,  vient  s'abattre  sur  le  sommet  de 
sa  chevelure...  {H.  190,  L.  160). 

87.  IV.  //  hausse  le  Da.se  d'airain  (H.  274 
L.   196). 

88.  V.  Ensuite  parait  un  être  singulier, 
ayant  une  tête  d'homme  sur  un  corps  de 
poisson  (H.  275,  L.  170). 

89.  Vi.  C  est  une  tête  de  mort,  avec  une 
couronne  de  roses,  elle  domine  un  torse 
de  femme  d  une  blancheur  nacrée  (H.  296, 

L.  213). 

90.  VII.  La  Chimère  aux  yeux  verts  tour- 
noie, aboie  (H.  275,  L.   160). 

91 .  VIII.  Et  toutes  sortes  de  bêtes  e0royables 
surgissent   (H.    312,    L.    224). 

92.  IX.  Partout  des  prunelles  flamboient 
(H.  204.  L.  158). 

93.  A.  ...Et  dans  le  disque  même  du  soleil 
rayonne  la  face  de  Jésus-Christ  (H.  282, 
L.  230). 

A  GUSTAVE  FLAUBERT.  Deuxième 
série  de  la  Tentation  de  Saint-Antoine. 
Six  lithographies  et  un  frontispice. 
[1889]  Tirage  à  60  exemplaires  sur 
Chine  appliqué  par  Becquet,  à  Paris. 
Format   demi-jésus. 

94.  Frontispice  (H.  258,  L.  203). 

95.  I.  Saint-Antoine...  A  travers  ses  longs 
cheveux  qui  lui  couvraient  la  figure,  j'ai 
cru     recormaitre     Ammonaria     (H.     287, 

L.  232). 

96.  II.  ...Une  longue  chrysalide  couleur  de 
sang  (H.  220,  L.   185). 

97.  III.  La  Mort  :  Mon  ironie  dépasse 
toutes  les  autres  (H.  262,  L.  197). 


-     183 


98.  IV.  Saint-Antoine  :  Il  doit  y  avoir 
quelque  part  des  figures  primordiales 
dont  les  corps  ne  sont  que  les  images 
(H.  170.  L.  124). 

99.  V.  Le  Sphinx  :  ...Mon  regard  que 
rien  ne  peut  dévier,  demeure  tendu  à 
travers  les  choses  sur  un  horizon  inacces- 
sible. La  Chimère  :  Moi,  je  suis  légère 
et  joyeuse  (H.  282,  L.  202). 

100.  VI.  Les  Sciapodes  :  La  tête  le  plus 
bas  possible,  c'est  le  secret  du  bonheur 
(H.  277.  L.  210). 

101.  LES  DÉB.4CLES  (H.  149.  L.  097). 
[1889]  Frontispice  pour  :  Emile  Ver- 
HAEREN.  Les  Débâcles.  Bruxelles,  Deman, 
1889.  Il  ne  se  trouve  que  dans  52  exem- 
plaires. Tiré  sur  Chine  appliqué  par 
Becquet.  à  Pans.  Si^né  en  bas.  à  gauche  : 
Odilon    Redon.   Pierre    efïacée. 

102.  PÉGASE  CAPTIF:  \''' État  (H.  340. 
L.  293).  [1889]  Tirage  marqué  à 
100  exemplaires  (mais  dont  25  tout  au 
plus  virent  le  jour)  par  Becquet.  à  Pans. 
Format    demi-colombier. 

D'<=:  2''  État  (H.  340.  L.  293).  La  pierre 
précédente  fut.  quelques  anées  après, 
reprise  et  retouchée  par  Redon.  Le  tirage 
marqué  à  100  exemplaires,  na  pas  été 
atteint.  Pierre   effacée. 

103.  EL  MOGHREB-AL-AKSA  (H.  243. 
L.  185).  [1889]  Frontispice  pour  : 
Edmond  PiCARD.  El  Moghreb-al-Aksa. 
Larcier,  Bruxelles.  1889.  Tirage  à 
205  exemplaires  sur  Chine  appliqué 
par    Becquet.    à    Pans.    Pierre    efïacée. 

104.  LA  DAMNATION  DE  L'ARTISTE 
(H.  190.  L.  125).  [1889]  Frontispice 
pour  :  Iwan  GlLKIN  La  Damnation  de 
l'Artiste,  Bruxelles,  Deman.  1890.  Tirage 
à  152  exemplaires  sur  Chine  appliqué 
par  Becquet.   à  Paris.  Pierre   effacée. 


105.  LES  CHIMÈRES  (H.  140.  L.  097). 
[1889]  Frontispice  pour  :  Jules  Des- 
TRÉE.  Les  Chimères,  Bruxelles.  Monnom, 
1889.  Tirage  à  120  exemplaires  (dont 
105  sur  Chine  appliqué  —  et  15  sur 
papier  teinté)  par  Becquet.  à  Pans. 
Pierre  effacée. 

106  LES  FLAMBEAUX  NOIRS  {H.  \7i, 
L.  121).  [1890]  Frontispice  pour  : 
Emile  Verhaeren.  Les  Flambeaux  noirs, 
Bruxelles.  Deman.  1891.  Tirage  pour 
52  exemplaires  seulement  sur  Chine 
appliqué  par  Becquet,  à  Pans.  Pierre 
effacée. 

107.  YEUX  CLOS  (H.  312.  L.  242). 
[1890]  Imprimé  sur  Chine  appliqué  par 
Becquet.  à  Pans.  Format  demi-colom- 
bier. 11  a  été  fait  deux  tirages  :  le  premier 
porte  la  mention  suivante,  en  bas. 
à  droite  :  50  exemplaires  —  et  le  second  : 
Yeux  clos,  2''  tirage  à  50  exemplaires. 
Pierre  effacée.  Il  a  été  tiré  en  outre  de 
très  rares  estampes  où,  la  bande  de 
terrain  ayant  été  supprimée,  il  ne  reste 
que  le  buste  de  femme  Impression  à 
l'encre   légèrement   teintée    de   vert. 

108.  SERPENT-AURÉOLE  (H.  302. 
L.  226).  [1890]  Tirage  à  50  exemplaires 
sur  Chine  appliqué  par  Becquet.  à  Pans. 
Format   demi-colombier.  Pierre  effacée. 

109.  SAINTE  ET  CH.ARDON  (H.  285, 
L.  207).  [1891]  Tirage  à  50  exemplaires 
sur  Chine  appliqué  par  Becquet.  à  Paris. 
Format  demi-colombier    Pierre  effacée. 

SONGES  (.4  la  mémoire  de  mon  ami 
Armand  Clavaud).  Six  lithographies. 
[1891]  .Mbum  tiré  à  80  exemplaires 
sur  Chine  appliqué  par  Becquet,  à  Paris. 
Format  quart  grand-colombier.  Il  a  été 
fait  en  outre  un  rarissime  tirage  de 
l'Album  sur  Chine  volant.  Pierres  effa- 


184 


110.  I.  C'était  un  voile,  une  empreinte 
(H.  188,  L.  133). 

111.  II.  Et  là-has  l'Idole  astrale,  l'apo- 
théose (H.  277.  L    192). 

112.  III.  Lueur  précaire,  une  tête  à  l'infini 
suspendue  (H.  275,  L    208). 

113.  IV.  Sous  l'aile  d'ombre,  l'Etre  noir 
appliquait  une  active  morsure  (H.  225, 
L.  172). 

114.  V.  Pèlerin  du  monde  suhlunaire  (H.  275. 
L.  205). 

115.  VI.  Le  Jour  (H.  210,  L.  158). 

1 16.  PARSIFAL  (H.  322,  L.  242).  [1892] 
Tirage  à  50  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Becquet,  à  Pans.  Format 
demi    grand-colombier.    Pierre    effacée. 

117.  DRUIDESSE{H.230,  L.  200).  [18921 
Tirage  à  50  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Becquet.  à  Paris.  Format 
demi    grand-colombier.    Pierre    effacée. 

118.  ENTRETIEN  MYSTIQUE  (H.  134, 
L.  098).  [1892]  Tirage  à  50  exemplaires 
sur  Chine  appliqué  par  Becquet,  à  Pans. 
Format  quart  grand-colombier.  Signé 
au  bas,  à  gauche  :  Odilon  Redon.  La 
signature  apparaît  retournée.  Pierre 
effacée. 

119.  LE  LI.SEUR  (H.  310,  L.  236). 
[1892]  Tirage  à  50  exemplaires  sur 
Chine  appliqué  par  Becquet.  à  Pans. 
Format  demi  grand-colombier.  Pierre 
effacée. 

120.  .4RRRE  (H.  480,  L.  320).  [1892] 
Tirage  à  25  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Becquet,  à  Pans.  Format 
demi    grand-colombier.    Pierre    effacée. 

121.  LES  TÉNÈBRES  (H.  198,  L.  123). 
[1892]  Frontispice  pour  :  Iwan  GlI.KIN. 
Les  Ténèbres.  Tirage  sur  Chine  appliqué 
par    Becquet,    à    Paris.    Il    existe    aussi 


quelques  épreuves  d'essai  en  dehors 
du  livre,  également  sur  Chine  appliqué. 
Pierre    effacée. 

122.  L'AILE  (H.  319.  L.  245).  [1893] 
Tirage  à  25  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Becquet,  à  Pans.  Format 
demi  grand-colombier.  Signé  en  bas, 
à  droite  :  Odilon  Redon.  Pierre  effacée. 

123.  LUMIÈRE  (H.  302,  L.  272).  [1893] 
Tirage  à  50  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Becquet,  à  Pans.  Format 
demi    grand-colombier.    Pierre    effacée. 

124.  CHEVALERIES  SENTIMEN- 
TALES (H.  138,  L.  083).  [1893]  Tirage 
pour  :  F.  Herold.  Chevaleries  senti- 
mentales, sur  Chine  appliqué  par  Bec- 
quet, à  Pans.  Signé  en  haut,  à  gauche, 
du  monogramme  enlacé  :  0.  R.  Quelques 
épreuves  d'essai  sur  Chine  appliqué 
quart  grand-colombier  ont  été  tirées 
avant  lettre.  Pierre  effacée. 

125.  MON  ENFANT  (H.  230,  L.  217). 

[1893]  Tirage  à  quelques  exemplaires 
sur  Chine  appliqué  par  Becquet,  à  Pans. 
Format  demi  grand-colombier.  Pièce 
non  mise  dans  le  commerce  et  réservée 
par  l'artiste  seulement  pour  ses  intimes. 
Au  bas  du  dessin  sont  lithographiées 
en  cursive  les  deux  mentions  suivantes  : 
à  gauche,  25  exemplaires  ;  à  droite, 
d'après  mon  enfant.  Pierre  effacée. 

126.  CELLULE  AURICULAIRE  (H.im. 
L.  250).  [1894]  Tirage  à  100  exemplaires 
sur  Chine  appliqué  par  Ancourt,  à  Pans. 
Format  demi  grand-colombier.  Cette 
lithographie  a  fait  partie  de  :  L'Estampe 
originale,  publication  fondée  et  dirigée 
par  André  Marty.  Pierre  effacée. 

127.  CHEVAL  AILÉ  (H.  158.  L.  118). 
[1894]  Tirage  sur  Chine  appliqué  par 
Becquet.  à  Paris.  Pièce  publiée  par  la 
Revue  Blanche.  Pierre  effacée. 


-     185     - 


128.  HANTISE  (H.  361,  L.  229)  (V'  et 

2'^  états).  [1894]  Quelques  explications 
relativement  à  cette  pièce  sont  nécessaires. 

Premier  état.  Redon  avait  dessiné  une 
sorte  de  Marguerite  de  Faust,  marchant 
comme  hypnotisée  par  Méphisto  qu  on 
apercevait  derrière  elle,  la  poussant  en 
avant.  Mais  une  retouche  projetée  après 
désencrage  de  la  pierre  n'ayant  pas 
réussi,  l'estampe  qui  s'annonçait  comme 
une  des  plus  belles  de  l'artiste,  fut  pro- 
fondément modifiée  dans  le  sens  indiqué 
ci-après.  Rarissimes  épreuves  imprimées 
directement  sur  le  papier. 

Deuxième  état.  Sur  un  fond  très  opaque 
une  femme  s'avance,  vue  de  profil, 
et  semblant  écouter  les  inspirations  de 
trois  larves  bizarres.  Tirage  à  23  épreuves 
sur  Chine  appliqué  par  Monrocq,  à 
Paris.  Format  demi  grand-colombier. 
Pierre  effacée. 

129.  LE  COURSIER  (H.  215,  L.  188). 
[1894]  Tirage  à  25  exemplaires  sur 
Chine  appliqué  par  Monrocq,  à  Pans. 
Format  demi  grand-colombier.  Pierre 
effacée. 

130.  BRUNNHILDE  {CRÉPUSCULE 
DES  DIEUX)  (H.  380,  L.  292).  [1894] 
Tirage  à  80  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Monrocq,  à  Pans.  Format 
demi    grand-colombier.    Pierre    effacée. 

131.  L'ART  CÉLESTE  (H.  315.  L.  258). 
[1894]  Tirage  à  50  exemplaires  sur 
Chine  appliqué  par  Furstein,  à  Pans. 
Format  demi  grand-colombier.  Il  a  été 
tiré  aussi  quelques  très  rares  exemplaires 
datis  les  conditions  suivantes  :  toute  la 
moitié  de  gauche  en  longueur  de  1  es- 
tampe, partie  où  se  trouve  I  ange  musi- 
cien, a  été  supprimée.  Il  reste  :  Tête 
d'homme  écoulant  (H.  315,  L.  136). 
Pierre  effacée. 

132.  LE  BUDDHA  (H.  324,  L.  249). 
[1895].    Tirage   à    100   exemplaires    sur 


Chine  appliqué  par  Clôt,  à  Pans.  Format 
demi  grand-colombier.  Cette  pièce  fait 
partie  de  l'Estampe  originale,  publi- 
cation fondée  et  dirigée  par  André 
Marty.    Pierre   effacée. 

133.  CENTAURE  VISANT  LES  NUES 
(H.  314,  L.  250).  [1893]  Tirage  à 
50  exemplaires  sur  Chine  appliqué  par 
Clôt,  à  Paris.  Format  demi  grand-colom- 
bier. Quelques  rares  exemplaires  avant 
lettre  sur  Chine  appliqué  sont  teintés 
monochromes  :  soit  vert,  soit  rouge  un 
peu  groseille.  Pierre  effacée. 

TENTATION  DE  SAINT-ANTOINE. 
Troisième  série.  Texte  de  Gustave 
Flaubert,  24  dessins  sur  pierre  dont 
un  frontispice.  [1896]  Tirage  à  50  exem- 
plaires sur  Chine  appliqué  (sauf  le 
frontispice  sur  papier  du  Japon)  partie 
par  Clôt  et  partie  par  Blanchard,  à  Pans. 
L'Album  est  contenu  sous  cartonnage 
grenat  portant  en  lettres  dorées  :  Tenta- 
tion de  Saint-Antoine,  1896.  Vollard  qui 
en  fut  l'éditeur,  a  effectué  également 
un  tirage  sur  Hollande,  destiné  à  illustrer 
une  édition  éventuelle  du  livre. 

134.  I.  Frontispice  (H.  240,  L.  165). 
Imprimé  monochrome  sur  papier  du 
Japon  par  Clôt.  Il  n'y  a  pas  deux  épreu- 
ves   exactement    semblables. 

135.  II.  Saint- Antoine  :  Au  secours  mon 
Dieu!  (H.  215,  L.  130).  Imprimé  par 
Blanchard. 

136.  III.  Et  partout  ce  sont  des  colonnes  de 
basalte...  la  lumière  tombe  des  voûtes 
(H.    243,    L.   090).    Imprimé   par    Clôt. 

137.  IV.  Mes  baisers  ont  le  goût  d'un  fruit 
qui  se  fondrait  dans  ton  cœur:...  Tu  me 
dédaignes  !  Adieu  !  (H.  203.  L.  166). 
Imprimé  par  Blanchard. 

138.  V.  Des  fleurs  tombent,  et  la  tête  d'un 
python  paraît  (H.  260,  L.  198).  Imprimé 
par  Blanchard. 


i86     — 


139.  VI.  Dans  l'omhre  des  gens  pleurent 
et  prient  entourés  d'autres  qui  les 
exhortent...  (H.  265.  L.  216).  Imprimé 
par   Blanchard. 

140.  VII.  ...Et  il  distingue  une  plaine  aride 
et  mamelonneuse  (H.  248,  L.  195).  Imprimé 
par   Blanchard. 

141.  VIII.  Elle  tire  de  sa  poitrine  une 
éponge  toute  noire,  la  couvre  de  baisers 
(H.    193,    L.    133).    Imprimé   par   Clôt. 

142.  IX.  ...Je  me  suis  enfoncé  dans  la  soli- 
tude. J'habitais  l'arbre  derrière  moi 
(H.  300,  L.  223).  Imprimé  par  Blan- 
chard. 

143.  X.  Hélène  (Ennoia)  (H.  095.  L.  085), 
Imprimé  par  Blanchard. 

144.  XI.  Immédiatement  surgissent  trois 
déesses  (H.  170,  L  133).  Imprimé  par 
Blanchard. 

145.  XII.  L'Intelligence  fut  à  moi.  je  devins 
le  Buddha  (H.  320.  L.  220).  Imprimé 
par   Blanchard. 

146.  XIII.  ...Et  que  des  yeux  sans  tête 
flottaient  comme  des  mollusques  (H.  310, 
L.  224).   Imprimé  par  Blanchard. 

147.  XIV.  Oannès  :  Moi,  la  première 
conscience  du  chaos,  fai  surgi  de  l  abîme 
pour  durcir  la  matière,  pour  régler  les 
formes  (H.  279,  L.  217).  Imprimé  par 
Blanchard. 

148.  XV.  Voici  la  Bonne  Déesse,  l'ïdéenne 
des  montagnes  (H.  148.  L.  130).  Imprimé 
par  Clôt. 

149.  XVI.  Je  suis  toujours  la  grande  Isis  ! 
Nul  n'a  encore  soulevé  mon  voile  !  Mon 
fruit  est  le  soleil!  (H.  282.  L.  204).  Im- 
primé   par    Blanchard. 

130.  XVII.  //  tombe  dans  l'ahime.  la  tête 
en  bas  (H.  278.  L.  212).  Imprimé  par 
Blanchard. 

151.  XVIII.  Antoine  :  Quel  est  le  but  de 
tout  ceta  ?  Le  Diable  :  Il  n'y  a  pas  de  but  ! 
(H.  311,  L.  230).  Mise  sur  pierre  faite 
par  Clôt,  et  rimpression  par  Blanchard. 


132.  XIX.  La  Vieille  :  Que  crains-tu? 
Un  large  trou  noir  !  Il  est  vide  peut- 
être?  (H.  162.  L.  108).  Imprimé  par 
Blanchard. 

133.  XX.  La  Mort  :  C'est  moi  qui  te 
rends  sérieuse;  enlaçc-ns-nous  (H.  303, 
L.  211).  Imprimé  par  Blanchard. 

134.  XXI.  ...J'ai  quelquefois  aperçu  dans 
le  ciel  comme  des  formes  d'esprits  (H.  261 , 
L.   182).  Imprimé  par  Clôt. 

135.  XXII.  ...Les  Bêtes  de  la  mer,  rondes 
comme  des  outres  (H.  222.  L.  190). 
Imprimé  par  Blanchard. 

156.  XXIII.  Des  peuples  divers  habitent 
les  pays  de  l'Océan  (H.  310.  L.  230). 
Imprimé    par    Blanchard. 

157.  XXIV.  Le  jour  enfin  parait  ...Et  dans 
le  disque  même  du  soleil,  rayonne  la  face 
de  Jésus-Christ  (H.  270.  L.  263).  Im- 
primé par  Blanchard. 

158.  VIEUX  CHEVALIER  (H.  298. 
L.  239).  [1896]  Tirage  à  100  exemplaires 
sur  Chine  appliqué  par  Blanchard,  à 
Paris.  Format  demi  grand-colombier. 
Cette  estampe  fait  partie  de  V Album  des 
Peintres-Graveurs,  édité  par  M.  Vollard. 
Pierre  effacée. 

159.  LE  MOUVEMENT  IDÉALISTE 
EN  PEINTURE  (H.  090,  L.  080). 
[1890].  Frontispice  pour  :  André  Mel- 
LERIO.  Le  Mouvement  idéaliste  en  pein- 
ture, Paris,  H.  Floury,  1896.  Tirage 
à 350  exemplaires,  (dont  quelques  volumes 
sur  Hollande),  par  Blanchard,  à  Pans. 
En  plus  des  exemplaires  insérés  dans 
l'édition  (papier  teinté  jaune  pour  la 
plus  grande  partie,  et  Japon  pour  les 
livres  sur  Hollande),  il  a  été  fait  quelques 
épreuves  d'essai  également  sur  papier 
teinté  et  Japon.  Enfin  un  tirage  à  part 
sur  Chine  appliqué,  format  quart  grand- 
colombier.  Signé  en  haut,  à  droite, 
du  monogramme  enlacé  :  0.  R.  i  icrre 
effacée. 


iS/ 


LA  MAISON  HANTÉE.  Six  lithogra- 
phies et  un  frontispice.  [1896]  Tirage 
à  60  exemplaires  sur  Chine  apphqué 
par  Clôt,  à  Pans.  Format  quart  grand- 
colombier.  Album  édité  aux  frais  et 
par  les  soins  de  M.  René  Philippon, 
pour  servir  de  commentaire  à  sa  tra- 
duction d'une  œuvre  de  :  BuLWER- 
Lytton.  La  Maison  hanlée.  Pierres 
effacées. 

160.  Frontispice  (H.  320,  L.  200). 

161.  I.  Je  vis  dessus  le  contour  vaporeux 
d'une  forme  humaine  (H.  253,  L.  181). 
Il  a  été  tiré  en  outre  de  cette  pièce  20 
épreuves  à  part. 

162.  II.  Je  vis  une  lueur  large  et  pâle 
(H.  230,  L.  170). 

163.  III.  //  tenait  ses  yeux  fixés  sur  moi 
avec  une  expression  si  étrange  (H.  228, 
L.  153).  Signé  en  bas,  à  gauche  :  Odi.  R. 

164.  IV.  Selon  toute  apparence,  c'était 
une  main  de  chair  et  de  sang  comme  la 
mienne  (H.  245,  L    178). 

165.  V.  Des  larves  si  hideuses  (H.  179. 
L.  1 70).  Signé  en  bas,  à  gauche,  du  mono- 
gramme enlacé  :  0.  R. 

166.  VI.  La  largeur  de  l'aplatissement  de 
l'os  frontal  (H.  140.  L.  170).  Signé  vers 
le  bas,  à  gauche  :  Od.  R. 

167.  LA  SULAMITE  (H.  245,  L.  190). 
[1897]  Tirage  à  50  exemplaires  par 
Ciot,  à  Pans.  Impression  en  couleurs. 
Certaines  épreuves  sont  en  noir,  jaune 
et  violet  —  d'autres  en  bleu  clair,  jaune 
et  violet.  Format  demi  grand-colombier. 
Pierre  effacée. 

168.  BÉATRICE  (H.  335,  L.  295).  [1897] 
Cette  pièce  fait  partie  de  VAWum  des 
Peintres-Graveurs,  édité  par  Vollard. 
à  Pans.  Tirage  en  couleurs  sur  Chine 
appliqué  par  Clôt,  à  Paris.  Format  demi 
grand-colombier.  Signé  en  haut,  à 
droite,   dans  la  fleur,   du   monogramme 


enlacé  :  0.  R.  —  Il  existe  aussi  quelques 
épreuves  d'essai  avant  lettre  sur  Chine 
volant  (H.  250,  L.  190)  plus  poussées 
comme  travail  et  coloris.  Pierre  effacée. 

1 69.  TÊTE  D'ENFANT  A  VEC  FLEURS 
(H.  251,  L.  2 13).  [1892]  Tirage  à 50  exem- 
plaires sur  Chine  appliqué  par  Duchâtel, 
tireur  d'art  chez  Lemercier  et  C"',  à 
Paris.  Format  demi  grand-colombier.  Le 
tirage  comprend  :  A.  Epreuves  mono- 
chromes. B.  Epreuves  en  noir,  retou- 
chées en  couleur  à  la  main.  Ces  rehauts 
sont  appliqués  aux  fleurs.  C.  Epreuve 
unique  sur  papier  vert.  Il  a  été  tiré  en 
outre  quelques  épreuves  d'essai,  rehaus- 
sées ou  non,  sur  Chine  appliqué  et  sur 
Chine  volant.  Pierre  effacée. 

170.  ARI  (H.  208,  L.  125).  [1898]  Tirage 
par  Navier,  à  Pans.  Cette  pièce  destinée 
à  L'Estampe  et  TAffiche  ne  fut  point 
exécutée.  Epreuves  rarissimes.  Il  en 
existe  deux  états.  Premier  état.  Titre, 
en  bas,  lithographie  d'après  l'écriture  de 
l'artiste  :  Ari  1898,  0.  R.  —  Deuxième 
état.  Avec  retouches.  Dans  la  marge 
a  été  ajouté  un  croquis  léger  du  profil  de 
l'enfant.  Le  titre  et  la  date  sont  restés, 
mais  le  monogramme  a  été  remplacé  par 
la  signature  abrégée  :  Od.  R.,  en  écriture 
cursive     lithographiée.     Pierre     effacée. 

171.  HOMME  SUR  PÉGASE  (H.  137, 
L.  093).  [1898]  Tirage  à  10  exemplaires 
par  Becquet,  à  Paris.  Rares  épreuves 
d'essai  sur  papier  blanc  de  cette  pièce 
non  définitivement  exécutée.  Pierre 
effacée. 

172.  LE  SOMMEIL  (Dans  la  pensée  de 
l'artiste,  cette  planche  devait  avoir  pour 
titre  :  Sulamite)  (H.  130.  L.  125). 
[1898]  Tirage  annoncé  à  510  exemplaires 
(en  réalité  300)  sur  Chine  appliqué 
par  Duchâtel,  tireur  d'art  chez  Lemer- 
cier et  C'^,  à  Pans.  Cette  estampe  fut 
donnée   en   prime   par   la   Revue   d'art  : 


i88     — 


L'Estampe  et  l'Affiche.  N"  2  (2''  année), 
13  février  1898.  Il  existe  en  outre, 
quelques  épreuves  sur  Japon,  d  autres 
sur  Chine  volant,  d'autres  enfin  sur 
Chine  appliqué,  format  quart  grand- 
colombier.    Pierre    effacée. 

APOCALYPSE  DE  SAINT-JEAN. 
Douze  lithographies  et  un  frontispice, 
édités  par  Vollard,  à  Paris  [1899]. 
Album  tiré  à  100  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Blanchard,  à  Pans.  Format 
demi  grand-colombier.  Pierres  effacées. 

173.  Couverture-frontispice  (H.  202,  L.  233) 

174.  I.  Et  il  avait  dans  sa  main  droite 
sept  étoiles,  et  de  sa  bouche  sortait  une 
épée  aiguë  à  deux  tranchants  (H.  292, 
L.  209).  Signé  au  bas,  à  gauche  :  Odilon 
Redon. 

175.  11.  Puis  je  vis  dans  la  main  droite  de 
celui  qui  était  assis  sur  le  trône,  un  livre 
écrit  dedans  et  dehors,  scellé  de  sept 
sceau.x  (H.  322,  L.  243).  Signé  vers  le 
bas,  à  gauche  :  Odilon  Redon. 

176.  III.  ...Et  celui  qui  était  monté  dessus 
se  nommait  la  Mort  (H.  310,  L.  225). 
Signé  en  bas.  à  droite,  du  monogramme 
enlacé  :  0.  R. 

i  77.  IV.  Puis  l'Ange  prit  l'encensoir  (H.  3 1 0, 
L.  215).  Signé  en  bas,  vers  le  milieu, 
deux  fois.  D'abord  :  Odilon  Redon  —  puis 
le  monogramme  enlacé  :  0.  R. 

178.  V.  Et  il  tombe  du  ciel  une  grande  étoile 
ardente  (H.  303,  L.  233).  Signé  en  bas,  à 
droite,  du  monogramme  enlacé  :  0.  R. 

179.  VI.  ...Une  Femme  revêtue  du  soleil 
(H.  230,  L.  286).  Signé  en  bas,  au  milieu, 
du  monogramme  enlacé  :  0.  R. 

180.  VII.  Et  un  autre  Ange  sortit  du 
temple  qui  est  au  ciel,  ayant  lui  aussi  une 
faucille  tranchante  (H.  313.  L.  212). 
Signé  en  bas.  à  droite,  du  monogramme 
enlacé  :  0.  R. 


181.  VIII.  Après  cela  je  vis  descendre 
du  ciel  un  Ange  qui  avait  la  clef  de 
l'abîme,  et  une  grande  chaîne  en  sa  main 
(H.  304,  L.  232). 

182.  IX.  ...Et  le  lia  pour  mille  ans  (H.  298. 
L.  210). 

183.  X.  Et  le  Diable  qui  les  séduisait, 
fut  jeté  dans  l'étang  de  feu  et  de  soufre, 
oii  est  la  Bêle  et  le  faux  Prophète)  (H.  274. 
L.  238).  Signé  en  bas,  au  milieu  : 
Odilon  Redon. 

184.  XI.  Et  moi,  Jean,  je  vis  la  sainte  cité, 
la  nouvelle  Jérusalem,  qui  descendait  du 
ciel,  d'auprès  de  Dieu  (H.  300,  L.  237). 
Signé  en  bas,  à  droite,  du  monogramme 
enlacé  :  0.  R. 

185.  XI!.  C'est  moi,  Jean,  qui  ai  Vu  et  qui 
ai  ouï  ces  choses  (H.  158,  L.  190).  Signé 
en  bas,  à  droite,  du  monogramme 
enlacé  :  0.  R. 

PLANCHES  D'ESSAL  [1900]  Quatre 
planches  d  essai  commandées  à  Redon 
furent  exécutées  par  lui.  La  pierre  de 
l'une  d'elles  fut  égarée.  Des  trois  autres 
indiquées  ci-dessous,  quelques  très  rares 
épreuves  furent  tirées  à  Pans. 

186.  I.  Femme  de  profil  vers  la  gauche, 
coiffée  d'un  hennin  (H.  300,  L.  240). 
Sur  papier  blanc.  Signé  vers  le  bas, 
à  droite,  du  monogramme  enlacé  :  0.  R, 

187.  II.  Tête  d'enfant,  de  face,  avec  au- 
dessus  un  arc-en-ciel  (H.  120,  L.  070). 
Sur  Chine.  Signé  en  bas,  à  droite,  du 
monogramme  enlacé   :   0.  R. 

188.  III.  Femme  coiffée  d'une  toque  et 
rejetant  le  buste  en  arrière  (H.  260, 
L.  240).  Sur  papier  blanc. 

189  TÊTE  DE  FEMME  AVEC 
FLEURS  AU  CORSAGE  (H.  225. 
L.  195).  [19001  Tirage  par  Blanchard, 
à  Paris.  De  cette  planche  rarissime,  il 
n'existe  que  quatre  exemplaires  :  A. 
Deux  sont  tirés  sur  papier  blanc  ;  B. 
les  deux  autres  sur  papier  gris. 


—     189 


PORTRAITS 

190.  EDOUARD  VUILLARD  (H.  200. 
L.  152).  11900]  Portrait  du  peintre 
Vuillard,  tiré  à  12  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Blanchard,  à  Pans.  Format 
grand-colombier.  Pierre  effacée. 

191 .  P/Ê/^/^£fîON/V/4/?D(H.  145,  L.  123). 
[1902]  Portrait  du  peintre  Bonnard, 
tiré  à  12  exemplaires  sur  Chine  appliqué 
par  Blanchard,  à  Paris.  Format  grand- 
colombier.  En  plus  du  tirage  en  noir, 
il  existe  quelques  épreuves  à  la  sanguine. 
Pierre  effacée. 

192.  PAUL  SÉRUSIER  (H.  160,  L.  135). 
[1903]  Portrait  du  peintre  Sérusier,  tiré 
à  12  exemplaires  sur  Chine  appliqué 
par  Blanchard,  à  Pans.  Format  grand- 
colombier.  Daté  en  bas,  à  gauche  :  1903. 
En  plus  du  tirage  en  noir,  il  existe  une 
épreuve  en  bistre  et  quelques  épreuves 
à  la  sanguine.  Pierre  effacée. 

193.  MAURICE  DENIS  {H.  153,  L.  135). 
[1903]  Portrait  du  peintre  Denis,  tiré 
à  25  exemplaires  sur  Chine  appliqué 
par  Blanchard,  à  Pans.  Format  grand- 
colombier.  Daté  en  bas.  à  droite  :  1903. 
Pierre  effacée. 

194.  RICARDO  VINES  (H.  135,  L.  1 14). 
[1903]  Portrait  du  pianiste  Vinès.  tiré 
à  25  exemplaires  sur  Chine  appliqué 
par  Blanchard,  à  Pans.  Format  grand- 
colombier.  Daté  en  bas,  à  droite  :  1903. 
Pierre   effacée. 

195.  M"«  JULIETTE  DODU  (H.  146, 
L.  090).  [1904]  Portrait  de  Théroïne  fran- 
çaise de  1870,  demi-sœur  de  M'"*"  Odilon 
Redon,  tiré  à  40  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Clôt,  à  Paris.  Format 
grand-colombier.  Daté  en  bas,  à  droite  : 
1904.  Le  total  se  décompose  ainsi  : 
15  épreuves  en  rouge,  25  épreuves  en 
noir.  Il  existe  aussi  quelques  très  rares 
épreuves  d  essais  en  noir,  tirées  par 
Blanchard,  à  Paris.  Pierre  effacée. 


196.  ROGER  MARX  (H.  250,  L.  145). 
[1904]  Portrait  de  l'écrivain  d'art  Roger 
Marx,  tiré  à  20  exemplaires  sur  Chine 
appliqué  par  Clôt,  à  Pans.  Format 
grand-colombier.  Le  total  se  décompose 
ainsi  :  15  épreuves  en  noir,  5  épreuves  en 
rouge.    Pierre    effacée. 

197.  LLOBET  (H.  095,  L.  095).  [1909] 
Portrait  du  guitariste  Llobet,  tiré  à 
15  exemplaires  sur  Chine  appliqué  par 
Clôt,  à  Pans.  Format  grand-colombier. 
Daté  en  bas,  à  droite  :  1908.  Pierre 
effacée. 

ANNEXE 

LES  FLEURS  DU  MAL.  Neuf  dessins 
dont  une  couverture-frontispice  et  un 
cul-de-lampe  pour  :  Charles  Baudelaire, 
Les  Fleurs  du  mal  [1890].  Tirage  par 
le  procédé  sur  cuivre  d  Evely,  sans 
aucune  retouche  des  planches  par  Redon. 
Le  résultat  est  inférieur  à  celui  que 
donne  une  impression  lithographique. 
L'Album,  bien  qu'annoncé  à  50  exem- 
plaires, ne  fut  réellement  tiré  qu'à  43, 
dont  :  41  sur  vélin  teinté,  I  sur  Chine  et 
1  avant  lettre.  Format  quart  de  colom- 
bier. Il  existe  deux  ou  trois  épreuves, 
d'essai   en    bistre. 

De  plus,  l'éditeur  Deman  a  fait  imprimer 
un  tirage  dans  le  format  in-8''  pour 
pouvoir  être  inséré  dans  :  Charles  Bau- 
delaire, Les  Fleurs  du  mal.  Bruxelles, 
Deman,  1890.  C'est  une  réduction  sur 
cuivre  par  le  procédé  d  Evely,  des  grandes 
planches  ci-dessus.  Ce  tirage  comprend  : 
100  exemplaires,  dont  80  sur  vélin 
teinté,  10  sur  Chine  et  10  sur  Japon. 
Dessins  et  cuivres  demeurés  chez  1  édi- 
teur  Deman,   à   Bruxelles. 

198.  I.  Couverture-frontispice  (H.  190, 
L.   142). 

199.  II.  Je  t'adore  à  l'égal  de  la  voûte 
nocturne,  ô  vase  de  tristesse,  ô  grande 
taciturne  (H.  250,  L.  179).  Signé  en  bas, 
à  droite,  du  monogramme  enlacé  :  0.  R. 


igo 


200.  111.  Parfois  on  trouve  un  vieux  flacon 
qui  se  souvient,  d  où  jaillit  toujours  vive 
une  âme  qui  revient  (H.  245,  L.  168). 
Signé  en  bas,  au  milieu,  du  mono- 
gramme enlacé  :  0.  R. 

201.  IV.  Si  par  une  nuit  lourde  et  sombre, 
un  bon  chrétien,  par  charité,  derrière 
quelque  vieux  décembre,  enterre  votre 
corps  voûté  (H.  232,  L.  183).  Signé  en 
bas,  à  gauche,  du  monogramme  enlacé  : 

0  R 

202  V.  Volupté,  fantôme  élastique  !  {H.  178, 
L.  1 15).  Signé  en  bas,  à  droite,  du  mono- 
gramme enlacé  :  0.  R. 

203.  VI.  Sur  le  fond  de  nos  nuits  Dieu  de 
son    doigt    savant    dessine   un    cauchemar 


multiforme  et  sans  trêve  (H.  212,  L.  187). 
Signé  en  haut,  à  gauche,  du  mono- 
gramme enlacé  :  0.  R. 

204.  Vil.  Sans  cesse  à  mes  côtés  s'agite 
le  démon  (H.  214,  L.  180).  Signé  en  bas 
au  milieu,  du  monogramme  enlacé  : 
0.  R. 

205.  Vlll.  Gloire  et  louange  à  toi  Satan, 
dans  les  hauteurs  du  ciel,  où  tu  régnas,  et 
dans  les  profondeurs  de  l'enfer  où.  vaincu, 
tu  rêves  en  silence!  (H.  174,  L.  180). 
Signé  en  bas,  à  droite,  du  monogramme 
enlacé  :  0.  R. 

206.  Cul-de-lampe  (H.  118,  L.  090).  Signé 
en  bas,  à  droite,  du  monogramme 
enlacé  :  0.  R. 


SUPPLEMENT    AU     CATALOGUE 


N.-B.  —  Le  Catalogue  ci-dessus  donné  des  gravures  et  lithographies  d'Odilon  Redon 
est  conforme,  comme  numération,  à  celui  jadis  édité  par  la  SOCIÉTÉ  POUR  L  Etude 
DE  LA  Gravure  française.  Aussi  peut-on  se  reporter  facilement  à  ce  dernier  pour  la 
description  et  la  reproduction  documentaire  des  estampes,  ainsi  que  les  détails 
relatifs   aux   épreuves   d'essais,    aux   dessins  antérieurs,  etc. 

Depuis  la  publication,  en  1913,  certaines  corrections  sont  apparues  comme  devant 
être  effectuées.  De  plus,  quelques  pièces  omises  —  en  nombre  très  minime  d  ailleurs  — 
ont  été  retrouvées.  Enfin,  assez  récemment.  M""-'  Odilon  Redon  a  fait  procéder  au 
Retirage,  à  nombre  restreint  d'exemplaires,  de  plusieurs  gravures,  ainsi  qu'au  PREMIER 
Tirage  de  trois  cuivres,  dont  deux  considérés  par  l'artiste  comme  non  encore  absolument 
achevés.  De  cet  appoint,  il  était  nécessaire  d'établir  l  état  exact. 

Afin  d'éviter  toute  confusion,  nous  avons  adopté  dans  le  SUPPLÉMENT  ci-après,  la 
méthode   suivante. 

A.  Sous  le  titre  :  ADDITIONS  ET  RETIRAGES  sont  réunis  les  rectifications  et  ADDENDA, 
ainsi  que  les  indications  concernant  les  éditions  supplémentaires.  Nous  donnons  à 
chaque   pièce   son    NuMÉRO    DE   l'Ancien  Catalogue,  mais  en  y  ajoutant  ce  mot  :  bis. 


191 


B.  Puis,  sous  la  rubrique  :  Estampes  non  encore  Cataloguées,  nous  avons 
groupé  celles  omises  en  1913,  ainsi  que  les  cuivres  gravés  par  Redon  depuis  celle  date. 
A  ces  pièces  soni  attribués  des  Numéros  d'ordre  NOUVEAUX,  qui  font  immédiatement 
suite  au  chiffrage  des  206  pièces  cataloguées  précédemment. 


ADDITIONS    ET    TIRAGES    COMPLEMENTAIRES 


GRAVURES 


4  bis.  LUTTE  DE  CAV.4LIERS  (H.  083. 
L.  120).  Tirage  nouveau  en  1922,  après 
la  mort  de  l'artiste.  Impression  à 
30  épreuves  sur  papier  par  Louis  Fort, 
à  Pans.  Pas  de  signature  manuscrite 
de  l'artiste. 

5  ils.  BATAILLE  (H.  058,  L.  120). 
Tirage  nouveau  en  1922.  Impression  à 
30  épreuves  sur  papier  par  Louis  Fort, 
à   Pans.   Pas    de    signature    manuscrite. 

6  bis.  LA  PEUR  (H.  112,  L.  200).  Ti- 
rage nouveau  en  1922.  Impression  à 
30  épreuves  sur  papier  par  Louis  Fort, 
à   Pans.   Pas    de    signature    manuscrite. 

12  bis.  SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT 
(H.  110,  L.  200).  Le  cuivre  primitif, 
dont  nous  venons  de  donner  les  dimen- 
sions fut,  dans  la  suite,  coupé  en 
deux  par  Redon.  La  partie  de  gauche 
ayant  été  détruite,  il  ne  resta  que  celle 
de  droite,  représentant  :  Un  groupe  de 
maisons,  et,  à  côté,  deux  petits  personnages 
assis. 

De  cette  dernière  moitié  (H.  110, 
L.  080)  il  a  été  fait  deux  tirages  en  1922. 
I"  Impression  à  3  épreuves  sur  papier 
par  Louis  Fort,  à  Paris.  Pas  de  signature 
manuscrite. 


Puis  la  demi-plaque  ayant  été  aciérée  : 
2"  Impression  à  1 10  épreuves  sur  papier 
par  Porcabeuf,  à  Pans.  Pas  de  signature 
manuscrite. 

13  Aïs.  CROQUIS  (H.  120.  L.  095). 
Tirage  nouveau  en  1922  dans  les  condi- 
tions suivantes  : 

I"  Impression  en  noir  de  quelques  rares 
épreuves  dans  les  dimensions  ci-dessus 
indiquées,  par  Louis  Fort,  à  Pans. 
Pas  de  signature  manuscrite. 

2"  Impression,  supprimant  le  sommet 
du  cuivre  jusqu'au  front  de  la  petite  tête 
du  haut  (H.  090,  L.  080),  à  30  épreuves 
sur  papier  (dont  15  en  noir  et  15  en 
rouge)  par  Louis  Fort,  à  Paris.  Pas  de 
signature  manuscrite. 

3"  Enfin,  la  plaque  ayant  été  aciérée, 
impression,  selon  les  secondes  dimen- 
sions, de  110  épreuves,  en  sanguine, 
sur  papier  par  Porcabeuf,  à  Paris.  Pas 
de  signature  manuscrite. 

17  ils.  MAUVAISE  GLOIRE  (H.  093, 
L.  050).  Tirage  nouveau  en  1922. 
Impression  à  30  épreuves  sur  papier 
par  Louis  Fort,  à  Paris.  Pas  de  signature 
manuscrite. 


—     192 


18  bis.  GAIN  ET  ABEL  (H.  175.  L.  1 19). 
Tirage  nouveau  en  juillet  1914,  du  vivant 
de  Redon,  impression  à  15  épreuves  sur 
papier  par  Porcabeuf,  à  Pans.  Signées  à 
la  main  par  l'artiste. 

19  bis.  PETIT  PRÉLAT  (H.  085,  L.  046). 
Tirage  nouveau  en  1922.  Impression 
à  30  épreuves  sur  papier  par  Louis 
Fort,  à  Paris. 

20  bis.  PERVERSITÉ  (H.  160,  L.  126). 
Tirage  nouveau  en  1922.  impression 
à  30  épreuves  sur  papier  par  Louis 
Fort,  à  Pans.  Pas  de  signature  manus- 
crite. 

21  bis.  PASSAGE  D'UNE  AME  (H.  OSA. 
L.  053).  Tirage  nouveau  en  1922. 
Impression  à  30  épreuves  sur  papier 
par  Louis  Fort,  à  Pans.  Pas  de  signa- 
ture manuscrite. 

22  bis.  PRINGESSE  MALEINE  (connue 
aussi  sous  ce  titre  :  La  petite  Madone) 


(H.    119,    L.   064).   Tirage   nouveau   en 
1922,  comme  suit  : 

1"  impression  à  30  épreuves  sur 
papier  par  Louis  Fort,  à  Pans.  Pas  de 
signature    manuscrite. 

Puis,  la  plaque  ayant  été  aciérée  : 
2"  Impression  à  1 10  épreuves  sur  papier 
Japon  par  Louis  Fort,  à  Pans.  Pas  de 
signature  manuscrite.  Ce  second  tirage 
effectué  pour  joindre  aux  exemplaires  de 
luxe  du  volume  suivant  :  Odilon  Rf.DON, 
.4  Soi-même  (Journal),  Paris,  H.  Floury, 
1922. 

24  bis.  LE  LIVRE  (connu  aussi  sous  le 
titre  de  :  Sainte-Thérèse)  (H.  120, 
L.  083).  Tirage  nouveau  en  1922. 
impression  à  15  épreuves  sur  papier  par 
Louis  Fort,  à  Paris.  Pas  de  signature 
manuscrite.  Le  tirage  n'ayant  pas  donné 
le  résultat  qu'on  espérait,  5  exemplaires 
seulement  ont  été  gardés  et  les  autres 
détruits. 


ESTAMPES    NON     ENCORE    CATALOGUEES 


GRAVURES 


207.  MÉDITATION  (H.  087,   L.  062). 
Eau-forte.  [Antérieurement  à  1870?] 

Dans  un  site  montagneux,  sous  un  ciel 
chargé  de  nuées,  un  personnage  assis  sur 
un  rocher  parait  s  absorber  en  sa  médi- 
tation. 

Tirage  à  3  épreuves  sur  papier. 
Pas  de  signature  manuscrite  par  1  ar- 
tiste. 


208.  EX   LIBRIS    (H.    090,    L.    035). 
Eau-forte. 

Quelques  arabesques.  En  haut,  à  gauche, 
une  sorte  de  banderole  rigide  formant 
la  base  d'un  triangle  dont  le  coin  de  la 
gravure  serait  le  sommet.  On  peut  y 
lire  cette  devise  :  "  Gomprends  et '. 

Tirage  à  rares  épreuves.  Pas  de  signa- 
ture manuscrite. 


193 


209.  BAIGNEUSE  (Ce  titre  a  été  donné 
par  Redon)  (H.  134.  L.  062).  Eau-forte. 

En  un  paysage  irréel,  émerge  au  milieu 
de  floraisons  fantastiques  une  femme  nue 
debout,  dont  la  tête  inclinée  laisse  retomber 
devant  elle  sa  longue  chevelure  pendante. 

Redon  grava  ce  cuivre  avant  1914. 
Il  ne  le  considérait  point  comme  achevé, 
et  pensait  y  ajouter  un  paon. 

Tirage  posthume  en  1 922,  comme  suit  : 

1°  Impression  à  20  épreuves  (dont  6 
en  rouge  brun)  sur  papier  (quelques 
exemplaires  sont  sur  Japon)  par  Louis 
Fort,  à  Paris.  Pas  de  signature  manus- 
crite. En  revanche,  Redon  a  incisé, 
sur  le  cuivre,  ce  qui  est  rare  pour  lui, 
en  bas  à  gauche  et  verticalement  son 
nom  :  0.  Redon.  Les  lettres  majuscules 
0  et  R  sont  enlacées,  formant  mono- 
gramme. 


Puis  la  plaque  ayant  été  aciérée  : 
2"  Impression  à  110  exemplaires  sur 
papier  par  Porcabeuf,  à  Pans.  Pas  de 
signature  manuscrite. 

210.  INTÉRIEUR    DE    CATHÉDRALE 
(H.  122.  L.  125).  Pointe  sèche. 

Une  crypte  surbaissée  aux  lourds 
piliers,  oii  dans  l'ombre  s'avance  un 
personnage  mystérieux  et  dolent. 

A  ce  cuivre,  incisé  seulement  et  non 
mordu  à  l'eau-forte,  Redon  travailla 
pendant  la  Guerre  de  1914.  Il  ne  put  le 
terminer. 

Tirage  en  1922.  Impression  à  2  exem- 
plaires seulement  sur  papier  par  Louis 
Fort,  à  Pans.  Pas  de  signature  manus- 
crite. La  plaque  ne  paraissant  plus 
pouvoir  donner  de  résultats  satisfai- 
sants, on  dut  s'en  tenir  à  cette  double 
épreuve. 


—     194 


BIBLIOGRAPHIE 

EXPOSITIONS   -    MUSÉES   &   COLLECTIONS 


BIBLIOGRAPHIE 


Nous  ne  pouvions  donner  ici  une  Biblio- 
graphie trop  détallié:  concernant  Redon. 
Mais  il  nous  a  paru  indispensable  de  signaler 
les  livres,  publications  et  articles  offrant  le 
plus  d  intérêt  à  l  égard  de  sa  personne  ou  de 
son  œuvre. 

Les  documents  particulièrement  importants 
sont  précédés  d'un  astérisque. 


Cette  édition  posthume  a  pu  voir  le  jour 
grâce  aux  soins  pieux  de  M""^  Odilon 
Redon.  C'est  un  choix  fait  parmi  les 
manuscrits  que  l'artiste  a  laissés,  et  dont 
lui-même  avait  l'intention  de  publier  une 
partie. 


Livres  et  Publications 

En  toute  première  ligne  doivent  être 
indiquées  les  œuvres  publiées  par  l'artiste 
lui-même. 

Odilon  Redon.  Salon  de  1868.  La 
Gironde  (Bordeaux).  N'*"  des  19  mai, 
9   juin,    l*^"-   juillet    1863. 

Odilon  Redon.  Lettre  à  Edmond 
Picard,  du  13  juin  1894,  reproduite  sous 
ce  titre  :  Confidences  d'artiste,  dans  la  revue  : 
L'Art  Moderne  (Bruxelles),  25  aoiît   1894. 

Odilon  Redon.  Rodolphe  Bresdin  (1822- 
1885).  Préface  pour  l'Exposition  rétros- 
pective d'œuvres  de  l'artiste.  Catalogue 
du  Salon  d'. Automne,  1908. 

*  Odilon  Redon.  A  Soi-Même,  Journal 
(1867-1915).  Notes  sur  la  Vie,  l'Art  et  les 
Artistes.  Introduction  de  Jacques  Mor- 
LAND.  Paris,  H.  Floury,  1922.  En  plus  du 
tirage  ordinaire,  il  a  été  imprimé  125 
exemplaires  de  luxe  sur  papier  spécial,  et 
enrichis  d'une  eau-forte  originale  de  1  ar- 
tiste. 


J.-K.  HuvsMANS.  L'Art  moderne,  Paris, 
Charpentier,  1883.  Appendice.  P.  274  et 
suiv. 

*  J.-K.  HuYSMANS.  Certains.  Paris. 
Tresse  et  Stock,  1889.  Le  Monstre.  P.  150 
et  suiv. 

*  Jl'LES  DestrÉE.  L'Œuvre  lithogra- 
phique de  Odilon  Redon.  Bruxelles,  Edm. 
Deman     1891.   Tirage   à   75   exemplaires. 

Henri  Beraldi.  Les  Graveurs  du 
Xix"  siècle.  (Guide  de  l'amateur  d'es- 
tampes modernes).  Paris,  L.  Concjuet, 
1891.  Vol.  XI.  P.   172  et  suiv. 

André  Mellerio.  Préface  pour  \'E.xpo- 
sition  d'œuvres  d'Odilon  Redon.  (Galeries 
Durand-Ruel),    1894. 

André  Mellerio.  Le  Mouvement  Idéa- 
liste en  Peinture  (Frontispice  d'ODILON 
Redon.  Couverture  de  H.  Nocq).  Paris, 
Floury,  1896.  Odilon  Redon.  P.  20  et  suiv- 

André  Mellerio.  La  Lithographie  ori- 
ginale en  couleurs.  (Couverture  et  estampe 
de  P.  Bonnard).  Paris,  Publication  de 
L'Estampe  et  l'. 4 fiche,  1889.  P.  20  et  suiv. 


197 


H.  Bouchot.  La  Lithographie.  (Biblio- 
thèque de  I  Enseignement  des  Beaux-Arts). 
Pans,  Librairies -Imprimeries  Réunies. 
Chap.  IV.  La  Lithographie  contemporaine 
en  France.  Le  "  nouveau  jeu  ".  P.  296. 

Odilon  Redon.  Dans  :  Figures  contem- 
poraines. Tirées  de  V Album  Mariani  (Auto- 
graphes, Notes  et  Biographies  rédigées 
par  Joseph  Uzanne).  II''  Vol.  Paris, 
Floury,  1904.  (Avec  le  portrait  de  Redon). 

*  André  Mellerio.  Odilon  Redon.  Avec 
une  gravure  originale  de  l'artiste.  Société 
pour  l'Etude  de  la  Gravure  Française, 
1913.  Tirage  à  550  exemplaires,  dont  73 
sur  Japon  et  425  sur  papier  véliii  d  Arches. 
(L  ouvrage  contient  le  Catalogue  détaillé 
de  VŒuvre  gravé  et  lithographi'  d'Odiion 
Redon,  avec  la  reproduction  de  toutes  les 
planches  décrites). 

Gustave  Cgqjiot.  Les  Indépendants 
(1884-1920)  5"  éd.  Paris,  Ollendorfï.  (1920). 
Les  Isolés.  Redon.  P.  71    et  suiv. 

Maurice  Denis.  Théories  (1890-1910). 
Du  Symbolisme  et  de  Gauguin  vers  un  nouvel 
ordre  classique,  4*^  éd.  Pans,  L.  Rouart  et 
J.  Watelin,  1920.  Exposition  Odilon  Redon. 
P.  136  et  SUIV. 


Nous  devons  encore  mentionner  une 
publication  spéciale. 

L'Œuvre  graphique  comp'et  d'Odiion 
Redon  (192  planches  en  Phototypie  d'après 
toutes  les  lithographies  et  eaux-fortes 
du  Maître,  précédées  d'une  notice  chrono- 
logique sur  leur  tirage.  Edition  limitée 
à  300  exemplaires.  Publication  de  MM.  Artz 
et  Debois,  b.  Vijverberg,  14,  à  La  Haye, 
1913.  In-folio.  En  deux  portefeuilles 
cartonnés  et  entoilés. 


Journaux  et  Revues 

Dans  :  L'Industrie  (Bordeaux),  7  avril 
1861    (Article   non   signé). 

A.  P.  IAmédée  Pigeon].  Dans  :  Le 
Courrier  républicain,   15  mai   1881. 

Triolet  [Emile  Hennequin].  (Au  bout 
de  la  lorgnette).  Odilon  Redon.  Le  Gaulois, 
2  mars  1882. 

*  Emile  Hennequin  (Beaux-Arts). 
Odilon  Redon.  La  Revue  artistique  et 
littéraire.  4  mars  1882. 

Gustave  Geffroy.  Odilon  Redon.  La 
Justice,  6  mars    1885. 

Charles  Morice  (La  Semaine).  L'Hom- 
mage à  Goya.  La  Petite  Tribune  républi- 
caine, 2  avril  1885. 

J.-K.  Huys.MANS.  Le  nouvel  album 
d'Odiion  Redon.  (L'Hommage  à  Goya). 
La   Revue  Indépendante,   février    1885. 

Robert  Gaze.  Dans  le  rêve.  Lutèce, 
11  février  1835. 

Maurice  Fabre.  Odilon  Redon,  1886. 
(La  revuz  ou  parut  l'article  n'a  pu  être 
identifiée). 

Jules  DestrÉE.  Odilon  Redon.  La  Jeune 
Belgique    (Bruxelles),    l'^''   février    1886. 

Paul  Guigou.  Odilon  Redon,  24  octobre 
1886.  (La  revue  où  parut  l'article  n  a  pu  être 
identifiée). 

LÉO  Rouanet  (Les  Artistes  nouveaux) 
Odilon  Redon.  Le  Petit  Toulousain  (Tou- 
louse),   17  avril   1886. 

Octave  Mirbeau.  L'Art  et  la  Nature. 
Le  Gaulois,  26  avril  1886. 

J.Staphorst.  Odilon  Redon.  De  nieuwe 
Gids  (Amsterdam),    1887. 

Gustave  Kahn.  Dans  :  La  Revue  Indé- 
pendante, janvier  1888. 

J.  Staphorst  (Kunst).  Impressies.  il. 
De  nieuwe  Gids  (Amsterdam),  avril  1888. 


igS    - 


La  Tenlalion  Je  Saint-Antoine  pur 
Odilon  Redon.  Dans  :  L'Art  Moderne 
(Bruxelles),  21  octobre  1888  (Article 
non  signé). 

Gabriel  Moure-i'.  (L'Art).  Trois  dessins 
d'Odilon  Redon.  Feu(7/e  libre,  24  avril  1890. 

Yeux  clos.  Dans  :  L'Art  Moderne 
(Bruxelles),  28  décembre  1890  (Article 
non  signé). 

Arthur  Symons.  A  french  Blake.  The 
Art     reoiew    (Londres),     juillet     1890. 

Charles  Morice  (Les  Hommes  d'Au- 
jourd  hui),  Odilon  Redon.  Avec  le  portrait 
de  l'artiste  dessiné  par  ScHUFFENECKER. 
S*-'  Vol.  N"  386  1 18901. 

A.  M.  (.André  Mellerio).  (Les  Artistes 
à  l'Atelier).  Odilon  Redon.  L'Art  dans  les 
Deux-Mondes,  4  juillet    1891. 

G.    Albert-Aurier.     Les    Symbolistes. 
La  Revue  encyclopédique,   \''^  avril   1892. 
PaULET.  Dans  ;  Le  Jour,    17  avril    1892. 

B.  GuiNAUDEAU.  La  Réaction  idéaliste. 
XXII.  Odilon  Redon.iLa;u.<i/,ce,4  mai  1893. 

H.  M.  Odilon  Redon.  La  Paix,  3  avril 
1894. 

C.-J.  [Clément-Janin].  Notes  d'Art. 
L'Estafette,   30   mars    1894. 

Zadic.  Dans  :  Le  Voltaire,  31  mars  1894. 

Jean-E.  Schmitt.  (Choses  d'Art).  Expo- 
sition Odilon  Redon.  Le  Siècle,  31  mars 
1894. 

Gustave  Geffroy.  (L'Art  d'Aujour- 
d'hui). Odilon  Redon.  [La  Justice?], 
3!  mars  1894. 

GÉRARD  DE  BeAUREGARD.  (Notes  d'Art). 
Exposition  de  M.  Odilon  Redon.  (Chez 
Durand-Ruel).    La    Patrie,    2    avril    1894. 

Auc.  Barbey.  Odilon  Redon.  Le  Mémo- 
rial artistique,  7  avril   1894. 

Pierre  Robbe.  (Chronique).  Le  Tour- 
ment de  l'Inconnu.  Famille-Revue,  8  avril 
1894. 


Charles  Mokice.  (Les  Passants).  Odilon 
Redon.  Le  Soir,   10  avril   1894. 

Jean  Lorrain.  Un  étrange  Jongleur. 
L'Echo  de  Paris,  10  avril  1894. 

Gustave  Soulier.  Dans  :  L',4r/  et  la 
Vie,   15  avril   1894. 

Alfred  Paulet.  Notes  d'An.  La  Fa- 
mille, 15  avril  1894. 

ThiÉbault-SiSSON.  Dans  :  Le  Temps, 
17  avril   1894. 

C.  R.  Exposition  Odilon  Redon.  La 
Paix  Sociale,  18  avril   1894. 

Dans  :  Allgemeine  Zeitung  (Munich), 
21   avril  1894  (Article  non  signé). 

Pascal  Forthuny.  Dans  :  L'Œuvre 
d'Art,  25  avril  1894. 

Camille  MaUCLAIR.  Exposition  Odilon 
Redon  (Chez  Durand-Ruel).  Mercure  de 
France,    \"  mai    1894. 

Emile  Leclerc.  Les  Lithographies  d'Odi- 
lon Redon.  La  Revue  des  Arts  graphiques, 
1"  mai  1894. 

(Kunst-en  Letternieuvs).  Teutoonstelling- 
Redon).  Dans  :  Hel  Vaderland  (La  Haye), 
31  mai  1894. 

ThadÉE  Natanson.  (Expositions).  Expo- 
sition Odilon  Redon.  La  Revue  Blanche, 
juin    1894. 

Odilon  Redon.  Dans  :  Nieuive  Rotter- 
damsche  Courant,  4  juillet   1894. 

ViTTORIO  PiCA.  Dans  :  La  Riforma  (Ita- 
lie),  8  octobre    1894. 

ViTTORIO  PiCA.  (Attraverso  gli  Albi  c 
Cartelle.  —  Sensazioni  d'.Arte).  1.  Redon. 
Emporium  (Italie),  14  février  1896. 

André  Mellerio.  La  Tentation  de 
Saint-Antoine  (3*-'  série)  par  Odilon  Redon. 
L'Avenir  artistique  et  littéraire,  \"  août 
1896. 

Maurice  Denis.  Dans  :  L'Art  et  la  lie. 
octobre   1896. 


199 


André  Mellerio.  La  Femme  et  l'En- 
fant dans  l'œuvre  d'Odilon  Redon. 
L'Estampe  et  l'Affiche,   15  février   1898. 

Jean  Pascal.  Odilon  Redon.  Catalogue 
du  Salon  d'Automne,   1904. 

M.  FoUQUIER.  Dans  ■  Le  Journal, 
14  octobre   1904. 

Gustave  Babin.  Dans  :  L'Echo  de  Paris, 
14  octobre  1904. 

Odilon  Redon.  Dans  :  Essais,  novembre 
1904  {Article  non  signé). 

Visites  au  Salon  d'Automne.  Dans  :  Le 
Journal  des  Débats.  4  novembre  1904. 
{Article  non  signé.) 

E.  Sarradin.  Salon  d'Automne.  Le 
Petit  Monégasque  (Monte-Carlo),  6  no- 
vembre  1904. 

Toussaint-Martel.  Salon  d'Automne, 
12  novembre  1904.  (Le  Journal  où  parut 
cet  article  n'a  pu  être  identifié) 

Louis  Cordonnier.  Le  Salon  d'Automne 
La   Grande   Revue,    15    novembre    1905. 

Exposition  Odilon  Redon.  Dans  :  New- 
York  Herald,  l"mars  1906. 

L.  Vauxcelles.  Exposition  Odilon 
Redon.  Le  Gil  Blus,  6  mars  1906. 

Henry  Eon.  Dans  :  Le  Siècle,  I  3  mars 
1906. 

Etienne  Charles.  Odilon  Redon.  La 
Liberté,   24   mars    1906. 

Jacques  Morland.  Article  paru  en 
novembre  1908.  {Le  journal  et  la  date 
exacte  n'ont  pu  être  identifiés.) 

Gabriel  Mourey.  Odilon  Redon.  L'Opi- 
nion, novembre  1908.  {La  date  exacte  n'a 
pu  être  identifiée.) 

Pascal  Forthuny.  Odilon  Redon.  Le 
Matin,   16  novembre   1908. 

Eon.  Odilon  Redon.  Le  Siècle,  20  no- 
vembre 1908. 


Jean  Claude.  Dans  :  Le  Petit  Parisien, 
25  novembre   1908. 

Les  Expositions.  Dans  :  La  Grande  Revue, 
10  décembre  1908  {L'auteur  de  l'article  n'a 
pu  être  identifié). 

Georges  Lecomte.  Dans  :  Le  Matin, 
22  octobre  1912. 

Hommage  à  Odilon  Redon  (Témoi- 
gnages émanant  de  MM.  Jacques  Beltrand, 
P.  Bonnard,  Maurice  Denis,  G.  Desval- 
lières,  Kees  van  Dongen,  Fagus,  A.  Fon- 
tainas,  Gayac,  R.  Gbil.  H.  de  Groux, 
Hermann-Paul,  E.  Herscher,  G.  Kahn, 
H.  Lacoste,  P.  Laprade,  A.  Mellerio,  G.  de 
Monfreid,  G.  Sarrazin,  P.  .Sérusier,  Louis 
Valtat,  C.  Waltner.)  La  Vie.  N'«  des 
30  novembre  et  7  décembre  1912. 

*  André  Salmon,  Odilon  Redon.  L'Art 
décoratif,  janvier   1913. 

Odilon  Redon.  Dans  :  Die  Graphische 
Kiiiste   (Vienne),    1913. 

*  Arsène  Alexandre.  (La  semaine  artis- 
tique.) Floralies.  Comœdia,  l'"^  novembre 
1913. 

*  Jeanne  Doin.  Odilon  Redon,  Mer- 
cure de  France,  !''■' juillet  1914. 

Odilon  Redon.  Dans  :  L'Intransigeant, 
7  juillet  1916  {.Article  non  signé). 

Mort  du  graveur  Odilon  Redon.  Dans 
Le  Temps,  7  juillet  1916  {Article  non  signé). 

Marius  Leblond.  Odilon  Redon. 
L'Œuvre,   7  juillet    1916. 

Odilon  Redon.  Dans  Paris-Midi,  7  juil- 
let  1916  {Article  non  signé). 

Louis  Vauxcelles.  Odilon  Redon.  L'Évé- 
mment,  8  juillet  1916. 

Odilon  Redon.  Dans  :  Le  Rappel,  8  juillet 
1916  {Article  non  signé). 

Odilon  Redon.  Dans  :  Le  Siècle,  8  juillet 
1916  {Article  non  signé). 

Louis  Vauxcelles.  Odilon  Redon,  gra- 
veur. L'Evénement,   12  juillet    1916. 


Emile  Bernard.  Odilon  Redon.  La  Vie, 
1916.  Juillet  ?  {La  date  n'a  pu  être  identifiée 
ex^ictement .) 

J.  S.  Odilon  Redon.  Heria  (Madrid) 
22  juillet    1916. 

JoAN  Sacs.  L'obra  de  l'Odilon  Redon. 
Revisla  nova  (Barcelone),  31    juillet    1916. 

Odilon  Redon.  Dans  :  Daily  mail, 
13  août  1916  (Article  non  signé). 

André  FoNTAINAS.  Odilon  Redon.  Mer- 
cure de  France,   16  août   1916. 

*  ThiÉBAULT-Sisson  (La  Vie  artistique). 
Un  isolé  :  Odilon  Redon.  Feuilleton  du 
Temps,   12  novembre   1916. 

Tr.  LeclÈRE.  Redon  (Odilon).  Larousse 
mensuel  illustré,  19  octobre  1917. 

Arsène  Alexandre.  L'évolution  du  Petit 
Palais  et  ses  enrichissements  pendant  la 
guerre.  La  Renaissance  de  l'Art  Français  et 
des  Industries  de  luxe,   octobre    1919. 

Paul  SeruSIER  (Les  Arts  et  les  Lettres). 
Odilon  Redon.  La  Vie,  13  mai  1920. 

Charles  Oulmont.  Souvenirs  sur  Odi- 
lon Redon.  A  propos  de  l'Exposition 
rétrospective  de  son  œuvre.  Le  Gaulois, 
22  mai   1920  (Supplément  du  Dimanche). 


Louis  Vauxcelles.  La  rétrospective 
d'Odilon   Redon.   Excelsior,  26  mai    1920. 

André  Michel.  Exposition  rétrospec- 
tive d'œuvres  d'Odilon  Redon.  Journal  des 
Débats,  29  mul  1920. 

Louis  Vauxcelles.  Les  Expositions  do  la 
Quinzaine.  L'Êc/û(V,  31  mai  1920. 

Guillaume  Janneau.  Le  dernier  roman- 
tique :  Odilon  Redon.  La  Renaissance 
politique,  littéraire,  économique,  3  juin  1920. 

Claude  Roger-Marx.  Odilon  Redon 
ou  les  droits  de  l'imagination.  Les  Feuillets 
d'Art.  H'  5.  1920.  (Avec  une  eau-forte 
originale  de  l'artiste.) 

G.  Jean  Aubry.  Odilon  Redon.  La 
Renaissance  de  l'Art  Français  et  des  Indus- 
tries de  luxe,  août    1920. 

Robert  Rey.  Odilon  Redon.  Art  et 
Décoration,   août    1920. 

*  André  Mellerio.  Odilon  Redon. 
La  Gazette  des  Beaux-Arts,  août-septem- 
bre  1920. 

*  Walter  Pach.  The  etchings  and 
lithographs  of  Odilon  Redon.  The  prinl 
Connaisseur  (New-York).  Vol.  1.  N"  I, 
octobre   1920. 


EXPOSITIONS 


Abolis  donnons  les  indicaticns  concernant 
les  plus  importantes  expositions  Je  Redon, 
notamment  celles  oit  l  artiste  fut  représenté 
soit  entièrement  seul,  soit  par  un  groupement 
nombreux   d  cBuVres. 


EXPOSITION  DE  DESSINS 
D'ODILON  REDON  faite  à  La  Vie 
Moderne,   1881. 

DEUXIÈME  EXPOSITION  DE 
DESSINS  DE  M.  ODILON  REDON. 
Salle  du  journal  Le  Gaulois,    1882. 

SOCIÉTÉ  DES  ARTISTES  FRAN- 

ÇAIS    {Participation  à   l  Exposition  de  la), 

1885. 

Aux  Expositions  de  la  même  Société, 
Redon  fit  des  envois  en   1886  et   1888. 

EXPOSITION  D'ARTISTES  INDÉ- 
PENDANTS   (Participation    à    /'),    1886. 

PREMIÈRE  EXPOSITION  DES 
PEINTRES-GRAVEURS  (Participation  à 
la).  Galeries  Durand-Ruel,   1889. 

Redon  fut  représenté  également  à  la  : 
Deuxième  Exposition  (  1 890) .  Troisième 
Exposition  (1891).  Quatrième  Exposition 
(1892).  Cinquième  Exposition  (1893). 

EXPOSITION  DES  XX  (Participation 
à   /■).   A   Bruxelles.    1890. 

EXPOSITION  GÉNÉRALE  DE  LA 
LITHOGRAPHIE  (Participation  à  ï). 
A  l'Ecole  des  Beaux-Arts,    1891. 


EXPOSITION  DU  CENTEN.4IRE 
DE  LA  LITHOGRAPHIE  (1793-1893). 
(Participation  à  /'),   1893.  — - 

EXPOSITION  ODILON  REDON 
(Dessins,  Portraits  et  Lithographies).  Préface 
du  Catalogue  par  AndrÉ  Mellerio.  Galeries 
Durand-Ruel.  Du  29  mars  au  4  avril  1894. 

EXPOSITION  AU  CERCLE  DES 
ARTS  DE  LA  HAYE  (Hollande).  1894. 

EXPOSITION  DE  DESSINS  ET 
PASTELS  D'ODILON  REDON.  Galeries 
Vollard,    1898. 

EXPOSITION  D'ARTISTES  (Parti- 
cipation à  /').  Préface  d'ANDRÉ  Mellerio. 
Galeries     Durand-Ruel.     1899. 

EXPOSITION  D'ŒUVRES  DE 
PEINTRES  -  GRAVEURS  ÉDITÉES 
PAR  VOLLARD  (Participation  à  /')• 
Galeries    Vollard.    1899. 

EXPOSITION  CENTENNALE  DE 
L'ART  FRANÇAIS  (Participation  à  /'). 
Exposition    Universelle   de    1900. 

EXPOSITION  D'ŒUVRES  AN- 
CIENNES ET  RÉCENTES  D'ODILON 
REDON.    Galeries     Durand-Ruel.     1900. 

EXPOSITION  DE  DESSINS  ET 
PASTELS  D'ODILON  REDON.  Galeries 
Vollard.  1901. 

EXPOSITION  D'ŒUVRES  D'ODI- 
LON REDON.  A  Cracovie  (Galicie). 
(1902  ou  1903P) 


PASTELS  ET  PEINTURES  DE 
ODILON  REDON.  Galeries  Durand-Ruel, 
1903. 

SALON  D'AUTOMNE  (Participation 
avec  plusieurs  œuvres  groupées  dans  une 
salle  spéciale.  Notice  de  Jean  Pascal,  1904). 

Au  Salon  d' .Automne,  Redon  fit  encore 
des  envois,  dans  le  cours  des  années  1905, 
1906  et  1907. 

EXPOSITION  DE  PEINTURES, 
P.4STELS  ET  EAUX-FORTES  DVDI- 
LON  REDON.  Galeries  Durand-Ruel. 
1906. 

PEINTURES,  PASTELS.  DESSINS 
ET  LITHOGRAPHIES  PAR  ODILON 
REDON.  Galeries  Druet,   1908. 

ASS0CI.4TI0N  DES  PEINTRES  ET 
SCULPTEURS  .AMÉRICAINS  iE.xpo- 
sition  Internationale  organisée  par  /  ).  A 
l'envoi  de  Redon  était  consacrée  une  salle 
spéciale  dans  la  rétrospective  du  XIX''  siècle. 
L'Exposition     eut    lieu    d  abord   à    New- 


York,   puis  fut  transportée  ensuite  à  Chi- 
cago et  Boston,    1913. 

EXPOSITION  DE  PAYSAGES 
D'APRES  NATURE  (PEINTURE  A 
L'HUILE).  .AQUARELLES  ET  DES- 
SINS P.AR  ODILON  REDON  (1840- 
1916).  Galeries  Bernheim-Jeune  et  G'"' 
1917. 

EXPOSITION  RÉTROSPECTIVE 
D'ŒUVRES  D' ODILON  REDON  (1840- 
1916).  Galeries  Barbazanges,    1920. 

EXPOSITION  RÉTROSPECTIVE 
D'ODILON  REDON.  Galeries  Georges 
Giioux    (Bruxelles).     1921. 

EXPOSITION  D'.AQUARELLES  ET 
DESSINS  D'ODILON  REDON.  Galeries 
Druet,  1921. 

MUSEUM  OF  FRENCH  ART  DE 
NEW-YORK  (Exposition  organisée  au). 
Exposition  d  ensemble  d  œuvres  de  Redon  : 
Peintures,  Pastels,  Dessins  et  Gravures. 


MUSÉES    ET    COLLECTIONS 


Nous  donnons  quelqms  renseignements,  qui 
par  force  demeurent  très  wmmaiVe.s,  car  on 
m  saurait  naturellement  connaître  tous  les 
possesseurs  d'œuvre^  d'Odilon  Redon. 

MUSÉE  DU  LUXEMBOURG.  Les 
Yeux  Clos  (Peinture).  Acquis  par  l'État 
en    1904. 

MUSÉE  DE  LA  VILLE  DE  PARIS 

(Petit  Palais). 


En  1906,  M.  Jacques  Zubaloff,  avec  son 
inépuisable  générosité  envers  nos  collec- 
tions publiques,  fit  entrer  au  Petit  Palais 
un  important  ensemble,  choisi  avec  discer- 
nement, d'œuvres  originales  de  Redon  : 
Peintures,  Pastels  et  Dessins. 

BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE 
(Cabinet  des  Estampes). 

Quelques  années  avant  la  Guerre, 
M.    René   Philippon,   amateur   et   ami   de 


203     — 


Redon,  effectua  une  précieuse  donation 
d'Estampes,  comprenant  notamment  les 
publications  anciennes  et  les  plus  rares, 
telles  que  les  Albums  :  Dans  le  Rêve, 
A  Edgar  Poe,  Les  Origines,  Hommage  à 
Goya,  etc.,  et  les  Pièces  séparées  :  Profil 
de  Lumière,  Christ,  Araignée,  etc. 

BIBLIOTHÈQUE  D'ART  ET  D'AR- 
CHÉOLOGIE. (Fondation  Doucet),  rue 
Spontini. 

Le  Cabinet  des  Estampes  modernes, 
dont  M.  Clément- Janin  fut  le  zélé  instal- 
lateur et  conservateur,  acquit,  en  1912,  de 
nombreuses  pièces  (surtout  de  la  seconde 
partie  de  la  période  des  Estampes),  pro- 
venant principalement  de  la  collection  de 
l'Artiste  et  de  celle  de  M.  Joseph  Durand- 
Ruel.  Depuis,  ce  premier  fonds  s'est  encore 
enrichi. 

En  1921,  le  MUSÉE  DE  CHICAGO 
(U.  S.)  a  racheté  de  Mme  Odilon  Redon, 
la  collection  très  complète  d  estampes  que 
l'Artiste  avait  établie  soigneusement  de  son 
vivant  au  fur  et  à  mesure  des  publi- 
cations. Cet  ensemble  contient,  en  ce  qui 
concerne  les  gravures  antérieures  à  1870, 
des   pièces  uniques. 

BRITISH   MUSEUM   (Angleterre). 


MUSÉE  D'AMSTERDAM  (Hollande). 

MUSÉE  DE  WINTHERTUR  (Suisse). 

MUSÉE  DE  CHICAGO.  -  MUSÉE 
DES  BEAUX-ARTS  DE  WORCESTER 
(MASSACHUSSETTS),  (Etats-Unis). 

Les  deux  collections  d  Estampes  de 
Redon,  les  plus  importantes  qu'on  con- 
naisse, sont  celles  de  :  MM.  André  Melle- 
RIO,  à  Paris  —  et  A.  BoNCER,  à  Amsterdam 
(Hollande). 

Au  point  de  vue  des  Œuvres  originales, 
citons  les  collections:  En  France,  de  MM. 
R.  de  Domecy,  Marius  et  Ari  Leblond, 
A.  Parent,  Fayet,  de  Gonet.  Arth.  Fontaine, 
D''  Sabouraud,  Kapferer,  Hessel,  D''  Weil, 
0.  Sainsère  ;   M'"^   E.   Chausson,   etc. 

En  Suisse,  de  :  MM.  Hahnioser,  Biih- 
ler,  etc. 

Aux  États-Uni^,  de  :  MM.  John  Quinn, 
Daniel  H  Morgan,  Arthur  B.  Davies, 
Irving  F.  Bush,  Âlexander  M.  Bing,  M""-' 
H.  V.  Hardon,  M'"^^-^  Lizzie  P.  Bliss, 
Gertrude  Watson,  M.L.  Villard,  E.  M-^ 
Kinney,  Anna  C.  Pallew  (à  New-York ) . 
-  M'"''  Porter  Norton  (à  Bujjalo).  — 
M.  Ira  Nelson  Morris,  M"'«  Chadbourne 
(à  Chicago).  —  Etc. 


204 


INDEX  DES  NOMS  CITÉS 


INDEX     DES     NOMS    CITÉS 


Alexandre  (Arsène).  —  137. 
AssAY  (Alain  d').  —  65. 
AuRiER  (G.-Albert).  —  176. 

BaiLLY,  Editeur.  —   173. 
Barbazanges   (Galeries).  —   137. 
Baudelaire  (Charles).  —  26,  56,  100, 
117. 

Becquet,  Imprimeur.  —  126. 

Beethoven.  —  98. 

Berdoly  (Henri).  —  22,  34,  35. 

Berlioz  (Hector).  —  97. 

Bernheim  Frères.  —  173. 

Bernheim  Jeune.  —  136. 

BiBESCO  (Prince).  —   141. 

BiÈVRES    (Propriété  —   et    village).    — 

136,  137. 
Blanchard,  Imprimeur.  —  126. 
Bonger.  —  56. 
BONGER  (M"").  —  136. 
Bonnard  (Pierre).  -  65,  119.  120,  164. 
Boucher  (François).  —  159. 
Bouchot  (H.).  —  107. 


Bresdin    (Rodolphe).    — 
93,  94,  103,  104,  108, 

BUFFON.   —    137. 

Bulwer-Lytton.  —  118. 


29,   30,   31 
133. 


Carabin  (Rupert).  —  155. 

Carré  (A.),  Architecte.  —  40. 

Carrière  (Eugène).  —  164. 

Cézanne  (Paul).  —  164. 

Champfleury.  —  29. 

Chardin.  —  159. 

Chausson  (Ernest).  —  64,  98,  120. 

Chausson  (M'"''  E.).  —  140. 

Chenavard.  —  46. 

Chintreuil.  —  37,  162. 

Chopin.  —  97. 

Clavaud   (Armand),   Botaniste.   —   25 

à  28.  31,  99.  100,  172,  174,  175. 
Clôt.  Imprimeur.  —   126. 
Corot.  -  37,  83,  134,  162. 
Courbet.  -  37.  159.  162. 
Cystria  (M""'  de).  —  136.  141. 


Daubigny  (Charles).  —   162. 

Daumier.  —  108. 

David  (Louis).  —  159. 

De  Bois  (H.),  Editeur.  —  173. 

Degas  (Edgar).  —  160. 

Delacroix  (Eugène).  —  27,  46,  83, 
93,  102,  133.  159,  160. 

Deman  (Edm.),  Editeur.  —  56. 
Denis  (Maurice).  —  65.  67.  149,  162. 
Destrée  (Ch.).  —  165. 
Destrée  (Jules).  —  56.  157.  164. 
Dodu  (M"^"  Juliette).  -  73.  120.  173. 
DoiN  (M"^  Jeanne).  —  126.  137. 
DoMECY  (R.  de).  —  65.  69,  140. 
Doré  (G.).  —  131.  165. 

Duchatel.  Imprimeur.  —   126. 
DuMONT  (Ern.).  —   175. 
DuPRÉ  (Jules).  —   162. 
Durand-Ruel.  —  57.  65.  173. 
Durer  (Albert).  —  92.  93. 

Einstein.  —  99. 

Fabre  (Maurice).  —  65. 
Falte  (M'"^')-  —  173. 
Fantin-Latour.  —  108. 
Farces  (Mgr  Albert).  —  165. 
Fayet.  —  65.  142. 
Fayet  (M'"'-).  —  136. 
Fayet  (M'"^^^  S.  et  Y.).  —  136. 


Flaubert  (G.).  —  26,  56,   100,  115, 

116. 
Fontaine  (Arthur).  —  65. 
Forain.  —  108. 
Fromentin  (Eugène).  —  102. 
Furstein.  —  126. 

Gauguin  (Paul).  —  164. 

Gavarni.  ^  108. 

Geffroy  (Gustave).  —  75,  175. 

GEOFFROY-SAINT-HlLAIRE(Et.).  —  175. 

Geoffroy-Saint-Hilaire  (Isidore).  — 

175. 
GÉROME  (J.-L.).  —  86,  87,  174. 
Gide  (André).  —  102. 
GlLKlN  (Ywan).  —  56. 
Goya.  —  131,  165. 
GoNET  (de).  —  65. 
GoNET  (M"""  de).  —  136. 
GoNET  (M"*-  de).  —  136. 
GoRiN.  —  84.  90. 
Goupil,  Editeur.  —  173. 
GouRMONT  (R.  de).  —  102,  146. 
Gravel.  —  173. 

H...  (M'"-  Violette).  —  136. 

Hennequin  (Emile).  —  54,  116,  122, 

130,  175. 
Herold  (A.-F.).  —  102. 
Hessel.  —  173. 


208 


HiRSCHAUER  (Général).  —   174. 

HOLSTEIN  (M""').  —  65. 

HuYSMANs  (J.-K.).   —  54,   64,    155, 
156. 


94. 


Jeanmot.  —  46. 

Langé  (U.-G.).  -  172. 

La  Rochefoucauld  (Ant.  de).  —  65. 

La  Rochefoucauld  (M"'*"  Ant.  de). 

-  136. 
LÉAL  (Félix).  -  38,  134. 

LebAS  (Hippolyte),  Architecte.   —   86. 

Lebon  (D^  J.).  -  99. 

Leblond  (Marius  et  Ary).  —  65,  120. 

Lebrun.  —  159. 

LemerCIER,    Imprimeur.    —    124,    126. 

Lerolle.  —  65. 

Llobet,   Guitariste.  —  98,    119. 

Mallarmé  (Stéphane).  —  64.  69,  109, 

118. 
Mallarmé  (M"*"   Geneviève).   —  69. 
ManET  (Edouard).  —   159. 
Marty  (André).  Editeur.  —   107. 
Mar.X  (Roger).  —  119. 
Mellerio  (André).  —  60,   120.   126. 

160.  176. 


Mellerio  (Marcel).  —  136. 
Millet  (J.-F.).  -  83,  155. 
Mithouard  (Jacques).  —   136. 
Moline.  —  173. 
Monet  (Claude).  —   160. 
Monrocq.  —  126. 
Montaigne.  —  100. 
Montesquiou  (R.  de).  —  29. 
Moreau  (Gustave).  —  83,   165. 
Morland  (Jacques).  —   102,    156. 


Nussac  (M.  de). 


174. 


Parent  (Armand).  -  65.  98,  120. 

Pascal.  -  100.  118. 

Pasteur.  —  155. 

Pellet  (G.),  Editeur.  —  173. 

Peyrelebade    (Propriété   de).    —    12, 

13.  16,  22.  46,  63.  79. 
Philippon  (René).  —  65,  118. 
Picard  (Edmond),  Avocat.  —  56,  69, 

118. 
Pissarro  (Camille).  —  160. 
Poe  (Edgar).  -  6,  100.  117. 
PoiNSOT  (M.-C).  —  172. 
Puvis  DE  Chavannes.  —  164. 

Rabaud  (E.).  -  175. 
Raffet.  —  108. 
Ranson.  —  65,  160. 


209 


Rayssac  (M""'  de).  —  46,  50,  149. 
Redon  (Ari).  -  53,  60.  76,  77,  174. 
Redon  (Bertrand).  —  9. 
Redon  (M'"*"  Bertrand).  —  171. 
Redon  (Ernest).  —  9,  12,  43,  44,  46, 

172. 
Redon  (Gaston).  —  13,  172. 
Redon  (Léo).  —  9,  13,  172. 
Redon  (Marie).  —  9,  13,  172. 
Redon  (M"><-  Odilon).  —  50,  120,  136, 

155. 
Remacle  (Adrien).  —   102. 
Rembrandt.  —  48,  92,  104. 
Renoir  (Aug.).  —  160. 
Rivière  (Georges).  —  174. 
Rousseau  (Théodore).  —  162. 
Roussel  (K.-X.).  -  65,  119,  164. 

Sabouraud  (Docteur).  —  65,  120. 
Sainsère  (Olivier).  —  65,  120,  141. 


Saint-Simon.  —  100. 
Salmon  (André).  —  137. 

SCHUFFENECKER.   —  65. 

SCHUMANN.   —  97. 

SÉRUSIER  (Paul).  —  65,    119,    164. 

Van  Gogh  (Vincent).  —  164. 

Van  Gogh,  frère  du  précédent.  — 
VaniER,  Editeur.  —   173. 

Verhaeren  (E.).  —  56. 

Vinci  (L.  de).  -  72. 

Vines  (Ricardo).  —  65,  98,  119. 

Vollard  (Ambroise).  —  64,   173. 

Vuillard.  -  65,  119,  164. 

Wagner  (Richard).  —  118. 
WattEAU  (Antoine).  —   159. 

Willette  (Adolphe).  —  110. 
Weil  (Docteur).  —  120 


173. 


ZOUBALOFF. 


19. 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS  DANS  LE  TEXTE 


Odilon  Redon  (1914) Frontispice 

Paysage      1 0 

Etudes Il 

Troupeau  dans  le  Médoc      1 3 

Etudes 14 

Titan 15 

La  Souffrance 1 7 

Dessin 15 

Etude 19 

Eve 20 

A  la  vieillesse 21 

Hantise      23 

Portrait  de  Déodat  de  Séverac 24 

Le  bouquet  blanc 25 

"  Voici  la  bonne  déesse,  l'idéenne  des  montagnes...    " 27 

Silence 28 

Etude  pour  "  Silence  " 29 

La  Pensée 33 

Passage  d'une  âme 34 

Ornement  décoratif 33 

Etudes 36 

Les  prêtresses  furent  en  attente 37 

Roland 39 

"  Elle  tire  de  sa  poitrine  une  éponge  toute  noire,  la  couvre  de  baisers...  '      . .  43 

Fantôme 45 

La  Roue 47 

Portrait  de  Madame  O.  Redon 49 

Etudes 50 

Portrait  de  )eune  femme 51 

Saint  Sébastien 52 

Des  Esselntes 53 

"  Gloire  et  louange  à  toi,  Satan...  " 55 

Les  débâcles 36 

»  Ensuite  parait  un  être    singulier,    ayant    une    tête  d'homme  sur  un  corps  de 

poisson...  " 37 

Araignée 61 

Portrait  de  Monsieur  Marins  Leblond 64 

Portrait  de  Monsieur  Ary  Leblond 63 

Portrait  de  Monsieur  le  Docteur  Sabouraud 66 

Portrait  de  Monsieur  Armand  Parent 67 

La  mer  à  Morsat 69 

Rose '^ 70 


Fillette  nue 'I 

Dessin  à  l'encre  violette 72 

Fleurs  dans  vase  vert '  J 

«  Lintelligence  fut  à  moi  !  Je  devins  le  Bouddha...  " 74 

Etude 81 

Morgat 82 

Etude  de  Centaures 83 

«  L'œil,  comme  un  ballon  bizarre,  se  dirige  vers  l'infini...  » 83 

Un  étrange  jongleur 89 

Petite  Madone 91 

Christ 97 

Fleur  illuminée 99 

"  A  travers  ses  longs  cheveux  qui  lui  couvraient  la  figure,  j  ai  cru  reconnaître 

Ammonaria...  " 101 

Sciapode 1 05 

Couverture-Frontispice  de  l'Album  Les  Origines      107 

Sur  la  coupe 1 09 

Sainte  Thérèse III 

Parsifal 113 

Brunnhilde 115 

"   Le  cœur  a  ses  raisons...  " 117 

"   Le  silence  éternel  de  ces  espaces  infinis  m'effraie...  " 118 

Mademoiselle  Juliette  Dodu 119 

Méphisto 123 

Tête  d'expression 1 27 

Pégase  blanc 1 29 

Etude  pour  "  Roger  et  Angélique  " 133 

Etudes  de  chevaux 1 39 

Figure 1 42 

Tête  de  jeune  fille 145 

Masque 1 47 

L'enfant  prédestinée 152 

"  Il  y  eut  peut-être  une  vision  première  essayée  dans  la  fleur...  " 154 

Tête 138 

Le  Diable 160 

Les  yeux  clos 161 

Frontispice  pour  Le  Mouvement  idéaliste  en  Peinture 1 63 

Petit  Prélat 165 

Le  sphinx 1 67 

«   ...  Et  dans  le  disque  même  du  soleil  rayonne  la  face  de  Jésus-Christ...  ". .      .  .  170 

Odilon  Redon  en   1894 171 


TABLE    DES    PLANCHES    HORS-TEXTE 


Pages 

Couverture,  d'après  l'original  du  Petit  Palais  . 

La  Couronne   (Pastel),  reproductions  en  couleurs 12-13 

Le  papillon  blanc   fPeinlure) 14-   15 

Portrait  de  jeune  homme  (Dessin  à  la  mine  Je  plomh).  fac-similé,  Collection 

Redon 20-21 

Germination   (Lithographie) 26-  27 

La  Fieui   du  marécage   (Lithographie) 30-  31 

Fleurs   (Pastel),  reproduction  en  couleurs 32-  33 

Profil  de  lumière   (Fusain)   Petit  Palais 36-37 

Le  Calvaire   (Dessin  à  la  mine  de  plomh),  fac-similé,  COLLECTION  Redon    ..  40-  41 

Papillons   (Aquarelle),  reproduction  en  couleurs 44-  Al 

Pégase   (Peinture) 52-53 

Le  masque  de  la  mort  rouge   (Fusain),  Photo  Boncer 58-59 

La  Désespérance   (Peinture  sur  bois) 62-  63 

Profil  de  jeune  fille   (Sanguine) '0-  71 

P.  Sérusier,  Ed.  Vuillard.  M.  Denis,  P.  Bonnard   (Lithographies) 74-75 

La  mort   (Lithographie) '^~  '' 

Portrait  de  Redon  par  lui-même   (Dessin  sut  pierre),  COLLECTION  Redon..  78-  79 

La  première  conscience  du  chaos  (Fusain).  COLLECTION  M.-A.  Leblond..  86-  87 

Portrait  de  Mademoiselle  Violette  H.   (Pastel),  reproduction  en  couleuis..  88-  89 

Ange  déchu   (Fusain).  COLLECTION  A.  Mellerio 92-93 

Portrait  de  Monsieur  0.  Sainsère  (Sanguine) 94-  93 

Et  l'Homme  parut...   (Lithographie) 98-99 

Profils  de  Hollandaises   (Aquarelle),  reproduction  en  couleurs 106-107 

Cain  tuant  .AbeUPcin/ureV 114-113 

—      213      — 


Le  liseur  (Lithographie) 120-121 

Deux  profils   (Aquarelle),  reproduction  en  couleurs 122-123 

Un  masque  sonne  le  glas  funèbre   (Lithographie) 124-123 

Femme  sauvage   (Fusain),  fac-similé,  COLLECTION  RedoN      130-131 

Pégase  captif   (Lithographie) 132-133 

Quadrige  (Peinture),  reproduction  en  couleurs 136-137 

Les  pavots  noirs  (Fusain),  Photo  Boticm 148-149 

Vierge  d'aurore   (Peinture) 152-153 

Fleurs  vivantes   (Aquarelle),  reproduction  en  couleurs 162-163 


214 


TABLE   DES   MATIÈRES 


INTRODUCTION 

I.  L'Homme  ET  SA  Vie      

II.  L'Artiste  et  son  Œuvre    

L'éducation    et   la  formation  artistique  de  Redon. 

L'œuvre    de    Redon 

Les   estampes.   —    §    ] .   La   Gravure      

§    2.    Les  Lithographies      

Les  dessins,   fusains,   plume,   crayon,    etc 

La    peinture    de    Redon.  —    §    I.   Peinture    et    Pastels. 
§    2.    Œuvres    décoratives. 

III.  L'Art  de  Redon 

IV.  Odilon  Redon.  Sa  place  dans  l'Art  contemporain.  L'Avenir 

DE  son  Œuvre 


Pages 

7 

9 

79 

81 

103 

103 

106 

128 

132 

140 

143 

159 

171 


APPENDICE     

CATALOGUE  de  l'ŒUVRE  GRAVÉ  et  LITHOGRAPHIE  de  REDON  1 77 

SUPPLÉMENT  AU  CATALOGUE 191 

BIBLIOGRAPHIE.  -  EXPOSITIONS.  -  MUSÉES  ET  COLLECTIONS  195 

INDEX  DE  NOMS  CITÉS 205 

TABLE  DES  ILLUSTRATIONS  DANS  LE  TEXTE 211 

TABLE  DES  PLANCHES  HORS-TEXTE 213 


215 


ACHEVÉ    D'IMPRIMER 

LE  30   Mai    1923 

Par     Jean     LANGLOIS 


IMPRIMEUR 


A         PARIS 


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"'•     JOW    0  1579 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


^  Mellerio,  André 

^  Odilon  Redon