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Full text of "Oeuvres choisies de l'abbé de Vertot"

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OEUVRES 



CHOISIES 



DE L'ABBE DE VERTOT. 



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TOME PREMIER. 









DE L'IMPRIMEHIE DE P. DIDOT L'AINÉ, 

CHEVALIER DE L'ORDRE ROYAL DE S AIHT- MICHEL , 

nmttMEim du Ror. 



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HISTOIRE 



DES 



RÉVOLUTIONS 



DE 



LA REPUBLIQUE ROMAINE. 



Par L'ABBÉ DE VERTOT. 



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TOME PREMHgft-* 



« I . . <»'«' - * " * 









A PARIS, 

CHEZ LOUIS JANET, LIBRAIRE-ÉDITEUR, 

RUE SA1KT-J1CQUE8, N° 5q. 

MDCCCXIX, 



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I 

AVIS DE L'ÉDITEUR. 



V^UELLE circonstance fut jamais plus fa- 
vorable aux progrès des sciences , que cette 
impulsion donnée, depuis quelques années, 
en France, au commerce de la librairie? 
Nous avons vu publier, tour-à-tour, Vol- 
taire et Rousseau, La Fontaine et Molière, 
Buffon et Bossuet , Rôllm êrMoittèsi^lî^ii ; 
en un mot, tous nos grands |KÎetès,^ôs his- 
toriens et nos moralistes semblent destinés 
à devenir les objets d'une iiôtivéllé admira- 
tion pour le siècle qui finit, et ceux d'un 
culte particulier pour la génération qui s'é- 
lève* A la suite de tant d'écrivains célèbres, 
on eût été surpris de ne pas rencontrer 
l'abbé de Vertot, dont les ouvrages vrai- 
ment classiques, traduits dans plusieurs 
langues, imprimés sous mille formats di- 
vers, font, depuis plus d yn siècle, l'instruc- 
tion de la jeupesse et le cliarme de l'âge 



i. 



ij avis de l'éditeur. / 

mûr. Nous avons donc cru bien mériter de 
tous les amis des lettres*, en leur offrant une 
édition des Œuvres choisies de l'abbé de 
f^ertat , édition plus complette que toutes 
celles qui Font précédée, puisqu'à la suite 
des Révolutions de Portugal, qui ne for- 
moient jusqu'ici qu'un très mince volume, 
nous publions toutes les dissertations les 
plus piquantes de l'abbé de Ver tôt, dont 

lèa ïftéÈû^hëfc der FAçadéùiie des Inscriptions 

.* j * • • • * • • • • • •.* * 

et Bçljes-lettices ^6ht enrichis, et qu'on ne 
trouvpît-qùë4à. : Les nombreux suffrages 
dont nquV^tBjt^S: honorés déjà) nous sont 
un garant presque assuré du succès de notre 
entreprise ; et nous saisissons cette occasion 
pour remercier le public de sa bienveil- 
lauçe. 



I » 



ÉLOGE 



DE 



M. L'ABBÉ DE VERTOT, 

MORORCK 

A L'ACADEMIE DU IMCRIPTIOSS ET BELLES-LETTRES, 

DANS SA SEÀBtCE PUBLIQUE DU l5 NOVEMBRE i;35. 

René Auber de Vertot, second fila de François Au- 
ber, seigneur de Vertot , et de Louise de Hanyvel 
de Manne villette, naquit au château de Bennetot, 
pays de Caux, diocèse de Rouen» le 2 5 novembre 
i655. 

La famille d' Auber passe pour être d'une bonne 
noblesse de la Haute -Normandie, où, depuis plus de 
deux siècles, elle n'a cessé de faire les meilleures al-* 
liances, comme avec les. Mallet de Graville, les 
Houdetot , les Pellevé et les de Prie; le frère aîné de 
M. l'abbé de Vertot, mort jeune et sans alliance! 
étoit chambellan de Monsieur , frère unique de 
Louis XIV; et Marie de Mannevillette, leur tante» 
avoit épousé un Clermont-Tonnerre. 

L'abbé de Vertot ne fut point élevé en cadet , ni 



«. 



br ÉLOGE 

destiné a Fétat ecclésiastique par Tordre de sa nais- 
sance ; les jeux , les saillies de son enfonce excitèrent 
l'attention de ses parens; et, dès qu'il fat à portée de 
recevoir les premiers principes de quelque éduca- 
tion, on lui donna un bon précepteur, avec qui on 
Fenvoya ensuite faire des études plus réglées au 
collège des Jésuites, à Rouen, où il soutint ses der- 
nières thèses de philosophie, à l'âge de seize ans. 

Alors il demanda, de lui-même, à prendre la ton- 
sure, et sa famille y consentit, sans prévoir les suites 
de ce premier engagement, dont les vues ne pou- 
voient être en lui, ni plus pures, ni plus désintéres- 
sées; car, au sortir du séminaire, où il avoit fait une 
retraite, il disparut totalement ; et ce ne fut qu après 
six mois de recherches , qu'on découvrit enfin qu'il 
étoit allé se jetter dans un couvent de Capucjns à 
Argentan. Son père y accourut , et fit d'inutiles ef- 
forts pour le rappeller àlui. Le frère Zacharie, (c'étoit 
le nom du novice), persista, fit profession, et seroit 
probablement devenu un des plus grands ornemens 
de l'Ordre, sans un accident qui le mit en danger de 
la vie, et qui le livroit à une mort certaine, s'il eût 
continué les austérités de la règle. 

Il avoit eu, pendant le cours de ses études à Rouen, 
un mal de jambe qui le retint, près d'un an, au lit; 



DE M. L'ABBÉ DE VERTOT. V 

et ce mal étoit un abcès si considérable , que Ton 
avoit été obligé de faire Tenir exprès des chirurgien»* 
de. Paris, pour le traiter. L'os se trouva carié; la cure 
en fut longue et difficile; et la cicatrice. qui resta, 
étoit si étendue et si profonde, que ron.convint.de 
la tenir toujours couverte et entourée d'un bandage- 
Rien assurément déplus opjSosé à cette sage précau- 
tion, que de se consacrer ensuite à être, toute sa vie, 
nu-jambes , sous une robe de laine rude et grossière,, 
qui les frotte et les bat , bien plus- qu'elle ne les. 
couvre. 

Aussi , peu de temps après la profession de frère 
Zacbarie, son abcès se renouvella, devint très dan- 
gereux, et fut jugé presque incurable. Pour la der- 
nière ressource, on le transporta à Fécamp, dans le 
voisinage de sa famille. Le mal y augmenta encore ; 
les parens demandèrent enfin à se charger du ma- 
lade ; et le soin qu'ils en prirent fut si heureux, qu'il 
ranima toute leur tendresse, Ils se munirent ides rap- 
ports des différens chirurgiens qui* l'avoient traité ; 
ils y joignirent des consultations de médecins et de 
docteurs de Sorbonne; ils obtinrent des brefs du 
Pape, le consentement des supérieurs, et celui du 
jeune prof es, le plus difficile de tous, pour le faii'A 
passer sous une règle plus douce. 



yj Ér.OGR 

Il choisit celle de Prémontré, et A en prit l'habit 
dans l'abbaye de Valséry, où H fit sa seconde pro- 
fession religieuse à làge de fingt-deux ans, dont il 
en avoit passé quatre ches les Capucins. 

Son esprit et ses talens y avoient tenu bon contre 
la maladie et les austérités; l'abbé Colbert, chef et 
général de l'Ordre de Prémontré, en entendit parier 
si avantageusement, qu'il le fit venir h Prémontré 
pour y enseigner la philosophie. Quand il l'eut connu 
par lui-même, il l'estima et le chérit davantage; il 
en fit son secrétaire ; et cette distinction causa d'au- 
tant plus de jalousie, que, suivant les règles de la 
discipline monastique, des vœux faits dans on pre- 
mier Ordre rendent incapable de posséder des bé- 
néfices ou des dignités dans celui où l'on est trans- 
féré; Mais l'abbé Golbert l'avoit fait réhabiliter dans 
tous ses droits par un nouveau bref de la Cour de 
Itome , en vertu duquel il le nomma encore prieur 
du monastère de Joyorival. 

A cette seconde faveur, les murmures éclatèrent. 
11 fut résolu, dans un Chapitre provincial, que l'on 
se pourvoiroit , au grand Conseil, contre tous les brefs 
obtenus au nom du père de Vertot ; ils y furent atta- 
qués juridiquement, et ils y auroient été déclarés 
nuls, si, dans le cours de l'instance, le roi n avoit eu 



DE M. L'ABBÉ DE VERTOT. \ij 

la bonté de faire expédier des lettres patentes pour 
leur exécution et leur enregistrement. 

Cette formalité, qui assuroit son état, ne le rendit 
pas plus tranquille. Il lui étoit survenu, dans le mou- 
vement des sollicitations, et peut-être, par la crainte 
de l'événement, de violens maux de tête, qui ne se 
calmèrent pas sitôt; et, pour s'en guérir, ce n'étoit 
pas assez que de se démettre du prieuré de Joyen- 
val; dans quelle autre maison, n'auroit-il pas cru 
trouver les mêmes sujets d'inquiétude ou de soup- 
çon? 

Il se réduisit donc à Une simple cure, dépendante 
de FOrdre : la cure de Croissy-la-Garenne, près la 
machine de Marly; et c'est là que, conduisant des 
ouailles d'une espèce toute différente, il parvint à 
allier aux (devoirs d'un pasteur zélé, l'étude des bel- 
les-lettres et celle dé l'histoire, que deux amis de 
goût, ses compatriotes et ses contemporains (i), lui 
avoient particulièrement conseillée, comme l'étude 
la plus conforme à son génie, et le genre dans le- 
quel, à son tour, il réussirait le mieux, par sa grande 
facilité à s'exprimer, et le don de narrer qu'il avoit 
souverainement. 

9 

(i)M. l'abbé de Saint-Pierre et M. de Fontcncllr. 



Viij ÉLOGE 

Ce fut aussi là qu'il composa son premier ou- 
vrage, X Histoire de la conjuration de Portugal , qu'il 
fit imprimer en 1689, et dont il a donné, depuis, 
plusieurs éditions augmentées, sous le titre général 
de Révolutions. 

Elle eut un cours prodigieux, non seulement 
parce quelle étoit bien écrite, mais encore parce 
que le sujet, grand par lui-même, le paroissoit bien 
davantage dans le 'rapport qu'on s'imaginoit qu'il 
pourrait avoir, un jour, avec ce qui se passoit ac- 
tuellement dans un État voisin (1). Cependant, Fau- 
teur qui auroit pu s'en faire un mérite, avouoit, de 
bonne foi r qu'il n'y avoit jamais songé; et qu'après 
le plaisir d'écrire > si quelque cbose l'occupoit en- 
core, c'étoit l'envie de retourner dans sa province, 
dont il n'étoit jamais sorti qu'à regret. Il en trouva 
bientôt l'occasion: il permutta sa cure de Croissy 
avec une autre du pays de Caux; et, par surcroît 
de bonheur, il obtint ensuite les dispenses néces- 
saires pour passer, de cette seconde cure, toujours 
dépendante de l'Ordre, à une troisième qui étoit 
purement séculière, d'un gros revenu, et aux portes 
de Rouen. 

(1) L'Angleterre. 



DK M. L'ABBÉ ITË VEItTOT. ix 

Plu* en état d'avoir de* livre*, il en eut beaucoup , 
et il en fit bon usage, 11 écrivit ÏHirtoire des Mévo- 
luiions de Suède, qu'il fit paraître en 1696, et qui 
fut reçue avec tant d'applaudi**ement , que Ton en 
fit quatre à cinq édition* de suite , sans 011er leur don- 
ner une nouvelle date, Elle fut aussi traduite en di- 
verse* langue*, et l'ouvrage fut ai estimé à Stockholm 
même, que Ton prétend que l'envoyé , qui étoit sur 
le point de paiser en France, fut chargé, par *e* ins- 
truction*, de faire connoi**ance avec l'auteur, et de 
l'engager, par un présent de deux mille écu*, à en- 
treprendre une Histoire générale de Suide, On ajoute 
que cet envoyé, qui croyoit trouver M. l'abbé de 
Vertot, à Pari*, dan* le* meilleure* compagnies, et 
répandu dans le plu* grand monde, surpri» de ne 
le voir nulle part , *'en étoit informé ; et, qu'ayant ap- 
pris que ce n'était qu'un curé de Normandie , il avoit 
rendu compte de sa commission d'une manière qui 
fit échouer le projet. " 

Quoiqu'il en soit, ce curé de Normandie acquéroit 
insensiblement la réputation d'un excellent histo- 
rien , d'un écrivain du premier ordre. Le père Bou- 
h ours, qui *'y connoissoit, a*suroit qu'il n'avoit rien 
vu, en notre langue, qui, pour le style, fût au-dessus 
de* Révolution* de Suède et de Portugal; et M. fé- 



1 



X ÉLOGE 

véque de Meaux, plus capable encore d'en juger, 
dit, un jour, à M. le cardinal de Bouillon , que c'était 
une plume taillée pour la vie de M. de Tûrenne. 
Enfin , quand il plut au feu Roi d augmenter cette 
Académie, et de lui donner la forme qu'elle a reçue 
par le règlement de 1 70 1 , sa Majesté se souvint de 
l'abbé de Vertot, et le nomma, de son propre mou- 
vement, à une place d'académicien associé. 

M. le comte de Pontchartrain, secrétaire d'État, 
l'informa, lui-même, de sa nomination; et il en fut 
d'autant plus touché, qu'il s'y attendoit moins, mais 
ellelejetta dans un extrême embarras. Il felloit ve- 
nir s'établir à Paris, quitter par conséquent sa cure, 
qui lui valoit trois mille livres de rente, qui étoit son 
seul bien, et qu'il ne pouvoit encore résigner sous 
pension , parce qu'il lui manquent deux années de ré- 
sidence et de service. Dans cette perplexité , il ré- 
pondit au ministre, dans les termes généraux de la 
plus vive reconnoissance, pour l'honneur qu'on lui 
faisoit, et du plus grand empressement à la justifier 
par ses travaux. Quelque femps après, il écrivit à un 
de ses amis, qu'il sçavoit en liaison avec M. le comte 
de Pontchartrain, une lettre pathétique, où, après 
avoir exposé sa situation, c'est-à-dire, ses peines, il 
proposoit l'expédient d'envoyer régulièrement, tous 



DE M. L'ABBÉ DE VERTOT. , XJ 

les six mois, à l'Académie, des ouvrages qui vau- 
draient, disoit-il, mieux que lui, en attendant qu'il 
pAt y réparer, par une assiduité merveilleuse , des 
absences tout-à-fait involontaires. À la suite de ce 
détail, il traçoit le plan d'une nouvelle Histoire de 
France, accompagnée de médailles sur les princi- 
paux évènemens de chaque règne ; et sa conclusion 
étoit, que, pour se dévouer entièrement aux lettres, 
il ne cherchoit qu'à s'assurer le nécessaire, suivant 
la rigueur des lois , avant que de fonder son opu- ' 
leace^ur les grâces qu'il pourrait espérer de la libé- 
ralité du prince. 

Ces représentations produisirent leur effet. M. l'ab- 
bé de Vertot fut attendu, il tint parole; et nos exer- 
cices se ressentirent aussitôt de sa présence. Il les 
tourna, le plus souvent qu'il lui fut possible, sur 
des points de l'Histoire moderne qu'il avoit fort ap- 
profondie ,'de celle de France sur-tout, dont il étoit 
également instruit et jaloux. 

Nous ne nous engageons poiht dans rénuméra- 
tion des ouvrages qu'il a donnés à l'Académie, de- 
puis la fin de 1703 jusqu'en 1726, que des attaques 
réitérées d'apoplexie et de paralysie , le mirent hors 
d'état de sortir de chee lui et d'y travailler; cette 
énumération seroittrop longue, quand même noua 



xij ÉLOGE. 

nous bornerions à de simples* titres. Nous ne parle- 
rons que de ceux qu'il a fait imprimer séparément, et 
qui ne nous appartiennent pas moins, tant par Ta qua- 
lité d académicien qu'il y a toujours prise, que parcet- 
qu'ilne les a jamais publiés, qu'après les avoir soumis 
à l'examen de la compagnie, et en avoir lu les mon- 
ceaux les plus intérèssans dans nos assemblées pu- 
bliques ou particulières. 

Le premier fut son traité de la Mouvance de la 
Bretagne * imprimé en 1710. M. l'abbé de Vertot, 
n'avoit pu voir, sans une douleur mêlée d'inquié- 
tude, que le nouvel historien de cette province, en- 
chérissant sur les idées de quelques uns de ses pré- 
décesseurs, ne se contentoit pas de soutenir, comme 
eux, que nos rois de la première et de la seconde 
race n avoient exercé aucun pouvoir légitime sur le 
pays des Bretons, et que la cession qu'on disok 
qu'ils avoient faite de sa mouvance aux premiers 
ducs de Normandie, étoit une pure chimère; mais 
que, de plus, aux endroits où, accablé par la multi- 
tude des preuves, il ne pouvoit s'empêcher de re- % 
çonnoître ces même&rois pour maîtres et souverains 
de la Bretagne, il affectoit d exalter leur puissance 
et la supériorité de leurs armes, comme si c eut été 
leur seul titre; et que, lorsqu'à la faveur de quelque 



DE M. L'ABBÉ DE VEilTOT. Xlij 

guerre civile, les Bretons refusoient, à nos rois, le 
service et les tributs ordinaires, il nommoit ces ré- 
voltes passagères, des temps de liberté, etparloit de 
leurs différens chefs , souvent nés dans la plus vile 
populace, comme d'autant de princes généreux qui 
exposoient leur vie pour rompre les chaînes de la 
nation. 

Il y avoit déjà près d'un siècle que Nicolas Vignicr, 
auteur célèbre, s'étoit élevé contre ce paradoxe his- 
torique; M. l'abbé de Vertot en fit encore mieux 
sentir l'illusion ; et nous sommes obligés d'ajouter, 
comme un fait de notre connoissance particulière , 
qu'il auroit laissé ce point de critique dans l'intérieur 
de l'Académie , si une copie informe de son manus- • 
crit n'avoit commencé à se répandre ; et que ce lieu 
commun de tant et tant de préfaces étoit, à son égard, 
une vérité constante, quoique décréditée. 

Divers auteurs joignirent au traité de la Mouvance, 
des dissertations particulières en faveur du senti- 
ment de M. l'abbé de Vertot. Ce n'étoit pas ce qu'il 
souhaitoit le plus, c'étoit une réponse, qui avoit 
d'abord été annoncée comme victorieuse , et qui ne 
parut point du tout, ou du moins qui se réduisit à 
deux brochures , dont la plus considérable , donnée 
sous le nom d'un ami de l'historien Breton , et toute 



XIV ELOGE 

remplie de ses louanges, se trouva être son propre 
ouvrage. Le père Lelong en divulgua l'anecdote 
dans sa Bibliothèque des Historiens de France; et 
M. l'abbé de Vertot jouissoit tranquillement de ce 
dernier avantage , lorsque les mouvemens qui s'éle- 
vèrent en Bretagne, quoique heureusement arrêtés 
par la sagesse du gouvernement, réchauffèrent de 
nouveau. Il se persuada que la prévention ou la 
mauvaise foi des historiens modernes de cette pro-s 
vince, suffisoient pour y entretenir le germe de Fin- 
dépendance et de la rébellion» Et voulant y détruire 
des préjugés aussi funestes au repos des peuples, 
que contraires à la vérité de l'histoire, il composa 
, un traité complet de X Établissement des Bretons 
dans les Gaules, et n'y laissa rien à désirer, soit par 

* 

rapport à la souveraineté primordiale de nos rois sur 
toute la Bretagne, soit par rapport à la vassalité ori- 
ginaire des premiers Bretons qui occupèrent une par- 
tie de l'Armorique. L'ouvrage fut imprimé en 1720; 
et il est resté sans réplique. 

Dans l'intervalle dû traité de la Mouvance à celui 
de l'Établissement des Bretons dans les Gaules, il 
s'occupa d'un travail, sinon plus utile» du moins 
plus étendu t plus conforme à son goût, et d'un bien 
plus grand usage dams la littérature ; il écrivit ïHis- 



DE M. L'ABBÉ DE VERTOT. XV 

toine des Bévolutions de la répubtique Romaine , qui 
parut, en 3 volumes, au commencement de l'au* 

née 1719- 

Le succès en «est trop connu, et celui des ou* 

vrages de M. l'abbé de Yertot était trop ordinaire, 

pour «tous arrêter -présentement à, le décrire \ non» 

pourrions seulement observer qu'il n était pas dû à 

la nouveauté du sujet, et que ce fut principalement 

ce qui engagea l'Ordre de Malte» qui avoit déjà un 

grand nombre d'historiens, et dans presque toutes 

les langues vivantes, à jetter les yeux sur lui pour les 

rédiger eu un corps, et donner une nouvelle forme 

à ses brillantes annales- Il s'en chargea; et aussitôt 

le grand-maître lui adressa un bref, plein de marques 

d'estime et de reconnoissance; il joignit, h ce bref» 

la croix de l'Ordre: l'ambassadeur, en personne, lui 

remit l'un et l'autre; et le grand-prieur de France 

lui conféra la commanderie de Santeny. 

La composition de sa nouvelle Histoire de Malte, 
divisée en quinze livres, et partagée en quatre vo- 
lumes in-4°> demandait beaucoup de temps; et le 
public, prévenu, lui en accordoit peu; il auroit voulu 
sçavoir, atout moment, où il en et oit, quand il fini- 
toit, quand on commencerait à imprimer: il le sçut 
enfin, et alors il ne se plaignit que de la lenteur de 



XTJ ÉLOGE 

l'édition; il est vrai que les libraires en firent deux à 
la fois , et que celle qu'ils avoient destinée aux pays 
étrangers, n'y suffit pas, toute nombreuse quelle 
étoit. 

Nous n'avons garde d'oublier que ce fut durant le 
cours de cette impression que M. le duc d'Orléans , 
dont on fbrmoit la maison, y donna à M. l'abbé de 
Vertot une place d'interprète; qu'il le logea au Pfc- 
lais-Royal, et qu'immédiatement après son mariage, 
il le nomma encore secrétaire des commandemens 
de madame la duchesse d'Orléans. 

Tels furent les agrémens et les avantages que lui 
valut le talent singulier de bien écrire l'histoire; 
nous ne disons pas la fortune, parce qu'après avoir 
fait à Dieu le sacrifice de son patrimoine même, il 
n'est pas à présumer qu'il ait jamais aspiré à rien de 
plus qu'une vie exempte de trouble et de la sollici- 
tude des besoins: mais, pour Içs honneurs de l'es- 
prit, qui sont de tous les états, et dont l'ambition 
ne peut être qu'utile aox hommes, loin de s'en dé- 
fendre, il n'oublia rien de ce qui pouvoit les lui 
assurer. 

Jamais auteur ne fut plus attentif à choisir des 
sujets nobles, élevés, capables d'intéresser et d'é- 



DE M. L'ABBÉ DE VERTOT. XVÎj 

mouvoir: l'élégance et la pureté de sa diction répon-. 
dent à la noblesse des sujets ; il les expose avec une 
grande netteté; et le détail des circonstances semble 
plutôt les embellir que les charger; il exprime les 
différons caractères, par des traits fermes, énergiques 
et précis, qui peignent l'&tne même : ses descriptions 
vives et animées entraînent le lecteur; on marche 
avec l'armée -qu'il met en mouvement; et, selon qu'il 
l'a déterminé, on prend part à la victoire, ou Ton 
gémit sur le sort des vaincus. 

Dans son Hùtoirede la Conjuration de Portugal^ il 
présente une monarchie, qui, assujettie, depuis près 
d'un siècle, par un roi puissant, parott la province de 
ses États la plus soumise, jet qui, en un seul jour, 
change sa destinée. L'entreprise est un secret confié, 
pour ainsi dire, à la nation entière, et qui ne trans- 
pire par aucun endroit; et l'exécution , que mille in- 
cidens peuvent encore arrêter, réussit également par- 
tout: c'est un embrasement général, qui, de la ca- 
pitale, passe rapidement aux frontières, et même 
au-delà des mers. 

Dans ses Révolutions de Suède, on voit un prince 
malheureux et proscrit, qui, du fond des montagnes 

et des mines obscures qui lui servent d'asyle , porto 
i. » 



■ •• 



XV11J ELOGE 

dans le cœur de leurs plus grossiers habitans, un tel 
amour de la gloire et de la liberté, qu'à leur tète il 
s'ouvre un chemin au trône, s'y affranchit de la dé- 
pendance, où l'autorité du sénat, la jalousie des 
grands, et la puissance du clergé avoient tenu les 
rois, ses prédécesseurs; rend héréditaire une cou- 
ronne élective; change jusqu'à la religion du pays, et 
meurt universellement regretté, après avoir régne 
sans favoris, et gouverné sans ministres, comme il 
avoit vaincu sans généraux. 

Rome est, en quelque sorte, le palais de l'histoire 
pour l'auteur de ses Révolutions: les évènemens y 
sont distribués avec un art supérieur; un art, plus 
grand encore, les peint, [chacun, avec les couleurs 
qui lui sont propres, et les place dans le jour qui leur 
convient. On se croit dans les assemblées du sénat 
et du peuple, au Champ de Mars, ou sur les bords 
du Tibre. Rome y parott formidable, tant qu'elle 
fait gloire de sa pauvreté, et que le dictateur, comme 
le soldat, ne subsistent que du peu de terres qu'il? 
cultivent de leurs mains; et l'on présage sa ruine, 
dès que, maîtresse du monde entier, toutes les ri* 
chesses de l'univers coulent dans son sein. 

Les Annales de Malte % où l'on trouve tant d'ac- 



t 

DE M. L'ABBÉ DE VERTOT. XIX 

tions vraiment Romaines, ne demandoient pas une 
plume moins exercée à les décrire; mais la piété y 
consacre l'héroïsme; et c'est à ce point de vue, que 
le judicieux historien ramène heureusement tout ce 
qu'il dit d'un Ordre que la charité fit nattre ; que 
l'honneur du nom chrétien et la défense des lieux 
saints armèrent contre les infidèles; et qui, toujours 
en butte à leurs barbares efforts, sçait allier les ver* 
tua paisibles de la religion, à la plus haute valeur 
dans les combats. 

Quand M. l'abbé de Vertot apportoit à l'Académie 
des parties détachées de semblables ouvrages, on 
découvrait bientôt une autre source de leur force et 
de leur beauté. A peine en avoit*il lu quelques pages, 
que, s'unissant insensiblement à son sujet, il pre» 
noit enfin réellement la place du héros, s'abaniion- 
noit à toute l'impétuosité de son courage, et alloit 
jusqu'à perdre la respiration. Nous l'avons vu, de 
même, s'attendrir et verser des larmes avec la mère 
de Goriolan , aux pieds de son fils. Or, s'il est aisé de 
surprendre la tendresse et la confiance des hom- 
mes, par un tissu d'aventures agréablement imagi- 
nées et rendues, quelle impression ne doit point 
faire, sur eux, le récit de faits importans, générale- 



XX ÉLOGE 

ment reconnus pour vrais, et encore pleins de cette 
«spèce de vie , qu'un auteur bien pénétré est seul ca- 
pable de leur conserver? 

Ce qui n'est peut-être pas moins digne de remar- 
que, c'est que M. l'abbé de Vertot avoit près de qua- 
rante-cinq ans, quand il composa le premier morceau 
d'histoire qu'il a donné au public; et qu'il en avoit 
plus de soixante-dix, quand il acheva celle de Malte, 
qui a terminé sa course littéraire. Il a encore vécu 
neuf années entières, mais accablé de tant d'infirmités, 
«t dans une telle langueur de corps et d'esprit , que 
ce n'étoit plus que la grande habitude au travail, 
qui, de temps à autre, lui offroit encore de nou- 
veaux projets, comme les Révolutions de Carthage, 
-et l'Histoire de Pologne, dont il parloit souvent. On 
lui représentoit qu'il nétoit pas en état de lire ni 
d'écrire; il répondoit qu'il. avoit assez lu pour com- 
poser de mémoire, et assez écrit pour n'être pas em- 
barrassé de dicter. Toutes ces idées se perdoient le mo- 
ment d'après; et les seuls ouvrages posthumes qu On 
peut espérer de lui, sont quelques généalogies, et les* 
ambassades d'Antoine, de François et de Gilles de 
Koailles en différentes Cours de l'Europe , sous les ré- 
gnes de Henry II, François II, Charles IX et Henry III. 



\ 



DE M. L'àBBÉ DE VERTOT. XXj 

Il les avoit écrites dans les premières années qu'il 
vint à Paris, et sur les Mémoires originaux que lui 
en avoient remis la Maison de Noailles, à laquelle il 
étoit infiniment attaché. 

Il mourut au Palais-Royal, le 1 5 juin 1 735, âgé 
de près de 80 ans révolus. 



MNiaMMaMMMMMiMIMMAMAW 



NOTICE 

SCR L'ABBÉ DE VERTOT, 



ET SrR SES OUVRAGES. 



^ rff* avenu* vn qoe Réné-Anber de Vertot naquit 
jn nhiœn de Renaetot, eu Normandie, Tan i655; 
qn il /flofl «s» dune famille noble; qull se fit d'abord 
Cnpnoni^ no\gré l'opposition de ses païens ; que sa 
saafté tétant trouvée dérangée par suite des austéri- 
té* de cet Ordre, il entra, vers 1677, chez les régu- 
liers de IVémantré; quil passa insensiblement dans 
djmres Ordres, et changea souvent de bénéfices : ce 
quon appeUak alors,, assez plaisamment, les rëvohi- 
tùms de tiMé de f eriot. Nous avons vu que, las 
de vivre dans la solitude, il vint enfin à Paris; qu'en 
1701 , il rut associé à F Académie des Inscriptions; 
qpe ses talens lui firent, là, de puissans protecteurs ; 
qmû fiât bientôt honoré du titre de secrétaire des 
Con%aww>de«iens de madame la duchesse d'Orléans , 
de celui de secrétaire des langues de M. le duc 
^Orléans, et qu'enfin il eut son logement au Palais- 
Boyal, En 170,1e graud^naître de Malte le nomma 



I 

NOTICE SUR L'ABBÉ DE VERTOT. Xxiij 

historiographe de l'Ordre, l'associa à tous les privi- 
lèges et lui donna la permission de porter la croix; 
et le grand Prieur de France lui conféra la comman- 
derie de Santeny. Les dernières années de sa vie 
furent accablées de grandes infirmités, au milieu 
desquelles il mourut, en 1735, âgé de près de 80 
ans. 

L'abbé de Vertot étoit aimable de caractère; il se 
faisoit remarquer par cette douceur de mœurs qu'on 
puise dans le commerce de la bonne société; son 
imagination brilloit dans ses discours, comme dans 
ses écrits. Ami fidèle, sincère, officieux, empressé 
à plaire, il avoit autant de chaleur dans le cœur que 
dans l'esprit. Madame de Staal raconte, dans ses mé- 
moires, que l'abbé de Vertot fut long-temps amou- 
reux d'elle ; et la chronique scandaleuse ajoute qu'elle 
ne fut pas aussi insensible à cette passion qu'elle le 
fait entendre. 

Si nous considérons maintenant l'abbé de Vertot 
comme écrivain, il est peu d'historiens, en Europe, 
qui aient possédé plus éminemment l'art d'attacher 
le lecteur, de captiver son esprit et de l'intéresser à 
son sujet. On assure qu'il avoit été désigné pour être 
sous-précepteur de Louis XV, mais que des raisons 
particulières le privèrent de cet honneur, dont il 



XXiv tfOTSCK 

étoit si digne par ses connoissances , et par son es- 

... ♦ 

prit. 

Les principaux ouvrages de l'abbé de Vertot sont, 

par ordre de date : i.S l'histoire des Révolutions de 

Portugal; a. l'histoire des Révolutions de Suède; 

, 3.? l'histoire des Révolutions Romaines; 4-? enfin, 

l'histoire des chevaliers de Malte. 

L'histoire de Portugal a une marche presqu'épique, 
et seroit un véritable chef-d'œuvre, si l'auteur se fût 
. montré plus difficile dans le choix des mémoires sur 
lesquels il a travaillé : au reste, le père Bouhours 
prétendoit n'avoir jamais rien vu, dans notre langue, 
qui, pour le style, frtt au dessus de cet ouvrage. 

L'histoire des Révolutions de Suède nous offre les 
divers changemens survenus, dans ce royaume, tant 
sous le rapport de la religion, que du gouvernement, 
n Nous avons, disoit Mably, un morceau d'histoire 
«qu'à bien des égards, on peut comparer à ce que 
* les anciens ont de plus beau : c'est l'histoire des Ré* 
« volutions de Suède. Quel charme ne cause pas cette 
« lecture t Je vois par- tout un historien qui , ayant mé- 
« dite sur le cœur humain , montre une grande con-' 
« noissance de la marche et de la politique des pas- 
« sions. L'espèce d'embarras qu'on éprouve en lisant 
nies Révolutions Romaines, vous ne le rencontrez 



sur l'aebé DE VERTOT. XXV 

«-pas dans la lecture des Révolutions de Suède. L'his- 
fttorien me développe la cause des événemens; je 
« ne perds point de vue la chaîne qui les lie; et je 
« marche, à sa suite, en éprouvant toujours un nou- 
« veau plaisir. » De son côté, La Harpe donneroit aux 
Révolutions de Suède, la préférence sur tous les autres 
écrits de Vertot, si Fauteur eût apporté autant de 
soins à connottre les mœurs et le gouvernement, qu'à 
embellir^ le récit des faits, des grâces de Félocution. 
J'en viens à l'histoire, des Révolutions Romaines : 
C'est là, sans contredit, le chef-d'œuvre de l'auteur; 
son style est toujours noble et élégant; il n'a pas cette 
chaleur factice de quelques historiens modernes ; sa 
narration est rapide,. ses portraits intéressans, quoi- 
que d'imagination pour la plupart, ses réflexions na- 
turelles, mais peu profondes. Mably convient bien 
que l'abbé de Vertot est, de tous nos écrivains, celui 
qui ait été le plus capable d'écrire l'histoire. Il lui 
accorde une âme élevée et généreuse. Il reconnott 
que son imagination ne le domine pas , et qu'elle ne 
lui sert qu'à embellir les objets qu'il traite. «Mais, 
« ajoute- t-il, soit que trompé par la facilité et les 
m grâces de son génie, il eut négligé les connoissances 
« préliminaires, soit que content de plaire à ces lec- 
« teurs, qui se croyent toujours assez instruits, quand 



XXVJ NOTICE 

m Us sont amusés, il formât le dessein de noos don- 
m ner nne histoire Romaine, dégagée des détails de 
« Tite-Live , j'ai été obligé de suppléer à ce qu'il avoit 
« passé sons silence; à je n'avois pas été au fait des 
« affaires des Romains, il m'eût été impossible d'y rien 
m comprendre. » A son tour, La Harpe ne se montre 
guères plus enthousiaste, que Mably, au sujet des Ré- 
volutions Romaines; voici comment il s'exprime : 
m Quant à ce que l'abbé de Vertot a écrit sur les Ro- 
« mains, la supériorité des auteurs anciens, qu'il tra- 
• duit le plus souvent, fait trop sentir, à ceux qui les 
connoissent, ce qui reste à désirer chez lui ; il na sçu 
m s'approprier ni l'esprit judicieux de Polybe, qui ins- 
« trait toujours, ni le pinceau de Salluste qui nous 
«fait connoître les caractères. Quelquefois même 
«Vertot, entre deux originaux qu'il peut suivre, ne 
« choisit pas le meilleur, et traduit Denys d'Halicar- 
« nasse, lorsqu'il pourroit prendre les plus beaux 
« morceaux de Tite-Live. » Nonobstant ces critiques 
plus ou moins fondées, l'histoire des Révolutions 
Romaines jouit, depuis un siècle, d'une réputation 
que lui ont, à juste titre, mérité l'intérêt du sujet 
et le charme du style. 

L'histoire des Chevaliers de Malte a été, plus 
qu'aucun autre ouvrage de l'abbé de Vertot, l'objet 



SUR l'abbé de vertot, xxvij 

dTune censure rigoureuse. On a remarqué que le 
génie de l'historien n'étoit vraiment supérieur qu'en 
traitant des évènemens extraordinaires. Le style de 
l'histoire de Malte est aussi plus languissant et moins 
pur que eelui des Révolutions. Cette négligence de 
style, qui se fait remarquer en plusieurs endroits , 
feroit présumer, en quelque sorte, que Fauteur n'é- 
toit pas fait pour les ouvrages de longue haleine. 
Cette histoire tient, d'ailleurs, un peu du roman, 
soit par les poétiques descriptions de combats et 
d'assauts, soit par les embelhssetaens de pure ima- 
gination que Fauteur se permettoit d'y ajouter; en 
effet, on se rappelle, qu'ayant un siège à décrire, et 
ne recevantpas les instructions qu'il attendoit, Fabbé 
de Vertot écrivit l'histoire du siège, moitié d'après le 
peu qu'il sçavoit, moitié d'après son imagination. Les 
Mémoires étant enfin arrivés, notre auteur se contenta 
de dire : «j'en suis fâché, mais mon siège est fait. » 
Cette anecdote, en la supposant vraie, ne tendroit 
qu'à nuire, infiniment à la réputation d'un historien, 
dont le premier mérite doit être la vérité. Au total, 
les reproches adressés à cette histoire de Malte, ne 
Fempêchent cependant pas de tenir un rang très 
distingué dans la littérature. C'est l'ouvrage le plus 
complet et le plus intéressant que nous possédions 



XXVÎij NOTICE SUR L'ABBÉ DE VERTOT. 

sur l'Ordre célèbre des Chevaliers hospitaliers de Si 
Jean de Jérusalem. 

Il existe plusieurs autres ouvrages de l'abbé de 
Vertot, au nombre desquels, l'histoire critique de 
l'Établissement des Bretons dans les Gaules, l'Origine 
de la grandeur de la Cour de Rome, le traité histori- 
que de la Mouvance de Bretagne, et enfin les ambassa- 
des de Messieurs Antoine et François de Noailles en 
Angleterre, depuis 1 55a jusqu'en i556. Ces divers 
écrits, la plupart de circonstance, sont aujourd'hui 
tombés dans l'oubli: nous les y laissons, par intérêt 
pour la réputation de leur auteur; par exemple, les 
Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles 
lettres sont enrichis de* plusieurs dissertations sa- 
vantes de l'abbé de Vertot; nous avons fait un choix 
de celles qui présentent, encore de nos jours, le plus 
d'intérêt, et méritent ainsi de faire partie de notre 
édition des Œuvres Choisies de l'abbé de Vertot. Ces 
morceaux se trouvent placés à la suite des Révolu* 
lions de Portugal. 



DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 

DES FONDEMENS DE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE, 
ET DES PRINCIPALES CAUSES DE SA DÉCADENCE. 

i 

JL*' amour de la liberté a été le premier objet des Ro- 
mains dans rétablissement de la république, et la 
cause ou le prétexte des révolutions dont nous en- 
treprenons d'écrire l'histoire. Ce fut cet amour de 
la liberté qui fit proscrire la royauté, qui diminua 
l'autorité du consulat, et qui en suspendit le titre en 
différentes occasions. Le peuple même, pour balan- 
cer la puissance des consuls, voulut avoir des protec- 
teurs particuliers tirés de son corps; et ces magistrats 
plébéiens, sous prétexte de veiller à la conservation de 
la liberté, s'érigèrent insensiblement en tuteurs des 
lois, et en inspecteurs du sénat et de la noblesse. 

Ces inquisiteurs d'État tenoient en respect les con- 
suls même et les généraux. On verra dans la suite de 
cette histoire, qu'ils les obligeoient souvent, quand 
ils étoient sortis de charge, de venir rendre compte 
devant l'assemblée du peuple de leur administration, 
et du succès de leurs armes. Ce n'étoit pas assez que 
de vaincre, l'éclat des plus grandes victoires ne met- 
toit point à couvert de leurs recherches le général 
qui ri avoit pas assez ménagé la vie de ses soldats , 
ou qui, pendant la campagne, les avoit traités avec 



i. 



3 DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 

trop de hauteur : il falloit qu'il sçût allier la dignité 
du commandant avec la modestie du citoyen. Des 
qualités trop brillantes étoient même suspectes dans 
un État où Ton regardoit l'égalité comme le fonde- 
ment de la liberté publique. Les Romains prenoient 
ombrage des Vertus qu'ils ne pouvoient s'empêcher 
d'admirer; et ces fiers républicains ne souffiroient 
point qu'on les servît avec des talens supérieurs et 
capables de les assujettir. 

Ceux qui étoient convaincus -d'avoir employé d'in- 
dignes voies pour parvenir au commandement, en 
étoient exclus pour toujours. Les charges et les em- 
plois, si on en excepte la censure, n étoient qu an- 
nuels. Un consul, en sortant du consulat, ne conser- 
-voit d'autorité que celle que lui donnoit son mérite 
personnel : et, après avoir commandé en chef les ar- 
mées de la république, on le voyoit souvent servir 
dans les mêmes armées sous son successeur. Il ne 
pouvoit rentrer dans le consulat qu'après un inter- 
stice de dix ans; et on évitait de laisser cette grande 
dignité trop long -temps dans la même famille, de 
peur de rendre insensiblement le gouvernement hé- 
réditaire. 

Mais de toutes les précautions que les Romains 
prirent pour maintenir leur liberté, aucune ne paroft 
plus digne d'admiration que cet attachement qu'ils 
conservèrent long-temps pour la pauvreté de leurs 
ancêtres. Cette pauvreté, qui, dans les premiers ha- 
bitans de Rome, étoit un pur effet de la nécessité 4 



DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 3 

devint une vertu politique sous leurs successeurs. 
Les Romains la regardèrent comme la gardienne la 
plus sûre de la liberté : ils sçurent même la rendre 
honorable , afin de l'opposer comme une barrière au 
luxe et à l'ambition. Ce détachement des richesses à 
Fégard des particuliers se tourna en maxime de gou- 
vernement. Un Romain mettoit sa gloire à conser- 
ver sa pauvreté, en même temps qu'il exposoit tous 
les jours sa vie pour enrichir le trésor public. Cha- 
cun se croyoit assez riche des richesses de l'État, et 
les généraux, comme les simples soldats, n'attlen- 
doient leur subsistance que de leur petit héritage, 
qu'ils cultivoient de leurs mains : Gaudebat tellus 
vomere lauteato (i). 

Les premiers Rpmains étoient tous laboureurs, et 
les laboureurs étoient tous soldats. Leur habillement 
étoit grossier, la nourriture simple et frugale, le tra- 
vail assidu. Ils élevoient leurs enfans dans cette Vie 
dure, afin de les rendre plus robustes et plus capa- 
bles de soutenir les fatigues de la guerre. Mais, sous 
des habits rustiques, on trouvolt une valeur incom- 
parable , de l'élévation , et de la grandeur dans les sen* 
timens. Là gloire étoit leur unique passion, et ils la 
feisoient consister à défendre leur liberté, et à se 
rendre maîtres de celle de leurs voisins. 
. Des écrivains modernes, qui ne peuvent souffrir 
de vertus pures dans les anciens , prétendent qu'on 
fait un mérite à ces premiers Romains de leur 

(i) PHn. nat.lib. XVIII. c. 4. 

1. 



4 DISCOURS PRÉLIMINAIRE-. 

grossièreté, et qu'ils ne méprisoient les richesses 
que parcequ ils en ignoraient le prix et les agré- 
mens. 

Mais pour répondre à cette objection, on n'a qu'à 
jeter les yeux sur la suite de cette histoire, et on 
verra que , dans le cinquième et le sixième siècles de la 
fondation de Rome , dans le temps même que la ré- 
publique étoit maîtresse de toute l'Italie et d'une par- 
tie de la Sicile, de l'Espagne, des Gaules, et même 
de l'Afrique, on tiroit encore les généraux de la char- 
rue : (i) Attilii manus rustico opère attritœ^ salutem 
publicam stabilierunt. Quelle gloire pour un État 
d'avoir des capitaines capables de lui conquérir 
de grandes provinces, et assez désintéressés pour 
conserver leur intégrité au milieu de leurs con- 
quêtes 1 

Je ne parle point des lois somptuaires (2), qui 
étaient en vigueur dans le sixième siècle, et qui, 
sans distinction pour la naissance, les biens de la 
fortune, ou les dignités, régloient la dépense de tous 
les citoyens. Rien n'a échappé aux sages législateurs 
qui établirent de si sévères réglemens. Tout y est fixé, 
soit pour les vétemens, soit pour lé dépense de la 
table, le nombre des convives dans les festins, et 
jusqu'aux frais des funérailles. Qu'on lise la loi (3) 

(1) Val. Max. liy. IV, c. 4. Cicer. pro S. Roacio. Plin. 1. XVIII, 
c. 4- — ( 2 ) Macrobii Satura, quoest. liber II, caput i3. — 
3) Pauli Manutii, de legib. sumpt. fol. 4a— 43, éditio anni 
i557. 



DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 5 

> 

Oppùij on verra qu'elle défend aux dames romaines 
de porter des habits de différentes couleurs; d'avoir 
dans leur parure des ornemens qui excédassent la 
valeur d'une demi «once d'or, et de se faire porter 
dans un chariot à deux chevaux plus près de Borne 
que d'un mille, à moins que ce ne fût pour assister 
à quelque sacrifice. La loi Orchia régloit le nombre 
des convives qu'on pouvoit inviter à un festin; et la 
loi Phannia ne permettait pas d'y dépenser plus de 
cent asses, centenos œris: ce qui revenoit environ à 
cinquante sous de notre monnoie. Enfin la loi Cor- 
nelia fixoit à une somme encore plus modique la dé- 
pense qu'on pouvoit faire aux funérailles: tous ré» 
glemens qui pourront paroftre peu dignes de la gran- 
deur et de la puissance à laquelle les Romains étoient 
déjà parvenus, mais qui, en éloignant le luxe des 
familles particulières, faisoientla force et la sûreté 
de l'État. 

A la faveur de cette pauvreté volontaire, et d'une 
vie laborieuse, la république n'élevojt dans son sein 
que des hommes forts, robustes, pleins de valeur, et 
qui, n'attendant rien les uns des autres, conservoient 
dans une indépendance réciproque la liberté de la 
patrie. Ce furent ces illustres laboureurs qui, en 
moins de trois cents ans, assujettirent les peuples les 
plus belliqueux de l'Italie, défirent des armées pro- 
digieuses de Gaulois, de Gimbres, et de Teutons, et 
ruinèrent la puissance formidable de Carthage* 

'Mais après la destruction de cette rivale de Rome , 



6 DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 

les Romains, invincibles au -dehors, succombèrent 

sous le poids de leur propre grandeur. 

Ipia nocet molei. Lccmi. 

L'amour des richesses et le luxe entrèrent dans Rome 
avec les trésors des provinces conquises : et cette 
pauvreté et .cette tempérance, qui avoient formé tant 
de grands capitaines, tombèrent dans le mépris. 

Foacunda virorum 
Fnupertai fugitur. 

Lucaw, lib. i, v. i65. 

Et ce qui est de plus surprenant, c'est, dit Velleius 
Paterculus, que ce ne fut pas même par degrés 
mais tout-à-coup, que se fit un si grand changement, 
et que les Romains se précipitèrent dans le luxe et 
dans la mollesse: (i) Sublatd imperii œmuldj non 
graduj sed prœcipiti cursu, à virtute descitum, ad 
vitia transcursum. Les voluptés prirent la place de 
la tempérance; l'oisiveté succéda au travail, et l'inté- 
rêt particulier éteignit ce zélé et cette ardeur que 
leurs ancêtres avoient fait parottre pour l'intérêt 
public. 

En effet, il semble que ce soit une autre nation 
qui va parottre sur la scène. Une corruption géné- 
rale se répandit bientôt dans tous les Ordres de l'É- 
tat. I^a justice se vendoit publiquement dans les tri- 
bunaux; on consignoit sur la place pour acheter les 

(i) Vell. Pat. lib. Il, cap. t. 



DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 7 

suffrage* du peuple; et les consuls, après avoir ac- 
quis cette grande dignité par leurs brigues, ou à prix 
d'argent, n'alloient plus à la guerre que pour s'en- 
richir des dépouilles des nations, et souvent pour 
ravager eux-mêmes les provinces qu'ils eussent dû 
conserver et défendre. 

De là vinrent les richesses immenses de quelques 
généraux. Qui pourrait croire qu'un citoyen romain, 
que Crassus ait eu plus de sept mille talents de 
bien (1)? Je ne parle point des trésors queLucullus 
rapporta de l'Asie, et Jules -César des Gaules. Le 
premier, à son retour, fit bâtir des palais et y vécut 
avec une magnificence et une délicatesse que les an- 
ciens rois de Perse auroient eu bien de la peine à 
imiter; et César, plus ambitieux, outre un grand nom- 
bre d'officiers et de soldats qu'il enrichit par des li- 
béralités intéressées, se servit encore de Fargent des 
Gaulois pour corrompre les premiers de Rome , et 
acheter la liberté de sa patrie. 

Il falloit que les provinces fournissent à ces dé- 
penses immenses. Les généraux, sous prétexte de 
faire subsister leurs troupes, s'emparoient des reve- 
nus de la république : et l'État s'affoiblissoit à pro- 
portion que les particuliers devenoient puissans. 

Outre les tributs ordinaires, les commandans exi- 
geoient tous les jours de nouvelles sommes, ou à 
titre de présens, à leur entrée dans la province, ou 

(i)Dix millions cinq cent mille livret. 



8 DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 

par forme d'emprunt; souvent même on ne cher- 
chent plus de prétextes; c'étoit assez pour piller le 
peuple, et pour établir de nouveaux impôts, que de 
leur donner de nouveaux noms (i). Cujus modo rei 
nomen reperiri poterat, hoc satù esse ad cogendas 
pecunias. Etce qui étoit encore plus insupportable, 
c'est que pour avoir de l'argent comptant, on remet- 
toit la levée de ces tributs extraordinaires à des pu- 
blicains, qui, sous prétexte d avoir avancé leurs de- 
niers, doubloient les dettes des provinces, et ab- 
sorboient, par des usures énormes, les revenus de 
Tannée suivante. 

. Toutes ces richesses fondoient à Rome ; des fleuves 
d'or, ou pour mieux dire, le plus pur sang des peu- 
ples y couloit de toutes les provinces, et y portoit 
un luxe affreux. On voyoit s élever tout-à-coup, et 
comme par enchantement, de superbes palais, dont 
les murailles, les voûtes, et les plafonds étoient do- 
rés. Ce n'étoit pas assez que les lits et les tables fus-» 
• sent d'argent, il falloit encore que ce riche métal fut 
gravé, ou qu'il fût orné de bas-reliefs de la main des 
plus excellons ouvriers. 

O pater urbis! 
Unde nefas tantùm latiis pastoribus 1 

Juven sat. II, v. 126. 

C'est de Sénéque que nous apprenons un change- 
ment si surprenant dans les mœurs des Romains, et 

(1) Caes. de Bel. civil, lib. III, cap. 3a. 



DISCOURS PRÉLIMINAIRE. $ 

qui, étant lui-même riche de sept millions d'or, n'a 
point eu de honte de nous laisser ces excellons dis- 
cours sur la pauvreté, que tout le monde admire 
dans ses ouvrages. Par quelle règle de philosophie, 
s'écrioit Suillius, Sénéque a-t-il acquis, en quatre ans 
de faveur, plus de sept millions d'or? Il lui repro- 
choit que sa principale étude étoit de courir après 
les testamens, de prendre comme dans un filet ceux 
qui n'avoient point d'enfans, et de remplir l'Italie et 
les provinces de ses usures: (1) Qud sapientid, qui- 
buf philosophorum prœceptis , intra quadrienimim ne- 
giœ amicitiœ > ter millies sestertiûm paravisset? Ro- 
mœ testamenta et orbos j velut indagine ejus capi, 
Italiam etprovincias immensofœnore hauriri. 

Tout l'argent de l'État étoit entre les mains de 
quelques grands, des publicains, et de certains af- 
franchis plus riches que leurs patrons. Personne 
n'ignore que ce magnifique amphithéâtre qui portoit 
le nom de Pompée (a), et qui pouvoit contenir jus- 
qu'à quarante mille personnes, avoit été bâti des de- 
niers de Démétrius son affranchi (3). Quem non pu* 
duitj dit Sénèque, locupletiorem esse Pompeio. 

Pallps, autre affranchi, et aussi riche que Séné- 
que, pour avoir refusé une gratification de l'empe- 
reur Claude son mattre, en fut loué solennellement 
en plein sénat, et comparé à ces anciens Romains 

(i)Tac. Ann. J. XIII, e. 4a. — (a) Dion. Casi. lib. XXXIX. — 
(3) Seneq de. Tranq. animoe, cap. 8. 



IO DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 

dont nons venons de parler, si célèbres par leur dés* 
intéressement. On voulut même conserver, la mé- 
moire de son refus par une inscription que la flatte- 
rie dicta. On trouve, dit Pline, sur le chemin de 
Tibur, un monument où on lit ces mots : « Le sénat 
«a décerné à Pallas les ornemens de la préture, et 
« cent cinquante mille (i) grands sesterces : mais il a 
h refusé l'argent, et s'est contenté des honneurs et 
« des distinctions attachés à cette dignité (a). » Et 
fixum est œre publico senatusconsultum , tfuo liber- 
tînus sèstertiûm ter milites possessor^ antiquœ par- 
cimoniaf laudibus cumulabatur. 

Quelle modération pour un affranchi , qui , (3) 
riche de plus de sept millions d'or, vouloit bien se 
contenter des ornemens de la préture ! Mais quelle 
honte pour Rome de voir cet affranchi, à peine 
échappé des chaînes de la servitude, parottre, dit 
Pline, avec les faisceaux, lui qui autrefois étoit sorti 
de son village les pieds nus et blanchis de la craie 
dont on marquoit les esclaves : (4) Undè cretatis pe- 
dibus advenisset! 

Je ferois un livre au lieu d'une préface, si j'entrois 
dans le détail du luxe des Romains, et si j'entre- 
prenois de représenter la magnificence de leurs bâ- 
timens, la richesse de leurs habits, les pierreries 
dont ils se paroient, ce nombre prodigieux d'escla- 

(i) Trois millions sept cent cinquante mille livres. — (a) Tac. 
Ann. 1. \II, c. 53. — (3) Win. lib. VII, ep. ao. \ l VIII, ep. 6. 
— (4) NU. XXXV, c. 58. 



DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Il 

ve§, d'affranchis, et de cliens dont ils étaient en- 
vironna en tout temps, et «or-tout la dépense et la 
profusion de leurs tables* 

Dans le temps même de b république, ils n'étoiént 
point contens,ditPacatus(i), si, au milieu de Fhiver, 
les roses ne nageoient sur le vin de Falerne qu'on 
leur présent oit; et si, dans Fêté, on ne l'avoit fait ra- 
fraîchir dans des vases d'or. Ils n'estimoient les fes- 
tins que par le prix des mets qu'on y servoit. Il 
fallok, au travers des périls de la mer, leur aller cher- 
cher les oiseaux du Phase; et, pour comble de cor- 
ruption, on commença, après la conquête de l'Asie, 
à introduire dans ces festins des chanteuses et des 
baladines. v 

Les jeunes gens en faisoient l'objet de leurs ridi- 
cules affections; ils se frisoient comme elles, ils af- 
fectaient même d'imiter le son de leur voix, et leur 
démarche lascive; ils ne surpassoient ces femmes 
perdues que par leur mollesse et leur lâcheté. (2) 
CapUium franger», et ad muliebres blanditias vo- 
cem extonuare, mottitie corpbris certarecumfoeminisj 
et tmmundissimi* se excolere munditiisj nostrorum 
adolescentiwn spécimen est 

Aussi JulefrCésair, qui connoissoit la fausse délica- 
tesse de cette jeunesse efféminée, -ordonna à- ses sol- 
dats, dans la bataille de Fharsale, au lieu de lancer 
de loin les javelots, de les porter droit au visage; (3) 

(1) Panegyr. Theod. Auguftti. — (a) Seh. Rhet. Gontrov. 1. I. 
— (3) Flor. lib. IV. cap. a. 



Il DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 

Miles j factem Jeri. Et il arriva» comme ce grand 
homme l'avoit prévu, que ces jeunea gens, idolâtre» 
de leur beauté, se tournèrent en fuite, de peur de 
s'exposer à être défigurés par des blessures et des 
cicatrices. 

% Quelle ressource pour la liberté 1 ou, pour mieux 
dire, quel augure dune servitude prochaine! Il n'en 
falloit point d'autre que de voir un État où la valeur 
étoit moins considérée que le luxe, où le pauvre of- 
ficier languissoit dans les honneurs obscurs d'une lé- 
gion, pendant que les grands tàchoient de couvrir 
leur lâcheté» et d'éblouir le public, par la magnifi- 
cence de leur train» et par l'éclat de leur dépense^ 

• 

8œvior armis 
Luiuria incubuit, victumque ulciscfrur orbem. 

JcvEft. sac, 6, v. 391. 

Un luxe aussi général eut bientôt consumé le» 
biens des particuliers. Pour fournir à une dépense 
si excessive, après avoir vendu ses maisons et ses 
terres, on vendit, par d'indignes adoptions, et par 
des alliances honteuses, le sang illustre de ses an- 
cêtres; et, quand on n'eut .plus rien à vendre, on 
trafiqua de sa liberté. Le magistrat comme le simple 
citoyen, l'officier et le soldat, portèrent leur 'servi- 
tude où ils crurent trouver leur intérêt. Les légion» 
de la république devinrent les légions. des grands et 
des chefs de parti : et, pour attacher le soldat à leur 
fortune, ils dissimuloient ses brigandages» et néglU 



DISCOURS PRÉLIMINAIRE. l3 

geoient la discipline militaire, à laquelle leurs an* 
cêtres dévoient leurs conquêtes, et la gloire de la 
république. 

Le luxe et la mollesse étoient passés de la ville 
jusques dans le camp. On voyoit une foule de valets 
et d'eat laves, avec tout l'attirail de la volupté, suivre 
l'armée comme une autre armée. César, après avoir 
forcé le cpmp de Pompée dans les plaines de Phar- 
gale, y trouva les tables dressées comme pour des 
festins (i). « Les buffets, dit-il, plioient sous le poids 
des vases d'or et d'argent ; les tentes étoient accom- 
modées de gazons verts; et quelques unes, comme 
celle de Lentulus, pour conserver le fraie, étoient 
ombragées de rameaux et de lierre. » En un mot, il 
vit, du côté qu'il força, le luxe et la débauche; et, 
'dans l'endroit où on se battoit encore, le meurtre et 
le carnage : (a) Alibi prœlia et vulneraj alibi popi- 
noBj simul cruor et strues corporumjjuxta scorta et 
scortis simile. 

Après cela, faut- il s'étonner si des hommes qui 
recherchoient les voluptés au milieu même des pé- 
rils, et qui ne s'exposoient aux périls que pour pou- 
voir fournir à leurs plaisirs , aient vu ensevelir leur 
liberté dans les champs de Pharsale? Au lieu que , tant 
que cette liberté, si précieuse aux premiers Romains, 
avoit été sous la garde de la pauvreté eç de la tempe- 

(t) Cm t. de Btl. civil, lib. III. * (a) Tacit. Hiit, iib, III. c. 83, 



l4 DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 

rance, l'amour de la patrie, la valeur, le courage, et 
toutes les vertus civiles et militaires, en avoient été 
inséparables. 

Utin&m remeire liceret 
Ad veterai fines, et mœnk pattperis Anci. 
Ciaud. de Bel. Gild. v. 109. 



HISTOIRE 



DES 



RÉVOLUTIONS 

ARRIVÉES DANS LE GOUVERNEMENT 

DE LA 

RÉPUBLIQUE ROMAINE. 



LIVRE PREMIER. 

Romulus, fondateur et premier roi de Rome, est en 
même temps le chef de la religion, et établit diffé- 
rentes lois avec le consentement de ses sujets. 11 fait 
foire le dénombrement de tous les citoyens, qu'il par- 
tage en trois tribus. Chaque tribu est ensuite divisée 
en dix curies ou compagnies* Établissement du sénat 
et de l'Ordre des chevaliers. Ce que c'étaient que les 
plébéiens. Les Sabins, après une guerre fort animée, 
font une alliance très étroite avec les Romains, et vivent 
sous les mêmes lois. Mort de Romulus. Numa lui suc- 
cède. Il se sert de la religion pour adoucir les mœurs 
farouches des habitans de la ville de Rome. Combat 
des Horaces et des Curiaces, sous Tullùs Hostilius. Albe 
ruinée. Ses habitans transférés à Rome. Ancus Marcius 
établit des cérémonies qui dévoient précéder les dé- 
clarations de guerre. Il défait les Latins, et réunit leur 



l6 DÉVOLUTIONS 

territoire à celui de Rome. Tarquin l'Ancien est élu roi 
par les suffrages des principaux d'entre le peuple, qu'il 
avoit gagnés. Il met au nombre des sénateurs cent de 
ses créatures. Institution du cens sous Servius Tullius. 
Ce prince est assassiné par Tarquin le Superbe, qui 
s'empare de la royauté sans le consentement du peuple 
ni du sénat. Son ambition et sa cruauté excitent un 
mécontentement général, que l'impudicité de Sextus 
Tarquin son fils, et la mort de Lucrèce font éclater. 
Révolte générale. Les Tarquins sont cbassés, et la 
royauté est proscrite. L'Etat républicain succède au 
monarchique. On élit deux magistrats annuels, à qui on 
donne le nom de consuls. La division qui survient 
bientôt après entre le peuple et le sénat oblige de créer 
une nouvelle magistrature supérieure au consulat, je 
yeux dire la dictature. Les brouilleries cessent pour 
quelque temps; mais ensuite elles se renouvellent, et 
vont si loin que la plus grande partie du peuple aban- 
donne la ville et se retire sur le Mont Sacré. Pour le 
faire rentrer dans Rome , il fallut lui accorder l'aboli- 
tion de toutes les dettes, et consentir à la création des 
tribuns du peuple. 

___ Un prince d'une naissance incertaine , nourri 
de Rome, p ar une femme prostituée, élevé par des ber- 

environla £ m * inii 

32oi du gers , et depuis devenu chef de brigands, jeta les 
™e n de e | a a premiers fondemens de la capitale du monde. 
6'oiym- il i a consacra au dieu de la guerre, dont il 

piade, et , i 

u 71 3 vouloit quon le crût sorti, et il y admit pour 

* ¥ * ' ' habitans des gens de toutes conditions, et 

venus de différens endroits, Grecs, Latins, 



i re année 



ROMAINES. 17 

Albains et Toscans , la plupart pâtres et ban- ~ "" 
dits, mais tous dune valeur déterminée (1). Je Rome. 
Un ûsile qu'il ouvrît en faveur des esclaves et , 
des fugitifs y en attira un grand nombre, qu'il 
augmenta depuis des prisonniers de guerre; et 
il sçut de ses ennemis en faire ses premiers 
citoyens. 

Rome, dans son origine, étôit moins ùnè 
ville qu'un camp de soldats, rempli de cabanes 
et entouré de foibles murailles, sans lois ci- 
viles, sans magistrats, et qui servôit seule- 
ment d'asile, à des aventuriers ; là plupart sens 
femmes et sans enfans, que l'impunité ou le 
désir de faire du butin avoient réunis. Ce fut 
d'une retraite de voleurs que sortirent les con- 
quérons de 1 univers. 

A peine cette ville naissante fut-elle élevée au-- 
dessus de ses fondemens, que ses premiers ha- . 
bitans se pressèrent de donner quelque forme 
au gouvernement. Leur principal objet fut de 
concilier la liberté avec l'empire; et, pour y 
parvenir, ils établirent Une espèce de monar- 
chie mixte , et partagèrent la souveraine puis- 
sance entre le chef ou le prince de la nation , 
un sénat qui lui devoit servir de conseil , et 
l'assemblée du peuple. Rômuluâ, (2) le fonda* 

(1) Tit. Liv. Dec. 1 , lib. I , c. 8. — (a) Dionys. Halic. 
). II, p. 81, étlit. Fraocof. an. i586< 



1. 



18 RÉVOLUTIONS 

^ teur de Rome , en fut élu pour le premier roi; 
de Rome, il fut reconnu en même temps pour le chef de 
la religion , le souverain magistrat de la ville , 
et le général né de l'État (i)* Il prit, outre un 
grand nombre de gardes, douze licteurs, espèce 
d'huissiers qui l'accompagnoient quand il pa- 
roissoit en public (2). Chaque licteur étoit arrivé 
dune hache d armes , environnée de faisceaux 
de verges, pour désigner le droit de glaive, 
symbole de la souveraineté. Mais sous cet ap- 
pareil de la royauté, son pouvoir ne laissoit 
pas d être resserré dans des bornes fort étroites ; 
et il n avoit guères d autre autorité que celle de 
convoquer le sénat et les assemblées du peu- 
ple ; d'y proposer les affaires ; de marcher à la 
tête de l'armée quand la guerre avoit été ré- 
solue par un décret public, et d ordonner de 
lemploi des finances , qui étoient sous la garde 
de deux trésoriers qu'on appela depuis ques- 
teurs. 

Lies premiers soins du nouveau prince furent 
d'établir différentes lois par rapport à la re- 
ligion et au gouvernement civil ; toutes éga- 
lement nécessaires pour entretenir la société 
entre les hommes ; mais qui ne furent cepen- 
dant publiées qu'avec le consentement de tout 

(i)Tit. Liv. Dec. 1, lib. I, c. 8. — (2) Dionys. Halic. 
lib, II. Plut, in Rorauio. 



R0MÀÏNE8. 19 

le peuple romain. On ne sçait pas bien quelle ][ 
étoit la forme du culte de ces temps si éloi- de Hume, 
gnés; on voit seulement par l'histoire, que la 
religion deê premiers Romains çvoit beaucoup 
de rapport avec leur origine. Us célébroient la 
fête de la déesse Paies, une des divinités tuté~ 
laires des bergers. Pan, dieu des forêts, avoit 
aussi ses autels; il étoit révéré dans les fêtes 
Luperçales ou des Louves : on lui sacrifioit un 
chien (i). Plutarque nous parle cTun dieu Cou- 
sus qui présidcit aux conseils ; il n avoit pour 
temple qu une grotte pratiquée sous terre. On 
a donné depuis un air de mystère à ce qui n'é~ 
toit peut-être alors qu'un pur effet du hasard 
ou de *la nécessité; et on nous a débité que ce 
temple n avoit été ménagé sous terre que pour 
apprendre aux hommes que les délibérations 
des Conseils dévoient être secrète». 

Mais la principale religion de ces temps gros- 
tiers consistait dans les augures et dans les 
aruspices, c'est-à-dire dans les pronostics qu'on 
tiroit du vol des oiseaux , ou des entrailles des 
hôtes. Les prêtres et les sacrificateurs faisoieiut 
croire au peuple qu'ils y lis oient distinctement 
les destinées des hommes. Cette pieuse fraude, 
qui ne devoit son établissement qu'à l'igno- 

(i)Plut. in Rom* 

a. 






20 RÉVOLUTIONS 

An rance de ces premiers siècles , devint depuis un 
de Rome, des mystères du gouvernement , comme nous 
aurons lieu de le faire observer dans la suite : 
et on prétend que Bomulus même voulut être 
le premier Augure de Rome, de peur qu'un 
autre , à la faveur de ces superstitions , ne s em- 
parât de la confiance de la multitude (i). Il dé* 
fendit par une loi expresse, qu'on ne fit aucune 
élection , soit pour la dignité royale , le sacer- 
doce ou les magistratures publiques, et qu'on 
n'entreprît même aucune guerre, qu'on n'eût 
pris auparavant les auspices. (2) Ce fut par 
le même esprit de religion et par une sage po- 
litique, qu'il interdit tout culte des divinités 
étrangères, comme capable d'introduire de la 
division entre ses nouveaux sujets. Le sacer* 
doce , par la même loi , devoit être à vie : les 
prêtres ne pouvoient être élus avant l'âge de 
cinquante ans. Romulus leur défendit de mêler 
des fables aux mystères de la religion , et d'y 
répandre un faux merveilleux sous prétexte de 
les rendre plus vénérables au peuple. Ils dé- 
voient être instruits des lois et des coutumes 
du pays , et ils étoient obligés d'écrire les prin- 
cipaux évènemens qui arrivoient dans l'État; 

(1) Cicer. 1. III, c. 3 de Legibus. Idem , lik. III de na- 
turà deorum. — (a) D. H. 1. a, p. 91. 



ROMAINES. 2! 

ainsi ils en furent le» premiers historiens et les » 

premiers jurisconsultes. cle ^ me 

II nous reste , dans l'histoire , quelques frag- l 
mens des lois civiles qu'établit Romulus (i). 
La première regarde les femmes mariées : elle 
leur défend de se séparer de leurs maris sous 
quelque prétexte que ce soit , en même temps 
qu'elle permet aux hommes de les répudier, et 
même de les* faire mourir, en y appelant leurs 
païens, si elles sont convaincues d'adultère, 
de poison, d'avoir fait fabriquer de fausses clefs, 
ou seulement d'avoir bu du vin. Romulus crut 
devoir établir une Joi si sévère pour prévenir 
l'adultère, qu'il regarda comme une seconde 
ivresse, et comme le premier effet de cette dan- 
gereuse liqueur. Mais rien n'approche de la 
dureté des lois qu'il établit à l'égard des en- 
fans (2). Il donna à leurs pères un empire ab- 
solu sur leurs biens et sur leurs vies : ils pou- 
voient, de leur autorité privée, les enfermer, et 
même les vendre pour esclaves jusqu'à trois 
fois,, quelque âge qu'ils eussent, et à quelque - 
dignité qu'ils fussent parvenus. Un père étoit le 
premier magistrat de ses enfans. On pouvoit se 
défaire do ceux qui étoient nés avec des diffor- 

(i)Gclliufl, lib. 10, c. a3. — (a) Dionys. H«l. lib. II, 
png. 97. Plutarq. Justinktni Inalit. lib. I, tit. g, 12. 



• 22 HÉVOMJTIONS 

^ mités monstrueuses ; mais le père étoit obligé , 
de Rome, avant que de les exposer ^ de prendre lavis de 
cinq de ses plus proches voisins : la loi lui lais- 
sent plus de liberté à l'égard de ses filles, pourvu 
que ce ne fut pas lamée ; et s'il violoi t ces ré- 
gi emens , la moitié de son - bien étoit confis- 
quée au profit du trésor public. Romulus , qui 
n'ignoroit pas que la puissance d'un État con- 
siste moins dans son étendue, que dans le nom- 
bre de ses habitans, défendit par la même, loi 
de tuer un ennemi qui se rendroit , ou même 
de le vendre. Il ne fit. la guerre que pour con- 
quérir des hommes, sûr de ne pas manquer 
de terres, quand il auroit 'des troupes suffisantes 
pour s'en emparer. 

Ce fut pour reconnaître ses forces, qu'il fit 
faire un dénombrement de tous les citoyens 
de Rome. Il ne s'y trouva que trois mille boni* 
mes de pied, et environ trois cents cavaliers. 
Romulus les divisa tous en trois tribus égales , 
et il assigna à chacune un quartier de la ville 
pour habiter. Chaque tribu fut ensuite subdi- 
visée en dix curies ou compagnies de cent hom- 
mes , qui avoient chacune un centurion pour 
les commander. Un prêtre , sous le nom de eu- 
rion, étoit chargé du soin des sacrifices; et 
deux des principaux habitans , appelés Duum- 
virs, rendoient la justice à tous les particuliers. 



ROMAINES. 23 

Romulus , occupé d'un aussi grand dessein ~ 



que celui de fonder un État, songea à assurer à* Rome. 
la subsistance de ce nouveau peuple. Rome, 
bâtie sur un fond étranger, et qui dépendoit 
originairement de la ville d'Albe , n' avoit qu'un 
territoire fort borné : on prétend qu'il ne com- 
prenoit au plus que cinq ou six milles d'éten- 
due. Cependant le prince en fit trois parts (1), 
quoique inégales. La première fut consacrée au 
cuite des dieux ; on en réserva une autre pour 
le domaine du roi et les besoins de l'État ; la 
plus considérable (2) partie fut divisée en trente 
portions par rapport aux trente curies, et cha- 
que particulier n'en eut pas plus dé deux ar- 
pens pour sa subsistance. 

L'établissement du sénat succéda à ce par- 
tage (3). Romulus le composa de cent des prin- 
cipaux citoyens : on en augmenta le nombre 
depuis , comme nous le dirons dans la suite. Le 
roi nomma le premier sénateur, et il ordonna 
qu'en son absence il auroit le gouvernement de 
la ville ; chaque tribu en élut trois , et les trente 
curies en fournirent chacune trois autres : ce 
qui composa le nombre de cent sénateurs , qui 
dévoient tenir heu en même temps de minis- 
tres pour le roi , et de protecteurs à l'égard da 

(i) Str»b. M>. V. — (a) D. II. 1. II , p. 8a. - (3) Ici. il). 



24 RÉVOLUTIONS 

* An peuple : fonctions aussi nobles que délicates à 

de iiomcj hjen remplir. 

Les affaires les plus importantes dévoient 
être portées au sénat. I^e prince, comme le chef, 
y présidoit à la vérité ; mais cependant tout s'y 
décidoit à la pluralité des voix , et il n y avoit 
que son suffrage comme un sénateur particu- 
lier (i). Rome, après son roi, ne voyoit rien de 
si grand et de si respectable que ses sénateurs ; 
on les nomma Pères, et leurs descendans Pa- 
triciens : origine de la première noblesse parmi 
les Romains. On donna aux sénateurs ce nom 
de Pères par rapport à leur âge , ou à cause des 
soins qu'ils prenoient de leurs concitoyens. « (2) 
« Ceux qui composoient anciennement le con- 
« seil de la république, dit Salluste, a voient le 
« corps afïbibli par les années, mais leur esprit 
« étoit fortifié par la sagesse et par l'expérience. » 
Les dignités civiles et militaires , même celles 
du sacerdoce , appartenoient aux patriciens , à 
l'exclusion des plébéiens. Le peuple obéissoit à 
des magistrats particuliers qui lui rendoient 
justice; mais ces magistrats recevoient les or- 
dres du sénat, qui étoit regardé comme la loi 
suprême et vivante de l'État , le gardien et le 
défenseur de la liberté. 

(1) Tit. Liv. Dec. 1, 1. 1, c. 8. — (a) Conjurât, de C^til. 



ROMAINES. 25 

Les Romains, (i) après rétablissement du An 
sénat , tirèrent de nouveau de chaque curie dix de Rome. 
hommes de cheval ; on les nomma Celeres, soit 
du nom de leur, chef appelé Celer, ou par rap- 
port à leur vitesse, et parcequ'ils sembloient 
voler, pour exécuter les ordres qu'on leur don- 
noit. Romulus en composa sa garde. Us com- 
battaient également à pied et à cheval, dit 
Denys d'Halicarnasse , selon les occasions et la 
disposition du terrain où ils se trouvoient ; ce 
qui revient assez à cette espèce de milice que 
nous appelons dragons. L'État leur fournissoit 
un cheval, d'où ils furent appelés chevaliers, 
et ils étoient distingués pai; un anneau d'or. 
Mais, dans la suite, quand leur nombre fut aug- 
menté , cette fonction militaire fut changée en 
un simple titre d'honneur, et ces chevaliers ne 
furent pas plus attachés à la guerre que les au- 
tres citoyens. On les vit aj} contraire se char- 
ger, sous le nom de publicains , de recueillir les 
tributs, et tenir à ferme les revenus de la ré- 
publique: espèce de corps qui, quoique plé- 
béien, ne laissoit pas de former comme un 
Ordre séparé entre les patriciens et le peuple. 

De tous les peuples du monde , le plus fier 
<Jcs son origine, et le plus jaloux de sa liberté , 

(i) Dionys. Halicarn, 1. II, p. 86. 



26 RÉVOLUTIONS 

X7~ a été le peuple romain. Ce dernier Ordre, quoi- 
de Rome, que formé pour la plupart de patres et d es- 
claves, voulut avoir part dans le gouverne- 
ment comme le premier. C'étoit lui qui auto- 
risoit les lois qui àvoient été dirigées par le roi 
et le sénat ; et il donnoit lui-même , dans ses 
assemblées, les ordres qu'il vouloit exécuter. (1) 
Tout ce qui concernoit la guerre et la paix , la 
création des magistrats, l'élection même du 
souverain , dépendoit de ses suffrages. Le sénat 
s'étoit seulement réservé le pouvoir d'approu- 
ver ou de rejeter ses projets , qui , sans ce tem- 
pérament et le concours de ses lumières , eus- 
sent été souvent trop précipités et trop tumul- 
tueux. 

Telle étoit la constitution fondamentale de 
cet État, qui n'étoit ni purement monarchique, 
ni aussi entièrement républicain. Le roi, le sé- 
nat, et le peuple, éteint, pour ainsi dire, dans 
une dépendance réciproque , et il résultoit de 
cette mutuelle dépendance un équilibre d au- 
torité qui modéroit celle du prince, et qui as- 
suroit en même temps le pouvoir du sénat et 
la liberté du peuple. 

Romulus , pour prévenir les divisions que la 
jalousie, si naturelle aux hommes, pouvoit 

(i) Dionys. Halicarn. 1. II ? p. 87. 



É0MA1NES. 27 

faire naître entre le» citoyens d'une même ré- ^ 
publique, dont les uns Tenaient d'être élevés <*• Bomc - 
au rang de sénateurs, et les autres étoient res- 
tés dans l'Ordre du peuple , tâcha de les atta- 
cher les uns aux autres par des liaisons et de» 
bienfaits réciproques. (1) Il fut permis à ces plé- 
béiens de se choisir dans le corps du sénat des 
-patrons y qui étoient obligés de les assister de 
leurs conseils et de leur crédit; et chaque par- 
ticulier, sous le nom de client, s'attachoit de 
son côté aux intérêts de son patron. Si ce 
sénateur n étoit pas riche, ses cliens contri- 
buoient à la dot de ses filles, au paiement de 
ses dettes ou de sa rançon , en cas qu'il eût été 
fait prisonnier de guerre; et ils n eussent osé 
lui refuser leurs suffrages , s'il briguoit quelque 
magistrature. Il étoit également défendu au 
patron et au client de se présenter en justice 
pour servir de témoin l'un contre l'autre. Ces 
offices réciproques et ces obligations mutuelles 
furent estimés si saints , que ceux qui les vio- 
loient pàssoient pour infâmes, et il étoit même 
permis de les tuer comme des sacrilèges. 

Un tempérament si sage dans le gouverne- ' 
ment attiroit, de tous côtés, de nouveaux ci- 
toyens dans Rome. Romulus en faisoit autant 

(1) Dionys. Halicam. 1. II, p. 84» 



28 , RÉVOLUTIONS 

J7~ de soldats , et déjà cet État commençoit à se 
de Rome, rendre redoutable à ses voisins. Il ne manquoit 
aux Romains que des femmes pour en assurer 
la durée. Romulus envoya des députés pour en 
demander aux Sabins et aux nations voisines , 
et pour leur proposer de faire une étroite al- 
liance avec Rome. Les Sabins occupoient cette 
contrée de l'Italie qui est située entre le Tibre > 
le Teveron , et les Apennins. Us habitoient de 
petites villes et différentes bourgades , dont les 
unes étoient gouvernées par des princes, et 
d autres par de simples magistrats , et en formé 
de république. Mais, quoique leur gouverne- 
ment particulier fût différent, ils s'étaient unis 
par une espèce de ligue et de communauté qui 
ne formoit qu'un seul État de tous les peuples 
de cette nation. Ces peuples étoient les plus 
belliqueux de l'Italie, et les plus voisins de 
Rome. Gomme le nouvel établissement de Ro- 
mulus leur étoit devenu suspect, ils rejetèrent 
la proposition des Romains (i): quelques uns 
ajoutèrent la raillerie au refus, et ils deman- 
dèrent à ces envoyés, pourquoHeur prince nou- 
vroit pas un asile en faveur des femmes fugi- 
tives, et des esclaves de ce sexe, comme il avoit 
fait pour les hommes; que ce serait le moyeu 

(i) Tit. Liv. lib. I, cèp* g. 



ROMAINES. 39 

de former des mariages, où , de part et d autre , J^ 
on n au r oit rien à se reprocher. de Kom«. 

Bomulus n apprit qu'avec un vif ressenti- 
ment une réponse si piquante; il résolut de 
s'en venger et d'enlever les filles de ses voisins. 
11 communiqua son dessein aux principaux du 
sénat]; et comme la plupart avoient été élevés 
dans le brigandage et dans la maxime d em- 
porter tout par la force (1), ils ne donnèrent 
que des louanges à un projet proportionné à 
leur audace. 11 ne fut question que de choisir 
les moyens les plus propres pour le faire réus- * * 
sir ; Romulus n en trouva point de meilleur que 
de célébrer à Rome des jeux solennels en l'hon- 
neur de Neptune Chevalier. La religion entroit 
toujours dans ces fêtes, qui étaient précédées 
par des sacrifices , et qui se terminoient par des 
combats de lutteurs, et par différentes sortes 
de courses à pied et à cheval. 

Les Sabins, les plus voisins de Rome, ne 
manquèrent pas d'y accourir au jour destiné à ' 
cette solennité , comme Romulus l'avoit bien 
prévu. On y vit aussi un grand nombre de Ce* 
niniens, de Crustuminiens , et dAnteinnates 
avec leurs femmes et leurs enfans. Les uns et 
les autres furent reçus par les Romains avec de 

(1) Dionya. Halicarn. lib. H, p. 99. 



3o RÉVOLUTIONS 

* 

7 grandes démonstrations de joie; chaque ci- 

de Rome, toyen se chargea de son hôte ; et, après les avoir 
'" bien régalés, on les conduisit et on les plaça 
commodément dans l'endroit oh se faisoient les 
jeux. Mais, pendant que ces étrangers étoient 
attachés à voir le spectacle , les Romains , par 
ordre de Romulus , se jetèrent l'épée à la main 
dans cette assemblée ; ils enlevèrent toutes les 
filles , et mirent hors de Rome les pères et le6 
mères, qui réclamoient en vain l'hospitalité 
violée. Leurs filles, répandirent d'abord beau- 
coup de larmes , elles souffrirent ensuite qu'on 
les consolât ; le temps à la fin adoucit l'aver-* 
sion qu'elles avoient pour leurs ravisseurs , dont 
elles firent depuis des époux légitimes. Cepen- 
dant l'enlèvement de ces fiHes causa une guerre 
qui dura plusieurs années. Les Géniniens furent 
les premiers qui fitent éclater leur ressentiment. 
Ils entrèrent en armes sur les terres des Ro- 
mains. Romulus marcha aussitôt contre eux , 
les défit, tua leur roi, ou leur chef, appelé 
Acron, prit leur ville, et en emmena tous les 
habitans, qu'il obligea de le suivre à Rome, 
où il leur donna les mêmes droits et les mêmes 
privilèges qu'aux autres citoyens. Ce prince ren- 
tra dans Rome, chargé des armes et des dé- 
pouilles de son ennemi dont il s etoit fait une 
espèce de trophée , et il les consacra à Jupiter 



ROMAINES. 3l 

Férétrien- comme un monument de sa victoire : . 

7 An 

origine de la cérémonie du triomphe chez les d« Rome 
Romains. Les Antemnates et les Grustuminiens 
n'eurent pas un sort plus favorable que les Cé~ 
niniens. Us furent vaincus; Antemnes et Grus- 
tuώnie jurent prises. Bomulus ne les voulut 4- 
point détruire ; mais comme le pays étoit gras 
et abondant , il y établit deux colonies qui lui 
servoient, de ce côté-là, comme de gardes avan- 
cées contre les incursions de ses autres enne- 
mis. Tatius , roi de Cures dans le pays des Sa- 
tins , prit à la vérité les armes le dernier, mais 
il n en fut pas moins redoutable ; il surprit par 
trahison la ville de Rome, et pénétra jusques 
dans la place. Il y eu| un combat sanglant et 
très opiniâtre, sans qu'on en pût prévoir le 
succès, lorsque ces Sabines, qui étoient deve- 
nues femmes des Romains, et dont la plupart 
en avoient déjà eu des enfans , se jetèrent au 
milieu des combattant , et , par leurs prières et 
leurs J armes, suspendirent l'animosité récipro- 
que. On en vint à un accommodement; le» 
deux peuples firent la paix; et, pour s unir en- 
core plus étroitement, la plupart de ces Sa- 
bins, qui ne vivoient qu'à la campagne, ou 
dans des bourgades et de petites villes, vin- 
rent s'établir à Rome. Ainsi ceux qui, le matin, 
avoient conjuré la perte de cette ville, en de* 



% 



Av. J. C. 



32 RÉVOLUTIONS 

" ^ vinrent, avant la fin du jour, les citoyens et le» 
de Rome, défenseurs'. Il est vrai qu'il en coûta d abord à 
7 4 7 Romulus une partie de sa souveraineté : il Ait 
obligé d y associer Tatius , le roi des Sabins ; et 
cent des plus nobles de cette nation furent ad- 
mis en même temps dans le sériât. Mais Tatius 
ayant été tué depuis par des ennemis particu- 
liers, on ne lui donna point de successeur; 
Romulus rentra dans tous ses droits, et réunit 
en sa personne toute l'autorité royale. 

Les sénateurs Sabins et tous ceux qui les 
avoient suivis devinrent insensiblement Ro- 
mains. Rome commença àêtre regardée comme 
la plus puissante ville de l'Italie; on y comp- 
toit, avant la fin du règiye de Romulus, jusqu'à 
quarante -sept mille habitans , tous soldats , 
tous animés du même esprit , et qui n avoient 
pour objet que de conserver leur liberté , et de 
se rendre maîtres de celle de leurs voisins. Mais 
cette humeur féroce et entreprenante les ren- 
doit moins dociles pour les ordres du prince ; 
d un autre côté , l'autorité souveraine , qui ne 
cherche souvent qu'à s'étendre, devint sus- 
pecte et odieuse dans le fondateur même de 
l'État. 

Romulus , victorieux de cette partie des Sa- 
bins, voulut régner trop impérieusement sur 
ses sujets et sur un peuple nouveau qui vou* 



ROMAINES. 33 

lôit bien lui obéir, mais qui prétendent qu'il ' "" 
dépendit lui-même des lois dont il étoit con- a e Home 
venu dans rétablissement de l'État. Ce prince , 7 '' 
au contraire , rappeloit à lui seul toute l'auto- 
rité qu il eût dû partager avec le sénat et ras- 
semblée du peuple. Il fit la guerre à ceux de 
Comerin , de Fidéne , et à ceui de Veïes , pe* 
tites villes comprises entre les cinquante-trois 
peuples que Pline (i) dit qui habitoient 1 an- 
cien Latium , mais qui étoient si peu considé- 
rables qu'à peine avoient-ils un nom dans le 
temps même qu'ils subsistaient, si on en ex- 
cepte Veïes (a), ville célèbre de la Toscane, 
Romulus vainquit ces peuples les uns après les 
autres, prit leurs villes , dont il ruina quelques 
unes 9 s'empara d'une partie du territoire des 
autres , dont il disposa depuis , de sa seule au 
torité. Le sénat en fut offensé, et il souffroit 
impatiemment que le gouvernement se tour- 3 
nât en pure monarchie. Il se défit d un prince 
qui devenoit trop absolu. Romulus, âgé de 
cinquante- cinq ans, et après trente -sept de 
règne , disparut sans qu'on ait pu découvrir de 
quelle manière on Tavoit fait périr. Le sénat, 
qui ne vouloit pas qu'on crût qu'il y eût con- 
tribué , lui dressa des autels après sa mort , et 

(0 PUn. 1. IIL c. 5. — (a) Virg. jEneid. Hb. VI* 
i. 



34 RÉVOLUTIONS 

Aq il fit un dieu de celui qu'il n'avoit pu souffrir 
d« Rome, pour souverain. 

3 £ L'autorité royale , par la' mort de Romulus , 

se trouva confondue dans celle du sénat. Les 
sénateurs convinrent de la partager, et cha- 
cun , sous le nom d 1 entre-roi , gou vernoit à son 
tour pendant cinq jours , et jouissoit de tous les 
honneurs de la souveraineté (i). Cette nouvelle 
forme de gouvernement dura un an entier, et le 
sénat ne songeoit point à se donner un nouveau 
souverain (a). Mais le peuple, qui s'aperçut que 
cet interrégne ne servoit qu'à multiplier ses maî- 
tres, demanda hautement 'qu'on y mît fin: il 
fallut que le sénat relâchât , à la fin , une auto- 
rité qui lui échappoit. Il fit proposer au peuple, 
s'il vottloit qu'on procédât à l'élection d'un nou- 
veau roi , ou qu'on choisît seulement des ma- 
gistrats annuels qui gouvernassent l'État. Le 
peuple , par estime et par déférence pour le sé- 
nat , lui remit le choix de ces deux sortes de 
gouvernement. Plusieurs sénateurs, qui goù- 
toient le plaisir de ne voir dans JRome aucune 
dignité au-dessus de la leur, itoclin oient pour 
l'État républicain ; mais les principaux de ce 
t?orps, qui aspiroient secrètement à la cou- 

N (1) Th. Liv. Dec. i, 1. I, c. 17. — (a) Plut, in Numa 
Pompilio. 



ROMAINES; 35 

ronne , firent décider à la pluralité des voix An 
qu'on ne changerait rien dans la forme du gou- de Rome. 
vernement. Il fut résolu qu'on procéderait à 
l'élection d un roi ; et le sénateur qui fit le der- 
nier, durant cet interrégne y la fonction d entre- 
roi, adressant la parole au périple en pleine 
assemblée , lui dit : « Élisez un roi , Romains , 
« le sénat y consent; et si vous faites choix d'un 
« prince digne de succéder à Romulus , le sénat 
«le confirmera dans cette suprême dignité. ». 
On tint pour cette importante élection une 
assemblée générale du peuple' romain. Nous 
croyons qu il ne sera pas inutile de remarquer 
ici qu'on comprenoit, sou* ce nom d'astem- 
blée du peuple, non seulement les plébéiens, 
mats encore les sénateurs, les chevaliers, et 
généralement tous les citoyens Romains * qui 
av oient droit de suffrage , de quelque rang et 
de quelque condition qu'ils fussent. C'étoient 
comme les états*généraux , de la nation ; et on 
avoit appelé ces assemblées, assemblées du peu- 
ple , paroeque les voix s y comptant par tête , 
les plébéiens seuls, plus nombreux que les deux 
autres Ordres de l'État, décidoient ordinaire- 
ment de toutes les délibérations , qui , dans ces 
premiers temps, n'avoient cependant d effet 
qu'autant quelles étoient ensuite approuvées 
par le sénat. Telle étoit alors la forme qui s ob* 

3. 



36 RÉVOLUTIONS 

A . servoit dans les élections : celle du successeur 

An 

«le Romei de Romulus fat fort contestée. 

Le sénat étoit composé d anciens sénateurs 
et de nouveaux qu'on y avoit agrégés sous le 
règne dé Tatius ; cela forma deux partis. Les 
anciens demahdoient un Romain d'origine : les 
Sabins, qui n'avoient point eu de roi depuis 
Tatius, en vouloientun de leur nation. Enfin, 
après beaucoup de contestations , ils demeu- 
rèrent d'accord que les anciens sénateurs nom- 
meraient le roi de Rome , mais qu'ils seroient 
39. obligés de le choisir parmi les Sabins. Leur 
cboix tomba sur un Sabin de la ville de Cures, 
mais qui demeuroit ordinairement à la cam- 
pagne. (1) Il s'appeloit Numa Pompilius, homme 
de bien., sage, modéré, équitable, mais peu 
guerrier, et qui , ne pouvant se donner de la 
considération par son courage , chercha à se 
distinguer par des vertus pacifiques. Il travailla 
pendant tout son régne , à la faveur d'une lon- 
gue paix , à tourner les . esprits du côté de la 
religion , et à inspirer aux Romains une grande 
crainte des dieux. Il bâtit de nouveaux tem- 

s 

pies: il institua des fêtes; et comme les. ré- 
ponses des oracles et les prédictions des Augures 

(1) Tit. Liv. Dec. 1, lib*. I, cap. 18. — Dionys. Halicar. 
Jib. II, p. iao. — Plat, in Numa. 



hî 



ROMAINES. 37 

et des aruspices faisoient toute la religion de ce A 
peuple grossier, il n'eut pas de peine à lui per- àe Aome. 
suader que des divinités qui prédisoient ce qui 9 ' 
devoit arriver d'heureux ou de malheureux, 
pouvoient bien être la cause du bonheur 0u 
du malheur qu'ils annonçoient ; la vénération 
pour ces êtres supérieurs, d'autant plus redou- 
tables qu'ils étoient plus inconnus , fut une 
suite de ces préjugés. Rome se remplit insensi- 
blement de superstitions : la politique les adopta 
et s'en servit utilement pour tenir dans la sou- 
mission un peuple encore féroce. Il ne fut même 
plus permis de rien entreprendre qui concer- 
nât les. affaires d'État sans consulter ces fausses 
divinités; et Numa, pour autoriser ces pieuses 
institutions et s'attirer le respect du peuple, 
feignit de les avoir reçues d'une nymphe appe- 
lée Egérie, qui lui avoit révélé, disoit-il, la 
manière dont les dieux vouloient être servis. 
Sa mort, après un règne de quarante-trois ans, 8«* 
laissa la couronne à Tullus Hostilités , que les 
Romains élurent pour troisième roi de Rome* 
C etoit un prince ambitieux , hardi , entrepre- 
nant , plus amateur de la guerre que de la paix, 
et qui, sur le plan de Romulus, ne songea à con- 
server son État que par de nouvelles conquêtes. 
Si la conduite pacifique de Numa avoit été 
utile aux Romains pour adoucir ce qu'il y çivoit 



38 KÉVOLUTIONS 

*""]j[ de féroce et de sauvage dans leurs mœurs , le 
de Rome, caractère fier et entreprenant de Tullas ne Ait 
pas moins nécessaire dans un État fondé par la 
force et la violence , et environné de voisins 
8a jaloyx de son établissement. Le peuple de la 
ville d'Albe faisoit parottre le plus d'animosité, 
quoique la plupart des Romains en tirassent 
leur origine , et que la ville d'AIbe fut considé- 
rée comme la métropole de tout le Latium. 
DifFérens sujets de plaintes réciproques et or- 
dinaires entre des États voisins allumèrent la 
guerre , ou , pour mieux dire , l'ambition seule 
et un esprit de conquête leur firent prendre les 
armes. Les Romains et les Albains se mirent en 
campagne. Gomme ils étoient voisins, les deux 
armées ne furent pas long-temps sans s appro- 
cher: on ne dissimuloit plus qu'on alloit com- 
battre pour l'empire et la liberté. Comme on 
étoit près d'en venir aux mains, le général 
d'Àlbe,.soit qu'il redoutât le succès du corn- 
8 7> bat , ou qu'il voulût seulement éviter l'effusion 
du sang, proposa au roi de Rome de remettre 
la destinée de l'un et de l'autre peuple à trois 
combattans de ehaque côté , à condition que 
l'empire serait le prix du parti victorieux. La 
proposition fut acceptée; (i) les Romains et les 

(i) D. H. 1. III, p. i53. — Tit. Liv. Dec. i, 1. 1, c. **. 



ROMAINES, 39 

Albains nommèrent chacun trois champions j An 
on voit bien que je veux parler des Horaces et de * 0IM - 
des Curiacea. Je n'entrerai point dans le dé- 
tail de ce combat : tout le monde sçait que les 
trois Guriaces et deux des Horaces périrent 
dans ce fameux duel, et que Borne triompha 
par 1$ courage et 1 adresse du dernier des Ho- 
races. Le Romain rentrant, dans la ville, vic- 
torieux et chargé des armes et des dépouilles 
de ses ennemis , rencontra sa sœur qui devoit 
épouser un des Guriaces. Celle-ci , voyant son 
frère revêtu de la cotte d armes de son amant, 
qu elle avoit faite elle-même , ne put retenir sa 
douleur; elle répandit un torrent de larmes; 
clic s arracha les cheveux, et dans les trans- 
ports de son affliction , elle fît les plus violentes 
imprécations contre son frère. 

Horace , fier de sa victoire , et irrité de la 
douleur que sa sœur faisoit éclater mal- à-pro- 
pos au milieu de la joie publique, dans le* 
transport de sa colère lui passa son épée au 
travers du corps. «Va, lui dit-il, trouver ton 
« amant, et porte-lui cette passion insensée, qui 
« te fait préférer un ennemi mort à la gloire de 
« ta patrie. » Tout le monde détestoit une ac- 
tion si inhumaine et si cruelle. On arrêta aus- 
sitôt le meurtrier: il fut traduit devant les 
(fuumvirs, juges naturels de ces sortes de crimes ; 



4o RÉSOLUTIONS 

! Horace lut condamné à perdre la vie , et le 

de Rome, jour même de son triomphe auroit été celui de 
8 7- son supplice , si , par le conseil de Tullus Hos- 
tilius, il neùt appelé de ce jugement devant 
l'assemblée du peuple. Il y comparut avec le 
même courage et la même fermeté qu il avoit 
fait paroître dans son combat contre les Cu^ 
riaces. Le peuple crut qu'en faveur d'un si grand 
service, ilpouvoit oublier un peu la rigueur de 
la loi. Horace fut renvoyé absous , plutôt , di t 
Tite-Live (i), «par admiration pour son cou- 
«rage, que parla justice de sa cause.» Nous 
n'avons rapporté cet événement que pour faire 
voir (2), par le conseil que donna le roi de 
Rome à Horace d'en appeler au peuple, que 
l'autorité de cette assemblée étoit supérieure à 
celle du prince, et que ce n'étoit que dans le 
concours des suffrages du roi et des différens 
Ordres de l'État, que se trouvoit la véritable 
* souveraineté de cette nation. 

L'affaire d'Horace étant terminée , le roi de 
Rome songea à faire reconnoître son autorité 
dans la ville d'Albe, suivant les conditions du 
combat, qui avoit adjugé l'empire et la domi- 
nation au victorieux. (3) Ce prince , en suivant 

(1) Tit. Iiv. lib. I, cap. a6. — (1) Ci cero pro Milone 
cap. III. — (3) Dionys. Halicarn. lib. III , pag. 17a. 



ROMAINES. 4* 



l'esprit et les maximes de Romulus , ruina cette An 
ville , dont il transféra les habitans à Rome : de j* ome - 
ils y reçurent le droit de citoyens , et mémo 
les principaux furent admis dans le sénat (*) :• 
tels furent les Juliens, les Serviliens, les Quin- 
tiens , les Gcganiens ,. les Curiaces , et les Clé** 
liens, dont les descendans remplirent depuis 
les principales dignités de l'État, et rendirent 
de très grands services à la république, comme 
nous le verrons dans la suite. TullusHostilius, 
ayant fortifié Rome par cette augmentation 
d'habitans , tourna ses armes contre les Sabins. 

Le détail de cette guerre n'est point de mon ! 
sujet; je me contenterai de dire que ce prince, 
après avoir remporté différens avantages con- 
tre les ennemis de Rome, mourut dans la 
trente-deuxième année de son règne ; qu'Ancus 
Martius , petit-fils de Numa , fut élu en la place 
dHostilius par l'assemblée du peuple , et que 
le sénat confirma ensuite cette nouvelle élec- 
tion. - 

Comme ce prince tiroit toute sa gloire de 
son aïeul , il s'appliqua à imiter ses vertus pai- 
sibles, et son attachement à la religion. Il insti- 
tua des cérémonies sacrées, qui dévoient pré- 
céder les déclarations de guerre : mais ces pieu- 

> 

(i) Dionys. Ilalicarn. lih. III. 



/ 



42 RÉVOLUTIONS 

* 

An ses institutions , plus propres à faire connoître 
de Rome, sa justice que son courage , le rendirent mépri- 
sable (i) aux peuples voisins. Rome vit bientôt 
ses frontières ravagées par les incursions des 
Latins , et Ancus reconnut par sa propre ex- 
périence que le trône exige encore d'autres 
vertus que la piété. Cependant , pour soutenir 
toujours son caractère , avant que de prendre 
les armes, il envoya aux ennemis un héraut, 
que les Romains appeloient/ècta/îen; ce héraut 
portoit une javeline ferrée , comme la preuve 
de sa commission. Étant arrivé sur la fron- 
tière , il cria à haute voix : (2) « Écoutez Ju- 
if piter et vous Junon , écoutez Quirinus , écou- 
* tez dieux du ciel , de la terre , et des enfers , 
«je vous prends à témoin que le peuple la- 
«tin est injuste; et comme ce peuple a ou- 
« tracé le peuple romain , le peuple romain et 
« moi , du consentement du sénat , lui décla- 
« rons la guerre» », 

On voit par cette formule , que nous a con- 
servée Tite-Live , qu il n est fait aucune men- 
tion du roi , et que tout se fait au nom et par 
l'autorité du peuple, c'est-à-dire de tout le 
corps de la nation. 

(1) Dionys. Halicarn. lib. III. — (2) Tit Liv. Dec. 1 , 
lib. I, c. 3a. — Cic. 1. II, de Leg. — Aul. Gel. 1. XVI, c 4- 



> 



ROMAINES. 43 

Cette guerre fut aussi heureuse qu elle étoit 
juste. Ancus battit les ennemis, ruina leurs de Rome, 
villes, en transporta les habitans à Rome, et *'*' 
réunit leur territoire à celui de cette capitale. 

Tarquin (1) premier ou l'ancien, quoique i38. 
étranger, parvint à la couronne après la mort 
d'Ancus , et il Tacheta par des secours gratuits 
qu il avoit donnés auraravant aux principaux 
du peuple. Ce fut po* conserver leur affection 
et récompenser ses créatures qu'il en fit entrer 
cent dans le sénat ; mais, pour ne pas confondre 
les différens Ordres de l'État , il les fit patri- 
ciens (2) , au rapport de Denys d'Haï i car nasse , 
avant que de les élever à la dignité de séna- 
teurs, qui se trouvèrent jusqu'au nombre de 
trois cents, où il demeura fixé pendant plu- 
sieurs siècles. On sera peut-être étonné que 
dans un État gouverné par un roi, et assisté du 
sénat , les lois , les ordonnances , et le résultat 
de toutes les délibérations, se fissent toujours 
au nom du peuple, sans faire mention du prince 
<jui régnoit; mais on doit se souvenir que ce 
peuple généreux s etoit réservé la meilleure part 
dans le gouvernement. Il ne se prenoit aucune 
résolution, soit pour la guerre ou pour la paix, 

que dans ses assemblées : on les appeloit , en ce 

# 

(1) Dion. Hal. 1. III, p. 184. — (2) Idem, ibid , p. 199* 



44 RÉVOLUTIONS 

■""7" ' temps-là, assemblées par curies, parce queile&ne 
de Rome, dévoient être composées que des seuls habitans 
x ' de Rome divisés en trente curies. C est là qu on 
créait les rois, qu'on élisoit les magistrats et les 
prêtres, quon faisoit des lois-,, et quon admi- 
nistrait la justice. Cetoit le roi qui, de concert 
avec le sénat , convoquoit ces assemblées, et dé- 
cidoit par un sénatus- consulte du jour qu'où 
devoit les tenir, et des ratières quon y devoit 
traiter. Il.falloit un second sénatus - consulte 
pour confirmer ce qui y avoit été arrêté; le 
prince ou premier magistrat présidoit à ces as- 
semblées, qui étoient toujours précédées par 
des auspices et par des sacrifices dont les patri- 
/ cicns étoient les seuls ministres, . 

Mais cependant comme tout se décidoit dans 
ces assemblées à la pluralité des voix , et que les 
suffrages se comptaient par tête , les plébéiens 
leinportoient toujours sur le sénat et les patri- 
ciens, en sorte qu'ils formoient ordinairement 
le résultat des délibérations, par préférence au 
sénat et aux nobles. 
* 17 5< Seryius T.ullius (i), sixième roi de Rome, 
prince tout républicain , malgré sa dignité , 
mais .qui ne pouvoit pourtant souffrir que lq 

( i ) Dion. Halicarn. lib. IV, p. aa5. — TU. Liv, Pec. i , 
lib. I , c. 43. . v 



f 



ROMAINES. 45 

gouvernement dépendît souvent de la plus vile An 
populace, résolut de faire passer toute l'auto- de Rom*, 
rite dans le corps de la noblesse et des patri- 
ciens , où il espéroit trouver des vues plus justes 
et moins d entêtement. L'entreprise 11 etoit pas 
sans de grandes difficultés. Ce prince avoit af- 
faire au peuple de toute la terre le plus fier et 
le plus jaloux de ses droits ;■ et, pour l'obliger à 
en relâcher une partie , il fâlloit le savoir trom- 
per par l'appât d'un bien plus considérable; Les 
Romains pay oient, en ce temps-là, par tête un 
tribut au profit du trésor public; et comme, dons 
leur origine , la fortune des particuliers étoit à~ 
peu-près égale, on les avoit assujettis au même 
tribut, qu'ils continuèrent de payer avec la 
même égalité, quoique par la succession des 
temps il se trouvât beaucoup de différence en- 
tre les biens des uns et des autres; 

Servius, pour éblouir le peuple et pour con- 
noitre les forces de son État /représenta dans 
une assemblée , que le nombre des ba^itans de 
Rome et leurs richesses étant considérablement 
augmentés par cette foule d'étrangère qui s'é- 
toient établis dans la ville , il ne lui paroiseoit 
pas juste qu'un pauvre citoyen. contribuât au- 
tant qu'un plus riche aux charges de l'État; 
qu'il falloit régler ces contributions suivant les 
facultés des particuliers; mais que, pour en, 



• 46 RÉVOLUTIONS 

An avoir une connoissance exacte (i), il falloit 
de Rome, obliger tous les citoyens , sous les plus grandes 
peines , à en donner une déclaration fidèle , et 
qui put servir de régie pour faire cette réparti- 
tion. 

Le peuple , qui ne voyoit dans cette propo- 
sition que son propre soulagement, la reçut 
avec de grands applaudissemens ; et toute ras- 
semblée, dun mutuel consentement, donna 
au roi le pouvoir d'établir dans le gouverne- 
ment Tordre qui lui parottroît le plus conve- 
nable au bien public. Ce prince, pour parvenir 
à ses fins, divisa d abord tous les habitant de 
la ville, sans distinction de naissance ou de 
rang, en quatre tribus, appelées les tribus de la 
ville (2). Il rangea sous vihgt-six autres tribus 
les citoyens qui demeuroiebt à la campagne et 
dans le territoire de Rome. H institua ensuite 
le cens, qui n'étoit autre chose qu'un rôle et un 
dénombrement de tous les citoyens romains, 
dans lequel on comprit leur âge , leurs facul- 
tés , leur profession , le nom de leur tribu et de 
leur curie, et le nombre de leurs enfitne et de 
leurs esclaves. U se trouva alors, dans Rome 
et aux environs , plus de quatre-vingt mille ci- 
toyens capables de porter lés anhes. 

(1) Dion. Hal. 1. 10, p. ni. — (a) Fabius Pictor» 



ROMAINES. 4? 

Servius (1) partagea ce grand nombre en six JT 
classes , et il composa chaque classe de diffé- de Ro n 
rentes centuries de gens de pied (2). Il mit dans * 7 ' 
la première classe quatre-vingts centuries, dans 
lesquelles il ne fit entrer que des sénateurs , des 
patriciens, ou des gens distingués par leurs ri- 
chesses ; et tous ne dévoient pas avoir moins 
que cent mines ou dix mille dragmes de bien : 
ce qui pouvoit revenir, en ces temps-là , à un 
peu plus de mille écus de notre monnoie ; ce 
que nous n osons pas cependant affirmer bien 
positivement, à cause de la différence qui se 
trouve dans les opinions des sévans sur la va- 
leur et la variation des monnoies. On ne sçait 
pas plus précisément si chaque centurie de cette 
première classe étoit composée de cent hom- 
mes effectif*. 11 y a lieu de croire au contraire 
que Servius , dans la vue de multiplier les suf- 
frages des patriciens , avort augmenté le nom- 
bre de leurs centuries ; et il cachoit ce dessein 
secret , sous le prétexte plausible que les patri- 
ciens étant plus riches que les plébéiens, une 
centurie composée d'un petit notable de ce 
premier Ordre devoit autant contribuer aux 
charges de l'État, qu'une centurie complète de 
plébéiens. 

( 1 ) Dion. Halicam. lib. IV, p. 4a 1 . — (a) Tit. Liv. Dec. 1 , 
lib. I, cap. 43. — Plin. lib. III, cap. 33. 



48 RÉVOLUTIONS 

A Ces quatre-vingts compagnies de la première 

de Rome, classe furent partagées en deux Ordres. Le pre- 
17 \ mier, composé des plus âgés, et qui étoient au- 
dessus de quarante-cinq ans , étoit destiné pour 
la garde et la défense de la ville; et les qua- 
rante autres compagnies^ forniées des pluâ jeu- 
nes depuis dix-sept ans jusqu'à quarante-cinq, 
dévoient marcher en campagne , et aller à la 
guerre. Ils avoient tous pareilles armes offen- 
sives et défensives : les offensives étoient le ja- 
velot, la pique ou la hallebarde, et lcpée; et ils 
avoient pour armes défensives le casque, la 
cuirasse , et les cuissarts d'airain. 

On rangea encore sous cette première classe 
toute la cavalerie, dont on fit dix -huit cen- 
turies, composées des plus riches et des prin- 
cipaux de la ville. On y ajouta deux autres 
centuries d'artisans qui suivoient le camp sans 
être armés ; et leur emploi consistent à con- 
duire , et à dresser les machines de guerre.' 

La seconde classe n étoit composée que de 
vingt centuries , et de ceux qui possédoient au 
moins la valeur de soixante-quinze mines de 
bien, c'est-à-dire, un peu plus de deux mille 
livres de notre monnoie. Ils se servoiént à-peu- 
près* des mêmes armes que les citoyens de la 
première classe , et ils n 'étoient distingués, que 
par lecu qu'ils portoient , au lieu de bouclier. 



ROMAINES. 49 

H n'y avoit pareillement que vingt centuries m ^ mm 
dans la troisième classe, et il falloit avoir au de Rime 
moins cinquante mines de bien pour y entrer, 
c est-à-dire , un peu plus de cinq cents écus de 
notre monnoie. 

La quatrième classe étoit composée du même 
nombre de centuries que les deux précédentes ; 
et ceux qui étoient rangés dans cette classe dé- 
voient avoir au moins vingt -cinq mines de 
bien , c est-à-dire , environ sept cent cinquante 
livres de notre monnoie. 

Il y avoit trente centuries dans la cinquième 
classe; et on avoit placé dans ces centuries 
tous ceux qui avoient au moins douze mines 
et demie de bien , c est-à-dire , un peu plus de 
trois cents livres de notre monnoie. Ils ne se 
servoient que de frondes pour armes , et ordi- 
nairement ils combattoient hors des rangs , et 
sur les ailes de l'armée. 

La sixième classe n avoit qu une centurie (i) y 
et même c étoit moins une centurie qu'un amas 
confus des plus pauvres citoyens. On les appe- 
loit Prolétaires y comme n étant utiles à la ré- 
publique que par les enfans qu ils engendroient ; 
ou Exempts, à cause qu'ils étoient dispensés 
4'aller à la guerre , et de payer aucun tribut. 

(i) Aul. Gfl. lib. XVI, cap. 10. 

i. 4 



5o RÉVOLUTIONS 

On a voit compris sous la seconde classe deux 
<!e Rome, centuries de charpentiers et d'ouvriers de ma- 
1 ' *' chines militaires ( i ) , et il y en avoit deux autres 
de trompettes, attachées à la quatrième classe. 
Toutes ces 'classes se partageoient , comme la 
première, entre les vieillards qui restoient pour 
la défense de la ville et les jeunes gens dont on 
formoit les légions qui dévoient marcher en 
campagne. Elles composoient , en tout, cent 
quatre-vingt-treize centuries, commandées cha- 
cune par un centurion distingué par son expé- 
rience et par sa valeur. 

Servius ayant établi cette distinction entre 
les citoyens d une même république , ordonna 
qu'on assembleroit le peuple par centuries, lors- 
qu'il seroit question délire des magistrats, de 
faire des lois , de déclarer la guerre , ou d exa- 
miner les crimes commis contre la république, 
ou contre les privilèges de chaque Ordre. L'as- 
semblée se devoit tenir hors de la ville , et dans 
le champ de Mars. C'étoit au souverain ou au 
premier magistrat à convoquer ces assemblées 
comme celles des curies ; et toutes les délibéra- 
tions y étoient pareillement précédées par les 
auspices : ce qui donnoit beaucoup d'autorité 
itu prince et aux patriciens, qui étoient revêtus 

(i) Dion. Halic. lib. IV, pajj. ari. 



ROMAINES. 5l 

des principales charges du sacerdoce. On con- JJj 
vint, outre cela, qu'on recueillerait les suffrages de Kome. 
par centuries % au lieu qu'ils se comptaient au- 
paravant par tête , et que les quatre-vingt-dix- 
huit centuries de lapretaière classe donneraient 
leurs voix les premières. Servius , par ce règle- 
ment , transporta adroitement dans ce corps , 
composé des grands de Rome , toute l'autorité 
du gouvernement; et, sans priver ouvertement 
les plébéiens «du droit de suffrage , il sçut , par 
cette disposition , le rendre inutile ; car toute 
la nation n'étant composée que de cent qua- 
tre-vingt-treize centuries (i), et s'en trouvant 
quatre-vingt-dix-huit dans la première classe, 
s'il y en avoit seulement quatre-vingt-dix-sept 
du même avis , c'est-à-dire , une de plus que 
{a moitié des cent quatre-vingt-treize , l'affaire 
étoit conclue; et alors la première classe, corn* 
posée comme nous avons dit, des' grands de 
Rome , formoit seule les décrets publics ; et s'il 
manquoit quelques voix, et que quelques cen- 
turies de la première classe ne fussent pas du 
même sentiment que les autres , on appeloit la 
seconde classe. Mais quand ces deux classes se 
trouvoient d'avis conformes , il étoit inutile de 
passer à la troisième. Ainsi le petit peuple se 

(i) Dionys. Halicarn. lib. IV, p. aa4« 

4* 



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...„.;.!:. ...... 



■ moindre plé- 

..j crédit que le plus consî- 

,u». Depuis ce temps-là, les 

,, ics ue se firent plus «jue pour 

, e est-à-dire, les prêtres de Ju- 

,e Roinulus, et pour l'élection 

a, et de quelques magistrats 

.il on aura lieu de parler dans 

v.,i> uc sommes entrés daus un détail 

■•■ uveau plan de gouvernement, 

. sans cette conuoissance , il se- 

: c itntendre ce que nous rapporte- 

<.iii.> la suite, des ditKreuds qui séle- 

UÉ BUtre '•' eéuat et le peuple Romain au 

. i du gouvernement. 

t roy utile, upix-s cet établissement , parut 

umme une pièce hors d'oeuvre, et 

uililc dans un Êiat presque républicain. On 

.,. u-utl t|Ue, pour achever son ouvrage, et 

r . .ut rendit' la liberté entière aux Romains, il 

ivtiil résolu d alxbquer généreusement la cou- 

,,«miL-, il de réduire le gouvernement en pure 

république . n tus la régence de deux magistrats 

aiiinirls qui h.- rotent élus (i) dans une assem- 



(i) iJionvs, Ilalicara. lib.IT. 




romaines. 53 

blce générale du peuple romain. Maig un des- An M 
sein si héroïque n'eut point d'effet, par l'ambi- à* Rom*. 
tion de Tarquin le superbe, gendre de Servius, 
qui , dans l'impatience de régner, fit assassiner 
son roi et son beau-père. Il prit, en même temps, aI *- 
possession du trône sans nulle forme d'élection, 
et sans consulter ni le sénat, ni le peuple, e% 
comme si cette suprême dignité eût été un bien 
héréditaire, ou une conquête qu'il n'eût due 
qu'à son courage et à sa valeur. 

Une action si inhumaine le fit regarder avec lf 9- 
horreur par tous les gens de bien. Tout le 
monde détestait également son ambition et sa 
cruauté. Parricide et tyran en même temps , il 
vcnoit d'ôter la vie à son beau-père , et la li- 
berté à sa patrie. Gomme il n'étoit monté sur 
le trône que par ce double crime , il ne s'y main- 
tint que par de nouvelles violences. Il ne laissa 
pas de se conduire d'abord dans sa tyrannie 
avec beaucoup d'habileté; il s'assura de l'ar- 
mée , qu'il regardoit comme le plus ferme sou- 
tien de sa puissance. Fier et cruel dans Rome , 
et à l'égard des grands qui pouvoient s'opposer 
à ses desseins ; mais doux , humain , et même 
familier à l'armée et avec leç soldat* , il les ré- 
compensoit magnifiquement (i); plus d'une 

(i) Dionyg. Halicarn. lib. IV. 



54 RÉVOLUTIONS 

; fois il abandonna des villes ennemies au pil- 
de Rome. lage. U sembloit qu'il ne fit la guerre que pour 
al9 ' les enrichir, soit qu'il en craignit les forces 
réunies , ou qu'il voulût les attacher plus étroi- 
tement à sa personne et à ses intérêts. U em- 
bellit la ville de différens édifices publics; et 
comme il faisoit travailler aux fondemens d'un 
temple , on trouva bien avant en terre la tête 
d'un homme encore en chair, et qui s etoit con- 
servée sans corruption : ce qui fit donner le nom 
de Capitole à ce temple. Xies devins et les Au- 
gures , qui tiroient avantage des moindres évè* 
nemens, prirent occasion de publier que Borne 
seroit un jour la maîtresse du monde, et la ca- 
pitale de l'univers. 

Tarquin présidoit à ces différens travaux, 
mais toujours accompagné dune troupe de gar- 
des qui lui servoient, en même temps, de satel- 
lites et despions. Ces esclaves du tyran, ré- 
pandus dans les différens quartiers de la ville, 
observoient avec soin s'il ne se formoit point 
secrètement quelque conspiration contre lui. 
Le moindre soupçon étoit puni de la mort, ou 
du moins de l'exil. Plusieurs sénateurs des pre- 
miers de Rome périrent par des ordres secrets, 
sans d'autre crime que celui d'avoir osé déplo- 
rer le malheur de leur patrie. Il n'épargna pas 
même Marcus Junius qui avoit épousé une Tar- 



ROMAINES. 55 

quinie , fille de Tarquin l'ancien f mais qui lui An 
étoit suspect à cause de ses richesses. Il le fit d * Rome - 
périr, et se défit en même temps du fils aine 
de cet illustre Romain dont il redoutoit le cou- 
rage et le ressentiment. Lucius Junius , un autre 
fils de Marcus , eût couru la même fortune , si , 
pour échapper à la cruauté du tyran , il n eût 
feint d'être hébété, et d'avoir perdu l'esprit; ce 
qui lui fit donner, par mépris, le nom de Bru*, 
tus (i), qu'il rendit depuis si illustre, comme 
nous le dirons dans la suite. Les autres séna- 
teurs , incertains de leur destinée , se tenoient 
cachés dans leurs maisons : le tyran n'en con- 
sul toit aucun; le sénat n'étoit plus convoqué; 
il ne se tenoit plus aucune assemblée du peu- 
ple. Un .pouvoir despotique et cruel s'étoit 
élevé sur les ruines des lois et de la liberté. Les 
différens Ordres de l'État, également opprimés- 
attendoient tous avec impatience quelque chan- 
gement sans l'oser espérer, lorsque l'impudicité 
de Sextus, fils de Tarquin, et la mort violente 
de la chaste Lucrèce, firent éclater cette haine 
générale que tous les Romains avoient contre 
le roi, et même contre la royauté. 

Personne n'ignore un événement si tragi- 

(i) Tit.LW. Dec. i, lib. I, cap. 56. — Ovid. Fast, lib. II, 
v. 717. 



56 RÉVOLUTIONS 

* J""— " que : nous dirons seulement pour Féclaircisse- 
' de Rome, ment de ce qui doit suivre, que cette vertueuse 
Romaine , ne pouvant se résoudre à survivre 
à la violence qu elle venoit de souffrir, fit ap- 
peler son père, son mari, ses parens, et les prin- 
cipaux amis de sa maison, auxquels elle en de- 
manda la vengeance. Elle s enfonça en même 
temps un poignard dans le cœur, et tomba 
morte aux pieds de son père et de son mari. 
Tous ceux qui se trouvèrent présens à ce funeste 
spectacle, jetèrent de grands cris ; mais, pendant 
qu'ils s 'abandonnoient à leur douleur, Lucius 
Junius, plus connu par le nom de Brutus qu on 
lui avoit donné à cause de cet air stupide qu'il 
affectoit, laissant, pour ainsi dire, tomber le 
masque, et se montrant à découvert: «Oui, 
« dit-il , en prenant le poignard dont Lucrèce 
« s'étoit frappée , je jure de venger hautement 
«l'injure qui lui a été faite; et je vous prends 
«à témoin, dieux tout-puissans, que j'expo 
« serai ma vie , et que je répandrai jusqu'à la 
« dernière goutte de mon sang pour empêcher 
« qu'aucun de cette maison, ni même que qui 
<< que ce soit , règne jamais dans Rome. » 

Il fit passer ensuite ce poignard entre les 
mains de Collatin , de Lucretius , de Valerius , 
et de tous les assistans , dont il exigea le même 
serment. Ce serment fut le signal d'un soulève- 



ROMAINES. 57 

ment général. Il est bien vraisemblable que le ■ 
peuple d'abord regarda comme un prodige , et de jj| J 
comme une preuve sensible que le ciel s'inté- "9* 
ressoit à la vengeance de Lucrèce , ce change- 
ment si prompt qui venoit de se faire, en appa- 
rence, dans l'esprit de Bru lus. La .pitié pour le 
sort de cette infortunée Romaine , et la haine 
des tyrans , firent prendre les armes au peuple. 
L armée , touchée des mêmes sentimens, se ré- 

m 

vol ta; et, par un décret public, les Tarquins 
furent bannis de Rome. Le sénat, pour enga- 
ger le peuple plus étroitement dans la révolte, 
et pour le rendre plus irréconciliable avec les 
Tarquins v souffrit qu'il pillât les meubles du 
palais. L'abus que ces princes avoient fait de 
la puissance souveraine, fit proscrire la royauté 
même. On dévoua aux dieux des enfers , et on 
condamna aux plus cruels supplices ceux qui 
entreprendraient de rétablir la monarchie. (1) DepuU la 
L'État républicain succéda au monarchique ; <j ilnL 
le sénat et la noblesse profitèrent des débris de J^J ™* 
la royauté; ils s'en approprièrent tous les droits; 
Rome devint, en partie, un État aristocratique , 
c'est-à-dire que la noblesse s'empara de la plus 
grande partie de l'autorité souveraine. Au lieu 

(t)Dion.Hal.l.V.— Tit. Liv. Dec. 1. LU.-— Cicer.in 
•rat. pro. Sextio. Idem, de Leg. I. III. —Val. Max. 1. IV 



5S RÉVOLUTIONS 

* 

™ ^ d'un prince perpétuel, on élut, pour gouverner 
d^Rome. l'État, deux magistrats annuels tirés du corps 
du sénat , auxquels on donna le titre modeste 
de Consuls, pour leur faire connoître qu'ils 
étoient moins les souverains de la république , 
* que ses conseillers , et qu ils ne dévoient avoir 
pour objet que sa conservation et sa gloire. 

Brutus, Fauteur de la liberté, fut élu pour 
premier consul, et on lui donna pour collègue, 
Collatin, mari de Lucrèce, dans la vue qu'il 
seroit plus intéressé que tout autre à la ven- 
geance de l'outrage qu elle avoit reçu. 

Mais cette république naissante pensa être dé- 
truite, dès son origine. U se forma , dans Rome, 
un parti en faveur de Tarquin : quelques jeunes 
gens des premiers de la ville , élevés à la cour 
et nourris dans la licence et les plaisirs , entre- 
prirent de rétablir ce prince. La forme austère 
d'un gouvernement républicain , sous lequel les 
lois seules, toujours inexorables, ont droit de 
régner, leur fit plus de peur que le tyran même. 
Accoutumés aux distinctions flatteuses de cour, 
ils ne pouvoient souffrir cette égalité humi- 
liante qui les confondoit dans la multitude. Ce 
parti grossissoit tous les jours ; et, ce qui est de 
plus surprenant , les enfans même de Brutus , 
et les Àquiliens , neveux de Collatin , se trou- 
vèrent à la tête des mécontens. Mais avant que 



ROMAINES. 59 

la conspiration éclatât, ils furent tous décou- A 
verts, et on prévint leurs mauvais desseins, de Home. 
Bru tus, père et juge des criminels, vit bien 
qu'il ne pouvoit sauver ses enfans sans autori- 
ser de nouvelles conjurations, et que c'était 
ouvrir lui-même les portes de Rome à Tar- 
quin. Ainsi, préférant sa patrie à sa famille , et 
sans écouter la voix de la nature , il fit couper, 
en sa présence , la tète à ses deux fils , comme à 
des traîtres. Le peuple admira la triste fermeté 
avec laquelle il avoit présidé lui-même à leur 
supplice. Son autorité en devint encore plus 
grande; et après la mort des deux fils du con- 
sul , il n'y eut plus aucun Romain qui osât seu- 
lement penser au retour de Tarquin. Colla tin, 
collègue de Brutus , par une conduite opposée 
à la sienne, et pour avoir voulu sauver ses 
neveux , se rendit suspect et fut déposé du con- 
sulat. (1) Le peuple jaloux, et comme furieux 
de sa liberté , le bannit de Rome ; il n osa se 
fier à la haine déclarée que ce Romain faisoit 
paroftre contre Tarquin. (2) Il craignit juste- 
ment qu'étant parent .du prince, il n'en eût 
l'esprit de domination , et qu'il ne fut plus en- 
nemi du roi que de la royauté. (3) Publius Va- 

(1) Ctc. Hv. III de Officiis , cap. 1 0. — (à) Tit. liv. Dec. 1 . 
ttv. II, c. a. — (3) Dion. Halic. liv. V, p. 387. 



6o RÉVOLUTIONS 

An lerius fut mis en sa place, et Tarquin n espé- 
4e Rome. ran t pl us r î en d u parti qu'il avoit dans Rome , 

entreprit d'y rentrer à force ouverte. Les Ro- 
mains s'y opposèrent toujours avec une con- 
stance invincible; on en vint aux armes, et 
dans la première bataille qui fut donnée au 
près de la ville contre les Tarquins , Brutus et 
Aronce , fils aîné de Tarquin , s'entre-tuèrent à 
coups de lance : ainsi les deux premiers consuls 
de la république n'achevèrent pas. leur année 
de consulat, (i) Valerius resta seul quelque 
temps dans cette suprême dignité; le peuple en 
prit sujet de le soupçonner de vouloir régner 
seul. Une maison qu'il faisoit bâtir sur une émi- 
nence, augmenta ce soupçon; ses envieux et ses 
ennemis publioient que cétoit une citadelle 
qn'il faisoit construire pour en faire le siège de 
sa tyrannie. Mais ce grand homme dissipa la 
malignité de ces discours , et les fit tomber par 
sa modération et la sagesse de sa conduite. U 
fit abattre lui-même cette maison , l'objet de la 
jalousie de ses concitoyens, et le consul des 
Romains fut obligé de loger dans une maison 
d'emprunt. Avant que de se donner un col- 
lègue, et pendant qu'il avoit seul toute l'au- 
torité , il changea , par une seule loi , faite en 

(i) Dion. Halic. liv. V, p. 291. 



ROMAINES. Cl 

faveur du peuple , toute la forme du gouver- , 
nement; et au lieu que sous les rois, les plé- d« Rome. 
biscites ou ordonnances du peuple, n'avoient l 
force de loi qu autant qu elles étoient autori- 
sées par un sénatusconsulte , Valerius publia 
une loi toute contraire , qui permettoit de por- 
ter devant les assemblées du peuple l'appel du 
jugement des consuls. Par cette nouvelle loi, il 
étendit les droits du peuple, et la puissance 
consulaire se trouva afïbiblie , dès son origine. 
Il ordonna, en même temps, qu on séparât les 
haches des faisceaux que les licteurs portoient 
devant les consuls, comme pour faire entendre 
que ces magistrats n 'avoient point le droit de 
glaive, symbole de la souveraine puissance; et, 
dans une assemblée du peuple, la multitude 
aperçut avec plaisir qu il avoit fait baisser les 
faisceaux de ses licteurs, comme un hommage 
tacite qu il rendoit à la souveraineté du peuplé 
Romain. Pour éloigner le soupçon qu 1 il fut ca- 
pable d'affecter la tyrannie, il fit publier une 
autre loi, qui permettoit de tuer, sans aucune 
formalité précédente, celui qui aspireroit à se 
rendre maitré de la liberté de ses concitoyens. 
Il étoit porté par cette loi , que l'assassin seroit 
déclaré absous de ce meurtre, pourvu qu'il ap- 
portât des preuves des mauvais desseins de ce- 
lui qu'il auroit tué. Ce fut par le même principe 



6a RÉVOLUTIONS 

— ^ de modération, qu'il ne voulut point être chargé 
de Rome, du dépôt de l'argent public qui se levoit pour 
fournir aux frais de la guerre. On le porta dans 
le temple de Saturne, et le peuple, par son con- 
seil, élut deux sénateurs (i) qu'on appela de- 
puis questeurs y qui furent chargés des deniers 
M*- publics. Il déclara ensuite (a) Lucretius, père 
de Lucrèce, son collègue au consulat; et il lui 
céda morne , ù cause qu'il étoit plus âgé , l'hon- 
neur de faire porter devant lui les faisceaux de 
verges , et toutes les marques de la souveraine 
puissance. 

Une conduite si pleine de modération, et 
des lois si favorables au peuple , firent donner 
à ce patricien le nom de Publicola , ou de po- 
pulaire; et ce fut moins pour mériter ce titre, 
que pour attacher plus étroitement le peuple 
à la défense de la liberté publique, qu'il re- 
lâcha de son autorité par ces difFérens régie- 
mens. 

Le sénat animé du même esprit, et qui corn* 
prenoit de quelle conséquence il lui étoit d'in- 
téresser le peuple à la conservation de la répu- 
blique, eut grand soin de sa subsistance pen- 
dant la guerre et le siège de Rome. Il envoya 

(i) PubKus Veturius, Minutius Marcus. — (a) Ulpian. 
Dtgest. lib. I, lit. i3. — Tarit, lib. L 



ROMAINES. 63 

en différens endroits de la Campanie, et ju8-"" An 
qu'à Cumes , chercher du blé , qu'on distribua de Home. 
au peuple à vil prix, de peur que, s'il manquoit 9 * J ' 
de pain , il ne fût tenté d'en acheter aux dépens 
de la liberté commune, et qu'il n'ouvrit les 
portes de Rome & Tarquin. 

Le sénat voulut même que le peuple ne 
payât aucun impôt pendant la guerre. Ces 
sages sénateurs se taxèrent eux-mêmes plus 
haut que les autres , et il sortit de cette illustre 
compagnie cette maxime si généreuse et si 
pleine d'équité : « Que le peuple payoit un assez 
« grand tribut à lu république , en élevant des 
« enfans qui pussent un jour la défendre. » 

Mais une si juste condescendance pour les 
besoins du peuple ne dura qu'autant que du- 
rèrent le siège de Rome , et la crainte des ar- 
mes de Tarquin. A peine la fortune de la répu- 
blique parut -elle affermie par la levée de ce 
siège, qu'on vit éclater l'ambition des patri- 
ciens : et le sénat fit bientôt sentir qu'en sub- 
stituant deux consuls tirés de son corps , en la 
place du prince, le peuple n'avoit fait que chan- 
ger de maîtres, et que c'était toujours la même 
autorité, quoique sous des noms différens. 

La royauté était, à la vérité, abolie, mais 
l'esprit de la royauté n'était pua éteint ; il étoit 
passé parmi les patriciens. Le sénat, délivré de 



64 RÉVOLUTIONS 

7" la puissance royale qui le tenoit en respect, 
de Rome, voulut réunir, dans son corps , toute l'autorité 
du gouvernement. U possédoit , dans les digni- 
tés civiles et militaires attachées à cet Ordre y 
la puissance, et même les richesses qui en sont 
une suite ; et le premier objet de sa politique 
fut de tenir toujours le peuple dans rabaisse- 
ment et dans l'indigence. 

Ce peuple, dont les suffrages étoient recher- 
chés si ambitieusement dans les élections et 
dans les assemblées publiques, tomboit dans 
le mépris hors des comices. La . multitude en 
corps étoit ménagée avec de grands égards , 
mais le plébéien particulier étoit peu consi- 
déré; aucun n étoit admis dans l'alliance des 
patriciens. La pauvreté réduisit bientôt le peu- 
ple à des emprunts qui le jetèrent dans une 
dépendance servile des riches ; ensuite vint l'u- 
sure , remède encore plus cruel que le mal ; en- 
fin la naissance, les dignités, et les richesses, 
mirent une trop grande inégalité parmi les 
citoyens d une même république. 

Les vues de ces deux Ordres devinrent bien- 
tôt opposées. Les patriciens pleins de valeur, 
accoutumés au commandement, vouloient tou- 
jours faire la guerre, et ils ne cherchoient qu'à 
étendre la puissance de la république au-de- 
hors; mais le peuple vouloit Rome libre au- 



ROMAINES. 65 

dedans, et il se plaignent que, pendant qu'il ][jj—" 
exposoit sa vie pour subjuguer les peuples voi- de Rome, 
sins, il tomboit souvent lui-même, au retour 
de la campagne , dans les fers de ses propres 
concitoyens , par , l'ambition et l'avarice des 
grands; c'est ce qu'il faut développer, comme 
le fondement des révolutions dont nous allons 
parler. 

De toutes 'les manières de subsister que les 
besoins de la nature ont fait inventer aux hom- 
mes, les Romains ne pratiquoient que le labou- 
rage et la guerre ; ils vivoient de leur moisson , 
ou de la récolte qu'ils faisoient , l'épéc à la main , 
sur les terres de leurs ennemis (i). Tous les arts 
mécaniques qui n'avoient point pour objet ces 
deux professions, étoient ignorés à Rome, ou 
abandonnés aux esclaves et aux étrangers. Gé- 
néralement parlant, tous les Romains, depuis les 
sénateurs jusqu'aux moindres plébéiens, étoient 
laboureurs , et tous les laboureurs étoient sol- 
dats : et nous verrons , dans la suite de cette 
histoire , qu'on alloit prendre à la charrue de 
grands capitaines pour commander les armées. 
Tous les Romains , même les premiers de la % 
république, accoutumoient leurs enfans à de 
semblables travaux, et ils les élevoient dans 

(i) Dion.Halic. lib. Il, pag. 98. —Plut, in Rom. 



1. 5 



66 REVOLUTIONS 

■ y ne yie dure et laborieuse , afin de les rendre 

de Rome, plus robustes et plus capables de soutenir les 
a 4 5, fatigues de la guerre. 

Cette discipline domestique avoit son ori- 
gine dans la pauvreté des premiers Romains. 
On fit ensuite une vertu d un pur effet de la né- 
cessité , et des hommes courageux regardèrent 
cette pauvreté , égale entre tous les citoyens , 
comme un moyen de conserver leur liberté 
plus entière. Chaque citoyen n'eut d'abord pour 
vivre que deux, arpens de terre , comme nous 
lavons dit. Rome étendit depuis , peu-è-peu , son 
territoire par les conquêtes qu elle fit sur ses 
voisins. On vendoit ordinairement une moitié 
de ces terres conquises pour indemniser l'État 
des frais de la guerre , et l'autre moitié se réu- 
nissoit au domaine public , que Ton donnoit 
ensuite ou gratuitement , ou sous un cens mo- 
dique et à rente, aux plus pauvres citoyens, 
pour les aider à subsister: tel étoit l'ancien 
usage de Rome sous les rois, c'est-àntire , pen- 
dant plus de deux cents ans. Mais, depuis l'ex- 
tinction de la royauté , les nobles et les .patri- 
ciens , qui se regardoient comme les seuls sou- 
verains de la république , s'approprièrent , sous 
difSérens prétextes , la meilleure partie de ces 
tçrres conquises qui étoient dans leur voisi- 
nage, et à leur bienséance; et ils étendoient 



ROMAINES. 67 

insensiblement leur domaine aux dépens de 
celui du public , ou bien , sous des noms em- de Rome. 
pruntés, ils se faisoient adjuger, à vil prix, les a4 ' 
différentes portions qui étoient destinées pour 
la subsistance des plus pauvres citoyens. Ils les 
confondoient ensuite dans leurs propres terres, 
et quelques années de possession , avec un -grand 
crédit, couvroient ces usurpations. L'État y per- 
doit une partie de son domaine ; et le soldat , 
après avoir répandu son saqg pour étendre les 
frontières de la république, se t trou voit privé 
de la portion de terre qui lut devoit servir, «n 
même temps , de solde et de récompense. 

L avidité de certains patriciens ne se bornoit 
pas à ces portes d'usurpations. Mais quand la 
récolte manquoit dans des années stériles , ou 
parles irruptions des ennemis, ils sça voient, 
par des secours intéressés , se faire un droit sur 
le champ de leurs voisins. Le soldat , alors sans 
paye et sans aucune ressource , étoit contraint, 
pour subsister, d avoir recours aux plus riches. 
On ne lui donnoit point d'argent qu'à de grosses 
usures , et ces usures étoient même en ce temps- 
là arbitraires , si nous en croyons Tacite (1). Il 
falloit que le débiteur engageât sen petit héri- 
tage, et souvent même ee cruel secours lui 



(t) Tacic. Ano. lib. VI, ad an. 786, cap. 16, 17. 

5- 



68 RÉVOLUTIONS 

Ân coùtoit la liberté. Les lois de ces temps-là per- 
de Rome, mettaient au créancier , faute de paiement , 
• a ' d arrêter son débiteur, et de le retenir dans sa 
maison , où il étoit traité comme un esclave. 
On exigeoit souvent le principal et les inté- 
rêts à coups de fouet et à force de tourmens ; 
on lui enlevoit sa terre par des usures accu- 
mulées ; et , sous prétexte de l'observation des 
lois et d une justice exacte, le peuple éprouvoit 
tous les jours une injustice extrême. 

Un gouvernement si dur, dans une république 
naissante, excita bientôt un murmure général. 
Les plébéiens qui étoient chargés de dettes, et 
qui craign oient d être arrêtés par leurs créan- 
ciers , s adressoient à leurs patrons et aux séna- 
teurs les plus désintéressés» Us leur représen- 
toient leur misère, la .peine qu'ils avoient à 
élever leurs enfans , et ils ajoutaient qu'après 
avoir combattu contre les Tarquins pour la 
défense de la liberté publique , ils se trouvoient 
exposés à devenir les esclaves de leurs propres 
concitoyens. 

Des menaces secrètes succédèrent à ces plain- 
tes ; et les plébéiens , ne voyant point d'adou- 
cissement à leurs peines, éclatèrent à la fin 
sous le consulat de T. Largius et de Q. Glelius. 
a55 Rome , comme nous l'avons dit , étoit envi- 

ronnée de quantité de petits peuples inquiets et 



ROMAINES. . .69 

jaloux de son agrandissement. Les Latins , les •■ 
Eques, les Sabins, lçs Volsqucs,lcÊ Herniques, <le ^ me 
et les Véiens, tantôt séparés, et souvent réunis , 2 55. 
lui faisoient une guerre presque continuelle. Ce 
fut peut-être à lanimosité de ces voisins que les / 
Romains furent redevables de cette valeur et 
de cette discipline militaire qui, dans la suite > 
les rendirent les maîtres de Funivers. 

Tarquin vivoit encore; il.avoit ménagé se- 
crètement une ligue puissante contre les Ro- 
mains : trente villes du pays latin s'intéressèrent 
à son rétablissement. Les Herniques et les Vols- 
ques favorisèrent cette entreprise : il n'y eut que 
les peuples d'Étrurie qui , voulurent voir l'af- 
faire plus engagée avant que de se déclarer; et 
ils restèrent neutres, dans la vue de prendre 
parti suivant les événemens. 

Les consuls' et le sénat ne virent pas sans in- 
quiétude une conspiration si générale contre 
la république ; on songea aussitôt à se mettre 
en défense. Comme Rome navoit point d'au- 
tres soldats que ses citoyens", il fallut faire 
prendre les armes au peuple; (1) mais les plus 
pauvres, et ceux' sur-tout qui étoient chargés 
de dettes , déclarèrent que c étoit à ceux qui 
jouissoient des dignités et des biens de la ré* 

(i) Dionys. Halicarn, lib. V, p. 328. 



! 

70 RÉVOLUTIONS 

An publique à la défendre ; que, pour eux, ils étoicn t 
de Bome. la$ d'exposer, tous les jours, leurs vies pour des 
maîtres si avares et si cruels. Us refusèrent de 
donner leurs noms, suivant l'usage, pour se 
faire enrôler dans les légions ; les plus empor- 
tés disoient même qu'ils n étaient pas plus at- 
tachés à leur patrie , où on ne leur laissoit pas 
un pouce de terre en propriété , qu'à tout autre 
climat, quelque étranger qu'il fôt; que du moins 
ils n'y trouveroient point de créanciers; que ce 
n étoit qu en sortant de Rome qu'ils s'affranchi- 
roient de leur tyrannie , et ils menacèrent hau- 
tement d'abandonner la ville; si par un séna- 
tus-consulte on n'abolissoit toutes les dettes. 

Le sénat, inquiet d'une désobéissance peu 
différente dune révolte déclarée, s'assembla 
aussitôt: on ouvrit différens avis. Les séna- 
teurs les plus modérés opinèrent en faveur du 
soulagement du peuple. M. Valerius, frère de 
Publicola , et qui, à son exemple , affectait d'être 
populaire , représenta que la plupart des pau- 
vres plébéiens n'avoient été contraints de con- 
tracter des dettes que par les malheurs de la 
guerre; que si , dans la conjoncture où une par- 
tie de l'Italie s ctoit déclarée en faveur de Tar- 
quin, on n'adoucissoit pas les peines du peu- 
ple, il étoit à craindre que le désespoir ne le 
jetât dans le parti du tyran, et que le sénat, 



BOMAINES. 71 

pour vouloir porter trop loin son autorité , ne An 
la perdtt entièrement par le rétablissement de de Rome; 
la royauté. a55 

Plusieurs sénateurs, et Ceux sur -tout qui 
ri avoient point de débiteurs , se rangèrent de 
son sentiment ; mais il fut rejeté avec indigna- 
tion par les plus riches (1). Appius Claudius 
s y opposa aussi , mais par des vues différentes. 
Ce sénateur, austère dans ses mœurs et sévère 
observateur des lois , soutenok qu'on n y pou- 
voit faire aucun changement , sans péril pour 
la république. Quoique sensible à la misère des 
particuliers, qu'il assistoit tous les jours de son 
bien , il ne laissa pas cependant de déclarer, en 
plein sénat , qu on ne pouvoit pas, avec justice, 
refuser le secours des lois aux créanciers qui 
voudraient poursuivre avec rigueur les débi- 
teurs. 

Mais, avant que d'entrer dans un plus grahd 
détail de cette affaire, peut-être ne sera- 1- il 
pas inutile de faire connoftre particulièrement 
un patricien qui eut tant de part , aussi bien 
que ses descendans, aux différentes révolutions 
qui agitèrent depuis la république. 

Appius Clausus ou Claudius f étoit Sabin de 
naissance 9 et des principaux de la ville de Ré- 



(1) Dionys. Halicarn. lib. V, pag. 33o. 



72 RÉVOLUTIONS 

. gille. De» dissentions civiles, dans lesquelles son 
de Rome, parti se trouva le plus foible, dans Tannée a5o, 
l'obligèrent d'en sortir. Il se retira à Rome, qui 
ouvrait un asile à tous les étrangers. Il fut suivi 
de sa famille et de ses partisans , que Velleïus 
Paterculus fait monter jusqu'au nombre de cinq 
mille. 

On leur accorda le droit de bourgeoisie; avec 
des terres pour habiter, situées sur la rivière 
de Téveron ; telle fut l'origine de la tribu Clau~ 
dienne. Appius , qui en étoit le chef, fut reçu 
dans le sénat; il s'y fit bientôt distinguer par la 
sagesse de ses conseils , et sur-tout par sa fer- 
meté. Il s'opposa hautement à lavis de Vale- 
j ius , comme nous venons de le dire , et il re- 
présenta, en plein sénat, que la justice étant le 
plus ferme soutien des États, on ne pouvoit 
abolir les dettes des particuliers sans ruiner la 
foi publique , le seul lien de la société parmi 
les hommes; que le peuple même, en faveur 
de qui on sollicitoit un arrêt si injuste, en souf- 
frirait le premier; que dans de nouveaux be- 
soins, les plus riches fermeraient leurs bourses; 
(jue le mécontentement des grands n étoit pas 
moins à craindre que le murmure du peuple , 
et qu'ils ne souffriraient peut-être pas qu'on 
annullàt des contrats qui étoient le fruit de ]f ur 
épargne et de leur tempérance. Il ajouta que 



I 

ROMAINES. 73 

personne n'ignoroit que Rome, dans son ori- An 
gine , n avoit pas assigné une plus grande quan- de Rome. 
tité de terres aux nobles et aux patriciens qu'aux 
plébéiens; que ceux-ci venoient encore de par- 
tager les biens des Tarquins ; qu'ils avoient fait 
souvent un butin considérable à la guerre , et 
que , s ils avoient consumé ces biens dans la dé- 
bauche , il n'étoit pas juste qu on les en dédom- 
mageât aux dépens de ceux qui avoient vécu 
avec plus de sagesse et d'économie; qu après 
tout il falloit considérer que les mutins et ceux 
qui faisoient le plus de bruit, n'étoient que les 
plébéiens des dernières classes , et qu'on ne pla-* 
çoit ordinairement, dans les batailles, que sur 
les ailes ou à la queue des légions; qu'ils n'é- 
toient la plupart armés que de frondes; qu'il 
n'y avoit ni grands services à espérer, ni beau- 
coup à craindre de pareils soldats ; que la ré- 
publique ne perdroit pas beaucoup en perdant 
des geVis qui ne servoient que de nombre ; et 
qu'il n'y avoit qu'à mépriser la sédition pour 
a dissiper et pour voir ces mutins recourir, 
avec soumission , à la clémence du sénat. 

Quelques sénateurs, qui vouloient trouver 
un milieu entre deux avis si opposés , propo- 
sèrent que lès créanciers ne pussent au moins 
exercer de contrainte sur la personne de leurs 
débiteurs. D'autres vouloient qu'on ne remît 



74 RÉVOLUTIONS 

An les dettes qu a ceux qui étaient notoirement 
de Rome, dans l'impuissance de les acquitter ; et il y en 
eut qui , pour satisfaire en même temps à la 
foi publique et à l'intérêt des créanciers , pro- 
posèrent de les payer des deniers publics. Le 
sénat ne prit aucun de ces partis : il résolut de 
ne point donner atteinte à des actes aussi so- 
lennels que des contrats ; mais afin d adoucir 
le peuple, et pour l'engager à prendre plus 
volontiers les armes, il rendit un sénatus-con- 
sulte qui accordent une surséance pour toute 
sorte de dettes, jusqua la fin de la guerre. 

Cette condescendance du sénat étoit un effet 
de l'approche de l'ejanemi, qui sayançoit du 
côté de Rome. Mais plusieurs d'entre, les plé- 
béiens, devenus plus fiers par la même raison, 
déclarèrent ou qu ils obtiendraient une aboli- 
tion, absolue de toutes les dettes, ou qu'ils lais* 
seraient aux. riches et aux grands le soin de la 
guerre et la. défense d'une ville à laquelle ils ne 
s'intéressoient plus, et qu'ilsetoient même prêts 
à abandonner. La fermeté qu'ils faisoient pa- 
raître leur attira (Jes compagnons. Le nombre 
des mécontens grossjssoit tous les jours; et plu- 
sieurs même d'entre le peuple, qui n'avoient ni 
_ dettes, ni créanciers, ne laissoient pas de se 
plaindre de la rigueur du sénat , soit par com- 
passion pour ceux de leur Ordre , ou par cette 




ROMAINES. 75 

aversion secrète que tous les hommes ont na- ^~~ 
turellement pour toute domination. de Rome. 

a55. 

Quoique les plus sages et les plus riches dés 
plébéiens, et sur -tout les cliens des nobles, 
n'eussent pas de part à la sédition , cependant 
la séparation dont menaçoient les mécontens, 
et le refus qu'ils faisoient obstinément de pren- 
dre les armes, étoient d'un dangereux exem- 
ple , sur-tout dans une conjoncture où la plu- 
part des Latins, commandés par les fils et le 
gendre de Tarquin, étoient ailx portes de Rome. 
Le sénart; pOuvoit , à la vérité, faire faire le pro- 
cès aux plus mutins et aux chefs de la sédition ; 
mais la loi Faleria, qui àutorisoit les appels 
devant l'assemblée du peuple , ouvroit un asile 
à ces séditieux ,<jui ne pouvoient manquer d'être 
absous par les complices 'de leur rébellion. 

Le sénat , pour éluder l'effet de ce privilège 
si préjudiciable à ton autorité , résolut de créer 
un magistrat suprême ^également au-dessus du 
sénat même et de l'assemblée du peuple, et 
auquel on déférât une autorité absolue. Pour 
obtenir le consentement du peuple , on lui re- 
présenta, dans une assemblée publique; que 
dans la nécessité de terminer ces dissentions 
domestiques , et de repousser en même temps 
les ennemis , il falloit donner à la république 
un seul chef , au-dessus même des consuls , qui 



76 RÉVOLUTIONS 

— T fût l'arbitre des lois, et comme le père de la, 

de Rome, patrie; et, de peur qirïl ne s en rendît le tyran 

et qu'il n'abusât de cette autorité suprême, 

qu'il ne falloit la lui confier que pour l'espace 

de six mois. * 

Le peuple , qui ne prévit pas les conséquen- 
ces de ce changement, y consentit; et il semble 
que l'on convint que le premier consul seroit 
en droit de nommer le dictateur, comme pour 
le dédommager de l'autorité qu'il perdok par 
la création de cette éminente dignité (1). Cle- 
lius nomma T. Largius, son collègue : ce fut le 
premier Romain qui, sous le titre de dictateur, 
parvint à -cette suprême dignité, qu'on pouvoit 
regarder, dans une république , comme une mo- 
narèhie absolue, quoique passagère. Eh effet, 
dès qu'il étoit nommé, lui seul avoit pouvoir 
de vie et de mort sur tous les citoyens, de quel- 
que rang qu'ils fussent , et sans qu'il y qpt au- 
cune voie d'appel. L'autorité et les fonctions 
des autres magistrats cessoient, ou lui étoient 
subordonnées : il nommoit le général de la ca- 
valerie , qui étoit à ses ordres , et qui lui servoit 
de lieutenant-général. 

Le dictateur avoit des licteurs armés de 



(i)Tit. Liv. Dec. 1, 1. II, c. 18. — Dîonys. Halicara. 
. V, p.' 336. 



ROMAINES. 77 

haches , comme les rois : il pouvoit; lever des An 
troupes ou les congédier, selon qu'il le jugeoit de ^j»""* 
à propos. Quand la guerre étoit déclarée, il 
commandoit les armées , et y décidoit des en- 
treprises militaires , sans être obligé de prendre 
l'avis ni du sénat, ni du peuple; et , après que son 
autorité étoit expirée , il ne rendoit compte à 
personne de tout ce qu'il avoit fait pendant son 
administration. 

T. Largius* étant revêtu de cette grande di*- 
gnité, nomma, sans la participation du sénat 
et du peuple, Spurius Gassius Viscellinus pour 
général de la cavalerie ; et quoiqu'il fût le plus 
modéré du sénat, il affecta de faire toutes 
choses avec hauteur pour se faire craindre du 
peuple et pour le faire rentrer plus tôt dans son 
devoir. La fermeté du dictateur jeta une grande 
crainte dans les esprits; on vit bien que sous 
un magistrat si absolu , et qui ne manqueroit 
pas de faire un exemple du premier rebelle , il 
n y avoit point d'autre parti à prendre que ce-* 
lui de la soumission. 

T. Largius, assis dans une haute chaire, et 
comme dans un trône qu'il avoit fait mettre 
dans la place publique, et environné de ses 
licteurs armés de leurs haches , fit appeler tous 
les citoyens les uns après les autres. Les plé- 
béiens, sans oser remuer, se présentèrent do* 



78 RÉVOLUTIONS 

An cilement pour être enrôlés; et chacun , rempli 
de Rome, de crainte , se rangea sous les enseignes. Ce- 
* 55 ' pendant cet appareil formidable de guerre se 
tourna en négociation: les Sabins épouvantés 
demandèrent la paix sans la pouvoir obtenir. 
Mais il y eut comme une trêve qui dura près 
d un an, et le sage dictateur sçut, par uae con- 
duite également ferme et modérée, se faire 
craindre et respecter des ennemis et de ses con- 
citoyens. 

Mais la fin de la dictature fit bientôt renaître 
ces dissentions domestiques que 1 appréhension 
d une guerre prochaine n'avoit que suspendues. 
Les créanciers recommencèrent à poursuivre 
leurs débiteurs , et ceux-ci renouvelèrent leurs 
murmure. «. feu» pl^. Ce.» fr^ * 
faire excita de nouveaux troubles , et le sénat 
a58. voulant en prévenir les suites, fit tofllber le 
consulat à Appius Claudius , dont il connois- 
soit la fermeté. Mais , de peur qu'il ne la portât 
trop loin , on lui donna pour collègue Servi- 
lius, personnage d'un caractère doux et hu- 
main , et agréable aux pauvres et à la multitude. 
Ces deux magistrats ne manquèrent pas de se 
trouver d avis opposés. Servitius , par bonté et 
par compassion pour les malheureux, inclinoit 
à la suppression des dettes , ou du moins il vou- 
loit qu'on diminuât du principal ces intérêt* 



ROMAINES. 79 

usuraires et accumulés gui l'excédoient consi- 

*• An 

dérablement. U exhortoit le sénat à en faire de Rome, 
un règlement qui soulageât le peuple, et qui 2 * 
assurât pour toujours la tranquillité de l'État. 

liais Appius, sévère observateur des lois, 
sctatenoit avec sa fermeté ordinaire qu'il y ayoit 
une injustice manifeste à vouloir soulager les 
débiteurs aux dépens de la fortune de leurs 
créanciers ; que. ce projet ail oit même à la ruine 
de la subordination nécessaire daip un État 
bien policé \ que la condescendance que 8er- 
vilius vouloit qu on eût ppur Je# besoins du 
peuple , ne seroit regardée pat les mutins que 
compte une foihlespç déguisée, et ferqit naî- 
tre de nouvelles prétentions, qu'au contraire 
rien ne marqueront mieux la puissance de la 
république que la juste sévérité dont on usè- 
rent envers ceux qui» par leurs cabale* et leur 
désohéis&agce > avoîent violé la majesté du sé- 
nat. 

Le peuple, instruit de ce qui setoit passé 
dan* le sénat, «t informé des dispositions dif- 
férents des deux consuls, donne autant de 
louanges à Serviliua qu'il répand d'impréca- 
tions contre Appius. Les plus mutins s attrou- 
pent de nouveau; on tient des assemblées se- 
crètes de nuit, et dans les lieux écartés: tout 
est en mouvement, lorsque la calamité dun 



80 .RÉVOLUTIONS 

•" 7 particulier fait éclater le mécontentement pu- 
4e Rome, blic, et excite une sédition générale. 

Un plébéien chargé de fers (i) vint se jeter 
dans la place publique, comme dans Un asile. 
Ses habits étoient déchirés , il étoit pâle et dé- 
figuré ; une grande barbe et des cheveux négli- 
gés et en désordre, rendoient son visage af- 
freux. On ne laissa pas de le recdnnoître, et 
quelques personnes se souvinrent de lavoir vu 
dans les artnées, commander et combattre avec 
beaucoup de valeur. Il montroit lui-même les 
cicatrices des blessures qu'il avoit reçues en 
différentes occasions; il nommoit les consuls 
et les tribuns sous lesquels il avoit servi; et 
adressant la parole à une multitude de gens qui 
l'environnoient, et qui lui demandoient avec 
empressement la cause de letat déplorable où 
il étoit réduit , il leur dit que , pendant qu il 
portoit les armes dans la dernière guerre qu'on 
avoit faite contre les Sabins, non seulement il 
n avoit pu cultiver son petit héritage, mais que 
les ennemis même, dans une cotirse, après avoir 
pillé sa maison ^ y avaient mis le feu; que les 
besoins de la vie et les tributs qu'on l'avoit 
obligé de payer malgré cette disgrâce, Favoient 
forcé de faire des dettes ; que les intérêts s étant 

{i) TU. Liv. ï)ec. i, lib. II, cap, a3„ 



X 



ROMAINES. 8l 

insensiblement accumulés; il s'étoit vu réduit " - 

7 Ad 

à la triste nécessité de céder son héritage pour de Rome; 
en acquitter une partie; mai? que le créancier 
impitoyable , n étant pas. encore entièrement 
payé , l'avoit fait traîner en prison avec deux 
de ses enfans ; que , pour l'obliger à accélérer le 
paierpent de ce qui restoit dû (i), il lavoit livré 
à ses esclaves , qui , par son ordre, lui avoient 
déchiré le corps : en même temps , il se décou- 
vrit et montra son dos encore tout sanglant 
des coups de fouet qui! avoit reçus. 
* Le peuple, déjà en mouvement, et touché 
d'un traitgçnent si barbare , poussa mille cris 
d'indignation contre les patriciens. Ce bruit se 
répandit , en un instant , dans toute la ville , et 
on accourut, dja tous côtés, dans la place. Ceux 
qu'un pareil sort retenoit dans les chaînes de l 

leurs créanciers, échappent; il se trouve bientôt 
des chefs et des partisans de la sédition. On ne 
reconnoît plus l'autorité des magistrats; et les 
consuls, qui étoient accourus pour arrêter ce ' . 
désordre par leur présence , entourés du peu- 
ple en fureur, ne trouvent plus ni respect ni 
obéissance dans le citoyen. 

Appius, odieux à la multitude, alloit être 
insulté, s'il n'eût échappé à la faveur du tu- 

(i) Dionys. Halicarn. lib. VI , pag. 36a* 



82 RÉVOLUTIONS 

moite. Servilius, quoique plus agréable au peu* 



An 

a» Rom. pie, se vit réduit à quitter sa robe consulaire; 
et f sans aucune marque de sa dignité, il se jette 
dans la foule, caresse, embrasse les plus mu- 
tins, et les conjure, les larmes aux yeux, d'ap- 
paiser ce désordre. D s'engage d'assembler inces- 
samment le sénat, et il leur promet d'y prendre 
les intérêts du peuple, avec autant de zèle et 
d'affection que pourrait firire un plébéien; et, 
pour preuve de sa promesse, il Eût publier par 
un héraut défense d'arrêter pour dettes aucun 
citoyen, jusqu'à ce que le sénat y eût pourvu 
par un nouveau règlement. » 

Le peuple, sur sa parole, se sépara; le sénat 
s'assembla aussitôt. Servilius exposa la disposi- 
tion des esprits et la nécessité, dans une pa- 
reille conjoncture, de relâcher quelque chose 
de la sévérité des lois. Àppius, air contraire, 
toujours invariable dans aes premiers senti- 
mens, s'y opposa constamment. La diversité 
d'avis fit naître de l'aigreur entre eur: Appius, 
qui ne pouvoit s'empêcher de joindre à l'utilité 
de ses consetk l'austérité de son caractère et la 
dureté de ses manières, traite publiquement 
son collègue de flatteur et d esclave du peuple. 
Servilius, de son cAté, h» reproche sa fierté, son 
orgueil, et l'animosité qu'il feûsoit paraître con- 
tre les plébéiens. Le sénat se partage entre ces 



ROMAINES. 83 | 

deux grands hommes; chacun prend parti sui- * * 

vaut sa disposition ou ses intérêts. La diffé- de Rome. 
rence des avis et 1 opposition des sentimens 
excitent de grands cris dans rassemblée. Pen- 
dant ce tumulte, arrivent, à toute ^)ride, des 
cavaliers qui rapportent qu'une armée de Vols- 
ques marchoit droit à Rome. 

Cette nouvelle fut reçue bien différemment 
par le sénat et par le peuple. Les sénateurs, 
leurs diens , et les plus riches d'entre le peuple, 



prirent les armes. Mais ceux qui étoient char* 
gés <fc dettes, montrant leurs chaînes, deman- 
doient , • avec un souris amer , si de pareils or- 
nemens mérkoient qu'ils exposassent leurs vies 
pour les conserver ; et tous ces plébéiens refu- 
sèrent optniàtrément de donner leurs noms 
pour se faire enrôler. 

La ville étok dans cette agitation qui pré- 
cède ordteaireiûeût les pins grandes révolu- 
tions ; les Consuls divisés ; le peuple désobéissant 
à ses Magistrats, et .les Volsquês aux portés de 
Reftae. Le sénat, qui craignait presque égale- 
ment le citoyen et l'ennemi, érigâgeà Appiûs à 
te charger de la défense de la ville, dans la 
vue q*e le peuple àuivfoit plus volontiers soi/ 
Collègue en campagne. SefVilitts étant destiné 
pour s opposer aux ennemis, conjure le peuple 
de ne le pas abandonner dams cette expédition ; 

6. 



84 RÉVOLUTIONS 

An et pour l'obliger à prendre les armes, il fait 
de Rome, publier une nouvelle défense de retenu: en pri- 
son aucun citoyen Romain qui voudrait le sui- 
vre en campagne, ni d'arrêter ses enfans ou de 
saisir son bien ; et , par le même édit , il s'en - 
gage, au nom du sénat, de donner au peuple, 
à son retour, toute satisfaction au sujet des 
dettes. 

Cette déclaration n eut pas été plutôt pu- 
bliée, que le peuple courut en foule se faire 
enrôler , les uns par affection pour le consul 
qu'ils sçavoient leur être favorable , et les autres, 
pour ne pas rester, dans Rome, sous le gouver- 
nement sévère et impérieux d'Appius. Mais de 
tous les plébéiens, il n'y en eut point qui se 
fissent enrôlerjplus volontairement, ni qui mon- 
trassent plus de courage contre l'ennemi que 
ceux mêmes qui avoient eu le plus de part au 
'dernier tumulte. Les Volsques furent défaits, 
et le consul , pour récompenser le soldat de la 
valeur qu'il avoit fait paroître, lui abandonna 
le pillage du camp ennemi, dont il se toit rendu 
maître , sans en rien réserver, suivant l'usage , 
pour le trésor public. 

Le peuple, à son retour, le reçut avec de grands 
applaudissemens , et il attendoit avec confiance 
l'effet de ses promesses. Servilius n'oublia rien 
pour dégager sa parole et pour porter le sénat 



ROMAINES. 85 

à accorder une abolition générale des dettes. An 
Mais Appius , quj. regardoit tout changement de R°«ne- 
dans les lois comme dangereux , s'opposa hau- 
tement aux intentions de son cQllègue. Il au* 
torisa de nouveau les créanciers qui «train oient 
leur» débiteurs en prison; et les applaudisse- 
mens qu'il recevoit des • riches et les impréca- 
tions des pauvres , concouroient également à 
entretenir la dureté de ce magistrat. 

Ceux qu'on arrêtoit en appeloient ^ Servi- 
lius ; ils lui représentoient les promesses qu il 
a voit faites, au peuple avant la campagne, et 
les service* qu ila avoient rendus à la guerre, , 
On crioit tout haut devant son tribunal , ou 
qu'en qualité de consul et de premier magistrat 
il prit la défense de ses concitoyens , ou que , 
comme général, il n'abandonnât pas les intérêts 
de ses soldats (i). Mais Servilius, d'un caractère 
doux et timide , n osa se déclarer ouvertement 
contre le corps entier des patriciens $ et, en vou- 
lant ménager les deux partis , il les offensa tous 
deux , en sorte qu'il ne put éviter la haine de 
l'un , et le mépris de Vautre. 

Le peuple se voyant abandonné de Servilius, 
et persécuté par son collègue, s'assemble tu- 
multuairement , confère , et prend la résolution 

(1) Tit Liv. Dec. 1, lib. II , cap. *4* 



86 RÉVOLUTIONS 

^ de ne devoir son salut qu'à lui-même , et d'op- 
4e Rome, poser la force à la tyrannie. Les débiteurs, pour- 
suivis j usquet dans la place par leurs créanciers, 
y trouvent un asile assuré dans la foule; la mul- 
titude en fureur frappe, écarte, et repousse ces 
impitoyables créancier^, qui implorent emvain 
le secours des lois. Une nouvelle irruption des 
Volsques, des Sabins, et des Eques, hausse en- 
core le courage du peuple, qui refuse ouverte- 
ment de marcher contre l'ennemi 

359. A. Virginius et T. Vetusius, qui avoient suc- 
cédé, dans le consulat , à Apptus et à Servilius , 
tentèrent par un coup d'autorité de dissiper ce 
tumulte. Us firent arrêter un plébéien qui refu- 
soit de s'enrôler; mais le peuple, toujours fu- 
rieux, l'arracha des mains des Ucteum, et les 
consuls éprouvèrent, dans cette occasion, com- 
bien la majesté sans la farce est peu considérée. 
Une désobéissance si déclarée et peu différente 
. dune révolte alarma le sénat, qui s'assembla 
extraordinairement. T. Largius, que nous avons 
vu dictateur, opina le premier. Cet ancien ma- 
gistrat , si respectable par sa sagesse et par sa 
fermeté, dit qu'il voyoit, avec beaucoup de dou- 
leur, Rome comme partagée en deux nations , 
et former comme deux villes différentes ; que la 
première n'étoit remplie que de richesses et d or- 
• gueil, et la seconde, de misère et de rébellion ; 




ROMAINES. 87 

que, dans Tune et dans 1 autre , on ne voyoit ni An 
justice, ni honneur, ni même de bienséance, d«Rom«. 
et que la fierté des grands n étoit pas moins 
odieuse que la désobéissance du petit peuple; 
qu il étoit cependant obligé d'avouer qu'il pré- 
voyoit que l'extrême pauvreté du peuple en- 
tre tien droit toujours la dissention , et qu'il ne 
croydit pep qu on pût rétablir l'union et la con- 
corde entre ces deux Ordres que par une aboli- 
tion générale de» dettes. 

D'autres sénateurs étoient d'avis qu'on res- 
treignit cette grace<en faveur de ceux qui, dans 
leadernières guerres, avoient servi utilement la 
république ; et ils représentaient que c'étoit une 
justice qui leur étoit due, et que la parole de 
Servilius y étoit même engagée. 

Appius, quand ce fut sou rang à opiner, s'op- 
posa paiement à ces deux avis : « Tant de mu- 
« tinerie , dit-il , ne procède pas de la misère du 
a peuple, c'est bien plutôt l'effet d'une licence 
«effrénée, qu'il plait à des séditieux d'appeler 
« du UQin de liberté. Tout ce désordre n'a prft 

* naissance que de l'abus que le peuple fait de 
« la loi Valeria. On viole impunément la ma- 
« jesté des consuls, pareeque les mutins ont la 
u faculté d'appeler de la condamnation du crime 
« devant les complices même de ce crime ; et 

* quel ordre peut- on jamais espérer d'établir 



88 RÉVOLUTIONS 

• dans un État où les ordonnances des rnagis- 
de Rome. « trats sont soumises à la révision et au juçe- 

2 9 ' « ment d une populace qui n'a pour règles que 
«son caprice et sa fureur? Seigneurs, ajouta 
«Appius, il faut créer un dictateur, dont les 
« jugemens sont sans appel; et ne craignez pas, 

* après cela , qu'il y ait des plébéiens assea in- 
« solens pour repousser les licteurs» d un ma- 
« gistrat qui sera maître de disposer souverai- 
« nement de leurs biens et de leurs vies. » 

Les jeunes sénateurs, jaloux, de l'honneur du 
sénat, et ceux surtout qui étoient intéressés 
dans l'abolition des dettes , se déclarèrent poxir 
l'avis d'Àppius : ils vouloient même lui déférer 
cette grande dignité. Ils disoient "qu il n'y avoit 
qu'un homme aussi ferme et aussi .intrépide 
qui fût capable de faire rentrer le peuple dans 
son devoir. Mais les anciens sénateurs et les 
plus modérés trouvèrent que cette souveraine 
puissance étoit assez formidable d elle-même, 
sans en revêtir encore un homme naturelle* 
ment dur et odieux à la multitude. L'un des 
consuls, par leurs avis (i), nomma pour dicta- 
teur Manius Valerius , fils de Volesius. C'étoit 
un consulaire âgé de plus de soixante et dix 

» 

(i) Tit Liv. Dec. i , 1. II, c. 3o. — Dionys. Halicarn. 
ib. VI, pag. 37 !• 



L^ 



ROMAINES. .8g 

ans, et d'une Maison dont le peuple, n avoit à An 
craindre ni orgueil .ni injustice. de Rome. 

Lé dictateur, plébéien d'inclination , nomma a 9 ' 
pour général de la cavalerie > Quintus Servi- 
lius, frère de celui qui avoit été consul, et qui 
trouvott* comme lui , qu'il y avoit de la justice 
dans les plaintes du peuple : il convoqua en- 
suite une assemblée générale dans la place des 
comices. Il y parut avec une contenance grave 
et modestç tout ensemble ; et adressant la pa- 
role au peuple , il hii, dit qu'il ne devoit pas 
craindre* que sa liberté ni la loi Faleria, qui 
en étoit le plus fçrme appui , fassent en danger 
sous un 'dictateur de la famille de. Valerius Pu- ■ 

m m 

blicoJa; qu'il n'étoit point monté sur son tri- 
bunal pour les séduire par de fausses promesses; 
qu'il falloit, à la vérité, marcher aux ennenlis 
qui savançoiént du côté de Rome, mais qu'il 
sengageoit , en son nom et de la part du sénat, 
de leur donner, au retour de Ip. campagne, une 
entière satisfaction sur leurs plaintes: «Et en 4 
«attendant, dit-il, par la puissance souveraine' 
« dont je suis revêtu , je déclare libres vos pèr- 

• sonnas, vos terres et vos biens. Je suspends 
«l'eflfet'de toute obligation dont on pourroit 
■ se servir pour vous inquiéter : venez nous 

• aider à Vous conquérir de nouvelles terres sur 
« nos ennemis. » 



<)0 RÉVOLUtlONS 

mmm 2 G& discours remplit te peuple d'espérance et 

de «ome. de consolation (i). Tout le monde prit les armes 
avec joie,* et on leva dix légions complètes ; on 
en donné trois à chaque consul; le dictateur 
sen réserva quatre. Les Romains marchèrent 
aux ennemis par différens endroits: 4e dicta- 
teur battit les Sabins, et le consul Vetusius 
remporta une victoire signalée sur les Vols- 
ques , prit leur camp , et ensuite Velitre, où il 
entra l'épée à là main , en poursuivant les vain, 
eus ; et À. Virginius , Vautre consul , défit les 
Eques, et remporta une victoire que la foite 
précipitée des ennemis rendit peu sanglante. 

Le sénat , qui craignoit que les soldats , de 
retour , né demandassent au dictateur le*écu- 
tion de ses promesses, lui fit dire , et aux deux 
consuls, de les retenir toujours" sous les En- 
seignes, sous prétexte que la guefre netoit pas 
terminée. Les deux consuls obéirent; mais le 
dictateur, dont | autorité étoit plus indépen- 
t dan te du sénat, licencia son armée. Il déclara 
ses soldats absous du serment* qu'ils avoient 
prêté en s enrôlant; et, pour donner une nou- 
velle preuve de son affection pour le peuple , il 
tira' de cet Ordre quatre cents des plus conside* 
râbles qu il fit entrer dans celui des chevaliers. 

(i, Dionys, Halicarn. lib. YI, p. 37a, 



à 




ROMA!S[EJS. 9 1 

II iut ensuite an sénat , et il demanda qu'on - ^ 
efct, par un ^natus-çpnsulte , à dégager sa pa- dc K° m «« 
rôle, et à'at^olir toutes les dettes. Les plus an- 
ciens sénateurs, et l^s plus gens de bien, si on 
en excepte Àppius, étoiçnt de. cet ayis: Mais la 
cabale des riches 1 emporta, et ils étoient sou- 
tenus par le» jeunes sénateurs , qui croyoient 
qu'où diminuoit de l'autorité du sénat tout ce 
qu'on propQSoit efc fayeur du soulagement du 
peuple. Il y en eut même plusieurs qui, se pré- 
valant de lextrème^bonté du dictateur r lui re- 
proch^rept qu'il reçWrehoit, avecvbassesse > les» 
applaudjssemensd'tfue vi}e populace. Sa pro- 
position fut rejettée avec de grands cris; et on 
lui £t sentir que, s'itneûtfpa&été au-dessus* des 
lois par sa dignité , le sénat lui auroit fait ren- 
dre compte du congé quil avoit donné à ses 
soldats, comme d'un attentat contre les lois 
militaires, et surtout dans une conjoncture 
où les ennemie de la république étofcnt encore 
en armei - 

« Jérvftis bien, leur dit ce vénérable vieillard, 
« que je ne* vous .suis p«? agréable : on me re- 
<t proche d'être trop populaire ; fassent les dieux 
« que tous les défenseurs du peuple Romain , 
« qui s'élèveront dans la suite, me ressemblent , 
« et soient aussi modérés que je le suis. Mais 
« n'attendez pas que je trompe des citoyens , 



9 2 BÉVOLUTIOKS 

• • « , . 

Ân « qui, sur ma parole, ont pris les armes, et qui, 

d« Rome. « au prix de leur sang , viennent de triompher 

2 9 ' « de vos ennemis. Une guerre étrangère, et nos 

«dissentions domestique^ ont été cause que 

«la république m'a honoré de la dictature. 

« Nous avons la paix au-dehors , et on mem- 

« pêche de l'établir au-dedans ; ainsi , mon mi- 

« nistère devenait inutile J'ai résolu d abdiquer 

. « cette grands dignité. J aime mieux voir la sé- 

«dition comme personne privée ,. qu'avec fe 

« titre de dictateur, » (i) En finissant ces mots, 

•il sortit brusquement du sénat, et convoqua 

une assemblée du peuple. ' 

Quand l'assemblée fut formée, il y parut 
avep toutes les marques de sa dignité; 11 rendit 
gçaces d'abord au peuple de la promptitude 
avec laquelle , sur ses ordres , il avoit pris . les 
armes; il donna, en même temps, de grandes 
louanges à la valeur et au courage qu'il avoit 
fait •paroître contre les ennemis de la répu- 
blique (2). « Vous avez, dit-il, en bons citoyens 
«satisfait à votre devoir. .Ce seroit à moi à 
« m'acquitter, à mon tour, de la parole que je 
«vous ai donnée; mais une brigue plus puù-< 
«santé que l'autorité même d'un dictateur, 

« empêche aujourd'hui l'effet de mes sincères 

> 

(1} Dionys. Halicarn. lib. VI, p. 374. — - (a) Idem, ibit^ 



ROMAINES. g3 

« intentions. On me traite publiquement d'en- An 
« nemi du sénat; on cepsûre ma conduite; on de nome. 
« me f^it un crime de vous avoir abandonné 
« lés dépouilles de nos ennemis > et sur-tout de 
«vous avoir absous, du serment militaire. Je 
« sçai& de quelle manièro, dans la force de mon 
"âge, j'aurojs repoussé, de pareilles injures: 
«mais on méprise un vieillard plus que sep- 
« tuagénaife i et comme Je ne puis ni rpe venger, 
«ni voti§ rendre justice, j'abdique volontiers 
« une dignité qui vous est inutile. Si cependant 
« quelqu'un de m$s concitoyens veut encore se 
* plaindre de l'inexécution de ma pajrole, je lui 
«abapdom&e, dte bon cœur, le peu de vie qui' 
«me reste, il peut tû$ Fôter sans que je m'en 
«plaigne, ni que je m'y oppose. » 

Le peuple n'écouta ce discours qu'avec des 
scntiigens de respect et de vénération : tout le 
monde lui rendit la justice qui lui étoit due, et 
il fut reconduit par la multitude jusqu'en sa 
maison avec autant de louanges que s il eût pro- 
noncé l'abolition des dettes. Le peuple tourna 
toute son indignation contre le sénat qui l'a- 
voit tant de fois tronjpé. On ne garde plus alors 
aucune mesure; les plébéien* s'assemblent pu- 
bliquement , et les ayis les plus violens sont les 
. plus agréables à la multitude. Les deux con- 
suls qui tenoient encore les soldats engagés pçr 



94 BÉVOLUTIONS ■ 

leur serment, sous prétexte d'un avis qu'ils se- 
de Rome, toieiit fait donner que les ennemis armaient de 

3 9 ' nouveau, se«njrent en campagne, de concert 
avec le sénat. Le peuple , qui sentit L'artifice , 
txp sortit de Rome qu'arec* fureur; Tes plus em- 
portés proposèrent même, avant que d'aller 
plus loin, de poignarder les consuls, afin de se 
dégager t<îut d un. coup du serment qui les te- 
noit attachés sous leurs ordres. Mais les plus 
sages, et ceux qui avoient la crainte des dieux, 
leur ayant représenté qu'il n y avoit point de 
serment dont on pût se dégager par un crime, 
ces soldats prirent un autre parti. Ils résolurent 
d'abandonner leur patrie, ^et de se faire } hors 
de Rome, un nouvel établisseirtent. Ds lèvent 
aussitôt leurs enseignes ,- changent leurs offi- 
ciers, et par les conseils, et sous la conduite 

a6o. d'un plébéien, appelé Sicinius Bellutus," 4 ils se 
retirent et vont oaftiper sur une montagne, 
appelée depuis le Mont Sacré, située à trois 
millei <Je Rome, et proche de la rivière' de Tc- 
veron. . 

Une désertion si générale (i), et qui parois- 
soit être le commencement d'une guerre civile, 
causa beaucoup dHnqùiétude'au sénat. On mit 
d'abord des gardes aux partes de. la ville, tant 

•(i) Dionys. Halicarn. lib. VI, pag. 376. 




kBflMBHa 



ROMAINES. g5 

pour sa sûreté, que pour empêcher le reste " A 
des plébéiens de se joindre aux mécontens. «toitomô, 
Mais ceux qui étoient chargés de dettes, les \ 
plus mutins, et les plus séditieux, s échappè- 
rent malgré cette précaution ; et Home vit à 
ses portes une armée redoutable composée 
d une partie de ses citoyens , et qui pouvoient 
faire craindre qu'ils ne tournassent à la fin 
leurs armes contre ceux qui étôient restés dans 
la ville./ • 

Les» patriciens se partagèrent au&ftôt : les 
uns. à la- tête de leurs clièns et des plébéiens qui 
n avaient point voulu prendre de part à la sé- 
dition, occupent les postes les* plus avancés; 
d autres se fortifient à l'entrée de la ville ; les 
vieillard^ ste chargent de la défense des mu- 
railles,' et tous montrent également du cou*' 
rage et de la fermeté. ? " 

Le sénat, après ces précautions, députe aux 
mécontens pour leur offrir une amnistie, et 
les exhorte à revenir dans la ville, ou sous 
leurs Enseignes, fixais cette démarche faite trop 
tôt , et dans la première chaleur de la sédition y 
ne feervit qu'à faire éclater FinSolence du sol-' 
dat. Les députés furent renvoyés avec mépris T 
et cm leur donna* pour toute réponse: Que les 
patriciens éprouveraient bientôt à quels enne» 
mis ils avoient à faire. 



96 RÉVOLUTIONS 

An Le retour de ces envoyés augmenta le trou- 

de Rome, ble dans la ville. Les deux consuls , dont la 
magistrature expiroit , indiquèrent l'assemblée 
pour l'élection de leurs successeurs; personne, 
dans une conjoncture si fâcheuse, ne se pré- 
senta pour demander cette dignité ; plusieurs 
même la refusèrent. Enfin on obligea Posthu- 
mius Gominius , et Spurius Cassius Viscellinus , 
personnages consulaires, de l'accepter, et le sé- 
nat fit tomber sur eux les suffrages, parcequiJs 
étoient également agréables aux nobles.tt aux 
plébéiens, et que Cassius sur-tout s'étoit tou- 
jours ménagé, avec beaucoup d'art, entre les 
deux partis. 

Les premiers soins des nouveaux consuls fu- 
rent de convoquer le sénat , pour délibérer sur 
les moyens les plus prompls et les plus faciles 
de rétablir la paix et l'union entre les diffé- 
rens Ordres de l'État. 

Menenius Agrippa, personnage consulaire, 
illustre par l'intégrité de ses mœurs, auquel 
on demanda le premier son avis, opina qu'il 
faïloit renvoyer de nouveaux députés aux mé- 
contens, avec un plein pouvoir de finir une 
affaire aussi fâcheuse , aux conditions que ces 
commissaires jugeroient les plus utiles à la ré- 
publique. Quelques sénateurs trou voient que 
c etoit commettre la dignité du sénat -que de 



ROMAINES. ' 97* 

députer de nouveau à des rebelles qui avoient """" ^ 
reçu si indignement ses premiers envoyés. Mais de Rome - 
Menenius représenta qu'il n etoit pas ternes de 
s'arrêter à une vaine formalité ; que le salut de 
la république , et une nécessité indispensable à 
laquelle les dieux .même cédoient, obligeoient 
le sénat de rechercher le peuple ; que Rome, la 
terreur de ses voisins, étoit comme assiégée 
' par ses propres citoyens; qu'à la vérité ils n'a- 
voient encore fait aucun acte d'hostilité, mais 
que c etoit par cette même raison qu'il falloit 
empêcher le commencement dune guerre qui 
ne pouvoit être que funeste à l'État, quel qu'en 
fût le succès. 

Il ajouta que les Sabins, les Volsques, les 
Eques, et les Herniques, tous ennemis irré- 
conciliables du nom Romain, se seroient déjà 
joints aux rebelles, s'ils n'avoient peut-être pas 
jugé plus à propos de laisser les Romains s'af- 
foiblir, et se détruire par leurs propres divi- 
sions; qu'il ne falloit pas espérer de grands 
secours de leurs alliés; que les peuples de la 
Campanie et de la Toscane n'avoient qu'une 
foi douteuse, et toujours soumise aux évène- 
mens ; qu'on n'étoit guères plus assuré des La- 
tins, nation jalouse de la supériorité de Rome, •' 
et toujours avide de la nouveauté; que les pa- 
triciens se trompoient, s'ils se flattoient de 

I. 7 



\ 



98 * RÉVOLUTIONS 

]j^~ pouvoir résister avec leurs cliens et leurs es- 
de Rome, claves à tant d ennemis domestiques et étran- 

a6o. 

gers, qui s'uniroient pour détruire une puis- 
sance qui leur étoit odieuse. 

M. Valerius, dont nous venons de par- 
ler, (i) et qui avoit l'esprit aigri contre le sénat, 
ajouta à lavis de Menenius, qu'on devoit tout 
craindre des desseins des mécontens , dont la 
plupart avoient déjà abandonné le soin de leurs 
héritages et la culture des terres , comme des 
gens qui renonçoient à leur patrie , et qui son- 
geoient à s'établir ailleurs; que Rome alloit 
être déserte, et que le sénat, pour être trop 
inflexible, ruinoit les principales forces de la 
république , par la retraite forcée et la déser- 
tion d'un si grand «nombre de citoyens; que si 
au contraire on eût suivi les conseils qu'il donna 
pendant sa dictature, on auroit pu, par l'abo- 
lition des dettes, conserver l'union et la paix 
entre les différens Ordres de l'État ; mais qu'il 
ne falloit pas se flatter que le peuple , tant de 
fois trompé par les vaines promesses du sénat, 
se contentât, à présent, de cette abolition; qu'il 
craignoit bien que les mauvais traitemens qu'il 
avoit essuyés, ne l'engageassent à demander 
encore des sûretés pour la conservation de ses 

(i) Dionys. Halicarn. 1. VI, p* 385. 



/ 



ROMAINES. 99 

droits et de sa liberté ; qu'on ne pouvoit discon- A 
venir que la plupart des plébéiens' se voyoient de Rom#. 
dépouillés de leurs héritages ; qu'on enchaihoit 
les malheureux comme des criminels, et qu'ils 
se plaignoient peut-être avec justice que les 
nobles et les patriciens , au préjudice de la con- 
stitution originaire de l'État, ne travailloient 
qu'à se rendre seuls maîtres du gouvernement ; 
que la création d'un dictateur, invention mo- 
derne du sénat, rendoit inutile la loi Valeria^ 
le refuge du peuple, et l'asile dé la liberté; 
que cette puissance absolue , confiée à un seul 
homme , en feroit quelque jour le tyran de sa 
patrie; que ces nouveautés, et ces changemens * 

avoient leur source dans les maximes impé- 
rieuses d'Appius Claudius, et de ses semblables, 
qui ne paroissoient occupés que du dessein d'é- 
tablir la domination des nobles sur les ruines 
de la liberté publique, et de réduire des citoyens 
libres à la vile condition de sujets et d'esclaves 
du sénat* 

Appius se leva quand ce fut son tour à par4 
1er, (i)et adressant la parole à M. Valerius: 
« Si vous vous étiez renfermé , lui dit-il , à dire 
« simplement votre avis sans m attaquer si iu* 
m justement , vous ne vous séries pas exposé à 

(0 Dionyft. Hklicaro. lib. VI, p. 386. 

m 



100 RÉVOLUTIONS 

^ « entendre aujourd'hui des vérités peu agréa-* 
de Rome, « blés. Mais , avant que de les exposer à la vue 
« de cette compagnie, il est juste de répondre 
«à vos calomnies. Dites-moi, Valerius, quels 
«sont les Romains que j'ai poursuivis en jus- 
« tice, pour, les obliger de me payer ce qu'ils 
' «me dévoient? Nommez les citoyens que- j'ai 

m retenus dans les chaînes; allez jusqu'au mont 
« Velie, et cherchez parmi cette foule de mé- 
« contens, s'il y en a un seul qui se plaigne qu'il 
« n'a quitté là ville que par la crainte que je ne 
« le fisse arrêter. Tout le monde sçait, au con- 
traire, que j'ai traité mes débiteurs comme 
« mes cliens et mes amis > que, sans égard à d'an- 
« ciennes dettes, je les ai secourus gratuitement 
« dans leurs besoins, et qu'autant qu'il a été en 
«moi, les citoyens ont toujours été libres. Ce 
« n'est pas que je prétende proposer ma con- 
« duite pour règle de celle des autres ; je sou- 
« tiendrai toujours l'autorité des lois en faveur 
« de ceux qui y auront recours. Je suis même 
« persuadé* qu'à l'égard de certains débiteurs, 
« et de ces gens qui passent leur vie dans la 
« mollesse et les débauches , il y a autant de 
* justice à s'en faire payer, qu'il est honnête et 
« généreux de remettre les dettes à des citoyens 
« paisibles et laborieux , mais qui , par malheur, 
« sont tombés dans une extrême indigence : 



homaines. ioi 

«telle a été ma conduite, et telles sont ces ]j^""~ 
« maximes impérieuses qu on me reproche. Mais de Rome, 
«je me suis, dit -on, déclaré le partisan des 
«grands, et c'est par mes conseils qu'ils se sont 
«emparés du gouvernement. Ce crime, mes- 
sieurs, ajouta Appius en se tournant vers les 
« principaux du sénat, m est commun avec vous; 
« le gouvernement vous appartient, et vous êtes 
«trop sages pour l'abandonner à une popu- 
« lace effrénée, à cette bête féroce qui n'écoute 
«que ses flatteurs, mais dont les esclaves de- 
viennent souvent les tyrans: et c'est, mes- 
« sieurs, ce que nous avons à craindre de M. Va- 
«lerius, qui, n'ayant de considération dans la • 
» république que par les dignités dont nous 
«Tavons honoré, s'en sert aujourd'hui pour rui- 
« ner nos lois, pour changer la forme de notre 
« gouvernement, et pour se frayer, par ses bas- 
« sesses , un chemin à la tyrannie. Vous l'avez 
« entendu, et vous avez pu apercevoir, qu'étant 
« mieux instruit que nous des desseins perni- 
« cieux des rebelles , il vous prépare à de nou- 
velles prétentions; et, sous prétexte de de- 
« mander des garants de la liberté du peu- 
«ple, il ne cherche qu'à opprimer celle du 
« sénat. 

« Mais venons au principal sujet qui nous a 
« assemblés aujourd'hui. Je dis donc que c'est 



An. 



2tM>. 



102 DÉVOLUTIONS 

« ébranler les fondemens d'un Etat 4 que d Va 
de Rome. « changer les lois, et qu'on ne peut donner at- 
« teinte aux contrats des particuliers, sans bles- 
« ser la foi publique , et sans ruiner ce contrat 
« original qui a formé les premières sociétés 
«centre les hommes. Accorderez-vous aujour- 
« d'hui à des séditieux , qui sont à la veille de 
«tourner leurs atones contre leur patrie, ce 
« que vous avez sagement refusé plusieurs fois 
«à des citoyens soumis, et à des soldats qui 
« combattoient sous vos Enseignés? Songez que 
« vous ne pouvez vous relâcher sur l'article des 
« dettes, que vous n'ouvriez en 'même temps la 
« porte à de nouvelles prétentions. Bientôt les 
« chefs de la sédition , de concert avec M. Va- 
« lerius, voudront être admis aux premières di- 
«gnités de l'État. Fassent les dieux tutélaires 
u de Borne , que son gouvernement ne tombe 
« pas , à la fin , entre les mains d'une vile popu- 
« lace , qui vous punisse de votre foiblesse , et 
« qui vous bannisse vous-mêmes de votre patrie 1 
« On veut vous faire peur des armes des re- 
« belles : mais n'avez-vous pas , pour otages, leurs 
« femmes et leurs enfans? Viendront-ils atta- 
« quer ; à force ouverte, une ville qui renferme 
« ce qu'ils ont de plus cher? Mais je veux qu'ils 
« n'aient pas plus d égards pour les liaisons du 
« sang que pour les lois du gouvernement : ont- 



ROMAINES. 103 

«ils des généraux, des vivres, et l'argent néces- J^" - 
«saire pour se soutenir dans une pareille en- de Rome. 
« treprise ? Que deviendront-ils pendant l'hiver 
«qui est proche, sans pain, sans retraite, et 
« sans pouvoir s'écarter, qu'ils ne tombent entre 
« nos mains? S'ils se réfugient chez nos voisins, 
«n'y trouveront -ils pas, comme à Rome, le 
«gouvernement entre les mains des grands? 
« Des rebelles et des transfuges en peuvent-ils 
«espérer d autre condition que celle de mal- 
« heureux esclaves? Mais peut-être qu'on craint 
«qu'ils ne joignent leurs armes, et qu'Us ne 
« viennent assiéger Rome destituée d'habitans 
« nécessaires pour sa défense , comme si les for- 
«ces de la république consistoient dans les 
« seuls rebelles. Mais navez-vous pas , parmi les 
«patriciens, une jeunesse florissante et pleine 
«de courage? Nos cliens, qui forment la plus 
«saine partie de la république, ne sont-ils pas 
« attachés , comme nous, à ses intérêts? Armons 
«même, s'il le faut, nos esclaves: faisons-en 
» un peuple nouveau et un peuple soumis, fis 
« ont appris à notre service , et par nos exem- 
« pies , à faire la guerre. Avec quel courage ne 
« combattront-ils pas , si la liberté est le prix 
«de leur valeur? Mais si tous ces secours ne 
« vous paroissent pas encore suffisans, rappe- 
liez vos colonies. Vous sçavez, par le dernier 



IOJ RÉVOLUTIONS 

. % « dénombrement du cens (i), que la république 
de Hume. « nourrit dans son sein cent trente mille chefs de 
« famille; à peine en trouvera-t-on la septième 
« partie parmi les mécontens. Enfin, plutôt que 
« de recevoir la loi de ces rebelles , accorde» 
« aux Latins le droit de citoyens de Rome, qu ils 
« vous demandent depuis si long-temps. Vous 
«les verrez accourir aussitôt à votre secours, 
« et vous ne manquerez ni de soldats, ni de ci- 
« toyens. Pour réduire mon sentiment en peu 
« de paroles, je suis persuadé qu il ne faut point 
« envoyer de députés aux rebelles, ni rien foire 
t <> qui marque de la frayeur ou de lempresse- 

«ment. Que s*ils rentrent deux -mêmes dans 
« leur devoir, on doit les traiter avec modéra- 
it tion ; mais il faut les poursuivre les armes à 
« la main , s'ils persistent dans leur révolte. » 

Un avis si plein de fermeté fut suivi , quoi- 
que par des vues différentes , par la faction des 
riches, et par tous les jeunes sénateurs. Les 
deux consuls, au contraire, plébéiens d'incli- 
nation , et qui vouloient gagner l'affection de 
la multitude, et les vieillards, naturellement 
timides, soutenoient que la guerre civile étoit 
le plus grand malheur qui put arriver dans uu 

(0 Fait en l'an ï*46. — Dionys. llalicatn. 1. \\ p* ac>3 , 
ei I, VI, p. 390/ 



/ 



ROMAINES. io5 

État. Ils étoient appuyés par ceux du sénat, qui At| 
ne considéraient que Y intérêt de Ja liberté pu- ** Rom *- 
blique , et qui craignoient qu'il ne s'élevât , du 
corps même du sénat, quelque homme am- 
bitieux et entreprenant, qui, à la faveur de 
ces divisions, se rendit seul maître du gouver- 
nement. Mais à peine furent -ils écoutés; on 
n'entendoit , de tous côtés , que des cris et des 
menaces. Les plus jeunes sénateurs , fiers de 
leur naissance, et jaloux des prérogatives de 
leur dignité, s'emportèrent jusqu'à faire sentir 
aux consuls qu'ils leur étoient 'suspects. Ils leur 
remontrèrent qu'ils représentoient la personne 
des rois; qu'ils en avoient l'autorité, et celle du 
*énat à soutenir contre les entreprises du peu- 
ple; et les plus violens protestèrent que, si on y 
donnoit la moindre atteinte, ils prendroient 
les armes pour conserver, dans leur Ordre , une 
puissance qu'ils avoient reçue de leurs ancêtres. 
Ijes deux consuls , qui vouloient favoriser le 
peuple, après avoir conféré en secret, résolu- 
rent de laisser calmer les esprits , et de remettre 
la décision de cette*grande affaire à la première 
assemblée. Cependant, avant que de se séparer, 
et pour tenir en respect les jeunes sénateurs 
qui leur avoient parlé avec trop d'audace, ils 
leur déclarèrent que, s'ils ne se comportoient à 
l'avenir avec plus de modestie dans une assem- 



\ 



106 RÉVOLUTIONS 

An bléc si respectable , ils sauraient bien les en 
de Rome, exclure , en fixant lage que devoit avoir un 
sénateur. Comme iLny avoit encore rien de 
décidé là-dessus, les jeunes sénateurs , plus atta- 
chés à leur dignité qu à leur sentiment, plièrent 
sous cette menace, et sous la puissance des con- 
suls, qui se servirent en même temps d'un autre 
prétexte contre les sénateurs plus âgés, qui 
s'opposoient à l'abolition des dettes: ils leur 
dirent qu'ils ne pouvoient souffrir cette divi- 
v sion dans les avis du sénat , et que si les pères 
ne prenoiént des résolutions plus uniformes, 
ils porteraient cette affaire devant le peuple , 
et qu'on .ne pouvoit, sans injustice, lui en ôter 
la connoissance, suivant ce qui s étoit pratiqué, 
même pendant le gouvernement des rois. 

Les sénateurs qui avoient embrassé lavis 
d'Appius avec le plus de chaleur, virent bien, 
par le tour que les consuls donnoient à cette 
affaire, quelle leur alloit échapper, s'ils per- 
sistaient dans leurs premiers sentimens. La 
crainte de tomber entre les mains du peuple 
les ébranla; les larmes et les cris des femmes et 
des enfans qui embrassoient leurs genoux , et 
qui leur redemandoient leurs pères et leurs ma- 
ris, achevèrent de les gagner : et le sénat s étant 
rassemblé , la plus grande ' partie se % déclara 
pour la réunion. Appius, toujours inébranlable 



ROMAINES. I07 

dans ses sentimens, et incapable d'en changer, An 
resta presque seul de son avis avec quelques <fe Rome, 
uns de ses parens , qui , par honneur, n'osèrent 
pas l'abandonner. 

Les consuls triomphoient d'avoir réduit le 
sénat, presque malgré lui, à suivre leur avis. 
Appius, persuadé que toute négociation avec 
les rebelles alloit à la diminution de l'autorité 
du sénat, adressant la parole aux deux con- 
suls: «Quoique vous paroissiez résolus, leur 
« dit-il, de traiter avec le peuple aux conditions 
« qu'il lui plaira de vous prescrire, et que même 
« ceux qui étoient du sentiment contraire , en 
«aient changé par foiblesse ou par intérêt; 
«pour moi je déclare, encore une fois, qu'à la 
« vérité on ne peut avoir trop d'égard à la mi- 
« sère d'un peuple soumis ei fidèle, mais je sou- 
tiens que toute négociation est dangereuse, 
« tant qu'il aura les armes à la main. » 

Gomme le sénat avoit pris son parti , ce dis- 
cours ne fut écouté qu'avec peine , et on le re- ' 
garda comme celui d un homme zélé à la vérité 
pour la gloire du sénat, mais trop prévenu de 
son habileté, et incapable , soit par vanité, soit 
par la dureté de son humeur, de changer ja- 
mais de sentiment. 

Le sénat , sans s'y arrêter, nomma dix cotn- x 

inissaires pour traiter avec les mécontens, et 



Iû8 RÉVOLUTIONS 

il les choisit parmi ceux de son' corps qui s'c- 
He Rome, toient toujours déclarés en faveur du peuple. 
T. Largius , Menenius Agrippa , et M. Valerius, 
étaient à la tête de cette députation : tous trois 
consulaires , et dont deux avoient gouverné la 
république , et commandé ses armées en qua- 
lité de dictateurs ; ils s'acheminèrent avec leurs 
collègues vers le camp. Cette grande nouvelle y 
étoit déjà passée : les soldats sortirent en foule 
pour recevoir ces anciens capitaines, sous les- 
quels ils avoient été tant de fois à la guerre. La 
honte et la colère étaient confondues sur le 
visage de ces rebelles , et on voyoit encore, au 
travers du mécontentement public, un reste de 
cet ancien respect que produit la dignité du 
commandement, sur-tout quand elle est sou- 
tenue par un grand mérite. 

La présence seule de ces grands hommes eût 
été capable de faire rentrer les rebelles dans 
leur devoir, si des esprits dangereux n eussent 
pris soin d'entretenir le feu de la division. 

Sicinius Bellutus s était emparé, comme nous 
l'avons dit, de la confiance de ces soldats: c'é- 
tait un plébéien ambitieux, grand artisan de 
discordes , et qui vouloit trouver son élévation 
dans les troubles de l'État. Il étoit soutenu, dans 
ses vues , par un autre plébéien à-peu-près du 
même caractère , mais plus habile , appelé Lu- 




ROMAINES. 109 

cius Junius, comme le libérateur de Rome, An 
quoique d une famille bien différente ; il afïec- <** Homo. 
toit môme le surnom de Brutus, par une va- 
nité ridicule de se comparer à cet illustre pa- 
tricien. Ce plébéien conseilla à Sicinius de tra- 
verser d abord la négociation des députés, et 
de faire naître de nouveaux obstacles à la réu- 
nion et à la paix, afin de pénétrer quel avan- 
tage ils en pourroient tirer, et à quel prix on 
vtoudroit Tacheter. « Le sénat a peur, lui dit-il ; 
« nous sommes les maîtres , si nous savons nous 
« prévaloir des conjonctures : laissez parler ces 
««graves magistrats; je me charge de leur ré- 
pondre au nom de nos camarades, et je me 
«flatte que ma réponse leur sera également 
« utile et agréable. » 

Ces deux chefs du parti plébéien , étant con- 
venus des différens rôles qu'ils dévoient jouer, 
Sicinius introduisit les députés dans le camp. 
Tous les soldats les environnèrent, et après, 
qu'il» eurent pris leur place dans un endroit 
d'où ils pouvoient être entendus par la multi- 
tude, on leur dit d'exposer leur commission. 
M. Valerius, prenant la parole, dit qu'il leur 
apportoit une heureuse nouvelle; (1) que le sé- 
uat vouloit bien oublier leur faute; qu'il les 

(c) Dtonys, Halicarn. 1. VI; p, 3g5. 



110 RÉVOLUTIONS 

An avoit même chargés de leur accorder toutes les 
de Rome, grâces qui se trouveraient conformes au bien 
commun de Ja patrie; que rien ne les empê- 
chent de rentrer dans la ville , d'aller revoir leurs 
dieux domestiques, et de recevoir les embras- 
semens de leurs femmes et de leurs en fans, qui 
soupiraient après leur retour. 

Sicinius lui répondit qu'avant que le peuple 
fit cette démarche, il étoit juste qu'il exposât 
lui-même ses griefs et ses prétentions , et qu'il 
vit ce qu'il devoit espérer de ces promesses si 
magnifiques du sénat ; et il exhorta en même 
temps ceux des soldats qui voudraient défen- 
dre la liberté publique, de se présenter. Mais 
un profond silence régnoit dans l'assemblée, 
chacun se regardoit , et ces soldats , ne se sen- 
tant point le talent de la parole , n'osoient se 
charger de soutenir la cause commune. Pour 
lors ce plébéien, qui avoit pris le nom de Bru- 
tus, se leva, comme il en étoit convenu secrè- 
tement avec Sicinius, et adressant la parole 
aux soldats : « Il semble, mes compagnons , leur 
« dit-il , à voir ce morne silence , que vous soyez 
« encore obsédés par cette crainte servile dans 
« laquelle les patriciens et vos créanciers tous 
«ont retenus si long -temps. Chacun cherche 
« dans les yeux des autres, s'il y démêlera plus 
« de résolution qu'il ne s'en trouve lui-même , 




t* 



ROMAINES. III 

« et aucun de vous n'est assez hardi pour oser J^~* 
« dire en public ce qui fait le 'sujet ordinaire àe Uome. 
« de vos entretiens particuliers. Ignorez-vous 
«que vous êtes libres? Ce camp, ces armes, 
« ne vous assurent-ils pas que vous n'avez plus 

* de tyran? et si vous en pouviez encore dou- 
« ter, la démarche que vient de faire le sénat 
« ne suffiroit-elle pas pour vous en convaincre? 
« Ces hommes si impérieux et si superbes vien- 
« nent nous rechercher : ils ne se servent plus 
« ni de commandemens sévères , ni de menaces 
« cruelles; ils nous invitent, comme leurs con- 
« citoyens , à rentrer dans notre commune pa- 
« trie, et nos souverains ont la bonté de venir 
« jusques dans notre camp nous offrir une am- 
«riistie générale. D'où vient donc ce silence 
« obstiné après des grâces si singulières? Si vous 
«doutez de la sincérité de leurs promesses, si 
«vous craignez que , sous l'appât de quelques 

* discours flatteurs , on ne cache vos anciennes 
« chaînes , que ne parlez-vous ? et si vous n'osez 
« ouvrir la bouche, écoutez du moins un Ro- 
u main assez courageux pour ne rien craindre, 
« que de ne pas dire la vérité. » 

Pour lors se tournant vers Valerius : * Vous 
« nous invitez , lui dit-il , à rentrer dans Rome j 
« mais vous ne dites point à quelles conditions, 
« Des plébéiens pauvres, mais libres, peuvent- 



112 RÉVOLUTIONS 

An « ils se réunir à des nobles si riches et si ambi- 
de Home. C( tieux? et quand même nous serions convenus 
« de ces conditions , quelle sûreté donneront-ils 
« de leur parole, ces fiers patriciens, qui se font 
« un mérite, dans leur corps , d'avoir trompé le 
« peuple ? On ne nous parle que de pardon et 
« d'amnistie , comme si nous étions vos sujets , 
« et des sujets rebelles : c'est ce qu'il faut appro- 
« fondir. Il est question de sçavoir qui a tort du 
« peuple ou du sénat; lequel de ces deux Ordres 
« a violé, le premier, cette société commune qui 
« doit être entre les citoyens d'une même répu- 
« blique. 

« Pour en juger sans préoccupation, souffrez 
« que je rapporte simplement un certain nom- 
« bre de faits dont je ne veux pour témoins que 
« vous-mêmes et vos collègues, 

«Notre État a été fondé par des rois, ft ja- 
« mais le peuple Romain n'a été plus libre , ni 
«plus heureux que sous leur gouvernement. 
«Tarquin même, le dernier de ces princes, 
« Tarquin , si odieux au sénat et à la noblesse , 
« nous étoit aussi favorable qu'il vous étoit con- 
« traire. Il aimoit les soldats, il faisoit cas de la 
« valeur y il vouloit qu elle fût toujours récom- 
« pensée ; et on sçait qu'ayant trouvé des riches- 
« ses immenses dans Suesse, ville des Volsques, 
«dont il s'étoit rendu maître, il aima mieux 



ROMAINES. Il3 

* 

« abandonner le butin à son armée que de se An 
•«l'approprier; en} sorte qu'outre les- esclaves, de Rome. 
« les chevaux, les grains, et les meubles, il en 
« revint encore à chaque soldat cinq mines d'ar- 
« gent. 

«Cependant, pour venger vos propres in- 
« jures, nous avons chassé ce prince de Rome, 
« nous avons pris les armes contre un souve- 
« rain qui ne se défendoit que par les prières ' 
« qu'il nous faisoit de nous séparer de vos inté- 
« rets, et de rentrer sous sa domination. Nous 
« avons, depuis, taillé en pièces les armées des 
« Veïens et de Tarquinie, qui vouloient le ré- 
« tablir sur le trône. La puissance formidable 
« de Porsenna, la famine qu'il a fallu endurer 
« pendant un long siège ,» des assauts , des corn- 
« bats continuels , rien enfin a-t-il pu ébranler 
«la foi que nous vous avions donnée? Trente 
« villes des Latins s'unissent pour rétablir les 
«Tarquins, qu'auriez -vous fait alors si nous 
«vous avions abandonnés., et si notisnous 
«étions joints à vos ennemis? Quelles récom- 
« penses n'aurions-nous pas obtenues de Tar- 
«quin, pendant que le sénat .et les nobles au- 
« roient été les victimes de son ressentiment? 
« Qui est-ce qui a dissipé cette ligue si redou- 
« table? A qui êtes-vous redevables de la défaite 
«des Latins? N'est-ce pas à «e même peuple, 



V 



Il4 RÉVOLUTIONS 

~"^ « Fauteur d'une puissance que vous avez depuis 
de Rome. « tournée contre lui? car quelle récompense 
« avons-nous tirée du secours si utile de nos 
« armes ? La condition du peuple Romain eu 
«est-elle devenue plus heureuse? Lavez-vous 
« associé à vos charges et à vos dignités ? Nos 
«pauvres citoyens ont -ils seulement trouvé 
« quelque soulagement dans leur misère? Na- 
« t-on pas vu au contraire nos plus braves sol- 
« dats, accablés sous le poids des usures, gémir 
«dans les fers d'impitoyables créanciers? Que 
« sont devenues tant de vaines promesses da- 
« bolir, à la paix, toutes les dettes que la dureté 
« des grands leur avoit fait contracter? A peine 
« la guerre a-t-elle été finie , que vous avez éga- 
«lement oublié nos services et vos sermens. 
« Que venez-vous donc faire ici? Pourquoi vou- 
« loir encore séduire ce peuple par lenchante- 
« ment de vos paroles ? Y a-t-il des sermens 
« assez solennels pour fixer. votre foi? Que gâ- 
te gnerez-, vous, après tout, dans une réunion 
« formée par artifice , entretenue avec une dc- 
« fiance réciproque, et qui ne se terminera, à la 
« fin, que par une guerre civile? Évitons, de part 
«et d'autre, de si grands malheurs; profitons 
« du bonheur de notre séparation ; souffrez que 
« nous nous éloignions d un pays où Ton nous 
« enchaîne comme des esclaves, et où, devenus 



bomaines. ii5 

« fermiers de nos propres héritages, nous som- ]j[— — 

« mes réduits à les cultiver pour le profit de <*e Rome. 

«nos tyrans. Nous trouverons notre patrie 

« partout où il nous sera permis de vivre en 

« liberté; et tant, que nous aurons les armes à 

« la main , nous saurons bien nous ouvrir une 

« route à des climats plus fortunés. » 

Un discours si hardi renouvella, dans rassem- 
blée, le fâcheux souvenir de tant de maux dont 
le peuple se plaignoit; chacun s'empressoit de 
citer des exemples de la dureté des patriciens. 
Les uns avoient perdu leurs biens ; d autres se 
plaignoient d avoir gémi long-temps dans les pri- 
sons de leurs créanciers ; plusieurs montroient 
encore les vestiges des coups qu ils avoient re- 
çus, et il n'y en avoit aucun qui, dans l'intérêt 
général, ne trouvât encore une injure particu- 
lière à venger. 

T. Largius, chef de la députation (i), crut 
devoir répondre à tant de plaintes , et il le fit 
avec cette exacte équité et la droiture qui lui 
étoient si naturelles. Il dit qu on n avoit pu em- 
pêcher des gens qui avoient prêté leur bien de 
bonne foi d'en exiger le paiement , et qu'il étoit 
sans exemple, dans tout Etat bien policé, que le 
magistrat refusât le secours des lois à ceux qui 

(i) Dionys. Halicarn. lib. VI, pag. 4o3. 



U6 RÉVOLUTIONS 

* 

— ~ — le réclamoient, tant que ces lois et la coutume 
de Ko»t, servoient de régie dans le gouvernement; que 
cependant le sénat vouloit bien entrer en con- 
noissance des besoins du peuple, et y remédier 
par de nouveaux règlemens; mais aussi qu'il 
étoit de sa justice de distinguer ceux qui, par 
une sage conduite , méritoient les secours de la 
république, de certaines gens qui n'étaient 
tombés dans la pauvreté que par la paresse et 
l'intempérance ; que des séditieux , qui ne pa- 
roissoient occupés que du soin d entretenir la 
division entre le sénat et le peuple, ne méri- 
toient pas plus de grâce , et que la république 
gagneroit beaucoup en perdant de tels citoyens. 
T. Largius alloit continuer un discours plus 
sincère que convenable à la conjoncture pré- 
sente, lorsque Sicinius, irrité de ce qu'il venoit 
de dire au sujet des chefs de la division, l'inter- 
rompit brusquement ; et adressant la parole à 
l'assemblée: «Vous voyez, mes compagnons, 
« leur dit-il , par le discours superbe de ce pa- 
ie tricien, ce que vous devez espérer de sa négo- 
ce dation, et quel traitement on vous prépare à 
«Rome, si le sénat peut, une fois, vous retenir 
«sous sa puissance; » et se tournant tout d'un 
coup vers les députés: «Proposez nettement, 
«leur dit-il, les conditions qu'on offre pour 
« notre retour, ou sortez à l'instant de ce camp, 



ROMAINES. 117 

« où Ton n'est pas disposé à vous souffrir plus An 

« long-temps, » de Honiq. 

Menenius, qui vit bien que de pareilles ex- 
plications n'étoient propres qu'à aigrir les es- 
prits , prit la parole ; et s adressant , à son tour, 
à l'assemblée, il représenta qu'ils n'étoient pas 
venus dans le camp seulement pour justifier la 
conduite du sénat; que ces sages magistrats f 
attentifs au bien public, avoient recherché avec 
soin les malheureuses causes de leurs divisions; 
qu'ils avoient reconnu que l'extrême indigence 
des plébéiens et la dureté de leurs créanciers 
en étoient la véritable origine, et que, pour y 
remédier tout d'up coup , ils avoient déterminé 
par un consentement unanime , et par l'auto- 
rité souveraine dont ils étoient revêtus, de cas* 
ser toutes les obligations, et de déclarer les pau- 
vres citoyens quittes de toutes dettes ; et qu'à 
l'égard de celles qu'on pourroit contracter dans 
la suite , il y seroit pourvu par un règlement 
nouveau , et qui seroit concerté entre le peuple 
et le sénat; qu'on en feroit ensuite un sénatus- 
consulte qui auroit force de loi, et que tout 
ce qu'ils étoient de commissaires dans l'assem- 
blée , offraient au peuple leurs propres vies, 'et 
qu'ils se dévouoient, eux et leurs enfans, aux 
dieux infernaux , s'ils manquoicnt à leur pa- 
role. 





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ROMAINES. Iig 

« tion et votre union. Le sénat vous aime tous An 

«avec l'affection raisonnable d'un père, mais de a fo me ' 

« sans. s'abaisser aux caresses infidèles d'un flat- 

«teur. Vous demandez l'abolition des dettes, 

«il vous l'accorde; mais il ne vous l'accorde 

« que parce qu'il la croit juste et utile au bien 

«de la patrie. Revenez donc, avec confiance, 

« dans le sein de cette mère commune qui nous 

« a tous nourris dans des sentimens également 

«généreux et libres. Recevez nos embrasse- 

« mens, pour prémices de la paix ; rentrons tous 

« ensemble dans Rome; allons, de concert, y por- 

« ter les premières nouvelles de notre réunion ; 

« et fassent les dieux protecteurs de cet empire 

« qu'elle soit célébrée, dans la suite, par de nou- 

« velles victoires contre nos ennemis ! » 

Le peuple ne put entendre un discours si 
touchant sans répandre des larmes; tous ces 
plébéiens, comme de concert, ^adressant à 
Menenius, s'écrièrent qu'ils étoient contens, 
et qu'il les ramenât dans Rome. Mais ce faux 
Brutus qui venoit de parler si .vivement contre 
le sénat, arrêta cette saillie. Il dit au peuple qu'à 
la vérité il devoit être satisfait, pour le présent, 
par l'abolition des dettes; mais qu'il ne pou- 
voit dissimuler que l'avenir lui faisoit peur, et 
qu'il craignoit que le sénat ne se vengeât , un 
jour, de la justice qu'il avoit été forcé de leur 



I2D RÉVOLUTIONS 

£ n rendre, à moins, ajouta-t-il, qu'on ne trouve 
de Rome. l e8 moyens d assurer l'État et la liberté du peu- 
ple contre les entreprises d'un corps si ambi- 
tieux. 

« Quelle sûreté pouvez-vous exiger, répartit 
« Menenius, autre que celle que vous donnent 
« nos lois et la constitution de la république? » 
« Accordez-nous , lui répondit Brutus, des offi- 
« ciers qui ne puissent être tirés que de l'Ordre 
* des plébéiens. Nous ne demandons point qu'ils 
« soient distingués par les marques honorables 
« de la magistrature, ni- qu'ils en aient la robe 
« bordée de pourpre, ni la chaise curule, ni les 
« licteurs. Nous laissons volontiers toute cette 
« pompe à des patriciens fiers de leur naissance 
«ou de leurs dignités; il nous suffit que nous 
« puissions élire , tous les * ans , quelques plé- 
« béiens qui soient seulement autorisés pour 
« empêcher les injustices qu'on pourroit faire 
« au peuple, et qui défendent ses intérêts publics 
« et particuliers. Si vous êtes venus ici avec une 
« volonté sincère de nous donner la paix, vous 
« ne pouvez rejetter une proposition si équi- 
té table. » 

• Le peuple, qui est toujours de l'avis du der- 
nier qui parle, applaudit aussitôt au discours 
de Brutus. Les députés furent extrêmement sur- 
pris d'une pareille demande; ils s'éloignèrent 



i 



ROMAINES. 121 

un peu de rassemblée pour conférer ensemble ; """^ 
et , après y être retournés , Menenius leur dit d« Rome» 
qu'ils demandoient une chose bien extraordi- 
naire, qui même, dans la suite, pourroit être la 
source de nouvelles dissentions, et qui pâssoit 
absolument leurs instructions et leurs pou- 
voirs ; que cependant M. Valerius et quelques 
uns des commissaires en alloient faire leur rap- 
port au sénat, et qu'ils ne seroient pas long- 
temps sans en rapporter la réponse. 

Ces commissaires se rendirent en diligence 
à Rome:, on convoqua aussitôt rassemblée du 
sénat, où ils exposèrent les nouvelles préten- 
tions du peuple. M. Valerius s'en rendit le pro- 
tecteur : il représenta qu'il ne falloit pas espé- 
rer de pouvoir gouverner un peuple guerrier, 
soldat, et citoyen tout ensemble, comme on 
pourroit faire de paisibles bourgeois qui n au- 
roient jamais quitté leurs foyers domestiques; 
que la guerre et l'exercice continuel des armes 
inspiraient une sorte de courage peu compa- 
tible avec cette servile dépendance qu'on vou- 
loit exiger de ces braves soldats ; qu'il y avoit 
même de la justice à traiter avec de grands 
égards un peuple généreux qui , aux dépens de 
son sang, avoit éteint la tyrannie; qu'il étoit 
d'avis de leur accorder les officiers particuliers 
qu'ils demandoient; et que peut-être de pareils 



122 RÉVOLUTIONS 

An inspecteurs ne seroient pas inutiles dans un 
de Rome. État libre pour veiller sur ceux qui, parmi les 
grands , seroient tentés de porter leur autorité 
trop loin. 

Appius ne put entendre ce discours sans fré- 
mir d'indignation. Il prit les dieux et les hom- 
mes à témoin de tous les maux que causerait, à 
la république, une pareille innovation dans le 
gouvernement; et, comme si son zèle et sa co- 
lère lui eussent tenu lieu d'inspiration , il prédit 
au sénat que , par un excès de facilité , il alloit 
laisser établir un tribunal qui s elèveroit insen- 
siblement contre son autorité , et qui la détmi- 
roit a la fin. Mais ee généreux sénateur fut peu 
écouté, et on ne regarda ses remontrances que 
comme le discours d un homme attaché , avec 
opiniâtreté , à son sentiment , et chagrin de 
ce qu on né le suivoit pas. Le parti contraire 
prévalut; la plupart des sénateurs, las de ces 
divisions, vouloient la paix à quelque prix 
que ce fut; ainsi, presque d'un commun ac- 
cord , on consentit à la création de ces nou- 
veaux magistrats , qui furent appelés tribuns du 
peuple. 

Il en fut fait un sénatus-consulte qui renfer- 
moit en même temps l'abolition des dettes. Les 
envoyés du sénat le portèrent au camp , comme 
le sceau de la paix. H sembloit que le peuple 



ROMAINES. 12 3 

n'eût plus rien qui le retint hors de Rome ; An 
mais les chefs de la sédition ne 'souffrirent d« Rome. 
point qu on se séparât, avant qu'on eût procédé 
à l'élection des nouveaux magistrats du peu- 
ple. L assemblée se tint dans le camp même ; 
on prit les auspices; les voix et les suffrages 
furent recueillis par curies , et on élut pour les 
premiers tribuns du peuple, selon Denys d'Ha- 
Hcarnasse (i), L. Junius Bru tus, et G. Sicinius 
Bellutus, les chefs de la révolte, qui associèrent 
en même temps à leur dignité G. et P. Licinius, 
et Sp. Icilius Ruga. Tite-Live prétend que G. 
Licinius et tucinius Albin us furent les premiers 
tribuns qui se donnèrent trois collègues , parmi 
lesquels on compte Sicinius Bellutus; et cet his- i 

torien ajoute qu il y a voit des auteurs qui pré- 
tendoient qu'il n' y eut d'abord que deux tribuns 
dus dans cette assemblée. 

Quoi qu'il en soit, ces premiers tribuns et 
ces chefs de la sédition, pour prévenir le res- 
sentiment du sénat , eurent l'adresse d'intéresser 
tout le corps de la nation dans leur conserva- 
tion. Le peuple, avant que de quitter le camp, 
déclara, par leur conseil , la personne de ses tri- 
buns sacrée. lien fut fait une loi par laquelle il 
ctoit défendu, sous peine de la vie, de faire au- 

s 

(i) Dionys. Hnlicarn. ?, VI, p. 4io. 



124 RÉVOLUTIONS 

A cune violence à un tribun , et tous les Romains 
d« Rom, furent obligés de jurer, par les sermens les pltu 
solennels , l'observation de cette loi. Le peu- 
ple sacrifia ensuite aux dieux sur la montagne 
même, qu on appela depuis le Mont Sacré, don 
il rentra dans Rome à la suite de ses tribuns et 
des députés du sénat. 



F1H DU PBEMIER LIVHT. 



ROMAINES. 12^ 



«v»v%<w^^^^^^r^^%«/«/*>« 



LIVRE SECOND. 

Les tribuns du peuple, qui n'avoient été créés que pour ' 
empêcher l'oppression des plébéiens, tâchent de dé- 
truire l'autorité du sénat. Origine des édiles plébéiens. 
De quelle manière les tribuns vinrent à bout de se faire 
donner le droit de convoquer les assemblées du peu- 
ple. Goriolan se déclare hautement contre les entre- 
prises des tribuns. Caractère de ce? patricien. Les tri- 
buns veulent l'obliger à rendre compte de sa conduite 
devant l'assemblée du peuple. Goriolan refuse de re- 
connoitre l'autorité de ce tribunal. Le sénat intervient 
d'abord en sa faveur, mais à la fin il l'abandonne, et 
donne un arrêt qui renvoie la décision de ce différend 
à l'assemblée du peuple. Goriolan est condamné à un 
exil perpétuel. Il se retire chez les Volsques, à qui il 
vient à bout de faire prendre les armes contre les Ro- 
mains. Il entre sur leurs terres à la tête d'une nom- 
breuse armée. Tout plie devant lui* Rome même avoit 
tout à craindre, lorsqu'elle se voit délivrée de danger 
par la sagesse et la prudence de deux Romaines entre 
autres, dont l'une étoit la femme et l'autre, la mère de 
Goriolan. 



Rome, par rétablissement du tribunat, chan- ■ 
gea , une seconde fois, la forme de son gouver- de Rome, 
nement. Il étoit passé, comme nous venons a ° : 
de le voir, de l'État monarchique à une espèce 
d'aristocratie, où toute l'autorité étoit entre les 



An 



I2Ô RÉVOLUTIONS 

An mains du sénat et des grands. Mais, par la créa- 
de Rome, tion des tribuns, on vit s élever insensiblement, 
et comme par degrés, une nouvelle démocra- 
tie , dans laquelle le peuple , sous différens pré- 
textes, s'empara de la meilleure partie du gou- 
vernement. 

Il sembloit d abord que le sénat n'eût rien 
à craindre des tribuns, qui n'avoient d autre 
pouvoir que celui de s'intéresser à la défense 
de tous les plébéiens. Ces nouveaux magistrats 
n'avoient même, dans leur origine, ni la qualité 
de sénateurs, ni tribunal particulier, ni ju ris- 
diction sur leurs concitoyens , ni le pouvoir de 
convoquer les assemblées du peuple. Habillés 
comme de simples particuliers , et escortés d'un 
seul domestique appelé viateur, et qui étoit 
comme un valet de ville , ils demeuraient assis 
sur un banc au -dehors du sénat, et ils n'y 
étoient admis que lorsque les consuls les fai- 
soient appeler pour avoir leur avis sur quelque 
affaire qui concernoit les intérêts du peuple. 
Toute leur fonction se réduisoit à pouvoir s'op- 
poser aux ordonnances du sénat par ce mot 
latin, veto, qui veut dire je l'empêche, qu'ils 
mettoient au bas de ses décrets , quand ils les 
croy oient contraires à la liberté du peuple, et 
cette autorité étoit même renfermée dans les 
murailles de Rome, et tout au plus à un mille 



_A 



ROMAINES. 127 

aux environs; et afin que le peuple eût tou- ]^— * 
jours, dans la ville, des protecteurs prêts à pren- de Rome- 
dre sa défense , il n'était point permis aux tri- 
buns de s en éloigner un jour entier, si ce ne toit 
dans les Fériés latines. C'était par la même rai- 
son qu'ils étaient obligés de tenir la porte de 
leur maison ouverte, j our et nuit, pour recevoir 
les plaintes des citoyens qui auroient recours à 
leur protection. De semblables magistrats sem- 
bloient n'avoir été institués que pour empêcher 
seulement l'oppression des malheureux ; mais 
ils ne se continrent pas long -temps dans un 
état si plein de modération. Il n'y eut rien, dans 
la suite, de si grand et de si élevé où ils ne por- 
tassent leurs vues ambitieuses. Nous les verrons 
bientôt entrer en concurrence avec les pre- 
miers magistrats de la république; et, sous pré- 
texte d'assurer la liberté du peuple, ils n'eurent 
pour objet que de ruiner insensiblement l'au* 
torité du sénat. 

Une des premières démarches de ces tribuns 
fut de demander permission au sénat de choisir 
deux plébéiens qui, sous le titre d édiles, les 
pussent secourir dans la multitude des affaires 
dont ils se disoient accablés dans une aussi 
grande ville que Rome, et sur- tout au com- 
mencement d'une nouvelle magistrature, 

Le sénat, toujours divisé, et qui avoit perdu 



128 RÉVOLUTIONS 

« 

An de vue le point fixe de son gouvernement , se 
de Rome. laissa entraîner au gré de ces ambitieux ; on 
leur accorda encore cette nouvelle demande ( i ) . 
Telle fut l'origine des édiles plébéiens , créatures 
et ministres des premiers tribuns , et auxquels 
on attribua , dans la suite , l'inspection sur les 
édifices publics,, le soin des temples, des bains, 
des aqueducs, et la connoissance d'un grand 
nombre d'affaires qui étoient auparavant du 
ressort des consuls: nouvelle brèche que les tri- 
buns firent à l'autorité du sénat. 

Cependant les sénateurs les plus populaires 
se flattoient, en relâchant quelque chose de 
leurs droits, d'avoir au moins rétabli le calme 
dans la république. Rome en effet paroissoit 
tranquille, et il sembloit que la réunion du 
peuple avec les patriciens fut sincère et dura- 
ble. Mais le feu de la division , caché au fond 
des cœurs, ne tarda guères à se rallumer (2). 
a £ ( . Une famine qui survint, l'année suivante, sous 
le consulat de T. Geganius et de P. Minucius , 
servit de prétexte aux tribuns pour se déchaîner, 
de nouveau , contre les grands et le sénat. (3) 
Sp. Icilius étoit, cette année, le premier des 
tribuns ; et Brutus et Sicinius , pour demeurer 

(1) Dionys. Halicarn. lîb. VI, p. foi. — (2) Orosius, 
lib. II, cap. 5. — (3) Dionys. Halicarn. hb. Vil, p. 4*8. 



Domaines. 129 

toujours à la tête des affaires , étoient passés ^ 
du tribunat à la charge d édiles. Ces séditieux , de Rome. 
dont le crédit ne subsistoit que par la mésin- 
telligence qu'ils entretenoient entre les deux 
Ordres de la république, publioient avec mali- 
gnité que les patriciens ayant leurs greniers 
remplis de grains, avoient procuré la disette 
publique, pour se dédommager par le prix 
excessif qu'ils les vendr oient, de l'abolition des 
dettes; que c'étoit une nouvelle sorte d usure 
inventée par ces tyrans pour avoir, à vil prix , 
le peu de terres qui restoient aux pauvres plé- 
béiens. 

Cependant ces tribuns ne pouvoient ignorer 
que c'étoit le peuple même et sa désertion sur 
le Mont Sacré , dans la saison qu'on semé les 
bleds, qui avoient causé cette disette, parce que, 
dans ce désordre général où la plupart des mé- 
contens songeoient à s'établir ailleurs, les terres 
étoient demeurées incultes et sans être ense- 
mencées. Mais ces artisans de discorde ne cher- 
choient que des prétextes. Ils sçavoient bien que 
les moins vraisemblables étoient toujours des 
raisons solides pour une populace qui man- 
quoit de pain , et ils ne décrioient le gouverne- 
ment que pour s'en rendre les maîtres, ou du 
moins pour le changer suivant leurs intérêts. 

Le sénat n opposoit à ces invectives que des 
1. 9 



l3o RÉVOLUTIONS 

A soins constans et généreux, (i) et une applica- 

de Rome, tion continuelle à pourvoir aux nécessités du 
261 
\ peuple. Il faisoit acheter du bled de tous côtés; 

et parce que les peuples voisins de Rome et ja- 
loux de son agrandissement, refusoient d'en 
fournir, on fut obligé d'en envoyer chercher 
jusqu'en Sicile. P. Valerius , fils du fameux Pu* 
blicola, et L. Geganius, frère du consul, furent 
chargés de cette commission. 

Cependant , comme les tribuns continuoient 
à répandre des bruits désavantageux à la con- 
duite du sénat, pour tâcher de soulever le peu- 
ple, les consuls convoquèrent une assemblée 
* du peuple pour le détromper, et pour lui faire 
voir, par les soins qu'on avoit pris de sa subsis- 
tance, l'injustice et la malignité de ses tribuns. 
Ceux-ci leur disputèrent la parole; et comme, 
dans cette concurrence, les uns et les autres par- 
taient en même temps, aucun netoit entendu. 
On représenta en vain aux tribuns qu'ils n'a- 
boient aucun pouvoir de traiter directement 
avec le peuple , et que leurs fonctions se bor- 
'noient au seul droit d'opposition , quand même 
on auroit fait au peuple quelque proposition 
contraire à ses intérêts (2). Ceux-ci renvoyoient 

(1) Dionys. Halicarn. L VII, p. 4 17. — (a) Idem, ibid, 
p. 43o. 



BOM AINES. 1 3 I 

les consuls à rassemblée du sénat, comme au — ^ 
seul endroit où ils pouvaient présider; mfiis ils de Rome, 
soutepoient , avec opiniâtreté , qu il leur appar- 
tenoit, par préférence aux autres magistrats, de 
prendre la parole dans les assemblées du peuple. 

Ces prétentions réciproques augmentèrent 
le tumulte : la dispute s échaufïbit insensible- 
ment, et les plus emportés de chaque parti 
étoient près d'en venir aux: mains, lorsque Bru- 
ms, qui n'étoit cette année qu édile, comme 
nous lavons dit, crut, à la faveur de ce désor- 
dre, ppuvoir étendre l'autorité des tribuns; et 
S£dres9$nt aux. deux consuls, il lsur promit 
dappaiser la sédition , s'ils voulaient bien lui 
permettre de parler en public. 

Les consuls, qui trou voient dans cette per- 
mission que lqur demandent un plébéien, en 
présence de s$s. tribuns, une nouvelle preuve 
du droit qu'Us avoient de présider à toute as- 
semblée du peuple. Romain, consentirent qu'il 
.pût dire librement son avis, ne doutant, pas 
. que comme il sçavoit que, sous le nom dVtssero- 
blée du peuple, op comprenoit également les 
sénateurs, et les chevaliers aussi bien que les 
plébéiens , il ne portât les tribuns à se désister 
de leurs prétentions., M#ist$ru tus avoit une .vue 
.bien différente, et au lieu d'adresser la parole 
«tu peuple ou aux tribuns > il se tourna vers le 

9- 



i3a RÉVOLUTIONS 

4 

■^~ consul Geganius, qui avoit été un des commis- 
<U Rome, saires que le sénat avoit envoyés sur le Mont 
Sacré. «Vous souvenez-vous, lui dit-il, que 
« dans le temps que nous travaillions, de con- 
« cert, à la réunion des deux Ordres de la répu- 
«bliquc, aucun patricien n'interrompit ceux 
«qui étoient chargés des intérêts du peuple, et 
« qu on en convint même exprès, afin que cha- 
« que parti pût exposer ses raisons avec plus 
« d ordre et de tranquillité »? « Je m'en souviens 
* fort bien , répondit Geganius » . « Pourquoi 
« donc, continua Bru tus, interrompez-vous au- 
« jourdliui nos tribuns, dont la personne est 
«sacrée et revêtue dune magistrature publi- 
« que » ? « Nous les interrompons avec justice, 
« répartit Geganius , parce qu ayant convoqué 
«nous-mêmes l'assemblée, suivant le privilège 
«de notre dignité, la parole nous appartient». 
I*e consul ajouta avec trop de précipitation et 
sans prévoir les conséquences d un pareil dis- 
cours : Que si tes tribuns m*oient conwqué tasser 
6/<fe, bien loin de les interrompre , il ne vou- 
drait pas même les venir écouter; quoiquVn 
qualité de simple citoyen Romain , il eut droit 
d assister à toutes les assemblées du peuple. 

Brutus n'eut pas plutôt entendu ces dernières 
paroles, quil secriu, transporté de joie, « Vous 
« avex vaincu , plébéiens : tribuns , cède» la pla^ 



/ 



ROMAINES. l33 

«aux consuls: qu'ils haranguant aujourd'hui ^" — 
«tant qu'il leur plaira; demain je vou3 ferai de Rome. 
« voir quelle est la dignité et la puissance de 
« vos charges. Faites seulement que , par vos 
«ordres et sous votre convocation, le peuple 
« se rende ici de bonne heure. Si j'abuse de sa 
« confiance et de la vôtre, je suis prêt à expier 
< des promesses téméraires par la perte de ma 
« vie, » 

On fut obligé de congédier l'assemblée, à 
cause de la nuit qui survint durant ces dis- 
putes. Le peuple se sépara dans l'impatience 
de voir, le lendemain , l'effet des promesses de 
Bru tus; et les patriciens se* retirèrent de leur 
côté, méprisant les discours d'un particulier 
incapable, à ce qu'ils prétendoient , de donner 
plus d'étendue à la fonction de tribun que. la 
voix de simple opposition qui lui avoit été at- 
tribuée sur le Mont Sacré, 

Mais Brutus , plus habile que ne le croy oit 
le sénat, fut trouver le tribun Icilius. Il passa 
une partie de la nuit à conférer avec lui et avec . 
les autres tribuns, et il leur fit part de ses des- 
seins. « Il n'est question pour réussir, leur dit-il, 
« que de faire voir au peuple que le tribunat lui 

* devient inutile, si les tribuns n'ont pas le pou- 
« voir de convoquer les assemblées, pour lui re- 

* présenter ce qui est de son intérêt. Le peuple 



l34 X RÉVOLUTIONS 

— « ne nous refusera jamais de passer une loi qui 

de Rome. « ne peut que lui être avantageuse ; toute la dif- 
a61 ' « ficulté consiste à prévenir le sénat et les pa- 
« triciens qui pourraient s'y opposer. Pour cela 
« il faut tenir l'assemblée le plus matin qu'on 
« pourra, et se saisir, de lionne heure, de tous 
« les postes qui environnent la tribune aux ha- 
rangues». Les tribuns ayant approuvé son 
projet, envoyèrent, dans les différens quartiers 
de la ville, solliciter les principaux plébéiens de 
se rendre dans la place, à la pointe du jour, 
avec le plus de monde qu'il leur seroit possible. 
Ils s'y trouvèrent eux-mêmes avant le jour; et, 
par le conseil de Brutus, ils s'emparèrent d'abord 
du temple de Vulcain , où se plaçoient ordinai- 
rement ceux qui vouloient haranguer* Une fouie 
innombrable de peuple eut bientôt rempli la 
place. Icilius prit la parole; et, pour renouvel- 
ler l'aigreur et l'animosité dans les esprits, il 
commença par rappeler tout ce que le peuple 
avoit souffert de l'avarice et de l'inhumanité des 
grands, avant l'établissement du tribunat. D re- 
présenta ensuite que la misère publique n'au- 
roit point eu de fin, s'il ne se fut trouvé deux 
citoyens assez courageux pour s'opposer à la 
tyrannie des patriciens; qu'après l'abolition des 
dettes, ces mêmes patriciens se servoient de la 
famine pour réduire de nouveau le peuple daus 



ROMAINES. 1 35 

la servitude , et qu'ils prétendoient interdire aux — " 
tribuns l'usage de la parole dans les assemblées, de Rome. 
de peur quil& n'éclairassent le peuple sur ses 
véritables intérêts.; que ^ette tyrannie visible 
rendoit le tribunat inutile , et qu il falloit ou 
que le peuple renonçât lui-même à cette ma- 
gistrature , ou que , par une nouvelle loi , il au- 
torisât ses magistrats à convoquer des assem- 
blées pour y traiter de ses droits, et quil fut 
défendu alors, sous de griéves peines, de Les in- 
terrompre et de les troubler dans l'exercice de 
leurs charges. ' 

Ce discours fut reçu , à l'ordinaire , avec de 26a 
grands applaudissements. Le peuple s'écria aus- 
sitôt quil proposât la loi lui-même. Il lavoit 
dressée pendant la nuit, et la tenoit toute prête, 
de peur que si on eût été obligé d'en remettre 
la publication à la prochaine assemblée, le 
sénat et les patriciens ne s'y fussent trouvés 
pour s'y opposer : ainsi il la lut tout haut , et 
elle étoit conçue en ces termes : 

<< Que personne ne soit Wez hardi pour in- 
« terromprc un tribun qui parle dans lassem- 
« blée du peuple Romain (1). Si quelqu'un viole 
k cette loi , qu'il donne caution sur-le-champ 
« de payer l'amende à laquelle il sera condamné; 

(1) Dionys. Ilalicarn. lib. VII, pag. 43 1, 43u. 



l36 RÉVOLUTIONS 

— « s'il le refuse, qu'il soit mis à mort , et ses biens 

An* * " 

de Rome. » confisqués. » 

Le peuple autorisa cette loi par ses suffrages. 
Les consuls ayant voulu la rejetter, en disant 
que ce ne toit qu'une loi surprise par artifice, 
et dans une assemblée furtive , faite sans aus- 
pices, et sans convocation légitime, les tri- 
buns déclarèrent hautement qu ils nauroient 
pas plus d égard pour les sénatus-consultes, que 
le sénat en auroit pour ce plébiscite. Ce fat le 
' sujet de beaucoup de disputes, où tout se passa 
en reproches de part et d'autre , mais sans ja- 
mais en venir aux voies de fait. Enfin le sénat, 
comme un bon père , céda à l'opiniâtreté des 
plébéiens, qu'il regardoit toujours comme ses 
enfans. La loi fut reçue par un consentement 
général des deux Ordres. Le peuple, content 
d'avoir augmenté la puissance de ses tribuns, 
supportoit la famine avec patience ; et dans sa 
misère, il eonservoit encore assez d'équité pour 
respecter ces grands hommes qui lui résistoient 
avec tant de courage et de fermeté. 

La ville demeura quelque temps tranquille ; 
mais l'abopdance produisit ce que la famine 
n'avoit pu faire; et une flotte chargée de grains, 
et qui arriva aux côtes de Borne, fournit une 
nouvelle occasion aux tribuns d'étendre leup 
t pouvoir, et de rallumer la sédition. 



ROMAINES. l37 

P. Valerius et L. Geganius, que le sénat avoit An 
envoyés en Sicile, comme nous lavons dit, en de Rome. 
revinrent avec un grand nombre de vaisseaux 
chargés de bled, sous le consulat de M. Minu- 
cius et de A. Sempronius. Gélon, tyran de Si- 
cile, en avoit fait présent de la meilleure partie , 
et les envoyés du sénat avoient acheté le sur- 
plus, des deniers publics. Il étoit alors question 
du prix qu'on y mettroit; les tribuns furent 
mandés dans le sénat pour en dire leur avis. 
Les sénateurs, qui n avoient pour objet que de 
rétablir une parfaite intelligence entre le peu- 
ple et le sénat, opinèrent à ce qu'on distribuât 
gratuitement, aux plus pauvres, le bled qui ve- 
noit de la libéralité de Gélon , et qu'on vendit , 
à vil prix , celui qui auroit été acheté des de- 
niers publics. Mais quand ce fut à Goriolan à 
dire son avis, ce sénateur, à qui l'institution 
du tribunat étoit odieuse, soutint que cette 
condescendance du sénat pour les besoins du 
peuple, ne serviroit qu'à nourrir son insolence ; 
qu'on ne le retiendroit jamais dans le devoir 
que par la misère-, et que le temps étoit enfin 
venu de venger la majesté du sénat violée par des 
séditieux, dont les chefs, par un nouveau crime, 
avoient extorqué des dignités comme la récom- 
pense de leur rébellion. Ce fut ainsi que s'expli- 
ijua ce sénateur, en présence môme des tribuns, 



l38 RÉVOLUTIONS 

Mais avant que de rapporter les suites de 
de Rome, cette affaire > je ne crois pas que nous puissions 
nous dispenser de faire connoitre un peu plus 
particulièrement un homme qui va jouer un 
si grand rôle dans cet endroit de l'histoire, et 
dont la fortune eut plus d éclat que de bon- 
heur. 

Caïus Marcius Coriolanus étoit issu d'une des 
plus illustres familles patriciennes de Rome. 
On lui avoit donné le surnom de Goriokn 
pour avoir emporté, lepée à la main, Corioles, 
une des principales villes des Volsques. Ayant 
perdu son. père dès sa plus tendre jeunesse, il 
fut élevé avec un grand soin par sa mère, ap- 
pelée Véturie, femme dune austère vertu, et 
qui n avoit rien oublié pour inspirer ses senti- 
timens à son fils. 

Coriolan étoit sage, frugal, désintéressé, 
dune probité exacte, attaché inviolabkœent 
à l'observation des lois. Avec ces vertus paisi- 
bles , jamais on n avoit vu une si haute valeur, 
et tant de capacité pour le métier de la guerre. 
Il sembloit qu'il fut né général ; mais il étoit 
dur et impérieux dans le commandement; *- 
vère aux autres comme à lui-même , ami gé- 
néreux, implacable ennemi, trop fier pour un 
républicain. Content do la droiture de ses ic- 
tentions, il alloit au bien sans ménagement et 



AoàiAittÈiSj i'4r 

Voix alloit à rétablir le gouvernement de la ré- "7][~ 
publique sur ses anciens fondemens. de Rome» 

Lés tribuns, que les consuls avoient fait en- 
trer dans le sénat, comme nous lavons dit, 
voyant cette espèce de conjuration contre leur 
Ordre, en sortirent pleins de fureur, invo- 
quant les dieux vengeurs du parjure, et les 
prenant à témoin des serinens solennels avec 
lesquels le sénat avoit autorisé rétablissement 
du tribunat. Us assemblèrent le peuple tumul- 
tuairement, et ils crioient, du haut de la tri- 
bune , que les patriciens avoient formé une don* 
spiration pour les faire périr avec leurs fem- 
mes et leurs enfans , à moins que les plébéiens 
ne remissent leurs tribuns enchaînés en la puis- 
sance de Coriolan ; que c étoit un nouveau tyran 
qui s'élevoit dans la république, et qui vouloit 
ou leur mort ou leur servitude. 

Le peuple prend feu aussitôt (i); il pousse 
mille cris confus, remplis d'indignation et de 
menaces. Rome, à peine tranquille, voit re- 
naître une sédition plus dangereuse que la pre- 
mière. U n'est plus question de se retirer sur le 
Mont Sacré, le peuple, qui a, pour ainsi dire, 
essayé ses forces, prétend disputer aux. patri- 
ciens l'empire de Rome , au milieu de Rome 

(i)Tit.Liv.Hb.II,cap. 35. 



l4* RÉVOLUTIONS 

An même. On ne parle pas moins que d'aller sur- 
de Home, le-champ arracher Goriolan du sénat, pour l'im- 
moler à. la haine publique. Mais les tribuns, 
qui le voul oient perdre plus sûrement, sous 
.prétexte d'observer, les formes de la justice, ren- 
voyèrent sommer de venir rendre compte de 
sa conduite devant l'assemblée du peuple, dans 
'la vue , s il obéissoit , d être les imaitres et les 
arbitres de lia vie de leur ennemi, ou de Je ren- 
dre! plus odieux an peuple, s'il refusoit de re- 

-connoître son autorité. 

Coriolan,inaturéllement fier et hautain» a Y ant 

-renvoyé l'appariteur avec mépris , comme les 
tribuns d'avoient bien prévu, ceux-ci se firent 
suivre aussitôt par une troupe des. plus mutins 
d'entre > les plébéiens , et' ils furent l'attendre , à 

)k sortie du sénat , pour l'arrêter. Us le. rencon- 
trèrent accompagnera son ordinaire, dune 

"foule de ses cliens , et < d'un grand nombre de 
jeunes sénateurs attachés à sa personne, et qui 

- se faisoient honneur de suivre son. avis, dans le 

-sénat, et ses exemples r à la guerre (i). Les tri- 
buns ne l'eurent pas plutôt apperçu qu'ils or- 
donnèrent à Bmtus et à Ieilius, qui'iaisoient 
cette année la fonction d édiles, de le conduire 
en prison. Mais il ne toit pas aisécTexécuter une 

(i) Dionys. Halicarn. lib* Ml, p. 4^8. 



*— * 



ROMAINES. l43 

pareille commission , et Fentreprise étoit aussi An 
hardie qu'extraordinaire. Goriolan et ses amis à* Rome. 

362. 

se mettent en défense. On repousse les édiles à 
coups de poing : c'étaient les seules armes <d=n- 
sage, en ce temps-là, dans une 'ville où Ton ne 
prenoit l'épée que quand on en sortait l pour 
marcher aux ennemis. Les tribuns, irrités de 
cette résistance , appellent le peuple à 'leur se- 
cours ; les patriciens , de leur côté , accotirerrt 
pour défendre un des plus illustres-personnages 
de leur corps. Le tumulte s'augmente; on en 
vient aux injures et aux reproches. Les tribuns 
se plaignent qn un simple particulier ose «violer 
une magistrature sacrée. -Les sénateurs leur de* 
mandent, à leur tour, par quelle autorité ils 
osent faire arrêter un sénateur et un 'patricien 
d'un Ordre supérieur aujpeuple, et sïls pré*- 
tendent s ériger en tribuns du sénat , comme ils 
le sont du peuple.'Pendant ces disputes, arrivent 
les consuls, qui écartent la foule; et, autant 
par prières que par autorité , ils obligent le peu- 
ple à se retirer. 

MaisJes tribuns n'en demeurèrent pas là; ils 
convoquèrent l'assemblée pour le lendemain. 
Les consuls et le sénat, qui -virent lerpeuple cou- . 
rir, dès la pointe du jour, à la place, s'y retr-* 
dirent, de leur côté, en diligence, pour prévenir 
les mauvais desseins de ces magistrats séditieux. 



RÉVOLUTIONS 

" . pour tes empêcher de faire prendre au peu- 
i0, quUs gouvernoient , quelque résolution 
■ttcipîtée et contraire à la dignité du sénat et 
iu *alut de Goriolan. Leur présence n empêcha 
poù*t ces tribuns de se déchaîner, à leur ordi- 
naire, contre tout l'Ordre des patriciens. Tour- 
îfciiit ensuite l'accusation contre Goriolan, ils 
rapportèrent le discours qu'il avoit tenu , dans 
le sénat, au sujet de la distribution des grains. 
On lui fit un nouveau crime de ce grand 
nombre d amis que sa vertu attachoit à sa suite, 
et que les tribuns appeloient les satellites du 
tyran. «C'est par son ordre, disoient -ils, en 
« adressait la parole au peuple , que vos édiles 
«ont été maltraités^ Il ne cher choit, par ces 
«premiers coups, qu'à engager la querelle; et si 
« nous n'avions pas eu plus de modération que 
« lui , peut-être qu une guerre civile auroit armé 
«/vos citoyens les uns contre les autres ». Après 
Vêtre épuisés en invectives, pour rendre Go- 
jriolan plus odieux à la multitude, ils ajoutè- 
rent que s'il y avoit quelque patricien qui vou- 
lût entreprendre sa défense, il pouvoit monter 
dans la tribune et parler au peuple. 

Minucius, premier consul (i), se présenta; 
et après s être plaint en général , et avec beau- 

(i; Dion. Halic. lib- VII, pag. 43 7 . 



ROMAINES. l45 

coup de modération, de ceux qui saisissoient 
le moindre prétexte pour exciter de nouveaux de Home, 
troubles dans la république, il remontra au a ' , 

peuple que , bien loin qu on pût accuser le sé- 
nat et les patriciens d avoir procuré la famine , 
tout le monde sçavoit que ce malheur n'étoit 
arrivé que par la désertion <iu peuple, et par la 
faute de ceux qui avoient négligé, Tannée pré- 
cédente , de cultiver] et de semer leurs] terres ; 
qu il ne lui seroit pas plus difficile de détruire 
les autres calomnies dont on les entretenoit 
dans des harangues séditieuses , comme si le sé- 
nat eût formé le projet d abolir le tribunat, et 
de faire périr tout le peuple par la famine (1); 
que, pour faire tomber tout d'un coup des dis- 
cours si faux et si injurieux, il leur déclaroit 
que le sénat confirmoit, de nouveau, la dignité 
tribunitienne, avec tous les droits qui y avoient 
été attachés sur le Mont Sacré ; qu'à l'égard de 
la distribution des grains , il laissoit le peuple 
maître et arbitre d'y mettre lui-même tel prix 
qu'il jugeroit à propos. 

Le consul, après un préambule si propre à 
adoucir les esprits et à se concilier la bienveil- 
lance du peuple, ajouta, comme par un doux 
reproche, qu'il ne pouvoit s'empêcher de les 

(1) Dîonyi. Halicarn. lib. Vif. 

1. to 






l46 RÉVOLUTIONS * 

Ao blâmer de la précipitation avec laquelle ils se 
4* Home, laissoient entraîner aux premiers bruits que ré- 
pandoient quelques mutins ; qu'il étoit bien sur- 
prenant qu'ils voulussent faire un crime au sé- 
nat des différons avis qui se proposoient, avant 
même qu'il eût rien statué. « Sou venez- vous , 
« leur dit-il , que pendant vôtre retraite sur le 
« Mont Sacré , vos vœux , vos requêtes , et vos 
« prières se bornoient à. obtenir l'abolition des 
« dettes. A peine vous eut-on accordé une si 
« grande grâce, que vous vous fîtes comme im 
« nouveau droit de la facilité du sénat pour de- 
» mander la création de deux magistrats de 
«votre corps, dont toute l'autorité, de votre 
« propre aveu , devoit être renfermée à empc- 
« cher qu'un plébéien ne pût être opprimé par 
«un patricien: nouvelle grâce qui nous attira 
« vos remerciemens , et qui parut remplir tous 
« vos souhaits. On ne vous vit point , dans ces 
«temps fâcheux, lors même que la sédition 
« étoit le plus échauffée, demander qu'on dimi- 
«nuât l'autorité du sénat, ou qu'on changeât 
«la forme de notre gouvernement. De quel 
« droit donc vos tribuns prétendent-ils aujour- 
« d'hui porter leurs vues et leur censure sur ce 
« qui se passe dans nos conseils? Quand s'est-on 
« avisé de faire un crime à un sénateur pour 
«avoir dit librement son avis dans le sénat? 



ROMAINES. l47 

« Quelles lois peuvent vous autoriser à pour- . 
«suivre, avec tant d anii^iosi té , son exil ou sa de Rome. 
« mort? Mais je suppose que, par un renverse- 
« ment inoui de tout ordre , le corps entier du 
« sénat fut justiciable de vos tribuns ; suppo- 
rt sons encore, si on le veut, qu'il soit échappé 
«à Coriolan quelque chose de trop dur en 
«disant son avis, n est -il pas de votre équité 
"d'oublier quelques paroles vaines, et qui se 
«sont perdues en l'air, en faveur de ses ser- 
vices réels, dont vous avez vous-mêmes re- 
« cueilli tout le fruit? Conservez la vie à un 
«excellent citoyen, conservez à la patrie un 
« grand capitaine ; et si vous ne le voulez pas 
«absoudre comme innocent, donnez-le du 
« moins comme criminel à tout le sénat , qui 
«vous en prie par ma bouche. Ce sera là le 
«lien qui, en nous réunissant, servira au sé- 
« nat comme d'un nouveau motif pour len- 
« gager à vous continuer ses bienfaits. Au lieu 
« que si vous persistiez à vouloir perdre ce sé- 
nateur, peut-être que l'opposition que vous 
«y trouveriez de la part des patriciens, pro- 
«duiroit des maux qui vous feroient repen- 
tir d'avoir poussé trop loin vqfre ressenti- 
« ment. » 

Ce discours fit impression sur la multitude, 
et tourna les esprits du côté de la paix et de 

10. 



l48 RÉVOLUTIONS 

T" - l'union. Sicinius en fut consterné : mais dissi- 
de Rome, mulant ses mauvais desseins , il donna de gran- 
des louanges à Minucius et à tous les séna- 
teurs, d avoir bien voulu s abaisser jusqua ren- 
dre compte au peuple de leur conduite, et de 
n avoir pas même dédaigné d'interposer leurs 
prières et leurs offices en faveur de Coriolan. 
Se tournant ensuite vers ce sénateur : « Et vous, 
« excellent citoyen, lui 1 dit-il dun ton ironique, 
«ne soutiendrez-vous pas aujourd'hui, devant 
« le peuple , ces avis si utiles à la république , 
« que vous avez proposés si hardiment dans le 
« sénat? ou plutôt pourquoi navez-vous pas re- 
« cours à la clémence du peuple Romain? Ap- 
ec paremment que Coriolan croit indigne de son 
«courage de s abaisser jusqu a demander par- 
« don à ceux qu'il a voulu perdre. » 

L'artificieux tribun lui parloit ainsi , parce- 
qu il étoit persuadé qu'un homme du caractère 
de Coriolan > incapable de plier et de changer 
d avis , aigriroit de nouveau le peuple par la 
fierté de ses réponses. Il ne fut pas trompé dans 
ses espérances; car, bien loin que Coriolan s'a- 
vouât coupable, ou qu'il tâchât d'adoucir le 
peuple, comme avoit fait; Minucius, il ruina 
au contraire l'effet du discours de ce consul 
par une fermeté à contre-temps, et par la du- 
reté de ses expressions. Il se déchaîna avec plus 



ROMAINES. l4g 

de force quïl n avoit encore fait, contre les en- A|l 
treprises des tribuns; et il déclara nettement de Rome, 
que le peuple n avoit aucune autorité légitime 
pour pouvoir juger un sénateur; mais que si 
quelqu'un se trouvoit offense de lavis qu'il avoit 
ouvert dans le sénat, il le pouvoit citer devant % 
les consuls et les sénateurs, quil reconnoissoit 
pour ses juges naturels , et devant lesquels il se- 
rait toujours prêt à rendre compte de sa con- 
duite. 

Les jeunes sénateurs y charmés de l'intrépi- 
dité quil faisait paroître, et ravis quil se trou- 
vât quelqu'un qui osât dire tout haut ce qu'ils 
peusoient tous, s'écrièrent qu'il n avoit rien 
avancé qui ne fût conforme aux lois. Mais le 
peuple , qui se croyo.it méprisé , résolut de lui 
faire sentir son pouvoir. On lui fit son procès 
sur-le-champ , comme à un rebelle , et à un ci- 
toyen qui refusoit de reconnoître l'autorité du 
peuple Romain. Sicinius , après avoir conféré 
en secret avec ses collègues , sans daigner même 
recueillir les suffrages de rassemblée, prononça 
contre lui une sentence de mort, et il ordonna 
qu'on le précipitât du haut de la Roche Tar- 
péienne : supplice dont on punissoit les enne- 
mis de la patrie. / 

Les édiles , ministres ordinaires de toutes les 
violences des tribuns , s'avancèrent pour se sai- 



l5o RÉVOLUTIONS 

An sir de sa personne (i) ; mais le sénat , et tout ce 
de Rome, quïl y avoit de patriciens dans rassemblée , ac- 
coururent à son secours. Ils le mirent au milieu 
d'eux, et s'étant fait des armes des premiers 
objets que l'indignation et la colère leur pré- 
sentaient , ils paroissoient résolus d opposer la 
force à la violence. 

Le peuple, qui craint toujours quand on ne 
le craint point , refusa son secours aux édiles , 
et demeura comme en suspens , soit qu'il n osât 
attaquer un gros où il voyoit ses magistrats et 
ses capitaines, soit qu'il trouvât que ses tribuns 
eussent poussé l'animosité trop loin , en con- 
damnant un ^citoyen à mort pour de simples 
paroles. Sicinius, qui craignoit que Coriolan 
ne lui échappât, fit approcher Brutus, son 
conseil et son oracle, aussi séditieux, mais 
moins emporté, et qui avoit des vues plus 
étendues. Il lui demanda secrètement son avis 
sur l'irrésolution du peuple, qui déconcertoit 
tous ses desseins. 

Brutus lui dit qu'il ne devoit pas se flatter 

* de pouvoir faire périr Coriolan , tant qu'il se- 

roit environné de toute la noblesse qui lui ser- 

voit de garde; qu'on murmuroit même dans 

l'assemblée de ce qu'il vouloit être, en même 

(ï) Dion. Halic. lib. VIT, pag. 4 7 5. — Plut , in Coriol. 



ROMAINES. lf>I 

temps Juge et partie; que le peuple , qui passe, A 
en un instant , de la colère la plus violente à «le Rome, 
des sentimens de compassion , avoit trouvé 
trop de rigueur dans la condamnation de iport ; 
que, dans la disposition où il voyoit les esprits, 
il ne réussiroit pas assurément par les voies de 
fait, mais que sous le prétexte toujçurs spé- 
cieux de ne vouloir rien faire que dans les for- 
mes, il devoit exiger du sénat que Coriolan ne 
put être jugé que par l'assemblée du peuple , et 
sur- tout qu'il falloit obtenir, à quelque prix 
que ce fût, que l'assemblée seroit convoquée 
par tribus, où les grands et les plus riches 
étoient confondus avec les plus pauvres; au 
lieu que si on recueilloit les suffrages par cen- 
turies, il étoit -à craindre que les citoyens ri- 
ches, qui seuls en composoient le plus grand 
nombre, ne sauvassent Coriolan. # 

Sicinius s'étant déterminé à suivre cet avis , 
fit signe au peuple qu'il vouloit parler, et après 
qu'on lui eût donné audience : « Vous voyez , 
« Romains, leur dit-il, qu'il ne tient pas aux pa- 
triciens qu'on ne répande aujourd'hui beau- 
coup de sang, et qu'ils sont prtUs à en venir 
«aux mains, pour soustraire à Injustice l'en- 
« ncrai déclaré du peuple Romain. Mais nous 
« leur devons de meilleurs exemples , nous ne 
« ferons rien avec précipitation. Quoique le cri • 



.* • 



132 RÉVOLUTIONS 

Ân «minel soit assez convaincu par son propre 
de Rome. u aveu , nous voulons bien lui donner encore 
«du temps pour préparer ses défenses. Nous 
« t'ajournons, dit-il, en s adressant à Coriolan, 
« à comparottre devant le peuple dans vingt- 
« sept jours. A l'égard de la distribution des 
« grains , si le sénat n'en prend pas le soin qu'il 
«doit, les tribuns y donneront ordre eux- 
« mêmes j » et là - dessus il congédia rassem- 
blée. 

Le sénat, pendant cet intervalle, pour se 
rendre le peuple favorable, fixa la vente des 
grains au plus bas prix qu'ils eussent été même 
avant la sédition , et les consuls entrèrent en 
conférence avec les tribuns sur l'affaire de Co- 
riolan, dans la vue de les adoucir, et de ré- 
duire ces magistrats populaires à se conformer 
aux anciennes règles du gouvernement. Minu- 
cius, qui portoit la parole , leur représenta que, 
depuis la fondation de Rome, on avoit tou- 
jours rendu ce respect au sénat, de ne ren- 
voyer aucune affaire au jugement du peuple, 
que par un sénatus-consulte; que les rois même 
avoient eu cette déférence pour un corps si 
auguste ; qu'il les exbortoit à se conformer aux 
usages de leurs amcêtres. Mais que, s'ils avoient 
des griefs considérables à proposer contre Co- 
riolan, ils s'adressassent au sénat, qui leur fc- 



ROMAINES. 1 5 3 

mit justice, et qui, sur la nature du crime et Ati 
\n solidité rien prouvai , le renverrait , par un <*« N<> m «- 
fténatus-consulte aij jugement du peuple, qui 
pour Ion seulement scroit en droit de faite le 
procès à un citoyeri. 

Sicinius l'opposa , avec son insolente ordi- 
naire , à eette proposition , et il déclara qu'il ne 
nouffriroit jamais que Ton décidât , par un sé- 
tmtus-cnnsultc, de l'autorité du peuple Homain. 
Son coliques, aussi mal -intentionnés, mais 
plus habiles dans la conduite de leurs desseins , 
virent bien qu'ils se rendroient odieux mAme 
mt* plébéiens , s'ils s'éloignoicnt si ouvertement 
des formes ordinaires de la justice. Ainsi ils 
nltliftèrcnt Sicinius à se désister de son oppo- 
sition, sous prétexte do condescendance pour 
Icn consuls. Mais cette complaisance apparente 
leur eoùtoit d'autant moins, qu'ils étoient bien 
mtolus, si le sénatus-consulte ne leur étoit pas 
favorable, de se fonder sur la loi Palma, pour 
n\ appeler devant l'assemblée du peuple; et, 
par là, cette affaire devoit toujours revenir à 
Intr tribunal, et il n'étoit au plus question que 
de sçavoir si elle y seroit portée en première ou 
«mi seconde instance. 

Ainsi ces tribuns convinrent sans peine que 
!'• sénat décideroit, à son ordinaire, si le peu- 
ple devoit prendre connoissaucc de cette accu* 



l54 RÉVOLUTIONS 

~ ^ sation ; et ils demandèrent qu'ils pussent être 

«le Rome, entendus, dans le sénat, sur les griefs qu'ils 

prétendoient proposer conjre l'accusé. 

Les consuls et les tribuns étant convenus de 
cette forme préliminaire , on introduisit, le len- 
demain, ces magistrats du peuple dans le sénat. 
Decius, un de ces tribuns, quoique le plus 
jeune, portoit la parole, et on lui avoit déféré 
cet honneur, à cause de son éloquence et de sa 
facilité à s'énoncer en public : qualité indispen- 
sable dans tout gouvernement populaire , et 
sur- tout à Rome, où le talent de la parole 
n'étoit pas moins nécessaire pour s'avancer, 
que le courage et la valeur. Ce tribun s adres- 
sant à tout le sénat : « Vous sçavez , pères con- 
« scripts, leur dit-il, qu'ayant chassé les rois par 
« notre secours , vous établîtes, dans la répu- 
« blique, la forme du gouvernement qui s'y ob- 
* serve , et dont nous ne nous plaignons pas. 
<t Mais vous n'ignorez pas aussi que , dans tous 
« les différends que de pauvres plébéiens eurent, 
«dans la suite, avec des nobles et des patri- 
«ciens, ces plébéiens perdoient toujours leurs 
« procès , parce que leurs parties étoient leurs 
11 j u 6 es > et q ue tous l es tribunaux n etoient rem- 
« plis que de patriciens. Cet abus obligea P. Va- 
« lerius Publicola , ce sage consul et cet excel- 
lent citoyen, d'établir la loi qui pcrmettoit 




ROMAINES. l55 " 

« d'appeler, devant le peuple , des ordonnances — ^ 
« du sénat et du jugement des consuls. de Rom «« 

«Telle est la loi appelée Valeria, qu'on a 
«toujours regardée comme la base et le fonde- 
« ment de la liberté publique. G est à cette loi 
«que nous avons recours aujourd'hui, si vous 
« nous refusez la justice que nous demandons 
« contre un homme noirci du plus grand crime 
« qu'on puisse commettre dans une république. 
« Ce n'est point un seul plébéien qui se plaint, 
«c'e9t le corps entier du peuple Romain qui 
« demande la condamnation d'un tyran qui a 
« voulu faire mourir de faim ses concitoyens , 
«qui a violé notre magistrature, et repoussé, 
« la force à la main , nos officiers et les édiles 
«de la république. C'est Coriolan que nous 
« accusons d'avoir proposé l'abolition du tribu- 
« nat , cette magistrature consacrée par les ser- 
« mens les plus solennels. Qu'est-il besoin, après 
« cela , de sénatus-consulte pour juger un pa-. 
«reil crime? Ne sçait-ôn pas que ces décrets 
« particuliers du sénat n'ont lieu que dans des 
« affaires imprévues et extraordinaires , et sur 
«lesquelles les lois n'ont encore rien statué? 
«Mais dans l'espèce dont il s'agit, où la loi est 
«si formelle, où elle dévoue si expressément 
«aux dieux infernaux ceux qui la violeront, 
« n'est-ce pas se rendre complice du crime que 



l56 RÉVOLUTIONS 

An «den vouloir douter? Ne craignez- vous point 

de Rome. « que , par ces retardemens affectés de pronon- 

« cer contre le criminel , sous prétexte de la né- 

«cessité imaginaire dun sénatus- consulte, le 

* peuple ne se persuade que Coriolan n'a été 

* que l'interprète de vos sentimens ? 

« Je sçais que plusieurs parmi vous se plai- 
« gnent que ce n a été que par violence qu on 
« a arraché votre consentement pour laboli- 
« tton des dettes , et rétablissement du tribu- 
« nat. Je veux même que , dans ce haut degré 
« de puissance où vous vous étiez élevés depuis 
« l'expulsion des rois , il ne vous ait été ni utile 
« ni même honorable d en relâcher une partie 
« en faveur du peuple; mais vous lavez fait, et 

* tout le sénat s y est engagé par les sermens 
«les plus solennels. Après rétablissement de 
« ces lois sacrées , et qui rendent la personne 
« de nos tribuns inviolable, irea^-vous, au gré 
« du premier ambitieux , révoquer ce qui fait 
« la sûreté et le repos de l'État? Vous ne le ferez 
«pas assurément, et j'en réponds, tant que je 
« verrai dans cette assemblée les vénérables ma- 
« gistrats qui ont eu tant de part à la réunion 
« qui s est faite sur le Mont Sacré. Devoit-on 
«seulement souffrir qu'on mît un si grand 
« crime en délibération ? Coriolan est le pre- 
« mier qui , par des avis séditieux , a taché de 




I 



ftOMAÎNÈS. t57 

« rompre ces liens sacrés , qui , à la faveur de An 
« nos lois , unissent les différens Ordres de TÉ- de Rome, 
«tat. C'est lui seul qui veut détruire la puis- 
ât sance tribunitienne , l'asile du peuple , le rem- 
« part de la liberté , et le gage de notre réunion. 
* Pour arracher le consentement du peuple , il 
« veut faire réussir un crime par un plus grand 
« crime. Il ose, dans un lieu saint et au milieu 
« du sénat, proposer dé laisser mourir le peu- 
m pie de faim. Ne songeoit-il point cet homme 
« cruel et insensé tout ensemble , que ce peuple 
«qu'il vouloit faire mourir avec tant d'inhu- 
« manité , plus nombreux et plus puissant qu'il 
« ne souhaite, réduit au désespoir, se seroit jette 
« dans les maisons des plus riches; qu'il auroit 
« enfonce ces greniers et ces caves qui recèlent 
« tant de biens , et qu'il auroit succombé sous 
« la puissance des patriciens , ou qu eux-mêmes 
« auroient été exterminés par une populace en 
« furie , qui n auroit pris alors la loi que de la 
« nécessité et de son ressentiment ? 

« Car, afin que vous ne l'ignoriez pas, nous 
« ne nous serions pas laissés consumer par une 
« famine fomentée par nos ennemis. Mais, après 
« avoir pris à témoin les dieux vengeurs de Fin* 
«justice, nous aurions rempli Rome de sang et 
« de damage. Tel eut été le funeste succès des 
«conseils de ce perfide citoyen , si des séna- 



l58 RÉVOLUTIONS 

An « teurs plus affectionnés à la patrie n'en avoient 
«fe Rome. « empêché l'exécution. C'est à vous , pères con- 
« scripts, que nous adressons nos justes plain- 
te tes. C est votre secours et la sagesse de vos 
«ordonnances que nous réclamons, pour ré- 
« duire cet ennemi public à venir devant tout 
« le peuple Romain , assemblé par tribus , ren- 
ie dre compte de ses pernicieux conseils. C'est 
-là, Coriolan, que tu dois soutenir tes pre- 
« miers sentimens , si tu l'oses , ou les excuser 
« sur la précipitation de ta langue. Quitte , si tu 
« m en crois , tes maximes hautaines et tyran- 
« niques. Fais-toi plus petit, rends-toi semblable 
« à nous, prends même des habits de deuil, si 
« conformes à 1 état présent de ta fortune. Im- 
« plore la pitié de tes concitoyens , et peut-être 
« que tu en obtiendras la grâce et le pardon de 
« tes fautes. » 

Ce tribun ayant cessé de parler, les consuls 
demandèrent lavis de l'assemblée : ils commen- 
cèrent par les consulaires , et par les sénateurs 
les plus anciens. Car, en ce temps-là , dit Denis 
d'Halicarnasse, (i) les jeunes sénateurs netoient 
pas assez présomptueux pour se croire capables 
d'ouvrir un avis. Cette jeunesse modeste et re- 
tenue, sans oser parler, déclaroit seulement 

(i) Diqnys. Halicarn. lib. VII, pag. 4^« 



« 



\ 



ROMAINES. l59 

son sentiment par quelque signe , et en passant ^ 
du côté qui lui paroissoit le plus juste, Ce fut <fe Rome. 
de cette manière d opiner qu'ils furent appelés 
sénateurs pédaires, parce qu'on ne connoissoit 
leur avis que par le parti ou ils alloient se ran- 
ger : aussi disoit-on communément qu'un avis 
pédaire ressembloit à une tête sans langue. 

Tous les sénateurs , par différens motifs , at- 
tendoient, les uns avec impatience, d'autres 
avec inquiétude , quel seroit le sentiment d'Ap- 
pius Claudius. Quand ce fut son tour pour opi- 
ner : « Vous sçavez , pères con scripts , leur dit- 
« il , que-pendant longtemps je me suis opposé 
«souvent tout seul à la trop grande facilité 
<< avec laquelle vous accordiez au peuple toutes 
« ses demandes. Je ne sçais si je ne me suis pas 
« même rendu importun par les funestes pré- 
« sages que je fafsois de la réunion que Ton 
« vous proposoit avec ces déserteurs de via ré- 
« publique. L'événement n'a que trop justifié 
«mes justes soupçons. On tourne contre vous 
« aujourd'hui cette partie de la magistrature 
« que vous avez relâchée à des séditieux. Le 
«peuple vous punit par vos propres bienfaits, 
« il se sert de vos grâces pour ruiner votre au- 
« torité. C'est en vain que vous vous cachez à 
« vous-mêmes le' péril où se trouve le sénat ; 
«vous ne pouvez ignorer quqn veut changer 



\ 



160 RÉVOLUTIONS 

An — « l'ancienne forme de notre gouvernement. Lei 

de Rome, « tribuns , pour faire réussir leurs desseins se- 
262. * , \ * 

« crets , vont comme par degrés a la tyrannie. 

« D abord on n'a demandé que l'abolition des 
« dettes, et ce peuple aujourd'hui si fier, et qui 
« veut s'ériger en jugé souverain des sénateurs, 
« crut alors avoir besoin d une amnistie pour la 
« manière peu soumise dont il avoit demandé 
« cette première grâce. 

«Votre facilité a fait naître de nouvelles 
« prétentions ; le peuple a voulu avoir ses ma- 
« gistrats particuliers. Vous sçavez avec quelle 
«force je m'opposai à ces nouveautés; mais, 
u malgré mon opposition , on se relâcha encore 
« sur cette demande. On accorda des tribuns 
« au peuple, c'est-à-dire des chefs perpétuels de 
« sédition. Le peuple enivré de fureur, voulut 
* même qu'on consacrât , d'une manière parti- 
« culière, cette nouvelle magistrature : ce qu'on 
« n avoit pas fait pour le consulat , la première 
« dignité de la république. Le sénat consentit à 
« tout , moins par bonté que par foiblesse ; on 
« déclara la personne des tribuns sacrée et in- 
u violable ; on en fit une loi. Le peuple exigea 
« qu elle fût autorisée par les sermens les plus 
«solennels, et ce jour-là, messieurs, vous ju- 
te rates , sur les autels , votre propre perte et celle 
« de vos enfans. Qu'ont produit tant de grâces? 




ROMAINES* l6l 

« Votre facilité n'a, servi qu'à vous attirer le An 
« mépris du peuple , et à augmenter l'orgueil et ** * ome * 
* l'insolence de ses tribuns. Us se sont fait eux- 
-mêmes des droits nouveaux; et ces magis- 
« trats modernes, qui devroient vivre comme 
« de simples particuliers, convoquent aujôur- 
« d'hui les 'assemblées du peuple , et , à notre 
« insçu , font recevoir des lois par le suffrage 
« d une vile populace, 

«C'est cependant à ce tribunal si odieux 
« qu'on cite aujourd'hui un patricien, un séna- . 
« teur, un citoyen de votre Otfdrfe , en un tnot 
« Goriolan > ce grand capitaine , et cet homme 
« de bien en même temps , encore plus illustre 
«par son attachement aux intérêts du sénat 
« que par sa valeur. On ose faire un crime à 
« un sénateur d'avoir dit son avis , en plein sé- 
« nat , avec cette liberté si digne d'un Romain ; 
« et si vous-mêmes ne lui aviez pas servi de bou- 
« cher et de rempart, on auroit assassiné, à vos 
«yeux* un de vos plus illustres citoyens. La 
« majesté du sénat alloit être . violée par ce 
« meurtre ; on perdoit , à votre égard , le res- 
« pect dû à votre dignité , et vous perdiez vous- 
« mêmes la liberté et l'empire. 

« La fermeté et le courage que vous fîtes pa- 
ie rottre dans cette occasion , a comme réveillé 
«ces furieux de leur ivresse, Il semble qu'ils 



..voie» 1 «* i ,,eo» 8 - ««*•' Léo' 
prétend», eo 



* ' ROMAINES. l63 

«trats, que de donner à cette loi des proteo An 
«teurs, et aux pauvres x des avocats, qui les deBome. 
« empêchassent d'être opprimés par les grands. 
«Qu'a de commun une pareille loi avec l'af- 
« faire d'un sénateur d'un Ordre supérieur au 
« peuple , ettpii n'est comptable qu'au sénat de 
«sa conduite? Pour foire voir que la loi Vale* 
« na ne regarde que de simples plébéiens , de- 
«puis environ dix-sept ans qu'elle lest établie, 
«que Decius me montre un seul patricien qui, 
«en vertu de cette loi, ait été traduit en juge- 
«ment devant le peuple, et notre dispute sera 
« terminée. Quelle justice y aurôit-il donc, après 
«tout, de livrer un sénateur à la fureur des 
«tribuns, et que le peuple fut juge dans sa 
«propre cause, comme si ce peuple dans ses 
«assemblées tumultueuses, et conduit par des 
« magistrats séditieux , étoit sans préjugés , sans 
«haine et sans passion. Ainsi, messieurs, je 
« vous conseillé avant <jue de rien statuer, de 
«songer sérieusement que, dans cette occa- 
« sion , vos intérêts sont inséparables de ceux 
« de Coriolan. Du reste , je ne suis point d avis 
« qu'on révoque les grâces que vous avez faites 
«au peuple, de quelque manière qu'il les ait 
« obtenues ; mais je ne puis m'empêcher de vous 
«exhorter à refuser courageusement, dans la 
« suite , tout ce qu'on prétendra obtenir de voujs 



ii. 



a62. 



l64 RÉVOLUTIONS 

A «contre votre propre autorité , et contre la 
de Rome. « forme de notre gouvernement. » 

On voit par ces discours si opposés de De- 
cius et dAppius , que l'affaire de Coriolan ne 
servoit que de prétexte à de plus grands in* 
térèts. Le véritable sujet de la» dispute et de 
l'animosité des deux partis, rouloit sur ce que 
les nobles et les patriciens prétendoient que, 
par l'expulsion des rois , ils avoient succédé à 
leur autorité, et que le gouvernement devoit 
être purement aristocratique ; au lieu que les 
tribuns tàchoient, par de nouvelles lois, de le 
tourner en démocratie , et d'attirer toute l'au- 
toritéjdans l'assemblée du peuple, qu'ils gouver- 
noient à leur gré. Ainsi l'ambition , l'intérêt, et 
la jalousie, animoient ces différons partis, et 
faisoient craindre, aux plus sages, une nouvelle 
séparation , ou une guerre civile. 

C'est ce que M. Valerius , ce consulaire qui 
avoit eu tant de part à 1» réunion sur le Mont 
Sacré , représenta au sénat en des termes éga- 
lement forts et touchans. G'étoit un véritable 
républicain, et qui souffroit impatiemment que 
les nobles et ceux de son Ordre affectassent une 
distinction, et un empire toujours odieux dans 
un État libre. Comme il avoit une éloquence 
douce et insinuante, il dit d'abord beaucoup 
de choses, en général, à la louange de la pais. 



• B - 




ROMAINES. l65 

et sur la nécessité d entretenir l'union dans la A 
république. De là il passa à l'affaire de Corio- de Rome. 
lan , et il fut d'avis qu'on en renvoyât la con- 
noissance à rassemblée du peuple. Il soutint 
que le sénat , en cédant quelque chose de son 
autorité , en assurerait la durée ; qu elle seroit 
plus ferme si elle étoit moindre, et que rien 
n'étoit plus propre à désarmer le ressentiment 
du peuple contre cet illustre accusé , que de lui» 
en abandonner le jugement; que la multitude, 
charmée de cette déférence , s'abstiendroit de 
prononcer contre un homme quelle sçavoit 
être si cher au sénat ; que, pour achever de Ta» 
doucir, il étoit d'avis que tous les sénateurs se 
répandissent dans l'assemblée , et que , par des 
manières plus douces et plus populaires, ils 
tâchassent , chacun de son côté , de gagner les 
plébéiens qui étoient de leur connoissance. 

Valerius se tournant ensuite vers Goriolan , 
le conjura, dans les termes les plus touchans, 
de donner la paix à la république : « Allez, Go- 
« riolan , lui dit-il , vous présenter vous-même 
«généreusement au jugement du peuple; c'est 
«la seule manière de vous justifier qui soit 
« digne de vous ; c'est le moyen le plus propre 
« à imposer silence à ceux qui vous accusent 
m d'affecter la* tyrannie. Le peuple , charmé de 
« voir ce grand courage plier enfin sous la puis- 



l6Ç RÉVOLUTIONS 

m sauce de ses tribuns , ne se résoudra jamais à 
de Rome « prononcer contre Coriolan; au lieu que si 
u vous persistez à mépriser ce tribunal , si vous 
« déclinez sa justice , et si vous vous obstinez à 
«netre jugé que par les consuls, vous corn- 
« mettrez le sénat avec le peuple , et vous allu- 
« merez une cruelle sédition. Vous seul en serez 
« le flambeau fatal ; et qui sçak jusqu'où se por- 
,«tera l'incendie? Représentez-vous l'image af- 
« freuse d'une guerre civile; les lois sans force; 
' * les magistrats sans pouvoir ; la fureur et la 
« violence régner dans les deux partis ; le fer et 
u le feu briller de toutes parts , et vos citoyens 
« s égorger les uns les autres ; la femme vous 
m redemander son mari ; le père , ses enfans ; 
« tous vous charger d'imprécations. Enfin re- 
« présentez-vous Rome , à qui les dieux a voient 
«promis de si grandes destinées, succomber 
* sous les fureurs des deux partis , et s'ensevelir 
« sous ses propres ruines. » 

Valerius, qui aimoit sincèrement sa patrie, 
attendri par l'idée de ces grands malheurs, ne 
put retenir des larmes qui lui échappoient mal- 
« .gré. lui : et ces larmes d'un consulaire vénérable 
par son âge et par ses dignités, encore plus élo- 
quentes que son discours, touchèrent la plupart 
.des sénateurs , et disposèrent les esprits à la paix. 
Pour lors Valerius se voyant maître de las- 




ROMAINES. 167 

semblée, éleva sa voixj et comme s'il eût repris An 
de nouvelles forces, ou qu'il eût été un autre d « Rom «- 
homme , il se montra à découvert , et il leur 
parla avec cette autorité que lui donnoiept son. 
ège et une longue expérience dans les affaires. 
. « Oa veut nous faire peur, s ecria-t-il , pour 
« la liberté publique , si nous donnons tant de 
«pouvoir au peuple, et si on lui remet le juge- 
• méat de ceux de notre Ordre qui seront ac- t 
«casés par les tribuns. Je suis persuadé au 
i contraire que rien n'est plus propre pour la 
«maintenir. La république est composée de 
«deux Ordres, de patriciens et de plébéiens; 
« il est question de décider auquel de ces deux 
«•Ordres il est {Jus sûr de confier la garde et 
«le dépôt sacré de notre liberté. Je soutiens 
«quelle aéra plus en sûreté entre les mains 
«du peuple, qui ne demande que de netre pas 
« opprimé, que dans celles des nAbles , qui tous 
« ont une violente passion de dominer. Ces pa- 
triciens revêtus des premières magistratures, 
«distingués par leur naissance, leurs richesses 
«et leurs dignités, seront toujours assez puis- 
« sans pour retenir le peuple dans son devoir ; ' 
« et le peuple , autorisé par les lois , attentif aux 
« démarches des grands /naturellement ennemi 
«et jaloux de toute élévation, fera craindre la 
« sévérité de ses jugemens à ceux des patriciens 



l68 RÉVOLUTIONS 

— -"-— «qui seraient tentés d'aspirer à la tyrannie. 

de Rome. * Vous avez, pères conscripts, aboli la royauté, 
36a * « parce que [autorité d un seul devenoit trop 
* absolue. Non contens de partager le pouvoir 
« souverain entre deux magistrats annuels, vous 
« leur avez encore donné un conseil de trois 
« cents sénateurs , qui servent d'inspecteurs de 
« leur conduite 9 et de modérateurs de leur au- 
I* torité. Mais ce même sénat, si formidable aux 
« rois et aux consuls 9 ne trouve rien , dans la 
« république, qui balance son autorité. Je scais 
« bien que jusqu'ici nous n avons , grâces aux 
«dieux, qu'à nous louer de sa modération, 
« Mais je n'ignore pas aussi que peut-être eu 
« sommes-nous redevables à la crainte du de* 
«hors, et à ces guerres continuelles qu'il nous 
« a fallu soutenir. Mais qui nous répondra que, 
« dans la suite , nos successeurs , devenus plus 
« fiers et plus {missans par une longue paix , 
« n attenteront point à la liberté de leur patrie, 
« et qu'il ne se formera point , dans le sénat 
« même, quelque faction puissante dont le chef 
« se fasse le tyran de son pays , s'il ne se trouve 
«en même temps, hors du sénat, une autre 
« puissance , qui , à la faveur des accusations 
« qu'on pourra porter dans l'assemblée du peu- 
«ple 9 soit en état de s'opposer aux entreprises 
« ambitieuses des grands ? 



ROMAINES. 169 

« On me demandera peut-être , si on n'a pas An 

« le même inconvénient à craindre de la part <*« Rome. 

262. 
« du peuple , et si on pourra empêcher qu'il ne 

«s'élève, un jour, parmi les plébéiens, quelque 
« chef de parti qui abuse de son pouvoir sur les 
« esprits de la multitude , et qui , sous le pré- 
texte ordinaire de défendre les intérêts du 
« peuple , n'opprime, à la fin, sa liberté et celle 
« du sénat. Mais vous n'ignorez pas qu'au moin* 
« dre péril où vous parot troit la république de 
v ce côté-là , nos consuls sont en droit de nom- 
«mer un dictateur, qu'ils ne tireront jamais 
« que de votre corps ; que ce magistrat , souve- 
« rain et maître absolu de la vie de ses conci- 
« toyens, est seul capable , par son autorité , de 
« dissiper une faction populaire : et la sagesse 
« de nos lois ne lui a même laissé cette puis* 
« sance redoutable que pour six mois , de peur 
« qu'il n'en abusât , et que , pour établir sa pro- 
« pre tyrannie , il n'employât une autorité qui 
« ne lui étoit confiée , que pour détruire celle 
«des autres. C'est ainsi, ajouta Valerius, que 
« par une inspection réciproque , le sénat veil« 
«lera sur la conduite des consuls, le peuple 
« sur celle du sénat, et le dictateur, quand l'état 
«des affaires demandera qu'on ait recours à ' 
«cette dignité, servira de frein à l'ambition 
«des uns et des autres. Plus Û y aura d'yeux 



36*. 



170 RÉVOLUTIONS 

. « ouverts sur la conduite de chaque particulier, 
de Rom«. « et plus notre liberté sera assurée , et plus la 
«t constitution de notre gouvernement sera par- 
« faite. » 

D autres sénateurs, qui étoient du même 
avis, ajoutèrent que rien n etoit plus propre à 
maintenir la liberté que de laisser à tout ci- 
toyen Romain compris sous le cens, le pouvoir 
d'intenter action , devant l'assemblée du peu- 
ple, contre ceux qui auraient violé les lois; 
que ce droit d'accusation non seulement tien- 
droit les grands en respect, mais servirait en- 
core à exhaler, pour ainsi dire, les murmures 
du peuple, qui, sans ce secours , pourraient se 
tourner en sédition. Ainsi on résolut, à la plu- 
ralité des voix, de renvoyer cette affaire au 
jugement du peuple. On prit d'autant plus vo- 
lontiers ce parti, que la réquisition que fai- 
soient , au préalable , les tribuns, d'un séria tus- 
consul te pour pouvoir faire le procès à l'accusé, 
servirait, à l'avenir, d'un nouveau titre de la 
puissance et de l'autorité du sénat. Quoique la 
compagnie sçut qu'elle ail oit sacrifier un inno- 
cent à la passion de ses ennemis , l'intérêt public 
l'emporta sur le particulier, et on dressa aus- 
sitôt le sénatus-consulte. (1) Mais avant qu'il 

(1) Dionys. Halicârn. lib. VII, p. 462. 



ROMAINES. 171 

fût signé , Goriolan , qui vit bien que le sénat Au 
l'abandonnoit , demanda la liberté de parler, de llomt - 
et Fayant obtenue : « Vous sçavez, pères con- 
« scripts , dit-il , en adressant ( la parole aux sé- 
nateurs, quelle a été jusqu'ici ma conduite. 
«Vous sçavez que cette haine opiniâtre du 
«peuple, et les persécutions si injustes que j'en 
« souffre , ne viennent que de cet attachement 
« inviolable que j'ai toujours fiait parottre pour 
« les intérêts de cette compagnie. Je ne parle 
« point de la récompense que j'en reçois au* 
«jourd'hui : l'événement justifiera la foiblesse, 
«et peut-être la malignité des conseils qu'on 
<< vous donne à mon sujet. Mais puisque enfin 
«lavis de Yaleriua a prévalu, que je sache au 
« moins quel est mon crime 9 et à quelles con- 
« ditions on me livre à la fureur de mes en- 
« nernis. » 

Coriolan s'expliquoit ainsi pour tâcher de 
pénétrer si les tribuns feraient rouler leur ac- 
cusation sur le discours qu'il avoit tenu en 
plein sénat. G'étoit 9 à la vérité, Tunique cause 
<lu déchaînement des tribuns contre ce séna- 
teur, à qui ils ne pouvoient pardopner la pro- 
position qu'il avoit faite d'abolir le tribunat ; 
mais comme ils craignoient de se rendre trop 
odieux au sénat, s'ils prétendoient faire un 
crime, h chaque sénateur, des avis qu'il ouvri- 



173 RÉVOLUTIONS 

Ad roit dans les délibérations publiques , ils décla- 
^£ me * rèrent, après en avoir conféré ensemble, qu'ils 
renfermeraient toute leur accusation dans le 
seul crime de tyrannie. 

« Si cela est ainsi, répartit Coriolan, et que je 
« n'aie à me défendre que d une calomnie si mal 
« fondée , je m abandonne librement au juge- 
« ment du peuple , et je n empêche point que 
« le sénatus-consulte n en soit signé. » 

Le sénat ne fut pas fâché que l'affaire eût 
pris ce tour, et qu'on fut convenu de ne point 
parler de ce qui s etoit passé dans la dernière 
assemblée : ce qui auroit intéressé l'honneur et 
l'autorité de la compagnie. Ainsi , du consen- 
tement de toutes les parties, l'arrêt fut signé, 
et il y fut statué que l'accusé auroit vingt-sept 
jours pour préparer ses défenses. On remit cet 
arrêt entre les mains des tribuns ; et de peur 
que, contre leur parole, ils ne prétendissent 
toujours faire un crime à Coriolan , dans 1 as- 
semblée du peuple , de ce qu'il avoit avancé au 
sujet du tribun at, et du prix qu'il feUoit met- 
tre aux grains , on rendit un nouveau sénatus- 
consulte qui le déchargeoit de toute action 
qui pourrait être intentée contre lui à ce sujet : 
précaution que le sénat prit , pour ne pas voir 
discuter devant le peuple, jusqu'à quel point 
les sénateurs pouvoient porter la liberté de 



HUMAINES. 173 

leurs apis. Les tribuns , après avoir fait la leo ' 
turc cm décret du sénat, dans la première as- do Rou». 
semblée du peuple , exhortèrent tous les ci- a6 * 
toyens de la république, tant ceux qui de- 
meuraient dans Rome , que les habitans de la 
campagne, de se trouver, dans la place, au 
jour marqué, pour y donner leurs suffrages. 
La plupart des plébéiens attendoient ce terme 
avec impatience , dans le dessein de signaler - 
leur haine contre Goriolan , et ils paroissoient 
animés contre ce sénatéhr, comme si sa perte 
eût été le salut de la république. 

Knfin or vit paroitre le jour fatal où Ton de- 
voit décider de cette grande affaire : une foule 
innombrable de peuple remplit , de grand ma- 
tin, toute la place. Les tribuns, qui avoient 
leurs vues , le séparèrent par tribus , avant l'ar- 
rivée des sénateurs; au lieu que, depuis le régne 
de Servius Tullius, on avjoit toujours recueilli 
les voix par centuries. Cette seule différence dé- 
cida en cette occasion, et depuis fit toujours 
pencher la balance , ou en faveur du peuple , 
ou en faveur des patriciens. Les consuls étant 
arrivés dans l'assemblée, vouloient maintenir 
l'ancien usage, ne doutant point de sauver Go- 
riolan , si on comptait les voix par centuries , 
dont les patriciens et les plus riches citoyens 
cotnposoient le plus grand nombre. Mais le% 



Ad 



174 RÉVOLUTIONS 

' tribuns, aussi habiles et plus opiniâtres ^repré- 
de Rome, sentèrent que , dans une affaire où il s'agissoit 
des droits du peuple et de la liberté publique , 
il était juste que tous les citoyens , sans égard 
au rang et aux richesses , pussent donner cha- 
cun leurs suffrages avec égalité de droit , et ils 
déclarèrent hautement qu'ils ne consentiroient 
— . jamais qu'on recueillît les voix autrement que 
par têïe~et par tribus. On poussa fort loii la 
dispute sur ce sujet: à la fin, le sénat, qui ne 
vouloit pas faire sa cause de celle de Goriolan, 
et qui craignoit qu'on n'attaquât directement 
son autorité, céda, à son ordinaire, à l'opiniâ- 
treté des magistrats du peuple* 

Cependant Minucius, le premier consul, 
pour couvrir, en quelque manière, ce qu'il y 
avoit de foible, et même de honteux dans cette 
conduite du sénat , monta à la tribune aux ha- 
rangues. Il ouvrit son discours par les avan- 
tages que produisoient 1 union et la paix, et 
par les malheurs qui suivoient de la discorde. Il 
passa , de ces lieux communs , à l'affection que 
le sénat avoit pour le peuple , et aux bienfaits 
dont il l'avoit comblé en diflférens temps. Il 
déclara qu'il ne demandoit, pour toute recon 
noissance , que la grâce de Goriolan , et il ex- 
horta les plébéiens à faire moins d'attention a 
quelques paroles échappées dans la chaleur dn 



DOMAINES. 175 

discours , qu'aux services impor tans que ce gé- Af| 
néreux citoyen avoit rendus à la république, de Home. 
«Contentez-vous, Romains, ajouta-t-il, de la 
«soumission de ce grand homme; et qu'il ne 
«soit pas dit qu'un citoyen si illustre passe par 
« les formes de la justice , comme un criminel » , 
•Siciniua lui répondit que , si une pareille in- 
dulgence avoit lieu dans le gouvernement des " 
États, il n'y en auroit point qui fussent en sû- 
reté; que tous ceux qui auroient rendu de 
grands services , pourraient entreprendre im- • 
punément les choses les plus injustes; que, 
dans les monarchies , les rois pouvoient faire 
grâce; mais que, dans les républiques, les lois 
seules régnoient , et que ces lois , sourdes aux sol- 
licitations , punissoient le crime avec la môme 
exactitude qu'elles récompensoient la vertu. 

«Puisque, malgré nos prières, lui répartit 
«Mioucius, vous vous opiniâtrez à faire juger 
«Coriolan par les suffrages de l'assemblée, je 
"demande que, suivant que vous en êtes con- 
tenu dans le sénat, vous renfermiez toute 
«votre accusation dans le seul chef du crime 
•de tyrannie, et que vous en fournissiez les 
'preuves et les témoins. Car, ajouta ce consul, 
"à Tégard des discours qu'il a tenus en opi- 
u nant dans nos assemblées , outre que vous 
"n'avez pas droit d'en connottre, le sénat l'en 



176 RÉVOLUTIONS 

mmmm J^ tt a déchargé ». Pour justifier ce qu'il avançoit, 
de Home, il lut tout haut le sénatus-con suite qui en fai- 
soit mention: il descendit ensuite de la tri- 
bune , et ce fut tout le secours que cet illustre 
accusé tira de la timide politique du sénat. 

Sicinius prit la parole , et représenta au peu- 
ple quïl y a voit long-temps que Coriolan , des- 
cendu des rois de Rome , cherchoit à se faire 
le tyran de sa patrie; que sa naissance, son 
courage, ce grand nombre de partisans, qu'on 
pouvoit appeler ses premiers sujets, ne dé- 
voient le rendre que trop suspect; qu'on ne 
pouvoit trop craindre que cette valeur, tant 
vantée par les patriciens, ne devînt pernicieuse 
à ses concitoyens ; qu'il étoit même déjà trop 
criminel , dès qu'il se toit rendu suspect et re- 
doutable; qu'en matière de gouvernement, le 
seul soupçon d'affecter la tyrannie, étoit un 
crime qui méritoit la mort, ou du moins l'exil* 
Sicinius ne voulut pas s expliquer plus ouver- 
tement, avant qu'il eût entendu Coriolan dans 
ses défenses , afin de tourner, dans une réplique, 
tout le fort de l'accusation contre les endroits 
moins défendus : artifice dont il étoit convenu 
avec Decius, qui devoit parler, à son tour, dan* 
cette affaire. 

Coriolan se présenta ensuite dans l'assem- 
blée, avec un courage digne d'une meilleure 




ROMAINES» 177 

fortune , et il n'opposa aux soupçons que le All 
tribun avoit voulu répandre, avec tant de ma- de Rom0 
lignite , sur sa conduite , que le simple récit de 
8es services. Il commença par ses premières 
campagnes ; il rapporta toutes les occasions où 
il s était trouvé, les blessures qu'il avoit re- 
çues, les récompenses militaires dont ses gé- 
néraux l'avoient honoré > et enfin les différens 
grades de la milice par où il avoit passé. Il ex- 
posa 1 à la vue de tout le peuple, un grand 
nombre de différentes couronnes qu'il avoit re- 
çues, soit pour être monté le premier sur la 
hréche dans un assaut, soit pour avoir forcé le 
premier le camp ennemi, soit enfin pour avoir, 
en différens combats, sauvé la vie à un grand 
nombre de citoyens. Il les appella tout haut 
chacun par leurs noms, et il les cita comme 
témoins de ce quil avançoit. Ces hommes, la 
plupart plébéiens, se levèrent aussitôt * et ren- 
dirent un témoignage public des obligations 
qu'ils lui avoient. «Nous l'avons vu plusieurs 
«fois, s'écrioient-ils, percer lui seul les batail- 
« Ions ennemis les plus serrés, pour sauver un 
«citoyen accablé par la foule des ennemis. 
«C'est par lui seul que nous vivons, et que 
« nous nous trouvons aujourd'hui dans notre 
«patrie, et dans le sein de nos familles. On lui 

* tait un crime de notre reconnoissauce; on uc- 
i. ij 



178 RÉVOLUTIONS 

An « cuse cç grand homme et cet excellerçt citoyen 
de Rome. « de mauvais desseins, parce que ceux à qui il a 
« sauvé la vie, s attachent à sa suite comme ses 
« cliens. Pouvons-nous en user autrement sans 
« ingratitude? Nous est-il permis d avoir des in- 
« térêts séparés des siens? Si vous ne demandez 
« qu'une amende , nous offrons tous nos biens : 
m si vous l'exilez, nous nous bannissons avec 
« lui : et si la fureur opiniâtre de ses ennemis en 
« veut à sa vie, qu'on prenne plutôt les nôtres. 
« C'est son bien , par le plus juste de tous les 
« titres : nous ne ferons que lui rendre ce que 
«chacun de nous tient de sa valeur, et nous 
« conserverons un excellent citoyen à la repu- 
« blique. » 

Ce* généreux plébéiens , en prononçant ces 
paroles, versoient des larmes en abondance, 
tendoient les mains, vers l'assemblée , en forme 
de supplians , et tàchoient de fléchir la multi- 
tude. Pour lors Coriolan, déchirant sa robe, 
montra son estomac couvert des cicatrices d un 
grand nombre de blessures qu'il avoit reçues. 
« C'est pour sauver ces gens de bien, dit-il, c'est 
« pour arracher ces bons citoyens à nos enne- 
« mis que j'ai , mille fois , exposé ma vie. Que 
« les tribuns allient, s'ils le peuvent, de pareilles 
« actions avec les desseins perfides dont ils nie 
« veulent rendre suspect ! Est-il vraisemblable 



.ROMAINES. 179 

* qu'un ennemi du peuple se fût exposé à tant 7~ "" 
« de périls , dans la guerre , pour le salut de ce 4e Homt. 
« même peuple qu on dit qu il veut faire périr 
« dans la paix ? » 

Ce discours, soutenu d'un air noble, et de 
cette confiance que donnent l'innocence et la 
vérité, fit honte au peuple de son aninxosité. 
Les plus honnêtes gens de cet Ordre s écrièrent 
qu'il falloit renvoyer absous un si bon citoyen. 
Mais le tribun Decius , allarmé de cç change- 
ment, prenant la parole, comme il en étoit con- 
venu avec Sicinius son collègue : « Quoique le 
«sénat ne nous permette pas, dit-il, de prou* 
«ver les mauvais desseins de cet ennemi du 
« peuple par les discours odieux qu'il a tenus 
«en plein sénat, d'autres preuves aussi essen- 
«tielles ne nous manqueront pas. Je rappor- 
« terai des actions où cet esprit de tyrannie et 
«son orgueil ne se montrent pas moins à dé- 
couvert. Vous sçavez que, par nos lois, les 
« dépouilles des ennemis appartiennent au peu- 
«pie Romain; que ni les soldats, ni leur gêné- 
oral même, ne peuvent en disposer; mais que 
« tout doit être vendu , et le prix qui en pro- 
vient, porté par un questeur dans le trésor 
«public. Tel est l'usage et la forme de notre 
«gouvernement. Cependant, au préjudice dç 
« ces lois , aussi anciennes que Rome même , 



13. 



l8o RÉVOLUTIONS 

]j^"~ « Cpriolan ayant fait un butin considérable sur 

de Home. M les terres des Antiatcs, de son autorité privée, 

« il le distribua entre ses amis; et ce tyran- leur 

« donna le bien du peuple, comme les premiers 

" G' a ij es de ^ eur conjuration. 

« II faut donc, ou qu'il nie un fait certain et 
«avéré, et qu'il dise qu'il n'a point disposé de 
« ce butin, ou qu'il la pu faire , sans violer les 
«lois. Ainsi, sans m'arrôter à ces vaines excla- 
« matioru» de ses partisans, ni à toutes ces cica- 
« trices qu'il montre avec tant d'ostentation, je 
« le somme de répondre à cet unique chef que 
«je propose contre lui. » 

Il est vrai que Coriolan avoit fait cette dis- 
tribution du butin, ou plutôt qu'il avoit souf- 
fert que ses soldats en prissent chacun leur 
part. Mais bien loin qu'il en eût disposé seule- 
ment en faveur de ses amis et de ses créatures, 
comme on le lui objectoit, il est constant que 
ses soldats, qui faisoient partie de ce même 
peuple qui le poursuivoit avec tant danimo- 
sité , avoient tiré toute l'utilité de ce pillage. 
Pour éclaircir ce fait, il faut sçuvoir que les 
Antiates , se prévalant de la famine dont Rome 
étoit affligée, et de la discorde qui étoit entre 
le peuple et le sénat , étoient venus faire des 
courses jusqu'aux portes de la ville, sans qu'on 
eût pu engager le peuple à en sortir pour re- 



HUMAINES. l8l 

pousser les ennemis. Coriolan ne put souffrir ^"-" 

cette insulte: il demanda aux consuls la per- deitcW. 

26a. 
mission de prendre les armes: il se mit à la 

tête de ses amis, et pour engager les soldats 
plébéiens à le suivre dans cette expédition , il 
leur promit de les ramener chargés de butin. 
Les soldats , qui connoissoient sa valeur et son 
expérience dans la guerre, et qui d'ailleurs se 
trouvoient pressés par la faim, coururent se 
ranger sous ses Enseignes. Coriolan, suivi des 
plus braves plébéiens, sortit de Rome, surprit _ 

les ennemis répandus dans la campagne , les 
battit en différentes occasions, les repoussa 
jusques sur leurs terres, et les força, à la fin, 
de se renfermer dans An tin m. Il usa même de 
représailles, et pendant qu'il tenoit les portes 
de cette Tille comme scellées par la crainte de 
ses armes et par la terreur de son nom , ses sol- 
dats, à leur tour, en fourragèrent le territoire , 
coupèrent les grains, et firent la récolte, lepée 
à la main. Ce général ne consentit qu'ils retins- 
sent ce grain , que pour lesr aider à faire sub- 
sister leurs femmes et leurs enfans , et qu afin 
d exciter, par leur exemple , les autres plébéiens 
à aller généreusement chercher des vivres jus- 
ques sur les terres de leurs, ennemis, 

Mais ceux du peuple qui n avoient point eu 
de part à cette expédition , ne virent qu avec 



182 RÉVOLUTIONS 

An une jalousie secrète les soldats de Coriolan 
de Rome. re ntrer dans Rome, chargés de bled. Decius, qui 
avoit démêlé ces sentimens , résolut d en pro- 
fiter, et il ne douta point que ces plébéiens, 
jaloux du bonheur de leurs voisins, ne con- 
sentissent à faire un crime , à Coriolan , d une 
action généreuse dont ils n avoient point pro- 
fité. 

Ce tribun , vif et pressant , demandoit in- 
solemment à Coriolan s'il étoit le roi de Rome, 
et par quelle autorité il avoit disposé du bien 
de la république. Coriolan , surpris d une accu- 
sation contre laquelle il n avoit point préparé 
de défenses , se contenta d exposer simplement 
le fait , de la manière dont nous venons de le 
•rapporter. Il représentent qu'une partie du peu- 
ple avoit profité des dépouilles des ennemis , et 
il appelloit, à haute voix, les centurions et les 
principaux plébéiens qui l'avoient suivi dans 
cette course, pour rendre témoignage à la vé- 
rité. Mais ceux qui n avoient point eu de part 
au pillage du bled des Àntiates , étant en plus 
grand nombre que les soldats de Coriolan , fai* 
soient tant de bruit , que ces chefs de bandes 
ne se purent faire entendre, (i) Les tribuns , 
voyant que le petit peuple reprenoit sa pre- 

(O Dionys. Halican». lîb. VII. — Plut in Coriol. 



ROMAINES. l83 

mière animosité , profitèrent de cette disposi- — ~ — 
tion pour faire recueillir les suffrages ; et Go- d « *<>»«*• 
riolan fut enfin condamné à un exil perpétuel. 

La plupart des nobles et des patriciens se 
crurent comme exilés avec ce grand homme , 
qui a voit toujours été le défenseur et le soutien 
de leur Ordre. D'abord la consternation fut 
générale, et bientôt la colère et l'indignation 
succédèrent à ce premier sentiment. Les uns 
reprochoient à Valerius qu'il avoit séduit le 
sénat par son discours artificieux ; d autres se 
reprochoient à eux-mêmes leur excès de com- " 
plaisance pour le peuple; tous se repentoient 
de n avoir pas plutôt souffert le| dernières ex- 
trémités, que d'abandonner un citoyen si illus- 
tre à Tinsolence d'ijne populace mutinée. 

Le seul Goriolan , insensible en apparence à 
ta disgrâce, sortit de l'assemblée, avec la même 
tranquillité que s'il eût été absous. 11 fut d'a- 
bord à sa maison , où il trouva sa mère , appe- 
lée Véturie , et V olumnie sa femme , tout en 
larmes , et dans les premiers transports de leur 
affliction. Il les exhorta , en peu de paroles , à 
soutenir ce coup de la fortune avec fermeté ; 
et, après leur avoir recommandé ses enfans 
encore jeunes, il sortit sur-le-champ de sa 

i 

maison et de Rome, seul et sans vouloir être 
accompagné par aucun de ses amis, ni suivi 



l84 RÉVOLUTIONS 

An par ses domestiques et ses esclaves. Quelques 
ilt Rome patriciens et quelques jeunes sénateurs raccom- 
pagnèrent jusqu'aux portes de la ville, mais 
sans qu il lui échappât aucune plainte. Il se sé- 
para deux, sans leur faire ni remerciement 
pour le passé, ni prières pour l'avenir. 

Jamais le peuple n avoit fait paroître tant de 
joie , même après avoir vaincu les plus grands 
ennemis de Rome , qu'il en fit éclater pour l'a- 
vantage qu'il venoit de remporter sur le sénat 
et sur le corps de la noblesse. La forme du gou- 
* vernement venoit d être absolument changée 
par la condamnation et l'exil de Coriolan ; et 
ce peuple, qi^ dépendoit auparavant des pa- 
triciens, se trouvoit leur juge, et en droit de 
décider du sort de tout ce qu'il y avoit de plus 
grand dans l'État. 

En effet, l'autorité souveraine venoit de pas- 
ser du sénat dans l'assemblée du peuple (i), 
ou , pour mieux dire , entre les mains de ses 
tribuns, qui, sous prétexte de défendre les in- 
térêts des particuliers , se rendoient les arbitres 
du gouvernement. Les consuls, ces chefs su- 
prêmes de la république , leur étoient seuls re- 
doutables. Ce fut pour en affoiblir le pouvoir 
et la considération , qu'ils tâchèrent de ne faire 

(i) Dionys. Halicarn. lib. VII, pag. 470, 47 1 * 



, ROMAINES. * l85 

tomber cette dignité qu a des patriciens dé- An 
voués à leurs intérêts , ou si peu estimés qu ils d « Rom* 
n'en eussent rien à craindre. Et pour préparer 
la multitude à donner ses suffrages selon leurs 
vues, ils insinuoient avec beaucoup d'art, dans 
toutes les assemblées , que les plus grands ca- 
pitaines n étoient pas les plus propres au gou- 
vernement d une république ; que ces courages 
si fiers, accoutumés , dans les armées, à un pou- 
voir absolu, rapportoient , avec la victoire , un 
esprit de hauteur toujours à craindre dans un 
État libre; que dans l'assujettissement fatal où * 
se trouvoit le peuple, de ne pouvoir tirer ses 
consuls que du corps des patriciens, il étoit 
très important de ne choisir au moins que des 
esprits modérés, capables des affaires, mais 
sans trop d'élévation, et sans supériorité. 

Le peuple , qui n agissoit plus que par l'im- a63, 
pression qu'il recevoit de ses magistrats, refusa 
ses suffrages aux plus grands hommes de la ré* 
publique , dans les comices qui se {prent sous 
le consulat de Q. Sulpitius, et de Sep. Largius, 
pour l'élection de leurs successeurs. Le sénat 
et les patriciens disposoient ordinairement de 

i 

cette souveraine dignité, parce que Ton ne 
pouvoit être élu que dans une assemblée par 
centuries, où la noblesse avoit le plus grand 
nombre de voix. Mais, dans cette occasion, le 



|86; RÉVOLUTIONS 

An peuple Temporta sur les patriciens par rhabi- 
de Rome, leté de ses tribuns , qui sçurent en gagner quel* 
ques uns, et intimider les autres, (i) Caius 
Julius et P. Pinarius Rufus furent proclamés 
consuls ; ils étoient peu guerriers , sans consi- 
dération dans le sénat, et ne seraient jamais 
parvenus à cette dignité, s'ils en ^voient été 
dignes. 

On peut dire à ce sujet , que le sénat et le 
peuple, toujours opposés de sentimens, alloient 
l'un et l'autre contre leurs véritables intérêts, 
et semblaient vouloir allier deux choses in- 
compatibles. Tous les Romains, tant patriciens 
que plébéiens, aspiroient à la conquête de l'Ita- 
lie. Le commandement des armées étoit réservé 
aux seuls patriciens , qui étoient en possession 
des dignités de l'État. Ils n'avoient pour sol- 
dats que des plébéiens , en qui ils eussent bien 
voulu trouver cette soumission timide, et cette 
dépendance servile, qu'à peine eussent-Us pu 
exiger dé vils artisans , et d'une populace élevée 
et nourrie dans l'obscurité. Le peuple , au con- 
traire, puissant, nombreux, et plein de cette 
férocité que donne l'exercice continuel des ar- 
mes, ne cherehoit, pour diminuer l'autorité 
du gouvernement , que des consuls et des gé- 

(i)Dion. Halic.lib. VHI. 



ROMAINES. 187 

néraux indulgens, foibles, pleins d'égard pour A 
la multitude , et qui eussent plutôt , avec leurs de Rom# - 
soldats , les manières modestes de l'égalité , que 
cet air élevé et ce caractère d empire que donne 
le commandement des armées. Il falloit , pour 
faire cesser la mésintelligence qui étoit entre . 
ces deux Ordres de la république., ou que les. 
uns et les autres résolussent, de concert, de se 
renfermer paisiblement dans les bornes étroites 
de leur petit État , sans entreprendre de faire 
des conquêtes , ou que les patriciens , s ils voû- 
taient subjuguer leurs voisins, donnassent plus 
de part dans le gouvernement à un peuple 
guerrier, bourgeois et citoyen pendant l'hiver , 
mais soldat pendant tout Tété : et le peuple , à 
son tour, ne devoit choisir, pour le comman- 
der, que les plus habiles généraux de la répun 
blique. 

Je dois cette réflexion aux événement qui 
suivent ; et on va voir que le peuple ne fut pas 
long- temps sans se repentir d'avoir remis le 
gouvernement de l'État et le commandement \ 
des armées à deux hommes qui en étoient éga- 
lement incapables. 

Coriolan, errant au sortir de Rome, cher- 
choit moins un asile et une retraite, que le 
moyen et les occasions de se venger. Ce cou-, 
rage si élevé, ce Romain si ferme en appa- 



l88 BÉVOLUTIONS 

An rence, livré enfin à lui-même, ne put se dé- 
4e Rome, fendre contre les mouvemens secrets de son 
ressentiment; et, dans les desseins quil forma 
pour la perte de ses ennemis, il n'eut point 
de honte d y comprendre la ruine même de sa 
patrie. Il passa les premiers jours de son exil 
dans une maison de campagne. Son esprit, 
agité d une passion violente , formoit succes- 
sivement différons projets. Enfin , après avoir 
jette les yeux sur différens peuples, voisins et 
ennemis de Rome, Sabins, Eques, Toscans, 
Volsques, et Hernique*, il n'en trouva point 
qui lui parussent plus animés contre les Ro- 
mains , et en même temps qui fussent plus en 
état dentreprçndre la guerre, que les Volsques, 
peuple de 1 ancien Latium. 

C etoit une république , et comme une com- 
munauté formée de plusieurs petites villes, qui 
s'étoient unies par une ligue , et qui se gouver- 
noient par une assemblée des députés de cha- 
que canton. Cette nation , voisine de Rome, et 
jalouse de son agrandissement, s'y étoit tou- 
jours opposée avçc beaucoup de courage; m** 15 
la guerre ne lui avoit pas été heureuse. L* 3 
Romains leur avoient enlevé plusieurs bour- 
gades , et une partie de leur territoire , de sorte 
que, dans la dernière guerre, les Volsques, 
après avoir été battus en différentes rencon- 



ROMAINES. 189 

très , avoient enfin été réduits à deniander une — T~ " 

7 An 

trêve pour deux ans, dans la vue de rétablir de Home, 
leurs forces à la faveur dé cette suspension 
d'armes. L'animôsité n'en étoit pas moins vive 
dans leurs cœurs; ils cherchoient, dans toute 
l'Italie, à susciter de nouveaux ennemis aux 
Romains , et c'étoit sur leur ressentiment que 
Coriolan fondoit l'espérance de leur faire re- 
prendre les armes. Mais il étoit moins propre 
qu'un autre pour leur inspirer ce grand des- 
sein; lui seul leur avoit fait plus de mal qtië 
tous les Romains ; il aVoit plus d'une fois taillé 
en pièces leurs troupes, ravagé leur terHtoire, 
pris et pillé leurs villes : le nom de Coriolan 
étoit aussi odieux que formidable dans toute 
la communauté des Volsques. 

D'ailleurs cette petite république étoit gou- 
vernée alors par Tullus Attius', général de cette 
nation, jaloux de la gloire de Coriolan, qui 
l'avoit battu dans toutes les occasions où ils 
s'étoient trouvés opposés : outrage qu'on vou- 
drait se pouvoir cacher à soi-même, mais qu'on 
ne pardonne jamais. Il n'y avoit pas dappa- 
rence de s'aller livrer entre les mains d'un en- 
nemi, qui, pour couvrir la honte de sa défaite, 
pouvoit persuader à ses citoyens de le faire 
arrêter, et peut-être même de le faire périr. 
Toutes ces raisons se présentèrent à l'esprit de 



190 RÉVOLUTIONS 

^~" Coriolan (1); mais le désir immodéré de la 
de Rome, vengeance remporta dans un cœur qui n etoit 
guères accessible à la crainte, et il résolut de 
s adresser directement à Tullus même. 

Il sortit de sa retraite après s être déguisé ; 
et, au commencement^ de la nuit, il entra dans 
Antium, principale ville de la communauté 
des Volsques. (2) Il fut droit à la maison de 
Tullus , le visage couvert : il s'assit , sans dire 
un seul mot, auprès du foyer domestique, lieu 
sacré dans toutes les maisons de l'ancien pa- 
ganisme. Une conduite si extraordinaire, et 
certain air d autorité qui n abandonne jamais 
les grands hommes, surprirent les domesti- 
ques ; ils coururent en avertir leur maître. Tul- 
lus vint , et lui demanda qui il étoit , et ce qu'il 
exigeoit de lui. 

Coriolan se découvrant alors : « Si tu ne me 
«reconnois pas encore, dit -il, je suis Caïus 
«Marcius; mon surnom est Coriolan, seule 
« récompense qui jne reste de tous mes services. 
« Je suis banni de Rome par la baine du peu- 
u pie, et la foiblesse des grands : je dois me veR- 
« ger, il ne tiendra qu a toi d'employer mon 
« épée contre mes ennemis et ceux de ton pays. 

(1) Tit. Liv. Mb. II, cap. 35. — Plut, in Coriol.- 
Dîonys. Halicarn. init. lib. VIII, p. 481. — (a) Valer. 
Max. lib. V, cap. 3, art. 1, et cap. 4, art. 1. 



ROMAINES; ÏQl 

« Si ta république ne veut pas se servir de moi ± T mmm 
«je t abandonne ma vie, fais périr un ancien de Rome. 
« ennemi, qui pourroit peut-être , un jour, cau- 
« ser de nouvelles pertes à ta patrie. » 

Tu H us, étonné de la grandeur de son cou* 
rage , lui tendit la main : « Ne crains rien , lui 
« dit-il , Marcius , ta confiance est le gage de 
« ta sûreté. En te donnant à nous , tu nous 
<t rends plus que tu ne nous as ôté. Nous sau- 
« rons aussi mieux reconnoître tes services que 
« n'ont fait tes citoyens. Il est bien juste qu'un 
« si grand capitaine n attende que de grandes 
« choses des Volsques. » Il le conduisit ensuite 
dans son appartement, où ils conférèrent, en 
secret , des moyens de renouveller la guerre. 

Nous avons dit qu il y avoit alors une trêve 
entre les Volsques et les Romains ; il étoit ques- 
tion de déterminer les premiers à la rompre. 
Mais l'entreprise n étoit pas sans difficulté , à 
cause des pertes et des disgrâces récentes que 
les Volsques avoient essuyées dans la dernière 
guerre. Tullus, de concert avec Coriolan, cher- 
cha un prétexte pour faire renaître leur an- 
cienne animosité. Les Romains se disposoient 
% à faire représenter des jeux publics qui fai- 
soient partie de la religion ; les peuples voisins 
de Rome y accoururent de tous côtés , et il s'y 
trouva sur-tout un grand nombre de Volsques, 



f 



192 RÉVOLUTIONS 

Us étaient répandus dans différons quartiers de 

de Rome, la ville ; il y en eut même plusieurs qui , n'ayant 
a6 4- pu trouver d'hôtes pour les recevoir, couchè- 
rent, sous des tentes, dans les places publiques. 
Ce grand nombre d étrangers causa de l'inquié- 
tude aux consuls, et pour l'augmenter, TulJus 
leur fit donner un faux avis que les Yolsques 
dévoient mettre le feu en différens endroits de 
Rome. Les consuls en firent leur rapport au 
sénat ; et comme on n'ignoroit pas leur animo- 
sité, les magistrats firent publier une ordon- 
nance, dans toute la ville, qui enjoignoit à tous 
les Volsques d'en sortir avant la nuit, et ou 
leur prescrivit même la porte par où ils dé- 
voient se retirer. Cet ordre fut exécuté avec 
rigueur, et tous ceux de cette nation furent 
chassés de Rome à l'instant ; ils portèrent, cha- 
cun dans leurs cantons, la honte de ce traite- 
ment et le désir de la vengeance. Tullus se 
trouva sur leur chemin, comme par hasard; 
et après avoir appris la manière indigne dout 
on les avoit obligés de sortir de Rome : « Est-il 
« possible , disoiMl , pour augmenter leur res- 
te sentiment , qu on vous ait chassés d'une fête 
« publique, et pour ainsi dire, dune assembler 
« des dieux et des hommes , comme des pro- 
« fanes et des méchans? Pouvez-vous , après un 
« traitement si indigne , vous cacher à voua- 







ROMAINES. Iq3 

« mêmes la haine que voua portent lea Ro- An 
«mains? attendrez-vous que, malgré la trêve, de a ^ ni ' 
« qui nous a fait quitter les armes , ils viennent 
«* vous surprendre, et ravager de nouveau votre 
« territoire. » 

On tint tumultuairement une assemblée des 
États ; les avis les plus violens alloient à pren- 
dre les armes sur-le-champ , et pour se venger, 
à porter le fer et le feu dans le territoire de 
Rome. Mais Tullus, qui conduisoit cette af- 
faire, leur conseilla, avant que d'éclater, d'ap- 
peller Goriolan dans leur assemblée. « Ce ca- 
«pitaine, leur dit -il, dont nous avons tant 
m de fois éprouvé la valeur, à présent plus en* 
«nemi des Romains que les Volsques, sefli- 
« ble avoir été conduit ici pour rétablir nos 
m affaires, et il ne nous donnera point de con- 
« scils dont il ne partage les périls de l'exécu- 
« tion. » 

Le Romain fut appelle et intrçduit dans ras- 
semblée ; il y parut avec une contenance triste, 
et ferme en môme temps. Tout le monde avoit 
les yeux tournés sur un homme qui leur avoit 
été plus redoutable que tous les Romains en- 
semble , et on l'écouta avec ce respect que s'at- 
tire toujours le mérite persécuté. 

tf Personne de vous n'ignore, leur dit-il, que 
.< j'ai été condamné à un exil perpétuel, par la 

1. is 



194 REVOLUTIONS 

Ab « malice ou par la foiblesse de ceux qui en 
de Rome. « sont les auteurs ou les complices. Si je n'arois 

* cherché qu un asHe , je pouvois me retirer, 
«ou diez les Latins nos alliés, ou dans quel- 
« que colonie Romaine. Mais une vie si obscure 
«meut été insupportable, et j'ai toujours cru 
^ qu'il valoit mieux y renoncer, que de se voir 
« réduit à ne pouvoir, ni servir ses amis, ni se 
« venger de ses ennemis. Telle est ma disposi- 
«tioïi; je cherche à mériter, par mon épée, 
«l'asile que je vous demande: joignons nos 
«ressentiment communs. Vous n'ignorez pas 
«que ces citoyens ingrats , qui m'ont banni si 
« injustement, sont vos plus cruels ennemis; 

* Rome , ♦cette ville supei*be , vous menace de 
« ses fers. Il etft de votre intérêt d affoiblir des 
« voisins si redoutables; je vois, avec plaisir, que 
«vous vous disposez à renouveller la guerre; et 
«j'avoue que c'est l'unique moyen d'arrêter les 
« progrès de cette ambitieuse nation . Mais, pour 
«rendre cette guerre heureuse , il faut qu elle 
«.soit juste devant les dieux, ou du moins qu elle 
«le paroisse devant les hommes; 8 faut que le 
« motif, ouïe prétexte qui vous fera reprendre les 
«toines, intéresse vos voisins, et «vous procure 
« de nouveaux alliés. Feignez que vous aspirez 
«à convertir la trêve , qui est entre les deux 
«^nations, en tthe^pâix solide; que les arnbas- 



ItOMAINEB. tip 

«sadeurs que vous enverrez à Rome, ne de- Àn 
« mandent, pour toute coédition , epue la resti- <le Rame. 
« tution des terres epai vous cmt été enlevées , 
«ou par le malheur de la guerre , ou dams des 
«traités forcés. Voup ri ignorer, pas que le ter- 
« ritoire de Rome, dfcns l'origine de cette ville, 
« n ovoât au plus que cinq ou eix milles d'éten- 
« due. Ge petit canton est devenu inseraible- 
«ment un grand pays par les conquêtes, pu 
« pour mieux dire, par les usurpations deeRo- 
« mains. Volsques, Sabins, Ëques, Albains, 
«Toscane, Latins, il n'y a point de peuples, 
« dans leur voisinage* dont ils n'aient envahi 
« des villes et une partie du territoire. Ce se- 
«root aiataqt d'alliés qui se joindront à vous 
«dans une affaire qui vous est commune, et 
«qui vous intéresse itous^galement.. 

m Si les Romams, intimidés par la crainte L 
« de vos affines, se disposent à voias rendre les 
«villes, les bourgs et les terres qu'ils vousiont 
«enlevés, pour lors, ù votre exempte , les nu- 
m très rpeuples d'Italie ne demanderont ohacun 
« les fonds dont on les a dépouillés : «ce qui ré- 
«duira, tout d'un coup, cette itère nation à la 
«>méme foiWesae où elle étodt dans son origine. 
«Ou si elle entreprend, comme je n'en doute ' 

« pas, de retenir >ses usurpations par la force 
u des ormes , alors vous aurez, dans une (pierre 

i3. 



196 RÉVOLUTIONS 

^ «si juste, et les dieux et les hqmnies favora- 
de Rome. « blés. Vos alliés s'uniront plus étroitement avec 
«vous; il se formera une ligue redoutable et 
« capable de détruire , ou du moins d'humilier 
« une république si superbe. Je ne vous parle 
« point du peu de capacité que j'ai acquise dans 
« les armées : soldat ou capitaine , dans quel- 
« que rang que vous nie placiez, je sacrifierai 
« volontiers ma vie pour vous venger de nos 
« ennemis communs. » 

Ce discours fut écouté avec plaisir, comme 
tous ceux qui intéressent et qui flattent nos 
passions. On résolut la guerre; la communauté 
des Volsqùeô en confia la conduite à Tulluset 
à Coriolan; et, pour attacher le Romain plus 
étroitement à la nation des Volsques , on lui 
déféra la qualité de sénateur. On dépêcha en 
- -même temps, suivant son avis, des ambassa- 
deurs à Rome* Ils n'y furent pas plutôt arrivés, 
qu'ils représentèrent au sénat, que leurs supé- 
rieur^ à l 7 pxemple des Latins, aspiroient à la 
qualité d'alliés du peuple Romain. «Mais, <& 
« rent • ces : ambassadeurs , pour rendre cette 
* union inaltérable , nous demandons que la 
« république nous restitue les villes et les terres 
« que nous ayons perdues par le malheur de la 
« guerre. Ce sera le gage assuré d'une paix so- 
u lide et durable : autrement nous ne pourrions 



ROMAINES. 197 

* pas nous dispenser de les reprendre par la An 

* force des armes. » de Rome. 

Ces ambassadeurs s'étant retirés, le sénat 
11 employa pas beaucoup de temps à délibérer. 
On ne sçavoit, à Rome , ce que c etoit que plier 
sous des menaces; et cétoit une maxime fon- 
damentale du gouvernement , de ne céder pas 
même à des ennemis victorieux; ainsi on fit 
bientôt rentrer les ambassadeurs. Le premier 
consul leur répondit , en peu de mots , que la 
crainte ne feroit jamais rendre, aux Romains, 
ce qu'ils avoient conquis par leur valeur, et que 
si les Volsques pren oient les premiers les ar- 
mes, les Romains ne les quitteraient que les 
derniers. On les congédia ensuite. Le retour 
de ces ambassadeurs fut suivi de la déclaration 
de la guerre. Tullus et Goriolan , qui avoient 
prévu la réponse du sénat, tenoient leurs trou- 
pes prêtes à entrer en action. Tullus, avec un 
corps de réserve, resta dans le pays pour en 
défendre l'entrée aux ennemis, pendant que 
Goriolan , à la tête de la principale armée , se 
jetta s yr lék terres des Romains et de leurs alliés, 
avant que les consuls eussent pris aucune me- 
sure pour lui résister. Selon Tite-Live, il chassa 
d'abord , de Circée , une colonie de Romains 
qtr'on y avoit établie; mais Denys d'Halicar- 
nasse prétend que les habitans , intimidés par 



198 RÉVOLUTIONS 

Tapproche de l'ennemi, ouvrirent leur» por« 

. *° tes, et que Coriolan se contenta d'en tirer de* 

de Rome. 7 * 

364. vivres et des habits pour ses soldats. Il enleva 
ensuite aux Romains, Satricum, Longule, Po 
lusca et Corioles, qu'ils avoient conquises, de- 
puis peu de temps, sur les Volaques; il prit 
encore Corbion , Vitellie , Trebie , Labique et 
Pedum; Voles, pour avoir voulu se défendre, 
fut emporté 1 epée à la main , et se» hahitan* 
exposés à la fureur d'un ennemi victoriens et 
irrité. Les soldats de Coriolan , répandus dans 
la campagne , portoient le fer et le feu de loui 
côtés. Mais, dans ce pillage et cet incendie gé- 
néral, ils avoient des ordres secrets d en exemp- 
ter les maisons et les terres des patriciens. Co- 
riolan affectait une distinction si marquer, 
soit par son ancien attachement pour ceux de 
cet Ordre, soit, comme il est plus vraisem- 
blable , pour rendre le sénat suspect au peuple, 
et augmenter les dissensions qui étaient entre 
les uns et les autres. 

Cette conduite eut tout l'effet qu'il en avoit 
prévu. Le peuple ne manqua pas d accuser pu 
bliquement le sénat d'être d'intelligence avec 
Coriolan, et de lavoir fait venir exprès, à la 
tête d'une armée , pour abolir la puissance (ri- 
buni tienne. Les patriciens, de leur cèté 9 re- 
prochoieqt au peuple qu'il avoit forcé un si 



BOM AIRES. I99 

grand capitaine à se jetter, par désespoir, pantti ^ n J 
les ennemis. Ijes soupçons, la défiance, la haine, 4 « Rome, 
régnoient dans l'un et l'autre parti : et , dans 
ce désordre , on songeoit moins à repousser les 
Volsques, qu'à décrier et à perdre l'ennemi do* 
mestique. Les deux consuls , cachés derrière les 
murailles de Rome, ne faisoient des levées que 
lentement. Spurius Nautius , et Sextus Furius , 
qui leur succédèrent, ne firent pa& paroftre 
plus de courage et de résolution. On voyoit 
bien qu'ils craignoient de se commettre avec 
un si grand capitaine. Le peuple même et ses 
tribuns, si fiers dans la place publique, ne se 
pressoient point de donner leurs noms pour 
se faire enrôler; personne he vouloit sortir de 
Borne, soit qu'ils ne fussent pas prévenus en 
faveur de leurs généraux, soit qu'ils se vissent 
abandonnés de leurs alliés, qui avoient changé 
avec la fortune. 

Goriolan ne trouvant point d'armée, en cam- 
pagne , qui s'opposât à ses desseins, avance tou- 
jours, emporte Lavinium, et vient enfin cam- 
per aux fosses Chiliennes, à cinq milles de 
Rome. 

Au bruit de ses heureux succès , la plupart 
des Volsques accourent dans l'armée de Go- 
riolan. Les soldats même de Tulhis, dans 1 es- 
pérance de la prise et du pillage de Rome, aban- 



lOO RÉVOLUTIONS 

I» 

J^~" donnent leur général , et publient qu'ils n en 
d* Rome, reconnoissent point d autre que le Romain : ce 
fut comme une nouvelle victoire que Goriolan 
remporta sur Tullus, et qui laissa de vifs res- 
senti mens dans le cœur du Volsque. Toute 
l'Italie avoit les yeux tournés sur les Romains 
et les Volsques , qui , par le seul changement 
de généraux , en éprouvoient un si grand dans 
leur fortune ; tant il est vrai que les forces d'un 
État consistent moins dans le nombre et le 
courage des troupes , que dans la capacité de 
celui qui les commande. La consternation étoit 
générale dans Rome. Le peuple , qui , du haut 
de ses murailles , voyoit les ennemis répandus 
dans la campagne, demande la paix avec de 
grands cris. On dit, tout haut dans la place, 
qu'il faut casser l'arrêt de condamnation qui 
avoit été porté contre Goriolan, et le rap- 
peller de son exil : enfin ce même peuple , qui 
venoit de le bannir avec tant de fureur, de- 
v mande son retour et son rappel avec la même 
violence. 

La plupart des patriciens s y opposèrent, soit 
pour éloigner le soupçon qu'ils eussent conser- 
vé la moindre intelligence avec lui , ou seule- 
ment par cet esprit de générosité si ordinaire 
parmi les Romains , de ne marquer jamais plus 
d'éloignement de la paix que dans les mauvais 



. ROMAINES. 301 

succès. Il sortit alors du sénat cette réponse si ^ 
fière et- si hautaine , mais qui fut mal soutenue de ^ m *< 
dans la suite : « Que les Romains n accorde- 
« roient jamais rien à un rebelle, tant qu'il au- 
« roit les armes à la main. » 

Goriolan , instruit et irrité de cette réponse , 
lève son camp, marche droit à Rome, et in- 
vestit la place , comme pour en former le siège* 
l]n dessein si hardi jette les patriciens et le peu- 
ple dans une consternation égale ; tous man- 
quent de cœur et de résolution ; la haine cède 
à la peur. Pour lors le sénat et le peuple con- 
viennent également de demander la paix : on 
envoie des députés à Goriolan, et on choisit 
même, pour cette négociation, cinq consu- 
laires (i), et ceux du sénat qui a voient fait 
paroître plus d attachement pour ses intérêts. 

Les Volsques firent passer ces députés au mi- 
lieu de deux rangs d,e soldats qui étaient sous 
les armes ; et Coriolàn , environné de ses prin- 
cipaux officiers , les reçut assis dans son tri- 
bunal , avec la fierté d un ennemi qui vouloit 
donner la loi. 

Les Romains l'exhortèrent, en des termes 



(i)M. Minucius Poslhumius, Cominius, Sp. Largius, 
P. Pinarius, et Q. Sulpicius. — Dionys. Halic. lib. VIII, 
pag. 497- 



202 RÉVOLUTIONS 

An touchans et modestes , à donner la paix à l'un© 

de Rome, et à l'antre nation , et ils le conjurèrent de ne 

a6 4- • i • i . 

pousser pas si loin les avantages que ses armes 

donnoient aux V olsques , qu'il en oubliât les 
intérêts de sa patrie < Mais ils n'en rapportè- 
rent que cette rigoureuse réponse : Qu on pour- 
rait traiter de la paix en rendant aux Volsques 
le pays qu'on leur avoit enlevé, en donnant 
à ces peuples le même droit de bourgeoisie que 
les Latins avoient obtenu , et en rappellant les 
colonies Romaines , des villes dont ils s étaient 
emparés injustement. Coriolan, ayant traité, 
avec tant de hauteur, ce qui regardoit les in- 
térêts publics , prit des manières plus gracieu- 
ses avec les envoyés. Il leur offrit , en parti- 
culier, de leur faire tous les plaisirs quils pou- 
voient justement attendre d'un ancien ami. 
Mais ces généreux Romains ne lui demandè- 
rent, pour toute grâce, que de vouloir bien 
éloigner ses troupes de la campagne de Rome, 
pendant que le sénat et le peuple se détermi- 
neraient, soit pour la guerre, soit pour la paix- 
Coriolan , à leur considération , accorda trente 
jours de trêve pour le seul territoire de Rome : 
il congédia ensuite ces députés , avec lesquels 
il étoit convenu que le sénat lui renverroit une 
réponse décisive dans les trente jours. H eïù " 
ploya ce temps à prendre encore différentes 



ROMAINES. 2o3 

villes des Latins; et, après cette expédition, il . 
parut, de nouveau, aux portes de Rome avec de Aom*. 
toute son armée. 

On lui envoya aussitôt de nouveaux députés, 
qui le conjurèrent de n exiger rien qui ne fut 
convenable à la dignité du nom Romain \ mais 
Coriolan , naturellement dur et inflexible , sans 
colère apparente , et aussi sans pitié , leur ré- 
pondit sèchement que les Romains navoient 
point d'autre parti à prendre que la guerre , ou 
la restitution ; qu'il ne leur donnoit plus que 
trois jours pour se déterminer; qu'après ce ter- 
me, il ne leur serait pas permis de revenir dans 
son camp. 

Le retour de ces envoyés augmenta la con- 
sternation publique. Tout le monde court aux 
armes ; les uns se postent sur les remparts; 
d autres font la garde aux portes , de peur d'être 
trahis par les partisans secrets de Coriolan; 
quelques uns se fortifient même jusques dans 
leurs maisons , comme si l'ennemi eût déjà été 
maître de la ville. Dans cette confusion, il 
n y avoit ni discipline, ni commandement. Les 
consuls, qui ne sçavoient que craindre, sem- 
Uoicnt avoir renoncé aux fonctions de leur 
dignité : on n'entendoit plus parler des tribuns. 
Dans cette terreur générale , les particuliers ne t 

pr en oient Tordre, pour ainsi dire, que de leur 



2<>4 RÊvbBUTIONS 

An timidité. Ce n'étoient plus ces Romains si fiers 
4e Rome, e t s { intrépides ; il sembloit que le courage de 
cette nation fût passé , avec Coriolan , dans le 
parti des Volsques. Le sénat s assemble ; ce ne 
sont que conseils sur conseils; on ne forme au- 
cun dessein digne du nom Romain ; tout se ter- 
mine à envoyer de nouveaux députés à l'enne- 
mi, et pour le fléchir, on emploie les minis- 
tres de la religion. 

Les prêtres, les sacrificateurs, les Augures, 
et les gardiens des choses sacrées , revêtus de 
leurs habits de cérémonie, sortent de Rome 
comme en procession. Ils entrent dans le camp 
ennemi avec une contenance grave et modeste, 
propre à imposer à la multitude. Celui qui 
portoit la parole, conjure Coriolan, par le res- 
pect dû aux dieux, et par tout ce que la reli- 
gion a de plus sacré , de donner la paix à sa 
patrie : mais ils le trouvèrent également dur 
et inexorable. Il leur répondit que ce qu'ils de- 
mandoient, dépendoit uniquement des Ro- 
mains , et qu ils auroient la paix , dès qu'ils se 
mettraient en état de restituer les pays qu'ils 
avoient usurpés sur leurs voisins. Il ajouta 
qu'il n ignoroit pas que les premiers rois de 
Rome, pour exciter l'ambition des Romains, 
, et justifier leurs brigandages, avoient eu la- 

dresse de répandre dans le public , que les dieux 



ROMAINES, 205 

destin oient l'empire du monde à la ville de An 
Rome; que le sénat avoit pris grand soin d'en- *• * on| «« 
tretenir une opinion que la religion rendoit 
respectable ; et que le peuple , prévenu et en- 
têté de ces visions, trouvoit justes et saintes 
toutes les guerres qui alloient à l'agrandisse- 
ment de leur patrie; mais que les voisins de 
Rome ne se croyoient pas obligés de se soumet- 
tre sur des révélations si suspectes et si intéres- 
sées; que la conjoncture présente en justifioit 
assez la fausseté ; qu'il ne pouvoit leur dissi- 
muler qu'il étoit sûr d'emporter la place en peu 
de temps; que les Romains, pour ne pas ren- 
dre des terres injustement acquises, s'expo- 
«oient à perdre leurs propres Etats; et que, 
pour lui, il pro^estoit, devant les dieux, qu'il 
étoit innocent de tout le sang qu'on n'alloit 
répandre que par leur opiniâtreté à retenir le 
fruit de leurs usurpations* Ayant ensuite don- 
né quelques marques de respect et de vénéra-» 
tion extérieure , qu'il croyait devoir à la sain* 
teté de leur caractère , il les renvoya sur le champ, 
et sans' vouloir rien relâcher de ses premières 
propositions. 

Quand on les vit revenir à Rome, sans avoir 
pu rien obtenir, on crut la république à la 
veille de sa ruine. Les temples n'étoient rem- 
plis que de vieillards, de femmes , d'enfans , 



20Ô RÉVOLUTIONS 

An qui tous, les larmes aux yeux , et protfernts 
de Rome, au pied des autels , demandoient aux dieux 
la conservation de leur patrie. Telle étoit la 
triste situation de la ville , lorsqu'une Romaine, 
appelée Valérie, sœur <le Valérius Pubiicola, 
comme épue par une inspiration divine, sor- 
tit du Capitale, accompagnée d un grand nom- 
bre de femmes de sa condition, auxquelles 
elle avoit communiqué son dessein, et fut droit 
à la maison de Véturie, mère de Goriolan. 
Elles la trouvèrent avec Volumnie, femme de 
ce Romain , qui déploroient leurs propres mal- 
heurs et ceux de Rome. 

Valérie les aborda avec un air de tristesse 
convenable à Te tat présent de la république; Ce 
« sont des Romaines , leur dit-elle, qui ont re- 
« «ours i deux Romaines , pour le salut de leur 
* patrie commune. Ne souffrez pas , femmes 
« illustres, que Rome devienne la proie des 
« Volsques, et que nos ennemis triomphent 
« de notre liberté. Venez, avec nous, justes 
« dans le camp de Goriolan , lui demander la 
« paix peur ses concitoyens : toute notre espé- 
« rance est dans ce respect si connu, et dans 
¥ cette tendre affection qu'il a toujours eue 
« pour une mère , et pour une femme si ver- 
« tueuse. Priez, paressez, conjurez. Un si horo* 
<* me de bien ne pourra résister a vos larmes. 



ROMAINES. 20^ 

« Nous vous suivrons louées avec nos énfans : J^"* 
« nous nous jetterons à ses pieds. Et qui sçait de Rome. 
« si les dieux , louches 'de ootre juste douleur , 
« ne conserveront point une ville dont fl sfcm- 
« bta que les hommes abandonnent la dé-* 
« fense?«> 

Les larmes que Valérie répandoit en abon- 
dance , interrompirent un discours si touchant, 
auquel Véturie répondit avec une tristesse é- 
gale : « Vous avez recours, VaSérie, à une foi- 
« ble ressource , en vous adressant à deux fem- 
« mes abîmées dans la douleur. Depuis ce tnal- 
« heureux jour où le peuple furieux bannit si 
u injustement Goriolan, nous vîmes disparaître 
« ce respect filial et^ette tendre affection qu il 
u avoit eue jusqu'alors pour sa mère , et pour 
« une femme très chère. Au sortir de l'assemblée 
« où il venoit d'être condamné, il nous aborda 
«don air farouche; et, après être demeuré 
« quelque temps dans un morne silence : C'en 

* est fait , nous dit-il , Goriolan est condamné;: 
« des citoyens ingrats viennent de me bannir y 
«pour toujours, du sein de ma patrie. Soute- 

* nez ce coup de la fortune avec un courage 
«digne de deux Romaines. Je vous recoin** 
« monde mes enfuns : adieu, je pars, et ja- 
« bandonne , sans peine , une ville où Ton ne 
« peut souffrir les gens de bien : il Réchappe 



2<>8 RÉVOLUTIONS 

An « en disant ces mots. Nous nous mimes en état 
de Rome. « de le suivre : je tenois son fils aîné par la main, 
« et Volumnie, qui fondoit en larmes, portait 
m le plus jeune dans ses bras. Pour lors, se 
« tournant vers nous * N'allez pas plus loin > 
« nous dit-il, et finissez des plaintes. inutiles. 
m Vous n'avez plus de fils, ma mère; et vous, 
« Volumnie, la meilleure de toutes les femmes, 
« votre mari est perdu pour vous. Fassent les 
« dieux que vous en trouviez bientôt un autre 
• digne de votre vertu, et plus heureux que 
« Coriolan ! Sa femme , à un discours si dur et 
«si inhumain, tombe évanouie; et pendant 
« que je cours à son secours, il nous quitte 
« brusquement avec la dureté dun barbare, 
« sans daigner recevoir nos derniers embrasse- 
« mens, et sans nous donner, dans une si gran- 
de de affliction, la plus légère marque de com- 
« passion pour nos malheurs. Il sort de Rome, 
«♦seul, sans domestiques, sans argent, sans 
« nous dire seulement de quel côté il tournoit 
« ses pas. Depuis qu'il nous a abandonnées, il 
« ne s'est point informé de sa famille, et ne 
m nous a point donné de ses nouvelles; en sorte 
« qu'il semble que, dans la haine générale quil 
<« fait paroître contre sa' patrie, sa mère et sa 
« femme soient ses plus grands ennemis. 
. « Quel succès pouvez~vous donc espérer de 



ROMAINES. 209 

« nos prières auprès d un homme si implaca- 

« ble? DeuA femmes pourront-elles fléchir ce de Rome 

« cœur si dur, que les ministres même de la a64 ' 

« religion n ont pu adoucir? Et après tout, que 

« lui dirai-je? Que puis-je honnêtement exiger 

« de lui? Qu il pardonne à des citoyens ingrats 

« qui Font traité comme un homme noirci des 

« plus grands crimes? qu'il ait pitié dune po- 

« pulace furieuse qui n'en a point eu de son 

" innocence? et qu'il -trahisse une nation, qui 

« non seulement lui a ouvert un asile, mais 

« même qui JVpréféré à ses plus illustres ci- 

« toyens, dans le commandement des armées? 

« De quel front oserai-je lui proposer d'aban- 

« donner de si généreux protecteurs , pour se 

« liyrer, de nouveau, à ses plus cruels ennemis? 

« Une mère et une femme Romaines peuvent- 

- elles exiger, avec bienséance, d'un fils et d'un 

« mari, des choses qui le déshonoreroient devant 

.«Iesdieuxetdevantleshommes?Tristesituation 
« où il ne nous est pas même permis de haïr le 
* plus redoutable ennemi de notre patrie ! Aban- 
< donnez-nous donc à nos malheureuses des- 
« tinées; laissez-nous ensevelies dans notre lus- 
m te douleur. » 

Valérie et les autres femmes qui l'accom- 
pagnoient, ne lui répondirent que par leurs 
larmes. Les unes embrassent ses genoux; d'au- 



f. 



14 



2IO RÉVOLUTIONS 

An très supplient Volumnic de joindre ses prières 
de Rome, aux leurs; toutes conjurent Véturie de ne pas 
refuser ce dernier secours à sa patrie. La mère 
de Coriolan , vaincue par des prières si pres- 
santes , leur promit de se charger de cette nou- 
velle députation , si le sénat y consentait. Va- 
lérie en donna avis aux consuls , qui en firent la 
proposition en plein sénat. On agita long- 
temps cette affaire : les uns s'y opposoient , 
dans la crainte que Coriolan ne retint toutes 
ces femmes qui étoient des premières maisons 
de Rome , et qu'il ne s en servit ensuite pour 
s'en faire ouvrir les portes , sans tirer l'épéc. 
Quelques uns proposoient même de s'assurer 
de sa mère, de sa femme et de ses enfans, 
comme d'autant d'otages qui pourroient le 
v porter à quelque ménagement. Mais le plus 
grand nombre approuva cette députation, 
en disant que les dieux, qui avoient inspiré 
ce pieux dessein à Valérie, le feroient réus- 
sir, et qu'on n'avoit rien à craindre du carac- 
tère de Coriolan, fier à la vérité, dur et in- 
flexible , mais in' apable de violer le droit des 
gens. 

Cet avis remporta; et le lendemain, tout ce 
qu'il y avoit de plus illustre parmi les fem- 
mes Romaines, se rendit chez Véturie. On les 
fit monter aussitôt dans les chariots que les 



ROMAINES. ail 

consuls leur avoient fait préparer, et elles An 
prirent , dans escorte , le chemin du camp en- <*• Romt, 
nemi. 

Coriolan ayant apperçu cette longue file de 
coches et de chariots , les envoya reconnoltre. 
On lui rapporta , peu de temps après , que 
c'étoit sa mère , sa femme , et un grand nom- 
bre d'autres femmes qui venoient droit au 
camp. Il fut d abord surpris que des femmes 
Romaines , élevées dans cette austère retraite 
qui leur faisoit tant d'honneur, eussent pu se 
résoudre à venir, sans escorte , dans une armée 
ennemie , parmi les soldats où règne ordinai- 
rement tant de licence. Il jugea bien , par cette 
députation d'une espèce si nouvelle, quelles 
pouvoient être les vues des Romains : il com- 
prit que c'étoit la dernière ressource que le sé- 
nat employoit pour le fléchir. Il résolut de les 
recevoir avec le même respect qu'il avoit ren- 
du aux ministres de la religion, c'est-à-dire, 
d'avoir pour des femmes si respectables, tous 
les égards qui leur étoient dus, et de ne leur 
accorder, au fond, aucune de leurs deman- 
des. Mais il comptoit sur une dureté dont il 
ne fut point capable; et il neut pas plutôt re- 
connu sa mère et &a femme à la tête de cette 
troupe de Romaines, que, saisi et ému par 

la vue de personnes si chères, il courut, avec 

14. 



F 



212 RÉVOLUTIONS 

An précipitation , les embrasser. Les uns et les au- 
dc Rome, très n'exprimèrent d'abord la joie qu'ils avoient 
de se revoir, que par leurs larmes, mais, après 
qu on eut donné quelque temps à ces premiers 
mouvemens de la nature , Véturie voulant en- 
trer en matière , Coriolan , pour ne se pas ren- 
dre suspect aux Volsques, fit appeller les princi- 
paux officiers de son armée , afin qu ils fussent 
témoins de ce qui se passeroit dans cette négo- 
ciation. Us ne furent pas plutôt arrivés, que 
Véturie prenant la parole , pour engager son 
fils à avoir plus d égards à la prière qu elle ve 
noit faire, lui dit que toutes ces femmes Ro 
maines qu il connoissoit , et qui étoient des pre 
mières familles de la république, n avoient rien 
oublié, depuis son absence, pour la consoler , 
et Volumnie sa femme; que, touchées des mal 
heurs de la guerre, et craignant les suites fu- 
nestes du siège de Rome , elles venoient lui de- 
mander , de nouveau , la paix ; qu elle le con- 
jurait, au nom des dieux, de la procurer à 
sa patrie , et de tourner ailleurs l'effort de ses 
armes. 

Coriolan lui répondit qu'il offenseroit ces 
mêmes dieux , qu'il avoit pris à témoin de la 
foi qu'il avoit donnée aux Volsques , s'il lui ac- 
cordoit une demande si injuste ; qu'il étoit in- 
capable de trahir les intérêts de ceux qui, 



ROMAINES. 2l3 

après lui avoir donné un rang honorable dans An 
leur sénat, venoient encore de lui confier le de Rome. 
commandement de leur armée; qu'il avoit 
trouvé, dans Anlium, plus d'honneurs et de 
biens qu'il n'en avoit perdu , à Rome , par l'in- 
gratitude de ses concitoyens ; et qu'il ne man- 
querait rien à sa félicité , si elle vouloit bien 
la partager avec lui, s'associer à sa fortune, 
et venir jouir, parmi les Volsques, des hon- 
neurs qu'on rendroit à la mère de leur gé- 
néral. 

Les officiers Volsques , qui assistoient à cet- 
te conférence, témoignèrent , par leurs applau 
dissemens , combien une pareille réponse leur 
étoit agréable; mais Véturie, sans entrer dans 
une comparaison de Rome avec Antium, qui' 
les auroit peut-être offensés , se contenta de 
dire à son fils qu'elle n'exigeroit jamais rien 
de lui qui pût intéresser son honneur ; mais 
qu'il pouvoit, sans manquer à ce qu'il devoit 
aux Volsques, ménager une paix qui fut éga- 
lement avantageuse aux deux nations. « Et 
« pouvez-vous, mon fils , ajouta-t-elle en éle- 
« vant sa voix i refuser une proposition si équi- 
« table , à moins que vous ne vouliez préférer 
« une vengeance cruelle et opiniâtre aux priè- 
« res et aux larmes de votre mère? Songez que 
«votre réponse va décider de ma gloire et 



2l4 RÉVOLUTIONS 

. - même de ma vie. Si je remporte, à Rome, 
3e Rome, « l'espérance d'une paix prochaine; si j y rentre 
« avec les assurances de votre réconciliation , 
« avec quels transports de joie ne serai-je pas 
« reçue par nos concitoyens? Le peu de jours 
« que les dieux me destinent encore à passer 
«sur la terre, seront environnés de gloire 'et 
« d'honneurs. Mon bonheur ne finira pas même 
« avec cette vie mortelle ; et Vil est vrai qu'il 
« y ait différens lieux, pour nos âmes, après la 
« mort, je n'ai rien à craindre de ces endroits 
« obscurs et ténébreux où sont rélégués les mé- 
« chans : les Champs-Elysées, ce séjour délicieux 
« destiné pour les gens de bien , ne suffiront 
« pas même pour ma récompense. Après avoir 
« sauvé Rome, cette ville si chère à Jupiter, j'ose 
« espérer une place dans cette région pure et 
« sublime de l'air , qu'on dit être habitée par 
«les enfans des dieux. Mais je m'abandonne 
«trop à des idées si flatteuses. Que devien- 
« drai-je , si tu persistes dans cette haine im- 
« placable , dont nous n'avons que trop ressenti 
« les effets? Nos colonies chassées , par tes ar- 
« mes , de la plupart des villes qui reconnois~ 
« soient l'empire de Rome ; tes soldats furieux 
« répandus dans la campagne , et portant le fer 
« et le feu de tous côtés , ne devroient-ils pas 
« avoir assouvi ta vengeance ? As-tu bien eu le 



a64. 



ROMAINES. 2l5 

« courage de venir piller cette terre qui ta vu * 
« naître , et qui t'a nourri si long-temps? De ai d« Bomt. 
« loin que tu as pu ajjpercevoir Rome, ne t'est- 
« il point venu dans l'esprit , que tes dieux , ta 
« maison , ta mère , ta femme , et tes enfans , 
« étoient renfermés dans ses murailles ? Crois- 
« tu que , couverte de la honte d un refus in- 
« jurieux, j'attende paisiblement que tes armes 
«aient décidé de notre destinée? Une femme 
« Romaine sçait mourir quand il le faut; et si 
«je ne te puis fléchir, apprends que j ai résolu 
« de me donner la mort en ta présence. Tu 
« n iras à Rome qu'en passant sur le corps de 
« celle qui ta donné la vie ; et si un spectacle 
« aussi funeste n'est pas capable d arrêter ta 
« fureur, songe au moins qu'en voulant mettre 
« Rome aux fers , ta femme et tes enfans ne 
«peuvent éviter la mort, ou une prompte ser- 
vitude. » 

Goriolan, agité de différentes passions, pa- 
roissoit interdit : la haine et le désir de la ven- 
geance balançoient , dans son cœur , l'impres- 
sion qu'y faisoit , malgré lui , un discours si 
touchant. Véturie , qui le vo voit ébranlé , mais 
qui craignoit que la colère ne l'emportât sur 
la pitié . ««Pourquoi ne me réponds-tu pas, 
« mon fils , lui dit-elle? Méconnois-tu ta mère ? 
.» As-tu oublié les soins que j'ai pris de ton en 






2l6 RÉVOLUTIONS 

An « fance? Et toi , qui ne fais la guerre que pour 
de Rome, « t e venger de l'ingratitude de tes concitoyens, 
« peux-tu , sans te noircir du même crime que 
« tu veux punir, refuser la première grâce que 
« je taie jamais demandée? Si j'exigeois que tu 
« trahisses les Volsques qui t'ont reçu si géné- 
« reusement, tu aurois un juste sujet de rejet- 
« ter une pareille proposition. Mais Véturie est 
« incapable de proposer rien de lâche à son 
« fils : et ta gloire m'est encore plus chère que 
« ma propre vie. Je demande' seulement que 
»< tu éloignes tes troupes des murailles de Rome : 
« accorde-nous une trêve d'un an , pendant le- 
« quel temps on puisse travailler à établir une 
«paix solide. Je t'en conjure,- mon fils, par 
« Jupiter tout bon et tout puissant, qui prê- 
te side au Capitole, par les mânes de ton père 
«et de tes ancêtres. Si mes prières et mes lar- 
« mes ne sont pas capables de te fléchir, vois 
« ta mère , à tes pieds , qui te demande le salut 
« de sa patrie. » En disant ces mots , et fondant 
« en larmes , elle lui embrasse les genoux : sa 
femme et ses enfans en font autant ; et toutes 
les femmes Romaines , qui les accompagnoient, 
demandent grâce par leurs larmes et par leurs 
cris. 

Coriolan , transporté et comme hors de lui 
de voir Véturie à ses pieds , s'écrie : « Ah ! ma 



ROMAINES. 217 

« mère , que faites-vous »? Et lui serrant ten- ^ 
drement la main , en la relevant : « Rome est dc Home. 
« sauvée, lui dit-il , mais votre fils est perdu » : 
prévoyant bien que les Volsques ne lui pardon- 
neraient pas la déférence qu'il alloit avoir pour 
ses prières. Il la prit ensuite en particulier avec 
sa femme, et il convint, avec elles, qu'il tâche- 
rait de faire consentir les principaux officiers 
de son armée à lever le blocus ; qu il emploie- 
rait tout son crédit et tous ses soins pour ob- 
tenir la paix de la communauté des Volsques , 
et que s'il n'y pouvoit réussir , et que les suc- 
cès précédens les rendissent trop opiniâtres , il 
se démettroit du commandement, pour se re- 
tirer dans quelque ville neutre; que ses amis 
pourroient alors négocier son rappel et son re- 
tour à Rome. Il se sépara ensuite de sa mère 
et de sa femme, après les avoir tendrement 
embrassées , et ne spngea plus qu a procurer 
une paix honorable à sa patrie. 

Il assembla, le lendemain, le conseil de 
guerre; il y représenta la difficulté de former 
le siège d'une place où il y avoit une armée 
redoutable pour garnison , et autant de sol- 
dats qu'il s'y trouvoit d'habitans; et il con- 
clut à se retirer. Personne ne contredit son 
avis, quoiqu après ce qui s'étoit passé, on ne 
pût pas ignorer les motifs de sa retraite. L'ar- 



»» 



2l8 RÉVOLUTIONS 

^ mée se mit en marche, et les Volsques, plus 
de Rome, touchés de ce respect filial qu il avoit fait pa- . 
roitre pour sa mère , que de leurs propres in- 
térêts, se retirèrent chacun dans leurs can- 
tons. 

Mais Tullus, ce général qui l'a voit reçu 
d'abord avec tant d'humanité , jaloux du cré- 
dit qu'il avoit acquis parmi les soldats, saisit 
cette occasion pour le perdre ; et il ne le vit 
pas plutôt de retour dans la ville d'Antiura , 
quil publia hautement que ce banni avoit trahi 
les intérêts des Volsques. Coriolan , pour se 
disculper, demanda à rendre raison de sa con- 
duite devant le conseil général de la nation : 
mais Tullus , qui ne redoutoit pas moins son 
éloquence que sa valeur, (i) excita un tumulte 
à la faveur duquel ses partisans se jettèrent sur 
le Romain , et le poignardèrent : sort funeste 
et presque inévitable pour tous ceux qui ont 
le malheur de prendre les armes contre leur 
patrie. 

Telle fut la fin de ce grand homme , trop fier 
à la vérité pour un républicain , mais qui , par 
ses grandes qualités et ses services, méritoit 
un meilleur traitement des Volsques et des 
Romains. Quand on apprit sa mort à Rome, 

(i) Dionys. Halicarn. lib. Vin, p. 5a8. 



4 

ROMAINES. 219 

le peuple n'en témoigna ni joie ni douleur ; et An 
peut-être qu il ne fut pas fâché que les Volsques *• Rome, 
l'eussent tiré de Fembarras de rappeller un pa- 
tricien qu'il ne craignoit plus , et qu'il haïssoit 
encore. 



FIN DU SECOND LIYRE, 



220 RÉVOLUTIONS 



y+sm^%*%*. f«*%/»>« %*«<«*<•«<% «/m.-*.»» 



LIVRE TROISIÈME. 

Sp. Ca9sius Viscellinus, patricien, conçoit l'espérance 
de se faire couronner roi de Rome , à la faveur des 
divisions qui régnent dans la ville. Pour mettre le 
peuple dans ses intérêts, il propose, dans le sénat , de 
faire faire le dénombrement des terres conquises , afin 
de les partager également entre tous les citoyens. C'est 
ce qu'on a appelle la loi Agraire. Virginius, collègue 
de Cassius dans le consulat, et C. Rabuleius, tribuns 
du peuple, contribuent également à empécber l'exé- 
cution de la proposition du consul. Arrêt du sénat qui 
autorise Q. Fabius et G. Cornélius, consuls désignés, 
à nommer des commissaires pour le partage des terres. 
Cassius condamné à mort. Menenius, fils d' Agrippa, 
et Sp. Servilius, sont mis en justice par les tribuns, 
pour s'être opposés, pendant leur consulat, à la no- 
mination de ers commissaires. Le premier est con- 
damné à une amende, et s'enferme dans sa maison , 
où il se laisse mourir de faim : le second dissipe le 
danger par sa fermeté. Volero. Loi qu'il propose pour 
les assemblées par tribus. Cette loi passe malgré Ap- 
puis. Les tribuns, de concert avec les consuls, deman- 
dent l'exécution de l'arrêt du sénat pour le partage des 
terres conquises. Appius empêche l'effet de cette de- 
mande. La mort de ce consulaire donne moyen aux 
tribuns çle poursuivre cette affaire , mais sans succès. 



An Cette haine du peuple pour tout ce qui por- 
e a6 ^ mc# toit le nom de patricien, ne venoit que de la 



ROMAINES. 221 

jalousie du gouvernement. Mais comme il n'en • An 
avoit encore coûté au sénat que rétablissement *« Rome, 
des tribuns et l'exil d'un particulier, les répu- 
blicains zélés n étoient pas fâchés de cette op- 
position d'intérêt , qui , çn balançant également 
le crédit des grands et l'autorité du peuple , ne 
servoit qu'à maintenir la liberté publique. Telle 
étoit la disposition des esprits, lorsqu'un patri- 
cien ambitieux crut qu'en poussant plus loin la 
division , et en se mettant à la tête d'un des 
partis, il pourroit les détruire tous deux, et 
jetter, sur leurs ruines, les fondemens de sa 
propre élévation. 

Ce patricien s'appelloit Sp. Cassius Viscelli- 367. 
nus; il avoit commandé les armées, obtenu 
l'honneur du triomphe, et étoit actuellement 
consul pour la troisième fois. Mais c'étoit un 
homme naturellement vain et plein d'ostenta- 
tation, qui exagéroit ses services, méprisoit 
ceux des autres, et rappelloit, à lui seul, toute 
la gloire des bons succès. Dévoré d'ambition , 
il osa aspirer à la royauté , si solennellement 
proscrite par les lois; et, dans le dessein secret 
qu'il avoit formé, depuis long-temps, de la ré- 
tablir en sa personne, il ne balança point sur 
le parti qu'il avoit à prendre. Il résolut de ga- 
gner d'abord l'affection du peuple, qui se livre 
toujours aveuglément à ceux qui le sçavent 



222 RÉVOLUTIONS 

— "~ - tromper, sous le prétexte spécieux de favoriser 

de Rome, ses intérêts. 

7 ' Sa partialité éclata ouvertement pendant 

son second consulat, dans le temps qu'il s'agis- 
soit de rétablissement des tribuns. On pouvoit, 
à la vérité , attribuer ses ménagemens politi- 
ques au désir de voir le peuple réuni avec le 
sénat ; mais, la conduite équivoque qu'il venoit 
de tenir actuellement , tant à l'égafrd des Her- 
niques que du peuple Romain, persuada en- 
tièrement le sénat qu'il avoit d'autres vues et 
d'autres intérêts que ceux de la république. 

Les Herniques ou Herniciens étoient de ces 
petits peuples voisins de Rome, que nous avons 
dit qui habitoient proche du Latium. Depuis 
la mort de Goriolan , ils s'étoient ligués avec 
les Volsques contre les Romains. Àquilius, qui 
étoit alors consul avec T. Sicinius, les avoit 
défaits (1). Cassius, qui lui succéda dans le con- 
sulat et dans la conduite de cette guerre, les 
réduisit, par la seule terreur de ses armes, à 
demander la paix : ils s'adressèrent au sénat , 
qui renvoya l'affaire au consul. Cassius, se pré- 
valant de cette commission, et sans commu- 
niquer au sénat les articles du traité , accorda 



(i) Dionys. Halicam. lib. VIII, pag. 536 et 537* — Tit 
Ijîy. Dec. i, 1. II, c. 4<» 



ROMAINES. 223 

la paix aux Héroïques, et leur laissa le tiers ^ 
de leur territoire. Il leur donna, par le même de R onl «- 
traité , le titre si recherché d'alliés et de citoyens * 
de Rome ; en sorte qu'il traita des vaincus aussi 
favorablement que s'ils avoient été victorieux. 
Pour se faire des partisans au-dedans et au- 
dehors de l'État, il destina aux Latins la moi- 
tié de ce qui restoit des terres des Herniques, et 
réserva le surplus pour des pauvres plébéiens * 
de Rome. Il tenta même de retirer, des mains 
de quelques particuliers , des terres qu'il disoit 
appartenir au public, et qu'il vouloit encore 
distribuer à de pauvres citoyens. Il avôit de- 
mandé auparavant les honneurs du triomphe 
avec autant de confiance que -s'il eût remporté 
une glorieuse victoire ; et il avoit obtenu , par 
son crédit, un honneur qu'on n'aocordoit ja- 
mais qu'à des généraux qui avoient remporté 
une victoire importante, et qui avoient laissé 
au moins cinq mille des ennemis sur la placé. 
Le lendemain de son triomphe, il rendit 
compte , suivant l'usage , dans une assemblée 
du peuple, de ce qu'il avoit exécuté de glo- 
'>ux et d'utile à la république, pendant la 
campagne (i). Comme ses exploits ne lui fbur- 
uissoient rien d'assez brillant, il se jetta sur 

(0 Dion. Halic. lib. Vin, pag. 538. 



224 RÉVOLUTIONS 

7 ses services précéderis. Il représenta que, dans 
de- Rome, son premier consulat 5 il avoit vaincu les Sa- 
2 7 " bins ; que son second consulat avoit été illustré 
par la part qu'il avoit eue à l'érection du tribu- 
nat; quil venoit, dans le troisième, d'incorpo- 
rer les Herniques dans la république ; et quil 
se proposoit , avant la fin de son consulat , de 
rendre la condition des plébéiens si heureuse , 
» qu'ils n'envieroient plus celle des patriciens. Il 
ajouta qu'il se flattoit que le peuple Romain ne 
pourroit disconvenir qu'il n'avoit jamais reçu 
tarit de bienfaits d'un seul de ses citoyens. 

Ce discours fut écouté , avec plaisir, par le 
peuple, toujours avide de nouveautés. Le sé- 
nat, au contraire, qui redoutoit l'esprit ambi- 
tieux de Cassius , n'étoit pas sans inquiétude. 
Tout le monde dans Rome , par différens mo- 
tifs, attendoit, avec impatience, l'éclaircisse- 
ment de ces promesses si magnifiques. Cassius 
setendit ensuite sur les louanges du peuple. 
Il représenta que Rome lui étoit redevable non 
seulement de sa liberté , mais encore de l'em- 
pire qu'elle avoit acquis sur une partie de ses 
voisins; qu'il lui paroissoit très injuste qu'un 
peuple si courageux , et qui exposoit * tous les 
jours, sa vie pour étendre les bornes de la ré- 
publique, languît dans une honteuse pauvreté, 
pendant que le sénat, les patriciens, et tout le 



ROMAINES. 225 

corps de la noblesse, j ou issoient seuls du fruit J^""* 
de ses conquêtes. Et , pour développer le fond àe Rom*, 
de ses intentions, il ajouta qu'il étoit d'avis, a 7 * 
pour rapprocher de pauvres citoyens de la 
condition des riches, et pour leur donner le 
moyen de subsister, de faire faire un dénom- 
brement exact de toutes les terres qu on avoit 
enlevées aux ennemis* et dont les patriciens 
setoient emparés; qu'il falloit en faire un nou* 
vcàu partage, sans aucun égdrd pour ceux ifui* 
sous différens prétextes , se les étoient appro-* 
priés; que ce partage mettrûit les pauvres plé-< 
béiens en état de pouvoir nourrir des enfatis 
utiles à l'État; et qu'il n'y avoit même qu'un 
partage si équitable qui pût rétablir l'union et 
légalité qui dévoient être entre les citoyens 
d'une même république. Ce fut alorç; dit Tite-» 
Live (i),. que la É loi Agraire fut proposée pour, 
la première fois, 

Il seroit difficile d'exprimer la surprise , 1 in- 
dignation , et la colère du sénat , à l'ouverture 
d'une pareille proposition. Mais, pour bien, 
comprendre à quel point elle étoit ruineuse à 
Tégard des grands, et tout l'appât qu'elle de* 
voit avoir pour le peuple, je ne puis, ce me 
semble , me dispenser de rappeller, en partie , 

(1) Dec. i,1ib. II, cap. l\\* 



22Ô RÉVOLUTIONS 

A ce que j'ai déjà dit au sujet de ces terres pu- 
de Rome, bliques. Quand les Romains avoient eu quel- 
que avantage considérable sur leurs voisins, 
ils ne leur accordoient jamais la paix qu'ils ne 
leur enlevassent une partie de leur territoire, 
qui étoit aussitôt incorporé dans celui de Rome. 
C etoit l'objet le plus ordinaire de la guerre , et 
le principal fruit qu'on envisageoit dans la vic- 
toire. On sçait, et je Tai déjà dit, qu'une par- 
tie de ces terres de conquêtes se vendoit pour 
indemniser l'État des frais de la guerre. On en 
distribuoit gratuitement une autre portion à 
de pauvres plébéiens nouvellement établis à 
Rome , qui se trouvoient sans aucun fonds de 
bien en propre: quelquefois on en donnoit 
quelques cantons à cens, et par forme d'in- 
fèodatkm, et les détenteurs en payoient les re- 
devances en argent, en fruits, ou en grains, 
qui se vendoient au profit du trésor public. 
Enfin, comme la principale richesse des Ro- 
mains consistent, en ces temps-là, en bestiaux 
et en nourriture, on laissoit en communes, et 
pour servir de pâturages , ce qui restoit de ces 
terre» conquises. 

Cette disposition bannissoit la pauvreté de 
la république, et atta choit ses citoyens à sa dé- 
fense. Mais des patriciens avides enlevèrent ces 
différens secours au petit peuple. Des terres 



ROMAINES. 227 

d'une vaste étendue , et qui dévoient fournir à . 
la subsistance de tout l'Etat, devinrent insen- de Rome. 
siblement le patrimoine de quelques particu± a 7# 
liera. Si on en vendoit quelqtie partie, pour 
indemniser l'État des frais de la guerre , les se-* 
natélirs, seuls riches en ce temps-là, maîtres 
et arbitres des adjudications, se les fatisoient 
adjuger à très vîl pHx ; en sorte que le trésor 
public n'en tiroit presque aucun profit* C'étoit 
par la même autorité qu'ils prenoient, sou* 
leurs noms, ou sous des noms empruhtés, les 
terres qu'on devoit donner à cens aux pauvres 
plébéiens, pbur leur aider à élever leurs en- 
fans. Souvent, par des prêts intéressés et des 
usures accumulées, ils s'étoient fait céder les 
petits héritages que le peuple aVoit reçus dé 
ses ancêtres. Enfin, les riches, en reculant peu- 
à-peu les bornes de leurs terres , y avoient ab- 
sorbé et confondu la plupart des communes ; 
en sorte que ni l'État en général , ni les plér 
béiens en particulier, ne tiroient presque plus 
aucun avantage de ces termes étrangères. Lès 
patriciens, qui d'en étoiént emparés, lés avoient 
enfermées de murailles : on avoit élevé dessus 
des bàtimens ; des troupes d'esclaves , faits des 
prisonniers de guerre , les cultivoient pour le 
compte des grands de Rome, et déjà une 
longue prescription couvroit ces usurpations, 

i5. 



\. 



228 RÉVOLUTIONS 

An Les sénateurs et les patriciens n avaient guère; 

de Rome, d autres biens que ces terres du public, qui 

étoient passées successivement en différentes 

familles par succession, par partage, ou par 

ventes. 

Quelque apparence d équité qu eût la propo- 
sition de Gassius , on ne pouvoit en faire une 
loi , sans ruiner tout d un coup le sénat et la 
principale noblesse, et sans exciter une infinité 
de procès en garantie, parmi toutes les familles 
de Rome; aussi la plupart des sénateurs s éle- 
vèrent contre lui, avec beaucoup d'animosité. 
Sans respecter sa dignité, ils lui reprochèrent 
publiquement son orgueil , son ambition , et 
l'envie qu'il avoit d exciter des troubles dans la 
république. Ils disoient hautement que Cassius 
agissoit moins comme consul, que comme un 
tribun séditieux. 

Cassius s'étoit bien attendu de trouver une 
opposition générale à sa proposition, de la 
part des grands de Rome. Mais , comme il se 
flattoit que le peuple, toujours avide de choses 
nouvelles , et séduit par l'espérance du partage 
des terres, se déclareroit en sa faveur, il con- 
voqua une nouvelle assemblée ; et, parmi beau- 
coup de choses qu'il dit , au mépris de la no- 
blesse et en faveur du peuple , il ajouta qu'il ne 
ticndrôit qu'à ce dernier Ordre de la républi- 



ROMAINES. 229 

que de se tirer,, tout d un coup, de la misère dans An 
laquelle l'avoit réduit l'avarice des patriciens ; de llomo - 
qu'il n'y avoit, pour cela, qu'à faire une loi 
solennelle du partage des terres de conquêtes , 
et dont il leur avoit proposé , en partie , le mo- 
dèle dans ce qu'il destinoit de faire des terres 
deé Herniques ; quil falloit même faire rendre, 
aux pauvres plébéiens, l'argent dont ils avoient 
payé le bled que le roi de Sicile avoit envoyé 
gratuitement à Rome; et que, par des lois si 
équitables, le peuple banniroit pour toujours 
la pauvreté, la jalousie, et la discorde. 

Le peuple reçut d abord ces propositions 
avec de grands applaudissemens; mais la plu- 
part des tribuns, qui ne pouvoient voir sans 
jalousie qu'un patricien et un consul entre- 
prit, à leur préjudice, de s attirer la confiance 
de la multitude, gardoient un profond silen- 
ce , qui empéchoit leurs partisans et les prin- 
cipaux de chaque tribu de se déclarer ouverte- 
ment pour la loi. Ce n'est pas que les uns et les 
autres n'en reconnussent tout l'avantage pour 
le parti du peuple , comme on le verra dans la 
suite ; mais ils ne vouloient pas que le peuple en 
eut obligation à un patricien, ni qu'un consul 
fut reconnu pour auteur de la loi. Ainsi, sans 
l'approuver ni la combattre ouvertement, ils 
attendoient une autre conjoncture où Us pu»- 



23ô RÉVOLUTIONS 

J"~ sent avoir , aux yeux du peuple , le mérite de 
de Home, lavoir fait recevoir. 
1 7 " Virginius , collègue de Cassiqs pour le con- 
sulat , ne l'attaqua pas directement ; il feignit 
au contraire d en reconnoître la justice en gé- . 
itérai ; mais , pour en éluder la publication , il 
h>l4moit hautement l'usage qu en vouloit faire 
Gassius , qui , par ce partage infidèle , réduisoit 
les victorieux et les souverains à une égalité 
honteuse avec les sujets et les vaincus. Il lais- 
soit échapper , en même temps , des soupçons 
contre son collègue, comme si, par cette dis- 
position si extraordinaire et proposée en faveur 
d anciens ennemis, il eut cherché à s en faire 
des créatures, au préjudice même de l'Etat. 
« Pourquoi , s'écrioit-il , rendre aux Berniques 
« la troisième partie d'un territoire si légitime- 
« ment conquis ? Quelle peut être sa vue en 
« voulant donner, aux Latins, la meilleure par- 
« tie de ce qui reste , si ce n est de se frayer un 
«chemin à la tyrannie? Rome doit craindre 
« que ces peuples, toujours jaloux de sa gran- 
t deur, malgré leur nouvelle alliance, ne met- 
« tent un jour à leur tête Cassius, comme un 
«autre Goriolan, et n'entreprennent, sous sa 
« conduite, de se rendre maîtres du gouverne- 
«ment. » 
Cetteiomparaison avec Goriolan, qui rappel- 



ROMAINES. 23l 

loit, au peuple , Je souvenir d'un patricien dont . 
la mémoire lui étoit ri odieuse, refroidit cette de Rome. 
première ardeur pour la réception de cette loi, a67 ' 
Les tribuns même laissèrent entrevoir que l'au- 
teur leur en étoit suspect. Gassius, sapperçe- 
vant que son partis afFoiblissoit, fît venir secret-» 
tenaient, à Rome, un grand nombre de Latin* 
et d'Heruiques, auxquels il fît dire qu'en qualité 
de citoyens Romains , ils avoient intérêt de se 
trouver aux premières assemblées , pour y dé- 
fendre leurs droits , et faire passer la loi du par- 
tage des terres de conquêtes , qu il avoit propo- 
sée en leur faveur. 

On vit arriver aussitôt, à Rome, un grand 
nombre, de ces peuples. Il étoit indifférent à 
Cassius qu'on reçut la loi , et il ne lavoit pro- 
posée que dans le dessein d exciter une sédi- 
tion , et de se pouvoir mettre à la tête d'un 
parti qui le rendît maître du gouvernement. 
La froideur qu avoient témoignée les tribuns, 
déconcertait ses vues. Pour engager le peuple 
à se joindre à lui , il ne marchoit plus , dans la 
ville , qu escorté d une foule de Latins et d'Her- 
niques. Virginius, voulant affoiblir ce parti, 
fit publier une ordonnance qui prescrivoit à 
tous les alliés qui n'étoient pas actuellement 
domiciliés dans Rome, d'en sortir incessam- 
ment. Cassius s opposa à cet édit j et un hé- 



232 RÉVOLUTIONS * 

An raut, par son ordre, en publia un autre tout 

de Rome, contraire, qui permettoit d y rester à tous ceux . 

qui étoient censés citoyens. Cette opposition 

excita de nouveaux troubles dans la ville ( i ) : 

les deux magistrats vouloient être également 

* 

obéis ; leurs licteurs étoient, tous les jours, aux 
prises, et cette concurrence, entre deux partis 
qui se fortifîoient continuellement , alloit dé- 
générer en une guerre civile, lorsqu'un des tri- 
buns du peuple, appelle G. Rabuleïus, entre- 
prit de rétablir le calme dans la république , et 
en tribun habile , d'en tirer tout l'avantage en 
faveur du peuple. 

Il remontra, dans une assemblée publique , 
qu'il étoit aisé de concilier les avis des deux 
consuls; que l'un et l'autre convenoient de la 
justice du partage des terres des Herniques , en 
faveur du peuple Romain ; que ces deux ma- 
gistrats n étoient opposés qu'en ce que Cassius 
vouloit admettre , dans ce même partage , les 
Herniques et les Latins alliés de la république ; 
ainsi , qu'il étoit d'avis de commencer par faire 
justice aux Romains, selon qu'ils en conve- 
noient l'un et l'autre; et qu'à l'égard de la pro- 
position que Cassius faisoit en faveur des al- 
liés, et à laquelle son collègue s'opposoit, il 

(i) Dionys. Halicarn. lib. VIII, paç. 54o. 



ROMAINES. 233 

falloit en remettre la décision à un autre temps: A 
que , pour toutes les autres terres de conquêtes, àe Rome, 
et qui composoient Ja plus grande partie du 
territoire de Rome , le sénat et le peuple en dé- 
libéreraient à loisir , selon l'importance d une 
si grande affaire , et comme il conviendrait au 
bien commun de la république. 

Sous les apparences d un avis si équitable 
et si modéré , le tribun cachoit le dessein dé 
pousser plus vivement l'affaire du partage , 
quand il l'aurait tirée des mains de Cassius. Il 
fut cause que l'assemblée se sépara , sans qu'il y 
eût rien de statué au sujet du partage général 
de toutes les terres de conquêtes. Cassius , hon- 
teux du mauvais succès de ses desseins , se ca- 
cha dans sa maison , d'où il ne sortit plus , sous 
prétexte de maladie. 

Cependant le sénat, qui avoit pénétré les 
desseins secrets de Rabuleïus, prévit bien que 
l'affaire du partage des terres ne toit que diffé- 
rée. Il s'assembla extraordinairemeht , pour 
prévenir, de bonne heure, tout ce que les tri- 
buns pourraient entreprendre à ce sujet. On 
ouvrit différens avis : celui d'Appius, ce défen- 
seur intrépide des lois , fut que , pour empêcher 
les justes plaintes du peuple, le sénat devoit 
nommer dix commissaires , qui seroient char- 
gés de faire une recherche exacte de ces terres , 



234 RÉVOLUTIONS 

^ qui originairement appartenoient au public; 
de Rome. q U ' il en falloit vendre une partie au profit du 
trésor, en distribuer une autre aux plus pauvres 
citoyens qui n'avoient aucun fpnds de terre, ré- 
tablir les communes, et placer par-tout de* 
bornes, dont le défaut avoit causé l'abus qui 
setoit introduit; qu'à l'égard du reste de ces 
terres , il ne les falloit louer que pour cinq ans, 
en porter le loyer à sa juste valeur , et en em- 
ployer le produit à fournir du bled, et la solde 
aux plébéiens qui alloient en campagne; que 
ce règlement les empêcheroit de songer davan- 
tage au partage des terres ; et que certainement 
ils préféreraient à un morceau de terre, qu'il* 
«croient obligés de cultiver, du grain, de I ar- 
gent , et une subsistance assurée pendant toute 
la campagne ; et qu'il nesçavoit point de moyeu 
plus sûr pour réformer d anciens abus, que de 
rétablir les choses dans 1 esprit de leur première 
institution. 

A. Sempronius Atratinus , personnage révéré 
dans le sénat , approuva hautement 1 avis d'Ap- 
pius : il y ajouta seulement qu il falloit faire 
entendre aux alliés, et à ces peuples qui ve- 
noient d être faits citoyens de Rome , qu il n <" 
toit pas juste qu ils entrassent en partage de* 
terres que les Romains avoient conquises avant 
leur alliance; que chaque nation, quoique al- 



BOMAINES. 235 

liée, poavoit disposer, comme elle le jiîgeroit An 
à propos , de son territoire et de ses conque- <!• Rome, 
tes; qu'à l'égard des terres dont on se rendroit 
maître à forces communes , la république , dans 
le partage qui en seroit fait; auroit égard au 
secours quelle auroit tiré de ses alliés. 

L avis de ces deux sénateurs forma le séna- 
tus-dfcisulte. Mais comme ces terres de con- 
quêtes faisoient tout le bicu des premiers de 
Rome , la plupart des sénateurs , que le règle- 
ment alloit ruiner, ajoutèrent au sénatus-con- 
sulte , et pour en éloigner l'exécution , qu'at- 
tendu que le consulat de Gassius et de Virgi- 1 
nius étoit près d'expirer, leurs successeurs im- 
médiats, Qui n tus Fabius et Servius Cornélius, 
consuls désignés, seroient autorisés pour nom- 
mer les décemvirs qui dévoient régler l'affaire 
du partage des terres ; et ces mêmes sénateurs 
résolurent entre eux de mettre alors Gassius en 
justice , et de lui faire son procès, pour intiini- , 
der tous ceux qui, à l'avenir, sejroient tentés 
de remuer cette affaire. 

Quelques auteurs ont prétendu que, sitôt 
que les deux nouveaux consuls eurent pris pos- 
session de leur dignité (i), ce fut le père même a69, 
de Gassius qui le dénonça au sénat, comme 

(1) Valer. Max. lib. V, cap. 8. art. x 



236 RÉVOLUTIONS 

An ayant voulu se rendre le tyran de sa patrie, 
de Rome, et que ce sévère Romain , comme un autre 
Brutus , en ayant fait voir les preuves en plein 
sénat, a voit ramené son fils en sa maison, où 
il l'avoit fait mourir, en présence de toute sa 
famille (1). Mais Denys d'Halicarnasse nous ap- 
prend que ce furent Ceson Fabius , frère du 
premier consul , et Valerius , petit-fils dfc ne- 
veu de Publicola , tous deux questeurs , qui se 
rendirent parties dans cette affaire, et qui, 
ayant convoqué l'assemblée du peuple, suivant 
le pouvoir attaché à leurs charges, accusèrent 
Cassius d avoir introduit des forces étrangères 
dans la ville, pour opprimer la liberté de ses 
concitoyens. 

Cassius parut dans rassemblée , vêtu de deuil, 
et dans un habit conforme à sa fortune. Il repré- 
senta au peuple, pour l'intéresser dans sa défen- 
se , que c'étoit lui-même que le sénat attaquoit 
en sa personne , et qu'il n'étoit odieux aux pa- 
triciens que parccqu'il avoit proposé de les 
obliger à partager , avec le peuple , toutes les 
terres dont ils s etoieut emparés. Mais ce peu- 
ple généreux , qui , dans sa misère , trouvoit la 
• servitude encore plus insupportable que la 
pauvreté, n'écouta qu'avec une indignation 

(i) Dionys. Ilalicarn. lib. VIII. 



ROMAINES. 2^7 

générale, tout ce qui venoit de la part dun An 
homme si suspect. Cassius se vit en même de Rome, 
temps abandonné 7 du peuple , et poursuivi par ' 
le sénat, et. il fut condamné par les suffrages 
de tous ses concitoyens. L'exemple récent de 
Coriolan , qui avoit rendu son exil si redouta- 
ble, fut cause qu'on le condamna à mort. Ce 
consulaire , qui avoit été honoré de deux triom- 
phes, fut précipité du haut de la Roche Tar- 
péienne; et les patriciens eurent la satisfaction 
de faire périr, par les mains même des plé- 
béiens, un partisan déclaré des intérêts du 
peuple. 

Un coup si hardi étourdit la multitude. On 
fut quelque temps sans entendre parler de la 
recherche des terres publiques ; l'exécution du 
sénatus-consulte, et la nomination des décem- 
vire demeurèrent suspendues. Cette grande af- 
faire devint comme un de ces mystères du gou- 
vernement où personne n'oseroit toucher. Le 
peuple intimidé garda un profond silence, pen- 
dant quelque temps ; mais ses besoins firent re- 
naître insensiblement ses plaintes. Le petit peu- 
ple commença à regretter Cassius ; il se repro^ 
choit sa mort, et, par une reconnoissance tar- 
dive, peu différente de l'ingratitude, il donnoit 
des louanges inutiles à la mémoire d'un hom- 
me que lui-même avoit fait périr. 



238 RÉVOLUTIONS 

Le sénat, craignant qu'il ne se trouvât un 
île Rome, autre Cassius dans le consulat, prit des pré- 
~ cautions pour ne remettre cette suprême di- 
gnité qu'à des patriciens dont il fut bien assu- 
ré ; et il étoit maître , en quelque manière , de 
cette espèce d'élection , qui ne se faisoit que 
par l'assemblée des centuries, où les patricien» 
avoient le plus grand nombre des suffrages 
*&>- (Test ainsi que Lucius Emilius et Ceson Fa- 
2 " g * bius, M. Fabius et Lucius Valerius parvin- 
rent successivement au consulat. Dans le des- 
sein que le sénat avoit formé de laisser tom- 
ber le sénat us consulte, il ne crut point pou- 
voir mieux confier ce secret qu'à Fabius Ceson 
et à Lucius Valerius , les accusateurs de Cas- 
sius, et qui l'avoient précipité eux-mêmes, 
pour ainsi dire, du haut de la Roche Tarpéien- 
ne. Le peuple sentit bien l'artifice; il s'apper- 
. çut qu'on ne mettoit, dans le consulat, que des 
patriciens qu'on étoit bien assuré qui ne nom- 
meraient jamais les décemvirs, qui dévoient 
procéder au partage des terres. Dans ces circons- 
tances , la guerre , presque continuelle contre 
les Volsques, s étant rallumée, et les âeut con- 
suls, Marcus Fabius et Lucius Valerius, qui 
étoient en exercice , ayant demandé quelques 
recrues , pour rendre les légions complet tes, un 
tribun, appelle C. Sfenius, s'y opposa, et pro- 



270. 



* ROMAINES. * 239 

testa publiquement qu'il ne souffriroit point J^ 
qu'aucun plébéien donnât son nom pour se d0 } ^m e 
foire enrôler, que les consuls auparavant n'eus- 
sent apporté le sénartus-consulte en pleine as- 
semblée du peuple, et qu'ils n'eussent nom- 
mé (ï) les commissaires qui le dévoient mettre 
à exécution. Les consuls, pour se tirer de cet 
embarras, et pour lever l'opposition du tri- 
bun (2), firent porter leur tribunal hors de Ro- 
me , à une distance qui n etoit plus de la juris- ; 
diction des-tribuns , dont le pouvoir et les fonc- 
tions étoient renfermés dans les murailles de 
la ville. Les consuls s'y étant rendus , envoyè- 
rent citer les plébéiens qui dévoient marcher 
en campagne. Ceux-ci, se reposant sur l'oppo- 
sition du tribun , ne comparurent point , et ils 
ne craiçnoient pas, tant qu'elle subsisteroit , 
que les consuls les fissent arrêter. Mais ces ma- 
gistrats prirent une autre route pour se faire / 
obéir; et, sans rentrer dans Rome, afin de ne 
se pais trouver en concurrence avec les tribuns, 
ils envoyèrent abattre les maisons de campa- 
gne , et ctiuper les arbres des premiers plébéiens 
qui avoieût refusé de comparaître après la ci- 
tation. 



(1) Dionys. Halicam. lib. VIII. — (2) Tit. Liv. Dec. *, 
Hb. II. 



/ 



24o m " RÉVOLUTIONS 

Aq Cette exécution militaire fit rentrer le peu- 



270. 



de Rome, pie dans son devoir -, on le vit accourir aussitôt, 
et se présenter devant les consuls, pour rece- 
voir leurs ordres. Chacun prit les armes; on 
marcha aux ennemis; la guerre se fit sans au- 
cun succès considérable ; et les consuls retin- 
rent les soldats le plus long-temps qu'ils purent 
en campagne, et sous leurs Enseignes, pour 
éviter de nouvelles séditions. 

Mais quand on fut de retour , et qu il fallut 
procéder à l'élection de nouveaux consuls, la 
discorde se renouvella avec plus de fureur que 
jamais. Les principaux du sénat, qui étoient 
les plus intéressés dans la recherche des terres 
publiques , destinaient cette dignité à Appius 
Claudius, fils de celui dont nous avons parlé. 
Il avoit hérité de son père des biens considéra- 
bles, un grand nombre de cliens, et sur-tout 
cette hauteur et cette fermeté qui Favoient 
* rendu si odieux à la multitude. Aussi le peuple 
ne vouloit point en entendre parler, et il de- 
mandoit quelques uns de ces anciens sénateurs 
qui lui avoient paru les plus favorables. Chaque 
parti demeuroit attaché opiniâtrement à la ré- 
solution qu'il avoit prise. Le sénat se flattoit 
d emporter cette affaire de hauteur, par le 
moyen dune assemblée qui seroit faite par 
centuries. Les consuls la convoquèrent à. ïor- 



1 
9 



270. 



ROMAINES. ' a4* 

dinaire, et suivant le droit qui étoit attaché à * 

leur dignité; mais le peuple, excité par ses tri- de Rome. 
buns, fit tant de bruit, et il y eut des éontesta* 
tions et des disputes si aigres et si violentes , 
qu'on ne put, ce jour là, procéder à l'élection. 
Ce toit le dessein secret des tribuns $ qui* par 
une entreprise toute nouvelle, convoquèrent, ■ 
le lendemain, une seconde assemblée. Les con- 
suls et le sénat en corps ne manquèrent pas ' 
de s'y trouver, et ils demandèrent aux tribuns » 
par quelle autorité ils s'ingéroient de Vouloir 
présider à l'élection des consuls* Ceux-ci leur 
répondirent que l'intérêt du peuple les obli- 
geoit à ne pas souffrir qu'on lui donnât des 
tyrans pour magistrats ; et que , si le sénat ne 
choisissôit des gens de bien , ils sauraient bien 
s'opposer à toute élection qui seroit préjudi-*. 
ciable au peuple* 

Quelques sénateurs, irrités de dette audace, 
vouloient que le premier consul nommât un 
dictateur, qui, par le pouvoir suprême et ab- 
solu de sa dignité, puntt sévèrement les au- 
teurs de ces nouveautés* Mais comme on avoit 
lieu de craindre que le peuple ne se révoltât 
ouvertement, les meilleures têtes du sénat, et 
les plus sages , ne crurent pas devoir, dans une 
pareille conjoncture, commettre l'autorité sou- 
veraine contre tout un peuple en fufeut. On 



■ 






ll\ï RÉVOLUTIONS 

2n P 1 ™* un parti plu* modéré. Le sénat se contenta 

de home. j e cr éer un entre-roi ( i) , comme nous en avons 
270. \ . 

vu sous les rois', pendant la vacance du trône. 

Cette magistrature passagère fut déférée à A. 
Sempronius Atratinus ,. qui la remit à Sp. Lar- 
371- gius. Ce magistrat a voit naturellement un es- 
prit de conciliation; et comme il craignoit 
apparemment que, si le sénat s obstinoit à vou- 
loir porter Àppius au consulat, l'opposition 
des tribuns et du peuple n excitât , à la fin, une 
sédition , il crut qu'il étoit de l'intérêt de la ré- 
• publique de remettre 1 élection d'Appius à des 
temps plus tranquilles et plus favorables; et il 
ménagea si adroitement l'un et l'autre parti, 
qu il les obligea , de part et d autre , à relâcher 
quelque chose de leurs prétentions. On con- 
vint que l'élection se feroit toujours à l'ordi- 
naire, et par les suffrages des centuries; et 
les deux partis s'accordèrent sur le choix des 
consuls. 

L'union étant rétablie à ces conditions, on 
procéda, seulement pour la forme, à l'élection 
de ces magistrats. Les tribuns firent tomber 
cette dignité à C. Julius Julus , que tout le 
monde sçavoit être partisan du peuple, et es- 
clave des tribuns. Les patriciens nommèrent, 

(1) Dionys. Halicarn. ltb. VIII. 



371. 



ROMAINES. 243 

pftur son collègue, Q. Fabius- Vibulanus, d'une 
Maison illustrée par des consulats presque con- de Rome. 
tinuels, et qui, sans avoir jamais offensé le * 7 
peuple, n'avoit pas laissé de défendre, dans 
toutes les occasions, les droits et la dignité du 
setaat. 

Le peqple se flattoit, ayant un consul à sa 
dévotion, de faire nommer les commissaires, 
et de procurer enfin le partage des. terres. Mais 
ce fut alors qu'on reconnut la^tifférence qu'il 
y a entre peux qui ne sélèvept aux premières 
dignités qu a force de bassesses , et ces hom- 
mes généreux que le mérite, autant que la 
naissance, y place naturellement. C. Julius 
voulut, à la vérité, tenter de faire publier le 
fçn&tus-consulte , mais à peine osa-t-il soute- 
nir soji sentiment coptre celui de Fabius. Le 
consul du sénat , s il est permis de parler ainsi, 
çvoit pris unç si grande. supériorité sur celui 
du peuple , quoique leurs dignités fussent éga- 
les, qu'# sciftblQit qu'il ny en eût qu'un, cette 
année, dans la république. Fabius l'obligea de 
sortir de Rpme avec lui , et de marcher contre, 
les Equca et les Véïens. Cetoieut des peuples 
de la Toscane qui avoient fait quelques cour- 
ses sur les terres des Romains : on usa de re- 
présailles, et cetto expédition se termina par 

le pillage de la campagne. 

16 



i 

i 
r 



a44 RÉVOLUTIONS 

Ces petites guerres étoient la ressource or* 
de Home dinaire des consuls, qui, pour faire diversion 
* 71 ' aux plaintes ordinaires du peuple, le tiroient 
de Rome sous ce prétexte, et portoieat la 
guerre au-dehors , dans la vue de faire trouver 
à leurs soldats , aux dépens de l'ennemi , une 
subsistance qui leur fit oublier leurs anciennes 
prétentions. Mais ces guerres continuelles les 
rendoient encore plus féroces* et la paix faisoit 
renaître, dans jjes courages si fiers, la discorde 
que la guerre n avoit que suspendue. 

On la vit éclater, de nouveau , au sujet de 
l'élection des consuls. Le peuple, réduit à ne 
pouvoir choisir que des nobles , eût bien sou- 
haité du moins que les suffrages ne fussent 
tombés que sur ceux de cet Oi'dre qui parois» 
soient plébéiens d'inclination. On disoit même 
tout haut-, dans les assemblées > que c étoit bien 
assez que le peuple souffrit qu'on tirât les deux 
consuls du corps des patriciens > sans qu'on 
leur donnât encore ceux qui étoient les plus 
opposés au partage des terres. Le sénat, au 
contraire , ne destinoit cette dignité qu'à ceux 
en qui il trouvoit plus de Courage et de fer- 
meté; chaque parti soutenoit ses prétentions 
avec une égale vivacité : l'affaire enfin s'accom- 
moda. On convint de se régler sur la manière 
dont on en avoit usé dans la dernière élection. 

V 



J 



Le peuple nomma encore son consul , quoique An "" 
toujours pris parmi les patriciens: (1) ce fut de Home. 
Sp Furius; et le sénat choisit Ceso Fabius, 
celui même qui , pendant sa questure, avoit 
fait périr Cassius. Il étoit question de conti- 
nuer la guerre contre les Eques et les Toscans, 
qui renouvelloient leurs incursions. Les nou- 
veaux consuls voulurent faire prendre les ar- 
mes au peuple; mais un tribun, appelle Sp. 
Icilius , s'y opposa hautement. Il dit qu'il for<- 
meroit la même opposition à tous les décrets 
qui émaneraient du sénat , sur quelque affaire 
que ce fût , jusqu'à ce qu on eût rapporté, dans 
rassemblée du peuple , le sénatus-consulte , et 
nommé en conséquence des commissaires; 
qu'il lui étoit indifférent que les ennemis ra- 
vageassent la campagne , ou que des usurpa- 
teurs en restassent propriétaires. Cependant les 
Eques et les Véiens mettoient tout à . feu et à 
sang dans le territoire de Rome , sans que le 
sénat pût trouver des troupes à leur oppo- 
ser, par l'opiniâtreté du tribun qui arrêtoit 
toutes les levées. Dans cet embarras, Appiùs, 
dont nous venons de parler, ouvrit un avis 

(1) Tit. Liv. lib. II, cap. 4^. — Dionys. Hnlicarn. m 
principio lib. IX , pag. 55<). — Zonaras. lib. IL — Val. 
Max. lib. IX , cap. 3 , art. 6. 



246 RÉVOLUTIONS 

An dont le succès fut heureux, (i) H représenta 
e ° me * que la puissance dû tribunat n'étoit redoutable 
que par l'union dea tribuns, et que si l'opposi- 
tion d un seul tribun pouvoit suspendre l'exé- 
cution d'un arrêt du sénat, elle avoit le même 
effet à l'égard des délibérations de ses collègues; 
qu'il n etoit pas impossible qu'il n'y eût de la 
jalousie entre eux; qu'il falloit tâcher dy intro- 
duire de la division , et travailler secrettement 
à engager quelqu'un qui entrât dans les inté- 
rêts du sénat. Ce conseil fut approuvé et suivi; 
les sénateurs s'attachèrent à gagner l'amitié 
des tribuns, et ils y réussirent. Quatre de ce 
collège déclarèrent, dans une assemblée pu- 
blique , qu'ils ne pouvoient souffrir que les en- 
nemis, à la faveur des divisions qui fégnoient 
dans la ville, ravageassent impunément la cam- 
pagne. Icilius eut le chagrin et la honte de voir 
lever son opposition ; le peuple prit les armes , 
et suivit les consuls à la guerre. Ce fut, pen- 
dant plusieurs années, comme une alternative 
de troubles dans la ville , et de guerres en cam- 
pagne , sans que le peuple pût venir à bout de 
la publication de la loi. Il s'en prenoit aux con» 
suis; et, pour s'en venger, on vit des soldats 
qui n'eurent point de honte , au retour de l'ar- 

(0 Tit. Liv. Dec. i , 1. II, cap. 4{. 



HUMAINES. 247 

niée, de servir d'accusateurs ou de témoins con- A . • 

An 

tre leurs généraux, comme s'ils eussent manqué àe Bon*. 
de courage ou de capacité dans la conduite de 72 ' 
Tannée. 

A peine un consul étoit-il sorti de charge , 
qu'il se vojoit traduit devant l'assemblée du 
peuple , c'est-à-dire , devant un tribunal où il 
avoit ses plus cruels ennemis pour juges. (1) a77 . 
C'est ainsi que Menenius , fils d'Agrippa , se vit 
accusé, sous prétexte que, durant son consu- 
lat, les ennemis avoient emporté le fort de 
Cremere. (2) Les tribuns Q. Gonsidius et T. Ge- 
nutius demandèrent hautement sa mort; mais 
le sénat et tous ses amis sollicitèrent si vive- 
ment en sa faveur, qu'il ne fut condamné qu'à 
une amende qui montait à deux mille asscs, 
c'est-à-dire , environ vingt écus de notre mon- 
noie : somme modique , si on la considère par 
rapport au temps où nous écrivons, mais qui 
étoit très considérable dans un siècle et une 
république où les premiers magistrats vivoient 
du travail de leurs mains. On peut dire même 
que cette amende étoit excessive à l'égard de 
Menenius, à qui' son père n'avoit laissé d'autre 
patrimoine que sa gloire et sa pauvreté. Ses 

(i)Tit. Liv. lib. II, cap. 5a. — Q Dionys. Halicarn. 
lib. IX, p. 585. 



2$ RÉVOLUTIONS 

An amis loi ofFrirent généreusement de payer, 



de Rome pour lui , la somme à laquelle il avoit été oon- 
"' damné 9 mais il ne le voulut pas souffrir; et, 
pénétré de l'injustice et de l'ingratitude de ses 
concitoyens, il s enferma dans sa maison, où 
il se laissa moyrir de faim et de douleur. 
*7 8 - On attaqua ensuite un autre consulaire (i ) 

appelle Spurius Servilius , qui avoit succédé à 
Menenius au consulat. On lui feisoit un crime 
d'un combat , où , après avoir défait les Tos- 
cans , il ayoit perdu quelques troupes en pour- 
suivant les ennemis avep plus de courage que 
de prudence. Mais ce netoit qu'un prétexte; et 
une victoire qu'il avoit remportée , faisoit son 
apologie. Le véritable crime de l'un et loutre 
consulaire étQit de n'avoir jamais voulu, pen- 
dant leur consulat, nommer les commissaires 
qui dévoient faire le partage des terres. 

Servilius, qui n'ignofoit pas cette disposi- 
tion des esprits à son égard , n'eut recqurs ni 
aux prières, ni au crédit de ses amis pour 
échapper à la colère du peuple. Il se présenta , 
pour ainsi dire, de front au péfil; et, sans 
changer d'habit ni de contenance , il se rendit 
£ l'assemblée du peuple où il ayoit été cité; et 
adressant lfi parole à la multitude: « Si on ma 

d) Th. Liv. lib. ft, cap. 5a. 



ROMAINES, j*4g 

« fait venir ici , lui dit-il % pour me demander • A ■" 

* compte de ce qui s'est passé dans la dernière *• Bout, 
«bataille où je commandois, je suis prêt à %1 ' 

« vous en instruire ; mais si ce n'est qu'un pré» 
«« texte pour me faire périr, comme je le soup* 
«çonne, épargnez -moi des paroles inutiles: 
« voilà mon corps et ma vie que je vous aban- 
« donne, vous pouvez en disposer. » 

Quelques uns des plus modérés d'entre le 
peuple lui ayant crié qu'il prit courage , et qu'il 
continuât sa défense 2 « Puisque j'ai affaire à 
«des juges et non pas à des ennemis, ajouta- 
it-il, je vous dirai 9 Romains, que j'ai été fait 
m consul , avec Virginius , dans un temps que 
«« les ennemis étoient mattres de la campagne , 
« et que la dissension et la famine étoient dans 
«la ville. C'est dans une conjoncture si fà- 
« cheuse que j'ai été appelle au gouvernement 
m de l'État. J'ai marché aux ennemis que j'ai 
«défaits en deux batailles, et que j'ai con- 

* traints de se renfermer dans leurs places i et , 
« pendant qu'ils ,'y tcnoicnt comme cachés par 
«la terreur de vos armes, j'ai ravagé, à mon 
«« tour, leur territoire ; j'en ai tiré une quantité 
« prodigieuse de grains que j ai fait apporter à 
«Home, où j'ai rétabli l'abondance. Quelle 
««faute ai-je commise jusqu'ici? Me veut-on 
« faire un crime d'avoir remporté deux vicr 



a5o RÉVOLUTIONS 

A «toires? Mais j'ai, dit-on, perdu beaucoup de 
de Rome, u monde dans le dernier combat. Peut-on donc 



378. 



« livrer des batailles contre une nation aguer- 
« rie , qui se défend eou rageusement, sans qu'il 
«y 3it, de part et d autre, du sang répandu? 
u Qqelle divinité s'est engagée envers le peu- 
«pie Romain, de lui faire remporter des vie- 
« toires sans aucune perte? Ignorez-vous que 
« la gloire ne s'acquiert que par de grands pé- 
« rils? Je suis venu aux mains avec des troupes 
« plus nombreuses que celles que vous m'aviez 
«confiées; je n'ai pas laissé, après un combat 
«opiniâtre, de les enfoncer. J'ai mis en dé- 
« route leurs légions , qui , à la fin , ont pris la 
« fuite. Pouvois-je me refuser à la victoire qui 
« marchoit devant moi? Ëtoit-il même en mon 
« pouvoir de retenir vos soldats , que leur cou- 
«rage emportoit, et qui poursui voient, avec 
« ardeur, un ennemi effrayé? Si j'avois fait son- 
£ ner la retraite; si j avois ramené nos soldats 
« dans leur camp , vos tribuns ne m'accuse* 
« roient-ils pas aujourd'hui d'intelligence avec 
«les ennemis? Si vos ennemis se sont ralliés, 
« s'ils ont été soutenus par un corps de troupes 
« qui s'avançoit à leur secours; enfin s'il a fallu 
« recommencer tout de nouveau le combat , et 
« si , dans cette dernière action, j'ai perdu quel- 
• ques soldats , n'est-ce pas le sort ordinaire de 



-.-,- 



ROMAINES. a5l 

*la guerre? Trouverez- vous des généraux qui ^ 
«veuillent se charger du commandement de deR ° mc » 
« vos armées , à condition de ramener à Rome 

* tous les soldats qui en seroient sortis , sous 
« leur conduite? N'examinez donc point si, à la 
« fin dune bataille, j'ai perdu quelques soldats; 
« mais jugez de ma conduite par ma victoire , 
«et par les suites de la victoire. S'il est vrai 

* que j'ai chassé les ennemis de votre territoire; 
« qfte je leur ai tué beaucoup de monde dans 
« deux combats ; que j'ai forcé le débris de leurs 
« armées de s'enfermer dans leurs places , et que 
«j'ai enrichi Rome et vos soldats du butin qu'ils 
« ont fait dans le pays ennemi; que vos tribuns 
« s'élèvent, et qu'ils me reprochent en quoi j'ai 
« manqué contre les devoirs d'un bon général. 
« Mais ce n'est pas ce que je crains : ces accu- 
« sations ne servent que de prétexte pour pou- 
« voir exercer impunément leur haine et leur 
« animosité contre le sénat , et contre l'Ordre 
«des patriciens. Mon véritable crime, aussi 
« bien que celui de l'illustre Menenius , c'est de 

« n'avoir pas nommé , l'un et l'autre , pendant * 
«nos # consulats, ces décemvirs après lesquels 
« vous soupirez depuis si long-temps. Mais le 
« pouvions-nous faire dans l'agitation et le tu-. 
« multe des armes, et pendant que les ennemis 
« étoient à nos portes, et la division dans la 



*5a RÉVOLUTIONS 

- «ville? Et quand nous Fa virions pu, sçachez, 

4e Rome. «Romains, que Servilius n'auroit jamais au- 

17 « torisé une loi qu'on ne peut observer, sans 

* exciter uxx trouble général dans toutes les fa- 
it milles, sans causer une infinité de procès, et 
« sans ruiner les premières Maisons de la repu- 
« blique, et qui en sont le plus ferme soutien. 
« Faut-il que vous ne demandiez jamais rien 
*3U sénat, qui ne soit préjudiciable au bien 
« commun de la patrie , et que vous ne le de- 
« mandiez que par des séditions? Si un séna- 
n teur ose ,vous. représenter l'injustice de vos 
« prétentions ; si un consul ne paale pas le lan- 
«gage séditieux de vos tribuns; s'il défend, 
« avec courage , la souveraine puissance dont 
« il est revêtu, on crie au tyran. A peine est-il 
« sorti de charge, qu'il se trouve accablé d'ac- 
« cusations. C'est ainsi que, par votre injuste 

* plébiscite , vous avez 6 té la vie à Menenius , 
«aussi grand capitaine que bon citoyen. Ne 
«devriez -vous pas mourir de bonté d'avoir 

* persécuté si cruellement le fils de ce Mene- 
« nius Agrippa, à qui vous devez vos tribuns, 
« et ce pouvoir qui vous rend , à présent, si fu- 
ie rieux? On trouvera peut-être que je vous parle 
«avec trop de liberté, dans l'état prédent de 
<rma fortune; mais je ne crains point la mort, 
« coudamnezrmoi , si vous l'osez j la vie ne peut 



ROMAINES. a53 

« être qu'à charge à un général qui est réduit An 
*à se justifier de ses victoires: après tout, un faRo»* 
« sort pareil à celui de Menenius ne peut me * 7 ' 
« déshonorer. » 

Qe généreux patricien dissipa le péril par sa 
fermeté; (i) et le peuple, honteux de la mort 
de Menenius, n'osa condamner Servilius, qui 
fut absous par la plus grande partie des suffra- 
ges. Le salut de ce consulaire qui venoit d'é- 
chapper à la fureur des tribuns, ne leur fit 
rien relâcher de leurs prétentions au sujet du 
partage des terres. Ils continuèrent à infecter 
la multitude par le poison ordinaire dé leurs 
harangues séditieuses (2) ; enfin un dé ces tri- 
buns, appelle Gn. Genutius , homme hardi ,- en- 
treprenant , et qui n'étoit pas sans éloquence, 
somma publiquement L. Emilius Mammercus 
et V op. Julius, tous deux consuls cette année, *&* 
de nommer incessamment les commissaires 
qui , suivant le sénatus-consulte , dévoient pro- 
céder au partage des terres f et y faire poser des 
bornes qui pussent aitèter les usurpations. 

Les deux consuls, pour éluder ses pour- 
suites , se défendirent d abord de prendre con- 
noissanee dune affaire qui s'étoit passée long-' 

(c) TU. Liv. lib. II , cap. 5a. — D»ony«. Halic. Hb. IX, 
pag. 5g i. — (a) Diooya. Halicarn. lib. IX, pag. 5g5. 



254 DÉVOLUTIONS 

temps avant lenr consulat; et, pour donner 
«le Kome. une apparence de justice à un refus qui n étoit 
fondé que sur l'intérêt de leur corps, ils ajou- 
tèrent que ce sénatus-consulte étoit péri par 
l'inexécution ; et que personne n ignorait qu'il 
y avoit cette différence entre les lois et de sim- 
ples décrets du sénat , que les unes étaient per- 
pétuelles et inviolables , au lieu que les séna- 
tus-consultes n avoient pas plus de durée que le 
temps de la magistrature de celui à qui on en 
avoit renvoyé l'exécution. • 

Le tribun , sans s arrêter à cette distinction , 
eût bien voulu pouvoir attaquer directement 
ces. magistrats; mais, comme il prévit quil ne 
lui seroit pas aisé de faire périr deux consuls, 
pendant qu'ils seroient revêtus de la souve- 
raine puissance , il s'adressa à A. Manlius et à 
}j. Furius, qui ne faisoient que sortir de charge. 
U les cita devant rassemblée du peuple, et il 
les accusa de n avoir pas voulu nommer les 
commissaires, dans le dessein de priver des 
pauvres citoyens et des braves soldats, de la 
part qui leur étoit si légitimement acquise dans 
les terres de conquête. Ce tribun furieux ex- 
horta le peuple à se faire justice lui-même, et 
ajouta que ce ne seroit que par la punition de 
ces grands coupables, et par la crainte dun 
pareil supplice, qu'on pourrait réduire leurs 



ROMAINES. 255 

successeurs à exécuter enfin le sénatus-con^ 

An 

suite; et, après avoir fait des sermens horribles de Rome» 
qu'il poursuivrait cette affaire jusqu'à la mort, 
il marqua le jour que le peuple en devoit pren- 
dre connoissance. Cette accusation et ces me- 
naces violentes épouvantèrent les patriciens: 
ils voyoient, avec autant de colère que de dou- 
leur, que les tribuns en vouloient également à 
leurs biens et à leurs vies, et qu'il sembloit 
qu'il y eût une conjuration formée pour se 
défaire de tous les sénateurs , les uns après les 
autres. Chacun se reprochoit sa patience et sa 
modération: on tint différens .conseils parti- 
culiers, mais dont le résultat demeura enseveli 
sous un profond secret. Cependant le peuple , 
qui triomphoit d'avance, se. vantoit insolem- 
ment que , malgré tous les artifices du sénat , 
la loi du partage des terres passer oit à la .fin ; 
qu elle seroit même scellée par le sang de ceux 
qui s'y étoient opposés , et que la mort de Gas- 
sius ne demeurerait pas sans être vengée. Le 
sénat dissimuloit sa crainte et son ressenti- 
ment, (i) Mais la veille qu'on devoit juger cette 
grande affaire , Genutius fut trouvé mort dans 
son lit , sans qu'il parût aucune marque qu'il 
eût été çmpoisonné, ou qu'on lui eût fait vio- 

(i) Dionys. Halicaro. 1. IX, p. 5g5. 



L 



a 56 RÉVOLUTIONS 

An lence; On appdrta son corps dans la place; et 
de Rome, le petit peuple, dont l'esprit se tourne aisé- 
ment du côté de la superstition , crut que les 
dieux désapprouvoient son entreprise (i), quoi- 
que les plus habiles se doutassent bien que 
quelques patriciens avoient servi de ministres 
à la divinité. Cependant ce sentiment de reli- 
ligion, qui s etoit emparé des esprits de la mul- 
titude, leur inspira un grand respect pour le 
sénat , en laveur duquel il sembloit qtie le ciel 
se fut déclaré d'une manière si visible. On ne 
parla plus, pendant quelque temps, du par- 
tage des terres; les tribuns étoient confus, et 
le sénat auroit repris toute son autorité, si, 
dans cette révolution, il n'eût pas voulu la 
pousser trop loin. 

Il étoit question de lever des troupes, et d'en- 
rôler les légions pour marcher contre l'ennemi. 
Les consuls, escortés de leurs licteurs, tinrent, 
à l'ordinaire, leur tribunal dans la place; et, 
pour faire sentir au peuple leur puissance, ils 
condamnoient à l'amende où au fouet, sou- 
vent sans aucun égard pour la justice* les ci- 
toyens qui ne se présentaient pas aussitôt qui» 
' avoient été appelles pour donner leurs noms. 
Une conduite si sévère commença à aliéner les 

(1) Zooaras. 



ROMAINES* 257 

esprits ; et la manière injuste et violente dont . 
les consuls voulurent enrôler , comme simple de Romt. 
soldat, un plébéien qui avoit été centurion, °* 
acheva de faire éclater le mécontentement du 
peuple. 

Ce plébéieh > appelle Publius Volero , s étoit 
distingué à la guerre par sa valeur , et passoit 
pour un bon officier 4 (1) Cependant, au pré- 
judice de ses services, et des emplois qu'il avoit 
remplis, il fut cité pour se faire enregistrer en 
qualité de simple soldat. Il ne voulut pas obéir, 
et se plaignit publiquement que les consuls le 
vouloient déshonorer, pareequ il étoit plébéien. 
Ces magistrats , sur son refus , envoyèrent un 
licteur pour l'arrêter; comme il faisoit de la ré- 
sistance, (2) ils ordonnèrent qu'on le battît de 
verges : supplice dont les généraux punissoient 
la désobéissance de leurs soldats. On voulut se 
saisir de sa personne; mais Volero, plein de 
courage et d'indignation, repousse le licteur; 
et, le frappant d'un coup dans le visage, il de- 
mande en même temps la protection des tri- 
buns. Comme ils paroissoient insensibles à se$ 
cris : « J'en appelle au peuple * dit-il , en adres- 
« sant la parole aux consuls , puisque nos tri-' 

(1) Tit. LW. D«c. t, lib. II, c< 55, — (a) Florus, lib. I, 
cap. aa. 

*. 17 



258 RÉVOLUTIONS 

. m bons, intimidés par votre puissance, aiment 
de Rome. « mieux qu'on maltraite, à leurs yeux, un ci- 
« toyen, que de s'exposer à être étouffé* dans leur 
« lit , comme Genutius. » Se tournant ensuite 
vers le peuple , qui paroissoit indigné de la vio- 
lence qu'on lui vouloit faire : « Assistez-moi , 
«mes compagnons , •crioit-il; nous n avons 
« point d'autre ressource, contre une si grande 
« tyrannie, que dans nos forces. » 

Le peuple, ému par ce discours, prend fen, 
se soulève , attaque les licteurs qui escortaient 
les consuls ; on brise leurs faisceaux , on les écar- 
te ; la majesté du consulat n'est pas capable d'ar- 
rêter la fureur du peuple; et les consuls sont 
contraints de s'enfuir et de se cacher. 

Le sénat s'assemble aussitôt ; les consuls font 
leur rapport de la rébellion de Volero, et con- 
cluent à ce qu'il fut puni comme séditieux, et 
précipité du haut de la Roche Tarpéienne. Les 
tribuns, au contraire, demandoient justice con- 
tre les consuls, et ils se plaignoient de ce que 
ces magistrats , au préjudice de la loi Valeria , 
et d'un appel devant l'assemblée du peuple Ro- 
main , avoient voulu faire fouetter ignomi- 
nieusement un brave citoyen , comme si c'eût 
été un vil esclave : nouveau sujet de dissension 
entre ces deux Ordres de la république. Volero, 
qui redoutoit la puissance des consuls, deman- 



ROMAINES. 2 5g 

da le tribunat ? qu'il regardoit comme un asile ■? 
inviolable , où il seroit à couvert contre toutes de Bomt. 
les violences de ses ennemis. Pour obtenir cette a8b 
charge, il se vanta, dans une assemblée pu- 
blique , que s'il étoit jamais revêtu de cette di- 
gnité, il saurait bien empêcher, à l'avenir, que 
le peuple ne fût opprimé par la puissance du 
sénat. 

Les plébéiens, qui faisoient toujours le plus 
grand nombre dans ces assemblées, charmés 
des espérances que leur donnoit Volera, lui ac- - 
cordèrent tous leurs suffrages. Il fut élu tribun, 
malgré la brigue et la cabale des patriciens ; a 8i, 
il entra en exercice de cette magistrature , sous 
le consulat de 1^. Pinarius et de P. Furius. Le 
peuple , attentif à ses démarches , croyoit que , 
pour se venger des deux consulaires qui l'a- 
voient maltraité, il alloit les attafquer et les 
mettre en justice ; mais il portoit plus loin ses 
vues : il tourna tout son ressentiment contre 
le corps entier du sénat, et il entreprit de le 
priver de l'autorité qu'il avoit dans l'élection 
des tribuns. 

Nous avons dit qu'il n'y avoit alors que deux 
manières de convoquer les assemblées du peu- 
ple Romain, l'une par curies, et l'autre par cen- 
turies. Elles différaient en ce que, dans les as- 
semblées par curies , on comptoit les voix par 

"7- 



û6o RÉVOLUTIONS 

~~^ — tête : ce qui rendoit le peuple plus puissant, ai* 
de Rome, lieuque, dans les assemblées par centuries, com- 
me les plus riches composoient seuls plus de 
centuries que le peuple, tout l'avantage étoit 
desleur côté. Du reste , la forme de convoquer 
Tune et l'autre assemblée étoit égale : ce droit 
appartenoit au sénat, et comme il n'y avoit 
alors que des patriciens qui pussent être Au- 
gures , c'étaient eux qui prenoient les auspices. 
Volero s'étant apperçu que l'autorité de ces Au- 
gures et celle du sénat influoient beaucoup 
dans lune et l'autre assemblée , entreprit de ti- 
rer , de l'assemblée par curies , l'élection qu'on 
faisoit des tribuns. 

Il représenta au peuple , dans une assemblée 
générale, (i) que le sénat et les patriciens étoient 
maîtres absolus du gouvernement ; que les pre- 
mières dignités de la 'république, les charges 
civiles, militaires, et même celle du sacerdoce, 
étoient renfermées dans leur Ordre; qu'outre 
ces avantages particuliers , ils avoient encore le 
privilège de déterminer, par un sénatus-con- 
suite , quand on devoit tenir des assemblées ; 
d'y présider, de faire précéder les délibérations 
par des auspices que les ministres de la religion, 
patriciens de naissance , in terprét oient toujours 

Ci) Dionys. Halicara. L IX. 



ROMAINES. 26l 

suivant les vues et les intérêts de leur Ordre ; JjJ"" 
et enfin qu'il falloit un nouveau sénat us- con- «le Rom* r 
suite pour confirmer ce qui s'y étoit passé ; qu'à ' 

la faveur de tant de droits qu'ils s'étoient attri- 
bués, ils navoient guères moins de pouvoir 
dans les assemblées qui se faisoient par curies , 
quoiqu'on y recueillit les voix par tête , que 
dans celles où les suffrages se comptoient seu- 
lement par centuries ; qu'il étoit temps de rom- 
pre tous ces liens que la politique du sénat avoit 
formés, pour enchaîner les suffrages des plé- 
béiens ; qu il demandoit que l'élection des tri- 
buns se fît , à l'avenir , dans une assemblée par 
tribus j où tous les citoyens Romains qui corn- 
posoient alors les trente tribus, tant les habitans 
de la ville que ceux de la campagne , étoient éga- 
lement admis à donner leurs suffrages , et qui 
étoit dégagée de l'assujettissement aux séna- 
ius-consultes , et de l'influence des Augures. 

Tous les plébéiens se déclarèrent , avec cha- 
leur , pour une proposition qui , en les tirant 
eux et leurs magistrats de la dépendance des 
consuls, augmentait de nouveau la puissance 
du peuple, aux dépens de l'autorité du sénat. 
Les consuls au contraire, le sénat , et tout l'Or- 
dre des patriciens, s'y opposoient de toutes 
leurs forces. Ils représentèrent, dans différentes 
assemblées qui se tinrent ace sujet, qu'une loi 



262 RÉVOLUTIONS 

An aussi dangereuse ne pouvoit être reçue qu'au 
de Rome, mépris des dieux, et de ce que la religion a 
de plus saint, et qu elle alloit rompre ces liens 
qui atta choient les citoyens les uns aux autres, 
et ruiner la subordination si nécessaire pour 
entretenir la paix et l'union entre les différens 
Ordres de l'Etat. Chaque parti soutenoit ses 
prétentions avec une égale animosité. C'étoit 
le sujet ordinaire de toutes les disputes entre 
ces deux Ordres de la république. Il nétoit 
plus question du partage des terres; les vues 
et les intérêts des grands et. du peuple sem- 
bloient être fixés dans la décision de cette af- 
faire , sans qu'on pût prévoir quel en seroit le 
succès. 

Une peste affreuse , qui infecta la ville et la 
campagne, (1) interrompit le cours de ces dis- 
sensions. Chacun étant appliqué à ses pertes 
particulières , et à sa propre conservation , avoit 
moins d'attention pour les intérêts publics. 
Mais ce mal ayant été aussi court que vio- 
lent , les tribuns reprirent aussitôt leurs pour- 
suites, pour faire recevoir la loi proposée par 
Volero. Ce magistrat populaire étant près de 
sortir de charge , le peuple , qui ne croyoit pas 
pouvoir réussir sans son secours, le continua 

(1) Dionys. Halicarn. lib. IX, pag. 598. 



HUMAINES. 263 

dans le trijranat pour Tannée prochaine , mal- "— "■ 
gré les brigues et l'opposition des patriciens, àe Rome. 

Le sénat crut qu'il falloit lui opposer un 
homme d'un caractère ferme , et incapable de 
se laisser épouvanter par les cris et les mena- 
ces du peuple. Il choisit Appius Claudius, et a8j - 
1 éleva au consulat, sans sa participation (i). 
On observa que , bien loin de briguer cette su- 
prêtne dignité , il n'avoit pas daigné seulement 
se présenter dans l'assemblée , le jour de l'élec- 
tion. Il avoit hérité de son père son attache 
ment inviolable pour les intérêts du sénat; 
mais la fermeté héroïque du premier étoit dé- 
générée , en dureté , dans le fils * G'étoit un hom- 
me naturellement fier , quoique sans ambition, 
qui menoit toutes les affaires avec hauteur, et 
qui ne vouloit rien devoir à la persuasion, et. 
à ces ménagemens délicats, si nécessaires pour 
conduire un peuple libre. On lui donna , pour 
collègue, T. Quintius, d'un caractère tout op- 
posé, naturellement doux, insinuant, et qui 
avoit sçu se faire aimer du peuple, quoiqu'il 
fut considéré comme un des principaux chefs 
du parti de la noblesse. Le sénat l'avoit choi- 
si exprès , dans l'espérance que ses conseils et 
son exemple pourraient adoucir ce qu'il y avoit 

(i) Dionys. Halicarn. lib. IX, p. 599. v 



364 RÉVOLUTIONS 

de trop fier et de trop hautain dans les maniè- 
de Rome, res d'Appius. 

Ces deux oonsuls étant entrés dans l'exercice 
de leurs charges , convoquèrent aussitôt le se-» 
nat. Il étoit question de trouver les moyens les 
plu3 convenables pour empêcher la publica- 
tion de la loi de Voiero. 

Appius fut d avis que , sous quelque prétexte 
dont on ne manque jamais entre voisins, on 
entreprît incessamment une nouvelle guerre. Il 
représenta que le sénat , ayant à gouverner un 
peuple d'un génie inquiet , avide de nouveau-* 
tés , et excité par des tribuns séditieux , l'expé^ 
rience avoit fait voir qu'on n'auroit jamais 
' la paix au-dedans de l'Etat, si on ne portoit 
la guerre au-dehors , et si on ne tiroit le peu^ 
pie d une ville où l'oisiveté entretenoit les mur* 
mures et l'esprit de rébellion, 

Quintius fut d'un sentiment contraire : il dit 
qu'il lqi paroissoit injuste de faire la guerre à 
des nations dont la république n'avoit point 
alors sujet de se plaindre; que le peuple même 
s'appercevroit bientôt des vues secrettes du sé- 
nat , et que , s'il refusoit de prendre les armes , 
il foudfoit employer la force pour le réduire ; 
ce qui ne manqueroit pas d'exciter une sédi- 
tion dans laquelle il étoit à craindre que la ma- 
jestédusénat ne fût compromise, Comme Quin- 



ROMAINES. &6b 

tins avoit , ce mois-là , les licteurs et la princi- J[J[ 
pale autorité , il fallut que son collègue se ren* de Rome. 

o t% ^ 

dit à son avis, qui fut 1 suivi par la plus grande 
partie du sénat. 

Cependant Volero , voulant venir à bout de 
ses premiers desseins , ne fut pas plutôt entré 
dans son second tribunat, qu'il proposa, de 
nouveau , la loi pour une assemblée du peuple 
par tribus. Il ajouta, de concert avec ses col- 
lègues, qu'il demandoit, en faveur du peuple, 
que l'élection des édiles s'y fît comme celle des 
tribuns , et qu'on y rapportât toutes les affaires 
dont le peuple avoit droit de prendre connois- 
sance : ce qui vouloit dire qu'il ne prétendoit 
pas moins que de faire passer , du sénat au peu-» 
pie, toute l'autorité du gouvernement. On as- 
sembla, de nouveau, le sénat sur des proposi- 
tions si extraordinaires. Quintius naturellement 
doux et républicain , sans être populaire , vou- 
loit qu'on relâchât quelque chose en faveur d'un 
peuple courageux , et dont la république , di- 
soit-il, tiroit, tous les jours, des services im- 
portans. Mais Appius, fier et sévère, soutenoit 
qu'on trahissoit les intérêts du sénat par une 
indulgence qui marquoit moins de bonté , que 
h foiblesse du gouvernement ; que les tribuns, 
après les avoir dépouillés de leur autorité, 
croiroient encore leur faire grâce , s'ils leur lais* 



266 RÉVOLUTIONS 

^ soient seulement les marques de leur dignité, 
de Rome. H conclut qu après tant de discours inutiles qui 
setoient faits sur le même sujet, il n'y avoit 
plus qu'un coup d'autorité qui pût réprimer les 
entreprises séditieuses des tribuns ; que les pa- 
triciens, suivis de leurs cliens, dévoient pren- 
dre les armes , écarter le peuple de la place , et 
charger , sans distinction , tous ceux qui se ren- 
draient les protecteurs d'une loi si pernicieuse. 
Cet avis fut rejette comme trop violent , et mê- 
me dangereux. Le sénat prit uh parti plus mo- 
déré : il fit demander aux tribuns qu'on ban- 
ntt , des assemblées publiques , ces disputes et 
ces contestations tumultueuses, au travers des- 
quelles il étoit difficile de démêler la justice et 
la raison ; que les consuls pussent paisiblement, 
et sans être interrompus, représenter au peu- 
ple les véritables intérêts de la république , et 
qu'on prendroit ensuite, de concert, des réso- 
lutions conformes au bien commun du peuple 
et du sénat. 

Les tribuns n'osèrent refuser une proposi- 
tion si équitable, (i) Quintius monta à la tri- 
bune aux harangues; il parla, d'une manière 
si vive et si touchante , des avantages de la paix, 
et des malheurs qui suivoient des divisions et 

(i) Dionys. Halicam. Hb. IX, pag. 600. 



ROMAINES. 267 

du changement des lois, que, si Appius n'eût An 
pas pris la parole immédiatement après lui, le de Rome - 
peuple paroissoit disposé à rejetter la proposi- 
tion de Volero. 

Mais ce consul , qui ne connoissoit de ma- 
nières de traiter avec les hommes , que celles 
de hauteur, (1) au lieu de profiter de l'impres- 
sion que le discours de son collègue venoit de 
faire sur l'esprit des auditeurs, s'emporta à des 
invectives qui eurent le même effet que les ha- 
rangues séditieuses des tribuns , et qui ne ser- 
virent qu'à irriter, de nouveau, les plébéiens, 
et à les éloigner du sénat. Il leur reprocha, 
d une manière désagréable au sénat même , et 
odieuse au peuple, sa première désertion sur le 
Mont Sacré , et l'érection du tribunat , qu'il di- 
sent n'avoir été arrachée du sénat , que par une 
révolte déclarée, et les menaces d'une guerre 
civile; qu'il ne falloit pas s'étonner si , d'un tri- 
bunal formé par des séditieux, il n'en sortoit 
que des tumultes et des discordes , qui ne pren- 
draient fin que parla ruine entière de la répu- 
blique; qu'on ne reconnoissoit déjà plus aucu- 
ne trace de l'ancien gouvernement; que les lois 
les plus saintes étoient abolies , la puissance con- 
sulaire méprisée , et la dignité du sénat avilie ; 

• 
(1) Dionys. Halicarn. lib. IX, pag. 601. 



*68 RÉVOLUTIONS 

An qu'on portoit l'impudence jusqu'à vouloir ex*- 
<fe Bom«, dure de 1 élection des tribuns les sénatus-con- 
suites et les auspices, c est-à-dire, tout ce que 
la religion et l'Etat avoient de plus sacré et de 
plus respectable; que bientôt on aboliroit le 
sénat, dont on diminuoit, tous les jours, l'au- 
torité, pour élever sur ses ruines un conseil su- 
prême, composé des tribuns du peuple; quil 
prioit les dieux de lui ôter la vie , avant que 
d'être spectateur d'une si étrange révolution, 
« Et afin , dit-il , en se tournant vers le peuple, 
« de vous faire connoître mes sentimens , je dè- 
« clare que je m'opposerai toujours constant 
« ment à la publication d'une loi si injuste; et 
«j'espère qu'avant que vos tribuns soient vê- 
te nus à bout de la publier, je vous ferai sentir 
« quelle est l'étendue du pouvoir d'un consul. » 
Ce ne fut qu'en frémissant de colère et d'in^ 
dignation que le peuple entendit un discours 
si injurieux, (i) Le premier des tribuns, 'appelle 
Lectorius, qui passoit pour un des plus braves 
soldats de la république , lui répondit, que per- 
sonne n'ignoroit qu'il sortoit d'une Maison où 
l'orgueil et l'inhumanité étoient héréditaires; 
que son père avoit été le plus cruel ennemi du 

(i) Dionys. Halic. lib. IX, p. 60^. — Tit. Liv, Dec, \ % 
lib. Il, c. 56, 



ROMAINES. 369 

peuple, et que lui-même en étoit moins le con- 7— " * 
sul que le tyran; mais qu'il lui déclaroit, à son de Rome. 
tour , que, malgré sa dignité et sa puissance de 
consul, les élections des tribuns et celles des 
édiles se feroient , dans la suite , par les comi- 
ces des tribus. Il jura, par tout ce quil y avoit 
de plus sacré, qu*il perdroit la vie, ou que, 
dans le jour même, il feroit recevoir la loi. Il 
commanda, en même temps, au consul de sor- 
tir de l'assemblée, pour ne pas apporter de trou- 
ble , quand on recueillerait les suffrages. 

Appius se moqua de son ordre, (1) et il lui 
cria que , quoique tribun , il devoit sçavoir qu'il 
n étoit qu un bomme privé , sans véritable ma- 
gistrature , et dont tout le pouvoir se renfer- 
moit à former une opposition aux décrets du 
sénat, quijpouvoient être préjudiciables aux 
plébéiens. Là-dessus , appellant auprès de lui ses 
parens, ses amis, et ses cliens, qui étoient en 
grand nombre, il se mit en état d'opposer la 
force à la violence. Lectorius, ayant conféré 
tumultuairement avec ses collègues, fit pu- 
blier, par un héraut, que le collège des tribuns 
ordonnoit que le consul fut conduit en prison : 
et aussitôt un officier de ce tribun eut la har- 
diesse de vouloir arrêter le premier magistrat 

(1) Dionys. Halicarn. lib. IX, pag. 604. 



270 RÉVOLUTIONS 

— """■" de la république. Mais les sénateurs, les patri- 
de Romt. ciens, et cette foule de cliens qui étoient atta- 
a a ' chés à Appius, le mirent au milieu deux, et 
repoussèrent l'officier. Lectorius, transporté de 
colère, s'avança lui-même pour le soutenir, et 
implora le secours du peuple. La multitude se 
soulève; les plus mutins se joignent au tribun; 
on n entend plus que des cris confus , que pro- 
duit une animosité réciproque : bientôt on pas- 
se des injures aux coups ; et comme il étoit dé- 
fendu, en ce temps-là , de porter des armes dans 
la ville , chaque parti s en fait des bancs ou des 
pierres qu il rencontre. Il y a bien de l'apparen- 
ce que cette émotion ne se seroit pas, à la fin, 
terminée, sans qu'il y eût eu beaucoup de sang 
répandu, si Quintius n'eût engagé quelques 
consulaires, et d anciens sénateurs à arracher 
Appius de ce tumulte , pendant qu'il travaillerai t 
à adoucir les tribuns. Mais la nuit, qui survint, 
obligea, plus que tout le reste, les deux partis, 
également irrités l'un contre l'autre, à se sé- 
parer. 

Le tumulte recommença le lendemain. Le 
peuple animé par ses tribuns, et sur-tout par 
Lectorius qui avoit été blessé la veille , s'em- 
pare du Gapitole, s'y cantonne, et semble vou- 
loir commencer une guerre ouverte. Le sénat , 
de son côté, s'assemble, tant pour. trouver les 



ROMAINES. 371 

moyens d'appaiser la sédition , que pour conci* 
lier les deux consuls, dont le premier, comme de Home, 
plus modéré, vouloit qu'on relâchât quelque 
chose en faveur du peuple , au lieu qu Appius 
protestait qu'il mourroit plutôt que de con- 
sentir qu'on cédât rien à des séditieux. Ce 
désordre continua plusieurs jours. Quintius , 
quin'étoit pas désagréable à la multitude, abor- 
de les tribuns, les caresse, et les conjute de 
donner leurs revssentimens particuliers au bien 
public, et de vouloir rétablir, dans la ville, la 
paix et la concorde. Les tribuns lui répondi- 
rent que cétoit à son collègue qu'il devpit s'a- 
dresser , et que lui seul étoit cause de , la divi- 
sion qui se trou voit dans la république; qu'il» 
ne croy oient pas exiger une chose injuste, en 
demandant que l'élection des tribuns se fit seu- 
lement dans une assemblée par tribus; que 
cela n'en excluoit ni les sénateurs, ni les pa- 
triciens, ni les chevaliers, qui tous étoient in- 
scrits dans quelqu'une des trente tribus, et qui 
pourroient toujours intervenir dans les assem- 
blées par tribus^ comme citoyens particuliers; 
que le peuple souhaitoit seulement qu'ils n'y 
présidassent point, mais que cet honneur fut 
déféré à ses magistrats particuliers; qu'il n'y 
avoit qu'à établir une loi si équitable, et qu'on 
verroit bientôt le calme rétabli dans la ville, 



4« 



<*J, 



»*•* RÉVOLUTIONS 

*tot> cependant qu'ils prétendissent se dësïs- 
4 ;.^). tut: de poursuivre, dans la suite , Àppius pour 
avoir blessé Lectorius, dont la personne étoit 
sacrée. 

Qumtius leur Répartit , avec beaucoup de 
douceur, que, dans le désordre qui étoit arri- 
vé , on ne pouvoit pas attribuer la blessure du 
tribun à Âppius plutôt qu'à un autre ; qu'il leur 
conseilloit même de sacrifier ce ressentiment 
particulier au bien de la paix , et d'en faire une 
honnêteté au sénat. Il prit , de là , occasion de 
leur insinuer, qu'il ne croyoit pas impossible 
que le sénat , par sa bonté ordinaire, ne se re- 
lâchât, en faveur du peuple, au sujet de la loi, 
s'il s en remettoit absolument à sa décision ; que 
c étoit peut-être la voie la plus sûre pour réus- 
sir : au lieu que , si le peuple prétendoit l'em- 
porter par la force, il se trouverait toujours 
un grand nombre de jeunes sénateurs et de 
patriciens qui se feroient un honneur de lui 
résister. 

Les tribuns , qui connoissoient la prudence 
de Quintius, sentirent bien qu'un homme au - 
si habile n auroit pas fait de pareilles avances , 
s'il n eût été bien assuré de la disposition du 
sénat; et comme il n "étoit plus question que de 
Sauver, par une déférence apparente, l'hon- 
neur de cette compagnie , les tribuns contenu 





■' Il 



Domaines. 273 

de gagner le fond de l'affaire, ne chicanèrent "" An 
point sur la forme : ils assurèrent Quintius que d « BoH»e, 
le peuple l'avoueroit de tout ce qu'il diroit, de 
sa part, au sénat* Les tribuns prirent d autant 
plus volontiers ce parti, qu'ils n'engageoient 
point leurs successeurs , qui pourroient repren- 
dre* Tannée suivante, la poursuite de la loi, 
si les délibérations du sénat n'étoient pas favo- 
rables au peuple» 

Quintius , ayant quitté les tribuns , convo* 
qua le sénat , auquel il fit rapport de leurs dis- 
positions. Il demanda ensuite lavis des consu- 
laires, en commençant paV P« Valerius Publia 
cola. Ce sénateur dit que la blessure du tribun 
n'ayant point été l'effet d'une querelle person- 
nelle entre Appius et Lectorius , il croyoit qu'on 
en devoit ensevelir le ressentiment dans l'oubli 
même du tumulte qui en avoit été la cause : 
mais qu'à l'égard du fond de la question , qui 
étoit de sçavoir si le sénat étoit en droit de dé- 
libérer sur la loi , avant qu'elle fut proposée au 
peuple, et si on devoit permettre qu'il se tint 
des assemblées pour l'élection des tribuns , sans 
sénatus-consulte et sans auspices , il s'en remet- 
toit , eh son particulier , à ce qui seroit décidé 
à la pluralité des voix. 

Ce consulaire ne jugea point à propos de 
s'expliquer, le premier, sur une matière si dé- 



1. 



18 



2y4 RÉVOLUTIONS 

licate , apparemment par considération pour 
d« Home le peuple , que les patriciens et les sénateurs 
dec la famille de Valeria, depuis Valerius Pu- 
blicola, et à son exemple, ménageoient avec 
de grands égards. L affaire ne laissa pas d être 
agitée avec beaucoup de chaleur : mais Quin- 
tius , naturellement persuasif, ménagea les es- 
prits avec tant d'adresse , qu'il détermina enfin 
le sénat à relâcher encore au peuple cette par- 
tie de son autorité. Appius s'y opposa de toute 
sa force; il appell oit, à témoins, les dieux et 
les hommes , que la république étoit trahie , et 
qu'où alloit recevoir une loi plus préjudiciable 
à l'autorité légitime du sénat , que celles qu'on 
avoit publiées sur le Mont Sacré. Mais il ne 
put ébranler la résolution des anciens séna- 
teurs ; ils n ignoroient pas que , si Le consul ne 
dépendoit que du sénat, chaque sénateur au 
contraire étoit, pour ainsi dire , en la puissance 
du peuple , qui, depuis l'affaire deCoriolan, 
se toit mis en possession de faire faire le pro- 
cès aux patriciens. Ainsi , ou l'amour de la paix , 
J ou la crainte du ressentiment des tribuns , ra- 
menèrent insensiblement la plupart des suffra- 
ges à lavis de Quintius. (i) La loi fut publiée 



(i) Dionys. Halirarn. îib. IX,pag. 6)5. — Tit. J.iv. 
Dec. i, 1. II, c. 58. 



ROMAINES. 275 

du consentement des deux Ordres, et "on élut, 
pour la première fois , des tribuns dans une de Rome. 
assemblée convçquée par tribus. Pison l'histo- 
rien, au rapport de Tite-Live, prétend qu'on 
élut cinq tribuns ; qu on n en avoit créé que 
deux sur le Mont Sacré, auxquels on en ajouta 
trois autres, dans cette occasion. Quoiqu'il en 
soit, Appius, encore plus indigné contre le sé- 
nat même que contre le peuple, disoit que c'é- 
toit une chose bien honteuse, que le sénat l'eût 
abandonné dans une entreprise où il l'avoit 
engagé, en 1 élevant à une dignité qu'il ne de- . 
mandott pas. Cependant il ne s'en servit, der 
puis , que pour faire sentir aux plébéiens que la 
victoire, que leurs tribuns venoient de rempor- 
ter sur le sénat , ne lui avoit pas abaissé le cou- 
rage. 

Les Eques et les V olsques , durant ces divi- 
sions, avoieht fait, à leur ordinaire, des in- 
cursions sur les terres de la république. Les 
légions n étaient composées que de plébéiens > 
bourgeois l'hiver, et soldats Tété , et en campa- 
gne. Les deux consuls les partagèrent entre 
eux ; Quintius marcha contre les Eques , et 
Appius commanda l'armée destinée contre les 
Volsqueâ. Ce général , se voyant hors de Rome . 
avec cette autorité absolue que donne le com- 
mandement militaire, fit observer la disciplinç 

18. 



276 RÉVOLUTIONS 

]^"~ avec une sévérité que les soldats regardèrent 
de Rome, moins comme un ordre nécessaire, que com- 
me une vengçance du passé. La dureté du com- 
mandement irrita les esprits : centurions et 
soldats, chacun murmuroit contre les ordres 
du général. Il se fit une espèce de conjuration 
moins contre sa vie que contre sa gloire : (1) les 
soldats , pour l'empêcher de vaincre et de re- 
cevoir ensuite les honneurs du triomphe, ré- 
sol urent , de concert , e ne point s'opposer aux 
entreprises des ennemis Les Volsques ayant 
présenté la bataille, et Àppius ayant tiré son 
armée du camp pour les combattre, les Ro- 
mains, à l'approche de l'ennemi, jettèrent leurs 
armes , s'enfuirent honteusement, et ne crurent 
point acheter trop cher l'affront qu'ils faisoient 
à leur général, s'il ne leur en coûtoit que la 
perte de leur propre honneur. 

Appius, au désespoir, court de tous côtés 
pour les rallier, et les ramener au combat. Il 
prie, il menace inutilement; les uns s'écartent 
pour ne pas recevoir ses ordres ; d'autres , sans 
être blessés, lui montrent des bandages qu'ils 
avoient mis exprés sur des parties saines de 



( 1) Dionys. Halicarn. lib. IX, p. 606. — Tit. Liv. lib. 1T, 
cap. 59. — Zouar. — Flor. lib. I, cap 11, art. 2. — Val. 
Max, lib. IX, cap. 3, art. 5. 



ROMAINES. 277 

leurs corps; ils demandent qu'on les ramène ^ n 
dans le camp pour se faire panser, et tous s'y de **°" IC - 
jettent en foule sans en attendre Tordre. Les 
Volsques profitent de ce désordre; et, après 
avpir taillé en pièces ceux qui se retiroient les 
derniers, ils attaquent les retranchemens. Pour 
lors les soldats , qui craignoient que l'ennemi 
ne pénétrât dans le camp , font face sur les re- 
tranchemens, combattent avec courage, et re- 
poussent les Volsques sans les poursuivre , con- 
tens d avoir fait voir, à leur général, qu'Us eus- 
sent pu vaincre, s'ils l'avoicnt voulu. 

Appius, encore plus irrité de ce nouvel ou- 
trage que de leur fuite, voulut le lendemain 
assembler son armée, et se placier dans son tri- 
bunal pour faire une justice exemplaire des sé- 
ditieux. Mais les soldats méprisèrent le signal 
qui les appel! oit à l'assemblée. Us demandoient, 
à haute voix , à leurs officiers , qu'ils les tiras- 
sent de dessus les terres de l'ennemi, où ils ne 
pouvoient manquer d'être défaits. Ces officiers, 
qui ne voyoient plus ni discipline ni obéissan- 
ce dans l'armée, conseillèrent au général de 
ne pas commettre son autorité contre des es- 
prits mutinés. Appius , outré de cette révolte , 
abandonna son camp : mais comme il étoit en 
marche , les Volsques , avertis par quelques 
transfuges, vinrent charger, avec de grands 



:>78 RÉVOLUTIONS 

^j cris, ceux qui faisoient Farrière- garde. La 
de Roim. terreur se répand par- tout, et passe jusque» 
aux corps les plus avancés; chacun jette ses 
armes; ceux qui portoient les Enseignes, les 
abandonnent. Ce n'est plus, comme dans la 
première occasion , une fuite simulée : tout 9e 
débande et s écarte ; et ils ne se rallient qu au- 
près être arrivés sur les terres de la répu- 
blique. 

Appius les ayant fait camper dans un en- 
droit qui couvroit le pays, et où il ne pouvoit 
être forcé de combattre malgré lui, convoqua, 
une seconde fois , l'assemblée. Etant monté sur 
son tribunal , il reprocha ^ aux soldats qui len- 
vironnoient , leur lâcheté et leur perfidie en- 
core plus criminelle que le défaut de courage. 
Il demande aux uns ce qu'ils ont fait de leur* 
armes , et à ceux qui portoient les Enseignes , 
s ils les a voient livrées aux ennemis. S aban- 
donnant à sa sévérité naturelle, qui étoit en- 
core augmentée par le juste ressentiment de 
leur désertion, il fait décimer les soldats, et 
couper la tête aux centurions et aux autres of- 
ficiers qui avoient abandonné leur poste. Com- 
me le temps des comices, pour l'élection des 
consuls de Tannée suivante , approchoit , il ra- 
mena, à Rome, le débris de son armée, qui n'y 
rentra qu'avec la honte du châtiment sur le 



ROMAINES. 279 

visage , et un violent désir de là vengeance dans An 

le Cœur. de Rome. 

, Appius irrita le peuple , et s'attira sa haine , 
tout de nouveau , par l'opposition qu'il forma 
aux instances que les tribuns de cette année 
renouvelloient, en faveur de la loi Agraire. Ces 
magistrats du peuple i\ét oient pas plutôt par- 
venus au tributiat, qu ils ne cherch oient qu'à 
se distinguer par des propositions qui flattas- 
sent la multitude. Les uns inventoient de nou- 
velles lois ; d autres reprenoient la poursuite de 
celles qui navoient point encore été reçues; et 
tous navoient pour objet que de partager, 
avec le sénat et les patrie ns, les biens, les 
dignités et les magistratures de la république. 

Ce fat sous le consulat de L. Valerius et a g 3 . 
de T. Emilius, qui venoient de succéder, 
dans cette dignité, à Quintius et à Appius, 
que C. Siciniûs , tribun du peuple , et petit-fils 
de ce Sicinius Bellutus, le chef de la sédition 
sur le Mont Sacré , fit renaître, avec ses collè- 
gues , l'ancienne disput^au sujet du partage de 
ces terres publiques , dont les patriciens et les 
plus riches habitans de Rome étoient en pos- * 
session. 

L'affaire dépendoit, en quelque manière, 
des consuls , qui , par le sénatus-consulte rendu 
sous le consulat de Gassius et de Virginius , 



28f> RÉVOLUTIONS 

~~7 étoient autorises . à nommer les commissaire» 

An 

de Home. qui dévoient procéder à la recherche et au 
partage de ces terres, (i) Les tribuns eurent 
l'adresse de mettre dans leurs intérêts ces deux 
premiers magistrats de la république. Emilius 
leur promit d'appuyer leurs prétentions : ce 
consul prit un parti si extraordinaire , par un 
sentiment de vengeance contre le sénat, qui 
avoit refusé les honneurs du triomphe à son 
père, revenu victorieux d'une guerre contre les 
Eques. Valerius , de son côté , ne fut pas fâché 
de trouver une occasion d'adoucir le peuple, 
qui ne pouvoit lui pardonner la mort de Cas- 
sais, dont il s'étoit rendu accusateur pendant 
sa questure. 

Les tribuns, assurés des deux consuls, por- 
tèrent ensuite l'affaire au sénat. Ils parlèrent 
avec beaucoup de modération; et ils deman- 
dèrent, avec les prières les plus soumises, qu'il 
plût enfin à la compagnie de faire justice au 
peuple , et que les consuls ne différassent plus 
à nommer les décemyirs^qui dévoient régler 
le partage des terres. Les deux consuls firent 
comprendre, par leur silence, qu'ils ne s'y op- 
posoient point. Valerius, comme premier con- 
sul, demanda ensuite l'avis de la compagnie , 

(i) Dion, Halic, lib, IX, paç. 607, 



ROMAINES. 281 

et il commença par Emilius,,père de «on col- J^*~ 
lègue. (1) Cet ancien sénateur 'se déclara en do Home. 
faveur du peuple : il dit que rien ne lui pa- 
roissoit plus injuste que de voir des particu- 
liers enrichis seuls des dépouilles des ennemis, 
pendant que le reste des citoyens gémissoit 
dans l'indigence et dans la misère ; que les pau- 
vres plébéiens craignoient d'avoir des enfans 
auxquels ils ne pouvoient laisser que leur pro- 
pre misère en héritage ; qu'au lieu de cultiver 
chacun la portion de terre qui leur apparte- 
noit, ils étoient contraints, pour vivrje, de 
travailler, comme des esclaves , dans les terres 
des patriciens ; et que cette vie servile étoit 
peu propre à former le courage d un Romain. 
u Ainsi , dit ce vieillard , je suis d avis que nos 
« consuls nomment des décemvirs qui procé- 
« dent au partage de ces terres , qui , étant 
« publiques et communes , doivent tourner 
«également au profit de tous les particu- 
« liers. » 

Appius s'opposa à cet avis avec autant de 
hauteur que s'il eût été un troisième consul , 
ou même qu'il eût été revêtu d une dictature 
perpétuelle. Il répondit à Emilius , que le peu- 
ple ne pouvoit se prendre de sa misère qu'à sa 

(1) Dionys. Halicarn. lib. IX, p. 607. 



a8a révolutions 

An propre intempérance ; qu'il avoii eu des terres 
de Rome, en partage , dès la fondation de Rome ; que, plus 
d une ibis , les consuls lui avoient abandonné le 
butin qu'on avoit fait sur les terres des enne- 
mis , et que , si on faisoit une recherche exac- 
te, on trouveroit que ceux qui avoient eu plus 
de part à ces dépouilles étrangères, étoient 
les plus pauvres; que tant que ces plébéiens 
croupiraient dans la débauche et dans l'oisi- 
veté,, il n'étoit pas au pouvoir de la républi- 
que de les enrichir; qu'il s'étoit passé (dus de 
qui nie consulats depuis qu'on avoit rendu le 
sénatus-consulte pour le .partage des terres , 
sans qu aucun des tùagistrats précédens eussent 
songé seulement à le mettre à exécution , par- 
ce qu'ils n'ignoraient pas que le sénat , par un 
pareil arrêt , n avoit eu en vue que d'appaiscr 
la sédition , pour donner le temps au peuple 
de reconnof tre l'injustice , et même l'impossi- 
bilité de ses prétentions ; et que d ailleurs ces 
anciens consuls sçavoient bien que le sénatus- 
consulte étoit péri par la prescription , et qulls 
n'avoient garde de se charger d'une commis- 
sion en vertu d'un pouvoir expiré; (i) quil 
n'y avoit pas plus à craindre des consuls en 
charge , trop habiles et trop éclairés, pour en* 

(i) Dion. Halic lih. IX. 




ROMAINES. .283 

(reprendre une pareille affaire, sans le concours ~ 

et l'autorité du sénat. « Mais afin de voué faire de Rome, 

« voir , ajouta Appius , qu'en rejettant un acte 

« prescrit , je ne prétends pas soutenir des usur- 

« pateurs , je déclare que mon avis est que., 

« sans faire mention davantage du partage des 

* terres, on réunisse , au profit du domaine pu- 

« blic, les terres de tous ceux qui n en pourront 

•< pas justifier l'acquisition et les bornes par des 

« titres légitimes. » 

Quelque équitable que fut cet avis, ni les 
grands ni le peuple ne pou voient goûter un 
sentiment qui alloit à dépouiller les riches, 
sans que les pauvres en profitassent/ Mais com- 
me, après tout, il rejettoit le partage des ter- 
res, et que la recherche proposée contre les 
injustes possesseurs , paroissoit encore bien éloi- 
gnée, la plupart des sénateurs donnèrent de 
grandes louanges à Appius. (i) Les tribuns, au 
contraire , outrés de trouver réunies , en la per- 
sonne seule de ce consulaire , la haine et l'é- 
mulation de tous les patriciens , résolurent de 
le faire périr; et ils le citèrent, devant le peu» 
pie , comme l'ennemi déclaré de la liberté pu* 
blique. 

Cétoit le crime ordinaire de ceux qui. nen 

(l) Dionys. Halicarn, lib. IX, paç, 610. 



284 RÉVOLUTIONS 

~7" a voient point , et qu'on vouloit pourtant per- 
de Rome. dre. Le sénat s'intéressa dans cette aflaire, 
comme dans la sienne propre ; et il regardoit 
Appius comme l'intrépide défenseur de ses 
droits. La plupart vouloient solliciter la mul- 
titude en sa faveur; mais il s'y opposa avec 
son courage et sa fermeté ordinaires. 11 ne 
changea ni d'habits ni de langage : et, le jour 
de l'assemblée , il parut , au milieu de ses accusa- 
teurs, avec la même dignité que s'il eût été leur 
juge. Les tribuns lui reprochèrent la dureté 
de son consulat , l'inhumanité avec laquelle il 
avoit fait mourir un plus grand nombre de 
soldats pafr la main du bourreau, que les en- 
nemis n'en avoient tué dans la chaleur du 
combat. Pour rendre ce consulaire encore plus 
odieux , ils lui faisoient un crime nouveau de 
la conduite sévère de son père; mais il répon- 
dit, à ces différens chefs d'accusation, avec 

« 

tant de force que le peuple , étonné et confus , 
n'osa le condamner. Les tribuns, qui crai- 
gnoient qu'il ne fut absous, firent remettre le 
jugement à une autre assemblée , sous prétexte 
que la nuit approchoit, et qu'il ne restoit pa* 
assez de temps pour recueillir les suffrage*. 
Pendant ces délais, Appius qui jugea bien qu'il 
n échapper oit point, à la fin , à la haine implaca- 
ble de ces magistrats , finit volontairement sa 




ROMAINES. 285 

vie. Son fils fit apporter son corps dans la pla- ]^"" 
ce, et se présenta, suivant l'usage, pour faire *• *«■». 
son oraison funèbre. Les tribuns , ennemis de 
sa mémoire, voulurent s'y opposer, sous pré- 
texte que son père étoit censé entre les crimi- 
nels , par l'accusation dont il navoit pas été 
absous avant sa mort. Mais le peuple, plus gé- 
néreux , leva l'opposition , et il entendit , sans 
peine , les louanges d'un ennemi qu'il navoit 
pu s'empêcher d'estimer et qu'il ne craignoit 
plus. 

Les tribuns reprirent ensuite l'affaire de la 
loi Agraire, que le procès d'Appius avoit com- 
me suspendue. La mort de ce grand homme 
sembloit devoir intimider tous ceux qui se- 
raient tentés de s'opposer à la publication de 
la loi; mais, comme la fortune de la plupart 
des sénateurs en dépendoit, et que plusieurs 
riches plébéiens avoient aussi acquis différens 
cantons de ces terres publiques, le parti des 
patriciens se fortifia ; celui du peuple s affoi- 
blit; la poursuite des tribuns en fut ralentie, 
et les propriétaires demeurèrent toujours en 
possession de ces terres , malgré les prétentions 
et les plaintes du petit peuple. Les Romains T 284. 
Tannée suivante, et sous le consulat d'Aulus 
Virginius et de Numicius, furent occupés dan» 
des guerres, ou plutôt dans des courses et 



286 RÉVOLUTIONS 

An ^ î ncur8 î ons contre les Eques, les Volsques 
èe Rome et les Sabins; mais, au retour de la campagne, 
* on vit renaître les divisions ordinaires. 

La multitude, qui se croyoit opprimée par 
le crédit des grands, pour en marquer son res- 
sentiment , s'absenta de toutes les assemblées 
qui se faisoient par centuries, et où les consuls 
et le sénat présidoient. Il sembloit que les plé- 
béiens voulussent se séparer , encore une fois , 
du corps de la république ; on n en vit aucun 

«85. à 1 élection des consuls , pour Tannée suivan- 
te; et, ce qui netoit jamais arrivé, T. Quin- 
tius et Q. Servilius furent élevés à cette di- 
gnité par les suffrages seuls du sénat, des pa- 
triciens, et de leurs cliens, qui, malgré ces 
divisions , suivoient toujours le parti de leurs 
patrons. 

Ces deux consuls , pour empêcher que la di- 
vision n allât plus loin , occupèrent le peuple y 
pendant toute Tannée ; en différentes guerres 
contre les Eques et les- Volsques. T-. Quintius 
enleva, à ces derniers, la ville d'Antium et 
tout son territoire. Le pillage et le butin adou- 
cirent les esprits de la multitude; et le soldat, 
de retour à Rome, n'osoit se plaindre de se* 
généraux sous lesquels il venoit d acquérir des 
biens et de la gloire. 

sSG. Mais les plaintes et les dissensions recom- 



ROMAINES. 287 

mencèrent , sous le consulat de Tib. Emi- An 
lius et dç Q. Fabius. Nous avons vu qu Emi- <k Rom «- 
lius , pendant son premier consulat, s'étoit dé- 
claré pour le partage des terres ; les tribuns et 
les partisans de la loi Agraire reprirent de nou- 
velles espérances, sous son second consulat. L'af- 
faire fut agitée dans le sénat; Emilius n'avoit 
point changé de sentiment. Ce consul , toujours 
favorable au peuple, soutenoit qu'il étoit im- 
possible de maintenir la paix et l'union entre 
les citoyens d'un Etat libre , si , par le bénéfice 
de la loi , on ne rapprochoit la condition des 
pauvres de celle des riches , et qu'on ne parta- 
geât , par portions égales , le$ terres conquises 
sur les ennemis. Mais ce partage , si intéressant 
pour les plébéiens , souffrait de grandes diffi- 
cultés. Il falloit, pour cela, reconnoître et éta- 
blir une juste distinction entre l'ancien patri- 
moine de chaque particulier , et ce qu'il y avoit 
joint des terres publiques. Il falloit même éten- 
dre cette distinction entre les cantons que les 
patriciens avoient achetés du domaine public, 
et ceux qu'ils n'avoient pris d'abord qu'à ti- 
tre de cens, sous leurs noms , ou sous des noms 
empruntés, et qu'ils avoient, depuis, confon- 
dus avec une partie des communes, dans leur 
propre patrimoine. Une longue prescription 
dcroboit, aux recherches les plus exactes, la 



288 RÉVOLUTIONS 

An connoissance de ces différentes usurpations, 
de Rome. Les patriciens avoient, depuis, partagé ces 
terres entre leurs enfans , comme leur patri- 
moine; et ces terres, devenues héréditaires, 
étoient passées en différentes Maisons, à ti- 
tre d'hérédité, par vente et par acquisition. 
De riches plébéiens en possédoient même , de- 
puis quelque temps , une partie qu'ils avoient 
acquise de bonne foi; en sorte qu'il ne sem- 
bloit pas qu'on pût toucher à cette affaire , 
sans causer un trouble général dans la répu- 
blique. 

Emilius, sans avoir égard à des inconvé- 
nient si dignes de considération, insistoit tou- 
jours opiniâtrement en faveur de la publica- 
tion de la loi. Il vouloit avoir le mérite, aux 
yeux du peuple, de l'avoir fait recevoir pen- 
dant son consulat; et il étoit soutenu par d'an- 
ciens sénateurs , qui regardoient la médiocrité 
de la fortune des particuliers , et l'égalité des 
biens, comme les plus fermes soutiens de la li- 
berté publique. Mais le plus grand nombre, 
et ceux sur-tout qui possédoient de ces terres 
publiques , se plaignoient qu'Emilius , pour se 
rendre agréable au peuple , voulût lui faire des 
libéralités du bien de la noblesse. On en vint 
jusqu'aux invectives et aux injures; plusieurs» 
lui reprochèrent qu'il agissoit moins eu consul 



ROMAINES. 289 

qu'en tribun séditieux : (1) et on vit , avec AlI 
étonnement , des sénateurs manquer de res-> de , i°/ ,l0 « 
pect pour le chef du sénat , et pour le souve- 
rain magistrat de la république. Fabius, son 
collègue , pour prévenir les suites de ces divi- 
sions, ouvrit un avis qui ne déplut ni à l'un ni 
à l'autre. 

La plus grande partie des habitans de la 
ville d'Antium avoient péri dans la dernière 
guerre. Fabius, pour adoucir le peuple Ro- 
main ; que sa misère et les harangues séditieu- 
ses des tribuns rendoient furieux, proposa d en- 
voyer une partie des plus pauvres citoyens de 
Rome, en forme de colonie dans Antium, et 
de partager antre eux des terres voisines , qu'on 
avoit enlevées aux Volsques. Cet avis fut d'a- 
bord reçu avec de grands applaudissetnens 
par le petit peuple, toujours avide de la nou- 
veauté. On nomma aussitôt, pour faire réta- 
blissement de cette colonie, (2) T. Quintius, 
A. Virginius et P. Furius. Mais , quand il fut 
question de donner son nom à ces triumvirs, 
il y eut peu de plébéiens qui se présentassent; 
Rome avoit trop de charmes pour ses habitans : 
personne n'en vouloit sortir. Les jeux, les spec- 

(1) Tit. Ur. Dec. 1 , lib. III, c. 1. — (2) TU. Liv. L III, 
ci. — Dionyt. Halicarn. lib. IX, pag. 61 5. 

1. . 19 



2gO RÉVOLUTIONS 

~ tacles , les assemblées publiques , 1 agitation 
de Home, des affaires, la part que le peuple prenoit dans 
le gouvernement , tout y retenoit un citoyen , 
quelque pauvre qu'il fut. On regardoit une co- 
lonie comme un honnête çxil , et les plus mi- 
sérables plébéiens aimèrent mieux, dans cette 
occasion, vivre à Rome dans l'indigence, et 
y attendre le partage si incertain des terres 
publiques , dont on les flattoit depuis si long- 
temps, que d'en, posséder actuellement dans 
une riche colonie ; en sorte que les triumvirs , 
pour remplir le nombre destiné pour la colo- 
nie , furent obligés de recevoir des étrangers et 
des aventuriers , qui se présentèrent pour y al- 
ler habiter. L unique avantage qu'on tira de 
cet établissement, fut que ceux du peuple qui 
refusèrent d'y être compris, n'osèrent relever 
- l'affaire du partage des terres. 

Une peste affreuse désola , en ce temps-là , la 
290. ville et la campagne. Un nombre infini dépeu- 
ple, plusieurs sénateurs, (1) et les deux consuls " 
même , P. Servilius et L. iEbutius , en mouru- 
rent. Les Volsques et les Eques , croyant rem- 
porter de grands avantages sur les Romains, s'ils 
les attaquoient dans de telles conjonctures, re- 
commencèrent la guerre, sous le consulat de L. 

(1) Orosius, lib. II, cap. ia. 



ROMAINES. 29I 

Lucretius Tricipitinus , et de T. Veturius Ge- An 
minus. Ces deux magistrats ne furent pas plu- de Rom «- 
tôt élevés à cette dignité , qu'ils se mirent en 
état de s'opposer aux courses des ennemis. 
Mais , comme ils ne pouvoient pas tirer beau- 
coup de secours d une ville où la peste venoit 
de faire de si grande ravages, ils appelleront, à 
leur secours , les Latins et les Herniques , alliés 
du peuple Romain (1). Us se mirent à leur tête, 
et combattirent avec tant de courage , que les 
ennemis furent défaits en trois batailles diffé- 
rentes. 

(i)Tit. Liv. Mb. III, cap, 8. 



FIN DU TROISIÈME LIVRE. 



'9. 






292 REVOLUTIONS 



LIVRE QUATRIÈME. 

Le tribun G. Terentillus Arsa propose qu'on établisse, 
du consentement do peuple, un corps de lois pour 
servir de régie dans l'administration de la justice. Ce- 
son , qui s'y oppose, est obligé de s'enfuir en Toscane, 
pour se soustraire au jugement du peuple. Les tri- 
buns forment le dessein de faire périr tous les séna- 
teurs et patriciens qui leur étoient odieux. Le consul 
Glaudius rend leurs projets inutiles. Appius Herdo- 
nius s'empare du Gapîtole. Les Romains l'attaquent et 
l'obligent à se tuer. Quintius Gincinnatus est tiré de la 
charrue pour commander les armées en qualité de 

- consul. Il refuse un second consulat, et retourne cul- 
tiver son petit héritage. 11 est rappelle pour aller, en 
qualité de dictateur, délivrer un consul que les enne- 
mis tenoient enfermé avec toute son armée. Il délivre 
le consul et ses soldats, défait les ennemis, et rentre 
triomphant dans Rome. Quintius Geson, son fils, est 
rappelle de son exil. Le sénat accorde au peuple le 
pouvoir d'élire dix tribuns au lieu de cinq , à condition 
qu'il abandonnera le projet de la loi Tereniilla. Le 
Mont Aventin cédé au peuplepar un sénatus-consulte. 
T. Romilius et G. Veturius, consuls, remportent une 
victoire complette sur les ennemis. Le peuple, à la 
persuasion de Siccius, leur refuse l'honneur du triom- 
phe, et même les condamne à une amende, parce- 
qu'ils s'étoient opposés à la publication de la loi Agraire. 



An 



de Rome. .tendant que les deux consuls étaient en cam- 



ROMAINES. ' 293 

pagne, (1) un tribun du peuple, appelle C. J^"" 
Tereptillus Arsa, entreprit de signaler son avè- à* Rome. 
nement au tribunat par de nouvelles proposi- a91 ' 
tions. Ce tribun , ayant reconnu que le sénat 
et les consuls arrêtoient toujours, par leur au- 
torité , la publication de la plupart des lois que 
proposoient ses collègues, chercha différens 
moyens d'afFoiblir , et de diminuer une puis- 
sance qui étoit l'objet perpétuel de l'envie et de 
l'émulation des tribuns. Il demanda, en pleine 
assemblée, qu'on mtt des bornes à l'autorité 
absolue des consuls, (2) et en même temps 
qu'on établit, du consentement du peuple, des 
lois fixes et constantes qui servissent de règles , 
au sénat, dans les jugemens qu'il rendoit au 
sujet des procès qui naissoient entre les parti- 
culiers. 

r 

Pour juger de l'importance de cette seconde 
proposition , peut-être qu'il ne sera pas inutile 
d'observer ici que Rome n'avoit point encore 
de lois , ni une forme constante d'administrer 
la justice. La volonté seule de ses anciens rois 
avoit tenu lieu de loi, pendant leurs régnes; 
les consuls et le sénat, en succédant à leur 
puissance, succédèrent à ce droit souverain de 



m 

(1) Tic. Liv. lib. III, cap. IX. — (2) Dionys, Halicarn. . 
lib. X , pog. 627. 



294 RÉVOLUTIOÏSS 

]^"""" rendre la justice, et ils régloient leurs arrèt9 
de Rome, par les principes de l'équité naturelle , ou par 
d'anciens usages, ou enfin par les premières 
lois de Romulus et de ses successeurs dont on 
trouvoit encore de légers vestiges dans les livres 
sacrés, dont les seuls patriciens étoient déposi- 
taires. Le peuple en étoit peu instruit : la plu- 
part occupés , hors de Rome , à la guerre y ou 
établis à la campagne, ne venoient guères à 
la ville que les jours de marchés pour leurs 
affaires domestiques, ou pour se trouver aux 
comices et aux assemblées publiques, qui ne 
se tenoient que ces jours-là. Us se remettaient, 
de tous leurs différends, au jugement des con- 
suls, qui, à Fégard du peuple, faisoient un 
mystère de ces premiers éléinens de leur juris- 
prudence 

La mort d un grand nombre de patriciens , 
que la peste avoit enlevés, et l'absence des deux 
consuls , qui étoient actuellement à la tête des 
armées, parut une cçnjoncture favorable à Te» 
. rentillus , pour introduire quelque changement 
dans le gouvernement. |1 représenta au peuple, 
que les magistrats patriciens étoient arbitres 
, absolus de sa fortune- que, dans les différends 
qui naissoient entre un patricien et un plé- 
béien, le dernier étoit toujours sûr de succom- 
ber; que, dans la perte de son procès, il ne lui 



ROMAINES. 2g5 

rcstoit pas même la consolation de pouvoir An 
connottre s'il avoit été bien ou mal jugé; et il d « Romo ' 
conclut à ce qu'on établît incessamment des 
lois connues de tout le monde , qui servissent 
de règlement aux magistrats, dans leurs juge- 
mens, et, aux parties, de preuves de l'équité ou 
de l'injustice de leur cause. 

Il se déchaîna ensuite ouvertement contre 
la puissance des consuls. 11 dit qu'on avoit at- 
taché, à cette dignité, une autorité et un pou- 
voir insupportables dans une ville libre; (i) 
que les deux consuls étoient revêtus de la puis- 
sance souveraine, dont jouissoient les anciens 
rois de Rome ; qu'ils avoient , comme ces prin- 
ces, une robe bordée de pourpre, la chaire 
cyrulc ou d'ivoire, des gardes et des licteurs; 
que, dans la ville, ils rendoient la justice, et 
que * ces magistrats, en même temps qu'ils se 
croyoient eux-mêmes au-dessus des lois, en 
vengeoient l'inobservation , sur leurs inférieurs 
et sur le peuple, par les plus cruels supplices; 
quel* campagne, et à la tète des armées, ils 
faisoient toujours la guerre avec une autorité 
absolue, et même quelquefois la paix, sans 
consulter le sénat, auquel ils se' contentoient , 
pour la forme, de rendre compte ensuite de 

(i) Tic. Liv. Dec. i, lih. III, cap. g. 



296 RÉVOLUTIONS 

An leur administration ; qu'ainsi ils avoiènt toute 
de Rome, l'autorité des rois , et qu'il ne leur en manquoit 
que le titre; mais que, pour empêcher que leur 
domination ne dégénérât, à la fin, en une 
tyrannie perpétuelle, il demandoit qu'on éta- 
blît cinq hommes des plus gens de bien de la 
république, qui fussent autorisés à restreindre, 
dans de justes bornes, une puissance si exces- 
sive, en sorte que les consuls, à l'avenir, n'eus- 
sent d'autorité sur leurs concitoyens, que celle 
que ces mêmes citoyens auroient bien voulu 
leur accorder. 

Des propositions si hardies surprirent et 
étonnèrent les sénateurs. Ils reconnurent alors, 
mais trop tard, la vérité de ce que les deux 
Appius avoient prédit tant de fois : Quelle peu* 
pie , après avoir essayé la foiblesse du sénat , 
par tant de lois qu'il en avoit extorquées en sa 
faveur, attaqueroit enfin ouvertement son au- 
torité dans celle des consuls (1), qui en étoit le 
plus ferme soutien. Heureusement pour cette 
compagnie, Quintius Fabius, en l'absence des 
consuls, étoit alors gouverneur de Rome (2). 
C'étohun consulaire d un esprit ferme, plein 
de courage et de résolution , et inviolablement 



(i)Tit. Liv. lib, III, cap. g. — (a) Diony?, Halicarq. 
Jtb, X. 



ROMAINES. 297 

attaché aux lois et à la foj?mê du gouverne- ^ 
ment de la république. de Rome. 

Ce courageux magistrat , voyant que les pro- 
positions hardies du tribun alloient à détruire 
la dignité consulaire, dépêcha secrettement dif- 
férons couriers aux deux consuls, pour leur 
donner avis de ce qui sç passoit , et pour les 
conjurer de revenir à Rome en diligence. Il 
assembla ensuite le sénat, et il représenta qu on 
s'était contenté , jusqu'alors, dans Rome , de sui- • 
vre, dans les jugemens, le droit naturel, et les 
seuls principes de l'équité et du bon' sens; que 
la multitude des lois ne serviroit qu'à obscur- 
cie la vérité; et quïl prévoyoit, avec douleur, 
tous les malheurs qui naîtroient dans la répu- 
blique, de cette forme judiciaire que Teren- 
tillus y vouloit introduire. Il insinuoit ensuite 
que, quand même ces changemens seroient 
trouvés nécessaires, il n'étoit ni de l'honneur, 
ni de la justice des citoyens, qui étoient alors 
à Rome, d'entreprendre d'en décider, en l'ab- 
sence des deux consuls, et de cette partie du 
peuple qui composoit leurs armées; qu'ils se- 
roient en droit de se plaindre , à leur retour , 
qu'on eût précipité la décision d'une affaire de 
cette conséquence, qui, intéressant tous les 
particuliers, ne devoit être décidée que dans 
vue assemblée générale du peuple Romain; 



298 RÉVOLUTIONS 

~T que les consuls même , comme chefs de la ré- 
de Rome, publique , protesteraient contre tout ce tjui au- 
29 1 ' roit été arrêté sans leur participation; au lieu 
que , quand ces deux souverains magistrats se 
trouveroient à la tête du sénat, et que tout le 
v peuple seroit de retbur, on prendrait, de con- 
cert, des mesures conformes au bien de l'État 
et au salut de la patrie. Fabius s éleva ensuite, 
avec beaucoup de force , contre Fauteur de ces 
nouvelles propositions. Il dit que Terentillus 
se prévaloit de 1 éloigneraient des consuls pour 
attaquer la république; que si, Tannée précé- 
dente , et pendant que la peste et la guerre dé- 
soloient la ville de Rome et son territoire , -les 
dieux en colère eussent permis que ce tribun 
séditieux eût été en charge, la république n'eût 
jamais pu résister à de si cruels fléaux, et qu'il 
ne falloit pas douter qu'on n'eût vu alors Te- 
rentillus à la tête des Eques et des Volsques 
ruiner Rome , ou du moins changer la forme 
du gouvernement, quoique fondé, par leurs an- 
cêtres, sur de si heureux auspices. Ensuite, pre- 
nant des manières plus adoucies, il adressa la 
parole aux autres tribuns et les conjura , par le 
salut de la patrie , de ne rien innover jusqu'au 
retour des consuls. 

La plupart des tribuns se rendirent à ses 
prières et à des raisons si solides, et n'insisté- 



ROMAINES. 299 

rent plus sur la première demande dé Teren- ^ n 
tillus, qui regardent la limitation du pouvoir d« Rome. 
des consuls. Peut-être aussi que ce fut l'espé- 
rance de parvenir eux-mêmes, un jour], à la 
dignité du consulat qui leur ôta le dessein d en 
diminuer l'autorité. Mais ils persistèrent à de** 
mander qu'on choisit dans le sénat, et parmi 
le peuple, des personnes capables de composer 
un corps de lois pour établir une forme con- 
stante dans la manière de rendre la justice 
aux citoyens. Cependant, Sur les instances de 
Fabius, ils consentirent à suspendre la pour- 
suite de cette affaire; et les consuls, à leur 
retour, trouvèrent la ville tranquille; mais ce 
calme ne dura pas long-temps. Les Herniques , 
alors alliés du peuple Romain , firent sçavoir 
que les Eques et les Volsques, leurs voisins, 
armoient secrettement , et que la nouvelle co- 
lonie d'Antium étoit entrée dans cette ligue. 
Fïous avons vu plus haut que , comme il ne 
s'étoit pas présenté un assez grand nombre de 
citoyens Romains pour remplir cette colonie, 
on y avoit suppléé par des gens ramassés de 
différons endroits , Latins , Herniques , et Tos- 
cans : il s'y étoit même glissé des Volsques. Ces 
aventuriers , en plus grand nombre que les Ro- 
mains , s'étoient renejus les plus puissans dans 
les conseils, Us entretenoient secrettement des 



3oo RÉVOLUTIONS 

A intelligences avec les ennemis de Rome; et 
d« Rome, quoiqu'ils ne se fussent pas encore déclarés ou- 

2QI 

vertement contre la république , on ne laissoit 
pas d'avoir leur fidélité pour suspecte. 

Cependant le sénat , qui ne vouloit pas être 
surpris , ordonna que les deux consuls feroient 
des levées incessamment: ce qui s'appelloit, 
parmi les Romains, faire le choix; pareeque 
tous les citoyens étant soldats, les consuls, 
quand il survenoit une guerre , étoient en droit 
de choisir ceux qui leur paroissoient en état 
de servir. Ces deux magistrats, ayant fait pla- 
cer leur tribunal d^ns la place , citèrent ceux 
qu'ils vouloient mener en campagne. Mais les 
tribuns s'y opposèrent; ils firent renaître les 
propositions de Terentillus pour rétablisse- 
ment d un corps de lois ; et Virginius , le plus 
emporté de ces tribuns , crioit , dans la place , 
que cette guerre prétendue n'étoit qu'un arti- 
fice du sénat pour tirer le peuple hors de Rome, 
et l'empêcher, sous ce prétexte , de donner ses 
suffrages au sujet dune affaire si «importante 
pour tous les particuliers. 

Ces contestations furent très, vives , et ex- 
citèrent de nouveaux tumultes. On ne voyoit 
plus ni obéissance dans le peuple , ni autorité 
dans les consuls. Tout s^décidoit par la force : 
et quand ces premiers magistrats de la repu- 



ROMAINES. - 301 

blique entreprenoient de faire arrêter un plé- ~ 
béien qui refusoit de marcher à la guerre , les de Rome. 
tribuns l'enlevoient aussitôt aux licteurs , et le 
remettaient en liberté. Les consuls, craignant 
de commettre davantage leur dignité , se reti- 
rèrent de la place. Et comme les avis des Hcr- 
niques ne s'étoient pas trouvés vrais , et que les 
ennemis n entreprenoient rien, ils s'abstinrent, 
pendant quelque temps , de se trouver dans ces 
assemblées tumultueuses dans lesquelles les 
plus violens et les plus emportés a voient le 
plus d'autorité. On ne parloit , au peuple , que 
de la nécessité où il étoit d'obliger les consuls à 
régler leurs jugemens par un corps de lois con- 
nues et publiques. Mais le sénat , sous prétexte 
de conserver d'anciens usages, ne pouvoit se 
résoudre à renoncer à cette manière arbitraire 
de rendre ses arrêts. 

Il y eut , cette année , des tremblemens de 29». 
terre; et il parut, dans l'air, des exhalaisons en- 
flammées. Ces phénomènes purement naturels, 
mais que le petit peuple ne manqua pas de re- 
garder comme les précurseurs de nouvelles 
calamités, firent oublier cette affaire pour quel- 
que temps. On ne s'occupoit que de sinistres 
présages , qui se multiplioient, à la faveur de 
la peur et de la superstition. Les uns avoient 
vu des spectres qui changeoient, à tous mo- 



3û2 RÉVOLUTIONS 

" ~ mens , de formes ; d autres av oient entendu , la 
ée Rome, nuit, des voix extraordinaires, (i) Des histo- 

3Q2. 

riens célèbres n ont point fait difficulté de nous 
rapporter, sur la foi de ces visionnaires , quïl 
a voit plu de la chair crue, et que, pendant 
qu'elle tomboit comme des flocons de neige, 
des oiseaux carnassiers en prenoient, en Fair, 
différons morceaux. On eut recours aussitôt 
aux oracles; on consulta les livres des Sybilles. 
Les dépositaires de ces livres sacrés , tous pa- 
triciens, publièrent que Rome étoit menacée 
de voir des ennemis redoutables assiéger la 
ville, à la faveur des divisions qui y régnoient. 
Cette prédiction paroissoit copiée d après ce 
qui venoit d'arriver dans l'entreprise de Corio- 
lan. Je ne sçais si les tribuns ne soupçonnèrent 
pas les ministres de la religion d avoir ajusté 
leur réponse aux vues et aux intérêts du sénat. 
Mais la populace, qui regardoit le passé comme 
caution de l'avenir, et qui redoutait de voir un 
nouveau Goriolan aux portes de Rome, obligea 
ses tribuns à conférer, avec le sénat, pour tâcher 
de trouver le moyen de finir leurs divisions. 
On s assembla plusieurs fois, mais toujours 
inutilement. Aucun des deux partis ne v oui oit 

(i) Tît. Liv. lib. III, cap 10. — Dion. Halicam. lib. X, 
pag. 628. 



ROMAINE». 3o3 

rien relâcher de ses prétention!. Enfin le temps A|| 
ayant dissipé cette frayeur, que les prêtres <*e R°«*. 
a voient tâché d'inspirer au peuple, le» tribun* 
s'assemblèrent de nouveau, et «ans consulter 
le sénat, ils présentèrent, à la multitude, un 
projet plus développé de la loi dé Terentillus. 

Cette loi portoit que le peuple nommeroit 
incessarclment cinq commissaires , qui seraient 
choisis entre les personnes les plus sages et les 
plus éclairées du sénat ; que ces commissaire» 
«croient autorisés pour recueillir et former un 
corps de lois civiles, tant par rapport aux af- 
faire» publiques, qu'à l'égard des différends qui 
survenoient entre les particuliers; qu'ils en fc- 
roient leur rapport dans une assemblée du 
peuple, et qu'ils les afficheraient dans la place 
publique, afin que chacun en pût prendre con- 
naissance, et en dire son avis. Les tribuns, 
ayant proposé ce projet, déclarèrent qu'ils en 
remettoient la publication au troisième jour 
de marché, afin que ceux qui voudraient s'y 
opposer, pussent librement représenter au peu* 
pie les raisons de leur opposition. 

Plusieurs sénateurs s'élevèrent aussitôt con- < ' 

tre cette nouvelle proposition. Ce fut le sujet 
de beaucoup de disputes, qui ne servoient qu'à 
traîner les choses en longueur. A la fin, les tri- 
buns tentèrent d'emporter l'affaire de hauteur, 



3o4 RÉVOLUTIONS 

An Ils convoquèrent, pour cela, une nouvelle as«- 
de Home, semblée, où tout le sénat se trouva. Les pre- 
miers de ce corps représentèrent au, peuple, 
malgré les tribuns, qu'il étoit inouï que, sans 
sénatus-consulte , sans prendre les auspices , et 
sans consulter ni les dieux ni les premiers hom- 
mes de la république, une partie des citoyens, 
et la partie la moins considérable, entreprit de 
faire des lois qui dévoient être communes à 
tous les Ordres de l'État. Us firent goûter leurs 
raisons à ceux des plébéiens qui leur parois- 
soient les plus raisonnables. La plus vile po- 
pulace, au contraire, prévenue par ses tribuns, 
demandoit avec de grands cris, qu'on délivrât 
les bulletins, et qu'on recueillit les suffrages; 
mais les plus jeunes sénateurs et les patriciens 
firent échouer ce projet. Quintius Ceson , fils 
de Quintius Cincinnatus, personnage illustre 
et consulaire, étoit à leur tête; il se jette dans 
la foule , frappe et écarte tout ce qui se présen- 
toit devant lui : et , à la faveur de ce tumulte , 
qu'il avoit excité exprès , il dissipe l'assemblée 
malgré les tribuns, qui firent inutilement ce 
qu'ils purent pour la retenir. 

Les sénateurs et les patriciens donnèrent , à 
Ceson, des louanges qui ne servirent encore 
qu'à exciter davantage son audace et son ani- 
mosité contre le peuple. C'étoit un jeune homme 



romaines: 3o5 

dune figure agréable, dune taille avantageuse, An 
et dune force de corps extraordinaire : natu- d « Rom^ 

2Q3. 

rellement fier, hardi , et intrépide , il ne con- 
nôissoit point le péril, et il se toit déjà distin- 
gué , à la guerre , par des actions d'une valeur 
surprenante. Gomme il tTavoit pas moins d e- 
loquence que de courage, et qu'il étoit toujours 
le premier à répondre aux harangues, sédi- 
tieuses des tribuns, ces magistrats, outrés de 
trouver, en lui seul , l'animosité de tous les pa- 
triciens , conjurèrent sa perte. Après être con- 
venus, entre eux, des chefs d accusation, À. 
Virginius le fit citer devant l'assemblée du 
peuple. 

Tant que Ceson s'étoit trouvé , dans la cha- 
leur des disputes , soutenu par les applaudisse- 
mens du sénat qui flattoient sa vanité, il avoit 
toujours fait paroître beaucoup de fermeté et 
de constance. Mais tout son courage l'aban- 
donna, la veille de son jugement; l'exemple 
de Goriolan fit alors une vive impression sur 
son esprit. On le vit timide, effraye, $e repro- 
chant le passé, redoutant l'avenir, et tout prêt 
à changer honteusement de parti. 11 prit de$ 
habits de deuil , et avec une contenance triste 
et humiliée , il recherchoit , avec bassesse , la 
faveur des moindres plébéiens. 

Le lendemain et le jour même qu'on dey oit 

I. 20 



3o6 RÉVOLUTIONS 

J^~~ traiter de son affaire , il n'osa paroitre devant 
de Rome, le peuple, (i) Il fallut que sou père, accompa- 
39 *' gné de ses parens et de ses amis , se présentât 
pour lui. À. Virginius commença son accusa- 
tion par les reproches qu'il fit à Geson de son 
humeur impérieuse, de son manque de respect 
pour les assemblées du peuple, et des violences 
qu'il y avoit exercées contre les particuliers. 
« Et que deviendra notre liberté, sécrioit Vir- 
« ginius, quand les patriciens auront élevé , au 
« consulat, ce jeune ambitieux qui, n'étant en- 
« bore que personne privée, cause déjà de justes 
«alarmes à sa patrie, par sa violence et son 
«audace»? Il produisit ensuite tous les plé- 
béiens que Ceson avoit maltraités, et qui de- 
mandoient justice. Ses parens et ses amis ne 
s'amusèrent point à le vouloir disculper de ce» 
prétendues violences; ils ne répondirent, aux 
invectives du tribun , que par les louanges de 
l'accusé. Les uns rapportèrent tous les combats 
où il s'étoit signalé; d'autres nommoient les 
citoyens auxquels, dans les batailles, il avoit 
sauvé la vie. (2) T. Quintius Capitolinus , qui 
avoit été trois fois consul , dit qu'il l'avoit mené 
à la guerre ; qu'à ses yeux , il étoit sorti vain- 

* 

(1) Dionys. Halicarn. lib. IX , pag. 63 1 , 63a. — (a) Tit. 
Liv. lib. fil, cap. 12. 



ROMAINES. 3x>7 

queur de plusieurs combats singuliers qu'il avoit A 
soutenus contre les plus braves des ennemis , <*« Rome. 
et qu'il 1 avoit toujours regardé comme le pre- * 9 
mier soldat de son armée. Lucretius , qui avoit 
été consul , Tannée précédente , ajoutoit qu'il 
étoit de l'intérêt de la république de conserver 
un citoyen si accompli , et que l'âge , en aug- 
mentant sa prudence, emporterait, chaque , 
jour, quelque chose de ce caractère impétueux 
qui le rendoit odieux à la multitude. 

L. Quintius Cincinnatus , son père, l'homme 
de son siècle le plus estimé pour sa capacité 
dans le gouvernement de l'État, et dons le 
commandement des armées, se contenta de 
prier le peuple de pardonner au fils , en faveur 
d'un père qui n avoit jamais offensé aucun ci- 
toyen. Le respect et la vénération qu on avoit 
pour cet illustre vieillard, commençoient à 
adoucir les esprits; mais Virginius, q[ui avoit 
résolu de perdre Geson , répondit à Cincinna- 
tus que son fils étoit d'autant plue coupable 
qu'il n'avoit pas sçu profiter des exemples d'un , 
père comme lui; qu'il nourrissoit, dans sa mai- 
son, le tyran de sa patrie, et que les grands 
exemples de ses ancêtres dévoient lui avoir ap- 
pris à préférer la liberté publique à ses propres 
enfans. « Et afin , dit ce tribun , en se tournant 
«vers le peuple, qu'il ne paroisse pas que je 



20. 



3o8 RÉ?0LUTI(5NS 

An « veuille en inïposer, je consens , si on le vetrt r 
<u Rome. « qu on ne parle point ici ni des discours inju-* 
« rieux que Geson a tenus dans nos assemblée» 
« contre le peuple , ni des violences qu'il a exer- 
cées contre de meilleurs citoyens que lui. 
« Mais je demande que M. Volscius, mon col- 
« lègue , soit entendu sur des plaintes particu- 
le lières qu'il a à faire contre lui; et j'espère que 
« le peuple ne laissera pas , sans vengeance , un 
m de ses ' magistrats si cruellement outragé». 
Pour lors, Volscius se levant pour jouer le 
rôle qu'il avoit concerté avec son collègue: 
« J aurois souhaité, dit-il , en adressant la pa- 
ie rôle au peuple , avoir pu porter plus tôt mes 
« plaintes de la mort d'un frère très cher, que 
« Geson a tué dans mes btas. Mais la crainte 
« des violences ordinaires du même Ceson , et 
« le crédit de sa famille, ne m ont que trop fait 
« comprendre ce que j avois à craindre moi- 
« même d une pareille poursuite. Si je ne viens 
« plus assez à temps pour me rendre son accu- 
« sateur, du moins ne pourra-t-on pas rejetter 
«le triste témoignage que je rendrai de sa 
u cruauté et de sa tyrannie. 

« Ce fut , continua ce fourbe , sotis le con- 
sulat de L. Ebutius et de P. Servilius, que, 
« revenant un soir, mon frère et moi, de sou-» 
«per chez un de nos amis, nous rencontra- 



ROMAINES. 309 

« mes, proche le quartier où logent les femmes T~~ 
« publiques , Geson plein de vin , et. accompa- de Rome 
« gné, à son ordinaire , de plusieurs jeunes pa- a92 ' 
«triciens insolens comme lui, et qui venoient 
«apparemment de faire la débauche ensemble 
«dans ces maisons de prostitution. Ils nous 
« attaquèrent d abord par des railleries piqu an-' 
«tes, et par des injures que je crus devoir dis- 
« simuler. Mais mon frère, moins patient que 
« moi , leur ayant répondu comme un homme 
« libre et plein de courage devoit faire , Ceson 
« tomba aussitôt sur lui, et se prévalant de ses 
« forces, il lui donna tant de coups de poings 
«et de pieds, qui! l'assomma à mes yeux et 
«dans mes bras, sans que je pusse opposer, à 
«Une si grande violence, d'autres armes que 
« des cris et des prières inutiles. Je ne pus en 
«porter mes plaintes aux deux consuls, qui 
«moururent de la peste, la même année. L. 
«Xiucretius et T. Veturius,- leurs successeurs, 
«furent long-temps en campagne. Ge ne fut 
« qu'à leur retour que je songeai à former mon 
« action ; mais Ceson , ayant appris mon des- 
« sein , me surprit un soir à l'écart , et il me 
« donna tant de coups, que je fus obligé, pour 
« éviter un sort pareil à celui de mon frère, de 
«lui promettre de ne parler jamais de l'une et 
» l'autre violence. » 



3lO RÉVOLUTIONS 

~ Le peuple fut si ému par ce récit, (i) que, 

de Home sans approfondir la vérité du fait, il alloit 

9a< condamner, sur le champ , Ceson à perdre la 
vie; mais Â. Virginius, qui conduisoit toute 
cette fourberie , voulut la revêtir des apparen- 
ces de la justice, et faire périr l'accusé par les 
formes ordinaires. Il demanda qu'attendu que 
Yolscius n'avoit pas ses témoins présens, Ce- 
son fut arrêté , et mis en prison jusqu'à ce que 
son crime eût été avéré. T. Quintius , son pa- 
rent , représenta qu'il étoit inouï , dans la répu- 
blique, que, sur une simple accusation, on 
commençât par arrêter un citoyen peut-être 
innocent; et que cette nouvelle forme de pro- 
cédure donnoit atteinte à la liberté publique. 
Mais le tribun soutint que cette précaution 
étoit nécessaire pour empêcher qu'un aussi 
grand criminel n'échappât à la justice du peu-* 
pie. On agita, de part et d'autre, cette ques- 
tion , avec beaucoup de chaleur et d'animosite. 
Enfin il fut arrêté que l'accusé demeureroit en 
liberté, mais sous la caution de dix citoyens 
qui s'obligèrent de le représenter le jour qu'il 
devoit être jugé, ou de payer une amende dont 
les tribuns convinrent ensuite avec le sénat. 
Ceson , quoique innocent , n osa s'abandonner 

(t)Tit.Liv.lib.III, c. i3. 



ROMAINES. 3ll 

au j ugement du peuple ; il sortit de Rome la An 
nuit, s enfuit , et se retira en Toscane. Les tri- *• Rom «* 
buns, ayant appris sa fuite , exigèrent l'amende 
avec tant de rigueur et de dureté que Quintius , 
père de Ceson , après avoir vendu la meilleure 
partie de son bien, fut contraint de se reléguer 
dans une méchante chaumine qui étoit au- 
delà du Tibre; (i)'et on vit cet illustre consu- 
laire réduit à cultiver, de ses prqpres mains, 
cinq ou six arpens de terre , qui composoient 
alors tout son bien , et qu on appella , depuis , 
de son nom, les prés Quintiens. 

Après l'exil de Ceson, les deux tribuns se 
crurent victorieux du sénat , et se flattoient de 
voir la loi bientôt établie. Mais, comme cette 
affaire regardoit presque tous les grands, la 
noblesse s'unit encore plus étroitement, depuis 
la disgrâce du fils de Quintius : et sitôt qu'on 
proposoit |a publication d un corps de droit, 
on voyoit s élever , pour ainsi dire , mille Ce- 
sons, qui tous s y opposoient avec la même 
intrépidité. Le temps d'élire de nouveaux con- 
suls étant arrive , le sénat et les patriciens , de 
concert, firent tomber cette dignité à C. Clau- 293. 
dius, frère d'Appius dernier mort, parceque, 
sans avoir rien de sa dureté et de ses manières 

• 

(i)'Dionys. Halicarn, lib. X, pag. 633. 



3l2 RÉVOLUTIONS 

""~^ hautaines, il netoit pas moins attaché aux 
de Bome. intérêts de son Ordre : on lui donna pour col- 
lègue P. Valerius, qui, entrant dans son se- 
cond consulat , fut nommé pour premier con- 
sul , dans cette élection. 

Les tribuns s apperçurent bien , par ce con- 
cert de toute la noblesse , que quand même , 
par différentes accusations , ils feroient périr , 
tous les ans , quelque patricien , ils ne vien- 
draient pas à bout d un corps où il y avoit au- 
tant d'union que de pouvoir. Ainsi, sans s'ar- 
rêter davantage à persécuter et à mettre en 
justice ceux des patriciens qui se signaloient 
davantage par leur opposition à la loi , ils for- 
mèrent secrettement l'affreux dessein de faire 
périr , tout d un coup , la meilleure partie du 
sénat, et d'envelopper, dans leur ruine, tous 
les patriciens qui leur étoient odieux et sus- 
pects par leur crédit ou par leurs richesses. 
Pour faire réussir un si détestable projet, leurs 
émissaires répandirent d abord ; parmi le petit 
peuple, des bruits sourds qu'il se formoit secret- 
tement dé grands desseins co'ntre sa. liberté. 
Ces bruits vagues et incertains, passant de 
bouche en bouche , se chargeoient de nouvel» 
les circonstances , toutes plus funestes les unes 
que les autres , et qui remplirent , à la fin , la 
ville d'inquiétude , de trouble et de défiance. 



ROMAINES. 3l3 

Les tribuns , voyant les esprits prévenus , et An 
dans cette agitation si propre à recevoir la de R ° me - 
première impression , se firent rendre une let- ' 9 
tre en public. Ils étoient dans leur tribunal , (i) 
lorsqu'un inconnu la leur présenta, devant tout 
le peuple; puis il se perdit, à l'instant, dans la 
foule. Les tribuns lisoient ensemble, et tout 
bas , cette lettre qu'ils avoient eux-mêmes con- 
certée; et, en la lisant, ils affectoient un air 
detonnement et de surprise, pour exciter là 
curiosité et l'inquiétude du peuple. Ils se levè- 
rent ensuite , et , ayant fait faire silence par un 
héraut , Virginius , adressant la parole à l'as- 
semblée : « Le peuple Romain , dit-il , d'un air 
« consterné, est menacé delà plus grande calami- 
« té qui lui puisse arriver; et si les dieux, protec- 
« teurs de l'innocence , n'eussent découvert les 
, « méchans desseins àe nos ennemis , nous étions 
«tous perdus.» Il ajouta qu'il falloit que les 
consuls en fussent instruits , et qu'il leur ren- 
droit compte ensuite de ce qui auroit été ré- 
solu dans le sénat. 

Pendant que ces magistrats vont trouver les 
consuls , leurs émissaires , répandus dans l'as- 
semblée , publioient , de concert avec eux , dif- 
férens bruits qui n'a voient pour objet que de 

(i) Dion. Halic. lib. X. 



3l4 RÉVOLUTIONS 

rendre les patriciens plus odieux à la multitu- 
de Rome. de. Les uns disoient, en général, qu'il y avoit 
long-temps qu'on se doutoit bien qu'il se tra- 
moit de mauvais desseins contre la liberté du 
peuple; d'autres, comme mieux instruits , as- 
suraient que les Eques et les Volsques , de con- 
cert avec les patriciens , dévoient mettre Geson 
à leur tête , comme un autre Coriolan ; et que, 
soutenu de leurs forces , il devoit rentrer dans 
Rome pour se venger de ses ennemis, abolir le 
tribunat, et rétablir le gouvernement sur les 
anciens fondemens, et qu'on rendrait ensuite 
aux Eques et aux Volsques , en reconnoissance 
de leurs secours, les villes et les terres qu'on 
leur avoit enlevées. Quelques uns disoient mê- 
me qu'il netoit pas bien sûr que Ceson fût 
sorti de Rome ; qu'ils avoient entendu dire qu'il 
étoit caché chez un des consuls ; quo son des- 
sein étoit d'assassiner, une nuit, les tribuns 
dans leurs maisons ; que tous les jeunes patri- 
ciens entroient dans cette conjuration, et que 
la lettre , que les tribuns venoient de recevoir, 
en contenoit peut-être l'avis et les preuves. En- 
fin ces créatures des tribuns ne faisoient exprès 
que de fâcheux préjugés de cette lettre mysté- 
rieuse, pour entretenir toujours les esprits 
dans la prévention , et dans la haine contre le 
sénat et les patriciens. 



ROMAINES. 3 1 5 

Les tribuns étant arrivés au sénat, Virginius, An 
qui portoit la parole, l'adressant aux consuls 4e Rome, 
et à tous les sénateurs : « Il y a déjà quelque 
« temps, pères consoripts, leur dit- il, qu'il s'est 
« répandu, dans la ville, des bruits sourds dune 
« conspiration contre la liberté du peuple; 
« mais, comme ils étoient sans auteur, nous 
« les avions regardés comme de vains discours, 
« enfantés par la peur et l'oisiveté. Depuis ce 
«temps-là, des avis mieux circonstanciés nous 
« sont^venus ; mais , comme ils étoient encore 
«sans nom d'auteur, nous n'avions pas cru 
« que cela méritât de vous être rapporté. Ce- 
« pendant , pour ne rien négliger dans une af- 
« faire de cette conséquence , nous avions fait ' 
« secrettement des perquisitions, et il nous étoit 
« revenu assez d'indices d'une conspiration , 
«mais sans en avoir encore pu découvrir l'ob- 
jet, le chef, et les complices : il n'y a pas 
« deux heures que nous avons enfin percé cet af- 
« freux mystère. Une lettre, que nous venons 
«de recevoir dans notre tribunal, nous ap- 
« prend qu'il y a une conjuration , et nous dé- 
« couvre le dessein des conjurés. Les premiers 
« indices , qu'on avoit découverts , se trouvent 
« conformes à la lettre d'avis. Dans un péril si 
« éminent, où le temps qu'on emploierait a dé» 
«libérer sur la punition du crime, seroit près- 



3l6 RÉVOLUTIONS 

An « que aussi criminel que le crime même , nous 
de Rome, a sommes accourus en diligence , suivant notre 



293. 



u devoir, pour vous en donner avis, et pour 
« vous révéler des projets que vous ne pourrez 
«entendre sans horreur. 

« Sçachez, pères conscripts, que nous avons 
« reçu une lettre dans laquelle on nous avertit 
« que des personnes distinguées par leur nais*- 
« sance et leur dignité, que des sénateurs et des 
« chevaliers que le temps ne nous permet pas 
ce de nommer, ont résolu d'abolir absolument 
« le tribunat, tous les droits et tous les privilè- 
ges du peuple; que, pour faire réussir des 
« desseins si détestables, ils sont convenus que 
« Quintius Ceson, à la tête d'un corps d^Eques 
« et de V olsques , s'approcherait secrettement , 
« et de nuit, d une des portes de Rome , que 
« ses complices lui tiendraient ouverte ; qu on 
«l'introduirait, sans bruit, dans la ville, et 
« que les principaux conjurés , partagés en dif- 
« férentes bandes , iraient , à la faveur des ténè- 
« bres , surprendre et attaquer chacun les mai- 
« sons des tribuns ; et qu'on devoit nous égor- 
« ger tous dans la même nuit , avec les princi- 
« paux du peuple , et ceux qui , dans les assem- 
« blées , faisoient paraître le plus de zèle pour 
u la défense de la liberté. 

«Nous vous conjurons, pères conscripts , de 



HUMAINES. 3l 7 

« ne nous pas abandonner à la fureur de ces J^*~* 
« scélérats. Pour prévenir leurs mauvais dçs- de Rome^ 
« seiils , nous espérons que vous ne nous refuserez 
«pas un sénatus-consulte qui nous autorise 
« d'informer , nous-mêmes , de cette conspira- 
« tion , et d'en faire arrêter les chefs. Il est bien 
«juste que les magistrats du peuple prennent 
« connoissançe , par eux-mêmes , de ce qui re- 
garde le salut même de tout le peuple, et 
* qu'on ne prétende point retarder, à l'ordinaire, 
« et par des discours étudiés, ni la délibération, 
« ni l'arrêt que nous demandons. Tout retarde- 
« ment seroit dangereux ; c'est peut-être cette 
« nuit même que doit éclater une si furieuse 
« conspiration , et il n'y a que des conjurés qui 
« puissent s'opposer à la recherche de la conju- 
ration. » 

Tous les sénateurs détestèrent une pareille 
entreprise ; mais ils étoient partagés sur la ré- 
ponse qu'on de voit faire à Virginius. Les plus 
timides craignoient qu'un refus ne fit soulever 
le peuple , et n'excitât une sédition : ceux , qu 
contraire, qui étoient d'un caractère plus ferme, 
représent oient qu'il n'étoit pas moins dange- 
reux d'accorder un sénatus-consulte aux tri- 
buns , que de donner des armes à des furieux 
et à des frénétiques , qui les tourneroient aus- 
sitôt contre les principaux du sénat. Parmi ces 



3l8 DÉVOLUTIONS 

An différens avis , G. Claudius , un des consuls , 
d« Rome, se leva , et , adressant la parole à Virginius , 
* 9 " lui déclara qu'il ne s'opposoit point à l'infor- 
mation qu'il demandoit ; qu'il consentait même 
qu'on en donnât la commission à des magis- 
trats plébéieiîs ; mais qu'il requérait , avant tou- 
te chose, qu'on examinât si la conjuration 
étoit bien réelle : « Voyons donc , lui dit-il , de 
« qui est cette lettre si mystérieuse que vous 
«avez reçue dans votre tribunal. Quels sont 
« les sénateurs et les chevaliers qui y sont nom- 
« mes ? Que ne les nommez-vous vous-mêmes ? 
«Il nous reste encore assez de temps pour 
«connoître ces grands coupables. Pourquoi 
* n'avez-vous pas au moins fait arrêter le por- 
«teur d'une lettre anonyme , qui renfermoit 
« une accusation si atroce contre les premières 
«personnes de la république? Je ne suis pas 
« moins surpris de ce que vous ne nous avez 
«point fait voir ce rapport admirable, qui se 
«trouve entre les indices, qui vous ont fait 
« soupçonner qu'il y avoit une conjuration > et 
« la lettre qui vous en découvre les chefs et les 
« complices. Est-il possible que vous ayiez pu 
« vous persuader que le sénat abandonnerait , 
« à votre fureur, nos plus illustres citoyens , sur 
« une simple lettre destituée de toute espèce de 
« preuves? 



DOMAINES. 3l9 

« Oui , pères conscripts , les tribuns s'en sont ][~ ** 
« flattés ; et la facilité avec laquelle vous venez de Rome. 
« de souffrir qu'on nous ait enlevé Geson , a 39 ' 
« fait croire , à ces magistrats séditieux , que , 
«sous un gouvernement si foible, ils pouvoient 
« tout oser. Voilà un fondement de ce fantôme 
« de conspiration dont on nous a voulu faire 
«peur; et, s'il y a quelque péril à craifidre 
« pour l'Etat , il ne peut venir que de ces flat- 
teurs du peuple qui, voulant passer pour les 
•> défenseurs de la liberté publique , en sont vé- 
« ritablement les ennemis. » 

Ce discours , prononcé , avec fermeté, par un 
consul dont tout le monde connoissoit la pé- 
nétration et la probité , étourdit les tribuns ; ils 
sortirent du sénat , couverts de confusion , et 
pleins de fureur. Le peuple les attendoit : ils se 
rendirent à l'assemblée, où ils se déchaînèrent 
également contre le consul, et contre tout le 
sénat. 

Mais C. Claudius les suivit; il monta, le 
premier, à la tribune aux harangues : anime 
de cette confiance que donne la vérité , il s ex- 
pliqua , devant le peuple , de la même manière 
qu'il venoit de faire dans le sénat; et il parla 
avec tant de force et d'éloquence que les plus 
gens de bien , parmi le peuple , demeurèrent 
convaincus que ce plan secret d'une conjura- 



320 RÉVOLUTIONS 

An tion , dont les tribuns faisoicnt tant de bruit , 
de Home, netoit qu un artifice dont ils se servoient pour 
39 ' pouvoir perdre leurs ennemis. Il n'y eut que la 
plus vile populace qui voulût toujours croire 
la réalité de cette conspiration imaginaire , qui 
servoit à repaître son animosité contre les pa- 
triciens ; et les tribuns l'entretenoient , avec soin , 
dans une erreur qui leur donnoit lieu de se 
faire valoir. 

Dans un État si rempli de troubles et d'agi- 
tations, Rome fut à la veille de passer sous 
une domination étrangère, (i) Un Sabin seul 
forma un dessein si hardi : il s appelloit Appius 
Herdonius. Ce toit un homme distingué dans 
sa nation par sa naissance, par ses richesses, 
' et par un grand nombre de cliens qui étoient 

attachés à sa fortune; d'ailleurs ambitieux-, 
hardi, entreprenant, et qui crut qu'il uétoit 
pas impossible de surprendre la ville, à la fa- 
veur des divisions qui régnoient entre le peuple 
et le sénat. U se flattoit de faire soulever les es- 
claves , d attirer à son parti tous les bannis , et 
même de faire déclarer le petit peuple en sa fa- 
veur , en le flattant de le rendre arbitre des lois 
du gouvernement. Son dessein étoit, après 
avoir surpris Rome , de s'en faire le souverain, 

(i)TitLiT.lib.IU, cap. i5. 



ROMAINES. 321 

ou de livrer la ville à la communauté des Sa- An 
bins , en cas qu'il nç pût pas , avec ses propres 4e Rom«< 
forces , se maintenir dans son usurpation. 

Il communiqua d'abord son dessein à ses 
amis particuliers : plusieurs s attachèrent à sa ', 
fortune, dans la vue de s enrichir du pillage de 
Rome. Ce fut par leur moyen qu'il rassembla 
jusqu'à quatre mille hommes , tant de ses cliens 
que .d'un grand nombre d esclaves fugitifs , de 
bannis , et d'aventuriers , auxquels il donna re* 
traite sur ses terres. U chargea ensuite quelques* 
vaisseaux plats de ces troupes , et se laissant jil- 
ler, la nuit, aji courant du Tibre, il aborda, 
ayant le jour, du côté du Capitole. Il monta, 
sans être apperçu , sur la montagne; et , à la fa- 
veur des ténèbres , il s'empara du temple de Ju- 
piter et de la forteresse qui y étoit attachée ; de 
là, il se jette dans les maisons voisines, et cou* 
pe la gorge à tous ceux qui ùe veulent pas se 
joindre à lui , pendant qu'une partie de ses sol* 
dats se retranche , et fait des coupures , le long 
de la montagne. Les Romains qui échappent à 
la première fureur du Sabin, descendent dans 
la ville , et y portent l'épouvante et la terreur. 
L'alarme se répand de tous côtés; les consuls, 
éveillés par le bruit , et qui ne redoutent pas 
moins l'ennemi domestique que l'étranger, 
ignorent si ce tumulte vient du dedans ou du 

I. 91 



323 RÉVOLUTIONS 

An dehors. Chu commence par mettre des corps dé 

<U Rome* gardes dans la place et aux portes de la ville j 

la nuit se passe dans l'inquiétude : enfin le jour 

fait connoître quel est le chef d'une entreprise 

si hardie et si surprenante. 

Herdonius (i), du haut du Capitole, arbore 
un chapeau au bout d'un javelot, comme le 
signal de la liberté , dans le dessein d engager 
les esclaves , qui étoient en très grand nombre 
dans la ville, à se rendre auprès de lui. Ses 
soldats, pour empêcher le peuple de prendre 
les armes 7 crient que leur général n'est venu 
à Rome que pour délivrer les habitans de la 
tyrannie du sénat, pour abolir les usures, et 
établir des lois qui fussent favorables au peu- 
ple. Les consuls , dès la pointe du jour, assem- 
blèrent le sénat : il fut résolu de faire prendre 
les armes au peuple. Les tribuns déclarèrent 
qu'ils ne s'y opposeraient pas, pourvu qu'ils 
sçussent quelle seroit la récompense du citoyen 
et du soldat. « Si vous nous voulez promettre 
«par serment, dirent-ils aux consuls, après 
«qu'on aura repris le Capitole, de ncynmer 
« les commissaires que nous demandons pour 
« l'établissement d un corps de lois , nous som- 
«mes prêts à marcher aux ennemis. Mais, si 

(i) TiL Iir. lib. m, cap. i5. 



«Vbtisétes toujours inflexibles, nous saurons T"" - * 
«bien empêcher le peuple d'exposer sa vie, de Rome. 
« pour maintenir un gouvernement si dur et si, 2 ^ * 
« tyrannique. ' 

Le sénat n apprit qu'avec une vive indigna* 
tion, que les tribuns missent à prix, pour ainsi 
dire, le salut de la ville et les services du peu- 
ple* On vit bien qu'ils vouloient tfe prévaloir 
de la conjoncture présente. G. Glaudius étoit 
d avis qu'on se passât plutôt du secours mer- 
cenaire du peuple , que de Tacheter à des con- 
ditions si odieuses. Il représenta que les pa- / . 
triciens seuls , avec leurs diens, suffisoient pour 
chasser l'ennemi ; que , si , dans la suite, on avoit 
besoin d'un plus grand nombre de troupes , on 
pourroit appeller les Latins et les autres alliés ; 
et que , dans une extrémité , il valoit encore 
mieux armer les esclaves , que de recevoir la 
loi des tribuns. Mais les sénateurs les plus âgés, 
et qui avoient le plus d'autorité dans la com- 
pagnie, voyant l'ennemi sur leurs têtes, et 
craignant qu'on introduisit, dans la ville, les 
Sabins , les Eques et les Volsques , furent d avis 
que , dans un péril si éminent , on ne devoit 
rien refuser au peuple , pour l'engager à pren- 
dre promptement les armes. P. Valerius , pre- 
mier consul , qui étoit de ce sentiment , se ren- 
dit sur la place , et il promit au peuple que , si 

ai. 



à 



3*4 RÊVOLUTIOKS 

An tôt qu'on auroit repris le Capitole, et 
d e Rome, le calme dans la ville , il n empêcherait point 
29 ' les tribuns de proposer la loi ; et que , pour 
lui, soit qu'il fut question de l'accepter , soit 
qu'on voulût la rejetter, il ne consulterait que 
le bien seul de ses concitoyens , et qu'il se sou- 
viendroit toujours de son nom , comme d une 
obligation héréditaire de favoriser les intérêts 
du peuple, dans toutes les choses qui ne se- 
raient pas contraires au bien commun de la 
république. Le peuple , charmé de cette espé- 
rance, prit les armes, et jura solemnellement 
de ne les point quitter que par oçdre des con- 
suls. Les Romains appelloient cette sorte d ar- 
mement du nom de Tumulte , parceque les oc- 
casions inopinées les faisoient naître : personne 
n'en étoit exempt. Le chef prononcent ordi- 
' nairement ces paroles : « Qui voudra sauver Ja 
« république me suive » . Alors ceux qui s'étoient 
assemblés, juroient tous ensemble de défendre 
la république , jusqu'à la dernière goutte de 
leur sang: ce qui s'appelloit conjuration. Quand 
le peuple , tout armé , eut fait ces sermens , les 
deux consuls, suivant l'usage, tirèrent au sort 
pour sçavoir celui qui devoit commander l'at- 
taque : cet emploi échut à Valerius , pendant 
que G. Claudius sortit de la ville , à la tête d'un 
corps de troupes , pour empêcher qu'il ne vint 



ROMAINES. 325 

du secours à Herdoniua, ou que les ennemis, A 
pour faire diversion , n'attaquassent quelque d « Rome, 
autre quartier de la ville. Mais il ne parut point * 9 * 
d'autres troupes en campagne qu'une légion 
que L. Mamilius, souverain magistrat de Tus- 
cule, conduisoit lui-même au secours des Ro- 
mains : Claudius la fit passer dans la ville. Va- 
lerius se mit à la tété des citoyens et des alliés, 
et marcha droit aux ennemis ; les Romains et 
les Tusculans combattirent avec une égale ému- 
lation : c'étoit à qui auroit la gloire d'empor- , 
ter les premiers retranchement Herdonius sou- 
tint leurs efforts avec un courage déterminé : 
il étoit d'ailleurs favorisé par la supériorité du 
poste qu'il occupoit. On se battit long-temps 
avec beaucoup de fureur, et une opiniâtreté 
égale! Le jour étoit déjà bien avancé, sans 
qu'on put encore distinguer de quel côté étoit 
l'avantage ; le consul V alerius , voulant exciter 
ses soldats, par son exemple, à faire un nou- 
vel effort , fut tué à la tête de l'attaque. P. Vo- 
lumnius , personnage consulaire, qui combat- 
toit auprès de lui ; fit couvrir son corps pour 
dérober, aux troupes, la connoissance d'une si 
grande perte. Il les jit combattre ensuite avec 
tant de courage, que les Sabins furent con- 
traints de lâcher pied ; et les Romains empor- 
tèrent leurs retranchemens , avant qu'ils se fus- 



32Ô RÉVOLUTIONS 

sent apperçus qu'ils combattaient sans général, 
de Rome. Herdonius , après avoir perdu la plupart de ses 
39 " soldats, en disputant le terrain pied à pied, se 
voyant sans ressource , et forcé par-tout , se fit 
tuer pour ne pas tomber vif entre les mains 
des Romains. Ce qui lui restoit de soldats se 
passèrent leurs épées au travers du corps : quel» 
ques uns se précipitèrent du haut de la mon- 
tagne. Ceux que les Romains purent prendre 
en vie , furent traités comme des voleurs. On 
ne punit pas moins sévèrement les transfuges 
et les bannis qui s'étoient joints à Herdonius; 
et, par cette victoire, l'ennemi étranger fut 
chassé de la ville ; mais le domestique y resta 
toujours le plus fort, et les tribuns prirent 
même occasion de cet avantage et des pro- 
messes du consul Valerius , pour renouveller 
leurs prétentions , et pour exciter de nouveaux 
troubles. 

Ces magistrats du peuple, ou pour mieux 
dire , ces chefs éternels de toutes les sédi«- 
tions, sommèrent Claudius de faire proposer 
la loi , et de satisfaire , par-là > aux mânes de 
son collègue, qui s'y étoit engagé si solemnelle* 
ment. Le consul , pour ralentir leurs poursui- 
tes et gagner du temps, eut recours à différens 
prétextes : tantôt il s excusoit de tenir rassem- 
blée , sur la nécessité de purifier le Capitole et 



ROMAINES. 3^7 

de faire des sacrifices aux dieux ; tantôt il amu- An 
soit le peuple par des jeux et des spectacles, de Rom* 
Enfin , ayant usé tous tes prétextes , et se voyant 
pressé par les tribuns , il déclara que la répu- 
blique , par la mort de Valerius , étant privée 
d'un de ses chefs, il falloit, avant que de son- 
ger à établir aucune loi , procéder à l'élection 
d'un nouveau consul : il désigna le jour que de* 
voient se tenir les comices des centuries. Le 
sénat et tout le corps des nobles et des patri- 
ciens , qui avoient un si grand intérêt de s op- 
poser à la réception de cette loi , résolurent de 
substituer à Valerius quelque consulaire dont 
le mérite imposât au peuple, et qui sçùt, en 
même temps, faire échouer la proposition des 
tribuns: ils jettèrent les yeux, dans ce dessein, 
sur L. Quintius Cincinnatus , père de Ceson , 
que le peuple venoit de bannir avec tant d'ani- 
mosité ; et ils prirent si bien leurs mesures, que, 
le jour de l'élection étant arrivé , la première 
classe , composée de dix-huit centuries de ca* 
valerie et de quatre-vingts d'infanterie, lui 
donna sa voix. Ge concours unanime de toutes 
les centuries d une classe qui surpassoit toutes 
les autres par le nombre de ses suffrages, lui 
assura cette dignité, et il fut déclaré consul , 
en son absence, et sans sa participation. Le 
peuple en fut surpris et effrayé : il vit bien qu'en 



3i8 RÉVOLUTIONS 

An lui donnant, pour souverain magistrat, un con" 
de Boom, sul irrité de l'exil de son fils , on n avoit en vue 
que d'éloigner la publication de la loi. Cepen- 
dant les députés du sénat, sans s'arrêter au 
mécontentement du peuple, furent chercher 
Quintius à la campagne , où il s'étoit retiré de- 
puis la disgrâce de son fils, et où il cultivoit, 
de ses mains , cinq ou six arpens de terre qui 
lui étoient restés des débris de sa fortune. 

Ces députés le trouvèrent conduisant lui- 
même sa charrue ; ce fut en le saluant en qua- 
lité de consul, et en lui présentant le décret 
de son élection, qu'ils lui apprirent le sujet de 
leur voyage. Ce vénérable vieillard fut embar- 
rassé sur le parti qu'il avoit à prendre; comme 
il étoit sans ambition, il préférait les douceurs 
de la vie champêtre à tout l'éclat de la dignité 
consulaire: néanmoins, l'amour de la patrie 
l'emportant sur celui de la retraite, il prit 
congé de sa femme; et lui recommandant le 
soin de leur ménage: «Je crains bien, ma 
« chère Racilia , lui dit-il , que nos champs ne 
m soient mal cultivés cette année». On le re- 
vêtit, en même temps, dune robe bordée de 
pourpre; et les licteurs, avec leurs faisceaux, 
se présentèrent pour 1 escorter et pour rece- 
voir ses ordres. C'est ainsi que son mérite et 
les besoins de l'État le ramenèrent dans Rome # * 



ROMAINES. 3ag 

où il n'étoit point rentré depuis la disgrâce de An 
son fils. Il n'eut pas plutôt pris possession du «le Rome. 
consulat qu'il se fit rendre compte de tout ce * 9 ' 
qui s'étoit passé dans l'invasion d'Herdonius. 
Prenant , de là, occasion de convoquer rassem- 
blée du peuple , il monta à la tribune aux ha- 
rangues ; et , sans se déclarer pour le sénat ni 
pour le peuple, il les réprimanda, l'un çt l'au- 
tre, avec une égale sévérité. 11 reprocha au 
sénat , que , par cette facilité continuelle à se 
relâcher toujours sur toutes les prétentions des 
tribuns , il avoit entretenu l'insolence et la ré- 
bellion du peuple. 11 dit qu'on ne trouvoit plus, 
dans les sénateurs , cet amour de la patrie, et 
ce désir de la gloire qui sembloient être na- 
turels à leur Ordre; qu'une timide politique 
avoit pria la place de l'autorité légitime , et de 
la fermeté qui étoit si nécessaire dans le gou- 
vernement. Il ajouta, qu'il régnoit dans Rome 
une licence effrénée; que la subordination et 
l'obéissance sembloient en être bannies ; qu'on 
venoit de voir, à la honte du nom Romain , 
des séditieux mettre à prix le salut de leur 
ville, tout près de reconnottre Herdonius pour 
leur souverain, si on refusoit de changer la 
forme du gouvernement. «Voilà le fruit, s'é- 
« cria-t-il , de ces harangues continuelles dont 
«le peuple se laisse enivrer; mais je saurai 



33o RÉVOLUTIONS 

J^~ « bien l'arracher à «es séducteurs , qui régnent 
de Rome. « aujourd'hui, dans Rome, arec plus d orgueil 
39 ' m et de tyrannie que n'ont jamais fait les Tar- 
it quins. Sqachez donc, peuple Romain, que 
« noua avons résolu % mon collègue et moi , de 
«porter la guerre chez les Eques et chez les 
«Volsques. Nous vous déclarons même que 
«nous hivernerons en campagne, sans ren- 
« trer, pendant tout notre consulat , dans une 
«ville remplie de séditieux. Nous comman- 
« dons à tous ceux qui ont prêté le serment 
« militaire , de se trouver demain , avec leurs 
« armes , au lac Régille. Ce sera là le ^rendez- 
« vous de toute l'armée. » 

Les tribuns lui répartirent, d'un air mo- 
queur, qu'il couroit risque d'aller à la guerre 
seul avec son collègue, et qu'ils ne souffri- 
roient point qu il se fît aucune levée. .« Nous ne 
« manquerons point de soldats, répondit Quin- 
« tius ; et nous avons encore sous nos ordres 
« tous ceux qui, à la vue du Capitule, ont pris 
«les armes, et juré solemnellement de ne les 
u quitter que par la permission des consuls. Si, 
«par vos conseils, ils refusent de nous obéir, 
«les dieux, vengeurs du parjure, sauront bien 
« les punir de leur désertion. » 

Les tribuns, qui vouloicnt échapper à un 
, engagement si positif, s écrièrent que ce ser- 



Domaines. 33i 

ment ne regardoit que la personne seule de An 
Valerius , et qu'il étoit enseveli dans son tom- d « Rom», 
beau ; mais le peuple plus simple , et qui igno- 
rent encore cet art pernicieux d'interpréter les 
lois de la religion à son avantage , rejetta une 
distinction si frivole : chacun se disposa à pren- 
dre les armes, quoique avec chagrin. Ce qui 
augmentait encore la répugnance, c'est qu'il 
se toit répandu un bruit : que les consuls avoient 
donné des ordres secrets aux Augures de se 
trouver, de grand matin, au bord du lac. On 
soupçonnoit qu'ils y vouloient tenir une as- 
semblée générale , et qu'on pourrait bien y cas* 
ser tout ce qui avoit été fait , dans les précé- 
dentes, en faveur du peuple, sans qu'il pût 
alors se prévaloir du secours et de l'opposition 
de ses tribuns , dont l'autorité et les fonctions 
se bornoient à un mille de Rome ; en sorte que, 
s'ils se fussent trouvés dans cette assemblée, ils 
n'y auroient pas eu plus de considération que 
de simples plébéiens , et qu'ils, auroient été éga- 
lement soumis à l'autorité des consuls. 

Quintius, pour tenir le peuple en respect, 
publioit encore exprès qu'à son retour, il ne 
cônvoqueroit point d'assemblée pour élire de 
nouveaux consuls, et qu'il étoit résolu de nom- 
mer un dictateur, afin que les séditieux ap- ' 
prissent, par leur châtiment, que toutes les 



i 
« 



33l BÉVOLUTIOrfS 

^ harangues des tribuns ne seroient pas capa- 
de Rome, blés de les mettre à couvert de la puissance et 
des jugemens , sans appel , du souverain magis- 
trat. 

Le peuple , qui jusques alors navoit fait la 
guerre que contre des ennemis voisins de Rome, 
accoutumé à revenir, dans sa maison , à la fin 
de chaque campagne , fut consterné d'un des- 
sein qui 1 exposoit à passer l'hiver sous des ten- 
tes. Les tribuns netoient pas moins alarmés 
par la crainte dune assemblée hors de Rome , 
où il se pouvoit prendre des résolutions con- 
traires à leurs intérêts. Les uns et les autres, 
intimidés par la fermeté des consuls, eurent 
recours au sénat : les femmes et les enfans , 
tout en larmes, conjurèrent les principaux sé- 
nateurs d adoucir Quintius , et d obtenir de ce 
sévère magistrat que leurs maris et leurs pères 
pussent revenir chez eux, à la fin de la cam- 
pagne. L'affaire fut mise dans une espèce de 
négociation ; c etoit le point où le consul , par 
cette sévérité affectée , mais nécessaire , ' avoit 
voulu amener les tribuns. Il se fit comme un 
traité provisionnel entre eux : Quintius promit 
de ne point armer , et de ne point faire hiver- 
ner les troupes en campagne , s il n'y étoit forcé 
par quelques nouvelles incursions des enne- 
mis ; et les tribuns , de leur côté , s engagèrent à 



ROMAINES. 333 

ne point faire , au peuple , aucune proposition An 
touchant rétablissement des lois nouvelles. *• Rome. 

Quintius , au lieu de faire la guerre , eyi- * 9 ' 
ploya tout le temps de son consulat à rendre 
justice aux particuliers. Il écoutoit tout le 
monde avec bonté; il examinoit, avec atten- 
tion, le droit des parties, et rendoit ensuite 
des jugemens si équitables, que le peuple, 
charmé de la douceur de son gouvernement , 
sembloit avoir oublié qu'il y eût des tribuns 
dans la république. 

Malgré une conduite si pleine de modéra- 
tion et d'équité, Virginius, Volscius, et les 
autres tribuns, employoient tous leurs soins 
pour se faire perpétuer dans le tribunat , sous 
prétexte que le peuple avoit besoin de leur zèle 
et de leur capacité pour faire recevoir la pro- 
position de Terentillus. Le sénat, qui prévoyoit 
les abus qui pouvoient s ensuivre de cette ma- 
gistrature perpétuelle , fit une ordonnance qui 
défendoit qu'aucun citoyen concourût , dans 
les élections , deux ans de suite , pour la même 
charge. ' Mais , malgré une constitution si né- 
cessaire pour la conservation de la liberté , ces 
tribuns accoutumés à la douceur du comman- 
dement, firent tant de brigues, qu'on les con- 
tinua dans le même emploi , pour la troisième 
fois. Le sénat, qui croyoit avoir tout à crain- a?4. 



334 RÉVOLUTIONS 

r An dre de ces esprits séditieux , sans avoir égard 
die Rome, au décret qu'il venoit de rendre , vouloit , de 
J9 ' son côté, continuer aussi Qui n dus dans le con- 
sulat; (i) mais ce grand homme s'y opposa 
hautement; il représenta, avec beaucoup de 
gravité, aux sénateurs, le tort qu'ils sefaisoient 
de vouloir violer , eux - mêmes , leurs propres 
ordonnances;' que rien ne marquok davantage 
la foiblesse du gouvernement que cette multi*- 
i tude de lois nouvelles qu'on proposoit tous les 
jours y et qu on n observoit pas ; que ce toit par 
une conduite si inconstante qu'ils s 'attiraient 
justement le mépris de la multitude. Le sénat, 
également touché de la sagesse et de la mo- 
dération de Quintius , revint à son avis. On 
procéda à l'élection ; Q. Fabius Vibulanus , et 
L. Cornélius Maluginensis, furent nommés con- 
suls pour l'année suivante. À peine Quintius 
fut-il sorti de charge, qu'il retourna à sa cam- 
pagne , pour y reprendre ses travaux et ses oc- 
cupations ordinaires. 

Après son départ (2) , les amis de sa maison, 

et entre autres, A. Cornélius et Q. Servilius, 

questeurs cette année, indignés de l'exil ih- 

' juste de Ceson , citèrent en jugement M. Vols- 

(1) Tal. Max. 1. IV, cap. 1, art. 4« — C*)Tit. Liv. Dec. 1, 
lib. IH, cap- 24* 



DOMAINES. 335 

dus son accusateur, Fauteur et le ministre An 
d'une si cruelle persécution : ces deux ques- <*« Boi «e. 
teurs , par le pouvoir attaché à leurs charges , 
convoquèrent l'assemblée du peuple ; ils pro- 
duisirent différens témoins , dont les uns dépo- 
taient avoir vu Geson , à l'armée, le jour même 
que Volscius prétendoit qu'il avoit tué son 
frère dans Rome ; d'autres rapportoient que ce 
frère de Volscius étoit mort d une maladie de 
langueur qui avoit duré quelques mois , et qu'il 
n étoit point sorti de sa maison , depuis qu'il 
étoit tombé malade. Ces faits et beaucoup 
d'autres étoient attestés par un si grand nom- 
bre de gens de bien, qu'on ne pouvoit plus 
douter de la malice et de la calomnie de Vols* 
dus ; mais les tribuns , collègues et complices 
de Volscius, arrêtèrent ces poursuites, sous 
prétexte qu'ils ne vouloient pas souffrir qu'on 
prit les voix sur aucune affaire , avant que le 
peuple eût donné ses suffrages, au sujet des 
lois proposées. Le sénat se servit, à son tour, 
du même prétexte; et, sitôt qu'on parloit des 
cinq commissaires que les tribune demandoient, 
il faisoit revivre l'affaire de Volscius. Le consul- 
ta* de Fabius et de Cornélius se passa daqs ces 
oppositions réciproques. 

La guerre se ralluma sous celui de G. Nau- 395. 
tiusetde L« Minutius, leurs successeurs. Les 



■336 / RÉVOLUTIONS 

■ Sabins et les Eques renouvelleront leurs irrup* 

de Rome, tions. (1) Nautius marcha contre les Sabins, les 

39 ' battit, et entra sur leur territoire, où il mit 
tout à feu et à sang. Minutius n eut pas un si 
heureux succès contre les Eques : ce général 
timide , et qui songeoit moins à vaincre qu à 
n'être pas vaincu, se laissa pousser, par les en- 
nemis, dans des défilés, où il avoit à dos, à 
droite , et à gauche , des montagnes qui cou- 
vraient à la vérité son camp , mais aussi qui 
l'empêchoient d'en sortir. Ces lieux escarpés 
n avoient qu'une û»sue; les Eques prévinrent les 
Romains et s'en emparèrent. Ils s'y fortifièrent 
ensuite, de manière qu'ils ne pouvoient être 
forcés à combattre ; ils tiroient facilement leurs 
vivres et les fourrages par leurs derrières, pen- 
dant que l'armée Romaine , enfermée dans les 
détroits de ces montagnes, manquoit de tout. 
Quelques cavaliers, qui, à la faveur des té- 
nèbres, traversèrent le camp ennemi, en por- 
tèrent la nouvelle à Rome; ils dirent que l'ar- 
mée , investie de tous côtés, et comme assiégée, 
seroit obligée, faute de vivres, de mettre les 
armes bas, si on ne lui donnoit un prompt se- 
cours. Quintius Fabius , gouverneur dé la ville, 
dépêcha aussitôt un courrier à l'autre consul , 

(1) Tit. Ut. lib. m, cap. 26. 



ROMAINES. ' 33j- 

pouï lui apprendre l'extrémité où se trouvoit An 
son collègue» Nautius, ayant- laissé son armée d* Rome. 
sous les ordres de ses lieutenans , partit secret* Qy ' 
tement, et se rendit, en diligence, à Rome. Il 
y arriva la nuit; et , après avoir conféré, sur-le- 
champ , avec les principaux du sénat, on con- 
vint qu'il falloit, dans cette occasion, avoir 
recours au remède dont on se servoit dans les 
plus grandes calamités , c est-à-dire , à l'élec- 
tion d'un dictateur. Le consul, selon le droit 395. 
attaché au consulat, nomma L. Quintius Gin- 
cinnatus, et il s'en retourna aussitôt, avec la 
même diligence , se remettre à la tête de son 
armée. Le gouverneur de Rome envoya, à 
Quintius, le décret du consul: on trouva ce 
grandi homme , comme la première fois , culti- 
vant , de ses propres mains , son petit héritage; 
Les députés, en lui annonçant sa nouvelle di- 
gnité, lui présentèrent vingt-quatre licteurs ar- 
més de haches d'armes , entrelacées dans leurs 
faisceaux: espèce de gardes des anciens rois de 
Rome, dont les consuls avoient retenu une 
partie , mais qui ne portoient des haches d'ar- 
mes , dans la ville , que devant le seul dicta- 
teur. Le sénat , ayant appris que Quintius ap- 
prochoit , lui envoya un bateau dans lequel il 
passa le Tibre; ses trois enfans, ses amis, et 
les premiers du sénat , furent le recevoir, à la 

1. aa 



#* 



338 RÉVOLUTIONS 

""* sortie du bateau , et le conduisirent jusqu'à sa 
de Bome. maison, (i) Le dictateur nomma, le tende* 
^' main, pour général de la cavalerie, L. Tar- 
quitius, patricien dune rare râleur, mais qui, 
pour n'avoir pas eu le moyen d'acheter et de 
nourrir un cheval, n'avoit encore servi que 
dans l'infanterie. Ainsi, toute l'espérance de la 
république se trouvoit renfermée dans un vieil- 
lard qu'on venoit de tirer de la charrue, et 
dans un fantassin , à qui on eonfioit le com- 
mandement général de la cavalerie. 

Mais ces hommes , qui se faisoient honneur 
de la pauvreté, n'en montraient pas moins de 
hauteur et de courage dans le commandement. 
Le dictateur fit fermer le» boutiques, et or- 
donna à tous les habitans qui étoient encore 
en âge de porter les armes , de se rendre , avant 
le coucher du soleil , dans le champ de Mars , 
chacun avec douze pieux et des vivras pour 
cinq jours. Il se mit ensuite à la tètt de ces 
troupes, et arriva, avant le jour, assec près du 
camp ennemi, (2) Il alla le reconnottre lui-mê- 
me , autant que les ténèbres le pouvoient per- 
mettre. Ses soldats , par son ordre, poussèrent 
de grands cris , pour avertir le consul de l'ar- 
rivée du secours; ils se retranchèrent et forti- 

(1) TU» Iiv. fcb. IU, cap. srç. — (1) Idem, ibtd. c. s& 



ÉOMAÎNêS. 339 

fièrent ces retranchemens par une palissade 
faite des pieux qu'ils at oient apportés de Rom d« Rome, 
me; et ees tetranchemens servoient, eu même a9 *' 
temps, à enfermer le camp ednemi. Le gé- 
néral des Eques, appelle Graochus Duillius* 
entreprit, malgré les ténèbres, dihtCrrcrnipre 
ce travail. Ses troupes s'avancèrent f xûAis avec 
cette crainte et cette inquiétude que causent 
toujours la surprise et là nuit. Qtiintius, qui 
àvoit prévu cette attaque* lui opposa une par* 
tie de son armée, pendant que l'autre continuoii 
à *e retrancher. Le bruit des aune», et les cris 
des combattant, rendirent le eewaul encore » 

plus certain du sècoUrS : il attaqua ; de éoH cô- 
té , le camp des Eques , Moins de* n* l'espérance 
de Fefciporte*, que pour faite diversion. Cette 
lecoùde attaque attira , de ce côté-là , une par- 
tie des Eques , et donna le temps au dictateur 
d'achever ses retraûchemens : en sorte que lés 
eanefeis, au point du jour, se virent, à leur 
tout, assiégés par deux armée*. Le combat se 
tetiouvella avec lé retour dé la hrarîèrè. Le 
dictateur et le Consul attaquèrent alors, artfSè 
toutes leurs forcés , lé camp ennertft. Quintms 
trouva l'endroit de Son: attaque moins fortifié, 
parceque le général des Eques n'avoit pas cru 
tffoir à se défendre, de Ce côté-là. Il ne fit 
qu'une foible résistance; et, comme il cran 



22. 



34<* RÉVOLUTIONS 

gnoit d'être emporte 1 epée à la main, il eut 
d* Rome recours à la négociation. Il envoya des députés 
39 ' au consul , qui , sans les entendre , les renvoya 
au dictateur. Ces députés , s étant présentés à 
lui, malgré la chaleur de Faction, le conjurè- 
rent d arrêter l'impétuosité de ses soldats, et 
de ne pas mettre sa gloire à faire périr pres- 
que toute une nation ; et ils offrirent d aban- 
donner leur camp, et de se retirer sans ba- 
gage, sans habits, et sans armes. (1) Quintius 
leur répondit, avec fierté, qu'il ne les estimoit 
pas assez pour croire que leur mort fut de quel- 
* que conséquence à la république; qu'il leur 

laissoit volontiers la vie ; mais quil vouloit que 
leur général et les principaux officiers restas- 
sent prisonniers de guerre, et que tous les sol- 
dats passassent sous le joug, sinon quil alloit 
les faire tailler tous en pièces. Les Eques, en- 
vironnés de toutes parts , se soumirent à tou- 
tes les conditions qu il plut à un ennemi vic- 
torieux de leur imposer. On ficha deux javeli- 
nes en terre; et une troisième fut attachée, en 
travers , sur la pointe des deux premières ; tous 
les Eques , nuds et désarmés , passèrent sous le 
portique militaire : espèce d'infamie que les vie- 

(1) Tit. Liv. Dec. i, 1. III, c. 28. — Val. Max. lib. U, 
cap. 7, art. 7. 



•' ROMAINES. 34î 

torieux imposoient à des vaincus qui ne pou- An 

voient ni combattre, ni se retirer. On livra, de Rome. 

295. 
en même temps , aux Romains , le général et 

les officiers , qui furent réservés pour servir au 

triomphe du dictateur. 

Quintius abandonna le pillage du camp en- 
nemi à l'armée, qu'il a voit amenée de Rome, (1) 
sans en rien retenir pour lui , et sans vouloir 
souffrir que les troupes du consul , qu'il venoit 
de dégager, y prissent part. « Soldats, leur dit- 
« il, avec sévérité, vous qui avez été à la veille 
« de devenir la proie de nos ennemis, vous ne ' 

« partagerez point leurs dépouilles. » Puis , se 
tournant vers le consul : « Et vous, Minutius, 
«ajouta-t-il, vous ne commanderez plus en 
« chef à ces légions , jusqu'à ce que vous ayez 
« fait paroltre plus de courage et de capacité.» 
Ce châtiment militaire ne diminua rien du res- 
pect et de la reconnoissancé de ces troupes pour 
leur libérateur ; et le consul et ses soldats lui 
décernèrent une couronne d or, du poids d'une 
livre , comme à celui qui avoit sauvé la vie et 
l'honneur à ses concitoyens. 

Le sénat , ayant reçu les nouvelles de la vic- 
toire que le dictateur venoit de remporter , et 
du partage judicieux qu'il avoit fait des dépouil- 

(1) Tit. Liv. lib. III, cap. 39. 



344 RÉVOLUTIONS 

" courses jusqu'aux portes de Rome. Le sénat or- 

de home, donna aussitôt que les deux consuls marche- 
39 ' roient incessamment contre les ennemis. La 
conduite de l'armée , destinée contre les Eques , 
échut, par le sort, à Horatius; et Minutius fut 
chargé du commandement de celle qu on de- 
voit opposer aux Sabins. Mais, quand il fut ques- 
tion de faire prendre les armes au peuple , les 
tribuns s'y opposèrent, et ils protestèrent, à 
leur ordinaire, qu'ils ne soufFriroient point 
qu aucun plébéien donnât son nom pour aller 
à la guerre, qu'on n'eut procédé auparavant à 
1 élection des commissaires. Les consuls , qui 
voy oient, avec douleur, les ennemis ravager im- 
punément le territoire de Rome , convoquèrent 
le sénat pour tacher de faire le^r ces opposi- 
tions. Quintius , qui étoit révenu de sa campa- 
gne, représenta, avec sa fermeté ordinaire, 
qu au lieu de perdre le temps à disputer contre 
les tribuns, il falloit marcher incessamment aux 
ennemis; que si le peuple, toujours séduit par 
ses tribuns, persistoit dans sa désobéissance , il 
.étoit d'avis que le sénat entier, les patriciens, 
avec leurs amis et leurs cliens , prissent les ar- 
mes ; que , malgré les tribuns , ils seroient sui- 
vis de tous les gens de bien qui aire oient sin- 
cèrement leur patrie; qu'il étoit près, quoique 
accablé d années, d'en donner le premier l'exem- 



* 



IlOMAINES. 345 

pie; et qu'ils trouveroient , dans le combat, 
ou une , victoire glorieuse , ou une mort hono- <u Rom», 
rable. '*' 

. Tout le sénat applaudit à un sentiment si 
généreux. Ces vénérables vieillards coururent, 
dans leurs maisons, prendre les armes; et, sui- 
vis de leurs enfans, de leurs cliens, et de leurs 
domestiques , ils se rendirent sur la place où 
le consul C. Horatius avoit convoqué rassem- 
blée. Le peuple y étoit accouru, et paroissoit 
touché d'un spectacle si nouveau. Le consul lui 
représenta que tant d'illustres personnages ai- 
moient mieux s'exposer à une mort presque 
certaine, que de souffrir plus long-temps les 
ennemis aux portes de Rome, et qu'il exhor- 
tait tois les bons citoyens de se joindre & eux, 
pour venger la gloire du nom Romain. Mais 
Virginius, qui, depuis cinq ans, s'étoit fait 
continuer dans le tribunat , crioit , avec beau- 
coup de véhémence , qu'il ne souffrirait point 
que le peuple prit les armes , qu'on n'eût au- 
paravant terminé l'affaire qui concernoit les 
lois. Le consul , se tournant vers ce tribun, avec 
un visage rempli d'indignation : « II faut con- 
« venir, lui dit -il, que vous faites une action 
« bien héroïque , et digne de votre conduite or- 
m dinaire , d'entretenir éternellement la division 
« entre le peuple et le sénat ; mais ne croyez 



346 RÉVOLUTIONS 

Am « pas que vos cris et vos oppositions nous (à*- 
de Rome. « sent abandonner la république , fondée sur de 
' «si heureux auspices. Sçachez, Virginius, et 

« vous autres tribuns , que ces illustres vieil- 
li lards, que vous voyez courbés parle nombre 
« des années, plutôt que sous le poids de leurs 
« armes , vont combattre généreusement con- 
« tre les ennemis du nom Romain , pendant que 
«vous autres, intrépides défenseurs des droits 
« du peuple, vous demeurer» cachés derrière 
« nos murailles, et que , comme des femmes ti- 
u mides , vous attendrez, avec inquiétude , l'évè» 
« nement de la guerre ; si ce n est peut-être que 

• vous vous flattiez , après que le sort journa- 
« lier des armes vous aura défait du sénat et de 

• la noblesse Romaine , que les ennemfc victo- 
« rieux, pour récompense de votre lâcheté, vous 

• laisseront jouir paisiblement de la tyrannie que 
» vous avez usurpée, et qu'ils ne voudront point 
«• détruire Rome, quoiqu'ils y trouvent partout 

• des mon u mens et des trophées de leurs an* 
« ciennes défaites. 

« Mais quand même, à votre considération , 

• ils l'épargneraient , sçachez que nos femmes 
« et nos enfans , après avoir perdu leurs pères , 
« leurs maris, et tout ce qu'elles avoient de plus 

• cher , auront assez de courage pour ne vou- 
« loir pas nous survivre ; qu'elles sont bien ré- 



BOMAIKBS. 347 

a solues de mettre le feu par-tout , et de s'ense- ^ 
« veJir, elles-mêmes, sous les raines de leur pa- *• *•»•• 
«trie. Tel est, Romains, ajouta le consul, le 
« triste avenir que nous annoncent vos perpé- 
« tuelles dissensions, » 

Le peuple s'attendrit à un discours si tou- 
chant; tout le monde versoit des larmes. Le 
consul les voyant émus , et se laissant empor- 
ter lui-même à sa douleur : » N avez-vous point 
«de honte, ajouta-t-il, de voir ces illustres ' 
« vieillards , ces sénateurs que vous appeliez vos 
« pères , se dévouer généreusement à une mort 
» certaine pour un peuple rebelle et insolent? 
«Méritez-vous le nom de Romains; et ne de- 
« vriez-vous pas vous cacher , infidèles que vous 
« êtes à votre patrie , déserteurs de ses armées , 
« et plus ennemis de vos généraux que les Eques 
« et que les Sabins? » 

Virgïnius , s appercevant que le discours du 
consul faisait impression sur la multitude , crut 
devoir 9 accommoder au temps ; et prenant des 
manières plus radoucies : « Nous ne voiîs aban- 
* donnerons jamais, pères con scripts, dit-il, et 
« nous ne sommes pas capables de trahir les 
« intérêts de notre patrie. Nous voulons vivre 
« £t mourir avec vous : ta mort ne nous peut 
« être que douce en combattant , sbus de si di- » 
« gnes chefs, pour la défense commune de no- 



348 RÉVOLUTIONS 

« tre patrie. Il est vrai que, citoyens du même 

d« Rome. " Etat , ayant tous contribué également , et au 

a ^' « prix de notre sang, à établir la liberté, nous 

m avons demandé des lois supérieures à l'auto- 

« rite du sénat , et qui en prescrivissent l'éten- 

« due 'et les bornes. N'est-ce pas la constitution 

« essentielle de tout Etat républicain, que per- 

« sonne n'y soit sujet que de la loi, et que la loi 

« soit plus puissante que les magistrats? Cepen- 

„<< dant si vous persistez à vouloir retenir les an- 

« ciennes coutumes, je consens, en mon par- 

« ticulier , de ne vous en plus parler ; je lèverai 

« même mon opposition , et je suis près dex- 

« horter le peuple à prendre les armes et à vous 

« suivre, pourvu que vous lui accordiez une 

« grâce qui lui sera utile, sans être préjudicia- 

» ble à votre autorité. » 

Le consul lui répondit que, si sa demande 
étoit juste , le peuple trouverait toujours le sé- 
nat disposé à le favoriser, et qu'il pouvoit ex- 
pliquer , avec confiance , ses intentions. Virgi- 
nius , ayant conféré , un moment , avec ses col- 
lègues,* répartit qu'il souhaitoit de pouvoir s'ex- 
pliquer dans le sénat. Les consuls s'y rendirent 
aussitôt. Yirginius les suivit : il portoit, avec 
lui, le décret original qui avoit été fait pour 
« la création des tribuns. Ayant été admis dans 
rassemblée , il en fit la lecture avec la permis- 



ROMAINE^ 34^ 

sion des cœsuls, et rajouta : « Tout ce que le a» 
« peuple vous demande par ma bouche, pères 6 2g 6 lne * 
« conscripts ^ c'est qu'il vous.plaise joindre cinq 
« tribuns aux premiers qui ont été, établis sur le 
« Mont Sacré ; en sorte que , désormais , les cinq 
«premières classes aient, chacune, deux tri- 
« buns »-. Virginius se retira ensuite pour laisser 
délibérer lesénat sur sa proposition . Caïus Glau- 
dius s'opposa hautement à cette nouvelle de- 
mande. Il représenta, à l'assemblée, qu'en ajou- 
tant cinq tribuns aux cinq anciens,, c'étoit mul- 
tiplier le nombre de ses ennemis ; qu'on alloit 
insensiblement former un second sénat, .qui 
n'auroit pour objet que de ruiner l'autorité du 
premier. Mais Quintius envisagea cette affaire 
par un autre côté : il soutint , . au contraire , 
qu'en multipliant le nombre des tribuns, il seroit 
plus aisé d'introduire, parmi eux, la division; 
qu'il s'en trouveront toujours quelqu'un moins 
séditieux, qui, par considératipn pour le sénat r 
et peut-être par des sentimens de jalousie, s'op- 
poser oit aux entreprises des autres : ce qui suf- 
fisoit pour en éluder l'effet; qu'on devoit se te-, 
nir bien heureux qu'ils renonçassent, à ce prix, 
aux lois nouvelles qu'ils demandoient avec tant 
d'instance ; et que personne n ignoroit qu'en 
matière de gouvernement, tout changement 
dans les lois ébranloit un Etat jusques dai*s ses 



35* REVOLUTIONS 

Aa fondement. L 'avis de ce grand homme passa à 
de Rota* la pluralité dès voix. On fit rentrer Virginius : 
le premier consul lui déclara que le sénat lui 
ftcoordoit sa demande. Il sçut lui faire valoir 
cette nouvelle grâce en des termes convena- 
bles à la dignité du corps dont il étoit le* chef? 
et le sénat et le peuple , réunis dans un mê- 
me sentiment, concoururent également, quoi- 
que par des vues opposées* à l'augmentation 
du nombre des tribuns. 
3 97- Lie sénat ne fut pas long-temps sans éprtftf- 
ter que là cttmplaisatarce qu'il avait eue pou? 
les dernières demandes du peuple, ne servait 
qu'à faire naître dé nouvelles prétentions. Eu 
effet les tribuns , devenus encore plue auda- 
cieux par teiït nothhre, proposèrent qu o& âb&&* 
donnât 4 eu peuple, le Mont Àventift, ou du 
Inoins la partie de cette montagne qui n'étoif 
point oècupée par des patriciens, (i) L. Iciliua, 
chef du collège dee tribuns , représente que le 
fonds de cette montagne appartenait à la *épu«< 
bliquej que quelques patriciens en a voient, à 
là Vérité, acheté des cantons, mais que d'au- 
tres s'étoient emparés, par une pu*e usurpa-* 
tion, des endroits qu'ils occupoteàt; que ce qui 
festoit de ce terrain étafct inctflte et inhabité , 

(i) Dionys. Htfticarm h X, p. ©57. 



DOMAINES, 35 1 

H demandoit qu'on le donnât gratuitement au Ad 
peuple, qui, devenant plus nombreux, de jour *• Rome * 
en jour, ne trouvoit plus où se loger. Il propo- 
aoit, en même temps, que Ton confirmât, aux 
patriciens , la possession des endroits dont ils 
justifieraient l'acquisition , et qu'on en exclût 
ceux de cet Ordre qui y, auraient bâti sans ti- 
tres valables, en leur rendant le prix des mai- 
sons qu'ils y auroient fait construire. 

Il n y avoit rien, en apparence , que de juste 
dans cette proposition. C'étoit d'ailleurs un pe- 
tit objet : mais M. Valerius et Sp. Virginius , 
les consuls de cette année , craignant que , de 
ce partage du Mont Aventin, le peuple ne s'en 
lit un droit pour renouveller ses anciennes pré- 
tentions au sujet des terres de conquêtes , dif- 
férèrent de convoquer le sénat , pour laisser 
tomber insensiblement cette nouvelle proposi- 
tion. Icilius, «étant apperçu de cette affecta* 
tioû des consuls à éloigner toute convocation 
du sénat, par une entreprise qui n'avoit point 
d'exemple, leur envoya un appariteur pour 
leur commander , de sa part , de convoquer s»f* 
lt*champ le sénat, et de rfy rendre eux~mâmei 
•ans retardement. 

Les consul?, justement indignés de l'audace 
du tribun , et du manque de respect de lappa* 
riteur , firent chasser honteusement ce porteuf 



352 RÉVOLUTIONS 

An de message, qui essuya même, par leur ordre, 
de Rome, quelques coups de bâton que lui donna un 
des licteurs des consuls. C'en fut assez pour ex- 
citer les harangues séditieuses du tribun , qui 
ne demandoit qu un prétexte pour pouvoir se 
. déchaîner contre le sénat. H représenta au peu- 
ple, que , dans la personne de son appariteur , 
on avoit violé les droits sacrés du tribunat; il 
fit arrêter le licteur des consuls , et vouloit le 
faire mourir comme uh sacrilège < et comme 
un homme dévoué aux dieux infernaux. Les 
consuls, quoique les premiers magistrats de la 
république , ne purent l'arracher des mains de 
ceux qui étoient ses juges et ses parties. 

Le sénat tâcha de gagner quelqu'un des tri- 
buns qui pût s'opposer à cette fureur d un de 
ses collègues. Mais Icilius avoit pris les de- 
vants , et il avoit représenté si vivement à fout 
le collège des tribuns que la puissance et la 
force de leur charge consistait dans leur union, 
qu ils étoient convenus qu'aucun ne formerôit 
d'opposition à ce qui auroit été arrêté, entre 
eux , à la pluralité des voix. Ainsi le malheu- 
reux licteur se voyok à la veille de périr , pour 
avoir obéi trop ponctuellement aux ordres des 
consuls. Il fallut, pour le sauver, que le sénat 
entrât en composition, avec les tribuns. Le lic- 
teur fut, à la vérité , mis en liberté ; mais il fallut 



iiOMAiNES* 353 

céder le Mont Aventin au peuple , par un se- . Atï 
natus-consulte : et ce qui fit une brèche consi- dc ll <>«»«. 
dérable à l'autorité des consuls , c'est que les 
tribuns, à l'exemple d'Ici! ius, se maintinrent 
dans la possession de convoquer le sénat, eux 
qui, dans leur institution, n'osoient entrer dans 
un lieu si respectable , s'ils n'y étoient appel- 
les, et qui attend oient, sous un portique, les 
ordres de la compagnie , comme de simples of- 
ficiers. 

Us n'en demeurèrent pas là; et Icilius, le 
plus hardi et le plus entreprenant des tribuns , 
ayant été continué dans cette magistrature 
pour l'année suivante, fit dessein d'assujettir 
les consuls mêmes sous son empire , et d'obli- 
ger ces premiers magistrats de la république, 
quoique revêtus de la souveraine puissance, 
de subir le jugement de l'assemblée du peuple. 

T. Bomilius et C. Veturius, qui étoient con- 29 z. 
suis cette année, ayant reconnu que l'intérieur 
de l'État n'étoit jamais plus tranquille que 
quand on portoit ses armes au-dehors, résolu- 
rent de faire la guerre aux Eques et aux Sa- 
bins, pour se venger de leurs brigandages et 
de leurs irruptions continuelles. Il étoit ques- 
tion de lever des troupes , et de faire sortir les 
légions de Rome. Les consuls , mais Romilius 
sur-tout, magistrat naturellement fier et sé- 

1 2* 



* « 









• • 



• I 



354 RÉVOLUTIONS 

J^~ vère, levèrent ces trottpes, et procédèrent à 
de Rome. l'enrôlement des plébéiens avec une rigueur 
peu convenable à la disposition présente des 
esprits. Us n'âdméttoient aucune excuse , et ils 
condattmoient à de grosses amendes , ceux qui 
ne se présentoient pas aussitôt qu'ils étoient 
appelles, ftomilius en fit même arrêter plu- 
sieurs , qui , sous diflerens prétextes , vouloient 
$e dispenser de marcher, cette année, en cam- 
pagne. Les tribuns ne manquèrent pas de pren- 
dre leur défense, et ils tentèrent d'enlever ces 
prisonniers des mains des licteurs. Les consuls 
^'avancèrent pour soutenir l'exécfution de leur 
ordonnance : les tribuns , irrités de leur oppo- 
sition, ^t soutenus de la populace eta furie, fu- 
ren tassez hardis pour vouloir arrêter les consuls 
nrême, et pour commander, aux édiles, de les 
conduire datas les prisons publiques. Cet at- 
tentat contre les souverains magistrats de la 
république, augmente le tumulte ; lespatriciens, 
indignés de l'audace et de l'insolence de ces 
tribuns, se jettent dans la foule, frappent in- 
difféteftiàient tout ce qui leur ïaït résistance , 
dissipent rassemblée, et obligent les tribuns > 
après avoir îété bien battus , à s enfuir comme 
les autres. Ceux-ci , confus et irrités du mau- 
vais succès de leurs entreprises, convoquèrent 
4 asâemfblëe pont le jour suivant, et ils eurent 



UOMAlNES. 355 

*oin d y Faire venir la plupart des plébéiens de 
la campagne. L'assemblée fut nombreuse; les de Rome. 
tribuns se voyant les plus forts, firent citer les 29 ' 
deux consuls , comme ils auraient pu faire de 
simples particuliers; et l'appariteur les somma 
de venir rendre compte , devant rassemblée du 
peuple , de ce qui s'étoit passé dans la place , le 
jour précédent; les consuls rejettèrent la cita- 
tion avec mépris : pour lors les tribuns, qui 
se 'flattaient que le sénat les obligeront, comme 
Coriolan et Ceson , à reconnoître l'autorité de 
l'assemblée du peuple 1 , et à se soumettre à son 
jugement, se rendirent au palais. Après avoir 
été introduits dans le sénat, ils demandèrent 
justice de la violence qu ils prétendoient que 
les consuls leur avoient faite. Ils ajoutèrent 
qu'on venoit/ dans leurs personnes, de violer 
les lois sacrées du tribunat; qu'ils espéroient 
que le sénat ne laisserait pas un si. grand crime 
sans punition , et qu'ils requéroient , avant 
toute chose, ou que les consuls se purgeassent, 
•par serment , d'avoir eu part au derniertumul- 
te, ou si un juslté remords les empêchoit de 
faire ce serment , qu'ils fussent condamnés, .par 
un sénattus-consulte , à se .présenter devant 
Vcfâsemblée du peuple , et à, en subir le juge- 
ment. Rom ilius prit la parole, et leur repro- 
cha, avec beaucoup de 'hauteur, gueux seuls , 



2*. 



356 RÉVOLUTIONS 

j^ en empêchant la levée de* soldats , étoient les 
de Rome, auteurs de ce tumulte ; qu'ils a voient porté leur 
audace jusqu'à vouloir faire arrêter les consuls, 
les souverains magistrats de la république; 
qu'ils osoient encore les menacer, en plein sé- 
nat, de leur faire subir le jugement du peuple, 
eux qui n'y pouvoient pas traduire le dernier 
des patriciens sans un sénat us-consul te exprès; 
mais qu'il leur, déclaroit , que s'ils étoient assez 
hardis pour pousser plus loin une entreprise si 
odieuse, il feroit prendre, sur-le-champ, les ar- 
mes à tout le corps des patriciens ; qu'il se ren- 
drait, à leur tête, dans la place; qu'il charge- 
rait tout ce qui se présenteroit devant lui ; et 
que , peut-être , il les feroit repentir d'avoir abusé 
•de la patience du sénat, et d'avoir porté trop 
loin une audace qui n avoit plus de bornes. 

Ces disputes allèrent si loin que la nuit sur- 
vint avant que le sénat eût pu rien statuer sur 
cette affaire; et la plupart des sénateurs ne lu- 
rent pas fâchés que ces plaintes et ces repro- 
ches réciproques eussent consommé le temps 
de l'assemblée, pour n'être point obligés d* 
décider entre les consuls et les tribuns , et sur- 
tout pour éviter, par leur refus , de fournir aux 
derniers le prétexte qu'ils cherchoient d'exciter 
une nouvelle sédition. 
Ces tribuns , voyant bien que le sénat tral? 



ROMAINES, 3S7 

neroit l'affaire en longueur , convoquèrent, le JjJ""" 
lendemain , rassemblée du peuple , auquel ils «*• Rom*. 
firent leur rapport de ce qui s'étoit passé dans * 9 
le sénat. Ils déclarèrent qu il ne falloit point 
attendre de justice d'un corps où leurs ennemis 
dominoient , et qu'ils alloient abdiquer le tri- 
bunat et déposer la magistrature, si le peuple 
ne prenoit dçs résolutions pleines de vigueur, 
et si nécessaires pour la conservation de leur 
dignité. 

Les plus mutins, parmi les plébéiens, opinè- 
rent à se retirer, une seconde fois, sur le Mont 
Sacré; à s'y rendre tous en armes, et, delà, 
commencer la guerre contre les patriciens. 
D autres, en apparence* plus modéré*, mais 
qui étoient seulement retenus par la crainte 
d'une guerre civile, proposèrent que, sans 
prendre les armes , et sans solliciter plus long- 
temps un sénatus-consulte , le peuple, de sa 
seule autorité , fit le procès aux consuls , et les 
condamnât à une grosse amende. Enfin ceux 
qui n'avoient pas encore perdu entièrement 
tout le respect qui étoit dû aux premiers ma- 
gistrats de la république, représentèrent qu'il 
étoit inouï qu'on eût jamais entrepris, dans 
une assemblée du peuple, de faire le procès 
aux deux consuls , dans Tannée même du con- 
sulat , ePwir-tout sans la participation du se- 



358 RÉVOLUTIONS 

A nat; qu'une pareille démarche leur paroissoit 
de Rome, bien hardie; qu'ils ne doutoient point quelle 
39 ^" n'excitât de nouveaux tumultes , qui , à la fin , 
pourraient produire une guerre civile ; que le 
succès en étoit incertain ; qu'il étoit même à 
craindre, si les patriciens a voient l'avantage, 
qu'ils ne ruinassent entièrement l'autorité du 
peuple, pour se venger de ceux qui l'auroient 
voulu pousser trop loin; qu'ainsi ils étaient 
d'avis qu'on sursît toute procédure contre les 
consuls , jusqu'à ce qu'ils fussent sortis de char- 
ge ; et qu'en attendant, on poursuivit seulement 
les particuliers qui avoient fait paroître plus 
de chaleur pour leurs intérêts. 
' De ces trois avis difîérens, les tribuns s'ar- 
rêtèrent au second, qui. leur paroissoit le plus 
sûr et le plus prompt , pour satisfaire leur res- 
sentiment; et ils indiquèrent une assemblée où 
le peuple , à leur réquisition, devoit condam- 
ner les consuls à l'amende. Mais les tribun* 
s étant apperçus , après que la première cha- 
leur des esprits fut appaisée, que le peuple 
faisoit paroître moins d'empressement pour 
une affaire qu il regardoit comme particulière à 
ses magistrats, résolurent, pour assurer mieux 
leur vengeance, de la différer, et même de la 
revêtir du prétexte ordinaire des intérêts du 
peuple, sans y mêler le différend qu ils avoient 



ROMAINES- 359 

avec les consuls. Ainsi , le jour marqué pour ~ 
rassemblée étant arrivé, Icilius, qui portait de Home, 
la parole pour ses collègues, déclara que le a9 ^" 
collège des tribuns , à ta prière et à la considé- 
ration des plus gens de bien du sénat , se dé- 
sistait de l'action intentée contre les consuls ; 
mais qu'en abandonnant leuvs intérêts pro- 
pres, ils étaient incapables de négliger ceux 
du peuple; qu'ils demandoient qu'on dressât 
un corps de lois qui fût rendu public ; qu'on 
procédât ensuite au partage des terres ; que le 
temps enfin étoit venu d'autoriser une loi si 
équitable, proposée depuis long-temps , et dont 
la publication avoit toujours été éludée par les 
artifices des patriciens. Il exhorta , en même 
temps, ceux des plébéiens qui s intéressement 
à cette affaire , d'en dire librement leur avis à 
l'assemblée. 

Pour lors un plébéien , appelle Tj. Siccius ou 
Sicinius Dcntatus, se présenta dans la tribune. 
C'était un vieillard encore de bonne mine , 
quoique âgé de près de soixante ans, et qui 
avoit une éloquence guerrière. Il parla lui- 
même magnifiquement de sa propre valeur et 
de toutes les occasions où il s'était signalé (1). 



(1) Plin. lib. 7, cap. 28. — Valer. Max. lifc. III, cap. % 
art. rô. 



36q révolutions 

Il représenta d abord qu'il y avoit quarante 
de Rome, ans qu'il portoit les armes ; qu'il s etoit trouvé 
u 9 8, dans six vingts combats; qu'il y avoit reçu 
quarante-cinq blessures, et toutes par devant; 
que, dans une seule bataille, il avoit été blessé 
en douze endroits différens ; qu'il avoit obtenu 
quatorze couronnes civiques pour avoir sauvé 
& vie, dans les combats, à autant de citoyens; 
qu'il avoit reçu trois couronnes murales pour 
être monté, le premier, sur la brèche, dans des 
places qu'on avoit emportées d'assaut ; que ses 
généraux lui avoient donné huit autres cou- 
ronnes pour avoir retiré^ des mains dés enne- 
mis , les étendards des légions; qu'il conservoit , 
dans sa maison, quatre-vingts colliers d'or, 
plus de soixante bracelets, des javelots dorés , 
des armes magnifiques, et des harnois de che- 
val, comme le témoignage et la récompense 
des victoires qu'il avoit remportées dans des 
combats singuliers , et qui s'étoient passés à la 
tête des armées; que cependant on n avoit eu 
aucun égard à toutes ces marques honorables 
de ses services , et que ni lui , ni.tant de braves 
soldats, qui, aux dépens de leur sang, avoient 
acquis , à la république , la meilleure partie de 
son territoire, n'en possédoient pas la moindre 
portion; que leurs propres conquêtes étoient 
devenues la proie de quelques patriciens qui 



ROMAINES. 36l 

n'a voient, pour mérite, que la noblesse de leur * 
origine et la recommandation de leur nom; de Rome. 
qu'il n'y en avoit aucun qui pût justifier, par 
titres , la possession légitime de ces terres , à 
moins qu'ils ne regardassent les biens de l'É- 
tat comme leur patrimoine, et les plébéiens 
comme de vils esclaves, indignes d'avoir part 
à la fortune de la république (i); mais qu'il 
étoit temps que ce peuple généraux se fît jus- 
tice à lui-même, et qu'il devoit faire voir sur 
la place, et en autorisant, sur-le-champ, la loi 
du partage des terres , qu'il n avoit pas moins 
de fermeté pour soutenir les propositions de 
ses tribuns , qu'il avoit montré de courage , en 
campagne, contre les ennemis de l'État. 

Icilius donna de grandes louanges à Fauteur 
de ce discours (2). Mais comme il affectoit de 
parottre exact observateur deâ lois, il lui re- 
présenta qu'on, ne pouvoit, avec justice, re- 
fuser aux patriciens de les entendre sur les rai- 
sons qu'il leur plairoit d'alléguer contre la loi ; 
et il remit l'assemblée au jour suivant. 

Les deux consuls tinrent des conférences se- 
crettes , pendant une partie de la n^iit , avec les 
principaux du sénat, sur les mesures qu'on 

(1) Varro de Hnguà latinâ. — (a) Dionys, Halic. lib. X, 
pag, 665» 



362 RÉVOLUTIONS 

An devoit prendre, pour résister aux entreprises du 
de Ro Œe ; tribun. Après différens avis , on convint d em- 
ployer d'abord les manières les plus insinuan- 
tes, et tout Fart de la parole pour gagner le 
peuple j et le détourner de la publication de la 
loi; mais que si, animé par ses tribuns, il per- 
sistait à vouloir donner ses suffrages, on s y 
opposeroit hautement, et qu'on emploierait 
même les voies de fait. On fit dire à tous les 
patriciens qu'ils se trouvassent , de grand ma- 
tin, dans la place, avec leurs amis et leurs 
cliens; qu'une partie environnât la tribune aux 
harangues pour empêcher les tribuns de sy 
rendre les plus forts, et que le reste de la no- 
blesse se dispersât, par pelotons, dans ras- 
semblée , pour s'opposer à la distribution des 
bulletins. 

Les patriciens ne manquèrent pas de se 
trouver , sur la place > de grand matin , et il a 
occupèrent tous les postes dont on étoit con- 
venu. Les consuls étant arrivés, les tribuns 
firent aussitôt publier, par un héraut , que si 
quelque citoyen vouloit proposer des moyens 
solides d'oppositions à la publication de la loi , 
il lui étoit permis de monter à la tribune au^ 
harangues, et de représenter ses raisons au 
peuple. Plusieurs sénateurs s'y présentèrent suc- 
cessivement, mais sitôt qu'ils commençoient à 



ROMAINES. 363 

parler, un* troupe insolente de petit peuple ,. ^ 
apostée par les tribuns, pou&soit des cris cou- <** Hom0 * 
fus qui empéchoiçnt qu'on ne les put entendre. 
Les consuls , indignés de cette insolence , pro-* 
testèrent hautement contre tout ce qui pour- 
roit se passer dans une assemblée si tumul- 
tueuse. Pour lors les tribuns, levant le masque, 
leur répondirent, avec beaucoup de fierté, que 
leur protestation n'empècheroit point la pu- 
blication de .la loi; quil y avoit trop long- 
temps qu'on amusoit le peuple par de vains 
discours , dont la longueur aflectée ne tendoit 
qu'à éloigner la décision de cette affaire, et 
qu'il falloit enfin que les suffrages de l'assem- 
blée en décidassent; et, là-dessus, Lciliua com- 
manda qu'on ouvrit les urnes, et qu'on distri- 
buât les bulletins au peuple. Les officiers s'étant 
mis en état d'exécuter ses ordres , de jeunes pa- 
triciens des premières Maisons de la républi- 
que, ayant pris ce commandement pour le 
signal dont ils étoient convenus seercttement 
entre eux , enlevèrent les urnes et répandirent 
les bulletins. D'autres, escortés de leurs amis 
et de leurs cliens, se jettent dans la foule, 
poussent, frappent, écartent le peuple, et de- 
meurent enfin les maîtres de la place. Les tri- 
buns, outrés qu'on eût ainsi déconcerté leurs 
mesures, se retirèrent les derniers, mais ils 



364 RÉVOLUTIONS 

An convoquèrent rassemblée pour le jour suivant ; 
d* Rome. e t, après s être plaints qu'on eût violé si ouver- 
tement la majesté du peuple Romain , ils de- 
mandèrent qu'il leur fut permis d'informer 
contre les auteurs du tumulte : ce qui leur fut 
accordé sur-le-champ. 

Ils ne manquèrent point de témoins qui dé- 
posèrent unanimement que ce désordre avoit 
été excité par la plupart des jeunes patriciens. 
Mais comme leur grand nombre leur servoit , 
en quelque manière , d'asile , et qu'il n y avoit 
pas moyen de comprendre, dans l'informa- 
tion , tous les patriciens de la république , les 
tribuns, qui cherchoient des victimes à leur 
ressentiment , dont la punition pût intimider 
le sénat (i) , firent tomber lafccusation sur ceux 
qui étoient des familles Posthumia, Sempronia, 
et Clelia (2). On les cita devant l'assemblée pro- 
chaine du peuple; mais, quoique ces jeunes pa- 
triciens se fissent honneur d'avoir empêché que 
la loi n'eût été publiée , le sénat ne fut pas 
d'avis qu'ils comparussent, ni que personne 
se chargeât de leur défense. Les plus habiles 
sénateurs se flattèrent qu'en les abandonnant 
au peuple, cette modération diminuerait sou 



(1) Diônys. Halic. lib. X, p. 667. — (?) Tit. Liv. Dec. i, 
lib. III. 



ROMAINES. 365 

ressentiment, ou qu'ayant, pour ainsi dire, ex- , 
halé toute sa colère par leur condamnation , <*« Rome. 
cette vengeance lui feroit oublier la publica- * 9 ' 
tion de la loi. Cependant le jour de l'assemblée 
étant arrivé , les esprits les plus violens , parmi 
le peuple, vouloient pousser cette affaire à 
toute rigueur; mais les plus sages, qui rcgar- 
doieat le silence du sénat comme un aveu 
tacite de la faute des accusés, contens qu'il 
les abandonnât à la justice du peuple, fu- 
rent seulement d'avis de les condamner à une 
amende : ce qui fut approuvé à la pluralité des 
voix. Le sénat ne s'y opposa point; on vendit 
même publiquement les biens des condamnés 
pour y satisfaire , et le prix en fut consacré à 
Gérés. Mais le sénat fit racheter ces biens , de 
ses propres deniers , par des personnes inter- 
posées. On les rendit, quelque temps après, 
aux anciens propriétaires , et le sénat ne fut 
pas fâcbé qu'il n'en eût coûté que de l'argent, 
pour arrêter la publication de la loi. Mais les 
tribuns ne prirent pas si aisément le chance : ils 
revinrent bientôt au partage des terres. C'étoit 
le sujet le plus ordinaire de leurs harangues. 
Pendant que le peuple passoit les jours en- 
tiers, sur la place, à entendre ces déclama- 
teurs , il arriva des courriers de Tusculum qui 
dirent que les Eques s'étoient jettes sur le ter- 



366 RÉVOLUTIOKS 

An ritoire de cette ville, alliée du peuple Romain ; 
de Rome, qu'ils mettcrienft tout à (eu et à sang dans la 
398 campagne; qu'il étoit même à craindre qu'ils 
n'emportassent cette place, s'ils en formoient le 
siège; et les iiabitans demandoient du secours 
avec beaucoup d'instance. Le sénat ordonna 
aussitôt que les consuls se mettraient en cam- 
pagne avec les forces de la république. Les tri- 
buns ne manquèrent pas de s'y opposer, à leur 
ordinaire; et ils vouloient faire acheter leur 
consentement par la publication de la loi (1). 
Mais le peuple , plus généreux que ses magis- 
trats, se ressouvenant du secours qu'il avoit 
reçu de Tusculum contre l'invasion dïïerdo- 
nius, offrit, de bonne grâce, de prendre les 
armes. On leva promptement une armée : les 
deux consuls se mirent à -la .tête. Sicckis Den- 
tatus, ce plébéien qui venoit de haranguer si 
vivement en faveur de la loi Agraire , se pré- 
senta, pour les suivre, avec 'huit écrits vétérans 
comme lui, qui avoient tous achevé le temps 
de service prescrit par les lois, mais qui, dans 
cette .occasion, voulurent encore aller à la 
guerre sous le commandement particulier de 
Siccius, qu'ils nommoient hautemerit YJchillc 
"Romain. 

(i)TitLiT. lîb.ffl 5 cap.3i. 




ROMAINES. 367 

. L armée Romaine s avança jusqu'à Àlgide, 
qui étoit à seize milles de Rome, et rencontra 4e Home. 
les ermemis assez près de la ville d'Ântîum. Ils 29 ' 
étoient retranchés sur le haut dune monta- 
gne. Les Romains campèrent sur une éminence 
opposée ; ils se fortifièrent avec soin , et les gé- 
néraux retinrent les soldats dans le camp, pour 
cacher leurs forces à l'ennemi. Les Eques pri- 
rent ces précautions pour un effet de la peur 
des consuls. Ils descendoient souvent dans la 
plaine, et ils venoient quelquefois, jusques sur 
lés bords des retranchemens du camp , repro- 
cher aux Romains la timidité de leurs géné- 
reux. Les deux consuls!, pour entretenir l'en- 
nemi dans cette fausse confiance, tenoient tou- 
jours les portes du camp fermées. Mais uti jour 
que Romilius commandait en chef, et que c'é- 
tait à lui à donner les ordres , ce consul ayant 
«pperçu que toute l'armée des Eques étoit sor- 
tie de son camp, et que la plupart des soldats, 
^dispersés et répandus dans la campagne , four- 
'rageoient impunément jusqu'au pied de ses 
retranchemens, résolut de les dharger dans la 
plaine, et défaire attaquer, en même temps, 
4e camp qu'ils avoierït Sur la montagne, afin 
qu'ils ne sçussent point de quel côté étoit la 
véritable attaque. Dans cette Vue, il fit appcller 
Siccius Dèntatus , qui commandoit le corps de 



363 RÉVOLUTIONS 

An vétérans dont nous venons de parler; et soit 
de Rome, par estime pour sa valeur, soit qu'il ne fut pas 
fâché d exposer ce plébéien dans une occasion 
très dangereuse , il le chargea de l'attaque du 
camp ennemi : « Nous allons , lui dit-il , mon 
« collègue et moi , marcher aux ennemis. Pen- 
« dant que nous attirerons toutes les forces de 
« notre côté, jettez-vous, avec le corps que vous 
«commandez, dans cette gorge et ce chemin 
« détourné qu'on découvre dans la montagne, 
« et qui conduit à leur camp. Poussez jusqu'aux 
« retranchemens , et tâchez de vous en rendre 
« le mattre. En faisant, en même temps, deux 
« attaques différentes , nous causerons une di- 
« version utile , et qui , en partageant les forces 
«de nos ennemis, diminuera leur défense. » 
Siccius lui répondit qu'il étoit près d'obéir 
aveuglément à ses ordres : « Mais souffrez , lui 
«dit-il, que je vous représente que l'exécution 
«m'en paroi t impossible, et en même temps 
«très dangereuse. Croyez -vous, continua ce 
« vieil officier, que les ennemis, en descendant 
« de la montagne et de leur camp , ne se soient 
«pas assurés, par un bon corps d'infanterie, 
«du seul chemin qui peut faciliter leur re- 
traite p Puis-je seul forcer ce poste avec les 
«vétérans, et sans être soutenu par de plus 
«grandes forces? Une pareille entreprise n'est 



ROMAINES. 369 

m propre qu'à nous faire périr tous. Huit cents * ^ 
«hommes pourront-ils résister à l'armée .en- de Rome, 
« tière des ennemis , qui nous prendra par der- 
« rière , dans le même temps que nous aurons 
«en tête ceux qui occupent le chemin de la 
« montagne t ? 

Le consul , irrité des remontrances Ùe Sio 
cius, lui répartit brusquement que, sans se 
mêler de faire le général , il n'avoit qu'à obéir 
aux ordres qu'on lui donnoit; ou que, s'il y 
trouvoit trop de péril , il en cbargeroit d'au- 
tres officiers , qui , sans faire les capables, vien- 
draient glorieusement à bout de cette entre- 
prise, «Et vous, grand capitaine, ajouta le 
« consul , avec une raillerie piquante , vous qui 
« faites la guerre depuis quarante ans, qui vous 
« êtes trouvé à six vingts cotnbats, et dont tout 
« le corps est couvert de blessures , retournes à 
a Rome , sans avoir osé envisager l'ennemi ; et 
« rapportes , sur la place , cette langue si élo- 
« quente, et plus redoutable à vos concitoyens, 
« que votre épée ne Test aux Eques, et aux en- 
« nemis de la patrie. » 

L'officier, outré des reproches de son géné- 
ral, lui répondit fièrement qu'il voyoit bien 
qu'il vouloit faire périr un vieux soldat , ou le 
déshonorer ; mais que l'un étoit bien plus fa- 
cile que l'autre ; qu'il alloit marcher au camp 
1. *4 



370 -RÉVOLUTIONS 

ennemi! et qu'il l'emporteroit, ou qu'il se feroit 
de Rome. tuer,en chemin, avec tous ses compagnons. Ces 
a9 *' vétérans prirent ensuite congé des autres sol- 
dats , qui ne les virent partir que comme des 
gens qu on envoyoit à la boucherie. Heureuse- 
ment pour eux , ils étoient sous les ordres d'un 
vieil officier qui sçavoit faire la guerre. Siccius 
prit un grand détour; et, ayant marché quel- 
que temps, il découvrit, dans leloignement et 
sur des montagnes voisines , une grande forêt 
qui sembloit s étendre jusqu'au camp ennemi. 
Il se pressa aussitôt de gagner ce bois : « Bon 
«courage! mes compagnons, s'écrioit-il en 
«•montant, ou je suis bien trompé, ou japper- 
« çois une route qui nous conduira plus sùre- 
« ment au camp des ennemis' que celle que 
«notre général m'avoit prescrite». Ce ne fut 
pas sans peine que ces vieux soldats , chargés 
de leurs armes, parvinrent jusqu'au sommet 
de cette montagne : mais ils n y furent pas plu- 
tôt arrivés, qu'ils reconnurent qu'ils étoient sur 
une hauteur qui dominoit sur le çdmp ennemi; 
et ils s'en approchèrent à la faveur des bois, 
sans avoir été apperçus par les sentinelles, et les 
gardes avancées. 

Pendant cette marche , les deux armées des 
Rémains et des Eques en étoient venues aux 
mains dans la plaine. On combattit long- 



1 



ROMAINES. , 371 

temps, de part et d'autre > avec une valeur T^" - 
égale * sans que la victoire se déclarât pour au- «le Rome. 
cun parti. La plupart des soldats que 1*6 Eques 
avoient laissés à la garde de leur camp, croyant 
n'avoir rien à craindre de leurs derrières, étoient ^ 
accourus, sur ]p bord de la montagne ,• pour 
voir la bataille. Pendant qu'ils ^étaient disper- 
sés, pour jouir plus aisément d'un si grand spec- 
tacle, Siccius, qui les observoit, profita de 
cette négligence. 11 fond sur le camp , surprend 
la gardfe, taille en pièces tout ce qui s'oppose à 
seô efforts, ftiit le reste prisonnier; et, après 
avoir laissé quelques soldats pour la garde du 
camp, il tombe ensuite sur ceux qui regar- 
doient si paisiblement le combat , et les em- 
porte sans peine.. Quelques uns, dont leloi* 
gnement favorisa la fuite, se jettèrent dans ce 
chemin creux qui conduisent dans la plaine, et 
où les Eques avoient laissé quelques çohbrteà 
pour assurer leur retraite , comme Siccius la- 
voit bien préyu. L'officier Romain, qui les pour- 
sui voit vivement, arrive presque aussitôt, les 
presse, les pousse, et' les renverse sur ce corps 
de garde. Tous prennent la fuite; le soldat ef- 
frayé ne s apperçoit point du petit nombre des 
ennemis; la peur les multiplie à ses yeux; il va 
chercher sa sûreté dans le gros de l'armée \ et 
il y porte la crainte et l'épouvante. Siccius ar- 



3?* RÉVOLUTIONS 

^ rive qui l'augmente. Les Equesî se voyant attà- 
4c Rome, qués par derrière , lâchent pied. Ce fut moins , 
39 dans la suite* un combat qu'une déroute gé- 
nérale; Les uns veulent regagner la montagne^ 
d autres s écartent dans la plaine, et ils rencon- 
trent* par-tout lennen^i et la mort. La plupart 
fuient taillés en pièces ; et il ne s en sauva que 
ceux que les Romains voulurent bien faire pri- 
sonniers, ou qui échappèrent, à la faveur dé 
la nuit qui survint * durant le combat. 

Pendant que les consuls achevoient de vain- 
cre, et qu'ils poursuivoient les fuyards, Sic- 
cius, plein de ressentiment contre les géné- 
raux, forme le dessein de les priver des fruits 
et des honneurs de la victoire. U remonte seul, 
avec sa troupe, dans le camp ennemi, coupe 
la gorge aux prisonniers, tue les chevaux, met 
le feu aux tentes , aux armes , et à tout le ba- 
gage , e( ne laisse aucune de ces marques de la 
victoire qu on exigeoit des généraux , quand ils 
demandoient l'honneur du triomphe. Il mar- 
che ensuite en grande diligence, arrive à Rome 
avec sa cohorte , et rend compte aux tribuns 
de ce qui s'étoit passé. Le peuple, voyant ces 
vieillards seuls et encore couverts du sang des 
ennemis , s'attroupe autour d eux , et leur de- 
mande des nouvelles de l'armée. Siccius leur 
annonce la victoire qu'on venoit de remporter 



m 



# 



ROMAINES. 373 

*Ur le # s Eques ; et il se plaint , en même temps , An 
de l'inhumanité des, consuls , qui , sans néces- de Rome. 
$tté, dit-il, et pour satisfaire seulement leur 
haine contre les plébéiens, avoient exposé huit 
éents vétérans à une mort qui paroissoit cer- 
taine. Il raconta ensuite par quel bonheur ils 
avoient échappé aux embûches, que leur avoient , 
tendues les consuls. «Cependant, ajouta-t-il, 
« nous avons pris le camp ennemi , et tafllé en 
«pièces ceux qui le gardoient. De là , nous nous 
«sommes rendus maîtres des détroits de la 
« montagne; nous en avons chassé les Eques, et 
« facilité, par notre valeur, la victoire des con- 
te suis. Nous demandons, pour toute récom- 
« pense, qu'on ne décerne point les honneurs 
« du triomphe à des généraux , qui ne se sont 
« servis de leur autorité, que pour faire périr, 
i< sans nécessité, leurs propres concitoyens. » 

Le peuple, qui n'étoit que trop indisposé 
contre les patriciens , lui promit de ne consen- 
tir jamais au triomphe des consuls. Les soldats 
de ces généraux , à leur retour, entrèrent dans 
cette cabale, par ressentiment de ce que les 
.deux consuls les avoient privés du butin, qu'ils 
avoient fait vendre au profit de l'épargne, sous 
prétexte quelle étoit épuisée. Les consuls, pour 
obtenir l'honneur du triomphe, représentèrent 
en vain qu'ils' avoient remporté une victoire 



■ A 



374 RÉVOLUTIONS 

~ complette, taillé en pièces l'armée ennemie, et 
de Romr. fait sept mille prisonniers. Le peuple, prévenu 
qu ils avoient voulu faire périr les vétérans, leur 
refusa, avec opiniâtreté, qu'on remerciât les 
dieux de leur victoire, et qu'ils pussent rentrer, 
dans la ville , avec les ornemens du triomphe. 
Le sénat , soit par des principes d équité , soit 
par la crainte de quelques nouvelles séditions , 
ne jugea pas à propos de s'intéresser pour eux ; 
et le peuple , qui regardoit cet affront comme 
une victoire qu il remportoit sur tout l'Ordre 
des patriciens, déféra, dans les comices sui- 
vans, Ja qualité de tribun àSiccius. 

Ces deux consuls ne furent pas même plutôt 
sortis de charge , que , sous le consulat de leurs 
successeurs, Sp. Tarpeïus et A. iEternius, on 
les cita devant rassemblée du peuple. Cetoit 
233. le sort ordinaire de ces souverains magistrats. 
L accusation rouloit sur l'affaire de Siccius, 
mais leur véritable crime étoit F opposition 
constante que Fun et Fautre avortent apportée 
à la publication de la loi Agraire. Le peuple 
les condamna tous deux à une amende , Ro- 
milius à dix mille aises, et Veturius , à quinze 
mille. L'histoire ne nous, a point appris la rai- 
son de la différence que le peuple mit dans ces 
deux amendas. Ce fut, peut-être, pareeque Ve- 
turius eut plus de part au mauvais traitement 



ROMAINES. 375 

qu avoit essuyé » l'appariteur dlcilius. Ce qui An 
peut confirmer cette conjecture, c'est qu'on de Rome, 
établit, en même temps , une loi , du consente- 
ment de tous les Ordres de l'État , par laquelle 
il étoit permis à tous magistrats de condamner, 
à une amende , ceux qui auroient manqué de 
respect pour leur dignité : privilège réservé au- 
paravant aux seuls consuls. Mais , pour empê- 
cher que quelques magistrats particuliers n'a- 
busassent de cette nouvelle autorité , et ne la 
portassent trop loin , il étoit ordonné , par la 
même loi , que désormais la plus haute amen- 
de , pour ces sortes dé fautes , ne pourroit ex- 
céder la valeur de deux bœufs ou de trente 
moutons: monnoies de cuivre qui portoient 
ce nom de leur empreinte, et frappées, sous 
.le règne de Servius Tullius, sixième roi de 
Rome. 



FIN DU QUATRIÈME LIVRE, 



TABLE 

ALPHABÉTIQUE 

DES MATIÈRES 



CONTENUES DANS CE PREMIER VOLUME. 



A. 

Aircus Martitts, quatrième roi de Rome, succède à 
TullvsHostp*ius, 1. 1, p. 4<* Caractère de ce prince, 
ibid. Il établit des cérémonies qui dévoient précéder 
les déclarations de guerre , ibid» Il combat les Latins, 
les défait, ruine leurs villes, en transporte les habi- 
tans à Rome, et joint leur territoire à celui de cette 
capitale, p. 43. Sa mort, ibid. 

Appius Ci atouts, s'oppose avec vigueur à l'avis pro- 
posé d'abolir les dettes du peuple, 1. 1, p. 71. Il est 
fait consul , p. 78. Il ne ménage point le peuple, p. 79. 
Sa harangue au sénat, pour l'empêcher de traiter avec 
les mécontens , p. 99. Il prend la défense de Corio- 
lan , 1. II , p. 161. Son avis au sujet du partage des ter- 
res, 1. III, p. a33. 

Appius Claudius, deuxième du nom, est élevé au con- 
sulat sans sa participation , 1. III, p. a63. Son carac- 
tère, ibid. Il s'qppose vigoureusement à la publication 
de la foi pour les assemblées par tribu, p. a68. La loi 
passe , malgré son opposition , p. 374. Sa sévérité en- 
vers les soldats qui avoient refusé de combattre sous 
ses ordres , p. 178. Il s'oppose au partage des terres, 



TABLE ALPHABÉTIQUE. 877 

p. 381. Il est cité, par les tribuns, devant l'assemblée 
du peuple, p. a83« Il s'y présente avec dignité; puis 
il finit volontairement sa vie, p. 384. 
Augures. Leur établissement, 1. 1, p. 19. 



B. 



Brutus (Lucius Jutuus); pourquoi surnommé Bru tus, 
1. I, p. 55. Il jure d'exterminer les Tarquins et d'à* 
bolir la royauté , p. 56. Il est. élu premier consul , 
p. 58. Il fait mourir ses propres enfans, qui avoient 
entrepris de rétablir Tarquan , p. 5g. Il est tué dans 
une bataille contre les Tarquins, p. 60. 

fiautus. Un autre Lvcius Jumus prend le surnom de 
Brutus, et se fait.chef du peuple révolté sur le Mont 
Sacré, 1. 1, p. 10g. Sa réponse aux députés du sénat, 
p. 1 10. Il demande la création des tribuns du peuple, 
et il l'obtient, p. 130. Il est créé tribun, p. iai. Il 
continue d'entretenir la mésintelligence entre le sé- 
nat et le peuple, 1. H, p. 139. Il anime le peuple à la 
perte de Coriolan , p. iB4» U f*** condamner ce patri- 

. cien fc un exil perpétuel, p. i83. 



C. 



Cafitole, bâti par Tarquin le Superbe, 1. 1, p. 54* Sur pris 
parHerdonius et repris par les Romains, p^ 3aa et suiv. 

Cassivs Visgsllixius (S*.). Son caractère, 1. III, p. 321. 
Il aspire à la royauté:» moyens qu'il emploie pour y 4 
parvenir, ibid. Il propose le partage des terres con- 
quises, p. a*5. Il est condamné à mort,- p. 337. 

Centueies, établies sous le règne de Servius Tullius, 1. I, 
p. 47. 



37Ô TABLE 

Chevaliers, Établissement de cet Ordre, 1. 1, p. 25. Leur 
nombre déterminé à trois cents, ibid* Leurs fonctions, 
ibid Leur nombre augmenté, de quatre cents, par le 
dictateur Manius Valerius, p. 90. 

Collàtin, mari de Lucrèce, jure de venger l'honneur 
et la mort de cette généreuse épouse, 1. I, p. 56. Il est 
fait consul avec Brutus, p. 58. Il est déposé du consu- 
lat et banni de Rome, p. 59. 

Consuls. Établissement de cette dignité , 1. I , p. 58. 

Coriolài* (Caïus Maacius). Pourquoi surnommé Co- 
riolan, 1. H, p. i38. Son- caractère, ibid. Il se dé- 
clare hautement contre les entreprises des tribuns, 
p. 139. Il est cité devant l'assemblée du peuple, et il 
refuse , avec hauteur, d'y comparaître, p. i4â. Les tri- 
buns animent le peuple contre lui, p. i43. Minucius, 
premier consul , entreprend sa défense devant le peu- 
ple, p. 147* Sicinius, tribun, sans recueillir les suf- 
frages de rassemblée, le condamne à mort, p. 149. On 
n'ose se saisir de sa personne; on se contente de l'a- 
journer à comparaître devant le peuple dans vingt- 
sept jours, p. i52. Le sénat se déclare en sa faveur, 
ibid. Le sénat l'abandonne ensuite, et donne un ar- 
rêt qui renvoie la décision du différend à l'assemblée 
du peuple, p. 170. Minucius entreprend , une seconde 
fois, sa défense, p. 174* H se présente lui-même avec 
courage dans l'assemblée, à laquelle, pour toute dé- 
fense, il représente ses services, p. 175. On lui fait un 
crime d'avoir distribué , à ceux qui Favoient suivi à la 
guerre , tout le butin fait sur les terres des Aqtiates , 
p. 1 80. Relation de cette expédition , ibid. Il est con- 
damné à un exil perpétuel, p. i83. Il sort de Rome, 
ibid. II va trouver Tullus, général des Volsques, 
p. 190. Il l'engage à déclarer la guerre aux Romains, 



ALPHABÉTIQUE. 379 

p. 191 • A la tête d'une nombreuse armée de Volsques , 
il ravage les terres des Romains, p. 197. Il investit 
Rome, p. soi. Il accorde une trêve de trente jours , 
après'laquelle il revient aux portes de Rome , p. 202. 
Il refuse les prières des prêtres et des sacrificateurs 
qu'on lui avoit députés, p. 2o4* Il se laisse fléchir aux 
larmes de sa mère et de sa femme, et se retire avec 
son armée, p. 217. Sa mort, p. a 18. * 

Curies. Établissement des curies, ou compagnies de cent 
hommes, 1. 1, p. aa. 

D. 

Dictateur. Établissement de cette dignité , 1. 1 , p. 76. 
Son autorité, p. 77. 

Dvvmvirs, établis pour rendre la justice à tous les par- 
ticuliers, 1. 1, p. 2*2. Us condamnent Horace a la mort, 
pour avoir tué sa sœur; mais il appelle, de leur juge- 
ment, à l'assemblée du peuple, qui le renvoie absous, 

E. 
Édiles. Leur origine et leurs fonctions, 1. II, p. 127 et suiv. 

G. 

Gznutius (Cw.), tribun du peuple, cite les consuls de- 
vant l'assemblée du peuple, p. 'i5/j. La veille qu'on doit 
juger l'affaire, on trouve ce tribun mort dans son lit, 
1. III , p. 'i55. 

H. 

Iîhvdokius. Appius Hcrdonius s'empare du Cn pi tôle, 



38o TABLE 

p. 3ai. Les Romains Fattaqueot et l'obligent à se tuer, 
p. 3a6. 

I. 

Icilius (S?.), tribun da peuple, dispute le droit de la 
parole aux consuls, et se le fait adjuger par un plé- 
biscite, 1. H, p. 245 et suiv. 

L. 

Labgius (T.) est nommé premier dictateur, 1. 1, p. 76. 
Il fait valoir son autorité, p. 77. Il abdiqué la dicta- 
ture, p. 78. Il est député, par le sénat,* pour traiter avec 
les mécontens, retirés sur le Mont Sacré, p. 108. Il leur 
parle avec fermeté , p. 116. 

Luaumus, père de Lucrèce, jure de venger l'honneur 
et la mort de sa fille, L I, p. 56. Il est fait consul , 
p. 6a, 

M. 

Mehektus Agrippa, est d'avis que le sénat traite avec 
le peuple retiré sur le Mont Sacré, 1. I, p. 96. Son 
avis est suivi; il est député pour cet effet, p. 108. H 

# engage les mécontens à rentrer dans Rome, p. 1 17. 

Mzrenius, fils d' Agrippa, condamné à une amende, 
p. 2J\j. S'enferme dans sa maison , où il se laisse mou- 
rir de faim et de douleur, 1. III, p. a48. 

N. . 

Numa Powilius, second roi de Rome, succède à Ro- 
mulus y 1. 1, p. 36. Son caractère, p. ibid. Il se sert de 
la religion pour adoucir les moeurs farouches des ha- 
bitans de Rome, p. 37. Sa mort, ibid. 



ALPHABÉTIQUE. 



PiTsiciÊWs. Origine des patriciens , 1. 1, p. a4- Leur am- 
bition fait soulever le. peuple, p. 68. Par quelles voies • 
ils avoient acquis tant de richesses, 1. III , p. 317. 

Plébe'iess. Ce que c'était que les plébéiens, 1. I, p. 36. 
Ils s'attachent aux- sénateurs sous le nom de cliens, 
p. 17. Leur pouvoir dans les assemblées, p. 35. Leur 
murmure à l'occasion des dettes, dont ils demandent 
l'abolition, p. 68. Ils refusent de se faire enrôler, p. 70. 
Puis ils obéissent au dictateur, p. 77. Ils murmurent, 
de nouveau, et sont appaisés par Servilius, p. 78. Ht 
renouvellent leurs plaintes; Valerius les appaise en- 
core, p. 89. Une grande partie d'entre eux sort de 
Rome et se retire sur le Mont Sacré, p. t)4- "s ren- 
voient, avec mépris, les premiers députés du sénat, 
p. 95. Ils écoutent, avec respect, les seconds, et en 
obtiennent l'abolition des dettes et la création des tri- 
buns, p. 12a. Leurs plaintes à l'occasion d'une famine, 
1. II, p. lai}. Leur animosité contre Coriolan, p. i4i- 
Us ibnt condamner ce patricien, dans une assemblée 
du peuple, à un exil perpétuel , p. i83. 

Q- 

QsisTEtrKS. Leur établissement et leurs fonctions, 1. 1, 

p. 6». 
QoitiTius Cincinnitus, personnage consulaire, après la 
fuite de Quintius Ceson,Son fils, te relègue a la cam- 
pagne, où il cultive son champ , de ses propres mains, 
p. 3u. On le tire de la charrue, pour lui donner, en 
i de cm,. le commandement des armées, 
■ Il rétablit , par sa fermeté, le calme dans la 




382 TABLE 

république, p. 32o. Il refuse généreusement d'être con- 
tinué dans le consulat, et retourne cultiver son petit hé- 
ritage, p. 334* Il est rappelle, à Rome, pour aller, en qua- 
lité de dictateur, délivrer un consul que les ennemis te- 
noient enfermé, avec toute son armée, p. 337. Il délivre 
le consul et ses soldats, défait les ennemis, et rentre 
triomphant dans Rome, p. 34?. Il fait rappeller Ceson, 
son fils , de son exil; abdique la dictature, le seizième 
jour qu'il en avoit été revêtu, £t retourne, à la cam- 
pagne, reprendre ses travaux ordinaires, p. 343. 
Qoimcrs Ctsow , fils de Quintius Cincinnatus , s'oppose, 
avec vigueur, à la publication de la loi Terentilla, 
p. 3o$~B est cité devant l'assemblée du peuple, p. 3o5. 
Fausse accusation contre lui, p. 3o8. Il est obligé de 
sVufruir et de se retirer en Toscane, p. 3 11. Il est jus- 
tifié, rappelle, et son accusateur condamné à un exil 
perpétuel , p. 343. 



R. 



Romains. Origine des Romains, 1. 1, p* 16. Leurs mœurs 
et leur amour pour la liberté, p. 17. Leur religion , 
p. 19. Dénombrement des Romains fait par Romulus , 
p. aa. Leur division en trois tribus, ibid. Ce qu'on leur 
avoit assigné de terre à chacun en particulier, p. 23, 
Ce qu'on entendoit sous le nom d'assemblée du peuple 
Romain , p. 35. Cette assemblée absout Horace con- 
damné par les duumtirs, p. \o. Les déclarations de 
guerre et toutes les délibérations se font au nom du 
peuple Romain, p. 4^- Servius Tullius divise les Ro- 
mains en cent quatre-vingt-treize centuries, p. 47» H s 
chassent Tarquin de Rome, abolissent la royauté, et 
éliseut des consuls pour les gouverner, p. 57 et suiv. 





ALPHABÉTIQUE. 383 

Rove. Fondation de cette ville, 1. 1, p. 16. Romulus divise 
son territoire en trois parties, p. 23. Elle est surprise 
par Tatius, roi des Sabins, et sauvée par les* filles de 
ces mêmes Sabins, p. 3i. Elle est embellie de plusieurs 
édifices par Tarquin le Superbe , p. 54. Elle est assié- 
gée par Coriolan, 1. II, p. 201. Consternation de ses 
habitans, 1. II, p. 2o3. Elle est délivrée par la pru- 
dence de la mère et de la femme de Coriolan, p. 217. 

Romilius (T.) , consul et son collègue remportent une 
victoire complette sur les ennemis, p. 372. Le peuple 
leur refuse les honneurs du triomphe, et les con- 
damne à une amende, parce qu'ils s'étoient opposés 
à la publication de la loi Agraire, p. 374 et suiv. 

Romulus. Sa naissance et son éducation, 1, I, p. 16. Il 
fonde Rome, ejt en est élu le premier roi, p. 18. Il 
établit différentes lois, p. 20. 11 partage les citoyens 
de Rome en trois tribus; et chaque tribu, en dix cu- 
ries ou compagnies de cent hommes, p. 22. 11 as- 
signe, à chaque citoyen, deux arpens de terre pour 
sa subsistance, p. 23. Il établit le sénat et l'Ordre 
des chevaliers , 'p. 23 et suiv. Il envoyé demander des 
femmes aux Sabins; p. 28. Piqué de leur réponse, il 
fait enlever leurs filles, pendant la célébration des 
jeux solemnels, p. 3o. Victoires remportées sur ses 
voisfos, p. 3o et suiv. Il fait part de sa souveraineté à 
Tatius, roi des Sabins, et admet, dans le sénat, cent 
des plus nobles de cette nation, p. 32. Nouvelles vic- 
toires, p. 33. Il devient odieux à ses sujets, ibid. Sa 
mort, ibid. 

S. 
SÉzfAT. Son établissement et sa dignité, 1. 1, p..23. Il se 






384 TABLE 

défait de Romulus, p. 33. 11 garde, pendant un ao 
l'autorité souveraine , en créant, tous les cinq jours, un 
entre- foi, p. 34^ Pour appaiser les séditions, il fait créer 
un dictateur au-dessus des consuls, du sénat, et du 
peuple, p. 76. Il est obligé de traiter avec le peuple 
retiré sur le Mont Sacré, et lui accorde enfin l'aboli- 
tion des dettes, et la création des tribuns, p. iaa. Il ac- % 
corde , aux tribuns , la création des édiles , 1. II , p. 1 28. 
Il envoyé, jusqu'en Sicile, chercher du bled , pour se- 
courir le peuple dans une famine, p. 1 3o. Il entre- 
prend la défense de Coriolan , puis il renvoyé la dé- 
cision de son affaire a l'assemblée du peuple , p. 170. 
Il autorise, par un arrêt, les consuls désignés à nom- 
mer des commissaires pour le partage des terres , 1. III, 
p. a35. Il fait condamner Gassius à la mort, p. 337. Il 
accorde, au peuple, lie pouvoir d'élire dix tribuns, au 
lieu de cinq , à condition qu'il abandonnera le projet 
delà loi Terentilla, p. 35o. U cède, au peuple, le Mont 
Aventin , p. 353. 
SitfATEURS. Leur nombre déterminé a cent, 1. 1, p. a3. 
Pourquoi ils sont appelles pères, p. a4- Romulus joint, 
aux cent premiers sénateurs, cent autres nouveaux, 
choisis parmi les plus nobles des Sabins, p. 3a. Tar- 
quin l'Ancien y joint encore cent autres nouveaux sé- 
nateurs , qu'auparavant il fait patriciens , p. 43. 
Ssavius Tullius, sixième roi de Rome, succède a Tar- 
qnin l'Ancien, 1. I, p. 44* Caractère de de prince, 
p. 45. U institue le cens, dans le dessein de faire pas- 
ser toute l'autorité dans le corps de la noblesse et des 
patriciens, p. 46. Il est assassiné par Tarquin le Su- 
perbe, son gendre, p. 53. 
Siccius Dehtatus. Sa harangue pour la publication délit 
loi Agraire, p. 359. Ses exploits guerriers, p. 3£o et sui v. 



J 



ALPHABÉTIQUE. 385 

« Sicunus Bellutui (G.) fait révolter une partie du peu- 
ple et remmène sur le Mont Sacré , 1. 1, p. 94. U fst 
fait tribun du peuple, p. ia3. Il continue d'entrete- 
nir la mésintelligence entre le sénat et le peuple, 
LU, p. 139. Il anime le peuple à la perte de Go- 
rfelan, p. 148. Il prononce, de son autorité, une sen- 
tence de mort contre ce patricien, p. 149* N'ayant 
pu la faire exécuter, il l'ajourne à comparaître, de- 
vant le peuple, dans vingt -sept jours, p. i5a. Il 
produit plusieurs chefs d'accusation contre lui, p» 
176. Il le fait enfin condamner b un exil perpétuel,. 
p» i83. 



Tarquiit L'Ancien, cinquième roi de Rome, succède à 
Ancus Martius, 1. 1, p. 43* II crée cent nouveaux sé- 
nateurs; mais, auparavant, il les fait patriciens, 
pour ne pas confondre les différons Ordres de l'État, 
ibid, 

Tarquin le Superbe, septième et dernier roi de Rome, 
assassine Servius Tullius,son beau-père, et s'empare 
de la royauté, sans le consentement ni du sénat ni du 
peuple, 1, I, p. 53. Son ambition et sa cruauté, ibid. 
L'impudicité de son fils et la mort de Lucrèce, sou- 
lèvent, contre lui, tous les Romains, p. 55. Il est banni 
de Rome, avec toute sa famille, p. 57. Il fait de vain» 
efforts pour y rentrer, p. Go. 

Terehtillus Arsa (G.) tribun du peuple, propose qu'on 
établisse un corps de lois, pour servir de règle dan* 
l'administration de la justice, p. 293. 

Tpibv. partage de Rome en trois tribus, sous Romulus, 

1. 1,p. aa. 

1. v6 



!• 



386 TABLE 

Tribvhb du peuple. Ce qui donna occasion à leur créa-' 
lion, 1. I, p. 121. Quelles étoient leurs fonctions dans 
leur origine, 1. II, p. 126. Ils. obtiennent la création 
des édiles, p. 127. De quelle manière ils vinrent à 
bout de se donner le droit de convoquer les assem- 
blées du peuple, p. 1 36. Ils poursuivent, avec chaleur, 
la publication de la loi Agraire pour le partage des 
terres, 1. III, p. 262. Ils font passer la loi pour les as- 
semblées par tribus, p. 275. Os reprennent l'affaire 
de la loi Agraire , mais sans succès, p. ?85. Ils de- 
mandent que, du consentement du peuple, on éta- 
blisse un corps de lois, pour servir de règles dans l'ad- 
ministration de la justice, p. 293. Ils poursuivent, en 
justice, Geson qui s'y étoit opposé, et l'obligent à s'en- 
fuir en Toscane, pour se soustraire au jugement du 
peuple, p. 3o§* Us forment le dessein de faire périr 
tous les sénateurs et tous les patriciens qui leur étoient 
odieux, p. 3ra. Leur projet devient inutile, p. 3i4< Us 
reprennent l'affaire de la loi TerentiUa; et, pour leur 
en faire abandonner la poursuite, le sénat accorde, au 
peuple, le pouvoir de joindre cinq nouveaux tribuns 
aux cinq anciens, p. 349* Ils font céder an peuple, 
le Mont Aventin par un sénatus- consulte, p. 353, 
Us citent les consuls, devant l'assemblée du peuple: ils 
leur font refuser les honneurs du triomphe, après une 
victoire complette, et les font condamner à l'amende, 
parce qu'ils s'étoient opposés à la publication de la' loi 
Agraire, p. 3«j4» 

Tullus Hostilius, troisième roi de Rome, succède à 
Numa Pompilius, 1. 1, p. 37. Caractère de ce prince, 
ibiS. Combat des Horaces et des- Curiaces, sous son 
règne, p. 39. Il ruine Albe, et transfère ses habitans 
à Rome, p. 4*« Sa mort, ibid. 



ALPHABÉTIQUE. 

V. • 



'38 7 



Valerius (Publius) est fait consul, à 1» place de Col- 
latin, 1. I, p. 60. Il fait plusieurs lois favorablis au 
peuple : ce qui lui fit donner le nom de Publicola , 
p. 6a. 

Valerius (M.) frère de Publicola, ouvre un avis en fa- 
veur du peuple; son sentiment est rejette, 1. I, p, «ji è 

Valerius (M an rus), fils de Volusius, est créé dictateur, 
1. 1, p. 88. Il appaise le peuple par sa douceur, p. 89. 
Il tire, de l'Ordre des plébéiens, quatre cents des plus 
considérables, qu'il fait entrer dans l'Ordre des che- 
valiers, p. 90. Il abdique la dictature, p. 9a. Il traite, 
delà part du sénat, avec les mécontens retirés sur le 
Mont Sacré, et il les exhorte à rentrer dans Rome 1 
p. 108. Il engage le sénat à leur accorder leurs de- 
mandes, p. 121. Il prend, en plein sénat, le parti du 
peuple contre Goriolan, 1. II p. i65. 

Volero propose la loi pour les assemblées par tribus : 
cette loi passe, malgré Appius, 1. III, p. 375. 



FIN DE LA TABLE DES MATIERES DU PREMIER VOLUME* 



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